Dictionnaire de la guerre dAlgérie

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BOUQUINS

Collection fondée par Guy Schoeller


et dirigée par Jean-Luc Barré
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Philippe de Gaulle, Mémoires
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François Mauriac, Journal • Mémoires politiques, édition établie et présentée par Jean-Luc Barré
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Edgar Morin, L’Unité d’un homme, édition établie et présentée par Pascal Ory
Benjamin Stora, Une mémoire algérienne
Jeannine Verdès-Leroux, L’Algérie et la France
Le Voyage en Algérie. Anthologie de voyageurs français dans l’Algérie coloniale (1830-1930), édition
établie par Franck Laurent

Dictionnaire de la Grande Guerre, sous la direction de François Cochet et Rémy Porte


Encyclopédie de la Seconde Guerre mondiale, sous la direction de Jean-François Muracciole et
Guillaume Piketty
« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage
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de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

© Bouquins éditions, Paris, 2023

En couverture :
14 Juillet, collage de Jacques Villeglé, 1960. © Adagp, Paris, 2023

EAN : 978-2-38292-311-5

Bouquins éditions – 92, avenue de France – 75013 Paris

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


SOMMAIRE

Titre

À découvrir aussi dans la même collection

Copyright

Introduction

Ont contribué à ce dictionnaire

Note des éditeurs

Table des sigles et acronymes

Glossaire des termes arabes

Table alphabétique des entrées

Dictionnaire

A
ABANE, Ramdane (1920-1957)

ABBAS, Ferhat (1899-1985)


ABIDI, Mohamed Tahar, dit Hadj Lakhdar (1914 ou 1916-1998)
ACCRA, conférence d'

ACTION CIVIQUE NON VIOLENTE (ACNV)


ACTION PSYCHOLOGIQUE

ACTION SOCIALE ET ÉDUCATIVE


ACTIVISME ALGÉRIE FRANÇAISE
ADAMS, Dennis (né en 1948)
ADJOUL, Adjel (1922-1993)

AFFAIRES
AGERON, Charles-Robert (1923-2008)

AGOUNENDA, Bataille d' (22 au 23 mai 1957)


AGRICULTURE

AILLERET, général Charles (1907-1968)


AÏT AHMED, Hocine (1926-2015)

AÏT HAMOUDA, Amirouche (1926-1959)


ALGER RÉPUBLICAIN

ALLARD, général Jacques (1903-1995)


ALLEG, Henri (1921-2013)

AMÉRIQUE LATINE
AMEZIANE, ferme

AMIS DU MANIFESTE ET DE LA LIBERTÉ (LES)


AMNISTIE (Lois d')

AMOURS ET SEXUALITÉS
AMRANE-MINNE Djamila, née Danièle Minne (1939-2017)
AMROUCHE, Jean El-Mouhoub (1906-1962)

ANARCHISME
ANCIENS COMBATTANTS (associations)

ANCIENS COMBATTANTS (statut)


ANCIENS MOUDJAHIDINES (anciens combattants)

ANIMAUX
ANTICOLONIALISTES (associations)

« APPEL DES DOUZE »


APPELÉS DU CONTINGENT

APPELÉS DU CONTINGENT (mémoires)


ARCHIVES PRIVÉES
ARCHIVES PUBLIQUES EN ALGÉRIE

ARCHIVES PUBLIQUES EN FRANCE


ARGOT MILITAIRE

ARGOUD, colonel Antoine (1914-2004)


ARMÉE DE L'AIR

ARMÉE DE LIBÉRATION NATIONALE (ALN)


ARMÉE DE MER, MARINE

ARMÉE DE TERRE
ARMÉE DES FRONTIÈRES

ARMÉE FRANÇAISE ET POLITIQUE


ARMÉE NATIONALE POPULAIRE (ANP)

ART (HISTORIOGRAPHIE DE L')


ARTISTES PEINTRES

ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE

ASSOCIATION DES ULÉMAS MUSULMANS ALGÉRIENS (AUMA)


ASSOCIATION GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS D'ALGÉRIE (Agea)
ATTENTAT AU BAZOOKA

ATTENTAT DE CHÂTEAU-ROYAL
ATTENTAT DE LA RUE DE THÈBES (9 au 10 août 1956, rue Boudriès-Père-et-Fils)

ATTENTAT DU PETIT-CLAMART
ATTENTATS D'ALGER

ATTENTATS DE L'OAS EN ALGÉRIE


ATTENTATS DE L'OAS EN FRANCE

ATTENTATS DU FLN EN FRANCE


AUDIN, Josette (1931-2019)

AUDIN, Maurice (1932-1957)


AUSSARESSES (Affaire)
AUSSARESSES, général Paul (1918-2013)

AUTODÉTERMINATION (Discours sur l')


AVIATION LÉGÈRE DE L'ARMÉE DE TERRE (Alat)

AVOCATS, Collectifs d'


AZZEDINE, commandant (né en 1934)

B
BADJI, Mokhtar (1919-1954)

BANDES DESSINÉES
BANDOENG, Conférence de (18-24 avril 1955)

BARBEROT, colonel Roger (1915-2002)


BARBOUZES

BARRAGES ÉLECTRIFIÉS
BARRAT, Denise (1923-1995) et Robert (1919-1976)

BARRICADES, semaine des (24 janvier-1er février 1960)


BATAILLE

BATAILLE D'ALGER
BATAILLE DE L'ÉCRIT
BATAILLE DES FRONTIÈRES

BATAILLE DU RAIL
BEAUFRE, général André (1902-1975)

BEAUVOIR, Simone de (1908-1986)


BELGIQUE

BELHADDAD, Mohand Mahdi (1918-1978)


BELHADJ DJILALI, Abdelkader (1921-1958)

BELLOUNIS, Mohammed (1912-1958)


BEN ABDERREZAK HAMOUDA, Ahmed, dit Si El Haouès (1923-1959)

BEN ALLA, Hadj, dit Si Bouzid, Monsieur Henri (1925-2009)


BEN BELLA, Ahmed (1916-2012)
BEN BOUALI, Hassiba (1938-1957)

BEN BOULAÏD, Mostefa (1917-1956)


BEN KHEDDA, Benyoucef (1920-2003)

BEN M'HIDI, Larbi, dit Si Mohammed, El Hakim (1923-1957)


BENCHERIF, Ahmed (1927-2018)

BENDJELLOUL, Mohammed Salah (1893-1985)


BENABDELMALEK, Ramdane, dit Si Abdallah (1928-1954)

BENOIST, Clara (née en 1930) et Henri (né en 1926)


BENTOBBAL, Slimane, dit Si Lakhdar, Si Mahmoud, Si Abdallah (1923-2010)

BENZEKRI, Isa (1928-2017)


BENZINE, Abdelhamid (1926-2003)

BIGEARD, général Marcel (1916-2010)


BILAN HUMAIN

BILLOTTE, général Pierre (1906-1992)


BITAT, Rabah (1925-2000)

BITTERLIN, Lucien (1932-2017)


BIZERTE, Crise de
BLACHETTE, Georges (1900-1980)

BLED (LE)
BLEUÏTE

BLINDÉS
BOLLARDIÈRE, général Jacques Pâris de (1907-1986)

BONNAUD, Robert (1929-2013)


BORDEL MILITAIRE DE CAMPAGNE (BMC)

BORGEAUD, Henri (1895-1964)


BOUALAM, bachaga Saïd (1906-1982)

BOUATTOURA, Meriem, dite Yasmina (1938-1960)


BOUAZIZ, Rabah, dit Saïd (1928-2009)
BOUBNIDER, Salah, dit Saout El Arab (1929-2005)

BOUDAOUD, Omar (1924-2020)


BOUDIAF, Mohamed, dit Si Tayeb, Si Smaïn (1919-1992)

BOUGARA, Ahmed, dit Si M'hamed (1928-1959)


BOUGLEZ, Amara (1922-1995)

BOUHIRED, Djamila (née en 1935)


BOUMEDIENE, Houari (1932-1978)

BOUMENDJEL, Ahmed (1908-1982)


BOUMENDJEL, Ali (1919-1957)

BOUNAÂMA, Djilali, dit Si Mohamed (1926-1961)


BOUPACHA, Djamila (née en 1938)

BOURDET, Claude (1909-1996)


BOURDIEU, Pierre (1930-2002)

BOUREGAÂ, Lakhdar (1933-2020)


BOURGES, Hervé (1933-2020)

BOURGÈS-MAUNOURY, Maurice (1914-1993)


BOUSSOUF, Abdelhafid, dit Si Mabrouk (1926-1980)
BOUTEFLIKA, Abdelaziz (1937-2021)

BOYCOTT
BOYER-BANSE, Louis (1879-1964)

BUIS, général Georges (1912-1998)


C

5 JUILLET 1961, Manifestations du


5 JUILLET 1962 (Algérie)

5 JUILLET 1962 (Oran)


CAMPS D'INTERNEMENT

CAMUS, Albert (1913-1960)


CARLIER, Omar (1943-2021)
CARTERON, abbé Albert (1912-1992)

CATHOLICISME
CAUSES DE LA GUERRE

CENSURE
CENTRE D'IDENTIFICATION DE VINCENNES (CIV)

CENTRE D'INSTRUCTION PACIFICATION ET CONTRE-GUÉRILLA (CIPCG)


CENTRE DE RENSEIGNEMENT ET D'OPÉRATIONS DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL
(Crogg)

CENTRES D'HÉBERGEMENT (CH)


CENTRES DE RENSEIGNEMENT ET D'ACTION (CRA)

CENTRES DE TRI ET DE TRANSIT (ou centres de triage et de transit) (CTT)


CENTRES MILITAIRES D'INTERNÉS (CMI)

CENTRES SOCIAUX ÉDUCATIFS (CSE)


CHAÂBANI, Mohamed (1934-1964)

CHAHID (martyr)
CHALLE, Maurice (1905-1979)

CHANSON ALGÉRIENNE
CHANSON FRANÇAISE
CHANTS DE LA GUERRE D'INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE

CHARONNE, Manifestation de (Paris, 8 février 1962)


CHARONNE (mémoire)

CHAULET, Claudine (1931-2015) et Pierre (1930-2012)


CHELLALI, Khedidja (1938-1957)

CHEMINOTS (Algérie)
CHERGUI, Brahim, dit Si H'mida (1922-2016)

CHERIF, Mahmoud (1911-1987)


CHERRIÈRE, Paul (1895-1965)

CHEVALLIER, Jacques (1911-1971)


CHEVÈNEMENT, Jean-Pierre (né en 1939)
CHIHANI, Bachir, dit Si Messaoud (1929-1955)

CHINE, République populaire de


CHIRAC, Jacques (1932-2019)

CINÉMA (naissance en Algérie coloniale et indépendante)


CINÉMA ET GUERRE D'ALGÉRIE (France)

CINÉMA ET GUERRE D'INDÉPENDANCE (Algérie)


COLONS

COMBATTANTS DE LA LIBÉRATION (CDL)


COMITÉ DE COORDINATION ET D'EXÉCUTION (CCE)

COMITÉ DE VINCENNES
COMITÉ INTERMOUVEMENTS AUPRÈS DES ÉVACUÉS (Cimade)

COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE (CICR)


COMITÉS ET PÉTITIONS

COMMANDOS
COMMANDOS NOIRS

COMMÉMORATIONS EN ALGÉRIE
COMMÉMORATIONS FRANÇAISES
COMMISSION DE SAUVEGARDE DES DROITS ET LIBERTÉS INDIVIDUELS

COMMISSION INTERNATIONALE CONTRE LE RÉGIME CONCENTRATIONNAIRE


COMMISSIONS MIXTES DE CESSEZ-LE-FEU

COMPAGNIES SAHARIENNES
CONDAMNATIONS À MORT

CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS (CFTC)


CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT)

CONFÉRENCES AFRICAINES
CONFÉRENCES MAGHRÉBINES (Tanger, 27-30 avril 1958 ; Tunis, 16-20 juin 1958)

CONSEIL NATIONAL DE LA RÉVOLUTION ALGÉRIENNE (CNRA)


CONSTANTINE, Plan de
COOPÉRATION

CORVÉE DE BOIS
COUR DE SÛRETÉ DE L'ÉTAT

COURRIÈRE, Yves (1935-2012)


COÛT DE LA GUERRE

CRÉPIN, général Jean (1908-1996)


CRIME CONTRE L'HUMANITÉ

CRISE DE L'ÉTÉ 1962


CRISES ET DISSIDENCES AU SEIN DU FLN-ALN

CROISSANT-ROUGE ALGÉRIEN (CRA)


CURIEL, Henri (1914-1978)

D
2e BUREAU

10e DIVISION PARACHUTISTE


17 OCTOBRE 1961

17 OCTOBRE 1961 (mémoire)


19 MARS 1962 (mémoire)
DAHLAB, Saâd (1918-2000)

DAVEZIES, Robert (1923-2007)


DEBRÉ, Michel (1912-1996)

DEGUELDRE, Roger (1925-1962)


DEHILÈS, Slimane, dit colonel Sadek (1920-2011)

DELAVIGNETTE, Rapport
DELOUVRIER, Paul (1914-1995)

DÉMOGRAPHIE
DÉSERTEUR (LE), de Boris Vian

DÉSERTEURS DE L'ARMÉE FRANÇAISE (DAF)


DÉTACHEMENTS OPÉRATIONNELS DE PROTECTION (DOP)
DÉTOURNEMENT DE L'AVION DU FLN (22 octobre 1956)

DÉVOILEMENT
DGHINE, Benali, dit colonel Lotfi, Si Brahim (1934-1960)

DIB, Mohammed (1920-2003)


DIDOUCHE, Mourad, dit Si Abdelkader (1927-1955)

DISPARITIONS
DISPOSITIF DE PROTECTION URBAINE (DPU)

DIX COLONELS DE L'ALN, Réunion des (11 août- 9 décembre 1959)


DJAMILA (icône)

DOCKERS
DOUBLE COLLÈGE

DRAPEAU ALGÉRIEN
DRIF, Zohra (née en 1934)

DUCOURNAU, général Paul (1910-1985)


DUVAL, Mgr Léon-Étienne (1903-1996)

E
ÉCHO D'ALGER (L') (1912-1961)
ÉCOLES

ÉDITION, ÉDITEURS
ÉGYPTE

EL IBRAHIMI, Mohamed El Bachir (1889-1965)


EL KHATTABI, Abdelkrim (1882-1963)

EL MADANI, Ahmed Tewfik (1899-1983)


ÉLECTIONS EN ALGÉRIE (1945-1962)

ELSENHANS, Hartmut (né en 1941)


ÉLY, général Paul (1897-1975)

EMBUSCADES ET BATAILLES
ÉMIGRATION, IMMIGRATION
ENFANCES ALGÉRIENNES

ENTRÉE DES TROUPES DE L'ÉTAT-MAJOR À CONSTANTINE (25 juillet 1962)


ENTREPRISES (GRANDES)

ÉQUIPES MÉDICO-SOCIALES ITINÉRANTES (EMSI)


ESSAIS NUCLÉAIRES

ÉTAT D'URGENCE
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL (EMG)

ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
ÉTUDIANTS EN FRANCE

ÉTUDIANTS MUSULMANS ALGÉRIENS


ÉVASIONS (Algérie)

ÉVASIONS (France)
ÉVIAN, Accords d'

EXÉCUTIF PROVISOIRE
EXÉCUTIONS SOMMAIRES

F
FANON, Frantz (1925-1961)
FAURE, Gratien (1885-?)

FAURE, général Jacques (1904-1988)


FAVRELIÈRE, Noël (1934-2017)

FÉDÉRATION DE FRANCE DU FLN


FÉDÉRATION DE L'ÉDUCATION NATIONALE (FEN)

FEMMES ET FLN
FERAOUN, Mouloud (1913-1962)

FERRANDEZ, Jacques (né en 1955)


FIGARO (LE)

FILALI, Embarek, dit Abdallah (1913-1957)


FINANCES DU FLN
FLAMENT, Marc (1929-1991)

FOOTBALL (équipe du FLN)


FORCE LOCALE

FORCE OUVRIÈRE (FO)


FORGET, Nelly (née en 1929)

FOUCHET, Christian (1911-1974)


FRÉMEAUX, Jacques (né en 1949)

FREY, Roger (1913-1997)


FROGER, Amédée (1882-1956)

FRONT ALGÉRIEN D'ACTION DÉMOCRATIQUE (FAAD)


FRONT DE L'ALGÉRIE FRANÇAISE (FAF)

FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE (FLN), 1954-1962


FRONT RÉPUBLICAIN

FUNÉRAILLES EN ALGÉRIE
FUNÉRAILLES EN FRANCE

FUSILLADE DE LA RUE D'ISLY (26 MARS 1962)


G
GAILLARD, Félix (1919-1970)

GALLISSOT, René (né en 1934)


GALULA, lieutenant-colonel David (1919-1967)

GAMBIEZ, général Fernand (1903-1989)


GARANGER, Marc (1935-2020)

GARDES, colonel Jean (1914-2000)


GARNE, Affaire Mohamed

GAULLE, général Charles de (1890-1970)


GAVOURY, Roger (1911-1961)

GÉGÈNE
GENDARMERIE
GÉNÉRATION

GENÈVE, Conventions de
GENRE ET GUERRE

GÉOGRAPHIE DE LA GUERRE (1954-1962)


GEORGOPOULOS, Athanase Constantin, dit Tassou (né en 1927)

GISCARD D'ESTAING, Valéry (1926-2020)


GODARD, colonel Yves (1911-1975)

GOURAUD, général Michel (1905-?)


GOUVERNEMENT GÉNÉRAL (GG)

GOUVERNEMENT PROVISOIRE DE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE (GPRA), 1958-1962


GRÈVE DES HUIT JOURS

GRÈVES EN ALGÉRIE
GRÈVES EN FRANCE

GUÉRILLA
GUERRE DES MÉMOIRES (LA)

GUERRE FLN-MNA
GUERRE FROIDE
GUERRE NON CONVENTIONNELLE

GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE
GUERROUDJ, Abdelkader (1928-2020) et Jacqueline (1919-2015)

H
HADJ, Messali (1898-1974)

HADJ ALI, Bachir (1920-1991)


HADJERÈS, Sadek (1928-2022)

HALIMI, Gisèle (1927-2020)


HAMAÏDIA, Tahar, dit capitaine Zoubir (1931-1960)

HAMIDOU, Maliha dite Rachida (1942-1959)


HAMOUD LALIAM, Nefissa (1924-2002)
HARBI, Mohammed (né en 1933)

« HARKIS À PARIS »
HARKIS (associations)

HARKIS (camps)
HARKIS (massacres)

HARKIS (mémoires)
HARKIS (politiques publiques)

HARKIS (rapatriement)
HAROUN, Ali (né en 1927)

HERVO, Monique (née en 1929)


HOCINE, Baya (1940-2000)

HOLLANDE, François (né en 1954)


HONGRIE

HUMANITÉ (L')
HURST, Jean-Louis dit Maurienne (1935-2014)

I
IGHILAHRIZ, Louisette (née en 1936)
INDOCHINE, Guerre d'

INDUSTRIE
INSTITUTIONS DE L'ALGÉRIE

INSURRECTION DU 20 AOÛT 1955


INTERNATIONALISATION

ISRAËL
ISSIAKHEM, M'hamed (1928-1985)

ITALIE
IVETON, Fernand (1926-1957)

J
JAUFFRET, Jean-Charles (né en 1949)
JEANSON, Francis (1922-2009)

JEUNE NATION
JOSPIN, Lionel (né en 1937)

JOUHAUD, général Edmond (1905-1995)


JOURNAL DES MARCHES ET OPÉRATIONS (JMO)

JOXE, Louis (1901-1991)


JUIFS D'ALGÉRIE

JUIN, maréchal Alphonse (1888-1967)


JUSTICE MILITAIRE

K
KADDACHE, Mahfoud (1921-2006)

KAFI, Ali (1928-2013)


KAGAN, Élie (1928-1999)

KATEB, Yacine (1929-1989)


KATZ, général Joseph (1907-2001)

KHATIB, Youcef, dit Hassan


KHEIREDDINE, Mohamed (1902-1993)
KHIDER, Mohamed (1912-1967)

KHODJA, Ali (1933-1956)


KRIM, Belkacem (1922-1970)

L
LA POINTE, Ali (1930-1957)

LABAN, Maurice (1914-1956)


LACHERAF, Mostefa (1917-2007)

LACHEROY, colonel Charles (1906-2005)


LACOSTE, Robert (1898-1989)

LADLANI, Amar, dit Kaddour (1925-2004)


LAGAILLARDE, Pierre (1931-2014)
LAGHROUR, Abbès (1926-1957)

LAKHDARI, Samia (1934-2012)


LAMBERT, Pierre (1901-1973)

LAMOURI, Complot
LE PEN, Jean-Marie (né en 1928)

LEFEUVRE, Daniel (1951-2013)


LÉGER, commandant Paul-Alain (1922-1999)

LÉGION ÉTRANGÈRE
LENNUYEUX, général Marcel (1908-1994)

LÉONARD, Roger (1898-1987)


LIBÉRAUX D'ALGÉRIE

LIECHTI, Alban (né en 1935)


LIEUX DE MÉMOIRE (France)

LIGUE ARABE
LIGUE DES DROITS DE L'HOMME (LDH)

LILLE
LINDON, Jérôme (1925-2001)
LITTÉRATURE D'EXPRESSION ARABE EN ALGÉRIE, 1920-1962

LITTÉRATURE D'EXPRESSION FRANÇAISE EN ALGÉRIE


LITTÉRATURE ET GUERRE (France, après-guerre)

LOGEMENT ET GUERRE EN ALGÉRIE


LOGEMENT ET GUERRE EN MÉTROPOLE

LOI-CADRE SUR L'ALGÉRIE


LOI DU 18 OCTOBRE 1999

LOI DU 23 FÉVRIER 2005


LORILLOT, général Henri (1901-1985)

LOUP, Eliette (née en 1934)


LYON
M

MACRON, Emmanuel (né en 1977)


« MAGHREB CIRCUS » (LE)

MAGISTRATS
MAHSAS, Ahmed, dit Ali (1923-2013)

MAILLOT, Henri (1928-1956)


MAIRES (Algérie)

MAIREY, Rapport
MAMMERI, Mouloud (1917-1989)

MANDOUZE, André (1916-2006)


MANIFESTATION DE POLICIERS (13 mars 1958)

MANIFESTATIONS (France)
MANIFESTATIONS DE MAI 1945

MANIFESTATIONS DE DÉCEMBRE 1960


MANIFESTATIONS DE RAPPELÉS

MANIFESTATIONS DU MNA
MANIFESTATIONS FRANÇAISES D'ALGÉRIE
MANIFESTES

MAROC
MARSEILLE

MARTINET, Gilles (1916-2006)


MASCHINO, Maurice Tarik (1931-2021)

MASPERO, François (1932-2015)


MASPÉTIOL, Rapport

MASSIGNON, Louis (1883-1962)


MASSU, général Jacques (1908-2002)

MASSU, Suzanne (1907-1977)


MAURIAC, François (1885-1970)
MEDDAD, Ourida (1938-1957)

MELOUZA-BENI ILLEMANE
MÉMORIAL NATIONAL DE LA GUERRE D'ALGÉRIE

MENDÈS FRANCE, Pierre (1907-1982)


MESLI, Choukri (1931-2017)

MESSMER, Pierre (1913-2007)


METAÏCHE, Abdelkader, dit commandant Jabeur (1928-1958)

MEYNIER, Gilbert (1942-2017)


MICHELET, Edmond (1899-1970)

MICHELETTI, Claude (1936-2004)


MINES

MIRA, Abderrahmane (1922-1959)


MISSION DE FRANCE

MITTERRAND, François (1916-1996)


MOHAMMEDI, Saïd, dit colonel Si Nasser (1912-1994)

MOINE, André (1909-1994) et Blanche (1913-1983)


MOLLET, Guy (1905-1975)
MONDE (LE)

MONDE COMMUNISTE
MONDE OCCIDENTAL

MONNEROT, Guy (1931-1954)


MONTEIL, Vincent (1913-2005)

MONTLUC
MONUMENTS AUX MARTYRS EN ALGÉRIE

MONUMENTS AUX MORTS (France)


MORIN, Edgar (né en 1921)

MORIN, Jean (1916-2008)


MOSTEFAÏ-SUSINI, Accord
MOTION DES 61

MOUDJAHID
MOUDJAHIDA

MOUEDDEN, Attou (1921-2011)


MOUVEMENT NATIONAL ALGÉRIEN (MNA)

MOUVEMENT POPULAIRE DU 13 MAI (MP 13)


MOUVEMENT RÉPUBLICAIN POPULAIRE (MRP)

MUSÉES DU MOUDJAHID
N

NATIONALITÉ
NATIONS, NATIONALISMES

NATURE, ENVIRONNEMENT
NÉGOCIATIONS

NEMICHE, Djelloul, dit capitaine Bakhti (1922-1992)


NOSTALGÉRIE

O
OFFICE DE RADIODIFFUSION-TÉLÉVISION FRANÇAISE (ORTF)
OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)

« OISEAU BLEU », Opérations


OLIÉ, général Jean (1904-2003)

OPINION PUBLIQUE (Algérie)


OPINION PUBLIQUE (France)

« ORANGE AMÈRE », Opération


ORGANISATION ARMÉE SECRÈTE (OAS)

ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE DE L'AFRIQUE FRANÇAISE (Oraf)


ORGANISATION DES NATIONS UNIES (ONU)

ORGANISATION SPÉCIALE (OS)


ORTIZ, Joseph (1917-1995)
OUAMRANE, Amar (1919-1992)

OULD KABLIA, Saliha, dite ZOUBIDA (1934-1958)


OULHADJ, Mohand (Mokrane Akli, dit) (1911-1972)

OUSSEDIK, Mourad (1926-2005)


OUZEGANE, Amar (1910-1981)

P
1er NOVEMBRE 1954

PACIFICATION
PALESTRO

PAPON, Maurice (1910-2007)


PARACHUTISTES

PARLANGE, Gaston (1897-1972)


PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN (PCA)

PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS (PCF)


PARTI DU PEUPLE ALGÉRIEN (PPA)/MOUVEMENT POUR LE TRIOMPHE
DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES (MTLD)

PARTI RADICAL
PARTI SOCIALISTE UNIFIÉ (PSU)
PATIN, Maurice (1895-1962)

PAYS-BAS
PERVILLÉ, Guy (né en 1948)

PESCHARD, Raymonde (1927-1957)


PÉTROLE

PFLIMLIN, Pierre (1907-2000)


PHILATÉLIE

PHOTOGRAPHIE
PIEDS-NOIRS

PIEDS-NOIRS (associations)
PIEDS-NOIRS (mémoires)
PIEDS-ROUGES

PIGNON-ERNEST, Ernest (né en 1942)


PLAN CHALLE

PLAN CHALLE. Opérations « Couronne »


PLAN CHALLE. Opérations « Courroie » et « Cigale »

PLAN CHALLE. Opérations « Étincelles » et « Flammèches »


PLAN CHALLE. Opération « Jumelles »

PLAN CHALLE. Opération « Pierres précieuses »


PLAN CHALLE. Opération « Prométhée »

PLAN CHALLE. Opération « Trident »


POLICE (Algérie)

POLICE (France)
POLITIQUES PUBLIQUES DE LA MÉMOIRE EN FRANCE

POLOGNE
PORTEURS DE VALISES ET SOUTIENS AUX ALGÉRIENS

POSTCOLONIALES, Études
POSTMÉMOIRES
POUJADISTES

POUVOIRS SPÉCIAUX
PRADO, Affaire du

PRÉFETS ET IGAME
PRESSE ALGÉRIENNE DE GUERRE

PRESSE CLANDESTINE (France)


PRESSE EN FRANCE

PRESSE FRANCOPHONE EN ALGÉRIE


PRESSE MNA

PRISONNIERS
PRISONS (Algérie)
PRISONS (France)

PROCÈS DES MEMBRES DE L'OAS


PROGRAMMES SCOLAIRES (Algérie)

PROGRAMMES SCOLAIRES (France)


PROPAGANDE

PROTESTANTISME
PUTSCH DES GÉNÉRAUX (avril 1961)

Q
QASSAMAN

R
RACISME COLONIAL ET POSTCOLONIAL

RADIOS DU FLN
RADIOS FRANCOPHONES

RAFFINI, Georges (1916-1955)


RAFLES EN ALGÉRIE

RAPATRIEMENT
RAPATRIÉS (politiques publiques)
RASSEMBLEMENT POUR L'ALGÉRIE FRANÇAISE (RAF)

RATONNADES
REBÉRIOUX, Madeleine (1920-2005)

REDDITIONS ET RALLIEMENTS EN ALGÉRIE


RÉÉDUCATION

RÉFÉRENDUMS (autodétermination, accords d'Évian, indépendance)


RÉFRACTAIRES FRANÇAIS

RÉFRACTAIRES ET « PORTEURS DE VALISES » (mémoires)


RÉFUGIÉS ALGÉRIENS

RÉGIONALISME ET NATIONALISME (France)


REGROUPEMENT (Camps de)
REPENTANCE

RÉPRESSION DES COMMUNISTES ALGÉRIENS


RÉPUBLIQUE, IVe

RÉPUBLIQUE, Ve
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLEMANDE (RDA)

RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE (RFA)


RÉSISTANCE ET GUERRE D'INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE

« RÉSURRECTION », Opération
RÉVOLUTION AFRICAINE

REVUES
ROCARD, Rapport

ROY, Jules (1907-2000)


S

SAÂDANE, Meriem (1932-1958) et Fadila (1938-1960)


SAADI, Yacef, dit Djaffar (1928-2021)

SAHLI, Mohamed Cherif (ou Mohand) (1906-1989)


SAKIET SIDI YOUSSEF, Bombardement de
SALAN, général Raoul (1899-1984)

SANTÉ
SARKOZY, Nicolas (né en 1955)

SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)


SAYAD, Abdelmalek (1937-1998)

SCHIAFFINO, Laurent (1897-1978)


SCHWARTZ, Laurent (1915-2002)

SCIENCES SOCIALES ET COLONISATION


SCOUTS DE FRANCE

SCOUTS MUSULMANS ALGÉRIENS (SMA)


SEBA'ÂSNÎN BARAKAT (« SEPT ANS, ÇA SUFFIT »)
SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS (SPF)

SECTION FRANÇAISE DE L'INTERNATIONALE OUVRIÈRE (SFIO)


SECTIONS ADMINISTRATIVES SPÉCIALISÉES (SAS)

SECTIONS ADMINISTRATIVES URBAINES (SAU)


SERVAN-SCHREIBER, Jean-Jacques (1924-2006)

SERVICE CINÉMATOGRAPHIQUE DES ARMÉES (SCA)


SERVICE D'ASSISTANCE TECHNIQUE AUX FRANÇAIS MUSULMANS D'ALGÉRIE (SAT-
FMA)

SERVICE DE DOCUMENTATION EXTÉRIEURE ET DE CONTRE-ESPIONNAGE (SDECE)


SERVICE DE SANTÉ DE L'ARMÉE FRANÇAISE

SERVICE DES LIAISONS NORD-AFRICAINES (SLNA) (1947-1957)


SERVICE MILITAIRE

SERVICE POSTAL DES ARMÉES


SERVICES DE SANTÉ DE L'ALN

SERVIER, Jean (1918-2000)


SI SALAH (Mohammed Zamoum, dit) (1928-1961)

SID CARA, Nafissa (1910-2002) et Chérif (1902-1999)


SOLDATS DE L'EMPIRE EN ALGÉRIE (1954-1962)
SOLDATS DU REFUS

SOUAÏ, Ali (1932-1961)


SOUÏAH, Houari (1915-1990)

SOUICI, Abdelkrim (mort en 2005)


SOUMMAM, Congrès de la (20-27 août 1956)

SOUS-OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)


SOUSTELLE, Jacques (1912-1990)

SPORTISSE, William (né en 1923)


SPORTS AUX ARMÉES

SPORTS EN ALGÉRIE
STATUT DE 1947
STEINER FIORIO, Annie (1928-2021)

STORA, Benjamin (né en 1950)


STRESS POST-TRAUMATIQUE, Troubles du

SUEZ, Expédition de
SUISSE

SUPPLÉTIFS DE L'ARMÉE FRANÇAISE


SUPPLÉTIFS DE L'ARMÉE FRANÇAISE, Aassès

SUPPLÉTIFS DE L'ARMÉE FRANÇAISE, Commando « Georges »


SUPPLÉTIFS DE L'ARMÉE FRANÇAISE, Groupes d'autodéfense (GAD)

SUPPLÉTIFS DE L'ARMÉE FRANÇAISE, Groupes mobiles de police rurale


(GMPR)/ Groupes mobiles de sécurité (GMS)
SUPPLÉTIFS DE L'ARMÉE FRANÇAISE, Harkis

SUPPLÉTIFS DE L'ARMÉE FRANÇAISE, Mokhazni


SURSIS

SUSINI, Jean-Jacques (1933-2017)


SYNDICAT NATIONAL DES INSTITUTEURS (SNI)

T
13 MAI 1958
TCHÉCOSLOVAQUIE

TÉBESSI, Larbi (1891-1957)


TEITGEN, Paul (1919-1991)

TÉMOIGNAGES (Algérie)
TÉMOIGNAGES (France)

TERRITOIRES DU SUD
THÉÂTRE (Algérie)

THÉÂTRE (France)
TILLION, Germaine (1907-2008)

TIMSIT, Daniel (1928-2002)


TIZI OUZOU, Groupe de
TLEMCEN, Groupe de

TOMATES, Journée des (6 février 1956)


TORTURE

TORTURE (débats mémoriels)


TRAFIC D'ARMES ET ARRAISONNEMENT DE BATEAUX

TRAVAIL ET CHÔMAGE
TRÊVE CIVILE (L'APPEL POUR UNE)

TRINQUIER, colonel Roger (1908-1986)


TRIPOLI, Congrès de (1962)

TROTSKISTES
TROUPES DE RÉSERVE GÉNÉRALE

TROUPES DE SECTEUR
TUNISIE

U
UNION DÉMOCRATIQUE DU MANIFESTE ALGÉRIEN (UDMA)

UNION DES RÉPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIÉTIQUES (URSS)


UNION DES SYNDICATS DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS (USTA)
UNION FRANÇAISE NORD-AFRICAINE (UFNA)

UNION GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS MUSULMANS ALGÉRIENS (Ugema)


UNION GÉNÉRALE DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS (UGTA)

UNION NATIONALE DES ÉTUDIANTS DE FRANCE (Unef)


UNION POUR LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE (UNR)

UNITÉS TERRITORIALES (UT)


UNIVERSITÉ D'ALGER

V
« 22 », LES

VANUXEM, général Paul (1904-1979)


VAUJOUR, Jean (1914-2010)
VAUTIER, René (1928-2015)

VEIL, Simone (1927-2017)


VERGÈS, Jacques (1924-2013)

VIDAL-NAQUET, Pierre (1930-2006)


VILLA SÉSINI

VIOLS DES FEMMES EN ALGÉRIE


W

WAHBY, Ahmed (1921-1993)


WILAYA 1 (Aurès-Nemencha)

WILAYA 2 (Nord-Constantinois)
WILAYA 3 (Kabylie)

WILAYA 4 (Algérois)
WILAYA 5 (Oranie)

WILAYA 6 (Sahara)
WUILLAUME, Rapport

Y
YOUGOSLAVIE
Z

ZABANA, Ahmed (1926-1956) et FERRADJ, Abdelkader (1921-1956)


ZBIRI, Tahar (né en 1929)

ZELLER, général André (1898-1979)


ZEMMORA, Réunion interwilayas de (24-25 juin 1962)

ZIGHOUD, Youcef (1921-1956)


ZONE AUTONOME D'ALGER (ZAA)

ZONES INTERDITES
ZOULIKHA, Oudaï (ECHAÏB, Yamina) (1911-1957)

Cartes
Chronologie

Bibliographie
Introduction

Soixante ans après 1962, l’histoire de la « guerre d’Algérie » entre dans


la série des « Bouquins », bien connue dans le champ éditorial français pour
son rôle de diffusion des connaissances auprès d’un large public. Le symbole
est fort. Que « Bouquins » se dote d’un tel volume est révélateur de la
profondeur des attentes de la société – la demande d’histoire s’exprime avec
constance et insistance, dans tous les cercles où les historiens et historiennes
rencontrent le public, lors de leurs débats et conférences, dans des centres
culturels, cinémas, médiathèques et autres librairies, lors de leurs
interventions auprès des enseignants du secondaire en formation ou encore à
l’occasion d’interactions diverses, parfois même dans leur vie quotidienne,
chez leurs amis ou dans leur famille. Que ce volume aboutisse est tout aussi
révélateur d’une évolution de longue haleine et moins visible : la recherche
historique a avancé en soixante ans. La bibliographie est aujourd’hui
abondante, internationale et riche d’approches variées. Entre les acquis de la
recherche et la façon dont le débat public s’empare de cette histoire, avec une
fièvre parfois savamment entretenue pour de mauvaises raisons tenant du
calcul politique, s’est creusé un fossé que ce volume, nous l’espérons, aidera
à combler.
La dénomination même du conflit témoigne de ce fossé entre grand
public et monde de la recherche. La légitimation de l’expression française la
plus courante – « guerre d’Algérie » – résulte d’un combat de plusieurs
décennies. Dès 1954, les autorités françaises ont parlé d’« événements » et
d’« opérations de maintien de l’ordre ». Jusqu’en 1962, elles ont défendu ces
euphémismes et combattu le mot « guerre », qui était déjà employé, en
particulier, par ceux qui dénonçaient le conflit. Côté algérien, au contraire, les
mots légitimaient la guerre : elle était une « guerre de libération » d’une
nation étouffée par la colonisation, en même temps qu’une « révolution » de
la société. Ces termes ont perduré en Algérie après l’indépendance.
En France, la volonté officielle de masquer l’état de guerre a eu des
conséquences pendant de nombreuses années. Si les anciens combattants ont
obtenu un titre de reconnaissance de la nation en 1967, ils n’ont droit à une
carte en bonne et due forme qu’en 1974. Il leur a fallu attendre 1999 pour que
l’acception « opérations de maintien de l’ordre » soit officiellement
remplacée par celle de « guerre d’Algérie ». L’expression était déjà utilisée
depuis longtemps, jusque dans les manuels scolaires. Désormais, elle est
reconnue et se banalise ; d’où l’évidence du titre de l’ouvrage pour l’éditeur,
soucieux de la plus large diffusion du volume. De son point de vue, toute
autre appellation aurait risqué d’être incomprise ou de faire polémique.
Pourtant, déjà, une autre dénomination apparaît et se diffuse depuis les
années 2000 : « Guerre d’indépendance algérienne ». Elle se répand à la suite
d’une évolution dans le langage de la recherche en France et marque la
distance des historiens et des historiennes avec les appellations héritées de
l’époque de la guerre elle-même. Elle permet également d’embrasser le
conflit dans toutes ses dimensions, dans toutes ses facettes, de tous côtés, en
un seul mouvement. Pour cette raison, elle est pertinente quand il s’agit de
livrer une vision synthétique de cette histoire. « Guerre d’indépendance
algérienne » a également l’avantage de désigner la guerre par son enjeu, posé
d’emblée. Dès le matin du 1er novembre 1954, les contemporains bien
informés de la situation algérienne le comprennent en effet. Immédiatement
le Front de libération nationale (FLN) place l’objectif de l’indépendance au
premier rang de sa proclamation. Pour leur part, les autorités françaises,
depuis les services de police et de renseignements jusqu’aux gouvernements,
ont d’autant plus conscience de la menace planant, de leur point de vue, sur la
colonisation de l’Algérie, qu’elles ont combattu la montée en puissance du
nationalisme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette conscience
explique que les hommes au pouvoir martèlent « l’Algérie, c’est la France »
avec autant de force. Les autorités s’attachent non seulement à nier la guerre
mais à défendre la colonisation.
Aucune expression ne fait cependant l’unanimité pour nommer la guerre
et ses acteurs. Certains maintiennent, ainsi, que « Guerre d’indépendance » a
une dimension téléologique : ce serait nommer la guerre par sa fin. D’autres
estiment que les appellations doivent varier suivant la façon dont la guerre est
appréhendée : elle reste « guerre d’Algérie » pour le contingent français par
exemple, elle est « Révolution » ou « guerre de libération » pour les
Algériens en lutte pour l’indépendance. L’expérience de la recherche et de
l’écriture conduit ici à une position réservée, appliquée à l’ensemble de ce
volume. Aucune dénomination n’étant parfaite ni exempte de critiques, les
autrices et auteurs, qui toutes et tous s’interrogent au moment d’écrire,
utilisent des mots différents. Ils se fixent sur ceux qui leur paraissent les plus
justes ou leur posent le moins de problèmes. Nous avons respecté leurs choix,
y compris lorsqu’ils divergent des nôtres, parce que, dès lors qu’elle repose
sur un socle méthodologique et factuel solide, l’écriture de l’histoire est bien
plus affaire de pluralisme et de débats que d’injonctions. Pour cette raison,
les termes varient dans les notices qui suivent, tant sur la désignation de la
guerre que sur celle des populations ou d’autres aspects encore.
Cette question de la pluralité des terminologies n’est qu’une des façons
de signifier au lecteur ce qu’est l’histoire pour ceux qui l’écrivent : une
narration réfléchie, construite et renouvelée de ce passé, à distance des
visions par trop nationales et politiquement orientées. La périodisation du
conflit en offre un autre exemple. En effet, dans les manuels scolaires en
France et dans sa version la plus couramment admise, la Guerre
d’indépendance algérienne aurait connu deux périodes : l’une de 1954 à
1958, l’autre de 1958 à 1962. La rupture est placée à la date du retour de De
Gaulle au pouvoir et du changement de République. Évidente du point de vue
de l’histoire politique de la France, cette fracture ne peut pas être reprise du
point de vue du conflit lui-même. D’une part, elle néglige l’évolution interne
du FLN et des autres forces du camp indépendantiste. En quoi y a-t-il un
bouleversement majeur là aussi en 1958 ? D’autre part – et surtout –, la
périodisation la plus judicieuse doit se fonder sur l’évolution du conflit lui-
même, au sens du rapport de force et de l’affrontement entre les deux camps,
tant sur le terrain, en Algérie et en France, que sur la scène internationale et
diplomatique. Tout bien considéré, la guerre a connu trois phases. De 1954 à
1956, le conflit se développe, à l’initiative du FLN et de son armée, tandis
que les forces françaises s’organisent pour le contrecarrer. De 1957 à 1959,
celles-ci dominent progressivement, et des recompositions politiques
décisives marquent les deux belligérants : quand de Gaulle revient au
pouvoir, porté par la mouvance pro-Algérie française, et fonde la
Ve République en France, le FLN forme un Gouvernement provisoire de la
République algérienne (GPRA) mimant le GPRF des résistants de la Seconde
Guerre mondiale. Ce n’est qu’en 1959, cependant, que l’annonce de
l’autodétermination change radicalement la donne car, pour la première fois,
l’indépendance est officiellement envisagée côté français, sur fond
d’intensification de l’effort de guerre. De ce fait, des négociations peuvent
débuter et leur déroulement caractérise la dernière période, de 1960 à 1962. Il
faut en effet deux ans pour que les pourparlers aboutissent. Le cessez-le-feu
est proclamé le 19 mars 1962 et le référendum d’autodétermination organisé
le 1er juillet suivant. Une telle périodisation ouvre la voie à des remises en
question de ce temps court de la guerre qui oscille selon des rythmes
variables, au gré de la conjoncture.
S’en tenir aux années 1954-1962 ne suffit pas. Élargir la temporalité,
replacer l’histoire de la guerre dans la longue durée coloniale, permet de
comprendre la violence du processus de décolonisation. L’Algérie était en
effet une colonie de peuplement. En tant que telle, elle reposait sur la
domination d’une minorité européenne et ne tenait que par l’infériorisation
constante des Algériens colonisés. La ségrégation était, de fait, économique,
sociale et spatiale. 88 % des Français vivaient en ville, 75 % des Algériens à
la campagne. Quand la quasi-totalité de la population active algérienne était
employée dans un secteur primaire peinant à faire vivre les familles, les
Français d’Algérie étaient tout à l’inverse occupés dans le secteur secondaire
et surtout dans un secteur tertiaire peu développé, correspondant
essentiellement au commerce et à la fonction publique. Les niveaux de
revenus reproduisaient la hiérarchie coloniale. En 1955, le rapport de la
commission Maspétiol, remis au gouvernement Mendès France, aboutit au
constat que 93 % des « musulmans » sont cantonnés dans les deux classes de
revenus les plus pauvres tandis que la classe la plus aisée ne compte que des
« non-musulmans », selon les termes mêmes de ce texte officiel. La
ségrégation était aussi politique, avec les deux collèges d’électeurs : les uns et
les autres votaient séparément, dans le but d’assurer la prépondérance des
Français d’Algérie dont les élus étaient plus nombreux, dans toutes les
institutions. La violence répondait en outre à toute mobilisation collective
tandis que le droit à la souveraineté des Algériens, revendiqué au nom de la
nation, était ignoré. Ainsi la connaissance de la colonisation permet de
comprendre pourquoi elle s’est achevée par cette guerre. Pour cette raison,
une partie des notices reviennent sur la période coloniale, à travers des
événements (comme les massacres de 1945), des personnalités, des
organisations ou des phénomènes sociaux. L’étude de l’ensemble des forces
sociales apporte d’ailleurs les éclairages nécessaires à une meilleure
compréhension de la Guerre d’indépendance, trop souvent abordée
uniquement à travers ses aspects politiques et militaires.
En aval de la guerre, ce volume inclut également autant que faire se peut
les mémoires, qui constituent un champ de plus en plus travaillé par la
recherche depuis une trentaine d’années, en particulier côté français. Il en
résulte que, si ce passé garde une conflictualité forte sur le plan politique, les
processus mémoriels sont plus complexes dans la sphère privée. Les rapports
au passé sont variés dans les familles et loin d’être toujours conflictuels. En
Algérie, les travaux manquent pour aller au-delà de la connaissance de la
geste officielle. Les études mémorielles, en outre, mettent à mal les récits
simplement nationaux de cette histoire. Des clivages internes perdurent parce
que cette guerre a mis les nations et les sociétés à l’épreuve. Elle les a
déchirées. Parallèlement, elle a suscité des solidarités transcendant les
appartenances nationales. Aussi l’histoire du conflit n’est pas l’histoire de la
France, d’un côté, celle de l’Algérie, de l’autre. Elle n’est pas une histoire
franco-algérienne qui verrait s’opposer deux nations chacune unie dans un
parti pris sans division. Elle est une histoire franco-algérienne en ce qu’elle a
mêlé Français et Algériens, tissé des liens entre les uns et les autres, produit
des définitions complexes des appartenances qui, si elles ne font plus sens en
2022, ont été celles des acteurs de l’époque. Par exemple, en Algérie, une
minorité française – au regard du droit – s’est engagée pour l’indépendance,
jusqu’à se définir comme algérienne. Certains sont restés en Algérie jusque
dans les années 1990 ou plus tard encore. Surtout, aujourd’hui, l’importance
des binationaux interdit de penser rigidement les appartenances et les
nationalités.
L’historiographie, de même, échappe au face-à-face franco-algérien dans
lequel le débat public l’enferme trop souvent. Il n’y a pas une vision française
et une vision algérienne, fonctionnant chacune en un bloc cohérent et
s’opposant en tous points, mais des visions hétérogènes de part et d’autre.
Les sociétés ne sont pas plus unanimes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient par le
passé. La France reste un lieu de productions foisonnantes. Les travaux et les
publications abondent, au point qu’en comparaison avec d’autres espaces et
d’autres conflits, la colonisation et la décolonisation de l’Algérie sont
surinvesties. L’histoire du Maroc et de la Tunisie, de l’Afrique
subsaharienne, de Madagascar, de l’ex-Indochine (avec sa guerre) ou encore
de la Nouvelle-Calédonie ne bénéficie pas du même intérêt. Le déséquilibre
est flagrant, à rebours d’une affirmation répandue selon laquelle l’histoire de
l’Algérie coloniale serait ignorée. En Algérie, les publications de mémoires et
de témoignages, l’investissement de la presse caractérisent le champ
historique tandis que les milieux académiques jouent un rôle amoindri par des
difficultés d’accès aux archives tant algériennes que françaises – il faut non
seulement se repérer dans le dédale des centres d’archives et dans la
complexité de la réglementation mais obtenir un visa et des financements
pour venir travailler de l’autre côté de la Méditerranée. L’écriture de
l’histoire intérieure des diverses wilayas, en outre, est toujours privée d’une
grande partie du courrier envoyé aux instances dirigeantes du FLN et de
l’ALN, installées à l’extérieur, au Maroc, en Tunisie, en Libye et au Caire.
Récupérées à l’indépendance, ces sources sont conservées au ministère
algérien de la Défense nationale et ne sont toujours pas communicables au
public.
Cependant, s’en tenir aux contextes français et algérien est insuffisant au
regard de l’internationalisation de l’historiographie, même si le phénomène
n’efface pas les différences. Les formations en histoire et les conditions de
travail restent nettement dépendantes de déterminants nationaux. On
n’enseigne pas, on n’apprend pas et on n’écrit pas l’histoire de la même façon
suivant les pays, qui ont chacun leur propre système scolaire et universitaire,
leur propre marché de l’édition, leur propre espace public dans lesquels cette
histoire résonne avec plus ou moins de puissance et des spécificités fortes.
L’internationalisation a d’autres limites : compétences linguistiques des
chercheurs, ressources financières des institutions, entraves concrètes à la
circulation qui pèsent particulièrement sur les Algériens. Néanmoins les
connaissances, les problématiques, les publications franchissent les
frontières, dialoguent et se fécondent, les chercheurs et les chercheuses
échangent, à l’ère du numérique plus encore qu’auparavant.
Cette internationalisation, les lecteurs en trouveront la trace dans les
références bibliographiques mobilisées pour la rédaction du Dictionnaire.
Elle marque moins l’équipe des auteurs et autrices, dont la composition a été
largement contrainte. Elle est restée tributaire des déséquilibres qui sont ceux
du monde de la recherche – du point de vue du genre notamment. En outre,
dans un contexte où la perspective du soixantième anniversaire de
l’indépendance a surchargé les agendas bien en amont de l’année 2022, les
disponibilités des uns et des autres ont pesé sur le recrutement des rédacteurs.
Ont aussi compté leur capacité à se prêter à un exercice de vulgarisation
exigeant et leur accord pour en jouer le jeu. Tout le monde n’en est pas
familier. L’équipe ne devait pas non plus être trop vaste pour faciliter sa
coordination bien qu’elle ait pris de l’ampleur au fur et à mesure. Une telle
entreprise n’aboutit pas sans réajustements, autant de la liste des notices que
du groupe des auteurs. In fine s’y côtoient pratiquement trois générations
d’historiens, mais aussi de sociologues, de politistes, de spécialistes d’études
littéraires ou artistiques. Nous tenons ici à remercier toutes celles et tous ceux
qui y ont été associés même s’ils et elles n’ont pas toujours pu nous suivre
jusqu’au bout. Nos pensées vont tout particulièrement à Omar Carlier, décédé
en 2021.
Sur bien des sujets, les savoirs sont consolidés, les analyses poussées,
débarrassées d’autocensure et ouvertes à la critique, les polémiques
refroidies. D’abord politique et militaire, l’histoire de la guerre s’est aussi
faite histoire des sociétés, au fur et à mesure du temps. Elle est ainsi
aujourd’hui souvent une histoire des femmes, des hommes, voire des enfants
que le conflit a concernés et touchés, de part et d’autre de la Méditerranée.
L’approche socioéconomique reste encore à approfondir, pour rendre compte
de l’ensemble des facettes de cette guerre et comprendre plus finement ce qui
s’est joué tout au long de la période coloniale.
La variété qui caractérise l’historiographie nourrit parfois des clivages,
tant il est tentant, pour les tenants d’une approche, de se légitimer en
critiquant les autres. Ainsi une histoire attentive aux identités, qui caractérise
les études postcoloniales, pourrait être opposée à une histoire sociale censée
être moins sensible aux appartenances. Ou encore une histoire se réclamant
des aires culturelles – maghrébine en l’occurrence – pourrait être opposée à
une histoire de la colonisation qui ne s’écrit pas systématiquement dans la
langue et les sources locales. Les échelles d’analyse aussi font discussion :
l’histoire de la guerre peut être appréhendée à l’échelle de la France et de
l’Algérie mais aussi de la région maghrébine, du continent africain ou encore
du monde. De notre point de vue, loin de créer des clivages, cette diversité
illustre ce vaste chantier collectif qu’est l’écriture de l’histoire. Aujourd’hui,
les sources mobilisées sont de toute nature. Aux archives publiques s’ajoutent
les archives privées qui, après avoir dormi parfois longtemps dans les caves
ou les greniers, sont parfois proposées aux chercheurs et aux chercheuses en
quête de ce passé. Les entretiens se font plus rares, le temps passant, mais ils
enrichissent tout particulièrement les études de la mémoire – la transmission
en est l’un des thèmes. Les sources sont aussi visuelles et audiovisuelles – les
études ne manquent pas sur les photographies ou le cinéma pendant et après
la guerre.
Il reste des questions dont le public est friand auxquelles la recherche
historique ne peut répondre, sans compter que les réponses, quand elles sont
données, ne sont pas toujours écoutées parce qu’elles ne comblent pas les
attentes mais déplacent le propos. Ainsi quand les intentions de De Gaulle
passionnent encore en France, les travaux historiques délaissent
l’interrogation pour ce qu’elle a de vain (qui peut savoir ?) et s’attachent à la
reformuler : en quoi cette politique est-elle une rupture ? Les nombres, aussi,
focalisent l’attention sans que des réponses définitives et précises puissent
être données : combien de morts ? combien de disparus ? combien de
victimes de la torture, des attentats, de tel ou tel massacre ? La recherche
répond en expliquant les sources et les méthodes de décompte pour offrir les
ordres de grandeur les plus justes possible. Surtout, aux vaines querelles
quantitatives masquant d’autres enjeux (il se joue la condamnation morale
d’un camp ou d’un autre), elle substitue ses propres approches, bien plus
fondamentales. Il s’agit avant tout de comprendre, avec une perspective
critique ne souffrant pas de censure, abordant tous les sujets sans exclusive.
C’est de cet effort que le présent Dictionnaire veut rendre compte, en
exposant les acquis de la recherche ; sans rien cacher des lacunes persistantes
ni omettre d’ouvrir des pistes pour l’avenir. Certaines notices en posent déjà
les jalons.
Tramor QUEMENEUR
Ouanassa SIARI TENGOUR
Sylvie THÉNAULT
Ont contribué à ce dictionnaire

Zineb ALI-BENALI, professeure émérite des universités.

Linda AMIRI, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à


l’université de Guyane (EA-MINEA).
Marc ANDRÉ, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université
de Rouen-Normandie.

Saphia AREZKI, chercheuse associée à l’Institut de recherches et d’études sur


les mondes arabes et musulmans (Iremam).
Saddek BENKADA, chercheur au Centre de recherche en anthropologie sociale
et culturelle (Crasc), Oran.

Belkacem BENZENINE, chercheur au Centre de recherche en anthropologie


sociale et culturelle (Crasc), Oran.
Fatima BESNACI-LANCOU, docteure en histoire.

Emmanuel BLANCHARD, maître de conférences habilité en science politique à


l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et à Sciences Po Saint-
Germain-en-Laye, chercheur au Cesdip et à l’Ined.
Anne BOITEL, docteure en histoire.
Anissa BOUAYED, docteure en histoire.

Raphaëlle BRANCHE, professeure en histoire contemporaine de l’université


Paris-Nanterre.

Andrea BRAZZODURO, maître de conférences à l’université de Naples –


L’Orientale.
Catherine BRUN, professeure des universités en littératures et théâtres de
langue française (XXe-XXIe siècles) à la Sorbonne Nouvelle.

Omar CARLIER (†), professeur émérite de l’université Paris-Diderot.

Sybille CHAPEU, docteure en histoire.

Marie CHOMINOT, docteure en histoire de l’université Paris-8-Saint-Denis.

André-Paul COMOR, maître de conférences honoraire en histoire


contemporaine à l’IEP d’Aix-en-Provence.

Olivier DARD, professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne Université.

Sébastien DENIS, professeur des universités en histoire, cinéma et médias à


l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne.

Jacques FRÉMEAUX, professeur émérite en histoire contemporaine à Sorbonne


Université.
Émilie GOUDAL, historienne de l’art et attachée temporaire d’enseignement et
de recherche à l’université de Lille.

Ali GUENOUN, docteur en histoire de l’Algérie contemporaine.

Thierry GUILLOPÉ, docteur en histoire, université Gustave-Eiffel (Marne-la-


Vallée).

Lydia HADJ-AHMED, docteure en histoire, université Paris-Nanterre.


Julien HAGE, maître de conférences en information communication,
université de Paris-Nanterre, laboratoire DICEN-IDEF.

François-Xavier HAUTREUX, enseignant, docteur en histoire, université Paris-


Nanterre.

Ahmed HENNI, professeur d’économie à l’université d’Artois.

Christian HONGROIS, docteur en anthropologie sociale.

Jean-Charles JAUFFRET, professeur émérite des universités en histoire


contemporaine à l’IEP d’Aix-en-Provence.
Aissa KADRI, professeur honoraire des universités en sociologie à l’université
Paris-8.

Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI, docteur en histoire, professeur agrégé en


classes préparatoires aux grandes écoles.
Denis LEROUX, docteur en histoire.

Marius LORIS, docteur en histoire.

Frédéric MÉDARD, docteur HDR en histoire.

Amar MOHAND-AMER, chercheur au Centre de recherche en anthropologie


sociale et culturelle (Crasc), Oran.
Alain MONCHABLON, professeur agrégé d’histoire.

Robi MORDER, juriste, co-président du Groupe d’études et de recherche sur


les mouvements étudiants (Germe), chercheur associé au laboratoire
Printemps (UVSQ-Paris Saclay).
Chantal MORELLE, docteure de l’IEP de Paris, professeure honoraire de
classes préparatoires aux grandes écoles, ancienne directrice des études et
recherches à la fondation Charles-de-Gaulle.
Gilles MORIN, chercheur associé au Centre d’histoire des mondes
contemporains (université de Paris, UMR-CNRS 8058).

Paul Max MORIN, docteur en sciences politiques, chercheur associé au


Cevipof (Sciences Po) et enseignant à l’université Nice-Côte-d’Azur.

László NAGY, professeur émérite des universités en histoire contemporaine à


l’université de Szeged (Hongrie).
M’hamed OUALDI, professeur d’histoire à Sciences Po Paris.

Guy PERVILLÉ, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de


Toulouse.
Tramor QUEMENEUR, chargé de cours aux universités Paris-8 et Cergy.

Malika RAHAL, chargée de recherche au CNRS, directrice de l’Institut


d’histoire du temps présent (IHTP).
Karima RAMDANI, docteure en science politique, CRESPPA/GTM.

François ROBINET, maître de conférences en histoire contemporaine à


l’université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines.
Alain RUSCIO, chercheur indépendant.

Fabien SACRISTE, professeur agrégé, docteur en histoire et chercheur associé à


Migrinter (université de Poitiers).
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI, chargé de recherche au CNRS, membre du
Centre de recherches historiques (EHESS) et affilié à l’Institut Convergences
Migrations (ICM).

Ouanassa SIARI TENGOUR, maîtresse de recherches honoraire, Centre de


recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc), Oran.
Nedjib SIDI MOUSSA, docteur en science politique.
Fouad SOUFI, archiviste, chercheur associé au Centre de recherche en
anthropologie sociale et culturelle (Crasc), Oran.

Benjamin STORA, professeur honoraire des universités, ancien professeur à


l’Inalco.

Esma Hind TENGOUR, docteure en études arabes, professeure certifiée,


traductrice et chercheuse indépendante.
Sylvie THÉNAULT, directrice de recherche au CNRS, Centre d’histoire sociale
des mondes contemporains (CHS).

Maurice VAÏSSE, professeur émérite des universités en histoire contemporaine


à Sciences Po Paris.
Natalya VINCE, professeure associée d’histoire contemporaine à l’université
d’Oxford.
Note des éditeurs

Si nous nous sommes attachés à respecter les choix d’écriture propres à


chaque auteur ou autrice, nous avons dû procéder à quelques unifications
d’ensemble. Pour les lieux dont la dénomination est double (par exemple,
Orléansville/Chlef), l’appellation officielle en vigueur lors de la période
concernée par le texte a été retenue.
Certains noms propres pour lesquels l’usage a consacré une inversion du
prénom et du patronyme (par exemple, Abane Ramdane pour Ramdane
Abane) se trouveront sous les deux formes, selon la volonté de chaque auteur.
L’astérisque de renvoi suit en revanche toujours le nom de famille.
Les entrées commençant par des chiffres, notamment celles qui ont pour
objet des dates, sont classées au début de la lettre initiale du chiffre en
question : l’entrée « 1er novembre 1954 » figure ainsi par exemple au début
de la lettre « P ».
Les sigles et acronymes ont la plupart du temps été développés à leur
première occurrence dans chaque notice, sauf pour les plus usuels et/ou les
plus fréquents d’entre eux qui sont repris dans la table ci-dessous.
Enfin, il nous a semblé utile de faire figurer en ouverture de ce
Dictionnaire un glossaire des termes arabes qui y sont employés ainsi qu’une
table alphabétique de l’ensemble des entrées.
Table des sigles et acronymes

ACNV : Action civique non violente.


Aeman : Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord.
ALN : Armée de libération nationale.
AML : Amis du Manifeste et de la liberté.
ANP : Armée nationale populaire.
AUMA : Association des ulémas musulmans algériens
CCE : Comité de coordination et d’exécution.
CFLN : Comité français de libération nationale.
CFTC : Confédération française des travailleurs chrétiens.
CGT : Confédération générale du travail.
CIA : Central Intelligence Agency.
CICR : Comité international de la Croix-Rouge.
Cimade : Comité intermouvements auprès des évacués.
CIPCG : Centre d’instruction pacification et contre-guérilla.
Cnip : Centre national des indépendants et paysans.
CNR : Conseil national de la Résistance.
CNRA : Conseil national de la Révolution algérienne.
CRF : Comité de renaissance française.
Crua : Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action.
DB : Division blindée.
DBFM : Demi-brigade des fusiliers marins.
DP : Division parachutiste.
DST : Direction de la surveillance du territoire.
EHESS : École des hautes études en sciences sociales.
EMG : État-major général.
EMI : État-major interarmées.
FEN : Fédération de l’Éducation nationale.
FFL : Forces françaises libres.
FLN : Front de libération nationale.
FNF : Front national français.
FO : Force ouvrière.
FPA : Force de police auxiliaire.
FTP : Francs-tireurs et partisans.
GMPR : Groupe mobile de protection rurale.
GPRA : Gouvernement provisoire de la République algérienne.
GPRF : Gouvernement provisoire de la République française.
Igame : Inspecteur général de l’Administration en mission extraordinaire.
LDH : Ligue des droits de l’homme.
MALG : Ministère de l’Armement et des Liaisons générales.
MNA : Mouvement national algérien.
MRP : Mouvement républicain populaire.
MTLD : Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques.
OAS : Organisation armée secrète.
OCI : Organisation communiste internationaliste.
ONU : Organisation des Nations unies.
Oraf : Organisation de la résistance de l’Algérie française.
ORTF : Office de radiodiffusion-télévision française.
Otan : Organisation du traité de l’Atlantique-Nord.
PC : Poste de commandement.
PCA : Parti communiste algérien.
PCF : Parti communiste français.
PPA : Parti du peuple algérien.
PRG : Police des renseignements généraux.
PSA : Parti socialiste autonome.
PSU : Parti socialiste unifié.
PTT : Postes, télégraphes et téléphones.
RAF : Rassemblement pour l’Algérie française.
RDA : République démocratique allemande.
REP : Régiment étranger de parachutistes.
RFA : République fédérale d’Allemagne.
RM : Région militaire.
RPF : Rassemblement du peuple français.
SAS : Sections administratives spécialisées.
SAT-FMA : Service d’assistance technique aux Français musulmans
d’Algérie.
SAU : Sections administratives urbaines.
SDECE : Service de documentation extérieure et de contre-espionnage.
SFIO : Section française de l’Internationale ouvrière.
SGEN : Syndicat général de l’Éducation nationale.
SLNA : Service des liaisons nord-africaines.
SNI : Syndicat national des instituteurs.
UDCA : Union de défense des commerçants et artisans.
UDMA : Union démocratique du Manifeste algérien.
UFNA : Union française nord-africaine.
UGS : Union de la gauche socialiste.
UGTA : Union générale des travailleurs algériens.
URSS : Union des républiques socialistes soviétiques.
USTA : Union des syndicats des travailleurs algériens.
UMP : Union pour un mouvement populaire.
Unea : Union nationale des étudiants algériens.
Unef : Union nationale des étudiants de France.
UNR : Union pour la nouvelle République.
ZAA : Zone autonome d’Alger.
Glossaire des termes arabes

Chahid (pluriel chouhada) : martyr.


Daïra : circonscription du MTLD.
Dechra : village, hameau.
Djebel : montagne, maquis.
Djeïch : armée (ALN).
Djihad : combat sacré.
Djoundi (pluriel djounoud) : combattant, soldat de l’ALN.
Ferka : subdivision de la katiba.
Fida : sacrifice.
Fidai/Fidaiya : celui/celle qui se sacrifie, franc-tireur.
Harka : unité de harkis.
Harki : supplétif de l’armée française.
Hizb : parti.
Islah : réforme (religieuse).
Kasma : section du MTLD, subdivision d’une nahia.
Katiba : compagnie de soldats.
Markaz : centre logistique de l’ALN.
Mechta : hameau.
Medersa : école.
Mintaqa : zone de wilaya.
Moudjahid/Moudjahida (pluriel moudjahidine/moudjahidate) :
combattant/combattante de l’ALN.
Mourchid (féminin mourchida) : agent de propagande du FLN/ALN.
Moussebil/Moussebila (pluriel moussebiline/moussebilate) : auxiliaire
civil/civile de l’organisation FLN.
Nidham : organisation d’un parti, puis du FLN.
Ta’lim : enseignement.
Tarbiyya : éducation.
Uléma (pluriel) : savants, docteurs de la loi coranique [s’écrit aussi Oulémas].
Watan : patrie.
Wilaya : région militaire.
Za’ïm : leader.
Zaouia : foyer religieux d’une confrérie.
Table alphabétique des entrées

A
ABANE, Ramdane (1920-1957)
ABBAS, Ferhat (1899-1985)
ABIDI, Mohammed Tahar, dit Hadj Lakhdar (1914 ou 1916-1998)
ACCRA, conférence d’
ACTION CIVIQUE NON VIOLENTE (ACNV)
ACTION PSYCHOLOGIQUE
ACTION SOCIALE ET ÉDUCATIVE
ACTIVISME ALGÉRIE FRANÇAISE
ADAMS, Dennis (né en 1948)
ADJOUL, Adjel (1922-1993)
AFFAIRES
AGERON, Charles-Robert (1923- 2008)
AGOUNENDA, Bataille d’ (22 au 23 mai 1957)
AGRICULTURE
AILLERET, général Charles (1907-1968)
AÏT AHMED, Hocine (1926-2015)
AÏT HAMOUDA, Amirouche (1926-1959)
ALGER RÉPUBLICAIN
ALLARD, général Jacques (1903-1995)
ALLEG, Henri (1921-2013)
AMÉRIQUE LATINE
AMEZIANE, ferme
AMIS DU MANIFESTE ET DE LA LIBERTÉ (LES)
AMNISTIE (Lois d’)
AMOURS ET SEXUALITÉS
AMRANE-MINNE, Djamila (1939-2017)
AMROUCHE, Jean El-Mouhoub (1906-1962)
ANARCHISME
ANCIENS COMBATTANTS (associations)
ANCIENS COMBATTANTS (statut)
ANCIENS MOUDJAHIDINES (anciens combattants)
ANIMAUX
ANTICOLONIALISTES (associations)
« APPEL DES DOUZE »
APPELÉS DU CONTINGENT
APPELÉS DU CONTINGENT (mémoires)
ARCHIVES PRIVÉES
ARCHIVES PUBLIQUES EN ALGÉRIE
ARCHIVES PUBLIQUES EN FRANCE
ARGOT MILITAIRE
ARGOUD, colonel Antoine (1914-2004)
ARMÉE DE L’AIR
ARMÉE DE LIBÉRATION NATIONALE (ALN)
ARMÉE DE MER, MARINE
ARMÉE DE TERRE
ARMÉE DES FRONTIÈRES
ARMÉE FRANÇAISE ET POLITIQUE
ARMÉE NATIONALE POPULAIRE (ANP)
ART (HISTORIOGRAPHIE DE L’)
ARTISTES PEINTRES
ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE
ASSOCIATION DES ULÉMAS MUSULMANS ALGÉRIENS (AUMA)
ASSOCIATION GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS D’ALGÉRIE (Agea)
ATTENTAT AU BAZOOKA
ATTENTAT DE CHÂTEAU-ROYAL
ATTENTAT DE LA RUE DE THÈBES (9 au 10 août 1956, rue Boudriès
père et fils)
ATTENTAT DU PETIT-CLAMART
ATTENTATS D’ALGER
ATTENTATS DE L’OAS EN ALGÉRIE
ATTENTATS DE L’OAS EN FRANCE
ATTENTATS DU FLN EN FRANCE
AUDIN, Josette (1931-2019)
AUDIN, Maurice (1932-1957)
AUSSARESSES (Affaire)
AUSSARESSES, général Paul (1918-2013)
AUTODÉTERMINATION (Discours sur l’)
AVIATION LÉGÈRE DE L’ARMÉE DE TERRE (ALAT)
AVOCATS, Collectifs d’
AZZEDINE, commandant (né en 1934)

B
BADJI, Mokhtar (1919-1954)
BANDES DESSINÉES
BANDOENG, Conférence de (18-24 avril 1955)
BARBEROT, colonel Roger (1915-2002)
BARBOUZES
BARRAGES ÉLECTRIFIÉS
BARRAT, Denise (1923-1995) et Robert (1919-1976)
BARRICADES, Semaine des (24 janvier-1er février 1960)
BATAILLE
BATAILLE D’ALGER
BATAILLE DE L’ÉCRIT
BATAILLE DES FRONTIÈRES
BATAILLE DU RAIL
BEAUFRE, général André (1902-1975)
BEAUVOIR, Simone de (1908-1986)
BELGIQUE
BELHADDAD, Mohand Mahdi (1918-1978)
BELHADJ DJILALI, Abdelkader (1921-1958)
BELLOUNIS, Mohammed (1912-1958)
BEN ABDERREZAK HAMOUDA, Ahmed, dit Si El Haouès (1923-1959)
BEN ALLA, Hadj, dit Si Bouzid, Monsieur Henri (1925-2009)
BEN BELLA, Ahmed (1916-2012)
BEN BOUALI, Hassiba (1938-1957)
BEN BOULAID, Mostefa (1917-1956)
BEN KHEDDA, Benyoucef (1920-2003)
BEN M’HIDI, Larbi, dit Si Mohammed, El Hakim (1923-1957)
BENABDELMALEK, Ramdane dit Si Abdallah (1928-1954)
BENCHERIF, Ahmed (1927-2018)
BENDJELLOUL, Mohammed Salah (1893-1985)
BENOIST, Clara (1930) et Henri (1926)
BENTOBBAL, Slimane, dit Si Lakhdar, Si Mahmoud, Si Abdallah (1923-
2010)
BENZEKRI, Isa (1928-2017)
BENZINE, Abdelhamid (1926-2003)
BIGEARD, général Marcel (1916-2010)
BILAN HUMAIN
BILLOTTE, général Pierre (1906-1992)
BITAT, Rabah (1925-2000)
BITTERLIN, Lucien (1932-2017)
BIZERTE, Crise de
BLACHETTE, Georges (1900-1980)
BLED (LE)
BLEUÏTE
BLINDÉS
BOLLARDIÈRE, général Jacques Pâris de (1907-1986)
BONNAUD, Robert (1929-2013)
BORDEL MILITAIRE DE CAMPAGNE (BMC)
BORGEAUD, Henri (1895-1964)
BOUALAM, bachaga Saïd (1906-1982)
BOUATTOURA, Meriem, dite Yasmina (1938-1960)
BOUAZIZ, Rabah, dit Saïd (1928-2009)
BOUBNIDER, Salah, dit Saout el Arab (1929-2005)
BOUDAOUD, Omar (1924-2020)
BOUDIAF, Mohamed, dit Si Tayeb, Si Smaïn (1919-1992)
BOUGARA, Ahmed, dit Si M’hamed (1928-1959)
BOUGLEZ, Amara (1922-1995)
BOUHIRED, Djamila (née en 1935)
BOUMEDIENE, Houari (1932-1978)
BOUMENDJEL, Ahmed (1908-1982)
BOUMENDJEL, Ali (1919-1957)
BOUNAÂMA, Djilali, dit Si Mohamed (1926-1961)
BOUPACHA, Djamila (née en 1938)
BOURDET, Claude (1909-1996)
BOURDIEU, Pierre (1930-2002)
BOUREGAÂ, Lakhdar (1933-2020)
BOURGES, Hervé (1933-2020)
BOURGÈS-MAUNOURY, Maurice (1914-1993)
BOUSSOUF, Abdelhafid, dit Si Mabrouk (1926-1980)
BOUTEFLIKA, Abdelaziz (1937-2021)
BOYCOTT
BOYER-BANSE, Louis (1879-1964)
BUIS, général Georges (1912-1998)

C
5 JUILLET 1961, Manifestations du
5 JUILLET 1962 (Algérie)
5 JUILLET 1962 (Oran)
CAMPS D’INTERNEMENT
CAMUS, Albert (1913-1960)
CARLIER, Omar (1943-2021)
CARTERON, abbé Albert (1912-1992)
CATHOLICISME
CAUSES DE LA GUERRE
CENSURE
CENTRE D’IDENTIFICATION DE VINCENNES (CIV)
CENTRE D’INSTRUCTION PACIFICATION ET CONTRE-GUÉRILLA
(CIPCG)
CENTRE DE RENSEIGNEMENT ET D’OPÉRATIONS
DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL (CROGG)
CENTRES D’HÉBERGEMENT (CH)
CENTRES DE RENSEIGNEMENT ET D’ACTION (CRA)
CENTRES DE TRI ET DE TRANSIT (ou centres de triage et de transit)
CENTRES MILITAIRES D’INTERNÉS (CMI)
CENTRES SOCIAUX ÉDUCATIFS (CSE)
CHAÂBANI, Mohamed (1934-1964)
CHALLE, Maurice (1905-1979)
CHAHID (« martyr »)
CHANSON ALGÉRIENNE
CHANSON FRANÇAISE
CHANTS DE LA GUERRE D’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
CHARONNE, Manifestation de (Paris, 8 février 1962)
CHARONNE (mémoire)
CHAULET, Claudine (1931-2015) et Pierre (1930-2012)
CHELALLI, Khedidja (1938-1957)
CHEMINOTS (Algérie)
CHERGUI, Brahim, dit Si H’mida (1922-2016)
CHERIF, Mahmoud (1911-1987)
CHERRIÈRE, Paul (1895-1965)
CHEVALLIER, Jacques (1911-1971)
CHEVÈNEMENT, Jean-Pierre (né en 1939)
CHIHANI, Bachir, dit Si Messaoud (1929-1955)
CHINE, République populaire de
CHIRAC, Jacques (1932-2019)
CINÉMA (naissance en Algérie coloniale et indépendante)
CINÉMA ET GUERRE D’ALGÉRIE (France)
CINÉMA ET GUERRE D’INDÉPENDANCE (Algérie)
COLONS
COMBATTANTS DE LA LIBÉRATION (CDL)
COMITÉ DE COORDINATION ET D’EXÉCUTION (CCE)
COMITÉ DE VINCENNES
COMITÉ INTERMOUVEMENTS AUPRÈS DES ÉVACUÉS (Cimade)
COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE (CICR)
COMITÉS ET PÉTITIONS
COMMANDOS
COMMANDOS NOIRS
COMMÉMORATIONS EN ALGÉRIE
COMMÉMORATIONS FRANÇAISES
COMMISSION DE SAUVEGARDE DES DROITS ET LIBERTÉS
INDIVIDUELS
COMMISSION INTERNATIONALE CONTRE LE RÉGIME
CONCENTRATIONNAIRE
COMMISSIONS MIXTES DE CESSEZ-LE-FEU
COMPAGNIES SAHARIENNES
CONDAMNATIONS À MORT
CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS
(CFTC)
CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT)
CONFÉRENCES AFRICAINES
CONFÉRENCES MAGHRÉBINES
CONSEIL NATIONAL DE LA RÉVOLUTION ALGÉRIENNE (CNRA)
CONSTANTINE, Plan de
COOPÉRATION
CORVÉE DE BOIS
COUR DE SÛRETÉ DE L’ÉTAT
COURRIÈRE, Yves (1935-2012)
COÛT DE LA GUERRE
CRÉPIN, général Jean (1908-1996)
CRIME CONTRE L’HUMANITÉ
CRISE DE L’ÉTÉ 1962
CRISES ET DISSIDENCES AU SEIN DU FLN-ALN
CROISSANT-ROUGE ALGÉRIEN (CRA)
CURIEL, Henri (1914-1978)
D
2e BUREAU
10e DIVISION PARACHUTISTE
17 OCTOBRE 1961
17 OCTOBRE 1961 (mémoire)
19 MARS 1962 (mémoire)
DAHLAB, Saâd (1918-2000)
DAVEZIES, Robert (1923-2007)
DEBRÉ, Michel (1912-1996)
DEGUELDRE, Roger (1925-1962)
DEHILÈS, Slimane, dit colonel Sadek (1920-2011)
DELAVIGNETTE, Rapport
DELOUVRIER, Paul (1914-1995)
DÉMOGRAPHIE
DÉSERTEUR (LE), de Boris Vian
DÉSERTEURS DE L’ARMÉE FRANÇAISE (DAF)
DÉTACHEMENTS OPÉRATIONNELS DE PROTECTION (DOP)
DÉTOURNEMENT DE L’AVION DU FLN (22 octobre 1956)
DÉVOILEMENT
DGHINE, Benali, dit colonel Lotfi, Si Brahim (1934-1960)
DIB, Mohammed (1920-2003)
DIDOUCHE, Mourad, dit Si Abdelkader (1927-1955)
DISPARITIONS
DISPOSITIF DE PROTECTION URBAINE (DPU)
DIX COLONELS DE L’ALN, Réunion des
DJAMILA (icône)
DOCKERS
DOUBLE COLLÈGE
DRAPEAU ALGÉRIEN
DRIF, Zohra (née en 1934)
DUCOURNAU, général Paul (1910-1985)
DUVAL, monseigneur Léon-Étienne, (1903-1996)

E
ÉCHO D’ALGER (L’) (1912-1961)
ÉCOLES
ÉDITION, ÉDITEURS
ÉGYPTE
EL IBRAHIMI, Mohamed El Bachir (1889-1965)
EL KHATTABI, Abdelkrim (1882-1963)
EL MADANI, Ahmed Tewfik (1899-1983)
ÉLECTIONS EN ALGÉRIE (1945-1962)
ELSENHANS, Hartmut (né en 1941)
ÉLY, général Paul (1897-1975)
EMBUSCADES ET BATAILLES
ÉMIGRATION, IMMIGRATION
ENFANCES ALGÉRIENNES
ENTRÉE DES TROUPES DE L’ÉTAT-MAJOR À CONSTANTINE
(25 juillet 1962)
ENTREPRISES (GRANDES)
ÉQUIPES MÉDICO-SOCIALES ITINÉRANTES (EMSI)
ESSAIS NUCLÉAIRES
ÉTAT D’URGENCE
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL (EMG)
ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
ÉTUDIANTS EN FRANCE
ÉTUDIANTS MUSULMANS ALGÉRIENS
ÉVASIONS (Algérie)
ÉVASIONS (France)
ÉVIAN, Accords d’
EXÉCUTIF PROVISOIRE
EXÉCUTIONS SOMMAIRES

F
FANON, Frantz (1925-1961)
FAURE, Gratien (1885- ?)
FAURE, général Jacques (1904-1988)
FAVRELIÈRE, Noël (1934-2017)
FÉDÉRATION DE FRANCE DU FLN
FÉDÉRATION DE L’ÉDUCATION NATIONALE (FEN)
FEMMES ET FLN
FERAOUN, Mouloud (1913-1962)
FERRANDEZ, Jacques (1955)
FIGARO (LE)
FILALI, Embareck, dit Abdallah (1913-1957)
FINANCES DU FLN
FLAMENT, Marc (1929-1991)
FOOTBALL (équipe du FLN)
FORCE LOCALE
FORCE OUVRIÈRE (FO)
FORGET, Nelly (née en 1929)
FOUCHET, Christian (1911-1974)
FRÉMEAUX, Jacques (né en 1949)
FREY, Roger (1913-1997)
FROGER, Amédée (1882-1956)
FRONT ALGÉRIEN D’ACTION DÉMOCRATIQUE (FAAD)
FRONT DE L’ALGÉRIE FRANÇAISE (FAF)
FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE (FLN), 1954-1962
FRONT RÉPUBLICAIN
FUNÉRAILLES EN ALGÉRIE
FUNÉRAILLES EN FRANCE
FUSILLADE DE LA RUE D’ISLY (26 MARS 1962)

G
GAILLARD, Félix (1919-1970)
GALLISSOT, René (1934)
GALULA, lieutenant-colonel David (1919-1967)
GAMBIEZ, général Fernand (1903-1989)
GARANGER, Marc (1935-2020)
GARDES, colonel Jean (1914-2000)
GARNE, Affaire Mohamed
GAULLE, général Charles de (1890-1970)
GAVOURY, Roger (1911-1961)
GÉGÈNE
GENDARMERIE
GÉNÉRATION
GENÈVE, Conventions de
GENRE ET GUERRE
GÉOGRAPHIE DE LA GUERRE (1954-1962)
GEORGOPOULOS, Athanase Constantin, dit Tassou (né en 1927)
GISCARD D’ESTAING, Valéry (1926-2020)
GODARD, colonel Yves (1911-1975)
GOURAUD, général Michel (1905- ?)
GOUVERNEMENT GÉNÉRAL
GOUVERNEMENT PROVISOIRE DE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE
(GPRA), 1958-1962
GRÈVE DES HUIT JOURS
GRÈVES EN ALGÉRIE
GRÈVES EN FRANCE
GUÉRILLA
GUERRE DES MÉMOIRES (LA)
GUERRE FLN-MNA
GUERRE FROIDE
GUERRE NON CONVENTIONNELLE
GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE
GUERROUDJ, Abdelkader (1928-2020) et Jacqueline (1919-2015)

H
HADJ, Messali (1898-1974)
HADJ ALI, Bachir (1920-1991)
HADJERÈS, Sadek (1928-2022)
HALIMI, Gisèle (1927-2020)
HAMAÏDIA, Tahar, dit capitaine Zoubir (1931-1960)
HAMIDOU, Maliha dite Rachida (1942-1959)
HAMOUD LALIAM, Nefissa (1924-2002)
HARBI, Mohammed (né en 1933)
« HARKIS À PARIS »
HARKIS (associations)
HARKIS (camps)
HARKIS (massacres)
HARKIS (mémoires)
HARKIS (politiques publiques)
HARKIS (rapatriement)
HAROUN, Ali (né en 1927)
HERVO, Monique (née en 1929)
HOCINE, Baya (1940-2000)
HOLLANDE, François (né en 1954)
HONGRIE
HUMANITÉ (L’)
HURST, Jean-Louis (1935-2014)

I
IGHILAHRIZ, Louisette (née en 1936)
INDOCHINE, Guerre d’
INDUSTRIE
INSTITUTIONS DE L’ALGÉRIE
INSURRECTION DU 20 AOÛT 1955
INTERNATIONALISATION
ISRAËL
ISSIAKHEM, M’hamed (1928-1985)
ITALIE
IVETON, Fernand (1926-1957)

J
JAUFFRET, Jean-Charles (né en 1949)
JEANSON, Francis (1922-2009)
JEUNE NATION
JOSPIN, Lionel (né en 1937)
JOUHAUD, général Edmond (1905-1995)
JOURNAL DES MARCHES ET OPÉRATIONS
JOXE, Louis (1901-1991)
JUIFS D’ALGÉRIE
JUIN, maréchal Alphonse (1888-1967)
JUSTICE MILITAIRE

K
KADDACHE, Mahfoud (1921-2006)
KAFI, Ali (1928-2013)
KAGAN, Élie (1928-1999)
KATEB, Yacine (1929-1989)
KATZ, général Joseph (1907-2001)
KHATIB, Youcef, dit Hassan
KHEIREDDINE, Mohamed (1902-1993)
KHIDER, Mohamed (1912-1967)
KHODJA, Ali (1933-1956)
KRIM, Belkacem (1922-1970)

L
LA POINTE, Ali (1930-1957)
LABAN, Maurice (1914-1956)
LACHERAF, Mostefa (1917-2007)
LACHEROY, colonel Charles (1906-2005)
LACOSTE, Robert (1898-1989)
LADLANI, Amar dit Kaddour (1925-2004)
LAGAILLARDE, Pierre (1931-2014)
LAGHROUR, Abbès (1926-1957)
LAKHDARI, Samia (1934-2012)
LAMBERT, Pierre (1901-1973)
LAMOURI, Complot
LE PEN, Jean-Marie (né en 1928)
LEFEUVRE, Daniel (1951-2013)
LÉGER, commandant Paul-Alain (1922-1999)
LÉGION ÉTRANGÈRE
LENNUYEUX, général Marcel (1908-1994)
LÉONARD, Roger (1898-1987)
LIBÉRAUX D’ALGÉRIE
LIECHTI, Alban (NÉ EN 1935)
LIEUX DE MÉMOIRE (France)
LIGUE ARABE
LIGUE DES DROITS DE L’HOMME (LDH)
LILLE
LINDON, Jérôme (1925-2001)
LITTÉRATURE D’EXPRESSION ARABE EN ALGÉRIE, 1920-1962
LITTÉRATURE D’EXPRESSION FRANÇAISE EN ALGÉRIE
LITTÉRATURE ET GUERRE (France, après-guerre)
LOGEMENT ET GUERRE EN ALGÉRIE
LOGEMENT ET GUERRE EN MÉTROPOLE
LOI-CADRE SUR L’ALGÉRIE
LOI DU 18 OCTOBRE 1999
LOI DU 23 FÉVRIER 2005
LORILLOT, général Henri (1901-1985)
LOUP, Eliette (née en 1934)
LYON

M
MACRON, Emmanuel (né en 1977)
« MAGHREB CIRCUS » (LE)
MAGISTRATS
MAHSAS, Ahmed, dit Ali (1923-2013)
MAILLOT, Henri (1928-1956)
MAIRES (Algérie)
MAIREY, Rapport
MAMMERI, Mouloud (1917-1989)
MANDOUZE, André (1916-2006)
MANIFESTATION DE POLICIERS (13 mars 1958)
MANIFESTATIONS (France)
MANIFESTATIONS DE MAI 1945
MANIFESTATIONS DE DÉCEMBRE 1960
MANIFESTATIONS DE RAPPELÉS
MANIFESTATIONS DU MNA
MANIFESTATIONS FRANÇAISES D’ALGÉRIE
MANIFESTES
MAROC
MARSEILLE
MARTINET, Gilles (1916-2006)
MASCHINO, Maurice Tarik (1931-2021)
MASPERO, François (1932-2015)
MASPÉTIOL, Rapport
MASSIGNON, Louis (1883-1962)
MASSU, général Jacques (1908-2002)
MASSU, Suzanne (1907-1977)
MAURIAC, François (1885-1970)
MEDDAD, Ourida (1938-1957)
MELOUZA-BENI ILLEMANE
MÉMORIAL NATIONAL DE LA GUERRE D’ALGÉRIE
MENDÈS FRANCE, Pierre (1907-1982)
MESLI, Choukri (1931-2017)
MESSMER, Pierre (1913-2007)
METAÏCHE, Abdelkader, dit commandant Jabeur (1928-1958)
MEYNIER, Gilbert (1942-2017)
MICHELET, Edmond (1899-1970)
MICHELETTI, Claude (1936-2004)
MINES
MIRA, Abderrahmane (1922-1959)
MISSION DE FRANCE
MITTERAND, François (1916-1996)
MOHAMMEDI, Saïd, dit colonel Si Nasser (1912-1994)
MOINE, André (1909-1994) et Blanche (1913-1983)
MOLLET, Guy (1905-1975)
MONDE (LE)
MONDE COMMUNISTE
MONDE OCCIDENTAL
MONNEROT, Guy (1931-1954)
MONTEIL, Vincent (1913-2005)
MONTLUC
MONUMENTS AUX MARTYRS EN ALGÉRIE
MONUMENTS AUX MORTS (France)
MORIN, Edgar (né en 1921)
MORIN, Jean (1916-2008)
MOSTEFAÏ-SUSINI, Accord
MOTION DES 61
MOUDJAHID
MOUDJAHIDA (Algérie et France)
MOUEDDEN, Attou (1921-2011)
MOUVEMENT NATIONAL ALGÉRIEN (MNA)
MOUVEMENT POPULAIRE DU 13 MAI (MP 13)
MOUVEMENT RÉPUBLICAIN POPULAIRE (MRP)
MUSÉES DU MOUDJAHID
N
NATIONALITÉ
NATIONS, NATIONALISMES
NATURE, ENVIRONNEMENT
NÉGOCIATIONS
NEMICHE, Djelloul, dit capitaine Bakhti (1922-1992)
NOSTALGÉRIE

O
OFFICE DE RADIODIFFUSION-TÉLÉVISION FRANÇAISE (ORTF)
OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)
« OISEAU BLEU », Opérations
OLIÉ, général Jean (1904-2003)
OPINION PUBLIQUE (Algérie)
OPINION PUBLIQUE (France)
« ORANGE AMÈRE », Opération
ORGANISATION ARMÉE SECRÈTE (OAS)
ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE DE L’AFRIQUE FRANÇAISE
(Oraf)
ORGANISATION DES NATIONS UNIES (ONU)
ORGANISATION SPÉCIALE (OS)
ORTIZ, Joseph (1917-1995)
OUAMRANE, Amar (1919-1992)
OULD KABLIA, Zoubida, dite ZOUBIDA (1934-1958)
OULHADJ, Mohand (Mokrane Akli, dit) (1911-1972)
OUSSEDIK, Mourad (1926-2005)
OUZEGANE, Amar (1910-1981)
P
1er NOVEMBRE 1954
PACIFICATION
PALESTRO
PAPON, Maurice (1910-2007)
PARACHUTISTES
PARLANGE, Gaston (1897-1972)
PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN (PCA)
PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS (PCF)
PARTI DU PEUPLE ALGÉRIEN (PPA)/MOUVEMENT POUR LE
TRIOMPHE DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES (MTLD)
PARTI RADICAL
PARTI SOCIALISTE UNIFIÉ (PSU)
PATIN, Maurice (1895-1962)
PAYS-BAS
PERVILLÉ, Guy (né en 1948)
PESCHARD, Raymonde (1927-1957)
PÉTROLE
PFLIMLIN, Pierre (1907-2000)
PHILATÉLIE
PHOTOGRAPHIE
PIEDS-NOIRS
PIEDS-NOIRS (associations)
PIEDS-NOIRS (mémoires)
PIEDS-ROUGES
PIGNON-ERNEST, Ernest (né en 1942)
PLAN CHALLE
PLAN CHALLE. Opérations « Couronne »
PLAN CHALLE. Opérations « Courroie » et « Cigale »
PLAN CHALLE. Opérations « Étincelles » et « Flammèches »
PLAN CHALLE. Opération « Jumelles »
PLAN CHALLE. Opération « Pierres précieuses »
PLAN CHALLE. Opération « Prométhée »
PLAN CHALLE. Opération « Trident »
POLICE (Algérie)
POLICE (France)
POLITIQUES PUBLIQUES DE LA MÉMOIRE EN FRANCE
POLOGNE
PORTEURS DE VALISES ET SOUTIENS AUX ALGÉRIENS
POSTCOLONIALES, Études
POSTMÉMOIRES
POUJADISTES
POUVOIRS SPÉCIAUX
PRADO, Affaire du
PRÉFETS ET IGAME
PRESSE ALGÉRIENNE DE GUERRE
PRESSE CLANDESTINE (France)
PRESSE EN FRANCE
PRESSE FRANCOPHONE EN ALGÉRIE
PRESSE MNA
PRISONNIERS
PRISONS (Algérie)
PRISONS (France)
PROCÈS DES MEMBRES DE L’OAS
PROGRAMMES SCOLAIRES (Algérie)
PROGRAMMES SCOLAIRES (France)
PROPAGANDE
PROTESTANTISME
PUTSCH DES GÉNÉRAUX (avril 1961)
Q
QASSAMAN

R
RACISME COLONIAL ET POSTCOLONIAL
RADIOS DU FLN
RADIOS FRANCOPHONES
RAFFINI, Georges (1916-1955)
RAFLES EN ALGÉRIE
RAPATRIEMENT
RAPATRIÉS (politiques publiques)
RASSEMBLEMENT POUR L’ALGÉRIE FRANÇAISE (RAF)
RATONNADES
REBÉRIOUX, Madeleine (1920-2005)
REDDITIONS ET RALLIEMENTS EN ALGÉRIE
RÉÉDUCATION
RÉFÉRENDUMS (autodétermination, accords d’Évian, indépendance)
RÉFRACTAIRES FRANÇAIS
RÉFRACTAIRES ET « PORTEURS DE VALISES » (mémoires)
RÉFUGIÉS ALGÉRIENS
RÉGIONALISME ET NATIONALISME (France)
REGROUPEMENT (Camps de)
REPENTANCE
RÉPRESSION DES COMMUNISTES ALGÉRIENS
RÉPUBLIQUE, IVe
RÉPUBLIQUE, Ve
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLEMANDE (RDA)
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE (RFA)
RÉSISTANCE ET GUERRE D’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
« RÉSURRECTION », Opération
RÉVOLUTION AFRICAINE
REVUES
ROCARD, Rapport
ROY, Jules (1907-2000)

S
SAADANE, Meriem (1932-1958) et Fadila (1938-1960)
SAADI, Yacef, dit Djaffar (1928-2021)
SAHLI, Mohammed-Chérif (ou Mohand) (1906-1989)
SAKIET SIDI YOUSSEF, Bombardement de
SALAN, général Raoul (1899-1984)
SANTÉ
SARKOZY, Nicolas (né en 1955)
SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)
SAYAD, Abdelmalek (1937-1998)
SCHIAFFINO, Laurent (1897-1978)
SCHWARTZ, Laurent (1915-2002)
SCIENCES SOCIALES ET COLONISATION
SCOUTS DE FRANCE
SCOUTS MUSULMANS ALGÉRIENS
« SEBA’ÂSNÎN BARAKAT » (« SEPT ANS, ÇA SUFFIT »)
SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS
SECTION FRANÇAISE DE L’INTERNATIONALE OUVRIÈRE (SFIO)
SECTIONS ADMINISTRATIVES SPÉCIALISÉES (SAS)
SECTIONS ADMINISTRATIVES URBAINES (SAU)
SERVAN-SCHREIBER Jean-Jacques (1924-2006)
SERVICE CINÉMATOGRAPHIQUE DES ARMÉES (SCA)
SERVICE D’ASSISTANCE TECHNIQUE AUX FRANÇAIS
MUSULMANS D’ALGÉRIE (SAT-FMA)
SERVICE DE DOCUMENTATION EXTÉRIEURE ET DE CONTRE-
ESPIONNAGE (SDECE)
SERVICE DE SANTÉ DE L’ARMÉE FRANÇAISE
SERVICE DES LIAISONS NORD-AFRICAINES (SLNA) (1947-1957)
SERVICE MILITAIRE
SERVICE POSTAL DES ARMÉES
SERVICES DE SANTÉ DE L’ALN
SERVIER, Jean (1918-2000)
SI SALAH (Mohammed Zamoum, dit) (1928-1961)
SID CARA, Nafissa (1910-2002) et Chérif (1902-1999)
SOLDATS DE L’EMPIRE EN ALGÉRIE (1954-1962)
SOLDATS DU REFUS
SOUAÏ, Ali (1932-1961)
SOUÏAH, Houari (1915-1990)
SOUICI, Abdelkrim (mort en 2005)
SOUMMAM, Congrès de la (20-27 août 1956)
SOUS-OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)
SOUSTELLE, Jacques (1912-1990)
SPORTISSE, William (né en 1923)
SPORTS AUX ARMÉES
SPORTS EN ALGÉRIE
STATUT DE 1947
STEINER FIORIO, Annie (1928-2021)
STORA, Benjamin (né en 1950)
STRESS POST-TRAUMATIQUE, Troubles du
SUEZ, Expédition de
SUISSE
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Aassès
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Commando Georges
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Groupes d’autodéfense (GAD)
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Groupes mobiles de police
rurale (GMPR) /Groupes mobiles de sécurité (GMS)
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Harkis
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Mokhazni
SURSIS
SUSINI, Jean-Jacques (1933-2017)
SYNDICAT NATIONAL DES INSTITUTEURS (SNI)

T
13 MAI 1958
TCHÉCOSLOVAQUIE
TÉBESSI, Larbi (1891-1957)
TEITGEN, Paul (1919-1991)
TÉMOIGNAGES (Algérie)
TÉMOIGNAGES (France)
TERRITOIRES DU SUD
THÉÂTRE (Algérie)
THÉÂTRE (France)
TILLION, Germaine (1907-2008)
TIMSIT, Daniel (1928-2002)
TIZI OUZOU, Groupe de
TLEMCEN, Groupe de
TOMATES, Journée des (6 février 1956)
TORTURE
TORTURE (débats mémoriels)
TRAFIC D’ARMES ET ARRAISONNEMENT DES BATEAUX
TRAVAIL ET CHÔMAGE
TRÊVE CIVILE (L’APPEL POUR UNE)
TRINQUIER, colonel Roger (1908-1986)
TRIPOLI, Congrès de (1962)
TROTSKISTES
TROUPES DE RÉSERVE GÉNÉRALE
TROUPES DE SECTEUR
TUNISIE

U
UNION DÉMOCRATIQUE DU MANIFESTE ALGÉRIEN (UDMA)
UNION DES RÉPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIÉTIQUES (URSS)
UNION DES SYNDICATS DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS (USTA)
UNION FRANÇAISE NORD-AFRICAINE (UFNA)
UNION GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS MUSULMANS ALGÉRIENS
(Ugema)
UNION GÉNÉRALE DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS (UGTA)
UNION NATIONALE DES ÉTUDIANTS DE FRANCE (Unef)
UNION POUR LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE (UNR)
UNITÉS TERRITORIALES (UT)
UNIVERSITÉ D’ALGER

V
22, LES
VANUXEM, général Paul (1904-1979)
VAUJOUR, Jean (1914-2010)
VAUTIER, René (1928-2015)
VEIL, Simone (1927-2017)
VERGÈS, Jacques (1924-2013)
VIDAL-NAQUET, Pierre (1930-2006)
VILLA SÉSINI
VIOLS DES FEMMES EN ALGÉRIE

W
WAHBY, Ahmed (1921-1993)
WILAYA 1 (Aurès-Nemencha)
WILAYA 2 (Nord-Constantinois)
WILAYA 3 (Kabylie)
WILAYA 4 (Algérois)
WILAYA 5 (Oranie)
WILAYA 6 (Sahara)
WUILLAUME, Rapport

Y
YOUGOSLAVIE

Z
ZABANA Ahmed (1926-1956) et FERRADJ Abdelkader (1921-1956)
ZBIRI, Tahar (né en 1929)
ZELLER, général André (1898-1979)
ZEMMORA, Réunion interwilayas de (24-25 juin 1962)
ZIGHOUD, Youcef (1921-1956)
ZONE AUTONOME D’ALGER (ZAA)
ZONES INTERDITES
ZOULIKHA, Oudaï (ECHAÏB, Yamina) (1911-1957)
DICTIONNAIRE
A

ABANE, RAMDANE (1920-1957)


C’est à Abane que le FLN* doit son institutionnalisation, concrétisée au
moins formellement lors du congrès de la Soummam* (août 1956).
Ramdane Abane est né le 10 juin 1920 à Azouza (Fort National) en
Kabylie dans une famille de notables.
Sa scolarité commence à l’école primaire française de son village puis au
collège colonial de Blida, établissement qui a formé plusieurs nationalistes
comme Lamine Debaghine, Ali Boumendjel*, Benyoucef Ben Khedda*… Il
est bachelier en 1941.
Il est mobilisé en décembre 1942 dans l’armée d’Afrique du Nord.
Emprisonné pour avoir déserté son régiment, il est libéré en octobre 1943. Il
intègre en 1947 l’administration en qualité de secrétaire adjoint de la
commune mixte de Châteaudun-du-Rummel (Chelghoum Laïd).
Il adhère au PPA* en 1946 et participe à la consolidation du parti dans le
Constantinois sans le consentement de son père. Il devient en 1948
permanent du PPA-MTLD après avoir démissionné de son poste dans
l’administration. Il est promu à la tête de la daïra de Sétif puis de Bougie et
chef de la wilaya de Sétif. Lors de la crise « berbériste » de 1949 qui entraîne
l’exclusion de plusieurs militants kabyles qui contestaient la direction, Abane
soutient la direction et intègre le comité central du MTLD en décembre 1949.
Il est arrêté après la découverte de l’Organisation spéciale* (OS) en
mai 1950, sans avoir fait partie de cette organisation paramilitaire. Condamné
à cinq ans de prison* pour « atteinte à la sûreté de l’État », il est emprisonné
successivement à Bougie, Bône et Barberousse (Alger) avant d’être transféré
en France dans les prisons d’Ensisheim (Haut-Rhin), de Fresnes et Albi. Il
termine sa peine à Maison-Carrée en décembre 1954. Grâce à une remise de
peine, il est libéré le 10 janvier 1955 et assigné à résidence dans son village
natal. Même s’il n’a pas vécu la crise du MTLD de 1954, Abane est assimilé
aux « centralistes », soit les membres du comité central dont il est proche.
En contact avec les chefs du FLN en Kabylie, Belkacem Krim* et Amar
Ouamrane*, il rejoint Alger, en février 1955, où il est chargé d’abord de
l’information et de la propagande* du FLN. Il devient, à la suite de
l’arrestation en mars 1955 de Rabah Bitat*, chef de la Zone 4 (Algérois),
responsable de l’organisation FLN. Abane fait d’Alger la base politique du
FLN et coordonne la lutte à l’échelle nationale en mettant en place une
correspondance presque régulière avec les chefs des autres zones de
l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Dans le but de politiser l’insurrection, il mène une course contre la
militarisation du FLN et combat le mépris des militaires envers l’élite
politique. Il fait appel aux cadres politiques des autres partis du mouvement
national et réussit à les rallier au FLN. Il s’entoure de « centralistes » (Ben
Khedda, Dahlab*) de militants communistes (Amar Ouzegane*), de partisans
de l’UDMA* et des libéraux*. Cette volonté de rassemblement autour du
FLN des militants étrangers au PPA-MTLD est mal appréciée par les
fondateurs du FLN qui l’accusent d’avoir recruté des « arrivistes » et de
vouloir dévier l’organisation à son avantage.
Dès avril 1955, il est à l’origine de la distribution de tracts, à portée
nationale : il s’adresse aux Algériens et les appelle à venir « en masse
renforcer les rangs du FLN ». Avec Larbi Ben M’hidi*, il organise les
grèves* du 19 mai et du 5 juillet 1956. Il encourage la création
d’organisations syndicales nationalistes : l’Union générale des étudiants
musulmans algériens* (Ugema), l’Union générale des travailleurs algériens*
(UGTA) et l’Union générale des commerçants algériens (UGCA). Il dote le
FLN d’un journal, Résistance algérienne – qui devient El Moudjahid. Dans la
relation du FLN avec la France, Abane pose comme préalable à toute
négociation* le principe de l’indépendance.
Principal organisateur du congrès de la Soummam d’août 1956 avec Ben
M’hidi, Krim et Zighoud*, Abane défend deux principes fondamentaux : la
primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Il
devient à l’issue de ce congrès membre du CCE* et du CNRA*.
Il est l’un des instigateurs de la grève des huit jours* qui commence le
28 janvier 1957 et s’étend à Alger et aux grands centres urbains. Sévèrement
réprimée, cette grève aura deux conséquences : le démantèlement des réseaux
FLN, en particulier à Alger et le départ précipité des membres du CCE hors
d’Algérie, après l’arrestation de Ben M’hidi en février 1957.
À Tunis, Abane s’est retrouvé en minorité lors de la réunion du CNRA
d’août 1957. Cette session décide d’élargir le CCE à neuf membres au profit
des cinq chefs militaires désormais majoritaires : les colonels Bentobbal*,
Boussouf*, Cherif*, Krim et Ouamrane. Abane se retrouve cantonné dans la
rédaction d’El Moudjahid. Son opposition aux puissants chefs militaires finit
par précipiter sa chute. La décision de l’éliminer est exécutée le 27 décembre
1957 à Tétouan. Seul Boussouf reconnaîtra sa responsabilité dans sa
liquidation. Quant à Bentobbal, il déclare qu’après avoir lancé un
avertissement, les cinq colonels étaient d’accord pour l’arrêter et le traduire
devant un tribunal révolutionnaire. Mais, de l’aveu de Bentobbal, Krim,
Mahmoud Cherif et Boussouf optaient plutôt pour sa liquidation (Mémoires).
Ali GUENOUN
Bibl. : Khalfa Mameri, Abane Ramdane. Héros de la guerre d’Algérie,
L’Harmattan, 1988 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002.
ABBAS, FERHAT (1899-1985)
Né en 1899 à Taher dans le Constantinois, Ferhat Abbas est fils de caïd.
Son enfance*, ses classes à l’école* primaire de Djidjelli, ses études
secondaires au lycée de Constantine, son service militaire* à Bône avant de
choisir de faire des études de pharmacie à Alger, ne sont marqués par aucun
incident notable. Mais la réalité coloniale, comme il le dira plus tard dans son
livre L’Indépendance confisquée (Flammarion, 1984), impose tout d’abord à
l’enfant de Taher une colère étouffée. L’étudiant Abbas ne semble pas avoir
suivi très assidûment ses cours de pharmacie. Il mettra huit ans, au lieu de
six, pour achever ses études. Il s’intéresse à bien d’autres choses, à la
politique surtout et à la littérature*.
Ferhat Abbas est élu en 1926, en qualité de président de l’Association des
étudiants musulmans de l’université d’Alger*. Les articles qu’il publie dans
deux journaux rédigés en français, At’Takaddoume (Le Progrès) et Le Trait
d’union, sous le pseudonyme de Kamel Abencérages, articles qu’il réunit
plus tard dans un livre intitulé Le Jeune Algérien, publié en 1931, sont
souvent sévères à l’égard de l’administration coloniale.
La vie entière de cet homme, le visage allongé, osseux, au nez aquilin, le
regard sombre sous le sourcil dru et le geste large, c’est, souligne Jean
Lacouture dans Cinq Hommes et la France, l’histoire de la recherche d’une
patrie, dans la France, puis avec la France, et puis hors de la France, voire
contre la France. Ses études enfin terminées à Alger, il s’installe comme
pharmacien à Sétif où il a tout le loisir d’approfondir sa pratique politique. Sa
pensée politique d’alors est exprimée dans un texte très souvent cité, publié le
23 février 1936 : « Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais
nationaliste, et je n’en rougirais pas comme d’un crime. Les hommes morts
pour l’idéal patriotique sont journellement honorés et respectés. Ma vie ne
vaut pas plus que la leur. Et cependant, je ne mourrai pas pour la patrie
algérienne, parce que cette patrie n’existe pas. Je ne l’ai pas découverte. J’ai
interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les
cimetières, personne ne m’en a parlé… On ne bâtit pas sur du vent. Nous
avons écarté, une fois pour toutes, les nuées et les chimères pour lier
définitivement notre avenir à celui de l’œuvre française dans ce pays… »
(L’Entente, 23 février 1936). « Évolué », selon la terminologie coloniale,
Ferhat Abbas est naturellement partisan de l’assimilation durant cette période.
C’est l’esprit du temps, davantage qu’une tare, dont on lui fera toujours grief.
Il devient dans l’entre-deux-guerres, conseiller général, conseiller
municipal, délégué financier. Engagé volontaire dans l’armée française en
1939, il s’éloigne pendant la guerre des positions assimilationnistes et rédige
en 1943 le « Manifeste du peuple algérien », qui donne naissance aux Amis
du Manifeste et de la liberté (AML). Arrêté au lendemain des massacres de
mai 1945 dans sa ville de Sétif, il fonde l’Union démocratique du Manifeste
algérien* (UDMA) après sa libération, en 1946. Dans sa prison*, il a rédigé
un testament, longue méditation sur les effets néfastes, dévastateurs de la
violence politique à l’œuvre dans le nationalisme* radical. En républicain
conséquent, il croit aux vertus de l’instruction pour l’émancipation de son
peuple soumis et acculturé ; en musulman convaincu, il n’entend pas céder
aux chants guerriers d’un Islam politique. En cela, il se différencie des
militants du PPA-MTLD* qui opèrent sous la bannière de la rupture radicale
avec le présent colonial, et font du religieux une arme de défi politique.
Ferhat Abbas est élu à la Seconde Assemblée constituante (1946), puis à
l’Assemblée algérienne* (1948). Se qualifiant de nationaliste modéré, il
participe en avril 1955 à une rencontre avec Jacques Soustelle*, gouverneur
général de l’Algérie, alors que la Guerre d’indépendance algérienne a
commencé depuis novembre 1954 sous l’égide du FLN*. Déçu par
l’immobilisme politique français, il se rallie secrètement au FLN en
juin 1955. Il gagne Le Caire le 22 avril 1956. Membre du CNRA* dès le
20 août 1956, Ferhat Abbas préside le GPRA* de septembre 1958 à
août 1961. Il tente, en vain, de protéger le leader Abane* Ramdane (qui sera
assassiné par des membres de la direction du FLN en décembre 1957) et de
faire prévaloir le point de vue des « politiques » dans la guerre en cours. En
vain. Après une série de voyages dans le monde où il plaide la cause de
l’indépendance algérienne, il doit laisser sa place de président du GPRA à
Benyoucef Ben Khedda* le 9 août 1961.
Élu président de l’Assemblée constituante au lendemain de
l’indépendance, il démissionne en août 1963 pour protester contre le rôle
excessif que s’arroge le FLN – devenu parti unique – dans l’élaboration de la
Constitution. Il est mis en résidence surveillée et libéré en 1965. Retiré de la
vie politique, il est, avec Benyoucef Ben Khedda, Hocine Lahouel et Cheikh
Kheireddine*, l’auteur d’un texte contre le régime de Houari Boumediene*
en mars 1976. Ferhat Abbas fait paraître la suite de ses mémoires, Autopsie
d’une guerre, en 1980. Il est décoré le 30 octobre 1984 de la médaille de
résistant dans sa villa du quartier de Kouba, à Alger, au moment où il publie
L’Indépendance confisquée, virulente dénonciation de la corruption et de la
bureaucratie qui règnent en Algérie.
Ferhat Abbas décède le 23 décembre 1985. Quelques années après, en
1993, au plus fort du conflit cruel opposant l’État algérien aux groupes
islamiques armés, l’université de Sétif est baptisée de son nom.
En apparence, le parcours de Ferhat Abbas semble être celui d’un homme
plein de contradictions. Il émerge comme une figure de l’anticolonialisme,
dans l’Algérie coloniale des années de l’entre-deux-guerres, en publiant Le
Jeune Algérien (Éditions de la Jeune Parque, 1931), mais… il ne cesse de se
poser en héritier des idéaux républicains français. Il partage avec Abdelhamid
Ben Badis – le fondateur du mouvement des ulémas – la croyance dans
l’Islam comme éthique essentielle… mais il se prononce pour une séparation
du politique et du religieux. Il est un socialiste humaniste, antibolchevique…
mais il est proche des communistes algériens dans les années 1950. Il se
méfie du populisme, de l’action violente… mais se rallie à la lutte armée du
FLN. Il est un partisan du maintien de la communauté européenne dans
l’Algérie indépendante… tout en reprochant vivement aux Européens de
véhiculer un « racisme* colonial hideux à l’égard des Arabes ».
En fait, Ferhat Abbas n’est pas tant l’homme de la contradiction que du
pluralisme, traversant plusieurs niveaux, plusieurs sphères de la réalité
sociale, culturelle, politique algérienne. Profondément musulman et
républicain obstiné, il illustre bien par sa trajectoire la recherche en modernité
de l’Algérie dans la seconde moitié du XXe siècle. Ferhat Abbas est l’homme
qui a voulu penser la « mixité » franco-algérienne, la reconnaissance mutuelle
de deux pays, dans leur tradition, leur culture, leur histoire spécifique. Il
restera surtout dans les mémoires, françaises et algériennes, comme le
premier président du GPRA en 1958.
Benjamin STORA
Bibl. : Jean Lacouture, Cinq Hommes et la France, Seuil, 1962 • Amar
Naroun, Ferhat Abbas ou les Chemins de la souveraineté, Denoël, 1961 •
Benjamin Stora et Zakya Daoud, Ferhat Abbas. Une utopie algérienne,
Denoël, 1995.

ABIDI, MOHAMED TAHAR, DIT HADJ LAKHDAR


(1914 OU 1916-1998)
Ce pionnier de novembre 1954, natif des Ouled Chelih (Aïn Touta), issu
d’un milieu pauvre, est promu commandant en juin 1958 et succède à Ali
N’mer à la tête de la Wilaya 1* (Aurès-Nemencha).
En 1936, il quitte l’Aurès et se rend en France à la recherche d’un travail.
Employé dans une entreprise fabricant du matériel électrique à Troyes, il ne
rentre en Algérie qu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Durant ce
séjour en France, il se familiarise avec les idées nationalistes développées par
Messali Hadj* dans les milieux ouvriers algériens. Dès son retour, il
contribue à la mise en place de cellules du PPA*, en particulier à Aïn Touta
où il exploite un café et un hammam qui abritent les rencontres clandestines
des militants. Il fait partie des groupes choisis par Mostefa Ben Boulaïd*,
chef de la Zone 1 (Aurès) pour participer au déclenchement de l’insurrection
dans la nuit du 1er novembre 1954*. Il est chargé des attaques des casernes de
Batna. À la mort de Mostefa Ben Boulaïd (mars 1956), Hadj Lakhdar tente de
réconcilier en vain les principaux prétendants à la succession. Patriote
discipliné, doté d’une forte personnalité, il sait se faire obéir. Il applique à la
lettre les directives du congrès de la Soummam* et s’oppose aux nombreux
groupes dissidents qui déstabilisent la Wilaya 1. Quand il accède à la
direction en juin 1958, il revoit l’organisation de la Wilaya 1 et renoue avec
les réunions des responsables pour débattre des problèmes de l’heure.
Certaines affectations sont mal accueillies. Ce mécontentement se joint à la
dissidence de nombreux maquisards hostiles aux décisions du congrès de la
Soummam, d’où les efforts de Hadj Lakhdar en vue d’une conciliation.
Parallèlement, malgré les difficultés des liaisons, Hadj Lakhdar maintient le
contact avec les wilayas environnantes. En décembre 1958, sur proposition
du colonel Amirouche*, il participe à la réunion « des colonels de
l’intérieur » au mois de décembre 1958 qui a lieu en Wilaya 2* (Ouled
Askeur). Il en revient avec un dossier spécial, relatif à la bleuïte* qui a sévi
dans les Wilayas 3* et 4*. Ce qui aboutit à créer un climat de suspicion et à
des purges dans les rangs de l’ALN*. À la fin d’avril 1959, Hadj Lakhdar est
convoqué à Tunis pour participer à la réunion « des colonels ». Il devait y
rester jusqu’à l’indépendance. Durant le congrès de Tripoli*, il apporta son
soutien à Ben Bella contre le GPRA*, entraînant celui de la Wilaya 1.
Élu député de Batna en septembre 1962, il se consacre au développement
culturel de sa région.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Mansour Rahal, Les Maquisards, pages du maquis des Aurès, Alger,
El Chourouk, 2000.
ACCRA, CONFÉRENCE D’
En 1957, Accra devient la capitale du Ghana (ex-Gold Coast). Son
Premier ministre, Kwame Nkrumah, organise immédiatement deux
conférences, en 1958 : Conference of Independent African States (CIAS, 15-
22 avril) et All African People’s Congress (AAPC, 8-13 décembre). Cette
dernière est décisive pour le mouvement panafricain et la légitimation de la
violence dans les luttes de libération nationale.
Influencé par les intellectuels noirs C. L. R. James et W. E. B. Du Bois
aux États-Unis*, puis surtout par George Padmore au Royaume-Uni,
Nkrumah est une figure hautement significative du socialisme en Afrique. Il
veut, avec Padmore, faire d’Accra la Mecque des combattants africains pour
la libération et, en même temps, le centre d’une politique d’union des États
du continent.
Si la CIAS ne rassemble que les délégués des 8 États africains alors
indépendants (Liberia, Éthiopie, Maroc*, Tunisie*, Libye, Soudan,
République arabe unie et Ghana), l’AAPC est plutôt une rencontre
extragouvernementale, ouverte à des militants avec plus de 200 délégués et
observateurs provenant de 25 pays. Son slogan est sans équivoque : « Hands
off Africa ». « Nous avons un continent à reconquérir. Nous devons restaurer
la liberté et la dignité humaine », proclame Nkrumah en ouverture
Quatre Algériens, conduits par Ahmed Boumendjel* et comprenant
Frantz Fanon*, représentent le GPRA*. Si la conférence concerne toute
l’Afrique, Fanon, dans deux articles enthousiastes écrits (probablement avec
Boumendjel) pour El Moudjahid, insiste sur l’importance de l’Algérie « car,
pour la première fois, un colonialisme qui fait la guerre en Afrique se révèle
impuissant à vaincre ». Et de conclure : « l’avenir du colonialisme n’a jamais
été aussi sombre qu’au lendemain de la conférence d’Accra ».
La situation algérienne et le discours de Fanon suscitent un soutien ému,
bien que Nkrumah et d’autres dirigeants africains aient auparavant défendu la
non-violence. Le succès de la délégation algérienne conduit à l’élection
d’Ahmed Boumendjel au comité de direction de la conférence. L’AAPC
donne à la Révolution algérienne un rôle de premier plan en Afrique, avant
de porter plus largement dans le tiers-monde.
Andrea BRAZZODURO
Bibl. : « All African People’s Conference », Discours du Premier ministre du
Ghana, Séances d’ouverture et de clôture, 8 et 13 décembre 1958, Accra,
Community Center, 1959 • Frantz Fanon, « L’Algérie à Accra » et « Accra.
L’Afrique affirme son unité et définit sa stratégie », in Pour la révolution
africaine, La Découverte, 2006 • Matteo Grilli, Nkrumaism and African
Nationalism. Ghana’s Pan-African Foreign Policy in the Age of
Decolonization, New York, Palgrave-Macmillan, 2018.

ACTION CIVIQUE NON VIOLENTE


(ACNV)
L’ACNV est une association informelle créée par Joseph Pyronnet,
professeur de philosophie, catholique et non violent à la rentrée 1958. L’idée
de sa création germe probablement au cours d’un camp de la non-violence
qui se déroule en avril 1958 dans la communauté de L’Arche. Celle-ci a été
fondée par Lanza Del Vasto, catholique qui a rencontré la pensée gandhienne
au cours d’un voyage en Inde, et qui a déjà protesté contre la torture* en
1957, en menant un jeûne de huit jours. Les bases de groupes d’action non
violente sont posées dès le premier numéro du journal, en septembre ou
octobre 1958. Ces groupes se donnent rapidement pour objectif de lutter
contre la guerre d’Algérie. Une première action contre la torture est organisée
à Grenoble en janvier 1959, avec un jeûne de dix-sept jours et une
manifestation* silencieuse réunissant plusieurs centaines de personnes. À
partir de juin 1959, l’ACNV agit contre les camps d’internement*
d’Algériens, au Larzac puis au camp de Thol. Cette dernière manifestation,
en avril 1960, est la première action des « trente volontaires » (en fait 32),
menés par Joseph Pyronnet, qui ont décidé de se consacrer à temps plein
contre la guerre d’Algérie. Dès lors, les volontaires multiplient les actions
dans toute la France. Celle contre le centre de tri et de transit* de Vincennes
le 30 avril 1960 leur permet d’obtenir un succès grandissant. Mais lors de la
journée d’action du 28 mai 1960, la répression menée par le préfet de police
Maurice Papon* à Paris décide Jo Pyronnet à arrêter ce type d’action pour ne
pas faire courir de risque aux manifestants. Les volontaires s’installent
ensuite dans le bidonville de La Folie à Nanterre pour venir en aide aux
Algériens. Pierre Boisgontier, un appelé opposé à la guerre d’Algérie,
membre de l’Unef*, entre alors en contact avec Joseph Pyronnet pour que
l’ACNV s’implique en faveur des objecteurs refusant la guerre d’Algérie,
sans pour autant s’insoumettre ou déserter. En octobre 1960, en plein débat
sur la désobéissance avec le « Manifeste* des 121 », Pierre Boisgontier fait
connaître son refus de participer à la guerre. Dès lors, l’ACNV soutient les
objecteurs, multipliant les manifestations originales et non violentes (toutes et
tous se réclamant par exemple de l’identité du réfractaire*). Son action
conduit à ce que ses principaux responsables soient poursuivis pour
« provocation de militaires à la désobéissance » en octobre 1960. Le procès
devant le tribunal de Carpentras, en novembre 1961, draine de nombreuses
personnalités. Les condamnations sont légères et avec sursis. En totalité,
l’ACNV a soutenu 35 objecteurs dont 27 avant le cessez-le-feu. Son action
a continué ensuite, contribuant à l’adoption du statut des objecteurs de
conscience en décembre 1963.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Erica Fraters, Réfractaires à la guerre d’Algérie. 1959-1963, Syllepse,
2005 • Joseph Pyronnet, Une nouvelle force de frappe : l’action non violente,
Témoignage chrétien, 1965 • Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ?
Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant
la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8,
2007.

ACTION PSYCHOLOGIQUE
« Action psychologique » est un terme qui fait sa première apparition
dans le lexique gouvernemental français en 1950. Vague et euphémistique, il
désigne les activités de propagande* anticommuniste. Il permet d’éviter
l’emploi du terme « propagande » lesté par l’histoire récente et associé aux
régimes totalitaires. Il est également moins agressif que le terme « guerre
psychologique » trop conflictuel, tout en conservant l’aura de scientificité de
la psychologie alors en plein développement institutionnel. Il évacue
également le caractère anticommuniste difficile à assumer de la propagande
gouvernementale, le PCF* étant un acteur légal de la vie politique française,
encore auréolé de sa participation à la Résistance*.
Il recouvre progressivement une double réalité. Réalité institutionnelle
tout d’abord, l’action psychologique désigne par extension les institutions,
civiles mais surtout militaires, chargées de sa mise en œuvre. Réalité
pragmatique, il désigne aussi un corpus de méthodes techniques et
discursives, codifié progressivement dans le contexte croisé des guerres
françaises de décolonisation et de la guerre froide*.
Le terme est rapidement capté par l’institution militaire durant la guerre
d’Indochine*, sans qu’il fasse encore l’objet d’une définition précise, étant
alors utilisé de manière indistincte avec « guerre psychologique ». D’abord
pris en charge par une multitude de services ou de bureaux d’état-major, il se
trouve progressivement centralisé par un Bureau de la guerre psychologique,
créé en 1952, sous la direction du lieutenant-colonel Albert Fossey-François.
Il prend en charge une production massive de tracts, la gestion d’une radio*
« Hirondelle » et d’un journal pour la troupe « caravelle » mais aussi les
relations avec les journalistes et la presse*.
L’action psychologique trouve son extension maximale ensuite, dans
l’armée d’Algérie. Un bureau régional d’action psychologique est créé au
sein de l’état-major de la 10e Région militaire, en Algérie, en juillet 1955,
dirigé par Fossey-François. En bute à l’hostilité du général Lorillot*,
commandant l’armée d’Algérie, ce dernier est rapidement remplacé, en
novembre 1955, par le général Tabouis. Sous le commandement de ses deux
premiers chefs, le bureau psychologique se dote de moyens matériels
importants. Sont créés un journal destiné à la troupe, Le Bled*, trois
compagnies de haut-parleurs et tracts, des émissions radio, La Voix du bled,
une antenne algérienne du Service cinématographique des armées* (SCA).
Parallèlement à Paris, à l’interface des milieux gouvernementaux et de la
haute hiérarchie militaire, l’action psychologique est portée par une équipe
d’officiers* rassemblés autour de la figure du charismatique colonel Charles
Lacheroy*, promoteur d’une conception de la guerre comme « guerre
révolutionnaire* » où le contrôle politique de la population civile devient
l’enjeu central. Celui-ci dirige un service d’action psychologique et
d’information, sous la tutelle directe du ministère de la Défense nationale. Un
Centre d’instruction de la guerre psychologique, renommé Centre
d’instruction interarmées de l’arme psychologique, sis à l’École de guerre,
doit former les cadres amenés à prendre en charge la propagande militaire.
Les conceptions radicales portées par Lacheroy et son équipe s’imposent
en Algérie, dans la deuxième moitié de l’année 1956, dans l’entourage de
Robert Lacoste*. Celui-ci, redéfinissant le contenu pratique de la
pacification* et souhaitant imposer l’action psychologique aux échelons
subalternes de l’armée d’Algérie, met en place un corps d’officiers itinérants,
recrutés initialement parmi d’anciens prisonniers du Vietminh. Ceux-ci sont
chargés d’expliquer aux unités du quadrillage comment rassembler la
population rurale algérienne lors de réunions publiques, mais aussi de rendre
directement compte au ministre de l’Algérie de l’application, ou non, de ses
directives. Créé en juillet 1956, le corps des officiers itinérants est rattaché au
bureau psychologique.
Mais, c’est surtout l’arrivée du général Raoul Salan* et de son équipe à la
tête de l’armée en Algérie qui marque un tournant radical dans la pratique et
le développement de l’action psychologique. En effet, le bureau
psychologique sous le commandement du colonel Michel Goussault fait
sienne la doctrine de la guerre révolutionnaire. Alors que la bataille d’Alger*
bat son plein, le bureau psychologique met en œuvre une opération baptisée
« Pilote », dans la région d’Orléansville. Il s’agit d’expérimenter des
structures d’encadrement sociopolitique de la population algérienne à même
de contrer les nationalistes et de reformer radicalement la société coloniale,
en la modernisant et en étendant les droits des Algériens. Ces structures
s’appuient sur l’expérience algéroise du dispositif de protection urbaine*
(DPU) et sur des dispositifs sectoriels s’adressant à des segments de la
société algérienne, femmes*, jeunes, anciens combattants*. Il s’agit
également de former des agents algériens à même d’agir clandestinement
contre le FLN* et d’assurer la médiation entre les autorités françaises et la
population sous-administrée.
Le bureau psychologique devient 5e bureau en octobre 1957, des
5es bureaux étant créés jusqu’à l’échelon des secteurs, des officiers d’action
psychologique devant idéalement être présents jusqu’à l’échelon du bataillon.
Le bureau assure dès lors une importante action de formation des officiers,
multipliant stages et conférences. Il se voit adjoindre le CIPCG*, chargé de
former les officiers arrivant en Algérie. Ce centre devient sous la direction du
5e bureau un important moyen de diffusion des méthodes et des discours de
l’action psychologique et de la doctrine de la guerre révolutionnaire. Un
règlement officiel – le Texte toutes armes 117 – ou instruction provisoire
pour l’emploi de l’arme psychologique est édité par le ministère, donnant un
cadre institutionnel à l’action du 5e bureau. Les vues des partisans de l’action
psychologique s’imposent.
En mai 1958, le 5e bureau, sous le commandement du colonel Feaugas,
participe activement à l’organisation et à la médiatisation des manifestations*
de fraternisation entre Européens et Algériens, faisant sien le mot d’ordre
d’intégration. Sa propagande pratique un étrange culte de la personnalité du
général de Gaulle*, présenté comme un homme providentiel à même de
sauvegarder et de réformer l’Algérie française. Cet enthousiasme s’étiole
progressivement et se trouve douché par le discours du 16 septembre 1959 où
le chef d’État annonce sa politique d’autodétermination de l’Algérie. La
rupture est alors consommée. Le 5e bureau, arc-bouté sur ses positions
intégrationnistes, multiplie les contacts avec les activistes algérois de Joseph
Ortiz*, et son dernier chef, le colonel Jean Gardes*, est présent quelques
minutes au balcon du quartier général des insurgés, lors de la semaine des
barricades*, à la fin du mois de janvier 1960. Les 5es bureaux sont
immédiatement dissous et leurs missions redistribuées. Subsiste dès lors une
section « Problèmes humains » au sein du 3e bureau de l’État-major
interarmées (EMI). Le bureau dissous, ses conceptions quant à la pacification
continuent de prévaloir jusqu’aux derniers mois de la guerre. Action
psychologique ou guerre révolutionnaire sont bannies du lexique militaire et
deviennent taboues, tout en étant conservées au sein de l’infanterie de marine.
Denis LEROUX

ACTION SOCIALE ET ÉDUCATIVE


Cette action découle d’une logique réformiste développée après 1945, sur
un constat évident : la misère des Algériens, vivant dans leur immense
majorité dans des campagnes où règne un sous-emploi chronique, se combine
avec un très lourd déficit de scolarisation, un analphabétisme en français
quasi général et une situation sanitaire précaire. Hors des institutions, des
associations se sont investies dans l’action éducative et sociale bien avant la
Guerre d’indépendance, et dans leur lignée seront créés les centres sociaux
éducatifs* en 1955. Pour les autorités (agents de l’État sur le terrain comme
gouvernements à Paris), ce sous-développement offre un terreau fertile au
nationalisme* mais, faute de réelle volonté politique et face aux obstructions
que rencontrent les projets de réformes sous la IVe République*, il faut
attendre le plan de Constantine* en 1958 pour que des mesures d’envergure
soient décidées.
L’armée, pour sa part, s’investit à travers toute une palette d’organismes
visant à prendre en charge les Algériens et les détourner du nationalisme. En
cela, elle intègre l’action éducative et sociale à son « action
psychologique* », largement médiatisée. Concrètement, les sections
administratives spécialisées* (SAS) agissent en matière scolaire, médicale et
sociale, avec un personnel dédié – des appelés, par exemple, se font
instituteurs dans ce cadre. Considérées comme le moyen d’atteindre les
familles et donc d’agir en profondeur sur la société algérienne tout en
fournissant des renseignements, les femmes* sont tout particulièrement
ciblées. Ainsi sont mises sur pied des équipes médico-sociales itinérantes*
(EMSI) incluant des infirmières et des assistantes sociales tant
« européennes » que « musulmanes », selon la taxonomie en vigueur, tandis
que les femmes des généraux Salan* et Massu* chapeautent le Mouvement
de solidarité féminine (MSF). En 1958 est créé le Service de formation des
jeunes en Algérie (SFJA). Spécialisées dans l’alphabétisation et la formation
professionnelle, les quelques centaines de monitrices du SFJA ont reçu un
accueil ambivalent et vécu leur action de même. Globalement, tout en
répondant à de vrais besoins, l’action éducative et sociale restait soumise à un
impératif politique (réformer l’Algérie française en vue de la pérenniser) et
militaire (lutter contre l’ennemi nationaliste).
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Luc Capdevila, Femmes, armée et éducation dans la guerre d’Algérie.
L’expérience du service de formation des jeunes en Algérie, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2017 • Neil MacMaster, Burning the Veil. The
Algerian War and the “Emancipation” of Muslim Women, 1954-1962,
Manchester, Manchester University Press, 2009.

ACTIVISME ALGÉRIE FRANÇAISE


« Activisme » renvoie aux modes d’action de ceux que leurs adversaires
ont qualifiés d’« activistes » ou d’« ultras ». Le terme est péjoratif chez eux,
« libéraux », militants de gauche et gaullistes après 1958 ; après 1958, en
effet, car, auparavant, des gaullistes ont pratiqué le contre-terrorisme, entendu
comme la volonté de retourner contre le FLN* ses propres armes avec aussi
comme objectif de mettre les autorités, jugées passives, en demeure d’agir au
risque de se voir physiquement prises à partie. Les tenants de l’Algérie
française se sont néanmoins réapproprié le mot « activistes », y compris sur
le plan mémoriel en célébrant le « quartier des activistes » chanté par Jean-
Pax Méfret en hommage à Roger Degueldre*.
Qui sont ces activistes ? Des civils, militant dans des organisations
clandestines violentes (Oraf*) ou dans des branches action et semi-
clandestines de partis politiques (Jean-Claude Perez au FNF, un parti dont la
nature est paramilitaire) ; des militaires nourris d’expériences dans des
troupes de choc et pétris de doctrines contre-subversives. Certains ont épaulé
les activistes (c’est le cas d’un Paul Aussaresses*), d’autres sont allés jusqu’à
quitter l’armée et rallier l’OAS* en 1961-1962. Cette dernière n’est pas
seulement née de l’échec des barricades et de ses suites. Elle est le produit
d’une histoire remontant aux années 1955-1956, dominée par une relation à
la violence militante et à la lutte armée. Si en 1961-1962 l’OAS affirme
qu’elle « frappe où elle veut et quand elle veut », c’est sur Alger qu’elle
dispose de commandos (les « Delta »). Leurs membres militaires bénéficient
de leur expérience dans des corps d’élite (Légion) et les civils d’un bagage
forgé dans les années 1950. Leurs répertoires d’action mêlent violence contre
les biens (allant jusqu’aux plasticages) et contre les personnes (tabassages,
enlèvements/séquestrations, attentats/assassinats). Entre ces différents actes,
il existe à l’évidence des paliers mais également des porosités tant l’activisme
des débuts prépare la suite et tant les frontières peuvent au fil du temps se
brouiller, notamment entre contre-terrorisme et terrorisme.
Aussi, avant l’OAS, la matrice de l’activisme est celle de l’autodéfense et
du contre-terrorisme dont l’Union française nord-africaine* (UFNA) est un
premier jalon. Née en 1955 et dominée par la figure de Robert Martel, elle
emprunte idéologiquement à l’agrarisme, au dorgérisme des années 1930 et
au traditionalisme catholique. Sa sociologie, dominée par des fermiers de la
Mitidja, conditionne son rapport à la violence centrée chez ses militants sur la
défense de leurs terres. Les hommes de l’UFNA sont aptes à utiliser des
armes et donc immédiatement mobilisables pour un coup de main ponctuel
comme le 6 février 1956. Le contre-terrorisme se développe après sa
dissolution en juillet 1956 quand se crée le Comité de la renaissance française
(CRF) au sein duquel un Georges Watin aspire à passer à une vitesse
supérieure en pratiquant l’enlèvement / séquestration. Une première cible est
Chaouche, supposément cadre du FLN. Le 16 décembre 1956 il est enlevé
par un commando, conduit dans une ferme de l’Alma où il décède après deux
jours d’interrogatoires et de sévices. Cette affaire illustre la détermination du
groupe et ses réseaux puisque Chaouche est aussi interrogé par des dirigeants
de l’Oraf (le Dr Kovacs) et par un sous-officier* en exercice qui récupère les
renseignements. Le contre-terrorisme monte donc en puissance. Il se
professionnalise lorsqu’il organise l’enlèvement du Dr Aouich : location
d’une villa, appui d’une dizaine de parachutistes*. Si l’opération échoue, ce
sont finalement 22 civils qui sont impliqués. Les perquisitions montrent que
l’affaire était bien préparée : faux papiers et armes, matériel nécessaire pour
conduire un interrogatoire (machines, ronéo, etc.) et violenter les personnes
séquestrées (nerf de boeuf, pitons muraux permettant d’attacher un
homme). Aux enlèvements / séquestrations s’ajoutent les attentats perpétrés
notamment par l’Oraf du Dr Kovacs entre l’été 1956 et le début de 1957 :
contre des établissements musulmans, des entreprises de presse* (Imprimerie
générale) et contre Salan* (affaire du bazooka*).
Le contre-terrorisme de 1955-1957 est fondamental dans l’histoire de
l’activisme. Les acteurs y franchissent des paliers dans la violence et
l’illégalité tout en apprenant des techniques utiles par la suite. Lorsque l’OAS
est mise sur pied à Alger en 1961, le passage à la lutte armée et sa légitimité
ne suscitent aucune discussion : elle va de soi. En outre, si des militaires
compromis dans les années 1950 n’ont pas rejoint le putsch* et l’OAS, au
contraire, la liste des civils qui s’y impliquent est longue (Joseph-Josuah
Giner à la tête du Delta 5 et Joseph Rizza à celle du 9). Pour Rizza, les
« critères requis » pour y participer valorisaient ces expériences : « engagés
volontaires, trois années de guerre et des activités de contre-terrorisme ». La
phase contre-terroriste est un chaînon décisif.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Rémi Kauffer,
OAS. Histoire d’une guerre franco-française, Seuil, 2002.

ADAMS, DENNIS (NÉ EN 1948)


Depuis les années 1980, Dennis Adams se saisit des reliquats visuels de
la guerre d’Algérie pour lever certaines apories de l’histoire. Il compose des
œuvres dans lesquelles il associe images d’archives de la guerre et références
à la modernité artistique. Une « série algérienne » (1988-2012) se fait jour
avec une quinzaine d’œuvres qui interrogent la permanence d’un impensé
colonial. En 1988, Adams propose à la ville de Dijon le projet Pissotière,
citation de l’œuvre de Duchamp (Fontaine, 1917/1964), non réalisé. Les
usagers de La Pissotière devaient faire face à une photographie* du
rapatriement*, en 1962, des statues militaires françaises, apposée contre les
urinoirs. Illustrant par le geste et l’image l’expression Piss off (dégager),
l’installation est une critique virulente de la colonisation. Un an plus tard,
Adams réalise deux œuvres pour le public français. L’une est conçue pour le
musée d’Art moderne de Paris : quatre toiles des collections, signées par des
artistes de cette période de guerre en Algérie, sont exposées sous une
photographie panoramique d’une manifestation* pour l’indépendance.
L’artiste restitue ici le cadre historique, absent, duquel a émergé cette avant-
garde artistique et rétablit le récit d’un passé politique contrarié enseveli sous
la narration canonique de la modernité. Plus récemment, dans les
photomontages Double Feature (2008), Adams incruste les acteurs d’À bout
de souffle (Godard, 1960) au cœur des décors de La Bataille d’Alger
(Pontecorvo, 1966). Le premier film de Godard est resté dans la mémoire
collective comme l’incarnation du rayonnement de la modernité
cinématographique, alors que le second, de Pontecorvo, a eu grande peine à
sortir sur les écrans français jusqu’au tournant du XXe siècle. En incrustant ces
acteurs, Adams révèle le contexte historique absent du film iconique de
Godard, qui se déroule en 1959. À travers la figure de Jean Seberg – actrice
ostracisée aux États-Unis* pour son soutien aux Black Panthers – il trace un
lien visuel entre les luttes anticoloniales et antiracistes en France et aux États-
Unis. Seberg est présente dans plusieurs pièces de la « série algérienne »
(Black Belmondo, Blackface…), tel un fil rouge tendu entre les deux pays, et
interroge les mécanismes d’invisibilisation des luttes émancipatrices dans la
culture et l’histoire. Depuis ces autopsies visuelles de l’impensé colonial
français, agencées à une histoire critique de la modernité, Adams ouvre ainsi
des contre-récits historiques mondialisés et réactive les archives* au présent
des enjeux de mémoires à vif.
Émilie GOUDAL
Bibl. : Dennis Adams, Double Feature, New York, Kent Fine Art,
2008 • Peter Dorashenko et Dennis Adams, Selling History, catalogue
d’exposition, Houston, Contemporary Arts Museums, 2012 • Mary Anne
Staniszewski, Dennis Adams. The Architecture of Amnesia, catalogue
d’exposition, New York, Kent Fine Art, 1990.

ADJOUL, ADJEL (1922-1993)


Adjoul est l’un des proches de Mostefa Ben Boulaïd*, chef de la Zone
1/Aurès. À la suite de ses démêlés avec ses rivaux, il abandonne le combat
anticolonial et se rend à l’armée française le 1er novembre 1956. Il est
l’archétype de la « compétition pour le pouvoir » (Meynier) à laquelle se sont
livrés les seigneurs de la guerre, au prix de luttes sanglantes.
Natif de Kimmel (commune mixte d’Arris), Adjoul appartient à une
famille aisée possédant palmeraies et troupeaux. En 1944, il passe son service
militaire* dans les garnisons de Blida, Aumale et Constantine. D’après son
interrogatoire, il rejoint le PPA-MTLD* en 1951 et met en place des cellules
dans les mechtas de son douar. Il rencontre quelques-uns des militants de
l’Organisation spéciale* (OS) qui ont trouvé refuge dans l’Aurès grâce à Ben
Boulaïd. En 1953, devenu contrôleur du parti pour l’Aurès, il participe aux
principales rencontres du MTLD dont celle de Constantine du 15 avril 1954,
celle des cadres à Alger du 15 juillet où la tendance neutraliste/activiste
s’affirme et celles que Ben Boulaïd réunit à la veille du 1er novembre 1954*,
tout en préparant les futurs partisans qui déclenchent l’insurrection. Au matin
du 1er novembre 1954, c’est à Tafrent Ouled Aicha (Tighnimine) qu’il attend
avec Ben Boulaïd et Bachir Chihani* les nouvelles que la radio* devait
émettre. À la suite du départ de Ben Boulaïd pour Tripoli en janvier 1955,
Adjoul se retrouve adjoint avec Laghrour* auprès de Chihani* qui assure le
commandement de l’Aurès. Dès l’arrestation de ce dernier, les conflits
commencent de manière feutrée entre prétendants à la direction politico-
militaire de l’Aurès. Les manœuvres d’Adjel Adjoul sont à la fois dirigées
contre Bachir Chihani et Omar Ben Boulaïd, frère de Mostefa. Profitant du
départ de Chihani pour réorganiser les groupes des Nemencha, Adjoul mène
une campagne de dénigrement contre toute initiative prise par Chihani et
renforce son isolement en sapant son autorité par mille et une intrigues. Il
saisit l’occasion de la bataille d’el Djeurf (septembre 1955) pour l’éliminer de
son chemin dans un simulacre de procès sous le prétexte d’homosexualité.
Mais l’évasion* de Mostefa Ben Boulaïd au mois de novembre 1955
remet en question ses ambitions. Lors de leur rencontre au PC d’el Attaf,
Adjoul esquive habilement les questions de Ben Boulaïd. Mieux encore, il ne
se gêne pas pour insinuer que son évasion est due à l’administration.
Quand il apprend la mort de Ben Boulaïd survenue à la suite d’un poste
radio piégé en mars 1956, Adjoul croit son heure venue pour s’imposer
comme chef de l’Aurès. Mais il doit compter avec la méfiance de nombreux
maquisards sensibles à la rumeur (fausse) l’accusant de la mort de Ben
Boulaïd que son frère Omar (autre prétendant au pouvoir) fait circuler.
Durant la période de mars à octobre 1956, malgré son autorité et ses
manœuvres, Adjoul ne parvient pas à étendre son pouvoir sur l’Aurès livré
plus que jamais à l’anarchie.
Au lendemain du congrès de la Soummam*, il reçoit Amirouche*
délégué par le CCE* pour réorganiser l’Aurès-Nemencha devenu Wilaya 1*.
Échappant de justesse à une élimination lors de cette rencontre, il dépose les
armes et se rend à l’armée française. À l’indépendance, il est arrêté et
emprisonné à Lambèse. Libéré par Boumediene*, il s’installe à Batna et livre
son témoignage*.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohamed Larbi Madaci, Les Tamiseurs de sable, Alger, Anep, 2001
• Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Ouanassa Siari Tengour, « Adjel Adjoul (1922-1993), un combat
inachevé », Insaniyat, no 25-26, 2004.

AFFAIRES
La presse* métropolitaine parle très tôt de la torture*, d’autant plus que
sa pratique, en Algérie, est connue. La police* en a usé contre les
nationalistes depuis 1945. L’Humanité* dénonce les sévices infligés aux
militants arrêtés dès la Toussaint 1954. En janvier 1955, informés par
l’avocat Pierre Stibbe, François Mauriac* et Claude Bourdet* publient
respectivement « La question » dans L’Express et « Votre Gestapo
d’Algérie » dans France Observateur ; Claude Bourdet se réfère à un de ses
articles, en 1951 : « Y a-t-il une Gestapo algérienne ? » Puis, fin 1955, Jean
Daniel, dans L’Express, lance l’affaire d’Aïn Abid : l’exécution sommaire*
d’un « musulman » par un gendarme auxiliaire, photos à l’appui – extraites
des actualités de la Fox Movietone, elles étaient déjà parues dans Life.
En 1955, la chute des gouvernements responsables enraye les
dénonciations. La durée du gouvernement Mollet* (février 1956-mai 1957)
permet au contraire aux affaires de se développer, après une période
d’attentisme, le temps de le laisser faire ses preuves. En septembre 1956, les
« torturés d’Oran », principalement des communistes, font la une. Une
enquête administrative, niant les faits et suivie en exclusivité par Le Figaro*,
scandalise. L’Assemblée nationale envoie sept membres de sa commission de
l’Intérieur enquêter sur place.
Leur rapport alimente le scandale déclenché en 1957. Non seulement la
« bataille d’Alger* » donne une visibilité inédite aux violences mais les
rappelés envoyés en masse témoignent. En février, Témoignage chrétien
publie le Dossier Jean Müller, lettres d’un scout* décédé en Algérie. Dans la
foulée paraît la brochure Des rappelés témoignent du Comité de résistance
spirituelle et Pierre-Henri Simon, du Cercle des intellectuels catholiques,
signe Contre la torture, au Seuil. Au même moment, le « suicide » de Larbi
Ben M’hidi*, détenu par les paras à Alger, est annoncé tandis que le rapport
sur les « torturés d’Oran » fait controverse ; pour un membre de la
commission, le Dr Hovnanian, les sévices sont prouvés. Puis le soi-disant
suicide de Me Ali Boumendjel*, également aux mains des paras, soulève la
protestation du grand juriste résistant René Capitant, en poste à Alger, dont il
a été l’élève. Arrive ensuite la démission du général Pâris de Bollardière*,
opposé à la torture. Jean-Jacques Servan-Schreiber*, qui a servi sous ses
ordres, l’annonce dans L’Express. Le doyen de la faculté de droit d’Alger,
Jacques Peyrega, dénonce quant à lui une exécution sommaire dont il a été
témoin. En mai, après avoir nié puis minimisé les faits, le gouvernement crée
une Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels*. Cependant,
en juin, le massacre dit « de Melouza* », commis par le FLN*, et la relance
des attentats à Alger tempèrent les critiques ; ils encouragent une
dénonciation des atrocités des deux côtés. Durant le deuxième semestre 1957,
les publications partielles du rapport de la Commission internationale contre
le régime concentrationnaire* (CICRC), le 27 juillet, puis celui de la
Commission de sauvegarde, le 14 décembre, entretiennent néanmoins le
scandale. Y contribuent aussi les affaires Alleg* et Audin*, qui débutent à
l’été 1957 et se poursuivent en 1958, quand paraissent La Question et
L’Affaire Audin, chez Minuit.
La contre-offensive gouvernementale combine médiatisation des atrocités
du FLN (avec Aspects véritables de la rébellion algérienne, une brochure
jouant de photographies* insoutenables), poursuites judiciaires, saisies de
journaux et de livres (La Question, par exemple). La justice inquiète
notamment Claude Bourdet, Georges Montaron, directeur de Témoignage
chrétien, Jean-Jacques Servan-Schreiber, l’historien Henri-Irénée Marrou
auteur d’un vibrant « France ma patrie » dans Le Monde*, André
Mandouze*, directeur de Consciences maghribines qui publie des documents
du FLN. Les trois quarts des saisies de presse, sur l’ensemble de la guerre,
visent la torture, les exécutions sommaires et la détention dans les prisons*
ou les camps. Témoignage chrétien, France Observateur, L’Express, La
Croix, L’Humanité et Le Monde en ont particulièrement souffert.
La chronologie des affaires marque une pause avec l’avènement de la
Ve République*, du fait des ralliements à de Gaulle* et de l’attentisme
consécutif au changement de régime. Un cartel d’organisations, dont le
comité Audin, publie tout de même, en septembre 1958, un Dossier sur la
torture et la répression avant de tenir, en janvier 1959, un meeting « pour la
fin de la torture en Algérie ». Sa pratique en France finit aussi par être
dénoncée. En décembre 1959, Minuit publie des plaintes de militants
algériens contre la DST dans La Gangrène.
Les affaires individuelles se raréfient. Celles d’Aïssat Idir et de Djamila
Boupacha* sont les deux dernières. La mort d’Aïssat Idir est annoncée en
juillet 1959 par l’UGTA* dont il a été le premier secrétaire général. Arrêté,
torturé, interné, traduit en justice, il a été acquitté avant d’être repris et placé
dans un centre de tri et de transit* (CTT) où il est censé avoir mis le feu en
fumant dans sa cellule. En juin 1960, l’affaire Djamila Boupacha, que défend
Gisèle Halimi* et soutient Simone de Beauvoir*, ajoute la dénonciation du
viol* à celle de la torture.
Parallèlement, les polémiques s’élargissent. En avril 1959, les camps de
regroupement* font scandale, à partir du rapport Rocard*. Toute la presse,
jusqu’au Figaro, s’en empare, l’Assemblée nationale y consacre un débat le
9 juin 1959 et le FLN lance une campagne internationale. Suivent les camps
d’internement*, avec un rapport de la Croix-Rouge*. Sa divulgation par Le
Monde, le 5 janvier 1960, implique deux conseillers du ministre de la Justice,
Gaston Gosselin et Joseph Rovan, qui doivent quitter leur poste. Concernant
la torture, les dénonciations insistent désormais sur sa généralisation et sa
systématisation contre la thèse d’abus isolés. Ainsi, en octobre et
novembre 1959, deux « Cahiers verts des disparitions », publiés par Les
Temps modernes, recensent près de 200 plaintes, collectées notamment par
Jacques Vergès*. Le mois suivant, Témoignage chrétien reprend le
témoignage* de rappelés sur l’enseignement de la torture au centre militaire
de Jeanne d’Arc. 1960 voit les affaires Alleg et Audin rebondir. À Alger
s’ouvre en effet, le 14 juin, un procès les visant, parmi d’autres communistes,
alors même qu’Audin a disparu ; le comité portant son nom maintient en
outre une activité soutenue. Cette année-là, enfin, désertion, désobéissance et
insoumission font aussi débat. Maurienne (Jean-Louis Hurst*) signe
Le Déserteur chez Minuit, Maurice Maschino* Le Refus chez Maspero*, puis
Noël Favrelière* Le Désert à l’aube également chez Minuit. Au moment du
procès Jeanson*, du 5 septembre au 1er octobre 1960, le « Manifeste* des
121 » défend l’insoumission. Perquisitions, gardes à vue, inculpations,
suspension et révocations répriment ses signataires. En 1961, d’autres procès
ont lieu. Par exemple, l’écrivain Georges Arnaud est poursuivi pour sa
couverture de la conférence de presse de Jeanson.
Puis, l’opposition à la guerre sur le mode de la polémique
qu’entretiennent des dénonciations ou des prises de position scandaleuses
cesse. D’autres thèmes, en particulier la menace que fait peser la guerre sur
les libertés et la République, avec le putsch* et l’OAS*, prennent le relais.
Des années durant, néanmoins, des soldats, des avocats, des hauts
fonctionnaires… ont fait circuler et publier les informations dont ils
disposaient. Relayés par la presse, des intellectuels et des militants de
diverses obédiences, ils ont assuré un enchaînement impressionnant des
affaires, au contraire d’une idée reçue selon laquelle la torture, notamment,
n’était pas connue.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammarion, 2012.

AGERON, CHARLES-ROBERT (1923-2008)


Né à Lyon* dans une famille de petits entrepreneurs, Charles-Robert
Ageron a été marqué par le catholicisme* social de sa ville natale. Après son
bac en 1941, il est l’étudiant d’Henri-Irénée Marrou à la faculté des lettres. Il
est aussi proche d’André Mandouze* et le fréquentera encore, dans les
années 1960, aux Murs blancs, à Châtenay-Malabry, où vit une petite
communauté gravitant autour d’Esprit. Après avoir échappé au STO, il est
mobilisé en 1944 et serait parti pour la première fois en Algérie à la fin de la
Seconde Guerre mondiale dans des conditions indéterminées. Il y aurait eu de
la famille, selon des historiens l’ayant connu mais qui ne peuvent donner plus
de précisions.
Son long séjour de 1947 à 1957 est bien plus décisif, lorsqu’il est affecté
en tant qu’agrégé d’histoire au lycée Gautier d’Alger. Il découvre pleinement
la société coloniale et ses discriminations, qui font de lui un historien critique
des Français d’Algérie. En 1956-1957, il s’engage avec les libéraux* d’Alger
que leurs positions favorables au dialogue et à l’entente placent dans un
entre-deux inconfortable. Haïs des ultras pour leur ouverture aux
revendications nationalistes, ils sont de ce côté critiqués pour leur
modération. Après son retour en métropole, Ageron soutient la politique
gaulliste. Il enseigne à Lakanal à Sceaux tout en assurant des cours à la
Sorbonne et publie en 1964 son premier ouvrage devenu un classique,
maintes fois réédité : Histoire de l’Algérie contemporaine dans la collection
« Que sais-je ? ». Sous le même titre, après un premier tome allant de 1830 à
1871, publié par Charles-André Julien en 1964, il laisse un tome II
impressionnant d’érudition, qui fait toujours référence, sur les années 1871-
1954 (PUF, 1979).
Ageron est en effet l’élève de Julien. Dans la thèse qu’il soutient avec lui
en 1968, il remet en perspective la loi Jonnart de 1919. Sans démentir
l’inégalité des droits structurant la société coloniale, cette loi étend assez
largement la citoyenneté des Algériens « musulmans » pour donner naissance
à une vie politique locale (Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919,
PUF, 1968). Ageron y défend l’idée que l’absence de réformes a condamné
l’Algérie française et en rend les Français d’Algérie responsables – leurs
représentants ont fait obstacle à toute réforme profonde. Cette vision résulte
également de son expérience sur place et de son parti pris libéral. Aussi les
partisans de l’Algérie française n’ont pas manqué de l’attaquer. Gilbert
Meynier*, en anticolonialiste* libertaire, reconnaît avoir aussi condamné
Ageron, qu’il voyait en « représentant vergogneux de l’histoire coloniale, fût-
il libéral et généreux d’inspiration » ; Ageron reste critiqué de la sorte, en
particulier en Algérie. En 2001, c’est Pierre Messmer*, ancien ministre des
Armées du général de Gaulle* au moment de l’indépendance, qui lui remet la
Légion d’honneur.
Sa carrière l’a mené de l’université de Tours à celle de Créteil. Son
rayonnement scientifique les dépasse largement : il est à l’EHESS, où il
dirige des thèses, au Groupe d’études et de recherches maghrébines (Germ) et
au Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, dont l’Institut
d’histoire du temps présent (IHTP) est issu. Son premier directeur, François
Bédarida, est de la même sensibilité qu’Ageron. Secondé par Anne-Marie
Pathé, en poste à la bibliothèque de l’IHTP, Ageron y a été l’infatigable
animateur de séminaires et de colloques au-delà du cas algérien, dont les
publications sont des classiques. Il n’a cessé de fréquenter l’institut jusqu’à
ce que la maladie le contraigne à se retirer. Par ailleurs nommé à l’Académie
des sciences d’outre-mer en 1973, il a dirigé la Société française d’histoire
d’outre-mer de 1988 à 1995.
Plus d’une centaine d’articles, des livres en nombre, que ce soit en son
nom propre, ou bien dirigés, préfacés, postfacés ou annotés : son œuvre est
considérable. Historien célébré du positivisme le plus scrupuleux, jusqu’à la
fin rétif à toute autre source que les archives* – ses réticences à l’égard de
l’histoire orale étaient notoires –, il a formé bien des historiens importants, y
compris au Maghreb. Benjamin Stora*, Guy Pervillé* et Daniel Rivet ont fait
leurs thèses avec lui ainsi que, par exemple, Fatima Zohra Guechi et Malika
El Korso, qui ont fait carrière en Algérie. Des mélanges lui ont été offerts, en
Tunisie*, en 1997. En 2000, au colloque-hommage qu’ont organisé Daniel
Lefeuvre* et Anne-Marie Pathé, Daniel Rivet l’a justement décrit en
« navire-amiral ». En 2005, l’éditeur Abderrahmane Bouchène a republié en
cinq volumes ses œuvres majeures. Si leur vision de l’histoire est datée, elles
restent des références à connaître.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Gilbert Meynier, « Présentation », in Charles-Robert Ageron, Les
Algériens musulmans et la France, 1871-1919, Saint-Denis Éditions
Bouchène, 2005 • Guy Pervillé, « Charles-Robert Ageron (1923-2008) »,
Outre-mers, no 360-361, 2008 • Daniel Rivet, « Charles-Robert Ageron,
historien de l’Algérie coloniale », in La Guerre d’Algérie au miroir des
décolonisations françaises. En l’honneur de Charles-Robert Ageron. Actes
du colloque international, SFHOM, 2000.

AGOUNENDA, BATAILLE D’ (22 AU 23 MAI


1957)
La bataille d’Agounenda est une conséquence de plusieurs offensives
menées par l’un des plus importants commandos* de la Wilaya 4*, soit le
commando « Ali Khodja* », dirigé par Azzedine* durant le mois de
mai 1957.
Elle se déroule dans le territoire de la Wilaya 4 dirigée par le colonel Si
M’hamed Bougara* qui était en inspection dans la 4e Région, d’où la
présence de deux katibas (compagnies), soit quelque 300 hommes.
La première embuscade* s’est attaquée à une unité de dragons qui perd
une soixantaine de spahis et fait beaucoup de blessés. Au cours de cette
opération, Azzedine est grièvement blessé par le mitraillage d’un avion. Une
fois guéri, son commando s’attaque de nouveau, le 21 mai, à un détachement
de tirailleurs, non loin de Médéa (Titteri). Dix tirailleurs dont un capitaine
sont tués ; sept sont portés déserteurs. Azzedine s’en sort avec un tué et deux
blessés.
Ces embuscades meurtrières sont à l’origine de l’envoi des 700 paras du
colonel Bigeard*, acheminés d’Alger vers Médéa, sur ordre du général
Salan*. Agissant sur renseignements, Bigeard déploie de nuit ses compagnies
« en toile d’araignée », au confluent des différents oueds, qui cernent le petit
village d’Agounenda perché sur une crête au sud du massif de Blida. Quoique
alerté de la présence des troupes françaises, Azzedine ordonne à ses hommes
d’emprunter l’oued Boulbane ; ils sont pris sous le feu de la 3e compagnie
de parachutistes* postés sur les pentes. La surprise passée, le combat au corps
à corps fait rage avec la venue des renforts héliportés et va durer trois jours.
Les responsables de la Wilaya 4 – dont Azzedine – parviennent à sauver leurs
troupes mais au prix du sacrifice de 96 des leurs. Bigeard enregistre la mort
de 8 soldats. Dans son livre, Pour une parcelle de gloire (Éditions no 1,
1997), Bigeard reconnaît une victoire en demi-teinte, notant la valeur
combative de son adversaire qui réussit à s’échapper, en emportant les armes
de ses compagnons tués et en n’abandonnant pas ses blessés. Une telle
appréciation des forces élude la véritable raison de l’affrontement, de la
complexité de la « logique de l’événement » pour reprendre les termes
d’Arlette Farge et de ses conséquences sur les populations civiles de la
région.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Commandant Azzedine, On nous appelait fellaghas, Stock, 1976
• Alistair Horne, Histoire de la guerre d’Algérie, 1991 • Arlette Farge,
« Penser et définir l’événement en histoire », Terrains, no 38, 2002.

AGRICULTURE
Épine dorsale de la colonisation, l’agriculture comprend, d’un côté, un
secteur européen concentré, mécanisé et prospère et, de l’autre, un secteur
musulman utilisant, sauf à de rares exceptions, des méthodes traditionnelles
locales peu productives. La démographie*, la nature des terres, la taille des
propriétés, les modes de faire-valoir et les modalités d’accès au crédit
accentuent cette opposition.
En 1954, sur 1 million d’Européens, les propriétaires colons* ne sont que
21 650. Ils possèdent 2 818 000 hectares, soit, en moyenne, 123 hectares par
exploitant. Ils monopolisent les plaines où ils cultivent surtout la vigne
(366 000 ha) et les céréales (758 000 ha) dans de grandes propriétés (29 %
font plus de 100 ha). L’histoire a retenu les noms des propriétaires de grands
domaines viticoles (Borgeaud*) ou céréaliers (Faure*). En 1956, 10 % des
viticulteurs produisent 70 % de la récolte alors que 42,7 % n’en produisent
que 3,1 %. Ils utilisent force engrais et produits chimiques que la colonie ne
produit pas et qu’ils achètent en métropole. En 1959, par exemple, 14,7 %
des exportations françaises de produits chimiques sont destinées à l’Algérie.
L’ensemble des exploitants européens a un accès privilégié au crédit
hypothécaire et de campagne. Les Borgeaud, par exemple, ont la haute main
sur le Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie*.
La valorisation agricole de la colonie est venue d’un hasard historique,
celui, dans les années 1870, de la destruction du vignoble métropolitain par le
phylloxéra. La vigne offre une solution, encouragée par un marché
métropolitain en manque, la franchise douanière sur les vins d’Algérie
obtenue dès 1867, le rétablissement des concessions gratuites en 1871, les
barrières à l’entrée des vins espagnols et italiens depuis 1892, l’exemption
d’impôts jusqu’en 1918 et le bénéfice d’une main-d’œuvre payée quatre fois
moins cher qu’en métropole. En 1950 encore, la viticulture engrange
105 milliards de revenus et ne verse que 15,8 milliards de salaires (15 %).
Les rendements financiers appréciables attirent les capitaux métropolitains.
La Banque de l’Algérie, principale créancière des viticulteurs européens,
verse à ses actionnaires des dividendes mirobolants : 18 % en 1881, 20 % en
1885 et 16 % en 1890. Cette euphorie retombe dès 1895 lorsque le phylloxéra
frappe le vignoble. Le dividende tombe à 8 % en 1897. La Banque s’écarte
progressivement des affaires agricoles. Elle devient banque d’émission et, en
1949, nationalisée, se transforme en Banque de l’Algérie et de la Tunisie.
Parti de zéro, le vignoble s’étend en 1918 sur 171 723 hectares et produit
6 230 000 hectolitres. En 1959, la vigne occupe 349 670 hectares avec
18 600 000 hectolitres. L’Algérie se range parmi les grands producteurs
mondiaux mais reste captive d’un seul débouché : la métropole. Inexistantes
en 1870, les exportations algériennes de vin atteignent, vingt-cinq ans plus
tard, la moitié des recettes d’exportation de la colonie. La proportion
maximale sera de 61,1 % en 1933.
En 1960, les exploitations de moins de 10 hectares n’occupent que
60 700 hectares ; celles de 10 à 50 hectares totalisent 130 600 hectares et
celles de plus de 50 hectares occupent 175 000 hectares. Ces grands
viticulteurs, comme le sénateur Henri Borgeaud, tissent des liens avec les
milieux politiques et financiers et constituent le groupe de pression le plus
puissant du colonat, attaché au maintien du débouché français et de la
présence française en Algérie. Investissant dans la presse*, il cherche à
contrôler l’opinion*.
En 1904, un décret ouvre les hautes plaines à la colonisation et permet
aux entrepreneurs céréaliers de créer, au détriment du pastoralisme local, de
grandes exploitations mécanisées. 80 % des exploitations céréalières
coloniales ont plus de 1 000 hectares. Au total, en 1954, 2 390 exploitations
européennes occupent 768 000 hectares. Parmi elles, 457 occupent
677 391 hectares, soit 1 482 hectares en moyenne par exploitation. On y
cultive surtout le blé tendre, introduit par les Européens (264 000 ha en
1950), le blé dur (255 000 ha) et l’orge (161 000 ha).
La part des céréales dans les exportations de la colonie est de 12 % en
1930 (4 060 000 q) mais elle tombe à 0,25 % en 1947 (81 000 q). L’évolution
des exportations de céréales traduit bien l’impasse de l’agriculture coloniale.
Dès 1945, la perspective d’une Algérie importatrice de nourriture se dessine.
Jusqu’alors, les musulmans arrivaient tant bien que mal à s’autosuffire en
céréales. Mais en un siècle, leur production de blé dur est tombée de
1,32 quintal par tête (1875-1879) à 0,57 quintal (1950-1954) tandis que celle
d’orge – la céréale panifiable du pauvre – tombait de 2,19 quintaux par tête à
0,76 quintal. Leur cheptel ovin – le mouton étant leur source de viande
principale – est tombé de 9 500 000 têtes en 1875 à 5 412 000 en 1954. Les
exportations d’ovins diminuent régulièrement : 1 246 000 unités en 1910 et
181 000 en 1954. À part la viticulture qui, elle, prospère, mais ne produit pas
de vivres, l’agriculture coloniale semble aller à la faillite. Une étude produit
par produit montre qu’à la fin de l’occupation coloniale, l’Algérie aurait dû
importer 70 % de ce qu’elle produisait pour satisfaire les besoins caloriques
élémentaires par personne et par jour. Tel est le terreau de l’insurrection de
1954. Commencée autour d’une histoire de blé, la colonisation française en
Algérie semble bien s’être terminée également autour d’une deuxième
histoire de blé.
L’agriculture des musulmans reste séparée et confinée géographiquement
sur les terres que leur laisse la colonisation, souvent des versants à fertilité
réduite. Dès les années 1890, une fois les besoins des entrepreneurs
européens en viticulture satisfaits, les musulmans ont perdu la plupart des
plaines par divers procédés (expropriation, suppression de l’indivision et
rachat par les colons, etc.). Une enquête fiscale de 1892 montre que 38 % des
terres cultivées par les musulmans sont « mauvaises » et 11 % « nulles ».
Seules 1 % d’entre elles sont considérées comme « très bonnes ».
En 1954, on dénombre 534 000 propriétaires musulmans pour
7 133 000 hectares, soit 13 hectares par fellah. Cette moyenne cache une forte
inégalité : 446 000 propriétaires (70 %) possèdent moins de 10 hectares et
8 499 plus de 100. Ceux-ci sont souvent absentéistes et latifundiaires – près
d’Orléansville, un notable, Sayah Henni, possède à lui seul quelque
60 000 hectares.
Une partie de la paysannerie musulmane commence à adopter les
spéculations et les méthodes des Européens après la Première Guerre
mondiale. Bien que musulmans, des fellahs commencent à planter de la vigne
à vin. En 1903, ils étaient 3 280 à l’avoir fait. Ils sont 16 000 en 1956 mais
n’occupent que 2,5 hectares en moyenne par vigneron, contre 30 pour les
Européens.
Les méthodes modernes sont progressivement adoptées. En 1954, on
recense 750 000 hectares (1/10e de la propriété musulmane) où elles sont
pratiquées. On peut y voir l’amorce d’une classe moyenne paysanne
musulmane qui n’est pas hostile à la présence française mais qui espère une
égalité des conditions. Elle reste cependant minoritaire face aux paysans sans
terre. Ceux-ci ne trouvent souvent ni à s’employer ni à émigrer en métropole.
En 1954, il n’y a que 554 800 salariés musulmans pour 7 051 000 ruraux.
Parmi eux, 112 000 seulement ont un emploi permanent. Reste une majorité
de « précaires » : sans terre, sans travail*, journaliers, saisonniers, etc., soit
quelque 1 200 000 adultes « sous-prolétaires » pourvoyeurs des bataillons de
la Guerre d’indépendance (maquisards d’un côté ou harkis* de l’autre). De
l’autre côté, une minorité de grands propriétaires (15 000 Européens et
musulmans ont 100 ha et plus) ne représente, en 1954, que 2 ‰ de la
population rurale et s’approprie 61 % du revenu agricole. Cette situation
constitue probablement l’un des éléments primordiaux de l’insurrection de
novembre 1954.
Ahmed HENNI
Bibl. : Ahmed Henni, « La naissance d’une classe moyenne paysanne
musulmane après la Première Guerre mondiale », Revue française d’histoire
d’outre-mer, no 311, 1996 • —, Économie de l’Algérie coloniale, 1830-1954,
Namur, Chihab, 2017 • Hildebert Isnard, « Agriculture européenne et
agriculture indigène en Algérie », Les Cahiers d’outre-mer, vol. 12, no 46,
1959.

AILLERET, GÉNÉRAL CHARLES (1907-1968)


Né en 1907, il entre à l’École polytechnique en 1926 puis devient
officier* d’artillerie. En 1942, il rejoint l’Organisation de résistance armée
(Ora) dont il assume le commandement pour la zone nord. Arrêté en
juin 1944 par les Allemands, il est déporté à Buchenwald. En 1947, devenu
colonel, après avoir été attaché militaire à Moscou, il entre au
commandement de la 43e demi-brigade de parachutistes en Indochine*. En
1952, Charles Ailleret prend la direction du commandement des armes
spéciales, dont la mission est de coordonner l’ensemble des activités
nucléaires militaires. Général de brigade, en 1955, il est promu, en 1958,
commandant interarmées des armées spéciales. Il est ainsi à la tête des
opérations lorsque explose la première bombe atomique française le
13 février 1960 à Reggane, dans le Sahara. En 1961, il s’oppose au putsch*
d’avril alors qu’il commande la zone nord-est Constantinois. Technicien, peu
sensible aux théories sur la guerre subversive, fidèle à de Gaulle*, qu’il
admire et dont il partage les conceptions sur la discipline militaire, Charles
Ailleret critique les putschistes comme étant « enfermés dans une vision de la
patrie sans rapport avec la réalité ». Il remplace le général Gambiez* à la tête
du commandement en chef des troupes en Algérie, en juin 1961. Il mène ainsi
de nombreux pourparlers avec le GPRA*. Promu général d’armée, Charles
Ailleret annonce le cessez-le-feu du 19 mars 1962* en Algérie. Il quitte ce
poste le 17 avril 1962 pour être nommé chef d’état-major des armées. Dans
ce cadre, il participe à la traque et à l’arrestation des putschistes et des
activistes de l’OAS*. C’est ainsi que son appartement parisien est plastiqué
par l’organisation clandestine le 23 septembre 1962. Il survit à l’attentat. Par
la suite, il organise le retrait de la France du commandement intégré de l’Otan
en 1966, et participe à l’élaboration de la doctrine de dissuasion nucléaire
française. Il trouve la mort dans un accident d’avion en mars 1968.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Charles Ailleret, Général du contingent, en Algérie. 1960-1962,
Grasset, 1998 • Georgette Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-
1959, Bouquins, 2018 • Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry
Sarmant, Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française.
Hommes, textes, institutions. 1945-1962, L’Harmattan, 2002.

AÏT AHMED, HOCINE (1926-2015)


Né le 20 août 1926 à Taka (Djurdjura) en Kabylie, Hocine Aït Ahmed est
issu d’une famille maraboutique influente dont le père est caïd. Après des
études à l’école coranique, il rentre à l’école française et obtient son certificat
d’études primaires en 1939. Il est admis sur concours au lycée de Ben
Aknoun. Sa scolarité est bousculée par le débarquement allié en Afrique du
Nord. Le lycée étant réquisitionné par l’armée américaine en 1943, Aït
Ahmed se retrouve lycéen à Tizi Ouzou.
C’est là qu’il adhère au PPA* clandestin où il milite en compagnie d’une
quinzaine d’élèves. Cadre des Scouts musulmans algériens* (SMA), il
participe à la création de groupes en Kabylie. Grâce à Ouali Bennaï, il assiste,
en mars 1945, au congrès des AML* à Alger. À la suite des événements du
8 Mai, il est volontaire pour rejoindre le maquis en Kabylie, avec cinq
camarades lycéens et préparer « l’insurrection générale » prévue pour le
23 mai, selon les directives de la direction. Après le contre-ordre qui annule
le soulèvement, Aït Ahmed entre définitivement dans la clandestinité
jusqu’en 1962.
Il fait partie de la direction du PPA-MTLD de Kabylie et participe
activement à la réunion des cadres du parti de décembre 1946 et au congrès
de février 1947 où il remet en cause la stratégie de la direction du parti. En
1948, il fait son entrée au Bureau politique (BP) et succède à Mohamed
Belouizdad malade, à la tête de l’Organisation spéciale* (OS) qu’il dote d’un
programme conforme au rapport qu’il a présenté à Zeddine en
décembre 1948. Il définit la lutte de libération comme une guerre de partisans
qui doit s’appuyer sur la paysannerie. Ce moment d’organisation de l’OS
coïncide avec la crise dite « berbériste » de 1949 dont la conséquence est sa
mise à l’écart – à tort – en octobre 1949, au profit d’Ahmed Ben Bella*.
Après de longues années de clandestinité, il parvient à quitter l’Algérie et
s’installe au Caire en mai 1952. Membre de la délégation du MTLD et du
bureau du Maghreb arabe, il défend la nécessité de développer l’action
diplomatique, pour faire connaître le mouvement de libération au Maghreb.
C’est ainsi qu’il participe à la conférence de Rangoon en janvier 1953 et
œuvre à l’ouverture de comités de soutien au Pakistan, en Inde et en
Indonésie.
Il fait partie des neuf chefs historiques qui décident le déclenchement de
la Guerre d’indépendance sous la bannière du FLN*. Il représente le FLN à la
conférence de Bandoeng* et à l’ONU* en 1955 et ouvre le bureau de la
délégation du FLN à New York.
Arrêté dans l’avion de la délégation extérieure du FLN détourné par les
autorités françaises le 22 octobre 1956, il est emprisonné jusqu’à
l’indépendance. Depuis la prison*, il soutient les résolutions du congrès de la
Soummam*, en appelle à l’urgence de former un gouvernement provisoire,
s’insurge contre l’assassinat d’Abane*. Membre du CNRA* et du GPRA*, il
ne manque pas d’adresser des propositions à la direction du FLN.
À l’indépendance, il est député à l’Assemblée nationale constituante*, se
montre critique vis-à-vis de l’orientation du Gouvernement et entre en conflit
avec Ben Bella. Il est membre de la commission chargée de préparer la
Constitution avant d’en démissionner en protestation de l’avant-projet de
Constitution élaboré par le BP et Ben Bella.
Il fonde le Front des forces socialistes (FFS) le 29 septembre 1963 et
entre en opposition armée contre le gouvernement. Accusé de séparatisme
kabyle, il est arrêté en octobre 1964. Condamné à mort en avril 1965, puis
gracié, il s’évade le 1er mai 1966 de la prison d’El Harrach.
C’est en Suisse* où il s’installe qu’il poursuit son opposition et son
combat pour les droits de l’homme. Il rentre en Algérie après les événements
sanglants d’octobre 1988 et réorganise son parti. Il participe aux différents
débats politiques et décède le 25 décembre 2015 à Lausanne.
Ali GUENOUN
Bibl. : Hocine Aït Ahmed, Mémoires d’un combattant. L’esprit
d’indépendance. 1942-1952, Messinger, 1983 • —, La Guerre et l’après-
Guerre, Minuit, 1964 • Ali Guenoun, La Question kabyle dans le
nationalisme algérien. 1949-1962, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2021.

AÏT HAMOUDA, AMIROUCHE (1926-1959)


Né le 31 octobre 1926 à Tassaft (commune mixte du Djurdjura), il est
orphelin de père (mort peu avant sa naissance). Son enfance* et son
adolescence sont difficiles, partagées entre scolarité et petits boulots pour
aider sa mère. Il est sensible à la fois aux enseignements de l’Association des
ulémas* et aux positions défendues par le PPA*. On ignore dans quelles
conditions il adhère au PPA-MTLD. Mais quand il émigre à Relizane, où il
ouvre une petite bijouterie en 1948, il anime la cellule locale du parti. À
Paris, il renoue avec l’Association des ulémas alors que le PPA-MTLD est
menacé de scission. Aït Hamouda rejoint le maquis du FLN* dans la région
des Ouacifs vers février ou mars 1955.
Apprécié pour ses qualités d’organisateur, il est chargé par Krim*
Belkacem, chef de la Zone 3/Kabylie, de combattre les militants du MNA*
dans la vallée de la Soummam et met en place l’organisation du FLN.
Contre les récalcitrants, Amirouche use de la manière forte comme ce fut
le cas à l’égard des Ouled Ourabah qui subirent de sévères représailles
collectives (avril 1956). Au mois d’août 1956, il assure la sécurité de la tenue
du congrès de la Soummam*.
À l’automne 1956, mandaté par le CCE*, il est envoyé pour mettre de
l’ordre en Wilaya 1/Aurès*, livrée aux rivalités des prétendants au pouvoir
depuis la disparition de Mostefa Ben Boulaïd* et appliquer les directives du
CCE. Sa mission est interrompue à la suite de la tentative d’assassinat de
Adjel Adjoul*.
Élevé au grade de commandant, Amirouche remplace en 1957 le colonel
Saïd Mohammedi* à la tête de la Wilaya 3*. Fidèle aux enseignements des
ulémas, il encourage l’enseignement aux enfants en Kabylie, envoie de
jeunes combattants poursuivre leurs études à l’étranger et crée un centre
d’accueil pour les étudiants* lors de son séjour en Tunisie*.
Mais, victime de l’infiltration des services de renseignement français qui
ont manipulé des militants FLN arrêtés en usant de la fabrication de lettres
compromettant en particulier les cadres intellectuels de l’ALN*, Amirouche
se lance sans discernement dans une épuration de ses hommes, parmi les
meilleurs, à partir de décembre 1957. Durant cette opération, appelée la
« bleuïte* », plusieurs centaines de combattants sont assassinés après avoir
subi d’atroces tortures.
En décembre 1958, Amirouche organise une réunion des colonels de
l’Intérieur dont Hadj Lakhdar Abidi* (Wilaya 1), Si El Haouès* (Wilaya 6*),
Si M’hamed* (Wilaya 4*), en Wilaya 2/Nord-Constantinois*. Il tente de
partager avec eux, ses doutes sur les infiltrations des services de
renseignement français et dresse un véritable réquisitoire à l’encontre du
GPRA* pour sa faillite à ravitailler les wilayas en armes. Deux principes
adoptés par le congrès de la Soummam sont rappelés, à savoir : la primauté
de l’Intérieur sur l’Extérieur et la direction collégiale. Le rapport final est
transmis au GPRA qui décide de la convocation des chefs de wilaya à Tunis.
C’est en route pour la Tunisie qu’il est tué dans un accrochage avec
l’armée française au djebel Thameur, près de M’Sila, en compagnie du
colonel de la Wilaya 6, Si El Haouès, le 28 mars 1959.
Chef de guerre remarquable par ses qualités d’organisateur, Amirouche
était adulé par les combattants et la population. Il est vrai, comme le souligne
Djoudi Attoumi (2004), qu’Amirouche « aura dirigé la Wilaya 3*, d’une
main de fer pendant vingt mois », une wilaya « qui était un modèle de la
guerre révolutionnaire* ».
Ali GUENOUN
Bibl. : Hamou Amirouche, Akfadou. Un an avec le colonel Amirouche,
Alger, Casbah, 2009 • Djoudi Attoumi, Le Colonel Amirouche. Entre légende
et histoire, Alger, Ryma, 2004 • Ali Guenoun, La Question kabyle dans le
nationalisme algérien. 1949-1962, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2021.

ALGER RÉPUBLICAIN
Dans l’Algérie coloniale, ce quotidien d’information orienté à gauche ne
fut jamais l’organe d’un parti tout en étant lié à la mouvance socialiste puis
au PCA* (fondé en octobre 1938 pour soutenir le Front populaire). Le titre
détonne tout en restant sur des positions assimilationnistes. Sa faible
diffusion et la censure* militaire le font disparaître dès septembre 1939. Il
reparaît après novembre 1942. Le journal prend une coloration communiste.
Des Algériens viennent y travailler comme le jeune instituteur Boualem
Khalfa. Aux lendemains du 8 mai 1945*, le communiqué du Gouvernement
général* y est publié sans analyse critique. Mais une semaine plus tard le
journal dénonce les campagnes de répression qui suivent le 8 mai. Avec
l’arrivée de Karl Escure, secondé par Boualem Khalfa, devenu rédacteur en
chef, le journal confirme en 1946 son tournant anticolonial. Alger républicain
prend la défense des dockers*, des mineurs et des ouvriers agricoles en
grève* et accroît sa popularité parmi les travailleurs comme l’indiquent les
lectures collectives du journal lors des grèves. Après le 1er novembre 1954*,
le journal parle de la nécessaire « suppression de l’état de fait colonial ». Les
difficultés s’amoncellent avec la loi sur l’état d’urgence* et la censure,
instituée en Algérie dès avril 1955. Le titre inscrit souvent ce placard resté
célèbre : « Alger républicain dit la vérité. Il ne dit que la vérité mais il ne peut
dire toute la vérité. » Le 13 septembre 1955 le Gouvernement décrète
l’interdiction du PCA et de « ses filiales ». C’est le coup d’arrêt, même si
aucun lien organique ne lie le journal au PCA. Acquis à la cause de
l’indépendance, plusieurs membres de la direction du journal passent à la
clandestinité : son directeur Henri Alleg*, Henri Maillot*, Yahia Briki,
Abdelhamid Benzine*, Boualem Khalfa et bien d’autres parmi les ouvriers
qui le fabriquent. À l’indépendance, les survivants de la direction font
ressortir le journal dont le succès ne se dément pas dès le premier numéro du
17 juillet 1962. Mais devant l’aura du journal et ses positions, Ben Bella*
veut absorber le titre. Le coup d’État de Boumediene* le 19 juin 1965
précipite la fin d’Alger républicain qui est interdit.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Henri Alleg, Mémoire algérienne, Stock, 2005 • Boualem Khalfa,
Henri Alleg et Abdelhamid Benzine, La Grande Aventure d’Alger
républicain, Messidor, 1987 • Hassan Remaoun (dir.), « Alger républicain »,
in Dictionnaire du passé de l’Algérie, Oran, DGRST-Crasc, 2015.

ALLARD, GÉNÉRAL JACQUES (1903-1995)


Il naît en 1903, fils d’officier* et petit-fils de l’historien catholique Paul
Allard. Il fait la guerre du Rif dans un régiment de tirailleurs algériens puis
sert en Algérie (1926-1935). Il continue sa carrière dans l’état-major des
troupes coloniales au Maroc*. Pendant la campagne d’Italie, il rejoint l’état-
major du général Juin* (1943-1944). C’est en tant que membre de l’état-
major de De Lattre de Tassigny dans la 1re armée qu’il officie lors des
campagnes de France et d’Allemagne (1944-1945). En 1951, il devient chef
d’état-major de De Lattre lorsque celui-ci est commandant en chef en
Indochine*. Allard est appelé à servir en Algérie comme commandant de
division à Constantine en mars 1955. Rapidement, il quitte le terrain
opérationnel pour se rendre à l’état-major du commandant suprême interallié
en Europe (1956-1957). Il est favorable à la guerre révolutionnaire* et est
partisan farouche de l’Algérie française. D’ailleurs, il fait partie des comités
de salut public le 13 mai 1958*, avant d’être nommé préfet* Igame de la
région d’Alger le 17 juin 1958. Le décret du 16 décembre 1958 entérine la
nomination de Paul Delouvrier* comme délégué général du Gouvernement,
Maurice Challe* comme commandant en chef des forces en Algérie et Allard
commandant des forces terrestres. Lorsqu’en 1961 il est nommé inspecteur
général de l’Infanterie, Allard le prend pour une sanction personnelle. Il est
mis en disponibilité le 22 avril 1961 à la suite du putsch*, n’étant pas perçu
comme fiable par de Gaulle* dans le contexte du coup d’État militaire. Le
25 avril 1961, il est l’un des rares officiers généraux et supérieurs mis aux
arrêts de rigueur avec le colonel Dufour et le général Grout de Beaufort.
Jacques Allard n’est pourtant pas partie prenante du putsch, mais on lui
reproche d’avoir encouragé les désobéissances par son attitude
compréhensive. Il fait partie de ces officiers généraux favorables à l’Algérie
française et solidaires de leurs camarades putschistes, mais qui n’ont pas
décidé de rompre avec la légalité républicaine. En ce sens, il témoigne en
faveur du général Edmond Jouhaud* à son procès* de 1964, ce qui lui vaut
une deuxième sanction. Il quitte l’armée en 1964.
Marius LORIS
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018 •
Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant, Pouvoir politique et
autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes, institutions : 1945-
1962, L’Harmattan, 2002.

ALLEG, HENRI (1921-2013)


Contrairement à ce qui est couramment pensé, Harry Salem, dit Henri
Alleg, n’était pas un fils de la terre algérienne. Il était né à Londres en 1921,
sa famille ayant fui les persécutions antisémites à l’est de l’Europe. Il a à
peine une vingtaine d’années lorsqu’il arrive à Alger en 1940. Il y prend ses
premiers engagements politiques, d’emblée dans les rangs communistes, qu’il
ne quittera plus. « Juif, communiste et Anglais en pays vichyste, dira-t-il
souvent en souriant, je n’avais pas choisi la facilité. » Après la Libération, il
devient membre du comité central du PCA*, puis est chargé de la direction
d’Alger républicain* (1950), tâche qu’il assume lorsque commence la Guerre
d’indépendance. À ce titre, il est l’un des militants les plus connus et, partant,
des plus haïs des « ultras ».
Le 12 juin 1957, Alleg se rend au domicile de son camarade Maurice
Audin* pour une rencontre de routine, sans évidemment savoir que les
parachutistes* sont dans la place. Il est reconnu, appréhendé, puis emmené à
El Biar, immédiatement torturé. L’épouse d’Henri, Gilberte, entame alors un
combat pour faire connaître le sort de son mari. Elle est expulsée. Au moins
peut-on penser que son activité débordante, publique, a pu empêcher
l’irrémédiable. En France, une campagne commence un mois après
l’arrestation. Le 16 juillet 1957, Jacques Duclos interpelle le Gouvernement
et prononce pour la première fois à la tribune de l’Assemblée nationale un
nom promis à une certaine célébrité : « Henri Alleg a été illégalement
séquestré, torturé. » Mais le prisonnier* n’appartient pas seulement à la
famille communiste. Son épouse prend des contacts avec la Ligue des droits
de l’homme*, avec de nombreux journalistes. Durant le second semestre de
1957, le grand public est informé. En août, 61 articles de presse évoquent
l’affaire*. Celle-ci prend même une dimension internationale avec la
publication d’articles, au même moment, aux États-Unis* et en Grande-
Bretagne. Il y eut donc bien une affaire Alleg avant la parution du livre. C’est
d’ailleurs cette popularisation de 1957 qui seule explique son succès
foudroyant ultérieur.
La genèse de la publication de l’ouvrage est bien connue. Me Léo
Matarasso, l’avocat d’Alleg, le convainc de faire un récit complet, écrit en
prison* sur de tout petits papiers, sortis clandestinement. L’assemblage est
achevé début 1958. Ce sont, presque naturellement, les Éditions de Minuit
qui poursuivent alors contre la guerre d’Algérie un combat politique
commencé durant l’occupation, qui sont approchées. Le directeur, Jérôme
Lindon*, s’investit et propose même un titre : La Question. L’ouvrage est mis
en vente à la mi-février 1958. C’est un récit fort. Alleg ne demande nullement
à ce qu’on s’apitoie devant ses douleurs, il se veut celui qui a eu la chance de
pouvoir témoigner, au nom de tous ses compagnons suppliciés, dont
l’immense majorité sont « musulmans ». Pour beaucoup, c’est une terrible
révélation. L’écho est immense et immédiat. En quelques semaines, 66 000
exemplaires sont vendus. Alors, le gouvernement Félix Gaillard* s’affole. En
mars, il fait interdire le livre, ce qui est pourtant inutile.
Début avril, quelques-uns des plus grands écrivains du moment,
Mauriac*, Sartre*, Martin du Gard et Malraux, signent une « Adresse » de
protestation au président de la République, René Coty. Deux semaines après
l’interdiction, la maison La Cité, dirigée par un éditeur* militant
anticolonialiste suédois vivant à Lausanne, Nils Andersson, republie le texte,
avec une maquette qui rappelle l’originale, assorti d’une préface de Sartre
(« Une victoire » : celle d’un homme seul apparemment frêle, face à la force
brute). L’ouvrage circule alors sous le manteau. Aucune censure* n’aurait pu
arrêter ce mouvement. La Question est devenue en quelques semaines le
symbole d’une certaine résistance à la guerre d’Algérie.
En février 1959, un an et demi après l’arrestation, une ordonnance de
jugement est émise contre les dirigeants du PCA, dont Henri Alleg,
condamné à dix années d’emprisonnement (Alger, 15 juin 1960). Fin
juin 1960, devant être entendu comme témoin dans un nouveau procès de
l’affaire Audin, il est transféré à Rennes. Simulant des troubles de santé, il est
hospitalisé. Son épouse renseigne un réseau du PCF* qui organise son
évasion* (3 octobre 1961). Muni de faux papiers, Alleg se rend alors en
Tchécoslovaquie*, via la Suisse*. Après les accords d’Évian*, il rejoint
l’Algérie, y reprend ses activités, au milieu de mille difficultés et d’un
contrôle tatillon des nouvelles autorités. Cette situation persistera jusqu’en
juin 1965, lors du coup d’État militaire de Boumediene*.
Alleg ne cessera, dès lors, de marquer son attachement à la terre
algérienne, dirigeant une équipe publiant une Histoire de la guerre d’Algérie
en quatre volumes (1981 à 1983), achevant son œuvre par la parution tardive
de sa Mémoire algérienne.
Henri Alleg est décédé le 17 juillet 2013 à Paris.
Alain RUSCIO
Bibl. : Henri Alleg, La Question, Minuit, 1958 • —, Mémoire algérienne,
Stock, 2005 • Alexis Berchadsky, La Question, d’Henri Alleg. Un « livre-
événement » dans la France en guerre d’Algérie, Larousse, 1994.

AMÉRIQUE LATINE
Quand la guerre d’Algérie débute, la France paraît jouir de positions
favorables en Amérique latine. Le continent, notamment ses principaux États
(Argentine, Brésil, Mexique), est largement ouvert à l’influence culturelle
française. Les échanges économiques sont relativement modestes (environ
3 % du commerce français), mais les investissements ne sont pas
négligeables. À ces liens s’ajoute la solidarité avec le bloc occidental, sous
l’égide des États-Unis*, animateurs de l’Organisation des États américains
(OEA) créée en 1948.
Dans l’ensemble, l’intérêt pour le Maghreb et l’Afrique du Nord est
réduit. Cependant, certains ne peuvent manquer de relever des analogies.
Jacques Soustelle*, ethnologue américaniste de valeur, a nourri de son
expérience mexicaine ses convictions intégrationnistes en Algérie. Dans un
tout autre sens, l’idéologie des dirigeants du continent américain garde une
très forte empreinte anticolonialiste*. La dixième conférence interaméricaine
(Caracas, mars 1954) affirme ainsi la volonté des participants du continent
« d’éliminer définitivement le système colonial, maintenu contre la liberté
des peuples ».
C’est surtout par son poids à l’ONU* (20 membres sur 76 en 1955, sur 82
en 1958, sur 99 en 1960), que le continent latino-américain constitue un enjeu
dans la confrontation entre les dirigeants français et ceux du FLN*, dès lors
que ces derniers cherchent à faire reconnaître leur légitimité internationale.
On peut faire remonter les débuts de cette confrontation à l’automne 1955.
C’est grâce à la médiation des représentants du Pérou et de la Colombie que
l’Assemblée générale, après avoir voté peu auparavant l’inscription de la
question algérienne à l’ordre du jour, décide, à la demande de la France, de
ne pas poursuivre l’examen. Cette modération favorable à la France s’exerce
encore dans les années suivantes, notamment en 1957, où s’exprime à
l’unanimité l’espoir d’une solution pacifique.
En même temps, le FLN s’efforce de trouver des relais locaux, de
manière à contrarier les efforts du réseau des diplomates français. Ferhat
Abbas* effectue un voyage dans la région dès 1956, suivi par plusieurs autres
représentants frontistes. Des points d’entrée sont recherchés du côté des
représentations diplomatiques arabes, mais aussi des immigrants syro-
libanais, notamment en Argentine et au Brésil, par la diffusion du journal El
Moudjahid. Le combat peut aussi trouver un écho parmi des intellectuels ou
des hommes politiques très à gauche, attirés par la relation affichée par les
nationalistes algériens entre révolution et indépendance. Fin 1957, on voit se
créer un comité chilien pour l’indépendance de l’Algérie, auquel adhèrent
plusieurs syndicats, dont celui des mines ; des comités analogues apparaissent
à Lima et à Buenos Aires. En 1959, la 8e conférence internationale des
étudiants* de Lima vote une motion de solidarité, suivie par le
premier congrès des femmes d’Amérique latine, qui publie un appel en
faveur des femmes* algériennes.
Les deux adversaires cherchent à améliorer leurs positions par des
voyages de personnalités importantes. L’initiative la plus spectaculaire réside
dans la tournée du ministre de la Culture du général de Gaulle*, André
Malraux, au Pérou, au Chili, en Argentine, en Uruguay et au Brésil (août-
septembre 1959). Destiné à préparer la proclamation du principe
d’autodétermination, il doit renforcer la confiance en la politique française.
En manière de riposte, l’abbé Alfred Bérenguer, figure haute en couleur du
Front, parcourt tout le continent en qualité de représentant du Croissant-
Rouge algérien* (septembre 1959-juin 1960). Il est suivi peu après par
Benyoucef Ben Khedda*, ministre des Affaires sociales du GPRA*.
L’évolution qui se remarque dans l’attitude des États latino-américains
est plus probablement en rapport avec la dégradation des relations entre la
France et les États-Unis, qui choisissent de s’abstenir plutôt que de voter
contre les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU combattues par la
France. C’est ainsi que lors du vote du projet de résolution réaffirmant le
droit des Algériens à l’autodétermination et invitant les deux parties à
conclure au plus tôt le processus de négociation*, qui recueille 62 suffrages
positifs et 38 abstentions, 17 des 20 États latino-américains s’abstiennent, 3
seulement se prononçant pour (Bolivie, Cuba, Venezuela).
C’est avec Cuba, qui évolue vers un modèle révolutionnaire, avec le
soutien du camp soviétique (prise du pouvoir par Fidel Castro en
janvier 1959, passage au camp socialiste en juillet 1960, affaire de la baie des
Cochons en avril 1961) que se noue la relation la plus étroite. Le FLN
accueille en Tunisie* le militant Jorge Masetti, proche de Che Guevara. Cuba
est le seul des États d’Amérique latine à reconnaître le GPRA avant la
reconnaissance de l’indépendance par la France (juin 1961). En revanche,
nombre de militaires sud-américains vont s’intéresser aux techniques de
contre-insurrection mises au point par l’armée française en Algérie.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Maurice Vaïsse (dir.), De Gaulle et l’Amérique latine, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2014.

AMEZIANE, FERME
La ferme Ameziane située à la lisière de Constantine appartient à un
notable, Mouloud Ben Hamedi Ameziane, dont le père était bachagha. Elle a
abrité le centre de renseignement et d’action* (CRA) ouvert en 1956 et qui
est devenu tristement célèbre par l’institutionnalisation de la torture*
systématiquement appliquée aux suspects algériens arrêtés.
Son existence est révélée à l’opinion publique* en mai 1961 par un texte
paru dans le journal Vérité-Liberté que Pierre Vidal-Naquet* republia en
1962 dans La Raison d’État. Il s’agit du témoignage* de jeunes appelés,
affectés à la ferme placée sous la direction du commandant Rodier. Par la
suite, Jean-Luc Einaudi se rendit à Constantine, visita le lieu et recueillit les
témoignages de quelques rescapés des sévices qu’ils ont endurés. Après ce
récit paru en 1991, une historienne, Raphaëlle Branche, soutient une thèse sur
la torture (2000), solidement documentée qui dévoile les multiples facettes de
cette réalité.
Le CRA de Constantine dépend du colonel Bertrand, commandant de
secteur, du général de division Lennuyeux* et du général de corps d’armée
Gouraud*. Sur place, le commandant Rodier est le chef du CRA chargé de
lutter contre l’organisation du FLN*. Il dispose de l’appui du 27e bataillon
d’infanterie, de la gendarmerie* nationale et mobile, des sections
administratives urbaines* (SAU) et des services civils (police*, RG, CRS…).
Enfin, un commando spécialisé regroupe des forces provenant de différents
services et comprenant des indicateurs algériens qui fournissent
renseignements et dénonciations au CRA.
La ferme fonctionne au rythme des arrestations visant des hommes et des
femmes* de tout âge, à leur domicile ou lors des rafles*. Le séjour au CRA
commence par une visite des lieux de torture où l’on dirige ceux qui sont
considérés comme les plus suspects. Le reste des arrêtés est cantonné dans les
écuries et soumis à un jeûne forcé de deux à huit jours.
Les interrogatoires sont menés par des tortionnaires qui rivalisent de
cruauté et sont renouvelés plusieurs fois, de jour comme de nuit, sans tenir
compte de l’état physique des suspects. À Constantine, la réputation du
policier El Baz ou de Cherif Tébessi a rapidement dépassé l’enceinte de la
ferme devenue lieu d’où l’on pouvait ne plus revenir. Ceux qui échappent au
CRA sont envoyés au centre de tri et de transit* (CTT) du Hamma Plaisance.
Les plus chanceux sont ceux qui sont déférés devant la justice. D’autres ne
résistent pas aux violences de l’interrogatoire, beaucoup sont exécutés, le
plus souvent à la plâtrière du djebel Chettaba.
Des estimations militantes ont circulé pendant la guerre. Vérité-Liberté
affirme ainsi que 108 175 individus dont des femmes ont séjourné dans le
CRA depuis son ouverture jusqu’à la fin de l’année 1960. En juin 1961, le
mathématicien anticolonialiste Laurent Schwartz* dénonce les arrestations
qui se poursuivent même après la fermeture de la ferme Ameziane. Le CRA
est alors transféré à l’hippodrome de Constantine.
Des milliers d’Algériens ont séjourné à la ferme Ameziane sans que l’on
puisse en préciser le nombre exact. Il est possible d’avancer une estimation à
partir des archives* des CTT qui comprennent de nombreuses lacunes.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Luc Einaudi, La Ferme Améziane.
Enquête sur un centre de torture pendant la guerre d’Algérie, L’Harmattan,
1991 • Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État, Minuit, 1962.
AMIS DU MANIFESTE
ET DE LA LIBERTÉ (LES)
L’association des Amis du Manifeste et de la liberté (AML) est le second
front anticolonialiste* après le Congrès musulman de 1936. Elle s’organise
autour de la défense du « Manifeste* du peuple algérien » de février 1943 et a
pour but de rendre familière l’idée de la nation algérienne. Le manifeste exige
« la condamnation et l’abolition de la colonisation » ainsi que l’application
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Sans être un parti, l’association est dotée d’un comité central où siègent
notamment cheikh Larbi Tébessi*, Lamine Lamoudi, Abdelkader Mimouni et
Abdelaziz Kessous. Les AML rassemblent en quelques semaines, dit-on,
jusqu’à 500 000 membres et le journal de l’association, Égalité, tirerait à
100 000 exemplaires. Si les chiffres sont incertains, le succès ne fait aucun
doute : l’organisation de masse mobilise avec succès depuis les élites sociales
et intellectuelles jusqu’aux couches populaires, avec le soutien des ulémas et
l’adhésion des militants du PPA* de Messali Hadj*. Sa création
s’accompagne d’une fièvre politique qui saisit le pays. Dans l’Aurès, par
exemple, les AML pénètrent les centres urbains, avec des sections à
Khenchela ou Aïn Beida, mais également les douars de communes mixtes où
des sections sont également créées. Ce succès populaire provoque
l’inquiétude des forces de l’ordre françaises et la panique d’une partie des
« Européens » qui font de Ferhat Abbas*, figure de proue des AML, un
ennemi à abattre.
Alors que le gouverneur général Peyrouton avait d’abord semblé
favorable à la discussion, l’arrivée des gaullistes, en 1943, marque un retour
au dogme de l’assimilation. L’action des AML cesse brutalement avec la
répression des manifestations de mai 1945*. L’association est alors dissoute
et ses principaux leaders Ferhat Abbas, Ahmed Cherif Saadane, cheikh
Bachir El Ibrahimi*, Ahmed Francis, Kaddour Sator ou le Dr Benkhellil sont
emprisonnés. Des milliers d’adhérents sont détenus dans des camps ; certains
sont assassinés par les milices comme à Guelma.
La vie politique est suspendue jusqu’en mars 1946. Si les AML ne se
reforment pas, leur héritage est alors revendiqué par Ferhat Abbas et son
nouveau parti, l’UDMA*.
Malika RAHAL
Bibl. : Youcef Beghoul, Le Manifeste du peuple algérien. Les Amis du
Manifeste et de la liberté. Contribution au mouvement national, Alger,
Dahlab, 2007 • Ouanassa Siari Tengour, « Autres lectures, mai 1945 dans
l’Aurès » in Histoire contemporaine de l’Algérie. Nouveaux objets, Oran,
Crasc, 2010.

AMNISTIE (LOIS D’)


L’amnistie de la guerre d’Algérie est un processus qui commence en
1962 et s’achève, pour la partie pénale, en 1968.
Pendant la guerre, des mesures de grâces présidentielles ont été prises :
grâces de condamnés à mort ou remises de peine. En janvier 1959, en
particulier, le général de Gaulle* signe plusieurs ordonnances qui gracient
plus de 7 000 condamnés algériens dont 309 condamnés à mort, dans le droit
fil de son discours sur la « paix des braves » en octobre 1958. Dans ce
contexte, il s’agit de mesures d’apaisement.
Mais c’est évidemment avec les accords d’Évian* que la question de
l’amnistie se pose. Ainsi, les articles 1 et 2 de la « Déclaration du
gouvernement relative aux mesures d’amnistie », composant une partie des
accords signés à Évian le 18 mars 1962, portent sur l’amnistie liée à l’« aide
directe ou indirecte à l’insurrection algérienne », à l’atteinte à la sûreté de
l’État et aux désobéissances militaires. Dès le 23 mars, deux décrets sont
publiés au Journal officiel. Le premier (no 62-327 du 22 mars 1962) porte sur
ceux qui ont aidé l’insurrection algérienne, mais ne concerne que les faits
commis en Algérie. Le second (no 62-328 du 22 mars 1962), dans une
volonté de réciprocité, amnistie les « faits commis dans le cadre des
opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne ».
Ce décret concerne les militaires et les policiers en Algérie, et amnistie aussi
les tortures*, exécutions sommaires* et disparitions*. Ces deux décrets, très
précoces, passent également outre le Parlement.
Ils sont complétés par 5 ordonnances le 14 avril 1962 (en particulier les
no 62-427 et no 62-428), qui étendent à l’ensemble du territoire français les
dispositions des précédents décrets. Ces mesures conduisent à la libération de
15 634 personnes détenues en Algérie et 5 451 en métropole. Mais la
première ordonnance ne concerne encore que les Algériens, alors que certains
cas sont litigieux comme « les jeunes gens possédant des ascendants de
souches différentes » (note de la direction de la gendarmerie* et de la justice
militaire* au ministre des Armées, 19 avril 1962). D’autre part, elle ne
concerne pas les « porteurs de valises* », ni les réfractaires* français
(insoumis, déserteurs, objecteurs). Or, dès mars 1962, un petit groupe de
déserteurs et d’insoumis crée une petite revue*, Réfractaires, dans laquelle ils
prennent position sur le cessez-le-feu et ses conséquences pour eux. Cela
conduit à la création du Comité de coordination des réfractaires
anticolonialistes* qui publie un appel à l’amnistie pour les désobéissants
militaires. Plus largement, les opposants de la guerre d’Algérie trouvent le
soutien du Secours populaire*.
Par ailleurs, certains opposants à la guerre dénoncent aussi le processus
d’amnistie pour les tortionnaires. Inversement, les partisans de « l’Algérie
française » trouvent également qu’ils ne sont pas suffisamment pris en
compte. Ils se regroupent dans l’Association nationale des Français d’Afrique
du Nord et de leurs amis (Anfanoma), dans l’Union française pour l’amnistie
ou encore dans le Secours populaire pour l’entraide et la solidarité (Spes).
Les uns et les autres trouvent le soutien d’intellectuels : pour les
anticolonialistes, notamment Simone de Beauvoir*, Pierre Vidal-Naquet* et
l’abbé Robert Davezies* (auteur de la brochure L’Amnistie des républicains,
Maspero, 1962), et pour les partisans de « l’Algérie française » Michel de
Saint-Pierre (auteur sur le sujet de Plaidoyer pour l’amnistie, L’Esprit
nouveau, 1963), Maurice Genevoix, André Maurois, Jules Romains et Jean
Rostand. De ce fait, de multiples projets de loi sont déposés dès 1962 pour
une plus large prise en compte de l’amnistie. Les 25 militants
anticolonialistes emprisonnés sont quasiment tous libérés au cours de l’année
1963. L’un des derniers est le réfractaire Gérard Meïer, en décembre 1963.
Les Européens d’Algérie qui ont agi en « réplique à l’insurrection » avant le
20 mars 1962 sont amnistiés par la loi no 64-1269 du 23 décembre 1964.
Cette loi exclut donc les putschistes d’avril 1961 et les militants de l’OAS*.
L’année suivante, le coup d’État de Houari Boumediene* conduit une
partie des « pieds-rouges* » (dont des « porteurs de valises » et des
réfractaires de la guerre d’Algérie condamnés par contumace) à fuir
l’Algérie. Certains rentrent en France. Cette situation accélère probablement
la loi d’amnistie no 66-396 du 17 juin 1966 concernant les infractions contre
la sûreté de l’État en lien avec la guerre d’Algérie. Cette loi amnistie
notamment les réfractaires et les opposants à la guerre d’Algérie. Enfin, la loi
no 68-697 du 31 juillet 1968 amnistie à leur tour les militaires putschistes et
les membres de l’OAS. Certains d’entre eux avaient déjà été libérés par des
grâces présidentielles, souvent au moment des fêtes nationales. Cette dernière
loi, adoptée juste après les événements de Mai 1968, réalise définitivement
l’amnistie pénale de la guerre d’Algérie. Néanmoins, l’amnistie ne signifiant
pas l’amnésie, et les mémoires de la guerre d’Algérie étant très fortes et
contradictoires, la question de l’amnistie revient très rapidement.
En effet, dès le 5 avril 1973, plusieurs députés gaullistes déposent une
proposition de loi pour effacer complètement et définitivement les
condamnations et les infractions commises en lien avec la guerre d’Algérie.
Le 18 mai, une deuxième proposition envisage de réintégrer les militaires et
les fonctionnaires amnistiés qui ont perdu leur grade et leur statut là où ils en
étaient au moment de leur condamnation. La loi d’amnistie du 16 juillet
1974, votée après l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing*, prévoit
la restitution symbolique des décorations et la remise des frais de justice et
des dommages-intérêts dus à l’État. Cela permet à l’État de prendre à sa
charge les sommes à verser aux victimes des attentats. Certains réclament des
restitutions de carrière, tandis que l’extrême gauche accuse le nouveau
président de complaisance avec une partie de son électorat.
Le 4 avril 1981 à Avignon, le candidat à l’élection présidentielle François
Mitterrand* s’adresse aux rapatriés* et leur promet d’achever la
réconciliation nationale, notamment en réparant les préjudices de carrière.
Après sa victoire, la loi du 4 août 1981 évoque les délits commis « en relation
avec la défense des droits et intérêts des Français rapatriés d’outre-mer »
(art. 2). Robert Badinter, garde des Sceaux, promet qu’un autre texte viendra
régler le problème des reconstitutions de carrière. Ainsi, le 29 septembre
1982, le secrétaire d’État aux Rapatriés Raymond Courrière présente un
projet de loi « portant réparation de préjudices subis par les agents publics et
les personnes privées en raison des événements d’Afrique du Nord ». La loi
du 6 janvier 1982 venait déjà indemniser les rapatriés pour juguler leurs
dettes. Ce nouveau projet de loi vient comme un acte d’antigaullisme, en
considérant les militaires putschistes et de l’OAS comme des victimes de De
Gaulle. Cette loi concernerait entre 2 000 et 3 000 personnes, dont 8
généraux. Le texte suscite d’âpres divisions chez les députés, avec des
clivages au sein des gaullistes et des socialistes. Le Premier ministre Pierre
Mauroy doit même engager sa responsabilité pour que le texte soit adopté le
23 novembre 1982. Cette loi révise les carrières afin de prendre en compte
l’ancienneté des condamnés, et les officiers* généraux mis d’office à la
retraite en 1974 sont admis dans la réserve pour les laisser fictivement en
activité. Cette loi parachève ainsi le processus d’amnistie sans le régler, les
plaies restant depuis largement ouvertes.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Stéphane Gacon, L’Amnistie. De la Commune à la guerre d’Algérie,
Seuil, 2002 • Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions,
refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre
d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, université Paris-8,
2007.

AMOURS ET SEXUALITÉS
Comme en témoigne l’ouvrage collectif Le Sexe outragé, le sexe est
surtout abordé sous l’angle des violences et/ou de ses usages symboliques.
Dans cette guerre où l’armée vise l’ensemble de la population et cherche à
atteindre les combattants à travers leur entourage (famille, village,
quartier…), Raphaëlle Branche a analysé en pionnière les pratiques des
soldats français. Ils ajoutent aux viols* une panoplie de gestes profanant
l’intimité des corps, surtout féminins mais pas seulement, lors des séances de
torture* (dénudement systématique, électricité sur le sexe et les tétons,
supplice de la bouteille) ou des fouilles domiciliaires (passage de la main
entre les jambes des femmes* pour vérifier leur sexe ou voir s’il est épilé,
signe d’une relation avec leur époux). En réaction, des Algériennes se
souviennent que leurs familles cherchaient à les mettre à l’abri des troupes.
L’histoire de Mohamed Garne*, né des viols répétés de sa mère détenue dans
une unité militaire, dévoile le sort cruel de cette jeune fille de 16 ans, traitée
en esclave sexuelle.
Outre les pratiques, l’histoire repère les représentations anciennes à
l’œuvre : assimilation de la colonisation à une forme de conquête virile,
érotisation des Algériennes dans la continuité des clichés orientalistes,
perception des hommes comme des « brutes dominatrices » ou des « éphèbes
décadents », selon les termes de Catherine Brun et de Todd Shepard, sans
compter que la psychiatrie coloniale leur prête des penchants criminels. La
métropole, qu’a étudiée Emmanuel Blanchard, n’y échappe pas (« Le
mauvais genre des Algériens », Clio, 2008). L’anthropologie, pour sa part,
met en évidence la sexualisation du conflit, forte au point de paraître
obsessionnelle. Les deux parties manient les registres de la masculinité et de
la féminité. Quand, par des gestes, des paroles, des attitudes, chaque camp
affirme sa virilité, il féminise au contraire son ennemi en allant jusqu’à la
castration et pas seulement sur le plan symbolique. En témoignent les
émasculations de soldats français, volontairement spectaculaires ; elles sont
mises en scène pour terroriser. La sexualisation naît aussi de l’entre-soi
genré*. S’y exprime une fraternité dépassant la simple fraternité d’armes – au
FLN*, hors des maquis, les militants se donnent aussi du « frère » (et
les femmes du « sœur »). Dans cet entre-soi se pose la question de
l’homosexualité. Bien que taboue, elle existe dans les deux camps. Elle relève
cependant parfois d’une pratique par défaut ou en reste au stade du fantasme
troublant, refoulé, surgissant à l’occasion avec maladresse ou brutalité,
consciemment ou inconsciemment.
Avec l’histoire et l’anthropologie, les chercheurs s’intéressant aux non-
dits ainsi qu’aux séquelles des violences sur les générations suivantes
recourent au langage de la psychanalyse. Enfin, sur un sujet que les témoins
peinent à aborder, soit qu’ils le nient, soit qu’ils le taisent, soit qu’ils
l’euphémisent, les arts et la fiction sont des sources indispensables. Non
seulement des écrits littéraires s’inspirent explicitement de faits réels mais les
chercheurs utilisent les récits inventés pour documenter les représentations.
Ils recourent aussi à l’analyse de faits divers et de rumeurs – Soraya Laribi
détaille ainsi celle d’une traite des Blanches à Alger et à Oran en 1962 dans
Le Sexe outragé. La guerre intervient ici sur un substrat de longue durée tant
plane l’interdit sur les relations intimes transcendant la barrière coloniale
entre « Européens » et « musulmans », selon la taxonomie d’alors. Les
mariages mixtes étaient rares. Le racisme* se manifeste de surcroît par
l’opprobre jeté sur les relations franco-algériennes. « Pute pour Arabes ! »
s’entend dire Annette Beaumanoir arrêtée pour son aide au FLN en France,
comme Anne Weber le relate dans Annette, une épopée (Seuil, 2020).
Dans l’historiographie des guerres, toutefois, telle qu’elle s’est
développée pour les deux conflits mondiaux, l’étude des amours accompagne
celle des sexualités. De ce point de vue, toute guerre est synonyme
d’empêchements et de contrôles, de contrariétés et de reconfigurations. Les
bouleversements liés à la guerre doivent cependant être saisis à l’aune des
normes en vigueur dans les sociétés concernées. En Algérie, où les mariages
arrangés par les familles sont la norme, les chefs de maquis régulent les
relations entre hommes et femmes. Ils autorisent les mariages et sanctionnent
ceux célébrés sans leur accord, réglementent les relations entre époux,
tolèrent parfois les viols, voire en rendent les femmes responsables. Certaines
l’ont payé de leur vie. Sur ce plan comme sur les autres, les situations varient
beaucoup selon les chefs concernés. Globalement, résume Gilbert Meynier*,
« l’ALN* remplace donc le père dans la gestion du bon sexe » (Histoire
intérieure du FLN, Fayard, 2002, p. 227).
Issue d’une France où les besoins sexuels des hommes sont admis,
l’armée française surveille de près la santé des appelés tout en leur offrant les
services des bordels militaires de campagne* (BMC). Il manque cependant
un tableau global des effets de la guerre sur les relations amoureuses, dans
cette France corsetée que Mai 1968 n’a pas encore fait bouger. Les exemples
abondent néanmoins. Raphaëlle Branche aborde un peu la question dans
« Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » (La Découverte, 2020) tandis que Fabien
Deshayes et Axel Pohn-Weidinger ont publié la correspondance entre un
époux envoyé en Algérie et sa femme, devant affronter seule une grossesse
particulièrement difficile (Bayard, 2017). Dans Les Parapluies de Cherbourg
(1964), une jeune femme enceinte de son fiancé parti en Algérie se résigne à
épouser un autre homme face au déshonneur. Il arrive aussi que des
métropolitaines suivent leur mari ou fiancé sur place où peuvent naître leurs
enfants, telle l’écrivaine Brigitte Giraud (Un loup pour l’homme,
Flammarion, 2017). Comme l’imagine par ailleurs Laurent Mauvignier dans
Des hommes (Minuit, 2009), les relations entre soldats et Françaises
d’Algérie sont facilitées par le partage de normes sociales et culturelles. Il y
aurait aussi à restituer, dans un contexte de détentions multipliées, les
conceptions arrachées à la surveillance des parloirs, à raconter comment les
engagements, tout en radicalité, ont bouleversé les couples. Ainsi Francis
Jeanson* quitte sa femme Colette pour Hélène Cuénat qu’il délaisse
également, une fois qu’elle est incarcérée (elle en parle dans La Porte verte,
Éditions Bouchène, 2001). En Algérie, d’improbables rencontres défient la
frontière coloniale : dans les milieux anticolonialistes* dont la guerre
renforce les combats, à l’image d’Anne-Marie Chaulet et de Salah Louanchi
(Parcours d’un militant algérien, Alger, Dahlab, 1999) mais aussi entre
soldats français et Algériennes – Alain Jaspard raconte son histoire de façon
romancée dans Les bleus étaient verts (Éditions Héloïse d’Ormesson, 2020).
Sur le sol de l’Hexagone, des Algériens se sont liés à des métropolitaines,
avec qui ils se sont mariés ou non – Marc André en présente des cas pour
Lyon* (Femmes dévoilées, ENS Éditions, 2016). Le sujet des relations
amoureuses gagnerait à être pris systématiquement pour objet d’études de
part et d’autre de la Méditerranée.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, « La sexualité des appelés en Algérie », in Jean-
Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie,
Autrement, 2003 • Catherine Brun et Todd Shepard (dir.), Guerre d’Algérie.
Le sexe outragé, Éditions du CNRS, 2016 • François Rouquet, Fabrice Virgili
et Danièle Voldman (dir.), Amours, guerres et sexualité. 1914-1945,
Gallimard-Musée de l’Armée-BDIC, 2007.
AMRANE-MINNE DJAMILA, NÉE DANIÈLE
MINNE (1939-2017)
Danièle Minne est née en août 1939 en France, à Neuilly-sur-Seine. Son
père est professeur de philosophie, ancien résistant et anticolonialiste*. Après
une affectation au Sénégal, sa famille se retrouve en Algérie en 1948, à
Tlemcen. Après le divorce de ses parents, Danièle Minne reste avec sa mère,
Jacqueline Netter, qui est institutrice à Négrier. Elle baigne dans un milieu
acquis aux idées communistes. En 1950, sa mère épouse Abdelkader
Guerroudj*, instituteur et militant du PCA*. Aux côtés de sa mère et de son
beau-père, Danièle Minne découvre le monde rural algérien et son extrême
paupérisation.
En 1955, interdite de séjour dans l’Oranie, sa famille s’installe à Alger.
L’engagement de Danièle Minne en faveur de l’indépendance de l’Algérie
commence par sa participation à la grève* des lycéens et étudiants* décrétée
en mai 1956. Quand les tâches qu’elle assure – liaisons et transport des
armes – sont découvertes, elle entre dans la clandestinité et rejoint le groupe
des poseuses de bombes réuni autour de Yacef Saadi*. Son nom de fidaiya
est Djamila. Impliquée dans l’attentat du café L’Otomatic (28 janvier 1957),
elle est évacuée au maquis, en Wilaya 3*, pour échapper aux poursuites
policières.
Durant son séjour en Kabylie, celle qu’on appelle Djamila dispense des
soins aux maquisards et aux civils. L’intensité des combats et la
multiplication des zones interdites* décident Amirouche* à organiser
l’évacuation des femmes* du maquis vers la Tunisie*. Mais le convoi de
Djamila Minne est attaqué par l’armée française, près de Medjana, le
26 novembre 1957. Elle est arrêtée avec Nefissa Hamoud*, le Dr Laliam et
Louisa Attouche, tandis que Raymonde Peschard* y perd la vie. Condamnée
à sept ans d’emprisonnement, elle est incarcérée à Barberousse puis
transférée en France dans les prisons* de Rennes et de Pau. Elle y passe son
baccalauréat. Elle est finalement libérée et amnistiée selon les accords
d’Évian* en 1962.
À l’indépendance, elle reprend ses études en histoire à l’université
d’Alger* et soutient une thèse en 1988 sur « Les femmes algériennes et la
guerre de libération en Algérie ». Elle en a tiré deux ouvrages, signés
différemment selon qu’elle utilise son nom d’épouse (Amrane) ou ce nom
accolé à son patronyme de naissance (Minne) : Djamila Amrane, Les Femmes
algériennes dans la guerre (Plon, 1991) et Djamila Amrane-Minne, Des
femmes dans la guerre d’Algérie (Karthala, 1994). Dans ses travaux, elle a
essayé de montrer la complexité et surtout la diversité des femmes engagées
dans la lutte. En 1994, elle quitte l’Algérie et rejoint l’université de Toulouse
où elle enseigne et poursuit ses recherches sur l’histoire des femmes jusqu’à
sa retraite en 2004.
Karima RAMDANI
Bibl. : Jacqueline Martin, « Danièle-Djamila Amrane Minne (1939-2017).
Moudjahida et historienne des moudjahidates », Clio. Femmes, genre,
histoire, no 46, 2017.
Film. : Alexandra Dols, Moudjahidate, film, Hybrid Pulse Production, 2018,
75 min.

AMROUCHE, JEAN EL-MOUHOUB (1906-


1962)
Poète par filiation maternelle, le fils de Fadhma Aït Mansour et de
Belkacem, kabyles et chrétiens, a conscience d’être un être hybride : « Je suis
le pont, l’arche, qui fait communiquer deux mondes, mais sur lequel on
marche, et que l’on piétine, que l’on foule. »
Après des études à l’école normale de Tunis, il entre à l’École normale
supérieure à Paris puis revient enseigner en Tunisie* et en Algérie. Poète et
traducteur du répertoire oral kabyle, il dirige la revue* L’Arche (1944)
publiée par l’éditeur* Charlot à Alger. Il y publie son essai L’Éternel
Jugurtha (1946). Il y affirme l’irréductibilité du Nord-africain, même s’il
rêve de son ouverture au monde par la culture française. Pendant la Seconde
Guerre mondiale, il rejoint les gaullistes à Alger et travaille à la radio*. Il
s’installe ensuite à Paris où il crée un genre nouveau : l’entretien
radiophonique. Il reçoit les grands noms : Gide, Mauriac*, Camus*, Barthes,
Ungaretti…
Très tôt, il observe l’évolution des siens vers la « Révolution » et
s’exprime sur la nécessité de mettre fin au système colonial. Le 27 janvier
1956, il participe au meeting de la salle Wagram à Paris qui est organisé par
le Comité des intellectuels contre la poursuite de la guerre en Afrique du
Nord. Il se présente comme kabyle et chrétien, qui ne renie rien de ses
multiples identités. Il déclare : « J’ai engagé toutes mes forces au service du
peuple algérien : non pour des raisons proprement politiques, mais pour une
raison d’honneur et pour des raisons d’ordre spirituel. »
Son journal, récemment publié, permet d’aborder une pensée complexe,
entre déchirements et fidélité aux siens.
S’il croit, jusqu’en 1958, à une conciliation entre la France et les
Algériens pour sortir de la logique coloniale, son engagement aux côtés de
ses « frères de race » est affirmé sans ambiguïté. La même position se
retrouve dans ses conférences et articles (« La France comme mythe ou
réalité », Le Monde). Dans une lettre (1955) à Jules Roy*, il écrit qu’il ne
croit plus en une Algérie française. Mais il œuvre pour la paix et les siens et
sert d’intermédiaire entre de Gaulle* et le FLN*. Ces activités lui valurent
d’être renvoyé de la radio par le Premier ministre Michel Debré*. Il continue
son œuvre en donnant des conférences en faveur de la paix en Algérie.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Jean Amrouche, « L’Éternel Jugurtha », L’Arche, no 13, 1946 • —,
Journal (1928-1962), Non-Lieu, 2009.
ANARCHISME
Depuis la fin du XIXe siècle, le mouvement anarchiste a dénoncé la
colonisation plus par antimilitarisme et antiautoritarisme que par
anticolonialisme. L’anticolonialisme libertaire s’est toutefois structuré au
e
XX siècle, notamment avec Victor Spielmann (Français d’Algérie proche de

l’émir Khaled) et surtout Daniel Guérin. En 1953, le mouvement anarchiste


se scinde entre la Fédération communiste libertaire (FCL), qui conserve le
journal Le Libertaire, et la Fédération anarchiste (FA), qui crée Le Monde
libertaire.
Les « synthésistes » de la FA, partisans d’une synthèse entre les différents
courants de l’anarchisme, ne se prononcent pas nettement en faveur de
l’indépendance algérienne. Comme Maurice Joyeux ou Maurice Fayolle, ils
renvoient dos à dos les deux nationalismes*, français et algérien. De manière
assez similaire, Albert Camus*, compagnon de route de l’anarchisme, lance
son « Appel à la trêve civile* » en janvier 1956, visant à protéger les civils.
Des militants prennent cependant des positions courageuses, comme André
Bernard qui s’insoumet en 1956 en ne répondant pas à son ordre d’appel sous
les drapeaux et s’exile en Suisse*. Puis il rejoint l’ACNV* en France en
mars 1961, avant d’être arrêté et condamné par le Tribunal permanent des
forces armées (TPFA) de Bordeaux.
Les « plateformistes » de la FCL, partisans d’une plate-forme
communiste libertaire plus structurée, déploient au contraire une intense
activité anticolonialiste*. Dès le 4 novembre 1954, Le Libertaire titre :
« L’Afrique du Nord : un peuple en lutte contre l’impérialisme assassin. »
Jusqu’à sa disparition en juillet 1956, le journal est saisi sept fois et tous les
numéros sont poursuivis, cumulant 3 millions de francs d’amende et vingt-six
mois de prison* pour les responsables. Cet engagement précoce tient à la
proximité de militants comme Mohamed Saïl, Georges Fontenis et Daniel
Guérin avec Messali Hadj* avant 1954, mais aussi à l’existence du
Mouvement libertaire nord-africain (MLNA), comprenant une dizaine de
membres, dont Émile Doukhan et Léandre Valéro. En 1955, la FCL crée
aussi un Mouvement de lutte anticolonialiste (MLA), dirigé par Marcel
Mulot. Ce dernier est arrêté en juillet 1956 car il fait partie de La Volonté du
peuple, une organisation clandestine créée par Georges Fontenis et Paul
Philippe, un militant libertaire insoumis. Cette organisation vise à faire « la
guerre à la guerre » et plastique même un local du mouvement poujadiste*.
En 1957, Georges Fontenis est arrêté et Paul Philippe finit par se rendre.
En janvier 1958, Louis Lecoin lance une campagne en faveur de
l’objection de conscience en créant le journal Liberté. Mais seuls quatre
libertaires, dont Daniel Guérin et Robert Louzon, signent le « Manifeste* des
121 » sur le droit à l’insoumission. Les vingt-deux jours de grève de la faim
de Louis Lecoin en juin 1962, à plus de 70 ans, favorisent le vote du statut
des objecteurs en décembre 1963.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Philippe Bouba, « L’anarchisme en situation coloniale, le cas de
l’Algérie. Organisations, militants et presse, 1887-1962 », thèse de doctorat
en histoire et histoire de l’art, sous la dir. de M. Cadé et H. Remaoun,
universités de Perpignan et d’Oran Es-Senia, 2014 • Sylvain Boulouque, Les
Anarchistes face aux guerres coloniales (1945-1962), Atelier de création
libertaire, 2003 • Nathalie Funès, Mon oncle d’Algérie, Stock, 2010.

ANCIENS COMBATTANTS (ASSOCIATIONS)


Juridiquement, les soldats de la guerre de 1954-1962 n’étaient pas des
combattants car la France n’était pas en guerre. La bataille pour obtenir le
statut de combattant – et amener l’État à admettre la guerre derrière la fiction
rhétorique de la « pacification* » – fonctionne comme un catalyseur dans la
création d’une identité commune. Les associations créées avec l’intention
explicite de rassembler les hommes de la « troisième génération* du feu »
(après celles des deux guerres mondiales) jouent un rôle fondamental en la
matière. À terme, la stratégie corporative de ces associations s’avère
gagnante, même s’il leur faut attendre vingt-deux ans pour obtenir le statut de
combattant (1974) et trente-sept pour voir la guerre reconnue (1999).
Parmi ces associations, la plus significative est la Fédération nationale
des anciens d’Algérie (FNAA) formée à Paris en septembre 1958 par la
réunion de trois associations préexistantes : le Groupement des rappelés et
maintenus, créé en novembre 1956, de sympathies socialistes ; l’Association
des anciens d’Algérie, fondée début 1957 par Jean-Jacques Servan-
Schreiber*, créateur de L’Express (1953) ; l’Association nationale des
anciens d’Algérie, tout juste née en février 1958, proche du PCF*.
Compte tenu du principe apolitique – trait caractéristique du mouvement
ancien combattant depuis la Première Guerre mondiale, assumé à son tour par
la FNAA –, l’objectif de la Fédération est la reconnaissance de l’état de
guerre en Algérie et, en même temps, sa fin. Cette position est délicate à tenir
par rapport aux conflits précédents. En effet, si le thème de la paix est
pleinement inscrit dans les discours des vétérans des deux guerres mondiales,
cela est advenu après la fin des hostilités. À l’inverse, en s’opposant à la
guerre dès 1958, la FNAA risque d’être accusée de défaitisme. La fin de la
guerre signifie en fait celle de l’« Algérie française », pour le maintien de
laquelle l’armée de la République était en train de se battre.
Lors du congrès fondateur de 1958, la Fédération réunit une centaine de
délégués pour 6 500 membres à l’Hôtel Moderne à Paris ; en 1963,
lorsqu’elle devient la Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie
(Fnaca), le congrès de Noisy-le-Sec rassemble 260 délégués (dont 210 de
province) représentant 21 000 adhérents. Ainsi son poids est modeste pendant
la guerre et dans les années qui suivent. Puis le temps fait son œuvre et,
suivant les étapes repérées par Antoine Prost pour les associations de
« poilus », la Fnaca connaît une croissance exponentielle de ses adhérents. Ils
atteignent les 70 000 après l’obtention du titre de reconnaissance de la nation
(1967), puis 265 000 en 1977, et ils dépassent les 300 000 en 1982. Au cours
des décennies suivantes, les effectifs progressent plus lentement. Au-delà des
350 000 en 2010, ils connaissent ensuite une érosion lente due au
vieillissement et aux disparitions.
Les autres associations accueillant des vétérans d’Algérie ont presque
toutes été fondées après la Grande Guerre. Les principales sont l’Union
nationale des combattants (UNC, 1919), avec 290 000 anciens combattants
d’Algérie, la Fédération nationale des combattants et prisonniers de guerre
(1921) avec 170 000 membres, tandis que l’Association républicaine des
anciens combattants (1917) compte 50 000 vétérans d’Algérie.
L’antagonisme structurant cette mouvance oppose la FNAA (puis la
Fnaca) à l’UNC. D’une part, si la FNAA se veut une association
générationnelle, réservée à ceux qui ont été envoyés se battre pour une cause
discutable, l’UNC insiste plutôt sur son caractère intergénérationnel, cimenté
par la solidarité entre les différentes « générations du feu », et elle lit la
Guerre d’indépendance algérienne avec les lunettes de 1914-1918.
D’autre part, dès le déclenchement de l’insurrection en 1954, l’UNC
prend parti, en harmonie avec la majorité du pays, pour la défense de
l’« Algérie française ». C’est ainsi que l’envoi du contingent en mars 1956
est pour les dirigeants de l’UNC le geste décisif attendu pour sauver la patrie
en danger. Mais au fur et à mesure que la guerre se poursuit, la FNAA se
trouve au diapason de la majorité des Français, de moins en moins disposés à
supporter les coûts humains et matériels du conflit.
Ainsi, si la FNAA est une association qui conteste la « guerre de
pacification » et demande sa fin (et il est significatif qu’elle soit née en
septembre 1958, c’est-à-dire après le retour de De Gaulle* au pouvoir et le
changement de majorité parlementaire), l’UNC, quant à elle, est une
association d’ordre, soutenue par la hiérarchie militaire, créée dans le but
d’encadrer les vétérans au niveau national et d’empêcher une dérive
subversive. C’est précisément en Algérie que l’anticommunisme devient,
pour l’UNC, une clé de lecture généralisée du monde contemporain autour
des thèmes de la défense de l’Occident et de la menace de l’ennemi intérieur :
les deux piliers d’une nouvelle « doctrine contre-subversive » développée
dans ces années aux sommets de l’armée.
Cherchant à peser contre toute association « antinationale », l’UNC se
dote, en décembre 1957, d’une branche spécifique : l’UNC-AFN (Union
nationale des combattants d’Afrique française du Nord) issue de la fusion de
l’Union nationale des anciens d’Afrique du Nord, des amicales de régiment et
de l’Association nationale des décorés de la valeur militaire. À l’origine une
émanation de l’UNC, l’UNC-AFN au fil des années prend de l’importance,
pour des raisons d’âge, jusqu’à presque coïncider avec l’association elle-
même.
La Fnaca et l’UNC-AFN convergent pour revendiquer la reconnaissance
de la guerre ou l’érection d’un Mémorial national* (inauguré quai Branly à
Paris le 5 décembre 2002). Néanmoins, surtout depuis les années 1980, le
clivage entre elles se polarise sur le choix d’une date commémorative. La
Fnaca reste fidèle au 19 mars 1962*, entrée en vigueur du cessez-le-feu,
qu’elle considère comme la fin de la guerre mais aussi de l’« Algérie
française », joyau de l’empire. Depuis 2012, le 19 mars est officiellement
reconnu comme « journée nationale du souvenir et de recueillement à la
mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des
combats en Tunisie et au Maroc », mais le choix reste contesté par l’UNC-
AFN et par certaines associations de pieds-noirs* et de harkis*.
Dans ce contexte de guerre de mémoires, la réalité des vétérans ordinaires
paraît un peu déphasée, plus nuancée et plus complexe que celle imaginée
dans les bureaux parisiens des grandes associations d’anciens combattants et
leur presse. En 2004, par exemple, « quatre petits agriculteurs » du Tarn ont
décidé d’utiliser l’argent de leur retraite d’anciens combattants pour des
projets coopératifs en Algérie. Ainsi est née l’Association des anciens appelés
en Algérie contre la guerre (4ACG) qui en 2010 a été rebaptisée – de manière
plus inclusive – Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre
(aujourd’hui composée d’environ 180 anciens appelés et 200 amies et amis).
Petite mais pugnace, l’association est très active, tant à travers son site
internet qu’à travers des publications, des documentaires. Elle organise aussi
des voyages en Algérie. L’identité du groupe, dans ce cas, n’est pas tant
soudée par l’expérience partagée dans le passé que par la contribution
commune à la construction d’un monde plus juste, au présent et pour l’avenir.
Andrea BRAZZODURO
Bibl. : Andrea Brazzoduro, Soldati senza causa. Memorie della guerra
d’Algeria, Rome-Bari, Laterza, 2012.

ANCIENS COMBATTANTS (STATUT)


Depuis la guerre elle-même, la revendication du statut d’ancien
combattant fédère toutes les associations. L’évidence ressentie par les
militaires sur le terrain – ils sont bien là pour faire la guerre – devient un non-
sens à Paris. Officiellement, bien que le mot « guerre » soit employé même à
l’Assemblée nationale, la France ne mène pas une guerre en Algérie mais
seulement des « opérations de maintien de l’ordre ». Après 1962, la
reconnaissance du statut d’ancien combattant contredirait ce discours officiel.
Ainsi se développe l’action des soldats rentrés d’Algérie et de leurs
associations, quels que soient leur couleur politique et leur jugement sur le
sens de la guerre.
Les premières revendications peuvent être repérées dans la presse de
l’Union nationale des combattants (UNC) à l’occasion des rappels massifs de
1956 : en novembre 1956, le président de l’UNC entame une longue série de
lettres adressées au ministre des Anciens combattants et des Victimes de
guerre (« Les rappelés d’Algérie sont des combattants »). La Fédération
nationale des anciens d’Algérie (FNAA), fondée en 1958, fait de la
qualification d’anciens combattants sa revendication fondamentale après
l’indépendance. En 1963, son changement de nom l’exprime : elle devient la
Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie (Fnaca).
L’État résiste tout en concédant quelques mesures. En 1955, les
dispositions relatives aux pensions des blessés de guerre sont étendues aux
soldats du « maintien de l’ordre » hors de la métropole. En 1956 est créée une
« médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de
l’ordre en Afrique du Nord ». En 1967, le « titre de reconnaissance de la
nation » est attribué aux militaires ayant participé pendant au moins quatre-
vingt-dix jours aux « opérations en Afrique du Nord ».
En 1974 seulement, la loi Bord octroie la carte du combattant, établie au
lendemain de la Première Guerre mondiale, en 1926, « à ceux qui ont
participé aux opérations menées en Afrique du Nord entre 1952 et 1962 ». La
législation a ensuite été maintes fois modifiée, en particulier en 1999, avec la
reconnaissance de la « guerre d’Algérie ». Depuis 2019, l’Office national des
anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) délivre la carte du
combattant à ceux qui ont servi au moins cent vingt jours en Afrique du Nord
entre 1952 et 1964. En 2020, 1 million de personnes en sont titulaires et
touchent une pension annuelle d’environ 700 euros.
Andrea BRAZZODURO
Bibl. : Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » Enquête sur
un silence familial, La Découverte, 2020 • Andrea Brazzoduro, Soldati senza
causa. Memorie della guerra d’Algeria, Rome-Bari, Laterza, 2012.

ANCIENS MOUDJAHIDINES (ANCIENS


COMBATTANTS)
Une première institution non gouvernementale, l’Organisation nationale
des anciens moudjahidines (Onam), naît en 1963, en regard du ministère des
Anciens Moudjahidines et Victimes de la guerre, créé dans le premier
gouvernement algérien, fin 1962. L’État travaille à combiner à son profit, non
sans dissensions internes, la ressource symbolique héritée de la participation
à la lutte pour l’indépendance et l’opportunité matérielle qu’elle représente à
travers les pensions octroyées. L’Onam acquiert une plus grande importance
sous Boumediene*, en quête de légitimité à l’issue du coup d’État du 19 juin
1965. Il joue d’abord de l’image résistancielle quoique discutée de l’émir
Abdelkader, qu’il désigne comme le moudjahid* El Akbar (« combattant
suprême ») à l’instar de Bourguiba, premier président tunisien. Boumediene
fait revenir les cendres d’Abdelkader à Alger le 5 juillet 1966, date
symbolique de l’indépendance, puis lui fait ériger une nouvelle statue, voulue
plus digne de sa grandeur – elle est substituée à celle déjà érigée en son
honneur, à la place de celle de Bugeaud dans le centre-ville. Parallèlement,
les manuels scolaires mettent la religion et les ulémas réformistes au cœur du
dispositif, ces derniers étant présentés comme les véritables initiateurs de la
Révolution, notamment à la faveur de l’arabisation du système scolaire
imposée en 1972. Le jeu avec le statut d’ancien combattant est lié à
l’importance de la référence théologique dans la vie politique et il évolue au
gré des assauts subis par le pouvoir.
La surenchère du côté des prestations toujours plus nombreuses accordées
aux ayants droit s’accentue sous Chadli. À la pension légitime accordée aux
veuves de martyrs et aux anciens combattants, aux licences de cafés et de
taxis données aux unes et aux autres, aux emplois réservés à ces derniers,
s’ajoutent, dans la décennie suivante, des privilèges de toutes sortes de droit
et de fait (bourses, devises, retraite anticipée, voitures à moindre coût,
emprunts à taux réduits, accès aux terrains à bâtir, etc.). Nombre d’entre eux
n’avaient pas hésité à se servir dès la fin des combats sur des biens que l’on
ne disait pas encore vacants, quand d’autres, ne cherchant rien de plus que la
satisfaction personnelle du devoir accompli, refusaient les médailles et les
postes politiques, ne demandaient même pas l’« attestation communale » qui,
obtenue, autorisait tous les excès. Le titre métaphorique du roman de Rachid
Mimouni, Le Fleuve détourné (1982), dit clairement l’ampleur du mal.
En 1984, quand est adopté un Code de la famille cédant au conservatisme
religieux, est lancée l’entreprise du Maqâm chahid (monument aux
martyrs*) : un mausolée composé de trois palmes de béton se rejoignant à mi-
hauteur d’une élévation de 90 mètres. À la base, trois figures du combattant :
paysan en kachabia armé d’un fusil de chasse, maquisard en treillis doté d’un
fusil de guerre, soldat de l’ALN* équipé de pied en cap et brandissant un
fusil-mitrailleur – il préfigure l’ANP*. Au sol est entretenue la flamme du
soldat inconnu. Haut-lieu sur lequel viennent s’incliner les visiteurs de
marque, construit sur les hauteurs de Belcourt, visible de tous les points de la
baie, il domine l’esplanade de Riad El Feth (« les jardins de la Victoire »). Au
nord, sous la flamme, est aménagé le musée du Moudjahid*, au sud le musée
de l’Armée. Mise en scène, objets, personnages, lexique… diffèrent. Ainsi se
voit le lien paradoxal entre sacré et profane. À l’échelle nationale, les
municipalités se dotent d’un carré des martyrs, sur le modèle de celui, central,
du cimetière algérois d’El Alia.
D’autres entreprises témoignent d’une course à la rentabilisation du passé
héroïque que mène un pouvoir bientôt mis à mal par la « décennie noire ».
Les islamistes djihadistes n’hésitent pas à accuser les chouhadas eux-mêmes
d’être de faux martyrs pour n’avoir pas combattu au nom d’Allah. C’est pour
la patrie et l’indépendance qu’ils ont perdu la vie. De nouvelles ressources
légitimantes doivent être trouvées, des associations apparaissent, en partie
concurrentes. Ultime palier, la rente s’étend des pères aux fils. À
l’Organisation des enfants de moudjahidine (Onem), en 1993, répond
l’Organisation des enfants de chouhadas (Onec), en 1994. Les enfants d’hier,
devenus pères et grands-pères, réclament par filiation, en sus de leur héritage
symbolique, leur droit à bénéficier davantage de la rente pétrolière et de la
nouvelle source de richesse : les licences d’importation, qui allient plus
encore clientèle et corruption. Nouveau président, en 1999, Bouteflika*
manipule également les symboles, quand son pouvoir s’érode. L’engagement
de son frère cadet Saïd, homme fort du pouvoir présidentiel, porte à son
comble leur dévalorisation avant que le souffle du hirak ne le balaye. Les
héritiers subrogés et autoproclamés de Novembre 54 tentent de perpétuer
leurs privilèges, en rassemblant les associations et institutions sous un
nouveau label : la « famille révolutionnaire ». Sans voir que cette formule ne
fait qu’accentuer l’ampleur de la dégradation collective.
Omar CARLIER

ANIMAUX
Si les animaux ont fait l’objet de recherches dans le cas d’autres conflits,
force est de constater que ce champ est encore largement à creuser dans le cas
de la Guerre d’indépendance algérienne. Pourtant, les animaux ont été
largement concernés par ce conflit, comme auxiliaires et comme victimes des
hommes.
Certains animaux domestiques ont tout d’abord été d’utiles auxiliaires des
hommes, comme lors des autres conflits mais aussi avec quelques
spécificités. L’armée française a ainsi utilisé environ 7 500 chiens, répartis
dans des chenils militaires à Mostaganem et surtout à Beni-Messous, et
disséminés dans des unités cynophiles partout en Algérie. Là, ils pouvaient
servir à garder les installations militaires ou à retrouver les mines* déposées
par l’ALN*. Les chiens ont aussi été utilisés pour détecter ou pour pister les
combattants de l’ALN. Parmi les chiens pisteurs, le plus connu du conflit est
Gamin, un berger allemand du chenil de Beni-Messous, qui a protégé le corps
de son maître mort dans un accrochage à Barral, le 29 mars 1958, et qui a été
lui-même grièvement blessé. Mort le 23 novembre 1960, une stèle lui est
élevée au Centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie
(CNICG). Enfin, les premiers essais de dressage de chiens détecteurs
d’explosifs ont été réalisés durant le conflit algérien, pour tenter de déjouer
les attentats du FLN*. Du côté algérien, les chiens étaient au contraire très
craints. D’une part, les chiens étaient des vigies très efficaces, qui pouvaient
prévenir les déplacements des combattants. De ce fait, le FLN a obligé la
population algérienne à tuer les chiens pour ne pas être repérés. L’ALN tuait
également les chiens des Européens d’Algérie avant d’attaquer leurs maîtres.
Les chiens militaires étaient bien entendu également visés. Ceux-ci étaient
d’autre part très redoutés par la population et les combattants algériens : ils
pouvaient blesser et tuer.
Par ailleurs, l’armée française a également eu recours aux chevaux. Elle a
même renforcé leur utilisation, délaissée depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Ainsi, deux Escadrons de spahis algériens (ESA) se sont ajoutés
aux deux préexistants, avant d’être transformés en régiments. Des unités
supplétives montées ont également été créées. Le renforcement de l’usage des
chevaux tient à ce que ceux-ci étaient supposément mieux adaptés à la
montagne que les blindés*. Mais leur utilisation s’est ensuite portée vers des
terrains moins accidentés, comme dans la région de Géryville. Les chevaux
permettaient de surprendre l’adversaire en se déplaçant silencieusement et
rapidement, ou encore d’aller au contact de la population algérienne au sein
de laquelle le cheval était prestigieux (comme en témoignent les fantasias qui
étaient organisées). Mais, si les cavaliers étaient surpris, ils devenaient très
vulnérables, comme lors du premier véritable accrochage d’une unité montée,
le 1er mars 1957, au cours duquel douze spahis moururent. Les chevaux
utilisés étaient des barbes, originaires d’Afrique du Nord, résistants. Ils
étaient soignés dans les groupes vétérinaires de Mostaganem, de Saint-
Arnaud et de Blida. Au nombre de 300 en 1958, ils ont été laissés à l’armée
algérienne à l’indépendance, envoyés au Sénégal ou encore vendus.
Dans les Territoires du Sud*, c’est surtout le dromadaire qui a été utilisé.
Après une réorganisation des compagnies méharistes en 1947, il en restait
ainsi 5 montées, basées à Adrar, Tindouf, Tamanrasset, Fort-Polignac et El
Oued. Celles-ci pouvaient comprendre jusqu’à plus de 70 dromadaires
méhari, animaux de selle originaires du centre du Sahara algérien. Les
méharistes devaient pourvoir eux-mêmes aux besoins de leurs animaux. De
son côté, l’ALN a également utilisé des dromadaires, surtout pour le transport
d’armes et de matériels (notamment depuis la Tunisie* et la Libye). Mais les
caravanes sont des cibles faciles. Ainsi, le 15 octobre 1957, 63 méharistes
désertent près de Timimoun avec plus de 200 dromadaires. Les déserteurs
sont repérés et pris pour cible par des avions de chasse. Il ne reste finalement
plus que 18 bêtes en vie, avant les combats qui deviendront la « bataille de
l’Erg ».
Pour les transports de matériel, les combattants algériens utilisaient aussi
des ânes. Repérables, ils devenaient également des cibles aisées lors d’un
accrochage. Les ânes étaient aussi appréciés par les soldats français, qui s’en
servaient comme animaux de compagnie, de corvée, mais aussi comme
mascottes. Souffrant de mauvaise réputation, ils pouvaient être moqués et
servir d’amusement. D’autres animaux ont servi de mascottes : chiens, chats,
fennecs, caméléons… Ces derniers ont souvent été abandonnés au moment
du départ des soldats, parfois avec émotion.
De nombreux autres animaux ont fait les frais de la guerre d’Algérie.
Ainsi, des animaux domestiques ont été razziés, surtout par l’armée française
auprès de la population algérienne : poules, parfois moutons ou chèvres.
L’ALN tuait quant à elle les animaux des Européens d’Algérie. Les soldats
français pratiquaient également la chasse, afin d’améliorer leur alimentation
quotidienne : sangliers, gazelles dans le Sud, etc. Enfin, les animaux sauvages
ont aussi été victimes des bombardements (notamment au napalm) et des
incendies provoqués par les combattants, qui ont plus largement affecté
l’environnement*.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Amélie Leroy, « Historique du chien militaire, de la domestication à
aujourd’hui », thèse de doctorat vétérinaire sous la dir. de D. Cléro, faculté de
médecine de Créteil, 2018 • Thierry Noulens, « Les unités à cheval en
Algérie, 1954-1962 », Revue historique des armées, no 249, 2007.

ANTICOLONIALISTES (ASSOCIATIONS)
Paradoxalement, alors que les anticolonialistes ont aidé à l’indépendance
de l’Algérie, ils ont constitué un groupe mémoriel peu puissant, disposant de
peu d’associations.
La première est l’Association des combattants de la cause anticoloniale
(Acca). Fondée comme amicale en 1986 puis devenue association en 1996,
elle est basée à Malakoff et est portée par des militants communistes, dont
Henri Alleg* (le premier président), l’opposant à la guerre d’Indochine*
Henri Martin et le « soldat du refus* » Alban Liechti* (qui l’a ensuite
dirigée). Ultérieurement renommée Agir contre le colonialisme aujourd’hui,
elle a publié un « Manifeste pour la condamnation du colonialisme et de ses
crimes, et pour l’instauration de nouveaux rapports Nord/Sud ». Depuis 1999,
elle dispose d’un bulletin, Agir contre le colonialisme aujourd’hui.
Au cours de la guerre civile algérienne, certains anciens opposants de la
guerre d’Algérie se sont également mobilisés pour venir en aide aux
Algériens. Ils ont ainsi créé un bulletin, Pour ! Action & solidarité avec les
démocrates algériens, dont le directeur de publication était Jean-Jacques
Porchez, à la tête du « groupe Nizan » pendant la Guerre d’indépendance. Le
comité de rédaction comprenait d’autres réfractaires* ou membres des
réseaux de « porteurs de valises* » pendant la guerre d’Algérie.
Avec la résurgence de la mémoire de la Guerre d’indépendance dans les
années 1990 et au début des années 2000, d’anciens membres de l’Action
civique non violente (ACNV), créée en 1959, entreprennent de se retrouver.
C’est chose faite en 2003, sur le Causse noir. La quarantaine d’anciens
réfractaires projette l’écriture d’un livre, publié sous le nom collectif d’Erica
Fraters, et la réalisation d’un documentaire. Le groupe ne s’est pas constitué
en association « loi 1901 ».
Une partie d’entre eux ont rejoint l’Association des appelés en Algérie et
leurs amis contre la guerre (4ACG), fondée en 2004 par quatre anciens
appelés en Algérie. Ses membres n’avaient pas forcément contesté la guerre
d’Algérie quand ils y ont participé, mais l’association porte aujourd’hui les
valeurs de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La retraite d’ancien
combattant des membres de l’association qui ont participé au conflit permet
de financer des projets en Algérie et en Palestine. Les membres interviennent
également dans les écoles.
Il faut enfin ajouter l’Association des pieds-noirs progressistes et de leurs
amis (ANPNPA), composée de pieds-noirs* opposés aux associations pieds-
noires favorables à l’Algérie française, voire à l’OAS*, et désirant au
contraire renforcer l’amitié franco-algérienne. Fondée le 8 novembre 2008,
elle est basée à Marseille* et est présidée par Jacques Pradel.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Association des 4ACG, Guerre d’Algérie, guerre d’indépendance.
Paroles d’humanité, L’Harmattan, 2012 • Erica Fraters, Réfractaires à la
guerre d’Algérie. 1959-1963, Syllepse, 2005.
Film. : François Chouquet, Comme un seul homme, film documentaire, 2005.

« APPEL DES DOUZE »


L’« Appel des douze » est un texte signé par douze personnalités appelant
« à la condamnation de la torture* durant la guerre d’Algérie », publié dans
L’Humanité* le 31 octobre 2000. Il est signé par Henri Alleg*, l’ancien
directeur du journal Alger républicain* ; Josette Audin*, veuve de Maurice
Audin* ; Simone de Bollardière, veuve du général de Bollardière* ; Nicole
Dreyfus et Gisèle Halimi*, toutes deux avocates ; Germaine Tillion*,
ethnologue spécialiste des Aurès ayant tenté de relancer les négociations* en
plein cœur de la « bataille d’Alger* » ; Noël Favrelière* et Alban Liechti*,
deux appelés du contingent ayant désobéi au cours de la guerre d’Algérie ;
Laurent Schwartz*, Madeleine Rebérioux*, Jean-Pierre Vernant et Pierre
Vidal-Naquet*, historiens (sauf le premier, mathématicien) ayant été les fers
de lance du comité Audin créé pour faire la vérité sur la mort de Maurice
Audin. Tous très engagés pendant la guerre, ils sont aujourd’hui décédés à
l’exception d’Alban Liechti.
L’« Appel des douze » s’inscrit dans le débat sur l’utilisation de la torture
dans la guerre d’Algérie, qui explose à la suite de la visite officielle
d’Abdelaziz Bouteflika* en France et de la publication du témoignage* de
Louisette Ighilahriz*, torturée par l’armée française, dans Le Monde* le
20 juin 2000. Ce témoignage suscite de nombreuses réactions, notamment de
la part des généraux Massu*, Bigeard* et Aussaresses*. Tandis que le
premier regrette l’utilisation de la torture, les deux autres la justifient. Le
débat rebondit avec la parution de l’« Appel », qui considère la torture
comme « le fruit empoisonné de la colonisation et de la guerre » et invite à
briser le « silence officiel » afin d’effectuer un « travail de mémoire » dans
une « démarche de vérité qui ne laisse rien dans l’ombre ». Pour les
signataires, il ne s’agit pas seulement d’une « vérité historique » mais aussi
d’une libération du poids de la culpabilité afin que les jeunes générations
puissent mieux se projeter dans le futur. Pour cela, les « douze » demandent
que le président de la République Jacques Chirac* et le Premier ministre
Lionel Jospin* condamnent officiellement l’utilisation de la torture dans la
guerre d’Algérie et proposent aux témoins et aux citoyens de se prononcer
sur cette question.
Mais les deux plus hauts personnages de l’État estiment seulement que la
torture n’a été que le fait de « dévoiements minoritaires », Lionel Jospin
appelant en outre à faire un « travail de vérité » sur la guerre d’Algérie. En
revanche, le débat public prend une grande ampleur. Le nombre de
signataires de l’« Appel » s’envole : ils sont plusieurs centaines moins d’une
semaine plus tard et presque sept mille en janvier 2001. Le journal
L’Humanité publie des dizaines de témoignages dans les colonnes du journal,
regroupés dans un hors-série ce même mois de janvier 2001. L’« Appel des
douze » aura donc permis au moins cette libération de la parole, sans pourtant
déboucher sur une condamnation officielle de la pratique de la torture dans la
guerre d’Algérie.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : « Toute l’Humanité contre la torture », L’Humanité, hors-série, 2001 •
Tramor Quemeneur, « La mémoire mise à la question : le débat sur les
tortures dans la guerre d’Algérie, juin 2000-septembre 2001 », Regards sur
l’actualité, no 276, 2001.

APPELÉS DU CONTINGENT
Pour faire face à l’extension de la « rébellion » en Algérie, et éviter une
mobilisation partielle qui aurait été très mal perçue par l’opinion* sans
ennemi déclaré, les gouvernements successifs augmentent les effectifs à la
suite de la dissolution des unités marocaines et de désertions dans les unités
de tirailleurs et de spahis algériens. Outre le rappel de disponibles (ou
rappelés) fin 1955 et premier semestre 1956, une autre disposition est prise :
le maintien sous les drapeaux au-delà de la durée légale du service militaire*
fixée à dix-huit mois par la loi du 30 novembre 1950. Déjà, en août 1955, le
contingent 1954-1 effectue un service de vingt-quatre mois. Le décret du
12 avril 1956 maintient sous les drapeaux la classe 55-1. Il en sera de même
pour les suivantes jusqu’au début de 1962. Les temps de présence sous les
armes en Algérie vont alors de vingt-quatre à vingt-huit mois, voire trente
selon les spécialités, les grades et les affectations. On distingue les PDL
(pendant la durée légale) des ADL (au-delà de la durée légale) qui attendent
« la quille » comme une libération sans jamais être vraiment sûrs de la date
du retour dans leurs foyers.
L’accélération des appels est favorisée par la loi du 30 novembre 1950
qui autorise l’exécutif à fixer par décret la date d’incorporation. Ceci permet
non plus un appel par semestre mais plusieurs selon les besoins en effectifs.
De cette sorte, pour la dernière fois de son histoire, la République engage ses
gros bataillons dont les effectifs moyens sont d’environ 400 000 hommes de
fin 1956 à 1961. À compter de fin 1956, le « plan Bugeaud » relève les
rappelés par les appelés et l’extension du maintien sous les drapeaux des
ADL. Dès lors, la guerre d’Algérie repose en très grande partie sur les
hommes du contingent, majoritairement affectés dans les troupes de secteur*.
Pour un total d’environ 2 millions d’hommes en armes en Algérie de 1954 à
1962, on compte 1 200 000 appelés qui ont des visions bien différentes de la
guerre. Face à un adversaire souvent invisible, un appelé de la fin 1954 garde
un souvenir du conflit qui n’a que peu de rapport avec celui d’un camarade
plus jeune, au combat sur la frontière orientale en 1958 ou lors des
déchirements de l’année 1962. Ainsi, le numéro de la classe est essentiel, par
exemple pour ceux qui ont joué un rôle clé dans l’échec du putsch* des
généraux en avril 1961. Chaque classe de jeunes gens de 20 ans constitue
deux contingents semestriels (exemple, classe 52-1 ou 2). À partir de la
classe 54-2/A, incorporée à compter du 1er août 1954, chaque semestre se
divise en trois fractions, la lettre indiquant le mois d’appel sous les drapeaux.
Jusqu’en 1956 inclus, le mois est pair (la 56-1/A pour février), puis il devient
impair (la 57-1/A pour janvier), même si cette règle souffre de nombreuses
exceptions (la classe 60-2/C n’a pas été levée…). Ces jeunes gens de 20 ans,
qui ne sont pas encore électeurs (la majorité légale est à 21 ans), sont plus
malléables et plus obéissants que les réservistes rappelés sous les drapeaux.
Cette génération* est marquée par le sens du devoir inculqué par la famille et
l’école républicaine, mais aussi par le règlement de discipline générale de
1933 qui ordonne que tout ordre soit exécuté « sans un murmure ».
L’étude des sentiments du combattant est riche d’enseignements. De
1994 à 2016, nous avons mené une enquête auprès de mille témoins. Après
une traversée mouvementée à fond de cale, passé la surprise de découvrir de
curieux départements où les inégalités sont criantes, le sentiment dominant
pour 70 % des témoins est un élan de solidarité entre copains. À l’inverse des
autres générations du feu, les combattants d’Algérie présentent une
homogénéité par classes d’âge. L’égalité des situations et l’uniforme leur font
abandonner les préjugés sociaux. Les sursitaires ayant quatre à six ans de
différence d’âge sont davantage à part, mais peuvent s’engager plus
fortement au service des autres en tant qu’officiers* de réserve, en particulier
au sein des postes isolés. Dans les régiments parachutistes*, le clivage
réserve-active s’estompe par un esprit de corps et une solidarité dus, pour
beaucoup, à la qualité de l’encadrement.
Le « cafard » qui peut naître est dû à l’abrutissement d’une vie en poste
marquée par la routine d’un travail de veille, de corvées, d’embuscades*,
d’opérations de « ratissage »… Ce mauvais moral peut devenir contagieux
entre appelés d’une même classe condamnés à la promiscuité de petits postes
inconfortables. Chronique, le cafard peut conduire à l’automutilation et au
suicide, dont le nombre global reste inconnu car compté avec les noyades et
les maladies. En fait, les appelés n’ont pas le choix. Le sentiment du devoir
n’exclut pas celui de se sentir « piégé ». Contre leur gré, les appelés
deviennent des ouvriers de guerre. Quand on interroge les témoins sur cette
accoutumance à la violence de guerre et aux dérapages que cela a pu
entraîner, certains esquivent en retenant surtout leur baptême du feu, même
s’ils éprouvent des difficultés à raconter le combat. Occasionnelle (40 % des
témoins) ou permanente (17 %) selon les unités, la peur est un sentiment
partagé par toutes les générations du feu. Elle prend des formes particulières
en Algérie car l’ennemi est partout et nulle part. Entretenue par les
harcèlements nocturnes des postes, la peur apparaît aussi à la veille de chaque
opération, lorsque le commandement donne l’ordre de ne porter sur soi que la
plaque d’identité (parfois appelée « plaque à viande »). La crainte de
l’embuscade est latente (14 % des témoins). Les mines* sont particulièrement
redoutées, mais la peur d’être fait prisonnier, avec la crainte d’être supplicié
et mutilé, est une terreur qui domine toutes les autres, et est soigneusement
entretenue par les cadres comme le plus sûr rempart contre la désertion.
Par ailleurs, il ne semble pas que le sentiment religieux ait été renforcé.
Comme dans toute guerre se rencontrent autant d’approches qu’il existe
d’individus. Beaucoup se demandent ce qu’ils sont venus faire en Algérie :
envoyés pour le maintien de l’ordre et la pacification*, ils se retrouvent au
casse-pipe dans une guerre ignorée par la métropole. Une majorité s’est tue et
a fait son devoir. Pour les uns, de plus en plus minoritaires, il s’agit d’une
cause juste : défendre la nation sous l’emprise d’une guerre subversive et y
combattre le communisme international sans se rendre compte des
spécificités du FLN*. Beaucoup prennent conscience du déni des lois et
coutumes de la guerre, ce qui hante bien des mémoires. Certains (19 % des
témoins) gardent le sentiment d’une jeunesse volée pour un résultat nul, là où
d’autres pensent avoir fait la guerre malgré eux à un peuple qui se libérait. En
bref, 64 % des appelés gardent une impression négative de leur expérience
algérienne. Pour 25 % d’entre eux, leur séjour en Algérie fut inutile et 20 %
protestent contre le sacrifice non reconnu. Quelques-uns estiment qu’ils n’ont
fait que leur devoir : 5 % se déclarent fiers de l’œuvre accomplie et 3 % ont
le sentiment de défendre la patrie. Parmi ces deux dernières catégories, outre
les instituteurs et infirmiers du contingent, figure une majorité de Français
d’Algérie, des anciens paras, ou des hommes des sections administratives
spécialisées* (SAS) qui ont eu le sentiment d’apporter quelque chose à un
peuple qui accède paradoxalement à la modernité par la guerre.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Jean-Charles Jauffret, Guerre d’Algérie, les combattants français et
leur mémoire, Odile Jacob, 2016.

APPELÉS DU CONTINGENT (MÉMOIRES)


Les vétérans de la guerre d’Algérie ne forment pas un groupe homogène.
Non seulement ils reproduisent la fragmentation politique, sociale et
culturelle de la société française mais, bien au-delà du clivage droite/gauche,
ils restent marqués par la diversité d’une guerre protéiforme, que l’État a
longtemps niée, jusqu’en 1999.
Si la guerre d’Indochine* a mobilisé 150 000 soldats professionnels, celle
d’Algérie engage au total 2 millions d’hommes. Parmi eux, les appelés du
contingent, c’est-à-dire la majorité des jeunes nés entre 1932 et 1942,
provenant de tout le pays et de toutes les classes sociales, sont un peu plus de
1 million sur une population à l’époque de 44 millions. Leur rôle est si
important que le terme « contingent » quitte le registre du jargon militaire
pour entrer dans le langage courant, à partir de 1956. Le contingent coïncide
alors presque complètement avec la classe de conscription. Aujourd’hui le
terme ne désigne pratiquement plus que cette « troisième génération* du
feu » après celles des deux guerres mondiales.
Peu d’événements se prêtent aussi bien qu’une guerre à la formation
d’une « génération » (les générations n’existent pas en nature). Pourtant, la
« guerre d’Algérie » a peiné à produire une mémoire générationnelle capable
de polariser une identité de groupe dans l’espace public. Par rapport aux deux
guerres mondiales, en effet, celle d’Algérie est bien moins susceptible de
produire un horizon de sens partagé. Les expériences sont trop diversifiées
selon la période et le lieu d’affectation. Il n’y a pas non plus de ligne de front
claire séparant les amis et les ennemis, pas plus qu’il n’y a de Verdun où se
reconnaître tous. Elle s’est en outre achevée sur une défaite. Et tant que la
guerre n’a pas été reconnue officiellement, les cérémonies commémoratives
publiques ou les monuments* funéraires accompagnant le deuil à faire des
camarades tombés ont été rares au niveau national. La démobilisation elle-
même ne marque pas de césure nette sur le moment. Dans cette non-guerre,
les soldats rentrent chez eux à la fin du service obligatoire, classe par classe,
tous les trois mois, presque au compte-gouttes.
Ainsi à leur retour, les appelés sont « une multitude de solitudes »
(Philippe Labro), incapables de trouver du sens et d’élaborer un récit partagé
de leur propre expérience. Encore des décennies plus tard, le sentiment d’un
« grand gâchis » est le plus répandu chez les vétérans. La comparaison avec
les grands-pères poilus ou les pères résistants qui ne les considéraient pas
comme d’authentiques combattants l’amplifiait, d’autant plus que dans la
France d’avant 1968, les valeurs traditionnelles et l’autorité parentale sont
encore peu contestées.
Puis le conflit se nouera avec les frères cadets ou les cousins « soixante-
huitards », qui les traitent parfois indistinctement de « tortionnaires » sinon
de « fascistes ». Ces militants oublient les difficultés de la désobéissance ou
de l’objection de conscience (reconnue en 1963) mais aussi que le contingent
a fait échouer la tentative de putsch* en 1961.
En somme, dans la France des années 1960, les « cadres sociaux de la
mémoire » (Maurice Halbwachs) n’incitent pas les vétérans à se remémorer
leur expérience de la guerre et encore moins à la partager avec ceux qui n’ont
pas combattu en Algérie. Elle est – et restera longtemps – une « parole
confisquée » selon Claire Mauss-Copeaux. Confrontés à une société qui
globalement ne leur prête pas attention, ils souhaitent tourner la page,
retrouver leur fiancée ou en trouver une pour finalement fonder une famille et
entrer dans la vie adulte, suivant la trajectoire ordinaire d’un jeune homme
ayant rempli ses obligations militaires. Beaucoup reprennent même le travail
au lendemain de leur retour en France. Rien n’est mis en place pour les
accompagner dans le difficile processus de réintégration de la vie civile.
La première décennie après la guerre est donc caractérisée par un silence
relatif (à ne pas confondre avec l’oubli), répondant au fond à un besoin de
survie. On en a peut-être trop facilement fait une lecture pathologisante, sinon
culpabilisante, sans tenir compte du contexte (le silence, comme d’ailleurs la
parole, est toujours le résultat d’une relation, ou de son absence).
Une deuxième phase débute au milieu des années 1970. Le temps passe et
les souvenirs les plus douloureux décantent, les situations professionnelles
commencent à se stabiliser et les enfants à être plus autonomes. À ce moment
s’accomplit réellement le processus de démobilisation, au sens du passage
d’une « culture de guerre » à une « culture d’après-guerre ». Les associations
d’anciens combattants jouent un rôle important dans cette transition, de
soldats à vétérans. Les hommes y trouvent un espace de socialisation où ils
peuvent évoquer la guerre, quand ailleurs la parole semble exclue ou
incomprise. Le symbole de la Fnaca (Fédération nationale des anciens
combattants* d’Algérie) représente significativement deux mains qui se
serrent, en signe de paix mais aussi d’union et d’entraide. Dans certains
milieux associatifs se forme l’idée d’une « troisième génération du feu » et se
développe une image du vétéran à laquelle s’identifier, pour s’apaiser. Les
représentations de la guerre peuvent en gommer les violences pour en faire
une sorte d’« aventure ».
La conquête du statut de combattant, en 1974, marque cette période,
pendant laquelle les associations prennent progressivement de l’importance,
tant en nombre d’adhérents qu’en poids dans le débat public. Cependant, il
faudra encore vingt ans de lobbying actif pour que l’État prenne enfin en
compte les éventuelles séquelles psychologiques de la guerre (troubles du
stress* post-traumatique, TSPT, reconnus en 1992).
Au tournant du siècle s’ouvre une troisième phase avec la prise de parole.
Désormais à la retraite, ces hommes ont plus de temps libre et une certaine
disposition à revenir à leurs 20 ans. Le monde a aussi changé et beaucoup
ressentent le besoin de parler, de raconter avant qu’il ne soit trop tard, surtout
après juin 2000, quand survient un nouvel épisode dans les récurrents débats
mémoriels sur la torture*. Cette fois, certains des chefs militaires
reconnaissent les violences illégales, dont la torture. Dans le même temps,
dans la France postcoloniale, la guerre d’Algérie est réinvestie avec virulence
dans les débats politiques qu’oriente le nouveau contexte créé par les attentats
du 11 septembre 2001.
Ainsi naissent de nouvelles associations d’anciens dans le but explicite
d’œuvrer pour la paix, l’intégration, les échanges interculturels, et contre le
racisme*. Une forte demande sociale de savoir se dégage, soutenue par des
décennies de recherche historique. La transmission est souvent plus facile
avec les petits-enfants qui étudient la guerre à l’école – en 1984 la guerre
d’Algérie est entrée dans les programmes scolaires* – et interrogent leurs
grands-parents.
Andrea BRAZZODURO
Bibl. : Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » Enquête sur
un silence familial, La Découverte, 2020 • Andrea Brazzoduro, Soldati senza
causa. Memorie della guerra d’Algeria, Rome-Bari, Laterza, 2012 • Claire
Mauss-Copeaux, Appelés en Algérie. La parole confisquée, Hachette, 1998.

ARCHIVES PRIVÉES
À côté des archives* issues des institutions publiques, définies par
l’article L. 211-4 du Code du patrimoine, nous trouvons les archives privées.
D’après l’article L. 211-5, celles-ci correspondent aux autres documents, qui
n’entrent pas dans le champ d’application des archives publiques. Il s’agit
donc d’une définition en creux, très large, qui rend dans la pratique complexe
l’appréciation des archivistes sur la nature des documents. Comme toutes les
archives, ce sont l’« ensemble des documents, y compris les données, quels
que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support,
produits ou reçus par toute personne physique ou morale » (art. L. 211-1).
Dans les faits, ces archives sont donc produites par des entreprises, des
associations, des partis politiques, des familles, des personnes… Il existe bien
entendu des interférences entre archives privées et publiques : un homme
politique peut à la fois produire des documents publics dans le cadre de son
activité, et des documents privés personnels. Inversement, des documents
« privés » (une lettre ou un tract) se trouvent fréquemment dans les archives
publiques.
Concernant la guerre d’Algérie, les Archives nationales conservent de
nombreuses archives privées. Les fonds de plus d’une vingtaine de personnes
sont sur le site de Pierrefitte-sur-Seine. Nous y trouvons des archives
d’hommes politiques de tous bords (Georges Bidault, Eugène Claudius-Petit,
Louis Terrenoire, René Mayer, Alain Savary, Marceau Pivert, Oreste
Rosenfeld), des personnes ayant joué un important rôle dans l’administration
ou l’économie (Paul Devinat, Henri-Paul Eydoux, Jacques Lucius), des
avocates (Yvonne Jougla, Gisèle Halimi*), des universitaires (René Capitant,
Antoine Prost, Madeleine Rebérioux*), des journalistes et écrivains (Alfred
Fabre-Luce, Georges Hourdin, Jean-Raymond Tournoux), un architecte
(Fernand Pouillon)… Parmi les archives d’associations et de partis politiques
se trouvent notamment celles du PSU*.
Les Archives nationales d’outre-mer (Anom) à Aix-en-Provence
contiennent bien entendu de très nombreux fonds privés sur l’Algérie. Ceux-
ci se subdivisent entre les fonds privés des colonies, les papiers d’agents, les
archives privées d’outre-mer, les archives entrées par voie extraordinaire, et
les archives d’entreprises. En totalité, plus de quarante fonds concernent la
période de la Guerre d’indépendance. Ils peuvent concerner les événements
en eux-mêmes mais aussi rendre compte de la vie quotidienne à cette période.
Parmi les personnes ayant joué un rôle notable durant le conflit, signalons
Robert Delavignette* (membre de la Commission de sauvegarde des droits et
libertés individuels*), Ali Chekkal (vice-président de l’Assemblée
algérienne) ou encore l’officier Abdelkader Rahmani. Nous trouvons aussi
les fonds d’un préfet* (André Vimeney), d’un sous-préfet (Guy Pauchou), du
maire* de Bougie et député de Constantine Jacques Augarde, ainsi que ceux
d’opposants à la guerre d’Algérie comme Nelly Forget* (assistante sociale
dans les centres sociaux éducatifs*) ou Marianne Peyre (membre d’un
Comité contre la guerre d’Algérie à Tain-l’Hermitage). S’y repèrent
également les archives de Marcel Émerit, professeur à la faculté de lettres
d’Alger, ou encore des journalistes Jean Lacouture et Paul-Marie de la Gorce.
D’autres fonds montrent une activité quotidienne en Algérie : des notaires de
Sétif et d’Alger, un huissier de justice de Cherchell, un cultivateur près
d’Alger, une sage-femme d’Orléansville… Les fonds portent également sur
les religions, avec par exemple les archives des Églises protestantes en
Algérie, de 1833 à 2003, les archives du père blanc Jean Déjeux, et de
Georges Dahmar, premier Kabyle à être ordonné prêtre en 1947. Enfin, les
Anom comprennent plusieurs fonds d’entreprises, telle la Compagnie
agricole oranaise, le Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie, la Banque
d’Algérie et de Tunisie ou encore la Compagnie des chemins de fer Bône-
Guelma et prolongements.
Plusieurs fonds intéressant la guerre d’Algérie sont également conservés
aux Archives nationales du monde du travail (ANMT), à Roubaix. Pour les
organisations, nous trouvons en particulier ceux du Secours populaire
français* (SPF), de la Mission de France*, du Syndicat national des
instituteurs* (SNI). Certains fonds d’entreprises peuvent avoir des liens avec
l’Algérie et la guerre, comme ceux du Crédit foncier de France (CFF) et de
Thomson. Enfin, certains fonds individuels concernent aussi la période, que
les personnes soient très connues (comme l’abbé Pierre) ou qu’elles le soient
moins (Francis Philippe de la Jeunesse ouvrière chrétienne, l’historienne
Madeleine Singer).
Au Service historique de la Défense (SHD), parmi les cinquante fonds
privés concernant la période contemporaine, quelques-uns concernent la
guerre d’Algérie, dont ceux du général Bigeard*, de l’amiral Jean-Marie
Querville ou du général Fernand Gambiez*. Le fonds Serge Barcellini peut
aussi servir à écrire une histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie. Au
Centre des archives diplomatiques, peu de fonds privés intéressent la guerre
d’Algérie. En revanche, de nombreux fonds ont été déposés aux archives
départementales, notamment à la suite de la « Grande Collecte » de
novembre 2016 sur le thème « Afrique-France XIXe et XXe ». Cette « Grande
Collecte » est organisée pour attirer l’attention des détenteurs d’archives
privées sur leur rôle pour l’écriture de l’histoire.
Certains centres ne détiennent même que des fonds privés. Sur la guerre
d’Algérie, il s’agit en premier lieu de La Contemporaine, ancienne
Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), sise à
Nanterre. Nous y trouvons à la fois des fonds déposés par des personnes
physiques comme les avocats Pierre Stibbe et Jean-Jacques De Felice (qui a
commencé sa carrière pendant la guerre d’Algérie), le photographe Élie
Kagan*, le commissaire Jacques Delarue (qui a beaucoup lutté contre
l’OAS*), ou encore le militant libertaire Daniel Guérin. Les fonds
d’organisations sont aussi stimulants. Citons-en simplement trois parmi les
plus importants : l’Unef*, la Ligue des droits de l’homme* et la Cimade*. En
second lieu, au musée de l’Histoire vivante (MHV), à Montreuil, se trouvent
des fonds privés provenant pour l’essentiel de militants communistes tels
Jacques Duclos et l’avocat Paul Vienney. L’Office universitaire de recherche
socialiste (Ours) détient notamment les archives de Guy Mollet*. Enfin, il
existe les fondations d’hommes politiques, qui possèdent leurs archives
privées : la fondation Charles-de-Gaulle et l’institut François-Mitterrand pour
ne prendre que deux des noms les plus connus.
Ces fonds privés sont constitués pour l’essentiel d’archives écrites, mais,
de plus en plus, les archives orales jouent un rôle important. La
Contemporaine a ainsi développé un programme de collecte d’archives
orales, qui se comprend en interaction avec les fonds privés écrits. Si les
souvenirs se déforment, les écrits peuvent permettre de rétablir une part de
vérité. Ce phénomène s’entend à la fois pour des personnalités qui ont joué
un rôle important dans le conflit, mais aussi, de plus en plus, pour des
« acteurs » ou des « témoins » avec peu de responsabilités qui ont « subi » les
événements. Cela permet ainsi de mieux comprendre comment les
événements ont été ressentis par les acteurs au plus proche du terrain, jusqu’à
écrire parfois des biographies d’anonymes.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?
L’histoire en débats, Points-Seuil, 2005 • Paul Delsalle, Lexique des archives
et documents historiques. Du papyrus au vidéodisque, Nathan université,
1996 • Véronique Gazeau-Goddet et Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet.
Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie, PUF, 2022.

ARCHIVES PUBLIQUES EN ALGÉRIE


À l’indépendance, l’Algérie a hérité de structures archivistiques,
dégarnies d’une grande partie de leurs fonds dont le transfert commencé au
mois de mai 1961 se poursuit au cours de l’année 1962. Il convient de
souligner que « la question des archives avait échappé totalement à la
délégation algérienne » (Soufi) au cours des négociations* algéro-françaises
qui ont abouti aux accords d’Évian*.
Provisoirement, les archives relèvent de la sous-direction des
Bibliothèques et Archives du ministère de l’Éducation nationale dont
Mahmoud Bouayed était le titulaire et Mohammed Touili (historien)
conservateur en chef. Pour parer à l’urgence – car il n’y a ni archivistes, ni
documentalistes algériens –, ce sont des administrateurs qui veillent sur les
archives. Signalons au passage que seul l’archiviste André Berthier demeure
à la tête des archives départementales de Constantine, jusqu’en 1973.
L’organisation officielle des archives publiques est définie par
l’ordonnance du 3 juin 1971 qui est le premier texte législatif algérien
« portant institution d’un fonds d’archives nationales ». Défini comme
« patrimoine historico-archivistique national, il comprend les papiers et
documents produits ou reçus par le parti et les organisations nationales, les
organes législatifs judiciaires et administratifs de l’État, les collectivités
locales, les organismes, les sociétés nationales, les offices, les organismes
privés et les particuliers, quels qu’ils soient, où qu’ils se trouvent et à quelque
époque qu’ils appartiennent ». Ce fonds est rattaché à la présidence de la
République.
Le décret du 31 décembre 1972 crée la direction des Archives nationales
que va diriger l’historien Redouane Aïnad Tabet. Cinq ans plus tard, le décret
du 20 mars 1977 précise les différentes structures qui se déclinent en archives
nationales (AN, à Alger), archives de wilayas et archives de communes.
L’intérim des AN est assuré par Touili, directeur du Centre national des
études historiques (CNEH) jusqu’en 1988, en raison du départ d’Aïnad
Tabet.
Le plus important dans ce décret, c’est qu’il reprend la définition
restrictive des archives de l’ordonnance de juin 1971, réduite au seul support
papier, définition conservée sans discernement de l’administration coloniale,
au moment où « la révolution archivistique » (Michel Duchein) allait
bouleverser le métier d’archiviste en France. L’article 3 précise les tâches
générales qui incombent aux AN, à savoir : « favoriser le progrès des
connaissances scientifiques et culturelles par l’inventaire, la recherche
historico-archivistique, la communication, l’exploitation, la reproduction du
patrimoine archivistique national et par l’organisation d’expositions ».
Celles-ci supposent la confection « des répertoires, d’inventaires et autres
instruments de recherche ». Enfin, l’article 88 arrête les délais de
communication des archives à vingt-cinq ans après, à l’exception des
procédures criminelles après la conclusion du procès. Les délais sont
rapportés à cinquante ans pour les documents touchant la vie privée. La
possibilité de proroger les délais pour certaines sources « jugées
particulièrement secrètes dans l’intérêt de la politique intérieure, de la
défense et de la politique étrangère de l’État » est évoquée. À l’inverse, le
système de la dérogation est envisagé pour consulter « à des fins
scientifiques » des sources non communicables.
Par ailleurs, les particuliers ou organismes détenteurs d’archives privées
sont tenus de procéder à leur classement, de produire des inventaires et d’en
permettre la consultation aux chercheurs.
En 1983, les deux institutions (Fonds d’archives nationales et CNEH)
dépendent du ministère de la Culture.
Durant cette période, grâce au premier directeur Aïnad Tabet, les AN et
les conservations des wilayas connaissent une période de remise en ordre, et
de précieux répertoires, documents, inventaires sont produits et mis à la
disposition des chercheurs. La revue Archives nationales publie dix numéros
de 1973 à 1981.
En 1988, au ministère de la Culture, trois chantiers sont ouverts : ils
concernent la création du centre des AN en 1987, le bâtiment qui lui est
consacré et la loi relative aux AN qui est votée le 26 janvier 1988.
Cette loi pose les jalons d’une vision nouvelle, sinon moderne, des
archives. La principale innovation est énoncée dans l’article 2 qui élargit la
définition des archives « à tout document quel que soit son support », sans
autre précision. L’article 5 précise la constitution des archives publiques
comprenant « les documents historiques et les documents produits ou reçus
par les organes du Parti, de l’État, les collectivités de l’État, les entreprises et
établissements publics ». Les délais de communication sont reconduits et
autorisent de larges possibilités de recherches. Dans la pratique, celles-ci sont
limitées, la loi n’étant suivie d’aucun texte d’application. Cependant, la
direction générale (DG) des AN et le centre des AN accordent la priorité aux
archives centrales des ministères. La DG a fortement encouragé la mise en
place de centres d’archives des ministères dont celui de la Justice et celui de
la Défense nationale qui conserve d’importants fonds de la Guerre
d’indépendance provenant des wilayas historiques, du GPRA* et de l’EMG*,
non communicables au public.
De leur côté, les archives de wilayas ne reçoivent que des orientations
générales, relatives à l’élimination de certaines archives.
Au niveau des communes, le travail de recherche est plus compliqué du
fait de l’absence de classements, sans compter les pertes dues à de mauvaises
conditions de conservation…
Finalement, les promesses de la loi de janvier 1988 qui ouvraient sur
l’histoire du temps présent sont loin d’être tenues au vu des difficultés et
obstacles que rencontrent les chercheurs, en particulier ces dernières
décennies.
Il est important de signaler l’existence de précieux gisements d’archives
pour l’histoire rurale en particulier mais également pour les recherches en
histoire urbaine, plus ou moins bien conservés au niveau des hôtels de
finances. Il s’agit du service des hypothèques qui constitue la véritable
mémoire des transactions foncières que l’on peut coupler avec les archives du
service du cadastre où sont conservés les registres des sénatus-consultes de
1863 et 1887, les décisions de la loi de 1873, de 1897… Certains hôpitaux,
dont l’hôpital Mustapha, possèdent un stock d’archives très intéressant.
De même, les registres de délibérations des conseils municipaux restés en
Algérie sont plus ou moins disponibles.
Cet aperçu est loin de refléter la variété et la richesse des archives
conservées en Algérie et que le contentieux archivistique avec la France tend
à occulter.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Michel Duchein, « La révolution archivistique : le défi des archives
modernes à l’archiviste », La Gazette des Archives, no 80, 1973 • Didier
Guignard, Akihito Kudo et Raed Bader, « Un terrain algérien pour la
recherche », Vingtième Siècle, no 77, janvier-mars 2003 • Fouad Soufi, « Les
archives algériennes en 1962 : héritage et spoliation », Insaniyat, no 65-66,
2014.

ARCHIVES PUBLIQUES EN FRANCE


En 1979, une loi a défini les archives de façon large : il s’agit de tous les
« documents », sous toutes formes (orale, audiovisuelle, iconographique,
etc.), « produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et pour tout
service ou organisme public ou privé, dans l’exercice de leurs fonctions ».
Les archives peuvent être publiques, quand elles émanent des
administrations, d’agents de l’État, etc., ou privées, quand elles proviennent
d’individus ou d’associations, de partis, etc. La consultation des archives
privées dépend de la volonté de leur propriétaire ou de ses ayants droit. Pour
les archives publiques, le Code du patrimoine en vigueur fixe le plus
couramment des délais de vingt-cinq ou cinquante ans. Ainsi, soixante ans
après 1962, de très vastes ensembles sont accessibles. Sont couverts par des
délais supérieurs : les documents statistiques, les registres d’état civil des
naissances et des mariages, les enquêtes de police* judiciaire, les dossiers de
justice et les actes notariés (75 ans) ; les enquêtes et documents judiciaires
concernant des mineurs, les documents relevant du secret de la défense
nationale et risquant de porter atteinte à des personnes identifiées (100 ans) ;
les documents relevant du secret médical (120 ans). Tous ces délais passent
cependant à vingt-cinq ans si les personnes concernées sont décédées.
Surtout, une dérogation peut être demandée pour accéder aux documents
avant le délai fixé par la loi. Très pratiquées par les chercheurs, ces demandes
sont très largement acceptées.
À ce tableau favorable s’opposent deux limites. D’une part, la loi de 2008
a déclaré incommunicables les documents relatifs au nucléaire, très sensibles
dans le contexte franco-algérien. D’autre part, entre 2013 et 2021,
l’instruction générale interministérielle (IGI) no 1300 a imposé la
déclassification, pièce par pièce, des documents « secret-défense ».
Auparavant, ils étaient communicables comme tout autre document, au terme
du délai fixé par le Code du patrimoine. L’application progressive de l’IGI
1300 dans les centres d’archives, entravant considérablement les recherches,
en particulier dans les archives militaires, a suscité une mobilisation
victorieuse, conduite par l’Association des archivistes français (AAF),
l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur
et de la recherche (AHCESR) et l’Association Josette et Maurice Audin*. Le
30 juillet 2021, l’article 25 de la loi sur la sécurité intérieure et le terrorisme
est revenu au principe antérieur : communication selon le délai légalement
fixé, sans déclassification explicite. Toutefois, outre le fait que l’intégration
d’une disposition sur les archives dans une loi sur la sécurité intérieure est
symboliquement dommageable, il reste des documents « secrets » qui ne
pourront être communiqués avant que leurs auteurs le décident. Ces
documents sont bien définis dans le texte de loi mais une vigilance s’impose.
Les interprétations du texte risquent en effet de varier suivant les contextes et
les responsables en poste, dans un sens plus ou moins libéral.
Essentiels, les délais de communication ne conditionnent pas à eux seuls
l’accès aux archives. Il faut, au préalable, des inventaires des documents
conservés et, faute de moyens en personnel, de nombreuses liasses attendent
encore d’être traitées. Très complexe, le repérage des sources nécessite aussi
d’être facilité – des outils existent, comme un guide numérique sur les
disparus (portail Francearchives) ou une fiche de recherche sur la « guerre
d’Algérie », sur le site du centre de Pierrefitte-sur-Seine. Enfin, les conditions
matérielles (horaires, accessibilité en transport, etc.), pour lesquelles œuvrent
des associations et comités d’usagers, jouent aussi considérablement.
Comme le droit des archives, ces conditions concrètes ont varié. En 1992,
le Service historique de l’armée de terre (SHAT), aujourd’hui dénommé le
Service historique de la défense (SHD), à Vincennes, a le premier offert des
conditions optimales au point de faire date dans l’historiographie en
impulsant des travaux fondés sur les archives militaires (thèses et colloques).
Puis les Archives nationales d’outre-mer (Anom), à Aix-en-Provence, où sont
conservés les fonds ramenés d’Algérie (Gouvernement général*, préfectures,
etc.) ainsi que les fonds du ministère de l’Algérie, ont pris le relais comme
centre d’archives privilégié où travailler. L’Algérie coloniale étant
administrativement constituée de départements, en outre, les archives des
ministères (Intérieur, Justice, etc.), conservées à Pierrefitte-sur-Seine, sont
également utiles aux historiens. Les archives, toutefois, ne servent pas qu’à
des professionnels, qu’ils soient chercheurs, journalistes, documentaristes,
voire écrivains. Elles servent aussi à tout un chacun, en quête de son passé
familial ou pour des raisons administratives (reconstitution de carrière pour la
retraite, attestation ouvrant droit à pension, pièce pour une naturalisation,
etc.). Dans cet esprit, le centre de Pierrefitte prévoit d’ouvrir un guichet
citoyen.
Aux centres de Vincennes, d’Aix et de Pierrefitte, les plus connus et
fréquentés, s’ajoutent de nombreux autres que les chercheurs découvrent en
fonction de leurs sujets. Ainsi les archives départementales, outre les archives
privées qu’elles ont parfois recueillies, documentent en particulier l’histoire
de la guerre en France à l’échelle locale. Le Dépôt central des archives de la
justice militaire* (DCAJM, fermé à l’heure où ces lignes sont écrites en
raison d’une pollution à l’amiante) conserve les dossiers des tribunaux
militaires avec notamment tous les procès de nationalistes algériens. Aussi, si
les archives ne sont pas exclusives d’autres sources (notamment les entretiens
que chacun peut mener, les papiers personnels dormant dans les caves et les
greniers, les journaux d’époque y compris ceux qui bravaient la censure* plus
ou moins dans la clandestinité), si elles ne sont pas moins que les autres
exemptes de biais (aucune source n’est parfaite), il importe de souligner leur
immense potentiel. Pour cette raison, ainsi que pour des raisons politiques,
relatives à la vigilance nécessaire pour garantir l’État de droit, il est
indispensable de combattre tout obstacle à leur consultation et de réfléchir
aux chantiers à ouvrir pour l’avenir.
Deux d’entre eux se dessinent. D’une part, sur un passé sensible dans la
société française, comparable en cela avec la Seconde Guerre mondiale, des
dérogations générales pourraient être décidées. En effet, une dérogation
générale ouvre à tous des documents avant le terme fixé par la loi. À la suite
d’une annonce présidentielle le 13 septembre 2018, portant sur les seuls
disparus et antérieure au rapport Stora*, deux arrêtés d’ouverture d’archives
relatives aux disparus ont été pris en 2019 et 2020. Puis, le 22 décembre
2021, un arrêté ouvre de façon anticipée l’essentiel des archives judiciaires et
policières. D’autre part, un chantier bien plus ambitieux, et ne dépendant rien
moins que des relations diplomatiques franco-algériennes mais aussi d’une
harmonisation du traitement des archives des deux côtés de la Méditerranée,
consisterait à réaliser un repérage commun des documents conservés en
France et en Algérie. Sur le terrain des archives, les chercheurs doivent
s’engager au-delà de l’écriture de l’histoire.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, « Dérogation générale et déclassification des archives
contemporaines. Le cas d’Audin et des disparus de la guerre d’indépendance
algérienne », Annales. Histoire, Sciences sociales, vol. 74, no 3-4, 2019
• —, « Archives, politique et société. Le cas de la Guerre d’indépendance
algérienne », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 69-1, 2022
• Noé Wagener, « Archives, le coup de force de l’été », lhistoire.fr,
10 septembre 2021.

ARGOT MILITAIRE
De tout temps, dans toutes les armées, un vocabulaire particulier,
insultant, a eu comme fonction de rabaisser l’ennemi. La Première Guerre
mondiale avait eu ses « boches ». En terre coloniale, sait-on que le mot
« salopard » est né durant la guerre du Rif (Maroc*, 1924-1926) ?
Dans les tout premiers temps de la guerre d’Algérie apparaît un
phénomène singulier. Certains officiers* et sous-officiers*, « anciens
d’Indo », continuaient à appeler « Viets » les combattants algériens, selon
une logique assez élémentaire : même « guerre révolutionnaire* », mêmes
adversaires insaisissables… Cette pratique fut suffisamment répandue pour
inquiéter les autorités militaires. Le général Noiret, commandant la région du
Constantinois, y consacra une directive (31 mai 1956).
Plus généralement, il y eut les insultes racistes, non spécifiquement
militaires. Aux classiques « bicots », « troncs », « crouillats » s’ajoute, à
partir de 1957, un nouveau terme, appelé à un certain destin : « bougnoules ».
Mais, massivement, un mot finit par s’imposer : « fellaghas ». Mot passe-
partout, qui ramène les combattants du FLN* à de vulgaires bandits de grands
chemins, des « coupeurs de routes », tout juste bons à pratiquer de lâches
embuscades*. En cela, les observateurs du début de la guerre d’Algérie ne
différèrent guère de ceux de toute l’ère coloniale. On trouve le mot par
exemple dans ce récit de l’assassinat du père de Foucauld (1er décembre
1916) : « Fellaghas : nom donné aux sans-patrie du Sahara » (lieutenant
Béjot, janvier 1918)… En 1952, le mot avait fait une réapparition en
Tunisie*, avant de s’imposer sur le théâtre d’opérations algérien. Dès lors,
lorsque les hommes politiques, les militaires, bien des journalistes,
évoquaient ceux d’en face, nulle hésitation sémantique : « L’action des
fellaghas, ne permet pas de concevoir, en quelque forme que ce soit, une
négociation* » (François Mitterrand*, 5 novembre 1954) ; « Des acteurs
imprévus : les fellagas » (Le Monde, 5 novembre 1954) ; « Les fellaghas
maintiennent leur pression » (L’Aurore, 17 novembre 1954), etc. Au
quotidien, on entendit souvent « fells », voire « fellouzes », le suffixe -ouze
étant en lui-même dévalorisant.
Alain RUSCIO

ARGOUD, COLONEL ANTOINE (1914-2004)


Antoine Argoud est né à Darney, dans les Vosges, le 26 juin 1914, dans
une famille de paysans. Diplômé de Polytechnique en 1934, il opte pour une
carrière d’officier* dans l’arme blindée. En 1940, lors de l’effondrement de
l’armée française face à la Wehrmacht, Argoud est en poste au Maroc*.
Comme beaucoup d’officiers, il choisit de rester dans l’armée de Vichy. À
partir de l’invasion de l’Afrique du Nord par les Alliés, en novembre 1942, il
participe aux combats de Tunisie* et de la Libération dans l’armée du général
de Lattre, à la tête d’un escadron du 3e régiment de chasseurs d’Afrique
(3e RCA). Après la guerre, il est diplômé de l’École de guerre. Il est alors un
des premiers officiers français à s’intéresser aux questions de guerre
psychologique, publiant un article remarqué dans la Revue de défense
nationale. De 1947 à 1950, il est en poste à l’état-major du général de Lattre
à qui il voue une profonde admiration. Il ne le suit néanmoins pas en
Indochine*, préférant se consacrer à la modernisation de l’arme blindée.
Au début de la guerre en Algérie, il est nommé au secrétariat d’État de la
Défense nationale avant de prendre, en 1956, le commandement du 3e RCA,
dans le secteur de l’Arba, au cœur de la Mitidja. Il est alors le plus jeune
colonel de l’armée française. Acquis aux idées des théoriciens de la guerre
révolutionnaire*, il considère que la législation en cours est un obstacle à la
lutte contre le FLN* et met en œuvre, dans le secteur de l’Arba, des méthodes
violentes et expéditives. Il assume ouvertement punitions collectives,
exécutions publiques, tortures et expositions de cadavres, disant s’inspirer de
Mustapha Kemal. À ses yeux, ses méthodes sont rendues nécessaires par le
caractère révolutionnaire du conflit.
En janvier 1957, il brise la grève* générale à l’Arba. Il s’oppose
cependant aux exécutions sommaires* clandestines et plus largement aux
méthodes des parachutistes*. À ses yeux, la répression doit être assumée
publiquement et non s’exercer en secret. À la fin de l’année, il est muté en
Allemagne pour l’éloigner de l’Algérie où ses méthodes posent problème à sa
hiérarchie. Il y revient en 1959, comme chef d’état-major du général Massu*,
alors commandant du corps d’armée d’Alger. Il appuie le soulèvement des
Européens d’Alger lors de la semaine des barricades*, convaincu de la
nécessité de contrer la politique d’autodétermination du général de Gaulle*. Il
est rappelé en métropole.
Il participe à l’organisation du putsch* d’avril 1961, gagne l’Espagne et
entre en clandestinité après son échec. Condamné à mort par contumace en
juillet 1961, il est interné en Espagne sur demande des autorités françaises.
Parvenant à s’évader, il s’associe à Jacques Soustelle*, Georges Bidault et
Pierre Sergent au sein du Conseil national de la Résistance. Chef de l’OAS*
en France, il gagne l’Allemagne en profitant de nombreux soutiens au sein de
l’armée. Il est kidnappé en 1963 à Munich par les services français et
condamné à la détention à perpétuité. Amnistié en 1968, il s’installe dans son
village natal de Darney où il rédige ses mémoires, assume complètement ses
méthodes et ses choix politiques, et se consacre à la graphologie.
Denis LEROUX
Bibl. : Antoine Argoud, « La guerre psychologique », Revue de défense
nationale, no 46, mars 1948, p. 291-300, et no 47, avril 1948, p. 460-471
• —, La Décadence, l’Imposture, la Tragédie, Fayard, 1974.

ARMÉE DE L’AIR
L’armée de l’air, dont le rôle pendant la guerre d’Algérie a été longtemps
minimisé, a participé activement aux opérations ; et ce d’autant plus que les
Algériens étaient dépourvus de toute force aérienne.
Au courant de l’année 1956, Paris se résout à envoyer des personnels en
renfort pour répondre à l’évolution du conflit et à l’aggravation de la situation
militaire. Jusqu’à 50 000 aviateurs, soit 40 % des effectifs de l’armée de l’air,
seront engagés en Algérie et dans les Territoires du Sud*. Le haut
commandement consent un effort considérable en engageant 20 % des
disponibilités matérielles, soit en moyenne 600 avions et 100 hélicoptères.
Déjà, dès 1955, les plus hauts responsables des armées n’avaient pas hésité à
effectuer des prélèvements de moyens au profit de la 5e Région aérienne
(Alger). Cela s’est fait au détriment des forces chargées de la défense de
l’Europe occidentale au sein de l’Otan. Ainsi, le ministre de la Défense
nationale André Morice déclare lors du comité technique des programmes
des forces armées du 30 août 1957 que « l’Algérie est la priorité absolue »
pour marquer la détermination du gouvernement français. Au plus fort des
opérations au début de 1959, l’armée de l’air aligne 952 aéronefs parmi
lesquels 275 T6 (monomoteurs bien connus des moudjahidines*) qui sont de
tous les combats.
En quelques années, une partie non négligeable des forces aériennes subit
une profonde mutation destinée à la mise en œuvre de la stratégie de contre-
guérilla, qui implique la coopération entre les trois armées. Il faut en effet que
l’armée s’adapte à un adversaire « extrêmement fluide » menant une lutte
armée déconcertante tant pour les anciens d’Indochine* que pour les
personnels entraînés à la guerre classique dans l’hypothèse de l’ouverture
d’un « front » en Europe. La révision de la doctrine d’emploi de l’arme
aérienne s’est vite imposée et a permis d’adopter des modes d’action qui ont
conduit à une coopération étroite avec l’armée de terre* en charge (sur le
terrain) de la poursuite et de la neutralisation des katibas. Dès lors, la
troisième dimension occupe une place de premier plan : sans l’appui aérien,
bon nombre de succès n’auraient pu être obtenus. La contribution de la 5e
Région aérienne ne s’arrête pas là ; des formations nouvelles comme les
commandos* de l’air, les compagnies de garde et la demi-brigade de fusiliers
de l’air (DBFA) formées de rappelés qui comptent jusqu’à 2 000 hommes
participent activement aux opérations offensives et au quadrillage du
territoire avec les fantassins de l’armée de terre.
Dans un paysage propice aux dissimulations, la participation de l’aviation
de reconnaissance et d’observation aériennes a pour but d’assurer le bouclage
des frontières et de l’espace aérien afin d’empêcher le ravitaillement en
armement par voie terrestre en provenance de l’étranger, notamment des pays
limitrophes (Maroc*, Tunisie* et Libye). De même, l’aviation de
reconnaissance du groupe d’outre-mer 86 équipé d’avions Dassault 311, 312
et 315 facilite le repérage des convois transportant par voie maritime les
armes de contrebande. Certains de ces appareils sont équipés pour la guerre
du renseignement électronique et l’écoute des communications en Afrique du
Nord. Mais, dès 1954, l’aviation est appelée à jouer un rôle important dans la
conduite des opérations : elle repère les groupes armés et les immobilise,
guide et conseille les troupes au sol, et enfin transporte par hélicoptère les
compagnies de combat qui doivent les intercepter et les neutraliser. Pendant
toute la durée du conflit, l’appui des troupes « au contact » des
moudjahidines reste la mission prioritaire des escadrons de l’aviation de
chasse et de bombardement. Les trois groupements aériens tactiques (Gatac)
disposent d’une quarantaine de bombardiers légers de type B-26, d’escadrons
de biréacteurs Vautour ainsi que de plusieurs escadres de chasseurs
bombardiers à réaction Mistral (dérivés du Vampire britannique) équipés de
quatre canons de 20 mm, de F-47 et Skyraiders américains dotés
d’armements lourds : roquettes, bidons de napalm, mitrailleuses. En outre,
pour appuyer directement les troupes au sol, le commandement obtient
l’achat aux États-Unis* d’hélicoptères lourds Sirkorsky S-55 et leur envoi en
Algérie. Parmi les aéronefs les plus modernes détachés pour de courtes
périodes, le Super-Mystère B2 (SMB2) de la Générale aéronautique Marcel
Dassault (GAMD) et le F-84 E américain, engagés dans quelques opérations,
ont été retirés du théâtre des opérations car trop rapides et d’une efficacité
toute relative dans l’appui-feu.
Tous ces appareils interviennent à partir de nombreuses bases réparties
sur l’ensemble du territoire. Telergma, la base la plus importante de l’est de
l’Algérie, véritable place forte, considérée comme un « porte-avions des
sables », rassemble les aéronefs et les hélicoptères de l’armée de l’air ainsi
que de l’aviation légère de l’armée de terre (Alat), mais aussi les flottilles de
Corsair de l’Aéronavale (détachées à terre, normalement embarquées sur
porte-avions). La zone d’action de ces appareils couvre le Constantinois, les
Aurès, les Nemenchas, l’Ouarsenis et leurs marches, soit les régions
regroupant les meilleures troupes de l’ALN (Wilayas 1*, 2* et 3*). Les dix
bases opérationnelles le 1er novembre 1954* couvrant le nord de l’Algérie ne
permettent pas l’aérotransport de troupes au-delà de Biskra ou de Touggourt.
À la fin de 1958, trente-sept nouvelles infrastructures quadrillent l’Algérie et
le Sahara, traduction spatiale de la présence et de la participation active de
l’armée de l’air dans la lutte antiguérilla. Toutes les pistes peuvent désormais
recevoir les avions Nord 2501 et faciliter l’envoi des unités parachutistes*
dans les zones les plus reculées du territoire. Mais la plupart des opérations
aéroportées (OAP) tombent dans le vide et seront abandonnées au profit du
transport par hélicoptère des unités au contact des katibas.
L’arme aérienne provoque un effet psychologique délétère sur les
combattants de l’ALN jusqu’en 1957. L’effet de surprise joue depuis la mise
en œuvre de la doctrine d’emploi de l’aviation légère : les Morane et les Piper
sont particulièrement redoutés car, très lents, ils voient et repèrent facilement
leurs mouvements, balisent leurs positions et les signalent à l’artillerie et aux
avions d’attaque. En outre, les hélicoptères présentent aussi un grand danger
pour les combattants algériens lors des accrochages : les redoutables Sikorsky
S-58 et H-34 armés d’un canon de 20 mm et d’une mitrailleuse lourde de
12,7 mm empêchent tout mouvement ennemi et permettent le débarquement
des groupes d’assaut français. Mais faute de pouvoir toujours riposter
efficacement, les moudjahidines s’adaptent à la nouvelle tactique ; un
meilleur camouflage, une préparation plus soignée des postes de combat
associés à la mise en place de guets autour des bases aériennes pour prévenir
les mouvements de troupe pallient l’insuffisance notoire des moyens de lutte
anti-aérienne si l’on fait exception de l’utilisation de la mitrailleuse
allemande MG-42 qui explique les pertes françaises (Morane, MH-1521
Broussard, T-6, S-55 et S-58, Alouette II).
Deux opérations aériennes hors normes ont particulièrement marqué les
esprits. En premier lieu, le détournement* spectaculaire le 22 octobre 1956 de
l’avion transportant cinq des chefs du FLN* entre Rabat et Tunis par les
avions de chasse de la base d’Oran-La Sénia, qui a mis en lumière la
détermination du haut commandement en Algérie d’utiliser tous les moyens
pour combattre le FLN. Agissant sur renseignement du Service de
documentation extérieure et de contre-espionnage* (SDECE), Max Lejeune,
secrétaire d’État aux Forces armées (armée de terre*), donne son accord à
Alger pour intercepter et détourner l’avion d’Air Atlas-Air Maroc
transportant cinq des dirigeants du FLN qui sont mis en état d’arrestation à
l’atterrissage sur la base de Boufarik. En second lieu, le 8 février 1958, en
réponse aux tirs de mitrailleuses de l’ALN essuyés à la frontière tunisienne
par un avion français et s’appuyant sur l’exercice du « droit de suite sur une
profondeur de 25 kilomètres conformément au droit international » autorisé
par le ministre de la Défense nationale le 9 août 1957 et confirmé par le
Conseil des ministres du 29 janvier 1958, onze B-26, six Corsair et huit
Mistral cherchent à bombarder le cantonnement d’une unité de l’ALN situé
près du village de Sakiet Sidi Youssef* en causant de lourdes pertes parmi les
civils algériens et tunisiens (plus de 70 tués et 150 blessés).
André-Paul COMOR
Bibl. : Regards sur l’aviation militaire française en Algérie 1954-1962,
Vincennes, Service historique de l’armée de l’Air, 2002 • Revue historique
des armées, no 2, 1992.

ARMÉE DE LIBÉRATION NATIONALE


(ALN)
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954*, des attentats sont
déclenchés dans une trentaine de lieux du territoire algérien par une poignée
d’hommes. Ils sont moins de mille à avoir pris les armes, armes dont le
nombre s’élève à trois ou quatre cents tout au plus. C’est la première fois
qu’une action coordonnée se déroule sur l’ensemble du territoire algérien,
même si les attaques sont davantage concentrées à l’est du pays dans les
Aurès et en Kabylie. Ce sont les premières actions de l’ALN*, accomplies au
nom du FLN*. Toutefois, celle-ci n’apparaît pas ex nihilo. En 1947, le
mouvement nationaliste algérien adoptait le principe d’une guérilla*
révolutionnaire et l’Organisation spéciale* (OS) était créée. Malgré son
démantèlement au bout de trois ans, ses membres eurent le temps de mener
plusieurs actions dont la plus connue est sans doute l’attaque de la poste
d’Oran en avril 1949, à laquelle prirent part deux des futurs chefs du FLN
Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed. Les actions menées lors de la nuit de
la Toussaint 1954 se situent dans la continuité de l’OS.
Les débuts de la Guerre d’indépendance sont marqués par l’empirisme,
une forte désorganisation et l’autonomie des chefs de zone puisqu’il n’existe
pas encore de réel service de liaison. Le déclenchement de la guerre ayant été
précipité, il faut du temps avant de pouvoir coordonner ces groupes
disséminés sur un territoire aussi grand. Pour l’heure, l’enjeu majeur est
d’étendre la lutte à l’ensemble du territoire et d’obtenir l’adhésion de la
population, élément clé de toute guerre révolutionnaire*, afin que celle-ci
soutienne les combattants. Contrairement aux récits unanimistes officiels,
ce soutien n’a, au départ, rien d’une évidence. En effet, ce sont dans les
régions montagneuses où la population vit dans une grande pauvreté que les
maquis commencent à s’implanter. En outre, la population est méfiante, elle
ne connaît pas ces hommes qui viennent de déclencher la lutte contre la
puissance coloniale. Pour rendre irréversible son ralliement à la lutte, les
responsables tentent de l’impliquer dans des actions compromettantes
(sabotages, incendies, etc.) dont le point d’orgue a lieu le 20 août 1955* dans
la région du Nord-Constantinois.
À l’instigation du chef de la Zone 2, Youcef Zighoud*, des attaques
coordonnées sont lancées dans plusieurs villes (Philippeville, Constantine,
Guelma, Jemmapes) avec souvent à leur tête des civils en armes. L’opération
vise en priorité des cibles symboliques (casernes, commissariats, etc.) et dure
trois jours. Le bilan fait état de 123 morts dont 71 Européens, 21 Algériens et
31 membres des forces de l’ordre. La répression est féroce et fait des milliers
de morts mais, stratégiquement, le plan porte ses fruits et permet le ralliement
d’une large partie de la population à la lutte pour l’indépendance.
Durant les deux premières années de la guerre, l’autonomie est la règle et
chaque chef dispose de ses hommes, de sa zone, et détermine la stratégie
insurrectionnelle qu’il entend mener. Il faut attendre l’été 1956 pour qu’une
première réunion d’ampleur nationale tente d’organiser et de coordonner ces
forces armées. Il s’agit du congrès de la Soummam* qui se déroule en
Kabylie le 20 août 1956 en présence des seuls dirigeants des Zones 2 à 5
(Constantinois, Kabylie, Algérois et Oranais). Les membres de l’Aurès
(Zone 1) et du Sud sont absents, tout comme ceux de la délégation extérieure
qui se trouvent au Caire. Le fonctionnement de l’ALN est organisé et unifié,
ses structures définies. Les zones qui avaient été instaurées au déclenchement
de la guerre deviennent des wilayas. Une Zone autonome d’Alger* (ZAA) est
créée. Les wilayas sont divisées en zones (mintaqa), découpées en régions
(nahia), elles-mêmes subdivisées en secteurs (qism). Ce système reprend
largement celui de l’OS. À chaque niveau de circonscription correspond un
grade, le plus important étant celui de colonel. Cet élément est extrêmement
important dans la mesure où il instaure une division entre civil et militaire qui
n’existait pas jusque-là, les combattants étant dans leur écrasante majorité des
militants en armes. L’ALN est également organisée en bataillons (katiba)
eux-mêmes subdivisés en sections (ferka) et groupes (fawdj). Les traitements
des combattants sont réglementés et harmonisés. Enfin le congrès affirme
deux principes extrêmement importants : la primauté du politique sur le
militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. La direction politique du FLN est
assurée par un Conseil national de la révolution algérienne* (CNRA) de
34 membres et un Comité de coordination et d’exécution* (CCE) de
5 membres. Toutefois, ces principes sont rapidement battus en brèche. En
août 1957, lors de la réunion du CNRA du Caire, ils sont même inversés,
actant la mainmise des militaires sur le mouvement.
Lors du congrès de la Soummam, la possibilité d’entreprendre des actions
violentes dans les villes est évoquée, sans doute parce que l’attentat de la rue
Thèbes*, dans la casbah d’Alger, qui s’est produit seulement une dizaine de
jours auparavant et a fait des dizaines de victimes, a profondément marqué
les esprits. L’idée de répondre au terrorisme des ultras européens aboutit à un
changement d’échelle dans le terrorisme urbain. C’est là un tournant dans la
stratégie insurrectionnelle de l’ALN qui se déplace des campagnes vers les
villes. Les nombreux attentats de l’automne 1956 et du début de l’année 1957
marquent l’apogée de l’ALN en termes d’actions entreprises. La bataille
d’Alger* qui s’ensuit entraîne le démantèlement de l’organisation dans la
capitale, ses principaux membres sont arrêtés (Yacef Saadi*) ou tués (Larbi
Ben M’hidi*) tandis que le CCE se trouve obligé de fuir vers l’extérieur,
ouvrant la voie à la division entre intérieur et extérieur.
Fin 1957, l’ALN connaît son apogée avec près de 20 000 combattants,
dont les deux tiers se trouvent à l’est. À partir de 1958, le déclin des maquis
intérieurs débute. L’armement parvient de plus en plus difficilement en raison
des barrages* frontaliers tandis que les effectifs ne sont que très partiellement
renouvelés et commencent inexorablement à décroître à l’inverse de ceux des
frontières. À partir de 1959, débutent les opérations Challe* qui se déroulent
d’ouest en est. Ces opérations de reconquête du territoire (« Couronne » à
l’ouest, « Jumelles » en Kabylie, « Pierres précieuses » en Wilaya 2*)
déciment les wilayas qui se trouvent obligées d’éclater leurs troupes afin de
les rendre plus mobiles et de tenter d’échapper ainsi aux ratissages. Cela ne
suffit cependant pas et le potentiel humain diminue drastiquement, jusqu’à
50 % dans certaines régions. Fin 1961, on estime à 5 000 le nombre de
combattants de l’intérieur.
À l’été 1962, les maquis intérieurs sont largement impactés par la crise*
que traverse la direction du mouvement qui oppose le GPRA* à l’EMG*. Des
combats fratricides éclatent entre l’armée des frontières* et les wilayas
intérieures, particulièrement la 3* et la 4*, faisant de nombreuses victimes
sans qu’il soit actuellement possible d’en déterminer le nombre précis.
Saphia AREZKI
Bibl. : Saphia Arezki, De l’ALN à l’ANP : la construction de l’armée
algérienne (1954-1991), Éditions de la Sorbonne, 2022 • Mohammed Harbi,
Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise de pouvoir (1945-1962),
Jeune Afrique, 1980 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002.

ARMÉE DE MER, MARINE


Face à un adversaire sans moyens nautiques, la marine nationale a pour
première mission le barrage naval pour interdire toute livraison d’armes.
Tous les moyens dépendent du commandement de la marine (Comar) en
Algérie, à Mers El Kébir, afin d’exercer la Surmar ou surveillance maritime
pour le blocus de la longue côte rocheuse de 1 622 kilomètres. L’interception
de navires suspects dépend du vrai renseignement à la fois humain et
technique. Sur informations livrées par les services d’écoute du 2e bureau* de
la marine, par les agents du SDECE* parfois de connivence avec le Mossad
israélien, puis pistage aérien grâce aux avions à long rayon d’action type
Neptune, l’interception est confiée aux escorteurs d’escadre. Venant
d’Égypte*, le 16 octobre 1956, détourné vers Oran, l’Athos est le premier
navire saisi avec 80 tonnes d’armes. La plus grosse prise est celle du
Slovenija, cargo parti de Yougoslavie*, le 18 janvier 1958. Dans ses soutes,
500 tonnes d’armes, dont 200 mitrailleuses. Au total, sur 600 bâtiments
visités, 10 sont déroutés et 1 350 tonnes de matériels militaires sont saisies,
soit la totalité du matériel estimé de l’ALN* en 1958, contribution efficace à
l’asphyxie des maquis. Un seul échec : le cargo bulgare Bulgaria, le
12 novembre 1960, qui débarque à Tanger 1 800 tonnes de matériels. En
revanche, jamais le FLN*-ALN ne parvient à saboter des navires. Seule
l’OAS* prend en défaut la surveillance des coques par les plongeurs-
démineurs : le 13 décembre 1961, à Alger, le Laïta, navire de transport de la
marine servant de relais à l’ORTF*, subit un attentat et le 23 janvier 1962, à
Bône, le paquebot Djebel Dira est endommagé par une explosion.
La marine assure un service de transport entre la métropole et l’Algérie.
En raison des gros bataillons engagés pour les libérables et les hommes du
contingent envoyés dans les djebels, le mouvement des navires civils
réquisitionnés tient de la noria. Chaque semestre, puis deux fois par semestre
dès 1957, les quatre sous-marins de Mers El Kébir, tel l’Amazone, assurent
une veille discrète et dissuasive en accompagnant les transports de troupe. La
marine dispose de navires « rouliers » pour le transport de véhicules
militaires, dont sept Landing Ship Tank (LST), souvent à bout de souffle car
datant de 1944. Cinq bâtiments de débarquement de chars (BDC) plus grands
et construits en France prennent ensuite le relais. Il arrive aussi que les porte-
avions (PA) soient mis à contribution, tel le Bois-Belleau, comme transport
d’aéronefs. La logistique lourde et les transports de port à port dépendent de
cinq groupes de Landing Craft Mechanized (LCM). À partir de 1958, les
transports côtiers bénéficient du soutien de six engins de débarquement
d’infanterie et de chars (Edic) modernes. L’ensemble joue un rôle essentiel
lors de la phase de rembarquement. Du 11 juin au 22 juillet 1962, pour
suppléer les compagnies maritimes privées saturées, la marine rapatrie
17 496 personnes, dont 6 383 harkis*.
Comme en Indochine*, la marine participe à des actions visant des points
terrestres. Plusieurs fois en 1955 et en mars 1956, en soutien des
commandos* marine débarqués, « Trepel » et « Penfentenyo », les canons de
90 mm des croiseurs Guichen et Georges Leygues ouvrent le feu sur des
mechtas estimées « douteuses » ou des « zones de rassemblement », situées
sur la presqu’île de Collo… Le 8 mai 1956, l’escorteur côtier L’Indiscret
sauve de nuit le poste encerclé d’Abd El Aziz à l’aide d’obus éclairants puis
fusants. À compter de juin 1961, en raison du renforcement de l’ALN sur la
frontière occidentale, un escorteur d’escadre assure à Port-Say avec ses
canons de 127 mm une protection permanente.
La marine fournit également des missions à terre. Les rappels de
disponibles sous les drapeaux à l’automne 1955 et au printemps 1956, ainsi
que le service militaire* de vingt-quatre à vingt-sept mois à compter de 1956
lui permettent d’étoffer des unités existantes rentrant d’Indochine ou d’en
créer de nouvelles. Sur 72 000 hommes mobilisés, 15 500 en moyenne par an
sont affectés à terre. La garde des ports, phares, sémaphores, bases navales et
aéronavales est confiée à dix sections marines du littoral (SML), devenues en
octobre 1955 des compagnies de protection de 110 hommes chacune. Elles
arment des bateaux de pêche réquisitionnés. Un aspirant et quatre ou cinq
appelés composent les équipages de ces lamparos qui surveillent les zones de
pêche et les plages et visitent des grottes littorales. Elles assurent aussi des
patrouilles urbaines comme à Bougie, participent à des « bouclages » aux
côtés de l’armée de terre* et sont engagées dans la « pacification* » comme
la construction, sur la base aéronavale de Lartigue en 1959, de 120 logements
pour familles « indigènes » avec enclos pour le bétail et adduction d’eau.
Le corps d’élite au béret vert des fusiliers marins constitue l’épine dorsale
des unités de la marine à terre. Au centre Sirocco, près du cap Matifou, les
appelés qui y sont affectés subissent un entraînement éprouvant qui n’a rien à
envier aux professionnels des commandos marine. Le Centre des opérations
amphibies d’Arzew donne une formation complémentaire. Créée en
avril 1956 et affectée au secteur de Nemours, la demi-brigade de fusiliers-
marins (DBFM) compte trois bataillons d’infanterie, plus un peloton monté
de vingt-quatre chevaux. Ces curieux cavaliers au pompon rouge sont épaulés
lors des « nomadisations » dans le bled, début 1957, par le commando de
supplétifs* « Yatagan ». Outre la sécurité de la RN 7 (reliant Relizane à la
frontière algéro-marocaine), l’intense guerre souterraine des grottes, le
contrôle des populations et la guerre des mines* dans cette zone frontière
avec le Maroc*, la DBFM assure avant tout la protection du barrage pour sa
partie nord. Les fusiliers marins construisent des postes, tel celui de Sebabna
doté d’artillerie, posent des contre-mines éclairantes entre les deux réseaux
du barrage et assurent le service de « la herse » tout en poursuivant les
katibas infiltrées depuis le Maroc ou les recrues et djounoud qui tentent de
rejoindre les camps marocains de l’ALN. Un bataillon de la DBFM en 1959-
1960 participe au plan Challe*. Au total, lors de sa dissolution le 14 mars
1962, la DBFM compte 187 tués et 250 blessés. Sur la partie sud du barrage
oriental, l’Unité de détection au sol marine (UDSM), à l’effectif de
150 hommes fin 1957, utilise, avant le barrage occidental, des radars
américains de détection au sol type AN/PQ10, puis des radars de l’armée de
l’air* type Cotal.
Très sollicités, forts chacun de 84 hommes surentraînés, les quatre
commandos marine, « Jaubert », « Montfort », « Penfentenyo » et « Trepel »
sont multifonctions et regroupés en 1959 dans le Groupement de commandos
marine (Grouco). Utilisés pour rassurer les populations européennes,
poursuivre les katibas infiltrées sur le barrage occidental ou se transformer en
commandos de chasse lors du plan Challe, ils participent à quelques-uns des
combats les plus rudes de la guerre d’Algérie. Ainsi, le 6 mai 1959, au
combat du djebel M’Zi, face à deux bataillons de l’ALN chacun de
270 hommes, « Trepel » et « Jaubert » dégagent par leur assaut les
légionnaires du 2e REI fortement accrochés. Les commandos marine
comptent 50 tués et 70 blessés entre 1955 et 1962.
En soutien des unités au sol, la marine engage deux types d’aéronefs.
Disposant de la base de Lartigue, et partie des aérodromes de Maison-
Blanche et Télergma, l’aéronavale assure un barrage aérien de nuit avec ses
Hellcat et Aquilon équipés de radars. Les quadrimoteurs Lancaster, Privateer
et bimoteur Neptune effectuent des missions de « luciolage » avec des
bombes éclairantes pour la sécurité du barrage occidental, mais aussi pour
éclairer un héliportage de nuit. L’appui-feu direct des troupes au sol est
confié essentiellement aux Corsair armés de quatre canons de 20 mm. Ces
appareils bombardent aussi, y compris à l’aide de « bidons spéciaux » (BS ou
napalm), et interviennent dans la guerre des grottes par des tirs de roquettes.
L’aéronavale a par ailleurs des voilures tournantes. De l’évacuation des
blessés, on passe à l’héliportage de troupes et de matériels. Outre les H-19 et
H-21, monorotor, l’aéronavale utilise des H-21 ou « bananes volantes »
birotors. Les escadrilles 31 F, 32 F et 33 F disposent des HSS armés d’un
canon de 20 mm et d’une mitrailleuse à compter de novembre 1958. Ces
engins permettent de constituer les Détachements intervention hélicoptère
(DIH). « Nomadisant » dans les djebels, chacun compte cinq hélicoptères
cargos et un hélicoptère armé qui permet de tenir sous le feu les dropping
zones (DZ) où sont héliportées les troupes.
Enfin, sur le plan politique, la marine reste à l’écart de mai 1958, mais
lors du putsch* des généraux, certains Crabe-Tambour (le lieutenant de
vaisseau Guillaume) rejoignent la rébellion contre l’État. Aucun bâtiment ne
se rallie. Il s’agit d’actes individuels d’officiers*. À signaler, l’envol d’un
Neptune dont l’équipage d’officiers-mariniers est mis aux arrêts en arrivant à
Hyères. À la DBFM, si son commandement ne cache pas sa sympathie pour
les putschistes, la priorité demeure la veille au créneau.
Quant aux pertes totales des forces françaises en Algérie, l’armée navale
compte environ 15 % des 25 000 tués et 65 000 blessés.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Bernard Estival, La Marine française dans la guerre d’Algérie,
Marine Éditions, 2012.

ARMÉE DE TERRE
L’importance de l’effort de guerre de la France entre la « Toussaint
rouge » et l’indépendance algérienne peut se résumer à deux chiffres :
2 millions d’hommes dont 1 179 523 soldats du contingent qui ont franchi la
Méditerranée pour servir en Algérie.
Le caractère même du conflit – une guerre dite « de surface » –, la nature
du théâtre des opérations et l’existence d’une importante disproportion des
populations justifient la stratégie opérative du commandement français de
privilégier le quadrillage du territoire et dès lors l’engagement massif de
l’armée de terre. À la veille du déclenchement de l’insurrection, les unités de
l’armée de terre implantées dans la 10e Région militaire et les Territoires du
Sud* comprennent quelque 58 000 personnels dont 20 000 disponibles pour
des opérations de maintien de l’ordre. En effet, depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, l’Algérie sert de base arrière des renforts destinés au corps
expéditionnaire français en Extrême-Orient (Cefeo) en ne comportant que de
simples « dépôts ». La brusque aggravation de la situation en mars 1955
conduit le gouvernement présidé par Edgar Faure à faire adopter par
l’Assemblée nationale la loi no 55-385 relative à l’état d’urgence* suivie par
une mesure lourde de sens en rappelant les hommes de la classe 53-2 nés en
Algérie. Dans un premier temps, les seules troupes de métier, dont une partie
est rapatriée d’Indochine* en 1954, se contentent d’appliquer la stratégie des
opérations « au peigne fin » du général Cherrière* qui est rapidement
abandonnée en raison de son inefficacité. Après l’accession à l’indépendance
des deux protectorats du Maroc* et de la Tunisie* en mars 1956, les
régiments de l’armée d’Afrique (spahis, zouaves, tirailleurs algériens,
légionnaires) encore présents dans ces nouveaux États sont progressivement
repliés en Algérie dans un contexte de montée en puissance décidée par Paris,
sur demande pressante de l’état-major interarmées d’Alger. L’extension
rapide des zones d’insécurité impose la militarisation de l’Algérie : le
commandement procède au découpage et au maillage du territoire en trois
corps d’armée (Alger, Constantine et Oran), 14 zones, 75 secteurs et 220
quartiers. Cette stratégie dite « du quadrillage » pour assurer la surveillance
permanente des populations, démanteler les réseaux et l’organisation politico-
administrative (OPA) du FLN* et entraver les actions des unités combattantes
de l’ALN* exige une augmentation rapide des moyens en personnels qui
s’impose par l’envoi et le rappel de plusieurs classes du contingent. Mais il
faut se rendre à l’évidence : ces mesures ne répondent pas au défi lancé par
l’ALN. Aussi l’allongement de la durée du service militaire* par le maintien
du contingent au-delà de la durée légale – le service de vingt-sept mois entre
en application fin 1957 – devient le dernier recours pour réaliser le plan
d’action arrêté par les centres de décision de Paris et d’Alger. Ce basculement
sans préparation préalable de plus de la moitié de l’armée de terre de la
métropole sur ce théâtre d’opérations imprévu a pour effet de réunir les trois
composantes de l’armée de la IVe République* : l’armée d’Afrique, les
troupes coloniales et les troupes métropolitaines. Ces dernières se voient
attribuer en priorité des missions statiques dans les secteurs et les quartiers
dont elles ont la charge : il s’agit aussi de marquer la présence française et de
reprendre en main la population dans cette guerre à la fois révolutionnaire
pour les nationalistes algériens et tout à la fois subversive pour les officiers*
sortis de la guerre d’Indochine.
Les effectifs augmentent parallèlement à la mise en place de cette
nouvelle « administration » militaire du territoire : 100 000 hommes en
juin 1955 (3 divisions), 381 000 avec le rappel des disponibles en août 1956
pour atteindre le pic de 440 000 en août 1958 (16 divisions !). Il fallait aussi
compléter les tableaux d’effectifs des régiments de l’armée d’Afrique. C’est
pourquoi Paris fait appel aux Français musulmans, soumis à la conscription
depuis 1947 et aux mêmes obligations militaires que les citoyens originaires
de la métropole. Pour réduire les risques de désertion, ces appelés sont
instruits jusqu’en 1958 en France métropolitaine ou dans les garnisons des
Forces françaises d’Allemagne (FFA). Sur la base des archives* du SHD,
Charles-Robert Ageron* a estimé entre 107 000 et 116 000 le nombre des
convoqués qui ont été incorporés. L’écart entre le nombre de convoqués aux
Conseils de révision et celui des incorporés a varié de 30,74 % à 19 % en
1957 pour remonter à 31,63 % en 1958. Compte tenu des difficultés
inhérentes à la nature du conflit pouvant susciter des réserves légitimes des
FNSA qui justifiaient leur emploi hors des zones de refuge des katibas, on
peut conclure que leur incorporation n’était pas considérée par le haut
commandement comme une « variable d’ajustement », ce qui n’est pas le cas
pour l’appel aux engagements volontaires – 47 000 contrats souscrits entre
novembre 1954 et juin 1961. En revanche, les quelques régiments de
tirailleurs sénégalais venus du Maroc sont progressivement retirés à la suite
de graves incidents avec la population musulmane. Cependant l’infanterie et
l’artillerie de marine, dernières formations représentant les troupes coloniales,
occupent une place de choix parmi les forces d’intervention.
On assiste au retour inattendu aux méthodes de combat de la conquête de
l’Algérie avec l’emploi d’unités à cheval qui sont seules en mesure de
manœuvrer dans les régions les plus reculées où les infrastructures routières
font cruellement défaut. Ces escadrons de spahis et de nomades patrouillent
et « éclairent » les forces combattantes au cours des opérations. La création
des commandos* de chasse, « unités légères, à base de harkis* », par la
directive du général Challe* diffusée le 22 décembre 1958, quelques jours
après sa prise de commandement, marque un tournant dans la conduite des
opérations de « contre-guérilla » déjà adoptées par les parachutistes*. À partir
du lancement du « plan Challe* », ces commandos – dont six appartiennent à
la gendarmerie* – vont être largement mis en avant en s’appuyant sur un
imaginaire guerrier qui s’inspire de celui des parachutistes*. Ces troupes
supplétives à effectifs réduits qui rappellent les corps francs de la Seconde
Guerre mondiale et les « centaines » du 11e Choc sont bien encadrées par des
cadres professionnels et se muent en « têtes chercheuses » des katibas.
Enfin, la répartition des « armes et services » (infanterie, arme blindée-
cavalerie, artillerie, génie, train) montre l’importance des régiments et
groupes d’artillerie – plus efficaces que les blindés* – dont les effectifs
passent de 4 régiments le 1er novembre 1954* à 48 groupes de type
« bataillons d’infanterie » le 1er janvier 1961, soit 55 000 hommes
représentant plus de 13 % des effectifs de l’armée de terre. Mais les historiens
militaires s’accordent sur les erreurs initiales d’appréciation des états-majors
(Paris et Alger) sur la nature du conflit et leurs hésitations à lui apporter une
réponse politico-militaire cohérente alors même que le rapport des forces
combattantes au plus fort des combats (au corps à corps !) – les deux
adversaires font jeu égal de 1956 à la bataille des frontières* – pouvait
dispenser d’engager les « gros bataillons » dont l’utilité s’était vite révélée
aléatoire.
André-Paul COMOR
Archives : SHD Terre 1H 4688-4700 et 1H 4742-4.
Bibl. : Stéphanie Chauvin, « Des appelés comme les autres ? Les conscrits
“français de souche nord-africaine” pendant la guerre d’Algérie », Vingtième
Siècle, no 48, 1995.
ARMÉE DES FRONTIÈRES
L’armée des frontières est le nom donné aux forces militaires de l’ALN*
qui s’organisent et se structurent au niveau des frontières marocaines et
tunisiennes de l’Algérie à partir de 1956.
Cette année-là, les voisins de l’Algérie obtiennent successivement leur
indépendance en mars, permettant alors à l’ALN d’installer des bases fixes et
pérennes sur leur territoire. C’est par la Tunisie* que transitent par voie
terrestre les armes en provenance du Moyen-Orient, tandis qu’elles arrivent
par bateau au Maroc*. Consciente de la porosité des zones frontalières et des
transits d’armes qui s’y opèrent, l’armée française commence dès 1956 à
construire des barrages* électrifiés afin d’isoler le territoire algérien. C’est
ainsi qu’en juin 1956 débute le long de la frontière marocaine la construction
de la ligne Pédron. L’année suivante, c’est la ligne Morice qui est édifiée à
l’est du pays, rapidement doublée par la ligne Challe. Ces constructions
consistent en la mise en place d’un réseau de barbelés doublé d’une zone
minée (dont le déminage durera plus d’un demi-siècle) et de l’électrification
de la ligne.
Lorsque ces constructions débutent, les dirigeants algériens ne lancent
aucune opération afin de ralentir leur réalisation et vont même jusqu’à nier
l’évidence : « Les réseaux électrifiés ne créent pas de difficultés sérieuses
pour l’ALN », affirment Belkacem Krim* et Mahmoud Chérif* au journal El
Moudjahid (cités par Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des
origines à la prise de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980, p. 214). Ils
ne prennent la mesure du problème que vers la fin de l’année 1958, alors que
les barrages isolent les maquis intérieurs, rendant difficile, sinon risqué, le
franchissement des barrages aux maquisards chargés de l’acheminement des
armes. De ce fait, les forces de l’ALN stationnées à l’extérieur ne peuvent
venir en renfort des wilayas de l’intérieur, de plus en plus isolées. Elles
constituent l’embryon de la future armée indépendante.
Dans les zones frontalières, l’organisation de ces troupes prend du temps.
La plupart des combattants passés par ces zones témoignent de l’indiscipline
et de la désorganisation qui y règnent durant les premières années. C’est pour
remédier à ce problème qu’à la réunion du CCE* en avril 1958, Belkacem
Krim, responsable chargé du département de la guerre, conçoit les Comités
opérationnels militaires (COM). Ils sont divisés en deux avec un COM est
ayant sous sa tutelle les Wilayas 1*, 2*, 3*, siégeant à Ghardimaou ; avec à
sa tête Saïd Mohammedi*, et un COM ouest chargé des Wilayas 4*, 5*, 6*,
basé à Oujda, dirigé par Houari Boumediene*. Ces COM sont chargés de
détruire les barrages et d’envoyer des hommes et des armes aux maquis. Ces
objectifs ne sont toutefois pas réellement mis en œuvre.
Ces deux organismes fonctionnent en dehors du territoire national et
instituent de fait une rupture entre les maquis et les forces frontalières
appelées à devenir l’armée des frontières. À l’ouest, Houari Boumediene
parvient à mettre de l’ordre au niveau de ses troupes. À l’est, les querelles et
les luttes de pouvoir font de cette brève expérience un échec. Les COM sont
dissous le 9 septembre 1958 et remplacés par deux états-majors distincts,
dont les chefs Boumediene et Mohammedi sont reconduits.
Des actions sont mises en œuvre à partir de l’été 1959 pendant que les
opérations Challe* mettent à mal les wilayas intérieures. Des offensives
mobilisant d’importants effectifs sont lancées à la frontière orientale. Les
opérations de harcèlement et de sabotage du barrage visant à fixer les troupes
françaises et permettre le franchissement de combattants se soldent par un
échec et entraînent d’énormes pertes humaines.
Le commandant Idir tente alors d’organiser les forces stationnées à l’est,
en recourant aux compétences des officiers* et sous-officiers* déserteurs de
l’armée française*. L’opération est toutefois complexe tant les forces sont
dispersées et hétérogènes. Réaliser l’amalgame entre combattants des maquis,
jeunes de retour de formation au Moyen-Orient et anciens de l’armée
française est une tâche ardue qui ne commence à se concrétiser réellement
qu’à partir des décisions adoptées au CNRA* réuni à Tripoli en janvier 1960.
Il fut décidé de créer un Comité interministériel de guerre (CIG) regroupant
les 3 B (Belkacem Krim*, Bentobbal* et Boussouf*) et un État-major
général* (EMG) confié à Houari Boumediene. Celui-ci parvient à unifier les
troupes sous son commandement et à mettre sur pied une armée disciplinée
en voie de professionnalisation. C’est à sa tête qu’il pénètre en Algérie à l’été
1962.
Saphia AREZKI
Bibl. : Saphia Arezki, De l’ALN à l’ANP : la construction de l’armée
algérienne (1954-1991), Éditions de la Sorbonne, 2022 • Jean Delmas,
« L’évolution des barrages frontières en Algérie, la bataille des frontières »,
Revue internationale d’histoire militaire, no 76, 1997.

ARMÉE FRANÇAISE ET POLITIQUE


De Bonaparte à la Seconde Guerre mondiale avec Pétain, de Gaulle* et
Giraud, en passant par Mac Mahon, Boulanger et l’affaire Dreyfus, l’armée a
régulièrement été au cœur des enjeux politiques et des militaires de haut rang
ont dirigé la France. Avec cet héritage, des décennies durant, une partie des
représentants de la classe politique ont suspecté les officiers* de rêver au
renversement de la République. Le putsch* d’Alger, mettant un président de
la République lui-même général face à un « quarteron de généraux en
retraite », légitime cette crainte. L’événement est-il une forme
d’aboutissement logique ou une singularité liée à la guerre d’Algérie ?
Jusqu’au 13 mai 1958*, l’armée a pu et su faire entendre sa voix face aux
gouvernements de la IVe République*, prendre des initiatives (bombardement
de Sakiet Sidi Youssef* le 8 février 1958), contribuer au renversement d’un
gouvernement légal (Pierre Pflimlin*) et à un changement de régime.
L’objectif des officiers du 13 Mai n’est d’ailleurs pas de prendre le pouvoir
pour l’un d’entre eux (et ce au grand dam des civils) mais de garantir, après la
perte de l’Indochine*, la poursuite du combat en Algérie. C’est la politique
gaullienne à partir de l’autodétermination en 1959 qui va pousser les futurs
putschistes à agir. Et ce, après avoir refusé de « basculer » précédemment,
lorsque des civils auraient voulu les voir s’engager (barricades d’Alger,
manifestations de décembre 1960*). L’échec du putsch conduit les plus
décidés à l’OAS*.
Les putschistes représentent cependant moins de 1 % des cadres
d’officiers d’Algérie. Ils sont politisés au sens où ils sont marqués par un
anticommunisme conjugué à la lutte contre la « subversion » et la défense de
l’Empire. Une minorité seulement est consciemment politisée, issue de
l’Action française et/ou attachée au catholicisme* traditionaliste. Au-delà,
l’armée des djebels n’est pas une armée de pronunciamiento dotée d’une
colonne vertébrale idéologique. Sinon l’OAS, composée pour un tiers de
militaires (il y en a bien davantage dans sa direction), n’aurait-elle pas été
capable de proposer une plate-forme fixant une stratégie et un type d’État
pour faire vivre l’Algérie française ?
Olivier DARD
Bibl. : François Cochet et Olivier Dard (dir.), Subversion, anti-subversion,
contre-subversion, Riveneuve, 2009 • Olivier Forcade, Éric Duhamel et
Philippe Vial (dir.), Militaires en République. Les officiers, le pouvoir et la
vie politique en France, Publications de la Sorbonne, 1999 • Denis Leroux,
« Une armée révolutionnaire. La guerre d’Algérie du 5e bureau », thèse de
doctorat d’histoire sous la dir. de Raphaëlle Branche, Panthéon-Sorbonne,
2018.

ARMÉE NATIONALE POPULAIRE


(ANP)
L’ANP algérienne naît à l’été 1962 lorsque l’ALN* est rebaptisée,
vraisemblablement sous l’impulsion de Houari Boumediene* qui vient de
pénétrer sur le territoire algérien à la tête de l’armée des frontières*,
entérinant la prédominance des forces extérieures sur les maquis intérieurs.
Ce sont en effet les hommes des frontières qui vont constituer le noyau de
l’ANP. Un document du ministère de l’Armement et des Liaisons générales
(MALG) indique dès le mois d’avril 1962 que l’ALN des frontières « devra
constituer le noyau de la future armée ».
À l’indépendance, la priorité est de transformer l’ALN en une armée
moderne et professionnelle. C’est le colonel Houari Boumediene, en tant que
ministre de la Défense nationale, qui est chargé de cette tâche. Pour ce faire,
il s’entoure des hommes qu’il a rencontrés aux frontières et dont il a promu
un certain nombre.
La direction de l’ANP est alors confrontée à trois principaux défis : unir
cette armée disparate, former les hommes qui la composent et surtout
l’organiser.
En 1962, il n’existe pas une mais plusieurs armées. Il y a d’un côté les
wilayas intérieures largement autonomes et de l’autre l’armée des frontières.
Tahar Zbiri*, futur chef d’état-major de l’ANP, en témoigne dans ses
mémoires (2010) : « Nous avons eu tout le mal du monde à unifier l’armée,
parce que les six wilayas qui s’étaient formées durant la révolution avaient
toutes leur propre armée commandée par un chef auquel elle obéissait
exclusivement. » L’objectif est alors de fondre ces forces en une seule et
d’opérer un changement d’allégeance chez les combattants. En outre, à l’été
1962, une profonde crise a éclaté entre le GPRA* et l’État-major général*
(EMG), crise qui a entraîné de nombreuses divisions à l’intérieur de l’ALN
entre les wilayas qui penchaient plutôt du côté du GPRA et celles de l’EMG.
Les hommes appartenant aux premières se sont vus largement évincés des
cercles supérieurs de l’ANP tandis que les seconds y ont été plutôt bien
intégrés.
Un deuxième problème constitue un obstacle important à l’édification
d’une armée moderne : la question de l’illettrisme et, par extension, de la
formation militaire. En effet, en 1954, 86 % des hommes algériens sont
analphabètes ou illettrés. De ce fait, nombre de cadres de l’ALN ont un très
faible niveau d’instruction, l’ANP étant son héritière, la situation perdure. À
l’indépendance, l’illettrisme est présent à tous les échelons de la hiérarchie ;
dans certaines armes, le problème touche 70 % des officiers, parfois plus.
Même aux niveaux supérieurs de la hiérarchie, des militaires sont illettrés
comme en témoigne le cas d’Abderrahmane Bensalem, membre de l’état-
major à partir de 1964 et directeur d’une école militaire. Pour résorber ce
phénomène, l’ANP met en place une intense politique de formation militaire
en coopération avec essentiellement la France et l’URSS*, dans la continuité
de celle esquissée durant la guerre et grâce à laquelle plusieurs centaines de
combattants avaient reçu une première formation (dans la marine, l’aviation,
l’artillerie, etc.) au Moyen-Orient, en Chine* et en URSS. Cette politique
s’oriente selon deux objectifs qui s’inscrivent dans des temporalités
différentes : il s’agit de former rapidement des officiers supérieurs et, à
moyen terme, des sous-officiers et officiers qui pourront remplacer leurs
aînés. De manière sous-jacente, la formation vise également à renforcer la
cohésion de cette armée qui a fait face à de nombreuses crises, la plus
emblématique étant la tentative de coup d’État de Tahar Zbiri en
décembre 1967.
L’organisation et la structuration de l’ANP constituent enfin le troisième
défi que doit relever la direction de l’ANP et que supervise son chef : le
colonel Houari Boumediene. Celles-ci répondent à une stratégie particulière
mise en place par le ministre qui cherche à trouver un équilibre entre les
différents profils d’hommes à sa disposition. Schématiquement, on trouve les
anciens chefs maquisards, les anciens de l’armée française et les jeunes
formés militairement au Moyen-Orient durant la guerre. Une organisation
bicéphale se met alors en place, alliant la légitimité historique des uns aux
compétences techniques des autres. Au niveau central, c’est par exemple
Tahar Zbiri, homme du 1er Novembre*, qui est officiellement le second
homme fort de l’ANP en tant que chef d’état-major, toutefois c’est le
secrétaire général, Abdelkader Chabou, ancien de l’armée française, qui
paraît détenir la réalité du pouvoir. On retrouve cette configuration dans
plusieurs régions militaires. L’intégration des anciens de l’armée française
(DAF*) ne va pas sans difficulté, leur loyauté étant régulièrement mise en
doute ; toutefois Boumediene a besoin de leurs compétences qui font
cruellement défaut à l’indépendance. De plus, ces hommes lui doivent leur
ascension et leur intégration aux cercles supérieurs de l’armée, il est donc
assuré de leur fidélité dans une période où son autorité a pu être remise en
cause. Ainsi le bicéphalisme qu’instaure Houari Boumediene lui permet de
trouver un équilibre entre légitimité et compétences, les deux étant souvent
inversement proportionnelles. Enfin, il convient de mentionner que très peu
de textes régissent l’organisation du ministère, laissant une large autonomie
tant à son chef dans ses affectations qu’aux commandants de région dont les
actions paraissent bénéficier d’une liberté de manœuvre.
En décembre 1978, le président Boumediene décède précocement à l’âge
de 46 ans. Au terme de nombreuses tractations au sein des officiers
supérieurs de l’ANP, c’est le chef de la 2e Région militaire, Chadli
Bendjedid, qui lui succède. Celui-ci n’a pas le charisme de son prédécesseur.
Il est en quelque sorte un candidat par défaut. Sous sa présidence, l’ANP
connaît de nombreuses restructurations. Rapidement, le nouveau chef de
l’État, qui est également ministre de la Défense nationale, s’attelle à évincer
les piliers de l’ancien régime dont l’inamovible chef des renseignements
Kasdi Merbah au même titre que plusieurs officiers supérieurs proches du
défunt président. Une nouvelle génération* d’officiers émerge, constituée
principalement par les anciens de l’armée française de seconde génération et
les anciens du Moyen-Orient. Nombre d’entre eux ont servi sous ses ordres
dans la 2e Région militaire. D’un point de vue structurel, on note qu’à partir
de 1984, plusieurs transformations touchent l’institution. Les grades de
général et général-major sont créés. Un an plus tard, près d’une vingtaine
d’officiers sont promus. Le poste de chef d’état-major, qui avait disparu en
1967 à la suite de la tentative de coup d’État de Tahar Zbiri, est rétabli. En
1987, de nouveaux commandements sont créés (commandement des forces
terrestres, navales et aériennes). Enfin, la Sécurité militaire est restructurée.
Elle est l’objet de nombreuses transformations tout au long de la décennie
1980 qui aboutissent en 1990 à la création du Département du renseignement
et de la sécurité (DRS).
Saphia AREZKI
Bibl. : Saphia Arezki, De l’ALN à l’ANP : la construction de l’armée
algérienne (1954-1991), Éditions de la Sorbonne, 2022 • Abdelkader Yefsah,
Le Processus de légitimation du pouvoir militaire et la construction de l’État
en Algérie, Anthropos, 1982 • William Zartman, « L’élite algérienne sous la
présidence de Chadli Bendjedid », Maghreb-Machrek, no 106, 1984.

ART (HISTORIOGRAPHIE DE L’)


Interroger l’historiographie de l’art en Algérie oblige à prendre en compte
l’histoire coloniale et postcoloniale*. Il ne s’agit pas seulement
d’appréhender le régime visuel dominant, qui privilégiait la construction
d’une image de l’« Algérie heureuse » bien loin de ce que vivaient et
ressentaient les colonisés, mais aussi de situer la place des acteurs sociaux
dans le champ culturel. À l’époque coloniale, l’apport des artistes algériens
n’a longtemps bénéficié que d’une place subsidiaire et d’une reconnaissance
pour le moins lacunaire. Cette remarque vaut pour les outils documentaires
qui recensent les artistes, pour leur visibilité auprès des critiques d’art, leur
accueil dans les salons, leurs nominations aux prix et aux honneurs qui
distinguent les talents. Un instrument comme le Bénézit, défini comme
dictionnaire critique et documentaire des artistes « de tous les temps et de
tous les pays », est resté, y compris jusqu’à la toute fin du XXe siècle,
largement occidentalo-centré, et les artistes colonisés du Maghreb en état de
sous-représentation. Ainsi Azouaou Mammeri, le premier Algérien à se
considérer comme peintre dans son acception moderne et à exposer dans les
salons, n’a pas de notice personnelle, son nom apparaissant incidemment
dans la notice consacrée à Racim. Pour les anciens, nés au tournant du
e
XX siècle, seuls Hemche et Mohamed Racim sont cités. Ni le frère aîné Omar

Racim, enlumineur de talent, ni Boukerche, adepte de la peinture de chevalet,


ne sont mentionnés. Hormis les frères Racim qui orientèrent leur travail dans
l’esprit de la Nahda, la Renaissance culturelle arabo-musulmane qui
parcourut cette aire comme l’une des réponses symboliques à la domination
occidentale, les autres peintres adoptèrent le médium dans la continuité de la
peinture paysagiste et des scènes de genre dont se nourrissaient les peintres
européens installés sur place. Souvent critiqués après l’indépendance pour
cette position mimétique d’apprentis d’une culture allogène, ils sont pourtant
en position novatrice, symbole d’une hybridité en train de se construire, et
surtout ils sont les premiers à vouloir devenir maîtres de leurs propres
représentations des êtres et du pays, ce qui est un premier renversement
majeur en situation coloniale. Le manque de visibilité est encore plus criant
pour ceux qui ont construit une œuvre au long cours, véritable sacerdoce dans
un système qui ne leur reconnaissait ni leur place d’artistes ni leur processus
d’individuation : Yelles, Ali-Khoja, Temmam doivent pourtant être
considérés aujourd’hui comme d’incontournables jalons de l’art moderne en
Algérie, tout comme Guermaz, créateur d’une œuvre abstraite à la
remarquable singularité. Ces peintres ont œuvré pendant ou à la fin de la
période coloniale et la scène artistique de l’Algérie coloniale a chichement
reconnu leur apport. Le Grand prix artistique de l’Algérie peut servir de
marqueur de cette porte à peine entrouverte. Si Racim est le premier Algérien
à l’obtenir en 1933, il faut attendre 1955, après le début de l’insurrection,
pour qu’il soit décerné à un autre Algérien, Mammeri, mais à titre posthume,
alors qu’il peignait et exposait depuis 1910… Impossible rattrapage qui, à
peine exprimé, devint obsolète par la remise en cause de l’ordre colonial et
par la manière frontale dont la nouvelle génération* d’artistes algériens actifs
au moment de la Guerre d’indépendance bouscule les hiérarchies culturelles
implicites. Car à bien y regarder, lorsque l’on veut tracer à grands traits la
place réservée aux artistes algériens dans les expositions et l’écriture dédiées
à l’art moderne et contemporain, se dessine assez rapidement une certaine
dissymétrie. Bien que l’artisanat algérien et maghrébin soient mis en valeur
dans la production d’expositions et d’écrits sur l’art en période coloniale, la
hiérarchisation sociale et politique induite par le régime impérial structure
l’espace artistique. Une classification racialiste et essentialiste de la création
semble ainsi confiner les artistes « indigènes » dans des espaces assignés.
Lorsque le critique d’art Arsène Alexandre publie en 1907, sous commande
du gouvernement colonial, un rapport sur ses Réflexions sur les arts et
industries d’art en Algérie, il identifie la nécessité d’une « colonisation
culturelle » qui ménagerait et stimulerait le développement des arts
« traditionnels et authentiques […] indigènes ». Il en appelle à la création de
deux groupes de production dans le champ des arts en Algérie, un pôle dédié
aux arts indigènes qui côtoierait les artistes européens, formés et exerçants
sur le territoire, et qui par tropisme se stimuleraient mutuellement. Il faut
aussi considérer que l’accès à l’école des beaux-arts d’Alger est des plus
restreints pour les élèves « indigènes », dont le nombre n’excède que
difficilement les 10 % jusqu’en 1962. Ces « artistes arabes », ainsi listés dans
les registres de l’école, restent confinés, jusque dans les années 1930, dans un
enseignement distinct dédié aux arts traditionnels. Jusqu’au tournant du
e
XXI siècle, lorsque l’on cherche des ouvrages d’histoire de l’art abordant les

arts en Algérie, force est de constater que la représentation européenne,


orientaliste et coloniale prend le dessus et exclut presque systématiquement
les artistes algériens, de la période coloniale, du récit de l’art moderne dans le
sens européen du terme, hormis Baya vue dans le prisme de l’art brut. C’est
par ailleurs dans le tournant des années 1950, au moment du conflit, que
quelques artistes algériens viendront se former à Paris et seront exposés au
sein des manifestations d’avant-garde. C’est le cas notamment de Khadda,
Benanteur ou Mesli*, dont certains exposeront au Salon des réalités
nouvelles, soit sous le signe de l’abstraction. Pour les artistes algériens, le
combat pour l’indépendance ne se joue pas uniquement dans la nécessité de
s’engager personnellement pour le soutien ou la représentation d’« une guerre
sans nom », mais bel et bien dans le questionnement d’une création artistique
algérienne émancipée de la domination coloniale. Les œuvres et les écrits
théoriques d’artistes exerçant pendant la guerre, tels qu’Issiakhem ou
Khadda, soulignent la volonté de s’extraire d’une vision formatée du
territoire et des « indigènes » de l’ancienne colonie. Libérant la possibilité de
puiser tout autant dans les sources européennes et africaines que dans des
références visuelles antécoloniales ou d’influences contemporaines
internationales, ces artistes se réapproprient le médium peinture de chevalet,
importé par la colonisation, tel un « butin de guerre », selon l’expression de
Kateb* Yacine. Ils empruntent parfois les voies de l’abstraction, ou plutôt de
la non-figuration, à partir de laquelle certains identifient une généalogie
alternative issue de la peinture arabe du XIIIe siècle (al-Wasiti). Ces artistes
cherchent à sortir les artistes algériens « du ghetto » et à se désenclaver d’une
confrontation unilatérale entre deux États-nations pour permettre à la scène
artistique algérienne d’exister dans une histoire mondialisée des arts qu’il
reste à écrire. Mohamed Khadda, reconnu, pour des œuvres inspirées par la
calligraphie arabe, comme « peintre du signe » (Jean Sénac), enjoint à
considérer une utilisation syncrétique et internationaliste des sources
d’influence de l’art du temps présent, pour créer une esthétique émancipée,
un « art nouveau », propice à la « désaliénation de l’homme ». La place de la
création algérienne, comme celle d’autres pays anciennement colonisés, dans
les circuits d’expositions et l’écriture de l’histoire de l’art actuels forcent à
constater que cette interrogation des rapports de domination reste encore
prégnante.
Anissa BOUAYED et Émilie GOUDAL
Bibl. : M’hamed Issiakhem, « La Peinture », La Nouvelle Critique, no 112,
La culture algérienne, 1960 • Mohamed Khadda, Éléments pour un art
nouveau, suivis de Feuillets épars liés et inédits, Alger, Barzakh, 2015 •
Ramon Tio Bellido (dir.), Le XXe siècle dans l’art algérien, Aica Press, 2003.
ARTISTES PEINTRES
Beaucoup d’artistes héritiers, issus ou non de la diaspora algérienne, se
saisissent des archives* visuelles de la guerre et de l’appareil critique de la
décolonisation pour construire au présent des représentations d’une histoire
jugée lacunaire. Kamel Yahiaoui, hanté par le récit familial, réinstalle dans
ses sculptures et ses dessins El Finga (la guillotine), glaçante trace du
traumatisme causé par les exécutions capitales qui avaient lieu en plein cœur
de la Casbah où il a grandi. Dans un ensemble d’œuvres réalisées pour
l’exposition bilan du cinquantenaire qu’il nomme Un seul héros, le peuple…
mon père, Mustapha Sedjal réalise de nombreuses variations plastiques à
partir d’une photographie* des figures historiques des six « pères de la
révolution », dont plusieurs des acteurs, à l’instar de son père, ont été écartés
du récit national algérien maîtrisé. Zineb Sedira et Halida Boughriet, dans
leurs œuvres respectives, soulignent l’absence visible des femmes*
combattantes dans l’écriture visuelle du conflit. Halida Boughriet fait ainsi
émerger, dans la partie féminine de sa série photographique des Mémoires
dans l’oubli (2011), les portraits d’anciennes moudjahidate*, réduites au
silence, oubliées de l’histoire, qu’elle représente telles des odalisques
vieillissantes, inlassablement confinées dans la représentation orientaliste.
Zineb Sedira, quant à elle, produit depuis le tournant des années 2000 de
nombreux travaux consignant la mémoire des témoins de la guerre. Dans
Retelling History. My Mother Told Me (2003), l’artiste se filme en
conversation avec sa mère qui lui rend compte de la violence sexuelle que les
militaires français et harkis* exerçaient pendant la guerre sur les femmes de
son village en Algérie. La relecture au présent de l’histoire de la guerre est
également reprise par Ammar Bouras. Comme l’avait fait avant lui l’artiste et
moudjahida Myriam Ben, il s’inspire du poème Serment de Bachir Hadj Ali*,
ode à l’amitié entre les peuples, écrit à Alger pendant les manifestations de
décembre 1960*. Reprenant le titre et le texte, en voix off, la vidéo dissèque,
par la peinture et le photomontage vidéo, une histoire de la violence qu’il
faudrait pouvoir mettre à distance. Cette mise à distance critique est aussi au
cœur des travaux de Dalila Dalléas Bouzar lorsqu’elle produit sa série de
dessins Algérie année 0, ou quand commence la mémoire (2011-2012),
rassemblant les archives photographiques de la Guerre d’indépendance et des
violences des années 1990, qui trace un lien entre plusieurs générations*
témoins de deux séquences historiques de la violence en Algérie. En France,
d’autres artistes bousculent la persistance des dénis officiels : l’occultation du
massacre des manifestants algériens, par la police* de Paris le 17 octobre
1961*, est au centre des dessins d’Éric Manigaud ; le refus de reconnaître la
pratique systématique de la torture* est au cœur du travail d’Ernest Pignon-
Ernest*. Dans le Parcours Maurice Audin, il colle sur les murs d’Alger des
portraits du jeune mathématicien – « disparu » après avoir été torturé par les
paras –, pour rappeler le long déni de ce crime d’État, reconnu seulement en
2019 par le président de la République française. Cette intervention d’Ernest
Pignon-Ernest, réalisée en 2003, est sans doute plus connue du public que ses
premiers travaux algériens des années de guerre qui sont pourtant la matrice
de son œuvre éminemment politique.
Ces interrogations actuelles nous renvoient à celles des artistes qui ont
témoigné au moment des faits. Excepté le portrait de Djamila Boupacha* par
Picasso, qui donna de l’ampleur à la campagne contre les sévices subis par la
jeune militante après son arrestation, les œuvres d’artistes aussi célèbres
qu’André Masson ou Matta, contre la guerre, la prison*, la torture, ne sont
pas connues. Cet étonnement du public lors des expositions, rares il est vrai,
montre que rappeler les violences de la guerre coloniale demeure un acte
dérangeant pour la conscience collective. La réticence à lever le voile permet
de comprendre la difficulté des artistes des années 1950-1960 à montrer leurs
œuvres. Ce mal de voir commence avant le basculement dans la guerre quand
Mireille Miailhe et Boris Taslitzky, deux peintres communistes issus de la
Résistance*, ramènent un implacable reportage d’Algérie, dans l’hiver 1951-
1952, montrant les souffrances du peuple algérien et sa résolution à
combattre. Quand l’insurrection éclate en 1954, rares sont les artistes à
s’insurger contre une guerre injuste. Gasquet le fait en utilisant la référence
au Tres de Mayo pour montrer qu’une guerre dissymétrique commence quand
il peint La Fusillade (d’après Goya) qu’il ne peut exposer. Tandis que la
fresque métaphorique de Lorjou Renart à Sakiet est démantelée à Bruxelles
en 1958, Fougeron, en évoquant l’antique référence au massacre des
Innocents, représente, dans une veine réaliste, orphelins de guerre et civils
tués lors du bombardement par l’armée française du village de Sakiet Sidi
Youssef*. L’exposition de cette dernière œuvre à Paris provoque une
intervention de la police au Salon des indépendants. L’artiste italien Guttuso
renvoie à Delacroix avec le dessin La Liberté guidant le peuple algérien. Ces
artistes mobilisent ces références pour inscrire leurs œuvres dans une
généalogie de l’art face à la guerre.
Les peintres se confrontent aussi à une limite esthétique et éthique. Peut-
on représenter l’innommé, la torture, les viols*, les insoutenables violences
de guerre, devenus systématiques dans un conflit qui s’en prend aux civils ?
En France, Lapoujade répond par la non-figuration dans le Triptyque sur la
torture tandis que Masson, Matta, Lebel, en héritiers du surréalisme,
dénoncent les horreurs de la guerre coloniale. Ces artistes joignent aussi leur
protestation à celle des intellectuels en signant le « Manifeste* des 121 » en
1960. Chez les artistes italiens, proches du milieu communiste, Guttuso
réalise une série de toiles titrées Algérie française (1961) où les corps nus de
femmes violées résonnent tout autant avec l’affaire Djamila Boupacha
qu’avec une métaphore du territoire algérien pris de force. Cremonini aborde
également le thème de la torture dans des tableaux d’écorchés tel que Tête
torturée (1961) d’où la couleur rouge sang coule sur les contours de figures
déformées par la douleur. C’est également dans l’espace italien que sera
exposée une œuvre manifeste, peinte à plusieurs mains (Baj, Crippa, Dova,
Erro, Lebel, Recalcati), le Grand Tableau antifasciste collectif (1960), saisi
par les autorités italiennes pour atteinte à la religion. L’œuvre ne sera
restituée à ses auteurs qu’en 1987 au terme d’une longue bataille juridique et
ne sera par la suite que très difficilement exposée dans les musées français.
Du côté des artistes algériens colonisés, qui étaient en France pour achever
leur formation, le combat pour l’indépendance ne se joue pas uniquement
dans la nécessité de s’engager et de témoigner comme le font Issiakhem*
avec Algérie, 1960, Mesli*, avec Algérie en flammes, Khadda avec hommage
à Maurice Audin ou Benanteur avec la série Selon Charef. Sans jamais
tomber dans la propagande, leurs œuvres évoquent déjà par leurs titres le
martyre et la résistance du pays natal. Avec les artistes internationaux, ils ont
contribué à requalifier ces « événements » dans l’histoire visuelle d’une
guerre dont la puissance coloniale cherchait à taire le nom et à cacher les
méthodes. Sans doute pour ne pas rester les héritiers perplexes et tourmentés
d’un passé qui ne passe pas, la création artistique qui aborde cette guerre
montre par cette insistance même que la page, après plus de cinquante ans,
n’est pas tournée.
Anissa BOUAYED et Émilie GOUDAL
Bibl. : Anissa Bouayed, Les Artistes internationaux et la Révolution
algérienne, catalogue d’exposition, Musée national d’Art moderne et
contemporain, 2008 • Malika Dorbani-Bouabdellah, « La guerre d’Algérie et
les arts plastiques », in Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.), La Guerre
d’Algérie. 1954-2004, la fin de l’amnésie, Hachette, 2007 • Émilie Goudal,
Des damné(e)s de l’Histoire. Les arts visuels face à la guerre d’Algérie, Les
Presses du réel, 2019.

ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE
Créée par l’article 6 du statut de 1947*, l’Assemblée algérienne remplace
les délégations financières qui ont cessé de se réunir sous Vichy. Elles
géraient le budget de l’Algérie. Outre le vote du budget, l’Assemblée est
chargée d’étendre et d’appliquer les lois métropolitaines dans la colonie. Elle
peut aussi émettre des avis et faire des propositions. Face à la montée en
puissance des mouvements nationalistes, sa composition, ses élections*, son
fonctionnement, ses décisions en font un outil au service de la minorité
coloniale.
Renouvelable par tiers tous les trois ans, l’Assemblée compte 60 élus par
collège d’électeurs ; le premier représente une population française
approchant le million d’individus et le second une population algérienne
approchant les 8 millions. Les scrutins de 1948, 1951 et 1954 faussent de
surcroît la représentation du second collège. Aux truquages divers (urnes
bourrées ou substituées, secret non respecté, composition irrégulière des
bureaux, etc.) s’ajoutent les candidatures d’« indépendants » agréés par
l’administration, qui remportent la majorité. Aussi l’électorat du second
collège se désintéresse des scrutins. Le PPA-MTLD* finit par ne plus
présenter de candidats et prôner l’abstention. L’UDMA*, divisée sur la
question, ne compte plus que 5 élus en 1954. Enfin, les élus de l’Assemblée
ne bénéficiant pas de l’inviolabilité, certains d’entre eux sont victimes
d’arrestations, perquisitions et autres mesures répressives. Dans le premier
collège, les conservateurs dominent.
L’Assemblée fonctionne avec un bureau et des commissions (Législation
et Intérieur, Grands Travaux, Agriculture, etc.) au rôle décisif, mais les
nationalistes en sont écartés. Il n’existe pas de groupe, comme à l’Assemblée
nationale, permettant aux partis de s’exprimer. L’alternance entre les collèges
pour la présidence et le partage des vice-présidences (trois chacun) favorise
les personnalités consensuelles. Raymond Laquière, Sayah Abdelkader et
Abderrahmane Farès marquent en particulier la présidence. Les sessions
(trois de six semaines par an) sont houleuses et la parole est verrouillée –
Ferhat Abbas*, par exemple, est expulsé des débats. Jacques Chevallier*, élu
en 1951, anime un court temps une tendance libérale, qui permet notamment
à Ahmed Francis, de l’UDMA, d’intégrer la commission des Finances et de
l’Habitat. Signe de son orientation, l’Assemblée rejette toute motion sur les
questions coloniales (situation au Vietnam, répression des nationalistes en
Algérie, etc.) mais elle suit l’actualité métropolitaine. Elle adopte par
exemple un vœu sur la révision des condamnations de collaborateurs par les
chambres civiques. Toutefois, les élus du premier collège, qui ambitionnent
d’ériger l’Assemblée en lieu de souveraineté à leur profit, sont contrecarrés
par les autorités. Ils n’obtiennent pas un rang de choix dans le protocole
officiel et symboliquement, l’appellation « députés » leur est refusée. Les
élus de l’Assemblée sont nommés « délégués », en référence aux délégations
financières.
Après le 1er novembre 1954*, les élus du premier collège manifestent leur
défiance envers le gouvernement Mendès France*. Ils rejettent l’intégration
défendue par Soustelle*, sauf en matière économique et sociale. Ceux du
second collège finissent par proclamer leur adhésion à l’« idée nationale
algérienne » au sein du Comité des 61. Ce dernier est formé le 26 septembre
1955 par quarante-deux élus à l’Assemblée algérienne, des députés, des
sénateurs et des conseillers de l’Union française. Ils répondent ainsi à l’appel
du FLN* qui cherche leur ralliement. Les élus du premier collège, de leur
côté, forment un Comité pour l’Algérie française. Après un ultime vote du
budget, l’Assemblée algérienne est dissoute par Robert Lacoste* le 12 avril
1956. Non seulement, argumente celui-ci, la désaffection des élus du second
collège la condamne mais elle n’a pas rempli ses missions. Le statut de 1947
lui avait en effet confié quatre tâches : organiser le droit de vote des femmes*
« musulmanes » (article 4), supprimer les communes mixtes (article 53),
revoir l’administration des biens des fondations pieuses musulmanes
conformément au principe de laïcité (article 56), assurer l’enseignement de la
langue arabe (article 57). Aucune n’a été menée à bien. En matière
économique et sociale, elle a ménagé les intérêts coloniaux. Comptant sur
l’aide métropolitaine, elle a adopté une politique fiscale conservatrice,
éminemment inéquitable et, d’abord intéressée par l’agriculture, elle a
délaissé tout autant la prospection minière et pétrolière qu’une
industrialisation indispensable au développement d’une colonie minée par le
chômage.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Tayeb Chenntouf, « L’Assemblée algérienne (1947-1956) », thèse
sous la dir. de X. Yacono, faculté des lettres et sciences humaines de Paris,
1969 • Ivo Rens, L’Assemblée algérienne, Pedone, 1957.

ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUANTE
Le 20 septembre 1962, conformément aux accords d’Évian* et sous
l’égide de l’Exécutif provisoire*, a lieu l’élection de l’Assemblée nationale
constituante. L’installation de l’Assemblée s’inscrit dans le processus de
l’édification des institutions* de l’Algérie indépendante et, de facto, de la
légitimation du nouveau pouvoir installé dans un contexte de guerre fratricide
et d’instabilité politique.
Cette élection a été reportée deux fois à cause des rebondissements de la
crise du FLN* de l’été 1962* opposant le GPRA*, les wilayas et l’état-major.
La publication, le 16 août 1962, des listes des 198 candidats cooptés par le
Bureau politique (BP), réuni autour de Ben Bella*, est rejetée par les Wilayas
3* et 4*. En fin de compte, la première liste des candidatures proposées à
l’approbation du peuple ne fait que refléter les profondes divergences qui ont
éclaté entre les dirigeants du FLN lors de la réunion du CNRA* à Tripoli* de
mai-juin 1962. L’exclusion des listes de nombreuses personnalités tels
Benyoucef Ben Khedda*, Boussouf*, Boubnider*, n’a pas pour autant
empêché d’anciens membres du GPRA d’y siéger. Sont également
marginalisées des organisations importantes comme l’UGTA* et l’Ugema*.
Cependant, des figures historiques hostiles au BP comme Belkacem Krim* et
Hocine Aït Ahmed* seront représentées à l’Assemblée. Apprenant par la
presse* sa candidature dans le département de Sétif, Mohamed Boudiaf*
décide de ne pas siéger à l’Assemblée et présente sa démission le 15 octobre
1963. En bref, la sélection des candidats, soumise en théorie aux critères
institutionnels, géographiques, et à la participation à l’action révolutionnaire
a privilégié en réalité l’allégeance à Ben Bella et au BP. La veille de la
consultation électorale, Ben Bella appelle la population algérienne à voter
massivement pour « sortir du provisoire ». Le 20 septembre, sur
6 328 000 électeurs et électrices inscrits, 5 302 294 approuvent les listes
proposées, 18 680 votent non tandis que l’abstention cumule 1 026 121 voix.
Sur les 196 sièges de députés, 15 représentent la population européenne et 10
sont dévolus aux femmes*.
Le 25 septembre, les députés élisent Ferhat Abbas* comme président de
l’Assemblée constituante, proclament la République algérienne démocratique
et populaire, s’attellent à désigner le gouvernement provisoire et à préparer la
future Constitution de l’Algérie. Seul candidat, le 26 septembre, Ben Bella est
investi comme chef de gouvernement. Le 28 septembre, la présentation de
l’équipe ministérielle est approuvée par 159 voix contre 1 et 19 abstentions.
Cette quasi-unanimité ouvre la voie à « une concentration du pouvoir autour
du Président » (Leca, Vatin, p. 52), réduisant l’action de l’Assemblée à n’être
qu’une caisse de résonance.
La seconde tâche dévolue à l’Assemblée constituante est de doter
l’Algérie d’une Constitution. Elle en confie la rédaction du projet à une
commission parlementaire qui ne peut mener à bien sa mission. L’immixtion
personnelle de Ben Bella et celle du BP dessaisissent, en effet, l’Assemblée
de son pouvoir constituant. Ferhat Abbas dénonce cette atteinte à la légalité
formelle d’une Assemblée souveraine et un « geste extrêmement grave ». Il
démissionne de son poste le 14 août 1963. C’est Hadj Ben Alla*, un fidèle de
Ben Bella, qui assure l’intérim (avant d’être élu président de l’Assemblée le
1er octobre).
L’avant-projet de Constitution sera soumis à la discussion des députés du
24 au 28 août 1963, avant d’être adopté par 139 voix et approuvé par le
référendum du 8 septembre. Promulguée le 10 septembre, la première
Constitution de l’Algérie indépendante consacre le principe du parti unique
(le FLN) et son hégémonie sur la vie politique. L’exercice des droits et
libertés est garanti, mais dans le respect des intérêts de la révolution
socialiste. De même les pouvoirs de l’Assemblée populaire nationale et du
président de la République, si étendus soient-ils, sont strictement
subordonnés au parti unique du FLN qui se veut parti d’avant-garde. Le
11 septembre 1963, le parti du FLN réunit ses partisans à la salle Majestic
(actuelle salle Atlas-Bab El Oued) et propose la candidature de Ben Bella à la
magistrature suprême ; le 15 septembre, Ben Bella devient le premier
président de la République algérienne. À la faveur de l’évolution politique
critique tant à l’intérieur par « la rébellion du FFS » qu’à la frontière orientale
par les affrontements avec l’armée marocaine, Ben Bella s’octroie les pleins
pouvoirs le 3 octobre 1963, conformément à l’article 59 de la Constitution.
De fait, la Constitution ne survivra pas à l’arrestation de Ben Bella lors du
coup d’État fomenté par le colonel Boumediene* le 19 juin 1965. Elle est, en
effet, abrogée.
Belkacem BENZENINE
Bibl. : Jean Leca et Jean-Claude Vatin, L’Algérie politique : institutions et
régime, FNSP, 1975 • Amar Mohand-Amer, « La crise du Front de libération
nationale de l’été 1962. Indépendance et enjeux de pouvoirs », thèse de
doctorat d’histoire sous la dir. d’O. Carlier, Paris-7, 2010 • Anisse Salah-Bey,
« L’Assemblée nationale constituante algérienne », Annuaire de l’Afrique du
Nord. 1962, 1964.
ASSOCIATION DES ULÉMAS
MUSULMANS ALGÉRIENS (AUMA)
Créée le 5 mai 1931 au siège du cercle culturel du Progrès (Nadi Tarakki)
à Alger, l’AUMA devient très vite un acteur majeur de la vie culturelle et
politique de l’Algérie.
Avec Abdelhamid Ben Badis comme président et Bachir El Ibrahimi*
comme vice-président, elle s’implique dans le débat politique du moment.
Son slogan « L’islam et notre religion, l’Arabe est notre langue, l’Algérie est
notre patrie » résume son orientation. Son action principale est consacrée au
développement de l’instruction en langue arabe.
Durant l’entre-deux-guerres, elle constitue un courant important du
nationalisme* algérien, dont l’intransigeance se précise dans la « déclaration
nette » parue dans El-Chihâ, au mois d’avril 1936, en réponse à la profession
de foi assimilationniste de Ferhat Abbas*. D’où les réserves exprimées à
l’encontre du projet Blum-Viollette. Mais au gré de la conjoncture, par
pragmatisme, l’AUMA s’impose au Congrès musulman (juin 1936), tout
comme elle participe plus tard au Front algérien pour la défense et le respect
des libertés (FADRL) aux côtés de tous les partis nationalistes (1951).
Au déclenchement de la guerre de libération nationale, El Ibrahimi, qui
dirige l’association, est au Caire quand Ahmed Ben Bella lit l’« Appel » du
1er novembre 1954*, sur les ondes de la radio* égyptienne. La première
réaction exprimée dans un communiqué co-signé avec Fodil El Wartilani le
2 novembre fait référence au djihad et aux erreurs de la politique coloniale
mais ne se prononce pas ouvertement en faveur de la lutte engagée par le
FLN*. Cette position attentiste relève du refus de se fondre dans le nouveau
mouvement et de la volonté de préserver par conséquent son autonomie.
Entre-temps, en janvier 1955, des contacts sont pris avec Brahim Bayoud de
l’UDMA* et Ahmed Mezerna du MNA* en vue de créer un rassemblement
populaire algérien regroupant toutes les tendances nationalistes. De son côté,
la tentative de la délégation extérieure du FLN au Caire échoue malgré les
pressions de Fethi Dib des RG égyptiens à rallier le MNA, les ulémas et
l’UDMA en février 1955.
En Algérie, au début du soulèvement, les positions officielles des ulémas
sont prudentes. Ils œuvrent surtout à assurer leur mission d’instruction et de
soutien aux étudiants* algériens à l’étranger. Ils apportent discrètement leur
soutien à l’ALN* tout en maintenant des contacts avec le gouvernement
français, jouant ainsi le jeu de la légalité (Ahmed Nadir).
Le 7 janvier 1956, à l’issue de la clôture de l’Assemblée générale de
l’Association des ulémas, réunie en Algérie, un communiqué signé par Larbi
Tébessi* et Tewfik El Madani* prend position en faveur du « combat
triomphant pour le Droit, la Justice et la liberté en Algérie ». L’association
reconnaît, sans le mentionner, le FLN comme étant « le représentant
authentique du peuple algérien ».
L’année 1956 connaîtra donc le ralliement officiel des ulémas au FLN.
Les principales figures comme El Madani, Kheireddine* et cheikh Abbas
rejoignent les instances du FLN. Le premier sera membre du CNRA* issu du
congrès de la Soummam*, puis ministre des Affaires culturelles du premier
GPRA*, le deuxième sera représentant du FLN au Maroc* et le troisième
représentant du FLN en Arabie Saoudite. Tébessi, qui entretenait des contacts
avec les responsables du FLN, et dont les conditions de sa disparition, le
4 avril 1957, ne sont toujours pas élucidées, demeure pour l’Association des
ulémas la preuve intangible de leur plein engagement pour la révolution, aux
côtés de bien d’autres tels Ahmed Sahnoun et Mohamed Chebbouki.
Aussitôt, les activités de l’association sont mises en sourdine en l’absence de
ses principaux leaders partis à l’étranger ou arrêtés. À Constantine, l’institut
Ben Badis est fermé par l’administration coloniale en 1957.
Leur organe El Bassair, dont les articles sont jugés subversifs, est saisi à
la suite de l’insurrection du 20 août 1955*, avant d’être interdit.
Au moment de la crise de l’été 1962*, El Ibrahimi appelle en vain les
différents protagonistes à la sagesse.
En octobre 1962, El Ibrahimi regagne Alger. Ses critiques au vu des
options socialistes affichées par Ben Bella lui valent d’être placé en résidence
surveillée. Paradoxalement, certains de ses membres occupent des postes à
responsabilité sous le régime de Ben Bella comme El Madani, nommé
ministre des Affaires religieuses.
Belkacem BENZENINE
Bibl. : Charlotte Courreye, « L’Association des oulémas musulmans
algériens et la construction de l’État algérien indépendant : fondation,
héritages, appropriations et antagonismes (1931-1991) », doctorat sous la dir.
de C. Mayeur-Jaouen, Inalco, 2016 • Ali Merad, Le Réformisme musulman en
Algérie de 1925 à 1960. Essai d’histoire religieuse, Mouton & Cie, 1967 •
Ahmed Nadir, Le Mouvement réformiste algérien : son rôle dans la
formation de l’idéologie nationale, Paris-3, 1968.

ASSOCIATION GÉNÉRALE
DES ÉTUDIANTS D’ALGÉRIE (AGEA)
L’Agea fut l’une des plus anciennes et des plus actives associations
d’étudiants* de France. Fondée dès 1883 sous le nom « Société des étudiants
d’Alger », elle reste difficile à connaître faute d’avoir conservé ses archives*
avant 1919 ; mais l’entre-deux-guerres fut sa plus grande époque, à en juger
d’après sa revue Alger-étudiants. En 1930, elle organisa le congrès annuel de
l’Unef*, alors présidée par l’Algérois Paul Saurin. Il fit élire ensemble à la
vice-présidence de l’Unef le président de l’Agea et celui de l’Association des
étudiants musulmans de l’Afrique du Nord (Aeman), Ferhat Abbas*. Après la
période plus obscure de la Deuxième Guerre mondiale, l’Agea retrouve son
dynamisme, jusqu’au moment où la guerre d’Algérie lui apporte un défi
majeur.
Attachée à rassembler tous les étudiants d’Alger par des activités
communes d’entraide matérielle et culturelle, l’Agea n’a pourtant pas
toujours réussi à le faire. Il semble que les statuts de 1893, imposant la
nécessité d’un parrainage et d’un vote pour toute admission, aient été utilisés
pour exclure les étudiants juifs*. Ce qui expliquerait la participation
d’étudiants aux manifestations antijuives de 1898 conduites par l’étudiant
algérois Max Régis. En 1919 encore, le gouverneur général doit intervenir
pour mettre fin à l’exclusion des étudiants juifs et à la minoration des droits
des musulmans (qui fondèrent en réaction l’Aeman). En 1940, l’abrogation
du décret Crémieux par le gouvernement de Vichy, entraînant une sévère
diminution du nombre d’étudiants juifs admis à l’université d’Alger*, est
approuvée par les présidents de l’Agea.
Quant aux étudiants musulmans, acceptés par l’Agea mais sans droit de
vote en 1919, ils sont admis comme membres à part entière en 1922, et en
bloc dans la mesure où l’Aeman accepte de s’affilier à l’Agea en 1924.
L’Agea continue pourtant d’espérer, comme elle l’exige en 1936, que
l’Aeman accepterait de se dissoudre, mais celle-ci refuse toujours.
C’est en 1956 qu’éclate le conflit ouvert entre l’Agea et l’Union générale
des étudiants musulmans algériens* (Ugema). L’émotion collective
déclenchée à Alger par les élections* législatives du 2 janvier 1956 (qui, pour
les Français d’Algérie, semblaient conduire à la fin de l’Algérie française
sans qu’ils aient été consultés) provoque la contestation de la direction trop
modérée de l’Agea par un « Comité d’action universitaire » (CAU), qui
obtient sa démission par un référendum des étudiants. Désormais, la direction
de l’Agea est, jusqu’à la fin de la guerre, fermement engagée dans le camp de
l’Algérie française au nom des « sentiments d’honneur et de patriotisme », ce
qui incite l’Ugema à couper les ponts en décidant l’appel à la grève* des
cours et des examens du 19 mai 1956. Cet engagement politique fut
symbolisé par la personne des deux plus célèbres présidents de l’Agea. Pierre
Lagaillarde*, jeune avocat retourné à l’université d’Alger après avoir servi
dans les parachutistes* en 1957, prend d’assaut en uniforme le Gouvernement
général* d’Alger le 13 mai 1958*. Élu député, il réoccupe l’université pour
en faire un camp retranché pendant la semaine des barricades* (24 janvier-
1er février 1960). Son successeur à la tête de l’Agea depuis novembre 1959,
Jean-Jacques Susini*, participe lui aussi aux barricades. Évadés à la fin de
1960, ils rejoignent le général Salan* à Madrid et y fondent l’OAS* au début
de 1961. Lors du putsch* des généraux (22 au 25 avril 1961), le premier
choisit de rester en Espagne mais le second accompagne Salan à Alger et
reste son principal conseiller jusqu’à la fin de l’OAS algéroise. L’un de ses
derniers actes, peu avant la signature d’un cessez-le-feu avec le Dr Mostefaï
(responsable FLN* de l’Exécutif provisoire*) le 17 juin 1962, est une
campagne de destruction qui va jusqu’à mettre le feu à la bibliothèque de
l’université d’Alger (bien que l’OAS y ait de solides appuis dans le corps
enseignant des quatre facultés). Celle-ci est abandonnée par la très grande
majorité des enseignants et des étudiants qui fuient l’Algérie en 1962, mais le
retour de la plupart des étudiants algériens qui avaient étudié en France
métropolitaine ou à l’étranger et l’arrivée de coopérants français favorables à
l’indépendance assurent la transition de l’université coloniale à l’université
nationale algérienne.
Guy PERVILLÉ
Bibl. : Guy Pervillé, Les Étudiants algériens de l’Université française, 1881-
1962, Éditions du CNRS, 1984.

ATTENTAT AU BAZOOKA
Le 16 janvier 1957 à 19 heures, une explosion ravage le bureau de l’état-
major du général Salan*, commandant en chef arrivé deux mois plus tôt.
Salan, hors du bureau à ce moment précis, est indemne mais le commandant
Rodier décède. Cet attentat stupéfie les responsables civils et militaires qui
l’imputent d’abord au FLN* ou aux communistes. Cependant, l’arme, un
bazooka, est inhabituelle. Elle est également artisanale : deux tronçons de
gouttière de près de deux mètres de long ficelés sur des affûts de fortune.
Juché sur un escabeau depuis une terrasse d’immeuble faisant face à celui de
la 10e Région, le tireur a braqué l’arme sur la fenêtre du bureau et tiré ses
deux roquettes. Un travail de professionnel, effectué par Philippe Castille, un
ancien du 11e Choc, et cadre de l’Oraf*, dirigée par le Dr René Kovacs. Cette
organisation contre-terroriste a planifié une quinzaine d’attentats sur Alger
entre mai et novembre 1956. Elle est dissoute mais son patron entend
combattre les « tièdes », notamment Salan, le « croque-mort de l’Indo ».
Kovacs ne pensait pas que les autorités remonteraient jusqu’à l’Oraf mais les
premières arrestations ont lieu le 26 janvier et les mis en cause parlent. Leurs
dires sont confirmés par une enquête sur l’achat des câbles à Alger.
L’implication des hommes de l’Oraf ne fait aucun doute et ils sont placés
sous les verrous dans l’attente de leur procès. Kovacs a toutefois incriminé un
« Comité des six », dont Michel Debré* serait la cheville ouvrière avec le
général Cogny : l’attentat aurait été commandité par les gaullistes et une
partie de l’armée. Salan lui-même aurait donné du crédit au scénario. Les
commissions rogatoires et les auditions peinent à l’étayer. Le procès du
bazooka ne s’ouvre que le 24 juillet 1958. Bénéficiant d’une liberté
provisoire lors de la première audience, Kovacs ne se présente pas à la
suivante et est condamné à mort par contumace. Castille, qui a écopé de
douze ans, réussit à s’évader à la faveur de la semaine des barricades* pour se
retrouver à Madrid, au côté de Salan en février 1961 et participer à l’OAS*.
Dossier particulièrement embrouillé, l’affaire du bazooka continue de
diviser : certains la minimisent, d’autres la considèrent comme un des signes
avant-coureurs des « 13 complots du 13 Mai » mettant en cause les liens
entre gaullistes et activistes.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Bob
Maloubier, Bazooka. La confession de Philipe Castille, Levallois-Perret,
Filipacchi, 1988.

ATTENTAT DE CHÂTEAU-ROYAL
Le 15 mars 1962, un commando « Delta » de six membres arrive peu
après 10 h 30 au lieu-dit « Le Château-Royal », siège des centres sociaux
éducatifs* (CSE), près d’Alger. Une réunion débute sous la conduite de Max
Marchand, chef du service. Très organisé, le commando neutralise les
personnels et les communications, installe des fusils-mitrailleurs dans la cour
et investit la salle. L’un de ses membres, muni d’une liste, appelle sept
hommes : Robert Eymard (ou Aimard, selon les sources), Marcel Basset,
Mouloud Feraoun*, Ali Hammoutene, Max Marchand, Salah Ould Aoudia et
René Petitbon. Ce dernier est absent. Invité à la réunion en tant que directeur
du Service de formation des jeunes en Algérie (SFJA), il est visé par l’OAS*
pour avoir négocié avec certains de ses responsables (non mandatés) un
projet de partition refusé en janvier 1962 par l’Élysée ; l’Organisation a
éliminé ces dissidents. Les six autres hommes, anciens instituteurs,
inspecteurs de l’enseignement primaire ou encore directeurs d’école et de
cours complémentaire, devenus les principaux responsables des CSE, sont
conduits dans la cour, placés dos au mur et exécutés. Signé par des
professionnels (109 douilles retrouvées, un seul impact en hauteur), l’attentat
a fait l’objet d’une préparation extrêmement rigoureuse.
Cet attentat a suscité un hommage solennel des autorités et pourtant
aucune suite judiciaire n’a été donnée. Le ministre de l’Éducation nationale,
Lucien Paye, a suivi l’enterrement placé sous très haute sécurité. En
métropole, la presse* a dénoncé le « fascisme » de l’OAS et la violence des
siens, « les maniaques du meurtre » pour France Observateur. Elle a
également rendu un hommage appuyé aux victimes, en particulier à l’écrivain
Mouloud Feraoun. Chez les tenants de l’Algérie française, en France, Jacques
Soustelle*, fondateur des centres sociaux en 1955, choisit le silence. À Alger,
il n’est pas question de désavouer les hommes de Degueldre* et l’Agea*
dénonce « le caractère odieux de l’exploitation faite par les autorités de la
mort de six membres des centres sociaux ». Pour l’OAS, comme l’a dit Jean
Gardes* au procès des barricades en 1960, les CSE sont « truffés d’agents »
du FLN*. Jean-Jacques Susini* reprend ce discours à son compte jusqu’en
2012 dans ses Confessions.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Jean-Philippe
Ould Aoudia, L’Assassinat de Château-Royal. Alger : 15 mars 1962,
Tirésias-Michel Reynaud, 1992.

ATTENTAT DE LA RUE DE THÈBES


(9 AU 10 AOÛT 1956, RUE BOUDRIÈS-PÈRE-ET-
FILS)
L’attentat de la rue de Thèbes est l’œuvre des ultras européens
appartenant à l’Organisation de la résistance de l’Afrique française* (Oraf)
appelée aussi Comité des quarante. Au lendemain de l’exécution par la
guillotine d’Ahmed Zabana* et Abdelkader Ferradj, Yacef Saadi* ordonne à
ses commandos* de commettre une série d’attentats qui secouent Alger.
Disposant de renseignements fournis par la police*, deux hommes de l’Oraf,
René Kovacs et Michel Fechoz, se chargent à leur tour de détruire le bâtiment
abritant le refuge où loge le commando ayant commis l’attentat de Bab El
Oued du 20 juin 1956. La puissante charge de plastic fabriquée par Philippe
Castille, artificier au 11e Choc (SDECE*), a été placée au seuil de l’immeuble
situé au numéro 9 de la rue de Thèbes, alors que c’était le couvre-feu. La
déflagration a surpris les habitants en plein sommeil, elle a non seulement
provoqué l’effondrement de l’immeuble visé mais a affecté également les
maisons voisines. À mains nues, « 16 cadavres dont 9 enfants et 37 blessés »
sont retirés des décombres selon les chiffres officiels, 70 morts et une
centaine de blessés selon Yacef Saadi. La population de la Casbah crie
vengeance, Yacef Saadi et ses hommes réussissent difficilement à contenir sa
colère. L’enquête de police tourne court et n’apporte aucun signe
d’apaisement. La seule « protection » apportée par les autorités aux habitants
se traduit par la fermeture de toutes les issues de la Casbah par des barrages
de barbelés et l’intensification des contrôles aux points de passage autorisés.
Le lendemain, en guise de solidarité avec les victimes et en signe de
protestation, les dockers* observent un débrayage paralysant le port d’Alger.
Deux jours plus tard, c’est au tour des commerçants de la Casbah de faire
grève*. Cependant, ces formes de lutte pacifique ne peuvent endiguer
l’engrenage du tandem violences-répression qui envahit la ville d’autant plus
que le Comité antirépublicain des quarante revendique l’attentat dans un tract
émis le 21 août et annonce l’application de la loi du talion. Aux bombes des
ultras vont bientôt répondre les bombes du FLN* fabriquées dans la Casbah
même. Commence alors un cycle d’actions terroristes et contre-terroristes,
particulièrement meurtrières et sans pareilles à Alger. Ce seuil franchi
contribue à radicaliser les deux camps adverses. En silence mais de manière
déterminée, l’organisation FLN étend ses réseaux à l’échelle de la ville,
ralliant l’opinion* algérienne à ses mots d’ordre et consolidant de fait sa
représentativité tandis que l’équivoque de l’expression « opérations de
maintien de l’ordre » est dissipée par l’intensification des actions de l’armée
française, forte des dispositions des pouvoirs spéciaux*.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Alain Ruscio, Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, La
Découverte, 2015 • Yacef Saadi, La Bataille d’Alger, Enal, 1982.
ATTENTAT DU PETIT-CLAMART
Le 22 août 1962, 20 h 08, au Petit-Clamart, avenue de la Libération
(aujourd’hui du Général-de-Gaulle), un homme agite un journal, L’Aurore,
au passage de la DS conduisant de Gaulle* et son épouse à l’aéroport de
Villacoublay. Un commando positionné un peu plus loin prend la voiture
sous un feu nourri (150 douilles retrouvées, pour 40 secondes de tir). Trois
balles y pénètrent, une traverse l’habitacle. D’autres touchent l’extérieur. Le
couple est indemne grâce à un concours de circonstances : les premiers tireurs
ont perçu le signal avec retard et le véhicule roulait plus vite que prévu. Cet
attentat, qui n’est ni le premier ni le dernier visant de Gaulle, choque car la
guerre d’Algérie est achevée. Qui sont les responsables, leurs soutiens et
motivations ? Les responsables de l’OAS* sont sous les verrous ou en fuite,
et l’organisation est en plein délitement. Certes, on retrouve dans la direction
de l’opération un officier*, Alain de Bougrenet de la Tocnaye, et deux
véritables militants dans un commando d’une quinzaine d’hommes où
cohabitent pieds-noirs* passés par l’activisme, étudiants* nationalistes et
anticommunistes hongrois. Mais c’est plutôt du côté du Conseil national de la
Résistance, polarisé sur l’élimination de De Gaulle, qu’il faut chercher. Il a
suivi de loin l’entreprise dont le chef est Jean Bichon, un ancien de la maison
Martin, arrêté seulement en 1964 et la cheville ouvrière le polytechnicien
Jean-Marie Bastien-Thiry (« Didier ») qui aurait connu Bichon via André
Zeller*. « Didier », nourri de références à saint Thomas d’Aquin et au
tyrannicide, justifie l’exécution de ce « chef d’État de fait ». L’attentat de
1962 n’est pas le premier perpétré par Bastien-Thiry qui était déjà le cerveau
de celui de Pont-sur-Seine (8 septembre 1961). Il a pensé de longue date et
minutieusement préparé le suivant ; il y a investi ses propres deniers. Sans
attirer l’attention. Car le commissaire Bouvier, chargé de l’enquête,
n’imagine pas en remontant la filière des protagonistes arriver au profil d’un
ingénieur militaire brillant et plein d’avenir. Arrêté, Bastien-Thiry avoue son
acte le 17 septembre. Il le justifie dans ses auditions comme devant la Cour
militaire de justice à partir du 28 janvier 1963. Condamné à mort le 4 mars
suivant comme deux autres des accusés, il n’est pas gracié et est exécuté le
11 mars.
Olivier DARD
Bibl. : Jean-Noël Jeanneney, Un attentat. Petit-Clamart, 22 août 1962, Seuil,
2016 • Le Procès de l’attentat du Petit-Clamart. Compte rendu
sténographique, Albin Michel, 1963.

ATTENTATS D’ALGER
À Alger, l’engrenage des attentats est déclenché par les premières
exécutions de condamnés à mort algériens : Ahmed Zabana* et Abdelkader
Ferradj, qui sont guillotinés le 19 juin 1956 à la prison* de Barberousse.
Abane* Ramdane, qui est parvenu à réimplanter l’organisation dans la ville
après l’arrestation de Rabah Bitat* un an plus tôt, fait alors diffuser un tract
annonçant la mise à mort sans distinction de 100 Français de sexe masculin
âgés de 18 à 54 ans pour chaque moudjahid* exécuté. Ses réseaux passent
rapidement à l’action puisque, dès le 20 juin et jusqu’à la fin du mois, 72
attentats sont dénombrés dans des lieux publics par des jets de grenade ou des
tirs d’arme à feu. Ils font 49 victimes. Les attaques se poursuivent le mois
suivant : le 19 juillet, un mitraillage dans le quartier européen de Bab El
Oued cause la mort de 1 civil et en blesse 3 autres. Puis, le 10 août 1956,
l’attentat de la rue de Thèbes* renforce l’engrenage. Il est en effet commis
par des activistes français membres de l’Organisation de la résistance de
l’Afrique française* (Oraf), qui ont déjà perpétré des attentats matériels dans
la ville depuis le printemps. Dans une logique se réclamant d’un « contre-
terrorisme », ils visent ce jour-là la rue de Thèbes, dans la Casbah, tuant 16
musulmans et en blessant 57 selon le bilan* officiel établi par le
Gouvernement général*, quand le FLN* dénonce plus de 80 morts et 14
blessés. En représailles, les responsables de la Zone autonome d’Alger*
(ZAA) décident de multiplier les attaques en accentuant la terreur par
l’utilisation de bombes artisanales. Leur fabrication avait déjà été lancée, les
grenades ayant été jugées insuffisamment efficaces. Les premières tentatives
de production d’explosifs sont menées clandestinement à l’hôpital Mustapha.
Benyoucef Ben Khedda*, membre du CCE* qui joue le rôle d’état-major du
FLN dans la métropole algéroise, rassemble des hommes dotés des
compétences techniques nécessaires (fondeurs, soudeurs, électriciens,
chimistes, etc.) et crée des ateliers. Il met aussi en place toute une
organisation logistique assurant l’approvisionnement en matériaux ainsi que
le transport des engins une fois ceux-ci assemblés et prévoit l’aménagement
de caches pour les stocker. De son côté, Yacef Saadi*, un ouvrier boulanger
algérois, recrute des jeunes femmes* pour déposer les bombes ou lui servir
d’agents de liaison. Il s’attache le concours de quelques Européennes, telle
Annie Steiner* qui transporte du courrier ou du matériel pour un laboratoire
de fabrication d’explosifs. Arrêtée, elle écope de cinq années de prison. Les
Algériennes doivent modifier leur apparence pour échapper aux contrôles
lorsqu’elles quittent la Casbah et ne pas attirer l’attention sur les lieux des
attentats. Le 25 septembre 1956, Larbi Ben M’hidi* ordonne de passer à
l’action. Pour frapper fort et marquer les esprits, le CCE procède de manière
coordonnée, en plusieurs endroits dans le centre-ville : au Milk-Bar, à la
Cafétéria et dans les locaux d’Air France. La date et l’heure retenues – le
dimanche 30 septembre en fin d’après-midi – visent à faire un maximum de
victimes car en cette veille de rentrée des classes, nombre de familles
algéroises fréquentent les lieux publics. Au Milk-Bar et à la Cafétéria, les
secours relèvent 4 morts et 52 blessés, dont 12 doivent être amputés. À la
suite d’une erreur de l’artificier, l’engin déposé à Air France n’explose pas.
Le chaos engendré par ces deux attentats conduit la sûreté d’Alger à engager
tous les moyens dont elle dispose. Deux semaines plus tard, des membres du
réseau de Yacef Saadi sont interpellés. Malgré ce revers, le FLN garde son
potentiel d’action et les attentats se multiplient dans la ville. Le 7 janvier
1957, cependant, c’est la perspective de la grève* générale à l’approche de la
réunion de l’ONU* qui conduit à déléguer les pouvoirs de police* aux
parachutistes du général Massu*. La 10e division parachutiste* (DP) doit
démanteler la ZAA. Conscient de la menace qui pèse sur l’organisation,
Yacef Saadi obtient de Larbi Ben M’hidi d’intensifier les attentats afin de
démontrer aux Algériens que le Front conserve une pleine liberté d’action. Le
samedi 26 janvier en fin d’après-midi, trois engins explosent dans un
intervalle de quelques minutes. Outre la Cafétéria, à nouveau frappée, sont
pris pour cible L’Otomatic, un établissement très prisé de la jeunesse
algéroise situé juste en face, ainsi que le Coq Hardi dans le quartier des
facultés. Les secours relèvent 4 tués et 37 blessés, dont de nombreuses
femmes. Un jeune musulman est alors lynché à mort par la foule. Si grâce à
un fichage généralisé de la population de la Casbah, à des arrestations
massives et à l’usage de la torture* rapidement décriés, les parachutistes de la
10e DP progressent rapidement dans l’identification des réseaux, ces derniers
n’en demeurent pas moins opérationnels en adaptant leurs cibles. En effet, le
centre-ville étant quadrillé, Yacef Saadi frappe en banlieue. Le 10 février
1957, 4 bombes sont déposées au stade d’El Biar et au stade municipal de
Belcourt, faisant 12 morts et 45 blessés. L’arrestation de Ben M’hidi
quelques jours plus tard et la fuite des principaux membres du CCE ne
mettent pas un terme aux explosions qui, entre le 1er janvier et la fin
avril 1957, font 120 tués et 780 blessés. Progressivement affaiblis, les
réseaux de la ZAA cessent un temps leur activité avant de se réorganiser et de
perpétrer un nouvel attentat : le 3 juin 1957, dans l’après-midi, 4 terroristes se
faisant passer pour des employés de la compagnie EGA effectuant des
travaux d’entretien dissimulent des bombes dans des lampadaires jouxtant
3 arrêts d’autobus. Préréglées pour exploser à 18 heures, heure de pointe,
elles font 12 morts et 90 blessés, dont 33 sont amputés. Mais le profil des
victimes, parmi lesquelles des élèves européens et musulmans, suscite la
réprobation, y compris parmi des Algériens favorables à l’indépendance.
Prenant la mesure de l’erreur commise, Yacef Saadi organise rapidement un
nouvel attentat visant cette fois un lieu essentiellement fréquenté par des
Européens. Le 9 juin 1957, jour de la Pentecôte, un complice employé du très
populaire Casino de la Corniche situé en banlieue d’Alger place sous
l’orchestre une bombe qui tue 8 personnes et en blesse 81, dont 10 sont
amputées. Les obsèques des victimes s’accompagnent de violences à
l’encontre de musulmans. Le général Massu rappelle alors à Alger les
régiments partis nomadiser hors de la ville, avec l’objectif de neutraliser au
plus vite ce qui reste de la ZAA du FLN. Celle-ci étant déjà en grande partie
identifiée, elle est totalement défaite en quatre mois, sans avoir pu organiser
de nouvel attentat meurtrier après celui du Casino de la Corniche.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Jacques Massu, La Vraie Bataille d’Alger, Plon, 1971 • Pierre
Pellissier, La Bataille d’Alger, Perrin, 1995 • Yacef Saadi, La Bataille
d’Alger, Julliard, 1962.

ATTENTATS DE L’OAS EN ALGÉRIE


Dès sa structuration en mai-juin 1961, l’OAS* a entrepris de perpétrer
des attentats aussi bien contre des biens que contre des personnes sous la
forme de plasticages ou d’« opérations ponctuelles ». Sur Alger, celles-ci sont
conduites par Jean-Claude Pérez, le patron de la branche Organisation-
Renseignements-Opérations (ORO), dont le bras armé est constitué des
commandos « Delta » de Roger Degueldre*. La première opération
marquante est perpétrée contre le commissaire Gavoury* le 31 mai 1961 mais
c’est à partir de l’été que l’organisation monte en puissance. En novembre, on
dénombre dans le Grand Alger 488 attentats – 32 par armes à feu, 456
plasticages, ce qui débouche sur 22 tués (dont 9 « Européens ») et 72 blessés.
Au cours de ce même mois et sur ce même territoire, le FLN* perpètre 112
attentats qui entraînent la mort de 37 personnes, dont 20 « Européens », et
font 107 blessés. Le terrorisme OAS ne frappe pas qu’à Alger. À Oran, où
l’OAS locale s’est structurée plus tardivement, les mois de septembre et
octobre 1961 marquent le triomphe du plastic (113 attentats à l’explosif en
septembre et 196 en octobre). Vient ensuite celui des « opérations
ponctuelles » présentées dans les tracts comme des opérations de
« désinfection ». Comme à Alger, elles se marquent par la volonté d’éliminer
des représentants des autorités, visant notamment le commissaire principal
Micelli, grièvement blessé le 10 décembre. D’autres catégories sont dûment
ciblées par une propagande* fleurie : « courageux à culottes humides et
certains égoïstes à portefeuille hermétique », « fellouzes d’appellations
contrôlées », « rouges garantis degré maximum » ou « gaullards ». Ainsi le
président de l’association de soutien à l’action du général de Gaulle*, Gaston
Pernot, doit être évacué vers la métropole, grièvement blessé en octobre 1961
après qu’un commando dirigé par « Mytho », la patronne de la 5e colline, a
tenté de l’achever à l’hôpital. Si les attentats perpétrés à Oran mobilisent les
autorités, à la fin de l’automne 1961, c’est Alger qui retient toute l’attention.
Les OP s’y développent et touchent des personnalités « européennes » ou
« musulmanes » connues comme William Lévy, le secrétaire de la fédération
SFIO* d’Alger ou le sénateur Salah Benaceur. Sans oublier les attaques
contre des « repaires » FLN. La décision est donc prise d’envoyer sur place
une mission spéciale chargée de la lutte anti-OAS, la mission C de Michel
Hacq qui ne doit pas être confondue avec les « barbouzes* » qui arrivent au
même moment. Les débuts de la mission C sont difficiles et ce n’est qu’à
partir de janvier qu’elle enregistre des premiers résultats tangibles et
commence à opérer des arrestations au sein de l’OAS. Ces succès
gouvernementaux ne signifient pas que les attentats diminuent comme le
montrent les statistiques : les morts victimes de l’OAS s’élèvent à 55 en
décembre sur Alger-ville à 120 en janvier 1962, 170 en février et 325 en
mars. Au fur et à mesure, l’organisation est démantelée et désorganisée,
notamment par les arrestations de Salan* ou Degueldre, et l’indépendance
devient inéluctable après que l’OAS n’a pu mettre en échec les accords
d’Évian*. C’est alors que les victimes d’attentats se multiplient. Le pic est
atteint à Alger en mai 1962 avec certaines opérations spectaculaires comme
celle à la voiture piégée perpétrée le 2 mai sur le port devant le centre
d’embauche des dockers* : toutes les victimes sont des musulmans. À l’heure
de la « terre brûlée », le terrorisme aveugle (mitraillages collectifs) prolifère
tandis que reprennent les plasticages, notamment contre des bâtiments
publics. Incandescente en mai, la situation s’apaise progressivement à Alger
en juin : les attentats de l’OAS y diminuent très fortement sur fond de
discussions d’un « accord FLN/OAS ». Les choses sont très différentes à
Oran où les dirigeants locaux de l’OAS dénoncent la « trahison » d’Alger. Ils
rêvent encore à une partition tandis que se perpètrent les dernières actions
spectaculaires comme l’incendie des cuves du port le 25 juin 1962. C’est
pourtant la fin, les commandos plient bagage et ne sont plus sur place le
5 juillet 1962*.
Le bilan* (établi par Roger Le Doussal) des attentats de l’OAS sur Alger-
ville d’avril 1961 à juin 1962 se solde comme suit : 5 225 attentats (dont
3 293 pour 1962) qui ont provoqué 1 731 morts, dont 124 pour 1961 et 960
pour les seuls mois d’avril et de mai 1962. La chronologie repérée sur Alger
se confirme pour le reste de l’Algérie : au total, 13 109 attentats y ont été
perpétrés d’avril 1961 à la mi-juin 1962, dont 8 197 pour 1962. 3 600 ont été
provoqués par armes à feu (188 seulement en 1961). Le nombre de morts
s’élève à 2 551, dont 122 pour 1961, et 1 519 pour les mois d’avril et
mai 1962.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Roger
Le Doussal, La « mission C ». Alger, décembre 1961-juin 1962. De Gaulle
contre l’OAS, histoire d’une répression, Fauves Éditions, 2020.

ATTENTATS DE L’OAS EN FRANCE


Les attentats de l’OAS* en métropole sont beaucoup moins nombreux et
moins meurtriers que ceux perpétrés en Algérie. Ils s’élèvent cependant à
près de 700 entre avril 1961 et septembre 1962, soit 39 par mois en moyenne.
61 morts et 394 blessés leur sont attribuables. Ils émanent de groupements
variés qui renvoient à la complexité de ce qu’il faut entendre par OAS en
métropole, qui n’est pas synonyme d’OAS-Métropole (OAS-Métro). Un
rapport interne à l’OAS pointe ainsi « le problème le plus délicat » :
« l’acceptation d’une hiérarchie unique par les différentes factions », sachant
que « tout le monde se prétend la seule OAS. » L’OAS en métropole dépasse
largement l’extension et la représentation de celle d’Alger qui avait chargé le
capitaine Sergent, arrivé sur Paris en juin 1961, de mettre en place une OAS-
Métro. L’OAS en métropole est une nébuleuse territorialisée de réseaux plus
ou moins « accrochés », comme on dit à l’époque, à une structure plus large
(OAS-Métro, appuyée sur les monarchistes de la Restauration nationale et le
journal L’Esprit public, Mission III de l’industriel algérois André Canal, lié
aux anciens de Jeune Nation*) ; certains font plus ou moins cavalier seul
comme Résurrection-Patrie de l’ancien poujadiste* Marcel Bouyer dans le
Sud-Ouest ou l’équipe Bichon-Bastien-Thiry qui a monté les attentats de
Pont-sur-Seine (8 septembre 1961) et du Petit-Clamart* (22 août 1962)
contre de Gaulle*.
La question des attentats les divise. Du côté de l’OAS-Métro, implantée
notamment dans l’Est (dans le milieu militaire – réseau RC 4) et dans l’Ouest
(Horace Savelli), Sergent est conscient de l’hostilité de l’opinion* ; il
s’interroge donc sur l’opportunité politique des attentats même si l’OAS-
Métro en a perpétré. Le point de vue de Canal, arrivé en métropole en
novembre 1961 avec un accréditif personnel de Salan*, est bien différent. Il
privilégie l’action par le plastic. « L’OAS » présente donc des visages
divers : en Lorraine, si l’OAS-Métro dispose d’armes et d’hommes, sa
direction, dominée par des militaires, rechigne à s’engager dans des attentats
tandis que Mission III, sous la houlette de Jacques Guéritot, ancien de Jeune
Nation, se lance avec beaucoup moins de moyens dans des « nuits bleues ».
Les six recensées auraient pu avoir des conséquences dramatiques si leurs
maîtres d’œuvre avaient été des professionnels du terrorisme.
Les attentats « OAS » ne répondent donc pas à une stratégie
d’ensemble coordonnée. La chronologie met en lumière l’importance des
réseaux Canal, qui entrent en action au cours de l’hiver 1961. Ils augmentent
substantiellement les attentats : 268 entre janvier et mars 1962, soit 89 par
mois en moyenne, ce qui représente 39 % du total. L’implantation de sa
Mission III en région parisienne explique aussi que plus de 40 % des attentats
y sont perpétrés. Globalement, les attentats « OAS » ont surtout ciblé des
personnalités politiques (206, principalement communistes et gaullistes, dont
23 députés), et ce sous la forme de plasticages de leurs domiciles. Des
intellectuels favorables à l’indépendance de l’Algérie ont aussi été visés, de
même que des journaux et des journalistes parisiens (8 contre Le Monde*,
5 contre Le Figaro* et France-Soir) ou provinciaux (51 attentats concernant
28 journaux, notamment communistes). Ajoutons encore des édifices publics,
en particulier des mairies, des moyens de transport comme des trains (l’OAS
fut accusée du déraillement de l’express Paris-Strasbourg le 18 juin 1961 qui
cause 24 morts), ou encore des infrastructures publiques électriques (une
vingtaine de transformateurs et de pylônes touchés) ; et enfin, des mitraillages
de cafés étiquetés FLN* (une cinquantaine de cas recensés). Cette violence
quotidienne, qui redouble au cours des premiers mois de 1962, a marqué les
Français de métropole qui sont largement hostiles à l’OAS. En
décembre 1961, ils n’étaient que 9 % à penser que l’OAS « lutte
courageusement » et 5 % à soutenir sa position de faire la guerre « avec les
moyens nécessaires ». L’attentat du 7 février 1962 visant André Malraux et
qui blesse gravement Delphine Renard, alors âgée de 4 ans, marque un
tournant. Sa photo à la une de Paris-Match et la manifestation de Charonne*
du 8 février achèvent de discréditer l’OAS. La multiplication des attentats
accentue également la répression étatique. Les autorités ont pu, comme dans
l’Ouest, sous-estimer les soutiens de l’OAS et se voir accuser de
complaisance coupable par les forces de gauche. Au fil des mois, les réseaux
« OAS » sont démantelés et, après septembre 1962 (si on excepte les
tentatives d’assassinat du général de Gaulle), l’OAS ne perpètre plus
d’attentats. En métropole comme en Algérie, il n’était pas question pour le
régime gaulliste de perdre la bataille de l’ordre public.
Olivier DARD
Bibl. : Jacques Delarue, L’OAS contre de Gaulle, Fayard, 1994 • Arnaud
Déroulède, OAS. Étude d’une organisation clandestine, Jean Curutchet,
1997 • Anne-Marie Duranton-Crabol, Le Temps de l’OAS, Bruxelles,
Complexe, 1995.

ATTENTATS DU FLN EN FRANCE


En 1958, le ministère de l’Intérieur crée un fichier central consacré aux
actions violentes de « Nord-Africains » en métropole et relevées par les
Services régionaux de police judiciaire : des « règlements de comptes », on
est passé aux « attentats par armes à feu » ou aux « attentats terroristes ». Si
des expéditions violentes sont commises par les deux partis rivaux, MNA* et
FLN*, celles du FLN sont à la fois plus nombreuses et continues, plus
diverses dans leurs cibles, et couvrent une surface plus large du territoire
national.
La création de ce fichier découle de l’ouverture d’un « second front » en
métropole par le FLN. En août-septembre 1958, celui-ci commet des attentats
contre tout ce qui peut représenter la puissance et l’autorité coloniales. En
quelques jours (26-28 septembre) et dans un même département (la
Normandie), par exemple, le commissariat central de Rouen (deux gardiens
de la paix tués), la raffinerie Shell à Grand-Couronne et l’usine à gaz de
Grand-Quevilly sont attaqués. L’attentat le plus retentissant est sans doute
l’explosion suivie d’un gigantesque incendie, dans la nuit du 25 août 1958, de
la raffinerie de Mourepiane (Bouches-du-Rhône) : elle se solde par la mort
d’un pompier et une vingtaine de blessés, dont le maire de Marseille*. Ces
attaques spectaculaires contre les forces de police*, l’armée, les
infrastructures économiques, restent néanmoins très limitées. Dans la durée,
les attentats internes à la communauté algérienne se perpétuent, notamment
les mitraillages de cafés. Le 8 avril 1957, par exemple, en plein ramadan,
deux cafés messalistes de Lyon* sont attaqués, faisant plusieurs morts. Le
2 janvier 1959, à Chelles, la devanture d’un café est mitraillée : quatre clients
(deux métropolitains, deux Algériens) sont blessés. Le 23 janvier 1959, une
bouteille d’essence enflammée est jetée dans la salle commune d’un débit de
boissons à Marseille. Des métropolitains sont souvent témoins de ces scènes
de guérilla* urbaine, certains sont touchés et meurent : passants, épouses de
patrons d’établissements, serveuses. Les journaux évoquent un climat de
terreur. On parle aussi d’« attentats » lorsque des Algériens sont pris en
embuscade* sur leur trajet entre le domicile et le travail, lorsqu’ils sont
assassinés dans leurs chambres ou lorsqu’ils tombent dans de véritables
guets-apens.
Les forces de l’ordre, notamment la gendarmerie*, les inspecteurs de la
police judiciaire, les brigades des agressions et violences et quelques services
spécialisés comme la brigade criminelle d’outre-mer à Marseille, sont
pleinement mobilisées. Elles fichent les suspects, lancent des perquisitions
dans les meublés et recourent massivement aux indicateurs. Bien des attentats
sont alors déjoués, comme le 19 octobre 1958, lorsqu’un « groupe de
terroristes du FLN » est arrêté dans la Loire alors qu’il s’apprêtait à lancer
une série d’attaques notamment contre la manufacture des armes de Saint-
Étienne. Les découvertes d’armes sont aussi nombreuses que les inlassables
démantèlements de trafics* par-delà les frontières. Parfois, des attentats
échouent du fait de l’inexpérience des militants du FLN : le 27 septembre
1958, trois Algériens meurent à Gagny dans une explosion à domicile alors
qu’ils confectionnaient une bombe. Il est très rare que les auteurs des attentats
ne soient pas arrêtés.
Ils se rattachent à deux groupes armés. D’une part, les membres de
l’Organisation spéciale* (OS), indépendante de l’Organisation politico-
administrative (OPA) du FLN, sont chargés des missions les plus
dangereuses : attaques de casernes ou de commissariats, de dépôts d’essence,
de chefs du parti rival. D’autre part, des groupes de choc, dépendants de
l’OPA, traquent et punissent les réfractaires, les traîtres (indicateurs), les
ennemis (messalistes), et toutes celles et ceux qui ne suivent pas les ordres du
FLN (consommation d’alcool par exemple). Sur le papier, ces groupes de
choc reçoivent les ordres d’exécution des chefs de région ou de zone, se
réunissent puis dressent un tribunal pour prononcer les sentences. Dans les
faits, les missions sont rapidement exécutées, le plus souvent avec des
revolvers, mais aussi régulièrement avec des couteaux, par des groupes dont
les membres connaissent très bien la victime. Une fois arrêtés, les coupables
comparaissent généralement devant les tribunaux militaires où ils risquent
systématiquement la peine de mort.
Ces attentats ont fait des milliers de morts, principalement algériens mais
aussi métropolitains. À la différence d’aujourd’hui, aucune « cellule
psychologique » n’assiste les témoins ou victimes civiles, qui sont bien peu
aidés et rarement indemnisés, que ce soit par l’État ou les partis nationalistes.
Si le deuil est pris en charge par l’État pour les forces de l’ordre, il se fait
dans le secret des familles pour les autres.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Marc André, « Les groupes de choc du FLN. Particularités de la
guerre d’indépendance algérienne en métropole », Revue historique, no 669,
2014 • Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens (1944-
1962), Nouveau Monde, 2011 • Daho Djerbal, L’Organisation spéciale de la
Fédération de France du FLN. Histoire de la lutte armée du FLN en France
(1956-1962), Alger, Chihab, 2014.

AUDIN, JOSETTE (1931-2019)


Née en 1931, Josette Sempé grandit à Bab El Oued dans un milieu
modeste et de gauche ; son père est au PCA*. Accédant aux études
supérieures, elle rencontre Maurice Audin* à la faculté de mathématiques
d’Alger, où elle milite chez les étudiants* communistes. En 1957, la
disparition* de son mari la laisse seule avec un nourrisson et deux jeunes
enfants, âgés de 2 et 3 ans. Aidée par sa belle-famille, elle mène de front
activité professionnelle (professeur de mathématiques au lycée) et
engagement. Son anticolonialisme et sa quête inlassable de la vérité sur le
sort de son mari lui valent cependant l’hostilité de Français d’Algérie, jusque
chez des proches. Restée à l’indépendance, elle acquiert la nationalité*
algérienne et son mari est reconnu « martyr » mais, comme d’autres
communistes, elle quitte le pays après le coup d’État de Boumediene*. En
France, elle passe une grande partie de sa vie à Argenteuil, une commune de
la banlieue rouge où elle enseigne toute sa carrière.
Militante jusqu’à son décès, en 2019, elle investit les terrains juridique et
politique. Elle porte ainsi jusqu’au Conseil d’État une demande
d’indemnisation qui, rejetée, est compensée par une décision personnelle de
Robert Badinter, ministre de la Justice, en 1983. Au pénal, sa plainte déposée
pendant la guerre s’étant achevée sur un non-lieu, avec l’amnistie*, elle tente
en 2001 une procédure pour crime contre l’humanité*, en vain. Elle
revendique par ailleurs la reconnaissance de la torture* en signant l’« Appel
des douze* » en 2000, avant de saisir personnellement les présidents :
Nicolas Sarkozy*, qui ne daigne pas lui répondre ; François Hollande* qui, le
premier, rompt avec la thèse officielle selon laquelle son mari se serait évadé
et lui fait communiquer des archives* ; Emmanuel Macron*, enfin, qui,
cédant à une intense campagne dans laquelle s’impliquent particulièrement le
mathématicien Cédric Villani et l’association Maurice Audin, présidée par
Pierre Mansat, reconnaît la responsabilité de l’État dans la disparition
d’Audin et, au-delà, dans la torture. Fondée sur l’existence d’un système
légal d’« arrestation-détention » engageant le pouvoir politique, cette
reconnaissance a pu avoir lieu sans que la vérité sur la mort d’Audin ait été
établie ; Josette Audin avait pourtant à cœur de la connaître.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Nathalie Funès, « Un portrait de Josette Audin », in Magalie Besse et
Sylvie Thénault (dir.), Réparer l’injustice : l’affaire Maurice Audin, IFJD,
2019.

AUDIN, MAURICE (1932-1957)


Ce nom évoque l’une des plus grandes affaires de la guerre. Enseignant à
l’université d’Alger* où il prépare une thèse de mathématiques, Maurice
Audin est arrêté par les parachutistes* le 11 juin 1957 pour son engagement
au PCA*, que les autorités ont dissous. Ils savent qu’Audin a aidé Henri
Alleg*, dirigeant du Parti, qu’ils recherchent. Dans un contexte où l’armée
pratique massivement la torture*, Josette Audin* s’alarme et, sans nouvelles,
ne croit pas que son mari s’est évadé, comme le prétend le commandement.
Elle lance l’affaire en contactant notamment le mathématicien Laurent
Schwartz*, qui connaissait son mari. Fin novembre 1957, un comité au nom
du disparu est formé à Paris puis, le 2 décembre, la soutenance de sa thèse in
abstentia, en Sorbonne, contribue à faire connaître son cas. Cruciale pour la
postérité, la parution de L’Affaire Audin, chez Minuit, dans laquelle
l’historien Pierre Vidal-Naquet dément la version officielle, a moins de
portée car elle coïncide avec le changement de régime, en mai 1958.
Surtout composé d’universitaires et d’intellectuels (outre Schwartz et
Vidal-Naquet*, Luc Montagnier, Michel Crouzet, Madeleine Rebérioux*…),
le comité Audin mène, selon les mots de Crouzet, une « bataille de l’écrit* ».
Il alimente de ses informations une presse semi-clandestine* (Vérité-Liberté,
Témoignages et documents), suit l’instruction de la plainte déposée par
Josette Audin. Attaquant opportunément en diffamation un journaliste de La
Voix du Nord, il profite des audiences pour faire le procès des méthodes de
l’armée et des responsabilités politiques qu’elles engagent. Ainsi, voué à la
recherche de la vérité sur Audin, le Comité devient l’organisation phare de la
dénonciation de la torture.
Maurice Audin, rappelle Michèle, sa fille aînée, pour qui il ne peut pas
être qu’un disparu, a eu une « vie brève » trop ignorée. Il est né en Tunisie*
en 1932, où vivaient alors sa mère, une Française d’Algérie issue d’un milieu
pauvre, et son père militaire, métropolitain d’origine. Suivant la carrière de
celui-ci, Maurice a vécu en métropole puis en Algérie, et a été scolarisé, pour
le secondaire, dans des écoles* d’enfants de troupe. Formé en mathématiques
à l’université d’Alger, où il rencontre sa future femme, il s’est engagé au
PCA en 1951. De leur union sont nés trois enfants : Michèle en 1954, Louis
en 1955, Pierre en 1957.
Après-guerre, Josette Audin ne lâche ni sa quête de vérité ni sa demande
de réparation mais, en dépit de toutes ses démarches, la vérité reste
inconnue : Audin est-il mort étranglé par le lieutenant Charbonnier qui
l’interrogeait ? Sous la torture ? Exécuté par un commando d’Aussaresses* ?
Les ultimes révélations de ce dernier manquent totalement de fiabilité pour
qui connaît de près le dossier. Les archives*, que la famille a pu consulter
depuis 2013, ne permettent pas d’avancer. Il est très improbable qu’un
document de l’époque livre la vérité en l’état ; il aurait été imprudent de la
mettre par écrit et plus encore de conserver le document ensuite. Les témoins,
quant à eux, ont d’emblée opté pour le silence et le mensonge, de leur propre
chef ou sur injonction du ministère de la Défense.
Soutenue par Cédric Villani, mathématicien proche du président
Macron*, ainsi que par l’association Maurice Audin, qui a pris la suite du
comité et décerne chaque année un prix de mathématiques franco-algérien,
Josette Audin a obtenu, le 13 septembre 2018, une déclaration reconnaissant
la responsabilité de l’État dans la disparition* de son mari et dans la torture
en Algérie. Ainsi Maurice Audin symbolise plus que jamais les disparus de la
guerre, en particulier ceux de la « bataille d’Alger* ». Lancé dans la foulée de
la déclaration, un site au titre significatif – « 1 000 autres » – s’attache depuis
à éclairer le sort d’hommes et de femmes que leurs familles ont recherchés
après leur arrestation. Les contemporains de la guerre, dont Josette Audin,
conscients de l’inégalité perdurant jusque dans la dénonciation de la torture et
des disparitions, ont toujours agi pour tous. En septembre 1958, le comité
Audin a été coauteur d’une brochure renseignant d’autres cas : Nous
accusons. En 1959, Jacques Vergès* et d’autres avocats* du collectif FLN*
ont publié un long recensement de disparus, avec une postface de Vidal-
Naquet (Les Disparus, chez Minuit). « Européen », « communiste »,
« universitaire », listait Vidal-Naquet en introduction à la réédition de
L’Affaire Audin en 1989, il « n’était nullement représentatif des victimes de
la répression en Algérie, que son cas risquait de faire oublier ». En Algérie,
Maurice Audin est reconnu « martyr » de la lutte pour l’indépendance. Dans
la capitale, il a donné son nom à une place au centre de la ville, vers laquelle
ont convergé les manifestants contre le pouvoir, lors du hirak lancé en 2019 ;
sans toujours savoir de qui il s’agit, malgré la plaque au mur, rappelant son
histoire.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Michèle Audin, Une vie brève, Gallimard, 2013 • Magalie Besse et
Sylvie Thénault (dir.), Réparer l’injustice : l’affaire Maurice Audin, IFJD,
2019 • Pierre Vidal-Naquet, L’Affaire Audin, Minuit, 1989.
AUSSARESSES (AFFAIRE)
Le 20 juin 2000, Louisette Ighilahriz* témoigne dans Le Monde des
tortures qu’elle a subies en 1957, au cours de la « bataille d’Alger* ». Cela
suscite les réactions des généraux Massu* et Bigeard*, nommément désignés
par la combattante algérienne, puis du général Aussaresses dans Le Journal
du dimanche, le 25 juin. Déjà connu sous le nom de « Commandant O » dans
La Guerre d’Algérie d’Yves Courrière*, le général confirme les déclarations
du général Massu sur la pratique récurrente de la torture* et des exécutions
sommaires* au cours de la « bataille d’Alger », tout en les considérant
comme nécessaires à l’instar du général Bigeard. Il cite même nommément
Max Lejeune, alors secrétaire d’État aux Forces armées, comme ayant -
suggéré au général Massu de se débarrasser des prisonniers* gênants, c’est-à-
dire de les exécuter sommairement et de les faire disparaître.
Le débat s’amplifie une première fois le 31 octobre 2000, avec la
publication, dans L’Humanité*, de l’« Appel des douze* » condamnant la
torture dans la guerre d’Algérie. Le 11 novembre, les généraux Massu et
Aussaresses livrent leur témoignage* dans Le Monde*. Ce dernier précise
alors son rôle : il dit avoir été à la tête du système ayant conduit à faire
disparaître 3 024 Algériens pendant la « bataille d’Alger ». Ce nombre avait
été établi par le secrétaire général de la police* d’Alger Paul Teitgen*, ce qui
l’avait conduit à poser sa démission, en protestation. Le général Aussaresses
reconnaît même avoir tué personnellement 24 personnes, justifie ses actes, et
affirme qu’il le referait. En toute logique, et à la différence du général Massu,
il se dit opposé à toute repentance*.
Ce terme à connotation religieuse focalise alors une partie du débat. Une
autre concerne aussi la réponse à apporter, le Premier ministre Lionel Jospin*
faisant en sorte de faciliter l’accès aux archives* publiques grâce à une
circulaire publiée au Journal officiel le 26 avril 2001. Mais quelques jours
plus tard, le 3 mai, le débat rebondit avec la publication du livre du général
Aussaresses, Services spéciaux. Algérie, 1955-1957, qui constitue, selon
l’historien Pierre Vidal-Naquet*, de véritables « mémoires d’un assassin ».
Le général y raconte comment l’avocat Ali Boumendjel* a été tué en
l’assommant et en le jetant du sixième étage pour faire croire à un suicide. Il
révèle aussi que Larbi Ben M’hidi*, chef de la Zone autonome d’Alger*, a
été pendu dans la ferme d’un colon* partisan de « l’Algérie française », afin
de faire croire encore à un suicide. Dans cette propriété, une vingtaine
d’Algériens auraient même été enterrés pour faire disparaître les corps.
Les propos du général Aussaresses visent aussi à mettre en cause la
responsabilité des politiques. Ainsi, il affirme que l’ordre de tuer Larbi Ben
M’hidi a été donné par le général Massu, qui avait lui-même le « feu vert »
du gouvernement. Il affirme aussi que le juge d’instruction Jean Bérard était
un « émissaire » de François Mitterrand*, alors ministre de la Justice.
Pourtant, ce juge a fait l’objet d’une procédure disciplinaire de la part de ce
même ministre dès 1957. En fait, le général vise surtout à mettre en cause
François Mitterrand.
Il n’en reste pas moins que le témoignage du général Aussaresses suscite
de très vives réactions, jusqu’au président de la République « horrifié par les
déclarations du général Aussaresses », qui demande à ce que soient lancées
une procédure de suspension de sa Légion d’honneur et une autre
disciplinaire, sur le plan militaire. La première aboutit à ce qu’il soit déchu de
la Légion d’honneur, la seconde à sa mise à la retraite d’office le 6 juin 2001.
Plus encore se pose la question pénale. Si des poursuites pour crimes de
guerre et crimes contre l’humanité semblent vouées à l’échec du fait de la
prescription et des lois d’amnistie*, plusieurs associations et Josette Audin*
portent plainte le 16 juin 2001, mais n’aboutissent pas. Le délit d’apologie de
crime de guerre, plus caractérisé, conduit à des poursuites à l’encontre des
éditeurs Plon et Perrin, et du général Aussaresses pour complicité. Ils sont
condamnés le 25 janvier 2002, respectivement à 15 000 euros et 7 500 euros
d’amende. L’affaire remonte cependant jusqu’à la Cour européenne des droits
de l’homme, qui condamne la France à verser 38 000 euros pour dommage
matériel et pour frais et dépenses aux deux éditeurs.
« L’affaire Aussaresses » rebondit encore avec les révélations de Marie-
Monique Robin sur son rôle auprès de l’armée américaine mais surtout au
service des dictatures sud-américaines au cours des années 1960 et 1970.
Après son décès le 3 décembre 2013, l’ancien général suscite de nouveaux
remous avec la diffusion d’un reportage de Jean-Charles Deniau sur France 3,
le 8 janvier 2014 et la parution d’un livre. Dans le reportage, Paul
Aussaresses s’attribue l’exécution du militant anticolonialiste* Maurice
Audin, qui aurait été égorgé pour faire croire que « c’étaient les Arabes qui
l’avaient tué ». Le général affirme également qu’il aurait pris seul la décision
de l’assassiner. Dans le livre, sa version diverge : il met en cause la
responsabilité supérieure du général Massu et parle d’une exécution « pour
l’exemple ». Variables, les ultimes « révélations » de ce militaire au
crépuscule de sa vie sont d’une crédibilité douteuse et cherchent peut-être à
protéger les exécutants en attirant l’attention sur lui.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Paul Aussaresses, Services spéciaux. Algérie 1955-1957, Perrin, 2001
• Jean-Charles Deniau, La Vérité sur la mort de Maurice Audin, Les
Équateurs, 2014 • Tramor Quemeneur, « La mémoire mise à la question : le
débat sur les tortures dans la guerre d’Algérie, juin 2000-septembre 2001 »,
Regards sur l’actualité, no 276, 2001.

AUSSARESSES, GÉNÉRAL PAUL (1918-2013)


Né en 1918, Paul Aussaresses est élève à Saint-Maixent en 1941 pour
devenir officier* dans l’armée de Vichy. Du fait de l’invasion de la zone
libre, il rejoint l’Afrique du Nord puis Londres fin 1943. Il est formé par les
commandos* britanniques. En 1946, alors lieutenant, il participe à la
fondation de la 11e demi-brigade de parachutistes de choc, le bras armé des
services secrets français, dont il prend le commandement le 1er mai 1947. Il
combat en Indochine* dans les troupes parachutistes*, puis est affecté en
Algérie en 1955, comme capitaine et officier de renseignement de la
41e demi-brigade parachutiste. Il est chargé des interrogatoires et pratique la
torture*. Le capitaine Aussaresses participe à la répression sanglante de
l’insurrection du Nord-Constantinois du 20 août 1955*. Promu commandant,
il est muté par le général Massu* à l’état-major de la 10e division
parachutiste*. Avec une équipe de sous-officiers* recrutés au sein du
11e Choc, il procède à de nombreuses exécutions sommaires* lors de la
bataille d’Alger* – il a revendiqué par la suite celles de Maurice Audin*, de
Larbi Ben M’hidi* et d’Ali Boumendjel* mais ses dires doivent être vérifiés.
En juin 1957, Paul Aussaresses rejoint le 1er RCP, commandé par le
lieutenant-colonel Mayer, comme officier de renseignement. Il est notamment
chargé des interrogatoires des prisonniers*. Jacques Massu le considère
comme un des meilleurs spécialistes du renseignement. Après la guerre
d’Algérie, le commandant Aussaresses est réputé pour son expertise en
matière de guerre contre-insurrectionnelle. Il se rend aux États-Unis* où il
enseigne ses méthodes aux forces spéciales américaines à Fort Benning en
1962. Après son séjour aux États-Unis, il est promu colonel du 1er RPC puis
est nommé à la section française de l’état-major de l’Otan en 1966. En 1973,
il est attaché militaire au Brésil et se charge de former les escadrons de la
mort brésiliens. Il y donne des cours sur la bataille d’Alger. Au soir de sa vie,
en 2001, alors général dans la deuxième section, il écrit plusieurs livres
autobiographiques où il reconnaît avoir eu recours à la torture et aux
exécutions extrajudiciaires et juge ces pratiques légitimes au nom de la lutte
antisubversive. Cette position, complaisamment maintenue dans des
interviews, suscite de nombreux débats sur les violences françaises en
Algérie et lui vaut des sanctions disciplinaires. Paul Aussaresses et ses
éditeurs perdent leur procès pour apologie de crime de guerre. Cependant, ces
crimes ayant été amnistiés, ils ne font pas l’objet de poursuites. Il meurt le
3 décembre 2013.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Michel
Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant, Pouvoir politique et autorité
militaire en Algérie française, hommes, textes, institutions : 1945-1962,
L’Harmattan, 2002 • Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l’école
française, La Découverte, 2004.

AUTODÉTERMINATION (DISCOURS
SUR L’)

Après sa proposition de « la paix des braves » du 23 octobre 1958,


approuvée massivement par les Français si l’on en juge par les commentaires
de la presse* de tous horizons, mais rejetée par le GPRA*, de Gaulle* va plus
loin, le 16 septembre 1959, en proposant l’autodétermination. L’ensemble de
la population doit décider de l’avenir de l’Algérie : « compte tenu de toutes
les données algériennes, nationales, internationales du problème, je considère
nécessaire que ce recours à l’autodétermination soit proclamé aujourd’hui. Je
poserai la question aux Algériens, en tant qu’ils sont des individus, car depuis
que le monde est le monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni à plus forte raison de
souveraineté algérienne ». Trois voies sont proposées : la sécession « où
certains croient trouver l’indépendance », la francisation (l’intégration), ou
l’association avec un gouvernement des Algériens par eux-mêmes, en étroite
coopération avec la France ; cette option a sa faveur. Les réactions sont
diverses. Contradictoires du côté français : si la proposition est applaudie par
une majorité, les députés intégrationnistes, dont Soustelle*, créent le
Rassemblement pour l’Algérie française* (RAF), les ultras s’opposent
violemment à la politique du Général (la semaine des barricades* du
24 janvier au 2 février 1960 en est un effet). Du côté algérien, l’accueil est
aussi divers et beaucoup de responsables doutent de la volonté du chef de
l’État : si le FLN* craint de paraître trop intransigeant en rejetant tout, il
entend poursuivre la lutte jusqu’à l’obtention de l’indépendance. Mais lors
des rencontres de Melun (25-29 juin 1960), comme si l’autodétermination
était acquise, les émissaires du GPRA demandent, en vain, d’en discuter les
modalités avant toute consultation.
Malgré les oppositions violentes de tous côtés, le Président insiste sur la
nécessité de l’autodétermination, mettant en avant, en septembre 1960 par
exemple, l’entité algérienne : « C’est aux Algériens qu’il appartient, par le
suffrage, de décider de leur destin », et il reprend ses offres de pourparlers
avec les « rebelles » pour en discuter. Le 4 novembre, il évoque « la
République algérienne qui existera un jour ». L’autodétermination est donc la
politique à suivre, mais il faut une loi que de Gaulle entend soumettre au
référendum* afin que les populations puissent légalement se prononcer sur
leur avenir. C’est avec 74,9 % des voix que le oui l’emporte le 8 janvier
1961. Les deux référendums de 1962 confirment bien la politique
d’autodétermination voulue initialement par le président de la République.
Chantal MORELLE

AVIATION LÉGÈRE DE L’ARMÉE


DE TERRE (ALAT)
Créée le 22 novembre 1954, l’aviation légère de l’armée de terre (Alat)
vient d’un double héritage pour donner l’aéromobilité à l’armée de terre.
Depuis la Grande Guerre, l’Alat sert à régler les tirs d’artillerie, ce qu’elle fait
aussi durant le conflit algérien à l’aide d’appareils d’observation légers :
monomoteur Piper L-18, Cessna L-19, Nord 3400 Norbarbe. En Algérie,
l’armée développe par ailleurs un concept d’emploi de l’hélicoptère qui avait
fait ses preuves en Indochine* pour l’évacuation sanitaire (Evasan), le
ravitaillement et le courrier de postes. Dans le cadre de la contre-guérilla, les
héliportages de troupes au sol apparaissent comme la meilleure réponse face
à un adversaire qui se camoufle et se déplace très vite. L’instruction du
15 mars 1956 instaure l’emploi opérationnel des voilures tournantes. On
distingue les hélicoptères légers, type Hiller 360, Bell 47, Djinn et Alouette II
servant de PC volants et de liaison, d’éléments de pointe de la
reconnaissance, sans oublier l’Evasan, des hélicoptères de manœuvre
capables de débarquer des sticks de commandos* ou de paras sur des reliefs
accidentés. Le monorotor Sikorsky H-19 est bientôt épaulé par le H-34 et le
HSS à la plus grande capacité d’emport. Cette polyvalence est renforcée par
un appareil plus lourd, le birotor Piasecki H-21 ou « banane », capable de
voler cinq à six heures. La rapidité ainsi acquise pour débarquer au plus près
de l’adversaire, reste à disposer d’une force de frappe qui ne dépende plus du
soutien éphémère d’un appui-feu de l’armée de l’air. L’hélicoptère armé
apparaît en 1959 dans le Groupe d’hélicoptères no 2 (GH2). Les H 34, S-58,
HSS et H 21 sont dotés de canons de 20 mm et de mitrailleuses de 12,7 sur
sabords qui permettent de tenir sous le feu la dropping zone (DZ) et
éventuellement de poursuivre des adversaires. La répartition des tâches entre
appareils de transport et appareils armés fonde la réussite du plan Challe* qui
multiplie les Détachements d’intervention d’hélicoptères (DIH), rendant
possible une décentralisation de moyens. Ces groupes de 5 à 10 cargos et de
1 à 5 appareils armés par DIH « nomadisent » de longs jours dans le bled. En
septembre 1959, l’Alat est forte de 284 appareils (343 en 1962 pour 630
avions et 6 000 hommes, cadres compris). Pour former les équipages, l’Alat
transforme en 1960 le GH1 en école d’application de l’Alat à Sidi-Bel-Abbès.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : André Martini, L’Histoire de l’aviation légère de l’armée de terre
(1794-2014), Panazol, Lavauzelle, 2013.
AVOCATS, COLLECTIFS D’
La Guerre d’indépendance algérienne est considérée comme une
séquence fondamentale dans l’histoire des usages politiques du droit car elle
aurait vu naître la « défense de rupture ». Celle-ci consiste, en matière
politique, à refuser de jouer le jeu de la procédure judiciaire, en exploitant
tous les recours existants pour en entraver le déroulement et ce, en particulier,
lors des procès. Cette stratégie caractériserait la défense des nationalistes
algériens, qu’aurait assurée un collectif incarné par Jacques Vergès*. Sans
être erronée, cette vision est simplificatrice.
Massives, les arrestations suivies d’instructions et de procès génèrent de
forts besoins après le 1er novembre 1954* et des avocats s’organisent
rapidement pour y répondre. Concrètement, ils forment des réseaux par
interconnaissance afin de se répartir les affaires et de se relayer en cas
d’absence. Aussi le collectif d’avocats est d’abord une organisation
répondant à une nécessité pratique. Au barreau d’Alger, où la profession
recrute dans les notabilités attachées à l’Algérie française, les avocats prêts à
défendre les nationalistes, minoritaires, se coordonnent ainsi. En métropole,
outre qu’ils interviennent dans les procédures qui sont ouvertes, les avocats
communistes et progressistes forment également un collectif pour se rendre
par roulement en Algérie. Ces avocats (Pierre Braun, Henri Douzon, Pierre
Kaldor, Yves Dechezelles, Pierre et Renée Stibbe, etc.) ont l’expérience de la
cause anticoloniale. Ils ont plaidé dans les grands procès intentés aux
Malgaches après l’insurrection de 1947, aux militants du Rassemblement
démocratique africain de 1949 à 1952, ou encore aux Algériens du MTLD et
du PCA* dans les mêmes années. À ce titre, ils sont familiers de la défense
politique consistant à plaider la cause pour laquelle les accusés se sont
engagés. Chez les communistes, cette défense trouve son origine dans des
principes définis par Lénine face aux tribunaux tsaristes, au début du siècle.
Les Algériens arrêtés après 1954, connaissant ces avocats que Sharon Elbaz
qualifie d’« historiques », font appel à eux puis d’autres s’y ajoutent, comme
Gisèle Halimi*. Certains, comme Dechezelles, défendent plus
particulièrement les messalistes.
Au FLN*, cependant, émergent des conceptions nouvelles. Contestant la
thèse officielle selon laquelle la France mènerait des opérations de maintien
de l’ordre dans un territoire relevant de sa souveraineté, le FLN prône, en
justice, un argumentaire niant aux tribunaux français toute légitimité pour
juger des patriotes algériens. Le FLN attend en outre des avocats qu’ils
assurent la liaison avec les détenus en faisant circuler consignes, papiers,
voire objets. L’enjeu est en particulier d’impulser des luttes en prison*,
coordonnées avec l’extérieur. À l’image desdits « porteurs de valises* », les
avocats ainsi mobilisés doivent se mettre au service du FLN. Sur cette base
est formé en 1959 un collectif rattaché à la Fédération de France* et dirigé
par Mourad Oussedik*, auquel Vergès participe. Ses membres sont
recommandés aux militants et les autres défenseurs expulsés des affaires
FLN. Toutefois, les forces du collectif étant limitées, des avocats ont plaidé
ponctuellement au bénéfice de militants frontistes tout en restant en lisière du
collectif et sans adhérer pleinement à la ligne édictée. Autour d’un noyau dur,
ce collectif est plus souple qu’il n’y paraît théoriquement, tant dans sa
composition que dans ses principes.
Ainsi l’histoire de la défense pendant la guerre ne se réduit pas à celle du
collectif FLN pratiquant une « défense de rupture ». Créé tardivement, le
collectif FLN a coexisté avec d’autres et n’a pas assuré la défense de
partisans de l’indépendance d’autres obédiences. En dehors même de tout
collectif, bien des avocats ont dû s’engager pour assister les hommes et les
femmes traduits en justice. Du point de vue de la longue durée, non
seulement la défense politique est antérieure à 1954 mais la « défense de
rupture » n’a été formalisée par Vergès qu’après 1962, dans De la stratégie
judiciaire, édité par Minuit en 1968. Ainsi cette guerre est-elle une étape de
maturation plus qu’un moment d’avènement. Vergès a par ailleurs expliqué
que la « défense de rupture » pouvait être pratiquée en droit commun. Pour
être complète, l’histoire des collectifs d’avocats devrait s’enrichir d’un
épisode encore inconnu : celui de la défense des partisans de l’Algérie
française, également riche en figures, en plaidoiries politiques et en
stratégies.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sharon Elbaz, « L’avocat et sa cause en milieu colonial. La défense
politique dans les procès de l’Organisation spéciale du Mouvement pour le
triomphe des libertés en Algérie (1950-1952) », Politix, vol. 16, no 62, 2003 •
Ali Haroun, La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France, 1954-1962, Seuil,
1986 • Sylvie Thénault, « Une défense politique sans rupture ? Le collectif
des avocats du FLN en pratique », Matériaux pour l’histoire de notre temps,
no 115-116, 2015.

AZZEDINE, COMMANDANT (NÉ EN 1934)


Azzedine, de son vrai nom Rabah Zerari, a 20 ans quand l’insurrection du
1er Novembre* éclate. Il passe une enfance* difficile à Bône où sa famille
ruinée est venue s’installer. Sa scolarité à l’école française, interrompue du
fait de son exclusion par un directeur pétainiste, se poursuit à l’école
coranique.
Lors des manifestations de mai 1945* (il a 11 ans), Zerari enchaîne les
petits boulots pour venir en aide à sa famille. Il finit par se rendre à Alger en
1951 où il est embauché comme soudeur chez Caterpillar. Durant son temps
libre, il joue au football* dans un club « composé uniquement d’Algériens ».
Impatient d’agir, il commet un attentat contre le gardien de son usine, force le
coffre-fort, avant d’entrer en clandestinité et de prendre le maquis dans la
région de Palestro*, au printemps 1955. Il est initié à la guérilla* par
Ouamrane*, le chef de l’Algérois, qui lui confère le nom d’Azzedine. Il fait
son baptême de feu dans une embuscade* à Laperrine où il est blessé et
soigné à Alger par le chirurgien Stoppa et le Dr Pierre Chaulet*. À la fin de
1955, il retourne au maquis dans les monts de Zbarbar. Le 14 juillet 1956, il
est encerclé et arrêté avec son unité comprenant des femmes*. Mais au mois
d’octobre, il parvient à s’évader de la prison* de Tablat avec douze détenus.
À compter de cette date, il gravit rapidement les échelons, au vu du
succès des embuscades qu’il effectue. D’abord responsable militaire de la
région d’Aïn Bessem, il est élevé au grade de capitaine à la tête du fameux
commando* créé par Ali Khodja*. Jusqu’à son arrestation le 17 novembre
1958, le commando d’Azzedine enregistre plus de succès que de pertes sur
ses adversaires. À la bataille d’Agounenda* (mai 1957) et celle du djebel
Bouzegza (août 1957), Azzedine et ses hommes affrontent respectivement les
parachutistes* de Bigeard* et ceux de Massu*.
Cet avantage s’amenuise avec l’édification des barrages* et le
ravitaillement en armes. Il n’est plus question de tenir le terrain avec des
katibas, fractionnées désormais en petites unités plus mobiles, pour résister
aux grandes offensives de l’armée française.
En 1958, Azzedine entre au conseil de la Wilaya 4* comme commandant
militaire. À ce titre, il a pour mission de réduire « la force K » du contre-
maquis de Djilali Belhadj* en mai 1958.
Le 17 novembre 1958, il est arrêté au sud de Palestro et il est grièvement
blessé.
Le capitaine Marion du 2e bureau* lui propose d’accepter « la paix des
braves ». Azzedine adhère à l’idée avant de se dédire. Ce subterfuge qu’il
rapporte dans son premier témoignage* (1976) lui permet de regagner le
maquis de la Wilaya 4, puis de se rendre à Tunis où il participe au CNRA* de
janvier 1960. Il est adjoint du chef d’état-major général Boumediene* qu’il
quitte l’été 1961. Le GPRA* agrée sa demande de retourner au maquis de la
Wilaya 4, à la fin janvier 1962. Il prend en charge la Zone autonome
d’Alger* (ZAA), pour s’attaquer aux réseaux de l’OAS*.
Si « Alger ne brûla pas » (1980), les pertes humaines et matérielles sont
énormes. Durant la crise de l’été 1962*, Azzedine reste du côté du GPRA
avant de se retirer de la scène politique.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Commandant Azzedine, On nous appelait fellaghas, Stock, 1976
• —, Et Alger ne brûla pas, Stock, 1980.
B

BADJI, MOKHTAR (1919-1954)


Il est le second membre des « 22* » à tomber au champ d’honneur au
mois de novembre 1954, après Ramdane Benabdelmalek*.
Badji Mokhtar est né le 17 avril 1919 à Bône. Mais il vécut à Souk Ahras
où son père est juge auprès de la Mahakma de cette ville. Son passage au
cours complémentaire fut de courte durée. Cependant il ne cesse de
s’instruire auprès de l’Association des ulémas ; il suit des cours par
correspondance et participe aux activités des Scouts musulmans algériens*
(SMA). Dans ce vivier, il manifeste un intérêt accru aux idées patriotiques.
Sa socialisation se poursuit à travers la pratique sportive et la fréquentation
d’une association musicale. Il échappe au service militaire* en s’astreignant à
une sévère diète qui le rend cadavérique.
Durant la Seconde Guerre mondiale, il commence à partager les idées
nationalistes du PPA* interdit, avec un groupe de jeunes. Il sera encore plus
actif au sein de la section des AML* (1944) de Souk Ahras.
Au lendemain de la répression des manifestations de mai 1945*, il est
astreint en même temps que d’autres militants à émarger tous les jours à la
gendarmerie. Le retour du PPA à la légalité avec la création du MTLD lui
fournit l’occasion d’en devenir un militant à plein temps. Lors de la
découverte de l’Organisation spéciale* (OS), Badji est arrêté le 1er avril 1950.
Il écope de trois ans de prison* qu’il passe à Orléansville et Blida. À sa
libération, il retrouve son parti aux prises avec de graves dissensions. Il se
rapproche du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (Crua) créé en
mars 1954 et participe à la réunion des « 22 » qui décide du passage à la lutte
armée. Responsable de la région de Souk Ahras, il passe l’été à entraîner ses
hommes pour les futures opérations en accord avec Didouche* Mourad, chef
de la Zone 2/Nord-Constantinois. Le 23 ou le 24 octobre 1954, il est arrêté à
la suite de l’achat d’une carte d’état-major, sur dénonciation d’une libraire de
Bône. Libéré quelques jours après, Badji reporte les opérations prévues pour
la nuit du 1er Novembre*, dont les attaques de la mine de Nador, du viaduc
d’Aïn Seynour et du train de Tahamime.
Sur renseignements, le groupe armé de Badji est cerné au matin du
20 novembre à la ferme de Medjez Sfa. L’accrochage dure toute la journée et
se termine par la mort de Badji Mokhtar et de ses compagnons.
Le 1er novembre 1962, la population de Souk Ahras lui rend hommage au
cours de funérailles* officielles.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Témoignage de Joseph Kerlan, in Mohamed Touili (dir.), Le
Retentissement de la révolution algérienne, Alger-Bruxelles, Enal-Gam,
1984.

BANDES DESSINÉES
Plus d’une centaine de bandes dessinées concernant l’Algérie coloniale et
la guerre d’Algérie ont été éditées. Pendant la guerre elle-même, le 5e bureau
de l’armée française a ainsi diffusé plusieurs planches et strips dessinés. La
planche intitulée « Le rêve du petit Mohamed » raconte sur le mode des
images d’Épinal la vie d’un petit garçon algérien de 10 ans qui va à l’école
depuis deux ans grâce à l’armée française et rêve d’aller dans un centre
d’apprentissage. Le strip « Ferme ta gueule » incite les soldats à ne pas parler
à la terrasse des cafés, afin de ne pas tomber dans des embuscades*. Ces deux
exemples ne comportent pas de phylactère mais des récitatifs, à l’instar des
anciens illustrés. Quelques éléments dessinés ont également existé du côté
algérien, mais c’est sans commune mesure avec la presse française* qui a
publié de nombreux dessins et strips, favorables à l’« Algérie française » et
au gouvernement (Jacques Faizant) ou critiques vis-à-vis de la guerre (Jean
Effel). De nouveaux caricaturistes, qui ont participé au conflit et en
reviennent très opposés, émergent aussi. C’est le cas de Cabu et de Georges
Wolinski. Siné, quant à lui, est déjà au travail et publie dans L’Express.
Néanmoins, il n’existe aucune bande dessinée à part entière au cours du
conflit : la censure* peut réfréner des velléités de publication, et certains
auteurs ont peut-être préféré s’abstenir de prendre position ou de raconter des
histoires sur des événements en cours qui divisent la société française.
Il faut même attendre le début des années 1980 pour que le premier
album entièrement dédié à la guerre d’Algérie sorte. Il s’agit d’Une éducation
algérienne de Guy Vidal et d’Alain Vignon (Dargaud, 1982), après avoir été
publié dans la revue* Pilote. Cet album est inspiré du parcours de Guy Vidal,
appelé au service militaire* de 1960 à 1962. Dès lors, le nombre de bandes
dessinées commence à croître sur la guerre d’Algérie : nous en dénombrons
quatre de 1985 à 1989, puis cinq de 1990 à 1994 et encore cinq de 1995 à
1999. Les albums de Farid Boudjellal, Petit Polio (Soleil, 1998 et 1999),
reviennent sur l’enfance* de l’auteur franco-algérien à Toulon, sur fond de
prise de conscience de la guerre, de la répression des immigrés algériens en
France, du racisme* et des séquelles psychologiques de la guerre. Les deux
albums Azrayen’ de Franck Giroud (lui-même fils d’appelé du contingent) et
de Christian Lax (Dupuis, 1998 et 1999) plongent au contraire au cœur du
conflit, en suivant une enquête consécutive à la disparition du lieutenant
Messonnier et de ses hommes. Ces deux albums sont solidement documentés
(jusque dans les dialogues transcrits en tamazight) et suivent une enquête
nerveuse, violente, jusqu’au dénouement.
Le grand chantier qui est lancé à cette période est la suite des Carnets
d’Orient de Jacques Ferrandez*, d’origine pied-noire. Cette suite de dix
albums comprend en réalité deux parties : les cinq premiers tomes couvrent la
période coloniale, de 1836 à 1954, avec le fil conducteur original d’une toile
réalisée par un peintre orientaliste (Casterman, 1987-1995). La série reprend
en 2002 avec cinq nouveaux albums couvrant la guerre (Casterman, 2002-
2009). Une troisième série, intitulée Suites algériennes et couvrant la période
de 1962 à 2019 (Casterman, 2021), vient de commencer. Tout cela fait de
Jacques Ferrandez l’auteur le plus prolifique sur la question algérienne,
d’autant qu’il a adapté plusieurs ouvrages, notamment d’Albert Camus*, chez
Gallimard (L’Hôte, 2009 ; L’Étranger, 2013 ; Le Premier Homme, 2017).
Depuis le début des années 2000, le nombre de bandes dessinées
concernant peu ou prou la Guerre d’indépendance s’accroît progressivement.
Nous en comptons 9 de 2000 à 2004, 25 de 2005 à 2009 et une quarantaine
de 2010 à 2014. Depuis, le rythme a quelque peu diminué, mais les sorties
sont régulières (13 de 2015 à 2019), avec des pics au moment des dates
anniversaires. Farid Boudjellal continue aussi sa série avec deux nouveaux
albums autobiographiques : Mémé d’Arménie (Soleil, 2002) et Le Cousin
harki (Futuropolis, 2012). La mémoire de la guerre d’Algérie apparaît aussi
dans une autre série de quatre albums de Manu Larcenet, Le Combat
ordinaire, au sein de laquelle le protagoniste (sorte d’alter ego de l’auteur)
sympathise avec un voisin qui s’avère avoir un passé tortueux avec la guerre
(Dargaud, 2003-2008). Signalons encore la série Les Mystères de la
Ve République de Xavier Richelle et François Ravard (Glénat, 2013 et 2014),
sur fond d’enquêtes policières en métropole liées à la guerre d’Algérie. En
deux albums, il existe aussi Taya El-Djazaïr (Bamboo, 2009-2010) de
Laurent Galandon et A. Dan, dont l’intrigue se déroule essentiellement à
Alger et dans les Aurès, sur fond d’une histoire d’amour* entre un Français et
une Algérienne, avec la particularité de traiter du PCA*.
D’ailleurs, les one shots, qui représentent la majorité des sorties, abordent
un aspect particulier du conflit. Cela peut être un lieu comme le bidonville de
La Folie à Nanterre, avec l’album Demain, demain de Laurent Maffre (Actes
Sud BD/Arte éditions, 2012). Ils peuvent aussi consister en des biographies
comme Soleil brûlant en Algérie de Gaétan Nocq (La boîte à bulles, 2016),
ou des groupes de personnes (Algériennes. 1954-1962, de Meralli et Deloupy,
Marabulles, 2018). Les BD peuvent également traiter d’événements comme
ceux de mai 1958 (Un général des généraux de François Boucq et Nicolas
Junker, 2022), la manifestation d’octobre 1961*, avec notamment Octobre
noir de Didier Daeninckx et Mako (Adlibris, 2011), ou encore celle de
Charonne*. Deux albums lui sont consacrés : Charonne – Bou Kadir 1961-
1962. Une enfance à la fin de la guerre d’Algérie de Jeanne Puchol (Tirésias,
2011), à visée autobiographique et même philosophique, et Dans l’ombre de
Charonne de Désirée et Alain Frappier (Mauconduit, 2012), en suivant un
parcours biographique.
De nombreux auteurs qui traitent de la guerre d’Algérie dans leurs
albums sont d’ailleurs liés à cette histoire. Le genre post-mémoriel s’est
d’ailleurs développé depuis les années 2000. Il est essentiellement porté par
des descendants de pieds-noirs* qui retournent sur les traces familiales, avec
une volonté de « cicatriser » une mémoire douloureuse et conflictuelle. Il en
est ainsi de Morvandiau (D’Algérie, Maison rouge et L’œil électrique, 2007),
d’Anne Sibran, avec Didier Tronchet, et l’album Là-bas (Dupuis, 2003), ou
de Fred Neidhardt (Les Pieds-noirs à la mer, Marabulles, 2013). Ces deux
derniers livres traitent davantage des séquelles du conflit, après le retour. Les
deux albums de Joël Alessandra et d’Olivia Burton, respectivement intitulés
Petit-fils d’Algérie (Castermann, 2015) et L’Algérie, c’est beau comme
l’Amérique (Steinkis, 2015), sortis à quelques mois d’intervalle, relatent une
quête spirituelle : le voyage sur la terre de leurs grands-parents. Il existe
d’autres postmémoires* concernant les harkis* (Daniel Blancou) ou les
appelés* (Samuel Figuière, Claire Dallanges).
Enfin, il existe aussi des bandes dessinées à visée documentaire. Celles-ci
peuvent s’inscrire dans le cadre plus général de l’histoire de France (Robert
Biélot et Raphaël, 1980), des décolonisations françaises (Grégory Jarry et
Otto T., 2009) ou des juifs* d’Algérie (Benjamin Stora et Nicolas Le Scanff,
2021). Elles peuvent aussi concerner la guerre en tant que telle (Benjamin
Stora et Sébastien Vassant, 2016). Tout cela montre combien la bande
dessinée représente un médium très actif pour traiter de la guerre d’Algérie,
de ses mémoires et de ses postmémoires.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Sébastien Llaurens, « “Voir les traces de la blessure”. Figurations et
dramaturgies des conflits en Méditerranée contemporaine dans la bande
dessinée (1986-2018) », thèse d’histoire sous la dir. d’Évelyne Cohen, Aix-
Marseille université, 2021 • Luc Révillon, Algérie 54-62. La guerre fantôme
dans la bande dessinée francophone, Montrouge, PLG, 2022.

BANDOENG, CONFÉRENCE DE (18-


24 AVRIL 1955)
La conférence afro-asiatique tenue à Bandoeng, en Indonésie, du 18 au
24 avril 1955, six mois après le déclenchement de la Guerre de libération
algérienne, a été un moment décisif pour l’histoire du FLN*. Elle affirme son
opposition à la domination coloniale et ouvre la voie au mouvement des non-
alignés – les pays du tiers-monde qui rejettent le positionnement sur l’un des
deux blocs.
Dans la continuité de la rencontre des partis socialistes asiatiques, qui
s’est tenue à Rangoun (Birmanie, janvier 1953), et au cours de laquelle
Hocine Aït Ahmed* a noué des contacts au nom du PPA-MTLD, les leaders
du FLN saisissent l’occasion de poursuivre leurs efforts à défendre le droit du
peuple algérien à l’émancipation de l’occupation française dans les forums
internationaux.
Malgré les hésitations, voire le refus, de Nehru, pour qui la question
algérienne constitue une « controverse », les envoyés du FLN, Hocine Aït
Ahmed, M’hamed Yazid et Abdelkader Chanderli, présents en leur qualité
d’observateurs tout comme Allal El Fassi (Maroc*) et Salah Ben Youssef
(Tunisie*), parviennent à mener une action commune et à exposer leur cause
dans un mémorandum.
La délégation algérienne a pu aussi nouer des contacts avec les 29
délégations des pays nouvellement indépendants d’Asie et d’Afrique et
assurer à la Guerre de libération une plus grande visibilité, à l’échelle
internationale. Selon le témoignage* d’Aït Ahmed, la résolution de Bandoeng
« a cassé le tabou de l’ingérence dans les affaires intérieures françaises et
ouvert toute grande la voie à l’internationalisation* de la question algérienne
durant la guerre de libération ».
Dans son discours du 19 avril 1955 à la conférence, Zhou Enlai, ministre
chinois des Affaires étrangères, apporte son appui aux trois pays d’Afrique
du Nord dans leur lutte pour leur indépendance. La « révolution
diplomatique » est ainsi lancée et accompagnera la lutte armée du FLN grâce
au soutien et au lobbying des non-alignés (Connelly). Un an plus tard, les
efforts de la diplomatie algérienne se concrétisent par l’ouverture d’un bureau
du FLN à l’ONU*.
Ainsi, l’action extérieure, consignée dans la proclamation du FLN le
1er novembre 1954*, est atteinte, frayant la voie à l’inscription de la question
algérienne dans l’agenda des travaux de l’ONU. Le FLN et les
gouvernements algériens commémorent la conférence de Bandoeng comme
étant un des principaux actes de la Révolution de la diplomatie du FLN.
Belkacem BENZENINE
Bibl. : Matthew Connelly, A Diplomatic Revolution. Algeria’s Fight for
Independence and the Origins of the Post-Cold War Era, Oxford, Oxford
University Press, 2002 • Hocine Aït Ahmed, « Bandoeng, trente ans après »,
Jeune Afrique, no 1272, 1985.

BARBEROT, COLONEL ROGER (1915-2002)


Né en 1915 à Cherbourg, dans une famille de la marine, Roger Barberot
devient lui aussi élève de la Navale. Il est sur un croiseur à Alexandrie lors de
l’armistice de 1940. Il refuse de rendre les armes et s’enfuit pour rejoindre les
Forces françaises libres, avec Honoré d’Estienne d’Orves et le futur amiral
André Patou. Il combat d’abord dans le désert puis en Érythrée où il
rencontre Jacques de Bollardière*, avec lequel il se lie d’amitié. Les deux
hommes font alors partie de la Légion étrangère* et participent ensemble aux
combats en Syrie, puis en Égypte* et en Libye contre le général Rommel.
Devenu fusilier marin, Roger Barberot combat à Garigliano en Italie* puis
lors du débarquement de Provence. Capitaine de frégate en 1947, il est
dégagé des cadres et suit le combat politique du général de Gaulle* au RPF.
En 1956, il sollicite le colonel de Bollardière pour prendre le commandement
d’une unité en Algérie. Contre toute attente, les deux hommes prennent la tête
d’une demi-brigade de l’air composée de « rappelés », dont personne ne veut.
Lorsque Roger Barberot arrive pour en prendre le commandement le 28 juin
1956, au camp de Mourmelon, avec le grade de colonel, il constate les
importantes difficultés de l’encadrement de l’unité et la « résistance passive »
des soldats. Celle-ci se mue en une véritable mutinerie le 8 juillet 1956. Le
colonel Barberot parvient à calmer les esprits en obtenant du ministre même
des permissions pour les soldats avant leur envoi en Algérie, courant juillet.
Affectés dans la Mitidja et sur les contreforts de l’Atlas blidéen, les colonels
Barberot et de Bollardière constatent le caractère contreproductif du dispositif
répressif mis en place. Ce dernier propose alors de créer un dispositif de
« pacification* » réelle qu’il nomme peu judicieusement les commandos
« noirs »*. Le journaliste Jean-Jacques Servan-Schreiber* en fait partie.
L’expérience s’avère plutôt concluante, mais reçoit des soutiens divers au
sein du gouvernement et des forces de l’ordre. Roger Barberot est même
qualifié de « colonel fellagha » par des Français d’Algérie de la région, et
d’« extrémiste dangereux » par la Sécurité militaire car il refuse que les
« Français musulmans » soient les premiers licenciés. Il tente d’intercéder à
plusieurs reprises auprès du ministre de la Défense nationale pour faire valoir,
en vain, la position du général de Bollardière, opposé à l’usage de la torture*
et aux méthodes illégales dans la guerre d’Algérie. Alors que le général de
Bollardière est condamné pour son opposition, le colonel Barberot est
démobilisé le 25 avril 1957. Proche du général de Gaulle, il devient ensuite
ambassadeur en République centrafricaine puis en Uruguay avant d’occuper
des postes dans la haute administration, peut-être pour couvrir des activités
de contre-espionnage. Il meurt en 2002.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Roger Barberot, Malaventure en Algérie avec le général Pâris de
Bollardière, Plon, 1957 • —, À bras le cœur, Robert Laffont, 1972 • Jacques
de Bollardière, Bataille d’Alger, bataille de l’homme, Desclée De Brouwer,
1972.

BARBOUZES
Le 2 décembre 1961, le journaliste Lucien Bodard titre dans France-
Soir : « Les barbouzes arrivent ». En effet, fin novembre 1961, devant la
difficulté des forces de l’ordre à maintenir le calme en Algérie, le général de
Gaulle* ordonne la mise en place d’une véritable lutte contre l’OAS* et son
terrorisme. C’est la création de la Mission Choc (Mission C) composée de
plusieurs centaines d’officiers* métropolitains envoyés à Alger et provenant
de la police* judiciaire (PJ), des Renseignements généraux (RG), de la Sûreté
nationale (SN), de gendarmes et de membres de la Sécurité militaire (SM).
Cette dernière en est le pivot, même si un officier de la PJ, Michel Hacq, la
dirige. Elle a pour seul objectif de lutter par tous les moyens contre l’OAS.
Pour renforcer ce combat, de Gaulle laisse ses principaux collaborateurs
comme Jacques Foccart, Roger Frey*, Pierre Messmer*, Alexandre
Sanguinetti, Constantin Melnik, Charles Feuvrier, Louis Terrenoire, mettre en
place des réseaux complémentaires de lutte contre l’OAS. Ainsi,
l’Organisation clandestine du contingent (OCC), de l’automne 1961 à
l’indépendance de l’Algérie, vient apporter à la Mission C les renseignements
recueillis au sein de l’armée grâce à la surveillance de jeunes appelés
favorables à l’action du général de Gaulle. Des membres de la SM (Geoffroy
De Clercq, Jean-Pierre Lacave, etc.) et des membres civils du Comité de
défense de la République ou CDR (Charles Hernu, Marcel Hongrois, etc.)
coordonnent l’OCC (Hernu et Lacave en France, Hongrois à Alger, etc.).
Mais c’est l’action du parti gaulliste créé en 1959 par Jacques Dauer à
Paris, le Mouvement pour la communauté (MPC), qui marque durablement
cette lutte contre l’OAS. À l’initiative de Lucien Bitterlin, journaliste à Alger
et responsable du MPC d’Alger, se forme un groupe de police parallèle très
vite appelé « les barbouzes ». Le nom est inspiré au journaliste Bodard par les
romans d’un proche de De Gaulle, Dominique Ponchardier, qui, dans la série
de romans policiers Le Gorille, qualifie ses agents secrets de « barbouzes ».
Au masculin ou au féminin, les barbouzes sont aussi « les barbes » ou les
« bz ».
En mars-avril 1961, Lucien Bitterlin*, face au premier meurtre de l’OAS
parmi les responsables MPC (Barthélemy Rosselo), décide, avec son ami
André Goulay, de tout mettre en œuvre pour riposter contre l’OAS. Goulay
du MPC monte à Paris, rencontre son ami l’avocat Pierre Lemarchand qui
contacte Dominique Ponchardier qui lui-même rencontre Foccart et le
Général. Le « Talion » est né, branche du MPC destinée à lutter contre l’OAS
en complémentarité avec la Mission C et l’OCC.
Il faut des hommes pour monter ce « Talion ». C’est essentiellement
Lemarchand qui les recrute à Paris parmi les copains judokas gravitant autour
de Raymond Sasia, gorille du général. Foccart en trouve quelques-uns dans
les effectifs du Service d’action civique (SAC), mais c’est surtout le
champion en arts martiaux, le maître Jim Alcheik, ancien membre d’une
branche du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage
français* (SDECE) appelée « la Main rouge », qui devient le responsable de
ce groupe envoyé à Alger fin novembre 1961. Quatre Vietnamiens
champions de judo et de karaté l’accompagnent, dont Roger Bui-Thé, second
d’Alcheik au dojo de Paris. Très vite, de nouvelles recrues arrivent et
s’installent à Alger dans deux villas.
L’OAS, contrariée par l’arrivée de ces hommes qui font avec succès le
« sale boulot » de renseignement, arrestations et tabassages musclés que la
Mission C ne peut officiellement accomplir, se met en tête de vouloir anéantir
ces groupes de barbouzes implantés à Oran-Orléansville (Guy Gits), à Aïn-
Taya (Marcel Hongrois) et Alger (Lucien Bitterlin, André Goulay, Louis
Dufour, Jean Dubuquoy, Robert Lavier).
Les barbouzes ne seront jamais plus de 15 à 20 en Algérie, par roulement,
et en tout leur nombre ne dépassera pas la centaine entre novembre 1961 et
fin 1962.
Une attaque au bazooka par l’OAS fin décembre 1961 marque le début
du harcèlement que l’OAS mène contre les barbouzes. Puis c’est l’explosion
par l’OAS de la villa occupée par le MPC à Alger le 29 janvier 1962, avec les
19 barbouzes déchiquetés sur les 26 présents.
Le groupe de barbouzes se reconstitue autour de Ponchardier et de Bob
Morel, l’OAS les traque à Alger puis à Orléansville. Les derniers survivants
se terrent à la cité administrative de Rocher-Noir où siège le délégué général
Jean Morin* qui en expédie en France et en garde quelques-uns. L’Exécutif
provisoire* algérien s’installe à Rocher-Noir après le 19 mars 1962* et laisse
ce petit groupe de barbouzes œuvrer contre les derniers éléments de l’OAS
encore nuisibles à la préparation de l’indépendance de l’Algérie. Les
gaullistes nieront très longtemps l’existence de ces barbouzes historiques.
Christian HONGROIS
Bibl. : Lucien Bitterlin, Histoire des Barbouzes, Palais Royal, 1972 •
Christian Hongrois et Frédéric Ploquin, Fils de Barbouze, Nouveau Monde,
2021 • Christian Hongrois, Voyage au cœur de la lutte contre l’OAS,
Nouveau Monde, 2022.

BARRAGES ÉLECTRIFIÉS
En 1956, les anciens protectorats d’Afrique du Nord redeviennent
indépendants et servent de bases arrière à l’ALN*. Dès lors, le
commandement français cherche à asphyxier les maquis intérieurs de l’ALN
en verrouillant peu à peu les frontières avec le Maroc* et la Tunisie*. Ce
n’est en rien une ligne Maginot. Les obstacles érigés doivent être
suffisamment puissants pour être dissuasifs, aussi bien pour les djounoud de
l’intérieur qui voudraient franchir la frontière, que pour ceux qui tenteraient
de pénétrer en Algérie. Il faut aussi couper les lignes logistiques de l’ALN en
rendant de plus en plus difficile le soutien en munitions et en armes.
Les deux barrages frontaliers fonctionnent d’abord comme des éléments
d’alerte. Une double haie de fils électrifiés sous haut voltage permet de
signaler une coupure (réalisée à l’aide de pinces isolantes) et de donner le
temps aux troupes placées immédiatement en réserve d’intervenir. Le réseau
électrifié est formé de deux haies centrales de 2,4 mètres de hauteur en haute
tension de 5 000 à 7 000 volts. En doublant ou en triplant l’obstacle électrifié,
on compte en 1961 environ 3 000 kilomètres de haie électrifiée sous tension,
alimentés par 104 centrales. Outre l’installation de postes et d’une piste de
surveillance où circulent des blindés* (la « herse »), le couple radar-canon
(portée d’une dizaine de kilomètres) interdit tout franchissement dans les
reliefs non accidentés. La complémentarité interarmées se manifeste par la
surveillance aérienne des avions des armées de l’air et de mer (« luciolage »
la nuit pour éclairer le barrage) et par l’intervention des unités au sol.
À l’ouest, afin de pallier le retrait des unités françaises du Maroc, les
premiers réseaux de barbelés apparaissent en novembre 1956. La
construction de Port-Say à Abadla, au nord du grand erg occidental, tient
compte des incidents de frontière avec le royaume chérifien, de sorte que la
ligne de défense est reportée de plusieurs kilomètres en territoire algérien. En
janvier 1957, des mines* éclairantes sont posées pour rendre plus efficace la
surveillance depuis les postes et déclencher un tir-canon quasi immédiat lors
des tentatives de franchissement. En juillet suivant, les premières mines
explosives, encriers (petites et indétectables car en bakélite) et bondissantes,
sont placées. Pièges à basse tension, des mines électriques sont également
installées. Fin 1957, le barrage s’étend jusqu’à 900 kilomètres de la mer à
Colomb-Béchar et Talzaza. Cependant les sapeurs-mineurs de l’ALN
réalisent des trouées dans le réseau par l’utilisation des longs tuyaux explosifs
du type Bangalore. En 1957, à Oujda, au Maroc, est opérationnelle une école
de spécialistes en destruction qui savent récupérer des mines-encriers et
bondissantes. L’ALN utilise également des mines soviétiques antichars. En
1961, l’ALN crée le 1er bataillon de déminage composé de trois compagnies
légères. Les Français répliquent par la mine télécommandée, couplée à un
allumage électrique un temps relié à des « sismophones » enterrés et destinés
à signaler tout piétinement. L’efficacité du dispositif d’ensemble est telle face
au Maroc que si au 1er trimestre 1958 les réussites de franchissement sont de
27 % dans le sens ouest-est et de 23 % dans le sens est-ouest, elles tombent à
9 % dans les deux sens un an plus tard.
À l’est, le retrait de la 11e division d’infanterie (DI) à l’indépendance de
la Tunisie induit la protection de l’axe ferré des mines d’Ouenza et de la route
stratégique de Bône-Tébessa et son prolongement jusqu’à Négrine. Le 26 juin
1957, le ministre de la Défense nationale et des Forces armées, André
Morice, ordonne la construction de la ligne qui porte son nom. Obstacle
disposant d’une « herse » intérieure (confiée à six régiments blindés) entre
deux haies électrifiées, celle-ci est aussi conçue, comme son équivalent face
au Maroc, comme un dispositif d’alerte permettant la manœuvre non pas
depuis les postes de surveillance (six régiments de secteur), mais par
concentration des forces. En 1958, cinq régiments parachutistes* sont placés
en arrière du barrage et opèrent en « chasse libre ». Quatre autres régiments
sont disposés en couverture, dans le no man’s land entre la frontière et la
ligne électrifiée.
Le général Challe*, nouveau commandant en chef, voulant protéger la
zone côtière, de La Calle à Morris, décide en 1959 de doubler dans cette
direction la ligne électrifiée longue de 1 200 kilomètres. Il s’agit aussi de
protéger les blindés circulant sur la « herse », tout en bénéficiant d’un
dispositif de sécurité en profondeur. Sont utilisées trois tensions pour les
haies électrifiées, haute (7 000 volts), moyenne (3 000 volts) et basse tension
(380 volts). Ce renforcement est d’une telle efficacité qu’il rend toute
tentative de passage pratiquement impossible, à partir de 1960 : en mars, sur
8 300 djounoud engagés, 60 passent mais 40 sont tués sur le terrain ; en
juillet, échec total d’une dernière tentative à grande échelle. D’instrument
d’alerte, l’obstacle érigé à l’est évolue de plus en plus vers la fortification où
les postes dotés d’artillerie et placés en quinconce empêchent tout
franchissement d’importance.
Outre 60 000 tonnes de barbelés, 14 millions de piquets, le coût final des
barrages est estimé à 250 millions de francs. Quant à la guerre des mines, le
total cumulé est de 6 200 000 mines antipersonnel, 400 000 mines
bondissantes et 230 000 mines éclairantes. Au total, de 1957 à 1962, l’ALN
déplore 6 000 tués sur et dans la zone des barrages, soit environ 4 % des
moudjahidines* tombés pendant la guerre de libération. Le champ de bataille
intérieur est ainsi « encagé » et permet le succès du plan Challe* en isolant
les maquis. Mais la veille demande de plus en plus d’effectifs. L’ALN ne
cesse de se renforcer aux frontières, puissant moyen de pression au moment
des négociations*. Entre 1957 et 1962, les effectifs passent de 2 000 à
22 000 hommes pour la Tunisie, et de 2 000 à 10 000 hommes pour le Maroc.
De plus, dans les derniers mois du conflit, l’ALN multiplie les harcèlements
et dispose de moyens antichars (bazookas, canons de 75 sans recul, etc.) et de
mortiers lourds, 120 et 122 mm, venus des pays de l’Est. C’est l’origine de la
gabegie d’effectifs français. En janvier 1959, 45 000 hommes défendent les
frontières, dont 28 000 à l’est. On conçoit que ce surcoût ait pesé dans les
négociations d’Évian-Lugrin.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Henri Lemire, Histoire militaire de la guerre d’Algérie, Albin Michel,
1982 • Revue internationale d’histoire militaire, no 76, La guerre d’Algérie,
la défense des frontières, les barrages algéro-marocain et algéro-tunisien,
1956-1962, 1997.

BARRAT, DENISE (1923-1995) ET ROBERT


(1919-1976)
Robert Barrat, fils d’un employé de banque et d’une ménagère, effectue
son premier voyage en Algérie en 1938. Il rencontre Denise Schoenfeld, qui a
perdu ses parents en déportation, en 1945. Ils se marient deux ans plus tard.
Ils travaillent alors à Témoignage chrétien, dont Robert est le rédacteur en
chef adjoint. Ils publient régulièrement sur les questions israélo-
palestiniennes et coloniales.
Robert Barrat devient secrétaire général du Centre catholique des
intellectuels français de 1950 à 1955. En octobre 1954, il suit le ministre de
l’Intérieur François Mitterrand* au cours de son voyage en Algérie. En 1955,
il rencontre Abane* Ramdane et s’entretient avec des maquisards de la région
de Palestro*, parmi lesquels Amar Ouamrane* dont il publie l’interview
(« Un journaliste français chez les “hors-la-loi” algériens », France
Observateur, 15 septembre 1955). Cet article, qui fait connaître le FLN* en
France, lui vaut d’être emprisonné à Fresnes. Il en sort grâce à une
mobilisation des journalistes.
En 1956, le couple prépare le Livre blanc sur la répression en Algérie,
composé de nombreux exemples de répression et d’illégalités, pour servir à la
délégation du FLN à l’ONU*. Robert Barrat fait également partie des
fondateurs de mouvements contestant les conditions du déroulement de la
guerre d’Algérie : le Comité de résistance spirituelle, qui publie la brochure
Des rappelés témoignent début 1957, et le Centre d’information et de
coordination pour la défense des libertés et de la paix, qui publie le journal
Témoignages et documents.
Il réussit aussi à être un intermédiaire entre les gouvernements français et
les responsables algériens, et à aider en même temps les opposants de la
guerre d’Algérie. Ainsi, il présente le communiste égyptien Henri Curiel* à
Francis Jeanson*, dirigeants d’importants réseaux de soutien au FLN. Il
devient aussi l’un des responsables du journal clandestin Vérités pour de
Francis Jeanson, et fait partie du comité de direction de Vérités-libertés.
De son côté, Denise Barrat participe aux réseaux de soutien. Arrêtée, elle
fait partie des inculpés du procès du « réseau Jeanson », et est finalement
acquittée. Au même moment, Robert est l’un des premiers signataires du
« Manifeste* des 121 », ce qui lui vaut d’être encore incarcéré pendant une
quinzaine de jours. Après l’indépendance, Denise participe à la fondation de
l’association France-Algérie en 1963 puis préside l’association de Solidarité
avec les peuples d’Algérie et du Maghreb (Solidam) à la fin des années 1980.
Elle publie le témoignage* de feu Robert Barrat en 1987.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Denise et Robert Barrat, Algérie, 1956 : livre blanc sur la répression,
L’Aube, 2001 • Robert Barrat, Un journaliste au cœur de la guerre d’Algérie,
L’Aube, [1987] 2001 • Comité de résistance spirituelle, Des rappelés
témoignent…, Clichy, Imprimerie Chaffiotte-Ruaud, 1957.

BARRICADES, SEMAINE DES (24 JANVIER-


1ER FÉVRIER 1960)
Pour les activistes d’Alger, notamment Joseph Ortiz* et les dirigeants du
FNF, l’autodétermination vaut menace d’abandon et trahison du 13 Mai*.
Riposter ? Mais quand et comment ? L’offensive lancée à l’Assemblée par le
RAF* a échoué : l’autodétermination a été approuvée par 441 voix contre 23.
Chez les militaires, si le malaise est perceptible, le général Challe*,
commandant en chef, a su rassurer les officiers* dans un discours le
26 octobre 1959. Un épisode imprévu, le rappel de Massu* à la suite d’une
interview donnée au journaliste allemand Hans Ulrich Kempski, déclenche
alors la crise des barricades. À la question de savoir si de Gaulle* a une
« vision claire de l’avenir », Massu répond : « Je ne sais pas. Et s’il en a une,
ce n’est sûrement pas la nôtre. » Si Alain de Sérigny dans L’Écho d’Alger*
l’encense, de Gaulle qui, le 22 janvier, rappelle à l’Élysée le cap de sa
politique, le limoge. À Alger, la tension monte. Une réunion du FNF à la
Maison des étudiants est un franc succès tandis qu’Ortiz multiplie les
contacts avec l’entourage de Massu, notamment Argoud*. L’armée ne semble
pourtant pas prête à « basculer ». Rendant compte à Argoud de sa rencontre
avec de Gaulle, Challe est catégorique : l’unité de l’armée est impérative.
Ortiz voit ses espoirs ruinés. Ses rivaux, Martel (qui considère le cafetier du
Forum comme un agent provocateur) ou Lagaillarde* (qui peste sur les
« dégonflés ») entendent agir. Les facultés sont occupées et une grève*
générale est décidée le 23 janvier. Surtout, une grande manifestation*
encadrée par les unités territoriales* (UT) et le FNF est prévue pour le 24 :
comme le 6 février 1956 ou le 13 mai 1958, la rue doit faire pression sur
Paris. Encore faut-il que les autorités laissent les manifestants converger vers
Alger-centre. Dès 9 h 30, les mises en garde officielles sont multipliées :
« L’autorité et l’armée feront leur devoir. » Les barrages filtrants de l’armée
empêchent également une partie des manifestants de progresser vers le
plateau des Glières. À midi, Ortiz indique à Challe qu’il n’a pas l’intention
d’attaquer le Gouvernement général* mais la situation est inquiétante. La
manifestation, faute d’appui de l’armée et de la présence d’une foule
significative, est un échec. En fin d’après-midi, cependant, tandis que
6 000 personnes sont massées entre le plateau des Glières et le boulevard
Laferrière, deux barricades sont élevées.
La question de la dispersion de la manifestation, charge confiée aux
gendarmes du colonel Debrosse, se pose. Le bain de sang naît d’une fusillade
nourrie causant 8 morts et 51 blessés chez les manifestants, 14 morts et
119 blessés chez les mobiles. Les polémiques n’ont cessé depuis pour savoir
qui a tiré en premier : l’étude fouillée de Francis Mézières met les
manifestants en cause. Le dispositif du maintien de l’ordre fait controverse. Il
a débouché sur un violent règlement de comptes entre gendarmerie*,
parachutistes* et état-major de Challe. Lui qualifie d’« erreur grossière » la
volonté d’évacuer le plateau des Glières même si dans son message
radiodiffusé il fustige « les émeutiers » qui ont « attaqué et tiré sur les forces
de l’ordre ». La manifestation, devenue émeute sanglante, conduit à une crise
politique. Elle va durer une semaine. Sur place, la délégation générale et les
militaires mesurent le risque d’une répression immédiate mais depuis Paris,
de Gaulle refuse toute transaction et réclame qu’on en finisse sous vingt-
quatre heures. Michel Debré* obtient de se rendre à Alger dans la nuit du 25
au 26 janvier, mais il n’y convainc personne. L’Élysée prend donc la main
après s’être assuré que l’armée ne basculerait pas et en tablant sur le soutien
de l’opinion* métropolitaine.
Loin d’être un levier, les barricades sont une nasse pour les insurgés
contre qui le temps travaille. Le délégué général Delouvrier* tente un coup de
poker en quittant Alger pour Reghaïa, en banlieue, d’où il prononce le
28 janvier une allocution radiophonique qui n’ébranle nullement les insurgés
mais trouve un écho chez une partie des Européens. Surtout, le départ de
Delouvrier met l’armée seule face aux insurgés et prépare le terrain à de
Gaulle qui parle le lendemain, sanglé de son uniforme. Il défend
l’autodétermination, fustige les insurgés, « menteurs et conspirateurs ». Il
prône un rétablissement de l’ordre par tous les moyens, une reddition pure et
simple. Approuvé en métropole, le propos gaullien est reçu à Alger dans une
atmosphère pesante. Si certains insurgés veulent transformer les barricades en
Alcazar de Tolède, le mouvement se décompose et les hommes des UT
rentrent chez eux. Ortiz choisit la clandestinité mais Lagaillarde se rend le
31 janvier et est transféré à la Santé. L’échec des barricades n’est pas
seulement celui de l’activisme. Il montre clairement qu’avec de Gaulle et la
Ve République*, les temps ont bien changé par rapport à 1956 et 1958. Alger
ne dicte plus sa loi à Paris.
Olivier DARD
Bibl. : Jacques Frémeaux, « Les barricades d’Alger », in Alain Corbin et
Jean-Marie Mayeur (dir.), La Barricade, Publications de la Sorbonne, 1997
• Francis Mézières, Alger, 24 janvier 1960, t. I, Genèse du suicide de
l’Algérie française, t. II, Mythes du suicide de l’Algérie française, Éditions
d’Alésia, 2018.

BATAILLE
Les débats autour de l’appellation « bataille d’Alger* », aujourd’hui
parée de guillemets significatifs d’une distance critique à son égard, résument
le dilemme posé par l’usage du mot « bataille » en général. Si tout le monde
s’accorde à dire qu’il n’y a pas eu à Alger de « bataille » au sens strict du
mot, le consensus règne par ailleurs pour perpétuer l’appellation. Il est
difficile, en effet, de trouver une expression alternative, sauf à se situer du
point de vue des Algérois ayant subi le déploiement des troupes
parachutistes* dans la ville à partir de janvier 1957 en parlant de « grande
répression d’Alger » – Gilbert Meynier*, ainsi, en est partisan. « Grande
répression d’Alger », cependant, ne rend pas compte de la réalité de
l’affrontement, sur le terrain, entre deux camps : celui des indépendantistes
où domine le FLN* même s’il n’est pas le seul (le MNA* et le PCA* étaient
aussi actifs) ; celui de l’Algérie française avec la 10e division parachutiste*
du général Massu* aux côtés de laquelle sont aussi engagés les forces de
police* ainsi que l’appareil judiciaire et pénitentiaire. Certainement pour
mettre en évidence cet affrontement bien réel, cruel et sanglant, les anciens de
la « bataille d’Alger », tant français qu’algériens, emploient l’expression sans
la discuter.
À l’échelle de l’ensemble du conflit, les débats autour du mot « bataille »
rejoignent ceux autour du mot « guerre ». Accepter « bataille » revient à
reconnaître qu’une véritable guerre a bien eu lieu, contrairement au déni
officiel français qui a longtemps perduré. Les Algériens, pour leur part,
trouvent dans cette reconnaissance une légitimation de leur combat pour
l’indépendance mais aussi une reconnaissance de son âpreté et de sa dureté.
Prenant le débat au sérieux, en le délestant de ses enjeux politico-mémoriels,
les historiens discutent de l’existence de batailles au sens d’affrontements
militaires meurtriers trouvant effectivement leur terme sur le terrain par la
victoire des uns ou des autres, comme à Djorf en septembre 1955 ou aux
frontières en 1958. Là de véritables batailles ont eu lieu.
Plus fondamentalement, la discussion sur les batailles renvoie au type de
guerre qu’a été celle pour l’indépendance de l’Algérie. Elle n’est pas une
guerre de « batailles gigantesques dans lesquelles les grands chefs cherchent
avant tout la décision », pour reprendre les mots de Jacques Frémeaux*, mais
une guerre à la fois asymétrique et de basse intensité. Elle est asymétrique
tant l’équipement des forces engagées était déséquilibré – les
indépendantistes n’avaient guère d’autre choix que la guérilla* ou le
terrorisme alors que l’armée française pouvait déployer des opérations
héliportées. Cette guerre est aussi de basse intensité au sens où dominent les
embuscades*, harcèlements et affrontements de faible envergure, tandis que
la population civile est tout à la fois une cible et un enjeu.
L’intensité des combats militaires varie toutefois selon les périodes. De
1955 à 1957, l’ALN a l’initiative sur le terrain avant que les frontières ne
s’imposent comme théâtre majeur en 1958. Dans ce contexte, les
affrontements militaires comptent. Ils sont décisifs. Puis avec le plan Challe*,
en 1959, les maquis peinent à survivre. De là découle l’argument que la
guerre a été militairement gagnée – il est toujours en vigueur dans les milieux
français persistant à nier la légitimité de l’indépendance. La guerre,
cependant, se jouait aussi en dehors des maquis. Ainsi le FLN avait son
nidham (ou nizam selon les retranscriptions), appelé, en français, OPA
(organisation politico-administrative) : quantité de réseaux voués à la collecte
de fonds, à la diffusion de mots d’ordre, à la propagande*, au ravitaillement
des maquis, à l’élaboration d’un contre-État alternatif à l’État colonial mais
aussi aux attentats. Jamais l’armée française n’a pu détruire ces réseaux de
façon définitive, qui étaient reconstitués au fur et à mesure de leur
démantèlement. Pour cette raison, les prisons* et les camps d’internement*
débordaient de captifs et ne pouvaient désemplir. S’il y a eu peu de
« batailles » au sens strict du terme, il y a bien eu une guerre prenant la forme
d’un affrontement protéiforme sur le terrain, dans lequel les forces françaises
ont été défaites. Pour le dire clairement, jamais les réseaux n’ont été anéantis.
Les attentats ont continué jusqu’en 1962.
Aussi il n’est pas juste d’affirmer que, gagnée sur le terrain, la guerre n’a
été perdue qu’au plan politique, notamment parce que le FLN a
internationalisé son combat. Il est tout aussi faux de s’efforcer de la présenter
comme toute autre guerre en surestimant la part prise par les maquis au
détriment de la part assumée par l’OPA. Ainsi, si cette guerre en est bien une
et s’est bien achevée par une défaite française sur le terrain lui-même, elle est
une guerre d’une nature particulière. Le mot « bataille », entendu au sens
strict, n’en rend pas bien compte. Et cela n’a rien de spécifique à la Guerre
d’indépendance algérienne : les conflits armés asymétriques et/ou de basse
intensité marquent l’histoire contemporaine et le temps présent.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Jacques Frémeaux, La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870,
1954-1962, Economica-Institut de stratégie comparée, 2002 • Gilbert
Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002 • Ouanassa
Siari Tengour, Histoire contemporaine de l’Algérie, nouveaux objets, Oran,
Crasc, 2010.

BATAILLE D’ALGER
Densément peuplée par des Algériens ayant fui les rigueurs de la guerre
et venus grossir les rangs de ses bidonvilles, tandis que la vieille ville de la
Casbah concentre une population plus ancienne, Alger est aussi la vitrine de
l’Algérie française avec le siège du pouvoir politique, une université, un
musée des beaux-arts, un opéra et d’autres bâtiments typiques d’une capitale
coloniale sûre d’elle et désireuse de manifester dans le bâti et le foncier, dans
les murs et dans les rues, la présence française. Elle concentre aussi les hôtels
qui, en temps de guerre où la circulation est devenue plus complexe,
accueillent les journalistes français et étrangers, ainsi que les représentants
consulaires témoins de l’aura internationale de cette ville. Or c’est
précisément là que, depuis l’automne 1956, le FLN* commet des attentats
contre des lieux de détente privilégiés par la population française, à
commencer par le Milk-Bar et la Cafétéria, le 30 septembre. Une Zone
autonome d’Alger* (ZAA) a été créée dans ce but. Dirigée par Larbi Ben
M’hidi*, elle sera bientôt incarnée par Yacef Saadi*, son adjoint chargé des
attentats, assisté d’Ali La Pointe*. Au pouvoir colonial qui prétend maîtriser
l’extension d’une révolte populaire et armée qui monte, ces violences
adressent un démenti cinglant.
Alors que l’Assemblée générale des Nations unies* s’apprête à prendre
position sur la situation en Algérie en janvier 1957, le FLN choisit de faire à
Alger la démonstration de sa puissance. L’image des quelques militants,
réussissant à déposer des bombes, fussent-elles très meurtrières, ne suffit pas
– l’implication des femmes*, comme Djamila Bouhired* et Djamila Bouazza,
marque les esprits. Le FLN veut montrer au monde qu’une majorité des
habitants algériens de la ville le soutient. Pour cela, il lance un appel à faire
grève* pendant toute la semaine de session des Nations unies. Si les rideaux
des commerçants restent baissés, si les fonctionnaires ne se rendent pas à leur
travail, si les tramways, les bus, les postes et télécommunications sont au
ralenti, si le port d’Alger ne fonctionne plus, alors l’influence du FLN dans la
population algérienne sera démontrée. L’enjeu est de taille : apparaître
comme le représentant légitime du peuple algérien, non seulement vis-à-vis
de la France coloniale mais vis-à-vis du monde entier.
Quoi qu’elles s’imaginent des méthodes du FLN pour obtenir cette
adhésion populaire, les autorités françaises ont bien perçu l’image désastreuse
qui résulterait d’un succès de cette grève. Rompant avec les méthodes
répressives classiques voulant que l’espace urbain soit réservé à la police*,
elles investissent une division parachutiste (DP) des pouvoirs de police dans
le but premier de briser le mouvement. Le 7 janvier 1957, le général Massu*
reçoit ces pouvoirs pour Alger et ses environs. Après avoir brisé la grève, les
hommes de la 10e DP* s’attachent à démanteler l’ensemble du FLN et de ses
réseaux.
Avançant à l’aveugle dans une ville qu’ils ne connaissent pas, totalement
ignorant des techniques policières de lutte contre une organisation
clandestine, les parachutistes* organisent un quadrillage de la ville visant à
identifier la population algérienne et à repérer les mouvements suspects. Ils
mettent aussi en place des centres de torture où chaque régiment conduit les
personnes arrêtées. Les méthodes sont d’une extrême violence, en totale
illégalité, mais soutenues par le haut commandement militaire soucieux de
réussir sa mission et persuadé qu’il faut que l’armée s’adapte aux nouveaux
visages de son ennemi.
Les militaires français aimeront pourtant parler de « bataille d’Alger » ;
les militants du FLN aussi. Le succès mondial du film de Gillo Pontecorvo
(1965), financé par Yacef Saadi qui y joue son propre rôle, achèvera
d’imposer l’évidence de cette expression. Pour ceux qui se sentent humiliés
par une action jugée dégradante pour des unités d’élite, comme pour ceux qui
sont réduits à une clandestinité de plus en plus étouffante et finalement
rendus impuissants par la terreur, parler de « bataille » est valorisant. Pourtant
où est la bataille ? À Alger, point d’armées face à face mais des troupes de
soldats aguerris aux prises avec une population civile suspectée de cacher,
d’héberger, de soutenir des militants, collecteurs de fonds, propagandistes ou
encore poseurs de bombes. Pour faire parler les suspects raflés ou arrêtés de
manière plus ciblée, la torture* devient systématique. Avec elle se développe
un argumentaire appelé à un grand succès : la torture serait le moindre des
maux. La 10e DP diffuse, en effet, l’exemple théorique d’un terroriste tout
juste arrêté après avoir déposé une bombe et qui doit livrer à ses
interrogateurs son emplacement avant qu’elle n’explose et ne fasse des
victimes. L’exemple a valeur d’exemplum : comment ne pas conclure qu’il
est souhaitable de torturer cet homme plutôt que de laisser exploser sa bombe
meurtrière ? Comment ne pas choisir entre deux maux le moindre, comme le
soutiennent alors un prêtre parachutiste et un des officiers* tenant d’une
nouvelle doctrine de guerre ? Les contextes dans lesquels sont arrêtées des
personnes, sur la base de simples suspicions d’appartenance au FLN ou de
lien avec des militants, n’ont rien à voir avec cette situation de bombe prête à
exploser. Pourtant, l’argumentaire porte alors et étouffe les dilemmes moraux
de nombreux militaires ou politiques.
Plus complexe est la justification d’autres pratiques qui deviennent
typiques de cette répression menée par les parachutistes de la 10e DP : la
disparition* et les assassinats maquillés en suicides. Ainsi Larbi Ben M’hidi,
l’un des fondateurs du FLN et membre du CCE*, est assassiné peu de temps
après son arrestation, début mars 1957. Véritable pied de nez au pouvoir
politique qui aurait pu le juger et le condamner, cet assassinat, comme
d’autres, témoigne du sentiment d’impunité absolue des militaires à cette
période. Le scandale éclate cependant en métropole où les réactions
contraignent Guy Mollet* à réagir. Après s’être ému qu’un gouvernement
comptant plusieurs résistants déportés puisse être accusé d’avoir laissé
accomplir des méthodes dignes des nazis, le président du Conseil s’attache à
réduire les dimensions les plus scandaleuses de cette répression. Il ne
perturbe toutefois pas fondamentalement son action, jugée efficace et vantée
par les militaires. De fait l’élimination de Ben M’hidi porte un coup dur au
FLN et le CCE décide de quitter le territoire algérien pour diriger la guerre de
l’extérieur.
Après une reprise des attentats au mois de juin, en particulier celui du
Casino de la Corniche le 3 juin 1957, la répression connaît une deuxième
phase qui finit d’écraser le FLN à Alger à l’automne. Yacef Saadi est arrêté
en septembre, Ali La Pointe tué en octobre par le plasticage de sa cache de la
Casbah qui fait plusieurs morts dont Hassiba Ben Bouali*. Les attentats
cessent et les parachutistes quittent la ville. Les techniques répressives
utilisées par l’armée française sont théorisées, présentées comme efficaces et
diffusées hors d’Alger. Le FLN, quant à lui, se replie ailleurs. Au-delà de ses
militants, les idées qu’il défend ne sont pas éradiquées. La violence brutale de
la répression française réussit, au contraire, à les alimenter. Si on parle de
bataille, à Alger en 1957, ce doit être alors pour se souvenir que gagner une
bataille n’est pas gagner la guerre.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN
(1954-1962), Fayard, 2002.

BATAILLE DE L’ÉCRIT
La nécessité d’informer et d’analyser s’impose dès les débuts de la guerre
d’Algérie. Ainsi, le FLN* crée Résistance algérienne, en arabe et en français,
qui sera remplacée par El Moudjahid, en 1956-1957. En Algérie, la presse*
coloniale, qui occupe quasiment seule le terrain (Alger républicain* est
interdit en 1955 et El Baçaïr de l’association des ulémas en 1956) et est
relayée par la presse de droite en France, donne sa version des faits et désigne
les résistants algériens comme fellaghas, terroristes, assassins, etc. Elle est au
service des gros possédants : L’Écho d’Alger*, dirigé par Alain de Sérigny, a
été créé par des minotiers d’Alger. La Dépêche de Constantine appartient à
Louis Morel, député puis sénateur.
En France, un front du refus à la guerre se forme très tôt dans la presse :
France Observateur, Témoignage chrétien, Le Monde*, L’Express, Esprit,
puis Les Temps modernes, publient les dénonciations de la torture* et les
récits des appelés* qui sont confrontés à la violence extrême.
On peut distinguer deux moments dans la bataille de l’écrit. D’abord, dire
la torture : des textes arrivent, surtout chez Jérôme Lindon* aux Éditions de
Minuit, qui rapportent les récits des torturés. Il sera relayé par François
Maspero* (la librairie La Joie de lire deviendra les éditions qui portent son
nom). À eux deux, ils vont publier des textes qui, même s’ils sont saisis et
peu lus directement, placent la question de la torture et des exécutions
sommaires* au cœur de la société française, du moins dans le milieu
intellectuel. Puis, défendre le droit à l’insoumission : l’autre corpus de textes
qui va se constituer, presque au corps défendant de Lindon, c’est celui des
récits, à peine romancés ou en dossiers, des déserteurs et de la réflexion que
le refus de tuer entraîne (« Manifeste* des 121 »).
Aux côtés de Lindon se trouve l’historien Pierre Vidal-Naquet*, qui
vérifie les documents reçus, qui participe à la constitution de dossiers dont
L’Affaire Audin. Cet éditeur* qui avait un projet de publications littéraires va,
saisi par le scandale de la torture, publier des textes sur l’Algérie et la guerre
qui s’y déroule, sachant très vite qu’il connaîtra saisies, procès et lourdes
amendes. Si les saisies sont opérées, les poursuites judiciaires n’aboutissent
généralement pas, comme s’il fallait éviter de parler de la guerre lors du
procès. Les amendes seront quelquefois payées par d’autres éditeurs comme
Julliard, qui expriment ainsi leur solidarité. Le monde éditorial, comme le
monde journalistique, prend la configuration d’un terrain de lutte, avec – sans
que cela ait été voulu – une distribution des rôles.
Les Éditions de Minuit et Maspero vont, à elles deux, publier la plupart
des livres sur la guerre entre 1957 et 1962. Chez le premier éditeur, sur les
vingt-trois livres publiés sur la guerre, onze portent sur la torture puis la
désertion et neuf seront saisis, quelquefois à deux reprises (La Question,
d’Henri Alleg*, 1958 et 1959 ; L’Affaire Audin, de Vidal-Naquet, 1958 ; La
Gangrène, collectif, 1959, réédité deux fois la même année ; Le Déserteur, de
Maurienne, 1960 ; Le Désert à l’aube, de Favrelière*, 1960, etc.).
Les éditions Maspero ont une politique éditoriale semblable et subissent
saisies et amendes. Sur la vingtaine de titres publiés sur la même question,
douze sont saisis (Le Refus, de Maurice Maschino*, 1960 ; Le Droit à
l’insoumission, le dossier des « 121 », collectif, 1961 ; Les Damnés de la
terre, de Frantz Fanon*, 1961 ; La Révolution algérienne par les textes,
d’André Mandouze*, 1961, etc.).
En plus des déboires avec la censure* et la justice, des saisies et
inculpations qui accompagnent, et quelquefois devancent (efficacité de la
censure !), la parution des textes, les deux éditeurs sont confrontés à la
violence : plasticage des librairies et des appartements.
Les autres éditeurs, s’ils ne publient pas de textes sur la torture et
l’insoumission, peuvent canaliser les textes vers Lindon et Maspero et même
faire paraître des textes comme L’Algérie hors la loi de Colette et Francis
Jeanson* (Seuil, 1955) et La Guerre d’Algérie de Jules Roy* (Julliard, 1960).
Face aux textes qui dénoncent la violence extrême de la répression, des
auteurs défendent l’Algérie française et l’armée. Jacques Soustelle*,
gouverneur général en Algérie (1955-1956), acquis aux thèses des partisans
de l’Algérie française, défend sa position dans Aimée et souffrante Algérie
(1956). Des intellectuels et journalistes sont proches de l’armée : Serge
Bromberger (Les Rebelles algériens, 1958), Michel Déon (L’Armée d’Algérie
et la pacification, 1959, écrit après un voyage en Algérie). Si les textes de
cette tendance sont plus nombreux que ceux de la dénonciation, ils n’ont pas
le même impact dans l’opinion* française. Après 1962, les écrits de cette
veine continuent à être publiés, comme si autojustification et regret ne
pouvaient s’éteindre.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Jean-Pierre Bertin-Maghit, La Guerre d’Algérie et les médias :
questions aux archives, Presses Sorbonne-Nouvelle, 2013 • Anne Simonin,
Les Éditions de Minuit. 1942-1955. Le devoir d’insoumission, Imec, 1994.

BATAILLE DES FRONTIÈRES


L’appellation « bataille » signifie que dans un temps et un lieu donnés des
milliers de combattants s’affrontent pour une décision tactique ou stratégique.
La bataille des frontières y correspond. En raison des barrages* électrifiés, le
commandement de l’ALN* tente de sauver de l’asphyxie les maquis de
l’intérieur. Deux théâtres d’opérations existent mais sans actions coordonnées
entre l’ALN de Tunisie* et celle du Maroc*. Toutefois, en 1958 surtout, à
l’initiative de Krim* Belkacem, une manœuvre stratégique dans la
profondeur mobilise les Wilayas 1* et 2*. Il s’agit de fixer un maximum de
troupes ennemies en arrière du barrage oriental où s’exerce l’offensive de
l’ALN. C’est l’origine de combats acharnés dont celui de Ras Gueddane,
dans l’Aurès, les 23 et 24 février 1958. Le 18e RCP y déplore 20 tués et 35
blessés. Avec le plan Challe*, les maquis intérieurs réclament un soutien
indispensable passant par des attaques sur les frontières.
À l’est, théâtre d’opérations principal, les forces engagées par l’ALN
autour de La Calle, de Souk Ahras et de la mine de fer d’Ouenza représentent
la valeur de trois bataillons composés chacun de trois katibas de 250 à
300 hommes. Dans la première bataille de Souk Ahras, du 1er au 8 février
1958, ces unités affrontent l’équivalent de cinq régiments parachutistes*, sans
compter les unités de secteur et les troupes de la « herse » assurant la sécurité
de la ligne Morice. Le 18 mars, plus au nord, vers Mondovi, une katiba venue
de Tunisie tente un passage en force mais est étrillée (113 tués) par onze
compagnies héliportées. Un autre échec, cette fois-ci d’ouest en est, a lieu à la
même date pour la katiba locale de la région de Souk Ahras qui tente de se
réfugier en Tunisie. À moitié détruite, elle est finalement interceptée par le
60e RI.
Au centre du dispositif français, entre Montesquieu et Morsott, la
pression est moins forte et « la herse » vigilante des 14e RCP et 16e Dragons
empêche tout franchissement, notamment lors d’une offensive dans la région
d’Aïn Beïda qui met 250 djounoud hors de combat. Le contournement du
barrage par le sud est utilisé à El Ma el Abiod, à travers la ligne radar en
construction. En février, 600 djounoud et de 300 recrues réussissent à passer.
Mais le 28 février, placé en réserve, le 3e RPC les accroche dans les
Nemencha. Avec l’aide des 8e RPC et 14e RCP une centaine de combattants
est mise hors de combat. Ces tentatives ne sont plus poursuivies après une
interception des 3e RCP et 4e REI dans le djebel Onk, le 2 avril.
Reste l’option septentrionale, toutes forces réunies. Comme elle le fait
depuis le 21 janvier, sans cesser de harceler les postes français des confins,
l’ALN se renforce du 4e faïlek, de 900 à 1 000 hommes. Devant les carences
logistiques, le moral des wilayas intérieures, ainsi que celui des jeunes
recrues, laisse à désirer. Pour le haut commandement de l’ALN, il est donc
impératif de chercher un second souffle. Du 28 avril au 3 mai, plus de
1 000 combattants attaquent frontalement pour tenter de faire passer deux
katibas et une unité de transmissions, mais au prix de 620 tués en six jours.
C’est un des paroxysmes de la guerre d’Algérie que cette seconde bataille de
Souk Ahras dont l’essentiel se déroule dans le djebel d’El-Mouadjène. Cela
va jusqu’au corps à corps pour le 9e RCP du colonel Buchoud. Seul le tiers de
la katiba d’acheminement de la Wilaya 3* réussit à percer pour rejoindre le
cœur de la Kabylie après une odyssée de 700 km. Le 29 mai, au sud-ouest de
Guelma, au cours de la poursuite, le colonel Jeanpierre, chef de corps du
1er régiment étranger de parachutistes (REP), est tué. Les pertes de la bataille
des frontières sont cruelles des deux côtés. En quatre mois, 279 tués et 738
blessés sont enregistrés côté français, tandis que l’ALN déplore 4 000 tués et
600 prisonniers. De plus, 350 armes collectives et 3 000 armes individuelles
sont perdues.
Du 26 au 27 août 1959, l’opération Zighoud ouvre des brèches dans la
ligne Challe. Elle encourage l’ALN à poursuivre avec l’opération Didouche
pour soulager la Wilaya 3 aux prises avec les forces françaises de réserve
générale. Entre le 11 septembre et le 16 octobre, quatre bataillons attaquent
entre Lacroix, Lamy et Le Kouif. Mais seule une cinquantaine de djounoud
réussissent à passer en contournant la ligne Morice en passant au sud de
Négrine. La bataille de la frontière est en passe d’être perdue pour l’ALN à
l’issue de l’opération Amirouche, du 26 novembre au 14 décembre 1959 : sur
les 800 hommes engagés sur un front de 150 km, seuls 30 djounoud
parviennent à passer. En 1960, le plan Boumediene, du nom du chef d’état-
major général de l’ALN, permet d’agir par surprise en creusant des tunnels
sous les haies électrifiées. Les 2, 3 et 20 avril, seulement 70 djounoud percent
et se dispersent dans les Nemencha. La bataille se poursuit par des actions
accrues de harcèlement et de sabotages. Fin 1960, le 2e bureau* estime que
les maquis sans renforts venus des frontières ne comptent que 4 katibas
complètes et 18 demi-katibas.
À l’ouest, la bataille des frontières est moins intense : les effectifs de
l’ALN sont plus modestes que ceux concentrés en Tunisie, et le plan Challe a
annihilé les forces de la Wilaya 5*. Toutefois, en avril-mai 1959, près de 400
djounoud percent le barrage et se dispersent dans les monts des Ksour. Une
autre attaque importante survient en février 1960 entre Figuig et Aïn Sefra,
mais un faïlek est entièrement détruit. En avril, sur 600 hommes engagés, une
vingtaine franchissent un temps le barrage avant d’être repoussé. Le 6 mai, se
déroule le grand combat du djebel M’Zi où un bataillon perd 50 % de son
effectif. Par la suite, le choix de faire passer des commandos* de 25 à
30 hommes se révèle tout aussi coûteux. À l’ouest aussi, le plan Boumediene
échoue, mais l’ALN aux frontières ne cesse de se renforcer, soit 7 bataillons
au Maroc et 15 en Tunisie. Leur rôle est essentiellement politique, comme
« puissance de marchandage » pour peser lors des négociations*.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Un versant de la guerre d’Algérie : la
bataille des frontières (1956-1962) », Revue d’histoire moderne et
contemporaine, no 46-2, 1999 • Jean-Charles Jauffret, Guerre d’Algérie. Les
combattants français et leur mémoire, Odile Jacob, 2016 • Henri Le Mire,
Histoire militaire de la guerre d’Algérie, Albin Michel, 1982.

BATAILLE DU RAIL
Afin de garantir la vie économique, les grands axes de communication et
les trains miniers doivent être protégés, tel celui de la ligne des phosphates
d’Ouenza. Or, du 1er novembre 1954* au 31 octobre 1957, on dénombre 730
attentats contre les trains et 227 contre les gares (une centaine d’agents des
chemins de fer algériens et 46 hommes du contingent sont tués). Pour y faire
face, des unités de secteur, le 3e bataillon de zouaves et le 587e bataillon du
train, escortent trains et autorails. En fin de nuit, avant le passage du premier
convoi, ils ouvrent la voie à l’aide d’une draisine de la marque Billard,
parfois armée d’une mitrailleuse, seule ou précédée de wagons. Sous le
moteur diesel, le blindage en forme de « V » dévie le souffle des mines*. Plus
qu’en Indochine*, en avant des convois civils, les draisines blindées et les
chars sur des plates-formes ouvertes assurent la liberté de circulation des
trains, garants de la logistique lourde des troupes disséminées en Algérie. Il
en est de même pour les trains spéciaux et leurs wagons-citernes venus des
sites sahariens avant l’ouverture des premiers oléoducs. Ainsi, une étroite
coopération interarmes englobe le lien rail-route pour les complexes
opérations de déminage. En effet, leçon de l’Indochine, les djounoud sont
particulièrement inventifs en matière de sabotage et de mines, dont la
redoutée bombe à crémaillère. En Algérie, la bataille du rail est grosse de
matériels spécifiques (scout-cars montés sur rail, Dodge ou Jeep blindées-
draisines, draisines radios-commandées…) et de quatre trains blindés, hors
les unités sur rail des barrages frontaliers. En service dans l’Algérois et le
Constantinois, servis par une vingtaine d’hommes, ils comportent une
locomotive blindée et cinq wagons. Deux portent dix fusils-mitrailleurs et
quatre lance-grenades. Un wagon PC permet la liaison radio avec les unités
de secteur. Un dernier wagon abrite un groupe d’intervention. Mais
l’adversaire refuse d’affronter une telle puissance de feu. De plus, la
circulation des trains en Algérie est gênée par le manque d’harmonisation :
les voies étroites ou métriques l’emportent sur les voies normales. Pourtant,
l’apport du rail demeure essentiel. La logistique lourde du plan Challe* en
1959 repose sur 85 trains spéciaux.
La surveillance des voies entraîne la constitution de pelotons cynophiles,
de miradors à l’entrée ou proches des tunnels, de réseaux de fils de fer
barbelés parfois électrifiés… Dès 1956, des « groupes spéciaux », qui
s’appellent eux-mêmes « commandos* de la mort », nomadisent le long des
voies et des viaducs. Ils déjouent plus de cent sabotages sur la seule ligne du
Transalgérien de direction est-ouest. Cette adaptation du rail à la contre-
guérilla fait que la bataille du rail est militairement gagnée en fin de conflit :
après un pic de 870 attentats contre voie ferrée en 1957, on relève seulement
89 attentats en 1961.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Paul Malmassari, Les Trains blindés français, 1826-1962, Soteca,
2010.

BEAUFRE, GÉNÉRAL ANDRÉ (1902-1975)


Né en 1902, André Beaufre entre à Saint-Cyr en 1921. Il y rencontre
Charles de Gaulle*, alors instructeur. En 1925, il participe à la guerre du Rif
au cours de laquelle il est gravement blessé. Il étudie ensuite à l’École
supérieure de guerre et à l’École libre des sciences politiques. Secrétaire à la
Défense nationale en Algérie entre 1940 et 1941, il est cependant arrêté par le
régime de Vichy pour avoir tenté de faire basculer l’armée d’Afrique dans le
camp des Alliés. Condamné à deux mois de prison* et renvoyé de l’armée, il
est libéré en 1942 et rejoint les FFL. Il est un ancien de la 1re armée de la
Libération, fidèle à de Lattre de Tassigny et désigné comme un de ses
« maréchaux » lors de la guerre d’Indochine*. Il sert ainsi au Tonkin en
1947-1948 puis auprès de De Lattre en 1950. En Algérie, il commande la
11e division d’infanterie en Kabylie en 1955. Puis il est le chef opérationnel
des troupes françaises lors de l’opération de Suez* en 1956. Le recul des
gouvernements français et britannique face aux pressions américaines et
soviétiques constitue un grief important d’André Beaufre contre les autorités
civiles de la IVe République*. Beaufre participe dès lors à développer
l’argument du coup de poignard dans le dos de l’armée, porté par des
hommes politiques faibles et irresponsables. Durant la deuxième moitié de la
guerre d’Algérie, il occupe de hautes fonctions dans la hiérarchie de l’Otan.
Ainsi, en 1958, il est nommé chef du Supreme Headquarters Allied Powers
Europe, puis chef français du groupe permanent de l’Otan à Washington.
Jugé trop proche des Américains, il arrête sa carrière en 1962, alors qu’il
aurait pu être nommé comme chef d’état-major des armées. Il consacre
ensuite le reste de sa vie à écrire des traités de stratégie, en particulier sur la
dissuasion nucléaire et la guerre révolutionnaire*, qui lui valent d’être
reconnu comme un important penseur militaire.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : André Beaufre, Introduction à la stratégie, Armand Colin, 1963
[rééd. Fayard-Pluriel, 2012] • —, Dissuasion et stratégie, Armand Colin,
1964 • Dossier de carrière du général Beaufre, SHD • Yves Courrière, La
Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Michel Hardy, Hervé Lemoine et
Thierry Sarmant, Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française,
hommes, textes, institutions : 1945-1962, L’Harmattan, 2002 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018.

BEAUVOIR, SIMONE DE (1908-1986)


Simone de Beauvoir est née le 9 janvier 1908 à Paris, dans une famille
bourgeoise catholique. Son père est féru de théâtre*. La faillite de son grand-
père plonge la famille dans les difficultés. Décidée à devenir écrivaine, la
jeune fille poursuit toutefois des études de philosophie et de lettres. Elle
rencontre alors Jean-Paul Sartre* dont elle devient la compagne, bien qu’elle
ait de nombreuses autres amours* masculines et féminines. Enseignante, elle
écrit son premier roman L’Invitée en 1943 et fonde avec Jean-Paul Sartre la
revue* Les Temps modernes à la Libération. Elle se fait surtout connaître
avec son essai Le Deuxième Sexe (1949), devenant une figure de proue du
féminisme et de l’existentialisme. Après l’obtention du prix Goncourt en
1954 pour Les Mandarins, elle commence à écrire son autobiographie à partir
de 1958. Dans La Force des choses, publiée en 1963, elle revient notamment
sur la guerre d’Algérie qui constitue un véritable tournant dans son
engagement. Celui-ci reste d’abord intellectuel, légaliste et en retrait par
rapport à Jean-Paul Sartre. Ainsi, elle n’intervient pas publiquement au cours
des premières années de la guerre et se reproche de ne pas avoir été plus
active lors des événements de mai 1958. L’année 1960 constitue une
bascule : Simone de Beauvoir fait partie des signataires du « Manifeste* des
121 » justifiant le droit à la désobéissance dans la guerre d’Algérie. Lorsque
le manifeste est diffusé, elle se trouve alors en Amérique latine* avec Jean-
Paul Sartre pour une tournée de conférences. À son retour, le couple craint
d’être inquiété par la police* mais il n’en est rien : l’interrogatoire est une
simple formalité. C’est surtout avec l’affaire Djamila Boupacha*, toutefois,
que l’engagement de Simone de Beauvoir se révèle. Elle est contactée par
Me Gisèle Halimi* en mai 1960, à propos de cette jeune militante qui vient
de porter plainte contre ses tortionnaires. Simone de Beauvoir écrit un
premier article publié dans Le Monde* le 2 juin 1960, dans lequel elle décrit
les sévices subis par Djamila Boupacha. Le retentissement de cet article a pu
encourager certaines signatures du manifeste comme celle de Françoise
Sagan. L’article est suivi de la constitution d’un comité Djamila-Boupacha
dont Simone de Beauvoir prend la présidence, puis d’un livre qu’elle
introduit, publié en 1962 avec Gisèle Halimi. Cette année 1962 est également
marquée par la lutte contre l’OAS* qui plastique son appartement. Après
l’indépendance, elle poursuit la lutte en réclamant la libération et l’amnistie*
des anticolonialistes emprisonnés. Cette guerre transforme donc
l’engagement de Simone de Beauvoir, en un sens résolument politique et
féministe.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi, Djamila Boupacha, Gallimard,
1962 • Simone de Beauvoir, La Force des choses, Gallimard, 1963 • Anne
Strasser, « 1962 : Simone de Beauvoir ou le désenchantement », in Pierre-
Louis Fort et Christiane Chaulet-Achour, La France et l’Algérie en 1962,
Karthala, 2013.

BELGIQUE
Pays frontalier, puissance coloniale et terre d’immigration, la Belgique
est un territoire spécifique de la Guerre d’indépendance algérienne. Alors que
la diplomatie belge soutient le gouvernement français par solidarité coloniale,
le FLN*, le MNA* et plus tard l’OAS* intègrent la Belgique à leur
organisation politique et s’appuient sur des civils pour y constituer des
réseaux de soutien. À ces belligérants officiels, il faut ajouter les activités
terroristes de la Main rouge, émanation du Service de documentation
extérieure et de contre-espionnage français* (SDECE). En Belgique, la Main
rouge est en effet responsable de l’assassinat de plusieurs activistes ou
sympathisants du FLN, dont le responsable de l’Ugema* Akli Aïssiou et le
Pr Laperche en mars 1960. La violence s’y manifeste aussi à travers les
règlements de comptes entre messalistes et frontistes et les activités de
l’OAS-Belgique.
Engagées dans un processus de décolonisation au Congo et signataires de
la charte de San Francisco (26 juin 1945), les autorités belges coopèrent avec
leurs homologues français dans le respect des conventions policières et
judiciaires qui lient les deux pays. La convention du 24 avril 1875 sur
l’engagement de mineurs de moins de 21 ans dans la Légion étrangère* est
cependant source de tensions. Les familles belges créent un Groupement de
défense des parents contre l’enrôlement de jeunes belges dans l’armée
française et médiatisent leur combat. « L’affaire des Légionnaires » devient
une affaire d’État, la presse* s’empare du sujet tout autant que les
parlementaires mais l’armée française ne plie pas sauf sur quelques dossiers
individuels.
En réalité, la Belgique vit à l’heure algérienne dès l’été 1954 avec
l’organisation du congrès d’Hornu qui scelle définitivement la scission entre
centralistes et messalistes au sein du MTLD. Puis le pays intéresse le FLN et
le MNA à plus d’un titre. Il leur offre non seulement une zone de repli mais
aussi un vivier de militants non négligeable. Le FLN parvient à y structurer la
grande majorité de l’immigration sous l’égide de sa Fédération de France*
dont la compétence est étendue à la Belgique, à y constituer un réseau de
« porteurs de valises* » et un collectif d’avocats*, coordonné par Serge
Moureaux, fils du ministre de l’Instruction publique. Les répercussions de la
guerre en Belgique ont été suffisamment importantes pour peser sur sa
politique étrangère.
Linda AMIRI
Bibl. : Jean Doneux et Hugues Le Paige, Le Front du Nord. Des Belges dans
la guerre d’Algérie (1954-1962), Bruxelles, Pol-His, 1992 • Vincent Genin,
« L’ambassade de Belgique à Paris et la guerre d’Algérie. Marcel-Henri
Jaspar, des Légionnaires belges et une Algérie française (août 1959-
avril 1961) », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 250, no 2,
2013.

BELHADDAD, MOHAND MAHDI (1918-1978)


Mehdi Belhaddad est l’un des premiers sous-préfets algériens à accéder à
ce poste en pleine guerre de libération de l’Algérie. Fonctionnaire loyal mais
au franc-parler, sa présence n’a pas toujours été admise.
Né à Chir (Aurès), il est le descendant de la famille des Belhaddad dont
son arrière-grand-père Cheikh Azziz El Haddad et son grand-père Azziz ont
joué un grand rôle dans l’insurrection de 1871 avant d’être déportés en
Nouvelle-Calédonie.
Il participe à la Seconde Guerre mondiale, en sort mutilé et décoré de
la médaille militaire et de la Légion d’honneur.
Revenu à la vie civile, Belhaddad est caïd de la commune de Beni
Melikèche, commune mixte d’Akbou.
En septembre 1956, il est chargé de mission des relations avec les
populations musulmanes, au cabinet de Maurice Papon*. Nommé sous-préfet
hors cadre, en mars 1957, il n’exercera cette fonction qu’après le retour de De
Gaulle* au pouvoir, à la tête de la sous-préfecture d’Aïn Beïda, non sans
soulever l’hostilité et du commandement militaire et des notables locaux qui
demandent son remplacement par un sous-préfet européen. En mars 1960, il
est préfet* du département de Batna puis termine sa carrière à Constantine de
février 1961 au 5 juillet 1962*.
La postérité a retenu de lui deux moments marquants durant la guerre.
Lors de la tournée des popotes en Algérie (août 1959), de Gaulle lui demande
son avis sur la situation. Belhaddad lui expose franchement ses difficultés « à
appliquer sa politique » en l’absence de toute « liberté d’action » avant de
préciser que « sans cessez-le-feu, aucune pacification* réelle et durable n’est
possible ». C’est alors que de Gaulle lui confie le soin de définir les grandes
lignes du discours qu’il prononcera le 16 septembre sur l’autodétermination.
Le second fait a lieu à Constantine. À la veille du 1er novembre 1961, le
FLN* a lancé le mot d’ordre d’une manifestation* à l’échelle de tout le pays.
Devant l’interdiction de la manifestation par les autorités militaires et son
maintien par le FLN, des pourparlers sont organisés grâce à l’entremise de la
Cimade* entre représentants de la préfecture et du FLN, au siège de l’Église
protestante. Un accord est réalisé de justesse, grâce à la bonne volonté de
toutes les parties. La manifestation du 1er novembre se déroule sans incident
en comparaison de celle du 5 juillet* précédent.
Il poursuit sa carrière en France, dans divers ministères.
Il meurt le 28 septembre 1978 et il est enterré à Seddouk Oufella, berceau
de sa famille.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Archives : SHD, 1H 1889.
Bibl. : René Bargeton, Dictionnaire biographique des préfets, Archives
nationales, 1994.

BELHADJ DJILALI, ABDELKADER (1921-


1958)
Abdelkader Belhadj Djilali naît le 25 janvier 1921 à Zeddine dans une
famille de propriétaires terriens. Son père, ancien officier de spahis, est caïd
jusqu’à sa révocation en 1945, puis rallie le PPA*.
Titulaire du certificat d’études primaires, il travaille comme secrétaire de
mairie. Incorporé aux Chantiers de jeunesse en 1942, il intègre l’école
militaire de Cherchell dont il sort sergent et s’engage au 9e régiment de
tirailleurs algériens à Miliana puis au 19e Génie à Alger.
Démobilisé en 1945, il rejoint le courant indépendantiste. Chauffeur de
Messali*, il adhère au MTLD et devient, à la demande de Mohammed
Belouizdad*, l’un des responsables de l’Organisation spéciale* (OS).
Début 1947, il rédige avec Hocine Aït Ahmed* une brochure sur la
guérilla* et prend en charge l’instruction militaire et l’inspection générale
pour l’état-major de l’OS. En décembre 1948, le comité central élargi du
MTLD se réunit dans la ferme familiale. Il se rend avec Ahmed Ben Bella* à
Tunis pour coordonner la lutte avec le Néo-Destour.
Arrêté au printemps 1950, il livre des aveux complets, en se gardant de
donner le service de renseignements de l’OS. Il est condamné à trois ans de
prison*, mais sa peine est ensuite réduite. Libéré fin 1952, la police* des
renseignements généraux lui attribue le nom de code de Kobus et l’infiltre
dans les milieux nationalistes hostiles à Messali, ce qui permet au directeur
de la Sûreté générale d’être prévenu de l’éclatement de l’insurrection.
Recruté par la DST, il constitue un maquis entre Orléansville et
Affreville, ralliant d’anciens militants MTLD contre les messalistes, les
communistes et le FLN*. Début 1957, son groupe est pris en main par les
autorités militaires et reçoit fonds, armes et matériel, passant de 200 à
750 combattants, encadrés par le 11e Choc.
Il est décapité le 28 avril 1958 devant son poste de commandement des
Attafs par un de ses adjoints, un drapeau français planté dans la gorge. La
plupart de ses hommes rejoignent le FLN, tandis qu’une minorité se rallie à
l’armée française.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Benjamin Stora, Dictionnaire biographique de militants nationalistes
algériens, ENA, PPA, MTLD (1926-1954), L’Harmattan, 1985 • Jacques
Valette, « Le maquis Kobus, une manipulation ratée durant la guerre
d’Algérie (1957-1958) », Guerres mondiales et conflits contemporains,
no 191, 1998

BELLOUNIS, MOHAMMED (1912-1958)


Mohammed Bellounis naît le 11 novembre 1912 à Bordj-Ménaïel dans
une famille de notables ruraux. Son père, Rabah, gère le patrimoine foncier
dont il a hérité et est élu conseiller municipal à deux reprises dans l’entre-
deux-guerres.
Scolarisé, Mohammed Bellounis ne dépasse pas le niveau du certificat
d’études et abandonne l’école* à 16 ans. Mobilisé en 1939 par l’armée
française, il tombe aux mains de la Wehrmacht. Interné en Allemagne, il est
rapatrié en 1942.
Après la disparition de son père, il reprend l’exploitation familiale et
s’engage, en 1944, aux côtés des Forces françaises libres avec le grade de
sergent, sans quitter la caserne de Birkadem.
Libéré au printemps 1945, il adhère au PPA*. Accusé d’avoir fait
exécuter le caïd Tayeb Chérifi en juillet, il est emprisonné avant d’être
amnistié en mars 1946. Au sein de la délégation de Kabylie, il participe, en
février 1947, au premier congrès du MTLD.
Il héberge Messali Hadj*, en tournée dans sa région en mars. Il se
présente aux élections* remportées par le MTLD en octobre. Soupçonné de
complicité d’homicide, il est arrêté en décembre et condamné à cinq ans de
prison*. Acquitté en février 1952, il reprend son activité.
Fidèle à Messali, il est chargé par Mustapha Ben Mohammed de
structurer un maquis au printemps 1955. À la tête de centaines d’hommes, il
cède du terrain au FLN* et quitte ses fiefs kabyles en 1956.
Acculé, il entre en contact avec les autorités françaises au printemps
1957, concluant, après le massacre de Melouza*, un accord pour lutter contre
le FLN et les communistes. Son « Armée nationale du peuple algérien »
établit son quartier général à Diar Chioukh et rallie des milliers de
combattants.
Confronté à des dissensions internes et à la situation créée par la crise de
mai 1958, il entre en conflit avec ses alliés français qui l’exécutent le
14 juillet au djebel Zemra, accélérant l’éclatement d’un maquis frappé du
sceau de l’ambiguïté.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Une Troisième force combattante pendant
la guerre d’Algérie. L’armée nationale du peuple algérien et son chef le
“général” Bellounis (mai 1957-juillet 1958 », Revue française d’histoire
d’outre-mer, no 321, 1998 • Chems Ed Din, L’Affaire Bellounis. Histoire d’un
général fellagha, L’Aube, 1998 • Philippe Gaillard, L’Alliance. La guerre
d’Algérie du général Bellounis (1957-1958), L’Harmattan, 2009.

BEN ABDERREZAK HAMOUDA, AHMED,


DIT SI EL HAOUÈS (1923-1959)

Ahmed Ben Abderrezak Hamouda naît en 1923 à M’chouneche où son


grand-père dirige la zaouïa d’Ouled Hamouda. Après avoir appris le Coran,
Ahmed suit les cours de l’Association des ulémas*. Mais, en raison de la
mort de son père, survenue le 1er mars 1937, il interrompt ses études.
Marchand de dattes à Biskra, il adhère au PPA* en 1943. Il devient le
principal animateur de la cellule dans son village natal où il introduit la
littérature du mouvement indépendantiste. Il est ensuite chargé de la
propagande* pour le MTLD et rejoint l’Organisation spéciale* (OS).
Lors de la scission du MTLD, il se range aux côtés de Messali Hadj*
auquel il rend visite, en juillet 1955, après une rencontre avec un dirigeant
algérois du MNA*, Mustapha Ben Mohammed, qui le met en contact avec
Mohammed Bellounis*.
Pendant les premières années de l’insurrection, il dirige un maquis qui
opère dans une zone qui recouvre Ouled Djellal, Ghardaïa, Touggourt et
Ouargla. En juin 1956, il est convoqué par Achour Ziane dans son fief du
Boukahil et estime que les nationalistes doivent s’unir sous la bannière du
FLN*.
À court de munitions et alors que les maquis messalistes se portent au
plus mal, il se rallie au FLN, début 1957, avec ses troupes dans la
Wilaya 1*. Une lettre adressée à Messali le désigne encore, au 10 janvier,
comme l’un des quatre principaux chefs de maquis du MNA.
En mars 1958, il est nommé colonel de la Wilaya 6* avec pour tâche
d’éliminer les messalistes. Il participe à la réunion interwilayas, tenue dans la
région d’El Milia du 6 au 12 décembre, à l’initiative d’Amirouche Aït
Hamouda*, pour faire notamment le bilan* des pertes infligées aux
messalistes depuis septembre (200 tués ainsi que 100 prisonniers ou ralliés)
dans un climat marqué par les purges internes.
Convoqué à Tunis pour rendre des comptes, Amirouche part en
compagnie de Si El Haouès. Les deux colonels sont cernés le 29 mars 1959
au djebel Tsameur et sont tués lors d’une embuscade* montée par plus de
2 000 militaires français.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Philippe Gaillard, L’Alliance. La Guerre d’Algérie du général
Bellounis (1957-1958), L’Harmattan, 2009 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002 • Benjamin Stora, Dictionnaire
biographique de militants nationalistes algériens (1926-1954). ENA, PPA,
MTLD, L’Harmattan, 1985.

BEN ALLA, HADJ, DIT SI BOUZID,


MONSIEUR HENRI (1925-2009)
Si son arrestation survenue le 16 novembre 1956 fait la une des journaux,
c’est parce que Hadj Ben Alla est l’un des adjoints de Larbi Ben M’hidi*,
chef du FLN* de la Zone 5/Oranie. Ce vaste coup de filet fut salué par Pierre
Lambert*, préfet* d’Oran, comme étant le dernier quart d’heure de la
rébellion, assorti d’une déclaration diffusée par la radio* où Ben Alla
« appelle » ses compagnons de lutte à déposer les armes et à se rendre.
Ben Alla n’est pas un inconnu des services de renseignement, où il est
fiché comme militant du PPA-MTLD* avant de rejoindre l’Organisation
spéciale* (OS). Arrêté lors de la découverte de cette dernière en 1950, il est
condamné à trois ans de prison*. Libéré la veille de l’insurrection du
1er novembre 1954*, il rejoint l’organisation préparant la lutte armée et
regroupée autour de Ben M’hidi. Il met toute son intelligence et son talent de
militant, d’ancien sous-officier* de l’armée française (il a fait les campagnes
d’Italie, France et Allemagne) au service de la mise en place des réseaux de
la résistance chargés des liaisons, des renseignements, des gîtes, des tracts et
des attentats… Ses groupes de fida se distinguent par de nombreux actes de
sabotage (incendies d’entreprises), des attentats et des harcèlements, créant
un climat de guerre dans la ville d’Oran.
Ben Alla est arrêté avec ses deux adjoints : Djellouli H’bib et
Abderahmane Mohammed, respectivement responsables politique et
militaire. La police* récupère une serviette de documents qui permet de
démanteler le reste de l’organisation. Lors de son procès en février 1957, il
revient sur ses aveux et son prétendu ralliement arraché sous la contrainte.
Condamné à mort, il est gracié et transféré en France où il séjourne dans
plusieurs prisons.
Libéré au printemps 1962, Hadj Ben Alla participe au congrès de Tripoli*
(juin 1962) et se distingue par un rapport fort critique à l’encontre du
GPRA*. Durant la crise de l’été 1962*, il apporte son soutien à Ben Bella*. Il
devient successivement membre du Bureau politique du FLN, député à
l’Assemblée constituante dont il assure la fonction de vice-président puis de
président à la suite de la démission de Ferhat Abbas* au mois d’août 1962.
Le 19 juin 1965, il est arrêté en même temps que Ben Bella avant d’être placé
en résidence surveillée à Biskra. Il retrouve sa liberté en 1978.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Zoulikha Bekaddour, Ils ont trahi notre combat !, Alger, Koukou,
2014 • Mohamed Freha, Oran. Du mouvement national à la guerre de
libération, 1945-1962, t. I, Oran, Aloulfia, 2010 • L’Écho d’Oran, 17 au
18 novembre 1956.
BEN BELLA, AHMED (1916-2012)
Celui qui devient le premier président de la République algérienne en
septembre 1963 est né le 25 décembre 1916 à Maghnia, à l’extrême ouest du
pays. Il est issu d’un milieu modeste. Sa scolarité se déroule entre Maghnia et
Tlemcen où il obtient un brevet. Après avoir accompli son service militaire*,
il est mobilisé lors de la Seconde Guerre mondiale et se distingue par ses
qualités d’homme d’action et de bravoure. Les campagnes de France
(Marseille*), puis celles d’Italie lui valent d’être décoré à Monte Cassino.
Comme beaucoup d’Algériens de sa génération*, les massacres de
mai 1945 dans le Nord-Constantinois bousculent ses certitudes. Dès lors, son
destin est étroitement lié au combat pour l’émancipation de l’Algérie de la
domination coloniale. Adhérant au parti de Messali Hadj*, le MTLD, il
acquiert rapidement un statut de militant responsable dans sa ville natale où il
est élu conseiller municipal en 1947 et devient membre du comité central en
1948. À la création de l’Organisation spéciale* (OS, 1947-1950), il dirige la
région de l’Oranie. À ce titre, il contribue avec Hocine Aït Ahmed*, à
l’organisation de l’attaque de la Poste centrale d’Oran du 5 avril 1949, le
principal haut fait d’armes de l’OS.
À la suite de la « crise berbériste » de 1949, il succède à Aït Ahmed
comme responsable national de l’OS dont la découverte en 1950 entraîne
l’arrestation d’une partie de ses membres, dont son responsable. En
mars 1952, Ben Bella s’évade de la prison* de Blida et réussit à rejoindre
Le Caire où il se rapproche du bureau du Maghreb arabe dirigé par
Abdelkrim El Khattabi* et du colonel Nasser.
Au 1er novembre 1954*, il est parmi les neuf fondateurs du FLN*. Il est
chargé de l’acheminement des armes à partir de la base de Tripoli vers les
maquis de l’Algérie. Il ne participe pas au congrès de la Soummam*
(août 1956) et n’hésitera pas à manifester son opposition aux principes
adoptés.
Le détournement*, le 22 octobre 1956, par l’armée française de l’avion le
transportant avec Boudiaf*, Aït Ahmed, Khider* et Lacheraf* fera de lui une
icône de la révolution algérienne.
Libéré le 18 mars 1962, après la signature des accords d’Évian*, Ben
Bella participe au congrès de Tripoli* et revendique, au nom de la légitimité
historique, le pouvoir au détriment du GPRA*. Ses ambitions sont en partie à
l’origine de la « crise du FLN de l’été 1962 », d’où il sortira vainqueur.
Élu président de la première République algérienne en septembre 1963,
Ben Bella expérimente un pouvoir civil teinté de romantisme révolutionnaire
et de populisme. L’option socialiste qu’il inaugure par les décrets sur
l’autogestion ne fait pas l’unanimité, y compris dans son entourage. Au
niveau international, il intègre le « cercle restreint des leaders du Tiers-
monde » (Omar Carlier, 2012). Le coup d’État militaire du colonel Houari
Boumediene* le 19 juin 1965 met brutalement fin à son régime.
Détenu de 1965 à 1980, Ben Bella renoue, à sa sortie de prison, avec la
politique et fonde, avec ses partisans, le Mouvement démocratique algérien
(MDA) en exil. À son retour en Algérie, en septembre 1990, il se retire
progressivement de la politique.
Il laisse, en Algérie, une image contrastée, partagée entre ses
engagements patriotiques, sa proximité avec les masses populaires et ses
penchants panarabes.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Omar Carlier, « Ben Bella : l’homme, le mythe et l’histoire »,
Confluences Méditerranée, vol. 81, no 2, 2012 • Robert Merle, Ahmed Ben
Bella, Gallimard, 1965 • Amar Mohand-Amer, « La crise du Front de
libération nationale de l’été 1962. Indépendance et enjeux de pouvoirs »,
thèse de doctorat en histoire sous la dir. d’O. Carlier, Paris-7, 2010.

BEN BOUALI, HASSIBA (1938-1957)


« Hassiba Ben Bouali est une héroïne représentative de cette jeunesse
lycéenne algéroise qui, en 1956, avait rejoint en masse le maquis » (Timsit,
1998).
Elle est née en 1938 à Bougainville dans une famille aisée qui déménage
en 1947 à Alger. Elle poursuit ses études au lycée Pasteur. À 16 ans, elle
adhère à l’Association de la jeunesse estudiantine musulmane parrainée par le
MTLD. En même temps, elle seconde sa mère dans une association qui
dispense aide et soins aux enfants algériens de Belcourt. Son patriotisme se
consolide aussi au sein du mouvement scout*. Elle quitte le lycée à la suite de
la grève* des étudiants* lancée le 19 mai 1956 et entre en contact avec les
réseaux du FLN* par l’intermédiaire d’Abdelazziz Ben Sadok. Hassiba Ben
Bouali est en charge des liaisons et du transport des bombes qu’elle récupère
dans les laboratoires de Birkhadem, Birmandreis et El Biar. Son allure
européenne facilite ses déplacements dans la ville. Elle finit par être repérée
et identifiée et échappe de justesse à la police* venue l’arrêter, ce qui l’oblige
à rentrer dans la clandestinité. Elle trouve refuge dans la Casbah dans la
maison des Belhaffaf puis celle des Bouhired, auprès de Yacef Saadi* et Ali
La Pointe*. Elle fait partie désormais du groupe des poseuses de bombes aux
côtés de Djamila Bouhired*, Samia Lakhdari* et Zohra Drif*, et assiste
efficacement le groupe d’artificiers qui a installé son laboratoire sur la
terrasse de la maison des Bouhired. À la veille de la grève des huit jours*,
elle organise avec ses compagnes – sur recommandation de Larbi Ben
M’hidi* – des meetings auprès des femmes* et fournit le ravitaillement aux
familles nécessiteuses, notamment de la Casbah.
Elle est condamnée par contumace à vingt ans de prison* au procès des
médecins (décembre 1956), et à mort au procès de Djamila Bouhired et
Djamila Boupacha*. Après l’arrestation de Zohra Drif et Yacef Saadi
(25 septembre 1957), l’étau se resserre sur Ali La Pointe et Hassiba Ben
Bouali dont la cache est repérée. Le 8 octobre 1957, le groupe est encerclé et
refuse de se rendre. Les parachutistes* du 1er REP dynamitent la maison
située au numéro 4 de la rue Caton où périssent avec Ali La Pointe Hassiba
Ben Bouali, Petit Omar, âgé de 12 ans, et Mahmoud Bouhamidi. Hassiba Ben
Bouali repose au cimetière de Sidi M’hamed d’Alger.
Karima RAMDANI
Bibl. : Zohra Drif, Mémoires d’une combattante de l’ALN, Alger, Chihab,
2013 • Susan Slyomovics, « “Hassiba Ben Bouali, if you could see our
Algeria”. Women and public space in Algeria », Middle East Report, no 192,
Algeria: Islam, the State and the Politics of Eradication, 1995 • Daniel
Timsit, Algérie, récit anachronique, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 1998.

BEN BOULAÏD, MOSTEFA (1917-1956)


Dans l’Aurès, son berceau natal, il est l’homme du parti de la révolution
(Hizb el thawra) et jouit de l’estime de tous, tant pour sa modestie que sa
pondération. Il est en effet l’un des chefs de l’insurrection déclenchée le
1er novembre 1954* pour l’indépendance de l’Algérie.
Son intérêt pour la politique est lié à la présence de Mahieddine
Bekkouche, un militant du PPA* assigné à résidence à Arris depuis 1942.
L’homme qui rejoint les rangs du PPA a une expérience de la guerre dont il
rapporte une croix de guerre (campagne d’Italie) et un grade d’adjudant.
Revenu à la vie civile, il s’adonne au commerce de tissu avant de bénéficier
d’une licence de transport pour exploiter une ligne de cars entre Arris et
Batna ; elle lui est retirée en 1951. Au moment venu, il met toute sa fortune
au service de la révolution.
À la faveur des consultations électorales de l’après-guerre, Ben Boulaïd,
militant du PPA-MTLD, s’initie aux manœuvres politiques. Candidat débouté
lors des élections* des délégués de l’Assemblée algérienne (avril 1948), il en
sort avec la conviction que la voix légaliste n’est qu’un leurre. Membre de
l’Organisation spéciale* (OS) créée en 1947, son choix est fait pour une autre
alternative. Il met alors tout son talent dans l’organisation clandestine des
groupes de l’OS, à l’échelle de l’Aurès. Il procède à l’achat des premiers
stocks d’armes dès cette époque. Lors de la découverte de l’OS en mars 1950,
il a pu offrir un refuge sûr aux militants recherchés, jamais découverts.
Il devient membre du comité central au congrès de 1951. La reconduction
de l’OS (avril 1953) et la création du Crua dont il est membre en mars 1954
lui donnent l’occasion de relancer la préparation de ses hommes à la lutte
armée. La réunion décisive des « 22* » (juillet 1954), qui prend la décision
de déclencher l’insurrection, se déroule sous sa direction et celle de Boudiaf*.
Les mois suivants, Ben Boulaïd ordonne aux chefs de groupes d’accélérer
les séances d’entraînement. Dès la fin du mois d’août, selon le commissaire
Le Doussal, Ben Boulaïd et Bachir Chihani* ne parlent plus que « de hizb el
thawra et affirment la dissolution du MTLD ».
Le 23 octobre a lieu « la dernière réunion historique » tenue à Pointe
Pescade au domicile de Mourad Boukechoura, où les six chefs du FLN* –
Mostefa Ben Boulaïd, Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M’hidi*, Didouche*
Mourad, Rabah Bitat*, Krim* Belkacem – choisissent la date du soulèvement
fixée au 1er novembre.
Durant ce mois d’octobre, Ben Boulaïd enchaîne les rencontres avec les
principaux chefs de groupes avant de réunir les 349 maquisards (selon ses
carnets récupérés lors de son arrestation) qui participent aux actions armées
du 1er novembre, non sans recommander de ne pas toucher aux civils
européens.
Selon divers témoignages*, Ben Boulaïd est déçu par l’échec de plusieurs
projets d’attaque. Mais la guerre est bien lancée.
Le 12 janvier 1955, il quitte l’Aurès pour se rendre à Tripoli. Il est arrêté
le 11 février à Ben Gardanne au sud de la Tunisie*. Interné à Tunis, il est
interrogé par la DST, Vincent Monteil* (l’envoyé de Soustelle*) et le
commissaire Le Doussal, avant d’être transféré en Algérie.
Le tribunal permanent des armées de Constantine le condamne à mort
quatre fois en juin et décembre 1955. La veille du 11 novembre, il s’évade
avec dix autres condamnés de la prison* du Coudiat. Il prend la peine de
laisser une lettre à ses geôliers où il déclare que « la paix et la prospérité du
peuple algérien se trouvent dans une République algérienne élue au suffrage
universel, sans distinction de race ni de religion ».
De retour dans l’Aurès, il apprend la disparition de son second, Chihani,
et les conflits alimentés par les ambitions de son propre frère Omar et
d’Adjoul*. Ses efforts pour réorganiser les structures de l’ALN*-FLN sont
stoppés par sa mort survenue dans la nuit du 22 au 23 mars 1956 à Nara
(djebel Lazreg). Sa disparition, due à la manipulation d’un poste radio largué
par le service « Action » du SDECE*, est tenue secrète par les rescapés. Mais
la nouvelle ne tarde pas à être mise à profit par son frère Omar pour éliminer
ses rivaux dont le principal reste Adjoul, accusé de l’avoir tué. L’Aurès entre
alors dans une longue crise marquée par de graves conflits internes,
compliqués par la réactivation des particularismes locaux. Elle ne fut enrayée
qu’à la fin de l’année 1960 mais au prix de nombreuses purges.
Mostefa Ben Boulaïd repose dans un mémorial érigé à Nara au pied du
djebel Lazreg.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Daniel Guérin, Ci-gît le colonialisme, Walter de Gruyter, 1973 •
Roger Le Doussal, Commissaire de police en Algérie (1952-1962),
Riveneuve, 2012 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962),
Fayard, 2002.

BEN KHEDDA, BENYOUCEF (1920-2003)


Né le 23 février 1920 à Berrouaghia, Benyoucef Ben Khedda est
pharmacien de formation. Il adhère au PPA* clandestin au cours de la
Seconde Guerre mondiale. Ses idées nationalistes lui valent d’être
emprisonné pendant huit mois. À sa sortie de prison*, il rejoint le comité de
rédaction de La Nation algérienne et d’El Maghreb el Arabi. Au congrès du
MTLD d’avril 1953, il est désigné secrétaire général du parti : « Il associera
[…] les membres de la direction à son travail et lui donnera plus de cohésion
que par le passé » (Harbi, 1975). En 1953-1954, au cours de la crise avec les
messalistes, il est avec Hocine Lahouel l’un des principaux représentants du
courant centraliste qui s’oppose à Messali*.
En 1954, il apporte dans un premier temps son soutien au Crua. Arrêté en
novembre 1954, il est libéré à l’automne 1955.
Adhérent au FLN*, il s’impose comme l’un des plus importants
collaborateurs de Ramdane Abane* à Alger. Membre du premier CCE*, il en
est exclu un an après, du fait de son appartenance au groupe des centralistes,
lors du CNRA* d’août 1957 au Caire.
En septembre 1958, il est nommé ministre des Affaires sociales dans le
premier GPRA* du FLN. Au CNRA d’août 1961, il succède à Ferhat Abbas*
à la fonction de président du GPRA. À ce titre, c’est son gouvernement qui
finalise les pourparlers de paix avec le gouvernement français qui aboutissent
à la signature des accords d’Évian*, le 18 mars 1962. Marginalisé dans la
crise du FLN de l’été 1962, il est évincé de la liste des candidats à
l’Assemblée nationale.
Revenu à la vie civile, il ouvre une pharmacie à Alger. En mars 1976, il
rédige conjointement avec Ferhat Abbas, Cheikh Kheireddine* et Hocine
Lahouel un virulent réquisitoire contre le régime de Houari Boumediene* et
rappelle aux Algériens que le combat politique pour les droits et la liberté
doit continuer, dans la lignée du mouvement national et de la guerre de
libération. Il est alors assigné à résidence.
À la suite de l’explosion populaire d’octobre 1988, Ben Khedda crée un
éphémère parti d’inspiration islamiste, « Oumma ». Le 4 février 2003, il
décède à Alger à l’âge de 83 ans, laissant des écrits et contributions sur
l’histoire nationale.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : « Benkhedda, Benyoucef », in René Gallissot (dir.), Algérie :
engagements sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du
mouvement ouvrier, L’Atelier, 2006 • Benyoucef Ben Khedda, Les Origines
du 1er novembre 1954, Alger, Dahlab, 1989 • Mohammed Harbi, 1954, la
guerre commence en Algérie, Complexe, 1984.

BEN M’HIDI, LARBI, DIT SI MOHAMMED,


EL HAKIM (1923-1957)
Larbi Ben M’hidi est une personnalité marquante de la révolution
algérienne, dénommé à la fois El Hakim (le sage) et le Carburateur.
L’itinéraire de ce grand « patriote sans haine et idéaliste sans dogme » (Trodi
et Carlier, 2008), féru de littérature* et de théâtre*, épris de cinéma*,
admirateur de Zapata et de la révolution irlandaise, est interrompu en pleine
« bataille » d’Alger dont il est l’artisan.
Ben M’hidi est né à El Kouahi aux portes d’Ain M’lila dans une famille
paysanne dont la vie est rythmée par les travaux agricoles et l’activité de la
zaouïa, abritant le sanctuaire de son aïeul. Mais les aléas de la conjoncture
économique contraignent la famille à se déplacer d’abord au Khroub puis à
Biskra, ce qui explique la scolarisation de Ben M’hidi au Khroub, puis à
Batna et enfin au cours complémentaire à Biskra. Dès le débarquement anglo-
saxon, la vie politique reprend son cours dans cette ville aux portes du
Sahara. Ben M’hidi s’y intéresse et se rapproche du PPA*. En 1944, il assure
le secrétariat de la section des AML*.
Le 8 mai 1945, il est arrêté pour sa participation à l’important défilé
organisé par les AML, à Biskra où le drapeau* de l’Algérie est déployé.
Libéré peu de temps après, la section du PPA est officiellement reconstituée,
doublée d’une section de réserve où Ben M’hidi est intégré avec son
camarade Hachemi Trodi. Il dirige aussi la section scoute* de Biskra. Il est
versé dans l’Organisation spéciale* (OS) clandestine dès sa création en 1947,
il opère dans la région de Biskra et une partie de l’Aurès ; il échappe à une
arrestation lors de la découverte de l’organisation en 1950. Condamné par
contumace à une peine de dix ans, il est éloigné du Constantinois par le parti
et continue de militer dans diverses daïras à Médéa, Oran, Mostaganem,
Sidi-Bel-Abbès, Aïn Témouchent dans l’Oranie. La reconduction de l’OS en
1953 permet le regroupement des anciens militants au sein du Crua, lassés
par les divisions qui menacent leur parti, le PPA-MTLD.
À la fin de juin 1954, ils sont « 22* » à décider du passage à la lutte
armée. Ben M’hidi est membre fondateur du FLN*-ALN* et a la
responsabilité de la Zone 5 (Oranie). Il a trois adjoints, Abdelhafid
Boussouf*, Ramdane Benabdelmalek* et Hadj Ben Alla*, qui préparent les
actions du 1er novembre 1954*. Il consacre une partie de son temps à assurer
les filières nécessaires à l’acheminement des armes en compagnie de
Mohamed Boudiaf*, à partir du Maroc*, de l’Espagne et du Caire. Par
ailleurs, il encourage le développement de l’arme des transmissions. En
mai 1956, il rencontre Abane* Ramdane à Alger. Entre les deux hommes
s’établit rapidement une identité de vue qu’ils mettront en œuvre lors de la
tenue du congrès de la Soummam*. Selon Benyoucef Ben Khedda* (2000),
« sans Ben M’hidi, le congrès de la Soummam n’aurait pas réussi, et Abane
n’aurait pu faire triompher ses thèses ». De fait, il joue un rôle déterminant
dans le succès des travaux du congrès de la Soummam en défendant l’union
nationale de toutes les forces patriotes, seule garantie de libérer l’Algérie.
Désigné comme membre du CCE*, l’instance dirigeante du FLN, Ben M’hidi
s’installe dans la Zone autonome d’Alger* (ZAA), avec Abane Ramdane,
Krim* Belkacem, Benyoucef Ben Khedda et Saâd Dahlab*. Ben M’hidi a la
responsabilité de la branche militaire de la ZAA et contrôle les commandos*
de fidaiyine dont font partie les « réseaux bombes ».
Tous ses efforts visent à donner un élan nouveau à la révolution en
organisant la grève des huit jours* à partir du 28 janvier 1957, avec le soutien
des syndicalistes de l’UGTA*. La mobilisation des masses urbaines, au
moment où la question algérienne est débattue à l’ONU*, devait provoquer la
débâcle de la France. Les excès de la violente répression déclenchée par les
forces de l’ordre lors de la « bataille d’Alger* » – qui commence le 7 janvier
1957 avec la remise des pouvoirs de police* au général Massu* – ont eu
raison du démantèlement des réseaux de la résistance. Son arrestation par les
parachutistes* du lieutenant Jacques Allaire, autour du 23 février 1957 (la
date varie selon les sources), entraîne le départ des quatre autres membres du
CCE à l’extérieur. Le 6 mars, les autorités françaises annoncent son
« suicide », démenti quarante-quatre ans après par le commandant « O » Paul
Aussaresses*, appelé par Massu pour coordonner les renseignements à Alger.
Il reconnaît sa responsabilité dans l’exécution de Ben M’hidi par pendaison
dans la nuit du 3 au 4 mars 1957 et parallèlement la responsabilité du pouvoir
politique.
Romantique, Ben M’hidi rêvait de l’imminence d’un Điên Biên Phù qui
ferait plier la puissance coloniale. Si la grève des huit jours a eu des
conséquences dramatiques pour la population urbaine, elle a dévoilé la
véritable logique de guerre avec son cortège d’exactions – dont les aveux
d’Aussaresses donnent une preuve supplémentaire. Elle a aussi conforté
l’idée de l’indépendance en Algérie et à l’échelle internationale.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Paul Aussaresses, Services spéciaux. Algérie, 1955-1957, Perrin,
2001 • Aïssa Kechida, Les Architectes de la révolution, Alger, Chihab, 2001 •
El Hachemi Trodi, Larbi Ben M’hidi, l’homme des grands rendez-vous,
Alger, Enag, 1991.
BENCHERIF, AHMED (1927-2018)
Ahmed Bencherif est né à Djelfa, dans une famille influente des Hauts
Plateaux algériens.
Il rejoint l’armée française et devient officier* en 1957 après une
formation à l’école des officiers de Saint-Maixent. En juillet 1957, il déserte
les rangs de son régiment de tirailleurs en compagnie d’autres soldats
algériens et regagne le maquis. Officier de la Wilaya 4* (Algérois), il est
affecté à la frontière orientale où il est chargé de former les combattants de
l’ALN*. Il est promu commandant des frontières de 1959 à 1960. Membre du
conseil de la Wilaya 4, il est coopté au CNRA* en 1960. Il est désigné
comme chef de la Wilaya 4 à la suite de la rencontre de Si Salah* avec de
Gaulle* (juin 1960). Il est capturé par l’armée française dans la région de
Médéa le 28 octobre 1960, condamné à mort et transféré en France en
février 1961. Gracié, il rejoint l’Algérie après le cessez-le-feu et rallie, au
moment de la crise de l’été 1962*, l’état-major sous le commandement du
colonel Boumediene* qui le réintègre dans ses fonctions de chef de la
Wilaya 4. Cette reconduction à la tête de la Wilaya 4 est contestée par
quelques officiers qui procèdent à son arrestation. Libéré par le commandant
Lakhdar Bouragâa*, il est nommé chef de la gendarmerie nationale le
18 septembre 1962 qu’il dirige jusqu’en 1977. Il est impliqué dans de
sombres affaires comme l’arrestation de Mohamed Chaâbani* (juillet 1962)
et la dissimulation des dépouilles de Si El Haouès* et d’Amirouche*.
Bencherif participe au coup d’État de juin 1965 et fait partie du Conseil
de la révolution. De 1977 à 1979, il est ministre de l’Environnement et de
l’Hydraulique. Il est accusé par la Cour des comptes de détournement de
fonds et est exclu du comité central du FLN* en juin 1981.
Ahmed Bencherif est l’auteur de L’Aurore des mechtas, dans laquelle il
témoigne d’événements qu’il a vécus pendant la Guerre d’indépendance, et
d’Espoir de renouveau. Il décède le 21 juillet 2018 dans un hôpital parisien.
Ali GUENOUN
Bibl. : Ahmed Bencherif, L’Aurore des mechtas, Alger, Sued, 1968
• —, Espoir de renouveau, Alger, Dahlab, 1989 • Achour Cheurfi, La
Révolution algérienne. Dictionnaire biographique, Alger, Casbah, 2005.

BENDJELLOUL, MOHAMMED SALAH (1893-


1985)
Né d’une ancienne famille de notables de Constantine, instruit en arabe et
en français, Mohammed Salah Bendjelloul fait ses études de médecine à
Paris. Premier homme politique algérien professionnel, il est dans les années
1930 aussi influent que l’est Abdelhamid Ben Badis, son oncle maternel,
dans le domaine de la science et de l’éducation.
Entré en politique dans les années 1920, il est élu au conseil municipal
d’Herbillon, au conseil général de Constantine en 1931 et aux délégations
financières. Formé dans le mouvement Jeune Algérien, il devient le leader de
la Fédération des élus musulmans du département de Constantine en 1932.
S’adressant à la foule en arabe dialectal comme en français, il revendique la
citoyenneté française en même temps que le maintien de l’identité algérienne.
À un répertoire d’actions éprouvé (lettres et pétitions), il ajoute une
dimension sociale et des gestes plus musclés, allant de la démission collective
d’élus à la grève des impôts, comme celle d’Aïn M’lila en 1932. Sous sa
direction, la Fédération des élus musulmans évolue graduellement vers une
organisation plus proche du parti politique.
Le « zaïm de l’est », au cœur d’un réseau associatif et politique étendu,
est considéré par les autorités françaises comme dangereux. À l’occasion des
émeutes et massacres de 1934 à Constantine, la rumeur de sa mort contribue
à enflammer la situation, alors qu’il œuvre, dans la rue, à calmer la
population.
Durant la Seconde Guerre mondiale, il cosigne le « Manifeste du peuple
algérien », mais à la différence d’autres signataires, notamment Ferhat
Abbas*, Ahmed Cherif Saadane ou El Hadi Mostefaï, il ne bascule dans le
camp indépendantiste que bien plus tard. Épargné par la répression de
mai 1945, il est député à la première constituante en octobre 1945 avant
d’être battu par Ferhat Abbas lors de la seconde constituante. Il est alors élu
conseiller de la République puis député en 1951, malgré la fraude électorale.
En septembre 1955, il vote la « motion des 61* » proposée par les élus de
l’UDMA*. C’est alors qu’il rallie la cause de l’indépendance. En 1962, il ne
joue aucun rôle politique.
Malika RAHAL
Bibl. : Joshua Cole, Lethal Provocation. The Constantine Murders and the
Politics of French Algeria, Ithaca, Cornell University Press, 2019 • Julien
Fromage, « Le docteur Bendjelloul et la Fédération des élus musulmans »,
in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour
et Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale (1830-
1962), La Découverte-Barzakh, 2012.

BENABDELMALEK, RAMDANE,
DIT SI ABDALLAH
(1928-1954)
Membre du groupe des « 22* », Benabdelmalek est l’un des premiers
martyrs de la Guerre d’indépendance déclenchée le 1er novembre 1954*.
Natif de Constantine, Benabdelmalek s’éveille à la politique dans
l’effervescence du mouvement des AML*, en pleine Seconde Guerre
mondiale. Il rejoint les rangs du MTLD à sa création en 1946, avant d’être
enrôlé dans les rangs de l’Organisation spéciale* (OS). À la découverte de
celle-ci, en mars 1950, il entre dans la clandestinité. À l’instar de beaucoup
de ses compagnons, dont Ben M’hidi*, Boussouf*, Guerras, Mechati,
Benabdelmalek trouve refuge dans l’Oranie qu’il parcourt pour remplir
diverses missions. Au mois de novembre 1952, à Saïda, puis Géryville, on le
retrouve où il est arrêté. Libéré peu après, il est responsable de la daïra de
Tlemcen en novembre 1953, avant de rejoindre celle de Mostaganem.
Au mois d’avril 1953, Benabdelmalek participe aux travaux du second
congrès du MTLD à Alger (avril 1953) et, courageusement, il « conteste
l’orientation donnée au parti » selon Harbi* et défend l’OS qui sera
reconduite à cette occasion. Partisan du courant activiste, il fait partie des
« 22 » qui décident au mois de juin 1954 de passer à la lutte armée et devient
l’adjoint de Larbi Ben M’hidi, chef de la Zone 5 qui recouvre l’Oranie.
Benabdelmalek prépare les premiers groupes armés de la région du Dahra. Il
n’a aucune difficulté à les recruter dans la section du MTLD de Cassaigne,
qui est l’une des plus importantes de la région. Il peut compter sur son
responsable Amar Bordji et ses compagnons, dont Mohammed Belhamiti,
Douar Miloud, Sahraoui Abdelkader. La veille du 1er novembre 1954,
Benabdemalek réunit ses hommes à Aïn Abid.
Sous sa responsabilité, les premiers maquisards du Dahra commettent
plusieurs actions qui ont pour cible des fermes coloniales (Bosquet et Ouilis),
le sabotage du transformateur électrique, de la ligne téléphonique et de la
gendarmerie de Cassaigne. Les auteurs reconnus des attentats sont activement
recherchés. Le 4 novembre, Benabdelmalek trouve la mort lors du ratissage
de la forêt d’Ouled Larbi.
À l’indépendance, son nom est donné au village de Ouilis où il est
inhumé et un pavillon lui est consacré au musée du Moudjahid* de
Mostaganem ouvert en 2004.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Aux origines du Front de libération nationale : la
scission du PPA-MTLD, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2020 • Ouanassa
Siari Tengour, « Hommage à Benabdelmalek Ramdane et ses compagnons »,
Le Soir d’Algérie, 21 février 2018.

BENOIST, CLARA (NÉE EN 1930) ET HENRI


(NÉ EN 1926)
Henri Benoist est né en 1926 à Paris dans une famille vivant le
déclassement social : son père, étudiant en médecine, a participé à la
Première Guerre mondiale, avant de devenir laveur de vitres. Henri obtient un
certificat de dessinateur-calqueur en 1944. Il devient au même moment
militant trotskiste*, par l’intermédiaire de son frère qui connaît Daniel
Renard. Il milite à la CGT* à Férodo puis à Alsthom, et à l’union locale de
Saint-Ouen. Il entre à Renault en 1950 et participe aux mobilisations de 1952.
C’est au cours de celles-ci qu’il rencontre Clara Hesser, qui deviendra son
épouse en 1963.
Clara Hesser, née en 1930 à Paris, est issue d’une famille juive hongroise
arrivée en France en 1919. Son père travaille et milite à Renault-Billancourt.
Titulaire d’un brevet commercial, elle est recrutée chez Renault comme
dactylo en 1949. Syndiquée à la CGT, elle est déléguée du personnel de 1950
à 1970, avant de militer au PCF*.
Henri Benoist devient lui aussi délégué du personnel en 1954.
Politiquement, il rejoint la tendance pabliste, qui prend fait et cause pour le
FLN* lorsque la guerre d’Algérie commence. Proche des militants
nationalistes algériens de Renault, il commence à les aider, notamment en les
hébergeant, dès 1955.
Parallèlement, Clara Hesser s’éloigne de la ligne officielle du PCF à
partir de 1956, du fait de la question algérienne et de la répression à
Budapest. Le 16 février 1957, elle présente un rapport à la section du PCF de
Renault dans lequel elle se prononce résolument en faveur de l’indépendance
algérienne. Désavouée, elle pense quitter le parti, mais trouve le soutien de
camarades et de son compagnon. Elle se lance alors dans le soutien au FLN,
en tapant des tracts du FLN, en les reproduisant et en les acheminant auprès
des militants frontistes. Elle diffuse aussi El Moudjahid, envoie des mandats
aux internés algériens et organise un Comité de mensuels pour la paix en
Algérie.
Henri Benoist participe également à ces activités, mais doit s’arrêter à
partir de 1959 car il est interrogé par la DST. Il continue cependant à aider
l’AGTA, clandestine. Il entre en 1958 au PSA puis au PSU* en 1960.
Clara et Henri Benoist sont contactés par le FLN pour faire partie des
observateurs français de la manifestation du 17 octobre 1961*. Ils sont postés
place de l’Opéra à Paris, et constatent la répression que les manifestants
subissent. Après la guerre, le couple continue ses activités militantes. Clara
quitte le PCF en 1968, et s’engage en faveur des femmes*. Le couple
participe aussi à l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti)
d’Issy-les-Moulineaux.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Clara et Henri Benoist, L’Algérie au cœur. Révolutionnaires et
anticolonialistes à Renault-Billancourt, Syllepse, 2014 • Laure Pitti,
« Ouvriers algériens à Renault-Billancourt de la guerre d’Algérie aux grèves
d’OS des années 1970 », thèse de doctorat sous la dir. de R. Gallissot, Paris-
8, 2002.

BENTOBBAL, SLIMANE, DIT SI LAKHDAR,


SI MAHMOUD, SI ABDALLAH (1923-2010)
Bentobbal est l’un des pionniers du 1er novembre 1954* avant de faire
partie du trio des « 3 B », dont les décisions ont pesé sur le cours de la
révolution algérienne. Deux moments caractérisent son parcours, avant et
après 1954.
Natif de Mila, Bentobbal est d’abord un militant du PPA-MTLD* avant
d’être versé dans les rangs de l’Organisation spéciale* (OS). À la découverte
de celle-ci, il entre en clandestinité et trouve refuge dans l’Aurès sous le
pseudo de Si Mahmoud. La création du Crua lui permet de renouer avec les
anciens de l’OS et de figurer parmi les « 22* » qui se réunissent le 25 juin
1954 pour décider du passage à la lutte armée.
Responsable des premiers groupes de maquisards de la Zone 2/Nord-
Constantinois, il est l’un des artisans de la mise en place de structures
impliquant la population civile. Il partage avec son chef Zighoud* Youcef
l’idée de déclencher l’insurrection du 20 août 1955*, tout comme il est
présent au congrès de la Soummam* une année plus tard.
Il succède à Zighoud tué en septembre 1956 et devient le troisième chef
de la Wilaya 2* qu’il dote d’une solide organisation. Il entretient
d’excellentes relations avec le CCE* d’après une partie de son courrier. Au
printemps 1957, il accueille les deux membres du CCE, Ben Khedda* et
Krim* Belkacem, et rejoint la Tunisie* avec eux.
Loin de l’intérieur, Bentobbal va désormais faire partie de la sphère
dirigeante du FLN* jusqu’à l’indépendance. Lors du CNRA* d’août 1957, il
entérine la décision de renoncer aux thèses approuvées au congrès de la
Soummam, participe à l’élimination des deux centralistes du CCE (Ben
Khedda et Dahlab*), ce qui isole Abane* Ramdane au sein du CCE élargi à
neuf membres. Bentobbal en fait partie et a la charge du département de
l’Intérieur qu’il continue à gérer durant les deux premiers GPRA*. Ministre
sans portefeuille dans le dernier GPRA, il participe aux négociations*
ouvertes avec la France et qui aboutissent aux accords d’Évian*. Durant la
crise de l’été 1962*, Bentobbal est arrêté lors de l’offensive des troupes de
l’EMG* sur Constantine le 24 juillet. Il est libéré deux jours plus tard.
Comme tous ceux qui ont soutenu le GPRA, Bentobbal est rayé de la liste des
candidats à la Constituante. Le 10 septembre 1962, il se retire de la vie
politique.
Son parcours reste entaché par sa participation à l’assassinat d’Abane
Ramdane, même s’il affirme avoir proposé de le juger. Il a laissé de longs
entretiens qui viennent d’être publiés par l’historien Daho Djerbal.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Daho Djerbal, Lakhdar Ben Tobbal. Mémoires de l’intérieur, Namur,
Chihab, 2021 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962),
Fayard, 2001 • Ouanassa Siari Tengour, « Le courrier Abane Ramdane-
Lakhdar Ben Tobbal », El Watan, 2015.
BENZEKRI, ISA (1928-2017)
Isa Benzekri a fait partie des premières cellules clandestines du PPA*
avant de figurer dans le noyau dirigeant de l’Association des femmes
musulmanes algériennes (Afma, liée au MTLD) créée le 24 juin 1947 à
Alger.
Orpheline de père, Isa Benzekri, native de l’année 1928, est élevée par sa
mère et son grand-père maternel, installés à Notre-Dame-d’Afrique. Sa
scolarisation est interrompue à l’obtention du certificat d’études primaires par
son grand-père, en 1942. Cependant, il lui permet de poursuivre ses études à
la médersa « El Chabiba » ouverte par Tayeb El Okbi, dont les
enseignements en langue arabe confortent son patriotisme. Dès la fondation
de l’Afma, elle se consacre à la sensibilisation des femmes* à la cause
nationale. Ce parcours est interrompu par une tuberculose qu’elle contracte
en 1949. Après un séjour passé au sanatorium en France, elle retourne à
Alger en 1951 et ne renoue pas avec le militantisme du fait de la crise qui
paralyse le parti MTLD. Elle s’inscrit à l’école Pigier où elle perfectionne
l’apprentissage de la sténodactylographie qu’elle a commencé au sanatorium.
Elle trouve un emploi dans un cabinet d’avocat. C’est dans le courant de
l’année 1955 qu’elle reprend contact avec le militantisme et qu’elle rejoint
l’organisation du FLN* par l’intermédiaire de Nassima Hablal, compagne de
l’Afma. « Je faisais la liaison entre Abane* Ramdane et Rachid Amara »,
confie-t-elle à Djamila Amrane* (Des femmes dans la guerre d’Algérie,
Karthala, 1994, p. 27). Après l’arrestation de Nassima Hablal, elle entre en
clandestinité et, sur ordre d’Abane et Ouamrane*, s’éloigne à Oran où elle est
hébergée dans la famille du docteur Nekkache avant de revenir à Alger fin
janvier 1956 auprès d’Abane Ramdane. Son temps est partagé entre les
liaisons à effectuer, la frappe des tracts et déclarations, et la plate-forme du
congrès de la Soummam*.
Le 12 avril, elle épouse Abane. De leur union naît un garçon le 8 janvier
1957, inscrit sous le nom de sa mère uniquement. Elle perd tout contact avec
lui au lendemain de la grève des huit jours*. Quand Abane donne de ses
nouvelles fin décembre, il lui demande de le rejoindre. Arrivée à Tunis, elle
ignore qu’elle ne le reverra plus. Ballottée entre Tunis et Alger, elle
n’apprend la mort d’Abane « au maquis » que le 27 mai 1957 par
Mohammedi* Saïd. Elle finit par savoir que son époux a été assassiné.
En novembre 1959, elle épouse Slimane Dehilès*, un proche d’Abane. À
l’indépendance, elle poursuit son engagement pour son pays mais de manière
discrète. Elle meurt en 2017 à Alger.
Karima RAMDANI
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991.

BENZINE, ABDELHAMID (1926-2003)


Abdelhamid Benzine est né en 1926 à Beni Ourtilane, en Kabylie. Fils
d’un secrétaire de juge en droit coranique, il est scolarisé à l’école française
et fréquente la médersa de Bougie. Interne au collège Albertini de Sétif à
partir de 1939, il rejoint le PPA*, parti nationaliste alors interdit. Emprisonné
en juin 1945 durant les massacres du Nord-Constantinois, il entre en
clandestinité après sa libération afin d’échapper au service militaire*. En
1947, il étudie la théologie à l’université de la Zitouna à Tunis. En 1948, il
est envoyé dans l’est de l’Algérie par le MTLD, vitrine légale du PPA. Il
participe à la structuration de l’Organisation spéciale*, organisation
clandestine chargée de préparer la lutte armée.
En 1950, il émigre en France, où réside son frère Abderrahmane. Il
devient secrétaire de la Commission des travailleurs nord-africains de la
CGT*, tout en poursuivant son militantisme au sein de la Fédération de
France du MTLD. Influencé par les communistes, il adhère au PCF* en 1952.
De retour en Algérie, son frère Abderrahmane et lui intègrent l’équipe
d’Alger républicain* et adhèrent au PCA*. Après l’interdiction du journal et
du PCA en septembre 1955, tous deux militent clandestinement et rejoignent
la lutte armée. Abderrahmane, soldat de l’ALN* en Kabylie, meurt au combat
en 1959. Abdelhamid, d’abord responsable des groupes armés communistes
des Combattants de la libération (CDL) à Alger, prend la route des Aurès à la
fin 1955. Il rebrousse chemin lorsqu’il apprend les risques qu’encourent les
communistes ayant rejoint le maquis. Il gagne finalement un maquis des
environs de Tlemcen, où il est fait prisonnier en septembre 1956. Il est
condamné à vingt ans de travaux forcés par le tribunal militaire d’Oran en
août 1957.
À l’indépendance, membre de la direction du PCA clandestin,
Abdelhamid Benzine devient rédacteur en chef d’Alger républicain et épouse
l’universitaire Monique Gadant, originaire de France. Après le coup d’État de
juin 1965, le journal est interdit. Opposant au coup d’État, il reprend une vie
clandestine au sein de l’Organisation de la résistance populaire (ORP) puis du
Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS). Il renoue avec la vie publique en
1974, et participe à la renaissance d’Alger républicain en 1989. Il meurt à
Alger en 2003.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Abdelhamid Benzine, Le Camp, Éditions sociales, 1962 • —, Journal
de marche, Alger, Éditions nationales algériennes, 1965.

BIGEARD, GÉNÉRAL MARCEL (1916-2010)


Marcel Bigeard naît en 1916 dans la ville lorraine de Toul. Il est issu d’un
milieu social modeste. Lors du déclenchement de la Seconde Guerre
mondiale – le 2 septembre 1939 –, il est affecté au 79e régiment d’infanterie
de forteresse (RIF) sur la ligne Maginot. La « drôle de guerre » ne plaît pas à
Bigeard. Celui-ci décide de rejoindre les groupes francs, créés à la fin de
l’année 1939 dans son secteur et sur l’ensemble du front, pour aller faire des
coups de main. Le 22 juin 1940, l’armistice a été signé et l’armée française
vaincue. Bigeard est alors fait prisonnier de guerre puis envoyé dans le stalag
12 A de Limbourg, le 28 juin 1940. Il s’enfuit et réussit à rejoindre le Sénégal
en février 1942. Il est envoyé ensuite à Alger en 1944 où il se forme avec les
SAS (Special Air Service) anglaises aux méthodes du parachutisme.
Volontaire pour des missions en France, il est dépêché en Ariège dans le
cadre de la mission « Aube » pour organiser le maquis local, tenu par des
anarchistes espagnols. Il finit la guerre avec le grade de capitaine et part en
Indochine* le 16 octobre 1946. Lors de la défaite française à Điên Biên Phù,
il est fait prisonnier le 16 avril 1954. Il rentre en France après quatre mois de
captivité. Il devient le plus jeune lieutenant-colonel de l’armée française.
L’expérience de la guerre d’Algérie commence en octobre 1955, date à
laquelle il prend la tête du 3e régiment de parachutistes coloniaux (RPC),
dans la zone de Constantine. Ce sont sous ses ordres notamment que le
3e RPC participe à la bataille d’Alger*. Son régiment s’y manifeste par sa très
grande brutalité, les interrogatoires sous torture* et les disparitions* forcées.
On attribue à Bigeard et son régiment la capture le 23 février 1957 de Larbi
Ben M’hidi*. Il est sanctionné et renvoyé en France pour avoir pris parti à la
radio* en faveur des insurgés d’Alger, lors de la semaine des barricades* de
janvier 1960. Durant la guerre d’Algérie, il publie de nombreux albums
magnifiant l’action des parachutistes* durant la guerre d’Algérie (Piste sans
fin, 1957 ; Aucune bête au monde, 1959).
Après la guerre, il est secrétaire d’État à la Défense entre février 1975 et
août 1976 et gère notamment la révolte des Comités de soldats. Enfin, il
devient député de Meurthe-et-Moselle entre 1978 et 1988. Il meurt en 2010.
C’est le militaire français le plus décoré à ce jour. Accusé de multiples crimes
de guerre et d’actes de torture en Algérie et en Indochine, Bigeard n’a jamais
reconnu publiquement ces actes.
Marius LORIS
Archives : Dossier personnel de carrière (GR YD 14 2855, SHD).
Bibl. : Erwan Bergot, Bigeard, Perrin, 1988 • Colonel Bigeard et Marc
Flament, Piste sans fin, La Pensée moderne, 1957.

BILAN HUMAIN
Le bilan humain de la guerre d’Algérie fait toujours l’objet de
controverses, tant les visions divergent entre la France et l’Algérie, et entre
les différents groupes « porteurs de mémoire ».
Le nombre le plus important concerne les Algériens tués au cours du
conflit. À la fin de la guerre, Ahmed Ben Bella a affirmé que 1 million
d’Algériens avaient été tués durant le conflit, avant d’utiliser peu après le
nombre de 1 million et demi. Ces nombres sont restés utilisés de manière
officielle en Algérie, mais ne s’appuient sur aucune réalité tangible. L’État
algérien a cependant reconnu en 1964 avoir pris en charge 300 000 veuves de
guerre. De son côté, le général de Gaulle* a évoqué à plusieurs reprises le
nombre de 200 000 morts algériens, sachant que les militaires français en
avaient dénombré 150 000. Bernard Droz et Évelyne Lever ont ensuite
réévalué le chiffre dans une fourchette allant de 300 000 à 400 000 morts.
Enfin, selon les estimations du démographe Kamel Kateb, en se basant sur les
recensements de population, le bilan humain algérien pourrait s’établir entre
400 000 et 500 000 morts. Parmi eux, le nombre de 150 000 combattants de
l’ALN* et du FLN* paraît vraisemblable.
Le nombre de morts algériens fait donc déjà l’objet de grandes
incertitudes. Mais s’il est un domaine qui n’est jamais abordé, c’est le
nombre de blessés. Ceux-ci doivent également s’établir à plusieurs centaines
de milliers, mais il n’en existe à notre connaissance aucune évaluation. Parmi
eux, il faudrait aussi tenir compte des nombreuses victimes de séquelles
psychologiques, sous le choc de la guerre. En 1962, l’euphorie de
l’indépendance et de la (re)construction l’emportait sans pour autant effacer
les souffrances. De ce point de vue, les disparitions* sont les plus
traumatisantes, les corps n’ayant jamais été retrouvés. S’agissant des disparus
après arrestation par les forces françaises, le bilan demeure impossible :
plusieurs dizaines de milliers ? Ces disparitions ne laissant pas de trace
tangible dans les archives*, les tentatives de bilan chiffré ouvrent des
controverses sans fin. C’est le cas, pour la seule « bataille d’Alger* », des
3 024 disparus que disait avoir dénombré le secrétaire général de la préfecture
de police, Paul Teitgen*. Jamais celui-ci n’a dit comment il avait procédé.
Cependant, les travaux sur le système répressif algérois démontrent
l’existence de disparitions massives, et ce même si on ne peut les compter.
Par ailleurs, le conflit entre les partisans du FLN et du MNA* a conduit à
environ 10 000 morts et 23 000 blessés. Le chiffre le plus impressionnant
concerne les déplacements : 2 millions d’Algériens ont été déplacés dans des
camps et des villages de regroupement*, soit le quart de la population
algérienne.
Du côté français, 28 000 soldats sont morts sur les 2 millions qui ont été
envoyés en Algérie. Si l’on y ajoute 2 788 civils français d’Algérie tués, le
rapport entre le nombre de morts français et algérien est donc d’au moins un
pour dix, ce qui montre le grand déséquilibre de cette guerre asymétrique. Du
côté des combattants français, au moins 65 000 ont été blessés. Mais, comme
pour les Algériens, ce nombre est grandement sous-estimé : le phénomène
des troubles de stress* post-traumatique (TSPT), ou post-traumatic stress
disorder en anglais) n’a commencé à être pris en compte que pendant la
guerre du Vietnam. Certains soldats ont sombré dans la folie. Les cas
d’alcoolisme, en partie liés à ce stress, sont également nombreux et ont
ensuite eu des répercussions familiales importantes, avec les violences qui y
sont conjointes. D’autres encore ont préféré échapper aux douleurs
psychologiques en mettant fin à leurs jours. Ici aussi, les chiffres sont
inconnus. L’armée française n’a officiellement reconnu qu’une quarantaine
de suicides, mais ceux-ci sont, selon toute vraisemblance, beaucoup plus
nombreux. Ainsi, parmi les soldats morts en Algérie, environ un tiers d’entre
eux sont soi-disant « morts par accident », ce qui cache des réalités très
différentes : des accidents réels (avec les armes à feu par exemple), des
accidents de voiture avec une vitesse excessive (notamment pour éviter d’être
pris dans une embuscade*), mais encore des conduites à risque suicidaires et
des suicides tout court.
Concernant les civils français d’Algérie, outre les 2 788 morts, il faudrait
y ajouter 7 541 blessés et 875 disparus. Tant du côté algérien que français, les
disparitions laissent les familles dans une impossibilité de faire véritablement
le deuil de leur proche. Par ailleurs, environ 700 000 Français d’Algérie ont
fui vers la France au cours du printemps et de l’été 1962. Leur nombre a
continué de s’accroître ensuite. L’OAS* a quant à elle tué 3 500 personnes et
en a blessé 8 000 environ.
Le bilan parmi les plus incertains concerne les supplétifs* de l’armée
française, regroupés sous le terme générique « harkis* ». En tout, il y a eu
environ 180 000 supplétifs dans l’armée française, et 263 000 Algériens ont
été considérés comme profrançais (rapport transmis à l’ONU*, 13 mars
1962). En totalité, selon le recensement de 1968, quelque 140 000 personnes
auraient été rapatriées, en y incluant les civils. Ils étaient seulement 60 000 en
1962. Ceux qui sont restés ont été victimes de massacres, mais leur
évaluation est presque impossible : probablement plusieurs dizaines de
milliers, peut-être jusqu’à 80 000.
Au total, la guerre d’Algérie a frappé le plus durement la population
algérienne (avec 2 à 3 % de pertes, toutes catégories confondues), puis les
Français d’Algérie (avec 0,5 % de pertes).
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie. 1954-
1962, Seuil, 1995 • Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et Juifs en
Algérie. 1830-1962. Représentations et réalités des populations, Ined, 2001 •
Guy Pervillé, La Guerre d’Algérie (1954-1962), PUF, 2007.

BILLOTTE, GÉNÉRAL PIERRE (1906-1992)


Fils du général d’armée Gaston Billotte tué accidentellement le 23 mai
1940 à Ypres au début de la bataille de France, rallié à la France libre en
1941, ce brillant officier*, compagnon de la Libération, général à 38 ans,
renonce à une brillante carrière militaire après avoir servi de 1946 à 1950 au
comité d’état-major des Nations unies* et dirigé la délégation française. Il se
lance dans la politique et se fait élire député de la Côte-d’Or (1951-1955)
sous l’étiquette du RPF. Pendant la guerre d’Algérie, un temps ministre de la
Défense nationale dans le cabinet Edgar Faure (octobre 1955-janvier 1956),
Pierre Billotte a une vision claire de la situation en Algérie. Aussi, prenant en
compte le projet de règlement politique de la question algérienne soumis à
son approbation par le Pr Berger-Vachon, de la faculté de droit de Paris, au
cours de la réunion organisée le 3 juillet 1957 par l’association France-
Occident qu’il préside, il présente devant la presse* le 7 novembre suivant un
« projet relatif à l’organisation interne de l’Algérie et aux conditions de son
appartenance à la République française ». Mais l’officier de tradition
confronté au problème de la torture* dénoncée par le général Pâris de
Bollardière* qui démissionne au cours de la bataille d’Alger* après avoir
tenté de convaincre les généraux Massu* et Salan* de renoncer à cette
pratique qui « dégrade celui qui l’inflige plus encore que celui qui la subit »
ne peut se taire. La revue* Preuves publie son article sur la torture, repris par
le journal Le Monde* et fait écho au message de Bollardière : « on n’obéit
pas aux ordres contraires aux lois de la guerre ». Pierre Billotte, avec le
capitaine Dabezies, officier parachutiste* comme Bollardière et le colonel
Roger Barberot* qui servait sous ses ordres dans l’Atlas blidéen, appartient
au petit noyau d’officiers d’active qui se sont élevés contre l’usage de la
torture dans le conflit.
André-Paul COMOR
Bibl. : « Preuves », Le Monde, octobre 1957.

BITAT, RABAH (1925-2000)


Rabah Bitat est l’un des fondateurs du FLN*. Placé à la tête de la Zone 4
qui recouvre l’Algérois, il est arrêté le 16 mars 1955 à Alger et passe le temps
de la Guerre d’indépendance en prison*.
Bitat est né à Aïn El Kerma (Constantinois) le 19 décembre 1925. Sa
jeunesse se déroule dans ce centre de colonisation, érigé en commune de
plein exercice où il a pu être scolarisé. Adulte, Bitat doit travailler pour
gagner sa vie. Il se déplace à Constantine et il est embauché à la manufacture
de tabac des Bentchicou. C’est également dans cette ville qu’il adhère au
PPA*, probablement au cœur de la Seconde Guerre mondiale. Quand
l’Organisation spéciale* (OS) est créée en 1947, Rabah Bitat en fait partie à
l’échelle du département de Constantine dirigé par Mohamed Boudiaf*. À sa
découverte par la police*, il entre en clandestinité et trouve refuge dans
l’Aurès grâce à Mostefa Ben Boulaïd* de 1950 à 1952. Il est condamné par
contumace à dix ans de prison par le tribunal de Bône (mars 1952) pour
atteinte à la sûreté nationale.
Il regagne Alger, sur ordre du parti, travaille comme conducteur de
tracteur dans une ferme coloniale de la Mitidja puis pour les établissements
Otis à Alger comme réparateur. Au mois d’avril 1953, le parti reconduit l’OS
et décide d’affecter les « irréguliers », dont Bitat, dans les structures du parti.
Bitat est nommé chef de la daïra d’Aïn Témouchent mais il est contraint de
fuir à nouveau, ayant échappé de justesse à une arrestation par la police, en
même temps que Ben M’hidi*. Tous deux retournent à Alger au moment où
le parti est en pleine crise. Au mois de mars 1954, Ben M’hidi et Bitat
approuvent la création du Crua, ce qui leur permet de reprendre leurs activités
militantes avec leurs anciens compagnons de l’OS. À la fin du mois de juin,
Bitat participe à la réunion des « 22* », qui décide du passage à la lutte
armée, et fait partie de la première direction collective composée de cinq
membres. À l’issue des différentes réunions qui se succèdent jusqu’à la
dernière du 23 octobre 1954, Bitat est chargé de la direction de la Zone 4
(Algérois) au nom du FLN. Il organise avec ses deux adjoints Souidani
Boudjemaâ et Belhadj Bouchaïb les principales attaques prévues pour la nuit
du 1er novembre 1954*, à Alger, Blida, Boufarik et Baba Ali.
Le 16 mars 1955, Rabah Bitat tombe dans un guet-apens tendu par la
DST avec la complicité de Slimane Ladjoudène, un indicateur de la police. Il
est condamné aux travaux forcés par le TPFA d’Alger le 16 avril 1956. Il
séjourne dans les prisons de Barberousse et Maison-Carrée. Il est nommé
ministre d’État du GPRA* le 18 septembre 1958 alors qu’il se trouve encore
interné à Maison-Carrée. Transféré en France à la prison de Fresnes, il
retrouve Boudiaf. Les deux rejoignent leurs compagnons Ben Bella*,
Khider*, Aït Ahmed* au château de Turquant. Tous sont libérés le 20 mai
1962.
Durant la crise de l’été 1962*, Bitat soutient le groupe de Tlemcen*. Il
fait partie du Bureau politique (BP) composé par Ben Bella le 22 juillet 1962.
Il conclut avec Khider l’accord du 2 août avec le groupe de Tizi Ouzou*. Il
est vice-président du premier gouvernement de Ben Bella (septembre 1962).
En mai 1963, il est écarté du BP et se tient en réserve à Paris jusqu’au coup
d’État de Boumediene* en juin 1965. Il est ministre des Transports de 1970 à
1977 puis préside l’Assemblée nationale jusqu’en 1978, et de nouveau de
1982 à 1989. Il en démissionne en 1999.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Aïssa Kechida, Les Architectes de la révolution, Alger, Chihab, 2001 •
Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

BITTERLIN, LUCIEN (1932-2017)


Responsable à Alger du Mouvement pour la communauté (MPC), parti
gaulliste de Jacques Dauer créé en 1959 à Paris, il est le ferment du réseau
« Talion » dont les membres s’appelaient les « barbouzes* ».
Né en 1932 à Courbevoie, c’est un enfant du peuple de Paris : sa mère
tenait un café à La Garenne-Colombes et son père était tourneur-fraiseur chez
Hispano-Suiza, le constructeur automobile de Bois-Colombes. Il n’a que
11 ans lorsqu’il fait partie des victimes des bombardements de Bois-
Colombes du 31 décembre 1943. Il y perd un œil.
À 12 ans, il vit la libération de Paris et s’enthousiasme pour le général de
Gaulle* et les hommes de l’ombre. Fascination pour la Résistance* qu’il
garde toute sa vie. Il s’engage politiquement à La Garenne-Colombes et très
vite est remarqué par ses pairs. En 1959, il adhère au MPC de Jacques Dauer
et décroche l’année suivante un poste de journaliste à la télévision d’Alger.
Avec Yves Le Tac et André Goulay, il crée l’antenne du MPC à Alger
pour défendre la politique du général de Gaulle. Très vite il est la cible, avec
le MPC et les libéraux* d’Algérie, de la violence de l’OAS*.
Après le meurtre par l’OAS d’un ami du MPC au printemps 1961, il
décide de ne plus se contenter d’affichage et de propagande*, mais de passer
à l’action. Avec Goulay, Pierre Lemarchand, Dominique Ponchardier et
l’approbation de De Gaulle, le réseau de police parallèle des barbouzes est
créé. Des équipes sont envoyées à Alger dont des judokas vietnamiens dirigés
par le maître Jim Alcheik. De novembre 1961 à l’indépendance, Lucien
Bitterlin est le principal responsable des barbouzes travaillant pour la
Mission C et la délégation générale dans la lutte contre l’OAS.
Dès l’indépendance de l’Algérie, il mobilise tous ses amis politiques pour
suivre les directives du Général. Il lance un fonds de solidarité franco-
algérien avec Germaine Tillion*, Jules Roy*, Raymond Schmittlein, Louis
Terrenoire, Edmond Michelet*, etc., pour venir en aide aux victimes de
l’OAS. Puis, il crée en 1963 l’Association France-Algérie (AFA) qu’il quitte
en 1967, sur l’avis du général de Gaulle, pour créer l’Association France-
Pays-Arabes (Afpa) avec Louis Terrenoire. En 1974 il monte l’Association
parlementaire pour la coopération euro-arabe avec son bulletin Eurabia. En
même temps, Lucien Bitterlin reste attaché aux services parallèles qui
permettent, par une diplomatie secrète, de résoudre des crises dans les pays
arabes. Si Jacques Foccart fut monsieur France-Afrique, Lucien Bitterlin fut
monsieur France-Pays arabes.
Christian HONGROIS
Bibl. : Lucien Bitterlin, Histoire des barbouzes, Éditions du Palais-Royal,
1972 • —, Nous étions tous des terroristes : l’histoire des barbouzes contre
l’OAS en Algérie, Témoignage chrétien, 1983.

BIZERTE, CRISE DE
La France reste militairement présente en Tunisie* après l’indépendance,
notamment sur la base de Bizerte qui est un maillon important du système de
défense de l’Otan, avec son port en eau profonde et une piste d’atterrissage
de 2 400 mètres. Le président Bourguiba, de son côté, entend recouvrer la
souveraineté sur ces installations pour parachever l’indépendance de son
pays. Il revendique également une rectification de sa frontière avec l’Algérie.
En 1958, déjà, en réaction au bombardement de Sakiet Sidi Youssef*, il avait
exigé un retrait militaire complet et bloqué temporairement la base. En 1961,
le contentieux éclate lorsque Paris veut allonger la piste d’atterrissage – hors
des limites prévues, selon Bourguiba, qui s’y oppose. Il organise alors le
blocus de la base en mobilisant l’armée, la garde nationale et ses concitoyens.
Il peut compter sur le soutien des Tunisiens qui répondent aux mots d’ordre
de grève* générale et manifestent à plusieurs reprises à travers le pays et à
Bizerte où ils se joignent aux soldats qui bloquent la base.
La France bénéficie d’une supériorité militaire incontestable. Ainsi elle
maîtrise totalement les airs, la Tunisie n’ayant pas d’aviation. Le 17 juillet,
Bourguiba donne quarante-huit heures au gouvernement français pour
annoncer l’évacuation de Bizerte et accepter un nouveau tracé de la frontière
dans le Sahara, autour d’El Borma. Puis, le 19 juillet, ordre est donné
d’abattre tout aéronef violant l’espace aérien tunisien et le feu est ouvert. Le
plan « Bouledogue », préalablement conçu, validé par de Gaulle*, est alors
déroulé. La base est dégagée au prix de violents combats et de la répression
des rassemblements tunisiens. La disproportion du bilan*, qui reste discuté,
en témoigne : rapidement, plus de 700 morts et plus de 600 blessés sont
déplorés côté tunisien tandis que les Français auraient eu 26 à 30 morts et une
centaine de blessés. Aussi, le 22 juillet, Bourguiba accepte le cessez-le-feu.
La réprobation internationale pousse cependant la France à proposer
l’évacuation de Bizerte. Entamée six mois plus tard, en janvier 1962, elle
s’étale jusqu’en octobre 1963. Dans le contexte de la guerre d’Algérie, la
crise met une fois de plus la France en difficulté sur la scène mondiale tandis
qu’elle avive le différend frontalier entre Bourguiba et le GPRA*. Ce dernier
rejette les revendications tunisiennes en la matière.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Sébastien Abis, « L’affaire de Bizerte, une crise géopolitique
méconnue », Confluences Méditerranée, no 67, 2008/4 • Henri Le Mire,
Histoire des parachutistes français, Albin Michel, 1980, en particulier
chap. VII, « La bataille de Bizerte » • Patrick-Charles Renaud, La Bataille de
Bizerte, Tunisie, 19 au 23 juillet 1961, L’Harmattan, 1996.
BLACHETTE, GEORGES (1900-1980)
Titulaire d’une concession de 690 000 hectares et PDG de la Société
générale des alfas dans le Sud-Oranais, il est connu sous le nom de « Roi de
l’alfa ». Par la fortune et la carrière politique, il fut, avec Henri Borgeaud* et
Laurent Schiaffino*, l’une des personnalités les plus connues de l’Algérie
coloniale, sinon la plus puissante. Sa famille est originaire de l’Ardèche et a
émigré en Algérie peu après la conquête de 1830. En 1873, elle obtient une
concession d’alfa, plante destinée à la fabrication de pâte à papier que les
Blachette exportent vers la Grande-Bretagne comme fret-retour des bateaux
acheminant le charbon anglais en Algérie. Leurs expéditions ont représenté
jusqu’au tiers des exportations de la colonie. Charles Alphonse, le grand-père
de Georges, entrepreneur de menuiserie, a également fondé en 1880 la
maison Blachette Frères, bois et matériaux de construction, qui a fait aussi
dans la vente et location de fabrication de futailles et se présente comme une
des premières firmes d’Algérie pour le commerce des bois de toutes essences
nécessaires à la construction et à l’industrie*.
Georges, né en 1900 à Alger, hérite des affaires de la famille. À 35 ans, il
est l’un des rares à être décoré de la Légion d’honneur au titre des colonies. Il
sert pendant la guerre de 1940-1945 en tant que lieutenant de réserve. Le
23 novembre 1948, il est élu par l’Assemblée algérienne conseiller de
l’Union française. Il reprend, en 1949, Le Journal d’Alger, quotidien qui
défend la ligne libérale et bénéficie à ce titre d’une large audience. Il est
député d’Alger de 1951 à 1955 sur la liste d’union des indépendants et du
RPF et est notamment lié à Jacques Chevallier*, maire* d’Alger hostile au
système colonial qui optera pour la nationalité* algérienne après
l’indépendance.
Personnalité éminente de la colonie et réputé pour sa sensibilité de
libéral, voire de progressiste, il est approché en 1954 par Pierre Mendès
France* qui veut lui confier le poste de secrétaire d’État à la Défense
nationale. Une offre qu’il décline. Il vote la confiance à Pierre Mendès France
le 5 février 1955 et se prononce pour l’état d’urgence* en Algérie (31 mars
1955). Il déclare à l’Assemblée le 29 juillet 1955 : « Il y a là-bas une richesse
trompeuse, limitée aux rives africaines, et, par-delà cette richesse, un
paupérisme chronique issu de causes complexes, géographiques, politiques,
démographiques. » Sa société est nationalisée en 1956. Il quitte l’Algérie
après 1962 et s’installe en métropole où il décède en 1980.
Ahmed HENNI
Bibl. : Georges Blachette, « L’alfa », Revue internationale des produits
coloniaux, 1939 • Claude Bourdet, « Les maîtres de l’Afrique du Nord », Les
Temps modernes, 1952 • Jean Morin, De Gaulle et l’Algérie : mon
témoignage, 1960-1962, Albin Michel, 2000.

BLED (LE)
Le Bled, puis Bled à partir de 1958, est le journal destiné aux troupes
basées en Afrique du Nord, produit par les services d’action psychologique
de l’armée en Algérie. Sa mise en place est due au lieutenant-colonel Albert
Fossey-François, premier chef du bureau psychologique, en septembre 1955,
dans le contexte tendu des manifestations de rappelés*. Son premier numéro
sort en décembre 1955. D’abord mensuel, puis bimensuel, il devient
hebdomadaire en mars 1956. Il est financé par le Service d’action
psychologique et d’information de la Défense nationale, le Gouvernement
général* avec les moyens techniques et humains du bureau psychologique.
Il s’agit, alors que de nombreuses publications sont interdites dans les
casernements, de fournir des justifications à l’engagement des appelés dans la
guerre, en produisant une représentation du FLN* comme ennemi barbare et
irréductible, mais aussi d’orienter leurs pratiques en mettant en avant le
rapprochement entre armée et population algérienne. Sa ligne se veut
« résolument nationale, anti-communiste et antiprogressiste ». Il participe à la
« mise en condition psychologique » du contingent.
Comportant une douzaine de pages richement illustrées, Le Bled contient
des commentaires de la politique nationale et internationale, des déclarations
des autorités gouvernementales, des présentations d’unités, des pages
« Sport » et « Culture ». Il comporte même dans ses pages finales une photo
de starlettes peu vêtues. Disposant d’une large équipe de journalistes, de
photographes et d’illustrateurs recrutés dans la troupe, il est le journal
hebdomadaire le plus distribué de France – gratuitement, la nuance est
d’importance – avec 350 000 exemplaires imprimés.
Le 10 mai 1958, son éditorial appelle à un « gouvernement de salut
public ». Les mois suivants, il devient le vecteur d’un étrange culte de la
personnalité du général de Gaulle*. Celui-ci est présenté, à l’image du
maréchal Pétain en son temps, comme un chef militaire prestigieux sortant
d’une retraite méritée pour sauver la nation, dont il est l’incarnation physique.
Il s’oppose de manière de plus en plus ouverte à la politique gouvernementale
en se livrant à de complexes exégèses de la parole gaullienne, présentant
contre toute évidence le chef d’État comme un partisan de l’intégration. Le
gouvernement reprend progressivement le contrôle de la ligne éditoriale du
journal, qui survit à la dissolution du 5e bureau.
Denis LEROUX

BLEUÏTE
La « bleuïte » est le nom donné à une campagne de retournement de
militants nationalistes, d’infiltration et d’intoxication du FLN*, lancée en
1957, durant la bataille d’Alger*, par les services secrets français, et
culminant en 1958. Elle aboutit à d’importantes purges dans les rangs
nationalistes, en particulier dans la Wilaya 3*, sous la direction du colonel
Amirouche Aït Hamouda*.
Dès 1956, les forces françaises tentent de réutiliser des méthodes anti-
insurrectionnelles appliquées en Indochine*, comme la pratique des contre-
maquis et de l’intoxication de l’adversaire. Ainsi le SDECE* organise avec
des succès variables et très relatifs des maquis profrançais, comme la
tentative de maquis en Kabylie maritime connu sous le nom « Oiseau
bleu* », où l’armée et le SDECE arment des civils kabyles se révélant être
nationalistes, les maquis Bellounis* ou Kobus, respectivement dans le Sud-
Algérois et la vallée du Chéliff, ou le maquis de Si Cheriff dans la région de
Médéa. À partir du printemps 1957, un centre clandestin, la section
d’instruction des élèves gradés français musulmans (SIEGFM), adossé au
CIPCG* d’Arzew, forme des agents algériens clandestins devant œuvrer pour
l’armée française au sein de la population, comme commissaires politiques,
agents de propagande* ou de renseignement. Rapidement, le FLN est
conscient de cette volonté d’infiltration.
L’appel à la grève* scolaire et universitaire par le FLN, en mai 1956, et
l’appel à la grève générale, en janvier 1957, amènent de nombreux jeunes
Algériens à tenter de rejoindre les maquis. Ces nouveaux maquisards,
francophones et lettrés, font face à des djounoud, majoritairement
d’extraction rurale et illettrés, qui les suspectent de trahison ou de manque
d’ardeur révolutionnaire. Parallèlement, l’accroissement de la répression
française entraîne des tensions au sein du mouvement nationaliste autour de
la question de possibles négociations* avec l’ennemi. Plus largement, la
figure du traître, qu’il s’agit d’éliminer brutalement afin de rendre impossible
tout contact entre la population algérienne et les autorités coloniales et d’ainsi
construire la communauté nationale, est très présente dans l’imaginaire du
FLN, entraînant une fragilité structurelle aux intoxications françaises quant à
d’éventuelles infiltrations.
Le capitaine Paul-Alain Léger*, du SDECE, est, avec le colonel
Amirouche, la figure centrale du récit de la « bleuïte ». Formé durant la
Seconde Guerre mondiale dans les SAS britanniques (Special Air Service),
parachuté à deux reprises derrière les lignes allemandes, il participe, pendant
la guerre d’Indochine, à des opérations de contre-maquis et de retournement
de prisonniers viêt-minh. Son autobiographie est souvent la principale source
mobilisée pour raconter l’opération d’intoxication qu’il monte. Chef du
Groupe de renseignement et d’exploitation (GRE), chargé de mener une
guerre irrégulière contre les cellules nationalistes, dans le cadre de la bataille
d’Alger, il organise le retournement de militants FLN. Ceux-ci sont
réemployés comme supplétifs* armés au sein du GRE, participant au contrôle
des quartiers musulmans. Désignés comme « bleus » du fait des bleus de
chauffe dont ils sont revêtus, ce sont ces supplétifs qui donnent son nom à la
« bleuïte ». Léger parvient à retourner les derniers responsables de la Zone
autonome d’Alger* après l’arrestation de ses chefs historiques, Larbi Ben
M’hidi* et Yacef Saadi*. Il fait parvenir une fausse liste d’agents censés
infiltrer le FLN à la Wilaya 3. Le colonel Amirouche réagit brutalement en
ordonnant des purges dont il est difficile d’estimer l’ampleur ; les
estimations, selon les auteurs, allant de quelques centaines à plus de
5 000 victimes exécutées ou succombant aux violentes tortures infligées par
le redoutable capitaine Hacène Mahiouz, dit « Hacène la torture », un des
seconds d’Amirouche. Les purges s’étendent aux autres wilayas (surtout à la
Wilaya 4*) au cours de l’année 1958, pour continuer jusqu’au début de
l’opération « Jumelles », en juillet 1959. Visant principalement des jeunes
nationalistes urbains, que le fait d’être lettrés en français rend suspects, elles
privent les rangs nationalistes de nombreux cadres potentiels.
Faute d’archives* algériennes (même si les documents récupérés à la
mort d’Amirouche et conservés au SHD fournissent un aperçu de cette
affaire) et face au caractère lacunaire des archives françaises concernant cet
épisode, le témoignage* du capitaine Paul-Alain Léger s’avère être la
principale source disponible. Il convient donc de la manier avec précaution,
plus particulièrement de relativiser l’insistance faite sur la paranoïa maladive
du colonel Amirouche et sur le rôle central que s’attribue Léger. En effet,
d’autres acteurs participent à cette intoxication. Ainsi la formation et
l’infiltration d’agents clandestins, organisées par le 5e bureau, sont réelles,
même si limitées. La bleuïte est surtout rapidement connue du FLN qui, après
l’assassinat d’un officier* de l’action psychologique*, en avril 1957,
s’empare de directives concernant cette opération et de listes de stagiaires.
L’opération se poursuit néanmoins, la perspective de semer la peur de
l’infiltration au sein des nationalistes compensant la divulgation de l’identité
de quelques stagiaires et leur élimination par le FLN. La bleuïte, au-delà du
récit quasi mythique s’intégrant à la légende des services secrets français,
opère surtout comme le révélateur de profondes fractures politiques et
sociologiques au sein du FLN, et d’une culture de l’action clandestine ancrée
dans une génération* d’officiers et de responsables politiques français
rompus à ses subtilités par la Seconde Guerre mondiale et la guerre
d’Indochine.
Denis LEROUX

BLINDÉS
L’armée française déploie en Algérie des unités de l’arme blindée
cavalerie (ABC) dépêchées de la France métropolitaine et des forces
françaises d’Allemagne (FFA). Le matériel utilisé le plus lourd est le Chaffee
ou M24 qui équipe les régiments de chasseurs d’Afrique et de hussards. Ils
sont employés, soit pour la surveillance des frontières, soit comme moyen de
dissuasion à proximité des villes. En organisant des défilés, le
commandement veut à la fois montrer sa force et rassurer la population
européenne. Ainsi, le 17 juin 1955, sitôt débarquée, la 2e Division
d’infanterie mécanisée du général Beaufre* parade sur le front de mer à
Alger. Parmi les blindés affectés aux régiments de cavalerie légère (spahis,
chasseurs d’Afrique, hussards), l’engin blindé de reconnaissance (EBR), doté
du même canon de 75 mm que l’AMX 13, est d’une plus grande souplesse
d’emploi. Ces blindés servent comme appui-feu direct, en « bouclage » à un
carrefour de pistes ou sur un col lors des opérations. Les canons sont
généralement tournés vers les hauteurs et les équipages se livrent également à
la fouille des véhicules suspects. Grâce à sa vitesse, l’EBR sert aussi à assurer
l’avant-garde des escortes de convois, son blindage le rendant invulnérable
aux premières mines* artisanales de l’ALN*. Mieux qu’un engin chenillé, il
peut poursuivre un adversaire débusqué et détruire les mechtas en zone
interdite*. Le blindé le plus commun en Algérie reste l’automitrailleuse
anglo-américaine AMM 8, équipée d’un canon de 37 mm. Comme les half-
tracks et les scout-cars, les AMM 8 sont de toutes les opérations. Elles
assurent les « bouclages », les reconnaissances ou les soutiens directs des
troupes au combat. L’automitrailleuse légère Ferret, de fabrication
britannique, est quant à elle conçue pour un terrain accidenté et est adaptée
aux combats en Algérie.
En ce qui concerne les unités les plus remarquables, le 1er régiment de
hussards parachutistes (RHP) a successivement été employé comme élément
statique d’une troupe de maintien de l’ordre, puis en flanc-garde sur la
frontière algéro-tunisienne, avant de devenir le fer de lance des troupes de
cavalerie engagées dans la lutte antiguérilla. Au total, 4 158 engins blindés
ont été engagés, remplissant notamment les missions habituelles d’ouverture
de routes et de protection des convois. Mais le bilan tactique est mitigé :
l’emploi des blindés dans les zones montagneuses pauvres en routes et pistes
carrossables est loin de produire les effets escomptés sur un adversaire très
mobile.
André-Paul COMOR
Bibl. : Thierry Noulens, « L’arme blindée et cavalerie en guerre d’Algérie,
adaptation d’un système d’arme entre archaïsme et modernité », thèse de
doctorat sous la dir. de J. Frémeaux et J.-C. Jauffret, Paris-4, 2011.

BOLLARDIÈRE, GÉNÉRAL JACQUES PÂRIS


DE
(1907-1986)
Jacques de Bollardière est né le 16 décembre 1907 dans une famille de
militaires bretons et conservateurs. Il sort de Saint-Cyr en 1930, avant de
devenir lieutenant de la Légion étrangère*. Il effectue son baptême du feu
contre les nazis en Norvège en 1940. Il constate la débâcle française en
juin 1940 et part à Londres où il rencontre le général de Gaulle*. Il va ensuite
à Dakar puis combat en Érythrée (où il fait la connaissance de Roger
Barberot*), en Syrie, en Égypte* et en Libye où il est grièvement blessé. Il
rejoint l’Algérie en septembre 1943, avant d’être parachuté dans les
Ardennes. Il se marie avec Simone Ertaud en décembre 1945, puis part pour
l’Indochine* en février 1946. La nature différente du conflit ébranle déjà ses
convictions. Il rentre en France en 1953, sans illusion. En 1956, il prend le
commandement d’une unité de rappelés de l’armée de l’air*, avec Roger
Barberot. Il crée des « commandos noirs* » qui nomadisent dans la région
algéroise tout en établissant un contact de confiance avec la population. Le
journaliste Jean-Jacques Servan-Schreiber*, rappelé, en fait partie. Les
attentats baissent sensiblement, suscitant notamment un soutien du ministre
résidant Robert Lacoste*. En revanche, le général Lorillot*, commandant
supérieur des troupes en Algérie, est plus réservé, de même que les
Européens d’Algérie du secteur. Les initiatives de Jacques de Bollardière
semblent pourtant couronnées de succès : il est nommé général en
novembre 1956. Mais l’unité du lieutenant-colonel Argoud* s’installe dans
son secteur après le départ des rappelés. Elle torture et procède à des
exécutions sommaires*. De plus, le général Massu* devient son supérieur
hiérarchique en janvier 1957, prônant des mesures expéditives que refuse
Jacques de Bollardière. En mars 1957, celui-ci demande à être relevé de son
commandement et part discrètement en France. Jean-Jacques Servan-
Schreiber, poursuivi pour son témoignage*, demande l’avis du général de
Bollardière, qui lui répond avec une lettre publiée dans L’Express, dans
laquelle il soutient le journaliste et condamne expressément la torture* au
nom de la morale. Il est puni de 60 jours de forteresse. Il est ensuite affecté en
Afrique équatoriale française (AEF) puis en Allemagne, avant de
démissionner de l’armée en mai 1961, dégoûté par le « putsch* des
généraux ». Il publie son témoignage en 1971 pour répondre au livre du
général Massu. Il se tourne alors résolument vers la non-violence et
l’opposition à la bombe atomique. Il décède le 22 février 1986.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Jacques de Bollardière, Bataille d’Alger, bataille de l’homme, Desclée
de Brouwer, 1972 • Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ?
Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la
guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007.

BONNAUD, ROBERT (1929-2013)


Robert Bonnaud est né le 13 novembre 1929 à Marseille*, dans une
famille de petits commerçants issus du monde ouvrier au sein de laquelle le
père Louis est militant communiste. Membre du Front national, l’organisation
communiste de résistance, Louis Bonnaud devient contremaître dans les
Aciéries du Nord à Marseille, responsable CGT* et dirigeant du PCF*. Son
fils suit la même lignée, Robert s’engageant dans le parti à partir de 1948.
Auparavant, il a obtenu son baccalauréat de philosophie à 16 ans, en 1946. Il
obtient sa licence d’histoire-géographie en 1950 à la faculté d’Aix-en-
Provence, est bi-admissible à l’agrégation la même année. Il obtient
brillamment le concours deux ans plus tard à Paris. Affecté au lycée de
Mende, il doit effectuer son service militaire*, qu’il termine en avril 1954. Il
effectue un discours dans son lycée au moment de la chute de Điên Biên Phù,
lui valant d’être fiché par la sécurité militaire. Anticolonialiste depuis son
entrée au PCF pendant la guerre d’Indochine*, il devient critique vis-à-vis du
parti après le vote des pouvoirs spéciaux* en mars 1956 et avec le XXe
congrès du PCUS. Il se rapproche du trotskisme* et rencontre Pierre Frank à
Marseille. Il participe parallèlement aux manifestations de rappelés* du
printemps 1956. Lui-même est rappelé sous les drapeaux en mai, avec les
autres soldats de la classe 1952/2. Envoyé dans les Nemenchas, à Guentis, il
témoigne dans une correspondance avec ses amis des exactions auxquelles il
assiste. À son retour en décembre 1956, son ami Pierre Vidal-Naquet* le
pousse à écrire son témoignage* qu’il publie sous le titre « La paix des
Nementchas » dans la revue* Esprit en avril 1957. Robert Bonnaud quitte
alors le PCF et rejoint l’Union de la gauche socialiste (UGS).
Clandestinement, il milite au sein du très actif réseau de soutien marseillais
au FLN* dirigé par le philosophe Lucien Jubelin. Il poursuit parallèlement un
militantisme public, publiant par exemple dans la revue Vérité-Liberté. Il est
finalement arrêté en juin 1961 et incarcéré à la prison* des Baumettes. Il y
donne des cours d’histoire, soutient la grève de la faim de novembre 1961 et
facilite l’évasion* d’un condamné à mort algérien. Ses lettres (notamment
celles de prison) et ses différents textes sur l’Algérie sont publiés aux
Éditions de Minuit en janvier 1962, sous le titre Itinéraire. Il sort de prison en
juin de la même année et n’est réintégré dans l’Éducation nationale qu’en
1964 avant d’être amnistié* en 1966. Il participe à des revues militantes
comme La Voie communiste et les Cahiers d’études révolutionnaires. Il
rejoint ensuite la région parisienne et entre à l’université de Vincennes puis
poursuit sa carrière à Paris-7. Il y élabore une théorie stimulante de l’histoire,
la noologie, et écrit régulièrement dans La Quinzaine littéraire. Il décède à
Paris le 22 janvier 2013.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Robert Bonnaud, Itinéraire, Minuit, 1962 • Pierre Vidal-Naquet,
Mémoires, t. II, Le Trouble et la lumière, 1955-1998, Seuil-La Découverte,
1998.

BORDEL MILITAIRE DE CAMPAGNE


(BMC)
En 1946, l’abolition des « maisons de tolérance » n’a concerné que la
métropole. Aussi, en Algérie, les lieux de prostitution se multiplient avec
l’afflux de troupes en 1955. Au motif de soutenir le moral des hommes et de
prévenir les viols*, le commandement en organise l’implantation et le
fonctionnement. Chaque garnison en possède au moins un mais Sétif en
compte jusqu’à treize : douze avec des musulmanes et un avec des
Européennes aux tarifs plus élevés. Les unités dotées d’un fort esprit de corps
(légion*, parachutistes*…) en ont souvent un attitré. Pour la troupe, les
établissements cherchent le meilleur rendement. Un gradé et une garde les
protègent d’un attentat éventuel et surtout veillent à la discipline. Soudant les
hommes, la « virée » au « bordel » ne connaît pas de barrière de grade, au
moins jusqu’aux officiers* subalternes, et s’impose aux « bleus ».
Indissociables de la guerre en Algérie, les BMC sont des établissements
itinérants, sous la tente, desservant les zones isolées. L’armée assure le
convoyage du matériel et des femmes, quelquefois en avion militaire mais
plus couramment en GMC bâché, pour agir à l’abri des regards ; et ce surtout
à partir de 1961, une fois que la France a ratifié la convention de l’ONU* du
2 décembre 1949 relative à « l’exploitation de la prostitution d’autrui ».
Outre des cas de proxénétisme, le FLN* s’intéresse aux « bordels » car
les prostituées musulmanes y recueillent les confidences des clients. Certains,
en outre, à court d’argent, monnayent une relation sexuelle contre une
poignée de cartouches, voire une grenade. Sur le plan sanitaire, cette
prostitution à grande échelle favorise la propagation de la syphilis et des
blennorragies, alors que les contrôles et mesures prophylactiques ne sont pas
systématiques, par manque de médecins militaires. Au mieux, un infirmier
badigeonne le client de permanganate et lui donne un antibiotique. Les
maladies vénériennes décelées à la visite médicale de libération progressent
ainsi sensiblement entre 1954 et 1962. Si, dès 1956, la direction du service de
santé des armées* insiste sur l’importance du dépistage, le commandement ne
procède qu’à de discrets appels à la prudence lors de « causeries » à la troupe.
Reflet d’une société qui n’a pas encore connu la libération sexuelle, Le Bled*,
journal destiné au contingent, qui dispense pourtant de multiples
recommandations à ses lecteurs, n’en dit rien.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Michel-Serge Hardy, De la morale au moral ou l’histoire des BMC,
1948-2004, Panazol, Lavauzelle, 2004 • Frédéric Médard, Technique et
logistique en guerre d’Algérie. L’armée française et son soutien, 1954-1962,
Panazol, Lavauzelle, 2004 • Christelle Taraud, La Prostitution coloniale.
Algérie, Maroc, Tunisie, 1830-1962, Payot, 2003.

BORGEAUD, HENRI (1895-1964)


Avec Georges Blachette* et Laurent Schiaffino*, il est l’une des trois
figures emblématiques de la colonisation en Algérie. Il possédait des milliers
d’hectares de vigne. Il naît en 1895 à Alger dans une famille suisse émigrée
en Algérie. En 1904, lors de la séparation de l’Église et de l’État, les frères
Borgeaud, Jules, Charles et Lucien, le père d’Henri, rachètent à des moines le
domaine dit de « la Trappe » (1 200 ha). En 1908, Lucien, négociant en tissus
par ailleurs, ayant remboursé ses frères, en devient le seul propriétaire. Henri
en hérite en 1948.
La notoriété de la famille vient de ces acquisitions foncières qui ont
suscité très tôt des inimitiés dues à leurs qualités de Suisses et de négociants.
En octobre 1919, une instruction est ouverte pour commerce avec l’ennemi –
l’Allemagne. En 1920, un « Comité de vigilance » les accuse de neutralité
dans le conflit (Le Progrès d’Orléansville, 25 novembre 1920). Or, Henri
s’était engagé en 1914 dans l’armée française, avait reçu la croix de guerre, et
avait été naturalisé en 1915. La justice ayant lavé les Borgeaud de toute
suspicion, Henri se présente avec succès en 1930 aux élections municipales
de Cheraga, dont il devient maire*.
Gérant le domaine de la Trappe, il collectionne les domaines viticoles,
s’associe aux milieux d’affaires parisiens, multiplie les participations
financières et entreprend une longue carrière politique. Maire de Cheraga
entre 1930 et 1962, il devient sénateur de 1946 à 1958. En 1949, il rachète La
Dépêche quotidienne d’Alger, journal qui reflète ses opinions favorables au
maintien d’une Algérie française. Il échappe de peu à un attentat le
31 octobre 1957. En juin 1958, il vote pour les pleins pouvoirs au général de
Gaulle*.
Outre la Trappe (1 200 ha), les Borgeaud ont acquis les domaines du
Chapeau du Gendarme (983 ha), Saint-Charles à Boufarik (840 ha), trois
domaines à Béni-Slimane (1 100 ha), etc. Ils sont pratiquement tous organisés
sous forme de sociétés anonymes par actions cotées et ouvertes aux capitaux
métropolitains. Ils étaient intéressés également dans des forêts de chêne-liège
à Fedj Mackta (6 500 ha en deux lots), dans l’agro-alimentaire (Société des
tabacs algériens, Distillerie d’Algérie, Moulins du Chélif), et avaient des
participations à la Raffinerie française et aux concessions Vinson (Peugeot).
Henri a été administrateur des Tabacs Bastos, de la Nord-africaine des
ciments Lafarge, des Phosphates de Constantine et du Nord-Africain
commercial (engrais). Lié aux milieux bancaires, Henri a été administrateur
au Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie et est devenu président de la Banque
Borgeaud et Cie. Resté en Algérie après l’indépendance, il quitte le pays
après la nationalisation de ses propriétés en 1963. Il décède à Paris en 1964.
Ahmed HENNI
Archives : Notice biographique, Archives du Sénat.
Bibl. : Michèle Barbier, Le Mythe Borgeaud. Henri Borgeaud, 1895-1964,
Châteauneuf-les-Martigues, Wallâda, 1995 • Georges Bardelli, Mémoires
ultramarines. La trappe de Staouëli, ferme modèle (1843-1963), Nice,
Gandini, 2007.

BOUALAM, BACHAGA SAÏD (1906-1982)


Personnalité emblématique de l’Algérie française, modèle du notable
algérien soutenant la puissance coloniale, ancien militaire décoré, Saïd
Boualam est nommé en 1948 caïd du douar des Beni-Boudouane, dans
l’Ouarsenis (région montagneuse entre Alger et Oran). Il est par la suite élu
député d’Orléansville, maire*, puis vice-président de l’Assemblée nationale à
Paris (1958-1962).
En 1955-1956, avec l’appui de l’ethnologue Jean Servier* et du capitaine
Pierre Hentic – spécialiste des opérations clandestines –, il encourage la
constitution d’une milice rurale sur le territoire de son douar. Les membres
du « goum Boualam » sont recrutés avec le statut de harkis*. Ils accèdent à
une certaine célébrité à la suite du démantèlement du « maquis rouge »
d’Henri Maillot*, en juin 1956.
Composé de quelques centaines d’hommes en 1956, le goum atteint un
millier en 1959. Dirigeant réel de cette troupe, Saïd Boualam exerce son
influence sur le territoire du douar jusqu’à 1962.
Comparés aux autres harkis recrutés en Algérie, ceux des Beni-
Boudouane constituent un cas particulier – non unique – d’hommes recrutés
collectivement grâce à l’influence d’une personnalité exerçant une autorité
traditionnelle. Ce type d’engagement clanique constituait un des premiers
leviers de recrutement des harkis entre 1955 et 1956. À l’échelle algérienne,
toutefois, il n’est plus la norme après cette date, c’est-à-dire au moment où
les harkis passent de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers
d’auxiliaires. Les relations entre ces harkas quasi autonomes et les autorités
militaires ou civiles demeuraient souvent délicates, voire mauvaises. Dans le
cas des Beni-Boudouane, Saïd Boualam entend exercer un contrôle exclusif
sur la composition de la harka. Malgré le prestige de celui qui est alors vice-
président de l’Assemblée nationale, le général Massu*, alors commandant du
corps d’armée d’Alger, s’oppose à l’extension de la harka en 1959.
En juin 1960, Saïd Boualam devient président du Front de l’Algérie
française* (FAF). En avril 1962, il soutient indirectement la formation d’un
éphémère maquis OAS* sur le territoire de son douar.
Le 18 mai 1962, Saïd Boualam est transporté par avion militaire dans le
sud de la France, près d’Arles, avec une soixantaine de membres de sa
famille. Après l’indépendance algérienne, il entretient le souvenir de
l’Algérie française, notamment à travers plusieurs publications. Il devient
ainsi l’un des premiers porte-parole de la communauté harkie en France,
jusqu’à son décès en 1982.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : Saïd Boualam, Les Harkis au service de la France, France Empire,
1963 • Giulia Fabbiano, « Les harkis du bachaga Boualam »,
in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour
et Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale (1830-
1962), La Découverte-Barzakh, 2012 • —, « Ce que commémorer veut dire »,
Communications, vol. 100, no 1, 2017.
BOUATTOURA, MERIEM, DITE YASMINA
(1938-1960)
Meriem Bouattoura est née le 17 janvier 1938 à N’gaous (Barika) dans
une famille aisée. Son père, grand propriétaire foncier s’étant installé à Sétif,
Meriem Bouattoura a pu faire des études au Collège moderne de jeunes filles
qu’elle abandonne à l’appel de l’Ugema* du 19 mai 1956. Elle était alors en
classe terminale. En compagnie de Massika Benziza, Aïcha Guenifi, elle
rejoint les maquis du massif de Collo où le PC de la Wilaya 2* est installé.
Elle reçoit une formation rapide pour dispenser les premiers soins médicaux
grâce aux Drs Lamine Khene et Mohammed Toumi. Elle est affectée ensuite
à l’infirmerie de Khneg Mayoun (Ouled Attia/Collo) de la mintaqa 3 de la
Wilaya 2 qu’elle dirige avec dévouement et entrain. Elle en tire une telle
fierté qu’elle écrit à son oncle Derradji : « Tout grand médecin que tu es, je
commence à te faire concurrence, j’ampute. »
Au lendemain de l’arrivée de De Gaulle* au pouvoir, les opérations
Challe* s’intensifient, contraignant le commandement de la Wilaya 2 à revoir
son organisation. Pour Meriem Bouattoura, il n’est pas question de subir les
bombardements passivement. Actrice au sens plein du terme, elle est
volontaire pour passer à l’action.
Au même moment, la pression du quadrillage gêne dangereusement les
mouvements de l’organisation politico militaire (OPA), dans la ville de
Constantine. Son responsable, le Dr Bachir Bourghoud, exige de la wilaya
l’envoi de « filles » pour mieux assurer les liaisons. Meriem Bouattoura
rejoint la nahia 3 de la ville au mois de février 1960.
« Mourir à Constantine » : tel fut son vœu selon les propos rapportés par
ses compagnons. Il est exaucé le 8 juin 1960 quand le refuge où elle se repose
avec Hamlaoui, Bourghoud et Mohammed Kechroud, dans un appartement
situé en plein centre de la ville, est encerclé par l’armée française. Elle est
grièvement blessée au cours de l’accrochage par un obus tiré d’un char, en
même temps que ses compagnons. Meriem Bouattoura et Hamlaoui
succombent à leurs blessures à la ferme Ameziane* où ils sont conduits.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Khedidja Adel et Ouanassa Siari Tengour, Récits de moudjahidates,
Constantine, Média-Plus, 2023.

BOUAZIZ, RABAH, DIT SAÏD (1928-2009)


Militant indépendantiste et syndicaliste, Rabah Bouaziz fut responsable
de l’Organisation spéciale (OS) de la Fédération de France* du FLN* de
1957 à 1962 et à ce titre membre de son comité fédéral.
Orphelin de père, issu d’une famille kabyle ruinée par les séquestres de
terres consécutifs à la Grande Révolte de 1871, il voit sa scolarité
interrompue par la Seconde Guerre mondiale. À 14 ans, il est ouvrier agricole
saisonnier et participe à sa première grève*. Cette expérience fondatrice
l’initie à la conscience de classe et à l’anticolonialisme. Après avoir fréquenté
les scouts musulmans*, il milite au sein du PPA*, à la veille des massacres de
Sétif et Guelma. Il entre dans la clandestinité aux côtés du commando de
l’OS* du PPA dirigé par Ali Laïmeche. Après 1945, il occupe un poste de
réceptionniste dans un hôtel algérois mais son militantisme lui coûte son
emploi. Sans ressources, il s’exile en 1947 en Belgique* avant de rejoindre
les bassins miniers français. Ouvrier métallurgiste, il milite au sein de la
Fédération de France du PPA-MTLD jusqu’en 1949, année de la crise dite
« berbériste ». Par solidarité avec les cadres exclus, il quitte le parti pour se
consacrer à ses activités syndicales au sein de la CGT*. En 1951, il est
délégué syndical cégétiste en Lorraine. À l’occasion de vacances dans sa
région natale, il renoue à l’été 1954 avec d’anciens « frères » du PPA
devenus centralistes.
Opposé à Messali Hadj* depuis 1949, il rejoint les rangs du FLN dans les
rangs de l’immigration. Collecteur de fonds, il est arrêté en 1955 sur
dénonciation et expulsé à la prison* de Barberousse (Alger). Libéré faute de
preuve, il prend le maquis et gravit les échelons au sein de la Wilaya 4*. En
1957, alors qu’il est officier de l’ALN*, il est désigné par Abane* Ramdane
pour structurer militairement la Fédération de France et renforcer la lutte
armée contre les messalistes. Sous sa responsabilité, l’OS devient une armée
de l’ombre capable de mener des attentats ciblés au cœur de la métropole
coloniale.
À l’indépendance, Rabah Bouaziz est brièvement nommé premier préfet
d’Alger, avant d’être écarté des marches du pouvoir. Il fut un témoin sensible
et critique de la mise en place du nouveau Parti-État FLN.
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, « Du point de vue du FLN : les comités de détention
dans l’organisation politico-administrative de sa Fédération de France (1958-
1962) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 92, no 4, 2008.

BOUBNIDER, SALAH, DIT SAOUT EL ARAB


(1929-2005)
Salah Boubnider est le dernier chef de la Wilaya 2*. Il succède à Ali
Kafi* en janvier 1959. Décrit souvent comme un baroudeur, il est en fait « un
meneur d’hommes exceptionnel » au franc-parler. Son surnom de Saout El
Arab (en référence à la radio* La Voix des Arabes émettant à partir
du Caire), il le doit aux encouragements qu’il adresse à ses hommes durant
les combats.
Militant aguerri, Boubnider a fait ses armes dans les rangs du scoutisme
et du PPA-MTLD* à Oued Zenati (Guelma), avant de s’engager dans ceux de
l’Organisation spéciale* (OS). À la découverte de celle-ci, il est arrêté à Bône
et condamné à dix-huit mois de prison*.
Il rejoint le FLN* à la fin de l’année 1954 avec plusieurs membres de la
kasma de son village et dirige la région englobant Constantine, Aïn Abid et
Oued Zenati, après la liquidation des premiers partisans de cette ville, accusés
d’appartenir au MNA* à l’automne 1955.
Il gravit les échelons rapidement, chef de mintaqa, membre du conseil de
la Wilaya 2, dont il devient le chef au début de l’année 1960. Son
commandement traverse l’épreuve des opérations Challe* (Pierres précieuses,
septembre 1959-août 1960) non sans perdre une partie de ses effectifs,
victime des bombardements aériens.
Au congrès de Tripoli*, il conteste les procurations détenues par Tahar
Zbiri* et a une violente altercation avec Ben Bella* à propos de la
composition du bureau politique. Cet incident sonna le glas pour la Wilaya 2
qui a su préserver jusque-là l’unité de ses rangs. L’un des officiers, Larbi
Benredjem, rallie l’EMG* dont les forces lui permettent d’occuper
Constantine et d’arrêter Boubnider et les principaux chefs de la wilaya le
24 juillet 1962, faisant fi de l’accord passé au préalable avec Ben Bella.
Boubnider est libéré le 27 juillet et finit par prêter allégeance à Ben Bella à
Oran. Mais il ne parvient pas à se tailler une place dans le nouvel échiquier
politique.
À l’issue d’une réunion de Ben Bella tenue à Constantine le 6 août, le
conseil de la Wilaya 2 annonce sa reconversion et assure de sa bonne volonté
à « instituer les bases solides de l’État et le développement du pays » tout en
insistant sur la séparation des pouvoirs militaire et civil.
Malgré ses bonnes dispositions, Boubnider ne figure pas dans la liste des
candidats aux élections* de la Constituante. Éliminé, il se retrouve auprès de
Boudiaf* comme fondateur du Parti de la révolution socialiste (PRS) en
1963, ce qui lui vaut d’être à nouveau arrêté avant d’être relâché… Par la
suite, il est partie prenante des coups d’État du 19 juin 1965 et de
décembre 1967.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : « Le conseil de la wilaya II se déclare prêt à séparer le pouvoir
militaire du politique », Le Monde, 10 août 1962 • Khalfallah (ex-chef de la
Zone 5 de Constantine), « Hommage à Salah Boubnider », El Watan, 27 mai
2014.

BOUDAOUD, OMAR (1924-2020)


Omar Boudaoud est une figure incontournable de l’histoire du FLN* en
France et au Maroc*. Révolutionnaire intransigeant pour les uns, tyran
sanguinaire pour les autres, il est avant tout partisan d’une application stricte
de l’orthodoxie frontiste.
Né en 1924 dans une famille de la petite bourgeoisie terrienne kabyle,
Omar Boudaoud est diplômé de l’Institut supérieur d’arboriculture de
Mechtras. Il s’initie aux thèses nationalistes dès l’âge de 18 ans. Formé par
deux cadres aguerris, il rejoint le PPA* où il devient responsable de la
commune de Baghlia ainsi qu’au niveau régional. Dans le contexte des
massacres de Sétif et de Guelma, il participe à un projet d’insurrection en
Grande Kabylie, finalement abandonné. Il est cependant arrêté le 31 mai
1945 sur dénonciation, transféré à la villa des Oiseaux à Alger où il est
torturé. Cette expérience renforce sa foi dans la lutte armée. Amnistié en
1946, il représente en 1947 la Kabylie au congrès du MTLD, notamment aux
côtés d’Hocine Aït Ahmed*. Élu conseiller municipal de Baghlia sur la liste
du MTLD, il participe à la création de sa branche militaire clandestine :
l’Organisation spéciale* (OS). Il en est responsable pour la Basse Kabylie
avant d’être de nouveau arrêté en 1949 et libéré en 1951. Affligé par la crise
dite « berbériste » et par le démantèlement de l’OS, il se défie désormais de
Messali Hadj*. En 1952, il s’installe à Paris où il maintient des liens avec
certains cadres du parti. C’est là qu’il apprend les attentats du 1er novembre
1954* et s’engage pour le FLN. Fiché par la police*, il décide de rejoindre
l’Algérie en passant par le Maroc où son frère réside mais il s’y arrête. Il
devient responsable logistique et financier au comité fédéral de la Fédération
du FLN au Maroc. De passage en 1957, Abane* Ramdane le choisit pour
restructurer le FLN en Europe, combattre le MNA* et faire de la métropole le
second front de la guerre. Les dirigeants de la Fédération de France* viennent
en effet d’être arrêtés. Omar Boudaoud a alors 33 ans et fait déjà figure de
vétéran. Il applique à la lettre sa feuille de route et érige la Fédération de
France du FLN en 7e Wilaya. Il en reste responsable jusqu’à l’indépendance.
À l’inverse d’Abdallah Filali*, Omar Boudaoud a une approche très belliciste
du conflit qui oppose le FLN au MNA, il n’hésite pas à appliquer
rigoureusement les ordres d’Abane Ramdane pour qui le MNA doit être
éradiqué. Au 31 octobre 1957, le journal Le Monde* estime que la « guerre
dans la guerre » a déjà fait 550 morts algériens et 2 200 blessés. Un bilan*
qui ne cesse d’augmenter au détriment du MNA. La restructuration de la
Fédération de France du FLN opérée par Boudaoud vise également à
renforcer le cloisonnement et la logistique, afin de lever plus efficacement
l’impôt révolutionnaire et internationaliser la cause frontiste avec l’appui des
porteurs de valises*. Par ses actions et celles de ses collègues du Comité des
cinq, la Guerre d’indépendance algérienne prend véritablement une
dimension européenne.
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, « Du point de vue du FLN : les comités de détention
dans l’organisation politico-administrative de sa Fédération de France (1958-
1962) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 92, no 4, 2008.
BOUDIAF, MOHAMED, DIT SI TAYEB,
SI SMAÏN (1919-1992)
Mohamed Boudiaf est l’un des pères fondateurs du FLN* qui ont
déclenché la lutte armée en Algérie, en novembre 1954. Il se distingue par un
caractère déterminé et intransigeant, plus porté vers l’action. À
l’indépendance, il manifeste son opposition au groupe de Ben Bella*.
Issu d’une famille « de grande tente » de M’sila, il garde le sens du
commandement et l’amertume du déclassement social. Sa scolarité est
interrompue par une tuberculose. Muni du brevet, il exerce divers emplois de
bureau à partir de 1939 à Constantine, puis à Djidjelli. En 1942, il accomplit
son service militaire* et en sort avec le grade de brigadier-chef. Sa
démobilisation coïncide avec les massacres de mai 1945, ce qui le rapproche
du PPA-MTLD* dont il devient un permanent. En 1947, il est responsable du
parti à Sétif puis chef de l’Organisation spéciale* (OS) pour l’Est algérien. Il
entre dans la clandestinité pour échapper aux arrestations qui touchent l’OS
au printemps 1950. Condamné par contumace lors des procès de l’OS,
Boudiaf parvient à quitter l’Algérie et à rejoindre la Fédération de France du
MTLD. À Paris, son compagnonnage avec Didouche* Mourad est l’occasion
de prendre contact avec les milieux ouvriers de l’immigration et la
commission nord-africaine de la CGT* dirigée par Omar Belouchrani. À
partir de 1952, Boudiaf est en relation avec le Comité de libération du
Maghreb arabe et prend en charge l’organisation de la lutte armée à partir du
Maroc*. Par ailleurs, devant la crise du parti aggravée par la demande de
Messali* au comité central de lui accorder les pleins pouvoirs
(septembre 1953), Boudiaf entre en opposition. De retour à Alger, il participe
à la création du Crua en mars 1954. L’échec du Crua à ressouder les rangs du
parti encourage vingt-deux anciens de l’OS, dont Boudiaf, à décider dans le
plus grand secret du passage à l’insurrection. C’est un comité de cinq, puis de
six, qui assure la direction du FLN et qui prépare les actions de la nuit du
1er novembre 1954*. La veille de l’insurrection, Boudiaf se rend au Caire
auprès de la Délégation extérieure pour remettre la proclamation du
1er Novembre puis regagne le Maroc où il s’occupe de l’acheminement des
armes pour l’Ouest algérien. Le 22 octobre 1956, le détournement* de l’avion
de la délégation du FLN dont il fait partie met fin à ses activités. Interné à
Fresnes, il consacre son temps à l’histoire du mouvement ouvrier et entretient
des liens avec le groupe de la Voie communiste, dissident du PCF*. Celui-ci
organise son évasion* qui échoue. Libéré après les accords d’Évian*, il
participe au congrès de Tripoli* (juin 1962), se range auprès du groupe de
Tizi Ouzou* par opposition au groupe de Tlemcen* mené par Ben Bella. Le
20 septembre, il crée le Parti de la Révolution socialiste (PRS). Le 21 juin
1963, il est arrêté « pour complot contre la sûreté de l’État » avant d’être
relâché le 16 novembre. Après un séjour en France, il s’installe à Kenitra au
Maroc. En janvier 1992, il est rappelé à la tête du Haut Comité d’État après la
« démission » de Chadli Bendjedid. Il est assassiné le 19 juin à Annaba.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohamed Boudiaf, Où va l’Algérie ?, Librairie de l’Étoile, 1964
• —, « La préparation du 1er novembre », El Djarida, no 15, novembre-
décembre 1974 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962),
Fayard, 2002.

BOUGARA, AHMED, DIT SI M’HAMED (1928-


1959)
Ahmed Ben Larbi Bouguerra (ou Bougara) reste dans la mémoire
collective, notamment chez ses anciens compagnons de guerre, comme le
plus prestigieux des dirigeants politico-militaires de la Wilaya 4* (Algérois).
Il est né le 2 décembre 1928 à Affreville (Khemis-Miliana). Son père est
instituteur, aussi veille-t-il à ce qu’il reçoive une bonne éducation en français
et en arabe. Son patriotisme se forge d’abord à l’école du scoutisme, ce qui le
conduit à militer dans les rangs du PPA-MTLD*. À la gare de Khemis-
Miliana où il est employé comme cheminot, il se consacre aussi aux
questions syndicales au sein de la CGT*. En 1948, il est recruté dans les
rangs de l’Organisation spéciale* (OS) de l’Algérois et entre en clandestinité.
Au 1er novembre 1954*, on le retrouve dans les maquis de l’ALN en
Zone 4 (Algérois). Il fait partie de la délégation de la Zone 4 – dirigée alors
par Ouamrane* – qui participe aux travaux du congrès de la Soummam*, en
août 1956.
M’hamed se distingue par un esprit collégial et une grande proximité
avec ses adjoints, dont fait partie Omar Oussedik, « la seule tête politique de
la Wilaya 4 » (Harbi, 1980). Ensemble, ils mettent en pratique l’implantation
des assemblées du peuple, démocratiquement élues, ainsi que des comités
UGTA* à l’échelle de la Wilaya 4. Sous leur impulsion, les services de
santé*, d’aide sociale, de propagande* et d’information, de transmission
radio, d’armurerie, d’intendance, seront consolidés et fonctionnent bien.
Si M’hamed succède en avril 1958 au colonel Slimane Dehilès* à la tête
de la Wilaya 4. Cette nomination coïncide avec le début de l’opération
d’intoxication concoctée par les services du renseignement français. Les
effets désastreux de la bleuïte* qui a commencé à affecter la Wilaya 3* ne
tardent pas à s’étendre à la Wilaya 4. Si M’hamed partage les suspicions
d’Amirouche et ordonne des tortures et la mise à mort de plusieurs centaines
d’authentiques patriotes. Quand il participe à la réunion interwilayas des
colonels de l’intérieur de décembre 1958 tenue dans le Nord-Constantinois, à
l’initiative d’Amirouche, il est convaincu du bien-fondé du complot de la
bleuïte et continue, à son retour, à opérer des purges qui ébranlent
sérieusement la Wilaya 4.
Convoqué à Tunis pour la « réunion des dix colonels* de 1959 », il tombe
au combat le 5 mai 1959 aux Ouled Bouachra dans le Titteri. Les conditions
de sa mort restent encore non élucidées et « son corps ne fut pas retrouvé »
(Teguia, 2002).
Il est ainsi le dernier colonel désigné à ce titre par le GPRA* dans
l’Algérois, situation qui dure jusqu’au mois de juillet 1962.
Aujourd’hui, l’université de Boumerdes porte son nom ainsi qu’une
grande avenue à Alger (ex-Gallieni). À ce jour, ses compagnons de lutte
continuent de réclamer aux autorités françaises sa dépouille. Il est ainsi l’un
des nombreux martyrs de la guerre qui demeurent « sans sépulture ».
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : René Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux et question
nationale. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, L’Atelier,
2006 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Mohamed Teguia, L’Armée de libération nationale en wilaya IV,
Alger, Casbah, 2002.

BOUGLEZ, AMARA (1922-1995)


Amara Bouglez, de son vrai nom Laskri, est natif de la ville de Morris,
près de La Calle. Chef de la base de l’Est de l’ALN* de 1956 à 1958, il
s’impose comme l’homme fort, en contrôlant la route stratégique par laquelle
les armes sont acheminées vers les wilayas de l’intérieur.
Amara Bouglez est un ancien sous-officier* mécanicien de la marine
française. Il rejoint le groupe de maquisards de Badji* Mokhtar. C’est en
s’appuyant sur les chefs de l’Aurès que Bouglez réussit à détacher cette
région de la Zone 2 (Nord-Constantinois) qui en dépendait initialement. Le
projet d’ériger l’extrême Est en wilaya est conçu, au printemps 1956, à la
réunion des chefs de l’ALN de la région de Souk Ahras, au Kef en Tunisie*.
En décembre 1956, Bouglez et ses compagnons érigent la base de l’Est sans
tenir compte des décisions du congrès de la Soummam* qui maintiennent son
rattachement à la Wilaya 2*. Ils bénéficient du soutien de Mahsas* qui,
comme eux, conteste le CCE* et ses décisions.
Cette alliance est rompue dès l’arrivée d’Ouamrane*, envoyé à Tunis par
le CCE. Celui-ci parvient à mettre hors jeu Mahsas et à convaincre Bouglez
de reconnaître le CCE et ses représentants. En contrepartie, le CCE entérine
la création de la base de l’Est, au vu du besoin impérieux de ravitailler les
wilayas en armes. À partir de sa base de Souk El Arbaâ, Bouglez met au
point son organisation. Il est secondé efficacement par deux officiers*
déserteurs de l’armée française* : Abderrahmane Bensalem et Mohammed
Aouachria, qui ouvrent des centres d’instruction nécessaires à l’entraînement
des troupes.
Avant le bouclage de la frontière orientale par les lignes Challe et Morice,
les convois d’armes traversent la frontière sans trop de difficultés et les
troupes de la base de l’Est mènent « la bataille des frontières* ». Mais dès la
fin de l’année 1957, les conséquences de l’édification du barrage ont ralenti
le double passage des hommes et des armes, d’où une concentration de stocks
d’armes et une augmentation du nombre de moudjahidines* aux frontières.
Bouglez entre au CNRA*, qui se réunit au mois d’août 1957, et devient
membre du COM de l’Est qui échoue à discipliner les troupes partagées entre
affinités régionales et allégeances clientélistes. En septembre 1958, le CCE
décide la suppression du COM de l’Est et sanctionne ses responsables.
Bouglez est dégradé et éloigné au Soudan. Il est arrêté quand le complot
Lamouri*, contre le GPRA*, est découvert au mois de novembre 1958. Les
sources manquent pour suivre son parcours depuis le procès de janvier 1959
aux accords d’Évian*.
À la veille de l’indépendance, Bouglez rallie la coalition Ben Bella*-
Boumediene* contre le GPRA.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Un versant de la guerre d’Algérie, la
bataille des frontières », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no 46-2,
1999 • Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

BOUHIRED, DJAMILA (NÉE EN 1935)


Le retentissement de son procès devant le tribunal militaire d’Alger, en
juillet 1957, fait de Djamila Bouhired une véritable icône. Avec sa co-
accusée, Djamila Bouazza, elle incarne pour la justice française les attentats*
meurtriers du FLN* à Alger tandis que son avocat, Jacques Vergès*, l’érige
en figure de la Révolution algérienne. Après sa condamnation à mort*, elle-
même conclut les audiences sur un vibrant plaidoyer rappelant la France aux
valeurs qu’elle prône : « N’oubliez pas que ce sont les traditions de liberté de
votre pays que vous assassinez, son honneur, que vous compromettez. »
Djamila Bouhired est issue d’une famille algéroise de classe moyenne.
Elle est née en 1935 d’un père algérien et d’une mère tunisienne. Étudiante,
elle rejoint les rangs du FLN à l’âge de 19 ans. Membre du « réseau
bombes », elle travaille comme agent de liaison, et comme assistante de
Yacef Saadi* (chef de la Zone autonome d’Alger*). Elle recrute d’autres
femmes* et participe aux attentats du 30 septembre 1956 avec Djamila
Bouazza et Zohra Drif*. Ce jour-là, elle dépose une bombe qui n’explose pas
dans le hall du Maurétania à Alger. Elle est arrêtée le 9 avril 1957 dans la
casbah d’Alger, en possession de documents du FLN. Gravement blessée,
elle est transportée à l’hôpital, ce qui n’empêche pas qu’elle subisse un
interrogatoire quatre heures plus tard. Elle a 22 ans quand elle est condamnée
à mort, peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Son avocat Jacques
Vergès (qui deviendra son mari) et l’écrivain Georges Arnaud font campagne
pour sa grâce en publiant Pour Djamila Bouhired. La médiatisation de son
procès et de sa condamnation contribue à l’internationalisation* du combat
pour l’indépendance, tout en permettant d’alerter l’opinion publique* sur les
tortures pratiquées en Algérie et sur la peine de mort. L’engagement, la force
et la détermination de cette combattante deviennent une source d’inspiration
pour de nombreuses œuvres artistiques. Le cinéaste égyptien Youssef
Chahine réalise un film en 1958 intitulé Djamila l’Algérienne, et la chanteuse
libanaise Fairouz lui dédie la chanson* Lettre à Djamila Bouhired. Elle est
libérée au printemps 1962. À l’indépendance, elle participe avec Jacques
Vergès à Révolution africaine*, un magazine né de la vocation continentale
de la geste révolutionnaire algérienne. Djamila Bouhired, légende vivante,
s’indigne encore après l’indépendance contre le Code de la famille (1984). En
2019, sa participation aux marches du hirak dans les rues d’Alger au côté de
milliers de manifestants revendiquant une réelle démocratie est tout
particulièrement remarquée.
Karima RAMDANI
Bibl. : Fédération de France du FLN, La Femme algérienne dans la
révolution. Documents et témoignages inédits, Alger, Enag, 2006 • Jacques
Vergès et Georges Arnaud, Pour Djamila Bouhired, Minuit, 1957 • Natalya
Vince, Our Fighting Sisters. Nation, Memory and Gender in Algeria, 1954-
2012, Manchester, Manchester University Press, 2015.

BOUMEDIENE, HOUARI (1932-1978)


De son vrai nom Mohamed Brahim Boukharouba, Houari Boumediene
est né à Héliopolis, dans la région de Guelma. Sa date de naissance (23 août
1932) n’est pas attestée. D’origine modeste, son père, métayer de son état, a
la charge d’une fratrie de sept enfants.
Il fréquente l’école française, mais c’est en langue arabe qu’il poursuit
son instruction à la médersa El Kettania de Constantine, à la Zitouna de Tunis
et à El Azhar au Caire.
C’est dans la capitale égyptienne semble-t-il qu’il rencontre le
nationalisme* algérien.
Proche des membres de la représentation du PPA-MTLD* au Comité
pour la libération du Maghreb arabe, il est envoyé par Ahmed Ben Bella* se
former militairement à la caserne de la garde nationale à Koubra al Koubba.
En février 1955, il fait partie du commando du bateau Dina qui réussit à
décharger la première cargaison d’armes à Nador, dans le Maroc* espagnol,
au profit de l’ALN*. L’armement du Dina a redynamisé les maquis de
l’Oranie.
Puis, l’ascension de Boumediene dans les rangs de l’ALN-FLN* est
fulgurante. Responsable de la Wilaya 5* (Oranie) en août 1957, il est promu
coresponsable du COM ouest en avril 1958 puis chef de l’EMG* ouest en
septembre de la même année. En janvier 1960, il est désigné chef de l’EMG
unifié de l’ALN. Il reste à ce poste tout le temps du conflit.
Principal artisan de la construction d’une armée professionnelle aux
frontières (Maroc et Tunisie*), son statut politique évolue. S’opposant au
GPRA* de Ferhat Abbas* et de Benyoucef Ben Khedda*, il rejoint, au cours
de la crise du FLN de l’été 1962*, Ben Bella et le groupe de Tlemcen* à qui
il assure la victoire, non sans violence, le long de sa marche vers la capitale.
À l’indépendance, il est à la fois vice-président du Conseil et ministre de
la Défense. Ses rapports avec Ben Bella se détériorent rapidement. Le 19 juin
1965, il fomente un coup d’État militaire et prend le pouvoir, soutenu par un
« Conseil de la révolution ».
Sous son régime, d’audacieuses et importantes réformes économiques et
sociales sont menées. Son modèle de justice sociale a fortement marqué les
Algériens. Cependant, son autoritarisme et les liquidations physiques des
opposants ont entaché sa réputation.
Boumediene décède 27 décembre 1978 à la suite d’une longue maladie.
L’image qu’il laisse aux Algériens est celle d’un homme d’État soucieux des
deniers publics et de l’image du pays.
AMAR MOHAND-AMER
Bibl. : Paul Balta, « Mes rencontres avec Boumediene », Confluences
Méditerranée, no 81, 2012/2 • Ania Francos et Jean-Pierre Séréni, Un
Algérien nommé Boumediene, Stock, 1976.

BOUMENDJEL, AHMED (1908-1982)


Étudiant à l’école normale de Bouzareah, Ahmed Boumendjel fait son
droit à Paris. En juin 1934, il est élu secrétaire général de l’Amicale des
étudiants musulmans de l’Afrique du Nord (Aeman).
Il installe son cabinet d’avocats rue Vialar, à Alger, et défend Messali
Hadj*. En novembre 1938, il est élu à la municipalité d’Alger grâce aux voix
du PPA* qu’il veut rapprocher de Ferhat Abbas*. Durant la guerre, il est
mobilisé et, à son retour, s’oppose publiquement à l’abolition du décret
Crémieux. Après le débarquement de novembre 1942, il participe à la
rédaction du « Manifeste du peuple algérien » de février 1943 et s’engage
dans les AML*. Lors des massacres de mai 1945, il échappe à une arrestation
en se réfugiant dans sa famille à Larba.
Après l’amnistie de mars 1946, les partisans de Ferhat Abbas mènent
seuls la campagne pour les législatives de juin 1946 sous l’étiquette UDMA*,
remportant 11 des 13 sièges, 2 sièges étant perdus à Alger où Ahmed
Boumendjel s’est présenté. Il assiste alors les députés de l’UDMA à la
première Assemblée nationale constituante tout en structurant le parti dont il
devient le secrétaire général adjoint. Au parti, ses talents d’orateur et sa
carrure physique impressionnent et il est surnommé « Danton ». Il est
candidat au Conseil de la République où il siège brièvement en 1947 et
devient en 1950 conseiller de l’Union française. Il est l’une des chevilles
ouvrières du journal du parti La République algérienne.
Au début des années 1950, l’UDMA le charge d’organiser le parti en
France et il installe son cabinet rue Blanche à Paris. Il tente de négocier avec
Messali la création d’un parti unique des nationalistes. Après le
déclenchement de la Guerre d’indépendance, il négocie le ralliement de
l’UDMA au FLN*. En février 1957, lorsque son frère Ali* est enlevé par les
parachutistes*, son travail d’information et de mobilisation de ses contacts
lance l’« affaire Boumendjel ». Peu après l’assassinat d’Ali, il rejoint la
direction du FLN à Tunis et travaille au ministère de l’Information du
GPRA* où il participe à la rédaction du journal El Moudjahid. Il est l’un des
négociateurs à Melun, en juin 1960, à Lucerne en février 1961, puis à
Évian 1, en mai-juin 1961. Membre du CNRA*, il prend, durant la crise de
l’été 1962*, le parti d’Ahmed Ben Bella.
À l’indépendance, il devient ministre de la Reconstruction, des Travaux
publics et des Transports dans le premier gouvernement algérien.
Malika RAHAL
Bibl. : Malika Rahal, L’UDMA et les Udmistes. Contribution à l’histoire du
nationalisme algérien, Alger, Barzakh, 2017.

BOUMENDJEL, ALI (1919-1957)


Avocat et militant de l’UDMA*, Boumendjel est assassiné par les
parachutistes* du général Massu* durant la « bataille d’Alger* » de 1957. Né
à Relizane, où son père est instituteur, il est le frère cadet d’Ahmed
Boumendjel*.
Après l’école* primaire, il entre au collège colonial de Blida, une
pépinière nationaliste où Abane* Ramdane, Benyoucef Ben Khedda*, Saâd
Dahlab* sont ses camarades. Ali Boumendjel fait ensuite des études de droit
à l’université d’Alger* où il a comme professeur René Capitant, gaulliste et
résistant.
Après le débarquement anglo-américain de novembre 1942, il s’engage
dans les AML* puis à l’UDMA et devient l’une des plumes des journaux
Égalité et La République algérienne. Après le 1er novembre 1954*, il défendit
des militants nationalistes au sein du collectif des avocats* du FLN* qui
fonctionne en Algérie. Il fait également le lien entre l’UDMA et le FLN,
négociant avec Benyoucef Ben Khedda et Abane Ramdane le ralliement au
FLN de son parti en 1956.
Ali Boumendjel est enlevé le 9 février 1957 par les parachutistes et
détenu durant quarante-trois jours. Sa disparition* ne passe pas inaperçue et
les militaires évoquent devant la presse* ses aveux de plus en plus
spectaculaires (mais faux) pour justifier la détention prolongée. La presse
d’Alger annonce que, le 23 mars, l’avocat se serait jeté du haut de
l’immeuble occupé par les parachutistes à El Biar. Pour les proches, ce
suicide masque un assassinat. Le rapport d’autopsie le confirme : l’absence
de blessures aux bras prouve qu’Ali Boumendjel était inconscient au moment
de sa chute. Avant les affaires Audin*, Bouhired* ou Boupacha*, cet
assassinat est dénoncé en métropole, à partir de la lettre ouverte du juriste
René Capitant, choqué par la mort de son ancien élève. Des journalistes ou
avocats, alertés durant la détention par son frère Ahmed, comparent cette
mort à celle du résistant Pierre Brossolette aux mains de la Gestapo, le
22 mars 1944.
En 2001, dans ses Mémoires, le général Aussaresses* relate avoir fait
assassiner Ali Boumendjel : celui-ci, écrit-il, a été assommé avant d’être
précipité dans le vide. Le 23 mars marque, en Algérie, la journée nationale de
l’avocat et le nom d’Ali Boumendjel a été donné à l’indépendance à une
grande rue du centre d’Alger. En mars 2021, la France, par la voix du
président Macron*, a officiellement reconnu l’assassinat.
Malika RAHAL
Bibl. : Malika Rahal, Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire
algérienne, Les Belles Lettres, 2010 [rééd. : Alger, Barzakh, 2011 ; La
Découverte, 2022].

BOUNAÂMA, DJILALI, DIT SI MOHAMED


(1926-1961)
Djilali Bounaâma (Si Mohamed) est l’archétype du militant dont le
parcours est ancré dans l’histoire du mouvement national et de la guerre de
libération nationale, avec ses hauts faits d’armes tout comme ses moments
tragiques et complexes.
Issu d’une famille modeste, Si Mohamed voit le jour le 16 avril 1926
dans l’Ouarsenis (sud-ouest d’Alger), à Beni Hendel (ex-Molière). Il quitte
précocement l’école pour travailler à la mine de zinc de Boucaïd, dans la
région d’Orléansville, le seul employeur de la région.
En 1944, il s’engage dans l’armée française d’Afrique du Nord
(campagnes d’Italie, France et Allemagne). De retour en Algérie, il revient à
son ancien métier de mineur à Boucaïd.
Syndicaliste à la CGT*, militant au PPA-MTLD*, il est coopté pour
rejoindre l’Organisation spéciale* (OS), clandestine. En 1951, il est parmi les
meneurs de la grève* des mineurs de Boucaïd. Un an après, il est désigné
responsable de la section locale du MTLD.
Après la dissolution de l’OS, il s’enfuit en Belgique* et travaille aux
mines de charbon du Borinage. En juillet 1954, il est parmi ceux qui sont
présents au congrès qu’organise Messali Hadj* à Hornu.
De retour en Algérie, il est arrêté le 6 novembre 1954. Libéré un an après,
il rejoint l’ALN* en Zone 4 (Algérois) et devient l’un des artisans de la
pénétration de l’ALN dans le Chélif, l’Ouarsenis et la Dahra. Si Mohamed est
l’auteur du « guide du fidaï » et le responsable du service de propagande et
d’information (SPI) de la Wilaya 4*. En automne 1958, il est promu
commandant.
Le 10 juin 1960, Si Mohamed est dans la délégation qui rencontre le
général de Gaulle* à l’Élysée (affaire Si Salah* ou Tilsitt). Depuis cette date,
la Wilaya 4 et ses responsables sont confrontés à une grande défiance de la
part du GPRA*. En juillet 1960, Si Mohamed prend la direction de la wilaya
en remplacement de Si Salah (Mohamed Zamoum). Comme son
prédécesseur, il ne sera pas nommé colonel.
Si Mohamed est tué au combat le 8 août 1961 à Blida, à la suite d’une
opération menée par le 11e régiment de choc contre le refuge de la famille
Kouider Naimi, qui servait de PC à la Wilaya 4.
À l’instar des autres dirigeants de la Wilaya 4 (Si M’hamed et Si Salah),
la trajectoire révolutionnaire de Si Mohamed est étroitement associée à la
bleuïte* et à l’« affaire Si Salah ». Cependant, cela ne doit pas occulter ses
qualités d’organisateur et de promoteur de la cause du FLN* dans les maquis
de l’Algérois. Par ailleurs, sur le plan militaire, les rapports français le
décrivent comme un « redoutable » dirigeant de l’ALN (Meynier).
À l’indépendance, la ville de naissance de Si Mohamed, Molière, est
rebaptisée Bordj Bounaâma et l’université de Khemis Miliana porte son nom.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • René Gallissot (dir.), « Bounaama, Djilali, dit Si Mohamed », Le
Maitron. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Dictionnaire
Algérie, 2013, disponible sur maitron.fr • Mohamed Teguia, L’Armée de
libération nationale en wilaya IV, Alger, Casbah, 2002.

BOUPACHA, DJAMILA (NÉE EN 1938)


Djamila Boupacha est une icône du combat des Algériennes et « le
symbole d’une guerre totale » (Taraud, 2012). Son nom est associé à l’une
des plus grandes affaires de la guerre. Son avocate, Gisèle Halimi*, a en effet
dénoncé le viol* subi par Djamila Boupacha au cours des séances de torture*
suivant son arrestation et mobilisé tout particulièrement des femmes* à ce
titre : outre Simone de Beauvoir*, Bianca Lamblin, Anise Postel-Vinay ou
encore Germaine Tillion*.
Son engagement durant la guerre de libération se fait au cœur de sa
famille. Née le 9 février 1938 à Saint-Eugène, elle commence à militer à
l’UDMA*, le parti de Ferhat Abbas*, avant d’intégrer les commandos* du
FLN* durant la « bataille d’Alger* » (janvier-octobre 1957). Accusée d’avoir
déposé une bombe à la brasserie de la faculté d’Alger en septembre 1959, elle
est arrêtée le 10 février 1960 par des militaires français, en même temps que
son père et son frère. Traduite devant le tribunal militaire d’Alger le 17 mai
1960, elle risque la peine de mort mais son avocate, Gisèle Halimi, dépose
une plainte pour séquestration et tortures*. Elle obtient un report des
audiences. La plainte de Djamila Boupacha décrit les supplices qu’elle a
subis. Le 2 juin, Simone de Beauvoir lance un appel dans Le Monde* en sa
faveur. Dans la foulée, un « Comité de défense pour Djamila » est créé.
Reprogrammé le 17 juin 1960, son procès pour l’attentat est de nouveau
reporté. Il n’aura pas lieu. Le grand retentissement de l’affaire dans
l’opinion* métropolitaine et mondiale aboutit au transfert de Djamila
Boupacha en France. Sa plainte est confiée à un juge d’instruction à Caen qui
réussit à obtenir des photographies* de militaires pour que Djamila Boupacha
puisse reconnaître les auteurs des violences mais l’armée bloque
l’identification des tortionnaires. En 1962, l’amnistie met un terme à la
procédure tandis que Djamila Boupacha, toujours détenue en France en
préventive pour l’attentat, est libérée.
À l’indépendance, comme beaucoup de militantes, elle s’éclipse de la vie
publique et politique, et travaille pendant des années comme secrétaire.
Source d’inspiration artistique, son image sera pérennisée à travers diverses
œuvres artistiques réalisées par Picasso et Roberto Matta. La même année, le
musicien Luigi Nono rend hommage à Djamila Boupacha en lui consacrant
une pièce vocale dans son Canti di vita e d’amore.
Karima RAMDANI
Bibl. : Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, Djamila Boupacha, Gallimard,
1962 • Vanessa Codaccioni, « (Dé)Politisation du genre et des questions
sexuelles dans un procès politique en contexte colonial : le viol, le procès et
l’affaire Djamila Boupacha (1960-1962) », Nouvelles Questions féministes,
vol. 29, no 1, 2010 • Christelle Taraud, « Le supplice de Djamila Boupacha »,
L’Histoire, no 371, 2012.

BOURDET, CLAUDE (1909-1996)


Né à Paris, fils d’un dramaturge et d’une poétesse célèbres, Claude
Bourdet a bénéficié d’une éducation supérieure scientifique à dimension
européenne. Élevé dans un milieu catholique lié à l’Action française, il opte
pour le catholicisme* social. Dans les années 1930, il devient un fervent
antifasciste enflammé par l’expérience du Front populaire, participe à des
cabinets ministériels et soutient l’Espagne républicaine. Il participe aussi aux
Équipes sociales nord-africaines du Pr Massignon*.
Refusant la défaite, il s’engage en pionnier dès 1940 : il est le bras droit
d’Henri Frenay à la direction de Combat, fondateur du Noyautage des
administrations publiques (NAP) puis du « Super NAP », membre du CNR,
jusqu’à son arrestation en mars 1944. Torturé par la Gestapo, déporté à
Buchenwald, il est Compagnon de la Libération.
Bien qu’ayant contribué à la fondation de la IVe République*, il en
devient contestataire et incarne une conscience morale de gauche, issue de la
Résistance*. Journaliste, il est directeur politique de journaux d’opinion :
Combat – après Camus* –, L’Observateur, puis France Observateur.
Anticolonialiste, multipliant les publications et entraînant ses amis, il
participe infatigablement aux comités contre la guerre d’Indochine*, la
répression à Madagascar et en Afrique du Nord. Pour l’Algérie, il fait
scandale en dénonçant la torture* contre les membres de l’Organisation
spéciale* (OS) dans L’Observateur le 6 décembre 1951 (« Y a-t-il une
gestapo algérienne ? ») ou encore dans France Observateur le 13 janvier
1955 (« Votre gestapo algérienne ». Le journal est régulièrement censuré et
Bourdet est même arrêté quelques jours en 1956.
Refusant à la fois le communisme stalinien et le socialisme de la SFIO*,
« neutraliste » et pacifiste durant la guerre froide*, Bourdet participe aux
« nouvelles gauches », du Rassemblement démocratique révolutionnaire
(RDR), avec Jean-Paul Sartre* et David Rousset, au PSU* en passant par
l’UGS dont il est secrétaire national en 1957-1958. Sous la Ve République*, il
manifeste, en dépit des interdictions, contre la répression et pour la paix. Élu
au conseil municipal de Paris, il s’illustre dans la dénonciation de la
répression policière du 17 octobre 1961*. Bien que pacifiste et antimilitariste,
il ne signe pas le « Manifeste* des 121 », appelant à l’insoumission. Le
pacifisme, l’autogestion et la cause palestinienne marqueront particulièrement
ses engagements postérieurs.
Gilles MORIN
Bibl. : Jean-Claude Biondi et Gilles Morin, Les Anticolonialistes (1881-
1962), Robert Laffont, 1992 • Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les Porteurs
de valises. La résistance à la guerre d’Algérie, Seuil, 1982.

BOURDIEU, PIERRE (1930-2002)


Pierre Bourdieu est né en août 1930 à Denguin (Pyrénées-Atlantiques).
Normalien, il devient agrégé de philosophie en 1954. Après un stage à l’école
militaire de Versailles au service psychologique des armées, il est affecté,
pour son service militaire*, à la base aérienne d’Orléansville, avant de
rejoindre le cabinet du ministre résidant Robert Lacoste*. Il y participe aux
réunions du comité restreint d’action psychologique.
Sa première recherche, en lien avec le secrétariat social d’Alger dirigé par
le révérend père Sanson, est publiée sous le titre Sociologie de l’Algérie (coll.
« Que sais-je ? »). Ces enquêtes commanditées par l’armée ont des objectifs
politiques et sécuritaires : se donner les moyens de comprendre et de
contrôler les populations et, après le lancement du plan de Constantine*,
savoir comment les rallier, produire des élites moyennes « indigènes » de
médiation et les intégrer dans la définition d’une « troisième voie ».
La recherche sur le monde rural menée par Pierre Bourdieu, Abdelmalek
Sayad* et une équipe de jeunes enquêteurs a comme principal terrain les
camps de regroupement* des populations rurales dont les résultats paraissent
dans Le Déracinement : la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie
(1964). Avec les enquêtes sur le monde du travail*, l’objectif est d’analyser
les conditions pour faire advenir les forces de travail nécessaires à la
redynamisation du capitalisme colonial. Les enquêtes sont publiées dans
Travail et travailleurs en Algérie (1963). Bourdieu reste un sociologue et
intellectuel marqué par l’Algérie, et surtout la Kabylie. Ses plus importantes
contributions sont, entre autres, La Maison kabyle ou le monde renversé et
Esquisse d’une théorie de la pratique. Précédé de « Trois études d’ethnologie
Kabyle ».
La période algérienne sous domination coloniale de Bourdieu n’est pas
exempte de contradictions. Au plus près de la direction politique et militaire
pendant son service militaire, Bourdieu s’en émancipe à la fin de la guerre,
dans un article de la revue* Esprit (janvier 1961), justifiant l’indépendance. Il
renoue avec cette passion algérienne, après l’indépendance. En octobre 1967,
il aide au démarrage de la recherche algérienne en créant le premier Centre de
recherches et de documentation en sciences sociales (Cerdess).
En 1974, sollicité par Mouloud Mammeri*, il tente une collaboration
avec le Centre de recherches en anthropologie et préhistoire (Crape), qui se
concrétise en France en 1984 avec le lancement de la revue Awal. En 1992,
avec la « guerre civile », de nombreux intellectuels se mobilisent autour de
Pierre Bourdieu pour l’accueil des Algériens menacés de mort, au sein du
Comité international de soutien aux intellectuels algériens (Cisia). Il meurt en
janvier 2002.
Aissa KADRI
Bibl. : Awal. Cahiers d’études berbères, no 27-28, L’autre Bourdieu. Celui
qui ne disait pas ce qu’il avait envie de cacher, 2003 • Marie-Anne
Lescourret, Bourdieu, une économie du bonheur, Flammarion, 2010 •
Tassadit Yacine, Pierre Bourdieu en Algérie (1956-1961), témoignages,
Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2022.

BOUREGAÂ, LAKHDAR (1933-2020)


Né le 15 mars 1933 à El Omaria (région de Médéa, au sud d’Alger),
Lakhdar Bouregaâ est un ancien commandant de la Wilaya 4* historique
(Algérois), passé par les Chasseurs alpins de Briançon. À l’indépendance, il
s’oppose à Ahmed Ben Bella* et se rapproche de l’Union pour la défense de
la révolution socialiste (UDRS) de Krim* Belkacem et du Front des forces
socialistes (FFS) de Hocine Aït Ahmed*. Sous le régime de Houari
Boumediene*, il apporte son soutien à la tentative de putsch militaire
organisé par le chef d’état-major de l’ANP* Tahar Zbiri*, le 14 décembre
1967. Arrêté, il est atrocement torturé à la prison* d’Oran. C’est ce qu’il
révèle dans son livre-témoignage* paru en 2010 : « Je fus détenu dans cette
cellule pendant un mois, où j’ai subi toutes sortes de tortures, physiques et
psychologiques. J’ai été frappé par des tortionnaires qui utilisaient des bâtons
ou me piétinaient pendant que j’étais maintenu allongé. J’ai subi la gégène*,
appliquée sur les parties les plus sensibles. Il n’était pas rare que je sois
aspergé d’eau sale, dont on me balançait tout un seau sur le corps. La torture
variait, selon le tortionnaire. » Condamné à trente ans de prison, il est libéré
en 1975.
Dans son ouvrage sur la Wilaya 4 (2002), Mohamed Teguia dresse de lui
un portrait qui rend bien compte de la complexité du personnage : « Lakhdar
Bouregaâ […] servit dans les Chasseurs alpins français et gravit
progressivement toutes les fonctions de responsabilité à partir de la base.
Djoundi de la katiba Zoubiria renommée pour ses exploits guerriers […], il
souffrira d’un manque de formation politique et sera entraîné sur des voies
sans issue par des “conseillers” qui le lâcheront dès que les choses se
gâtent. »
Le portrait informe de son volontarisme et de son caractère de baroudeur.
Aussi est-il en 2019 avec Djamila Bouhired* l’une des icônes historiques
présentes dans les manifestations du hirak du 22 février. Accusé d’« atteinte
au moral de l’armée » et d’« outrage à corps constitué », il est arrêté et
scandaleusement calomnié par la télévision publique au sujet de son passé au
sein de l’ALN*. Après plusieurs mois de détention, il est libéré le 2 janvier
2020.
Lakhdar Bouregaâ s’éteint à Alger le 4 novembre 2020 à l’âge de 87 ans.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Amir Akef, « Les Algériens dans la rue pour rendre hommage à
Lakhdar Bouregaâ, “l’homme qui ne s’est jamais rendu” », Le Monde
Afrique, 6 novembre 2020 • Lakhdar Bouregaâ, Témoin sur l’assassinat de la
Révolution, Alger, El Qobia, 2018 • Mohamed Teguia, L’Armée de libération
nationale en Wilaya IV, Alger, Casbah, 2002.

BOURGES, HERVÉ (1933-2020)


Né le 2 mai 1933 à Rennes dans une famille bourgeoise et catholique, il
grandit à Biarritz et à Reims. Au cours de son adolescence, il lit des revues*
et des journaux ancrés à gauche. Il se passionne pour le théâtre*, mais se
dirige vers le journalisme. Il sort premier de l’École supérieure de
journalisme de Lille* en 1956. Il refuse le poste que Le Figaro* lui propose
pour devenir rédacteur en chef de Témoignage chrétien, à 23 ans. Il y côtoie
les époux Barrat* ou encore François Mauriac*. La période est alors à
l’engagement du journal contre la guerre d’Algérie. Mais en janvier 1958, il
est appelé sous les drapeaux et affecté à Aïn-Arnat dans la région de Sétif,
dans une unité de l’Aviation légère de l’armée de terre* (Alat-101).
Considéré comme élément subversif par la Sécurité militaire, il est
néanmoins sollicité pour monter une pièce de théâtre présentée au général
Salan*. Il choisit Antigone de Sophocle, pièce classique sur les choix de
conscience et le refus. Il est ensuite affecté au « quartier », pour proposer des
activités éducatives et culturelles aux jeunes de la localité. Ainsi, il ne
participe pas à des combats, mais vit cette situation comme schizophrénique :
il est proche des habitants mais fait partie des forces répressives. Libéré en
mars 1960, il entre le 1er juillet au cabinet du ministre de la Justice Edmond
Michelet*, pour suivre le dossier algérien. Il rend régulièrement visite aux
cinq dirigeants du FLN* emprisonnés et organise leur transfert de l’île d’Aix
au château de Turquant en avril 1961. Il est aussi en charge du suivi des
conditions de détention des militants nationalistes algériens et des « porteurs
de valises* », et des dossiers de grâce des condamnés à mort. Il travaille en
lien avec la Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels*. Il
quitte ses fonctions en août 1961, à la suite d’Edmond Michelet. Accusé
d’être un « porteur de valises » (ce qu’il ne fut pas), il est condamné à mort
par l’OAS* qui plastique son domicile. En août 1962, il est sollicité par Ben
Bella* pour faire partie de son cabinet, officiellement comme conseiller
technique chargé de l’information et de la jeunesse. Il prépare notamment son
premier discours sur la place de l’Indépendance. En février 1963, il devient
directeur de la jeunesse et de l’éducation populaire auprès d’Abdelaziz
Bouteflika*, ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme. La même
année, il prend la nationalité* algérienne. Après le coup d’État de juin 1965,
il travaille à la formation des journalistes algériens, mais est arrêté et torturé
par la Sécurité militaire en septembre 1966. Le cardinal Duval* et Edmond
Michelet parviennent à le faire libérer. Il rentre alors en France, où il occupe
d’importantes fonctions journalistiques, notamment à la tête de France
Télévisions, de TF1 et du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Il est
décédé le 23 février 2020.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Hervé Bourges, De mémoire d’éléphant, Grasset, 2000.

BOURGÈS-MAUNOURY, MAURICE (1914-


1993)
Maurice Bourgès-Maunoury, polytechnicien, incarne les jeunes élites de
la IVe République*, à la fois comme héritier (un grand-oncle général, un
grand-père ministre de l’Intérieur), comme figure de la Résistance*
(Compagnon de la Libération et commissaire de la République à Bordeaux),
enfin comme parlementaire et ministre. Élu député radical de la Haute-
Garonne en 1946, secrétaire d’État l’année suivante, il a occupé avant la
Toussaint rouge des postes ministériels d’importance (Défense nationale,
Finances, Industrie et Commerce).
De février 1955 à mai 1958, soit la première moitié de la Guerre
d’indépendance, Maurice Bourgès-Maunoury occupe des postes stratégiques
pour l’Algérie au sein des différents gouvernements : deux fois ministre des
Forces armées (cabinets Mendès France* puis Mollet*), deux fois ministre de
l’Intérieur (cabinets Faure puis Gaillard*) et président du Conseil du 13 juin
au 6 novembre 1957.
À tous ces postes, le ministre se pose en défenseur inconditionnel du
maintien de la souveraineté française. Il est déjà l’auteur d’un projet de loi
portant à dix-huit mois les obligations des appelés du contingent lorsqu’il
succède à Mitterrand* au ministère de l’Intérieur. Il fait alors voter au
Parlement l’état d’urgence* en Algérie afin, dit-il en séance, « de restaurer la
paix et la confiance », de donner confiance à l’ensemble de la population et
de protéger les musulmans loyalistes. Il entend accroître les droits du pouvoir
civil sur la population et renforcer un dispositif administratif et juridique trop
faible sur le territoire. Après un voyage dans les trois départements, il
réclame en juin suivant l’envoi de renforts en Algérie pour rétablir l’ordre,
afin de pouvoir appliquer le plan Soustelle*. Préconisant des réformes – la
mise en place du rapport Maspétiol* et la création d’un quatrième
département à Bône –, il ferme les perspectives d’évolution politique en
défendant le statut de 1947*, lors du renouvellement des pouvoirs spéciaux*
en juin suivant : « Le statut de l’Algérie connaîtra de nouvelles évolutions.
Dans les circonstances présentes, il demeure non seulement un moyen et un
but, mais encore l’expression de l’engagement solennel d’intégrer l’Algérie à
la France. »
Quoique manifestant un « désabusement prophétique » envers les
possibilités d’intégration selon Edgar Faure, Bourgès-Maunoury assume sa
politique face aux critiques de la censure* de la presse* en Algérie et en
France, aux dénonciations par les élus musulmans de la répression,
notamment après le soulèvement du Constantinois le 20 août* et ses
représailles collectives.
Réélu le 2 janvier 1956 député radical de la Haute-Garonne, apparenté à
la SFIO*, il est appelé par Guy Mollet comme ministre de la Défense
nationale le 1er février 1956. Avec Robert Lacoste* et Max Lejeune, il
incarne dans le gouvernement ceux qui font du rétablissement de la situation
militaire un préalable à toute négociation*. Mettant en œuvre les pouvoirs
spéciaux, il organise la mobilisation massive du contingent en Algérie.
Lors de la scission du parti radical* en octobre 1956, après avoir tenté de
jouer un rôle de conciliateur entre la majorité mendésiste et la minorité pro-
Algérie française d’André Morice, il demeure dans le vieux parti, se
distinguant toutefois de Pierre Mendès France qui a démissionné du
gouvernement le 23 mai précédent.
Persuadé de l’influence du président égyptien Nasser sur le conflit
algérien, il est l’un des initiateurs de l’opération de Suez* et, à l’issue de son
échec, propose de refuser l’évacuation de Port-Saïd. Avec Lacoste, il prône le
renforcement en Algérie des fonctions répressives de l’armée qui obtient les
pouvoirs de police* dont elle use dans la bataille d’Alger*. Son ministère
accroît les saisies des livres et journaux dénonçant la torture* et la répression
et il appuie publiquement l’inculpation du Pr André Mandouze* puis
sanctionne le général Pâris de Bollardière*.
Devenu président du Conseil le 13 juin 1957, il prolonge la politique
algérienne du gouvernement Mollet. Inquiet de l’extension du conflit à la
métropole, il obtient la reconduction des pouvoirs spéciaux et leur extension
géographique. Il propose une loi-cadre* préparant une structure future de
l’Algérie, qui prévoit l’autonomie des territoires, reconnaît la « personnalité
algérienne » et crée le ministère du Sahara. Le texte étant rejeté par
l’Assemblée, il présente sa démission mais fait voter la loi-cadre sous son
successeur, Félix Gaillard, le 31 janvier 1958.
Après la chute du gouvernement Gaillard le 15 avril 1958, Bourgès-
Maunoury refuse la confiance au général de Gaulle* le 1er juin 1958, puis les
pleins pouvoirs le 2 juin 1958. Fidèle à ses positions, il appartient au Comité
de gauche pour le maintien de l’Algérie française en 1961, avec Morice,
Lacoste et Lejeune. Sous la Ve République*, administrateur de société, il
demeure élu local de la Haute-Garonne et membre du bureau du parti radical
jusqu’aux années 1970.
Gilles MORIN
Bibl. : Paul Marcus, Bourgès-Maunoury, républicain indivisible, Atlantica,
1997.

BOUSSOUF, ABDELHAFID, DIT SI MABROUK


(1926-1980)
Abdelhafid Boussouf est né à Mila (près de Constantine) le 17 août 1926,
dans une branche modeste d’une riche famille. Après des études primaires
dans sa ville natale, il suit des études secondaires à Constantine où il obtient
le brevet élémentaire. À l’âge de 16 ans, il adhère au PPA* clandestin et aux
Scouts musulmans algériens*. En 1947, il devient membre actif de
l’Organisation spéciale* (OS) à Constantine. En 1950, il est nommé chef de
la daïra PPA-MTLD à Philippeville alors même qu’éclatait l’« affaire de
l’OS ». Il est muté par son parti à Tlemcen où il se fait connaître sous le
pseudonyme Si Lahbib. Contre les centralistes et les messalistes, il rejoint le
Crua et participe en juin 1954, à Alger, à la réunion dite des « 22* ».
Au déclenchement de la guerre, il est l’un des adjoints de Larbi Ben
M’hidi*, chef de la Zone 5 (département d’Oran). Il s’appelle désormais Si
Mabrouk. Il assure l’offensive de la Zone 5, le 2 octobre 1955, dans les monts
de Tlemcen. En avril 1956, il succède à Ben M’hidi parti à Alger et il dote la
Zone 5 d’une organisation particulière. Il engage un cycle de formation de ses
cadres et entreprend, le 6 août 1956, la formation de la première des huit
promotions d’opérateurs radio, dite « promotion Zabana ».
À la veille du congrès de la Soummam* d’août 1956, Boussouf publie un
article court mais incisif, intitulé « Mission libératrice de l’ALN* » (El
Moudjahid, no 2, juin 1956). Il y affirme : « Alors que le FLN* traduit les
objectifs révolutionnaires du peuple algérien et ses aspirations nationales,
l’ALN est et demeurera l’outil complémentaire indispensable. » Il ajoute un
peu plus loin : « Guidée par le sage et clairvoyant FLN, expression de la
nation martyre, l’ALN gagnera cette bataille de l’indépendance […]. » C’est,
déjà, la primauté du politique, le FLN, sur le militaire, l’ALN.
Au congrès de la Soummam, Boussouf est confirmé en tant que colonel
commandant de la Wilaya 5* (ex-Zone 5). À la suite de l’arrestation de
Mohamed Boudiaf* le 22 octobre 1956, il hérite des responsabilités sur
l’ensemble des activités du FLN et de l’ALN en territoire marocain, y
compris, et surtout, le réseau d’achat d’armes. Il dote alors la Wilaya 5 d’un
Commandement général de la wilaya d’Oran (CGWO) unique en son genre.
En janvier 1957, il lance une formation, la première et la seule, de
contrôleurs et contrôleuses de la Wilaya 5 : neuf jeunes hommes et huit
jeunes femmes sont chargés de missions d’inspection dans les huit zones de
la wilaya. À partir de juillet 1957, il crée successivement une École des
cadres de la wilaya, un Service des transmissions, un Service de
renseignements et liaisons (SRL), un Service de contre-renseignements
(SCR) et enfin une police* spéciale dite « Sécurité militaire des frontières »,
chargée de contrôler et encadrer la population algérienne à Oujda et sur la
bande frontalière. Nommé membre du CCE* chargé des liaisons et
communications au CNRA* en août 1957, il déploie son système et ses
cadres aux autres wilayas.
Dans une interview à France Observateur reprise par El Moudjahid
(no 28, 22 août 1958), Boussouf déclare que l’arrivée au pouvoir du général
de Gaulle* n’a rien changé. Il donne sa version sur « l’origine de
l’insurrection » et annonce la prochaine constitution du gouvernement
algérien. Il confie avoir étudié de nombreuses guérillas* dont celle du
Vietnam et de Malaisie. Il préconise enfin une réforme agraire qui touchera
« même son cousin qui possède […] 9 000 hectares […]. Cette réforme sera
l’un des premiers objectifs de l’Algérie nouvelle ».
À la création du GPRA*, le 18 septembre 1958, il est chargé du ministère
des Liaisons générales et des Communications (MLGC), puis le 16 janvier
1960, de celui de l’Armement et des Liaisons générales (MALG). À la même
date, il devient membre du Comité interministériel de guerre (CIG) avec
Krim* Belkacem et Lakhdar Bentobbal*. Il est au sommet de son pouvoir.
Ses hommes de confiance tiennent l’EMG* (l’armée), le Service spécial
de prospective (SSP) chargé de la fabrication et de l’achat d’armes, et en
février 1961, le Service spécial S 4, pour les missions spéciales.
Homme secret et homme du secret, Boussouf a eu sa réputation
lourdement ternie par l’assassinat d’Abane* Ramdane, en décembre 1957. On
le savait déjà – mais les Mémoires de Bentobbal viennent de le confirmer –,
quatre membres du CCE (Boussouf, Krim, Mahmoud Cherif* et Ouamrane*)
étaient d’accord pour sa liquidation physique. Bentobbal précise qu’« Abane
méritait la mort » mais qu’il s’en remettait à un tribunal révolutionnaire pour
le juger (p. 50-52).
Lors du conflit GPRA/EMG*, il reste fidèle au GPRA. Mais, le 22 juin
1962, dans une lettre-circulaire « aux militants du MALG », il leur demande
d’être au service exclusif du pays pour sa reconstruction et son
développement et se retire à Tunis. Depuis cette date jusqu’à sa mort, il s’est
tenu loin de la politique. Il décède des suites d’une crise cardiaque à Paris le
31 décembre 1980.
Fouad SOUFI
Bibl. : Daho Djerbal, Mémoires de Lakhdar Bentobbal, t. II, La conquête de
la souveraineté, Alger, Chihab, 2022 • Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et
réalité, Jeune Afrique, 1980 • Mohamed Lemkami, Les Hommes de l’ombre.
Mémoires d’un officier du MALG, Alger, Dahlab, 2004.

BOUTEFLIKA, ABDELAZIZ (1937-2021)


Abdelaziz Bouteflika est né le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc*), de parents
originaires de Tlemcen, dans l’ouest de l’Algérie. Il grandit dans un milieu
modeste, sa mère était gérante d’un bain maure et son père tailleur. Il
s’engage contre la présence coloniale française au moment de la guerre
d’Algérie. Lorsque la grève* des étudiants* est lancée en mai 1956, il rejoint
les rangs de l’ALN*, à la frontière algéro-marocaine en Wilaya 5* (Oranie).
Très vite, il est affecté au secrétariat général de l’EMG* de l’armée des
frontières*. Le commandant Si Abdelkader – son nom de guerre – est appelé
à travailler au sein de l’état-major avec le colonel Houari Boumediene*, dont
il devient l’homme lige.
Après l’indépendance de juillet 1962, il est élu député de Tlemcen à
l’Assemblée constituante et nommé ministre de la Jeunesse et des Sports. Le
4 septembre 1963, il est confirmé officiellement à la tête du ministère des
Affaires étrangères dont il reste le titulaire pendant seize ans, jusqu’en
février 1979. Mais le président Boumediene disparu, l’heure des règlements
de comptes sonne. Le 13 janvier 1980, Abdelaziz Bouteflika est évincé du
gouvernement. Sa disgrâce est confirmée en 1982. Il quitte l’Algérie pour
soigner une insuffisance rénale, partageant son temps entre la Suisse*, la
France et le Proche-Orient.
Après l’annulation des élections de janvier 1992, il tente de profiter de la
crise pour revenir aux affaires. Lorsque le président Liamine Zéroual
démissionne le 11 septembre 1998, Abdelaziz Bouteflika se lance
ouvertement dans la bataille. Il est élu président de la République algérienne
le 15 avril 1999, après le vote sans enthousiasme des Algériens, déroutés par
le retrait subit des six autres candidats à la veille du scrutin, qui refusent de
cautionner cette élection entachée par de graves fraudes.
Pendant ses vingt ans de règne, il est confronté à une série de dossiers
délicats comme le retour à la paix civile et l’amnistie, la crise sociale et le
passage à la privatisation économique, le respect des libertés. Malade depuis
2013, il est invisible sur la scène politique. À la suite d’immenses
manifestations populaires contre son « cinquième mandat », il quitte le
pouvoir en avril 2019, avant de mourir dans la quasi-indifférence en 2021.
Benjamin STORA
Bibl. : Ania Francos et Jean-Pierre Séréni, Un Algérien nommé Boumediene,
Stock, 1976 • Nicole Grimaud, La Politique extérieure de l’Algérie, Karthala,
1984 • Benjamin Stora, Retours d’histoire. L’Algérie après Bouteflika,
Bayard, 2020.

BOYCOTT
Des mots d’ordre nationalistes appelant au boycott de l’alcool et du tabac
sont rapportés dès novembre 1954 par la police* des renseignements
généraux (PRG) d’Alger. Ces consignes, diffusées tant par le FLN* que par
le MNA*, réapparaissent durant tout le conflit, en s’élargissant, le cas
échéant, à d’autres domaines.
Selon la PRG d’Alger, le succès du mot d’ordre visant à interdire de
fumer en public conduit le MNA à exiger de ses compatriotes d’éviter les
cafés européens en juin 1955. Le Monde* rapportait en juillet que le FLN de
Marnia appelait les Algériens musulmans à s’abstenir de boire et de fumer
mais aussi à éviter les commerces européens, juifs* ou mozabites.
Les récalcitrants, plutôt rares, s’exposent à des rappels suivis d’amendes
voire d’agressions physiques ; les plus spectaculaires étant, surtout dans les
zones rurales, les nez coupés, provoquant l’effroi parmi la population. En
métropole, des commandos nationalistes saccagent des cafés tenus par des
émigrés soupçonnés d’avoir servi de l’alcool à des consommateurs algériens,
en particulier durant le mois de Ramadan.
Dans une déclaration du 15 juin 1955, le FLN estime que cette directive
permettrait de « porter un grand coup à l’économie impérialiste » et de
montrer que le peuple algérien est « capable de suivre un mot d’ordre ». Pour
les indépendantistes, l’enjeu réside donc dans leur capacité à exercer leur
mainmise sur la population colonisée et à faire respecter une discipline
communautaire fondée sur les valeurs islamiques.
Cette entreprise est toutefois contrecarrée en 1957 par les « bleus de
chauffe » du Groupe de renseignement et d’exploitation qui, dans leur
tentative d’affaiblir l’autorité du FLN dans la casbah d’Alger, invitent ses
habitants à fumer, jouer aux dominos et écouter la radio*.
Ces mesures sont aussi remises en cause par les indépendantistes eux-
mêmes. Ainsi le comité de la Wilaya 4* décide de lever, à partir du 1er février
1960, l’interdiction relative au boycott du tabac pour ses soldats, en
procédant au rationnement mensuel des boîtes de tabac à chiquer et des
paquets de cigarettes, tout en veillant à rappeler l’interdiction de leur
consommation la nuit, durant les gardes ou les marches.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, documents et
histoire. 1954-1962, Fayard, 2004.

BOYER-BANSE, LOUIS (1879-1964)


Arrivé en Algérie à 6 mois en 1879, Louis Boyer-Banse a été avocat à
Orléansville puis magistrat*. Auteur d’une thèse sur « la propriété indigène
dans l’arrondissement d’Orléansville », membre de la Société de géographie
d’Alger, il a publié ouvrages et études sur les questions agraires, traitant aussi
bien de l’irrigation que de la coopération agricole. Au lendemain du premier
conflit mondial, il est à la direction de l’Agriculture au Gouvernement
général*. Lorsque la guerre d’Algérie débute, Boyer-Banse a des opinions
politiques bien trempées : il vient de publier dans la revue* d’extrême droite
Écrits de Paris (octobre 1954) un article consacré à « l’aspect tunisien du
drame démographique mondial ». Son âge (75 ans) ne l’empêche pas de se
mobiliser. Fondateur de l’UFNA* en 1955 avec Martel, il est un publiciste
redouté. Il signe dans l’hebdomadaire de l’UFNA, Prestige français, et dans
L’Écho d’Alger*.
C’est aussi un homme de terrain. Reconnaissable à sa cape sombre et son
chapeau à larges bords, il a parcouru l’Algérie pour y gagner les agriculteurs
et notamment les petits colons* à ses idées. Colon et « fier de l’être », il
dispose de réseaux conséquents et d’un incontestable ascendant dans ces
milieux. Il est lié aux élus (Fédération des maires* d’Algérie) via des
adhésions multiples aux associations : Boyer-Banse est ainsi une figure du
Rassemblement des Français d’Algérie fondé en 1954 qui, comme l’UFNA,
agrège des anciens combattants et suit de près les activités de leur Comité
d’entente constitué depuis la mi-octobre 1955. Il mobilise toutes ces
ressources début 1956 lors de l’éviction de Jacques Soustelle*. Il réunit les
représentants des syndicats agricoles et les maires du département d’Alger,
leur fait adresser un télégramme au président du Conseil et au président de la
République, très net : refus du collège unique (« jamais et en aucun cas ») et
dénonciation de Catroux (« renoncer envoi Catroux intolérable défi à la
population algérienne »). Son engagement ne faiblit pas ensuite. Il compte
parmi les signataires d’un texte d’opposition à Mollet* patronné par le
Comité algérien de salut public. Après que, le 8 mai, des jeunes militants de
l’UFNA ont violemment interpellé Robert Lacoste* Boyer-Banse est expulsé
d’Algérie le 9. Il y revient en 1958 et semble se faire discret. Demeuré sur
place après l’indépendance, il y décède en 1964 et y est enterré.
Olivier DARD
Bibl. : Samuel André-Bercovici, « Le milieu ancien combattant d’Alger face
à la guerre d’indépendance algérienne », Circé, no 7, 2015/2, disponible en
ligne • Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011.

BUIS, GÉNÉRAL GEORGES (1912-1998)


Né en 1912 à Saïgon, Georges Buis entre à Saint-Cyr en 1932. Officier*
de l’armée blindée, il est stationné au Liban lorsque la France capitule face à
l’Allemagne en 1940. Il s’engage dans les FFL au Liban en avril 1941, et
devient membre de la 2e DB lors de la campagne de France. Proche du
général Leclerc, il est nommé à Saïgon en raison de sa connaissance du pays.
Il n’y reste cependant que de 1945 à 1946. Il est ensuite affecté à Rabat entre
1947 et 1950 comme directeur de l’information. Entre 1956 et 1958, alors
colonel, il dirige un régiment de hussards en Algérie puis commande
plusieurs secteurs, notamment celui de Bougie en Kabylie, entre 1958
et 1961. Compagnon de la Libération, il est resté proche du général de
Gaulle*. Il fait ainsi partie des militaires sondés par de Gaulle qui le reçoit
rue de Solférino en mars 1958. À cette occasion, il s’étonne que le Général ait
publié le 12 septembre 1957 un communiqué ambigu remettant en cause le
devenir français de l’Algérie. Il joue toutefois un rôle important lors du retour
du général en mai 1958. Méfiant vis-à-vis des officiers activistes de l’Algérie
française, il reste fidèle à de Gaulle durant le putsch*. En 1961, il publie un
roman, La Grotte, succès éditorial salué par la critique. Témoignage*
romanesque sur l’absurdité de la guerre et les dilemmes des combattants, il y
raconte une longue traque dans un djebel de l’Est algérien. Après la guerre, il
dirige le Centre des hautes études militaires et se spécialise dans la stratégie
de dissuasion nucléaire. Il dirige enfin l’Institut des hautes études de la
Défense nationale jusqu’en 1972.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018 • Jean
Guisnel, Les Généraux. Enquête sur le pouvoir militaire en France, La
Découverte, 1990 • Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant,
Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes,
institutions. 1945-1962, L’Harmattan, 2002.
C

5 JUILLET 1961, MANIFESTATIONS DU


La grève* générale et les manifestations du 5 juillet 1961 répondent à
l’appel lancé par le GPRA* au peuple algérien, au lendemain de la rupture
unilatérale des négociations* d’Évian 1 par la partie française, survenue le
13 juin. L’objet du désaccord concerne la partition de l’Algérie et le sort des
richesses du Sahara qui, pour le GPRA, relèvent de la souveraineté nationale.
Les manifestations du 5 juillet 1961 sont en fait précédées par celles qui
furent organisées le 1er juillet par la Wilaya 4*, à Alger, Blida et plusieurs
localités de la Mitidja. On sait peu de choses sur les motifs de cette décision.
La question de l’occasion saisie par le GPRA pour exprimer son
intransigeance vis-à-vis du projet de partition de l’Algérie, consolider la
légitimité de sa représentation du peuple algérien et désamorcer la crise
naissante avec l’EMG* reste posée.
Lors de cette première phase où une grève des commerçants algériens fut
observée, on revit des scènes où les forces de l’ordre ont défoncé les
devantures des magasins fermés. Des cortèges d’hommes et de femmes
brandissant le drapeau* algérien ont tourné au drame avec l’intervention des
forces de l’ordre. Le bilan* de la répression est estimé à 39 morts et 95
blessés parmi les manifestants et à 3 morts et 10 blessés parmi les militaires,
selon Le Monde* du 4 juillet. Les jours suivants, les quartiers populaires
d’Alger et Blida sont mis sous haute surveillance, si bien que le 5 juillet, les
manifestations sont plus suivies à l’intérieur du pays que dans les centres
urbains, par comparaison avec celles de décembre 1960. Cependant la grève
des commerces, des transports publics, des dockers* est quasi générale. Le
mouvement de grève est observé également dans les prisons* d’Algérie et de
France.
Ces manifestations bien encadrées par l’ALN* sont à leur tour durement
réprimées par l’armée à Castiglione, Miliana, Constantine, Djidjelli, Aïn
Beïda, Téleghma… La Dépêche d’Algérie rapporte un total de 80 morts et
266 blessés. Dans la soirée, une foule évaluée à 5 000 Européens défile aux
cris d’« Algérie française », dans les principales artères de Bône. Le
lendemain, les funérailles* donnent lieu à Constantine en particulier, à une
immense et silencieuse procession de la population qui converge vers le
cimetière, pour l’enterrement des hommes et des femmes tués la veille.
Signe de la détermination du peuple algérien à préserver l’intégrité du
territoire, ces manifestations de juillet 1961 ont apporté un soutien certain au
GPRA.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Alistair Horne, Histoire de la guerre d’Algérie, Albin Michel, 1980 •
Le Monde, 4 juillet 1961 • La Dépêche d’Algérie, 6 juillet 1961.

5 JUILLET 1962 (ALGÉRIE)


Communément, il est admis que le 5 juillet 1962, l’Algérie a fêté son
indépendance. Cette date est officialisée l’année suivante. En réalité, cet
événement fondateur recouvre plusieurs temporalités. Dès l’annonce du
cessez-le-feu entré en vigueur le 19 mars 1962* et marquant la fin de la
guerre, la population algérienne ressent un profond soulagement, en
particulier dans les campagnes. Dans les grandes villes, la retenue est de
rigueur en raison de la poursuite des attentats de l’OAS*, mais dans les
maquis, le moment de surprise passé, la nouvelle est accueillie par des salves
bien nourries. Les mechtas arborent le drapeau* vert et blanc.
Durant la période transitoire qui sépare le cessez-le-feu du référendum*
de l’autodétermination, la paix n’est pas pour autant revenue. L’Algérie vit au
rythme des violentes actions de l’OAS doublées du chassé-croisé des départs
massifs de la population française et du retour des Algériens et Algériennes
détenus dans les prisons*, des populations déplacées dans les camps de
regroupement*, sans oublier les réfugiés* au Maroc* et en Tunisie* qui
commencent à franchir les frontières.
La veille du référendum* du 1er juillet 1962, le FLN* interdit toute
manifestation*, en particulier à Oran. La participation massive des Algériens
et Algériennes est un plébiscite sans appel en faveur de l’indépendance.
Dès la proclamation des résultats par Kaddour Sator, président de la
commission de contrôle du vote et la reconnaissance de l’indépendance de
l’Algérie par de Gaulle* le 3 juillet 1962, Abderrahmane Farès* assiste à
midi à la levée solennelle des couleurs à la cité administrative de Rocher Noir
par une jeune fille et un djoundi, en présence des seuls membres de l’Exécutif
provisoire*, des scouts* et de la population locale et des environs. Il n’en faut
pas plus pour déclencher une liesse sans pareille qui a devancé les procédures
protocolaires, dans tout le pays.
Dans l’après-midi même de ce 3 juillet, des files de voitures pavoisées de
drapeaux, des foules à pied se dirigent vers l’aéroport de Maison-Blanche
pour accueillir les membres du GPRA*. Ben Khedda* et son gouvernement,
à l’exception de Ben Bella* et de Khider*, sont salués par tout l’Exécutif
provisoire, le colonel Mohand Oulhadj*, le commandant Azzedine* et les
vivats de la population algéroise. Le cortège rentre à Alger, acclamé par la
population tout le long du chemin. L’apparition de Ben Khedda et de son
gouvernement au balcon de la préfecture d’Alger soulève une immense
ovation de la foule.
Ailleurs, c’est d’abord le spectacle d’une floraison de drapeaux vert et
blanc, frappés du croissant rouge, confectionnés à la hâte et accrochés aux
maisons ou portés par les foules. Dans les villes, le drapeau algérien est hissé
à la place du drapeau français sur les principaux édifices publics. Partout, de
grands rassemblements populaires donnent lieu à des manifestations de joie
au milieu de la parade des scouts, des défilés improvisés de maquisards de
l’ALN* et des scènes de danses frénétiques exprimant la joie de la paix
retrouvée. Les slogans « Vive l’Algérie » et « Gloire à nos martyrs »
badigeonnés en français et en arabe sur les murs sont repris à gorge déployée
par des milliers de voix, au milieu des youyous des femmes*. Des camions,
des cars et des voitures bondés de manifestants sillonnent les rues et créent un
vacarme assourdissant en usant du klaxon tout comme les trains qui sifflent et
les bateaux qui font entendre leur sirène.
Au matin du 5 juillet 1962, c’est encore la fête qui se déplace à Sidi
Ferruch, dans un lieu hautement symbolique. D’après Mohammed Harbi*,
dans un message adressé au GPRA le 30 juin, le colonel Mohand Oulhadj,
chef de la Wilaya 3*, l’informe que le comité interwilayas propose le 5 juillet
pour la proclamation de l’indépendance. Une cérémonie avec la participation
de toutes les wilayas aura lieu à Sidi Ferruch. La route reliant Alger à Sidi
Ferruch est prise d’assaut par la population et par les maquisards des
Wilayas 3 et 4*. C’est Mohand Oulhadj, doyen des chefs de wilaya, qui
procède à la levée de l’emblème national, salué par l’hymne national de
Qassaman*, en présence des colonels Boubnider* de la Wilaya 2*, Si Hassan
de la Wilaya 4, Mohammed Kadi de la Wilaya 5* et de nombreux officiers de
l’ALN. Dans tout le pays, les maquisards ont défilé pour célébrer la fête de
l’indépendance. À Oran, la population algérienne a manifesté sa joie dans les
rues quand des coups de feu ont provoqué une panique générale. Pour les
Algériens comme pour les Français, le 5 juillet 1962 à Oran* se transforme
en journée de deuil.
Au-delà de l’importance des dates, ce qui frappe, c’est l’absence de
nombreux dirigeants, tels Ahmed Ben Bella, Houari Boumediene*, qui n’ont
pas participé à l’allégresse générale aux côtés du peuple algérien, aux
premiers jours de l’indépendance. Les signes avant-coureurs de la crise entre
le GPRA, l’état-major et les wilayas de l’intérieur, apparus lors du dernier
CNRA* (Tripoli), n’ont pas tardé à prendre une tournure violente, ouvrant la
voie au recours aux armes. Devant de tels déchirements, la population
algérienne n’eut d’autre ressource à opposer aux luttes de pouvoir que le
fameux slogan « Sept ans, ça suffit* » scandé jour et nuit à partir de la
marche sur Alger, des troupes de l’ANP*, nouvelle appellation de l’ALN, à la
fin du mois d’août. Une fois de plus, le mouvement social populaire se
distingua par sa sagesse et un grand sens des responsabilités. Dans les
campagnes, sans attendre aucune directive, les ouvriers ont moissonné les
blés des grandes fermes coloniales abandonnées pour la plupart. En cet été
1962, la récolte a été particulièrement bonne. Dans les secteurs administratifs,
les employés secondés par les Français restés sur place ont continué à remplir
leurs fonctions. Ainsi les bureaux de l’état civil ont enregistré naissances,
décès et mariages, et la poste comme les chemins de fer, les ports ont assuré
leurs services.
Le calme est rétabli seulement au début du mois de septembre avec
l’entrée des troupes de l’état-major à Alger. Les Algériens sont alors appelés
à élire les députés de la future Assemblée nationale constituante*, sur des
listes soigneusement cooptées par le Bureau politique du FLN. Le
25 septembre 1962 marque la fin du mandat de l’Exécutif provisoire et la
naissance de la République algérienne démocratique et populaire (RADP).
Sans surprise, Ben Bella devient chef du gouvernement.
Le cours normal des choses semble reprendre à l’automne 1962, mais sur
fond d’un désenchantement profondément ressenti par la population. L’élan
révolutionnaire accumulé durant les années de lutte contre l’occupation
coloniale est quelque peu rompu par les rivalités de pouvoir que les dirigeants
ont étalées au grand jour, sans la moindre retenue. Ne prenant en compte que
leurs intérêts, ils ont révélé les points de faiblesse de l’organisation du FLN et
provoqué une dispersion des forces sociales aux prises avec les difficultés de
la construction d’un pays dévasté par la guerre, livré au chômage et menacé
par la famine. Aussi, les départs d’Algériens en quête de travail* se
multiplient vers la France à une telle cadence qu’un appel est lancé pour leur
retour le 20 novembre.
L’embellie de ces fêtes d’exception cède la place aux désillusions si
propres aux lendemains de l’après-guerre. Mais leur souvenir reste vivace
pour les générations* qui les ont vécues.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Abderrahmane Farès, La Cruelle Vérité. L’Algérie de 1945 à
l’indépendance, Plon, 1982 • Mohammed Harbi, Le FLN. Mirage et réalité,
Jeune Afrique, 1980 • Fouad Soufi, « De quoi le 5 juillet est-il le nom ? », Le
Quotidien d’Oran, 5 juillet 2022.

5 JUILLET 1962 (ORAN)


À Oran, le 5 juillet 1962, alors que l’Algérie tout entière célébrait
l’indépendance, la manifestation* populaire tourne au drame. En fin de
matinée, vers 11 h 55, la population algérienne défile dans les artères du
centre-ville quand des coups de feu éclatent. Qui a tiré ? Où ? Les faits n’ont
jamais été établis avec certitude, le nombre des victimes non plus. Mais les
enquêtes de terrain et la consultation des archives* disponibles permettent
d’élaborer un début de synthèse.
Durant cinq heures, entre midi et 17 heures, des massacres ont visé la
population française du centre-ville et de certains quartiers, notamment
Eckmühl, Petit-Lac, Victor-Hugo. S’il est vrai qu’Oran n’a pas eu le temps de
se remettre de la violence des actions de l’OAS* qui a atteint son paroxysme
au lendemain du cessez-le-feu, il est difficile d’imputer les tueries à la
population civile. Selon les accords d’Évian*, le maintien de l’ordre
incombait à la Force locale* mise en place par l’Exécutif provisoire*. Elle
était secondée par une police* auxiliaire (ATO). Après le départ des derniers
chefs de l’OAS fin juin 1962, les préoccupations des membres de la Zone
autonome d’Oran (ZAO) étaient d’assurer le bon déroulement du
référendum* du 1er juillet. Rien dans le passé immédiat ne laissait présager un
tel drame surtout après le meeting tenu le 30 juin sur la place Foch (place du
1er-Novembre-1954), en présence des membres de la commission mixte de
réconciliation dont faisaient partie entre autres Mgr Lacaste, évêque d’Oran,
Cheikh Tayeb El Mahaji et le premier adjoint du maire* d’Oran. À cette
occasion, le capitaine Bakhti (Djelloul Nemiche*), commandant de la ZAO, a
déclaré devant une foule de 4 000 personnes : « Un voile a séparé les deux
communautés. Ne cherchons plus les responsables, ayons seulement la force
d’âme propre à oublier tout ce qui a pu nous séparer. »
Le 3 juillet, devant le palais des Sports, lors de la cérémonie officielle de
déclaration de l’indépendance, Bakhti réitère son appel à l’adresse des
Algériens de souche européenne (ASE).
Pour mieux gérer les mouvements de foule, la ZAO interdit toute
manifestation les 3 et 4 juillet, la fête de l’indépendance étant fixée au
5 juillet. Ce matin-là, les Algériens se rassemblent sur les principales places
de la ville, célébrant comme ailleurs l’indépendance. La foule est immense
devant l’hôtel de ville « où les Européens circulaient sans être inquiétés »,
écrit le journal Écho-Soir des 6-7 juillet, et il poursuit : « Pour la première
fois depuis l’avènement de l’Algérie à l’indépendance, on constate que des
Européens restent sur leurs balcons pour assister à ce spectacle bruyant et
multicolore. »
La fête est interrompue quand un coup de feu retentit, suivi peu après de
tirs plus nourris. Un cri jaillissant de la foule : « C’est l’OAS ! » suffit à
semer la panique. S’est-elle sentie trahie par les promesses de réconciliation ?
« L’ALN* tire, les ATO tirent, les sentinelles du 4e Zouaves postées devant
l’Opéra tirent à leur tour, des civils musulmans tirent aussi », selon Jean
Monneret (2006). De nombreux Européens qui ont été emmenés vers les
commissariats ont pu échapper au lynchage. Le bilan* donné par le Dr Naït,
directeur de l’hôpital civil, est de 101 morts (25 Européens et 76 Algériens)
et de 145 blessés (105 Algériens et 40 Européens). Ces chiffres ne
contredisent pas ceux que donnent L’Écho d’Oran du 9 juillet et L’Écho du
soir des 7-8 juillet à partir d’une liste des victimes communiquée par l’hôpital
Baudens et par l’antenne chirurgicale de la rue de Tombouctou (hôpital
Bendaoud du FLN*). À ces chiffres, il faut ajouter les personnes enlevées,
assassinées et inhumées clandestinement.
La répression contre les fauteurs de troubles est brutale au centre de la
ville et dans sa périphérie. Ce sont les efforts conjugués de soldats de l’ALN
et des gendarmes mobiles français qui rétablissent l’ordre dans la ville.
Des crimes ont été commis dans les quartiers périphériques de Petit-Lac,
Victor-Hugo et sur la route conduisant à l’aéroport. En voulant rejoindre
l’aéroport ou le port, de nombreux Européens sont tombés dans des
embuscades*. On sait aujourd’hui que la responsabilité des massacres, des
embuscades et enlèvements d’Européens incombe aux bandes de
« marsiens » à la solde du dénommé Attou Mouedden*, chef autoproclamé
du FLN. Le 10 juillet, Mouedden et une centaine de personnes sont arrêtés et
présentés à la presse*. Sont-ils les seuls à incriminer ?
La multiplication des témoignages* publiés ces vingt dernières années
mettant en cause la non-intervention des forces armées françaises, la
responsabilité du général Katz*, celle de l’OAS, les rancœurs de la
population algérienne ayant souffert des crimes de l’OAS, entretient une
histoire-procès et aboutit à avancer des chiffres contradictoires. Il y a eu des
morts et des disparus parmi la population européenne. Mais il y en a eu aussi,
comme le rappellent Jean Lacouture et Benjamin Stora*, parmi les Algériens.
Or, pour l’histoire, il s’agit de rendre compte de la violence qui a endeuillé
l’Algérie. Cette question de la violence de ces jours ne peut être comprise
sans l’immersion dans le contexte des relations entre les deux populations
durant la période coloniale. Les études démographiques menées à Oran
restent à approfondir mais la ségrégation spatiale qui s’est imposée petit à
petit a engendré « craintes et défiance, créant les conditions d’un
embrasement à l’heure des engagements radicalisés » (Thénault, 2005).
Enfin, l’absence de nombreuses archives* – dont celles de l’association
des familles de disparus, de la commission mixte de réconciliation, de
l’association de sauvegarde que présidait Alexandre Soyer, de l’association
du comité provisoire de liaison population-autorités administratives, de la
sous-délégation de la Croix-Rouge*, de l’ALN – contribue à entretenir le
silence sur cette période.
Fouad SOUFI
Bibl. : Jean Monneret, La Tragédie dissimulée d’Oran, 5 juillet 1962,
Michalon, 2006 • Fouad Soufi, « Oran, 28 février 1962, 5 juillet 1962. Deux
événements pour l’histoire, deux événements pour la mémoire », in La
Guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de
Charles-Robert Ageron. Actes du colloque international, SFHOM, 2000 •
Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammarion, 2005.

CAMPS D’INTERNEMENT
Légalement fondé sur un arrêté d’assignation à résidence, l’internement
vise de simples « suspects ». Au nom de la répression des indépendantistes, il
frappe arbitrairement, sur la foi des renseignements policiers ou militaires. À
l’origine, l’état d’urgence*, le 3 avril 1955, autorise l’« assignation à
résidence » de toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la
sécurité et l’ordre publics ». Dans ce texte, un alinéa d’origine parlementaire
interdit la création de camps : les assignés auraient dû l’être à domicile ou
dans un secteur déterminé. Cette interdiction doit tout à l’expérience encore
proche de la Seconde Guerre mondiale, que les parlementaires ont en tête et
qu’ils invoquent. Du fait de cette continuité dérangeante, les autorités, pour
leur part, rejettent le mot « camps ». Elles parleront de « centres de détention
administrative » (CDA) ou de « centres d’assignation à résidence surveillée »
(CARS). Historiquement, l’internement interroge bien les continuités du droit
d’exception, d’une guerre à l’autre. Depuis 1939, « la France a ainsi pratiqué
l’internement administratif pendant douze ans, soit plus d’un an sur deux »,
constate le juriste Loïc Philip dans le Recueil Dalloz en 1962.
En dépit de l’interdiction, les premiers camps sont ouverts en 1955 en
Algérie. Le gouvernement Mollet* les légalise définitivement grâce aux
pouvoirs spéciaux*, en 1956. Un système complexe est ensuite organisé. Il
combine des « centres d’hébergement* » (CH) pour les « suspects » détenus
sans limite ; des « centres de tri et de transit* » (CTT) où l’armée détient et
interroge sans contrôle externe ceux qu’elle appréhende ; des « centres
militaires d’internés* » (CMI) pour les combattants pris au maquis, non
reconnus comme prisonniers* de guerre.
En métropole, l’internement débute en 1957, lorsque les pouvoirs
spéciaux y sont appliqués. Deux camps sont ouverts : Vadenay et Saint-
Maurice-l’Ardoise. L’assignation à résidence est alors subordonnée à une
condamnation judiciaire préalable. Cette condition est levée le 7 octobre 1958
par une ordonnance visant ceux qui apportent une « aide matérielle, directe
ou indirecte » aux « rebelles des départements algériens ». Thol et le Larzac
s’ajoutent alors aux deux premiers camps. Puis, dans le contexte du putsch*,
le 24 avril 1961, de Gaulle* étend l’internement à toute personne soupçonnée
d’une « entreprise de subversion ». Des partisans de l’Algérie française sont
alors détenus à Thol puis à Saint-Maurice-l’Ardoise, vidés des Algériens. En
nombre plus réduit, ils bénéficient de meilleures conditions matérielles et
d’un degré de coercition moins élevé. L’extension de l’internement à leur
égard n’en est pas moins significative de l’extension plus générale de
l’exception au fur et à mesure de la guerre, au détriment des libertés
individuelles et publiques.
D’une capacité de 6 000 places, les quatre camps métropolitains sont
aménagés en territoire militaire. Vadenay, par exemple, est sur la base de
Mourmelon, le Larzac sur la partie du plateau aveyronnais que possède
l’armée. Les conditions de vie et le régime peuvent y être particulièrement
rudes mais sans atteindre la dureté qui prévaut en Algérie. Là-bas, les
statistiques officielles, à prendre avec précaution, dénombrent 15 000 à
30 000 internés, suivant les périodes de la guerre. Outre une privation
arbitraire de liberté, ils souffrent de conditions de détention déplorables et
vivent soumis au pouvoir discrétionnaire des directeurs, souvent des
militaires en retraite. Le communiste Abdelhamid Benzine* a livré un
témoignage* puissant de l’enfer qu’il a vécu dans la « section spéciale » du
CMI de Boghari.
La mémoire des internés, cependant, a sa part d’héroïsme. Le FLN*, qui
s’attache à les prendre en charge, les engage en effet dans la lutte pour
l’indépendance. Ses délégués s’imposent, impulsent contestations,
revendications, refus d’obéir, grèves de la faim. Une révolte a même lieu au
camp de Bossuet, où les autorités ont regroupé des « meneurs », disent-elles,
pour neutraliser leur activité dans les camps où ils étaient disséminés. « Le
dilemme est le suivant, explique dès 1959 un général chargé d’un rapport sur
l’internement en Algérie. Ou bien développer, tout au moins jusqu’à
l’achèvement de la pacification*, les centres d’assignation à résidence, et
transformer le pays en un vaste camp de concentration ; ou bien, après s’être
donné les moyens suffisants d’hébergement, organiser la rééducation de la
masse des assignés en vue de leur libération. » Comme ailleurs, cette « action
psychologique », tentée, est restée vaine. Les camps d’internement sont l’un
des théâtres de la guerre témoignant de la défaite française en Algérie.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Abdelhamid Benzine, Le Camp, Éditions sociales, 1962 • Sylvie
Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internement,
assignation à résidence, Odile Jacob, 2012 • — (dir.), « L’internement en
France pendant la guerre d’indépendance algérienne. Vadenay, Saint-
Maurice-l’Ardoise, Thol, le Larzac », Matériaux pour l’histoire de notre
temps, no 92, 2008.

CAMUS, ALBERT (1913-1960)


Pour lui, l’Algérie fut une passion – amour absolu et extrême souffrance
– et un indépassable déchirement, quand la guerre éclate et s’inscrit dans la
durée. Ce fils du pauvre, orphelin de père, grandit dans un quartier populaire
d’Alger. Il est romancier et nouvelliste, essayiste et philosophe, poète du
paysage algérien et auteur de théâtre*, journaliste et homme engagé jusque
dans le refus de prendre les positions attendues de sa part.
Son engagement pour le pays où il « a puisé tout ce qu’il est » se
manifeste très tôt. Il demande des changements dans la situation des
Algériens (ses reportages sur la misère en Kabylie [Alger républicain, 1939]
dénoncent la situation qui est faite à ceux qui n’avaient pas les mêmes droits
que les Français d’Algérie). Mais il ne peut envisager un pays indépendant,
pressentant les dérives de la postindépendance.
Il est de ceux qui croient en une sortie de la violence par la négociation*,
l’aménagement du système colonial et la prise en compte des demandes des
colonisés. Pour lui, la solution des problèmes est d’ordre économique. Dans
« L’Appel à la trêve civile* » (lancé en janvier 1956), il affirme son
attachement à l’Algérie, et le droit d’y vivre pour chacune des deux
communautés. Après l’échec de la tentative d’arrêter la violence, il n’écrit
plus sur l’Algérie. Mais il intervient toujours pour demander la grâce pour
des militants condamnés.
Avec la guerre, il est devenu une figure clivante et chacun lui avait
reproché ses prises de position, les ultras de l’Algérie française comme les
Algériens.
L’Étranger (1942) montre l’enfermement de chacun dans la violence
contre l’autre et l’exclusion réciproque. Meursault n’est pas tant condamné
pour le meurtre de l’Arabe que pour ne pas avoir pleuré la mort de sa mère.
C’est cet amour de la mère/terre que Camus dresse face à la question qui lui
sera posée lors de la remise du prix Nobel de littérature en 1957. On a voulu
y voir une réponse « coloniale » alors qu’il s’agit plutôt de la réponse que
chaque natif de la rive sud de la Méditerranée peut faire à cette question.
Quand il publie La Peste (1947), Feraoun* lui fait remarquer l’absence
des « Arabes » dans son roman. Ne faut-il pas voir dans ce manque de
l’Autre une façon de lui faire une place pour qu’il prenne la parole ?
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Albert Camus, Œuvres complètes, 4 vol., Gallimard, coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », 2006-2008 • Olivier Todd, Albert Camus, une
vie, Gallimard, 1996.

CARLIER, OMAR (1943-2021)


Consacrée aux militants de l’ENA au PPA-MTLD*, l’œuvre majeure
d’Omar Carlier, Entre nation et jihad, s’intéresse à la socialisation et la
politisation de la jeunesse algérienne des médinas, des quartiers urbains et
des campagnes, de l’entre-deux-guerres jusqu’à la crise « berbériste » de
1949 et l’expérience de l’Organisation spéciale* (OS), annonciatrice du
FLN*. Ses travaux enrichissent la connaissance du mouvement national
d’une histoire sociale profonde.
Engagé en 1969 comme coopérant au titre du service national à
l’université d’Oran, il s’est formé en droit public et en sciences politiques,
notamment à l’IEP de Paris. Dissuadé de traiter du sujet des messalistes par
Charles-André Julien, il y revient après sa rencontre à Oran avec le Dr
Bensmaïn, ancien sympathisant de l’ENA. Il vit en Algérie pendant près de
deux décennies. Lui-même témoigne que son mariage sur place l’amène à
changer de nationalité*, de prénom (de Jean-Louis à Omar) et à vivre « dans
un environnement familial et vicinal quotidien exclusivement algérien ». Il
apprend beaucoup de ses collègues algériens mais aussi coopérants marxistes
(Étienne Balibar, René Gallissot*), politistes (Jean Leca, Jean-Claude Vatin)
et arabisants (Gilbert Grandguillaume). Féru d’interdisciplinarité, il contribue
à la fondation de l’Unité de recherche en anthropologie sociale et culturelle
(Urasc), devenue en 1992 le Centre de recherches en anthropologie sociale et
culturelle (Crasc). Fort de ses lectures théoriques et d’une connaissance
intime de son terrain, il déploie une méthodologie combinant archives* et
entretiens, en France et en Algérie où il rayonne à partir des grandes villes
jusqu’aux cafés pour rencontrer des « hommes sources ».
En 1993, avec ses proches menacés, il quitte l’Algérie. Évoluant vers
l’anthropologie historique, il s’intéresse à la théâtralité et l’iconographie du
pouvoir, à l’historiographie du Maghreb, aux lieux et formes de sociabilité.
Maître de conférences à la Sorbonne puis professeur à Paris-Diderot, animant
des séminaires à l’EHESS, il dirige de multiples mémoires de master et dix
thèses, traitant notamment des mouvements algériens et de leurs crises avant
1954 comme pendant la guerre, dont celle d’Amar Mohand-Amer sur le FLN
à l’été 1962 et celle d’Ali Guenoun sur la question berbère/kabyle.
M’hamed OUALDI
Bibl. : Omar Carlier, « Retour vagabond sur une traversée de la mer »,
in Jean-Robert Henry et Jean-Claude Vatin (dir.), Le Temps de la
coopération. Sciences sociales et décolonisation au Maghreb, Karthala-
Iremam, 2012 • —, Enquête sur le nationalisme algérien (1926-1954). La
méthode, les lieux et les hommes, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2022 •
Morgan Corriou et M’hamed Oualdi (dir.), Une histoire sociale et culturelle
du politique en Algérie. Études offertes à Omar Carlier, Éditions de la
Sorbonne, 2018.

CARTERON, ABBÉ ALBERT (1912-1992)


Né le 27 décembre 1912 à Chazelles-sur-Lyon (Loire), Albert Carteron
entre au séminaire de Francheville en 1930. Ordonné prêtre en 1936, il est
nommé vicaire à Régny puis à Lyon*, foyer du catholicisme* social.
Mobilisé en 1939, prisonnier en 1940, il reste en Allemagne jusqu’en 1945.
Nommé vicaire à Lyon en 1948, dans la paroisse du Saint-Sacrement peuplée
de nombreux travailleurs algériens, il est bouleversé par la misère dans
laquelle vivent ces hommes et met en place des cours d’alphabétisation, une
aide au logement*… Cette expérience décide le cardinal Gerlier, archevêque
de Lyon, à lui confier, en 1951, l’accueil des travailleurs nord-africains du
diocèse. Il part deux ans en Tunisie* et en Algérie pour apprendre l’arabe.
Balayeur à l’hôpital de Constantine, sa proximité avec la population
musulmane inquiète les autorités qui l’expulsent en 1953. À son retour, il vit
dans un appartement au cœur du Lyon algérien, dans le quartier cosmopolite
de la « place du Pont », qui devient un lieu d’hébergement et de rencontre
entre chrétiens et Nord-Africains. Sa connaissance de l’Algérie et du
nationalisme* algérien l’amène à soutenir les militants engagés dans la
Guerre d’indépendance. Il est pour eux « Monsieur Albert » ou El Bi’r (« le
puits » qui garde enfouis les secrets) et le premier informé dès qu’un des
leurs est arrêté et torturé à Lyon. Il constitue des dossiers d’informations qu’il
transmet à ses supérieurs et à ses amis. Son nom apparaît dans l’affaire du
Prado* qui éclate à Lyon en octobre 1958. Il quitte alors clandestinement la
ville pour ne pas être entendu par la police* avant de se présenter à la justice.
Albert Carteron adresse, fin novembre 1958, une lettre aux prêtres du diocèse
de Lyon dans laquelle il rappelle le cadre donné par sa hiérarchie : « aider
moralement, spirituellement et matériellement tous les Algériens et refuser
toute aide en matière spécifiquement politique ». Discret jusqu’à la fin du
conflit, il garde des liens avec les militants algériens. En 1964, il part exercer
son ministère en Algérie comme infirmier puis formateur et prend la
nationalité* algérienne. Il meurt en 1992 dans un accident de voiture à El
Kantara, entre Batna et Biskra où il est inhumé.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Béatrice Dubell, Arthur Grosjean et Marianne Thivend (dir.), Récits
d’engagement. Des Lyonnais auprès des Algériens en guerre, 1954-1962,
Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012 • El Bi’r, le puits. Récits
d’engagements anticolonialistes à Lyon pendant la guerre d’Algérie, film
documentaire de Béatrice Dubell, Grand Ensemble/Atelier de cinéma
populaire, 2008.

CATHOLICISME
Les catholiques sont, entre 1954 et 1962, à l’image de la société
française, profondément divisés par la Guerre d’indépendance nationale
algérienne. En Algérie, la grande majorité des catholiques sont viscéralement
attachés à l’Algérie française, à l’exception des libéraux qui s’efforcent de
maintenir un dialogue avec la population musulmane. Il en est ainsi des
mouvements d’Action catholique et du Secrétariat social, des missionnaires,
Pères blancs, Petits frères de Foucauld, équipes de la Mission de France*.
L’insertion auprès des plus pauvres conduit à une solidarité avec les
aspirations nationalistes et à des prises de position favorables à
l’autodétermination, à l’image de Mgr Duval*, archevêque d’Alger, dès
1956.
En métropole, on trouve des catholiques, officiers* d’active ou de
réserve, aumôniers militaires, notamment, pour le maintien de l’Algérie dans
la République française, et des militants, intellectuels, prêtres engagés pour la
reconnaissance du FLN* comme expression de la nation algérienne. Entre ces
deux ailes minoritaires au sein d’un catholicisme où subsiste une forte
tradition d’obéissance à l’ordre établi, « les gros bataillons de la majorité dite
silencieuse […] suivent probablement les autorités religieuses dans leur lente
et prudente évolution vers l’apaisement d’une solution négociée sans
déshonneur » (Étienne Fouilloux). L’épiscopat est lui aussi divisé entre ceux
qui soutiennent le maintien de l’Algérie dans la République (les cardinaux
Saliège, Grente ou Feltin) et ceux qui défendent sans pour autant les
approuver les prêtres du Prado* et de la Mission de France accusés d’aider le
FLN (Mgrs Gerlier et Liénart). Il tente de trouver une position commune
autour des grands principes évangéliques d’amour du prochain et de respect
de la dignité humaine.
Si les évêques d’Algérie s’expriment collectivement en septembre 1955
dans une lettre largement contestée demandant que « soit assurée la libre
expression des aspirations légitimes », il faut attendre le mois suivant, un an
après le début du conflit, pour trouver une déclaration des cardinaux et
archevêques de France sur « les événements douloureux de l’Afrique du
Nord » qui « posent à la conscience de tous de graves et angoissants
problèmes ». Les déclarations pour la paix et contre la violence ne satisfont
personne et le silence de l’année 1956 traduit les divisions et les incertitudes
de l’épiscopat. Le problème de la torture*, par l’enjeu moral qu’il représente,
joue le rôle de catalyseur et fait s’affronter deux conceptions de l’honneur et
du patriotisme : ordre, autorité, armée d’un côté contre justice et caractère
inviolable de l’homme, image du Créateur, de l’autre. Les autorités
religieuses tranchent dans le sens du « respect dû à la personne humaine » en
mars 1957, lorsque l’Assemblée des cardinaux et archevêques (ACA) de
France déclare qu’« il n’est jamais permis de mettre au service d’une cause,
même bonne, des moyens intrinsèquement mauvais ». L’année suivante, elle
observe « qu’un grand désarroi règne dans les esprits » et rappelle le devoir
du patriotisme « sans haine envers les autres peuples ».
L’arrivée au pouvoir du général de Gaulle* suscite chez les catholiques
« Algérie française » enthousiasme, puis déception dès l’annonce d’une
autodétermination, et même haine. Au contraire, les partisans de la
négociation*, tels Maurice Clavel et François Mauriac*, voient en lui la seule
chance de sortir le pays du bourbier algérien. La très grande majorité de
l’épiscopat est portée à lui faire confiance et la crainte de gêner sa politique et
l’incertitude sur l’avenir de l’Algérie expliquent le silence des années 1959-
1960. À l’automne 1960, alors que les Français découvrent l’existence en
métropole de réseaux de soutien au FLN que dénoncent les partisans de
l’Algérie française, l’ACA « s’émeut du désarroi qui envahit beaucoup de
consciences, spécialement de jeunes qui se demandent où se trouve le
devoir », condamne tout à la fois l’insoumission, le terrorisme et les outrages
à la personne humaine, « procédés violents pour arracher les aveux,
exécutions sommaires*, mesures de représailles visant des innocents ». Pour
la première fois sont clairement posées les questions fondamentales du devoir
et de la légitimité de l’autorité et du « statut futur de l’Algérie ».
Le soutien à la politique du chef de l’État se confirme avec l’intervention
des cardinaux de France qui rappellent l’obligation de voter au référendum*
de janvier 1961 et invitent à « l’union dans la prière pour éviter la guerre
civile » face au putsch* des généraux d’avril 1961. Dans les derniers mois du
conflit, l’ACA condamne fermement les violences de l’OAS*, affirme en
octobre 1961 que la paix passe « par les chemins de la justice et de la
charité ». En mars 1962, au lendemain des accords d’Évian*, elle insiste sur
le fait que « la foi chrétienne et la simple morale humaine condamnent des
groupements qui font preuve du mépris le plus profond des personnes ». Les
affrontements suscités par le conflit algérien sont autant de signes avant-
coureurs de la crise que le catholicisme va traverser dans les années à venir.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Étienne Fouilloux, Les Chrétiens français entre guerre d’Algérie et
mai 1968, Parole et silence, 2008 • Jean-Marie Mayeur, « Les évêques et la
guerre d’Algérie », Les Cahiers de l’IHTP, no 9, 1988 • André Nozière,
Algérie : les chrétiens dans la guerre, Cana, 1979.

CAUSES DE LA GUERRE
La question des causes de la guerre fait moins sens dans l’historiographie
du mouvement national algérien, où la lutte pour l’indépendance va de soi,
que dans l’historiographie de l’Empire français. Cette historiographie débute
avec des réflexions contemporaines des faits, centrées sur les réformes. Dès
1952, dans L’Afrique du Nord en marche (Julliard), l’historien
anticolonialiste Charles-André Julien parle des « occasions perdues » que
constitue l’absence de réformes au Maghreb. Avec son élève, Charles-Robert
Ageron*, le récit se fixe sur une série de projets avortés comme moteur d’un
engrenage expliquant la guerre. L’Histoire de l’Algérie contemporaine, de
1871 à 1954, que signe Ageron aux PUF en 1979, en est significative ; il a
aussi conclu sa thèse en regrettant l’absence d’assimilation (Les Algériens
musulmans et la France, 1871-1919, PUF, 1968). Cette vision, appelée
« libérale » car critique d’une politique fermée à tout progrès, déplore
l’attitude des Français d’Algérie responsables des blocages coloniaux.
L’échec des réformes serait-il la cause de la guerre ? Il faut distinguer les
réformes économiques et sociales des réformes politiques.
Après 1945, les gouvernements français ont réfléchi au développement de
l’Algérie – le plan de Constantine*, en 1958, n’est que l’aboutissement tardif
de projets antérieurs. L’idée est que le développement de l’Algérie française
pourrait la doter d’une assise sociale propre à la sauvegarder, grâce à la
promotion d’une frange des colonisés. Le développement servirait aussi à
combattre le nationalisme* en réduisant la misère sur laquelle ce dernier
prospérerait. Un tel raisonnement ignore le sentiment national algérien
qu’exprime pourtant un mouvement revendicatif pluriel : aux
indépendantistes conduits par Messali Hadj* s’ajoutent un courant
républicain autour de Ferhat Abbas* et celui de l’Association des ulémas
musulmans* algériens (AUMA), centrée sur la liberté de culte et
l’enseignement de l’arabe. L’islam et la langue arabe constituent de forts
repères d’identification face à la colonisation, même si des divergences
existent à leur sujet – tout le monde ne leur accorde pas la même importance,
certains les contestent. Les gouvernements français ne tiennent pas compte de
ces aspirations à l’exercice d’une souveraineté collective, libre de toute
tutelle. L’historiographie considérable sur le nationalisme, dont Gilbert
Meynier* offre une synthèse dans Histoire intérieure du FLN (Fayard, 2002),
a bien démontré que de telles réformes ne répondaient pas, par nature, aux
revendications exprimées. Aussi, s’il est difficile d’imaginer quels effets
auraient produits des réformes économiques et sociales, il est certain qu’elles
ne répondaient pas aux aspirations nationales algériennes. Il n’y a donc pas
de raison de penser qu’elles auraient empêché la guerre.
S’intéresser aux réformes politiques relève d’une tout autre démarche :
sans nier le fait national algérien, il s’agit d’envisager que l’indépendance
aurait pu suivre une autre voie, pas obligatoirement exempte de toute
violence mais tout de même pacifiée. C’est bien faute de représentation
démocratique que les Algériens n’ont pu faire valoir leurs aspirations par la
voie politique, notamment en raison du double collège* qu’aucune réforme
n’a cherché à supprimer avant-guerre. Les propositions d’une évolution
légale et progressive du statut de l’Algérie, allant dans le sens de
l’émancipation collective, faites notamment par Ferhat Abbas avec le
« Manifeste du peuple algérien », ont été systématiquement rejetées. Elles
n’étaient pas écoutées.
Joue également dans le déclenchement de la guerre la permanence d’une
répression visant autant les militants individuellement que les mobilisations
de masse. À l’image de Messali Hadj, qui finit par être expulsé en métropole,
les nationalistes sont nombreux à connaître les condamnations et
l’incarcération, l’assignation à résidence ou encore l’interdiction de séjour.
De telles mesures jalonnent couramment les biographies et elles ne touchent
pas que les indépendantistes. Tous les courants en sont victimes. La violence
de la répression des mobilisations de masse condamne par ailleurs le recours
à la grève* et à la manifestation* pour faire triompher les mots d’ordre. Les
massacres du printemps 1945 ont convaincu une nouvelle génération*
militante que seul le passage aux armes pourrait faire évoluer la situation.
Cette conviction anime les fondateurs du FLN* quand ils décident de
déclencher l’insurrection le 1er novembre 1954*. Le tournant des massacres
de 1945 justifie que les récits de la guerre, après un retour rapide sur les
résistances anciennes à la colonisation, insistent sur la période 1945-1954.
Ainsi procède, par exemple, Mohammed Harbi* dans 1954, la guerre
commence en Algérie (Bruxelles, Complexe, 1984).
S’interroger sur les causes de la guerre conduit par conséquent à
s’interroger sur le blocage de la voie politique et sur la permanence de la
violence répressive. Il faut revenir à la structure de la société coloniale en
Algérie pour les comprendre. Celle-ci correspond en effet parfaitement à
cette description de Georges Balandier : « la société colonisée frappe par
deux faits : sa supériorité numérique écrasante et la domination radicale
qu’elle subit ; majorité numérique, elle n’en est pas moins une minorité
sociologique ». Dans une telle société, l’infériorisation de la majorité
colonisée est indispensable à la suprématie de la minorité coloniale. Que la
majorité cherche à sortir de la sujétion et la minorité se place sur la défensive.
Ainsi s’expliquent l’opposition constante des Français d’Algérie à toute
réforme de la représentation politique et leur soutien, voire leur participation,
aux répressions – dans Guelma, 1945 (La Découverte, 2009), Jean-Pierre
Peyroulou a retracé l’histoire de la milice locale impliquée alors dans le
meurtre de centaines d’Algériens. Les voix favorables à l’égalité politique,
parmi les Français d’Algérie, ne représentent qu’une très étroite minorité, si
minime qu’elle n’infléchit pas cette tendance générale. Par sa structure
sociale, malgré l’absence d’apartheid au sens de régime juridique de strict
cloisonnement, l’Algérie coloniale est comparable à l’Afrique du Sud, en tant
que colonie de peuplement dans laquelle les migrants venus d’Europe sont
restés démographiquement minoritaires.
En métropole, cette structure coloniale obscurcit doublement l’horizon.
Symboliquement, d’abord, elle a impliqué une départementalisation soudant
la colonie algérienne au territoire national comme aucune autre. C’est bien
parce qu’elle est une colonie de peuplement que l’Algérie a été érigée en
départements ; il s’agissait, en 1848, de soustraire les migrants européens au
règne des militaires qui tenaient alors le pays. Concrètement, la rupture du
lien colonial pose le problème du sort du million de Français vivant sur place,
dans des conditions telles que leur maintien semble difficile ; leur venue en
France n’est pas non plus facile à imaginer.
Ainsi l’histoire de la colonisation éclaire avec profit la question des
causes de la guerre. Quittant l’histoire politique avec la mise en série des
réformes inabouties et l’incrimination culpabilisante des Français d’Algérie,
elle élève le débat en orientant l’analyse vers le type de colonie que l’Algérie
constituait : une colonie de peuplement ne tenant que par l’infériorisation de
la majorité démographique. De cette structure coloniale est sortie la violence.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Georges Balandier, « La situation coloniale : approche théorique »,
Cahiers internationaux de sociologie, vol. 110, no 1, 2001 • Hélène Blais,
Claire Fredj et Sylvie Thénault, « Désenclaver l’histoire de l’Algérie à la
période coloniale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 63,
no 2, 2016.

CENSURE
Dans l’Algérie colonisée, la liberté d’expression politique et culturelle (la
chanson*, les contes de la place publique puis le théâtre*) a toujours été
conditionnée par l’application de dispositions qui visaient à contenir la
contestation du système en place. À partir de 1954, le refus de nommer ce qui
commence, en recourant à des euphémismes et périphrases pour parler des
« événements », de la « pacification* », du « rétablissement de l’ordre », de
la « rébellion », etc., et le recours à des termes dépréciatifs comme
« fellaghas » ou « terroristes » s’accompagnent de la mise en place d’un
dispositif pour contrôler toute information ou expression sur la guerre et sur
les violences contre les Algériens, notamment les exécutions sommaires*, la
torture* et le viol*. C’est le temps de la censure. C’est aussi celui de son
contournement par des hommes qui refusent le silence complice.
La censure est instaurée par la loi du 3 avril 1955 qui promulgue l’état
d’urgence*. Les autorités administratives (le ministère de l’Intérieur, le
gouverneur général d’Algérie, les préfets*, etc.) sont chargées de prendre les
mesures nécessaires pour assurer le contrôle des publications et diffusions
des textes, des émissions de radio*, des représentations théâtrales, des images
et films, etc., qui portent sur les « événements ». Elle prend appui sur un
dispositif déjà en place (les premières saisies et poursuites ont lieu dès
novembre 1954) et voit son champ d’action élargi : il s’agit notamment
d’empêcher la diffusion de ce qui peut démoraliser l’armée ou inciter à la
désobéissance, voire à la désertion. De même, il s’agit de ne pas alarmer les
familles en métropole.
La télévision qui commence à se démocratiser voit son journal soumis à
un contrôle préalable avant diffusion. Il en est de même pour le théâtre et le
cinéma*. C’est ainsi que Le Cadavre encerclé de Kateb* Yacine, mis en
scène par Jean-Marie Serreau, est interdit (1958). Les reportages filmés de
René Vautier*, les longs-métrages de Jean-Luc Godard (Le Petit Soldat,
1960) ou d’Alain Cavalier (Le Combat dans l’île, 1961) ne sont pas projetés,
car il ne faut pas exposer des comportements contraires à ceux demandés aux
appelés pour servir en Algérie, explique le ministre de l’Information, Louis
Terrenoire.
La censure atteint sa vitesse de croisière dans les dernières années de la
guerre de 1960 à 1962 : elle concerne également de plus en plus les
publications favorables à « l’Algérie française » et à l’OAS*.
Les chiffres des saisies de journaux et de livres sont impressionnants :
269 périodiques et journaux en France, 586 en Algérie. Par ailleurs, 25
ouvrages sont saisis. Quasiment tous les journaux, de gauche ou de droite, de
tendance chrétienne ou communiste, quotidiens ou périodiques, etc., publient
des articles qui tombent sous le coup de cette loi : L’Humanité*, Le Monde*,
La Croix, L’Express, etc. Le fonctionnaire chargé de veiller au respect de la
loi est présent au moment de l’impression du journal. L’Humanité, par
exemple, saisi pour la première fois en août 1955 (pour un reportage sur des
massacres de civils dans le Constantinois), doit refaire, si les articles ne sont
pas agréés, partiellement ou en totalité, la composition du journal et envoyer
au pilon la version refusée. Le journal finit par adopter la technique du blanc
qui prend la place du mot, de la phrase ou de l’article entier qui sont censurés.
Saisi 27 fois et ayant au total fait l’objet de 150 poursuites, il est accusé de
provocation des militaires à la désobéissance, de diffamation envers l’armée
et d’atteinte à la sûreté de l’État. Les amendes sont très lourdes.
Quant aux livres, les interdictions sont inaugurées avec la saisie de La
Question d’Henri Alleg* (1958), puis La Gangrène (1959) et Le Déserteur de
Maurienne (Jean-Louis Hurst*, 1960), publiés aux Éditions de Minuit.
Maspero* est l’autre maison d’édition particulièrement visée par la censure.
Mais les saisies ne sont pas systématiques : L’Affaire Audin (1958) de
Pierre Vidal-Naquet* est diffusée. Souvent les poursuites contre les journaux
et les éditeurs n’aboutissent pas. La censure est confrontée à cette
contradiction : comment poursuivre des publications sur une question (la
guerre et ses violences) qui, selon les autorités, n’existe pas ? Les journalistes
et éditeurs peuvent profiter de cette incohérence.
La diffusion d’une œuvre peut être bloquée en Algérie : c’est le cas de La
Dernière Impression de Malek Haddad (1958) dont « l’impression, la mise en
vente et la distribution » sont interdites par un décret signé du général Salan*.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Michèle de Bussière, Cécile Méadel et Caroline Ulmann-Mauriat
(dir.), Radios et télévision au temps des « événements d’Algérie » (1954-
1962), L’Harmattan, 1999 • Erwan Savina, « Du déni à l’oubli : la censure en
France pendant la guerre d’Algérie », dossier de synthèse, Rennes-2, 2015
• Benjamin Stora, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre
d’Algérie, La Découverte, 1992.

CENTRE D’IDENTIFICATION
DE VINCENNES
(CIV)
Situé au 12, route de la Pyramide, à proximité de l’actuel centre de
rétention administrative, le CIV, ouvert en 1959, sert à détenir les Algériens
appréhendés en région parisienne. Il répond à des revendications policières
anciennes. Contrôles d’identité et « rafles* », comme les policiers les
appellent alors eux-mêmes, font en effet partie de leur répertoire d’action à
l’égard des Algériens, tant pour des raisons politiques (engagements
nationalistes, y compris avant-guerre) que socio-économiques (ils sont aussi
« indésirables » que les prostituées ou les sans-abri). Avant 1959, des
commissariats, locaux des services techniques de la police*, gymnases ou
encore le Vél d’Hiv étaient utilisés.
Au CIV, les agents de la préfecture de police de Paris centralisent leurs
vérifications et fichages, retiennent leurs « suspects ». Ceux-ci sont ensuite
déférés en justice, transférés dans un camp d’internement*, relâchés avec
obligation de pointer régulièrement au commissariat de leur domicile ou
encore expulsés en Algérie où ils sont internés dès leur arrivée. Dans leur
immense majorité, rien ne pouvant être retenu contre eux, les hommes sont
libérés au bout de quelques jours mais restent exposés à une nouvelle
arrestation.
De quelques centaines de places (jusqu’à 1 400 en 1962), le CIV est
constamment surpeuplé. En 1960, 67 281 entrées y sont enregistrées. Un
régime carcéral y règne : promenade dans la cour deux fois par jour, visites
des familles surveillées, supprimées en punition. Les autres camps
d’internement étant saturés, tant en France qu’en Algérie, certains ont passé
ainsi plusieurs mois en attente. La presse* communiste n’hésite pas à parler
de « camp de concentration » et l’ACNV* organise une manifestation* contre
le CIV le 30 avril 1960, réunissant de nombreuses personnalités.
La Cimade* y intervient pour aider ces hommes à résoudre les problèmes
posés par leurs rétentions incessantes. Ainsi les employeurs se plaignent de
leurs absences répétées. Les militants du FLN* y impulsent une résistance
(chants* et grèves de la faim par exemple) mais, au contraire des autres
camps, la noria des internés en limite le développement. Le CIV témoigne
des modalités de la guerre en métropole et de son vécu par les Algériens en
région parisienne.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Linda Amiri, La Bataille de France. La guerre d’Algérie en
métropole, Robert Laffont, 2004 • Emmanuel Blanchard, « L’internement
avant l’internement. Commissariats, centres de triage et autres lieux
d’assignation à résidence (il)-légale », Matériaux pour l’histoire de notre
temps, vol. 92, no 4, 2008 • —, La Police parisienne et les Algériens (1944-
1962), Nouveau Monde, 2011.

CENTRE D’INSTRUCTION
PACIFICATION ET CONTRE-
GUÉRILLA (CIPCG)
Le Centre d’instruction pacification et contre-guérilla (CIPCG) est un
centre d’instruction créé à la fin de 1955 à l’initiative du corps d’armée
d’Oran. Il est situé dans une ancienne caserne de tirailleurs à Arzew, localité
située sur la côte à l’est d’Oran. Il est initialement destiné à former les cadres
des unités de quadrillage aux méthodes de contre-guérilla. Actif au début de
l’année 1956, sous l’autorité du 3e bureau de la 10e Région militaire,
l’Algérie. Il est dirigé par le colonel Fontès, ancien chef de l’Organisation de
la résistance militaire de la région de Draguignan, vétéran de la contre-
guérilla en Indochine*. Son orientation, d’abord tactique, fait une large part à
l’entraînement physique. Les officiers* stagiaires sont désignés par leur
corps.
En mars 1957, un centre clandestin initialement appelé « Section
d’instruction des élèves gradés français musulmans » lui est adjoint. Dans le
cadre de l’opération Pilote, celui-ci doit former des commissaires politiques
algériens profrançais à même de créer une organisation clandestine au sein de
la population algérienne afin de contrer le FLN*. Le bureau psychologique de
l’état-major de Salan* met ainsi un pied dans le centre.
En octobre 1957, sous la nouvelle appellation de 5e bureau, il met la main
sur le CIPCG, arrivant à obtenir la mutation de Fontès. Dès lors, sous le
commandement du lieutenant-colonel André Bruge, ancien numéro 2 du
bureau psychologique, officier de l’infanterie coloniale ayant connu une
captivité de cinq ans dans les camps du Vietminh, le CIPCG est
profondément réorganisé. Sa formation, réduite à deux semaines, devient
bien plus théorique et politique. Le stage concerne désormais tous les
officiers prenant un poste dans les unités de quadrillage en Algérie qui sont
orientés vers le centre avant de rejoindre leur affectation. Des conférences et
des discussions dirigées occupent l’essentiel de l’instruction.
Ses cours doivent beaucoup aux conférences de Charles Lacheroy* et
Antoine Bonnemaison, et développent les idées de guerre révolutionnaire* et
de guerre psychologique. Le but de cette formation est de faire accepter les
méthodes de pacification* aux cadres de l’armée et de leur en enseigner les
procédures qui se sont dégagées de la bataille d’Alger* et de l’opération
Pilote. Au-delà de cette instruction politico-militaire, un anticommunisme
virulent, se voulant positif, structure le discours du CIPCG. Face à la menace
du communisme international, il est expliqué aux stagiaires militaires de
carrière que l’armée française doit devenir révolutionnaire. Rompant avec la
passivité politique qui est la règle depuis la IIIe République, elle doit assumer
une fonction d’encadrement des populations civiles et de modernisation de
l’Algérie tout en menant la destruction du nationalisme* armé.
Les deux semaines de stage sont ponctuées par des discussions dirigées
visant à obtenir l’adhésion intime des stagiaires aux méthodes enseignées.
Des conférenciers militaires viennent exposer leur action. Une « sortie-
pacification » est organisée afin de présenter aux stagiaires des réalisations
concrètes de l’armée. Chaque stagiaire quitte Arzew avec une volumineuse
documentation reprenant les thèmes développés.
Sous le commandement d’André Bruge, d’octobre 1957 à
septembre 1959, plus de 7 000 officiers, dont une moitié d’officiers de
réserve appelés et quelques stagiaires belges et portugais, suivent les deux
semaines de formation du centre d’Arzew. La réorientation de la politique
française après le discours du général de Gaulle* sur l’autodétermination, le
16 septembre 1959, impacte fortement le centre. Bruge est muté à
Madagascar, éloignant opportunément d’Algérie un officier aux positions
radicales. Le contenu de la formation est adapté aux nouvelles orientations
gouvernementales, tout en interprétant les propos de De Gaulle dans le sens
de l’option intégrationniste qui est celle des militaires les plus engagés dans
la défense de l’Algérie française. Pierre Messmer*, en mai 1960, fait
expurger le programme de toute référence à la guerre révolutionnaire et met
fin au caractère systématique du stage pour les officiers prenant leur poste en
Algérie. Le CIPCG continue néanmoins à dispenser des formations pratiques
concernant la pacification.
Le centre est fermé peu de temps après le putsch* d’avril 1961. En faisant
une large promotion d’une conception se voulant révolutionnaire de l’action
militaire, il aura été un puissant vecteur de politisation des officiers et de
diffusion des méthodes attachées à la doctrine de la guerre révolutionnaire.
Denis LEROUX

CENTRE DE RENSEIGNEMENT
ET D’OPÉRATIONS DU GOUVERNEMENT
GÉNÉRAL (CROGG)
En 1954, plusieurs services surveillent les nationalistes algériens mais
sans réelle coordination, par souci de protection des sources. Peu de
renseignements parviennent en outre du terrain, faute de réseaux infiltrant la
population algérienne. Pour remédier à cette situation, le 19 février 1955, le
colonel Louis Constans, chef du cabinet militaire de Jacques Soustelle*
nouvellement nommé au Gouvernement général*, crée le Centre de
renseignement et d’opérations du Gouvernement général (Crogg). Cet
organisme civilo-militaire est théoriquement placé sous la double autorité du
gouverneur général et du général Cherrière*, commandant la 10e Région
militaire que constitue l’Algérie. S’il est dirigé par un officier* d’active,
cependant, le Crogg est rattaché au cabinet civil du gouverneur général qui a
autorité sur lui. Selon un schéma établi en septembre 1955, le Crogg a pour
vocation de concentrer et de traiter l’ensemble des sources collectées à la fois
par les services militaires et civils ayant une activité de renseignement
comme la direction de la Surveillance du territoire (DST), les
Renseignements généraux (RG), le service de documentation extérieure et de
contre-espionnage* (SDECE), le service de sécurité de la Défense nationale
et des forces armées (SSDNFA), la gendarmerie* et le 2e bureau*, mais
également par l’appareil administratif, notamment les sections
administratives spécialisées* (SAS). Des cellules subordonnées sont placées
à tous les échelons civils et militaires. Cette organisation est censée permettre
aux différents services d’acheminer leurs renseignements vers le Crogg.
Afin d’assurer une bonne circulation, un Centre de liaison et
d’exploitation (CLE) est institué à chaque échelon administratif. Dans les
préfectures, le CLE est rattaché au cabinet du préfet*. Quel que soit son
niveau, le CLE rédige des synthèses et établit des statistiques sur l’évolution
générale de la situation en vue d’éclairer l’autorité politique. En bout de
chaîne, le Crogg rédige également un « bulletin quotidien des événements »
destiné aux préfets. Il est complété par une « physionomie hebdomadaire de
la semaine » qui fait état de la situation politique et militaire. Elle dresse aussi
le bilan* des pertes de l’ALN* et des forces de l’ordre, ainsi que des armes
perdues et récupérées.
Ainsi l’activité du Crogg est dans les faits très proche de celle que mène
le Service des liaisons nord-africaines* (SLNA) du colonel Paul Schœn. En
effet, le SLNA, qui a succédé en mai 1947 au Service d’information et de
documentation musulmane (SIDM) qui traitait notamment de la presse*, des
publications et des émissions radiophoniques, est spécialisé dans les
questions politiques. Cet organisme, modeste par sa taille – il ne compte
qu’une douzaine d’employés –, dispose d’une crédibilité certaine en Algérie
pour avoir alerté sur le risque imminent de soulèvement en octobre 1954.
Dans un contexte d’opérations de maintien de l’ordre de grande envergure,
qui imposent une approche globale du renseignement et une gestion
recentrée, le Crogg reprend progressivement les missions et les attributions
du SLNA jusqu’à l’absorber : un arrêté du 31 mai 1957 met officiellement un
terme à l’existence du SLNA dont les missions sont transférées à la sous-
direction des affaires politiques et générales du Gouvernement général.
De fait, pourtant, au fil des mois, le renseignement militaire prime sur le
renseignement civil. Ainsi, le général Lorillot* crée en juin 1956 un nouvel
organisme, le RAP (répression-action-protection), placé sous le
commandement du colonel Léon Simoneau. En avril 1957, le général Salan*
le transforme en centre de coordination interarmées (CCI), pour coiffer
l’action des différentes unités agissant dans la recherche du renseignement
opérationnel. En conséquence de cette évolution, le Crogg devient, le 8 juillet
1958, un « bureau d’études » conjointement rattaché au cabinet civil du
Gouvernement général et au commandant en chef. Il est toujours commandé
par le colonel Ruyssen, mais n’est plus chargé que du renseignement non
militaire, le renseignement militaire étant de la seule compétence du
2e bureau. Le bureau d’études produit donc des fiches sur les événements
d’ordre public importants, un « rapport hebdomadaire sur l’évolution de la
situation politique » et des rapports mensuels. À l’été 1959, le lieutenant-
colonel Baudet, jusque-là adjoint au chef de bureau, en prend le
commandement. Il est remplacé en août 1960 par le lieutenant-colonel
Thozet. Les productions du bureau d’études disparaissent avec le cessez-le-
feu en Algérie.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Maurice Faivre, Le Renseignement dans la guerre d’Algérie, Panazol,
Lavauzelle, 2006 • Henri Jacquin, La Guerre secrète en Algérie, Olivier
Orban, 1977 • Constantin Parvulesco, Secret-défense, histoire du
renseignement militaire français, Boulogne-Billancourt, ETAI, 2007.

CENTRES D’HÉBERGEMENT (CH)


Cet euphémisme désigne les premiers camps d’internement* créés en
Algérie, en 1955. Leur appellation est fixée par une instruction du gouverneur
Soustelle*, qui les place sous la responsabilité des préfectures et d’un Service
central des centres d’hébergement (SCCH), à Alger. De 4 en mai 1955, leur
nombre s’élève à 10 en avril 1958, 11 en août 1960, puis ils ferment peu à
peu, avec les négociations*. Au maximum, ils comptent 11 000 internés en
1959.
Leur répartition reflète l’encadrement légal des pratiques répressives. En
avril 1958, l’Algérois compte 5 camps (Berrouaghia, Lodi, Paul-Cazelles,
Tefeschoun, Camp du Maréchal), l’Oranie 4 (Arcole, Bossuet, Saint-Leu,
Sidi Marouf), le Constantinois un seul (Djorf) : pour les autorités, les
exécutions de « suspects » sont plus répandues dans le département de
Constantine qu’ailleurs, d’où l’existence d’un seul camp.
Les sources décrivent ces camps entourés de barbelés et souvent dotés de
miradors. Changeant au cours du temps, les conditions de vie y varient
également selon leur taille (une centaine d’internés à Lodi, 1 400 à
Tefeschoun et à Bossuet), leur installation (des baraques pour Berrouaghia,
des tentes pour Djorf à ses débuts, les bâtiments d’une colonie de vacances
pour Lodi), leur localisation (nord ou sud) et leurs directeurs. Un
témoignage* anonyme, publié à l’époque, dénonce ainsi la terreur exercée par
le centre de Paul-Cazelles, en 1957.
Longtemps, aucun règlement ne définit le régime de l’internement.
Généralement, les internés assurent le quotidien, avec des corvées de cuisine
ou d’entretien. Leurs droits, suspendus en cas de punition, sont limités en
pratique. La distance et le dénuement contrarient les visites des familles, la
correspondance est censurée, les livres et journaux contrôlés. Le FLN* y
développe non seulement une résistance mais des cours que les autorités
redoutent : « séminaire de la rébellion », « école de cadres rebelles »,
« universités fellaghas », disent les rapports. Ils font état de violences
(jusqu’aux tirs sans sommation, exécutions au prétexte d’évasions*) et de
problèmes sanitaires (physiques avec la tuberculose ou psychologiques avec
des suicides et tentatives de suicide). Spécifiquement, les internés souffrent
d’être enfermés sans perspective de libération, car les arrêtés d’assignation à
résidence qui légalisent leur internement ne sont pas limités dans le temps, au
contraire d’une peine de prison* que le condamné peut décompter.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre
d’Algérie, La Découverte, 2001 • —, Violence ordinaire dans l’Algérie
coloniale. Camps, internement, assignation à résidence, Odile Jacob, 2012.

CENTRES DE RENSEIGNEMENT
ET D’ACTION (CRA)
Les centres de renseignement et d’action sont créés à partir de l’été 1958
dans le but de rassembler les différents services chargés de lutter contre le
FLN*, qu’ils soient policiers ou militaires. Ils sont présents sur tout le
territoire algérien et leur action est coordonnée par l’armée. Ce regroupement
sous le même nom et dans le même lieu des différents services chargés du
renseignement témoigne, en fait, de la suprématie totale acquise par l’armée
dans la conduite de la répression en cette deuxième moitié de l’année 1958.
Les CRA sont divisés en deux équipes : une « équipe de centralisation et
d’études » est chargée de recueillir des informations, de les centraliser et de
les analyser tandis qu’une « équipe d’exploitation » mène des opérations sur
la base des informations collectées. Ce sont des commandos de quelques
hommes qui doivent travailler en coordination avec d’autres unités militaires
ou policières, bien que surviennent parfois des tensions inhérentes à toute
concurrence entre services jaloux de leurs prérogatives. Leurs relations avec
les détachements opérationnels de protection* (DOP) sont particulièrement
complexes mais la coopération s’organise globalement. Ils sont aussi liés à
d’autres structures leur préexistant. Ainsi ils sont dirigés par les OR (officiers
de renseignements) des 2e bureaux* de l’armée, mobilisent des policiers ou
des gendarmes détachés, recourent à des harkis*.
Ils contribuent au maillage du territoire indispensable dans la logique
militaire à la lutte contre l’ennemi, selon des modalités différentes entre villes
et campagnes. Ils sont plus soumis aux obligations légales dans les premières
où ils doivent s’assurer le concours d’officiers de police* judiciaire pour
officialiser leurs arrestations et perquisitions susceptibles de déboucher sur
des procédures en justice. En milieu rural, ils cherchent prioritairement, selon
leur langage, à « dénoyauter » les « masses » que le FLN organise.
Un CRA a particulièrement fait parler de lui : la ferme Ameziane*, à
quelques kilomètres de Constantine. Plaque tournante du système répressif
local et une des clés de ce que son responsable appellera « la bataille de
Constantine », au début de l’année 1958, sur le modèle de la répression sans
limite mise en œuvre à Alger en 1957, ce CRA reste le mieux documenté de
l’historiographie.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Luc Einaudi, La Ferme Améziane.
Enquête sur un centre de torture pendant la guerre d’Algérie, L’Harmattan,
1991.

CENTRES DE TRI ET DE TRANSIT


(OU CENTRES DE TRIAGE ET DE TRANSIT) (CTT)
Les CTT sont créés par un arrêté de Robert Lacoste*, le 11 avril 1957. Ce
texte autorise les militaires à assigner leurs « suspects » dans des lieux
officiellement reconnus, le temps de les interroger. Ils sont censés être ensuite
libérés, déférés en justice ou internés dans un « centre d’hébergement* » pour
une durée indéterminée. Aussi ces lieux sont-ils appelés « centres de tri et de
transit » ou « de triage et de transit ». La décision conduit l’armée à déclarer
comme tels des locaux qu’elle utilise déjà.
Pour Robert Lacoste, il s’agit de « permettre aux autorités responsables
de suivre au plus près la réalité ». Mission impossible, concluent toutes les
enquêtes menées, que ce soit par la Commission internationale contre le
régime concentrationnaire* (CICRC), les commissions de sauvegarde* ou
l’Inspection des centres d’internement créée en 1960. Rien n’oblige les
militaires à déclarer l’identité des individus qu’ils appréhendent, ni les
endroits où ils les détiennent. Au contraire, le secret des opérations est pour
eux fondamental.
Les statistiques dénombrent toujours plusieurs dizaines de CTT, voire
plus d’une centaine (113 en novembre 1959). Un rapport de l’Inspection des
finances donne une idée du déficit de contrôle sur leur « réalité ». De janvier
à août 1959, pour une moyenne mensuelle officielle de 17 440 détenus dans
les CTT, la moyenne des rations alimentaires budgétées est de 19 950. La
différence (2 510) correspondrait à des détenus officieux, dans les CTT eux-
mêmes ou ailleurs.
Les CTT sont de sinistre mémoire. Les détachements opérationnels de
protection* (DOP), ces organismes spécialisés dans le renseignement, connus
pour leur pratique de la torture*, y interviennent. La ferme Ameziane*, par
exemple, avait une section CTT. Très connu est aussi l’immeuble en
construction d’El Biar, où Ali Boumendjel* est assassiné, Henri Alleg*
torturé et Maurice Audin* conduit avant de disparaître. Sans qu’ils puissent
être comptés, nombreux y ont perdu la vie, sous la torture ou exécutés. Dans
la longue durée, les CTT représentent une étape cruciale de l’histoire de
l’internement : celle de sa militarisation, au sens où une armée exerçant des
pouvoirs de police* (arrestation, interrogatoire, détention) obtient légalement
le pouvoir d’interner.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Luc Einaudi, La Ferme Améziane.
Enquête sur un centre de torture pendant la guerre d’Algérie, L’Harmattan,
1991 • Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps,
internement, assignation à résidence, Odile Jacob, 2012.
CENTRES MILITAIRES D’INTERNÉS
(CMI)
Les CMI sont voués à l’internement des combattants pris au maquis. Leur
existence découle d’une interrogation sur le sort de ces prisonniers* : « Une
fois que le commandant de secteur a décidé que, malgré les instructions en
vigueur, le rebelle pris au combat les armes à la main n’était pas abattu, et
que, d’autre part, il l’a sélectionné comme “bon”, “prisonnier de guerre”,
“susceptible de réhabilitation”, que faire ? » s’interroge l’état-major, fin
1957. Le 19 mars 1958, le général Salan* répond en créant des « centres
d’internés militaires » avant de se raviser et d’inverser les deux derniers
termes. Dans cette première appellation, « militaires » qualifie les internés
alors que Salan leur refuse cette qualité. Ils ne sont pas des prisonniers de
guerre : « Les conventions de Genève* ne leur sont pas applicables. »
L’instruction définit un régime éloigné des conventions. Les CMI,
d’abord, sont réservés aux prisonniers dont la « récupération » (dixit Salan)
est jugée possible, c’est-à-dire leur ralliement à l’armée française. Ils restent
en outre exposés à « la recherche du renseignement par leur interrogatoire ».
Le changement de régime retarde la mise en œuvre du texte. Les premiers
CMI ouvrent à l’été 1958. Ils restent peu nombreux (7 en 1960) et comptent
un maximum de 4 500 hommes.
Salan préconise de leur réserver un traitement aussi favorable que
possible afin de favoriser les ralliements. Les témoignages* et les archives*
prouvent le contraire. Au motif d’un travail doté de vertus rééducatives, de
rudes corvées sont infligées dans les CMI. En 1959, les internés des CMI de
Boghar et d’Hammam Bou Hadjar aménagent eux-mêmes leurs camps. En
1961, ceux de Lamoricière (Ouled Mimoun) sont « utilisés hors du camp, soit
sur des barrages, soit dans des unités », relate le général chargé de
l’inspection des centres d’internement. En 1962, à la suite du témoignage
d’Abdelhamid Benzine*, il constate qu’à la « section spéciale » de Boghari,
les internés sont soumis à une discipline martiale particulièrement stricte et
des violences quotidiennes : « coups », « brutalités », « mesures vexatoires »,
écrit-il. Trois internés sont décédés. Globalement, les ralliements sont restés
marginaux.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Abdelhamid Benzine, Le Camp, Éditions sociales, 1962 • Sylvie
Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La
Découverte, 2001 • —, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps,
internement, assignation à résidence, Odile Jacob, 2012.

CENTRES SOCIAUX ÉDUCATIFS (CSE)


Après 1945, en Algérie, l’action sociale et éducative* a occupé tout un
secteur du milieu associatif, qu’une éphémère Association de la jeunesse
algérienne pour l’action sociale (Ajaas) a tenté d’organiser entre 1953
et 1955, selon Nelly Forget*. Un idéal de justice sociale, le souci de la dignité
humaine, une générosité opposée à la haine, animent les membres de ces
associations de diverses obédiences, laïques ou religieuses, mais aussi
syndicales, tout autant « musulmans » qu’« européens », selon la taxonomie
coloniale en vigueur.
Les centres sociaux, créés par un arrêté le 27 octobre 1955, s’inscrivent
dans cette filiation. Leur premier directeur, Charles Aguesse, est issu de cette
mouvance. Nés du constat de la « clochardisation » des Algériens que fait
Germaine Tillion*, la célèbre ethnologue appelée par le gouverneur
Soustelle*, ils ont à l’origine une vocation polyvalente : scolarisation mais
aussi action médico-sociale. Leurs membres, recrutés parmi des « cadres
spécialisés dans les différentes techniques de l’éducation », selon l’arrêté du
27 octobre 1955, doivent être affectés dans des centres tant urbains que
ruraux. Rattachés à l’Éducation nationale, ils sont renommés « centres socio-
éducatifs » en 1957 et resserrés sur l’objectif d’une scolarisation totale.
Concrètement, avec des effectifs atteignant le millier d’agents en 1962, plus
d’une centaine de centres ont été ouverts. Lieux de rencontre et d’échanges
par-delà la frontière coloniale, avec des contacts interpersonnels occasionnant
parfois quelques complicités avec les nationalistes, les CSE ne sont pas visés
par le FLN* en tant que tels, sauf exceptionnellement, selon Nelly Forget. Ils
n’en suscitent pas moins réticences, voire méfiance, côté algérien. Côté
français, l’armée française puis l’OAS* les ciblent nettement. Deux grandes
vagues d’arrestations, accompagnées d’interrogatoires et de sévices, les
frappent, en 1957 et 1959, ainsi qu’un procès aboutissant à des peines
symboliques. En 1962, l’OAS organise l’assassinat de six membres des CSE,
au cours d’une réunion à Château-Royal*, dont leur directeur de l’époque,
Max Marchand, inspecteur de l’Éducation nationale. Diabolisant le
nationalisme* algérien, confondant fraternité et parti pris indépendantiste, les
inconditionnels de l’Algérie française étaient incapables de voir les membres
des CSE autrement qu’en ennemis, liés au FLN.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Isabelle Raymonde Deblé, « Les centres sociaux en Algérie », Esprit,
no 308, 2004 • Nelly Forget, « Le service des centres sociaux en Algérie »,
Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 26, 1992.

CHAÂBANI, MOHAMED (1934-1964)


Né le 4 septembre 1934 à Oumèche (Biskra), Tahar Chaâbani, dit
Mohamed, a un parcours politique des plus complexes.
Il rejoint l’ALN* en 1956 et gravit rapidement les échelons au sein de la
Wilaya 6* (Sahara). En juillet 1959, il est impliqué, avec les capitaines Ben
Messaoud, Belkadi et Lakehal, dans la liquidation physique de leur
commandant en chef, Si Tayeb Djoghlali, le 29 juillet 1959. Désormais, c’est
un « conseil de capitaines » autoproclamé qui dirige la wilaya, avec Chaâbani
à sa tête. Sa nomination n’est pas validée par le GPRA*. En conséquence, le
Sahara est mis en disgrâce et devient le lieu d’affrontements fratricides avec
la venue de responsables de la Wilaya 4*, désireux de venger la mort de
Tayeb Djoghlali.
En août 1959, le colonel Boumediene*, responsable de l’EMG* ouest
dont dépend la Wilaya 6, accuse les auteurs de cet assassinat politique de
« haute trahison ». Au CNRA* de Tripoli (1960), le territoire de la Wilaya 6
passe sous l’autorité des Wilayas 1*, 4 et 5*.
Chaâbani réussit pourtant à surmonter bien des difficultés et à s’imposer
comme chef de fait de la Wilaya 6. L’EMG finit par le ménager et le GPRA
l’élève au grade de colonel en 1962.
À l’indépendance, Chaâbani se rallie à Ahmed Ben Bella*. Originaire de
Tolga (Biskra), Mohamed Khider* est l’interface entre les deux hommes.
Ancien élève de l’institut Ben Badis de Constantine, Chaâbani partage avec
Ben Bella et Khider les mêmes convictions politiques et idéologiques et
défend avec eux l’identité arabo-islamique de l’Algérie.
Parallèlement, Boumediene, alors ministre de la Défense, poursuit la
réorganisation de l’ANP*. Le décret de mars 1964 supprime les wilayas et les
remplace par des régions militaires. Chaâbani est nommé adjoint, avec le
commandant Bensalem et le colonel Abbas, auprès de Tahar Zbiri*, chef
d’état-major. Il manifeste cependant son refus de quitter sa région. Par
ailleurs, comme membre du Bureau politique du FLN*, il critique
sévèrement, lors du congrès du FLN (avril 1964), les « déserteurs de l’armée
française* » (DAF) que Boumediene privilégie pour moderniser l’ANP. Son
point de vue, partagé par une partie des responsables de l’ALN, lui vaut la
vindicte de Boumediene.
Il entre en dissidence durant l’été 1964 et s’oppose ouvertement à Ben
Bella et Boumediene. Dénoncé par les autorités comme étant un « féodal
contre-révolutionnaire », il est arrêté le 8 juillet, jugé et condamné à mort par
la cour martiale, siégeant à Oran. La sentence est exécutée le 3 septembre
pour l’exemple.
Dans divers écrits dont les mémoires de Tahar Zbiri, le colonel Chaâbani
est considéré comme une victime des DAF. D’autres le considèrent comme
étant l’archétype de l’officier nationaliste attaché aux valeurs de l’islam et de
l’arabité.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Hadi El Ahmed Derouaz, Le Colonel Mohamed Chaâbani et l’espoir
[en arabe], Bouzareah, Dar Houma, 2003 • Jean-François Kahn, « L’armée
algérienne s’assure le contrôle du “fief” du colonel Chaabani », Le Monde,
3 juillet 1964 • Mohamed Teguia, L’Armée de libération nationale en
Wilaya IV, Alger, Casbah, 2002.

CHAHID (MARTYR)
Comme moudjahid* (pluriel : moudjahidin), chahid (pluriel : chouhadas)
désigne une individualité héroïque, une figure symbolique et politique
majeure de l’Algérie postcoloniale. Tous deux ont en commun une référence
religieuse puissante, parfois estompée, parfois surdimensionnée, mais
prégnante. Ils se rapportent aux combattants engagés dans la lutte armée pour
l’indépendance, sous la direction du FLN* et de l’ALN*. La vie du chahid
(« martyr »), donnée pour la cause, est une forme sublimée de la shahada, la
profession de foi unitaire de l’islam, attestant qu’il n’y a de dieu qu’Allah et
que Mohammed est son envoyé. Prononcée par l’homme à l’instant de sa
mort, le doigt levé, par lui-même ou un proche, s’il ne le peut, la profession
de foi ne fait cependant pas de ce dernier un « martyr ». Seul est sanctifié et
révéré sous ce nom l’homme qui a sacrifié sa vie dans le combat pour Dieu –
et pour sa patrie, l’un étant supposé ne pas aller sans l’autre dans le contexte
de la guerre pour l’indépendance.
Le moudjahid (« combattant »), si courageux soit-il, est resté vivant. En
tant que tel, il est symboliquement inférieur au chahid. Ce sont cependant les
mêmes hommes, jusqu’à ce que la mort les sépare et les distingue sur tous les
plans : physique, théologique, politique et juridique, avec les conséquences
qui en découlent. À l’heure de l’indépendance, l’enjeu de la qualification
comme moudjahid et chahid, source de rente symbolique et matérielle,
devient majeur. Cet enjeu n’est pas seulement politique, il est économique et
susceptible, à ce double titre, et de plus en plus, de toutes les récupérations et
falsifications.
Pour le comprendre, il faut revenir à l’histoire des appellations. Avant
1954, dans le langage usuel des nationalistes, on se donne du « frère » (akh,
pluriel : ikhouan) et non du « camarade ». Quand un militant s’engage dans
l’OS*, organisation paramilitaire du PPA-MTLD*, au prix de sa vie, après
serment sur le Coran et mise à l’épreuve, il est connu sous un pseudonyme,
précédé ou non d’un Si indicateur de respect : Si Tayeb pour Boudiaf*, mais
Hakim, simplement, pour Ben M’hidi*, par exemple. L’OS ne désigne pas
ses membres comme moudjahidin. Une fois l’insurrection lancée, moudjahid
et chahid se répandent, mais le sacré et le séculier s’entrelacent à maints
égards. Le congrès de la Soummam* donne à la lutte armée son terme
générique de « révolution », avec le mot ancien thaoura (« révolte
spontanée », « colère subite »). Le congrès ne choisit pas djihad. Le soldat de
base de l’ALN est appelé djoundi (pluriel : djounoud). En revanche, le FLN
donne à son journal le titre d’El Moudjahid, créé en remplacement de
Résistance algérienne. Sur le terrain, les hommes se dédoublent en
moudjahidin (incluant les fida’iyin, pluriel de fida’i, « sacrifié volontaire »,
auxquels sont confiés les attentats en ville) et moussebiline, désignant ceux
qui apportent une aide financière, matérielle, et logistique décisive aux
combattants.
Après 1962, moudjahid et chahid deviennent des figures structurantes de
la geste révolutionnaire. Elles fournissent à l’État algérien nouveau les bases
de sa légitimité. Ces figures ne sont pas seulement au cœur du récit national
et des rituels de la commémoration*, elles donnent lieu à une
institutionnalisation et une instrumentalisation renforcée, en tant que
ressource et enjeu de pouvoir. Dans la société, la recherche des restes des
parents morts au combat, enterrés en des lieux non identifiés, mais aussi la
création d’espaces dédiés, prémisses des « carrés des martyrs » dans les
cimetières, doivent plus aux initiatives privées et locales des familles qu’à
l’impulsion de l’État. Tahar Djaout, dans son roman Les Chercheurs d’os
(1984), montre néanmoins l’intérêt de cette quête en vue d’un
repositionnement social fructueux dans l’espace villageois.
Les chiffres participent du processus. Premier président de la République
algérienne, Ben Bella* donne un nombre des martyrs supérieur à 1 million,
bientôt augmenté à 1,5 million, pour une population de 8 millions
d’Algériens en 1954. Ce chiffre hyperbolique devient vérité pour l’opinion*
commune, et le reste à ce jour, toutes tendances confondues, y compris chez
des universitaires. L’ampleur des pertes humaines, qui se chiffrent en
plusieurs centaines de milliers, suffit à expliquer la dureté de l’épreuve et la
persistance du trauma : aux hommes morts au combat s’ajoutent les pertes
civiles dues non seulement aux ratissages et représailles frappant les villages,
mais aux conditions de survie fortement aggravées (maladies, sous-
alimentation, mortalité infantile).
Chahid conserve à ce jour l’image de pureté qui lui est attachée dès
l’origine tandis que moudjahid a connu un processus de dévalorisation. Le
cercle qui contrôle encore et toujours le pays se réclame plus que jamais du
sacrifice des chouhadas. La puissance symbolique du chahid parle encore
aux jeunes générations qui la retournent contre le pouvoir, par-delà la
contestation chantée dans les stades et pacifique dans les rues. Le hirak a su
s’emparer, de façon critique, sous une forme collective joyeuse et pacifique,
des deux figures concomitantes et contrastées de la geste de Novembre.
Omar CARLIER
CHALLE, MAURICE (1905-1979)
Né en 1905, Maurice Challe entre à Saint-Cyr en 1923-1925. Il choisit
l’armée de l’air* et devient pilote. En juillet 1939, officier* d’état-major, il
participe à la bataille de France comme aviateur. Il sert dans l’armée de
Vichy avant d’entrer dans l’Organisation de résistance de l’armée à la fin de
l’année 1942 et de constituer le réseau de résistance François Villon. Il
devient commandant de l’armée de l’air au Maroc* en 1949 puis est nommé
commandant de l’école de guerre aérienne en 1953. Lors de la crise de
mai 1958, Challe est placé sous surveillance à Brest par le ministre de la
Défense Pierre de Chevigné. Ayant la confiance de Charles de Gaulle*, il
revient en grâce. À ce titre, il devient le 15 juillet 1958 général d’armée
aérienne et adjoint de Salan* en Algérie, avant de remplacer ce dernier
comme commandant en chef en Algérie à compter du 12 décembre 1958. Il
met alors en place un plan d’opérations militaires resté dans la postérité sous
le nom de « plan Challe* ». Pour Challe et son état-major, ce plan est
l’aboutissement opérationnel des réflexions sur la guerre antisubversive et
vise à garantir la pérennité de l’Algérie française, alors que de Gaulle le
conçoit comme un outil militaire pour mener les négociations* politiques
avec les nationalistes en situation de force. Le discours sur
l’autodétermination* du 16 septembre 1959 achève de le mettre en porte-à-
faux avec la politique gaullienne. De Gaulle, constatant son indulgence
envers les insurgés de la semaine des barricades*, du 24 janvier au 1er février
1960, décide finalement de le remplacer par le général Crépin* en mars 1960.
Challe devient alors commandant en chef des forces alliées Centre-Europe.
Moins d’une année après, désabusé par la tournure des événements en
Algérie, il quitte la vie militaire pour un emploi civil. Mais, le 12 avril 1961,
il participe au putsch* aux côtés de Jouhaud* et Zeller*. Il fait partie des
quatre généraux du putsch – Salan, en exil en Espagne, se greffant
tardivement au complot – et en prend la direction formelle. À la suite de
l’échec du soulèvement militaire, il refuse de plonger dans la clandestinité et
se rend par conséquent aux autorités civiles. Condamné à quinze ans de
prison*, il est gracié en 1966 puis amnistié* en 1968. Il meurt le 18 janvier
1979.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Archives : Dossier de carrière du général Maurice Challe, SDH.
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018
• Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant, Pouvoir politique et
autorité militaire en Algérie française, hommes, textes, institutions. 1945-
1962, L’Harmattan, 2002.

CHANSON ALGÉRIENNE
La chanson patriotique a été l’expression artistique la plus flatteuse de la
Guerre d’indépendance et la plus habile des propagandes*. Elle s’inscrit dans
une histoire construite tout au long du XXe siècle dans la volonté du
mouvement national d’associer la culture au combat anticolonial.
Dès l’entre-deux-guerres, les premiers grands artistes comme Bachtarzi,
« le Caruso du désert », participent en région parisienne aux meetings de
l’Étoile nord-africaine (ENA), qui fait de la culture un des socles de la
cohésion communautaire. Au pays, un lettré comme Moufdi Zakaria, futur
auteur du célèbre Qassaman* (Nous jurons), vingt ans plus tard devenu
hymne national, offre déjà en 1936 au leader Messali*, un hymne pour
l’ENA, Fidaou el Djazaïr (Sacrifice pour l’Algérie). La chanson populaire
est aussi présente dans ces lieux de sociabilité politique que sont les cafés.
Des chants* plus engagés sont repris par les scouts musulmans*, véritable
pépinière de militants et de futurs artistes tels que Blaoui Houari ou Ahmed
Wahby*. Les scouts chantent lors de leurs sorties et de manifestations comme
celles du 8 mai 1945*. Après les massacres de Sétif, ils adoptent le chant
emblématique Hayyou Chamal Ifriqia ya Chabab (Ô jeunesse, fais vivre
l’Afrique du Nord).
Cette forte interaction entre culture populaire et histoire politique
s’intensifie après la Seconde Guerre mondiale. En Algérie, même si les
artistes ont besoin de se produire dans l’émission en langue arabe et kabyle
(Elak) de la radio, leur sensibilité au discours nationaliste s’affirme. Fadela
Dziria, l’élégante dame du Hawzi algérois (dérivé de la musique andalouse),
emprisonnée à Serkadji (Barberousse), en est l’exemple.
En métropole, beaucoup militent dans les rangs nationalistes comme
Missoum, emprisonné pour avoir entonné dans des galas des chants
patriotiques. Dans la lutte qui oppose messalistes et FLN*, les artistes se
rangent progressivement du côté de ce dernier en donnant une part de leurs
cachets comme impôt de guerre. La vie artistique nocturne continue dans les
cabarets « orientaux » de la capitale. Les artistes s’y produisent et s’y
rencontrent. Ils enregistrent aussi des titres dans le catalogue arabe des
maisons de disques grâce à un découvreur de talents, Ahmed Hachlef, ancien
scout musulman, véritable médiateur culturel. La censure* interdit les
chansons trop explicites et même celles qui se veulent allusives. Le chanteur
kabyle Slimane Azem est inquiété pour avoir chanté Affagh aya djrad
(Sauterelles, vous avez tout dévoré), parabole quasi biblique du fléau
colonial.
Dans ce contexte, « la jeune Ouarda » se sert de sa voix juvénile et
prodigieuse comme d’un défi avec le titre Ya habibi, Ya moudjahid (Ô ami, ô
combattant). En 1958, après la fermeture du cabaret parisien de son père, Le
Tam-Tam, pour collusion avec le FLN, toute la famille est expulsée au Liban.
Ouarda prend le surnom emblématique d’El Djazaïria et interprète en
hommage aux femmes* combattantes Djamila, en l’honneur de Djamila
Bouhired*.
1958 est l’année de départ, volontaire cette fois, d’artistes qui rejoignent
Tunis pour former la troupe nationale qui fait rayonner la culture algérienne
vivante dans des tournées internationales : Mustapha Toumi, Hsissen, Ahmed
Wahby ou encore Farid Ali, compositeur du célèbre chant kabyle repris dans
le maquis A yemma azizen (Ô mère chérie).
En Algérie, ces chansons circulent au maquis, ou clandestinement en
ville, grâce à la radio* du FLN qui diffuse, à partir du Caire, une émission qui
se clôture par des chants. Un premier disque est pressé en Yougoslavie* en
1961, chants de lutte mais aussi répertoire andalou classique et patrimoine
des régions, comme un acte de réappropriation d’une identité malmenée par
la colonisation. Avec la musique, le FLN gagne sa bataille culturelle.
Dès l’indépendance, la musique, tant savante que populaire reprend ses
droits d’art majeur. La chanson du maître du chaâbi, El Anka, Elhamdou
lilah mab’qach istiamar fi bledna (Dieu soit loué, le colonisateur n’est plus
chez nous !), accompagne la liesse populaire. Pas un segment de la chanson
ne se tient à l’écart, puisque Rimitti, la reine du raï – genre considéré alors
comme sulfureux et décadent –, connaît un grand succès avec Ya ouled
Djazaïr (Ô enfants d’Algérie). Il faut revenir, en citant Fanon*, à l’entreprise
de « déculturation » instaurée par le rapport colonial pour comprendre la forte
participation des artistes au combat anticolonial et l’empathie populaire
autour de leurs chansons. Devenues un véritable bien commun, elles sont
aujourd’hui reprises dans les mobilisations du hirak.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Ahmed et Mohamed El Hbib Hachlaf, Anthologie de la musique
arabe, CCA-Publisud, 1993 • Bachir Hadj Ali, Qu’est-ce qu’une musique
nationale ?, conférence du 6 février 1964, Alger • Naïma Yahi, « Les femmes
connaissent la chanson », in Driss El Yazami, Yvan Gastaut et Naïma Yahi
(dir.), Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France,
Gallimard-CNHI, 2009.
CHANSON FRANÇAISE
Contrairement à d’autres, la guerre d’Algérie n’a guère été accompagnée
de chansons. Ni la génération au faîte de sa gloire (Piaf, Gréco), ni les
chanteurs à texte (Brel, Brassens, Ferrat) n’ont ciblé le conflit algérien. La
censure* veillait. Chacun connaît les mésaventures du Déserteur*, de Boris
Vian – créée dans le contexte de la guerre d’Indochine*, elle est interdite et
ne trouve qu’un interprète Mouloudji. Le seul à percer le mur des interdits est
l’anarchiste* Léo Ferré, osant graver dans le vinyle une dénonciation des
baroudeurs : « Quand l’Indochin’ c’est terminé/Où c’est-t-y qu’on pourrait s’
tailler » et de leurs méthodes : « Fil’ moi ta part mon p’tit Youssef/Sinon j’te
branch’ sur l’EDF/Réponds, dis-moi où est ton pot’/Sinon tu vas êtr’
chatouillé » (1961). Moins frontal, Quand un soldat, interprété par Yves
Montand et Francis Lemarque, peut être reçu comme un cri protestataire. De
même, La Mauvaise Réputation de Georges Brassens (1952) est reprise par
les opposants à la guerre. Dans un genre différent, une œuvre oubliée relate le
quotidien de certains appelés, Y’avait Fanny qui chantait : « Dans ce bled il
faisait chaud/L’ennui nous trouait la peau/On vivait sans savoir si/On
reviendrait au pays » (1958).
La communauté européenne d’Algérie ne reste pas inactive, produisant
en 1958 un Hymne de l’Algérie française, qui ne franchit jamais la
Méditerranée avant de se perdre dans les mémoires.
Que chantent donc les Français, de 1954 à 1962, qui puisse avoir un lien
avec l’Algérie ? Aussi incroyable que cela puisse paraître, les transistors et
les premières télés font un triomphe à « Chérie je t’aime/Chérie je
t’adore/Como la s-a-a-lsa del pomodor » (1960). Sans oublier un Ali Baba
cha-cha ou un Pourquoi la Casbah a brûlé, mon z’ami.
La guerre à peine terminée, un jeune Constantinois qui se fait appeler
Enrico Macias émeut le pays. « J’ai quitté mon pays/J’ai quitté ma
maison/Ma vie, ma triste vie/Se traîne sans raison/J’ai quitté mon soleil/J’ai
quitté ma mer bleue » (1963). Souffrance et sentiment d’abandon, émotion
des téléspectateurs ; simultanément, un autre peuple, au sud de la
Méditerranée, a connu d’autres souffrances, plus terribles.
Alain RUSCIO
Bibl. : Claude et Josette Liauzu, Quand on chantait les colonies.
Colonisation et culture populaire de 1830 à nos jours, Syllepse, 2002 •
Lucien Rioux, « De Bambino à Mustapha, le fond sonore de la guerre »,
in Laurent Gervereau, Jean-Pierre Rioux et Benjamin Stora (dir.), La France
en guerre d’Algérie, Édition du musée d’Histoire contemporaine/BDIC, 1992
• Alain Ruscio, Que la France était belle au temps des colonies. Anthologie
de chansons coloniales et exotiques françaises, Maisonneuve et Larose,
2001.

CHANTS DE LA GUERRE
D’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
L’ethnologue Jean Servier* est à Arris la nuit du 1er novembre 1954*. Il
collecte des chants anciens. Quand il apprend l’attaque, dans les gorges de
Tighanimine, du car où avait pris place un couple d’enseignants, les
Monnerot*, il part avec quelques hommes armés pour ramener les blessés. Ce
natif de Constantine ne s’y trompe pas : ce qui commence n’est ni un acte de
banditisme (selon les termes de l’administration) ni un soulèvement comme il
y en eut tant. Lui reviennent en mémoire les bribes de ce chant qu’il avait
enregistré il y a quelques jours : « Sa ceinture est faite de cartouches/Il porte
des fusils croisés sur son dos/Son visage est voilé/Il règne sur la montagne. »
Ces paroles sont les éléments d’une mémoire chantée qui jalonne et fixe les
événements marquants d’une histoire vécue et interprétée par ceux qu’on dit
sans histoire. Sur un schème récurrent, des femmes* et des hommes
improvisent et reprennent des images et des couplets qu’ils réactualisent. Ce
chant, par exemple, était encore interprété pour glorifier la résistance de
Messaoud Ag-zelmat (Benzelmat), « bandit d’honneur » du début du
e
XX siècle, et fera partie du répertoire de Jarmouni qui chante, mêlant chaoui

et arabe : « Les brodequins aux pieds/Le fusil à percussion/C’est l’messoud


Azelmat. »
Tout au long de la lutte de libération, les chants dressent des figures de
héros, comme Ben Boulaïd*, Amirouche*, Ben Bella*, Fadila Saâdane* ou
Hamlaoui de Constantine. La mort de ce dernier (accrochage du 8 juin 1960)
sera « fixée » dans un chant qui circulera dans la ville et dans toute la région :
« Alala louri/Hamlaoui est mort pour sa foi » (foi aussi bien au sens de
croyance religieuse qu’au sens d’engagement). Le chant reprend ensuite des
faits marquants de son martyre : il a été trahi par une femme. Les chants
peuvent puiser dans la saga des anonymes, à l’échelle familiale, quand une
mère ou une proche improvise pour dire sa douleur, ou quand on évoque une
femme (anonyme des anonymes) dont seul le prénom est le point émergent
d’une mémoire basse. « Sont venus les soldats et leurs chars/Ils ont emmené
Mennana la valeureuse. » Est-ce la même Mennana que celle qui fut
atrocement torturée avant que son corps ne soit attaché à l’avant d’un char ?
Qu’importe ! Car il y eut tant de Mennana dont l’histoire fait son humus et
qui ne figureront pas au panthéon des héros, si peu au féminin.
Quelquefois, c’est un dialogue qui s’engage entre celui qui décide de
monter au maquis et sa mère. Il lui demande pardon pour la peine qu’il lui
cause et elle accepte son engagement : « Pardonne-moi, petite
mère/Pardonne-moi dans mon combat/Pardon et prospérité/Petit père, mon
fils/C’est Dieu qui l’a voulu. »
C’est aussi le défi du combattant, couché dans sa cache alors que l’avion
tourne au-dessus de lui : « Ô l’avion jaune, ne tire pas/Je meurs et ne me
rends pas. »
C’est encore le rêve d’un mieux-être qui serait au bout de la victoire (car
elle viendra !). Des femmes qui vivent dans des conditions très dures,
aggravées par la guerre, et qui ont faim évoquent des choses qui peuvent
sembler très prosaïques mais qui pèsent dans le changement espéré : « La
femme du djoundi dort dans un lit/La femme du goumier dort sur une
paillasse/La femme du djoundi mange du poisson/La femme du goumier
attend la mort », etc.
On a enfin un chant entonné en chœur et regroupant une chanteuse qui
« sème » les couplets et l’ensemble des autres qui « tiennent la tête » en
rappelant le refrain : « A laouli A mma/Mon étoile monte/Je tape à la
machine et je ramène la liberté. » Il faut écouter ces voix de défi au cours des
rares fêtes qui pouvaient rompre le cours dramatique de la vie en guerre.
Dans les moments de répit, le commandant Azzedine* entonne un chant
devant ses hommes : « Ô que de fois/Je me souviens/Combien l’Algérie/était
étonnante » et se terminant ainsi : « Nous obtiendrons la liberté/Admirables
enfants des Aurès/Admirables enfants des Aurès/De Annaba à Bel-Abbès/La
France est dans le pétrin. »
On peut également entendre des improvisations qui fixent l’exécution
d’un « traître », comme ce Abdallah Ou-Zahzah, à Aïn Beïda.
Ainsi, à côté des chants patriotiques composés par un poète et un
musicien, on trouve tout un répertoire – le plus souvent anonyme, chanté
surtout par les femmes – qui trace les lignes générales d’une histoire et la
façon dont elle est vécue : au jour le jour, avec des implications concrètes (la
faim, la torture, la mort) mais aussi un espoir que rien ne peut bloquer.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Commandant Azzedine, On nous appelait fellaghas, Stock, 1976 •
Belkacem Boumedini, « Chants de femmes pendant la guerre de libération »,
Les Cahiers du CRASC, no 15, 2006 • Mehenna Mahfoufi, Chants kabyles de
la guerre d’indépendance. Algérie 1954-1962, Séguier, 2002.
CHARONNE, MANIFESTATION DE (PARIS,
8 FÉVRIER 1962)
« Charonne » et le « 8 février 1962 » ont longtemps été un lieu et une
date emblématiques, à la fois de la puissance du mouvement ouvrier et de la
répression d’État. Ils ont perdu en force évocatoire à mesure que le « Paris
rouge » s’effaçait du monde vécu des habitants et habitantes de la capitale.
L’historiographie s’en est emparée, avec le monumental ouvrage d’Alain
Dewerpe paru en 2006. Conçu en mémoire de sa mère, Fanny, secrétaire
dactylographe et militante communiste, tuée le 8 février 1962, ce « projet de
piété filiale » a fixé un cadre interprétatif : comment une manifestation
interdite, qui aurait pu passer relativement inaperçue, se mua en « massacre
d’État » provoquant un gigantesque « scandale civique » ?
À l’appel de l’Union départementale de la CGT*, de l’Union régionale
parisienne de la CFTC*, de l’Unef*, du SGEN, des sections de la Seine et de
la Seine-et-Oise, de la FEN* et du SNI* auxquelles s’étaient associées les
fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise du PCF* et du PSU*, les
rassemblements du 8 février 1962 relevaient de la « manifestation
antifasciste ». La mobilisation précédente du 19 décembre 1961 avait été
qualifiée par Édouard Depreux, secrétaire national du PSU, de « nouveau
12 février [1934] ». Le 8 février 1962, le tract collectif enjoignait : « Contre
le fascisme, tous ce soir à la Bastille à 18 h 30. » Il avait été rédigé et
imprimé en toute hâte après une série d’attentats de l’OAS* commis le
7 février 1962, en plein milieu d’une semaine d’action organisée par le
Mouvement de la paix, « pour la paix en Algérie, contre l’OAS et le
fascisme ». La manifestation avait été interdite, sans que les organisateurs ne
sachent si la préfecture de police la réprimerait. Finalement, ils ne
cherchèrent pas à investir la Bastille mais appelèrent à des rassemblements en
plusieurs points afin de diluer l’éventuelle riposte policière.
Organisée dans la précipitation et prévue pour être brève (de 18 h 30 à
19 h 30), la manifestation concernait surtout des militants et militantes
chevronnés habitués à suivre les mots d’ordre et à constituer des cortèges en
terrain hostile. Même s’ils furent rejoints par des jeunes inorganisés prêts à en
découdre avec les forces de l’ordre, ainsi que par de rares badauds, cette
mobilisation demeura relativement modeste : sans doute moins de 20 000
participants et participantes qui devaient s’en tenir à la non-violence (« on
n’avait rien dans les mains », rappelèrent des participants qui avaient connu
des manifestations plus offensives) tout en affichant une détermination
relayée par quelques pancartes, calicots ou banderoles (« Non au fascisme »,
« OAS assassins », « négociations* avec le GPRA* », ce dernier slogan
s’écartant de l’officiel « Paix en Algérie » prôné par les organisateurs).
Georges Perec a restitué dans Les Choses (1965) l’ambiance de ces défilés :
« Ces jours-là […] les cafés fermaient tôt, les gens se dépêchaient de rentrer
[…], les cortèges se formaient, s’ébranlaient, s’arrêtaient […], devant eux,
une grande zone d’asphalte humide et lugubre, puis, sur toute la largeur du
boulevard, la ligne noire, épaisse des CRS. Des files de camions bleu nuit,
aux vitres grillagées, passaient au loin. [Les manifestants] piétinaient, se
tenant la main, moite de sueur, osaient à peine crier, se dispersaient en
courant au premier signal. »
Le 8 février 1962, la violence policière atteint son acmé au moment de la
dispersion ordonnée par les responsables syndicaux. De véritables
« charges », notamment celles des compagnies d’intervention de la préfecture
de police, au pas de course et bidule en main, visèrent à « disloquer » les
cortèges ou le moindre groupe fuyant les brutalités et les interpellations : 83
furent recensées au cours de la soirée, aucune ne fut prolongée. Les coups
plurent sans discrimination (de nombreuses femmes furent visées), au point
que des policiers en civil furent touchés. Trois des neuf victimes furent ainsi
matraquées à mort, dans la rue ou dans un café investi comme refuge. La
mort ne rôda pas seulement au carrefour Charonne. Elle ne résulta pas de
bousculades dans les escaliers du métro. Certes, six victimes périrent
d’étouffement à la station Charonne mais les blessés et les cadavres s’y
amoncelèrent en raison des matraquages, jets de projectiles et autres
exactions policières, visant des personnes tombées à terre ou cherchant à fuir.
Quelques coups de feu furent tirés mais l’usage des armes ne fut pas massif
comme précédemment, le 14 juillet 1953 ou les 17 et 18 octobre 1961. Bien
que rares parmi les manifestants, les Algériens ne furent pas épargnés et de
simples passants furent pris en chasse et roués de coups. Mohamed Aït
Saada, un agent de la RATP qui rentrait de son travail, fut laissé pour mort à
proximité de la place de la Nation : resté huit semaines dans le coma, il
demeura atteint de graves troubles de la motricité et est décédé en 1983 à
l’âge de 49 ans.
Dans le mensonge d’État défendu par le pouvoir à partir du réagencement
des rapports transmis par le préfet de police, Maurice Papon*, il n’y a pas de
place pour ces morts et blessés. Tout au plus sont-ils mentionnés mais il n’est
jamais explicité comment la mort a pu survenir ou être donnée. Le récit
officiel met en scène une véritable « émeute communiste », menée par des
« troupes de choc » et des « bandes organisées », « entraînées au combat de
rue », face à des forces de police* réduites à répondre à des « assaillants »
déterminés. Une information judiciaire a été ouverte contre les organisateurs
de la manifestation et portant notamment sur les « circonstances dans
lesquelles sont intervenus les décès », sans inculpation. La thèse de l’émeute
ne pouvait être défendue devant les tribunaux : si les violences manifestantes
furent réelles – soixante-deux policiers cessèrent leur service pour
« blessures » –, elles avaient été essentiellement réactives. Les dix policiers
brièvement hospitalisés sont sans commune mesure avec les huit manifestants
tués ce jour-là et les centaines de participants blessés, dont plusieurs dans un
état critique – Maurice Pochard décéda le 20 avril des suites de coups reçus à
la tête (« important enfoncement frontal droit », rapporta l’autopsie).
L’hommage rendu aux victimes permit de suspendre les mises en cause
des manifestants et du PCF, explicitement ciblé par le ministre de l’Intérieur,
Roger Frey*. Les funérailles* du 13 février, organisées sous l’égide de la
CGT, contribuèrent autant à effacer qu’à fixer une mémoire du 8 février. Le
défilé fut solennel (des quasi-obsèques nationales mais sans présence d’État),
majestueux (une forme de panthéonisation ouvrière) et massif (plusieurs
centaines de milliers de participants et participantes qui réactivèrent jusqu’au
souvenir des obsèques de Victor Hugo). L’absence d’emblèmes et de slogans
permit que les coupables ne soient pas désignés. Ces funérailles ne
débouchèrent donc pas sur une politisation durable de la dénonciation des
violences policières. Robert Duvivier (porte-parole de la CFTC) affirma
pourtant au pied du mur des Fédérés que « la répression, toujours la même, a
frappé et uni les morts algériens du 17 octobre 1961*, militants de la
révolution algérienne, et vous, les morts français du 8 février 1962, héritiers
de la Révolution française ». Ces mots prononcés n’eurent cependant guère
de postérité. La mémoire* de « Charonne », construite sur le récit de la
puissance affichée par le mouvement ouvrier le 13 février 1962, ne pouvait
s’accommoder du rappel de la quasi-absence de ce dernier lors des
manifestations d’octobre 1961.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique
d’un massacre d’État, Gallimard, 2006.

CHARONNE (MÉMOIRE)
La première commémoration* de la répression meurtrière de la
manifestation du 8 février 1962 se déroule au cimetière du Père-Lachaise le
13 février 1963, et réunit environ 100 000 personnes. Mais dès les années
suivantes, le nombre de participants décline : il est inférieur à
1 000 personnes en 1967. L’indifférence de la population conduit à
l’étiolement de la commémoration. Il existe aussi des tensions : les autorités
interdisent par exemple les rassemblements au métro Charonne en 1963 et il
existe même une censure* d’État sur l’événement. Le choix de la date (le 8
ou le 13, date de la célébration funéraire des morts de la manifestation) et des
organisations participantes (l’ouverture à des organisations qui n’ont pas
participé à la manifestation en 1962) font aussi débat. Qui plus est, il existe
parfois des commémorations concurrentes et des interférences avec d’autres
événements comme l’affaire Ben Barka. Au cours des années 1970, différents
partis de gauche et d’extrême gauche se réclament ainsi de cette mémoire,
sans volonté d’unité. La commémoration permet néanmoins de mobiliser les
militants et sympathisants politiques de gauche et a fortiori communistes, de
rappeler cette histoire, de réclamer la vérité sur les conditions de la répression
et ses responsables, et d’exiger la justice. Au bout du compte, cet événement
est bien porté dans les mémoires françaises : en 1972, 84 % de la population
sait à quoi il correspond, et en 1992, trois jeunes sur quatre le savent encore.
Par ailleurs, des rues ou des lieux font référence à cet événement,
essentiellement dans les municipalités communistes ou qui l’étaient, de
manière nominale ou générique. Daniel Féry, le plus jeune tué, est l’odonyme
le plus fréquent. Une plaque est apposée dans la station Charonne en 1982, et
le carrefour est rebaptisé « place du 8-Février-1962 » en 2007. De nombreux
textes et images mentionnent aussi l’événement. Ainsi, des chansons* de
Leny Escudero (1968), Jean Ferrat (1969) et Renaud (1975), ou des films (en
particulier Diabolo menthe de Diane Kurys, 1977) font référence à la
manifestation. Des peintures de Robert Lapoujade, André Fougeron et Ernest
Pignon-Ernest*, ou des bandes dessinées* de Jeanne Puchol et de Désirée et
Alain Frappier concernent aussi cet événement. Depuis le début des années
1980, il est également présent dans les manuels scolaires. Si, depuis leur
déroulement, certaines personnes font le lien entre les répressions du
17 octobre 1961* et de Charonne, d’autres dissocient, voire opposent, ces
deux mémoires, surtout depuis les années 1980. Pendant longtemps, la
mémoire de Charonne a supplanté celle du 17 octobre 1961, mais celle du
17 octobre prend maintenant le dessus. Enfin, pour la première fois, le
8 février 2022, un président de la République, Emmanuel Macron*, a rendu
hommage aux victimes du métro Charonne et à leurs familles à l’occasion de
la commémoration du 60e anniversaire de l’événement.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique
d’un massacre d’État, Gallimard, 2006.

CHAULET, CLAUDINE (1931-2015)


ET PIERRE (1930-2012)

Claudine et Pierre Chaulet forment un couple d’Algériens d’origine


française, militants du FLN*. L’un et l’autre contribuent à la connaissance de
la société algérienne et à la définition des politiques de l’Algérie
indépendante.
Pierre Chaulet est né à Alger, dans un milieu de classe moyenne marqué
par le catholicisme* social et le syndicalisme. Il étudie dans un collège
jésuite. À l’université d’Alger*, il adhère à la Jeunesse étudiante chrétienne, à
l’association des étudiants* catholiques et, en 1952, à l’Association
algérienne d’action sociale où il côtoie des militants nationalistes et lit la
presse* du MTLD. Il collabore à la revue* Consciences maghribines dirigée
par André Mandouze*.
Claudine Guillot est née en Haute-Saône d’une mère agrégée d’histoire et
d’un père officier de gendarmerie* nommé en Algérie en 1941. C’est à
l’université d’Alger qu’elle franchit la barrière coloniale en fréquentant des
étudiants « musulmans ». Elle étudie l’ethnologie à Paris et, en
décembre 1954, rencontre Pierre chez André Mandouze.
Mariés en 1955, ils écrivent sur la situation algérienne. En septembre, ils
rencontrent Abane* Ramdane et se mettent au service du FLN. Pierre soigne
des maquisards et forme les étudiants grévistes aux tâches d’infirmiers de
guerre. Ils transportent des responsables et publient dans la presse tracts et
déclarations du FLN. Pierre est arrêté en février 1957 puis expulsé. Claudine
se fait alors transférer en Tunisie* où elle enseigne en travaillant pour les
services sociaux algériens ; Pierre travaille à l’hôpital, à la rédaction
d’El Moudjahid et au service de santé du FLN*.
En 1962, après le rapatriement* des réfugiés, le couple rentre à Alger.
Médecin puis enseignant, Pierre est élu à la municipalité d’Alger puis à
l’assemblée de wilaya. Il participe aux réformes comme la gratuité des soins
(1973) et devient expert pour l’OMS, puis pour le Conseil national
économique et social. Claudine rejoint le ministère de l’Agriculture et de la
Réforme agraire, créant le Centre national de recherches en économie et
sociologie rurales. Sa Mitidja autogérée paraît en 1971. Dans les années
1980, le couple adhère à la Ligue algérienne des droits de l’homme avant de
s’exiler de 1994 à 1999. Pierre et Claudine reposent au cimetière chrétien de
Madania et la clinique des grands brûlés d’Alger porte leurs noms.
Malika RAHAL
Bibl. : Pierre et Claudine Chaulet, Le Choix de l’Algérie. Deux voix, une
mémoire, Alger, Barzakh, 2012.

CHELLALI, KHEDIDJA (1938-1957)


« Vive l’Algérie », tels furent les derniers mots de la combattante
Khedidja Chellali, rapportés par ses compagnons, à sa mort survenue en
1957.
Khedidja Chellali, dite « Ghanoudja », est née en juin 1938 à Oujda
(Maroc*) où elle a poursuivi ses études secondaires. Elle se porte volontaire
pour rejoindre les rangs de l’ALN*, après la grève* des étudiants* du 19 mai
1956. Après une formation politico-militaire dans les bases arrière du Front
situées au Maroc, elle rejoint le maquis en mars 1957 en qualité de contrôleur
zonal et de commissaire politique, en Wilaya 6*, dans la région de Sidi-Bel-
Abbès. Elle fait partie des huit femmes* du ministère de l’Armement et des
Liaisons générales (MALG), combattantes de l’ombre durant la guerre de
libération nationale : Malika Hadjadj, Rachida Miri, Khedidja et Yamina
Chellali, Khadija Brikci-Sid, Aouali Ouici, Farida Kadiri, et Aouicha Hadj
Slimane. Leurs missions principales sont le renseignement et la transmission
des informations pour l’ALN. Ces femmes rejoignent le corps des
contrôleurs, une cellule du MALG créée en février 1957, dont la mission
consiste à vérifier les besoins des maquis et à en dresser l’inventaire. Elles
apportent aussi un soutien moral aux populations rurales, leur dispensant des
soins, tout en les sensibilisant sur les objectifs de la révolution. Leur tâche est
de contrecarrer la propagande* coloniale mais aussi les discours des
messalistes et tous les réfractaires au recours à la violence armée.
Progressivement, elles constituent les « yeux et les oreilles » de la révolution.
Khedidja Chellali meurt lors d’un accrochage avec les forces coloniales en
juin 1957. Ce que l’on retient de cette combattante peu connue, c’est son
courage et sa détermination aux dernières heures de sa vie. Comme dernier
acte révolutionnaire, elle n’oublie pas, en effet, les instructions d’usage, à
savoir détruire tous les documents pour éviter qu’ils ne tombent entre les
mains de l’armée française et de cacher son arme. Ces femmes du MALG,
peu nombreuses, que l’on découvre à peine, rappellent combien l’engagement
des femmes dans la révolution était diversifié. Son destin se confond avec
celui de sa sœur Yamina qui suit le même parcours et survit. Elle a publié un
témoignage* sur son expérience de maquisarde en Zone 6 (Saïda-Mascara).
Karima RAMDANI
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon,
1991 • Yamina Chellali, Une femme au maquis, Anep, 2018 • Amine Kaïs,
« Les immortelles du renseignement », extrait de la série documentaire Sur
les chemins de la liberté, Eight Zone Film Production, 2017.

CHEMINOTS (ALGÉRIE)
Stratégiques pour la métropole, les chemins de fer de l’Algérie coloniale
drainent un personnel important, convaincu de son rôle dans la vie de la
colonie et défendant son statut. Les cheminots constituent au départ l’ossature
du mouvement syndical. Les Européens dominent dans ces corporations à
statut mais les Algériens y pénètrent peu à peu. Après 1945, majoritairement
à la CGT*, ils participent aux grèves* qui forment leurs capacités
d’organisateurs, comme la dure grève de 1947. Si certains syndicalistes
européens comme Justin Escarnot critiquent « l’algérianisation » de la CGT,
symbole pour eux de division, la poussée se poursuit. Les plus actifs sont très
souvent structurés politiquement, au PCA*, tel Saïd Nasri de Constantine,
mais surtout au MTLD, à l’instar de Boualem Bourouiba, Mohamed Mada et
Rouzik Belmihoub qui rejoignent le FLN* dès novembre 1954. Aux côtés
d’Aïssat Idir, Boualem Bourouiba, ex-cégétiste, entre au secrétariat de
l’UGTA*, créée en février 1956 sous l’impulsion du FLN. Malgré les
arrestations qui décapitent la direction syndicale en mai 1956, Mada et
Zerdani, qui échappent aux rafles*, structurent le syndicat des cheminots. Un
groupe effectue clandestinement, à la gare de tri et de marchandises de
l’Agha, en plein cœur d’Alger, les tâches névralgiques d’une organisation
combattante : liaisons, envoi de la presse et du courrier, transport d’armes.
L’équipe dirigée par Arezki Mabed est démantelée pendant la bataille
d’Alger*, son chef arrêté, interné dans un camp où il disparaît après un
interrogatoire. D’autres cheminots de l’UGTA, tels Belmihoub et Zerdani,
sont arrêtés, torturés et internés après la grève de janvier 1957. Des militants
connus sont aussi la cible des tireurs de l’OAS* comme Mada, abattu en
1961. Après le cessez-le-feu, les syndicalistes libérés des camps font renaître
l’organisation syndicale et redémarrer les services dont le train est un
symbole.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Nora Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question
nationale. 1919-1954, Alger, Office des publications universitaires, 2005
• Boualem Bourouiba, Les Syndicalistes algériens. Leur combat, de l’éveil à
la libération, L’Harmattan, 1998 • René Gallissot (dir.), Algérie :
engagements sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du
mouvement ouvrier, L’Atelier, 2006.

CHERGUI, BRAHIM, DIT SI H’MIDA (1922-


2016)
Ce militant au long cours, homme de l’ombre aux multiples pseudos,
s’est distingué par la mise en place des premiers réseaux FLN* à Alger.
Natif d’Aïn El Khadra (M’sila), Brahim Chergui passe son enfance* et sa
scolarité à Biskra où sa famille s’est installée très tôt. À 14 ans, il quitte
l’école muni du certificat d’études. Son éveil politique passe par ses
instituteurs et la fréquentation des scouts*. Sa rencontre avec un militant du
PPA*, Akli Areski, lui ouvre les portes du militantisme dès 1942. À la
création des AML*, Chergui est membre de la section de Biskra avec Larbi
Ben M’hidi*. Il est arrêté fin 1944, étant insoumis au service militaire*.
Libéré en 1946, il est intégré dans les structures du PPA. Tour à tour, il
est délégué du parti dans l’arrondissement de Batna avant de regagner celui
de Constantine en 1948. Peu après, mis à la disposition de Boudiaf*
(responsable de l’Organisation spéciale* – OS – pour le Constantinois), il est
nommé chef de zone à Philippeville. À la fin de l’année 1949, il rejoint la
zone d’Oran. Recherché lors de la découverte de l’OS, Chergui fuit en
Oranie, fait des séjours à la daïra de Blida, ainsi qu’à Biskra, avant de
devenir l’adjoint de Hachemi Hamoud, chef de la wilaya de Blida. En 1953,
il dirige la wilaya de Constantine jusqu’à la scission du parti.
Après le 1er novembre 1954*, Chergui ne tarde pas à reprendre du service
dans les rangs du FLN et s’occupe de l’organisation des réseaux à Alger. En
août 1956, le CCE* le confirme comme responsable politique de la Zone
autonome d’Alger*. Consulté à propos de la grève des huit jours*, il est
d’avis de s’en tenir à une grève* de quarante-huit heures.
Brahim Chergui est arrêté le 24 février 1957 durant la bataille d’Alger*
par les bérets rouges du 3e RPC. Il est torturé au PC de Bigeard* à la Scala et
soumis au sérum de vérité. Déplacé à la villa Sésini*, il est sommé de révéler
« où sont cachées les archives de l’organisation » et menacé de la corvée de
bois* par Faulques. Le 13 avril 1957, il est placé sous mandat de dépôt et
transféré à la prison* Barberousse qu’il ne quitte qu’à la fin d’avril 1962.
À l’indépendance, il se retire de la scène politique.
L’arrestation de Larbi Ben M’hidi lui a été souvent reprochée : ses
détracteurs l’accusent d’avoir livré l’adresse du refuge où il fut arrêté. Il est
lavé de tout soupçon selon le témoignage* de Ben Khedda* qui affirme être
le seul à connaître le refuge de Ben M’hidi. Par ailleurs, l’arrestation de
Chergui survient le 24 février, soit un jour après celle de son compagnon.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Brahim Chergui, Au cœur de la bataille d’Alger, Alger, Dahlab,
2012 • Benyoucef Ben Khedda, Abane-Ben M’hidi, leur apport à la
révolution algérienne, Alger, Dahlab, 2000.
CHERIF, MAHMOUD (1911-1987)
Mahmoud Cherif a commencé une carrière dans l’armée française (1929-
1941) qu’il quitte après douze ans de service en avril 1941. Il adhère à
l’UDMA* à sa création en 1946 et assure le secrétariat de la section de
Cheria. Candidat aux élections* cantonales du 2e collège au mois
d’avril 1955, dans la circonscription de Tébessa, il n’est pas élu.
Il rejoint les rangs de l’ALN* au printemps 1956. Tout gradé qu’il est, il
doit faire ses preuves avant d’être accepté. Blessé en juillet 1956 dans un
accrochage, il est hospitalisé en Tunisie*. En novembre 1956, il assure
l’intérim de Lazhar Cheriet, un maquisard de la première heure blessé lors du
règlement de comptes de Mathilde Ville à Tunis. Pris sous l’aile de Krim*
Belkacem, il est nommé par le CCE* comme colonel à la tête de la Wilaya 1*
(Aurès). Mais il doit faire face à une double opposition : d’abord de la part
d’Ali Mahsas*, l’homme lige de Ben Bella* opposé à toute décision du CCE,
et celle des chefs de l’Aurès-Nemencha. Ne pouvant asseoir son autorité dans
l’Aurès livré aux luttes intestines qui opposent des chefs rivaux, aiguisées par
les particularismes locaux, Cherif doit exercer son commandement hors des
frontières, en Tunisie. Il met son professionnalisme au service de
l’organisation moderne de cette wilaya, mais sous-estime la menace que fait
peser l’édification du barrage électrifié à la frontière. Il est remplacé par
Mohammed Lamouri* au mois d’août 1957.
À la réunion du premier CNRA* au Caire (juillet 1957), il est coopté
comme membre du second CCE aux côtés des colonels Krim Belkacem,
Boussouf*, Bentobbal* (les « trois B »), et Ouamrane*. À ce titre, il fait
office de procureur au procès d’Abbès Laghrour*. Il est du dernier voyage
d’Abane* Ramdane au Maroc* et joue un rôle dans l’élimination de ce
dernier en décembre 1957 aux côtés des « trois B ».
Le 4 avril 1958, le CCE procède à des changements : Cherif cède son
poste à la tête de la Wilaya 1 à Mohammed Lamouri. Il est aussitôt chargé du
département des finances puis devient ministre de l’Armement et du
Ravitaillement général du GPRA* créé en septembre 1958. Évincé du CNRA
lors de la réunion des dix colonels* (1959), il présente un rapport très critique
lors de la session du second CNRA (fin décembre-début janvier 1960) sur le
détournement des fonds destinés aux wilayas de l’intérieur au profit de
l’entretien des clientèles des « 3 B ». Il n’est pas reconduit à son poste dans le
second GPRA (janvier 1960).
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

CHERRIÈRE, PAUL (1895-1965)


Dès sa sortie de Saint-Cyr, Paul Cherrière entame une longue carrière
militaire qui le mène en Algérie, à la tête du commandement de la 10e Région
militaire d’Alger, au mois d’août 1954. Il a sous ses ordres trois divisions
territoriales, Alger, Constantine et Oran, en plus des commandements du Sud,
et dispose de quelque 60 000 hommes pour l’armée de terre*.
Très vite, il se rend compte des insuffisances du renseignement civil et
militaire et de la faiblesse des effectifs dont il ne cesse de demander le
renforcement. Craignant « les menaces d’infiltration de fellaghas en direction
de l’Aurès », il place sous haute surveillance la frontière algéro-tunisienne, à
la veille du 1er novembre 1954*. En outre, Cherrière ne manque pas de
signaler le fossé sinon « la rupture de contacts entre Européens et Algériens »
et conclut que la situation pourrait aboutir à créer des « difficultés dont, en
définitive, l’armée supporterait les conséquences [alors que] le remède est
politique » (rapport daté du 28 décembre 1954, cité dans Jauffret, 1998,
p. 736).
Au lendemain de l’insurrection algérienne, Cherrière est chargé de veiller
au maintien de l’ordre et de la sécurité dans les points névralgiques tels
l’Aurès, la Kabylie et le Dahra. Pour venir à bout de ce qu’il considère au
début, comme « un soulèvement tribal analogue à ceux qui jalonnent notre
histoire africaine », il opte pour la manière forte et le déploiement des forces
armées secondées activement par les renforts du 18e RIPC du colonel
Ducournau*. De grandes opérations de « nettoyage » (Véronique, Aloès,
Violette) sont organisées, entraînant l’arrestation de suspects et des
déplacements massifs de la population civile dans des lieux improvisés. Elles
s’avèrent peu efficaces pour combattre la guérilla* pratiquée par les
maquisards. Aussi, dans son rapport du 27 décembre 1954, Cherrière
préconise-t-il des interventions ciblées et recommande l’urgence de
restructurer l’armée. S’il ne parle pas de guerre, il redoute « l’éclosion de
nouveaux maquis sur tout le territoire de l’Algérie » et demande la mention
« mort pour la France » pour les soldats tués par l’ALN*.
À l’arrivée de Soustelle* comme nouveau gouverneur de l’Algérie, il
cède son poste au général Allard*, commandant de la division de Constantine
à qui « il délègue le pouvoir de décider, selon les circonstances, de l’emploi
de mitrailleuses, de fusées et de bombes contre les bandes dans la nouvelle
zone de rébellion […]. La responsabilité collective sera vigoureusement
appliquée » dans un message du 13 mai 1955. Il quitte l’Algérie le 13 juillet
1955.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Paul Cherrière, « Les débuts de l’insurrection algérienne », Revue de
la Défense nationale, 1956 • Alistair Horne, Histoire de la guerre d’Algérie,
Albin Michel, 1980 • Jean-Charles Jauffret, La Guerre d’Algérie par les
documents. Les portes de la guerre, t. II, SHD, 1998.
CHEVALLIER, JACQUES (1911-1971)
Élu maire* d’Alger en 1953, Jacques Chevallier incarne une ligne
libérale. Partisan d’une fédération de l’Algérie à la France, il peut admettre en
privé la perspective de l’indépendance. Localement, il associe le MTLD à la
gestion municipale, en y choisissant cinq adjoints. Son mandat se distingue
par une active politique de logement*, avec l’architecte Fernand Pouillon.
Les cités Diar es Saada, Diar El Mahçoul et les Eucalyptus datent de cette
époque. Très proche du militant catholique Alexandre Chaulet, dont le fils
Pierre* et sa femme Claudine* sont engagés avec le FLN*, il est
officieusement contacté à plusieurs reprises pendant la guerre par des
nationalistes et aide les familles de disparus qui frappent à sa porte en 1957.
« Chevallier au poteau », crient les ultras, à l’inverse, lors de la « journée
des tomates* », en 1956. Sur le plan national, ils lui reprochent sa
participation au gouvernement Mendès France*, dans lequel il est secrétaire
d’État à la Guerre et ministre de la Défense nationale. Chevallier perd
cependant toute influence ensuite. En 1958, il est écarté des institutions*
créant le Grand Alger et, ignoré par de Gaulle*, il abandonne la mairie. Il vit
alors en partie à Paris, où il investit dans l’immobilier avec Pouillon.
Plastiqué par l’OAS*, il est néanmoins contacté par Susini*, au nom de
l’Organisation, en 1962 et, grâce à ses relations, assure les échanges menant à
l’accord avec Chawki Mostefaï, pour le GPRA*.
Son parcours est sinueux. Issu d’une famille d’entrepreneurs, enrichie
dans la tonnellerie à Belcourt (« Les Successeurs de J.J. Lassalas »), il vit,
enfant, un peu en Louisiane, d’où sa mère est originaire, puis, éduqué à Alger
chez les jésuites, milite aux Croix-de-Feu. Élu conseiller municipal pour le
Parti social français (PSF) en 1937, il est nommé maire d’El Biar sous Vichy.
Bilingue en anglais, il sert cependant dans les renseignements pour la
Résistance*, outre-Atlantique, en 1944-1945. Plusieurs fois député, fervent
catholique, il se serait rallié à une politique libérale par crainte d’une
indépendance dans le camp communiste. Après 1962, il siège dans
l’administration portuaire algéroise ainsi qu’à la chambre de commerce et
s’engage encore avec Pouillon, notamment dans une société pour le
développement du tourisme, sous l’égide du ministre Abdelaziz Maoui. Il
décède à Alger en 1971 à 60 ans.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : José-Alain Fralon, Jacques Chevallier. L’homme qui voulait empêcher
la guerre d’Algérie, Fayard, 2012.

CHEVÈNEMENT, JEAN-PIERRE
(NÉ EN 1939)
Comme pour de nombreux hommes politiques de cette génération*, la
guerre d’Algérie est, pour Jean-Pierre Chevènement, un marqueur. Elle est un
moment de prise de conscience et un accélérateur de la politisation.
Alors étudiant à Sciences Po et engagé à l’Unef*, Jean-Pierre
Chevènement entre en politique convaincu de l’indépendance de l’Algérie.
En 1961, quelques semaines après la tentative de putsch*, il est appelé, à
21 ans, pour son service militaire*. Patriote, il soutient la politique
d’autodétermination du général de Gaulle*. Servant deux ans et demi, il est
témoin et acteur de la fin du conflit.
Après une formation à l’école des officiers* de réserve de Cherchell, il
intègre le 21e régiment d’infanterie et devient sous-lieutenant. Il dirige
ensuite une section administrative spécialisée* (SAS) à Saint-Denis-du-Sig
(aujourd’hui Sig) près d’Oran. Puis il est affecté au cabinet du préfet*. Il est
alors témoin des attentats de l’OAS*, des représailles de la Légion étrangère*
contre les Algériens, de l’exode des pieds-noirs*, des massacres de harkis* et
des événements du 5 Juillet* à Oran. En qualité de membre du cabinet du
préfet, il participe à la rencontre le 10 juillet 1962 entre le consul français et
Ahmed Ben Bella* arrivé dans la ville.
Son expérience de la guerre explique son engagement, son patriotisme
ainsi que son intérêt pour l’Algérie, le monde arabe et les questions de
défense, dont il est ministre de 1988 à 1991. De 2011 à 2018, il préside
l’Association France-Algérie dont il est encore président d’honneur. Fondée
par Germaine Tillion* avec le soutien du général de Gaulle en 1963, cette
association œuvre au rapprochement des deux rives. De 2016 à 2018, il
préside également la Fondation de l’Islam de France qui développe des
projets éducatifs et culturels pour « faire rayonner en France l’Islam des
lumières ».
Jean-Pierre Chevènement intervient régulièrement dans les débats
mémoriels sur la guerre. Répondant par exemple à l’« Appel des douze », il
se dit particulièrement sensible au sort des Français d’Algérie et des
supplétifs*. S’il défend la reconnaissance d’exactions, dont l’usage de la
torture* « par certains éléments de l’armée française », il refuse la
reconnaissance de responsabilités de la France au nom de l’unité nationale.
Paul Max MORIN
Bibl. : Laurent Chabrun, Jean-Pierre Chevènement : une certaine idée de la
République, Le Cherche Midi, 2002 • Jean-Pierre Chevènement, Le Courage
de décider, Robert Laffont, 2002 • Annick Percheron, « La mémoire des
générations : la guerre d’Algérie-Mai 68 », État de l’opinion, 1991, repris
dans La Socialisation politique, Armand Colin, 1993.

CHIHANI, BACHIR, DIT SI MESSAOUD (1929-


1955)
Les gens de l’Aurès l’appellent « l’homme des écritures » tant il
consacrait beaucoup de son temps à rédiger rapports, tracts et courriers. Il
était surnommé aussi « le Saint-Just de la révolution algérienne » tant son
engagement nationaliste, sa détermination à libérer l’Algérie et ses qualités
d’orateur étaient grands.
Chihani est originaire du Khoubs où il commence des études poursuivies
à Constantine à l’école Jules-Ferry et auprès des réformistes. C’est dans les
rangs du PPA-MTLD* qu’il entame une vie politique très intense dont il
devient très rapidement un permanent.
Chef de la daïra de Batna en 1952, il est particulièrement actif lors de la
crise du parti. Dès la création du Crua, Chihani parcourt l’Aurès pour
convaincre les militants de rester neutres par rapport aux messalistes et
centralistes. À la conférence nationale convoquée par le comité central
(10 juillet 1954), il défend la tendance partisane du passage à la lutte armée
que la réunion des « 22* » confirme. Chihani entame alors une tournée de
propagande* pour mobiliser les groupes qui doivent passer à l’action armée.
Il est de toutes les réunions que tient Mostefa Ben Boulaïd* la veille du
1er novembre 1954*, avant de se réfugier avec lui et d’autres maquisards dans
la forêt de Tafrent Ouled Aicha (Tighanimine). Diverses sources lui imputent
à tort l’assassinat de l’instituteur Monnerot*, dont la responsabilité incombe à
Mohammed Sbaïhi.
Chihani assure le commandement en l’absence de Ben Boulaïd parti pour
la Libye en janvier 1955. La nouvelle de l’arrestation de Ben Boulaïd
diffusée par la radio* le 11 février 1955 ouvre l’ère des rivalités,
principalement entre Omar, le frère de Ben Boulaïd, et Adjoul*. Le
déplacement du PC par Chihani à Aïn Guelaâ est lié à la nécessité de
réorganiser les régions des Nemenchas, de Souk Ahras et du Souf afin
d’élargir le champ des actions armées et de desserrer l’étau sur l’Aurès. Ce
projet digne d’un chef national est mal interprété par ses adversaires,
préoccupés par leurs ambitions.
La bataille d’el Djeurf (23-25 septembre 1955), qui se solde par
d’importantes pertes dans les rangs de l’ALN*, offre l’occasion à ses
détracteurs de l’éliminer, en n’hésitant pas à répandre des rumeurs sur son
manque de courage et ses mœurs. Adjoul – principal responsable de cette
machination (interrogatoire, SHD, 1H 2887) – et Abbès Laghrour* tiennent
un simulacre de tribunal et le condamnent à mort. Il est fusillé le 25 octobre
1955 en même temps que Mohammed Chami. Sa disparition ne règle pas
pour autant la question de la direction de l’Aurès.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Ouanassa Siari Tengour, « Les dirigeants de l’Aurès-Nemencha,
1954-1956 », Histoire contemporaine de l’Algérie. Nouveaux objets,
Oran, Crasc, 2010.

CHINE, RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE


La Chine prend contact avec le FLN* à la Conférence des peuples
asiatique et africain (décembre 1957-janvier 1958) au Caire où elle a une
mission diplomatique depuis 1956. Fin mars 1958, une délégation du FLN est
invitée à Pékin pour participer aux manifestations de la Semaine de soutien
au peuple algérien en lutte pour son indépendance. La délégation est reçue
par le Premier ministre Zhou Enlai. Depuis cette rencontre, l’intérêt et
l’engagement de la Chine sont grandissants pour les Algériens. Elle est l’un
des premiers États qui reconnaissent de jure le GPRA* qui y effectue son
premier voyage officiel en décembre 1958. La délégation – composée de Ben
Khedda*, ministre des Affaires sociales, et Mahmoud Cherif*, ministre de
l’Armement – est reçue par Zhou Enlai comme il convient aux chefs d’État.
Elle a un long entretien avec Mao Zedong, rencontre Peng Dehuai, ministre
de la Défense, et assiste à une représentation militaire. Au centre des
entretiens se trouve l’aide, surtout militaire, à apporter aux combattants
algériens. Après ce premier voyage, d’autres suivent. En avril 1959, c’est au
tour d’une délégation composée uniquement de chefs militaires. En
octobre 1959, la délégation dirigée par Ben Khedda assiste à la célébration du
10e anniversaire de la victoire de la révolution chinoise. En mai 1960, la
délégation conduite par Belkacem Krim*, vice-président du GPRA, signe un
contrat (secret) sur les aides économiques – civiles et militaires – accordées
par la Chine au GPRA, d’une valeur de 50 600 000 yuans, et les deux parties
décident l’installation à Pékin d’une représentation diplomatique du GPRA.
L’ambassadeur algérien, Abderrahmane Kiouane, présente ses lettres de
créance le 19 mai 1961 au président chinois. En octobre 1960, la délégation
du GPRA, avec à sa tête son président Ferhat Abbas*, séjourne une semaine
en Chine. Lors des entretiens, Mao insiste sur la primauté de la lutte armée,
sans refuser la négociation* avec la France. Ferhat Abbas apprécie beaucoup
les réalisations sociales et culturelles chinoises et déclare que « certaines
méthodes me paraissent aussi utiles à la Chine qu’à l’Algérie » dans la
construction de la société de l’Algérie indépendante. Le soutien important et
ouvert de la Chine au GPRA s’explique aussi par la rivalité sino-soviétique
pour l’influence politique dans les nouveaux pays indépendants de l’Asie et
de l’Afrique, ce qu’elle considère comme le centre de la révolution mondiale.
László NAGY
Bibl. : El Moudjahid. Organe central du Front de libération nationale,
[imprimé en Yougoslavie], juin 1962, t. I-III, en particulier le no 30
(septembre 1958), no 53-54 (novembre 1959), no 64 (mai 1960), no 71
(octobre 1960) • Abderrahmane Kiouane, Les Débuts d’une diplomatie de
guerre (1956-1962). Journal d’un délégué à l’extérieur, Alger, Dahlab, 2000
• Li Qianyu, « Sur la relation sino-algérienne pendant la Guerre
d’indépendance de l’Algérie (1958-1962) », in Hervé Bismuth et Fritz
Taubert (dir.), La Guerre d’Algérie et le monde communiste, Dijon, Éditions
universitaires de Dijon, 2014.
CHIRAC, JACQUES (1932-2019)
Jacques Chirac est le seul président de la République à avoir fait la guerre
d’Algérie. Partisan de l’Algérie française, il y demande son affectation durant
son service militaire*. En 1956, à 23 ans, il est sous-lieutenant et commande
trente-deux hommes à Souk El Arba, près de la frontière marocaine. Blessé, il
est démobilisé en 1957.
En 1959-1960, sa promotion de l’École nationale d’administration (ENA)
est impliquée dans le plan de Constantine*. Il s’installe à Alger et s’occupe
de la réforme agraire. Pendant la semaine des barricades*, il hésite à soutenir
de Gaulle*.
Marqué par la guerre d’Algérie, il tente son inscription dans la mémoire
nationale une fois aux responsabilités. Il privilégie une mémoire combattante,
celle des soldats, appelés* et harkis*, et les situe dans le sillage des anciennes
générations* du feu.
Il est Premier ministre quand le statut d’ancien combattant est reconnu
aux soldats d’Algérie, en 1974, ainsi qu’en 1987, quand est votée une loi
d’indemnisation des rapatriés*. Le 11 novembre 1996, devenu président, il
inaugure un monument à Paris, dans le parc de la Butte-du-Chapeau-Rouge.
Dédié aux victimes civiles et militaires tombées en Afrique du Nord, il a été
oublié, au contraire de celui du quai Branly, inauguré le 5 décembre 2002. Ce
haut lieu de la mémoire nationale rend hommage aux soldats et supplétifs*
morts en Afrique du Nord. Il est enfin à l’origine de l’inscription de deux
dates au calendrier commémoratif : le 25 septembre en hommage aux harkis
et le 5 décembre, jour de l’inauguration du monument du quai Branly, pour
les soldats morts pour la France.
Il se rapproche également de l’Algérie. En 2003, il y effectue une visite
d’État et remet le sceau du dey d’Alger à son homologue algérien. Soucieux
de « respecter toutes les victimes », il dépose une gerbe au monument des
Martyrs* ainsi qu’au cimetière français de Saint-Eugène. Le « partenariat
exceptionnel » envisagé avec l’Algérie échoue cependant car il refuse de
reconnaître, en préambule, les responsabilités françaises dans la colonisation.
En 2005, il fait abroger l’article 4 de la loi du 23 février*, promouvant le
« rôle positif de la colonisation », pourtant adopté par sa propre majorité.
Ignorant les civils, sa politique mémorielle est exempte de tout geste en
faveur des victimes algériennes. Elle évite également toute confrontation au
passé colonial. Ancré dans l’héritage gaulliste, il s’oppose toutefois aux
discours nostalgiques de l’Algérie française des mouvements proches de
l’OAS*.
Paul Max MORIN
Bibl. : Raphaëlle Bacqué et Florence Beaugé, « Chirac l’Algérien », Le
Monde, 28 février 2003 • Jacques Chirac, Mémoires, t. I, Chaque pas doit
être un but, Nil, 2009 • Benjamin Stora, « Guerre d’Algérie : 1999-2003, les
accélérations de la mémoire », Hommes et Migrations, no 1244, 2003.

CINÉMA (NAISSANCE EN ALGÉRIE COLONIALE


ET INDÉPENDANTE)

Comme dans le reste du monde, le cinématographe apparaît dans les


départements français d’Algérie dès la fin du XIXe siècle. L’opérateur
Alexandre Promio y prend les premières images animées à la demande des
frères Lumière en 1896 – il s’y installe en 1911 et sera même responsable du
service cinématographique du Gouvernement général* de l’Algérie (GGA)
entre 1919 et 1924. D’autres opérateurs réputés comme Félix Mesguich ou
Albert Samama-Chikli y tournent plusieurs films. Entre les années 1910 et le
début de la Guerre d’indépendance, la production est française et
massivement soutenue par le GGA ; elle vise à montrer les relations
« indissolubles » entre la France et l’Algérie. De nombreux films de
propagande* touristique ou commerciale sont donc réalisés, surtout à
l’occasion du centenaire en 1931, puis entre 1945 et 1954. Seuls quelques
films sont produits par des réalisateurs-opérateurs-producteurs d’origine
locale, comme Tahar Hannache. Djamel Chanderli, neveu et assistant
d’Hannache, est l’un des seuls « musulmans » (selon la dénomination de
l’époque) à travailler en tant qu’opérateur pour les actualités
cinématographiques internationales avant le début de la Guerre
d’indépendance, et c’est le seul à s’être engagé auprès du FLN*.
Durant la Guerre d’indépendance, le cinéma de propagande militaire et
civil français sur l’Algérie porte des discours lénifiants qui perpétuent les
messages d’avant 1954 mais qui sont difficilement audibles par des publics
très différents. Face à cela, le FLN décide d’utiliser la propagande par le film
dès le congrès de la Soummam* (août 1956) dans le but de diffuser la cause
algérienne, et de décrédibiliser la France, au niveau international. Cette
stratégie, développée par le GPRA* à partir de 1958, s’avère payante, avec
un fort retentissement à l’ONU* et dans les pays du bloc de l’Est. Un service
cinéma est alors créé, qui organise la présence des cinéastes sur le terrain
ainsi que le montage et le tirage des copies de films dans des pays amis et
leur diffusion à l’étranger. Djamel Chanderli coréalise avec Mohammed
Lakhdar-Hamina plusieurs films durant la guerre, comme Djazaïrouna
(1960) et Yasmina (1961). Plusieurs jeunes Algériens ont été formés sur le
terrain par Chanderli ou par des réalisateurs français comme René Vautier*
ou Pierre Clément, mais ils semblent avoir été, pour l’essentiel, tués au
combat.
La naissance du cinéma en Algérie fait l’objet d’un débat, du fait que les
premiers réalisateurs à avoir travaillé pour l’Algérie durant la Guerre
d’indépendance ont été souvent des Français (René Vautier, Pierre Chaulet*,
Cécile Decugis, Pierre Clément, Yann Le Masson, etc.) et ont été d’une
certaine manière surreprésentés dans la mémoire française du conflit.
L’historiographie algérienne a pour sa part mis en avant les premiers
réalisateurs algériens, en particulier Djamel Chanderli et Mohammed
Lakhdar-Hamina, sans oublier les opérateurs des pays de l’Est comme le
Yougoslave Stevan Labudovic. Dans les faits, Algériens et Français ont
travaillé simultanément avec d’autres cinéastes d’Europe de l’Est, les jeunes
cinéastes algériens ayant été formés soit à la frontière tunisienne par des
Français, soit dans des pays soutenant la cause algérienne – en particulier en
Russie ou en Tchécoslovaquie* (Lakhdar-Hamina est envoyé par le FLN à la
Famu [Académie du film] de Prague pour y être formé en 1959).
Après la Guerre d’indépendance, contrairement à son homologue
français, le cinéma algérien met rapidement en scène le conflit au profit du
jeune État algérien, dans un premier temps grâce à des documentaires :
Peuple en marche (collectif, 1964) ; L’Aube des damnés (Ahmed Rachedi,
1965) ; Une si jeune paix (Jacques Charby, 1965). Dans un second temps,
c’est grâce à des films de fiction. Du fait de son statut d’art « populaire »,
l’État utilise en effet largement le cinéma afin de donner une image héroïque
des djounoud et des grandes figures de la révolution algérienne. Aussi le
cinéma algérien, largement subventionné par l’État, devient-il sans attendre
un vecteur de propagande politique, participant à la construction d’un
imaginaire de résistance et de force pour cette nouvelle nation émergente. Ce
que la France veut refouler, l’Algérie en fait son acte de naissance. Le point
de départ de cette production fictionnelle est donné par La Bataille d’Alger de
Gillo Pontecorvo (1965), produit par Yacef Saadi*. Mohammed Lakhdar-
Hamina a eu un rôle important dans la constitution et dans les institutions de
ce cinéma national naissant. Ses films, largement inspirés par le cinéma
épique et politique – qu’il soit américain, italien ou russe –, donnent à voir
une geste de grande ampleur. Son goût pour les formules poétiques et
allégoriques (voir son propre rôle dans Chronique des années de braise) le
rapproche toutefois des formes populaires orales d’Algérie. Ahmed Rachedi
est également l’un des chantres de cette Algérie unifiée (L’Opium et le Bâton,
1970).
Sébastien DENIS
Bibl. : Guy Austin, Algerian National Cinema, Manchester, Manchester
University Press, 2012 • Ahmed Bedjaoui, Cinéma et guerre de libération.
Algérie, des batailles d’images, Alger, Chihab, 2014 • Rachid Boudjedra,
Naissance du cinéma algérien, Maspero, 1971.

CINÉMA ET GUERRE D’ALGÉRIE


(FRANCE)
Les films de fiction français sur la guerre d’Algérie, et particulièrement
les longs-métrages, forment un corpus plus important qu’on ne le dit souvent,
même si, comme l’a montré Benjamin Stora*, ces films sont toujours
présentés comme des « premières fois » – signe peut-être d’une amnésie
volontaire par rapport au souvenir du conflit. Il s’agit souvent par ailleurs de
traitements mémoriels différenciés, faits pour coller à des publics segmentés,
sans pour autant être de la « propagande* » dans le sens où les films ne
soutiennent pas une politique gouvernementale.
L’engagement des cinéastes de fiction est limité pendant la guerre
d’Algérie, même s’il faut noter Le Petit Soldat de Jean-Luc Godard (1961,
sorti en 1963), Le Combat dans l’île d’Alain Cavalier (1962) et Cléo de 5 à 7
d’Agnès Varda (1962). Toutefois, le contexte colonial a été important dans le
positionnement idéologique des intellectuels. Du côté des militants, il faut
mettre en avant les films de René Vautier* et le film J’ai huit ans de Yann Le
Masson et Olga Poliakoff (1961), réalisé à partir de dessins d’enfants
algériens récupérés par Frantz Fanon* et donnés à Vautier. Ces films réalisés
pour le FLN*, comme celui de Cécile Decugis et Hedi Ben Khelifa, Appel.
Les Réfugiés algériens en Tunisie (1957), ont été montrés de manière
internationale, et notamment à l’ONU* et en Europe de l’Est, pour soutenir le
FLN et le GPRA* à partir de 1958 dans leur combat pour l’indépendance de
l’Algérie. Après la guerre, Marceline Loridan et Jean-Pierre Sergent signent
Algérie année zéro (1963), et Vautier coordonne Peuple en marche (1964),
films de soutien à la jeune République. En France, Muriel d’Alain Resnais
(1963) synthétise l’impossible représentation de la torture* et une forme
d’impensé de l’Algérie pour les métropolitains.
Avoir vingt ans dans les Aurès (Vautier, 1972) est le véritable point de
départ de la mise en scène fictionnelle du conflit. Sa spécificité est son aspect
documentaire, à partir de témoignages* vécus par plusieurs personnes. Le
film est un flash-back qui montre le résultat de l’endoctrinement d’une bande
d’anarchistes*, de syndicalistes et de communistes par un lieutenant, ancien
d’Indochine* qui, fin psychologue, crée un commando de chasse de façon à
ne pas briser l’esprit de groupe des réfractaires*. Ils se retournent finalement
contre lui. C’est le même schéma que reprend Yves Boisset dans RAS en
1973. On ne peut pas dire que les combats soient très présents dans ces deux
films, mais ils rendent compte de la vie des appelés* et des militaires de
carrière dans cette guerre : les combats sont sporadiques et violents ; tous les
Algériens sont des ennemis potentiels. Mais pour la première fois dans un
film français, Vautier montre bien une guerre car il montre « l’ennemi » ; il
montre aussi les viols*, les violences gratuites permises par le contexte de
guerre coloniale non déclarée. Il s’intéresse aussi et surtout (et c’est le seul
avant La Trahison de Philippe Faucon, 2005) aux populations algériennes,
qui sont globalement les grandes oubliées du cinéma français sur la guerre
d’Algérie.
Compte tenu de ce passé très récent dans les années 1960 et 1970, il n’est
alors pas étonnant de voir apparaître différentes cinématographies en lien
avec le passé colonial. Ces films ont connu un vrai succès public et ont pu
apparaître comme une réponse relativement réactionnaire au mouvement
initié par Vautier ou Boisset. Il est important de distinguer le regard pied-noir
d’Alexandre Arcady et celui militaire de Pierre Schoendoerffer. Le premier
est centré sur une reconnaissance de l’existence d’une communauté dans
l’espace français : Le Coup de sirocco (1979) ou Là-bas, mon pays (2000)
montrent essentiellement des personnages nouveaux dans le cinéma français
qui, malgré leur « nostalgérie* », prennent acte de la fin de la colonisation –
on retrouve une situation analogue dans Un balcon sur la mer (Nicole
Garcia, 2010). Ce n’est pas le cas des films de Schoendoerffer (Le Crabe-
tambour, 1977 ; L’Honneur d’un capitaine, 1982), dont les personnages de
militaires ressassent le passé colonial et la haine d’un pouvoir politique jugé
responsable de l’abandon des soldats, des pieds-noirs* et des harkis*.
Dans les films français, le traumatisme reste essentiellement franco-
français (autour de la mémoire des appelés, des militaires et des pieds-noirs),
même si des changements apparaissent dans la monstration du fait colonial,
notamment du fait des enfants d’immigrés, comme on peut le voir dans
Indigènes (Bouchareb, 2006), Hors-la-loi (Bouchareb, 2010) et Qu’un sang
impur (Dafri, 2019) – auxquels il faut ajouter L’Ennemi intime (Siri, 2007).
Spectaculaires, ces films ouvrent la possibilité d’une reconnaissance des faits
coloniaux (en intégrant la torture comme élément central de la stratégie
militaire) par le biais d’une mise en scène et d’une bande-son proches des
films de guerre américains. Avec cette nouvelle spectacularité, on arrive
enfin, qu’on aime ou non ce type de film, à une guerre d’Algérie somme
toute « banale » car c’est désormais une « vraie » guerre, avec des combats
qui ont existé mais n’avaient jamais été montrés auparavant.
Sébastien DENIS
Bibl. : Philip Dine, Images of the Algerian War. French Fiction and Film,
1954-1962, Oxford, Clarendon Press, 1994 • Guy Hennebelle (dir.), La
Guerre d’Algérie à l’écran, CinémAction, no 85, 1997 • Benjamin Stora,
Imaginaires de guerre. Algérie-Viêt-nam, en France et aux États-Unis, La
Découverte, 1997.

CINÉMA ET GUERRE
D’INDÉPENDANCE (ALGÉRIE)
Le cinéma algérien prend naissance durant la Guerre d’indépendance,
avec l’appui de militants étrangers soutenant le FLN* (René Vautier*, Pierre
Clément, Pierre Chaulet*, Stefan Labudovic, etc.), mais aussi d’Algériens
(Ahmed Rachedi, Mohammed Lakhdar- Hamina, etc.) qui réalisent des films
et forment les premiers opérateurs au maquis ou à la frontière tunisienne.
Après le congrès de la Soummam*, le but du FLN est en effet
d’internationaliser l’image d’une Algérie en guerre et d’une armée, l’ALN*.
Le GPRA* développe à partir de 1958 cette politique en créant un « service
cinéma », avec succès. En 1963, la République algérienne crée un Office des
actualités algériennes (OAA) ; le cinéma est nationalisé en août 1964 et un
Centre national du cinéma algérien (CNC) est créé, transformé en 1967 en
Office national du commerce et de l’industrie cinématographiques (Oncic), à
travers lequel une grande partie de la production cinématographique
algérienne est produite. Il n’y a donc que quelques rares producteurs privés,
dont Yacef Saadi*, un des acteurs mêmes du conflit, qui produit La Bataille
d’Alger de Gillo Pontecorvo en 1965. La formation des cinéastes et
opérateurs est assurée par des Européens en Algérie ou au sein d’écoles
étrangères, comme en Tchécoslovaquie* ou en Russie. Mohammed Lakhdar-
Hamina (directeur de l’OAA puis de l’Oncic) et Ahmed Rachedi (directeur
de l’Oncic) signent plusieurs films produits avec de gros moyens,
représentant l’Algérie dans les festivals internationaux (Palme d’or à Cannes
pour Chronique des années de braise de Lakhdar-Hamina en 1975).
L’État algérien, le FLN comme parti unique et l’armée utilisent le cinéma
pour construire leur image auprès du grand public grâce à un médium
populaire. À la différence de la France, l’Algérie produit rapidement de
nombreuses fictions sur la Guerre d’indépendance, s’inspirant des
productions amies comme Djamila l’Algérienne de Youssef Chahine
(Égypte, 1958) pour proposer un cinéma qui soit avant tout panarabe, et se
repose également sur des cinéastes étrangers ayant une vision politique du
cinéma comme Pontecorvo. L’Algérie reprend donc cette idée d’une
puissance nouvelle de la fiction pour faire passer des messages au grand
public, en particulier un message d’unité à travers le slogan « Un seul héros :
le peuple ». Aussi les films algériens, très influencés par le cinéma soviétique
et le néoréalisme italien, ont-ils une tendance épique, les destins individuels
n’étant que des métonymies pour l’ensemble de la nation.
Après la prise de pouvoir par Boumediene* en 1965, le cinéma se voit
encore plus contraint de coller à la nouvelle politique : pour suivre le
programme d’arabisation, les films parlent uniquement arabe et non berbère.
Pour suivre l’islamisation, les films sur la guerre ne mettent que rarement en
avant les femmes* et obligent le port du voile. Même si les films sont
intéressants, comme Le Vent des Aurès (Lakhdar-Hamina, 1966) ou L’Opium
et le bâton (Rachedi, 1969), ils véhiculent une propagande* d’État sur la
guerre : image héroïque des hommes et surtout des « martyrs » (chahid*),
quasi-absence des femmes (sauf dans Le Vent des Aurès), dénonciation des
« traîtres » (les harkis*), absence du MNA* au profit du seul FLN, absence
des viols*, etc. C’est un cinéma postcolonial*, qui rend compte de la manière
dont le pouvoir algérien construit une vision de l’histoire très récente au
service d’une société socialiste largement ancrée sur la religion musulmane.
La mise en scène de la guerre est liée aux choix politiques visant à construire
l’image d’une Algérie unifiée.
Le cinéma de l’Oncic n’est donc pas représentatif de l’ensemble du
peuple algérien, et les cinéastes qui refusent d’entrer dans le moule pour dire
une réalité plus complexe sont broyés par la machine politique du FLN et
doivent s’exiler, comme Mohammed Bouamari après Le Charbonnier (1972),
ou ont des problèmes avec le pouvoir comme Okacha Touita après Les
Sacrifiés (1982).
Après la mort de Boumediene et une relative libéralisation au milieu des
années 1980, le cinéma algérien s’écroule durant la « décennie noire » de la
guerre civile (plus une salle ne projette alors de films), et il faut l’aide du
CNC français pour relancer un programme de coproductions au début des
années 2000 (parfois avec le Maroc*). C’est avec Rachid Bouchareb,
Français d’origine algérienne, et ses coproductions franco-algériennes qu’une
nouvelle dimension apparaît dans la mise en scène de la guerre
d’indépendance, avec une esthétique inspirée du cinéma américain. Depuis,
de nombreux films ont été réalisés au cinéma ou à la télévision – notamment
à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance en 2012 – pour mettre en
avant les figures importantes de la guerre de libération nationale.
Sébastien DENIS
Bibl. : Guy Austin, Algerian National Cinema, Manchester, Manchester
University Press, 2012 • Ahmed Bedjaoui, Cinéma et guerre de libération.
Algérie, des batailles d’images, Alger, Chihab, 2014 • Ahmed Bedjaoui, La
Guerre d’Algérie dans le cinéma mondial, Alger, Chihab, 2016.

COLONS
L’usage de ce mot pour désigner les Français d’Algérie est discuté. Ses
détracteurs, qui en retiennent une définition restrictive, se fondent sur des
données socio-économiques tangibles. Il est vrai que dans leur ensemble, les
« pieds-noirs* » ne sont pas de riches exploitants du sol mais des cadres et
agents de maîtrise (15 %), employés (15 %), ouvriers (26 %). 88 % d’entre
eux vivent en ville en 1954. « La part du petit peuple urbain, celui des
fonctionnaires, des petits commerçants, des artisans, des employés et des
ouvriers », résume Daniel Lefeuvre*, est chez eux « largement
prépondérante ». Aussi leur niveau de vie est-il inférieur, en moyenne, à celui
des métropolitains. Les grands propriétaires fonciers cumulant pouvoirs
économique, financier et politique, comme Blachette*, Borgeaud*,
Schiaffino* ou Faure*, en offrent une image déformée. Après la Seconde
Guerre mondiale, le PCA* les dénonce d’ailleurs comme l’équivalent des
deux cents familles de métropole : ils seraient les « cent seigneurs » de
l’Algérie, parfois écrit « saigneurs ».
Ceci dit, la société coloniale n’oppose pas une minorité de colons au sens
strict du terme à une majorité populaire amalgamant Français et Algériens.
Quel que soit leur profil socio-économique, les Français d’Algérie constituent
bien une minorité favorisée en comparaison desdits « musulmans ». Eux
souffrent, d’abord, d’un déni fondamental : le droit à la nation et à la
souveraineté collective. S’y ajoutent une oppression culturelle et linguistique,
une infériorisation politique, avec le double collège*, mais aussi économique
et sociale. Très majoritairement ruraux (75 %), ils exercent à plus de 80 %
dans le secteur agricole. En 1955, le rapport Maspétiol*, commandé par le
gouvernement Mendès France*, livre en outre une étude des revenus
particulièrement significative. Dans son classement des habitants de l’Algérie
en cinq catégories, la quasi-totalité des « musulmans » se retrouve dans les
deux catégories inférieures (7 440 000 sur 8 millions environ) dans lesquelles
n’est recensé aucun Français d’Algérie. S’ils ne sont pas des colons au sens
strict du terme, les Français d’Algérie constituent bien une minorité coloniale
privilégiée en tous domaines, dans cette colonie de peuplement d’où a surgi
la guerre.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-
1962). Représentations et réalités des populations, Ined, 2001 • Daniel
Lefeuvre, « Les pieds-noirs », in Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.),
La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004.

COMBATTANTS DE LA LIBÉRATION
(CDL)
Les Combattants de la libération (CDL) sont les groupes armés dirigés
par le PCA* en 1955-1956. La décision de leur création remonterait à
février 1955. Elle est entérinée lors d’une session du comité central du PCA
en juin 1955, quelques mois avant l’interdiction du PCA par les autorités
françaises en septembre 1955.
Avant la création des CDL, des communistes sont déjà entrés dans la lutte
armée. Certains, parfois encouragés par la direction du parti, ont rejoint
l’ALN*. D’autres, sans contact avec l’ALN, ont constitué des groupes sans
allégeance. En créant des groupes armés spécifiques, la direction du PCA
poursuit plusieurs objectifs. Le premier consiste à donner des gages de sa
détermination pour se faire reconnaître comme un interlocuteur par le FLN*.
Mais la création des CDL vise aussi à étendre l’insurrection dans de
nouveaux territoires, ainsi qu’à faire participer à l’insurrection des
communistes qui ne sont pas acceptés dans les maquis de l’ALN. Dans les
territoires où l’ALN est implantée et ouverte aux communistes, la direction
du PCA continue en effet à encourager ses militants à rejoindre l’ALN.
La direction nationale des CDL est assurée par Bachir Hadj Ali*, Sadek
Hadjerès*, Jacques Salort et Lucie (dite Lucette) Larribère. Les directions
locales sont pour la plupart constituées de membres du comité central du
PCA. Entre l’été 1955 et le printemps 1956, des groupes urbains se
structurent à Alger, Oran, Constantine ou Blida, tandis que des groupes à
base rurale s’organisent autour des massifs du Dahra, de l’Ouarsenis, des
monts de Tlemcen ou de l’Atlas blidéen. Au total, ils regroupent
probablement plus de 200 membres.
Le premier groupe découvert par les autorités françaises est celui de
Constantine, dirigé par Selim Mohamedia : en décembre 1955, après la
tentative d’assassinat d’un policier, plusieurs de ses membres sont arrêtés en
possession d’armes, tandis que d’autres rejoignent l’ALN dans les Aurès. En
avril 1956, les CDL d’Alger organisent le détournement d’un camion d’armes
de l’armée française par l’aspirant Henri Maillot*. Ce dernier déserte pour
rejoindre le maquis des CDL de l’Ouarsenis, qui mène plusieurs assassinats
ciblés. Début juin, ce maquis est attaqué par l’armée française, qui tue cinq
ou six de ses membres. Les survivants rejoignent l’ALN.
L’opération Maillot consacre la stratégie de la direction du PCA : elle lui
permet d’entrer en contact avec des dirigeants du FLN. Quatre rencontres ont
lieu entre mai et août 1956 à Alger entre Ramdane Abane* et Benyoucef Ben
Khedda* pour le FLN, et Sadek Hadjerès et Bachir Hadj Ali pour le PCA.
Elles seront suivies d’autres rencontres, une fois les accords conclus, entre
Benyoucef Ben Khedda et Jacques Salort. Intéressés par les armes, les
dirigeants du FLN souhaitent aussi discuter de l’avenir du PCA, des CDL, et
de la place des communistes dans l’ALN. Ils reprochent au PCA de ne pas
vouloir se dissoudre dans le FLN, et aux maquisards communistes de
chercher à noyauter l’ALN. Tout en maintenant leur refus de dissolution du
PCA, les communistes adhèrent au principe d’une intégration des CDL à
l’ALN, étant entendu que les combattants passés à l’ALN devront cesser tout
contact avec le PCA. Toutefois, il ne s’agit pas d’une dissolution : plusieurs
groupes de CDL intègrent l’ALN en conservant leur structure. Pour le FLN,
cette conservation permet de gagner en efficacité opérationnelle, mais aussi
d’identifier les communistes afin de réduire leur influence.
À compter de juillet 1956, les CDL sont donc censés ne plus exister.
Cependant, leur intégration à l’ALN varie en fonction des situations locales.
Les CDL d’Oran, dirigés par Boualem Khalfa, ne sont pas intégrés à l’ALN,
même s’ils ravitaillent des maquis de la région de Tlemcen : après avoir mené
des actions de sabotage et au moins un assassinat au printemps et à l’été
1956, leurs membres se revendiquent du PCA lors de leur arrestation en
septembre 1956. À l’inverse, les CDL d’Alger, dirigés par Abdelkader
Guerroudj*, intègrent la Zone autonome d’Alger* (ZAA) de l’ALN durant
l’été 1956. En décembre 1956, ils remettent à la direction de la ZAA des
rapports signés « Groupe d’Alger du FLN (ex-Combattants de la
libération) », dans lesquels ils listent au moins six groupes et font état de
nombreuses actions accomplies durant l’été et l’automne (sabotages, attaques
contre les forces de l’ordre, assassinats ciblés). Mais ils s’y plaignent aussi de
la méfiance des dirigeants de la ZAA à leur égard. L’intégration est
également effective pour les CDL de Blida, dirigés par Abdelkader Babou,
membre de l’ALN depuis le début 1956. Arrêtés en 1956-1957, les
combattants d’Alger et de Blida revendiquent leurs actes au nom du FLN-
ALN devant la justice militaire*.
Au total, plusieurs dizaines de membres des CDL sont morts durant la
Guerre d’indépendance. La majorité d’entre eux ont été tués par l’armée
française – au combat, sous la torture* ou par exécution sommaire*. D’autres
ont été liquidés au sein de l’ALN. Une dizaine d’autres ont subi une
condamnation à mort* – dont une seule, celle de Fernand Iveton*, a été
exécutée.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Serge Kastell, Le Maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre
d’Algérie, 1956, L’Harmattan, 1997 • Hafid Khatib, 1er juillet 1956. L’accord
FLN-PCA et l’intégration des « Combattants de la libération » dans l’Armée
de libération nationale en Algérie, OPU, 1991.

COMITÉ DE COORDINATION
ET D’EXÉCUTION
(CCE)
Le congrès de la Soummam*, organisé en août 1956, décide de créer un
Comité de coordination et d’exécution (CCE), conçu comme un exécutif
collégial du FLN* dont les membres sont choisis par le CNRA*. Il se
compose à l’origine de cinq personnes : Abane* Ramdane, Benyoucef Ben
Khedda*, Larbi Ben M’hidi*, Krim* Belkacem et Saâd Dahlab*, écartant par
conséquent les dirigeants réfugiés au Caire. En théorie, le CCE désigne les
membres du conseil de wilaya à partir du grade de commandant mais en
pratique, il se contente d’officialiser les nominations.
En septembre, le CCE discute d’un mot d’ordre de grève* défendu par
Ben M’hidi, favorable à une grève tournante d’un mois à Alger, persuadé
qu’elle permettrait d’arracher l’indépendance. Plus réaliste, Dahlab soutient
plutôt l’idée d’une grève d’un jour ou deux – tout comme Abdenour Ali
Yahia, au nom de l’UGTA*. Le CCE opte finalement pour une grève de huit
jours* dans vingt-six villes importantes d’Algérie à partir du 28 janvier 1957.
Mais avec l’arrestation de Ben M’hidi, le 23 février, la Grande
Répression d’Alger fait fuir le CCE – qui se réunissait, entre autres, dans la
villa de Mohammed Ouamara, dit « Rachid », enlevé le 28 février par les
parachutistes* de Marcel Bigeard* et torturé à mort. Les quatre autres
membres de cette instance se réfugient les uns au Maroc* (Abane et Dahlab)
et les autres en Tunisie* (Ben Khedda et Krim). En route pour Tunis, Krim
demande à Lakhdar Bentobbal* de l’épauler au sein du CCE afin de
contrebalancer l’influence des anciens membres du comité central du MTLD,
Ben Khedda et Dahlab.
À l’arrivée de ses membres en Tunisie, le CCE tient à Guentis sa
première réunion depuis sa fuite d’Alger, en présence de Bentobbal. Abane y
fait le bilan de l’action du CCE, souhaite convoquer le CNRA et se livre à un
réquisitoire contre la militarisation et l’« esprit féodal » qu’il a observés
notamment au Maroc. Une autre réunion, informelle, se tient à Montfleury, à
Tunis, autour de Krim, Bentobbal, Abdelhafid Boussouf*, les colonels Amar
Ouamrane* et Mahmoud Cherif*, ainsi que les principaux chefs militaires
présents à Tunis en vue de préparer la prochaine session du CNRA au
détriment des politiques, à commencer par Abane.
Le 10 juin 1957, le CCE nomme Omar Boudaoud* à la tête de la
Fédération de France* du FLN et lui donne pour instruction de lutter contre le
MNA* et « d’abattre tous les dirigeants de ce parti ». En Algérie, le CCE
ordonne de brûler les villages ayant demandé la protection de l’armée
française et d’en exécuter les hommes de plus de 20 ans, tout comme les
chefs messalistes. À cette période, et en prévision de la prochaine session des
Nations unies*, le CCE souhaite un « plan militaire de grande envergure » et
préconise « le terrorisme contre les centres européens pour atteindre le moral
des Français ».
En août, la réunion du CNRA se tient au Caire. Elle consacre la
marginalisation d’Abane et élargit la composition d’un CCE où les militaires
sont majoritaires. On y retrouve Abane, Ferhat Abbas*, Bentobbal, Boussouf,
Cherif, Lamine Debaghine, Krim, Abdelhamid Mehri et Ouamrane, en plus
des cinq dirigeants historiques du FLN détenus en France, nommés à titre
honorifique.
Les prérogatives du CCE sont dès lors subordonnées à l’approbation du
CNRA concernant les relations internationales, en particulier les
négociations* et le cessez-le-feu avec la France. Ces rééquilibrages, qui
s’opposent à la stratégie mise en œuvre depuis le congrès de la Soummam,
enveniment davantage les rapports entre Abane et les autres dirigeants
exaspérés par ses critiques. Sur la base de fausses informations faisant état de
la détérioration des rapports entre Algériens et Marocains, Abane est envoyé
pour rencontrer le roi Mohammed V. Arrivé à Tetouan le 27 décembre,
l’architecte de la Soummam est assassiné par ses compagnons.
En avril 1958, la réorganisation du CCE – qui fonctionne au ralenti
depuis janvier – permet de préciser les tâches de ses membres et la création,
par Krim, du Comité opérationnel militaire (COM) qui est un échec et
affaiblit le maquisard kabyle. Avec l’arrivée au pouvoir de Charles de
Gaulle*, le CCE accepte qu’Abbas et Krim rencontrent en Suisse* des
émissaires du général, sans résultat concret.
Au cours de l’été 1958, des consultations ont lieu au sein du CCE au sujet
de la création d’un gouvernement, ce qui entraîne la proclamation du GPRA*
le 19 septembre, signifiant de fait la disparition de l’instance créée à la
Soummam deux ans plus tôt.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, documents et
histoire. 1954-1962, Fayard, 2004 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du
FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

COMITÉ DE VINCENNES
Le Comité de Vincennes a tenu son premier « colloque » le 20 juin 1960
dans la grande salle de l’hôtel de ville. Accueillies par le député-maire et
ancien ministre Antoine Quinson, 150 personnes y ont participé. Le
3 novembre suivant, ils étaient près de 500 pour entendre traiter des
« conditions réelles d’une paix en Algérie ». La liste des intervenants
soucieux de « lutter en faveur du maintien de l’Algérie dans la souveraineté
française » témoigne de l’importance des hommes politiques, en particulier
parlementaires. Les élus d’Algérie, de Philippe Marçais à Marc Lauriol, sont
actifs. Mais aussi nombre de parlementaires métropolitains, à l’exception des
éléments les plus radicaux comme Jean-Marie Le Pen*. Ainsi, Georges
Bidault, André Morice et bien sûr Jacques Soustelle* participent aux activités
du comité (colloques et publications). Également des écrivains (Jules
Romains), des universitaires (Jacques Heurgon, Jules Monnerot) et des
militaires (le général de Goislard de Montsabert). Sans oublier le bachaga
Boualam*. À l’instar de leur hôte, ancien du RPF, beaucoup des soutiens du
comité sont des déçus du gaullisme et du 13 Mai*. Une sensibilité
soustellienne combinée à celle du Rassemblement pour l’Algérie française*
lancé par Bidault et Duchet le 19 septembre 1959 irrigue ainsi le comité et
fixe les bornes de son espace politique. Du côté des intellectuels présents,
nombre d’entre eux (Heurgon, Monnerot, Romains, etc.) comptent parmi les
plus de 300 qui ont signé en octobre 1960 le « Manifeste* des intellectuels
français », opposé à celui des « 121 ». Les points de vue du Comité de
Vincennes sont aussi aux antipodes de ceux du chef de l’État pour qui « la
République algérienne existera un jour ». L’article 1er du « serment de
Vincennes » proclame que « l’Algérie est une terre de souveraineté française
et qu’elle doit demeurer partie intégrante de la République ». Les colloques
de Vincennes et leurs Cahiers ont échoué à faire évoluer la politique
gaullienne. Le Comité de Vincennes finit dissous par les autorités le
22 novembre 1961 après que, dans une réunion tenue le 16 novembre 1961 à
la Mutualité, de Gaulle* a été conspué et Salan* acclamé. Pourtant, l’histoire
ne s’arrête pas là pour Bidault et Soustelle qui ont franchi le Rubicon de la
légalité et lancé au printemps 1962 le Conseil national de la Résistance, en
écho à celui du second conflit mondial présidé par Bidault.
Olivier DARD
Bibl. : Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La Guerre
d’Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991.

COMITÉ INTERMOUVEMENTS
AUPRÈS DES ÉVACUÉS (CIMADE)
Fondée en 1937, la Cim (Comité intermouvements) unit les cinq
mouvements de jeunesse protestante et devient la Cimade (du fait de l’ajout
de « auprès des évacués ») en 1939 pour aider les protestants d’Alsace-
Lorraine repliés dans le sud-ouest de la France après l’invasion de la
Wehrmacht. Entre 1940 et 1944, la Cimade mène une action d’assistance, de
résistance et de sauvetage auprès des étrangers juifs et non juifs internés dans
les camps de la zone sud. Ses rangs comptent une quinzaine de Justes. À la
Libération, elle crée le service « Prisonniers et libérés » poursuivant son
action auprès des prisonniers allemands et collaborateurs.
La rupture de la guerre d’Algérie engage l’association en faveur de
l’indépendance du peuple algérien au nom de l’« Évangile libérateur ». Se
forgeant un militantisme anticolonialiste, elle est un service social engagé,
devenue « la Cimade, service œcuménique d’entraide ». Les années 1956-
1957 marquent un tournant : création du service « Nord-Africains » pour
aider à l’intégration des travailleurs maghrébins (alphabétisation, aide pour
l’emploi et le logement*, vestiaire, etc.), ouverture du poste de Marseille*,
accueil d’objecteurs de conscience dans ses rangs et dénonciation de la
torture*. Le Cimadien Jean Carbonare, responsable d’une association de
travailleurs nord-africains à Besançon, est chargé par le président du Conseil
Guy Mollet* d’organiser des contacts officieux avec les responsables du
FLN* dans les Aurès. La Cimade devient le « Comité d’aide aux déplacés et
aux évacués » dans les camps de regroupement* en Algérie. Entre 1957 et
1961, elle ouvre des postes : le Clos-Salembier à Alger pour un travail socio-
éducatif dans la cité de relogement et en bidonville, puis quatre autres à
proximité de camps de regroupement à Médéa, Sidi-Naamane (dans
l’Algérois), Constantine et enfin Belkitane dans le Sud-Constantinois.
L’objectif des « humanitaires » (Cimade, Secours catholique, Secours
populaire* et CICR*) est de créer un réseau de 85 centres de distribution afin
de pallier les pénuries de vivres et de vêtements. 400 personnes sont
mobilisées au sein des paroisses.
À la fin de la guerre, le pasteur Marc Boegner, président de la Cimade,
est visé par un attentat de l’OAS* à son domicile en août 1961. Par ailleurs,
Jean Carbonare rencontre à plusieurs reprises Ferhat Abbas*, président du
GPRA*, en Suisse* et l’ALN* à Tunis. Avec le pasteur Jacques Beaumont,
secrétaire général de la Cimade, il rend compte au ministre Robert Buron (un
des négociateurs français) de l’évolution des conditions de paix. En
métropole, la Cimade intensifie son action auprès des 20 000 détenus
algériens auxquels s’ajoutent les internés des quatre centres d’assignation à
résidence surveillée (CARS). Dès janvier 1959, la Cimade aide les détenus,
les assignés et leurs familles sur le plan matériel (envoi de vêtements, de
médicaments, et de livres, démarches, covoiturage, etc.). La Cimade
intervient pour libérer les grands malades, les pères de famille nombreuse et
les mineurs. Le siège parisien, rue de Grenelle, héberge des libérés des
CARS. Elle s’engage politiquement en collaborant avec le collectif des
avocats* du FLN (dont Jacques Vergès*, Mourad Oussedik* et Jean-Jacques
De Felice).
Après les accords d’Évian* le 18 mars 1962, la Cimade soutient
logistiquement la libération des militants FLN en collaboration avec la
Fédération de France* du FLN, du ministère de l’Intérieur et des autorités
militaires en Algérie. Une partie du camp militaire de Rivesaltes (Pyrénées-
Orientales) devient camp de triage et de transit entre mars et mai 1962. 700 à
800 détenus arrivent en convois. Afin de rentrer dignement en Algérie, la
Cimade distribue des vêtements et plus de 3 450 pécules de 150 NF. Avec
l’aval de Simone Veil*, missionnée par le ministre de la Justice, la Cimade
exfiltre de nuit, le 21 avril 1962, une dizaine de militantes FLN condamnées à
mort et graciées dont Djamila Boupacha* et Djamila Bouhired*. À Marseille,
le local du 43, rue d’Aix devient le « consulat temporaire et officieux du
FLN » pendant trois mois, jusqu’à l’indépendance. Le FLN y reçoit avec ses
tampons officiels et réalise les votes par correspondance. La Cimade, alliée
de l’œuvre de reconstruction de la « Nouvelle Algérie », est invitée par Ben
Bella* à fêter l’indépendance.
La fin du conflit colonial marque l’engagement de la Cimade auprès des
42 000 harkis* transférés entre septembre 1962 et décembre 1964 dans les
centres d’accueil des rapatriés* musulmans (Cara) à Bourg-Lastic, La Rye,
Le Larzac, Rivesaltes, Bias et Saint-Maurice-l’Ardoise. En janvier 1963, le
Comité national des musulmans français (CNMF), présidé par Alexandre
Parodi, vice-président du Conseil d’État, se structure avec l’appui du Secours
catholique, de la Croix-Rouge* et de la Cimade, qui y mène une action
sociale auprès des familles harkies jusqu’au milieu des années 1970. Elle
intègre par ailleurs le Comité chrétien du service en Algérie (CCSA) et met
en place des « équipes professionnelles » d’ingénieurs, de médecins ou
d’enseignants pour reconstruire le pays, d’où sa présence très marquée
jusqu’en 1965 et plus diffuse jusqu’en 1974.
Linda AMIRI et Anne BOITEL
Bibl. : Anne Boitel, « Des camps de réfugiés aux centres de rétention
administrative : la Cimade, analyse d’une action dans les lieux
d’enfermement et de relégation (de la fin des années 1930 au début du
e
XXI siècle) », thèse sous la dir. de J.-M. Guillon, université Aix-Marseille,
2016 • Denis Pelletier (dir.), À la gauche du Christ, Seuil, 2012.

COMITÉ INTERNATIONAL
DE LA CROIX-ROUGE (CICR)
Membre du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-
Rouge*, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est une
association suisse de droit privé dont les statuts sont annexés aux conventions
de Genève*. Fondée dans cette ville en 1863 par un groupe de notables, dont
Henri Dunant, l’institution est exclusivement dirigée par des citoyens suisses.
Garant du droit humanitaire international, le CICR agit dans le cadre de
conflits armés internationaux et de troubles internes graves. Ses actions sont
financées d’une part par le gouvernement suisse, d’autre part par les États
membres, ainsi que par des dons privés et des sociétés nationales comme la
Croix-Rouge française (CRF).
Considérant qu’il a peu d’espoir de voir la CRF s’engager à contrôler les
conditions de détention des indépendantistes emprisonnés, le CICR sollicite
et obtient, non sans difficulté, des plus hautes autorités françaises des
autorisations d’envoyer des équipes de délégués dans l’Algérie en guerre.
C’est ainsi que de 1955 à 1962, le CICR effectue dix missions
uniquement sur la base de l’article 3, commun aux quatre conventions de
Genève. Selon cet article, en cas de conflit armé non international, les parties
doivent appliquer les dispositions du droit humanitaire permettant aux
« personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les
membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont
été mises hors de combat », d’être traitées « avec humanité ». À raison d’une
à deux missions par an, des délégués du CICR contrôlent les conditions
matérielles et morales de plusieurs milliers d’indépendantistes détenus dans
des prisons* et des camps d’internement*. En 1960, cependant, des membres
du cabinet d’Edmond Michelet*, ministre de la Justice, font publier le texte
rendu qui prouve la pratique de la torture*. Ils cherchent ainsi à faire
pression, en France, pour les négociations*. Dans certains cas, en outre, le
CICR remet une copie, en toute discrétion, aux responsables du FLN*.
À partir de 1957, le CICR fournit des aides matérielles aux populations
réfugiées au Maroc* et en Tunisie*, ainsi qu’aux personnes déplacées dans
des camps de regroupement*. En 1961 et 1962, des délégués du Comité
contrôlent les conditions de détention d’Européens pro-Algérie française.
Après l’indépendance de l’Algérie, de mars à août 1963, le CICR effectue
une mission afin de faire rechercher des Européens disparus à la fin de la
guerre. Lors de cette mission, environ 2 400 harkis* emprisonnés reçoivent
aussi la visite de délégués.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou, Prisons et camps d’internement en Algérie.
Les missions du Comité international de la Croix-Rouge dans la guerre
d’indépendance, 1955-1962, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2018 • —,
Réfugiés et détenus de la guerre d’Algérie. Mémoires photographiques et
historiques, Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2022 • François Bugnion, Le Comité
international de la Croix-Rouge et la protection des victimes de la guerre,
Genève, Comité international de la Croix-Rouge, 1994.
COMITÉS ET PÉTITIONS
La guerre d’Algérie fut aussi une « bataille de l’écrit* » dans laquelle les
comités, les appels et les pétitions ont joué un rôle important. Tout au long de
l’année 1955, se sont créés des comités essentiellement basés à l’extrême
gauche. Ainsi, le Comité pour la libération immédiate de Messali Hadj* est
fondé en novembre 1954 et comprend Jean Cassou, Marceau Pivert et André
Breton. Le Comité de lutte contre la répression colonialiste est créé en
décembre 1954 par Daniel Guérin et des membres de Socialisme ou barbarie.
Le Comité pour la libération de Pierre Morain et pour la défense des libertés
démocratiques est fondé en août 1955 à la suite de l’arrestation du militant
anticolonialiste et notamment animé par Claude Bourdet* et le militant
libertaire Georges Fontenis.
C’est surtout à partir de l’automne 1955 que certains intellectuels se
regroupent, en particulier au sein du Comité d’action contre la poursuite de la
guerre en Afrique du Nord. Parmi eux figurent Claude Bourdet et François
Mauriac*, auteurs de deux articles publiés dans France Observateur et
L’Express en janvier 1955, dénonçant déjà la torture* en Algérie. Les
fondateurs de ce comité sont Robert Antelme, Dionys Mascolo, Louis-René
des Forêts et Edgar Morin*. Le 5 novembre 1955, ils organisent une réunion
à la salle des Horticulteurs à Paris au cours de laquelle ils prennent
l’engagement d’agir de toutes les manières possibles pour mettre fin à la
guerre. La liste des signataires est alors très importante. Le 27 janvier 1956,
un meeting à la salle Wagram du comité montre des positions plus radicales,
notamment d’André Mandouze* et de Jean-Paul Sartre*. Mais ce comité se
heurte rapidement à des dissensions internes entre pro- et anticommunistes
mais aussi entre pro-MNA* et pro-FLN*. Néanmoins, le comité intervient à
nouveau publiquement le 20 mars 1956 pour protester contre les pouvoirs
spéciaux* qui viennent d’être votés.
Quelques jours plus tard, le 28 mars, un groupe d’ethnologues – dont
Georges Balandier, Jean Dresch et Louis Massignon* – adresse au président
du Conseil une lettre ouverte préconisant des négociations* avec les leaders
des différents mouvements algériens. Le 6 avril, le pourtant très réfléchi
Henri-Irénée Marrou publie « France, ma patrie… » dans Le Monde*, où il
dénonce l’existence de « véritables laboratoires de torture » en Algérie. Peu
après, dans le même journal, les partisans de l’« Algérie française » se font
entendre avec un appel « pour le salut et le renouveau de l’Algérie française »
(21 avril) qui dénonce le rôle d’un « impérialisme théocratique, fanatique et
raciste » et ne voit d’autre issue « vers une voie humaine vers l’avenir » pour
l’Algérie que dans le cadre français. Cet appel est notamment signé par le
cardinal Saliège, Paul Rivet et Jacques Soustelle*. Ainsi, le débat sur
l’Algérie échappe au clivage gauche-droite, et montre également un clivage
générationnel. Le 23 mai, à nouveau, Le Monde publie un appel de
professeurs à la Sorbonne approuvant la politique gouvernementale et
désavouant par là même le texte de Marrou. Ce texte est signé par vingt-six
professeurs, dont Raymond Aron. À l’automne 1955 et au printemps 1956,
des pétitions sont aussi signées par le parti communiste et ses organisations
affiliées, en particulier pour protester contre les rappels et les maintiens des
soldats sous les drapeaux.
L’année 1957 est indubitablement celle de la torture et de sa
condamnation. Au début de l’année sort la brochure Des rappelés
témoignent…, du Comité de résistance spirituelle, portant une dénonciation
morale sans ambages de la guerre d’Algérie. Le 29 mars, le général de
Bollardière* apporte son soutien au journaliste Jean-Jacques Servan-
Schreiber* qui a servi sous ses ordres en publiant une lettre dans L’Express
dans laquelle il désapprouve nettement l’usage de la torture en soulignant
« l’effroyable danger qu’il y aurait […] de perdre les valeurs morales qui
seules ont fait jusqu’à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre
Armée ». Deux jours plus tard, deux appels sont également lancés par Lanza
Del Vasto, catholique et disciple de Gandhi, Bernard Gaschard et Pierre
Parodi « aux chefs religieux de l’Islam et aux chefs du FLN d’Algérie » et « à
la conscience des Français » à l’occasion d’un jeûne de vingt et un jours
qu’ils mènent pour protester contre la torture. La dimension morale de la
protestation contre la guerre d’Algérie est alors importante. Mais c’est surtout
avec le comité Maurice Audin*, faisant suite à la « disparition* » du jeune
mathématicien tué par les parachutistes*, qui comprend notamment Pierre
Vidal-Naquet*, Madeleine Rebérioux* et le mathématicien Laurent
Schwartz*, que la contestation morale de la guerre va s’exprimer. Ce comité,
fondé en novembre 1957, publie de nombreux textes dans les revues* semi-
clandestines Témoignages et documents (porté par le Centre d’information et
de coordination pour la défense des libertés et de la paix) et Vérité-Liberté
des textes dénonçant la torture et la « disparition » de Maurice Audin.
C’est également en 1957 que la campagne pour la libération des « soldats du
refus* » communistes commence. Le Secours populaire*, le PCF* et ses
différentes organisations (notamment de jeunesse) organisent des pétitions
pour la libération d’Alban Liechti*, premier « soldat du refus » emprisonné,
et de tous les autres. Néanmoins, l’action des militants fait face à des
difficultés dans les entreprises et l’espace public, des Français considérant
que le refus de porter les armes est une atteinte aux autres soldats.
Au moment des événements du 13 mai 1958*, un Comité national
universitaire de défense de la République est créé, notamment autour de
Laurent Schwartz, Paul Ricœur, Vladimir Jankélévitch et Maxime Rodinson.
Ils participent à la grande manifestation* républicaine du 28 mai, mais
l’affaire n’ira pas plus loin. Sous la Ve République*, Jean-François Sirinelli
dénombre pas moins de 67 textes sur le conflit algérien publiés dans Le
Monde : 62 sont publiés jusqu’en 1962, parmi lesquels seuls 11 sont
favorables à l’« Algérie française » et 7 à une indépendance immédiate. Tous
les autres poussent en faveur de l’ouverture de négociations* ou demandent
un apaisement de la situation. En effet, cette période est avant tout marquée
par la diffusion de manifestes très contradictoires qui rendent le débat très
électrique en 1960. De plus, avec la naissance de l’OAS* en 1961, la
situation devient de plus en plus tendue. Les comités changent de nature.
Certains sont favorables à l’« Algérie française ». C’est par exemple le cas du
Comité de Vincennes*, fondé en juin 1960, qui rassemble plus de
200 personnalités dont Georges Bidault et Jacques Soustelle, avant d’être
dissous en novembre 1961. D’autres s’opposent au contraire à l’OAS et
fondent par exemple un Front uni antifasciste (FUA) à la Sorbonne, qui
rassemble plusieurs milliers d’étudiants* et de lycéens, ou encore la Ligue
d’action pour le rassemblement antifasciste (Lara), qui rassemble 250
intellectuels et universitaires à partir du 14 novembre 1961, et qui devient
ensuite le Front d’action et de coordination des universitaires et des
intellectuels pour un rassemblement antifasciste (Facuira).
Tout cela montre une grande mobilisation des intellectuels dans le conflit
algérien. Il faut y ajouter toutes les pétitions qui ont pu être envoyées à la
présidence de la République et sur lesquelles des études seraient encore à
mener. Les cinq textes publiés en 1963 et 1964 dans Le Monde concernent
quant à eux les séquelles du conflit algérien, et demandent en particulier
l’amnistie* des personnes condamnées et emprisonnées.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007 • Jean-François
Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, Fayard, 1990 • Benjamin Stora,
La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte,
1992.

COMMANDOS
En Algérie, après le 1er Novembre*, pensant l’emporter par des
opérations de ratissage avec des formations classiques, la 10e RM ne juge pas
utile de créer des commandos de supplétifs*. Le 11e Choc n’est pas employé
pour encadrer des contre-maquis. Il est cantonné à des opérations dites
« spéciales », ponctuelles, comme l’exécution en 1956 de Mostefa Ben
Boulaïd*, un des fondateurs du FLN*. En revanche, devant le besoin en
unités mobiles, maîtrisant le combat d’infanterie contre un ennemi
insaisissable, l’armée recourt aux commandos marine. Ces derniers
s’adaptent, abandonnant les moyens amphibies d’Indochine* pour des
hélicoptères. L’armée de l’air*, qui n’avait pas combattu au sol sur ce
précédent théâtre, s’implique cette fois. En 1956, le général Jouhaud* crée
deux commandos « air » d’Afrique du Nord. En 1957, la mise sur pied de
deux autres commandos conduit à former le groupement des commandos
parachutistes* de l’air no 541 (GCPA 541) qui est renforcé en 1959 d’un
cinquième commando.
Des expériences sont aussi tentées. En 1956, le colonel Barberot*, ancien
de la France libre rappelé à sa demande, crée dans le Sud algérois des
commandos nomades, également appelés « commandos noirs* », en y
incorporant des rappelés volontaires. Pour Barberot, les unités ont trop peu de
contacts avec une population « musulmane » qu’il voit comme abandonnée
au FLN. Il croit pouvoir y remédier avec des formations légères, du niveau
groupe de combat (dix hommes environ), bien entraînées et équipées,
notamment en moyens radios. Vêtus de djellabas, les commandos noirs sont
accompagnés d’interprètes. Ils « nomadisent » sur de grandes distances, se
déplaçant la nuit, se camouflant et observant le jour. Se ravitaillant dans les
douars, ils obtiennent ainsi un complément de renseignements. L’expérience
tourne court, faute d’effectifs après la libération des rappelés. En 1956
également, la marine, présente sur la frontière algéro-marocaine, encourage à
partir du 80e GMPR la création d’une unité de contre-guérilla constituée de
volontaires musulmans, appelée commando « Yatagan ». Aux ordres d’un
officier* de la coloniale ayant combattu en Indochine à la tête de supplétifs, il
travaille principalement dans le secteur de Nemours au profit du 2e bureau*
de la DBFM. Après sa dissolution en 1959, ses missions sont reprises par le
commando « Tempête » qui conserve une organisation sensiblement
identique.
Le premier semestre 1959 voit la généralisation en Algérie d’un concept
devenu emblématique de ce conflit : le « commando de chasse ». Sa création
le 22 décembre 1958 par le général Challe*, nouveau commandant en chef,
s’inscrit dans un plan à l’échelle de la 10e RM. Il vise à débarrasser le
territoire de tous les maquis ALN* par une action offensive conduite d’est en
ouest agissant comme un rouleau compresseur. Essentiellement formés de
harkis*, même si certains incorporent des appelés du contingent, les
commandos de chasse doivent marquer l’ALN. Forts d’une centaine de
volontaires bien encadrés, puissamment armés et dotés de moyens radios
efficaces, ils doivent débusquer l’ennemi dans ses zones refuges et le harceler
jusqu’à sa destruction par les troupes du secteur ou de la réserve générale et
de l’aviation. Comme les commandos noirs auparavant, ils sont censés
recueillir des renseignements par l’observation et l’immersion locale. Ils
pratiquent également l’action psychologique dans les douars et le
harcèlement de l’ennemi par des embuscades* préparées après
reconnaissance du terrain.
Répondant à la volonté du commandement, toutes les armées mettent sur
pied des commandos de chasse, y compris la gendarmerie* qui, après avoir
manifesté de fortes réticences, en compte 7 au moment du cessez-le-feu.
Parmi ces nombreuses formations, le commando « Georges » – du nom du
lieutenant Georges Grillot qui le constitue en 1959 dans le secteur de Saïda –
acquiert une notoriété qui tient tant à ses résultats opérationnels qu’au
symbole politique qu’il représente. Avec 398 citations et plus de 1 000
combattants ennemis mis hors de combat, il compte dans ses rangs des
« ralliés » comme le lieutenant Youssef Ben Brahim qui occupe la fonction
d’adjoint. Il revendique également un projet pour l’« Algérie nouvelle » telle
que ses partisans la promeuvent, « Chasser la misère » étant la devise inscrite
sur son fanion.
Après 1962, seules la marine et l’armée de l’air conservent des
formations commandos. L’armée de terre*, qui n’en a pas l’utilité face au
pacte de Varsovie, institue néanmoins plus d’une dizaine de centres
d’entraînement commando en métropole et en Allemagne, où lors de stages
les unités acquièrent certaines technicités, développent leur rusticité et
renforcent leur cohésion. L’ALN créa elle aussi en 1956 une unité spéciale
forte d’une centaine de combattants aguerris et bien armés : le commando
« Ali Khodja* », du nom de son premier chef.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : René Bail, Hélicoptères et commandos-marine en Algérie, Panazol,
Lavauzelle, 1983 • Hocine Aït Idir, Commando Ali Khodja. Souvenirs d’un
combattant. Wilaya IV-zone I, Alger, Alger-Livres Éditions, 2011 • Pierre
Cerutti et Jean-Christophe Damaisin d’Arès, Commandos de chasse. Les têtes
chercheuses du général Challe, Sceaux, L’Esprit du livre, 2012.

COMMANDOS NOIRS
Les « commandos noirs » sont un dispositif imaginé par les colonels
Roger Barberot* et de Bollardière fin août 1956, un mois après* leur arrivée
en Algérie sur l’Atlas blidéen, après avoir constaté l’inanité des méthodes
répressives, notamment la torture*, les mauvais traitements, mais aussi
l’instruction du 27 avril 1956 obligeant à abattre « tout prisonnier* ou suspect
qui tente de s’enfuir », ce qui conduit à tuer de nombreux civils apeurés par
les soldats français. Le colonel Barberot propose alors de mettre en place des
patrouilles de huit hommes au maximum, nomadisant de nuit dans un large
rayon d’action pendant dix à quinze jours, et se camouflant le jour. Les
soldats devaient porter djellaba et turban, et apprendre à vivre avec la
population civile. Le colonel Barberot souligne que ces « commandos noirs »,
auxquels il a donné ce nom inapproprié car leur but n’était pas de détruire et
de tuer, sont involontairement proches du cadre établi par Mao Zedong pour
mener une guerre révolutionnaire*. Le succès des « commandos noirs » est
immédiat : l’expérience est au départ d’une centaine d’hommes, et les
volontaires deviennent de plus en plus nombreux. Le journaliste Jean-Jacques
Servan-Schreiber*, rappelé comme lieutenant, accepte lui-même d’y
participer. Deux brigades sont formées. D’après le général de Bollardière*,
elles ne déplorent que sept tués, alors que dans le même temps les attentats
deviennent de moins en moins nombreux. De ce fait, elles suscitent des
soutiens, de la part du directeur de la Sûreté nationale Jean Mairey*, du
général Manceaux-Demiau et même du gouverneur général Robert Lacoste*.
Mais ce n’est qu’en février 1957 qu’une première unité des « commandos
noirs » trouve une existence légale. En effet, au sein de l’armée, l’expérience
suscite aussi des oppositions. D’ailleurs, le général de Bollardière ne voit pas
une partie de ses effectifs renouvelés dès décembre 1956, et l’unité du
colonel Argoud*, aux méthodes expéditives, s’installe dans le secteur. La
situation empire et les attentats reprennent. Début mars 1957, le secrétaire
d’État aux Forces armées Max Lejeune rend visite au général de Bollardière
et désavoue ses méthodes de pacification* en les jugeant « indignes » de
l’armée. L’expérience des « commandos noirs » prend fin avec la
désobéissance du général de Bollardière, mais trouve un écho notamment
avec les articles de Jean-Jacques Servan-Schreiber dans L’Express, publiés
ensuite sous forme de livre.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Roger Barberot, Malaventure en Algérie avec le général Paris de
Bollardière, Plon, 1957 • Jacques de Bollardière, Bataille d’Alger, bataille de
l’homme, Desclée De Brouwer, 1972 • Jean-Jacques Servan-Schreiber,
Lieutenant en Algérie, Julliard, 1957.
COMMÉMORATIONS EN ALGÉRIE
Les Algériens n’ont pas attendu l’indépendance pour commémorer des
événements historiques. Le souvenir des massacres de mai 1945 fut rappelé
régulièrement par le PPA-MTLD* dans une cérémonie de recueillement
associé souvent à une journée de jeûne.
L’État algérien indépendant s’est doté d’un calendrier de
commémorations nationales. L’une des premières à être inscrite dans le
Journal officiel du 26 juillet 1963 est celle dite « de l’Indépendance et du
FLN* » fêtée chaque 5 juillet en référence à la prise d’Alger survenue en
1830. Sous son second mandat à la présidence, Bouteflika* procède par la loi
du 26 avril 2005 à une modification importante, annulant la référence au
FLN : le 5 juillet correspond désormais à la fête de l’Indépendance. Ce
changement qui survient alors que l’Algérie fête le 50e anniversaire du
déclenchement de la Guerre d’indépendance se fait sur fond de calculs en vue
de la révision de la Constitution de 1996 et de la suppression de l’article
limitant les mandats du président de la République.
Les cérémonies du 5 juillet 1963, premier anniversaire de l’indépendance,
ont été grandioses d’autant plus que Ben Bella* était absent au moment où le
peuple algérien la fêtait une année auparavant. Les réjouissances se déroulent
durant deux jours fériés consécutifs. Elles commencent le vendredi 5 juillet
1963 à minuit avec cent un coups de canons. Elles se poursuivent par un
imposant défilé « des forces de la révolution » qui démarre de la Maison du
peuple (siège de l’UGTA*, place du 1er-Mai) à la place des Martyrs où se
côtoient les bataillons de l’ANP*, les travailleurs, les anciens maquisards, les
scouts*, les femmes*. La tribune officielle dressée au pied de la Casbah
accueille Ben Bella et ses invités dont Che Guevara. Des défilés identiques
sont organisés également dans les grandes villes. C’est l’occasion aussi de
baptiser plusieurs rues d’Alger au nom des martyrs dont Maurice Audin* (ex-
place Maréchal-Lyautey) et maître Pierre Popie. Le soir, un feu d’artifice
illumine le ciel d’Alger. Le 5 juillet 1965, année du coup d’État de
Boumediene*, n’a pas été fêté. L’année suivante, avec l’organisation des
Algériades (spectacle sportif mobilisant la jeunesse algérienne), s’opère un
glissement et la presse* parle de fête de l’Indépendance et de la jeunesse
jusqu’à ce jour.
La date du 1er novembre 1954* est la seconde grande fête nationale. Elle
donne lieu au même cérémonial le 1er novembre 1963 à Alger et dans le reste
du pays. À cette occasion, Ben Bella se déplace à Constantine et préside au
déplacement de la dépouille de Didouche* Mourad, l’un des six fondateurs
du FLN, tué non loin de Constantine, pour être réinhumé au carré des martyrs
du cimetière d’El Alia, à Alger. Il assiste à un grand défilé marqué par la
parade des femmes maquisardes vêtues de pantalon, veste et casquette kaki,
marchant au pas et qui est longuement ovationné. Avant de partir, Ben Bella
se recueille sur la tombe de Abdelhamid Ben Badis*, père du réformisme
musulman.
Sous la présidence de Chadli Bendjedid, l’édification du Maqam El
Chahid – mémorial des martyrs inauguré en 1982 et situé sur les hauteurs
d’Alger – instaure un nouveau protocole aux cérémonies nationales.
Désormais, les principales commémorations (5 juillet 1962* et 1er novembre
1954) se déroulent au Maqam El Chahid, abandonnant le recueillement au
carré des martyrs au cimetière d’El Alia.
En raison des événements d’octobre 1988, la cérémonie du 1er novembre
est annulée cette année-là. L’année suivante, les défilés grandioses
disparaissent aussi bien pour le 1er novembre que pour le 5 juillet.
Le calendrier des commémorations nationales inscrit deux autres
célébrations importantes : la date du 20 août qui couvre à la fois
l’insurrection du 20 août 1955* lancée par Zighoud* Youcef, chef de la Zone
2, et la tenue du congrès de la Soummam* l’année suivante. Elles sont
particulièrement importantes à Skikda (ex-Philippeville), lors du 8e
anniversaire, le 20 août 1963 et à Ifri-Ouzellaguen pour le 7e anniversaire du
congrès de la Soummam.
Mais lors du second congrès de l’Organisation nationale des
moudjahidines (ONM) tenu le 13 mai 1965, la double date du 20 août est
consacrée journée du moudjahid*. La nouvelle désignation s’inscrit dans la
logique de la captation du pouvoir par l’aile militaire, prenant de la distance à
la fois avec l’insurrection populaire du Nord- Constantinois et les principes
adoptés au congrès de la Soummam (enterrés en fait depuis le CNRA* de
1957). Mais en réalité, les deux dates sont célébrées concurremment en
particulier à Skikda et à Ifri-Ouzellaguen, par les moudjahidines et les
associations.
Une dernière date, celle de la conclusion des accords d’Évian*, complète
quoique tardivement ce calendrier des commémorations nationales. Oubliée
par Boumediene par hostilité au GPRA*, la date du cessez-le-feu est
consacrée fête de la Victoire par un décret du 22 juin 1993, sous le
gouvernement de Bélaïd Abdesselam.
Ces fêtes nationales sont complétées par une série de journées
correspondant à des événements mémorables telles celle de l’émigration*
algérienne, en référence aux manifestations du 17 octobre 1961* à Paris, celle
de l’étudiant en souvenir de la grève* du 19 mai 1956, celle du 11 décembre
1960* pour les manifestations populaires, celle du chahid* (martyr) le
18 février (en référence à la création de l’Organisation spéciale* lors du
premier congrès du PPA réuni le 15 février à Alger).
Parallèlement à ces fêtes officielles viennent se superposer d’autres
commémorations tout aussi importantes les unes que les autres, mais qui
restent circonscrites à l’échelle locale. Elles surviennent durant la présidence
de Chadli Bendjedid qui, à la veille des fêtes de novembre 1984, procède à la
réhabilitation de plusieurs martyrs et personnalités éliminées à l’exemple
d’Abane* Ramdane, Krim* Belkacem, le colonel Lamouri*… que l’histoire
officielle a complètement occultés.
Les manifestations d’octobre 1988 accélèrent ce mouvement
« d’ouverture » par la promulgation de la loi du 4 décembre 1990 autorisant
la création des associations, d’où leur floraison à compter de cette date.
Parrainées par des partis politiques, des anciens moudjahidines et des jeunes
se déclarant autonomes, elles manifestent un réel désir de mémoire pour
entretenir le souvenir de certains héros de la révolution, faire connaître des
événements particuliers (liquidations internes, batailles*, embuscades*, etc.).
Le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes. On assiste par
l’entremise des associations à une concurrence entre les régions, chacune se
préoccupant de glorifier un héros ou un événement marquant. La parole des
témoins s’impose comme gage de véracité et la mémoire sollicitée a
posteriori supplante le discours critique de l’historien. Il en résulte selon les
termes utilisés par Fouad Soufi « un émiettement de l’histoire tant dans le
temps que dans l’espace », sans compter les contradictions, les confusions et
les interprétations erronées au gré des idéologies partisanes.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Journal officiel de l’Algérie • Naoufel Brahimi El Mili, France-
Algérie. 50 ans d’histoires secrètes, t. I, Fayard, 2017.

COMMÉMORATIONS FRANÇAISES
En France, la commémoration est conflictuelle car elle se présente
comme une occasion de rejouer symboliquement le conflit. Les pouvoirs
publics ont longtemps refusé de reconnaître la guerre et n’y ont procédé
qu’en 1999, avec une loi résultant d’un long combat mené en ce sens par les
associations d’anciens combattants*. Ceux qui n’ont pas accepté
l’indépendance, de leur côté, ont constamment cherché à en obtenir un
désaveu a posteriori. Objet d’âpres luttes politiques, la commémoration se
présente comme éclatée dans l’agenda officiel et dans l’espace de la nation,
en fonction des rapports de force entre les pouvoirs publics sollicités et les
demandeurs de gestes commémoratifs.
La liste des cérémonies patriotiques françaises comprend trois dates
relatives à la Guerre d’indépendance algérienne, dont deux instituées en
2003, pendant le septennat de Jacques Chirac*. Le 25 septembre est devenu
« journée nationale d’hommage aux harkis* et autres membres des
formations supplétives ». Cette date se réfère à l’inauguration, en 2001, d’une
plaque dans la cour des Invalides leur rendant hommage. Puis, le 5 décembre
a été érigé en « journée d’hommage aux “morts pour la France” pendant la
guerre d’Algérie, les combats du Maroc* et de la Tunisie* ». Cette date ne
correspond à aucun événement de la guerre mais à l’inauguration du
monument du quai Branly en 2002. Officiellement « Mémorial national* de
la guerre d’Algérie et des combats de Maroc et de la Tunisie », ce monument
aux morts* rend hommage, à l’origine, aux combattants, soldats et harkis.
Cette date incongrue car dépourvue de signification historique résulte d’un
choix par défaut. Celle du cessez-le-feu, le 19 mars 1962*, était trop
polémique. Une loi du 6 décembre 2012 l’a cependant également instituée
comme date commémorative, après plusieurs années d’atermoiements que
seule la victoire de la gauche aux présidentielles, en 2012, a permis
d’enrayer.
L’éclatement des commémorations dans l’espace de la nation résulte de
l’activité des municipalités en la matière. Leur rôle s’explique par la marge
de manœuvre que confère l’exercice de responsabilités locales à des partis
accédant peu au pouvoir à l’échelle nationale. Ainsi les mairies communistes
de l’ancienne « banlieue rouge », en région parisienne, ont de longue date
organisé des commémorations en partenariat avec la Fnaca, cette association
d’anciens combattants ancrée à gauche. Elles ont en particulier longtemps
entretenu le souvenir de Charonne*, le 8 février 1962. Elles se sont
également investies dans la commémoration du 17 octobre 1961*, tout
particulièrement en 2011. La ville de Nanterre s’est alors distinguée.
Objets de recherche de mémoires de master ou d’articles, principalement
abordées à travers des exemples, les politiques locales de commémoration
gagneraient à être analysées de façon globale. Témoignant de dynamiques
échappant au pouvoir central, elles sont hautement significatives de la
présence de ce passé dans la société française. Y jouent un rôle fondamental
les associations œuvrant auprès d’élus sensibles à leurs demandes parce
qu’elles rejoignent leur parti pris politique mais également parce qu’elles sont
sources de voix. Cette configuration est manifeste dans le sud-est de la
France. À Marignane, au début des années 2000, l’érection d’une stèle en
hommage au combat pour l’Algérie française à travers la mémoire de l’OAS*
a provoqué une véritable bataille. Cette cause portée par l’Adimad, une
association de défense des partisans de l’Algérie française dont l’origine
remonte à la fin des années 1960, est combattue par l’Anpromevo, une
association de défense de la mémoire des victimes de l’OAS, animée par
Jean-François Gavoury, fils de Roger Gavoury*, un commissaire assassiné à
Alger en 1961. À ses côtés : Jean-Philippe Ould Aoudia au nom de
l’Association des amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun* et de leurs
compagnons, ces six inspecteurs des centres sociaux éducatifs* (CSE)tués en
1962. La stèle finalement érigée offre aujourd’hui aux élus locaux du
Rassemblement national des lieux de cérémonies, comme Stéphane Ravier en
2015. À Paris, la pose d’une plaque rappelant le 17 octobre 1961 au pont
Saint-Michel, en 2001, témoigne aussi des transactions entre geste
commémoratif et préoccupations électorales car elle avait été promise par
Bertrand Delanoë pendant sa campagne. Aujourd’hui, l’Association Maurice
Audin*, ce disparu de la « bataille d’Alger* », longtemps présidée par un ex-
conseiller municipal de Paris, Pierre Mansat, demeure très active. Après
l’inauguration d’une place Audin dans la capitale, en 2004, elle a notamment
fait installer en 2019 un cénotaphe au Père-Lachaise, devenu un lieu de
cérémonie à la date du 11 juin, jour de l’arrestation d’Audin à Alger. Depuis
le décès de Josette Audin*, en 2019, le nom de cette dernière s’ajoute à celui
de son mari dans les commémorations.
Ainsi, si le choix des dates commémoratives est fixé, la dispute demeure
sur la création de lieux potentiels de cérémonies et les noms qui y sont
attachés. Les victimes à commémorer font débat. L’exemple du monument du
quai Branly en témoigne parfaitement. Conçu en hommage aux « morts pour
la France », il a été étendu en 2010, par le gouvernement Fillon, aux morts de
la manifestation de la rue d’Isly*, cette manifestation répondant à l’appel de
l’OAS, le 26 mars 1962. Ainsi le mémorial a été modifié sous la pression
d’associations favorables à l’Algérie française, infléchissant la signification
du monument.
Si elle résulte du fait que ce passé est un enjeu fort de batailles politiques,
tant à l’échelon national qu’à l’échelon local, la conflictualité des
commémorations tient aussi à des contraintes historiques objectives. En
premier lieu, cette guerre est une défaite française, politique mais également
concrète, sur le terrain. La lutte pour l’indépendance, en effet, ne se jouait pas
seulement dans les maquis et jamais les réseaux du FLN* n’ont été anéantis
durablement. Les camps et les prisons* voyaient s’entasser sans fin les
partisans de l’indépendance arrêtés et enfermés. Commémorer une défaite
paraît paradoxal mais la République ne peut ignorer les anciens combattants
qu’elle a engagés dans le conflit. De ce fait, l’exercice commémoratif est
complexe. Loin de toute glorification, il se fixe a minima sur l’hommage
envers les victimes. En deuxième lieu, la conflictualité de la commémoration
s’explique par l’absence de consensus sur la colonisation alors que les débats
sur la guerre conduisent inévitablement à discuter celle-ci, qui n’a jamais fait
l’objet d’un consensus dans la classe politique française.
Force est de constater, pour finir, que les commémorations françaises
développées en interne ignorent le partage de ce passé avec l’Algérie où,
depuis 1962, les dirigeants politiques ont usé du passé à des fins de
légitimation ; et ce, particulièrement dans des moments de crise ou de
contestation. Au-delà du pouvoir et de ses usages, la condamnation de la
colonisation l’emporte dans la société algérienne. Prendre en compte la
dimension bilatérale crée une difficulté supplémentaire pour la
commémoration : d’évidence, la condamnation de la colonisation, risquée en
France, est indispensable dans le contexte bilatéral. De fait, à l’heure actuelle,
chacun des deux pays a développé des rapports au passé et des
commémorations spécifiques.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?,
Seuil, 2005 • Sylvie Thénault, « La guerre d’indépendance algérienne.
Mémoires françaises », Historiens et géographes, no 425, 2014.

COMMISSION DE SAUVEGARDE
DES DROITS
ET LIBERTÉS INDIVIDUELS
Cette commission a connu deux périodes d’existence qui, tout en
présentant des continuités, se distinguent suffisamment pour qu’il soit permis
de parler d’une première et d’une seconde commission.
Elle est instituée pour la première fois en 1957, par un gouvernement
Mollet* acculé face au scandale qui a gagné la grande presse* métropolitaine
et les milieux politiques français – jusqu’à l’intérieur de la SFIO* à laquelle
Mollet appartient – sans compter l’ONU*, à l’échelle internationale. Avec le
début de ce qui est nommé la « bataille d’Alger* », lorsque Massu* obtient
les pouvoirs de police* dans la ville, les violences de l’armée ont en effet
gagné en visibilité et suscité un enchaînement d’affaires. Dans ce contexte,
l’annonce officielle de la création de la Commission, le 10 mai 1957, relève,
selon Raphaëlle Branche, d’une « opération de communication » en vue de
« calmer les esprits et les oppositions ». Sous la présidence de Pierre Béteille,
conseiller à la chambre de la Cour de cassation, elle se compose de
personnalités choisies pour leur stature morale et/ou l’exercice de professions
propres à en faire des spécialistes des questions soulevées par les atteintes
aux droits de l’homme en Algérie : avocat (Maurice Garçon), médecin
(Charles Richet), universitaire (Pierre Daure), haut fonctionnaire colonial
(Robert Delavignette*), militaire (le général Zeller)… Tous prennent leur
mission au sérieux et se lancent dans des enquêtes dont les conclusions
divergent selon leur rapport à la nation : si certains pensent devoir dénoncer
les atteintes aux droits de l’homme pour sauver l’honneur de la France,
d’autres veulent au contraire en préserver la réputation et préconisent d’agir
sans publicité, par des sanctions au sein de l’armée, par exemple. Tous n’en
dressent pas moins un constat susceptible d’alimenter le scandale. Pour cette
raison, le rapport de synthèse rendu par Béteille au gouvernement demeure
confidentiel, en dépit de la démission de Maurice Garçon et de Robert
Delavignette, partisans d’un débat public. Le 14 décembre 1957, le rapport de
synthèse est publié par Le Monde*. Outre qu’il détaille des affaires et cite des
documents officiels, le rapport identifie quatre questions majeures : la
torture*, l’arbitraire des décisions d’internement, les conditions inhumaines
faites aux internés dans les camps, les disparitions*. La publication n’a pas
d’autre effet que de nouvelles annonces mensongères, assurant que les faits
prouvés ont été sanctionnés.
En 1958, de Gaulle* la réactive. Il désigne à sa tête le président de la
chambre criminelle de la Cour de cassation, Maurice Patin*, un de ses
fidèles. Les deux hommes ont étudié ensemble les recours en grâce de
collaborateurs condamnés à mort à la Libération. Cette commission n’est pas
plus efficace que la première. Et pour cause : elle n’a pas plus de moyens ni
de pouvoirs pour enquêter. Trois traits la distinguent cependant de la
précédente. Outre qu’elle gagne en visibilité, elle est doublée par des organes
d’inspection chargés des camps d’internement* : la commission de
vérification des mesures de sécurité publique pour la métropole ; l’Inspection
générale des centres d’internement (IGCI) devenue Commission d’inspection
des centres de détention administrative (CICDA) en Algérie. Enfin, Maurice
Patin s’implique dans les réformes de la justice militaire, censées avoir un
effet mécanique sur la torture et les exécutions sommaires*. Dans la mesure
où le commandement les présente comme constitutives d’une « justice
parallèle » palliant les carences de la justice de l’État, les réformes visent à
rendre celle-ci plus rapide et plus sévère dans la répression du nationalisme*.
Bien que Patin s’attache à protéger de Gaulle, six membres de cette seconde
commission démissionnent en 1961-1962. Ils ne font pas scandale,
cependant. L’heure est désormais aux négociations* en vue de sortir de la
guerre.
De cette expérience peut être tirée une leçon : en matière d’atteinte aux
droits de l’homme, rien ne remplace l’action de la justice. Seuls les
magistrats* disposent des moyens et des pouvoirs indispensables à la
manifestation de la vérité : moyens scientifiques d’investigation, pouvoir de
convoquer les témoins, d’ordonner des perquisitions… L’existence de la
Commission de sauvegarde a cependant permis de constituer un corpus de
première importance pour documenter les atteintes aux droits de l’homme
pendant la guerre grâce aux lettres qu’elle a reçues, aux documents qu’elle a
collectés, aux rapports qu’elle a produits. Ses archives* sont à ce titre
précieuses.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, « La commission de sauvegarde pendant la guerre
d’Algérie : chronique d’un échec annoncé », Vingtième Siècle, vol. 61, no 1,
1999 • —, « La seconde commission de sauvegarde des droits et libertés
individuels », Histoire de la justice, vol. 16, no 1, 2005 • Sylvie Thénault,
Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La
Découverte, 2001.
COMMISSION INTERNATIONALE
CONTRE LE RÉGIME CONCENTRATIONNAIRE
Au moment où la guerre est déclenchée en Algérie, la question des camps
vient de faire polémique en France. Après avoir publié L’Univers
concentrationnaire, en 1946, David Rousset, un militant d’obédience
trotskiste*, déporté à Buchenwald, a dénoncé les camps soviétiques.
Vilipendé par les communistes, il a intenté un procès dont les audiences ont
duré jusqu’en 1951. Il participe également à la fondation de la Commission
internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC). En 1957, lorsque
la critique des méthodes françaises gagne en puissance à Paris, des
associations de déportés sollicitent le gouvernement Mollet* pour envoyer
sur place une délégation. Trois de ses membres (Georges André, Lise
Borsum, Cornelis Van Rij) partent, accompagnés de deux anciens résistants
et déportés : Louis Martin-Chauffier et Germaine Tillion*. Ils visitent des
prisons* et des camps d’internement*, subodorent l’existence de lieux de
détention secrets, rencontrent maints responsables civils et militaires. Aussi
leur rapport, publié en partie, notamment par Le Monde*, le 27 juillet 1957,
est une source précieuse. S’y ajoute le témoignage* de Martin-Chauffier,
dont le Journal en marge d’une enquête paraît dans la revue de la CICRC
(Saturne, août-septembre 1957).
Tout en écrivant qu’ils n’avaient pas à chercher « si, en Algérie,
existaient tous les critères d’un système concentrationnaire », les délégués
concluent qu’il n’en existe pas « au sens propre du terme ». Ils étudient trois
critères : « arrestation arbitraire sans possibilité de défense », « travail forcé
au bénéfice de l’État », « climat de déshumanisation ». Pour eux, le premier
est indiscutablement rempli, le deuxième peut être écarté. Ils sont moins
affirmatifs sur le troisième ; étaient-ils divisés ? Prenant le pire en référence,
ils écrivent en effet que la mortalité dans les camps d’Algérie n’a rien à voir
avec celle des camps de concentration. Pour autant, le traitement des internés
est-il humain ? Ils recourent à une litote révélatrice d’une gêne à cet égard :
« Les conditions de détention ne sont pas inhumaines. » Ils abordent ainsi des
débats restés cruciaux dans l’épistémologie des camps, relatifs à leur
définition, leur typologie et leur commensurabilité ; des débats qui lient, dans
l’historiographie, Seconde Guerre mondiale et Guerre d’indépendance
algérienne.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Émile Copfermann, David Rousset. Une vie dans le siècle. Fragments
d’autobiographie, Plon, 1991 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les
magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.

COMMISSIONS MIXTES DE CESSEZ-


LE-FEU
L’aspect militaire est l’une des dispositions importantes de la philosophie
générale des accords d’Évian*, paraphés par les délégués du gouvernement
français et du GPRA* le 18 mars 1962. Un intérêt particulier est accordé à la
sauvegarde du processus de transition et son corollaire la cohabitation, durant
la période transitoire, des deux armées, la française et l’ALN*-FLN* sans
oublier la Force locale* mise à la disposition de l’Exécutif provisoire*.
Afin de prévenir tout conflit entre les troupes françaises en Algérie, les
maquisards de l’ALN (wilayas) et les quarante mille hommes de la Force
locale, une commission nationale mixte militaire de douze membres est
constituée. Elle est dirigée conjointement par le commandant Mohamed
Allahoum, désigné par le GPRA, et le général Navelet, nommé par le
gouvernement français.
À l’échelle locale, ce sont les chefs des wilayas qui nomment les officiers
des commissions mixtes après approbation de la commission nationale.
Il faut savoir qu’après le cessez-le-feu du 19 mars 1962*, les wilayas
lancent des actions d’urgence afin d’être politiquement et militairement au
rendez-vous le jour de l’indépendance. Elles procèdent au déplacement de
combattants en armes, à l’enrôlement des « marsiens » – ces troupes ayant
rejoint sur le tard l’ALN – à la collecte des arriérés de cotisations, en exerçant
la pression sur les harkis* et les membres de la Force locale pour qu’ils les
rejoignent avec leurs armes.
Par ailleurs, à l’instar de l’ALN des frontières, les wilayas considèrent la
Force locale comme une force rivale. Elles estiment la « troisième force »
comme un projet de De Gaulle* pour neutraliser les indépendantistes du FLN
d’autant plus que les défenseurs de l’Algérie française ne sont pas
définitivement écartés. Faute d’avoir été associées aux négociations*
d’Évian, à la formation de l’Exécutif provisoire, à la constitution de la Force
locale ou à celle de la Commission nationale de cessez-le-feu, les wilayas se
méfient des responsables chargés de gérer et d’organiser la période
transitoire, en l’occurrence Abderrahmane Farès, président de l’Exécutif
provisoire, Omar Mokdad, chef de la Force locale, et le commandant
Mohamed Allahoum, officier de l’ALN des frontières.
La question de la défiance de la part de l’ALN de l’intérieur envers ces
nouveaux organismes aux pouvoirs exorbitants est prise très au sérieux par
l’Exécutif provisoire. C’est pourquoi, dès son installation, Farès attire
l’attention du GPRA sur la nécessité de mettre en place un « organisme de
coordination inter-wilayas » afin de contenir leurs dépassements sur le
terrain. De fait, les wilayas procèdent à des impositions abusives, incitent les
éléments de la Force locale à déserter, constituent des administrations
parallèles et entretiennent un « particularisme intransigeant », comprendre
régionalisme et/ou wilayisme.
La méfiance des wilayas envers la Commission nationale de cessez-le-feu
s’explique aussi par les accusations et attaques à l’encontre de la Force
locale. Cette situation est encouragée par la propagande* de l’EMG*. Ainsi,
des rumeurs sur la présence de harkis dans les rangs de la Force locale
exacerbent les tensions. Pour les wilayas, le seul avantage de cette « armée »
est qu’elle représente un réservoir d’armes.
Sous la pression de l’Exécutif provisoire et du gouvernement français, le
président du GPRA, Ben Khedda*, condamne les atteintes répétées aux
accords d’Évian de la part des wilayas. Le 9 mai 1962, il déclare que toute
désertion de la Force locale est considérée par le FLN comme un abandon de
poste. Le discours du président du GPRA est diffusé par l’armée française au
sein de toutes les unités. L’ordre du GPRA est relativement suivi. Le nombre
des déserteurs, au profit de l’ALN, diminue. Toutefois, le travail de sape des
wilayas continue. Leur objectif principal est, qu’à l’indépendance, elles se
substitueront à la Force locale.
À cet effet et dans un souci de se rapprocher des maquisards de
l’intérieur, le colonel Boumediene* et le commandant Mendjeli adressent le
29 juin 1962 un télégramme à toutes les wilayas afin de les prévenir que la
« Révolution est en danger », à la merci du spectre de la congolisation du
pays. L’EMG n’hésite pas à incriminer les autorités françaises à vouloir
dresser les Algériens les uns contre les autres.
L’EMG manifeste aussi son mécontentement contre la Commission
nationale du cessez-le-feu qui aurait facilité le renforcement des positions de
la Wilaya 2* dans la région de Souk Ahras, à proximité de la frontière algéro-
tunisienne. En faisant un appel à l’unité de l’ALN et en s’abstenant de
dénoncer le GPRA, l’EMG cherche à briser la dynamique dégagée à la
réunion de Zemmora* du 25 juin et dont les résolutions lui sont foncièrement
hostiles.
Dans un autre registre, la Commission nationale subit l’hostilité des
militaires français opposés au processus de l’indépendance de l’Algérie. Ce
fut le cas à Sidi-Bel-Abbès où la Légion étrangère* perturbe la mission de la
Commission nationale (témoignage* de M. Allahoum).
L’implosion de la Force locale, au moment du référendum* pour
l’autodétermination de l’Algérie le 1er juillet 1962, a paradoxalement créé les
conditions objectives au fonctionnement « normal » de la Commission dans
le sens où sa mission est désormais circonscrite aux seules deux armées,
l’ALN et l’armée française en Algérie. Cette nouvelle donnée a facilité leur
cohabitation sans grands heurts.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Soraya Laribi, « La Force locale après les accords d’Évian (mars-
juillet 1962) », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 259, 2015
• « Lettre de démission du groupe FLN de l’Exécutif provisoire du 27 juin
1962 adressée au GPRA », in Mohammed Harbi, Les Archives de la
révolution algérienne, Jeune Afrique, 1981 • Amar Mohand-Amer, « La crise
du Front de libération nationale de l’été 1962 : indépendance et enjeux de
pouvoirs », thèse de doctorat en histoire sous la dir. d’O. Carlier, Paris-7,
2010.

COMPAGNIES SAHARIENNES
Les compagnies sahariennes motorisées implantées au Sahara algérien en
1954 remplissent les mêmes missions que leurs aînées, les quatre compagnies
méharistes (Tidikelt, Touat, Gouraga et Colomb-Béchar). Les huit unités
(dont trois appartenant à la Légion étrangère*) sont réparties dans les
principaux centres de population et rayonnent dans les secteurs qui leur sont
dévolus. La compagnie saharienne portée des Oasis créée en 1947 est
installée à Ouargla tandis que celle du Tessalit, née en 1943, tient garnison à
Fort Polignac pour surveiller la frontière libyenne et le plateau de Tassili
n’Ajjer (120 000 km2). Celles de l’Erg oriental, du Touat (Adrar), de la
Zousfana (Colomb-Béchar) couvrent le reste du territoire désertique. Les trois
compagnies sahariennes portées de légion (CSPLE) patrouillent dans les
anciens secteurs des compagnies portées des 1er et 2e régiments étrangers
d’infanterie dont ils sont issus : la 1re CSPLE à partir du Ksar El Hirane au
carrefour de l’Atlas et du désert, la 2e compagnie à Ouargla puis à Laghouat ;
la 3e au Fort Leclerc surveille le Fezzan jusqu’en 1956.
L’État-major interarmées (EMI) met sur pied de nouvelles compagnies en
1956, afin de renforcer la surveillance des frontières, de lutter contre la
contrebande à partir de la Libye ou du sud du Maroc*, et de poursuivre les
bandes notamment dans les Ksour et le djebel Amour. Entre 1956 et 1959,
onze formations nouvelles viennent renforcer le dispositif et participer au
quadrillage : à Fort Flatters, Ouargla et In Salah (compagnie de la Tinghert),
Géryville et El Abiod (compagnie du djebel Amour), Touggourt (compagnie
de l’oued R’Hir), Hassi Messaoud (2e et 3e groupements de l’Erg oriental,
lourdement armés et très mobiles), Aïn Sefra et Colomb-Béchar (4e CSPLE),
dans la région de Tindouf à l’ouest (11e, 12e et 13e compagnies sahariennes
portées d’infanterie de marine). De plus, la mise en service des gisements de
pétrole* et de gaz impose des servitudes aux unités qui doivent se redéployer
à l’est du Sahara. Trois groupes mobiles de sécurité assimilés aux
compagnies sahariennes, lourdement armés et motorisés, ont pour missions
principales de sécuriser les routes, d’assurer la protection des installations et
la surveillance du gazoduc H’Rmel-Arzew et des oléoducs reliant Hassi
Messaoud aux ports de Bougie et La Skhira au sud de Sfax (Tunisie*). La
plupart de ces compagnies sahariennes ont été redéployées et maintenues
dans la région jusqu’à l’évacuation des bases Hammaguir et Mers El Kébir-
Bousfer en 1967.
André-Paul COMOR

CONDAMNATIONS À MORT
En Algérie, les TPFA (tribunaux permanents des forces armées) ont
condamné à mort environ 1 500 indépendantistes, dont 198 ont été exécutés ;
aucune femme, sur les 6 condamnées, n’a été guillotinée. La peine frappe en
général un instigateur, complice ou exécutant d’attentat, jeune (moins de
30 ans), « musulman » dans la taxonomie coloniale et sans qualification. Le
nombre de peines en métropole, où Marc André dénombre 24 exécutions,
reste inconnu.
Les magistrats* et les militaires des TPFA prononcent la peine capitale
chaque fois que possible car, suivie d’exécution, elle est la seule irréversible.
Ayant 1945 en tête (des insurgés condamnés ont été amnistiés), ils savent que
les peines de prison* seront annulées à la fin du conflit ; évidente en cas
d’indépendance, l’hypothèse était aussi valable dans le cas contraire, pour
clore la crise traversée.
Le droit de grâce, régalien, appartient au chef de l’État, après avis de
nombreux acteurs (magistrats, responsables militaires et politiques). La
focalisation sur François Mitterrand*, ministre de la Justice lors des
premières exécutions, en juin 1956, masque une règle fondamentale : les
présidents se décident en fonction du contexte. Souvenirs les plus
traumatisants des ex-détenus, les exécutions ensanglantent les cours des
prisons quand le conflit s’intensifie. Pour les autorités, en effet, un tel
contexte requiert l’intransigeance. Ainsi près de la moitié (91) des exécutions
ont lieu en 1957, en Algérie. Au contraire, en janvier 1959, de Gaulle*
marque son accès à la présidence d’une grâce collective. Puis, après une
reprise, il cesse toute exécution sous la pression du GPRA* une fois les
négociations* entamées. Les derniers guillotinés l’ont été en décembre 1960
en Algérie, en janvier 1961 en métropole. Après eux, l’histoire continue avec
la répression des partisans de l’Algérie française, dont quatre ont été
exécutés.
Comme les autres, cette guerre démontre que la peine de mort a d’abord
été, en France, au XXe siècle, une peine d’usage politique. Il est crucial
d’éclairer ainsi le débat public sur cette sentence ; raisonner sur le seul droit
commun est inapproprié.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Marc André, « Requérir la peine de mort. Les magistrats militaires
entre la France et l’Algérie durant la guerre d’indépendance algérienne »,
20 & 21. Revue d’histoire, vol. 142, no 2, 2019 • François Malye et Benjamin
Stora, François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Calmann-Lévy, 2010 •
Sylvie Thénault, « La justice dans la guerre d’Algérie », in Mohammed Harbi
et Benjamin Stora (dir.), La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de
l’amnésie, Robert Laffont, 2004.

CONFÉDÉRATION FRANÇAISE
DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS
(CFTC)
La Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), qui se veut
apolitique, condamne dans son organe Syndicalisme le recours à la violence
de l’insurrection algérienne le 1er novembre 1954*. Elle dénonce les
disparités économiques et sociales en Algérie mais n’évoque pas les causes
coloniales. Cet exercice difficile perdure lors du vote des pouvoirs spéciaux*
en 1956, en justifiant l’envoi de soldats tout en demandant d’urgentes
mesures sociales. Le syndicat chrétien craint l’éclatement de son union
régionale d’Algérie, où une minorité de cadres, incarnée par Alexandre
Chaulet (père du Dr Pierre Chaulet* qui rejoint le FLN* à Tunis), prône le
dialogue avec les belligérants. Mais la grande majorité, pour l’essentiel
Européens, « cols blancs » et fonctionnaires, est pour le statu quo. La
direction nationale évite au moins jusqu’en 1957 de relever les dérives
racistes et violentes. Cette position ambiguë n’empêche pas les plus
importantes fédérations d’Algérie (Postes, Cheminots*, Contributions) de se
prononcer pour la défense de l’Algérie française au congrès de l’union
régionale de 1959. Mais à Paris, le groupe Reconstruction parle du fait
national algérien et établit des contacts avec Safi Boudissa et d’autres
syndicalistes de l’Association générale des travailleurs algériens (AGTA),
émanation en France de l’Union générale des travailleurs algériens* (UGTA).
L’influence grandissante du groupe Reconstruction pousse à la clarification.
La radicalisation des tenants de l’Algérie française durant la semaine des
barricades*, fin janvier 1960, incite la centrale à participer à la grève* du
1er février en proclamant le droit des Algériens à l’autodétermination. Sous
l’impulsion de l’Unef*, la CFTC réclame l’ouverture de négociations* lors de
rencontres avec les syndicats algériens à Genève en février 1961, mot d’ordre
réitéré au moment du « putsch* des généraux ». La guerre d’Algérie accélère
ainsi la crise de la CFTC dont les éléments les plus critiques face à la guerre
coloniale sont aussi les plus déterminés à changer de modèle syndical, en
créant en 1964 la Confédération française démocratique du travail (CFDT).
Anissa BOUAYED
Bibl. : Michel Branciard, Un syndicat dans la guerre d’Algérie, Syros, 1984
• René Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux et question nationale.
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, L’Atelier, 2006 • André
Nozière, Algérie : les chrétiens dans la guerre, Cana, 1979.

CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE
DU TRAVAIL (CGT)
En 1954, la Confédération générale du travail (CGT) a déjà une longue
histoire avec l’Algérie et la question coloniale : tradition d’internationalisme
ouvrier, implantation en Algérie et forte présence de travailleurs algériens
dans ses organisations en métropole. Elle a déjà montré sa solidarité active
avec la lutte pour l’indépendance du peuple vietnamien. Malgré tout, face à la
décolonisation, la position et l’action de la CGT ne sont ni faciles ni linéaires.
En Algérie, la CGT attire massivement les travailleurs algériens par son
action anticoloniale, même si certains de ses militants européens sensibles
aux avantages coloniaux font preuve de paternalisme. En situation coloniale,
l’inégalité de statut entre Européens et Algériens pèse sur l’action syndicale.
Après 1945, ouvriers agricoles, mineurs et dockers* algériens mènent des
actions revendicatives exemplaires dans un climat répressif. Considérant la
spécificité coloniale mais sans rompre avec la Confédération, la CGT crée fin
1946 le Comité de coordination des syndicats confédérés d’Algérie (CCSA).
En 1950, il comprend plus de la moitié d’Algériens. L’évolution se confirme
avec l’arrivée de Lakhdar Kaïdi à la tête du syndicat devenu Union générale
des syndicats d’Algérie (UGSA-CGT), directement affilié à la Fédération
syndicale mondiale (FSM). Cette « algérianisation » fait perdre à l’UGSA la
moitié de ses adhérents européens en moins de quatre ans, mais est une école
de formation pour les militants algériens dont une partie est aussi active dans
le mouvement national. La centrale cégétiste est affaiblie par la création de
l’Union générale des travailleurs algériens* (UGTA), sur instance du FLN*
en février 1956, en rivalité avec l’Union des syndicats des travailleurs
algériens* (USTA) messaliste fondée une semaine avant. La volonté d’être la
seule force dirigeante conduit les nationalistes du FLN à sortir de l’UGSA-
CGT dont la proposition de fusion est rejetée par l’UGTA. Kaïdi entre alors
dans le combat clandestin et appelle à rejoindre le FLN. L’UGSA exsangue
disparaît.
En France, la CGT reste le syndicat le plus puissant, même si elle perd de
l’audience notamment depuis la scission de 1947. Elle réagit au 1er novembre
1954* en mettant en avant la gravité des problèmes sociaux inhérents « au
régime colonial qui sévit en Algérie » et renouvelle « sa solidarité avec les
aspirations nationales du peuple algérien », ce qui constitue un discours peu
conforme à l’idée dominante qui voit l’Algérie comme trois départements
français. La CGT est souvent à l’offensive dans des actions politiques comme
le soutien aux mouvements des rappelés en 1955, symbole selon elle d’une
union en germe autour des soldats. Elle est présente dans les comités
d’information par la voix de ses secrétaires généraux Le Léap et Frachon.
Mais en mars 1956, cette dynamique contre la guerre est affaiblie par le vote
des pouvoirs spéciaux* à une écrasante majorité, y compris le PCF*. La
proximité de la CGT avec le PCF l’isole encore après l’intervention
soviétique en Hongrie* fin 1956. Pèse aussi la lutte pour le leadership entre
FLN et MNA* qui fait des victimes chez les travailleurs algériens. En outre,
dès 1956, les partisans de Messali* quittent la CGT pour l’USTA tandis que
l’UGTA, de façon stratégique, crée en 1957 une amicale des travailleurs
algériens (AGTA) pour laisser les émigrés s’organiser dans les syndicats des
confédérations. Devant le reflux des actions contre la guerre, la CGT prône
l’ouverture de négociations*, avance le mot d’ordre de « Paix en Algérie »
dans les manifestations* sans arriver à rassembler, ce qui provoque les
critiques du FLN. La campagne autour des soldats qui refusent de partir en
Algérie, venus comme Alban Liechti* des rangs communistes et cégétistes,
manque de puissance.
La CGT ne sort de son isolement qu’au moment des grandes
manifestations républicaines contre les menées factieuses des ultras de
l’Algérie française. Elle recherche un impossible front syndical.
En février 1961, à Genève, les syndicats français désunis rencontrent
séparément l’UGTA pour appeler de Gaulle* à négocier. Même après le
17 octobre 1961*, les syndicats condamnent séparément la féroce répression
des manifestants algériens. En réaction aux attentats de l’OAS*, la CGT et
plusieurs syndicats appellent à une manifestation contre le danger fasciste.
Les violences policières s’abattent sur les manifestants, faisant neuf morts
dans les rangs cégétistes, le 9 février 1962 au métro Charonne*. Pour la
première fois tous les syndicats appellent en commun à une grève* et au
grand cortège du 13 février en hommage aux victimes de Charonne,
surmontant les clivages et clarifiant la volonté d’en finir avec la guerre.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Nora Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question
nationale. 1919-1954, thèse de doctorat d’État, OPU, 2005 • Anissa Bouayed,
« La CGT et la guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle sous la dir. de
J. Couland, Paris-7, 1985 • René Gallissot (dir.), Algérie : engagements
sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du mouvement
ouvrier, L’Atelier, 2006.

CONFÉRENCES AFRICAINES
Dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, la contestation de la
domination coloniale s’accélère à l’échelle du continent africain. Deux
facteurs supplémentaires encouragent les nationalistes africains à revendiquer
l’émancipation de leurs pays et à œuvrer pour l’unité du continent : ce sont
d’une part le courant panafricaniste et d’autre part la conférence afro-
asiatique de Bandoeng* (avril 1955).
Ces deux idées-forces créent une dynamique en Afrique à l’heure de la
décolonisation et donnent lieu à de nombreuses conférences tenues à l’échelle
du continent africain.
Pour l’Algérie, la participation à ces rencontres s’avère une bonne
opportunité à saisir pour exposer le problème algérien et obtenir le soutien
d’appuis extérieurs. Outre les conférences maghrébines* de Tanger (27-
30 avril 1958) et de Tunis (16-20 juin 1958), les conférences africaines
comprennent deux ensembles : celles des États africains à Accra*
(avril 1958), Monrovia (août 1959) et Casablanca (janvier 1961) ; celles des
peuples africains (ou conférences panafricaines des peuples) dont la première
se tient à Accra en décembre 1958, la seconde à Tunis en janvier 1960 et la
troisième au Caire en mars 1961.
La première conférence des États africains est organisée à l’initiative de
Nkrumah, premier président du Ghana, à Accra du 15 au 22 avril 1958.
Même si elle ne réunit que huit États, cette conférence reste une date
symbolique pour l’Afrique qui fait du droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes et de l’unité de l’Afrique un leitmotiv incontournable. À la deuxième
Conférence des États africains, qui s’est tenue à Monrovia en août 1959, la
délégation du GPRA* dirigée par M’hamed Yazid, ministre de l’Information,
concentre tous ses efforts pour obtenir la reconnaissance du GPRA par les
nouveaux pays africains indépendants (à cette date, il n’est reconnu que par le
Ghana et la Guinée). Elle obtient de siéger à part entière et le drapeau*
algérien flotte dans le ciel du Liberia. Cette reconnaissance de la légitimité de
la lutte du FLN* pour l’indépendance de l’Algérie se concrétise à la fin de
l’année par l’envoi de missions diplomatiques en Guinée et au Ghana. Par la
suite, l’Algérie siège en tant que membre, comme c’est le cas lors de la
troisième conférence, à Casablanca (4-7 janvier 1961), réunie par le sultan
Mohammed V, en présence de Gamal Abdel Nasser, Nkrumah, Modibo
Keita, Sékou Touré, le représentant du roi Idris de Libye et Ferhat Abbas*.
L’idée de l’édification d’une fédération africaine est défendue avec passion
par Nkrumah dont le pays est déjà uni à la Guinée et au Mali. L’adoption
d’une charte africaine donne lieu à la création du groupe de Casablanca
déterminé à suivre les résolutions des conférences d’Accra (avril et
décembre 1958), de Bandoeng (1955) et de la Charte des Nations unies*.
Dans la pratique, les desseins du groupe de Casablanca, qualifiés de
révolutionnaires, se heurtent à ceux du groupe informel de Monrovia des
États de l’Afrique subsaharienne francophone (né en mai 1961), plus
« réformiste » et plus réservé par rapport à l’idée de se fondre dans une
fédération politique. À l’indépendance, l’Algérie convaincue que « la guerre
de libération a accéléré le processus de décolonisation en Afrique » s’engage
dans une solidarité agissante pour la libération des peuples encore dominés.
La première conférence panafricaine des peuples s’ouvre à Accra,
capitale du Ghana, premier État indépendant de l’Afrique de l’Ouest, du 6 au
13 décembre 1958. Son président Kwame Nkrumah poursuit le double
objectif suivant : soutenir les mouvements d’indépendance et lancer le
panafricanisme. Ces idées ne sont pas nouvelles puisqu’elles sont discutées
depuis 1900, mais loin du continent africain. Néanmoins, elles se précisent à
la fin de la Seconde Guerre mondiale. Trois nationalistes africains, Kwame
Nkrumah, Jomo Kenyatta et Hastings Banda (Malawi), participent au
Ve congrès panafricain de Manchester (octobre 1945) et revendiquent la mise
en application des principes de la Charte de l’Atlantique pour l’Afrique sous
domination. C’est donc naturellement qu’à l’indépendance du premier État de
l’Afrique subsaharienne en 1957 Nkrumah, fidèle à son idéal, fait de sa
capitale le foyer principal du panafricanisme. La conférence de
décembre 1958 est l’occasion offerte à de nombreux délégués
de mouvements de libération de prendre la parole en faveur de
l’émancipation de leurs pays respectifs. À cette date, seuls huit pays africains
indépendants (Égypte*, Ghana, Soudan, Libye, Tunisie*, Maroc*, Liberia et
Éthiopie) y participent. Au nombre des soixante-deux organisations invitées
figure la délégation envoyée par le GPRA, composée d’Ahmed Boumendjel*,
Chawki Mostefaï et Frantz Fanon*. Le discours de Fanon, axé sur la
nécessité de mobiliser toutes les formes de lutte, y compris la violence, est
longuement applaudi et donne une orientation plus radicale aux débats de la
conférence animés par les leaders nationalistes dont Patrice Lumumba. Dans
sa déclaration finale, la conférence déclare son plein soutien aux luttes
armées en Afrique en condamnant le colonialisme, l’impérialisme et les
discriminations raciales, tout en insistant sur la construction de l’unité
africaine. Ce projet connaît un début de concrétisation avec l’union entre le
Ghana et la Guinée de Sékou Touré.
La rencontre d’Accra est suivie d’une seconde, tenue à Tunis, où les
travaux sont dominés par la forte présence des trois principaux pays du
Maghreb. La Guerre d’indépendance algérienne est au cœur des débats et la
proposition de la formation d’un corps de volontaires (à l’image des brigades
internationales lors de la guerre d’Espagne) est adoptée. On sait qu’elle n’est
suivie que partiellement par l’implantation d’une base au Mali, l’accueil de
partisans angolais dans les bases algériennes de Tunisie et l’ouverture de
missions diplomatiques au Ghana et en Guinée. Sont réitérées l’urgence de la
libération des pays africains et la volonté d’œuvrer pour le développement du
continent africain ainsi que la dénonciation des essais nucléaires* poursuivis
par la France.
Enfin, la troisième conférence des peuples africains est organisée
au Caire du 25 au 31 mars 1961. Pour le GPRA, c’est un moment difficile à
l’heure où les négociations* entre le FLN et la France butent sur le projet de
la partition du Sahara. La solidarité africaine est mise à mal par l’opposition
du Niger, du Tchad qui font partie de l’OCRS et de la Tunisie qui convoite
l’inclusion de plusieurs puits pétroliers situés sur le territoire algérien.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : René Gallissot, Le Maghreb de traverse, Saint-Denis, Éditions
Bouchène, 2000 • Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution
algérienne, Jeune Afrique, 1981 • Guy Pervillé, « Le panafricanisme du FLN
algérien », in Charles-Robert Ageron et Michel Marc (dir.), L’Afrique noire
française. L’heure des indépendances, Éditions du CNRS, 1992.
CONFÉRENCES MAGHRÉBINES
(TANGER, 27-30 AVRIL 1958 ; TUNIS, 16-
20 JUIN 1958)
Depuis l’ajournement de la conférence de Tunis (octobre 1956) en raison
du détournement* de l’avion marocain (qui transportait les chefs du FLN*),
le vœu d’édifier la fédération du Maghreb est mis en veilleuse jusqu’en 1958,
année au cours de laquelle se tiennent deux conférences réunissant les
représentants du Maghreb.
La première se déroule du 27 au 30 avril 1958 à Tanger en présence des
dirigeants des trois principaux mouvements nationalistes : l’Istiqlal pour le
Maroc*, le Néo-Destour pour la Tunisie* et le FLN pour l’Algérie.
Plusieurs facteurs concourent à sa convocation. C’est d’abord la
proclamation par Nasser de la République arabe unie le 1er février 1958 qui
fait craindre au Maroc et à la Tunisie la mainmise du leadership égyptien sur
le FLN. Puis, le 8 février 1958, l’aviation française bombarde Sakiet Sidi
Youssef* et intervient dix jours plus tard dans le Sud marocain, stoppant le
projet du « Grand Maroc ». Ces différentes tensions incitent les nationalistes
du Maroc et de la Tunisie à vouloir consolider leur solidarité avec l’Algérie et
à œuvrer en faveur de l’entité maghrébine.
La délégation algérienne est menée par Ferhat Abbas*, Abdelhamid
Mehri, Abdelhafid Boussouf*, Ahmed Francis et Ahmed Boumendjel*.
Parmi les observateurs invités, on note la présence de Me Stibbe, d’un
membre de l’ambassade du Caire et d’un fonctionnaire du consulat
américain.
À l’issue des travaux, la déclaration commune apporte son appui moral et
matériel à la lutte du peuple algérien pour son indépendance et sa
souveraineté, insiste sur l’unité de l’Afrique du Nord, réitère l’urgence « de
liquider les séquelles du colonialisme », autrement dit l’évacuation des forces
françaises du Maroc et de la Tunisie, et jette enfin les bases des institutions*
de la future fédération des trois pays. Mais en réalité, ces résolutions sont vite
oubliées lors de la seconde rencontre tripartite réunie du 17 au 20 juin à
Tunis, en présence cette fois des États constitués. La délégation algérienne
devra compter avec la détermination acharnée de Me Bouabid (Maroc) et
Bahi Ladgham (Tunisie) de défendre d’abord les intérêts de leurs pays
respectifs.
À la faveur du nouveau contexte géopolitique, les gouvernements
marocain et tunisien manifestent plus de réserve et privilégient ouvertement
l’option diplomatique. En effet, l’arrivée du général de Gaulle* au pouvoir
(mai 1958) les encourage à lui « laisser une marge de manœuvre » selon
Bourguiba. Pour Bouabid, le temps est à la réflexion et non à la précipitation.
De fait, le 2 juin, de Gaulle concède le retrait graduel des bases militaires
françaises au Maroc et en Tunisie. Cette nouvelle perspective dicte au Maroc
et à la Tunisie de revoir leurs engagements vis-à-vis du FLN. Celui-ci
n’entend pas infléchir sa ligne de conduite soulignée fermement par Ferhat
Abbas pour qui la position de De Gaulle signifie la guerre autant que
l’intégration proposée. Si le communiqué final de la Tripartite affiche un
consensus de façade, sur le droit à l’indépendance pour l’Algérie, la lecture
des procès-verbaux révèle les échanges équivoques sinon acerbes entre les
membres du CCE* et les ministres marocain et tunisien. Les réticences vis-à-
vis de la formation d’un gouvernement algérien sont mal acceptées par le
CCE qui rejette, de son côté, toute immixtion dans la gestion de sa politique.
La signature de l’accord franco-tunisien pour l’évacuation du pétrole*
d’Edjeleh le 30 juin vers le port de La Skhira explique en partie les
atermoiements observés lors de la conférence et relègue à l’arrière-plan
l’édification d’une unité maghrébine, au grand dam du FLN qui dénonce « la
violation des résolutions de Tanger » dans une note du 11 juillet 1958
adressée au gouvernement tunisien. Puis l’annonce de la création d’un
Gouvernement provisoire de la révolution algérienne* (GPRA) à partir
du Caire, le 19 septembre 1958, ouvre une longue période de tensions et de
pressions exercées sur le FLN. Les différends frontaliers portant sur la région
du Touat, du Gourara et de Tidikelt pour le Maroc et le désir de modification
du tracé de la frontière (en incluant les gisements pétroliers d’Edjeleh et
Hassi Messaoud) pour la Tunisie compliquent les relations avec l’ALN-FLN.
Le Maroc comme la Tunisie n’hésitent pas à prendre de sévères mesures se
traduisant par le contrôle des forces de l’ALN* stationnant sur leur sol et du
ravitaillement en armes. C’est dans le courant de l’année 1960 seulement que
le GPRA réussit à signer un accord avec le Maroc. Avec la Tunisie, la crise
de Bizerte* (juillet 1961) met provisoirement en sourdine le différend
frontalier.
En moins de deux mois, la construction de l’unité du Maghreb ne résista
pas aux enjeux nationaux et les promesses de Tanger ne furent pas tenues.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : René Gallissot, Le Maghreb de traverse, Saint-Denis, Éditions
Bouchène, 2000 • Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution
algérienne, Jeune Afrique, 1981 • Guy Pervillé, « Le panafricanisme du FLN
algérien », in Charles-Robert Ageron et Michel Marc (dir.), L’Afrique noire
française. L’heure des indépendances, Éditions du CNRS, 1992.

CONSEIL NATIONAL
DE LA RÉVOLUTION ALGÉRIENNE
(CNRA)
Le congrès de la Soummam*, réuni en août 1956, crée le Conseil national
de la révolution algérienne (CNRA) qui tient lieu d’instance dirigeante du
FLN*.
Le CNRA doit se réunir tous les ans. Il comprend 17 membres titulaires
et 17 suppléants. Un quorum de 12 membres est exigé pour convoquer une
session. Le CNRA est le seul habilité à engager des négociations* avec le
gouvernement français et à décider d’un cessez-le-feu. Il désigne les
membres du CCE*. Sa composition suscite des tensions entre Larbi Ben
M’hidi* et Lakhdar Bentobbal* qui souhaite un CNRA fidèle à l’esprit du
Crua. Pourtant, le CNRA finit par s’élargir par-delà les membres fondateurs
du FLN – Mostefa Ben Boulaïd* (malgré sa mort), Ben M’hidi, Rabah
Bitat*, Hocine Aït Ahmed*, Ahmed Ben Bella*, Mohamed Boudiaf*,
Mohamed Khider*, Krim* Belkacem, Amar Ouamrane*, Zighoud* Youcef –
en incluant trois anciens membres du comité central du MTLD – Aïssat Idir,
Benyoucef Ben Khedda* et M’hamed Yazid –, Ferhat Abbas*, un ancien
dirigeant de l’UDMA*, et Tewfik El Madani* de l’Association des ulémas*,
en plus de Lamine Debaghine et Abane* Ramdane.
La session du Caire, tenue du 20 au 27 août 1957, est devancée par une
réunion informelle organisée à Montfleury autour de Bentobbal, Abdelhafid
Boussouf*, Krim et des chefs militaires. Dans la capitale égyptienne, le
CNRA rassemble 22 personnes dont 10 colonels parmi lesquels 2 titulaires
nommés lors du congrès de la Soummam, 3 suppléants et 5 cooptés par le trio
Bentobbal-Boussouf-Krim. Les propositions de la réunion de Montfleury sont
validées, tout comme le bilan du CCE présenté par Abane. Le CNRA passe à
54 membres titulaires. Les deux tiers sont des officiers. D’après les
résolutions adoptées, « il n’y a pas de primauté du politique sur le militaire,
ni de différence entre l’Intérieur et l’Extérieur » – même si, dans les faits, les
colonels sont à la manœuvre et que la direction du FLN se trouve hors
d’Algérie. De plus, la future « République algérienne démocratique et
sociale » ne doit pas être « en contradiction avec les principes de l’islam ».
Une réunion des dix colonels*, qui s’étend du 11 août au 16 décembre
1959, vise à préparer la prochaine session du CNRA dont la nouvelle
composition – les trois quarts des membres sont des militaires – reflète
l’évolution du rapport de force en faveur de Boumediene* et au détriment de
Krim. La nouvelle session du CNRA se tient à Tripoli du 16 décembre 1959
au 18 janvier 1960. L’instance réclame l’allégement de l’administration, le
retour des officiers supérieurs en Algérie, le développement des relations
avec les pays socialistes et l’application du principe d’autodétermination par
le biais d’un référendum sous l’égide des Nations unies*. Boumediene est
nommé chef de l’État-major général* (EMG).
Du 9 au 27 août 1961, le CNRA se réunit une seconde fois à Tripoli. À
cette occasion, l’EMG* fait le procès du GPRA* qui a remplacé le CCE deux
ans plus tôt. Le CNRA se prononce pour la reprise des négociations. À la
suite de Abbas, Ben Khedda devient président d’un nouveau GPRA qui ne
comprend plus que d’anciens membres du MTLD. Après l’échec d’une
manœuvre visant à rallier l’ensemble des militaires contre le GPRA, l’EMG
quitte la session avant sa clôture.
La troisième réunion du CNRA à Tripoli, du 22 au 27 février 1962, se
déroule dans un climat de tension entre l’EMG et le GPRA. Le CNRA
mandate le GPRA pour signer la paix avec la France mais Boumediene se
prononce contre ces accords et déclare : « Ce texte marque la fin de notre
révolution, je crois que l’ennemi est parvenu au résultat qu’il recherchait avec
ses valets. »
La dernière session du CNRA se tient à Tripoli*, du 28 mai au 7 juin,
pour adopter un programme et désigner une direction. Le texte discuté
critique l’esprit féodal des dirigeants du FLN et leur manque d’éducation
démocratique. Ali Haroun* fait adopter un amendement faisant référence au
socialisme. Le FLN n’est pas reconnu en tant que parti unique mais son rôle
est compris comme prépondérant dans l’Algérie indépendante. Le CNRA
échoue à s’entendre sur l’élection d’une nouvelle direction. La recherche
d’un compromis est sabordée par le désaccord sur la composition du Bureau
politique proposé par Ben Bella, provoquant la levée de la séance et une crise
qui va se prolonger tout l’été 1962.
Le 20 juillet, le CNRA est convoqué par son bureau pour le 2 août afin de
remédier à la crise du FLN. Mais cette réunion n’a pas lieu, consacrant la
disparition de cette instance vidée de tout pouvoir.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN. Documents et
histoire. 1954-1962, Fayard, 2004 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du
FLN. 1954-1962, Fayard, 2002.

CONSTANTINE, PLAN DE
Le 3 octobre 1958, le général de Gaulle* annonce, depuis Constantine,
capitale de l’Est algérien, un ensemble de mesures destinées à opérer la
transformation profonde de l’Algérie en cinq ans. Elles comprennent
l’admission de 10 % de « musulmans » dans la fonction publique, la mise à
niveau des salaires avec ceux de la métropole, l’attribution de
250 000 hectares aux paysans, l’installation de grands ensembles industriels,
des logements* pour 1 million de personnes, la scolarisation de deux tiers des
enfants, la création de 400 000 emplois nouveaux. Si la genèse lointaine de
ces mesures remonte au Plan de progrès social et économique de l’Algérie,
présenté en 1944, l’initiative résulte plus directement d’une réflexion suscitée
par les gouvernements précédents : rapport de la commission présidée par
Roland Maspétiol* (juin 1955), commandé par Mendès France*,
Perspectives décennales du développement économique de l’Algérie
(mars 1958) élaborées sous le ministre résidant Robert Lacoste*.
Ce programme fait l’objet d’un plan dit « de Constantine ». Il combine la
définition de perspectives et d’objectifs de croissance avec l’intervention
directe de l’État, des établissements nationalisés ainsi que des incitations au
secteur privé. L’élaboration et l’application en sont confiées au nouveau
représentant de la France en Algérie, le délégué général du gouvernement
Paul Delouvrier*, assisté de Jean Vibert, directeur du Plan, qui mobilise tous
les grands bureaux d’études français. Tous les domaines sont concernés :
industrie* lourde, industrie légère, agriculture*, défense et restauration des
sols, hydraulique, routes et ports, logement, enseignement, action sociale, etc.
La construction de logements occupe une place particulière, vu l’exode rural
et la rapide croissance démographique. Devant entraîner maintes sous-
traitances (carrières, industrie du bâtiment, matériaux de construction,
peintures, industrie du meuble, voiries et réseaux divers), elle serait l’un des
principaux moteurs de la croissance.
Le Plan a des visées très ambitieuses. Il doit, en plusieurs périodes
quinquennales, et malgré le défi démographique, porter le niveau
économique, social et culturel de l’Algérie à un niveau comparable à celui de
la métropole. Dans une première étape (1959-1964), les revenus globaux des
ménages devraient progresser de 50 %. Les autorités françaises poursuivent
deux objectifs politiques : remédier à la misère qui sévit dans le pays et, en
même temps, combattre le discours du FLN* pour lequel seule
l’indépendance peut faire de l’Algérie un pays prospère en mettant fin à
l’exploitation coloniale.
Les premiers résultats sont spectaculaires. Une réforme agraire non
négligeable (redistribution d’environ 200 000 ha) est opérée. La croissance
s’établit à plus de 10 % par an en rythme annuel. Le rythme des mises en
chantier de logements est multiplié par trois. Le développement des industries
mécaniques (avec Berliet) ou chimiques (Air Liquide, Michelin) est notable.
Un vaste ensemble sidérurgique est envisagé à Bône, un important complexe
pétrochimique à Arzew. L’exploitation pétrolière suscite l’optimisme, en
garantissant une énergie à bon marché. Sur la même période, les effectifs
d’enfants « musulmans » scolarisés dans le primaire sont multipliés par
presque trois et ceux du secondaire sont majorés d’un tiers. Pourtant, l’échec
est sensible à partir de 1961. À ce moment, seulement 13 % de l’objectif final
en matière d’investissements ont été réalisés et un nombre très faible
d’emplois ont été créés. Les objectifs étaient peut-être trop ambitieux, voire
incorrectement définis en fonction des capacités et des potentialités du pays
en matière de débouchés. Surtout, l’évolution de la politique française vers
l’indépendance est défavorable à l’engagement des entreprises privées. En
1961, celles-ci ne réalisent que 20 % des investissements, les 80 % restants
relevant du secteur public. Les responsables de l’application du Plan sur le
terrain perdent confiance. Le 15 novembre 1960, Delouvrier, déjà fragilisé
par les barricades du 24 janvier, demande à être rappelé.
Si l’on date son début à l’annonce faite par le Général, le 3 octobre 1958,
le plan de Constantine aura duré vingt-six mois, un peu plus de deux années.
Il a montré les limites d’une solution purement économique, même élaborée
par une génération* de très brillants technocrates, pour contribuer à résoudre
une question avant tout politique.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition
d’une France à l’autre. Le passage de la IVe à la Ve République, Publisud,
2000 • Daniel Lefeuvre, Chère Algérie. La France et sa colonie, 1930-1962,
Flammarion, 2005 • Samir Saul, Intérêts économiques français et
décolonisation de l’Afrique du Nord (1945-1962), Genève, Droz, 2016.

COOPÉRATION
Paradoxalement la période qui court du début de l’indépendance à la fin
des années 1970 peut être caractérisée comme un moment d’apaisement des
relations franco-algériennes. Les engagements intellectuels français ont été
nombreux, divers, embrassant toutes les dimensions de la construction d’un
pays sorti exsangue d’une guerre atroce.
Anciens porteurs de valises*, syndicalistes, hommes et femmes de
gauche, catholiques, communistes, trotskistes*, tiers-mondistes, anti-
impérialistes, et de nombreux militants des derniers territoires encore sous
domination coloniale vont être réunis par l’Algérie sur la base d’une utopie
commune, la réalisation du rêve de la libération des peuples sous domination
et leur développement « autocentré ».
Il y a d’abord ceux qui sont restés ou revenus après l’été meurtrier de
1962, les « Européens » d’Algérie, « pieds-noirs* » (quelque
200 000 personnes), enseignants, médecins, ingénieurs, administrateurs,
juristes, avocats, qui ont continué à exercer leur métier et qui ont permis aux
institutions* de fonctionner. Certains parmi ces derniers qui étaient selon les
accords d’Évian* de droit civique algériens, pouvant voter et être élus (16
députés européens ont été élus dans la constituante algérienne), avaient trois
ans pour décider du choix de leur nationalité*. Au début de l’indépendance,
13 000 enseignants, instituteurs, professeurs de l’enseignement secondaire et
professionnel, professeurs des universités ouvrent et font démarrer les
établissements d’enseignement en septembre 1962, trois mois après la fin de
la guerre et la folie meurtrière de l’OAS*. Des ingénieurs restés sur place ont
également fait fonctionner les centrales électriques, les barrages, les
aéroports. Il y a aussi eu des magistrats*, avocats, fonctionnaires des
premiers ministères et de l’administration.
La deuxième catégorie est constituée de ceux qu’on a appelés les « pieds-
rouges* » par opposition aux « pieds-noirs », ceux issus de la mouvance
d’extrême gauche et de la gauche, porteurs de valises et militants
indépendantistes, qui se sont investis dans la mise en œuvre de chantiers
institutionnels d’organisation et de fonctionnement dans la santé*, le monde
rural avec « l’autogestion », l’économie, avec la maintenance des grandes
infrastructures, dans l’administration, dans la culture, le journalisme autour
du journal phare Révolution africaine*.
À la fin des années 1960, une troisième catégorie de coopérants s’engage
en Algérie ; ce sont les jeunes coopérants du service national français
(volontaires au service national actif [VSNA]), de jeunes diplômés de
l’université française post-68 qui viennent renforcer l’encadrement sur place
de nombreuses institutions, dans l’université, l’administration économique et
sociale (l’industrie* naissante, le plan, l’agriculture*, l’hydraulique,
l’électricité).
C’est l’époque de grands débats sur l’autogestion, sur l’impérialisme, sur
les voies non capitalistes de développement, les types de socialisme
« scientifique » versus « spécifique » ou « autogestionnaire », sur les
stratégies de développement et sur la libération nationale.
L’université algérienne – dont le recteur en 1963 est André Mandouze*,
latiniste émérite résistant, venu de Témoignage chrétien et qui a dû quitter
l’Algérie en 1956 sous la menace des partisans de l’« Algérie française » – va
être largement encadrée par des enseignants, vieux universitaires et jeunes
militants indépendantistes. La recherche n’est pas en reste, la période de
coopération scientifique entre la France et l’Algérie, qui s’est développée de
1962 à 1972 (date de la dissolution de l’Organisme de coopération
scientifique franco-algérien), avait, selon le mot de De Broglie au Monde*
(31 janvier 1963), jeté les bases d’un processus cumulatif de mise en place
d’un potentiel scientifique et technique par la mise en place d’un Conseil de
la recherche scientifique (protocole du 11 juin 1963) qui se voit confier la
gestion de quatre instituts de recherche encore administrés par l’Office
universitaire et culturel en Algérie. En sciences sociales*, le premier Centre
algérien de recherches et de documentation en sciences sociales (Cerdess) de
l’Algérie indépendante voit le jour en 1967 dans le cadre de cette
coopération.
La fin des années 1970, qui voit poindre les premiers désenchantements
du nationalisme* développementaliste, marque le reflux de la coopération.
Déjà en 1963 avec la publication de la première Constitution algérienne et le
Code de la nationalité, des premiers départs vers la France se déroulent ; le
coup d’État de juin 1965 du colonel Boumediene* suscite un deuxième
départ, de nombreux militants de gauche rompant avec un régime militaire
qui devenait plus répressif. La troisième vague de départ, au début des
années 1980, après l’élargissement de l’arabisation à l’enseignement
supérieur en 1983, marque la fin de la coopération.
Aissa KADRI
Bibl. : Jean-Robert Henry et Jean-Claude Vatin (dir.), Le Temps de la
coopération. Sciences sociales et décolonisation au Maghreb, Karthala, 2012
• Aissa Kadri et Mohamed Benguerna, Ingénieurs en Algérie dans les
années 1960. Une génération de la coopération, Karthala, 2014 • Catherine
Simon, Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’indépendance au
désenchantement (1962-1969), La Découverte, 2009.

CORVÉE DE BOIS
L’expression « corvée de bois », désignant une exécution sommaire*, est
antérieure à la guerre d’Algérie. Elle apparaît le 9 juin 1949 sous la plume du
journaliste et écrivain Roger Boussinot, dans l’hebdomadaire Action, proche
du PCF*. Sous le titre « Un jeune Français, retour d’Indochine*, m’a raconté
la corvée de bois », l’article relate les exécutions pratiquées par certaines
unités du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (Cefeo), au
prétexte de conduire des prisonniers* vietminh en dehors du poste ou à
l’écart du bivouac pour trouver le combustible nécessaire au foyer de la
cuisine – une corvée organisée par toutes les armées en campagne ; les
gardiens justifiant ensuite l’exécution de leurs prisonniers par la nécessité de
stopper une tentative d’évasion*. Roger Boussinot pointe la responsabilité
d’une hiérarchie qui selon lui a ordonné ces exécutions, ou qui tout au moins
les couvre en ne vérifiant pas l’exactitude des faits qui lui sont rapportés.
L’article ne trouve pourtant que peu d’écho. Ainsi il n’est pas relayé par
d’autres titres de presse*. Cette indifférence générale s’explique par le
désintérêt dont la métropole fait preuve à l’égard d’une guerre menée à
11 000 kilomètres par des soldats professionnels. En revanche, à partir de
1955, l’expression « corvée de bois » est régulièrement utilisée par la presse,
toutes tendances confondues, après la dénonciation, principalement par des
soldats du contingent, des premières exécutions sommaires* de combattants
algériens. La « corvée de bois » est même devenue un phénomène
emblématique de la guerre d’Algérie : le déserteur le plus connu de ce conflit,
le sergent parachutiste* Noël Favrelière*, a justifié son acte par la nécessité
d’entraîner dans sa fuite le « rebelle » dont il avait la garde et qu’il savait
voué à ce sort funeste. La pratique a toujours fait l’objet de dénégations
officielles, l’autorité militaire ne reconnaissant que des « fuyards abattus »
dont le total ne peut être précisément établi.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Frédéric Médard, « Les exécutions
sommaires en guerre d’Algérie », Guerre d’Algérie Magazine, no 16, 2009 •
Pierre Vidal-Naquet, Les Crimes de l’armée française. Algérie, 1954-1962,
La Découverte, 2001.

COUR DE SÛRETÉ DE L’ÉTAT


Instituée par deux lois en janvier 1963, la Cour de sûreté de l’État est un
héritage direct de la guerre, marquée par une double évolution : une
militarisation de la justice et une croissance de l’exception. Les
indépendantistes sont en effet soumis aux tribunaux permanents des forces
armées (TPFA). Tribunaux ordinaires de l’armée, ils se composent de
militaires formant un jury, comme les citoyens en cour d’assises. Puis,
craignant leur mansuétude face aux partisans de l’Algérie française, de
Gaulle* crée pour eux des tribunaux ad hoc, grâce aux pleins pouvoirs qu’il
reçoit lors du putsch* d’avril 1961 : le Haut Tribunal militaire et le Tribunal
militaire spécial, composés de magistrats* et de militaires choisis pour leur
loyauté envers le pouvoir.
Cependant, le Haut Tribunal militaire accordant les circonstances
atténuantes au général Salan*, chef de l’OAS*, et ne le condamnant pas à
mort, de Gaulle lui substitue une Cour militaire de justice, par ordonnance, le
1er juin 1962. Le 1er juillet, le suicide du général de Larminat, choisi pour la
présider, met en cause sa légitimité. Le 6 octobre, les conseillers d’État la
suppriment ; ils rompent ainsi avec l’attitude « compréhensive et résignée »
(selon Jean Massot) qu’ils avaient adoptée dans les circonstances
exceptionnelles de la guerre. Prolongée pour les affaires en cours, la Cour
militaire de justice condamne néanmoins à mort Bastien-Thiry, auteur d’un
attentat contre de Gaulle. Il est rapidement exécuté, le 11 mars 1963.
Son institution par la loi pare la Cour de sûreté de l’État de légitimité. Par
son fonctionnement et sa composition, elle reste pourtant sous le contrôle du
pouvoir. De 1963 à 1981, elle a jugé plus de 5 000 personnes, membres de
l’OAS puis des mouvements autonomistes breton et corse, d’Action directe
ainsi que d’anciens collaborateurs et « espions ». Si elle a prononcé 36 peines
capitales, aucune n’a été exécutée. Alors même que, ministre de la Justice de
février 1956 à mai 1957, il avait assumé la compétence des TPFA envers les
indépendantistes et l’exécution des condamnés à mort, François Mitterrand*,
passé dans l’opposition face à de Gaulle, a combattu la création de la Cour de
sûreté de l’État en 1963 ; aussi la supprime-t-il en 1981.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Vanessa Codaccioni, Justice d’exception. L’État face aux crimes
politiques et terroristes, Éditions du CNRS, 2015 • Jean Massot, « Le rôle du
Conseil d’État », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les
Français, Fayard, 1990.
COURRIÈRE, YVES (1935-2012)
Le journaliste Yves Courrière a publié une précoce et fameuse Guerre
d’Algérie, en quatre tomes chez Fayard, entre 1968 et 1971, le dernier ayant
été primé par l’Académie française. D’un style vivant et imagé, populaire
pour cette raison mais aussi riche au plan factuel, elle a été maintes fois
rééditée et reste abondamment citée. Elle pose pourtant de sérieux problèmes
car les sources en restent invérifiables. L’auteur fait aussi œuvre
d’imagination : il restitue des dialogues, fait parler des gens décédés. Aussi il
est crucial d’éclairer les conditions d’enquête et de rédaction des quatre
tomes.
Selon son autobiographie, né en 1935, de son vrai nom Gérard Bon,
Courrière travaille à Radio Luxembourg quand, son sursis* épuisé, il doit
répondre à l’appel, début 1958. Grâce à ses relations dans la presse*, il est
affecté au service de l’information du ministère de la Défense, dirigé par le
lieutenant-colonel Gardes*, futur chef de l’action psychologique* de l’armée,
passé ensuite à l’OAS*. Continuant d’œuvrer comme journaliste, il prend
alors le pseudonyme d’Yves Courrière pour masquer sa double activité.
Gaulliste, il couvre ainsi la guerre en Algérie et en sort réputé bon spécialiste.
Son travail de grand reporter ne s’y résume pas cependant. Il suit notamment
le procès Eichmann en 1961.
Le PDG des éditions Fayard, Charles Orengo, le sollicite pour un livre
sur l’Amérique latine* quand, en 1966, il reçoit le prix Albert-Londres pour
un reportage là-bas, mais, ayant la guerre d’Algérie en tête, il lui propose cet
autre projet. « J’attaquai de toute la force de ma trentaine la plus longue
enquête, le plus important reportage de ma vie. Il devait durer cinq ans »,
relate-t-il. Il exploite sa réputation, ses relations, sa documentation
personnelle. L’enquête est pour lui plus facile en France qu’en Algérie où
l’aide d’un ami journaliste lui est indispensable. Gênant le président
Boumediene*, car il met en valeur des acteurs de l’indépendance ostracisés
par le régime, il finit par être expulsé. Outre l’interview de Krim* Belkacem
qui, réfugié à l’étranger, sera assassiné peu après, Courrière est fier de ses
révélations sur l’assassinat d’Abane* Ramdane, sur les commandos* de la
mort d’un certain commandant O (Aussaresses*) ou encore sur les violences
d’Amirouche et son intoxication par le capitaine Léger*.
L’autobiographie évoque trop rapidement le rôle joué par sa femme,
Estelle, qui a suivi toute l’enquête et tapé le manuscrit des quatre tomes.
Courrière est décédé en 2012 sans avoir livré tous les secrets de son
entreprise.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Yves Courrière, Éclats de vie, Fayard, 2003.

COÛT DE LA GUERRE
Le 26 décembre 1959, le général de Gaulle* a noté les raisons pour
lesquelles il ne croyait pas possible de maintenir l’Algérie française par la
force, malgré l’écrasante disproportion des moyens dont disposaient les deux
camps, et notamment celle-ci : « Nous dépensons chaque année mille
milliards sous toutes sortes de formes pour la lutte en Algérie. Le FLN*
dépense trente milliards. »
En confrontant toutes les sources algériennes et françaises disponibles,
deux jeunes historiennes travaillant sous la direction de Gilbert Meynier* ont
étudié « le financement du FLN pendant la guerre d’Algérie ». Selon les
sources militaires françaises, en 1958 et 1959, le FLN aurait reçu chaque
année 3,25 milliards de francs de sa Fédération de France*, 8,8 milliards des
wilayas de l’intérieur, 10 puis 11 milliards de l’extérieur, soit en tout 22,050
puis 23,050 milliards de francs. Mais la Fédération de France fait état de
versements très supérieurs : 4,4 milliards transférés vers l’extérieur en 1958,
5 milliards en 1959, près de 6 milliards en 1960, et un rapport du ministre des
Finances du GPRA* affirmait en août 1961 que « l’apport de l’émigration*
algérienne en France constitue 80 % des ressources financières globales du
gouvernement provisoire ». En réalité, les wilayas ont eu de plus en plus de
mal à équilibrer leurs budgets et ont eu besoin d’apports financiers de
l’extérieur, venant du GPRA ou de la Fédération de France. Les fédérations
FLN de Tunisie* et du Maroc* ne pouvaient rien fournir au GPRA à cause de
l’entretien des nombreux réfugiés*. L’apport de la Fédération de France était
donc de plus en plus important, mais selon les sources françaises il aurait été
dépassé par les aides extérieures, venues pour l’essentiel des pays arabes
jusqu’en septembre 1959. L’aide militaire de la Chine* communiste, qui
reconnut le GPRA dès septembre 1958, fut illimitée et sans condition,
contrairement à celle de l’URSS* qui attendit octobre 1960 pour le
reconnaître de facto.
Du côté français, le coût de la guerre d’Algérie est très difficile à chiffrer.
D’une part, les dépenses militaires ne figuraient pas toutes dans le même
budget. D’autre part, la « pacification* » visant à rallier la population
musulmane à la France en augmentant massivement son niveau de vie a
conduit le budget métropolitain à prendre en charge le budget de l’Algérie à
partir de 1956. Il apparaît néanmoins que la hausse très rapide des dépenses
militaires de 1956 à 1958 avait mis en difficulté l’équilibre du budget et celui
du commerce extérieur, relancé l’inflation et menacé la valeur du franc. Mais
après le retour du général de Gaulle au pouvoir (juin 1958), le plan Pinay-
Rueff a rétabli l’équilibre budgétaire et la France a pu entrer dans le Marché
commun européen sans difficulté. Même l’indépendance de l’Algérie et
l’exode massif des « rapatriés* » en 1962 n’ont pas arrêté la croissance.
Paradoxe souligné par Jacques Marseille, qui demandait en 1988 lors du
colloque La Guerre d’Algérie et les Français : « La guerre d’Algérie a-t-elle
eu lieu ? » Jean-Charles Asselain développe : « Le redressement interne de
l’économie française n’a-t-il pas exercé une influence décisive sur le cours
des événements en rendant possible (supportable ?) la poursuite de la
guerre ? » (op. cit., p. 294).
Dès le 20 mars 1962, le journaliste du Monde* Gilbert Mathieu estimait
le coût de la guerre pour la France à 50 milliards de nouveaux francs, ou à
27 milliards si l’on retirait des budgets militaires et civils les dépenses non
liées à l’état de guerre. En 2000, Daniel Lefeuvre*, disciple de Jacques
Marseille, a traité la question dans le colloque La Guerre d’Algérie au miroir
des décolonisations françaises (SFHOM, 2000). Il estimait qu’en 1959,
l’intervention du Trésor métropolitain avait dépassé les 200 milliards de
francs (anciens), s’ajoutant à plus de 800 milliards de francs de dépenses
militaires, et en concluait que les conséquences de la guerre sur les finances
métropolitaines « avoisinaient les 1 200 milliards de francs (anciens) sur un
budget total de l’État qui s’élevait à moins de 6 000 milliards », soit 20 % du
total de ses dépenses. De plus, « la guerre d’Algérie a entraîné un freinage,
difficilement mesurable, de l’économie française résultant de la pénurie de
main-d’œuvre née de la mobilisation prolongée du contingent ». Ainsi la
croissance qui avait repris de 1959 à 1962 s’accéléra davantage encore après
la fin de la guerre et eut un effet inflationniste jusqu’au plan de stabilisation
de 1963. Ainsi, concluait-il, « il paraît difficile d’accréditer la thèse d’une
innocuité de la guerre d’Algérie sur le développement économique de la
France. Celle-ci a pesé lourd sur les finances publiques, sans compter ses
effets inflationnistes, et a ralenti l’effort de modernisation du pays au moment
où celui-ci s’ouvre à la concurrence européenne ».
Guy PERVILLÉ
Bibl. : Jean-Charles Asselain, « Boulet colonial et redressement économique
(1958-1962) » et Jacques Marseille, « La guerre d’Algérie a-t-elle eu lieu ?
Mythes et réalités du fardeau algérien », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La
Guerre d’Algérie et les Français, Fayard, 1990 • Emmanuelle Colin-
Jeanvoine et Stéphanie Dérozier, Le Financement du FLN pendant la guerre
d’Algérie, 1954-1962, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2008 • Daniel
Lefeuvre, « Le coût de la guerre d’Algérie », in La Guerre d’Algérie au
miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de Charles-Robert
Ageron. Actes du colloque international, SFHOM, 2000.

CRÉPIN, GÉNÉRAL JEAN (1908-1996)


Jean Crépin est né à Bernaville dans la Somme le 1er septembre 1908. Fils
d’un industriel, il effectue ses études secondaires au lycée d’Amiens puis au
lycée Saint-Louis. Ancien élève de Polytechnique, il entre dans l’artillerie
coloniale. Il commence à servir comme sous-lieutenant en 1930, se rend en
Chine*, au Cameroun. C’est là qu’en 1940, il rallie la France libre. Jean
Crépin participe aux campagnes du Fezzan et de Tripolitaine, puis à celle de
France, alors qu’il commande l’artillerie de la 2e division française libre. Il
est fait Compagnon de la Libération par le général de Gaulle* le 2 juin 1943.
Colonel, il devient l’adjoint du général Valluy, alors commandant des troupes
d’Indochine* du Nord. Commissaire de la République par intérim pour le
Tonkin et le Nord-Annam, il participe aux négociations avec le Vietminh.
Général de brigade en 1950, il exerce les fonctions de chef d’état-major
particulier du ministre de la Défense nationale, René Pleven, et de conseiller
militaire du chef de gouvernement Georges Bidault. Jean Crépin est ensuite
nommé inspecteur général des Fabrications et Programmes des Forces armées
en 1955. Général de division en 1957, Jean Crépin devient l’adjoint au
général commandant le corps d’armée d’Oran en 1959. Puis il est promu
général de corps d’armée et prend le commandement du corps d’armée
d’Alger en janvier 1960, en remplacement du général Massu*. De ce fait, il
n’est pas très aimé de la population européenne d’Alger dont Jacques Massu
est l’idole depuis la bataille d’Alger*. Par ailleurs, ses relations avec Paul
Delouvrier* sont mauvaises en particulier au moment de la semaine des
barricades* d’Alger, Crépin trouvant le délégué général du Gouvernement
trop indulgent envers les barricadiers. Il est nommé commandant des forces
françaises en Algérie en mars 1960 et assume en fidèle gaulliste la reprise en
main politique de l’armée. Il quitte son poste en février 1961 pour prendre le
commandement en chef des forces françaises en Allemagne. Élevé au rang de
général d’armée, il est nommé chef des forces alliées du secteur Centre-
Europe entre 1963 et 1966. Il prend sa retraite en 1967.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018
• Michel Hardy, Hervé Lemoine, Thierry Sarmant, Pouvoir politique et
autorité militaire en Algérie française, hommes, textes, institutions : 1945-
1962, L’Harmattan, 2002.

CRIME CONTRE L’HUMANITÉ


Le débat sur le crime contre l’humanité est hautement politisé et
polémique. En Algérie, la qualification de crime contre l’humanité est admise
au-delà même de la Guerre d’indépendance, pour la période coloniale. Les
massacres du 8 mai 1945 ont ainsi été qualifiés de génocide. Les détracteurs
d’une telle qualification en notent le soubassement idéologique – cette
dénonciation fait partie des usages de l’histoire par le régime en vue de se
légitimer et de susciter l’adhésion à son profit, face à l’ennemi français. Sans
nier l’ampleur ni la gravité des massacres, d’autres manient des arguments
plus historiques, en discutant l’ampleur du bilan* : bien que restant
impossible à estimer de façon infaillible, il n’atteint vraisemblablement pas
les 45 000. En France, la qualification des crimes coloniaux comme « crimes
contre l’humanité » suscite l’opposition véhémente d’associations prétendant
parler au nom des Français d’Algérie, comme en 2017, face à Emmanuel
Macron*, alors candidat à la présidentielle ; il a dû préciser qu’il ne mettait
pas les individus en cause. Il déclare ainsi à Emmanuel Laurentin sur France
Culture le 9 mars 2017 : « Toutes celles et ceux qui ont eu à voir avec la
colonisation [ne sont pas] des criminels contre l’humanité. » À cette
qualification est aussi opposé un risque de confusion entre régimes politiques,
de nivellement des crimes et de concurrence entre victimes : puisque le crime
contre l’humanité a été défini à l’occasion du jugement des criminels nazis à
Nuremberg, cela ne revient-il pas à soutenir une comparaison impensable
entre le IIIe Reich et la République française tandis que le génocide des juifs
perdrait en spécificité et que de nouvelles victimes intégreraient la catégorie
des victimes du pire crime possible ?
Ainsi engagé, le débat est confus et mal posé. La qualification de « crime
contre l’humanité » est en effet discutée du point de vue de ses usages
politiques et de ses conséquences. Elle n’est pas discutée pour elle-même.
Curieusement, s’agissant d’une catégorie juridique, le droit en est absent.
Juridiquement, pour la période de la guerre, la question est pourtant simple :
la qualification du crime contre l’humanité est-elle susceptible de s’appliquer
à des crimes commis par les forces françaises en Algérie ? Son enjeu est
considérable : il s’agit tout particulièrement de permettre la condamnation de
la torture*, restée impunie. En effet, pendant la guerre, la torture est restée
illégale et potentiellement condamnable en justice. De nombreuses plaintes
ont été déposées mais seuls trois procès ont eu lieu. Quand ils n’ont pas été
acquittés, les accusés ont écopé d’une simple peine d’amende. Puis, en 1962,
l’un des décrets d’amnistie* (le no 62-328 en date du 22 mars 1962) a visé
« toutes infractions commises dans le cadre des opérations de maintien de
l’ordre contre l’insurrection algérienne ». Ce décret est parfois présenté
comme relevant des accords d’Évian* mais c’est discutable : les accords
n’ont prévu que l’amnistie des Algériens et la réciprocité est restée implicite.
Elle n’est pas écrite dans les accords.
Quoi qu’il en soit, les procédures en cours ont alors été closes par des
non-lieux. La torture (et, avec elle, les disparitions* forcées ainsi que les
exécutions sommaires*) constituant bien, cependant, des crimes contre
l’humanité, il est possible d’invoquer cette qualification. Les crimes contre
l’humanité, en outre, sont les seuls imprescriptibles. Aucune amnistie ne peut
les couvrir.
Plusieurs tentatives ont été menées en ce sens depuis 1962, en particulier
après la publication de l’ouvrage de Paul Aussaresses* en 2001, Service
Spéciaux. Algérie. 1955-1957, aux éditions Perrin. En 2003, la chambre
criminelle de la Cour de cassation, devant laquelle la procédure est arrivée en
dernier recours, a rejeté la qualification de crime contre l’humanité. Elle a
invoqué le fait que la définition du crime contre l’humanité, en droit français,
ne permet pas son usage dans le contexte de la Guerre d’indépendance
algérienne. En effet, en 1964, selon la première définition de cette
qualification, les crimes contre l’humanité ne pouvaient avoir été commis que
par les pays européens de l’Axe ; ils étaient donc limités à la Seconde Guerre
mondiale. Puis en 1994, cette limitation a été supprimée par une nouvelle
définition, inscrite dans le Code pénal. Toutefois, selon la cour, son usage
pour des faits commis pendant la Guerre d’indépendance algérienne resterait
impossible car il aurait été rétroactif. Pour finir, la chambre criminelle de la
Cour de cassation a rejeté la possibilité de contourner cette difficulté en se
fondant sur le droit international, susceptible de pallier les lacunes du droit
français.
Pourtant, argumente Isabelle Fouchard en juriste spécialiste du crime
contre l’humanité, cette qualification a bien été admise dans des procédures
visant des Français pour leurs actes passés, commis dans le contexte de la
Seconde Guerre mondiale. Dans ce cas, explique-t-elle, la chambre criminelle
de la Cour de cassation a adopté une solution très exactement contraire.
Remarquant que le refus du crime contre l’humanité a concerné tout autant la
Guerre d’indépendance algérienne que la guerre d’Indochine*, la juriste met
clairement en évidence ce paradoxe « pour réprimer les crimes de la Seconde
Guerre mondiale et pallier l’absence d’incrimination nationale du crime
contre l’humanité, la chambre criminelle a invoqué le droit international ;
pour ne pas réprimer ceux des guerres d’Algérie et d’Indochine, elle a retenu
une conception très légaliste de la compétence des juridictions françaises
excluant toute incrimination découlant directement du droit international ».
Face à ce verrouillage juridique en France, il resterait la possibilité de
déposer plainte ailleurs, dans un État pratiquant la compétence universelle en
matière de crimes contre l’humanité, comme la Belgique*. Des obstacles
diplomatiques risqueraient cependant de s’opposer à l’ouverture puis au
déroulement des procédures. Surtout, si longtemps après les faits, les acteurs
susceptibles d’être poursuivis sont très probablement décédés et toute action
publique ne pourrait qu’être rapidement éteinte sur ce constat.
Ainsi les victimes de la torture, des exécutions sommaires et des
disparitions forcées de la Guerre d’indépendance algérienne ne peuvent
bénéficier des avancées du droit et de la justice au plan international,
intervenues trop tardivement pour qu’elles puissent s’en saisir. Du point de
victimes injustement spoliées d’une réparation solennelle et officielle, telle
que la justice en offre, peut-être faudrait-il prospecter du côté du droit civil, à
des fins d’indemnisation ? L’affaire Mohamed Garne* le suggère : Mohamed
Garne, né des viols* répétés d’une jeune Algérienne en 1960 soumise en
outre à des violences pour la faire avorter, a obtenu une indemnisation de la
cour régionale des pensions de Paris en 2001. Cette possibilité reste
cependant mal connue et semble être elle aussi limitée. Au-delà, la justice
transitionnelle, éprouvée dans bien d’autres contextes, n’ouvre-t-elle pas des
perspectives ? Aucune réflexion n’a encore été menée en ce sens. Elle aurait
en outre l’avantage de ne pas avoir été, jusqu’ici, politiquement
instrumentalisée.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault, « L’impossible procès de la
torture pendant la guerre d’Algérie », in Marc-Olivier Baruch et Vincent
Duclert (dir.), Justice, politique et République. De l’affaire Dreyfus à la
guerre d’Algérie, Complexe-IHTP-CNRS, 2002 • Isabelle Fouchard,
« Crimes contre l’humanité commis par l’armée française pendant la guerre
d’indépendance algérienne : l’impunité organisée ? », in Magalie Besse et
Sylvie Thénault (dir.), Réparer l’injustice : l’affaire Maurice Audin, IFJD,
2019 • Jean-Pierre Peyroulou, Guelma 1945. Une subversion française dans
l’Algérie coloniale, La Découverte, 2009.

CRISE DE L’ÉTÉ 1962


La crise de l’été 1962 est un aboutissement objectif de l’évolution du
FLN*, de sa création à l’automne 1954 à l’indépendance. Au cours de la
Guerre d’indépendance, des dissensions graves n’ont pas cessé d’opposer les
protagonistes du FLN et de l’ALN*. En 1962, la course au pouvoir a
affranchi des ambitions, qu’elles soient personnelles ou de groupes, et a
provoqué une recomposition brutale et conséquente des rapports de force.
Chronologiquement, c’est la suspension des travaux du CNRA* de
Tripoli* de mai-juin 1962 qui marque le début de la crise. Celle-ci s’achève
le 4 septembre 1962, au moment où le Bureau politique du FLN et le conseil
de la Wilaya 4* (Algérois) concluent un cessez-le-feu. Sitôt les accords
d’Évian* signés (18 mars) et le cessez-le-feu entré en application (19 mars*),
les logiques qui sous-tendent le FLN depuis 1954 sont remises en cause. Le
processus d’indépendance crée ses propres enjeux et génère de nouveaux
équilibres. Les textes fondamentaux du FLN sont ainsi récusés, ou du moins
ils ne constituent plus le socle institutionnel de la Révolution algérienne.
Dans cette optique, Ahmed Ben Bella* et ses alliés réussissent à imposer
l’organisation d’un CNRA avant la tenue du référendum* pour
l’autodétermination de l’Algérie. Cette décision est aux antipodes de la
philosophie du FLN. Il était prévu en effet qu’au recouvrement de
l’indépendance, un congrès regrouperait les « forces vives » de la société, sur
le sol national. La symbolique de cette vision exprime la volonté des
dirigeants du FLN et de l’ALN de construire, dans l’unité et la sérénité, un
projet politique et de développement pour le pays. À l’indépendance, le plus
important devait être la liquidation du système colonial, mais également la
préservation des institutions* issues de la guerre (CNRA, GPRA*, en
particulier). À Tripoli, la philosophie est, paradoxalement, aux antipodes de
l’esprit des textes et des perspectives forgées au cours des années de combat
et de luttes politiques. S’il est vrai qu’un programme politique, économique,
social, culturel fut débattu et adopté à l’unanimité, il n’en demeure pas moins
que l’objectif premier de ce conclave est celui de s’accorder sur la liste de
ceux qui auront la charge de diriger le pays après le référendum de
l’autodétermination.
Malgré son activisme et les nombreuses et stratégiques alliances
contractées, le groupe de Ben Bella autour duquel se regroupent l’EMG*,
Ferhat Abbas*, les responsables des Wilayas 1*, 5* et 6*, ainsi que d’autres
dirigeants politiques et militaires échoue à désigner un Bureau politique (BP).
Dès lors, la crise devient publique. Désormais, aucune institution d’arbitrage
ou de règlement des conflits n’existe au sein du FLN.
Aussi, le 3 juillet, journée historique de l’indépendance, c’est un
gouvernement divisé qui fait sa rentrée à Alger. Ni Ben Bella ni Mohamed
Khider* ne sont du voyage. L’accueil grandiose que fait la population
algéroise aux membres du GPRA, le discours de Ben Khedda*, les
grandioses manifestations du 5 Juillet* masquent mal les graves dissensions
qui minent le FLN. Il faut savoir que quelques jours auparavant, le 30 juin, la
veille du référendum, le GPRA avait mis fin aux fonctions du chef de l’EMG
de l’ALN, Houari Boumediene* et de ses adjoints, les commandants Ali
Mendjeli et Ahmed Kaïd (Slimane).
En ce début du mois de juillet 1962, le GPRA à Alger et Ben Bella à
Tlemcen s’affrontent à coups de communiqués, meetings et déclarations
publiques. La crise est à son paroxysme. Le 22 juillet, les partisans et alliés
de Ben Bella se proclament unilatéralement « membres majoritaires du
CNRA » et décident à la hussarde d’adouber le Bureau politique, qui avait été
contesté à Tripoli. Accepté par le GPRA et la quasi-totalité des responsables
politiques et militaires du FLN, le BP de Tlemcen est consacré autorité
suprême de l’Algérie indépendante. Mais cet accord politique est remis en
cause indirectement, par l’armée des frontières*. Le 25 juillet, les troupes de
l’ALN stationnées en Tunisie*, appuyées par les maquisards de la Wilaya 1
et des dissidents de la 2* investissent Constantine et Bône, provoquant ainsi
la constitution du groupe de Tizi Ouzou*, dont les leaders sont Mohamed
Boudiaf*, Krim* Belkacem et le colonel Mohand Oulhadj*. La prise des
deux principales villes de l’Est algérien est révélatrice de la fragilité des
alliances et des ralliements dans le contexte de la crise de l’été 1962.
Finalement, la hantise d’une « congolisation » de l’Algérie et de
l’intervention de puissances étrangères engage Boudiaf, Krim et Oulhadj
pour le groupe de Tizi Ouzou, et Khider et Rabah Bitat* pour celui de
Tlemcen à conclure à Alger un accord le 2 août. Celui-ci précise bien les
prérogatives du BP tout en réduisant son champ d’action. L’arrangement
entre les deux parties ne lui reconnaît qu’une autorité sur la préparation de
l’élection de la Constituante prévue le 27 août et la convocation du CNRA
afin de désigner un nouveau BP au FLN. À l’espoir suscité par l’accord du
2 août répondent des heurts entre les maquisards de la Wilaya 4 et les
hommes du « bataillon autonome » de Yacef Saadi*, allié de Ben Bella, dans
la casbah d’Alger. Le risque d’une guerre civile est réel, principalement dans
l’Algérois. Face à l’anarchie qui commence à s’installer et craignant de
perdre son autorité sur l’ALN des frontières et les wilayas qui le soutiennent,
Ben Bella donne, le 31 août, l’ordre de marcher sur la capitale et de mettre un
terme à la « rébellion » de la Wilaya 4, commandée par le colonel Youcef
Khatib* (Hassan) et soutenue par la Wilaya 3*.
Des combats sanglants ont lieu à Masséna (Ouled Ben Abdelkader),
Charon (Boukadir), Boghari (Ksar El Boukhari), Brazza (Zoubiria), Aïn
Boucif, Djebel Dhîra, Sour El Ghozlane, Berrouaghia, etc. Ils occasionnent
un nombre important de victimes. Le chiffre d’un millier de morts est avancé
par l’Algérie presse service (APS) dans un communiqué daté du 3 janvier
1963. Le 4 septembre, Khider et les colonels Oulhadj et Khatib paraphent un
accord où ils reconnaissent l’autorité du BP de Tlemcen, acceptent la
reconversion de l’ALN et l’organisation des élections de l’Assemblée
constituante prévues pour le 16 septembre. L’accord stipule également
qu’Alger relèvera dorénavant directement du BP. La capitale est déclarée
« ville démilitarisée » et toutes les unités militaires qui s’y trouvent sont
invitées à en quitter le territoire.
En dépit du refus de Boudiaf et de Hocine Aït Ahmed* de siéger au BP,
le reste de ses membres (Ben Bella, Khider, Bitat, Saïd Mohammedi* et Hadj
Ben Alla*) peuvent se prévaloir d’une légitimité politique que ni la
proclamation de Tlemcen du 22 juillet ni le compromis d’Alger du 2 août
n’ont réussi à leur donner. L’entrée des troupes de l’ANP* à Alger, le
9 septembre, en contradiction avec les dispositions de l’accord du
4 septembre, consacre la victoire politique et militaire du BP. La crise du
FLN de l’été 1962 se solde par la prise du pouvoir par Ben Bella et la
marginalisation progressive de ses opposants.
Trois ans après l’indépendance, le régime de Ben Bella n’a pas réussi à
dépasser ses contradictions. Une partie de ceux qui l’ont soutenu, pendant
l’été 1962, sont à leur tour écartés des affaires de l’État, emprisonnés ou mis
en résidence surveillée. Le 19 juin 1965, le segment militaire, le plus
homogène et le plus solide dans l’alliance nouée à Tlemcen en juillet 1962,
écarte Ben Bella et met fin au régime civil en Algérie.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Hocine Aït Ahmed, La Guerre et l’Après-guerre, Minuit, 1964
• Benyoucef Ben Khedda, L’Algérie à l’indépendance. La crise de 1962,
Alger, Dahlab, 1997 • Ali Haroun, L’Été de la discorde. Algérie 1962, Alger,
Casbah, 2000.
CRISES ET DISSIDENCES AU SEIN
DU FLN-ALN
Au cours de la Guerre d’indépendance, des crises plus ou moins graves
dont les causes sont variées ont agité les wilayas. Si les plus importantes sont
identifiées, telles l’affaire Lamouri*, Si Zoubir*, Ali Hambli, Si Salah*, leur
connaissance – appréhendée par des sources lacunaires, en l’absence de
l’exploitation critique des archives* (rapports, enquêtes) produites par les
wilayas elles-mêmes – élude la question de leur construction politique et
historiographique.
L’une des plus importantes est liée aux rivalités de pouvoir compliquées
par la prégnance des appartenances ethniques. C’est le cas de
l’Aurès/Wilaya 1* où, dès le départ de Mostefa Ben Boulaïd* en
février 1955, plusieurs prétendants mobilisent leurs troupes en vue de prendre
le commandement. Cet exemple se distingue par la durée et l’ampleur de la
crise interne qui a porté atteinte à l’unité des rangs et qui s’est traduite dans
les faits par l’élimination violente des concurrents (tel Bachir Chihani*). Les
premières lectures ont ramené l’existence de ces tensions dans l’Aurès aux
seules identités segmentaires. Mais comme le rappelle Mohammed Harbi* :
« l’apparition d’un mouvement centralisé remet en cause les équilibres
existants » et ne manque pas de bouleverser les communautés rurales, éprises
de liberté et peu enclines à perdre le monopole social au profit de « la
communauté de destin ». D’où des résistances politiques et culturelles qui
réactivent et libèrent les vieux antagonismes passéistes. Pour comprendre les
dissidences de l’Aurès qui prennent une tournure radicale à la suite du
congrès de la Soummam* et de ses décisions, il convient de ne pas perdre de
vue le contexte de guerre totale (qui frappe en particulier cette région) et le
processus d’édification d’un contre-État qui heurte l’espérance millénariste. Il
reste qu’au-delà des luttes fratricides, les chefs dissidents à l’instar de
Messaoud Ben Aissi, Rabhi Cherif, Mohamed Améziane, Salah Chenkhloufi,
Mohamed Seghir Tighezza, Ahmed Azoui, Rabah El Wahrani, etc., n’ont pas
rompu avec l’objectif déclaré par le FLN* le 1er novembre 1954*
(l’indépendance) et ont combattu à leur manière la présence française. Ce
n’est qu’au cours de l’année 1960 que l’intégration des troupes dissidentes
(un millier ?) à l’ALN* aboutit, après bien des pourparlers et au prix de
concessions.
D’autres mouvements de contestation sont nés d’une révolte contre
l’autorité des chefs de wilaya. Les deux exemples exposés ont été étudiés par
Gilbert Meynier*. Il s’agit du « complot des lieutenants » qui secoue la
Wilaya 5* dans les années 1957-1958. En fait il s’agit d’un mouvement de
protestation né du comportement du capitaine Rachid (Ahmed
Mosteghanemi) envers ses subordonnés et les réfugiés civils de la mintaqa 2
de la Wilaya 5 frontalière du Maroc*. Le mécontentement atteint son
paroxysme à l’exécution de l’aspirant Hamou, auteur d’un rapport
défavorable à la hiérarchie en place, ce qui décide trois lieutenants de la
Wilaya 4* – Mohamed Arab Bessaoud, Ben Miloud et Abdallah Larbaoui
(Mahmoud), en mission à Oujda – à réagir. Ils battent le rappel de l’ensemble
des cadres de la Wilaya 4 présents à Oujda et sont soutenus par des cadres de
la Wilaya 5. Ils sont d’accord pour exiger une commission d’enquête du
CCE*. Celui-ci finit par dépêcher l’un de ses membres au Maroc :
Bentobbal* – qui est aussitôt informé par Boumediene*, chef de la Wilaya 5,
et ses adjoints – de l’existence d’un complot fomenté par des officiers
kabyles de la Wilaya 4, obéissant aux ordres de Krim*, Ouamrane*…
Bentobbal semble croire à cette version des faits. À la demande des
Algériens, Larbaoui et Bessaoud et de nombreux compagnons sont arrêtés par
les autorités marocaines. Ils échappent à la mort grâce à la venue du colonel
Sadek* qui réussit à les extraire des cachots et des brutalités. Certains sont
mis en résidence surveillée. D’autres y perdent la vie, quelques-uns sont
éloignés en URSS* pour études.
Le second exemple concerne la succession à la tête de la Wilaya 3* après
la disparition du colonel Amirouche* en mars 1959. Deux officiers, Mohand
Oulhadj* et Abderrahmane Mira*, incapables de s’entendre, se disputent
ouvertement le commandement, alors que l’opération « Jumelles » est lancée.
Deux lieutenants Allaoua Zioual et Sadek Ferhani, ulcérés par le
comportement irresponsable des deux prétendants, prennent l’initiative de
lancer le Mouvement des officiers libres (MOL) en réunissant du 14 au
16 septembre 1959 une quarantaine de cadres. Ils optent pour un comité de
vigilance, la déposition des deux prétendants. Grâce à la mission de
conciliation du lieutenant Hocine Zahouane, « les conjurés s’engagent à
rester à leur place en attendant une commission d’enquête de Tunis » qui ne
vient pas. Le 28 octobre 1959, le GPRA* confirme Mohand Oulhadj à la tête
de la Wilaya 3. La mort de Mira au combat le 6 novembre et l’injonction de
l’EMG* fragilisent le MOL. Certains officiers se rallient à Oulhadj, d’autres
à l’armée française. Allaoua Zioual cesse les hostilités après sa rencontre
avec Mohand Oulhadj en préservant son autonomie dans sa nahia. Mohamed
Benyahia dit « Bulahiyya » termine la guerre en prison* après sa capture par
l’armée française.
Finalement, le calme revient avec le maintien d’un chef que ni le GPRA
ni l’EMG ne sanctionnent, mais le malaise des troupes est réel, avivé par les
exécutions internes et l’importance des pertes humaines dues à l’opération
« Jumelles ». Dans son rapport, Hocine Zahouane ne manque pas de noter
que « pour la première fois […] de jeunes combattants se demandaient ce
qu’ils deviendraient si la France gagnait ».
À l’inverse de l’incapacité et de l’autoritarisme de certains chefs de
wilayas, ces crises – assimilées au complotisme ou à la traîtrise – ont révélé
le sens de l’engagement révolutionnaire et la force de la résistance des
maquisards.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité, Jeune Afrique, 1980 •
Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002.

CROISSANT-ROUGE ALGÉRIEN (CRA)


Le Croissant-Rouge algérien (CRA) est l’une des sociétés nationales
rattachées au Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-
Rouge que chapeaute le CICR*. Le rôle de ces sociétés est de promouvoir le
droit humanitaire inscrit dans les conventions de Genève* de 1949. En temps
de paix, les sociétés nationales apportent leur aide aux populations démunies,
forment des auxiliaires de santé (infirmiers, aides-soignants, puéricultrices,
secouristes), organisent des collectes de sang, etc. En temps de guerre, elles
agissent comme auxiliaires des pouvoirs publics et du service de santé* de
l’armée de leur pays. Dans le contexte de la guerre en Algérie, il incombe à la
Croix-Rouge française d’aider matériellement les civils algériens et
d’organiser des visites aux soldats français blessés ou malades. Des missions
contradictoires, du point de vue du FLN* qui, en outre, réfute la souveraineté
française sur l’Algérie au profit d’une souveraineté algérienne qu’il incarne.
Aussi, les dirigeants du FLN envisagent très rapidement la création d’un
Croissant-Rouge algérien. Le projet est porté notamment par d’anciens élus,
des médecins et des juristes, dont Omar Boukli-Hacène, ancien bâtonnier de
l’ordre des avocats d’Oran et ancien député de la ville. Il deviendra le premier
président du CRA. Le 9 janvier 1957, un communiqué du FLN, publié dans
le journal Résistance algérienne, annonce ainsi : « Il vient d’être créé à
Tanger (siège provisoire) sous l’égide du Front de libération nationale un
CROISSANT-ROUGE ALGÉRIEN. Cet organe national s’attache à développer dans
le pays son action d’assistance aux blessés de guerre et aux victimes civiles. »
Le CICR refuse de l’enregistrer. Selon l’un des principes fondamentaux du
CICR, il ne peut y avoir qu’une société par pays et la Croix-Rouge française
remplit déjà ce rôle. Cependant, les délégués du CICR, pragmatiques,
acceptent officieusement de collaborer avec le CRA qui est ainsi reconnu de
facto. Quatre mois après sa création, le 22 mai 1957, Ferhat Abbas*
accompagne le Dr Djilali Bentami à Genève, l’introduit auprès de cadres du
CICR et en fait le responsable du CRA. Cet agent du FLN devient
l’interlocuteur privilégié du CICR. La relation entre le CRA et le CICR se
nourrit de multiples services rendus. À titre d’exemple, les délégués du CICR
réussissent, par l’intermédiaire de Djilali Bentami, à communiquer avec les
dirigeants du FLN au sujet des prisonniers* français aux mains des
nationalistes. Il faut toutefois attendre un an après l’indépendance de
l’Algérie, le 4 juillet 1963, pour que le CICR reconnaisse officiellement le
CRA. Celui-ci a ainsi deux actes de naissance : sa création le 9 janvier 1957
et son officialisation le 4 juillet 1963.
Concrètement, l’action du CRA obtient immédiatement le soutien
crucial des pays arabes. Dès 1957, deux de ses membres intègrent la
délégation officielle syrienne pour participer à la IXe Conférence
internationale de la Croix-Rouge à New Delhi. Les Croissants-Rouges
syriens et jordaniens y font voter deux résolutions en faveur du CRA : la
dénonciation de la discrimination qui existerait en Algérie dans les soins aux
blessés ; l’aide de la communauté internationale au bénéfice des réfugiés*.
Les aides aux Algériens ayant fui vers le Maroc* et la Tunisie* s’accentuent
dans la foulée.
L’aide aux réfugiés est un volet majeur de l’action du CRA. Il participera
ainsi à la gigantesque opération de retour des réfugiés, organisée par le Haut-
Commissariat des Nations unies* et la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge
après l’indépendance. Le CRA s’attache toutefois à remplir d’autres
missions : fournir des secours matériels aux familles de soldats de l’ALN*,
prodiguer des soins médicaux aux soldats blessés de l’ALN ; tisser des liens
avec l’ensemble des Croix-Rouges et Croissants-Rouges ; organiser la
libération de prisonniers français aux mains de l’ALN ; créer, en 1959, une
brochure bilingue (français/anglais) pour internationaliser la « cause
algérienne ».
En 2019, le siège du CRA se trouve à Alger. Ses actions, comme toute
société nationale, restent dictées par le Mouvement international de la Croix-
Rouge et du Croissant-Rouge.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Ferhat Abbas, L’Aurore. Autopsie d’une guerre, Garnier, 1980 •
Fatima Besnaci-Lancou, Prisons et camps d’internement en Algérie. Les
missions du Comité international de la Croix-Rouge dans la guerre
d’indépendance, 1955-1962, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2018 •
Mustapha Makaci, Le Croissant-Rouge algérien, Alger, Ipha, 2007.

CURIEL, HENRI (1914-1978)


Né dans la bourgeoisie juive égyptienne, Henri Curiel devient
communiste au cours des années 1930. En 1942, alors que les troupes de
Rommel menacent Le Caire, il est arrêté par la police égyptienne. L’année
suivante, il se marie avec Rosette Aladjem, infirmière juive égyptienne, et
fonde le Mouvement égyptien de libération nationale, organisation
communiste prosoviétique. Il est plusieurs fois arrêté pour communisme
courant 1946, puis en 1948 à la suite de la création de l’État d’Israël*. Il est
finalement expulsé d’Égypte* le 26 août 1950 et débarqué en Italie*. Il passe
en France en 1951 et devient alors un « clandestin toléré » (René Gallissot*).
En 1952, il soutient le coup d’État des « officiers libres » en Égypte, ce qui
conduit à sa mise à l’écart du PCF* qui condamne Nasser.
Il s’engage résolument contre la guerre d’Algérie : l’une de ses proches,
Joyce Blau, le met en contact avec le journaliste Robert Barrat*, qui lui fait
rencontrer Francis Jeanson*, à la tête d’un important réseau de soutien au
FLN*. Les deux hommes mènent alors une action similaire, en cachant et en
convoyant des militants algériens, mais aussi en centralisant l’argent des
collectes du FLN. À la différence de Jeanson, Henri Curiel utilise le système
bancaire pour exfiltrer l’argent hors de France. Il est aidé pour cela de son
épouse Rosette, des frères Jehan et Gerold de Wangen, ou encore de Georges
Mattéi.
Henri Curiel cherche aussi à rapprocher les réseaux de « porteurs de
valises* » du PCF et organise des rencontres entre Francis Jeanson et des
membres du PCF. Mais le parti rompt rapidement les contacts. Après les
arrestations dans le « réseau Jeanson » début 1960, le « réseau Curiel » prend
la relève, faisant naître des tensions entre les deux hommes. Henri Curiel est
aussi critique vis-à-vis de la Fédération de France* du FLN, c’est pourquoi il
favorise la séparation de l’organisation de déserteurs et d’insoumis Jeune
Résistance du soutien au FLN. Il veut également créer un mouvement large,
qui ne passe pas par le soutien : c’est le Mouvement anticolonialiste français
(MAF), dont le congrès fondateur se déroule le 20 juillet 1960 à Saint-Cergue
en Suisse*. Le mouvement se dote du journal Vérités anticolonialistes. Mais
Henri Curiel est arrêté le 20 octobre 1960, ainsi que plusieurs autres membres
de son réseau. Le MAF reste donc embryonnaire.
Comme il n’est pas condamné, il est libéré peu après les accords
d’Évian*, le 14 juin 1962. En Algérie, il crée l’association Solidarité en
décembre 1962, qui aide les mouvements de libération nationale. Il est
assassiné le 4 mai 1978 par un « groupe Delta », en référence aux
commandos « Delta » de l’OAS* pendant la guerre d’Algérie. Mais son
assassinat est resté non élucidé jusqu’à aujourd’hui.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : René Gallissot, Henri Curiel. Le mythe mesuré à l’histoire,
Riveneuve, 2009 • Gilles Perrault, Un homme à part, Barrault, 1984 • « Crise
et avenir de la solidarité internationale. Hommage à Henri Curiel »,
Recherches internationales, no 52-53, 1998.
D

2E BUREAU
En France, après la défaite de 1871 contre la Prusse, l’État-major
général – qui devient état-major de l’Armée en 1890 – est réorganisé en
quatre bureaux dotés chacun d’une fonction particulière, le 2e étant chargé du
renseignement comme organe d’exploitation mais non de recherche. Les
états-majors des grandes unités (armées, corps d’armée, divisions)
reproduisent la même organisation, avec une fonction de formation et de
préparation au temps de guerre.
À la veille de la Toussaint 1954, des 2e bureaux existent au niveau de
l’Algérie, qui constitue la 10e Région militaire (RM), et de ses 3 divisions
territoriales (Alger, Oran et Constantine). Ces bureaux centralisent et
exploitent ce qui a été recueilli par les « officiers de renseignement » (OR)
des unités, dans les 12 subdivisions territoriales. Ce modus operandi permet
d’alerter l’autorité civile de la montée du nationalisme* et du risque
imminent d’insurrection. Celle-ci venue, les 2e bureaux se concentrent sur le
renseignement d’ordre militaire, c’est-à-dire relatif à l’organisation, la
position et l’activité des groupes armés ennemis. Leurs analyses conduisent
ensuite le 3e bureau, en charge des opérations, à planifier l’action militaire.
Dans le cadre de l’exploitation des « sources », les différents 2e bureaux
rédigent des bulletins de renseignement selon une périodicité quotidienne,
hebdomadaire ou mensuelle. S’appuyant sur l’expérience des premiers mois
d’opération, le 2e bureau de la 10e RM élabore également un Guide à l’usage
du commandant de sous-quartier, de son officier de renseignement ou du chef
de poste isolé. En 1957, le 2e bureau de l’État-major général à Paris propose
de son côté un Guide provisoire à l’usage des officiers de renseignement en
Algérie. Parallèlement, les structures vouées au renseignement sont étoffées.
Lorsqu’en mars 1957, les 3 divisions territoriales sont transformées en corps
d’armée et les 12 subdivisions en divisions opérationnelles adaptées aux
nouveaux départements, chacune a été dotée d’un 2e bureau et un officier de
renseignement (OR) a été affecté dans les 72 secteurs opérationnels.
La formation des « OR » est une préoccupation constante de la 10e RM.
Des stages sont organisés (5 stages de 3 jours en 1956). Fin 1957,
l’organisation des 2e bureaux est significativement modifiée dans le but de
l’adapter aux particularités de la guerre qualifiée de « subversive ». Outre un
secrétariat et une sous-section « fichiers statistiques », ils comptent désormais
4 sections : « information » ; « opération », chargée de l’étude des aspects
militaires de la rébellion, de l’exploitation des renseignements d’ordre
opérationnel et de l’orientation de la recherche en la matière grâce à deux
sous-sections « exploitation » et « PLIT » (potentiel, logistique, implantation,
terrain) ; « études générales », chargée de l’étude de la rébellion sous ses
aspects politiques, psychologiques et internationaux ; « RIDO » (relations
extérieures, instruction, documentation et organisation). Le 2e bureau est doté
de crédits spéciaux pour rémunérer les informateurs, qui augmentent très
fortement. Ces « fonds de contact » passent de 240 000 francs en 1955 à
200 millions en 1960.
Après les lieutenants-colonels Wirth, de Sacken et de Bourdoncle, le
lieutenant-colonel Jacquin prend la tête du 2e bureau de la 10e RM en
juillet 1957. Véritable spécialiste du renseignement, il opère une
rationalisation décisive. Outre qu’il reprécise les attributions des 2e bureaux,
il formalise le système « Renseignement, action, protection » (RAP), rappelle
les modalités de transmission des informations, fait adopter un nouveau plan
général, détaille également les missions du CCI et organise la diffusion des
bulletins des 2e bureaux. À l’été 1958, ceux-ci connaissent dans le détail
l’implantation des unités de l’ALN* et en dressent un organigramme
complet. Le 2 octobre, le lieutenant-colonel Jacquin institue des centres de
renseignement et d’action* (CRA) au niveau des secteurs (régiments) et des
éléments de renseignement et d’action (ERA) dans les quartiers (bataillons).
Au fil du temps, le 2e bureau de la 10e RM établit de nombreux ordres de
recherche, dans des domaines aussi divers que l’écoute des émissions
suspectes, la réutilisation par l’ALN des projectiles non éclatés, la protection
du contre-espionnage dans les unités supplétives, l’interrogatoire des ralliés,
le traitement des documents et des matériels pris à l’ennemi. S’il ne prescrit
pas explicitement aux échelons subordonnés et notamment aux « OR » des
unités de recourir à la torture*, celle-ci est tolérée, sinon encouragée à mots
couverts. Le 2e bureau de la 10e RM s’accommode d’une pratique qu’il sait
répandue. Bien que la collecte du renseignement ne repose pas que sur le
recours à la torture, celle-ci y contribue pour une bonne part.
En 1959, une directive du général Challe* fait des commandants de corps
d’armée le rouage essentiel de la chaîne du renseignement et renforce le rôle
des 2e bureaux. Leur organisation est sans cesse adaptée. Ainsi, en mai 1959,
la section « information » est supprimée et ses attributions confiées à une
« salle des opérations » de l’état-major interarmées qui, en outre, prépare les
briefings et rédige les comptes rendus d’opérations ainsi que les bulletins de
renseignement quotidiens (BRQ). Une section « organisation-instruction » se
substitue à la section RIDO pour structurer les services de renseignement et
former les cadres qui y sont affectés ou qui sont chargés de la sécurité
militaire. En 1960, la sous-section « fichiers statistiques » est chargée de
synthétiser dans un mémento les bilans qu’elle dresse sur les pertes en
personnel et armements, les armes saisies, les trafics d’armes*, les activités
du FLN* en métropole ou la défection des forces auxiliaires. Puis, en 1961, la
section « études générales » est remplacée par deux sections. La section
« intérieur » représente le 2e bureau au comité d’action psychologique pour
traiter du renseignement d’ambiance, de la propagande*, de l’état d’esprit des
populations et des rebelles. La section « extérieur » s’intéresse aux aspects
politiques et internationaux de la rébellion et plus particulièrement au
GPRA*, au Maroc*, à la Tunisie*, à la Libye, à la Mauritanie et au Mali-
Niger. Les autres sections et sous-sections sont conservées en l’état. Si cette
nouvelle adaptation rend la chaîne du renseignement plus efficace, la torture
ne disparaît pas complètement jusqu’au cessez-le-feu. En avril 1962, les
forces françaises stationnées en Algérie remplaçant la 10e RM, le 2e bureau
est confié au colonel Cousin qui procède à un ultime remaniement. La section
« organisation-instruction » est maintenue, la sous-section « fichiers
statistiques » devient section au côté d’une section « études militaires-
opérations » et d’une section à nouveau dénommée « études générales » qui
reprend les missions des sections « intérieur » et « extérieur » qui sont
dissoutes.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Jean-Pierre Bat, Nicolas Courtin, Vincent Hiribarren, Histoire du
renseignement en situation coloniale, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2021 • Maurice Faivre, Le Renseignement dans la guerre d’Algérie,
Panazol, Lavauzelle, 2006 • Constantin Parvulesco, Secret-défense. Histoire
du renseignement militaire français, Boulogne-Billancourt, ETAI, 2007.

10E DIVISION PARACHUTISTE


La 10e division parachutiste (DP) est créée le 1er juillet 1956 à partir du
groupement parachutiste d’intervention, composante des « réserves
générales » de la 10e RM. Placée sous le commandement du général Massu*,
avec son PC installé à Hydra, en banlieue d’Alger, elle est composée du
1er régiment étranger de parachutistes (REP), du 1er régiment de chasseurs
parachutistes (RCP), des 2e et 3e régiments de parachutistes coloniaux (RPC).
Grande unité d’infanterie d’assaut aéroportée, elle dispose de soutiens avec
ses compagnies de transmission (60e CT), de génie aéroporté (60e CGAP), de
réparation divisionnaire (60e CRD) et médicale (405e CMe), ses groupes
d’artillerie (20e GAP) et de transport (GT 507), ainsi que de moyens
organiques avec sa compagnie de quartier général (60e CQG), sa section de
raccordement d’infrastructure (60e SRI) et son peloton d’avions (Piper Cub).
Elle a pour insigne un aigle noir plongeant au cœur d’un rectangle aux
couleurs des bérets des parachutistes* qui y servent : vert pour le REP, rouge
pour les RPC et bleu jusqu’en 1958 pour les RCP. Le 1er juillet 1957, la
10e DP est renforcée du 13e régiment de dragons parachutistes (RDP) et le
10 juillet du 6e RPC venu du Maroc*. Le 1er avril 1960, le 9e RCP remplace le
1er transféré à la 25e DP.
La 10e DP mène de nombreuses actions emblématiques pour l’armée
française. Elle participe ainsi à l’opération Mousquetaire, lancée par la
France et le Royaume-Uni à Suez* en 1956. Le 2e RPC saute sur Port-Fouad
et Port-Saïd, le 5 novembre 1956, et le lendemain, le 1er REP débarque par
mer. Revenue en Algérie, la division est plongée dans la bataille d’Alger* le
7 janvier 1957, après que le général Massu a reçu les pouvoirs de police*. La
ville est divisée en quatre secteurs, chacun affecté à un régiment. Brisant
d’abord la grève*, les parachutistes infligent au FLN* des arrestations
décisives. Leur pratique de la torture*, rapidement connue, déclenche une
vague de protestations en métropole, au printemps 1957. La 10e DP renoue
alors brièvement avec une mission de lutte contre les maquis avant de revenir
à Alger au début de l’été où elle demeure jusqu’en octobre. Puis en novembre
et décembre, le 3e RPC et 1er REP opèrent dans le grand Erg (batailles de
Timimoun). De janvier à mai 1958, trois des cinq régiments d’infanterie de la
division participent à la bataille des frontières*, l’ALN* de Tunisie* tentant
de forcer la ligne Morice. En cinq mois d’intenses combats, les 1er RCP,
1er REP et 3e RPC neutralisent 3 320 combattants algériens et récupèrent
2 240 armes.
La 10e DP s’immisce alors pour la première fois en politique : les 1er RCP
et 3e RPC sont à Alger lors du 13 mai 1958* et la 10e DP est étroitement
associée au plan « Résurrection* » visant à balayer la IVe République*.
Pendant l’été, elle nomadise dans le Titteri et en Kabylie. En novembre, les
3e et 6e RPC sont de nouveau en Kabylie et le 1er REP est à Mascara. Le
3 février 1959, le général Gracieux succède au général Massu tandis que la
10e DP devient le fer de lance du plan Challe*. Durant six mois, elle combat
dans l’Ouarsenis, le Hodna et puis en Kabylie. Début juillet 1959, la division
(sauf le 13e RDP) participe à l’opération Étincelle. Fin juillet, elle organise le
PC Artois, au col de Chellata, d’où le général Challe* dirige l’opération
« Jumelles ». Début 1960, la 10e DP retrouve Alger et son implication en
politique. Le 24 janvier 1960, les 1er REP, 1er RCP et 2e RPIMa (le
1er décembre 1958, les RPC sont devenus régiments parachutistes d’infanterie
de marine) sont acclamés par des manifestants pro-Algérie française qui ont
affronté les gendarmes, faisant 14 tués dans leurs rangs. C’est le début de la
semaine des « barricades ». La division est alors relevée par la 25e DP jugée
moins politisée. Le PC divisionnaire est également éloigné d’Hydra (où a été
implantée l’ambassade de France après l’indépendance) ; il est déplacé à
Blida. Le 12 mai 1960, le général Saint-Hillier succède au général Gracieux.
La 10e DP poursuit les opérations, comme Ariège (Constantinois) en octobre.
Enfin, nombre de ses cadres s’opposant à la politique algérienne du
général de Gaulle*, la division est engagée dans le putsch* du 22 avril 1961.
Le 1er REP est le fer de lance de la mutinerie. Il prend le contrôle d’Alger et
arrête notamment le général Gambiez*, commandant en chef. Les 2e et 6e
RPIMa, le 9e RCP et le 13e RDP entrent également en dissidence. Seul le chef
de corps du 3e RPIMa exprime résolument sa fidélité au chef de l’État. Le
30 avril 1961, au terme de la dissidence, la 10e DP est dissoute en même
temps que le 1er REP. Le lendemain, les éléments qui ne sont pas rapatriés en
métropole sont versés à la 11e division légère d’intervention (DLI).
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Éric Adam et Patrice Pivetta, Les Paras français en Algérie,
Boulogne-Billancourt, ETAI, 2021 • Henri Le Mire, Histoire des
parachutistes français, Société de production littéraire, 1975 • Uniformes,
hors-série no 7, La 10e division parachutiste. Paras en Algérie, 1956-1961.

17 OCTOBRE 1961
À l’origine du 17 octobre 1961, il y a le projet de démonstration pacifique
organisé clandestinement par la Fédération de France* du FLN*. Les mois
qui précèdent cet événement ont vu se succéder le référendum* sur
l’autodétermination de l’Algérie (8 janvier), la création de l’OAS*
(11 février), la tentative de putsch* des généraux à Alger (23 avril) et
l’ouverture officielle des négociations* entre la France et le GPRA* le
20 mai. En métropole, le tourbillon 1961 est marqué par la recrudescence des
actes racistes en France, telle la ratonnade* de Metz (23-24 juillet), le
durcissement de la répression et son corollaire, les attentats frontistes contre
les forces de police*. Pour comprendre le 17 octobre 1961, il faut donc
prendre en considération le temps long, celui qui voit l’implantation du FLN
en France, et le temps court, celui qui plongea la Ville Lumière dans une nuit
d’horreur.
L’immigration algérienne s’inscrit dans la stratégie générale du FLN
lequel ambitionne de contrôler l’ensemble des Algériens, y compris ceux qui
vivent hors de ses frontières. La Fédération de France, chargée de cette
mission, est autonome mais sous contrôle des institutions* frontistes
(CNRA*, CCE* puis GPRA). Ce contrôle s’exprime par la nomination des
cadres fédéraux et l’obligation d’une direction collégiale, mais aussi par
l’application obligatoire d’un modèle d’organisation politico-administratif
(nidham) et d’une ligne politique. Au moment du 17 octobre, la Fédération de
France vient d’être érigée en 7e wilaya du FLN. Si elle peut prendre des
initiatives, elle ne peut bousculer ses modes d’actions politiques sans avoir de
compte à rendre aux instances de la révolution algérienne, surtout dans le
contexte de la fin de l’année 1961 où l’État-FLN est en passe de réussir son
pari. L’organisation des manifestations du 17 octobre 1961 a donc
difficilement pu se faire sans que ces instances en aient été informées.
À l’été 1961, la Fédération de France transmet des consignes à ses
militants afin de surseoir aux attentats, mais cette trêve reste fragile. Des
policiers sont visés à l’aveugle et les violences policières, touchant les
immigrés au nom de la lutte contre le FLN, s’accentuent. Le 3 octobre 1961,
aux obsèques d’un brigadier, le préfet Papon* déclare : « Pour un coup
donné, nous en porterons dix ! » Le 5 octobre, il impose un couvre-feu à tous
les Algériens du département de la Seine de 20 h 30 à 5 h 30 du matin. Initié
à la guerre contre-révolutionnaire et son application au maintien de l’ordre,
Papon a mis en place un dispositif répressif où se superposent différents
services de renseignement et de répression, dont les harkis* de la force de
police auxiliaire (FPA). À l’automne 1961, l’écrivaine Marguerite Duras
demande à un immigré algérien vivant dans le département de la Seine de
résumer son existence. Sa réponse dit beaucoup de la souffrance morale et
psychologique de ces hommes et de ces femmes : « Je crois qu’on peut dire
exactement : terrorisée. Nous avons une vie terrorisée » (France
Observateur, 9 novembre 1961).
Contre ce couvre-feu qui empêche les militants du FLN de se réunir le
soir, contre les violences policières qui s’accentuent à un rythme effréné et
provoque la mort de nombreux Algériens, la Fédération de France réunie en
conseil le 10 octobre 1961 décide d’organiser la riposte en choisissant la voie
pacifique. Pour la première fois de son histoire, alors même que les
manifestations sont interdites, elle décide de modifier son mode d’action
politique en organisant à Paris une marche destinée à dénoncer la répression
et le couvre-feu. Tous les Algériens, à l’exception des vieillards (chargés de
garder les enfants en très bas âge) et des permanents, dont l’éventuelle
arrestation serait un risque trop important pour le nidham, sont appelés à
manifester dans Paris. Les jours qui suivent, la Fédération prévoit, en
prévision des arrestations, une manifestation de protestation des femmes*
algériennes ainsi qu’une grève* des commerçants et des écoliers.
Le soir du 17 octobre 1961, une foule d’hommes, de femmes et d’enfants
marche calmement en direction du centre de Paris, à partir de leurs quartiers
et en particulier des bidonvilles de la banlieue dont celui de Nanterre. Ils
forment donc de multiples cortèges autour de Paris et doivent converger au
cœur de la capitale : ils sont de ce fait réprimés à leurs points d’entrée dans la
ville, comme au pont de Neuilly pour l’ouest de l’agglomération. Le défilé
principal emprunte les grands boulevards aux cris de « Vive
l’indépendance », « Non au couvre-feu », « Libérez Ben Bella* ». Les
charges de la police sont d’une rare violence. S’il y eut bien des morts par
balles, il y eut également de nombreuses victimes décédées sous les coups de
matraque – la police parisienne était armée de longues matraques de bois
appelées « bidules » – ou jetées à la Seine. Cette violence sans limite fut
difficile à canaliser par le commandement policier. Dans le même temps, plus
de 12 000 hommes sont arrêtés le soir même puis entassés dans les bus
réquisitionnés de la RATP avant d’être internés dans divers lieux parisiens
(au parc des Expositions, par exemple) puis, pour des centaines d’entre eux,
renvoyés vers « leurs douars d’origine ».
La réquisition exceptionnelle des bus de la RATP et du parc des
Expositions démontre que la police ne se place pas dans une logique
classique de maintien de l’ordre mais dans celle de la guerre subversive, à
laquelle est initié Maurice Papon* – il a été préfet* à Constantine auparavant.
Le soir du 17 octobre, il recourt ainsi à la FPA qui n’était pas formée au
maintien de l’ordre. La FPA eut la responsabilité du contrôle des principaux
barrages situés aux portes de Paris. De surcroît, malgré les consignes
officielles stipulant d’intervenir « avec fermeté et sans brutalité », la FPA fut
armée de pistolets-mitrailleurs, alors même qu’elle avait un lourd contentieux
avec le FLN. À Paris comme en banlieue, c’est l’ensemble des policiers qui
furent encouragés à la violence par la diffusion de messages radiophoniques
mensongers stipulant la présence d’Algériens armés ou faisant usage de leurs
armes, mais aussi par l’assurance que leurs actes seront couverts par leur
hiérarchie. Le soir du 17 octobre 1961, les logiques répressives colonialistes
prirent le pas sur celles du maintien de l’ordre et entraînèrent la mort de
plusieurs dizaines d’Algériens sous le regard des Parisiens. Comme le
souligne Emmanuel Blanchard, le 17 octobre 1961 est bien un « massacre
colonial » car les violences policières ce soir-là « participaient de techniques
de gouvernement impérial loin d’être propres au cas français – que l’on pense
aux massacres de manifestants dans l’Inde colonisée, même si dans l’Empire
britannique elles ne débordèrent pas de façon si dramatique jusqu’au centre
de la métropole ».
Le bilan* officiel du 17 octobre 1961 est de 7 morts et de 40 blessés. Il
est très rapidement contesté par les contemporains. Les historiens estiment à
plusieurs dizaines le nombre de morts le soir du 17 octobre, plus d’une
centaine en considérant cet événement dans le contexte plus large de
l’automne 1961.
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, La Bataille de France. La guerre d’Algérie en
métropole, Robert Laffont, 2004 • Emmanuel Blanchard, « Histoire et
mémoires de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris », entretien publié
sur le site du Musée de l’histoire de l’immigration, disponible en ligne • Jim
House et Neil MacMaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la
mémoire, Tallandier, 2008.
17 OCTOBRE 1961 (MÉMOIRE)
Après 1962, les témoins meurtris d’octobre 1961 s’enferment dans le
silence, faute d’une écoute favorable au sein de la société française. Ainsi les
morts du 17 octobre 1961 rejoignent le panthéon des victimes oubliées de
l’histoire de France. En Algérie, la date du 17 octobre est érigée en « journée
nationale de l’émigration* » dès 1968 et l’événement est commémoré mais il
ne peut y avoir la même portée mémorielle qu’en France, où il s’est produit.
De ce côté de la Méditerranée, il resurgit dans les années 1980. Les crimes
racistes dont des Maghrébins (parmi lesquels les Algériens sont les plus
nombreux) sont victimes rappellent en effet, inévitablement, la Guerre
d’indépendance algérienne. Parallèlement, les travaux de Pierre Milza,
Gérard Noiriel, Jeanine Ponty, Ralph Schor, Benjamin Stora* ou encore
Patrick Weil documentent l’histoire de l’immigration. Longtemps ignorée,
celle-ci devient un objet de recherches au moment même où les enfants
d’immigrés algériens, nés pendant la guerre, revendiquent leur appartenance
à la société française. Ce n’est pas un hasard si, en marge de la « Marche
pour l’égalité et contre le racisme » de 1983, les jeunes marcheurs
revendiquent une reconnaissance officielle de la répression policière des
manifestations algériennes du 17 octobre 1961. L’important roman de Didier
Daeninckx, Meurtres pour mémoire, paraît alors (Gallimard, 1983). D’autres
associations, comme Au nom de la mémoire, avec Mehdi Lallaoui et Samia
Messaoudi, ainsi que les historiens Michel Levine et Jean-Luc Einaudi,
contribuent à briser l’amnésie collective.
Ironie de l’histoire, c’est avec le procès de Maurice Papon* (8 octobre
1997-2 avril 1998) que le 17 octobre réinvestit la parole publique trente-six
ans après les faits. Le 16 octobre 1997, alors que la cour d’assises de la
Gironde examine sa carrière, Papon reconnaît pour la première fois
l’inexactitude du bilan officiel, tout en niant la responsabilité des forces de
l’ordre. Catherine Trautmann, ministre de la Culture, décide alors d’ouvrir les
archives* relatives au 17 octobre, estimant que « ce sont des faits qui
interrogent les Français depuis des années, les familles algériennes qui ont été
touchées par les disparitions de leurs proches et qui ont souhaité en connaître
les circonstances » (Libération, 22 octobre 1997). S’ensuit la mission de
Dieudonné Mandelkern, haut fonctionnaire chargé d’établir un inventaire des
archives de la préfecture de police de Paris et des services du ministère de
l’Intérieur relatives à la manifestation du FLN* du 17 octobre 1961. Le
dernier acte de cette reconnaissance juridique a lieu en 1998, lorsque Maurice
Papon est débouté de son procès intenté contre Jean-Luc Einaudi pour
diffamation. Selon la 17e chambre correctionnelle de Paris, « dès lors que l’on
admet que la version officielle des événements de 1961 semble avoir été
inspirée largement par la raison d’État admissible » on ne saurait faire grief à
l’historien Einaudi d’avoir utilisé le mot « massacre ». Le 20 mai 1998, dans
une tribune publiée dans Le Monde* et intitulée « Octobre 1961, pour la
vérité enfin », Jean-Luc Einaudi persiste et signe : « En octobre 1961, il y eut
à Paris un massacre perpétré par des forces de police* agissant sous les ordres
de Maurice Papon. » Ce tournant a été possible grâce au sérieux de ses
travaux mais aussi aux témoignages* de Brigitte Lainé et Philippe Grand,
conservateurs aux archives de Paris. Au nom de la vérité historique, ces
derniers sont sortis de leur devoir de réserve pour dire devant la justice
française ce que révélaient les archives dont ils avaient la charge. Un choix
courageux aux lourdes conséquences professionnelles et psychologiques qui
se sont traduites par des sanctions. Puis, dans le sillage de ces deux procès, le
5 mai 1999, Lionel Jospin*, Premier ministre, s’engage à faciliter les
recherches sur le massacre colonial du 17 octobre 1961. L’ouverture des
archives françaises, et en particulier celles de la préfecture de police, a permis
effectivement de lever le voile à la fois sur le rôle des forces de l’ordre et du
préfet Papon dans la répression des manifestations algériennes
d’octobre 1961, mais également de mieux comprendre l’organisation de la
Fédération de France* du FLN. Parmi les travaux historiques importants qui
découlent de ces ouvertures d’archives figure l’ouvrage de référence Paris
61. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire des historiens britanniques
Jim House et Neil MacMaster.
Les faits sont donc établis et la mémoire d’Octobre 1961 n’a jamais quitté
la scène associative, artistique et documentaire. Du sourire de Brahim (Nacer
Kettane, 1985) à la chanson* Paris. Octobre 61 du groupe La Tordue (2008)
ou encore le documentaire de Yasmina Adi Ici on noie les Algériens (2011),
les artistes et réalisateurs n’ont eu de cesse de dénoncer la répression et de
rendre hommage aux victimes d’octobre 1961. En 2001, les
commémorations* des 40 ans du 17 octobre 1961 suscitent une très forte
mobilisation populaire et scientifique de dimension nationale. L’association
Au nom de la mémoire organise une exposition consacrée au 17 octobre
1961, avec 17 illustrateurs, et Michel Duffour, secrétaire d’État au Patrimoine
et à la Décentralisation culturelle, déclare : « Le travail de mémoire, pour
s’accomplir, a tout simplement besoin de la reconnaissance officielle de ce
qui s’est produit. Il ne s’agit pas de rédemption ou de repentance*, mais d’un
acte de justice pour le présent et l’avenir. » Depuis le tournant des
années 2000, l’événement a fait son entrée dans les programmes scolaires*,
via l’étude de la Guerre d’indépendance algérienne. En 2012, le musée de
l’Immigration organise une importante exposition consacrée à l’immigration
algérienne pendant la Guerre d’indépendance. Intitulée « Algériens en
France. La guerre, l’exil, la vie (1954-1962) », elle permet l’entrée au musée
des manifestations pacifiques d’octobre 1961 et leur violente répression.
Les municipalités, au premier chef la ville de Paris sous la mandature de
Bertrand Delanoë, ont devancé l’État dans la reconnaissance politique,
officielle. En 2001, le maire de Paris inaugure, non sans mal, une plaque en
l’hommage des victimes d’octobre 1961, sur le pont Saint-Michel. Depuis,
plusieurs municipalités de la région parisienne mais aussi de province ont
suivi son exemple et ont intégré le 17 octobre 1961 dans l’espace mémoriel
de leur ville, via l’odonymie.
Reste que ce retour de mémoire, récent, est encore fragile. La prise de
parole du président François Hollande* en 2012 suscite de nombreuses
critiques à droite, et des déceptions à gauche. S’il déclare que « la République
reconnaît avec lucidité » la répression « sanglante » et rend hommage à la
« mémoire des victimes », le geste fort tant attendu des passeurs de témoins
n’est pas venu. Une déception réitérée en 2021, après le communiqué du
président Macron* sur les « crimes inexcusables » du 17 octobre 1961.
Soixante ans après, la parole présidentielle peine encore à exprimer la
responsabilité de l’État dans ces « crimes ».
Lorsqu’en juin 2022, Mediapart titre « Massacre du 17 octobre 1961 : les
preuves que le général de Gaulle* savait », il ne lève qu’un secret de
polichinelle. La chaîne des responsabilités est en effet bien connue
aujourd’hui. Si l’État français avance dans la reconnaissance officielle, la
société civile a fait sienne le combat pour la mémoire du 17 octobre 1961.
Pour le dire dans les mots du jazzman Thelonious Monk, « la nuit est toujours
là, sinon nous n’aurions pas besoin de lumière ».
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, Benjamin Stora (dir.), Algériens en France. La guerre,
l’exil, la vie (1954-1962), Autrement, 2012 • Nacer Kettane, Le Sourire de
Brahim, Denoël, 1985 • Anne Tristan, Le Silence du fleuve, Au nom de la
mémoire, 1991.

19 MARS 1962 (MÉMOIRE)


Le 6 décembre 2012, une loi fait du 19 mars, date du cessez-le-feu en
1962, la « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des
victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie
et au Maroc » (sans commémoration* propre, ces « combats » sont associés à
« la guerre d’Algérie », le contingent y ayant participé). Le projet de loi a été
déposé et examiné en 2002 mais il n’a abouti qu’après les victoires socialistes
aux présidentielles et aux législatives dix ans plus tard.
La guerre, soulignent les détracteurs du 19 mars, ne finit pas avec le
cessez-le-feu. En effet, en attendant le référendum* sur l’indépendance,
débute une période transitoire d’une violence inouïe. L’OAS* se déchaîne,
les groupes armés algériens s’en prennent à des Français d’Algérie,
commencent à cibler les harkis*. Le 26 mars, tirant sur un cortège de
Français d’Algérie, formé à l’appel de l’OAS, rue d’Isly*, à Alger, les forces
de l’ordre y font des dizaines de morts. Après le référendum
d’autodétermination, le 1er juillet, et l’indépendance, fêtée le 5, marquée par
des violences sanglantes à Oran, une guerre civile oppose tout l’été deux
camps pour le pouvoir. La République algérienne n’est proclamée que le
25 septembre.
À travers le 19 mars, cependant, ses opposants visent les accords
d’Évian* et l’indépendance elle-même. Ils se recrutent à droite, parmi les
antigaullistes et les nostalgiques de l’Algérie française. En 2003, contre le
19 mars alors en discussion, ils ont obtenu une autre date commémorative,
sans rapport avec l’histoire : le 5 décembre. Elle correspond à l’inauguration
du monument du quai Branly par Jacques Chirac*, un an plus tôt : le
« Mémorial national* de la guerre d’Algérie et des combats de Maroc et de la
Tunisie ».
Les partisans du 19 mars, dont la Fédération nationale des anciens
combattants d’Algérie (Fnaca), ancrée à gauche, admettent au contraire
l’issue de la guerre. Sans contester les violences de 1962, ils notent que, vu
de métropole, le cessez-le-feu a bien marqué un terme : l’envoi du contingent
allait s’arrêter. Surtout, le 19 mars a été officiellement choisi par les deux
belligérants pour cesser de s’affronter. Il est légitime à ce titre et
irremplaçable du point de vue français. Quelle autre date de cette histoire
aurait pu figurer au calendrier commémoratif national ? Pas celle de
l’indépendance qui, célébrée en Algérie, marque la défaite.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, « La guerre d’indépendance algérienne. Mémoires
françaises », Historiens et Géographes, no 425, 2014.

DAHLAB, SAÂD (1918-2000)


Saâd Dahlab est né en 1918 à Reibell (Ksar Chellala). Il fait ses études
secondaires au collège colonial de Blida (Ibn Rochd) où il décroche son
baccalauréat. Dans cet établissement, véritable pépinière de militants
nationalistes, il se lie d’amitié avec Ben Khedda*, second et dernier président
du GPRA*.
Dahlab milite très jeune dans le parti de Messali Hadj*. Quand ce dernier
est assigné à résidence à Ksar Chellala (1943), Dahlab s’occupe de son
secrétariat. Au moment de la création des AML*, il est délégué à la section
de Ksar Chellala.
Le 18 avril 1945, Messali est déporté au Congo-Brazzaville. Dahlab
participe aux manifestations réclamant son retour. Il est arrêté et détenu à
Bossuet puis Barberousse. De cette prison*, il écrit à Ben Khedda : « Arrêté,
moi, pour rébellion ? », ajoutant ce jeu de mots : « rebel et lion ». L’humour
et l’esprit seront de précieux atouts dans sa vie de militant et de responsable
politique.
En 1953, il est membre du comité central du PPA-MTLD*. Après le
déclenchement de la guerre de libération, il est arrêté le 22 décembre 1954 et
ne sera libéré qu’au printemps 1955. Il rejoint le FLN* et, au congrès de la
Soummam*, il fait partie du CCE*, la nouvelle direction collégiale de la
révolution.
Au CNRA* du Caire de 1957, il est éliminé du CCE avec Ben Khedda. Il
est responsable du département de l’information sous l’autorité de Ferhat
Abbas*. En septembre 1958, il entre au cabinet de M’hamed Yazid, ministre
de l’Information au premier GPRA puis devient secrétaire général du
ministère des Affaires étrangères dirigé par Belkacem Krim*, avant d’être
promu ministre des Affaires étrangères quand Ben Khedda prend la direction
du GPRA (août 1961) à l’indépendance.
Au cours des négociations* avec la France, Dahlab s’impose comme la
véritable cheville ouvrière de la délégation du GPRA. Pragmatique et fin
diplomate, il ne transige toutefois pas sur les fondamentaux du FLN
(subordination de la cessation des hostilités entre l’ALN* et l’armée française
à un accord politique garantissant l’indépendance, l’intégrité du territoire,
l’unité nationale). En mars 1962, il est sans conteste le principal artisan de la
réussite des négociations d’Évian.
Dahlab est l’archétype du dirigeant dont l’apport et l’aura ont contribué à
ce que le GPRA demeure dans l’inconscient collectif algérien comme étant
l’institution politique et diplomatique de référence de l’Algérie
contemporaine.
Aujourd’hui, l’université de Blida porte le nom de Saâd Dahlab.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Saâd Dahlab, Pour l’indépendance de l’Algérie. Mission accomplie,
Dahlab, 1990 • Benyoucef Ben Khedda, « Saâd Dahlab, le diplomate de la
Révolution », Le Quotidien d’Algérie, 2013.

DAVEZIES, ROBERT (1923-2007)


Né le 30 avril 1923 à Saint-Gaudens (Haute-Garonne), Robert Davezies,
hanté par les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, interrompt ses études
de mathématiques en 1945 pour entrer au grand séminaire de Tarbes.
Ordonné en 1951, il veut être prêtre-ouvrier mais ne peut entrer au travail que
comme physicien dans une équipe de la Mission de France* à Paris. Recruté
dans les laboratoires de physique de l’École normale supérieure (1953),
inscrit à la Sorbonne et à l’Université nouvelle du Parti communiste, il y
conforte sa vision marxiste du monde et son désir de porter l’Évangile dans la
classe ouvrière. Sa rencontre avec le nationalisme* algérien se fait en 1956
auprès des chrétiens progressistes de Coopération et des prêtres de la Mission
de France qui lui font lire des lettres de soldats servant en Algérie témoignant
de l’usage de la torture* par l’armée française. Bouleversé, il participe à la
création du Comité de résistance spirituelle et signe la brochure Des rappelés
témoignent… (imprimerie Chaffiotte-Ruand, 1957) qui dénonce ces
pratiques. Déjà favorable à l’indépendance, il entre dans le réseau de soutien
au FLN* dirigé par un autre prêtre de la Mission de France, Jean Urvoas.
Chargé des passages de frontières, il est identifié comme l’un des passeurs du
militant qui a tiré, le 15 septembre 1958, sur Jacques Soustelle*. Recherché,
il rejoint la direction de la Fédération de France* du FLN à Cologne puis
visite des camps de réfugiés* à la frontière algéro-tunisienne et en fait un
livre intitulé Le Front (Minuit 1959). Il participe à la création de Jeune
Résistance et soutient la cause des déserteurs et insoumis aux Pays-Bas*, en
Allemagne, en Suisse* et en Belgique*. Inculpé dans le procès de
l’Organisation spéciale de la Fédération de France du FLN (avril 1960), il
diffuse sa lettre au président du tribunal dans laquelle il affirme que
l’indépendance de l’Algérie mettra fin à l’exploitation coloniale et que
l’Évangile appelle à agir aux côtés des exploités. Désavoué par sa hiérarchie,
accusé de trahison, il rentre en France fin 1960 pour créer de nouveaux foyers
de résistance. Arrêté en janvier 1961, incarcéré à Fresnes, il publie Le Temps
de la justice (La Cité, 1961) dans lequel il justifie son combat. Son procès
retentissant, du 9 au 12 janvier 1962, est celui de la guerre d’Algérie et de la
colonisation. Condamné à trois ans de prison*, libéré en juillet 1962, il
n’exerce plus aucun ministère mais poursuit son combat pour la libération des
peuples puis pour la révolution dans l’Église. Sans jamais dissocier ses
engagements politiques et religieux, il écrit de nombreux livres et recueils de
poésie. Il meurt à Paris le 23 décembre 2007.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Sybille Chapeu, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie : L’action de
la Mission de France, L’Atelier, 2004 • Robert Davezies, Le Temps de la
justice, La Cité, 1961 • Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), À la
gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours,
Seuil, 2012.

DEBRÉ, MICHEL (1912-1996)


Pour Michel Debré, l’Algérie est « la clé de tout ». La présence française
en Algérie lui semble essentielle dans le contexte de guerre froide*. Sans être
favorable au statu quo, Debré n’est pas prêt à « l’abandon » des départements
d’Algérie. Dans Le Courrier de la colère, ses articles reflètent son
attachement à l’Algérie française. Selon lui, c’est un devoir de la développer
pour le « bien-être » des populations et exploiter les richesses découvertes
dans le Sahara.
Il soutient de très près le retour de De Gaulle*. Garde des Sceaux, puis
Premier ministre en janvier 1959, Debré déçoit les partisans de l’Algérie
française car il endosse une politique qui n’est pas celle qu’il a, jusque-là,
défendue.
Comptant sur une évolution lente (vingt-cinq ans) du statut de l’Algérie,
il approuve le plan de Constantine* comme moyen de hisser la communauté
musulmane à un niveau plus décent ; sans défendre l’intégration, il souhaite
le renforcement d’une communauté franco-musulmane.
Il approuve la politique d’autodétermination proposée par de Gaulle, mais
quand celui-ci évoque la République algérienne, le 4 novembre 1960, Debré
envisage sa démission. De Gaulle la refuse tant que la question algérienne
n’est pas réglée. Avec la nomination de Louis Joxe* ministre des Affaires
algériennes, Debré est dessaisi du dossier. Le référendum* sur
l’autodétermination de janvier 1961 et l’amorce des négociations* lui font
comprendre que le président va résolument à l’encontre de ce qu’il souhaite ;
en vain, il tente d’infléchir la politique gaullienne et de ralentir les
négociations. Il soutient loyalement le chef de l’État mais quand les
négociations s’enlisent, il lui suggère de réactiver les commissions d’élus
créées en 1960 pour penser une autre voie et, espère-t-il, éviter
l’indépendance à court terme. Pourtant il approuve les accords d’Évian* : il
s’agit, pour lui, d’une « victoire sur nous-mêmes ». Conformément à ce qui
avait été entendu, Michel Debré démissionne le 14 avril 1962.
Il est ministre de l’Économie et des Finances (1966-1968), des Affaires
étrangères (1968-1969), ministre d’État chargé de la Défense nationale
(1969-1973), mais aussi député de la Réunion et maire d’Amboise (1966-
1989). Sa candidature à l’élection présidentielle en 1981 est un échec : il ne
remporte que 1,66 % des voix.
Michel Debré reste connu comme le « père de la Constitution », mais
aussi comme le Premier ministre qui a dû assumer une politique qu’il
n’approuvait pas. Si sa fidélité au Général est solide, sa carrière politique n’a
pas eu l’importance que ses débuts semblaient annoncer, sans que sa
mémoire ne soit oubliée pour autant.
Chantal MORELLE
Bibl. : Association des Amis de Michel Debré, Michel Debré et l’Algérie,
Champs-Élysées, 2007 • Michel Debré, Gouverner. Mémoires, t. III, 1958-
1962, Albin Michel, 1988 • Chantal Morelle, « Michel Debré et l’Algérie.
Quelle Algérie française ? », in Jean-François Sirinelli, Serge Berstein et
Pierre Milza (dir.), Michel Debré, Premier ministre, 1959-1962, PUF, 2005.

DEGUELDRE, ROGER (1925-1962)


Roger Degueldre, né le 19 mai 1925 à Louvroil (Nord) est d’origine
modeste. Il participe à la Résistance* dans les rangs des FTP communistes
puis à la campagne d’Alsace. En 1945, il s’engage dans la Légion étrangère*
à Marseille*. Il sert en Indochine*, devient adjudant et est décoré de la
Médaille militaire et de la croix de guerre. En Algérie, il se retrouve au
1er bataillon étranger de parachutistes sous les ordres des colonels Brothier et
Jeanpierre. Chevalier de la Légion d’honneur en 1958, lieutenant en 1959, il
est un sous-officier* connu et remarqué. Son destin bascule lors de la
semaine des barricades* qu’il vit au contact des insurgés avec son régiment.
Défenseur convaincu de l’Algérie française, il est en rupture non seulement
avec la politique gaulliste mais avec la légalité. Il choisit de déserter après les
événements de décembre 1960. Engagé dans le putsch* d’avril 1961 qu’il a
préparé depuis Paris avec le colonel de Blignières et comptant parmi les
radicaux lors de son déroulement, Degueldre participe à la structuration de
l’OAS* sur Alger en mai-juin 1961. Sous le pseudonyme de « Delta », il
prend en charge le Bureau d’actions opérationnelles (BAO) rattaché à la
branche Organisations renseignement opérations (ORO) de l’OAS dirigée par
Jean-Claude Pérez. Degueldre est surtout la cheville ouvrière des commandos
« Delta » où il a recruté des amis légionnaires (« Bobby » Dovecar ou Claude
Tenne). Les « Deltas » effectuent des « opérations ponctuelles » (assassinats)
visant des cadres du FLN*, des forces de l’ordre (le commissaire Gavoury*,
tué le 31 mai 1961) et des « barbouzes* ». Si dans l’organigramme de l’OAS,
Degueldre n’occupe pas une place majeure, sur le terrain il joue un rôle
décisif, lié à son emprise sur les « Deltas » et à ses appuis au sein de l’état-
major de l’OAS (Gardy, Susini*). Dénoncé par un légionnaire, il est arrêté le
7 avril 1962 et transféré en métropole. C’est un coup sérieux contre l’OAS
qui ne parvient pas à le faire évader. Jugé et condamné à mort par la Cour
militaire de justice le 28 juin 1962, Degueldre est fusillé le 6 juillet 1962 au
Fort d’Ivry. Depuis lors, celui qui a lancé au général Gerthoffer requérant
contre lui : « Je ne vous garde pas rancune, je vous plains » n’a cessé d’être
célébré par les anciens partisans de l’Algérie française, notamment par des
chansons*, des monuments et des inscriptions.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Vincent
Guibert, Les Commandos Delta, Jean Curutchet, 2000.

DEHILÈS, SLIMANE, DIT COLONEL SADEK


(1920-2011)
Natif des Ouadhias (Tizi Ouzou), Slimane Dehilès a une enfance*
difficile – marquée par la disparition de son père, ancien combattant de la
Première Guerre mondiale. Après un court passage à l’école française, cet
autodidacte se forge à la force de ses bras en travaillant dans les fermes
coloniales avant de s’engager dans l’armée française en 1942. À ce titre, il
fait la campagne d’Italie, entre en France au mois d’août 1944, puis passe en
Allemagne. Démobilisé en 1946, il rejoint la région parisienne où il est
embauché aux usines Simca (Nanterre). C’est là qu’il adhère au PPA-MTLD.
En juin 1948, il est arrêté et écope de deux ans de prison* à Strasbourg et
cinq ans d’interdiction d’entrée en Algérie. Dès le déclenchement de la lutte
armée en Algérie, il décide de regagner Alger clandestinement, puis le
maquis en Kabylie/la Zone 1 dirigée par Krim* Belkacem. Fort de son
expérience militaire, il participe à l’infiltration de l’opération « Oiseau
bleu* » (1955 chez les Flissen). Au début de janvier 1955, sa rencontre avec
Abane* Ramdane marque le début d’une solide entente entre les deux
hommes. Lors du congrès de la Soummam*, Dehilès est élevé au rang de
colonel et suppléant au CNRA*. Il dirige la Wilaya 4* (ex-Zone) après le
départ de Ouamrane* en Tunisie*. Au mois d’août 1957, il participe à la
première session du CNRA qui se tient au Caire. Il a le courage de prendre
seul la défense d’Abane Ramdane (éliminé en décembre 1957), mis à l’écart
par les chefs militaires dont Krim Belkacem, Bentobbal*, Boussouf* et
Ouamrane qui font leur entrée au CCE* élargi. Sa position lui vaut une réelle
marginalisation. Aussi à la création du COM (avril 1958), Krim lui préfère-t-
il Mohammedi* Saïd pour le COM de l’Est. Dehilès se retrouve au COM de
l’Ouest, placé sous la houlette de Boumediene*. Demeurant à l’extérieur, il
cède la direction de la Wilaya 4 à l’un de ses adjoints : Si M’hamed
Bougara*. Il participe à la réunion des dix colonels* (août-décembre 1959) et
aux différentes réunions du CNRA.
À l’indépendance, le colonel Sadek est élu député de Tizi Ouzou. Il ne
tarde pas à fonder avec Mohand Oulhadj* et Aït Ahmed* un parti
d’opposition, le FFS, en septembre 1963. L’arrestation d’Aït Ahmed
(octobre 1964) et le ralliement de Mohand Oulhadj sonnent le glas du FFS
dont le colonel Sadek et Yaya Abdelhafid négocient la fin des combats. Pour
le colonel Sadek, c’est le retrait définitif de la vie politique.
Il a épousé Izza Bouzekri, la veuve d’Abane Ramdane, en
novembre 1959.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002.

DELAVIGNETTE, RAPPORT
Robert Delavignette a à son actif une longue carrière coloniale. Il a été
gouverneur du Cameroun, directeur des Affaires politiques au ministère de la
France d’outre-mer, directeur de l’École nationale de la France d’outre-mer
(ENFOM). En 1957, il est nommé dans la première Commission de
sauvegarde*, formée par Guy Mollet*. Par ailleurs beau-père de Jean
Mairey*, il est comme lui l’un des informateurs de Pierre Vidal-Naquet* qui
a publié en 1962 son rapport dans La Raison d’État.
Ce rapport est l’un des huit produits par les membres de la Commission
mais il occupe une place importante dans le rapport de synthèse qu’a rédigé
son président, Pierre Béteille. Remis en septembre au gouvernement, qui ne
lui donne aucune suite, ce rapport de synthèse finit par être publié par Le
Monde* le 14 décembre 1957. Entre-temps, Delavignette, ainsi que l’avocat
Maurice Garçon, ont démissionné de la Commission pour protester contre
l’inaction gouvernementale.
Du rapport Delavignette, le rapport de synthèse retient surtout les affaires
d’Aïn Isser et de Mercier-Lacombe. Dans les deux cas, des dizaines de
« suspects » (41 et 23) ont été enfermés dans des cuves à vin de 30 mètres
cubes, où ils se sont asphyxiés (seuls 7 hommes ont pu être réanimés). Des
notes de service ont prohibé un tel usage des cuves à vin et les responsables
directs ont été punis. Au-delà de ces jeunes hommes (entre 21 et 26 ans),
Delavignette incrimine lucidement la « guerre très spéciale » menée en
Algérie. Le « contre-terrorisme », écrit-il, crée des « groupements »
s’arrogeant les « pouvoirs de police* et de justice » sur tout un chacun ; il
« s’infiltre dans l’armée et l’administration », que guette ainsi un dangereux
« pourrissement ». La suite de son rapport fait l’éloge des sections
administratives spécialisées* (SAS) : une « bouffée d’air pur » dont
« l’œuvre » est gâchée par le « contre-terrorisme ».
Devenu, avec les autres documents publiés par Vidal-Naquet, une source
importante pour l’histoire des méthodes de guerre françaises en Algérie, ce
rapport témoigne d’un positionnement typique de hauts fonctionnaires. Eux
ne dénoncent pas la guerre par anticolonialisme mais pour ses effets délétères
sur les services de l’État républicain.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État,
Minuit, 1962 • —, Mémoires, t. II, Le trouble et la lumière, 1955-1998, Seuil-
La Découverte, 1998.
DELOUVRIER, PAUL (1914-1995)
Ayant grandi, selon ses mots, dans un milieu catholique de province, Paul
Delouvrier se réclame de la démocratie chrétienne, sans approuver Bidault
sur la décolonisation. Son père, autodidacte, est directeur adjoint au Crédit
Lyonnais, lui devient inspecteur des finances sous Vichy – sa mobilisation en
1939 a interrompu son cursus (droit, sciences politiques, préparation du
concours). Entré à l’école vichyste des cadres d’Uriage, il prend le maquis en
1944, quand de Gaulle* rejoint la capitale. Après-guerre, il se consacre au
service de l’État dont il devient un grand commis, aux Finances, d’abord,
pour l’Europe avec Jean Monnet, ensuite.
En 1958, de Gaulle le nomme délégué général du gouvernement en
Algérie (DGGA). Avec le général Challe*, ils remplacent Salan* qui
cumulait pouvoirs civils et militaires. Outre qu’elle sépare les deux, leur
nomination restaure la primauté du civil. Delouvrier doit assurer l’application
du plan de Constantine* et organiser les élections* locales en vue de dégager
une 3e force susceptible de porter un projet nouveau. Lucide sur le fait
national algérien, il envisage une évolution très progressive, épargnant les
Français d’Algérie. Il s’attache aussi à convaincre l’armée de rester loyale.
Son action pendant le soulèvement pro-Algérie française des barricades, qu’il
contribue à éteindre, est à cet égard déterminante.
Il déploie une activité intense pour restaurer le pouvoir civil :
réintroduction de préfets*, libérations massives d’internés, condamnation de
la torture* et des exécutions sommaires*, politique de « dégroupement » et de
transformation des camps en « villages ». Entouré d’hommes de confiance,
dont Éric de Westphal, il s’appuie sur une administration renouvelée, des
commissions d’enquête et d’inspection. Las cependant d’affronter les
opposants à une politique qu’il ne maîtrise pas, il demande à être rappelé en
novembre 1960, lorsque de Gaulle parle de « République algérienne ».
Refusant d’être associé aux pourparlers avec le GPRA*, il se consacrera
ensuite à l’aménagement du territoire (réorganisation de la région parisienne,
villes nouvelles, parc de la Villette…) et au développement économique
(direction d’EDF, responsabilités au plan), jusqu’à sa retraite en 1984.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Roselyne Chenu, Paul Delouvrier ou la passion d’agir, Seuil, 1994
• Sébastien Laurent et Jean-Eudes Roullier (dir.), Paul Delouvrier, un grand
commis de l’État, Presses de Sciences Po, 2005.

DÉMOGRAPHIE
Les études démographiques ont en règle générale peu abordé la Guerre
d’indépendance. Deux grandes études sur le sujet existent néanmoins.
La première est assurément la thèse de Kamel Kateb, qui dresse un état
des lieux de l’évolution des populations européenne, « indigène » et juive en
Algérie, de 1830 à 1962. Il s’agit d’une synthèse des travaux statistiques,
nombreux sur toute la période, qui servaient à asseoir le pouvoir colonial
mais aussi à donner une légitimité à des projets ou des actes politiques. Les
statistiques ne sont donc pas forcément justes et sont très liées au politique.
Pour la période la plus ancienne, Kamel Kateb s’attache notamment à
connaître quel était réellement le nombre de la population algérienne en 1830,
à évaluer la régression de la population « indigène » jusqu’en 1875 et ses
causes (conquête militaire, mais aussi ses conséquences indirectes :
émigration*, famines et épidémies). Il analyse ensuite l’évolution des
populations sous la période coloniale, avec les bouleversements
démographiques qui interviennent (en particulier la transition démographique
des Algériens), avant d’aborder dans un dernier chapitre les incidences du
mouvement insurrectionnel sur les populations.
Il s’attache en particulier à évaluer les pertes de guerre, en partant du
constat de la très grande disparité des quantifications, surtout en ce qui
concerne les pertes algériennes : entre 200 000 morts reconnus a minima du
côté français, et 1,5 million revendiqués du côté algérien. L’idée est de se
baser sur les recensements de 1954 et de 1966 pour apprécier le déficit de
population. Néanmoins, Kamel Kateb affirme que cette méthode ne permet
pas d’arriver à une estimation objective des pertes algériennes car une légère
variation dans les taux de croissance de l’estimation de l’évolution de la
population conduit à des modifications très importantes de l’évaluation des
pertes. Par exemple, une variation de 0,2 point de croissance entre 1954 et
1962 (de 3,2 à 3,4 %) ferait passer les pertes de 429 000 à 578 000, soit une
différence de plus de 150 000 personnes. De ce point de vue, la méthode
démographique, si elle peut être féconde, présente aussi des limites pour
l’étude de la colonisation et de la Guerre d’indépendance algérienne.
Un autre démographe, Francis Ronsin, s’est aussi attaché à étudier
l’influence de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre d’Algérie et de la
première guerre du Golfe de 1991 sur la nuptialité des Français. Pour ce qui
concerne la Guerre d’indépendance, il souligne ainsi un déficit frappant des
mariages pour l’année 1956, imputable en premier lieu aux jeunes hommes
de 23 ans. Analysant l’évolution des mariages au cours des différents mois de
l’année, il remarque que le déficit des mariages se vérifie surtout pour les
mois de juillet à novembre 1956, c’est-à-dire ceux pendant lesquels les
disponibles rappelés sous les drapeaux étaient présents en Algérie. En termes
de nuptialité, c’est le seul moment qui a été sensiblement perturbé au cours de
la guerre d’Algérie.
Mais Francis Ronsin s’attache aussi à analyser la sortie de la guerre, dans
la mesure où il peut exister des phénomènes de « rattrapages » lors des
périodes de retour à la paix. En effet, il apparaît qu’entre 1961 et 1964, le
taux de premiers mariages des jeunes hommes de 20 et de 21 ans est
respectivement multiplié par 2,4 et 2,2. Or, l’âge moyen au premier mariage
décroît dans le même temps de manière régulière depuis la Seconde Guerre
mondiale. Il apparaît ainsi que la guerre d’Algérie a entravé une évolution, en
augmentant l’âge moyen au mariage d’une demi-année environ, et le
rattrapage s’est réalisé de manière brutale et accélérée à la fin du conflit. En
dépit de l’arrivée à l’âge du mariage des « classes creuses » nées au début de
la Seconde Guerre mondiale, un grand nombre de mariages ont été célébrés à
partir de juin 1962 : en un seul mois, 4 914 mariages ont été contractés en
plus. Et ce comportement change de manière durable jusqu’en 1963.
Pour Francis Ronsin, les particularités de la guerre d’Algérie (notamment
l’absence de mobilisation générale et l’appel aux soldats du contingent)
expliquent de faibles incidences démographiques, mais qui n’en sont pas
moins réelles. Il analyse par ailleurs avec précision l’évolution des effectifs
militaires en Algérie, mais aussi au Maroc* et en Tunisie*, chiffres qui ont
depuis été complétés par le Service historique de la Défense. Ces chiffres ont
également été exploités pour l’analyse de l’évolution des réfractaires* dans la
guerre d’Algérie.
Au total, l’étude démographique peut montrer des limites pour analyser
certains phénomènes comme les pertes de la Guerre d’indépendance, mais
être aussi féconde pour étudier des comportements sociaux. Francis Ronsin
souligne enfin que la démographie doit également conserver une dimension
humaine, sensible, propre à montrer l’impact que les phénomènes comme les
guerres peuvent avoir sur les comportements les plus intimes.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-
1962). Représentations et réalités des populations, Ined, 2001 • Francis
Ronsin, « Guerre et nuptialité. Réflexions sur l’influence de la Seconde
Guerre mondiale, et de deux autres, sur la nuptialité des Français »,
Population, vol. 50, no 1, 1995.
DÉSERTEUR (LE), DE BORIS VIAN
Le Déserteur, de Boris Vian, est l’une des chansons* les plus célèbres du
e
XX siècle dans le monde entier. Pacifiste, voire antimilitariste, elle est aussi
associée à l’anticolonialisme. Écrite en février 1954, durant la guerre
d’Indochine*, elle n’était pas spécialement destinée à la dénoncer. De fait,
aucune parole ne fait référence à un lieu ou à un conflit précis.
Le succès phénoménal de cette chanson est lié, outre sa qualité littéraire,
à la cascade d’affaires, pour ne pas écrire de scandales, présidant à sa sortie.
Les plus proches de Vian sont rapidement en possession du texte. Parmi
eux, Mouloudji la met immédiatement à son répertoire, moyennant un « léger
aménagement » – sur les conseils de son entourage, Vian renonce au dernier
couplet, explosif : « Si vous me poursuivez/Prévenez vos gendarmes/Que je
possède une arme : Et que je sais tirer », au profit d’un bien plus sage : « …
Que je n’aurai pas d’arme/Et qu’ils pourront tirer. »
Mouloudji la chante pour la première fois au Théâtre de l’Œuvre, à Paris
le 7 mai 1954. On a appris le jour même la chute de Điên Biên Phù. Scandale,
huées. Un tel début ne peut qu’attirer l’attention sur Le Déserteur lors du
conflit suivant en Algérie. Sur scène, Boris Vian lui-même est souvent
interrompu, menacé, voire interdit, par des gros bras. À Dinard, par exemple,
le maire de la ville, Yves Verney, prend la tête d’une manifestation.
Un conseiller municipal de Paris, Paul Faber, obtient son interdiction sur
les ondes radiophoniques. Vian réplique : « Le métier de militaire consiste à
faire la guerre ; le rôle du civil consiste à chercher à l’éviter. On considère
généralement que tous les moyens sont bons pour faire la guerre ; qu’il me
soit permis de penser que l’usage d’une chanson est aussi correct que celui
d’un fusil » (Le Canard enchaîné, 28 septembre 1955).
Dans la mémoire collective, Le Déserteur reste lié à la protestation contre
cette guerre. Elle est souvent chantée lors des manifestations de rappelés* en
1955-1956.
Alain RUSCIO
Bibl. : Alain Ruscio, « La décolonisation en chantant. Les guerres
d’Indochine et d’Algérie à travers la chanson française », in La Guerre
d’Algérie au miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de Charles-
Robert Ageron. Actes du colloque international, SFHOM, 2000 • Boris Vian,
Textes et Chansons, choisis et présentés par Noël Arnaud, Julliard, 1966 • —,
Chansons, textes établis par Georges Unglik et Dominique Rabourdin,
Christian Bourgois, 1994.

DÉSERTEURS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE (DAF)
Cet acronyme désigne des militaires algériens ayant intégré l’ALN* après
avoir servi dans les rangs de l’armée française. D’après Charles-Robert
Ageron*, son usage est contemporain des désertions de ces hommes.
L’employer est néanmoins problématique. En effet, dans l’imaginaire
collectif, cet acronyme est très souvent associé au hizb França, ou « parti de
la France », expression péjorative et non clairement définie qui désigne un
groupe d’hommes aux contours flous qui aurait accaparé le pouvoir en
Algérie. De ce fait, l’expression « anciens de l’armée française » paraît plus
pertinente et plus neutre pour désigner ces hommes qui ont servi sous le
drapeau français avant de rejoindre l’ALN et ce d’autant plus que tous les
anciens de l’armée française n’ont pas déserté ; certains, bien que
minoritaires, ont rejoint l’ALN à la fin de leur contrat. En outre, ces « DAF »
ne forment pas un groupe homogène.
On peut distinguer parmi eux deux générations* d’hommes, au sens
d’une communauté d’expériences, aux trajectoires assez similaires qui
correspondent au sens premier de l’acronyme DAF. La plupart d’entre eux
désertent depuis la France ou l’Allemagne et rallient l’ALN au niveau de la
frontière tunisienne en raison des barrages frontaliers qui isolent de plus en
plus le territoire algérien.
La « première génération » est formée par des hommes qui sont nés dans
les années 1920 et ont reçu une formation militaire en Algérie à partir de
1942 au sein, pour la majorité d’entre eux, de l’École des élèves officiers
indigènes d’Algérie et de Tunisie (EEOIAT). Certains ont ensuite participé à
la libération de la France à partir de 1944 et ont été décorés. L’essentiel a
ensuite été envoyé en Indochine*. Lorsque la guerre éclate en Algérie, ils
sont donc des hommes aguerris ayant déjà une expérience du feu.
Certains désertent de manière précoce et violente, ce qui leur évite d’être
frappés du sceau de la suspicion contrairement à d’autres qui voient leur
loyauté régulièrement mise en doute. Les deux exemples les plus
emblématiques sont ceux d’Abderrahmane Bensalem et Ahmed Bencherif*.
Le premier, né en 1923, déserte l’armée française en mars 1956. Le second,
né en 1927, déserte en juillet 1957 avec six autres militaires, emportant des
armes et tuant quatorze militaires. Ces désertions sont utilisées par le FLN* à
des fins de propagande* et donnent à leurs auteurs une forte légitimité,
comme en témoignent notamment leurs affectations futures – Abderrahmane
Bensalem est nommé à la tête de la Zone opérationnelle Nord créée par
l’État-major général* (EMG) en 1960 tandis qu’Ahmed Bencherif est le seul
déserteur de l’armée française à faire partie du CNRA*.
Plusieurs anciens de l’armée française de première génération désertent à
la suite de l’affaire du lieutenant Abdelkader Rahmani (connue sous le nom
d’affaire des officiers algériens) qui envoie, en janvier 1957, une lettre au
président français René Coty signée par cinquante-deux officiers algériens.
Ils y exposent leur cas de conscience à aller combattre des Algériens. Cette
affaire entraîne la désertion de plusieurs officiers algériens qui rejoignent
l’ALN. Ils gravissent rapidement les échelons, soutenus par Houari
Boumediene*, chef de l’EMG, qui leur confie d’importantes fonctions à
partir de 1960. Après l’indépendance, ces hommes connaissent l’apogée de
leur carrière sous le régime de Boumediene (1965-1978), avant d’être
progressivement mis à l’écart.
D’autres hommes, plus jeunes, sont également désignés par l’acronyme
DAF. Ils appartiennent à la seconde génération d’anciens de l’armée
française. Ces hommes, nés dans les années 1930, sont passés pour la plupart
par l’école d’enfants de troupe de Koléa, qui accueille les Français
musulmans dès 1946. Ils ont le grade de sous-lieutenant lorsqu’ils rejoignent
les rangs de l’ALN, le plus souvent à la frontière tunisienne, à partir de 1957-
1958. S’ils ne forment en aucun cas un groupe homogène, la plupart d’entre
eux connaissent l’apogée de leur carrière sous la présidence de Chadli
Bendjedid (1979-1992). C’est le cas de Khaled Nezzar, promu général-major,
qui devient ministre de la Défense nationale en 1990, alors que depuis 1965
le poste était détenu par le chef de l’État.
Saphia AREZKI
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Les militaires algériens dans l’armée
française de 1954 à 1962 », in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des
femmes en guerre d’Algérie, Autrement, 2003 • Saphia Arezki, De l’ALN à
l’ANP. La construction de l’armée algérienne (1954-1991), Éditions de la
Sorbonne, 2022 • William Zartman, « L’élite algérienne sous la présidence de
Chadli Bendjedid », Maghreb-Machrek, no 106, 1984.

DÉTACHEMENTS OPÉRATIONNELS
DE PROTECTION (DOP)
Si, dans l’imaginaire français, l’acronyme évoque une marque de
shampoing qui s’est répandue depuis la fin des années 1930, DOP désigne,
dans le contexte de la guerre, des unités militaires spécialisées dans la
pratique de la torture*. Sous le nom anodin de détachements opérationnels de
protection se cachent des éléments des services spéciaux français, dépendant
d’un non moins camouflé Centre de coordination interarmées (CCI). Leur
existence manifeste l’institutionnalisation de la torture au sein de l’armée.
Commandés par le lieutenant-colonel Clément Ruat pendant la majeure partie
de la guerre, ils se développent à partir de 1957 dans la foulée du changement
radical de doctrine que l’armée connaît alors, en s’engageant dans une guerre
qu’elle souhaite contre-révolutionnaire. La torture en est un des piliers : il
s’agit de terroriser la population afin de contrer la terreur par laquelle le
FLN* est censé obtenir l’adhésion populaire à la cause indépendantiste dont
il est le héraut.
Situés dans des locaux à l’écart des autres unités militaires, constitués
d’hommes recrutés spécifiquement et ne se mêlant pas aux autres, dotés d’un
uniforme spécial et d’autorisation de circulation étendue, les DOP travaillent
à maintenir leur sinistre image auprès de leurs ennemis et, bien plus, de
l’ensemble des civils algériens. Au maximum de leur développement, ils
comptent quatre mille hommes – ce qui est extrêmement peu comparé aux
effectifs de l’armée française en Algérie mais impressionnant mesuré à leur
réputation. En interne, les DOP justifient leur existence très libre – jusqu’à
constituer une armée dans l’armée – au nom de leur efficacité. Ils agissent
toujours hors de la légalité et se concentrent sur les prisonniers* jugés les
plus récalcitrants ou les plus intéressants – ainsi les maquisards de l’ALN*
désireux de se rallier après leur capture.
Dénoncés jusqu’en métropole pour leur usage immodéré de la violence et
en particulier de la torture, les DOP doivent changer de nom en 1960. À cette
date, le pouvoir politique s’attache à reprendre en main l’armée et la pratique
de la torture doit disparaître à ce titre. Censés être supprimés, les DOP
deviennent en réalité des UOR, unités opérationnelles de recherche. Seule
l’appellation change.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001.
DÉTOURNEMENT DE L’AVION
DU FLN (22 OCTOBRE 1956)
Aux six dirigeants du FLN* à la tête de l’insurrection à l’intérieur du
territoire algérien, il convient d’ajouter trois membres de la délégation
extérieure composée de Mohamed Khider*, Hocine Aït Ahmed* et Ahmed
Ben Bella*. Après l’accession de Guy Mollet* à la présidence du Conseil, un
tour plus répressif est pris à compter de la « journée des tomates* » le 6
février 1956. Sa politique se résume dans le triptyque « cessez-le-feu,
élections, négociations » : après la victoire militaire marquée par le cessez-le-
feu doivent suivre des élections* puis des négociations* avec les
représentants algériens. Néanmoins, celles-ci existent déjà secrètement dès
mars 1956, et se poursuivent au cours des mois suivants. En septembre, les
négociations se tendent davantage car le FLN « de l’intérieur », par
l’entremise d’Abane* Ramdane, désigne un nouveau représentant de la
délégation extérieure. Elles se poursuivent en octobre dans un cadre régional,
plus propice à dégager une solution acceptable par les deux parties. Les 20 et
21 octobre, les trois membres de la délégation extérieure auxquels il faut
ajouter Mohamed Boudiaf* et un jeune intellectuel, Mostefa Lacheraf*,
rencontrent le sultan du Maroc* Mohammed V à deux reprises. Le
lendemain, les négociations doivent continuer avec Habib Bourguiba en
Tunisie*. Les services secrets français suivent avec attention le déroulement
des pourparlers au Maroc. Le directeur général du Service de documentation
extérieure et de contre-espionnage* (SDECE), Pierre Boursicot, et le
commandant des forces en Algérie, le général Lorillot*, donnent leur accord
pour détourner l’avion transportant les membres de la délégation du FLN. Le
gouverneur général de l’Algérie Robert Lacoste* doit normalement être
consulté, mais il est en voyage. C’est son secrétaire général qui avalise
l’opération, avec le secrétaire d’État aux Forces armées de terre Max
Lejeune.
Le 22 octobre, un avion de la compagnie Air Atlas/Air Maroc est affrété
par le gouvernement marocain, mais il possède encore en partie un équipage
français, dont le commandant de bord et une hôtesse de l’air, correspondante
du SDECE. L’avion évite le survol de l’espace aérien algérien et fait escale
aux Baléares. À 16 heures, le commandant de bord reçoit l’ordre de se
dérouter sur Oran. Il refuse d’abord, avant d’accepter, en ayant reçu
l’assurance de la protection des familles des membres d’équipage. L’avion
tourne lentement dans les airs pour atterrir à l’horaire prévu. Il se pose sur le
tarmac de l’aéroport de Maison-Blanche, près d’Alger, à 21 h 20. Pour les
passagers de l’appareil, c’est la consternation. Il s’agit du premier acte de
piraterie aérienne commis par un État contre un avion civil, amenant la
communauté internationale à désapprouver l’acte commis par les services
secrets français. En Tunisie, l’ambassadeur de France est furieux et, au
Maroc, le sultan Mohammed V se sent trahi, ce dont il rend compte au
président René Coty. Guy Mollet* est ensuite informé. Il réprouve nettement
l’opération mais décide de la couvrir pour éviter l’incompréhension de
l’opinion publique* et un éventuel renversement du gouvernement, très
fréquent sous la IVe République*. Le président René Coty se sent lui-même
déshonoré et convoque plusieurs membres du gouvernement, se disant prêt à
la libération des prisonniers*. Ce n’est pas la décision choisie mais une ligne
de fracture apparaît dans le gouvernement : si Maurice Bourgès-Maunoury*,
ministre de la Défense nationale, et Max Lejeune assument l’opération, en
revanche Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères, est de l’avis du
président Coty. Surtout, après Pierre Mendès France* au printemps, Alain
Savary, secrétaire d’État aux Affaires marocaines et tunisiennes, démissionne
avec son chef de cabinet et l’ambassadeur de France en Tunisie.
Après leur arrestation les membres de la délégation extérieure du FLN
sont interrogés par la DST à Alger. Puis ils sont envoyés par avion en France
métropolitaine où ils sont détenus à la prison* de la Santé puis à l’île d’Aix
et, à la fin de la guerre, au château du Turquant et au château d’Aunoy. Cette
arrestation, au départ présentée comme celle de la direction du FLN, laisse
accroire à une fin prochaine du conflit. Il n’en est bien entendu rien. En fait,
elle rend simplement impossible toute poursuite des négociations. Elle
conforte les ailes dures des deux camps : du côté français les officiers* et les
politiques partisans d’une solution répressive, du côté algérien le FLN « de
l’intérieur » opposé à toute forme de négociation, incarné par Abane
Ramdane. Il faut attendre presque quatre ans avec les pourparlers de Melun
en juin 1960 pour que les négociations reprennent officiellement.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Redha Malek, L’Algérie à Évian. Histoire des négociations secrètes,
1956-1962, Seuil, 1995 • Colonel Serge-Henri Parisot, « Début de la piraterie
aérienne : l’interception de Ben Bella (22 octobre 1956) », in Sébastien
Laurent (dir.), Les Espions français parlent. Archives et témoignages inédits
des services secrets français, Nouveau Monde, 2011 • Tramor Quemeneur,
« Le kidnapping de Ben Bella : Algérie, 22 octobre 1956 », Historia, no 838,
octobre 2016.

DÉVOILEMENT
Signe visible de la « différence » de l’« indigène musulman », le voile des
femmes* musulmanes pique l’intérêt des Européens dès le XIXe siècle. Dans
les années 1930, la question du port du voile est débattue par les intellectuels
maghrébins. Son rejet comme signe d’émancipation est défendu par le
Tunisien Tahar Haddad et la féministe et socialiste tunisienne Habiba
Menchari, d’origine algérienne, tandis que les ulémas en Algérie et Habib
Bourguiba en Tunisie* insistent sur le fait que le moment n’est pas encore
venu de se débarrasser du symbole d’une identité culturelle bafouée par le
colonialisme.
Ces débats se rejouent avec une acuité nouvelle pendant la guerre
d’Algérie. Les campagnes de dévoilement menées par les propagandistes de
l’armée française font partie d’une panoplie de mesures qui cherchent à
« moderniser » la femme « musulmane ». Dans les semaines suivant le
13 mai 1958*, des dévoilements et des voiles brûlés sont mis en scène à
l’intention des médias français et internationaux comme symbole de
« fraternisation » entre les populations « européenne » et « musulmane ». Si
certaines se dévoilent librement, d’autres sont contraintes, comme la lycéenne
Monique Ameziane à Constantine. Elle a dû se voiler pour la première fois de
sa vie, et se prêter à la mascarade du dévoilement public, pour sauver la vie
de son frère, arrêté et torturé par l’armée française.
Dans « L’Algérie se dévoile » (1959), Frantz Fanon* analyse le
« dynamisme historique » du voile et comment les femmes algériennes
manipulent les stéréotypes coloniaux associés aux femmes voilées
(ignorantes, apolitiques) et aux femmes non voilées (pro-Algérie française). Il
décrit les premières passant inaperçues pendant qu’elles transportent des
armes et des tracts pour le FLN*, tandis que les dernières commettent des
attentats dans les quartiers européens. Cette description est reprise par le
réalisateur italien Gillo Pontecorvo dans le film La Bataille d’Alger (1966) :
dans l’une des scènes les plus célèbres, trois femmes se dévoilent pour aller
poser des bombes. Cette représentation a fortement marqué les perceptions
populaires du (dé)voilement, mais ne reflète que très partiellement le rapport
au voile des femmes dans le réseau de poseurs de bombes : plusieurs d’entre
elles ne le portaient pas auparavant. Au-delà des images très politisées, le
voile était souvent un objet banal pour les femmes algériennes.
Natalya VINCE
Bibl. : Neil MacMaster, Burning the Veil. The Algerian War and the
“Emancipation” of Muslim Women, 1954-1962, Manchester, Manchester
University Press, 2009.
DGHINE, BENALI, DIT COLONEL LOTFI,
SI BRAHIM (1934-1960)
Il est né le 7 mai 1934 à Tlemcen. Son père est un employé de mairie. Il
fait des études primaires puis secondaires à Tlemcen, Alger et Oujda, puis de
nouveau à Tlemcen (à la Médersa).
Il prend un premier contact avec le FLN* en septembre 1955, en
participant à une réunion clandestine à Tlemcen. Mais en fait, c’est sans
contact particulier qu’il rejoint le maquis dans les monts de Tlemcen fin
octobre 1955.
Benali Dghine est affecté en Zone 1 sous les ordres du capitaine Jabeur*,
dont il devient le secrétaire. En avril 1956, il est envoyé à Tlemcen et placé
sous les ordres de lieutenant Mokhtar Bouzidi, dit Ogb El Lil (l’Aigle de la
Nuit), avec pour mission d’y organiser les cellules clandestines dans la ville.
Il met en place le commando « Brahim ». Il se distingue en organisant et en
participant à au moins trois opérations d’envergure à Tlemcen en 1956 :
l’attaque de la caserne de l’ex-MTO ; la fausse patrouille de la police
militaire qui s’est attaquée au mess des sous-officiers* le 6 mai ; et en dehors
de la ville, l’attaque de fermes de gros colons* le 7 mai. Sa carrière politico-
militaire est lancée. Il a 22 ans.
À la mi-mai 1956, suite à un incident avec Mokhtar Bouzidi, Benali
Dghine rejoint Oujda. Boussouf* lui confie une mission de pénétration et
d’organisation de l’ALN*, depuis les villes d’El Bayadh et Mecheria jusqu’à
Béchar et plus au sud (ouest et est). Sa mission est triple, comme l’explique
Dahou Ould Kablia : une mission politique de prise en charge des
populations et notamment celles soumises à la pression des bellounistes dans
la région de Djelfa-Aflou-Laghouat ; une mission militaire assurée par des
compagnies (katibate) avec des objectifs précis et une mission
organique avec la création de la Zone 8 et ses quatre régions.
Boussouf, devenu colonel commandant de la Wilaya 5* après le congrès
de la Soummam*, nomme Benali Dghine (Brahim) capitaine, chef de la
Zone 8/Béchar. En moins d’un an, il réussit à rallier des responsables
messalistes, à créer la Zone 9 de la Wilaya 5, il ouvre le front sud de
Timimoun à Tindouf avec le soutien des tribus nomades et organise la
désertion des méharistes.
Le capitaine Brahim est promu commandant fin juillet 1957 à la suite de
la mort au combat du commandant Sayah Miloud (El Hansali). Il rejoint à
Oujda le commandant Boumediene*. Au cours de la réunion des chefs de
zone de la Wilaya 5 en octobre 1957, présidée par Boussouf, il y retrouve son
ancien responsable, le capitaine Jaber, et son successeur à la tête de la Zone
8, Kaïd Ahmed (capitaine Slimane). Mais il apprend surtout que Boumediene
est nommé colonel, commandant de la Wilaya 5, Boussouf ayant été nommé
membre du nouveau CCE* lors la réunion du CNRA* au Caire le 20 août
1957.
Dans sa nouvelle fonction au Commandement général de la wilaya
d’Oran, sa préoccupation principale est l’acquisition d’armes pour les
maquis. Fin janvier 1958, le commandant Lotfi se rend en Espagne où il est
arrêté et incarcéré. À sa libération, il apprend sa nomination en qualité de
chef de la Wilaya 5 et est promu au grade de colonel. Il installe son QG à
Bouarfa dans le Sud marocain. De droit, il devient membre du CNRA.
Le président Ferhat Abbas* ne tarit pas d’éloges à son sujet dans
Autopsie d’une guerre (1979) en relevant ses idées généreuses et
respectueuses des droits de l’homme. Il condamne la « bleuïte* » et refuse de
participer à la réunion interwilayas contre le GPRA* organisée par le colonel
Amirouche* (6-12 décembre 1958). Il condamne l’assassinat du maire* de
Thiers près de Mascara dans une interview accordée à El Moudjahid
(mai 1959). Il exprime son espoir que les Européens rejoindront la nouvelle
Algérie indépendante et répète que la communauté juive est chez elle. Il lui
est attribué une étude socio-économique sur l’Algérie rédigée en 1958.
À son retour de Yougoslavie* (juin 1959), il participe à la réunion des dix
colonels* (10 juillet-16 décembre 1959) qui a pour objet de trouver des
solutions à la crise éclatée entre le GPRA et certaines wilayas. Cette
rencontre est suivie du congrès de Tripoli (16 décembre 1959-18 janvier
1960), du renouvellement du CNRA et du GPRA, mais surtout de la mise en
place d’un État-major général* (EMG) confié au colonel Boumediene. Il
retourne dans sa wilaya pour gérer l’affaire Zoubir* (automne 1959).
Il prend la décision de rejoindre le territoire national accompagné de son
adjoint le commandant Mohamed Laouadj (dit Farradj puis M’barek). Le
27 mars 1960, la petite troupe qu’il commandait est interceptée par un
détachement de l’armée française. Il meurt les armes à la main.
Fouad SOUFI
Bibl. : « Dahou Ould Kablia parle du colonel Lotfi », Le Quotidien d’Oran,
2006 • Mohamed Lemkami, Les Hommes de l’ombre. Mémoires d’un officier
du MALG, Alger, Anep, 2004 • Chakib Mesbah, « Itinéraire du colonel
Lotfi », Centenaire de la Medersa de Tlemcen, 1905-2005, Tlemcen,
Ecolymet, 2005.

DIB, MOHAMMED (1920-2003)


Son éducation citadine ne l’a pas coupé du monde paysan, qui a en
commun avec la ville des conditions de vie très dures et l’éveil de certains
personnages à la conscience politique. Orphelin très jeune, il poursuit sa
scolarité en français. Il commence très tôt à écrire, à peindre puis à
s’intéresser à la photographie*. À la fin des études secondaires, il est
instituteur à Zoudj Baghel, près de la frontière marocaine (1938-1940). Puis il
est comptable avant d’être interprète français-anglais en 1940. Il exerce
ensuite divers métiers à Tlemcen où il revient en 1944. Il publie ses premiers
poèmes. Il participe aux réunions de Sidi Madani, près de Blida (1948), et y
rencontre Camus* et Jean Sénac. Il est journaliste à Alger républicain*, avec
Kateb* Yacine, et publie des articles sur les conditions de vie des Algériens
dans un pays sous domination coloniale, dont on retrouve des échos dans ses
premiers romans.
Il publie, de 1952 à 1957, la trilogie Algérie, dont le second roman,
L’Incendie, qui paraît en 1954, annonce un feu qui n’allait pas s’éteindre.
Dans Un été africain (1959), la tragédie (est-ce l’autre nom de l’histoire en
train de se faire ?), comme il le dira, est en marche, presque à l’insu des
personnages. Il est expulsé d’Algérie pour ses activités militantes. Il s’installe
en France à partir de 1959 et se consacre à l’écriture : romans et nouvelles,
contes et poèmes. Son recueil, Ombre gardienne (1961), combine les
possibilités de création que donne la langue française, la poésie citadine et
l’élan d’un monde en mutation. Il enseigne dans diverses universités, en
Finlande, aux États-Unis* et à la Sorbonne, et donne des conférences à
travers le monde. Ses séjours à l’étranger l’amènent à élargir les lieux du récit
et les thèmes, la migration et le métissage, la mémoire de la guerre d’Algérie
qui est réveillée par celle des années 1990, la répercussion des lieux quand le
désert n’est plus seulement saharien mais aussi nival…
Avec la publication de Qui se souvient de la mer (1962), il aborde le
thème de la lutte de libération et de la violence à travers un profond onirisme.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Bachir Adjil, Espace et écriture chez Mohammed Dib : la trilogie
nordique, L’Harmattan-Awal, 1995 • Naget Khadda, Mohammed Dib. Cette
intempestive voix recluse, Aix-en-Provence, Édisud, 2003.

DIDOUCHE, MOURAD, DIT SI ABDELKADER


(1927-1955)
Didouche Mourad est l’un des fondateurs du FLN* qui déclenche la
guerre de libération nationale le 1er Novembre*. Engagé très jeune dans les
rangs du PPA-MTLD*, il abandonne le confort familial pour se dévouer
entièrement à ses convictions patriotiques. Son compagnon de lutte, Lakhdar
Bentobbal*, le comparait à Saint-Just et lui vouait une admiration sans bornes
car, dit-il, « nous ne savions rien, tout venait de lui » (Mémoires).
Didouche Mourad est né à Alger dans une famille de commerçants. Il
s’éveille à la politique dans le courant de l’année 1943, en adhérant à
l’Organisation des jeunes lancée par le PPA qui réapparaît à la faveur du
débarquement des Alliés. Âgé de 16 ans, il dirige la section de Clos-
Salembier.
La réquisition de son lycée (au Ruisseau) par les troupes anglo-saxonnes
oblige ses parents à l’envoyer à Constantine, où il termine sa scolarité au
cours complémentaire Jules-Ferry.
De retour à Alger, probablement en 1945, il renoue avec ses activités
antérieures, au parti du PPA. Il reste très actif auprès des jeunes de la troupe
des scouts* El Amal et dans une équipe sportive.
Durant les quelques années où il travaille comme cheminot à la gare
centrale d’Alger, il adhère à la CGT* et se familiarise avec les questions
syndicales.
Quand Hocine Aït Ahmed* prend le relais de l’Organisation spéciale*
(OS), il réunit le comité central des jeunes du PPA et remarque ce jeune
Didouche, âgé de 20 ans, dont la maturité le séduit (Aït Ahmed, p. 106). À
partir de ce moment, la vie de Didouche se confond avec celle du parti.
Malgré sa jeunesse, il fait preuve d’un grand sens des responsabilités quand il
refuse d’abattre l’homme de main d’un bachagha car, dit-il, c’est « un acte
criminel et non un acte de résistance » digne d’un révolutionnaire. Il organise
les brigades clandestines de plusieurs quartiers populaires d’Alger avant de
s’atteler à la Zone 1/OS du département de Constantine placée sous la
direction de Boudiaf*. À la découverte de l’OS, il entre dans la clandestinité.
Après la dissolution de celle-ci, il quitte Alger pour Paris où il seconde
Boudiaf à la Fédération de France*. C’est au contact d’Ahmed Mahsas* et de
Boudiaf que mûrit l’idée de neutralité entre les deux tendances rivales du
parti : les centralistes et les messalistes.
Quand il regagne Alger, au début de l’année 1954, en compagnie de
Boudiaf, c’est pour créer le Crua en association avec le comité central dont la
durée sera éphémère, au vu de la profonde crise du parti. Il est l’un des
animateurs de la réunion des « 22* » partisans de l’OS, laquelle met fin au
Crua et prépare le passage à la lutte armée. Didouche fait partie de la
direction collégiale avec Boudiaf, Ben Boulaïd*, Ben M’hidi* et Bitat*. Tout
en poursuivant la mobilisation des militants, Didouche est de toutes les
réunions où sont discutées les questions de la jonction de la Kabylie avec
Krim* Belkacem, de la répartition des cinq zones, du nom de leur
mouvement, des contacts avec les chefs au Caire, de la rédaction de la
proclamation du FLN et de la date du déclenchement de la lutte armée.
Didouche est affecté à la Zone 2 du Nord-Constantinois où les militants
sont écartelés entre les réserves émises par quatre membres des « 22 » de la
ville de Constantine au sujet de la non-préparation au passage à la lutte armée
et les manœuvres des centralistes et des messalistes. C’est ce qui explique le
calme relatif qui prévaut dans cette région à l’exception de quelques actions
effectuées par le groupe du Khroub.
Au lendemain du 1er Novembre, tous les efforts de Didouche Mourad
soutenu par Bentobbal, Zighoud* Youcef, Mostefa Benaouda, Mohamed
Kadid… visent à parfaire l’organisation, à rétablir les contacts. Sa
préoccupation majeure est d’étendre la révolution aux principales villes :
Constantine, Mila, Philippeville, Bône, Guelma, Souk Ahras. D’après l’un de
ses premiers compagnons Mohamed Kadid, Didouche se rend en personne à
El Harrouch et Philippeville, pour essayer de rallier les militants du MTLD
hésitants. À Constantine, il manque même de se faire arrêter par la police*
qu’il réussit à semer. Les Constantinois connaissent à cette occasion leur
première rafle*. Il ne verra pas les résultats de ses efforts puisqu’il rencontre
la mort dans un accrochage qui le surprend le 18 janvier 1955 au douar
Souadek, non loin de Condé-Smendou. L’intervention des paras du colonel
Ducournau* lui est fatale.
À l’occasion du 1er novembre 1963, le président Ben Bella* préside à la
cérémonie du déplacement de sa dépouille pour être inhumée au carré des
martyrs au cimetière El Alia à Alger.
Son nom est donné au village de Bizot et aux principales artères des
grandes villes.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Hocine Aït Ahmed, L’Esprit d’indépendance. Mémoires d’un
combattant, 1942-1952, Messidor, 1983 • Daho Djerbal, Lakhdar Bentobbal.
Mémoires de l’intérieur, Alger, Chihab, 2021 • Gilbert Meynier, « Idéologie
et culture de la révolution algérienne dans les Mémoires inédits de Lakhdar
Ben Tobbal », in Charles-Robert Ageron (dir.), La Guerre d’Algérie et les
Algériens, Armand Colin, 1997.

DISPARITIONS
Par disparition, on entend le fait de faire disparaître une personne vivante
sans que ses proches sachent quoi que ce soit jusqu’à devoir admettre qu’elle
est probablement morte mais sans jamais en avoir la certitude. Cette pratique
a fait son entrée dans les guerres civiles jusqu’à devenir un instrument de
terreur caractéristique de certains acteurs historiques, forces de sécurité ou
groupes armés. Elle allie la violence physique sur la personne disparue à la
violence psychologique sur ses proches, à très long terme. Loin des prises
d’otages anciennes qui voient la disparition d’un individu être revendiquée
par un camp, suivie de l’envoi de preuves de vie puis de négociations en vue
d’une libération, la disparition telle qu’elle est pratiquée en Algérie a une
dimension exclusivement terrorisante. Elle agit sur la population dont a été
extraite la personne, qu’il s’agisse d’un villageois ou d’un citadin, d’un
combattant ou d’un militant. La terreur est sa raison d’être. Elle n’a pas
d’autre fin et n’attend rien de précis en retour : ni information ni argent.
Cette pratique s’est répandue ainsi à partir de 1957 à Alger. Sous cette
forme, il faut la distinguer des disparitions survenues depuis le début de la
guerre qui correspondaient à des accidents de la machine répressive. Si on se
place du point de vue des hommes qui arrêtent un ou une suspect(e) et qui le
ou la détiennent pendant des semaines, dans l’attente qu’il ou elle donne des
renseignements, aide à identifier des caches d’armes, etc., sa mort lors d’une
séance de torture* ou par manque de soins est, en effet, un accident. Pour les
militaires français, la déclarer nécessite de la justifier. La hiérarchie risque de
poser des questions sur les conditions de détention ou d’interrogatoire. Or les
consignes sont claires : il ne doit pas y avoir de souci avec les prisonniers* et,
en cas de contrôle par le pouvoir civil ou le Comité international de la Croix-
Rouge*, il faut pouvoir expliquer les décès. L’habitude est donc rapidement
prise de se débarrasser des cadavres imprévus. Abandonnés aux bêtes
sauvages, enterrés à la va-vite, camouflés en fuyards abattus, ces corps ne
refont jamais surface pour leurs proches. Arrêtés par une unité militaire, des
hommes et des femmes disparaissent ainsi du jour au lendemain et ne rentrent
jamais chez eux.
Les questions demeurent pour les familles. Où leur proche a-t-il été
conduit ? Que lui est-il arrivé ? A-t-il souffert ? Combien de temps s’est-il
écoulé avant sa mort ? Dans quelles circonstances ? Qu’est-il advenu de son
corps ? Où a-t-il été enterré ? La liste est infinie et alimentée par une angoisse
s’abreuvant à toutes les rumeurs. Les autorités ne reconnaissent le caractère
définitif de ces disparitions qu’à la fin de la guerre, signifiant aux familles
qu’elles peuvent alors considérer leur proche comme mort. Si une telle
reconnaissance rend possibles les démarches administratives (remariage,
héritage…), elle n’atténue pas le doute et ne répond à aucune question.
Même le sort de Maurice Audin* reste incertain. Son cas est pourtant très
connu et médiatisé dès la guerre – ce qui en fait un cas totalement à part et
très différent des milliers d’autres disparu(e)s de la guerre qu’un projet lancé
en ligne depuis 2018 par Malika Rahal et Fabrice Riceputi, sous le nom des
1000autres.org, s’attache à identifier. Arrêté par les parachutistes* en 1957,
Maurice Audin a disparu entre leurs mains et la thèse officielle de son
évasion* est rapidement contestée. Pierre Vidal-Naquet* démontre dès 1958
qu’elle a été inventée pour camoufler sa mort. Pourtant, jamais sa veuve
Josette* n’a pu savoir ce qu’il avait vécu après son arrestation et où se
trouverait son cadavre. Son obstination a fini par lui valoir un accès à tous les
documents conservés dans les archives* françaises et identifiés comme ayant
un lien avec la disparition de son mari. Or, même dans ce cas, et même avec
l’aide de l’historienne Sylvie Thénault, les circonstances exactes des derniers
instants de son mari restent obscures. La reconnaissance officielle de la
responsabilité de l’État en la matière par le président de la République
en 2018 affirmait une vérité mais ne donnait aucune réponse matérielle
précise.
Les effets psychologiques de la disparition ont une force destructrice de
très longue portée. Conscients de ces effets, les militaires français prennent,
en 1957, la décision d’en faire une arme de guerre. À la différence des
prisonniers morts accidentellement et dont on se débarrasse pour éviter les
questions gênantes, se multiplient alors les cas de personnes enlevées et pour
lesquelles il est impossible d’obtenir une information quelconque. Du jour au
lendemain, les exemples abondent dans un Alger pourtant quadrillé par
l’armée et où tout mouvement est censé être contrôlé. À l’été 1957,
2 000 familles ont signalé la disparition d’un proche. À l’automne, au bout de
neuf mois de répression, elles sont plus de 3 000.
Cette très nette accentuation correspond à l’émergence de nouvelles
logiques répressives dans la doctrine militaire, avec l’arrivée du nouveau
commandant en chef, le général Salan*. L’armée prétend alors mener une
guerre contre-révolutionnaire au sein de la population algérienne. La
disparition, par sa dimension terrorisante, est parfaitement indiquée.
Cependant la radicalité de la méthode et son usage massif par les troupes
présentes à Alger viennent mettre à rude épreuve les cadres légaux dans
lesquels est censée se dérouler la guerre, qui reste officiellement une
opération de maintien de l’ordre. La disparition de suspects ne peut être une
méthode de guerre étendue à toute l’Algérie. La méthode doit dès lors se faire
plus discrète : à Alger comme dans le bled, la disparition, pendant des
semaines ou des mois, notamment dans des centres de tri et de transit*, va
maintenir la pression sur les communautés d’appartenance des suspects sans
déboucher sur un escamotage des corps. Soit qu’on libère les suspect(e)s, soit
qu’on préfère recourir au camouflage du « fuyard abattu », les disparitions
définitives sont moins massives. Leur nombre reste cependant impossible à
établir jusqu’à aujourd’hui.
Après le cessez-le-feu, la période d’anomie qui caractérise largement le
printemps et l’été 1962 voit revenir cette pratique des disparitions.
Cependant, la logique n’est plus celle d’une répression menée par un État en
guerre contre un ennemi mêlé à la population civile. La plupart des personnes
disparues ont été vues pour la dernière fois avec des acteurs mal identifiés
mais algériens et souvent armés. Elles semblent avoir été visées pour leur
qualité de Français et pour des raisons sans doute essentiellement crapuleuses
(le vol de leur véhicule notamment) ou liées à des règlements de comptes
accompagnant la fin de l’Algérie française. Pour ces mêmes raisons, les
meurtres sont aussi nombreux. Très rapidement, on parle de plusieurs
centaines de disparus par mois et les rumeurs se chargent de diffuser des
récits effrayants qui donnent à ces disparitions le même pouvoir que celles
d’Algériens dans les années précédentes : elles terrorisent les civils et
installent chez les proches les germes d’une souffrance que le temps ne peut
empêcher de croître.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Jacques Jordi, Un silence d’État. Les
disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Soteca, 2011 • Sylvie
Thénault, « Dérogation générale et déclassification des archives
contemporaines. Le cas d’Audin et des disparus de la Guerre d’indépendance
algérienne », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 74, no 3-4, 2019.

DISPOSITIF DE PROTECTION
URBAINE (DPU)
Le dispositif de protection urbaine (DPU) est un des modèles
d’encadrement des populations civiles d’Algérie, d’« organisation des
populations » selon l’appellation alors en cours. Il est mis en place par le
colonel Roger Trinquier*, adjoint du général Massu*, en janvier 1958, au
début de la « bataille d’Alger* », dans le but de permettre la participation
civile, européenne d’abord, algérienne par la suite, au maintien de l’ordre.
Son existence officielle est actée par un arrêté préfectoral signé par le préfet*
Serge Barret le 9 février 1957.
La vocation première du DPU est d’encadrer les civils européens d’Alger
afin d’éviter ou de neutraliser les activistes les plus virulents, dans un
contexte d’attentats contre-terroristes et de ratonnades* récurrentes, et surtout
de les mettre au service de l’armée dans le cadre du démantèlement des
réseaux FLN*. « Il s’agit en somme de catalyser une bonne volonté parfois
trublionne des éléments européens en l’encadrant dans un système simple
concourant à servir l’intérêt général », explique la directive militaire.
Le DPU repose sur le recensement des populations et leur
immatriculation. La ville d’Alger est divisée selon un découpage de l’espace
urbain en secteurs, composés d’îlots, eux-mêmes divisés en groupes de
bâtiments. Le bâtiment en est l’élément de base. À chacun de ses niveaux,
une lettre ou un chiffre est attribué, produisant ainsi une immatriculation
permettant de localiser aisément chaque foyer recensé.
Une pyramide de responsables, allant du foyer au quartier, fait rentrer la
population ainsi organisée dans une hiérarchie permettant de faire parvenir
des renseignements à l’autorité militaire mais aussi de lui donner des ordres
et de faire circuler des consignes. Chaque responsable de famille doit rendre
compte des invités reçus ou des absences des membres du foyer à
responsable du bâtiment. Les responsables des niveaux supérieurs du DPU
sont recrutés sur la base du volontariat, le plus souvent parmi les nombreuses
associations d’anciens combattants*. Ils sont autorisés à porter une arme
légère. Le DPU se révèle efficace dans son action de supplétifs* des
militaires en charge de l’action policière à Alger. Ainsi, Larbi Ben M’hidi*,
chef de la Zone autonome d’Alger* du FLN, est arrêté grâce à des
renseignements fournis par le dispositif.
En avril 1957, l’expérience est étendue aux quartiers musulmans d’Alger,
en particulier la Casbah, sous l’appellation de « Dispositif antiterroriste de la
Casbah ». Afin de s’orienter dans ses quartiers, l’armée fait peindre les lettres
ou chiffres correspondant à l’immatriculation sur les murs. Contrairement au
DPU, il n’est pas question de volontariat dans la désignation des
responsables. Ceux-ci sont nommés de manière autoritaire par les autorités
militaires et ne bénéficient pas du port d’armes. L’extension de ce système de
hiérarchisation de la population aux Algériens permet également dès
octobre 1957 de rassembler des foules d’Algériens lors de manifestations*
organisées par l’armée. Les chefs d’îlot seront largement mobilisés en
mai 1958 pour faire participer la population algérienne aux fraternisations sur
le Forum.
Paul Aussaresses*, dans son récit autobiographique, raconte que le
système est surnommé Dépéou par les officiers* du général Massu, en
référence au Guépéou, police politique soviétique, ironisant sur son caractère
antidémocratique et violent. D’après lui, Trinquier se serait inspiré de
Napoléon qui a fait numéroter les bâtiments des villes rhénanes conquises.
Cette affirmation est à relativiser. La ville d’Alger, pendant les années de
pouvoir vichyste, a connu l’îlotage de la Légion des combattants et Trinquier,
en poste dans la concession française de Shanghai pendant la Seconde Guerre
mondiale, a aussi pu être témoin des systèmes d’îlotage japonais, des
systèmes comparables existant par ailleurs dans l’Allemagne nazie et en
URSS*. La référence napoléonienne est assurément plus facile à assumer.
Sous le vocable d’« organisation des populations », le système est
progressivement étendu aux autres centres urbains d’Algérie puis aux zones
rurales. De nombreuses directives sont produites à ce sujet, laissant entrevoir
une application difficile sur le terrain. Ainsi l’instruction sur la pacification*
du général Challe*, éditée le 10 décembre 1959, préconise encore une telle
généralisation. En 1960, le système semble assez largement mis en place. Les
résultats ne sont cependant pas à la hauteur des attentes de ces concepteurs,
qui conçoivent cette action comme un moyen de façonner la société
algérienne, d’en faire émerger une nouvelle élite profrançaise. De fait, le FLN
désigne comme responsables de son organisation les responsables de
l’organisation de la population, afin de les neutraliser. Par ailleurs, en 1960,
après la semaine des barricades*, face au constat du noyautage du DPU par
les activistes européens, le dispositif est progressivement délaissé par les
autorités françaises.
Denis LEROUX

DIX COLONELS DE L’ALN, RÉUNION


DES (11 AOÛT-
9 DÉCEMBRE 1959)
Tout juste après la création du GPRA* en septembre 1958, son premier
président Ferhat Abbas* doit faire face à plusieurs crises contestant son
autorité dont les plus importantes renvoient au complot Lamouri*, à la
rencontre interwilayas de décembre 1958 convoquée par Amirouche*, au
« suicide » d’Allaoua Amira qui entraîne la démission de Lamine Debaghine,
ministre des Affaires étrangères, et à la reddition* d’Ali Hambli. Derrière ces
remises en cause, la responsabilité des « 3 B » (Krim* Belkacem, Lakhdar
Bentobbal* et Abdelhafid Boussouf*) est entière. Et malgré leurs
divergences, ils sont d’accord pour « mettre en demeure le GPRA à se
dessaisir du pouvoir à leur profit » (Harbi, 1980).
À l’issue d’une séance de gouvernement (1er-11 juillet 1959) et pour
sortir le GPRA de l’impasse, Abbas décide de convoquer les chefs des
wilayas de l’intérieur. Leur mission est particulièrement délicate puisqu’ils
ont la mission de « doter la révolution d’un CNRA* incontesté ». La
manœuvre semble a priori doublement habile. Les « 3 B », membres du
GPRA, risquent de se retrouver exclus de la rencontre des dix colonels et le
GPRA ne remettra sa démission qu’au futur CNRA. C’était sans compter
avec le jeu trouble des clientèles inféodées aux « 3 B ». En effet, « les
colonels se divisent en deux groupes d’importance égale » (Harbi, 1980) : le
premier, inféodé à Krim, rassemble Hadj Lakhdar*, Mohammedi* Saïd et
Yazourène ; le second, inféodé à Bentobbal et Boussouf, regroupe
Boumediene*, Lotfi* et Kafi*.
Les travaux s’éternisent durant cent dix jours et ils sont souvent
interrompus. Ils ne reprennent que grâce à l’habileté de médiateurs appelés à
la rescousse qui présentent des plans de recomposition du gouvernement et
du Bureau politique du FLN*. Les désaccords gravitent autour de la
présidence du GPRA, sur l’intérêt de situer le siège du GPRA à l’intérieur,
sur la cooptation des membres du CNRA. Au prix de maints calculs, les dix
colonels finissent par approuver le choix des membres du CNRA, non sans
avoir procédé à l’exclusion de Debaghine, Brahim Mezhoudi, Tewfik El
Madani*, Mahmoud Cherif*, Mohammed Lebdjaoui, Salah Louanchi et
Abdelmalek Temmam. Les militaires entrent en force au CNRA, en
particulier les officiers des frontières. Ce qui fait dire à Ben Khedda* : « le
seul fait que le CNRA a été désigné par les chefs militaires constitue à lui
seul un nouveau coup d’État » (Meynier, 2002). Le 16 décembre 1959, après
une absence de plus de deux ans, le CNRA, avec une domination militaire,
peut enfin se réunir. Le pouvoir et l’autoritarisme des « 3 B » en sortent
amoindris. Le ministère de la Guerre, occupé par Krim, est remplacé par le
Conseil interministériel de guerre (CIG) confié aux « 3 B ». Mais la
prééminence véritable revient exclusivement à Boumediene désigné à la tête
de l’État-major général* (EMG) pour réorganiser l’armée des frontières*.
Enfin, on peut mieux comprendre les atermoiements du GPRA paralysé par
la crise quand de Gaulle* a évoqué la question de l’autodétermination de
l’Algérie le 16 septembre 1959.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité, Jeune Afrique, 1980 •
Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002 • Amar Mohand-
Amer, « La réunion-marathon des dix colonels de l’ALN (11 août-9
décembre 1959) », in Mohammed Harbi, L’Événement dans l’histoire récente
de l’Algérie (1954-1962), Oran, Crasc, 2007.

DJAMILA (ICÔNE)
Bousculant les stéréotypes les assignant au rôle de victimes civiles ou de
fantasme érotique construit par la visualité coloniale, des femmes*
algériennes, et d’autres nationalités, s’engagent dans la guerre d’Algérie. La
médiatisation de l’affaire Djamila Bouhired* met en lumière et en image la
figure de la femme combattante indépendantiste. La militante du FLN* est
arrêtée en 1957 et, après avoir été torturée, est condamnée à mort. Au procès,
son association avec sa co-accusée, Djamila Bouazza, donne lieu à la
construction d’un duo dont la dénomination joue sur leur prénom : elles sont
les « deux Djamila ». Puis Djamila Bouazza, pourtant condamnée à mort,
pour les mêmes motifs de participation aux attentats d’Alger, s’est effacée de
la mémoire collective. Elle n’a pas été médiatisée comme Djamila Bouhired.
La campagne publique de dénonciation du jugement, en effet, est menée par
son avocat, Jacques Vergès*, qui cosigne, avec Georges Arnaud, l’ouvrage
pamphlétaire Pour Djamila Bouhired (1957). Cet appel public en faveur de la
condamnée s’accompagne rapidement d’autres soutiens internationaux
relayés par la presse*, mais aussi dans les arts. La figure de résistance au
féminin qu’incarne Djamila est propulsée au rang d’icône révolutionnaire à la
faveur notamment du film Djamila l’Algérienne (1958) du cinéaste Youssef
Chahine ou d’un portrait réalisé par la peintre Inji Efflatoun. Un autre procès,
celui de Djamila Boupacha*, agente de liaison du FLN, torturée et violée par
les militaires français après son arrestation en 1960, est aussi porté sur la
place publique par l’ouvrage Pour Djamila Boupacha (1962). Il est coécrit
par son avocate Gisèle Halimi* et l’écrivaine Simone de Beauvoir*, et illustré
par les peintres Robert Lapoujade et Pablo Picasso. La circulation de ces
visages et la construction de ces icônes ont permis de dénoncer massivement
ces condamnations, tout en construisant une certaine invisibilisation d’autres
actrices, qui ont œuvré, à des degrés divers, pour l’indépendance. Ce sont ces
anonymes de l’Histoire qui semblent au centre de travaux d’artistes
postcoloniales* qui révèlent les paradoxes d’une absence visible des
combattantes. Des travaux de Zineb Sedira (Gardiennes d’images, 2010), de
Nadja Makhlouf (Moudjahida. De l’invisible au visible, 2011-2014),
d’Halida Boughriet (Mémoire dans l’oubli, 2012) font resurgir d’autres
visages. Car même si cette icône Djamila a permis de donner une certaine
visibilité au rôle actif des femmes dans la lutte révolutionnaire, il n’en reste
pas moins que le regard critique porté sur cette iconisation politique de la
femme combattante révèle une référence à double tranchant. L’artiste Marwa
Arsanios, en interrogeant l’impact, dans le monde arabe, de cette icône
révolutionnaire féminine, pointe, dans son œuvre Becoming Jamila (2014), la
nécessité de dépasser certaines idoles et instrumentalisations politiques afin
de continuer à œuvrer au présent à l’émancipation politique et sociale des
femmes.
Émilie GOUDAL
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991
• El Moudjahidate. Nos héroïnes, catalogue d’exposition, musée d’Art
moderne et contemporain d’Alger, 2014 • Frantz Fanon, L’An V de la
révolution algérienne, La Découverte, 2001.

DOCKERS
Les dockers occupent une position paradoxale dans l’Algérie coloniale.
Mal payé, peu considéré, leur travail* fait fonctionner les ports, zones
stratégiques. Main-d’œuvre souvent en surnombre, facilement remplaçable à
cause du chômage urbain, elle s’est organisée et défendue grâce au
syndicalisme comme dans la longue grève* de février 1950 à Oran. Ce
syndicalisme devient également visible par le refus de charger les armes pour
la guerre d’Indochine*. Sur les quais, la CGT* est majoritaire en France, et
en Algérie, elle est massivement investie par les Algériens, mais des clivages
apparaissent. À Oran en 1953, le secrétaire Pierre Sanchez critique les
syndicalistes qui font la propagande* du MTLD. Après le 1er novembre
1954*, ceux qui quittent le MTLD pour le FLN* ne restent à la CGT devenue
Union générale des syndicats d’Algérie (UGSA-CGT) que jusqu’au début de
1956, comme Rabah Djermane, nationaliste convaincu et cadre syndical
efficace et populaire sur le port d’Alger. Après la création de l’Union
générale des travailleurs algériens* (UGTA) par le FLN en février 1956,
l’influence cégétiste persiste chez les dockers avec Driss Oudjina à Alger ou
Mohamed Boualem à Oran, bien que Djermane crée aussitôt l’UGTA sur le
port d’Alger et entraîne Brahim Miliani et une grande partie des dockers à
Oran. Pendant que des syndicalistes européens s’éloignent, comme le montre
la grève du 23 juin 1956 à Oran après l’exécution de Zabana*, la grande
masse des dockers algériens participe aux grèves patriotiques de 1956 malgré
l’arrestation de Djermane, interné et torturé. Pendant la grève des huit jours*,
le port ne reprend qu’avec les requis amenés de force par les parachutistes*.
En France, les actions des dockers sont plus irrégulières et moins tenaces que
lors de la guerre d’Indochine, surtout sur le port de Marseille* tenu par les
forces de l’ordre. En Algérie, les dockers sont la cible de la terreur de l’OAS*
après le cessez-le-feu. Sur le port d’Alger, une voiture piégée placée près du
centre d’embauche fait 63 morts et 110 blessés le 2 mai 1962.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Ahmed Abid, « Mouvement syndical et luttes sociales en Oranie,
1942-1951 », thèse de 3e cycle d’histoire sous la dir. de R. Gallissot, Paris-7,
1985 • Nora Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question
nationale. 1919-1954, thèse de doctorat d’État, Alger, OPU, 2005 • Anissa
Bouayed, « La CGT et la guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle d’histoire sous
la dir. de J. Couland, Paris-7, 1985.

DOUBLE COLLÈGE
L’organisation des scrutins distingue schématiquement deux collèges :
Français pleinement citoyens et « musulmans », Français de nationalité* mais
à la citoyenneté limitée. La minorité coloniale est ainsi surreprésentée.
L’Assemblée algérienne* créée en 1947, par exemple, prévoit 60 élus pour
chaque collège alors qu’à cette date les Français sont près de 1 million, les
Algériens près de 8 millions.
Les représentants des Français d’Algérie, nationaux (députés et sénateurs)
et locaux (maires*, conseillers généraux, etc.), ont constamment lutté contre
toute réforme. En 1936-1937, ils font échouer le projet « Blum-Viollette »
qui prévoit d’intégrer dans le premier collège certaines catégories de
« musulmans » : anciens gradés, diplômés du secondaire et du supérieur,
certains fonctionnaires et élus locaux… Environ vingt-cinq mille hommes
auraient pu bénéficier de ce projet mais les élus des Français d’Algérie
arguent qu’avec la croissance démographique, les catégories désignées
risquent d’augmenter, et avec elles le nombre de « musulmans » inscrits dans
le premier collège. Ils renouvellent l’argument contre l’ordonnance du 7 mars
1944. Celle-ci est censée répondre au « Manifeste du peuple algérien », porté
par Ferhat Abbas* : le manifeste plaide pour une République algérienne
fondée sur l’égalité politique. Loin de satisfaire ce principe élémentaire,
l’ordonnance reprend le procédé du projet Blum-Viollette distinguant des
catégories admises dans le premier collège. Soixante-cinq mille
« musulmans » sont potentiellement concernés, cette fois. Que l’inégalité
perdure fondamentalement n’empêche pas les partisans du statu quo colonial
de dénoncer ce soi-disant « collège mixte ». Les femmes* dites alors
« musulmanes », en outre, sont écartées du droit de vote et de l’éligibilité
auxquels les citoyennes françaises accèdent au même moment.
Après 1954, les discriminations frappant les « musulmanes », d’une part,
le collège unique d’électeurs, d’autre part, sont régulièrement débattues. Elles
ne prennent fin qu’en 1958. En février, une loi établit enfin l’égalité entre
femmes, et en juin, c’est le collège unique qu’annonce de Gaulle* après son
célèbre « Je vous ai compris ! ». « Il n’y a que des Français à part entière, des
Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs »,
poursuit-il. Comment croire pourtant que le cours de l’histoire se joue encore
dans les urnes ? Jamais les Algériens n’ont pu se faire entendre par la voie
démocratique.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II,
1871-1954, PUF, 1979.
DRAPEAU ALGÉRIEN
Soixante ans après l’indépendance du pays, les conditions dans lesquelles
a été créé le drapeau algérien (fond vert et blanc, et au milieu un croissant et
une étoile rouges) font toujours l’objet de débats et de disputes en Algérie.
Les différents travaux et prises de position sur le sujet peinent encore à
apporter des réponses qui consacreraient dans le marbre de l’histoire l’origine
de la naissance du drapeau national et officiel.
En effet, deux versions s’affrontent. La première associe le drapeau à la
militante nationaliste Émilie Busquant, épouse de Messali Hadj*. La seconde
reconnaît la paternité de l’emblème national à Chawki Mostefaï, membre de
la direction du PPA*. Le conflit porte essentiellement sur deux points. Qui
est le concepteur du drapeau national actuel et à quelle période a-t-il été
créé ? Chawki Mostefaï affirme qu’en 1945, le parti voulait participer aux
festivités de la fin du nazisme et ne retrouvait pas le drapeau avec lequel
Messali avait défilé en 1937. Le parti l’a alors chargé avec Hocine Asselah,
Chadli El Mekki de confectionner un autre. C’est finalement son modèle qui
a été avalisé par la direction du PPA. Pour Chawki Mostefaï, le drapeau
réalisé par Émilie Busquant (entre 1934 et 1935) était différent de celui de
1945. Il s’agissait d’un emblème vert avec, dans le coin gauche, un carré
blanc dans lequel il y a un croissant et une étoile.
Il convient de rappeler que ces deux modèles ne sont pas les seuls en
Algérie durant cette période ; une profusion d’étendards, drapeaux et
emblèmes ont coexisté, qu’ils soient politiques, religieux, sportifs ou autre.
Cependant, un fait est attesté historiquement, le drapeau avec les trois
couleurs, le croissant et l’étoile est devenu un des symboles du PPA et qu’il a
participé au rituel d’adhésion au parti. Son statut sera encore plus important
après les massacres du Nord-Constantinois de 1945, à la suite notamment de
la mort le 8 mai à Sétif de Bouzid Saâl, abattu l’emblème à la main. Durant la
guerre de libération nationale, le FLN* s’approprie le drapeau du PPA-
MTLD dans les maquis et les bases de l’ALN* au Maroc* et en Tunisie* où
les moudjahidines* procèdent quotidiennement à la levée des couleurs. Le
19 septembre 1958 au Caire, on peut voir trôner dans la photo du premier
GPRA* un impressionnant drapeau aux couleurs de la révolution algérienne.
En décembre 1960, l’emblème du FLN est brandi dans les manifestations*
des grandes villes du pays. Enfin, à l’indépendance en juillet 1962, le drapeau
flotte partout et constitue désormais le marqueur de la souveraineté nationale.
Aujourd’hui, le rapport des Algériens avec le drapeau national est
fusionnel, comme le hirak du 22 février 2019 en fit la démonstration.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Hafida Ameyar, « Le moudjahid Chawki Mostefaï persiste et signe :
“Le drapeau de Mme Messali n’a rien à voir avec celui de 1945” », Liberté,
2015 • Messali Hadj, Mémoires, J.-C. Lattès, 1982 • Houari Touati, Aux
origines du drapeau algérien : une histoire symbolique, Oran, Zaytūn, 2014.

DRIF, ZOHRA (NÉE EN 1934)


Elle affirme encore aujourd’hui ne pas avoir de cauchemars par rapport à
certaines décisions prises pendant la révolution, s’être portée volontaire pour
la mort, et assume pleinement la portée de ses actes.
Zohra Drif est une combattante née à Tiaret le 28 décembre 1934. Sa
famille vit à Vialar où son père est cadi. Après l’école primaire, elle poursuit
des études secondaires au lycée Fromentin d’Alger, à partir de 1947. Sa vie
de lycéenne est marquée par sa rencontre avec Samia Lakhdari* et Mimi
Bensmain, futures camarades de lutte. Ses relations avec le monde européen
lui font comprendre très tôt que la société est compartimentée de manière
inégalitaire. Elle entre à la faculté de droit en 1954, ce qui lui permet
d’approfondir ses connaissances, mais aussi de rencontrer Boualem
Oussedik, militant FLN*, qui la met en contact, en même temps que Samia
Lakhdari avec l’organisation du FLN. Avec son allure européenne et sa
parfaite maîtrise de la langue française, elle rejoint le Front et prend le
pseudonyme de Farida. Elle effectue alors différentes tâches sociales et
assure des liaisons. C’est à la fin septembre 1956 que son engagement prend
un tournant plus radical : elle est en effet versée dans les groupes armés. Elle
rejoint ainsi le groupe des poseuses de bombes avec Samia Lakhdari, Djamila
Bouhired*, Hassiba Ben Bouali*, toutes dirigées par Ali La Pointe* et Yacef
Saadi* et rencontre Larbi Ben M’hidi*. C’est elle qui dépose la bombe qui
explose au Milk-Bar. Arrêtée avec Yacef Saadi le 25 septembre 1957 à la
Casbah, elle est condamnée par contumace, en août 1958, à vingt ans de
travaux forcés par le tribunal militaire d’Alger pour « terrorisme ».
Emprisonnée en Algérie puis en France, elle y publie un témoignage* intitulé
La Mort de mes frères (1959). Elle découvre plus tard que ses rencontres
avec Germaine Tillion* jouent un rôle important : cette dernière intervient
auprès des autorités, lui évitant à elle et Yacef la torture*.
Elle est graciée et libérée en 1962. Avocate et sénatrice, elle devient vice-
présidente du Conseil de la nation. C’est par souci de mémoire et de
transmission de l’histoire de la guerre d’Algérie qu’elle écrit des livres, dont
celui qui relate ses mémoires de combattante où elle rappelle combien ses
sœurs d’armes, les militantes de la révolution et toutes les anonymes ont
transgressé bien des barrières.
Karima RAMDANI
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991
• Zohra Drif, Mémoires d’une combattante de l’ALN. Zone autonome
d’Alger, Alger, Chihab, 2013 • Natalya Vince, Our Fighting Sisters. Nation,
Memory and Gender in Algeria, 1954-2012, Manchester, Manchester
University Press, 2015.

DUCOURNAU, GÉNÉRAL PAUL (1910-1985)


Né en 1910, Paul Ducournau entre à Saint-Cyr en 1930. Sous-lieutenant
en 1932, il est affecté au 15e régiment de tirailleurs algériens à Fès. À la suite
de la défaite de 1940, il est fait prisonnier. Il réussit à s’évader, rejoint
l’Espagne en 1942 puis l’Afrique du Nord l’année suivante. Après la guerre,
il passe dans le corps des parachutistes*, au sein duquel il combat en
Indochine* à partir de 1953. Il gagne l’Algérie dès le 3 novembre 1954. Il est
envoyé dans le groupe aéroporté no 1 qui intervient dans l’Aurès, un des
foyers de l’insurrection algérienne. Le 29 novembre 1954, les paras lui
donnent le surnom de « Ducournau la foudre », lorsqu’il vient à bout d’une
bande dirigée par Krim* Belkacem. Le 18 janvier 1955, il participe à
l’opération qui voit la mort de Didouche* Mourad. Le colonel Ducournau est
ensuite nommé chef de l’état-major particulier du ministre résidant Robert
Lacoste* en mars 1956. Le 22 octobre, sur une information du lieutenant-
colonel Gardes* en poste au Maroc*, il est, en l’absence du ministre, l’un des
instigateurs du détournement* de l’appareil des dirigeants du FLN*. Solidaire
de l’action du mouvement du 13 mai 1958*, il est de ceux qui s’emploient au
retour à l’ordre. En juin, le ministre des Armées Pierre Guillaumat l’appelle à
son cabinet particulier. Le même mois, il est promu général de brigade. En
décembre, il est nommé au commandement de la 25e division parachutiste
(DP) qui participe au barrage de l’Est et relève la 10e DP* lors des
événements des barricades* en janvier 1960. En avril 1960, il est à la tête de
la 21e division d’infanterie et reçoit en même temps les pouvoirs civils sur la
zone du Sud-Est constantinois. Le putsch* d’avril 1961 le surprend alors
qu’il était en permission, mais il s’affirme respectueux de la légalité et se
refuse à participer à toutes les formes de conjuration. Général de division en
juin 1961, commandant la région territoriale et du corps d’armée de
Constantine, puis inspecteur de l’infanterie, Paul Ducournau quitte l’Algérie
en mai 1962. Pendant ce conflit, il est vu comme un général modèle par ses
chefs, tels que le général Massu*, mais aussi un rival dans la course aux
honneurs pour des colonels activistes tels que Bigeard*. Il devient général de
corps d’armée en 1963 avant d’être nommé gouverneur militaire de Metz en
1966. Il prend sa retraite en 1968. Vingt fois cité dont quinze à l’ordre de
l’armée. Il inspira à Jean Lartéguy, conjointement avec Bigeard, le
personnage du colonel Raspeguy, héros de son roman Les Centurions.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018 • Jean
Guisnel, Les Généraux. Enquête sur le pouvoir militaire en France, La
Découverte, 1990 • Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant,
Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes,
institutions, 1945-1962, L’Harmattan, 2002.

DUVAL, MGR LÉON-ÉTIENNE (1903-1996)


Né le 9 novembre 1903 à Chênex (Haute-Savoie) dans une famille
d’agriculteurs, Léon-Étienne Duval est formé au petit séminaire de La Roche-
sur-Foron, au grand séminaire d’Annecy et au Séminaire français. Ordonné
prêtre à Rome (1926), docteur en théologie (1927), il est nommé vicaire de
La Roche-sur-Foron et de Saint-Gervais (1928-1930). Il choisit ensuite
d’enseigner la théologie dogmatique au grand séminaire d’Annecy (1930-
1938) dont il est aussi l’économe (1938-1942) avant d’être nommé, en 1942,
vicaire général de Mgr Cesbron, évêque d’Annecy. Le 3 novembre 1946, il
devient évêque de Constantine et d’Hippone, alors que les émeutes du
Constantinois du printemps 1945 et leur violente répression sont dans toutes
les mémoires algériennes. Mgr Duval se démarque d’emblée des positions du
clergé et de ses fidèles d’origine européenne. Sensible à la misère et à
l’injustice que subit la population indigène, il prône l’égalité entre les
communautés et se rapproche de personnalités musulmanes et nationalistes.
En 1950, à l’occasion du cinquantenaire de l’inauguration de la basilique
Saint-Augustin à Hippone, il fait visiter l’Est algérien à Mgr Roncalli, nonce
à Paris et futur Jean XXIII (1958). Nommé archevêque d’Alger le 3 février
1954, quelques mois avant le lancement de l’insurrection algérienne, il est
d’emblée favorable à une négociation* avec les nationalistes, condamne
publiquement la torture* en janvier 1955, s’oppose à une intervention pour le
Comité de salut public en mai 1958, interdit la célébration de la messe sur les
barricades en janvier 1960, condamne le putsch* des généraux d’avril 1961 et
le terrorisme de l’OAS* autant que les violences du FLN*. Proche des
milieux progressistes d’Alger, il est perçu comme un traître par les prêtres et
les catholiques militants de l’Algérie française qui le surnomment
« Mohammed Duval ». Au printemps 1962, il assiste impuissant à la guerre
civile et à l’exode des catholiques mais décide de rester en Algérie. Il reçoit
la nationalité* algérienne en 1966. Il préside la Conférence épiscopale
d’Afrique du Nord de 1963 à 1988, est nommé cardinal en 1965, et préside le
synode de 1971. Responsable d’une église minoritaire en terre musulmane, il
est un ardent défenseur du dialogue islamo-chrétien et interreligieux, du sort
des immigrés maghrébins en France et du tiers-monde. Il démissionne en
avril 1988 à 84 ans et meurt le 30 mai 1996, à Alger, quelques jours après
l’assassinat des moines cisterciens de Tibhirine. Il est inhumé dans la
basilique Notre-Dame-d’Afrique d’Alger.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Léon-Étienne Duval, Au nom de la vérité. Algérie, 1954-1962, textes
présentés par Denis Gonzalez et André Nozière, Albin Michel, 2001 • André
Nozière, Algérie. Les chrétiens dans la guerre, Cana, 1979 • Marie-Christine
Ray, Le Cardinal Duval. Un homme d’espérance en Algérie, Cerf, 1998.
E

ÉCHO D’ALGER (L’) (1912-1961)


Fondé en 1912 par le journaliste français Étienne Baïlac (1875-1928),
L’Écho d’Alger a été racheté en 1927 par la famille Duroux, une des plus
fortunées d’Algérie, qui possédait notamment de vastes domaines viticoles et
la grande minoterie Les Moulins de l’Harrach. Le sénateur radical-socialiste
Jacques Duroux (1878-1944) puis son fils Jean (1910-1978) président aux
destinées du journal. Alain de Sérigny (1912-1986), beau-frère de Jean
Duroux, le dirige à partir de 1941.
En 1954, il est déjà le principal titre de presse* en Algérie avec des
tirages atteignant régulièrement les 20 000 exemplaires. Au début plutôt
proche de la gauche radicale-socialiste, il devient avec les manifestations et
massacres de 1945* le titre des « pieds-noirs* », fervent défenseur de
l’Algérie française. Ses tirages augmentent fortement pendant la Guerre
d’indépendance, jusqu’à 75 000 exemplaires.
L’Écho d’Alger joue un rôle important dans le retour de De Gaulle*. Le
11 mai 1958, Alain de Sérigny publie dans Dimanche matin son supplément
hebdomadaire, une lettre-éditorial suppliant ainsi de Gaulle : « Je vous en
conjure, parlez, parlez vite, mon général, vos paroles seront des actes… » Il
en appelle à la formation d’un Comité de salut public, relaye les appels à la
grève* générale et à une manifestation de masse pour le 13 mai 1958*. Ce
texte a un écho considérable en Algérie auprès des nombreux lecteurs du
journal.
Après 1958, l’évolution de De Gaulle contribue à faire passer le titre dans
l’opposition. Évoquant « L’amertume [qui] a succédé à l’enthousiasme, [et]
l’inquiétude [qui a succédé] à l’espérance », le titre écrit en avril 1960, lors
d’une visite de Michel Debré* à Alger : « Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que
depuis bientôt deux ans le pouvoir a modifié sa doctrine primitive au point de
la rendre méconnaissable. L’Algérie, monsieur le premier ministre, se sent
trompée depuis que vous n’osez plus l’appeler française. » En 1961, L’Écho
d’Alger soutient régulièrement les activistes de « l’Algérie française » et se
range derrière le putsch* des généraux. Ces positions expliquent la censure*
du journal puis le décret du 4 mai 1961 qui interdit sa publication et
l’utilisation de son titre.
François ROBINET
Bibl. : Idir Bouaboud, « L’Écho d’Alger. Cinquante ans de vie politique
française en Algérie, 1912-1961 », thèse de doctorat d’histoire sous la dir.
d’H. Lerner, Paris-12, 1998 • Jean-Pierre Guichard, De Gaulle face aux crises
1940-1968, Le Cherche Midi, 2000 • Gilles Kraemer, Trois Siècles de presse
francophone dans le monde. Hors de France, de Belgique, de Suisse et du
Québec, L’Harmattan, 1995.

ÉCOLES
Les écoles arabes privées étaient nombreuses avant la conquête, car elles
étaient entretenues par des fondations pieuses inaliénables, les habous. La
plupart étaient vouées à l’apprentissage du Coran. Certaines enseignaient des
disciplines religieuses et juridiques de niveau plus élevé, destiné à la
formation du personnel religieux et judiciaire. Gravement affaibli par la
confiscation des biens habous durant la conquête, ce système scolaire fut
développé à partir de 1925 par une association privée, l’Association des
ulémas, dont les fondateurs avaient étudié en arabe dans les universités
traditionnelles de Fez, Tunis, Le Caire, Damas, ou Médine. Cette association
animait en 1955 un réseau composé de nombreuses médersas (écoles)
primaires, d’un collège secondaire (l’institut Ben Badis de Constantine), et de
bourses pour les universités islamiques étrangères. Les nombres d’élèves,
d’étudiants* et de maîtres restaient nettement inférieurs à ceux des
établissements français. L’enseignement reçu, mêlant de plus en plus la
religion et la politique, fit de ces écoles un moyen de diffusion du
nationalisme* algérien.
Simultanément, la France avait tenté de modifier l’état d’esprit des
masses musulmanes, en laissant dépérir l’enseignement islamique
traditionnel entretenu par les revenus des biens habous et en créant des écoles
« arabes-françaises » bilingues, puis des « écoles indigènes » adaptées à leur
public, mais inspirées de l’enseignement primaire français. En 1880, Jules
Ferry fit étendre l’obligation scolaire à l’Algérie, mais sans succès pour ce
qui concerne les enfants indigènes, car cet enseignement destiné aux classes
populaires ne toucha qu’un petit nombre, vivant principalement dans les
villes ou dans les régions rurales à l’habitat groupé. D’abord bilingue franco-
arabe pour s’adapter au public urbain sous le Second Empire, il fut ensuite
organisé dans une structure adaptée pour assurer l’apprentissage préalable du
français afin d’en faire le véhicule de tous les autres contenus. De 1892 à
1948, l’enseignement primaire fut donc divisé en deux branches :
l’enseignement A, entièrement conforme aux normes métropolitaines, et
l’enseignement B, spécial aux indigènes, qui organisait méthodiquement
l’enseignement du français pour servir de véhicule à tous les autres
enseignements, ce qui rallongeait la scolarité d’un an. Mais le niveau des
études n’était pas inférieur à celui de l’enseignement A, et des élèves
indigènes y ont toujours été admis.
L’enseignement français ne profita longtemps qu’à une étroite minorité,
d’une part, parce qu’il se heurtait à la peur de perdre la religion et la langue
des ancêtres et, d’autre part, parce qu’il était loin d’être jugé aussi important
et urgent que la scolarisation des enfants des citoyens français à part entière :
5 % des enfants indigènes d’âge scolaire y étaient scolarisés en 1914, 10 %
en 1950, 15 % en 1955, malgré le plan de scolarisation accélérée adopté par
le Comité français de libération nationale en 1944. D’après le recensement de
1954, 13,7 % des musulmans de plus de 10 ans savaient lire et écrire. Parmi
ceux-ci, 55 % étaient lettrés en français, 25 % en arabe, et 20 % bilingues.
D’après celui de 1948, dans la population autochtone en Algérie, 15,3 % des
hommes et 6,2 % des femmes parlaient le français, mais seulement 5,9 % des
hommes et 1,6 % des femmes savaient l’écrire.
Les autorités françaises avaient pourtant compris la nécessité de
s’appuyer sur les classes dirigeantes pour gouverner les masses indigènes.
Après avoir tenté de s’accommoder les élites traditionnelles militaires et
religieuses, elles créèrent de nouvelles élites adaptées à leur rôle
d’intermédiaires : sous-officiers* et officiers* des troupes indigènes,
personnels du culte musulman et de la justice musulmane formés dans les
trois médersas officielles d’Alger, Oran et Constantine depuis 1850
(transformées un siècle plus tard en lycées franco-musulmans, préparant leurs
élèves au baccalauréat), instituteurs issus de l’École normale d’Alger (1865)
puis de celle de la Bouzareah depuis 1887, auxiliaires médicaux instruits à
l’École supérieure puis à la faculté de médecine d’Alger depuis 1906. Dans
un deuxième temps, les enfants de ces cadres intermédiaires bénéficièrent de
la même formation que ceux des classes dirigeantes françaises dans
l’enseignement secondaire et supérieur, qui les préparait aux mêmes
fonctions (sous réserve de « naturalisation » pour les fonctions publiques
d’autorité jusqu’en 1944). Ils furent longtemps beaucoup moins nombreux
que les étudiants français à part entière qui restèrent très largement
majoritaires à l’université d’Alger* (où les étudiants musulmans
représentaient le plus souvent moins de 10 % des étudiants inscrits avant
1952). Les élites de niveau supérieur étaient donc particulièrement
restreintes : 80 bacheliers dans l’académie d’Alger jusqu’en 1915, un millier
d’étudiants en Algérie et en France en 1954, et quelques centaines de
diplômés des facultés (très peu des grandes écoles). Et l’enseignement reçu,
de type français, tendait à les éloigner de leur peuple d’origine qui n’en
bénéficiait pas.
Toutefois, après le déclenchement de la Guerre d’indépendance, le FLN*
ordonne le boycott* des écoles et les étudiants algériens font la grève* des
cours et des examens à partir du 19 mai 1956, une partie d’entre eux montant
alors au maquis. Ce faisant, le FLN cherche à contrôler davantage la
population algérienne en sanctionnant au besoin les personnes ne respectant
pas ses directives, tout en montrant aux autorités françaises sa puissance et
son assise populaire. Dans les maquis, certains cadres de l’ALN* sont
cependant défiants vis-à-vis des anciens étudiants algériens, victimes d’anti-
intellectualisme. C’est en particulier le cas du colonel Amirouche*, victime
de la « bleuïte* » et qui, par crainte de présence de traîtres au sein de ses
rangs, exécute de nombreux combattants dont des anciens étudiants. Pourtant
ceux-ci peuvent s’avérer bien utiles, notamment ceux en médecine qui
officient dans les hôpitaux clandestins de l’ALN. D’autres étudiants sont
progressivement envoyés à l’étranger (notamment en RDA*) pour devenir les
futurs cadres de l’Algérie indépendante, et sont syndiqués au sein de
l’Ugema*.
Parallèlement, les autorités françaises mettent en place un important plan
de scolarisation pour tenter de juguler l’analphabétisme et la misère dans la
société algérienne. C’est le constat qu’effectue Germaine Tillion* en 1955, ce
qui entraîne la mise en place des centres sociaux éducatifs* (CSE). Ceux-ci
contribuent en effet à donner « une éducation de base aux éléments masculins
et féminins » qui vivent dans les situations les plus dramatiques. Par ailleurs,
l’armée française crée aussi de nombreuses écoles dans le cadre de la
politique de pacification*, avec les sections administratives spécialisées*
(SAS). Enfin, des instituteurs sont également recrutés dans le cadre du plan
de scolarisation mis en place à partir de décembre 1958. Tout cela permet de
scolariser un enfant algérien sur deux en 1960. Les disparités matérielles sont
cependant très importantes. Le FLN est au départ très réticent vis-à-vis de la
politique de scolarisation française – jusqu’à tuer des instituteurs –, mais il
laisse ensuite faire, sachant l’indépendance arriver. Il organise aussi un
système d’enseignement pour les enfants réfugiés* en Tunisie* et au Maroc*.
Le système scolaire est totalement bouleversé en 1962. Le 15 mars, six
inspecteurs des CSE sont assassinés par l’OAS*. Les départs des Français
d’Algérie, parmi lesquels de nombreux enseignants, entraînent la fermeture
des écoles en avril 1962. Des « pieds-rouges* » anticolonialistes* deviennent
enseignants à la rentrée 1962. D’autres arrivent ou reviennent dans le cadre
de la coopération* : ils représentent alors plus de la moitié des 15 000
coopérants. Leur nombre décroît progressivement.
Guy PERVILLÉ
Bibl. : Guy Pervillé, Les Étudiants algériens de l’Université française, 1881-
1962, Éditions du CNRS, 1984.

ÉDITION, ÉDITEURS
En France, l’édition tarde à se démarquer d’une opinion* acquise à
l’Algérie française. Comme la presse*, elle affronte les saisies mais aussi la
censure* du marché : dénoncer la guerre peut faire perdre des lecteurs. Les
« événements algériens » sont d’abord l’apanage des revues* et des journaux,
outre quelques livres, comme L’Afrique du Nord en marche de Charles-
André Julien (Julliard, 1952), ou L’Algérie hors-la-loi de Colette et Francis
Jeanson* (Seuil, 1955). Loin de l’opposition à la guerre, les best-sellers de
l’époque sont les romans de Jean Lartéguy, tels Les Centurions (Presses de la
Cité, 1960).
Face à la censure, un « front éditorial » (Nils Andersson) se constitue
autour des Éditions de Minuit, rejointes par François Maspero* et quelques
autres (Présence africaine, Pierre-Jean Oswald, La Petite Collection
républicaine des éditeurs français réunis du parti communiste, Robert
Morel…). Les textes et les auteurs circulent par ailleurs, notamment autour
des périodiques Témoignages et Documents, de Vérité-Liberté, ou encore de
Vérités pour, l’organe du réseau Jeanson. Avec la presse, ils se relaient
efficacement pour faire pièce à la raison d’État (Pierre Vidal-Naquet*), dans
un contexte de monopole sur les médias audiovisuels de l’ORTF*.
L’importance des textes partisans de l’Algérie française ne doit cependant
pas être ignorée. Ils impliquent les éditeurs de droite comme Plon (La
Révolution du 13 mai d’Alain de Sérigny en 1958, peu avant le rachat de la
maison par le groupe de La Cité) ou La Table ronde (Jean Brune, Cette haine
qui ressemble à l’amour, 1962). Parmi les titres : Raoul Girardet, Pour le
tombeau d’un capitaine (L’Esprit nouveau, 1962), ou Jacques Soustelle*,
L’Espérance trahie (L’Alma, 1962). La censure à leur encontre ne se dément
pas après la guerre. Une multitude d’éditions clandestines circulent sous le
manteau, côtoient L’Histoire de l’OAS de Jean-Jacques Susini* (1963) ou
Plaidoyer pour un frère fusillé de Gabriel Bastien-Thiry (1967), tous deux à
La Table ronde.
Chronologiquement, les affaires font rupture en 1957. La guerre « entre
en librairie » (Nicolas Hubert). Avec notamment Contre la torture de Pierre-
Henri Simon (Seuil) et Pour Djamila Bouhired (Minuit), le livre fait « ce que
la presse ne pouvait pas faire » (Jérôme Lindon*). Si la saisie d’un organe de
presse frappe d’interdit comme de désuétude le numéro confisqué, la
diffusion d’un livre au contraire demeure possible. Un livre saisi acquiert un
statut symbolique lui permettant d’espérer une solidarité internationale. Le
livre est alors très réactif sur l’actualité : Ratonnades à Paris de Paulette Péju
(Maspero) paraît un mois et demi après le 17 octobre 1961*, avec les photos
de Kagan*, en dépit de sa saisie chez l’imprimeur. Cette urgence explique le
format des volumes : souvent autour d’une centaine de pages, comme une
brochure. Cas particulier, La Pacification (La Cité), inventaire de tortures et
d’exactions, est transformée par la « Main rouge », soit le SDECE*, en colis
piégé ; le Pr Laperche, favorable à l’indépendance, est tué en ouvrant son
exemplaire à Liège le 25 mars 1960. Rudes, les saisies font reculer de
nombreux éditeurs, même si elles ne débouchent pas sur des procès, car les
autorités en redoutent la publicité. Seul Le Déserteur de Maurienne (Minuit),
sous-titré « roman », finit par une condamnation. Les opposants à la guerre
publient en outre des comptes rendus de procès car ceux-ci ne peuvent pas
être poursuivis (Georges Arnaud, Mon procès, Minuit ou Le Procès de
l’insoumission, Maspero). La pratique est reprise en miroir pour le Procès
Raoul Salan (Albin Michel, 1962).
Les maisons qui « sauvèrent l’honneur de l’édition française » (Jean-
Yves Mollier) s’attellent à trois tâches : documenter par des témoignages* les
violences de la guerre ; faire écho à la lutte de libération algérienne (Le Front
de Robert Davezies*, L’An V de la révolution algérienne de Frantz Fanon*,
La Révolution algérienne par les textes d’André Mandouze*, chez Maspero) ;
relayer la parole des jeunes du contingent confrontés au choix de conscience,
et celle des membres des réseaux de soutien ou insoumis et déserteurs,
poursuivis et stigmatisés. Décisive, 1958 voit l’avènement d’une nouvelle
édition politique, dénonçant la torture* et les disparitions* : La Question,
d’Henri Alleg* et L’Affaire Audin, de Pierre Vidal-Naquet (Minuit), Le Sang
de Bandoeng (Présence africaine) par la Fédération des étudiants d’Afrique
noire en France. La Question illustre la solidarité internationale contre les
saisies : rééditée par La Cité éditeur de Nils Andersson, devenu le relais des
éditeurs français avec les éditions Feltrinelli à Milan, elle est traduite en dix-
neuf langues. Le cloisonnement des lectorats (droite/gauche) va croissant.
Des éditeurs comme Minuit et Julliard essaient de le contourner, en proposant
un éventail des convictions et en convoquant des autorités morales pour
l’époque : écrivains (Vladimir Pozner, Le Lieu du supplice, ou Jules Roy*, La
Guerre d’Algérie, 1960, tous deux chez Julliard), sous-officiers* (Jean-
Jacques Servan-Schreiber*, Lieutenant en Algérie, Julliard, 1957 ou Philippe
Héduy Au lieutenant des Taglaïts à La Table ronde, 1960), officiers* (Roger
Trinquier*, La Guerre moderne à La Table ronde, Georges Buis*, La Grotte,
chez Julliard, tous deux en 1961) et autres (Louis Martin-Chauffier,
L’Examen des consciences, Julliard, 1961). Les attentats de l’OAS* visent
maisons d’éditions et librairies, éditeurs et écrivains.
La production éditoriale comprend des documents, dont la collection du
même nom chez Minuit, des essais avec notamment Les Damnés de la terre
de Frantz Fanon (Maspero, 1961). De nombreux romans sont aussi publiés,
même si Anne Simonin note l’absence d’un « grand roman contemporain ».
La guerre complique la réception des romans maghrébins chez les éditeurs
français. La collection Méditerranée d’Emmanuel Roblès au Seuil perd des
auteurs, tel Mouloud Feraoun*, assassiné par l’OAS, tandis que s’affirme une
nouvelle génération* (Kateb* Yacine au Seuil, Assia Djebar chez Julliard, ou
Malek Haddad chez Maspero). Se manifeste également le retour d’une poésie
engagée, à la fois française et algérienne, très en écho aux poètes résistants de
la Seconde Guerre mondiale.
En 1960-1962, avec l’insoumission et la désertion (Le Refus de Maurice
Maschino* chez Maspero, Le Déserteur de Maurienne et Le Désert à l’aube
de Noël Favrelière* chez Minuit), les positions se radicalisent encore. La
production littéraire se fait plus massive. Les petites structures militantes
influent sur la politique éditoriale des maisons généralistes. Elles rejoignent
les dénonciations, tel Gallimard avec Djamila Boupacha de Simone de
Beauvoir* et de Gisèle Halimi* (1962). Maspero publie Le Peuple algérien et
la guerre. Lettres et témoignages de Patrick Kessel et Giovanni Pirelli, qui
regroupe une documentation exceptionnelle. Les Éditions sociales sortent Le
Camp d’Abdelhamid Benzine*.
L’édition française sort profondément transformée de la décolonisation :
portés par le dynamisme des revues, de nouveaux « éditeurs protagonistes »
se font les vecteurs d’une politisation radicale qui annonce à sa manière
Mai 68 dans une interaction des collections d’essais, de documents et de
littérature*, mais encore sous la forme d’une avant-garde, loin du marché du
livre politique bientôt investi par tous les grands éditeurs.
Julien HAGE
Bibl. : Catherine Brun (dir.), Guerre d’Algérie. Les mots pour la dire,
Éditions du CNRS, 2014 • Nicolas Hubert, Éditeurs et éditions pendant la
guerre d’Algérie, 1954-1962, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012 •
François Vallotton (dir.), Livre et militantisme. La Cité éditeur, 1958-1967,
Lausanne, Éditions d’en bas, 2007.

ÉGYPTE
L’Égypte nassérienne a joué un rôle primordial durant la guerre de
libération nationale. C’est du Caire que l’appel du 1er novembre 1954*
annonçant la constitution du FLN* et de l’ALN* est proclamé. C’est
également dans ce pays que le commando qui a réussi l’expédition du
« Dina » a été formé et instruit militairement. Cette audacieuse opération a
permis la relance de la guerre, en Oranie où des quantités importantes
d’armes ont pu être acheminées du Nador (Maroc espagnol) au début de
l’année 1955. Ce soutien politique, diplomatique et militaire est consolidé par
l’ouverture des services d’information et de propagande* de la radio*
du Caire « Sawt El Arab ».
C’est également dans la capitale égyptienne que le FLN installe dès le
début de la guerre sa délégation extérieure constituée d’Ahmed Ben Bella*,
Hocine Aït Ahmed* et Mohamed Benyoucef Khider*.
Toutefois, cet appui ne sera pas sans conséquence. Aussi la
nationalisation par Gamal Abdel Nasser du canal de Suez et l’exacerbation
des tensions entre les deux blocs Est et Ouest (guerre froide*) est l’occasion
pour le gouvernement français de s’associer avec l’Angleterre et Israël* de
lancer l’expédition contre Suez* le 29 octobre 1956.
C’est au Caire aussi que le FLN organise la première session de son
parlement (CNRA*) en août 1957, là où les principes consacrés au congrès
de la Soummam*, un an auparavant, en l’occurrence la primauté du politique
sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, sont remis en cause et
abandonnés. Enfin, le 19 septembre 1958, du Caire toujours, le FLN annonce
la création du GPRA*.
Cette relation, qui semblait solide, va cependant être profondément
bouleversée à plusieurs reprises. Les raisons sont à rechercher, dans l’attitude
du gouvernement égyptien envers une révolution algérienne de plus en plus
reconnue à l’international, mais aussi dans la recomposition des dirigeants du
FLN, à la suite de l’emprisonnement en octobre 1956 de Ben Bella et ses
compagnons.
Perdant progressivement son influence sur le FLN et récusant la
composition du GPRA, l’Égypte s’est trouvée impliquée, à tort ou à raison,
dans le complot Lamouri* à l’automne 1958. Il s’agit d’une tentative de
renversement du Gouvernement nouvellement installé. L’affaire est assez
grave pour que le FLN quitte Le Caire pour s’installer à Tunis jusqu’à
l’indépendance. Dorénavant, les sessions du CNRA seront organisées à
Tripoli en Libye et non au Caire.
Il faut attendre la signature des accords d’Évian* le 18 mars 1962 et la
libération des chefs historiques pour que l’Égypte retrouve sa place au sein
du FLN. À leur sortie de prison*, Ben Bella a exigé que la première visite
officielle des chefs historiques libérés se fasse au Caire, en reconnaissance
des sacrifices de l’Égypte au profit de l’Algérie combattante. Cela ne se fera
pas, mais n’empêche pas Le Caire de s’impliquer fortement dans le processus
de transition que le pays vit jusqu’à l’élection de l’assemblée nationale le
20 septembre 1962 et de s’ingérer dans les affaires du pays, tout comme le
feront la Tunisie*, le Maroc* et la France. D’abord Nasser apporte un soutien
politique clair et sans conditions à Ben Bella et ses partisans au cours de la
« crise de l’été 1962* », à l’origine de l’implosion du FLN à la session
extraordinaire du CNRA de Tripoli* de mai-juin. Ensuite, Nasser contribue à
renforcer l’armement des troupes de l’EMG* stationnées aux frontières,
armement qui sera utilisé au mois de septembre 1962, lors de la marche sur
Alger et contre les maquisards des Wilayas 3* et 4*. Le bilan des
affrontements fratricides s’élève à des centaines de victimes.
Sous Ben Bella, les relations entre l’Algérie et l’Égypte nassérienne sont
à leur apogée. La promotion et la défense du projet et de la vision
panarabistes consolident ces rapports. Fervent et sincère admirateur de
Nasser, Ben Bella ne dissimule pas sa volonté d’arrimer le pays au projet
d’un « Grand Monde arabe » dont l’Égypte serait le leader.
En conclusion, ni l’ambition de former un puissant ensemble régional
politique et idéologique avec l’Égypte ni l’important soutien de Nasser à son
régime n’ont pu empêcher la fin brutale de Ben Bella. La realpolitik a fini par
s’imposer le 19 juin 1965 lorsque le segment le plus organisé de l’Algérie, à
savoir l’armée, a pris le pouvoir sans que Nasser et son pays l’Égypte ne
puissent intervenir ou protéger Ben Bella. Le premier président de la
République algérienne passera de longues années en prison. Son projet d’une
Algérie liée à l’Égypte n’aura duré que le temps des chimères et d’une naïve
croyance en un romantisme révolutionnaire, détaché de la réalité politique et
anthropologique de la société algérienne et de son histoire sur la longue
durée.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Fathi Al Dib, Abdel Nasser et la révolution algérienne, L’Harmattan,
1985 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Amar Mohand-Amer, « La crise du FLN de l’été 1962 : indépendance
et enjeux de pouvoirs », thèse de doctorat sous la dir. d’O. Carlier, Paris-7,
2010.

EL IBRAHIMI, MOHAMED EL BACHIR (1889-


1965)
À la disparition de Abdelhamid Ben Badis en 1940, Bachir El Ibrahimi
(1889-1965) se trouve en surveillance surveillée à Aflou. Dès sa libération en
1943, la présidence de l’Association des ulémas musulmans algériens lui
revient naturellement. Dans El Bassaïr, organe de l’Association, il consacre
une grande partie de ses écrits à la critique de la politique coloniale de la
France et à soutenir l’effort de scolarisation dans les médersas. Il soutient en
1943 le « Manifeste du peuple algérien », élaboré par Ferhat Abbas* dont il
est très proche. À la suite des événements de mai 1945, il est emprisonné dix
mois, jusqu’en mars 1946.
Bien des reproches lui ont été faits de ne pas avoir soutenu la révolution
algérienne à ses débuts. En réalité, il lit plusieurs déclarations à la radio* La
Voix des Arabes dont la plus importante, cosignée par Fodil Warthilani, date
du 15 novembre 1954. L’appel à la lutte armée s’impose à tous et ne laisse
d’autres choix que la mort dans la dignité plutôt « qu’une vie dans la
servitude ». Il est vrai qu’aucune référence au FLN* n’est faite et cette prise
de position ne sera pas publiée telle quelle, en Algérie, dans El Bassaïr, sans
doute pour préserver l’Association d’une interdiction par l’administration
française.
Au mois de février 1955, il participe, sous l’impulsion de Fethi Dib, chef
des services de sécurité égyptiens, à la création du Front de libération
algérien censé unifier toutes les tendances nationalistes, soit les messalistes,
les partisans de Ferhat Abbas, les ulémas et le FLN. Cette initiative échoue en
raison du désir des uns et des autres de garder leur autonomie politique. Ce
refus est mal apprécié par le FLN, autant que le rapprochement entre El
Ibrahimi et les messalistes.
Ce n’est qu’après la venue au Caire de Abbas Bencheikh El Hocine,
dépêché par Abane* Ramdane, qu’il donne son aval à la tenue à Alger de
l’assemblée générale de l’Association, les 7 et 8 janvier 1956, qui reconnaît la
légitimité du FLN. Dès lors, El Ibrahimi partage son temps en visites aux
pays musulmans où il défend la cause algérienne et l’Académie de langue
arabe du Caire dont il est membre depuis 1957. Ce chef de file des
réformistes est en effet un fin lettré reconnu par ses pairs.
Il rejoint Alger à l’indépendance, occupe le poste de conseiller au
ministère des Affaires religieuses avant de déclarer son opposition à l’option
socialiste de Ben Bella*. Il finit ses jours en résidence surveillée.
Belkacem BENZENINE
Bibl. : Muhammad al-Bachir al-Ibrahimi, Athar al-Imam Muhammad al-
Bachir al-Ibrahimi, t. V, 1954-1964, Beyrouth, Dar al-gharb al-islami, 1997 •
Charlotte Courreye, L’Algérie des oulémas. Une histoire de l’Algérie
contemporaine (1931-1991), Éditions de la Sorbonne, 2020.

EL KHATTABI, ABDELKRIM (1882-1963)


Son nom est rattaché à la résistance du Rif dirigée contre la double
présence française et espagnole. Battu, il est exilé durant vingt ans de 1926 à
1947, à l’île de la Réunion. Autorisé à s’installer à Marseille*, il profite d’une
escale du bateau à Suez le 31 mai 1947 pour demander l’asile au roi Farouk
d’Égypte*.
Désormais, c’est à partir du Caire où il s’installe qu’il reprend contact
avec les nationalistes maghrébins. Fort de son prestige de résistant, il crée le
9 décembre 1947, avec leur concours, un Comité de libération du Maghreb
arabe qu’il présidera. Dans le Manifeste du 5 janvier 1948, Abdelkrim précise
les objectifs à réaliser : unifier l’action politique des partis nationalistes et
préparer la lutte armée. C’est dans cette perspective qu’il envoie plusieurs
étudiants* maghrébins se former dans les académies militaires de l’Irak et de
la Syrie. Ces derniers donneront naissance aux commandos* nord-africains
composés de volontaires qui vont suivre des entraînements militaires dans les
camps ouverts en Égypte et Libye.
L’historiographie a retenu les noms de deux officiers marocains
Mohamed Ben Hamadi dit El Riffi et El Hachemi Taoud, formés en Irak, qui
ont assuré l’instruction militaire des commandos nord-africains. Le
12 novembre 1954, Hamadi El Riffi arrive dans les maquis de Kabylie mais il
est arrêté le 26 février 1955 lors d’un affrontement avec les gendarmes. Ses
aveux confortent la thèse de l’implication de l’Égypte dans l’insurrection
algérienne. El Riffi est condamné à mort le 29 janvier 1957 et exécuté alors
que de nombreux volontaires rejoignent les maquis algériens.
En réalité, l’armée de libération du Maghreb ne verra pas le jour,
supplantée par le choix des leaders du Maroc* et de la Tunisie* plus
favorables à une solution négociée avec la France.
Cependant, le 15 juillet 1955, Mohamed Boudiaf* et des résistants
marocains créent le Comité de coordination des armées de libération du
Maghreb (CCALM), à Nador. Cette tentative de rassembler les efforts des
deux résistances algérienne et marocaine est mise en échec par l’accès de la
Tunisie (juin 1955) puis du Maroc (mars 1956) à l’indépendance. C’est la fin
du rêve nourri par les fondateurs de l’Étoile nord-africaine, réactivé par
Abdelkrim El Khattabi en vue d’une démarche unitaire pour la libération des
trois pays du Maghreb.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : René Gallissot, Le Maghreb de traverse, Saint-Denis, Éditions
Bouchène, 2000 • Menouar Merrouche, « Sur le mouvement étudiant algérien
au Caire », in Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN. Documents et
histoire, 1954-1962, Fayard, 2004 • Naqd, hors-série no 5, Abdelkrim El
Khattabi et la libération du Maghreb (1921-2021), 2021.

EL MADANI, AHMED TEWFIK (1899-1983)


Ahmed Tewfik El Madani est l’un des rares écrivains et ulémas algériens
à avoir laissé une biographie complète de son parcours de militant et
d’homme engagé pour la cause de son peuple. Son œuvre « donne
d’importantes indications sur la construction du savoir anticolonialiste et de
la nation comme catégorie en Algérie » (McDougall, 2002, p. 97). Elle
s’inscrit, comme celles de Moubarak El Mili, dans la ligne de pensée des
ulémas pour « sauvegarder » la personnalité arabo-musulmane.
Né à Tunis en 1899 d’une famille algérienne, il s’engage dans le combat
anticolonial de son pays d’adoption. Il est membre fondateur du parti le
Destour. À cause de ses activités politiques, il est exilé en Algérie et devient
« l’un des personnages qui contribuèrent le plus activement à l’élaboration du
nationalisme* algérien au cours de l’entre-deux-guerres » (Merad, 1967,
p. 116). Il adhère à la création de l’Association des ulémas musulmans
algériens (AUMA) dont il assure le secrétariat. Ses qualités d’orateur et
d’écrivain font sa réputation. Il se rapproche en même temps des
organisations politiques et joue un rôle important dans la création du Front
algérien pour la défense et le respect de la liberté (FADRL, 1951). En 1954, il
figure dans la délégation algérienne qui présente au président du Conseil
français un cahier des revendications pour les droits et les devoirs dans le
cadre de la démocratie française.
Au lendemain du 1er novembre 1954*, ses écrits demeurent modérés tout
en rappelant les « épreuves du peuple algérien et sa misère » et les
« difficultés que rencontrent l’AUMA et son organe El Bassaïr ».
In fine, c’est lui qui a été chargé de la rédaction du communiqué de
l’AUMA qui annonce son ralliement à la lutte du peuple algérien
(janvier 1957).
En mars 1957, à la demande d’Abane* Ramdane, il regagne Le Caire ; il
est chargé des relations avec les pays arabes, puis membre du CCE*, avant
d’être nommé, en septembre 1958, ministre des Affaires culturelles dans le
premier GPRA*, présidé par Ferhat Abbas*.
Le troisième tome de ses mémoires, Hayat kifah (Une vie de combat)
(1982), a pour sous-titre « Dans le sillage de la révolution », il apporte des
éclairages précieux sur son rôle et celui des ulémas dans la révolution
algérienne. Il se présente comme « un serviteur de la Révolution, exécutant
de ses ordres, obéissant à sa volonté ». Il tient à attirer l’attention de ses
lecteurs sur le fait que, durant la révolution, il n’a jamais pris part à aucun
complot, qu’il n’a soutenu aucun clan, n’a été impliqué dans aucune discorde,
ni de près ni de loin (p. 13-14).
À l’indépendance, il est nommé ministre des Affaires religieuses dans le
gouvernement de Ben Bella*.
Belkacem BENZENINE
Bibl. : Ahmad Tawfîq al-Madanî, Hayat kifah [Une vie de combat], t. III,
1982 • James McDougall, « “Soi-même” comme un “autre”. Les histoires
coloniales d’Ahmad Tawfîq al-Madanî (1899-1983) », Revue des mondes
musulmans et de la Méditerranée, no 95-98, 2002 • Ali Merad, Le
Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Essai d’histoire religieuse
et sociale, Mouton, 1967.

ÉLECTIONS EN ALGÉRIE (1945-1962)


Dans l’Algérie colonisée, le vote est caractérisé par l’absence de l’égalité
juridique et politique. Conformément à son article premier, le sénatus-
consulte du 16 juillet 1865 déclare que « l’indigène musulman est sujet
français, mais non citoyen français ». Cette exclusion des « indigènes » des
droits de la citoyenneté s’est traduite dans la pratique par une série de
dispositions particulières qui ont produit un clivage entre une minorité de
citoyens français et une représentation limitée de sujets français plus
communément appelés « indigènes », l’existence de deux collèges électoraux
fondés sur l’origine ethnique, l’obligation de remplir une série de conditions
pour exercer son droit de vote. Le mouvement national réformiste en fait son
cheval de bataille.
La conséquence de « cette exception algérienne » est une représentation
inégalitaire dans les différentes assemblées élues qui ne disparaît que
tardivement avec l’avènement de la Ve République*, en pleine guerre.
Cependant, une évolution est amorcée dès la fin de la Seconde Guerre
mondiale à la faveur de la promulgation de plusieurs textes. D’abord
l’ordonnance du 7 mars 1944 accorde le droit de vote à « tout musulman âgé
de 21 ans », ce qui entraîne en théorie un corps électoral élargi à 1 500 000
électeurs environ. Mais ne peuvent prétendre à un mandat électif que
certaines catégories soit quelque 50 000 capacitaires. Puis, en vue des
élections de la première Constituante, l’ordonnance et le décret du 17 août
1945 introduisent la parité de la représentation au Parlement pour les deux
collèges, égale à 15 députés pour chacun. Enfin grâce à la loi Lamine de
mai 1946 reconnaissant la citoyenneté à tous les ressortissants des colonies,
« les Algériens musulmans » jouissent désormais de la nationalité* française.
Mais le maintien des deux collèges entretient la sous-représentation des
colonisés et le contrôle de la vie politique exercé par le « parti colonial » au
sein de toutes les assemblées élues.
En dépit de ces avancées, si les nombreuses échéances électorales de la
période 1945-1954 mobilisent les partis nationalistes et leurs adhérents, elles
sont parsemées d’embûches. L’administration modifie les circonscriptions
électorales à sa guise, intervient dans la confection des listes de candidats et
exercent diverses pressions sur les bureaux de vote. Cependant, les élections
de la seconde Constituante permettent l’entrée au Parlement pour la première
fois de 5 députés pour le MTLD, 2 pour le PCA*, le reste des sièges revenant
aux « indépendants ». Aux municipales d’octobre 1947, le triomphe des listes
du parti de Messali*, à l’échelle de la plupart des centres urbains, est
accompagné de la nomination des premiers maires* algériens. Ce succès
suffit à inquiéter les élus français et à pousser l’administration à autoriser la
fraude à grande échelle lors des élections suivantes dont celles de
l’Assemblée algérienne* du 4 avril 1948. Face aux 60 élus du premier
collège, l’administration s’arrange pour débouter les candidats des listes
nationalistes au profit de ceux qu’elle a désignés dans des listes dites
« indépendantes ». Le scandale du recours au truquage électoral, auquel est
rattaché le nom du gouverneur Naegelen, interpelle plusieurs parlementaires
parisiens qui ouvrent une enquête. Mais les résultats exposés à l’Assemblée
nationale par le député Fonlupt-Esperaber n’aboutissent qu’au dépôt d’une
motion de protestation à l’Assemblée algérienne, dominée par les députés du
premier collège, au mois de juin 1949.
Par la suite, sous le gouverneur Léonard*, les consultations électorales se
déroulent selon le même procédé de la pratique de la fraude. Les partis
nationalistes perdent peu à peu leur représentation et les recours auprès du
Conseil d’État sont vains. Dans de telles conditions, il est difficile à une élite
politique d’émerger et de faire l’apprentissage des règles de la démocratie.
À la veille du 1er novembre 1954*, les assemblées élues d’Algérie sont
frappées d’un réel discrédit auprès de l’opinion* algérienne, éprouvée par
tant d’arbitraire. Les esprits les plus éclairés et les plus modérés sont
profondément ulcérés par « le temps du mépris » (Ahmed Boumendjel*).
Quand Soustelle* arrive en février 1955, il ne manque pas de déplorer les
élections préfabriquées et la désignation d’élus « le plus souvent illettrés ».
C’est donc dans un contexte de guerre qu’une politique d’assimilation va être
envisagée. Elle échoit à Robert Lacoste*, ministre résidant en Algérie au
début de 1956 qui est chargé de l’appliquer. Mais le retrait des élus algériens
entraîne la dissolution des assemblées élues et la suspension des élections.
Le retour du général de Gaulle* permet de renouer avec le système
électoral interrompu depuis 1956. La grande nouveauté est la fin du système
de représentation inégale, l’instauration du collège unique et la représentation
proportionnelle à l’importance de chacune des deux populations. Dans ses
premiers discours, de Gaulle, considérant « la voix des fusils stérile », exclut
le FLN* des consultations électorales même s’il insiste sur le recours au
suffrage universel qui tranchera le choix des populations de l’Algérie. La
liberté de vote proposée aux Algériens prête donc à l’équivoque. En effet, sur
le terrain c’est l’armée qui assure le succès du référendum constitutionnel du
28 septembre 1958. Officiellement, la participation massive des Algériens et
surtout des Algériennes – qui votent pour la première fois – est considérée
comme un désaveu du FLN qui n’a pas ménagé pourtant ses efforts pour
l’empêcher.
Aux élections législatives du 30 novembre 1958, les comités de salut
public et l’armée fabriquent les listes à leur manière au point que Le Monde*
se demande si l’armée ne joue pas le rôle d’un véritable parti (9 octobre
1958). L’Algérie élit 67 députés dont 46 sont musulmans et 21 européens.
Tous partagent l’idée de l’intégration. Mais les élus de cette majorité tardive
forment un corps hétéroclite, incapable d’exercer une quelconque influence
sur l’opinion algérienne et encore moins de constituer une « troisième
force », en mesure de contrecarrer la politique du FLN. Les élections
suivantes, c’est-à-dire les municipales du mois d’avril 1959 puis les
cantonales de mai 1960, confirment la difficulté à « rallier une contre élite »
(H. Elsenhans, La Guerre d’Algérie, Publisud, 2000, p. 824).
Si le référendum* sur l’autodétermination du 8 janvier 1961 est approuvé
largement surtout en France, il suscite la double abstention pour des raisons
diamétralement opposées des populations de l’Algérie, les unes obéissant aux
directives du FLN, les autres aux partisans de l’Algérie française. Mais
l’important réside dans le quitus accordé à de Gaulle pour ouvrir les
négociations* qui mettront fin à la guerre le 19 mars 1962*. Le dernier
référendum a lieu le 1er juillet 1962, il consacre la fin de la colonisation et
l’indépendance de l’Algérie.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Claude Collot, Les Institutions de l’Algérie durant la période
coloniale (1830-1962), Éditions du CNRS, 1987 • Christian Purtschet et
André Valentino, Sociologie électorale en Afrique du Nord, PUF, 1966 •
Louis Terrenoire, De Gaulle et l’Algérie, Fayard, 1964.

ELSENHANS, HARTMUT (NÉ EN 1941)


L’œuvre de l’historien allemand Hartmut Elsenhans occupe une place
importante dans l’historiographie de l’Algérie contemporaine, même si sa
thèse soutenue en 1970 et traduite en français tardivement (en 2000), sous un
titre remanié : La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition d’une France à
une autre. Le passage de la IVe à la Ve République, est restée paradoxalement
ignorée des spécialistes de l’histoire économique.
Les points les plus novateurs consistent d’abord en la déconstruction du
mythe de l’Algérie française, relayé par le slogan « l’Algérie c’est la
France », occultant une occupation coloniale de fait, remise en cause par le
contexte international qui induit dès la fin de la Seconde Guerre mondiale le
rejet du colonialisme. L’indépendance de l’Inde, de l’Indonésie ne laisse pas
insensible les nationalistes des divers pays de l’empire colonial français.
Dans ce nouveau contexte, leurs revendications se radicalisent et ne laissent
aucun doute sur l’objectif poursuivi, en recourant à la lutte armée.
Pour la démonstration de l’échec des différents gouvernements de la
IVe République* à résoudre le problème algérien, Elsenhans, en marxiste
critique, adopte une méthode originale en s’appuyant sur l’analyse des
événements politiques croisés avec les données économiques, insérés à la fois
dans leur contexte local et international. Même si les sources ne sont pas de
première main, l’enquête fondée sur l’exploitation d’une énorme
documentation empruntée aux rapports officiels, journaux, débats, permet de
dégager les principales caractéristiques des priorités de la politique française
après 1945. Cette politique se résume en l’urgence de la modernisation
économique de la France et de la construction européenne. Les intérêts
supérieurs de la France supplantent le règlement de la question algérienne
quand le FLN* déclenche l’insurrection. D’où l’absence de réelles
perspectives à travers la prise d’initiatives politiques sans lendemain et des
réformes économiques sur fond de rejet de l’indépendance de l’Algérie, au
regard de la présence de la minorité européenne. Mais Elsenhans démontre
aussi que les intérêts des Français d’Algérie finissent par être écartés, au
profit du mouvement général de la décolonisation et des intérêts
néocolonialistes du bloc capitaliste mondial. Le renoncement de la
souveraineté française valait bien dans l’avenir la garantie de relations
privilégiées avec une colonie libérée mais devant affronter les effets d’un
sous-développement chronique. Aussi Elsenhans s’intéresse-t-il au modèle de
développement adopté par l’Algérie, à l’indépendance. Ses recherches
déconstruisent le rôle que joue la rente pétrolière captée par une « classe-
État » qui parvient par le biais des relations clientélistes à contrôler la société
algérienne. Ses analyses aboutissent là aussi à montrer l’échec de « la
révolution algérienne ». Mais, cette œuvre monumentale qui ouvre la voie
aux études d’histoire sociale critique de l’Algérie contemporaine demeure
marginalisée.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition
d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la Ve République, Publisud,
2000 • René Gallissot, « Libérez l’histoire de la guerre d’indépendance
algérienne, des allégeances nationales », L’Année du Maghreb, vol. 1, 2006 •
Rachid Ouaïssa, « Hartmut Elsenhans et l’Algérie contemporaine », Naqd,
hors-série no 4, 2018.
ÉLY, GÉNÉRAL PAUL (1897-1975)
Né en 1897, il s’engage en 1916 dans un régiment d’infanterie. Aspirant,
il rejoint Saint-Cyr dont il sort en 1918. Officier* d’infanterie, il suit les cours
de l’École de guerre en 1928. En 1939, il est en poste dans l’état-major du
général Alphonse Georges qui commande le front Nord-Est. Il est gravement
blessé en 1940. Commandant du bataillon de Garde d’Honneur à Vichy, il est
décoré de la Francisque en 1941. Après la dissolution de l’armée d’armistice,
en novembre 1942, il rentre néanmoins dans l’Organisation de résistance de
l’armée (ORA) en décembre. En juillet 1943, il est chef adjoint de l’ORA en
zone Sud. Il devient représentant militaire du haut commandement interallié
auprès de la Résistance*. En mars 1947, il est mis à la disposition du général
inspecteur de l’armée de terre*, le général de Lattre, et devient son chef
d’état-major. Sa carrière d’officier d’état-major, entamée dès la fin de la
Seconde Guerre mondial, le place à l’interface des mondes militaire et
politique plutôt que dans les rangs des militaires opérationnels. Général
d’armée, il est commissaire général de la France en Indochine* du 10 juin
1954 au 11 septembre 1955. À ce poste, négociant la transition consécutive
aux accords de Genève, il joue un rôle central dans l’organisation de retrait
militaire français. Il reprendra à la fin de l’année 1955 ses fonctions de chef
d’état-major général des forces armées et est chargé de l’inspection générale
des forces. Il pousse à l’envoi du contingent en Algérie et au maintien d’une
troupe nombreuse. Il organise également la généralisation de l’action
psychologique et se révèle être un puissant appui pour les officiers partisans
de la doctrine de la guerre révolutionnaire*, tout en étant un artisan déterminé
de la modernisation de l’armée, en particulier de sa stratégie de dissuasion
nucléaire. À la veille de la crise de mai 1958, en désaccord avec la politique
algérienne de la IVe République*, il obtient d’être relevé de ses fonctions. De
Gaulle* parvenu à la tête de l’État, il reprend la présidence du comité des
chefs d’état-major. Malgré de profondes divergences avec de Gaulle, il
occupe ce poste jusqu’en février 1961. Légaliste, il s’oppose au putsch*
d’avril et finit sa carrière à la présidence du comité d’orientation et de
perfectionnement du haut enseignement de défense. Il meurt en 1975.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018 • Jean
Guisnel, Les Généraux. Enquête sur le pouvoir militaire en France, La
Découverte, 1990 • Michel Hardy, Hervé Lemoine, Thierry Sarmant, Pouvoir
politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes,
institutions : 1945-1962, L’Harmattan, 2002.

EMBUSCADES ET BATAILLES
Dès les débuts de l’insurrection, les maquisards de l’ALN* mènent une
guerre de partisans et privilégient les embuscades et le harcèlement aux
accrochages directs avec l’adversaire qui dispose d’une armée régulière et de
moyens matériels bien supérieurs.
Pour les uns comme pour les autres, le déni de la défaite, que les acteurs
avouent parfois en privé, est relégué à l’arrière-plan au profit d’une
propagande* de guerre à laquelle participent les informations autorisées et
diffusées par les journaux.
Pour l’heure, nous ne disposons pas suffisamment de travaux
académiques pour élaborer une synthèse de tous les aspects de cette histoire
d’autant plus que les sources disponibles (archives*, témoignages* des
acteurs), si elles se complètent, fournissent des données incomplètes et
souvent contradictoires, à propos des bilans relatifs au nombre des victimes,
des blessés, des armes et des documents récupérés d’un côté comme de
l’autre. En dépit de son importance, cette histoire-bataille gagnerait à être
abordée à travers des questions relatives à l’expérience de guerre, au vécu et à
la mort des combattants des deux camps.
Il en est de même pour le traitement partiel des désertions d’une armée à
l’autre qui demeure peu étudié surtout en Algérie mais qui est abordé dans les
témoignages publiés. Dans cette guerre non reconnue, les références
sémantiques sont aussi à prendre avec réserve dans la mesure où les sources
françaises parlent de ralliés ou de dissidents quand il s’agit de déserteurs de
l’ALN, éludant les cas de désobéissance et leurs causes.
Durant les premières années de la guerre, « l’initiative appartient à l’ALN
de 1955 à 1957 » (Meynier) favorisée par l’extension de l’insurrection à
l’ensemble du pays et une meilleure organisation, résultat de l’application des
directives du congrès de la Soummam*. Quand l’ALN ne peut éviter les
grandes opérations françaises, l’affrontement donne lieu à de violents
combats mémorables dont l’intensité et la durée (variable) les assimilent à
une bataille, terme retenu par l’historiographie algérienne.
Parmi les premiers affrontements, les sources algériennes retiennent la
bataille d’El Djorf dans les monts de Nemencha (Zone 1/Aurès) qui
correspond à « l’opération Timgad » selon les sources françaises. Celle-ci est
précédée par plusieurs embuscades particulièrement meurtrières dont celle de
Guentis (24 mai 1955) où l’administrateur Maurice Dupuy et le lieutenant
Guillomot sont tués et la seconde de Tafassour sur la route Taberdga-Djellal
(27 juillet) où 26 légionnaires et 13 « fellaghas » sont tués officiellement. Le
18 septembre, le grand rassemblement organisé par Bachir Chihani* est
surpris par l’offensive lancée par les forces françaises soutenues par
d’importants effectifs et moyens matériels (tanks, artillerie et aviation…).
Selon Adjel Adjoul*, un des acteurs de cette bataille, la quatrième nuit, les
maquisards, craignant l’assaut final, décident une percée en s’engageant dans
les eaux de l’Oued Helaïl où ils ne purent éviter le combat au corps à corps. Il
estime les pertes de l’ALN à 80 tués mais ne fait allusion ni aux blessés ni
aux prisonniers*.
Au fil de l’évolution de la guerre, les deux adversaires ont appris l’un de
l’autre et ont adapté leurs méthodes. Dès que l’ALN a pu améliorer son
équipement en armes, elle forme des katibas commandos* à l’exemple de
celui d’Ali Khodja* en Wilaya 4*. Après la mort de son chef, ce commando
sera repris en main par Azzedine*.
L’année 1957 se distingue par une série d’embuscades et de combats.
Dans le massif de Collo qui abrite le PC de la Wilaya 2*, sur la route entre
Aïn Kechra-Tamalous, le 11 mars 1957, un convoi de 28 camions est attaqué
au lieu-dit « de Zeggar ». 35 tirailleurs et 47 maquisards sont tués (SHD, 1H
4402). Ce lourd bilan* ne soulève pas la même émotion dans l’opinion
publique* que celui de l’embuscade de Palestro* qui a lieu le 18 mai 1956.
Peu après, au mois d’avril, Lakhdar Bentobbal* (Mémoires) évoque la
bataille de Zekrana (lieu-dit entre Oum Toub et Beni Oulbane) et affirme
« qu’une centaine de soldats fut décimée » et des prisonniers exécutés. Il
fournit des détails sur la tactique employée pour éviter les troupes françaises
et sur les représailles qui s’abattent brutalement sur les populations civiles
des douars Tlitane, Ouled Embarek et Beni Sbih où « 92 personnes dont
15 femmes et 9 enfants furent massacrés » (p. 285).
En Wilaya 4, les offensives de Azzedine à la tête du commando « Ali
Khodja* » sont redoutables d’où de grandes opérations engageant les paras
du colonel Bigeard*. Deux batailles, celle d’Agounenda* à partir du 22 mai
1957 et celle du djebel Bouzegza (4 au 12 août 1957), opposent les troupes
aguerries des troupes d’Azzedine à celles de l’armée française. Là aussi, les
bilans avancés par les deux adversaires varient tant pour Agounenda* que
pour Bouzegza mais s’accordent sur l’âpreté des combats : « un véritable
enfer » selon Azzedine, « une victoire en demi-teinte » selon Bigeard.
L’édification des barrages* frontaliers (ligne Morice et Challe),
opérationnels à la fin de l’année 1957, contribue à inverser le cours de la
guerre sans pouvoir y mettre fin. L’acheminement des armes provenant de
Tunisie* et du Maroc* se retrouve bloqué et les wilayas supportent
difficilement cet isolement avec l’extérieur. Quelques tentatives d’infiltration
réussissent à passer les lignes électrifiées, non sans d’énormes pertes
humaines. C’est le cas lors de la bataille de Souk Ahras* (fin avril 1958) où
les sept compagnies qui font une percée dans la ligne Morice se retrouvent
cernées par les troupes françaises.
Quand de Gaulle* revient au pouvoir en mai 1958, il confie au général
Challe* le commandement en chef de l’armée en Algérie dont l’objectif est
d’écraser les troupes de l’ALN. La stratégie consiste à occuper le djebel (le
maquis) et de ne laisser aucun répit aux maquisards. Méthodiquement, les
opérations du plan Challe* passent au peigne fin les wilayas d’ouest en est.
Parallèlement, le plan Challe accélère la politique de pacification* par
déplacement forcé des populations rurales, chassées de leurs mechtas par les
bombardements, ce qui met la résistance de l’ALN à rude épreuve, la privant
de vivres et de protection. Cependant, l’ALN affaiblie survit et demeure
présente sur le terrain. Elle ne se rend pas comme l’espère l’armée française
et la démarche de Si Salah*, de la Wilaya 4, à l’Élysée est sans lendemain.
Cette guerre totale, avec son cortège de violences, n’a épargné personne
ni les combattants ni la population civile. Quand la paix arrive, les Algériens
sont durablement meurtris par les séquelles de la guerre. Les bouleversements
de toutes sortes, induits par la guerre et sa durée, se reflètent sur les relations
sociales qui demeurent sous-étudiées.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des femmes en guerre
d’Algérie, Autrement, 2003 • Mohamed Larbi Madaci, Les Tamiseurs de
sable, 1954-1959, Alger, Anep, 2001 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure
du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

ÉMIGRATION, IMMIGRATION
Depuis l’entre-deux-guerres, des régions entières d’Algérie, en particulier
en Kabylie, étaient marquées par une émigration importante vers la
métropole. Elle était très largement « spontanée » car non organisée par les
pouvoirs publics qui y voyaient une dimension importante du « problème
nord-africain ». En métropole, les émigrés d’Algérie étaient souvent qualifiés
d’« indésirables », une catégorie d’action publique appliquée de longue date
aux étrangers dont l’expulsion était souhaitée. À partir de la Libération, les
« Français musulmans d’Algérie » ont bénéficié de la liberté de circulation.
Ils avaient seulement à posséder un titre d’identité – document alors non
uniformisé – s’ils souhaitaient s’installer en métropole. En tant que Français,
ils étaient théoriquement inexpulsables et ne relevaient ni de la politique
d’immigration, ni du contrôle des étrangers.
La Guerre d’indépendance a reconfiguré cette dynamique migratoire. La
répression exercée par l’armée française a accéléré les départs. De 1954 à
1962, le nombre des Algériens et Algériennes présents en métropole est passé
d’environ 200 000 à près de 400 000. Une image frappante s’est alors
formée : les bateaux convoyant les appelés en Algérie croisant les
embarcations amenant les jeunes Algériens, main-d’œuvre de substitution.
Elle ne rend compte ni des conditions des départs d’Algérie, ni de l’action
des pouvoirs publics. Ces derniers se sont d’abord inquiétés que des retours
depuis la France ne viennent alimenter les maquis. Ils se sont ensuite
focalisés sur l’enjeu que représentait, pour le MNA* et le FLN*,
l’organisation de « l’immigration ». Ils ont instauré une carte nationale
d’identité (obligatoire pour traverser la Méditerranée, 1955) puis des
autorisations de départs (vers la métropole ou les départements algériens,
1956). Ces formalités ont obéi à une logique de contrôle et d’enregistrement
plus que de réduction de l’immigration. Pour l’administration coloniale
algérienne, jusqu’en 1961 au moins, celle-ci était une soupape de sécurité :
elle diminuait le nombre des « oisifs », éventuellement disponibles pour la
lutte armée. L’immigration était également une ressource financière
indispensable pour les nombreuses familles paupérisées par la guerre et les
déplacements de populations.
Cette accélération du « déracinement » étudié par Pierre Bourdieu* et
Abdelmalek Sayad* modifia la composition des nouveaux immigrants et
immigrantes. L’image de la mère de famille prenant le bateau pour échapper
à un camp de regroupement* et venant avec ses enfants s’installer dans un
bidonville de métropole a contribué à masquer la diversité des trajectoires.
Indéniablement, cependant, la guerre a amené des cohortes plus féminisées,
plus familiales et moins régionalisées, la prédominance kabyle s’effritant.
Même si les intéressé(e)s n’en avaient pas forcément conscience, les liens
avec les lieux et les communautés de départ furent fragilisés, voire rompus, et
les installations devinrent de plus en plus durables.
L’immigration algérienne était de longue date plus concentrée que
d’autres communautés dans des lieux la singularisant (hôtels et garnis
généralement tenus par des « coreligionnaires »). Une partie de ces hommes
s’en échappaient néanmoins. Ils étaient considérés comme « perdus » (les
amjahin étudiés par Abdelmalek Sayad) car vivant au milieu des Français,
souvent en couple dans des quartiers populaires, et entretenant peu de liens
avec leurs « coreligionnaires ». La guerre a rendu plus difficile ces formes
multiples de dispersion dans la ville et d’immersion au milieu d’autres
groupes, migrants ou non. Les contrôles des forces de l’ordre assignaient les
« Nord-Africains » à des espaces où ils tentaient d’échapper aux rafles* et
couvre-feux (informels ou « officiels ») tandis que le FLN imposait des
regroupements dans certains hôtels ou garnis afin de faciliter son
encadrement. L’immigration fut en effet avant tout considérée comme une
« base fiscale » devant favoriser l’édification du futur État indépendant. Le
prélèvement des cotisations était la principale tâche des responsables locaux
du FLN. Ces sommes importantes (près d’une dizaine de millions de
nouveaux francs, chaque mois, à la fin de la Guerre d’indépendance) étaient
une des principales sources de financement du GPRA* et de la révolution
algérienne. Les enjeux financiers furent un des moteurs des violences
marquant alors l’immigration algérienne. Elles ne peuvent être résumées à
des affrontements ni à des « règlements de comptes » entre partisans du FLN
et du MNA. Plus de 4 500 Algériens de France furent ainsi tués entre 1955
et 1962 dans des circonstances multiples : « liquidation de traîtres »,
affrontements politiques, imposition de l’hégémonie d’un mouvement,
collusions entre groupes armés et criminels… Ces attentats et autres
fusillades marquèrent particulièrement certains quartiers (à Paris, en banlieue,
dans le Nord-Pas-de-Calais, à Lyon*…) et contribuèrent à isoler les
Algériens du reste de la population. Cette cohorte de milliers de morts,
souvent retrouvés morts dans la rue ou repêchés dans des canaux et cours
d’eau, fixa le stigmate de « l’Algérien violent ».
L’indépendance de l’Algérie a peu conduit à des retours définitifs. Ces
derniers touchèrent surtout des cadres de la Fédération de France* ou des
diplômés appelés à occuper des postes de responsabilité. Alors qu’une partie
de la classe politique française avait envisagé que le processus de
décolonisation mette fin aux immigrations coloniales et aux facilités de
circulation entre les deux rives de la Méditerranée, un nouveau régime
migratoire fut mis en place progressivement. Dès les premières années de
l’indépendance, les autorités algériennes durent accepter des dispositifs de
contrôle et de contingentement écornant la liberté de circulation reconnue par
les accords d’Évian*. Elles luttaient en effet contre un sous-emploi
endémique, dans un contexte de forte croissance démographique. Aussi l’ex-
métropole demeura, jusqu’en 1973, un « bureau d’embauche » privilégié. Au
moment de l’annonce de la fin de l’immigration de travail, les Algériens
étaient devenus la figure archétypale du « travailleur immigré ». Les
Algériennes demeuraient dans l’ombre, associées au seul regroupement
familial et rendues responsables de la croissance démographique d’une
jeunesse immigrée qui inquiétait. Les programmes d’accompagnement social
ciblant ces femmes* lors de la Guerre d’indépendance disparurent plus vite
que les dispositifs de contrôle ou d’encadrement visant les hommes et dont
certains furent étendus à l’ensemble des originaires de l’ex-empire colonial
(foyer de travailleurs de la Sonacotra, services d’assistance technique de la
préfecture de police…).
Bien que gérée au travers de l’accord franco-algérien de 1968, et non par
l’ordonnance de 1945 dont dépendaient la plupart des étrangers de France,
l’immigration algérienne fut emblématique du changement de régime
migratoire intervenu au début des années 1970 : dès lors, les travailleurs
immigrés ne furent plus les bienvenus, à moins qu’ils ne fussent « choisis »
en amont. L’espace méditerranéen entra dans une période de
« frontiérisation » toujours plus poussée jusqu’à nos jours.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Marc André, Femmes dévoilées. Des Algériennes en France à l’heure
de la décolonisation, ENS Éditions, 2016 • Emmanuel Blanchard, Histoire de
l’immigration algérienne en France, La Découverte, 2018 • Abdelmalek
Sayad, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de
l’immigré, Seuil, 1999.

ENFANCES ALGÉRIENNES
En France métropolitaine, les décrets sur l’interdiction du travail* des
enfants ou encore les lois Ferry sur l’âge de la scolarité obligatoire délimitent
l’âge adulte et celui de l’enfance. En Algérie coloniale, la frontière se
brouille. Petits chausseurs, cireurs ou portefaix des grandes villes, bergers ou
fileuses de laines dans les campagnes, les enfants algériens sont précocement
mis au travail et entrent rapidement dans le monde des adultes. La croissance
démographique exceptionnelle de la population algérienne après la Seconde
Guerre mondiale (120 000 à 150 000 naissances supplémentaires en moyenne
par an) ainsi que l’absence de réformes d’ampleur font que l’immense
majorité des quelque 1,8 million d’enfants algériens en âge d’être scolarisés
ne le sont pas. L’ordonnance du 26 novembre 1944, instaurant l’obligation
scolaire, ne remet pas en cause les inégalités anciennes. Mal nourris et mal
vêtus, ces enfants sont livrés à une pauvreté et à un dénuement renforcés par
l’absence d’école et l’illettrisme. Avec la guerre, la nécessité pour les
nationalistes algériens de mobiliser les populations civiles d’un côté, et les
réformes inabouties de l’État français de l’autre, placent les enfants devant un
horizon encore incertain.
À travers eux, les parents sont visés. L’école* est, pour l’État colonial, un
des moyens d’encadrer et de reprendre en main les populations. Mettre les
enfants à l’école, soit les soustraire au nationalisme*, est une priorité que
l’urgence de la guerre renforce. Les centres sociaux créés en 1955 sous
l’égide de Germaine Tillion* (devenus centres sociaux éducatifs* en 1959)
puis la multiplication des écoles tenues par les militaires et les officiers* des
sections administratives spécialisées* à partir de 1957 entrent dans la
panoplie des moyens dont use l’État pour tenter de garder l’Algérie française.
L’ordonnance du 13 août 1958 établit un ultime plan de scolarisation totale.
Pour les nationalistes, faire participer tous les Algériens à la guerre et les
tourner unanimement vers une Algérie libre et indépendante se joue aussi à
l’échelle des enfants. Entre 1956 et 1957, leur appel au boycott* de l’école
primaire est présenté aux enfants comme le moyen de se hisser à la hauteur
du sacrifice consenti par les adultes. Dans les écoles coraniques qui
continuent à fonctionner ou dans les très précaires « écoles du maquis »
tenues par des responsables politiques du FLN*, les enfants sont sensibilisés
à l’indépendance algérienne.
Dans l’intimité des familles, à mesure que les sphères protectrices des
enfants éclatent et que la confrontation directe à la guerre s’étend, un
vocabulaire nouveau est progressivement intégré : moudjahidine*
(combattants), chouhada (martyrs), ou encore thawra (révolution). Toutefois,
contrairement au petit Omar, enfant-héros de La Bataille d’Alger, la majorité
des enfants est tenue, autant que possible, à l’écart de toute participation
directe au combat. À l’exception des célèbres manifestations de
décembre 1960*, les parents ont en effet durablement tenté de minimiser
l’implication des enfants. Le règne du silence et le cloisonnement des
informations protègent aussi bien les adultes que les enfants d’éventuelles
représailles. Y compris lorsqu’ils sont analphabètes et dès lors que l’occasion
leur est offerte, les enfants dessinent ce qu’ils ont vu ou entendu, offrant ainsi
une vision spécifique de leur expérience de la guerre.
Celle-ci fragmente d’autant plus les expériences enfantines que d’autres
facteurs classiques jouent pleinement (sexe, âge, place dans la fratrie, vie en
ville ou à la campagne, classe sociale…). Les enfants algériens partagent
massivement cependant l’expérience du déplacement contraint. C’est d’abord
le cas aux frontières tunisienne, marocaine et libyenne pour ceux qui ont
quitté leurs villages dès 1956 pour se réfugier dans les pays voisins. Seuls ou
accompagnés, environ 150 000 enfants constituent, aux côtés des femmes, la
majorité des réfugiés* aux frontières. Certains d’entre eux, essentiellement
des garçons, ont été accueillis dans des « maisons d’enfants », mises sous la
tutelle du GPRA* à partir de 1958. Scolarisés et pris en charge, ils ont été
acculturés aux emblèmes du nationalisme algérien. À partir de 1957, les
enfants vivant dans les zones interdite ont vécu les déplacements contraints
opérés par l’armée française vers des camps de regroupement* ou vers de
plus gros bourgs ou villes voisines. Dans certains cas, loin d’être
systématiques et largement instrumentalisés par la propagande* française, ces
déplacements leur ont permis d’accéder à l’école primaire.
Si le versant algérien de l’enfance en guerre est aujourd’hui défriché par
l’historiographie, il ouvre d’autres perspectives prometteuses, notamment du
côté de l’histoire des enfants français ou « européens », qui reste encore à
écrire.
Lydia HADJ-AHMED
Bibl. : Lydia Hadj-Ahmed, « Des séparations à la perte des pères : les
expériences des enfants de pères combattant du côté nationaliste algérien
(1954-1962) », in Laura Hobson Faure, Manon Pignot et Antoine Rivière
(dir.), Enfants et adolescents sans famille dans les guerres du XXe siècle,
Éditions du CNRS, à paraître.

ENTRÉE DES TROUPES DE L’ÉTAT-


MAJOR À CONSTANTINE (25 JUILLET
1962)
La proclamation de Tlemcen du 22 juillet 1962 constitue un tournant
décisif dans la crise du FLN* qui ébranle l’Algérie indépendante durant l’été
1962. C’est la première fois, depuis la fin houleuse du CNRA* de Tripoli*,
qu’un accord politique est trouvé au sein du FLN. Excepté la Wilaya 3*,
toute l’ALN* accepte de reconnaître le Bureau politique de Tlemcen. Mais la
partie n’est pas pour autant gagnée au vu de la complexité des situations
politiques locales et du caractère conjoncturel des alliances.
Ainsi, l’arrangement conclu à Oran, le 23 juillet, entre Ahmed Ben Bella*
et le colonel Salah Boubnider*, responsable de la Wilaya 2*, est récusé sur le
terrain.
Appuyées par les 27e et 39e bataillons de l’ALN-Tunisie et des troupes de
la Wilaya 1*, les forces du commandant Larbi Berredjem (El Mili) et de
Rabah Belloucif, dissidents de la Wilaya 2, investissent, dans la nuit du 24 au
25 juillet, Bône et Constantine.
Le contrôle de la Wilaya 2 et la prise de ces deux villes sont le
couronnement d’une stratégie militaire ébauchée par l’EMG* avant
l’indépendance. Par sa situation géographique, la Wilaya 2 contrôle une
partie de la frontière algéro-tunisienne, notamment l’important lieu de transit
que sont Souk Ahras et le port de Bône, ce qui constitue un risque pour
l’entrée des troupes frontalières en Algérie.
La prise de Constantine se solde par cinq tués et neuf blessés. Ce bilan*
communiqué par Ben Bella est confirmé par le colonel Boubnider.
Malgré la perte de trois de ses hommes, l’EMG nie toute participation
dans l’occupation de Constantine imputant l’opération à des officiers de la
Wilaya 2 afin de « libérer la ville de l’oppression et de l’anarchie qui y
régnait ». Pourtant, se contredisant dans ce même communiqué, l’EMG
reconnaît la perte de trois de ses hommes « morts en martyrs ». Vingt-deux
jours après l’indépendance, les combattants de la Wilaya 2 sont confondus
par l’EMG avec l’ennemi de la veille.
La prise de Constantine et de Bône et le contrôle militaire par l’EMG de
la majeure partie du Nord-Constantinois permet au groupe de Tlemcen* de
briser la résistance de la Wilaya 2. Néanmoins, ces opérations violentes
suivies de nombreuses arrestations dont celle de Lakhdar Bentobbal*,
ministre d’État du GPRA*, créent une confusion dans le camp de Ben Bella
où les ambitions politiques de l’armée des frontières suscitent inquiétude et
hostilité.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Abderrezak Bouhara, Les Viviers de la libération. Générations face au
destin, Alger, Casbah, 2001 • Abdelhamid Brahimi, Aux origines de la
tragédie algérienne (1958-2000) • Témoignage sur hizb França, Genève,
Hoggar, 2000 • Tahar Zbiri, Mémoires du dernier chef historique des Aurès
(1929-1962), Alger, Anep, 2010.

ENTREPRISES (GRANDES)
L’émergence de grandes entreprises dans la colonie a été très lente et
tardive. Au lendemain de la conquête, ce sont surtout des capitaux à la
recherche de concessions foncières qui se manifestent. Paradoxalement,
l’annexion légale du territoire et la sécurité apportée par les lois des
années 1840 encouragent peu d’investisseurs. L’avènement d’un Second
Empire (1851), libéral et généreux en matière de concessions, conforte les
incitations aux investissements dans le foncier, les mines, les chemins de fer
ou la banque. Les grandes sociétés foncières apparaissent. La Compagnie
genevoise obtient 20 000 hectares en 1851, L’Habra et Macta 24 000 en 1864
et la Société générale 89 500 en 1868. Celle-ci deviendra en 1877 la
Compagnie algérienne. Des sociétés minières comme Mokta el Hadid (1862)
(mines de fer) se créent. Des concessions sont accordées à des sociétés de
chemin de fer (1860). Elles sont transférées en 1863 au Paris-Lyon-
Méditerranée (Rothschild). Parallèlement, une Banque de l’Algérie se crée en
1851. Ces entreprises sont toutes à l’initiative d’intérêts parisiens dominés
par des banquiers, comme Mirabaud, partie prenante de la Compagnie
genevoise et de la Compagnie algérienne.
La dynamique endogène de la colonisation reste, en revanche, anémiée.
Les colons* concessionnaires, trop petits, n’entreprennent aucune
accumulation d’envergure. Ce sont, dans les années 1870-1880, l’essor
fulgurant de la viticulture et la concentration foncière progressive, appuyée
de concessions de colonisation, qui donnent naissance aux grands domaines
viticoles et aux grandes fortunes. Ces domaines, souvent organisés en
sociétés, attirent les capitaux métropolitains et deviennent la puissante
armature de l’économie coloniale. On peut citer ceux de la famille Germain –
société du Kéroulis avec 1 200 hectares – ou ceux de la famille Borgeaud* –
La Trappe (1 200 ha) et le Chapeau du gendarme (983 ha). À côté d’eux,
parmi les plus grandes des sociétés, les Vignobles de la Méditerranée, créés
en 1894 (690 ha de vigne à Mondovi – le pays de Camus* – et 923 autres
hectares) ou les Fermes françaises de Tunisie qui possèdent 6 333 hectares en
Algérie (1 663 de vigne et 179 d’agrumes à Bône). Une fois leur fortune
assise, ces familles se contentent de multiplier les investissements en
portefeuille. Ce ne seront pas des industriels. Cette dynamique endogène
n’aboutit donc à aucun empire industriel. C’est le cas de l’entreprise de
Georges Blachette*. Sa Société générale des alfas exploitait une concession
de 600 000 hectares. Il se contentait de transformer l’alfa en pâte à papier
qu’il exportait en Angleterre.
La production agricole a néanmoins engendré l’apparition de quelques
entreprises industrielles. Sous l’impulsion de Juan Bastos, une fusion opérée
en 1921 entre la Société Bastos et les Établissements Ben Turqui donne
naissance aux célèbres Manufactures de tabacs J. Bastos qui réussissent à
s’internationaliser jusqu’à Bruxelles et Barranquilla (Colombie).
L’héritage des concessions foncières accordées sous le Second Empire
donne naissance à quelque chose d’inattendu. En 1877, la Société générale
(89 500 ha) est liquidée et se transforme en Compagnie algérienne. Celle-ci,
bien qu’étant un très grand propriétaire foncier, se met bientôt à effectuer des
opérations de banque. Elle devient alors un acteur incontournable de l’activité
dans la colonie. Alliée aux grands intérêts parisiens (Mirabaud, Mallet,
Vernes), elle domine des pans entiers de l’économie. Devenue en 1941
Compagnie algérienne de crédit et de banque, elle est présente en France, en
Algérie, au Maroc*, en Tunisie*, en Syrie et au Liban. Elle contrôle la
Compagnie foncière et immobilière de la ville d’Alger, la Société algérienne
de produits chimiques et d’engrais, la Société du Chettaba Mokta El Hadid,
Ouasta et Mesloula (mines), etc. Le groupe Suez l’absorbe après 1962.
Les mines attirent aussi bien des capitaux métropolitains que britanniques
ou allemands. À l’origine, les intérêts coloniaux locaux sont absents. La
France de l’époque étant bien pourvue en minerai de fer, le minerai algérien
est exporté vers le Royaume-Uni. Le phosphate est découvert en 1873. Le
transport des minerais par voie maritime oblige à recourir à un armateur local
enrichi dans le cabotage. C’est ainsi que naît en 1920 la Société algérienne de
navigation Schiaffino qui assurera en 1962 le tiers du tonnage maritime de la
colonie. Laurent Schiaffino* devient un personnage en vue de la colonie,
puissant et influent. Avec son allié Henri Borgeaud, partisan comme lui d’une
Algérie française, ils conjuguent tous les deux les affaires, la politique (ils
sont sénateurs) et la presse*. Pour assurer ses intérêts dans le transport,
Laurent Schiaffino participe à l’Omnium des mines d’Algérie-Tunisie. Dès
1927, il siège au conseil de différentes mines et, surtout, des Phosphates de
Constantine. Il s’allie alors à Henri de Peyerimhoff (1872-1953), ancien
directeur de l’Agriculture puis secrétaire général du Gouvernement général*
de l’Algérie, président (1925-1940) du comité central des houillères de
France, dont il fait un administrateur de sa société.
L’exploitation du minerai de fer est assurée par Mokta El Hadid (groupe
Nervo) et surtout, à partir de 1921, à raison des deux tiers, par la société
L’Ouenza, entreprise qu’ont initiée en 1902 les groupes Schneider (Le
Creusot) et Krupp. Devenue dès les années 1930 la première capitalisation en
Algérie, l’État français y prend une part minoritaire (5 administrateurs sur 12
en 1956). L’État algérien la nationalise en 1966.
À ces mines sont souvent associées des concessions de chemin de fer
pour acheminer le minerai vers les ports. Cependant, c’est le transport des
voyageurs qui attire des investisseurs comme Rothschild. Un partage du
réseau est établi en 1921 entre la Compagnie des Chemins de fer algériens de
l’État et le Paris-Lyon-Marseille. Nationalisé, le réseau passe, en 1939, aux
mains de l’Office des chemins de fer algériens, avant de devenir en 1960 la
Société nationale des chemins de fer français en Algérie.
Elle est avec Électricité et gaz d’Algérie (EGA), créée en 1947, l’un des
deux principaux employeurs publics de la colonie. À l’origine, c’est la
Compagnie Lebon qui est, depuis 1900, le principal concessionnaire pour le
gaz et l’électricité. EGA hérite ainsi des actifs des seize sociétés de
production d’électricité nationalisées en 1946.
Dès cette date, l’État se fait de plus en plus interventionniste à travers des
programmes d’industrialisation par création de sociétés publiques ou
attribution d’avantages budgétaires ou fiscaux. Les Verreries d’Afrique du
Nord (groupe Saint-Gobain), éligibles en 1946 au plan d’industrialisation de
l’Algérie, inaugurent, en 1947, une usine à Oran spécialisée dans la
fabrication des bouteilles. La Société bônoise de sidérurgie (SBS) est créée en
1958, année où s’installe le fabricant de camions Berliet.
Mais c’est surtout dans le secteur primaire que s’opère, à cette époque,
une révolution.
Les recherches pétrolières effectuées au Sahara donnent enfin des
résultats probants. La Société nationale de recherche et d’exploitation de
pétrole en Algérie (SN-Repal), créée en 1946, découvre en juin 1956 le
gisement d’Hassi Messaoud. La Compagnie française des pétroles (Algérie)
(groupe Total), créée en 1953, apporte ses participations (49 ou 51 % selon le
gisement). Les intérêts des colons locaux en sont absents. L’État algérien
nationalisera les compagnies pétrolières en 1971.
Ahmed HENNI
Bibl. : Claude Bourdet, « Les maîtres de l’Afrique du Nord », Les Temps
modernes, no 80, 1952 • Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-
1962. La transition d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la
Ve République, Publisud, 2000 • Séries du périodique Cote Desfossés.

ÉQUIPES MÉDICO-SOCIALES
ITINÉRANTES (EMSI)
Les équipes médico-sociales itinérantes (EMSI) sont créées en 1957.
Elles sont directement contrôlées par le 5e bureau (action psychologique) de
l’armée française, et après 1960 par le 3e bureau qui lui succède. Les EMSI
sont composées de femmes* « européennes » et « musulmanes », recrutées en
tant qu’adjointes sanitaires et sociales rurales auxiliaires (ASSRA). Intégrées
le plus souvent aux SAS* et aux SAU*, elles dispensent des soins médicaux
élémentaires, des conseils d’hygiène, et diffusent de la propagande*
profrançaise à des communautés rurales de l’intérieur. Les EMSI cherchent à
rentrer en contact avec les populations « musulmanes » afin de les soustraire
de l’emprise du FLN* et les convaincre qu’une Algérie sous souveraineté
française garantirait leurs intérêts matériels et leur avenir. Les femmes sont
considérées comme une cible privilégiée pour gagner la confiance de la
famille algérienne tout entière. L’action psychologique des EMSI ne vise pas
seulement les populations algériennes, mais aussi l’opinion publique* en
métropole et à l’étranger : photos, pamphlets, films et reportages vantent le
rôle des EMSI comme la preuve de la nécessité de la présence française en
Algérie.
Mme Maugé, directrice des EMSI à Alger, a une longue expérience de la
médecine militaire à Madagascar et en Indochine*. Les premiers membres
des EMSI partagent ce type de formation. Une campagne est lancée pour
recruter des femmes civiles en Algérie et en France. On leur propose une
formation accélérée d’un mois qui inclut les soins médicaux de base,
quelques notions d’arabe pour celles qui en avaient besoin, l’histoire et la
sociologie de la « femme musulmane » et une introduction à la guerre
psychologique. Cette formation est suivie de fiches envoyées aux ASSRA en
poste – expliquant, par exemple, comment mettre la pression sur les femmes
pour qu’elles se dévoilent. En août 1960, 171 unités d’EMSI, composées de
315 ASSRA, dont 80 métropolitaines, 94 « européennes d’Algérie » et 141
« musulmanes » sont à pied d’œuvre. En principe, les EMSI sont financées
par les préfectures : en réalité, elles dépendent du patronage des
commandants régionaux de l’armée française qui leur assurent transport,
bâtiments et matériel. Derrière l’image d’une mission héroïque destinée à
soigner et à promouvoir la fraternité, leur efficacité sur le terrain se heurte à
l’insuffisance des moyens matériels.
L’état-major de l’armée française insiste sur le rôle des EMSI qui doit
être avant tout politique, l’action sociale n’étant qu’un moyen pour atteindre
ce but. En mars 1960, le chef du 3e bureau rappelle aux EMSI leur principale
mission, à savoir préserver la présence française et encourager les femmes à
voter le 28 septembre 1958. De ce fait, les EMSI sont violemment critiquées
par le FLN. Dans la pratique, les ASSRA se concentrent souvent sur
l’immédiat et l’utile – soigner et faire du tricot dans des situations d’extrême
pauvreté. Parmi les ASSRA, un certain nombre sont d’ex-militantes du FLN
« retournées » par l’armée française après leur arrestation. La loyauté de ces
femmes, ainsi que celle d’autres recrues « musulmanes », n’a cessé de
constituer une source d’inquiétude pour les dirigeants des EMSI qui craignent
l’infiltration.
Il est difficile de déterminer la perception des femmes algériennes des
EMSI. Les femmes algériennes acceptent-elles de recevoir les ASSRA parce
qu’elles ont besoin de soins, sans pour autant être convaincues du message
politique ? Vu que l’action de l’EMSI est soutenue par l’armée française, les
populations rurales ont-elles le choix ? La lecture des documents d’archives*
et l’écoute des témoignages* de femmes algériennes qui sont rentrées en
contact avec les EMSI, ainsi que les SAS et les SAU, suggèrent qu’elles
savent faire un usage stratégique de ces ressources, sans pour autant souhaiter
rester sous souveraineté française, et encore moins adhérer au modèle de
l’émancipation promue.
Natalya VINCE
Bibl. : Neil MacMaster, Burning the Veil. The Algerian War and the
“Emancipation” of Muslim Women, 1954-1962, Manchester, Manchester
University Press, 2009 • Diane Sambron, Femmes musulmanes • Guerre
d’Algérie, 1954-1962, Autrement, 2007 • Ryme Seferdjeli, « The French
Army and Muslim Women During the Algerian War (1954-1962) », Hawwa,
no 1, 2005.

ESSAIS NUCLÉAIRES
Le 26 décembre 1954, à la suite d’une réunion secrète au Quai d’Orsay,
le président du Conseil Pierre Mendès France* décide de doter la France de
l’arme atomique. Seuls les États-Unis*, l’URSS* et la Grande-Bretagne la
possèdent alors. Les recherches théoriques étant suffisamment avancées
début 1957, le Comité des applications militaires de l’énergie atomique
(Camea), créé quelques semaines auparavant au sein du Commissariat à
l’énergie atomique (CEA), se met en quête d’un site pour une explosion
atmosphérique déjà programmée pour le premier trimestre 1960. Après des
reconnaissances au Sahara, le choix se porte le 7 mai 1957 sur la palmeraie
de Reggane, dans le désert du Tanezrouft. Une zone de 108 000 kilomètres
carrés baptisée « Zone 42 » y est classée terrain militaire par un décret
maintenu secret – il ne paraît pas au Journal officiel. Les travaux
d’aménagement débutent le 1er octobre. En deux ans, le génie militaire érige
sur le plateau d’Azrafil une base vie avec un hôpital de 100 lits, une centrale
électrique, des installations de captage et d’épuration des eaux, un aérodrome
doté d’une piste « gros porteurs » et des laboratoires dont une grande partie
souterraine. Il crée également un polygone de tir à Hamoudia, à 35 kilomètres
au sud de Reggane, avec une base vie réduite et des blockhaus abritant les
nombreux appareils de mesure. Le 1er octobre 1959, le Centre saharien
d’expérimentations militaires (CSEM), qui peut accueillir 8 000 personnes
lors d’un tir, est classé opérationnel. Le premier tir (Gerboise bleue), est
réalisé le 13 février 1960 à 7 h 04. La bombe au plutonium 239 placée au
sommet d’une tour métallique de 106 mètres de hauteur développe environ
70 kilotonnes (kt), soit deux fois et demie la puissance de celle lancée sur
Hiroshima. Divers matériels militaires et des animaux* en cage sont exposés
pour étudier les effets mécaniques, thermiques et ionisants de l’explosion.
Des scientifiques valident cette première expérimentation, suivie le 1er avril
1960 de Gerboise blanche. Réalisé avec la bombe de secours prévue en cas
de défaillance de l’engin principal, le tir est beaucoup moins puissant (4 kt).
Le troisième essai, Gerboise rouge, intervient le 27 décembre 1960. Le tir,
dont les 10 kilotonnes ne donnent pas entière satisfaction, s’accompagne
d’une brève incursion d’engins blindés* dans la zone des retombées
radioactives, pour démontrer l’efficacité sur le champ de bataille des moyens
de protection contre les radiations. Le quatrième et dernier tir aérien,
Gerboise verte, a lieu le 25 avril 1961, en plein « putsch* des généraux ».
Destiné à tester le prototype de la bombe devant équiper les futurs
bombardiers stratégiques Mirage IV, il est avec 0,4 kilotonne très en dessous
des attentes.
Dès le printemps 1958, des essais souterrains ont été envisagés mais ce
sont les plaintes de nombreux pays africains qui conduisent la France à
accélérer la recherche d’un nouveau site. Fin 1960, le choix se porte sur une
zone du Hoggar au nord de Tamanrasset. Une nouvelle base appelée Centre
d’expérimentation militaire des oasis (CEMO) y est construite en quelques
mois. Plus modeste qu’à Reggane, car ne pouvant héberger plus de
2 000 personnes, elle dispose néanmoins d’équipements complets : voies
goudronnées, base aérienne, bloc opératoire moderne. Le premier tir en
galerie, baptisé Agate, est réalisé le 7 novembre 1961 dans le massif
granitique du Tan Afella. Le deuxième, Béryl a lieu le 1er mai 1962 dans la
même montagne. Une importante fuite radioactive ayant entraîné la
contamination d’environ un tiers du personnel du CEMO et de deux ministres
– Pierre Messmer* (Armées) et Gaston Palewski (Recherche scientifique et
Questions atomiques et spatiales) – venus assister à l’explosion, la campagne
d’essais est provisoirement interrompue. La France qui a obtenu dans le cadre
des accords d’Évian* le droit de poursuivre ses expérimentations au sein
d’une Algérie devenue indépendante (5 juillet 1962*) y reprend les tirs le
18 mars 1963, une fois établi que l’accident du 1er mai 1962 venait d’une
mauvaise obturation de la galerie. Émeraude (10 kt) valide définitivement les
choix technologiques de l’AN11 destinée aux Mirage IV. Le 30 mars, le tir
Améthyste (15 kt) amène une nouvelle contamination, mais beaucoup plus
limitée que pour Béryl. Le tir Rubis, différé au 20 octobre 1963 afin d’en
améliorer la sécurité, n’est pas non plus totalement confiné en raison de sa
forte puissance (60 kt). Opale le 14 février 1964 (3,7 kt), Topaze (15 kt) le
15 juin et Turquoise le 28 novembre (15 à 20 kt) se déroulent sans incident,
les opérations préparatoires étant désormais bien rodées : percement des
galeries, installation des appareils de mesure, puis démontage des éléments
réutilisables. Ce savoir-faire permet de mener quatre essais en 1965 : Saphir
le 27 février (20 kt), Jade le 30 mai (15 kt), Corindon le 1er octobre (10 kt) et
Tourmaline le 1er décembre (10 kt). Le treizième et dernier tir souterrain,
Grenat, intervient le 16 février 1966. Mais l’activité expérimentale du CEMO
se poursuit jusqu’au 9 mars 1966, avec les expériences Pollen. Elles mettent
en réaction une faible quantité de plutonium sans dégagement d’énergie
nucléaire, pour tester la sécurité d’une arme aéroportée en cas de crash de
l’appareil la transportant. Au-delà de cette date, les installations sont
partiellement démontées. Certaines sont données au Niger au titre de l’aide
aux anciennes colonies de l’Afrique subsaharienne, tandis que le matériel
contaminé est soit traité, soit enfoui dans le sol. Les accès aux carreaux des
galeries sont barrés et le Tan Afella est ceinturé d’une clôture grillagée. En
juin 1967, l’ancienne base du CEMO est rétrocédée à l’Armée nationale
populaire algérienne (ANPA) conformément aux accords d’Évian.
L’évacuation de Reggane, où les mêmes opérations de démontage et de
nettoyage avaient débuté après la fin des tirs aériens, est effective le 1er juillet
1967, avec l’arrivée des militaires algériens sur le plateau Azrafil. Entre-
temps, les expérimentations atomiques françaises ont été transférées en
Polynésie, où la première explosion atmosphérique a eu lieu le 19 juillet
1966.
La France a procédé à 17 tirs atomiques au Sahara. Environ 24 000 civils
et militaires français ont servi au CSEM et au CEMO de 1960 à 1966. Des
mesures répondant aux normes internationales de sécurité alors en vigueur –
voire plus strictes – ont été appliquées à l’époque. Parfois mal respectées car
inadaptées à la situation, elles n’ont pas empêché des cancers parmi les
personnes exposées, militaires et civils. En juin 2001, certains se sont
regroupés au sein d’une association, l’Association des vétérans des essais
nucléaires (Aven). Incluant les essais en Polynésie, elle a pour but d’apporter
soutien et reconnaissance, particulièrement aux victimes de maladies radio-
induites, et d’intervenir auprès des autorités. Son action a conduit au vote de
la loi Morin en 2010, permettant des indemnisations y compris des habitants
des régions concernées. Après avoir longtemps gardé le silence sur les essais,
le gouvernement algérien réclame également réparation. Pour y répondre,
un groupe de travail franco-algérien a été créé en 2008 par les autorités des
deux pays. Composé d’experts, il étudie les questions de la réhabilitation des
anciens sites, du suivi des populations et de l’environnement*. Un travail
conjoint sur ce sujet compte parmi les vingt-deux recommandations du
« rapport Stora* » de janvier 2021 pour la réconciliation des mémoires.
Frédéric MÉDARD
Biblio. : Frédéric Médard, « Le Sahara, enjeu scientifique et technologique,
1947-1967 », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et
guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001.

ÉTAT D’URGENCE
Les autorités françaises résolvent une équation complexe de leur point de
vue avec la loi d’état d’urgence, en date du 3 avril 1955 : réprimer
efficacement l’insurrection, sans remettre en cause le rattachement de
l’Algérie à la France. Officiellement, il faut éviter tout ce qui peut évoquer la
guerre. Déclarer l’état de siège est exclu. Ainsi est créé l’état d’urgence. Il se
rapproche de l’état de siège par les mesures d’exception qu’il prévoit mais
avec une différence fondamentale : quand l’état de siège les confie à l’armée,
l’état d’urgence les met à disposition des autorités civiles (gouverneur
général, préfets* et sous-préfets). Face au développement du FLN* et
l’extension de l’insurrection, il autorise le couvre-feu, les perquisitions de
nuit, l’assignation à résidence de tout « suspect », la compétence de la justice
militaire*, le contrôle et l’interdiction de réunions, de spectacles, de la
presse*, de la circulation…
Afin d’éviter sa dénonciation comme une loi discriminatoire envers une
portion du territoire national, constituée de départements, les deux
gouvernements élaborant le projet de loi (Mendès France* et Faure)
choisissent de créer un nouvel état d’exception dans le droit français,
applicable par décret dans toute zone du territoire national connaissant des
troubles. Il pourrait ainsi être déclaré en métropole. Pour les communistes,
d’ailleurs, la situation algérienne n’est qu’un prétexte invoqué pour introduire
dans le droit un nouvel état répressif, pouvant être utilisé contre des
mobilisations ouvrières.
En Algérie, l’état d’urgence est progressivement étendu, par décret,
suivant les zones gagnées par la lutte pour l’indépendance. Il ne couvre
l’ensemble du territoire qu’après l’insurrection du 20 août 1955*. Il y reste
peu longtemps en vigueur. Il est en effet prévu qu’il cesse de s’appliquer en
cas de dissolution de l’Assemblée nationale ; ce que décide Edgar Faure, en
décembre 1955. Après les élections* législatives en janvier 1956, son
successeur, Guy Mollet*, ne reconduit pas l’état d’urgence mais il demande
les pouvoirs spéciaux* à l’Assemblée. Les décrets qui s’ensuivent reprennent
les mesures de l’état d’urgence, parmi d’autres, nouvelles et plus graves :
rappels massifs sous les drapeaux, délégation des pouvoirs de police* à
l’armée, notamment.
Paradoxalement, pendant la guerre elle-même, l’état d’urgence est plus
appliqué en métropole qu’en Algérie. Il est déclaré dans l’hexagone deux
semaines, en mai 1958, dans l’idée de défendre la République contre toute
menace factieuse. Surtout, il est remis en vigueur après la tentative de
putsch*, en avril 1961, et il le reste pendant deux ans, jusqu’en mai 1963. Il
s’agit alors de lutter contre l’OAS* et les irréductibles de l’Algérie française,
qui sévissent encore après l’indépendance de l’Algérie, en prenant le chef de
l’État pour cible. Les critiques ne manquent pas cependant pour dénoncer la
reconduction de cet état d’exception. Ses atteintes aux libertés individuelles
et collectives ne peuvent plus être légitimées par la guerre.
Le procédé choisi par les gouvernements Mendès France et Faure lors de
la création de l’état d’urgence a pour conséquence que celui-ci demeure en
tant que loi dans le droit français après la guerre. Il reste à disposition des
autorités. Après 1962, il est réactivé trois fois. En Nouvelle-Calédonie,
d’abord, en 1985, contre le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS).
Puis, il est déclaré en France, quand des émeutes marquent les banlieues à
l’automne 2005. Il est alors dénoncé comme une loi coloniale. Évident dans
le cas calédonien, l’argument repose, en 2005, sur une perception des
« émeutiers » ramenés à leur ascendance étrangère, maghrébine en
particulier. Pourtant, en tant que loi d’exception, l’état d’urgence est aussi un
outil de répression politique. Ainsi, lors de sa 3e application, après les
attentats du 13 novembre 2015, il vise un terrorisme se réclamant de l’islam
et les populations considérées comme « musulmanes » en constituent des
cibles potentielles. Il est cependant aussi utilisé, à ce moment, contre les
militants anti-COP 21 (conférence de Paris sur le climat) et les occupants des
zones à défendre (ZAD), victimes d’arrestations, gardes à vue et assignation à
résidence. Il connaît là encore une durée d’application de deux ans, puisqu’il
reste en vigueur jusqu’au 1er novembre 2017. Il finit alors par être
« normalisé », c’est-à-dire intégré au droit commun. Ses mesures sont
utilisables en permanence, sans déclaration explicite. Le texte de 1955 a
cependant connu des modifications substantielles.
Les propos du député gaulliste Louis Vallon, le 31 mars 1955, n’en
étaient pas moins prémonitoires : « Pourquoi faire une loi aux incidences
multiples et lointaines dont vous ne pouvez pas prévoir toutes les
imbrications ? », avait demandé à Maurice Bourgès-Maunoury*, ministre de
l’Intérieur défendant le projet de loi.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie
coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement
social, no 218, 2007.

ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL (EMG)


L’État-major général de l’ALN* est créé en janvier 1960 à la suite des
travaux du CNRA* réuni à Tripoli entre le 16 décembre 1959 et le 18 janvier
1960. C’est Houari Boumediene* qui en assure la direction. L’EMG est
théoriquement dépendant du Comité interministériel de guerre (CIG – qui
remplace l’ancien ministère des Forces armées). En réalité, rapidement, tout
ce qui a trait aux questions militaires dépend directement de Boumediene. La
création de l’EMG fait suite à l’échec des Comités opérationnels militaires
(COM) créés en avril 1958 dont l’existence fut éphémère.
Le siège de l’EMG se trouve à quelques kilomètres de la frontière algéro-
tunisienne, à Ghardimaou. L’EMG devait mettre à exécution les résolutions
du CNRA et envoyer des renforts matériels et humains pour répondre aux
besoins des maquis intérieurs. Mais le franchissement des barrages*
frontaliers s’avéra difficile même si des groupes de maquisards y
parviennent, tels Tahar Zbiri* (futur chef d’état-major de l’ANP*) et Ahmed
Bencherif* (à la tête de la gendarmerie entre 1962 et 1977). Toutefois, la
plupart des tentatives s’avèrent meurtrières et sont donc rapidement
interrompues. Des attaques le long de la frontière continuent à être lancées
afin de fixer des troupes françaises dans la zone, bien qu’il soit difficile de
déterminer si ces actions ont eu un effet probant.
Boumediene consacre alors tous ses efforts à la réorganisation des
troupes stationnant dans la zone frontalière orientale de l’Algérie. Le
commandement de la région est scindé en deux et confié à des maquisards
avec une Zone opérationnelle Nord (ZON) dont la direction revient à
Abderrahmane Bensalem secondé notamment par Chadli Bendjedid
(troisième président de la République algérienne, entre 1979 et 1992) et une
Zone opérationnelle Sud (ZOS) dirigée par Salah Soufi. Des bataillons
d’environ 600 hommes sont instaurés et répartis le long de la frontière. Ils
sont placés sous la direction des anciens de l’armée française de « seconde
génération* » (Khaled Nezzar, Larbi Belkheir, Abdelmalek Guenaïzia, etc.)
ainsi qu’à des jeunes combattants de retour de formation du Moyen-Orient à
l’image de Abderrezak Bouhara ou encore à des maquisards venus se
réapprovisionner en Tunisie* qui n’ont pas pu faire le chemin en sens inverse
à cause des barrages électrifiés.
À peine quelques mois après la création de l’EMG, on estime à 9 500 le
nombre de combattants au niveau de la frontière tunisienne, réparti en 14
bataillons, et à 6 500 au Maroc*. Au cours des deux dernières années du
conflit, le nombre de combattants ne cesse de s’accroître atteignant près de
10 000 côté marocain et le double à la frontière est.
Boumediene crée également cinq bureaux d’état-major inspirés du
modèle français. Le premier chargé de l’intendance et de la logistique revient
à un ancien de l’armée française, Mohamed Bouzada. Le deuxième est confié
à un proche de Boumediene, Kaïd Ahmed (futur ministre des Finances puis
responsable du FLN* après 1962). Ses attributions sont stratégiques puisque
c’est à lui qu’est confié le renseignement. Le troisième bureau, appelé bureau
technique, est dirigé par des anciens de l’armée française de « première
génération », impliqués dans l’affaire dite « des officiers algériens » et
choisis pour leurs compétences techniques. Parmi eux, le futur secrétaire
général du ministère de la Défense Abdelkader Chabou. Le quatrième bureau
est en charge des questions du personnel tandis que le cinquième s’occupe de
la presse* et de l’information. À sa tête, le capitaine Ferhat sera responsable
du mensuel de l’armée El Djeich, à l’indépendance.
C’est ainsi que Boumediene parvient, par un savant dosage entre les
différents profils de combattants venus des maquis et de militaires
professionnels à sa disposition, à faire coexister ces hommes et à les réunir
sous son autorité, formant progressivement l’armée des frontières*, noyau de
la future ANP. C’est à la tête de l’armée des frontières qu’il pénètre en
Algérie à l’été 1962 et c’est entouré de ces hommes qu’il s’attelle ensuite,
une fois l’indépendance acquise, à édifier une armée professionnelle moderne
(voir ANP).
Saphia AREZKI
Bibl. : Saphia Arezki, De l’ALN à l’ANP. La construction de l’armée
algérienne (1954-1991), Éditions de la Sorbonne, 2022 • Abderrezak
Bouhara, Les Viviers de la libération, Alger, Casbah, 2001 • Gilbert Meynier,
Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
Les présidents américains dont les mandats se déroulent durant la guerre
d’Algérie, Dwight Eisenhower (1952-1960), puis John Kennedy (1961-
1963), se trouvent confrontés à un dilemme. Il leur paraît indispensable de
conserver l’alliance de la France, élément important de la défense de l’Europe
en pleine guerre froide* par sa position au sein de l’Otan, et qui a fait inscrire
les « départements français d’Algérie » dans le périmètre que couvre
l’alliance. En même temps, ils ne veulent pas donner l’impression de soutenir
une guerre destinée au maintien d’un système colonial qui ne rencontre guère
de faveur dans leur opinion publique et compromet leurs relations avec les
pays de ce qu’on commence à appeler le tiers-monde. Dès le début du conflit,
ils font connaître leur préférence pour une solution négociée menant à
l’indépendance, attitude destinée à ne pas varier par la suite, comme l’illustre
la déclaration fracassante de Kennedy, alors sénateur (juillet 1957).
Politiques et militaires américains doivent pourtant se résigner à laisser
les gouvernements de Paris engager des contingents de plus en plus
nombreux en Algérie, dégarnissant ainsi le théâtre européen face aux forces
du pacte de Varsovie. Ils continuent à fournir les matériels (hélicoptères,
aviation d’attaque au sol, blindés*, matériels de transport) dont une bonne
partie est utilisée en Algérie. Ils paraissent faire confiance aux déclarations
françaises qui promettent d’assortir la répression militaire d’un processus de
profondes réformes et de consultation des populations, notamment à partir de
l’arrivée au pouvoir de Guy Mollet*. Par ailleurs, les diplomates américains
font bon accueil aux délégations que le FLN* envoie à New York auprès de
l’ONU*. De plus, les Américains interviennent à deux reprises dans un sens
contraire à la politique française. En octobre 1956, ils imposent à la France et
à la Grande-Bretagne, alliés d’Israël*, de mettre fin à l’opération de Suez*
destinée à renverser le président Nasser, considéré à Paris comme le principal
soutien du FLN. Au printemps 1958, de concert avec les Britanniques, ils
cherchent à imposer leur médiation sous forme de « bons offices » entre
Tunisiens et Français après avoir désapprouvé les représailles menées en
territoire tunisien contre la base de l’ALN* située près du village de Sakiet
Sidi Youssef*. La grande majorité du personnel politique français dénonce
cette tentative comme une ingérence insupportable, ce qui entraîne son échec,
et la chute du gouvernement de Félix Gaillard* (15 avril).
Cette attitude entraîne une désaffection des relations de l’administration
américaine avec le personnel dirigeant de la IVe République*, dont les
ressentiments font redouter des tentations neutralistes, encouragées par la
puissance du PCF*. En revanche, le retour au pouvoir du général de Gaulle*,
qui a multiplié les déclarations rassurantes, est accueilli favorablement,
comme un gage de stabilité et d’amélioration des relations compromises. En
fait, les Américains sont plutôt déçus, dans la mesure où le Général met
longtemps à s’engager dans une politique très différente de celle de ces
prédécesseurs, même après sa prise de position de septembre 1959 en faveur
de l’autodétermination, ce qui accentue l’attraction des nationalistes algériens
en direction de l’URSS* et de la Chine*. En revanche, de Gaulle, comme les
hommes de la IVe République, reproche aux Américains de ne pas soutenir
suffisamment la politique française, en encourageant les nationalistes
algériens, mais aussi les dirigeants tunisiens et marocains, dans leur
opposition à la politique française en Algérie. Le sentiment de ne pas pouvoir
compter sur la solidarité américaine dans cette affaire se renforce du refus
courtois mais ferme opposé par les Américains à la demande du Général
d’associer la France à un directoire à trois de l’ensemble des affaires du
monde (et non seulement de l’Europe occidentale), et de partager la décision
d’emploi des armes nucléaires avec la France et la Grande-Bretagne.
Cet isolement contraint le gouvernement français, qui a échoué au surplus
à prendre la direction d’une Communauté franco-africaine dans laquelle une
Algérie autonome aurait pu trouver sa place, à évoluer vers des négociations*
exclusives avec le FLN. Malgré tout, le gouvernement américain évite de
s’opposer à la politique française, contrairement aux espoirs des milieux
« activistes », qui agitent le danger de voir l’Afrique du Nord basculer dans le
camp soviétique : c’est notamment le cas lors du putsch* d’avril 1961. Il
laisse Paris mener à son gré le processus de désengagement, et voit avec
soulagement la fin d’une confrontation difficile avec l’allié français. Celui-ci,
néanmoins, tirera de l’épreuve algérienne la conviction que l’alliance
américaine, si elle constitue un élément essentiel à la sécurité de la France, ne
peut guère contribuer à défendre ses intérêts dans le monde. D’autres
difficultés avec les États-Unis sont à venir.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Irwin M. Wall, Les États-Unis et la Guerre d’Algérie, Soleb, 2006.

ÉTUDIANTS EN FRANCE
Le poids politique du monde et des mouvements étudiants pendant la
guerre d’Algérie s’explique en partie par leur nombre. De 1954 à 1962, on
passe ainsi de 155 000 à 245 000 étudiants. Les transformations sont aussi
internes : les effectifs du droit, de la médecine et la pharmacie, de tradition
plus conservatrice, passent de 67 000 à 89 000 alors que dans la même
période ceux des lettres et des sciences doublent quasiment, passant de
80 000 à 155 000.
Ce monde étudiant est, à l’image de la société, traversé par des débats
politiques, l’activité des sections jeunes et étudiantes des partis comme des
groupes confessionnels y est importante. Mais – exception dans le paysage
syndical français – l’Unef* en assure le monopole de la représentation,
« mouvement étudiant » et Unef sont deux vocables pour une seule
organisation (voir entrée « Unef »).
La guerre d’Algérie contribue à bouleverser ce consensus, ce qui conduit
à une crise concomitante des mouvements de jeunesse sur fond de
contestation de la guerre qui se manifeste avec la mobilisation des rappelés en
1956. C’est cette même année que la direction de la Jeunesse étudiante
chrétienne (JEC) prend ses distances avec la hiérarchie de l’Église et
démissionne ; l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) s’est engagée
contre la guerre dès 1955. La crise touche les organisations politiques : la
fronde de cellules étudiantes et universitaires du PCF* conduit à la
dissolution de l’Union des jeunesses républicaines de France (UJRF)
remplacée par le Mouvement des jeunesses communistes de France (MJCF)
dont l’Union des étudiants communistes (UEC) sera une composante séparée
des autres jeunes du mouvement ; les étudiants socialistes, déjà contestataires
en 1956, sont également repris en main lors de leur 10e congrès en 1958. Ces
courants trouvent à l’Unef un toit commun, et beaucoup y exercent des
responsabilités.
L’Unef elle-même, qui vient de décider en juillet 1956 de reprendre les
relations avec les étudiants algériens de l’Ugema*, est frappée par une crise,
avec une scission, rapidement résorbée. Dix-sept associations générales
quittent l’Unef et créent un Mouvement des étudiants de France (MEF),
fondé sur « l’apolitisme » en 1957. Faute de soutien gouvernemental, la
plupart des AGE dissidentes réintègrent l’Unef. Il n’en va pas de même en
1961 quand la scission Fédération nationale des étudiants de France (FNEF)
est définitive, d’autant plus qu’elle est soutenue par le gouvernement Debré*.
Bien que se réclamant également de l’apolitisme, en son sein l’influence de
l’extrême droite est grande, notamment par l’activisme de la Fédération des
étudiants nationalistes (FEN) ouvertement pro-Algérie française et
anticommuniste. On en retrouvera dans l’OAS*.
Ces activismes sont toutefois limités aux sphères militantes estudiantines,
qui représentent plusieurs milliers de personnes, dans un monde étudiant dont
les préoccupations majoritaires tournent autour des conditions de vie et
d’études/bourses, restauration, logement*, santé*.
C’est une mesure gouvernementale qui va enclencher une mobilisation de
masse du milieu : l’instruction interministérielle d’août 1959 mettant en cause
les sursis* des étudiants. Évitant d’apparaître comme des privilégiés ne
défendant que leurs sursis, les organisations étudiantes, en premier lieu
l’Unef, doivent gagner l’opinion* en mettant en cause la guerre elle-même.
La décision gouvernementale est rapportée en mars 1960, à la suite d’une
mobilisation étudiante prolongée.
L’Unef ne pouvant – de par son caractère unitaire – avoir des prises de
position ouvertement pour l’indépendance et de soutien au FLN* et aux
déserteurs – de nombreux militants de l’Unef, de l’UEC, des étudiants du
jeune PSU*, les étudiants socialistes unifiés (ESU), s’engagent dans les
réseaux de soutien aux déserteurs et insoumis, autour du « Manifeste* des
121 », tel le réseau Jeanson*, ou le réseau Jeune Résistance, apportant une
aide concrète au FLN, sabotant l’envoi de convois de soldats. Les attentats de
l’OAS radicalisent les positions, et c’est dans ces conditions que naît en 1961
le FEA (Front étudiant antifasciste) qui se transforme rapidement en FUA
(Front universitaire antifasciste) avec des comités dans les facultés et de
nombreux lycées, notamment auprès des terminales et classes prépas.
À la fin de la guerre d’Algérie, de cette génération* ainsi politisée, un
nombre non négligeable va poursuivre l’action en se mettant « au service de
la révolution algérienne » en Algérie même, d’autres – qui se retrouvent à la
fois dans une UEC échappant de plus en plus au contrôle du PCF et dans une
Unef transformée – seront les ferments des nouvelles crises des mouvements
de jeunesse de 1965, et des « groupuscules » révolutionnaires de mai et
juin 1968. C’est en tout cas la fin du syndicalisme étudiant antérieur.
Alain MONCHABLON et Robi MORDER
Bibl. : Dossier « Étudiants et guerre d’Algérie », site du Groupe d’études et
de recherches sur les mouvements étudiants (Germe), disponible en ligne •
Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon et Robi Morder, Cent ans de
mouvements étudiants, Syllepse, 2007 • Eithan Orkibi, Les Étudiants de
France et la Guerre d’Algérie, Syllepse, 2012.

ÉTUDIANTS MUSULMANS ALGÉRIENS


L’Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord (Aeman)
fut fondée à Alger en 1919, puis l’Association des étudiants musulmans nord-
africains en France (Aemnaf) le fut à Paris en 1927. Ces associations ne
correspondaient pas à un cadre national puisqu’elles associaient les Algériens
à leurs camarades des pays voisins, la Tunisie* et le Maroc*, surtout à Paris
où les Algériens étaient en minorité parmi les étudiants musulmans venus
d’Afrique du Nord. À la fois corporatives, religieuses, et politiques, elles
cumulaient ces trois caractères que les étudiants français distinguaient alors :
les associations générales (AG) membres de l’Unef* avaient vocation à
rassembler tous les étudiants contrairement aux associations confessionnelles
et aux associations politiques.
À Alger, les étudiants musulmans très minoritaires voulurent d’abord
s’intégrer au mouvement étudiant français. Ils avaient depuis 1919 des
rapports d’opposition avec l’Association générale des étudiants d’Alger
(Agea*) qui excluait les étudiants musulmans de ses rangs, en tout cas des
fonctions dirigeantes, jusqu’en 1922, mais ils s’en rapprochèrent et s’y
intégrèrent en 1925, tout en gardant leur autonomie. En 1930, Alger accueillit
le congrès de l’Unef, qui porta à sa vice-présidence les présidents de l’Agea
(Paul Saurin) et de l’Aeman (Ferhat Abbas*). En France, au contraire,
l’Aemnaf dont la plupart des membres étaient tunisiens vota en 1930
l’exclusion des étudiants naturalisés français qui acceptaient le Code civil à la
place du statut personnel coranique, mais la majorité des étudiants algériens
refusèrent cette exclusion. Ils créèrent leur propre Association des étudiants
algériens, qui finit par rejoindre l’Aemnaf en 1937. Cependant l’Aeman
d’Alger se rapprocha de l’Aemnaf en organisant des Congrès des étudiants
musulmans nord-africains de 1931 à 1937 avec les étudiants tunisiens et
marocains de Paris, ce qui entraîna une rupture momentanée de l’Agea avec
l’Aeman de 1936 à 1938. C’est pendant la Seconde Guerre mondiale que les
étudiants algériens s’alignèrent sur les étudiants tunisiens et marocains dans
un commun patriotisme maghrébin – qui inspira aux étudiants nationalistes
membres de l’Aeman un projet d’insurrection armée durant l’été 1940 –
même si les circonstances ne permettaient pas alors son expression publique.
Après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement étudiant s’organisa
dans un cadre qui était toujours « musulman nord-africain ». Les deux
principales associations étaient l’Aeman à Alger et l’Aemnaf à Paris, qui
s’efforçait d’organiser tous les groupes d’étudiants maghrébins dans les
autres universités de la métropole. À Paris, l’Aemnaf était dominée par
l’alliance des trois grands partis nationalistes tunisien (Néo-Destour),
marocain (Istiqlal) et algérien (PPA-MTLD*). À Alger, le bureau de l’Aeman
soutenait le manifeste nationaliste de son ancien président Ferhat Abbas en
1944-1945, puis le PPA de Messali Hadj* à partir de 1945-1946. En 1949,
cependant, la crise berbériste du PPA-MTLD entraîna un recul momentané de
l’influence du parti nationaliste au profit d’une alliance entre l’UDMA* et le
PCA* (renforcé par l’adhésion au PCA de l’ancien militant berbériste du
MTLD Sadek Hadjerès*), puis une reconquête du pouvoir par les militants du
MTLD rassemblés autour de Bélaïd Abdesselam en 1951-1952. En dépit de
leurs divisions, les militants étudiants considéraient qu’ils ne pouvaient pas
avoir une action revendicative purement étudiante sans s’intéresser au
problème de l’enseignement dans l’Algérie coloniale. Ils voulaient donc jouer
leur rôle dans le mouvement national anticolonialiste, mais à l’échelle du
Maghreb. Cette organisation prit forme, en 1952-1953, à travers l’Union
musulmane des étudiants maghrébins, mais, dès 1953, celle-ci éclata parce
que les Tunisiens avaient fondé leur propre UGET (Union générale des
étudiants tunisiens).
Les militants étudiants algériens décidèrent alors de se réorganiser dans
un cadre algérien, d’où le projet d’Union générale des étudiants musulmans
algériens* (Ugema) qui fut lancé en 1954 par les étudiants d’Alger, mais qui
se vit opposer un projet d’Ugea, la question étant de savoir si l’on devait ou
non afficher la référence religieuse à l’islam. La définition de l’union
nationale algérienne divisa les étudiants algériens en deux tendances. D’une
part, le PCA, l’UDMA, et certains éléments du MTLD (notamment
Mohammed Harbi*) voulaient admettre tous les étudiants se considérant
comme algériens sans distinction d’origine ou de religion. Ils avaient fondé,
en 1953, l’Union des étudiants algériens de Paris (UEAP) qui devait être le
premier élément de l’Union nationale des étudiants algériens (Unea). Mais,
d’autre part, la majorité des étudiants MTLD, animés par Bélaïd Abdesselam
à Paris et par Mohamed Benyahia à Alger, proposèrent de constituer
l’Ugema, en promettant que le « M » n’avait pas une signification
confessionnelle, mais culturelle, et qu’il serait supprimé après l’indépendance
de l’Algérie. Les deux unions tinrent leurs congrès constitutifs à Paris en
juillet 1955, mais la plupart des étudiants algériens choisirent l’Ugema, et les
partisans de l’Unea sabordèrent leur organisation.
Guy PERVILLÉ

ÉVASIONS (ALGÉRIE)
En l’absence d’un état des lieux exhaustif des évasions réussies ou mises
en échec en Algérie, il est difficile d’en présenter une vue d’ensemble. Au
début de la guerre, les évasions ne concernent que les Algériens liés au
FLN*. Les dernières années, les détenus de l’OAS* prennent à leur tour le
relais. Quelques évasions ont défrayé la chronique comme celle du Coudiat
avec Ben Boulaïd* en novembre 1955 ou encore l’évasion de 13 détenus du
pénitencier de Lambèse en avril 1961.
Bien avant 1954, plusieurs militants de l’Organisation spéciale* (OS)
dont Zighoud* Youcef, Mostefa Benaouda, Slimane Barkat et Abdesselam
Bekkouche réussissent à s’enfuir de la prison* civile de Bône au mois
d’avril 1951, suivis par Ben Bella* et Ahmed Mahsas* internés à la prison de
Blida le 16 mars 1952.
Au soir du 11 novembre 1955, le chef de la zone de l’Aurès, Mostefa Ben
Boulaïd et dix de ses compagnons, tous condamnés à mort par le tribunal
militaire, s’évadent de la prison du Coudiat de Constantine. Ben Boulaïd
laisse une lettre (Anom 93/4304) écrite au nom des condamnés à mort où il
explique le but de leur combat, à savoir « une République algérienne élue au
suffrage universel, sans distinction de race ni de religion ». Il retrace les
préparatifs de l’évasion, déniant toute complicité de la part de la direction et
des gardiens de la prison ou des avocats qui lui ont rendu visite. Tous les
évadés ont échappé aux recherches policières.
Le commandant Azzedine*, arrêté le 14 juillet 1956, parvient également
à s’évader de la prison de Tablat au mois d’octobre, en compagnie de treize
codétenus.
Le 1er novembre 1961, Benguesmia Chadly Djillali, membre d’un réseau
de fida cumulant plusieurs condamnations, parvient après deux tentatives à
sortir de la prison civile d’Oran dans une benne à ordures.
L’année 1962 s’ouvre sur l’évasion de 51 détenus de la maison centrale
d’Orléansville.
De son côté, le 15 janvier 1962, Arroumia Draoua Mohammed quitte la
prison civile d’Oran avec trois compagnons avec la connivence du gardien
Abed Bey. Rattrapés, ils sont exécutés.
On s’évade aussi des camps. Le début de l’année 1956, trois évasions
planifiées par Hihi El Mekki permettent à de nombreux détenus au camp
d’internement* d’El Djorf (M’sila) de rejoindre le maquis. Tout autre est la
grande évasion des prisonniers* du camp de Paul Cazelles d’où 135 détenus
prennent la clé des champs le 13 décembre 1960. La vaste opération lancée
pour retrouver les fuyards permet de rattraper 35 détenus. Du camp de Saint-
Leu, Ben Adda Benaouda dit Si Zaghloul, condamné à mort, réussit à s’en
évader le 26 décembre 1961.
Dans les années 1960, les détenus de l’OAS parviennent à s’évader soit
des hôpitaux, soit des prisons. Ainsi lors de la semaine des barricades* (fin
janvier 1960), un commando d’activistes « libère » Philippe de Castille de
l’hôpital avec deux autres complices. À la prison du Coudiat de Constantine,
le matin du 26 septembre 1961, deux activistes, dont Jean-Claude Hourdeaux,
parviennent à ouvrir la porte située à l’arrière du bâtiment. Dans leur sillage,
26 détenus algériens profitent de l’aubaine et franchissent la porte laissée
ouverte.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : L’Année du Maghreb, no 20, L’inévitable prison, 2019 • Mohamed
Freha, Oran, du mouvement national à la guerre de libération, 1945-1962,
t. I, Oran, El Oufia Talita, 2010 • Mahfoud Kaddache, Récits de feu, Alger,
SNED/El Moudjahid, 1977.
ÉVASIONS (FRANCE)
Les détenus politiques en France s’organisent et se mobilisent, certes,
mais ils pensent aussi à l’évasion bien que tous ne la cherchent pas (les
objecteurs de conscience acceptent la détention). Pour sa part, la Fédération
de France* du FLN* opte pour une « neutralité bienveillante » car si
l’évasion est risquée (représailles et conflits entre détenus), elle relève d’un
droit du détenu. Seules quelques opérations ont été organisées de l’extérieur,
généralement pour libérer des cadres ou des détenus susceptibles de frapper
l’opinion*, mais elles ont rarement réussi. À noter : l’évasion de six femmes
de la prison* de la Petite-Roquette, en 1961, nécessitant un appui extérieur
(collectif des avocats*, réseau de soutien) et des préparatifs intérieurs
(barreaux sciés des WC, tissage d’une corde). Plus nombreuses ont été les
évasions (ou tentatives) d’individus ayant agi seuls ou en petits groupes, en
secret. Ainsi Fodil Bensalem, en 1961, sort sereinement parmi le public grâce
à des faux jetons de visiteurs, une métamorphose physique (barbe coupée) et
une longue cache dans une douche désaffectée de Fresnes. Une quinzaine de
détenus FLN quitte également la prison de Loos-lez-Lille toujours en 1961
par un tunnel creusé patiemment. Mettant à profit les angles morts des
prisons (douches, infirmeries, transports, etc.), les évasions usent
généralement de la ruse, voire de procédés fantaisistes : transformation de
flûtes (djouaks) en sarbacanes anesthésiantes, malles percées, etc. La force
peut néanmoins être utilisée : fin 1961, six détenus, ayant reçu des armes,
s’évadent de la prison de Chambéry en tuant trois gardiens. Il est impossible
d’évaluer le nombre d’évasions (ou de tentatives), ni d’en donner une
chronologie, même si elles semblent s’être accentuées avec le temps : en
1961, quatorze tentatives sont recensées à Fresnes. Chaque évasion (ou
tentative) aboutit à des sanctions dans l’administration (mutations du
directeur, poursuites des gardiens) et chez les détenus (suspension de droits),
ainsi qu’au renforcement de la sécurité des bâtiments.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Ahmed Doum, De la casbah d’Alger à la prison de Fresnes, 1945-
1962, Alger, Casbah, 1999 • Fanny Layani, « “Le ciel est bleu comme une
chaîne.” L’incarcération des militants de l’indépendance algérienne dans les
prisons de France métropolitaine, 1954-1962 », mémoire de Master 2 sous la
dir. de R. Branche, Paris-1, 2012 • Mohand Zeggagh, Prisonniers politiques
FLN en France pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962. La prison, un
champ de bataille, Publisud, 2012.

ÉVIAN, ACCORDS D’
Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962, après deux ans de
négociations*. L’indépendance n’a pas été préalablement reconnue mais,
d’évidence, l’autodétermination des Algériens, qui est prévue, y conduira.
Aussi les accords ont-ils une double dimension : point de départ d’un
processus de sortie de guerre et règlement des questions divisant les deux
parties. Signe de leur importance, ils sont scellés à l’échelon gouvernemental.
Côté français, sont présents Louis Joxe*, ministre des Affaires algériennes,
Jean de Broglie, secrétaire d’État au Sahara, et Robert Buron, ministre des
Travaux publics qui apporte le soutien de son parti (le MRP*). Le GPRA* a
quant à lui envoyé Krim* Belkacem, vice-président et ministre de l’Intérieur,
Lakhdar Bentobbal*, ministre d’État, M’hamed Yazid, ministre de
l’Information et Saâd Dahlab*, ministre des Affaires extérieures. La France
ne reconnaissant pas le GPRA cependant, seul Krim Belkacem signe le texte
final en tant que chef de la délégation algérienne. Les accords figurent au
Journal officiel français sous la forme d’un accord de cessez-le-feu suivi
d’une série de déclarations dites « gouvernementales », comme si elles étaient
unilatérales.
Le cessez-le-feu est fixé au lendemain de la signature, le 19 mars 1962* à
12 heures. Il s’accompagne d’une amnistie* permettant la libération de tous
les détenus et internés algériens. Il n’est pas écrit qu’elle est réciproque mais
il est évident que l’amnistie des Algériens engagés dans la lutte pour
l’indépendance aura pour pendant celle des forces françaises (policiers et
militaires) qui leur ont été opposées. Dans l’immédiat, une période
d’administration transitoire est prévue. Un Exécutif provisoire*, prenant
l’Algérie en charge, a six mois pour organiser le référendum*
d’autodétermination. Ensuite, « si la solution d’indépendance et de
coopération est adoptée », l’Exécutif provisoire a trois semaines pour
organiser des élections désignant « l’Assemblée nationale algérienne à
laquelle il remettra ses pouvoirs ».
Les accords concernent en outre le statut des Français restant en Algérie,
l’exploitation des richesses sahariennes, la pérennité de la présence militaire
française ainsi que la coopération économique, financière, culturelle et
technique. Trois ans sont donnés aux Français d’Algérie pour choisir leur
nationalité*. Il leur est notamment permis de « transporter leurs biens
mobiliers, liquider leurs biens immobiliers, transférer leurs capitaux ».
« Aucune mesure arbitraire ou discriminatoire ne sera prise à l’encontre des
biens, intérêts et droits acquis des ressortissants français », est-il spécifié ;
toute privation fera l’objet d’une « indemnité équitable préalablement fixée ».
La coopération financière et économique doit reposer sur une garantie des
« intérêts de la France et des droits acquis des personnes physiques et
morales ». L’ancienne puissance coloniale doit de son côté apporter à la
nation nouvelle « une aide financière privilégiée ». Autorisée à exploiter les
hydrocarbures sahariens, elle bénéficie d’une « préférence » dans l’octroi de
permis miniers. Militairement, elle conserve la base de Mers El Kébir pour
quinze ans et pourra continuer ses essais nucléaires* dans le Sahara pendant
cinq ans. Elle pourra entretenir sur place une force de 80 000 hommes.
Ces accords sont immédiatement critiqués par les opposants internes des
deux camps. En France, les partisans de l’Algérie française y voient un
abandon coupable. Côté algérien, ceux qui refusent par principe toute
négociation les dénoncent comme néocolonialistes. Ahmed Ben Bella* et le
colonel Houari Boumediene*, en particulier, défendent ce point de vue. Leur
position est d’autant plus cruciale qu’ils deviennent les deux premiers
présidents de la toute nouvelle République algérienne démocratique et
populaire (Ben Bella de 1962 à 1965, Boumediene ensuite, après un coup
d’État renversant son ancien allié). Eux ne se sentent pas tenus par des
accords qu’ils ont rejetés et qui contreviennent à leurs options politiques.
Outre le fait que les Français d’Algérie quittent massivement le pays en
1962, ainsi s’explique que les garanties prévues pour eux sont restées en
grande partie vaines. La législation algérienne sur les biens déclarés vacants,
en raison de l’absence de leurs propriétaires, ainsi que la nationalisation des
terres ne respectent pas les engagements pris à Évian. Pour Guy Pervillé*, les
dirigeants algériens ont ainsi révisé les accords, unilatéralement.
Ce n’est pas le cas, cependant, dans les autres domaines. Les accords ont
été respectés sur les plans économique et militaire. La France poursuit ses
essais nucléaires dans le Sahara, quitte Mers El Kébir sans conflit en 1968 et
exploite les hydrocarbures jusqu’à la nationalisation de 1971. La coopération
l’a également emporté car Ben Bella puis Boumediene n’ont pas le choix,
tant la colonisation a laissé l’Algérie démunie. Jusqu’en 1962, les Français
assuraient les fonctions d’encadrement, dans le public comme dans le privé,
tandis que les « musulmans », souffrant de discriminations scolaires et
statutaires, y étaient très peu nombreux. Aussi, de 1962 à 1969, selon
Charles-Robert Ageron*, la France et l’Algérie signent 72 accords de
coopération, suscitant, dit l’historien, des jalousies au Maroc* et en Tunisie*.
Des coopérants de nations ayant soutenu la lutte algérienne pour
l’indépendance (pays arabo-musulmans, du bloc de l’Est ou encore Cuba)
remplacent cependant progressivement les Français. De même, la liberté de
circulation accordée aux ressortissants algériens à Évian témoigne de liens
privilégiés dans l’immédiat après-guerre. Assez vite remise en cause par les
deux parties, elle est officiellement enterrée en 1968.
Surtout, le processus de sortie de guerre défini par les accords (cessez-le-
feu puis autodétermination) est bien appliqué ; et ce, en dépit des violences
qui suivent le 19 mars 1962. Le déficit de maintien de l’ordre est alors
général. Les accords ont prévu un système qui peine à se réaliser :
constitution d’une « Force locale* », embauche d’attachés temporaires
occasionnels (ATO). L’OAS* se déchaîne pour empêcher l’organisation du
référendum et éviter l’indépendance. Elle mobilise les Français d’Algérie
dont des dizaines sont tués dans la répression d’un cortège, rue d’Isly*, à
Alger, le 26 mars. Au nom de la lutte contre l’OAS, des groupes armés
algériens enlèvent des Français d’Algérie dont certains disparaissent. Les
représailles envers les harkis* débutent aussi.
Les Français de métropole approuvent les accords par référendum, le
8 avril 1962 (90 % des votants, avec un taux d’abstention de 24 %) ; ils
signifient en effet que les jeunes hommes ne partiront plus. En Algérie,
l’indépendance recouvre les accords d’Évian comme symbole de la victoire.
Après le référendum d’autodétermination le 1er juillet, la reconnaissance du
résultat par de Gaulle* le 3, l’indépendance est fêtée le 5. « Misson
accomplie », estime Saâd Dahlab, l’un des négociateurs d’Évian. Une guerre
civile suit cependant. L’Exécutif provisoire passe le relais à la République
algérienne le 25 septembre 1962 seulement.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Les accords d’Évian (1962) », Vingtième
Siècle, no 35, 1992 • René Gallissot (dir.), Les Accords d’Évian en
conjoncture et en longue durée, Karthala, 1997 • Saâd Dahlab, Mission
accomplie pour l’indépendance de l’Algérie, Alger, Dahlab, 1990.
EXÉCUTIF PROVISOIRE
Les accords d’Évian* signés entre le gouvernement français et le GPRA*
organisent une sortie de guerre, progressive, devant s’achever par un
référendum* d’autodétermination sur l’indépendance avant le passage de
relais au nouvel État algérien. Le processus débute avec le cessez-le-feu, le
19 mars 1962*, suivi d’une période transitoire dans l’attente du référendum.
Dans cette perspective, les accords prévoient de nouvelles institutions*.
Un haut-commissaire, placé sous l’autorité du ministre d’État chargé des
Affaires algériennes, Christian Fouchet*, est désigné et un gouvernement de
fait, l’Exécutif provisoire est mis en place. La composition de cette instance
résulte d’un dosage pragmatique entre libéraux français et algériens, partisans
de la politique gaullienne en Algérie et nationalistes du FLN*, hommes
rompus aux arcanes des IVe et Ve Républiques* et nouvelle génération* de
cadres et intellectuels issus de la révolution algérienne.
Les prérogatives de l’Exécutif provisoire sont importantes et régaliennes :
assurer la gestion des affaires publiques propres à l’Algérie, diriger son
administration, faire accéder les Algériens aux emplois dans différentes
branches de l’administration, maintenir l’ordre public (avec des services de
police* et une force d’ordre, la « Force locale* » estimée à 40 000 hommes)
et surtout préparer et mettre en œuvre l’autodétermination.
Né en 1911 à Akbou (Kabylie), son président, Abderrahmane Farès,
diplômé en droit, a été le premier notaire musulman d’Algérie. Proche de la
SFIO*, il a siégé au Conseil général d’Alger, puis, en 1946, à la première
Assemblée constituante française. En 1953, il a présidé l’Assemblée
algérienne. Après avoir longtemps défendu la solution de l’intégration de
l’Algérie, il a soutenu le FLN en collectant des fonds à son profit, ce qui lui a
valu d’être arrêté, le 4 novembre 1961, pour atteinte à la sûreté de l’État. Il
est libéré avec le cessez-le-feu pour présider l’Exécutif provisoire. Sa
nomination, résultat d’un compromis entre le GPRA et le gouvernement
français, est mal accueillie par l’ALN* qui l’associe à la « Troisième force ».
Dans la Wilaya 4*, il reçoit le sobriquet de « Bao Daï » algérien.
Chawki Mostefaï, pour sa part, préside le groupe FLN au sein de
l’Exécutif provisoire. Selon M’hamed Yazid, porte-parole du GPRA, il
possède trois qualités : bénéficier de la confiance du FLN, jouir d’une
notoriété suffisante auprès de la masse musulmane et apparaître comme un
élément d’apaisement pour les Européens. Tout comme celle de Farès et des
autres membres, sa désignation témoigne de l’importance que revêt, pour les
négociateurs d’Évian, l’avenir de la cohabitation entre les deux communautés
à l’indépendance. Ainsi, la vice-présidence de l’Exécutif provisoire échoit à
Roger Roth, les Travaux publics à Charles Koenig, les Affaires financières à
Jean Mannoni, l’Agriculture* à M’hamed Cheikh, l’Ordre public à
Abdelkader El Hassar, les Affaires culturelles à Brahim Bayoud. Les autres
portefeuilles reviennent aux représentants du FLN : les Affaires économiques
à Bélaïd Abdesselam, les Affaires administratives à Abderrezak Chentouf, les
Affaires sociales à Boumediene Hamidou et les Postes à Mohamed
Benteftifa. Quant à la Force locale, elle est confiée au préfet* de Saïda, Omar
Mokdad.
L’Exécutif provisoire et la Force locale font débat au sein du FLN.
Ahmed Ben Bella* estime que la majorité de ses membres sont des « relais
du gouvernement français ». Son avis est partagé par l’EMG* et les wilayas.
La Force locale aurait ainsi pu être utilisée par le GPRA pour contrôler les
wilayas, limiter leur champ d’action à l’intérieur et en même temps
contrecarrer toute velléité de l’armée des frontières* de s’imposer à
l’indépendance. Avec des effectifs pouvant aller jusqu’à 60 000 hommes, elle
autorisait toute spéculation sur ses finalités politiques. Responsable du
maintien de l’ordre entre le cessez-le-feu et la proclamation des résultats du
référendum d’autodétermination, elle devait assurer des missions de
surveillance générale, de protection des personnes et des biens et du maintien
de l’ordre. Cet échafaudage ne résiste cependant pas à la complexité de la fin
de la guerre. Au jour du référendum d’autodétermination (1er juillet), la Force
locale implose. Une partie de ses membres rejoignent l’ALN avec leurs
armes, accentuant la crise du FLN à l’été 1962* et nourrissant ainsi le
« wilayisme ».
Cependant, l’implosion de la Force locale n’empêche l’Exécutif
provisoire d’organiser le référendum d’autodétermination du 1er juillet.
L’Exécutif provisoire assume alors les pouvoirs devant être ensuite dévolus à
l’État algérien indépendant. Farès et son équipe réussissent alors cahin-caha à
assurer un équilibre entre les différentes factions s’opposant : groupe de
Tlemcen*, groupe de Tizi Ouzou*, les wilayas et l’EMG. L’Exécutif
provisoire reste en fonction jusqu’à l’élection-cooptation de l’Assemblée
nationale le 20 septembre 1962.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, 1954-
1962, Seuil, 1982 • Abderrahmane Farès, La Cruelle Vérité. Mémoires
politiques, Alger, Casbah, 2006 • Maurice Flory, « La fin de la souveraineté
française en Algérie », Annuaire français de droit international, vol. 8,
1962 • Maurice Vaïsse (dir.), Vers la paix en Algérie. Les négociations
d’Évian dans les archives diplomatiques françaises. 15 janvier 1961-29 juin
1962, Bruxelles, Bruylant, 2003.

EXÉCUTIONS SOMMAIRES
En contexte militaire, une exécution sommaire est la mise à mort d’un
individu hors combat et sans sommation. En Algérie, le cadre légal a
cependant posé un problème spécifique car le droit de la guerre n’est pas
officiellement appliqué. L’action des forces de l’ordre est encadrée par un
droit d’exception, dont l’état d’urgence* est la première pierre. La non-
application du droit de la guerre ouvre une vaste question : dans quelles
conditions les soldats peuvent-ils faire feu sans risquer des poursuites
judiciaires ? De ce fait, des directives et circulaires fondamentales sont prises
en 1955. Elles forment un corpus définissant théoriquement la légitimité
d’une exécution sur le terrain. Le 13 mai 1955, d’abord, une directive du
commandant des Aurès-Nemencha – reprenant les orientations discrètement
fixées par le ministre de l’Intérieur et le gouverneur général Jacques
Soustelle* – ordonne que tout « rebelle » pris les armes à la main soit abattu.
Puis le 1er juillet 1955, une circulaire des ministres de la Justice et des Forces
armées liste les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent ouvrir
le feu : tout « rebelle » faisant usage d’une arme ou aperçu une arme à la
main ou en train d’accomplir une exaction peut alors être tué sur-le-champ,
de même que tout suspect qui tente de s’enfuir. En toute logique avec ces
préconisations, pendant toute la guerre, les militaires qui officialiseront leurs
exécutions (ce n’était pas toujours le cas) déclareront leurs victimes comme
des « fuyards abattus ». Enfin, le 3 août 1955, le ministre la Justice fait
clôturer les informations judiciaires ouvertes après des exécutions lorsqu’il
ressort que les faits sont justifiés par les circonstances, la nécessité ou l’ordre
de la loi. Les pouvoirs spéciaux* accordés par la loi du 16 mars 1956
renforcent encore les prérogatives des forces de l’ordre, même si dans une
note du 13 octobre 1956, le général Lorillot*, commandant la 10e RM, exige
le respect des « dispositions humanitaires prévues par la convention de
Genève* », sous peine de sanctions.
Dans cette guerre que l’armée définit comme une guerre
insurrectionnelle, les circonstances des exécutions sont très variables. Les
soldats les justifient par la mort de leurs camarades au combat, suscitant des
désirs de vengeance ou encore par la nécessité de faire disparaître un
prisonnier*, pour des raisons diverses : son état physique ou psychique
prouverait l’usage de la torture*, par exemple, ou, plus simplement, parce que
la garde du captif aurait gêné l’activité opérationnelle de l’unité. Pour sa part,
le commandement, en particulier lorsqu’il doit se justifier auprès des autorités
politiques, présente les exécutions sommaires comme des exécutions extra-
judiciaires. L’armée se substituerait ainsi à la justice, décriée pour son
laxisme, sa mansuétude, son inefficacité. Il s’agirait donc d’une forme de
justice expéditive. L’exemple le plus connu est celui du colonel Argoud* qui
procède à des exécutions en place publique. Sa logique est cependant une
logique de terreur : ces exécutions témoignent aux yeux de tous des risques
encourus et du pouvoir acquis par l’armée sur le terrain – les soldats ont droit
de vie ou de mort. Les appréciations de sa hiérarchie, aux divers échelons
supérieurs, ont divergé : si les généraux Massu* et Pâris de Bollardière* lui
ont ordonné de cesser de telles pratiques, le commandant en chef Raoul
Salan* l’a implicitement soutenu et le général Allard* l’aurait encouragé à
déplacer les populations en camion pour les faire assister aux exécutions.
Rares sont les exécutions sommaires qui font l’objet de poursuites. Seul
un gendarme auxiliaire musulman est inculpé fin 1955 pour avoir abattu un
suspect. L’exécution ayant été filmée par un reporter américain, elle suscite
un vif mais bref émoi : c’est l’affaire d’Aïn Abid. Puis le drame de Palestro*
et les attentats à la bombe à Alger sont opposés, dans le débat public français,
à la dénonciation de la répression. Après le scandale de la torture en 1957, la
parole se libère vraiment en 1958. Des prêtres-ouvriers de la Mission de
France* rendent publique une lettre dans laquelle un appelé relate les
« corvées bois* ». La pratique est généralisée : elle concerne, outre l’armée
de terre*, la gendarmerie*. Elle est aussi contre-productive, selon le
commandant en chef Raoul Salan qui crée, en 1958, des centres militaires
d’internés* (CMI). L’armée y place les djounoud capturés qu’elle juge
opportun de garder sous son contrôle, les soumettant à une « rééducation* »
afin de les « retourner ». Ces structures sont censées décharger rapidement les
unités de leurs prisonniers, avec la perspective qu’ils rallient le camp de la
France. Elles serviraient donc à faire reculer le nombre des exécutions
sommaires – le nombre de CMI reste cependant très faible (7 en 1960) et
seuls quelques milliers d’hommes (4 500 au maximum) y sont détenus. En
1960, une enquête confiée à Maurice Patin*, président de la Commission de
sauvegarde*, conclut que la logique fonctionne. Les exécutions sommaires
diminueraient. Il reconnaît pourtant se fonder sur les procès-verbaux pour
« fuyards abattus » officiellement dressés, qui ne reflètent que les
déclarations et non la réalité de la pratique.
Des cadres de l’armée s’y sont opposés catégoriquement, quand pour
d’autres les exécutions ont une dimension d’exercice de la terreur, présentée
comme une contre-terreur face au FLN*. Paul Aussaresses* s’en est ainsi
revendiqué. Dans le cas des appelés du contingent*, des exécutions
sommaires ont pu résulter des carences de l’encadrement. Les sanctions à
l’égard de leurs auteurs sont exceptionnelles pendant la guerre. Puis aucune
poursuite n’a pu être engagée après le cessez-le-feu en raison de l’amnistie*.
Prévue pour les détenus algériens dans les accords d’Évian*, elle bénéficie
également aux membres des forces de l’ordre françaises par le décret no 62-
327 du 22 mars 1962 et ses ordonnances d’application du 14 avril, amnistiant
les auteurs d’infractions commises au « titre de l’insurrection algérienne ».
L’amnistie n’est toutefois pas synonyme d’amnésie. Aussi le sujet est-il
publiquement évoqué, avec celui de la torture, sans que de nouvelles enquêtes
soient lancées ni une reconnaissance proclamée. Est-il du reste possible de les
quantifier précisément, tant les sources sont rares et qu’aucun décompte ne
figure dans les archives* militaires ? Des statistiques de la 10e RM font état
qu’un quart des combattants algériens capturés entre 1955 et 1958 sont tués,
officiellement après avoir tenté de se soustraire au contrôle ou à l’emprise des
forces de l’ordre – ce qui reste toujours invérifiable au cas par cas. Se basant
sur les journaux des marches et des opérations* (JMO), l’historien Gilbert
Meynier* a établi un décompte de 21 132 « fuyards » abattus sur les 145 195
« rebelles » tués par les forces de l’ordre entre janvier 1955 et février 1962,
ce qui correspond à 14,55 % des pertes du FLN.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN,
Fayard, 2002 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la
guerre d’Algérie, La Découverte, 2004.
F

FANON, FRANTZ (1925-1961)


Pour exceptionnel qu’il semble, l’itinéraire de Frantz Fanon qui va le
mener de la Martinique (où il passe sa jeunesse d’enfant en pays dominé), à
la France où il fait ses études de médecine puis à l’Algérie en guerre
anticoloniale, s’inscrit dans une logique dont les bases sont dans son
engagement pour la liberté et l’analyse de la domination coloniale. Il en
démonte les mécanismes, notamment dans un de ses aspects, le racisme*
comme « fabrique » du noir mais aussi du blanc (Peau noire, masques
blancs, Seuil, 1952).
Il arrive en Algérie en 1953 comme médecin et entre en contact avec des
militants algériens. Directeur de l’hôpital psychiatrique de Blida, il y initie la
sociothérapie et l’ergothérapie, qui prennent en compte la société et la culture
des patients. Il analyse les structures du monde colonial et de ses aliénations.
Il est confronté à la violence extrême de la torture* subie par les suppliciés
mais aussi à ses conséquences chez les tortionnaires.
Il démissionne de son poste en 1956. Expulsé d’Algérie l’année suivante,
il rejoint le FLN*. En Tunisie*, il écrit dans le journal El Moudjahid et fait
partie de la délégation algérienne au Congrès panafricain d’Accra*. Il est
nommé ambassadeur du GPRA* au Ghana et dispose d’un passeport
« algérien » au nom de Frantz Omar Fanon.
Dans ses essais (L’an V de la révolution algérienne, 1959, interdit en
Algérie), il analyse les transformations de la société colonisée quand elle
entre en lutte pour son indépendance. Ainsi, les femmes* quittent les rôles et
places qui leur étaient fixés dans une société arcboutée sur ses dernières
possibilités de résistance (la famille, la langue…). Il décrit l’impact de
vecteurs de modernité comme la radio*.
Dans son dernier essai, Les Damnés de la terre (Maspero, 1961), il
analyse la nécessité et le processus de la violence libératrice et son obligatoire
radicalité. L’écrivain doit s’engager et se mettre à l’écoute du peuple. Mais il
pressent déjà les dérives des postindépendances.
Il meurt de leucémie aux États-Unis*. Son corps est ramené en Tunisie.
Transporté à dos d’homme par des combattants algériens malgré le barrage
électrifié* (Morice et Challe), il est enterré en terre algérienne. Il repose au
village d’Aïn Kerma (Tarf) au cimetière des martyrs de la lutte de libération.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Alice Cherki, Frantz Fanon. Portrait, Seuil, 2000 • Frantz Fanon, Les
Damnés de la terre, Maspero, 1961 • Jody Fanon, De la Martinique à
l’Algérie et à l’Afrique, L’Harmattan, 2004.

FAURE, GRATIEN (1885-?)


Connu pour avoir été le plus grand céréaliculteur privé de la colonie
(6 000 ha), Gratien Faure, dit le « seigneur du blé », est resté célèbre pour
avoir été le défenseur intransigeant de l’Algérie française. Il se présentait
comme l’« ultra » type.
Il est le descendant d’une famille d’agriculteurs venus de la Drôme. Fils
de petit colon, il est, en 1909, élu maire* de son village natal. Il n’a ni
fortune, ni parti, ni journal. En 1911, il épouse Suzanne Lochard, fille d’un
grand fermier. Il est conseiller général de Constantine de 1920 à 1935. « Très
écouté de l’administration coloniale » (JORF, 6 avril 1944, p. 18), il a
l’opportunité d’obtenir de nouvelles concessions foncières. En 1930, il est
déjà à la tête de 700 hectares céréalières dans les hautes plaines
constantinoises. En 1936, la mévente des blés en fait un défenseur des petits
colons*. Il fait campagne dans le journal L’Agriculteur contre l’importation
de blés étrangers. Il est alors élu président de l’Union des syndicats agricoles,
puis de la Chambre d’agriculture*. Il se distingue déjà par sa défense des
« petits-blancs », par ses discours nationalistes et par son suprémacisme vis-
à-vis des musulmans.
En 1938, il conduit à Paris une délégation d’élus d’Algérie pour
s’opposer au projet de loi Blum-Viollette. Défenseur du régime de Vichy, il
est reçu en septembre 1942 par le maréchal Pétain. Le journal communiste
Liberté du 26 octobre 1944 le qualifie de « féodal démagogue, politicien
véreux, industriel budgétivore et vichyssois enragé ». Les autorités ne le
classent pas comme élu « antisémite » mais comme « républicain » (La
Croix, 13 octobre 1931). Jacques Bouveresse (2008) le range dans la
catégorie « nationaliste-conservateur ». Il obtient sous Vichy la concession de
la mine de cuivre d’Aïn Barbar (Bône) en promettant de produire du sulfate
de cuivre pour les viticulteurs. Après la guerre, il rachète deux domaines au
Hamma (Sétif). En 1954, ses propriétés atteignent 6 000 hectares.
Ardent défenseur de la « supériorité » des colons, il est hostile aux
musulmans et les considère comme une menace. Il n’envisage aucune
« cohabitation » avec eux mais seulement une « coexistence » sous forme de
communautés séparées (Le Monde, 9 août 1961). Un témoin l’a vu
brandissant une mitraillette et déclarer : « Moi, les Arabes, je les descends
comme ça. » Partisan de la guerre à outrance, il éprouvait néanmoins des
doutes en privé. Dès les années 1930, il affirmait que « l’Algérie ne durera
pas » et songeait à s’installer ailleurs, en Argentine. Ce qu’il fit probablement
puisqu’on perd sa trace après l’indépendance. Mais on sait qu’en 1960, son
fils Raymond a repris le projet en achetant 6 500 hectares à Gualeguaychú,
près de Buenos Aires.
Ahmed HENNI
Bibl. : Ferhat Abbas, La Nuit coloniale, Julliard, 1962 • Jacques Bouveresse,
Un parlement colonial ? Les délégations financières algériennes, 1898-1945,
Publications des universités de Rouen et du Havre, 2008 • Claude Paillat,
Vingt ans qui déchirèrent la France, t. II, La liquidation, 1954-1962, Robert
Laffont, 1972.

FAURE, GÉNÉRAL JACQUES (1904-1988)


Né en 1904, Jacques Faure est issu d’une famille de militaires. Il intègre
Saint-Cyr en 1925. Affecté dans un régiment de chasseurs alpins en 1927, il
prend le commandement de l’équipe de France militaire de ski de 1932 à
1938. Il participe notamment aux Jeux olympiques de 1936 en Allemagne.
Débarqué à Londres, après la bataille de Narvik, Faure refuse de rejoindre la
France libre naissante et décide de rester fidèle à Vichy. Il participe alors à la
création du mouvement Jeunesse et Montagne. Il rejoint en 1943 le général
Giraud à Alger puis participe aux débarquements en Sicile (1943) et en
Provence (1944). En 1946, il prend la direction de la 25e division aéroportée.
Après plusieurs postes dans les états-majors parisiens et en Allemagne, il est
envoyé en Algérie en septembre 1956 où il dirige la 27e division alpine en
Kabylie. Son fils y est tué. Adjoint du général Manceaux-Demiau
commandant la division d’Alger en 1955-1956, il projette plusieurs complots.
Pour ce faire, il tient des réunions secrètes, où se mêlent activistes européens
et métropolitains et militaires factieux, à Alger, aux hôtels Saint-George et
Aletti. Bien que certains militaires comme Jacques Massu* considèrent que
ses complots étaient « enfantins », il projette néanmoins d’enlever le
gouverneur général en Algérie Robert Lacoste* en décembre 1956 et de le
remplacer par un militaire, le général Cogny, alors à la tête des troupes du
Maroc*. Démasqué par Paul-Henri Teitgen*, le secrétaire de la préfecture
d’Alger, son projet est éventé et il est arrêté le 28 décembre 1956. Le
7 janvier 1957, il est sanctionné, avec beaucoup de clémence, de trente jours
d’arrêt au fort de la Courneuve, avant d’être envoyé en Allemagne. Jacques
Faure se rallie sans enthousiasme à de Gaulle* en 1958. La même année, il
retourne en Algérie pour commander une division alpine en Kabylie. Il est
relevé de ses fonctions le 10 février 1960, du fait de sa sympathie pour les
organisateurs de la semaine des barricades*. Homme de tous les complots,
c’est le pivot du groupe des colonels parisiens et du « complot de Paris », une
des chevilles ouvrières de l’organisation du putsch* d’avril 1961 dont il peut
être considéré comme un des principaux initiateurs. Il est à Paris lorsque le
putsch éclate. Il doit relayer le putsch en métropole, mais la police* l’arrête
dès le 22 avril 1961. Il est condamné à dix ans de détention pénitentiaire, ce
qui met fin à la troublante indulgence dont il a jusque-là bénéficié. Il est
libéré en 1966 et amnistié en 1968. Il est réintégré dans ses droits et son
grade de général en 1982. Il meurt en 1988.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018 • Jean
Guisnel, Les Généraux. Enquête sur le pouvoir militaire en France, La
Découverte, 1990 • Michel Hardy, Hervé Lemoine, Thierry Sarmant, Pouvoir
politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes,
institutions, 1945-1962, L’Harmattan, 2002.

FAVRELIÈRE, NOËL (1934-2017)


Noël Favrelière est né le 11 mai 1934 à La Rochelle, dans une famille
d’hôteliers-restaurateurs, dont le père, socialiste, est résistant pendant la
Seconde Guerre mondiale. Il quitte le lycée à 15 ans pour devenir pilotin sur
un pétrolier à Marseille*, mais cette expérience avorte. Il tente ensuite de
s’inscrire aux Arts décoratifs à Paris, un professeur lui conseillant d’effectuer
auparavant son service militaire*. Il devance alors l’appel, en 1953,
choisissant les parachutistes* en Algérie. Bon soldat, il devient sergent. Mais
il constate le racisme* à l’égard des « Français musulmans ». Début 1956,
inscrit à l’Académie libre des beaux-arts en région parisienne, il se cultive et
se rapproche du communisme. Il se résigne à son rappel sous les drapeaux en
mai 1956. Intégré au 8e régiment de parachutistes coloniaux, il arrive en
Algérie le 17 juin. De Mers El Kébir, son unité se rend d’abord à Blida puis à
Tablat. Les exactions envers les civils exaspèrent Noël Favrelière, notamment
à compter du 20 juillet dans la région de Maginot. Le 25 août 1956, l’unité de
Favrelière se trouve à Bir El Ater, près de la frontière tunisienne. L’officier
de renseignement fait de lui son nouvel adjoint. Le lendemain, une
quarantaine de civils sont arrêtés, et certains torturés. Favrelière est alors
chargé de garder deux prisonniers*. L’un est exécuté en étant lancé d’un
hélicoptère. Refusant qu’il en soit de même pour le second, Favrelière décide
de le sauver, à la nuit tombée. Les deux hommes fuient dans le désert. Malgré
les recherches de l’armée, ils parviennent à Moularès en Tunisie* le 31 août.
Noël Favrelière suit ensuite un groupe de maquisards sur la frontière algéro-
tunisienne. Mais, ne désirant pas tuer des Français, il s’installe à Tunis
début 1957. Il y rencontre le cinéaste René Vautier*. En octobre, il part aux
États-Unis*, où il travaille auprès de la délégation algérienne à l’ONU*. Il est
condamné à mort par contumace, le 18 mai 1958, par le TPFA de
Constantine. Après un nouveau passage par Tunis, Noël Favrelière obtient à
la rentrée 1960 une bourse de l’Ugema* pour étudier en Yougoslavie*. Au
même moment, son témoignage* sort aux Éditions de Minuit et est aussitôt
saisi. Noël Favrelière revient en Tunisie en juin 1962, puis s’installe à Alger
jusqu’en 1963. Il devient alors inspecteur des musées. Il est amnistié* en
1966 mais reste travailler à l’étranger, notamment pour Renault. Il se marie
avec une danseuse étoile slovène, avec laquelle il a une fille. À la fin de sa
carrière, il travaille comme attaché culturel en Jordanie. Son histoire est
adaptée dans le film Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier. Il est
l’un des signataires de l’« Appel des douze* » en 2000. Il décède le
12 novembre 2017.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. et film. : Noël Favrelière, Le Désert à l’aube, Minuit, 1960 • Tramor
Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et
désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) »,
thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007 • René Vautier, Avoir vingt ans
dans les Aurès, film, 1972.

FÉDÉRATION DE FRANCE DU FLN


De 1954 à 1962, le FLN* et l’ALN* mènent une révolution anticoloniale
enracinée dans la société algérienne. Fondée en 1955 et supervisée par
Mohamed Boudiaf*, puis par Abane* Ramdane, la Fédération de France du
FLN est une organisation clandestine autoritaire qui n’hésite pas à recourir à
la violence pour se légitimer. Ses dirigeants sont les héritiers du PPA-
MTLD*, le parti indépendantiste qui emprunte « au modèle soviétique
d’organisation du parti et fonctionne de manière autoritaire sur le modèle du
centralisme démocratique » (G. Meynier). Les « Mémoires politiques » de
Mohammed Harbi* (Une vie debout, La Découverte, 2001) sont précieuses à
ce titre. Elles témoignent largement de ce fonctionnement.
Contrairement à l’Algérie, les premiers pas du FLN en France sont
difficiles. La différenciation entre le FLN et le MNA* de Messali Hadj*
résulte des crises internes au PPA-MTLD et de l’évolution politique qui
conduit à la Toussaint 1954. Selon Benjamin Stora*, après une phase de
« préparatifs de l’insurrection », une nouvelle phase s’ouvre avec les attentats
du 1er novembre 1954*. C’est une période de confusion : le MTLD est
dissous, Messali Hadj fonde le MNA, qui concurrence le FLN, et un débat
s’instaure entre nationalistes. Le FLN ne s’impose pas alors. La dernière
phase, selon Stora, « intervient en avril 1955, lorsqu’Abane Ramdane
entreprend de doter le FLN d’une ébauche de programme ». Le MNA trouve
cependant en France une forte audience : en 1955, pour l’immense majorité
des immigrés algériens, adhérer au MNA ce n’est pas s’opposer à la Guerre
d’indépendance, c’est refuser de la faire sans Messali.
La Fédération dispose d’une organisation politico-administrative
(nidham), d’une organisation militaire (Organisation spéciale, OS), de
groupes de choc, d’un collectif d’avocats* recrutant dans les barreaux de
France ainsi que de l’appui précieux des « porteurs de valises* ». Avec elle,
la diaspora algérienne est intégrée à la stratégie d’ensemble du FLN. Dans la
France des Trente Glorieuses, l’immigration algérienne forme un sous-
prolétariat hétérogène réparti sur l’ensemble des sites industriels de France et
de Belgique*. Quelques centaines d’Algériens résident également dans le
protectorat de la Sarre et en RFA*. Disposant d’un niveau de vie plus élevé
que la paysannerie algérienne, la classe ouvrière exilée en Europe est un
enjeu financier majeur pour le FLN comme pour le MNA. La conquête des
esprits se fait au prix du sang, après une année d’intenses controverses
politiques. Pour Abane Ramdane comme pour les dirigeants de la Fédération
de France, la victoire du FLN en Europe de l’Ouest ne peut passer que par la
destruction des messalistes. En refusant la fraternité des armes, en niant la
légitimité du combat des messalistes, la Fédération de France du FLN plonge
l’immigration algérienne dans la période la plus meurtrière de son histoire :
attentats, fusillades, exécutions sommaires* sont désormais le lot quotidien
des immigrés algériens. Dans ce contexte, les débitants de boissons tiennent
une « vocation particulière de victimes » (Le Monde, 17 octobre 1956) en
raison de leur position sociale et de l’enjeu stratégique de leur commerce. La
« guerre des cafés » est d’une rare violence.
Après l’ouverture du second front en 1958, la Fédération de France du
FLN parvient à s’imposer définitivement sur le MNA : en mars 1961, elle
contrôle, selon ses propres estimations, 30 % des Algériens basés dans le
nord et l’est de la France, 52 % dans le centre et le sud-ouest et 90 % dans la
région parisienne, soit 57 % de l’ensemble de l’émigration* algérienne. La
répression policière et judiciaire contribue cependant à déstabiliser la
Fédération. Les militants font en effet l’objet d’une étroite surveillance, les
rafles* et l’internement dans des camps d’assignation à résidence surveillée
(CARS) font partie de l’arsenal répressif. Par ailleurs, dans le département de
la Seine, la préfecture de police de Paris instaure à deux reprises (en 1958 et
en 1961) des couvre-feux temporaires pour les seuls « Français musulmans
d’Algérie » et crée des services de police* spécifiques, dont une Force de
police auxiliaire, plus connue sous l’appellation de « harkis* »
(décembre 1959). Pour remédier au manque de cadres consécutifs aux
arrestations, la Fédération fait des prisons* un espace de formation politique
et d’alphabétisation. Une fois libéré, le militant ou sympathisant dispose ainsi
d’une formation suffisante pour remplacer à son tour un cadre arrêté.
Au même titre que les wilayas, l’armée des frontières* ou le GPRA*, la
Fédération de France du FLN constitue une composante à part entière du
mouvement de libération nationale. Elle n’est donc pas une structure
indépendante, pas plus qu’« un État dans l’État » mais la représentante d’un
contre-État auquel elle doit rendre des comptes, y compris lorsque ses
dirigeants décident l’organisation de la manifestation pacifique du 17 octobre
1961*. Son nidham ou organisation politico-administrative est dupliqué sur
celui du FLN et le rapport écrit tient lieu d’acte de foi militante. À Alger
comme à Paris, ce nidham est le poumon du FLN. Il structure, coordonne
l’ensemble des actions menées. La Fédération de France du FLN dispose en
outre d’une direction collégiale désignée dans un premier temps par
Mohamed Boudiaf puis par Abane Ramdane. Chacun de ses membres est
responsable d’une branche d’activité (finances, nidham, OS, collectif des
avocats, prisons…). Cette direction, nommée Comité fédéral, est responsable
devant le CNRA*, le CCE* et le GPRA. Concrètement, deux Fédérations se
distinguent, la première ayant été décimée par les arrestations de ses
dirigeants. Il s’agissait de Mourad Terbouche, Noureddine Bensalem, Ahmed
Doum, Abderrahmane Gueras, Salah Louanchi, Mohamed Madhi, Abdelkrim
Souici*, Ahmed Taleb Ibrahimi. La seconde fédération (fin 1956-26 février
1957) est dirigée par Mohamed Lebjaoui, Rabah Bouaziz*, Tayeb
Boulahrouf, Ahmed Boumendjel*, Kaddour Ladlani*, Hocine Moundji,
Abdelkrim Souici, Ahmed Taleb Ibrahimi, Youcef Bensiam, Hocine El
Mehdaoui, Brahim Sid Ali Mebarek. À partir du 27 février 1957, Tayeb
Boulahrouf assure l’intérim jusqu’à l’arrivée de Boudaoud* le 10 juin 1957.
Durant cette période d’intérim, le Comité fédéral se compose de Tayeb
Boulahrouf (chef), Messaoud Guedroudj (logistique), Rabah Bouaziz (OS),
Moundji Zine El Abidine (finances et organisations parallèles) et Mohammed
Harbi (presse et information). Le Comité fédéral est alors nommé le Comité
des cinq.
Pensée comme une force au milieu de l’ennemi pour l’attaquer et le
miner politiquement, tout en l’isolant de ses assises populaires, la Fédération
de France du FLN est sur tous les fronts. La levée de l’impôt révolutionnaire
auprès de l’immigration algérienne constitue un enjeu vital pour le parti État-
FLN, si bien que la collecte des cotisations prend le pas sur le travail
politique de fond. En portant la guerre au sein de la métropole coloniale, le
FLN donne à la Guerre d’indépendance algérienne une résonance
européenne. Le 27 août 1961, le CNRA décide d’élever la Fédération de
France en 7e Wilaya compte tenu du rôle essentiel qu’elle joua dans la
victoire du FLN.
Linda AMIRI
Bibl. : Ali Haroun, La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France, 1954-1962,
La Découverte, 2012 [rééd.] • Gilbert Meynier, « La “Révolution” du FLN
(1954-1962) », Insaniyat, no 25-26, 2004 • Benjamin Stora, « La
différenciation entre le FLN et le courant messaliste (été 1954-
décembre 1955) », Cahiers de la Méditerranée, no 26, 1983.

FÉDÉRATION DE L’ÉDUCATION
NATIONALE (FEN)
Hasard de l’histoire, c’est pendant la Toussaint rouge que se tient le
congrès de la FEN les 1er, 2 et 3 novembre 1954. Celui-ci met au centre du
débat la libération de Messali Hadj* et le recouvrement de ses droits ; il assoit
progressivement la position majoritaire, celle d’une « conférence de La Table
ronde regroupant les représentants authentiques de toutes les populations sans
distinction aucune ». La position des représentants de l’École émancipée
portée par Gaston Diot et Henri Sarda dans L’École libératrice du 25 février
1955 prône même la possibilité pour le peuple algérien « d’élire une
constituante souveraine qui décidera du sort et du régime de l’Algérie ».
Au congrès de la FEN de novembre 1957, les positions achèvent d’être
claires ; la proposition majoritaire de La Table ronde est réaffirmée par Pierre
Desvalois ; dans le même temps la position « Guibert » prône très clairement
« l’ouverture d’une négociation* pour un cessez-le-feu avec ceux qui
combattent devant aboutir à un règlement politique sur la base du droit à
l’indépendance des populations autochtones ». L’École émancipée se
prononce aussi pour « le droit à l’autodétermination ».
C’est bien la rupture du tabou, à travers la reconnaissance « du droit à
l’autodétermination du peuple algérien », qui fait évoluer les positions. Dès
lors, c’est la question de la représentativité des interlocuteurs qui fait débat.
La majorité a déjà introduit des interlocuteurs autres que le FLN*, comme le
MNA* et les « Européens », dans le jeu politique.
L’unité syndicale se ressoude dans l’action, notamment dans la
préparation et l’engagement de la grande grève* du 1er février 1960. Certes,
des polémiques continuent à diviser les syndicats sur les interlocuteurs
représentatifs des populations et combattants.
Le 17 février 1961 à Genève a lieu une rencontre entre les syndicats
algériens de tendance FLN et les représentants de la CGT*, de la CFTC* et
de la FEN. Au fur et à mesure que le congrès de la FEN de novembre 1961
approche et que les violences redoublent, la question de la représentativité de
l’interlocuteur « essentiel ou principal » se pose de manière aiguë.
Au congrès de novembre 1962, la motion majoritaire s’inscrit dans la
perspective de la coopération ; en saluant la jeune nation algérienne « elle
exprime le vœu fervent qu’elle bâtisse démocratiquement l’Algérie
indépendante, coopérant librement avec la France » alors que l’École
émancipée récuse les accords d’Évian* qui visent à « sauvegarder pour un
temps les intérêts de l’impérialisme français en Algérie… ». Quant à Unité et
Action tout en saluant « la naissance de l’Algérie indépendante […] souhaite
que dans une atmosphère nouvelle excluant tout néocolonialisme, toute
sujétion économique, des relations fraternelles s’établissent entre les peuples
français et algérien ».
Aissa KADRI
Bibl. : Guy Brucy, Histoire de la FEN, Belin, 2003 • L’École libératrice,
organe du Syndicat national des instituteurs et institutrices de l’Union
française.

FEMMES ET FLN
L’adhésion des populations rurales et urbaines à la lutte anticoloniale est
au cœur de la stratégie de guerre révolutionnaire* adoptée par le FLN*. Dès
le 1er Novembre*, les femmes des campagnes jouent un rôle de premier plan :
ce sont elles qui cachent les maquisards, leur font à manger et soignent les
blessés.
Le recrutement des femmes des villes s’accélère dans le courant de
l’année 1956 avec le passage à la guerre urbaine. La capacité des femmes à se
déplacer en se faisant moins remarquer, voire pas du tout, dans les milieux
européens pour transporter des messages, des armes et commettre des
attentats est un atout stratégique pour le FLN. Peu nombreuses mais très
médiatisées, les poseuses de bombes étaient presque toutes jeunes et avaient
reçu une éducation à l’école française, contrairement à la grande majorité des
femmes algériennes, analphabètes à 95 %. Une fois repérées en ville par les
autorités coloniales, et pour éviter une arrestation, certaines femmes du
réseau urbain montent au maquis. La grève* des étudiants* et des lycéens en
mai 1956 incite aussi quelques étudiantes à rejoindre le maquis.
Au congrès de la Soummam*, en août 1956, « le Mouvement des
femmes » est ainsi reconnu comme porteur « d’immenses possibilités » pour
développer un soutien moral au combat indépendantiste, fournir un soutien
logistique à la lutte armée et construire des alliances politiques. Cependant, le
FLN n’envisage pas la mise en place d’une organisation politique autonome
des femmes algériennes. En 1957, en pleine bataille d’Alger*, la Zone
autonome d’Alger* a planifié la création d’une organisation spécifiquement
féminine, axée sur le soutien logistique et permettant à un certain nombre de
femmes d’aller vers l’organisation politico-militaire. Ce plan conçu par Zohra
Drif* et Yacef Saadi* est stoppé avec leur arrestation. Les grades sont
rarement conférés aux femmes malgré quelques exceptions, telles que Nefissa
Hamoud*, médecin et commandant de l’ALN*.
La présence des femmes au combat rompt avec les normes
socioculturelles et la séparation des sexes. Les documents internes de l’ALN,
ainsi que les témoignages*, indiquent une grande diversité dans les
perceptions et les vécus. Selon les témoignages d’anciennes combattantes,
malgré une certaine circonspection des chefs, il régnait un respect total entre
« frères » et « sœurs ». L’emploi de ce langage familial normalise des
rapports de genre* tout à fait nouveaux. En fait, l’emprise du patriarcat
continue de régir les rapports entre les hommes et les femmes. Les mariages
sont contrôlés par la hiérarchie militaire. Dans la Wilaya 3* jusqu’en 1959,
des tests de virginité sont imposés aux femmes, même si beaucoup d’entre
elles les refusent. À la fin de 1957, la décision est prise d’évacuer vers les
frontières tunisienne et marocaine les maquisardes, en raison du danger
grandissant. Cet ordre n’est pourtant pas suivi partout, tout comme
l’interdiction de recruter des femmes soldats et infirmières.
Le FLN est poussé par le contexte politique à produire un discours sur la
participation des femmes à la guerre comme un signe de leur émancipation.
En 1958, des réformes du gouvernement français – notamment le droit de
vote et des réformes du mariage et de sa dissolution – visent à « gagner les
cœurs et les esprits » des femmes algériennes. Dénonçant ces mesures
comme des tentatives de « dépersonnalisation », le FLN insiste que la
condition sine qua non pour la libération de la femme est la fin de la
domination coloniale. La présence des femmes est utilisée pour grandir
l’image du FLN à l’extérieur. Mamia Chentouf, ex-militante de l’Association
des femmes musulmanes algériennes (Afma), fait partie de celles envoyées
représenter le FLN dans des événements internationaux comme la conférence
des femmes afro-asiatiques au Caire en 1961. Devenues symboles de la
révolution, elles servent la propagande* du FLN à destination du public
métropolitain progressiste et de l’opinion internationale.
En juin 1962, le programme de Tripoli revient sur la participation de la
femme algérienne à la lutte qui lui aurait permis de « briser le joug séculaire
qui pesait sur elle et [de] l’associer d’une manière pleine et entière à la
gestion des affaires publiques et au développement du pays ». Malgré cette
déclaration d’intention produite dans le contexte d’implosion du FLN, la
volonté politique d’aborder en profondeur « la question de la femme » dans
l’Algérie indépendante est faible. Pour la grande majorité de la société
algérienne, une fois la guerre terminée, la place de la femme doit rester dans
la sphère privée.
Natalya VINCE
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991
• Monique Gadant, Le Nationalisme algérien et les Femmes, L’Harmattan,
1995 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002.

FERAOUN, MOULOUD (1913-1962)


Ce « fils du pauvre » comme il se désigne lui-même est né en Kabylie.
Son père a quitté plusieurs fois le village pour chercher du travail* à Bône, en
Tunisie* puis dans les mines du nord de la France, avant de revenir au pays.
Mouloud, premier garçon de la famille, fréquente l’école primaire de son
village. Boursier, il poursuit ses études au collège à Tizi Ouzou puis à l’École
normale d’instituteurs de Bouzaréa. Il devient instituteur et directeur d’école
en Kabylie avant de rejoindre Alger. Il intègre les centres sociaux éducatifs*
(CSE), créés en 1955 pour prendre en charge la scolarisation des enfants
« musulmans » et pour mener une action sociale et médicale auprès des plus
démunis. Il participe, avec cinq autres membres des CSE, à une réunion de
cette organisation le 15 mars 1962 à Château-Royal*, la veille de la signature
des accords* d’Évian et quatre jours avant le cessez-le-feu qui met fin
officiellement à la guerre. À 10 heures, un commando « Delta » de l’OAS*
fait irruption dans la salle de réunion, appelle l’un après l’autre des présents,
les aligne dehors et les abat.
Son premier roman est publié en 1950, inaugurant la « littérature*
algérienne », selon la critique du moment. Il parle des siens, à défaut de
s’adresser à eux, eux qui ne savent pas lire. Il décrit une terre et des hommes
qui savent qui ils sont et qui attendent l’imprévisible ou l’inéluctable, comme
il l’écrira à Camus*. Il évoque l’exil et le travail dans les mines et donne la
parole à une femme*.
Si dans ses lettres et textes courts Feraoun fait preuve d’une grande
lucidité sur le fossé qui sépare les communautés, son Journal, tenu de 1955 à
1962, est un témoignage* à vif sur le vécu de la guerre. On peut suivre le
déploiement de la violence, en Kabylie puis à Alger. L’écrivain est le témoin
direct ou en reprenant les récits qui lui sont faits. Exécutions sommaires*,
torture* et viols* massifs des femmes, tel est le quotidien de ceux qui
subissent la guerre. Feraoun décrit, avec des mots crus et des métaphores
d’une force toujours intacte, le vécu des villageois et des Algérois. Mais le
témoignage ne fait pas oublier la préoccupation littéraire : comment écrire la
guerre ? Feraoun y répond en adoptant l’hétérogénéité et l’ironie, alors que
Dib*, lui, optera pour l’onirisme.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Robert Elbaz, Martine Mathieu-Job, Mouloud Feraoun ou
l’émergence d’une littérature, Karthala, 2001 • Mouloud Feraoun, Journal,
1955-1962, Seuil, 1962.

FERRANDEZ, JACQUES (NÉ EN 1955)


Jacques Ferrandez est assurément l’auteur de bande dessinée le plus
prolixe sur l’Algérie et son histoire. Il est né à Alger le 12 décembre 1955.
Son grand-père paternel, d’origine espagnole, est arrivé en Algérie en 1880.
Il en est question dans le tome III de sa grande série Carnets d’Orient. Son
père est médecin. Toute la famille quitte l’Algérie et s’installe à Nice trois
mois après la naissance de Jacques. Il suit des études aux Arts décoratifs de
Nice, avant de commencer sa carrière de bédéiste dans le mensuel (À suivre)
à partir de 1978. Il s’inspire alors de dessinateurs comme Jacques Tardi,
Hugo Pratt et Moebius. Il réalise plusieurs récits, notamment avec le
scénariste Rodolphe, puis seul sur l’arrière-pays provençal. C’est un aspect
de son travail qu’il a poursuivi ensuite. Mais à partir de 1986, il se lance dans
un grand projet personnel : les Carnets d’Orient, avec l’appui de Jean-Claude
Mougin, qui était opposé à la guerre, voire « porteur de valises* », fondateur
d’(À suivre) et éditeur* chez Casterman. Le premier tome, consacré à
l’arrivée en Algérie au XIXe siècle de Joseph Constant, un peintre orientaliste
fictif, est un succès. Jacques Ferrandez recentre toute son activité autour de
cette série. Il réussit à imposer la couleur à Jean-Claude Mougin, qui aurait
préféré du noir et blanc pour la destiner à sa collection « Romans (À
suivre) ». Cette confrontation amène l’auteur à davantage travailler les
lumières et les ambiances. Les planches du premier album sont prépubliées
dans le nouveau magazine de Casterman Corto. Il décide alors de limiter sa
série à cinq albums, en prenant une génération d’écart à chaque album, pour
arriver jusqu’à la veille de la Guerre d’indépendance. Le tableau de Joseph
Constant sert de fil conducteur aux cinq albums, dont le quatrième reçoit le
prix du jury œcuménique de la bande dessinée en 1995, année de publication
du dernier tome. Par ailleurs, Jacques Ferrandez utilise aussi les documents
d’époque pour ancrer davantage ses récits dans la réalité, et il utilise de plus
en plus l’aquarelle à compter du tome III intitulé « Les fils du soleil ». Après
avoir longuement hésité, il se lance dans une nouvelle série sur la guerre
d’Algérie, pensant au départ ne faire que trois albums. Cinq sortiront
finalement, dans lesquels les conceptions camusiennes de Jacques Ferrandez
ressortent, dès le premier album « La guerre fantôme » mettant parallèlement
en scène la torture* et un égorgement. Jacques Ferrandez a ensuite adapté
plusieurs œuvres d’Albert Camus* : la nouvelle L’Hôte (Gallimard, 2009),
L’Étranger (Gallimard, 2013) et Le Premier Homme (Gallimard, 2017). Il a
aussi adapté le polar Alger la Noire de Maurice Attia (Casterman, 2006), et
vient de se lancer dans une nouvelle série, Suites algériennes, consacrée à
l’Algérie indépendante (Casterman, 2021).
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Serge Buch, Ferrandez. Une monographie, Saint-Égrève, Mosquito,
2005 • Luc Révillon, Algérie 54-62. La guerre fantôme dans la bande
dessinée francophone, Montrouge, PLG, 2022.

FIGARO (LE)
Contrairement à L’Humanité*, France Observateur ou Le Monde*,
engagés contre la torture*, le titre de Pierre Brisson reste relativement proche
du discours officiel.
Sur le terrain, Serge Bromberger et René Janon, ses envoyés, couvrent la
guerre qui, sans être nommée, est régulièrement présente dans ses colonnes.
Mais Pierre Brisson choisit très tôt de se priver des réflexions critiques de
François Mauriac*. Il offre à ses lecteurs un regard qui légitime l’engagement
militaire français, met en scène l’efficacité de la « pacification* » et
condamne la cruauté des indépendantistes.
Ce positionnement conduit les journalistes du Figaro à contester
l’existence de la torture selon des stratégies qui évoluent au fur et à mesure
des révélations faites par les autres titres de presse*. Si de 1954 à 1956, la
rédaction peut se permettre d’éviter le sujet, la dénonciation croissante de la
torture à partir de mars 1957 la contraint à vilipender, en chœur avec les
prises de paroles officielles, des critiques de l’armée jugées calomnieuses. À
partir d’août 1957, la rédaction parle de la torture, mais produit
systématiquement, en contrepoint, des discours dénonçant les massacres et
exactions commis par le FLN*.
Avec le retour de De Gaulle*, la chronique quasi quotidienne de la guerre
passe à l’arrière-plan et le journal manifeste un intérêt croissant pour le débat
et l’action politiques. Le 7 octobre 1960, Le Figaro publie le « Manifeste*
des intellectuels » qui répond au « Manifeste des 121 » et condamne « les
apologistes de l’insoumission et de la désertion ». Si Pierre Brisson reste
longtemps prudent à l’égard de la stratégie gaulliste, il s’engage plus
nettement, sans réel enthousiasme, en faveur du général à la suite du putsch*
des généraux puis des attentats de l’OAS* qui visent la rédaction du journal
et le domicile de Brisson. En 1961-1962, le titre choisit la dénonciation du
terrorisme de l’OAS, le soutien à l’autodétermination et le respect de la
légalité des institutions*, tout en continuant à dénoncer le terrorisme du FLN
et en tardant à reconnaître la légitimité du GPRA*. Il faut attendre le début de
l’année 1962 pour que la rédaction se rallie à la décolonisation mais elle
épouse toujours le silence des autorités sur la torture et sur les pratiques de
l’armée française.
François ROBINET
Bibl. : Claire Blandin, Le Figaro. Deux siècles d’histoire, Armand Colin,
2007 • Émilie Roche, « Le Figaro en guerre d’Algérie », in Claire Blandin
(dir.), Le Figaro. Histoire d’un journal, Nouveau Monde, 2010.

FILALI, EMBAREK, DIT ABDALLAH (1913-


1957)
Membre du MNA*, né en 1913 à Beni Oulbane (dans la région de Collo),
Abdallah Filali est tué à Paris le 7 octobre 1957. Revendiqué par la
Fédération de France* du FLN*, son assassinat prive le MNA d’atouts
essentiels à sa survie. Filali était un homme de dialogue, doté d’une forte
crédibilité politique, de talents d’organisateur et d’une fine connaissance de
l’immigration.
Sa biographie est peu connue avant son exil en France en 1934. Il aurait
fréquenté l’école primaire française tout en suivant des cours dans une école
coranique constantinoise (Sidi Moussa, 2019). Lettré mais précaire, il aurait
été artisan-peintre dans cette même ville (Stora, 1985).
C’est une figure historique du courant indépendantiste, sans discontinuer
à partir de l’entre-deux-guerres. Élu à la direction de l’Étoile nord-africaine
(ENA) en 1936, il est membre fondateur du PPA* en 1937 et enchaîne les
responsabilités dans de nombreuses instances : direction du PPA en Algérie
en 1938 ; comité central du PPA clandestin et Fédération de l’Oranie en
1943-1945 ; comité central du MTLD en 1946-1953 ; Fédération de France
du MTLD de 1947 à 1954 ; MNA de 1954 à 1957. Il est enfin secrétaire
adjoint de l’Union des syndicats des travailleurs algériens (USTA) en 1956-
1957.
Son importance lui vaut d’être surveillé par différents services de police.
Après un an de prison en 1937, il est arrêté en 1939 avec la direction du PPA
et est jugé en 1941. Condamné à cinq ans de prison et vingt ans d’interdiction
de séjour, il est libéré en février 1943 après le débarquement allié. Le 8 mai
1945, c’est lui qui transmet le mot d’ordre d’action du PPA clandestin au
Comité fédéral d’Oran (B. Stora). Condamné par contumace, il s’exile en
Tunisie* en 1946.
Porte-parole de Messali Hadj* dans le conflit avec les centralistes, il tente
de rallier les kasmas en Oranie et en France. Il participe ainsi à l’organisation
du congrès d’Hornu (14-16 juillet 1954). Surpris par la création du FLN, il
essaie de maintenir le dialogue tout en optant pour le MNA. De nouveau
arrêté en juin 1955 à Paris, il est transféré en Algérie, libéré en janvier 1957.
De cette date jusqu’à son assassinat, il porte la voix des messalistes sur les
scènes nationale et internationale. Sa disparition est un « coup presque
mortel » pour le MNA (Messali Hadj). L’USTA comme le MNA ne s’en
relèveront pas.
Linda AMIRI
Bibl. : Nedjib Sidi Moussa, Algérie. Une autre histoire de l’indépendance.
Trajectoires révolutionnaires des partisans de Messali Hadj, PUF, 2019 •
Benjamin Stora, Dictionnaire biographique de militants nationalistes
algériens (1926-1954). ENA, PPA, MTLD, L’Harmattan, 1985.

FINANCES DU FLN
Succédant en 1954 au Crua, le FLN* n’en hérite que de maigres fonds.
Prônant la lutte armée, le Crua, dissidence minoritaire du MTLD, le parti de
Messali*, n’avait attiré que peu d’adeptes. De ce fait, il ne disposait guère de
cotisants. À sa naissance, les fondateurs du FLN doivent le financer de leurs
maigres fonds propres. À ce premier handicap s’en ajoute un second. Lors de
sa proclamation en 1954, le FLN est inconnu sur le plan international. Il
n’émane d’aucun État étranger qui aurait pu le doter. Certes, des militants ont
pu être chichement hébergés au Caire, capitale d’une Égypte* nassérienne
championne d’un nationalisme arabe sous son contrôle. L’aide égyptienne est
surtout en nature. L’ancien chef du renseignement égyptien, Fathi Al Dib,
affirme dans ses mémoires que la première cargaison d’armes arrivée en
Algérie, en février 1954, a été fournie par l’Égypte. Elle valait environ
8 000 livres (11 millions d’anciens francs). Il ajoute que le premier contrat
d’armement en provenance d’Europe de l’Est a été opéré grâce à un
financement égyptien d’environ 1 million de dollars (350 millions d’anciens
francs). L’Égypte, dit-il, a également fourni 75 % de l’argent versé par la
Ligue des États arabes* au FLN, soit 12 millions de livres par an
(16 milliards d’anciens francs). Selon lui, le président Nasser aurait, en 1956,
alloué au FLN la première recette issue de la nationalisation du canal de Suez
(3 milliards d’anciens francs).
Pour recruter des cotisants, le FLN a dû se trouver des adhérents, par la
séduction de son discours indépendantiste ou par l’exercice de la contrainte et
de la violence. Se proclamant seul détenteur de la légitimité de la cause
indépendantiste, il écarte toute opposition. Ses premiers succès sur le terrain
le confirment dans cette prétention. La violence et le retentissement des
événements du 20 août 1955* lui permettent d’imposer son monopole. Il
s’organise en contre-État colonial et transforme les cotisations en taxes sur
une grande partie de la population, notamment les immigrés en Europe
(France et Belgique* principalement). À cela s’ajoutent les contributions en
nature, volontaires ou contraintes, qui vont de la récupération des armes de
chasse ou de poing ou encore la confiscation de véhicules particuliers à la
gratuité de l’hébergement des militants et combattants. Quand les hommes
fournissent argent, aides en nature ou assurent les liaisons, les femmes* sont
réquisitionnées pour les tâches de cuisine ou de lessive.
Des sources historiques relatives à la taxation des résidents algériens en
Europe permettent de s’en faire une idée. Omar Boudaoud*, chef de la
Fédération de France*, affirme dans ses mémoires qu’elle a compté
136 345 membres en 1960 et recueilli 6 milliards d’anciens francs par an de
1955 à 1962. Des Français aident à cette collecte. En témoigne, en 1959,
« l’affaire de la rue Oberkampf » à Paris. La police* française qui traque une
réunion FLN se tenant dans l’appartement de Gérard Lorne y trouve de
l’argent collecté auprès de l’immigration algérienne (44 millions d’anciens
francs). Il a été prétendu que les sommes ainsi collectées auraient, en 1961,
représenté 80 % des ressources financières du GPRA*. Des historiens comme
Charles-Robert Ageron* s’en sont étonnés.
L’écho international de la cause indépendantiste s’est amplifié dès 1955.
La conférence des non-alignés de Bandoeng* (avril 1955) procure au FLN
des soutiens moraux, certes, mais surtout des aides et des dons en matériel
militaire d’Égypte et du camp socialiste. En juin 1955, les dirigeants du
PCA* prennent la décision de participer à l’insurrection aux côtés du FLN.
Les chances d’une aide soviétique s’en trouvent accrues. La réprobation
américaine et soviétique de l’expédition franco-britannique de Suez* en
octobre 1956 renforce la bienveillance internationale pour le nationalisme
anticolonial. Les États-Unis* affichent une sympathie plus grande sans
apporter de soutien matériel. En juillet 1957, le sénateur John F. Kennedy se
prononce en faveur de l’émancipation de l’Algérie. De son côté, la CIA aide
financièrement à la création de l’UGTA* en février 1956 et, par le biais de la
base américaine de Kénitra (Maroc), livre du matériel militaire réformé. Ces
tractations permettent à Abdelhafid Boussouf*, ministre de l’Armement et
des Liaisons générales, de s’introduire dans les réseaux internationaux de
trafic d’armes*. Ces transactions occultes aident l’État-major général* à se
créer une caisse noire à sa disposition, indépendante des finances du GPRA.
La sympathie officielle américaine se traduit aussi par des dons à destination
des réfugiés au Maroc* et en Tunisie* et dont la distribution est, parfois,
sous-traitée lucrativement par des militants FLN.
Les fonds gérés par le FLN donnent lieu à des actions menées par des
sympathisants français, belges et suisses qui les transportent (les porteurs de
valises* du réseau Jeanson*, par exemple). D’autres réseaux, comme celui du
militant communiste Henri Curiel*, s’appuient sur des banques pour
transférer hors de métropole l’argent des cotisations. La gestion de certains
fonds, déposés à la Société des banques suisses, est confiée notoirement à
Ahmed Francis, ministre des Finances du GPRA, à tel point que le 17 juin
1959 Michel Debré* convoque l’ambassadeur de Suisse à ce sujet. D’autres
fonds ont fait l’objet de sombres manœuvres autour d’un banquier suisse
connu pour ses sympathies nazies, François Genoud, administrateur de la
Banque commerciale arabe de Genève qui les avait en dépôt au nom de
Mohamed Khider*, trésorier du FLN, devenu, après 1962, un opposant en
exil et le propriétaire de cette banque. Des règlements de comptes entre
dirigeants du FLN s’en sont suivis. Liées à l’existence de ce « trésor de
guerre », des hypothèses ont été émises impliquant ces dirigeants dans
l’assassinat non élucidé de Mohamed Khider à Madrid en 1967. Un accord de
novembre 1979 entre les héritiers Khider et le gouvernement algérien a clos
cette affaire. La famille Khider a cédé à l’État algérien ses parts dans la
banque, devenue en 1981 Banque algérienne du commerce extérieur basée à
Zurich.
Ahmed HENNI
Bibl. : Fathi Al Dib, Abd El Nasser et la révolution algérienne, L’Harmattan,
1985 • Omar Boudaoud, Du PPA au FLN. Mémoires d’un combattant, Alger,
Casbah, 2007 • Emmanuelle Colin-Janvoine, Stéphanie Derozier, Le
Financement du FLN pendant la guerre d’Algérie. 1954-1962, Saint-Denis,
Éditions Bouchène, 2008.

FLAMENT, MARC (1929-1991)


Photographe de hasard, Marc Flament est avant tout un membre de la
grande famille des parachutistes*. À l’aube de ses 18 ans, il quitte Bordeaux
où il étudiait la peinture à l’École des beaux-arts pour s’engager dans les
parachutistes coloniaux. Après six ans en Indochine*, il est muté à Alger en
juillet 1956 au bureau de presse de la 10e division parachutiste*, commandée
par le général Massu* qui a besoin d’un photographe. Six mois plus tard, sa
carrière prend un tournant décisif lorsqu’il rejoint le 3e régiment de
parachutistes coloniaux (RPC) du lieutenant-colonel Bigeard*, engagé depuis
quelques semaines dans la « bataille d’Alger* ». Dès lors, Marc Flament
attache son destin à celui d’un homme qu’il ne désignera jamais autrement
que comme son « patron », faisant tout son possible pour le suivre au gré de
ses affectations successives, jusqu’à sa disgrâce. Lorsque Bigeard est expulsé
d’Algérie en février 1960 et envoyé en République centrafricaine, Marc
Flament jette l’éponge et ne tarde pas à quitter l’armée, à la fin de son
contrat. Pendant plus de quatre ans, il a photographié toutes les opérations de
cette troupe d’élite dont il a contribué à forger la légende par ses images
iconiques. Plus qu’un photographe, Marc Flament a été pour Bigeard un
merveilleux responsable des relations publiques. La photographie* devient un
outil de communication avec la troupe, elle cristallise en son sein un
sentiment d’appartenance, renforce l’esprit de corps, propose des modèles
auxquels s’identifier. Surtout, les « longues casquettes » du général Bigeard,
à la silhouette reconnaissable entre mille, magnifiées par les clichés aux
compositions très picturales de Marc Flament, entrent dans l’imaginaire du
grand public et passent à la postérité, grâce à des reportages exclusifs dans
l’hebdomadaire illustré Paris Match et à la parution de plusieurs albums de
photographies, signés à quatre mains, qui ont connu une grande postérité
publique, même après la guerre. Au-delà de la geste épique porteuse d’une
idéologie parfois dérangeante (qui assimile notamment l’action des
parachutistes en Algérie à une nouvelle croisade), ces images constituent
aujourd’hui un témoignage* remarquable et totalement immersif sur
l’expérience combattante.
Marie CHOMINOT
Bibl. : Colonel Bigeard, Marc Flament, Aucune bête au monde, La Pensée
moderne, 1959 • Marie Chominot, Regards sur l’Algérie (1954-1962),
Gallimard, 2016 • Marc Flament, Les Beaux-Arts de la guerre, La Pensée
moderne, 1974.

FOOTBALL (ÉQUIPE DU FLN)


À la suite du retrait des clubs musulmans d’Algérie, à partir de l’année
1956, et au retentissement de l’assassinat d’Ali Chekkal, le 26 mai 1957, lors
de la finale de la coupe de France de football organisée au stade de
Colombes, la Fédération de France* du FLN* cherche à constituer une
équipe composée des meilleurs joueurs algériens évoluant dans les clubs
métropolitains, afin de populariser la cause indépendantiste.
Plusieurs joueurs sont sollicités par Mohamed Boumezrag qui fait office
de sélectionneur. Certains sportifs approchés refusent. La nuit du 13 au
14 avril 1958, dix joueurs, parmi lesquels Abdelhamid Bouchouk (Toulouse
FC), Rachid Mekhloufi (AS Saint-Étienne) ou Mustapha Zitouni (AS
Monaco), quittent la France en passant par les frontières suisse et italienne,
pour finalement atterrir à Tunis.
Le choix de la date n’est pas fortuit. En effet, il s’agit de porter un coup
au championnat de France – qui s’achève en mai – mais aussi de déstabiliser
l’équipe de France à la veille de sa rencontre avec la Suisse*, programmée le
16 avril dans le cadre de la préparation à la coupe du monde organisée en
Suède courant juin. Le FLN justifie leur départ à travers un communiqué
reproduit dans Le Monde* le 17 avril : « Comme tous les Algériens, ils ont eu
à souffrir du climat raciste anti-nord-africain et antimusulman, qui s’est
rapidement développé en France au point de s’installer dans les stades. »
L’équipe du FLN, qui n’est pas reconnue par la Fédération internationale
de football comme association, dispute ses premiers matchs à partir du mois
de mai avant d’évoluer sur les terrains du monde arabe ou des pays socialistes
d’Europe et d’Asie. Après l’indépendance, seule une minorité, parmi les 29
joueurs de cette équipe, décide de poursuivre sa carrière en France.
Mekhloufi retourne à Saint-Étienne – où il remporte un nouveau championnat
en 1967 – tout en jouant pour la nouvelle équipe algérienne dont il devient
sélectionneur trois ans plus tard.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Stanislas Frenkiel, Le Football des immigrés. France-Algérie,
l’histoire en partage, Arras, Artois Presses Université, 2021 • Vincent
Jacquet, « D’instrument de propagande à miroir de la guerre d’Algérie :
l’équipe de football du Front de libération nationale, 1954-1962 », Bulletin de
l’institut Pierre-Renouvin, no 47, 2018 • Pierre Lanfranchi, « Mekhloufi, un
footballeur français dans la guerre d’Algérie », Actes de la recherche en
sciences sociales, no 103, 1994.

FORCE LOCALE
La « force de l’ordre », ou « Force locale », fut créée par les accords
d’Évian* pour servir d’instrument militaire à l’Exécutif provisoire* algérien.
Leur première partie, intitulée « Conditions et garanties de
l’autodétermination », fixait en deuxième point « l’organisation des pouvoirs
publics en Algérie pendant la période transitoire » devant séparer le cessez-
le-feu (19 mars 1962*) de la formation d’un gouvernement algérien issu
d’une assemblée constituante. Ce point définissait, dans son titre IV, la
composition de cette « force de l’ordre » : « Article 19 : Il est créé une force
de l’ordre propre à l’Algérie. Cette force de l’ordre est placée sous l’autorité
de l’Exécutif provisoire, qui décide des conditions de son emploi. Article 20 :
La force de l’ordre aura un effectif global de 60 000 hommes. Son effectif
initial sera de 40 000 hommes. Il comprendra : – les auxiliaires de la
gendarmerie et les groupes mobiles de sécurité actuellement existants ; – des
unités constituées par des appelés d’Algérie et, éventuellement, par des
cadres pris parmi les disponibles. L’Exécutif provisoire a le pouvoir de
compléter la force de l’ordre par le rappel de réserves instruites. Article 21 :
Le directeur de la force de l’ordre est nommé par décret en accord avec
l’Exécutif provisoire. »
L’idée d’une telle force venait du gouvernement français, qui l’avait
adoptée depuis le début des négociations* avec le GPRA* (janvier 1961), et
précisée avant leur aboutissement. Le Comité des affaires algériennes du
26 septembre 1961 avait décidé que « la force algérienne à créer sera placée
sous l’autorité du délégué général avant d’être transférée, le cas échéant, à un
organisme algérien chargé de préparer l’autodétermination ». Elle devait
comporter « – une Gendarmerie constituée principalement en faisant appel
aux gendarmes auxiliaires ; – des Unités de sécurité auxquelles seront
affectés les membres des groupes mobiles de sécurité, des supplétifs*, des
hommes recrutés localement et, en cas de besoin, des Musulmans appelés
sous les drapeaux », et réunir 30 à 35 000 hommes à la fin de l’année 1961.
Mais dans les négociations, le GPRA discuta âprement cette proposition qui
lui semblait un moyen de marginaliser l’ALN* (de même qu’au Maroc*, en
1956, l’Armée royale marocaine avait été formée à partir des unités
marocaines de l’armée française et non pas de l’ALN).
La Force locale fut créée par un arrêté interministériel du 30 mars 1962,
afin de maintenir l’ordre et d’assurer le bon déroulement du référendum*
d’autodétermination, et elle fut placée officiellement sous l’autorité de
l’Exécutif provisoire le 21 avril 1962. Elle se composait principalement de
groupes mobiles de sécurité, de pelotons de garde territoriale (gendarmerie),
et de 114 compagnies d’appelés. Les effectifs étaient composés en grande
majorité d’Algériens musulmans, mais une partie des cadres, officiers et
sous-officiers, étaient fournis par l’armée française. Le commandement de
cette force fut confié au préfet* de Saïda Omar Mokdad, supervisé par un
membre de l’Exécutif provisoire, Abdelkader El Hassar.
Mais les soldats musulmans algériens de ces unités furent soumis à une
intense propagande* de la part des wilayas de l’ALN qui les invitaient à
déserter avec leurs armes. Dès le 3 mai, leur chef Omar Mokdad rendit
compte qu’il ne pouvait plus accomplir sa mission, parce que « ses effectifs
fondaient comme neige au soleil, ses membres désertant pour aller grossir les
rangs de l’ALN avec armes et bagages ». Après le référendum du 1er juillet
1962, en quelques jours, les dernières unités achevèrent de rallier l’ALN, et le
Comité des affaires algériennes du 17 juillet 1962 décida que « le retrait des
cadres français de la Force locale doit être achevé dans les meilleurs délais ».
Les rares témoignages* de ceux-ci expriment leur angoisse d’avoir été
affectés contre leur gré dans une armée étrangère, voire ennemie, et de ne pas
savoir s’ils pourraient en sortir vivants. Selon le général Fournier, seuls trois
hommes, le sous-lieutenant Benhabib et les soldats Rousseau et Moreau,
furent tués le 2 juillet à Reibell-Chellala parce qu’ils avaient refusé de livrer
leurs armes à la Wilaya 6*. On doit cependant noter que deux officiers de la
Force locale d’Oran, les lieutenants Rabah Kheliff et R. B., ont sauvé de
nombreux civils français enlevés le 5 juillet* au risque de leur vie.
Ce triste épisode est très peu étudié dans l’histoire de la guerre d’Algérie,
peut-être parce qu’il représente une preuve éclatante de la faillite des accords
d’Évian tels que le gouvernement français les avait conçus.
Guy PERVILLÉ
Bibl. : Soraya Laribi, « La Force locale après les accords d’Évian », Guerres
mondiales et conflits contemporains, no 259, 2015.

FORCE OUVRIÈRE (FO)


La confédération syndicale Force ouvrière (FO) née en 1947 d’une
scission de la CGT*, est marquée par les clivages de la guerre froide* et sa
croyance en un réformisme colonial. En réaction au 1er novembre 1954*, les
articles de FO-Hebdo voient dans les attentats la main de Moscou tout en
reconnaissant l’ampleur des inégalités sociales en Algérie. Dans les textes
syndicaux, le terme colonialisme, s’il est prononcé, recouvre plutôt le
comportement féodal des gros colons* que le système politique de
domination. Implanté en Algérie surtout chez les travailleurs et fonctionnaires
européens, FO n’évolue guère dans son argumentaire et répète tout au long de
la guerre que la paix sociale en Algérie est accessible par des réformes.
Pourtant l’intervention lucide de son secrétaire général Robert Bothereau, au
Comité confédéral national (CCN) à Paris en mai 1956, montre bien que la
politique d’intégration est dépassée. Mais elle est vivement critiquée par le
secrétaire confédéral André Lafond, les puissantes fédérations de la Poste et
les délégués d’Algérie. Avec l’arrivée de De Gaulle* en mai 1958,
l’attentisme est de rigueur à la direction, y compris pour les revendications
sociales, ce que reprochent des délégués au 6e congrès confédéral. En
revanche, une partie de la base et des cadres en Algérie reprennent le discours
colonialiste des « ultras ». Seule la gravité de leurs menées factieuses pousse
la centrale à une réaction républicaine, sans toutefois aller jusqu’à une
position commune avec la CGT. Des arrêts de travail communs ont toutefois
lieu le 1er février 1960 après la semaine des barricades*. Les dissensions
restent tenaces avec la CGT. À Genève en février 1961, les rencontres de
l’Union générale des travailleurs algériens* (UGTA), avec les organisations
françaises, restent bilatérales. La Confédération internationale des syndicats
libres (CISL), dont l’UGTA est membre comme FO – qui s’était opposée à
l’adhésion de la nouvelle centrale algérienne en 1956 –, pousse alors FO à
demander l’ouverture de négociations* pour mettre un terme à la guerre. Mue
d’autant plus tardive que ce syndicat sensible aux avantages coloniaux
redoutait une avancée du communisme au moment de la décolonisation.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Nora Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question
nationale. 1919-1954, thèse de doctorat d’État, Alger, OPU, 2005 • Alain
Bergounioux, Force ouvrière, Seuil, 1975 • Anissa Bouayed, « La CGT et la
guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle d’histoire sous la dir. de J. Couland,
Paris-7, 1985.

FORGET, NELLY (NÉE EN 1929)


Nelly Forget est née à Paris en 1929. Son père est petit entrepreneur et sa
mère employée des PTT, socialiste et militante syndicaliste. Elle entre au
Service civil international (SCI) en 1948, dans une volonté de rencontre entre
les jeunes de différentes nations. Elle est alors lectrice de L’Observateur et de
Combat, en particulier pour les textes d’Albert Camus*. En 1951, le SCI lui
demande de reprendre la branche algérienne, que quitte Pierre Martin.
Réticente à partir dans une colonie française, elle s’enthousiasme à la
découverte du pays en dépit du racisme* qu’elle y constate. Elle fréquente
alors les Libéraux* d’Algérie (notamment chrétiens) et les « Français
musulmans ». Rapidement, elle passe la responsabilité du SCI à Mohamed
Sahnoun, tout en participant à des chantiers du SCI en Kabylie et dans le
bidonville de Boubsila à Alger, avec Marie-Renée Chéné. Cette dernière lui
conseille de devenir assistante sociale. Pendant ses études à Paris, Germaine
Tillion* commence à travailler pour le Gouvernement général*, rencontre
Marie-Renée Chéné, l’action du SCI servant ainsi de prototype pour les
centres sociaux éducatifs* (CSE). Marie-Renée Chéné met également en
contact Nelly Forget avec Germaine Tillion, qui l’engage en septembre 1955
après l’obtention de son diplôme. Elle travaille alors à Alger, dans l’équipe
centrale des CSE pour préparer les documents pédagogiques et les stages de
formation. Elle s’installe ensuite dans un bidonville d’Hussein-Dey, où elle
est la seule Européenne. Au début de la « bataille d’Alger* », elle transporte
des étudiants* algériens qui se cachent et montent au maquis, dont Rachid
Amara. Lorsque la répression s’abat sur les membres des CSE, elle est arrêtée
par les parachutistes*, qui recherchent Chafika Meslem et qui découvrent
chez elle des médicaments et une machine à écrire. Emmenée à la villa
Sésini*, elle est torturée à l’eau et à l’électricité. Quatre semaines plus tard,
elle est transférée à la prison* Barberousse où elle vit avec une cinquantaine
de femmes*, dont Djamila Bouhired*, Jacqueline Guerroudj* et Djamila
Bouazza. Treize exécutions capitales sont réalisées pendant son séjour en
prison, ce qui la marque beaucoup. Jugée en même temps que Chafika
Meslem pour atteinte à la sûreté de l’État, les deux femmes sont libérées à
l’été 1957. Nelly Forget rentre alors en France, et devient début 1959
secrétaire de Germaine Tillion au cabinet du ministre de l’Éducation
nationale André Boulloche. Les deux femmes mettent en place un système
élargi de bourses pour les étudiants algériens et étendent l’enseignement dans
les prisons. Nelly Forget reste très attachée à l’Algérie, et à la mémoire de
Germaine Tillion et des centres sociaux.
Tramor QUEMENEUR
Archives : Interview de Nelly Forget pour les grands entretiens patrimoniaux
(ina.fr).
Bibl. : Olivier Bertrand, Breaking Down Barriers, 1945-1975. 30 ans de
service volontaire avec le SCI, 2008 • Michel Cornaton, Nelly Forget et
François Marquis, La Guerre d’Algérie. Ethnologues de l’ombre et de la
lumière, L’Harmattan, 2015.
FOUCHET, CHRISTIAN (1911-1974)
Ministre des Affaires marocaines et tunisiennes dans le gouvernement de
Pierre Mendès France*, en 1955-1956, Fouchet négocie l’autonomie interne
de la Tunisie* ; cet ancien Français libre est ambassadeur au Danemark
quand de Gaulle* le nomme haut-commissaire en Algérie le 23 mars 1962,
après la signature des accords d’Évian*. Il s’installe à Rocher-Noir, la cité
administrative proche d’Alger.
Pendant la période transitoire, entre le cessez-le-feu et le référendum*
d’autodétermination, la France reste la puissance souveraine ; un pouvoir
bicéphale est mis en place, avec le haut-commissaire, représentant de la
République, qui a les pouvoirs de souveraineté, et l’Exécutif provisoire*,
constitué par décret le 6 avril 1962, composé de douze membres : musulmans
membres du FLN* ou non et Français, sous la présidence d’Abderrahmane
Farès et la vice-présidence de Roger Roth ; il a la charge de la gestion des
affaires publiques propres à l’Algérie, le maintien de l’ordre et la préparation
du scrutin d’autodétermination. Bernard Tricot assure la liaison entre les deux
entités.
S’il s’adresse à la population européenne avec une certaine sensibilité,
Fouchet ne transige pas sur l’ordre dont il partage la responsabilité avec un
général commandant des forces armées en Algérie : couvre-feu dans certains
quartiers d’Alger ou d’Oran lorsque les attentats redoublent en avril-mai,
révocation des fonctionnaires compromis avec l’OAS*, expulsions,
internements administratifs, mais il a peu de prise sur les opposants. Voyant
l’intérêt de la proposition de l’OAS d’établir une entente avec le FLN, il
obtient, d’un de Gaulle réservé, la possibilité de mener les négociations*
entre Susini* d’un côté, Farès et Mostefaï de l’autre ; et il convainc Krim*
Belkacem de donner son aval. Le 1er juin, Susini annonce l’arrêt des combats.
Fouchet doit gérer la question ultrasensible des départs des supplétifs* en
danger sur le sol algérien et celui des pieds-noirs*, tout en incitant les
fonctionnaires à rester sur place conformément aux accords. Les directives
gouvernementales sont rigoureuses, la menace du renvoi des personnes
parties hors plans établis est souvent réitérée.
Le 1er juillet, le oui l’emporte avec 99,72 % au scrutin
d’autodétermination. L’indépendance de l’Algérie est proclamée le 3,
l’exercice de la souveraineté passe à l’Exécutif provisoire. Le lendemain, le
haut-commissaire quitte l’Algérie, remplacé par un ambassadeur, Jean-
Marcel Jeanneney.
Chantal MORELLE
Bibl. : Christian Fouchet, Au service du général de Gaulle, Plon, 1971.

FRÉMEAUX, JACQUES (NÉ EN 1949)


Né en 1949 en Algérie, qu’il quitte en 1962 à 13 ans, Jacques Frémeaux
est resté discret sur son expérience de la guerre. Son parcours, tel qu’il le
décrit dans L’Afrique à l’ombre des épées (SHAT, 1995), l’a conduit de
« l’admiration » à « l’indignation » pour la colonisation, tout en adoptant un
point de vue compréhensif à l’égard des individus qui en ont été les acteurs. Il
témoigne s’être ouvert au versant algérien de cette histoire grâce aux
ouvrages de Mohammed Harbi*, auteur d’une historiographie critique du
FLN*, dans les années 1970-1980.
Normalien, agrégé d’histoire, il est d’abord un spécialiste de l’armée et de
la conquête, avec sa thèse (Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête,
Denoël, 1993) et son doctorat d’État (L’Afrique à l’ombre des épées).
S’intéressant à une période éloignée, il travaille d’emblée sur archives*, tant
aux Archives nationales à Paris qu’aux Archives d’outre-mer à Aix-en-
Provence ou dans les services de la Défense, à Vincennes. Il aborde d’abord
la Guerre d’indépendance à l’aune de cet ancrage premier : ainsi il la
compare avec la guerre de conquête dans La France et l’Algérie en guerre
(Economica/Institut de stratégie comparée, 2002). Ses travaux les plus
récents concernent la longue durée coloniale, à partir de 1830. Historien
prolixe, cependant, il ne s’en tient pas au cas algérien. Il s’intéresse
particulièrement aux Empires et à la mondialisation. Il doit cet élargissement
à sa formation auprès d’André Martel, un universitaire officier de réserve en
poste à Montpellier, qui a relayé Xavier Yacono dans la direction de ses
recherches, pour des raisons de santé.
Maître de conférences à Montpellier en 1981, Jacques Frémeaux est
devenu professeur à Nice puis à la Sorbonne (Paris IV) où il a pris sa retraite
en 2017. Il y a notamment dirigé les thèses de Marc André (sur les femmes
algériennes dans le Rhône) et de Soraya Laribi (sur les disparus en 1962)
mais aussi celles de Julie d’Andurain et de Benoît Beucher qui ne concernent
pas l’Algérie – la première porte sur le général Gouraud, un officier colonial
de la Grande Guerre, la seconde sur les institutions royales au Burkina Faso.
Son œuvre marquée par l’histoire militaire lui vaut une forte reconnaissance
institutionnelle. Membre de plusieurs académies (dont celle des sciences
d’outre-mer) et conseils scientifiques, il a présidé celui de la Fondation pour
la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie, dont
il a démissionné en 2021.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées (1830-1930), 2 vol.,
SHAT, 1993-1995.

FREY, ROGER (1913-1997)


Considéré comme l’un des « barons du gaullisme », Roger Frey, né en
Nouvelle-Calédonie, y a rejoint la France libre dès 1940. Il s’impose comme
un des piliers du RPF où il s’engage dès 1947. Il siège dans son comité
directeur, en devient le trésorier (1951) avant d’être élu à l’Assemblée de
l’Union française (1952). Secrétaire général des Républicains sociaux en
1955, Frey œuvre au retour de De Gaulle* puis est nommé au Comité
consultatif constitutionnel. En octobre 1958, soustellien affiché mais fidèle
du général, il se voit confier un poste stratégique : le secrétariat général de
l’UNR*. Il l’abandonne rapidement puisque, début 1959, de Gaulle le fait
ministre de l’Information. Après les barricades, en février 1960, il devient
ministre délégué auprès du Premier ministre. Puis, en mai 1961, il est chargé
du ministère de l’Intérieur, où il restera jusqu’en avril 1967.
En 1961-1962, Roger Frey est confronté à différents épisodes pour
lesquels il a été critiqué, sur le moment et depuis. Le premier concerne la
répression violente de la manifestation du 17 octobre 1961* organisée par le
FLN*. Frey a été associé à la figure du préfet de police Maurice Papon*.
L’affaire a fait l’objet de vifs débats au Parlement, Roger Frey acceptant dans
un premier temps le principe d’une commission d’enquête demandée par
Gaston Defferre mais la refusant un mois plus tard, le 30 novembre, en
considérant « ne voi[r] vraiment pas ce qu’une commission d’enquête […]
apporterait à la vérité » et arguant qu’elle sèmerait « le trouble dans les rangs
de ceux qui n’ont qu’une mission et qu’un devoir : servir l’ordre ». Ce dernier
impératif s’impose encore après le 8 février 1962 et les morts de Charonne*.
Le soir même, son discours fixe une interprétation fondée sur « la légitime
défense » des forces de l’ordre face à des manifestants présentés comme des
émeutiers ; « mensonge d’État », écrira l’historien Alain Dewerpe.
Concernant la lutte anti-OAS*, Roger Frey ne recule devant aucun moyen. Il
couvre, à Alger, l’association des « barbouzes* » (policiers parallèles) avec
un organe de police* judiciaire, légal, la mission C.
Sa ligne de conduite est nette : défendre la Ve République* et son chef
sans état d’âme.
Olivier DARD
Bibl. : Jean-Paul Brunet, Police contre FLN. Le drame d’octobre 1961,
Flammarion, 1999 • Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962.
Anthropologie historique d’un massacre d’État, Gallimard, 2006 • Jérôme
Pozzi, Les Mouvements gaullistes. Partis, associations, réseaux, 1958-1976,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011.

FROGER, AMÉDÉE (1882-1956)


La postérité d’Amédée Froger, né en 1882 en Algérie, est liée à son
assassinat le 28 décembre 1956 à Alger. Non seulement l’identité du tueur a
fait l’objet de nombreuses supputations, mais le lendemain des Français
d’Algérie accompagnant son cercueil jusqu’au cimetière de Saint-Eugène ont
commis des ratonnades* de grande ampleur qu’ont relatées les journalistes
venus de métropole pour couvrir l’enterrement. Les lecteurs du Monde*, par
exemple, en ont eu le récit.
Maire* de Boufarik depuis 1925, Froger était depuis la même époque
conseiller général. Il a aussi siégé sans discontinuer dans les institutions*
coloniales (Délégations financières puis Assemblée algérienne). D’abord
administrateur du domaine Saint-Charles à Boufarik, riche bourgade agricole
réputée pour ses agrumes, il est devenu, dans les années 1930, l’agent général
d’une société commercialisant les engrais de la Compagnie des phosphates de
Constantine. Aussi les communistes l’ont dénoncé comme l’un des
« seigneurs » de la colonie (parfois détourné en « saigneurs »).
Si l’état réel de sa fortune demeure inconnu, ses combats politiques en
font effectivement un ennemi pour les militants de la lutte des classes et de
l’anticolonialisme. En 1947, il fonde l’Interfédération des maires d’Algérie,
regroupant les associations de maires de la colonie et, présidant la Fédération
du département d’Alger, il s’érige en porte-parole de ces élus locaux. Il en
incarne la tendance la plus opposée à toute réforme mettant en cause la
suprématie de la minorité européenne ; celle qui rejette avec véhémence le
collège unique, qui aurait pourtant mis fin au régime discriminatoire du
double collège* électoral, réclame la plus intransigeante des répressions et
s’en prend aux autorités. En 1956, Froger se distingue dans les mobilisations
antigouvernementales dont l’acmé reste la « journée des tomates* », le
6 février.
Son buste, ramené de Boufarik où il trônait devant la mairie, a été confié
par l’une de ses filles au Centre de documentation historique sur l’Algérie
(CDHA) qui, créé en 1974 à Aix-en-Provence, entretient une mémoire
« rapatriée », nostalgique de l’Algérie française.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Olivier Chartier, Les Ombres de Boufarik, Flammarion, 2010 • Sylvie
Thénault, Les Ratonnades d’Alger. Une histoire sociale du racisme colonial,
Seuil, 2022.

FRONT ALGÉRIEN D’ACTION


DÉMOCRATIQUE (FAAD)
La presse* révéla l’existence du Front algérien d’action démocratique
(FAAD) le 20 avril 1961, peu après l’ajournement des pourparlers d’Évian.
Cette organisation se manifesta à travers un tract favorable à l’établissement
d’une République algérienne mais hostile au « communisme international »
jugé dangereux pour les « traditions islamiques ».
Le FAAD – appellation choisie par le général Paul Grossin – fut une
création du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage*
(SDECE), sur instruction du Premier ministre Michel Debré*. Il s’agissait
alors de faire émerger une « troisième force » susceptible de disputer
l’hégémonie du FLN* et de rallier les déçus du MNA*.
Khalifa Ben Ammar, vétéran de l’Étoile nord-africaine, se vit confier la
direction du FAAD auquel il associa Laïd Kheffache, ancien membre du
PPA*, ou encore Benali Boukort, responsable du PCA* dans les années
1930, autant de personnalités en rupture avec le messalisme. Mais le
groupement, « dont les ficelles sont tirées des officines colonialistes » d’après
une Fédération de France du MNA en crise, ne parvint pas à recruter des
dirigeants de poids ou à se constituer une assise militante solide.
En revanche, il rallia Abdallah Selmi, chef de maquis basé dans la région
de Bou Saada, sans doute séduit à l’idée de se procurer des armes,
parachutées par les services français, afin de tenir tête au FLN. L’Algérien,
organe du FAAD auquel participa Jean Scelles, ancien conseiller de l’Union
française, déploya, à partir du 28 mai, une propagande* progaulliste en
soutien à la « paix révolutionnaire ».
Pourtant, Jean Morin*, délégué général en Algérie, estima ses
inconvénients « largement supérieurs » à ses avantages et demanda au
gouvernement, le 24 septembre, de cesser son appui au FAAD dont certains
éléments se compromirent davantage en se rapprochant de l’OAS*.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Maurice Faivre, « Services secrets et “troisième force” : le Front
algérien d’action démocratique (FAAD) 1960-1962 », in Maurice Vaïsse
(dir.), Il n’est point de secret que le temps ne révèle. Études sur l’histoire du
renseignement, Panazol, Lavauzelle, 1998 • Constantin Melnik, Mille Jours à
Matignon. Raisons d’État sous de Gaulle. Guerre d’Algérie, 1959-1962,
Grasset, 1988 • Jacques Valette, La Guerre d’Algérie des messalistes, 1954-
1962, L’Harmattan, 2001.

FRONT DE L’ALGÉRIE FRANÇAISE


(FAF)
Lancé officiellement le 16 juin 1960 à Alger, le Front de l’Algérie
française (FAF) s’inscrit dans un moment bien particulier du combat pour
l’Algérie française. Après l’annonce de l’autodétermination le 16 septembre
1959, l’échec des barricades et l’arrestation (ou la fuite) de ses principaux
dirigeants ont montré les limites de l’activisme. Les élus parlementaires
d’Algérie, à commencer par le bachaga Boualam*, vice-président de
l’Assemblée nationale, misent sur un combat légaliste mobilisant en masse
Européens d’Algérie et musulmans favorables à l’Algérie française. Grâce à
un Comité national pour l’intégrité du territoire, ils veulent œuvrer sur les
deux rives de la Méditerranée en liaison avec le Front national de l’Algérie
française (FNAF) créé le 7 juillet 1960 et présidé par Jean-Marie Le Pen*,
fort de sa légitimité politique (il est député CNIP depuis 1958). Le FAF est
crédité de plus de 250 000 membres, aux trois quarts européens. Un chiffre
impressionnant mais sans capacité de mobilisation aussi conséquente tant le
contexte est défavorable à ses vues. Le 4 novembre, de Gaulle* proclame en
effet que « la République algérienne existera un jour », dénonce
« l’immobilisme stérile » (une attaque contre les tenants de l’Algérie
française). Au sein du FAF, des dirigeants sceptiques sur l’efficacité du
combat légal ont mis sur pied des antennes clandestines (Dominique Zattara à
Alger et Robert Tabarot à Oran). La menace d’une dissolution a donc été
réfléchie et la parade envisagée. Mais pour l’heure, toute l’attention est portée
sur le voyage que doit faire de Gaulle en Algérie entre le 9 et le 13 décembre
1960. Le FAF entend faire d’Alger une ville morte : « Toute vie doit
s’arrêter », programme un tract. Les éléments activistes du mouvement
n’entendent pas rester inactifs. Ils ont prévu, appuyés par la Fédération des
étudiants* nationalistes locale, de mettre sur pied des commandos de jeunes
chargés, dès le 9 décembre, de harceler les forces de l’ordre. L’objectif est de
frayer la voie à l’armée dont ils espèrent qu’elle va enfin « basculer ». En
vain. Ce que le FAF n’avait pas non plus prévu était la mobilisation du FLN*
le 11 décembre et l’investissement des quartiers européens et le saccage de la
grande synagogue. La répression, générale, est brutale. Elle est pour le FAF
un terrible échec qu’il paie de son interdiction le 15 décembre. Surtout, le
référendum* sur l’autodétermination est tenu. La force de l’abstention en
Algérie (41,24 %) n’empêche pas le succès du « oui ».
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011.

FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE


(FLN), 1954-1962
Le 1er novembre 1954*, la Guerre d’indépendance algérienne est lancée
par le FLN. En dehors des sphères politiques, ce sigle est ignoré. Les
premières arrestations touchent les seuls militants du PPA-MTLD* suspectés
d’être derrière les actions armées. Il est vrai que les fondateurs du FLN et la
plupart de leurs partisans sont issus de ce parti, héritier lointain de l’Étoile
nord-africaine (ENA), première formation politique qui a revendiqué
l’indépendance de l’Algérie. Mais, à la faveur de circonstances particulières
nées au cœur de la Seconde Guerre mondiale, « l’esprit d’indépendance »
(Aït Ahmed, Mémoires d’un combattant, 1982) anime la jeune génération*
de militants dont le volontarisme est conforté par les événements de
mai 1945. Aussi, c’est sans difficulté majeure que cette tendance activiste
réussit à imposer la création de l’Organisation spéciale* (OS), branche armée
du PPA-MTLD, à l’occasion du premier congrès du PPA-MTLD, en
février 1947. En 1948, l’OS comprend entre 1 000 et 1 500 membres
(Boudiaf*, La Préparation du 1er novembre 1954, 1976) qui suivent des
entraînements militaires, des conférences sur la guerre de partisans, des
sessions de fabrication des explosifs. L’expérience de cette organisation
paramilitaire est interrompue par sa découverte par la police* au printemps
1950.
Outre son démantèlement, il en résulte l’arrestation d’un grand nombre de
ses membres. Leurs procès s’ouvrent en 1951, à Bougie, Oran, Bône et Blida,
et les inculpés sont condamnés à des peines allant de six à dix ans de prison*,
couplées d’autant d’années de privation des droits civiques. Parmi les
condamnés figurent Ben Bella* et Mahsas* (qui s’évadent de la prison de
Blida), Ben Alla*, Zabana*, Hamou Boutlelis, etc. Ceux qui échappent à
l’arrestation sont condamnés par contumace, entrent en clandestinité et
trouvent refuge dans l’Aurès, en Kabylie ou à Alger (cas de Aït Ahmed*). Ce
sont Bentobbal*, Didouche* Mourad, Aït Ahmed, Boudiaf, Zighoud* et
Mostefa Benaouda (évadés de la prison de Bône), Boussouf*,
Benabdelmalek*, appelés à prendre les commandes du FLN.
La découverte de l’OS provoque sa dissolution par la direction du PPA-
MTLD, en février 1951, et ébranle la cohésion du parti partagé entre
réformisme et radicalisme. En ce sens, l’affaire de l’OS aggrave la crise
larvée qui secoue le parti PPA-MTLD depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale. En filigrane, la résolution de la question nationale par le recours
aux armes ne fait pas consensus. Durant cette période de trois ans (1950 à
1953), les membres de l’OS, éparpillés, sans ressources, éprouvent beaucoup
d’amertume à l’égard de la direction qui semble les avoir abandonnés. Au
congrès du parti d’avril 1953, l’OS est reconduite et ses membres profitent de
la crise déclarée entre Messali* et les centralistes pour s’imposer comme
partisans d’une neutralité. Ils investissent le Comité révolutionnaire pour
l’unité et l’action (Crua) créé par les centralistes.
Cette alliance qui a désorienté les militants de l’OS « a contribué à égarer
le jugement des messalistes à leur encontre, ce qui ne sera pas sans
conséquences sur le regroupement des forces révolutionnaires » (Harbi,
1984). En quelques mois, l’OS s’achemine vers l’autonomie par rapport aux
acteurs de la crise. Au mois de juin, la réunion décisive des « 22* » cadres de
l’OS opte pour l’insurrection. Toutes les tentatives pour réunifier les rangs
échouent, la scission du MTLD s’impose sur fonds de violence et de
recomposition. La direction collective – assumée par Boudiaf, Ben Boulaïd*,
Ben M’hidi*, Didouche et Bitat* auquel se joint Krim* – s’empresse de
préparer l’insurrection, encouragée par le mouvement de libération de la
Tunisie* et du Maroc* et la défaite française à Điên Biên Phù.
Le 1er novembre 1954, le FLN et l’ALN* son bras armé déclenchent
l’insurrection. La résonance que la presse* confère aux premières actions et
l’intervention immédiate des forces de l’ordre françaises suffisent à rassurer
les chefs du FLN.
De 1954 à 1962, le FLN s’engage dans la Guerre d’indépendance, avec
des moyens matériels dérisoires mais fort « d’un potentiel révolutionnaire de
forces inorganisées » (Harbi, 1984) nourri à l’espérance millénariste.
Néanmoins, l’adhésion n’est pas acquise automatiquement. La société
algérienne des années 1950 n’est pas constituée d’un seul bloc d’où les
antagonismes sociaux sont absents. C’est ce que Zighoud Youcef (Harbi,
1992) a compris quand il lance l’insurrection du 20 août 1955* pour
précipiter la rupture entre Algériens toutes classes confondues et la minorité
européenne, en particulier celles des élites algériennes tentées de composer
avec la France.
Le second atout est qu’il interpelle l’ensemble des courants nationalistes.
Rapidement mais non sans difficulté, le FLN parvient à se rallier à
l’UDMA*, l’Association des ulémas* et le PCA*. En intégrant ces
différentes tendances à son combat anticolonial, le FLN ne constitue pas un
front au sens vrai du terme. Le FLN entend seulement exercer son monopole
politique sans partage sur l’ensemble des forces sociales ralliées. Le MNA*
s’oppose en effet à mener la lutte pour l’indépendance sous la bannière du
FLN et les deux frères ennemis intransigeants n’hésitent pas à user de
violence l’un contre l’autre. L’enjeu du pouvoir exacerbe la course à
l’élimination des messalistes en Algérie et dans les milieux de l’émigration*
en France. Les responsabilités sont partagées dans la liquidation « de 4 000
militants » et les « près de 9 000 blessés » (Harbi, Le FLN. Mirage et réalité,
1980), privant la lutte de libération de cadres aguerris.
Quand se réunit le congrès de la Soummam* au mois d’août 1956,
l’insurrection s’est généralisée et, même si le FLN a perdu deux de ses
fondateurs : Didouche Mourad et Ben Boulaïd – Bitat étant détenu –, il a tout
de même consolidé ses assises en ralliant les tendances nationalistes
antérieures au 1er novembre 1954, à l’exception du MNA. Sa force repose sur
les groupes armés de l’ALN et sa légitimité révolutionnaire se fonde sur le
déclenchement de l’insurrection. En l’absence de la délégation extérieure du
FLN, des dirigeants de la Zone 1 (Aurès), le congrès adopte une plate-forme
politique dont le trait majeur est la poursuite de la lutte pour l’indépendance
et met au point une direction collégiale assurée par un organe exécutif (le
CCE*) et une sorte de parlement (le CNRA*). L’ALN est réorganisée et
Abane* fort de l’appui de Ben M’hidi consacre au moins formellement le
principe de la primauté du politique sur le militaire et celle de l’intérieur sur
l’extérieur. Cet effort pour institutionnaliser le FLN et édifier un contre-État
est mal apprécié par Ben Bella et Boudiaf, et l’unanimité du congrès de la
Soummam est remise en cause à la faveur de la réunion du CNRA au mois
d’août 1957 au Caire. Abane est impuissant à prévenir « le premier coup
d’État au sein du FLN » et encore moins à renverser le rapport de force
constitué par Krim, Bentobbal et Boussouf*, tous unis pour évincer de la
direction Ben Khedda* et Dahlab* accusés de réformisme. Une majorité de
militaires s’impose dans le CCE remanié. Désormais, le FLN est subordonné
aux décisions de l’ALN. Toute contestation, la moindre critique est réglée par
le recours à la violence dont Abane fait les frais au mois de décembre 1957.
À l’intérieur du pays, la résistance des wilayas est mise à rude épreuve
par les barrages qui bloquent le ravitaillement en armes et par l’énorme
mobilisation des effectifs de l’armée française. L’impact de l’isolement des
maquis auquel les purges dues à la bleuïte* viennent s’ajouter est
difficilement supporté. La situation se complique avec l’arrivée de De
Gaulle* en 1958 et les opérations du plan Challe*. L’ALN des frontières,
pourtant mieux nantie que celle de l’intérieur, n’est pas non plus à l’abri de
troubles et de contestations de l’autorité de sa hiérarchie. Quant aux
populations civiles, elles subissent arrestations et torture* en ville et
déplacement forcé dans les camps de regroupement* en milieu rural.
Dans ces conditions, la mission confiée au premier GPRA* constitué en
septembre 1958 est quasi impossible. Même le triumvirat formé par les « 3 »
est divisé « sur la conduite de la guerre, sur les modalités d’unification de
l’armée des frontières*, sur le choix des cadres » (Harbi, 1992). Il a fallu faire
appel aux dix colonels de l’intérieur et cent dix jours de réunions houleuses
pour désigner un nouveau CNRA (1960), un conseil interministériel de
guerre contrôlé par les « 3 » et un état-major dirigé par Boumediene*. Les
deux dernières années de la guerre confortent la position de l’EMG* face à
un GPRA qui n’a pourtant pas démérité et qui a réussi à signer les accords
d’Évian* instaurant un cessez-le-feu avant le référendum* de
l’autodétermination de juillet 1962. La division de toutes les factions du FLN
éclate au grand jour à la réunion du CNRA (juin 1962) dont l’échec est
responsable de la crise de l’été 1962* qui entache les fêtes de l’indépendance.
Les prétendants à la direction révèlent leurs ambitions sur fond
d’affrontements violents. L’alliance de Ben Bella avec l’EMG finit par
gagner la partie et former un bureau politique du FLN d’où sont exclues les
forces qui ont animé la résistance intérieure. Au mois de septembre 1962, le
FLN qui a déclenché l’insurrection a atteint l’objectif qu’il s’était fixé le
1er novembre 1954, libérer le pays de l’occupation coloniale. Son évolution
ultérieure est une autre histoire.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Aux origines du FLN, Saint-Denis, Éditions
Bouchène, [1975] 2004 • —, L’Algérie et son destin. Croyants ou citoyens,
Arcantère, 1992 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962),
Fayard, 2002.

FRONT RÉPUBLICAIN
Le 2 décembre 1955, Edgar Faure, dont le gouvernement a été renversé,
dissout l’Assemblée nationale. Mendès France* et le centre du parti radical*,
dont Bourgès-Maunoury* et Gaillard*, l’excluent du parti avec sa droite la
plus colonialiste (René Mayer, Jean-Paul David notamment). Dans l’urgence,
les élections* anticipées étant fixées au 2 janvier 1956, une coalition de
circonstance de centre gauche est formée, comprenant la SFIO*, les radicaux
maintenus, la fraction de l’UDSR derrière Mitterrand* et des républicains
sociaux gaullistes, comme Chaban-Delmas. Le 6 décembre, ces derniers
présentent le Front républicain et lancent un appel recommandant aux
électeurs d’éliminer les « vrais responsables de Điên Biên Phù, de la situation
du Maroc*, des mille millions de déficit et de l’immobilisme social ».
Absente de cet appel fondateur et du programme flou de la coalition, la
situation de l’Algérie s’impose, surtout les derniers jours, dans les combats
électoraux menés sous le sigle du bonnet phrygien. La tonalité de la
campagne du Front républicain est « libérale », selon le vocabulaire de
l’époque, et reçoit le soutien de nombreux intellectuels, dont Camus*, et de
l’hebdomadaire L’Express. Mendès France annonce qu’il traitera le problème
sur place, Mollet* dénonce « la guerre imbécile et sans issue ».
Le 2 janvier 1956, au soir de l’élection, la défaite de Faure et du centre
droit est consommée. Pourtant, le Front républicain n’emporte qu’une
victoire relative, avec 160 à 170 députés. Bien que n’ayant pas de majorité à
lui seul, le Front républicain refuse l’alliance avec les communistes qui
appellent à un nouveau Front populaire et voteront dans cet esprit en faveur
des pouvoirs spéciaux*. Avec l’élection d’une cinquantaine de
« poujadistes* », l’extrême droite colonialiste trouve de nouveaux chantres,
dont Jean-Marie Le Pen*. Aucun député d’Algérie ne siège du fait du report
des élections sine die.
La SFIO ayant le groupe parlementaire le plus nombreux, le président de
la République, René Coty, appelle Guy Mollet comme président du Conseil.
Il est investi le 1er février. Mendès France est ministre d’État sans
portefeuille. Trois hommes occupent des postes clés pour l’Algérie : le
général Catroux, nommé ministre résidant sur place, Bourgès-Maunoury à la
Défense et Mitterrand à la Justice. À la suite du 6 février 1956, lorsque les
Algérois se mobilisent contre Mollet au cours de la fameuse « journée des
tomates* », Lacoste* remplace Catroux.
Le Front républicain, coalition de circonstance, se rompt avec la
démission de Mendès France en mai 1956.
Gilles MORIN

FUNÉRAILLES EN ALGÉRIE
En Algérie, la question des funérailles renvoie aux funérailles des
Algériens. Le 14 janvier 1956, l’arrestation du Dr Benzerdjeb (1921-1956) et
son élimination donnent lieu à une violente démonstration de colère des
Algériens. La première éclate à Oran le 16 janvier avant de se répandre dans
sa ville natale : Tlemcen.
Le 17 janvier, une immense procession composée d’hommes, de femmes
et de lycéens – 10 000 personnes selon L’Écho d’Oran – envahit les rues
principales de la ville se dirigeant vers le cimetière musulman, scandant des
slogans hostiles à la présence française entrecoupés de chants* nationalistes.
Elle exige des autorités militaires que le corps du défunt lui soit rendu
pour être enterré par les siens. Le refus de livrer le corps à sa famille
provoque la colère de la population de Tlemcen. L’inattendue mobilisation de
la population constitue la première manifestation politique que la présence du
sous-préfet, du maire* et des forces de l’ordre ne parvient pas à calmer. À la
sortie du cimetière, la foule défie la police*. Un coup de feu abat le jeune Sid
Ahmed Belkaïd, ce qui entraîne le saccage de commerces européens. Le
couvre-feu est décrété. Le lendemain, un barrage de CRS bloque l’accès au
cimetière.
Quand la population apprend que la dépouille du Dr Benzerdjeb a été
enterrée par l’armée, elle se rend au domicile de sa famille. Pour mettre fin
aux attroupements, les autorités obligent la famille à quitter les lieux. Celle-ci
se réfugie chez des proches et continue de recevoir les condoléances. La
police ordonne alors leur repli à la ferme de Aïn El Houtz. Cet éloignement
n’arrête pas l’afflux des visiteurs qui dure jusqu’au 40e jour. Ce jour-là, le
recueillement a lieu à Tlemcen et Oran, où une grève* est observée par les
commerçants dans les quartiers algériens suivie de manifestations réprimées
par les forces de l’ordre.
Le cas de Tlemcen n’est pas isolé. À Alger, les funérailles de Mohammed
Lekhbizet, assassiné le 29 avril 1956, sont suivies par une foule silencieuse
de quelque 5 000 personnes de la Casbah au cimetière de Belcourt.
Par la suite, ce genre de démonstration se raréfie, les enterrements se
faisant sous contrôle de la police et de l’armée. Ce n’est qu’avec les
manifestations de décembre 1960* et de juillet 1961* que les Algériens
renouent avec le rituel des funérailles publiques. C’est le cas à Constantine et
à Alger, où les funérailles des victimes tuées par l’armée donnent lieu à
d’imposants rassemblements populaires bien encadrés par le FLN*.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : L’Écho de Tlemcen, 18 janvier 1956 • Entretiens.

FUNÉRAILLES EN FRANCE
En France, la question des funérailles liées à la guerre d’Algérie renvoie
essentiellement aux soldats français. Environ 30 000 d’entre eux sont morts
au cours du conflit. Comme dans chaque guerre, le maire* vient apporter le
télégramme apprenant la mort du fils ou du mari. Après la froideur du
télégramme suit une lettre du chef de corps relatant les circonstances de la
mort, parfois de manière euphémique. Les corps ne sont pas transférés tout de
suite en métropole. Pour cela, les familles doivent remplir un formulaire dès
l’annonce du décès. Jusqu’en 1957, elles doivent attendre entre plusieurs
mois et un an avant que les obsèques se déroulent en métropole. C’est
particulièrement le cas après l’embuscade* de Palestro*, le transfert des corps
étant retardé pour éviter des manifestations* du fait de l’émoi suscité dans la
population. Le corps du sergent Bigot est ainsi transféré en juillet 1958, plus
de deux ans après son décès.
Entre-temps, les corps sont entreposés en Algérie, avant d’être inhumés
sur place. Quelques rares familles effectuent le déplacement pour assister là-
bas aux funérailles. Les témoignages* des camarades de régiment présents
relatent souvent la douleur qui les étreint, notamment au moment de la
sonnerie aux morts. Les corps sont ensuite exhumés et acheminés jusque dans
la commune du défunt. Une chapelle ardente est fréquemment installée dans
la mairie pendant deux ou trois jours. La cérémonie draine souvent une foule
de parfois plusieurs milliers de personnes, c’est pourquoi les autorités sont
très sourcilleuses sur le déroulement des obsèques.
Celles-ci sont financées par les communes, et l’inhumation se fait dans le
carré militaire si le militaire est déclaré « mort pour la France ». Dès 1954,
cette appellation fait l’objet d’une lecture extensive puisqu’elle est
normalement réservée aux guerres officiellement déclarées. Le maire, le
conseiller général, parfois le préfet* ou le député, sont présents aux obsèques.
Normalement, un officier* et un détachement de troupes y assistent aussi
mais leur présence est parfois refusée. De même, par opposition politique,
certaines familles refusent la mention « mort pour la France ».
Les discours, souvent empathiques, parfois politiques, sont surveillés,
surtout dans les « banlieues rouges ». Mais ils restent souvent assez
consensuels pour éviter des polémiques fâcheuses en ce temps de
recueillement. Un officier prend parfois la parole, et le défunt se voit accorder
la croix de la Valeur militaire (voire la légion d’honneur) à titre posthume.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, L’Embuscade de Palestro. Algérie, 1956, Armand
Colin, 2010 • Danielle Chevallier, « Les obsèques de soldats morts en
Algérie », in Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en
guerre. 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance
algérienne, Autrement, 2008.

FUSILLADE DE LA RUE D’ISLY


(26 MARS 1962)
Après la conclusion des accords d’Évian* (18 mars), les chefs de l’OAS*
engagent une épreuve de force avec le pouvoir en s’appuyant sur la
population européenne d’Alger et d’Oran. Le 23 mars, dans le quartier
populaire de Bab El Oued, les commandos de l’OAS attaquent une patrouille
d’appelés qui prétendait les désarmer. Sept soldats sont tués. L’armée riposte
en engageant de gros moyens pour éviter la constitution d’un réduit
insurrectionnel. Les commandos doivent se replier ; le secteur est coupé du
reste d’Alger, la fouille systématique des immeubles s’accompagne
d’arrestations et de nombreuses brutalités. Le lundi 26 mars, à l’appel de
l’OAS, une « manifestation* de masse pacifique et unanime » est organisée
en direction de Bab El Oued. Les autorités l’interdisent, mais la population
passe outre, avec la conviction de se livrer à une démonstration sans risque,
comme l’atteste la présence de nombreuses femmes et enfants. Le cortège,
parti des quartiers du sud et du centre, se heurte rue d’Isly à un barrage formé
de soldats musulmans du 4e régiment de tirailleurs. À 14 h 50, ceux-ci
entament un tir nourri. Le bilan* le plus probable s’élèverait à 61 morts
identifiés du côté des manifestants, quelques blessés étant recensés du côté
des forces de l’ordre.
Des provocateurs ont-ils tiré les premiers coups de feu et entraîné ainsi la
riposte de la troupe ? Celle-ci s’est-elle conformée à des consignes trop
rigoureuses ? N’y avait-il pas imprudence des autorités à plonger des
tirailleurs, totalement dépourvus d’expérience du maintien de l’ordre, dans
une ville en ébullition ? Quoi qu’il en soit, l’événement prouve que le
pouvoir n’entend pas laisser l’OAS utiliser les Français d’Algérie. Ces
derniers achèvent de perdre confiance dans la métropole, tandis que l’OAS
poursuit son offensive. Les derniers espoirs de voir les Européens trouver une
place dans l’Algérie indépendante sont ruinés. Le 26 mars reste commémoré
par la plupart des associations de rapatriés*, dans l’indifférence,
l’incompréhension, voire l’hostilité, de l’opinion*. Celle-ci a tendance à ne
voir dans l’épisode qui marque, pour les Français d’Algérie, le début de la
fin, qu’une tentative d’insurrection justement châtiée. Le président de la
République a toutefois qualifié le 26 janvier 2022 la répression de la rue
d’Isly de « massacre […] impardonnable pour la République », portant ainsi
une « parole de reconnaissance » sur cet événement.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Francine Dessaigne et Marie-Jeannne Rey, Un crime sans assassins.
Alger, 26 mars 1962, Confrérie Castille, 1994 • Jean Monneret, La Phase
finale de la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 2000 • —, Une ténébreuse
affaire : la fusillade du 26 mars 1962 à Alger, L’Harmattan, 2009.
G

GAILLARD, FÉLIX (1919-1970)


Né en 1919 à Paris, Félix Gaillard, inspecteur des finances, a été à la
Libération chef de cabinets ministériels, avant de se faire élire député radical
de la Charente en novembre 1946.
Technicien des finances, présenté comme un homme nouveau, il a été
ministre pour la première fois à 28 ans et a appartenu à quatre gouvernements
dès avant la guerre d’Algérie. Représentatif de ce que l’on a appelé le
néoradicalisme, situé à la droite du parti, il a troqué l’anticléricalisme radical
classique pour la défense du libéralisme économique et l’anticommunisme.
Comme son mentor René Mayer, il s’avère orthodoxe en matière coloniale et
en économie.
En février 1955, il contribue à la chute de Mendès France*, à l’issue du
débat sur la situation en Afrique du Nord, puis soutient Edgar Faure. Réélu
aux élections* législatives de janvier 1956, sa liste RGR (Rassemblement des
gauches républicaines) s’est opposée à celle du Front républicain*.
Félix Gaillard est désigné en juin 1957 ministre des Finances, des
Affaires économiques et du Plan du gouvernement Bourgès-Maunoury*. Ce
dernier est renversé le 30 septembre par la rencontre conjoncturelle entre des
votes communistes et de ceux de la droite. À l’issue d’une crise ministérielle
de cinq semaines, Gaillard est investi président du Conseil le 6 novembre
1957. Son cabinet de large union, allant des indépendants aux socialistes,
incarne un glissement au centre droit, mais la continuité pour l’Algérie :
Lacoste* conserve son poste à Alger et Bourgès-Maunoury dirige de nouveau
le ministère de l’Intérieur.
Gaillard obtient difficilement l’adoption de la loi-cadre* pour l’Algérie le
5 février 1958, en posant la question de confiance dans la forme
constitutionnelle. La loi-cadre établit notamment le collège unique, tout en
assurant des droits aux Européens, et réaffirme l’appartenance de l’Algérie à
la République française.
Le bombardement du village tunisien de Sakiet Sidi Youssef* par
l’aviation française le 8 février 1958, puis l’acceptation d’une proposition
anglo-américaine de « bons offices » précipitent la chute de son
gouvernement le 16 avril. L’offre visait à aboutir à la paix en reconnaissant le
droit des Algériens « à la réalisation de leurs aspirations ». Le régime lui-
même est renversé après l’investiture de Pierre Pflimlin* le 13 mai*.
Assurant l’intérim, Gaillard joue un rôle dans l’événement en donnant l’ordre
à l’armée de ne pas tirer et en confiant les pouvoirs civils en Algérie au
général Salan*. Président du parti radical* de 1958 à 1961, il reste député
jusqu’à son décès en 1970.
Gilles MORIN

GALLISSOT, RENÉ (NÉ EN 1934)


René Gallissot est né en 1934 à Neuilly-l’Évêque en 1934 dans une
famille paysanne et d’employé des postes, catholique et de droite. Élève dans
l’enseignement catholique, il perd la foi au lycée. Boursier, il fait hypokhâgne
à Dijon et khâgne à Lyon*, et devient alors marxiste. À l’École normale
supérieure de Saint-Cloud, il devient ami avec Abdallah Mazouni et Jean-
Claude Carrière, qui l’ouvrent à la situation algérienne. Il adhère à l’Union
des étudiants communistes (UEC), à l’Unef* et à la cellule du PCF* de
l’École. Il milite alors activement contre la guerre d’Algérie et notamment les
« pouvoirs spéciaux* », et est même considéré (à tort) comme « maoïste » par
les Renseignements généraux. Il entre aussi en contact avec le réseau de
« porteurs de valises* » d’Henri Curiel*, faisant passer des lettres et de
l’argent. Il transmet également les lettres des prêtres de Souk Ahras, qui
dénoncent la guerre d’Algérie. Agrégé, il est affecté au lycée d’Auxerre en
1960, mais son sursis* expire en février 1961. Il fait ses classes en
Allemagne. Envoyé en Algérie, il devient enseignant pour les enfants de
troupe à Koléa, ce qui le dispense de toutes les opérations militaires. Il y
rédige son premier livre, Économie de l’Afrique du Nord (coll. « Que sais-
je ? », 1961). Des combattants algériens manquent de le tuer en mars 1962. Il
échappe à la mort car il fréquente des Algériens de Koléa. Après
l’indépendance et la naissance de son premier enfant, son épouse vient vivre
comme coopérante à la faculté des sciences d’Alger et lui comme coopérant
militaire à l’université. Deux autres enfants naissent à Alger : un garçon qui
meurt au cours de sa première année, et une fille. En 1963, il soutient sa thèse
sur Le patronat européen au Maroc (1931-1942) à la Sorbonne. Il intègre
ensuite le nouvel IEP d’Alger. Gravement malade, il est rapatrié en France à
Noël 1965. À la rentrée 1967, il entre à la Sorbonne comme maître-assistant.
Il intègre la rédaction des revues* L’Homme et la société et Le Mouvement
social, fonde la revue Pluriel débat et participe à la section histoire du Centre
d’études et de recherches marxistes (Cerm). Il participe au mouvement de
grève* de mai 1968, et entre à l’université de Paris 8 – Vincennes lors de sa
création en 1969. Il poursuit dans la même université à Saint-Denis, où il crée
l’Institut Maghreb-Europe avec Benjamin Stora* en 1990-1991. Ses
publications portent sur le mouvement ouvrier, les migrations, le Maghreb et
plus spécifiquement le Maroc* et l’Algérie, notamment les deux volumes du
Dictionnaire Maitron. Il s’est aussi impliqué dans des associations pour la
vérité sur des assassinats politiques, dont celui d’Henri Curiel.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : René Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux et question
nationale, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. L’Atelier, 2006
• —, Henri Curiel. Le mythe mesuré à l’histoire, Riveneuve, 2009 •
Entretiens avec René Gallissot par Didier Le Saout et Tramor Quemeneur,
pour La Contemporaine, 2017-2018, disponible en ligne
(argonnaute.parisnanterre.fr).

GALULA, LIEUTENANT-COLONEL DAVID


(1919-1967)
Né en 1919 à Sfax en Tunisie* dans une famille de commerçants juifs*
émigrant par la suite au Maroc*. David Galula suit les cours du lycée
Lyautey à Casablanca, puis rentre à Saint-Cyr dont il sort officier* en 1940. Il
est radié des cadres de l’armée et perd sa nationalité française, en 1941, du
fait des lois antijuives de Vichy.
Il gagne le Maroc et est réintégré comme officier dans l’armée française
en 1943. Il participe aux combats de la Libération. Il est durement blessé
durant les opérations sur l’île d’Elbe.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est envoyé en Chine* comme
attaché militaire d’ambassade. Il peut ainsi observer de près la victoire
communiste et les années d’installation du nouveau régime. Il est fait
prisonnier par les troupes maoïstes et est libéré grâce à une intervention
américaine. En Chine, il rencontre son épouse, une diplomate américaine.
En 1948, il est témoin, en tant qu’observateur de l’ONU*, de la guerre
civile grecque. Il retourne ensuite en Chine où il est attaché militaire à Hong
Kong. C’est dans ce contexte qu’il peut assister à la répression de la guérilla*
philippine par l’armée américaine.
En 1956, il est affecté à la tête d’un bataillon d’infanterie coloniale en
Kabylie. Chargé de la pacification* du quartier d’Aït Mimoun, il met en
pratique les idées issues de dix ans d’observation en Extrême-Orient. Il
cherche à systématiser sa réflexion sur les méthodes contre-
insurrectionnelles. Il produit alors son premier texte à ce sujet, publié dans
Contacts, la revue* théorique du bureau d’action psychologique*.
Il connaît alors une rapide ascension au sein de l’état-major de la Défense
nationale. Il est chargé de questions relatives à la guerre psychologique,
notamment en rapport avec la radiophonie*, et multiplie les conférences sur
la contre-insurrection auprès d’auditoires militaires étrangers.
Il quitte l’armée en 1962 et s’installe aux États-Unis*. Il y travaille pour
la RAND Corporation, et publie Counterinsurgency, Theory and Practice et
Pacification in Algeria. Longtemps non traduites, ses œuvres sont longtemps
passées inaperçues en France. Elles ne sont publiées en français qu’au début
des années 2000. Ses livres marquent durablement les conceptions
américaines de la lutte contre-insurrectionnelle, au Vietnam, mais aussi, plus
récemment, en Irak et en Afghanistan. Les généraux Petraeus et McChrystal,
en charge des théâtres d’opérations américains dans ces régions, s’y réfèrent
explicitement.
Il décède en France en 1967. Redécouvert dans les années 2000, il est une
figure moralement acceptable, du fait de sa prévention vis-à-vis de la
torture*, de cette génération* de penseurs militaires français ayant théorisé la
guerre irrégulière.
Denis LEROUX

GAMBIEZ, GÉNÉRAL FERNAND (1903-1989)


Fernand Gambiez est né en 1903 dans une famille très modeste de
mineurs à Lille*. Il fait de brillantes études et intègre les rangs de l’école
spéciale militaire de Saint-Cyr en 1923 dans la promotion « chevalier
Bayard ». Il sert longuement au Maroc*, entre 1925 et 1932, participant à la
très violente répression du Rif. Au début de la Seconde Guerre mondiale, il
fait la campagne de France au 30e BCA, avant d’être nommé à l’état-major de
l’armée. Il tente de rejoindre les forces françaises libres en Afrique du Nord,
en passant par l’Espagne où il est interné. Libéré, il parvient à intégrer le
1er bataillon de choc avec lequel il participe à la libération de la Corse, puis à
la tête des commandos* de France, aux campagnes de Rhin et Danube. Il
devient la figure tutélaire de ces commandos. Après l’armistice, il poursuit sa
carrière en Indochine*, où il est notamment chef d’état-major du Nord-
Vietnam. Il tombe malade et doit quitter l’Indochine pour y revenir en 1953
comme chef d’état-major interarmées puis commandant de la 2e division
nord-africaine. En 1955, il dirige d’abord la Division nord de Tunisie*. En
1956, il est nommé général de division et commandant supérieur des troupes
françaises de Tunisie. C’est lorsqu’il dirige les opérations dans les confins
algéro-tunisiens qu’il est confronté à la crise du bombardement de Sakiet Sidi
Youssef*. Fernand Gambiez dirige ensuite la 11e division d’infanterie en
Algérie. En juillet 1958, il est nommé général de corps d’armée et, en 1959, il
prend le commandement du corps d’armée d’Oran. Bien vu par de Gaulle*, le
général Gambiez appuie certains de ses anciens officiers parachutistes*, tel
Marcel Bigeard*, alors commandant du secteur de Saïda, qui est l’un de ses
hommes de confiance. Il est souvent crédité de la relative réussite de la
politique de pacification* de l’Oranie. Il est ensuite promu général d’armée
en 1960 et se voit confier le commandement en chef des forces armées en
Algérie en février 1961, à la suite du général Crépin*. Il doit faire face au
putsch* et est mis aux arrêts par les putschistes. Son incapacité à endiguer la
sédition amène le ministre des Armées, Pierre Messmer*, à demander son
remplacement par le général Ailleret*. Rentré en France, il dirige l’Institut
des hautes études de la défense nationale jusqu’en 1965. Il prend alors sa
retraite et se consacre à l’écriture de traités de stratégie et d’essais
historiques.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, 1956-1959, t. II, Bouquins, 2018
• Michel Hardy, Hervé Lemoine, Thierry Sarmant, Pouvoir politique et
autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes, institutions : 1945-
1962, L’Harmattan, 2002.

GARANGER, MARC (1935-2020)


Marc Garanger est instituteur et photographe dans le civil lorsqu’il est
appelé, en mars 1960, à faire son service militaire* en Algérie. Il passera
vingt-quatre mois dans le secteur d’Aumale, officiellement affecté au service
du courrier du secrétariat de bataillon. En réalité, il devient rapidement le
photographe officieux de son unité, travaillant pour le commandant du
secteur qui trouve là l’occasion de documenter pour sa hiérarchie sa politique
de pacification* et ses résultats opérationnels. Il se bricole un laboratoire de
fortune, achète le matériel avec la caisse noire du régiment et conserve
négatifs et planches-contacts dans sa valise, remportant le tout avec lui en
France à sa démobilisation. Une vaste opération de regroupement* des
populations étant en cours dans la zone, on lui confie la réalisation des
photographies* d’identité de plusieurs milliers de personnes (principalement
des femmes*, obligées de se dévoiler devant l’objectif) afin de les doter de
cartes de recensement pour mieux les contrôler. Dans chaque village, il place
un tabouret devant le mur blanc d’une mechta, à l’ombre : la prise de vue est
très rapide, le dispositif technique réduit à sa plus simple expression. Ces
portraits, publiés en 1982, ont depuis fait le tour du monde et témoignent à la
fois de la violence coloniale et de l’esprit de résistance des femmes
algériennes, dont le photographe dit avoir reçu le regard « à bout portant ».
Par un cadrage en plan large, il a réussi à magnifier leur dignité. En dehors de
ce travail de commande, Marc Garanger a également pratiqué en Algérie une
photographie plus personnelle. Sur son temps libre, à l’heure de la sieste, il
accompagne souvent l’assistante sociale qui rend visite aux familles dans les
villages de regroupement autour du poste. Là, il photographie avec un regard
humaniste femmes et enfants dans leur intimité, dans les activités simples de
leur vie quotidienne bouleversée par la guerre, le déracinement et la misère.
En 2007, il est retourné dans ces villages, à la rencontre des hommes et des
femmes photographiés presque un demi-siècle plus tôt, pour refermer la plaie
ouverte par la guerre et leur offrir une image non volée d’eux-mêmes.
Marie CHOMINOT
Bibl. : Marie Chominot, Benjamin Stora, « Photographes sous l’uniforme :
regards croisés sur la guerre d’Algérie », in Laurent Gervereau et Benjamin
Stora (dir.), Photographier la guerre d’Algérie, Marval, 2004 • Sylvain
Cypel, Marc Garanger, retour en Algérie, Atlantica, 2007 • Marc Garanger,
La Guerre d’Algérie vue par un appelé du contingent, Seuil, 1984.

GARDES, COLONEL JEAN (1914-2000)


Jean Gardes naît à Paris le 4 octobre 1914. Sa mère possède un restaurant
dans le quartier des ministères, cantine de nombreuses personnalités
politiques. Il s’engage à l’école de Saint-Cyr en 1935. À sa sortie en 1937, il
est affecté au 8e régiment de tirailleurs marocains. Il est fait prisonnier
pendant les combats de juin 1940 et parvient à s’évader. Il est envoyé au
Maroc*. Il participe à la campagne d’Italie où il est blessé à la tête d’une
compagnie de tirailleurs marocains et se fait remarquer de sa hiérarchie. Il
participe à la libération de Montbéliard et poursuit la guerre en Allemagne. Il
finit la guerre dans l’état-major du général Béthouart, commandant de la zone
d’occupation française en Autriche.
Il continue sa carrière dans les états-majors. Tout en travaillant à la
section armement et études de l’état-major de l’armée, il obtient son brevet de
parachutisme. En 1950, alors chef de bataillon, il prend le commandement du
bataillon de marche du 2e régiment de tirailleurs algériens en Indochine*. Il
est appelé, l’année suivante, auprès du général de Lattre, à Saïgon, pour
diriger le service presse et information. En 1953, il dirige le 2e bureau*,
chargé du renseignement, du commandant des troupes françaises au Maroc. Il
obtient son retour à Saïgon, auprès du général Salan*. Il y arrive quelques
jours après la défaite française à Điên Biên Phù et participe aux pourparlers
ayant lieu au Vietnam.
Il retrouve la direction du 2e bureau du Maroc, en novembre 1954. Il
fournit aux services de renseignement français les informations qui
permettent à l’armée française de détourner le vol amenant les principaux
leaders du FLN* du Maroc à la Tunisie*, le 22 octobre 1956. Il est appelé, en
janvier 1958, au 2e bureau de l’état-major de l’armée, à Paris. Il rejoint
ensuite le Service d’action psychologique et d’information du colonel
Lacheroy*. Gardes arrive à Alger pour prendre le commandement du
5e bureau en décembre 1958, suivant le général Challe*.
Le discours sur l’autodétermination* du général de Gaulle*, en
septembre 1959, l’incite à se rapprocher des activistes de Joseph Ortiz* et à
organiser la Fédération des unités territoriales et des auto-défenses, devant
rassembler Européens et Algériens pour le maintien de la souveraineté
française en Algérie. Il s’oppose de plus en plus clairement à la politique
gouvernementale. Durant la semaine des barricades*, en janvier 1960, il
apparaît au balcon du quartier général des insurgés. Il est rapidement
sanctionné et renvoyé en métropole. Le 5e bureau est dissous. Gardes est jugé
et blanchi, en novembre 1960, lors du procès des barricades.
Il se rend clandestinement en Algérie et participe au putsch* d’avril 1961.
Il devient un des principaux chefs de l’OAS*. Condamné à mort par
contumace, il parvient à s’exiler en Argentine. Il revient en France après
l’amnistie* de 1968. Il est particulièrement actif dans les associations
d’anciens combattants* et d’anciens de l’OAS.
Denis LEROUX

GARNE, AFFAIRE MOHAMED


Le 22 novembre 2001, la cour régionale des pensions de Paris octroie, en
appel, une indemnisation à Mohamed Garne, ainsi reconnu victime de l’État
français. La décision est saluée comme unique, tant l’amnistie de 1962 a
réduit la justice à l’impuissance. Elle doit tout à l’ingéniosité de l’avocat de
Mohamed Garne, Jean-Yves Halimi, fils de Gisèle Halimi* autrefois engagée
auprès des nationalistes algériens. En effet, l’amnistie bloque la voie pénale :
elle interdit de porter plainte pour que soient poursuivis des coupables de
violences constitutives de crimes (torture*, exécutions sommaires*,
viols*…). La voie civile, en revanche, est ouverte : des procédures
d’indemnisation peuvent être déclenchées. Sans que les coupables soient
punis, les victimes obtiennent une reconnaissance officielle. D’un montant
inférieur à 1 000 francs, à l’époque, la pension obtenue par Mohamed Garne
vaut surtout symboliquement.
Il est né en 1960 des viols répétés d’une jeune fille de 16 ans, Kheïra
Garne, par des soldats qui la séquestraient et qui ont tenté de la faire avorter
de force. Précocement séparé de sa mère, maltraité dans la famille d’accueil
où il passe ses premières années, Mohamed Garne est adopté vers 5 ans par
l’écrivaine Assia Djebar et son mari. Il vit alors, entre France et Algérie, au
gré des déchirements du couple qui l’exposent encore à la violence. Renvoyé
à l’orphelinat à l’adolescence, il développe des troubles psychiatriques et,
tout en parvenant à construire une vie de famille, se lance dans une quête des
origines à l’issue de laquelle il retrouve sa mère et découvre son histoire.
Pour faire droit à sa demande d’indemnisation, la cour régionale des pensions
a dû admettre, sur la foi d’une expertise produite par l’éminent psychiatre
militaire Louis Crocq, qu’il souffre d’une invalidité consécutive non
seulement aux circonstances de sa vie mais aussi à la « souffrance fœtale »
infligée par les soldats. Ainsi la responsabilité de l’État est-elle engagée. Si
cette décision de justice est unique, il existe par ailleurs des dispositifs
d’indemnisation pour les Français victimes d’attentats. Très peu connus, ils
ont suscité une jurisprudence récente : ils ont été étendus aux titulaires de la
nationalité* algérienne en 2018 avant d’être limités. L’histoire de
l’indemnisation des victimes de cette guerre reste à écrire.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Mohamed Garne, Lettre à ce père qui pourrait être vous, J.-C. Lattès,
2005 • Franck Johannès, « Mohamed Garne, né d’un viol pendant la guerre
d’Algérie, reconnu comme victime », Le Monde, 24 novembre 2001.

GAULLE, GÉNÉRAL CHARLES DE (1890-1970)


Né à Lille* en 1890, le général de Gaulle est la figure principale de la
guerre d’Algérie, celle autour de laquelle se cristallisent les passions et les
haines. Il a un premier contact avec l’Algérie lorsqu’il s’y installe en 1943
avec le gouvernement de la France libre. Il est au pouvoir, prestigieuse figure
de la résistance française à l’occupation allemande, au moment des massacres
de Sétif et de Guelma de mai-juin 1945. Retiré de la vie politique au moment
du début de la guerre d’Algérie, le général se tient au courant du
développement de la situation, et reçoit de nombreux intellectuels et hommes
politiques dans sa résidence de Colombey-les-Deux-Églises. Courant 1957, il
confierait à des visiteurs que la séparation de l’Algérie avec la France est
inévitable. À d’autres, au contraire, il assure que l’Algérie française est
viable. Il encourage les hommes qui lui sont favorables à se lancer dans
l’aventure du 13 mai 1958*. Ces derniers, comme Jacques Soustelle*,
s’activent en sa faveur à Alger. Le nom du général de Gaulle est lancé sur la
place du Forum par le général Salan*. Sera-t-il l’homme de l’indépendance
ou de la fermeté ? En fin politique, il refuse de se prononcer tant qu’il n’a
pas le pouvoir. Ce qu’il souhaite, d’abord, c’est « restaurer l’autorité de
l’État », entrer dans un nouveau régime doté d’un pouvoir présidentiel fort.
Le général de Gaulle, sollicité depuis plusieurs semaines par ses partisans,
sort enfin de sa réserve en déclarant, le 15 mai, que « devant les épreuves qui
montent de nouveau » vers le pays, il se tient « prêt à assumer les pouvoirs de
la République ». Il est rappelé au pouvoir le 29 mai 1958 et forme un
nouveau gouvernement. Il est investi président du Conseil par l’Assemblée
nationale le 1er juin. Son accession au pouvoir provoque une déflagration
politique, à droite comme à gauche. Le RPF, parti politique qu’il a fondé en
1947, a préparé ce retour au pouvoir. Les anciens réseaux du RPF sont
réactivés pour fonder l’UNR* en octobre 1958, qui forme le groupe
majoritaire à l’Assemblée nationale avec 206 députés sur 576. Mais
l’unanimité de la droite reconstituée vole en éclats sur la question de
l’indépendance algérienne.
Le général de Gaulle se rend à Alger où il fait une tournée triomphale,
prononce le fameux « Je vous ai compris » sur la place du Forum à Alger le
4 juin 1958 et le slogan « Vive l’Algérie française » le surlendemain à
Mostaganem, qui lui est ensuite beaucoup reproché. Il propose une nouvelle
Constitution pour la France, qui donne naissance à la Ve République*. De
juin à décembre 1958, le général de Gaulle affirme sa volonté de rapprocher
les Musulmans des Européens, mais bannit de ses discours les expressions
« Algérie française » et « intégration ». L’inquiétude sourd chez les
Européens d’Algérie. Le départ obligé des militaires de tous les comités de
salut public, l’interdiction qui leur est notifiée de se présenter aux élections*
législatives en Algérie achèvent de jeter la suspicion sur les intentions du
général de Gaulle, qui décolonise, dans le même temps, Madagascar et le
reste de l’Afrique. Le général de Gaulle promet « la paix des braves » aux
nationalistes algériens en octobre 1958, lance le « plan de Constantine* », et
ordonne la mise en branle du « plan Challe* » en janvier 1959 visant à
écraser les maquis algériens de l’intérieur. Toutes ces prises de position, et
initiatives, rassurent les partisans de l’Algérie française.
Mais le 16 septembre 1959, dans un discours télévisé, il annonce
« l’autodétermination pour l’Algérie ». Des déchirements se produisent alors
au sein de l’UNR entre les partisans intransigeants de l’Algérie française (à la
suite de Jacques Soustelle) et les autres cadres qui suivent le processus
d’indépendance conduit par de Gaulle. Une trentaine de membres sont
finalement exclus en 1960. Une nouvelle extrême droite française voit le jour,
dans le sillage des partisans de l’OAS*. Cette organisation, qui refuse le
passage à l’indépendance algérienne, s’affronte violemment au général de
Gaulle en organisant plusieurs tentatives d’assassinat du président de la
République à Meudon, ou au Petit-Clamart*. Mais le général de Gaulle tient
bon et ouvre des négociations* avec le GPRA*. Malgré l’OAS qui refuse
toute solution visant à la séparation de l’Algérie avec la France, les
négociations se poursuivent et se terminent à Évian le 18 mars 1962.
Le temps d’ambiguïté au sujet de la politique algérienne du général de
Gaulle reste encore, de nos jours, un sujet de polémiques et d’interrogations
parmi les historiens et les acteurs de la guerre d’Algérie. Le général de
Gaulle, très affaibli après la grève* générale de mai-juin 1968, perd le
référendum de 1969, et se retire du pouvoir. Il décède à Colombey-les-Deux-
Églises en 1970.
Benjamin STORA
Bibl. : Jean Lacouture, De Gaulle, t. III, Le souverain, Seuil, 1986 • Alain
Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard, 1994 • Benjamin Stora, Le Mystère de
Gaulle, Robert Laffont, 2008.
GAVOURY, ROGER (1911-1961)
Né le 7 avril 1911 à Mello dans une famille où son père travaille aux
chemins de fer, Roger Gavoury suit des études supérieures de philosophie à
Beauvais puis de droit à Lille*. Après avoir effectué son service militaire* en
1933-1934, il s’inscrit au concours de commissaire de police* qu’il obtient en
1936. Il reçoit ensuite de nombreuses affectations en France métropolitaine.
Affecté au Maroc* le 9 août 1955, il devient adjoint au chef de la sûreté
nationale de Casablanca puis responsable du service central de la sécurité
publique de Rabat après l’indépendance, pour aider à la mise en place des
services de la sûreté nationale marocaine. De retour en France en
février 1959, il dirige le Centre d’assignation à résidence de Thol d’avril à
août 1959 puis du Larzac d’août 1959 à février 1960. Il est alors affecté
comme commissaire central adjoint à Alger, avec le grade de commissaire
divisionnaire. C’est dans cette fonction qu’il couvre les manifestations
algériennes de décembre 1960*, recevant pour cela la croix de la Valeur
militaire le 21 avril 1961 pour avoir évité que les heurts dégénèrent en
carnage avec la répression militaire. Quelques jours auparavant, le 14 avril,
son appartement vient d’être plastiqué par l’OAS*. Le 23 mai 1961, il
devient commissaire central d’Alger, et imagine une Algérie en paix et
harmonieuse. Mais le 31 mai 1961, il est assassiné à coups de poignard à son
domicile, par un commando de l’OAS. C’est le premier fonctionnaire à être
tué par les « ultras » de l’« Algérie française ». L’OAS revendique d’ailleurs
son crime dans un tract diffusé le 4 juin, estimant le commissaire coupable de
« haute trahison » et de « complicité avec le régime ». Dix personnes
impliquées dans son assassinat sont jugées par le tribunal militaire, parmi
lesquelles le lieutenant déserteur Roger Degueldre*, le sergent déserteur
Albert Dovecar et Claude Piegts. Ces deux derniers sont jugés à Paris en
mars 1962 et condamnés à mort. Roger Degueldre, responsable des
commandos « Delta » de l’OAS, est arrêté le 7 avril 1962, jugé par la Cour
militaire de justice et condamné à mort. Il est fusillé avec Albert Dovecar le
7 juin 1962, Claude Piegts le 6 juillet 1962. La mémoire de Roger Gavoury
est notamment portée par l’un de ses trois enfants, Jean-François, qui préside
l’Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de
l’OAS (Anpromevo). Cette association a été créée en avril 2006 en réaction
aux célébrations et aux monuments à la gloire des fusillés de l’OAS (aux trois
précités s’ajoute Jean-Marie Bastien-Thiry). Le nom de Roger Gavoury
figure quant à lui sur une stèle à la mémoire des commissaires tombés en
opération, à l’École nationale supérieure de la police dans le Rhône.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Jean-Philippe Ould Aoudia, La Bataille de Marignane 6 juillet 2005.
La République, aujourd’hui, face à l’OAS, suivi de Jean-François Gavoury,
Mort pour la France. 31 mai 1961, Alger, Tirésias, 2006.

GÉGÈNE
« Gégène » est un terme de l’argot militaire*, avec un dédoublement de
syllabes synonyme de familiarité. Il désigne un « générateur » de courant
électrique détourné de sa fonction initiale pour infliger des sévices. En
Algérie, son utilisation daterait de l’été 1942, par des gendarmes de la brigade
territoriale de Berrouaghia sur des opposants au régime de Vichy. En
Indochine*, cependant, la torture* à l’électricité a été pratiquée dès l’entre-
deux-guerres, par le service central de renseignements et de sûreté générale
(SCRSG), chargé de réprimer le nationalisme* vietnamien naissant. À partir
de 1947, le procédé est repris par le Corps expéditionnaire en Extrême-Orient
(Cefeo) pour interroger les prisonniers* du Vietminh ; ainsi, en 1949,
l’hebdomadaire Témoignage chrétien dénonce l’usage des « machines à faire
parler ». De nouveau employée en Algérie à partir de 1954 – un député
musulman le dénonce au Palais-Bourbon dès le 3 février 1955 –, la gégène
devient emblématique de la torture en raison des campagnes de presse*
développées en métropole qui répandent le terme. Les générateurs sont alors
le plus souvent des « GN 58 » : un modèle de dynamo manuelle et portative
le plus répandu dans l’armée française dans les années 1950-1960. Présente
dans l’unité collective des postes radios émetteurs-récepteurs militaires en
dotation, la « GN 58 » permet en l’absence de réseau électrique ou de
batteries d’assurer l’alimentation de l’appareil en produisant un courant
continu d’un voltage élevé mais de faible ampérage (425 V/0,115 mA). Le
prisonnier qui y est soumis est généralement raccordé à deux électrodes
placées à des endroits sensibles du corps (orteils, oreilles, langue, parties
génitales…) dans le but de provoquer une douleur intense, dès que la
génératrice est actionnée. Si elle a pu être défendue en tant que pratique non
létale – interviewé en 1971 par le journaliste Pierre Dumayet, le général
Massu* affirmait s’y être soumis pendant la bataille d’Alger* pour en
connaître les effets –, elle peut provoquer un arrêt cardiaque ou l’asphyxie
consécutive à une paralysie musculaire. Son utilisation, du reste, est interdite
par le droit et les conventions internationaux. Bien qu’il reste impossible de
connaître le nombre de victimes de la torture pendant la guerre d’Algérie,
l’usage de l’électricité fut largement répandu.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Pierre Guéno, Paroles d’Algérie.
Lettres de torturés, 1954-1962, Flammarion, 2013 • Benjamin Stora, Les
Mots de la guerre d’Algérie, Toulouse, Presses universitaires du Mirail,
2006.

GENDARMERIE
En 1954, la gendarmerie départementale en Algérie est organisée en trois
légions qui couvrent chacune un département (10e à Alger, 10e bis à Oran,
10e ter à Constantine), et aligne un effectif de 2 300 officiers* et sous-
officiers*. Ces derniers sont renforcés par une légion de gendarmerie mobile
forte de 1 200 hommes répartis en huit escadrons de marche (dont la moitié
dans le Constantinois). À partir de 1946, comme les autres forces de la
10e RM, la gendarmerie subit d’importants prélèvements en hommes pour les
besoins de la guerre d’Indochine*, 3 000 gendarmes y étant en permanence
engagés jusqu’en 1955. Aussi, plus que tout autre service public d’Algérie, la
gendarmerie nationale souffre d’un déficit de personnel au point que les 254
brigades territoriales, à l’effectif très souvent incomplet, ont en moyenne
1 000 kilomètres carrés et 40 000 habitants à surveiller (soit 6,6 fois plus de
km2 et 3,6 fois plus d’habitants que pour une brigade métropolitaine). Les
moyens matériels, comme les engins motorisés, sont aussi insuffisants, sinon
inexistants. C’est également le cas des chevaux, pourtant indispensables pour
visiter les douars qui ne sont pas desservis par une piste carrossable. En dépit
de ces handicaps, les unités obtiennent avant l’insurrection des
renseignements d’importance, faisant état d’une poussée du sentiment
nationaliste parmi la population algérienne. Signe de cette montée des périls,
elles ouvrent plusieurs enquêtes à la suite d’actes de sabotage visant des
équipements publics ou à des agressions contre des Européens.
Pour faire face à une situation sécuritaire qui se dégrade, le général
Camille Morin, qui commande la gendarmerie d’Algérie, réclame des
renforts dès son entrée en fonction en janvier 1954. Les premiers qui sont mis
à sa disposition – des escadrons de gendarmerie mobile – ne lui sont expédiés
de métropole qu’au lendemain de la Toussaint. Progressivement, ce sont
jusqu’à 48 unités (auxquelles s’ajoutent 2 prélevées sur les forces françaises
stationnées en Allemagne) qui séjournent en Algérie pour une durée
d’environ six mois. Entre 1954 et 1962, tous les escadrons métropolitains
effectuent en moyenne cinq déplacements en AFN. Ils y renforcent les 21
escadrons de marche d’Algérie (dont 13 sont constitués grâce à la dissolution
des légions de marche d’Indochine) qui sont finalement répartis en trois
légions de gendarmerie mobile calquées sur les légions départementales. Les
71 escadrons de gendarmerie mobile présents en permanence en Algérie (soit
quelque 6 600 gendarmes mobiles en 1962 représentant près de la moitié de
l’effectif de cette subdivision d’arme) sont pour la plupart déployés dans le
bled pour les besoins de la pacification*. Participant au « quadrillage »
comme des unités d’infanterie ou à bord de blindés* légers (AMM8 et half-
tracks), ils effectuent des bouclages, de la sécurisation de points sensibles
(PC, barrages, oléoducs…) ou des ouvertures d’itinéraires. Quelques-uns
assurent la protection et le contrôle de centres de population et la surveillance
extérieure des camps de regroupement*.
Après le discours du général de Gaulle* sur l’autodétermination*, le
16 septembre 1959, les escadrons sont redéployés dans une mission de
maintien de l’ordre urbain du fait d’une opposition de plus en plus radicale
des Européens d’Algérie à la politique du chef de l’État. C’est ainsi que le
24 janvier 1960 à Alger, 14 gendarmes mobiles tombent dans une fusillade
provoquée par des ultras de l’Algérie française. Puis, le 23 février 1962, à la
veille de l’indépendance, l’OAS* ordonne l’ouverture du feu systématique
sur les gendarmes et les CRS, entraînant une lutte sans merci.
La gendarmerie départementale connaît une évolution comparable en
termes de renforcement de ses moyens et de ses effectifs. En 1959, 180
brigades territoriales supplémentaires ont été créées pour renforcer le
maillage territorial (portant leur nombre à 434), celles-ci étant désormais
armées par plus de 6 000 militaires. Si l’assiette territoriale des brigades n’est
plus que de 500 kilomètres carrés avec une population moyenne de 20 000
habitants, ces ratios demeurent très supérieurs à ceux de la métropole. La
situation conduit le général Morin à proposer, sans succès du reste, de porter
le nombre de brigades à près de 700 et celui des gendarmes départementaux à
plus de 13 000. La gendarmerie départementale est en effet très sollicitée dès
le début de la guerre d’Algérie. La nuit de la Toussaint 1954, une dizaine de
brigades sont attaquées par les insurgés qui tentent d’y voler des armes. Les
pouvoirs publics considérant ces « rebelles » comme de simples bandits de
droit commun, les gendarmes sont tenus – jusqu’au vote des pouvoirs
spéciaux* en mars 1956 – d’accompagner les troupes qui les traquent,
dressant à chaque ouverture du feu des procès-verbaux des opérations,
lesquels sont ensuite transmis à l’autorité judiciaire. Le même formalisme
s’impose lors des perquisitions, malgré la situation de guerre. Dans un
combat de guérilla*, la gendarmerie apporte également un concours
déterminant dans la collecte et l’exploitation du renseignement, pratiquant le
fichage et l’îlotage des populations. Elle travaille en étroite collaboration
avec les 2e bureaux* et plusieurs dizaines de gendarmes servent au sein des
détachements opérationnels de protection* (DOP) connus pour user de la
torture*. La gendarmerie assure cependant une grande diversité de missions,
telle la recherche de caches à l’aide d’équipes cynophiles spécialisées. Elle
s’implique également dans tous les aspects du conflit, mettant sur pied 7
commandos* de chasse à partir de la fin de l’année 1959.
Après le cessez-le-feu, la gendarmerie départementale est mise à la
disposition de l’Exécutif provisoire*, avec pour mission de former la future
gendarmerie algérienne. La transition se fait difficilement. D’abord, les
gendarmes restent souvent confinés dans leur caserne pour éviter les
incidents face à des provocations de membres du FLN*. Ensuite, l’arme
compte à peine 3 % de « musulmans » dans ses rangs à la fin de la guerre
d’Algérie : une vingtaine d’appelés du contingent* par escadron et 2 500
harkis* qui servent comme « auxiliaires » dans les brigades territoriales.
Seuls 1 400 d’entre eux, encadrés par 500 gendarmes européens, rejoignent
les 110 pelotons de « gardes territoriaux » rattachés à une Force locale* forte
de 40 000 hommes. Ces pelotons ont une existence éphémère puisqu’ils sont
dissous le 1er septembre 1962. La gendarmerie départementale d’Algérie l’est
le 22 septembre et la gendarmerie mobile le 31 décembre suivant. Cela
conduit au rapatriement* de 7 000 hommes. Suivant le processus de
désengagement des autres armées, le commandement de la gendarmerie des
forces françaises en Algérie est supprimé le 31 mai 1964. Ne sont maintenus
jusqu’en 1967 sur la base de Mers El Kébir et les sites d’expérimentations
sahariens que des éléments prévôtaux et deux escadrons de gendarmerie
mobile. Par ailleurs, une mission d’assistance dans les écoles algériennes
décidée au titre des accords de coopération perdure jusqu’en 1971. Cinq cent
soixante officiers et sous-officiers ont été tués ou portés disparus pendant la
guerre d’Algérie et 1 886 ont été blessés, auxquels s’ajoutent 108 tués parmi
les supplétifs*.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Jacques Frémeaux, « La gendarmerie et la guerre d’Algérie », in La
Guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de
Charles-Robert Ageron. Actes du colloque international, Paris, Sorbonne,
23-24-25 novembre 2000, Société française d’histoire d’outre-mer,
2000 • —, « La gendarmerie et la guerre d’Algérie », in Jean-Charles Jauffret
et Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie,
Bruxelles, Complexe, 2001 • Benoît Haberbush, « Algérie », in Jean-Noël
Luc et Frédéric Médard (dir.), Histoire et dictionnaire de la gendarmerie. De
la maréchaussée à nos jours, Jacob-Duvernet, 2013.

GÉNÉRATION
Le terme « génération », polysémique, désigne communément les
personnes qui sont nées dans une période donnée, ayant à peu près le même
âge, les générations se succédant les unes les autres en prenant en compte
l’âge moyen des femmes à la maternité (entre 24 et 25 ans pendant la guerre
d’Algérie). A-t-il existé une « génération algérienne » pour paraphraser
l’article du philosophe Paul Thibaud dans la revue* Esprit ?
La première caractéristique de la guerre d’Algérie est qu’il n’y a pas
d’unité d’âge des personnes qui y ont été impliquées, d’une manière ou d’une
autre. Ainsi, pieds-noirs* et harkis*, s’ils ont vécu un événement fondateur –
le « rapatriement* » –, l’ont vécu à des âges très différents. Il en est de même
en ce qui concerne les Algériens vivant tant en France (avec par exemple
l’expérience du 17 octobre 1961*) qu’en Algérie. Qui plus est, il a existé des
ambiguïtés et des retournements tout au long du conflit ne permettant pas une
lecture univoque des événements a posteriori. De ce point de vue, il y aurait
plutôt un « effet Algérie » sur des groupes de population restreints qu’une
véritable génération algérienne, avec des mémoires fragmentées, cristallisées
autour d’événements particuliers. Paul Thibaud prend ainsi l’image d’une
« mémoire-puzzle ». Cet « effet » algérien a conduit à l’éclatement de
l’héritage de la Résistance (Benjamin Stora, La Gangrène et l’Oubli. La
mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991).
Un événement seul comme la guerre d’Algérie ne peut constituer une
génération. Le processus qui consiste à associer un événement à une
génération relève d’une mémoire collective, comme le souligne la sociologue
Claudine Attias-Donfut. Néanmoins, un événement peut influer sur des vies,
façonner une mémoire collective. Il existe une « empreinte du temps » pour
reprendre l’expression de la sociologue. Les appelés du contingent*, le plus
important groupe porteur de mémoire de la guerre d’Algérie, ont vécu des
choses tout à fait différentes – certaines significatives, d’autres non –, sur des
durées variables (entre douze et trente mois environ) pendant huit ans au
total. Cela ne construit pas une génération, mais au mieux une « constellation
de personnes » (Paul Thibaud) qui ont vécu un épisode du conflit à un
moment donné. La notion de génération a pourtant été régulièrement utilisée
à leur propos. C’est la « génération du djebel » pour le poète et journaliste
Xavier Grall, dans son enquête pour le magazine La Vie catholique illustrée
en 1960. Il souligne ainsi que leur expérience algérienne a profondément
marqué ces hommes et les distingue d’autres jeunes européens. Les historiens
Benjamin Stora* (Appelés en guerre d’Algérie, Gallimard, 1997) et Jean-
Charles Jauffret* utilisent aussi cette notion de génération, ce dernier
affirmant d’ailleurs que c’est la « dernière génération du feu » (La Guerre
d’Algérie. Les combattants français et leur mémoire, Odile Jacob, 2016).
Même si tous n’ont pas combattu, c’est une expérience fondatrice pour
beaucoup d’entre eux.
La sociologue Claudine Attias-Donfut souligne aussi qu’une génération
se pense par elle-même, de manière symbolique, par un ensemble de signes
sociohistoriques dans lesquels le langage joue un rôle important. Or, une des
caractéristiques des soldats en Algérie est d’avoir développé un vocabulaire
propre, puisant dans l’argot* à la fois militaire et colonial. Ainsi, les soldats
s’appelaient entre eux les « gusses » et les « Max » ; les combattants
algériens étaient nommés les « fellaghas », « fells » ou « fellouzes » ; un
certain nombre de termes racistes désignaient les Algériens ; des mots et
expressions tirés de la langue arabe ont aussi été employés. Mais leur
utilisation ne s’est pas arrêtée au conflit : ces termes ont continué à être
véhiculés ensuite, forgeant ainsi un système représentatif propre à ceux qui
ont vécu l’expérience algérienne. Si l’on y ajoute la force de la charge
affective de cette expérience, cela peut ainsi constituer les ferments d’une
génération.
Enfin, des jeunes gens sont entrés dans l’action collective au cours de la
période très tendue de la fin de la guerre d’Algérie. C’est le cas de partisans
de l’Algérie française pour une partie de la jeunesse pied-noire et une frange
d’activistes de droite métropolitains, constituant un « sudisme à la française »
(Benjamin Stora, Le Transfert d’une mémoire. De l’« Algérie française » au
racisme anti-arabe, La Découverte, 1999) ou une « nostalgérie* » (Alain
Ruscio, Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, La Découverte, 2015).
D’autres au contraire étaient des partisans de l’indépendance algérienne, sur
des fondements tiers-mondistes et antifascistes. Leur engagement initial, fort
et puissant, qui a laissé des marques profondes, s’est poursuivi jusqu’à
Mai 1968 et au-delà comme l’ont étudié Hervé Hamon et Patrick Rotman
(Génération, t. I, Les années de rêve, Le Seuil, 1987). Or, cette génération,
quel que soit son engagement, s’est aussi mobilisée contre celle des aînés,
instituant un rapport intergénérationnel plus conflictuel, alors que les
générations se suivaient auparavant en se confrontant moins.
Il reste aujourd’hui à savoir comment cette « génération algérienne » – ou
tout au moins celle qui a connu les effets de cette guerre – transmet
aujourd’hui son expérience, dans ses dits et ses non-dits, aux générations
suivantes, dans une perspective post-mémorielle*.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Claudine Attias-Donfut, Sociologie des générations. L’empreinte du
temps, PUF, 1988 • Xavier Grall, La Génération du djebel, Le Bateau-livre,
1994 • Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, mai 1990.

GENÈVE, CONVENTIONS DE
Les conventions de Genève de 1949 sont constituées de quatre textes
juridiques qui définissent le droit international humanitaire. Les États
signataires des conventions doivent respecter leurs règles en cas de conflits
internationaux. Juridiquement, le conflit franco-algérien n’est pas reconnu
comme tel. La France nie en effet officiellement la guerre. De son côté, en
tant que colonie, l’Algérie ne dispose pas, en 1954, d’un État la représentant,
susceptible d’adhérer aux conventions.
Cependant, l’article 3, commun aux quatre conventions, vaut en cas de
conflits internes répondant à certains critères dont l’intensité des violences
exercées par toutes les parties. Sur cette base, le Comité international de la
Croix-Rouge* (CICR) contrôle les conditions de détention des prisonniers*
du conflit. Il effectuera dix missions en Algérie. Pour Paris, l’article 3 suffit à
couvrir le droit humanitaire des « événements » et le gouvernement français
ne reviendra plus sur sa décision.
Dès les premiers contacts avec le CICR, en mars 1956, des dirigeants du
FLN* s’engagent à appliquer l’intégralité des conventions de Genève, sous
réserve de réciprocité de la part du gouvernement français. La troisième
convention, en particulier, aurait permis de protéger les prisonniers aux mains
de l’armée française et les soldats français détenus par l’ALN*, en leur
octroyant un statut de « prisonniers de guerre ». Cette revendication est au
cœur des événements déclencheurs du 13 mai 1958* : le FLN annonce en
effet l’exécution de soldats français en réplique à celle d’Abderrahmane
Taleb, guillotiné. Aussi, le 28 mai 1958, le CICR envoie aux deux parties
adverses un mémorandum leur rappelant les règles fondamentales du droit
humanitaire.
L’adhésion aux conventions aurait fait du mouvement indépendantiste un
belligérant au sens du droit international. Ainsi il serait intervenu
officiellement sur la scène mondiale, notamment aux Nations unies*, et aurait
été l’interlocuteur indiscutable des autorités françaises. Le 17 juin 1960,
Ferhat Abbas*, président du GPRA*, dépose au Département politique
fédéral à Berne un dossier d’adhésion aux conventions de Genève. Les
autorités suisses en accusent réception mais ne valident le dossier que le
3 juillet 1962, jour de l’indépendance de l’Algérie.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou, « Le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR). Un témoin singulier dans la guerre d’Algérie et ses suites », in Aissa
Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur (dir.), La Guerre d’Algérie
revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards, Karthala, 2015, p. 261-
269 • François Bugnion, Le Comité international de la Croix-Rouge et la
protection des victimes de la guerre, Genève, Comité international de la
Croix-Rouge, 1994 • Françoise Perret, « L’action du Comité international de
la Croix-Rouge pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », Revue
internationale de la Croix-Rouge, vol. 86, no 856, 2004.

GENRE ET GUERRE
Une lecture de la guerre du point de vue du genre examine comment la
guerre transforme – ou pas – les rôles assignés aux hommes et aux femmes*,
les rapports de pouvoir et les représentations de la « masculinité » et la
« féminité ».
Comme tout système politique, le système colonial en Algérie est
structuré par le genre. Le sénatus-consulte de 1865 déclare que « l’indigène
musulman » est français, mais pour bénéficier de la citoyenneté à part entière,
il faut renoncer au « statut personnel musulman » qui est considéré comme
contradictoire avec le Code civil français, notamment pour ce qui concerne la
polygamie et la répudiation. La place de la femme au sein de la famille est
souvent présentée comme la barrière principale à l’octroi des droits politiques
aux « musulmans » pendant la période coloniale. Cette discrimination est
renforcée par les représentations stéréotypées véhiculées par la production
populaire et universitaire. « La femme indigène/arabe/musulmane » est soit
un objet sexuel, soit une femme soumise et cloîtrée. « L’homme
indigène/arabe/musulman » est machiste avec une sexualité débridée.
Comme beaucoup de mouvements nationalistes, la politique du
nationalisme* algérien puise aussi dans des stéréotypes de « masculinité » et
de « féminité ». La nation libérée de la domination étrangère est imaginée à
travers une image idéalisée de « notre » femme, représentée comme la mère
de la nation au sens littéral et figuré, celle qui transmet la langue, les valeurs
et la tradition, celle dont le corps, caché, impénétrable, protégé par l’homme,
fait barrage à l’impérialisme.
La guerre d’Algérie renforce autant qu’elle bouleverse ces
représentations et rôles. Pour les autorités françaises, la politique
d’intégration à partir de 1955 passe par la transformation des rapports de
genre au sein de la famille algérienne en « émancipant » la « femme
musulmane ». Le droit de vote est accordé aux femmes « musulmanes » en
1958. En 1959, le mariage et sa dissolution sont ramenés sous le régime de
l’état civil, remplaçant certaines coutumes et pratiques locales du droit
musulman. Dirigés officiellement ou officieusement par l’armée française,
plusieurs organismes comme les équipes médico-sociales itinérantes* (EMSI)
ou le Mouvement de solidarité féminine (MSF) axent leurs actions autour des
femmes dans cette perspective avec des cours d’hygiène, des ateliers de tricot
et des encouragements à se dévoiler. La vision de « l’émancipation »
proposée est moins celle de la libération de la femme des mouvements
féministes des années 1960, que celle de la femme au foyer français
« moderne » des années 1950 : il s’agit de saper le pouvoir de l’homme
algérien nationaliste, pas de remettre en cause la domination masculine d’une
façon plus globale. Sur le terrain, ces initiatives sont entravées par la guerre
et l’indigence des moyens matériels, sans compter la réticence des femmes
algériennes.
De son côté, le FLN* mène une campagne de dénonciation de
l’illégitimité de l’occupation coloniale et du mensonge de « la mission
civilisatrice ». La torture* et le viol* des femmes par les militaires français
font l’objet de dossiers envoyés à l’ONU* et à des organisations
humanitaires. Pour se discréditer mutuellement, le FLN et les autorités
françaises mettent en avant les violences sexuelles commises par l’ennemi
comme preuve de la perversion des normes de la masculinité : l’armée
française diffuse des exemples de mutilation de corps de soldats tués, avec les
organes génitaux placés dans la bouche, tandis que le FLN insiste sur l’aspect
sadique et sexualisé des séances de torture infligées aux militants (application
de l’électricité sur les organes génitaux, « supplice de la bouteille »). Pour les
soldats français, le décalage entre leur image de la guerre et la réalité sur un
terrain où ils sont plus en contact avec des civils qu’avec leurs adversaires
militaires ébranle les modèles de la masculinité. La figure classique du
guerrier noble et viril est plus facilement adoptée par le FLN-ALN*, le
moudjahid* devient l’incarnation d’une masculinité idéale : courageux,
intègre et musulman pratiquant.
La représentation de la moudjahida* est glorifiée de façon plus ambiguë.
D’une part, l’image de la femme combattante en treillis est magnifiée,
notamment dans la propagande* du FLN destinée au public métropolitain
progressiste et à l’opinion internationale. Elle est le symbole d’émancipation
et d’engagement patriotique, de la transformation du rôle de la femme
algérienne et des rapports du pouvoir entre hommes et femmes dans la
société algérienne. Pour Frantz Fanon*, « La femme-pour-le-mariage
disparaît progressivement et cède la place à la femme-pour-l’action » (p. 84).
De l’autre côté, le FLN enjoint aussi les femmes à continuer d’incarner « la
tradition » et « l’authenticité ». Sur le terrain, l’occasion de rejoindre le
maquis ou de faire partie d’un réseau urbain de résistance change
radicalement la vie de ces femmes, en les sortant du milieu familial et de la
sphère domestique, en leur ouvrant l’espace public. Pour la plupart des
femmes toutefois, leur rôle de soutien logistique est calqué sur les tâches
traditionnelles : cuisine, lavage de vêtements et soins. Les instances du FLN
sont presque exclusivement composées d’hommes.
Les femmes algériennes savent aussi subvertir les rôles assignés. Face
aux interrogations de l’armée française, les femmes rurales se font passer
pour soumises et ignorantes. Les poseuses de bombes et agentes de liaison
tirent parti de la conviction des militaires français qu’une femme algérienne
dévoilée habillée « à l’européenne » est forcément profrançaise. L’infirmière
Fadéla Mesli raconte avec humour comment un certain nombre d’hommes
algériens montent au maquis quand des photos d’elle et de deux autres
maquisardes sont publiées dans un magazine français en 1956 – parce qu’ils
se sentent blessés dans leur virilité, étant restés à la maison « comme des
femmes ».
La guerre ainsi crée des espaces de transgression des rôles assignés aux
hommes et aux femmes et des représentations de la masculinité et de la
féminité, sans pour autant transformer durablement les rapports de
domination et les structures de la société patriarcale. Fortes de leur
expérience de la guerre et statut d’anciennes combattantes, un petit nombre
d’anciennes poseuses de bombes et de maquisardes continuent à jouer un rôle
dans la politique et dans le monde du travail* après 1962 tandis que la plupart
des femmes retournent – ou sont renvoyées – aux rôles d’épouse et mère et à
la sphère privée. Dans les années 1960 et 1970, les femmes qui continuent à
occuper l’espace publique sont souvent peu visibles : étant sorties du foyer et
ayant rompu avec la séparation des sexes, elles ne veulent pas être réduites au
rôle de porte-parole des « questions féminines » et rejettent les organisations
de masse non mixtes comme l’Union nationale des femmes algériennes
(UNFA). À partir des années 1980, la participation des femmes algériennes à
la lutte de libération aux côtés des hommes sera un argument majeur utilisé
par les mouvements féministes pour remettre en cause les rôles assignés, les
pratiques et les représentations patriarcaux qui perdurent.
Natalya VINCE
Bibl. : Raphaëlle Branche, « La masculinité à l’épreuve de la guerre sans
nom », Clio. Histoire, femmes et sociétés, no 20, 2004 • Catherine Brun et
Todd Shepard (dir.), Guerre d’Algérie. Le sexe outragé, CNRS, 2016 • Frantz
Fanon, Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne),
Maspero, 1959.

GÉOGRAPHIE DE LA GUERRE (1954-


1962)
« Une géographie de la guerre de libération algérienne n’existe pas
encore », prévient Jean-Louis Ballais en 1989 dans un article sur l’Aurès.
Pourtant, durant plus de sept années, les contrecoups de la guerre ont
« retourné » les hommes autant que l’espace.
L’immensité du pays (plus de 2 millions de km2) offre une grande
diversité de paysages entre le Nord et le Sud. La population européenne est
concentrée dans les villes tandis que la majeure partie de la population
algérienne vit à la campagne. L’impératif de la guerre réactive la mise en
place d’une politique de contrôle du territoire et de ses habitants. Cette
politique est particulièrement visible dans l’Aurès considéré comme
l’épicentre de l’insurrection qui a commencé en novembre 1954.
Avant 1954, le mode de vie dans l’Aurès, déjà bousculé par la conquête,
est basé essentiellement sur la transhumance et le semi-nomadisme, ce qui
impose une mobilité incessante des hommes et des troupeaux, selon
« l’étagement des géosystèmes » et selon les saisons. D’où un rythme
incessant des déplacements qui diffèrent d’un versant à un autre, se traduisant
par un chassé-croisé des populations, pratiquement dès l’automne, l’hiver ou
le printemps. Les cultures vivrières occupent les clairières gagnées sur la
forêt, le fond des vallées et les steppes. Les jardins irrigués et les vergers des
piémonts exigent plus d’entretien et donc une présence régulière de la main-
d’œuvre.
Ces pratiques agropastorales sont interrompues du jour au lendemain
pour la plupart des villages installés dans les deux principales vallées de
l’oued Labiod et de l’oued Abdi du massif.
Dès la fin de novembre 1954, les opérations « de maintien de l’ordre »
prennent le visage d’une guerre totale. Les premiers bombardements au
napalm entraînent la destruction des villages d’Ichmoul et le déplacement
forcé de leurs habitants. Les Galaâ, ces greniers collectifs, lieux d’estivage et
de pèlerinage, sont tout aussi visés. L’instauration des zones interdites* prive
les populations, regroupées dans des camps de fortune, de l’exploitation de
leurs ressources (cultures et élevage), des échanges, de leurs habitudes
ancestrales (fêtes, pèlerinage). De même, les forêts, refuge des maquisards et
source d’appoint pour les populations, subissent au gré des opérations, des
incendies.
S’il est aisé de visualiser la carte des zones vidées de leurs populations,
de représenter les mouvements de leurs déplacements, il est difficile en
l’absence d’études précises d’évaluer les pertes humaines et matérielles de
cette région, le nombre réel des réfugiés* des zones frontalières,
l’accélération de l’exode rural vers les villes de Batna, Khenchela, Biskra ou
plus loin. Marc Côte estime que « la guerre de libération a entraîné le grand
délestage des montagnes algériennes » (Aurès, Kabylie, Chenoua, Ouarsenis,
Monts de Tlemcen, Traras…). Des villages entiers sont définitivement
abandonnés.
Quant aux populations semi-nomades ou nomades habituées aux grands
espaces de la steppe (Nemenchas, Djelfa, Aflou, Hodna…), elles sont
également astreintes à résider dans les endroits fixés par l’armée française et
à n’emprunter que les couloirs de parcours autorisés, soumis à l’obtention
d’un laissez-passer que la SAS* délivre ou non. Ces contraintes à la
sédentarisation découragent la plupart des nomades qui abandonnent
l’élevage.
Comme la colonisation s’est installée sur le pourtour, le massif de l’Aurès
est peu aménagé. Le réseau routier est inexistant à l’exception de la voie qui
le traverse de Batna à Biskra et de celles du pourtour. Le reste du réseau,
composé de sentiers muletiers et de pistes carrossables, s’avère impraticable
pour la circulation des engins militaires, surtout en hiver. Les premiers
chantiers offrant du travail* aux populations jugées loyales envers les
autorités françaises concernent l’ouverture de routes. En quelques années, ce
sont près de 800 kilomètres de routes qui recoupent le quadrillage de l’espace
et permettent aux convois militaires de circuler et d’accéder aux camps de
regroupement* et aux SAS*.
Ce sont là les principales modifications qui affectent durablement les
genres de vie des populations de l’Aurès et qui sont partagées non seulement
par les autres régions montagneuses, mais également pour le reste de
l’Algérie, là où la population a été déplacée. La carte de Marcel Lesne (1962)
en révèle l’étendue.
Ainsi en Kabylie, qui connaît la même intensification des opérations
militaires, le nombre des villageois regroupés dans des camps improvisés est
impressionnant. L’ampleur des déplacements forcés se mesure à la désertion
des villages à l’exemple de l’arrondissement de Fort National dont la
population, qui occupait 300 villages, est parquée dans 87 centres
(janvier 1961) négligeant les considérations de la vie sociale et économique
au profit des besoins de la sécurité. Ceux qui échappent au regroupement
fuient vers les petits centres urbains.
Dans la vallée de la Soummam, la population de Sidi Aïch passe de 2 000
à 7 000 habitants en 1960. D’autres se rendent à Bougie et surtout Alger qui
se distingue par un très fort taux d’accroissement urbain, égal à 85 % entre
1954 et 1960. La prolifération des bidonvilles amplifie les phénomènes de
paupérisation et de clochardisation décrits par Germaine Tillion*. En 1954, la
casbah d’Alger est plus que surpeuplée et l’afflux des ruraux fuyant la guerre
déborde rapidement les bidonvilles existant à Alger depuis les années 1930.
Ces migrations intérieures, devenues inévitables pour la survie en raison de
l’état de guerre, affectent la plupart des villes algériennes dont les capacités
d’accueil sont saturées autant que les possibilités d’emploi. Le chômage
sévissant, les populations des bidonvilles sont livrées à elles-mêmes. Les
constructions de logements* du plan de Constantine* ne peuvent résorber les
besoins de la population algérienne.
La violence de la rupture avec le terroir a bouleversé les conduites
économiques et a livré les populations rurales, dépossédées de tout, à un
désœuvrement total, vécu au quotidien dont les principales conséquences ont
été analysées par Bourdieu* et Sayad*. Ainsi le développement des
bidonvilles est un révélateur de la crise de l’emploi dans l’Algérie coloniale
aggravé par la guerre.
Dans le Sahara, le Centre saharien d’expérimentations militaires (CSEM)
a poursuivi des recherches et des essais nucléaires* à Reggane et fait exploser
sa première bombe atomique Gerboise bleue le 13 février 1960. L’impact de
l’explosion se répand au-delà du désert algérien atteignant les pays de
l’Afrique subsaharienne (Libye, Mali, Niger, le Tchad, Nigeria…) et de la
Méditerranée (Côtes espagnoles, Sicile…). Les retombées radioactives se
répercutent d’abord sur la santé des hommes présents lors du lancement
comme en témoignent plusieurs membres du personnel de la base et la
population civile algérienne de la vallée du Touat qui ont été contaminés.
Les conséquences sont tout aussi graves pour l’environnement*. On
relève en effet la destruction des écosystèmes qui perdure en raison de
l’enfouissement des déchets nucléaires dans les sables et dont l’emplacement
n’a toujours pas été révélé par les autorités françaises.
Des études plus approfondies ne manqueront pas d’aborder tous ces
aspects dont l’espace algérien porte encore l’empreinte tant en ville que dans
la campagne. À l’indépendance, la politique algérienne s’est préoccupée du
développement socio-économique pour répondre aux besoins de la
population. Les impératifs qui s’imposent aujourd’hui sont de concevoir une
politique d’assainissement de l’environnement (champs de mines* aux
frontières, décontamination des sites nucléaires du Sud) et l’urgence de
préserver le patrimoine des villages détruits. Enfin, à l’heure où l’intérêt pour
la mémoire collective tend à monopoliser le devant de la scène, la
connaissance des souffrances endurées par les populations civiles s’impose
comme une approche en mesure d’en consolider les fondements.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Jean-Louis Ballais, « Aurès », in Encyclopédie berbère, t. VII, 1989
• Pierre Bourdieu, Abdelmalek Sayad, Le Déracinement. La crise de
l’agriculture traditionnelle en Algérie, Minuit, 1964 • Marc Côte, L’Algérie
ou l’espace retourné, Flammarion, 1988 • Marcel Lesne, « Une expérience de
déplacement de population : les centres de regroupement en Algérie »,
Annales de géographie, no 388, 1962.

GEORGOPOULOS, ATHANASE CONSTANTIN,


DIT TASSOU
(NÉ EN 1927)
Athanase Georgopoulos naquit à Oran le 25 novembre 1927. Fils
d’émigrés grecs, il écrit au journal L’Écho d’Oran et possède avec ses frères
deux brasseries huppées d’Oran et une boîte de nuit.
En 1956, il rejoint les premiers comités d’autodéfense des quartiers
européens créés par Charles Micheletti et son fils Claude*.
En 1957, il sert dans les unités territoriales* (UT) comme sergent-chef.
Lors des journées de mai 1958, Georgopoulos et ses compagnons des UT
accueillent le colonel Trinquier* pour installer le Comité de salut public
oranais.
Avec le même groupe, Georgopoulos est l’un des principaux acteurs de la
« semaine des barricades* » de janvier 1960 à Oran. L’échec de ce
soulèvement pousse les activistes tels que Robert Tabarot, Charles Micheletti,
Georges Gonzalès dit « Pancho » et Guy Pujante à se regrouper au sein de la
cellule FAF oranaise (Front de l’Algérie française*), dont Georgopoulos est
l’un des animateurs. Son arrestation – avec ses amis le 4 décembre –
déchaîne la colère de la foule européenne qui cause d’importants dégâts aux
édifices publics, lors des manifestations* antigaullistes.
Durant le même mois, Pierre Lagaillarde*, réfugié à Madrid, prend
contact avec Georgopoulos et lui confie la mission de mettre en place
l’organigramme de l’OAS* oranaise, ce que Georgopoulos réalise avec
Robert Tabarot, Charles Micheletti et Georges Gonzalès, tous du FAF.
En avril 1961, les généraux putschistes d’Alger délèguent à Oran le
général Paul Gardy et le colonel Argoud*, ces derniers sont confrontés aux
exigences de l’état-major civil de l’OAS dirigé par Charles Micheletti qui
s’impose comme interlocuteur incontournable.
Georgopoulos et les membres de l’état-major civil de l’OAS
reconnaissent Salan* et Jouhaud* comme chefs de l’OAS. Le 20 août 1961,
Jouhaud prend la direction de l’OAS à Oran.
À la tête des commandos OAS, Georgopoulos commence l’année 1962
par une série d’attentats spectaculaires dont le plus meurtrier est celui de la
voiture piégée qui a explosé le 28 février à la Ville nouvelle. On porte
également à son actif l’organisation de l’attaque, le 23 mars, de la Banque
d’Algérie.
L’ordre du général Gardy d’abandonner la lutte le 28 juin est suivi du
retrait des commandos et de la fin de l’odyssée meurtrière de Georgopoulos
qui se replie en Espagne.
En 1968, il bénéficie de la loi d’amnistie* et rentre en France. Il préside
l’Association nationale des anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie
française (l’Adep). Dans le sillage de la loi du 23 février 2005*,
Georgopoulos est membre de la commission d’indemnisation des rapatriés*
d’Algérie y compris les anciens activistes de l’OAS.
Saddek BENKADA
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Anne Dulphy,
« Les exilés français en Espagne depuis la Seconde Guerre mondiale : des
vaincus de la Libération aux combattants d’Algérie française, 1944-1970 »,
Matériaux pour l’histoire de notre temps, no 67, 2002 • Joseph Katz,
L’Honneur d’un général. Oran, 1962, L’Harmattan, 1993.

GISCARD D’ESTAING, VALÉRY (1926-


2020)
En 1959, à 32 ans, Valéry Giscard d’Estaing est nommé secrétaire d’État
aux Finances puis, en 1962, ministre des Finances. Ces postes apparemment
techniques sont en fait liés à l’Algérie. En 1959, il effectue un voyage dans
ces « départements », afin de veiller à l’application du plan de Constantine*,
expression la plus aboutie du projet gaulliste : le maintien de la France en
Algérie, sous une forme modernisée. Par la suite, les évolutions rapides du
Général l’interrogent : Giscard est probablement plus proche des positions
conservatrices de Debré*. Ainsi peut être interprétée son absence, en 1961,
au titre d’expert des Finances, de la délégation française qui rencontre les
délégués du FLN* aux Rousses.
Il y a plus grave. Une rumeur sur un penchant de Giscard pour l’OAS*
court dès 1962. C’est un sujet de conversation (et d’irritation) fréquent, place
Beauvau, où règnent les anciens du RPF depuis l’arrivée de Frey*. Le pas
décisif est franchi par l’extrême droite. Me Isorni, ancien avocat de Pétain,
reconverti dans la défense de l’Algérie française, évoque en mai 1962 « la
sympathie agissante et efficace » d’un ministre pour Salan* et l’OAS. Son
nom est rendu public en janvier 1963. Lors du procès de Bastien-Thiry et de
son commando du Petit-Clamart*, le principal accusé affirme que « deux
ministres en exercice et probablement trois » ont entretenu des rapports avec
l’OAS, mais n’avance qu’un nom : « M. Valéry Giscard d’Estaing ». On
apprend aussi que Michel Poniatowski, directeur de cabinet et homme de
confiance du ministre, a été en relations suivies avec un certain André
Regard, haut cadre de l’OAS. Dans quelle perspective ?
Peut-on avancer l’hypothèse que Giscard, issu d’une famille intimement
liée, idéologiquement et matériellement au vieux « Parti colonial », a
considéré les évolutions du gaullisme avec une certaine hostilité ? Sans
compter qu’une éviction de De Gaulle* du jeu politique lui aurait ouvert la
voie à une promotion politique plus rapide encore que ce qu’elle fut ?
Devenu président de la République en 1974, Giscard cultiva l’ambiguïté.
Il fut le premier à se rendre en Algérie depuis l’indépendance. Mais il
autorisa les premières manifestations « nostalgériques* » d’anciens de l’OAS
(dont l’ex-général Jouhaud*).
Ces liens possibles ne sont que rarement évoqués dans l’historiographie.
Mais le doute existe.
Alain RUSCIO
Bibl. : Pol Bruno, La Saga des Giscard, Ramsay, 1980 • Alain Ruscio,
Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, La Découverte, 2015 •
Georges Valance, VGE. Une vie, Flammarion, 2011.

GODARD, COLONEL YVES (1911-1975)


Né le 21 décembre 1911 à Saint-Maixent, Yves Godard est élève de
Saint-Cyr entre 1930 et 1932. Il commence sa carrière d’officier* dans les
chasseurs alpins. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, champion de ski
militaire, il est affecté à l’instruction des troupes de montagne polonaises. À
l’invasion allemande, il parvient à fuir la Pologne* vers la Roumanie et à
revenir en France. Durant la bataille de France, il est fait prisonnier et est
envoyé dans un oflag de Silésie. Il parvient à s’en évader après plusieurs
tentatives malheureuses en 1944 et à rejoindre la France où il gagne les
maquis de l’Armée secrète de Haute-Savoie dont il devient le chef. À ce titre,
il participe aux combats de la Libération, notamment sur le plateau des
Glières et en Tarentaise dans l’état-major des FFI des Alpes.
En 1948, il prend la succession de Paul Aussaresses* à la tête du
e
11 bataillon de parachutistes* de choc, la principale unité du service Action
du SDECE*. Il dirige également l’école des parachutistes de la citadelle de
Mont-Louis. Il obtient en 1953 son affectation en Indochine*. Il y commande
la colonne Crèvecoeur qui, partant du Laos, doit sauver les rescapés de la
bataille de Điên Biên Phù.
Il arrive en Algérie en 1955 et devient chef d’état-major du général
Massu*, alors à la tête de la 10e division parachutiste*. Il participe à
l’expédition de Suez*, durant l’automne 1956. En Algérie, le colonel Godard
assume des fonctions de plus en plus policières. Ainsi, en 1957, il joue un
rôle essentiel dans l’organisation de la répression du FLN* durant la bataille
d’Alger*. Il devient rapidement le commandant du secteur Alger-Sahel
recouvrant l’agglomération algéroise. Le 17 mai 1958, Salan*, investi des
pleins pouvoirs civils et militaires, le nomme directeur de la Sûreté pour toute
l’Algérie, poste qu’il conserve jusqu’à la semaine des barricades*, en
janvier 1960.
Profondément hostile à l’indépendance de l’Algérie, Yves Godard
s’oppose de plus en plus ouvertement à la politique d’autodétermination du
général de Gaulle*. Il multiplie les contacts avec les activistes de l’Algérie
française. Ce comportement lui vaut une mutation disciplinaire à Nevers, une
fois les barricades démantelées.
En 1961, il revient clandestinement en Algérie pour participer au putsch*
d’avril. Son échec l’entraîne à s’engager dans l’OAS* dont il devient un des
principaux responsables militaires, pour la région d’Alger. Il s’y charge en
particulier des renseignements provenant de l’armée et de la police* où
l’organisation jouit de nombreuses complicités. Il parvient à fuir l’Algérie.
Condamné à mort par contumace, il finit sa vie en exil. Malgré l’amnistie* de
1968, il reste en Belgique* sans terminer les deux derniers des trois tomes de
sa Bataille d’Alger.
Denis LEROUX

GOURAUD, GÉNÉRAL MICHEL (1905-?)


Le général Gouraud, né le 10 juin 1905 à Paris, symbolise les
tergiversations de certains officiers* lors du « putsch* des généraux »
d’avril 1961. Lors de la préparation de ce putsch, les colonels Argoud* et
Gardes* ont rencontré le général Gouraud, alors à la tête du corps d’armée de
Constantine (CAC), qui semblait prêt à les suivre. Après son déclenchement,
les ralliements au putsch tardent cependant. Dans le Constantinois, le général
Fourquet (commandant aérien tactique) reste « loyaliste » et fait pression sur
le général Gouraud pour qu’il ne cède pas. Mais celui-ci a confirmé son
adhésion au putsch à l’aube du 22 avril. Il se ravise ensuite et hésite pendant
toute la journée, tiraillé entre son antipathie pour la politique du général de
Gaulle* et son aversion pour la révolte contre l’ordre. Chez les séditieux, le
général Challe* pense remplacer le général Gouraud par le général de
Maison-Rouge, commandant la zone de Colomb-Béchar. Mais ce dernier se
récuse. Les hésitations du général Gouraud sont d’autant plus problématiques
qu’il commande les effectifs militaires les plus importants. Le commandant
du Nord-Est-Constantinois, le général Ailleret*, se positionne au contraire
très clairement contre le putsch et rencontre le général Gouraud le 22 avril à
Constantine. Un peu plus tard, ce dernier rencontre Louis Joxe* et le général
Olié*, ce qui le conduit à se proclamer fidèle au gouvernement à 22 heures.
Mais le lendemain, le général Zeller* le rencontre à son tour à Constantine.
Les deux hommes auraient un entretien « orageux » (Vaïsse, 2011, p. 31), au
terme duquel le général Gouraud annonce qu’il rejoint le général Challe. Cela
remotive les putschistes locaux, mais le général Ailleret refuse net de rester
sous ses ordres. Le général Gouraud perd tout crédit auprès de ses hommes. Il
tente de se justifier, mais le chef de l’État considère son attitude
« inacceptable, la discipline et l’honneur ne se divisent pas » (ibid., p. 73). Le
général Gouraud annonce finalement le 25 avril qu’il a été « contraint
d’adhérer à un mouvement dont [il] désapprouve le procédé ». Mais il est
trop tard : le général vient de nommer le général Ailleret à la tête du CAC, du
fait de son action très volontariste pour maintenir l’ordre. Les officiers
séditieux rejettent ensuite au moins en partie la faute sur le général Gouraud
dont les atermoiements seraient à l’origine de l’échec du putsch. Cela
n’empêche pas le général Gouraud d’être arrêté et emprisonné dès le 28 avril.
Le 21 juin 1961, il est condamné à sept ans de détention criminelle par le
Haut Tribunal militaire pour avoir dirigé et organisé un mouvement
insurrectionnel (c’est une des peines les moins lourdes des putschistes). Il est
écroué le 8 septembre 1962 à la prison* de la Santé puis à Tulle avec les
autres officiers séditieux. Il est amnistié* en 1968.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Général Charles Ailleret, Général du contingent. En Algérie, 1960-
1962, Grasset, 1998 • Maurice Vaïsse, Comment de Gaulle fit échouer le
putsch d’Alger, André Versaille éditeur, 2011.

GOUVERNEMENT GÉNÉRAL (GG)


Lieu de pouvoir convoité, le GG, comme il est surnommé, abrite les
services centraux de l’administration de la colonie avec près de 2 000
fonctionnaires, selon Collot, en 1950. Ils travaillent sous l’autorité d’un
gouverneur général institué en 1834 et devenu, sous la IIIe République, l’un
des plus hauts fonctionnaires du régime. Un véritable « vice-roi », écrit
Collot. En 1956, Mollet* supprime cependant l’appellation « gouverneur
général », typiquement coloniale. Il nomme Lacoste* « ministre résidant en
Algérie », comme en témoigne son titre sur les documents officiels
consultables aujourd’hui dans les archives*. Ce n’est surtout pas « résident en
Algérie », même si cette orthographe fautive s’est répandue depuis.
« Résident » désignait en effet les représentants de l’autorité française dans
les protectorats dont le lien avec la métropole était moins fort.
Symboliquement, les autorités refusent toute analogie entre l’Algérie et un
protectorat. Membre du gouvernement, Lacoste exerce officiellement dans
des départements, partie intégrante du territoire national. De Gaulle* désigne
ensuite, avec Delouvrier* et Morin*, des « délégués » du gouvernement, qui
lui sont subordonnés.
Construit dans l’entre-deux-guerres, sous les auspices des frères Perret,
l’édifice d’une blancheur caractéristique de la ville surplombe la baie
d’Alger. Il domine l’esplanade du Forum, au sommet d’une vaste percée de
forte pente depuis la mer, où a été érigé le monument aux morts*. Épicentre
des rassemblements pro-Algérie française, en particulier le 6 février 1956 et
le 13 mai 1958*, ce monument permet aux Français d’Algérie de rappeler
aux gouvernements métropolitains le sang versé pour la patrie. Le message
est d’autant plus fortement délivré qu’il l’est à portée de voix et de vue du
GG. Les manifestants peuvent facilement remonter la pente depuis le
monument pour prendre le bâtiment d’assaut. Le 13 mai 1958, ils
l’investissent ainsi et le Comité de salut public renversant la IVe République*
y est formé. Reconnaissable sur nombre de photographies*, son balcon, de
forme arrondie sur la façade, devient un lieu de déclarations restées fameuses
dans l’histoire politique française. Le 17 mai 1958, Soustelle* y fait acclamer
le nom de De Gaulle avant que, le 4 juin suivant, ce dernier y lance son « je
vous ai compris » annonçant le collège unique d’électeurs. Le GG reste un
enjeu par la suite. Lors du putsch* d’avril 1961, le 1er régiment étranger de
parachutistes (REP) s’en empare. Le 22 mars 1962, l’OAS* le vise à coups
d’obus de mortier.
La puissance symbolique du GG mais aussi la fonctionnalité de ses
espaces intérieurs expliquent son réemploi après l’indépendance. Les services
du ministère de l’Intérieur, des collectivités locales et des libertés publiques y
ont été installés.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Claude Collot, Les Institutions de l’Algérie à la période coloniale,
OPU/CNRS, 1987 • Claudine Piaton, Juliette Hueber, Boussad Aiche et
Thierry Lochard, Alger, ville et architecture 1830-1940, Arles-Alger, Honoré
Clair-Barzakh, 2016.
GOUVERNEMENT PROVISOIRE
DE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE
(GPRA), 1958-1962
De façon pragmatique et audacieuse, le FLN* a dès ses premières
expressions politiques pensé ses futures institutions* autour de la constitution
d’un contre-État, en Algérie et à l’extérieur, en droite ligne des
revendications contenues dans l’Appel du 1er novembre 1954*.
Au congrès de la Soummam* d’août 1956, un « embryon d’État » (Vatin,
1983) voit le jour avec la mise en place d’un parlement, le CNRA* et d’un
organe exécutif (un gouvernement de fait), le CCE*. Deux institutions qui
vont constituer la base de ce FLN jusqu’à l’indépendance, en juillet 1962.
Le premier CCE est formé de Ramdane Abane*, Larbi Ben M’hidi*,
Belkacem Krim*, Benyoucef Ben Khedda* et Saâd Dahlab*. Un an après, au
CNRA du Caire, et sur fond de crise de leadership (politiques vs militaires),
le CCE est fondamentalement remanié. Sa nouvelle composition reflète la fin
de l’esprit de la Soummam (le primat du politique sur le militaire et de
l’intérieur sur l’extérieur). En décembre 1957, Abane est assassiné par ses
pairs à Tétouan au Maroc*.
Ces crises et soubresauts ne mettent pas cependant en péril les institutions
que le FLN a forgées à la Soummam. Au contraire, le FLN réussira un coup
politique et médiatique magistral le 19 septembre 1958 avec la transformation
du CCE en GPRA. Sa proclamation au Caire, Tunis et Rabat est un tournant
décisif dans l’histoire de la guerre de libération nationale.
Le GPRA est reconnu rapidement par 43 États (Charpentier, 1959).
Dorénavant il sera le ferment de la diplomatie active et démonstrative de la
révolution algérienne. Grâce à sa stratégie de la présence, il gagne vite en
audience dans les tribunes internationales et les médias et fait basculer
l’opinion publique* en sa faveur, notamment en Europe de l’Ouest.
Par ailleurs, les conditions de la formation du GPRA informent bien sur
le processus de maturation d’une révolution et sa résilience. Le choix de son
premier président participe à cette logique, en l’occurrence celle de
promouvoir un FLN, parti révolutionnaire et moderniste à la fois.
Face au général Charles de Gaulle*, arrivé au pouvoir en France en
mai 1958, la réaction du FLN a été prompte. Il devient urgent de remplacer le
CCE par une institution à vocation plus internationale. La constitution d’un
GPRA s’impose. Sa dénomination est d’ailleurs pensée pour rappeler à de
Gaulle le GPRF qu’il a formé et présidé en 1944. Le GPRA doit avoir à sa
tête une personnalité intellectuelle et politique, rompue aux arcanes des IIIe et
IVe Républiques françaises. Le choix se porte sur Ferhat Abbas* (1899-
1985), pharmacien de formation dont le parti, l’Union démocratique du
Manifeste algérien* (UDMA, 1946-1956), a rallié le FLN au début de l’année
1956.
Dirigeant par deux fois le GPRA (de septembre 1958 à août 1961), Abbas
s’illustre comme l’un des grands artisans de la réussite de la diplomatie du
FLN.
Son successeur, Benyoucef Ben Khedda, pharmacien également, est issu
du courant modéré du PPA-MTLD*, les centralistes. Son avènement à la tête
du GPRA renseigne sur la prégnance et l’exacerbation des luttes de courants
au sein du FLN (centralistes, dirigeants de l’Organisation spéciale* (OS),
novembristes, Udmistes, etc.).
Sous la direction de Ben Khedda, le GPRA finit par faire accepter au
gouvernement français, la quasi-totalité des exigences politiques, militaires,
économiques et territoriales du FLN, telles qu’énoncées dans l’Appel du
1er novembre 1954. Le ministre des Affaires extérieures Saâd Dahlab, de la
même mouvance que Ben Khedda, joue un rôle majeur dans le règlement des
dossiers qui retardaient la concrétisation des pourparlers de paix, en
particulier ceux inhérents aux territoires sahariens.
Le 18 mars 1962, les accords d’Évian* sont signés ; le lendemain à midi,
un cessez-le-feu est proclamé dans l’ensemble du pays. Il sera globalement
bien respecté par les deux parties, témoignant ainsi du sérieux et de la solidité
des accords paraphés.
La cessation des hostilités entre l’ALN* et les forces françaises en
Algérie ne met toutefois pas un terme ni à la violence de l’OAS* ni aux luttes
internes pour le pouvoir qui agitent le FLN avant de dégénérer en crise
ouverte, au cours de l’été 1962.
Aux avant-postes, le GPRA est vite dépassé par la complexité de la
situation et l’émergence de nouvelles forces et coalitions politiques, produites
par le processus de décolonisation. Les attentats quasi quotidiens des
activistes européens de l’OAS et les tensions entre les différents
protagonistes du FLN mettent en lumière ses limites et dévoilent ses
faiblesses intrinsèques, celles d’une institution, plus apte à agir et arbitrer en
temps de guerre. Paradoxalement, les prémices de la paix se sont avérées plus
problématiques.
Fragilisé au CNRA de Tripoli* de mai-juin et contesté par Ahmed Ben
Bella et ses partisans, le GPRA entre dans une phase de déliquescence
politique. Des membres importants du gouvernement tels que Mohamed
Boudiaf* et Hocine Aït Ahmed* estiment qu’à l’approche de l’indépendance,
un changement radical au sein des instances du FLN est des plus nécessaires.
La crise qui se profile repose en force la question des légitimités
historique et révolutionnaire et celle du rôle et statut des fondateurs du FLN à
l’aune des bouleversements induits pas le départ des Français.
Quant aux wilayas, elles sont dans un dilemme cornélien. Elles tentent de
se regrouper (réunion de Zemmora* le 25 juin) mais échouent. Leurs forces
se dispersent soit en ralliant le groupe de Tlemcen* avec Ben Bella, soit en
rejoignant le groupe de Tizi Ouzou* avec Boudiaf et Belkacem Krim, soit
s’autonomiser. Cette configuration accentue encore les fractures au sein du
FLN et de l’ALN et démontre la difficulté du GPRA à assumer sa mission et
permettre une sortie de guerre, la moins conflictuelle possible pour les
Algériens.
Sur le registre des relations algéro-françaises, c’est la realpolitik qui
prévaut. L’ambassadeur de France en Algérie Jean-Marcel Jeanneney
(7 juillet) considère que le GPRA de Ben Khedda n’est plus un interlocuteur
pour le gouvernement français. La position de l’ancienne puissance coloniale
va peser lourdement sur les recompositions qui se mettent en place à
l’indépendance.
Isolé à Alger, défié et concurrencé par le groupe de Tlemcen où le
pouvoir effectif s’exerce, le GPRA finit par reconnaître le 23 juillet le Bureau
politique proposé par Ben Bella à Tripoli : cette décision acte sa fin.
Au cours de l’été 1962, la faillite du GPRA a cédé à la logique de la
succession au pouvoir nourrie par les ambitions individuelles, reléguant à
l’arrière-plan la consolidation des institutions historiques du FLN et l’intérêt
suprême du nouvel État indépendant.
Symbole de la cause nationale, le GPRA a échoué à proposer un plan
d’action solide et fiable lors de l’indépendance. Rouage essentiel de l’État-
FLN et vivier de cadres et de compétences, il a apporté à la révolution
algérienne une plus-value dans tous les domaines et en particulier sur le plan
international en privilégiant la lutte diplomatique aussi décisive que la lutte
armée. Son installation à Alger dès la proclamation de l’indépendance de
l’Algérie, le 3 juillet 1962, devait attester de sa légitimité. Son vœu de se
remettre au travail, de préparer les élections avec l’Exécutif provisoire*, est
mis en échec par les manœuvres du groupe de Ben Bella soutenu par les
troupes de l’EMG*. Le 25 septembre 1962, la naissance de la République
algérienne met fin à la mission de l’Exécutif provisoire et à celle du GPRA.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Jean Charpentier, « La reconnaissance du GPRA », Annuaire français
de droit international, vol. 5, CNRS, 1959 • Amar Mohand-Amer, « La
réunion-marathon des dix colonels de l’ALN, 11 août-9 décembre 1959 »,
in Mohammed Harbi, L’Événement dans l’histoire récente de l’Algérie,
1945-1962. Actes du colloque international, Alger, Dar Al Baath, 2007
• Jean-Claude Vatin, L’Algérie politique. Histoire et société, Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, 1983.

GRÈVE DES HUIT JOURS


La vaste opération de répression qu’est la bataille d’Alger* évince parfois
le souvenir de la grève commencée le 28 janvier 1957 qui en est le facteur
déclenchant. Depuis le printemps 1956, des grèves sectorielles mobilisent
étudiants*, commerçants, travailleurs et ont affirmé le leadership du FLN* au
cœur des villes coloniales. Déjà, les consignes de grève générale, lancées le
5 juillet par l’UGTA*, bras syndical du FLN, sont massivement suivies. Fin
1956, le FLN décide d’amplifier ces luttes urbaines, quand la question
algérienne est débattue à l’ONU*, en lançant une grève insurrectionnelle qui
recentre l’affrontement sur la capitale. Le CCE* du FLN et le 4e secrétariat de
l’UGTA mettent en place le comité de grève avec Djilani Embarek,
Mahieddine Bourouiba, Rahmouni Dekkar, Mohamed Drareni, Ali Yahia.
L’opération, en mettant militants et cadres à découvert, comporte un haut
niveau de risques pour les grévistes et la direction syndicale déjà plusieurs
fois démantelée. Les syndicalistes avancent l’idée d’une grève générale d’une
ou deux journées mais la grève des huit jours est actée. Le tract de l’UGTA
proclame « en avant pour gagner la grande bataille de l’ONU ! ». Néanmoins,
la répression touche en amont les cadres syndicaux et se déchaîne dès le 28.
Si la grève est suivie dans toutes les villes, à Alger le test est décisif. Alors
que les travailleurs de tous les secteurs sont dans l’action, l’armée veut briser
la grève pour pouvoir parler d’échec : magasins défoncés, piquets de grève
démantelés, grévistes traînés par les parachutistes* sur les lieux de travail,
internés du centre de Ben Aknoun conduits de force pour remplacer dockers*
et éboueurs en grève, traminots requis sous la menace, grévistes torturés.
Commencée contre la grève, la répression se poursuit plusieurs mois pour
briser le FLN à Alger. Si la grève montre aux yeux du monde l’immense
volonté d’indépendance, elle ne peut devenir insurrectionnelle dans un
rapport de force aussi dissymétrique. Le syndicat perd à nouveau sa direction
et toute possibilité d’action à l’intérieur mais la condamnation de la guerre
coloniale a gagné l’arène internationale.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Henri Alleg (dir.), La Guerre d’Algérie, t. II, Temps actuels, 1981
• Benyoucef Ben Khedda, Alger, capitale de la résistance, 1956-1957, Alger,
Houma, 2002 • Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à
la prise de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980.

GRÈVES EN ALGÉRIE
En Algérie, une intense période revendicative entamée dès 1947 se
poursuit jusqu’au milieu des années 1950. Les grèves politiques lancées par
la CGT*, contre la répression coloniale ou contre la guerre d’Indochine*,
accompagnent un mouvement social soutenu. Le mouvement gréviste de la
période pré-insurrectionnelle se caractérise par la poussée des travailleurs
algériens, là où ils sont majoritaires – agriculture*, ports ou mines. La grande
grève des mineurs de Timezrit est considérée comme une inflexion du
mouvement syndical. Fin 1953, en Kabylie, 700 mineurs, avec leur
responsable cégétiste Mohamed Tahar Bouras, mènent une longue grève de
neuf mois, popularisée par le journal anticolonialiste Alger républicain.
Malgré le lock-out, ils organisent une « marche de la faim » en avril 1954,
suscitant une forte solidarité en résonance avec des aspirations politiques plus
globales, tandis qu’une partie du personnel européen de la mine ne
s’implique pas. Les grèves de la période de la Guerre d’indépendance
changent de modalités dans un paysage syndical brusquement modifié. Pour
les nationalistes algériens, elles sont une démonstration de force contre le
pouvoir colonial qui se distingue radicalement du maintien d’un mouvement
revendicatif porté par les syndicats des confédérations françaises FO* et
CFTC* en vue d’améliorer un système politique et social en pleine remise en
cause.
Après une longue gestation, la transformation de la CGT en Union
générale des syndicats d’Algérie (UGSA), en juin 1954, avec à sa tête
Lakhdar Kaïdi, entend affirmer le caractère spécifique de la situation
coloniale de l’Algérie. Mais la crise du mouvement national traverse le
mouvement cégétiste, opposant les messalistes au FLN* qui vient de
déclencher l’insurrection le 1er novembre 1954*. Les messalistes fondent
l’Union des syndicats des travailleurs algériens* (USTA), le 16 février 1956,
devançant les proches du FLN, qui créent l’Union générale des travailleurs
algériens* (UGTA) une semaine plus tard.
Les deux centrales algériennes rivales engagent des tractations pour
adhérer à la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), qui
s’oppose à l’influence communiste dans le monde du travail*, pour obtenir
des moyens matériels et une aura internationale. Elles se lancent dans une
lutte sur le terrain auprès des travailleurs algériens, dont beaucoup quittent
alors la CGT. Si l’USTA messaliste s’étend plus facilement en France dans
les bastions traditionnels de la main-d’œuvre algérienne, en revanche,
l’UGTA pro-FLN surpasse vite sa rivale en Algérie. L’UGSA-CGT quant à
elle perd des adhérents et propose en vain une fusion en une seule centrale
algérienne autonome. Elle mène encore jusqu’en 1956 des grèves à caractère
économique, notamment chez les ouvriers du nettoiement à Alger, ou chez
les dockers* des ports d’Alger et d’Oran dont beaucoup sont attachés à leur
syndicat, mais la vie syndicale classique devient difficile depuis l’instauration
de l’état d’urgence* le 3 avril 1955. Les arrêts de travail lancés par l’UGSA
se terminent souvent par des arrestations pendant que son influence s’étiole
de toutes parts, chez les Algériens et les Européens.
Le caractère politique des grèves prend le dessus, notamment avec le
boycott* du déchargement de matériel militaire, mais à Oran ces grèves sont
mal perçues par une partie des travailleurs européens du port. Ailleurs que
dans le monde ouvrier, le creusement de ce fossé entre communautés est
visible avec la grève des cours lancée le 5 mai 1956 par des étudiants*
européens d’extrême droite, furieux d’un décret facilitant l’accession des
« musulmans » à la fonction publique. Les pouvoirs spéciaux*, votés en
mars 1956, entraînent souvent l’interdiction des démonstrations syndicales
classiques. Ce durcissement de la guerre coloniale pousse alors les étudiants
algériens – dont plus d’une centaine rejoint le maquis – à manifester leur
soutien au FLN le 19 mai 1956 en appelant à la grève illimitée des cours et
des examens, appel qui s’étend vite aux lycéens et aux étudiants installés en
France. Les modalités du mouvement gréviste changent et le FLN sollicite
l’action de catégories peu revendicatives en temps ordinaire mais bien
visibles en milieu urbain. Organisés par Mohamed Lebjaoui, les nouveaux
syndicats de commerçants transforment les centres urbains en « villes
mortes » en fermant boutiques et cafés. Au mois d’avril, ces actions touchent
toute l’Algérie : Tlemcen le 2, Constantine le 4, Alger le 10. Pratique
renouvelée après des arrestations ou des exécutions comme à Oran dans
Medina Jdida (Ville nouvelle) après la mort d’Ahmed Zabana* guillotiné le
19 juin 1956.
La dynamique des grèves urbaines ne fléchit pas au cours de l’année,
même si toute la direction de l’UGTA, avec son secrétaire Aïssat Idir, est
arrêtée le 23 mai. Le nouveau secrétariat est arrêté fin juin, pour décapiter
l’organisation et empêcher la grève patriotique du 5 juillet, première grande
épreuve de force de l’UGTA, date qui rappelle la prise d’Alger en 1830. Le
tract de la nouvelle direction clandestine appelle à la grève en demandant de
déserter rues, chantiers, bureaux et allie explicitement les questions de
salaires à « la solidarité avec le peuple algérien en lutte ». Le FLN suscite ces
grèves de témoignage pour attester sa légitimité. La grève générale du
5 juillet est totale à Alger et dans bien d’autres villes du pays : ouvriers,
employés, commerçants, femmes de ménage, expriment le soutien des
masses urbaines au FLN malgré le nombre élevé de sanctions qui s’ensuivent
dans les entreprises. Soutien réitéré le mois suivant par l’arrêt total des
dockers après l’attentat de la rue de Thèbes* le 9 août. Les grèves
revendicatives deviennent rares. Chez les traminots, cégétistes et militants de
l’UGTA – comme Ahmed Ghermoul, déjà arrêté en mai 1956 puis revenu
dans l’action après sa libération – tentent encore de mener des grèves pour
leur prime de fin d’année. La répression s’accentue avec l’interdiction des
réunions des syndicats UGSA-CGT et UGTA en octobre 1956, ce qui
n’empêche pas l’UGTA de lancer juste après une grève générale pour
l’anniversaire du 1er Novembre. Dans ce modèle de grèves politiques aux
risques très élevés, la grève des huit jours*, commencée le 28 janvier 1957, a
été la plus spectaculaire par l’impact international qu’en attendait le FLN et
par la répression sans précédent pour la briser. Violemment réprimée, la
grève comme modalité d’action urbaine atteint ses limites. Sous d’autres
formes, les grandes manifestations de décembre 1960*, signe fort de la
détermination populaire, pèseront sur l’issue du conflit. Dans la dernière
année, pour rendre visible son influence dans les grandes villes, le FLN
appelle à la fois à la grève générale et à des manifestations de masse contre la
partition, les 1er et 5 juillet 1961*, largement suivies dans tout le pays. Du
côté des tenants de l’Algérie française, la grève générale est surtout activée
en préliminaire de mobilisations factieuses, putsch du 13 mai 1958*, semaine
des barricades* le 24 janvier 1960, ou encore après l’annonce du cessez-le-
feu en mars 1962, cherchant à mobiliser une population européenne
désorientée.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Henri Alleg (dir.), La Guerre d’Algérie, Temps actuels, 1981 • Amar
Benamrouche et René Gallissot, « Bouras, Mohamed Tahar », in René
Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux et question nationale.
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, L’atelier, 2006 • Anissa
Bouayed, « La CGT et la guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle d’histoire sous
la dir. de J. Couland, Paris-7, 1985.

GRÈVES EN FRANCE
Le mouvement gréviste en France pendant la guerre d’Algérie suit un
régime irrégulier, avec crues et reflux, grèves politiques plutôt que
revendicatives, dans un contexte de division syndicale dû à la guerre froide*.
Au début, les sondages montrent que l’opinion* dans sa majorité ne veut pas
d’une nouvelle guerre après celle d’Indochine* mais que les préjugés raciaux
et l’idée que l’Algérie doit rester française sont prégnants.
Aux clivages syndicaux s’ajoutent ainsi des lectures différentes des
« événements ». En réaction au 1er novembre 1954*, FO* et la CFTC*
demandent surtout des réformes en Algérie, tandis que la CGT* dénonce le
régime colonial et une deuxième « sale guerre », terme déjà utilisé pour le
conflit indochinois. Dans les premiers mois, la combativité des travailleurs
algériens en France est remarquée à Renault, dans la métallurgie et le
bâtiment où ils sont nombreux, alors que la police* surveille parmi eux
l’influence du FLN* pour le priver de base arrière. Avant que ne soit voté
l’état d’urgence* le 3 avril 1955, peu de débrayages ont lieu en métropole
pour s’y opposer, ce que regrette Omar Belouchrani, alias Saïd (membre de la
Fédération de France* du FLN et permanent syndical CGT), délégué au
30e congrès de la CGT. Il veut reprendre pour l’Algérie l’ancien mot d’ordre
contre la guerre d’Indochine : « pas de matériel de guerre ! ». Les décrets
d’août 1955 donnent lieu aux premiers mouvements de soldats rappelés
refusant de partir pour l’Algérie. La CGT opposée aux décrets organise des
ripostes dans les entreprises, avec des actions parfois unitaires chez les
« métallos » (Renault Billancourt ou Fives Lille par exemple), les cheminots,
les postiers, en province ou à Paris. Le climat protestataire se maintient à la
rentrée avec la spectaculaire action de Rouen début octobre quand la
population de sa banlieue rouge et industrielle se joint aux rappelés de la
caserne Richepanse qui refusent de partir, provoquant l’intervention des
forces de l’ordre.
Contexte bouillonnant et promesses de paix en Algérie amènent le Front
républicain* au pouvoir en janvier 1956, investi d’une immense attente sur la
question algérienne, doublée d’un fort soutien populaire aux premières
réformes sociales comme la troisième semaine de congés payés. C’est la
pause sociale avec moitié moins de jours de grève en 1956 qu’en 1955. Pour
l’opinion publique, ce gouvernement semble l’héritier de Pierre Mendès
France* dont les efforts ont abouti à l’indépendance de la Tunisie* et du
Maroc* en mars 1956. Mais le même mois, le pouvoir socialiste choisit pour
l’Algérie la voie de la guerre avec les pouvoirs spéciaux*, votés par une
écrasante majorité allant de la droite aux communistes. Ces derniers,
puissants électoralement, escomptent en vain peser sur le gouvernement de
Guy Mollet*. Ce faisant, ils privent le mouvement d’opposition à la guerre
d’une alternative politique identifiable. Les manifestations de rappelés* de
juin 1956 comme à Grenoble ou Saint-Nazaire reçoivent localement le
soutien de militants syndicaux. Les arrêts de travail chez les dockers* ou dans
les usines n’arrivent pas à faire tache d’huile. Au niveau national, la CGT ne
lance pas de mots d’ordre de grève générale mais encourage les actions sur le
terrain sans pouvoir créer de dynamique durable. Les actions faiblissent
encore plus en 1957 après la répression de l’insurrection hongroise qui jette
l’opprobre sur les communistes et leurs alliés très isolés. En France, la lutte
pour le leadership entre le FLN et le MNA* se traduit par des assassinats de
centaines de militants des deux bords, dont des syndicalistes connus comme
Filali*, adjoint de Messali Hadj*, et éloigne des travailleurs français de leur
lutte, comme à Renault-Billancourt. Le hiatus est patent quand la CGT
échoue à mobiliser pour la « Paix en Algérie » le 17 octobre 1957, alors que
les travailleurs répondent présents le 29 octobre lors de la grève
d’avertissement au nouveau gouvernement de Félix Gaillard* pour les
salaires, mettant fin à la pause sociale. Le journal du FLN El Moudjahid
fustige ces échecs et l’attentisme des syndicats ouvriers et enseignants dont la
Fédération de l’Éducation nationale* (FEN), peu présente sur le terrain.
Pourtant l’opposition à la guerre s’élargit avec la condamnation par les
intellectuels de la torture*, qui ne peut plus être cachée par l’armée et le
pouvoir, tandis que l’agitation pro-Algérie française à Alger le 13 mai 1958*
inquiète les républicains. Mais les débrayages prévus les 19, 26 et 27 mai
pour la défense des libertés restent limités. L’investiture de De Gaulle* et le
oui massif au référendum pour changer la Constitution montrent les attentes
envers « l’homme providentiel ». La faiblesse du mouvement gréviste est au
plus bas en 1959.
Après le discours de De Gaulle sur l’autodétermination* en
septembre 1959 et les réactions violentes des ultras de l’Algérie française, un
sursaut républicain élargit l’audience de l’idée de paix en Algérie par la
négociation*. Au moment de la semaine des barricades*, fin janvier 1960, les
syndicats se rencontrent pour la première fois et l’Unef* très active avec son
nouveau président Gaudez joue un rôle fédérateur. La grève nationale d’une
heure le 1er février est un succès entretenu par des journées d’action et des
arrêts de travail parfois unitaires à la base, réclamant la poursuite des
négociations. Dès l’annonce du putsch* le 21 avril 1961 et avant même le
fameux discours de De Gaulle, les rencontres syndicales et appels à la grève
générale pour le lundi 24 avril articulent lutte contre le fascisme et paix en
Algérie. La grève, suivie par des millions de salariés, comme la riposte des
jeunes soldats du contingent en Algérie qui refusent de suivre les « généraux
félons » ont leur importance dans l’arrêt du putsch dès le 25 avril.
Les actions deviennent difficiles sous le coup des violences policières qui
sévissent lors des manifestations souvent interdites. Les Algériens en sont
particulièrement victimes le 17 octobre 1961*. Si les organisations syndicales
et politiques de gauche condamnent toutes la répression, il n’y a pas d’action
commune pour dénoncer un tel massacre mais des communiqués parallèles
brandissent la menace d’une grève générale si cela recommence. En réaction
aux attentats de l’OAS* qui frappent désormais en métropole, le
rapprochement de ceux qui veulent la paix par la négociation et redoutent
maintenant une dérive fasciste se consolide. CGT et CFTC, les syndicats
enseignants et l’Unef appellent ensemble à une manifestation le 8 février
1962. Les violences policières font 9 morts, tous membres de la CGT, devant
le métro Charonne*. L’unité se réalise à nouveau le 13 février dans
l’immense et solennel cortège funèbre des morts de Charonne et dans la
grève générale suivie dans tout le pays. Après plus de sept ans de guerre, ce
drame achève de disqualifier la guerre coloniale dans l’opinion. Les
fluctuations du mouvement gréviste reflètent bien les difficultés de la société
française à tourner la page.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Anissa Bouayed, « La CGT et la guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle
d’histoire sous la dir. de J. Couland, Paris-7, 1985 • Laure Pitti, « Ouvriers
algériens à Renault-Billancourt de la guerre d’Algérie aux grèves des OS des
années 1970 », thèse d’histoire sous la dir. de R. Gallissot, Paris-8, 2002 •
Alain Ruscio, Les Communistes et l’Algérie, La Découverte, 2019.

GUÉRILLA
Guerilla est un mot espagnol. Il signifie « petite guerre » et entre dans le
vocabulaire militaire occidental, dans les premières décennies du XIXe siècle,
avec la résistance populaire à l’occupation napoléonienne de l’Espagne. Il se
conçoit d’office en opposition à une « grande guerre », celle des armées
nationales, avec leur discipline, leurs uniformes, leurs grandes unités, leurs
batailles et leur logistique. Il désigne une pratique asymétrique du conflit
armée, où un des belligérants ne dispose pas des moyens matériels et humains
d’une armée nationale et repose donc sur le soutien d’une fraction de la
population. Militairement, la guérilla repose sur la pratique de l’embuscade*,
attaque surprise en surnombre sur des unités isolées suivie d’une retraite
rapide, et le sabotage dirigé contre les moyens de communication de
l’adversaire et sa logistique. Politiquement, la guérilla doit s’assurer le
soutien d’une partie de la population et utilise, pour orienter, stimuler ou
forcer ce soutien, la propagande* mais aussi des actions de terreur, comme
les exécutions de collaborateurs ou les attentats. La pratique de la guérilla
existe bien avant l’irruption du mot dans le lexique européen puis mondial.
Dès l’Antiquité, de nombreux acteurs politico-militaires ont recours à la ruse
et aux stratégies asymétriques face à des armées régulièrement constituées,
dans des guerres aux marges de la gloire militaire.
En Algérie, la guérilla est une composante majeure de l’action des
nationalistes du FLN* et du MNA*, mais aussi plus marginalement du PCA*.
Elle s’articule, sans qu’il soit possible de délimiter nettement leurs limites
avec le terrorisme urbain et l’action politique et diplomatique. Nous nous
contenterons ici de nous pencher sur la guérilla au sens étroit du terme, à
savoir la lutte armée menée par le FLN et l’ALN* dans les zones rurales de
l’Algérie.
Les premiers maquis émergent avant les attentats du 1er novembre 1954*,
dans les Aurès et en Kabylie. Ils sont le lieu de rencontre entre un banditisme
d’honneur ancien et des militants nationalistes radicaux souvent issus de
l’Organisation spéciale* (OS) du PPA*, démantelée en 1950 par les services
de sécurité français. Dès 1953, d’infructueuses opérations de réduction du
banditisme ont lieu dans les Aurès. Ces deux régions sont et demeurent
pendant le conflit deux des points chauds de la résistance nationaliste, du fait
de leur géographie* tourmentée et d’une faible inclusion dans l’économie
coloniale. Elles concentrent, donc durant les premiers mois de la guerre,
l’essentiel de l’effort militaire français. L’embuscade dite « de Palestro* », le
18 mai 1956, marque le premier succès médiatique autant que militaire de
cette stratégie d’action. L’attaque de Philippeville, comme sa terrible
répression, en août 1955, apparaît comme un tournant décisif dans la guerre,
marquant l’engagement de la population et l’extension de la guerre à de
nouveaux territoires.
La guérilla du FLN suppose donc des zones difficiles d’accès, où il est
possible de constituer des refuges, mais aussi le soutien de la population par
l’intermédiaire d’une organisation des supplétifs* civils (les moussebelines)
chargés d’organiser le ravitaillement, d’obtenir des renseignements et de
motiver politiquement, ou par la contrainte, le soutien populaire. Pour les
combattants des maquis, les moudjahidines*, l’essentiel de leurs ressources
dépend de cette connexion avec la population des zones occupées par
l’armée. Celle-ci est assurée par ce que les militaires français viennent à
désigner sous le vocable d’OPA – organisation politico-administrative – et
que les Algériens nomment nidham. La guérilla nationaliste s’étend
rapidement hors de ces premières zones-refuges, au cours de l’année 1955,
pour atteindre son extension maximale en 1957, en s’étendant à l’ensemble
des régions du Tell algérien, d’autant plus profondément que la topographie
et la proximité des frontières marocaines et tunisiennes le permettent. C’est
dans les massifs montagneux de l’Est-Algérois que les maquis trouvent leurs
plus importants développements, puis dans l’Algérois, dans les massifs du
Dahra, de l’Ouarsenis, et enfin en Oranie, région moins propice et plus
marquée par la présence européenne. Des chefs militaires se montrent
particulièrement audacieux et se font une renommée de grands guérilleros.
Ainsi Ali Khodja* ou le colonel Amirouche*, en Kabylie, Youcef Zighoud*,
dans le Constantinois, Si M’hamed Bougara* dans l’Algérois, Ben Boulaïd*,
dans les Aurès, sont autant de chefs de maquis et de martyrs devenus des
légendes de l’épopée nationale algérienne.
L’armée française répond à la guérilla du FLN par une contre-guérilla se
structurant progressivement et s’appuyant sur son expérience indochinoise.
Avec la mobilisation du contingent en 1956, elle met en place un maillage de
postes militaires de plus en plus dense sur les territoires ruraux, le
quadrillage. Elle généralise la création de zones interdites* à la population où
l’ouverture du feu se fait sans sommation. Le corollaire de ces zones
interdites est le regroupement* des populations rurales dans des centres sous
contrôle militaires, afin de priver les maquis du soutien populaire. Des
commandos* de chasse, formés pour une part importante de harkis*, sont
chargés d’accrocher les unités de l’ALN. L’usage de troupes aguerries de
parachutistes* ou de légionnaires, souvent héliportés, et de l’aviation,
utilisant notamment le bombardement au napalm, permet de concentrer
rapidement la puissance de feu sur les maquisards repérés. La fortification
des frontières marocaines et tunisiennes effectives en 1958 empêche le
ravitaillement et la relève des maquisards depuis ses bases extérieures,
affaiblissant durablement les forces nationalistes de l’intérieur. Des contre-
maquis composés de combattants algériens sont animés par le SDECE*,
principalement dans l’Algérois. Ces méthodes brutales se révèlent efficaces
militairement malgré un coup politique et humain élevé, les civils algériens
payant d’un prix élevé l’écrasement de l’ALN.
Bien que jouant sur l’indistinction entre militaires et civils, le FLN
cherche à présenter son armée comme une armée régulière dotée d’uniforme,
d’une hiérarchie formelle et d’une discipline. En 1958, le FLN tente de
constituer des bataillons afin de dépasser le stade de la guérilla et pousser
l’armée française à des affrontements conventionnels. Ce choix s’avère
contre-productif. Ces bataillons, trop repérables, sont écrasés. Sous les coups
des opérations Challe*, en 1959 et 1960, ciblant successivement les zones
refuges montagneuses de l’ALN d’Ouest en Est, les capacités militaires des
nationalistes sont fortement réduites. Le général Gambiez* peut ainsi
annoncer en 1960 que l’Oranie est pacifiée.
Si la guérilla du FLN se révèle un échec tactique sur le temps long du
conflit, elle constitue une victoire stratégique. En obligeant l’armée française
à maintenir une posture défensive permanente dispendieuse en hommes et en
matériel, elle a rendu nécessaire la mobilisation du contingent et l’utilisation
de moyens financièrement coûteux et moralement difficiles à assumer,
notamment d’un point de vue diplomatique. Elle ne permet pas de libérer de
réelles zones où une souveraineté nationaliste pourrait s’exercer,
contrairement à ce que le Vietminh a pu faire en Indochine*. C’est l’action de
guérilla qui a fait de la guerre d’Algérie une guerre et non une simple
opération de maintien de l’ordre.
Denis LEROUX

GUERRE DES MÉMOIRES (LA)


La Guerre des mémoires est le titre d’un petit livre d’entretiens du
journaliste Thierry Leclère avec Benjamin Stora*. Ce livre a été publié en
2006, dans le contexte du violent débat faisant suite à la loi du 23 février
2005* sur les « aspects positifs de la colonisation ». Le livre revient sur la
manière dont certains acteurs réinvestissent la question mémorielle à des fins
politiques, sur fond de crise mondiale du politique et des grandes idéologies,
plongeant les individus à se replier sur eux, leur mémoire et des
« communautés » religieuses, culturelles ou ethniques. Dans le cas de la
Guerre d’indépendance algérienne, Benjamin Stora souligne qu’à la fin du
conflit, celui-ci a – de manière assez classique – disparu du discours public. Il
n’en reste pas moins que la fin de l’empire colonial a constitué une « blessure
narcissique » (Stora, p. 31) du nationalisme* français. Seule une minorité
d’extrême droite s’est alors refusée à l’indépendance algérienne. Or, celle-ci
s’est organisée à partir des années 1970 et s’est imposée de plus en plus dans
le paysage politique. Trois ans après la présence de Jean-Marie Le Pen au
second tour de l’élection présidentielle, la loi du 23 février 2005 enjoint aux
enseignants d’inculquer les « aspects positifs de la colonisation », suscitant
une levée de boucliers des historiens. D’autres livres vont dans le sens d’un
refus de la « repentance* », ce qui est une manière d’évacuer la question
coloniale et le travail de recherche à son sujet. Dans le même temps, des
associations célèbrent « l’œuvre coloniale » française, ce qui constitue une
des traces de ce que l’historien britannique Robert Gildea nomme « l’esprit
impérial ».
D’autre part, il existe aussi une culture de victimisation et une
« surenchère victimaire » (Stora, p. 46) au sein de certaines fractions des
groupes porteurs de mémoire, comme de la société en général, ce qui va de
pair avec une forme de judiciarisation de l’histoire. La posture de victime
favorise aussi le renfermement sur des communautés imaginaires (et
notamment mémorielles) dont des composantes peuvent entrer en conflit les
unes avec les autres. Ainsi, quasiment en même temps qu’était votée la loi du
23 février 2005, l’appel des indigènes de la République clame que « la France
reste un État colonial » avec les populations qui sont issues de la
colonisation. Or, cette posture « décoloniale », construite dans l’opposition à
la mémoire glorifiant la colonisation, procède à une homogénéisation des
populations issues de la colonisation sur ce seul critère, gommant leurs
différences et divergences, sources de pluralité et de complexité. Pour
l’historien, ces conflits constituent l’un des observatoires des mémoires mais
leur analyse distanciée présente une difficulté redoutable : son travail consiste
à montrer la complexité du phénomène colonial sans entrer dans les conflits
mémoriels, ni mettre sur un même plan toutes les violences, ni renvoyer dos à
dos les victimes de la guerre dans une forme de neutralité facile ou sommaire.
Pour échapper à cette « guerre des mémoires », qui s’est jouée
essentiellement au cours des années 2000 mais qui continue d’exister de
manière latente (comme elle pouvait déjà être présente auparavant de façon
souterraine, au sein des familles), il convient ainsi de favoriser le travail sur
l’histoire de la colonisation, de montrer sans fard la multiplicité des
composantes de la société française, dans toute leur complexité. Au cours des
années 2010, les programmes scolaires* ont davantage pris en considération
cette histoire, avec également l’étude de la mémoire. L’Office national des
anciens combattants* et victimes de guerre (ONACVG) a aussi mis en place
un programme dans lequel trois à quatre témoins provenant de groupes
mémoriels différents (soldats, pieds-noirs*, combattants algériens, harkis*)
interviennent dans les classes afin de faire état de leur parcours mais aussi de
montrer aux lycéens et collégiens que des personnes s’étant trouvées dans des
camps et ayant eu des trajectoires différentes, voire divergentes, peuvent
aujourd’hui dialoguer ensemble, sans haine. Enfin, en 2006, Benjamin Stora
considérait que, pour dépasser les contentieux mémoriels, il fallait que l’État
reconnaisse sa part de responsabilité et prenne pour cela des mesures
symboliques de réparation. À la suite de son rapport remis au président de la
République Emmanuel Macron* en janvier 2021, l’historien a proposé la
réalisation d’un ensemble de mesures concrètes afin d’avancer sur cette
reconnaissance du passé colonial de la France en Algérie. Ces propositions
ont provoqué des réticences, voire des controverses, certains considérant qu’il
aurait fallu un grand discours d’excuses sur la colonisation, d’autres au
contraire refusant que quoi que ce soit puisse être fait sur la question des
mémoires franco-algériennes. Les préconisations ont cependant permis des
avancées sur de nombreux points, à l’image de la pose de plaques et de stèles
sur l’histoire de la colonisation, de la reconnaissance d’assassinats, d’excuses
officielles concernant des événements ou des groupes porteurs de mémoire,
de la tenue d’un colloque sur les oppositions intellectuelles à la colonisation
et à la guerre d’Algérie, de bourses d’études, de la création d’un office de la
jeunesse franco-algérienne et de la relance du projet de musée d’Histoire de
la France et de l’Algérie à Montpellier.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?
L’histoire en débats, Seuil, 2005 • Robert Gildea, L’Esprit impérial. Passé
colonial et politiques du présent, Passés composés, 2020 • Benjamin Stora
(entretiens avec Thierry Leclère), La Guerre des mémoires. La France face à
son passé colonial, L’Aube, 2006.

GUERRE FLN-MNA
Le contexte créé par les attaques du 1er novembre 1954* a permis, dans
un premier temps, de dépasser les tensions suscitées par la crise du MTLD,
autorisant la coopération entre les différentes factions indépendantistes.
Mais la différenciation entre le FLN* et les partisans, alors nombreux, de
Messali Hadj* – regroupés au sein du MNA* après la dissolution du MTLD
décrétée le 5 novembre – devient la matrice d’une nouvelle conflictualité
entre nationalistes.
Pourtant, au début de l’année 1955, les contacts sont maintenus entre les
dirigeants du FLN et du MNA comme en témoignent les tentatives de
formaliser une action concertée pour l’indépendance de leur pays.
En janvier, des rencontres ont lieu à Notre-Dame d’Afrique entre le
messaliste Larbi Oulebsir et le frontiste Krim* Belkacem – qui, après avoir
reçu une importante somme d’argent de la part du MNA, fait paraître une
lettre dans son organe La Voix du peuple. Krim réclame toutefois le
ralliement inconditionnel de Messali au FLN : une exigence hors de propos
pour le chef du nationalisme* révolutionnaire.
En février, des négociations se déroulent au Caire entre des membres du
FLN (Hocine Aït Ahmed*, Ahmed Ben Bella*, Mohamed Khider* et
Mohamed Boudiaf*) et Ahmed Mezerna pour le MNA. Celles-ci débouchent
sur la constitution d’un Front de libération de l’Algérie – élargi aux
représentants de l’Association des ulémas et de l’UDMA*. Or, l’appellation
de ce nouveau groupement provoque un malentendu alimenté par des cadres
du FLN qui souhaitent accréditer l’idée d’une adhésion pure et simple du
MNA au FLN. Par conséquent, Messali désavoue cette initiative ainsi que
Mezerna.
En mars, des discussions sont menées à El Biar à Alger, entre les
directions du FLN (autour d’Abane* Ramdane) et du MNA (dont Mustapha
Ben Mohamed). Abane développe sa vision qui consiste à s’assurer le soutien
des États arabes, rechercher l’alliance avec les bourgeois réformistes,
généraliser la violence dans les villes et les campagnes mais aussi exiger le
ralliement individuel des messalistes au FLN qui dirigerait l’ALN*. Si les
dirigeants du MNA sont favorables à la constitution d’une ALN unique, ils
refusent cependant de reconnaître au FLN le monopole de la représentation
du peuple algérien qui doit s’exprimer à travers une Assemblée constituante.
De plus, les messalistes affirment leur opposition au terrorisme qui frapperait
indistinctement les civils. Enfin, ils s’opposent à l’alliance avec la
bourgeoisie algérienne malgré des liens avec ce milieu.
L’échec de ces démarches provoque la détérioration des rapports entre les
deux organisations, d’autant que le rapport de force évolue en faveur du FLN
tandis que le MNA, dont les membres sont connus des services de
renseignement, subit de plein fouet la répression.
Dès avril, Abane affirme sa résolution à « abattre tous les chefs
messalistes ». À la même période, la presse* révèle le projet d’assassinat de
Messali par Mohammed Tarbouche, suivant les directives de Boudiaf.
Si le ton monte, le conflit reste pour l’essentiel circonscrit à la
propagande* guerrière. Ainsi, un tract du FLN daté du 15 septembre 1955
accuse Messali d’être un « auxiliaire du colonialisme ». En décembre, le
MNA réplique en assimilant son rival à un « panier de crabes », avant de
prêcher l’union, en février 1956.
Or, ce revirement apparaît tardif au vu de la situation. En effet,
l’assassinat de Rabah Saïfi, le 1er avril 1955 à Paris, puis l’attentat contre
Sadek Rihani, le 15 décembre à Alger, inaugurent une séquence au cours de
laquelle les nationalistes font parler la poudre.
La violence « fratricide » touche les maquis de Kabylie puis les villes
d’Algérie pour gagner l’émigration* établie en France et en Europe, malgré
les nombreuses – mais vaines – tentatives de conciliation : en mai 1955 sous
l’impulsion d’Embarek Filali*, en septembre à l’initiative de Lamine
Debaghine, en décembre avec Amir Benaïssa, etc.
Après le massacre de Melouza-Beni Illemane*, le 28 mai 1957, la mort
de Filali, le 24 novembre à Paris, sonne le glas du MNA qui subsiste tant bien
que mal dans ses derniers bastions.
D’après le journal Le Monde* daté du 20 mars 1962, des estimations
officielles évaluent « à douze mille le nombre des agressions, à près de quatre
mille trois cents celui des morts, à près de neuf mille celui des blessés »
causés par l’affrontement FLN-MNA dans la seule métropole.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Jean-Louis Planche, « De la
solidarité militante à l’affrontement armé. MNA et FLN à Alger (1954-
1955) », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et
guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2000 • Benjamin
Stora, « La différenciation entre le FLN et le courant messaliste (été 1954-
décembre 1955) », Cahiers de la Méditerranée, no 26, 1983.
GUERRE FROIDE
Les huit ans de la guerre d’Algérie sont aussi une période de transition
dans l’histoire des relations internationales au cours desquelles le problème
algérien devient un enjeu de la guerre froide. Le processus de transition se
déroule au travers de crises graves (Suez*, Berlin, Congo), mais il se produit
aussi un certain « dégel » des relations entre les grandes puissances, en
premier lieu les États-Unis* et l’URSS*. Leur politique est déterminée par
leur attitude à l’égard de la France en guerre, alliée des États-Unis et alliée
potentielle de l’URSS dans le règlement du problème allemand (ayant une
priorité pour Moscou pendant toute la guerre froide). Le dilemme
fondamental pour les États-Unis est de trouver un équilibre entre leur alliance
avec la France et, en se référant à leur héritage anticolonial, établir et
consolider les relations avec les nouveaux États afro-asiatiques nés de la
décolonisation pour les empêcher de tomber sous l’influence du bloc
communiste. Le dilemme existe pour Moscou aussi entre sa politique de
détente et son idéologie de solidarité internationaliste : ménager la France
pour qu’elle trouve une solution franco-algérienne négociée au problème
algérien et le soutien à la cause nationale des Algériens.
Chacun des deux grands cherche à éloigner l’autre du conflit. La position
des États-Unis est plus embarrassante, en tant que membre de l’Otan comme
la France (et l’Algérie, sa partie intégrante). Paris cherche dès le début du
conflit à impliquer cette organisation, en présentant sa politique de guerre en
Afrique du Nord comme une défense des intérêts occidentaux et de sécurité
européenne. Ainsi, la France elle-même internationalise le conflit algérien.
Elle essaie de faire comprendre à ses alliés que la sécurité de l’Europe, avec
la menace de l’infiltration communiste, se joue en Méditerranée et non plus
au bord du Rhin. Suivant ce raisonnement, le gouvernement français trouve
justifiée sa demande de prélèvement des certains contingents de ses troupes
sous commandement de l’Otan en RFA* à destination de l’Algérie. La
demande est acceptée mais avec de nombreuses réticences, exprimées
nettement par des États nordiques (Danemark et Norvège). Washington
trouve que l’envoi des troupes françaises en Algérie est préoccupant, car la
guerre n’y est pas menée contre le communisme (comme en Indochine*)
mais contre un nationalisme*. La France ne sert donc pas les intérêts du
monde libre, au contraire la poursuite de la guerre constitue le véritable
danger pour l’Occident. La guerre place les États-Unis et les membres de
l’Otan n’ayant pas de passé colonialiste dans une situation difficile face aux
jeunes États qui peuvent choisir le bloc communiste, justement en raison de
la politique guerrière de la France. La presse américaine critique sévèrement
la position française, contribuant à rendre l’opinion publique* hostile au
soutien du gouvernement américain à la France.
Le FLN* constate aussi la responsabilité de tout l’Occident dans la
poursuite de la guerre. Dans le même temps, le prestige de l’URSS est à son
comble dans le monde arabe grâce à son avertissement sévère adressé aux
gouvernements français, britannique et israélien lors de la crise de Suez.
Malgré cette position dure, Moscou continue à ménager la France pour sa
politique algérienne. L’inquiétude des États-Unis et de l’Occident en général,
se sentant en perte de vitesse dans la course pour gagner les nouveaux États à
leur cause, n’est pas sans fondement. Elle s’avère réelle après la conférence
de Bandoeng* de 1955, puis en lien direct avec la situation algérienne, à la
suite du bombardement de Sakiet Sidi Youssef*, une localité tunisienne, en
1958. Les États-Unis et l’Angleterre se présentent en médiateur pour résoudre
le conflit franco-tunisien, mais leurs « bons offices » ne mènent à aucun
résultat positif. L’échec et l’impuissance des États-Unis à faire changer la
politique algérienne du gouvernement français « détournent l’attention du
peuple algérien de l’Occident et le font regarder vers d’autres horizons » –
écrit El Moudjahid, organe officiel du FLN. Les « autres horizons » sont bien
entendu les pays du bloc de l’Est. L’URSS voit dans les « bons offices »
américano-britanniques l’implication des États-Unis dans le conflit algérien
et elle se sent obligée à réagir. Elle sort alors de sa réserve et exprime son
inquiétude, trouvant que de nouvelles tentatives pour résoudre le problème
algérien « par la force des armes laissent de moins en moins d’espoir ». Elle
ne pense plus que le conflit algérien puisse être réglé par les négociations*
dans le cadre franco-algérien. La prise de position de Moscou est très
appréciée par le FLN : « Le plus important pour le peuple algérien c’est que
l’Union soviétique fait état de ses préoccupations au sujet de l’Algérie, et
prend des positions tranchées et sans équivoque quant au fond du problème. »
L’internationalisation* de la question algérienne est un fait évident bien que
le général de Gaulle*, arrivé au pouvoir en raison de la crise politique
provoquée par la guerre d’Algérie, continue à la considérer comme une
affaire intérieure française. Le soutien international de la cause des Algériens
s’élargit : le GPRA* est ainsi reconnu par les pays socialistes (en 1958 et en
1960) et par les pays afro-asiatiques. La conférence fondatrice du
Mouvement des non-alignés à Belgrade en septembre 1961 consacre en effet
son assise internationale.
La guerre d’Algérie provoque des crises permanentes en France et au
Maghreb, menaçant la paix. Cette situation de crise paraît favorable aux
Algériens. Elle pousse le FLN à en profiter par l’appui des pays socialistes,
tout en changeant d’attitude envers eux. C’est ce qu’exprime Ferhat Abbas*
dans son rapport de politique générale rédigé pour le GPRA en août 1960 :
« On a trop joué au chantage avec l’Est. On a fait certes des pas concrets pour
nous rapprocher de l’Est, mais on n’a jamais pu faire intégrer concrètement
cet élément dans le cadre du rapport de force entre nous et la France. Dans la
conjoncture actuelle, il apparaît que seule l’insertion de la guerre d’Algérie
dans la guerre froide par l’appui entier des pays socialistes pourrait constituer
l’élément déterminant recherché. Les événements de Suez, du Congo et de
Cuba ont déjà montré de quel poids pèse sur la solution des problèmes la
simple menace de l’intervention des pays de l’Est. La guerre froide est une
situation internationale qui nous est plus favorable que la coexistence
pacifique. » En fait, les crises de Berlin, de Cuba et l’incident U2 (avion
espion américain abattu au-dessus de l’URSS), rendant la vie internationale
très tendue, sont plus préoccupantes pour l’Occident que la guerre d’Algérie.
Le conflit lie les mains du président de Gaulle, l’empêche de réaliser le but
prioritaire de sa politique extérieure : mettre la France parmi les grandes
puissances, mener une politique d’indépendance nationale par l’accession au
club atomique avec l’acquisition de la force de frappe, et par la modernisation
de l’armée. Pour ces raisons, de Gaulle conduit sa politique de manière à ce
que la guerre cesse au plus tôt, tout en gardant l’influence française en
Algérie. En fin de compte, les acteurs les plus concernés – le FLN, la France,
les États-Unis et l’Union soviétique – arrivent par des compromis mutuels à
ce que la guerre d’Algérie ne dégénère pas une confrontation grave de la
guerre froide entre l’Est et l’Ouest.
László NAGY
Bibl. : El Moudjahid. Organe central du Front de libération nationale,
[imprimé en Yougoslavie], juin 1962 • Mohammed Harbi, Les Archives de la
révolution algérienne, Jeune Afrique, 1981 • Irwin M. Wall, Les États-Unis
et la Guerre d’Algérie, Soleb, 2006.

GUERRE NON CONVENTIONNELLE


Une guerre non conventionnelle se définit « en creux » par rapport à une
guerre conventionnelle, classique, menée à l’aide d’armes conventionnelles,
c’est-à-dire autorisées par les conventions internationales. Or, l’expression
« guerre non conventionnelle » est à proprement parler anachronique en ce
qui concerne la Guerre d’indépendance algérienne puisque la Convention sur
certaines armes classiques (CCAC) a été signée le 10 octobre 1980 à Genève.
Cette convention établit « en creux » les armes non conventionnelles et donc
l’existence d’une guerre non conventionnelle. Il n’en reste pas moins que
certaines de ces armes ont été utilisées au cours de la Guerre d’indépendance.
Auparavant, à la suite de la Première Guerre mondiale, le Protocole de
Genève de 1925 interdisait déjà l’utilisation de gaz de combat et d’armes
bactériologiques. Pourtant, en Algérie, un premier site d’expérimentation de
gaz de combat est créé en 1935 dans l’Oued Namous. C’est le site B2-
Namous, se situant dans l’Ouest saharien. Ce site a continué de fonctionner
après l’indépendance algérienne, la France ayant obtenu l’autorisation de
poursuivre ses expérimentations chimiques, bactériologiques et atomiques
dans les accords d’Évian*. Les expérimentations chimiques se sont
prolongées après 1967 (en échange de la restitution de la base de Mers
El Kébir), et officiellement jusqu’en 1978, mais elles auraient duré jusqu’en
1986. La population de Figuig, de l’autre côté de la frontière marocaine,
dénonce les conséquences de ces essais chimiques, de même que la
population nomade et celle de villages algériens voisins se disant contaminés
par les gaz lâchés dans l’atmosphère, en dépit des précautions prises.
Cette question ne semblait pas concerner le déroulement de la Guerre
d’indépendance elle-même, jusqu’à ce qu’en 2022 la journaliste Claire Billet
et l’historien et archiviste Christophe Lafaye révèlent l’existence de la
« guerre des grottes ». Celle-ci avait néanmoins déjà été abordée par
l’historien Jean-Charles Jauffret*. Ainsi, une unité spécialisée, la Batterie des
armes spéciales (BAS) du 411e régiment d’artillerie antiaérienne (RAA) est
créée en décembre 1956 pour « mener des expérimentations opérationnelles »
et employer des « techniques et “armes spéciales” ». Des appelés du
contingent* sont formés au 610e Groupe d’expérimentation et d’instruction
des armes spéciales (GEIAS) avant d’aller en Algérie servir dans les
« sections des grottes ». Dans ce cadre, ils utilisent des grenades, des
chandelles et des roquettes chargées de gaz toxique, notamment du CN2D,
mortel en milieu mi-clos si la concentration est trop forte. Ce gaz a ainsi servi
pour tuer au moins 200 combattants algériens cachés dans des grottes, au
cours de 95 opérations. Les soldats auraient pu être eux aussi intoxiqués par
les émanations.
Ces gaz ont été utilisés en remplacement des lance-flammes. Ceux-ci ont
également été utilisés au cours du conflit algérien, mais n’étaient pas encore
considérés comme des armes non conventionnelles : ce n’est qu’en 1980 que
le protocole sur l’interdiction ou limitation des armes incendiaires a été signé
à Genève, avant d’être ratifié par la France en 2002.
Une autre arme non conventionnelle utilisée pendant la guerre d’Algérie
est le napalm, essence gélifiée inventée en 1942 qui sert de bombe
incendiaire. Leur usage a surtout été dénoncé postérieurement, pendant la
guerre du Vietnam, mais cette arme interdite dans les conventions de
Genève* (et explicitement dans la convention de 1980) est utilisée au cours
des bombardements de l’armée française. Comme les autorités connaissent
pertinemment leur interdiction, les bombes au napalm sont dénommées les
« bidons spéciaux ». Malgré ce langage codé, le terme « napalm » apparaît
parfois dans les journaux des marches et des opérations* (JMO) des unités
militaires. Il est impossible de connaître le nombre de victimes de ces
bombardements, qui carbonisent les personnes, les faisant mourir dans
d’atroces souffrances. De plus, ces bombardements ont aussi conduit à des
destructions importantes dans les forêts et les djebels. Ceux-ci terrorisaient
les personnes au sol, et pouvaient également menacer, voire tuer, les
militaires français tant la propagation du feu est rapide. Le nombre de
« bidons spéciaux » utilisés est lui aussi inconnu pour le moment.
Une dernière arme non conventionnelle a été utilisée, à la fois par les
combattants algériens et l’armée française : il s’agit des mines*, en particulier
antipersonnel du côté français. Celles-ci sont au nombre de 6,2 millions,
auxquelles il faut ajouter 400 000 mines bondissantes et 230 000 mines
éclairantes. Les mines antipersonnel n’ont été considérées comme non
conventionnelles qu’en 1980 et plus encore en 1997 avec la convention les
concernant.
L’utilisation de certaines de ces armes non conventionnelles (en
particulier les gaz) a été rendue possible dans la mesure où la guerre n’était
alors pas reconnue comme telle, et de ce fait la France s’est autorisée à ne pas
appliquer le protocole de 1925. Plus largement, le caractère colonial de la
guerre et son absence de reconnaissance de jure ont conduit à l’utilisation de
méthodes illégales comme la torture*, les exécutions sommaires*, les
disparitions* et l’arme psychologique. Si les deux camps ont utilisé des
méthodes illégales, le caractère asymétrique du conflit a rendu cette
utilisation beaucoup plus importante du côté français.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Claire Billet, « La guerre des grottes », Revue XXI, no 58,
printemps 2022, p. 48-59 • Raphaëlle Branche, « Quand l’armée française
“pacifiait” au napalm », OrientXXI.info, 25 mai 2022 • Frédéric Médard, « Le
Sahara, enjeu scientifique et technologique (1947-1967) », in Jean-Charles
Jauffret et Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre
d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001.

GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE
Le terme « guerre révolutionnaire » est ancien. Il est utilisé initialement
pour désigner les guerres liées à la Révolution française, sans que l’adjectif
révolutionnaire ne soit plus qu’un marqueur chronologique. Il se pare d’une
actualité nouvelle sans faire l’objet d’une conceptualisation notable avec la
guerre civile russe suivant la Révolution de 1917. C’est Mao Zedong, au
milieu des années 1930, qui, le premier, s’empare du terme pour théoriser
l’action de l’Armée rouge chinoise dans la guerre contre les Japonais, son
rapport avec le peuple, l’articulation entre guérilla* et guerre
conventionnelle, entre guerre et révolution. En 1950, Stratégie de la guerre
révolutionnaire en Chine est traduit en français et publié aux Éditions
sociales, maison d’édition du PCF*. L’expression rentre alors dans le
vocabulaire militaire français. Pendant la guerre d’Algérie, le terme devient
central dans l’interprétation militaire des guerres de décolonisation, jusqu’à
prendre la forme d’une doctrine semi-officielle, que les historiens de la guerre
d’Algérie et des méthodes contre-insurrectionnelles désignent comme
« doctrine de la guerre révolutionnaire ». Il convient cependant de ne pas
reconduire comme catégories d’analyse ce qui relève des catégories d’analyse
des acteurs historiques, à savoir leur perception des guerres en cours comme
« guerre révolutionnaire ».
Le colonel Charles Lacheroy*, de l’infanterie coloniale, est l’acteur
central de cette introduction et de la conceptualisation du terme. Habile
conférencier et homme de cabinet, il s’assure une position influente au sein
de l’appareil militaro-gouvernementale, devenant en 1956 chef du Service
d’action psychologique et d’information de la Défense nationale, sous
l’autorité directe du ministre. Sa première conférence, Une arme du Vietminh,
les hiérarchies parallèles, est tenue en Indochine en 1952. Il diffuse l’idée
que l’URSS*, ne pouvant se permettre un affrontement ouvert avec les
Occidentaux, du fait de la menace nucléaire, multiplie les conflits indirects
dans les empires coloniaux européens. Ces conflits sont censés être menés
selon une redoutable doctrine de prise du pouvoir. L’enjeu central en est la
prise de contrôle de la population civile en l’encadrant au sein de hiérarchies
parallèles contrôlées par le parti et ses commissaires politiques. Dans les
années suivantes, Lacheroy, en pleine ascension hiérarchique, étoffe son
propos en dressant un tableau des cinq étapes de la guerre révolutionnaire,
depuis l’action terroriste jusqu’au renversement du régime par une guerre
conventionnelle en passant par la guerre de partisans et la libération de
territoires refuges. Ce scénario élaboré en 1955 correspond, ni plus ni moins,
au début de la guerre d’Algérie commençant par les attentats de
novembre 1954, auquel est accolée la fin de la guerre d’Indochine*, marquée
par la défaite de Điên Biên Phù. In fine, les conférences de Lacheroy sont une
interprétation des rapports géopolitiques du début de la guerre froide* comme
manifestation d’une guerre totale entre communisme et Occident, nécessitant
une refonte des méthodes militaires. Leur fonction principale est de
préconiser et de justifier l’encadrement autoritaire de la population, qui se
dessine alors en Algérie, par des dispositifs de contrôle social hiérarchisés, au
détriment des libertés publiques jugées trop favorables aux insurgés. Le
2 juillet 1957, au sommet de sa gloire, le colonel Lacheroy prend la parole
devant 2 000 officiers* de réserve dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne,
et tient une conférence intitulée Guerre révolutionnaire et action
psychologique. Cette conférence, faite sans note, apparaît comme la synthèse
de sa pensée politico-militaire et une réelle consécration.
Les réflexions de Lacheroy s’inscrivent dans une ambiance d’émulation
doctrinale, lors des premières années de la guerre d’Algérie. Des revues*
militaires spécialisées, telle la Revue militaire d’information, publient de
nombreux articles sur la guerre révolutionnaire. L’École supérieure de guerre
est un des lieux où cette doctrine se formalise, se discute et se diffuse. Elle ne
trouve cependant aucun blanc-seing officiel et demeure un ensemble
hétérogène de réflexions stratégiques, tactiques et politiques. Influent mais
manquant de légitimité, le discours militaire sur la guerre révolutionnaire doit
attendre l’arrivée du général Salan*, en décembre 1956, à la tête de l’armée
en Algérie pour devenir la référence obligée de la hiérarchie militaire outre-
Méditerranée. Jusque-là, le terme est absent des directives du
commandement. La seule occurrence du terme dans un texte officiel se trouve
dans le Texte toutes armes 117, instruction provisoire pour l’emploi de
l’arme psychologique, publié par le ministère de la Défense en juillet 1957,
qui définit la guerre révolutionnaire comme « une doctrine de guerre,
élaborée par les théoriciens marxistes-léninistes et exploitée par des
mouvements révolutionnaires de diverses obédiences ».
Salan et son entourage, notablement les généraux Allard*, Dulac,
Massu*, les colonels Trinquier* ou Goussault, entendent donner corps, en
Algérie, aux réflexions en cours dans les cercles doctrinaux parisiens.
L’annonce d’une grève* générale, en janvier 1957, par le FLN* précipite
cette volonté. Ainsi, la « bataille d’Alger* », menée par les hommes de la
10e division parachutiste*, dirigés par le général Massu, et l’opération Pilote,
coordonnée par le bureau psychologique dans la région d’Orléansville, se
veulent des expérimentations amenées à être systématisées sur tout le
territoire algérien. En organisant des conférences et des stages pour les
officiers en publiant des directives et des notices d’information, le bureau
d’action psychologique, devenu 5e bureau durant l’automne 1957, joue un
rôle de premier plan dans la diffusion du discours militaire sur la guerre
révolutionnaire au sein de l’armée d’Algérie, mais également dans
l’élaboration de ses applications pratiques, principalement des dispositifs
d’encadrement des populations, qui voient le jour en 1957, sous le vocable
d’« organisation des populations ».
Ces dispositifs prennent des formes variées, tels le dispositif de protection
urbaine* (DPU), organisé par le colonel Trinquier à Alger, les foyers sportifs
animés par des moniteurs algériens formés au centre d’Issoire, les maisons
d’anciens combattants* ou les équipes médico-sociales itinérantes* et leurs
cercles féminins. Ils visent à surveiller la population, à rassembler des
renseignements afin de lutter contre l’« organisation politico-administrative »
du FLN, mais également à rendre la population mobilisable et à la façonner
afin de construire une « Algérie nouvelle ».
L’introduction des théories sur la guerre révolutionnaire en Algérie
accompagne un changement de rapport de l’armée vis-à-vis de la population
qui devient, pour les partisans de la nouvelle doctrine, l’enjeu premier du
conflit. En témoigne l’usage nouveau de l’abréviation « OPA », désignant
l’« organisation politico-administrative » ennemie, qu’il convient de détruire.
En déplaçant les enjeux du conflit, à la fois d’un point de vue tactique – la
population doit être purgée de l’OPA – que stratégique – l’enjeu final de la
guerre est l’avenir de l’Occident chrétien –, la nouvelle doctrine implique et
justifie l’usage de moyens illégaux comme la torture* et les exécutions
sommaires*. En effet, la force rhétorique de la doctrine de la guerre
révolutionnaire repose sur la description d’un ennemi total et multiforme, des
maquis de Kabylie aux terrasses germanopratines, de Moscou à Boulogne-
Billancourt. Cet ennemi, le communisme international et ses supposés séides
nationalistes, se voit attribuer des méthodes de mobilisations politiques d’une
efficacité diabolique qu’il est loin de posséder. Ces méthodes prêtées à
l’ennemi, si elles résultent d’une observation du Vietminh en Indochine, sont
en grande partie fantasmées. Ainsi, le terme « hiérarchies parallèles » est
absent du lexique communiste, tout comme celui d’« organisation politico-
administrative » l’est du lexique des nationalistes algériens.
La dissolution des 5es bureaux en février 1960, après la semaine des
barricades*, signe la fin de l’influence de cette doctrine au sein de l’armée
française. Elle se conserve néanmoins officieusement au sein des troupes de
marine et trouve à s’appliquer lors des interventions françaises dans son pré
carré africain. Durant les années 1960 et 1970, elle sera également diffusée
hors de France, au Portugal, en Argentine, au Brésil, aux États-Unis*, qui la
réactualisent durant ses guerres d’Irak et d’Afghanistan, laissant une postérité
difficile à assumer.
Denis LEROUX

GUERROUDJ, ABDELKADER (1928-2020)


ET JACQUELINE (1919-2015)

Jacqueline Netter est née à Rouen en 1919. Étudiante à Paris, elle épouse
Pierre Minne, avec qui elle a quatre enfants dont Danièle*, née en 1939.
Enseignante à Tours, elle est internée comme juive en 1942. Libérée, elle se
réfugie dans le sud de la France. Le couple s’installe en Algérie en 1947.
Institutrice dans les campagnes autour de Tlemcen, Jacqueline rejoint le
PCA*. Divorcée, elle épouse en 1951 son camarade communiste et collègue
instituteur Abdelkader Guerroudj, dit « Djilali ». Né en 1928, fils d’une
cardeuse et d’un journalier agricole, ce dernier a grandi à Bréa et à Tlemcen,
où il a obtenu le baccalauréat. Issu d’une famille nationaliste, il milite aux
Scouts musulmans algériens* puis au PCA. Le couple élève leur fils et les
enfants de Jacqueline, qu’Abdelkader considère comme les siens.
Tous deux militent parmi les groupes paysans du PCA de la région de
Tlemcen, qui rejoignent la lutte armée à partir de la fin 1954. En avril 1955,
alors qu’Abdelkader est candidat aux élections* cantonales, Jacqueline et lui
sont expulsés vers la France par le préfet* d’Oran. La décision cassée, ils
peuvent reprendre des postes d’instituteurs dans l’Algérois au début 1956. La
direction du PCA clandestin charge alors Abdelkader de diriger les groupes
armés communistes des Combattants de la libération* (CDL) à Alger,
auxquels s’intègre Jacqueline.
En juin 1956, les accords entre le PCA et le FLN* prévoient l’intégration
des CDL à l’ALN*, et leur rupture de tout lien avec le PCA. Cette décision
convient aux Guerroudj, qui reprochent à la direction du PCA de ne s’être pas
engagée immédiatement dans la lutte armée et de ne pas accepter la
dissolution du PCA dans le FLN. Au sein de la Zone autonome d’Alger* de
l’ALN, les ex-CDL accomplissent des dizaines d’attentats contre des biens,
ainsi que des assassinats ciblés.
En janvier 1957, Abdelkader est arrêté et torturé. Jacqueline est arrêtée
peu de temps après. Le même mois, sa fille Danièle, dite « Djamila », pose
une bombe dans un bar d’Alger et monte au maquis, où elle est arrêtée en
novembre 1957. En décembre 1957, les Guerroudj sont condamnés à mort.
Ils échappent à l’exécution après une importante mobilisation en France.
À l’indépendance, Jacqueline, bibliothécaire, est faite citoyenne
algérienne. Abdelkader, député à l’Assemblée constituante, exerce de hautes
responsabilités dans l’administration.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Jacqueline Guerroudj, Des douars et des prisons, Saint-Denis,
Éditions Bouchène, 1993.
H

HADJ, MESSALI (1898-1974)


« L’histoire retiendra que tu as été le père du nationalisme* algérien »,
écrit le leader tunisien Habib Bourguiba dans une lettre qu’il adresse à
Messali Hadj en 1959. Cette prévision a mis du temps à se réaliser : Messali
Hadj est longtemps resté un nom oublié et méconnu dans l’histoire de
l’Algérie indépendante.
Né le 16 mai 1898 à Tlemcen, Messali Hadj fréquente l’école de la
confrérie religieuse des Derkaouas, école de Zaouïa, jusqu’en 1916, et l’école
française, mais il ne passe pas son certificat d’études.
Sa participation à la Première Guerre mondiale en 1918 lui fait découvrir
la société française. En octobre 1923, à 25 ans, il émigre à Paris pour
chercher du travail*. Il y fait la connaissance de sa femme, Émilie Busquant,
fille d’un ouvrier révolutionnaire, et avec qui il aura deux enfants : Ali, né à
Paris en 1930, et Djanina, née en 1938, à Alger.
Travaillant comme vendeur ambulant sur des marchés de la région
parisienne, Messali Hadj entre en contact avec différentes organisations
politiques. Il suit les réunions de l’Union intercoloniale, du syndicat CGTU,
prend en 1925 sa carte au PCF* au moment où ce dernier organise ses
campagnes contre la guerre du Rif. En 1926, il adhère avec ses amis à l’Étoile
nord-africaine (ENA), qui apparaît alors comme une association humanitaire
(et qui est en fait secrètement impulsée par le PCF). Il veut la transformer en
organisation nationaliste algérienne de type moderne, solidement structurée,
et en centre d’éducation et d’action. Messali en est élu secrétaire général à
28 ans. Il prononce en février 1927 au « Congrès anti-impérialiste » de
Bruxelles un discours retentissant où, pour la première fois, est évoquée
l’indépendance de l’Algérie. Dans son intervention, il réclame « le retrait des
troupes françaises d’occupation, la constitution d’une armée nationale, le
remplacement des délégations financières élues au suffrage restreint par un
Parlement algérien élu au suffrage universel ».
Lorsque l’Étoile est dissoute en 1929 par le gouvernement français,
Messali Hadj est brouillé avec les communistes qui, selon lui, « ont voulu
nous imposer leur système sans tenir compte nullement du nôtre ». Sous
l’impulsion de Messali et de ses lieutenants originaires de Kabylie, Amar
Imache et Radjef Belkacem, l’ENA renaît de ses cendres en 1933. La
nouvelle Étoile se prononce pour un gouvernement issu de l’élection d’une
Assemblée constituante. Mais un tournant d’inspiration religieuse est
nettement perceptible. Messali devient le chef d’un nationalisme à base
ouvrière, mais aussi arabo-musulman. L’organisation mène campagne contre
l’occupation de l’Éthiopie par l’Italie* mussolinienne, participe au
rassemblement de la gauche française pour le Front populaire. Messali se
réfugie à Genève en 1935 pour échapper à des poursuites judiciaires. Il rentre
à Paris le 10 juin 1936 quand la victoire électorale du Front populaire lui vaut
l’amnistie. Le leader algérien maintient l’objectif de l’indépendance, et se
prononce contre le projet Blum-Viollette qui préconisait l’accès à la
citoyenneté française pour 20 000 Algériens musulmans environ. Il va à
Alger le 2 août 1936 au moment de la tenue du Congrès musulman algérien
au stade d’Alger. Il y déclare : « Cette terre est à nous, nous ne la vendrons à
personne ! » Ce discours lance le mouvement indépendantiste sur la terre
algérienne. L’Étoile est dissoute par le Front populaire en janvier 1937.
En mars de la même année, Messali annonce la fondation du Parti du
peuple algérien* (PPA) puis retourne en Algérie en juin 1937 où il est arrêté
le 27 août, et interné à la prison* de Barberousse d’Alger. Le PPA gagne en
audience, surtout dans la jeunesse, comme le prouvent ses résultats
électoraux (élections cantonales de 1938 et 1939 à Alger). Messali sort de
prison le 27 août 1939 mais il y retourne très vite. Il refuse les propositions
de collaboration du régime de Vichy. Un nouveau procès le condamne, le
17 mars 1941, à seize ans de travaux forcés et à vingt ans d’interdiction de
séjour. Il est interné au camp de Lambèse jusqu’en avril 1943, puis assigné à
résidence à Boghari, Aïn Salah, Reibell, dans le Sud algérien. En avril 1945,
à la suite de la découverte de préparatifs visant à le faire évader, Messali Hadj
est transféré à El Goléa (Sahara), puis à Brazzaville (Afrique équatoriale). À
partir de mars 1944, le mouvement messaliste se déploie dans la structure
unitaire des AML*.
Messali Hadj, libéré en juillet 1946, est assigné à résidence à la
Bouzareah dans la banlieue d’Alger. Il fonde le MTLD en octobre 1946,
vitrine légale du PPA toujours clandestin. En 1947, il approuve la création
d’une structure paramilitaire chargée de préparer la lutte armée,
l’Organisation spéciale* (OS), dirigée par Hocine Aït Ahmed* puis par
Ahmed Ben Bella*. Il désapprouve en revanche les militants se réclamant de
la berbérité. Arrêté une nouvelle fois à la suite d’une tournée triomphale dans
l’Est algérien, Messali Hadj est assigné à résidence à Niort.
Il s’oppose aux hommes du comité central (les « centralistes »),
favorables à une politique réformiste, qui sont exclus lors d’un congrès tenu à
Hornu, en Belgique, en juillet 1954 par la majorité du MTLD. Ce n’est
pourtant pas Messali qui est à l’origine du déclenchement de l’insurrection le
1er novembre 1954*, mais un noyau de militants plus jeunes, qui vont former
le FLN*. Espérant faire prendre un nouvel élan à son organisation, rebaptisée
MNA*, en décembre 1954, il est accusé en 1955 de « culte de la
personnalité », de « mégalomanie » et de « sectarisme ». Les divergences
dégénèrent vite en règlements de comptes sanglants.
La guerre* entre MNA et FLN fait plusieurs milliers de victimes en
Algérie. En France, entre 1956 et 1962, l’affrontement coûte la vie à
4 000 Algériens. Le 28 mai 1957, dans le douar de Melouza* en Algérie, 374
villageois soupçonnés de sympathies messalistes sont égorgés par une unité
de l’ALN*. Le 1er septembre 1957, Messali Hadj lance de Belle-Isle, où il se
trouve en résidence surveillée depuis le 24 mars 1956 pour atteinte à la sûreté
de l’État, un appel pour que « cessent les règlements de comptes, qui
menacent notre avenir et la cause algérienne elle-même ». L’appel n’est pas
entendu. Coupé des pays arabes, isolé de la gauche française qui opte très
majoritairement pour le FLN, le MNA perd du terrain. Vaincu, Messali Hadj
se retire de la scène politique. Il refuse de participer à la conférence d’Évian
et abandonne le pouvoir à ceux qui l’accusaient de vouloir s’en emparer.
Libéré le 10 mai 1962 – il était assigné à résidence à Chantilly depuis
1959 –, Messali Hadj s’installe dans une petite maison dans l’Oise. Il décède
le 3 juin 1974 dans une clinique parisienne. Ses funérailles* dans sa ville
natale de Tlemcen, bien que non annoncées publiquement, sont suivies par
des milliers de personnes chantant l’hymne du PPA. À sa mort, bien peu de
jeunes Algériens savent alors que leur drapeau* national a été conçu par
Messali Hadj et son épouse. Il faut attendre le 5 juillet 1999 pour que le
pouvoir algérien décide de donner son nom à l’aéroport de la ville de
Tlemcen.
Benjamin STORA
Bibl. : Messali Hadj, Mémoires, J.-C. Lattès, 1982 • Nedjib Sidi Moussa,
« Les messalistes et la gauche française », Vingtième Siècle. Revue d’histoire,
no 131, 2016 • Benjamin Stora, Messali Hadj, Le Sycomore, 1982, traduit en
arabe et publié à Alger en 2000 (Casbah).
HADJ ALI, BACHIR (1920-1991)
Bachir Hadj Ali est né à Alger en 1920, dans une famille originaire de
Kabylie. Il grandit dans la casbah d’Alger, où il fréquente l’école française
dite « indigène » et l’école coranique. Il commence à travailler à 17 ans
comme technicien aux PTT. Membre dans sa jeunesse des Scouts musulmans
algériens*, vivier de futurs militants nationalistes, il adhère au PCA* durant
l’été 1945. Il devient rapidement membre du comité central (1947) puis du
bureau politique (1949) du PCA. Son activité lui vaut plusieurs inculpations
et condamnations par les tribunaux avant 1954.
Après avoir été candidat aux élections* cantonales d’avril 1955 à Koléa,
Bachir Hadj Ali entre en clandestinité. Après la dissolution du PCA en
septembre 1955, il assure la direction du parti clandestin avec Sadek
Hadjerès*. En 1955-1956, tous deux sont en outre à la tête des groupes armés
communistes, les Combattants de la libération* (CDL). Après avoir
coordonné l’opération Henri Maillot* en avril 1956, ils rencontrent à
plusieurs reprises Ramdane Abane* et Benyoucef Ben Khedda*,
représentants du FLN*. Ces rencontres aboutissent durant l’été 1956 à
l’intégration des CDL et des combattants communistes dans l’ALN*, tandis
que le PCA se maintient en tant que parti politique. Clandestins à Alger,
Bachir Hadj Ali et Sadek Hadjerès échappent aux arrestations durant toute la
guerre. Ils sont les principaux rédacteurs des publications clandestines du
PCA, le mensuel Liberté-Al Houriya et la revue* Réalités algériennes et
marxisme. Poète et mélomane, Bachir Hadj Ali diffuse en outre dans la
clandestinité plusieurs textes littéraires.
Marié avant la Guerre d’indépendance et père de quatre enfants, Bachir
Hadj Ali est dans la clandestinité le compagnon de Lucie (dite « Lucette »)
Larribère. Née en 1920 dans une famille européenne et communiste d’Oran,
cette dernière est membre de la direction du PCA clandestin. Le couple se
marie à l’indépendance. Après 1962, Bachir Hadj Ali mêle une vie publique
dans le domaine culturel et une vie clandestine à la tête du PCA, interdit par
le gouvernement algérien en novembre 1962. Partisan d’un rapprochement
avec le régime d’Ahmed Ben Bella*, il s’engage dans la résistance au coup
d’État de juin 1965. Arrêté en septembre 1965, il subit des tortures qui lui
laissent de graves séquelles. Emprisonné puis assigné à résidence, il est libéré
en 1974. Il meurt à Alger en 1991.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI

HADJERÈS, SADEK (1928-2022)


Sadek Hadjerès naît en 1928 à Larbaâ Nath Irathen, d’un père instituteur
fils d’instituteur et d’une mère fille de taleb et porteuse d’une riche culture
orale. Il représente la troisième génération* de l’école* française. La famille
vit à Berrouaghia puis à Larbaa Sidi Moussa. Il fréquente les collèges de
Médéa, Blida puis le lycée Ben Aknoun à Alger. Son absence de Larbaa lui
évite sans doute la répression de mai 1945, car il est alors responsable scout*
et militant du PPA* depuis 1944.
Étudiant en médecine à partir de 1946, il est responsable de la section
universitaire du PPA-MTLD puis président de l’Aemna en 1950. Les tensions
entre étudiants* et direction du MTLD aboutissent à la rédaction, avec
Mabrouk Belhocine et Yahia Henine, de la brochure L’Algérie libre vivra et à
son exclusion du parti. Il rejoint le PCA* en 1951 et entre au comité central
puis au bureau politique.
Après le déclenchement de la Guerre d’indépendance, il est responsable
national adjoint des Combattants de la libération* (CDL) du PCA. Le PCA
est interdit en 1955 et il entre alors dans sa « première clandestinité » (1955-
1962), s’impliquant notamment dans l’organisation de l’opération Henri
Maillot*. Il participe, avec Bachir Hadj Ali*, aux négociations* avec le FLN*
qui conduisent à l’accord de juillet 1956 : ils prévoient le maintien du PCA
mais le versement des CDL à l’ALN*. Condamné par contumace aux travaux
forcés en 1955, il rédige dans la clandestinité, avec Bachir Hadj Ali, tracts,
journaux et brochures, notamment El Hourriyya-Liberté, l’organe central du
PCA. En 1962, il est arrêté avec de faux papiers, pris pour un militant de
l’OAS* et détenu dans un camp quelque temps.
À l’indépendance, le PCA redevient brièvement légal avant l’instauration
d’un régime de parti unique dès novembre 1962. Les communistes sont
d’abord tolérés, avant le coup d’État du colonel Boumediene* le 19 juin
1965. Ils adhèrent alors à une Organisation de la résistance populaire (ORP),
rapidement démantelée. Sadek Hadjerès entre alors dans une seconde
clandestinité qui va durer vingt-quatre ans. Il devient secrétaire général du
Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), créé en 1966. Après le congrès du
PAGS (1990), Hadjerès quitte la direction. La violence des années 1990 le
pousse à l’exil en France et en Grèce, pays de sa seconde épouse. Il meurt à
Paris en novembre 2022.
Malika RAHAL
Bibl. : René Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux et question
nationale. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, L’Atelier, 2006
• Sadek Hadjerès, Quand une nation s’éveille, édité et annoté par Malika
Rahal, Alger, INAS, 2014.

HALIMI, GISÈLE (1927-2020)


Née dans une famille juive tunisienne modeste, où l’arrivée d’une fille
n’est pas une bonne nouvelle, Gisèle Halimi étudie en boursière dans le
secondaire puis à l’université à Paris. De ses années elle sort sensibilisée au
racisme*, familière du communisme et dotée d’une conscience féministe
aiguisée qui fera d’elle l’une des plus célèbres figures du féminisme français.
Avant son inscription au barreau de Paris, en 1956, sa carrière débute à
Tunis, en 1949. Elle y plaide notamment pour des soldats devant le tribunal
militaire. En 1953, elle défend 57 Tunisiens accusés du massacre de
gendarmes français à Moknine l’année précédente et soutient pour la
première fois un recours en grâce devant le président de la République.
L’expérience est fondatrice pour sa défense postérieure des Algériens. Elle la
relate dans La Cause des femmes (Gallimard, 1992) car elle subit au même
moment un avortement douloureux. Elle est femme* et avocate,
indissociablement.
De son engagement auprès des nationalistes, qui la conduit en Algérie, la
confronte à la torture* et au viol*, ainsi qu’à la peine de mort, émergent
quatre faits saillants. L’affaire d’El Halia, d’abord, concerne des insurgés du
20 août 1955* accusés du massacre d’Européens. Avec Léo Matarasso, elle
obtient l’annulation d’un premier procès houleux, puis, après un nouveau
jugement, la grâce des deux condamnés à mort de l’affaire. Identifiée comme
une ennemie de l’Algérie française, elle fait ensuite partie des personnalités
détenues à Alger en toute illégalité en mai 1958, par les factieux tombeurs de
la IVe République*. Puis, en 1960, forte du concours de Simone de
Beauvoir*, elle dénonce le viol subi par l’une de ses clientes ; l’affaire
Boupacha* est l’une des plus importantes de la guerre. Elle se distingue,
enfin, au procès Jeanson* en quittant la barre avec éclat. Contre la stratégie
provocatrice de Vergès* et consorts qui multiplient les incidents pour rendre
le procès impossible, elle aurait voulu des audiences propices à un discours
politique.
Pendant cette guerre, elle se lie à François Mitterrand*, ministre de la
Justice en 1956-1957, au point d’être élue députée en 1981. Après son décès
en 2020, sa panthéonisation est rejetée par des militantes de la cause harkie*,
dont Fatima Besnaci-Lancou, au motif qu’elle a une fois qualifié de
« harkies » les femmes opposées au féminisme, faisant ainsi un usage
stigmatisant du terme. Cette guerre a profondément marqué le parcours et la
personne de Gisèle Halimi, bien au-delà des années 1954-1962.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Gisèle Halimi, Le Lait de l’oranger, Gallimard, 1988 • —, La Cause
des femmes, Gallimard, 1992 • —, Avocate irrespectueuse, Plon, 2002.

HAMAÏDIA, TAHAR, DIT CAPITAINE ZOUBIR


(1931-1960)
Né en 1931 à Oued Lilli (ex-Diderot) près de Tiaret, Tahar Hamaïdia,
futur capitaine Zoubir, est le fils d’un garde champêtre, petit propriétaire
terrien. Engagé dans l’armée française, il fait la guerre d’Indochine* et en
revient en 1955 avec le grade de sergent.
La carrière et la célébrité de Tahar Hamaïdia commencent dans la nuit du
19 au 20 février 1956. Il organise la désertion de 58 soldats d’un poste près
de Nemours, à proximité de la frontière marocaine. Cette action était d’autant
plus audacieuse qu’elle intervient alors même que le préfet Lambert* avait
déjà pris, le 13 février, des mesures de sécurité drastiques, à la suite d’une
embuscade* près de Turenne : une zone interdite* et le déplacement de
6 000 personnes. Il rejoint l’ALN* et il est envoyé vers les secteurs 6 (Saïda)
et 7 (Tiaret) où il est nommé lieutenant militaire. Entré en conflit avec son
capitaine, il est mis à la disposition du Commandement général de la wilaya
d’Oran puis affecté en Zone 1 (Tlemcen). Élevé au grade de capitaine d’où
son surnom, il dirige la Zone 1 (Tlemcen), à partir de septembre 1958.
Le prétexte de la dégradation de la vie des combattants dans les maquis et
son conflit avec le Commandement des frontières (CDF) le poussent à se
rendre à Oujda avec ses soldats à l’automne 1959. L’affaire Zoubir
commence.
Il met à profit l’absence des colonels Lotfi* et Boumediene*, retenus à
Tunis, pour contester ses supérieurs. Sa révolte se transforme en mutinerie
entraînant une partie des troupes stationnées à Oujda et le long de la frontière.
L’implication du caïd marocain des Beni Ounif en sa faveur et les émissions
de la station de radio* Ici la voix de la résistance de la Wilaya 5 créée par
l’armée française ont donné à ce mouvement un caractère profrançais.
L’affaire du capitaine Zoubir a été très probablement l’un des problèmes
les plus compliqués qu’eurent à résoudre tour à tour, le commandement de la
Wilaya 5*, le GPRA* et, in fine, l’EMG* nouvellement créé. À la suite de
l’intervention du roi Mohamed V, il s’en remet à l’EMG. Traduit devant un
tribunal militaire, il est condamné à mort et exécuté début avril 1961.
Fouad SOUFI
Bibl. : Hamoud Chaïd, Sans haine ni passion. Pages d’histoire de l’Algérie
combattante, Alger, Enag-Dahlab, 2005 • Mohamed Lemkami, Les Hommes
de l’ombre. Mémoires d’un officier du MALG, Alger, Dahlab, 2012 •
Mohamed Mokrane Nedjadi, Témoignage d’un officier des services secrets
de la Révolution algérienne, Alger, Houma, 2014.

HAMIDOU, MALIHA DITE RACHIDA (1942-


1959)
À l’instar de Hassiba Ben Bouali* (Alger), Maliha Hamidou est une
lycéenne qui s’engage très jeune dans les rangs de la résistance urbaine. Elle
devient par son courage et sa fin tragique l’icône de la ville de Tlemcen. Elle
est tuée la veille de ses 17 ans.
Native de Tlemcen, elle a baigné dans une ambiance studieuse,
encouragée par un père bachelier de 1934 et instituteur. Au lendemain de
l’appel à la grève* des lycéens et des étudiants*, lancé par l’Ugema* le
19 mai 1956, Maliha Hamidou, sensible à la lutte anticoloniale (le domicile
familial est un refuge pour les partisans de l’ALN*-FLN* de passage),
commence par assurer des travaux de secrétariat pour l’organisation FLN de
Sidi Chaker, un des quartiers situés sur les hauteurs de la ville. Débordant
d’énergie, elle est intégrée dans une cellule de fida. A-t-elle participé à des
actions terroristes comme le rapporte régulièrement la presse* ? Ce qui est
plus probable, c’est qu’elle a acheminé du courrier et assuré le transport des
armes destinées à un attentat, dans son cartable.
Le 13 avril 1959, elle est arrêtée à son domicile de Sidi Chaker. Le
14 avril, sa famille découvre son corps gisant dans la morgue de l’hôpital,
criblé de balles. Selon le communiqué officiel du 16 avril, « elle a essayé de
s’enfuir sans tenir compte des sommations et fut mortellement blessée ». En
signe de deuil et de solidarité pour leur camarade, les lycéens de Tlemcen ont
observé un jour de grève. La médaille de l’Ordre du mérite national lui est
décernée à l’occasion du 50e anniversaire de la Révolution.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : El Moudjahid, no 42, 1959 • Miloud Zenasni, « Combat de femme :
Maliha Hamidou, l’étudiante moudjahida et martyr », Le Soir d’Algérie,
2005.

HAMOUD LALIAM, NEFISSA (1924-2002)


Nefissa Hamoud est née à Alger en 1924 et décède en 2002. Issue d’un
milieu social aisé et d’une famille engagée dans la lutte nationaliste, elle fut
l’une des premières étudiantes algériennes en médecine. Dès 1944, elle fait
partie des rares étudiantes membres de l’Association des étudiants
musulmans nord-africains (Aemna) marquant ainsi le début de son
engagement politique. Elle participe aux manifestations du 1er mai 1945 à
Alger qui sera violemment réprimée par la police*. En juillet 1947, elle fut à
l’origine, avec Mamia Chentouf (1922-2012), de la création de l’Association
des femmes musulmanes algériennes (Afma), impulsée par le MTLD, et dont
le but est l’amélioration des conditions de vie des femmes* musulmanes
passant notamment par l’instruction pour toutes (dissoute par les autorités
coloniales en 1954). Tout en assurant le secrétariat de l’AFMA, elle devient
présidente de l’Aemna. En 1950, elle prend contact avec la Fédération
internationale des femmes afin de célébrer pour la première fois la journée du
8 mars. Membre du PPA-MTLD*, elle participe avec d’autres militantes,
comme Isa Benzekri*, à la sensibilisation des femmes à la cause nationaliste.
En 1954, elle répond à l’appel du FLN* et part au maquis en Kabylie. Elle
prend en charge avec Mamia Chentouf et Baya Larab l’hébergement et les
liaisons avec Abane* Ramdane et Benyoucef Ben Khedda*. Médecin, elle
forme le personnel soignant dans le maquis puis devient commandante dans
l’ALN*. Elle est arrêtée en 1957 avec d’autres combattants dont son futur
mari Mustapha Laliam qu’elle épouse au maquis et Danièle-Djamila Amrane-
Minne*. Elle est détenue dans les prisons* de Maison Carrée, de Barberousse
et d’Oran, avant d’être transférée dans un couvent, près de Nantes, en France.
En 1961, elle est échangée, par l’intermédiaire de la Croix-Rouge
internationale* (CRI) et du Croissant-Rouge algérien* (CRA), avec un
prisonnier* français. Elle réussit à rejoindre la Suisse* grâce au réseau
Jeanson*. Elle s’installe à Genève et reprend ses études médicales. À
l’indépendance, elle fait carrière à l’hôpital Mustapha et permet l’ouverture
du premier planning familial à la maternité en 1967. Elle est présidente de
l’Union nationale des femmes algériennes (UNFA) de 1965 à 1969, et
ministre de la Santé dans le gouvernement Ghozali en 1991.
Karima RAMDANI
Bibl. : Malika El Korso, « Une double réalité pour un même vécu »,
Confluences Méditerranée, no 17, 1996 • Feriel Lalami, « L’enjeu du statut
des femmes durant la période coloniale en Algérie », Nouvelles Questions
féministes, vol. 27, no 3, 2008 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN
(1954-1962), Fayard, 2002.
HARBI, MOHAMMED (NÉ EN 1933)
Le parcours de Mohammed Harbi est marqué par un engagement
politique précoce et l’exercice du métier d’historien. Ses travaux sont
fondateurs de l’historiographie de l’Algérie contemporaine au cœur de
laquelle le nationalisme* occupe une place prépondérante.
Harbi est né en 1933 à El Harrouch (Skikda) dans une famille aisée. Au
lycée Dominique-Luciani, il découvre les idées marxistes grâce à Pierre
Souyri et François Lyotard, ses professeurs d’histoire, ce qui le conforte dans
son adhésion au parti indépendantiste. En 1951, Harbi est à la tête de la
section lycéenne du PPA-MTLD*.
En 1952, il est inscrit au collège Sainte-Barbe à Paris d’où il sort
bachelier. C’est l’occasion de se familiariser avec les problèmes politiques du
monde et de faire des rencontres avec André Akoun, Daniel Guérin et bien
d’autres qui ont beaucoup compté dans son cheminement intellectuel et
politique.
L’éloignement de l’Algérie ne lui fait pas abandonner la poursuite de ses
activités au PPA-MTLD. Étudiant en histoire, il est aussi secrétaire de la
section parisienne de l’Association des étudiants musulmans nord-africains
(Aemna) en 1953. Mais, en juillet 1955, il est membre fondateur de l’Union
générale des étudiants algériens (Ugea), d’obédience laïque.
Lors de la crise du parti (1953-1954) suivie de scission, il adopte avec
discernement une « position à mi-chemin » des deux tendances rivales :
centralistes et activistes. Mis au courant de la création du Crua par Didouche*
Mourad, Il soutient la lutte armée déclenchée par le FLN* le 1er novembre
1954*. En rejoignant la Fédération de France* du FLN en 1955, il s’attelle à
nouer des contacts avec les milieux de gauche. Recherché parce que son
sursis* est cassé, il entre en clandestinité dont il passe une partie au
sanatorium avant de rejoindre au mois d’août 1956 la commission de presse
et d’information (CPI) puis le secrétariat de la Fédération. Il œuvre pour la
mise en place de l’AGTA en 1957 (Amicale des Algériens en France) qui
admet l’adhésion au FLN et à la CGT* ou la CFTC*. En 1958, Harbi est en
Allemagne fédérale. Ses activités concernent l’organisation des réseaux
européens susceptibles d’apporter leur soutien au FLN où les trotskistes*
allemands et belges se distinguent. Quand il apprend la liquidation d’Abane*
Ramdane, il prend ses distances avec la Fédération du FLN à l’automne
1958. Après un court séjour à l’université de Genève, il rejoint au mois
d’avril 1959 le cabinet civil du ministère des Forces armées occupé par
Krim* Belkacem, puis celui des Affaires étrangères (second GPRA*). À
l’ouverture des premières négociations* d’Évian, il est l’un des experts de la
délégation du FLN. De même, il participe à l’élaboration du programme de
Tripoli (juin 1962) lors de la réunion du CNRA*. Il rentre à Alger avec les
membres du GPRA le 3 juillet 1962. Conseiller d’Ahmed Ben Bella* premier
président de l’Algérie, dont il soutient les décrets sur l’autogestion, il dirige
aussi la revue* Révolution africaine* (1963-1964) dont les articles sont de
précieuses analyses à la fois sur l’Algérie à l’épreuve de l’expérience
socialiste et sur le continent africain.
Opposé au coup d’État du 19 juin 1965, il participe à la création de
l’Organisation de la résistance populaire (ORP) avant d’être arrêté. Évadé en
1973, Harbi se consacre pleinement à l’étude critique de « la genèse et des
structures du nationalisme algérien » (L’Algérie et son destin, p. 9) tout en
continuant ses engagements politiques en faveur de la justice et de la liberté.
Il publie en 1975 Aux origines du FLN. Le populisme révolutionnaire en
Algérie dans lequel il s’attelle à un essai d’analyse critique du mouvement
national algérien dirigé par Messali Hadj*. Il apporte les premières
explications à la crise du PPA-MTLD et rappelle ainsi la filiation du FLN,
occultée par l’État algérien.
En 1980, sous le titre Le FLN. Mirage et réalité, Harbi aborde les
principales phases de l’histoire du nationalisme populaire de l’Algérie, révèle
ses déchirements et ses conflits, antérieurs à 1954 et au cours de la Guerre
d’indépendance, analyse le processus qui a secrété l’émergence d’« un
appareil de parti avant de devenir l’embryon de l’État ». Parce que ce travail
s’inscrit dans le temps présent, sans négliger l’exploitation de la
documentation disponible, Harbi a également recours en précurseur à
l’histoire orale pour combler le silence des archives. Cette histoire complexe
est complétée par la publication des Archives de la révolution algérienne
(1981) – archives* inédites – indispensables au travail de tout historien et à
l’élaboration d’un savoir académique qui va à l’encontre de bien des
mystifications.
En 1992 paraît L’Algérie et son destin : Harbi y affine sa réflexion en
livrant d’abord un essai d’ego-histoire, rappelant son engagement politique et
citoyen sans se départir de la rigueur critique qui l’autorise à dresser une sorte
de bilan de ses travaux précédents.
Les ouvrages cités sont à compléter par de nombreux articles et surtout
par ses mémoires (Une vie debout, La Découverte, 2001) qu’il vient
d’enrichir du documentaire Mémoires filmés (2021).
Ses recherches ont ouvert la voie à l’élaboration d’une histoire intérieure
de la révolution algérienne.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Aux origines du FLN. Le populisme
révolutionnaire en Algérie, Bourgois, 1975 [rééd.Boudière, 2022] • —, Le
FLN/Mirage et réalité, Jeune Afrique, 1980 • —, L’Algérie et son destin.
Croyants ou citoyens, Arcantère, 1992.

« HARKIS À PARIS »
« Harkis à Paris » renvoie à une brochure de Paulette Péju, parue en 1961
et dénonçant les exactions de la Force de police auxiliaire (FPA). Celle-ci
avait été mise en place par la préfecture de police* en décembre 1959 suite
aux propositions du colonel Montaner, un officier des Affaires algériennes
ayant participé à la « bataille d’Alger* » et muté en métropole afin de prendre
la tête du SAT-FMA* à Nanterre. Son objectif était la « destruction de
l’organisation rebelle dans le département de la Seine » en y important les
techniques de la guerre contre-révolutionnaire (« les méthodes de la guerre
secrète » selon l’argumentaire de Maurice Papon*). La FPA, dont les effectifs
montèrent jusqu’à 400 agents, comprenait à la fois des militaires en tenue (les
« calots bleus ») et des civils chargés d’infiltrer le FLN*. On sait peu de
choses des seconds, sinon que plusieurs furent assassinés par le FLN. Les
premiers sont mieux connus. Implantés dans les quartiers algériens de Paris –
13e puis 18e arrondissement, rue de la Goutte-d’Or – dans des hôtels fermés
sur décision administrative, se projetant dans les différentes villes de
banlieue, les supplétifs* de la FPA menèrent une action effective de contre-
propagande – prises de paroles dans les cafés, distributions de tracts… Elle
était censée « compléter l’action psychologique et sociale du SAT-FMA ».
Surtout, elle permit d’élever le niveau de répression en affranchissant la
recherche de renseignements des contraintes de la procédure pénale. Dans des
caves servant de « centres d’interrogatoires », les coups pleuvaient sur les
interpellés résistant aux pressions psychologiques. Des certificats médicaux,
dans les archives* de la préfecture de police, attestent que les tortures ne
relevaient pas toutes d’une « campagne de presse calomnieuse ». Les
protestations d’une partie de la presse* et d’élus parisiens conduisirent
d’ailleurs Maurice Papon à fermer les « centres d’interrogatoire » de la
Goutte-d’Or et à replier la FPA sur le Fort de Noisy. Elle multiplia
néanmoins les patrouilles et contrôles brutaux. Elle fut ainsi placée en
première ligne, avec force usage des armes à feu, les 17 et 18 octobre 1961
afin d’empêcher les manifestants algériens de pénétrer dans Paris.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens, 1944-
1962, Nouveau Monde, 2011 • Jim House et Neil MacMaster, Paris 1961.
Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Tallandier, 2008 • Rémy
Valat, « Un tournant de la “Bataille de Paris” : l’engagement de la FPA
(mars 1960) », Outre-mers, vol. 91, no 342-343, 2004.

HARKIS (ASSOCIATIONS)
Plusieurs centaines d’associations de harkis se sont constituées depuis
1962. Les unes œuvrent sur le plan national, d’autres sur le plan local. Leurs
objectifs sont divers, mais les principales demandent des réparations
matérielles ou/et morales par l’État français pour les préjudices subis à la fin
de la guerre d’Algérie. Trois étapes peuvent être distinguées dans l’histoire
des associations de harkis.
De 1962 à 1975, la première génération* de harkis, économiquement
démunie et qui se heurte à la barrière de la langue, voit ses intérêts pris en
mains, principalement par des associations créées et dirigées par d’anciens
militaires de l’armée française, qui avaient des supplétifs* sous leur
commandant pendant la guerre. L’Association des anciens des affaires
algériennes (AAAA), créée le 26 mai 1962, est toujours en activité. Le
2 janvier 1963, avec le soutien du gouvernement, le Comité national pour les
musulmans français (CNMF) voit le jour. Mis en sommeil depuis 2008, ses
importants fonds d’archives ont été déposés au Centre des archives
contemporaines (CAC) à Fontainebleau en 2011. Ces deux associations sont
essentiellement financées par des subventions ministérielles.
D’autres associations sont créées au début des années 1970 par une élite
francisée d’origine algérienne, dite de « Français musulmans », composées
d’anciens hauts fonctionnaires, de gradés militaires et d’anciens élus
rapatriés. C’est le cas de la Confédération des Français musulmans rapatriés
d’Algérie et leurs amis (CFMRAA) présidée par M’Hamed Laradji,
particulièrement impliquée dans les révoltes des enfants de harkis dans les
camps de Bias (Lot-et-Garonne) et de Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard), en
mai et juin 1975, conduisant à la fermeture des camps sur décision
ministérielle, le 6 août de la même année. Enfin, les pieds-noirs* ne créent
pas d’associations spécifiques pour les harkis, mais les mettent parfois dans
une section spécifique à leurs statuts, comme l’Association nationale des
Français d’Afrique du Nord et leurs amis (Anfanoma), fondée en 1956.
Pendant plus de dix ans, les représentants de ces différentes structures
parlent au nom des harkis.
Ensuite, de 1976 à la fin des années 1990, galvanisés par les actions de
révoltes de 1975, de nombreux jeunes commencent à s’investir dans le
mouvement associatif. Outre les demandes d’ordre matériel (logement* et
travail*), les associations revendiquent la libre circulation entre la France et
l’Algérie pour les pères qui sont parfois refoulés à leur arrivée dans leur pays
natal, ou bien des « carrés musulmans » dans les cimetières communaux.
Dans les années 1990, en outre, progressivement, le mot « harki » supplante
le terme « musulman » dans les appellations. Ce changement marque
l’affirmation d’une spécificité de la cause des harkis sur le plan des droits à
défendre. Tel est le cas de la Coordination harka, structure créée par Hacène
Arfi en 1991. Ce dernier occupe la mairie de Saint-Laurent-des-Arbres en
juin de cette année-là, afin de réclamer, pour les harkis, un statut de citoyen à
part entière. En 1997, Abdelkrim Klech, à la tête du Collectif national de
justice pour les harkis et leurs familles, entame une grève de la faim devant
l’esplanade des Invalides à Paris, réclamant plus de droits pour les harkis.
Enfin, depuis les années 2000, des responsables d’associations luttent
pour obtenir une reconnaissance officielle de leur histoire (abandons,
massacres, relégations dans les camps). Ils tiennent des discours plus
idéologiques et n’hésitent pas à saisir la justice. Leurs actions sont aussi
portées par des filles de harkis. Le 30 août 2001, le Comité national de liaison
des harkis dépose une plainte pour crime contre l’humanité* au Tribunal de
grande instance de Paris. Depuis lors, d’autres associations, notamment
Génération Mémoire Harkis, mènent régulièrement des actions en justice
pour défendre les intérêts des harkis. Le 10 janvier 2004, un groupement
informel, Femmes et filles de harkis, organise une manifestation en présence
des femmes de la première génération. En juin 2004, Fatima Besnaci-Lancou
et Hadjila Kemoum, membres de ce groupe, créent l’association Harkis et
droits de l’homme (AHDH). Le 4 février 2012, la Ligue internationale contre
le racisme et l’antisémitisme (Licra), en coopération avec l’AHDH, organise
un colloque à Paris, au cours duquel son président demande au président de la
République de reconnaître la responsabilité du gouvernement français dans le
drame des harkis. Le 12 mai 2013, des associations manifestent à Paris dans
le même but.
Les présidents Chirac* et Hollande* ont reconnu la responsabilité de la
France dans le sort réservé aux harkis à la fin de la guerre. Des associations
continuent à œuvrer pour que des réparations matérielles accompagnent la
reconnaissance symbolique. Elles réclament de nouvelles mesures,
complétant les politiques publiques* existant depuis les années 1960-1970.
Dans leur majorité, elles ont critiqué la loi du 23 février 2022 portant
« reconnaissance » et « réparation » envers les harkis, conçue après que, le
20 septembre 2021, Emmanuel Macron*, au nom de la France, a demandé
« pardon » aux harkis. Le contenu de cette loi est considéré comme
discriminant puisqu’il ne s’applique qu’à une partie des familles de harkis,
celles qui ont transité par des camps en France.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Tom Charbit, Les Harkis, La Découverte, 2006 • Régis Pierret, Les
Filles et Fils de harkis. Entre double rejet et triple appartenance,
L’Harmattan, 2008 • Les Temps modernes, no 666, Harkis, 1962-2012. Les
mythes et les faits, Gallimard, 2011.

HARKIS (CAMPS)
Les camps de harkis voient le jour avant leur organisation en trois
catégories, par un décret du 8 août 1962 : les camps de transit et de
reclassement, les hameaux de forestage et les centres d’accueil. En effet, à la
fin de la guerre d’Algérie, le ministre des Armées requiert, dans l’urgence,
six camps militaires : Bias (Lot-et-Garonne), Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme),
La Rye Le Vigeant (Vienne), mais aussi le Larzac (Aveyron), Rivesaltes
(Pyrénées-Orientales) et Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard) qui tous trois ont
précédemment servi à la détention de nationalistes algériens. Dès juin 1962,
de premières familles sont installées au Larzac. Le 19 juillet 1962, près de
12 000 personnes sont réparties entre ce camp et Bourg-Lastic. Les familles
de harkis y reçoivent un traitement de « réfugiés* » et non de « rapatriés* ».
Cette surpopulation entraîne promiscuité, manque d’hygiène et de
médicaments, entraînant des maladies infectieuses. Une dizaine d’enfants
décèdent ainsi au camp de Bourg-Lastic. Une association suisse, Action de
secours aux harkis repliés en France, fait livrer des vitamines pour les enfants
fragilisés par le rude climat montagnard de l’Auvergne. Face à cette situation
alarmante, les autorités françaises font fermer les deux camps avant le début
de l’hiver, et les familles sont alors réparties entre les autres : Rivesaltes,
Saint-Maurice-l’Ardoise et La Rye Le Vigeant.
Le camp de Rivesaltes, construit en 1939 pour des nécessités militaires,
est le plus peuplé. Les baraquements avaient auparavant servi à l’internement
de Républicains espagnols, de Juifs et de Tsiganes pendant la Seconde
Guerre mondiale, puis de collaborateurs, de prisonniers de guerre et enfin de
nationalistes algériens. De 1964 à 1966, des familles de Guinéens et de Nord-
Vietnamiens y ont été reléguées.
Ils ne sont restaurés que progressivement. En décembre 1962, près de
10 000 personnes sont entassées dans un gigantesque campement de fortune.
Même s’il ne s’agissait pas d’un « centre d’internement » au sens strict du
terme, Georges Pompidou, Premier ministre, exige que « les sorties du camp
ne puissent être autorisées que pour des motifs sérieux ». Appartenant à
l’Armée, le camp devait se vider rapidement pour reprendre ses fonctions
initiales. Un service de reclassement aide alors les familles à trouver du
travail* et à se loger. Certaines s’installent dans le nord de la France, riche en
activités industrielles. À l’instar des autres camps dits « de transit »,
Rivesaltes doit fermer officiellement le 31 décembre 1964.
Afin d’accélérer les fermetures, le ministère des Rapatriés crée des
hameaux de forestage. Yvan Durand, membre de l’Association des anciens
des affaires algériennes (AAAA), se voit confier la responsabilité du projet en
tant qu’inspecteur du Service des Français musulmans, de 1962 à 1968.
Soixante-neuf hameaux, isolés dans des forêts, sont construits,
principalement dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca),
permettant de fournir des logements* et du travail, proposés par l’Office
national des forêts. Les familles de harkis subissent un régime d’exception
avec une sorte de mise sous tutelle, un règlement de vie sévère, un contrôle
social et une discipline infantilisante exercée par le chef de camp. Parfois, les
enfants sont scolarisés en vase clos. Ce dispositif devait être provisoire mais,
dans certains cas, il va durer plusieurs décennies. Des enfants de harkis ont
vécu cette situation comme une véritable politique de ségrégation voulue par
la France.
Malgré la mise en place des hameaux de forestage, le camp de Rivesaltes
peine à se vider. C’est alors que les autorités françaises procèdent à la
création d’une troisième catégorie de camps pour les personnes inaptes
physiquement au travail : « les centres d’accueil ». C’est le cas des camps de
Bias et de Saint-Maurice-l’Ardoise. En mai 1964, le ministre des Rapatriés
demande que « les déchets existant dans ce camp [Rivesaltes] et dont le
reclassement s’avérera impossible » y soient envoyés. En marge de la société
française, les familles concernées subissent non seulement les conditions de
vie comparables à celles des hameaux de forestage, mais elles se trouvent
confrontées à un univers encore plus contraignant et oppressant : couvre-feu
dès 22 heures, exigence d’autorisations pour recevoir la famille venant de
l’extérieur, contrôle du contenu des courriers, internement arbitraire dans un
service de psychiatrie à l’hôpital d’Agen pour ceux que l’on considère
comme trop récalcitrants.
Il faut attendre 1975 pour que soient ouvertement dénoncés les camps en
France, à la suite de mouvements de révoltes portés par des enfants de harkis.
Durant plusieurs semaines, ils défient les forces de l’ordre, prennent des
armes, s’affrontent à l’administration des camps, prennent en otage le
responsable du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, détruisent le bureau du
chef de camp de Bias… La France découvre la réalité des camps sur son
territoire. En réponse, le Conseil des ministres du 6 août 1975 prend la
décision de les fermer. En réalité, les dernières familles ne quittent ces camps
qu’en 1994.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou, Harkis au camp de Rivesaltes. La relégation
des familles, septembre 1962-décembre 1964, Villemur-sur-Tarn-Rivesaltes,
Loubatières-Mémorial du camp de Rivesaltes, 2019 • Katia Khemache,
Harkis, un passé qui ne passe pas, Cairn, 2018 • Malika Meddah, Une famille
de harkis. Des oliviers de Kabylie aux camps français de forestage,
L’Harmattan, 2012.

HARKIS (MASSACRES)
Les premières exactions visant des harkis se produisent dès la signature
des accords d’Évian*, le 18 mars 1962, mais c’est après l’indépendance de
l’Algérie, le 3 juillet 1962, que la situation s’aggrave.
En effet, si l’un des articles des accords d’Évian a pour but de garantir la
sécurité des personnes, cette disposition n’est pas respectée. Contrairement à
l’Exécutif provisoire* qui s’attache à l’application des accords d’Évian, des
responsables du FLN* et de l’ALN* commettent des exactions dans des
régions isolées, profitant du fait que le cessez-le-feu contraint les militaires
français à l’inaction. À titre d’exemple, le 23 avril 1962, quelques mois avant
l’indépendance, neuf harkis du village de Boualem (près de Géryville) sont
enlevés et massacrés, comme le stipule le général Meyer. Les traces écrites
des ordres donnés sont rares, comme une circulaire de la Wilaya 5* du
10 avril 1962 qui ne laisse aucun doute quant au sort à réserver aux harkis. Le
GPRA* ne diffuse cependant aucun ordre central et les situations ont varié
localement selon les responsables.
À la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, début juillet 1962,
aucun gouvernement réel n’est établi – l’été 1962 est marqué par une guerre
civile ayant pour enjeu l’accès au pouvoir. Dans ce contexte, les enlèvements,
internements et massacres prennent de l’ampleur. Jean-Marie Robert, ancien
sous-préfet d’Akbou (Kabylie), raconte que du 27 juillet au 15 septembre,
« la répression va s’abattre soudainement sans aucune cause locale
particulière. Une cinquantaine d’ex-supplétifs* ou de civils furent tués par
l’ALN dans les villages les plus éloignés. Mais surtout 750 personnes environ
furent arrêtées et regroupées dans trois “centres d’interrogatoires” […]. Dans
ces centres où l’on entendait très loin à la ronde les hurlements des torturés,
près de la moitié des détenus furent exécutés, à raison de cinq à dix chaque
soir » alors qu’avant cette date, l’ALN s’était efforcée de « rassurer les
harkis », laissant entendre que « le passé était totalement oublié » (Rapport
publié dans Les Temps modernes en 2011). Un peu partout sur le territoire,
des tribunaux populaires improvisés à cet effet jugent en effet des harkis.
Leurs familles sont également tuées, lynchées ou torturées.
Dans les camps d’internement*, les harkis connaissent des exactions et
tortures ; d’autres sont envoyés aux travaux de déminage manuel sur
plusieurs zones du territoire, notamment aux frontières du Maroc* et de la
Tunisie*. Selon les rapports du CICR*, des milliers périraient à l’occasion de
ces travaux forcés pendant que d’autres croupissent dans les prisons*.
« Traitement correct par le personnel de l’administration pénitentiaire, mais
au début février 1963, de nombreux harkis ont subi un interrogatoire par la
police*, coups et sévices dont traitement à l’électricité avec fils fixés au nez,
aux oreilles, aux mains, aux organes sexuels, etc. – sévices si violents que les
gardiens ont fini par intervenir et sont parvenus à faire cesser ces séances »,
notent des délégués du CICR.
L’armée française reçoit l’ordre de ne plus intervenir sur le terrain pour
empêcher les exactions ou procéder à des opérations de recherche de harkis.
Charles de Gaulle*, président de la République, estime que toute intervention
militaire risque de relancer les hostilités. L’état-major interarmées en Algérie
diffuse l’information dans une note du 24 août 1962, citée par le général
Meyer. L’installation de la République algérienne avec l’arrivée au pouvoir
d’Ahmed Ben Bella, en septembre 1962, apaise temporairement le climat.
L’accalmie n’est que de courte durée, car les massacres reprennent dès
octobre et s’aggravent au mois de novembre, s’étendant jusqu’au milieu de
l’année suivante. Même si les massacres s’atténuent au 1er semestre 1963, des
assassinats épars ont lieu jusqu’à la libération de tous les prisonniers* harkis,
dont les derniers ne sortent qu’en 1969.
Bien que toutes les archives* françaises et algériennes ne soient pas
ouvertes aux chercheurs, des bilans* extrêmement variés ont été donnés,
allant de quelques milliers à 80 000, par Jean-Charles Jauffret* (Historiens et
géographes, no 373, janvier-février 2001). Ce grand écart est souligné par
Guy Pervillé*, pour qui les massacres de harkis constituent « le plus grand
facteur d’incertitude pour un bilan global » des victimes de la guerre de
décolonisation de l’Algérie (dans sa contribution à Mohammed Harbi et
Benjamin Stora, La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie, paru
chez Robert Laffont en 2004). L’évaluation chiffrée n’est qu’un des enjeux
de l’histoire des massacres, qui pose la question des responsabilités des
parties belligérantes, françaises et algériennes.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou, Benoît Falaize et Gilles Manceron (dir.), Les
Harkis. Histoire, mémoire et transmission, L’Atelier, 2010 • Fatima Besnaci-
Lancou, Des harkis envoyés à la mort. Le sort des prisonniers de l’Algérie
indépendante, L’Atelier, 2014 • Général François Meyer, Pour l’honneur…
avec les harkis, de 1958 à nos jours, Tours, CLD, 2005.

HARKIS (MÉMOIRES)
« Les harkis ne sauraient demeurer les oubliés d’une histoire enfouie », a
déclaré Jacques Chirac*, président de la République, dans un discours
prononcé aux Invalides le 25 septembre 2001. Exprimant ainsi une forme de
culpabilité collective envers les harkis, il répondait aux demandes de diverses
associations de harkis agissant au nom du devoir de mémoire qui a émergé
dans les années 1990. Celles-ci marquent un tournant avec une multiplication
des initiatives mémorielles même si, chronologiquement, le sort des harkis a
gagné en visibilité en 1975, avec les révoltes menées par les enfants de harkis
au camp de Bias (Lot-et-Garonne) et de Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard).
Dans les années 1990, cependant, l’appui financier des collectivités locales a
permis d’ériger des stèles dédiées aux harkis, notamment au camp de
Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). À l’échelon national, le 5 décembre 2002,
Jacques Chirac a inauguré un mémorial national* pour honorer les « morts
pour la France » durant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc* et de la
Tunisie*, dont font partie les harkis décédés en opérations – c’est le
Mémorial du quai Branly, à Paris, classé « haut lieu de la mémoire
nationale ». Puis, en 2003, une « journée nationale d’hommage aux harkis et
autres membres des formations supplétives » a été instituée le 25 septembre.
Une cérémonie officielle est organisée chaque année aux Invalides à Paris et
dans tous les départements français.
Cette logique de lutte contre l’oubli comprend bien d’autres volets. Ainsi
des témoignages* sont publiés. C’est le cas de deux ouvrages de l’association
Harkis et droits de l’homme (AHDH), en 2006, ou encore d’un ouvrage édité
par le Mémorial du camp de Rivesaltes en 2019, sans compter des
témoignages de descendants publiés directement. Des lieux de transmission
de la mémoire sont aussi créés : la Maison d’histoire et de mémoire d’Ongles
(Mhemo) dans les Alpes-de-Haute-Provence, ouverte en 2008,
spécifiquement dédiée aux harkis, par exemple, et le Mémorial du camp de
Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, inauguré en 2015, qui consacre un
volet à l’histoire des harkis. L’effort est tout particulier dans le domaine
culturel avec, par exemple, la série de manifestations organisées par l’AHDH
en octobre 2008 à Paris, pendant trois semaines : colloques au Sénat et à
l’Hôtel de ville ; pièces de théâtre* ; expositions de photos aux Invalides et
une autre d’art brut à l’Institut des cultures d’Islam (ICI) ; projections de
films, dont une à la Sorbonne. L’AHDH intervient depuis en milieu scolaire
et universitaire, participe à des formations d’enseignants et développe des
outils pédagogiques avec le concours d’enseignants et d’historiens. D’autres
actions portent sur la préservation des lieux d’inhumation. À titre d’exemple :
l’association Justice, information, réparation (Ajir) a fait rénover des stèles à
la mémoire des enfants décédés dans le camp de Bourg-Lastic (Puy-de-
Dôme) en 1962 tandis que la coordination Harka dans le Gard œuvre pour
l’identification des tombes de personnes décédées dans le camp de Saint-
Maurice-l’Ardoise. En 2022, l’AFP a révélé l’existence d’un cimetière
« illégal, de fortune », que la secrétaire d’État auprès du ministère des
Armées a dénoncé comme une « erreur », un « manquement » de l’État.
Enfin, depuis 2015, des plaques sont disposées sur des lieux de mémoire*,
dont 69 hameaux de forestage identifiés avec l’aide de l’Office national des
forêts (ONF).
Ces politiques mémorielles relevant des pouvoirs publics et de l’action
associative n’épuisent pas cependant la question des mémoires. Celle-ci doit
aussi être appréhendée au plus près du terrain, auprès des acteurs eux-mêmes.
Quelques chercheurs, dont Rossella Spina, se sont penchés sur la question,
notamment au sujet des relations entre les descendants de harkis et ceux
d’immigrés. Dans son ouvrage Enfants de harkis et enfants d’émigrés.
Parcours croisés, identités à recoudre (Karthala, 2012), la sociologue
explore les relations entretenues entre les deux groupes. Si, dans de
nombreux cas, elles apparaissent cordiales voire amicales, Louise Couvelaire,
dans un article du Monde*, « Le combat sans fin des harkis et de leurs
descendants » (23 avril 2019), rapporte que des heurts peuvent perdurer. De
même, des initiatives communes rapprochent enfants de harkis et d’immigrés,
comme, en 1983, la marche « pour l’égalité et contre le racisme ». Laurent
Muller estime que l’événement « a permis aux enfants de ces anciens
ennemis de se rencontrer » (Confluences Méditerranée, no 34). Toumi
Djaïdja, fils de harki qui a transité avec sa famille par le camp de Saint-
Maurice-l’Ardoise (Gard), est une des figures de proue du mouvement. Les
mémoires sont aujourd’hui, outre un motif d’engagement, un objet d’études à
part entière.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou (dir.), Des vies. 62 enfants de harkis
racontent, Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2010 • Giulia Fabbiano, Hériter 1962.
Harkis et immigrés algériens à l’épreuve des appartenances nationales,
Presses universitaires de Paris-Ouest, 2016 • Laurent Muller, Le Silence des
harkis, L’Harmattan, 1999.

HARKIS (POLITIQUES PUBLIQUES)


Les initiatives émanant des pouvoirs publics en faveur des anciens harkis
et de leurs familles ont répondu à la nécessité de réparer des préjudices
matériels et moraux subis. Différentes mesures ont ainsi été progressivement
prises, le plus souvent en réponse à des mouvements de protestations
conduits par des associations de harkis.
Dans un premier temps, la réparation des préjudices matériels prévaut.
Les harkis sont alors inclus dans les dispositifs concernant les rapatriés*. Dès
1961, la loi du 26 décembre, relative à l’accueil et à la réinstallation des
Français d’outre-mer, met en place toute une série de prestations sociales
(logement*, emploi, secours exceptionnels, prêts à taux réduits…).
Contrairement aux rapatriés d’origine européenne, cependant, peu de harkis y
recourent, par méconnaissance de leurs droits et par discrimination de la part
des pouvoirs publics. Le logement en offre l’exemple le plus flagrant. Ainsi
la circulaire du 31 janvier 1964 du ministre des Rapatriés François Missoffe à
l’attention des préfets* et des délégués régionaux du ministère stipule :
« Vous ne devrez reloger les anciens harkis qu’après avoir relogé tous les
rapatriés demandeurs de logement et particulièrement mal logés. Par
conséquent, une priorité absolue doit être donnée aux rapatriés par rapport
aux anciens harkis pour l’attribution de logements HLM destinés aux
rapatriés. » Il faut attendre le milieu des années 1970 pour que les familles de
harkis soient en mesure de mieux défendre leurs droits. Après les lois du
15 juillet 1970 et du 2 janvier 1978 relatives à l’indemnisation des biens
laissés en Algérie, environ 7 000 dossiers sont déposés par des familles de
harkis auprès de l’Agence nationale pour l’indemnisation des Français
d’outre-mer (Anifom). Suit la loi du 6 janvier 1982 qui octroie aux harkis une
indemnité forfaitaire de 10 000 francs (environ 3 437 euros en 2020), au titre
de la réinstallation des rapatriés.
La réparation des préjudices moraux arrive avec la loi du 16 juillet 1987
qui instaure une allocation forfaitaire de 60 000 francs (environ 15 632 euros
en 2020) pour les harkis ou leur conjoint survivant. Surtout, la « loi Romani »
du 11 juin 1994 marque une rupture. Elle articule en effet réparation
matérielle et reconnaissance morale. D’une part, elle prévoit des aides non
imposables et insaisissables pour le logement. D’autre part, elle consacre un
article à la reconnaissance envers les harkis : « La République française
témoigne sa reconnaissance envers les rapatriés anciens membres des
formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie
pour les sacrifices qu’ils ont consentis. » Un autre article octroie le statut de
victimes de la captivité pour les anciens prisonniers* dans l’Algérie
indépendante.
Le préjudice moral prend tout son sens lorsque, dans son discours du
25 septembre 2001, le président de la République, Jacques Chirac*, reconnaît
les massacres de harkis en 1962 : « La France, en quittant le sol algérien, n’a
pas su les empêcher. Elle n’a pas su sauver ses enfants. » Deux ans plus tard,
un décret du 31 mars 2003 instaure la journée du 25 septembre, qui donne
désormais lieu à une cérémonie officielle en hommage aux harkis. C’est le
premier signe fort d’une reconnaissance susceptible de contribuer à une
réparation morale. La loi du 23 février 2005* continue dans la même veine.
Concernant le logement, elle prévoit que l’accession à la propriété peut
s’effectuer en indivision avec les enfants de harkis qui hébergeraient leurs
parents bénéficiaires du dispositif. Elle ratifie par ailleurs le préjudice moral.
L’article 4 de la loi, dans lequel les programmes scolaires* doivent
reconnaître le rôle positif de la présence française en Afrique du Nord, est
cependant dénoncé au nom de la liberté de la recherche et de l’enseignement.
Des associations de harkis ont participé à la campagne pour l’abrogation de
cet article, finalement actée.
Après Chirac, François Hollande* reconnaît la responsabilité de l’État
dans le sort réservé aux harkis à la fin de la guerre d’Algérie, par un discours
prononcé le 25 septembre 2016 : « Je reconnais les responsabilités des
gouvernements français dans l’abandon des harkis, je reconnais les
responsabilités des gouvernements français dans les massacres de ceux restés
en Algérie et les conditions inhumaines de ceux transférés en France. La
France a manqué à sa promesse, elle a tourné le dos à des familles qui étaient
pourtant françaises. » Il répond ainsi aux revendications associatives depuis
deux décennies. Enfin, en septembre 2021, Emmanuel Macron*, président de
la République, demande « pardon » aux harkis, au nom de la France. Les
politiques publiques* perdurent en réponse aux combats associatifs.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron (dir.), Les Harkis dans la
colonisation et ses suites, L’Atelier, 2008 • Hafida Chabi, La Situation
sociale des enfants de harkis, Avis et rapport du Conseil économique et
social, Éditions des Journaux officiels, 2007 • Élise Langelier, La Situation
juridique des harkis, 1962-2007, LGDJ, 2009.

HARKIS (RAPATRIEMENT)
Le 25 septembre 2016, François Hollande* reconnaît « les responsabilités
des gouvernements français dans l’abandon des harkis ». Le terme
« abandon » questionne la politique du rapatriement des harkis en France.
Que s’est-il passé pour que la situation devienne, selon les termes de Chantal
Morelle, « une tragédie pour les harkis et un problème de conscience collectif
dont on cherche à se défausser » ?
La question du sort des harkis, en cas d’indépendance de l’Algérie, est
posée dès la fin 1960. Une étude commandée par le gouvernement français
conclut alors que le rapatriement des harkis n’est « pas envisageable ». Puis
les accords d’Évian*, qui marquent le début du processus de sortie de guerre,
sont signés le 18 mars 1962. Son article 2 stipule que « nul ne pourra faire
l’objet de mesures de police* ou de justice ou d’une discrimination
quelconque en raison d’actes commis à l’occasion des événements survenus
en Algérie avant le scrutin d’autodétermination ». Le 20 mars 1962, un décret
précise les conditions de leur démobilisation. Il est proposé, entre autres, aux
plus jeunes d’entre eux, sous réserve de leur aptitude physique et
intellectuelle, de s’engager dans l’armée. Pour cela, ils doivent quitter
l’Algérie, contraints, dans certains cas, d’abandonner sur place leur famille.
Moins de 1 200 harkis s’engagent alors dans l’armée française et sont
rapatriés. De premiers massacres et enlèvements de harkis sont alors commis.
Le 11 avril 1962, un conseiller d’État, Michel Massenet, remet au
gouvernement une nouvelle étude. Ses conclusions préconisent leur
rapatriement en France et précisent que le gouvernement français dispose de
soixante jours pour les sauver. Louis Joxe*, ministre chargé des Affaires
algériennes, n’en tient pas compte. Il fait savoir à Roger Frey*, ministre de
l’Intérieur, dans une lettre du 24 avril 1962, sa décision de maintenir « en
Algérie même des musulmans engagés à côté des forces de l’ordre. Le retour
de ceux-ci ne devra donc présenter qu’un caractère exceptionnel ». En dépit
des premiers enlèvements et massacres, les instructions confirment la volonté
du gouvernement de maintenir les harkis en Algérie. La question de leur sort
à court terme devient cependant pressante. Début avril 1962, Louis Joxe
demande à Robert Boulin, secrétaire d’État aux Rapatriés, d’établir un plan
de rapatriement. Celui-ci est restrictif : 5 000 harkis au maximum. La liste
précise de ces personnes doit être établie avant le scrutin
d’autodétermination, prévu le 1er juillet 1962, et être accompagnée de
justificatifs prouvant que leur vie est réellement menacée.
Face à ce plan rapatriement en marge de la réalité du terrain, des
officiers* de l’armée française expriment leurs désaccords et commencent à
rassembler des familles de harkis dans des casernes françaises pour organiser
leur transfert en France. Leurs initiatives sont dénoncées, et le 12 mai 1962,
Pierre Messmer*, ministre des Armées, adresse un télégramme incisif aux
officiers de l’armée, dans lequel il menace sans détour de « sanctions
appropriées tous les promoteurs ou complices de ces entreprises… », c’est-à-
dire ceux qui auraient facilité le débarquement en métropole de harkis en
dehors du plan général de rapatriement. Tel est le cas de militaires de la
demi-brigade des fusiliers marins (DBFM) qui créent l’Association amicale
de la demi-brigade de fusiliers marins (AADBFM), le 9 mars 1962, et
collectent des dons en faveur des harkis. Ces officiers contribuent à
l’évacuation de familles de harkis avant l’indépendance proclamée début
juillet. Elles sont les premières arrivées par la voie militaire et installées dans
le camp de transit du Larzac, le 13 juin 1962. Au total, 43 000 harkis et leurs
familles ont quitté l’Algérie avec l’aide de militaires français. Un bilan précis
et plus général du rapatriement est difficile à établir. La méthode la plus
fiable consiste à reprendre les données du recensement de 1968. Celui-ci
estime le total des harkis rapatriés à 140 000 personnes, dont 55 000 civils.
Le terme « harkis » dépasse ici les seuls anciens supplétifs* de l’armée
française. Il inclut également des notables, des fonctionnaires et leurs
familles, susceptibles d’être menacés. Le nombre des demandes de protection
et de rapatriement refusées est évidemment impossible à définir. La
responsabilité d’un rapatriement limité est collective : elle engage les
décisions prises par le général de Gaulle*, chef de l’État, que les ministres
appliquent. La présence massive de « Français musulmans » n’est pas alors
souhaitée en France. À ce sujet, Alain Peyrefitte, secrétaire d’État chargé de
l’information, rapporte dans son journal publié en 1994 des propos du général
de Gaulle tenus lors du Conseil des ministres du 25 juillet 1962 : « Ils [les
musulmans] ne retournent pas dans la terre de leurs pères. Dans leur cas, il ne
saurait s’agir que de réfugiés* ! »
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou et Houria Delourme, Ils ont dit non à
l’abandon des harkis. Désobéir pour sauver, Villemur-sur-Tarn, Loubatières,
2022 • Chantal Morelle, « Les pouvoirs publics français et le rapatriement des
harkis en 1961-1962 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 83, 2004/3
• Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard, 1994.

HAROUN, ALI (NÉ EN 1927)


Militant indépendantiste et avocat, Ali Haroun est membre du Comité
fédéral de la Fédération de France* du FLN* d’avril 1958 à l’indépendance.
Algérois, il a étudié à la faculté de droit d’Alger puis à la Sorbonne. Pour
financer ses études, il passe un concours de rédacteur et est affecté en 1947
au ministère de l’Éducation nationale. Il découvre les thèses indépendantistes
grâce à Saïd Slyemi, militant cégétiste membre de la Fédération de France du
MTLD. Avec lui, il assiste à ses premiers meetings, découvre le monde
ouvrier et rencontre Omar Boudaoud*, de passage à Paris. Il s’engage au sein
de la section étudiante du MTLD dirigée par M’hamed Yazid. Il y adhère au
courant centraliste.
Il revient à Alger pour son stage de fin d’études au barreau et devient
premier secrétaire de la Conférence des avocats. Il apprend le déclenchement
de la guerre à Fès où il réside depuis plusieurs mois pour des raisons
professionnelles. Il participe alors à la création des premières cellules du FLN
au Maroc*. Mohamed Boudiaf* le charge, en juin 1956, de lancer à Tétouan
l’édition B du journal Résistance algérienne. Lorsque ce dernier est
définitivement absorbé par El Moudjahid, il est muté à Tunis pour contribuer
à l’édition francophone de « l’organe de la révolution algérienne ».
En 1958, il est convoqué à Madrid où Omar Boudaoud l’informe de sa
mutation au Comité fédéral de la Fédération de France du FLN. C’est ainsi
qu’en avril 1958, il prend la tête de la commission Presse et Information
(CPI) qui sert à l’action psychologique du FLN auprès de l’opinion publique*
française. Il participe ainsi activement à la délégitimation du MNA* auprès
des intelligentsias française et belge. Sa spécialisation le conduit à redéfinir la
stratégie juridique du FLN dans l’immigration tout en veillant à
l’organisation frontiste dans les camps et prisons* de métropole via les
Comités des détenus. Il se fait aussi l’ambassadeur du FLN auprès des
juristes européens.
Après l’indépendance, il est député à l’Assemblée constituante puis, de
1964 à 1991, il exerce la profession d’avocat au barreau d’Alger. En 1986, il
publie aux Éditions du Seuil La VIIe Wilaya. La guerre du FLN en France
1954-1962. Bien que particulièrement critiqué par Mohammed Harbi*, pour
son orientation officielle, l’ouvrage reste précieux pour l’histoire de la
Fédération de France. Aux prémices de la guerre civile, il rejoint le premier
cercle du pouvoir : nommé ministre des Droits de l’homme en 1991, il est
membre du Haut Comité d’État de 1992 à 1994.
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, « Du point de vue du FLN : les comités de détention
dans l’organisation politico-administrative de sa Fédération de France (1958-
1962) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 92, no 4, 2008.

HERVO, MONIQUE (NÉE EN 1929)


Née dans une famille populaire dans le nord de Paris, elle grandit dans un
hôtel meublé. Elle pratique le scoutisme dans sa jeunesse et participe à
l’accueil des prisonniers et des déportés à leur retour d’Allemagne en 1945.
Deux ans plus tard, elle commence à suivre des études d’art à Grenoble puis à
Paris, avant de rejoindre l’académie Julian en 1954. Elle se spécialise dans le
vitrail, travaillant sur des chantiers de restauration à l’église de L’Aigle en
Normandie puis à Royan. En 1956, elle commence à donner des cours
d’alphabétisation aux Algériens dans le cadre de l’Assistance morale aux
indigènes nord-africains (Amina). Après avoir rencontré des membres de la
communauté de l’Arche (dont Lanza Del Vasto), elle entre au Service civil
international (SCI) avec lequel elle se sent en accord. Elle y agit d’abord
bénévolement, notamment à Lorient pour consolider des baraquements dans
la ville bombardée et détruite. Elle est ensuite salariée du SCI, et poursuit sa
réflexion sur la guerre, l’objection de conscience (elle rencontre le pacifiste
libertaire Louis Lecoin), et enfin le colonialisme. Après la lecture d’un article
sur le bidonville de La Folie à Nanterre, elle s’y installe en août 1959, dans
un camion frigorifique, partageant le quotidien des Algériens en guerre. À
partir de 1961, n’étant plus salariée du SCI, elle doit compter sur des
contributions solidaires. Acceptée par le FLN*, elle défile lors de la soirée du
17 octobre 1961* et assiste aux tirs de la police* sur les manifestants au pont
de Neuilly. Elle participe au décompte des morts et disparus au bidonville au
cours des jours suivants. Après l’indépendance, Monique Hervo continue à
vivre dans le bidonville, aidant les Algériens à remplir leurs demandes de
logement*, luttant pour la résorption des bidonvilles, et restant jusqu’à la
disparition de celui de La Folie en 1986. Entre-temps, elle publie avec Marie-
Ange Charras un livre de témoignages* des habitants de La Folie, en 1971.
La même année, elle participe à la fondation du Groupe d’information et de
soutien aux travailleurs immigrés (Gisti) puis, en 1973, devient salariée de la
Cimade*, au secteur « Migrants ». Dans ce cadre, elle participe au comité de
soutien de la grève* des loyers des foyers Sonacotra. Parallèlement, elle
mène aussi une grève au sein de la Cimade pour lutter contre le licenciement
du responsable du secteur « Migrants », André Legouy, et contre la
professionnalisation de l’association. En 1999, elle intervient en faveur de
Jean-Luc Einaudi au cours du procès que lui a intenté Maurice Papon* avant
de faire paraître en 2001 un témoignage sur le bidonville de Nanterre pendant
la guerre. Naturalisée algérienne en 2018, songeant à se convertir à l’islam,
elle vient de quitter (en 2022) le camping où elle vivait depuis 1986.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Monique Hervo et Marie-Ange Charras, Bidonvilles : l’enlisement,
Maspero, 1971 • Monique Hervo, Nanterre en guerre d’Algérie. Chroniques
du bidonville, 1959-1962, Seuil, 2001 • —, Notes pour servir l’histoire des
bidonvilles, Ressouvenances, 2016.

HOCINE, BAYA (1940-2000)


Baya Hocine s’engage très jeune dans les rangs de la résistance
algérienne. Elle a à peine 17 ans quand elle est arrêtée et condamnée à mort le
22 décembre 1957, à la suite d’un attentat qu’elle a commis dans le stade d’El
Biar le 10 février 1957.
Sa famille, originaire d’Ighil Imoula (Kabylie), déménage à Alger où elle
voit le jour le 20 mai 1940 à la Casbah. D’après son témoignage* à Djamila
Amrane* (1991), son père, militant du PPA*, était souvent emprisonné.
Après le décès de ce dernier, sa mère a dû faire des ménages pour nourrir la
famille. C’est à la prison* algéroise de Barberousse que Baya Hocine
commence un journal autobiographique qui lui sera confisqué, devenu une
source inestimable permettant d’entrer dans son intimité de jeune militante
détenue, de connaître son enfance*, et de manière plus globale de saisir la
complexité des vies des femmes* algériennes pendant la guerre de libération
nationale. D’après son journal, son engagement pour la cause nationaliste
commence dès 1954 dans son village natal (Thénault, 2019), se renforce lors
de la grève* des étudiants* qu’elle qualifie de « premier véritable acte
politique » (Amrane, 1991) et se poursuit en prison. Elle assure le transport
des tracts, des médicaments et finalement des armes et des bombes. Les mois
en prison sont marqués aussi bien par la solitude, l’angoisse, et la dépression,
que par la compassion, la solidarité et l’entraide avec d’autres détenues. Bien
qu’enfermée, elle continue son combat, en novembre 1957, en signant une
lettre dénonçant les violences subies en prison et les mauvais traitements, les
vexations et les humiliations. Dans un contexte où les exécutions sont
fréquentes, les manifestations*, chants*, grèves de la faim renforcent la
cohésion féminine mais des dissenssions existent également, notamment
entre communistes et nationalistes. Baya Hocine, dont la peine capitale a été
annulée en cassation en 1958, connaît la prison à Oran puis à Caen en France.
En 1962, Baya Hocine reprend ses études, exerce le métier de journaliste
et entame une carrière politique. Elle est députée en 1977 et se distingue par
la défense des droits des femmes et la lutte contre le Code de la famille
(1984). Ses désaccords avec la politique officielle l’amènent à démissionner
de son mandat à l’Assemblée algérienne et à quitter le parti FLN* en 1982.
Exprimant son désenchantement, elle confie à Djamila Amrane en 1991 :
« Pour nous [les femmes], c’était pire, parce que nous avions rompu […] les
digues et c’était très difficile de faire marche arrière […] En 1962, les digues
s’étaient remises en place en nous excluant. »
Karima RAMDANI
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991
• Sylvie Thénault, « Les papiers de Baya Hocine. Une source pour l’histoire
des prisons algériennes pendant la guerre d’indépendance (1954-1962) »,
L’Année du Maghreb, no 20, 2019 • Natalya Vince, Our Fighting Sisters.
Nation, Memory and Gender in Algeria, 1954-1962, Manchester, Manchester
University Press, 2015.

HOLLANDE, FRANÇOIS (NÉ EN 1954)


Avec Nicolas Sarkozy*, François Hollande fait partie de cette nouvelle
génération* de présidents n’ayant pas vécu la guerre d’Algérie. Leurs
relations avec ce passé sont plus distantes, moins passionnelles mais non
moins dénuées de politique.
François Hollande grandit auprès d’un père partisan de l’Algérie
française et proche du candidat d’extrême droite, Jean-Louis Tixier-
Vignancour. Pourtant dans les années 1970, il s’engage à l’Unef*. Entré au
parti socialiste en 1979, il devient député en 1988 puis premier secrétaire du
parti en 1997.
Élu président de la République en 2012, il impulse des avancées
mémorielles majeures. En janvier 2002, une loi instaurant le 19 mars 1962*
comme journée nationale du souvenir avait été adoptée à l’Assemblée
nationale mais avait échoué au Sénat. Revenus au pouvoir en 2012 avec
François Hollande, les socialistes font finalement adopter le texte. Longue
revendication des anciens combattants* de la Fédération nationale des
anciens combattants d’Algérie (Fnaca), le 19 mars s’ajoute au 5 décembre et
au 25 septembre dans le calendrier commémoratif national.
Sa participation à la cérémonie du 19 mars 2016 fait polémique.
Partisanes du 5 décembre instauré en 2003, la droite et l’extrême droite, dont
Nicolas Sarkozy, lui reprochent d’attiser la guerre des mémoires. Dans son
discours, il précise que cette date ne marque pas la paix mais le processus de
sortie de guerre et appelle à « reconnaître toutes les douleurs ».
En 2011, candidat à la présidentielle, il s’était rendu au pont de Clichy
pour dénoncer la répression du 17 octobre 1961*. Élu, il « reconnaît avec
lucidité ces faits […] et rend hommage à la mémoire des victimes » sans
toutefois évoquer la question des responsabilités. Il élude également cette
question dans l’affaire Maurice Audin*, même s’il met fin au mensonge
officiel en déclarant que ce dernier est « mort durant sa détention ». Le
25 septembre 2016, en revanche, il reconnaît les responsabilités françaises
dans « l’abandon des harkis*, les massacres de ceux restés en Algérie et les
conditions d’accueil inhumaines de ceux transférés en France ».
Il effectue deux voyages présidentiels en Algérie, le premier en
décembre 2012 pour apaiser des relations tendues depuis 2005. Il y reconnaît
les souffrances de la colonisation et évoque les massacres de Sétif.
Sa politique mémorielle s’inscrit dans la continuité de celle de Lionel
Jospin*. Si elle progresse dans un sens critique, elle reste incomplète au
regard des connaissances historiques et des demandes politiques auxquelles il
aurait pu répondre en tant qu’homme de gauche.
Paul Max MORIN

HONGRIE
La Hongrie prête son concours précieux au FLN* au début de la guerre
de libération par un poste émetteur de Radio Budapest diffusant en langue
arabe La Voix de l’indépendance nationale et de la paix (Saout al-Istiqlal),
installé sur la proposition des communistes maghrébins. Ce poste fonctionne
depuis le 28 mai 1954 et informe amplement les auditeurs des luttes armées
dans les trois pays du Maghreb, notamment les actions armées des
nationalistes tunisiens et marocains, puis celles des Algériens après
novembre 1954, ainsi que les grandes manifestations* de masse qui se
déroulent à l’époque au Maghreb. Il diffuse aussi la proclamation du FLN du
1er Novembre*, quelques jours après son lancement. Sa durée d’émission est
d’une heure trente minutes par jour. Selon le préfet* de Constantine et le
résident général du Maroc*, les émissions sont parfaitement audibles et très
écoutées. L’équipe du poste émetteur, composée des délégués des trois partis
communistes maghrébins, dirigée par William Sportisse*, secrétaire du
PCA*, reçoit des informations à diffuser de la direction du PCF* par
l’intermédiaire de la Légation de Hongrie à Paris. La nuit, l’équipe les traduit
en arabe dialectal pour pouvoir diffuser le matin. Après plusieurs
protestations de Paris puis sous la menace du gouvernement français de
bloquer la candidature de la Hongrie à l’ONU*, les autorités hongroises
décident de supprimer le poste émetteur. Celui-ci cesse toute activité le
26 octobre 1955. L’aide hongroise au FLN s’organise ensuite à partir de
février 1958, et se limite à l’assistance humanitaire (soin des blessés, envoi
de médicaments et de produits alimentaires) et culturelle (bourses d’études
aux jeunes Algériens). La valeur de l’aide totale entre 1958 et 1962 s’élève à
2 800 000 florins hongrois. Dans la presse*, les informations sur la guerre
deviennent quotidiennes : récits des événements, affaire Audin*, reportages
sur les Hongrois déserteurs de la Légion étrangère* et surtout à partir de 1960
sur les répercussions de la guerre en France. La Question (Minuit, 1958)
d’Henri Alleg* est publiée en Hongrie. Le 10 octobre 1960, Ferhat Abbas*,
président du GPRA*, au retour de Moscou, fait une escale à Budapest. Il est
reçu par le vice-Premier ministre avec qui il s’entretient. La visite est
considérée par les deux parties comme une reconnaissance de facto du
GPRA. La reconnaissance de jure vient après la signature des accords
d’Évian*.
László NAGY
Archives : Archives nationales hongroises, XIX-J-1-j Franciaország, 1945-
1964 • Centre des archives d’outre-mer 36 H 1.
Bibl. : László Nagy, « Les relations franco-hongroises à l’époque de la
guerre d’Algérie (1954-1962) », Revue d’histoire diplomatique, no 1, 2003.

HUMANITÉ (L’)
L’Humanité ne partait pas d’une table rase, en 1954. Le journal avait en
permanence informé ses lecteurs des injustices du colonialisme, des
protestations et des luttes, en épousant les évolutions – et souvent les
méandres – du discours communiste sur la question.
En novembre 1954, les premières analyses du journal sont à contre-
courant des réactions majoritaires en France. Apparaît dans ses colonnes un
mot d’une importance décisive : « véritables mesures de guerre »
(3 novembre). L’utilisation de l’aviation contre les populations, les épandages
de napalm sont dénoncés (5, 9 et 10 novembre), tout comme l’usage de
« tortures dignes de la Gestapo » (8 novembre). Les combattants algériens
sont des « patriotes » (2 novembre) qui bénéficient de l’« ardente sympathie
populaire » (10 novembre). Leur identité suscite néanmoins un silence gêné.
Pour de longs mois encore, le FLN* sera le grand oublié du journal. Enfin,
contrairement à bien des idées reçues, le mot « indépendance » (des trois
pays du Maghreb) apparaît également à ce moment (6 novembre), mais ne
s’imposera jamais majoritairement, recouvert massivement par « Paix en
Algérie ».
Dès que la guerre s’amplifia, il devint particulièrement difficile pour
L’Humanité d’obtenir des informations directes : ses relais naturels, les
communistes algériens, étaient en prison* ou plongés dans la clandestinité,
les journalistes venus de Paris (Robert Lambotte, Yves Moreau, Madeleine
Riffaud) étaient presque immédiatement expulsés. Malgré tout, L’Humanité
restera le quotidien (car il y eut également, bien sûr, des hebdomadaires, tel
France Observateur) le plus en pointe dans la dénonciation de la guerre.
Pierre Vidal-Naquet* affirmera plus tard (1986) : « Quelles qu’aient été les
hésitations du Parti, la mollesse dont il a fait preuve, c’est tout de même dans
la presse communiste que l’on trouve l’information la plus continue sur la
répression du mouvement national. » L’Humanité fut l’organe le plus réprimé
de toute la guerre : sur les 316 procès intentés à la presse* de 1955 à 1962,
deux sur trois (209) le visèrent.
Au lendemain des accords d’Évian*, L’Humanité affirma que « la lutte
du peuple français » avait été un facteur de paix. Exagération manifeste. Du
moins une partie de la presse sauva-t-elle l’honneur.
Alain RUSCIO
Bibl. : Christian Delporte, Claire Blandinet, François Robinet, Histoire de la
presse en France, XXe-XXIe siècles, Armand Colin, 2016 • Rosa Moussaoui et
Alain Ruscio (dir.), L’Humanité censuré, 1954-1962. Un quotidien dans la
guerre d’Algérie, Le Cherche Midi, 2012.

HURST, JEAN-LOUIS DIT MAURIENNE (1935-


2014)
Jean-Louis Hurst est né le 18 septembre 1935 dans une famille de
militaires. Il vit en Algérie pendant la Seconde Guerre mondiale puis côtoie
des Algériens travaillant pour son père à Colmar. Après l’obtention de son
baccalauréat, il bénéficie d’une bourse Zellidja en 1953 et découvre le
Proche-Orient, ce qui l’ouvre au nationalisme* arabe et au communisme. À
son retour, il devient instituteur, s’inscrit au PCF* et au SNI*, dont il est l’un
des membres de la commission nationale des jeunes au congrès de 1956.
Désirant agir au sein de l’armée, il résilie son sursis* et commence son
service militaire* en mars 1957. Il effectue un stage dans les transmissions
puis le peloton des officiers*, lui permettant de devenir sous-lieutenant.
Début 1958, il est affecté à Baden-Baden en Allemagne. En mai, il y
intercepte des messages des militaires insurgés en Algérie. Il songe alors de
plus en plus à déserter, d’autant qu’il est en contact avec les réseaux de
« porteurs de valises* ». Il met son projet à exécution en septembre,
rejoignant Yverdon en Suisse*. Il est d’abord porteur de valises, puis le
militant communiste égyptien Henri Curiel* lui suggère de créer une
organisation de déserteurs et d’insoumis. C’est ainsi qu’il crée Jeune
Résistance, avec l’aide d’autres réfractaires* installés en Suisse.
L’organisation se structure progressivement en 1959, notamment à la suite de
l’intervention de Jean-Louis Hurst au Festival mondial de la jeunesse à
Vienne. Début 1960, Jean-Louis Hurst s’installe en Allemagne. Il écrit Le
Déserteur, qui est publié aux Éditions de Minuit en avril 1960 sous le
pseudonyme de Maurienne. Bien que se présentant comme un roman,
l’ouvrage est très autobiographique. Il est saisi et poursuivi. Le compte rendu
du procès est publié en 1962 sous le titre de Provocation à la désobéissance.
Entre-temps, Jean-Louis Hurst poursuit ses activités au sein de Jeune
Résistance, du nouveau Mouvement anticolonialiste* français (MAF)
d’Henri Curiel, et du réseau de soutien au FLN*. Il vit alors en France dans la
clandestinité. À la fin de la guerre, il réclame une amnistie* collective au sein
du Comité de coordination des réfractaires anticolonialistes, termine son
service militaire fin 1962 puis rejoint sa compagne Heike en Algérie, avec
laquelle il a une fille, Annik. Le couple reste vivre en Algérie jusqu’en 1968.
Jean-Louis Hurst devient ensuite enseignant à Saint-Denis puis journaliste à
Libération, contribuant à faire connaître le raï en France. Il fait partie du
Comité international de soutien aux intellectuels algériens pendant la
« décennie noire ». Mort le 13 mai 2014, il est enterré à Alger avec son ex-
épouse Heike.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Collectif, Provocation à la désobéissance. Le procès du Déserteur,
Minuit, 1962 • Maurienne [= Jean-Louis Hurst], Le Déserteur, Minuit, 1960 •
Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007.
I

IGHILAHRIZ, LOUISETTE (NÉE EN 1936)


La guerre de libération a déstructuré la vie de tous les révolutionnaires.
C’est en ces termes que Louisette Ighilahriz résume les effets du conflit. Née
à Oujda (Maroc*) en 1936, sa famille s’installe à la casbah d’Alger en 1948.
L’influence de son père, militant dans les rangs du FLN*, est décisive quant à
son engagement ultérieur. « Il nous a fait jurer (à toute la famille) de toujours
lutter pour la libération de notre pays » (Amrane-Minne, 1994). Louisette et
sa sœur Malika suivent un stage de formation d’infirmière sur son conseil.
Étudiante en psychologie, elle s’engage à 20 ans en 1956 dans les rangs
du FLN et devient agent de liaison pendant la bataille d’Alger*, sous le nom
de Lila. L’arrestation de sa sœur Malika la contraint à rejoindre le maquis.
Elle est grièvement blessée lors d’une embuscade* en septembre 1957, à
Chebli. Elle est transportée dans les locaux de la 10e division parachutiste*,
où elle subit d’innommables tortures qui ne prennent fin que le 26 décembre
1957. Elle livre le témoignage* pour la première fois de ces souffrances
physiques dans un livre, Algérienne, en 2001. Elle est sauvée par un médecin
militaire, le commandant Richaud, qui ordonne son transfert à l’hôpital le
20 décembre, avant d’être incarcérée à la prison* de Barberousse où elle
retrouve sa mère et sa sœur. Plus de quarante ans après, elle témoigne avec
précision et porte le message de toutes les femmes* violées pendant la guerre.
Sujet délicat et tabou dans une société conservatrice, elle fait le choix des
décennies plus tard de nommer les abominations de la guerre en se
remémorant ces corps bafoués des droits les plus élémentaires. Les
combattants savaient ce qui les attendait une fois entre les mains de l’armée :
violences et déshumanisation au quotidien. En dépit de l’injonction au
silence, pour Louisette, il fallait au contraire que la parole se libère et que
justice soit faite. Pourtant, elle se refuse à la généralisation et à mettre tous les
militaires dans le « même sac », mais elle nomme ses bourreaux et les
commanditaires dont Graziani, Massu*, Bigeard*. Elle raconte aussi les
résistances quotidiennes et comment elle tenait tête face à ses tortionnaires.
Après trois mois de torture*, elle connaît les prisons de Barberousse et d’El-
Harrach à Alger, mais aussi en France. À l’hiver 1961, elle est placée en
résidence surveillée en Corse mais elle réussit à s’enfuir en février 1962 et
rejoint l’Algérie. À l’indépendance, elle continue son engagement politique,
jusqu’à porter sa voix pour qu’éclate la vérité sur les rôles indiscutables joués
par les femmes dans la guerre, mais aussi sur toutes les réalités sombres de
cette période où des atrocités ont été commises des deux côtés. Aujourd’hui,
elle accompagne le souffle nouveau du hirak, pour qu’une liberté et une
indépendance véritables s’instaurent en Algérie.
Karima RAMDANI
Bibl. : Djamila Amrane-Minne, Des femmes dans la guerre d’Algérie,
Karthala, 1994 • Louisette Ighilahriz et Anne Nivat, Algérienne, Fayard-
Calmann-Lévy, 2001 • Natalya Vince, Our Fighting Sisters. Nation, Memory
and Gender in Algeria, 1954-2012, Manchester, Manchester University
Press, 2015.

INDOCHINE, GUERRE D’
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la « France nouvelle » doit
gérer bien des dossiers. L’un des plus brûlants est le sort de l’Empire, en
particulier celui de l’Indochine, restée continûment vichyste, même après
l’installation du GPRF à Paris. En mars 1945, les Japonais, jusque-là
omniprésents mais respectant les apparences de la souveraineté française,
passent à l’acte et procèdent à un coup de force. Lorsque, quelques mois plus
tard, après Hiroshima (6 août 1945), le Japon capitule, un mouvement
indépendantiste, dit « Vietminh », dirigé par le communiste Ho Chi Minh,
s’empare du pouvoir, la « France nouvelle » est face à un choix : reconquête
de type colonial ou compromis avec ce Vietminh ? La réponse va osciller
durant dix-huit mois, entre contrôle croissant du terrain par le corps
expéditionnaire français, affrontements locaux, et tentatives de négociations
(Ho Chi Minh est même un temps invité officiellement à Paris). Finalement,
l’affrontement armé généralisé embrase le pays (hiver 1946-1947). Acte
initial d’un cycle qui ne s’interrompra qu’avec la signature des accords
d’Évian*, soit dix-sept années plus tard (Indochine, 1946-1954 ; Algérie,
1954-1962).
Les acteurs français – hommes politiques, militaires, intellectuels… –
furent souvent les mêmes, de l’Indochine à l’Algérie.
Chez les politiques, d’abord. De Gaulle* ? Il fut l’homme qui a décidé de
la reconquête de l’Indochine, envoyé là-bas l’amiral d’Argenlieu, soutenu
ensuite celui-ci contre les tentations libérales de Leclerc. Puis, ayant quitté le
pouvoir, il a critiqué la IVe République* pour son « manque d’engagement »
contre Ho Chi Minh… Georges Bidault ? Il a été continûment un belliciste
acharné en Indochine, au point qu’une majorité parlementaire, effrayée par
son jusqu’au-boutisme à Điên Biên Phù, l’avait débarqué en pleine
conférence de Genève pour le remplacer par Mendès*. Son évolution
postérieure vers l’OAS* fut la suite logique d’un cheminement. Pierre
Mendès France ? Sa dénonciation de la guerre d’Indochine, à partir de
l’automne 1950, a été fondée sur la nécessité de replier sur l’Afrique les
forces du pays et de maintenir ainsi son rayonnement international (vieille
tradition française : « Lâchons l’Asie, gardons l’Afrique »). Il n’y a pas eu un
Mendès pacifiste en juillet 1954 (la paix en Indochine) et un Mendès agressif
en novembre suivant (la guerre en Algérie), mais un homme d’État soucieux
de gérer au mieux la présence française outre-mer. Le même raisonnement
s’applique à Mitterrand*, proche des thèses mendésistes à la fin de la guerre
d’Indochine. Quant à Guy Mollet*, qui arrive à Matignon en 1956, il était
secrétaire général de la SFIO* depuis 1946. Sous son autorité, ce parti avait
justifié la guerre d’Indochine au nom de la « défense du monde libre » et
maintenu des ministres au Gouvernement jusqu’en 1951. Il fallait mal
connaître la politique de ce parti en Indochine pour s’étonner de son
engagement belliciste ensuite, en Algérie.
Chez les militaires, ensuite. Il faut avoir en tête le parcours colonial d’un
Salan*, exceptionnellement long et dense, nommé au Tonkin dès 1924 (il a
alors 25 ans) puis, lors de la guerre d’Indochine, chargé des plus hautes
fonctions militaires (dont le commandement en chef adjoint auprès de De
Lattre, enfin le commandement en chef en 1952-1953). Mais aussi Massu*
(au combat dès octobre 1945, avec Leclerc), Vanuxem*, Bigeard*, Allaire,
de Bollardière*, Denoix de Saint-Marc et même les jeunes Schmitt et Le
Pen*, ont tous quelques mois ou quelques années d’Indo quand ils partent en
Algérie, même s’ils n’en ont pas tiré les mêmes enseignements (on pense à de
Bollardière, qui refusa la torture* et devint plus tard non violent). Et que dire
alors des centaines, des milliers de sous-officiers* qui ont parcouru les
rizières bien avant les djebels, au prix de mille souffrances, dont les moindres
ne furent pas celles endurées par les prisonniers du Vietminh, soumis à
un régime d’une exceptionnelle dureté dont une « rééducation* » politique
qui leur inspira l’« action psychologique* » menée en Algérie.
C’est lors du conflit indochinois que fut forgée la doctrine de la guerre
révolutionnaire*, par des officiers* subalternes, partageant une trouble
admiration pour l’emprise du Vietminh sur les populations, assimilée à une
simple technique. Le colonel Charles Lacheroy*, de retour d’Indochine en
1953, est le véritable père de la doctrine. La force de l’ennemi, affirma-t-il,
était dans des « hiérarchies parallèles », directement politiques, permettant de
manipuler les esprits. En 1956, fort de sa réputation, il fut nommé chef du
Service d’action psychologique et d’information de la Défense nationale.
Autre officier de terrain devenu théoricien, le colonel Roger Trinquier*, qui
avait formé des maquis anti-Vietminh sur les arrières de l’ennemi, et qui mit
en place en Algérie le dispositif de protection urbaine* (DPU), quadrillage
méticuleux de la population, assorti de l’usage de la violence immédiate
devant toute tentative de résistance.
Dans le monde intellectuel de gauche, si la guerre d’Indochine n’a pas été
une « guerre des pétitions », comme on l’a dit pour la guerre d’Algérie, elle
n’a pas non plus été un moment de grand silence des intellectuels. Il y eut
plusieurs meetings à la Mutualité, à la salle Wagram ou ailleurs, pas tous,
loin de là, organisés par les communistes, des appels collectifs, etc. Le
recensement des signataires couvre toute l’intelligentsia de gauche de
l’époque : Simone de Beauvoir*, Jacques Berque, Claude Bourdet*, André
Breton, Yves Dechezelles, Jean-Marie Domenach, Jean Dresch, Daniel
Guérin, Charles-André Julien, André Mandouze*, Gilles Martinet*, Louis
Massignon*, Pierre Naville, Jean Rous, Roger Stéphane, Vercors… Noms
qui figureront parmi les pétitionnaires lors de la guerre d’Algérie. Parfois,
comme pour Sartre*, les engagements lors de la guerre d’Algérie ont un peu
masqué, dans la mémoire collective, ceux du conflit précédent. Mais avec une
différence de taille : la dénonciation de la guerre d’Indochine s’est faite dans
l’harmonie avec les communistes, rompue lors de l’intervention soviétique en
Hongrie*. Sartre s’était engagé pour la libération du marin communiste Henri
Martin, réunissant dans un livre de 1953 des intellectuels de renom : Hervé
Bazin, Jean-Marie Domenach, Michel Leiris, Jacques Madaule, Prévert,
Vercors… et un certain Francis Jeanson*, ensuite engagé pour le FLN*.
Il existe aussi des mouvements contradictoires. Paul Rivet et Albert
Bayet, très accusateurs et très actifs encore lors de la guerre d’Indochine,
firent le chemin inverse à propos de l’Algérie. A contrario, François
Mauriac* partagea longtemps la thèse de l’endiguement du communisme en
Indochine, mais s’engagea lors de la guerre d’Algérie, en particulier contre la
torture.
À l’opposé, chez les intellectuels pro-Algérie française, on retrouve des
noms qui avaient soutenu le principe même de la politique française en
Indochine : Paul Claudel, Jules Romains, Thierry Maulnier, Roland Dorgelès,
Henri Massis…
Si la guerre d’Indochine ne fut pas une répétition générale, elle fut bel et
bien un moment clé de la décolonisation tragique, dont le conflit algérien fut
le chant funèbre.
Alain RUSCIO
Bibl. : Michel Bodin, Dictionnaire de la guerre d’Indochine. 1945-1954,
Institut de stratégie comparée/Economica, 2004 • Alain Ruscio (dir.), La
Guerre « française » d’Indochine (1945-1954). Les sources de la
connaissance. Bibliographie, filmographie, documents divers, Les Indes
savantes, 2002 • Benjamin Stora, Imaginaires de guerre. Les images dans les
guerres d’Algérie et du Vietnam, La Découverte, 2004.

INDUSTRIE
En 1830, il n’existe en Algérie qu’un artisanat de laines, cuirs et peaux,
de la poterie, du travail des métaux (dinanderie) et un armement maritime
pour les besoins de la course.
La colonisation, avec ses chemins de fer, gares, routes, ports, magasins,
banques, etc., apporte l’apparence d’une modernité à un pays qui va,
cependant, rester principalement producteur de matières premières
exportables. Cette assignation s’inscrit d’abord dans l’infrastructure. On
destine en priorité les voies de communication à acheminer les produits
primaires (vins, céréales et minerais) vers la mer.
La création de lignes ferroviaires est décidée dès 1857. Une première
ligne Alger-Blida (30 km) est mise en service en 1862. En 1864, une ligne
relie les gisements de fer de Mokta El Hadid au port de Bône, une autre
M’sila à Bordj bou Arreridj pour exporter les phosphates par le port de
Bougie. Alger-Oran (400 km) est ouverte en 1871. Alger-Constantine
(600 km) est achevée en 1886. En tout, il existe 4 396 kilomètres de voies
ferrées en 1954. Le réseau appartient pour 75 % à la Compagnie des chemins
de fer algériens (publique) et 25 % au Paris-Lyon-Marseille (Rothschild). Des
routes asphaltées sont ouvertes et, en 1954, ce réseau atteint
25 000 kilomètres.
Les ports existant en 1830 ne disposent pas de jetées et d’embarcadères
en pierres ni de bassins adaptés au gros tonnage. Les ports historiques (Alger,
Oran, Bougie) sont agrandis. Des travaux sont entamés pour Bône (1855),
puis Philippeville (1860), Nemours (1861), Mostaganem (1890) et Arzew
(1905). Ces ports assurent jusqu’au XXe siècle un cabotage intense. Les
Schiaffino prospèrent d’abord par cette activité. En 1883, un seul bateau au
long cours est inscrit contre 172 caboteurs. En 1930, il y en a respectivement
2 et 125. On enregistre à cette date l’entrée ou la sortie de 33 852 navires
(46 646 000 tonneaux), soit dix fois plus qu’en 1880. En 1930, 8 458 marins
sont inscrits dont 2 431 musulmans. En 1960, l’importance respective des
ports est selon le trafic, en milliers de tonnes, Alger (2 800), Oran (1 200),
Bône (500), Philippeville (500), Mostaganem (340), Bougie (160),
Nemours (155), Arzew (57) et Djidjelli (29).
En 1830, le capitalisme industriel français, bien pourvu en charbon et en
minerai de fer, reste indifférent à la conquête. Mais, dès 1840, la monarchie
de Juillet légifère. Elle considère dorénavant l’Algérie comme une colonie et
il est acquis que la présence française sera durable. L’État se fait même
promoteur de la colonisation. Dès 1849, des concessions minières sont
demandées et attribuées. Il faut attendre, cependant, les années 1900 pour
que, grâce à la réception des voies ferrées et des ports, l’exploitation intéresse
les capitaux et prenne son essor.
Ainsi, découvert en 1873, le phosphate représente 6 000 tonnes en 1893
et déjà 200 000 tonnes en 1900. La découverte de charbon à Kenadsa (1907)
et sa production (300 000 tonnes en 1954) couvrent les besoins de quelques
centrales thermiques (Alger, Bône, Oran). L’exploitation du gisement de fer
le plus important, celui de l’Ouenza, ne commence qu’en 1921. La France
n’ayant pas besoin, à l’époque, d’importer du minerai de fer, la production
algérienne devra être vendue ailleurs, principalement en Grande-Bretagne.
Cet apport de devises est le bienvenu pour le Trésor français. Ces minerais
sont, en général, exportés en l’état brut. En 1954, une quarantaine de mines
sont exploitées : parmi elles, 13 de minerai de fer, 6 de plomb, zinc et cuivre,
2 de phosphate et 1 de houille. Jusqu’en 1954, le pétrole* est quasiment
absent (4 000 m3 en 1950 et 102 300 m3 en 1954).
Les conditions de travail* sont pénibles. On emploie encore des enfants
au fond. En 1930, les services du Gouvernement général* recensent
10 331 employés : 4 144 adultes au fond et 5 408 au jour ; 222 enfants au
fond et 647 au jour. Dans l’ensemble des mines et carrières
(20 858 employés), on enregistre 2 064 accidents du travail et 42 morts.
L’Algérie reste un producteur secondaire. Pour le fer : 500 000 tonnes en
1900, puis 2 millions en 1930 et 2,5 millions en 1950. Pour le phosphate :
300 000 tonnes en 1900, 820 000 en 1930 et 680 000 en 1950. Outre la
houille de Kenadsa, on extrait aussi du zinc (16 000 tonnes en 1950) et du
plomb (14 000 tonnes en 1950).
Les sociétés Ouenza et Mokta El Hadid exploitent le fer. Ouenza (75 %
du minerai) est à capitaux publics ; Mokta est liée aux milieux financiers
parisiens. Le phosphate est exploité par la société privée Phosphates de
Constantine. Parmi les administrateurs, on trouve Henri Borgeaud* et
Laurent Schiaffino*. Depuis 1906, le phosphate est transformé en
superphosphate à Bône par la Société algérienne de produits chimiques
(contrôlée par Mokta).
Les industries manufacturières supposent, quant à elles, la disponibilité
d’énergie. L’absence de grands fleuves réduit les possibilités d’énergie
hydraulique. Le charbon local est insuffisant. En 1954, la production locale
d’énergie (384 700 de tonnes équivalent charbon) ne couvre que 22 % des
besoins. Le reste est importé.
Les stratégies d’investissement des acteurs locaux ou métropolitains sont
pour le moins timides. Les grands colons* placent plutôt leur argent en
métropole. Les industriels français se désintéressent de l’Algérie où les
conditions objectives (énergie, main-d’œuvre qualifiée, etc.) ne sont pas
réunies. Une minorité, ceux qui ont le monopole du débouché algérien
(produits de consommation), ne souhaite pas la naissance d’une industrie
concurrente en Algérie – le gouverneur général Léonard* le dit crûment en
1954 : « L’industrie métropolitaine […] ne désire guère y voir se développer
un équipement qui la priverait de sérieux débouchés. » Quelques-uns ont,
après les guerres successives avec l’Allemagne, envisagé des replis
stratégiques sur l’Algérie (la société alsacienne de Dietrich, se replie à Bône
pour y fabriquer des wagons). La masse musulmane, de par son statut minoré,
reste quasiment exclue de ce champ d’entrepreneuriat.
En 1954, la liste des entreprises industrielles tient sur une page. Elles
n’emploient que 250 000 personnes : 192 000 ouvriers musulmans et 59 000
Européens. L’insuffisance de l’industrie est notoire : durant les deux guerres
mondiales, l’interruption de certaines importations venant de France se
traduit par des pénuries de produits aussi banals que les ficelles, clous et socs
de charrues (1914-1918) ou le savon et les textiles (1939-1945).
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs publics
parisiens commencent à s’intéresser sérieusement au problème de
l’industrialisation. Des plans et des systèmes d’aides publiques sont mis en
place. De 1946 à 1954, plus de 130 entreprises sont créées grâce au soutien
de l’État (20 000 emplois). De petites et moyennes entreprises naissent qui
produisent de faibles tonnages : une batterie de fours Martin et le montage de
wagons à Bône, des laminoirs et une verrerie à Oran, une tréfilerie de métaux
à Alger associée à la fabrication de câbles électriques. À Alger, on fabrique
aussi des emballages de fer-blanc, des cotonnades, des peintures, des vernis,
des encres, et de la soude et du chlore pour les lessives. Il y a, en 1954,
quelque 60 minoteries et 45 fabriques de tabac, dont le célèbre Bastos.
L’industrie des matériaux de construction est fortement présente après 1945.
Les Ciments Lafarge s’installent en 1949, mais le nombre de logements* mis
en chantier reste réduit. En 1954, on a donné seulement 3 457 autorisations
de mises en chantier (9 239 logements). Au final, la part de l’industrie dans le
PIB est de 25 % en 1954. Commencée cette année-là, la guerre alerte
sérieusement le gouvernement de Paris qui entreprend alors une politique
massive d’investissements (infrastructures, logements, industries), connue
sous le nom de « plan de Constantine* » (1958-1961).
Ahmed HENNI
Bibl. : Alain Cotta, « Les perspectives décennales du développement
économique de l’Algérie et le plan de Constantine », Revue économique,
vol. 10, no 6, 1959 • Gouvernement général, série Statistique générale (depuis
1867) suivie de l’Annuaire statistique de l’Algérie, Alger • André Nouschi,
L’Algérie amère, 1914-1994, Maison des sciences de l’homme, 1996.

INSTITUTIONS DE L’ALGÉRIE
En 1848, alors que l’Algérie est sous régime militaire, la Constitution de
la IIe République l’érige en départements. L’organisation de la colonie, dont
la conquête et la soumission sont loin d’être achevées, est alors placée sous le
signe de l’assimilation. Celle-ci est communément comprise comme
signifiant la reproduction des principes valant en métropole. Il n’en est rien. Il
y a à ce sujet un véritable « quiproquo », pour reprendre le mot d’Ageron*
dans son « Que sais-je ? » sur l’Histoire de l’Algérie contemporaine (PUF,
1979) : l’assimilation, dans son acception coloniale, ne concerne que les
migrants venus d’Europe. Elle ne vaut pas pour les « indigènes » que les
stéréotypes culturalistes vouent à une administration par la force. Aussi les
départements n’ont pour assise territoriale que les poches de peuplement
européen. L’immense majorité du territoire et de ses habitants reste
administrée par les Bureaux arabes, que Jacques Frémeaux* n’hésite pas à
qualifier de « régime du sabre ». Les départements et l’administration civile
ne couvrent que très progressivement la partie septentrionale de l’Algérie. La
IIIe République accélère notablement le processus. Le Sud néanmoins reste
voué à l’administration militaire avec l’organisation, en 1902, des
« Territoires du Sud* » englobant le Sahara.
Cette tension entre une assimilation admise pour les seuls Européens et
un particularisme colonial frappant les Algériens de discrimination explique
la complexité des institutions de l’Algérie au moment de la Guerre
d’indépendance. À l’échelon local existent des « communes de plein
exercice » (CPE) et des communes mixtes. Seules les CPE sont dotées d’un
conseil municipal élu et d’un maire*. Historiquement, elles ont été tracées sur
les poches de peuplement européen. La quasi-totalité des Français d’Algérie
vit sous ce régime au moment de la guerre. Au contraire, de très vastes
superficies, les communes mixtes ont été formées sur les espaces de
peuplement « musulmans », selon la taxonomie de l’époque. Elles sont gérées
par un administrateur nommé, assisté d’adjoints et d’une commission
municipale. Environ 5 millions des « musulmans » sur un total de 8 millions
y vivent au moment de la guerre. Au sein des communes mixtes, en outre, des
centres municipaux ont été formés, dotés d’un « président » qui n’est pas un
élu. En 1954, le Dictionnaire des communes recense, pour le seul
département d’Alger, 125 CPE, 24 communes mixtes et 51 centres
municipaux.
À l’échelon départemental, les conseils généraux se rapprochent de leurs
homologues métropolitains. Au sommet de la pyramide, l’Assemblée
algérienne, créée en 1947, est une institution unique en son genre. Sa
composition, son fonctionnement et ses décisions en font un outil au service
de la minorité française. Loin de l’assimilation, enfin, la présence d’un
gouverneur général est caractéristique d’un territoire colonial – au XIXe siècle,
les colons* les plus assimilationnistes en réclamaient la suppression. Sachant
en outre que les élections*, à tous les échelons (communes, conseils
généraux, assemblée algérienne), suivent le principe du double collège*,
minorant la représentation de la majorité algérienne (8,5 millions pour
1 million de Français en 1954), les institutions de l’Algérie ne sont en rien le
décalque de celles de la métropole. Elles reflètent en réalité la structure
profonde de l’Algérie : une colonie de peuplement au sein de laquelle la
suprématie de la minorité coloniale ne tient que par l’infériorisation de la
majorité colonisée.
De ce fait, la réforme des institutions est au programme des
gouvernements français confrontés à la lutte pour l’indépendance. Ils lui
consacrent bien des efforts et des réflexions alors même qu’elle n’a plus
guère de sens. Comme par le passé, les représentants des Français d’Algérie
s’opposent à toute modification les mettant en péril ; ils rejettent en
particulier le collège unique d’électeurs. Le FLN*, de son côté, obtient le
ralliement des élus du second collège avec le Comité des 61 qui, en
septembre 1955, proclame son adhésion à l’« idée nationale algérienne ». Les
élus du second collège sont appelés à démissionner, de façon à faire péricliter
les institutions dans lesquelles ils siègent. L’année 1956, lorsque sont votés
les pouvoirs spéciaux* comportant un important volet réformateur, est
décisive. Cette année-là, les gouvernements dissolvent l’Assemblée
algérienne* et les conseils municipaux ; ces derniers sont remplacés par des
délégations spéciales nommées. Ces dissolutions mettent fin au pouvoir des
élus défenseurs de la minorité française et entérinent la défection des élus du
second collège. Les communes mixtes sont aussi supprimées : elles sont
censées basculer dans le régime communal ordinaire. Concrètement, l’armée,
avec les sections administratives spécialisées* (SAS), prend le relais de
l’administration locale en milieu rural. Le découpage du territoire est par
ailleurs maintes fois revu, afin d’assurer un maillage plus dense de la colonie.
Les départements sont redessinés : après le département de Bône en 1955,
huit autres sont créés en 1956 mais la carte est instable – créations et
suppressions se succèdent dans les années suivantes. Trois régions, enfin,
remplacent les trois départements originels d’Oran, Alger et Constantine.
Elles ont à leur tête un préfet* Igame (inspecteur général de l’administration
en mission extraordinaire). Le collège unique est quant à lui proclamé par de
Gaulle* en 1958, dans son discours que l’expression « Je vous ai compris ! »
a rendu fameux. En 1959 ont lieu les dernières élections municipales en
Algérie mais il est sûr que le destin du pays ne se joue pas au sein des
institutions.
Celles-ci retiennent assez peu l’attention dans l’historiographie de la
guerre tant leur réforme est dénuée d’enjeu dans ce contexte de la lutte pour
l’indépendance. Les connaître est néanmoins fondamental pour au moins
trois raisons. D’une part, elles démentent l’idée d’une départementalisation
synonyme d’assimilation ; bien que constituée de départements, l’Algérie
était une colonie. D’autre part, la réforme de ces institutions a largement
occupé les gouvernements en place et elle explique la chute de plusieurs
d’entre eux, sous la IVe République* ; qu’elle paraisse vaine ne change rien
au fait que les politiques gouvernementales ne peuvent être comprises sans
cet aspect. Enfin et surtout, ces institutions ont leurs conséquences après
l’indépendance. Quels qu’aient été les discriminations de la représentation
politique et les truquages électoraux, l’exercice de fonctions électives au sein
du second collège a contribué à la formation d’élus locaux à même de
prendre les rênes une fois l’indépendance proclamée. À Constantine, note
ainsi Ouanassa Siari Tengour, la municipalité formée le 14 juillet 1962
« reconduit des élus de la municipalité de 1947 ». La vie politique existant au
sein du second collège, conclut l’historienne, a « contribué à modeler les
contours du lien politique et à forger le sentiment national ».
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition
d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la Ve République, Publisud,
2000 • Jacques Frémeaux, Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête,
Denoël, 1993 • Ouanassa Siari Tengour, « La municipalité de Constantine de
1947 à 1962 », Bulletin de l’IHTP, no 83, Répression, contrôle et
encadrement dans le monde colonial au XXe siècle, 2004.

INSURRECTION DU 20 AOÛT 1955


L’insurrection du 20 août 1955, dans le nord-est du Constantinois, dure
trois jours. Elle associe combattants de l’ALN* et paysans dans une palette
d’actions alliant embuscades*, barrages de routes, incendies de fermes,
attaques de villages mais aussi de la ville de Philippeville. L’événement,
d’une certaine façon, rejoue le début d’insurrection du 8 mai 1945. Cette fois,
cependant, le soulèvement n’est pas spontané : il a été lancé par Zighoud*
Youcef, successeur de Mourad Didouche* à la tête du Nord-Constantinois.
À Aïn Abid et El Halia, où vit une centaine d’Européens, près de la mine
de fer et de la carrière de marbre exploitées par les ouvriers algériens,
quarante-deux Européens sont tués dont des femmes et des enfants. Au total,
les insurgés font soixante et onze victimes civiles, parmi lesquelles des
Algériens considérés comme modérés, dont le neveu de Ferhat Abbas*.
Comme d’ordinaire en situation coloniale – et notamment en 1945 –, la
répression est sans commune mesure. Elle fait des milliers de victimes –
12 000 selon le FLN*. L’armée procède à des exécutions sommaires* en
masse, notamment au stade de Philippeville, où des centaines d’hommes ont
été conduits.
C’est que l’armée française reçoit une totale liberté d’action, en vertu des
ordres du général Lorillot* qui commande alors les forces françaises en
Algérie. Au contraire de ce qui s’est passé à Guelma en 1945, la formation de
milices a été refusée aux Européens. Le jour des obsèques de victimes à
Philippeville, ils piétinent les gerbes officielles, huent le préfet* et se lancent
dans des ratonnades*. Claire Mauss-Copeaux démontre cependant que
l’interdiction officielle de former des milices n’a pas empêché des Européens
de participer aux violences, en commettant des représailles aveugles, dans le
cours même des événements.
Avec l’insurrection, Zighoud Youcef poursuit une série d’objectifs,
d’enjeux et de natures variables : récupérer des armes ; déplacer les troupes
françaises des Aurès, où l’ALN est encerclée, vers le nord ; riposter aux
représailles collectives pratiquées par l’armée ; doter l’insurrection d’une
assise populaire ; porter les « événements d’Algérie » sur la scène
internationale ; exercer une pression sur les modérés tentés par une
conciliation. Globalement, l’insurrection sert à relancer la lutte pour
l’indépendance. En effet, la multiplication des attentats et la persistance des
maquis depuis le 1er novembre 1954* n’avaient pas encore permis de
dépasser le stade de l’installation d’un climat d’insécurité. La participation
des Algériens à l’insurrection, sous l’égide de l’ALN, dote en outre le FLN
d’une légitimité nécessaire, dans la mesure où, né d’un petit groupe, il est
passé à l’action à la Toussaint 54 sans avoir le soutien des masses.
La date du soulèvement a par ailleurs une dimension maghrébine, preuve
de l’enjeu international. Le 20 août est en effet la date anniversaire de la
déposition du sultan du Maroc*, Mohammed V, par la France en 1953. Il est
prévu que les Marocains manifestent à cette occasion et, de fait, au Maroc
aussi, soulèvement et répression s’enchaînent ce jour-là. Sans concertation ni
coordination avec ses voisins, Zighoud Youcef joue sur la coïncidence entre
son initiative et les mobilisations marocaines afin de leur donner plus d’écho.
Il contredit ainsi le discours français minimisant les « événements d’Algérie »
et les présentant comme une affaire interne. De fait, les pays du bloc arabo-
asiatique font inscrire la question algérienne à l’ordre du jour de l’Assemblée
générale de l’ONU*. Le 30 septembre 1955, le débat met à mal la position
officielle française.
Vis-à-vis des Algériens, le soulèvement est censé accélérer les
ralliements, dans la continuité du travail mené par Abane* Ramdane à Alger
depuis plusieurs mois. Le 1er avril 1955, il a lancé un appel à l’intégration des
militants de tous courants, sauf ceux du MNA*, avant de multiplier les
rencontres. En août, cependant, il reste des modérés qui n’ont pas encore
franchi le pas les conduisant au FLN et que les autorités françaises tentent
également de se rallier. De ce point de vue, l’insurrection est un succès. Elle
contraint en effet chacun à choisir son camp, par un effet de radicalisation. La
motion des 61*, pilotée en sous-main par Abane Ramdane, est en ce sens
significative.
Côté français, l’insurrection est connue pour avoir convaincu le
gouverneur général Soustelle* de délaisser toute option libérale. Il entame
alors un cheminement qui fera de lui l’un des plus fervents partisans de
l’Algérie française. Dans Aimée et souffrante Algérie, paru dès 1956, il
défend la répression en minimisant le bilan* : il ne retient que 1 273 morts
algériens. La répression est une « riposte », selon ses mots, « sévère mais non
aveuglément brutale ni inutilement sanglante ». Il publie en outre des photos
d’assassinats d’enfants affirmant que les violences des insurgés légitiment
toutes les pratiques répressives.
Au sein du FLN, la décision de lancer le soulèvement du 20 août 1955 a
été critiquée. Au congrès de la Soummam*, ainsi, l’été suivant, est invoqué
l’engagement irresponsable de civils dans des opérations a priori
incontrôlables, exposant les populations à la répression. Avoir ciblé
simultanément des Européens et des Algériens modérés est aussi considéré
comme contre-productif. Ce serait faire le jeu des pourfendeurs du
nationalisme*. Le commandement des Aurès, toutefois, se félicite de l’effet
de l’insurrection sur un plan strictement militaire. L’insurrection du 20 août
est sans conteste un succès pour le camp algérien qui non seulement relance
son action mais prend alors l’avantage sur son adversaire. Il le conservera
pendant toute la première partie du conflit, jusqu’en 1957.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Claire Mauss-Copeaux, Algérie, 20 août 1955. Insurrection,
répression, massacres, Payot, 2011 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du
FLN (1954-1962), Fayard, 2002 • Sylvie Thénault, Histoire de la guerre
d’indépendance algérienne, Flammarion, 2012.

INTERNATIONALISATION
Pour les gouvernements français, la question algérienne est une affaire
purement française, en vertu du principe selon lequel l’Algérie est française
et fait partie du territoire national. Ils s’appuient constamment sur le
chapitre 1, article 2, paragraphe 7 de la Charte des Nations unies*, qui
stipule : « Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations
unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la
compétence nationale d’un État ni n’oblige les membres à soumettre des
affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente
Charte. »
Le FLN*, en revanche, recherche dès le début des appuis dans le monde,
destinés à faire reconnaître la légitimité de la lutte du peuple algérien et son
droit à l’indépendance, en présentant l’Algérie comme un sujet de droit
international, et non plus comme une dépendance de la France.
Ces appuis sont trouvés d’abord du côté maghrébin, le déclenchement de
la révolution algérienne se déroulant alors que les combats pour
l’indépendance des voisins tunisiens et marocains sont bien avancés et
aboutissent en mars 1956. Soutenus par leurs opinions publiques, le président
Bourguiba et le roi Mohammed V proclament leur solidarité avec le FLN et
laissent ses militants et ses combattants s’implanter solidement sur leurs
territoires au voisinage de l’Algérie. Par ailleurs, en un moment où le
nationalisme* arabe connaît une vigueur particulière, la révolution algérienne
peut compter sur l’appui de la Ligue arabe*, créée au Caire en 1945, et
renforcée par l’installation au pouvoir de Gamal Abdel Nasser en Égypte*
(mars-octobre 1954), ainsi que par la révolution irakienne de juillet 1958.
Un courant de sympathies plus vaste est représenté par le courant
neutraliste, qui s’organise à partir de la conférence de Bandoeng*
d’avril 1955, dominée par l’Indien Nehru et l’Indonésien Soekarno, avec
l’appui de Chou En-lai, émissaire de la Chine* communiste. Le FLN a
envoyé M’hamed Yazid et Aït Ahmed*, au sein d’une délégation du
Maghreb. Le refus de l’alignement sur un des blocs mais aussi la
dénonciation du colonialisme servent de base à la formation d’un courant
« afro-asiatique » destiné à peser de plus en plus dans les relations
internationales en faveur de la décolonisation.
Les ouvertures des deux blocs sont plus tardives. La bienveillance de
l’URSS* et de ses satellites européens s’affirme surtout à partir de 1956, le
gouvernement soviétique recherchant les sympathies du tiers-monde dans le
cadre d’une « coexistence pacifique » qui est présentée par le premier
secrétaire du PC d’URSS Nikita Khrouchtchev comme une compétition avec
les Occidentaux. Ceux-ci, tout en demeurant solidaires de la France, font très
vite connaître leurs réserves, car ils sont vite convaincus de l’inutilité du
combat que mène leur allié, de son impopularité dans les pays d’Afrique et
d’Asie, et des déséquilibres que le conflit pourrait entraîner, avec tous les
avantages que pourrait en tirer le bloc communiste.
Il faut dire que la théorie française d’une affaire purement intérieure est
plusieurs fois démentie par les faits. L’intervention française à Suez* en
octobre 1956, aux côtés des Britanniques et des Israéliens, qui a pour objet de
renverser le président Nasser, principal soutien du FLN, est à l’origine d’une
crise internationale qui menace de mettre face à face Américains et
Soviétiques. Le bombardement du camp de l’ALN* à Sakiet Sidi Youssef*
(février 1958), en territoire tunisien, suscite la crainte de voir la guerre
s’étendre à l’ensemble du Maghreb. L’intervention de l’armée française
contre la tentative des Tunisiens pour récupérer la base de Bizerte*
(juillet 1961) est également un sujet de tension. Par ailleurs, les essais
nucléaires* de la France au Sahara sont critiqués par les voisins sahariens de
l’Algérie, qui en dénoncent les retombées nocives. Dès sa XIVe session,
l’Assemblée générale de l’ONU* vote une résolution dans laquelle elle
exprime sa « grave préoccupation » et demande à la France de s’abstenir
(20 novembre 1959). Le Nigeria va jusqu’à la rupture des relations
diplomatiques en 1960. Le gouvernement marocain profite de l’émotion pour
soulever de nouveau la question de la souveraineté des provinces sahariennes
dont il revendique la possession.
Le FLN mène une diplomatie très active pour tirer parti de ces divers
éléments favorables. Face au réseau d’ambassades françaises, il accroît son
action à l’extérieur en multipliant les délégations chargées de plaider sa cause
dans un nombre croissant de pays, sous forme de représentations permanentes
et par l’envoi en mission de ses personnalités les plus chevronnées (Abbas*,
Ben Khedda*, Krim*, Francis, Yazid), qui font l’objet de réceptions au plus
haut niveau.
Il se dote avec le GPRA*, officiellement proclamé le 19 septembre 1958,
d’un organe représentatif, reconnu de jure dès 1959 par 17 États, dont 9 États
arabes (Arabie saoudite, Irak, Libye, Maroc*, Tunisie*, République arabe
unie – Égypte-Syrie –, Soudan, Yémen, Liban), 5 États d’Asie, (Nord-
Vietnam, Corée du Nord, Mongolie extérieure, Indonésie, Chine
communiste), 2 États africains (Ghana, Guinée). L’URSS reconnaît de facto
le GPRA en octobre 1960. Les autres reconnaissances (Liberia, Mali, Togo,
Cuba, Pakistan, Yougoslavie*, Chypre, Inde, Cambodge, Afghanistan,
Éthiopie) sont plus tardives (fin 1961 pour la plupart). Pour prouver sa
capacité à engager internationalement l’Algérie, le GPRA fait enregistrer par
le gouvernement suisse le 20 juin 1960 son adhésion aux quatre conventions
de Genève* de 1949 protégeant blessés, prisonniers* et populations civiles en
temps de guerre.
Une action constante est menée auprès de l’ONU, où la question
algérienne est évoquée dès la Xe session (1955) et régulièrement par la suite
(de la XIe à la XVIe session, 1956-1961) avec des appuis croissants, qui
s’expliquent par l’entrée de nouveaux États dans l’organisation, tandis que les
amis de la France se contentent de s’abstenir sur le vote de résolutions
impliquant l’Algérie. Les Algériens sont également représentés lors des
conférences panafricaines inaugurées à l’initiative de Kwame Nkrumah, et
qui amorcent l’évolution destinée à aboutir à la création de l’Organisation de
l’unité africaine (OUA) en 1963 : Accra* en avril 1958, puis Monrovia
(1959) et Casablanca (1961).
La diplomatie française ne peut que freiner ce mouvement irrésistible.
Les députés français refusent la médiation proposée par les Américains et les
Britanniques dans l’affaire de Sakiet. Ils s’efforcent, non sans un certain
succès, d’empêcher les États amis de reconnaître officiellement le GPRA. Les
délégués français à l’ONU réussissent de justesse à empêcher que les
résolutions de l’Assemblée générale relatives à l’Algérie obtiennent les deux
tiers des votes nécessaires pour leur adoption, en vertu du chapitre 4,
article 18, paragraphe 2, de la Charte. Lorsqu’il décide enfin de s’orienter
vers la négociation*, le général de Gaulle* entend voir la France diriger seule
et en toute souveraineté le processus menant à l’autodétermination, puis à
l’indépendance, en repoussant toute médiation autre qu’officieuse, et même
en refusant de reconnaître le « GPRA » (écrit soigneusement à cet effet entre
guillemets). Il proteste d’ailleurs auprès des Soviétiques pour avoir reconnu
de jure le GPRA quelques jours avant la reconnaissance officielle de
l’indépendance par Paris.
Au total, la diplomatie française, en parfaite cohérence avec la politique
suivie en Algérie, s’est épuisée pareillement à ralentir un processus qui
menait à l’apparition d’un État algérien souverain, membre de la société
internationale.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Mohammed Bedjaoui, Une Révolution algérienne à hauteur d’homme,
Riveneuve, 2018 • Matthew Connelly, L’Arme secrète du FLN. Comment de
Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Payot, 2011 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

ISRAËL
Durant la guerre d’Algérie, l’État d’Israël renforce sa collaboration – déjà
importante – avec la France ; notamment dans le domaine du renseignement
militaire, contre l’Égypte*, mais aussi, à l’échelle algérienne, contre les
groupes indépendantistes. L’État hébreu n’en tira cependant pas avantage, en
termes migratoires. Ayant reçu en 1957 la garantie qu’ils ne verraient pas leur
appartenance collective à la nation française remise en cause en cas
d’indépendance, les Juifs* d’Algérie restent peu sensibles aux appels des
organisations sionistes. Seuls 12 %, sur une population totale évaluée à
140 000 personnes, migrent en Israël entre 1949 et 1965, 10 % pendant la
guerre.
Entre 1948 et 1954, 1 696 personnes font leur alya (soit une moyenne de
282 départs par an). Mais avec le conflit, les flux augmentent. 567 olim sont
enregistrés en 1955, 1 001 en 1956, 915 l’année suivante. Seules 187 et
114 personnes migrent en 1958 et 1959. Cette baisse s’explique par la
limitation des activités de l’Agence juive en Algérie, après l’assassinat de ses
émissaires Yacoov Hassan et de Raphaël Ben Guerra par le FLN*, ainsi que
par l’instauration de la Ve République* et la croyance au maintien de
l’Algérie française. 114 et 228 départs sont enregistrés en 1959 et 1960. Mais
lorsque la société coloniale s’effondre, 4 411 et 3 276 personnes optent pour
l’État hébreu en 1961 et 1962. Après l’indépendance, et les départs massifs
en France, seuls des flux résiduels se dirigent vers Israël. Entre 1963 et 1965,
144 personnes partent d’Algérie.
La faible attraction des Juifs d’Algérie pour Israël s’explique par leur
appartenance au secteur « européen » de la société coloniale, par la protection
sociale que leur offre le statut de rapatrié* en France, comme par les
difficultés d’insertion des populations dites « orientales » en Israël,
réinstallées dans ses espaces périphériques et socialement défavorisés. Par
ailleurs, si aucun lien diplomatique n’est créé entre l’Algérie et Israël après
1962, la collaboration avec la France se relâche sous les coups de la politique
arabe de De Gaulle*, jusqu’à la rupture provoquée par la guerre de 1967.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Joëlle Allouche-Benayoun et Geneviève Dermenjian (dir.), Les Juifs
d’Algérie. Une histoire de ruptures, Aix-en-Provence, Presses universitaires
de Provence, 2015 • Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les Juifs algériens dans la
lutte anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2015.

ISSIAKHEM, M’HAMED (1928-1985)


Issiakhem est un peintre emblématique d’une génération* d’artistes qui a
participé aux combats pour l’indépendance. Sa peinture l’impose comme l’un
des grands artistes algériens mais ne doit pas occulter son œuvre graphique
qui exprime ses engagements politiques, même s’il a veillé à se préserver de
tout propagandisme. Le tragique de l’histoire traverse sa vie et son œuvre.
Blessé par une grenade et amputé du bras gauche à 15 ans, il dessine malgré
tout. Après 1947, il devient l’un des rares Algériens à entrer aux Beaux-Arts
d’Alger, où il acquiert toutes les techniques de l’art européen. Venu en
France et déjà sensibilisé à la question nationale dans sa jeunesse au sein des
scouts musulmans*, il se rapproche de la Fédération de France* du FLN* et
de ses amis écrivains Kateb* Yacine et Malek Haddad, alors qu’il est aux
Beaux-Arts de Paris. Sa première œuvre politique remarquée au festival
mondial de la jeunesse à Varsovie en 1955, Le Cireur, représente un enfant
des rues et sa boîte à cirage. L’image inversée donne à voir le portrait d’un
jeune Algérien mitraillette au poing. Frappante condensation du basculement
du rapport colonial. En 1957, il fait le portrait de Djamila Bouhired* pour la
campagne du FLN sur la lutte des femmes*. Pour le peintre, c’est une œuvre
fondatrice. Au-delà de l’événement, la femme est pour l’artiste une icône de
la résistance et une allégorie du pays natal. Le collage Algérie, 1960,
représentant une femme exténuée mais toujours debout, protégeant ses
enfants, incarne la longue résistance du pays au colonialisme. Son esthétique
expressionniste préfigure le style de l’artiste, où dolorisme et véhémence se
côtoient et s’opposent dans une rare tension. À l’indépendance, Issiakhem
rentre au pays avec une double ambition formulée dès 1960 : « Aller au bout
de sa liberté créatrice et rejoindre son peuple dans cette volonté de l’aider à
transformer ses conditions générales. » Il dessine pour la presse* (dont Alger
républicain*), cofonde l’Union des arts plastiques, dirige l’école des Beaux-
Arts d’Oran. Jusqu’à sa mort, il poursuit son œuvre singulière, marquant les
générations suivantes.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Djaffar Inal et Nadira Laggoune-Aklouche, Issiakhem, la face oubliée
de l’artiste. Œuvres graphiques, Alger, Mustaphal Inal, 2007 • M’hamed
Issiakhem, « La peinture », La Nouvelle Critique, no 112, no spécial, La
Culture algérienne, 1960 • Benamar Médiène, Issiakhem, Alger, Casbah,
2006.

ITALIE
L’attitude des gouvernements italiens change avec le retour de De
Gaulle* et particulièrement son discours sur l’autodétermination*. À une
position initiale très prudente succède une position plus soucieuse des intérêts
de l’Italie en Méditerranée. À ce moment, avec le centre gauche, se forme
une politique dite « néo-atlantique » qui, faisant converger la Démocratie
chrétienne (DC) et le Parti socialiste italien (PSI), doit permettre leur future
cohabitation au gouvernement. Cette politique tant officielle qu’officieuse
caractérise un pays pris dans des injonctions contradictoires. S’il reste attaché
à l’Europe et à l’Otan, le gouvernement est aussi confronté à une opinion*
qui regarde la lutte des Algériens avec une sympathie croissante, surtout à
partir de la dénonciation de la torture* en 1957. Cette « nouvelle guerre de
libération » leur rappelle directement la Resistenza ou même, pour les plus
cultivés, le Risorgimento.
Le Quai d’Orsay juge la politique italienne équivoque sinon opportuniste.
Pourtant, quand il faut choisir, comme à l’ONU*, le gouvernement italien
donne la priorité à l’axe Otan-Europe-France sur ses intérêts en Méditerranée.
Il faut fortement nuancer la thèse d’une Italie constamment philo-arabe parce
qu’animée par une politique énergétique libre et agressive, sans pour autant
oublier le rôle occulte en la matière d’Enrico Mattei, président de la
principale société d’hydrocarbures : Ente nazionale idrocarburi (ENI). Il est
mort en 1962 dans un accident d’avion dont les circonstances n’ont jamais
été élucidées.
Au-delà, la Guerre d’indépendance algérienne a marqué la société
italienne. Elle a contribué à la naissance de nouvelles cultures politiques
fondamentales pour les « années de la conflictualité » (le long 68 italien).
Importantes, les liaisons idéales et réelles entre FLN* et gauches ainsi
qu’entre OAS* et néofascistes ont inquiété le gouvernement. La gauche, où la
mémoire de la récente lutte antifasciste est vive, a formé des réseaux de
soutien aux Algériens dont les activités, tantôt légales tantôt illégales, ont
perduré ensuite dans le cadre des luttes tiers-mondistes et anti-impérialistes.
Andrea BRAZZODURO
Bibl. : Bruna Bagnato, L’Italia e la guerra d’Algeria (1954-1962), Rubettino,
2012 • Andrea Brazzoduro, « Algeria, Antifascism, and Third Worldism : An
Anticolonial Genealogy of the Western European New Left (Algeria, France,
Italy, 1957-1975) », The Journal of Imperial and Commonwealth History,
vol. 48, no 5, 2020 • Stéphane Mourlane, « La guerre d’Algérie dans les
relations franco-italiennes, 1958-1962 », Guerre mondiales et conflits
contemporaines, no 217, 2005.

IVETON, FERNAND (1926-1957)


Né en 1926 au Clos-Salembier, un quartier très populaire d’Alger,
Fernand Iveton grandit dans une famille nombreuse et travaille dès ses
14 ans. Suivant la voie de son père, ouvrier et militant communiste, il est
employé à l’Électricité et gaz d’Algérie (EGA) et syndiqué à la CGT*.
Pendant la guerre, il rejoint les groupes armés du PCA*, finalement intégrés
au FLN* : les Combattants de la libération* (CDL) que dirige Abdelkader
Guerroudj*. Le 14 novembre 1956, chargé d’un attentat spectaculaire sans
faire de victime, Iveton introduit dans son usine un sac contenant une bombe
qu’il doit déplacer en fin de journée mais l’engin est découvert.
Immédiatement arrêté, il est torturé et renvoyé devant le tribunal militaire
suivant une procédure très sommaire de « traduction directe », sans
instruction. Condamné à mort dix jours après, il est guillotiné le 11 février
1957.
En 1986, Jean-Luc Einaudi fait resurgir son histoire. Il dénonce l’attitude
du PCF* qui, embarrassé par le terrorisme urbain, a interdit à l’un de ses
avocats, présent à Alger, d’assister Iveton. Ce dernier a eu deux défenseurs
commis d’office dont l’un, Albert Smadja, appartenait au PCA ; impliqué
dans la défense des nationalistes, Smadja a d’ailleurs été arrêté deux jours
après l’exécution de son client et longuement interné.
Joë Nordmann s’est occupé des recours contre la condamnation, au nom
du PCF qui a fini par faire campagne pour la grâce. En cette période, les
tribunaux militaires d’Algérie jugent chaque mois des centaines d’accusés ;
mus par une logique de guerre, ils condamnent à mort quand le droit le leur
permet. Les exécutions atteignent aussi leur maximum en 1957 (près d’une
centaine) car il s’agit de décisions politiques ; les grâces marquent les
périodes d’apaisement, les exécutions celles d’affrontement redoublé, comme
cette année-là. De ce point de vue, le cas d’Iveton a eu un impact rare en
métropole, parce qu’il était communiste et « européen » dans la taxonomie
coloniale ; il reste le seul à avoir été exécuté.
Brisée, sa femme, Hélène, s’est éteinte dans l’isolement en France, en
1998. Le souvenir d’Iveton demeure. En 2016, Joseph Andras lui a consacré
De nos frères blessés (Actes Sud, 2016), lauréat du Goncourt du premier
roman, adapté au théâtre* puis au cinéma* en 2019. Des commémorations*
sont aussi parfois organisées en Algérie, sur sa tombe, au cimetière Saint-
Eugène.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Jean-Luc Einaudi, Pour l’exemple. L’affaire Fernand Iveton, enquête,
L’Harmattan, 1986.
J

JAUFFRET, JEAN-CHARLES (NÉ EN 1949)


Né le 27 septembre 1949 à Marseille*, Jean-Charles Jauffret a poursuivi
ses études à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Agrégé
d’histoire et auteur d’une thèse sur la Légion étrangère*, il a enseigné au
Prytanée militaire de La Flèche au lycée de Vernon. Il est ensuite maître de
conférences à Saint-Cyr de 1983 à 1991. En 1987, il soutient sa thèse d’État
relative à l’armée de métier sous la IIIe République. Parallèlement, il devient
directeur de recherches sur la guerre d’Algérie au Service historique de
l’armée de Terre* (SHAT), aujourd’hui Service historique de la Défense
(SHD). C’est dans ce cadre qu’il prépare un premier tome de La Guerre
d’Algérie par les documents (SHAT, 1990) consacré aux années 1943 à 1946,
et composé d’archives* issues des fonds du SHAT. Un deuxième tome sort
en 1998 sur les années 1946 à 1954, mais l’entreprise en reste
malheureusement là. Jean-Charles Jauffret est entre-temps devenu professeur
à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, de 1991 à 1997, où il a enseigné
l’histoire de la présence française en Afrique. Auditeur de l’Institut des
hautes études de Défense nationale en 1996, il effectue plusieurs séjours à
l’étranger, notamment en Algérie. À partir de 1998, il revient à Sciences Po
Aix où il est titulaire de la chaire d’histoire militaire puis directeur du
département d’histoire. Au sein de l’UMR 5609 (État-Société-Idéologies-
Défense) puis du laboratoire CHERPA (Sciences Po Aix) du CNRS, il pilote
une enquête nationale sur la mémoire des combattants français de la guerre
d’Algérie, ce qui conduit à son grand livre Soldats en Algérie. 1954-1962
(Autrement, 2000), plusieurs fois réédité, revu et augmenté en 2011, jusqu’à
une refonte publiée en 2016 qui est l’aboutissement d’un programme de
recherches de vingt et un ans mené avec l’aide de ses étudiants*. Au cours
des années 2000, il dirige deux importants colloques sur la guerre d’Algérie,
le premier à Montpellier avec Maurice Vaïsse (2000) et le second à Paris
(2002). Dans la suite de ses recherches sur les officiers* en tant que co-auteur
de l’Histoire de l’officier français des origines à nos jours (Éditions
Bordessoules, 1987), il publie un ouvrage sur les officiers qui ont refusé la
pratique de la torture* dans la guerre d’Algérie (Autrement, 2005). Depuis le
début des années 2010, il s’est aussi ouvert à de nouveaux conflits, en
particulier celui d’Afghanistan sur lequel il a publié plusieurs ouvrages.
Professeur honoraire en 2016, ses travaux sur la Guerre d’indépendance
algérienne, en particulier concernant les aspects militaires, continuent de faire
référence.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Jean-Charles Jauffret, La Guerre d’Algérie. Les combattants français
et leur mémoire, Odile Jacob, 2016 • Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse
(dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe,
2001 • — (dir.), Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie, Autrement,
2003.

JEANSON, FRANCIS (1922-2009)


Francis Jeanson est né en 1922 à Bordeaux. Il suit des études de
philosophie avant d’être convoqué pour le Service du travail obligatoire
(STO) en 1943. Il s’exile alors en Espagne où il est interné, avant de passer
au Maroc*. Il est incorporé dans l’armée de Giraud, puis déserte à nouveau
pour rejoindre l’armée du général de Gaulle*. Il prend conscience de la
situation coloniale au cours de son voyage de noces, avec Colette Jeanson
(née Johnson), en Algérie de septembre 1948 à mai 1949. Au cours d’un
deuxième voyage en Algérie, en 1949, il est révolté par les propos
d’Européens d’Algérie, l’amenant à écrire ses premiers articles contre le
colonialisme dans la revue* Esprit. Il se rapproche ensuite de Jean-Paul
Sartre* et intègre Les Temps modernes dont il assure le secrétariat à partir de
1951.
Il n’est pas surpris par le déclenchement de la guerre d’Algérie. Se
trouvant alors en sanatorium, il ne peut se rendre en Algérie. Mais son épouse
Colette y effectue plusieurs voyages en 1955. Elle y rencontre notamment Ali
Boumendjel* et le Dr Ahmed Francis, ce qui l’amène à rédiger un livre avec
l’aide de son mari et d’un collectif franco-algérien, le groupe Coopération. Le
livre L’Algérie hors-la-loi (Seuil, 1955) est l’un des premiers textes faisant
connaître le FLN* en France.
À partir de 1956, Francis Jeanson aide les militants du FLN en France en
les transportant avec sa voiture puis en leur trouvant des lieux
d’hébergement. Il sollicite certains de ses amis et connaissances, ce qui
conduit à la création du « réseau Jeanson », qui se structure à partir
d’octobre 1957. La police* démantèle son réseau en février 1960. Francis
Jeanson, qui n’a pas été arrêté, organise une conférence de presse clandestine
à Paris le 15 avril 1960 pour expliquer son action. L’écrivain Georges Arnaud
est poursuivi pour en avoir publié le compte rendu dans Paris-Presse
L’Intransigeant. Francis Jeanson étoffe ensuite son analyse dans un petit
livre, Notre guerre (Berg International, 2001), écrit au printemps 1960. Il est
jugé par contumace, avec les membres de son réseau, en septembre 1960. Il
écope alors de la peine maximale : dix ans de prison* et 70 000 francs
d’amende. Il se trouve alors en exil en Suisse* avec Cécile Marion (alors que
son ancienne compagne Hélène Cuenat est jugée en même temps à Paris).
Amnistié en 1966, il s’insère professionnellement dans l’action culturelle
puis en faveur d’une « psychiatrie ouverte ». À la fin de sa vie, il s’engage
encore en faveur des Bosniaques et des Algériens durant la « décennie
noire ».
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Francis et Colette Jeanson, L’Algérie hors-la-loi, Seuil, 1955 • Francis
Jeanson, Notre guerre, texte présenté et annoté par Robert Belot, Berg
International, 2001 • Marie-Pierre Ulloa, Francis Jeanson. Un intellectuel en
dissidence de la Résistance à la guerre d’Algérie, Berg International, 2001.

JEUNE NATION
Jeune Nation (JN) est un groupuscule fasciste créé en 1950 par les frères
Sidos (dont Jacques et Pierre, condamnés pour collaboration), et que rejoint
Dominique Venner en 1955, lui donnant davantage de dynamisme avec un
recrutement plus étudiant. JN veut un État fort, national et social, sans le
système des partis, « l’éviction totale des métèques » (cité in Rémi Kauffer,
Histoire d’une guerre franco-française, Seuil, 2002, p. 78), et est antisémite
et anticommuniste. À la suite d’une manifestation* houleuse, JN est dissoute
le 15 mai 1958, mais poursuit illégalement ses activités, notamment avec la
publication du journal du même nom à partir du 5 juillet 1958, en référence à
la conquête d’Alger de 1830. JN se fait surtout remarquer par ses tracts et ses
étendards flanqués de la croix celtique, et lors des manifestations auxquelles
elle participe de manière volontiers violente. À Paris, en septembre 1960, une
dizaine de militants de JN, dont Jacques Sidos, assistent au procès du
« réseau Jeanson* », créant des incidents autour du tribunal. Le 14 septembre
1960, deux juges siégeant au procès sont remarqués en pleine discussion
amicale avec Jacques Sidos, ce qui conduit les avocats de la défense à
demander leur récusation. Les juges quittent le procès le lendemain. À Alger,
le mouvement comprend une cinquantaine de militants organisés et dirigés
par Michel Leroy, ingénieur dans l’industrie* pétrolière. Parmi ces militants,
l’étudiant Jean-Marcel Zagamé se fait connaître lors des « barricades
d’Alger » de janvier 1960. Après cet événement, les frères Sidos et
Dominique Venner plongent dans la clandestinité. Jean-Marcel Zagamé
prend quant à lui la tête de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN),
forte de 400 membres, tandis que le lieutenant Claude Cornilleau opère la
liaison entre JN, la FEN et le Front de l’Algérie française* (FAF), créé en
juin 1960. Au moment du « putsch* des généraux », en avril 1961, JN occupe
plusieurs bâtiments publics et libère les meurtriers de l’avocat libéral
Me Popie, assassiné en janvier 1961. Puis les militants plongent dans la
clandestinité pour rejoindre l’OAS*. En métropole, Pierre Sidos participe au
journal pro-OAS proche de JN Vive la France, publié par Louis de
Charbonnières. Celui-ci part en Algérie en janvier 1962. Il y rencontre
Michel Leroy, qui participe à la branche Organisation des masses avec le
colonel Gardes*. Mais Jean-Jacques Susini* accuse Michel Leroy de vouloir
prendre la main sur le Front nationaliste qu’il a créé en juillet 1961, et sur
l’OAS pour l’inféoder aux frères Sidos. Michel Leroy est exécuté en
janvier 1962. JN essaime ensuite différents mouvements, dont Occident,
Europe-Action et L’Œuvre française. Depuis 2013, un site internet porte son
nom, se réclame de son histoire et fait explicitement référence à la mémoire
de la guerre d’Algérie.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Anne-Marie Duranton-Crabol, L’OAS. La peur et la violence, André
Versaille, 2012 • Rémi Kauffer, OAS. Histoire d’une guerre franco-française,
Seuil, 2002.

JOSPIN, LIONEL (NÉ EN 1937)


Pendant la guerre d’Algérie, Lionel Jospin étudie à Sciences Po (1956-
1959) puis à l’ENA. Opposé à la politique coloniale de la SFIO*, il s’engage
à l’UGS puis à l’Unef* et à l’OCI, où il milite contre la guerre. En 1961, il
fait son service en Allemagne.
En 1982, François Mitterrand* et son gouvernement proposent une loi
permettant la reconstitution des carrières de tout agent de l’État sanctionné
pendant la guerre, putschistes compris. Député, Premier secrétaire du Parti,
Lionel Jospin s’y oppose avec le groupe parlementaire que préside Pierre
Joxe. Un amendement excluant les putschistes du programme de
réintégration est adopté mais le gouvernement, pour la première fois sous
Mitterrand, recourt au 49.3.
En 1997, il accède à Matignon. Son gouvernement, avec Jean-Pierre
Masseret, secrétaire d’État aux Anciens Combattants*, fait adopter à
l’unanimité la loi du 18 octobre 1999* substituant officiellement le terme
« guerre d’Algérie » à celui d’« opérations de maintien de l’ordre en Afrique
du Nord ».
Le 4 novembre 2000, en plein débat sur la torture*, il prend position lors
d’un dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) en
soutenant l’« Appel des douze* » publié dans L’Humanité* et en condamnant
la torture. Il appelle à « un travail de vérité » et reconnaît que la torture a été
pratiquée « avec l’aval de certaines autorités françaises ». Il refuse cependant
la commission d’enquête parlementaire proposée par le PCF*.
Il agit en pionnier pour l’accès aux archives* : sur le 17 octobre 1961*,
un sujet que le PS a choisi d’investir dans les années 1990, avec une
déclaration en mai 1999 ; puis sur les archives relatives à la guerre, avec une
circulaire le 13 avril 2001.
Lionel Jospin relaie ainsi une mémoire critique de la torture comme du
17 octobre 1961. Il œuvre pour leur intégration à la mémoire nationale, suivi
ensuite par François Hollande* et Emmanuel Macron*. En reconnaissant la
guerre et en ouvrant les archives, il se montre également soucieux de vérité et
d’histoire.
Paul Max MORIN
Bibl. : Pierre Favier et Patrick Rotman, Lionel raconte Jospin, Seuil, 2010 •
Benjamin Stora, « Guerre d’Algérie : 1999-2003, les accélérations de la
mémoire », Hommes et Migrations, no 1244, 2003.

JOUHAUD, GÉNÉRAL EDMOND (1905-1995)


Edmond Jouhaud est né en 1905 à côté d’Oran dans une famille
d’instituteurs, établie en Algérie en 1870. Il entre à Saint-Cyr en 1924 et en
sort pilote de l’armée de l’air*. Il sert en AOF de 1930 à 1932. Après la
défaite de 1940, il est affecté au cabinet militaire du secrétaire d’État à
l’Aviation du régime de Vichy, avant d’entrer dans l’Organisation de
résistance de l’armée en 1943. En 1944, il devient chef d’état-major des FFI
de la région bordelaise, puis sert en Tunisie* et en Indochine*. Promu général
de corps d’armée en 1956, il prend le commandement la 5e région aérienne,
c’est-à-dire l’Algérie. Chef d’état-major de l’armée de l’air en 1958, il
conduit à ce titre les opérations interarmées, notamment lors de l’affaire de
Sakiet Sidi Youssef* le 8 février 1958. D’abord favorable au retour du
général de Gaulle* au pouvoir, il est indigné par le discours du président de la
République sur l’autodétermination en septembre 1959, et se retourne contre
lui. Devenu inspecteur général de l’Armée de l’air en 1960, il demande très
vite à être mis en disponibilité car il veut mettre toutes ses forces dans la lutte
en faveur de « l’Algérie française ». Il s’associe au Front Algérie Française
contre la venue du général de Gaulle en Algérie en décembre 1960. Il est
aussi l’un des pivots du putsch* d’avril 1961. À l’issue de celui-ci, il refuse
de se rendre et plonge dans la clandestinité. Il devient alors l’adjoint de
Salan* à la tête de l’OAS* et chef de l’organisation clandestine en Oranie
dont il est originaire. Il est arrêté le 26 mars 1962 à Oran sous le faux nom de
Gerber et la fausse profession d’enseignant. Il est condamné à mort, mais
gracié au dernier moment par le général de Gaulle, sur intervention de Michel
Debré* et de Pierre Messmer* notamment. Sa peine est commuée en
détention criminelle à perpétuité. Il est amnistié* en 1968 puis rétabli dans
ses droits et ses grades en 1982. Il meurt en 1995.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, 1956-1959, t. II, Bouquins, 2018 •
Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant, Pouvoir politique et
autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes, institutions, 1945-
1962, L’Harmattan, 2002.

JOURNAL DES MARCHES


ET OPÉRATIONS (JMO)
Le JMO a été institué par une instruction du 5 décembre 1874, pour
consigner de manière quotidienne et chronologique, lors d’une campagne, les
événements vécus par toute formation militaire, de l’état-major d’une grande
unité jusqu’à celle formant corps (régiment ou bataillon). Ainsi peut-il – s’il
est très complet – indiquer à la minute près la composition d’une unité, les
itinéraires suivis, les emplacements des stationnements et des cantonnements,
les positions de combat successivement occupées, les opérations auxquelles
elle a participé, les résultats obtenus ainsi que les pertes subies (tués, blessés,
prisonniers* et disparus). Normalement, chaque militaire concerné est
mentionné nominativement. Tous ces éléments peuvent être enrichis de
cartes, croquis ou photographies*. Ils ne constituent pas pour autant des
sources faciles, donnant accès à la réalité des faits. Ainsi, par exemple, un
lapidaire « RAS » (Rien à signaler) peut renvoyer à l’absence d’événement
ou de changement ou bien encore cacher un acte inavouable. Euphémismes et
versions partiales des événements s’y lisent également. Pour exploiter les
JMO, l’historien doit ajouter le décodage du langage miliaire au croisement
avec d’autres sources.
Le JMO relate en outre les actions d’éclat, les citations collectives et
même les citations individuelles lorsqu’elles ont été décernées à l’ordre de
l’armée. Les renforts, les promotions et les mutations des officiers* – qu’elles
interviennent par suite d’avancement, ou de remplacement – sont par ailleurs
indiqués. Outre qu’il renseigne sur l’effectif en sous-officiers* et hommes de
troupe, le JMO comporte des tableaux nominatifs des officiers jusqu’au
niveau de l’unité élémentaire (compagnies, escadrons ou batteries), qui sont
actualisés chaque fois que l’unité a éprouvé des pertes sensibles ou par suite
d’une réorganisation importante. Document administratif n’ayant vocation
qu’à renseigner sur la vie d’une unité, il n’y figure aucune appréciation sur
les personnes et les ordres qui y sont transcrits ne sont l’objet d’aucun
commentaire. Le chef de corps étant responsable de la rédaction du JMO, il y
appose sa signature et son cachet à la fin de chaque volume. Tenus non pour
gérer des personnels ou conduire des opérations, mais pour servir l’histoire et
garantir les droits des combattants, ils ne sont pas en principe classés avec les
archives* des organismes qui les ont produits, mais distinctement. C’est le
cas pour la sous-série 1 H « Archives de l’Algérie » – dossiers 1H4533 à
4744, principale source pour ce théâtre avec la sous-série 7 U.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Philippe Shillinger, Asuncion Lévy et Michel Hardy, Inventaire des
archives de commandement et journaux des marches et opérations des
formations de l’armée de terre, 1946-1964 sous-série GR 7 U, Vincennes,
SHAT, 2005.

JOXE, LOUIS (1901-1991)


Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères depuis 1956,
Louis Joxe est secrétaire d’État auprès du Premier ministre en 1959 quand de
Gaulle* le choisit comme ministre chargé des Affaires algériennes en
novembre 1960. C’est un diplomate, un homme de confiance (ex-secrétaire
général du CFLN et du GPRF). Libéral sur l’Algérie, rompu à la négociation,
Joxe ne manque pas d’atouts et il est un bon contrepoids à Debré* et son
entourage ; ministre d’État, il échappe à la tutelle de Matignon : de Gaulle
mène le jeu ; Joxe le rencontre très régulièrement, avec ou sans le Premier
ministre.
Sa tâche est multiple : voyages en Algérie, préparation du fond des
rencontres avec le FLN* à partir de janvier 1961, gestion de la situation avec
Jean Morin*, délégué général en Algérie. Lors du putsch*, en l’absence de
Messmer*, il se rend en Algérie avec le général Olié*, chef d’état-major de la
Défense nationale, muni de tous les pouvoirs pour rétablir l’ordre ; mission
parfaitement remplie dans un contexte difficile.
Pendant les négociations*, il reçoit quotidiennement les consignes de
l’Élysée qu’il respecte scrupuleusement, et envoie des comptes rendus à
l’Élysée, Matignon et autres ministères concernés. Il agit avec souplesse et
détermination ; les membres de sa délégation abordent les questions
techniques qu’il ne maîtrise pas, mais il sait jouer alternativement de patience
et d’exaspération pour aboutir. Les discussions sont dures, il gagne pourtant,
pour longtemps, la confiance de ses interlocuteurs algériens.
Après la signature des accords d’Évian*, Joxe paraît assez optimiste.
Naïveté ou irénisme ? Confiant dans les négociateurs algériens, il ne mesure
pas le poids des tensions internes au GPRA* et à l’ALN* qui minent ce qui a
été signé ; il tempère parfois l’inquiétude suscitée par les départs massifs de
harkis* et de pieds-noirs*, pensant que la violence et les tortures s’apaiseront.
Mais comme Messmer, il relaie les instructions rigoureuses du chef de l’État,
contre l’organisation des départs sous peine de renvoi de la métropole ; il
enfreint parfois ces mesures.
Ce ministère est le couronnement de sa carrière ; ministre chargé de la
Réforme administrative (1962-1967), garde des Sceaux (1967-1968), il est
député de Lyon* (1967-1977), puis membre du Conseil constitutionnel.
Chantal MORELLE
Bibl. : Chantal Morelle, Louis Joxe, diplomate dans l’âme, André Versaille,
2010 • —, Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d’Algérie.
1962, les accords d’Évian, André Versaille, 2012.

JUIFS D’ALGÉRIE
Au nombre d’environ 140 000 en 1954, les juifs représentent à peine
1,5 % de la population totale de l’Algérie, mais environ 14 % de sa
population citoyenne de statut civil commun. Dans leur grande majorité, ils
descendent d’« indigènes » faits collectivement citoyens français par le décret
Crémieux de 1870. Accompagnée d’un processus de francisation et
d’ascension sociale, cette intégration au groupe des citoyens est restée
précaire en raison d’un antisémitisme répandu au sein de la population
européenne et des autorités françaises. Déchus de la citoyenneté et
discriminés par le régime de Vichy à partir de 1940, les juifs ont recouvré
l’intégralité de leurs droits en 1943, onze ans avant le déclenchement de
l’insurrection.
En 1954, plusieurs éléments singularisent les juifs par rapport aux
Européens. Même si la religiosité et l’encadrement communautaire tendent à
diminuer, leurs pratiques maritales et leurs sociabilités les lient avant tout à
d’autres juifs. Une proportion importante d’entre eux a pour langue
maternelle l’arabe, et malgré une présence croissante au sein des quartiers
dits « européens », ils sont nombreux à vivre au contact de musulmans dans
les quartiers anciens et dans les villes de l’intérieur. Surreprésentés dans le
commerce, les professions libérales et la fonction publique, ils sont sous-
représentés dans le secteur agricole. Enfin, ils portent majoritairement leurs
suffrages vers les partis de gauche depuis l’époque du Front populaire.
Dans les premiers temps de la guerre, aucun événement ne semble
impliquer des juifs en tant que tels. La situation change en 1956. Au début de
l’année, quelques dizaines d’Algérois fondent le Comité des juifs libéraux.
Plaidant pour un cessez-le-feu, le principe de l’autodétermination et des
négociations* entre gouvernement français et nationalistes, ils se disent
persuadés de représenter l’opinion majoritaire des juifs. D’après les autorités
françaises, surreprésentés parmi la minorité de Français « libéraux », les juifs
se montreraient de fait plus « neutres » ou « attentistes » que les Européens,
et rejetteraient les « ultras » car ils les identifieraient à des fascistes.
Toutefois, rares sont les juifs à participer à la lutte anticoloniale, et les
autorités françaises soulignent sans doute à raison la crainte qu’inspire à la
majorité des juifs la perspective d’un État indépendant dirigé par des
nationalistes.
Encouragé par les prises de position de juifs « libéraux », le FLN* définit
une politique spécifique à l’égard des juifs à partir de l’été 1956. Sa
propagande* les invite à rejeter la nationalité* française, à se revendiquer
Algériens et à se solidariser des musulmans, au nom de leur vécu commun du
racisme* et de leur appartenance ancestrale à une « patrie » commune. Au
même moment toutefois, des violences – rarement revendiquées – visent les
juifs en tant que tels : les commerçants juifs de certaines communes sont
boycottés*, des rabbins, des synagogues ainsi que des lieux de sociabilité
juifs subissent des actions armées. Selon les institutions communautaires, ces
actes spécifiquement antijuifs demeurent peu nombreux et peu meurtriers,
mais ils prennent parfois des formes spectaculaires avec la mise à sac de lieux
religieux lors d’actions de foule en 1960-1961. Ces violences jouent un rôle
dans l’engagement de juifs aux côtés des « ultras » : dès 1956, des groupes de
civils armés participent à des violences antimusulmanes meurtrières ; et
même s’ils demeurent sous-représentés parmi les « ultras », de jeunes juifs
s’engagent dans l’OAS* en 1961-1962 avec des motivations comparables à
celles des Européens.
Les responsables communautaires, regroupés au sein du Comité juif
algérien d’études sociales (CJAES) et de la Fédération des communautés
israélites d’Algérie, sont avant tout préoccupés par la vitalité de la
communauté, comme en témoignent les assises du judaïsme algérien en 1958.
Ils s’expriment toutefois sur la situation politique à partir de la fin 1956.
Déplorant les violences sans identifier leurs causes, leurs auteurs ni leurs
victimes, ils se disent pour la paix, l’égalité et la justice, sans pour autant se
prononcer sur les mesures qui pourraient les garantir. Surtout, ils indiquent
qu’en tant que Français, les juifs ne sauraient mettre en cause les autorités ni
la souveraineté françaises sur l’Algérie. Ces responsables obtiennent en 1961
l’octroi de la citoyenneté aux quelques milliers de juifs des régions du Sud
conquises après 1870 et, dans les derniers mois des négociations entre FLN et
gouvernement français, agissent avec succès auprès des autorités pour que le
sort des juifs ne soit pas dissocié de celui des Européens. Ils affirment alors
en privé au gouvernement français que les juifs se trouveraient en danger à
l’indépendance face aux nationalistes algériens, et semblent encourager les
départs des juifs.
Ces départs obéissent à des facteurs et à une chronologie similaires aux
départs des Européens, en dehors des quelques milliers qui choisissent
Israël*. Quelques milliers d’autres restent en Algérie indépendante, qu’ils
quittent majoritairement à la fin des années 1960.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les Juifs algériens dans la lutte
anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2015.

JUIN, MARÉCHAL ALPHONSE (1888-1967)


Alphonse Juin, né à Bône en Algérie en 1888, est issu d’une famille
modeste de pieds-noirs*. Son père est gendarme. Saint-cyrien en 1912,
officier* d’infanterie coloniale, il est affecté au Maroc* en 1914 où il
participe aux combats de la conquête du protectorat. Il perd l’usage de son
bras droit dans les tranchées de la Grande Guerre. Il est ensuite renvoyé au
Maroc en 1923 et, jusqu’à 1925, participe à la campagne du Rif, sous les
ordres du maréchal Lyautey. En 1937, il est adjoint auprès du résident
général au Maroc, le général Noguès, et devient général en 1938. Capturé par
les Allemands en 1940, il est libéré le 15 juin 1941 à la demande du
gouvernement de Vichy, puis nommé commandant des troupes d’Afrique du
Nord, le 20 novembre 1941. Tiraillé entre l’obéissance envers Vichy et la
volonté de combattre l’Allemagne, il est finalement nommé en 1943 par de
Gaulle* à la tête du corps expéditionnaire français en Italie*. En 1947, il
quitte son poste de chef d’état-major de la Défense nationale pour prendre les
fonctions de résident général au Maroc, poste qu’il conserve jusqu’en 1951. Il
est nommé maréchal de France en 1952. Sans jamais s’aventurer en politique,
il s’oppose à l’indépendance du Maroc. En 1956, il occupe un haut
commandement de l’Otan. Dans ce cadre, il déclare publiquement à Metz le
4 mars 1956 : « L’Afrique du Nord est le dernier banc d’essai de la vitalité
française. », position qu’il expose en 1957 dans son premier livre,
Le Maghreb en feu (Plon, 1957). Ayant refusé de se mêler aux
déstabilisations de la IVe République*, il est néanmoins favorable au retour
du général de Gaulle en 1958. Après le revirement du discours sur
l’autodétermination* de septembre 1959, il critique âprement la politique
algérienne du président de la République dans le quotidien L’Aurore. Il
s’éloigne alors définitivement du général de Gaulle. Il est près de participer
au complot parisien préparant le putsch* d’avril 1961. Mais il finit par se
désolidariser des conjurés et reste fidèle à la République. Malgré tout, son
désaccord avec la politique algérienne du chef de l’État lui vaut d’être mis à
l’écart du Conseil supérieur de la Défense. Il est définitivement mis à la
retraite en avril 1962. Il rend des visites discrètes aux prisonniers* de l’OAS*
à Tulle à la suite de la guerre, mais s’abstient de toute prise de position
publique.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, 1956-1959, t. II, Bouquins, 2018 • Jean
Guisnel, Les Généraux. Enquête sur le pouvoir militaire en France, La
Découverte, 1990 • Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant,
Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes,
institutions, 1945-1962, L’Harmattan, 2002.

JUSTICE MILITAIRE
En 1954, la justice militaire se compose de tribunaux permanents des
forces armées (TPFA). Ils ont pour mission de réprimer les soldats
commettant des infractions de droit commun (vol dans des locaux militaires,
blessures et homicides involontaires d’autres soldats, par exemple) ou
spécifiques (désertion, refus d’obéissance, voies de fait sur supérieurs, etc.).
Le commandement peut cependant en rester à des sanctions disciplinaires,
comme des jours d’arrêt. C’est le cas en particulier pour les viols*, en
Algérie, selon Marius Loris qui prend le TPFA de Constantine en exemple.
Jugeant essentiellement des soldats de 2e classe, surtout des soldats
« indigènes » et des étrangers de la Légion, ce TPFA a principalement été
saisi de désertions vers les rangs nationalistes puis vers l’OAS* en 1961-
1962, éventuellement avec emport d’armes. En toute logique avec
l’incorporation du contingent, les jeunes métropolitains sont surtout punis
pour des faits commis au sein de l’armée, des plus graves comme l’homicide
involontaire aux moins sérieux comme le vol, en passant par les outrages et
insultes envers la hiérarchie. Si des peines de mort frappent les déserteurs
rejoignant des groupes armés, les peines de prison* sont aux trois quarts
inférieures à douze mois et de simples amendes répriment les blessures et
homicides involontaires. Les TPFA, complète Tramor Quemeneur, jugent
également les objecteurs de conscience qui écopent de peines en moyenne
très proches du maximum prévu : deux ans. Il en va de même pour les
« soldats du refus* », une quarantaine de communistes à la suite d’Alban
Liechti*. Ces réfractaires* politiques connaissent des trajectoires complexes.
Récidivistes, ils peuvent cumuler les condamnations sans être exemptés du
service qu’ils doivent accomplir après avoir purgé leurs peines. Incarcérés en
métropole ou en Algérie, ils peuvent aussi être envoyés au camp de
Tinfouchy où règne un régime disciplinaire insoutenable.
Cette guerre dote cependant les TPFA d’une mission nouvelle : juger les
partisans de l’indépendance, quels que soient leur degré d’implication et leurs
actes. Autant les indépendantistes du FLN* et du MNA* que les membres du
PCA* et tous ceux qui les soutiennent sont passibles des tribunaux, qu’ils
aient commis des attentats, aidé les maquisards, collecté et transporté des
fonds, caché des militants recherchés, etc. En Algérie, suivant l’état
d’urgence* et les pouvoirs spéciaux*, les TPFA interviennent essentiellement
au stade du jugement et pour les seuls actes qualifiés de crimes (les délits
restent jugés par les tribunaux correctionnels). Des dizaines puis bientôt des
centaines de personnes leur sont déférées chaque mois. À partir de 1960, la
compétence des TPFA est étendue aux délits. Ils jugent alors près de
16 000 personnes jusqu’à la fin de la guerre. En métropole, les TPFA
n’interviennent qu’à partir de 1958 et leur compétence reste cantonnée aux
infractions criminelles. L’ampleur de leur activité reste inconnue. Dans les
deux territoires, cependant, les condamnations à mort* marquent leurs
jugements : ils en prononcent près de 1 500 en Algérie, dont 198 exécutées ;
24 exécutions ont lieu en métropole où le total des peines capitales n’a pas
été calculé. Les articles pionniers de Marc André sur le TPFA de Lyon* et la
prison de Montluc* témoignent cependant que la peine de mort est autant
chargée d’enjeux en métropole qu’en Algérie.
Ainsi, la logique française consistant à nier l’état de guerre et, par
conséquent, à criminaliser les actes des indépendantistes et de leurs soutiens
provoque une mutation profonde de la mission des TPFA, érigés en gardiens
de la nation face à ses ennemis. Au sein du haut commandement, certains en
profitent pour reformuler des revendications anciennes en vue de revenir à
des juridictions expéditives. Les TPFA résultent en effet d’une loi de 1928
qui, à la demande des associations d’anciens combattants de la Première
Guerre mondiale, a offert des garanties aux soldats. Ainsi, les parquets des
TPFA sont dotés d’une magistrature indépendante du commandement, dont
les instructions ne sont pas de rapides enquêtes à charge. Pour les jugements,
les TPFA se composent d’un jury de militaires tirés au sort, à l’image des
jurés d’une cour d’assises et, lorsqu’ils prononcent des peines de mort, celles-
ci ne sont pas immédiatement exécutoires. Le chef de l’État conserve son
droit de grâce. Certains hauts gradés voient cependant dans ces garanties
autant d’entraves à l’efficacité et une dépossession illégitime. Aussi
réclament-ils des réformes pour a minima de l’instruction, rapprocher les
TPFA du commandement sur le terrain et remettre les décisions de grâce à
l’armée. De fait, en 1959-1960, il obtient satisfaction sur les deux premiers
points. En 1959, la décentralisation des TPFA d’Algérie les installe à
l’échelle des zones militaires, au lieu des trois corps d’armée d’Alger, d’Oran
et de Constantine. En 1960, l’instruction des affaires impliquant les
indépendantistes est transformée en une simple enquête confiée à des
procureurs militaires qui sont des magistrats* appelés ou rappelés sous les
drapeaux. Toutefois, dans cette guerre où l’armée empiète sur les attributions
des autorités civiles et s’invite en politique, les gouvernements et chefs de
l’État ne cèdent pas sur le droit de grâce, d’essence régalienne. L’enjeu
devient crucial quand le général de Gaulle*, orientant sa politique vers des
pourparlers, réduit puis cesse les exécutions et affronte les partisans de
l’Algérie française.
À leur égard, les TPFA font rapidement les preuves d’une mansuétude
coupable aux yeux du général de Gaulle. D’emblée méfiant envers les TPFA
d’Algérie, il fait transférer les partisans de l’Algérie française en métropole
mais, en 1960, le procès des barricades, devant le TPFA de Paris, se solde par
douze acquittements sur les quinze accusés présents dans le box. Les laissant
en liberté pendant les audiences, en outre, le TPFA permet à Jean-Jacques
Susini* et Pierre Lagaillarde* de fuir en Espagne où ils fondent l’OAS avec
Salan*. Aussi, après le putsch*, de Gaulle dépossède en grande partie les
TPFA de la répression des partisans de l’Algérie française. Il confie les
affaires les plus sérieuses à des tribunaux créés ad hoc : Haut Tribunal
militaire et tribunal militaire puis Cour militaire de justice ; tous sont
remplacés par la Cour de sûreté de l’État* en 1963. Des militaires, triés sur le
volet pour leur loyalisme, siègent aux côtés de civils au Haut Tribunal
militaire ainsi qu’au tribunal militaire et ils composent en totalité la Cour
militaire de justice. Ces tribunaux d’exception sont à l’aboutissement d’un
long processus de militarisation de la justice, accompagné d’un recul des
garanties pour les justiciables et d’une soumission à des impératifs politiques.
En 1982, François Mitterrand*, qui a connu les TPFA en tant que ministre de
la Justice en 1956-1957, se déleste de ce lourd héritage en les supprimant
définitivement. La rupture est majeure en ce qu’elle sonne le glas de la justice
militaire en France.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Marius Loris Rodionoff, « Crises et reconfigurations de la relation
d’autorité dans l’armée française au défi de la guerre d’Algérie, 1954-1966 »,
thèse sous la dir. de R. Branche, Paris-1, 2018 • Tramor Quemeneur, « Une
guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de
soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir.
de B. Stora, Paris-8, 2007 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les
magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.
K

KADDACHE, MAHFOUD (1921-2006)


C’est dans la mouvance du mouvement national que Mahfoud Kaddache
a apporté sa contribution à la construction d’un nouveau rapport à l’histoire
de l’Algérie. On retrouve dans l’itinéraire de Kaddache cette problématique
de l’insertion de la question historique dans la conscience d’un historien. La
place de la source était centrale dans son art de faire.
Kaddache rapporte dans une interview accordée à Daho Djerbal en 1981,
reprise en 2006, qu’il doit sa passion de l’histoire à son instituteur Benhadj,
militant SFIO* et secrétaire du Congrès musulman en 1936. Licencié ès
lettres (option histoire et géographie) en 1945, il est nommé professeur
d’histoire au collège de Médéa. Ses deux mémoires pour l’obtention du DES
portent sur la Casbah et sont publiés en 1950 dans la série Documents
algériens. En avril 1952, il assure la rédaction en chef de La Voix des jeunes,
éditée par la Route SMA. Il devient en 1953 commissaire général, ce qui
ralentit quelque peu son travail universitaire. Il rejoint la revue* Consciences
maghribines fondée en juin 1954, par André Mandouze*. En juin 1956, il
collabore à L’Espoir, organe des libéraux* d’Algérie, après un séjour au
centre d’internement de Berrouaghia. Il collabore à l’œuvre des centres
sociaux* et travaille, clandestinement, pour le GPRA*. Après l’indépendance
et une courte expérience en tant que chef de cabinet du ministre de la Justice,
il rejoint l’université d’Alger*.
Historien positiviste intransigeant, il participe à la fondation, en 1966, de
la Revue d’histoire et de civilisation du Maghreb, qu’il dirige jusqu’en 1974.
Il soutient sa thèse de troisième cycle sur « La vie politique à Alger, 1919-
1939 » sous la direction de Xavier Yacono, à Toulouse. Le processus
d’arabisation de l’enseignement de l’histoire entraîne son départ (son
exclusion ?), d’autant plus que le 7 mai 1975, il se démarque des orientations
que Houari Boumediene* donne aux historiens. Il est nommé inspecteur
général de français, puis directeur du musée du Bardo. Il réintègre
l’université mais à l’Institut de bibliothéconomie d’Alger.
C’est à lui que revient la publication du premier livre de témoignages*
sur le 1er novembre 1954* Récits de feu (SNED/E/Moudjahid, 1977), dont il
signe la préface. En 1980, il publie sa thèse d’État Histoire du nationalisme
algérien. Question nationale et politique algérienne, 1919-1951.
Il défend l’histoire et les historiens face aux attaques de Mouloud
Kassim, ancien ministre et idéologue (El Moudjahid, mai 1986). Enfin, il
débat de façon académique avec Charles-Robert Ageron* sur le rôle de l’émir
Khaled au lendemain de la Première Guerre mondiale dans l’hebdomadaire
Algérie-Actualité.
Il a publié une histoire générale de l’Algérie : L’Algérie des Algériens. De
la préhistoire à 1954 (Paris-Méditerranée, 2003) et a achevé son œuvre par
son seul livre sur la Guerre de libération : Et l’Algérie se libéra (Paris-
Méditerranée, 2003).
Fouad SOUFI
Bibl. : Abderrahmane Khelifa, « Mahfoud Kaddache, une certaine
conception de l’histoire », in Aissa Kadri et Ouanassa Siari Tengour (dir.),
Générations engagées et mouvements nationaux. Le XXe siècle au Maghreb,
Oran, Crasc, 2012 • Hassan Remaoun, « Les historiens algériens issus du
mouvement national », Insaniyat, no 25-26, 2004 • Fouad Soufi, « Mahfoud
Kaddache, un historien à l’université d’Alger », in Aissa Kadri et Ouanassa
Siari Tengour (dir.), Générations engagées et mouvements nationaux, op. cit.

KAFI, ALI (1928-2013)


Ali Kafi a dirigé la Wilaya 2* après le départ de Bentobbal* en Tunisie*,
au printemps 1957. Né à M’souna (El Harrouch), dans une famille marquée
par la perte de deux parents lors des massacres de mai 1945 à Guelma, Ali
Kafi reçoit une instruction en arabe avant d’être inscrit à la médersa El
Kettania de Constantine, puis à la Zitouna de Tunis. Ses activités au PPA-
MTLD* qu’il commence à Constantine puis dans l’association des étudiants*
algériens à Tunis lui valent d’être expulsé en 1952. Il rejoint la kasma d’El
Harrouch du MTLD en 1953 tout en enseignant dans une de ses médersas.
Il commence à militer dans les rangs du FLN*-ALN* à la fin de l’année
1954 et rejoint le maquis en mai 1955. Il gravit très rapidement les échelons
en prenant la direction d’une région qu’il organise selon les ordres de son
chef Zighoud* Youcef. Il participe ainsi à la préparation du 20 août 1955* et
fait partie de la délégation qui se rend au congrès de la Soummam*. À la
mort de Zighoud Youcef, son successeur, Lakhdar Bentobbal le désigne
comme responsable militaire. À ce titre, il est membre du conseil de la wilaya
avant d’en devenir le dirigeant, après le départ de Bentobbal pour Tunis en
compagnie de Krim* Belkacem et Ben Khedda*, au mois d’avril 1957.
En décembre 1958, il accueille la réunion interwilayas à la demande
d’Amirouche, sans prendre part aux travaux, même s’il nourrit la même
hostilité à l’égard des dirigeants de l’extérieur, du fait de l’isolement des
maquis par les barrages* électrifiés.
Sous sa direction, la wilaya bien structurée se distingue par une « une
symbiose plus grande avec le peuple » (Histoire intérieure du FLN [1954-
1962], Fayard, 2002, p. 204) et il sait éviter avec discernement les épurations,
peu convaincu des accusations d’infiltration des maquis émises par
Amirouche*, victime de la bleuïte*.
Il traverse la frontière le 25 mars 1959 pour participer à la réunion des dix
colonels* à Tunis qui, loin de résoudre les difficultés des wilayas de
l’intérieur, est plutôt « un combat de chefs » (Harbi), entrecoupé de menaces.
Puis, il se rend au Caire pour assister aux travaux du 3e CNRA* en
décembre 1959 dont les débats sont tout aussi houleux avant de reconduire
Ferhat Abbas* à la tête du GPRA* et de nommer Krim Belkacem aux
Affaires étrangères. Désigné membre du CCE*, Ali Kafi ne regagne pas la
Wilaya 2. Il représente le FLN au Caire et à la Ligue arabe*. À
l’indépendance, il occupe plusieurs postes d’ambassadeur au Liban, en Syrie
et en Tunisie.
En Algérie, il doit assurer la présidence du Haut Comité d’État à la suite
de l’assassinat de Mohamed Boudiaf* de 1992 à 1994.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Interview d’Ali Kafi, El Moudjahid, 24 avril 1959 • Ali Kafi, Du
militant politique au dirigeant militaire, mémoires : 1946-1962, Alger,
Casbah, 2002 • Mohammed Harbi, Une vie debout, t. I, 1945-1962, La
Découverte, 2001.

KAGAN, ÉLIE (1928-1999)


Né à Paris en 1928, d’origine juive polonaise, Élie Kagan échappe de peu
aux rafles antisémites et est contraint de se cacher pendant l’occupation
allemande. Il restera toute sa vie profondément engagé pour l’égalité entre les
hommes et pour la justice sociale. À 33 ans, sa carrière de photographe
connaît un tournant irréversible. Alors qu’il gagnait jusque-là sa vie en
photographiant des célébrités, cet homme politiquement engagé à gauche,
acquis à la cause de l’indépendance des Algériens, se retrouve l’un des
témoins privilégiés de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961* dans
la capitale française et de la terrible répression d’État qui s’ensuivit. Prévenu
par des militants de la Fédération de France* du FLN*, il rejoint les grands
boulevards, d’abord comme observateur. Rapidement, face à la violence des
forces de l’ordre françaises, il commence à photographier clandestinement les
manifestants algériens pacifiques pris au piège dans le métro, matraqués,
raflés et entassés dans des bus de la RATP, des blessés et même des morts.
Très mobile grâce à sa Vespa, il a documenté cette nuit d’horreur en plusieurs
lieux de la capitale et de sa banlieue, se rendant notamment au bidonville de
Nanterre où il reviendra à plusieurs reprises pour faire connaître la vie des
immigrés algériens et de leurs familles. Tandis que la majorité des médias
français reproduisent peu ou prou la version officielle (le FLN serait seul
responsable des violences qui n’ont fait que deux morts), le témoignage* et
les photographies* d’Élie Kagan sont publiés dans Témoignage chrétien le
27 octobre. Ses clichés servent également à illustrer l’ouvrage de Paulette
Péju Ratonnades à Paris, publié par les éditions Maspero* mais
immédiatement saisi chez l’imprimeur et le film militant de Jacques Panijel
Octobre à Paris, qui restera invisible pour le grand public jusqu’en 2011. La
quarantaine de photographies qu’Élie Kagan a pu sauver de cette nuit
tragique n’ont cessé d’être republiées depuis et ont largement contribué à
l’établissement de la responsabilité de l’État français dans ce massacre.
Devenues iconiques, ces images ont quelque peu laissé dans l’ombre sa
production ultérieure, notamment le très long reportage qu’il a consacré à
l’Algérie indépendante où il a séjourné durant toute l’année 1963, mandaté
par la revue* Révolution africaine*. Le fonds photographique et les archives*
professionnelles d’Élie Kagan sont déposés à La Contemporaine.
Marie CHOMINOT
Bibl. : Jean-Luc Einaudi et Élie Kagan, 17 octobre 1961, Actes Sud/Solin,
2001 • Élie Kagan et Patrick Rotman, Le Reporter engagé, Métailié, 1989.
KATEB, YACINE (1929-1989)
C’est lors des manifestations du 8 mai 1945* et de leur répression, à Sétif
et dans le Constantinois, que Kateb Yacine, jeune lycéen de 15 ans, découvre
les deux choses pour lui essentielles, la poésie et la révolution. Il fait des
découvertes fondamentales : la force du peuple, la torture* et les répressions
de l’armée et des milices coloniales.
Le périple de ses personnages les mène vers les lieux qu’il a connus :
l’enfermement en prison*, le voyage vers Bône, la ville de la côte avant
l’embarquement, passager clandestin pour l’un d’entre eux, sur un bateau,
vers la France. Kateb embarque pour Marseille* et remonte vers Paris, après
un arrêt en Camargue comme ouvrier agricole. Dans la capitale, il donne une
conférence, L’Émir Abdelkader et l’indépendance algérienne (1947) et publie
des poèmes, des récits et des essais. Il revient au pays à la mort de son père et
travaille comme docker à Alger. Il retourne en France et publie Le Cadavre
encerclé (Esprit, 1954), qui sera mis en scène par Jean-Marie Serreau, interdit
en France et joué en Belgique*.
La publication de Nedjma (Seuil, 1956) pose le problème de la
littérature* algérienne qui est censée être la voix du peuple. Kateb dira que
sans la guerre le texte n’aurait pas été publié. L’œuvre échappe aux
catégorisations : elle combine l’oralité populaire à la modernité poétique
(fragmentation et rupture du déroulé habituel du récit). S’y manifeste une
conception de l’histoire, totale et éruptive, qui creuse le récit colonial par la
légende tribale ou les figures totémiques de la mémoire comme l’émir
Abdelkader et fait émerger ce personnage silencieux et tenace : le peuple.
Kateb participe à une reprise critique de l’histoire que travaille la littérature
des années 1950, et que l’on retrouve chez Mohammed Dib*, ou Aimé
Césaire et Édouard Glissant, et chez des historiens comme Lacheraf* ou
Sahli*. Ses relations à la langue française sont éminemment post-coloniales :
si c’est la langue de sa poésie, c’est aussi la langue devenue sienne, le « butin
de guerre » pris à la colonisation.
Il voyage dans plusieurs pays, revient en Algérie à l’indépendance pour
s’y installer et mener, à Sidi-Bel-Abbès, l’expérience d’un théâtre* en
langues algériennes, qui traite des questions d’actualité et revient sur
l’histoire refoulée, en Algérie et dans le monde.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Yacine Kateb, Nedjma, Seuil, 1956.

KATZ, GÉNÉRAL JOSEPH (1907-2001)


Ancien résistant, Joseph Katz a exercé diverses fonctions à l’état-major
de la 1re Région militaire (Paris), puis au ministère de la Défense nationale.
Sa carrière militaire commence en 1956 en Algérie, où il est affecté, le 8 août
au Commandement opérationnel du Sud-Algérois (COSA) à Bou Saâda.
En mars 1957, il est commandant du territoire militaire de Ghardaïa, et
assure dès septembre 1957 les fonctions de sous-préfet de Laghouat puis de
commandant du secteur autonome de Ghardaïa-Laghouat.
Le 13 mai 1958* surprend Katz à Laghouat. Celui-ci soutient les
généraux qui sont favorables au retour du général de Gaulle* et interdit à ses
officiers* de rallier les comités de salut public. Cette attitude lui vaut une
réelle hostilité de la part des activistes qui exigent son départ. Il quitte ses
fonctions peu après le 13 mai 1958 et retourne en France. Mais il continue à
suivre de près les événements d’Algérie. Lors du putsch* des généraux
(avril 1961), le général Katz désavoue publiquement les insurgés et se met
aux ordres du gouvernement de la République.
Le 19 février 1962, le général Katz est nommé à la tête du secteur
autonome d’Oran relevant du corps d’armée d’Oran (CAO) commandé par le
général Émile Cantarel. La ville vit au rythme des attentats de l’OAS*. Dès
les premiers contacts avec la réalité du terrain, le général Katz s’attelle à
démanteler l’organisation subversive en s’appuyant sur des unités arrivées de
France.
Au lendemain du cessez-le-feu, le 19 mars 1962*, le général Katz établit
des contacts avec le capitaine Nemiche* Djelloul, alias Si Bakhti, chef de la
Zone autonome d’Oran (FLN*). Désormais, par un extraordinaire
retournement de l’histoire, les deux chefs militaires se retrouvent à lutter
contre le même adversaire.
Le 25 mars, l’arrestation de l’ex-général Edmond Jouhaud*, l’un des
chefs de l’OAS, attise l’hostilité de la population française acquise à l’OAS
qui surnomme Katz « le boucher d’Oran ». Il échappe à trois tentatives
d’assassinat. Sans surprise, l’accord du 17 juin entre OAS et FLN est rejeté à
Oran par la voix de Paul Gardy, successeur de Jouhaud.
Des tentatives de réconciliation ont lieu le 28 juin et marquent un répit.
Le général Katz réussit à mener tant bien que mal les opérations de
maintien de l’ordre jusqu’au scrutin sur l’autodétermination du 1er juillet
1962 qui aboutit à la proclamation de l’indépendance de l’Algérie. Le
5 juillet*, la fête de l’Indépendance est toutefois ternie par des tirs de coups
de feu et le déclenchement de massacres. « Le bilan donné par le Dr Naït,
directeur de l’hôpital, fait état de 101 morts, 76 Algériens et 25 Européens
d’une part et 145 blessés dont 105 Algériens et 40 Européens » (Soufi, 2000).
Le général Katz s’est expliqué sur l’intervention tardive de ses troupes,
obéissant à sa hiérarchie.
Le 12 juillet 1962, le général Katz assiste à la grande réception donnée à
la nouvelle préfecture d’Oran en l’honneur d’Ahmed Ben Bella.
Il quitte Oran le 13 août 1962, pour rejoindre son poste comme adjoint au
général Cantarel commandant le 2e Corps d’armée à Coblence.
Saddek BENKADA
Bibl. : Saddek Benkada, « Mort du général Joseph Katz, ancien commandant
du Secteur autonome d’Oran (février-juillet 1962) », La Voix de l’Oranie,
2001 • Joseph Katz, L’Honneur d’un général. Oran, 1962, L’Harmattan,
1993 • Fouad Soufi, « Oran, 28 février 1962, 5 juillet 1962. Deux événements
pour l’histoire, deux événements pour la mémoire », in La Guerre d’Algérie
au miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de Charles-Robert
Ageron. Actes du colloque international, SFHOM, 2000.

KHATIB, YOUCEF, DIT HASSAN


Youcef Khatib est né le 19 novembre 1932 à Orléansville. Après ses
années de scolarité dans sa ville natale, il intègre le lycée Bugeaud à Alger.
En mai 1956, il est parmi les étudiants* engagés dans la « grève*
illimitée des cours et des examens » et rejoint le maquis de l’Algérois où il
est chargé du secteur sanitaire (1956-1958).
Son ascension est rapide, favorisée par des événements de dimension
nationale. D’abord la « bleuïte* », qui a ravagé surtout l’Algérois et la
Kabylie et où il a joué un rôle important. S’ensuit l’« affaire Si Salah* ».
La « bleuïte » ainsi que l’« affaire Si Salah » ont eu de considérables
conséquences sur l’ALN* en fragilisant les maquis de l’intérieur. C’est dans
ce climat miné que le commandement de la Wilaya 4* échoit à Hassan, à
l’été 1961, à la suite de la mort, les armes à la main, du commandant Djilali
Bounaâma* à Blida, le 8 août.
Durant la crise du FLN* de l’été 1962*, le colonel Hassan et ses jeunes
officiers sont confrontés au redoublement de violence et de férocité de la part
de l’OAS* et aux tentatives de récupération de la wilaya et de la capitale, par
ses anciens responsables, le colonel Slimane Dehilès* et le commandant
Azzedine*.
Face au Bureau politique (BP), la Wilaya 4 est dans une posture
défensive et d’attente. L’exacerbation de la crise oblige Hassan et ses
hommes à affronter frontalement Ahmed Ben Bella* et ses partisans.
À la suite de ce retournement de situation, Ben Bella, au nom du BP,
ordonne à l’ANP* de marcher sur Alger et d’y déloger la Wilaya 4. Les
affrontements fratricides en ce début de septembre 1962 font des centaines de
morts.
Après l’indépendance, Hassan reprend ses études de médecine. Accusé
d’avoir soutenu le coup d’État (avorté) fomenté par le chef d’état-major de
l’ANP Tahar Zbiri* en décembre 1967, il est mis en résidence surveillée
jusqu’à 1972, dans le Sud, à In Salah. À sa sortie, il exerce son métier à
Tiaret puis à Alger.
Dans les années 1993-1994 où la violence est à son apogée, il est chargé
par les autorités officielles d’organiser un « dialogue national » entre les
différentes forces politiques qui aboutira à la cooptation de Liamine Zéroual à
la présidence de la République.
Dénonçant la fraude en faveur du président Abdelaziz Bouteflika*, il se
retire avec les autres candidats de la course aux présidentielles d’avril 1999.
Youcef Khatib est actuellement président de la Fondation de la Wilaya 4
historique dont la mission principale est la sauvegarde de la mémoire de la
Wilaya 4.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Commandant Azzedine, On nous appelait fellaghas, Stock, 1976 •
Fouad Soufi, « Mémoires de la Wilaya 4 », in Ouanassa Siari Tengour,
Résistance algérienne. Histoire et mémoire, 1945-1962, Oran, Crasc, 2017 •
Mohamed Teguia, L’Armée de libération nationale en Wilâya IV, Alger,
Casbah, 2002, en particulier p. 189-191.

KHEIREDDINE, MOHAMED (1902-1993)


Né à Biskra dans une grande famille terrienne, Mohamed Kheireddine
adhère au mouvement réformiste après des études à Tunis. Il devient une des
figures du mouvement réformiste algérien et s’engage dans les rangs de
l’AUMA, qu’il représente dans le comité exécutif du Congrès islamique
(1936). Il rejoint le mouvement du Manifeste* algérien à côté de Ferhat
Abbas*. Il est membre fondateur du Front algérien pour la défense et le
respect de la liberté (FADRL) en 1951. Il figure dans la délégation reçue par
Jacques Soustelle* le 28 mars 1955 qui comptait Ahmed Francis (UDMA*)
et Hadj Cherchalli (MTLD). De ce fait, Kheireddine est suspecté pour ses
relations avec l’administration coloniale par le FLN*. Selon Harbi* (1984,
p. 146), il échappe à un assassinat par miracle lors des événements
d’août 1955. Sollicité par Cheikh El Hocine El Mili mandaté par le FLN,
pour apporter son soutien à la révolution, il réplique : « Nous ne souhaitons
pas être considérés comme ennemis, mais en mai 1945 nous étions alliés avec
le PPA* au sein des AML*. Nous avons payé ses agissements. Cette fois, la
situation est différente. Nous ne sommes pas impliqués. Vous avez agi seuls,
vous paierez seuls » (cité dans Harbi, 1984, p. 44).
Cependant, les choses évoluent avec le ralliement de l’association au
FLN en janvier 1956. Il rentre en contact avec Abane* Ramdane par
l’intermédiaire de Saâd Dahlab*. Grâce à ses relations avec le Maroc* et le
sultan Mohamed V, il est chargé de la représentation du FLN à partir de
mars 1956. Il est membre de la délégation algérienne présidée par Ferhat
Abbas qui participe à la conférence de Tanger en avril 1957. Membre du
CNRA*, il prend part aux travaux de la session organisée à Tripoli du
16 décembre 1959 au 18 janvier 1960.
À l’indépendance, il est élu à l’Assemblée constituante. Mais lors de la
discussion sur la loi de la nationalité*, Kheireddine défend son octroi aux
Marocains qui ont soutenu la révolution algérienne. Le rejet de cette
proposition par Ben Bella provoque la rupture entre les deux hommes et sa
démission. Sous le régime de Boumediene*, il est mis en résidence surveillée
à la suite de l’appel signé avec Ferhat Abbas, Ben Khedda* et Hocine
Lahouel en 1976.
Belkacem BENZENINE
Bibl. : Mohammed Harbi, 1954. La guerre commence en Algérie, Bruxelles,
Complexe, 1984 • Mohamed Kheireddine, Mémoires, t. II, Alger, Dahlab,
2002.

KHIDER, MOHAMED (1912-1967)


Né le 12 mars 1912 à Alger dans une famille modeste originaire de Tolga
(Biskra), Mohamed Khider décrit, dans son autobiographie inachevée, une
enfance* faite de privation. Après avoir exercé divers métiers, il est recruté
aux Tramways algériens (TA). Il rejoint en 1934 l’Étoile nord-africaine puis,
en juin 1937, il entre au comité directeur du PPA* d’Alger.
Ses activités militantes conduisent Khider à une série d’arrestations entre
le 14 juillet 1939 et le 1er mai 1945. Il soutient la position de Messali* et
refuse toute collaboration avec l’Allemagne nazie. Après sa libération en
juin 1946, il entre au comité central du MTLD. En novembre 1946, il est élu
député d’Alger au titre du deuxième collège mais intervient peu à
l’Assemblée nationale. Il est plus présent à Alger qu’à Paris. Le 18 mars
1947, il participe à la discussion relative à l’Indochine* mais pas à celle sur le
statut de l’Algérie et ne prend pas part à son vote le 27 août 1947. Il
intervient en séance le 26 juillet 1949 pour protester contre l’inclusion de
l’Algérie dans le Pacte atlantique.
Impliqué à tort dans l’affaire de la poste d’Oran (2 mai 1949), il fait alors
l’objet d’une demande de levée d’immunité parlementaire. Il rejette l’ordre
du parti de se constituer prisonnier et se réfugie au Caire en juin 1951 où il
dirige la délégation permanente du MTLD. Il lui échoit de traduire en arabe la
Proclamation du 1er novembre 1954* que Ben Bella* lit sur les ondes de
Radio Le Caire.
En avril 1956, au Caire, il rencontre les envoyés de Guy Mollet* dont
Joseph Begarra, secrétaire général de la Fédération socialiste d’Oranie, et
poursuit ses « contacts » à Belgrade et Rome au cours de l’été de la même
année. Quand il est arrêté avec ses quatre compagnons le 22 octobre 1956
lors du détournement* de l’avion d’Air Maroc, le compte rendu de ces
entretiens est saisi par la police*. Il est nommé ministre d’État du premier
GPRA* (septembre 1958). Il est libéré après les accords d’Évian*.
Lors de la crise de l’été 1962*, il prend position pour le groupe de
Tlemcen* et Ben Bella et est nommé trésorier et secrétaire général du FLN*.
Il démissionne en avril 1963. Exilé en Suisse*, il met les fonds du FLN, dont
il avait la charge, à la disposition des opposants au gouvernement. Il est
assassiné le 4 janvier 1967 à Madrid.
Fouad SOUFI
Bibl. : Mohammed Harbi, 1954. La guerre commence en Algérie, Bruxelles,
Complexe, 1984 • Tarik Khider, L’Affaire Khider. Histoire d’un crime d’État
impuni, Alger, Koukou, 2017 • Benjamin Stora, Dictionnaire biographique
de militants nationalistes algériens (1926-1954). ENA, PPA, MTLD,
L’Harmattan, 1985.

KHODJA, ALI (1933-1956)


De son vrai nom Mustapha Khodja, il est âgé de 22 ans et a le grade de
sergent quand il déserte de la caserne de maintenance des armes d’Hussein
Dey (Alger), le 17 octobre 1955, avec deux autres camarades. Nous ignorons
dans quelles circonstances il est amené à prendre sa décision de rejoindre le
maquis. Il est probable qu’elle soit liée à l’appel à déserter lancé par le FLN*.
Au vu de son expérience militaire, il est affecté par Ouamrane*, chef de
la Zone 4 (Algérois), dans la région de Palestro* où il est chargé de
consolider l’implantation de l’ALN* et de gagner la confiance de la
population civile disséminée dans la montagne. Pour cette double tâche, il est
assisté de Mustapha Lakehal, formé dans les commandos* nord-africains de
l’émir Abdelkrim El Khattabi*, Si Ali Douadi et Moulay Omar. Il dispose en
cette fin de l’année 1955 de trois groupes de maquisards insuffisamment
armés. Ses prêches adressés à la population portent sur les buts de la lutte
armée mais également sur leur condition sociale de paysans appauvris par la
colonisation française. Fort de l’adhésion des villageois, Ali Khodja
commence par agir avec méthode et à régler d’abord les problèmes internes.
Ses adjoints ayant évoqué la présence d’un maquis messaliste, cantonné entre
les monts de Bouzegza et Louh, Ali Khodja, en homme avisé, décide de
prendre contact seul avec le chef messaliste Si Abdelazziz et réussit à le
convaincre de rallier le FLN.
Peu à peu, le secteur d’Ali Khodja est renforcé par l’arrivée de plusieurs
déserteurs dont Ketrouci, dit Si Tahar l’Indochine, et Omar Hamadi, de la
22e compagnie rurale d’Aïn Taya, qui apportent avec eux des armes. Entre-
temps, l’armée française multiplie l’installation de postes militaires dans la
région ce qui va permettre à Ali Khodja de préparer des plans d’attaque. À
son actif, il participe à plusieurs embuscades* dont les premières ont visé les
postes de Duperré, d’Isseri et d’Assoual (côte 616) dans la nuit du 1er au
2 janvier 1956. Le groupe d’Ali Khodja prend d’assaut le poste d’Assoual,
obligeant ses occupants à se rendre, récupère les armes avant de regagner la
montagne. Le 24 février, au col de Sakamody, Ali Khodja tend une
embuscade au passage d’un autocar qui fait huit morts, tous des civils. Le
18 mai, l’embuscade de Palestro* provoque la mort de vingt soldats du
contingent. Sous sa direction, la pratique de la guérilla* prend de l’ampleur et
mobilise d’importants renforts de l’armée française dont l’intervention se
traduit par des représailles, des destructions de villages, des déplacements de
populations et la création de zones interdites*.
Ali Khodja est mort dans un accrochage qui a lieu à la ferme Benouniche
(Fort-de-l’Eau) au mois d’octobre 1957.
Admiré et respecté de ses hommes, ce chef de légende lègue son nom au
commando d’Azzedine* qui lui a succédé, puis, après l’indépendance, à la
caserne de Hussein Dey.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, L’Embuscade de Palestro : Algérie, 1956,
Armand Colin, 2010 • Abdelkader El Blidi, Dans les maquis de la liberté, un
rescapé du commando d’Ali Khodja, Alger, Rafar, 2016 • Abdelfatah El
Haouari, Le Commando Ali Khodja et l’attaque de la côte 616, Alger,
Casbah, 2017.

KRIM, BELKACEM (1922-1970)


Belkacem Krim est né le 15 décembre 1922 au village Tizra-Aïssa. Son
père, Hocine, a été nommé garde champêtre du douar Aït Yahia Moussa puis
investi des pouvoirs de caïd par l’administrateur de Draâ El Mizan.
Krim est envoyé à Alger en septembre 1929 pour effectuer sa scolarité. Il
fréquente l’école Sarrouy où il obtient, en 1936, le certificat d’études
« indigène » et le certificat d’études primaires.
Empêché de poursuivre ses études, Krim regagne le village familial. En
1940, sur proposition de son cousin, le caïd Slimane Dahmoune, il est engagé
comme secrétaire à la commune mixte de Draâ El Mizan. En décembre, son
père décida de le marier à Tassadit Fakheur, issue d’une riche famille de
Maâtkas.
Après sa démission, au printemps 1941, il retourne à Tizra Aïssa avant
d’être envoyé l’année suivante aux Chantiers de jeunesse, à Duperré (Aïn
Defla) puis à Laghouat où il est incorporé à l’armée le 1er juillet 1943. Il y
découvre la ségrégation, tout en s’enthousiasmant pour la création des
AML*.
Envoyé à Blida le 4 mai 1944, il est nommé caporal le 26 novembre puis
affecté au 1er régiment de tirailleurs algériens le 1er juillet 1945, avant sa
démobilisation survenue le 4 octobre avec le grade de caporal-chef.
De retour en Kabylie, il adhère au PPA* et développe les réseaux
nationalistes autour de son village, ce qui envenime les relations avec son
père et son cousin.
En novembre 1946, après le truquage des élections* législatives auquel
Krim tente de s’opposer, il reçoit la visite du sous-préfet de Tizi Ouzou.
Invité à comparaître le 22 mars 1947 pour atteinte à la souveraineté de l’État,
il prend le maquis, suivi de six compagnons.
Pour se venger des représailles qui s’abattent sur ses parents, Krim
organise un attentat, le 25 décembre, contre Dahmoune qui s’en sort
indemne, contrairement au garde champêtre qui l’accompagne.
Nommé chef de l’organisation à Draâ El Mizan, il se place du côté de la
direction quand éclate, fin 1948, la crise dite « berbériste ». Hanafi Fernane,
désigné chef de la wilaya de Kabylie à l’été 1949, s’appuie sur Krim pour
reprendre en main le parti.
Le maquisard évince les personnes suspectées de « berbérisme ». Il
emploie des moyens violents comme l’atteste l’agression, en août, d’Ali
Ferhat, membre de l’Organisation spéciale*. Au cours de cette période
marquée par des assassinats – tel que celui d’Ali Rabia, chef de la daïra de
Makouda – Krim est nommé responsable de la Haute Kabylie.
Après l’arrestation de Fernane au début de l’année 1950, il récupère la
direction de la région, aux côtés d’Amar Ouamrane*. D’octobre 1952 à
mars 1954, Krim est le chef de la daïra de Makouda, sous l’autorité d’Omar
Aliane.
En février 1954, il apprend l’existence d’un conflit entre Messali* et le
comité central du MTLD. Krim envoie Ouamrane et Amar Driss s’informer
auprès d’Ahmed Mezerna, partisan de Messali Hadj qui indique le soutien
d’Aliane aux centralistes. Les émissaires, qui choisissent de rester fidèles à
Messali, désignent Krim comme chef de wilaya.
Krim rencontre Mohamed Boudiaf* et Mostefa Ben Boulaïd* fin mai à
Alger. Le 9 juin, il s’entend avec Ben Boulaïd sur le principe du
déclenchement de la lutte armée, tout en veillant à préserver la cohésion de
l’organisation en Kabylie.
En août, Krim rompt avec Messali sans en informer sa base et devient
l’un des « six chefs historiques » qui décident des attaques du 1er Novembre*
au nom du FLN*. Responsable de la zone de Kabylie, il intègre le CCE* issu
du congrès de la Soummam* d’août 1956.
En mars 1957, il quitte Alger pour la Tunisie*. Il fait partie du triumvirat
responsable de l’exécution d’Abane* Ramdane, le 27 décembre à Tétouan.
Le 19 septembre 1958, il devient vice-président du GPRA*. Il s’occupe des
Forces armées, des Affaires étrangères puis de l’Intérieur avant de conduire la
délégation algérienne à Évian.
Marginalisé par la crise de l’été 1962*, Krim, élu député de Kabylie en
septembre, ne peut guère prétendre jouer un rôle de premier plan. Il annonce
sa démission à Lausanne, le 7 septembre 1963. Quelques mois après sa
participation au congrès du FLN d’avril 1964, il quitte l’Algérie et la vie
politique. Pourtant, le 18 octobre 1967, il annonce, depuis la banlieue
parisienne, la création du Mouvement pour la défense de la révolution
algérienne (MDRA).
Après la tentative d’attentat contre Kaïd Ahmed, la cour révolutionnaire
d’Oran le condamne à mort par contumace le 7 avril 1969. Krim est
découvert assassiné à Francfort, le 18 octobre 1970. Les autorités algériennes
le réhabilitent à titre posthume et l’inhument au carré des martyrs le
24 octobre 1984.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Ali Guenoun, La Question kabyle dans le nationalisme algérien,
1949-1962, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2021 • Amar Hamdani, Le Lion
des djebels, Balland, 1973 • Benjamin Stora, Dictionnaire biographique de
militants nationalistes algériens (1926-1954). ENA, PPA, MTLD,
L’Harmattan, 1985.
L

LA POINTE, ALI (1930-1957)


Ali La Pointe, de son vrai nom Ali Ammar, est natif du quartier « La
Pointe des blagueurs » à Miliana, d’où son surnom. Son enfance* est bercée
par le souvenir d’un grand-oncle déporté à Cayenne en 1871, relaté par sa
grand-mère. Orphelin de père à l’âge de 15 ans, Ali La Pointe se retrouve à
Alger, à la suite du remariage de sa mère.
Dans le milieu de la Casbah, il s’adonne à de nombreux petits métiers
pour survivre. Surtout, il en découvre les bas-fonds, le milieu des truands et
les jeux de hasard. Plus d’une fois, il se retrouve au cœur d’une bagarre qui se
termine au poste de police. D’où des condamnations régulièrement suivies de
séjours en prison*. Il est détenu à Barberousse depuis 1952 quand la guerre
commence. C’est là que son destin change de cours avec la rencontre des
nationalistes du MTLD internés qui lui ouvrent de nouveaux horizons
correspondant à son tempérament d’homme fougueux bravant tous les
dangers.
Le 4 avril 1955, il réussit à s’enfuir du convoi qui doit le conduire à la
prison agricole de Damiette (Médéa). En regagnant Alger, il est intégré à une
cellule de fida sous la direction de Yacef Saadi*. C’est à lui qu’incombe
l’application des consignes du FLN*. Il réussit à mettre au pas le monde de la
pègre et de la prostitution qui sévit dans la Casbah et où la police* recrute ses
indicateurs.
Contrairement à ce qui a pu être dit après-guerre, Ali La Pointe n’est pas
l’auteur de l’attentat perpétré le 28 décembre 1956 contre Amédée Froger*,
maire* de Boufarik. En revanche, il est impliqué dans plusieurs attentats à la
bombe qui ont visé plusieurs établissements du centre d’Alger et il est
condamné à mort par contumace par le tribunal militaire en juillet 1957.
Son sort est scellé à partir des renseignements récoltés par le capitaine
Léger* auprès de Hassen Ghendriche, alias Zerrouk, ex-chef de région de
Yacef Saadi, ce qui permet l’infiltration des réseaux FLN de la Casbah et le
repérage des refuges. Yacef Saadi est arrêté le 23 septembre et au soir du
8 octobre 1957, les paras du 1er REP encerclent la maison située au no 5 rue
des Abderames où se trouve Ali La Pointe. Aux sommations de se rendre, il
répond par le feu avant de périr dans l’explosion due à une lourde charge de
plastic, avec ses compagnons dont Hassiba Ben Bouali*, Omar Yacef dit
« Petit Omar » (12 ans), Mahmoud Bouhamidi. Le souffle de l’explosion fait
de nombreuses victimes habitant dans le voisinage.
Le rôle d’Ali La Pointe a été sublimé dans le film La Bataille d’Alger de
Pontecorvo.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Yacef Saadi, La Bataille d’Alger, Alger, Enal, 1982 • Abdelfatah El
Haouari, Ali La Pointe. Au cœur de la « bataille d’Alger », Alger, Abdelfatah
El Haouari, 2020.

LABAN, MAURICE (1914-1956)


Maurice Laban est né à Biskra en 1914 dans une famille d’ascendance
européenne. Ses parents sont instituteurs à l’école dite « indigène », et
propriétaires exploitants d’une palmeraie. Écolier, il fréquente surtout de
jeunes musulmans, et parle couramment l’arabe. Interne au lycée de
Constantine, il adhère à la Jeunesse communiste, puis étudie à Marseille*,
Alger et Paris. En 1936, il rejoint les Brigades internationales. Blessé à deux
reprises en Espagne, il obtient un diplôme d’ingénieur chimiste à Paris et
regagne l’Algérie fin 1939.
Membre de la direction du PCA* clandestin sous Vichy, il rédige avec
Mohamed Kateb le manifeste indépendantiste diffusé dans La Lutte sociale
de novembre 1940. Faisant de l’anticolonialisme un combat prioritaire, il
plaide pour un rapprochement avec les nationalistes. Arrêté en janvier 1941,
il s’évade de prison le 1er novembre avec Georges Raffini*, son ancien
camarade du lycée et des Brigades internationales, mais ils sont repris le
9 novembre. Le 21 mars 1942, il est condamné aux travaux forcés à
perpétuité lors du procès dit « des 61 ». Il est libéré en mars 1943, quatre
mois après le débarquement allié en Afrique du Nord. Il critique alors
l’influence du PCF* sur le PCA, et s’oppose à l’hostilité de la direction du
PCA envers les nationalistes, qui prendra fin en 1946.
À la fin de la guerre, marié à Odette Dei et père d’un garçon, il reprend
l’exploitation de son père et acquiert une nouvelle plantation. Dirigeant de la
section locale du PCA, il participe au développement du parti parmi les
paysans du Sud-Constantinois et des Aurès. S’il bénéficie de la confiance des
militants locaux, il est accusé de « nationalisme » et d’« esprit de groupe »
par certains dirigeants du PCA.
En 1954, il est informé des projets d’insurrection par Mostefa Ben
Boulaïd*, futur chef de l’ALN*, qui l’invite à rejoindre le maquis. Mais alors
que la direction du PCA encourage la montée au maquis de militants des
Aurès, elle s’oppose à celle de Laban. Interdit de séjour dans le département
de Constantine en juillet 1955, il passe dans la clandestinité. S’il est amer
envers la direction du PCA, il accepte de rejoindre le maquis communiste de
l’Ouarsenis fin avril 1956. Maquisard, il participe à l’exécution d’Algériens
collaborant avec les autorités françaises. Le 5 juin 1956, il meurt au combat
face à l’armée française.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Jean-Luc Einaudi, Un Algérien. Maurice Laban, Le Cherche Midi,
1999 • Serge Kastell, Le Maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre
d’Algérie, 1956, L’Harmattan, 1997.

LACHERAF, MOSTEFA (1917-2007)


Parfait bilingue, il fréquente l’école française puis le lycée, en même
temps qu’il étudie à la médersa Thaâlibiyya d’Alger, avant de poursuivre ses
études à la Sorbonne. Il enseigne à Mostaganem puis à Paris, au lycée Louis-
le-Grand et à la Sorbonne. Il est traducteur et interprète à l’Institut national
des langues et civilisations orientales à Paris.
L’autre versant de son parcours est l’engagement politique. À partir de
1939, il milite au PPA-MTLD* avant de rejoindre le FLN*. Il fait partie de la
délégation du FLN dont l’avion du vol Rabat – Tunis est détourné sur Alger
par l’aviation française (2 octobre 1956). Enfermé comme ses compagnons
dans plusieurs prisons* françaises, il est libéré pour raisons de santé en 1961.
Il quitte clandestinement la France pour Le Caire. Membre du CNRA*, il
participe à l’élaboration du programme de Tripoli (mai 1962). Il est ensuite
ambassadeur pendant plusieurs années, puis ministre de l’Éducation (1977-
1979), poste dont il démissionne devant l’opposition du FLN à son projet
d’une école bilingue, projet qu’il a toujours défendu dans ses essais.
Lacheraf se fait également remarquer par son engagement sur le terrain
culturel. Pendant la guerre, il publie des articles dans plusieurs revues* : Les
Temps modernes, Esprit, Présence africaine, Simoun… puis dans El
Moudjahid, Révolution africaine*, Algérie-Actualité… Il intervient aussi bien
sur le terrain de la critique littéraire (il est l’un des fondateurs d’une critique
d’un point de vue algérien ; cf. son interview dans Les Temps modernes,
reprise en 1963 par Révolution africaine) que sur celui de l’écriture de
l’histoire. Il sépare les écrivains véritablement engagés (Dib*, Kateb*, puis
Feraoun* et Mammeri*) des écrivains « petits bourgeois » (Djebar et
Bourboune). Avec une grande précision, la phrase de Lacheraf restitue une
pensée dont la rigueur est impressionnante par son déploiement, dans ses
moindres développements possibles.
Il reprend les concepts de l’histoire : il développe les notions de
patriotisme paysan qui a maintenu la résistance d’un peuple et rend compte
d’une histoire « invisible ».
Ses mémoires (Des noms et des lieux…, 1998), restituent la richesse et la
complexité d’un itinéraire dont la modestie de l’homme ne rend pas compte.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Mostefa Lacheraf, L’Algérie : nation et société, Maspero, 1965 • —,
Des noms et des lieux. Mémoires d’une Algérie oubliée, Alger, Casbah, 1998.

LACHEROY, COLONEL CHARLES (1906-


2005)
Charles Lacheroy naît le 22 août 1906, à Chalon-sur-Saône. Son père
meurt à Verdun en 1916. Pupille de la nation, il suit les cours du Prytanée
militaire de la Flèche, puis de Saint-Cyr. Il en sort en 1927 et choisit
l’infanterie coloniale. Il est alors affecté au Levant dans des troupes de
tirailleurs puis comme officier* méhariste. Il est ensuite muté au Maroc*, où
il demeure pendant la drôle de guerre. Il tente sans succès de rejoindre la
France libre. Incarcéré, il bénéficie d’un non-lieu. Il est muté ensuite en
Tunisie* dans l’état-major du général de Lattre. Il est à Dakar, lors du
débarquement américain en Afrique du Nord. Il participe aux combats de la
Libération dans l’état-major de la 9e division d’infanterie coloniale.
En 1946, il prend un poste en Côte d’Ivoire où il réprime les nationalistes
du Rassemblement démocratique africain d’Houphouët-Boigny. Il prend, en
1951, le commandement du secteur de Biên Hòa près de Saïgon, zone de
plantations de caoutchouc traversée par une voie de chemin de fer
stratégique. En cherchant à détruire les réseaux civils du Vietminh, Lacheroy
réfléchit à leurs méthodes d’action politico-militaire et aux parades à y
opposer. Il y tient ses premières conférences et y développe l’idée de « guerre
révolutionnaire* ». L’enjeu d’une telle guerre est le contrôle politique de la
population et non plus le seul contrôle militaire du territoire.
De retour en France, il prend la direction, en 1953, du Centre d’études
africaines et asiatiques des troupes coloniales. Continuant ses conférences sur
la guerre révolutionnaire et l’action psychologique, il connaît une ascension
foudroyante. En 1956, il prend ainsi la tête du Service d’action
psychologique* et d’information de la Défense nationale, travaillant sous la
tutelle directe du ministre Maurice Bourgès-Maunoury*, acquis à ses thèses.
Consécration, le 7 juillet 1957, il tient une conférence dans le grand
amphithéâtre de la Sorbonne devant 2 000 officiers. Il participe activement à
mettre en forme les institutions chargées de mener l’action psychologique
pendant la guerre d’Algérie, les 5es bureaux. Démis de ses fonctions par
Jacques Chaban-Delmas, il est muté à l’état-major de la 7e division
mécanique rapide en Kabylie. En mai 1958, il accourt à Alger et est nommé
directeur du Service d’information et d’action psychologique de la
Délégation générale du gouvernement par le général Salan*.
Il quitte l’Algérie avec Salan en décembre 1959, pour prendre un poste
d’enseignement à l’École de guerre. Il participe à l’organisation du putsch*
d’avril 1961 et rejoint Alger à cette occasion. À la suite de l’échec du putsch,
il fuit vers l’Espagne. Il participe aux activités de l’OAS* depuis Madrid. Il
demeure outre-Pyrénées jusqu’à son amnistie* en 1968. Il vit ensuite en
France. Il meurt à Aix-en-Provence en 2005.
Denis LEROUX
LACOSTE, ROBERT (1898-1989)
Robert Lacoste a été un cadre syndicaliste métropolitain de 1926 à 1940,
puis un résistant de la première heure, cofondateur de Libération-Nord, puis
de Libération-Sud, enfin un des « neuf sages » du Comité général d’études.
La Résistance* l’a propulsé en politique : député SFIO* de la Dordogne
depuis 1945, il a administré dans une dizaine de gouvernements consécutifs,
de 1944 à 1950, le ministère de la Production industrielle, essentiel à la
reconstruction de la France. Rien ne prédestinait cet homme de 58 ans, sans
connaissances personnelles réelles de l’Algérie, à devenir ministre résidant en
Algérie. Mollet* l’appelle à ce poste après le soulèvement des Européens
d’Alger et la démission du général Catroux le 6 février 1956. Il abandonne
pour ce faire un portefeuille ministériel considérable, celui des finances et des
affaires économiques.
Avec Lacoste, l’Algérie est munie d’un ministère propre et non plus d’un
simple gouverneur général nommé pour deux ans. Affirmant que la France
« n’abandonnera pas l’Algérie », le ministre entend aussi la réformer,
critiquant l’égoïsme du colonat. S’adressant aux deux communautés à
l’Assemblée Algérienne, il dénonce, dans un apparent équilibre, les refus des
uns et les violences des autres.
Sa volonté de réformes n’est guère discutable, le ministre propose un plan
décennal de développement socio-économique autour de trois axes : faciliter
l’émigration* vers la métropole, et pour cela développer la formation des
jeunes, engager une réforme agraire, industrialiser le pays. Devant
l’Assemblée algérienne, il dénonce « les problèmes que pose la misère d’une
grande partie de la population », indique sa volonté d’aider à la « promotion
économique et sociale de la population » et prévoit l’accès à la fonction
publique des musulmans, une réforme agraire des réformes sociales. De
mars 1956 à mai 1958, il ne dépose pas moins de 26 projets de loi concernant
l’Algérie, afin, comme il le dit lors du débat sur les pouvoirs spéciaux*, de
construire « dans la tempête malgré les menaces et les périls ». Cette
politique réformiste et volontariste échoue dans le contexte d’une guerre de
plus en plus radicale. Sa responsabilité est essentielle dans cette évolution.
Ignorant le caractère politique du conflit, le ministre refuse toute idée de
négociation* avec les nationalistes algériens et contribue à faire échouer
toutes les tentatives en ce sens. Surtout, il partage l’option gouvernementale
d’une répression sans faille : pouvoirs spéciaux le 12 mars 1956, doublement
des effectifs du contingent, avec la prolongation du service militaire* et le
rappel des réservistes. Lacoste participe au transfert de pouvoirs vers les
militaires. Le général Pédron, commandant du corps d’armée d’Oran,
l’interprète ainsi : « La guerre menée en Algérie impose ses logiques qui ne
peuvent pas s’embarrasser du respect des règles traditionnelles en vigueur
dans l’armée, qu’elles soient hiérarchiques ou morales » (Branche, p. 62).
Afin de lutter contre l’organisation politico-administrative du FLN*, la
torture* devient progressivement la procédure normale du renseignement.
En janvier 1957, alors que le FLN opère un déplacement tactique et
développe le terrorisme urbain à Alger, Lacoste fait remettre les pouvoirs de
police* à la 10e division parachutiste* du général Massu*. La torture et les
disparitions* s’avèrent des éléments récurrents de la « bataille d’Alger* ». Le
développement des assignations à résidence et la création des centres de tri et
de transit* (CTT) légalisent les pratiques des militaires que le ministre nie.
Par exemple, à l’Assemblée nationale le 12 novembre 1957, il explique que
contre la guerre révolutionnaire* subversive pratiquée, l’armée française « a
fait sans plaisir mais avec détermination, la guerre de 1957 qui lui était
imposée ; elle l’a faite vaillamment, elle l’a faite humainement ». Sa brutalité
de ton, ses apostrophes sur le « dernier quart d’heure » ou « les intellectuels
torturés » ont marqué les contemporains. Sur le plan judiciaire, Lacoste
participe avec Mollet, Bourgès-Maunoury* et Mitterrand*, à la simplification
de l’examen des recours en grâce afin d’accélérer les exécutions de
condamnés à mort algériens qui avaient commencé en juin 1956, contre l’avis
de Mendès France*, Defferre et Savary.
Reconduit dans les gouvernements de Maurice Bourgès-Maunoury et
Félix Gaillard*, où il poursuit sa politique, Robert Lacoste tombe avec ce
dernier. Son départ contribue au soulèvement des Européens et des militaires
le 13 mai 1958*. Il restera un fidèle de « l’Algérie française » au-delà de la
fin de celle-ci et poursuivra sa carrière de parlementaire socialiste jusqu’en
1980.
Gilles MORIN
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Daniel Lefeuvre, Chère Algérie, 1930-1960,
SFHOM, 1997 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans
la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.

LADLANI, AMAR, DIT KADDOUR (1925-2004)


Amar Ladlani naît le 24 octobre 1925 à Tizi Ouzou. Au Ruisseau, il
adhère au PPA* en 1945 puis devient chef de groupe des Tanneries.
En 1949, il émigre en France. Mineur à Liévin, il rejoint le comité de
kasma du MTLD. Début 1950, il devient permanent de la Fédération de
France du MTLD et est désigné comme responsable de la région Centre.
Deux ans plus tard, il est affecté dans le Nord où il reste jusqu’en 1954.
Pendant la crise du parti indépendantiste, il rend visite à Messali* Hadj à
Niort, le 3 mars. Il s’oppose ensuite au chef historique. La dislocation de
l’appareil le libère de ses responsabilités avant que les attaques du
1er Novembre* ne le surprennent. Quelques mois plus tard, il établit le contact
avec Mourad Terbouche, Abderrahmane Guerras et Fodil Bensalem.
En 1955, il rejoint le FLN* comme militant de base. En juillet, Guerras le
désigne comme adjoint pour la région Centre et l’envoie à Saint-Étienne. Six
mois plus tard, il est muté à Lyon* pour prendre en charge la zone Centre-
Sud.
Fin décembre 1956, Mohamed Lebjaoui le nomme responsable de
l’organisation au niveau fédéral. À Lyon, il supervise le déroulement de la
« grève des huit jours* » en janvier 1957.
À partir de février 1958, il siège au sein du comité fédéral, transféré à
Cologne en juin, aux côtés d’Omar Boudaoud*, Rabah Bouaziz*, Ali
Haroun* et Abdelkrim Souici*, en assumant la fonction de responsable à
l’organisation. Il accède au CNRA* en 1959 et est l’un des organisateurs des
manifestations d’octobre 1961* à Paris.
En septembre 1962, il est élu à l’Assemblée constituante puis, en
juin 1963, il crée avec Boudaoud l’Union politique algérienne (UPA), un
mouvement d’opposition, avant de le mettre en sommeil. En septembre 1964,
il est élu à l’Assemblée populaire nationale.
Il préside l’Association des militants de la Fédération de France* du FLN
jusqu’à son décès, le 26 juin 2004. Il est inhumé au cimetière d’El Alia.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Linda Amiri, « La connaissance de l’émigration, clé du remaniement
réussi de la Fédération de France du FLN (1957-1958) » in Raphaëlle
Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en guerre, 1954-1962,
Autrement, 2008 • Ali Haroun, « Kaddour Ladlani, un grand militant », El
Watan, 3 juillet 2004 • Benjamin Stora, Dictionnaire biographique de
militants nationalistes algériens (1926-1954). ENA, PPA, MTLD,
L’Harmattan, 1985.

LAGAILLARDE, PIERRE (1931-2014)


Né à Courbevoie, Pierre Lagaillarde est le fils d’un couple d’avocats
installé en Algérie dans les années 1930. Le droit et la politique rythment son
adolescence. Son père, Henry, a été chargé de mission au cabinet du radical
Henri Queuille, lorsque ce dernier siégeait au CFLN puis au GPRF. D’abord
étudiant à Alger, Lagaillarde obtient sa licence en droit à Paris en 1951. À
son retour, il s’inscrit au barreau de Blida. La guerre d’Algérie le précipite
dans l’action : militaire, comme sous-lieutenant parachutiste* en 1955 ;
politique lorsque, doctorant de droit, il est élu président de l’Association
générale des étudiants d’Algérie* (Agea) le 2 décembre 1957. Il joue ainsi un
rôle de premier plan. Il appartient au comité des sept qui réunit les civils
activistes algérois les plus en vue, avec notamment Martel et Ortiz*. Surtout,
le 13 Mai*, il conduit la prise du Gouvernement général* et s’impose dans le
Comité de salut public naissant. Parti en métropole pour monter l’opération
« Résurrection* », il revient en Algérie après l’investiture du général de
Gaulle* et défend le « oui » au référendum constitutionnel. Aux législatives
de novembre 1958, il est élu député d’Alger-ville au premier tour.
Rencontrant de Gaulle au palais d’Été peu après, il se veut encore confiant
puis devient de plus en plus critique à partir du printemps 1959. Après
l’annonce de l’autodétermination le 16 septembre 1959, il bascule dans une
opposition irréductible symbolisée par son rôle dans la semaine des
barricades* de janvier 1960. Son verbe, sa barbe et sa tenue léopard font les
délices des reporters. Pourtant, la chute de son « camp retranché » et sa
reddition sonnent le glas de ses espoirs. Incarcéré en vue de son procès, il
doit comparaître libre mais il quitte la France pour l’Espagne. Il cofonde
l’OAS* à Madrid avec Susini* au début de 1961. S’ouvre alors la dernière
phase de son combat. Son choix de mener la lutte depuis l’Espagne le coupe
de l’OAS-Algérie qui lui avait réservé une place de choix dans son dispositif.
Les divisions de l’« OAS espagnole », l’arrestation puis son assignation à
résidence aux Canaries en octobre 1960 le marginalisent. Resté en Espagne
jusqu’en 1968, devenu ensuite avocat à Auch, Lagaillarde n’a jamais voulu
revenir sur le devant de la scène ni même publier de Mémoires.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Pierre
Lagaillarde, « On a triché avec l’honneur », texte intégral de l’interrogatoire
et de la plaidoirie des audiences des 15 et 16 novembre 1960 du procès des
« Barricades », La Table ronde, 1961.

LAGHROUR, ABBÈS (1926-1957)


Abbès Laghrour fait partie du premier carré de dirigeants de la
Zone 1/Aurès-Nemencha.
Il fait son apprentissage politique dans le sillage du bouillonnement
nationaliste né avec les AML* (1944). Ses sympathies vont au PPA* et c’est
dans ses rangs qu’il participe aux manifestations du 8 mai 1945*. En 1949, il
prend la direction de la kasma de Khenchela. Lors de la crise du parti PPA-
MTLD (1953), Laghrour se range du côté de la tendance neutraliste,
défendue par Bachir Chihani* chef de la daïra de Batna (mars 1954). Le
1er juillet 1954, Laghrour participe à la conférence des cadres du parti, tenue à
Alger sous la houlette des centralistes. À cette occasion, la perspective du
déclenchement de la lutte armée est largement débattue et retenue par la
majorité des militants activistes dont il fait partie. Les mois suivants,
Laghrour passe son temps entre la préparation de ses militants (mise au point
de l’organisation clandestine, entraînement militaire, achat de tenues
militaires auprès des fripiers) et plusieurs réunions avec Mostefa Ben
Boulaïd*.
Les attaques que Laghrour a dirigées le 1er novembre 1954* à Khenchela
sont particulièrement meurtrières. À la veille de son départ pour l’Égypte*
(janvier 1955), Ben Boulaïd le nomme adjoint avec Adjel Adjoul* auprès de
Bachir Chihani qui doit assurer le commandement en son absence. Impliqué
dans l’élimination de Chihani (octobre 1955), il est l’un des acteurs qui
participe à l’aggravation des conflits dans les rangs de l’ALN* en l’absence
de Ben Boulaïd interné à Constantine. Il ne le rencontre pas lors de son
évasion* (novembre 1955). En septembre 1956, Laghrour se rend en
Tunisie*, en vue d’une réunion avec les chefs de plusieurs zones dissidentes
de l’Aurès-Nemencha. Outre ses contacts avec les principaux fournisseurs
d’armes, il se rapproche d’Ali Mahsas*, fidèle soutien de Ben Bella* et
opposant aux décisions du congrès de la Soummam*. Le 18 septembre, il
échappe de justesse à la mort lors de la réunion de Mathildeville à Tunis,
interrompue par une fusillade qui a entraîné la mort de plusieurs chefs de
l’Aurès-Nemencha (18 septembre) et dont nous savons peu de choses. Arrêté
par la garde nationale de la Tunisie au printemps 1957 et remis au FLN*, il
est condamné à mort et fusillé avec quatorze de ses compagnons, lors du
procès que le tribunal du CCE* (présidé par Bentobbal*) leur a intenté à
Téboursouk en Tunisie (juillet 1957). Réhabilité par Chadli Bendjedid en
1984, son corps repose au cimetière d’El Alia à Alger.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

LAKHDARI, SAMIA (1934-2012)


Membre du « réseau bombes » avec Zohra Drif*, Djamila Bouhired*,
Djamila Bouazza et Hassiba Ben Bouali*, Samia Lakhdari est indéniablement
la combattante la moins connue. Pourtant elle apparaît sur une photographie*
devenue célèbre, prise par Ali La Pointe* dans la casbah d’Alger en 1957.
Peu connue à sa mort en juin 2012, son amie d’enfance et compagne de lutte,
Zohra Drif, livre dans Mémoire d’une combattante de l’ALN. Zone autonome
d’Alger (Chihab, 2013), les principaux jalons de sa vie.
Née en 1934 dans une famille aisée originaire de Constantine et de
Biskra, elle grandit à Alger où son père est cadi (juge de droit musulman).
Alors qu’elle est étudiante en droit à Alger à la rentrée de 1954, son
engagement dans l’organisation du FLN* commence grâce à Boualem
Oussedik, un camarade étudiant et militant. Il devient effectif dès l’appel à la
grève* lancé par le FLN en mai 1956. Sous le pseudonyme de Nabila, Samia
Lakhdari distribue les aides aux familles de militants, notamment à Belcourt
avant de rencontrer Yacef Saadi*, chef de la Zone autonome d’Alger*, à la
fin du mois d’août 1956. Elle est alors recrutée dans les groupes armés
composés essentiellement de jeunes femmes* à l’allure européenne, pouvant
passer, de manière inaperçue et plus facilement, les points de contrôle
d’identité par les forces de l’ordre et ainsi assurer des liaisons, transporter des
armes, voire déposer des bombes. Tout comme Zohra Drif, elle refuse d’être
réduite aux rôles sociaux traditionnels assignés aux femmes et privilégie
l’action. Elle intègre les groupes de fidaiyine – ces volontaires prêts à
sacrifier leur vie pour la cause nationale. Le 30 septembre 1956, Samia
Lakhdari entre avec sa mère, Mama Zhor, dans la cafétéria située face à
l’université d’Alger*, fréquentée essentiellement par les étudiants*, et y
dépose un engin explosif. Elle est condamnée à mort par contumace avec
Zohra Drif au procès de Djamila Bouhired et Djamila Bouazza. Après les
attentats, Samia vit les difficultés de la clandestinité, à l’insu de son père qui
ignore tout de ses activités, mais aussi du fait qu’elle doit honorer sa parole
de se marier. Face à ce dilemme, elle quitte le réseau malgré
l’incompréhension de certains de ses compagnons de lutte. Elle se marie,
quitte l’Algérie et part pour la Suisse*, puis la Tunisie* où elle entre en
contact avec Abane* Ramdane. Après l’indépendance, Samia Lakhdari
poursuit discrètement la lutte en faveur des droits des femmes. Elle fait partie
de toutes ces femmes qui ont pris des risques durant la Guerre
d’indépendance, mais qui sont tombées dans l’oubli.
Karima RAMDANI
Bibl. : Zohra Drif, Mémoires d’une combattante de l’ALN. Zone autonome
d’Alger, Alger, Chihab, 2013 • Laura McMahon, « Religion,
Multiculturalism, and Phenomenology as a Critical Practice. Lessons from
the Algerian War of Independence », Journal of Critical Phenomenology,
vol. 3, no 1, 2020.

LAMBERT, PIERRE (1901-1973)


Né le 2 février 1901 à Paris, ancien résistant, membre de la SFIO*, Pierre
Lambert rejoint son poste de préfet* d’Oran à la fin du mois de
décembre 1953. Il connaissait bien la ville pour y avoir déjà fait un court
séjour en 1935. Il est par la suite élevé au rang de préfet Igame (Inspecteur
général en mission extraordinaire) de 1956 à 1958.
Au lendemain même de l’insurrection du 1er novembre 1954*, sous son
autorité, les services de police* d’Oran inaugurent la pratique des
interrogatoires « musclés », notamment la brigade de surveillance du
territoire (BST).
Face à la montée du terrorisme FLN* en 1956-1957, le préfet d’Oran
adopte une attitude extrêmement répressive contre les militants FLN et
communistes et les libéraux européens. Il se retrouve dès lors en phase avec
la politique mise en œuvre par Guy Mollet* et appliquée en Algérie par le
ministre résidant et gouverneur général de l’Algérie, Robert Lacoste*, dont il
est un des proches depuis 1936.
Les grandes manifestations* de février 1956 – les premières de la période
de la guerre –, suivies par la grande grève* des dockers*, sont durement
réprimées. Il inaugure à cette occasion la pratique des rafles* et la méthode
du parcage des personnes arrêtées, en plein hiver, au stade Vincent-Monréal,
au sud de la ville, en mobilisant d’importantes forces de l’ordre pour leur
contrôle.
Pierre Lambert se distingue également par l’empressement qu’il met à
saisir le ministre de l’Intérieur pour activer l’exécution des « rebelles »,
notamment Ahmed Zabana* et insiste pour que « les sentences soient
exécutées avant qu’il ne soit trop tard ».
Le 14 mai 1958, au lendemain de la formation du Comité de salut public,
près de 50 000 Européens rassemblés au stade municipal de la ville, chauffés
à blanc contre le préfet, descendent en masse à l’ancienne préfecture qui est
prise d’assaut et dévastée. Lambert, préfet Igame d’Oran est physiquement
pris à partie par les manifestants. Il doit son salut à l’intervention de l’armée
qui le prend sous sa protection au Château-Neuf, siège du Corps d’armée
d’Oran/(CAO). Avant de quitter son poste et partir en France, il consent à
remettre ses pouvoirs au général Jean-Henri Rethoré, commandant du CAO
qui exerce directement le commandement civil et militaire pour la région
d’Oran.
Pierre Lambert rejoint son nouveau poste de préfet de la Haute-Vienne,
en 1959, il prend sa retraite en 1961. Il meurt le 30 novembre 1973 à
Boulogne-sur-Seine.
Saddek BENKADA
Bibl. : René Bargeton, Dictionnaire biographique des préfets, Archives
nationales, 1994 • Alfred Bérenguer, Alfred Bérenguer, prêtre algérien. En
toute liberté. Entretiens avec Geneviève Demenjian, Centurion, 1994 • Maria
Romo, « Le gouvernement Mendès France et le maintien de l’ordre en
Algérie en novembre 1954 », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse
(dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe,
2000.

LAMOURI, COMPLOT
Le complot Lamouri – du nom d’un maquisard de l’Aurès, devenu chef
de cette wilaya en décembre 1957-1958 – est une tentative de renversement
du GPRA* nouvellement créé en septembre 1958.
Les germes du mécontentement s’exacerbent quand, le 13 septembre
1958, les colonels Mohamed Lamouri, Amara Bouglez* et Amar Benaouda,
membres du Commandement opérationnel militaire (COM) de l’Est depuis
avril 1958, sont suspendus de leurs fonctions, au même titre que leur
responsable, le colonel Mohammedi* Saïd, par décision du CCE* réuni
au Caire.
Lamouri et Bouglez sont dégradés et éloignés pour une durée illimitée, le
premier à Djeddah et le second en Irak/Soudan tandis que Mohammedi et
Benaouda sont suspendus de toute activité seulement, le premier pour un
mois et le second pour trois mois.
En fait, l’origine du ressentiment de Lamouri et de nombreux
responsables de l’Aurès est liée à la nomination de Mahmoud Cherif* (2 avril
1957) comme chef de la Wilaya 1*. Le ralliement tardif de cet ancien
officier* de l’armée française au FLN* (1956) est mal accepté par les
pionniers de l’insurrection. Par la suite, les responsabilités attribuées à
Mohammedi Saïd, chef de la Wilaya 3* à la tête du COM et du commandant
Idir sont mises sur le compte des préférences régionales que la rumeur attise.
L’éloignement de Lamouri et Bouglez est vivement ressenti par leurs
compagnons du COM qui ne se privent pas de dénoncer à leur tour « le
racisme* kabyle ». Mieux, ils multiplient les actes d’insubordination comme
le refus de rentrer avec leurs troupes en Algérie, suivant les ordres de
Mohammedi et Krim*. Le colonel Nouaoura exige le retour de Lamouri et le
commandant Aouachria de la base de l’Est abonde dans le même sens,
souhaitant « le jugement de Lamouri par l’ALN* et des explications sur la
liquidation d’Abane* Ramdane.
De son côté, Lamouri rejette l’accusation de « travail fractionnel ».
Au Caire, il rencontre Fathi Al Dib, chef des services secrets égyptiens par
l’entremise de Mostefa Lakehal, un vétéran des commandos* nord-africains
qui a fait ses preuves dans le sillage du commando d’Ali Khodja* en
Wilaya 4*. Il cherche alors à saisir l’opportunité d’éliminer le GPRA. Si le
projet de Lamouri est soutenu par l’Égypte* de Nasser, c’est pour
contrecarrer la volonté du FLN d’agir en toute autonomie.
Fort de la collusion avec le tandem Fethi Dib-Nasser, Lamouri et Mostefa
Lakehal se rendent en Tunisie*. Une réunion a lieu le 12 novembre au Kef en
présence de plusieurs officiers de la Wilaya 1 et de la base de l’Est.
L’intervention de la garde nationale tunisienne alertée par le GPRA met en
échec le putsch* projeté. Elle entraîne l’arrestation de Lamouri et ses
compagnons tout comme celle de nombreux djounoud.
Les conjurés sont internés au camp de Denden (commandé par le colonel
Bencherif*) où ils sont interrogés non sans violence avant d’être déférés
devant le tribunal militaire présidé par Boumediene* assisté d’Ali Mendjeli,
procureur général, et de deux juges, Kaïd Ahmed et le colonel Sadek
(Slimane Dehilès*). Le procès s’ouvre le 20 janvier 1959 et s’achève le
28 février. Treize condamnations sont prononcées : les colonels Lamouri,
Aouachria, Nouaoura et Lakehal sont condamnés à mort et fusillés le
16 mars. Des peines d’emprisonnement assorties de dégradation ont frappé
les neuf autres conjurés.
L’une des conséquences de cette crise se traduit par le transfert du siège
du GPRA du Caire vers Tunis, le FLN désirant se soustraire à toute influence
étrangère. En revanche, la rigueur des condamnations, sans doute pour
l’exemple, envenime le climat de dissidence des troupes stationnées à la
frontière, découragées sinon désenchantées.
Le complot Lamouri met à nu les contradictions qui rongent le FLN.
L’option de la direction collégiale doit faire face aux rivalités des chefs
militaires pour le pouvoir. L’exploitation de la fibre régionaliste est mise à
contribution au mépris de toute stratégie.
Le ralliement d’Ali Hambli à l’armée française en mars 1959 n’est qu’un
exemple de la contestation qui continuera dans les rangs de l’armée des
frontières* ou parmi les maquisards de l’intérieur.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • —, « Le complot Lamouri »,
in Charles-Robert Ageron (dir.), La Guerre d’Algérie et les Algériens,
Armand Colin, 1997 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002.

LE PEN, JEAN-MARIE (NÉ EN 1928)


Jean-Marie Le Pen, à la carrière exceptionnellement longue, eut des
fidélités sans faille : à l’armée, à l’Empire, gages l’une et l’autre, l’une par
l’autre, de la grandeur du pays, symboles de la « France éternelle », forte et
« virile », face au renoncement et au déclin.
Son premier engagement est lié à cet Empire : en 1954, en Indochine*, où
le corps expéditionnaire était passablement malmené, à bout de souffle.
Arrivé après Điên Biên Phù, le jeune Le Pen n’y connaîtra guère le baptême
du feu.
La politique l’appelle, dans les rangs du mouvement mi-protestataire, mi-
démagogue dirigé par Pierre Poujade. Les cibles du mouvement seront les
siennes durant toute sa vie : les « politiciens pourris », les « intellectuels
apatrides »… Candidat lors de la campagne électorale anticipée de
décembre 1955, il imprime déjà sa marque par un discours tout en nuances :
« Chaque fois qu’on reçoit un coup de pied dans les fesses, il faut brosser le
pantalon après. La France est gouvernée par des pédérastes : Sartre*,
Camus*, Mauriac*. » Élu député le 2 janvier 1956 (le plus jeune de
l’hémicycle), il porte désormais le message que la France a besoin d’un
régime viril. Toutes ses interventions, à l’Assemblée, tournent autour de cette
idée simple : l’application impitoyable et rapide de la répression est la seule
solution pour sauver l’Algérie française. « Ce que nous attendions, c’est que
le gouvernement fasse exécuter les assassins condamnés qui sont dans les
prisons* algériennes et qui attendent encore le châtiment suprême. Il ne l’a
pas fait » (8 mars 1956). Il aura satisfaction trois mois plus tard.
Il ne veut pas se contenter de paroles. Il revient au terrain en Algérie.
En octobre 1956, il rejoint son ancienne unité, le 1er régiment étranger de
parachutistes (REP), au sein duquel il participe certes à des opérations
« purement militaires », telle l’expédition de Suez*. Mais aussi à des activités
sordides et inhumaines. Il est sur place lorsque commence la mal nommée
« bataille d’Alger* ». Il dirige et utilise personnellement des « méthodes de
contrainte », selon ses propres paroles (Combat, 10 novembre 1962), en clair
de tortures. En mai 1957, une association antiguerre, Les Amis du droit,
organise une réunion de dénonciation de ces pratiques. Elle est interrompue
par Le Pen, qui y prend la parole : « J’ai été officier de renseignement au 74
boulevard Gallieni (c’était l’adresse de la tristement célèbre Villa des Roses).
J’y ai moi-même interrogé des gens, je les ai interrogés le temps qu’il fallait,
pas plus du temps qu’il fallait, mais pas moins… Je travaillais vingt heures
par jour » (Regards, juin 1957).
En France, Le Pen se lie à toutes les activités du « lobby Algérie
française ». Sous la IVe République* finissante, d’abord. Le 13 mai 1958*, il
est à la tête d’une manifestation* de soutien aux émeutiers d’Alger, qui
dégénère en incidents avec la police*. On y entend : « À la Chambre ! » Puis,
très vite, Le Pen et ses amis comprennent que la politique algérienne de De
Gaulle* ne sera pas celle de leur « lobby ». Il est l’un des métropolitains les
plus liés à l’activisme ultra en Algérie. Il est membre d’un Rassemblement
national pour l’Algérie française, fondé en septembre 1959 par Georges
Bidault, Jacques Soustelle* et Jean-Baptiste Biaggi. En juin 1960, il accède
au secrétariat général d’un Front national français présidé par le colonel
Thomazo et animé par l’ancien commissaire Jean Dides, les pétainistes non
repentis Tixier-Vignancour et Isorni. Il se lie d’amitié avec Lagaillarde*. Une
photo les représente côte à côte, hilares, lors du verdict de clémence du
procès dit « des Barricades » (presse française, 18 novembre 1960). Il est de
toutes les manifestations de rue. En octobre 1960, alors qu’a lieu le procès du
réseau Jeanson*, la fine fleur de l’extrême droite défile : en tête avec béret de
para, l’inévitable Jean-Marie Le Pen. Les cris fusent : « Algérie française »,
bien sûr, mais aussi : « Fusillez Sartre », « À mort Mendès* »… Les
manifestants, voulant s’approcher de l’Élysée, sont arrêtés par un cordon de
police dirigé personnellement par Maurice Papon*.
Lorsque début 1961 les partisans les plus extrémistes de l’Algérie
française se regroupent à Madrid, autour du général Salan*, en vue de fonder
l’OAS*, tous les éléments de l’extrême droite de métropole se ruent dans la
capitale franquiste, Jean-Marie Le Pen le premier (Le Monde, 4 janvier 1961).
Le Pen aura la prudence de n’être jamais formellement OAS : homme public,
orateur puissant, il était sans doute plus utile à « la cause » dehors. Mais il
sera jusqu’aux accords d’Évian* de tous les combats d’arrière-garde de
défense de « notre Algérie ». Et il n’a jamais cessé depuis soixante ans.
Alain RUSCIO
Bibl. : Jean-Marie Le Pen, Mémoires. Fils de la nation, t. I, Muller, 2018 •
Alain Rollat, Les Hommes de l’extrême droite. Le Pen, Marie, Ortiz et les
autres, Calmann-Lévy, 1985 • Virginie Wathier, Isabelle Cuminal, Stéphane
Wahnich et Maryse Souchard, Le Pen, les mots. Analyse d’un discours
d’extrême-droite, Le Monde Éditions, 1997.

LEFEUVRE, DANIEL (1951-2013)


L’œuvre de Daniel Lefeuvre réside d’abord dans une réflexion sur la
colonisation de l’Algérie, sous l’angle économique. Sa thèse
« L’industrialisation de l’Algérie, 1930-1962 : échec d’une politique »,
publiée en 1997 et remaniée en 2005, sous le titre Chère Algérie. La France
et sa colonie 1930-1962 (Flammarion, 2005), l’illustre. Disciple de Jacques
Marseille, il démontrait que la colonisation de l’Algérie, loin de se limiter à
une exploitation, avait fini par représenter une lourde charge pour les
budgets, entraînant une désaffection des décideurs de la métropole. Il n’eut
pas le temps d’achever un livre sur les Français d’Algérie qui aurait sans
doute bousculé bien des idées reçues. Il prit également part au
renouvellement de l’histoire coloniale dans son ensemble. Il co-organisa des
colloques importants, dont L’Europe face à son passé colonial (Riveneuve,
2008) et Démontages d’Empire (Riveneuve, 2012). Il fut en outre secrétaire
général de la revue Outre-mers et fonda, en 2006, avec Michel Renard, le site
Études coloniales, demeuré une référence.
Daniel Lefeuvre s’efforça d’intervenir dans les débats les plus brûlants,
avec deux livres : Pour en finir avec la repentance coloniale (Flammarion,
2006), et Faut-il avoir honte de l’identité nationale ? écrit avec Michel
Renard (Larousse, 2008). Il refusait l’idée d’un « héritage colonial » dans les
difficultés de la société française à se renouveler en intégrant les générations*
issues de l’immigration. Sans méconnaître les injustices et les crimes de la
colonisation, ce défenseur de la laïcité n’admettait pas que le passé colonial
de la France républicaine puisse compromettre la sincérité des valeurs qui
structurent celle-ci. Rompu aux débats qu’il abordait muni d’arguments
puisés dans l’histoire, il s’engagea pour défendre ses idées dans les médias.
Certifié, il enseignait depuis 1994 à Paris-8-Saint-Denis, où il fut élu
professeur en 2002. Entré à l’Académie des sciences d’outre-mer en 2012, il
présidait le conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de la guerre
d’Algérie, des combats du Maroc* et de Tunisie*.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : « La disparition de l’historien Daniel Lefeuvre, spécialiste de
l’Algérie coloniale : biographie, iconographie, hommage, réactions », Études
coloniales, revue en ligne, etudescoloniales.canalblog.com • Daniel Lefeuvre,
Chère Algérie. La France et sa colonie, 1930-1962, Flammarion, 2005 • —,
Pour en finir avec la repentance coloniale, Flammarion, 2006.
LÉGER, COMMANDANT PAUL-ALAIN (1922-
1999)
Né au Maroc*, en 1921, Paul-Alain Léger est lycéen à Paris au début de
la Seconde Guerre mondiale. Il participe aux manifestations anti-allemandes
du 11 novembre 1940, au pied de l’Arc de triomphe. Il parvient à quitter la
France pour l’Afrique du Nord en 1942. Il s’engage dans l’armée après le
débarquement anglo-américain. Il suit les cours de l’école de Cherchell dont
il sort aspirant. Il est ensuite recruté par le Bureau central des renseignements
et d’action (BCRA) qui l’envoie suivre une formation commando en
Angleterre. Il est parachuté, en juillet 1944, dans le Maine et Loire, pour
appuyer le maquis local et saboter des voies de chemin de fer, puis aux Pays-
Bas*, en avril 1945, dans le cadre de l’opération Amherst.
Il sert une première fois en Indochine*, en 1946, dans la demi-brigade
parachutiste* de choc, puis intègre le service Action du SDECE*. Il retourne
en Indochine, en 1953, pour participer à l’instruction du Groupe de
commandos mixtes aéroporté et des troupes parachutistes de l’armée
nationale vietnamienne. Il parvient à former un bataillon de parachutistes
vietnamiens, souvent des prisonniers vietminh retournés, opérants sans
uniforme en territoire ennemi.
Après avoir participé à l’expédition de Suez*, il gagne l’Algérie. Il y
intègre l’état-major du général Massu* et participe à la bataille d’Alger*.
Léger, à la tête du Groupe de recherche et d’exploitation (GRE), constitue un
groupe de supplétifs*, formés de militants nationalistes retournés, qu’il revêt
de bleus de chauffe. Ces « bleus » quadrillent la Casbah et les quartiers
musulmans d’Alger.
Il parvient également à noyauter les structures du FLN* d’Alger et à
intoxiquer la Wilaya 3* du colonel Amirouche* qu’il parvient à convaincre
d’une vaste entreprise d’infiltration du FLN et de l’ALN* par des agents
profrançais. De longues purges s’ensuivent. Amirouche fait exécuter de très
nombreux suspects. Paul-Alain Léger est une des principales sources sur cet
épisode de la guerre connu sous le nom de « bleuïte* » dont il a laissé un récit
dans son livre autobiographique Aux carrefours de la guerre (Albin Michel,
1983).
À la fin de l’année 1958, il intègre le 3e régiment de parachutistes de
marine, alors dirigé par le colonel Trinquier*. En 1960, alors que Léger est en
poste au Bureau d’études et liaison, (BEL) chargé de mener la guerre
psychologique au FLN, il participe à l’affaire Si Salah*, négociation* secrète
entre les hautes autorités françaises et des cadres de la Wilaya 4*.
Il est, par la suite, sanctionné pour son soutien au putsch* d’avril 1961.
Muté en Mauritanie, il quitte l’armée en 1965. Il meurt en 1999, à Paris.
Denis LEROUX

LÉGION ÉTRANGÈRE
Au déclenchement de l’insurrection, seul le 1er régiment étranger
d’infanterie (REI), en garnison à Sidi-Bel-Abbès, lève un bataillon de marche
aussitôt dépêché dans l’Ouarsenis. L’engagement dans le conflit des autres
unités de la Légion se fait au fur et à mesure du rapatriement d’Indochine*
entre décembre 1954 et avril 1956. De même, les deux régiments du Maroc*
rejoignent l’Algérie entre octobre 1956 et mars 1957. Désormais, jusqu’à la
fin du conflit, toute la Légion – soit 20 000 hommes – est engagée dans
toutes les configurations : opérations de secteur ou de grande envergure,
ratissage et bouclage dans les zones rurales, lutte contre le terrorisme et le
maintien de l’ordre dans les villes. Elle est parfois même impliquée dans les
campagnes dites « de pacification* », sans oublier la protection des récoltes.
Contrairement à une idée reçue, la grande majorité des unités de légion font
partie des troupes statiques de secteur (87 % des effectifs de l’armée française
implantée en Algérie entre 1958 et 1961).
Par ailleurs, le recrutement allemand ne faiblit pas, malgré les déboires de
la guerre d’Indochine marquée par les désertions nombreuses, encouragées et
facilitées par le Vietminh. Ce recrutement suscite une importante opposition
des gouvernements et des opinions publiques de la RDA* et de la RFA*. Les
germanophones représentent 50 % des effectifs jusqu’en 1960. La moyenne
d’âge de ces engagés volontaires – moins de 21 ans – explique le nombre
relativement élevé de déserteurs dans les compagnies d’instruction de Saïda
et de Mascara. Pendant la guerre, les défections individuelles et collectives,
avec ou sans armes, reprennent. Cependant, les ralliements à l’ALN* sont
l’exception : la très grande majorité des légionnaires allemands, autrichiens et
suisses cherchent avant tout à rejoindre leurs pays en ayant souvent recours à
l’aide de l’officine mise en place à Tétouan en 1957 par Winfried Müller,
alias Si Mustapha.
Six des dix régiments étrangers participent activement aux opérations de
contre-guérilla, notamment pendant l’offensive lancée par le général Challe*
entre février 1959 et octobre 1960. Les autres formations complètent le
dispositif des forces affectées à la surveillance des frontières sur les barrages
ouest et est. Les quatre compagnies sahariennes* portées de légion étrangère
(CSPLE) contribuent au contrôle du désert, de la Mauritanie à la Libye dans
la région de Ghadamès. Toutefois, la nomadisation est de règle pour toutes
les formations à l’exception du 1er REI (dépôt et centre de commandement et
d’instruction de la Légion), implanté dans plusieurs villes d’Oranie. Si
nombre de légionnaires sillonnent l’Algérie, d’autres occupent des postes
isolés contrôlant des « quartiers » en s’appuyant sur le concours des
supplétifs* des harkas recrutées sur place, dont les journaux de marche* font
cependant rarement mention.
Mais l’histoire a d’abord retenu le rôle du 1er régiment étranger
parachutiste dans la « bataille d’Alger* » en 1957. Au sein de la 10e division
parachutiste*, ce régiment est en charge de l’un des quatre secteurs de
l’agglomération. La priorité donnée par le général Massu* à la recherche du
renseignement conduit à la pratique de la torture*.
Par ailleurs, le climat politique qui règne dans la capitale algérienne au
cours des journées de mai 1958 puis de la « semaine des barricades* » de
janvier 1960 n’est pas sans effet sur le moral des légionnaires parachutistes*
devenus très populaires auprès des Européens. Les cadres du régiment qui ne
cachent pas leur désaccord avec la politique algérienne du général de Gaulle*
se solidarisent avec leur chef de corps, le colonel Dufour, muté en Allemagne
en décembre 1960. Le malaise tourne à la révolte lorsque trois commandants
de compagnie n’hésitent pas à braver l’autorité en refusant le 7 janvier 1961,
à la veille du référendum* sur l’Algérie, de répondre à l’ordre d’opération en
restant au bivouac. Ainsi s’explique l’engagement du régiment comme fer de
lance du putsch*. De plus, le ralliement du 1er régiment étranger de cavalerie
(REC) et du 2e REP contre le gré de son chef de corps menace l’unité de la
Légion qui échappe – en raison notamment de la diversité des attitudes et du
loyalisme de la très grande majorité des officiers* – à la dissolution envisagée
par le président de la République. Elle sort diminuée de l’épreuve. Malgré un
moral en berne, la solidarité préserve son unité jusqu’à la fin de la guerre.
André-Paul COMOR
Archives : DHPLE, JMO des 1er et 2e REP, des 5 REI et des 2 REC.
Bibl. : André-Paul Comor (dir.), Histoire et dictionnaire de la Légion
étrangère, Bouquins, 2013 • —, « Les officiers de la Légion étrangère et la
tentation politique ? », in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des
femmes en guerre d’Algérie, Autrement, 2003.

LENNUYEUX, GÉNÉRAL MARCEL (1908-


1994)
Marcel Lennuyeux est né en 1908 à Toulouse. Il entre à Saint-Cyr en
1926 et en sort en 1928. Il est fait prisonnier durant la Seconde Guerre
mondiale et reste en captivité jusqu’en 1945.
De 1951 à 1955, il occupe différents postes de commandement en
Indochine*.
Du fait de sa double expérience de commandement et de staffing, il est
affecté successivement de 1956 à 1958, au Groupe permanent de l’Otan, à
Washington ; puis de 1958-1959, à l’état-major particulier du président de la
République chargé des questions au titre de la Communauté avant d’être
auditeur en 1959-1960, à l’Institut des hautes études de la Défense nationale
et au Centre des hautes études militaires.
Au mois d’août 1960, il est nommé directeur du cabinet militaire de Jean
Morin*, délégué général du gouvernement en Algérie, et du général
Gambiez*, commandant en chef des forces armées en Algérie.
Un an après, en juillet 1961, Marcel Lennuyeux est promu général de
brigade et se voit confier le double commandement de la 12e division
d’infanterie (DI) et de la Zone Ouest-Oranais (ZOO) avec PC à Tlemcen. Au
lendemain de la signature des accords d’Évian*, il veille à la bonne marche
de la commission mixte par l’intermédiaire de son chef de cabinet, le
lieutenant-colonel Lerosey. Celui-ci travaille de concert avec les officiers de
l’ALN*, notamment le capitaine Ahmed Bensadoun pour la commission
mixte frontière et le capitaine Tahraoui Moussa, alias Mustapha Ben Ahmed,
pour la commission mixte pour le département de Tlemcen.
À la proclamation officielle d’indépendance, le 5 juillet 1962*, il est
présent à son poste et assiste en témoin privilégié à l’entrée à Tlemcen, des
premières troupes de l’ALN venant d’Oujda. Le jour même, dans un climat
de grande dignité, le général Lennuyeux règle avec son vis-à-vis de l’ALN, le
commandant Boubekeur Kadi, les derniers détails de passation de pouvoir
entre l’armée française et l’ALN.
Le samedi 14 juillet 1962, jour de célébration de la fête nationale
française, le général Lennuyeux, en présence des nouvelles autorités civiles et
militaires algériennes, passe pour la dernière fois en revue les troupes
alignées à l’intérieur du Méchouar. Le 1er décembre 1962, il remet
solennellement les clés du Méchouar qu’occupait l’armée française depuis
1842, entre les mains de Sid Lakhdar Fodil, chef de cabinet du premier préfet
de Tlemcen, Ahmed Belkharroubi.
Saddek BENKADA
Bibl. : Ahmed Bensadoun, Guerre de Libération. Parcelle des vérités de la
Wilaya 5, Oranie, Tlemcen, El-Boustane, 2006 • François Cailleteau, Les
Généraux français au XXe siècle, Economica, 2010 • Éric Chiaradia,
L’Entourage du général de Gaulle, juin 1958-avril 1969, EPU/Publibook,
2011.

LÉONARD, ROGER (1898-1987)


Quatre ans après sa nomination comme gouverneur général de l’Algérie,
Roger Léonard doit affronter le début de l’insurrection du 1er novembre
1954*.
Sa nomination au mois d’avril 1951 est due à l’appui de René Mayer,
député influent du Constantinois et garde des Sceaux sous la présidence du
conseil d’Henri Queuille. Il quitte son poste de préfet de Paris avec une seule
recommandation, celle de veiller sur le maintien de l’ordre. Aussi lors de son
premier discours devant l’Assemblée algérienne, s’empresse-t-il de mettre en
garde « contre toute entreprise d’un séparatisme qui dans les meilleures
hypothèses comporte de dangereuses illusions […] et si le séparatisme
voulait s’exprimer par les voies de la violence, il trouverait en face de lui
toutes les forces de l’ordre et toutes les rigueurs de la loi ».
Mais l’agitation nationaliste n’est pas la seule difficulté que Léonard
rencontre. Il se rend bien compte très vite de la double pression exercée par
les représentants de la grande colonisation et l’aggravation de la situation
socio-économique. Sa marge de manœuvre est très limitée comme ce fut le
cas lors des diverses élections* législatives de 1951 ou 1953 où les procédés
frauduleux sont privilégiés ouvertement par Borgeaud* et Blachette*, les
deux principales figures qui règnent sans partage sur la scène politique. C’est
donc sans surprise que les candidats de l’UDMA*, du MTLD et du PCA* à
l’Assemblée nationale sont évincés au profit d’élus « indépendants » choisis
par l’administration. La presse européenne apprécie que la carrière de
Léonard « débute sous de si heureux auspices ».
Le même scénario se reproduit lors des élections municipales de 1953.
Conscient de la mascarade du truquage, Léonard la couvre « avec plus de
souplesse et de libéralisme » selon les recommandations de Paris. En privé, il
n’hésite pas à la dénoncer.
Si la violation de la pratique électorale, qui se trouve au cœur des lois de
la République, aboutit à un statu quo si caractéristique du conservatisme du
monde politique colonial, opposé à toute réforme en faveur des Algériens,
elle suscite déception et raidissement y compris chez les nationalistes les plus
modérés comme Ferhat Abbas*.
Léonard a-t-il plus de possibilités pour aborder les difficultés de la
situation socio-économique ? L’urgence lui dicte un plan d’expansion
économique pour l’améliorer. Mais les moyens financiers exigés sont refusés
tant par Paris qu’au niveau local par les milieux d’affaires de la colonisation.
C’est ce blocage qui est responsable de l’immobilisme dont il fut accusé plus
tard et qui mérite d’être revu.
Sur le terrain, les archives* de surveillance révèlent la multiplication
d’actes d’insubordination ici et là, plus ou moins graves mais révélant des
dispositions plus radicales. L’inquiétude augmente avec le passage à la lutte
armée en Tunisie* et au Maroc* et fait craindre la contagion. C’est donc dans
le domaine de la sécurité que les efforts de Léonard aboutissent à l’ouverture
d’une école de police à Alger, à l’augmentation des effectifs de l’armée et de
la gendarmerie*. Il obtient de Jacques Chevallier*, secrétaire à la Défense,
l’envoi de trois bataillons de chasseurs et d’un groupe d’artillerie pour la
surveillance de la frontière tunisienne. Ces mesures sont dictées par les
renseignements fournis par le SLNA* et la PRG qui signalent la présence
d’un groupe clandestin prêt à passer à l’action violente. Le 23 octobre 1954,
Léonard en avise Mitterrand* dont l’ordre de procéder à son arrestation ne
parvient à Alger que le 2 novembre 1954. Le début de l’insurrection
algérienne n’est donc pas une surprise pour Léonard qui prend les mesures
nécessaires pour rétablir l’ordre dans l’Aurès où les attentats ont été plus
meurtriers qu’ailleurs.
Les renforts militaires parviennent en Algérie dès les premiers jours de
novembre. La brutalité de la riposte des forces de l’ordre et les multiples
formes de la répression (arrestations des nationalistes, torture*, ratissages et
premiers déplacements des populations rurales de l’Aurès) tranchent avec les
déclarations contradictoires des responsables français qui minimisent la
gravité des attentats en insistant sur la loyauté des Algériens et sur le calme
régnant. Quant à la proclamation où le FLN* précise que l’objectif à atteindre
en déclenchant la lutte armée est l’indépendance, elle est tout simplement
ignorée. En haut lieu, on envisage seulement des réformes dans l’esprit du
statut de 1947* avec la désignation d’un nouveau gouverneur général. Aussi
Léonard est-il rappelé au début de février 1955 et remplacé par Jacques
Soustelle*.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Roger Léonard, Témoignages sur la guerre d’Algérie. Entretiens avec
Odile Rudelle, Presses de Sciences Po, 1977 • Jean Lacouture, Mitterrand.
Une histoire de Français, t. I, Seuil, 1998 • Ouanassa Siari Tengour, « Les
années algériennes de Roger Léonard (1898-1987) », in Patrice Morlat (dir.),
Les Grands Commis de l’empire colonial français, Les Indes savantes, 2005.
LIBÉRAUX D’ALGÉRIE
Le terme « libéral » est moins à prendre dans un sens économique que
politique, en désignant une personne favorable aux libertés individuelles.
Dans le cas algérien, il désigne une partie des Français d’Algérie, dans toute
la diversité de leurs origines, caractérisés par leur volonté de favoriser les
droits et libertés des Algériens, jusqu’à défendre des positions
indépendantistes. Ce groupe, qui est différent de celui des communistes
algériens bien qu’il puisse en être proche, possède des contours flous.
Il peut ainsi désigner des personnes ayant des responsabilités politiques et
économiques au sein de l’Algérie coloniale. La personnalité la plus connue
est ici le maire* d’Alger, Jacques Chevallier*, qui fonde l’intergroupe des
libéraux à l’Assemblée algérienne* en 1951, rassemblant quarante élus des
deux collèges. Après le début de l’insurrection, il poursuit le dialogue avec
les nationalistes algériens et fonde en 1956 la Fédération des libéraux
d’Algérie (FLA), avec l’abbé Jean Scotto. À partir de mai 1956, le
mouvement se dote d’un journal, l’Espoir-Algérie, bimensuel qui paraît
jusqu’en mars 1957, mais cesse de paraître du fait de la censure* et des
attentats. Le journal reparaît en 1960, avant de devoir à nouveau s’arrêter.
Dans cette même mouvance peut aussi être inclus Georges Blachette*, le
« roi de l’alfa », qui était conscient de la nécessité de changements profonds
afin de continuer à faire des affaires.
Un autre courant est celui des « humanistes », au premier rang desquels
Albert Camus*, depuis son reportage en 1939 sur la « Misère en Kabylie »,
jusqu’à son « Appel à la trêve civile* » du 22 janvier 1956, réclamant
d’épargner la vie des civils dans le conflit. Autour de lui gravite l’écrivain
Emmanuel Roblès, qui préside l’Appel et est proche de Mouloud Feraoun*.
Figure aussi dans son entourage l’architecte Jean de Maisonseul, qui fonde un
Comité pour la paix avec ses « Amis du théâtre arabe » et est arrêté en 1956
pour son action au motif d’« atteinte à la sûreté de l’État ». L’éditeur Edmond
Charlot fait également partie de ce groupe. Sa librairie « Les vraies
richesses » est plastiquée par l’OAS* en 1961 car il est considéré comme
« libéral ». Une très grande partie de ses archives* sont alors détruites.
Un troisième courant est constitué par les chrétiens progressistes. L’une
des principales figures de ce mouvement est Mgr Duval*, l’archevêque
d’Alger. S’y ajoutent d’autres religieux, dont l’abbé Scotto, curé de Bab El
Oued. Mais d’autres sont des laïcs, à l’instar du Pr André Mandouze*,
créateurs des revues* Consciences algériennes (1950-1951) puis Consciences
maghribines (1954-1956), et qui est expulsé d’Algérie pour ses positions
anticolonialistes en mars 1956, ou de Pierre Chaulet*, médecin, collaborateur
des revues d’André Mandouze, et qui est également expulsé d’Algérie pour
ses activités indépendantistes. L’avocat Pierre Popie, assassiné le 25 janvier
1961 par des activistes de « l’Algérie française » parce qu’il défendait des
indépendantistes algériens, peut aussi être rattaché à ce groupe.
Après le déclenchement de l’insurrection, des étudiants* de la faculté
d’Alger commencent également à s’organiser. Ils se rassemblent au
printemps 1959 au sein du Comité étudiant d’action laïque et démocratique
(CEALD), association déclarée en préfecture. Elle est présidée par Antoine
Blanca, étudiant en lettres militant des Jeunesses socialistes et futur
ambassadeur pour l’Amérique latine*, et Claude Oliviéri, également étudiant
en lettres, en est le secrétaire général. Le CEALD trouve des locaux près de
l’hôtel Aletti en plein centre d’Alger. À ce comité appartiennent aussi Alain
Sprecher, étudiant en lettres proche d’André Mandouze, Alain Accardo,
également étudiant en lettres, plus tard devenu sociologue proche de Pierre
Bourdieu*. Abdelmalek Sayad* y figure également avec d’autres « Français
musulmans ». Lui aussi est devenu sociologue et a travaillé avec Pierre
Bourdieu. Pierre Grou est le représentant lycéen du groupe.
Les activités des libéraux sont rendues très difficiles. Comme tout le
monde, ils vivent dans des conditions de guerre et peuvent être pris dans une
embuscade* ou victimes d’un attentat. Ils sont aussi poursuivis par les
autorités françaises, et ciblés par les activistes de l’« Algérie française », à
l’instar d’André Mandouze et plus encore de Me Popie qui trouve la mort
dans un attentat. De ce fait, ce groupe a longtemps été méconnu et peu étudié,
bien qu’il puisse avoir été plus important que l’on imagine et être composé de
nombreux anonymes, condamnés au silence et à la discrétion.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Mickaël Gamrasni, « Une histoire du libéralisme algérien : la
Fédération des libéraux d’Algérie face à la guerre d’Algérie (1954-1962) »,
mémoire de master 2 sous la dir. de C. Andrieu, IEP de Paris, 2005 • Jean
Sprecher, À contre-courant. Étudiants libéraux et progressistes à Alger,
1954-1962, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2000.

LIECHTI, ALBAN (NÉ EN 1935)


Alban Liechti, de son premier prénom Olivier, est né le 24 avril 1935
dans une famille communiste de Sèvres. Il entre à l’Union de la jeunesse
républicaine de France (UJRF) en 1950. Travaillant comme jardinier au bois
de Boulogne à partir de 1952, il milite alors au sein de la section 16e-
Trocadéro du PCF*. Appelé sous les drapeaux en mars 1956, opposé à la
guerre d’Algérie, il pense qu’une campagne comme celle en faveur d’Henri
Martin contre la guerre d’Indochine* va être lancée. Il n’en est rien. Il décide
d’écrire au président de la République pour faire connaître son refus de
participer à la guerre d’Algérie, avant son départ pour l’Algérie en
juillet 1956. Envoyé de force en Algérie, il est enfermé en diverses prisons*
régimentaires. Le parti communiste ne lui assure pas un soutien direct,
L’Humanité* n’évoquant même pas son geste. En revanche, le Secours
populaire* prend en charge sa défense, en la personne de Me Gaston
Amblard. Il est jugé par le TPFA d’Alger le 19 novembre 1956, et condamné
à deux ans de prison pour refus d’obéissance. Ce n’est véritablement qu’à
partir du début de l’année 1957 que le Secours populaire lance une campagne
en sa faveur. D’abord conduit au centre pénitentiaire de Berrouaghia, très dur,
il est ensuite transféré en métropole fin mars 1957, d’abord aux Baumettes
puis à Carcassonne. Là, il est placé à l’isolement pendant treize mois.
L’absence de tout dialogue lui est très difficile. La campagne en sa faveur
conduit néanmoins d’autres soldats communistes à refuser de participer à la
guerre d’Algérie, faisant de lui le leader emblématique des « soldats du
refus » dans la presse* communiste. Libéré le 20 septembre 1958, il est
directement conduit au 11e BCA à Barcelonnette pour poursuivre son service
militaire*. Il obtient une permission pour se marier avec Yolande, sa fiancée,
avant de refuser une seconde fois son envoi en Algérie, en mars 1959.
Condamné à nouveau à deux ans de prison par le TPFA d’Alger le 26 mai
1959, il est ensuite transféré en métropole où il rejoint huit autres « soldats du
refus* » à Casabianda. Il achève sa peine en mars 1961. Aussitôt enrégimenté
à Ajaccio, il est emmené par avion à Alger. Intégré au 1er RT au fort de
l’Agha, il refuse de mettre des munitions dans son arme bien qu’il soit placé
en éclaireur de pointe. Il rentre définitivement chez lui le 20 février 1962,
juste après la naissance de son second enfant, et est libéré de ses obligations
militaires le 6 mars 1962. Il est ultérieurement devenu militant du
Mouvement de la paix président de l’Association des combattants de la cause
anticoloniale.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Alban Liechti, Le Refus, Le Temps des cerises, 2005 • Tramor
Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et
désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) »,
thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007.

LIEUX DE MÉMOIRE (FRANCE)


La série d’ouvrages majeurs de Pierre Nora sur Les Lieux de mémoire
français, publiés entre 1984 et 1992, offre un cadre conceptuel novateur sur
ce qui fait mémoire dans notre société. Les lieux de mémoire sont d’abord
« des restes » (p. 28) : des rituels, des sacralités passagères, des fidélités, des
différenciations, des signes de reconnaissance et d’appartenance. Le concept
de lieu de mémoire doit être pris dans les trois sens du mot « lieu » : matériel,
symbolique et fonctionnel. Dans cette importante somme, il n’existe pas de
lieu de mémoire sur la question coloniale, a fortiori sur la Guerre
d’indépendance algérienne. Pierre Nora souligne que « moins la mémoire est
vécue collectivement, plus elle a besoin d’hommes particuliers qui se font
eux-mêmes des hommes-mémoires » (p. 34). Or, la guerre d’Algérie
représente assurément un événement qui ne fait pas consensus, conduisant à
une multiplication des lieux de mémoire particuliers. Depuis 2002, il existe
cependant le Mémorial national de la guerre d’Algérie*, permettant des
commémorations* rendant hommage aux combattants morts en Algérie, au
Maroc* et en Tunisie*, dont les membres des forces supplétives, mais aussi
les civils français morts ou disparus. À ce monument national, il convient
d’ajouter les mémoriaux départementaux, dont le premier a été inauguré en
1977 à Troyes, et qui se sont multipliés depuis. Outre ces monuments
officiels, il existe aussi des stèles et des monuments favorables à « l’Algérie
française », essentiellement dans le sud de la France, le premier ayant été
inauguré à Toulon en 1980. Des monuments célèbrent ainsi les quatre
membres de l’OAS* fusillés pour les assassinats et les attentats qu’ils ont
commis, par exemple à Toulon, à Aix-en-Provence ou à Perpignan. Depuis
2011, une stèle rend au contraire hommage aux victimes de l’OAS au
cimetière du Père-Lachaise à Paris. Pour les Algériens victimes de la
répression de la manifestation du 17 octobre 1961*, une plaque a été installée
le 17 octobre 2001 sur le pont Saint-Michel à Paris. Notons encore
l’inauguration en 2022 d’une fresque rendant hommage à Maurice Audin*
dans le 20e arrondissement de Paris. Au total, les monuments, stèles et
plaques commémoratives se sont multipliés au cours des années 2000-2010,
faisant même l’objet d’une véritable « guerre des stèles », dans la mesure où
il existe des destructions régulières, voire systématiques, de certains de ces
lieux de commémoration. Ainsi, le monument favorable à « l’Algérie
française » a été plastiqué avant son inauguration en 1980. La plaque
concernant le 17 octobre 1961 au pont Saint-Michel a été plusieurs fois
abîmée. Ce phénomène concerne aussi l’histoire coloniale : à Marseille*, une
plaque concernant les massacres du 8 mai 1945 est systématiquement détruite
à chaque fois qu’elle est posée, et en février 2022, juste avant son
inauguration, la sculpture en hommage à l’émir Abdelkader (faisant l’objet
d’une préconisation du « rapport Stora* ») a été vandalisée.
Par ailleurs, les lieux de mémoire peuvent aussi être des musées et
bâtiments officiels. À l’heure actuelle, le Mémorial du camp de Rivesaltes ne
concerne pas spécifiquement la Guerre d’indépendance algérienne, mais
aborde cette question pour avoir servi de camp de transit pour des harkis* et
leur famille à partir de 1962. Il existe aussi la Maison d’histoire et de
mémoire d’Ongles, qui porte la mémoire de l’arrivée de familles de harkis
dans un petit village des Basses-Alpes. Concernant les pieds-noirs*, le Centre
de documentation de l’Algérie française a été inauguré à Perpignan en
janvier 2012 et est géré par le Cercle algérianiste. Ce centre porte une
mémoire très orientée sur « l’Algérie française » et a même été dénoncé
comme un « musée de l’OAS ». À Aix-en-Provence, la Maison des rapatriés
abrite dans sa cour un monument en hommage aux quatre fusillés de l’OAS
et comprend des salles aux noms des généraux putschistes d’avril 1961. Elle
accueillait autrefois le Centre de documentation historique sur l’Algérie
(CDHA), créé en 1974, qui a maintenant ses propres locaux, recueille de
nombreuses archives*, documents et témoignages*, essentiellement de pieds-
noirs. Un projet de Musée de la France et de l’Algérie, qui a été un temps
envisagé à Montpellier, a été abandonné par la nouvelle municipalité en
2014. Dans son rapport remis au président de la République en janvier 2021,
Benjamin Stora préconise de relancer ce projet qui est en cours de réalisation
et devrait devenir un musée national.
De nombreuses rues, places et lieux entretiennent aussi un rapport direct
avec la Guerre d’indépendance algérienne. Ces noms sont tributaires de la
couleur politique de la municipalité en place, cela pouvant conduire à des
tensions mémorielles en cas de revirement politique aux élections. Ainsi,
dans les municipalités communistes ou anciennement communistes, des noms
de lieux font référence aux morts de la manifestation contre l’OAS au métro
Charonne*, soit de manière générique soit de manière nominative. Des rues
Maurice-Audin ont également été inaugurées, surtout dans la petite couronne
parisienne, mais aussi à Rennes ou à Paris depuis 2020. Signalons aussi
l’existence du carrefour du général de Bollardière* à Paris, inauguré en 2007,
ainsi que quelques rues à son nom, notamment en Bretagne d’où il était
originaire. À l’autre bord de l’échiquier politique, la rue du 19-mars-1962* à
Béziers a été rebaptisée rue du Commandant-Denoix-de-Saint-Marc en 2015,
par le nouveau maire de la ville Robert Ménard. Inversement, à Dreux, la rue
Marcel-Bigeard a été débaptisée de manière militante par le parti communiste
pour la rebaptiser temporairement rue Maurice-Audin (du nom du jeune
mathématicien assassiné pendant la « bataille d’Alger* ») et symboliquement
le 17 octobre 2020, jour de commémoration du 17 octobre 1961. Par ailleurs,
de nombreuses rues et places portent aussi le nom du « 19 mars 1962 » pour
célébrer les accords d’Évian* et le cessez-le-feu. Elles ont souvent été
demandées par la Fédération nationale des anciens combattants d’Algérie, du
Maroc et de Tunisie (Fnaca).
Or, cette date fait également débat. Les dates peuvent en effet être
considérées comme des lieux de mémoire symboliques. La Fnaca porte
depuis 1963 la date du 19 mars 1962 comme date de commémoration. Mais
celle-ci n’a été reconnue que par la loi du 6 décembre 2012 comme « journée
nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et
militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ».
Auparavant, c’était la date du 5 décembre, qui ne correspond à aucun
événement de la guerre mais au jour d’inauguration du Mémorial national de
la guerre d’Algérie à Paris, qui était retenu pour commémorer cette guerre.
Depuis, des associations comme l’Union nationale des combattants (UNC)
continuent de porter cette date. Il faut encore y ajouter le 25 septembre, qui
est la journée nationale d’hommage aux harkis et aux autres membres des
troupes supplétives, le 16 octobre en hommage au « soldat inconnu » de la
guerre d’Algérie, et porté de manière militante, le 17 octobre pour
commémorer les morts de la répression de la manifestation algérienne de
1961. Ces dates ne sont pas les seules, mais montrent combien il n’existe pas
de consensus sur la guerre d’Algérie, créant ainsi de nombreux lieux de
mémoire physiques et symboliques sur ce conflit. Le débat peut même
parfois porter sur des objets anodins comme les timbres. Au bout du compte,
il existe une mémoire portée par des groupes parfois très restreints,
s’autoérigeant en porte-parole, et chacun peut même avoir ses propres lieux
de mémoire de la Guerre d’indépendance algérienne dans l’espace public,
chez soi et en soi.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Rémi Dalisson, Guerre d’Algérie. L’impossible commémoration,
Armand Colin, 2018 • Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire. La
République. La Nation. Les France, Gallimard, 1984-1992 • Benjamin Stora,
France-Algérie. Les passions douloureuses, Albin Michel, 2021.

LIGUE ARABE
Créée le 22 mars 1945 au Caire, la Ligue arabe suscite beaucoup d’espoir
chez les militants nationalistes maghrébins. Les idées panarabistes défendues
par la Ligue telles que la reconnaissance de la « Nation maghrébine » et
l’intégration des « Arabes d’Afrique du Nord » à « la grande Oumma arabe »
trouvent un écho favorable et enthousiaste chez les dirigeants et les militants
algériens du PPA*, notamment.
Aussi, dès 1945, le PPA délègue Chadli El Mekki au Caire qui participe à
la fondation du Bureau. C’est le début officiel d’un processus politique entre
les Algériens du PPA et les autres pays arabes. Quatre militants vont y jouer
un grand rôle : l’étudiant Belkacem Zeddour, le député Mohamed Khider* et
les anciens chefs de l’Organisation spéciale* (OS), Hocine Aït Ahmed* et
Ahmed Ben Bella*.
En février 1947, le « Bureau du Maghreb arabe » est installé. Le PPA-
MTLD, le Néo-Destour tunisien et l’Istiqlal marocain y siègent. En 1948,
sous l’impulsion de Abdelkrim El Khattabi*, le « Comité de libération du
Maghreb » a pour objectif d’unifier l’action politique et préparer la lutte.
Cependant, les relations entre les Algériens et la Ligue arabe n’ont pas
toujours été aisées. Pour des considérations politiques et d’opportunité, la
Ligue arabe a souvent ménagé la France. Les dissensions, les intérêts
immédiats et la recherche du leadership (arabe) n’ont pas permis de
construire, au sein de la Ligue, une stratégie forte et pérenne mobilisée en
faveur de la décolonisation.
La modération de la Ligue et sa propension à se contenter de faire des
déclarations sont bousculées par l’avènement en 1952 de Gamal Abdel
Nasser au pouvoir en Égypte*. Dans ce contexte, un appel à la rupture des
« relations politiques, économiques et culturelles avec la France » est lancé
par les bureaux du Néo-Destour, de l’Istiqlal et du MTLD.
En conclusion, comme le souligne Samya El Mechat (2012) les relations
entre l’Algérie et la Ligue arabe s’inscrivent dans le diptyque : solidarité
arabe et défense des intérêts propres à chaque pays. Cette stratégie est
modulée constamment par la pression politique et diplomatique exercée par la
France et le soutien réel à l’indépendance de l’Algérie en évitant d’entrer en
conflit avec elle, le souvenir de l’attaque de Suez* planant toujours.
Toutefois, les aides directes et le soutien déclaré des pays (arabes) ont été
décisifs et déterminants pour le FLN* et l’ALN*.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Samya El Mechat, « Les pays arabes et l’indépendance algérienne,
1945-1962 », in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa
Siari Tengour et Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période
coloniale. 1830-1962, La Découverte/Barzakh, 2012 • Gilbert Meynier, « Les
Algériens vus par le pouvoir égyptien pendant la guerre d’Algérie d’après les
mémoires de Fathi al Dib », Cahiers de la Méditerranée, no 41, 1990.

LIGUE DES DROITS DE L’HOMME


(LDH)
Conformément à sa défense des droits humains au nom des valeurs
républicaines, la LDH s’est fait le « chantre de l’État de droit dans la
colonisation », selon Laure Blévis. Dénonçant les injustices coloniales, elle a
adopté le principe d’une « colonisation démocratique », dans l’entre-deux-
guerres, avec notamment Maurice Viollette, gouverneur général de l’Algérie
de 1925 à 1927, et Marius Moutet, ministre des Colonies sous le Front
populaire. Viollette élabore un projet d’extension des droits civiques des
« musulmans » (le projet Blum-Viollette). Rejeté par les nationalistes pour
ses insuffisances ou par principe, il va déjà trop loin pour les représentants
des Français d’Algérie les plus attachés au statu quo.
La LDH s’inscrit donc dans le courant du réformisme colonial et
n’épouse pas les revendications indépendantistes. Elle ne soutient pas
l’insurrection lancée le 1er novembre 1954*. Au contraire, sa majorité
approuve les pouvoirs spéciaux* en 1956. Le paradoxe est curieux, souligne
Éric Agrikoliansky. La LDH est absente de la dénonciation de la guerre alors
que les intellectuels mobilisés se réclament de son modèle fondateur :
l’intellectuel dreyfusard. Pour sa part, Gilles Manceron insiste sur son
affaiblissement depuis la Seconde Guerre mondiale, dont elle se relève
lentement. Ne s’étant pas investie en tant que telle dans la Résistance*, elle a
perdu des adhérents et rencontre de sérieux problèmes financiers.
Après une première prise de position de son président, Émile Kahn, elle
évolue nettement sous la conduite de Daniel Mayer, à partir de 1958. La
minorité contestatrice de la SFIO* lui fournit de nouvelles forces. Quand
Laurent Schwartz* et Pierre Vidal-Naquet*, du comité Audin*, la rejoignent
peu de temps, d’autres s’y investissent durablement. Ils lui fourniront des
figures de premier plan, comme Madeleine Rebérioux*, Yves Jouffa ou
Henri Leclerc. La LDH a trouvé là « la seconde impulsion fondatrice de son
histoire », estime Gilles Manceron.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Éric Agrikoliansky, La Ligue française des droits de l’homme et du
citoyen depuis 1945. Sociologie d’un engagement civique, L’Harmattan, 2002
• Laure Blévis, « De la cause du droit à la cause anticoloniale. Les
interventions de la Ligue des droits de l’homme en faveur des “indigènes”
algériens pendant l’entre-deux-guerres », Politix, vol. 16, no 62, 2003 • Gilles
Manceron, « La Ligue des droits de l’homme après 1940. Essai de
périodisation et questions historiographiques », Matériaux pour l’histoire de
notre temps, vol. 137-138, no 3-4, 2020.

LILLE
En 1947, le statut de l’Algérie, instaurant une relative liberté de
circulation entre l’Algérie et la France, favorise les flux migratoires. La
répartition géographique de l’immigration algérienne épouse la carte
industrielle française. Cette immigration forme un sous-prolétariat
essentiellement constitué de travailleurs précaires et isolés, très actif au sein
du MTLD. En 1952, près de 30 000 Nord-Africains – très majoritairement
algériens – vivent dans le Nord et le Pas-de-Calais. 20 % d’entre eux sont
encartés au MTLD (Jean-René Genty). Dans le détail, le Douaisis fait figure
de place forte du nationalisme*, à l’inverse de l’agglomération lilloise qui
compte le moins d’encartés. Cette disparité s’explique en grande partie par
l’habitat : alors que les mines et les usines métallurgiques, principaux
secteurs de recrutement, disposent d’un habitat favorable au contrôle social,
la ville et ses hôtels-garnis disparates nécessitent un travail politique plus
soutenu (Genty, 1999). La guerre transformera quelque peu la situation de la
capitale des Flandres.
Au moment du congrès d’Hornu (14-16 juillet 1954), la région fait figure
de bastion messaliste et cette caractéristique perdure après le 1er Novembre*.
De fait, c’est l’ensemble de la région du Nord qui se range derrière Messali
Hadj* et intègre son MNA*. Pour ces militants aguerris, l’entrée en guerre se
poursuit sans modification réelle de l’agit-prop et des modalités d’actions
héritées du MTLD. Progressivement, la différenciation entre FLN* et MNA
voit les messalistes se replier dans cette wilaya du Nord où ils sont réprimés.
En 1955, à Lille, le traditionnel défilé du 1er mai est émaillé de violences
policières et d’arrestations de militants, avant la répression meurtrière de la
manifestation* de Douai le 9 octobre 1955. Celle-ci s’inscrit dans un contexte
particulier : vague d’arrestations antimessalistes et débuts de la Fédération de
France* du FLN. Face à cette manifestation douaisienne ouvrière et
nationaliste, les forces de l’ordre font usage de leurs armes : deux
manifestants algériens sont tués par balles. L’implantation progressive du
FLN dans la région piège le MNA dans un sentiment de forteresse assiégée et
son corollaire : la lutte contre « les traîtres », soit ceux qui s’affilient au FLN
ou choisissent la double affiliation. Le MNA cherche à contrôler et encadrer
l’ensemble des ouvriers algériens. Dans cette entreprise de structuration, il
n’hésite pas à recourir à l’intimidation, voire à l’assassinat. En 1955, aux
usines des Asturies, le MNA fait tuer Nebadi Belaïd, délégué syndical de
FO* et intermédiaire entre la direction de l’usine et les ouvriers nord-
africains. Belaïd représentait un frein à l’entreprise politique messaliste
(Genty, 2008). En 1956, le FLN parvient à poser les premiers jalons de son
nidham dans la région. S’il devient prépondérant à Dunkerque et Tourcoing,
il reste très minoritaire à Lille et, ailleurs dans le département, le MNA
domine. 1957 voit une rupture : la Fédération de France du FLN se lance
dans une guerre sans merci qui transforme les quartiers nord-africains de la
région, tel le quartier Saint-Sauveur à Lille, en zone de guérilla* urbaine. La
cour d’assises de Douai, les tribunaux correctionnels du département et le
tribunal militaire de Lille jugent les acteurs de cette guerre dans la guerre
(Deperchin et Lecompte). Des statistiques partielles en donnent l’intensité :
du 1er janvier au 24 mai 1957, 68 attentats sont perpétrés, on dénombre
38 morts et 50 blessés « musulmans », 8 blessés métropolitains. Certains
quartiers de Lille (quartier Saint-Sauveur), de Roubaix (quartier de l’Alma) et
des villes comme Maubeuge, Valenciennes et leurs environs connaissent des
règlements de comptes incessants. Les étudiants* algériens sont quant à eux
très majoritairement rattachés à la section universitaire du FLN, la ville de
Lille étant intégrée à la région Nord-Ouest de l’organisation frontiste.
Le 22 juin 1961, une conférence de presse organisée par des prêtres de
Lille et le Comité de défense des libertés individuelles dénonce cette guerre
civile. Leur mobilisation fait écho aux porteurs de valises* pro-FLN qui
militent le long de la frontière franco-belge. En août 1961, le CNRA* estime
que Lille reste une forteresse messaliste imprenable. Ce constat pèse lourd
dans la décision du FLN de lancer une offensive meurtrière entre novembre et
décembre de la même année. Le Nord reste néanmoins acquis aux messalistes
pour qui l’indépendance a un goût amer. Ville singulière, Lille – et avec elle
l’ensemble du département du Nord – a été le théâtre de la guerre fratricide
entre nationalistes.
Linda AMIRI
Bibl. : Annie Deperchin et Arnaud Lecompte, « Les crimes commis par les
Algériens en métropole devant la cour d’assises du Nord 1954-1962 »,
Histoire de la justice, vol. 16, no 1, 2005 • Jean-René Genty, L’Immigration
algérienne dans le Nord Pas-de-Calais, 1909-1962, L’Harmattan, 1999
• —, Le Mouvement nationaliste algérien dans le Nord (1947-1957), Fidaou
al Djazaïr, L’Harmattan, 2008.

LINDON, JÉRÔME (1925-2001)


Ancien résistant, membre de l’Union de la gauche socialiste (UGS),
directeur des Éditions de Minuit depuis 1948, Jérôme Lindon s’engage en
collaborant avec Jacques Vergès* et Pierre Vidal-Naquet*. Relayant la
presse* et les revues* confrontées aux saisies, il joue un rôle absolument
capital dans l’information sur la guerre et la mise en cause de l’État
d’exception, rejoint par les Éditions de la Cité de Nils Andersson à Lausanne
et les éditions Maspero*. En 1957, Pour Djamila Bouhired de Jacques
Vergès ouvre chez Minuit un catalogue de 23 livres dédiés à la guerre
d’Algérie jusqu’en 1962, pour douze saisies et un procès, frappant le seul
ouvrage qualifié de « fiction », Le Déserteur de Jean-Louis Hurst*, alias
Maurienne, en 1961. Revendiquant la filiation de la Résistance*, Jérôme
Lindon déploie de nouvelles formes de littérarisation de l’expression
politique, sans contradiction au sein d’un catalogue qui a accouché du
Nouveau Roman et mis sur la sellette l’engagement sartrien. Il relance les
écrits d’urgence, constituant autant « d’affaires », comme pour L’Affaire
Audin de Pierre Vidal-Naquet. En 1958, La Question d’Henri Alleg* est un
véritable tournant : 84 000 exemplaires du livre diffusés, 90 000 pour sa
reproduction intégrale dans Témoignages et Documents. Avec le « Manifeste
pour le droit à l’insoumission », dit « Manifeste* des 121 », conçu à l’été
1960 par Maurice Nadeau, Dionys Mascolo, Robert Antelme et Maurice
Blanchot, Jérôme Lindon fait de la désobéissance et de la désertion une
question civique et politique majeure. L’éditeur fut inculpé à diverses reprises
« d’atteinte au moral de l’armée », « d’incitation de militaires à la
désobéissance », de « provocation à l’insoumission et à la désertion », ou
encore « de diffamation de la police* ». Lindon résumait par ces mots son
engagement : « Je suis l’éditeur de Samuel Beckett. Quand on a cette chance
et cet honneur, c’est-à-dire de bénéficier d’une extraordinaire liberté dans un
pays libre, la moindre des choses consiste à défendre les conditions de cette
liberté quand elles sont menacées. […] Ce que j’ai fait, je l’ai fait pour la
France, non pour l’Algérie. » Il s’engagera ensuite pour la cause
palestinienne et contre l’apartheid.
Julien HAGE
Bibl. : Nicolas Hubert, Éditeurs et éditions pendant la guerre d’Algérie,
1954-1962, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012 • Anne Simonin, Les
Éditions de Minuit, 1942-1955. Le devoir d’insoumission, IMEC éditeur,
2008 • —, Le Droit de désobéissance. Les Éditions de Minuit en guerre
d’Algérie, Minuit, 2012.

LITTÉRATURE D’EXPRESSION ARABE


EN ALGÉRIE, 1920-1962
Le combat de l’Algérie pour l’indépendance se déroule aussi sur le terrain
littéraire. À partir des années 1920, poésie, nouvelle, essai et théâtre* en
langue arabe fleurissent dans les principaux foyers culturels du pays. Ces
créations littéraires, tout en renouant avec la tradition lettrée mise à mal par
l’invasion française de 1830, dessinent les contours d’une identité nationale
et exhortent le peuple entier à la lutte pour son existence.
Les premiers auteurs investissent tout naturellement le champ de la
poésie classique, non pas tellement dans un souci esthétique que pour prôner
l’arabité et autres valeurs religieuses chères au mouvement réformiste
qu’incarnent les ulémas à partir de 1931. Mais à mesure que les objectifs et
les aspirations du Mouvement national dans son ensemble se précisent, les
thèmes de l’écriture poétique sont fondamentalement renouvelés. La presse*
arabophone qui voit le jour à la même période tient systématiquement lieu de
tribune aux écrivains émergents dont voici un aperçu représentatif et qui est
loin d’être exhaustif.
L’un des chefs de file de la poésie est Mohamed Laïd Al Khalifa (1904-
1979) qui dès ses premiers poèmes dénonce l’infinie misère des Algériens.
C’est le cas dans « Astour al-Kawn » (« Les Lignes de l’Univers ») où le
poète aspire à soulager les maux qui assaillent le peuple tout en condamnant
sa résignation face aux événements. En 1931, il compose « Min Jibâlinâ »
(« De nos montagnes ») dont la version adaptée en 1942 par Mohamed El
Hadi Chérif en dialectal est chantée par les scouts*. Dans des poèmes plus
tardifs comme « Yâ Lîl » (« Ô nuit ») paru dans le journal El-Bassaïr en
1951, le regard posé sur la société est toujours aussi critique, mais l’appel à la
révolte et le désir de liberté pour sortir de la nuit coloniale sont de plus en
plus prégnants. Quand en 1954 la guerre commence, le poète est emprisonné
par l’armée française à Aïn M’lila puis à Constantine, avant d’être placé en
résidence surveillée à Biskra. Cette réclusion donne naissance à des poèmes
empreints d’une mélancolie de l’exil comme le très poignant « Bou-
Manqouche » (« Mont Bou-Manqouche » – situé au sud de Biskra).
L’autre grand nom du genre est Moufdi Zakaria (1908-1977).
Contemporain et ami du célèbre Abou El Kacem Chebbi (1909-1934), il
s’illustre par un premier poème Ilâ al-Rîfiyyîn (« Aux villageois ») paru en
1925 dans le journal tunisien Lissân al-cha‘b. Quand en 1926, l’Étoile nord-
africaine est créée, il en est membre puis il adhère dans les années 1930 au
PPA* dont il compose le chant officiel Fidâou’ al-Jazâ’ir (Sacrifice pour
l’Algérie). En 1937, il est emprisonné par les autorités françaises en même
temps que Messali Hadj* et reste en détention jusqu’en 1939. Après le
1er novembre 1954*, Moufdi Zakaria rejoint le FLN* et est de nouveau arrêté
dans le courant de l’année 1955. À sa sortie de prison*, il se rend au Maroc*
puis en Tunisie*. Il compose Qassaman* (Je le jure) devenu l’hymne
national algérien. En 1961, il publie al-Lahb al-Mouqaddas (La Flamme
sacrée) et écrit pour le journal de la lutte algérienne, El Moudjahid, basé à
Tunis, jusqu’en 1962.
Durant cette période, l’écriture de la nouvelle connaît également un essor
singulier surtout avec Ahmed Réda Houhou (1910-1956) dont l’œuvre la plus
marquante est Ghâdat Oum al-Qourâ (La Chimère de la mère des cités –
c’est ainsi que La Mecque est longtemps surnommée) parue en 1947 à Tunis.
Il y est question de la condition de la femme* arabe à travers l’exemple
saoudien. Mais l’auteur ne parvient pas toujours à rendre compte des
paradoxes de la société saoudienne qu’il connaît de l’intérieur pour y avoir
vécu près d’une dizaine d’années. Néanmoins, la trame narrative et le style de
la langue rompent définitivement avec les exemples antérieurs et c’est en cela
que Ghâdat Oum al-Qourâ signe la naissance du roman algérien de langue
arabe. En 1954 à Constantine paraît Sâhibat al-wahy wa-qissass oukhrâ
(Celle qui possède l’inspiration et autres histoires), suivi en 1955 de Namâdij
bachariyya (Archétypes humains), des nouvelles dans lesquelles Réda
Houhou dresse le portrait de personnages inspirés des rencontres survenues
au fil de ses nombreuses pérégrinations à travers le monde. Dans la nuit du 29
au 30 mars 1956, il est arrêté et tué par l’armée française. Ses restes sont
retrouvés à l’indépendance, dans une fosse commune de Oued Hamimine
entre Constantine et El Khroub.
Enfin le théâtre fait son entrée en 1921, au lendemain de la rencontre
avec les troupes tunisiennes et égyptiennes venues dans cet entre-deux-
guerres se produire à Alger. Il importe toutefois de rappeler qu’avant cette
date comme après, il existait une forme d’expression théâtrale en Algérie à
travers les halqât (cercles) ou les qa‘dât (séances) et qui sont des cercles à
proprement parler au milieu desquels un ou plusieurs gouwwâl (diseur)
déclament des récits épiques en vers ou en prose rimée.
Tout en s’inscrivant dans cette veine, les premières pièces de Allalou
(1902-1992), de Rachid Ksentini (1887-1944) et de Mahieddine Bachtarzi
(1897-1986), contribuent à diffuser et à renforcer le sentiment national auprès
du grand public. Ahmed Réda Houhou met en place al-Mazhar El Qacentini,
une troupe théâtrale et musicale pour laquelle il écrit et monte de nombreuses
représentations dont on retient Ma‘a himâr al-Hakîm (En compagnie de l’âne
d’al-Hakîm – clin d’œil à Himârî [Mon âne] du dramaturge égyptien Tawfîk
al-Hakîm) parue en 1953 à Constantine. L’œuvre est une critique acerbe de la
société algérienne, de la politique coloniale, de l’hypocrisie religieuse et de la
condition des femmes. Avec un succès plus ou moins franc, Ahmed Réda
Houhou, qui maîtrisait parfaitement la langue française, adapte aussi les
grands classiques du théâtre français.
Dans le sillage des ulémas, des œuvres en arabe littéral voient également
le jour avec des thèmes religieux comme la pièce Bilâl de Mohamed Laïd Al
Khalifa, jouée en 1939 à l’occasion du Mawlid (la naissance du Prophète), ou
encore des thèmes historiques comme Hannaba‘l (Hannibal) de Tewfik El
Madani* (1899-1983), monté en 1948 à l’Opéra d’Alger. Cependant pour des
raisons de compréhension évidentes liées à un public majoritairement
analphabète, le choix de l’arabe dialectal s’impose et il est d’autant plus
intéressant qu’il nous renseigne sur l’état de la langue arabe et de la société
algérienne à ce moment précis de son histoire.
L’indépendance marque le début d’une autre période durant laquelle le
roman algérien arabophone connaît un nouvel essor, en particulier avec
Abdelhamid Benhaddouga (1925-1996) et Tahar Ouettar (1936-2010) dont
les premières œuvres sont imprégnées des souvenirs de la colonisation et de
la tragédie de la guerre.
Esma Hind TENGOUR
Bibl. : Hadj Dahmane, Le Théâtre algérien de l’engagement à la
contestation, Orizons, 2011 • Jean Déjeux, La Littérature algérienne
contemporaine, PUF, 1979 • Belkacem Saadallah, Dirâssât fî l-adab al-
jazâ’irî al-hadîth (5e éd.), Alger, Dâr ar-Râ’id li-l-Kitâb, 2007.

LITTÉRATURE D’EXPRESSION
FRANÇAISE
EN ALGÉRIE
C’est d’abord dans la poésie, orale et écrite, que se dit le vécu de la
guerre, les souffrances, les morts et la certitude de la victoire. C’est
également dans ce genre, dans sa part francophone, que les mots de
l’indicible et du refus sont rassemblés et publiés en anthologie et recueils
individuels (Poèmes algériens. Espoir et parole, poèmes recueillis par Denise
Barrat*, 1963, où l’on lit les mots de la torture* et de la confiance en
l’avenir ; Anna Gréki, Algérie. Capitale Alger, 1963, traduit en arabe).
Des écrivains confirmés comme Mohammed Dib* (Ombre gardienne,
1961) ou Jean Amrouche* portent également le chant d’un peuple.
La guerre a été pressentie dans les textes de réflexion (Amrouche, Jules
Roy*) et dans les romans (Dib, Jean Pélégri, Emmanuel Roblès). Le projet
d’une école littéraire algérienne (les algérianistes) puis d’une communauté
intellectuelle de l’école d’Alger (vers 1935) vient buter sur l’irréductibilité du
colonat et de ceux qui sont contre toute transformation réelle du statut des
« musulmans ». L’exigence de changement, conciliante au départ, se fait de
plus en plus radicale. Les Oliviers de la justice (Pélégri, 1959), Les Hauteurs
de la ville (Roblès, 1948) décrivent un monde en attente de changement ou
déjà bouillonnant alors que Dib (L’Incendie, 1954) annonce un prochain
embrasement et que Mouloud Mammeri* (La Colline oubliée, 1952, ou Le
Sommeil du juste, 1955) décrit les attentes de jeunes intellectuels et évoque
un monde d’une irréductible originalité.
Pourtant, si l’inéluctabilité de la lutte a été souvent annoncée, la guerre
elle-même sera un thème relativement peu abordé entre 1954 et 1962. Dib
(Un été africain, 1959) traite le thème non comme élément référentiel mais
comme cadre d’un drame qui dépasse l’histoire de l’individu. Quant à Kateb*
Yacine (Nedjma, 1956), c’est la fracture de 1945 qui est au cœur de son
écriture. Elle constitue le premier acte de 1954, dont le thème est traité dans
le théâtre* (Le Cadavre encerclé).
Seule l’œuvre de Malek Haddad (La Dernière Impression, 1958 ; Je
t’offrirai une gazelle, 1959 ; L’Élève et la Leçon, 1960 ; Le Quai aux fleurs
ne répond plus, 1961) est entièrement consacrée à la guerre. La Dernière
Impression (1958) relate la nécessité dans laquelle se trouve un ingénieur
algérien formé à l’école française de saboter le pont qu’il a construit. Dans Le
Quai aux fleurs ne répond plus (1961), le narrateur, militant réfugié à Paris,
apprend que sa femme a été tuée avec son amant, un militaire français.
En dehors de ces auteurs, le thème de la guerre n’est pas traité avant
l’indépendance. Il faudra attendre la post-indépendance pour lire des textes
sur la guerre : L’Opium et le Bâton (1965) de Mammeri raconte la fin des
hésitations de l’intellectuel et son inévitable engagement dans la lutte, tandis
que le roman de Dib Qui se souvient de la mer (1962) est un récit onirique.
Le roman d’Assia Djebar Les Enfants du nouveau monde (1962) raconte la
guerre vécue par plusieurs personnages dans une ville d’Algérie. Pour les
femmes*, c’est le chemin de l’émancipation, tel qu’il a été traité par Frantz
Fanon* (« L’Algérie se dévoile », 1959) : Chérifa sort sans voile pour la
première fois pour avertir son mari qu’il est recherché tandis que Touma, la
« traîtresse », décide de disposer de son corps, sans tenir compte des
frontières entre les deux camps. L’autrice choisit de traiter la guerre par les
traumas des femmes : la torture et le silence sur le viol* (Femmes d’Alger
dans leur appartement, 1980) et l’oubli des femmes dans le panthéon des
héros (La Femme sans sépulture, 2002). Un texte retient l’attention : le
Journal, 1955-1962 (1962) de Mouloud Feraoun*, interrompu par
l’assassinat de l’écrivain, constitue un témoignage* sur le vif d’un homme
pris dans la violence, qui raconte le vécu de la guerre.
C’est le cinéma* qui a quelquefois tendance à donner des images d’un
plat réalisme de la violence, à travers un héroïsme sans nuance, alors que le
roman est du côté de la complexité des réactions et des attitudes à travers une
écriture qui se veut à la hauteur de l’exceptionnalité de l’événement
(onirisme, discontinuité du récit, disparate, complexité et multiplicité des
points de vue, etc.). Avec Rachid Boudjedra (La Répudiation, 1969),
l’écrivain se libère de l’obligation d’être un auteur « engagé » dans la lutte de
libération et inaugure la littérature post-indépendance déjà annoncée dans les
récits précédents (1962-1968), dont la thématique s’enracine encore dans la
guerre, qui devient le contexte d’une tragédie qui entraîne l’individu et son
groupe. Ainsi, même si leur engagement politique est certain, les auteurs
algériens refusent donc une écriture « monosémantique ».
Il en est de même pour la plupart des écrivains européens d’Algérie.
Albert Camus*, Pélégri, Roblès, dont l’engagement pour un changement plus
égalitaire entre les deux communautés ne fait aucun doute, ne produiront pas
de grand récit de la guerre. Pourtant leurs articles, reportages dans les
principaux journaux (L’Express, Le Nouvel Observateur…) sur la violence
dans leur pays natal, leurs essais… sont sans ambiguïté.
Roblès, qui dirigeait la collection « Méditerranée » au Seuil, a permis la
publication de plusieurs romanciers algériens de cette époque (Feraoun, Dib,
Kateb…) et édité le journal posthume de son ami Feraoun. Jules Roy, qui a
dénoncé la torture (La Guerre d’Algérie, 1960), avec la saga Les Chevaux du
soleil, commencée à partir de 1967, retrace l’histoire la présence européenne,
depuis le débarquement du corps expéditionnaire français en 1830.
Pour expliquer la composition de l’Anthologie des écrivains maghrébins
d’expression française (1964) qu’il a dirigée et dans laquelle il n’a retenu que
les écrivains algériens et les écrivains européens qui ont opté pour l’Algérie
indépendante, Albert Memmi fait la distinction entre les écrivains de la
révolte (les premiers) et ceux de la séparation (les seconds). Mais cette
différence de posture des auteurs ne peut expliquer le faible traitement de la
guerre dans la fiction qui lui est contemporaine. N’est-il pas plutôt dû à la
proximité des faits et, surtout, aux déchirements qu’ils entraînent ?
Les romans sur l’événement en cours sont écrits par des auteurs qui ne
sont pas d’Algérie, qu’ils soient engagés contre la guerre et la torture ou
venus de la métropole comme acteurs de la guerre, militaires de carrière ou
appelés. Maurice Clavel, dans Le Jardin de Djemila (1958), donne la parole
notamment à celle qui a subi la question et le viol. Georges Buis* (La Grotte,
1961) arrive en Algérie en 1958 comme colonel et raconte une sorte de duel
entre un héros, Enrico, et un ennemi, invisible et qui se cache sous terre. Ce
sont aussi les textes publiés par des déserteurs qui livrent leur choix et leurs
expériences sous une forme romancée : Noël Favrelière*, Le Désert à l’aube
(1960, saisi), Maurienne (Jean-Louis Hurst*, Le Déserteur, 1960, saisi),
Maurice Maschino* (Le Refus, 1960, saisi).
Le thème de la guerre d’Algérie est loin de se tarir tant l’événement
continue à travailler la mémoire (Mohammed Dib, Assia Djebar, Yamina
Mechakra avec La Grotte éclatée, 1979) et la postmémoire* (Laurent
Mauvignier, Mathieu Belezi, Fatima Besnaci-Lancou, Dalila Kerchouche).
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Algérie. Les romans de la guerre, textes choisis et présentés par Guy
Dugas, Omnibus, 2002 • Albert Memmi (dir.), Anthologie des écrivains
maghrébins d’expression française, Présence africaine, 1964 • — (dir.),
Anthologie des écrivains français du Maghreb, Présence africaine, 1969.

LITTÉRATURE ET GUERRE (FRANCE,


APRÈS-GUERRE)
Benjamin Stora*, dans son Dictionnaire des livres de la guerre d’Algérie
(1996), avait recensé 2 130 publications de tous ordres sur le conflit. Depuis,
la liste s’est étoffée et nul ne s’est risqué à un recensement exhaustif pour la
seule littérature. L’opération serait d’autant plus périlleuse qu’elle
impliquerait de s’entendre sur ce que recouvre (et exclut) ladite littérature.
Les témoignages* d’anciens (appelés*, Européens d’Algérie, harkis*…) en
relèvent-ils ? Faut-il s’attacher aux seules œuvres fictionnelles ou dont la
matière biographique a été translatée par le geste d’écriture ? Et ce geste doit-
il être réduit au roman ? Les Lettres d’amour d’un soldat de vingt ans (1987)
de Jacques Higelin en relèvent-elles ? Et Grand ensemble (2008), le recueil
poétique de Nathalie Quintane ? De ce corpus copieux et instable émergent
quelques œuvres phares, déjà anciennes, comme Tombeau pour cinq cent
mille soldats de Pierre Guyotat (1967), Élise ou la vraie vie de Claire
Etcherelli (1967), Meurtres pour mémoire de Didier Daeninckx (1983), ou
toutes récentes, comme Des hommes de Laurent Mauvignier (2009) et L’Art
de perdre d’Alice Zeniter (2017). Cette créativité littéraire, contrairement à
une idée reçue, n’est pas passée inaperçue : nombre des œuvres évoquant la
guerre ont été saluées par le public, les critiques ou des prix : le Fémina pour
Etcherelli, le Grand Prix de la littérature policière pour Daeninckx, le prix
Mottart de l’Académie française pour Pierre Bourgeade et ses Serpents
(1983), le Goncourt pour Alexis Jenni et son Art français de la guerre (2011),
le Goncourt Premier roman pour Joseph Andras (De nos frères blessés,
2016), le Goncourt des lycéens pour Zeniter…
Autre fait remarquable, l’écriture fictionnelle de la guerre déborde les
dates supposées borner celle-ci. Le premier des sept chants de Tombeau pour
cinq cent mille soldats s’ouvre sur l’évocation d’une Ecbatane envahie qui
renvoie à la Seconde Guerre mondiale, et s’achève sur le soulèvement de la
colonie d’In Amenas. En deçà et au-delà de l’Algérie, il dit l’infini des
servitudes. Dans un style plus académique, Les Poneys sauvages de Michel
Déon (Prix Interallié 1970) campe la traversée des désillusions de quelques
enfants de vainqueurs de 1918. La guerre appelle l’épopée. Certaines voient
le jour avant même la fin du conflit, sous la plume de Jean Lartéguy (Les
Centurions, parus en 1960, se sont vendus à plus d’un million
d’exemplaires), d’autres ne tarderont pas. Les six volumes des Chevaux du
soleil (1968-1975) retracent l’histoire de la France en Algérie, depuis la
conquête jusqu’au départ des Européens d’Algérie (1830-1962). Mathieu
Belezi reprend le flambeau, quarante ans plus tard, avec une trilogie
algérienne au plus près des folies et des démesures coloniales (C’était notre
terre, 2008 ; Les Vieux Fous, 2011 ; Un faux pas dans la vie d’Emma Picard,
2015), puis Alice Zeniter. La guerre d’Algérie, alors, devient presque un
épiphénomène : l’écume sanglante de cent trente-deux ans de colonisation, de
déshumanisation et de souffrances qui se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.
Les œuvres mettant en scène le conflit ont d’abord été souvent conçues
par d’anciens (r)appelés – Guyotat, Labro, Ehni, Bourgeade, Mattéi, Venaille,
Zimmermann… Brutalement dépucelés par l’horreur, ils ont relevé de ce que
Mattéi a appelé la « génération algérienne* » (Esprit, no 261, mai 1958,
p. 818-824). Leurs écrits, incandescents, sont mâtinés d’exactions (viols*,
corvées de bois*, égorgements, humiliations, tortures…), de crises de
conscience (déserter ? parler ?), d’apprentissages (divorce des mots et des
choses) qui valent dénonciation. À la génération suivante, ce sont des enfants
d’appelés (Bertrand Leclair, Laurent Mauvignier, Claire Tencin, Brigitte
Giraud), de militaires (Virginie Buisson), de harkis (Zahia Rahmani, Alice
Zeniter), d’Européens d’Algérie (Jean-Marie Blas de Roblès) qui leur
succèdent. Faute de transmission directe, de parole autorisée, de récits à eux
adressés, ces fils et filles prennent le parti de la narration. Quand les
stigmates du conflit obsèdent leur existence, ils enquêtent, interrogent,
fabulent, dialoguent post mortem. Assumer le retour d’une mémoire trouée
semble être un préalable à la narration, de sorte que les récits ne
s’échafaudent pas seulement pour « combler les silences transmis entre les
vignettes d’une génération à l’autre » (Zeniter, L’Art de perdre, Flammarion,
2017, p. 23), mais accolés à eux, comme dans Des hommes ou En vieillissant
les hommes pleurent de Jean-Luc Seigle (2012).
Parfois, il s’agit simplement de parler pour ceux qui ne sont plus, de
rallumer les « braises du souvenir » (Maurice de Kervénoaël, 2019). Marie
Cardinal, Alain Vircondelet, Jean Pélégri, Louis Arti s’emploient ainsi à
évoquer le « pays de leurs racines ». Nul, toutefois, n’entretient la fiction
d’un témoignage pur. Celui-ci, à supposer qu’il soit possible, précède plutôt
le passage à l’acte d’écriture, comme dans le cas de Mattéi, qui commence
par publier dans Les Temps modernes (« Jours kabyles », 1957) avant de
passer à la fiction ou à l’autofiction (Disponibles, 1961 ; La Guerre des
gusses, 1982). D’autres fois, l’impulsion est dénonciatrice ou réparatrice :
c’est contre la et les guerres que Bernard Clavel compose Le Silence des
armes (1974), contre le racisme* et l’exploitation que s’insurge Etcherelli,
contre le colonialisme que se dresse Mattéi, contre les mensonges d’État que
s’indigne Daeninckx, pour la mémoire d’Iveton* qu’Andras prend la plume.
Dans les fictions postérieures au conflit, la pulsion scopique joue
également un rôle majeur. Hélène Merlin l’emblématise : « Comment voir,
comment y bien voir » quand tout est « si loin, vous souvenez-vous ? » (Le
Cameraman, Minuit, 1983, p. 41). Les écrivains et écrivaines d’après n’ont
rien vu ou ne se souviennent pas, ou peu. Le champ des possibles est donc
immense : essais nucléaires* et bactériologiques français au Sahara (Bertrand
Leclair, Une guerre sans fin, 2008), circonstances d’un décès (Le Dantec, Le
Disparu, 2017), contours d’une existence. Tous imaginent, renoncent à
savoir, à conclure. Les auteurs de polar y sont à leur aise (Attia, Daeninckx,
Delteil, Georget, Le Corre, Malet, Muratet, Nozière, Streiff, Syreigeol, Vilar,
Zamponi…). Les poètes aussi.
À l’instar de Nathalie Quintane, ils luttent contre un usage cosmétique du
langage qui les accable, défont des impostures (la France qui se prend pour la
France, chez Ehni), sortent des cailloux de leur bouche. « Malade d’avoir
vécu rêvé souffert », Venaille « crée de l’écriture à partir du vécu transformé,
du fantasmé, du non-dit, du hurlé dans la nuit, de l’imaginaire » (Algeria,
Melville, Éditions Léo Scheer, 2004, p. 10, 122) ; Guyotat chante par sa
plaie ; Sarré tient à distance l’imparfait, ce temps grammatical infréquentable
qui stérilise. Polyphoniques (Mauvignier, Belezi) ou lyriques (Ehni, Venaille,
Guyotat, Rahmani), leurs œuvres renoncent à regarder la guerre fixement.
Elles manifestent l’extension du domaine de la lutte. Elles opposent aux
blancs de l’Algérie leurs fabriques de mémoires.
Catherine BRUN
Bibl. : Thomas Augais, Mireille Hilsum et Chantal Michel (dir.), Écrire et
publier la guerre d’Algérie. De l’urgence aux résurgences, Kimé, 2011
• Catherine Brun (dir.), Guerre d’Algérie. Les mots pour la dire, Éditions du
CNRS, 2014 • Anny Dayan-Rosenman et Lucette Valensi (dir.), La Guerre
d’Algérie dans la mémoire et l’imaginaire, Saint-Denis, Éditions Bouchène,
2004.

LOGEMENT ET GUERRE EN ALGÉRIE


La question du logement en Algérie pendant la guerre met en jeu autant
un réformisme colonial ancien que la guerre contre-révolutionnaire de
l’armée française. Si les contextes locaux sont fondamentaux pour la
comprendre, elle se heurte à une méconnaissance, hormis pour Alger, ainsi
qu’à la destruction, au moins partielle, des archives* des offices HLM.
Le parc de logement est, au mitan des années 1950, en voie de
dégradation poussée, qu’il s’agisse du bâti ottoman – la casbah d’Alger est
l’exemple le plus connu – ou de l’habitat populaire français (quartiers de
Belcourt à Alger, de Colonne Randon à Bône). En parallèle, dans un contexte
de forte croissance démographique et de « clochardisation » (Germaine
Tillion*), les Algériens vivent de plus en plus en bidonvilles, souvent en
lisière des agglomérations, parfois en leur centre (Mahieddine à Alger,
Remblai des « Beni Ramassès » à Constantine). D’Alger aux petits centres,
les « gourbis », jusqu’alors limités aux campagnes, signent la présence des
colonisés les plus pauvres dans des espaces pensés comme européens. Les
quelques cités minières bâties, de mauvaise qualité, se délabrent rapidement.
Les logiques présidant à la construction, arc-boutées sur le maintien d’un
ordre urbain et colonial, datent de l’entre-deux-guerres ; la guerre les
radicalise. La construction privée s’accroît modestement, la rente immobilière
étant plus faible qu’en métropole. Les HBM (habitations à bon marché) puis
les HLM (habitations à loyers modérés), sans être formellement réservées aux
Européens, excluent les Algériens, non solvables pour l’essentiel ; ces
logements servent surtout aux métropolitains, fonctionnaires et militaires en
particulier. Une politique d’« habitat indigène », très sommaire, vise les
Algériens. Près des villages de colonisation, ces constructions doivent
stabiliser la main-d’œuvre près des exploitations et freiner l’exode des
travailleurs. Dans les villes, des « cités indigènes » de plusieurs centaines de
logements sont bâties (Alger, Constantine, Blida, etc.) à des fins
d’hygiénisation. Conseillers municipaux, architectes et bailleurs sociaux
discutent du « contact » entre Européens et Algériens, propre à doter
l’Algérie française d’une assise sociale. Services administratifs, circuits de
financements, cadrages idéologiques, dispositifs distincts en fonction des
assignations coloniales, acteurs ou encore méthodologies d’enquêtes
préexistent très largement à la guerre.
Après 1950, les constructions se multiplient : HLM de diverses qualités,
« logement million » ou constructions « Castors » comme en métropole,
habitat « semi-urbain » spécifique à la colonie. À l’échelon municipal,
nombre d’élus ont pleinement conscience des problèmes divers et aigus que
cristallise l’habitat. D’importants chantiers sont lancés après les élections*
municipales de 1953. Les cités de Fernand Pouillon à Alger durant la
mandature de Jacques Chevallier*, qui parle de « bataille du logement », sont
l’objet de nombreux ouvrages ; ailleurs et quoique non moins importantes, les
constructions restent méconnues. De nouveaux organismes voient le jour,
comme la Compagnie immobilière algérienne, une société d’économie mixte
fondée en janvier 1954 par le Gouvernement général* avec des capitaux
métropolitains. Avec la guerre, apparaissent des sociétés HLM pour
Algériens (la « Société coopérative musulmane algérienne d’habitation et
d’accession à la petite propriété ») ou pour militaires (« L’Armaf »). Les
chantiers sont cependant ralentis, voire bloqués (attaques du FLN*,
disparitions* d’ouvriers aux mains de l’armée française). Les candidats à un
logement sont soumis à des enquêtes sociales, comme en métropole, mais
aussi politiques. Les pratiques de l’habitat des bénéficiaires de logements
sociaux, souvent loin des attentes des constructeurs, restent méconnues.
Ces politiques, de plus en plus tournées vers le « développement » ou la
« modernisation » de l’Algérie, témoignent d’une remarquable continuité.
Après un « plan d’action communal » en 1947, lié à l’idée qu’il faut réformer
l’Algérie, la guerre accélère l’élaboration de plans incluant largement la
construction de logements (Rapport Maspétiol*, juin 1955 ; Perspectives
décennales, mars 1958). Le « plan de Constantine* », lancé en 1958 par de
Gaulle*, en prend la suite. Il prévoit, entre autres, 222 000 logements pour
1 million de personnes (moins de la moitié sera achevée). Cet investissement
massif est, comme auparavant, pensé comme l’éteignoir de la contestation
politique algérienne. Après juillet 1962, si la colonialité des politiques
disparaît, les disparités sociales demeurent structurantes.
Thierry GUILLOPÉ
Bibl. : Samia Henni, Architecture de la contre-révolution. L’armée française
dans le nord de l’Algérie, Éditions B42, 2017 • Jim House, « Double
présence. Migrations, liens ville-campagne et luttes pour l’indépendance à
Alger, Casablanca Hanoï et Saïgon », Monde(s), no 12, 2017 • Danièle
Voldman, Fernand Pouillon, architecte, Payot, 2006.
LOGEMENT ET GUERRE
EN MÉTROPOLE
Depuis les années 1990, les « bidonvilles algériens », dont ceux de
Nanterre, sont devenus un « lieu de mémoire* » voire un enjeu de
patrimonialisation municipale. Alors que seuls 10 % des Algériens y ont
vécu, ces baraques sont aujourd’hui emblématiques de leurs conditions de
logement pendant la Guerre d’indépendance et au-delà.
Le terme « bidonville » fut importé en métropole au début des années
1950. Il était d’usage courant au Maroc* ou en Algérie depuis les années
1930. Le fait qu’il fut d’abord exclusivement utilisé pour des logements ou
des quartiers dits « nord-africains » témoigne de cette généalogie coloniale.
L’autoconstruction sur des terrains non viabilisés concernait pourtant aussi
des dizaines de milliers d’Espagnols ou Portugais, ainsi que des Français, en
particulier des « gitans » selon une catégorie courante des recensements.
À compter du milieu des années 1950, les bidonvilles furent en effet
particulièrement scrutés par l’administration et investis par de nombreux
intervenants sociaux. Au cours de la Guerre d’indépendance algérienne, ils
furent visés par les interventions répressives des forces de l’ordre. Le
recensement des baraques et les interdictions (ou autorisations officieuses) de
construire, ainsi que les démolitions, relevaient bien plus d’opérations de
quadrillage que d’une politique d’accès au logement.
Les forces de police* et le FLN* cherchant à contrôler l’immigration, les
logements et déplacements représentaient un enjeu majeur. Les hôtels et
garnis de fortune qui abritaient la majorité des immigrés furent placés au
centre de leur affrontement. Le FLN cherchait à faciliter la collecte des
cotisations, conçue comme un impôt révolutionnaire auquel nul n’était
supposé échapper. Tout déménagement devait être autorisé par les
responsables locaux du Front. La police parisienne répondit par des
« opérations de brassage » : les occupants des hôtels investis étaient
déménagés de force vers d’autres garnis.
La Guerre d’indépendance a ainsi accentué la tendance au regroupement
des Algériens dans des lieux définis par leurs apparences ethnoraciales. Les
pouvoirs publics ne firent que renforcer cette « ségrégation de l’habitat
algérien » décrite, dès 1956, par la sociologue Andrée Michel. La même
année, fut en effet créée, à l’initiative du ministère de l’Intérieur, la
Sonacotral (Société nationale de construction de logements pour les
travailleurs algériens). Des dizaines de foyers sortirent de terre mais ils
n’accueillirent jamais plus de 10 % des travailleurs algériens. Au-delà de
logiques d’encadrement colonial largement mises en échec par le FLN,
prenant le contrôle de nombreux foyers, ce type d’habitat répondait pourtant
à de véritables besoins : en raison notamment de leur nationalité* française,
les travailleurs algériens bénéficièrent moins que d’autres des propositions de
logements émanant du patronat. Les très faibles sommes qu’ils pouvaient
consacrer à un gîte spartiate, ainsi que les pratiques discriminatoires des
logeurs firent que leur accès au logement dépendait beaucoup de l’offre
publique ou paraétatique – des foyers étaient tenus par des associations,
souvent liées au monde « ancien combattant ». Sinon, les Algériens,
largement ignorés des œuvres de secours « généralistes », étaient condamnés
à la rue ou aux abris de fortune. Au milieu des années 1950, dans la plupart
des régions industrielles, ils formaient ainsi la majorité des sans-logis
recensés.
Cette situation s’améliora un peu par la suite, en raison notamment du
poids croissant de l’immigration familiale. Les cités de transit, loin d’être
exclusivement « nord-africaines », et certains offices HLM, où les immigrés
cohabitaient avec les « rapatriés* d’Algérie », furent investis par des
Algériens, qu’ils soient ou non passés par des bidonvilles. À la fin de la
guerre d’Algérie, si la plupart des grandes villes de métropole comptaient leur
« médina » – ainsi qualifiée dans les médias et les rapports de police –, les
conditions de logement des Algériens s’étaient diversifiées, mais l’attention
publique et médiatique demeura focalisée sur les bidonvilles. Leur résorption
devint alors un sujet législatif (lois de 1964 et 1966) mais ces textes ne
concernèrent que progressivement les Algériens avec la loi Vivien de 1970.
À partir des années 1980, quand les derniers bidonvilles furent « éradiqués »,
la trajectoire résidentielle bidonville-cité de transit-HLM devint le symbole
des discriminations subies par une immigration dont certains gouvernants
avaient espéré qu’elle s’évanouirait avec l’indépendance.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Marie-Claude Blanc-Chaléard, En finir avec les bidonvilles.
Immigration et politique du logement dans la France des Trente Glorieuses,
Publications de la Sorbonne, 2016 • Emmanuel Blanchard, Histoire de
l’immigration algérienne en France, La Découverte, 2018 • Muriel Cohen,
Des familles invisibles. Les Algériens de France entre intégrations et
discriminations (1945-1985), Éditions de la Sorbonne, 2020 • Victor Collet,
Nanterre, du bidonville à la cité, Marseille, Agone, 2019.
LOI-CADRE SUR L’ALGÉRIE
Depuis 1955, la question algérienne a été portée sur le plan international,
en particulier à l’ONU*. À l’origine, la France argue qu’il s’agit d’une
question intérieure, permettant de ne pas débattre sur le fond. Puis, en 1957,
les États-Unis*, en particulier, incitent la France à des réformes pour
améliorer la situation en Algérie avant la prochaine session à l’ONU prévue à
l’automne. Le président du Conseil Guy Mollet* considère alors qu’il faut
« dégager la personnalité de l’Algérie » tout en la gardant partie intégrante de
la France. Il charge le ministre résidant en Algérie, Robert Lacoste*, de
préparer un projet de loi-cadre. Cette loi servirait de cadre de débat pour les
parlementaires français tout en montrant la bonne volonté française aux yeux
de l’opinion publique mondiale. Le ministère Mollet est renversé le 28 mai
1957, et il est remplacé par Maurice Bourgès-Maunoury*, qui poursuit les
travaux. Le projet de loi-cadre arrive en septembre 1957 devant l’Assemblée
nationale. Ce projet énonce clairement l’appartenance de l’Algérie à la
France et le principe du collège unique à toutes les élections*. Ce deuxième
point constitue un important changement dans la représentation des Algériens
aux élections, le système du double collège* conduisant à l’élection d’autant
de Français d’Algérie que de « Français musulmans », alors que les seconds
sont huit fois plus nombreux que les premiers. Le projet de loi-cadre propose
aussi un certain nombre de mesures complexes et floues, notamment un
redécoupage de l’Algérie en 8 à 10 territoires, dont un kabyle et un chaouïa.
Chacun des territoires aurait une autonomie administrative et financière, une
assemblée qui investirait un conseil de gouvernement présidé par un
représentant de la République. Il existerait aussi un parlement fédératif à
Alger, dont les compétences ne toucheraient pas aux questions régaliennes
(diplomatie, défense, justice, douanes, mais pas non plus l’enseignement
secondaire et supérieur). Le projet est accueilli très froidement par les
parlementaires, surtout à droite et plus encore par les partisans de « l’Algérie
française ». Le Parlement est convoqué en session extraordinaire le
17 septembre 1957, et est finalement rejeté par 279 voix contre 253, le
30 septembre. De nombreux radicaux et modérés ont en effet rejeté le texte
du fait des déclarations cassantes de Jacques Soustelle*. Du fait de ce rejet,
Maurice Bourgès-Maunoury doit présenter sa démission. La IVe République*
s’enfonce dans une nouvelle crise ministérielle. Le président René Coty fait
appel à Guy Mollet, à René Pleven et à Antoine Pinay qui sont tour à tour
rejetés. Finalement, Félix Gaillard* est investi à une large majorité, à la
surprise générale, le 7 novembre 1957. Il remet en chantier le projet de loi-
cadre, et cherche à prendre en compte les différentes tendances, sans omettre
Robert Lacoste. Le texte finalisé par le gouvernement le 14 novembre est
beaucoup plus timoré que le premier, et complexifie encore les questions
institutionnelles. Des Conseils des communautés donnent aux Français
d’Algérie un nombre de représentants égal à celui des « Français
musulmans », mettant ainsi fin au projet de collège unique. D’ailleurs, la loi-
cadre est assortie d’une loi électorale qui, tout en établissant le principe du
collège unique, valorise la communauté européenne. Robert Lacoste explique
ainsi en Conseil des ministres que le rapport entre les masses électorales
européenne et musulmane sera de 1 à 3, et la communauté européenne serait
encore favorisée par les institutions* de la loi-cadre et par le découpage
électoral. Tout cela montre une volonté évidente de la part de Robert Lacoste
et des partisans de « l’Algérie française » d’entraver toute réforme de la
situation algérienne, en particulier en matière d’organisation politique et
administrative. D’ailleurs, Jacques Droz et Évelyne Lever soulignent que le
texte de la loi-cadre était « à certains égards en deçà du statut de 1947* lui-
même » (p. 165). Au bout du compte, le texte de la loi-cadre est adopté par le
Parlement le 31 janvier 1958, sans susciter d’enthousiasme. Personne ne
semble en effet tellement y croire. La société française l’accueille d’ailleurs
avec indifférence. Le FLN* et le MNA* rejettent bien entendu cette loi-
cadre. Il en est de même pour les étudiants* européens d’Algérie partisans de
« l’Algérie française » qui la considèrent comme une « loi d’abandon ». En
outre, les décrets d’application de cette loi-cadre doivent être passés après un
retour au calme. Le bombardement de Sakiet Sidi Youssef* le 8 février 1958
change singulièrement la donne et plonge la IVe République dans une crise
dont elle ne se remettra pas avec les événements du 13 Mai*.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie. 1954-
1962, Seuil, 1982.

LOI DU 18 OCTOBRE 1999


Le trentième anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie en 1992 est
aussi marqué par l’engrenage de la guerre civile en Algérie. La mémoire de la
« première guerre d’Algérie » a alors été ravivée par La Seconde Guerre
d’Algérie comme elle a parfois été appelée (Lucile Provost, Flammarion,
2016), d’autant plus que la France a aussi été touchée par des attentats du
Groupe islamique armé en 1995-1996. C’est d’ailleurs à cette période que les
associations d’anciens combattants* demandent à être reçues par le président
de la République Jacques Chirac*, et veulent substituer à l’expression
« opération de maintien de l’ordre en Algérie » celle de « guerre d’Algérie ».
Après la dissolution de l’Assemblée nationale et la victoire de la « gauche
plurielle » aux législatives, le nouveau secrétaire d’État aux Anciens
Combattants Jean-Pierre Masseret emploie d’ailleurs l’expression « guerre
d’Algérie » dans le discours d’inauguration d’un mémorial dans le Gers le
21 septembre 1997. Il réitère le 18 octobre 1997 à Saint-Étienne, alors qu’au
même moment commence le procès de Maurice Papon*. Or, celui-ci s’ouvre
sur la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961* à Paris.
Le 22 décembre 1998, Jacques Floch et de nombreux socialistes et apparentés
déposent une proposition de loi à l’Assemblée nationale (no 1293 relative à la
substitution de l’expression « aux opérations effectives en Afrique du Nord »
par l’expression « guerre d’Algérie et aux opérations effectuées en Afrique
du Nord »). La commission des affaires culturelles rend son rapport en
juin 1999 dans lequel elle souligne que la reconnaissance de la participation
des combattants a été « partiellement » reconnue par la loi du 9 décembre
1974. Mais elle considère que l’expression « opérations de maintien de
l’ordre » est euphémisée, « à l’image de l’occultation de l’histoire du régime
de Vichy jusqu’au milieu des années 1970 ». La commission préconise donc
de reconnaître officiellement le terme « guerre », déjà utilisé dans le langage
courant. La proposition de loi est discutée en première lecture le 10 juin
1999. Alain Néri, rapporteur de la commission culturelle, souligne que cette
loi a une portée symbolique sans qu’il soit besoin d’y ajouter des mesures
matérielles. La discussion sur le texte fait preuve d’un grand consensus. La
loi est d’ailleurs adoptée à l’unanimité des 117 votants. Au Sénat, Marcel
Lesbros présente le rapport no 499 du 29 septembre 1999 au nom de la
commission des affaires sociales soulignant qu’elle a adopté à l’unanimité la
proposition de loi votée à l’Assemblée nationale, et a rejeté deux autres
propositions sensiblement identiques. Le texte est adopté définitivement par
le Sénat le 5 octobre 1999. La loi no 99-882 du 18 octobre 1999 paraît au
Journal officiel le 20 octobre 1999. Depuis, l’expression « guerre d’Algérie »
s’est largement imposée, même si celle de « guerre d’indépendance
algérienne » est aussi utilisée.
Tramor QUEMENEUR
Archives : Documents parlementaires.

LOI DU 23 FÉVRIER 2005


Cette loi porte « reconnaissance de la Nation et contribution nationale en
faveur des Français rapatriés* ». Elle vient compléter une série de textes
créant des dispositifs en faveur des Français d’Algérie, des anciens harkis* et
de leurs descendants. La toute première loi concernant les Français d’Algérie
date du 26 décembre 1961, alors que, sans en anticiper l’ampleur, des
arrivées étaient prévues, sur la foi des indépendances précédentes, en
Tunisie* et au Maroc*. Les anciens harkis et leurs descendants ont pour leur
part attendu 1994 pour bénéficier d’un vaste plan. Pour l’essentiel, dans ses
articles 6 à 13, la loi du 23 février 2005 revoit les modalités d’attribution
d’allocations, bourses, aides et indemnisations dont ces populations peuvent
bénéficier. Une étude de la formation, de l’emploi et du logement* des
descendants de harkis est également prévue.
La loi débute cependant par cinq articles symboliques. L’article 1
exprime à ces populations la « reconnaissance » de la « nation » pour
« l’œuvre accomplie » dans les « anciens départements d’Algérie, au Maroc,
en Tunisie et en Indochine* » ainsi que pour leurs « souffrances » et
« sacrifices ». Par l’article 2, leurs morts et disparus sont associés à
l’hommage national rendu, chaque année, le 5 décembre, aux « combattants
morts pour la France en Afrique du Nord ». L’article 5 proscrit « toute injure
ou diffamation » visant les ex-harkis et « toute apologie » des crimes commis
contre eux après le cessez-le-feu du 19 mars 1962*.
Restent les articles 3 et 4. Ce dernier indique : « Les programmes de
recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-
mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les
programmes scolaires* reconnaissent en particulier le rôle positif de la
présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à
l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces
territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. » Cet article résulte d’un
amendement porté par les tenants d’une droite nostalgique de l’Algérie
française ne craignant pas de défendre l’OAS*. Il est immédiatement et très
largement contesté, d’autant plus qu’il intervient dans un contexte plus global
de discussion sur les lois mémorielles, ces lois qui, au nom de la mémoire, se
prononcent sur l’écriture de l’histoire. Chez les historiens protestataires,
conduits par Claude Liauzu, il s’agit avant tout de défendre les libertés
académiques. Aussi la protestation fait largement consensus. Cette
mobilisation est prolongée, dans la société civile, notamment en Martinique
où la défense d’un « rôle positif » de la colonisation fait scandale. Un
Collectif contre la loi de la honte contraignant le ministre de l’Intérieur,
Nicolas Sarkozy*, à annuler une visite prévue dans l’île, Jacques Chirac*,
président de la République, finit par saisir le Conseil constitutionnel. Ainsi
est annulé le 2e alinéa de l’article contesté, sur les programmes scolaires.
Toute allusion au « rôle positif de la présence française outre-mer » disparaît
donc.
L’article 3 a été très peu dénoncé même si une tribune s’y opposant est
parue dans Le Monde*, le 5 octobre 2007, signée par Omar Carlier*, Jean-
Charles Jauffret*, Gilles Manceron, Gilbert Meynier*, Éric Savarèse et
Sylvie Thénault. Cet article crée « une fondation pour la mémoire de la
guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie », susceptible
d’intervenir dans le domaine historique. Elle a finalement été installée en
2010, aux Invalides, sous l’égide d’organisations patriotiques, vouées à la
défense de la mémoire des combattants et des morts pour la France : l’Union
des blessés de la face et de la tête (UBFT), la Fédération nationale André
Maginot (FNAM) et le Souvenir français. En 2013, un conseil scientifique,
au rôle consultatif, a été formé. Présidé par l’historien, professeur émérite,
Jacques Frémeaux*, il compte trois universitaires sur 18 membres (Julie
d’Andurain, François Cochet, Olivier Dard). Pour le reste, il comprend des
militants associatifs, des auteurs de thèses soutenues ou en cours, des
chercheurs de statut militaire, des membres d’institutions comme l’Office
national des anciens combattants (Onac). L’élément militaire pèse donc sur
cette fondation qui, dotée d’un budget conséquent, est aujourd’hui une source
de financement pour les éditeurs et les documentaristes. Les conditions de sa
création et son organisation en font pourtant une institution qui ne satisfaisait
pas aux normes régissant l’activité de la recherche. Il est étonnant que le
rapport rendu par Benjamin Stora* en janvier 2021 ne mentionne pas
l’existence de cette fondation ni le problème majeur qu’elle pose. La
fondation a en effet un statut associatif qui la met à l’abri de toute mesure
émanant des pouvoirs publics. Elle reste néanmoins hébergée aux Invalides.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Romain Bertrand, Mémoires d’Empire. La controverse autour du
« fait colonial », Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2006 • Claude Liauzu et
Gilles Manceron (dir.), La Colonisation, la loi et l’histoire, Syllepse, 2006.

LORILLOT, GÉNÉRAL HENRI (1901-1985)


Né en 1901, Henri Lorillot est élève de la promotion « Garde au Rhin »
de Saint-Cyr. Affecté au service des affaires indigènes du Maroc*, il participe
à la guerre du Rif. Il fait ensuite la campagne d’Afrique du Nord. Volontaire
pour l’Indochine*, il dirige les forces armées françaises du Sud-Annam et des
Hauts-Plateaux. Lorillot connaît bien l’armée d’Afrique et les troupes
coloniales en particulier. Il est ensuite muté à la tête de la direction des plans
et opérations au commandement suprême de l’Otan avant d’être désigné pour
prendre, à la suite du général Cherrière*, la tête de la 10e Région militaire
(Algérie) entre juin 1955 et novembre 1956. À peine en poste, Henri Lorillot
durcit sensiblement la politique répressive en Algérie, notamment la
législation contre les déserteurs algériens rejoignant le FLN*. Bien qu’ayant
interdit les « exactions » à la troupe, il fait appliquer l’instruction
gouvernementale du 1er juillet 1955 prescrivant « l’utilisation des moyens les
plus brutaux […] sans délai » contre les nationalistes, en particulier
l’ouverture du feu « sur tout suspect qui tente de s’enfuir ». Cette instruction
est lourde de conséquences, les « fuyards abattus » se multipliant dans toute
l’Algérie, camouflant autant d’exécutions sommaires*. Il organise la violente
répression du soulèvement du 20 août 1955* à Philippeville, et ordonne « aux
cadres et aux troupes de conduire les opérations avec rigueur ». C’est
également sous son commandement que le service d’action psychologique*
est créé en Algérie et que sont posées les bases de l’architecture du système
de renseignement et de détention. Le 22 octobre 1956, il appuie le
détournement* de l’avion transportant les chefs du FLN, initiative militaire
sabordant pour longtemps toute possibilité de négociations* politiques entre
la France et le FLN, mettant le gouvernement devant le fait accompli. Bien
que partisan et artisan d’une dure répression de la révolution algérienne, il est
remplacé, dès novembre 1956, par le général Salan*. Il devient brièvement
chef d’état-major des armées en remplacement du général Ély*,
démissionnaire en mai 1958, qui reprendra son poste quelques semaines plus
tard, une fois de Gaulle* au pouvoir. Sans être acteur des conjurations qui
agitent l’armée française, il est farouchement opposé à la politique algérienne
du Général.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018 •
Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant, Pouvoir politique et
autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes, institutions, 1945-
1962, L’Harmattan, 2002.

LOUP, ELIETTE (NÉE EN 1934)


Eliette Loup se définit comme une pied-noir* aux pieds nus pour rappeler
sa condition sociale dans l’Algérie coloniale et sa proximité avec les
« indigènes ». Elle est née en 1934 à Birtouta où sa famille, originaire
d’Espagne, exploite une grande ferme prospère. Elle grandit à l’ombre d’une
mère progressiste, proche des idées du PCA*. Après l’obtention du
baccalauréat, Eliette Loup s’inscrit à l’université d’Alger* en économie. En
1953, elle adhère au PCA, elle déclare dans un entretien avec D. Amrane-
Minne* (1994) : « C’était pour moi une voie vers la recherche d’une justice
sociale et raciale. » Elle travaille à l’imprimerie du PCA avec André Moine*
et Ahmed Akkache avant d’entrer en clandestinité à la suite de l’interdiction
du parti, en septembre 1955. Elle assure les liaisons avec l’organisation du
FLN*. Elle est arrêtée le 2 avril 1957 lors d’un contrôle d’identité, à Alger.
Elle n’échappe pas aux atrocités de la torture* durant quatre jours, à la villa
Sésini* où sévit le capitaine Faulques. Grâce à sa culture politique, elle
résiste aux menaces pour lui arracher des renseignements. Le 12 avril, Eliette
Loup est transférée à la prison* de Barberousse. Là, elle rencontre d’autres
combattantes dont Anna Gréki, Jacqueline Guerroudj*, Louisette Ighilahriz*,
avec qui elle partage le même combat, une détermination mais aussi
l’humiliation et l’angoisse obsessionnelle des exécutions de condamnés à
mort. Elle parle de la prison comme d’un lieu de cohésion et de solidarité
entre les combattantes à qui elle témoigne son affection dans un article publié
en 1961 dans l’organe du PCA, Al Houriya (Liberté) : « Serkadji. Quartier
des femmes ».
En novembre 1958, elle est condamnée par le tribunal militaire à trois ans
d’emprisonnement qu’elle purge en partie en Algérie et en France. Libérée à
la suite d’une remise de peine décidée par le général de Gaulle*, elle est en
résidence surveillée à Rennes et regagne l’Algérie avec de faux papiers
fournis par le parti. Elle reprend ses activités clandestines pour le PCA. À
l’indépendance, elle opte pour la nationalité* algérienne et épouse le
dirigeant communiste Sadek Hadjerès* qui entre dans une clandestinité
profonde en 1965. Ils se voient donc très peu et divorcent en 1989. Elle élève
seule ses trois enfants, tout en enseignant le français. Installée en Algérie, elle
ne regrette en rien son engagement, conçu comme un devoir, une mission
dictée par sa conscience.
Karima RAMDANI
Bibl. : Danièle Djamila Amrane-Minne, Des femmes dans la guerre
d’Algérie, Karthala, 1994. Andrée Dore-Audibert, Des Françaises d’Algérie
dans la guerre de libération. Des oubliées de l’histoire, Karthala, 1995 •
René Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux et question nationale.
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, L’Atelier, 2006.

LYON
De 1954 à 1962, Lyon est une ville en guerre. En premier lieu, elle est
mobilisée pour l’Algérie française. Ainsi, son maire, Édouard Herriot, répond
à une proposition du mouvement national des élus locaux : parrainer Oran, où
ses parents sont enterrés. Scellé en 1956, ce parrainage permet d’aider et
secourir la ville algérienne. Il se double, en 1959, d’un jumelage entre le
département du Rhône et celui des Oasis. Des usines lyonnaises augmentent
également leur mainmise en Algérie. Berliet ouvre des usines à Rouiba,
Alger, Constantine et Ouargla, fabrique des châssis adaptés au désert et des
« pétroliers roulants » afin de mettre en valeur les richesses découvertes dans
le Sud algérien. À cette action portée par le slogan « L’Algérie c’est la
France » s’en ajoute une plus militaire. Lyon soutient ses jeunes appelés
envoyés en Algérie, par des colis de Noël. Elle accueille aussi leurs
dépouilles et organise des cérémonies collectives lorsqu’ils tombent en
opération. En mars 1958, par exemple, édiles et personnalités se rassemblent
autour d’un soldat « mort pour la France à Sakiet ».
En second lieu, la ville est gagnée directement par la guerre. Depuis
1947, elle accueille une communauté algérienne toujours plus fournie et
familiale si bien qu’en 1962 15 000 hommes et 1 200 femmes y vivent, dans
des « médinas » (Part-Dieu, Guillotière, Croix-Rousse), des bidonvilles
(Gerland), des rues réservées (la rue Mercière), ou dans les poches pauvres de
la ville. À partir de 1954, cette population se politise, intègre les partis
nationalistes (FLN* et MNA*), lance des grèves*, distribue des journaux
militants, entre dans la clandestinité. La municipalité et la préfecture du
Rhône tentent de la contrôler. Par exemple, la mairie soutient la Maison de
l’Afrique du Nord, institution parapublique créée par l’épouse du préfet.
Ceux qui ont recours à ses services (social, médical, travail, accueil et
hébergement) sont étroitement surveillés. La ville est en outre quadrillée par
des services d’assistance technique (SAT) destinés à exercer un contrôle
capillaire sur les Algériens.
La société est alors profondément divisée. La communauté algérienne,
d’abord : les deux partis nationalistes ont fait de Lyon leur QG pour le Sud-
Est et y prélèvent l’impôt révolutionnaire. La guerre* entre le MNA et le
FLN double celle que le FLN livre à la France en s’en prenant à la police* et
aux infrastructures économiques, notamment à l’automne 1958. La lutte
FLN-MNA, l’une des plus sanglantes et durables, se solde à Lyon par des
centaines de morts. Aux assassinats entrepris par le groupe de choc FLN des
« étrangleurs de la Doua » (Villeurbanne) en 1958 répond ainsi le massacre
de huit frontistes par un groupe messaliste en 1959, qualifié à l’époque de
« Saint-Barthélémy villeurbannaise ». Le MNA, tôt mis en minorité, se
regroupe autour de quelques foyers-garnis érigés en forteresses, formant une
sorte d’archipel, dont le 69 rue Mazenod est le plus célèbre. Une autre
division traverse la population lyonnaise. Les irréductibles de l’Algérie
française s’organisent à travers l’association des combattants de l’Union
française par exemple. Certains vont jusqu’à intégrer l’OAS* fin 1961 et
lancent une série d’attentats. En face, une part de plus en plus massive de la
population soutient la cause algérienne (manifestation* pour la paix le
27 octobre 1957, anti-OAS début décembre 1961). Certains (étudiants*
notamment) entrent dans des réseaux clandestins. Une des particularités
lyonnaises semble être l’action efficace de nombreux prêtres dont ceux du
Prado* soutenus par le cardinal Gerlier. Face à la guerre FLN-MNA, aux
attentats et aux réseaux clandestins, une intense répression policière et
judiciaire se déploie : le tribunal correctionnel examine 25 cas d’atteinte à
l’intégrité du territoire national en 1956, 367 en 1958, 234 en 1960, et le
tribunal militaire de Lyon est l’un des plus durs de métropole. Onze
exécutions capitales, décidées en dernier ressort par le chef de l’État, ont eu
lieu à Lyon, chiffre sans équivalent ailleurs en France.
Avec l’indépendance, Lyon doit intégrer 25 000 rapatriés* d’Algérie.
Forte de cet accueil, elle est le siège de trois congrès annuels de l’Association
nationale des Français d’Afrique du Nord et d’Outre-Mer et de leurs amis
(Anfanoma). La guerre laisse des traces dans de multiples mémoires
douloureuses qui rejaillissent régulièrement depuis le rapatriement du
monument aux morts* d’Oran installé à la Duchère jusqu’aux conflits
mémoriels autour du Mémorial de Montluc*.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Marc André, Femmes dévoilées. Des Algériennes en France à l’heure
de la décolonisation, Lyon, ENS Éditions, 2016 • Paul-Marie Atger, « Le
mouvement national algérien à Lyon. Vie, mort et renaissance pendant la
guerre d’Algérie », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 104, no 4, 2009 •
Béatrice Dubell, Marianne Thivend et Arthur Grojean (dir.), Récits
d’engagement. Des Lyonnais auprès des Algériens en guerre, 1954-1962,
Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012.
M

MACRON, EMMANUEL (NÉ EN 1977)


En 2016, les premières déclarations d’Emmanuel Macron au Point, tout
en parlant d’« éléments de barbarie » et de « civilisation », créditent la
colonisation de l’« émergence d’un État » en Algérie. En qualifiant ensuite
cette même colonisation de « crime contre l’humanité* », il adopte une
position autrement radicale, qu’il doit nuancer. Le 9 mars 2017, il précise, sur
France Culture, que « toutes celles et ceux qui ont eu à voir avec la
colonisation » ne sont pas « des criminels contre l’humanité ». Une fois élu, il
finit, le 13 septembre 2018, par reconnaître la responsabilité de l’État dans les
disparitions*, à travers la célèbre figure de Maurice Audin*. Il annonce
ensuite l’ouverture partielle des archives* publiques françaises concernant les
disparus, ce qui par ailleurs aboutit à un arrêté d’ouverture des archives
policières et judiciaires, le 22 décembre 2021. Confiant à Benjamin Stora* un
rapport visant à la « réconciliation » des mémoires, Macron marque son
quinquennat d’une série de mesures connue sous l’expression « politique des
petits pas » : déclarations et cérémonies s’adressent autant aux harkis* qu’aux
rapatriés* français d’Algérie et aux victimes du 17 octobre 1961*. D’abord
conçue envers l’Algérie avec, en 2020, la restitution de crânes d’insurgés
conservés au musée de l’Homme, cette politique est restée interne, à l’heure
où ces lignes sont écrites, faute de répondant officiel de l’autre côté de la
Méditerranée. Le président Tebboune avait pourtant désigné de son côté
Abdelmadjid Chikri, directeur des Archives nationales. Entre les deux États,
le passé a alimenté un contentieux régulièrement réactivé même s’il pouvait
être mis en sommeil au nom d’enjeux supérieurs. Il est un levier dans des
relations obéissant à bien d’autres impératifs. En 2020-2022, ainsi, les
tensions entre l’Algérie et le Maroc* se répercutent sur les relations algéro-
françaises, Alger reprochant à Paris de trop soutenir son voisin maghrébin.
Que Macron soit le premier président né après la guerre (en 1977) ne
suffit pas à comprendre son volontarisme. Il appartient en effet à une
génération globalement sensibilisée aux enjeux de mémoire. Outre qu’il se
réclame de Paul Ricœur, ses années de formation à l’IEP de Paris, ont
coïncidé avec le débat public sur la torture*, en 2000-2001. Le « devoir de
mémoire », légitimé pour la Seconde Guerre mondiale, « ne devrait connaître
aucune discrimination d’époque et de lieu », affirmait alors l’« Appel des
douze* » dans L’Humanité*, qui a rencontré un large écho. Depuis, les
politiques présidentielles ont peu à peu évolué, en particulier avec Chirac* et
Hollande*. Le premier quinquennat de Macron marque néanmoins une
accélération, dans laquelle Benjamin Stora joue un rôle essentiel.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Magalie Besse et Sylvie Thénault (dir.), Réparer l’injustice : l’affaire
Maurice Audin, IFJD, 2019 • Benjamin Stora, France-Algérie. Les passions
douloureuses, Albin Michel, 2021 • Sylvie Thénault, « Les débats historiques
ne se plient pas aux appartenances nationales », Le Monde, 17 octobre 2022.

« MAGHREB CIRCUS » (LE)


Mentionné par plusieurs figures du journalisme (Jean Daniel, Guy Sitbon,
Béchir Ben Yahmed), le « Maghreb Circus » désigne un groupe de
correspondants couvrant la guerre depuis Tunis. Cette dernière acquiert en
effet le statut de véritable capitale internationale où cohabitent responsables
politiques, diplomates et journalistes, à partir de 1958, quand le GPRA* s’y
installe, au 14 rue des Entrepreneurs.
Face aux difficultés à couvrir la guerre depuis Alger, les principales
rédactions françaises et internationales y missionnent des correspondants
permanents : Guy Sitbon, Le Monde* ; Jean Daniel, L’Express ; Albert-Paul
Lentin, France Observateur ; Jean-François Chauvel, Le Figaro* ; Robert
Lambotte, L’Humanité* ; Marcel Niedergang, France Soir ; Thomas Brady,
The New York Times ; John Wilson, The Observer ; Andrew Boroviek,
Associated Press ; Arslan Humbaraci, The Economist… Michel Leleu,
Claude Imbert ou Claude Wauthier s’y relaient pour l’AFP.
Ils bénéficient ainsi des déclarations et conférences de presse du GPRA,
des confidences des membres du FLN* et des autorités tunisiennes. Ils
circulent à Alger, Tripoli, Rabat ou Paris, accompagnent certains membres du
GPRA dans leurs déplacements et couvrent la crise de Bizerte en 1961.
Étroitement connectés au milieu de la presse tunisienne, certains collaborent
à des titres locaux (Guy Sitbon assure l’éditorial de La Presse de Tunisie) ou
gravitent, comme Josette Alia, dans l’entourage d’Afrique Action lancé par
Béchir Ben Yahmed en 1960. El Moudjahid, La Voix de l’Algérie et le
bulletin Algérie presse service, lancé par le GPRA en décembre 1961,
constituent pour eux d’autres sources qu’ils partagent et commentent au bar
du Tunisia Palace, sur la plage de Gammarth ou lors des fêtes organisées
presque chaque soir dans les villas de Thomas Brady ou de Jean Duvignaud.
Ainsi se forme une petite communauté résidant généralement à Sidi Bou
Saïd.
Leurs sources assoient leur crédibilité, en dépit d’attaques les dénonçant
comme des porte-voix de la propagande* du FLN. Utilisé par ses détracteurs,
le terme « Maghreb Circus » est repris par les concernés tant il traduit
l’ambiance de leur microcosme, où se sont forgées des solidarités
professionnelles durables. Tous racontent le sentiment étrange d’être au cœur
de l’événement, de couvrir la mort et les drames de la guerre, tout en étant
protégés de la censure* et des combats dans une atmosphère de bains de mer
et de fêtes nocturnes. Si elle relève sans nul doute d’une forme de
mythologie, l’expression recouvre aussi, à sa manière, une expérience
singulière de la guerre.
François ROBINET
Bibl. : Jean Daniel, Le Temps qui reste. Essai d’autobiographie
professionnelle, Gallimard, 1973.

MAGISTRATS
Les magistrats sont massivement impliqués dans la guerre, en Algérie
comme en métropole. Non seulement ils participent à la répression des
nationalistes mais ils sont mobilisés pour exercer des fonctions nouvelles.
Avec l’état d’urgence* puis les pouvoirs spéciaux, en effet, les
gouvernements français organisent la traduction en justice des partisans de
l’indépendance, pour « atteinte à la sûreté de l’État », « association de
malfaiteurs », « assassinat », « détention d’armes et de munitions de
guerre », etc. En Algérie, de 1955 à 1960, les magistrats instruisent les
affaires, siègent dans les tribunaux correctionnels qui jugent les actes
qualifiés de « délits » tandis que les « crimes » sont jugés par les tribunaux
permanents des formes armées (TPFA). À partir de 1960, les juges
d’instruction sont remplacés par des procureurs militaires et les TPFA jugent
toutes les affaires. Ces procureurs militaires sont des magistrats appelés ou
rappelés sous les drapeaux. Les magistrats président par ailleurs les TPFA qui
se composent de militaires. En métropole, la répression reprend le principe
d’une instruction menée dans les parquets, suivie d’une traduction devant les
tribunaux correctionnels en cas de « délit ». En cas de « crimes », les cours
d’assises restent compétentes jusqu’en 1958, puis les TPFA les remplacent.
Dans la colonie, la justice est acquise à la défense de l’Algérie française.
Les magistrats en sont natifs pour l’essentiel (57 % dans la justice pénale,
43 % dans les justices de paix, en 1957). Ils occupent en outre les plus hautes
fonctions : procureur général et avocat général d’Alger, procureurs et
substituts, présidents et vice-présidents. Ces hommes jouent leurs destins
personnels dans l’instruction et les procès. Les natifs de métropole sont
évidemment moins touchés personnellement mais, « phagocytés » par le
milieu colonial, pour reprendre le mot de l’un d’eux, s’étant parfois mariés
sur place et installés depuis plusieurs années, ils adhèrent aussi à l’Algérie
française. Signe de ce parti pris : Paul Susini, procureur général d’Alger en
1954, refuse de réprouver la torture*. Au contraire, son successeur, envoyé de
métropole, Jean Reliquet, en poste de 1956 à 1958, se fait remarquer par son
attachement aux prérogatives de la justice et son indépendance à l’égard de
l’armée comme du pouvoir politique. Il s’élève contre les arrestations
effectuées par les parachutistes* à Alger en 1957 et préconise la sanction des
tortionnaires. Accusé de faire le jeu de l’adversaire, il souffre alors de
relations exécrables tant avec Massu* qu’avec Lacoste*. Reliquet adhère
pourtant sans réserve à la lutte contre les nationalistes. En 1958 lui succède
André Rocca, dont le fils est un fidèle de Michel Debré*, qui s’illustre par ses
positions pro-Algérie française. Au fait des blocages locaux, Edmond
Michelet*, ministre de la Justice en 1959-1961, fait transférer en métropole
plusieurs plaintes déposées en Algérie par des victimes de la torture.
Les penchants de ce personnel judiciaire gagnent en visibilité dans les
deux dernières années de la guerre, lorsque les partisans de l’Algérie
française se mobilisent contre la politique gaulliste et tombent à leur tour sous
le coup de la loi. En 1960, pour cette raison, André Rocca est remplacé par
Robert Schmelk, qui est un homme de confiance pour le pouvoir gaulliste ; il
arrive directement du ministère de la Justice. Il est d’ailleurs arrêté lors du
putsch* de 1961, lequel aboutit à seize sanctions parmi les magistrats
d’Algérie. Face à l’OAS*, ensuite, des métropolitains dignes de confiance
sont nommés en Algérie, de la même façon qu’un détachement de police*
judiciaire (la mission C) est envoyé de métropole.
Celle-ci est le siège d’une évolution majeure. Après la Seconde Guerre
mondiale, en effet, a été formée la première organisation professionnelle
importante, d’essence corporatiste, l’Union fédérale des magistrats (UFM).
Tentés par la transformation de l’UFM en syndicat, ses membres prônent une
conception nouvelle du rôle du juge dans la société, centrée sur la défense des
libertés et l’affranchissement du pouvoir politique. Ils souhaitent notamment
la création d’une école de la magistrature, qui aboutit avec le Centre national
des études judiciaires (CNEJ), en 1959. En 1968, la naissance du Syndicat de
la magistrature résulte de multiples transformations de la profession
(modifications sociologiques, avec l’élargissement de l’assise sociale du
recrutement des magistrats, formation d’une identité professionnelle
nouvelle…). La conjoncture de la Guerre d’indépendance algérienne s’y
ajoute cependant. Pour nombre de premiers adhérents du Syndicat de la
magistrature, elle a occasionné une crise de conscience décisive dans leur
engagement.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Joël Ficet, « Regard sur la naissance d’un militantisme identitaire :
syndicalisme judiciaire, identités professionnelles et rapport au politique dans
la magistrature française, 1945-1986 », Droit et société, no 73, 2009 • Sylvie
Thénault, Une drôle de justice, les magistrats dans la guerre d’Algérie,
La Découverte, 2001.

MAHSAS, AHMED, DIT ALI (1923-2013)


Natif d’Alma, Ahmed Mahsas fait partie des jeunes acquis à l’idée
nationale dans la section du PPA* de Belcourt à Alger, au cours de la
Seconde Guerre mondiale. À la suite du congrès du parti de février 1947, il
devient membre du comité central et dirige la wilaya de Constantine avant de
rejoindre les rangs de l’Organisation spéciale* (OS). Arrêté lors de la
découverte de cette dernière, il est condamné à cinq ans pour complicité dans
le hold-up de la poste d’Oran* mais réussit à s’évader de la prison* de Blida
en compagnie de Ben Bella* en mars 1952. Il quitte l’Algérie pour la France
où il continue à militer clandestinement sous le nom de Haouassi M’barek au
sein de la Fédération de France*. Il se montre réservé par rapport au Crua,
non pas qu’il récuse le passage à la lutte armée mais par souci de préserver
l’unité du parti dont il était un permanent. Cette attitude lui vaudra une vive
rancune de la part de Boudiaf* et explique son absence du groupe des
pionniers de Novembre 1954.
Au printemps 1955, il quitte la France pour Le Caire où séjourne la
délégation extérieure du FLN* au Caire. Proche de Ben Bella, il en partage
les agissements. C’est ainsi qu’il se trouve impliqué dans la lettre adressée à
Bachir Chihani*, chef intérimaire de l’Aurès, où sont critiqués sans
ménagement Khider*, Aït Ahmed*, les réformistes de l’UDMA* et
l’AUMA*. Cette lettre récupérée lors de la bataille de Djorf et publiée par la
presse* met à mal la délégation extérieure.
À Tunis où il est mandaté par Ben Bella pour assurer
l’approvisionnement des maquis en armes, Mahsas sème la zizanie tant avec
les premiers représentants du FLN (Idara) qu’avec les émissaires désignés
par le CCE* issu du congrès de la Soummam*. Pour calmer le jeu, le CCE
préconise sa désignation comme suppléant au CNRA* avant de donner
l’ordre à Ouamrane*, au printemps 1957, de le combattre avec l’appui de la
garde nationale tunisienne. Mahsas réussit à échapper à une liquidation
probable et se réfugie en Allemagne. De retour à l’indépendance de l’Algérie,
Mahsas occupe divers postes, dont ceux de ministre de l’Agriculture et de
député. Lors du coup d’État du 19 juin 1965 du colonel Boumediene*, il est
membre du Conseil de la révolution. Une année plus tard, à la suite d’un
désaccord avec Boumediene, il prend la route de l’exil pour ne revenir en
Algérie qu’en 1981.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Ouanassa Siari Tengour, « Le
courrier Abane Ramdane-Lakhdar Ben Tobbal », El Watan, 2 septembre
2015.

MAILLOT, HENRI (1928-1956)


Henri Maillot est né le 21 janvier 1928 à Alger dans une famille
communiste. Lui-même intègre les Jeunesses communistes d’Algérie (JCA)
début 1943. En 1947, il devient le secrétaire du Cercle La Redoute-
Birmandreis de l’Union de la jeunesse démocratique d’Algérie (ex-JCA) et
est membre du bureau national. Diplômé de l’École supérieure de commerce
d’Alger, il devient comptable. À partir d’avril 1948, il effectue son service
militaire* à Maison-Carrée, puis rejoint l’École des élèves sous-officiers* de
Cherchell et enfin l’École d’application du train à Tours, lui permettant de
devenir aspirant. Après son service, il fait partie de la délégation au Festival
mondial de la jeunesse à Budapest en 1949. Licencié de sa nouvelle
entreprise Mobil-Oil pour y avoir fondé une section de la CGT*, il est
embauché par l’imprimerie du PCA*. En 1954, il devient le comptable du
journal Alger républicain*. Henri Maillot devient partisan de la lutte armée à
partir d’août 1955, après avoir assisté à la répression de l’insurrection du
Nord-Constantinois. Choqué, il écrit un article qui est censuré. Il commence
une activité clandestine avec le PCA, qui est interdit à partir de
septembre 1955, mais est rappelé sous les drapeaux en octobre à Miliana.
Confiné dans des tâches administratives, il s’occupe du matériel mais aussi
des armes et des munitions. Dès décembre 1955, Henri Maillot projette de
dérober des armes. Une première tentative échoue en février 1956.
L’opération se déroule finalement le 4 avril : Henri Maillot détourne le
camion chargé d’armes dans la forêt de Baïnem, près d’Alger, et un
commando du PCA s’empare des 268 armes et de leurs munitions. L’aspirant
déserteur est caché en divers lieux, notamment par des prêtres. Les
Combattants de la libération* (CDL), organisation clandestine du PCA,
revendiquent sa désertion dans un tract du 6 avril. Cette désertion est
largement désapprouvée tant en métropole qu’en Algérie, même auprès des
communistes. De nombreux articles le qualifient de traître ou de félon.
Condamné à mort par contumace pour « désertion à l’ennemi » dès
avril 1956, il est très activement recherché. Les armes qu’il a emportées sont
en grande partie livrées au FLN*. En contrepartie, le PCA peut continuer à
avoir une activité autonome : il a ainsi créé un « maquis rouge » dans la
région d’Orléansville. Henri Maillot rejoint ce maquis mi-mai 1956. Les
maquisards effectuent une action armée le 3 juin à Beni Rached, Henri
Maillot refusant de participer à l’exécution de plusieurs personnes. Le groupe
fuit dans le massif des Beni Boudouane où il est repéré. Henri Maillot et
quatre autres maquisards trouvent la mort dans un accrochage avec l’armée
française le 5 juin 1956. Il est enterré à Alger.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Serge Kastell, Le Maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre
d’Algérie. 1956, L’Harmattan, 1997 • Tramor Quemeneur, « Une guerre sans
“non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français
pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora,
Paris-8, 2007.

MAIRES (ALGÉRIE)
L’inégalité qui régit la vie politique en Algérie fait des maires les
représentants des intérêts de la minorité française. L’organisation communale
distingue en effet les communes mixtes, confiées à des administrateurs
nommés, et les « communes de plein exercice » (CPE) dotées d’un conseil
municipal et d’un maire, comme en métropole. Les CPE ont été formées sur
des secteurs de peuplement européen. Officiellement, au moment de la
guerre, elles comptent 934 487 Français d’Algérie (soit la quasi-totalité) et
seulement 3 189 908 « musulmans » (sur un total de 8 millions). Ainsi la
majorité des « musulmans » vit dans les communes mixtes, sans
représentation élective. Dans les CPE, en outre, leur représentation est
minorée par le double collège* électoral. Le premier collège, correspondant
en très grande majorité aux Français d’Algérie, dispose de trois cinquièmes
des sièges. Il contrôle ainsi la désignation du maire.
Les maires sont organisés en trois associations départementales,
chapeautées par une association centrale à l’échelle de la colonie. À travers
elles, ils s’engagent particulièrement contre tout projet de réforme politique.
Dans l’entre-deux-guerres, ils mènent une campagne virulente contre le projet
Blum-Viollette qui prévoit l’extension des droits civiques des « musulmans »
(une vingtaine de milliers d’entre eux auraient pu accéder au premier collège
d’électeurs). Après la Seconde Guerre mondiale, Amédée Froger* donne une
impulsion nouvelle à la Fédération des maires d’Algérie (aussi appelée
« Interfédération »). Elle fournit « un cadre, un lien, une voix aux maires
épars sur notre territoire », clame-t-il. Il se fait en outre élire vice-président de
l’Association des maires de France en 1948. Ainsi il affirme le rattachement
de l’Algérie à la France et au-delà. La Fédération se fait représenter au
Conseil des communes d’Europe en 1953 et 1954 et elle diffuse son
magazine dans les deux protectorats voisins (Maroc*, Tunisie*).
Tous les maires ne s’y reconnaissent pas cependant. Membre de
l’association, Jacques Chevallier*, le maire libéral d’Alger, y représente un
courant minoritaire. Après une crise interne en 1955, qui conduit à
l’élimination de toute contestation, la Fédération des maires est à la pointe
des mobilisations contre la politique de Guy Mollet*, en particulier le
6 février 1956, lors de la fameuse « journée des tomates* ». Elle menace de
fermer les mairies pour faire pression sur le pouvoir. En 1960 encore, au
moment des barricades, la Fédération des maires du département d’Alger
adopte une motion menaçante pour le pouvoir : « Il faut qu’il sache que la
volonté du peuple d’Algérie est de rester français, et qu’il l’exprimera par
tous les moyens, même en prenant les armes s’il le faut », dit-elle à
de Gaulle*, selon Le Monde* de l’époque.
Vu ce bras de fer, l’un des enjeux des réformes pendant la guerre est de
battre en brèche le pouvoir de ces élus locaux arc-boutés sur le statu quo
colonial. Progressivement, les conseils municipaux sont dissous et remplacés
par des « délégations spéciales » aux prérogatives limitées à la gestion des
affaires courantes, dans l’attente de nouvelles élections*. Parallèlement, les
communes mixtes gérées par un administrateur nommé sont aussi
supprimées. Un objectif guide l’ensemble des mesures adoptées : réorganiser
les communes et les doter d’instances plus représentatives. Les élections
doivent se faire au collège unique et les conseils municipaux ne doivent plus
réserver qu’un nombre minimal de sièges aux représentants des Français de
l’ex-premier collège – ce nombre minimum est conçu pour pérenniser la
suprématie de la minorité européenne. Contre l’indépendance, il s’agit aussi
de faire émerger des élus « musulmans » à même de soutenir un maintien de
la France en Algérie sous une forme rénovée. Comme tout projet de réforme
de l’Algérie française dans le but de la sauvegarder, le projet ne tient pas
compte des aspirations algériennes à la souveraineté nationale. Le FLN*,
pour sa part, organise le boycott* des institutions* coloniales, sous peine de
représailles envers les récalcitrants. Les élus en fonction au début de la guerre
doivent démissionner et, sauf adoubement du FLN local, la participation aux
délégations spéciales est interdite.
Finalement, un scrutin municipal est organisé en 1959. En 1960, selon
Hartmut Elsenhans, l’Algérie compte 12 104 conseillers municipaux
« autochtones » contre 2 187 « européens ». L’origine des maires est aussi
modifiée : 650 d’entre eux sur 1 200 sont désormais « musulmans ». Ainsi un
personnel politique local, apte à jouer un rôle après l’indépendance, se forme
malgré tout. Concrètement, cependant, les maires ont largement perdu en
pouvoir. En milieu rural, où vivent les trois quarts des Algériens, les SAS*
ont pris les rênes de l’administration locale.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Claude Collot, Les Institutions de l’Algérie à la période coloniale,
OPU-CNRS, 1987 • Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La
transition d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la Ve République,
Publisud, 2000.

MAIREY, RAPPORT
Haut fonctionnaire, directeur de la Sûreté nationale de 1954 à 1957, Jean
Mairey n’est pas issu des rangs policiers. Pierre Vidal-Naquet* souligne sa
formation en histoire (il est agrégé), son passé résistant et son appartenance à
la SFIO* pour comprendre la tonalité critique de ses rapports, rendus aux
gouvernements. Dans son premier rapport, le 20 mars 1955, non publié par
Vidal-Naquet mais conservé dans les archives*, il qualifie le rapport de
l’inspecteur général Wuillaume* de « document ahurissant », qui préconise
de légaliser certains supplices. Au contraire, ayant insisté pour que le
procureur d’Alger reconnaisse « la nécessité de condamner formellement
toute espèce de pratique semblable », Mairey cherche des solutions pour
ramener à la règle la police* d’Algérie.
Le 13 décembre 1955, constatant non seulement que la torture* y est
toujours répandue mais que « l’exécution sommaire* n’effraye pas nos
collègues », son deuxième rapport envisage des mutations réciproques entre
Algérie et métropole. Il faudrait, écrit-il, implanter en Algérie « deux cents
commissaires et inspecteurs métropolitains, destinés à remplacer un nombre
égal de fonctionnaires qui seraient ramenés en France ». Tout concluant que
« l’expérience vaut d’être tentée », il en énumère les difficultés : trouver, en
métropole, des candidats au départ en Algérie ; assurer, dans l’autre sens,
l’intégration des fonctionnaires mutés d’Algérie, sachant que, « choisis parmi
les plus suspects de se livrer à des actes répréhensibles », ils risquent d’être
« mal accueillis » et de contaminer leurs collègues. Rendu peu après, le
2 janvier 1957, son troisième rapport dresse un bilan pessimiste de l’année
écoulée.
Informateur de Vidal-Naquet, Mairey quitte ses fonctions sur un constat
d’échec. Il a néanmoins livré à la postérité une documentation précieuse pour
la connaissance des pratiques policières en Algérie, avant que l’armée n’y
exerce à son tour. « Des policiers continuèrent en effet à torturer jusqu’en
1962 mais déjà leur tâche était, progressivement, reprise en charge par une
autre force : l’armée de la République », conclut Vidal-Naquet de son analyse
conjointe des rapports Wuillaume et Mairey dans La Torture dans la
République.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État, Minuit, 1962 • —, La Torture
dans la République, Minuit, 1972 • —, Mémoires, t. II, Le trouble et la
lumière, 1955-1998, Seuil-La Découverte, 1998.

MAMMERI, MOULOUD (1917-1989)


Il grandit en Kabylie et fréquente l’école française, avant d’accompagner
au Maroc* son oncle qui est précepteur de l’héritier du royaume. Il étudie au
lycée Gouraud à Rabat parmi les rares « indigènes ». Puis il continue au lycée
Bugeaud à Alger. À Paris, il s’inscrit au lycée Louis-le-Grand. Il est mobilisé
pendant la guerre de 1939-1945 puis revient en Algérie et enseigne au lycée,
à Médéa et à Ben Aknoun. Son intérêt pour la culture et la langue kabyles
s’affirme très tôt, bien qu’il soit d’abord connu comme romancier.
En 1969, il est directeur du Crape d’Alger et il enseigne le tamazigh à
l’université et mène des recherches sur la langue et la culture amazighes dans
le Sud, notamment sur l’ahellil (genre musical et poétique) du Gourara. En
1980, il est invité à l’université de Tizi Ouzou, pour une conférence sur la
poésie kabyle. La manifestation est interdite. C’est le début des
revendications culturelles et politiques. Le premier « printemps berbère » et
la grève* de l’université sont réprimés pendant des mois.
Il crée à Paris le Centre d’études et de recherches amazighes (Ceram),
lance la revue* Awal et anime un séminaire sur la langue et la littérature*
amazighes à l’EHESS.
La Colline oubliée (1952) et Le Sommeil du juste (1955) disent la
situation avant 1954 et les attentes de jeunes intellectuels qui ont participé à
la Deuxième Guerre mondiale. L’Opium et le Bâton (1965) est un récit de la
guerre. Il y retrace les hésitations d’un médecin à prendre position alors que
son frère est déjà dans le maquis et relate les exactions que subissent les
villageois.
Si on connaît le romancier et nouvelliste, l’anthropologue, le linguiste et
le traducteur de la littérature amazighe, son engagement dans la lutte de
libération est moins connu. L’intellectuel ne s’en vantera jamais.
Il écrit, sous un pseudonyme, dans L’Espoir-Algérie, revue des libéraux*
dont il est proche. Ses positions sont très claires : il n’y a pas d’autre solution
que la fin de la colonisation. Recherché par les parachutistes*, il se cache
chez des amis à Alger avant de gagner Rabat (1957).
Le document qu’il écrit pour M’hamed Yazid, délégué du CNRA* et du
FLN*, pour la session de l’ONU* (1957) analyse la situation en Algérie,
regroupe des informations et établit l’argumentaire qui sera présenté et qui
fera avancer les revendications algériennes.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Mouloud Mammeri, La Colline oubliée, Plon, 1952 • Tassadit Yacine,
Avec Mouloud Mammeri, textes recueillis et présentés par Hafid Adnani, Non
Lieu-La Croisée des chemins, 2018.

MANDOUZE, ANDRÉ (1916-2006)


Latiniste émérite, ancien résistant, fondateur et premier rédacteur de
Témoignage chrétien, assistant universitaire en 1944 à Lyon* puis à la
Sorbonne, il est affecté à l’université d’Alger* en 1946. Là, ses activités
s’élargissent au-delà de l’enseignement, en lien avec le milieu catholique
algérois, avec entre autres l’abbé Scotto, Mgr Duval*, Pierre Chaulet* et
l’Association algérienne de la jeunesse pour l’action sociale (AAJAS), à la
formation des jeunes, aux questions sociales et à l’engagement politique. Il
est membre du comité directeur d’Alger républicain* en 1950 et est candidat
aux élections* municipales à Alger.
Son engagement contre le colonialisme est d’abord intellectuel,
notamment avec la création de la revue* Consciences algériennes
(décembre 1950-juin 1951) qui devient plus tard Consciences maghribines. Il
est aussi social, en s’appuyant sur les jeunes et certaines élites
communautaires humanistes, afin de développer les solidarités entre
catholiques, juifs* et musulmans contre le racisme* colonial et pour une
société plus juste. Il est enfin politique, en soutenant l’élan d’émancipation
des « musulmans ». Il est président du Comité d’action des intellectuels
algériens pour la liberté et la démocratie puis du Comité algérien de lutte
contre la répression.
Au début de la guerre d’Algérie, André Mandouze se rapproche
davantage de la direction de l’insurrection, notamment de Benyoucef Ben
Khedda* et d’Abane* Ramdane. Consciences maghribines sort au même
moment son numéro 3 sur la misère en Algérie. Il rejoint le Comité contre la
guerre en Afrique du Nord, en apportant le salut de « la résistance
algérienne », lors du meeting de janvier 1956 à la salle Wagram. Menacé de
mort par les ultras, il quitte l’Algérie pour exercer à l’université de
Strasbourg. Une plainte du ministère de l’Intérieur pour atteinte à la sûreté
intérieure de l’État lui vaut un court emprisonnement à la Santé. Il continue
cependant à militer en apportant son soutien au comité Audin*, en étant
signataire du « Manifeste* des 121 » et en publiant La Révolution algérienne
par les textes (Maspero, 1961). L’ouvrage est interdit pendant six mois. C’est
un fervent défenseur d’une « Algérie qui sera révolutionnaire ou ne sera
pas », et milite pour un avenir où la minorité chrétienne y trouvera toute sa
place. En 1963, en lien avec ses amis chrétiens d’Algérie et un autre résistant,
Stéphane Hessel, devenu conseiller diplomatique à Alger, et à la demande
d’Ahmed Ben Bella, il devient recteur de l’université d’Alger. Le coup d’État
de juin 1965 du colonel Boumediene* l’amène à s’éloigner du terrain, bien
qu’il reste très lié à l’Algérie.
Aissa KADRI
Bibl. : René Gallissot, « Mandouze, André », Dictionnaire Maitron Algérie,
disponible en ligne • André Mandouze, Mémoires d’outre-siècle, t. I, D’une
Résistance à l’autre, Viviane Hamy, 1998, et t. II, À gauche toute, bon Dieu !
(1962-1981), Cerf, 2003.

MANIFESTATION DE POLICIERS
(13 MARS 1958)
L’historiographie retient généralement le 13 mai 1958* comme le point
de départ du renversement, en à peine trois semaines, de la IVe République*.
Le « coup d’État d’Alger », favorisé, voire impulsé, par une partie de la
hiérarchie militaire, avait pourtant été précédé, deux mois auparavant, par une
autre démonstration antiparlementariste à l’initiative des forces de l’ordre.
Depuis fin 1957, des policiers parisiens sont attaqués par des commandos
de nationalistes algériens. Une première victime tombe le 11 février 1958,
suscitant une vive émotion et diverses mobilisations dans la profession. Le
13 mars 1958, à l’issue d’un rassemblement houleux où se mêlent
revendications corporatistes et sécuritaires, plusieurs milliers d’agents de la
préfecture de police* se dirigent vers le palais Bourbon devant lequel les
députés sont copieusement injuriés et le régime vilipendé. Quelques
parlementaires, dont Jean-Marie Le Pen*, viennent à leur rencontre afin
d’attiser les braises de ce mouvement potentiellement insurrectionnel. Le
leader syndical des gardiens de la paix parisiens, François Rouve, un
sympathisant communiste, réussit cependant à canaliser la colère et à éviter
que l’Assemblée nationale ne soit investie.
Le rassemblement originel, dans la cour de la préfecture, a donc tourné à
la manifestation interdite et au charivari. Le préfet de police récemment
nommé, André Lahilonne, est démis de ses fonctions. Les autorités de la
IVe République souhaitent un « homme de poigne » à ce poste. C’est dans ce
contexte que Maurice Papon* est rappelé de Constantine où il était Igame.
Des policiers continuent cependant d’œuvrer contre le gouvernement et, les
semaines suivantes, la propagande* gaulliste s’exerce ouvertement dans
certains services. Alors que les autorités pensent avoir ramené le calme, elles
ont perdu le soutien des forces de l’ordre. Ainsi, le 29 mai 1958, quand la
cour du palais Bourbon est envahie par des centaines de manifestants des
comités de salut public de la région parisienne, des parlementaires interloqués
et demandant le soutien d’agents de la préfecture de police se virent
rétorquer : « Circulez plus vite que ça. On vous a assez vus ! »
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens, Nouveau
Monde, 2011 • —, « Quand les forces de l’ordre défient le palais Bourbon
(13 mars 1958) », Genèses, no 83, 2011 • Merry Bromberger, Serge
Bromberger, Les Treize Complots du 13 Mai ou la délivrance de Gulliver,
Fayard, 1969.

MANIFESTATIONS (FRANCE)
Les manifestations au cours desquelles les forces de l’ordre se sont
illustrées par un niveau de violence conduisant à de véritables massacres
d’État sont celles qui ont marqué les mémoires. Ne retenir que le 17 octobre
1961* ou le 8 février 1962* comme exemples du rôle joué par « la rue » en
métropole conduit cependant à minorer l’action menée par des Algériens
avant que le FLN* ne domine l’immigration, ainsi qu’à oublier que toutes les
manifestations ne furent pas interdites.
À Paris, dès le 14 juillet 1953, les balles de la police* ciblèrent les
partisans de la cause algérienne : six militants du MTLD et un métallo CGT*
furent tués place de la Nation où se dispersait le cortège organisé par le
Mouvement de la paix, largement investi, en queue de manifestation, par les
messalistes. Ces victimes « tuées aussi par un racisme* qui n’ose pas dire son
nom » (Albert Camus*, Le Monde, 20 juillet 1953) furent présentées comme
des coupables. La justice enquêta sur « des violences à agents » et l’ensemble
du mouvement ouvrier fut frappé : jusqu’en 1967, à Paris, il n’y eut plus de
défilé militant autorisé l’après-midi de la fête nationale. Les Algériens ne
cessèrent cependant pas de se mobiliser, notamment contre les violences
policières (« l’émeute de la Goutte d’Or », le 30 juillet 1955), et les
manifestants messalistes continuèrent de payer un lourd tribut (deux morts à
Douai en octobre 1955). Jusqu’en 1957, ils réussirent à organiser des défilés
imposants, en particulier contre l’adoption des pouvoirs spéciaux*
(mars 1956). Le FLN, structuré par la clandestinité et concentré sur la
collecte de l’impôt révolutionnaire, demeura très réticent à ces actions
collectives par trop associées à un mouvement ouvrier dont il se défiait.
Il est vrai que ce dernier demeura timide dans sa contestation de la guerre
menée en Algérie. Elle n’eut jamais la force de celle menée contre la guerre
d’Indochine* (grève* des dockers*, campagnes pour la libération d’Henri
Martin ou de Raymonde Dien…). La rue fut d’abord investie par des
(r)appelés, dès septembre 1955. Ces rassemblements, destinés à retarder les
convois, concernèrent avant tout les premiers intéressés. L’Humanité*, voire
l’UJRF (l’Union de la jeunesse républicaine de France qui retrouve son
appellation de Jeunesse communiste en 1956) ou le PCF*, pouvaient les
soutenir, mais la tonalité de ces mouvements fut également donnée par des
militants chrétiens. Dans les années suivantes, ces derniers furent centraux
dans les rassemblements de l’Action civique non violente (ACNV) qui, à leur
acmé (1 500 personnes, place Beauvau, le 28 mai 1960), agglomérèrent de
nombreux « minoritaires » qui ne se retrouvaient pas dans le seul slogan
« Paix en Algérie », d’ailleurs scandé dans peu de manifestations.
La principale mobilisation, regroupant diverses composantes d’une
gauche de plus en plus fractionnée, déboucha sur les défilés de « vigilance
républicaine » du 28 mai 1958, journée qui ne concernait qu’incidemment la
question du statut des départements algériens : la défense de la République
contre les factieux, réels ou supposés, dans le contexte du 13 mai 1958*,
constitua un motif important de protestation dans les années suivantes. Elle
permit de faire primer les solidarités « antifascistes » sur les divisions que
continuaient de susciter le devenir de l’Algérie et, plus encore, la nature du
FLN. Après la chute de la IVe République*, il fallut cependant attendre près
de deux ans et demi, dans le sillage du « procès Jeanson* » et du
« Manifeste* des 121 », pour que la rue soit à nouveau investie massivement
(27 octobre 1960), mais en ordre dispersé. L’Unef* et le PSU*, rejoints par
de nombreuses formations, organisèrent un meeting à la Mutualité, suivi d’un
défilé dans les rues de Paris, tandis que la CGT mobilisait localement avec
près de quarante cortèges pour la seule région parisienne. La fracture entre
une « gauche respectueuse » (Marcel Péju, Les Temps modernes, juin 1960)
et des militants se voulant plus « insoumis » semble alors béante. Ainsi, seuls
ces derniers (Comité pour la paix en Algérie du quartier Seine-Buci, comité
Audin*, PSU…) défilèrent afin de dénoncer les « ratonnades* »
d’octobre 1961.
Investir le pavé parisien avait un prix, celui de braver la répression menée
au nom de la proscription des rassemblements « contre la répression en
Algérie ». En province, les interdictions furent cependant plus rares : depuis
un décret-loi de 1935, les organisateurs n’y étaient pas soumis à l’obligation
de déclaration préalable. Les rassemblements de l’ACNV* purent ainsi réunir
jusqu’à quelques centaines de personnes sans interventions violentes des
forces de l’ordre. Dans la capitale, le regain militant des années 1960-1961
s’accompagna d’une élévation du niveau de la répression : la journée d’action
du 19 décembre 1961 « contre l’OAS* et pour la paix en Algérie par la
négociation* » fut ainsi marquée par une courte grève (15 minutes) très
massivement suivie et un défilé parisien d’environ 20 000 personnes. Le
lendemain, Le Populaire (SFIO*) dénonçait la « sauvagerie inouïe des
“forces de l’ordre” ». De nombreux commentateurs s’émurent de ce que la
journée aurait pu être endeuillée – on compta une centaine de blessés dont
deux tiers de femmes. Cette violence indiscriminée des forces de l’ordre
visait spécifiquement les partisans de la « Paix en Algérie » : pendant toute la
guerre, de nombreuses autres manifestations se tinrent, y compris à Paris,
sans que les participants ne bravent interdictions et coups de matraque.
Les obsèques des huit morts du 8 février 1962 furent le seul
rassemblement véritablement massif en lien avec la guerre d’Algérie. Cette
dernière fut cependant un moment de recompositions militantes et
d’innovation dans les formes d’action qui annoncèrent « les années 1968 ».
Le graffiti « Ici on noie les Algériens », visible pendant quelques minutes
seulement et dont les photographies* ne furent alors pas publiées, est ainsi
emblématique de protestations, certes passées inaperçues à l’époque mais qui
ont eu une postérité grandissante au fur et à mesure que les souvenirs de la
guerre d’Algérie étaient associés à un héritage colonial pesant sur le
contemporain, en particulier dans les relations entre les forces de l’ordre et
les jeunes dits « issus de l’immigration ».
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Vincent Lemire et Yann Potin, « “Ici on noie les Algériens.”
Fabriques documentaires, avatars politiques et mémoires partagées d’une
icône militante (1961-2001) », Genèses, no 49, 2002 • Tramor Quemeneur,
« Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de
soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir.
de B. Stora, Paris-8, 2007 • Danielle Tartakowsky, « Les manifestations de
rue », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français,
Fayard, 1990.

MANIFESTATIONS DE MAI 1945


Les manifestations des nationalistes algériens en mai 1945 marquent un
tournant décisif dans la maturation de l’esprit d’indépendance, annonciateur
de l’insurrection du 1er novembre 1954*. De nos jours, les positions
partisanes des uns et des autres peuvent être mieux appréciées à l’aune des
éclairages apportés par de solides recherches historiques s’appuyant sur les
archives* accessibles.
Le 8 mai 1945, les Algériens organisent des cortèges, sous l’égide des
nationalistes rassemblés dans les AML* (1944), pour fêter la fin de la guerre
dans plusieurs villes. À Sétif, les tirs de la police* sur le porteur de
l’emblème nationaliste donnent lieu à de violentes émeutes qui n’ont pas
tardé à se transformer en soulèvement des populations rurales dans les
environs de la ville, et à s’étendre aux régions de Kherrata et de Guelma.
L’ampleur de la révolte a causé la mort de 102 personnes européennes
dont 86 civils, elle est suivie d’une répression démesurée et de
représailles exécutées par un déploiement d’importantes forces armées,
secondées par des milices de civils français comme à Guelma. Outre les
arrestations, de véritables opérations de ratissage utilisant des blindés*, des
avions et l’artillerie du croiseur Duguay-Trouin incendient les mechtas dont
les habitants sont massacrés sans discernement. Le 17 mai, le commandant de
la division de Constantine rappelle à ses troupes d’épargner les femmes et les
enfants.
À l’heure de la célébration de la victoire des Alliés, pour de Gaulle*
autant que pour l’administration locale, « les troubles du Constantinois » ont
porté atteinte à la souveraineté française, leur répression était légitime.
Les thèses d’un complot hitlérien, d’une provocation des colons*
vichystes, du soutien feutré des Anglo-Américains aux nationalistes
algériens, d’une jacquerie de la paysannerie paupérisée à l’extrême, ont tenté
d’expliquer les violences de mai 1945.
Toutefois, seul un retour au contexte politique qui prévalut durant cette
période est en mesure de rendre compte de la gravité du mouvement social de
mai 1945.
Les manifestations des 1er et 8 mai sont le fruit d’une atmosphère
nouvelle, encouragée par le débarquement des forces anglo-saxonnes en
novembre 1942. La libération des internés dans les camps ou mis en
résidence surveillée permit le retour des nationalistes sur la scène politique.
L’écho du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, proclamé par la
Charte de l’Atlantique (1941), donne de l’espoir aux principaux leaders
politiques qui le reprennent à leur compte et l’expriment dans la présentation
du « Manifeste du peuple algérien » (1943) et qu’ils envoient au gouverneur
général Peyrouton et aux Alliés. Le Manifeste est complété par un Additif où
les signataires demandent la reconnaissance de l’autonomie politique de
l’Algérie, à l’issue de la guerre.
La réponse de la France libre avec de Gaulle à la tête du CFLN se limite à
la promulgation de l’ordonnance du 7 mars 1944 dont les réformes sont
jugées bien insuffisantes par les nationalistes. En réaction, Ferhat Abbas*, en
accord avec Messali Hadj* et Cheikh Ibrahimi*, crée l’association des AML
le 14 mars. Rapidement, les AML insufflent une dynamique sans pareille au
mouvement national et provoquent une intense mobilisation politique, grâce à
l’ouverture de sections tant dans les villes que dans les campagnes. Au bout
d’une année, les Algériens – surtout la jeunesse – se familiarisent avec la
nouveauté de la sémantique politique où s’entremêlent les idées
d’émancipation, de patrie, d’égalité des droits. Les leaders des AML
sillonnent le pays, organisent des meetings, exposent leur programme à des
foules enthousiastes. Un réel esprit d’indépendance est en gestation et se
traduit par la volonté des Algériens de manifester les 1er et 8 mai 1945, de
s’approprier l’espace public et d’en faire le lieu de l’affirmation d’une
identité nationale qui remet en question la souveraineté française en Algérie.
Le déploiement de l’emblème national, malgré l’interdit, dans plusieurs
cortèges, tant à Sétif qu’à Guelma, et dans bien d’autres centres urbains,
donne une visibilité inédite à la détermination des Algériens.
C’est en ce sens que les manifestations de mai 1945 sont un moment
fondateur pour les nationalistes algériens. On devine dans l’expérience de la
manifestation un rapport de force entre les différents protagonistes – une
véritable subversion « pour le peuple, par le peuple » qui prend de la distance
avec le statu quo imposé par la situation coloniale.
Neuf ans plus tard, quand la guerre de libération commence, les souvenirs
des massacres de Sétif, Kherrata et Guelma ne cessent de hanter les esprits.
C’est ce que le Dr Hamdikhène rappelle à Germaine Tillion*, à Batna, lors de
sa mission dans l’Aurès en décembre 1954.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Jean-Charles Jauffret (dir.), La Guerre d’Algérie par les documents.
L’avertissement, 1943-1946, SHAT, 1990 • Jean-Pierre Peyroulou, Guelma,
1945. Une subversion française dans l’Algérie coloniale, La Découverte,
2009 • Annie Rey Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie, de Mers
el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, La Découverte, 2002.

MANIFESTATIONS
DE DÉCEMBRE 1960
Le 16 septembre 1959, le général de Gaulle* prononce son discours sur
l’autodétermination*, qui infléchit nettement sa politique algérienne et
l’oriente vers la possibilité de négociations* et l’indépendance. Cela conduit
les partisans algérois de l’« Algérie française » à se révolter ouvertement
contre la politique entreprise au cours de la « semaine des barricades* ». Cela
n’entrave pas la volonté du président français de poursuivre dans la voie qu’il
a ouverte : le 14 juin 1960, il lance un nouvel appel à destination des
dirigeants de l’insurrection, qui débouche sur les rencontres de Melun, du 25
au 29 juin. Celles-ci ne donnent rien, mais le 5 septembre, il évoque l’avenir
de l’Algérie sous la forme d’une « Algérie algérienne » et précise que « la
République algérienne […] existera un jour ». Le 4 novembre, de Gaulle
revient sur la définition de l’« Algérie algérienne » alors que se profile
l’Assemblée générale des Nations unies* où l’inscription de la question
algérienne à l’ordre du jour doit être débattue et qu’il projette un nouveau
voyage en Algérie.
Ce voyage (qui sera son dernier en Algérie) doit se dérouler avant tout
dans de petites villes algériennes et dans des unités militaires. Il s’agit
d’éviter les confrontations avec les mouvements d’ultras de l’« Algérie
française » qui estiment que de Gaulle projette d’installer le GPRA* à Alger.
De fait, la veille de son arrivée, le Front de l’Algérie française* (FAF) lance
un mot d’ordre de grève générale. Le voyage présidentiel débute le
9 décembre à Aïn Témouchent et à Tlemcen. Les manifestations d’Européens
d’Algérie organisées par le FAF, en particulier à Alger, s’en prennent
violemment au chef de l’État et visent son renversement. À Tlemcen, le
général de Gaulle proclame aux musulmans qu’il leur « appartient de prendre
des responsabilités algériennes » et propose au FLN* « sans relâche,
loyalement et honorablement, la paix ». Dès lors, les heurts avec les partisans
de l’« Algérie française » se multiplient. Poursuivant son voyage à Blida puis
Orléansville, le chef de l’État est même obligé d’entrer dans la ville par une
route détournée puis de passer la nuit à la préfecture, alors que plane la
menace d’un attentat « ultra ». Alger et Oran sont en même temps le théâtre
d’affrontements de plus en plus violents. Les jeunes partisans de l’« Algérie
française » sont mobiles, armés de boulons et de diverses armes, et pratiquent
une forme de guérilla urbaine contre les gendarmes mobiles.
Toutefois, depuis l’arrivée du général de Gaulle sur le territoire algérien,
au slogan « Algérie française » sur le passage du cortège présidentiel
répondent des « Algérie algérienne », « Algérie musulmane » ou encore
« Négociations avec le GPRA ». L’avant-dernier jour du voyage présidentiel,
le 11 décembre, à Alger, constitue un point de bascule. Dès 7 heures du
matin, plus de 10 000 Algériens, hommes, femmes et enfants, commencent à
descendre dans les rues depuis les quartiers de la Casbah et de Belcourt, ainsi
que des bidonvilles du Clos-Salembier, de Frais-Vallon et de la cité
Mahieddine. Si des cris de « Vive de Gaulle » et « Algérie algérienne » sont
au départ entendus, ils se muent rapidement en « Libérez Ben Bella » et
« Vive l’indépendance ». Des drapeaux algériens surgissent dans les cortèges.
Des youyous retentissent.
Dès lors, la peur change de camp. Les Français d’Algérie restent chez
eux, craignant pour leur vie. Le FAF lui-même décide de surseoir aux
manifestations. Les forces de l’ordre sont elles aussi débordées et tirent sur la
foule à Alger et dans plusieurs villes algériennes. Du 9 au 13 décembre 1960,
à Alger, 96 morts et 370 blessés sont officiellement dénombrés, dont
8 Européens d’Alger. Jusqu’au 16 décembre, il y aurait officiellement
112 morts. Mathieu Rigouste compte quant à lui au moins 260 morts dans les
confrontations qui se sont déroulées entre le 9 décembre 1960 à Aïn
Témouchent et le 6 janvier 1961 à Tiaret.
Au-delà des chiffres, il reste la signification. Ces manifestations de la
population algérienne se déroulent dans un contexte marqué par une crise du
FLN, avec de grandes difficultés des maquis « de l’intérieur », complètement
coupés de l’armée « de l’extérieur ». Or, elles montrent l’attachement de la
population algérienne à l’indépendance et le fait qu’elle n’a pas besoin d’être
encadrée par le FLN pour s’exprimer. De fait, ces manifestations contribuent
à accélérer la reprise des négociations, en particulier après le résultat du
référendum* sur l’autodétermination du 8 janvier 1961. Ainsi, elles ont
parfois été qualifiées de Điên Biên Phú politique ou diplomatique,
notamment à la suite du journaliste Albert-Paul Lentin. Le 20 décembre
1960, l’Assemblée générale de l’ONU reconnaît en effet « le droit du peuple
algérien à la libre détermination et à l’indépendance ».
La mémoire de ces manifestations a notamment été portée dans le film La
Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966), qui y montre une forme de
libération du peuple par lui-même. Plus récemment, certains comme Mathieu
Rigouste ont établi le parallèle entre les manifestations de décembre 1960 et
celles du hirak en 2019.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : 11 décembre 1960. Le Điên Biên Phú politique de la guerre d’Algérie,
NAQD, 2010 • Mathieu Rigouste, Un seul héros, le peuple. La contre-
insurrection mise en échec par les soulèvements algériens de décembre 1960,
Toulouse, Premiers matins de novembre, 2020.

MANIFESTATIONS DE RAPPELÉS
En 1955, pour faire face à l’aggravation de la situation en Algérie, les
autorités françaises veulent accroître les effectifs militaires. Outre l’envoi de
nouveaux militaires, elles maintiennent sous les drapeaux les appelés du
contingent* et rappellent des « disponibles » (rapidement nommés les
« rappelés ») ayant terminé leur service militaire*. Ces mesures occasionnent
deux importants mouvements de contestations, à l’automne 1955 et au
printemps 1956, qui prennent des formes différentes.
Le 21 mai 1955, un premier décret concerne uniquement les Européens
d’Algérie de la classe 1953/2. Comme le service militaire est alors de dix-huit
mois, ces derniers ont quitté les drapeaux depuis fin 1954. Ils doivent
effectuer une nouvelle période de service militaire de six mois. Cette
première mesure, acceptée sans difficulté, ne suffit pas. Après le soulèvement
de la population algérienne le 20 août 1955*, les autorités prennent les
décrets des 24 et 28 août 1955 : le premier rappelle les classes 1952/4 et
1953/1 ; le second maintient sous les drapeaux le contingent 1954/1, sur le
point d’être libéré, et rappelle le contingent 1953/2. Ces deux décrets
concernent respectivement 60 000 et 180 000 personnes et suscitent une
contestation des soldats maintenus et des « disponibles rappelés ».
Le premier incident éclate le 1er septembre à la gare de l’Est où des
soldats bloquent le départ du train. Dix jours plus tard, 600 rappelés
manifestent à la gare de Lyon, et scandent des mots d’ordre anticolonialistes.
L’incident est largement relayé dans la presse*, le ministère de la Défense
évoquant maladroitement le terme « mutinerie ». Les trajets des soldats font
régulièrement l’objet de difficultés : slogans contestataires, blocage des
convois, manifestations. Le 29 septembre, 200 rappelés assistent à une messe
qui se déroule en l’église Saint-Séverin, à Paris. Ils sont les auteurs d’un tract
diffusé dans la presse, dans lequel ils clament leur refus de tirer sur leurs
« frères musulmans » et leur volonté de désobéissance collective. Cette
question est même relayée par des hommes politiques, tels le socialiste
Marceau Pivert et l’apparenté communiste Pierre Cot. Les incidents les plus
graves se déroulent les 6 et 7 octobre, à la caserne Richepanse, à Rouen.
Celle-ci est le théâtre d’une véritable mutinerie, qui gagne le quartier du
Petit-Quevilly jusqu’au 10 octobre. Quatorze militaires sont condamnés pour
rébellion militaire et trente-deux civils pour outrages, rébellion et violences à
l’encontre d’agents de la force publique. Au fur et à mesure, les incidents
diminuent, a fortiori après l’arrivée des soldats en Algérie. La contestation se
transmet aux appelés. En l’occurrence, le 23 novembre 1955, une centaine de
soldats de la caserne Charras, qui devaient être libérés, viennent d’apprendre
leur envoi au Maroc* (les manifestations concernent indistinctement les
« événements d’Afrique du Nord » comme ils sont alors appelés). Ils décident
alors de manifester en uniforme sur les Champs-Élysées.
Avec la chute du gouvernement Edgar Faure et la dissolution de
l’Assemblée nationale, les élections* législatives sont avancées au 2 janvier
1956. Les rappelés sont renvoyés dans leurs foyers pour la fin de l’année,
deux mois avant la fin officielle de leur rappel. La situation nord-africaine
s’invite dans la campagne : le leader socialiste Guy Mollet* dénonce la
« guerre imbécile et sans issue » en Algérie. Après la victoire du Front
républicain* aux élections, la nomination de Guy Mollet à la présidence du
Conseil et son revirement politique consécutif à la « journée des tomates* »,
il est à nouveau question d’augmenter les effectifs en Algérie. Le 12 avril,
deux décrets sont promulgués : le premier (56-373) pour maintenir les soldats
sous les drapeaux et allonger ainsi le service militaire jusqu’à vingt-quatre
puis plus de vingt-sept mois, le second (56-374) pour rappeler sous les
drapeaux les classes 1951/3, 1952/1 et 1952/2, et 1953/1. Les incidents
reprennent immédiatement, d’abord de manière pacifique. À Firminy, dans la
Loire, 7 000 métallurgistes débrayent pendant une heure le 16 avril. D’autres
actions comme des pétitions ou des réunions sont organisées, surtout dans le
giron communiste. Le premier blocage de train par la population civile
semble se dérouler à Vauvert (Gard), le 18 avril : un millier de personnes
bloquent le départ de 12 rappelés. Ce type de blocage se répand rapidement
sur tout le territoire. Comme à l’automne 1955, la question de la
désobéissance resurgit : des rappelés ne partent pas et refusent d’obéir
comme à La Rochelle les 2 et 3 mai 1956 ou dans le petit village de La
Villedieu dans la Creuse. Ils trouvent souvent un soutien auprès de la
population civile. Mais ces incidents suscitent une répression de plus en plus
forte. Ainsi, le maire de La Villedieu est révoqué de son mandat et un
enseignant d’une localité voisine est suspendu pendant cinq ans.
Progressivement, début mai 1956, avec les départs croissants de la classe
1953/1 vers l’Algérie, les incidents sont moins nombreux, d’autant que les
rappelés ne sont pas soutenus par un mouvement politique structuré : le parti
communiste accompagne le mouvement mais prône une ligne légaliste
(notamment à la suite du comité central des 9 et 10 mai), le parti communiste
internationaliste (PCI, trotskiste*) et la fédération communiste libertaire
(FCL, anarchiste*) soutiennent le mouvement mais sont asphyxiés par la
répression, jusqu’à disparaître.
Avec le rappel de la classe 1952/2, une nouvelle vague de révoltes éclate
dans la seconde moitié de mai. L’une des manifestations les plus connues se
déroule à Grenoble, le 18 mai 1956, où entre 2 000 et 3 000 personnes
affrontent les forces de l’ordre à la gare, qui est dévastée. Le même jour, 20
rappelés meurent dans une embuscade* à Palestro*. Cet événement suscite
les jours suivants un grand émoi dans la société française, mais n’endigue
aucunement le mouvement de protestation. Par exemple, à Saint-Nazaire le
28 mai, 8 000 métallurgistes manifestent contre le départ de 20 rappelés,
occasionnant de violents affrontements avec les forces de l’ordre. Le ministre
de l’Intérieur Jean Gilbert-Jules reconnaît même qu’un train sur cinq est
touché par des incidents. Certains événements restent confinés au sein de
l’institution militaire en dépit de leur gravité. Le camp de La Fontaine du
Berger est ainsi l’objet d’une véritable mutinerie, un officier* devant même
tirer des coups de semonce pour arrêter les soldats. Au même moment, une
rumeur concernant des « maquis de rappelés » commence à circuler et est
relayée dans la presse. Ces maquis n’existent pas mais sont révélateurs de
l’état d’esprit des soldats.
Les poursuites intentées contre les manifestants, les anticolonialistes et
les journalistes, les interdictions des meetings et des manifestations, et la
répression de celles-ci, conduisent à une démobilisation croissante. Pourtant,
dès avril 1956, 49 % des Français (et 65 % des ouvriers) étaient défavorables
à l’appel de nouvelles classes en Algérie. Le 17 juin, à Verdun, le président
René Coty appelle au sens de la discipline militaire et civique pour défendre
la patrie en danger en Algérie. Deux incidents graves secouent encore des
camps militaires : le premier à Mourmelon le 8 juillet est une mutinerie
endiguée par le colonel Barberot* ; le second à Stetten en Allemagne le
18 juillet est une grève* des rappelés pourtant « exemptés d’AFN ».
Épisodiquement, des incidents éclatent encore. En Algérie, la contestation
prend une autre forme, plus insidieuse, marquée par l’indiscipline, voire des
désobéissances individuelles.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007.

MANIFESTATIONS DU MNA
Héritier d’un répertoire d’actions forgé au contact des organisations
ouvrières, le MNA* cherche à maintenir les manifestations de rue malgré le
contexte créé par les attaques du 1er novembre 1954* et la répression.
À l’occasion d’un débat sur l’Afrique du Nord, le MNA appelle à un
rassemblement devant le palais Bourbon le 10 décembre. Selon La Voix du
peuple, 2 000 Algériens protestent mais 205 manifestants sont arrêtés.
Le 1er mai 1955, le MNA annonce la participation de 100 000 Algériens
aux rassemblements ouvriers. Si le calme règne à Lyon*, Mulhouse, Metz et
Stiring-Wendel, des affrontements avec les forces de l’ordre se produisent à
Douai, Lille* et Sous-le-Bois. De plus, les messalistes sont isolés par la
CGT* à Saint-Étienne et Valenciennes, tandis que la parole leur est refusée à
Longwy et Paris.
Pour leur part, les dirigeants du FLN*, opposés à ces pratiques, exploitent
la peur de l’arrestation pour recruter dans l’émigration*. Ils mènent une
propagande* contre la Journée de lutte pour l’indépendance et la libération de
Messali Hadj* prévue le 9 octobre. La manifestation est un échec à Paris. 913
manifestants sont appréhendés.
300 personnes se rassemblent à Lyon, 400 à Metz, Forbach et Thionville.
À Lille, 150 Algériens se réunissent, 19 sont arrêtés et des policiers sont
blessés. À Douai, des centaines d’Algériens se heurtent à la police* : 2
manifestants sont tués et 44 arrêtés. À Saint-Étienne, 300 manifestants
affrontent les forces de l’ordre, un agent est frappé d’un coup de couteau, une
trentaine d’Algériens sont appréhendés.
La manifestation contre le vote des pouvoirs spéciaux*, le 9 mars 1956,
constitue l’ultime coup d’éclat du MNA. Une dizaine de milliers d’Algériens
suivent le mot d’ordre de grève* et de rassemblement à la mosquée de Paris.
Yamina Bensouna brandit le drapeau* algérien dont la police s’empare. Les
manifestants affrontent les forces de l’ordre. Près de 2 500 Algériens sont
interpellés et, pour la plupart, remis en liberté.
Trois semaines plus tard, près de 5 000 Algériens sont arrêtés après des
tentatives de rassemblement à l’appel du MNA qui semble abandonner cette
modalité en raison de son coût humain.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens (1944-
1962), Nouveau Monde, 2011 • Jean-René Genty, « Un dimanche ordinaire à
Douai ? La manifestation algérienne du 9 octobre 1955 », Revue du Nord,
no 414, 2016.

MANIFESTATIONS FRANÇAISES
D’ALGÉRIE
Les manifestations de rue ont compté dans le répertoire d’action des
tenants de l’Algérie française, au moins jusqu’en 1961, le développement de
l’OAS* modifiant les choses. Elles ont eu pour cadre principal Alger et à un
degré moindre Oran. Ces mobilisations ont surtout visé à dénoncer la
politique métropolitaine réputée faire le lit du FLN* ou à honorer des morts
considérés comme des victimes, pour ne pas dire des martyrs, de l’Algérie
française (funérailles* d’Amédée Froger* le 29 décembre 1956). Les
porosités sont nombreuses entre émeutes et manifestations s’accompagnant
souvent de violences. Le rassemblement du 6 février 1956 contre Guy
Mollet* peut être vu comme une sorte de modèle que ses maîtres d’œuvre ont
cherché à réitérer en 1958, voire en janvier 1960. Aux origines, on trouve des
groupements activistes dont les noms changent au fil des dissolutions mais
dont les dirigeants, au moins jusqu’aux barricades, sont peu ou prou les
mêmes ; ajoutons-y les anciens combattants* et les unités territoriales* qui
jouent un rôle fondamental : ils peuvent être porteurs d’armes mais savent
aussi s’en servir comme lors de la fusillade du 24 janvier 1960.
Les manifestations suivent une mécanique bien huilée : profiter d’une
visite officielle (le président du Conseil) ou d’un événement à forte valeur
émotionnelle (exécution de soldats français par le FLN doublée d’une crise
ministérielle ou renvoi d’un symbole comme Massu*) pour faire masse et
dire ainsi leur fait aux autorités. L’objectif est moins de présenter des
revendications que d’obtenir satisfaction sur une exigence précise (le refus de
voir le général Catroux remplacer Soustelle* en 1956) ; mais aussi, par le
biais d’une intimidation doublée d’un rappel appuyé du rôle de l’armée
d’Afrique dans la libération de la France, d’obtenir du gouvernement une
forme de réassurance quant au maintien de l’Algérie française. Le scénario a
fonctionné le 6 février 1956 : Catroux a été évincé et le gouvernement Mollet
a mené en Algérie une politique différente de celle pour laquelle il avait été
élu. En mai 1958, les activistes peuvent un temps penser avoir obtenu gain de
cause puisque le « libéral » Pflimlin* et la IVe République* ont été balayés ;
le rôle joué par l’armée, l’échec des comités de salut public en métropole et
plus largement l’avènement au pouvoir du général de Gaulle* et de la
Ve République* changent toutefois profondément la donne.
Après l’annonce de l’autodétermination le 16 septembre 1959, les
activistes s’emploient à préparer un nouveau 13 Mai* et voient dans le renvoi
de Massu l’opportunité d’une réitération, mais ils doivent déchanter. D’abord
parce que le 24 janvier 1960, l’armée a reçu l’ordre de ne pas laisser les
manifestants converger vers le centre-ville d’Alger : ce n’est donc pas le
rassemblement de masse attendu. Ensuite, parce que le chef de l’État
n’entend nullement laisser la rue lui dicter sa politique : ni la fusillade du
24 janvier ni les barricades n’ébranlent de Gaulle qui obtient une semaine
plus tard une reddition sans concession des insurgés. Pour peser, la rue
algéroise a besoin du renfort de l’armée. Celle-ci n’a pas « basculé » en
janvier 1960, pas plus qu’en décembre 1960 lorsque de Gaulle effectue son
dernier voyage en Algérie. À cette occasion, la direction du Front de
l’Algérie française* (FAF) n’avait d’ailleurs pas organisé de manifestation de
masse. Elle compte plutôt sur le harcèlement des forces de l’ordre par des
commandos de jeunes, frayant ainsi la voie à l’armée. Enfin, lors du putsch*
d’Alger, les militaires tiennent les civils à l’écart et n’entendent pas les
mobiliser dans une manifestation de soutien. L’OAS qui se développe à partir
de mai 1961, principalement sur Alger et Oran, se dote dans son
organigramme d’une « Organisation des masses » dont l’objectif est de
mobiliser autrement que par des manifestations ; les militaires de sa direction
y rechignent. Deux cependant peuvent être évoquées. La première se déroule
le 10 février 1962 à Alger à l’occasion des funérailles de Philippe Le Pivain,
un capitaine de l’OAS abattu trois jours plus tôt alors qu’il tentait d’échapper
à son arrestation : des milliers de personnes suivent cet enterrement dont la
dimension politique est évidente. La seconde, le 26 mars 1962, doit mener les
civils à Bab-el-Oued pour en desserrer le « bouclage ». Interdite, elle
débouche sur un bain de sang (54 morts pour les autorités, 80 selon d’autres
sources). Les autorités ont mis en cause l’OAS et ses commandos. De Gaulle
a considéré qu’il était « indispensable d’avoir tiré pour “disperser les
charmes” ». Quoi qu’il en soit, les communiqués du préfet de police d’Alger
étaient explicites et il était impensable de voir les autorités, armée comprise,
se laisser déborder par une manifestation de rue, même de civils non armés,
des civils algérois chez qui le traumatisme a été profond et démobilisateur.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Marie
Dumont, « Les Européens dans la rue pendant la guerre d’Algérie », Guerres
mondiales et conflits contemporains, no 206, 2002 • Sylvie Thénault, Les
Ratonnades d’Alger, Seuil, 2022.

MANIFESTES
Le jour de l’ouverture du procès du « réseau Jeanson* » d’aide au FLN*,
le 5 septembre 1960, paraît un entrefilet dans Le Monde* annonçant que 121
intellectuels ont signé une « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la
guerre d’Algérie ». Le « Manifeste des 121 » suscite un important débat et
une « guerre des manifestes » (Jean-François Sirinelli) à l’automne 1960 avec
deux autres textes.
Deux écrivains sont à l’origine du « Manifeste des 121 » : le communiste
critique Dionys Mascolo et le surréaliste Jean Schuster. Ils fondent la revue*
Le 14 Juillet après les événements de mai 1958, qui est comme un
« brouillon » du Manifeste. L’écrivain Maurice Blanchot les rejoint, mais la
revue s’éteint en 1959. En avril 1960, Dionys Mascolo propose à Jean
Schuster de s’impliquer dans le débat sur l’insoumission qui secoue la société
française. Ils écrivent un « Appel à l’opinion internationale ». Maurice
Nadeau, des Lettres nouvelles, et Jean Pouillon, des Temps modernes,
collectent de nombreux signataires, dont le nombre atteint 80 le 27 juillet
1960. Le nom « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre
d’Algérie » est alors trouvé. Jérôme Lindon* des Éditions de Minuit en
assure l’impression, le 1er septembre, et arrête le nombre à 121.
Le texte souligne qu’un mouvement de désobéissance « très important »
se développe en France, du fait de la nature coloniale de la guerre et de
l’utilisation de la torture*. La deuxième partie s’attache aux conséquences, à
savoir une remise en cause du « sens de valeurs et d’obligations
traditionnelles », c’est pourquoi le « refus de servir est un devoir sacré » pour
rester « dans le respect courageux du vrai ». La phrase la plus connue du
manifeste stipule : « Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre
les armes contre le peuple algérien », estimant que « la cause du peuple
algérien […] est la cause de tous les hommes libres ».
Parmi les signataires figurent les grands noms de l’existentialisme (Jean-
Paul Sartre*, Simone de Beauvoir*), du surréalisme (André Breton), du
« nouveau roman » (Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Nathalie
Sarraute) et d’autres écrivains comme Vercors ; des enseignants dont Louis
Gernet, André Mandouze*, Jean-Jacques Mayoux, Jean-Pierre Vernant et
Pierre Vidal-Naquet* ; des journalistes dont Robert Barrat* ; des éditeurs
(Jérôme Lindon, François Maspero*) ; des artistes peintres (André Masson) ;
des personnalités du cinéma* (Simone Signoret, Alain Resnais, Claude
Sautet) ; et le compositeur Pierre Boulez. Leur nombre définitif atteint 246
fin octobre. Parmi les nouveaux signataires, Françoise Sagan, l’acteur
Laurent Terzieff et l’abbé Boulier.
Le ministère des Armées porte plainte dès le lendemain ; le ministère de
l’Intérieur propose de déchoir de la nationalité* française l’écrivain Arthur
Adamov ; le ministère de l’Éducation suspend une dizaine d’enseignants et
d’universitaires ; les artistes n’ont plus le droit de jouer sur les scènes
subventionnées et sont interdits d’antenne. Les premières inculpations
pleuvent. Le journaliste Robert Barrat* est même arrêté et placé en détention,
pour la seconde fois de la guerre, pendant quinze jours. Mais la question de
l’opportunité des poursuites se pose rapidement du fait du nombre et de la
notoriété des inculpés, les autorités craignant un procès ingérable. Jean-Paul
Sartre et Simone de Beauvoir, en voyage en Amérique latine*, ne sont
entendus par la police* que le 5 novembre. C’est le chant du cygne de cette
procédure qui est alors littéralement mise en sommeil.
D’ailleurs, entre-temps, le débat a pris une autre tournure. Un « Manifeste
des intellectuels français », signé par 185 personnalités, est en effet publié le
6 octobre dans Le Figaro* puis dans Carrefour. Il proteste contre les
« déclarations scandaleuses » d’une véritable « cinquième colonne » que
représentent « les professeurs de trahison ». Pour eux, la guerre en Algérie est
due à « une minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes ». L’armée
mène au contraire une « mission civilisatrice, sociale et humaine » contre
cette « guerre subversive » qui envenimerait l’opinion publique* et conduirait
à une « désagrégation morale et sociale de la nation ».
Les 54 enseignants, dont Raoul Girardet, forment la principale catégorie.
Viennent ensuite 45 écrivains, dont Michel Déon, Roland Dorgelès, Henri de
Monfreid, Jean Paulhan et Jules Romains. 20 signataires proviennent du
domaine médical, 15 du domaine juridique, et 14 du monde de l’édition. 12
sont des journalistes et 5 des artistes peintres. Le maréchal Juin* représente
une grande figure militaire, le colonel Rémy et Marie-Madeleine Fourcade
deux personnalités de la Résistance*. Les signataires sont relativement plus
âgés et plus établis que ceux du « Manifeste des 121 ». Leur nombre
augmente jusqu’à dépasser les 700 en novembre 1960. Ce manifeste
favorable à l’« Algérie française » structure en même temps une opposition à
la droite du général de Gaulle*. Il contribue au débat sur la désobéissance en
la dénonçant mais favorise la caducité des procédures à l’encontre des 121.
À gauche, une nouvelle ligne de démarcation entre une gauche
« irrespectueuse » ou « insoumise » et une autre « respectueuse » (Marcel
Péju, Les Temps modernes, avril-mai 1960) se révèle avec l’« Appel à
l’opinion pour une paix négociée en Algérie », publié par la Fédération de
l’Éducation nationale* (FEN) le 5 octobre 1960. Cet appel souligne que tant
qu’existeront « ratissages, tortures, déportations » et que « l’exercice du droit,
reconnu, à l’autodétermination réelle » reste refusé, le conflit durera. Les
rédacteurs de l’« appel » n’utilisent pas le terme « indépendance » mais
celui de « paix négociée », plus consensuel à l’époque. Ils soulignent l’impact
de la guerre sur les jeunes qui y sont directement confrontés : « certains
reviennent marqués par le racisme* ; d’autres […] essaient d’oublier ;
d’autres connaissent le dégoût » avant d’évoquer ceux qui refusent de
participer à cette guerre d’une manière ou d’une autre. Ils concluent que « la
crise de conscience » des jeunes est inévitable, mais qu’elle est « l’affaire de
la Nation » et ne peut se régler que par la paix.
Initialement conçu comme une motion critique de soutien aux 121, le
texte devient un appel retentissant. La première raison tient à ses signataires :
les secrétaires généraux de la FEN (Georges Lauré) et du Syndicat national
des instituteurs* (SNI, Denis Forestier) ; les présidents de l’Unef* (Pierre
Gaudez) et de la Ligue des droits de l’homme* (LDH, Daniel Mayer) ; des
personnalités universitaires et de la recherche (Georges Balandier, Roland
Barthes, Jean Cassou, Paul-Henri Chombart de Lauwe, Jean Dresch, René
Étiemble, Vladimir Jankélévitch, Charles-André Julien, Ernest Labrousse,
Jacques Le Goff, Maurice Merleau-Ponty, Edgar Morin*, Marcel Prenant,
Paul Ricœur, Jean Rouch…) ; des écrivains et des journalistes (Jean-Marie
Domenach, Jean Guéhenno, Jacques Prévert…) ; un dessinateur (Jean Effel) ;
des hommes politiques (Robert Verdier, André Philip) ; un pasteur (Henri
Roser)… La seconde raison de l’impact de cet appel tient au nombre de
signataires : 16 000 à la fin du mois d’octobre. C’est sans commune mesure
avec les deux autres manifestes. La dernière raison est que l’appel se
conjugue avec la préparation de la manifestation* du 27 octobre 1960
organisée par l’Unef.
Le débat intellectuel lancé par les 121, à la suite des mouvements de
réfractaires* et de « porteurs de valises* », conduit donc à des réactions
importantes dont un « Appel à l’opinion pour une paix négociée en Algérie »,
à la fois critique et puissant, qui pèse en faveur de l’ouverture de
négociations*.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007 • Jean-François
Sirinelli, Intellectuels et passions françaises. Manifestes et pétitions au
e
XX siècle, Gallimard, 1990.

MAROC
Depuis la naissance de l’Étoile nord-africaine (ENA) en 1926, les
premiers nationalistes algériens nourrissaient le projet d’une libération
commune des pays du Maghreb que de profonds liens historiques unissaient.
Plus tard, le Comité de libération du Maghreb arabe* (CLMA) envisageait
dans le pacte de 1948, une lutte commune et à défaut un engagement aux
côtés du pays luttant pour sa libération. Dans sa proclamation du
1er novembre 1954*, le FLN* rappelait ce principe de « l’indépendance dans
le cadre nord-africain ». L’évolution politique des mouvements nationalistes
de chacun des pays et la décolonisation bousculeront cette attente. En effet,
l’accès à l’autonomie de la Tunisie* en juin 1955 et à l’indépendance pour le
Maroc en mars 1956 met fin au rêve d’un Maghreb uni. Toutefois, le FLN a
pu disposer de « l’installation face à la frontière algérienne, de bases
opérationnelles » (Meynier). Le FLN reçoit, en guise de solidarité avec la
lutte des Algériens, les fonds versés à la résistance marocaine. Il convient de
rappeler qu’avant l’indépendance du Maroc, Mohamed Boudiaf*, l’un des
fondateurs du FLN, préoccupé par la question de l’approvisionnement en
armes, s’était établi à Nador dans l’enclave espagnole. Très lié aux dirigeants
de l’armée de libération marocaine, il bénéficie de leurs réseaux de soutien. À
partir de 1956, le FLN se déplace à la frontière et multiplie l’ouverture de
camps militaires et d’entraînement notamment à Larache, Khemisset,
Kedbani et Oujda (ce dernier accueillera le PC de la Wilaya 5*, dirigé par
Larbi Ben M’hidi*). Quand Abdelhafid Boussouf* prend la direction de la
Wilaya 5, la place d’Oujda jouit de plus d’importance avec les services qu’il
crée. Durant cette période, le gouvernement marocain prodigue une
importante aide matérielle au FLN, ouvrant les ondes de quatre émetteurs
radio*, situés à Rabat, Tanger et Tétouan, à sa cause, organisant des collectes
au profit des milliers de réfugiés*, dont l’afflux ne cesse qu’avec l’édification
du barrage* électrifié sur quelque 750 kilomètres, à partir de 1958.
Cependant la double présence de l’ALN* et des réfugiés algériens sur le
sol marocain a parfois posé de sérieux problèmes. Les Algériens n’hésitaient
pas à critiquer ouvertement l’attitude réservée des autorités marocaines et
souhaitaient un engagement plus radical à leurs côtés, provoquant en retour
méfiance, contrôle et surveillance de l’ALN. Les Marocains comme les
Tunisiens redoutaient que « la présence tumultueuse des Algériens ne vînt
aviver chez eux des conflits sociaux ou y exciter des entreprises
révolutionnaires » (Meynier). Des troubles avec des Marocains éclatent
surtout à proximité des camps de réfugiés à propos de la distribution
inéquitable des aides internationales quand elles ne sont pas détournées.
Au-delà de ces difficultés, le pragmatisme politique devait dicter à
chacun des pays plus de réalisme et la recherche d’autres voies, telles que le
projet de fédération des trois pays d’un Maghreb lié à la France qui devait
être discuté à la conférence de Tunis* (octobre 1956) et qui avorta à la suite
de l’arraisonnement de l’avion transportant les dirigeants du FLN (23 octobre
1956). De même, à la conférence de Tanger* (avril 1958), les représentants
de l’Istiqlal, du Néo-Destour et du FLN envisagent sérieusement d’œuvrer en
faveur de l’édification d’un Maghreb fédéral, mais font l’impasse sur le
conflit frontalier de Figuig. En juin 1958, l’armée royale marocaine bloque le
passage des troupes de l’ALN se rendant en Algérie et exige la
reconnaissance de la souveraineté marocaine sur les régions du Touat,
Gouraya et Tidiklet situées dans le Sud-Ouest algérien. Plusieurs réunions
opposant les deux parties échouent à trouver un règlement. En fait, l’arrivée
de De Gaulle* au pouvoir change la donne. Désormais Marocains et
Tunisiens entendent défendre leurs intérêts respectifs.
Une tentative de réconciliation est perçue lors de la signature d’une
convention, entre Ferhat Abbas*, président du GPRA*, et le roi Hassan II, le
6 juillet 1961 à Rabat, s’engageant à trouver une solution, après
l’indépendance de l’Algérie.
Mais en juillet 1962, l’armée marocaine s’empresse d’occuper l’axe
Colomb-Béchar-Tindouf et annonce l’allégeance des tribus de Tindouf au roi.
En réponse, les troupes de l’ANP* interviennent le 9 octobre et réoccupent
les lieux. Le conflit s’envenime une année plus tard, le 8 octobre 1963, avec
l’attaque marocaine de plusieurs postes frontaliers au nord-est de Tindouf.
Les affrontements entre les deux armées, algérienne et marocaine, ne cessent
que grâce à la médiation de Haïlé Selassié à la conférence de Bamako des 29-
30 octobre. Finalement un cessez-le-feu met fin à la guerre entre les deux
pays frères le 2 novembre mais ne règle pas pour autant le litige frontalier,
hérité de la période coloniale.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition
d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la Ve République, Publisud,
2000 • Édouard Méric, « Le conflit algéro-marocain », Revue française de
science politique, no 4, 1965 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN,
Fayard, 2002.

MARSEILLE
Villes miroirs, Marseille et Alger évoluent, de 1830 à 1962, au rythme de
la colonisation, des soubresauts de la vie politique française et du contexte
international. Au cours de la première moitié du XXe siècle, la cité phocéenne
accueillit les expositions coloniales de 1906 et de 1922 tout en étant la « tête
de pont » des pionniers de l’immigration algérienne. Paradoxalement, elle n’a
jamais été un foyer nationaliste de premier plan. Ainsi en 1939, elle comptait
à peine 10 sections marseillaises du PPA* contre 100 à Longwy, 59 dans la
banlieue lyonnaise ou encore 27 à Saint-Étienne (Benjamin Stora). Une
situation qui peut en partie s’expliquer par la surreprésentation des
travailleurs algériens dans les villes industrielles et leur faible présence dans
l’agriculture*. Pour autant, dès l’entre-deux-guerres, Marseille suscite
l’intérêt des milieux indépendantistes et anticolonialistes* car sa situation
géographique fait d’elle une ville indispensable à la structuration politique de
l’immigration en provenance de l’empire.
Hier port colonial de premier ordre, Marseille se mue progressivement en
espace périphérique de la décolonisation et entre en guerre d’Algérie peu
après les attentats de novembre 1954, via le départ du contingent. Jusqu’en
1962, son port est la base arrière des manœuvres militaires françaises en
Algérie et le point de convergence de tous les appelés. Venue des quatre
coins de France, la majorité d’entre eux séjourne au dépôt des internés
militaires, le camp de Saint-Marthe, avant leur départ pour Alger. C’est donc
tout naturellement que la cité phocéenne devient en 1955 l’un des théâtres de
la contestation des appelés contre le rappel des classes 1952/4 et 1953/1.
Quant à l’implantation du MNA* et du FLN*, elle se fait avec une
intensité moindre par rapport aux fiefs historiques du PPA-MTLD,
néanmoins Marseille reçoit toutes les attentions de la délégation extérieure du
FLN et est intégrée au travail d’information visant à faire reconnaître la
légitimité du FLN auprès de l’immigration algérienne. Ici comme ailleurs, la
guerre fratricide opposant le MNA au FLN fait rage et les attentats politiques
se multiplient au cours de l’année 1957. La wilaya messaliste du Centre-Sud
est celle qui perd le plus de membres entre 1957 et 1959. Rapidement, le
MNA cède du terrain et dès 1958 la ville est intégrée aux opérations
militaires du FLN. De fait, dans la nuit du 24 au 25 août 1958, l’Organisation
de la Fédération de France* dépose des bombes à retardement dans le dépôt
pétrolier de Mourepiane et provoque des incendies spectaculaires. Pendant
près de huit jours, les pompiers-marins de Marseille tentent de maîtriser le
feu, on dénombrera un mort et d’importants dégâts matériels. Le 27 avril
1959, 18 Algériens sont présentés devant le tribunal militaire de Marseille,
accusés d’être les auteurs ou les complices de ces attentats. Dans l’arène
judiciaire, Me Ould Aoudia, avocat des accusés, opte pour une défense de
rupture et tente de faire de ce procès médiatisé un procès politique légitimant
le combat du FLN.
Par sa portée, Mourepiane symbolise l’ouverture du second front de la
guerre d’Algérie, pour autant ces attentats ne doivent pas éclipser les
difficultés rencontrées par le FLN pour encadrer et contrôler les Algériens de
cette région constitutive de la Wilaya 3 bis. Très atypique, elle compte 12 548
« éléments » en juillet 1959 et 15 009 en février 1962. Les membres du FLN
peuvent aussi compter sur des réseaux de « porteurs de valises* » dirigés tout
d’abord par Lucien Jubelin puis, après son arrestation en 1960, par l’historien
Robert Bonnaud*. Instable, aux prises avec la pègre, la Wilaya 3 bis est le
terrain de jeux d’Abdellah Younsi, alias Charles Mourad. Un temps
responsable de la wilaya, il fut agent double pour le compte de la direction de
la Sûreté du territoire (DST) et aurait permis l’arrestation de nombreux cadres
du FLN de 1959 à 1962, tout en détournant, avec l’aide de la DST,
d’importantes sommes d’argent issues en partie des cotisations des ouvriers
algériens de Marseille. Arrêté par le FLN à la veille du cessez-le-feu, Younsi
Abdellah est séquestré plusieurs semaines à Aubervilliers, jugé, condamné à
mort pour trahison et exécuté.
Autre symbole de la guerre d’Algérie à Marseille, la prison* des
Baumettes est la deuxième prison de France à accueillir le plus grand nombre
de prisonniers* politiques algériens reconnus ou non par la justice française.
Certains d’entre eux ont été transférés d’Alger vers Marseille, comme le
condamné à mort Abdelkader Guerroudj*, dit Lucien Djliali, responsable des
commandos du Grand Alger en 1956.
À l’été 1962, Marseille n’en a pas terminé avec la guerre, elle ouvre une
seconde page de son histoire algérienne en accueillant les rapatriés*, les
harkis* et leurs familles. « Première ville pied-noire de France », mais aussi
terre d’accueil des vagues d’immigration postcoloniale, Marseille vit depuis
soixante ans avec les mémoires plurielles de la guerre d’Algérie, celles-là
mêmes qui ont croisé son chemin de 1954 à 1962 et contribué à écrire une
partie de son histoire.
Linda AMIRI
Bibl. : Jean-Luc Einaudi, Le Dossier Younsi, 1962. Procès secret et aveux
d’un chef FLN en France, Tiresias, 2013 • Ali Haroun, La 7e Wilaya. La
guerre du FLN en France, Seuil, 2012 [rééd.] • Benjamin Stora, Ils venaient
d’Algérie, l’immigration algérienne en France, 1912-1992, Fayard, 1992.

MARTINET, GILLES (1916-2006)


Gilles Martinet est né dans un milieu bourgeois, ruiné par la crise de
1929. Adhérent au PCF* dès l’âge de 17 ans, il s’engage dans le combat
antifasciste après le 6 février 1934. Secrétaire du groupe des Étudiants
communistes de Paris en 1936, minoritaire dans l’Unef*, il s’intéresse très tôt
aux questions internationales. Il conduit à la fin de l’année 1936 une
délégation internationale d’étudiants* en Espagne républicaine puis rompt
avec le PCF à l’occasion des procès de Moscou, se voyant comme
communiste antistalinien. Il débute comme journaliste à la prestigieuse
Agence Havas en juillet 1937.
Durant l’Occupation, il participe à des mouvements de résistance
marqués à l’extrême gauche où il fait la connaissance de Pierre Stibbe, avocat
parisien, anticolonialiste – défenseur des nationalistes algériens dès avant la
Guerre d’indépendance –, avec lequel il va militer près de vingt-cinq ans. À
la Libération, il devient le rédacteur en chef de l’Agence France Presse et,
avec Pierre Naville, anime des publications marxistes comme La Revue
internationale.
Martinet devient durant près d’une décennie l’une des principales figures
de l’Union progressiste (UP) ou, si l’on préfère, des « compagnons de route »
du PCF, et ce, tout en marquant sa différence lors du débat sur l’affaire Tito,
qui a certainement provoqué une rupture morale, ensuite par son
anticolonialisme constant, sans tenir compte des variations de la politique
internationale et nationale des communistes français.
En 1950, il est, avec Claude Bourdet*, Roger Stéphane et Jean Daniel,
l’un des créateurs de L’Observateur, puis de France Observateur. Il en est
rédacteur en chef, puis directeur. Le journal soutient le combat des
nationalistes d’Afrique du Nord et dénonce la « Gestapo d’Algérie ». Sa
démarche anticolonialiste s’avère influencée par le marxisme. Pour lui, les
colonies constituaient le maillon faible du capitalisme mondial afin de
favoriser la naissance d’un socialisme différent du socialisme soviétique.
Situé désormais comme « neutraliste » entre les deux blocs, favorable à
l’indépendance de toutes les colonies, il se lance à partir de 1951 dans le
combat pour le rassemblement des gauches indépendantes de la SFIO* et du
PCF qui vont le mener des « Nouvelles Gauches » à l’UGS – dont il devient
secrétaire national en 1958 –, enfin au PSU* dont il est secrétaire adjoint. En
1972, il rejoint le PS, dont il devient secrétaire national. Député européen en
1979, il est nommé ambassadeur en 1981 et participe au cabinet de Rocard* à
Matignon avant de se retirer de la vie politique.
Gilles MORIN
Bibl. : Gilles Martinet, L’Observateur engagé, J.-C. Lattès, 2004.

MASCHINO, MAURICE TARIK (1931-2021)


Né le 14 octobre 1931 à Paris, Maurice Maschino est issu d’une famille
russe anticommuniste exilée en 1917. Sa mère et son beau-père participent à
la Résistance* pendant la Seconde Guerre mondiale. Élève au lycée Fénelon
à Paris, il obtient son baccalauréat en 1950 et poursuit ses études en
hypokhâgne. Il commence à travailler pour préparer sa licence, se marie et a
un premier enfant. Il trouve un travail d’instituteur à Ouezzane, au Maroc*,
en 1951. Rapidement, le couple s’oppose à la situation coloniale et se tient à
l’écart des Français du Maroc. Muté à Azrou après l’obtention de sa licence
en juin 1954, Maschino est en contact avec des élèves acquis au
nationalisme* et s’initie à l’anticolonialisme. À Azrou, il rencontre Olivier
Todd, le futur journaliste alors appelé du contingent, proche de Jean-Paul
Sartre* et de Simone de Beauvoir*, avec qui il discute d’une éventuelle
désobéissance en cas de participation à la guerre d’Algérie. En 1956, il se
rapproche de Mehdi Ben Barka, en écrivant des articles pour son journal Al
Istiqlal et en organisant des réunions à son domicile. Puis il rencontre Jacques
Kermoal, ancien résistant devenu anticolonialiste et participant aux activités
du FLN* au Maroc. Il se rapproche alors du Parti démocrate de
l’indépendance (PDI), d’obédience communiste, écrit dans Démocratie, se
découvre une vocation journalistique et se rapproche d’Algériens. Appelé
sous les drapeaux le 27 mai 1957 à Rabat, il ne répond pas à l’ordre d’appel
et s’insoumet. Il reste dans un premier temps à Azrou, avant de rejoindre la
métropole avec sa femme et ses enfants, qu’il laisse là-bas, et ne les retrouve
en Espagne qu’en août 1957. Son geste est condamné par sa mère et son
beau-père. Recherché au Maroc, il rejoint la Tunisie* en passant par
l’Espagne et l’Italie*. Il est condamné à un an de prison* par contumace en
1958. Il continue à enseigner en Tunisie, rencontre d’autres réfractaires*,
fréquente les bureaux du FLN et écrit pour différents journaux. Il publie le
témoignage* de son insoumission chez Maspero* en 1960, puis un dossier
plus conséquent sur les réfractaires, toujours chez le même éditeur*, en 1961.
Les deux livres sont saisis et poursuivis, mais n’ont pas fait l’objet de
condamnations. Après l’indépendance, Maurice Maschino s’installe en
Algérie, prend la nationalité* algérienne et se choisit le prénom Tarik. Il se
remarie avec l’écrivaine féministe Fadela M’Rabet. Le couple travaille
notamment pour la Radio Chaîne 3, avant de s’installer définitivement en
France en juillet 1971 du fait d’une situation de plus en plus difficile en
Algérie. Maurice Maschino travaille comme enseignant tout en continuant
ses activités de journaliste au Monde diplomatique, et d’écrivain. Il meurt à
Paris, le 19 avril 2021.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Maurice Maschino, Le Refus, Maspero, 1960 • —, L’Engagement (le
dossier des réfractaires), Maspero, 1961 • Tramor Quemeneur, « Maschino
Maurice puis Tarik », Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier,
maitron.fr, disponible en ligne, 2013.

MASPERO, FRANÇOIS (1932-2015)


Au relais de Jérôme Lindon* et de Nils Andersson, un jeune libraire-
éditeur*, François Maspero, issu d’une famille d’intellectuels et de résistants,
s’éloignant du parti communiste à cause de la guerre en Algérie, s’engage
dans les réseaux de porteurs de valises* et auprès de la jeune révolution
cubaine, découverte dès 1960. Protégée par une poignée d’étudiants*, La Joie
de lire, sa librairie généraliste, distribue tous les journaux, livres et
périodiques saisis. Elle est plastiquée lors des « nuits bleues » de l’OAS*. Sa
maison d’édition, créée en 1958, fut la plus saisie avec Minuit : 14 livres et
2 numéros de revues*. La guerre d’Algérie lui coûta aussi son distributeur,
L’Intercontinentale du livre (Seghers). Il dut s’autodistribuer jusqu’en 1971
avant de rejoindre la Sodis-Gallimard.
Après un premier livre, La Guerre d’Espagne de Pietro Nenni en 1959,
Maspero est l’éditeur, selon Pierre Vidal-Naquet*, du « tiers-mondisme »,
avec la réédition d’Aden Arabie de Paul Nizan (1960), préfacée par Jean-Paul
Sartre*, Les Damnés de la terre de Frantz Fanon* (1961), Défense politique
de Jacques Vergès* (1961) et La Guerre de guérilla de Che Guevara (1962).
En 1961, Maspero conçoit les ultimes livraisons de Vérités Pour, l’organe du
réseau Jeanson*. Avec ses compagnons de la « génération algérienne* »,
contrainte selon ses mots de se « débrouiller seule » par la faillite des partis
de gauche, il lance la revue Partisans (1961-1974), sous la triple égide de
l’expérience algérienne, de l’engagement anti-impérialiste et de l’héritage de
la Résistance*. La seconde livraison est saisie, du fait de sa tribune sur le
17 octobre 1961*, dont il a été témoin. Au sein du front éditorial, il est sans
doute le plus proche des insoumis et des déserteurs avec Le Droit à
l’insoumission, composé par Maspero, Le Refus et L’Engagement de
Maschino*, mais aussi du FLN* (Zohra Drif*, La Mort de mes frères), et le
plus censuré en 1960-1961. Le fort recueil de documents conçu par Patrick
Kessel et Giovanni Pirelli, Le Peuple algérien et la guerre, attendit la fin du
conflit pour paraître, et la maison d’édition demeura l’hôte de nombreux
écrivains et poètes algériens et maghrébins.
Julien HAGE
Bibl. : Catherine Brun (dir.), Guerre d’Algérie, Les mots pour la dire,
Éditions du CNRS, 2014 • Nicolas Hubert, Éditeurs et éditions pendant la
guerre d’Algérie, 1954-1962, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012 • Alain
Léger, Bruno Guichard et Julien Hage (dir.), François Maspero et les
paysages humains, Lyon, À plus d’un titre-La Fosse aux ours, 2009.

MASPÉTIOL, RAPPORT
Ce rapport est le fondement à partir de 1955 d’une nouvelle politique
algérienne du gouvernement français. En octobre 1954, le cabinet Mendès
France* crée un Groupe d’étude des relations financières entre la métropole
et l’Algérie, présidé par le conseiller d’État Roland Maspétiol. Aucun
Algérien n’y est désigné. Sa mission consiste à procéder à une analyse des
finances de l’Algérie et à évaluer les investissements à assumer pour résoudre
les difficultés économiques de la colonie. Le rapport est remis au
gouvernement en juin 1955.
En Algérie, les rapports administratifs décrivent une situation intenable
due, écrit La Revue du Trésor de juillet 1960, à un état économique en 1950
peu différent de celui de 1930. La revue ajoute qu’un « petit groupe de jeunes
fonctionnaires », en poste en Algérie, produit à l’époque des travaux qui
dessinent « la toile de fond de l’avenir économique et social de l’Algérie ».
Ils font « apparaître une issue à l’impasse en laquelle une démographie*
surabondante avait conduit l’Algérie ». Le rapport Maspétiol allait, selon la
revue, marquer une étape de « l’approfondissement de ces études ».
Document de 223 pages, il est publié à Paris en juin 1955 sous le titre
Rapport général du groupe d’étude des relations financières entre la
métropole et l’Algérie.
La commission Maspétiol propose l’application, à partir de 1955, d’un
plan d’investissement annuel de 15 milliards. On en attend croissance
économique, logements* et élévation du niveau de vie des Algériens.
Edgar Faure, président du Conseil depuis février 1955, présente ce plan à
l’Assemblée nationale le 18 octobre 1955. Il le qualifie de « courageux »,
« nouveau » et prenant « son départ dans la reconnaissance de faits ». Il fait
immédiatement siennes ses propositions.
La même année, en Algérie, un groupe de travail rédige des Perspectives
de développement, établies pour la période 1957-1966, devenues Perspectives
décennales de développement économique de l’Algérie, publiées en
mars 1958 par le ministère de l’Algérie. Enrichies par les résultats de
l’enquête de la commission Maspétiol, elles servent en 1957 à définir le
contenu du plan annoncé à Constantine le 3 octobre 1958 par le général de
Gaulle*, d’où le nom de plan de Constantine*. En décembre 1958, le Général
charge Paul Delouvrier* de son exécution en le nommant délégué général
pour l’Algérie. Celui-ci s’adjoint le polytechnicien algérien Salah Bouakouir
qu’il promeut au poste de secrétaire général adjoint pour les affaires
économiques. Le document existe sous le titre de Plan de développement
économique et social en Algérie (1958-1961).
Ahmed HENNI
Bibl. : Alain Cotta, « Les perspectives décennales du développement
économique de l’Algérie et le plan de Constantine », Revue économique,
vol. 10, no 6, 1959 • Groupe d’études des relations financières entre la
métropole et l’Algérie, Rapport général, juillet 1955, disponible en ligne :
www.cvce.eu/education • Jean Vibert, « Le plan de Constantine », La Revue
du Trésor, no 7, juillet 1960.

MASSIGNON, LOUIS (1883-1962)


Né le 25 juillet 1883 à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), Louis
Massignon, professeur au Collège de France (1919-1924), titulaire de la
chaire de sociologie musulmane (1926-1954), est un éminent spécialiste de
l’Islam. Ses relations avec les responsables politiques et sa participation à
diverses commissions en font dès les années 1940 un des intellectuels les
mieux informés des réalités algériennes. Il multiplie les initiatives pour
réconcilier chrétiens et musulmans : cours du soir à Gennevilliers pour
travailleurs nord-africains, création du Comité chrétien d’entente France-
Islam (1947) puis du Comité France-Maghreb (1953), hommage aux ouvriers
algériens morts pendant les manifestations* parisiennes du 14 juillet 1953. Il
prône une « politique d’intégration des musulmans d’Algérie par l’accession
à la citoyenneté pleine et entière ». Ses analyses sur l’évolution de l’Algérie
dénonçant le mépris colonial publiées dans Esprit sont prophétiques. Dès le
1er novembre 1954*, il s’engage dans un combat moral et entame une tournée
de conférences pour la paix. Fidèle au principe de non-violence, il appelle à
la fraternisation entre les deux camps. Membre du Comité d’action contre la
poursuite de la guerre en Afrique du Nord (1955), du Comité de résistance
spirituelle (1956), il fait partie des « quatre M », avec Mauriac*, Marrou et
Mandouze*, ces intellectuels catholiques, grands témoins de la guerre
d’Algérie, à l’origine de la création de comités contre les tortures, pour les
libertés démocratiques ou pour l’amnistie des condamnés politiques. En
1957, il témoigne à Alger au procès des chrétiens progressistes puis à Paris à
celui de Mohamed Ben Saddok, meurtrier d’Ali Chekkal, ancien vice-
président de l’Assemblée algérienne, connu pour ses sentiments francophiles,
qui venait d’assister à la finale de la coupe de France de football* aux côtés
du président René Coty. Perçu comme un traître par les partisans de l’Algérie
française, il est insulté et frappé, le 17 février 1958, lors d’une conférence au
Centre catholique des intellectuels français. Après avoir beaucoup attendu du
retour du général de Gaulle* au pouvoir, puis déçu et révolté par l’ampleur
des tortures et des exactions, il accueille avec soulagement les accords
d’Évian*. Solidaire de tous les Algériens, musulmans et chrétiens, il a
incarné, entre le FLN* et les partisans de l’Algérie française, une troisième
voie, pacifique, celle de la « réconciliation par la refondation du lien entre la
France et l’Algérie, moins par l’intégration des musulmans à la France que
par celle des Français d’Algérie dans le monde musulman ». Il meurt le
31 octobre 1962 à Paris, après avoir tenté de rapprocher le christianisme et
l’islam pendant toute sa vie.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Louis Massignon, Écrits mémorables, textes établis, présentés et
annotés sous la direction de Christian Jambet, par François Angelier,
François L’Yvonnet, Souâd Ayada et Christian Jambet, Bouquins, 2009.

MASSU, GÉNÉRAL JACQUES (1908-2002)


Né en 1908 à Châlons-sur-Marne dans une famille d’officiers*, Jacques
Massu commence sa carrière comme sous-lieutenant dans l’infanterie
coloniale au Maroc*, puis au Tchad. Massu répond à l’appel du 18 juin 1940.
Il rejoint la France libre en se rendant aux côtés de Félix Éboué. Il appartient
ensuite à la 2e DB de Leclerc et participe aux grandes campagnes de la
libération de l’Europe. En septembre 1945, il est placé à la tête d’un
détachement militaire qui débarque à Saïgon. Puis, il reprend Hanoï au
Vietminh à la fin de l’année 1946 à la suite de très brutales opérations
militaires. Ses méthodes de guerre sont controversées et il est renvoyé en
France dès 1947. Il sera notamment à la tête des troupes réprimant les
grèves* des mineurs dans le nord de la France en 1947. Nommé général de
brigade en juin 1955, il est envoyé dès juillet 1955 en Algérie pour
commander le groupement parachutiste d’intervention et les troupes
aéroportées d’Afrique du Nord. Il organise en Algérie la 10e division
parachutiste* qui prend forme le 1er juillet 1956. Après l’échec de l’opération
de Suez*, confronté à l’intensification de la lutte du FLN* à Alger, Massu
reçoit les pouvoirs de police* du préfet* Serge Baret, le 7 janvier 1957. C’est
le début de la première bataille d’Alger. À la tête d’une division de
6 000 hommes environ, il commande 8 régiments. Il est tristement célèbre
pour la répression sanglante lors des deux batailles d’Alger* en 1957. À la
suite de sa « victoire » à Alger, le poids de Massu dans l’armée comme sa
popularité auprès des pieds-noirs* est à son apogée. Lorsque les
manifestations du 13 mai 1958* se déclarent et que le Gouvernement
général* est pris, Massu joue les intermédiaires. Il fonde un comité de salut
public duquel il se nomme président, et exige de René Coty, alors président
de la République, le retour du général de Gaulle*. En janvier 1960, il critique
la politique de ce dernier dans un entretien accordé à un journal allemand, le
Süddeutsche Zeitung. Il est rappelé à Paris et doit quitter son commandement
en Algérie. En résidence à Baden-Baden, Charles de Gaulle vient le consulter
pour s’assurer du soutien de l’armée en plein milieu des troubles de Mai 68.
En juillet 1969, il quitte ses fonctions dans l’armée. En 2000, il reconnaît le
recours à la torture* par l’armée française durant la guerre d’Algérie en la
justifiant comme nécessaire en temps de guerre.
Marius LORIS
Archives : Dossier personnel de carrière de Jacques Massu (14 YD 2333,
SHD).
Bibl. : Jacques Massu, La Vraie Bataille d’Alger, Plon, 1971 • Pierre
Pellissier, Massu, Perrin, 2003.

MASSU, SUZANNE (1907-1977)


Suzanne Massu (née Rosambert) est infirmière dans la Résistance*
française et commandante des Forces féminines du Corps expéditionnaire en
Indochine*. En 1948, elle épouse Jacques Massu* et le suit en Algérie.
Au printemps 1957, alors que le général Massu assume les pleins
pouvoirs sur l’Algérois, Suzanne Massu crée l’Association pour la formation
de la jeunesse (AFJ) grâce à un don issu des fonds gérés par son mari.
L’objectif affiché est social : aider les jeunes Algériens qui vivent de petits
boulots ou de mendicité dont beaucoup sont des « réfugiés de l’intérieur » et
orphelins. Le but à peine caché est politique : empêcher que ces jeunes
marginalisés ne tombent sous l’influence du FLN*. À la suite des rafles* de
la « bataille d’Alger* », des Algériennes viennent à l’AFJ pour avoir des
nouvelles des membres de leur famille « disparus » ou arrêtés. Sans répondre
à ces demandes, l’association propose à ces femmes* du travail* rémunéré,
notamment le tricot à domicile.
Dans la foulée du 13 mai 1958*, et dans le but de promouvoir la
« fraternisation », Suzanne Massu crée le Mouvement de solidarité féminine
(MSF) avec Lucienne Salan, épouse du général. À travers des conseils sur les
arts ménagers et l’éducation des enfants, l’objectif est d’améliorer la
condition de la femme « musulmane » afin de gagner les cœurs et les esprits.
Le MSF dépend des financements de l’armée française et est fondé à
l’initiative du 5e bureau, chargé de l’action psychologique*.
L’intervention de Suzanne Massu dans le champ social est ambivalente.
Motivée par le désir de « faire évoluer » les populations démunies, imprégnée
par l’idéologie de l’« intégration », elle apporte un soutien réel à certains
jeunes et à certaines femmes. Cependant, en cherchant à tempérer le vide
économique, éducatif, sanitaire, voire affectif, qui sépare les communautés
« musulmane » et « européenne », cette action sociale cherche à prolonger la
présence française en Algérie et à faire perdurer une partition de la population
issue du système colonial et renforcée par l’action de l’armée française.
Le couple Massu quitte Alger quand le général est rappelé à Paris en
janvier 1960. Suzanne continue alors ses activités au sein de l’AFJ en
métropole.
Natalya VINCE
Bibl. : Yves Denéchère, « Les “enfants de Madame Massu”. Œuvre sociale,
politique et citoyenneté pendant et après la guerre d’Algérie », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, no 64, 2017 • Neil MacMaster, Burning
the Veil. The Algerian War and the “Emancipation” of Muslim Women,
1954-1962, Manchester, Manchester University Press, 2009.
MAURIAC, FRANÇOIS (1885-1970)
Né dans une famille bourgeoise, catholique et conservatrice bordelaise,
François Mauriac est, au moment de la Guerre d’indépendance algérienne, un
écrivain reconnu. Engagé en 1937 contre le franquisme, en 1940 contre
Vichy et le nazisme, figure de la résistance intellectuelle, l’académicien se
fait alors polémiste. Chaque semaine à L’Express puis au Figaro*, dans son
Bloc-notes, il apporte à la cause de la décolonisation l’autorité du prix Nobel
de littérature qu’il vient de recevoir. Le 2 novembre 1954, aux lendemains
des premiers attentats, son article intitulé « La guerre d’Algérie commence »
fait date. « Coûte que coûte, il faut empêcher la police* de torturer »,
prévient-il. Président du comité France-Maghreb, il se lance dans un combat
moral contre les tortures et sa voix dissonante marque la Semaine des
écrivains catholiques, le 13 novembre 1954, lorsqu’il affirme dans son
discours de clôture : « Ce n’est pas l’Imitation de Jésus-Christ mais
l’imitation des bourreaux de Jésus-Christ, au cours de l’Histoire, qui est
devenue trop souvent la règle de l’Occident chrétien. » Membre du Comité
d’action contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord (1955), déçu que
Pierre Mendès France* ne revienne pas au pouvoir, il durcit ses critiques sur
la politique de fuite en avant de Guy Mollet* en 1956. « Qu’est-ce qu’un
ministère socialiste ? écrit-il. Nous le savons aujourd’hui : c’est un ministère
qui exécute les besognes que le pays ne souffrirait pas d’un gouvernement de
droite. » Présent lors de la soutenance in absentia de la thèse de doctorat
d’État de mathématiques de Maurice Audin* à la Sorbonne (décembre 1957),
révolté par la saisie de La Question d’Henri Alleg*, il signe, avec Martin du
Gard, Malraux et Sartre*, en mars 1958, une lettre au président de la
République qui exige la condamnation de la torture*. Le retour au pouvoir du
général de Gaulle*, après le coup de force du 13 Mai*, enthousiasme
Mauriac qui le considère comme le seul et dernier espoir d’une pacification*
réelle en Algérie. Il soutient son action et choisit le silence pour ne pas gêner
sa politique algérienne tout en demeurant un esprit libre. Sa réaction, le
22 janvier 1962, au procès de Robert Davezies*, porteur de valises* du
FLN*, en témoigne : « Je crois que l’abbé Davezies a eu tort de faire ce qu’il
a fait, et je me réjouis qu’il l’ait fait. » Lors des attentats de l’OAS*,
exprimant tristesse et lassitude, il refuse de renvoyer les deux camps dos à
dos. L’écrivain français le plus célèbre fut aussi le plus haï par les partisans
de l’Algérie française pour lesquels il fut « aussi redoutable que plusieurs
bataillons de fellaghas. »
Sybille CHAPEU
Bibl. : François Mauriac, Le Bloc-notes (1952-1970), 2 vol., édition établie et
annotée par Jean Touzot, Bouquins, 2020.

MEDDAD, OURIDA (1938-1957)


Ourida Meddad a 19 ans lorsqu’elle est arrêtée par les militaires français
dans la Casbah au mois d’août 1957. Quelques jours après son arrestation,
elle est transportée à la morgue de Saint-Eugène. Les circonstances de sa
mort à l’école Sarrouy – haut lieu de torture* utilisé durant les vacances
scolaires, en raison de sa proximité avec la Casbah – ne sont pas encore tout à
fait élucidées. Deux thèses coexistent, celle du suicide et celle de la
défenestration par des parachutistes* tortionnaires.
Ourida Meddad est la fille unique d’une famille originaire de Tigounatine
en Kabylie, installée à la casbah d’Alger. Sa scolarité est partagée entre
l’école animée par l’association islamique « Essabah » et l’école française
puis le lycée. Elle rêvait de travailler dans la couture quand la guerre de
libération commence. Elle s’engage aussitôt dans les réseaux de la résistance
malgré la réticence de ses parents. Elle devient agent de liaison et transmet
courrier et consignes qu’elle reçoit lors de ses contacts avec le FLN*.
Repérée ou dénoncée, Ourida Meddad est arrêtée et conduite à l’école
Sarrouy où elle subit les pires tortures ordonnées par le lieutenant Maurice
Schmitt du 3e RPC. Lyès Mohammed, dit Hani, responsable FLN, détenu
depuis le 17 août 1957, confie à Florence Beaugé (2005) avoir croisé Ourida
Meddad à l’école Sarrouy : « Je sortais de la salle de torture. Elle y entrait.
On l’avait mise nue. On a commencé à la passer à la gégène* […] devant
moi. Le lieutenant Schmitt était là. Ensuite, on m’a fait sortir. » Le corps
gisant d’Ourida Meddad est retrouvé dans la cour de l’école. Lyès Hani
ajoute : « J’ai entendu l’un des tortionnaires descendre à toute vitesse en
criant : “La salope, elle s’est défenestrée !” J’ai retenu ce mot parce que
c’était la première fois que je l’entendais. » À la morgue, sa famille venue
reconnaître le corps remarque les traces de brûlures sur sa poitrine, ses
mollets, ses pieds. Ourida Meddad repose au cimetière d’El Kettar. On
retiendra d’elle la force de caractère qui l’animait et sa détermination à libérer
l’Algérie.
Son nom est donné à un boulevard de la casbah d’Alger et au lycée d’El
Harrach. La médaille de l’Ordre du Mérite national lui est attribuée à titre
posthume le 5 avril 1997. Le peintre Mustapha Boutadjine a immortalisé le
visage juvénile d’Ourida Meddad en 2011.
Karima RAMDANI
Bibl. : Florence Beaugé, Algérie, une guerre sans gloire. Histoire d’une
enquête, Calmann-Lévy, 2005.

MELOUZA-BENI ILLEMANE
Dans la nuit du 28 au 29 mai 1957, 301 hommes et adolescents,
soupçonnés de sympathies messalistes, sont exécutés à la mitraillette, à la
hache, à la pioche ou au couteau par plusieurs dizaines de maquisards affiliés
au FLN*, accompagnés de 200 civils originaires des alentours. 105 personnes
sont blessées. Les faits ont lieu à la limite des départements de Sétif et de
Médéa, dans la mechta Kasbah, peuplée de 700 habitants et rattachée au
douar Beni-Illemane, distant d’une dizaine de kilomètres du village de
Melouza.
Le massacre est ordonné par Abdelkader Bariki, dit Sahnoun, sous-
lieutenant de la Wilaya 3* de l’ALN*, un proche d’Amirouche Aït Hamouda,
placé sous l’autorité du colonel Saïd Mohammedi* – qui reconnaît sa
responsabilité dans le documentaire de Benjamin Stora*, Les Années
algériennes, diffusé sur Antenne 2 en septembre 1991.
La tuerie s’inscrit dans le conflit entre le FLN et le MNA* dont les
groupes armés ont été évincés de Kabylie pour se replier dans le Sud-
Algérois. Elle reflète cependant un autre antagonisme, ravivant des rivalités
de longue date, dans la mesure où la mechta Kasbah est arabophone tandis
que ses bourreaux sont berbérophones.
Dans un tract, la Wilaya 3 justifie ces exécutions en accusant les
villageois d’être des « traîtres » – avant la tuerie, la mechta Kasbah accueillait
plus volontiers les combattants messalistes – et prévient ainsi leurs voisins du
sort réservé à « ceux qui ne veulent pas marcher avec la Glorieuse ALN ».
Pourtant, devant l’émotion suscitée par le massacre, la direction du FLN
refuse d’en endosser la responsabilité pour la rejeter sur l’armée française.
En effet, cette attitude fait suite à l’appel de René Coty, radiodiffusé le
31 mai, dans lequel le président français invite le « monde civilisé » à refuser
« toute audience aux fauteurs et aux agents de ce hideux terrorisme qui foule
aux pieds toutes les lois divines et humaines au mépris de la conscience
universelle ». Les autorités françaises cherchent à mettre à profit l’onde de
choc créée par la tuerie. Une plaquette intitulée Melouza & Wagram
accusent… est publiée par le service de l’information du Gouvernement
général* de l’Algérie.
En réaction, M’hamed Yazid envoie, le 3 juin, un télégramme au
secrétaire général des Nations unies* proposant « une enquête internationale
sur les méthodes utilisées par les belligérants en Algérie ». Le même jour,
lors d’une conférence de presse organisée par le FLN à Tunis, Frantz Fanon*
déclare : « L’odieuse machination de Melouza […] donne la mesure du
cynisme et de la perfidie monstrueuse des autorités françaises. »
À l’inverse, le représentant du MNA aux États-Unis*, El Abed Bouhafa,
publie à la même date un communiqué condamnant le FLN – sans le
nommer – mais aussi « la tentative faite par le Président Coty de jeter le
discrédit sur cette cause en profitant de la tragédie de Melouza ». Le MNA
diffuse un tract accusant « les bandes criminelles et barbares agissant sur les
directives des pseudo-patriotes du FLN », tout comme le « gouvernement
français et sa presse [qui] se précipitent avec avidité sur ce drame, cherchant
à discréditer la lutte du peuple algérien ».
Le parti messaliste lance un mot d’ordre de « grève* générale de deuil »
pour le 5 juin. En région parisienne, 521 débits de boissons sont fermés et
11 % des travailleurs algériens suivent ces consignes à Courbevoie,
Levallois-Perret, Puteaux, Saint-Ouen, ainsi que dans les 10e, 12e, 17e, 18e et
19e arrondissements de Paris. Le nord, l’est et le centre de la France sont
davantage touchés. Mais le MNA accuse la CGT* et le PCF* d’avoir
« saboté » l’appel.
Le PCF se distingue de la gauche en relayant la thèse avancée par le FLN.
Cette attitude est saluée par Bachir Hadj Ali* qui écrit le 12 juin à Maurice
Thorez : « Seul le PCF et sa presse ont tenu tête […] au déferlement de
calomnies déversées sur les Algériens pour salir notre juste cause. » A
contrario, une dizaine d’intellectuels, dont Claude Bourdet*, Jean Daniel ou
Jean Rous, « lancent un appel instant aux dirigeants du FLN et de l’ALN
pour que ceux-ci désavouent publiquement de pareils procédés de combat ».
Début juin, 200 ouvriers algériens quittent par avion la région parisienne
pour servir dans l’armée française. D’après un rapport, ils sont partis pour
« faire payer la dette du sang à ceux qui ont massacré les leurs ». Fin juillet,
trois responsables du massacre sont retrouvés dans l’Algérois, exécutés d’une
balle dans la nuque (La Dépêche quotidienne d’Algérie, 3 août 1957).
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Les Français devant la guerre civile
algérienne », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français,
Fayard, 1990 • James D. Le Sueur, Uncivil War. Intellectuals and Identity
Politics during the Decolonization of Algeria, Lincoln, University of
Nebraska Press, 2005 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002.

MÉMORIAL NATIONAL
DE LA GUERRE D’ALGÉRIE
Le Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc* et
de la Tunisie*, situé quai Branly à Paris, est l’œuvre de Gérard Collin-
Thiébaut, artiste français né en 1946. Ce mémorial se divise en trois colonnes
parallélépipédiques de 5,85 mètres de hauteur sur 60 centimètres de côté,
illuminées par des diodes aux couleurs du drapeau français. Le nom du
mémorial est inscrit sur les côtés des première et troisième colonnes. Il se
regarde en étant face au sud, tourné vers l’Algérie.
Il a été inauguré le 5 décembre 2002 par le président de la République
Jacques Chirac*, qui souligne dans son discours la reconnaissance tardive de
la République à l’égard des soldats français qui ont participé au conflit (par la
loi d’octobre 1999) et les difficultés de la mémoire de cette guerre. Le
mémorial montre d’autant plus une volonté de rattraper le retard qu’il se situe
au pied de la tour Eiffel. La date d’inauguration du mémorial a ensuite été
choisie pour commémorer la « journée nationale d’hommage aux morts pour
la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la
Tunisie », par un décret passé le 26 septembre 2003. Elle est cependant
rejetée par une partie des anciens combattants* qui lui préfèrent le 19 mars*.
Sur le parterre devant le monument est inscrit le texte suivant : « À la
mémoire des combattants morts pour la France lors de la guerre d’Algérie et
des combats du Maroc et de la Tunisie, et à celle de tous les membres des
forces supplétives, tués après le cessez-le-feu en Algérie, dont beaucoup
n’ont pas été identifiés. » Les noms et prénoms des soldats français (appelés
et militaires de carrière) et des supplétifs* (dont les harkis*) défilent sur les
première et troisième colonnes. Les noms sortent du sol, faisant s’élever le
regard, dans une symbolique classique de mort et de spiritualité. La troisième
colonne est reliée à une borne interactive permettant la recherche d’un nom.
La deuxième colonne est consacrée à des messages, rappelant notamment
le nombre de soldats ayant servi en Afrique du Nord. Depuis 2010, elle
indique aussi les noms des civils français morts et disparus. Une plaque se
situant sur le côté gauche du mémorial, érigée en 2006, rappelait déjà leur
souvenir. Parmi les noms de civils qui défilent figurent ceux de la fusillade*
du 26 mars 1962, ce qui crée d’importantes polémiques (l’OAS* ayant
organisé cette manifestation). De plus, le 28 février 2012, le nouveau
secrétaire d’État aux Anciens Combattants Marc Laffineur y fait figurer
1 585 nouveaux noms de civils disparus au cours d’une cérémonie qui se
termine par Le Chant des Africains, l’hymne des nostalgiques de l’empire
colonial. L’initiative suscite de nouvelles protestations. Ce monument, venant
combler un manque qui a longtemps existé, est donc aussi symbolique des
tensions mémorielles autour de la guerre d’Algérie.
Tramor QUEMENEUR
Bibl : Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie : une mémoire apaisée ?,
Seuil, 2005 • Tramor Quemeneur, « Un mémorial pour la guerre d’Algérie »,
Textes et documents pour la classe, no 1103, avril 2016.

MENDÈS FRANCE, PIERRE (1907-1982)


Président du Conseil lors du déclenchement de la guerre d’Algérie, en
poste de juin 1954 au 23 février 1955, Mendès France est entré dans l’histoire
de la décolonisation comme syndic de faillite de la IVe République* en
Indochine*, puis comme initiateur de l’autonomie de la Tunisie*, sans avoir
désiré son indépendance. « Bradeur de l’empire » pour les défenseurs de la
colonisation, son positionnement et son rôle dans la guerre d’Algérie
s’avèrent conformes à son héritage.
Représentant de la gauche du parti radical*, avocat parisien élu député de
l’Eure depuis 1932, il est jusqu’à la Libération un représentant classique de la
IIIe République, fidèle à son universalisme, à l’idée de l’unité de la nation et
de l’empire. Militant de la Ligue des droits de l’homme* dans sa jeunesse et
président de sa branche juvénile à la fin des années 1920, il partage la
promesse française d’émancipation individuelle.
Mendès aurait compris le caractère nécessaire et inéluctable de la
décolonisation, affirmaient certains historiens. Toutefois, le président du
Conseil de 1954, convaincu de son caractère nécessaire, aurait refusé
l’abandon, souhaité une émancipation progressive, et jugé essentiel pour
l’avenir de la France le maintien de liens étroits et de l’influence française
dans les pays émancipés. Pour Claude Liauzu, au contraire, son
gouvernement a mené deux politiques distinctes, « d’une part la liquidation
des crises déjà très avancées qui pèsent sur le pays ; d’autre part l’amorce
d’une révision des autres liens coloniaux, notamment en Afrique du Nord,
mais pour mieux les pérenniser ».
L’Algérie n’était pas à l’agenda gouvernemental : le discours
d’investiture en juin 1954 évoque brièvement « nos départements algériens »
dans un développement sur ses deux voisins qui ne doivent pas devenir des
« foyers d’insécurité ». L’insurrection du 1er Novembre* prend le président
du Conseil de court. Mendès fait adopter des mesures de sécurité immédiates.
Les deux ministres chargés de l’Algérie, Mitterrand*, à l’Intérieur, et le
maire* d’Alger, Chevallier*, secrétaire d’État à la Guerre, coordonnent la
répression, avec des opérations de police* dans l’Oranais, des opérations
militaires dans l’Aurès, des arrestations de nationalistes et l’envoi de renforts
en Algérie. Sur le plan politique, le gouvernement dissout le MTLD et
interdit les hebdomadaires nationalistes et communistes.
Le 12 novembre à l’Assemblée, Mendès prononce la fameuse formule
« L’Algérie, c’est la France, et non un pays étranger que nous protégeons ». Il
rejette ainsi l’accusation d’une politique de « faiblesse » en Tunisie qui aurait
contribué à l’extension de l’agitation en Algérie. Alors que sa majorité est
fragilisée, il donne des gages à la droite et à la fraction la plus colonialiste de
son parti. Selon lui, aucun compromis ne sera fait à la « sédition » et il met
aussi en cause les encouragements étrangers de l’Égypte*.
Représentant d’une gauche modérée, Mendès propose, une fois l’ordre
rétabli, de s’attaquer ensuite aux « racines profondes des problèmes qui sont
d’abord économiques et sociaux ». Face à l’insurrection qu’il récuse – il ne
peut y avoir de guerre dans des départements français –, il propose une
politique de réformes et d’équilibre entre nationalistes et colonialistes. Le
plan de réformes économiques, administratives et culturelles présenté par
Mitterrand en janvier 1955 est contesté par les colons*. Une mesure dresse
particulièrement ses adversaires contre le gouvernement : la fusion des
polices d’Algérie et de la métropole, conçue pour éviter les « abus »,
périphrase de la torture*.
La nomination de Soustelle* comme gouverneur général le 25 janvier
1955 ne suffit pas à renforcer la position parlementaire du gouvernement,
ouvertement contesté par l’élu radical de Constantine, René Mayer. La guerre
d’Algérie n’est qu’un des éléments de cette contestation multiforme portant
aussi sur les questions financières, européennes, laïques, etc. Le
gouvernement est renversé le 15 février par une alliance de circonstance de la
droite et des communistes. Mendès France est nommé premier vice-président
du parti radical fracturé en novembre 1955 et en fait exclure un mois plus tard
son successeur Edgar Faure pour avoir dissous l’Assemblée nationale.
Appuyé par L’Express de Jean-Jacques Servan-Schreiber*, il met en place
avec la SFIO*, l’UDSR et une minorité d’anciens gaullistes le « Front
républicain* ». Après la victoire relative de ce dernier, Guy Mollet* est
appelé au pouvoir et Mendès devient ministre d’État. Il démissionne en mai
suivant, prônant pour l’Algérie une politique de négociation* avec les
nationalistes, mais en position de force.
Sa démission ne clarifie pas sa position d’hostilité à l’indépendance de
l’Algérie qu’il n’acceptera formellement que fin 1959. Exclu du parti radical,
il adhère avec ses amis au PSA. S’opposant avec constance à de Gaulle*, il
soutient Mitterrand à la présidentielle de 1965 puis Gaston Defferre en 1969.
Un temps élu pour le PSU*, engagé pour la paix au Proche-Orient, il est resté
de son vivant une figure et un repère pour une partie de la gauche française.
Gilles MORIN
Bibl. : Claude Liauzu, Dictionnaire de la colonisation française, Larousse,
2007 • Éric Roussel, Pierre Mendès France, Gallimard, 2007.
MESLI, CHOUKRI (1931-2017)
Choukri Mesli grandit à Tlemcen dans une famille qui sut préserver
l’héritage symbolique de la vieille cité, tout en affirmant des sentiments
nationalistes qui imprègnent l’éducation des enfants que l’on retrouvera
engagés dans le combat pour l’indépendance. Très tôt, Mesli met en cause le
rapport colonial dans ses premières toiles figuratives : Le Christ hurlant sous
vos bombes, en 1951, évoque la guerre d’Indochine*, celles de 1955
dénoncent, dans une temporalité condensée, la répression de Sétif en 1945 et
celle du 20 août 1955*. Après les Beaux-Arts d’Alger, il est admis aux
Beaux-Arts de Paris au moment de la Guerre d’indépendance. Il s’implique
au sein de la Fédération de France* du FLN* et participe à la grève* scolaire
lancée par le FLN. Exclu de l’école, il est réintégré grâce à ses professeurs.
En Algérie, son frère et sa sœur sont arrêtés et emprisonnés. Mesli, arrêté en
France pour refus de faire le service militaire*, est mis au service
cartographique des armées d’où il s’enfuit après avoir détourné des cartes
d’état-major. Il les utilise pour en faire une série d’œuvres en peignant à
même les documents des paysages abstraits qu’il intitule Les Camps, rappel
du vaste système d’internement qui privait des centaines de milliers
d’Algériens de liberté. En situation de désertion, il quitte la France grâce aux
réseaux de soutien du FLN et se réfugie au Maroc* où il enseigne et continue
à peindre. Les œuvres Algérie en flammes ou Le Phénix confirment le
tournant vers une peinture abstraite, intensément colorée, et traduisent les
affres d’un pays à feu et à sang mais aussi le feu sacré du combat pour la
liberté et l’espoir d’une renaissance après l’épreuve. Traversée par l’histoire,
l’œuvre de Mesli n’en est pas moins marquée par la recherche du bonheur qui
s’exprime déjà dans la toile exubérante La Fête, inspirée de la liesse de
l’indépendance. Revenu en Algérie dès 1962, acteur social présent sur tous
les fronts, il enseigne aux Beaux-Arts d’Alger et anime l’Union des arts
plastiques. Il s’investit dans deux événements artistiques majeurs : la création
du groupe Aouchem (Tatouages) en 1967 et le festival panafricain de 1969. Il
revendique ses racines africaines pour acter dans l’art et la culture le moment
décolonial. Se référer à une aire culturelle autre que celle imposée, avec ses
hiérarchies, par plus d’un siècle de domination coloniale, innerve ses œuvres
qu’il conçoit comme création et comme renouvellement dans l’optique du
palimpseste. Hommage sensible aux femmes*, référence au Tassili,
invocation totémique des ancêtres, mémoire des signes, ses œuvres sont à la
fois les inventions singulières d’un artiste majeur et les manifestes modernes
d’une réappropriation collective.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Françoise Liassine, Mesli, Alger, Enag, 2002 • —, Mesli l’Africain,
catalogue d’exposition, Alger, Mama, 2009.

MESSMER, PIERRE (1913-2007)


Diplômé de l’École coloniale, Français libre, Pierre Messmer est haut-
commissaire en AOF lors des indépendances africaines. De Gaulle* l’appelle
au ministère des Armées en février 1960, sans doute pour ses antécédents, sa
fidélité, et parce qu’il est favorable à l’indépendance de l’Algérie. Messmer
paraît plus technicien que politique. Il appliquera la politique du chef de
l’État.
Ses responsabilités le conduisent souvent en Algérie (quatorze fois de
1960 à 1962), avec le Général, ou seul. Connaissant les sentiments de
l’armée, il dissout le 5e bureau chargé de l’action psychologique, parce qu’il
n’y croit pas et que la politique du gouvernement n’y est pas clairement
défendue. Si ses instructions contre la torture* et les morts violentes sont
tardivement transmises par le commandement et peu suivies, le ministre
protège aussi les militaires coupables de crimes contre les membres du FLN*,
arguant du fait qu’ils luttent contre les « rebelles » et l’OAS*.
Lors du putsch* du 22 avril 1961, il est, avec Joxe*, responsable de la
répression et de la remise en ordre. Messmer, qui a proposé sa démission,
crée des commissions d’enquête et, après douze jours, considère que « les
fautes les plus graves ont été sanctionnées ».
Les réflexions sur l’avenir des harkis* et autres supplétifs* sont
antérieures aux négociations* finales. Après les accords d’Évian*, des
départs sont organisés en Algérie par les militaires et par Fouchet*, à Paris
par les ministres Joxe, Frey*, Boulin et Messmer. Cependant, s’il met des
camps militaires à disposition, il insiste pour que les supplétifs restent sur
place : ils devraient servir au développement du nouvel État, et les arrivées
massives entraîneraient des problèmes financiers et humains à la France ;
Messmer défend la rigueur de l’organisation des replis, sans rejeter des
demandes de départ qu’il estime justifiées, au compte-gouttes. Face aux
violences, il souhaite que la France intervienne plus fermement, pour imposer
le respect des accords, ménager les harkis et sauvegarder les bases militaires,
mais se heurte au refus du chef de l’État. Entre la politique d’ordre et de
rigueur, et le problème humanitaire, Messmer ne choisit pas. Il insiste
cependant davantage sur le drame vécu par les harkis dans ses mémoires.
En dix ans aux Armées, Messmer exécute fidèlement la politique de De
Gaulle. Il s’engage ensuite davantage : député de Moselle depuis 1968,
Premier ministre (1972-1974) après avoir été ministre des DOM-TOM.
Chantal MORELLE
Bibl. : François Audigier, François Cochet, Bernard Lachaise et Maurice
Vaïsse (dir.), Pierre Messmer. Au croisement du militaire, du colonial et du
politique, Riveneuve, 2012 • Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée
pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), Gallimard, 2001 • Pierre Messmer,
Après tant de batailles… Mémoires, Albin Michel, 1992.
METAÏCHE, ABDELKADER, DIT COMMANDANT
JABEUR (1928-1958)
Abdelkader Metaïche fait partie de ces militants de la première heure,
bien oubliés aujourd’hui. Né en 1928 à Ouled Moussa, petit village situé sur
le flanc du mont des Béni Snous (Tlemcen), il émigre en France et travaille
comme mineur à Oignies dans le Nord d’avril 1948 à janvier 1953. C’est
durant ce séjour qu’il milite au sein du MTLD et participe aux
manifestations* politiques et syndicales. Son séjour en France l’a
complètement transformé.
Revenu dans son village, Metaïche poursuit ses activités militantes. Il se
rapproche des éléments de l’Organisation spéciale* (OS), et plus
particulièrement d’Abdelhafid Boussouf* dont il devient un des rares
hommes de confiance. Il participe aux travaux du deuxième congrès du
MTLD, en avril 1953. À la veille du déclenchement de la guerre, outre la
mise en place de cellules, le recrutement de militants, l’aménagement des
grottes et des caches souterraines (pajeros), il est chargé de convoyer les
armes depuis le Rif marocain.
Au lendemain du 1er novembre 1954*, Metaïche (désormais Jabeur) est
désigné comme chef du secteur 1 (Tlemcen et le nord-ouest de
l’arrondissement). Comme tous les responsables des secteurs de la Zone 5, il
reçoit de Boussouf l’ordre de ne plus mener d’action pour éviter la fermeture
de la frontière marocaine. Le 1er octobre 1955, il est l’un des éléments les
plus actifs de l’offensive menée par la Zone 5. Boussouf, devenu colonel,
chef de la Wilaya 5*, confirme Metaïche en sa qualité de chef de la Zone 1
(Tlemcen) avec le grade de capitaine. C’est son groupe qui organise la
désertion des groupes de harkis* et goumiers en janvier-février 1956, et
multiplie les actions à Tlemcen notamment.
Cet ouvrier agricole, devenu ouvrier mineur, a su s’entourer de cadres de
valeur. Il eut tour à tour pour secrétaire Sid Ahmed Inal, Benali Dghine*, le
futur colonel Lotfi, puis Mohamed Lemkami, futur responsable au MALG.
À la mi-juin 1957, il crée les brigades spéciales de transport pour
acheminer des armes dans toutes les zones de la Wilaya 5 et vers les Wilayas
4* et 6*. Le 13 février 1958, encerclé par l’armée française dans sa cache
souterraine, non loin de Sidi Abdelli (Tlemcen), il ordonne à son secrétaire de
se rendre après avoir détruit les documents, les cachets, l’argent, et meurt les
armes à la main. Il venait d’être nommé commandant.
Fouad SOUFI
Bibl. : Bali Bellahsène, Héros anonymes de la Wilaya V : le commandant
Djaber, Alger, Thala, 2014 • Mohammed Lemkami, Les Hommes de l’ombre,
Alger, Dahlab, 2012.

MEYNIER, GILBERT (1942-2017)


Né le 25 mai 1942 à Lyon*, Gilbert Meynier s’est éveillé au militantisme
à la fin de la guerre d’Algérie, en organisant avec l’Unef* une manifestation*
en faveur de l’indépendance en 1961. L’un de ses professeurs est l’historien
Pierre Vidal-Naquet*, notamment engagé dans le comité Maurice Audin*. À
l’indépendance algérienne, il fait partie des « pieds-rouges* » et part en
Algérie pour participer à une campagne d’alphabétisation en 1963 et en 1964
dans le bidonville d’Oued Ouchaïh. Il revient en Algérie en 1967 comme
enseignant au lycée français d’Oran puis à l’université de Constantine
jusqu’en 1970. Il commence alors à parler l’arabe. De retour en France, il
enseigne à l’université de Nancy jusqu’à sa retraite en 2002. Sa thèse, dirigée
par André Nouschi et soutenue en 1979, porte sur l’Algérie dans la guerre de
1914-1918 et a été publiée sous le titre L’Algérie révélée. Elle met en lumière
la maturation de la question nationale pendant la Grande Guerre et tout le
premier quart du XXe siècle, avant la formulation des revendications
indépendantistes. Vingt ans plus tard, il publie une nouvelle somme,
consacrée cette fois à l’Histoire intérieure du FLN, qui dresse un portrait
extrêmement précis du FLN*, en refaisant la généalogie de la résistance
anticoloniale, puis s’interrogeant sur les différentes facettes du FLN et sur sa
relation au pouvoir. Il montre aussi les déchirements qui ont pu exister sur le
terrain, son rôle en tant que proto-État ou encore sa dimension à
l’international. Ce livre se double d’un deuxième, réalisé avec le politiste et
historien Mohammed Harbi*, composé de documents du FLN (Le FLN.
Documents et histoire. 1954-1962, Fayard, 2004). En 2010, Meynier continue
son travail en revenant sur l’histoire longue de l’Algérie, avec deux volumes
publiés à La Découverte : le premier portant sur L’Algérie des origines. De la
préhistoire à l’avènement de l’islam, et le second sur L’Algérie, cœur du
Maghreb classique. De l’ouverture islamo-arabe au repli. Il n’a
malheureusement pas publié le troisième volume sur la période ottomane. Il
désirait également coordonner un manuel franco-algérien, qui reste encore à
l’état de projet. Par ailleurs, Gilbert Meynier, acquis aux idées de la libre-
pensée et libertaires, s’impliquait aussi dans la cité, notamment contre la loi
du 23 février 2005*, au sein de l’association Coup de soleil, ou encore aux
côtés de son épouse Pierrette, militante de la Cimade*. Il s’est éteint une
quarantaine de jours après elle.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Abdelhafid Hammouche, « Gilbert Meynier, historien et militant »,
Raison présente, no 205, 2018/1 • Gilbert Meynier, L’Algérie révélée. La
guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle, Genève, Droz,
1981 • —, Histoire intérieure du FLN. 1954-1962, Fayard, 2002.

MICHELET, EDMOND (1899-1970)


Résistant de la première heure (il distribue des tracts appelant à la
résistance dès le 17 juin 1940), l’expérience de son arrestation en 1943, de la
prison à Fresnes puis de la déportation à Dachau, conjuguées à son
engagement catholique, marquent la façon dont Michelet entend la politique.
Il se dit lui-même « enclin à la clémence ». Est-il alors le bon ministre de la
Justice (1959-1961) choisi par de Gaulle*, après avoir été ministre des
Anciens Combattants* (1958-1959) ?
Ministre des Armées du GPRF, membre du RPF aux dépens de son
appartenance au MRP*, ce libéral favorable à une solution fédérale puis à une
indépendance négociée de l’Algérie (Contre la guerre civile, 1957) est connu
de De Gaulle. Opposé au terrorisme et à la torture*, soutenant ceux qui la
dénoncent y compris dans son cabinet, Edmond Michelet est une caution
morale et humaine dans le gouvernement de Michel Debré*.
Michelet doit mettre en ordre la justice en Algérie, mais il est en partie
dessaisi du fait des responsabilités croissantes de la justice militaire* et de la
création des procureurs militaires en 1960. Favorable à la négociation*, il est
en contact avec Ferhat Abbas*, avec les cinq dirigeants du GPRA* détenus,
dont il améliore les conditions de vie, et qu’il a contactés à la demande du
chef de l’État avant son discours sur l’autodétermination* ; il fait mener des
enquêtes (par Simone Veil*) sur les risques encourus par des détenus en
Algérie, organise des transferts en métropole et souhaite plus de sévérité à
l’égard des militaires tortionnaires. Sa position lui vaut l’hostilité des ultras,
ainsi que de Debré qui ne le supporte pas. En 1961, il tente pourtant, avec
Messmer*, de convaincre le procureur général de requérir la peine de mort
pour les généraux Challe* et Zeller*, selon le vœu du gouvernement et du
Président.
Voulant que Debré reste Premier ministre jusqu’à l’indépendance de
l’Algérie, de Gaulle demande à Michelet de démissionner en 1961. Il est
alors nommé au Conseil constitutionnel (1962-1967), puis ministre chargé de
la Fonction publique (1967-1968) et ministre des Affaires culturelles jusqu’à
sa mort (1969-1970).
Michelet est « Juste parmi les nations », fondateur de l’Association
France-Algérie en 1963, car « c’est dans l’amitié reconstituée et renouée avec
les Algériens que nous voulons travailler », dit-il.
Chantal MORELLE
Bibl. : Edmond Michelet, homme d’État, colloque organisé par les
Compagnons de la fraternité Edmond-Michelet, 1999 • Sylvie Thénault, Une
drôle de justice : les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte,
2001.

MICHELETTI, CLAUDE (1936-2004)


Claude Charles Émilien Micheletti naquit à Oran le 27 mars 1936. Il
poursuit ses études secondaires à Oran et Toulouse avant de s’inscrire à la
faculté de droit de Paris. Il est très lié à son père Charles dont il partage la
passion pour les sports d’élite, notamment les arts martiaux et l’escrime. Tous
deux se retrouvent engagés dans l’OAS*. En 1956, dans le cadre des
premiers « comités d’autodéfense des quartiers européens », il s’initie déjà
aux côtés de son père aux actions de violence.
En 1959, Claude Micheletti effectue son service militaire* dans un
commando de chasse de l’infanterie de marine en Kabylie, déserte son unité
et se rend à Alger où il participe en janvier 1960 aux journées des Barricades,
et écope de plusieurs jours d’arrêt de rigueur. Le 24 avril 1961, lors du
putsch* des généraux, il déserte une deuxième fois et rejoint son père dans la
clandestinité, en Oranie. Ce dernier est absorbé par la mise en place d’un état-
major et des structures de commandos d’action dits « collines » de l’OAS
oranaise. Claude Micheletti, alias Baba, est admis dans l’état-major où il sert
en qualité de responsable de l’ORO (Organisation et Renseignements
Opérationnels), tandis que son père Charles prend en charge l’action
psychologique.
Partisan inconditionnel de la stratégie jusqu’au-boutiste, son action à la
tête de l’ORO a consisté à la mobilisation de la population européenne dans
le but de prendre, le moment venu, le contrôle des lieux de pouvoir. Il impose
des méthodes mafieuses (racket, impôt révolutionnaire, perquisition de
logements) contre ses coreligionnaires qui doivent s’y soumettre de gré ou de
force.
Il s’est employé activement à la mise en place d’un service de
surveillance téléphonique des personnalités civiles et militaires engagées
contre l’OAS et a également été responsable de l’établissement de la liste des
« actions ponctuelles » à opérer contre les tenants du pouvoir gaulliste, civils
et militaires.
Claude Micheletti désavoue l’accord signé à Alger le 18 juin par Jean-
Jacques Susini* au nom de l’OAS avec le FLN* et appelle à la poursuite des
combats. De même, il rejette la fin des combats que lance le colonel Dufour
le 26 juin. Le lendemain, son père annonce à la radio* l’arrêt des combats à
Oran. Il quitte la ville le 28 juin et se réfugie en Espagne, avant de s’installer
à Nice, après l’amnistie de 1968.
Saddek BENKADA
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2005 • Joseph Katz,
L’Honneur d’un Général. Oran, 1962, L’Harmattan, 1993 • —, « … Une
destinée unique… » Mémoires (1907-1996), L’Harmattan, 2011 • Jean
Monneret, La Phase finale de la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 2000.

MINES
Dès 1955, les artificiers de l’ALN* fabriquent des mines artisanales,
souvent à base d’obus d’artillerie modifiés. Dissimulées sur les itinéraires des
patrouilles ou des convois français, elles se déclenchent généralement sous un
véhicule. Puis les combattants algériens produisent au fil du temps des mines
plus puissantes, indétectables par les appareils magnétiques. De leur côté, les
forces françaises utilisent bien plus massivement des mines, en protection des
nombreux postes quadrillant le territoire : mines éclairantes, mines
antipersonnels APID 51 (antipersonnel à pression indétectable modèle 1951)
et APMB-51/55 (antipersonnel métallique bondissante modèle 1951
modifiées en 1955). Les premières, dites « encrier » en raison de leur forme,
contiennent quelques dizaines de grammes d’explosifs dans une enveloppe en
plastique. Enfouies, elles arrachent le pied. Les secondes, fixées sur un
piquet, sont reliées à un fil tendu à quelques centimètres du sol. Leur
détonateur déclenche deux charges : une première propulse la mine à hauteur
d’homme, puis une seconde plus puissante projette des billes d’acier à
plusieurs dizaines de mètres alentour. L’armée française emploie également
plus de 3 millions de mines le long des barrages* frontaliers. Plus rarement, à
la fin du conflit, les commandos* de chasse posent des mines sur les sentiers
empruntés par leurs adversaires.
En 1963, l’Algérie, qui estime à 11 millions le nombre de mines posées
par la France, entreprend la dépollution de son territoire. D’anciens harkis*,
mal préparés et mal équipés, employés comme démineurs, paient un lourd
tribut. Selon un décompte d’Alger, 8 millions de mines sont neutralisées
jusqu’en 1988, avant une suspension des chantiers en raison de la guerre
civile. Le 20 octobre 2007, à la demande du président Sarkozy*, le général
Georgelin, chef d’état-major des armées, remet officiellement au général
Ahmed Gaïd Salah, son homologue algérien, les plans des zones minées entre
1956 et 1959. Reprenant ses opérations, l’Algérie traite également des zones
polluées par les maquis islamistes durant les années 1990 ainsi que des sites
stratégiques minés à la même époque par son armée. Elle neutralise ainsi
600 000 engins supplémentaires jusqu’en janvier 2017. Elle met alors fin au
déminage, tout en évaluant à 3 millions le nombre d’engins non retrouvés.
Selon Ahmed Gaïd Salah, devenu vice-ministre algérien de la Défense, les
mines françaises ont causé la mort de 4 830 moudjahidines* durant la guerre
et de 2 470 civils depuis l’indépendance. Un travail conjoint sur les mines
aux frontières est l’une des vingt-deux recommandations du rapport Stora*
rendu en janvier 2021.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Frédéric Médard, Technique et logistique en Algérie. L’armée
française et son soutien, 1954-1962, Panazol, Lavauzelle, 2004.

MIRA, ABDERRAHMANE (1922-1959)


Abderrahmane Mira est né en 1922 à Bounda (At Melikeche, Kabylie)
d’une famille paysanne pauvre. Orphelin dès son jeune âge, il occupe divers
petits métiers à Annaba, puis à Alger. Après avoir accompli son service
militaire* dans l’Ouest algérien, il émigre en France et travaille comme
ouvrier métallurgiste à Nancy puis cafetier à Pantin et Aubervilliers en région
parisienne. Il adhère au MTLD et soutient les centralistes durant la crise du
parti avant de rejoindre le FLN* vers la fin de 1954. Adjoint de Belkacem
Krim*, il est chargé de guerroyer contre les combattants « messalistes » du
MNA* dans le versant sud du Djurdjura où Larbi Oulebsir, membre de la
direction messaliste, exerçait une grande influence sur les militants
nationalistes. Très bon connaisseur du terrain, il est affecté en août 1956 à la
sécurité des participants au congrès de la Soummam*. Capitaine de l’ALN*,
il est envoyé en Wilaya 6* avec un bataillon pour venir en aide au colonel Si
Cherif, aux prises avec les éléments de Bellounis*.
En octobre 1957, Krim le désigne comme contrôleur militaire en
Tunisie*. Il retourne en Wilaya 3* en février 1959, dépêché par le GPRA*
pour enquêter sur la « bleuïte* ». Il constate les dégâts des purges et met fin
temporairement aux tortures et assassinats des combattants soupçonnés d’agir
en intelligence avec l’ennemi. Il procède à la libération de détenus et à leur
affectation.
La mort d’Amirouche au combat en mars 1959 attise les tensions entre
Abderrahmane Mira et Mohand Oulhadj* qui se querellent pour la succession
à la tête de la Wilaya 3. Une confusion est née lorsque Oulhadj est promu
chef de la Kabylie le 31 octobre 1959 par le colonel Mohammedi* Saïd, dit
Si Nasser, chef de l’État-major général-Est. Cette lutte de leadership au
moment où l’armée française déroulait son rouleau compresseur sur les
maquis du FLN, en lançant l’opération « Jumelles », s’est compliquée par
l’opposition interne des « officiers libres ». Ces derniers décident de déposer
les deux chefs prétendants à la direction de la wilaya. La crise est résolue par
la mort d’Abderrahmane Mira au combat le 6 novembre 1959, près d’Aït
Hyani, dans la région d’Akbou. Son corps est exposé dans les villages de la
région. Il reste introuvable à ce jour.
Ali GUENOUN
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Mira Tarek, « 60e anniversaire de la disparition de Abderrahmane
Mira. Le Tigre de la Soummam à l’épreuve de l’oubli », El Watan,
6 novembre 2019.

MISSION DE FRANCE
La Guerre d’indépendance algérienne trouve à la Mission de France,
créée le 24 juillet 1941 pour former des prêtres chargés d’évangéliser les
régions les plus déchristianisées, un lieu particulièrement sensible à ses
enjeux. L’institution missionnaire a des équipes en Algérie qui prennent
conscience de la réalité coloniale et nouent des liens avec les nationalistes
avant même le 1er novembre 1954*. Celle de Souk Ahras est expulsée du
Constantinois en avril 1956 pour ses activités « plus politiques que
religieuses » ; d’autres en métropole exercent leur ministère auprès de
l’immigration algérienne. Certains de ses séminaristes et de ses prêtres,
appelés et rappelés en Algérie, sont confrontés à la question de
l’insoumission. Désireux d’être solidaires des Algériens, qui représentent
pour eux la figure du « pauvre » de l’Évangile, des prêtres font le choix d’un
engagement radical. Certains participent au Comité de résistance spirituelle
qui publie en mars 1957 Des rappelés témoignent…, dossier accablant sur la
répression militaire en Algérie, d’autres à des réseaux de soutien au FLN*.
De nombreuses équipes manifestent leur refus de l’option militaire prise par
les gouvernements successifs en Algérie. La mobilisation des prêtres atteint
son point culminant fin janvier 1958 à Paris lors d’une session de réflexion
sur « les problèmes posés par la guerre d’Algérie ». Dans les conclusions
(mars 1958), approuvées non sans réticence par le cardinal Liénart, prélat de
la Mission de France, et largement reprises par la presse*, l’institution prend
officiellement position sur le droit à l’indépendance du peuple algérien :
« S’il est avéré qu’en Algérie un peuple existe et veut exister comme distinct
du peuple français, nous pouvons donc nettement déclarer que l’Église n’est
pas davantage opposée là qu’ailleurs à l’accession de ce peuple à son
indépendance. » Ce texte constitue la ligne officielle jusqu’à la fin du conflit :
dénonciation morale de la torture* et des exactions de toutes sortes,
reconnaissance des droits légitimes du peuple algérien et refus d’agir au nom
de principes politiques. Cette position sera, entre 1958 et 1962, mise à
l’épreuve des arrestations, des perquisitions et des procès retentissants des
plus radicaux de ses prêtres (Christien Corre, Jobic Kerlan, Robert
Davezies*) qui façonnent l’image d’une institution qui a contribué à faire
accepter à l’opinion* l’évolution progressive de l’Algérie vers son
indépendance.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Tangi Cavalin et Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de
France (1941-2002). La riposte missionnaire, Karthala, 2007 • Sybille
Chapeu, Trois prêtres et un pasteur dans la guerre d’Algérie, GRHI, 1996
• —, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie : l’action de la Mission de
France, L’Atelier/Témoignage chrétien, 2004.

MITTERRAND, FRANÇOIS (1916-1996)


Né à Jarnac en 1916, François Mitterrand a été sympathisant des Croix-
de-feu dans les années 1930, prisonnier de guerre en 1940 et sympathisant du
maréchal Pétain à Vichy, puis résistant et assistant au premier Conseil des
ministres à la Libération. Il est un tout jeune ministre sous les ors de la
République dans les années 1950.
François Mitterrand est ministre de l’Intérieur depuis quatre mois quand
l’insurrection éclate en Algérie le 1er novembre 1954*. Homme d’ordre, le
« premier flic de France » veut abattre la rébellion tout en tentant de faire
cesser les violences policières françaises enracinées dans la culture de
l’Algérie coloniale. Le 5 novembre 1954, il décide la dissolution de la
principale organisation indépendantiste, le MTLD. Des centaines de militants
nationalistes plongent dans la clandestinité. La plupart vont grossir les rangs
des premiers maquisards algériens. Des renforts militaires sont acheminés
vers l’Algérie et François Mitterrand déclare le 7 novembre : « L’Algérie,
c’est la France ! »
En février 1956, il devient ministre de la Justice dans le gouvernement de
Guy Mollet*, le plus long de la IVe République*, dont l’action va mener, peu
à peu, à la cruelle « bataille d’Alger* », cause de sa chute, à la fin du mois de
mai 1957. Pendant que François Mitterrand occupe ces postes de premier
plan, l’Algérie s’embrase avec l’envoi de contingents de plus en plus
importants et mal préparés, l’arrestation intempestive et contestable de chefs
nationalistes algériens avec lesquels des négociations* secrètes étaient
parallèlement engagées, la malheureuse expédition d’Égypte* après la
nationalisation du canal de Suez*, le refus d’entendre les avertissements les
plus lucides sur l’émancipation du tiers-monde, et surtout, la terrible
« pratique » de la guillotine.
C’est au président de la République, alors René Coty, que revient en
dernier lieu le droit de gracier ou non les condamnés à mort. Mais en tant que
garde des Sceaux et vice-président du Conseil de la magistrature chargé
d’examiner les dossiers de recours en grâce des militants du FLN*, le rôle de
François Mitterrand est prépondérant. Et le jeune ministre croit à
l’exemplarité de la peine capitale. La « Veuve » entre alors en scène en
Algérie et 45 condamnés à mort sont guillotinés sous son ministère, 222 étant
exécutés pendant toute la durée de la guerre. Ces mises à mort officielles
viennent en appui des tortures et des exécutions sommaires* des
parachutistes* qui combattent les violences urbaines du FLN. Dix-sept
condamnés à mort sont exécutés pour le seul mois de février 1957, le plus
terrible de la « bataille d’Alger ». Parmi eux, il y a un Européen, communiste,
Fernand Iveton*. Il a posé une bombe qui n’a pas explosé. François
Mitterrand refuse sa grâce, par solidarité gouvernementale, comme il le fait
pour la majorité des condamnés exécutés.
Comment celui qui, vingt-cinq ans plus tard, a aboli la peine de mort,
peut-il accepter l’exécution des militants du FLN à une cadence telle que le
bourreau d’Alger, Fernand Meyssonnier, la compare à celles de la Terreur ou
de la Libération ? Outre que l’abolition de 1981 doit beaucoup à Robert
Badinter, qui a témoigné des tergiversations du futur président de la
République à ce sujet, François Mitterrand ne se distingue pas, pendant la
guerre, de la majorité des hommes politiques – quelle que soit leur tendance
politique – qui veulent le maintien de l’Algérie française. Comme beaucoup
d’autres, il penche souvent à droite sur la question algérienne, demeure ferme
dans ses convictions républicaine et jacobine (il déclare souvent :
« L’Algérie, c’est la France »), persuadé que l’on peut abattre la « révolution
algérienne » si l’on frappe durement. Dès le premier Conseil des ministres
durant lequel est abordé le dossier des exécutions capitales, il s’oppose à
d’autres hommes du gouvernement. Il se déclare favorable aux exécutions
quand Pierre Mendès France*, Alain Savary et Gaston Defferre sont contre.
Après 1958, il s’oppose à la politique du général de Gaulle* qu’il
dénonce dans un livre retentissant, Le Coup d’État permanent, publié en
1963. Membre de la Convention des institutions républicaines (CIR), il est le
fondateur et le leader du Parti socialiste (PS) au congrès d’Épinay de 1971.
Élu président de la République le 10 mai 1981, il fait voter l’abolition de la
peine de mort, puis décide en 1982 la réintégration, dans leurs droits, grades
et fonctions, des quatre généraux qui avaient tenté le putsch* contre le
général de Gaulle en avril 1961. Cette mesure suscite une vive opposition
dans les rangs du PS, en particulier de la part de Lionel Jospin* et de Michel
Rocard*, mais est adoptée par l’Assemblée nationale. François Mitterrand est
décédé à Paris en janvier 1996.
Benjamin STORA
Bibl. : Catherine Nay, Le Noir et le Rouge. L’histoire d’une ambition,
Grasset, 1984 • Pierre Péan, Une jeunesse française, Fayard, 1994 •
Benjamin Stora et François Malye, François Mitterrand et la guerre
d’Algérie, Calmann-Lévy, 2010.

MOHAMMEDI, SAÏD, DIT COLONEL


SI NASSER (1912-1994)
Saïd Mohammedi naît le 27 décembre 1912 dans le village d’Aït Frah. Il
suit les cours de l’école primaire puis travaille comme ouvrier agricole chez
ses parents.
En 1928, il est manœuvre en région parisienne puis à Liège. Il retourne
dans son village puis vend des légumes à Tunis. En 1933, il est incorporé au
9e régiment de tirailleurs algériens (RTA) à Koléa, puis à Miliana. Libéré en
1937 avec le grade de caporal, il est rappelé le 5 septembre 1939 au 18e RTA
à Tizi Ouzou et est démobilisé en 1940.
Il s’engage auprès de l’organisation Todt en 1942. Dirigé sur Saint-Malo
puis Guernesey, il profite d’une permission, en 1943, pour rejoindre les rangs
de la Légion tricolore. En mai, il est envoyé à Berlin, puis en Autriche et dans
les Balkans. Rappelé en Allemagne en 1944, il suit des cours de radio au
camp de Belzig. Promu officier, la Wehrmacht l’utilise comme instructeur
des « volontaires indigènes ». En octobre, il est parachuté dans la région de
Tébessa lors d’une mission qui échoue. Condamné aux travaux forcés à
perpétuité le 4 décembre 1945, il est interné à Lambèse. Libéré en 1952, il
enseigne l’arabe à Fort-National.
En juin 1955, il rejoint le FLN*. Le 20 août 1956, il participe au congrès
de la Soummam*, aux côtés de Krim* Belkacem. Membre du CNRA*, il
dirige la Wilaya 3* avec le grade de colonel. Il ne se sépare pas de son casque
allemand durant son commandement caractérisé par le mysticisme (la prière
est rendue obligatoire), les exactions comme le massacre de Melouza-Beni
Illemane*, et l’incompétence à la tête du comité opérationnel militaire est, ce
qui lui a valu d’être suspendu, en septembre 1958, et éloigné au Caire.
Ministre d’État dans le second GPRA*, il soutient Krim, début 1962, lors
de son conflit avec l’État-major général, avant de se rapprocher d’Ahmed
Ben Bella*. Le Bureau politique le charge en août de l’Éducation nationale et
de la Santé publique. Élu député de Tizi Ouzou en septembre, il devient
ministre des Anciens Moudjahidines*.
Après le coup d’État du 19 juin 1965, il siège au Conseil de la révolution.
Il adhère au Front islamique du salut (FIS) et se présente aux élections
législatives de décembre 1991. Il meurt le 9 décembre 1994, à l’hôpital
parisien de la Salpêtrière.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Ali Guenoun, La Question kabyle dans le nationalisme algérien,
1949-1962, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2021 • Gilbert Meynier,
Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

MOINE, ANDRÉ (1909-1994) ET BLANCHE


(1913-1983)
Blanche Masson, née en 1913 à Fos-sur-Mer, s’installe à Alger avec sa
mère à la fin 1939. Ouvrière et responsable syndicale à la CGT*, elle
rencontre André Moine dans l’usine d’allumettes où ils sont tous deux
employés en 1943. Né en 1909 à Izieux, André Moine vient d’être libéré du
camp d’internement* de Bossuet. Ouvrier, ancien élève de l’École léniniste à
Moscou, il exerce des responsabilités au sein du PCF* depuis les années
1920. Condamné à six mois de prison en août 1939, il est interné à partir de
juin 1940 dans des camps de France et d’Algérie. Libéré en juin 1943, il est
détaché par le PCF auprès du PCA*, alors en réorganisation.
Blanche et André Moine se marient à Alger en 1947, et décident d’y
rester. Tandis qu’elle exerce des fonctions dirigeantes au sein de la CGT puis
de l’Union générale des syndicats algériens (UGSA), il devient membre du
Bureau politique du PCA. Nés en France, tous deux se définissent
politiquement comme des « Algériens d’origine européenne », et contribuent
aux luttes sociales et anticoloniales au sein du mouvement national algérien.
Plusieurs camarades les perçoivent toutefois comme des freins pour la
radicalisation anticolonialiste de leurs organisations. André Moine, perçu
comme un représentant tacite du PCF au sein du PCA, est particulièrement
critiqué pour son attitude supposée dans les premiers temps de l’insurrection.
La direction du PCA semble prendre acte de ces critiques en juin 1955 : alors
que le comité central décide collectivement de participer à l’insurrection,
André Moine est rétrogradé et prend la responsabilité de l’organisation du
secteur propagande*. Il se charge de la parution de Liberté, clandestin après
l’interdiction du PCA en septembre 1955, et impulse la création du journal La
Voix des soldats, adressé aux soldats français.
Le couple bascule dans la clandestinité totale en 1956. Blanche rejoint
Oran en août 1956. En septembre, elle est arrêtée et torturée par la Brigade de
surveillance du territoire lors du démantèlement du PCA clandestin. En
juillet 1957, le tribunal militaire d’Oran la condamne à dix ans de prison*. Le
même mois, André est arrêté par les parachutistes* à Alger. Le tribunal
militaire d’Alger le condamne à cinq ans (novembre 1958) et à vingt ans
(juin 1960) de prison. Libérés de prison en 1961-1962, ils décident de se
réinstaller en France.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « La Voix des soldats. Un réseau
clandestin du Parti communiste algérien dans la guerre d’indépendance
(1955-1957) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 140, 2018 •
André Moine, Ma guerre d’Algérie, Éditions sociales, 1979.

MOLLET, GUY (1905-1975)


Né en 1905, Guy Mollet a été avant la Seconde Guerre mondiale un
socialiste pacifiste et un syndicaliste enseignant. Résistant, député-maire
d’Arras à partir de 1945, secrétaire général de la SFIO* à partir de 1946, il
dirige le gouvernement dit de « Front républicain* » après les législatives du
2 janvier 1956, alors qu’une partie de ses électeurs attendaient Mendès
France*.
La campagne électorale a accordé une place grandissante au conflit
algérien et Mollet lui-même a dénoncé « une guerre imbécile et sans issue ».
Dans sa déclaration d’investiture, il propose de « maintenir et renforcer les
liens indissolubles entre l’Algérie et la France métropolitaine » mais aussi de
reconnaître et respecter la « personnalité algérienne » et de réaliser l’égalité
politique de tous les habitants d’Algérie. Sa catastrophique visite du 6 février
1956 à Alger (dite « journée des tomates* »), afin d’y installer le général
Catroux, le conduit à accepter la démission de ce dernier et à revoir ses
projets. Sa nouvelle priorité est d’assurer l’ordre pour rassurer les
« Européens ». Il nomme Lacoste* ministre résidant en Algérie. Cette
acceptation, après plusieurs refus, vaudra à Lacoste « la solidarité sans faille
du président du Conseil » (Lafon, p. 513).
Mollet élabore dans l’urgence une nouvelle politique algérienne que
résume un triptyque : « Cessez-le-feu, élections*, négociations* ». Dans un
solennel « appel au cessez-le-feu » lancé le 28 février, il revendique comme
préalable une « pacification* » devant permettre des élections dans les trois
mois afin de créer en Algérie une « communauté franco-musulmane libre et
fraternelle ». Il obtient de l’Assemblée nationale les pouvoirs spéciaux*, le
12 mars, à une large majorité, comprenant les communistes. Les quatre
premiers articles concernent des mesures économiques et sociales visant à
améliorer la situation des musulmans et le cinquième lui attribue ces pleins
pouvoirs pour le maintien de l’ordre, grâce notamment au rappel des
réservistes.
Le président du Conseil, durant plusieurs mois, tente d’aboutir en
position de force à une solution négociée en entamant des négociations
secrètes avec le FLN*, au Caire, à Belgrade, à Rome, puis en prenant des
contacts en Égypte*. Pourtant, il a fixé lors des débats sur les pouvoirs
spéciaux un préalable inacceptable pour eux : « Nous rejetons absolument la
conception d’un État algérien qui ne correspond pas plus à une réalité
historique qu’à une réalité ethnique » (L’Année politique, 1956, p. 34). Ces
rencontres et tentatives de négociations sombrent dans l’impasse à l’automne.
En effet, Mollet perd totalement l’initiative politique. Tout d’abord avec
l’interception de l’avion marocain, débouchant sur l’arrestation de cinq chefs
du FLN, organisée par les militaires, avec l’accord de Lejeune. Mollet la
déplore mais la couvre à la veille de la désastreuse intervention franco-
anglaise à Suez*. Ensuite, l’armée, appuyée par Lacoste, prend de plus en
plus le contrôle politique et sécuritaire en Algérie. Pour contrer le
développement du terrorisme urbain, les pouvoirs de police* sont confiés au
général Massu* à Alger. Dans une impasse politique, Mollet justifie son
action par un discours de plus en plus radical, dénonçant le « panislamisme »,
le nationalisme* arabe et le régime de Nasser comparé à celui d’Hitler ; il
fustige encore les dérives terroristes et religieuses des nationalistes algériens
ainsi que la collusion communiste.
Au printemps 1957, la question de la torture* en Algérie devient centrale
alors que le 27 mars, à l’Assemblée, Guy Mollet affirme que le
gouvernement est attaché à sanctionner les responsables d’atteintes « aux
droits de l’homme et au respect de sa dignité ». Il récuse en continuité les
accusations visant, selon lui, un gouvernement comptant dans ses rangs,
« non seulement des résistants mais d’anciens concentrationnaires » et met en
place plusieurs contre-feux. Il accepte ainsi la venue de missions de la Croix-
Rouge internationale*, initie une commission parlementaire d’enquête
conduite par le député du Nord et trésorier de la SFIO, Victor Provo, et enfin
en avril 1957 une « commission pour la sauvegarde des droits et libertés
individuelles en Algérie ».
Mollet et Lacoste se trouvent au centre des critiques, tant internationales
que françaises. La France est mise en cause à l’Assemblée générale de
l’ONU* et les attaques des intellectuels, de la presse* et d’une partie de la
gauche se multiplient contre les tortures, jusque dans les rangs de la SFIO. Le
« national-mollétisme » est fustigé à la une du journal Le Monde*. Le
gouvernement est renversé le 23 mai 1957 sur des questions financières.
Guy Mollet appuie par la suite la politique algérienne des deux derniers
gouvernements de la IVe République*, avant de jouer un rôle actif dans le
retour au pouvoir du général de Gaulle* et de contribuer à la rédaction de la
Constitution comme ministre d’État. Passant dans l’opposition, cependant, il
soutient Mitterrand* à la présidentielle de 1965, puis participe à la fondation
du PS avant de se consacrer à l’Office universitaire de recherche socialiste
(Ours) où il a déposé ses archives*.
Gilles MORIN
Bibl. : François Lafon, Guy Mollet. Itinéraire d’un socialiste controversé,
Fayard, 2006.

MONDE (LE)
Le quotidien de la rue des Italiens joue un rôle à part dans la
médiatisation de la guerre d’Algérie. Si son engagement est plus tardif que
celui de la presse* anticolonialiste, son positionnement légaliste, plutôt
modéré et respectueux des institutions*, tout comme son audience croissante,
contribuent à donner une résonance singulière à sa critique de la politique
gouvernementale et des pratiques de l’armée française.
L’intérêt du journal pour l’Algérie ne date pas de la Toussaint 1954.
Durant la guerre d’Indochine*, la rédaction du Monde suit le dossier algérien
et doute que l’Algérie puisse rester durablement française sans un effort
financier démesuré. Hubert Beuve-Méry et son équipe sont cependant surpris
par une insurrection qui est d’abord lue sous l’angle du terrorisme. Loin
d’adopter d’emblée une position anticolonialiste, ils se révèlent plutôt
respectueux des choix du gouvernement Mendès France*, attachés à offrir
aux lecteurs une couverture permettant de comprendre la situation, sans pour
autant se priver de poser des questions aux autorités françaises. Aussi le
journal propose-t-il des reportages et des correspondances (André Leveuf,
Georges Penchenier…) tout en ouvrant ses colonnes à des expertises
extérieures. Dès août 1955 cependant, le reportage de Penchenier, « Une
guerre impitoyable de race et de religion », engendre une première tension
avec le gouvernement d’Edgar Faure.
Dès la fin de l’année 1955, Beuve-Méry et ses rédacteurs sont persuadés
que l’Algérie ne pourra rester française et que les pratiques de l’armée
française sont contestables. À partir de janvier 1956 et de l’éditorial d’André
Chênebenoit intitulé « Quand la faute s’ajoute au crime », les articles
critiques sont plus fréquents. Le 5 avril 1956, c’est dans Le Monde que paraît
la célèbre tribune d’Henri-Irénée Marrou « France, ma patrie… » ; le
professeur d’histoire des religions à la Sorbonne y affirme qu’« on ne défend
pas une noble cause par des moyens infects », ce qui lui vaut une perquisition
de la DST à son domicile. Ces prises de position et l’arrestation à la fin de
l’année 1956 d’André Mandouze*, proche ami d’Hubert Beuve-Méry,
contribuent à la détérioration des relations entre Le Monde et le
gouvernement de Guy Mollet* qui riposte aux attaques par de multiples
saisies en Algérie, des amendes et une interdiction d’augmentation du prix de
vente du quotidien.
Avec la bataille d’Alger*, Le Monde dénonce désormais ouvertement les
crimes de l’armée française et se fait l’écho des actions de résistance
engagées en France et en Algérie. Ainsi, le 13 mars 1957, sous le
pseudonyme Sirius, Beuve-Méry livre un éditorial consacré au livre de
Pierre-Henri Simon et intitulé « Sommes-nous les vaincus de Hitler ? ». Le
quotidien couvre les différentes affaires* (relèvement du général de la
Bollardière*, affaires Audin* et Alleg*, publication de différents rapports
d’enquête…) et défend dès le début de l’année 1958 l’idée d’une
négociation*.
Pendant les événements qui font suite au 13 mai 1958*, le quotidien subit
la saisie de 142 948 exemplaires du journal entre le 13 mai et le mois
d’octobre 1958 en Algérie tandis qu’un censeur est présent dans les locaux du
journal entre le 26 mai et le 4 juin 1958, présence que conteste Beuve-Méry
en retirant son nom de la manchette du journal. Le retour de De Gaulle*
provoque d’ailleurs des remous au sein de la rédaction. Face à un Beuve-
Méry d’abord attentiste puis finalement favorable à l’option de Gaulle,
plusieurs rédacteurs manifestent leur opposition à ce retour, Claude Estier
allant jusqu’à démissionner du quotidien.
Une fois les institutions de la Ve République* mises en place, le titre se
montre vigilant à l’égard d’un nouveau pouvoir qu’il invite à régler
rapidement la question algérienne. Les éditoriaux de Sirius sur ce thème se
multiplient, le quotidien publie les articles engagés de Pierre-Henri Simon ou
de Pierre Vidal-Naquet* (« Le vrai crime », 6 mai 1961) et évoque de
manière quasi quotidienne le « Manifeste* des 121 ». Un positionnement de
la rédaction qui lui vaut le plasticage des domiciles de plusieurs de ses
rédacteurs. Pourtant, le titre publie aussi le « Manifeste des intellectuels
français » le 7 octobre 1960 et donne régulièrement la parole aux partisans de
l’Algérie française.
Précocement favorable à la négociation, le titre se rallie finalement
tardivement à l’indépendance. Durant cette période, l’engagement du
quotidien a différé de celui de la presse militante car le titre est resté
légitimiste, n’a jamais basculé dans l’antimilitarisme et n’a jamais refusé la
guerre, à condition que celle-ci respecte le droit des individus. Ce
positionnement lui a permis d’affirmer son indépendance à l’égard des
pouvoirs politiques et de renforcer son audience.
François ROBINET
Bibl. : Patrick Éveno, Histoire du journal Le Monde, 1944-2004, Albin
Michel, 2004 • Patrick Éveno et Jean Planchais, La Guerre d’Algérie, dossier
et témoignages, La Découverte-Le Monde, 1989.

MONDE COMMUNISTE
Dès la fondation du Komintern en 1919, le mouvement communiste
mondial condamne le régime colonial et soutient les mouvements de
libération nationale des colonies tout en luttant contre les guerres et en
défendant l’Union soviétique. La guerre d’Algérie doit être replacée dans ce
contexte pour comprendre la politique communiste mondiale. Jusqu’au
milieu des années 1950, cette politique est déterminée par le Kominform.
Cette organisation centralisée du mouvement communiste international,
successeur du Komintern, créée en 1947 et dissoute en 1956, réprouve toute
forme de nationalisme* (gandhisme, panarabisme, etc.) manifestée dans les
colonies. Moscou et les communistes attaquent violemment les partisans de la
troisième voie (comme Nehru) qui veulent rester neutres dans la lutte entre le
« camp de la paix » et « celui de la guerre ». La véritable indépendance ne
peut être réalisée que par la lutte des ouvriers et des paysans, dirigée par le
parti communiste et aboutissant à la révolution démocratique et populaire
(socialisme). La bourgeoisie nationale n’en est pas capable, et est considérée
comme « le laquais de l’impérialisme ». Suivant cette ligne, Larbi Bouhali,
secrétaire du PCA*, écrit un long article en juin 1955 dans l’organe
central du Kominform, « Pour la paix durable, pour la démocratie
populaire », sur la lutte des patriotes algériens contre le régime colonial. Dans
cet article, il ne désapprouve pas la résistance armée mais critique aussi les
patriotes pour leur programme insistant exclusivement sur l’indépendance
nationale à atteindre, sans exprimer de contenu social, et pour leur méthode
donnant la priorité à la lutte armée et sous-estimant le combat politique.
Cette ligne commence à subir un changement après la disparition de
Staline. Les résolutions du XXe congrès du PCUS (février 1956) consacrent
l’ouverture vers les mouvements politiques anticoloniaux non communistes.
La bourgeoisie nationale est réhabilitée et reconnue comme force politique
autonome et anti-impérialiste. Ce même congrès adopte une nouvelle doctrine
de politique extérieure soviétique devenue aussi la ligne générale du monde
communiste, « la coexistence pacifique ». Cette doctrine préfère le dialogue à
la confrontation (ou au moins la combinaison des deux) avec les États-Unis*
et ses alliés. Le titre de la nouvelle revue* théorique du mouvement
communiste international Paix et socialisme, rédigée à Prague et publiée en
16 langues dès 1958, exprime bien le sens de la nouvelle doctrine. Entre 1958
et 1962, 15 articles sont écrits par les communistes algériens, présentant la
situation de la guerre d’Algérie et contribuant largement à ce que les
conditions historique, politique, sociale du problème algérien soient connues
par le monde entier. C’est la direction extérieure installée dans la capitale
tchécoslovaque qui organise la campagne de sensibilisation pour la cause des
Algériens. Henri Alleg*, l’auteur de La Question, évadé de la prison* de
Rennes et arrivé à Prague en octobre 1961, s’y distingue particulièrement.
Sollicité par la presse internationale, il donne des interviews, participe à des
émissions de radio* et de télévision, écrit des articles. La consécration
triomphale de la nouvelle stratégie tiers-mondiste, ouverture vers les forces
politiques non communistes, a lieu à la réunion des 81 partis communistes à
Moscou en novembre 1960. La déclaration finale stipule : « L’écroulement
du système de l’esclavage colonial sous la poussée du mouvement de
libération nationale est un phénomène qui, par son importance historique,
vient immédiatement après la formation du système mondial du socialisme ».
Dans cette nouvelle stratégie communiste, les mouvements de libération
nationale reprennent la deuxième place parmi les forces révolutionnaires
internationales aux mouvements communistes des pays développés. En moins
de dix ans, la bourgeoisie nationale arrive à faire une « carrière »
foudroyante : du traître, du laquais de l’impérialisme, elle devient l’alliée
privilégiée. Malgré cette évolution idéologico-politique, le mouvement
communiste n’a de stratégie élaborée commune ni à l’égard du mouvement
de libération nationale en général, ni concrètement pour la guerre d’Algérie.
Il faut donc constater l’absence de politique coordonnée du mouvement
communiste à l’égard de la guerre d’Algérie, lutte armée anticoloniale la plus
marquante à l’échelle internationale pendant toute sa durée.
Il existe cependant quelques cas où une coordination a lieu, par exemple
lors de la participation des plus hauts responsables communistes au débat à
l’Assemblée générale de l’ONU* à l’automne 1960. Au début du conflit, le
soutien du monde communiste aux Algériens se fait par le biais du Conseil
mondial de la paix (CMP), mais surtout à travers des activités de la
Fédération syndicale mondiale (FSM), tous les deux sous obédience
communiste. Pour le CMP, la colonisation est vue comme une menace à la
paix. Le FSM organise la première campagne à l’échelle internationale en
faveur de la cause algérienne. À son quatrième congrès à Leipzig, en RDA*,
en octobre 1957, Oudjina Driss, dirigeant syndicaliste algérien, y tient un
discours bouleversant sur les atrocités de l’armée française. Il envoie un
télégramme au secrétaire général de l’ONU réclamant la condamnation de la
politique algérienne du gouvernement français. Il consacre le 15 novembre
(jour du début du débat sur l’Algérie à l’ONU) comme « Jour de l’Algérie »,
afin d’appeler à la mobilisation solidaire pour « la reconnaissance de
l’indépendance du peuple algérien ». Ce jour-là, partout dans le monde, sont
organisées diverses manifestations (meetings, conférences, articles de presse)
contribuant grandement à la sensibilisation du conflit algérien.
L’émergence impressionnante du tiers-monde provoque cependant des
divergences graves dans le monde communiste à propos des mouvements de
libération nationale des colonies, lesquelles aboutissent à la scission entre la
Chine* et l’URSS*. Pékin critique, plus tard attaque violemment, Moscou
pour sa politique de « coexistence pacifique », visant à créer le duopole
américano-soviétique en vue de partager le monde en zones d’influence. La
Chine accuse les Soviétiques d’avoir trahi la cause du peuple algérien : « La
direction du PCUS s’est non seulement abstenue de tout soutien pendant
longtemps, mais elle s’est rangée du côté de l’impérialisme français »,
affirme Renmin Ribao, le quotidien du Parti communiste chinois, le
22 octobre 1963. Moscou accuse les Chinois de vouloir provoquer une guerre
thermonucléaire. La politique de coexistence pacifique éveille aussi la
méfiance du FLN* : « La coexistence pacifique, si elle doit aboutir au partage
du monde en zones d’influence entre les deux blocs, ne peut que nous être
préjudiciable. [C’est pourquoi] le bloc naturel auquel nous pouvons nous
joindre, c’est le bloc afro-asiatique », déclare Debaghine, ministre du
GPRA*. Le débat entre les deux grandes puissances communistes se
répercute dans le mouvement communiste mondial, provoquant des désarrois,
mais n’empêche pas la mobilisation des masses contre la guerre. Au cours
des dernières années de la guerre d’Algérie, en raison de la situation
intérieure française très tendue (tentatives de coup d’État, attentats d’extrême
droite), c’est le mot d’ordre « Paix en Algérie » qui paraît le mobilisateur le
plus efficace des mouvements organisés par les communistes en faveur de
l’indépendance de l’Algérie. Les essais nucléaires* français au Sahara
suscitent aussi la protestation des communistes et pacifistes du monde. Dans
ce cas aussi, comme au début de la guerre, c’est le CMP qui joue un rôle
primordial. Mais malgré le soutien du monde communiste,
l’anticommunisme du FLN ne se réduit pas.
László NAGY
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Débat sur la ligne générale du mouvement communiste
international, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1965 • El Moudjahid.
Organe central du Front de libération nationale [imprimé en Yougoslavie],
juin 1962, t. I-III, particulièrement no 20 (mars 1958).

MONDE OCCIDENTAL
Le monde occidental se compose de plusieurs ensembles. Pour
l’essentiel, il est constitué par les adhérents du Pacte atlantique de 1949,
resserré par les engagements militaires conclus au sein de l’Otan. Aux
composants européens de ce système (États-Unis*, Canada, France, Grande-
Bretagne, Italie*, Benelux, Danemark, Grèce Norvège, Portugal, Turquie), il
faut ajouter un allié (l’Espagne) et des pays neutres : Suède et Suisse*. Tous
ces pays partagent, sauf exception (péninsule Ibérique) les mêmes institutions
politiques démocratiques, le libéralisme économique, le rejet du
communisme. On peut secondairement évoquer des pays lointains, unis par
d’autres alliances (Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Chine
nationaliste, etc).
La France est évidemment un élément très important de cet ensemble.
Son statut de grande puissance, même très diminuée depuis 1940, sa
puissance économique en cours de restauration, ses forces armées
reconstituées, sa position stratégique, en font un partenaire de grande valeur.
Le gouvernement français a d’ailleurs insisté pour faire inscrire « les
départements français d’Algérie » au nombre des territoires garantis par le
traité de l’Atlantique nord (article 6). Cette influence s’étend au-delà,
confortée par un rayonnement intellectuel et culturel qui demeure
particulièrement vif.
Au départ, les alliés de la France, quels que soient les jugements qu’ils
portent sur sa politique, se gardent de s’opposer à elle, tout en donnant des
conseils de modération, et acceptent la thèse française qui fait de l’Algérie
une affaire intérieure. Ils ne paraissent guère prêts à aller beaucoup plus loin
dans leur soutien. Ils n’ignorent pas qu’une des principales raisons de
l’attachement français à l’Algérie réside dans le maintien d’un statut de
grande puissance, statut qu’ils ne tiennent pas à défendre, surtout quand ces
ambitions ou prétentions risquent de compromettre les bonnes relations avec
les pays nouvellement indépendants d’Afrique et d’Asie, voire les amener à
se rapprocher du camp de l’Est. Il leur semble discutable que la défense de
l’Europe, menacée par l’URSS* et ses alliés du pacte de Varsovie, puisse être
mise sérieusement en danger par l’indépendance algérienne. Enfin, ils
désapprouvent la violence des méthodes auxquelles a recours l’armée
française, qu’ils découvrent peu à peu par la presse* et les reportages des
correspondants de guerre, méthodes jugées contraires à l’humanisme et aux
principes de liberté des peuples dont ils se réclament face au monde
communiste*.
Ces analyses politiques et cette sensibilité conduisent à ne manifester
qu’une solidarité limitée aux thèses françaises. La seule exception réside dans
l’appui donné au gouvernement français de Guy Mollet* par le gouvernement
britannique d’Antony Eden pour organiser l’expédition de Suez*, afin de
mettre fin au pouvoir du président Nasser, alliance dont le fiasco complet ne
suscite guère d’émulation. Au total, la solidarité occidentale envers la France
se manifeste par le refus de leurs représentants à l’ONU* de voter des
décisions qui amèneraient l’organisation à se saisir de la question algérienne.
Grâce à leur abstention, aucune résolution n’obtient la majorité défavorable à
la France. De même, les Occidentaux se refusent à reconnaître le GPRA*.
Grâce à eux, les gouvernements français peuvent se vanter de contrôler
jusqu’au bout la maîtrise complète de l’affaire algérienne.
Les opinions publiques* occidentales n’ont évidemment pas été sans
peser sur leurs gouvernements. À l’instar de ce qui se passe en France
métropolitaine, toute une sensibilité politique située le plus souvent à gauche
(sociaux-démocrates, notamment SPD allemand, PCI italien, Labour
britannique, mouvance trotskiste*) est portée à dénoncer l’impérialisme, le
colonialisme et la guerre, et à faire bon accueil aux thèses des nationalistes
algériens. Il en va de même au sein des courants syndicaux, d’autant plus que
le FLN* a obtenu l’adhésion des syndicats algériens à la Confédération
internationale des syndicats libres (CISL), dont font partie les plus puissantes
centrales américaines et allemandes. Les sympathies sont également
nombreuses au sein des Églises chrétiennes, ainsi que chez nombre
d’intellectuels, attachés à réclamer la paix en Algérie. D’autres sympathies se
manifestent au sein du grand patronat européen, notamment celle du pétrolier
italien Enrico Mattei. Par suite, les gouvernements sont amenés à laisser une
certaine liberté de mouvement et donc une certaine audience aux
représentants du FLN en Europe et aux États-Unis.
De son côté, le FLN a multiplié les représentations et les missions, en
utilisant un certain nombre de relais : ambassades arabes, étudiants*
maghrébins, travailleurs immigrés, même encore relativement peu nombreux
(quelques milliers en Belgique*, RFA* et Pays-Bas*). Il diffuse des
journaux, organise des conférences. À partir de 1957-1958, il implante des
représentations officieuses dans les grandes capitales européennes (Londres,
Rome, Bonn). Une délégation très importante, destinée à agir auprès de
l’ONU, est installée à New York, essentiellement représentée par M’hamed
Yazid et Abdelkader Chanderli, munis au départ de passeports tunisiens.
Outre une active propagande*, ce réseau établit des filières qui facilitent la
circulation des fonds et des armes destinés au FLN, ainsi que la rencontre de
responsables en dehors du territoire français. Des attentats sont destinés,
comme en France métropolitaine, à intimider les Algériens immigrés,
relativement nombreux, en Belgique et en Allemagne.
Les formes de coopération consenties par les pays occidentaux sont
diverses. Les plus innocentes résident dans l’octroi d’un certain nombre de
bourses accordées à de jeunes Algériens par les autorités universitaires
allemandes, suisses ou américaines. La neutralité suisse est largement utilisée
pour le transfert des fonds très importants prélevés en France parmi les
travailleurs algériens. De manière plus compromettante, certaines firmes
occidentales (sociétés allemandes, belges, italiennes) n’hésitent pas à livrer
des matériels de guerre destinés à l’ALN*. Les autorités italiennes,
espagnoles et surtout grecques ferment les yeux sur le trafic d’armes* vers
l’Algérie. Tout ceci entraîne naturellement des protestations des diplomates
français, et parfois des actions armées des services spéciaux. Les
gouvernements européens répondent en exerçant une certaine surveillance
des militants jugés les plus dangereux, et parfois en réprimant certaines
activités (arrestation du leader trotskiste Michel Raptis, dit Pablo, pour
fabrication, en RFA et aux Pays-Bas, de faux billets en francs français). En
revanche, les autorités suisses, et notamment le diplomate Olivier Long,
participent à la préparation des accords d’Évian*, et hébergent la délégation
algérienne sur leur territoire.
À partir de 1961, les pays européens voisins accueillent aussi des
militants de l’Algérie française en révolte contre la politique gaullienne.
L’OAS* est créée en Espagne, et trouve de solides appuis en Belgique. Des
pressions analogues à celles qui s’étaient exercées contre le FLN sont
employées par Paris pour affaiblir la menace : tandis que le colonel Argoud*
est enlevé sur le territoire de la RFA par les services spéciaux français, des
pressions diplomatiques amènent le gouvernement allemand à expulser un
autre adversaire du régime, l’ancien président Georges Bidault.
Au total, la fin de la guerre d’Algérie constitue un grand soulagement
pour le camp occidental.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Jean-Paul Cahn et Klaus-Jürgen Müller, La République fédérale
d’Allemagne et la guerre d’Algérie, Le Félin, 2003 • Gilbert Meynier,
Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

MONNEROT, GUY (1931-1954)


Guy Monnerot est né le 7 décembre 1931 à Bergerac, en Dordogne, et
réside à Paillard, dans l’Oise. D’origine sociale modeste (son père est
maréchal des logis), il venait d’être affecté à la rentrée de septembre 1954
comme instituteur à Tifelfel, dans les Aurès. Souhaitant découvrir la région
au cours des vacances de la Toussaint, il prend le bus qui relie Biskra à Arris
avec son épouse, Jeannine, née Loiraud. Dans le bus se trouve également
Hadj-Sadok, le caïd du douar de M’Chounèche, qui se rend à Arris pour
rendre compte à l’administrateur d’un tract de la proclamation du
1er Novembre* qu’il a personnellement reçu. Le bus est arrêté, dans les
gorges de Tighanimine, par un commando d’insurgés de l’ALN*.
Au moment où le caïd, bousculé et poussé à obéir aux injonctions, tente
de résister en sortant un pistolet, une rafale de mitraillette tirée par
Mohammed Sbaihi, membre du commando, tue le jeune instituteur et blesse
son épouse. Il est l’un des premiers morts civils de l’insurrection.
La nouvelle qui fait la une de nombreux journaux ne souffre d’aucune
contestation. Les « fellaghas » ont assassiné brutalement, froidement et
volontairement un instituteur. Elle est largement exploitée par les tenants du
statu quo colonial qui dénoncent le mouvement nationaliste et ses militants
comme des « barbares » qui touchent à ce qui est considéré comme sacré :
l’enseignant, « le cheikh », autant par la tradition locale que par l’opinion
publique* la plus large. Selon la relation contradictoire qui en a été faite plus
tard, la mort de Monnerot est accidentelle, « collatérale ». Mostefa Ben
Boulaïd*, en tant que chef de la Zone 1 de l’Aurès, conscient de l’effet
dévastateur de l’action sur l’opinion publique, traduit l’auteur des coups de
feu devant un conseil de discipline. Celui-ci aurait échappé de peu au peloton
d’exécution. Guy Monnerot fait l’objet d’un hommage local le 10 novembre
1954 et sa dépouille est rapatriée en France où il est inhumé dans le caveau
familial, à Limoges, accompagné d’une énorme foule. À la demande de la
Fnaca, il est reconnu comme « mort pour la France » en 2020.
Aissa KADRI
Bibl. : L’École libératrice, organe du Syndicat national des instituteurs et
institutrices de l’Union française, 29 novembre 1954 • Jacques Girault,
« Monnerot, Guy Paul Marie », Dictionnaire biographique du mouvement
ouvrier et du mouvement social. Le Maitron, disponible en ligne • Mohamed
Larbi Madaci, Les Tamiseurs de sable, 1954-1959, Alger, Anep, 2001.

MONTEIL, VINCENT (1913-2005)


Ce grand orientaliste est à l’origine un « soldat de fortune » sorti de
Saint-Cyr en 1938. Il fait d’abord carrière aux Affaires indigènes du Maroc*
avant de participer à la rédaction des accords d’indépendance de la Tunisie*.
Quand la guerre d’Algérie commence, il est nommé chef du cabinet militaire
du gouverneur général Soustelle* en février 1955. Sa nomination coïncide
avec l’arrestation de Ben Boulaïd*, l’un des chefs du FLN*, à la frontière
algéro-tunisienne. D’où son départ pour Tunis pour s’entretenir avec lui. De
cette rencontre, il rapporte la détermination de Ben Boulaïd à libérer le pays
du joug colonial et préconise une négociation* à l’exemple du cas tunisien.
À Alger, il poursuit ses contacts avec les nationalistes algériens détenus à
la prison* de Barberousse dont il obtient la libération en mars 1955. C’est par
son entremise que Soustelle a reçu Ferhat Abbas* et Cheikh Kheireddine*.
Sa démission prend effet le 24 juin 1955, à la suite de l’affaire de la
médersa d’Ighil Ilef (Akbou). Cinq personnes – dont le directeur Tahar
Latrèche – sont arrêtées et torturées, en vertu du principe de la responsabilité
collective. Informé, Monteil obtient de Soustelle leur libération mais, malgré
ses recommandations, les cinq victimes sont envoyées au camp de Guelt es
Stel (Djelfa) en mai 1955.
Il publie alors deux articles dans Esprit à l’automne 1955 sous le
pseudonyme François Sarrazin, dans lesquels il expose son point de vue.
Dans « L’Algérie, pays sans loi », il dénonce le comportement des colons*,
les conditions misérables de la majorité de la population algérienne, les
inégalités flagrantes, tels la non-scolarisation des enfants, l’insalubrité de
l’habitat, le fléau de la tuberculose, « le règne de l’état d’urgence* […], ce
qui donne à l’Algérie son visage douloureux, tuméfié et désespéré ». Il estime
dans « L’Afrique du Nord et notre destin » que l’intégration prônée par
Soustelle est « déjà lettre morte » et plaide pour l’urgence de l’ouverture du
dialogue avec les nationalistes en vue d’une solution politique au détriment
d’« une guerre sans raison et sans merci ».
Au lendemain des accords d’Évian*, il est de nouveau rappelé à Alger,
auprès du Haut-Commissariat dirigé par Christian Fouchet*. Il tente
vainement de dissuader l’OAS* de poursuivre son action destructrice. Lors
de l’incendie de la bibliothèque de l’université d’Alger*, Monteil participe à
la sauvegarde d’une partie des ouvrages.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Xavier Houssin, Soldat de fortune, Grasset, 1968 • Vincent Monteil,
Les Officiers, Seuil, 1957.

MONTLUC
À Lyon*, « fort Montluc » désigne un dispositif spatial constitué d’une
caserne, d’un tribunal militaire et d’une prison*. De fait, il condense
l’intégralité du dispositif répressif déployé durant la Guerre d’indépendance
telle qu’elle se déroule en France. Avec l’extension des pouvoirs spéciaux* à
la métropole, la caserne sert de « centre d’identification ». Des milliers
d’Algériens y sont détenus et fichés après avoir été raflés en 1957, ainsi que
des Algériennes qui manifestaient en novembre 1961. Le tribunal permanent
des forces armées (TPFA) poursuit des soldats insoumis ou déserteurs, des
objecteurs de conscience, des communistes et pacifistes, pour « entrave
violente à la circulation de matériel nécessaire à la Défense nationale ». Ainsi
les manifestations* de 1956 contre des trains militaires se soldent par des
arrestations et condamnations. Puis une ordonnance du 8 octobre 1958
confiant aux TPFA toutes les atteintes à l’intégrité du territoire national, celui
de Montluc juge les membres des réseaux de soutien ainsi que ceux des
groupes armés du FLN* et du MNA*. Les commissaires du gouvernement,
partisans de « la plus grande France » et exerçant aussi parfois en Algérie
durant la guerre, obtiennent de lourdes peines : près de dix ans pour des
« porteuses de valises* », la mort pour des Algériens responsables
d’assassinats. La prison se remplit et se transforme. Elle est partagée en deux
ailes (hommes et femmes), militaires et civils sont séparés, et le quartier des
condamnés à mort est agrandi et sécurisé. C’est à Montluc que la peine de
mort est la plus exécutée : onze Algériens y sont guillotinés. Après
l’indépendance, des membres de l’OAS*, des réseaux de soutien et des
objecteurs de conscience, exclus de l’amnistie*, y restent jusqu’en 1964. Les
mémoires de ces détentions resurgissent à partir de 2010, quand Montluc
devient un mémorial exclusivement centré sur la Seconde Guerre mondiale.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Marc André, Une prison pour mémoire. Montluc de 1944 à nos jours,
Lyon, ENS Éditions, 2022 • —, « Expériences carcérales et traductions
picturales. Le témoignage du peintre et objecteur de conscience Didier
Poiraud durant et après la guerre d’indépendance algérienne (1961-1964) »,
L’Année du Maghreb, no 20, 2019 • —, « Requérir la peine de mort. Les
magistrats militaires entre la France et l’Algérie durant la guerre
d’indépendance algérienne », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 142,
no 2, 2019.

MONUMENTS AUX MARTYRS


EN ALGÉRIE
Construire des monuments rendant hommage aux martyrs de la guerre de
libération nationale ne date pas de l’indépendance. Dès la guerre, des édifices
sont érigés dans les bases arrière de l’ALN*, situées au Maroc* et en
Tunisie*. En 1962, sous Ahmed Ben Bella*, cette mission incombe à la
population. Ainsi des initiatives locales ont-elles vu le jour ici et là avec la
construction de stèles. Sur le plan symbolique, il était important de perpétuer
la tradition née aux frontières, mais surtout de remplacer et d’effacer les
monuments français. C’est cependant avec Houari Boumediene* et la
consolidation du pouvoir en Algérie qu’une politique nationale mémorielle
est mise en application. Il s’agit de « construire, restaurer et déplacer » des
monuments dédiés aux chouhada. La responsabilité de gérer et d’avaliser les
demandes d’édification des stèles et autres monuments échoit au ministère
des Moudjahidines*. La procédure est lourde et complexe. Elle informe sur
ce qu’appelle Emmanuel Alcaraz (2010) « la gestion centralisée de la
mémoire nationale ». Toutefois, la bureaucratisation de l’acte de construire
des stèles commémoratives n’a pas constitué un frein à la dynamique de
témoigner de la reconnaissance à celles et ceux qui sont morts pour la patrie.
Cette frénésie d’élever, dans les villes et villages, des monuments
mémoriaux, fort importante dans les années 1970, se poursuivra avec Chadli
Bendjedid. On doit à ce dernier la décision d’ériger, à l’occasion du
vingtième anniversaire de l’indépendance en 2012, sur les hauteurs d’Alger,
un monumental sanctuaire aux martyrs, Maqam Echahid, qui, réceptionné
deux ans après, bouleverse l’approche qu’ont les Algériens de l’hommage
rendu aux chouhada. Ainsi assiste-t-on à un phénomène ubuesque ; chaque
commune, par mimétisme, dresse une copie du Maqam Echahid, souvent une
pâle reproduction de l’original. Dans les années 1990, des stèles des
chouhadas sont profanées et détruites au nom de considérations religieuses.
Dans la même logique, des dirigeants et militants du FIS refusent de saluer le
drapeau* national et de reconnaître la qualité de « martyrs » aux non-
musulmans, morts pour l’Algérie. Ces dernières décennies, on constate,
comme aux premières années de l’indépendance, un retour aux
commémorations* historiques locales, dans le sens où chaque région honore
ses propres enfants, qu’ils soient des chefs prestigieux ou des moudjahidin*
anonymes.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Emmanuel Alcaraz, « Les monuments aux martyrs de la guerre
d’indépendance algérienne : monumentalité, enjeux de mémoire et
commémorations », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 237,
2010 • « Des stèles pour revisiter l’histoire », El Watan, 21 juillet 2016.
MONUMENTS AUX MORTS (FRANCE)
Un peu moins de 30 000 soldats français sont morts en Algérie. Leurs
noms ont été ajoutés sur les monuments aux morts communaux, avec ceux
d’Indochine*, et en complément des morts des Première et Seconde Guerres
mondiales. Comme la guerre n’a officiellement été reconnue comme telle
qu’en 1999, les monuments aux morts spécifiques étaient auparavant peu
nombreux. Le premier mémorial départemental est celui de l’Aube. Il résulte
de la volonté de Michel Benoist, grand blessé en Algérie, qui dénombre en
1966 et 1967 les Aubois morts en Algérie, en Tunisie* et au Maroc*. Son
travail aboutit à l’apposition de trois plaques de marbre sur l’hôtel de police
de Troyes le 28 septembre 1969. Les trois plaques sont déplacées en 1977 sur
un mémorial implanté face à la gare SNCF de Troyes, en forme d’équerre et
haut de 5,5 mètres. Il est inauguré le 12 juin 1977 par le préfet* de l’Aube, le
président du Conseil général et le maire adjoint de Troyes. Trois autres
plaques ont été ajoutées au monument, notamment l’une en hommage aux
harkis* et aux forces supplétives en 2001. Un soldat inconnu « d’Afrique du
Nord » est également inhumé en 1977 à la nécropole militaire de Notre-Dame
de Lorette, consacrée alors à la Première et la Seconde Guerre mondiale. Le
président Valéry Giscard d’Estaing* déclare dans son discours : « Il est juste
que le soldat inconnu d’Afrique du Nord repose ici aux côtés de ses frères
d’armes des deux guerres mondiales, dans ce cimetière dépositaire de tant de
gloire. C’est un même hommage qui leur sera désormais rendu par la
nation. »
Au cours des années 1980, quatre nouveaux mémoriaux sont inaugurés :
le premier à Aurillac (Cantal) le 21 mars 1982, le second dans la Creuse le
15 mai 1983, le troisième à Marvejols (Lozère) le 19 mars 1986, et le dernier
à Montredon-Labessonnié dans le Tarn le 14 mai 1989. Celui-ci, créé à
l’initiative du comité Fnaca de la commune, est assurément l’un des plus
réfléchis et ambitieux, et a même une dimension nationale. Il est composé
d’une pyramide tronquée de 100 mètres carrés à la base, avec dix marches
représentant les dix années de guerre. En haut se trouve une pierre de granit
de 5,2 mètres de hauteur en forme de flamme pétrifiée, pour symboliser une
jeune vie disparue. Une urne centrale contient 30 000 pierres provenant de
tous les départements de France, représentant les soldats morts en Afrique du
Nord. Une flamme a été prise à l’Arc de triomphe le 12 mai 1989 puis
transportée jusqu’au monument, notamment par des sportifs.
Au cours des années 1990, jusqu’à la loi du 19 octobre 1999, les
mémoriaux départementaux commencent à devenir plus nombreux : on en
dénombre ainsi 20. Si certains monuments gardent la forme classique d’une
flamme de pierre, d’autres deviennent plus modernes, comme celui des
Bouches-du-Rhône, se trouvant à Berre-L’Étang, face à la mer, en forme
d’étrave de 12 mètres de haut et symbolisant la proue d’un bateau. Outre-
mer, le premier mémorial est inauguré à La Réunion le 19 mars 1993. Après
la loi de 1999, les monuments se multiplient. En 2002, ils sont même
complétés par le Mémorial national* de la guerre d’Algérie situé quai Branly,
à Paris. À la fin de l’année 2012, il existe 79 mémoriaux départementaux. Le
département des Pyrénées-Atlantiques a la particularité d’en compter deux :
l’un pour le Béarn et la Soule, l’autre pour le Pays basque. Depuis, quelques
autres monuments ont été inaugurés, à l’instar de celui de Seine-Maritime, le
1er février 2018, à l’initiative de Jean-Pierre Marchand et avec une œuvre de
Jean-Marc de Pas.
À côté de ces monuments officiels, des monuments portent une mémoire
favorable à l’« Algérie française ». Le premier a été inauguré à Toulon, porte
d’Italie, le 14 juin 1980, en hommage aux « martyrs de l’Algérie française ».
Depuis, ces monuments se sont multipliés, essentiellement sur le pourtour
méditerranéen, en particulier du fait de l’Adimad, dont l’objectif est en fait de
défendre la mémoire des membres de l’OAS*. Ainsi, une plaque a été
apposée à Théoule en 2002, des stèles à Béziers, à Pérols, à Perpignan
(2003), à Marignane (2005), à Aix-en-Provence… Face à cette
recrudescence, l’Anpromevo cherche à commémorer la mémoire des victimes
de l’OAS. La stèle la plus importante est inaugurée le 8 octobre 2011 au
cimetière du Père Lachaise à Paris, en présence de Bertrand Delanoë, du fils
de Roger Gavoury*, commissaire de police tué par l’OAS, de Delphine
Renard, victime d’un attentat de l’OAS l’ayant rendue aveugle à 4 ans le
7 février 1962, et d’environ 300 personnes.
Les monuments aux morts représentent donc à la fois une mémoire
officielle en hommage aux soldats ayant combattu en Algérie (mais aussi en
Tunisie et au Maroc) et une mémoire militante cherchant à commémorer
« ses » morts de la guerre d’Algérie.
Tramor QUEMENEUR
Bibl : « Toulon-Marignane : histoires de stèles et de plaques », Histoire
coloniale, 19 mars 2006, disponible en ligne • Fédération nationale des
anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca), Guerre d’Algérie
— Combats du Maroc et Tunisie — 1952-1962. Mémoriaux départementaux.
Patrimoine-Histoire, Fnaca, 2012.

MORIN, EDGAR (NÉ EN 1921)


Edgar Morin, né Nahoum en 1921, est un philosophe, sociologue,
militant antifasciste pendant la guerre en Espagne, ancien résistant et
compagnon de route du PCF* qu’il quitte dans les années 1950. Il découvre
la question algérienne à travers les massacres de Sétif de mai 1945. Après la
Toussaint rouge en 1954, constatant que se déroule une vraie guerre
répressive, il crée en 1955, avec René-Louis des Forêts, Robert Antelme,
Dionys Mascolo et Marguerite Duras, un Comité* des intellectuels contre la
poursuite de la guerre en Afrique du Nord. Ce comité mobilise de nombreux
intellectuels de différentes sensibilités, comme Roger Martin du Gard,
François Mauriac*, André Breton, Louis Massignon*, Jean-Paul Sartre* et
d’autres. Réunis dans une salle de la rue Jacob, les membres du comité font le
serment de ne se séparer que quand la guerre d’Algérie sera terminée. Le
comité organise un grand meeting à la salle Wagram en janvier 1956, où est
accueilli André Mandouze*, qui vient d’Alger, apportant « le salut de la
révolution algérienne ». Cependant, le comité se divise rapidement. Edgar
Morin, approché par le trotskiste* Lambert, penche plutôt vers un soutien aux
militants et syndicalistes messalistes. Jean-Paul Sartre et les sartriens, plus
proches des « porteurs de valises* », approchés par Francis Jeanson*,
soutiennent le FLN*. Associant dans le même combat son opposition à la
guerre en Algérie et l’intervention de l’Union soviétique en Hongrie* en
1956, Edgar Morin fonde avec Marguerite Duras, Dionys Mascolo, Robert
Antelme, Kostas Axelos et Claude Lefort le Comité des intellectuels
révolutionnaires contre « le colonialisme français et tous les impérialismes, y
compris l’impérialisme soviétique ». Son soutien au messalisme n’empêche
cependant pas que, au moment où il publie son ouvrage Autocritique, dans
lequel il défend Messali* et critique les communistes, il prenne langue avec
le FLN lors d’un voyage à Tunis en 1959. Face aux accusations contre
Messali, il réitère qu’il avait « décidé de ne pas (se) taire ! ». Par ailleurs,
Edgar Morin n’est pas signataire du « Manifeste* des 121 », mais signe
(notamment avec Claude Lefort) l’« Appel à l’opinion pour une paix
négociée en Algérie », plus axé sur la nécessité de paix et de négociation*.
Au cours de la guerre d’Algérie, en se positionnant au cœur des
contradictions algériennes, Edgar Morin est déjà dans sa perspective
d’approche de la « complexité » – qui fait son originalité intellectuelle –,
celle d’aborder les aspects contradictoires des faits et des engagements.
Aissa KADRI
Bibl. : Edgar Morin, Autocritique, Seuil, 1959 • —, Les souvenirs viennent à
ma rencontre, Fayard, 2019 • Entretiens d’Edgar Morin avec Aissa Kadri et
Nedjib Sidi Moussa, décembre 2016.
MORIN, JEAN (1916-2008)
Diplômé en sciences politiques et en statistiques, magistrat* à la Cour des
comptes, Jean Morin s’engage dans la Résistance* et devient chef de cabinet
du président du CNR, Georges Bidault. Rejoignant le corps préfectoral, il
dirige de nouveau le cabinet de Bidault, président du GPRF, en 1946. Resté
proche de ce farouche défenseur de l’Algérie française, il accepte tout de
même de remplacer Paul Delouvrier* à Alger en novembre 1960. Il était alors
Igame (Inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire) à
Toulouse, et s’occupait à ce titre du maintien de l’ordre. À Alger, il est
« délégué général » et non, comme son prédécesseur, « délégué général du
gouvernement ». L’existence d’un ministre d’État chargé des Affaires
algériennes, à Paris, Louis Joxe*, explique cette fonction quelque peu
amoindrie.
En poste jusqu’au cessez-le-feu du 19 mars 1962*, il œuvre tout
particulièrement à l’application du plan de Constantine*, grâce à l’expérience
acquise dans ses affectations précédentes. À la suite de Paul Delouvrier, il
doit aussi assurer la restauration de l’autorité civile. Celle-ci passe
notamment par des interventions sur les camps de regroupement* et
d’internement*. Le 29 mai 1961, il signe ainsi, avec le général Gambiez*,
une circulaire pour le « dégroupement » des populations ; en vain. Il favorise
aussi l’élargissement d’internés en créant des commissions consultatives
départementales habilitées à prononcer des libérations. Comme son
prédécesseur, il doit affronter la fronde des partisans de l’Algérie française.
Pendant les manifestations de décembre 1960*, il écarte les parachutistes* du
maintien de l’ordre pour ne se fier qu’aux gardes mobiles et aux CRS, plus
loyaux. Séquestré dans sa résidence du palais d’État lors du putsch*
d’avril 1961, il réussit à intercéder en faveur de l’autorité légitime auprès des
préfets* et sous-préfets. En défenseur et exécutant de la politique gaulliste, il
estime que, si l’indépendance de l’Algérie a été négative pour les Français de
la colonie et les harkis*, elle a bénéficié à la France et aux Français de
métropole.
Après 1962, il s’engage dans la haute administration maritime avant de
rejoindre le groupe Publicis en 1970. Vice-président de la fondation Charles-
de-Gaulle au moment de son décès, il s’est fait remarquer en témoignant en
faveur de Maurice Papon* à son procès.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Jean Morin, De Gaulle et l’Algérie. Mon témoignage, 1960-1962,
Albin Michel, 1999 • « Jean Morin », Le Monde, 15 septembre 2008 •
Bertrand Poirot-Delpech, « Une transition exceptionnelle », in Papon : un
crime de bureau, Stock, 1998.

MOSTEFAÏ-SUSINI, ACCORD
Cet accord du 17 juin 1962 est en réalité une double déclaration
radiodiffusée de ses deux principaux négociateurs : le Dr Mostefaï pour le
FLN* et Jean-Jacques Susini* pour l’OAS*. Il sanctionne une négociation*
qui dure depuis la mi-mai et dont il faut saisir les logiques. Du côté de l’OAS,
le rejet radical des accords d’Évian* et la politique de terre brûlée n’ont pas
provoqué le chaos attendu. Les arrestations ont aussi désorganisé l’OAS et la
population européenne, traumatisée par la fusillade de la rue d’Isly*, songe
d’abord à l’exil. Susini souhaite donc trouver un débouché politique ; une
volonté partagée dès la mi-mai par Abderrahmane Farès, le président de
l’Exécutif provisoire*. Un premier face-à-face débouche sur l’accord de
l’Alma du 18 mai 1962. Il est mort-né car jugé trop avantageux pour les
Européens. Reprises à la fin mai sous la médiation de Jacques Chevallier* et
dorénavant conduites côté FLN par Chawki Mostefaï, son représentant à
Alger, les négociations, très laborieuses, aboutissent. Mostefaï s’engage sur
trois points. Il mentionne l’OAS, ce qui confère à cette dernière une légitimité
qui lui avait été déniée par les négociateurs d’Évian. Il indique en outre que
les « forces algériennes du maintien de l’ordre doivent être les forces de
l’Algérie tout entière » et donc inclure des Européens. Explicitement
évoquée, l’amnistie* « sera prononcée dès que les conditions de souveraineté
le permettront ». En retour, Susini se félicite d’un « accord entre Algériens »
et donne ordre, au nom de l’OAS, « de suspendre les combats et d’arrêter les
destructions ». À moins de trois semaines du référendum* du 5 juillet,
l’existence de l’accord et sa proclamation publique, dont la lettre semble
garantir une sortie de conflit pacifiée, sont-elles suffisantes ? La réponse est
négative. L’OAS-Oran se berce encore de l’illusion d’une enclave territoriale
française dans l’Algérie indépendante et sa radio* proclame le 19 juin que
« la lutte continue ». Du côté du FLN, la représentativité des négociateurs est
immédiatement contestée. L’Exécutif provisoire est mis en cause par le
GPRA* tandis que la Zone autonome d’Alger* prend ses distances avec le
texte. Pour citer Gilbert Meynier*, la crise née de l’accord, au FLN, est un
« ultime épisode de la lutte entre activistes et politiques ». Un constat qui
vaut aussi pour l’OAS auquel s’ajoute le fait qu’il aurait fallu pour Susini
convaincre les pieds-noirs* du bien-fondé de l’accord.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Gilbert
Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

MOTION DES 61
Le 26 septembre 1955, à l’occasion de la discussion à l’Assemblée
algérienne de projets de réformes présentés par le gouverneur général Jacques
Soustelle*, 61 élus du second collège forment un comité et votent une motion
condamnant la politique d’intégration de la France. Élus malgré la fraude
électorale, députés, sénateurs, conseillers de l’Union française et délégués à
l’Assemblée algérienne « préfabriqués » constituent une représentation
politique factice de la population colonisée, docile aux exigences de
l’administration. Si certains étaient des nationalistes de longue date, d’autres,
à l’instar du Dr Bendjelloul*, présenté comme l’instigateur de la motion,
n’avaient jamais adhéré au nationalisme*. Ces « 61 » élus du second collège
comprennent 10 députés sur 15, 5 sénateurs sur 7 et 42 élus de l’Assemblée
algérienne. La presse* coloniale décrit leur texte comme une trahison ; dans
les jours qui suivent, Bendjelloul doit se défendre d’avoir signé sous la
menace. De fait, ce retournement pose une difficulté sérieuse aux autorités
françaises.
Après l’insurrection du 20 août 1955*, la motion intervient dans le
contexte particulier des pourparlers entre le FLN* et les différentes forces
politiques, UDMA*, PCA* et Association des ulémas*, et visant à faire du
FLN le seul représentant de la population algérienne. Par l’intermédiaire des
udmistes, les cadres du FLN cherchent à saborder la représentation mal élue
du second collège. Le vote de la motion exprime d’abord la défiance des élus
« préfabriqués » vis-à-vis de l’administration française.
Sur le fond, les signataires condamnent « formellement la répression
aveugle qui frappe un nombre considérable d’innocents, appliquant le
principe de la responsabilité collective à des populations sans défense. » Ils
notent que la cause principale des troubles de l’Algérie est d’ordre politique,
et que la politique d’intégration est désormais dépassée. Ils affirment enfin
que « l’immense majorité des populations est présentement acquise à l’idée
nationale algérienne ».
La motion sera suivie, en décembre 1955, d’une campagne orchestrée par
l’UDMA de démissions d’élus dans toutes les assemblées locales. Le retrait
des signataires de la motion contribue à la dissolution de l’Assemblée
algérienne* le 12 avril 1956.
Malika RAHAL
Bibl. : Malika Rahal, L’UDMA et les Udmistes. Contribution à l’histoire du
nationalisme algérien, Alger, Barzakh, 2017.

MOUDJAHID
L’insurrection déclenchée par les dirigeants du FLN* peut être comprise
comme une « révolution » – thawra – dans le sens où elle a pour finalité la
rupture avec le colonialisme et qu’elle s’appuie sur des moyens subversifs
pour parvenir à l’indépendance. Ceci étant, dans la propagande* du FLN, la
lutte anticoloniale devient également synonyme de « guerre sainte » –
djihad –, un mot d’ordre mobilisateur, faisant de l’activiste indépendantiste
un « combattant de la foi » – moudjahid.
Pourtant, l’organe du FLN, Résistance algérienne, livre sa propre
conception du djihad dans son édition du 9 octobre 1956 : « Il met davantage
en relief la volonté inébranlable, la concentration de l’effort, l’esprit de
sacrifice total, jusqu’au martyr, en vue d’une destruction totale du système
rétrograde existant. Il ne comporte aucune haine religieuse ou raciale, aucun
exclusivisme ni conformisme si ce n’est celui de la nécessaire unité pour la
victoire finale. Le Djihad ainsi compris est la quintessence du patriotisme
libéral et ouvert. »
Cette définition, qui se réclame de la modernité – et vise un lectorat tant
interne qu’externe à la communauté des colonisés –, est reprise dans le
nouveau journal du FLN qui s’intitule El Moudjahid à partir de 1956. Si
certains cadres indépendantistes sont libéraux et ouverts à titre individuel, la
conception de la nation algérienne qui s’impose se fonde sur l’arabité et
l’islamité, s’inscrivant dans le sillage du fondateur de l’Association des
ulémas*, Abdelhamid Ben Badis, dont les disciples ont instruit de nombreux
maquisards.
Au nom de cette ambiguïté politico-religieuse – instrumentalisée par des
dirigeants parfois agnostiques, voire athées –, le moudjahid mort au combat
devient par conséquent un martyr – chahid*. Dans la hiérarchie des
appellations, il supplante le partisan – fidaï (celui qui sauve autrui en offrant
sa propre vie) –, l’auxiliaire civil – moussabel – et, plus largement, les
« frères » (d’armes ou en religion) – khawa. À l’indépendance, ce lexique est
mobilisé par les autorités algériennes en quête de légitimation – la « journée
du moudjahid », devenu aux yeux de beaucoup un « privilégié », est
commémorée le 20 août – mais aussi par leurs opposants.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Slimane Chikh, L’Algérie en armes ou le temps des certitudes,
Economica, 1981 • Gilbert Meynier, « L’Algérie, la nation et l’islam »,
Raison présente, no 159, 2006 • Abderrahmane Moussaoui, « De la violence
au djihad », Annales, vol. 49, no 6, 1994.

MOUDJAHIDA
Le mot moudjahida (‫)ﻣﺠﺎھﺪة‬ est le féminin de
moudjahid, le mot arabe pour « combattant saint ». Le pluriel est
moudjahidate. Le FLN* s’approprie cette terminologie, familière à la
population musulmane d’Algérie, pour mener une lutte indépendantiste qui
n’est pas une guerre religieuse. Ainsi moudjahida n’est pas le terme le plus
fréquent dans les documents publics et internes du FLN pendant la guerre.
Ceux-ci font plutôt référence à la militante, à la maquisarde, avec des mots
tels que moussabila (membre féminin du réseau de soutien logistique), fidaïa
(poseuse de bombes) et djoundiates (femmes* soldats). Moudjahida devient
plus employé après la guerre et aujourd’hui, moudjahidate est fréquemment
utilisé pour parler collectivement des femmes qui ont participé à la guerre,
quels que soient leur rôle et leur niveau de reconnaissance officiels. Selon les
archives* du ministère algérien des Moudjahidines, citées par Djamila
Amrane* (1991, p. 275), en 1974, on compte 10 949 femmes sur un nombre
total de 336 784 vétérans officiellement reconnus. Ce chiffre ne reflète pas
l’ampleur de la participation des femmes algériennes à la lutte de libération.
La grande majorité des moudjahidate font partie des réseaux de soutien
logistique, à la campagne et en ville. Les membres du FLN-ALN* trouvent
refuge chez elles, où elles se chargent du ravitaillement, des premiers soins et
du lavage de vêtements. En ville, les femmes transportent des armes, de la
correspondance, des tracts et des médicaments. À partir de 1960, elles sont
présentes en grand nombre dans les manifestations* populaires en faveur de
l’indépendance, notamment à des moments clés comme les votes de l’ONU*
sur « la question algérienne ».
Au début, les femmes rurales – comme la plupart des hommes – sont
recrutées principalement à travers des réseaux familiaux et les structures de
solidarité sociale préexistantes. La coercition est parfois utilisée : « Les
Français sont venus, ils nous ont entourés, ils nous ont sortis, ils ont cassé les
toits », explique Fatima Berci en Kabylie, « ensuite les moudjahidines sont
venus, et ils nous ont obligés de reconstruire nos maisons et rester. On était
entre deux feux » (citée par Natalya Vince, 2015, p. 59). Cependant, au cours
de la guerre, par l’action politique du FLN auprès des populations mais
surtout face à la répression de l’armée française, une nouvelle communauté
politique, farouchement pro-indépendance et aussi pro-FLN, se consolide.
Un plus petit nombre de femmes, souvent des lycéennes et des étudiantes,
rejoignent le maquis. Elles sont infirmières, ou dans d’autres cas cuisinières
et blanchisseuses. La vie au maquis est rude, rythmée par de longues marches
sur des terrains accidentés, une forte probabilité de mourir dans un
bombardement ou un accrochage, un manque d’équipement et des pénuries
de nourriture et de médicaments. Souvent ces femmes viennent de familles
nationalistes, même si cela ne veut pas dire que ces familles sont d’accord
pour que leurs filles rejoignent le maquis. Selon Fadéla Mesli, infirmière dans
la Wilaya 4* en 1956, qui est montée au maquis sans prévenir ses parents :
« on a fait deux révolutions, l’une contre le colonialisme, l’autre contre les
tabous, que je dirai même plus difficile » (citée par Natalya Vince, 2015,
p. 96-97).
Les militantes du FLN-ALN les plus connues venant en ville (Djamila
Bouhired*, Djamila Boupacha*, Zohra Drif*…) sont souvent issues de
familles nationalistes, même si les fréquentations sociales (voisins et
camarades de classe) et le hasard jouent parfois un rôle plus important dans
leur recrutement dans les cellules clandestines. Bon nombre de ces femmes
ont été à l’école française, à la différence de la grande majorité des Algériens.
Elles sont sélectionnées comme poseuses de bombes et agentes de liaison
parce qu’elles passent plus inaperçues que les hommes. Beaucoup d’entre
elles sont arrêtées et torturées par l’armée française. Devenues très
médiatisées, elles sont présentées par la presse* coloniale comme des
« évoluées » « retournées » contre la France, et par le FLN comme la preuve
de la modernité de leur mouvement et de l’illégitimité du colonialisme.
Le FLN n’est pas un mouvement confessionnel. Il faut aussi souligner le
rôle de quelques femmes « européennes », communistes ou libérales, qui
rejoignent le FLN ou prennent cause commune avec la lutte indépendantiste.
Au moins l’une d’entre elles, Raymonde Peschard*, est morte au maquis.
Jacqueline Guerroudj* est condamnée à mort. Comme Guerroudj le raconte
dans ses mémoires, Des douars et des prisons (Alger, Éditions Bouchène,
1991), l’expérience de la prison* contribue à forger une identité collective de
« moudjahidate » même si – comme le journal intime de Baya Hocine* écrit
en prison le démontre – elles ne s’entendent pas tout le temps et ont leurs
différences politiques.
Les femmes algériennes en France, ainsi qu’un certain nombre de
femmes françaises de métropole, participent aussi à la lutte anticoloniale,
dans les manifestations, dans les réseaux de collecte de fonds et dans le
soutien matériel aux familles dont les époux et pères sont en prison. Le
MNA* de Messali Hadj* étant plus ancré en France métropolitaine qu’en
Algérie, le rôle des femmes dans le MNA est plus visible. Les femmes en
France sont donc prises entre « trois feux » : le FLN, le MNA et la police*.
En 1961-1962, la Fédération de France* du FLN crée une section des femmes
pour Paris et sa région sous l’impulsion de Salima Sahraoui et son mari
Rabah Bouaziz*. Cette section milite pour l’égalité hommes-femmes au sein
du FLN, le droit à l’alphabétisation des femmes et un rôle plus prépondérant
pour les femmes dans l’orientation de la ligne politique. Ce projet, qui suscite
quelques réticences masculines et des divisions intergénérationnelles, s’éteint
avec la marginalisation de la Fédération de France dans les disputes internes
du FLN-ALN durant l’été 1962.
Mis à part quelques initiatives telles que la section des femmes, les
Algériennes ne s’organisent pas en tant que femmes pendant la guerre. Le
mouvement nationaliste algérien s’est très peu investi dans le développement
d’un militantisme féminin, à l’exception de l’Afma dont la création est
antérieure à la guerre de libération. Les femmes algériennes rentrent en masse
dans la guerre en tant que militantes, même si pour la plupart des femmes les
rôles assignés restent ceux considérés traditionnellement comme
« féminins ». Ceci crée une approche singulière chez les anciennes
combattantes qui ont pris des armes et transgressé les rôles traditionnels :
elles veulent être vues comme des combattants comme les autres. Après la
guerre, elles revendiquent d’avoir arraché le droit d’être l’égale de l’homme,
comme le peuple algérien a arraché son indépendance. Être organisées ou
s’organiser en tant que femmes est considéré comme une démarche
rétrograde. Ce positionnement change à partir des années 1980, quand un
certain nombre d’anciennes combattantes urbaines et instruites mobilisent
l’identité de moudjahidate pour se battre contre le Code de la famille de 1984
qu’elles considèrent comme une atteinte au progrès vers l’égalité entre les
sexes qui a commencé avec la lutte de libération.
Natalya VINCE
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991
• Marc André, Femmes dévoilées. Des Algériennes en France à l’heure de la
décolonisation, ENS Éditions, 2016 • Natalya Vince, Our Fighting Sisters :
Nation, Memory and Gender in Algeria, 1954-2012, Manchester, Manchester
University Press, 2015.

MOUEDDEN, ATTOU (1921-2011)


Attou Mouedden est né le 17 août 1921 à Thiersville (Mascara). Sa
famille s’installe à Oran, au quartier Carteaux, où la majorité des habitants
originaires de sa région travaillent aux anciens abattoirs de la ville. Lui-même
y a exercé comme sacrificateur et tripier.
On sait peu de chose sur ce personnage trouble qui défraie la chronique à
partir de 1961. Il prend de l’importance à la suite de l’arrestation de son chef
Djillali Benguesmia-Chadly, alias Si Abdelhamid, responsable politico-
militaire, le 27 juin 1961. Ce dernier est remplacé par Ali Mouedden, alias Si
Omar, neveu d’Attou Mouedden. Profitant de ce lien de parenté, Attou
Mouedden s’autoproclame chef du FLN*, dispose d’une bande de
« marsiens » – ces militants de la dernière heure – qui a commencé par offrir
sa protection aux faubourgs menacés par les incursions de l’OAS*.
Rapidement, la bande de Mouedden acquiert une mauvaise réputation, elle
est incontrôlable et commet de nombreux abus envers ses propres
coreligionnaires. Par ailleurs, la bande de Mouedden contrôle les deux
principales voies donnant accès à l’aéroport de la Sénia. Dans ce corridor de
la mort, elle se livre à toutes sortes d’actes de violence sur les Européens.
Le 12 avril 1962, l’état-major zonal de l’ALN* dépêche à Oran le
capitaine Benisaf pour enquêter sur les agissements attribués à Mouedden.
L’enquête confirme les faits et constate que l’influence de Mouedden est telle
qu’elle bat en brèche l’autorité du capitaine Bakhti*, chef de la ZAO. Il joue
un rôle dans le drame du jeudi 5 juillet 1962* à Oran. Il serait responsable,
avec ses hommes, des enlèvements et massacres d’Européens qui ont marqué
cette journée sanglante – une journée qui ne peut se comprendre sans revenir
sur la situation d’anarchie généralisée et d’insécurité totale qui a prévalu
durant la période de transition, depuis le cessez-le-feu du 19 mars*. Le
10 juillet, le capitaine Bakhti présente devant la presse locale et étrangère une
centaine de personnes arrêtées la veille, avec Mouedden à leur tête.
Contrairement à la rumeur qui relayait sa condamnation à mort* et son
exécution, Mouedden survit, exerce quelque temps dans la police*, avant de
revenir à son ancienne activité de tripier aux abattoirs.
Il décède à Oran le 9 septembre 2011.
Saddek BENKADA
Bibl. : Aurel et Pierre Daum, « Chronique d’un massacre annoncé. Oran,
5 juillet 1962… », Le Monde diplomatique, janvier 2012 • Jean Monneret, La
Tragédie dissimulée. Oran, 5 juillet 1962, Michalon, 2006 • Entretiens de
l’auteur avec les acteurs-témoins de la journée du 5 juillet 1962.

MOUVEMENT NATIONAL ALGÉRIEN


(MNA)
Après la dissolution du MTLD, décrétée le 5 novembre 1954 par le
gouvernement de Pierre Mendès France*, le parti de Messali Hadj* renaît
dans la clandestinité sous l’appellation « Mouvement national algérien »
(MNA), telle qu’affichée dans le premier numéro de son organe, La Voix du
peuple algérien, daté du 1er décembre.
Au lendemain des attaques du 1er Novembre* et malgré la répression qui
s’abat sur les dirigeants indépendantistes – tels que Moulay Merbah,
secrétaire général du MTLD, arrêté et torturé par la police* à la villa
Mahieddine –, l’organisation messaliste peut compter sur des cadres, moins
connus des services de renseignement, sur une importante base militante –
implantée pour l’essentiel dans les villes d’Algérie et dans l’émigration* –,
mais aussi sur des alliés de longue date au sein de la gauche française, en
particulier chez les anarchistes*, trotskistes*, socialistes ou syndicalistes
enseignants.
Le MNA se présente dans sa presse* comme « le parti d’avant-garde de
la révolution algérienne » mais conserve, pendant de longs mois, les pratiques
héritées du PPA*, sans les adapter aux exigences du nouveau contexte. Il lui
faudra attendre début 1956 pour abandonner le principe des manifestations*
de rue qui ont exposé de nombreux militants aux interpellations et
identifications par les services de police, au risque de les décourager ou de les
inciter à rejoindre un FLN*.
De plus, l’initiative des premières actions violentes revenant au FLN, les
militants impatients de passer à l’action armée n’hésitent pas à changer
d’affiliation – d’autant que les différences doctrinales sont faibles même si
les messalistes restent attachés au mot d’ordre d’Assemblée constituante – ou
à rejoindre les maquis alors que le MNA peine à organiser les siens en raison
des arrestations – comme celle d’Arezki Ladjali, en contact avec les
combattants de Kabylie et appréhendé à Alger en décembre –, des défections,
sans compter les difficultés d’ordre matériel non résolues depuis la scission
du MTLD.
Néanmoins, à partir du 1er Novembre, Mokhtar Zitouni, chef de la kasma
de Notre-Dame-d’Afrique (Alger), puis trésorier général du MNA, organise
des groupes de sabotage dans la région de Bouzaréah où il recrute de
nombreux jeunes. Son interpellation, quelques mois plus tard, entraîne l’arrêt
des attentats dans les environs d’El-Biar.
Dès décembre, des directives sont données par les cadres messalistes, à
Hussein-Dey et Maison-Carrée, en vue de sélectionner des éléments « sûrs et
dynamiques » pour suivre un entraînement au sabotage. Ils cherchent
également, comme à Blida, à réintégrer au sein du parti les activistes du FLN.
En charge du Nord-Constantinois, Mohammed Zinaï donne, le
5 novembre, les premières instructions à un groupe d’une dizaine de militants
de Philippeville en vue de détruire des édifices publics. Le 24 décembre,
l’assassinat de l’agent de la police des renseignements généraux (PRG)
Mohammed Chenoufi provoque le démantèlement du réseau messaliste dans
cette localité.
Si la PRG fait état, en avril 1955, de consignes destinées à accentuer la
propagande* pour le recrutement en faveur de l’ALN*, en particulier à
destination des militants ayant récemment servi dans l’armée française,
certains dirigeants parisiens du MNA, qui semblent espérer un retour à la
légalité, préfèrent temporiser.
Cela n’empêche pas Larbi Oulebsir de se procurer une mitraillette, vingt-
huit revolvers et du chlorate, un arsenal destiné à sa région natale de Tazmalt.
Cette attitude, qui ne fait pas l’unanimité chez les cadres d’Algérie, répond
pourtant à la détresse exprimée par la base qui n’a que trois options : l’action,
l’abandon ou le ralliement au FLN. Oulebsir disparaît à la fin de l’année
1955, probablement enlevé à Tétouan après avoir acheté des armes.
La campagne de boycottage* des commerçants mozabites, caractérisée
par l’emploi de moyens violents – une dizaine de bombes frappent des
épiceries le 13 septembre 1955 dans l’Algérois –, et dont a tenté de profiter le
dirigeant messaliste Sadek Rihani, ternit l’image du mouvement dans ce
milieu. En novembre, des directives de la direction parisienne du MNA
appellent à cesser ces actions. Mais cette réorientation apparaît bien tardive
puisque les dirigeants du FLN ont déjà proposé leur protection aux
représentants de la communauté mozabite qui se détournent des messalistes.
En Oranie, l’organisation est décapitée suite aux attentats des 19 et
20 octobre 1955 – des bombes à retardement placées à l’intendance militaire
d’Oran, à l’hôtel de ville et à L’Écho d’Oran, mais programmées pour
exploser en soirée afin d’éviter les pertes humaines. Le MNA, dirigé
localement par Ali Boudjadja, avait réussi à constituer un réseau au sein de
l’armée française pour des missions de démoralisation, de renseignement et
de sabotage.
À l’été 1956, une correspondance entre un dirigeant algérois et un groupe
armé d’Orléansville – qui revendique l’exécution de Mohammed Dahmani,
accusé d’être un indicateur de la gendarmerie de Molière – illustre le rapport
à la violence des cadres messalistes qui soutiennent l’usage de la force
légitime tant qu’elle ne prive pas la cause indépendantiste du soutien
populaire et que les actions ne visent pas les « civils innocents ».
La création de l’USTA*, le 14 février 1956 à Alger, permet aux
messalistes d’envisager de reprendre l’initiative. Pourtant, l’intensification du
conflit FLN-MNA, l’onde de choc du massacre de Melouza-Beni Illemane*
et l’alliance contractée par Mohammed Bellounis* avec l’armée française –
qui entraîne la disparition des maquis messalistes sauf dans le Sud –
contribuent à la perte d’influence du mouvement, tant en Algérie qu’en
France, y compris dans ses bastions déstabilisés par plusieurs crises.
L’une des plus importantes de ces crises est sans doute celle qui, en
décembre 1958, provoque l’adhésion au FLN d’Ahmed Nesbah – membre du
bureau politique du MNA, chef de la Wilaya est et responsable de
l’approvisionnement en armes. Suivi par des responsables du Nord, de l’Est
et de Belgique*, il remet au FLN des archives* ainsi qu’une importante
somme d’argent. Depuis Tunis, il lance le 18 février 1959 une « Alerte aux
militants du MNA » qui fait « l’effet d’une bombe ». Le 22 octobre, un
commando messaliste l’assassine à Cologne.
Une autre crise, celle du Front algérien d’action démocratique* (FAAD),
survient en avril 1961. Elle donne l’occasion à Messali de se débarrasser des
éléments opportunistes au sein de la direction et d’annoncer, le 9 juin, son
refus de participer à des négociations* avec la France.
Avec le cessez-le-feu, Messali vise la « reconversion politique » du MNA
pour animer la vie démocratique de l’Algérie indépendante. Le 13 juin 1962,
Mohammed Zerouali – le plus ancien détenu nationaliste – dépose à Rocher-
Noir un dossier d’agrément au nom du PPA, la « nouvelle » dénomination du
parti qui compte moins de 5 000 militants. Zerouali est enlevé le lendemain.
Le PPA n’a jamais été légalisé.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Benjamin Stora, Ils venaient
d’Algérie. L’immigration algérienne en France (1912-1992), Fayard, 1992 •
Jacques Valette, La Guerre d’Algérie des messalistes, 1954-1962,
L’Harmattan, 2001.

MOUVEMENT POPULAIRE DU 13 MAI


(MP 13)
Acteur en vue du 13 Mai* et promoteur d’un « Comité des sept »
composé de poujadistes* algérois et de Pierre Lagaillarde*, Robert Martel se
pose d’emblée en adversaire du retour de De Gaulle* qu’il juge circonvenu
par des « forces occultes » dont l’objectif serait de trahir le Comité de salut
public du 13 Mai et d’abandonner l’Algérie française. Pour lui, il faut créer
sur les deux rives de la Méditerranée un Mouvement populaire du 13 Mai et
refaire un 13 Mai victorieux. En Algérie, la tâche est plus ardue qu’il n’y
paraît car l’UFNA* et le CRF n’ont guère compté de militants hors d’Alger et
de sa périphérie. Par ailleurs, Martel, malgré des contacts anciens, n’a guère
de relais en métropole ; il mesure surtout très mal les tensions minant les
droites nationalistes. Au premier congrès du MP 13, tenu à Paris à la fin de
l’été 1958, le « Chouan de la Mitidja » dénonce ses ennemis habituels et
fustige la constitution « athée » de la Ve République*. Mais sa virulence
indispose le général Chassin qui quitte la présidence du MP 13. Martel lui
succède et choisit comme secrétaire général une figure phare de
l’autonomisme alsacien et de l’agrarisme, Joseph Bilger. Ce premier échec
métropolitain est suivi d’un second, au début de 1959, lorsque Martel y tient
dans le Nord, en Bretagne et en Vendée, des réunions qui sont autant de
déconvenues. En Algérie même, le succès n’est pas au rendez-vous. Si on
excepte l’Algérois où le MP 13 s’appuie sur l’héritage des entreprises
antérieures, son implantation reste limitée à Oran, Constantine ou
Philippeville même si elle y a été durable. Quant à son journal, Salut public,
il peine à élargir le cercle des anciens abonnés des organes marteliens de
l’avant-13 Mai. La faiblesse militante n’est pas le seul handicap du MP 13.
La tactique politique est également questionnée à l’occasion des élections*
municipales de 1959 : est-il opportun d’y présenter des candidats ? Martel s’y
refuse, contrairement à ses principaux lieutenants, également inquiets du
mysticisme de leur chef qui exclut les trois vice-présidents du mouvement au
motif qu’ils ont arraché des images pieuses placardées sur les murs du siège
algérois. Un an après sa création, le MP 13 est en difficulté. Un second
congrès et une troisième tournée de Martel en métropole à l’automne 1959
n’y changent rien. Le MP 13 est un échec.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Claude
Mouton, La Contrerévolution en Algérie. De l’Algérie française à l’invasion
soviétique, Diffusion de la pensée française, 1972.

MOUVEMENT RÉPUBLICAIN
POPULAIRE (MRP)
Créé en novembre 1944 par Georges Bidault et regroupant la famille
démocrate-chrétienne, le MRP fut un temps le premier parti de France (28 %
des suffrages en juin 1946). Pilier du tripartisme à la Libération, il voit son
poids diminuer avec la concurrence successive du RPF, gaulliste, et du Cnip
de Pinay : le MRP réunit 12,5 % des suffrages en 1951. En matière extérieure
et coloniale, le MRP se marque par son anticommunisme, son atlantisme, son
européisme et sa défense de l’empire, de l’Indochine* à l’Algérie. Georges
Bidault, ancien président du CNR, président du Conseil au temps de la
« troisième force » et longtemps ministre des Affaires étrangères, incarne
cette politique qui fut celle du parti jusqu’en 1956. La guerre d’Algérie
fissure le MRP où les positions « Algérie française » de Bidault ou d’Alfred
Coste-Floret se voient de plus en plus remises en cause par une sensibilité
« libérale » qui ne cesse de marquer des points. Elle est représentée par Pierre
Pflimlin*, dont l’investiture à la présidence du Conseil est au centre de la
crise du 13 mai 1958*. Rallié malgré lui à de Gaulle*, en perte de vitesse au
plan électoral (11 % des suffrages exprimés au premier tour des législatives
de novembre 1958 et 50 députés contre 71 en 1956), le MRP soutient
jusqu’au bout la politique algérienne du Général, à la différence des
dissidents regroupés par Bidault dans la Démocratie chrétienne de France,
lancée en 1958. Le comité national du MRP décide en décembre 1960, à une
écrasante majorité, de préconiser le « oui » au référendum* sur
l’autodétermination du 8 janvier 1961. Il fait de même lors de la ratification
des accords d’Évian*. Ce soutien du MRP est conjoncturel et exclusivement
attaché à la politique algérienne. Car sur la politique étrangère (atlantisme,
européisme) comme sur les institutions, le MRP marque sa distance. Ses
dirigeants aspirent à refermer la « parenthèse » de la guerre d’Algérie et
escomptent un rebond : les législatives de novembre 1962 sont une douche
froide (7,88 % des voix au premier tour). La guerre d’Algérie et la
Ve République* ont eu ainsi raison d’un parti qui incarnait sa devancière.
Olivier DARD
Bibl. : Pierre Letamendia, Le Mouvement républicain populaire. Histoire
d’un grand parti français, Beauchesne, 1995 • Gilles Richard, Histoire des
droites en France de 1815 à nos jours, Perrin, 2017.

MUSÉES DU MOUDJAHID
Comme ailleurs, la fondation de musées du Moudjahid dans l’Algérie
libre participe de la construction de l’État-nation. Au terme d’une évolution
liée à la conjoncture politique agitée et aux enjeux de mémoire, le musée
national du Moudjahid est abrité à l’ombre du Maqam El Chahid (le
mémorial du martyr) en 1978.
Dès 1963, le premier président algérien Ahmed Ben Bella* manifeste son
intérêt de transformer la prison* de Serkadji (ex-Barberousse), lieu hautement
symbolique, en « musée de la révolution », en souvenir des milliers de
détenus nationalistes incarcérés avant et après 1954. Certains y ont été
guillotinés à l’instar d’Ahmed Zabana*. Cette initiative est interrompue par le
coup d’État du colonel Houari Boumediene* le 19 juin 1965. Ce n’est que le
2 décembre 1972 que Boumediene signe une ordonnance instituant le musée
national du Moudjahid dont les principales missions se résument à
« la récupération et la conservation des objets et de tous documents » relatifs
à la guerre de libération nationale de 1954-1962. Son initiative coïncide avec
la commémoration* du 10e anniversaire de l’indépendance à un moment où la
gestation d’une mémoire collective arrive à maturité. Par nécessité de
satisfaire les attentes des anciens moudjahidines* et d’en espérer en retour un
soutien à sa politique générale, Boumediene renoue avec le projet de son
prédécesseur. Le ministre des Anciens Moudjahidines*, Mahmoud Guenez,
veille sur sa réalisation et lance une vaste campagne de « récupération des
archives* nationales » en vue de la constitution des collections à exposer au
musée. Il est fait appel aux conseils du muséologue Georges-Henri Rivière
pour la concrétisation des espaces modernes couplés avec les lieux de
mémoire* de Serkadji (cellules, graffitis, parcours du condamné à mort, etc.).
En 1977, le projet est quasiment abandonné pour diverses raisons, à la fois
d’ordre bureaucratique et politique. La mort de Boumediene en
décembre 1978 y met fin. Les conséquences immédiates se traduisent, sous la
présidence de Chadli Bendjedid, par l’édification de nouveaux lieux de
mémoire – dépourvus de la charge émotionnelle et patriotique de Serkadji. À
partir de 1982, l’esplanade de Riadh el Feth accueillera à la fois Maqam El
Chahid (à l’occasion du 20e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie) et, à
partir de 1984, le musée central de l’Armée et le musée national du
Moudjahid qui sont inaugurés et ouverts au public à l’occasion du
30e anniversaire du déclenchement de la Guerre d’indépendance. Le musée
central de l’Armée se taille la part du lion en exposant toute la documentation
récupérée auprès des anciens moudjahidines* dans les années 1970. Il
sacralise le souvenir de la lutte de libération nationale à travers les choix
muséographiques retenus. En même temps, la représentation de ce passé et sa
réactualisation donnent une légitimation à l’idéologie régnante et confortent
le « soubassement de l’identité nationale » (Halbwachs).
Le 20 août 1984, Bendjedid, poursuivant sa politique de réhabilitation de
nombreux résistants éliminés (tels Abane* Ramdane, Krim* Belkacem…), se
rend à Ifri Ouzellaguen, sur les lieux où s’est tenu le congrès de la
Soummam*, et procède à l’inauguration d’un ensemble mémoriel
comprenant une esplanade où flotte le drapeau* algérien, une stèle des
martyrs, un musée installé dans l’ancien pavillon de chasse, des sculptures
des principaux acteurs du congrès de la Soummam. Le musée acquiert le
statut d’annexe du musée national du Moudjahid en 1995.
Rapidement, ce lieu historique est investi par l’action des associations
culturelles et des partis politiques, fortement marqués par les événements du
printemps 1980, d’octobre 1988 et du printemps noir de 2001. Aussi, à
chaque commémoration, le mémorial attire-t-il les foules de la région où une
manière de concevoir la « mémoire de la guerre » fait son apparition. Sans
renier le sacrifice des moudjahidines, de nouveaux usages publics plus ou
moins opposés à la ligne officielle s’imposent.
En dehors de la capitale qui cristallise les enjeux du pouvoir central et de
l’expérience d’Ifri Ouzellaguen, le mouvement d’ouverture de musées
continue de prendre de l’ampleur, impulsé par le décret du 11 juin 2008,
portant création des musées régionaux à l’échelle des différentes wilayas,
telles Batna et Khenchela (dont les bâtiments sont imposants), Sétif, Guelma,
Kherrata, Tlemcen, Oran, Constantine, Tizi Ouzou, Biskra, etc.
À l’échelle locale aussi, à Arris par exemple, le musée est installé à la
maison de Mostefa Ben Boulaïd*, l’un des fondateurs du FLN*. À M’sara,
commune non loin du camp de regroupement* de Bouhamama (wilaya de
Khenchela), un petit musée a été monté par les moudjahidines avec très peu
de moyens et où l’on trouve une collection hétéroclite d’objets. Parmi ceux-
ci, une série de photos d’identité de trente et une femmes* du camp de
Bouhamama rappelle celles réalisées par Marc Garanger* durant la guerre
(Femmes algériennes, 1960). L’aboutissement de cette initiative,
favorablement accueillie par les habitants de M’sara et Bouhamama, montre
tout l’intérêt de construire un lieu symbolique dont la fonction est de lutter
contre l’oubli des souffrances de la guerre.
La multiplication des musées du Moudjahid, d’inégale importance selon
les régions, entretient la gloire du combat d’hier et conforte la fabrique de
l’État-nation. Néanmoins cette emprise de la guerre et de sa mémoire portée
par l’État est concurrencée par l’implication de la société civile. Ce lent
glissement de l’État-nation (dont la légitimation repose sur la Guerre
d’indépendance) à l’État-société s’accompagne d’un mouvement de
détachement de l’histoire-mémoire, cédant peu à peu la place à une histoire
critique et citoyenne.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Emmanuel Alcaraz, Les Lieux de mémoire de la guerre
d’indépendance, Karthala, 2017 • Maurice Halbwachs, La Mémoire
collective, PUF, 1950 • Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire. La
République. La Nation. Les France, Gallimard, 1984-1992.
N

NATIONALITÉ
La conquête française en Algérie s’accompagne d’un paradoxe : elle
ouvre le déni de l’existence d’une entité politique algérienne et de toute
nationalité algérienne préexistantes à la conquête. Dans le même temps,
l’affirmation de la souveraineté française oblige l’administration à
reconnaître la nationalité algérienne des personnes originaires d’Algérie et
vivant à l’extérieur. C’est en effet nécessaire pour revendiquer sur eux la
souveraineté française, notamment contre l’Empire ottoman.
La Constitution de 1848 fait de l’Algérie un territoire français,
administrativement assimilé à la métropole. Pourtant, l’Algérie française se
caractérise par la distinction, en droit, entre nationalité et citoyenneté.
Jusqu’en 1865, les « musulmans » ne pouvaient accéder à la citoyenneté
française ; en 1865, le sénatus-consulte les déclare « sujets français ». S’ils
sont de nationalité française, ils sont de statut personnel « musulman » et ne
sont pas pleinement citoyens. Pour le devenir, ils doivent renoncer à leur
statut personnel et engager une procédure paradoxalement appelée « de
naturalisation » alors même qu’ils sont déjà français. En revanche, en 1870,
avec le décret Crémieux, les juifs* sont collectivement forcés à renoncer à
leur statut personnel mosaïque, pour être assimilés à la pleine citoyenneté
française. En 1881, « le code de l’indigénat » permet d’ailleurs une
répression spécifique à la population dite « indigène ». Le nombre de
« naturalisés » demeure très faible. Les tentatives de réformes et les
mobilisations (notamment celle des Jeunes-Algériens) ont alors pour but de
réduire l’inégalité de droits entre citoyens et non-citoyens.
Les termes se succèdent et se superposent pour désigner la population
n’ayant pas accès à la pleine citoyenneté. Utilisé avec constance, le terme
« musulman » englobe la dimension raciale et politique du partage, soulignée
par le fait que la conversion au christianisme ne change rien au statut
(l’administration parle des « musulmans catholiques »). Durant la Seconde
Guerre mondiale, l’ordonnance de 1944 accorde la citoyenneté française à
quelque 65 000 « musulmans » dans le respect du statut personnel. Au sortir
de la guerre mondiale, la ligne de fracture essentielle entre population
colonisée et population coloniale s’avère plus difficile encore à désigner dans
le lexique du droit : en 1946, la loi Lamine Gueye reconnaît en effet la qualité
de citoyen à tous les habitants à l’échelle des territoires d’outre-mer.
Malgré cette mesure, l’inégalité perdure avec le double collège*. Sur le
plan électoral, en effet, les anciens non-citoyens demeurent réduits à un
second collège qui représente une population neuf fois plus nombreuse que
celle votant dans le premier collège ; dans le second collège, en outre, les
femmes* n’ont pas le droit de vote. Ce second collège élit pourtant le même
nombre de représentants que le premier au Parlement et à l’Assemblée
algérienne, et un nombre inférieur dans les assemblées locales. À partir de
1958, les deux collèges fusionnent, mais les listes électorales sont encore
composées, selon des proportions fixées, d’anciens « premier collège » et
d’anciens « deuxième collège ». Ces appellations sont caractéristiques de la
difficulté à capter la réalité juridique. Plutôt que citoyens et non-citoyens,
comme avant la Seconde Guerre mondiale, le langage colonial évoque les
« musulmans », « indigènes », « arabes », par opposition aux « Européens ».
À partir de 1958 apparaît la distinction entre « Français de souche
européenne », « Français de souche nord-africaine », « étrangers de souche
européenne », « étrangers musulmans ».
En 1962, durant les négociations* d’Évian, la question de la nationalité
est centrale. Pour la partie algérienne, il s’agit d’éviter que ne se recrée dans
l’Algérie indépendante une communauté aux droits supérieurs ou protégée
par une puissance étrangère. L’affirmation par le FLN* d’une égalité absolue
entre les Algériens et le refus de tout statut particulier ont souvent été
considérés comme un signe d’hostilité des autorités algériennes à l’égard des
anciens ressortissants français. L’enjeu est pourtant d’éviter le
prolongement de la logique coloniale. Pour la partie française, il s’agit en
retour de conserver en Algérie une communauté française qui puisse peser
dans les relations entre les deux pays.
Les termes des accords d’Évian* distinguent encore les « Français
d’Algérie de statut civil de droit commun » et les « Français de statut civil de
droit local ». Durant l’été 1962, les autorités françaises prennent d’ailleurs
des dispositions pour conserver à la première catégorie (et une partie de la
seconde) la nationalité française. La documentation administrative révèle
cependant une foule d’expressions visant à distinguer l’archéologie du statut
de chacun (« Français nés en Algérie d’ascendance métropolitaine »,
« étranger naturalisé », « Israélites bénéficiant du décret Crémieux »…).
Par ailleurs, les accords prévoient une période de trois ans durant
laquelle, sous condition de naissance et de résidence, les « Français d’Algérie
de statut civil de droit commun » pourront exercer leurs droits civiques en
Algérie, et au terme de laquelle ils pourront opter pour la nationalité
algérienne ou devenir étrangers en Algérie. Un long chapitre des accords est
consacré à leurs droits dans la nouvelle Algérie. Il reflète le rapport de force
durant les négociations : désormais qualifiés d’« Algériens de statut civil de
droit commun », il est prévu qu’ils disposeront d’une représentation
automatique dans les municipalités et dans les jurys civils ou pénaux. Ces
mesures constituent l’une des causes de la contestation des accords au sein
même du FLN.
Quant à la loi algérienne sur la nationalité de mars 1963, elle distingue
une « nationalité algérienne d’origine », dans la lignée du statut personnel
musulman colonial (par filiation ou, dans certaines conditions de nationalité
des parents, par la naissance) d’une nationalité algérienne « par acquisition »
(soit par la participation à la lutte pour l’indépendance, soit selon les options
prévues par les accords d’Évian qui pose des conditions de résidence). Elle
oblige même ceux des anciens Français citoyens ayant pris part à la Guerre
d’indépendance à en faire la demande, ce que certains contestent et vivent
comme une exclusion. Ces dispositions spécifiques sont cependant rendues
nécessaires, selon le ministre de la Justice, Amar Bentoumi, par la difficulté à
« sonder les cœurs » pour s’assurer du désir ancien d’être algérien. Durant la
discussion de la loi, du reste, certains auraient voulu aller plus loin. Ils
s’opposent à ce que dix années de résidence suffisent à permettre à des
personnes ayant toujours aspiré à être françaises de devenir algériennes (Ali
Haroun* et Meriem Belmihoub). Enfin, certains critiquent l’adossement du
droit algérien sur l’ancien partage colonial (Kaïd Ahmed), sans qu’aucune
solution plus satisfaisante ne puisse être trouvée. Cette insatisfaisante
« nationalité d’origine » constitue tout à la fois un lourd héritage colonial et
une tentative pour convertir et décoloniser le droit de la nationalité créé par la
colonisation.
Malika RAHAL
Bibl. : Noureddine Amara, « Être algérien en situation impériale, fin
e e
XIX siècle-début XX siècle. L’usage de la catégorie “nationalité algérienne”
par les consulats français dans leur relation avec les Algériens fixés au Maroc
et dans l’Empire ottoman », Revue européenne d’histoire, vol. 29, no 1, 2012.
Laure Blévis, « Les avatars de la citoyenneté en Algérie coloniale ou les
paradoxes d’une catégorisation », Droit et société, vol. 48, no 2, 2001.
NATIONS, NATIONALISMES
La guerre a occasionné de profonds déchirements en France comme en
Algérie. Pas plus que toutes les autres nations, la France et l’Algérie ne
répondent en effet à des définitions simples et objectives.
En France, autant les partisans de l’Algérie française que ceux de
l’indépendance ou encore ceux qui dénonçaient les méthodes de l’armée
pouvaient se réclamer de la nation mais sans y mettre le même contenu. Pour
les premiers, la France était d’abord une puissance impériale que
grandissaient ses possessions coloniales où elle aurait à accomplir une
mission civilisatrice. Pour les autres, la France était avant tout la patrie des
droits de l’homme, au nom desquels le droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes devait être défendu, l’injustice de la domination coloniale dénoncée et
la torture* tout comme les exécutions sommaires* et les massacres
combattus. De ce côté-là, les traditions dreyfusardes et résistantes étaient
largement mobilisées. La torture était aussi dénoncée au motif que les
Français se conduisaient en Algérie comme des nazis. Du côté de l’Algérie
française, progressivement, la cause s’est réduite, à l’image d’une « peau de
chagrin », selon la célèbre expression de Serge Berstein. Elle a fini par se
fixer à l’extrême droite dont elle a nourri plusieurs courants, dont celui du
nationalisme maurrassien. Au sein des droites, plus généralement, la guerre a
provoqué une recomposition durable : elle a contribué à la définition du
gaullisme que Gilles Richard présente comme un nationalisme « épuré » au
sens où il est purgé de toute tentation antirépublicaine, « rénové » car
définitivement inscrit dans un cadre démocratique et « adapté » aux
« circonstances » nouvelles de la décolonisation et de la guerre froide*.
Côté algérien, le mouvement nationaliste a porté, depuis l’entre-deux-
guerres, diverses conceptions. Quand le courant républicain, autour de Ferhat
Abbas*, adoptait une conception politique de la nation – elle était une
République de citoyens, possiblement de langues, de religions et de cultures
diverses –, celui des ulémas insistait sur sa dimension arabo-musulmane, la
définissant comme une communauté de croyants. « L’islam est ma religion ;
l’arabe est ma langue ; l’Algérie est ma patrie », défendaient-ils. Dans le
courant indépendantiste, la place à accorder aux cultures berbères divisait
depuis longtemps – elle avait provoqué en 1949 une grave crise au sein du
MTLD, crise qui portait aussi sur le déficit de démocratie au sein du
mouvement. Parce qu’il a rallié les différents courants et recruté dans
l’ensemble d’entre eux, le FLN* était porteur de ces divisions. La place des
Français d’Algérie et des Juifs* faisait aussi débat. La minorité française
résultant de la domination coloniale, son sort était plutôt lié aux engagements
pris individuellement. Si les « Européens », dans la taxonomie coloniale,
engagés pour l’indépendance et se disant eux-mêmes algériens, pouvaient
être intégrés dans la nation algérienne, c’était plus discutable pour les autres.
Les Juifs pouvaient au contraire être considérés comme des compatriotes que
la législation et la politique coloniales avaient séparés. Toutefois, sur la
nation comme sur tous les autres thèmes, aucune doctrine ne domine
nettement au sein du FLN. Les discussions sont vives, les conceptions
diversifiées selon les acteurs. Les documents produits par les membres du
FLN et de l’ALN*, étudiés par Gilbert Meynier*, en attestent.
Outre qu’elle met en jeu la définition de la nation, de part et d’autre, la
guerre occasionne des rapprochements transcendant les frontières nationales.
Aujourd’hui, la vision politique et mémorielle de cette histoire l’oublie
singulièrement et procède, de ce fait, à une simplification surprenante. Il faut
rappeler des évidences : des anticolonialistes français ont pris le parti de
l’indépendance de l’Algérie tandis que le FLN n’a pas rallié les Algériens
dans une unanimité sans faille. L’histoire ne peut être enfermée dans des
cadres nationaux sans être déformée : il n’y a pas eu des Français et des
Algériens, unis en deux blocs, soudés l’un contre l’autre. Aussi il importe de
préciser en quoi cette histoire peut être dite « franco-algérienne » aujourd’hui.
Elle n’a pas impliqué, en effet, les deux sociétés et les deux nations en tant
qu’entités homogènes, unies et opposées, mais elle les a concernées de façon
mêlée et imbriquée. Cette vision heurte les nationalismes, des deux côtés –
tout État-nation, la France et l’Algérie comme les autres, s’accommode mal
des divisions. Il est banal qu’au contraire, les historiens déconstruisent les
mythes en la matière. Du point de vue des nations et des nationalismes, la
mémoire avec sa vision binaire et bilatérale trahit l’histoire, autrement plus
complexe.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Serge Berstein, « La peau de chagrin de “l’Algérie française” »,
in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, Fayard, 1990
• Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002 •
Gilles Richard, Histoire des droites en France, de 1815 à nos jours, Perrin,
2017.

NATURE, ENVIRONNEMENT
Comme dans toute guerre, la nature et l’environnement pâtissent du
conflit, temporairement mais aussi durablement. Pour le cas algérien, c’est
tout d’abord au cours de la guerre que les premiers essais atomiques sont
réalisés. S’ils ne sont pas imputables au conflit de décolonisation, ils en sont
contemporains. Quatre essais nucléaires* se sont déroulés à l’air libre, et dix-
sept en tout ont eu lieu au Sahara. Des incidents sont en outre à déplorer, dont
le plus important se déroule le 1er mai 1962 lors du tir Béryl. De ce fait, les
deux sites d’expérimentation nucléaire, à Reggane et à In Ecker dans le
massif du Hoggar, ont fait l’objet de radiations et sont encore pollués. Même
si les sites étaient (et sont encore) militaires, les populations nomades sont les
plus susceptibles d’avoir été contaminées. En 2008, un groupe de travail
franco-algérien a été créé pour réhabiliter les anciens sites et suivre les
effets des essais sur les populations locales. Cette question fait aussi partie
des préconisations du « rapport Stora* » remis au président de la République
en janvier 2021. Elle a des répercussions jusqu’en France même : par
exemple, en février 2021 et en mars 2022, du sable saharien, emporté par les
vents, s’est déposé en France, occasionnant une légère pollution radioactive
au césium 137. Au Sahara, cette pollution est évidemment pérenne :
l’environnement est touché sur la très longue durée, d’autant plus que des
déchets ont été enfouis.
Pendant la guerre d’Algérie aussi, du pétrole* et du gaz ont été
découverts au Sahara. L’exploitation des hydrocarbures a bien entendu eu des
conséquences environnementales, bien que celles-ci ne soient pas imputables
à la guerre. Ainsi, leur extraction a entraîné une pollution des sols ainsi que
des airs avec les gaz brûlés. De plus, leur acheminement jusqu’aux ports de
Bougie, Arzew et La Skhira (Tunisie*) a entraîné la construction de pipe-
lines qui ont abîmé l’environnement.
Toujours au Sahara, le site B2-Namous, près de la frontière marocaine, a
été créé en 1935 et a continué à fonctionner jusqu’en 1978, voire après. Là
aussi, il n’est pas directement en lien avec le conflit algérien. L’armée
française y a procédé à des essais chimiques, qui ont touché la population de
la ville marocaine de Figuig, mais aussi la population nomade et des villages
algériens aux alentours. Il s’agirait avant tout d’une pollution aérienne, qui ne
serait donc pas durable mais des infiltrations de produits chimiques dans le
sol ont peut-être eu lieu, occasionnant des pollutions beaucoup plus
profondes. D’ailleurs, des gaz ont été utilisés au cours de la guerre d’Algérie,
dans le cadre de la « guerre des grottes » : il s’agit d’ypérite et de CN2D, qui
peuvent être mortels. Le CN2D aurait été utilisé dans une centaine
d’opérations au moins. Se pose ici la question de la durabilité de cette
pollution : l’atmosphère des grottes, mais aussi les parois et les sols ont pu
conserver ces produits chimiques, sans que l’on connaisse exactement leur
dangerosité soixante ans après.
Toujours du côté des armes non conventionnelles, l’utilisation du napalm
conduit à des bombardements incendiaires ravageurs dans les djebels et les
forêts. Ces incendies, outre les victimes humaines, conduisent aussi à la mort
de nombreux animaux*. Il est à l’heure actuelle impossible de savoir
combien d’hectares ont brûlé du fait de cette arme. Il faudrait de plus ajouter
les feux déclenchés de manière volontaire, au lance-flammes ou autre, dans
les forêts, les maquis forestiers, les djebels et même les champs, pour
empêcher les combattants algériens de se cacher, pour les contraindre à fuir
ou pour les empêcher de se ravitailler. En matière d’incendie, à la fin du
conflit, l’OAS* se distingue aussi par une « politique de la terre brûlée » qui
conduit à mettre le feu à de nombreuses installations. Outre l’incendie de la
bibliothèque universitaire d’Alger en juin 1962, qui constitue une importante
atteinte à la culture (quatrième pilier du développement durable), l’OAS met
aussi le feu au terminal pétrolier du port d’Oran. Les flammes noires couvrent
Oran pendant trois jours, occasionnant une pollution atmosphérique très
importante ayant touché la population oranaise. La métropole est bien moins
concernée mais, lors des attentats d’août 1958 du FLN*, celui de Mourepiane
a conduit à l’incendie du terminal pétrolier près de la cité phocéenne, causant
aussi une importante pollution.
Le long des barrages* frontaliers essentiellement, l’armée française
utilise presque 7 millions de mines*. À l’indépendance, celles-ci ne sont pas
enlevées. L’armée algérienne a partiellement déminé les champs de mines
(notamment en utilisant des prisonniers harkis*), mais l’essentiel des champs
sont restés en l’état. Ce n’est qu’en 2007 que l’État français a donné les plans
des champs de mines au gouvernement algérien. En tout, les mines ont tué
7 300 civils : 4 830 pendant la guerre et 2 470 depuis l’indépendance. Ici ce
ne sont pas que les humains qui ont été tués : les animaux domestiques et
sauvages qui sont passés par ces champs de mines ont été des victimes
collatérales de ce conflit. Les barrages frontaliers, électrifiés à 5 000 volts,
ont aussi électrocuté de très nombreux animaux.
Concernant les armes conventionnelles, les bombardements par avion ou
par canon causent aussi des dégâts sur l’environnement. Ces tirs peuvent
s’effectuer sur des cibles identifiées mais aussi au hasard sur les « zones
interdites* » pour dissuader les civils qui voudraient s’y rendre. De plus, les
unités doivent utiliser leurs dotations en munitions et en carburant sous peine
qu’elles ne soient pas entièrement renouvelées. De fait, les soldats utilisent
leurs obus et laissent tourner les moteurs de leurs véhicules des jours et des
nuits durant. Tout cela cause des dégâts dus aux tirs, mais aussi une pollution
de l’atmosphère et des déchets (douilles des munitions).
Avec les « zones interdites », la nature a paradoxalement pu reprendre ses
droits : les animaux circulent plus librement et les champs sont laissés en
jachère (occasionnant cependant des difficultés supplémentaires pour les
remettre en état). Néanmoins, la guerre d’Algérie amène un surcroît de
population de l’ordre de 400 000 à 500 000 personnes supplémentaires sur le
sol algérien de manière permanente, sans compter les navettes par bateau et
par avion entre la métropole et l’Algérie. En tout, les 2 millions de soldats,
auxquels il faut y ajouter des civils, consomment, jettent des déchets, se
déplacent et ont donc un impact environnemental.
Par ailleurs, une des caractéristiques des soldats français en Algérie est
d’avoir eu de mauvaises conditions d’alimentation avec des rations
insuffisantes. Nombreux sont les soldats qui ont ainsi « amélioré l’ordinaire »
en volant du bétail à la population civile mais aussi en pratiquant la chasse
(gazelles, sangliers, lapins, oiseaux…). Cette pratique régulière par autant de
soldats (même si tous ne chassaient pas) a bien évidemment un impact sur la
faune de l’Algérie. Depuis le XIXe siècle et la colonisation, cette faune a déjà
été transformée, subissant des pertes irrémédiables comme la disparition des
lions. Au-delà du caractère simplement humain, il est certain que la Guerre
d’indépendance a aussi eu des conséquences sur l’évolution de la faune, dans
des proportions qui sont pour l’instant difficilement appréciables.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Claire Billet, « La guerre des grottes », Revue XXI, no 58, 2022 • Jean-
Charles Jauffret, La Guerre d’Algérie. Les combattants français et leur
mémoire, Odile Jacob, 2016 • Frédéric Médard, « Le Sahara : enjeu
scientifique et technologique, 1947-1967 », in Maurice Vaïsse et Jean-
Charles Jauffret (dir.) Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie,
Bruxelles, Complexe, 2001.

NÉGOCIATIONS
La durée des négociations (deux ans) a pu sembler longue aux
contemporains mais elle ne l’est pas tant au regard de l’histoire et des
questions à résoudre : il fallait mettre fin à la guerre et à une colonisation très
profonde, datant de plus d’un siècle.
L’annonce de l’autodétermination, le 16 septembre 1959, permet une
première entrevue, à Melun, en juin 1960. En effet, jusque-là, le triptyque
défini par Guy Mollet* en 1956 était resté en vigueur : « cessez-le-feu,
élections*, négociations ». Le FLN* l’avait rejeté. Il ne voulait pas d’un
cessez-le-feu sans condition, ni d’élections désignant d’autres interlocuteurs
pour les autorités françaises. Surtout, dans ce triptyque, les négociations sont
proposées sans reconnaissance préalable de l’indépendance – aussi toute
autre issue (comme une simple autonomie) est possible. En annonçant un
référendum* d’auto-détermination, au contraire, de Gaulle* se montre prêt à
reconnaître l’indépendance si le scrutin en décide. Au moment de l’annonce
de l’autodétermination, toutefois, le GPRA*, formé en 1958, traverse une
crise interne qui le paralyse. Un nouveau GPRA (le deuxième) doit être
constitué et consolidé pour qu’une rencontre puisse avoir lieu.
Les deux parties s’opposent d’abord sur le Sahara. La position française
cause la rupture de l’entrevue de Melun, en juin 1960, puis celle des deux
rencontres suivantes, à Évian, du 20 mai au 13 juin 1961, et à Lugrin, du 20
au 28 juillet 1961. Les autorités françaises cherchent en effet à conserver le
Sahara, pour assurer la pérennité de leurs essais nucléaires* et l’exploitation
des gisements d’hydrocarbures. Elles tentent donc de négocier une partition
de l’Algérie, en réduisant l’assise territoriale du futur État algérien à la partie
septentrionale de la colonie. Alain Peyrefitte mène une intense campagne
médiatique en ce sens. Ses articles composent un livre témoignant des projets
de partition, sous un titre fallacieusement interrogatif : Faut-il partager
l’Algérie ? (Plon, 1962). Le GPRA, s’il est prêt à faire des concessions
économiques et militaires, affirme sa souveraineté sur le Sahara. Il est
soutenu par les Algériens, qui manifestent massivement contre la partition, le
5 juillet 1961*.
Le statut des Français d’Algérie et celui des bases militaires font aussi
divergence. Au GPRA prévaut le principe d’unité du peuple algérien. Selon
Redha Malek, Krim* Belkacem aurait dit, lors des ultimes rencontres d’Évian
(7-18 mars 1962), que les « Européens » ont « le droit de lier leur sort à la
nation algérienne et même de s’y fondre » ; pour ceux qui « se refusent à être
algériens » rester en Algérie aurait aussi été possible mais sans statut
spécifique. Les négociateurs français au contraire demandent des garanties
pour leurs compatriotes d’Algérie, qui seraient ainsi constitués en minorité
étrangère protégée. Les garanties qu’ils finissent par obtenir restent cependant
en grande partie sans objet, notamment car l’immense majorité des Français
d’Algérie quitte le pays.
Le problème des bases militaires ressemble à celui du Sahara. Le GPRA
est ferme sur sa souveraineté. Il n’est pas question d’enclaves françaises en
terre algérienne. Au contraire, « la base navale de Mers El Kébir sera pour la
France ce que Gibraltar est à l’Angleterre », déclare Georges Pompidou lors
de réunions officieuses, selon Redha Malek. Comme pour le Sahara, un
compromis finit par être trouvé, associant respect de la souveraineté
algérienne et sauvegarde des intérêts français.
La sortie de guerre (cessez-le-feu, référendum d’autodétermination,
accords politiques) elle-même doit être définie. D’évidence, le cessez-le-feu
doit précéder le référendum mais à quel moment situer les accords ? Le
GPRA défend qu’ils doivent précéder le reste. Sinon, le cessez-le-feu serait
sans condition. L’organisation même du référendum est à discuter. Les
autorités françaises tentent d’obtenir un cessez-le-feu préalable, avant de se
raviser. Il serait risqué pour la France d’organiser le référendum devant
conduire à l’indépendance sans avoir réglé l’avenir de sa présence militaire et
économique, ni le statut de ses ressortissants.
L’année 1961 est émaillée de manœuvres et d’obstacles mais aussi de
gestes. Louis Joxe*, ministre des Affaires algériennes, convie ainsi le MNA*
aux négociations. Six mille détenus algériens, dont l’écrivain Mostefa
Lacheraf*, sont cependant libérés et un régime assoupli est accordé aux
dirigeants du FLN détenus en France, tous symboliquement nommés au
GPRA (Ahmed Ben Bella*, Hocine Aït Ahmed*, Mohamed Boudiaf*,
Mohamed Khider*, détenus depuis l’arraisonnement de leur avion en 1956, et
Rabah Bitat*, transféré d’Algérie). Une trêve unilatérale est également
décrétée : l’« interruption des opérations offensives ». Celle-ci piège les
Algériens car si le GPRA accepte cette trêve, un cessez-le-feu sans condition
est de fait instauré. En n’y répondant pas, cependant, il apparaît comme
intransigeant face à un adversaire faisant preuve de bonne volonté. Enfin, la
crise de Bizerte*, en Tunisie*, retarde les négociations. Elle débute par une
demande de Bourguiba, en juillet 1961 : l’évacuation de cette base militaire
restée française. Les Français refusent. Sur place, les parachutistes* répriment
très violemment des manifestations tunisiennes : le bilan est d’au moins
plusieurs centaines de morts. Les relations franco-tunisiennes sont rompues.
L’événement incite les Algériens à la plus grande méfiance. Il renforce les
opposants aux négociations.
Chez les deux belligérants, les pourparlers créent de profondes divisions.
Le GPRA est ainsi mis en difficulté par l’EMG*, soutenu par des membres
du CNRA*. Ils refusent toute transaction avec la France. Un 3e GPRA finit
par être formé, après l’échec de Lugrin, à l’été 1961. Les anciens de
l’UDMA*, dont Ferhat Abbas*, en sont exclus. Considérés comme modérés,
ils semblent suspects au moment où les négociations supposent la plus grande
fermeté dans les rapports avec l’adversaire. Côté français, les partisans de
l’Algérie française vont jusqu’à tenter un putsch*, le 22 avril 1961, et
l’OAS*, formée cette année-là, se lance dans des attentats*. Ces tensions
internes poussent les deux parties à aboutir à un accord.
Le 5 septembre 1961, de Gaulle, en admettant la souveraineté algérienne
sur le Sahara, lève le principal obstacle. Les contacts continuent,
officieusement. Mohamed Benyahia, ancien directeur de cabinet de Ferhat
Abbas, Redha Malek, directeur d’El Moudjahid, Claude Chaylet, conseiller
de Louis Joxe, Bruno de Leusse, directeur des Affaires politiques au
ministère des Affaires algériennes, et Louis Joxe lui-même travaillent dans
l’ombre. Ainsi est préparée une rencontre officielle qui a lieu aux Rousses, du
11 au 18 février 1962. Puis le texte final des accords est mis au point à Évian,
du 7 au 18 mars 1962. Diplomatiquement, la Suisse* joue un rôle éminent.
Les Algériens y résident pendant les pourparlers. Symboliquement,
cependant, les rencontres doivent se tenir en France et, de ce point de vue, le
Jura et la Haute-Savoie sont les régions idéales. Évian s’impose pour des
raisons de sécurité : la délégation algérienne n’a qu’à traverser le lac Léman
pour s’y rendre.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Redha Malek, L’Algérie à Évian. Histoire des négociations secrètes,
1956-1962, Seuil, 1995 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002 • Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance
algérienne, Flammarion, 2012.

NEMICHE, DJELLOUL, DIT CAPITAINE BAKHTI


(1922-1992)
Djelloul Nemiche est né à Oran le 27 mars 1922. Son père, Habib, est
agent de police, sa mère appartient à une ancienne famille de notables
d’Oran, les Belhalfaoui.
Il interrompt ses études secondaires et commence une carrière d’agent
des PTT en 1942. Après les événements du 8 mai 1945, Djelloul Nemiche
rallie le PPA-MTLD* et rejoint l’Organisation spéciale*, dont le premier
responsable pour l’Oranie est Ahmed Ben Bella*.
En 1948, Djelloul Nemiche transmet à son responsable, Ben Bella*, des
indications se rapportant aux mouvements des fonds qui sont opérés chaque
mois au niveau de la poste centrale d’Oran. Ces informations serviront à
l’élaboration du plan qui a permis l’attaque à main armée de la grande poste
d’Oran, le 5 avril 1949.
Recherchés par la police*, les membres du groupe impliqué dans le hold-
up disparaissent dans la nature. On retrouve Nemiche dans le courant de
l’année 1956 dans les rangs de l’ALN* en Oranie puis à Oujda, où il prend
pour nom de guerre « Bakhti ». Promu au grade de capitaine, il fait partie des
officiers composant le staff de Houari Boumediene*, chef de la Wilaya 5*, et
a en charge le bureau des relations avec les autorités marocaines.
Durant la période transitoire de mars à juillet 1962, adoubé par le colonel
Othman, chef de la Wilaya 5, le capitaine Bakhti est désigné à la tête de la
Zone autonome d’Oran (ZAO), structure à la fois politique et militaire. L’une
de ses principales missions est d’établir des contacts avec le général Katz*,
en vue d’une commune collaboration dans la lutte contre l’OAS*.
Dans un tract diffusé le 2 juin dans les quartiers européens, le capitaine
Bakhti annonce la création d’un Comité de réconciliation de la population
oranaise (CRPO) composé de personnalités françaises et algériennes et
patronné par les chefs religieux des trois communautés religieuses.
L’initiative est approuvée et encouragée aussi bien par les dirigeants de la
Wilaya 5 que par les autorités civiles et militaires françaises d’Oran. Pour
mieux gérer les mouvements de foule, le capitaine Bakhti interdit toute
manifestation* les 3 et 4 juillet.
Cependant, le 3 juillet, il préside la cérémonie organisée à l’occasion de
l’entrée officielle des katibas (bataillons) de l’ALN arrivées la veille du
Maroc*, devant le palais des Sports. Dans son allocution, il réitère son appel
à la réconciliation.
L’armée française consignée depuis le 29 juin laisse l’entière
responsabilité de la sécurité et du maintien de l’ordre entre les mains des
nouvelles autorités algériennes. En dépit de tous ses efforts, le capitaine
Bakhti ne put prévenir les événements de la journée sanglante du 5 juillet
1962*. Il réussit à arrêter des centaines de personnes impliquées dans les
enlèvements et tueries et les présente à la presse* locale et étrangère.
Le 23 août 1962, il rejoint l’administration civile en tant que sous-préfet
d’Oran. Depuis, il entame une paisible carrière de parlementaire et de haut
fonctionnaire. Il occupe le poste de ministre des Anciens Moudjahidines* de
1980 à 1986.
Saddek BENKADA
Birl. : Ali Haroun, L’Été de la discorde. Algérie, 1962, Alger, Casbah, 2000 •
Jean Monneret, La Tragédie dissimulée. Oran, 5 juillet 1962, Michalon, 2006
• Fouad Soufi, « Oran, 28 février 1962, 5 juillet 1962. Deux événements pour
l’histoire, deux événements pour la mémoire », in La Guerre d’Algérie au
miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de Charles-Robert
Ageron. Actes du colloque international, SFHOM, 2000.

NOSTALGÉRIE
La subtile association d’un mot chargé d’émotion et d’un nom propre, qui
a donné naissance au néologisme « nostalgérie », est fort ancienne.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire – et ce qui est souvent écrit –, le
mot est attesté bien avant la fin de la guerre d’Algérie et le départ massif des
Européens : la première trace écrite retrouvée date de 1867. Progressivement,
le mot a désigné un sentiment très fort d’attachement, de la part des
Européens d’Algérie éloignés de la terre natale, provisoirement ou
définitivement. Peu de temps après l’inauguration de la tour Eiffel, ainsi, un
reporter du journal Le Gaulois a la curiosité de feuilleter le livre d’or. Il y
découvre – et cite à ses lecteurs – ce sonnet, signé d’un certain Dupin, qui fait
suivre son nom de la mention « Rédacteur à La Dépêche algérienne » :
« Nostalgérie/De ce hardi sommet, je me perds dans l’espace/Et malgré moi,
rêvant, je vois se dégager/Dans le lointain confus, que mon regard embrasse :
Notre mer azurée et notre blanche Alger » (7 juillet 1889). Lorsque l’Algérie
était française, ces sentiments étaient parcellaires, individuels et temporaires.
On pouvait avoir le « mal du pays »… mais on pouvait y retourner.
En 1962, après les accords d’Évian*, la « nostalgérie » devient tout autre
chose. L’exode massif (mais pas total) de la population européenne est sans
retour. Avec l’indépendance de ce pays qu’ils affirmaient avoir sorti des
ténèbres, ce sentiment va se teinter d’une immense amertume : « notre
Algérie » était irrémédiablement perdue.
Après 1962, on prendra bien soin de distinguer ce sentiment et les
manœuvres récupératrices de divers milieux OAS* non repentis. On rangera
dans la première catégorie les couplets d’Enrico Macias (« J’ai quitté mon
pays… »). Ou encore un roman-témoignage* d’Anne Loesch, ancienne
Française d’Algérie, dont une phrase résume l’esprit : « Peut-on guérir de
Bab-el-Oued ? » (La Grande Fugue, 1973). À la lecture de ce livre, la
réponse est évidemment : non.
Au-delà de ce sentiment individuel s’est développée une entreprise de
récupération et d’instrumentalisation, à des fins politiques, le plus souvent
par les courants d’extrême droite. Au cœur de cette récupération : une
réécriture partisane de l’histoire, un retour aux mythes de l’« Algérie
heureuse », un bilan magnifié de l’œuvre française : « La France coloniale a
permis d’éradiquer des épidémies dévastatrices […], a permis la fertilisation
de terres incultes et marécageuses, la réalisation d’infrastructures que les
Algériens utilisent encore aujourd’hui […], a posé les jalons de la modernité
en Algérie, en lui donnant les moyens d’exploiter les richesses naturelles de
son sous-sol » (Michèle Tabarot, députée UMP, fille d’un activiste OAS,
Assemblée nationale, 29 novembre 2005). On peut sans exagération parler
d’un véritable lobby, qui a ses organisations, ses moments forts (les
rassemblements festifs réguliers, mais aussi la présence, tous les 26 mars, à
l’Arc de triomphe, à la mémoire des morts de la rue d’Isly*), ses lieux
mémoriels (le centre de documentation d’Aix-en-Provence, celui de
Perpignan, adossé à un mur des disparus, l’imposante stèle de Toulon,
« L’Algérie française, à tous ceux, de toute origine qui, souvent au prix de
leur vie, ont pacifié, fertilisé et défendu sa terre, 1830-1962 »), le soutien
ouvert d’une presse nationale à grand tirage (Valeurs actuelles), ses relais
politiques, le Rassemblement national, mais aussi une frange de la droite
classique, comme en témoigne l’épisode de la loi du 23 février 2005* (« Les
programmes scolaires* reconnaissent en particulier le rôle positif de la
présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord… »).
En 1961, un jeune historien nommé Pierre Nora avait publié un essai sur
Les Français d’Algérie. Dans la préface, Charles-André Julien, qui
connaissait de l’intérieur cette société européenne, avait résumé l’état d’esprit
de la majorité de cette communauté d’une formule : « Ils se sont installés à
contre-courant de toute évolution, ils ont bloqué l’Histoire. » Ou en tout cas
ils ont essayé. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis les derniers coups de
feu de la guerre d’Algérie. Et certains nostalgériques – ou leurs descendants –
répètent inlassablement le même discours.
L’histoire n’a pas été bloquée mais des pans entiers sont singulièrement
obscurcis dans ces discours.
Alain RUSCIO
Bibl. : Jean-François Guilhaume, Les Mythes fondateurs de l’Algérie
française, L’Harmattan, 1992 • Alain Ruscio, Nostalgérie. L’interminable
histoire de l’OAS, La Découverte, 2015 • Benjamin Stora, Le Transfert d’une
mémoire. De l’Algérie française au racisme anti-arabe, La Découverte,
1999.
O

OFFICE DE RADIODIFFUSION-
TÉLÉVISION FRANÇAISE (ORTF)
Dès 1954 et encore plus après l’envoi massif du contingent en 1956,
l’opinion* française est confrontée aux images d’une guerre qui ne dit pas
son nom, avec les actualités cinématographiques, les reportages de Paris
Match et la télévision. Dans ce contexte, les productions de l’ORTF, sous
contrôle gouvernemental, représentent un enjeu majeur.
Télévision et radio* publiques offrent d’abord une vision très édulcorée
du conflit. Avec une grande prudence, elles reproduisent la sémantique
gouvernementale tendant à euphémiser la dimension violente et tragique de la
guerre. Les sujets des journaux télévisés et parlés évoquent les opérations de
« pacification* », l’engagement de l’armée au service de l’ordre, la
sécurisation des « départements d’Algérie ». Les indépendantistes sont
présentés comme des terroristes et leurs revendications ne sont guère
audibles. Étroitement contrôlées par l’armée, les images valorisent le
professionnalisme de soldats bien acceptés par les populations.
Les gouvernements utilisent directement l’ORTF. Si Pierre Mendès
France* présente ses choix lors de « causeries radiophoniques » le samedi
soir, Guy Mollet* choisit la télévision pour justifier sa politique, en
mars 1956 dans l’émission Face à la vérité, puis le 18 juin 1956 en recevant
Pierre Sabbagh et les caméras à Matignon pour l’émission Vingt Minutes
avec le président du Conseil.
Après 1958 s’engage une véritable bataille de l’information. La station
d’État Radio Alger est prise par les insurgés et le gouvernement riposte en
brouillant les ondes en métropole. Les chaînes de l’ORTF s’appliquent à
minimiser la crise. Elles ignorent les premières interventions de De Gaulle*
alors que sa conférence de presse radiodiffusée du 19 mai 1958 visait à
rassurer l’opinion sur ses intentions et se présenter en sauveur. Les
journalistes de l’ORTF finissent cependant par soutenir le changement de
pouvoir. Président du Conseil, de Gaulle bénéficie de l’attention et du soutien
des chaînes de l’ORTF pour son discours du 4 juin 1958 à Alger, son
allocution radiotélévisée du 27 juin 1958 et sa mise en scène du 4 septembre
1958.
Par la suite, face à une presse* écrite jugée hostile, radio et télévision
publiques sont considérées comme des prérogatives directes du chef de l’État.
Alors que débute la construction de la Maison de la radio, le pouvoir contrôle
étroitement les sujets des journaux télévisés. Roger Frey*, Louis Terrenoire,
Christian de La Malène, Alain Peyrefitte et Christian Fouchet*, ministres de
l’Information successifs, placent des hommes de confiance aux postes clés
(tel Jean Amrouche* comme rédacteur en chef du journal parlé). Les
journalistes sont soumis à la direction de l’actualité et à la direction des
programmes, elles-mêmes soumises au ministère de l’Information et au
service de propagande* de l’armée. Contraints de relayer la parole du
gouvernement et exposés à des sanctions, les journalistes font preuve d’une
prudence allant jusqu’à l’autocensure. Un silence complet est ainsi imposé
sur le « Manifeste* des 121 ». Lecture pour tous, émission littéraire animée
par Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet, Nicole Vedrès et Max-Pol Fouchet,
se voit interdire d’inviter les signataires du « Manifeste » et Max-Pol Fouchet
doit renoncer à une chronique de Maurice Nadeau, ce qui ne l’empêche pas
de présenter quelques semaines plus tard l’ouvrage La Route des Flandres de
Claude Simon, également signataire du « Manifeste ».
Le choix de l’autodétermination s’accompagne d’une remarquable
maîtrise de l’outil télévisuel par de Gaulle. Ses conférences de presse,
allocutions télévisées, voyages en province ou à l’étranger sont autant
d’occasions de convaincre l’opinion. De même lors du putsch* des généraux,
l’allocution de De Gaulle à la radio et à la télévision à 20 heures le dimanche
23 avril 1961 est marquée par une mise en mots et en images très contrôlée.
De Gaulle dramatise la situation, réaffirme sa légitimité, décrédibilise les
putschistes, appelle les officiers* de métier et les soldats du contingent à se
désolidariser d’eux. Le magazine de reportage Cinq Colonnes à la une,
programmé une fois par mois à 20 h 30 sur l’unique chaîne de la RTF, offre
aux Français un regard original sur la guerre. Produite par Pierre Lazareff,
Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et réalisée par Igor Barrère, l’émission
propose une vingtaine de reportages sur l’Algérie entre janvier 1959 et
mars 1962. Si le magazine suit globalement la politique gaulliste et si
l’émission est confrontée à la censure*, l’influence de Lazareff et la
popularité de l’émission permettent une certaine liberté de ton. Les scènes
diffusées sont beaucoup plus diverses que celles du journal télévisé. Aux
sujets sur l’armée française et son « action pacificatrice » s’ajoutent le sort
des civils, les revendications du FLN*, la situation des pieds-noirs* et même
quelques scènes de combat.
François ROBINET
Bibl. : Jérôme Bourdon, Histoire de la télévision sous de Gaulle, Presse des
Mines, 1990 • Hélène Bousser-Eck, « Cinq Colonnes et l’Algérie, 1959-
1962 », in Jean-Noël Jeanneney et Monique Sauvage (dir.), Télévision,
nouvelle mémoire. Les magazines de grand reportage, 1959-1968, INA-
Seuil, 1982 • Michèle de Bussierre, Cécile Méadel et Caroline Ulmann-
Mauriat (dir.), Radios et télévision au temps des « événements d’Algérie »
(1954-1962), L’Harmattan, 1999.
OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)
La composition du corps des officiers évolue de manière significative
entre 1954 – avec la présence des quelques unités de l’armée d’Afrique – et
1960 au plus fort de la guerre, qui conduit le commandement à recourir à des
expédients pour compléter l’encadrement des unités. Les officiers d’active
formés à Saint-Cyr côtoient leurs camarades issus du rang et les officiers de
réserve en situation d’activité (ORSA).
Les officiers de réserve occupent une place inédite et considérable dans la
guerre en raison de l’envoi massif du contingent sur le théâtre d’opérations
algérien, ce qui conduit le haut commandement à accélérer leur formation,
notamment à Cherchell. De 2,62 % en novembre 1954, le pourcentage des
réservistes atteint 39,19 % au déclenchement du « plan Challe* » en
février 1959. Des civils sont alors formés au commandement en quelques
semaines avant de se retrouver éventuellement à la tête de sections de
combat. Étudiants* sursitaires, enseignants, cadres moyens et supérieurs, ils
peuvent se prévaloir d’un niveau d’instruction supérieur à celui des cadres
sortis du rang qui ont « gagné l’épaulette ». Ils servent davantage dans les
troupes de secteur* que dans les régiments des « réserves générales* ». Jean-
Jacques Servan-Schreiber* et Pierre Clostermann font partie des nombreux
officiers rappelés en Algérie. En dépit de frictions dans certaines unités, leur
contribution à l’effort de guerre est saluée par le haut commandement et leurs
camarades d’active. Outre l’hétérogénéité du corps des officiers d’active, une
difficulté réside dans le fait que les cadres anciens de l’Armée d’Afrique
doivent apprendre à travailler avec les officiers de France métropolitaine et
des forces françaises d’Allemagne (FFA) qui découvrent et l’Algérie et une
guerre subversive à laquelle ils ne sont pas préparés.
La plupart des cadres de l’armée de l’Air* effectuent un séjour en Algérie
et remplissent de très nombreuses missions aériennes. Quant aux marins, une
poignée a servi de 1956 à 1962 dans la demi-brigade de fusiliers marins
(DBFM) pendant que leurs homologues embarqués à bord des navires de
guerre assurent la surveillance maritime.
En revanche, le haut commandement s’est (enfin) décidé à renforcer
l’encadrement musulman de l’armée d’Afrique en procédant à des
nominations – longtemps attendues – de sous-officiers* méritants et à des
promotions d’officiers d’active, dont le nombre passe de 51 en 1954 à 348 en
1962. Parmi les mesures les plus remarquées, le colonel Ahmed Rafa est
promu général de brigade en 1961. Certains officiers Français de souche
nord-africaine (FSNA) servent – sans succès et sans doute sans grande
conviction – dans des équipes itinérantes chargées de l’action psychologique*
auprès des populations rurales. Mais la désertion le 20 juillet 1957 du sous-
lieutenant Ahmed Bencherif* (ancien d’Indochine*) qui entraîne avec lui
plusieurs soldats du 1er régiment de tirailleurs algériens (RTA) et l’affaire
Rahmani – du nom du lieutenant rédacteur de la lettre adressée au président
de la République René Coty et contresignée par 52 officiers d’origine
algérienne – qui éclate en février 1957 met en émoi les responsables du
2e bureau* de l’État-major interarmées (EMI) d’Alger qui craignent la
contagion dans les régiments de tirailleurs algériens, de zouaves et de spahis.
Avec la création le 26 septembre 1955 du service des Affaires algériennes
(AA), ultime retour ou recours aux méthodes des affaires indigènes, des
officiers volontaires sont détachés jusqu’en 1961 dans les quelque 700
sections administratives spécialisées* (SAS) et 20 sections administratives
urbaines* (SAU). L’expérience tente environ 4 000 officiers d’origines très
variées, issus des trois armées, et de grande qualité : deux tiers sont des
réservistes rappelés ou des appelés du contingent*.
Une dernière catégorie d’officiers est constituée par des « défenseurs de
la loi ». Jusqu’à la bataille d’Alger*, les gendarmes sont tenus de respecter
les procédures légales en matière de perquisitions ou d’arrestations tout en
participant aux opérations de maintien de l’ordre. Après les émeutes
sanglantes de décembre 1960 et le putsch* des généraux, la participation
active de la gendarmerie* mobile dans la lutte contre l’OAS* et les officiers
déserteurs qui rejoignent l’organisation creuse encore plus le fossé entre une
majorité d’officiers loyalistes, et les nostalgiques de l’Empire français.
Après la signature des accords d’Évian*, pendant les « cent jours » de
l’Exécutif provisoire* qui précèdent l’indépendance, il est fait appel au
volontariat d’officiers algériens pour encadrer les unités de la « Force
locale* ». La plupart d’entre eux se récusent et sont remplacés par des
officiers (européens) de gendarmerie qui assurent la relève entre l’armée
française et l’ALN*.
André-Paul COMOR
Bibl. : Eugène-Jean Duval, L’Armée de terre et son corps d’officiers, 1944-
1994, Addim, 1996 • Jacques Frémeaux, « Les SAS (sections administratives
spécialisées) », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 208, 2002.

« OISEAU BLEU », OPÉRATIONS


« Oiseau bleu » est le nom générique sous lequel est connue une série
d’opérations lancées par le Gouvernement général*, les services secrets et
l’armée, en 1955 et 1956, dans la région des Iflissen, en Kabylie maritime. Il
s’agit de l’une des premières tentatives de créer un contre-maquis. Cette
« Force K », pour kabyle, s’inspire des maquis montagnards encadrés par les
services secrets en Indochine*. Elle se termine par un fiasco total pour les
autorités françaises, une victoire nationaliste et une répression s’abattant
durement sur les populations kabyles de la région. C’est Yves Courrière*,
dans sa Guerre d’Algérie, qui porte, en 1968, son existence à la connaissance
du grand public.
La Kabylie est, avec les Aurès, au début de la guerre, une des places
fortes du FLN* et de l’ALN*. La région des Iflissen, isolée des centres
coloniaux, est perçue par les autorités françaises comme peu touchée par la
modernité nationaliste. D’après des informateurs de la DST, mais aussi des
renseignements se basant sur l’ethnologie coloniale de la région, la
population serait disposée à prendre les armes contre le FLN. La Wilaya 3*,
dirigée par Krim* Belkacem, est informée de ces prises de contact et organise
l’intoxication des militaires français.
Initiée par le Gouvernement général et la DST, en 1955, l’affaire est prise
en main par les autorités militaires, au début de 1956, en la personne du
général Olié*, commandant la zone opérationnelle de Kabylie. Elle bénéficie
des conseils de l’ethnologue Jean Servier* qui participe, l’année suivante, à
l’organisation de l’opération pilote dans l’Orléansvillois. Une centaine
d’hommes du 11e Choc est postée dans les Iflissen en février. Des armes sont
distribuées. La Force K donne quelques gages aux militaires français, jouant
un double jeu. Durant l’été, des officiers* itinérants de l’action
psychologique* sont envoyés dans chaque unité basée en Kabylie pour
engager la prise en main politique de la population. En septembre, une grande
cérémonie de ralliement est organisée. Les indices du double jeu se
multiplient pourtant. Le 1er octobre 1956, pensant se porter au secours d’une
autodéfense, une section de chasseurs alpins tombe dans une embuscade*, le
payant de deux morts dont son officier. L’évidence éclate aux yeux de
l’armée française. Ils ont armé le FLN.
L’opération Djenad est rapidement lancée. Elle doit récupérer les armes
et détruire la force K. Les Iflissen sont dévastés par la répression menée par
le 3e régiment de parachutistes coloniaux du colonel Bigeard* et le
15e bataillon de chasseurs alpins, impliqué depuis les premières heures de
l’opération. De nombreux maquisards parviennent à fuir la zone avec les
armes distribuées par l’armée française.
Denis LEROUX
Bibl. : Camille Lacoste-Dujardin, Opération Oiseau bleu : des Kabyles, des
ethnologues et la guerre d’Algérie, La Découverte, 1997.
OLIÉ, GÉNÉRAL JEAN (1904-2003)
Jean Olié naît le 24 mars 1904 dans le Finistère. Son père, le colonel
Gabriel Olié, disparaît pendant la Grande Guerre. Il rentre à l’école de Saint-
Cyr dans la promotion « Rif » qui compte d’autres futurs grands acteurs du
conflit algérien tels Michel de Brébisson et Edmond Jouhaud*. À sa sortie de
l’école, il rejoint la Légion étrangère*. Il est envoyé au Maroc* en 1931 où il
commande un régiment de goumiers. Il est reçu en 1938 à l’École supérieure
de guerre. Lors de la campagne de France, il est à l’état-major de la
14e division d’infanterie. Blessé et fait prisonnier, il s’évade immédiatement.
Il est affecté au service des affaires indigènes au Maroc. En 1944, il devient
chef d’état-major de la 2e division blindée (DB) puis prend le commandement
du régiment de marche de la Légion étrangère avec lequel il participe aux
campagnes de libération de la France, de l’Allemagne et d’Autriche. Après
une affectation au cabinet du général inspecteur de l’armée, il est envoyé
pour commander les confins algéro-marocains en 1946. Mis à la disposition
du général Juin*, il est désigné en 1951 pour devenir l’adjoint du général
commandant l’Afrique du Nord et du commissaire résident au Maroc, le
général Guillaume. Enfin, en 1956, il prend le commandement civil et
militaire de la zone opérationnelle de Kabylie et celui de la subdivision de
Tizi Ouzou. Selon ses termes, la « situation militaire est difficile, mais
souple ». Nommé quelques mois à Paris au ministère des Armées, il revient
en Algérie en juillet 1958 pour prendre le commandement du Corps d’armée
de Constantine. Favorable au plan Challe* et au plan de Constantine*, il jouit
d’une grande confiance auprès du général de Gaulle*. Celui-ci l’appelle
comme chef d’état-major particulier en avril 1960. Promu général d’armée, il
devient chef d’état-major de la Défense nationale. Il est ainsi à la tête de
l’armée lors du « putsch* des généraux ». Il s’oppose à la politique de
répression et de mutations des cadres qui y ont participé. Il démissionne de
son poste en juillet 1961 et se retire officiellement de l’armée.
Marius LORIS
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, 2 vol., Bouquins, 2018 • Michel Hardy
(dir.), Pouvoir politique et autorité militaire en Algérie française. Hommes,
textes, institutions, 1945-1962, L’Harmattan, 2002.

OPINION PUBLIQUE (ALGÉRIE)


Il est très difficile d’appréhender l’opinion publique en Algérie pendant la
Guerre d’indépendance. Autant en France métropolitaine, les sondages de
l’Institut français d’opinion publique (Ifop) et de l’Institut national de
statistiques et d’études économiques (Insee) permettent de connaître
l’évolution de l’opinion publique française*, autant en Algérie le phénomène
est beaucoup plus complexe à analyser.
Dans ce contexte, les rapports secrets réalisés par les services de
renseignement et l’armée française fournissent des données intéressantes. Les
« rapports sur le moral » sont de bons exemples de l’analyse qui peut exister
de l’évolution du « moral », à entendre au sens de « l’état d’esprit ». Ces
rapports sur le moral du Service de sécurité de la Défense nationale en
Algérie (SSDNA) sont compilés dans des « fiches d’ambiance » mensuelles
et s’intéressent aux différentes catégories de population : les militaires
« Français de souche européenne » (FSE) et « Français de souche nord-
africaine » (FSNA), c’est-à-dire les Français (de métropole et d’Algérie) et
les Algériens, mais aussi les officiers*, sous-officiers* et hommes de troupe,
les militaires de carrière et les appelés du contingent*. Ces rapports analysent
aussi les réactions de la population civile en Algérie aux différents
événements en lien avec la situation. Bien entendu, « l’état d’esprit » de la
population européenne et de la population algérienne (« musulmane » dans la
terminologie de l’époque) est distingué. Ces différents renseignements sont
codés selon différentes valeurs, de A/1 (sûr et certain) à F/5 (source inconnue
et information improbable).
Les services de sécurité suivent avec attention l’évolution de la
population européenne, la plus en contact avec les militaires français (surtout
les cadres d’active) et la plus susceptible d’interférer avec la discipline
militaire. Le 2e bureau*, en charge du renseignement, suit lui aussi la
répercussion des différents événements sur les populations tant européenne
que « de souche nord-africaine », selon leur propre terminologie. Par
exemple, à la suite de l’arrestation de la « délégation extérieure du FLN* » en
octobre 1956, le 2e bureau de la division de Constantine rend compte que les
« milieux européens [sont] ouvertement satisfaits [de l’]opération qualifiée de
magistrale » (SHD, 1 H 1561 D*1). L’enfoncement dans la guerre suscite
ensuite l’inquiétude dans la population. Par exemple, un rapport du
14 octobre 1959, classé A/1, stipule que « les Européens sont pessimistes et
nombreux sont ceux qui envisagent de partir vers la métropole cherchant dès
maintenant à réaliser le maximum de profit avant de se retirer en France »
(SHD, 1 H 1561 D*3). Plus la fin de la guerre approche, plus « le climat
demeure lourd et tendu », comme le note un rapport du SSDNA du
11 novembre 1960. Le rapport conclut que « la population européenne,
sensibilisée à l’extrême, oscillant entre la résignation et le désespoir, paraît
capable de toutes les réactions » (SHD, 5 T 515 D*4). Évidemment, nous
savons aujourd’hui qu’elle a largement basculé en faveur des « ultras » de
l’Algérie française et de l’OAS* à la fin du conflit.
Les réactions de la population musulmane sont également scrutées, de la
même manière que celles des soldats dits « FSNA ». Les rapports sont
cependant beaucoup moins précis en ce qui concerne la population
musulmane qu’européenne. Par exemple, le 4 novembre 1959, un rapport du
2e bureau souligne : « Quant aux FSNA dont la majorité n’attend que la paix,
ils restent encore très discrets sur leurs opinions. »
Les services français présentent la population algérienne comme peu
informée et dépassée par les questions politiques. Des rapports soulignent son
« attentisme » (SSDNA, 7 décembre 1960, SHD 5 T 515 D*4) ou encore son
désintérêt pour certaines déclarations politiques. Ils la considèrent davantage
comme objet que comme actrice de l’histoire ; et ce, alors même que les
manifestations de décembre 1960*, par exemple, montrent une population
algérienne mobilisée et partie prenante de sa libération. Outre que les réseaux
de renseignements sont bien moins infiltrés chez les Algériens que chez les
Européens, les rédacteurs des rapports reproduisent les stéréotypes tendant à
leur dépolitisation. Ils sont perçus comme une « masse ». Ainsi, dans un
rapport soulignant – au contraire d’autres – que « les musulmans suivent avec
attention les événements », il est écrit que « la masse continue à souhaiter
ardemment la fin du conflit » (SHD, 5 T 151 D*4).
Au bout du compte, à défaut d’une vie politique véritablement
démocratique à l’époque coloniale, qui aurait permis de connaître les
aspirations algériennes, à défaut également d’études quantitatives de
l’évolution des opinions publiques en Algérie, les études qualitatives menées
par les services de renseignements constituent une source intéressante mais à
manier avec précaution. Non seulement elles ne rendent pas forcément
compte de différences régionales et a fortiori de classes sociales et d’âge
mais les services de renseignements sont aussi des acteurs de la Guerre
d’indépendance, et les rapports sont révélateurs de l’état d’esprit de leurs
rédacteurs. Parmi eux figurent des membres du 5e bureau qui ont fourni une
partie des cadres des activistes du putsch* des généraux et de l’OAS.
Tramor QUEMENEUR

OPINION PUBLIQUE (FRANCE)


L’évolution de l’opinion publique française peut être relativement bien
suivie tout au long du conflit algérien grâce aux premières enquêtes d’opinion
menées par l’Institut national de la statistique et des études économiques
(Insee) et de l’Institut français de l’opinion publique (Ifop). Ces études
n’étaient pas longitudinales (c’est-à-dire que les questions n’étaient pas
forcément identiques d’une année sur l’autre). Néanmoins, elles révèlent des
conclusions intéressantes, comme le fait que les Français, contrairement à une
idée reçue répandue, avaient une culture coloniale peu développée, par
rapport aux Anglais notamment. Ainsi, en décembre 1949, 76 % des Français
ne connaissaient pas la signification de l’Union française et plus de la moitié
étaient indifférents à la question des territoires d’outre-mer. D’ailleurs,
concernant l’Indochine*, à la même date, ils sont déjà 49 % à être prêts à la
perte de la colonie contre seulement 19 % résolus à poursuivre l’épreuve de
force.
La proximité du Maghreb et la spécificité de l’Algérie changent-elles
quelque chose ? Un peu : en septembre 1954, trois Français sur dix pensent
que la question des deux protectorats est le problème politique principal. Ce
qui ressort davantage est l’absence d’opinion sur la question coloniale : en
1956, 40 % des Français ne savent pas si les indépendances du Maroc* et de
la Tunisie* sont une bonne ou une mauvaise chose, et 53 % ne répondent pas
sur le sujet d’une éventuelle indépendance de l’Algérie dans les cinq
prochaines années. Mais dès cette période, une majorité relative se dessine en
faveur de l’indépendance algérienne. En avril 1956, 49 % des Français sont
hostiles à l’envoi du contingent en Algérie ; en juillet, 45 % sont prêts à
accorder l’indépendance à l’Algérie contre 23 % qui désirent écraser la
rébellion. Il ne faudrait cependant pas penser que des conceptions
anticolonialistes structurées guident les Français : ce sont avant tout des
considérations personnelles, de proximité, qui guident leur choix. Ils sont
ainsi plutôt opposés à voir leurs proches partir effectuer leur service
militaire* (et donc combattre) en Algérie.
Le retour au pouvoir du général de Gaulle* entraîne des réactions
contradictoires : 52 % des Français pensent que l’intégration est une bonne
chose (c’est-à-dire un fonctionnement qui soit plus égalitaire et plus fraternel,
ce qui correspond à une partie du discours pro-« Algérie française » avec les
« fraternisations » qui se sont déroulées à Alger) mais ils sont 41 % à penser
que l’indépendance de l’Algérie interviendra tôt ou tard. Un clivage
sociopolitique assez net est observable dans la société française : les
catégories socioprofessionnelles supérieures, plus à droite, sont plutôt en
faveur de la politique d’intégration, tandis que les ouvriers et les employés y
sont plutôt hostiles. La proportion de personnes favorables à l’indépendance
augmente ensuite rapidement : elles sont 51 % à l’être en février 1959 et
71 % à souhaiter des négociations* en mai 1959. L’état de l’opinion favorise
très probablement la décision du général de Gaulle en faveur de
l’autodétermination en septembre 1959. En octobre, seuls 4 % des Français
sont en faveur de « l’Algérie française ». Le soutien à la politique du général
de Gaulle se vérifie aussi par les référendums* qui sont organisés. Ainsi,
celui du 8 janvier 1961 montre que 75 % des Français approuvent la politique
d’autodétermination du général de Gaulle. Évidemment, il existe un clivage
entre la métropole et l’Algérie, où les partisans de « l’Algérie française » sont
plus nombreux. Ainsi, à Alger et à Oran, les partisans du « non » au
référendum sont majoritaires. Inversement, les métropolitains sont assez
nettement hostiles à ceux qui sont désormais appelés les « pieds-noirs* » :
ainsi, en août 1961, 69 % ne veulent pas participer à leur indemnisation. Les
Français sont alors très largement favorables à la paix : les accords d’Évian*
signés le 18 mars 1962 sont approuvés par 82 % des Français (alors que seuls
8 % en sont mécontents et 10 % indifférents), quand bien même ils pensent
que ces accords leur sont désavantageux. Nous sommes donc loin d’une
indifférence des Français à l’encontre de la guerre d’Algérie, tel que cela est
régulièrement affirmé. D’ailleurs, les accords d’Évian et l’indépendance sont
ratifiés à plus de 90 % par les Français. Au total, la guerre d’Algérie s’est
déroulée malgré le « pacifisme profond » des Français (Charles-Robert
Ageron), ce qui n’a pas empêché de profondes divisions mémorielles de
naître dans la société française à propos de cette guerre.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « L’opinion française devant la guerre
d’Algérie », Revue française d’histoire d’outre-mer, vol. 63, no 231, 1976 •
Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en guerre, 1954-
1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne,
Autrement, 2008.

« ORANGE AMÈRE », OPÉRATION


L’opération « Orange amère » est déclenchée, le 22 décembre 1954, en
vertu d’une commission rogatoire lancée par le juge d’instruction de la
3e chambre à Alger. Cette opération a pour objectif de rechercher tous les
membres du MTLD qui « se sont rendus et se rendent coupables du délit
d’atteinte à la sûreté extérieure de l’État ».
Avant son lancement, Jean Vaujour*, directeur de la sécurité générale en
Algérie, pense, sur la base d’échanges avec le commissaire René Fredy, qu’il
y a une « carte politique à jouer » avec les messalistes. Mais il se ravise.
Il s’entretient le 7 décembre avec Jacques Chevallier*, secrétaire d’État à
la Guerre, puis avec le commissaire divisionnaire Georges Costes qui le
presse d’agir. Ces discussions l’incitent à exprimer à Roger Léonard*,
gouverneur général de l’Algérie, son souhait de voir l’implication de la
justice.
Le 13 décembre, Vaujour rencontre à Paris le ministre de l’Intérieur,
François Mitterrand*, pour qui la justice doit engager des poursuites sur la
base de faits irrécusables. Le 20 décembre, Léonard lui annonce qu’un juge
d’instruction doit délivrer une commission rogatoire. Vaujour n’a plus de
raison de repousser l’opération dont il établit le bilan suivant : pour Alger, 89
perquisitions et 72 arrestations dont 30 mandats de dépôt, 15 inculpés laissés
en liberté provisoire et 28 personnes relaxées ; pour Constantine, 107
perquisitions, 70 arrestations dont 8 mandats de dépôt et 3 mises en liberté
provisoire ; pour Oran, Mohammed Mamchaoui est inculpé le 27 décembre.
Les dirigeants touchés par cette opération sont aussi bien centralistes que
messalistes. Il s’agit, entre autres, de Mustapha Ferroukhi, Saâd Dahlab*,
Arezki Ladjali ou Mohammed Abdelaziz, torturé à la villa Mahieddine.
Si l’opération désorganise le mouvement ou démoralise les dirigeants
encore libres, le commissaire des Renseignements généraux Roger Le
Doussal estime que « rarement opération de police* fut politiquement aussi
contre-productive » dans la mesure où elle a contribué à rapprocher des
indépendantistes jusqu’alors divisés.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Patrick Kessel, Giovanni Pirelli. Le Peuple algérien et la guerre.
Lettres et témoignages, 1954-1962, Maspero, 1962 • Roger Le Doussal,
Commissaire de police en Algérie (1952-1962), Riveneuve, 2011 • Jean
Vaujour, De la révolte à la révolution. Aux premiers jours de la guerre
d’Algérie, Albin Michel, 1985.

ORGANISATION ARMÉE SECRÈTE


(OAS)
L’Organisation armée secrète (OAS) est née à Madrid, à la fin de
janvier 1961 sous l’impulsion de Pierre Lagaillarde* et de Jean-Jacques
Susini*, qui ont quitté clandestinement Paris au début du procès des
barricades. Leur dessein est de regrouper toutes les énergies et forces
acquises à la défense de l’Algérie française au sein d’une organisation
structurée en trois branches, Action, Politique et Armée, présentées à Salan*
en février 1961. Parallèlement, le relais est pris avec Alger où des étudiants*
commencent à couvrir les murs de ce nouveau sigle inspiré de l’Armée
secrète du second conflit mondial. Cependant, avant le putsch*, l’OAS est
une coquille vide même si des journalistes présents lors de la reddition du
25 avril ont souligné la présence de jeunes militants s’en réclamant.
Mai 1961 signe la véritable naissance de l’OAS sur Alger. Ceux qui la
mettent sur pied luttent de longue date pour la défense de l’Algérie française
et entendent à présent y intégrer pleinement la lutte armée. L’OAS est donc
autant un point de départ qu’un aboutissement pour les militants les plus
aguerris, engagés depuis les années 1955-1956. L’identité des dirigeants
civils algérois est éclairante. Les deux adjoints d’Ortiz* à la tête de l’ancien
Front national français au moment des barricades de janvier 1960, Jean-
Claude Pérez et Jean-Jacques Susini, sont en première ligne. Dominique
Zattara, dirigeant du Front de l’Algérie française* dissous après les émeutes
de décembre 1960, est tout autant décidé à poursuivre le combat. Avec qui et
comment ? Des militaires emblématiques issus de la Légion comme le
général Gardy, le capitaine Sergent ou le lieutenant Degueldre* sont présents
à la toute première réunion constitutive. Ils sont très vite rejoints par des
colonels putschistes, dont Yves Godard*, le grand ordonnateur de
l’organigramme de l’OAS calqué sur l’organisation du FLN* avant la bataille
d’Alger*.
Quatre branches sont prévues : l’Organisation des masses, confiée au
colonel Jean Gardes*, chargée du quotidien des militants et de l’encadrement
de la population ; l’Organisation renseignements-opérations, chapeautée à
l’échelon algérois par Pérez, assisté de Degueldre, et chargée de la partie
opérationnelle (commandos « Delta ») ; un comité d’action politique codirigé
par le général Gardy et Susini ; et un comité d’action psychologique*, appelé
à fusionner avec le précédent. À considérer cette architecture et l’identité des
responsables des branches, force est de souligner l’importance des militaires
au détriment des civils qui, pour une partie d’entre eux, auraient voulu faire
de l’OAS non point une armée clandestine mais un parti révolutionnaire.
Susini, porteur de cette tendance, facilite donc la formation d’un Front
nationaliste, dirigé par Michel Leroy, ancien patron local de Jeune Nation* et
rattaché à l’OAS naissante. Il reste à doter l’OAS d’un chef emblématique.
Salan est jugé comme la figure idoine mais il a plongé dans la clandestinité
avec Jouhaud* et se voit pris en charge par les réseaux de Robert Martel,
activiste emblématique du 6 février 1956 et du 13 mai 1958*, guère apprécié
par les civils de l’OAS naissante.
Les débuts sont difficiles et Godard le déplore dans un courrier du
4 juillet 1961 : « […] nous ne valons rien sur le plan pratique ». Il pointe la
faiblesse de la propagande*, l’absence de structuration de l’organisation,
l’insuffisance de ses liaisons et de sa logistique (argent, planques, etc.). L’été
1961 est plus encourageant. Une OAS oranaise est mise sur pied sous l’égide
de Gonzalez, Tabarot et Micheletti*, Jouhaud en étant la figure tutélaire. Les
premiers pas d’une OAS-Métropole sous l’égide de Sergent, arrivé à Paris le
3 juin 1961, sont jugés satisfaisants. Ils compensent les difficultés venant
d’Espagne et attisées par les tensions entre Ortiz et Lagaillarde comme par le
refus de ce dernier de rejoindre l’Algérie, convaincu qu’il est que la
« résistance » doit être dirigée de l’extérieur. Sur Alger enfin, l’OAS prend
forme : le renseignement se perfectionne, les plasticages et les « opérations
ponctuelles » (élimination physique d’adversaires) se multiplient et la
propagande se déploie sous la forme de tracts, d’émissions de radio* et même
de télévision comme l’opération « Gabriel », une émission pirate diffusée le
5 août où Gardy apparaît à l’écran en lieu et place du journal télévisé. Salan
s’en félicite le 9 août : « L’OAS est devenue une force. La métropole et
l’Algérie sont bien obligées d’en tenir compte. »
Le constat est juste à court terme. Jusqu’en novembre, l’OAS s’enracine
en Algérie et réussit à juguler les menaces d’infiltration et de démantèlement.
À partir de l’hiver, la situation devient plus critique. Loin d’être une
organisation centralisée et s’apparentant bien davantage à une nébuleuse
territorialisée, l’OAS souffre de sérieux problèmes de liaisons. Démantelée
en Espagne par le régime franquiste, l’OAS peine à trouver des relais solides
en métropole. Elle y est très divisée entre l’OAS-Métro, qui répugne à
recourir au terrorisme jugé, à raison, comme contre-productif (ainsi, Delphine
Renard, âgée de 4 ans, défigurée par un attentat visant le domicile du ministre
des Affaires culturelles André Malraux) et Mission III de l’industriel André
Canal qui, venu d’Algérie, veut organiser des « nuits bleues » et pratiquer des
attentats contre des personnes. En Algérie, si l’OAS s’est implantée à
Constantine ou à Bône, ce sont Alger et Oran qui donnent le ton. Dans la
« ville blanche », l’organisation fait face à une répression de plus en plus
efficace, qui est moins le fait des « barbouzes* » que des policiers de la
Mission C. L’OAS-Alger est également en proie à des divisions qui
débouchent en janvier 1962 sur une purge sanglante (affaire Leroy-Villard).
L’OAS accentue sa radicalisation tandis que les autorités multiplient
perquisitions et collationnent des renseignements qui accentuent la menace
d’arrestations. Mars et avril marquent un tournant et annoncent
l’effondrement. Vent debout contre les accords d’Évian*, l’OAS choisit
l’épreuve de force avec l’État en prônant le recours à la « terre brûlée » et en
recherchant l’affrontement direct avec les forces de l’ordre. L’échec du
bouclage de Bab-el-Oued et la fusillade de la rue d’Isly* (26 mars) signent
l’échec de cette stratégie de fuite en avant qui se poursuit au-delà des
arrestations de Degueldre et de Salan (7 et 20 avril). Face à une situation
paroxystique et à un état-major déchiré, Susini finit par imposer à la mi-mai
le principe d’une discussion et d’un « accord » avec le FLN (17 juin). Sur
Oran, la situation est encore plus tendue et le projet de Gardy, qui a remplacé
Jouhaud après son arrestation, est celui d’une partition qui ferait d’Oran une
« plate-forme territoriale ». C’est un échec total, consommé le 28 juin à
l’heure où l’OAS oranaise diffuse sa dernière émission radiophonique.
Tandis que les premiers grands procès* de l’OAS se déroulent en
métropole, l’OAS en Algérie est en pleine désagrégation. L’indépendance
signe la fin de l’histoire de l’OAS ès qualités même si certains de ses
membres poursuivent la lutte dans d’autres structures (Conseil national de la
Résistance) tandis que d’autres n’ont plus comme objectif que d’éliminer le
« traître » de Gaulle* considéré comme le principal responsable de
« l’abandon ».
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011. Anne-Marie
Duranton-Crabol, Le Temps de l’OAS, Bruxelles, Complexe, 1995. • Rémi
Kauffer, OAS. Histoire d’une guerre franco-française, Seuil, 2022.

ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE
DE L’AFRIQUE FRANÇAISE (ORAF)
En 1956, l’Oraf est le groupe contre-terroriste le mieux organisé d’Alger.
Les premiers jalons en ont été posés en 1955 par deux hommes, bien
différents. Le premier est André Achiary, ancien sous-préfet de Guelma (il y
a conduit une répression brutale au printemps 1945), cadre du
Rassemblement du peuple français (RPF) puis responsable du SDECE*. Le
second est un médecin, René Kovacs, dont la villa à Alger est un haut lieu de
l’activisme naissant. Kovacs travaille avec la police*, notamment avec le
commissaire Norbert Gazeu, qui le renseigne sur les cibles à atteindre.
Parallèlement, Kovacs a réuni un noyau d’hommes décidés à répondre au
terrorisme du FLN* par le même moyen et dotés des compétences
nécessaires, avec Philippe Castille, expert en explosifs. Achiary expulsé
d’Algérie après la « journée des tomates* », Kovacs est seul aux commandes
de l’Oraf lorsque celle-ci passe à l’action à la fin du printemps 1956. Le
mode opératoire se met rapidement en place. Le samedi soir est privilégié car
en semaine, les contre-terroristes travaillent. Ils pratiquent l’attentat à
l’explosif qu’ils perfectionnent au fil du temps et qui peut être
particulièrement sanglant comme celui perpétré le 10 août 1956 contre un
immeuble de la Casbah, rue de Thèbes. Enfin, les cibles visées sont les
soutiens syndicaux, financiers ou médiatiques du FLN (UGTA*, huilerie
Tamzali, le quotidien communiste Alger républicain, etc.). On estime
qu’entre le 24 mai 1956 (attentat à la grenade contre une épicerie musulmane)
et le 9 novembre 1956 (bombe contre l’Imprimerie générale), 17 attentats
sont à mettre sur le compte de l’Oraf. Elle est finalement dissoute le
11 décembre 1956. L’histoire ne s’arrête pas là car ses militants n’ont
nullement renoncé à la lutte armée. L’Oraf a même révisé ses ambitions à la
hausse et réorienté son combat contre des dirigeants civils ou militaires de
haut rang jugés trop tièdes. Salan*, arrivé comme commandant en chef en
novembre 1956 et à qui on reproche la perte de l’Indochine*, est la cible d’un
attentat au bazooka* le 16 janvier 1957 dont il ressort indemne mais dans
lequel meurt l’un des membres de son cabinet, le commandant Rodier.
L’enquête remonte jusqu’aux hommes de l’Oraf qui sont arrêtés et incarcérés
à Barberousse. L’Oraf clandestine est donc mise hors d’état d’agir même si
les rebondissements et les polémiques sur l’affaire du bazooka et ses
commanditaires supposément gaullistes a fait couler de l’encre tout au long
de la guerre d’Algérie et au-delà.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011.

ORGANISATION DES NATIONS UNIES


(ONU)
La guerre d’Algérie a-t-elle été perdue par la France à l’ONU ? C’est ce
que prétendent certains auteurs, insistant sur le fait que, si sur le plan
militaire, l’ALN* ne pouvait l’emporter, le FLN* avait décidé de porter son
effort sur le plan diplomatique, en particulier auprès des Nations unies.
La réalité est plus complexe. Il convient d’abord de rappeler le contexte
international des années 1950 et du début des années 1960, marqué par
l’accroissement du nombre des pays nouvellement indépendants et en
conséquence de l’importance du groupe afro-asiatique à l’Assemblée
générale des Nations unies, et l’activisme du nouveau secrétaire général des
Nations unies, Dag Hammarskjöld (1953-1961), facteurs qui facilitent les
démarches des Algériens.
De fait se déroule une véritable confrontation entre le FLN invoquant dès
le 1er novembre 1954* la Charte des Nations unies, et le gouvernement
français plaidant l’incompétence de l’ONU dans une affaire intérieure,
l’Algérie étant composée de départements français. Bref, ces positions
antagonistes s’opposent entre 1954 et 1961, avec des reculs presque
incessants de la position diplomatique de la France.
Le premier affrontement a lieu en 1955 lorsqu’une délégation du FLN,
composée de Hocine Aït Ahmed*, M’hamed Yazid et Abdelkader Chanderli,
soutenue par un petit nombre de pays afro-asiatiques, demande l’inscription
de la question algérienne à l’ordre du jour de l’Assemblée générale de
septembre 1955. Cette initiative se heurte à la réponse française plaidant la
compétence exclusive de la France aux termes de l’article 2, paragraphe 7 :
« Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations unies à
intervenir dans les affaires qui relèvent de la compétence nationale d’un État
ni n’oblige les membres à soumettre les affaires de ce genre à une procédure
de règlement aux termes de la présente Charte. » Alors que le Quai d’Orsay
met en garde l’ONU contre toute ingérence, l’inscription de la question
algérienne est décidée à une voix de majorité lors du débat, le 30 septembre
1955. C’est un camouflet diplomatique pour la France qui se retrouve bien
isolée. En conséquence, la France pratique la politique de la chaise vide et le
ministre des Affaires étrangères Antoine Pinay quitte la salle des séances
pour marquer sa désapprobation. Finalement, par mesure de conciliation, il
est décidé de « ne pas poursuivre l’examen de la résolution ». Et la France
reprend sa place à l’ONU et décide de changer d’attitude pour avoir une
politique plus active. Comme il s’agit de compter des voix (et d’obtenir que
les résolutions ne soient pas adoptées à la majorité des deux tiers), elle se
tourne vers les États d’Amérique latine*, qui sont une vingtaine, alors que
l’ONU compte 82 membres en 1958. Du coup, la diplomatie française
concentre ses efforts sur ces pays, par la pression des ambassades et par
l’envoi de délégations, avec des succès variés. Du côté du FLN, ses partisans
font le procès du colonialisme français qui écrase la dignité humaine et les
droits de l’homme.
En 1956, alors que la guerre s’accentue, le gouvernement de Guy Mollet*
joue sur deux tableaux : d’un côté une ouverture à la négociation*, de l’autre
une fermeté dans l’effort de guerre. Dans cette perspective, l’intervention à
Suez* contre l’Égypte* soupçonnée de soutenir la rébellion algérienne
apparaît comme un moyen indirect de se débarrasser du FLN. Au terme d’une
opération peu glorieuse, la France doit accepter le cessez-le-feu et
l’intervention du secrétaire général des Nations unies qui impose sa
conception du maintien de la paix.
En 1957, non seulement la France ne s’oppose pas à l’inscription de la
question algérienne et multiplie les démarches, mais le ministre français des
Affaires étrangères, Christian Pineau, fait un grand discours, dénonçant les
ingérences étrangères, repoussant toute offre de bons offices, et louant les
avancées françaises : loi-cadre* et offre renouvelée de cessez-le-feu. Le Quai
d’Orsay s’efforce de faire comprendre la situation en Algérie ; il invite les
diplomates sud-américains accrédités à Paris à visiter l’Algérie. La bonne
volonté française est appréciée, si bien que la résolution votée en
décembre 1957 est modérée : elle se contente d’émettre le vœu que « des
pourparlers soient engagés ».
L’année 1958 s’engage sous de mauvais auspices pour la France, en
raison de la crise de Sakiet Sidi Youssef* (8 février) exploitée à l’ONU par le
groupe afro-asiatique. Elle suscite un regain d’hostilité dans les pays acquis
au FLN, et plus de circonspection chez les amis traditionnels de la France : la
presse britannique publie des articles défavorables à la France, les
Américains prêtent davantage l’oreille aux avertissements du sénateur John
Kennedy qui avait en 1957 pris parti pour l’indépendance de l’Algérie.
L’internationalisation* de la question algérienne est enclenchée au pire
moment pour la France, dans la mesure où de Gaulle* arrive au pouvoir le
1er juin. Or son hostilité à la supranationalité est connue ; sa position est
tranchée : il s’oppose à la discussion de la question algérienne, contrairement
au représentant de la France à New York, Guillaume Georges-Picot, et au
ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville. Dans son
discours devant l’Assemblée générale, le 25 septembre, celui-ci ne dit pas un
mot de l’Algérie, alors que les délégués algériens font du lobbying dans le
palais de verre. Et de Gaulle propose le 23 octobre « la paix des braves ». Le
résultat du vote en novembre est serré : 35 voix pour, 18 contre, 28
abstentions. C’est donc d’une voix que le projet de résolution afro-asiatique –
reconnaissant le droit du peuple algérien à l’indépendance – est repoussé,
mais beaucoup de pays amis, comme ceux d’Amérique latine ou de
Scandinavie, se sont réfugiés dans l’abstention ; c’est surtout le cas des États-
Unis*, ce qui sonne comme une défaite pour la France, et un succès pour le
FLN, qui crée en octobre le GPRA*, aussitôt reconnu par plusieurs États,
dont la République populaire de Chine*.
La leçon est retenue en 1959 par le Premier ministre, Michel Debré*, qui
prône « l’abstention active plutôt que l’absence complète ». Plus question de
chaise vide : même si la France ne compte pas participer aux débats, elle va
s’engager pour obtenir le maximum de soutien aux thèses françaises par une
action diplomatique auprès de tous les États membres, l’envoi de
personnalités ou de parlementaires à l’étranger, enfin la mobilisation des
élites africaines, le Malgache Tsiranana, l’Ivoirien Houphouët-Boigny et le
Sénégalais Senghor. Des élus algériens musulmans sont envoyés en mission
en Amérique latine. Celle confiée à André Malraux, ministre d’État chargé
des Affaires culturelles, est la plus spectaculaire. Les différentes étapes de ce
voyage qui a lieu en septembre 1959 sont le Pérou, le Chili, l’Argentine,
l’Uruguay et le Brésil : il s’agit de défendre la politique algérienne de la
France et d’obtenir que pour le moins les États s’abstiennent lors des votes à
l’ONU. Si le ministre – qui évoque aussi l’aide économique et culturelle
proposée par la France – reçoit un accueil favorable, il constate le repli de
l’influence française, en particulier en Argentine. De son côté, un prêtre
français rallié au FLN, l’abbé Bérenguer, est envoyé en Amérique latine* et
aux États-Unis sous couvert du Croissant-Rouge algérien* pour y parler des
réfugiés* et lancer un appel pour la paix.
Tout en refusant une quelconque ingérence, de Gaulle lui-même sait bien
que seule une perspective politique est susceptible de ramener la paix en
Algérie : il le dit au secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, le
31 juillet, et après avoir consulté ses ministres le 26 août, il communique le
2 septembre les grandes lignes de son plan du 16 septembre au président
Eisenhower. Le discours sur l’autodétermination* a un effet très net sur
l’opinion publique mondiale. À l’ONU, le représentant français, Armand
Bérard, déclare que la France ne s’oppose pas à l’inscription de la question
algérienne à l’ordre du jour, mais qu’elle ne sera tenue par aucune résolution.
Dans son discours, Maurice Couve de Murville expose cette fois-ci la
politique algérienne de la France, mais il rappelle l’incompétence des Nations
unies, et en conséquence la France ne prend pas part au débat. Le projet de
résolution afro-asiatique est repoussé le 12 décembre 1959 par 39 voix, 22
contre et 20 abstentions. Seuls 4 pays latino-américains votent pour, mais 9
votent contre et 7 s’abstiennent. C’est un succès pour la France, mais un
demi-succès, car parmi les abstentions, il y a les États-Unis, le Danemark, la
Norvège et Taïwan ; c’est-à-dire des États sur le vote desquels la France
comptait.
En 1960, le vent du changement souffle : la décolonisation est à l’ordre
du jour, l’atmosphère à l’ONU est hostile à la France, malgré l’entrée des
États africains francophones qui accèdent à l’indépendance. Les pourparlers
de Melun (25-29 juin) échouent et la guerre d’Algérie se poursuit. Dans ce
contexte, de Gaulle décide de ne pas se rendre à la 15e session, anniversaire
de la création de l’ONU, et dans ses discours il moque l’« Assemblée des
Nations dites unies ». La délégation française s’abstient de participer au
débat, au grand dam du représentant français, Armand Bérard, ce qui permet
au GPRA de faire parrainer par l’Inde et l’Indonésie une résolution aux
termes de laquelle un référendum – contrôlé par l’ONU – serait organisé en
Algérie. On imagine combien cette perspective apparaît scandaleuse à la
diplomatie française qui a toujours récusé l’incompétence de l’ONU. Les
votes à New York coïncident avec les violentes manifestations* qui ont lieu
en Algérie en décembre. Le 14 décembre, la résolution est adoptée en
1re Commission parce que beaucoup d’États pratiquent l’abstention et parce
qu’elle n’inclut plus le paragraphe concernant l’éventualité d’un référendum
sous les auspices de l’ONU. En assemblée, le 1er décembre, la résolution sur
l’Algérie, qui reconnaît le droit du peuple algérien à la libre détermination et
à l’indépendance « sur la base de l’unité et de l’intégrité territoriale » est
adoptée par 63 voix, 8 contre et 27 abstentions. Parmi les votes favorables à
la résolution, 3 membres de l’Otan : le Danemark, la Norvège et la Turquie,
ce qui constitue clairement un désaveu pour la France.
En 1961, le temps des négociations est arrivé mais elles traînent, et le
contexte est encore plus défavorable à la France dans les couloirs de l’ONU.
L’activisme du secrétaire général de l’ONU dans l’ex-Congo belge, sa visite
controversée à Bizerte*, en pleine crise franco-tunisienne (juillet 1961), le
rôle du président tunisien de l’Assemblée, Mongi Slim, tout concourt à
opposer la France à l’ONU. La France est blâmée par une majorité de 66
voix. Lors du débat sur la question algérienne, la France est prise à partie.
Même les délégués de certains États africains francophones (Sénégal, Haute
Volta, Niger, Mauritanie) votent en faveur de la résolution « qui demande la
reprise des négociations pour la mise en œuvre du droit du peuple algérien à
la libre détermination et à l’indépendance » adoptée le 20 décembre 1961.
En conclusion, la France a été confrontée à un « lobbying » efficace du
FLN à l’ONU et dans les différentes capitales, ce qui a contraint la diplomatie
française à déployer de gros efforts de relations publiques, en particulier aux
États-Unis. Ses arguments – qu’ils soient juridiques (incompétence de
l’ONU), humanitaires (œuvre de la France en Algérie), diplomatiques
(tentative d’assimiler la guerre d’Algérie à un combat de guerre froide*) –
n’ont pas réussi à lui faire gagner des voix. L’influence des Nations unies
dans l’aboutissement de la guerre d’Algérie est donc indéniable : de Gaulle
lui-même reconnaît « le vaste courant de sympathies parfois actives » qui
soutenait la cause algérienne. La France a dû composer avec le facteur
onusien et l’a fait de façon décousue, mais ce n’est pas l’ONU qui a dicté sa
politique algérienne à la France.
Maurice VAÏSSE
Bibl. : Matthew Connelly, A Diplomatic Revolution. Algeria’s Fight for
Independence and the Origins of the Post Cold War Era, Oxford, Oxford
University Press, 2002 • Khalfa Mameri, Les Nations unies face à la question
algérienne, 1954-1962, Alger, SNED, 1969 • Marie-Claude Smouts, La
France à l’ONU, Presses de la FNSP, 1979.

ORGANISATION SPÉCIALE (OS)


L’existence de l’Organisation spéciale (OS), créée à l’issue du premier
congrès clandestin du MTLD tenu à Alger les 15 et 16 février 1947, est de
courte durée. Découverte par la police* au printemps 1950, elle est
rapidement démantelée. Mais ses membres saisissent l’occasion de sa
reconduction lors du second congrès du MTLD (avril 1953) pour jouer un
rôle décisif dans le déclenchement de la Guerre d’indépendance.
Au cours du congrès, les partisans d’un retour à la légalité et les partisans
de la lutte armée sont divisés sur la question des voies et des moyens pour
parvenir à l’indépendance. Finalement, le congrès opte pour un partage des
tâches réparties entre la préservation clandestine du PPA* (interdit en
septembre 1939), la création d’un organisme paramilitaire (l’OS) et la
légalisation représentée par le MTLD.
L’origine de cette tendance radicale se situe au cœur de la Seconde
Guerre mondiale, encouragée par l’occupation de la France, le débarquement
anglo-américain en Algérie, les positions américaines en faveur du droit des
peuples à l’autodétermination, le rejet du « Manifeste du peuple algérien », la
violente répression des manifestations de mai 1945* et l’ordre puis le contre-
ordre d’insurrection donnée par la direction du PPA. Pour Hocine Aït
Ahmed*, « il existe alors une situation révolutionnaire » qu’il faut canaliser
par la mise en place d’un « état-major de l’insurrection et un réseau de
brigades armées » (Harbi, 1980).
C’est à Mohammed Belouizdad (1924-1952), membre du bureau
politique à peine âgé de 23 ans, qu’incombe la responsabilité de concrétiser le
projet d’une organisation paramilitaire, appelée Organisation spéciale.
Recherché depuis les manifestations du 1er mai 1945 qu’il a organisées à
Alger, il vit dans la clandestinité. Durant deux années, Belouizdad trouve
refuge dans le Constantinois où il remet en place les structures du parti plus
ou moins ébranlées par la répression. C’est lui qui conduit la délégation du
Constantinois au congrès.
Secondé par Hocine Aït Ahmed, Lamine Debaghine et Messaoud
Boukadoum, Belouizdad s’attelle à définir les structures de l’OS et à établir
un plan de préparation militaire. Selon Benyoucef Ben Khedda* (1984), le
premier état-major comprend Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf*, Djilali
Reguimi, Abdelkader Belhadj*, Ahmed Ben Bella* qui sont désignés
respectivement, à la tête des cinq zones régionales (Kabylie, Algérois 1 et 2,
Constantinois et Oranie). Mais Belouizdad ne peut poursuivre sa tâche en
raison de la détérioration de son état de santé. Aït Ahmed lui succède fin
1947-début 1948. Les structures de l’OS sont précisées et se déclinent en
cellule ou demi-groupe, groupe (trois cellules), section, région, zone,
département. Les effectifs de l’OS – évalués entre 1 000 et 1 500 hommes
selon Boudiaf – sont prélevés du PPA, non sans avoir subi une ou plusieurs
épreuves. Les militants sont choisis selon des critères rigoureux et soumis à
une stricte discipline. Au cours de stages, ils sont entraînés au maniement des
armes et aux tactiques de la guérilla*. Cette formation est doublée d’un plan
d’action ou « plan vert » visant à mieux connaître la géographie* de
l’Algérie, l’implantation des structures coloniales, le repérage des points
stratégiques qui aboutit à un nouveau découpage du territoire en « zones
d’action », de « résistance » et de « protection » fixés autour « des bastions
ruraux les plus importants ». L’instruction militaire est complétée par une
formation politique qui consiste en une série de conférences abordant la
guerre de partisans, les mouvements révolutionnaires, « l’attitude du militant
devant la police » (titre d’une brochure élaborée par Aït Ahmed)… Enfin, le
cloisonnement des structures et le secret sont la règle absolue pour préserver
l’existence de l’OS.
Le revers essuyé par le MTLD aux élections* d’avril 1948 de
l’Assemblée algérienne (dû au truquage) démontre les limites de la voie
légale et remet à l’ordre du jour la question de la lutte armée. Un comité
central élargi se réunit à la fin du mois de décembre 1948 à Zeddine
(Duperré), à la ferme de Belhadj, l’instructeur de l’OS. Le rapport de Hocine
Lahouel, membre de la direction, accorde la priorité à l’OS qu’il s’agit de
doter de tous les moyens matériels et humains. Le second rapport présenté
par Aït Ahmed, chef de l’OS, fait un long bilan où il définit la lutte de
libération comme « une véritable guerre révolutionnaire* », « une guerre de
partisans menée par les avant-gardes militairement organisées, elles-mêmes
politiquement mobilisées et solidement encadrées ». Il insiste sur l’inégale
implantation de l’OS au vu de l’immensité du pays, de l’insuffisance des
armes, de la nécessité de réorganiser le parti pour le combat futur qu’il inscrit
dans une perspective maghrébine. Aït Ahmed a rappelé aussi l’impatience de
ses troupes pour agir. De l’avis de la majorité du Comité central, cependant,
le moment était peu propice même si priorité était donnée à l’OS. Le
troisième jour, l’imminence de l’intervention des forces de l’ordre met fin
aux débats dont tous les documents sont détruits sur ordre de Messali* selon
Ben Khedda. Les travaux reprennent à Blida et s’achèvent par l’élection du
secrétaire général, une première dans l’histoire du parti. Hocine Lahouel est
titulaire de ce poste. C’est sous ses ordres qu’Aït Ahmed va poursuivre sa
mission : parfaire l’organisation de l’OS, initier les militants à l’usage des
explosifs, à les fabriquer et à la maîtrise des transmissions. Ces préparatifs
sont entravés par l’absence de matériel et surtout de finances. Le hold-up de
la poste d’Oran (avril 1949) devait renflouer les caisses. L’OS s’est
également illustrée dans deux actions : l’une des plus difficiles a consisté à
liquider des milices recrutées par les autorités coloniales en Kabylie qui
sévissent contre les nationalistes. La seconde a visé le dynamitage de la stèle
érigée en l’honneur de l’émir Abdelkader et inaugurée par le gouverneur
général Naegelen à Cacherou le 9 octobre 1949. L’opération confiée à un
commando de l’OS le 11 octobre 1949 est un demi-échec en raison
d’explosifs humides mais sa portée symbolique est essentielle. La France
coloniale ne pouvait s’approprier la mémoire de l’émir fondateur de l’État
algérien.
En ce mois d’octobre, la crise berbériste qui agite la Fédération de
France* et la contre-offensive lancée par le duo Messali-Lahouel donne lieu à
des purges massives « qui privent les activistes d’une partie de leurs forces »
(Harbi, L’Algérie et son destin, Arcantère, 1992) et l’exclusion de Lamine
Debaghine. Aït Ahmed, injustement soupçonné d’être à l’origine de la crise,
est remplacé par Ben Bella et n’a d’autre choix que d’entrer en clandestinité
tandis que l’OS est sous pression à la suite d’une expédition punitive menée
contre un militant de Tébessa Abdelkader Khiari qui voulait démissionner. Or
le règlement intérieur de l’OS l’interdit. Khiari est kidnappé par un
commando de l’OS le 18 mars 1950. La voiture où il se trouve a un accident.
Khiari, abandonné inanimé, est retrouvé par la police. Sa déposition
déclenche une vaste opération de police qui s’étend à toute l’Algérie. Des
centaines de militants de l’OS sont arrêtés (363 selon Meynier, Histoire
intérieure du FLN, Fayard, 2002) et torturés ainsi que cinq membres de
l’état-major dont Ben Bella, Ali Mahsas*, M’hamed Yousfi, Djilali Reguimi
et Djilali Belhadj*. Leurs procès s’ouvrent à Oran, Blida, Bougie, Tizi Ouzou
et Bône au cours de l’année suivante et aboutissent à de sévères
condamnations, des interdictions de séjour assorties de privation de droits
civiques et des amendes fort élevées.
Les militants en fuite sont condamnés par contumace à de lourdes
peines… Zighoud* Youcef, Ben Bella, Mahsas réussissent à s’évader de
prison*. Tous entrent en clandestinité. Ben M’hidi*, Boussouf*,
Benabdelmalek* trouvent refuge en Oranie ; Bentobbal*, Bitat*, Zighoud
sont recueillis par Ben Boulaïd* dans l’Aurès, Boudiaf et Didouche* Mourad
se rendent en France, Ben Bella et Aït Ahmed se retrouvent au Caire. Ils se
soumettent par discipline mais non sans ressentiment aux ordres du parti qui
dissout l’OS en février 1951. Quand celle-ci est reconduite au second congrès
du MTLD d’avril 1953, c’est pour ne plus jouer que les seconds rôles, alors
que la crise larvée entre centralistes et messalistes menace l’unité du parti.
Les activistes de l’OS observent la neutralité mais participent cependant à la
création du Crua aux côtés des centralistes en mars 1954 pour tenter de
sauvegarder en vain le parti. L’intransigeance des uns et des autres finit par
aboutir à la scission. Pour l’OS, l’heure est à l’action, sinon à la rupture. Fin
juin 1954, « 22* » membres de l’OS décident le passage à la lutte armée,
encouragés par la défaite française à Điên Biên Phù et le début de la
résistance au Maroc* et en Tunisie*. Ils donnent naissance au FLN* et à
l’ALN*.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Benyoucef Ben Khedda, Aux origines du 1er novembre 1954, Alger,
Dahlab, 1989 • Mohammed Harbi, Le FLN. Mirage et réalité, Jeune Afrique,
1980 • Omar Carlier, Entre nation et djihad. Histoire sociale des
radicalismes algériens, Presses de Sciences Po, 1995.

ORTIZ, JOSEPH (1917-1995)


Joseph Ortiz, patron connu du bar du Forum à Alger, est une référence du
combat pour l’Algérie française. Ses engagements sont précoces : UFNA* de
Robert Martel, UDCA où il s’occupe de la branche « Action ». Dès 1956, il
noue des contacts avec des militaires et envisage avec le général Faure* un
putsch en décembre, finalement avorté. Accusé d’avoir fourni les roquettes de
l’attentat du bazooka (16 janvier 1957), il l’a toujours nié et a été libéré en
avril 1957. Avant le 13 mai 1958*, il siège au nom des poujadistes* dans le
Comité des sept qui réunit les civils activistes algérois les plus en vue.
Comme Martel, il s’inquiète de voir les gaullistes prendre la main et regrette
le refus de Poujade de mobiliser son mouvement en métropole. Faisant
cavalier seul, il lance le 1er novembre 1958 le Front national français (FNF).
Structuré en groupement paramilitaire, mobilisant des références inédites (la
croix celtique), le mouvement est appuyé par deux lieutenants en devenir, le
Dr Jean-Claude Pérez et le jeune Jean-Jacques Susini*. Le FNF concentre
son activité en Algérie. Il mène campagne, avec succès, pour l’abstention lors
des municipales algéroises de 1959. Il organise aussi des réunions publiques
imposantes avec Georges Bidault le 18 décembre 1959. Mais Ortiz ne néglige
pas les militaires (Argoud*), ni les unités territoriales* de Marcel Ronda.
Après le discours sur l’autodétermination*, il prépare la riposte. Ainsi le
limogeage de Massu* débouche sur la semaine des barricades* de
janvier 1960. L’épisode lui donne une visibilité maximale. Son « PC » est
l’épicentre d’une crise marquée par une fusillade sanglante (24 janvier) et
l’espoir, finalement déçu, de voir les militaires basculer du côté des activistes.
Les propos gaulliens télévisés du 29 janvier ne leur laissent aucune
échappatoire. Ortiz refuse de se rendre, gagne l’Espagne et s’installe aux
Baléares. En 1961, il se targue du respect des autorités espagnoles mais il est
arrêté deux mois plus tard et assigné à résidence aux Canaries. Ortiz n’a donc
eu aucun rôle d’envergure dans la fin de l’Algérie française. À son arrivée à
Toulon en 1970, néanmoins, il ouvre une brasserie et met sur pied une
Fédération pour l’unité des réfugiés, des rapatriés et de leurs amis au poids
local certain.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Joseph Ortiz,
Mes combats. Carnets de route, 1954-1962, Éditions de la pensée moderne,
1964 • Romain Souillac, Le Mouvement Poujade. De la défense
professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962), Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, 2007.

OUAMRANE, AMAR (1919-1992)


Né en 1919 à Frikat, en Kabylie, de parents paysans, il s’engage dans
l’armée française après des études élémentaires et fait la campagne d’Italie
pendant la Seconde Guerre mondiale. À son retour, il est sergent à l’école
militaire de Cherchell.
Impliqué dans le complot de Cherchell visant une mutinerie de tirailleurs
algériens, il est arrêté le 14 mai 1945. Condamné à mort, il bénéficie de
l’amnistie générale* de 1946 et intègre le PPA* en Kabylie sous la
responsabilité d’Ouali Bennaï. Il fait partie de la délégation de Kabylie qui
participe au Congrès de février 1947. Lors des élections* municipales de
1947, il est arrêté de nouveau, mais réussit à s’échapper en tirant sur un
gendarme. Condamné à mort par contumace, il monte au maquis. Il reste
fidèle à la direction du MTLD durant la crise dite « berbériste » de 1949
même s’il n’approuve pas l’exclusion des militants accusés de « berbérisme »
et dirige, un moment, la wilaya de Basse-Kabylie du MTLD. Il soutient,
durant la crise du PPA-MTLD de 1954, Messali* contre les partisans du
comité central. Mais il représente la Kabylie dans les discussions avec le
groupe des « 22* » et négocie, avec Krim*, l’intégration de sa région au
FLN* naissant.
À la tête d’un groupe de militants kabyles, il dirige le 1er novembre 1954*
une attaque contre une caserne à Boufarik, près de Blida. L’interview qu’il
donne à Robert Barrat en septembre 1955, publiée dans France Observateur,
fait grand bruit. En raison de l’arrestation de Rabah Bitat*, il prend la
direction de la Zone 4 (Algérois) qu’il réorganise. Il recrute plusieurs
intellectuels au profit du FLN. Il participe au congrès de la Soummam*
d’août 1956 où il est promu au grade de colonel commandant la Wilaya 4*. Il
fait partie, jusqu’en 1962, de tous les CNRA*. Il est envoyé, fin 1956, par
Ramdane Abane* en Tunisie pour mettre au pas les partisans de Ben Bella*
et leur faire accepter les décisions du congrès de la Soummam et la légitimité
du CCE* dans la direction de la guerre. Au CNRA d’août 1957, il est coopté
au CCE et fait désormais partie du groupe influent des cinq militaires qui
décideront d’éliminer Abane. Responsable de l’armement et du ravitaillement
en mars 1958, il est démis de ses fonctions lors de la création du GPRA* en
1958. Il est envoyé au Liban (1960) puis en Turquie représenter le FLN.
N’étant pas soutenu par Krim, il rompt avec lui lors de la session du CNRA
tenue à Tripoli* en 1962 et se rallie à Ben Bella et au groupe de Tlemcen*. Il
appuie, durant la crise de 1962, l’état-major contre le GPRA. Député à la
première Assemblée constituante en 1962, il se retire rapidement de la vie
politique pour se consacrer aux affaires jusqu’à son décès survenu en
juillet 1992.
Ali GUENOUN
Bibl. : Mohammed Harbi, L’Algérie et son destin. Croyants ou citoyens,
Arcantère, 1992 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962),
Fayard, 2002.

OULD KABLIA, SALIHA, DITE ZOUBIDA


(1934-1958)
En l’absence de sources originales, le parcours de Saliha Ould Kablia,
résistante de la première heure, nous est relaté par son compagnon de lutte :
Ali Amrani.
Cette combattante de la Zone 6 près de Mascara est née en 1934 à Alger,
et est issue d’une famille de militants, dont ses trois frères. Elle reçoit
également une éducation religieuse et morale. Elle est étudiante en chirurgie
dentaire à Alger quand l’insurrection du 1er novembre 1954* est déclenchée.
Adhérente de l’Association estudiantine musulmane, parrainée par le MTLD,
elle ne tarde pas à rejoindre l’organisation du FLN* à Alger, après la grève*
des lycéens et étudiants* du 19 mai 1956. À l’instar de nombreuses
camarades, elle accomplit plusieurs missions dont les liaisons, la transmission
du courrier, des tracts, et le transport des bombes. Elle rejoint les maquis de
l’ALN* dans la région de Mascara, sa ville natale, probablement au début de
l’année 1957, dirigés alors par Abdelhafid Boussouf*. Sa principale activité
est la mise sur pied d’un service de santé* dispensant les soins nécessaires
aux blessés, installé dans les monts des Beni Chougrane. Ses compagnons
reconnaissent son courage et son discernement à s’opposer à certaines
pratiques contraires à son sens de l’humanité comme la décapitation des
traîtres, à défendre son point de vue dans un milieu masculin peu enclin à
tenir compte de l’avis d’une femme*.
Elle est perçue comme une camarade de lutte pleine d’humour et d’une
vivacité qui lui permet d’atténuer la solitude et l’horreur de la guerre. Durant
les heures de répit, Saliha Ould Kablia trouve refuge dans la lecture de la
poésie. Peu de temps avant sa mort, elle rend visite à sa famille à Mascara.
Ali Amrani rapporte que lors de cette brève visite, sa mère lui a dit : « On
raconte que de nombreuses filles du maquis ont été conduites au Maroc* pour
être incorporées dans l’organisation politique du FLN. » Saliha Ould Kablia a
répondu : « Mère, je ne suis pas allée au maquis pour me rendre au Maroc. Je
préfère mourir dans un ravin. » Elle est tuée lors d’un accrochage avec
l’armée française, survenu non loin de Mascara dans la nuit du 19 au
20 septembre 1958.
À l’occasion du 50e anniversaire de la révolution, la médaille de l’Ordre
national lui est décernée à titre posthume. Au printemps 2021, un film lui est
consacré par le réalisateur Mohammed Sahraoui.
Karima RAMDANI
Bibl. : Ali Amrani, Périple en Zone 6 avec Saliha Ould Kablia, martyre de la
Révolution, Anep, 2013.

OULHADJ, MOHAND (MOKRANE AKLI,


DIT) (1911-1972)

Il est né le 7 mars 1911 à Bouzeguène (douar Akfadou, Tizi-Ouzou), dans


une famille de forgerons. Après des études primaires à l’école d’Aït Ikhlef et
de Michelet, il obtient son certificat d’études en 1926. Il opte pour
l’émigration* en France où il travaille comme ouvrier dans une usine. De
retour en Algérie, il s’installe, un moment, à Sétif comme forgeron et
fréquente des partisans de Ferhat Abbas*. Il est, en 1943, contremaître à
l’usine Sochina à Alger. Il revient à Bouzeguène en 1948 et exerce le
commerce en matériaux de construction et alimentation générale. Après le
déclenchement du 1er novembre 1954*, il collecte des fonds pour le FLN*. Il
rejoint le maquis, en Kabylie, en novembre 1955 avec son épouse et ses trois
enfants et offre toute sa fortune (sept millions d’anciens francs) au FLN. Il est
l’un des rares chefs du FLN à avoir mené la guerre jusqu’à l’indépendance à
l’intérieur du pays. Très attaché au colonel Mohammedi* Saïd, il gravit
rapidement tous les échelons et à la fin de l’année 1957, il est promu au grade
de commandant et adjoint du colonel Amirouche*.
Désigné chef de la Wilaya 3* par intérim par Amirouche qui était en
partance pour la Tunisie*, il lui succède à sa mort. Oulhadj est nommé
officiellement chef de wilaya le 31 octobre 1959 et élevé au rang de colonel
en novembre 1959. Surnommé « le sage » ou « Amghar » (le vieux), Mohand
Oulhadj a réussi à gérer, sans grands dommages, plusieurs situations
complexes : la difficile succession d’Amirouche, la rivalité avec
Abderrahmane Mira*, les conséquences de la « bleuïte* », la crise des
« officiers libres ». Il ne souscrit pas à la démarche de la Wilaya 4* en faveur
de la « paix des braves » et fait face à l’opération « Jumelles » (juillet 1959-
avril 1960) qui a désorganisé sa wilaya et causé d’importantes pertes
humaines et matérielles.
Membre du CNRA* (1960), il reste loyal au GPRA* à l’indépendance et
procède à la levée des couleurs le 5 juillet 1962* à Sidi Ferruch. Maintenu
chef de l’ANP* en Kabylie malgré son désaccord avec Ben Bella*, il devient
chef militaire des combattants du FFS en septembre 1963 avant de se raviser
lors de la « guerre des sables » avec le Maroc*. Il approuve le coup d’État de
Boumediene* et entre au Conseil de la révolution et au bureau exécutif du
FLN. Il se retire de la politique après le coup d’État avorté du colonel Zbiri*
de décembre 1967. Il décède à Paris le 2 décembre 1972.
Ali GUENOUN
Bibl. : Mohand Said Akli, Si Mohand Said raconte Amghar. Le colonel
Mohand Oulhadj, Savoir, 2010 • Amar Azouaoui, Le Colonel Si Mohand
Oulhadj, chef de la wilaya 3, face aux diverses crises internes et à
l’opération « Jumelles », récits et témoignages, El Amel, 2008.

OUSSEDIK, MOURAD (1926-2005)


À partir de 1959, Mourad Oussedik coordonne le collectif d’avocats* de
la Fédération de France* du FLN*, relayé par des responsables régionaux :
Me Benabdallah au barreau de Lille*, secondé par un collectif belge dont
Serge Moureaux est la cheville ouvrière ; Me Bendi Merad à Lyon* et
Me Boulbina à Marseille* ; Me Ould Aoudia pour Paris, Rouen, Caen et
Le Havre.
En l’absence de biographie, Le Monde* mais aussi les archives* et
témoignages* de Jean-Jacques De Felice, ami fidèle et très proche
collaborateur, complètent l’historiographie centrée sur le collectif pour
restituer son parcours. Né en 1926 en petite Kabylie, devenu avocat comme
son père, il s’inscrit au barreau de Bougie en 1954 puis s’installe à Paris en
1957. Sans être bien connu, son engagement au FLN avant 1959 est certain.
Parfaitement identifié par les autorités françaises à l’époque, il a subi, avec
Benabdallah et Ould Aoudia, une répression à la hauteur de ses
responsabilités. Si seul Ould Aoudia a été assassiné, le 23 mai 1959, tous
trois étaient visés par les services secrets français. En 1960, après l’ouverture
d’une information judiciaire pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État,
Oussedik et Benabdallah sont arrêtés et internés pendant un mois (Oussedik
au Larzac, Benabdallah à Thol). Quatre autres avocats, dont Vergès*, sont
inculpés sans être arrêtés. De tous, Oussedik est le seul condamné in fine, à
six mois de prison* avec sursis. Au sein du FLN, il a été mis en cause pour la
défense provocatrice du collectif et le battage médiatique qu’orchestre
Vergès, mais aussi pour sa personne ; son identité kabyle, notamment, le rend
suspect de « berbérisme ». Il a néanmoins dirigé le collectif jusqu’à
l’indépendance.
Élu député à la Constituante en 1962, il s’engage dans l’opposition avec
Hocine Aït Ahmed* au Front des forces socialistes (FFS) et revient à Paris en
1964. Très impliqué dans la défense des droits de l’homme au Maroc* sous
Hassan II, avocat de Carlos (avec Vergès) ou encore de l’Église de
scientologie, doué d’une éloquence remarquable, il est resté un ténor du
barreau jusqu’à la fin de sa vie, en 2005.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Linda Amiri, « La Fédération de France du FLN. Des origines à
l’indépendance, 1926-1962 », thèse sous la dir. de S. Berstein et B. Stora, IEP
de Paris, 2013 • Bassirou Barry, Liora Israël et Sylvie Thénault (dir.), « Jean-
Jacques De Felice, un avocat militant des droits de l’homme », Matériaux
pour l’histoire de notre temps, no 115-116, 2015 • Ali Haroun, La 7e Wilaya,
Seuil, 2012.

OUZEGANE, AMAR (1910-1981)


Amar Ouzegane est né en 1910 à Alger, dans une famille nombreuse
originaire de Kabylie. Son père est cuisinier. Élevé dans la Casbah, il est
scolarisé à l’école française et à l’école coranique. Après la perte d’emploi de
son père, il entre aux PTT à 14 ans. Syndicaliste, il devient communiste au
début des années 1930, peut-être à l’exemple de son frère Saïd, restaurateur.
Il est rapidement promu dirigeant de la région d’Alger du PCF*. Après des
séjours politiques à Moscou et Paris, où il devient membre du comité central
du PCF, il est licencié des PTT. En 1936, il entre au Bureau politique du
PCA* lors de sa création, et devient permanent du parti. En 1937, il est élu au
conseil municipal d’Alger, dont il est exclu durant l’été 1939.
Réduit à la clandestinité par l’interdiction du PCA, il est arrêté en
avril 1940 et interné au camp de Djenien Bou Rezg. Libéré en avril 1943, il
accède au poste de premier dirigeant du PCA en 1944 et est élu député à
l’Assemblée constituante en 1945. En application d’une ligne politique
définie à Alger, Paris et Moscou, Amar Ouzegane défend alors la
souveraineté française sur l’Algérie et multiplie les discours virulents contre
les nationalistes algériens. Après le changement de ligne du PCA opéré
durant l’été 1946, qui donne comme priorité l’intégration au mouvement
national algérien et l’union avec les nationalistes, il est tenu responsable des
positions antinationalistes et est exclu du PCA à la fin de l’année 1947. Il
affirmera a posteriori avoir toujours été partisan de l’indépendance nationale
de l’Algérie.
Il se rallie au FLN* durant la Guerre d’indépendance, et mène des
activités politiques publiques et clandestines. En janvier 1956, il participe à
« L’appel à la trêve civile* » à Alger aux côtés d’intellectuels, dont Albert
Camus*. En août 1956, il est corédacteur de la plate-forme du premier
congrès du FLN, dit « de la Soummam* », qui critique très fortement le PCA.
Il est arrêté en janvier 1958, puis est condamné à huit ans de prison* par le
tribunal militaire d’Alger. Il rédige en prison son ouvrage Le Meilleur
Combat, dans lequel il défend l’idée d’un « nationalisme* révolutionnaire »
mêlant islam et socialisme.
À l’indépendance, il est membre du comité central du FLN, plusieurs fois
ministre, et directeur du journal Révolution africaine*. Il est mis à l’écart de
ces fonctions dirigeantes après le coup d’État de 1965. Il meurt à Alger en
1981.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Charles Poncet, Camus et l’impossible trêve civile, suivi de
Correspondance avec Amar Ouzegane, Gallimard, 2015.
P

1ER NOVEMBRE 1954


Plus de soixante ans après, il est encore difficile de dresser un état
critique des savoirs autour de l’histoire du 1er novembre 1954 en tant
qu’événement singulier et point de départ de la Guerre d’indépendance de
l’Algérie (Soufi, 2014).
Le 1er novembre, « la guerre commence en Algérie » (Harbi, 1984). Dans
une proclamation distribuée dans les boîtes à lettres des personnalités
politiques, le jour même, le FLN* s’engage dans la lutte armée « dont le but
demeure l’indépendance ». L’accumulation des savoirs sur cette période
permet de dépasser les premières représentations des opérations armées,
fournies par la presse* et réduites à « des événements », selon le langage
officiel des gouvernements français – et souvent repris par l’historiographie
algérienne –, attribuées à une poignée de « rebelles » ou « de terroristes », à
la merci des influences extérieures.
Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, des militants issus du
MTLD, préparés hâtivement à prendre les armes mais déterminés,
déclenchent l’insurrection à l’échelle des cinq zones qui se partagent
l’Algérie du Nord. Les diverses opérations se déclinent en actes de sabotage
de relais téléphoniques, destruction de ponts, incendies d’entrepôts industriels
(pétrole*, liège, tabac), attentats contre des agents de l’administration
coloniale (caïds, gardes communaux ou forestiers) et attaques de casernes. Ce
dernier objectif constitue le dénominateur commun aux principales actions
accomplies par les insurgés de novembre, pour s’emparer des armes qui leur
font défaut. Même si les attaques des casernes – d’Eckmühl à Oran, de Bizot
à Blida, des spahis et celle de gardes mobiles à Batna, de Khenchela, des
postes de gendarmerie de Condé Smendou, Azazga, Tigzirt, Draâ el Mizan,
Cassaigne – échouent dans l’ensemble à l’exception de quelques armes
récupérées au dépôt d’armes de l’établissement de réserve générale du
matériel (ERMG) de Boufarik, leur dispersion d’Est en Ouest révèle le
caractère inédit d’un soulèvement national.
Ces opérations ont causé la mort de deux soldats à Khenchela, de deux à
Batna, de trois gardes champêtres à Tizi Reniff, Tizi t’leta et Saint-Lucien, du
caïd Hadj Sadok de M’chounèche, de civils, dont l’instituteur Guy
Monnerot* à Tighnimine, Laurent François à Cassaigne et le chauffeur de
taxi Azoulay à Oran. Jean Vaujour*, directeur de la Sécurité générale, a
dressé le premier bilan de « la nuit de la Toussaint » et avance une liste
comprenant une douzaine de victimes, à compléter avec « les cadavres des
deux musulmans dans les Aurès ». Du côté des insurgés, on dénombre la
perte de trois hommes – les trois premiers martyrs – dans le groupe dirigé par
Bitat* en personne, chef de la Zone 4/Algérois, qui a mené l’attaque de la
caserne Bizot à Blida, en plus de plusieurs blessés.
L’examen de l’inventaire des actes de sabotage et des attentats commis
signent les débuts modestes de la première apparition publique du FLN. Ils
sont révélateurs de la faiblesse des moyens humains et matériels. On estime
les forces de l’ALN* naissante, à un millier d’hommes dont la majeure partie
se trouve dans l’Aurès/Zone 1 avec 359 maquisards selon les carnets de
Mostefa Ben Boulaïd*, récupérés lors de son arrestation (Jean Vaujour, De la
révolte à la révolution, Albin Michel, 1985), et en Kabylie/Zone 3
caractérisée par d’importantes potentialités. Le nombre inférieur de partisans
pour les autres régions ne signifie pas moins l’intense mobilisation opérée
dans les trois autres Zones, 2, 4 et 5, correspondant respectivement au Nord-
Constantinois dirigé Didouche* Mourad, à l’Algérois dirigé par Bitat et à
l’Oranie dirigée par Larbi Ben M’hidi*. En dehors de l’insuffisance des
armes, commune à toutes les zones, la Zone 2 dut compter avec la défection
de quatre membres des « 22* », tous originaires de Constantine, et les
pressions des leaders centralistes et messalistes auprès de la base des
militants. Il en est de même pour la Zone 4/Algérois où la même intervention
des responsables du MTLD, devenus adversaires, a gêné les préparatifs des
partisans de Boudiaf* et ses compagnons, d’où ce cri du cœur (de Boudiaf) :
« La révolution se fera, même avec les singes de la Chiffa » (Harbi, 1984).
En revanche, la Zone 5 n’est point en retrait ni dans son organisation sous
la direction de son premier responsable Larbi Ben M’hidi, ni dans les actions
armées qui ponctuent le 1er novembre 1954, contrairement à une fausse
opinion reprise ici et là. Il met en place plusieurs groupes autour de Rio
Salado avec Zabana*, du Dahra avec Benabdelmalek* Ramdane, en plus des
quatre groupes de la ville d’Oran avec Cheriet Ali Cherif et des groupes de
réserve de la région de Kristel avec Hadj Ben Alla*. Les jours suivants, le
3 novembre, dans l’Oranie, à Rio Salado, Berraho Kadda meurt des suites de
ses blessures lors d’un accrochage avec les gendarmes et les gardes
champêtres, non loin de la plage Sidi Djelloul. Son chef Ouaddah Benaouda
est arrêté avec cinq compagnons. Et le 4 novembre, l’attaque la maison
cantonnière de Saint-Lucien par le groupe d’Ahmed Zabana fait une
victime en tuant le garde forestier François Braun.
Il convient aussi de signaler une erreur reproduite d’un écrit à l’autre par
rapport au décès accidentel de l’instituteur Guy Monnerot dans l’Aurès, dont
l’auteur est Mohamed Sbaïhi et non Bachir Chihani*, l’un des adjoints de
Ben Boulaïd, comme le précisent Vaujour et les témoignages* publiés en
Algérie (Madaci, Les Tamiseurs de sable, Anep, 2001). Sbaïhi a en effet
enfreint la règle formelle de ne pas s’attaquer aux civils européens.
Les réactions françaises sont multiples au lendemain du 1er Novembre.
Les premières mesures visent à rétablir l’ordre par un important déploiement
de forces armées dans les zones insurrectionnelles tandis que les déclarations
émanant de la presse sont unanimes pour condamner les actions commises
par ceux que l’on appelle « les hors-la-loi ». Elles sont relayées par les
autorités politiques françaises tant à l’Assemblée nationale qu’à l’Assemblée
algérienne. Toutes écartent l’idée d’une guerre d’indépendance et réaffirment
l’appartenance des départements d’Algérie à la France.
L’urgence est donc de mettre fin aux troubles, en particulier dans l’Aurès,
avec l’appui des parachutistes* du 18e RIPC du colonel Ducournau*.
Commence alors un cycle d’opérations de ratissages, de bombardements par
l’aviation et surtout de déplacements des populations civiles des villages
« contaminés ». Ces premières mesures s’étendent avec la même intensité
dans les autres zones sans parvenir à rétablir l’ordre.
Ailleurs, la répression s’abat sur les militants du MTLD dissous fichés
par la police* et plusieurs réseaux du FLN sont éliminés à Alger, en Zone 5
où 104 arrestations sont comptabilisées à la date du 10 novembre, ce qui
permet d’identifier son chef Ben M’hidi. L’opération « Orange amère* »,
lancée le 22 décembre, généralise l’arrestation des militants du PPA* et les
perquisitions qui permettent de saisir des armes et des archives*. Trois
semaines après le 1er Novembre, les arrestations ont touché quelque
650 militants dont la plupart seront écroués après avoir subi des
interrogatoires musclés. D’où les dénonciations de la torture* parues dans
L’Humanité* dès le 8 novembre et plus tard dans France Observateur et
L’Express en janvier 1955.
En fait, l’histoire de cette « période fondatrice » (Harbi, L’Algérie et son
destin. Croyants ou citoyens, Arcantère, 1992) commence à peine à s’écrire à
partir de la lecture critique de sources d’archives dont beaucoup sont
accessibles aux ANOM et que l’on peut comparer avec les nombreux
témoignages émanant des acteurs algériens, en attendant l’ouverture des
fonds conservés en Algérie. De nombreuses questions restent à aborder pour
déterminer les attitudes des différents protagonistes (la colonie française, la
société algérienne, les réactions des partis nationalistes, les oppositions des
centralistes au courant activiste, la perception de l’insurrection par Messali
Hadj*, etc.) en situation coloniale. Les fondateurs du FLN et leurs partisans
ont conscience de la nécessité de mettre fin à la domination coloniale. Dans
les documents récupérés lors de l’arrestation de Zabana le 8 novembre 1954,
il avait une lettre qu’il n’a pas eu le temps d’envoyer à ses parents où il leur
déclare : « J’ai choisi le sacrifice de ma vie pour l’indépendance de mon
pays. »
À la fin de l’année 1954, l’Algérie s’installe réellement, et pour de
longues années, dans la guerre « sans nom ».
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, La guerre commence en Algérie, Bruxelles,
Complexe, 1984 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962),
Fayard, 2002 • Fouad Soufi, « Construire un savoir historique sur le
1er novembre 1954 », Aleph, vol. 1, 2014.

PACIFICATION
Action consistant à « faire la paix », selon l’étymologie latine du terme, la
pacification acquiert un sens tout particulier dans l’histoire coloniale : celui
de méthodes de conquête et d’administration visant à pérenniser la
domination exogène par l’utilisation civile de l’armée. Cette pratique irrigue
l’histoire militaire de l’Empire français, des Bureaux arabes aux services des
Affaires indigènes du Maroc* (AIM), en passant par la politique des cercles
de Gallieni à Madagascar. Une tradition ancienne qui refait surface entre
1954 et 1962, tout en se modernisant au contact des enjeux spécifiques de la
décolonisation : la crise de légitimité de l’État colonial, la construction d’un
État algérien indépendant comme alternative portée par le FLN*, et la guerre
irrégulière par lequel il entend y parvenir.
La pacification est un terme à l’acception floue, polysémique et ambiguë.
En 1955, son retour dans le débat public traduit une volonté d’euphémisation
du « rétablissement de l’ordre » et de ses enjeux en Algérie. L’arrivée au
Gouvernement général* de Jacques Soustelle* lui offre une traduction
politique : la réintroduction d’une forme d’administration militaire dans les
régions les plus touchées par l’insurrection. La pacification, d’ailleurs plutôt
nommée « politique du contact », se réfère alors explicitement à la tradition
lyautéenne – filiation d’autant plus assumée que la mise en œuvre de cette
politique est confiée à une quinzaine d’officiers des AIM. Il s’agit de
« rétablir le contact » avec les ruraux algériens, de créer une dizaine de postes
administratifs annexes dans les vastes communes mixtes de l’Aurès-
Nemencha afin de « rapprocher l’administration des administrés ». Une lutte
contre la sous-administration qui sonne comme l’aveu d’un échec : celui de
l’État colonial et de sa légitimité en milieu rural. C’est dans cette perspective
que s’inscrit d’abord cette mise à jour théorique de la « pacification » en
Algérie : la « politique du contact » doit permettre de multiplier les pôles
d’influence locaux, pour reprendre l’ascendant sur les populations civiles,
mais aussi pour préparer le terrain à une réforme de l’économie et de la
société rurales, condition sine qua non de la préservation de la souveraineté
française en Algérie.
Ce double principe d’action est institutionnalisé par le Gouvernement
général, peu après l’insurrection du 20 août 1955*. Créé en septembre
suivant, le Service de l’action administrative et économique (SAE) est ainsi
« chargé d’élaborer les programmes tendant à la pacification », tandis que le
Service des affaires algériennes (SAA), dont dépendent les sections
administratives spécialisées* (SAS), est chargé de l’appliquer. En mai 1956,
Robert Lacoste* franchit un palier supplémentaire en concevant la
« pacification » comme un vaste processus de construction de la paix sociale
qui, parallèlement à la répression du FLN, doit permettre de faire émerger
une « Algérie nouvelle ». Ce leitmotiv cher au ministre résidant est censé
affirmer la volonté de l’État de réaliser enfin les promesses de la République
française en Algérie, afin d’opposer aussi un nouvel horizon politique à
l’alternative étatique et sociétale portée par le FLN : celui incarné par les
réformes municipales, foncières et agraires, par la promotion des Algériens et
des Algériennes et leur accession à la fonction publique, puis par la loi-
cadre* de novembre 1957. Faute d’un personnel civil suffisant, c’est aux
acteurs militaires qu’incombe la responsabilité de la « pacification ». Les
chefs de SAS sont notamment chargés d’encadrer les actions administratives,
économiques et sociales qui doivent préparer le terrain de ce réformisme :
ouverture de postes administratifs, recensement et état-civil, dispense de
l’AMG, distribution de secours, ouverture d’écoles, de foyers de jeunesse ou
d’anciens combattants, construction d’habitat et d’infrastructures collectives,
ou modernisation de l’économie agraire.
Dans le même temps, l’arrivée en Algérie d’anciens officiers* ayant servi
en Indochine* et l’affirmation collatérale de la doctrine de la guerre
révolutionnaire* dans les cercles de réflexion et de décision militaires
complexifient encore les acceptions du terme. Pour une grande part des
officiers, la « pacification » est un terme générique, qui s’apparente à ceux de
« contre-guérilla » ou de « contre-subversion ». Comme eux, il désigne une
nouvelle manière de faire la guerre, une « guerre révolutionnaire » pour
mieux s’opposer à la stratégie « révolutionnaire » du FLN, c’est-à-dire de
s’adapter à un conflit « total » dont la population reste la pièce maîtresse :
« La population est l’enjeu de l’adversaire comme des forces de l’ordre. Elle
détient la clé de voûte du problème, car le succès appartiendra à celui des
deux qui la fera s’engager dans son action », affirme l’Instruction pour la
pacification en Algérie du commandement en chef des forces en Algérie, en
mars 1960. La création en 1958 des centres d’instruction à la pacification et à
la contre-guérilla* (CIPCG) de Philippeville et d’Arzew, porte à son
paroxysme la polysémie de la « pacification » : l’action psychologique* y est
dès lors enseignée à des milliers de cadres militaires comme complémentaire
à l’organisation, à la structuration et à l’encadrement des populations, pour
parvenir à la « pacification » par la conquête des « cœurs et des esprits ».
Dans cette perspective, la pacification regroupe in fine des activités
multiples et différenciées, mais solidaires. Le système qui en résulte s’articule
dès lors dans un triptyque d’actions simultanées et complémentaires :
répression violente et permanente, d’un point de vue politique et militaire, de
toute velléité indépendantiste ; politique de normalisation des relations
administratives à des fins sécuritaires et gouvernementales, prolongée par des
mesures d’urgence dont l’ambition est autant sociale (atténuer la
paupérisation des Algériens, en attendant de la résorber) que psychologique
et politique (faire pencher la population en faveur de la France) ; réformes
structurelles du système politique, de l’administration, de l’économie et de la
société algériennes, dont la réalisation dépend d’abord du succès des deux
premiers axes. La « pacification » en Algérie cristallise dès lors une forme
exacerbée de la gouvernementalité foucaldienne : elle doit assurer le maintien
de l’ordre établi ainsi que la prise en charge du destin biologique et sociétal
de la population, dont il s’agit de faire un facteur de puissance pour l’État
souverain. La pacification est donc un système dont le but reste in fine de
faire triompher une ultime tentative d’étatisation de la société algérienne, en
incluant un recours à la contrainte. En cela, le terme relève d’un euphémisme
qui, en recourant au champ sémantique de la paix, cherche à nuancer les
enjeux de la guerre et à atténuer, sinon à occulter, les violences militaires,
politiques, économiques, sociales et culturelles qui l’ont caractérisée.
Fabien SACRISTE
Bibl. : Denis Leroux, « Une armée révolutionnaire : la guerre d’Algérie du
5e bureau », thèse sous la dir. de R. Branche, Paris-1, 2018 • Fabien Sacriste,
Les Camps de regroupement en Algérie. Une histoire des déplacements
forcés pendant la guerre d’indépendance (1954-1962), Presses de Sciences
Po, 2022 • Sylvie Thénault, Algérie. Des « événements » à la guerre : idées
reçues sur la guerre d’indépendance algérienne, Le Cavalier bleu, 2012.

PALESTRO
Petit bourg colonial, situé à 80 kilomètres à l’ouest d’Alger, à l’entrée des
gorges de la rivière Isser, Palestro doit son nom à un village lombard où eut
lieu une bataille à laquelle participèrent des zouaves venus soutenir l’armée
de Victor-Emmanuel II. Quelques années après sa fondation, en 1868, il est
ravagé à l’occasion de la grande insurrection qui secoua l’Algérie. Au
printemps 1871, les hommes sont massacrés tandis que femmes et enfants
sont faits prisonniers. Le village colonial renaît pourtant de ses cendres tout
en gardant vive la mémoire de ses colons* pionniers martyrisés. Son
extension le long de la fertile vallée de l’Isser se fait au détriment des
populations environnantes spoliées de leurs biens par le séquestre collectif, le
séquestre individuel touchant précisément les meneurs de la révolte. Les
meilleures terres sont récupérées pour la colonisation, les anciens
propriétaires contraints de louer leurs bras ou de changer d’activité. Dans
leurs familles aussi, la mémoire de cette déchéance est vive, l’échec de
l’insurrection nourrissant discours fatalistes et désirs de revanche.
Le 18 mai 1956, la vie de ces populations bascule de nouveau. Ce jour-là,
une embuscade* met en présence les maquisards indépendantistes et des
militaires français, tout juste rappelés sous les drapeaux. Les enjeux sont
clairs depuis plus d’un an et demi : la lutte armée vise à chasser les Français
d’Algérie ; pour la France, l’envoi du contingent, décidé en mars 1956, doit
écraser cette impudente tentative. En un beau jour de mai, une section de
vingt et un jeunes soldats, nouvellement arrivée en Kabylie, entreprend
d’aller reconnaître le territoire dont elle a la charge, sur les hauteurs des
gorges de l’Isser. Elle tombe dans une embuscade tendue en plein jour par
l’ALN*. Dix-sept hommes sont tués. Leurs cadavres seront retrouvés
dépouillés et, pour certains, mutilés. Sans qu’aucune preuve ne soit fournie,
se répand tout de suite le récit de leur émasculation. Cette barbarie justifie la
mise en place immédiate de la censure* sur la presse* et l’approfondissement
de la répression.
Depuis des mois, le FLN* s’est implanté dans la région, demandant
soutien et aide aux villageois, annonçant l’arrivée d’une nouvelle ère. Le
18 mai, l’audace du commando dirigé par Ali Khodja* a payé. Le plus
faiblement armé des deux groupes, mais meilleur connaisseur du terrain, l’a
emporté dans cette action caractéristique de la guérilla*. Les hommes du
sous-lieutenant Artur n’ont rien pu faire. Leur surprise n’a eu d’égale que leur
isolement. Les quatre survivants sont faits prisonniers* et très vite emmenés.
Pour les habitants du village de Djerrah tout proche, l’avenir est écrit :
l’armée française pratique les représailles collectives. Le village, à proximité
de l’embuscade, paiera le prix fort dès que l’alerte sera donnée. Dans les
quelques heures tout au plus qui séparent l’embuscade des représailles,
qu’ont fait les villageois ? Ils ont déplacé les cadavres de leur village,
espérant peut-être éloigner ainsi la violence française. En récupérant ce qui
pouvait l’être sur les corps, ils les ont aussi abîmés sciemment. À l’arme
blanche, ils en ont marqué certains, incisant les chairs, émasculant ou
égorgeant. Combien de soldats subirent ce sort ? Peu, contrairement à ce que
dira la presse alimentée par l’armée, mais sans doute faute de temps.
L’intention est bien là : loin de suivre les directives d’un FLN encore en train
de prendre racine dans la région, les villageois ont imposé leur point de vue
dans cette guerre. Ayant souffert dans leurs terres et leurs familles de la
violence coloniale, ils ont saisi cette opportunité de faire entendre aux
Français (mais aussi au FLN) qu’ils étaient, eux aussi, dans l’histoire. Par
cette atteinte aux corps des militaires français morts, les villageois refusent de
n’être que les hôtes des uns ou les victimes des autres. Ils affirment
l’existence d’une personnalité collective blessée qu’il aurait fallu davantage
écouter.
Leur village s’appelle Djerrah. C’est ainsi qu’on nommera l’embuscade
en Algérie. Mais, à l’époque, dans les médias français et dans la
propagande*, l’expression « embuscade de Palestro » s’impose. Ce
glissement toponymique n’est pas une erreur géographique. Les images
associées à Palestro sont en effet sans commune mesure avec ce que dit le
petit village de Djerrah. Les sensations impressionnantes que procurent les
gorges escarpées de l’Isser deviennent terrifiantes dans le nouveau contexte
de la guerre. La géographie* se mêle à l’histoire pour apporter à la force
évocatrice des gorges les souvenirs du massacre de 1871 : « Palestro »
devient la métonymie de la cruauté autochtone. Son nom terrorisera les
Français jusqu’à la fin de la guerre. Pour les Algériens, en revanche,
« l’embuscade de Djerrah » rappelle bien, à qui veut les écouter, que ces
populations avaient été repoussées dans les montagnes par la colonisation et
qu’elles attendaient le moment opportun pour se révolter.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, L’Embuscade de Palestro : Algérie, 1956,
Armand Colin, 2010.

PAPON, MAURICE (1910-2007)


Aucune biographie de référence n’a été consacrée à Maurice Papon.
Restituer sa carrière n’est d’ailleurs pas le plus pertinent pour rendre compte
de son action. Sa trajectoire et sa résurgence dans la mémoire collective, avec
les procès emblématiques de la fin du XXe siècle, ne dévoilent qu’en partie les
ressorts de son activité administrative et policière pendant la Guerre
d’indépendance algérienne. Que ce fonctionnaire ait activement participé à la
déportation de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale permet-il de
comprendre les exactions policières postérieures ainsi que les répressions
meurtrières du 17 octobre 1961* et du 8 février 1962 ? Que doivent-elles à
Maurice Papon, préfet de police* constamment soutenu par le pouvoir
exécutif ? Poser ces questions ébranle la personnalisation excessive des
responsabilités dans les pages les plus noires de l’histoire française du
e
XX siècle. La carrière de Maurice Papon est édifiante même si ses fonctions

sous Vichy relèvent de la « banalité du mal », une expression certes


galvaudée mais qui lui sied bien. Il n’était alors que sous-préfet, secrétaire
général de la préfecture de la Gironde. Fonctionnaire zélé obéissant aux
ordres donnés sans « états d’âme humanitaires », Maurice Papon est aussi
caractérisé par une « autorité exceptionnelle » et une ambition connue. Passer
par les colonies, dans des postes où les « hommes à poigne » étaient
plébiscités, était une étape obligée pour les hauts fonctionnaires de sa trempe
prétendant aux plus hautes positions. Préfet de Constantine (1949-1951), il se
fait remarquer par son habileté à défendre la raison d’État et à trouver des
protecteurs parmi les grandes figures du parti colonial (René Mayer), surtout
si, comme lui, elles avaient leurs accointances au parti radical. Il revient à
Constantine (préfet* Igame, 1956-1958), après un premier détour par la
préfecture de police (comme secrétaire général) et le secrétariat général du
protectorat du Maroc*. Il paraît alors rompu au maintien de l’ordre face aux
remises en cause de l’autorité de l’État colonial. Il reste néanmoins
sourcilleux de ses propres prérogatives, face à une armée empiétant de plus
en plus sur les autorités civiles.
Quand Maurice Bourgès-Maunoury* (ministre de l’Intérieur) et Félix
Gaillard* (président du Conseil) le nomment préfet de police, après la
manifestation séditieuse des gardiens de la paix parisiens* (13 mars 1958), ils
font d’abord appel à son appétence pour le « commandement » : il faut
remettre de l’ordre sur l’île de la Cité et tenir des hommes dont le soutien à la
IVe République* paraît bien fragile. Bien sûr, Bourgès-Maunoury était
sensible au fait que Papon se soit largement rallié aux principes de la « guerre
contre-révolutionnaire ». Mais, en mars 1958, la priorité n’était pas de
démanteler la Fédération de France* du FLN*. Régulièrement décapité par
les services français, son comité fédéral était en passe de s’installer en
Allemagne. Cette priorité apparaîtra après la chute de la IVe République, en
particulier après l’ouverture d’un « second front » en métropole par le FLN,
fin août 1958. Les syndicats de police demandant des mesures d’exception
(usage des armes, couvre-feu, limitation de la portée du Code d’instruction
criminelle, etc.), Maurice Papon s’appuya notamment sur des officiers* ayant
exercé au Maroc ou en Algérie afin de créer des unités spécifiques (SAT-
FMA*, FPA, etc.). Important d’Algérie à Paris certaines des techniques de
renseignement et de répression, elles devinrent la marque de son action contre
le « terrorisme nord-africain ». Leur action est bien connue mais celle de
Maurice Papon est souvent réduite à celle « du préfet du 17 octobre 1961 et
de Charonne* ». Or, dans ces deux massacres d’État, les gardiens de la paix,
qu’ils soient de voie publique ou, surtout, membres des compagnies
d’intervention, commirent les actes les plus meurtriers. Autrement dit, des
policiers ordinaires furent au moins tout aussi responsables des exactions
commises pendant la Guerre d’indépendance algérienne que ceux du
« système Papon ». De 1958 à 1962, ils furent d’ailleurs au cœur des
attentions et craintes de Maurice Papon : en 1961-1962, il devait éviter que la
préfecture de police ne bascule, à l’instar de la Sûreté nationale en Algérie,
du côté de l’OAS*. Lâcher la bride des hommes de rang pour éviter qu’ils ne
se retournent contre leurs supérieurs était à la fois un prix à payer et une
modalité des luttes politiques à mener. De Gaulle* savait gré à Maurice
Papon de le préserver de la seule « gangrène » qui valait à ses yeux : l’OAS.
Le préfet de police partageait sa conception de « l’autorité de l’État » et son
insensibilité aux vies de ceux qui la subissaient. Ainsi, à l’issue d’un mandat
exceptionnel de neuf ans terminé en janvier 1967 à la suite de l’affaire Ben
Barka, de Gaulle continua de le citer en exemple et ne manqua pas de
regretter que son successeur, Maurice Grimaud, ne partage pas la même
conception de « l’ordre ».
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens, 1944-
1962, Nouveau Monde, 2011 • Jim House et Neil MacMaster, Paris, 1961.
Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Tallandier, 2008 • Jean-Pierre
Peyroulou, « Maurice Papon, administrateur colonial (1945-1958) »,
in Samia El Mechat (dir.), Les Administrations coloniales, XIXe-XXe siècles.
Esquisse d’une histoire comparée, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
2009.

PARACHUTISTES
Dans les jours qui suivent l’insurrection, plusieurs bataillons
parachutistes du sud-ouest de la France sont envoyés en Algérie. Ils
constituent en 1955 les seules troupes opérationnelles dans la 10e Région
militaire. À la suite des émeutes des 20 et 21 août 1955, la montée en
puissance des formations de type Blizzard (structure opérationnelle de
300 hommes adaptée au combat contre les katibas) marque la volonté du
commandement français d’utiliser les parachutistes comme force de frappe.
En 1956, après les premières déconvenues françaises, les 10e et 25e divisions
parachutistes (DP), soit plus de 20 000 hommes, adoptent la tactique de
contre-guérilla et deviennent le fer de lance des réserves générales
intervenant en tout temps et en tout lieu, notamment au cours de la bataille
des frontières* (décembre 1957-janvier 1958) et du plan Challe* (1959-
1960).
Leur emploi dans la « bataille d’Alger* » en 1957, leur participation au
13 mai 1958* puis leur inaction au cours de la semaine des barricades* –
voire leur fraternisation avec la population européenne de la capitale
algérienne – signent la politisation de nombre de leurs cadres, notamment
avec le ralliement de certaines unités aux généraux du coup de force d’Alger.
Le 30 avril 1961, la dissolution des deux divisions par le ministre des
Armées, Pierre Messmer*, met un terme aux dérives dénoncées dans certains
cercles de l’armée après les campagnes contre la torture* pendant la « bataille
d’Alger ».
Le général commandant la 5e Région aérienne (Algérie) crée en mai 1956
plusieurs commandos* parachutistes rivalisant avec les formations de l’armée
de terre*. Ils suivent l’exemple des régiments parachutistes engagés dans le
coup de force d’Alger. Toutes ces formations, à l’exception notable des deux
régiments étrangers parachutistes, ne sont pas professionnalisées. Autrement
dit, se côtoient des engagés (ADL) et des appelés* (PDL) ou rappelés du
contingent avec des cadres d’active et de réserve. Ainsi, les soldats appelés
du contingent du 3e régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa) du
colonel Bigeard* mettent un point d’honneur à se montrer dignes de leurs
frères d’armes par leurs bilans opérationnels. Les rivalités entre unités
parachutistes et la course aux « résultats » sont à l’origine de leur réputation
antithétique dans les deux camps et laissent des traces dans les deux pays qui
se sont affrontés pendant huit longues années.
André-Paul COMOR
Bibl. : Laurent Cadena, « L’organisation des troupes aéroportées pendant la
guerre d’Algérie », in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des femmes
en guerre d’Algérie, Autrement, 2003 • Marie-Danielle Demélas,
Parachutistes en Algérie, 1954-1958, Vendémiaire, 2021.

PARLANGE, GASTON (1897-1972)


Né à Bayonne, ce général a mené l’essentiel de sa carrière militaire au
sein de l’administration coloniale du Maroc*. Engagé volontaire en 1915, il
sollicite son affectation dans le protectorat dès la fin de la guerre (1919), et
rejoint peu après le Service de renseignement créé par Hubert Lyautey afin de
coordonner l’action des officiers* des Affaires indigènes, chargés de
l’administration rurale. Il participe à plusieurs campagnes de
« pacification* » qui lui valent d’être promu capitaine et chef du bureau
indigène de Tounfit (1931). Il quitte le Maroc en 1942 pour participer aux
campagnes d’Afrique du Nord, d’Italie et de France à la tête d’un régiment de
Tabors, puis regagne Rabat après la guerre pour rejoindre le secrétariat
politique du protectorat. Inspecteur et commandant des goums, colonel
(1946), puis général (1953), il commande le territoire du Tafilalet (1948) et la
subdivision d’Agadir et des confins (1955), avant d’être mis à disposition du
gouverneur de l’Algérie. Nommé commandant civil et militaire du Sud-
Constantinois, puis des Aurès-Nemencha, il y mène une « politique de
contact » articulée autour d’un triptyque d’actions pensées complémentaires :
réprimer, encadrer, réformer. Prodrome de la « pacification », cette
expérience prépare la création du Service des affaires algériennes, chargé
d’encadrer les officiers affectés au sein des sections administratives
spécialisées* (SAS), dont il est l’initiateur. Ayant atteint l’âge de la retraite, il
reste en poste grâce à sa nomination comme premier préfet* du département
de Batna (1956), avant de rejoindre Alger comme inspecteur général des
Affaires algériennes (1958). Il se distingue alors par son rôle dans la politique
de regroupement*, dont il est aussi le précurseur : la pratique a été
expérimentée, rationalisée et diffusée sous son commandement, dans l’Aurès,
dès 1955. Il est alors choisi par le délégué général, Paul Delouvrier*, pour
prendre la direction de l’inspection générale des Regroupements de
populations (1959), chargée d’élaborer, d’encadrer et d’évaluer la politique
dite des « Mille villages ». S’il conçoit cette dernière comme une opportunité
historique de procéder à la réorganisation et à la rationalisation du
peuplement algérien, prélude à la modernisation et au développement de la
société rurale, il quitte ses fonctions moins d’un an plus tard, déçu par le
décalage entre l’ampleur de sa mission et la médiocrité des moyens alloués –
et désabusé par l’instrumentalisation militaire d’un projet dans lequel il a
placé ses ultimes espoirs pour la préservation d’un empire auquel il a
consacré l’essentiel de sa carrière. Rentré en métropole (1960), il réside dans
le Sud-Ouest où il s’investit pour la mémoire des goums marocains.
Fabien SACRISTE
Archives : Dossier de carrière du général Parlange, SHD (Yd542), sous
dérogation.
Bibl. : Daniel Rivet, Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc
(1912-1925), L’Harmattan, 1988 • Fabien Sacriste, Les Camps de
regroupement en Algérie. Une histoire des déplacements forcés pendant la
guerre d’indépendance (1954-1962), Presses de Sciences Po, 2022.

PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN


(PCA)
À la veille de la Guerre d’indépendance, le PCA regroupe plus de 12 000
adhérents. À la différence des autres partis anticolonialistes, il compte
plusieurs milliers de militants français d’Algérie, dont plusieurs centaines de
femmes*. Les militants issus de familles de colonisés y deviennent
majoritaires au début des années 1950. En 1954, il représente donc la seconde
force parmi les colonisés, derrière le MTLD (environ 24 000 adhérents,
divisé en deux tendances) et devant l’UDMA* (environ 3 000 adhérents).
Après avoir milité au sein du PCF*, les communistes d’Algérie ont créé
le PCA en 1936. Le parti est toutefois resté longtemps sous l’influence du
PCF. Son rapport au nationalisme* et au mot d’ordre d’indépendance
nationale a connu des fluctuations en fonction de stratégies définies à Moscou
et à Paris. Cependant, à partir de 1946, le PCA affirme appartenir au
mouvement national algérien, et cherche l’unité avec les nationalistes. En
1950-1951, tandis qu’il gagne en autonomie par rapport au PCF, il met en
avant le mot d’ordre d’indépendance nationale, tout en restant attaché à des
formes légales de lutte.
Tout comme les directions de l’UDMA et des deux tendances du MTLD,
la direction du PCA est prise de court par le déclenchement de l’insurrection
le 1er novembre 1954*. Les déclarations publiques du PCA lors des premiers
mois de la guerre témoignent d’une influence persistante du PCF, mais aussi
de divergences internes. Le 8 novembre, le Bureau politique du PCF, qui
condamne la répression et dit défendre les « revendications nationales de
l’immense majorité des Algériens », désapprouve les « actes individuels
susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n’étaient pas
fomentés par eux ». Cette mise en garde contre les « actes individuels » est
reprise dans des communiqués du PCA jusqu’en avril 1955. Toutefois, se
démarquant du PCF, la direction du PCA précise que les maquis des Aurès
sont liés aux « masses » : le 14 novembre 1954, le comité central affirme
qu’« il ne s’agit pas d’une provocation, ni d’un complot colonialiste, mais
d’un mouvement algérien ». Après avril 1955, l’influence du PCF disparaît
dans les discours du PCA, tandis que les plus déterminés à rejoindre
l’insurrection s’imposent au sein de la direction du parti.
Dès novembre 1954 et jusqu’à l’interdiction du parti en septembre 1955,
certains dirigeants défendent en effet la lutte armée lors de réunions privées et
lors de meetings électoraux. Ils encouragent en outre secrètement des
militants à rejoindre l’ALN*. En 1954-1955, à l’image d’une dizaine de
membres du comité central, des dizaines de communistes, surtout des
paysans, gagnent le maquis avec ou sans l’avis du parti. Si certains accèdent à
des responsabilités, plusieurs sont assassinés au sein de l’ALN dès 1955.
Les dirigeants du PCA souhaiteraient que le FLN* soit un véritable front,
ouvert à différentes organisations. Mais ils éprouvent des difficultés à se faire
reconnaître par le FLN. Afin de donner des gages de leur détermination et
d’étendre la lutte armée, ils décident début 1955 de mettre sur pied une
organisation armée, les Combattants de la libération* (CDL). Cette décision
est entérinée lors d’une session du comité central de juin 1955. Les premières
actions des CDL, menées après l’interdiction du PCA en septembre 1955,
permettent à la direction du PCA d’entrer en contact avec la direction du FLN
à partir de mai 1956, à la suite de la constitution d’un « maquis rouge » dans
l’Ouarsenis et de la désertion d’Henri Maillot* avec un important lot d’armes.
Lors des discussions, les responsables du FLN reprochent à ceux du PCA de
refuser de dissoudre le parti, et de tenter de noyauter l’ALN. Lorsque le
« maquis rouge » disparaît après un accrochage avec l’armée française, le
FLN et le PCA concluent cependant des accords pour intégrer les CDL à
l’ALN, à condition que les militants passés à l’ALN cessent tout contact avec
le PCA. Le PCA, lui, pourra se maintenir en tant que parti. L’intégration des
CDL à l’ALN est rendue publique par le PCA dans un texte daté du 1er juillet
1956. Cependant, le PCA est stigmatisé par le FLN dans la plate-forme du
congrès de la Soummam* en août 1956, et les communistes passés à l’ALN
subissent une suspicion persistante.
Après l’été 1957, le PCA est très affaibli. Depuis le printemps 1955
surtout, la répression administrative, judiciaire et militaire a conduit à
l’arrestation de centaines de ses militants politiques et armés, et à la mort de
dizaines d’autres. D’autres militants ont rompu avec le parti pour rejoindre le
FLN-ALN ou pour cesser tout engagement. D’autres enfin ont été assassinés
au sein de l’ALN, ou le seront par des « ultras » de l’Algérie française.
Toutefois, le PCA maintient son activité de propagande* et de soutien au
FLN-ALN dans plusieurs lieux d’Algérie jusqu’en 1962. Son organisation
subsiste en outre en prison* et dans les camps d’internement*. Une
Fédération de France du PCA est également mise en place en 1956-1957 par
des militants immigrés ou expulsés, qui dépendaient jusqu’ici du PCF. Enfin,
à partir de 1957, la délégation extérieure du PCA, installée à Prague, édite le
journal Informations algériennes et tente de peser sur la politique algérienne
des pays dits « socialistes ».
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Allison Drew, We Are No Longer in France. Communists in Colonial
Algeria, Manchester, Manchester University Press, 2014 • Pierre-Jean Le
Foll-Luciani, « The Communists in Algeria (1920-1993) », in Laura Feliu et
Ferran Izquierdo-Brichs (dir.), Communist Parties in the Middle East:
100 Years of History, Londres, Routledge, 2019.

PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS (PCF)


En 1954, lorsqu’une poignée d’Algériens, sous un sigle inconnu (FLN*),
déclenche l’insurrection, les communistes français ont comme matrice
principale d’analyse, immuable depuis le discours de Maurice Thorez (Alger,
février 1939), la notion de « nation en formation ». Notion certes en avance
sur les analyses de la quasi-totalité des grandes forces politiques (« L’Algérie,
c’est la France »), mais déjà en déphasage sur la maturation accélérée du
mouvement patriotique : s’il y a eu alors insurrection, puis adhésion de la
population, c’est bien que la nation était déjà formée.
L’impossibilité de connaître l’identité des premiers insurgés amène la
direction du PCF à garder une certaine distance. Aussi la première déclaration
officielle, le 7 novembre, est-elle un équilibre fragile entre des affirmations
de principe, dénonciation de la répression « férocement colonialiste », soutien
aux « revendications nationales de l’immense majorité des Algériens », et
mise en garde contre le « recours à des actes individuels », faisant le jeu des
colonialistes, « si même ils n’étaient pas fomentés par eux », formule
désastreuse qui sera durement reprochée au PCF. Pourtant, L’Humanité* est
aussi le seul quotidien national à dénoncer la répression et les tortures.
Le terme « indépendance » n’est pas absent de la propagande*
communiste. Il apparaît (de façon furtive) dans un discours de Jacques
Duclos dès novembre 1954 (L’Humanité, 6 novembre), puis prend place plus
continûment dans la presse* communiste (Cachin, L’Humanité, 13 juin
1955 ; Duclos, L’Humanité, 14 octobre 1955, etc.) et même dans des affiches
(fin 1957). Cet aggiornamento indispensable sera développé dans un article
théorique marquant de Jean Dresch (« Le fait national algérien », La Pensée,
juillet 1956). Mais, durant toute la guerre, « indépendance » n’occupera
jamais la première place, au profit d’un « Paix en Algérie » jugé plus
rassembleur.
Lors des législatives de 1956, la question algérienne prend (enfin) une
place importante dans la vie politique. La victoire d’un Front républicain*
(socialistes SFIO* de Guy Mollet* et radicaux de Mendès France*) et le bon
score communiste amènent la direction du PCF à s’engager dans l’exaltation
d’un possible nouveau Front populaire. Aussi les communistes estiment que
le gouvernement Mollet, sous la « pression des masses », peut s’orienter vers
une sortie négociée du conflit. Et ce en dépit des discours bellicistes du même
Mollet. Pour ce motif, ils votent les pouvoirs spéciaux* (12 mars 1956),
renonçant à une lutte communiste autonome. L’idée est ancienne dans le
mouvement ouvrier français, que la démocratisation de la métropole pouvait
entraîner une libération, fût-ce par étape, des territoires colonisés (Lettre de
cellule Sorbonne-Lettres d’octobre 1958, rédigée par Jean-Pierre Vernant,
octobre 1958). S’y ajouta une rupture avec la gauche radicale sur les
questions de l’aide directe au FLN (porteurs de valises*) et de l’insoumission
(« Manifeste* des 121 » de 1960), considérées comme inopérantes par le
PCF. Tous ces éléments provoquèrent un divorce avec les nationalistes
algériens (Fédération de France* du FLN) et éloignèrent du PCF les forces
antiguerre les plus déterminées – sans compter les dégâts internes (« affaire
Servin-Casanova » en 1961, avec l’exclusion de huit militants favorables à
une lutte plus intense contre la guerre d’Algérie).
Fin 1956, l’intervention soviétique en Hongrie* et son approbation par le
PCF ramenèrent les communistes dans une sorte de ghetto politique, dont ils
ne sortiront plus réellement avant 1962. En 1958, lorsque le général de
Gaulle* parvient au pouvoir, l’opposition communiste est radicale, absolue,
au point d’assimiler le régime en gestation au fascisme. Mais, une fois de
plus, le PCF sera bien seul, comme parti, à (tenter de) mobiliser les foules.
Ses défaites électorales de 1958 accentuent son isolement.
Lorsque de Gaulle envisagera l’autodétermination, puis prononcera la
formule « Algérie algérienne en marche », les communistes seront quelque
peu déroutés par celui qu’ils persistaient à considérer comme un colonialiste
réactionnaire.
L’activité militante n’en a pas moins été permanente et multiforme. Dès
1955, les communistes furent les premiers Français (car les Algériens du
MNA* avaient déjà occupé le pavé parisien) et parfois les seuls à descendre
dans la rue pour la « paix en Algérie ». Ils vendirent à la criée une presse qui
était tout sauf neutre. Ils collèrent des affiches (93 ont été recensées, ayant
pour thème unique ou majeur la guerre d’Algérie), distribuèrent des tracts
(108 pour le matériel national, soit une moyenne de 1 par mois). Activité
moins radicale que celle de l’extrême gauche, moins engagée que celle des
« porteurs de valises », mais qui permet de classer la famille communiste
parmi les résistants à la guerre d’Algérie.
Alain RUSCIO
Bibl. : René Dazy, La Partie et le Tout. Le PCF et la guerre franco-
algérienne, Syllepse, 1990 • René Gallissot (dir.), Algérie : engagements
sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du mouvement
ouvrier, L’Atelier, 2006 • Alain Ruscio, Les Communistes et l’Algérie, des
origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962, La Découverte, 2019.

PARTI DU PEUPLE ALGÉRIEN


(PPA)/MOUVEMENT POUR
LE TRIOMPHE DES LIBERTÉS
DÉMOCRATIQUES (MTLD)
L’Étoile nord-africaine (ENA) est déclarée le 20 juin 1926 à Paris. Placée
sous la responsabilité d’Abdelkader Hadj Ali – membre de la commission
coloniale du parti communiste née le 2 mars – elle est conçue comme une
section de l’Union intercoloniale. L’ENA s’appuie sur les travailleurs
algériens syndiqués à la CGTU mais aussi sur les émigrés originaires du
Maroc* et de Tunisie*, à l’instar de Chedly Khairallah. Dès juillet, elle attire
l’attention de la préfecture de police qui estime que son but, loin de se limiter
à « la défense des intérêts matériels, moraux et sociaux des populations nord-
africaines », vise à créer « de l’agitation dans les milieux indigènes et
d’attirer de nombreux adeptes au parti communiste ». Lors du congrès anti-
impérialiste de Bruxelles, tenu en février 1927 sous l’égide de
l’Internationale communiste, Messali Hadj* prononce un discours dans lequel
il réclame l’indépendance totale. L’organisation compte 3 000 adhérents,
surtout en région parisienne, mais rencontre des difficultés dans ses rapports
avec le PC puis avec les autorités avant de connaître, le 20 novembre 1929,
sa première dissolution. La quête d’autonomie se traduit par l’interdiction de
la double appartenance à un parti politique, décidée le 28 mai 1933. Mais
l’ENA conserve des liens avec le mouvement ouvrier, comme l’atteste son
soutien au Front populaire. Pourtant, en raison de son opposition au projet
Blum-Viollette, l’ENA est dissoute le 26 janvier 1937 par le président du
Conseil Léon Blum.
En réponse, la création du Parti du peuple algérien (PPA) est annoncée le
11 mars 1937 à Nanterre par Messali et Embarek Filali*. Prenant la suite des
Amis d’El Ouma, en référence à son organe, le mouvement se réorganise
autour de la devise « ni assimilation, ni séparation mais émancipation ». La
fondation du PPA marque une nouvelle étape dans la diffusion des idées
indépendantistes dans la mesure où les tensions avec les dirigeants du Front
populaire, tout comme l’élargissement de sa base sociale à la petite
bourgeoisie, l’autorisent à confirmer son orientation politique (populiste,
interclassiste, arabo-islamique) mais aussi le déplacement du centre de
gravité du mouvement qui se développe rapidement en Algérie. Messali y
organise une tournée de propagande* et d’organisation en juin – le parti
compte alors 80 sections dont 14 à Alger, 6 à Tlemcen et 4 à Constantine –
avant d’être arrêté le 27 août avec sept de ses compagnons puis interné à
Barberousse. Les élections* cantonales d’octobre sont marquées par le succès
des listes du PPA qui est dissous par décret le 26 septembre 1939 et ses
principaux dirigeants dont Messali sont condamnés à de lourdes peines. Au
cours de la Seconde Guerre mondiale, l’initiative du Comité d’action
révolutionnaire nord-africain, favorable à des contacts avec les nazis, est
désavouée par Messali qui refuse de collaborer avec le régime de Vichy. Le
PPA redéploie ses activités dans la clandestinité, en prenant appui, en
avril 1944, sur les AML – une initiative de Ferhat Abbas* – jusqu’aux
manifestations et massacres de mai 1945*.
À la suite de la libération de Messali, le 11 août 1946, et son installation à
Bouzaréah, le 13 octobre, le PPA reprend une activité semi-légale. En vue
des législatives du 10 novembre, le parti dépose des listes de « Libération du
peuple algérien » puis, après le refus du préfet* d’Alger, du « Triomphe des
libertés démocratiques ». Cette appellation, qui débouche sur le MTLD, est
proposée par Brahim Maïza. Le succès aux élections est tout relatif en raison
du manque de préparation des nationalistes, des listes annulées par
l’administration et de la division avec l’UDMA* d’Abbas, à rebours de
l’aspiration à l’unité parmi la population. En février 1947, le MTLD résume
son projet à travers le slogan « Constituante algérienne souveraine », ce qui
signifie l’élection d’une assemblée, au suffrage universel direct et par un
collège unique, qui « sera l’émanation de la volonté du peuple algérien,
exercera la souveraineté et la traduira par une Constitution qui fixera les
fondements de l’État algérien dans l’ordre politique, économique et social ».
Lors de la discussion du statut de l’Algérie, en août, par l’Assemblée
nationale, les députés MTLD, comme Lamine Debaghine, se servent de cette
tribune pour faire le procès du colonialisme et réaffirmer l’existence de leur
nation : « L’Algérie malgré son héroïque lutte a perdu sa souveraineté […].
Elle reconquerra sa liberté, elle redeviendra elle-même, nous en sommes
persuadés. »
Parallèlement à cette agitation parlementaire autorisée par la façade du
MTLD, le parti nationaliste décide, lors de ses assises ouvertes le 15 février
1947 à Bouzaréah, la création de l’Organisation spéciale* (OS), comprise
comme le bras armé du mouvement. Cette initiative résulte d’un compromis
entre les partisans d’une action légale et ceux favorables à la clandestinité. Le
PPA est placé sous la responsabilité d’Ahmed Bouda et Omar Oussedik,
tandis que l’OS est confiée à Mohammed Belouizdad. Un état-major est
constitué, des militants sont recrutés après avoir été éprouvés ; ils sont
environ 2 000 à suivre une formation politique et militaire malgré les
difficultés à leur procurer des armes. La politique répressive du gouverneur
général de l’Algérie Marcel-Edmond Naegelen – dont le truquage des
élections à l’Assemblée algérienne* d’avril 1948 – renforce le courant hostile
à la participation électorale et encourage le passage à l’action violente. Le
5 avril 1949, un commando de l’OS attaque la poste d’Oran – une opération
montée par Hocine Aït Ahmed* et qui rapporte 3 millions. La police*, sur la
trace de l’OS depuis la tentative d’activistes de faire sauter le monument en
l’honneur de l’émir Abdelkader à Cacherou, parvient à démanteler
l’organisation à partir de mars 1950. Quatre cents de ses membres sont
arrêtés, dont ses dirigeants comme Ahmed Ben Bella*, ainsi que de
nombreux militants. La direction du mouvement décide de dissoudre l’OS.
Pourtant, il ne s’agit pas de la première épreuve traversée par le PPA-
MTLD. En effet, la crise dite « berbériste » bouscule l’organisation
d’août 1948 à janvier 1950. À partir de 1952, un conflit s’installe entre
Messali et le comité central du MTLD favorable à la création d’un Congrès
national algérien. Opposé à ce projet, Messali réclame les pleins pouvoirs. Un
congrès est décidé pour trancher le litige mais l’expulsion d’Algérie du
dirigeant historique, en mai, repousse la tenue des assises. L’antagonisme
s’installe entre messalistes et centralistes tandis qu’émerge, le 23 mars 1954,
un Crua en vue de réconcilier ces tendances. Mais les messalistes organisent
leur congrès en juillet 1954 à Hornu tandis que les centralistes se réunissent
en août à Belcourt. Le Crua prend ensuite le nom de FLN* qui déclenche les
actions armées du 1er novembre 1954*. Le MTLD est dissous par les autorités
françaises quelques jours plus tard. Il renaîtra sous le nom de Mouvement
national algérien* (MNA).
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, 1871-
1954, t. II, PUF, 1979 • René Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux
et question nationale. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier,
L’Atelier, 2006 • Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien.
Question nationale et politique algérienne, 1919-1951, SNED, 1980.

PARTI RADICAL
Le parti radical, ancien parti dominant de la République impériale,
occupe durant la première moitié de la guerre d’Algérie une place stratégique
dans les équilibres politiques. Cette position repose sur sa présence tant en
Algérie qu’en France, où désormais très minoritaire, il occupe néanmoins une
position charnière lui permettant d’être présent dans toutes les combinaisons
gouvernementales. Plus encore que pour les autres partis de gauche, les
fédérations radicales algériennes jouent un rôle actif, notamment par le
financement du parti national. Dominées par deux personnalités incarnant le
« parti colonial », le « grand colon* » algérois, Henri Borgeaud*, et le député
de Constantine, René Mayer, elles pèsent pour le maintien de l’Algérie
française et pour une politique de répression du nationalisme*.
De novembre 1954 à décembre 1955, puis de juin 1957 à mai 1958,
quatre présidents du Conseil sont issus du parti radical : Mendès France*,
Faure, Bourgès-Maunoury* et Gaillard*. Entre-temps, les ministres radicaux
ont participé au gouvernement Mollet* où ils ont occupé des fonctions clés,
notamment Bourgès-Maunoury.
Les radicaux au pouvoir mènent tous une politique répressive contre le
nationalisme algérien – plus ou moins brutale et assumée – et proposent tous
une politique de réformes afin de mieux conserver l’Algérie, en espérant
maintenir la souveraineté française, contrer le nationalisme et éviter
l’indépendance. À plusieurs reprises, le parti se déchire sur l’équilibre à
trouver entre répression et réformes, sur les méthodes à employer en
subordonnant ou non les réformes au retour à l’ordre et sur la question d’un
éventuel dialogue avec les nationalistes.
Le mendésisme lui-même partage la logique impériale, s’inscrivant
toutefois dans le courant libéral de la colonisation, méfiant vis-à-vis du
nationalisme mais plus soucieux des droits de l’homme et prêt à des
évolutions comme l’ont montré les exemples indochinois et tunisiens.
Une série de scissions et d’exclusions affaiblissent le parti. Lors de la
rupture du parti avec le Rassemblement des gauches républicaines (RGR),
René Mayer, avec Léon Martinaud-Déplat, Bernard Lafay et Jean-Paul
David, en sont exclus. Suivent Faure, puis Mendès France et ses amis. Des
dissidents radicaux, durant la Ve République*, rejoignent les positions de
défense de l’Algérie française, comme André Morice qui a été constructeur
de la fameuse ligne visant à isoler l’Algérie de ses voisins pour contrer
l’ALN*. Amputé de son aile gauche (le Mouvement des radicaux de gauche),
en 1972, associé au programme commun du PS et du PCF*, le parti s’ancre
au centre droit avec sa fusion dans l’Union pour la démocratie française
(UDF) en 1978.
Gilles MORIN
Bibl. : Frédéric Fogacci, « Le malheur des temps : la mouvance politique
radicale de la Libération à la fin des années 1960 », thèse d’histoire sous la
dir. de J.-P. Chaline, Paris-4, 2008.

PARTI SOCIALISTE UNIFIÉ (PSU)


À l’origine du PSU, le refus de la guerre d’Algérie en a également été le
ciment jusqu’en 1962. Fondé en avril 1960, plus de cinq ans après le début du
conflit, le parti est né de la fusion de différentes composantes de la gauche
non communiste sans cesse opposées aux politiques gouvernementales. S’y
retrouvent diverses formes préexistantes de l’anticolonialisme des gauches
françaises.
La majorité des adhérents initiaux provient de la minorité de la SFIO* qui
a fondé à l’automne 1958 le Parti socialiste autonome (PSA), avec l’appui de
la Ligue des droits de l’homme*, dirigée par Daniel Mayer, de la Fédération
de l’Éducation nationale* et le concours des anciens Étudiants socialistes.
Édouard Depreux, ancien avocat de Messali Hadj* qui, comme ministre de
l’Intérieur, a défendu le projet de statut de l’Algérie en 1947, est le premier
secrétaire national du PSA puis du PSU. À ses côtés, notamment, le
socialiste-chrétien André Philip, auteur du Socialisme trahi, Alain Savary, les
blumistes Robert Verdier ou Oreste Rosenfeld, l’ex-trotskiste* Jean Rous,
Michel Rocard*, des amis de Marceau Pivert, etc. Assimilés par Pierre Vidal-
Naquet* à des « dreyfusards », ils ont dénoncé la torture* et exigé
constamment depuis 1956 la reconnaissance du fait national algérien et une
solution politique au conflit par la négociation*.
L’Union de la gauche socialiste (UGS), deuxième composante du jeune
parti, a rassemblé de nombreuses figures de l’anticolonialisme de gauche,
pionniers de la lutte contre la répression coloniale qui prônaient avant le
conflit l’indépendance de l’Algérie. Ses deux secrétaires généraux, Claude
Bourdet* et Gilles Martinet*, ont été cofondateurs de l’hebdomadaire France
Observateur qui a dénoncé la répression et la torture, dès 1954. Ils côtoyaient
à l’UGS des avocats défenseurs des nationalistes algériens avant et pendant la
guerre, comme les promessalistes Yves Dechezelles et Yves Jouffa, ou les
défenseurs du FLN* au premier rang desquels Pierre Stibbe et Gisèle
Halimi*. L’UGS avait la particularité de rassembler une majorité de chrétiens
de gauche, comme Henri Longeot et des anciens de la Jeune République.
Selon les idéaux types de Vidal-Naquet s’y retrouvent essentiellement deux
sortes d’anticolonialistes, les « tiers-mondistes » et les « bolcheviks ».
Participent enfin à la fusion des dissidents communistes regroupés autour
de Tribune du communisme, conduits par Jean Poperen. Ils se situent
clairement dans la tradition bolchevique.
Le PSU constitue de ce fait une « véritable photographie de la famille
anticolonialiste » (Sylvie Thénault). Il ne se limite pourtant pas à ces
pionniers en suscitant l’adhésion d’une jeunesse militante concernée
directement par le conflit. Pour elle, il constitue un marqueur générationnel,
renforcé par les liens étroits noués avec l’Unef* dans ce combat.
Dans la France du gaullisme triomphant, le jeune parti qui justifie la
violence des colonisés opprimés (Pierre Stibbe) utilise avec pragmatisme tous
les moyens politiques à sa disposition. L’action non violente, la propagande*
et la désobéissance civile tout d’abord, mais aussi la recherche d’actions
collectives locales avec les syndicats – aux premiers rangs desquels l’Unef et
la CFTC* –, les comités et les autres partis de gauche. Le PSU se singularise
ensuite dans les rares manifestations publiques de l’époque, dont la première
significative à l’appel de l’Unef se déroule autour de la Mutualité le
27 octobre 1960 et débouche sur des affrontements avec la police* où l’on
relève de nombreux blessés. Surtout, pour protester contre le massacre du
17 octobre 1961*, le parti organise l’une des deux manifestations interdites le
1er novembre suivant, bafouant l’interdiction par de nouvelles pratiques.
Divisée sur la question du droit à l’insoumission, la direction du parti ne
s’engage pas pour le « Manifeste* des 121 » et se montre hostile au soutien
direct au FLN, que pratiquent pourtant certains de ses membres. Le parti
lance des « appels aux soldats » pour prôner le droit au refus des pratiques de
torture ou de l’assassinat et celui des coups d’État militaires. Il devient une
cible de l’OAS* qui réalise des attentats et des plasticages des lieux de
résidence de divers responsables. Contre les soulèvements des partisans de
l’Algérie française puis de l’OAS, il mobilise ses troupes et les
sympathisants.
Après l’indépendance, des militants vont aider à la construction du
nouvel État algérien. Le parti, soumis à des forces centrifuges jusqu’en 1968,
peine à trouver un nouveau ciment intellectuel. Ses tendances pacifistes et
tiers-mondistes sortent renforcées de l’expérience. De taille modeste mais très
actif, le PSU a pu se présenter, concurremment au PCF*, comme le parti de la
gauche française incarnant le combat pour la paix en Algérie.
Gilles MORIN
Bibl. : Gilles Morin, « De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au
Parti socialiste autonome, 1954-1960 : un courant socialiste de la SFIO au
PSU », thèse d’histoire sous la dir. d’A. Prost, Paris-1, 1992 • Sylvie
Thénault, « La gauche et la décolonisation », in Jean-Jacques Becker (dir.),
Histoire des gauches en France, t. II, La Découverte, 2005 • Pierre Vidal-
Naquet, « Une fidélité têtue. La résistance française à la guerre d’Algérie »,
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 10, 1986.

PATIN, MAURICE (1895-1962)


Pénaliste renommé, entré dans la magistrature après la Première Guerre
mondiale, Maurice Patin en gravit les échelons jusqu’à devenir avocat
général en 1943. Lié aux milieux résistants, il est contacté en 1944 par
l’avocat communiste Joë Nordmann et nommé directeur des Affaires
criminelles et des grâces au ministère de la Justice. Outre qu’il joue un rôle
crucial dans la répression légale de la collaboration par les tribunaux, il étudie
à ce titre les demandes de grâce, dont celles des condamnés à mort. Il
multiplie alors les audiences en tête à tête avec de Gaulle*. En 1958, celui-ci
le nomme président de la Commission de sauvegarde des droits et libertés
individuels*. Patin étant président de la chambre criminelle de la Cour de
cassation, sa nomination doit restaurer une commission instituée pour la
première fois en 1957, impuissante et désavouée.
Outre les affaires individuelles, Patin enquête sur les arrestations,
interrogatoires et détentions en Algérie. Il croit à l’adaptation du droit et de la
justice contre la torture* et les exécutions sommaires*. Le commandement
les présentant comme des pratiques de « justice parallèle » face à
l’inefficacité de la justice de l’État, réformer cette dernière dans un sens plus
répressif pourrait restaurer la légalité. Aussi Patin est-il un artisan majeur des
réformes de la justice militaire* en Algérie (décentralisation des tribunaux
militaires, création des procureurs militaires) ; celle-ci en sort plus expéditive.
Si, officiellement, Patin se félicite des résultats obtenus, en réalité, il est
découragé, comme les membres de la Commission qu’il tente de convaincre
de ne pas démissionner ; six d’entre eux se retirent en 1961-1962.
Nommé au Conseil constitutionnel en 1959, il participe à la validation
des décisions prises par de Gaulle en vertu de l’article 16 lui octroyant tous
les pouvoirs après la tentative de putsch* en 1961. Il est également président
du Haut tribunal militaire créé pour le jugement des putschistes, avant de
cesser toute activité pour raisons de santé en 1962. Exemple parfait de
l’ancien résistant résolument fidèle à de Gaulle, il incarne aussi ces juristes
convaincus que la légalité peut jouer un rôle dans les circonstances les plus
exceptionnelles.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, « La seconde commission de sauvegarde des
droits et libertés individuels », Histoire de la justice, no 16, 2005/1 • Philippe
Derouin, « Éloge du président Maurice Patin (1895-1962) », Gazette du
Palais, 1983 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la
guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.

PAYS-BAS
Plus que d’autres pays européens, les Pays-Bas soutiennent la France
dans la guerre menée contre les indépendantistes algériens. En politique
étrangère, les gouvernements néerlandais souscrivent toujours à une loyauté
de fer avec, d’une part, l’Otan, et d’autre part l’Europe dont la Hollande est,
comme la France, membre fondateur. Une position conservatrice qui est aussi
liée au profond malaise du pays par rapport à son propre passé colonial et à
ses relations difficiles avec l’Indonésie concernant la Nouvelle-Guinée.
La Hollande est en effet gouvernée par des majorités parlementaires très
modérées, de centre-gauche ou de centre-droit. Les forces plus nettement à
gauche sont insignifiantes, que ce soit le Parti communiste néerlandais
(Communistiche Partij Nederland [CPN]) ou le Parti socialiste pacifiste
(Pacifistisch Socialistiche Partij [PSP]) né, entre autres, de l’anticolonialisme
et en cela non dénué d’analogies avec la « nouvelle gauche » et le PSU* de
Gilles Martinet*. Ils n’ont jamais plus de cinq sièges au Parlement (sur 150).
C’est donc plutôt dans la vaste base sociale progressiste, parmi les
travailleurs et surtout parmi les étudiants* et les intellectuels, que se
manifeste un intérêt marqué pour le sort du peuple algérien. Fortement
influencées par les débats français, les élites cultivées néerlandaises – comme
ailleurs en Europe – s’intéressent progressivement à la guerre d’Algérie, à
travers la « bataille d’Alger* » (1957), l’avènement problématique de la
Ve République* (1958), le débat sur la torture* et l’affaire Boupacha* (1960).
Une minorité fait l’analogie entre la guerre d’Algérie et l’occupation
nazie subie pendant la Seconde Guerre mondiale, la Résistance* et la
décolonisation néerlando-indonésienne (1945-1949). Ainsi à partir de 1959,
des groupes d’information s’organisent, comme l’Actie Informatie Algerije
(action information Algérie [AIA]). Ils font circuler les textes de
dénonciation publiés en France. Des structures comme, à Amsterdam, le
comité Hulp Algerijnse Vluchtelingen (comité d’aide aux réfugiés algériens)
mènent des campagnes humanitaires.
Enfin, des militants de la gauche révolutionnaire (essentiellement des
courants trotskistes* de la IVe Internationale) se lient aux « porteurs de
valises* » français pour soutenir clandestinement le FLN*, sur le plan
logistique et militaire. En juin 1960, l’arrestation de certains d’entre eux, dont
Michel Raptis (Pablo), pour fabrication de fausse monnaie destinée à
déstabiliser la France, est particulièrement spectaculaire. Lors de leur procès,
Claude Bourdet*, Isaac Deutscher, Michel Leiris et Laurent Schwartz*
viennent à Amsterdam leur exprimer leur solidarité.
Andrea BRAZZODURO
Bibl. : Niek Pas, Les Pays-Bas et la guerre d’Algérie, Alger, Barzakh, 2013.

PERVILLÉ, GUY (NÉ EN 1948)


Né en 1948 dans l’Oise, Guy Pervillé explique sa vocation dans Histoire
iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa mémoire. Il a grandi dans une
famille ouvrière qualifiée (son père était contremaître), où on lisait L’Aurore
et Le Parisien libéré. Il y suivait la politique gaulliste en Algérie avec
attention mais elle lui paraissait incompréhensible et les risques d’une guerre
civile l’inquiétaient. Ses contacts avec des élèves rapatriés* dans son lycée de
Creil à la rentrée 1962, son opposition aux maoïstes constituant son
entourage à Paris en Mai 68, puis la sortie des ouvrages d’Yves Courrière*
ont achevé de forger une curiosité durable pour le sort final de l’Algérie
française. L’indépendance ne lui semblait pas aller de soi.
Ainsi éveillé, son intérêt l’a conduit vers une histoire très attachée au récit
événementiel et à la vérification des faits. Normalien, Guy Pervillé a enseigné
à Rouen puis Limoges avant de devenir maître de conférences à Bordeaux.
Professeur à Nice en 1996 puis à Toulouse, il a pris sa retraite en 2011.
En toute logique avec ses questionnements, il a commencé une thèse avec
Jean-Baptiste Duroselle sur « L’information des Français sur le problème
algérien dans les années 1945-1962 », qu’il a fini par abandonner. Il a alors
repris son sujet de maîtrise sur les étudiants* algériens, pour lesquels Yves
Courrière, Yves Lacoste et Charles-Robert Ageron* avaient aiguisé son
intérêt (Les Étudiants algériens de l’université française, 1880-1962,
Éditions du CNRS, 1984). Il revient toutefois à la compréhension du
politique avec son habilitation à diriger des recherches dont il a tiré La
France en Algérie 1830-1954 (Vendémiaire, 2012).
Sa thèse inachevée sur l’information, combinée aux difficultés d’accès
aux archives* sur cette période encore très récente dans les années 1970-
1980, explique son goût prononcé pour la bibliographie ainsi que pour les
sources imprimées. Perçue comme un gage d’objectivité, son érudition lui
vaut la reconnaissance des milieux les plus critiques du gaullisme et de
l’indépendance. Depuis le début des années 2000, avec Pour une histoire de
la guerre d’Algérie (Picard, 2002), il s’est essentiellement consacré à la
rédaction d’ouvrages de synthèse dans l’idée d’éclairer le grand public. Il
tient également à jour, depuis la même époque, un site internet amplifiant
l’écho de ses travaux. Parmi ses étudiants se distinguent Gregor Mathias,
auteur d’une thèse sur les officiers* des SAU* et des SAS*, aujourd’hui
professeur associé à l’école militaire de Saint-Cyr, et Fabien Sacriste,
spécialiste des camps de regroupement*, codirigée avec Jacques Cantier.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Guy Pervillé, Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie et de sa
mémoire, Vendémiaire, 2018.

PESCHARD, RAYMONDE (1927-1957)


Née à Alger le 15 septembre 1927, c’est à Constantine que Raymonde
Peschard passe son enfance* et son adolescence, au sein d’une famille de
militants syndicalistes et communistes. Militante des Jeunesses à partir de
1945 (à 18 ans), puis membre du PCA*, elle est interdite de séjour à
Constantine dès le début de la guerre. Installée à Alger, elle est l’une des
premières femmes* à intégrer les Combattants de la libération* (du PCA),
puis le FLN* (juillet 1956). La presse* algéroise, qui ne peut supporter le fait
que des Européens et Européennes aient choisi le camp des « terroristes », la
présente comme « la communiste des bombes » du Milk-Bar, ce qui est un
mensonge absolu. Sa photo est en une de L’Écho d’Alger*.
Traquée, elle se réfugie chez les Sœurs blanches de Birmendreis, puis
chez les Clarisses de Notre-Dame-d’Afrique. Elle quitte ensuite Alger pour
rejoindre les maquis FLN (mars 1957), celui de la Wilaya 3* (Kabylie),
dirigée par le colonel Amirouche*. Avec Danièle Minne (plus tard Djamila
Amrane*), 17 ans à ce moment, et Louisa Attouche, elles sont trois femmes
communistes dans ce maquis. Comme souvent pour les femmes, elles sont
affectées à des tâches non combattantes et intègrent une équipe d’infirmières.
Mais Amirouche nourrissait une vive méfiance à l’égard des intellectuels, a
fortiori des citadins et citadines communistes cultivé(e)s. Il les envoie en
Tunisie* mais le 26 novembre 1957 au petit matin, le groupe, probablement
dénoncé, est encerclé par la troupe, menée par le lieutenant-colonel Fagalbe.
Il se scinde en deux : dans le premier, Djamila, Louisa et d’autres sont
arrêtés, certains exécutés sommairement. Raymonde Peschard est dans le
second groupe. Les récits de sa mort concordent. Bien que non armée, elle
avait été blessée. Lorsqu’elle constate que les soldats abattent des
moudjahidines* blessés, elle déverse sur eux « un flot d’injures », les traite
« de sauvages, de barbares et de nazis ». Sur ordre d’un officier*, elle est
alors exécutée d’une balle dans la nuque.
La propagande* française affirmera par la suite que l’armée avait détruit
un maquis. Le porte-parole du ministre résidant Robert Lacoste* donna une
version tronquée : Raymonde Peschard était « morte en uniforme », ce qui
était vrai, « les armes à la main », ce qui était un mensonge mais qui justifiait
le crime. La presse française se réjouit de l’élimination du groupe
« communo-FLN ». En fait de maquis, il s’agissait d’une colonne, assez
pauvrement armée.
Alain RUSCIO

PÉTROLE
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie a produit de très faibles
quantités de pétrole. Les conditions d’une recherche active se mettent en
place dès 1945, mais la réticence des responsables freine la prospection. Le
premier forage, dans le Mzab, fait naître des espoirs, mais les suivants se
révèlent infructueux, en dépit du recours à des techniques de pointe. La
guerre d’Algérie a commencé depuis quinze mois lorsque, le 11 janvier 1956,
le pétrole jaillit à Edjeleh, près de la frontière libyenne, sur un chantier de la
Compagnie pour la recherche et l’exploitation du pétrole saharien (Creps),
filiale de la Régie autonome des pétroles (RAP). Le 15 juillet, le phénomène
se renouvelle pour la Société nationale de recherches et d’exploitation du
pétrole en Algérie (SN-Repal), sur l’important gisement d’Hassi Messaoud, à
75 kilomètres à l’ouest d’Ouargla. Les gisements gaziers d’Hassi R’mel,
entre Ghardaïa et Lahouat, alors considérés comme les plus importants du
monde, sont atteints en novembre.
Ces découvertes pourraient assurer à la France son autonomie
énergétique. La crise de Suez* vient de souligner sa dépendance à l’égard du
Moyen-Orient, qui fournit alors 85 % de ses importations de brut. Le blocage
du canal et celui des oléoducs syrien et libanais qui desservent les gisements
irakiens ont obligé les autorités à instaurer quelques mois de rationnement.
Selon les experts, le pétrole du Sahara pourrait couvrir le quart des besoins
nationaux dès 1959, et garantir l’autosuffisance peu après 1970. Grâce à un
code particulièrement favorable, les capitaux français détiennent près de
80 % du domaine minier algérien, avec une prépondérance des entreprises
publiques (SN-Repal, Creps) sur les entreprises privées (Compagnie française
des pétroles [CFP]). Ces découvertes paraissent aussi très importantes pour
l’avenir de l’Algérie en guerre. Il apparaît en effet aux dirigeants français que
le combat pour le développement, solennellement inscrit dans le plan de
Constantine*, est inséparable de l’action militaire pour amarrer
définitivement l’Algérie à la France, en apportant la prospérité à des
populations que la misère rend sensibles à la propagande* du FLN*. L’apport
d’un pétrole et d’un gaz bon marché doit favoriser la croissance et fournir des
ressources au budget algérien, en limitant le recours à l’aide financière de la
métropole.
Aussi l’augmentation de la production, fortement encouragée par l’État,
est rapide : de 500 000 tonnes de pétrole en 1958, elle passe à 20 millions en
1962 ; environ 14 millions sont exportés en France, pour une consommation
nationale de 37 millions de tonnes. Les infrastructures se mettent en place.
Un oléoduc provisoire, dit baby-pipe, de 168 kilomètres, en mars 1958, relie
Hassi Messaoud à Touggourt. De là, le pétrole est évacué vers Bougie par
chemin de fer, après élargissement de la section Biskra-Touggourt qui était à
voie étroite. Cet expédient n’a qu’un temps : l’oléoduc d’Hassi Messaoud à
Bougie (660 kilomètres) est inauguré en décembre 1959 par le Premier
ministre Michel Debré*. Un autre oléoduc raccorde le gisement d’Edjeleh au
port tunisien de La Skhira en octobre 1960. Un an plus tard, le gazoduc
d’Hassi R’Mel (510 kilomètres) atteint Arzew, à l’est d’Oran. Les techniciens
français acquièrent un savoir-faire comparable à celui des grandes entreprises
opératrices mondiales. Routes, pistes d’aviation, bases vies pour les
personnels, transforment l’aspect du désert. La guerre qui se déroule au Nord
épargne à peu près totalement les exploitations. La tentative pour ouvrir un
« front saharien » s’est traduite par un échec de l’ALN*, après des combats
menés par le 3e RPC du lieutenant-colonel Marcel Bigeard* dans le Grand
Erg occidental aux environs de Timimoun, et le 1er REP du lieutenant-colonel
Jeanpierre à l’ouest de Biskra (fin octobre-fin décembre 1957). Par la suite,
l’ALN n’a guère pu tenter sérieusement de saboter des installations d’ailleurs
efficacement surveillées, jusqu’au moment où ses chefs ont pris conscience
de la nécessité de ne pas toucher à une ressource précieuse pour l’Algérie
indépendante.
La question pétrolière est un point important des discussions sur
l’indépendance. Les responsables français ont très sérieusement envisagé de
conserver le Sahara, jugé autonome des autorités turques avant 1830, puis
conquis, organisé et mis en valeur assez indépendamment de l’Algérie du
Nord. Cette argumentation est insupportable aux nationalistes, qui réclament
l’intégrité du territoire et organisent en juillet 1961 des manifestations*
contre la partition de l’Algérie. Aussi le général de Gaulle* se convainc que
le maintien de la souveraineté française sur le Sahara compromet
l’aboutissement de négociations* rapides. Dans sa conférence de presse du
5 septembre 1961, il n’exige plus que la « libre exploitation du pétrole et du
gaz que nous avons découverts et que nous découvririons ». Le règlement
s’effectue sur cette base, comme le précise la « déclaration générale »,
complétée par une « déclaration de principes sur la coopération pour la mise
en valeur des richesses du sous-sol du Sahara », incluse dans les déclarations
gouvernementales du 19 mars 1962* (dites « accords d’Évian* »). Ce texte
maintient les dispositions du Code pétrolier saharien pour tous les titres
miniers accordés avant l’indépendance. Il prévoit la continuité et la
prépondérance des compagnies françaises, avec le droit de vendre et de
disposer librement de leur production, la garantie des conditions établies en
matière fiscale et, pendant une durée de six ans, la priorité en matière
d’attribution de permis. La coopération franco-algérienne doit être assurée
par la création d’un organisme, successeur de l’Organisation commune des
régions sahariennes (OCRS), qui prend en charge l’entretien et le
développement des infrastructures. Il dispose aussi d’un droit de regard sur
les textes administratifs et législatifs édictés par l’État algérien en matière
minière. Un organisme franco-algérien mixte et paritaire est chargé de
coordonner l’exploitation et de donner un avis sur les demandes de nouveaux
permis. Enfin, il est prévu que les transactions portant sur les hydrocarbures
algériens se feront en francs, devise qui servira aussi à payer les redevances
dues par les compagnies à l’État algérien, ce qui est favorable à la balance
des paiements français. Dans ces conditions, le pétrole algérien, qui
représentait le tiers de l’approvisionnement français en 1963, en constitue
encore plus du quart en 1970 (en 1967, environ 20 millions de tonnes, sur une
consommation qui dépasse alors les 70 millions).
Cette situation dure jusqu’en 1971, en dépit d’une renégociation plus
avantageuse pour les Algériens en 1965. Les deux États ne trouvent plus alors
dans la coopération de bénéfices suffisants. Les Français jugent excessives
les conditions des Algériens et préfèrent diversifier leur consommation,
tandis que les Algériens désirent prendre le contrôle total de leurs richesses.
La nationalisation des intérêts français intervient en 1971. L’État algérien
prend alors une participation majoritaire dans le capital des sociétés. La
France devient un partenaire de l’État algérien parmi d’autres. Les sociétés
françaises opèrent désormais en Algérie sans privilège particulier. La
configuration mondiale du marché des hydrocarbures détermine désormais
les engagements réciproques.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Maurice Brogini, « L’exploitation des hydrocarbures en Algérie de
1956 à 1971 », thèse sous la dir. d’A. Nouschi, Nice, 1973 • Jacques
Frémeaux, Le Sahara et la France, Soteca, 2010.

PFLIMLIN, PIERRE (1907-2000)


Avocat formé à l’Institut catholique de Paris puis à l’université de
Strasbourg, Pierre Pflimlin a été attiré dans l’entre-deux-guerres par les
formations antimarxistes, l’Action française et les Jeunesses patriotes avant
de s’orienter vers la démocratie chrétienne.
Élu député MRP* du Bas-Rhin en octobre 1945, il appartient, de
février 1946 à mai 1958, à pratiquement tous les gouvernements. Il est
notamment ministre de la France d’outre-mer, de mars 1952 à janvier 1953,
portefeuille traditionnellement dévolu au MRP, parti favorable au maintien de
la colonisation dont la responsabilité dans la guerre d’Indochine* s’avère
majeure. Européen convaincu, président du conseil général du Bas-Rhin, il
est alors un leader d’envergure nationale. Durant le conflit, il occupe le
prestigieux ministère des Finances dans les cabinets Faure en 1955, Gaillard*
(avec les Affaires économiques et le Plan) en novembre 1957.
Concernant l’Algérie, il se rallie avec le MRP à la politique de Lacoste*
lors du congrès de 1956, lorsqu’il devient président du mouvement. Il défend
longtemps une position orthodoxe. Ainsi, le 26 octobre 1956, lors des
interpellations sur la politique algérienne du gouvernement Mollet*, il déclare
l’effort militaire indispensable mais prône une prompte politique de réformes,
avant d’accorder sa confiance à Mollet (mais il contribuera à la chute en
s’abstenant volontairement le 12 juin 1957) puis à Bourgès-Maunoury* et à
Gaillard.
Après la chute du cabinet Gaillard, le 14 avril 1958, lors d’une ultime
vacance gouvernementale, Pierre Pflimlin publie un article dans Le Nouvel
Alsacien du 23 avril, s’opposant à l’appel à son camarade de parti Georges
Bidault, en raison de ses positions trop extrêmes sur l’Algérie. Il invite à la
recherche d’une solution négociée. Le président Coty fait appel à lui pour
diriger le gouvernement le 8 mai. Le jour du vote d’investiture, le 13 mai*, la
population française d’Alger qui craint « l’abandon » de l’Algérie se soulève,
s’empare du Gouvernement général* et désigne un comité de salut public
présidé par le général Massu*. Investi par un réflexe républicain de
l’Assemblée, il confirme les pleins pouvoirs à Salan* et voit ses soutiens
politiques s’effriter. Après le débarquement en Corse et l’opération
« Résurrection* », alors que les appels au général de Gaulle* se multiplient, il
le rencontre de nuit le 26 mai, contribue à son rappel et devient un ministre
d’État le 1er juin 1958. Il se consacre ensuite essentiellement à la mairie de
Strasbourg, qu’il dirige de 1959 à 1983. Il préside aussi le Parlement
européen de 1984 à 1987.
Gilles MORIN
Bibl. : Jean-Louis English et Daniel Riot, Itinéraires d’un Européen.
Entretiens avec Pierre Pflimlin, La Nuée bleue, 1989.

PHILATÉLIE
Les timbres représentent un autre lieu de mémoire*, ou plus précisément
un objet porteur de mémoires de la Guerre d’indépendance algérienne.
Dès la guerre elle-même, les timbres et marques postales ont été le
vecteur de messages. Par exemple, des oblitérations mécaniques officielles
pro-Algérie française ont été apposées sur des enveloppes dès 1956, sans que
l’on sache si elles étaient tolérées par l’administration. De même, en 1957,
des vaguemestres militaires ont apposé des cachets sur les enveloppes
favorables à l’« Algérie française ». Des flammes officielles sont également
inscrites sur les enveloppes fin 1959 et contiennent des messages de
prévention à destination des soldats. Elles étaient apposées sur le courrier que
les soldats envoyaient : ils ne les voyaient donc pas, au contraire des familles
qui s’inquiétaient. Des timbres cherchent également à promouvoir un sens de
fraternité ou d’entraide. Un timbre est émis en juin 1958 en faveur du
« Secours aux enfants », et un autre intitulé « Tous frères » montre deux
infirmières, l’une d’origine algérienne, l’autre européenne, devant l’hôpital
Verdun d’Alger. D’autres marques et timbres vantent le développement de
l’Algérie, par exemple avec la commémoration* en 1959 du jaillissement du
pétrole* à Hassi Messaoud. Les événements du 13 mai 1958* ont fait l’objet
de plusieurs commémorations dès la guerre d’Algérie, notamment avec des
surcharges sur les timbres réalisées en décembre 1961 et janvier 1962,
portant « Algérie française. 13 mai 1958. OAS ». La mention du 13 mai 1958
manifeste une réappropriation de cette date par l’OAS* pour qui de Gaulle* a
trahi les espoirs de ceux qui l’avaient alors appelé au pouvoir pour garder
l’Algérie française.
Des timbres français sont surchargés des lettres « EA » (pour État
algérien) jusqu’à début 1963. Le premier timbre algérien sort le 1er novembre
1962 au profit des enfants de chouhadas. Un spectaculaire renversement de
tendance s’opère alors. Alors qu’auparavant il n’existait que quelques cachets
du FLN* et du GPRA*, et évidemment aucun timbre algérien, les timbres
français font désormais peu référence à cette période au contraire des timbres
algériens. Certains d’entre eux vantent la nation et la patrie, comme le
drapeau* et les frontières de l’État algérien pour le timbre édité le
1er novembre 1962. Le timbre édité le 1er novembre 1963 montre un
combattant de l’ALN* de l’extérieur, une femme* combattante, un
moudjahid* de l’intérieur, une femme voilée éplorée et un enfant brandissant
un drapeau. Le 20 août 1966 sort un timbre de la même veine, pour la journée
nationale du moudjahid, montrant deux combattants algériens en arme (dont
l’un ressemble à Zighoud* Youcef), aux pieds desquels se trouve un autre
combattant en train d’agoniser, accompagné par une femme et un enfant.
D’autres timbres commémorent des événements. Le premier concerne
l’incendie de la bibliothèque universitaire d’Alger par l’OAS, sorti le 7 juin
1965. Un autre de 1982 célèbre le 26e anniversaire du congrès de la
Soummam*, et un autre de 1990 les manifestations de décembre 1960*. Un
timbre fête aussi le 50e anniversaire de la grève* des étudiants*, et un autre
désigne ouvertement la France en faisant « hommage aux victimes des essais
nucléaires* français en Algérie » (2010). Le premier timbre représentant une
personnalité est à la mémoire de Houari Boumediene*, sorti le 5 janvier
1979. Boumediene est la seule personnalité à avoir fait l’objet de deux
timbres à son effigie. Parmi les autres, signalons Ferhat Abbas* (en 2008),
Abderrahmane Taleb (2003, à l’occasion de la « journée de l’étudiant »), ou
encore les six chefs historiques photographiés avant l’insurrection (2004).
Mais des absences sont notables : Ahmed Ben Bella*, Messali Hadj* ou
encore Abane* Ramdane.
Du côté français, les timbres sont peu nombreux et commémorent de
façon plutôt militante la guerre et ses conséquences : le premier timbre, de
1987, intitulé « 25 ans après », concerne le « Rassemblement mondial (à)
Nice » des pieds-noirs*, et montre les pourtours de la France, avec le drapeau
tricolore et des traces de pas pieds-noirs marchant sur l’hexagone. Les
cachets, oblitérations mécaniques et flammes sont nombreux concernant ce
groupe mémoriel. En 1989, un autre timbre concerne un « Hommage aux
harkis soldats de la France ». Des envois de lettres vers l’Algérie avec ce
timbre ont été effectués, conduisant les autorités algériennes à renvoyer les
lettres. Les harkis*, qui ont longtemps été totalement oubliés, font ainsi
l’objet de l’un des premiers timbres français. Il faut en effet attendre 1997
pour qu’il soit fait « Hommage aux combattants français en Afrique du Nord
1952-1962 », deux ans seulement avant la reconnaissance de l’état de guerre
en Algérie… Le cessez-le-feu du 19 mars 1962* n’est quant à lui
commémoré que par le service « Mon timbre à moi », avec un timbre
imprimé par la Fnaca. Récemment ont encore circulé par ce service des
timbres à l’effigie de Jean-Marie Bastien-Thiry, auteur de l’attentat du Petit-
Clamart* contre le général de Gaulle*. Ainsi, même des objets comme les
timbres illustrent les tensions mémorielles autour de la guerre d’Algérie.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : www.histoire-et-philatelie.fr, consulté le 19 juillet 2022 (Prix internet
du Cercle de la presse philatélique, 2018) • Emmanuel Alcaraz, « Les timbres
algériens de 1962 à nos jours, lieux de mémoire de la guerre d’indépendance
algérienne », Cahiers de la Méditerranée, no 91, 2015 • Jean-Noël Jeanneney,
« Enquête sur un timbre-poste », L’Histoire, no 495, mai 2022.
PHOTOGRAPHIE
Entre 1954 et 1962, la photographie fut une arme comme une autre
utilisée par les deux camps en présence, dans le cadre d’une guerre des
images marquée par une profonde inégalité de moyens, tant en termes de
production que de diffusion. Côté français, des centaines de milliers de
photographies ont été mises au service de la conduite de la guerre : comme
auxiliaires du renseignement pour identifier et traquer l’adversaire, recenser
et contrôler les populations ; comme moyens d’action psychologique*, à la
fois sur les appelés qu’il s’agissait de conditionner et sur les populations
civiles algériennes qu’il fallait – par la terreur et la séduction mêlées – faire
basculer définitivement dans le camp de la France. En imposant des
restrictions strictes au travail des reporters civils sur le terrain, l’armée a
cherché à s’arroger un monopole sur la production et sur la diffusion
d’images, dans le but de maîtriser le récit donné à voir à l’opinion publique*
française et internationale. Des enveloppes de photographies produites par le
Service cinématographique des armées (SCA) qui avait installé une antenne à
Alger, soigneusement choisies et légendées, étaient ainsi distribuées
gratuitement aux journaux et aux agences de presse, à charge pour eux de les
publier sous leur propre timbre, faisant ainsi disparaître l’origine militaire de
l’information. Dans leur majorité, les médias se sont fait le relais, consentant
ou forcé, de cette information dirigée qui ne disait pas son nom, passée par
les filtres successifs de la censure*, banalisant la vision univoque et répétitive
d’une armée dédiée à la « pacification* », à mille lieues des vrais actes de
guerre. À tel point qu’on a pu vivre pendant des années avec l’idée que,
finalement, cette guerre qui fut « sans nom » fut aussi une guerre « sans
image ». Face à l’immense machine de guerre médiatique déployée par les
Français, les indépendantistes algériens disposaient de faibles moyens pour
produire eux-mêmes des photographies. Ils eurent pourtant très tôt la
conviction que l’image était indispensable pour concurrencer l’adversaire sur
les terrains médiatique et diplomatique et qu’il leur fallait mettre en scène un
autre récit, pour faire connaître et pour défendre, auprès du peuple algérien
comme aux yeux du monde entier, la cause de leur combat pour
l’indépendance. Tous les moyens étaient bons pour réaliser ou pour se
procurer des images. Au cœur des maquis, simples combattants et
commissaires politiques, dotés de petits appareils amateur, photographièrent
les soldats de l’ALN*, au repos, à l’entraînement et au combat, mais aussi les
traces laissées dans les villages par la répression de l’armée française. Autant
de preuves visuelles de l’existence d’une véritable armée organisée, en lieu et
place des bandes de « hors-la-loi » dont parlaient les Français. Preuves aussi
des exactions de l’armée française contre les populations civiles, loin des
clichés de soldats apportant la paix, le développement et la civilisation. Pas
de laboratoires clandestins dans les montagnes : les pellicules étaient
acheminées jusque dans les villes où elles étaient développées par des
militants, parfois avec l’aide de réseaux de soutien européens. Ces images
étaient ensuite transmises aux services d’information installés hors des
frontières (au Maroc* et en Tunisie*, mais également à New York) qui les
publièrent dans les journaux du FLN* (Résistance algérienne, puis El
Moudjahid) mais également dans des brochures d’information, dont certaines
étaient éditées en plusieurs langues pour toucher l’opinion internationale.
Pour illustrer ces publications, les Algériens organisèrent par ailleurs des
filières d’approvisionnement en dehors de l’organisation, afin de s’assurer un
flux constant et renouvelé de clichés photographiques, y compris en
provenance de sources occidentales, armée française comprise. Par
l’intermédiaire de journaux marocains et tunisiens, de journalistes étrangers
et des réseaux de soutien à travers le monde, ils récupéraient des images
diffusées par abonnement par les grandes agences de presse mondiales. À
Tanger, une société espagnole leur servit même de prête-nom pour intercepter
les clichés transmis par le bélinographe, ancêtre du fax qui permettait la
transmission d’images fixes par le réseau téléphonique. Faute de moyens, il
fallait faire feu de tout bois, quitte à utiliser les photographies prises par
l’adversaire pour mieux les détourner par l’adjonction d’une nouvelle
légende. Afin d’accroître leur capacité de production et leur impact
médiatique, les Algériens ont aussi eu recours à des journalistes étrangers,
accueillis dans les rangs de l’ALN pour réaliser des reportages exceptionnels
au cœur des maquis. Les médias internationaux, las de recevoir toujours les
mêmes images militaires françaises, étaient friands de ces scoops
journalistiques, qui montraient enfin l’autre versant de la guerre. Au passage,
ces reporters laissaient des copies de leurs photographies aux services
d’information du FLN, qui les ont utilisées comme un fonds de roulement
iconographique pour leurs propres publications. Insérés dans le système
médiatique international, ces clichés gagnèrent une crédibilité et une audience
que n’auraient pu leur donner à eux seuls les nationalistes algériens. Cette
expérience pionnière, lancée fin 1956 avec les Américains Herb Greer et
Peter Throckmorton, tendit à devenir un système à partir de la fin de
l’année 1957, alors que les services d’information du FLN, regroupés à
Tunis, accueillirent de nombreux journalistes étrangers. Ces derniers restèrent
cependant cantonnés aux bases de l’ALN installées en Tunisie et à la zone du
no man’s land entre les deux pays, suite à la construction par l’armée
française du barrage électrifié sur la frontière, connu sous le nom de « ligne
Morice ». Le GPRA*, proclamé en septembre 1958, se dota rapidement d’un
service photographique rattaché au ministère de l’Information, dont la
direction fut confiée à Mohamed Kouaci. Formé à la photographie à Paris, il
avait accompagné en août 1957 la délégation de l’Union générale des
étudiants musulmans algériens* (Ugema) invitée pour représenter l’Algérie
lors du Festival mondial de la jeunesse à Moscou. À Tunis, il centralisa et
développa la collecte d’images mises au service de la communication de
l’État algérien en gestation. Il réalisa également de très beaux portraits des
soldats de l’ALN, des hommes politiques et des diplomates qui incarnaient
aux yeux du monde le combat pour l’indépendance, tandis que ses portraits
de réfugiés*, réalisés dans un style humaniste maîtrisé, servirent à éveiller la
conscience internationale au problème algérien. L’analyse des pratiques et
des usages de la photographie pendant la Guerre d’indépendance algérienne
amène à constater un retournement de situation paradoxal : commencée sous
le signe de l’inégalité, la guerre des images fut finalement remportée par les
Algériens.
Marie CHOMINOT
Bibl. : Marie Chominot, « Quand la photographie vint à la Révolution. Petite
contribution à l’histoire des services d’information du FLN pendant la guerre
d’indépendance algérienne », in Omar Carlier (dir.), Images du Maghreb,
Images au Maghreb (XIXe-XXe siècles). Une Révolution du visuel ?,
L’Harmattan, 2010 • Laurent Gervereau et Benjamin Stora (dir.),
Photographier la guerre d’Algérie, Marval, 2004.

PIEDS-NOIRS
Le substantif « pied-noir », dont l’usage a connu une grande popularité en
France métropolitaine dans la seconde moitié du XXe siècle, a permis de
distinguer de façon simplifiée, sur des bases ethnico-religieuses, les
populations de l’Algérie coloniale : celles dites « d’origine européenne »,
catégorie administrative qui incluait aussi les Juifs* originaires du pays, des
populations « musulmanes », catégorie qui resta en vigueur en dépit de la loi
de séparation, en 1905, des Églises et de l’État. Son origine étymologique est
incertaine : il peut faire référence aux guêtres noires portées par les soldats
français lors de la conquête. Il évoque aussi les pieds noircis des viticulteurs
foulant les raisins au moment des vendanges ; la culture de la vigne étant
alors l’apanage des exploitations agricoles européennes. Cela importe peu,
car son utilisation a surtout été une façon de désigner un groupe spécifique,
juridiquement, socialement et culturellement placé à la symétrie des
populations « algériennes ».
Ils ont, pour la plupart d’entre eux, une histoire familiale difficile : si
quelques-uns sont les descendants des grandes familles capitalistes venus
exploiter les terres « dévoyées » à la colonisation, et qui ont constitué une
bourgeoisie coloniale influente, nombreux sont les enfants de gens de peu,
originaires des régions pauvres de l’Europe, mais qui ont toutefois pu
bénéficier d’une insertion rapide dans le secteur « français » de la société
coloniale.
En effet, au lendemain de la conquête, Français et étrangers affluent en
Algérie, aidés dans leurs migrations par les politiques de peuplement
encouragées par l’État, dont les nombreuses créations de villages de
colonisation et la mise en œuvre d’une politique d’accaparement des terres.
La conséquence en fut la création d’une société coloniale plurinationale, car
en dépit de la naturalisation de la population juive par le décret Crémieux de
1870, le nombre de Français présents en Algérie peinait à dépasser celui des
étrangers. En 1886 étaient dénombrés 219 000 Français et 211 000 étrangers,
Italiens, Espagnols et Maltais pour la plupart. La loi du 26 juin 1889
organisant la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés sur le sol
français participa au renforcement démographique du groupe des Français
d’Algérie : en 1901, on dénombrait 364 000 Français dont 72 000 naturalisés
et 189 000 étrangers. Dès lors, les descendants d’Européens bénéficièrent des
droits de citoyenneté, à l’inverse des « musulmans » qui, bien que de
nationalité* française, n’en jouissaient pas. Par ailleurs, la constitution de
grands domaines latifundiaires tarit rapidement la population rurale au profit
d’une colonisation urbaine. En 1872, 60 % des Français et des Européens
étaient des citadins ; ils étaient 71,4 % en 1926.
De ce fait, à la veille de la Guerre d’indépendance algérienne, on
dénombrait 984 000 Français d’Algérie ; 80 % y étaient nés. Ils comptaient
pour un dixième de la population des départements algériens. Ils furent les
principaux bénéficiaires, en Algérie, des lois républicaines, dont l’accès au
suffrage universel masculin, puis féminin après 1944, des lois scolaires mais
aussi des aides sociales mises en place au sortir de la Seconde Guerre
mondiale. Ils jouissaient d’une situation économique et sociale favorable. En
1959, leur revenu annuel était de 450 000 francs par habitant, celui des
« musulmans » était évalué à 61 000 francs. Leur patrimoine immobilier était
estimé à 8 milliards de francs (tandis que celui des Algériens était inconnu de
l’administration). La suprématie des Français se retrouvait évidemment dans
l’achat des biens de consommation. Ils avaient acquis 82 % du parc
automobile neuf vendu au cours de l’année 1958, les sociétés 12 %, les
« Algériens » 6 %. Enfin, 83 % des étudiants* de l’université d’Alger*
appartenaient au groupe des « Français d’Algérie ». Leur situation sociale
n’était toutefois pas équivalente à celle des Français métropolitains. Si
quelques grands propriétaires terriens menaient une vie à la richesse
tapageuse, les Français d’Algérie étaient pour 44 % des salariés et pour 29 %
des fonctionnaires. Et les membres des professions indépendantes ne
percevaient que de faibles revenus : les trois quarts de leurs boutiques
n’employaient aucun salarié. Une enquête militaire, relayée par le sénateur
Pellenc, estimait que le revenu des Français d’Algérie était inférieur de 20 %
à celui des métropolitains.
Mais en dépit des importantes inégalités sociales qui traversaient leur
groupe, la société « pied-noire » ne s’était pas structurée autour d’un
sentiment de classe, susceptible de rapprocher les habitants de l’Algérie
coloniale en fonction de leurs conditions sociales, ou d’un même désir
d’amélioration de leur avenir, mais bien autour de valeurs distinguant les
individus en fonction de leurs catégories ethniques et d’une culture qui ne
prenaient en considération que celle des « Français de France », selon
l’expression alors en vigueur. Les « Français d’Algérie » avaient développé
un rapport « ambivalent » avec les « Algériens ». Si, à l’échelle des relations
interindividuelles ou professionnelles ils entretenaient avec eux d’étroits
rapports, toute relation égalitaire de groupe était structurellement impossible.
Au terme du conflit, les Français d’Algérie furent contraints de migrer en
France métropolitaine, dans des conditions d’urgence et d’inquiétude
difficilement descriptibles. Si la plupart des personnes aisées avaient organisé
leur départ et la mise à l’abri de leurs biens à partir de 1958, ne restaient en
1962 que la plupart des Français d’Algérie les plus pauvres et qui allaient
connaître d’importantes difficultés matérielles lors de leur arrivée en France
métropolitaine.
Ainsi, du point de vue juridique de l’État, le groupe des Français
d’Algérie appartenait désormais à la catégorie des « rapatriés* », qui
bénéficiaient à ce titre des aides à la réinstallation et à l’indemnisation
graduellement mises en place. Du point de vue populaire, ceux que l’on
appelait « pieds-noirs » souffraient de stéréotypes grossiers, les présentant
comme des parvenus, racistes, sinon les seuls responsables des succès
électoraux de l’extrême droite, des gouailleurs à la culture savante douteuse,
voire des « nostalgériques* » qu’une partie de l’opinion* estimait justement
punis d’avoir profité de la colonisation. Leurs représentations caricaturales
envahirent les productions cinématographiques et télévisuelles, et ce ne fut
qu’au tournant de la décennie 1990, grâce notamment à la cinéaste
Dominique Cabrera, que leurs personnages regagnèrent en profondeur et en
subtilité. Les pieds-noirs étaient désormais compris à l’aune de leur histoire ;
celle de Français périphériques, à la fois « nationalisés » sous les coups de la
politique menée par la France en Algérie, mais qui avaient aussi développé
une culture nationale particulière, propre à la société profondément
inégalitaire et catégorielle dans laquelle ils avaient vécu.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari
Tengour et Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale
(1830-1962), La Découverte/Barzakh, 2012 • Éric Savarèse, L’Invention des
pieds-noirs, Séguier, 2002 • Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-
1940). Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en
Algérie, Rome, École française de Rome, 2017.

PIEDS-NOIRS (ASSOCIATIONS)
Lorsque les pieds-noirs arrivent en France en 1962, rien ne laisse
présager une implication identitaire forte de leur part. Les activistes sont une
minorité organisée mais marginalisée. Lors du rapatriement*, des
associations se mettent en place, en particulier le Mouvement de solidarité et
d’entraide pour les Français d’outre-mer, créé par l’écrivain Jules Romains le
12 janvier 1962. Ce mouvement s’adresse avant tout aux métropolitains qui
voudraient venir en aide aux rapatriés*.
Pourtant, une association spécifiquement pied-noire est créée dès 1956,
dans le cadre des décolonisations du Maroc* et de la Tunisie* : l’Association
nationale des Français d’Afrique du Nord et d’outre-mer et leurs amis
(Anfanoma), dont l’avocat Pierre Reveillaud est le premier président. Son
journal, Le Pied noir, rend compte de la situation matérielle des rapatriés en
France, souligne les démarches entreprises auprès des pouvoirs publics, sert
de caisse de résonance aux revendications, et répercute les activités
culturelles. Par ailleurs, en 1965 est créée l’Union syndicale de défense des
intérêts des Français repliés d’Algérie (Usdifra) à Marseille*. Son but est de
regrouper les « populations déplacées contre leur gré », de les assister, de les
défendre, et d’organiser des manifestations pour entretenir le souvenir. Elle a
longtemps été dirigée par Gabriel Mene (1941-2015). D’autres associations
sont formées localement dans le sud de la France, où s’installent
majoritairement les rapatriés, comme dans le Gard et l’Hérault.
Le développement spectaculaire de l’identité pied-noire date des années
1970. Le traumatisme du départ et le sentiment de l’impossibilité de retourner
sur les lieux de leur enfance* ou de leur jeunesse ont poussé de nombreux
pieds-noirs à développer une forme de nostalgie, parfois appelée la
« nostalgérie* ». Des associations se sont créées et ont porté ce sentiment. La
plus importante est le Cercle algérianiste, fondé en 1973, notamment par
Maurice Calmein (né en 1947 à Oran) qui en devient le président jusqu’en
1985. Elle s’appuie sur une revue*, L’Algérianiste, forte de 12 000 lecteurs
revendiqués, qui traite de sujets historiques et culturels. Mais l’un des buts
primordiaux de l’association est de « protester contre l’histoire officielle de la
présence française en Algérie ». Le discours est donc revendicateur, afin de
promouvoir la vision des pieds-noirs et de « redonner de la vigueur à la
communauté des Français d’Algérie ». Elle a longtemps été dirigée par
Thierry Rolando, qui a cosigné le livre Vive l’Algérie française ! avec Robert
Ménard, maire de Béziers, proche du Rassemblement national. Actuellement,
l’association revendique 8 000 membres et s’appuie sur 40 cercles locaux.
Elle est présidée par Suzy Simon-Nicaise, ancienne adjointe à la mairie de
Perpignan. Cette association est à l’origine de l’inauguration du Mémorial
national des disparus, érigé le 25 novembre 2007 dans l’enceinte du couvent
Sainte-Claire-de-la-Passion à Perpignan, en présence de plusieurs milliers de
personnes. Dans ce même lieu, l’association a aussi créé un Centre national
de documentation des Français d’Algérie (CDDFA), inauguré en 2012, pour
collecter et transmettre la mémoire des pieds-noirs.
C’est aussi l’objectif du Centre de documentation historique sur l’Algérie
(CDHA) installé à Aix-en-Provence et créé en 1974 avec la volonté de
collecter de la documentation et des archives* essentiellement relatives aux
rapatriés d’Algérie. Le CDHA, dirigé par Joseph Perez (ancien patron de la
Société marseillaise de crédit), était initialement installé dans la maison du
maréchal Juin* et a récemment déménagé dans un nouveau bâtiment
adjacent. De très nombreux sites internet très documentés sont également nés,
dont certains reposent sur des associations, afin de retracer l’histoire de
localités algériennes, de familles pied-noires, de personnalités et
d’événements. Mais une cristallisation de la mémoire s’est opérée, dans un
sens de plus en plus politique et revendicatif. L’Association pour la défense
des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie (Adimad),
sans être spécifiquement pied-noire, se veut même défendre la mémoire des
anciens de l’OAS*. Longtemps présidée par Jean-François Collin, elle l’est
maintenant par Jean-Paul Le Perlier.
Une association comme Coup de soleil a au contraire été créée en 1985
pour favoriser les rapprochements entre les personnes liées au Maghreb, dans
un esprit d’ouverture. Elle est issue du Centre d’information sur le Grand
Maghreb, créé en 1980 à l’Institut d’études politiques de Grenoble par un
petit groupe de pieds-noirs proches du PS. Elle s’appuie sur la revue Grand
Maghreb, dont le premier numéro sort le 10 mai 1981. Le Centre est alors
dirigé par Georges Morin. Celui-ci prend ensuite la présidence de Coup de
soleil qui organise chaque année le « Maghreb Orient des livres » à la mairie
de Paris.
Enfin, l’Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis
(ANPNPA) a été fondée le 8 novembre 2008 par des pieds-noirs qui ne se
reconnaissent pas dans les associations de rapatriés marquées par la
« nostalgérie », et qui s’arrogent la mémoire des pieds-noirs sans prendre en
compte la diversité des opinions. Cette association œuvre à la dénonciation
du colonialisme, au rapprochement des deux peuples et à la réconciliation de
la France et de l’Algérie. Elle est essentiellement basée dans le sud de la
France et est dirigée par Jacques Pradel, ancien chercheur du CNRS.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Clarisse Buono, Pieds-noirs de père en fils, Balland, 2004 •
Emmanuelle Comtat, Les Pieds-Noirs et la Politique. Quarante ans après le
retour, Presses de Sciences Po, 2009 • Didier Lavrut, « Les associations de
rapatriés. Une histoire à construire. L’exemple du Gard et de l’Hérault », in
Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en guerre, 1954-
1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne,
Autrement, 2008.
PIEDS-NOIRS (MÉMOIRES)
Les mémoires pieds-noires, potentiellement celles de 1 million de
personnes, sont constitutives de l’imaginaire national français. Elles ont
colporté, dans un pays peu enclin à vouloir évoquer le dossier algérien au
lendemain de la guerre, le souvenir d’une Algérie idéalisée tout en ayant su
faire partager les violences quotidiennes du conflit, les déchirements de l’été
1962 et la difficulté de l’installation en France. Elles ont notamment rappelé à
l’opinion* métropolitaine que la société coloniale était aussi composée de
gens de peu, et que la population française d’Algérie ne se réduisait pas, ni
aux seuls grands propriétaires terriens, ni à une bourgeoisie opulente.
Par ailleurs, la mémoire collective des pieds-noirs a été soutenue par un
réseau associatif, devenu pléthorique. Les premières associations, créées à la
fin de la décennie 1950, eurent tout d’abord une action sociale. Elles
développèrent une importante influence auprès des pouvoirs publics, tout en
entretenant envers eux un discours critique, et offrirent indirectement un
cadre social aux premières expressions collectives des rapatriés*. Ce fut le
cas de l’Association nationale des Français d’Afrique du Nord et de leurs
amis (Anfanoma), créée en 1956, qui revendiquait 250 000 membres en
1962, et du Rassemblement national des rapatriés d’Afrique du Nord et de
leurs amis (Ranfranom) fondé, quant à lui, en 1960.
Au cours de la décennie 1970, les premières associations dites
« nostalgériques* » furent organisées afin de porter la mémoire de l’Algérie
française. Elles réunissaient des originaires de mêmes localités, professions
ou écoles, publiaient des journaux, et coordonnaient des rassemblements dont
des festivals et pèlerinages religieux. En glorifiant le temps passé, elles
inventaient la narration d’une histoire mythique où la colonisation était
innocentée de ses maux et pérennisaient le discours de justification coloniale,
qui depuis la fin du XIXe siècle assurait qu’il existait une mission civilisatrice
de la France sur ses colonies. Le Cercle algérianiste fut ainsi créé en 1973
autour d’un vaste réseau départemental de Maisons des rapatriés. Dans le
même temps, ces associations furent sérieusement concurrencées par de
nouvelles militances, usant de la mémoire pour asseoir leurs combats
politiques. L’Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés
d’Algérie (Usdifra), créée en 1975, proche de l’extrême droite, prônait une
défense musclée de la cause des rapatriés tout en menant des actions
xénophobes contre les Algériens présents en France. Le Rassemblement et
coordination unitaires des rapatriés et spoliés (Recours), fondé en 1976,
d’obédience républicaine, initia quant à lui une forte action de lobbying.
L’association soutint la candidature de François Mitterrand* en 1981 et celle
de Jacques Chirac* en 1986. Son président fut assassiné en 1993 par des
anciens membres de l’OAS*, dans un contexte politique où le Front national,
en plein essor, instrumentalisait l’histoire de l’Algérie française.
Dès lors, les associations de rapatriés d’Algérie durent clarifier leurs
positions. Les unes poursuivirent le mélange des genres et entretinrent, sous
couvert de défense de la culture pied-noire, des propos partisans de l’œuvre
coloniale. D’autres luttèrent, au contraire, pour une société multiculturelle,
tandis que certains regroupements se tournaient vers des activités
dépolitisées, généalogiques ou culinaires par exemple. La conséquence en fut
un paysage associatif très morcelé, et des mémoires antagonistes.
Par ailleurs, en dépit de cette diversité associative, les pouvoirs politiques
français cédèrent à toutes les revendications des grandes associations, sans
pour autant promouvoir publiquement la politique d’intégration qu’ils
menaient à l’intention des rapatriés d’Algérie. Il s’ensuivit de nombreuses
lois dans lesquelles des indemnisations financières avaient un complément
symbolique mémoriel. Ainsi celle du 23 février 2005* portant
« reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français
rapatriés », qui octroyait d’importantes aides sociales. Son article 4 –
aujourd’hui abrogé – exigeait l’insertion, dans les programmes scolaires*, du
« rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du
Nord ». Ces « guerres des mémoires », soutenues par le pouvoir législatif,
témoignent des usages politiques de l’histoire coloniale et des mémoires des
rapatriés, mais restent in fine peu représentatives de leur pluralité.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Claire Eldridge, From Empire to Exile : History and Memory within
the Pied-Noir and Harki Communities, 1962-2012, Manchester, Manchester
University Press, 2016 • Valérie Esclangon-Morin, Les Rapatriés d’Afrique
du Nord, de 1956 à nos jours, L’Harmattan, 2008 • Éric Savarèse,
L’Invention des pieds-noirs, Séguier, 2002 • —, Algérie, la guerre des
mémoires, Non-Lieu, 2007.

PIEDS-ROUGES
À l’indépendance algérienne, alors qu’un très grand nombre de pieds-
noirs* prennent le chemin de l’exil et du rapatriement*, certains font le trajet
en sens inverse et vont en Algérie. Ils ont été surnommés les « pieds-
rouges ». L’origine du terme est encore incertaine : il aurait pu être inventé
par des journalistes de droite, voire d’extrême droite, ou encore par l’écrivain
Kateb* Yacine, en hommage à la naissance du fils d’un docker pied-noir
communiste. La sociologue Juliette Minces souligne quant à elle que
l’expression « pied-rouge » était utilisée de manière très péjorative par les
dépositaires des autorités algériennes. D’une manière générale, les « pieds-
rouges » sont des militants anticolonialistes politisés, communistes et
trotskistes* pour un grand nombre d’entre eux. Leur engagement contre la
guerre et pour l’indépendance algérienne s’est poursuivi par une volonté
d’aider à la construction du jeune État, si possible dans un sens socialiste et
révolutionnaire. D’après Catherine Simon, leur nombre aurait même pu être
de plusieurs dizaines de milliers. Le nombre de plusieurs milliers apparaît en
tout cas certain. Pour une partie d’entre eux, l’installation en Algérie est une
nécessité car ils se trouvent dans la clandestinité en France ou à l’étranger, en
tant que membres des réseaux de soutien au FLN* ou comme déserteurs et
insoumis. Tel est par exemple le cas de Jean-Louis Hurst*, instituteur
communiste déserteur, fondateur de Jeune Résistance et auteur du Déserteur
sous le pseudonyme de Maurienne, qui vient en Algérie avec sa compagne
Heike, d’origine allemande.
Là, les « pieds-rouges » vivent l’euphorie des premiers jours de l’État
indépendant. Ils ne voient pas forcément les exactions qui peuvent se
commettre, en particulier à l’encontre des harkis*, les dissensions qui existent
entre les différentes factions du FLN ou encore les dysfonctionnements qui
sont déjà présents. Le départ des pieds-noirs laisse l’Algérie dans une
situation dramatique, avec une quasi-absence de fonctionnaires, de
techniciens et d’ingénieurs. Des « pieds-rouges » se lancent avec exaltation
dans les chantiers de (re)construction, tel celui d’Oued Fodda où Heike et
Jean-Louis Hurst encadrent des jeunes Algériens venus aider à consolider un
barrage hydraulique. D’autres participent à l’organisation des hôpitaux et des
services de santé*, telle Anne Beaumanoir, dite Annette Roger, ancienne
résistante et neuropsychiatre qui entre au cabinet du ministère de la Santé en
juillet 1962. D’autres encore remettent sur pied le système éducatif, du fait du
manque cruel d’enseignants, tel le réfractaire* Henri Cheyrouze et son
épouse Nicole en Kabylie. Certains pieds-rouges participent aussi à
l’organisation du cinéma* algérien, comme René Vautier*, ou créent des
journaux, comme l’avocat Jacques Vergès* et Gérard Chaliand qui fondent
Révolution africaine*.
L’engagement politique constitue une des caractéristiques centrales des
pieds-rouges. Quelques-uns jouent un rôle politique majeur, comme l’avocat
pied-noir indépendantiste Yves Mathieu, qui participe à la rédaction de la loi
sur les biens dits « vacants » votée en octobre 1962. Un autre militant prépare
les décrets sur l’autogestion qui sont votés en mars 1963 : il s’agit du militant
trotskiste Michel Raptis, dit Pablo, devenu l’un des conseillers du président
Ben Bella*. Citons encore le communiste juif égyptien Henri Curiel*,
emprisonné en France pour son aide au FLN, qui s’installe en Algérie avec
ses proches pour y fonder l’organisation Solidarité, sorte d’ONG d’aide aux
mouvements révolutionnaires et de libération nationale.
Rapidement, les activités politiques des pieds-rouges qui sortent du giron
du nouveau pouvoir algérien sont condamnées. Il existe en effet des
tentatives de déstabilisation du régime : ainsi, en 1963, un projet de maquis
révolutionnaire voit le jour en Kabylie. Une dizaine d’étrangers, dont
plusieurs Français, composent la moitié des membres du maquis en voie de
constitution. Ils sont arrêtés ; une jeune Française, Michèle Cleuziou, meurt
même dans des conditions suspectes. Dès lors, les critiques fusent contre les
étrangers et en particulier les Français. Par exemple, la sociologue Juliette
Minces, qui travaille comme reporter à l’hebdomadaire Révolution africaine,
publie un article (« Fallait-il le dire ? », novembre 1963) sur la corruption
dans une usine en Algérie, ce qui entraîne sa mise en cause jusqu’à
l’Assemblée nationale algérienne où il est question de « donneurs de leçon
étrangers ». De nombreux « pieds-rouges » se sentent moins tolérés, du
moins dans les instances officielles. Le coup d’État de juin 1965 portant
Houari Boumediene* au pouvoir en amène beaucoup à fuir l’Algérie, de peur
de subir la répression. Progressivement, les coopérants, qui se mêlent moins
de politique, prennent leur relève.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Juliette Minces, L’Algérie de la révolution (1963-1964), L’Harmattan,
1988 • Catherine Simon, Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de
l’indépendance au désenchantement (1962-1969), La Découverte, 2009.

PIGNON-ERNEST, ERNEST (NÉ EN 1942)


Ernest Pignon-Ernest (né à Nice) est un artiste reconnu tant pour son rôle
fondateur d’un art urbain que pour son activisme culturel au sein de
mobilisations internationales : soutien à la cause palestinienne, engagement
contre l’Apartheid, musée de la solidarité Salvador-Allende, etc. En 1962, il
est appelé sur le front algérien et réalise depuis Akbou (Kabylie) plusieurs
dessins au brou de noix sur des journaux, matériaux de fortune d’un temps de
guerre. Ces témoignages visuels de la violence de la guerre représentent
tantôt un corps de femme cadavérique, tantôt une tête de taureau, au pelage
militaire, emprunté au Guernica de Picasso (Akbou, 1962), jusqu’à un portrait
d’Henri Alleg*, dessiné sur un exemplaire d’Alger Républicain* de 1963.
C’est en 1971 que l’artiste reprend une référence à cette guerre pour le
centenaire de la Commune de Paris. Utilisant pour la première fois le procédé
de sérigraphies accolées dans l’espace public, il révèle un récit transversal de
la résistance populaire. Mille sérigraphies sont collées dans la ville et
cartographient un parcours historique des insurgés à Paris par la présence des
spectres de l’histoire. Des corps gisants sont exposés en des lieux habités :
des barricades de la Commune à celles de la libération de Paris en 1944, des
marches du Sacré-Cœur – où le sang des communards coule sous la
basilique – aux escaliers du métro Charonne* imprégnés du spectre des huit
manifestants communistes morts le 2 février 1962. Le parcours cible
également les quais de Seine imprégnés de la trace invisible des Algériens
tués par la police* lors de la manifestation du 17 octobre 1961*. Créant un
lien entre différents mouvements de résistance, l’artiste opère un inventaire
critique de l’histoire de France dont certains épisodes peu glorieux sont
relégués au ban du récit officiel. En 2003, depuis Alger, l’artiste crée une
œuvre pour Djazaïr, l’année de l’Algérie en France, dans laquelle il invoque
un fantôme de l’histoire anticoloniale : le militant Maurice Audin* assassiné
en juin 1957 par l’armée française. L’artiste placarde ainsi une trentaine de
sérigraphies : depuis sa résidence dans le quartier Champs de Manœuvre, à
l’université où il a enseigné, jusqu’à la prison* de Barberousse. Le portrait
grandeur nature du jeune homme s’affiche, interroge les contemporains et
proclame silencieusement la reconnaissance d’un supplicié, oublié des récits
nationaux maîtrisés.
Émilie GOUDAL
Bibl. : André Velter, Ernest Pignon-Ernest, Gallimard, 2014 • Face au mur.
Ernest Pignon-Ernest, Delpire, 2018 • Kristine Khouri et Rasha Salti (dir.),
Past Disquiet. Artists, International Solidarity and Museums in Exile,
Varsovie, Museum of Modern Art, 2018.

PLAN CHALLE
Le nom du plan Challe, de février 1959 à avril 1961, est forgé par la
presse* en 1959. Dès le début, son auteur a choisi de s’adapter constamment
à l’adversaire, plutôt que de tout planifier. Le 19 décembre 1958, le général
d’aviation Maurice Challe* remplace le général Raoul Salan* à la tête de la
10e RM. Pour vaincre l’ALN* et « casser » les katibas, ses recettes sont
simples : secret absolu, jeunes et talentueux officiers* de son état-major,
liaison parfaite entre les armées de terre, de l’air et de mer, commandement
coordonné au plus près des troupes engagées, surprise pour le déclenchement
de chacune des grandes opérations, et concentration du maximum de moyens
dont 940 avions et 175 hélicoptères. Le plan Challe prend en écharpe le
territoire algérien d’ouest en est dans les zones de forte implantation de
l’ALN, selon la pugnacité de l’adversaire pour y adapter progressivement les
troupes. Véritable rouleau compresseur, il bénéficie en amont du verrouillage
des frontières et de l’acquisition du renseignement grâce à l’écoute radio et
aux méthodes « fortes » des détachements opérationnels de protection*
(DOP) et des officiers de renseignement. L’encerclement puis la destruction
des bastions de l’ALN dépendent des régiments de réserve générale. Aidés
par les compagnies opérationnelles des troupes de secteur*, ils assomment les
katibas sous un déluge de feu. Fort de l’expérience des commandos de
quartier et de secteur, Challe forme alors les commandos* de chasse avec des
ralliés encadrés par des Européens. Ils traquent, détruisent ou dispersent les
petites unités de l’ALN qui ont survécu aux grandes opérations. Le
remplacement de Challe en avril 1960 par le général Jean Crépin* ne ralentit
pas les opérations qui se terminent un an plus tard.
En vingt-quatre mois, l’ALN intérieure perd les deux tiers de ses
effectifs. Le bilan est de 26 000 djounoud hors de combat,
10 800 prisonniers*, 20 800 armes saisies… L’effectif de l’ALN dans les
maquis n’est plus que de 8 000 combattants sur les 50 000 hommes estimés
en 1958, y compris moussebiline (auxiliaires) et mounadiline (chargés de la
logistique).
Le plan Challe s’accompagne de déplacements massifs de populations
« regroupées » dans des camps et de nouveaux villages et la construction de
routes pour pénétrer les massifs. L’aspect politique pour impliquer les
Algériens dans la guerre révolutionnaire* concerne le recrutement accru de
supplétifs* et la constitution de villages ralliés en autodéfense.
Pour de Gaulle*, sans le dire aux militaires, la réussite du plan Challe
donne la possibilité de négocier en position de force. Pour les Algériens, ce
plan se traduit par une guerre totale qui ne dit pas son nom. Déjà affaiblies
par la « bleuïte* », les élites algériennes sont décapitées, de sorte que nombre
de cadres de l’ALN et d’hommes expérimentés issus de la résistance
intérieure font cruellement défaut au jour de l’indépendance.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Guy Pervillé et Cécile Morin, Atlas de la guerre d’Algérie,
Autrement, 2011.
PLAN CHALLE. OPÉRATIONS « COURONNE »
Cette appellation concerne deux opérations de diversion quasi
simultanées du plan Challe, l’une très peu connue dans le sud d’Alger, l’autre
plus célèbre car mettant en scène le colonel Marcel Bigeard*, commandant
du secteur de Saïda.
Du nom de la grande périphérie d’Alger, l’opération secondaire
« Couronne » se déroule le 6 février 1959 et les jours qui suivent. Elle porte
la même appellation qu’une opération de la 27e division d’infanterie alpine
(DIA) déployée plus à l’Est en 1957. Afin de détruire le potentiel de la
Wilaya 5* est déclenchée dans les monts de Tlemcen et de Saïda la première
grande opération « Oranie » du plan Challe. Elle débute à la même date et se
poursuit jusqu’au 19 juin dans l’ensemble du corps d’armée d’Oran, dont
l’Ouarsenis (opération de complément « Courroie » à partir d’avril), et réunit
toutes les forces, y compris la demi-brigade de fusiliers marins (DBFM).
Pour dégager toute menace au sud d’Alger entre les Wilayas 4* et 5,
l’opération « Couronne » concerne les troupes de la zone Nord-Algérois
(ZNA) et une partie de la 10e division parachutiste* (DP) du général Jean
Gracieux. L’objectif est de rechercher et détruire les « bandes rebelles » dans
leur sanctuaire montagneux et boisé des Beni-Khalfoun, Z’Bar-Bouzegza et
Soufflet. Il s’agit aussi d’empêcher toute possibilité de repli dans cette zone
accidentée aux katibas de la Wilaya 5. Le bouclage est assuré par trois
groupements de troupes sur les lignes de fuite en ceinturant les oueds El-
Melah, à l’Ouest, affluent de l’Isser au Nord et de l’oued Chouachi à l’Est. La
tenaille une fois établie, le groupement Sud pénètre dans les montagnes, le fer
de lance étant confié au 5e bataillon de tirailleurs algériens (BTA) et au
3e régiment de parachutistes coloniaux (RPC). Ce dernier s’établit sur les plus
hauts sommets du massif par un mouvement tournant. Si des caches d’armes
sont détruites ainsi que des installations logistiques et médicales de l’ALN*,
l’opération se révèle décevante.
En revanche, destinée à « casser » l’ALN en arrière du barrage
occidental, l’autre opération « Couronne » de Saïda à Tiaret, du 6 février au
6 avril 1959, est plus efficace. Le 2e régiment étranger d’infanterie (REI), la
13e division d’infanterie (DI) du général Jean Crépin* et la 10e DP épaulées
par des DI démantèlent la Wilaya 5 : 1 800 djounoud sont hors de combat. Le
cœur du dispositif, aux ordres du colonel Bigeard, est un groupement
opérationnel d’intervention de 1 500 hommes venus du 14e BTA, du
23e régiment de spahis (RS) et du 8e régiment d’infanterie motorisée (RIM),
plus d’un groupe d’artillerie. De mai à août 1959, la poursuite est confiée
essentiellement aux commandos* de choc « Cobra » et « Georges », distincts
des commandos de chasse par leurs effectifs plus importants (120 et
150 hommes, tous les « rebelles » ralliés encadrés par des Européens) et aux
méthodes évoquant la terreur.
Jean-Charles JAUFFRET

PLAN CHALLE. OPÉRATIONS « COURROIE »


ET « CIGALE »

Entre septembre 1959 et septembre 1960, deux grandes opérations sont


déclenchées des abords de la vallée du Chélif, sur le littoral, et du bastion de
l’Ouarsenis, un des principaux centres de résistance des Wilayas 4* et 5*.
D’avril à juin 1959, la première opération, « Courroie », tire son nom de
la contraction des mots « couronne », le demi-cercle autour d’Alger, et
« Ouarsenis ». Challe* met les forces de réserve générale à la disposition du
général Fernand Gambiez*, commandant le Corps d’armée (CA) d’Oran, et
du général d’aviation Yves Ezzano, réunis dans un état-major opérationnel
combiné ayant son PC à La Sénia, près d’Oran. Par son ampleur, l’utilisation
systématique des détachements d’intervention héliportés (DIH), des blindés*
de la 5e division blindée (DB) et des paras de la 10e division parachutiste*
(DP), elle surprend les chefs de l’ALN*. Du 13 au 20 avril, cette dernière
perd 687 hommes dont 35 % de prisonniers*, 426 armes (et 123 hommes se
sont ralliés). Fin avril, dans l’Ouarsenis, au djebel Zerzour, une katiba entière
est anéantie (98 tués, 31 prisonniers). En mai, les 5e régiments étrangers
d’infanterie (REI) et le 131e régiment d’infanterie (RI) mènent des combats
victorieux contre un adversaire qui ne se disperse pas très rapidement.
Rappelant les « enfumades » de la conquête de l’Algérie, la guerre des grottes
fait rage dans les monts de Tlemcen. « Courroie » est coûteuse pour l’ALN :
2 420 djounoud hors de combat, dont 1 764 tués et 516 prisonniers, plus 131
ralliés, sans compter 7 ateliers, 8 dépôts d’intendance, 3 cantonnements et
5 PC détruits. Cela correspond à environ 50 % de son potentiel en Wilayas 4
et 5. Tandis que les commandos* de chasse marquent chaque ferka
survivante, la phase politique de l’opération se poursuit. Il s’agit de prendre
en main la population et de tenter de la détacher de l’organisation politico-
administrative (OPA) du FLN*, en grande partie démantelée. Deux
cents kilomètres de pistes et de routes sont ouverts, ainsi que des écoles et des
centres sportifs dans les sections administratives spécialisées* (SAS). Si
l’Ouarsenis et la zone littorale sont concernés par des déplacements de
populations, le général Gambiez prohibe l’usage de la torture* dans la quête
du renseignement, mais ne peut supprimer les détachements opérationnels de
protection* (DOP). Les villages ralliés sont mis en autodéfense et le
recrutement de harkis* encouragé. Toutefois, le retournement espéré de la
population ne se produit pas.
Le combat continue donc. C’est l’opération « Cigale », de juillet à
septembre 1960. Elle est complétée, de mai à octobre 1959, par une opération
spécifique dans l’Atlas saharien avec la 11e DI. Le commando « Georges »,
créé par le lieutenant Georges Grillot et ses 150 ralliés, écume le Sud-
Oranais. Fin juillet, la réserve générale est de nouveau mobilisée dans
l’Orléansvillois. Si 234 djounoud sont mis hors de combat, les résultats sont
peu probants. L’ALN évite le contact le plus souvent possible, tandis que la
variante du terrorisme urbain revient au premier plan. Il s’agit de continuer
d’exister et d’attendre la fin du « dernier quart d’heure » comme semblent
l’annoncer, malgré leur échec, les premières négociations* de Melun entre le
FLN et des représentants du gouvernement français.
Jean-Charles JAUFFRET

PLAN CHALLE. OPÉRATIONS


« ÉTINCELLES » ET « FLAMMÈCHES »
Fidèle à sa tactique fondée sur la surprise, après avoir « nettoyé »
l’Ouarsenis, Challe* monte l’opération de diversion « Étincelles » pour faire
croire au gros de l’adversaire qu’il va fondre sur lui en Kabylie, alors qu’il le
surprend dans un autre de ses sanctuaires, le massif du Hodna. Paysage formé
d’une succession de montagnes abruptes et pelées, cette « zone interdite* »
de 2 400 kilomètres carrés relie l’Atlas tellien aux Aurès-Nemencha et
constitue une zone de transit entre les wilayas de l’Est et de l’Ouest. Ce
refuge de l’ALN* menace aussi le nouveau pipe-line venu du Sahara, enjeu
économique majeur. De plus, Challe veut conforter un récent succès du
colonel Georges Buis*, commandant de secteur, dont les troupes sont
intégrées à l’opération mettant en ligne 25 000 hommes. Articulés en
6 groupements autonomes, 21 bataillons paras des 10e et 25e divisions
parachutistes (DP), 7 régiments de cavalerie, 8 groupes d’artillerie et
5 détachements d’intervention héliportés (DIH) participent à cette
concentration de moyens entre les 8 et 20 juillet 1959.
L’action débute par des héliportages destinés à saisir les points hauts du
relief. Faite de coups de main, de « napalmages », de « strafings » (ouverture
du feu aux armes de bord de l’aviation), d’embuscades* sur les axes de
passage des combattants de l’ALN, de nomadisation, de fouilles des caches,
de remise en état des pistes, de contrôles et de déplacements systématiques de
populations, « Étincelles », exécutée sous la canicule, est aussi une bataille de
l’eau au cours d’ascensions de dix heures pour 1 000 mètres de dénivelé.
La progression lente alterne avec les accrochages exécutés à courte
distance par l’ALN qui redoute l’appui-feu aérien. Le 15 juillet, la katiba
1/113 tend une embuscade à une section du 11e bataillon du train (BT) : 19
tués dont 1 officier*. Les survivants sont sauvés par l’intervention des
légionnaires. Au 20 juillet, le bilan est de 442 djounoud hors de combat,
200 kilogrammes d’explosifs saisis, ainsi que 150 détonateurs, 1 atelier de
fabrication de mines*, 25 tonnes de céréales, 900 paires de chaussures et
pataugas, 50 peaux de mouton… Toutes les katibas du Hodna ont éclaté et ne
constituent plus une menace, poursuivies par un groupement de
6 commandos* de chasse. Capables d’agir de façon séparée, recherchant en
permanence le renseignement, ces petites unités aux noms de code V13, L104
ou GH2 disposent de l’appui aérien et d’une batterie d’artillerie dès qu’elles
se concentrent pour anéantir une ferka de l’ALN. Si bien que la « phase de
consolidation » de l’opération « Étincelles » se prolonge jusqu’au
22 décembre 1959 : les commandos détruisent ce jour-là un groupe de
survivants des katibas du massif (25 tués, 17 blessés).
En mai 1960, lors de l’opération « Flammèche » centrée sur la guerre des
grottes à l’est du Hodna, 3 régiments paras de la 10e DP*, dont le 1er REP,
« assainissent » le massif du Belezma. Mais les résultats sont décevants,
l’ALN s’est esquivée. En outre, 30 000 personnes sont déplacées au premier
semestre 1960.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie, 1954-1962. Expériences
contrastées des hommes du contingent, Autrement, 2011.
PLAN CHALLE. OPÉRATION « JUMELLES »
« Jumelles » est l’opération la plus importante du plan Challe contre le
gros de l’adversaire en Wilaya 3* déjà affaibli par les purges de la
« bleuïte* » et la mort, le 28 mars 1959, de son chef, le colonel Amirouche*,
maître ès guérilla*. Le nom de l’opération vient du caractère inexpugnable de
ces montagnes boisées de 8 000 kilomètres carrés où une paire de jumelles
aurait beau passer et repasser sans découvrir l’adversaire qui se confond avec
le paysage rocheux ou forestier. Pour Challe*, il s’agit de le disloquer, de
l’étouffer, sachant que tout anéantissement est impossible en raison des
complicités de la population. Commandant pour la première fois directement
une grande opération du 22 juillet au 8 août, il installe son PC « Artois » à
1 136 mètres d’altitude au mont Chellata, dans la forêt de chênes zéens
d’Akfadou, près de la route stratégique RN 12 entre El Kseur et Azazga.
Sur le long terme, de juillet 1959 à mars 1960, « Jumelles » se traduit par
une poursuite permanente selon le mot d’ordre : « Ne laissez aux rebelles ni
les djebels, ni la nuit. » Les points d’eau sont surveillés, chaque village,
chaque grotte, chaque ravin sont fouillés. Au lieu de ne faire que passer
comme une opération habituelle de ratissage, les régiments s’installent pour
durer, ayant le soutien de 5 détachements d’intervention héliportés (DIH) et
de la quasi-totalité des moyens aériens. La 10e division parachutiste* (DP)
intervient en Grande Kabylie, la 25e DP en Petite Kabylie. Les légionnaires
de la 11e division d’infanterie (DI) « traitent » les abords du secteur
d’El Milia. En tout sont engagés 15 000 hommes de réserve générale* et
25 000 hommes des troupes de secteur*. Avant l’intervention des
commandos* de chasse, « Jumelles » se caractérise par le déclenchement
inopiné de petites opérations mêlant troupes de secteur et troupes
opérationnelles, avec une compagnie en alerte prête à être héliportée à la
demande. La Kabylie est prise dans un réseau de tentacules. Les villages
d’altitude sont d’abord saisis. Les troupes rayonnent ensuite, détruisant les
caches et condamnant les djounoud à la faim.
En bref, 60 % du potentiel de la Wilaya 3 sont détruits (4 400 djounoud
hors de combat). Mais aucun contact supérieur à la ferka n’a lieu. Même si
son Organisation politico-administrative (OPA) est démantelée, l’adversaire
s’est dispersé. De plus, la population, choquée par le déluge de feu et les
exactions commises, garde confiance en l’ALN*. En effet, les
« regroupements* » de population s’accompagnent de destruction de villages
et l’entassement dans des camps comme ceux de la basse Soummam
(17 000 personnes fin 1960). « Jumelles » laisse des souvenirs douloureux
dans la mémoire algérienne par l’ampleur des dévastations : emploi du
napalm sur le couvert forestier, horreurs de la guerre des grottes où les
survivants de l’ALN se terraient, perte du bétail, abandon des champs,
vergers bombardés, etc. On conçoit que dans cette partie de l’Algérie, la
partie politique du plan Challe pour une reprise en main des populations dans
le cadre de la « pacification* » soit des plus décevantes.
Jean-Charles JAUFFRET

PLAN CHALLE. OPÉRATION « PIERRES


PRÉCIEUSES »

L’appellation « Pierres précieuses » concerne quatre opérations entre


septembre 1959 et septembre 1960. Il s’agit de « Rubis », complémentaire de
« Jumelles » en Wilaya 3*, d’« Émeraude », « Topaze » et « Turquoise » en
Wilaya 2*. Outre la destruction de l’ALN*, ordre est donné d’inverser le
processus politique en développant une « autodéfense active » de populations
que l’on espère rallier dans de « nouveaux villages » après les avoir
massivement déplacées. Le seul département de Sétif compte, fin 1960,
75 000 personnes dans cette situation. Le centre de regroupement* le plus
important est celui d’El Milia où se trouve le PC de « Pierres précieuses ».
Dans la presqu’île de Collo, en 1960, 83 000 personnes déplacées s’entassent
dans des camps et 53 680 sont regroupées dans le secteur de Guelma. Pour
les villages non détruits ou ceux construits au nom de la politique des « Mille
villages », la politique dite de « resserrement » entraîne leur mise en
autodéfense.
À compter du 6 septembre 1959, l’opération « Rubis » est centrée sur la
Kabylie des Babors. Elle est confiée à trois régiments de la 25e division
parachutiste (DP), en coopération avec le commandant du secteur de
Kherrata, le 43e régiment d’infanterie (RI) et le 11e bataillon de tirailleurs
algériens (BTA). Les unités poursuivent les 500 hommes de deux grosses
katibas, les 2/112 et 2/113. Fin octobre, le général Paul Ducournau*, chef de
la 25e DP, estime que si les katibas ont éclaté en petites unités, une partie a
gagné la Wilaya 2 par le nord-est. « Rubis » est donc prolongée jusqu’en
avril 1960 avec un seul régiment para par mois, dont le 6e régiment
parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa), en liaison étroite avec les
troupes de secteur*, leurs harkas et les groupes d’autodéfense des villages
ralliés. Les combats sont particulièrement rudes. En sept mois, le bilan est de
24 tués et 67 blessés côté français, et de 513 djounoud tués, 326 prisonniers*,
260 armes et 200 tonnes de vivres saisies. Jusqu’en septembre 1960, le
11e BTA, le 43e RI et un escadron du 20e Dragons achèvent la poursuite des
derniers éléments de l’ALN.
Dans le Nord-Constantinois, les opérations en Wilaya 2 sont conduites
selon le même schéma directeur pour « Émeraude » (presqu’île de Collo),
« Turquoise » (région de Djidjelli-Mila) et « Topaze » (massif de l’Edough),
entre novembre 1959 et septembre 1960. Il s’agit de reconquérir des
sanctuaires laissés à l’ALN (dont les secteurs de Collo et de Philippeville) et
de couper la ligne logistique venue de Tunisie*, tout en tenant les points
d’eau. Avec l’action ponctuelle d’unités paras de la 25e DP, du 8e RPIMA et
du 1er régiment de hussards parachutistes (RHP) et celle de 3 commandos* de
l’air, une autre grande unité de la réserve générale est engagée, la 11e division
d’infanterie (DI). Elle comprend un fort contingent de Légion, (13e demi-
brigade de la Légion étrangère*, 3e et 5e régiments étrangers d’infanterie)
avec l’appui du 29e BTA et du 18e Dragons. Les pertes de l’ALN en Wilaya 2
sont lourdes : 70 % des effectifs armés, 40 % des cadres et 60 % des
armements.
Jean-Charles JAUFFRET

PLAN CHALLE. OPÉRATION « PROMÉTHÉE »


En février 1960, le général Gambiez*, commandant le Corps d’armée
(CA) d’Oran, ordonne et obtient la destruction de deux « katibas fantômes »,
572 et 573, jusque-là négligées dans le secteur de Frenda. C’est accompli fin
février 1960. Mais il reste les katibas 531 et 533 et des commandos* de
l’ALN*. C’est l’origine de l’opération « Prométhée » dont l’originalité repose
sur les commandos. Leur mission est d’« assainir » les monts des Ksour. Ils
interviennent d’avril à novembre 1960 dans une partie de l’Atlas saharien très
accidentée où une faible population se concentre dans des villages fortifiés
autour de sources et de vergers. Le 6 avril, appuyé par un détachement
d’intervention héliporté (DIH) de l’armée de l’air* et deux escadrilles
d’hélicoptères de la marine, renforcé par le commando de choc de l’armée de
terre* « Cobra », le Grouco (Groupement de commandos Marine) surprend et
disperse la katiba 531 qui est de nouveau sous le feu et très affaiblie, le
4 juillet suivant.
Le Grouco a été créé le 6 juin 1959 par le général Challe* pour dégager
des unités mobiles dans les zones où subsistent encore des katibas. Il est
installé à Aflou, au pied du djebel Amour. Dans les mois qui suivent, le
couple commando-hélicoptères montre son efficacité dans la destruction, en
juin 1960, de la katiba 533 et de deux commandos de l’ALN surpris par les
héliportages et l’appui-feu des hélicoptères-canons. De juillet à octobre, dans
le secteur d’Aïn Sefra notamment, les commandos de marine détruisent
plusieurs unités de l’ALN en tenant les points d’eau. Ils sont soutenus par le
2e REI, un commando de l’air, le commando de choc « Georges » et le
14e bataillon de tirailleurs algériens (BTA). Le 26 octobre, une katiba
infiltrée venue du Maroc* évite le pire, malgré un sévère accrochage.
« Prométhée » est aussi caractérisée par la guerre des grottes. Ainsi, le
26 octobre 1960, dans le djebel Bou Lherfad, le commando no 6 de l’ALN
oppose une vive résistance dans un dédale de dalles de pierre et de grottes et
parvient à s’échapper.
En bref, comparée aux autres opérations du plan Challe, « Prométhée »,
déclinée en « Prométhée 2 », « 3 », « 4 », n’a pas d’ambition politique dans
une zone où 51 à 100 % de la population a déjà été déplacée. C’est une
succession d’interventions ponctuelles dans le cadre de la contre-guérilla.
Avec une variante, la formule des commandos de chasse est aussi employée
pour compléter l’action du Grouco et des commandos de choc. Aux effectifs
réduits, tout au plus une centaine d’hommes, deux commandos de chasse,
« Griffon » et « Gatty » composés de ralliés, naissent à la faveur de
« Prométhée ». Ainsi, au sein du 23e Spahis, le commando « Griffon » dit de
renseignement se disperse sur le terrain afin de repérer les passages des unités
de l’ALN et de remonter les filières en évitant les accrochages.
Jean-Charles JAUFFRET

PLAN CHALLE. OPÉRATION « TRIDENT »


La directive no 3 du 18 décembre 1959 du général Challe*, reprise par
son successeur, le général Jean Crépin*, à compter de la fin avril 1960,
prévoit de « traiter » l’Aurès et d’asphyxier lentement « la rébellion ». Les
chefs de la Wilaya 1* y évitent le plus possible la confrontation pour durer en
dispersant leurs forces dans le relief tourmenté de l’Aurès, tandis que le
commandement de l’ALN* concentre son potentiel aux frontières. Du reste,
la fin politique en est plus ou moins prévisible depuis le discours sur
l’autodétermination* du général de Gaulle* et les conversations de Melun.
Pourtant, ordre est donné d’achever le plan Challe en intervenant au cœur de
la Wilaya 1, point de départ de la « rébellion » en novembre 1954. Il faut
aussi protéger le pipe-line Hassi Messaoud-Bougie. En outre, au sud de
Timgad, l’ALN a créé un véritable sanctuaire sécurisé, malgré la présence,
début 1960, de treize commandos* de chasse.
La reprise en main commence en préparation de l’opération « Trident »
d’octobre 1960 à avril 1961. En mobilisant les grandes unités de réserve
générale, le général Crépin innove en renforçant le barrage oriental pour
rendre impossible tout secours venu de Tunisie* pour les maquis des Aurès-
Nemencha. En mars, les blindés* de la 7e division mécanique rapide (DMR)
sont à Tébessa, suivis en avril par la « nomadisation » en arrière du barrage
de la 11e division d’infanterie (DI) et des deux divisions paras, les 10e et
25e divisions parachutistes (DP). Cette dernière reste sur place en juillet. Le
4 octobre, la 10e DP* est de retour et l’ALN doit parfois accepter le combat
sans disposer de lignes de fuite et déplore plus de 1 000 tués. Le
12 novembre, le 1er régiment étranger de parachutistes (REP) accroche la
katiba 111 : 90 djounoud et 10 légionnaires sont tués. Après une trêve
hivernale en janvier, lors du référendum*, les combats reprennent de février à
avril 1961, date à laquelle des unités paras participent au putsch* des
généraux. Lorsque le général de Gaulle annonce une trêve unilatérale le
20 mai suivant, il n’y a pratiquement plus d’activité militaire dans l’Aurès-
Nemencha, sauf sur les frontières et hors des villes pour le contrôle des
populations. « Trident » est donc marquée par des coups de boutoir sans que
l’Organisation politico-administrative (OPA) du FLN* ait été annihilée.
La lassitude d’une fin de conflit est grosse de l’échec de l’action politique
à long terme et des ralliements de population tant espérés. Le général Crépin
n’a pas le temps d’implanter des forces d’autodéfense en nombre suffisant
dans les villages et de développer un recrutement accru de supplétifs*
musulmans. Cet échec est inscrit dans les déplacements de population. En
1960, pas moins de 69 000 personnes, regroupées dans 17 camps
essentiellement autour de Batna et de Khenchela, sont concernées par ces
déplacements. À la même date, au pied du mont Chélia, le plus haut sommet
de l’Aurès, 60 personnes, dont des femmes, sont précipitées dans le vide,
après avoir été torturées. Peut-on envisager, dans ces conditions, une
« pacification* » ?
Jean-Charles JAUFFRET

POLICE (ALGÉRIE)
Avec la loi du 18 octobre 1999*, la reconnaissance lexicale de l’état de
guerre entérina que la lutte contre le « terrorisme nord-africain » ne fut pas
qu’une affaire de polices, même si leurs effectifs, gendarmerie* incluse,
furent multipliés par trois entre 1954 et 1962.
En 1945, les forces de l’ordre étaient trop peu nombreuses pour faire face
à une insurrection en Algérie. Des compagnies de gendarmes mobiles avaient
certes été implantées dans les années 1930. Mais, après le 8 mai 1945,
l’armée et des milices de colons* furent mobilisées dans de véritables
opérations de guerre. Pour les « Européens d’Algérie », les conceptions du
maintien de l’ordre alors en vigueur en métropole ne faisaient pas sens : ils ne
cherchaient pas à concilier ordre public et expression des droits politiques des
« Français musulmans ». Les messalistes, organisateurs de nombreux
meetings publics et manifestations* de rue en métropole, furent beaucoup
moins actifs en la matière en Algérie. Défier les interdictions les exposait en
effet à une répression sans retenue. En situation coloniale, les usages de la
force n’étaient ni contenus, ni « proportionnés ». Plusieurs militants du
MTLD le payèrent de leur vie lors de la tournée de meetings de Messali
Hadj* en 1952, avant son expulsion puis son internement en métropole.
Malgré un usage immodéré de la force et avéré de la torture*, dès avant 1954,
les forces de police locales n’avaient pas les faveurs des colons. Eux
comptaient avant tout sur l’armée et leur propre armement.
Afin d’anticiper toute insurrection, le poids des services de
renseignement était disproportionné par rapport à la métropole. Pourtant, pas
plus le Service des liaisons nord-africaines* (SLNA) que les Renseignements
généraux ou la DST ne virent venir le 1er novembre 1954*. Grâce à leurs
informateurs, ils alertèrent certes sur la « constitution d’un groupe autonome
d’action directe par les extrémistes séparatistes » mais ils découvrirent le
sigle FLN* après la « Toussaint rouge ». Cette nuit-là, des commissariats et
gendarmeries furent attaqués, un agent de police et un garde forestier tués.
Afin de montrer qu’elles ne restaient pas inactives, les forces de l’ordre se
rabattirent sur les suspects habituels et interpellèrent des centaines de
militants messalistes.
Si les enquêtes sur les attentats et les assassinats étaient officiellement
confiées à des officiers de police judiciaire, très vite ils se contentèrent de
« régulariser » a posteriori les pratiques des militaires. Cette légalité de
façade prit de nouvelles formes à partir de juin 1956. Dans le Constantinois
d’abord, puis dans le département d’Alger (janvier 1957), l’armée se vit
confier les pouvoirs de police et la confusion entre militaires menant des
opérations de police et policiers intégrés à des unités militaires, y compris
dans les détachements opérationnels de protection* (DOP), fut portée à son
comble dans les années suivantes. La « bataille d’Alger* » fut une
gigantesque opération de police (perquisitions, arrestations,
interrogatoires, etc.) menée par des commandos* de parachutistes* convertis
à la recherche de renseignement et à l’utilisation de la « gégène* ». Des
fonctionnaires de police et des supplétifs* (les « bleus de chauffe » du
commandant Montaner par exemple) furent engagés dans la « grande
répression d’Alger » mais les militaires menaient le bal. En 1957, Paul
Teitgen*, secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé des questions de
police mais dépourvu de véritables pouvoirs, préféra démissionner plutôt que
de couvrir les milliers de disparitions* qu’il avait recensées.
Certaines forces de police furent cependant motrices dans la dernière
phase de la guerre. Avec les engagements factieux de l’armée en janvier 1960
et avril 1961, la lutte contre les activistes de l’Algérie française pouvait
difficilement être menée par les militaires. Les policiers locaux apparaissaient
également peu sûrs. Aussi la mission fut-elle confiée à des policiers de
métropole, à des « barbouzes* » et aux gendarmes, notamment mobiles. Ces
derniers payèrent cher leur loyauté : le 24 janvier 1960, à Alger, des
manifestants hostiles à de Gaulle* et à l’autodétermination ouvrirent le feu
sur un escadron qui compta 14 morts et une soixantaine de blessés. L’OAS*
fit ensuite savoir que les gendarmes étaient des « ennemis à abattre ». Elle
n’épargna pas non plus les policiers. Outre le commissaire central d’Alger,
Roger Gavoury*, le 31 mars 1961, elle tua quatre officiers de police en 1961,
soit autant que le FLN depuis le début de la guerre. Entre les accords
d’Évian* en mars 1962 et l’indépendance en juillet, FLN et forces de l’ordre
françaises luttèrent parfois de concert contre l’OAS, notamment à Alger.
Cette coopération et l’intégration d’une partie des policiers et gendarmes
« musulmans » des unités coloniales jetèrent les bases des nouvelles forces de
l’ordre de l’Algérie indépendante.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Roger Le Doussal, Commissaire en Algérie, 1952-1962, Riveneuve,
2011 • Vincent Milliot, Emmanuel Blanchard, Vincent Denis et Arnaud-
Dominique Houte (dir.), Histoire des polices en France. Des guerres de
Religion à nos jours, Belin, 2020 • Jean-Pierre Peyroulou, « La police
française et les Algériens en Algérie française de 1945 à 1962 »,
in Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.), La Guerre d’Algérie. 1954-
2004, la fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004.
POLICE (FRANCE)
Pour la police, la guerre d’Algérie a été un moment important de
« militarisation » ou, du moins, de l’accentuation d’un « style » beaucoup
plus rugueux et offensif que dans d’autres démocraties d’Europe de l’Ouest.
À partir de 1925, des « brigades nord-africaines » (BNA) furent créées,
en particulier dans le département de la Seine, afin de contrôler et d’encadrer
une population ne relevant pas de la police des étrangers puisque française. À
la Libération, ces services avaient été dissous. Pas plus que « les
Auvergnats » – la comparaison fut utilisée –, les Algériens ne devaient être
placés sous la coupe de services d’exception. Pour des raisons linguistiques,
mais aussi d’expérience coloniale, certains inspecteurs demeurèrent
cependant spécialisés dans la « criminalité nord-africaine ». En 1953, à Paris,
sous le faux nez de la lutte contre les « agressions nocturnes » fut créée une
Brigade des agressions et violences (BAV), chargée d’interpeller et de rafler
des Algériens pour des vérifications d’identité approfondies. En 1955, cette
obsession du fichage s’étendit à toutes les régions d’immigration où les
« brigades nord-africaines », qu’elles soient judiciaires ou de « voie
publique », se multiplièrent, le plus souvent hors des organigrammes
officiels. Au ministère de l’Intérieur, un Service de coordination des
informations nord-africaines (SCINA), centralisait le renseignement et la
lutte contre les mouvements indépendantistes. La préfecture de police, la
direction nationale des Renseignements généraux et la direction de la Sûreté
du territoire (DST) étaient cependant réticentes à son égard. En 1958, la
première, sous l’impulsion de Maurice Papon*, se dota d’un Service de
coordination des affaires algériennes (SCAA) auquel fut rattachée, lors de sa
création, la Force de police auxiliaire. La DST demeura en pointe dans la
surveillance et le démantèlement des échelons élevés de l’Organisation
politico-administrative de la Fédération de France* du FLN*, dont la
direction s’était réfugiée en Allemagne.
Localement, la priorité des forces de police était de désorganiser la
collecte de fonds, les services de renseignement se chargeant de la
structuration idéologique et organisationnelle du FLN. Leurs actions
privilégiées passaient par des descentes et des rafles* dans les garnis, les
foyers et les quartiers d’habitat immigré. En particulier dans les périodes
d’attentats visant les forces de l’ordre, ces contrôles se doublaient
d’humiliations (papiers d’identité déchirés, injures, etc.) et d’exactions
(coups, vols de numéraires et de bijoux – montres –, etc.), voire de conduites
au poste et d’internements administratifs. Le centre d’identification de
Vincennes* (CIV) ou, par exemple, les casernes Vauban à Lyon*, ou
Noailles à Versailles, sont ainsi de sinistre mémoire pour les centaines de
milliers d’Algériens qui y furent « gardés au secret » sans que leurs
employeurs ou leurs familles ne soient prévenus de ces arrestations bien
souvent « régularisées » a posteriori. Avant même le 17 octobre 1961*, y
compris hors périodes de couvre-feu, les Algériens circulaient la peur au
ventre, en anticipant les conséquences de l’extension des pouvoirs policiers.
Cette dernière tenait notamment à l’état d’urgence* (loi du 3 avril 1955), aux
« pouvoirs spéciaux* » (loi du 16 mars 1956) ou à l’ordonnance du 7 octobre
1958 permettant l’internement administratif des « personnes dangereuses
pour la sécurité publique ».
La plupart des unités (BAV, FPA, etc.) et services spécialisés (SCINA,
SCAA, etc.) ont été dissous dans les mois suivant les accords d’Évian*.
Certains de leurs personnels ont cependant continué de travailler sur la
« clientèle » nord-africaine ou se consacrèrent au contrôle de l’immigration.
Surtout, des habitudes prises au cours de ces années se sont perpétuées
jusqu’à nos jours, en particulier les contrôles d’identité. L’ampleur de ces
derniers, qui étonnent les homologues allemands ou britanniques des
policiers français, est ancrée dans la période de la guerre d’Algérie – la carte
nationale d’identité fut instituée par un décret d’octobre 1955. Pour les agents
en tenue, ces contrôles apparaissent encore comme un moyen irremplaçable,
sans lequel il n’est pas possible d’effectuer un « vrai travail de police »
affranchi de toute considération sociétale. Les efforts récurrents de certains
syndicats, des années 1960 aux années 1980, pour revenir à une définition
élargie et moins agressive du métier du gardien de la paix ont été vains : le
tournant répressif et offensif pris par les forces de l’ordre au cours de la
guerre d’Algérie avait rendu caduques d’autres conceptions du métier (« la
police au service de la population ») encore exprimées avec force au début
des années 1950.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Jean-Marc Berlière, « Policiers et pouvoirs en période de crise : la
guerre d’Algérie (1958-1962) », in Jean-Marc Berlière, Catherine Denys,
Dominique Kalifa et Vincent Milliot (dir.), Être policier : les métiers de
police(s) en Europe, XVIIIe-XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2008 • Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens,
1944-1962, Nouveau Monde, 2011 • Sylvie Thénault, « Des couvre-feux à
Paris en 1958 et 1961 : une mesure importée d’Algérie pour mieux lutter
contre le FLN ? », Politix, no 84, 2008.

POLITIQUES PUBLIQUES
DE LA MÉMOIRE EN FRANCE
À l’échelon national, outre les commémorations*, les politiques
publiques de la mémoire ont pour objet les monuments* et mémoriaux
rappelant le passé de la guerre ainsi que les dispositifs juridiques élaborés en
faveur de ses protagonistes. Contrairement à une vulgate qui s’est imposée,
ces politiques n’ont pas manqué depuis 1962.
Les dispositifs juridiques en faveur des acteurs de la guerre ont mêlé
mesures financières et symboliques. Parfois précoces, ils ont essentiellement
résulté de la mobilisation d’associations défendant les intérêts de leurs
membres. Pour les Français d’Algérie, ils remontent à 1961 avec une loi se
préoccupant de leurs conditions d’hébergement et de prise en charge
financière, sur la foi de l’expérience antérieure de rapatriés des ex-colonies
françaises. Après 1962, la logique de ces dispositifs évolue : le principe
d’indemnisation apparaît en 1970. Ainsi commence la reconnaissance des
mérites des Français en Algérie, jusqu’à la loi du 23 février 2005*. Les
politiques publiques vis-à-vis des harkis* lient de la même façon mesures
socio-économiques et reconnaissance politique, mais elles sont beaucoup plus
tardives. Théoriquement, les harkis pouvaient bénéficier des textes
concernant les rapatriés* mais concrètement les mesures prévues n’étaient
pas adaptées à leurs besoins. Les harkis ont manqué d’organisations
collectives efficaces, jusqu’aux années 1975-1980. Après son élection à la
présidence de la République, François Mitterrand* les inclut dans une
politique globalement favorable aux rapatriés. Il cherche également un
éventuel vote maghrébin. En 1994, une loi instaure un véritable « plan
harki », pour combattre leur exclusion économique et sociale. Elle
proclame la « reconnaissance » de la « République française » envers les
« anciens membres des formations supplétives ». Troisième groupe, les
anciens combattants* obtiennent en 1967 un « titre de reconnaissance de la
nation », à défaut de la carte d’anciens combattants. En 1974, cette carte leur
est accordée sans que la guerre soit explicitement reconnue. La loi parle de
leur participation « aux opérations effectuées en Afrique du Nord ». Non
seulement la « guerre d’Algérie » n’est pas nommée mais la confusion est
entretenue avec les contextes marocain et tunisien. Cette incohérence
explique certainement le caractère consensuel de la loi de 1999 qui a mis fin à
cette situation. Dans les textes régissant le statut des anciens combattants, elle
remplace « aux opérations effectuées en Afrique du Nord » par « à la guerre
d’Algérie ou aux combats en Tunisie* et au Maroc* ».
Concernant les monuments et mémoriaux, cette guerre a été traitée dans
la continuité des autres, par le biais de la mémoire combattante. En 1977, un
soldat inconnu « d’Afrique du Nord » a été inhumé à la nécropole militaire de
Notre-Dame-de-Lorette, consacrée alors à la Première et la Seconde Guerre
mondiale. Giscard d’Estaing*, président, déclare alors selon Le Monde* : « Il
est juste que le soldat inconnu d’Afrique du Nord repose ici aux côtés de ses
frères d’armes des deux guerres mondiales, dans ce cimetière dépositaire de
tant de gloire. C’est un même hommage qui leur sera désormais rendu par la
nation. » Parmi les hauts lieux de la mémoire nationale, que gère le ministère
de la Défense, le mémorial* de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc
et de la Tunisie, au quai Branly, honore les « morts pour la France » du
conflit, depuis 2002. D’abord limité aux combattants et supplétifs* de
l’armée française, le monument a été étendu à d’autres victimes de la guerre,
au gré des revendications et des choix gouvernementaux. En revanche, le
mémorial de la prison de Montluc*, également haut lieu de la mémoire
nationale, est centré sur la Seconde Guerre mondiale alors même que des
nationalistes algériens, des militants français les soutenant, des soldats
désobéissants… y ont été détenus. Officiellement, en effet, il est
contradictoire, dans une logique de mémoire nationale portée par l’armée,
d’honorer la mémoire des partisans de l’indépendance ou de soldats
réfractaires*.
Le passé algérien dans toute sa complexité est plus aisément restitué hors
d’une tutelle nationale, militaire qui plus est. Ainsi le Mémorial de
Rivesaltes, créé sous l’égide du conseil général des Pyrénées orientales,
présente toute l’histoire du lieu, quand des nationalistes algériens ont été
détenus dans le camp, avant que des harkis et leurs familles ne soient
contraints d’y vivre. Une fois le camp de transit fermé, certains sont restés à
Rivesaltes dans un « village provisoire » puis un « hameau de forestage ».
Comme pour les commémorations, les politiques locales de monuments et
mémoriaux expriment la pluralité des mémoires de la guerre, loin d’une ligne
centrale guidée par la défense de la nation et la mémoire combattante. Cette
guerre a mis la nation et la société françaises à l’épreuve. Une juste politique
de la mémoire doit en rendre compte.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Marc André, Une prison pour mémoire. Montluc, de 1944 à nos jours,
Lyon, ENS éditions, 2022 • Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie, une
histoire apaisée ?, Seuil, 2005 • Sylvie Thénault, « La guerre d’indépendance
algérienne. Mémoires françaises », Historiens et géographes, no 425, 2014.

POLOGNE
La Pologne suit la ligne politique des autres pays socialistes d’Europe de
l’Est envers la guerre d’Algérie. Mais contrairement à ceux-ci, elle se montre
moins militante dans la propagande* et surtout l’assistance au FLN*. Un
document de mars 1962 du ministère français des Affaires étrangères constate
que « la Pologne dont le gouvernement, soucieux de ménager nos
susceptibilités, adopte une attitude relativement modérée dans l’affaire
algérienne ». Les blessés algériens sont accueillis dans les hôpitaux et
quelques jeunes peuvent y étudier. Le FLN utilise des bateaux polonais pour
transporter des matériaux (dont des armes) pour les combattants algériens.
Souvent ces bateaux sont arraisonnés par la marine française sans jamais
qu’elle trouve à leur bord des armes. Pour la Pologne le problème le plus
préoccupant au cours de toute la guerre, et même après, est la frontière Oder-
Neisse définie par les Alliés lors de la conférence de Potsdam en juillet-août.
Celle-ci n’est reconnue de jure et de facto que par Moscou et les États du
bloc communiste. Varsovie prend l’occasion de la constitution du GPRA*
pour faire pression sur la France afin qu’elle reconnaisse sa frontière
occidentale. Le projet, plus aventureux que sérieux, préparé par le ministère
polonais des Affaires étrangères, envisage de proposer au général de Gaulle*
de reconnaître la frontière Oder-Neisse en échange de la non-reconnaissance
du GPRA par la Pologne. À propos des frontières de l’Allemagne, de Gaulle
a déjà une position solide qu’il exprime au chancelier Adenauer lors de leur
première rencontre à Colombey, le 14 septembre 1958 : « la ligne Oder-
Neisse qui la sépare de la Pologne est sa limite définitive ». Ces propos ne
sont pas publiés, Adenauer ne les divulgue pas non plus à sa conférence de
presse, respectant le caractère confidentiel de la rencontre, et de Gaulle n’en
parle pas non plus lors de son entretien avec l’ambassadeur polonais. La
réaction du Général au projet polonais, pour lequel il ne gaspille même pas
un mot lors de l’entretien, est simple et ferme : si la Pologne reconnaissait le
GPRA, la France romprait immédiatement les relations diplomatiques avec
elle. Les événements de la guerre d’Algérie sont largement présentés par la
presse polonaise, et lors du vote sur la question algérienne à l’ONU*, la
Pologne vote toujours en faveur du FLN. La reconnaissance du GPRA par la
Pologne n’a lieu que le 3 mai 1962 ; elle est le dernier des pays socialistes à
le faire.
László NAGY
Bibl. : Ministère des Affaires étrangères, Documents diplomatiques français,
1958, 2 vol., Imprimerie nationale, 1992 • Maria Pastor, « La question
algérienne, “argument inefficace” dans la question de la frontière de l’Oder-
Neisse », in Hervé Bismuth et Fritz Taubert (dir.), La Guerre d’Algérie et le
monde communiste, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2014 • Maurice
Vaïsse, La Grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969,
Fayard, 1998.

PORTEURS DE VALISES
ET SOUTIENS AUX ALGÉRIENS
L’expression « porteur de valises » est pratiquement née d’un
malentendu. En effet, lors du procès du « réseau Jeanson* », jugeant
6 Algériens et 18 Français membres du réseau de soutien au FLN* créé par le
philosophe Francis Jeanson, secrétaire de la revue* Les Temps modernes, une
lettre de Jean-Paul Sartre* du 16 septembre 1960 est adressée au tribunal
pénal des forces armées de Paris. Celle-ci stipule : « Si Jeanson m’avait
demandé de porter des valises ou d’héberger des militants algériens, et que
j’aie pu le faire sans risque pour eux, je l’aurais fait sans hésitation… » Jean-
Paul Sartre n’est pourtant pas l’auteur de cette lettre. Il était parti avec
Simone de Beauvoir* pour une tournée de conférences au Brésil, sans laisser
de texte de soutien aux inculpés. Claude Lanzmann a finalement obtenu
l’autorisation de rédiger une lettre qui serait attribuée au philosophe. Celle-ci
est écrite par Marcel Péju, secrétaire des Temps modernes, et « authentifiée »
par une signature réalisée par le caricaturiste Siné. La charge de la déclaration
aurait même inquiété Sartre et Beauvoir, et pourrait être la raison du
licenciement ultérieur de Marcel Péju.
Il n’empêche que la déclaration fait florès. D’après Hervé Hamon et
Patrick Rotman, l’expression « porteur de valises » est employée dès cette
période et de manière infamante. Néanmoins, nous n’avons pas trouvé trace
de cette expression à l’automne 1960. Plusieurs locutions s’en rapprochent,
en particulier dans un article de Paris-Presse – L’Intransigeant d’André
Halphen, publié le 1er décembre 1960, qui évoque les « porteuses de fonds »
du FLN à Lyon* et dans la région frontalière. Ainsi, la première locution
s’écrit au féminin, ce qui ne paraît pas sans fondement puisque les femmes*
ont été très impliquées dans les réseaux de soutien aux Algériens. Une
première occurrence de l’expression « porteur de valises » apparaît dans un
article d’Historia le 18 décembre 1972, mais le livre d’Hervé Hamon et de
Patrick Rotman la popularise définitivement. Elle désigne les personnes qui
ont soutenu et aidé les Algériens et plus particulièrement le FLN pendant la
Guerre d’indépendance. D’anciens membres des réseaux l’estimaient
cependant péjorative. Ainsi, Jacques Charby, proche de Francis Jeanson,
publie en 2004 un recueil de témoignages* des acteurs des réseaux de soutien
qu’il intitule Les Porteurs d’espoir, montrant par là même sa distance critique
vis-à-vis de l’expression « porteurs de valises ». Qui sont-ils ? Quelles ont été
leurs actions ?
Il est impossible de donner une date d’inauguration des réseaux de
« porteurs de valises ». L’aide était souvent, à l’origine, interpersonnelle, la
rendant encore plus difficile à connaître. Par exemple, à Paris, le jeune Jean-
Jacques Rousset aide parmi les premiers, début 1955, les militants du FLN en
France, avant d’être arrêté en septembre 1956 et condamné à trois ans de
prison*. L’aide aux Algériens était même antérieure à la guerre : des
libertaires et des trotskistes* soutenaient l’action de Messali Hadj*. Ils ont
poursuivi cette aide pendant le conflit. Certains ont continué à soutenir les
messalistes, tandis que d’autres ont basculé en faveur du FLN. Tel est le cas
du Parti communiste internationaliste (PCI) de la tendance Pierre Franck, qui
aide le FLN dès le début de l’année 1955, pour l’édition de documents et du
journal du FLN Résistance algérienne, et même l’impression de faux papiers.
En avril 1956, quatre militants sont arrêtés ; ils ne seront cependant pas
condamnés par manque de preuve.
Il n’est pas non plus aisé de retrouver les traces de l’aide des « porteurs
de valises » car celle-ci était clandestine. Le réseau dont l’activité est la
mieux connue est celui mis en place par Francis Jeanson. Le philosophe
rappelait qu’il avait commencé à aider les Algériens en servant de taxi pour
les militants recherchés. Progressivement, il a élargi le spectre de ses activités
et fait participer ses amis à celles-ci. En octobre 1957, des prêtres de la
Mission de France* qui aident le FLN rejoignent le réseau, notamment
Robert Davezies* et Jean Urvoas. La première filière de passage de
frontières, vers l’Espagne, se met alors en place. Puis, à la demande d’Omar
Boudaoud* de la Fédération de France* du FLN, une autre est créée vers la
Suisse*. Elle devient ensuite prépondérante. Elle permet de faire passer des
hommes mais aussi l’argent des cotisations ramassé par les militants du FLN
puis centralisé et emmené en Suisse par les « porteurs de valises ».
Cette filière s’appuie aussi sur des réseaux locaux, en particulier lyonnais
dans lequel officient des militants libertaires, trotskistes et chrétiens.
L’homme de théâtre* Jean-Marie Boëglin en devient le chef de file, dont le
réseau est démantelé en novembre 1960. Il existe aussi un réseau marseillais,
mis en place par Lucien Jubelin, militant de la Nouvelle Gauche. À Paris, le
« groupe Nizan », constitué essentiellement d’étudiants*, se situe à mi-
chemin entre le soutien au FLN et l’aide aux déserteurs et insoumis. À Lille*,
il existe aussi un réseau constitué d’étudiants cinéphiles de la petite revue
Objectif du Nord et de prêtres. Ce réseau trouve un prolongement en
Belgique, notamment autour de Jean Van Lierde et du groupe de la revue
Esprit. C’est notamment en Belgique* qu’Adolfo Kaminsky, photographe
devenu spécialiste des faux papiers, continue à officier après avoir été mis en
difficulté à Paris. Il existe donc de multiples réseaux locaux trouvant aussi
des soutiens à l’étranger. Francis Jeanson affirmait d’ailleurs qu’il n’avait
jamais éprouvé de difficulté à recruter.
Les 19, 20 et 21 février 1960, une vague d’arrestations menée par la
direction de la Sûreté du territoire (DST) démantèle une grande partie du
« réseau Jeanson » dont les membres, jugés en septembre 1960, sont
condamnés jusqu’à dix ans de prison, 70 000 francs d’amende et cinq ans de
privation des droits civiques. La Fédération de France du FLN fait alors appel
à Henri Curiel*, communiste juif égyptien, qui met en place un nouveau
réseau, comprenant plusieurs de ses proches (Didar Fawzy et Joyce Blau en
particulier) tout en recrutant d’autres personnes comme Jehan de Wangen et
en reprenant certaines personnes du « réseau Jeanson » comme Georges
Mattéi ou Martin Verlet. Le « réseau Curiel » cherche à devenir plus
« professionnel », en cloisonnant davantage les activités, et en parvenant à
déposer l’argent en France même sans avoir besoin de le transporter à
l’étranger. Néanmoins, son réseau est également démantelé en octobre 1960,
sans que cela conduise à des condamnations du fait de la fin du conflit
algérien. À la fin de la guerre, le contexte change : l’aide aux Algériens cède
le pas à la lutte contre le fascisme et l’OAS*. Après l’indépendance de
l’Algérie, certains « porteurs de valises » s’installent en Algérie et deviennent
ainsi des « pieds-rouges* », à l’instar d’Henri Curiel, de Didar Fawzy, du
déserteur Jean-Louis Hurst*, ou encore de Jacques Charby du réseau Jeanson.
Certains continuent à œuvrer en faveur des indépendances : Henri Curiel met
ainsi en place le réseau Solidarité d’aide aux luttes de libération nationale ;
Robert Davezies aide à l’indépendance des colonies portugaises ; Martin
Verlet met en place un réseau de déserteurs américains du Vietnam… Les
« porteurs de valises » condamnés ont été amnistiés* en 1966.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Jacques Charby, Les Porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au
FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent, La Découverte, 2004 •
Charlotte Gobin, « Genre et engagement : devenir “porteur.e de valises” en
guerre d’Algérie (1954-1966) », doctorat d’histoire sous la dir. de
S. Schweitzer, Lyon-2, 2017 • Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les Porteurs
de valises. La résistance française à la guerre d’Algérie, Albin Michel, 1979.

POSTCOLONIALES, ÉTUDES
Les études postcoloniales (ou postcolonial studies) se sont développées
dans le sillage des subaltern studies à partir de la fin des années 1970, en
particulier à la suite de la publication de L’Orientalisme d’Edward Said, en
1978. Ce livre, qui concerne davantage le Moyen-Orient, étudie les
conceptions occidentales sur l’Orient au XIXe siècle. Bien qu’il ait fait l’objet
de critiques historiennes, ce livre est maintenant devenu un classique,
permettant par exemple d’étudier certains regards sur l’Afrique du Nord au
e
XIX siècle. Certains considèrent cependant que Frantz Fanon*, dont on
connaît le lien intime avec l’Algérie, serait un des fondateurs du
postcolonialisme, dans ses livres Peau noire, masques blancs (Seuil, 1952) et
Les Damnés de la terre, publié juste avant la mort du psychiatre martiniquais
(Maspero, 1961). Or, ce livre est écrit alors que la guerre d’Algérie fait rage
et que Frantz Fanon y est directement impliqué. Il détaille d’ailleurs plusieurs
cas psychiatriques qu’il a traités dans ses activités médicales. Il est aussi
l’auteur de L’An V de la révolution algérienne (Maspero, 1959), qui
rassemble plusieurs textes qu’il a écrits au cours du conflit. Parmi les textes
fondateurs des études postcoloniales, il faut aussi y ajouter Portrait du
colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, d’Albert Memmi (Buchet-
Chastel, 1957), qui prend appui sur son expérience personnelle de juif
tunisien. Cette étude en aller-retour présente une caractéristique fondamentale
des postcolonial studies : entre le Nord et le Sud (et inversement), entre hier
et aujourd’hui. La pluridisciplinarité est une autre caractéristique des études
postcoloniales : art* et littérature*, psychiatrie, psychologie et sciences
humaines, et bien sûr histoire, sociologie et sciences politiques.
Néanmoins, les études postcoloniales ont mis du temps à s’imposer en
France, probablement du fait de freins à l’interdisciplinarité et de l’existence
d’une discipline consacrée : l’histoire coloniale. Le tournant s’amorce au
début des années 2000, alors que la résurgence de la mémoire de la guerre
d’Algérie est très forte dans la société française. Parallèlement, les débats sur
la colonisation prennent de l’acuité avec le vote de la loi du 23 février 2005*,
demandant notamment aux enseignants de traiter les « aspects positifs de la
colonisation » et suscitant à ce titre une levée de boucliers, notamment de la
part des historiens. La même année, un mouvement de révolte dans les
banlieues posait la question des héritages du passé colonial dans les inégalités
de la société française. Était aussi formé le Parti des indigènes de la
République (PIR), défendant l’idée que les descendants de l’immigration
peuvent encore être considérés comme des « indigènes ». La dimension
militante, très présente dans les études postcoloniales dans la mesure où elles
interrogent les sociétés contemporaines et leur rapport au passé colonial,
conduit à ce que la frontière entre engagement et recherche soit parfois très
perméable.
Le livre dirigé par la politiste Marie-Claude Smouts en 2007 offre un
bilan synthétique et utile des débats qui agitent à cette date les spécialistes de
la colonisation et de l’Afrique, en particulier autour de Jean-François Bayart
et de Romain Bertrand (auteur d’un ouvrage sur la loi du 23 février 2005 :
Mémoires d’Empire. La controverse autour du « fait colonial », Le Croquant,
2006). Le livre dirigé par Marie-Claude Smouts souligne à plusieurs reprises
l’importance de la mémoire algérienne dans le débat français, a fortiori dans
le texte de Benjamin Stora*, seul spécialiste de la question dans le livre.
Depuis le début des années 2000, les travaux de Pascal Blanchard, Sandrine
Lemaire et Nicolas Bancel portant sur La Culture coloniale (CNRS Éditions
et Autrement, 2003-2006) entrent aussi dans ce cadre conceptuel, en laissant
une large place au « temps des héritages ». Parmi ceux-ci, la question des
banlieues est au centre de la thèse de Mathieu Rigouste sur L’Ennemi
intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la
France contemporaine (La Découverte, 2009). Celui-ci part de la Guerre
d’indépendance algérienne et la manière dont les théoriciens de la guerre
contre-révolutionnaire ont considéré les combattants algériens, en démontrant
que ces conceptions se sont perpétuées ensuite jusqu’à la période la plus
récente. Il défend l’idée, comme le souligne Catherine Coquery-Vidrovitch,
qu’il existe « une matrice algérienne de pratiques militantes et
administratives » (p. 100).
D’autres travaux, en particulier de sociologues et de politistes spécialistes
de l’État et de l’immigration, nuancent – sans la nier – l’idée d’une continuité
des pratiques coloniales jusqu’à nos jours, à partir d’une triple interrogation :
le contenu même du capital accumulé en terrain colonial, les modalités
concrètes de sa transmission, l’existence d’une expérience et d’une formation
métropolitaines existant en même temps et contribuant elles aussi à
configurer les pratiques des fonctionnaires. Le livre de Sylvain Laurens sur
les hauts fonctionnaires chargés de l’immigration en France (Une politisation
feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France, 1962-1981,
Belin, 2009) n’en est qu’un exemple. À cette question des continuités du
colonial s’ajoutent deux thématiques inscrites dans le temps de la guerre lui-
même, traitées notamment par des auteurs anglo-saxons dont les ouvrages ont
été traduits en français : premièrement, l’importation de méthodes coloniales
en métropole, à travers la répression du 17 octobre 1961* qu’étudient Jim
House et Neil MacMaster dans leur ouvrage (Paris 1961. Les Algériens, la
terreur d’État et la mémoire, Tallandier, 2008) ou encore la thèse
d’Emmanuel Blanchard sur la police* parisienne au temps de Maurice
Papon* (La Police parisienne et les Algériens (1944-1962), Nouveau Monde,
2011) ; deuxièmement, l’identité, à travers la reconfiguration de la nation
française consécutive à l’indépendance de l’Algérie, qu’analyse Todd
Shepard (1962 : comment l’indépendance algérienne a transformé la France,
Payot, 2008). Ainsi les études postcoloniales ont pour caractéristique de lier
étroitement l’histoire de la guerre et l’histoire de la colonisation.
Depuis la décennie 2000-2010, le débat s’est élargi à la vaste question du
traitement du passé colonial dans la société française. Il a fini par s’organiser
autour d’un clivage sur une approche « décoloniale » de l’histoire, que
disqualifient les accusations d’« islamo-gauchisme » puis de « wokisme » (du
verbe anglais awake signifiant « s’éveiller », notamment aux questions de
discrimination et de ségrégation). Outrancier, un tel débat masque la
fécondité des études postcoloniales qui ont abouti in fine à interroger ce que
les inégalités et les discriminations doivent à la classe et aux origines,
conduisant notamment à des phénomènes de transmission postmémorielle, de
génération* en génération.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Catherine Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire
coloniale, Marseille, Agone, 2009 • Marie-Claude Smouts (dir.), La Situation
postcoloniale. Les colonial studies dans le débat français, Presses de
Sciences Po, 2007 • Benjamin Stora, Voyages en postcolonies. Vietnam,
Algérie, Maroc, Stock, 2012.

POSTMÉMOIRES
Le concept de postmémoire a été créé par la chercheuse américaine
Marianne Hirsch qui s’est interrogée sur la transmission mémorielle du
génocide juif de la Seconde Guerre mondiale. Elle s’est intéressée à ce sujet à
partir de la bande dessinée d’Art Spiegelman Maus. Elle s’est interrogée aussi
sur la transmission mémorielle au sein des familles à partir des albums de
photographies*, avant de réfléchir sur la postmémoire de la Shoah dans la
société tout entière. Le concept de postmémoire naît initialement dans le
domaine littéraire, mais trouve à s’appliquer dans une démarche
transdisciplinaire entre histoire, histoire de l’art, études littéraires et
cinématographiques, sociologie, sciences politiques et psychologie
notamment. Le concept de postmémoire s’est ensuite appliqué sur d’autres
terrains : l’esclavage, les dictatures latino-américaines et plus récemment la
période coloniale. Quelles sont les postmémoires de la guerre d’Algérie
actuellement portées en France ?
La première étude qui a été réalisée sur ce sujet concerne les pieds-noirs*.
La sociologue Clarisse Buono souligne les difficultés d’une transmission de
la mémoire pied-noire car celle-ci aurait été cadenassée par les membres
nostalgiques de la communauté pour éviter de la déstabiliser. Seuls se
transmettent des souvenirs faits de silences pesants, de larmes voire de
discussions familiales et politiques. De plus, il existe une particularité à la
mémoire pied-noire (comme harkie* pourrait-on ajouter) : son
« intransmissibilité » (p. 160). Elle repose en effet sur un travail de deuil
identitaire, car il est difficilement envisageable pour les pieds-noirs de revenir
vivre sur la terre de leurs ancêtres… Une autre caractéristique des enfants de
pieds-noirs (comme des enfants de soldats) est que leur différence n’est pas
visible : ils n’ont pas eu à subir de discrimination, au contraire des enfants
d’Algériens et de harkis. Mais les enfants de pieds-noirs peuvent revendiquer
leur appartenance filiale de différentes manières : lorsque l’ascendance pied-
noire vient justifier une appartenance identitaire en cas de conflit, lorsque les
enfants partent dans la quête identitaire de leurs origines à l’adolescence, et
lorsque des descendants de rapatriés* se rencontrent (sentiment
d’appartenance communautaire).
D’après Clarisse Buono, originellement, il existe différents idéaux types
de profils pieds-noirs, des plus nostalgiques aux plus « reconstructeurs
modernes » en passant par les indifférents à leur histoire. Les descendants de
pieds-noirs obéissent eux aussi à différentes logiques quant à leur
postmémoire. Certains sont relativement indifférents à leurs origines jusqu’à
rejeter cette mémoire collective et s’en remettent à une mémoire individuelle,
personnelle, « sans influence ». D’autres se rapprochent d’une vision
historique en ayant un regard distancié, critique, sur la mémoire familiale.
D’autres, plus rares, portent au contraire une mémoire pied-noire forte et
revendicative, surtout basée dans le sud de la France, à l’image du Parti pied-
noir et de l’Association jeune pied-noir par exemple. Enfin, d’autres encore
se situent dans une position de médiation, qui navigue entre les différentes
logiques précédentes, la mémoire individuelle se trouvant à l’intersection
entre mémoire collective pied-noire et mémoire nationale.
D’une manière plus générale, les postmémoires des différents groupes
porteurs de mémoire obéissent à ce même schéma, de manière plus ou moins
nette. Marianne Hirsch évoque la « mémoire des cendres » en prenant appui
sur un texte de l’historienne française Nadine Fresco (« Remembering the
Unknown », International Review of Psychoanalysis, vol. 11, 1984). Cette
« mémoire des cendres » correspond à une diaspora sans espoir de retour. Tel
est le cas pour les pieds-noirs, mais aussi pour les harkis qui (se) sont
interdits de retourner en Algérie, parfois même jusque dans leur mort. Il
n’existe pas d’étude systématique sur les descendants de harkis, mais les
différentes logiques mémorielles mises à jour par Clarisse Buono semblent
bien répondre à celles des descendants de harkis, à la différence près que les
harkis ont été victimes de discrimination, et doublement pourrait-on dire : et
comme Algérien musulman et comme harki. De fait, c’est le groupe porteur
de mémoire qui a subi les plus importantes difficultés, psychologiques,
matérielles, sociales et culturelles. C’est d’ailleurs le groupe qui a le moins
réinvesti le champ artistique pour s’exprimer. La romancière Alice Zeniter,
avec L’Art de perdre (Flammarion, 2017), s’y distingue.
Les appelés du contingent* et la transmission ont fait l’objet de plusieurs
études, en particulier de Florence Dosse (Les Héritiers du silence. Enfants
d’appelés en Algérie, Stock, 2012) qui utilise le terme « mémoire seconde »,
et de Raphaëlle Branche. Toutes les recherches sur les mémoires des anciens
appelés soulignent la notion de silence, contribuant à ce que les descendants
ne connaissent que des bribes de l’histoire de leurs parents. Dans une
perspective postmémorielle, Marianne Hirsch invoque le travail de l’écrivain
français Henri Raczymow parlant de « mémoire trouée » (Pardès, no 3/1986).
La transmission de cette mémoire doit donc se faire malgré les silences
parfois pesants, les cauchemars et parfois les pleurs des anciens appelés. À la
différence des postmémoires pieds-noires, il existe peu de réappropriation ou
de revendication identitaires. Les anciens appelés constituent le groupe
mémoriel numériquement le plus important (initialement de 1,5 million de
personnes) mais c’est celui qui apparaît en effet le moins dans les débats
publics. Florence Dosse souligne ainsi que la guerre du (grand-)père est « un
héritage mémoriel de faible résonance » (p. 220). Pour autant, les douleurs
posttraumatiques ressenties par ces anciens appelés laissent des questions
insidieuses et douloureuses en suspens, faites de douleur, d’interdit et de
honte. Certains descendants en tirent le substrat pour des créations artistiques,
tel Laurent Mauvignier et son roman Des hommes (Minuit, 2009).
La postmémoire des descendants d’Algériens est elle aussi « trouée », en
particulier pour les descendants de militants indépendantistes. Les pères
parlent peu dans les familles algériennes bien que ce soit un récit de victoire
qui puisse être raconté. Mais la vie en France est aussi faite de déclassement,
de racisme*, et il existe de surcroît une contradiction difficilement explicable
dans les familles : avoir lutté pour l’indépendance de l’Algérie et vivre dans
le pays colonisateur. Cela a muré certains anciens Algériens de France dans
le silence, et la génération* d’après a dû vivre avec cette « mémoire trouée »
et les discriminations. Cela a néanmoins pu servir de moteur pour des
créations artistiques, du Gône du Châaba d’Azouz Begag aux chanteurs
Rachid Taha et Magyd Cherfi, en passant par Bourlem Guerdjou avec son
film Vivre au paradis (1999) ou Kaouther Adimi avec son roman Nos
richesses (Seuil, 2017).
Dans sa thèse soutenue en 2022, Paul Max Morin souligne que les jeunes
de 18 à 25 ans issus de cette histoire franco-algérienne sont davantage
politisés et engagés que les autres : la postmémoire de cette histoire dure et
elle est devenue une ressource politique pour certains. De cette génération
émerge une demande de connaissance de l’histoire, dans toutes ses facettes,
sans tabou et sans esprit de revanche. Un sondage de mars 2022 réalisé par
Harris interactive pour Historia souligne d’ailleurs que 70 % des jeunes
Français et des jeunes Algériens ont une vision positive de l’autre pays. 68 %
des jeunes Français seraient même prêts à ce que la France présente ses
excuses à l’Algérie. Est-ce la condition pour contribuer à apaiser les relations
franco-algériennes et les mémoires issues du conflit ?
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » Enquête sur
un silence familial, La Découverte, 2020 • Clarisse Buono, Pieds-noirs de
père en fils, Balland, 2004 • Paul Max Morin, Les Jeunes et la guerre
d’Algérie. Une nouvelle génération face à son histoire, PUF, 2022.

POUJADISTES
Mouvement de défense interprofessionnel, le poujadisme naît
officiellement en novembre 1953 avec l’Union de défense des artisans et
commerçants (UDCA). Son fondateur, Pierre Poujade (1920-2003), tient une
librairie-papeterie à Saint-Céré dans le Lot. L’UDCA compte 130 000
adhérents au printemps 1954 et 400 000 deux ans plus tard.
Le poujadisme a originellement peu à voir avec l’Algérie française. 1955
marque un tournant avec la décision de présenter des candidats aux
législatives. Le 2 janvier 1956, les poujadistes obtiennent 12 % des suffrages
et 52 élus à l’Assemblée nationale, dont le jeune Jean-Marie Le Pen*.
Antiparlementaire, anticommuniste et nationaliste, le poujadisme a inscrit
l’Algérie française à son programme. Poujade a en effet rejoint l’Algérie en
1943 pour s’engager dans les FFL et a épousé une infirmière pied-noire*. Il
bénéficie d’un terrain favorable dans le monde de la boutique en Algérie. Il y
compte 10 000 adhérents en février 1956 et des dirigeants actifs (Roger
Goutailler, Joseph Ortiz*). Eux entendent élargir ses soutiens et devenir la
colonne vertébrale de l’Algérie française. Les poujadistes pourraient-ils
mener une action coordonnée sur les deux rives ?
Dès la fin de 1956, le poujadisme se délite. Certaines prises de position
comme l’hostilité à l’expédition de Suez* sont mal comprises. Mai 1958 fait
rupture. Le 23 mai, Ortiz rencontre Berthommier, ancien élu RPF devenu un
des dirigeants de l’UDCA. Il essuie un refus catégorique. De fait, les
dirigeants de l’UDCA sont circonspects devant le 13 Mai*, l’hebdomadaire
Fraternité française (100 000 exemplaires) passe sous silence l’action des
poujadistes d’Algérie et leur groupe parlementaire vote le 1er juin la confiance
à de Gaulle*. Ce soutien ne dure pas mais les zigzags de Poujade affaiblissent
un mouvement qui n’obtient que 225 000 voix aux législatives de 1958 et
moins de 60 000 en 1962. L’antigaullisme et la défense de l’Algérie française
par le poujadisme officiel devenu groupusculaire n’ont plus guère d’écho.
Dans ces conditions, si certains poujadistes restent engagés dans le combat en
faveur de l’Algérie française et se retrouvent dans les rangs de l’OAS*, à
l’instar de Marcel Bouyer, c’est le plus souvent à titre personnel.
Olivier DARD
Bibl. : Romain Souillac, Le Mouvement Poujade. De la défense
professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962), Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, 2007.

POUVOIRS SPÉCIAUX
L’expression désigne une loi, en date du 16 mars 1956, restée le symbole
du basculement dans la guerre. Pour les Français, elle est associée à une
période de rappels massifs sous les drapeaux qui suscitent manifestations* et
protestations. La loi elle-même ne joue pourtant aucun rôle en la matière.
Juridiquement, il n’y en avait pas besoin – des rappels avaient eu lieu dès
1955.
Selon son intitulé, cette loi est d’abord réformatrice. Elle autorise en effet
le gouvernement « à mettre en œuvre en Algérie un programme d’expansion
économique, de progrès social et de réforme administrative ». Son article
premier, le plus long de tous, liste de nombreux domaines : « équipement
scolaire et sanitaire », « normalisation et abaissement des coûts de
production », « aménagement foncier », « élévation du niveau de vie »,
« condition de l’ouvrier agricole », etc. La loi comprend aussi un volet
répressif. L’article 5 attribue au gouvernement « les pouvoirs les plus étendus
pour prendre toute mesure exceptionnelle en vue du rétablissement de l’ordre,
de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire ».
L’expression de « pouvoirs spéciaux » est absente du texte. Elle exprime
cependant parfaitement la nature de la loi, qui est une habilitation donnant
carte blanche au gouvernement pour agir par décret, tant en matière de
réforme qu’en matière répressive. Lors des débats à l’Assemblée, Mollet*,
président du Conseil, refuse de s’engager sur l’usage qu’il fera des pouvoirs
ainsi accordés. Pour cette raison, le projet suscite d’âpres débats. Mollet doit
engager la confiance de son gouvernement pour en obtenir le vote ; sinon, la
IVe République* basculera dans une énième crise. Cette contrainte, combinée
à la recherche d’une union des gauches, explique que les parlementaires
communistes aient voté pour. En interne, le mécontentement s’exprime ;
localement, des militants n’ont pas craint de diffuser leurs propres tracts ou
brochures dénonçant la loi. À la SFIO* existent aussi des critiques, très
minoritaires. Chez les nationalistes, le MNA* manifeste dans Paris, le 9 mars
1956. Finalement, seuls 73 députés, en majorité des poujadistes*, votent
contre. Par la suite, la loi sera reconduite en faveur de tous les gouvernements
et elle sera aussi étendue à la métropole. Elle est par conséquent la pièce
maîtresse du développement d’un droit d’exception pendant la guerre.
Sur le plan répressif, le gouvernement a utilisé ses pouvoirs pour
reconduire les mesures de l’état d’urgence* qui, en vigueur en 1955, avait été
aboli. Il innove cependant en autorisant la délégation des pouvoirs de police*
à l’armée en Algérie. Cette délégation, comme à Alger en faveur du général
Massu* en 1957, finit par couvrir tout le territoire. Permettant aux soldats
d’arrêter, d’interroger et de détenir tout « suspect », elle offre une couverture
légale à la torture* et engage, à ce titre, la responsabilité du pouvoir politique
dans cette pratique. Un décret des pouvoirs spéciaux a également légalisé les
zones interdites*, ces zones vidées de leurs habitants expulsés par la force et
regroupés dans des camps où un quart des Algériens vit en 1962.
Le volet réformateur n’est pas totalement nouveau non plus. Depuis
1945, l’idée qu’il faut réformer l’Algérie s’est imposée. Avant Mollet, le
gouvernement Mendès France* a été renversé pour avoir soutenu de tels
projets. Voyant dans les réformes un risque pour leur suprématie, les Français
d’Algérie se mobilisent contre les projets gouvernementaux sans hésiter à en
contester l’autorité légale parisienne. Leurs élus, tant à l’échelon national que
local, les relaient efficacement. Dans le domaine économique et social, le
rapport Maspétiol*, sollicité par le gouvernement Mendès France, sert de
base aux décrets des pouvoirs spéciaux. L’un d’eux crée ainsi une Caisse
d’accession à la propriété et à l’exploitation rurale (Caper). Elle doit
récupérer, par expropriation ou à l’amiable, des terres auprès de grands
propriétaires afin de les redistribuer aux paysans, qu’elle doit aider
techniquement et financièrement. La mise en place de la caisse est longue et
le résultat très limité. Non seulement les propriétaires y résistent mais en
plein conflit, les moyens vont d’abord à la conduite de la guerre. Le FLN*,
quant à lui, interdit aux paysans d’acquérir les terres ainsi redistribuées. Sur
le plan administratif, un décret réserve aux « Français musulmans » 10 % des
postes aux concours de la fonction publique, en vue de dégager une élite
favorable à la France. Un autre supprime les communes mixtes, ces
communes gérées par un administrateur nommé et non par un conseil
municipal élu.
Les pouvoirs spéciaux mettent ainsi en évidence l’alliance entre
répression et réformes qui, loin d’être contradictoires, sont pensées comme
complémentaires pour sauver l’Algérie française. Fondamentalement, une
telle politique repose sur un déni du fait national algérien et une vision
dépassée de l’avenir du monde. L’heure n’est plus aux empires.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammarion, 2012.

PRADO, AFFAIRE DU
L’affaire du Prado, institution religieuse au service du monde ouvrier,
éclate à Lyon* le 18 octobre 1958 avec l’inculpation « d’atteinte à l’intégrité
du territoire national » de Joseph Chaize et Louis Magnin, prêtres du Prado,
et d’Albert Carteron*, prêtre du diocèse de Lyon, accusés d’entreposer et de
transporter des fonds du FLN*. Carteron a demandé à deux prêtres du Prado
de prêter un local à des Algériens arrêtés quelques jours plus tôt, qui
s’occupent d’un service d’aide aux familles de détenus nationalistes de la
prison* Saint-Paul. La police* lyonnaise, qui considère cette association
comme un service du FLN, convoque les trois hommes. Les deux premiers
répondent à la convocation du juge d’instruction mais l’abbé Carteron
disparaît quelques jours. Laissés en liberté provisoire, les trois hommes
profitent de la tribune qui leur est offerte, en cet automne 1958 marqué par
les débats autour de la question de la torture*, pour dénoncer les violences
subies par les Algériens arrêtés avec eux. Ces derniers portent plainte et le
rapport d’expertise médicale conclut à la réalité des sévices. Une controverse
éclate entre Mgr Ancel, supérieur du Prado, qui soutient ses prêtres,
Mgr Gerlier, archevêque de Lyon, qui dénonce les méthodes d’interrogatoire
de la police, et le ministre de l’Intérieur qui cherche à accréditer la thèse d’un
réseau de soutien au FLN animé par les « curés » de la Mission de France*,
dont des prêtres sont au même moment arrêtés (Bernard Boudouresques) ou
recherchés (Robert Davezies*), et du Prado. La déclaration commune de
Mgr Liénart, prélat de la Mission de France, et Mgr Gerlier affirmant que les
prêtres ne cherchent qu’à « secourir au nom de la charité chrétienne les Nord-
Africains résidant en France » n’atténue pas les tensions. Témoignage
chrétien est brûlé, des tracts hostiles sont distribués aux portes des églises et
Paris Match offre jusqu’à 10 000 francs pour obtenir une photographie*
d’Albert Carteron en train de dire la messe. Laissés en liberté provisoire, les
trois hommes ne seront pas jugés et l’affaire sera classée mais elle met en
lumière les liens noués en métropole entre les milieux progressistes chrétiens
et les militants nationalistes algériens.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Béatrice Dubell, Arthur Grosjean et Marianne Thivend (dir.), Récits
d’engagement. Des Lyonnais auprès des Algériens en guerre, 1954-1962,
Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012 • Béatrice Dubell, El Bi’r, le puits.
Récits d’engagements anticolonialistes à Lyon pendant la guerre d’Algérie,
Grand Ensemble/Atelier de cinéma populaire, 2008 (film documentaire).

PRÉFETS ET IGAME
L’idée domine que les autorités civiles ont été dépossédées par les
militaires obtenant tout pouvoir en Algérie pendant la guerre. La réalité est
plus complexe. Il est vrai qu’un processus de militarisation de
l’administration se produit, l’armée renouant avec le rôle qu’elle avait assumé
au XIXe siècle, quand les Bureaux arabes administraient la colonie. Des
pouvoirs sont aussi massivement transférés des civils vers les militaires mais
l’évolution suit une nette chronologie.
En 1955, l’état d’urgence* maintient les autorités civiles en place.
L’application des mesures d’exception prévues dépend du gouverneur
général, des préfets et sous-préfets. Il leur appartient aussi de mettre en œuvre
les réformes auxquelles réfléchissent les gouvernements. Une expérience est
cependant menée dans les Aurès, haut lieu de l’insurrection, cette année-là.
Le général Parlange*, nommé commandant civil et militaire, est
officiellement subordonné au préfet de Constantine et il doit cohabiter avec le
sous-préfet mais la situation génère une concurrence conflictuelle ; in fine, le
sous-préfet devient l’adjoint du général. En 1955 également sont créées les
sections administratives spécialisées* (SAS) dont les officiers* assument des
tâches administratives (état civil, listes électorales, etc.). Les SAS dépendent
d’un Service des affaires algériennes installé aux différents échelons de
l’administration, de la base jusqu’au sommet, au Gouvernement général*.
Elles mettent donc directement en contact corps préfectoral et armée. Ils
cohabitent et échangent également dans des états-majors et commissions
mixtes institués à tous les échelons de la pyramide administrative.
Les pouvoirs spéciaux* marquent un seuil en autorisant la délégation des
pouvoirs de police* aux militaires. Celle-ci se généralise en 1956-1957. Le
cas bien connu d’Alger n’est que le plus célèbre, lorsque, le 7 janvier 1957, le
général Massu*, chef de la 10e division parachutiste*, reçoit en délégation les
pouvoirs de Serge Baret, préfet Igame – acronyme d’« Inspecteur général de
l’administration en mission extraordinaire », Igame désignant ici des préfets
en charge du maintien de l’ordre, à l’échelle régionale. Puis en 1958, la chute
de la IVe République* s’accompagne d’une véritable confiscation des
pouvoirs par les militaires. Quand, au moment du 13 Mai*, des comités de
salut public se substituent à l’autorité légitime dans le pays, des préfets et
sous-préfets sont arrêtés ou placés sous une étroite surveillance. Igame et
préfets en place quittent presque tous l’Algérie. Le général Salan* cumule
alors tous les pouvoirs. Dans les corps d’armée d’Oran, d’Alger et de
Constantine, les généraux Rethoré, Massu et Olié* font fonction de préfet
Igame. Aux échelons inférieurs, les commandants de zone obtiennent la
suprématie sur les préfets et les commandants de secteur dominent les sous-
préfets.
La reprise en main du général de Gaulle* se manifeste par le
rétablissement progressif de l’autorité civile. À l’automne 1958, la
nomination du binôme Delouvrier*/Challe*, respectivement délégué général
du gouvernement en Algérie et commandant en chef, sépare de nouveau
pouvoirs civils et militaires à l’échelon central. Le 4 juillet 1959, un décret
permet à Paul Delouvrier de nommer trois préfets Igame. Entre février 1960
et mars 1961, d’autres textes rendent leurs prérogatives aux préfets et sous-
préfets – en matière financière, par exemple, avec de nouveaux crédits.
L’enjeu est fondamental : disposer d’une administration pour l’application de
la politique gaulliste qui s’oriente vers des négociations* rendant possible
l’indépendance, à partir de l’autodétermination. La loyauté du corps
préfectoral, du reste, est testée lors de la tentative de putsch* en avril 1961.
Préfets et sous-préfets, sollicités par le successeur de Paul Delouvrier, Jean
Morin*, contribuent à la sauvegarde du régime.
À l’instar de Paul Delouvrier et de Jean Morin, le corps préfectoral
fournit aux politiques gouvernementales de précieux relais. Outre que ses
membres sont très impliqués dans la réalisation du plan de Constantine*, ils
remplissent des fonctions administratives particulières, comme, par exemple,
la direction du Service central des centres d’hébergement*, installé au
Gouvernement général à Alger pour gérer les camps d’internement*.
Conformément à l’idée dominante d’une dépossession au profit de
l’armée, les quelques témoignages* publiés a posteriori racontent une
opposition aux militaires. Après celui de Lucien Ferré, converti à l’islam sous
le nom de Mohammed Al-Bachir, paru en 1990, les éditions Phénix en ont
publié d’autres, au début des années 2000. Georges Audebert, en poste à
Relizane en 1958-1959, accuse l’armée d’avoir sapé le climat de confiance
qu’il aurait instauré entre les communautés, tout en insistant sur le racisme*
colonial qu’il découvre et lui répugne. Georges Belorgey propose une
biographie très littéraire, croisant toutes les facettes de son rapport à
l’Algérie : militant anticolonialiste, officier de renseignements, stagiaire de
l’ENA, etc. Ces témoignages ont leurs biais. Seuls s’expriment ceux qui
peuvent se prévaloir d’une action légitimée par la fin de la guerre. Dans le
détail, leurs écrits mériteraient d’être vérifiés d’autant plus qu’ils n’optent pas
toujours pour une narration clairement située dans l’espace ni dans le temps.
Il faudrait les dépasser pour enquêter sur cet aspect mal connu de la guerre.
Les relations avec les militaires, ainsi, ne sont pas toujours conflictuelles.
Le cas de Maurice Papon*, Igame à Constantine de 1956 à 1958, met en
évidence une répartition consentie des rôles avec l’armée, sans qu’il soit
dessaisi. Étudiant de près la politique des regroupements* de populations
impliquant civils et militaires, Fabien Sacriste démontre que Papon prend
l’initiative des regroupements dans le Constantinois. À Oran, à la même
période, l’Igame d’Oran les défend avec l’armée. Ni le corps préfectoral, ni
l’armée ne sont unis l’un face à l’autre quand se posent des questions
concrètes telles que la création d’un nouveau camp, son aménagement, sa
gestion, etc. Des militaires peuvent freiner la pratique quand des civils la
soutiennent.
D’autres problématiques pourraient être étudiées. La trajectoire de
Maurice Papon, nommé préfet de police de Paris après avoir été Igame à
Constantine, pose la question des transferts de méthodes entre Algérie et
métropole, par le biais des circulations du personnel. Une autre interrogation
porte sur le recrutement d’Algériens dits alors « musulmans », que les
réformes (notamment celles des pouvoirs spéciaux) ont prévu. Georges
Audebert évoque à ce titre l’un de ses prédécesseurs, le sous-préfet Lakdhari.
Ce dernier a voulu démissionner une première fois pour dénoncer
l’anéantissement d’un village par l’armée. Puis, témoin de tortures pratiquées
par les gendarmes, lui-même malmené par les parachutistes*, il a fini par
rejoindre le FLN*. Sous réserve de sources disponibles et accessibles,
l’histoire de ce corps et de ses acteurs gagnerait à être écrite. Il importe de
sortir de l’histoire militaire pour mieux comprendre la guerre.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Jean-Pierre Peyroulou, « Maurice Papon, administrateur colonial
(1945-1958) », in Samia El Mechat (dir.), Les Administrations coloniales.
Esquisse d’une histoire comparée, XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2009 • Fabien Sacriste, « Les camps de
“regroupement”. Une histoire de l’État colonial et de la société rurale pendant
la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », thèse de doctorat sous la
dir. de G. Pervillé et de J. Cantier, Toulouse-2, 2014 • Sylvie Thénault,
Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammation, 2012.

PRESSE ALGÉRIENNE DE GUERRE


Quand la Guerre d’indépendance commence, le FLN* ne dispose d’aucun
moyen d’information en dehors des tracts qui circulent clandestinement. Ce
n’est qu’à la veille du premier anniversaire du déclenchement de la Guerre
d’indépendance que le FLN se dote d’un organe intitulé Résistance
algérienne, en langue française et arabe (el muqawama el djazaïriya).
L’édition de France réalisée avec la collaboration de Salah Louanchi et Jean
Sénac est imprimée sur les rotatives du PCF* jusqu’au vote des pouvoirs
spéciaux* (mars 1956). Résistance algérienne continue son tirage grâce à
Jean Subervie, un résistant, à Rodez (Mohammed Harbi, Une vie debout,
La Découverte, 2001, p. 193). Mohamed Boudiaf* et Ali Haroun* s’occupent
de l’édition marocaine et Mohamed El Mili et Lamine Bechichi de l’édition
tunisienne. Le journal a pour mission d’informer les Algériens et l’opinion
internationale du combat et des objectifs du FLN. Résistance algérienne est
publiée du 22 octobre 1955 à juin 1957. Les sujets abordés varient selon la
conjoncture : la répression, le cas Jean Müller, l’affaire Peyrega, la désertion
de Noël Favrelière*, la vie au maquis sont autant de thèmes traités. Il est
doublé de la diffusion d’El Moudjahid/Le Combattant dont la publication
commence le 15 juin 1956 et auquel il cède la place une année plus tard. Sous
l’impulsion d’Abane* Ramdane, la question de la propagande* et de
l’information est soigneusement étudiée par Ben Khedda* et Dahlab*. C’est
Abdelmalek Temmam – un ancien membre de la commission de presse du
journal El Maghreb el arabi/Le Maghreb arabe, d’obédience MTLD – qui
s’occupe des six premiers numéros qui sont dactylographiés par Izza
Benzekri* et Nassima Hablal et tirés clandestinement à Alger. Durant la
« bataille d’Alger* », le no 7 est saisi et le matériel d’impression détruit par
les parachutistes*.
Le repli des responsables du CCE*, au printemps 1957, entraîne celui de
l’équipe d’El Moudjahid, d’abord à Tétouan au Maroc* puis à Tunis à partir
de novembre 1957. Après le CNRA* d’août 1957, l’action d’Abane Ramdane
est réduite à la direction d’El Moudjahid non sans surveillance de la part des
« 3 B ». À sa disparition, le journal est placé sous la responsabilité de
M’hamed Yazid et la rédaction échoit à Redha Malek, futur négociateur des
accords d’Évian*, secondé par Frantz Fanon* et Pierre Chaulet*. La version
en langue arabe revient à Mohamed El Mili, Abdallah Cheriet, Lemnouar
Merrouche et Zahir Ihadaden. La plupart des articles ne portent pas de
signature à l’exception de ceux parus dans le no 2 et dus à Amar Ouamrane*,
Larbi Ben M’hidi* et Abdelhafid Boussouf*, ainsi que dans le no 3 où
écrivent Abane Ramdane, Lakhdar Bentobbal*, Larbi Ben M’hidi, Slimane
Dehilès* et Krim* Belkacem. Des interviews d’Omar Oussedik, d’Azzedine*
et du colonel Lotfi* sont publiées dans le no 38 (17 mars 1959)
Depuis sa création jusqu’en juin 1962, ce sont 91 numéros qui ont été
publiés à la fois en langue française et en langue arabe. La devise « La
révolution par le peuple et pour le peuple » qui figurait dans le premier
numéro disparaît par la suite. Les thèmes abordés recouvrent l’actualité de la
guerre, l’activité internationale (ONU* et conférences), l’anniversaire du
déclenchement de la lutte armée, la création du GPRA*, les manifestations de
décembre 1960*, le quotidien des maquis, les réfugiés*, les camps de
regroupement*. Si nous ignorons l’impact du journal en Algérie au vu des
difficultés d’acheminement, les services français lui accordaient un intérêt
certain allant jusqu’à « imprimer au printemps 1960 quatre faux d’El
Moudjahid » (Meynier, 2002).
Parallèlement à ces deux journaux, les maquis des différentes zones ont
rédigé sans attendre les directives du congrès de la Soummam*, des feuilles
d’information dont l’existence fut le plus souvent éphémère et liée à tel ou tel
responsable. Ainsi dans la Zone 1/Aurès-Nemencha, l’équipe de Bachir
Chihani* diffuse un journal dont le premier numéro a dû paraître au mois de
juin 1955, et le second – dont un exemplaire est conservé aux archives* de
Vincennes – date d’octobre. Il emprunte son titre, Le Patriote, au Comité
révolutionnaire pour l’unité et l’action (Crua) créé en mars 1954. Rédigé en
langue arabe, il est tiré sur stencil sur trois pages et reproduit dans un tableau
les principales batailles dont celles de Sidi Aoun, Djorf, Tafassour, Bou
Khadra… au total 18 avec le nombre des pertes, des blessés, des prisonniers*,
des avions et véhicules détruits concernant l’armée française, l’ALN* et les
civils tués. La rédaction a ajouté des slogans mobilisateurs et encadrés tels
« L’unité du peuple algérien et de l’armée de libération est garante de la
victoire ». La Zone 2 a également publié Le Bulletin du Djebel.
De même, la Zone 3/Kabylie, dirigée par Krim Belkacem, diffuse dès le
début de la guerre un journal, Renaissance algérienne/En Nahdha. Meynier*
(2002) rapporte qu’on peut y lire un long texte, datant de septembre 1955, sur
« Qu’est-ce que la nation ? ». Un autre titre, La Voix de la montagne, a
circulé en Kabylie sans que l’on sache à quelle date.
La Wilaya 4* n’est pas en reste : avec Omar Oussedik, responsable
politique éclairé, on peut lire trois journaux : Les Échos du Titteri, Guérilla et
Révolution. Ce dernier titre comporte de brillantes analyses d’inspiration
communiste portant sur la réforme agraire, l’exploitation capitaliste,
l’impérialisme, etc.
En Wilaya 5*, on relève plusieurs titres : L’Avenir avec une version en
arabe El Mustaqbal, Les Échos militaires de la wilaya d’Oran, Révolution et
Combat auxquels il faut ajouter L’Oranie combattante, organe clandestin de
la résistance communiste.
À Alger, la Zone autonome* (ZAA) avait fait paraître un Bulletin
intérieur de la ZAA.
Le MALG a publié en arabe al Ousbou’e/L’Hebdomadaire et un Bulletin
de renseignements et de documentation.
Cette presse fabriquée dans les maquis, dans des conditions difficiles, a
connu des fortunes diverses. Il suffit d’un bombardement par l’aviation ou
d’un ratissage pour détruire tout le matériel d’impression. D’où son
irrégularité et le plus souvent son interruption. Mais elle a contribué à
entretenir l’esprit de résistance des Algériens.
Enfin, l’historiographie algérienne – pas plus que l’historiographie
française – n’a accordé un grand intérêt à l’étude de cette source (sauf El
Moudjahid). L’accès aux archives des wilayas permettra l’ouverture de
nouvelles pistes de recherche et une meilleure connaissance et
compréhension de la guerre de libération nationale.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohamed Debbah, L’OAS et l’indépendance de l’Algérie. Bulletin de
renseignements et de documentation, Alger, Houma, 2015 • Mohammed
Lemkami, Les Hommes de l’ombre, Alger, Dahlab, 2004 • Gilbert Meynier,
Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002 • « Témoignage
d’Abdelmalek Temmam », recueilli par Rachid Sid Ahmed, El Moudjahid,
8 novembre 1974.

PRESSE CLANDESTINE (FRANCE)


Dès les tout débuts de la Guerre d’indépendance algérienne, la presse a
fait l’objet de poursuites et de saisies qui l’ont gravement affectée. En 1955,
des tracts et des feuilles circulent par exemple pour protester contre les
rappels et les maintiens sous les drapeaux, portés par des comités qui n’ont
aucune existence légale. En septembre 1955, le journaliste chrétien Robert
Barrat* est arrêté et détenu pendant plusieurs jours pour avoir publié « Un
journaliste français chez les “hors-la-loi” algériens » dans France
Observateur. La situation s’aggrave encore à partir de 1956 : à la loi sur l’état
d’urgence* du 3 avril 1955 viennent s’ajouter les « pouvoirs spéciaux* » et
en particulier le décret du 17 mars 1956 permettant aux autorités de contrôler
la presse et les publications. Les saisies et les poursuites deviennent plus
systématiques, en particulier avec les nouvelles mesures de maintien et de
rappel sous les drapeaux. Des textes commencent à dénoncer les tortures dont
les soldats sont témoins en Algérie. Des journaux militants anarchistes* et
trotskistes* doivent même cesser de paraître, étranglés par les poursuites.
Au printemps 1957 paraissent Le Dossier « Jean Müller » aux éditions du
Témoignage chrétien puis la brochure Des rappelés témoignent… du Comité
de résistance spirituelle. Les saisies incitent certains militants et intellectuels
à informer l’opinion publique* française par d’autres moyens. À l’automne
1957, Robert Barrat, Maurice Pagat (ancien employé d’EDF) et Roland
Marin de la communauté de l’Arche (dirigée par Lanza Del Vasto) créent le
Centre d’information et de coordination pour la défense des libertés et de la
paix, situé rue du Landy à Clichy. Il sera connu comme le « Centre du
Landy ». Dans son comité de parrainage figurent les journalistes Claude
Bourdet*, Jean-Marie Domenach, les universitaires Henri-Irénée Marrou,
Jean-Jacques Mayoux, l’agronome René Dumont, l’ethnologue Jean
Pouillon, le mathématicien Laurent Schwartz*, le philosophe Jean-Paul
Sartre*, le pasteur Voge ou encore l’écrivain Vercors. Ils lancent le journal
clandestin Témoignages et documents sur la guerre d’Algérie dont le but est
de publier les textes interdits ou saisis. Le premier numéro sort en
janvier 1958. La Question d’Henri Alleg* y est par exemple publiée, le
journal étant alors tiré jusqu’à 90 000 exemplaires. Au plus bas, son tirage est
de 20 000 exemplaires et il obtient même son inscription à la Commission
paritaire des papiers de presse permettant son acheminement postal à tarif
préférentiel. Cela fait dire à Pierre Vidal-Naquet* qu’il s’agissait d’une
presse « semi-légale » ou « parallèle ». Il fait d’ailleurs l’objet de saisies et de
poursuites régulières
À compter de la fin de l’année 1959, les membres du comité Maurice
Audin* quittent Témoignages et documents et lancent leur propre journal,
Vérité-Liberté, lui aussi semi-légal. Un différend entre Maurice Pagat et
Pierre Vidal-Naquet est à l’origine de la « scission » entre les deux journaux,
notamment sur des questions d’organisation et de gestion. Le philosophe Paul
Thibaud devient le gérant de Vérité-Liberté, dont 20 numéros sortent
jusqu’en juin-juillet 1962. Ce journal se présente comme un « cahier
d’information sur la guerre d’Algérie ». Son comité de direction comprend
sensiblement les mêmes noms que ceux du « Centre du Landy », auxquels
nous pouvons ajouter le philosophe Paul Ricœur. Vérité-Liberté publie aussi
des textes inédits, le journal se voulant une sorte de centrale d’information
alternative sur la guerre d’Algérie. Il eut environ 3 000 abonnés et 10 000
lecteurs, conduisant à ce qu’il ait une influence relativement marginale. Qui
plus est, le journal fait aussi l’objet de perquisitions, de saisies et de
poursuites, notamment dans le contexte du « Manifeste* des 121 ». C’est
d’ailleurs à ce moment-là que Robert Barrat est une nouvelle fois arrêté et
emprisonné.
Par ailleurs, à partir de 1956 surtout, des personnes ont commencé à aider
les Algériens et se sont regroupées en réseaux formant ce qui a été appelé les
« porteurs de valises* ». Ces réseaux clandestins se sont eux aussi pourvus
d’une presse clandestine. En l’occurrence, il s’agit du journal Vérités pour,
pour lequel une réunion préparatoire est organisée au cours de l’été 1958
avec Francis Jeanson*, Jacques Berthelet, Hélène Cuenat, Jacques Vignes, et
deux normaliens : Alain Badiou et Michel Launay. Le numéro 0 sort, dans
lequel un parallèle est fait entre la guerre en Algérie et le fascisme, et
inversement entre la paix et la démocratie. D’ailleurs, le journal se veut une
« centrale d’information sur le fascisme en Algérie ». Dix-huit numéros
sortiront de septembre 1958 à septembre 1960. Mais le journal doit cesser de
paraître du fait des arrestations qui minent les réseaux clandestins. Le dernier
numéro du journal porte d’ailleurs en une : « Ce numéro est dédié aux
camarades victimes de la répression, en témoignage d’affection et de
solidarité. » Le réseau dirigé par Henri Curiel* eut aussi son propre organe de
presse clandestin, Vérités anticolonialistes, mais celui-ci eut une durée de vie
encore plus courte : un seul numéro est à notre connaissance paru, en
février 1961. Il faut encore y ajouter le journal Jeune Résistance, du réseau de
réfractaires* français du même nom, auquel s’est brièvement ajouté Jeunesse
anticolonialiste, censé représenter le journal à destination des jeunes du
Mouvement anticolonialiste français (MAF) d’Henri Curiel. Ces journaux
eurent des éditions locales, notamment à Marseille*.
À cette presse clandestine des réseaux de « porteurs de valises », il faut y
ajouter une presse spécifiquement communiste, en particulier à destination
des soldats. Depuis 1950 existait une structure clandestine de 250 membres
organisés selon les pratiques cloisonnées de la Résistance*, qui reprend du
service pendant la guerre d’Algérie. François Hilsum en prend la tête, et
Alfred Gerson en est la cheville ouvrière en Algérie. En tout, l’équipe sort
46 numéros de Soldats de France à partir de 1957, 21 numéros de Marins de
France à partir de l’été 1958, 23 numéros du Parachutiste et de Contingent.
Soldats de France aurait été tiré jusqu’à 90 000 exemplaires, mais aurait fait
face à des difficultés croissantes du fait de la surveillance de la police*
militaire. En tout, il y aurait eu entre 5 et 6 millions d’exemplaires édités, ce
qui montre la puissance de diffusion du parti communiste à cette période.
Enfin, à la fin de la guerre, s’ajoute une nouvelle presse clandestine :
celle de l’OAS* et des partisans de l’« Algérie française ». Ainsi, La Voix du
maquis est diffusée en Algérie et est l’organe du MP13 ; Appel de la France
est considéré comme le « journal de l’OAS » puis devient l’« organe officiel
du Conseil national de la révolution » et a au moins 11 numéros en Algérie et
en métropole. Résurrection – Patrie OAS France, fut diffusé en métropole.
Cette petite feuille eut au moins 15 numéros. Enfin, signalons encore Les
Centurions, publication de l’OAS qui est réservée aux officiers* et aux
cadres.
Toutes ces publications montrent à la fois un foisonnement intellectuel et
un éparpillement des structures clandestines, pourchassées par les autorités.
La répression qui s’est abattue sur les organes de presse traditionnels a
conduit les militants à devoir réinventer une presse clandestine leur
permettant d’avoir un espace d’expression, fût-il clandestin. Mais la liberté
d’expression fut singulièrement mise à mal au cours du conflit algérien.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007 • Laurent Sauzay,
La Revue Vérité-Liberté : un exemple de lutte contre la censure pendant la
guerre d’Algérie. 1960-1962, mémoire de DEA, IEP de Paris, 1992 • Pierre
Vidal-Naquet, Face à la raison d’État. Un historien dans la guerre d’Algérie,
La Découverte, 1989.

PRESSE EN FRANCE
La guerre est attentivement suivie par une presse écrite française
profondément divisée quant à la nature et à la légitimité de l’engagement
français. Jusqu’en 1956, elle relaie, dans sa majorité, le discours officiel,
inflexible face aux revendications indépendantistes. Les « événements
d’Algérie » sont présentés comme une opération de retour à l’ordre
républicain. Si les photographies* de titres comme Paris Match donnent à
voir des opérations de guerre par ailleurs décrites dans les colonnes des
journaux, le vocabulaire utilisé tend à euphémiser la violence et les
journalistes épousent la sémantique gouvernementale.
Pourtant, quelques titres de la presse hebdomadaire d’opinion aux tirages
encore relativement modestes (France Observateur, L’Express, Témoignage
chrétien, etc.) dénoncent certaines pratiques de l’armée. France Observateur,
hebdomadaire fondé en 1950 et encore imprégné de l’esprit de la
Résistance*, s’y distingue avec « Votre gestapo d’Algérie », en janvier 1955,
de Claude Bourdet*, ancien dirigeant du mouvement de résistance
« Combat ». Puis le 15 septembre 1955, Robert Barrat* signe « Un
journaliste français chez les “hors-la-loi” algériens », dans lequel il donne la
parole à des indépendantistes. Face à ces articles, les autorités usent de saisies
et d’intimidation : Robert Barrat est ainsi arrêté après son reportage et libéré
rapidement sous la contrainte d’une importante campagne de presse.
Avec l’envoi massif du contingent en 1956, la couverture médiatique se
densifie avant que la contestation de la guerre se renforce. La torture* est
dénoncée en 1957. Si les titres communistes ainsi que France Observateur,
L’Express, Témoignage chrétien restent très impliqués, Le Monde* de Beuve-
Méry, jusqu’alors prudent, s’engage fermement. C’est l’année des grandes
affaires*, Alleg* et Audin*, notamment. Les autorités répondent en nommant
une Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels*, en
dénonçant « les ennemis de la France » et en recourant aux saisies et à
l’intimidation. Jean-Jacques Servan-Schreiber* est ainsi inculpé pour
« atteinte au moral de l’armée » après la publication en feuilleton dans
L’Express de son témoignage* : « Lieutenant en Algérie ». En 1958, la
parution de La Question, d’Henri Alleg, génère une nouvelle vague de saisies
comme celles de L’Express pour « Une victoire », de Jean-Paul Sartre*,
saluant l’ouvrage. Un titre comme Le Figaro*, ne pouvant plus nier la guerre,
s’engage dans la négation de la torture et dans le soutien aux discours
étatiques dénonçant les critiques comme calomnieuses. Dans cette véritable
« bataille de l’écrit », selon les mots de Michel Crouzet, le gouvernement
trouve aussi souvent le soutien de titres favorables à l’Algérie française tels
Carrefour, Le Parisien libéré ou L’Aurore.
Avec le 13 mai 1958*, la censure*, en vigueur en Algérie, est étendue à
la métropole à partir du 25 mai. La prise du Gouvernement général à Alger
est interprétée de diverses manières : quand L’Humanité* dénonce un coup
de force, d’autres ont tendance à dédramatiser l’événement. Ce clivage se
retrouve lors des négociations* entre le président Coty et le général de
Gaulle*. La perspective d’un retour de De Gaulle suscite l’opposition de la
presse de gauche qui soutient la manifestation* du 28 mai pour « la défense
de la République » et dénonce le coup d’État du général. Nombreux sont
cependant ceux qui appuient la pertinence du choix de l’homme du 18 juin
pour sortir la France de la crise.
Avec le retour de De Gaulle, la presse s’attache aux hésitations gaullistes,
puis, à partir du discours du 16 septembre 1959, à l’autodétermination.
Certaines rédactions continuent à sensibiliser l’opinion* contre la guerre,
particulièrement au moment du procès du réseau Jeanson* et du « Manifeste*
des 121 » pour « le droit à l’insoumission » en 1960. À l’instar du mensuel
Témoignages et documents publié de janvier 1958 à avril 1963 par le Centre
de coordination pour la défense des libertés et de la paix, les cahiers
d’information Vérité-Liberté, qui paraissent de mai 1960 à mars 1962 en
soutien au comité Maurice Audin*, collectent les témoignages et textes
interdits attestant de la pratique systématisée de la torture. La presse est alors
traversée par d’intenses débats sur l’opposition à la guerre, le soutien au
FLN* et l’insoumission, tandis que le 17 octobre 1961* suscite l’émoi. Les
partisans de l’Algérie française, menés par des plumes aussi talentueuses que
celles de Jules Romains, Roland Dorgelès ou Roger Nimier, se fracturent
durant cette période, certains optant pour le soutien à de Gaulle, d’autres pour
la radicalité de l’OAS*.
Les autorités poursuivent quant à elles leurs efforts pour faire taire les
critiques. Si la censure, en 1958, est rapidement supprimée, les saisies
continuent et atteignent même un pic en 1961-1962. Si elles visent avant tout
la presse de gauche, elles répriment désormais aussi le camp de l’Algérie
française.
François ROBINET
Bibl. : Philippe Baudorre, La Plume dans la plaie. Les écrivains journalistes
et la guerre d’Algérie, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003 •
Barbara Vignaux, « L’Agence France-Presse en guerre d’Algérie »,
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 83, no 3, 2004 • Michel Winock,
« Guerre d’Algérie : des médias mal enchaînés », in Le XXe Siècle idéologique
et politique, Perrin, 2013.
PRESSE FRANCOPHONE EN ALGÉRIE
Durant la guerre, la presse en Algérie est soumise à la censure*, aux
saisies et à une forte pression des autorités coloniales.
Avec l’état d’urgence* en 1955, la presse en arabe est interdite, de même
que les titres critiques de la colonisation. C’est le cas de la presse communiste
(Liberté, Alger républicain*, etc.) à la suite de la dissolution du PCA* en
septembre 1955. Il ne reste plus que quelques titres coloniaux, avec, hors
d’Alger, La Dépêche de Constantine, dirigée par le sénateur Léopold Morel,
et L’Écho d’Oran, le plus ancien titre d’Algérie, créé en 1844 et dirigé par
Pierre Laffont ; ses tirages approchent souvent les 75 000 exemplaires durant
la guerre. Les principaux titres sont cependant algérois. Le groupe L’Écho
d’Alger*, dirigé par Alain de Sérigny depuis 1941 et fortement lié à la riche
famille des Duroux, comprend aussi Dernière Heure et Dimanche matin.
Depuis 1945, L’Écho d’Alger est le principal journal des Français d’Algérie.
Solide et professionnelle, l’équipe compte dans ses rangs Jacques Chevallier*
ainsi que le correspondant du Monde* Georges Messud.
Financé par Georges Blachette, qui doit sa fortune au commerce de l’alfa,
le Journal d’Alger se veut plus libéral. Dirigée par Louis Cardona, la
rédaction est conduite par Edmond Brua et compte Gabriel Conesa qui écrit
aussi dans Le Monde et dans Paris Match. Elle tente de se démarquer des
appels à la répression qui dominent alors la presse coloniale. Longtemps
menée par Jean Brune, La Dépêche quotidienne d’Algérie reste également
attachée à l’Algérie française.
Lancée en 1956, la revue* mensuelle L’Espoir est un cas original.
« Journal des libéraux d’Algérie », elle regroupe des personnalités françaises
(Paul Houdart, André Gallice, Charles-Robert Ageron*, etc.) et des
intellectuels musulmans (Mahfoud Kaddache*, Ahmed Benzadi, etc.). Elle
prône le dialogue, dénonce le cycle terrorisme/répression, s’oppose à la
guerre et aux méthodes de Lacoste* et de Massu*. À la suite de multiples
saisies et perquisitions entre novembre 1956 et février 1957, Jean Gonnet
décide d’en suspendre la parution. Elle reparaît du 29 avril au 28 septembre
1960, avec l’équipe des fondateurs et de nouveaux collaborateurs comme
Mohammed Taïbi ou Jean Foscoco, mais elle subit de nouveau saisies et
menaces. Interrompue, elle ne reparaîtra qu’une fois en juin 1962.
La tonalité générale de la presse coloniale évolue après 1958. Jusqu’en
1958, elle propose généralement la chronique d’une guerre considérée
comme gagnable et avant tout présentée via le prisme des attentats et des
exactions du FLN*. Après 1958, le doute puis le spectre de la défaite
marquent des productions centrées sur les questionnements politiques et
soumises à la pression des autorités, de l’OAS* et du FLN.
Dans cet ensemble, L’Écho d’Alger se distingue par le soutien de son
directeur, Alain de Sérigny, à de Gaulle*, en 1958, avant une radicalisation
lui valant d’être arrêté puis interdit de séjour en Algérie. Au-delà, la presse
coloniale est visée par les autorités en 1960-1961. Les journaux du groupe
L’Écho d’Alger sont interdits après le putsch*. Le 6 février 1962, l’OAS
réquisitionne L’Écho d’Oran pour imprimer une édition pirate de 20 000
exemplaires. Le gouvernement réagit immédiatement en interdisant tous les
titres du groupe. Seul Le Journal d’Alger, proche des positions gaullistes,
continue de paraître. Sous forte pression de l’OAS, la rédaction est plastiquée
le 17 avril 1962. Du fait de ces difficultés, à la fin de la guerre, ne subsistent
que La Dépêche quotidienne d’Algérie à Alger et quatre quotidiens en
province.
De son côté, le FLN s’est très tôt doté de titres. Après Le Patriote et
Résistance algérienne, il lance, au printemps 1956, El Moudjahid (Le
Combattant), journal clandestin dirigé par Abdelmalek Temmam et imprimé
à Alger. Si le FLN a tendance à privilégier le français, El Moudjahid est
également proposé en arabe à partir de 1957. Dans le contexte de la bataille
d’Alger*, Redha Malek relance le titre depuis le Maroc* puis la Tunisie*
autour d’une équipe constituée notamment de Frantz Fanon* et de Pierre et
Claudine Chaulet*. Un des enjeux est de montrer la guerre comme une guerre
populaire de libération nationale qui n’est pas dirigée contre la France et les
Français mais contre l’oppression coloniale.
Après l’indépendance, El Moudjahid devient le journal officiel de la
République algérienne. Alger républicain, le titre communiste, reprend le
17 juillet 1962. Jusqu’à la nationalisation de la presse en 1963, il est, avec La
Dépêche quotidienne d’Algérie, le quotidien le plus lu. Leurs tirages
approchent les 80 000 exemplaires quand le quotidien national Le Peuple
(Ach-Chaab) atteint à peine les 40 000. À son image, les nouveaux journaux
connaissaient de grandes difficultés (Alger ce soir, La République).
François ROBINET
Bibl. : Marc Agostino, « Les journaux quotidiens d’Algérie et l’opinion »,
in Philippe Baudorre (dir.), La Plume dans la plaie. Les écrivains journalistes
et la guerre d’Algérie, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003 •
Henri Alleg, Abdelhamid Benzine et Boualem Khalfa, La Grande Aventure
d’Alger républicain, Messidor, 1987 • Gilles Kraemer, Trois Siècles de
presse francophone dans le monde. Hors de France, de Belgique, de Suisse et
du Québec, L’Harmattan, 1995.

PRESSE MNA
Après la dissolution du MTLD en novembre 1954, les dirigeants
messalistes ont pu compter sur l’appui d’anticolonialistes, comme Alexandre
Hébert qui permet l’impression de La Voix du peuple – nom de l’organe du
MNA* – grâce aux moyens techniques de l’Union départementale Force
ouvrière* à Nantes, avant que l’opération ne se déroule dans la cave d’un
restaurateur ami du syndicaliste.
Mohammed Maroc est, avec Raymond-Nourredine Naït-Mazi, le
principal rédacteur et responsable du journal jusqu’en 1956. En décembre, la
direction de la Surveillance du territoire procède à l’interpellation de
dirigeants et à la saisie de deux valises contenant des milliers d’exemplaires
du journal. Une descente est effectuée à l’imprimerie d’André Ribet située à
Vanves et où sont édités des documents messalistes. La répression policière
et la pression du FLN* conduisent à transférer à Cologne le Comité
d’information et de propagande confié à Moulay Merbah.
Journaux et tracts sont alors imprimés en Allemagne sous la
responsabilité du secrétaire général, avant d’être pris en charge par la
délégation de Belgique* dont est membre Sid-Ali Addab. À son départ de
Belle-Île-en-Mer, en janvier 1959, Messali Hadj* supervise personnellement
la conception du journal et sollicite les dirigeants, souvent en vain, pour
enrichir son contenu.
En plus de La Voix du peuple – 55 numéros entre le 1er décembre 1954 et
le 1er juillet 1962 –, des bulletins d’information, brochures ou publications
plus éphémères comme Le Sahara – 3 numéros entre mai 1958 et
juillet 1959 – sont édités par le MNA.
Le parti messaliste diffuse des titres comme Algérie libre – édition
française de Free Algeria, entre le 1er décembre 1957 et le 2 septembre
1960 –, Réalités algériennes – 23 numéros publiés en Belgique, de juin 1959
à juin 1962, par Camille Van Deyck ; une édition allemande comprend une
dizaine de numéros entre 1959 et 1961 – mais aussi des publications en
langue étrangère comme Algerian News – publié à Londres de mars 1957 à
mai-juin 1960 par Betty Hamilton – ou Algeria Libera – publié du
21 septembre 1957 à avril-mai 1959 –, ou encore Levend Algerië – 6 numéros
de juin 1959 à juin 1960.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Bernard Hazo, L’Homme qui dit non. Hommage à Alexandre Hébert,
ancien secrétaire de l’Union départementale CGT-Force ouvrière de Loire-
Atlantique, s. l., 2011 • Benjamin Stora, Dictionnaire biographique de
militants nationalistes algériens (1926-1954). ENA, PPA, MTLD,
L’Harmattan, 1985.

PRISONNIERS
Dès novembre 1954, le Comité international de la Croix-Rouge* (CICR)
cherche à être autorisé par le gouvernement français à agir en Algérie. Il
estime en effet que le conflit qui commence revêt une gravité suffisante pour
entrer dans le cadre de l’article 3 commun aux quatre conventions de
Genève* de 1949 concernant les « conflits non internationaux ». Ceux-ci sont
définis comme des « conflits qui ressemblent à une guerre internationale,
mais qui ont lieu à l’intérieur même du territoire d’un État ». Or, l’un des
sujets d’inquiétude du CICR concerne les prisonniers des deux camps.
Initialement, le CICR se soucie avant tout des prisonniers algériens de
l’armée française dans la mesure où le bruit d’exécutions sommaires* et de
tortures* court déjà. Du côté français, le président du Conseil Pierre Mendès
France* autorise, en février 1955, le CICR à se rendre en Afrique du Nord
pour vérifier l’application de la troisième convention sur les prisonniers de
guerre, quand bien même aucune guerre n’est reconnue (l’Algérie étant
considérée comme composée de départements français et la France ne
pouvant être en guerre contre elle-même). La mission du CICR vise à obtenir
la liste nominative des personnes arrêtées par les forces françaises, à visiter
les lieux d’internement et de détention, à faciliter la correspondance des
détenus, et à leur organiser une aide de secours ainsi qu’à leur famille. Du
côté algérien, le CICR noue des relations avec Ahmed Ben Bella* et
Mohamed Khider* au Caire en janvier 1956 pour prévoir le cas des
prisonniers français du FLN*. Le nouveau président du Conseil français Guy
Mollet* estime à la même période que la question des prisonniers français du
FLN ne se pose pas dans la mesure où ceux-ci seraient presque
systématiquement exécutés.
Dans le même temps, les autorités françaises considèrent les combattants
algériens comme des « rebelles » et les traitent comme des criminels de droit
commun. Il ne saurait donc leur être reconnu le statut de prisonnier de guerre.
Pour cette raison, les condamnations à mort* pleuvent et les premières
exécutions ont lieu en 1956 (Ferradj et Zabana*). Des lieux d’enfermement
non judiciaires sont par ailleurs ouverts. Ainsi des prisonniers algériens sont
internés dans les locaux militaires puis dans les centres de tri et de transit*
(CTT), théoriquement pour un temps limité à l’issue duquel ils doivent être
soit libérés soit déférés devant les tribunaux soit encore internés dans des
centres d’hébergement*. À partir de mars 1958, le commandement français
estime cependant que le fait de traiter avec considération les combattants
algériens « pris les armes à la main » (PAM) pourrait les amener à devenir
moins résolus au combat, voire à être « retournés ». C’est ainsi que des
centres militaires d’internés* (CMI) sont créés. Leur nom indique clairement
que les camps sont gérés par des militaires mais que les internés ne sauraient
être considérés comme des militaires. Néanmoins, cette création va dans le
sens de la volonté du CICR de reconnaître de fait un statut distinct pour les
combattants algériens. Le général de Gaulle* dans son discours sur la « paix
des braves » en octobre 1958 va dans le sens de cette même reconnaissance,
sans que cela débouche sur un fléchissement algérien. Le nombre d’internés
algériens reste peu important : de l’ordre de 4 500 au maximum, tandis que
les détenus dans les CTT seraient mensuellement entre 17 500 et 20 000 de
janvier à août 1959. Par ailleurs, ces prisonniers algériens – bien qu’ils ne
soient pas reconnus comme tels – sont alors entrés dans un système où ils
peuvent être au moins en partie identifiés, tandis qu’une partie d’entre eux ne
sont même pas arrivés à ce stade, en ayant subi tortures et/ou exécutions
extrajudiciaires, conduisant dans ce dernier cas à des disparitions* dont le
nombre s’élève à plusieurs milliers, voire dizaines de milliers.
En comparaison, le nombre de prisonniers français est beaucoup moins
important, démontrant ici aussi le caractère asymétrique de la guerre : il serait
de l’ordre de 1 350 jusqu’au cessez-le-feu. La prise en compte de cette réalité
est laborieuse pour les autorités françaises, laissant un flou propice à tous les
errements possibles envers les familles. Certaines d’entre elles sont
confrontées au silence soudain de leur proche, sans qu’elles aient de
nouvelles ; d’autres apprennent à la radio* que leur fils ou frère est fait
prisonnier ; pire encore, une mère reçoit la plaque militaire de son fils par la
poste, signifiant brutalement son décès, alors que, fait prisonnier, il parvient à
s’évader onze jours plus tard… Afin de juguler toutes ces erreurs, le ministre
résidant Robert Lacoste* crée en avril 1957 un « Bureau de recherche dans
l’intérêt des familles », qui recense les disparus civils et militaires.
Néanmoins, cela n’élimine pas tous les problèmes. Par exemple, certains
militaires considérés comme disparus sont en fait des déserteurs.
Parallèlement, le CICR demande au Croissant-Rouge algérien* de fournir une
liste des captifs de l’ALN*, ce qu’il ne fait pas. Le FLN n’est d’ailleurs pas
toujours en mesure de donner des renseignements sur ses prisonniers, réalisés
dans le cadre d’une guérilla*. Parfois, des lettres parviennent directement ou
indirectement aux familles, jusqu’à apprendre l’exécution de leur proche.
Par ailleurs, le FLN traite différemment les Français et les Algériens, les
hommes et les femmes*. Autant les Français et les hommes sont plus
facilement exécutés ou faits prisonniers, autant les Algériens et les femmes
sont plus facilement libérés. Il n’en reste pas moins que, pour le FLN, le fait
de faire des prisonniers lui permet de montrer sa puissance et de peser en
faveur de la libération de ses propres prisonniers. C’est aussi un levier sur le
plan international en montrant sa capacité à capturer des soldats ennemis et
en cherchant éventuellement à les traiter selon les conventions de Genève,
afin de se montrer comme unique autorité légitime du côté algérien.
D’une manière générale, très peu de prisonniers sont faits et leur situation
reste très précaire dans les conditions d’une guérilla, a fortiori en cas de
blessure. Ils sont détenus dans des fermes, villages ou grottes ; quelques-uns
restent à un seul endroit mais la grande majorité doit changer régulièrement
de lieu, avec des conditions de déplacement souvent difficiles. Cela peut
occasionner des possibilités de fuite, qui restent cependant très marginales
tout au long du conflit. Leur situation sanitaire et alimentaire est en règle
générale très rudimentaire. Quelques prisonniers sont détenus au Maroc* ou
en Tunisie*, dans des conditions un peu meilleures. Ils sont par exemple 15 à
Oujda, et 4 en Tunisie à la suite de l’embuscade* de Sakiet* en janvier 1958.
La construction des barrages* frontaliers limite cependant la possibilité pour
le FLN d’exfiltrer ses prisonniers chez ses voisins.
Si certaines exécutions sont médiatisées par le FLN, provoquant une
effervescence du débat politique du côté français, nombre d’entre elles ne le
sont pas, laissant les familles dans l’expectative avec leur proche considéré
comme disparu. Les libérations sont elles aussi largement mises en scène,
surtout après la création du GPRA* en 1958. Mais au bout du compte, plus
de la moitié des prisonniers français du FLN ne sont pas revenus de captivité.
Tant du côté français que du côté algérien (dont les chiffres sont plus
importants), cette question continue de hanter les familles qui se demandent
encore où se trouve le corps de leur proche.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, Prisonniers du FLN, Payot, 2014 • Véronique
Gazeau et Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet. Enquête sur un appelé dans
la guerre d’Algérie, PUF, 2022 • Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans
l’Algérie coloniale. Camps, internement, assignation à résidence, Odile
Jacob, 2012.

PRISONS (ALGÉRIE)
Les législations d’exception encadrant la guerre posent comme principe
la traduction en justice des nationalistes, y compris, potentiellement, ceux
faits prisonniers* dans les maquis. Rapidement, les condamnations pleuvent
et les prisons d’Algérie sont saturées. En 1957, selon un rapport de
l’administration pénitentiaire, la population carcérale a augmenté de 133 %
depuis le 1er novembre 1954*. Le nombre de détenus dépasse pratiquement
en permanence la capacité totale de 14 000 places des prisons d’Algérie :
21 000 en juillet 1958, 13 000 en mars 1960, 18 500 en janvier 1962. Les
transferts en métropole offrent un palliatif plus qu’une solution. Ils ne font
que déplacer le problème. Surtout, ils se heurtent aux réticences de détenus
souhaitant le plus souvent rester en Algérie, près de leurs familles. De ce fait,
au moment du décès de Simone Veil*, en 2017, une importance trop grande a
été accordée au rapport qu’elle a rendu lorsque, jeune magistrate* détachée
au ministère de la Justice, elle a préconisé des transferts de femmes*
d’Algérie en métropole. Non seulement ce rapport s’inscrit dans une politique
globale antérieure mais ses effets concrets sont restés limités.
Diverses enquêtes mentionnent les conséquences de ce surpeuplement.
En 1957, selon les délégués de la Commission internationale contre le régime
concentrationnaire* (CICRC), « les prisonniers prévenus, appelants ou
condamnés, se trouvent en dehors de leur dortoir ou cellule, pendant la
journée, soit durant sept à huit heures et demie » et « les cellules individuelles
peuvent contenir jusqu’à trois prisonniers ». Le Pr Richet et le général Zeller,
pour la Commission de sauvegarde*, s’indignent du sort réservé aux
condamnés à mort à Barberousse, la prison civile d’Alger : « La chose
devient proprement inhumaine pour les condamnés à mort : 60 ou
65 hommes attendent là parfois quatre ou cinq mois l’exécution ou la grâce,
entassés à trois par cellule, alors que ces cellules sont faites pour un seul, à la
rigueur pour deux. » En théorie, en Algérie, le régime carcéral est identique à
celui de la métropole mais il est adapté face aux mobilisations. Ainsi à
Barberousse, avant le régime politique officiellement octroyé en 1959, les
femmes condamnées pour des affaires de droit commun sont séparées de
celles condamnées pour raisons politiques, autant que faire se peut. Les
condamnés à mort masculins, en revanche, sont menottés – si l’entrave a été
supprimée dans les textes, une exception a été décidée pour l’Algérie en
guerre. Les femmes condamnées à mort en restent dispensées.
Dans leurs témoignages*, les anciens détenus ne s’attardent pas, le plus
souvent, sur leurs conditions de détention, pourtant déplorables – dortoir
collectif, nourriture de piètre qualité si ce n’est infâme, tenues spécifiques
sans confort ni esthétique, conditions sanitaires sommaires, brimades des
gardiens, etc. Plus que tout, le souvenir des exécutions les a marqués. À
Barberousse, quand ils n’en guettent pas les signes avec anxiété, ils en sont
avertis par le bruit de l’ouverture des portes à l’aube, suivi de l’entrée du
camion transportant les bois de justice et du montage de la guillotine. Les
slogans, cris et chants* accompagnent la sortie des condamnés de leurs
cellules et leur mise à mort. Ainsi la Casbah, en bordure de laquelle
Barberousse est située, est alertée. L’autre spécificité du vécu carcéral réside
dans les mobilisations collectives. Non seulement le FLN* prolonge en
prison la lutte pour l’indépendance, par des grèves de la faim, en particulier,
mais les détenus trouvent des motifs de soulèvement dans la vie quotidienne.
À Barberousse, par exemple, en 1957, les femmes refusant d’admettre une
prisonnière de droit commun dans leur dortoir ont subi gifles, coups de pied,
de poing, de cravaches, et douches tout habillées. L’une d’elles, Éliette
Loup*, raconte qu’elles ont jeté des projectiles divers sur les forces de
l’ordre, manifesté en chantant et criant « assassins », « buveurs de sang »
(comme le relèvent notamment les rapports officiels). Puis les condamnées à
mort ont dénoncé un régime particulier de visite (deux personnes deux fois
par mois), de nourriture, de promenade, ainsi que leur entassement à trois
dans une cellule. En militantes, elles écrivent au ministère de la Justice qui a
gardé trace de leurs doléances. La prison est aussi un lieu de production
d’écrits. Aux journaux intimes, carnets de poésie et correspondance entre
condamnés, d’un quartier à un autre, grâce notamment à des complicités chez
les gardiens, s’ajoute la rédaction de témoignages sur les tortures subies en
amont de l’incarcération, entre les mains des militaires. Le livre d’Henri
Alleg*, La Question, paru chez Minuit en 1958, en est le symbole. Son auteur
l’a rédigé dans sa cellule à Barberousse et l’a fait sortir par son avocat.
Du point de vue des autorités, le surpeuplement pose de redoutables
problèmes de sécurité. La prison de Sétif, par exemple, connaît une révolte en
1961 puis, un surveillant ayant été tué, deux autres, « d’origine musulmane »,
selon les autorités, ont aidé six condamnés à mort à s’évader avant qu’une
seconde révolte éclate ; les gendarmes interviennent. Le général Ailleret*,
alors commandant en chef, alerte son ministre sur « l’encombrement des
prisons », qui « a pour effet de paralyser la tâche des gardiens ». Les prisons
sont non seulement l’un des lieux de la guerre mais l’un des lieux de la
défaite française. Les partisans de l’indépendance ne désarmant pas, les
arrestations perdurent et toute mesure de déflation des effectifs reste vaine.
En décembre 1961, après la grâce de 2 500 condamnés à de courtes peines,
les autorités prévoient que les prisons retrouveront leur niveau
d’encombrement dans les trois mois.
Par rapport aux camps d’internement*, les prisons se distinguent en tant
que lieux de détention judiciaire, sous couvert d’une instruction en cours ou
d’une condamnation. Des dires des détenus, si la violence n’en est pas
absente, le pire y est évité. Le soulagement accompagne la traduction en
justice. Néanmoins, les prisons s’inscrivent dans un ensemble de lieux de
détention que les prisonniers connaissent au cours des trajectoires complexes
débutant avec leur arrestation. Ils peuvent ainsi passer par les camps
d’internement : centres de tri et de transit* de l’armée en amont des
incarcérations judiciaires, centres d’hébergement* en aval – les prisonniers
libérés par la justice sont internés, après un non-lieu, un acquittement, une
condamnation avec sursis ou encore à l’issue de leurs peines. D’autres lieux
sans existence officielle sont restés dans les mémoires, telle la prison des
femmes de Tifelfel, aménagée à la hâte dans l’Aurès à l’été 1955 pour les
épouses des maquisards. Comme il n’en reste plus de trace matérielle, elles
seules peuvent en témoigner tant qu’elles sont encore en vie. Les hôpitaux,
enfin, notamment l’établissement psychiatrique de Blida, voient aussi passer
des détenus. Pour Marc André et Susan Slyomovics, « la prison se comprend
inévitablement dans un dispositif d’enfermement plus vaste ».
Réinvesties à l’indépendance et parfois encore utilisées, ces prisons n’ont
pas fait l’objet d’une patrimonialisation propre à en susciter l’étude. Les
recherches sont en cours. Même si leur envoi en métropole était privilégié,
l’incarcération des partisans de l’Algérie française, dont ceux de l’OAS*,
manque également dans l’historiographie des prisons algériennes.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Marc André et Susan Slyomovics (dir.), L’Année du Maghreb, no 20,
L’Inévitable prison, 2019 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les
magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.
PRISONS (FRANCE)
L’état de guerre n’étant pas juridiquement reconnu, a fortiori en France,
les prisons se remplissent d’ennemis prévenus ou condamnés, principalement
des nationalistes algériens, au point qu’on parle de « prisons algériennes » sur
le territoire métropolitain. En effet, alors que le nombre de détenus ne cessait
de diminuer depuis 1945, il est en forte hausse à partir de 1956 et atteint un
pic en 1961. Au cours de 1956, le nombre de « détenus nord-africains » (pour
reprendre la terminologie de l’époque) passe de 1 608 à 2 535. Puis il
augmente de façon spectaculaire dans certaines régions pénitentiaires : 91 %
à Paris, 144 % à Lyon*, 93 % à Marseille*, 295 % à Lille* en 1957. Près de
44 280 Algériens sont arrêtés durant la guerre, soit un dixième de ceux qui
résident alors en métropole. Fin 1958, les détenus algériens représentent
62,5 % des détenus à Fresnes et 35 % à la Santé, et ils forment la totalité de la
population pénale de Loos-les-Lille ou de Saint-Martin-de-Ré. En 1962, ils se
comptent en centaines : 373 à Loos-les-Lille, 491 à Saint-Paul à Lyon, 459
aux Grandes Baumettes et 115 aux Petites Baumettes à Marseille, 765 à
Fresnes. L’augmentation de la population carcérale s’explique par
l’augmentation de la population algérienne en France (environ
350 000 personnes en 1962), sa très forte politisation et l’approfondissement
de la répression en métropole (pouvoirs spéciaux* en juillet 1957, tribunaux
militaires à partir d’octobre 1958).
La surpopulation carcérale aggrave les conditions de détention. Malgré la
réouverture de prisons dont celles de Riom et de Trévoux, le surpeuplement
freine l’application des réformes carcérales promues dès 1945 et destinées à
humaniser les conditions de détention, notamment par un traitement
individualisé. Durant la guerre d’Algérie, le régime cellulaire est rarement
possible, du fait de contraintes architecturales (une quarantaine de prisons sur
130 sont constituées de dortoirs) et du manque de place. L’enfermement
individuel est réalisé dans moins d’un tiers des prisons. La surpopulation, en
outre, empêche les séparations habituelles entre catégories de détenus. Par
exemple, en juin 1959, la maison d’arrêt de Châlon-sur-Marne, d’une
capacité de 155 places, regroupe 31 métropolitains et 51 « Nord-Africains »
de droit commun mais aussi 242 détenus politiques. Enfin, les oppositions
peuvent rejouer en prison. Certes, l’administration tente de séparer les
ennemis. À Lyon, les détenus FLN* vont à Saint-Paul, ceux du MNA* à
Saint-Joseph. En 1962, la Santé regroupe 315 détenus OAS* et 8 FLN,
Fresnes 721 FLN pour 44 MNA. Les frictions sont réelles : à la maison
d’arrêt de Douai, une première séance de cinéma* collectif aboutit à une
bagarre entre détenus MNA et détenus FLN.
Les Algériens établissent un rapport de force avec l’administration
pénitentiaire. Le FLN organise des comités de soutien, à l’extérieur, et des
comités de détention, à l’intérieur, pour avancer des revendications. De
grandes grèves de la faim, lancées en 1959 pour l’obtention d’un régime
spécial, aboutissent à la circulaire Michelet* du 4 août : les prisonniers*
incarcérés pour des faits en relation avec la guerre d’Algérie deviennent des
détenus de « catégorie A » et leur ordinaire est amélioré (promenades
allongées, courrier plus fréquent, lecture de journaux, réception de colis de la
Croix-Rouge*, vie diurne en commun, scolarisation, etc.). Une fois le statut
obtenu, les détenus œuvrent pour son amélioration mais, après un nouveau
durcissement à la suite du départ d’Edmond Michelet, une nouvelle longue
grève de la faim en novembre 1961 leur permet d’obtenir un nouveau statut
(19 novembre 1961) et de nouveaux droits (transistors, etc.). Il reste très
difficile d’appliquer un règlement uniforme dans toutes les prisons : les
conditions de détention varient de l’une à l’autre. Elles varient également
selon le statut du prisonnier (les cadres du FLN bénéficient d’une
amélioration de leur régime, les condamnés à mort sont rassemblés dans des
quartiers distincts) et selon la trajectoire carcérale tant la prison est un espace
traversé : des suspects sont arrêtés et détenus en France sur mandat d’amener
de tribunaux d’Algérie, avant d’y être transférés et parfois internés dans des
camps ; dans l’autre sens, des condamnés à mort sont envoyés en métropole
pour désengorger les prisons de la colonie ; en France, les prévenus, une fois
condamnés, rejoignent des centrales situées loin de chez eux comme Saint-
Martin-de-Ré, Mauzac ou Thol.
Si les détenus algériens, hommes, ont été les plus nombreux, s’ils ont fait
le plus de bruit, la guerre d’Algérie a conduit bien d’autres personnes en
prison. Des femmes*, algériennes ou européennes, ont également été
emprisonnées, souvent discrètement même si elles ont parfois fait parler
d’elles, comme lors de grèves de la faim ou de l’évasion* de six d’entre elles
de la Petite Roquette (25 février 1961). En janvier 1962, 81 femmes sont
emprisonnées, notamment à Montluc*, Rennes, Caen, Pau. Leurs conditions
de détention sont aussi variables que celles des hommes : cellules
individuelles à Fontenay-le-Comte, cellules collectives à Rouen, dortoirs à
Pau par exemple. Toutes les prisons séparent cependant les « politiques » des
« droit commun ». Outre les partisans de l’indépendance, des objecteurs de
conscience ont été très sévèrement condamnés : en juin 1962, 160 sont encore
emprisonnés dont 139 depuis plus de deux ans. Quelques prisons en
concentrent un grand nombre : Aix-en-Provence où ils sont en 1962 plus de
50, Metz (20 % d’entre eux), Rennes, Lyon. Eux aussi ont des trajectoires
mouvementées et protestent, parfois en faisant la grève de la faim, non
seulement en solidarité avec les Algériens et pour obtenir le régime politique
mais aussi, plus spécifiquement, pour obtenir un statut des objecteurs de
conscience.
Les accords d’Évian* entraînent des libérations massives : le 18 mai
1962, il ne reste plus aucun des 5 000 détenus algériens de catégorie A en
prison. D’autres détenus pour « des faits en relation avec la guerre
d’Algérie », non amnistiés*, restent enfermés : objecteurs de conscience
concentrés sur Mauzac, soutiens du FLN jusqu’en 1963-1964 ou encore
activistes de l’OAS. Ces derniers sont encore 1 688 en prison au 1er janvier
1963 et 188 le 1er janvier 1966. Des détenus de toutes ces catégories ont
témoigné de leurs expériences dans de nombreuses autobiographies.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Fanny Layani, « “Le ciel est bleu comme une chaîne.” L’incarcération
des militants de l’indépendance algérienne dans les prisons de France
métropolitaine. 1954-1962 », mémoire de Master 2 sous la dir. de
R. Branche, Paris-1, 2012 • —, « Fresnes, “prison algérienne” ? (1954-
1962) », L’Année du Maghreb, no 20, 2019 • —, « Ce que la guerre fait aux
prisons. L’impact de la guerre d’indépendance algérienne sur les prisons de
métropole », Criminocorpus, no 13, 2019, disponible en ligne.

PROCÈS DES MEMBRES DE L’OAS


En mai 1962, le procès Salan*, devant le Haut Tribunal militaire institué
le 27 avril 1961 grâce aux pouvoirs exceptionnels que l’article 16 de la
Constitution confère au chef de l’État, cristallise l’attention. Alors que
Jouhaud* a déjà été condamné à mort, le 13 avril 1962, la condamnation de
Salan, chef de l’OAS*, vaut celle de l’organisation. Son avocat, Tixier-
Vignancour, choisit l’offensive, en rappelant l’affaire du bazooka et les
engagements de nombreux gaullistes pour l’Algérie française, 13 Mai*
inclus. Il obtient une condamnation à la détention criminelle. En réplique, les
autorités créent par ordonnance le 1er juillet 1962 une nouvelle juridiction, la
Cour militaire de justice. Bien que sa légalité soit contestée, elle condamnera
à mort, le 4 mars 1963, Jean-Marie Bastien-Thiry, maître d’œuvre de
l’attentat du Petit-Clamart*.
Après son exécution, les procès de l’OAS sont très nombreux mais ils
sont beaucoup moins médiatisés, sauf celui du colonel Argoud*
(décembre 1963). Ils se déroulent devant la Cour de sûreté de l’État* créée en
janvier 1963. Elle a jugé 2 265 personnes entre 1963 et 1968, pour la plupart
impliquées dans l’OAS. Elle mène une véritable « politique du chiffre »
(Vanessa Codaccioni). En juillet 1964, 90 % des membres de l’OAS ont été
jugés pour complot contre l’autorité de l’État. Les décisions, reflétant les
directives de l’exécutif, sont celles d’une institution assujettie au pouvoir. Ses
peines témoignent d’une sévérité modulée en fonction de la place dans la
hiérarchie de l’OAS, de la gravité des actes (crimes de sang), de l’âge et du
sexe des accusés (les 138 femmes sont condamnées moins lourdement). Au
total, en juillet 1964, toutes juridictions confondues, le bilan est de
4 113 personnes jugées, 9 condamnations à mort*, dont 4 exécutées, 3 460
condamnations à des peines privatives de liberté (la moitié assorties de sursis)
et 644 acquittements. Le temps des procès passé, les autorités enclenchent un
processus d’amnistie* qui démarre dès décembre 1964, se poursuit en
juin 1966 puis dans la foulée de mai 1968 (dernières libérations) pour
s’achever en décembre 1982 sous François Mitterrand*.
Olivier DARD
Bibl. : Vanessa Codaccioni, Justice d’exception. L’État face aux crimes
politiques et terroristes, Éditions du CNRS, 2015 • Victor Delaporte, « Aux
origines de la Cour de sûreté de l’État. La conquête d’un pouvoir de punir par
l’exécutif (1960-1963) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 140, 2018 •
Stéphane Gacon, « Les amnisties de la guerre d’Algérie (1962-1982) »,
Histoire de la justice, no 16, 2005.

PROGRAMMES SCOLAIRES (ALGÉRIE)


L’enseignement a été un vecteur essentiel dans la domination coloniale.
L’école a ainsi contribué à assurer et justifier « le pouvoir idéologique » de la
domination française. Les programmes scolaires sont de ce point de vue un
instrument important dans la diffusion, la socialisation et la justification de
l’idéologie coloniale, dans ce qu’elle se représente comme hiérarchie raciale
et sociale. Jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, les programmes pour
indigènes ne changent guère fondamentalement. Les rapports entre les
communautés ne sont relevés que comme « fonctionnels », minimaux et
nécessairement inégalitaires. L’enseignement de l’histoire et de la géographie
commun aux deux populations glorifie la colonisation, présente celle-ci
comme mission de civilisation d’une contrée jusque-là ensauvagée et vierge,
joue sur les différences « ethniques » entre Arabes et Kabyles, ces derniers
étant présentés comme plus enclins à l’assimilation. Le plan de scolarisation
de 1944, qui annonce alors une scolarisation accélérée et des réformes, visant
le développement des études arabes et sur l’islam, se révèle assez timide. Les
réformes qui sont engagées ne prennent place que progressivement dans la
décennie qui suit, si bien qu’en 1954, peu d’entre elles sont réellement
effectives. Sur le plan des manuels et de la pédagogie, le Syndicat national
des instituteurs* (SNI, sections algériennes) s’engage sur des réformes qui
font évoluer quelque peu les programmes. De fait, toutes ces réformes
tardives, partielles et velléitaires ne rompent pas avec la ligne politique
stratégique de ne pas aller sur le fond dans les réformes engagées.
Les politiques publiques de définition de l’institution scolaire, de son rôle
et de ses fonctions démarrées au lendemain de l’indépendance ont répondu
comme en écho aux politiques coloniales. On peut même avancer que le
degré d’imprégnation de l’enseignement actuel par l’idéologie officielle,
« une langue, une religion, un peuple », est symétriquement proportionnel au
degré de déculturation subi durant la période coloniale. La rapide avancée de
l’arabisation dans le système d’enseignement, la redéfinition des programmes
scolaires dans le sens de l’idéologie officielle, un enseignement exclusif de
l’histoire nationale, la part prépondérante que prend l’islam (religion de l’État
indépendant) dans la sphère éducative, sont à cet égard révélateurs de la
transformation du contenu de l’enseignement, d’autant plus impérieuse que la
déculturation a été profonde. C’est au niveau du premier degré que sont
introduites les premières mesures d’arabisation, dès les premières années
d’indépendance de 1962 à 1964. Le processus aboutit en 1973-1974 à
l’arabisation quasi complète du primaire et du secondaire. Le supérieur est
quant à lui arabisé en 1983, avec la persistance du français dans des filières
comme la médecine, l’architecture et l’ingéniorat. Les principes
fondamentaux du roman national énoncés dans la Charte d’Alger qui, déjà
sélective, ne faisant référence qu’au cheikh Ben Badis, le président de
l’Association des ulémas, ainsi qu’à l’émir Abdelkader et aux premiers
résistants à la colonisation s’affirment dès 1964 dans les programmes
scolaires, et sont officialisés dans les ouvrages qui suivent la mise en place de
l’École fondamentale en 1976. Se met en place dans les programmes
(notamment d’arabe, d’histoire et de philosophie) une vision de la nation
exclusive de toute autre composante que celles de l’arabo-islamisme et de son
« institutionnalisation au service de l’État FLN ». Il faut attendre les
premières secousses des années 1980, principalement après le mouvement
social d’octobre 1988, pour voir s’ouvrir, à défaut de réformes de fond, de
subreptices adaptations. Les programmes et manuels scolaires deviennent dès
lors l’enjeu de rapports de force politico-idéologiques, qui se manifestent au
fur et à mesure des réformes engagées, successivement au début des années
1990, ainsi qu’au début des années 2000, puis en 2008 et enfin récemment
autour de la suppression du primat de la formule coranique, le « bismillah »,
dans le livre scolaire. De manière générale, la conception politico-
idéologique dominante qui a prévalu dès l’indépendance, dans l’école en
Algérie, a été peu ou prou revue, en dépit de l’éveil et des luttes d’une société
civile émergente, qui revendique la prise en compte de la pluralité des
appartenances culturelles et des référents historiques. Il y a ainsi posé la
question de l’enseignement de la langue berbère à l’école qui, en dépit des
assurances officielles depuis 1995, est pour le moins fragile. La question de
la place de la religion dans l’enseignement rebondit à chaque rentrée et
nouveau ministre. Enfin le débat porté par le hirak sur les fondements de
l’histoire algérienne entre « novembristes, badissiens et soumamiens »
comme les violentes réactions autour de la remise en cause publique de la
lutte de l’émir Abdelkader témoignent de la vivacité et de la difficulté à
construire un consensus sur l’histoire nationale que l’école devrait prendre en
compte.
Aissa KADRI
Bibl. : Lydia Ait Saadi, « La nation algérienne à travers les manuels scolaires
d’histoire algériens (1962-2008) », thèse de doctorat en histoire sous la dir.
de B. Stora, Inalco, 2010 • Antoine Léon, Colonisation, enseignement et
éducation. Étude historique et comparative, L’Harmattan, 1991 • Gilles
Manceron, Hassan Remaoun, D’une rive à l’autre. La guerre d’Algérie de la
mémoire à l’histoire, Syros, 1993.

PROGRAMMES SCOLAIRES (FRANCE)


Pendant la période coloniale, l’administration assigne à l’école l’objectif
de « fusionner les races » en assurant la « conquête morale » des
« indigènes ». Paradoxalement, la période avant 1870 sépare moins les
communautés que la IIIe République qui impose un enseignement à
destination des indigènes dans des écoles spécialisées. Il faut attendre 1949
pour que les enseignements « européen » et « indigène » fusionnent. Comme
l’enseignement est identique à l’ensemble de la population des Européens, les
manuels scolaires sont les mêmes en Algérie et en France. Ils dressent une
image idéalisée de la colonisation, loin des réalités socioéconomiques et
sociopolitiques de l’Algérie coloniale. Le discours qui transparaît dans les
manuels scolaires des années 1930 est celui d’une entreprise coloniale
préoccupée par des buts humanitaires, ayant permis la mise en valeur de
l’Algérie et même l’aboutissement à l’égalité des droits entre Français et
Algériens. Tous les problèmes (même connus) de la situation en Algérie sont
passés sous silence. Les appelés du contingent*, comme les autres Français
de métropole et d’Algérie, baignent dans cette « vérité officielle » lorsqu’ils
sont amenés à participer à la guerre d’Algérie.
Jusqu’en 1982, cette guerre est qualifiée de « crise » ou d’« affaire » (la
guerre n’a officiellement été reconnue comme telle qu’en 1999). Elle est
expliquée de manière très succincte par l’anticolonialisme américain et le
communisme, en apparaissant comme un enjeu de la rivalité entre les deux
blocs pendant la guerre froide*. La guerre d’Algérie et l’ensemble de la
décolonisation sont davantage présents dans les manuels de terminale à
compter de 1983 et de la réforme des programmes consécutive à l’arrivée de
la gauche au pouvoir. Pour les collèges, il faut attendre 1986, le temps total
pour les décolonisations étant de deux heures dans les programmes. Jusqu’en
1991, seuls 3 sujets de Brevet des collèges (sur 312) sont consacrés à la
guerre d’Algérie et 58 aux décolonisations. Au lycée, les programmes visent
d’abord à lier colonisation et sous-développement du tiers-monde. Jusqu’en
1989, seuls 5 sujets sont consacrés à la guerre d’Algérie et 10 autres à la
décolonisation, sur 350 sujets au total. Les programmes de 1989 séparent les
questions de décolonisation (liée aux nationalismes*) et de tiers-monde, qui
est vu sous le seul angle géopolitique.
D’une manière générale, à cette période, la tendance est d’opposer une
« décolonisation violente » avec le cas français et la guerre d’Algérie, et une
« décolonisation négociée » avec le cas anglais et l’indépendance de l’Inde et
du Pakistan. Or, cette vision dichotomique méconnaît les complexités des
décolonisations de chacune des puissances coloniales. Par ailleurs, la guerre
d’Algérie (et plus largement la colonisation et la décolonisation) est présente
dans les programmes de l’école primaire depuis 2002. Au début des années
2000, une enquête de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP)
montre que les enseignants appréhendent de traiter d’un sujet qu’ils
considèrent comme difficile, lorsqu’il est question d’aborder la citoyenneté
ou selon le public face auquel ils se trouvent. Des revendications identitaires
(de différents ordres) peuvent exister, mais montrent une demande sociale
forte qui favorise le fait que de nombreux anciens lycéens estiment qu’ils
n’ont pas (ou trop peu) traité la question de la guerre d’Algérie dans leurs
cours.
En outre, l’article 4 de la loi du 23 février 2005* recommande
d’enseigner « les aspects positifs de la colonisation », contribuant à politiser
la question coloniale jusque dans les salles de classe. Mais la mobilisation des
historiens conduit à l’abrogation de cet article. Au cours des années 2010,
aux programmes sur la guerre d’Algérie en première (d’une durée de sept à
huit heures) s’ajoute en terminale l’étude de « l’historien et les mémoires »
sur une durée de quatre à cinq heures. Les programmes laissent au choix la
possibilité entre les mémoires de la Seconde Guerre mondiale et celles de la
guerre d’Algérie. La grande majorité des enseignants choisissent, au moins
dans un premier temps, la première possibilité. Or, en 2014, 54 % des
Français estiment que l’on ne parle pas assez de la guerre d’Algérie à l’école.
De plus, la mise en concurrence des deux mémoires est susceptible de poser
des problèmes en classe. La réforme de 2019-2020 met fin à ces difficultés en
obligeant à l’étude des deux mémoires. Elle accroît par ailleurs l’étude du fait
colonial. Enfin, l’Office national des anciens combattants* et victimes de
guerre (ONACVG) a mis en place une exposition et une mallette
pédagogique à destination des enseignants, avec un programme
d’intervention de témoins en classe. Ce programme a encore été renforcé à la
suite du « rapport Stora* ».
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Frédéric Abécassis, Giles Boyer, Benoît Falaize, Gilbert Meynier et
Michelle Zancarini-Fournel (dir.), La France et l’Algérie : leçons d’histoire.
De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait colonial, ENS
Éditions, 2007 • Françoise Lantheaume, « L’enseignement de l’histoire de la
colonisation et de la décolonisation de l’Algérie depuis les années trente :
État-nation, identité nationale, critique et valeurs. Essai de sociologie du
curriculum », thèse de doctorat de sociologie sous la dir. de J.-L. Derouet,
EHESS, 2002 • Tramor Quemeneur, « L’enseignement de la colonisation et
de la décolonisation et la lutte contre le racisme et les discriminations à
l’école », L’École des lettres, décembre 2015, disponible en ligne.

PROPAGANDE
Les pratiques d’influence politique sont anciennes. Depuis l’Antiquité,
les différents acteurs politiques utilisent discours, iconographie et mise en
scène pour renforcer leur position ou affaiblir leurs adversaires. L’usage
moderne du terme « propagande » naît de la contre-réforme catholique avec
la création de la Sacra Congregatio de Propaganda Fide, chargée de contrer
l’influence de la Réforme et de diffuser le catholicisme* dans un contexte
d’expansion coloniale. Il faut attendre l’avènement des sociétés industrielles à
la fin du XIXe siècle et l’apparition de moyens de communication de masse
pour qu’il fasse l’objet d’une théorisation progressive, notamment après la
Seconde Guerre mondiale, de la part d’auteurs et praticiens comme Serge
Tchakhotine, Willi Münzenberg ou Edward Bernays. Le second conflit
mondial marque en ses contemporains le déploiement massif de la
propagande de guerre par les États belligérants, devenant ainsi un objet de
réflexion important pour les États occidentaux et leurs armées.
Il faut attendre le début de la guerre froide*, malgré la brève existence
d’un service dédié, pour que le régime républicain en France porte de l’intérêt
à la propagande, à la contre-propagande ou encore à la guerre psychologique,
et tente, sans grand succès, de se doter de moyens, d’institutions et d’une
doctrine ad hoc. La chose est d’autant plus complexe que le parti communiste
est un parti puissant jouant le jeu électoral et même républicain. Le
gouvernement républicain ne peut donc assumer explicitement une
propagande anticommuniste d’État. D’où l’appui discret à des officines
anticommunistes privées tels le groupe de Georges Albertini ou Paix et
Liberté du député Jean-Paul David, couvrant la France d’affiches
anticommunistes. La propagande gouvernementale, clandestine par nécessité,
porte le sceau de la clandestinité. Ainsi, en 1950, le SDECE* se dote d’un
service d’action psychologique*, dirigé par Antoine Bonnemaison, assurant
un important travail de documentation et d’analyse, tissant des liens avec les
élites politiques, économiques et intellectuelles françaises et européennes.
Seule l’armée, plus spécialement dans ses guerres coloniales, peut assumer
officiellement des services de propagande, prenant rapidement l’appellation
d’action psychologique, chargés de soutenir le moral, d’éclairer les cadres sur
les enjeux politiques et les méthodes à mettre en œuvre, de s’assurer du moral
des troupes et de stimuler la collaboration des autochtones.
En Algérie, comme en Indochine*, l’armée française fait face à un
adversaire utilisant la propagande. La propagande du FLN* est conditionnée
par la clandestinité et l’exil. Il produit, avec les faibles moyens dont il
dispose, des tracts, diffuse des slogans en les peignant sur les murs, fait courir
des rumeurs. Ces commissaires politiques doivent assurer l’éducation
politique des Algériens, rassemblant les villageois pour des discours et
assurant la motivation politique des maquisards. Il imprime, à partir de 1955,
d’abord en Algérie puis au Maroc* et en Tunisie*, El Moudjahid et
Résistance algérienne, qui sont ses organes officiels. Sa propagande est aussi
tournée vers l’opinion internationale. Il lui faut légitimer sa lutte, par le
discours et l’image, aux nations étrangères et montrer l’ALN* comme une
armée organisée et disciplinée à l’égale des armées conventionnelles. La
radiodiffusion* est un puissant relais politique pour les nationalistes algériens
qui peuvent compter sur des postes émetteurs puissants au Maroc, en
Égypte*, en Syrie mais aussi dans certains pays du bloc de l’Est. Ainsi la
station égyptienne La Voix des Arabes relaie efficacement, au grand dam des
autorités françaises, la propagande du FLN. En décembre 1956, avec La Voix
de l’Algérie libre et combattante, le FLN se dote de son propre canal émettant
principalement depuis des pays arabes, à qui les autorités françaises opposent
brouillages, émissions en langues arabe et kabyle et fausses radios
nationalistes. À la fin de la guerre, l’OAS* a également recours à des radios
pirates pour diffuser ses idées.
Tous les belligérants de la guerre d’Algérie utilisent la propagande, avec
des approches, des moyens et des buts différents. Toutes se développent,
adaptant leur contenu au public visé, sur trois axes : présenter l’adversaire
comme un agresseur face auquel la défense est légitime, justifier les moyens
de lutte utilisés par la finalité politique positive du combat et la promesse
d’un futur meilleur, influencer le comportement de la population en jouant
sur les registres de la promesse et de la menace, imposant aux auditeurs de
choisir entre « eux » et « nous ». En ce domaine, le mimétisme avec
l’adversaire joue à plein, la propagande française répond à la propagande
algérienne. Chaque camp justifiant sa propagande par l’antériorité de la
propagande de l’adversaire. Tous s’appuient sur la performativité relative de
la propagande qui, dans un contexte de menace permanent, influe sur les
comportements de la population civile, quitte à s’intoxiquer soi-même. Cette
auto-intoxication atteint son apogée lors de l’été 1958, quand les services
d’action psychologique s’illusionnent à la fois sur la volonté des Algériens
d’accéder à la pleine citoyenneté française et sur les intentions réelles du
général de Gaulle*. Son discours sur l’autodétermination* du 16 septembre
1959 et les émeutes de décembre 1960 sont autant de démentis cinglants à
leurs obsessions propagandistes.
Denis LEROUX

PROTESTANTISME
La grande préoccupation du protestantisme français durant la Guerre
d’indépendance algérienne est la question morale des tortures, des pratiques
policières et des exécutions sommaires*. La première condamnation de ces
violences est faite par la commission sociale de l’Église réformée de France
(ERF), en février 1955, puis par le Conseil régional de l’Église réformée
d’Algérie et le Conseil national de l’ERF, qui, en avril 1956, dénoncent
l’usage de la torture* par l’armée. Si l’aumônerie militaire protestante
désigne, à partir de 1956, des pasteurs parmi des officiers* de réserve
rappelés en Algérie, le Mouvement international de la réconciliation (MIR),
courant pacifiste du protestantisme, refuse toute compromission avec l’armée.
Les Églises réformées d’Algérie sont plus nuancées quant aux violences
militaires et soucieuses de ne pas porter atteinte au moral de l’armée qui
protège les Français d’Algérie. Le conseil de la Fédération protestante de
France (FPF) « adjure », le 12 mars 1957, en pleine bataille d’Alger*, « les
pouvoirs publics de mettre un terme aux agissements qui portent à la France
un préjudice incalculable tant auprès de ses propres enfants qu’auprès de
l’opinion mondiale et des populations locales ». Afin de répondre aux
angoisses des hommes du contingent, auxquels aucune réponse n’est
apportée, la FPF renouvelle ses protestations le 25 mars 1958, quelques jours
après le verdict du procès du pasteur Mathiot. Premier Français jugé en
métropole pour aide au FLN*, après avoir fait passer en Suisse* un de ses
dirigeants, il fait du prétoire une tribune contre la torture et pour le droit
d’asile. La charité est, en effet, une autre préoccupation du protestantisme
français. La Cimade*, organisation caritative des protestants, présente en
Algérie depuis 1958, répond à cette préoccupation en agissant auprès des
populations musulmanes dans les quartiers pauvres d’Alger et dans les
« centres de regroupement* ». L’action de Tania Metzel, aumônier des
prisons*, qui assiste les prisonniers* nationalistes détenus dans les centres
d’hébergement* en Algérie, soulève la colère des protestants d’Algérie avec
lesquels le dialogue est de plus en plus difficile. Les appels à la solidarité
avec les populations regroupées du pasteur Beaumont et de Mgr Feltin,
aumônier des armées, en mai 1959 et du pasteur Beaumont et de Jean
Rodhain, secrétaire général du Secours catholique, en janvier 1960, ne
calment pas les tensions. Président depuis 1929 de la FPF, le pasteur Marc
Boegner ne ménage pas sa peine et n’élude pas la question de l’avenir de
l’Algérie. Entre 1954 et 1959, le choix est celui d’une « coexistence dans la
justice », avec le maintien de la présence française en Algérie. L’arrivée au
pouvoir du général de Gaulle, le 13 mai 1958*, suscite le silence de l’ERF
qui est soucieuse de ne pas diviser ses rangs. Mais elle libère la parole des
protestants de la FPF qui veulent apporter une réponse chrétienne au
problème politique et réaffirment le droit à la justice et au respect de la
personne humaine. En janvier 1960, la FPF fait une déclaration de soutien au
général de Gaulle lors de la semaine des barricades*, et lors du synode
national de juin 1960, l’ERF regrette que le drame algérien menace « l’unité
du pays. » Ces deux déclarations suscitent la méfiance de la communauté
pied-noire*. L’assemblée générale du protestantisme français, qui se tient à
Montbéliard en octobre 1960, constitue une étape dans l’engagement d’une
partie du protestantisme français. Pour la première fois apparaît l’affirmation
d’une solution politique dans le triptyque « trêve, négociation*, médiation. »
Les questions de l’insoumission, qui n’est ni justifiée ni condamnée, du refus
légitime de la torture et de l’objection de conscience ne sont pas éludées. Au
contraire même, un soutien moral, matériel et juridique est fourni à ceux qui
font ce choix de l’insoumission et de l’objection. À partir de 1961, la FPF
demeure la seule parole du protestantisme français. M. Boegner, qui a
demandé, en décembre 1960, au général de Gaulle de mettre fin à la guerre et
aux tortures, est remplacé par Charles Westphal. Ce dernier intervient
fermement auprès du préfet Papon* après la répression policière des
manifestations du 17 octobre 1961* à Paris. Il s’oppose également à l’OAS*
et à la menace de guerre civile dans un message de vigilance du 12 janvier
1962 aux conseils presbytéraux et aux mouvements protestants. En 1961 et
1962, l’ERF se condamne au silence pour ne pas briser son unité, alors qu’en
Algérie les protestants se sentent mis en accusation. Après le cessez-le-feu, le
sort des rapatriés* et des harkis* monopolise la parole des autorités
protestantes.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Pierre Bolle, « Le protestantisme français et la guerre d’Algérie », Les
Cahiers de l’IHTP, no 9, La guerre d’Algérie et les chrétiens, 1988 • Denis
Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de
gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012.

PUTSCH DES GÉNÉRAUX (AVRIL 1961)


Le putsch des généraux en avril 1961 se situe au carrefour de deux
événements de l’histoire contemporaine de France : l’accroissement du poids
de l’armée dans la vie politique du pays et la fin de la guerre d’Algérie.
Mai 1958 a constitué à la fois l’apogée de la puissance des militaires,
l’occasion du retour au pouvoir du général de Gaulle* le 1er juin 1958 et le
début d’une épreuve de force entre le nouveau pouvoir et une partie de
l’armée. L’annonce de l’autodétermination, le 16 septembre 1959, est à
l’origine de la semaine des barricades* (janvier 1960) et d’une tension très
forte avec les partisans de l’Algérie française. À la suite du référendum* du
8 janvier 1961 qui lui donne carte blanche pour ouvrir des pourparlers, le
général de Gaulle entend aboutir à la paix en Algérie par des négociations*
avec des représentants du GPRA* qui doivent s’ouvrir à Évian. La
conférence de presse du 11 avril, au cours de laquelle de Gaulle affirme que
« la décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique »,
achève de décider les comploteurs de passer à l’action, et l’OAS* créée à
Madrid en février 1961 de s’opposer au pouvoir gaulliste.
C’est dans cette perspective qui ne peut mener selon eux qu’à
l’indépendance que quatre généraux, parmi les plus prestigieux de l’armée
française, Maurice Challe* (commandant en chef en Algérie de janvier 1959
à avril 1960), Edmond Jouhaud* (ancien chef d’état-major de l’armée de
l’air*), Raoul Salan* (ancien commandant en chef en Algérie de
novembre 1956 à décembre 1958) et André Zeller* (ancien chef d’état-major
de l’armée de terre*), et des colonels déclenchent le putsch dans la nuit du 21
au 22 avril 1961. Ils justifient leur action par le refus d’abandonner l’Algérie
qu’ils considèrent comme française et de tenir le serment que l’armée gardera
ce territoire. Ils veulent refaire le coup du 13 Mai*, mais en allant cette fois
jusqu’au bout. Des unités de la Légion étrangère* et des parachutistes*
prennent possession des points stratégiques d’Alger et arrêtent les
représentants de l’État. Sur le coup, le putsch semble être une réussite, en
particulier dans le corps d’armée d’Alger. Dans celui d’Oran, le général de
Pouilly, pourtant hostile à la politique algérienne, n’approuve pas le
mouvement. Dans le corps d’armée de Constantine, le général Gouraud*
confirme son adhésion au putsch, puis se ravise. En fait, la plupart des unités
militaires hésitent à soutenir cette opération, le contingent rechigne ou
manifeste, et les autorités administratives ne suivent pas. En France
métropolitaine, le gouvernement semble pris au dépourvu, et l’État prêt à
vaciller.
Le général de Gaulle fait cependant preuve de détermination. Dès le
22 avril, l’état d’urgence* est décrété en Algérie. À Paris, des arrestations
décapitent l’antenne des putschistes. Dans l’émoi général, de Gaulle s’adresse
au pays le dimanche 23 avril au soir. Au cours d’une allocution
radiotélévisée, il stigmatise « un quarteron de généraux en retraite », il
« interdit à tout Français, et d’abord à tout soldat, d’exécuter aucun de leurs
ordres » et il annonce le recours à l’article 16 qui lui accorde les pleins
pouvoirs. Le Premier ministre, Michel Debré*, appelle les Français à se
mobiliser contre une éventuelle opération aéroportée. En métropole, la
population – toutes tendances confondues – fait bloc derrière le Général, et le
lundi 24 arrête le travail en guise de protestation.
Le lendemain, le mouvement putschiste commence à s’effriter. Certains
officiers* sont troublés, les défections se multiplient et une partie des appelés
manifestent plus résolument leur opposition à ce pronunciamiento. Dans la
nuit du 25 au 26 avril, c’est la débandade. Challe se rend aux autorités
légales, suivi par les unités putschistes.
Par la suite, un tribunal militaire condamne Challe et Zeller à quinze ans
de réclusion ; ils sont libérés cinq ans plus tard. Quant à Salan et Jouhaud, ils
s’enfuient, deviennent les chefs de l’OAS qui poursuit une action terroriste,
mais ils sont à leur tour arrêtés et jugés séparément : Jouhaud est condamné à
mort puis gracié, Salan est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
Ils sont graciés en juin 1968 et amnistiés en novembre 1982.
Ce coup d’État avorté renforce le pouvoir du général de Gaulle et rend
encore plus indispensables les négociations pour aboutir à un cessez-le-feu.
Elles vont durer de mai 1961 au 18 mars 1962 et aboutir en juillet à
l’indépendance de l’Algérie que le putsch voulait éviter. C’est aussi une
victoire du pouvoir politique sur l’armée, appelée à abandonner les horizons
ultramarins et à se moderniser à l’ère nucléaire.
Maurice VAÏSSE
Bibl. : Maurice Vaïsse, Le Putsch d’Alger, Odile Jacob, 2021.
Q

QASSAMAN
Qassaman est le titre de l’hymne national de l’Algérie, consacré
officiellement par l’Assemblée constituante le 28 août 1963.
Si l’écriture de ce poème revient au poète Moufdi Zakaria – de son vrai
nom Zekri Chikh –, elle ne doit rien au hasard. Moufdi Zakaria est l’auteur
du poème Fidaou el Djazaïr (Le Sacrifice de l’Algérie) (1937), hymne du
PPA*. Quand le FLN* déclenche la guerre de libération nationale le
1er novembre 1954*, il était inconcevable de continuer à chanter Fidaou el
Djazaïr, en raison de l’évocation du nom de Messali Hadj* dans un des vers.
Les nationalistes disposent de deux autres titres : Châ’bou el Djazaïr (Peuple
algérien), poème écrit par Abdelhamid Ben Badis, le père du réformisme
musulman, et Min Djibalina (De nos djebels [montagnes]), texte adapté par
le poète Mohamed Laïd Al-Khalifa. Sans être contestés comme Fidaou el
Djazaïr, ces deux derniers restent liés le premier aux ulémas, le second aux
partisans de Ferhat Abbas*. Pour de nombreux militants du FLN, dont
Hocine Belmili, la nécessité de doter le nouveau mouvement d’un chant plus
approprié, sacralisant le combat pour l’indépendance, s’imposait. Il s’en
ouvrit à Abane* Ramdane.
Aussitôt, Ben Khedda* Benyoucef et Lakhdar Rebbah sont chargés de
trouver la personne idoine en mesure d’écrire un poème au contenu
patriotique et correspondant à ses attentes. La prise de contact avec Moufdi
Zakaria – qui coïncide avec le boycott* des commerces tenus par les
Mozabites – tourne à l’échec. Ce n’est qu’après la diffusion d’un tract
condamnant « ceux qui sèment la zizanie dans les rangs des Algériens » que
Moufdi Zakaria accepte d’écrire un poème à la gloire du combat des
Algériens et du FLN en faveur de l’indépendance dont le premier
enregistrement ne donne pas satisfaction. Si l’enregistrement est perdu, cette
première version a circulé dans la prison* de Barberousse et a donc été
sauvée de l’oubli grâce à Meriem Zerdani, détenue qui l’avait apprise et
retenue.
La seconde version réalisée à Tunis, grâce à l’aide de l’avocat Chadly
Ammar Dakhlaoui et le maestro Mohamed Triki, connut le même sort que la
précédente. Finalement, les responsables du FLN au Caire confient la mission
à Mohamed Fawzi qui s’en acquitte au bout de cinq mois. C’est cette version
qui reçoit l’agrément de la direction des émissions du Maghreb arabe et des
responsables algériens. Mohamed Fawzi est décoré de la médaille du mérite
national en décembre 2017.
À l’indépendance, le maestro Haroun Rachid introduit des instruments de
percussion dans la version du Caire. Mais, sous la présidence de Chadli
Bendjedid, il fut question d’amputer l’hymne national des deux vers
suivants : « Ô France, le temps des palabres est révolu/Nous l’avons clos
comme on ferme un livre. » En réponse au refus des députés d’introduire le
moindre changement, la loi du 4 mars 1986 confirme le maintien des cinq
strophes initiales de l’hymne.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Lamine Bechichi et Abderrahmane Benhamida, Historique de
l’épopée du chant de Qassaman, Alger, Alpha, 2009.
R

RACISME COLONIAL
ET POSTCOLONIAL
Contrairement à des idées reçues souvent rencontrées, le racisme
spécifique visant la communauté nord-africaine (c’était l’expression la plus
courante jusqu’aux années 1960-1970) n’a pas été un fruit pourri de la guerre
d’Algérie. Plus généralement, le racisme anti-arabe et l’islamophobie (mêlés
dans l’esprit de ses partisans) sont très anciens en dépit, tout au long de la
période précoloniale, d’un vif intérêt, dans les milieux érudits, pour le Coran
et la civilisation musulmane ainsi que d’échanges et de relations entre
sociétés arabo-musulmanes et européennes.
Pour Maxime Rodinson, « longtemps, pour l’Occident chrétien, les
musulmans furent un danger, avant de devenir un problème ». On pourrait
ajouter : « … puis de redevenir un danger. » Certains éléments constitutifs de
la culture historique des Français sont intimement liés à des affrontements
avec le monde arabo-musulman (Poitiers et son preux chevalier franc Charles
qui « martela » les envahisseurs… Roncevaux, où pas un « Sarrasin »,
pourtant, n’apparut… les Croisades, au nom du « vrai » Dieu…). Les
événements de la conquête, puis de la « pacification* » de l’Algérie, ne vont
évidemment pas amoindrir cette hostilité. Et, depuis 1830, l’affrontement,
même à armes inégales, n’a jamais vraiment cessé. Toutes les générations*
de Français, avant 1954, ont reçu des échos d’affrontements avec le monde
arabo-musulman. D’où cette image solidement ancrée dans l’imaginaire
collectif : « ces gens-là » sont à craindre. À la veille du conflit algérien,
l’heureux possesseur du Nouveau Larousse universel, édition 1953, pouvait
lire, à la définition du mot « Arabe », cette formule, parmi d’autres : « … race
batailleuse, superstitieuse et pillarde… ». En janvier 1951, on pose aux
Français la question : quel est, parmi les peuples voisins, celui pour lequel
« vous avez personnellement le plus de sympathie » ? Suivait un choix
portant sur dix peuples. Les « Nord-Africains » se classent… avant-derniers,
précédés dans ce palmarès de l’impopularité par les seuls Allemands – le
temps n’avait pas encore effacé les douleurs de l’occupation. Seuls 2 %
trouvaient les « Nord-Africains » les plus sympathiques : toutes les
générations ont leurs originaux (Cahier de l’INED, no 19, 1953).
La presse* dite populaire se faisait le véhicule – parfois la source – de
cette image. Les faits divers où étaient impliqués ces Nord-Africains faisaient
la une de cette presse, en particulier s’il y avait crimes et agressions
sexuelles. Il y avait bel et bien, des années avant l’explosion nationaliste, un
sentiment (spontané ?) d’hostilité aux Arabes, aux musulmans, un
« syndrome nord-africain ». Ce fut le titre d’un des premiers écrits de Frantz
Fanon* (Esprit, février 1952), qui le définissait ainsi : « Dans le cas
particulier du Nord-Africain émigré en France, une théorie de l’inhumanité
risque de trouver ses lois et ses corollaires. » Pour conclure : « Cela veut dire
que sur tout le territoire de la nation française (métropole et Union française),
il y a des pleurs à sécher, des attitudes inhumaines à combattre, des “mon
z’ami” à rendre inadmissibles, des hommes à humaniser. » Voilà où en
étaient les relations humaines entre « Français de souche » et « Arabes »
après plus d’un siècle de colonisation. Constatation qui, au passage, était déjà
en soi une condamnation de la « situation coloniale » (Georges Balandier).
La guerre d’Algérie n’a pas surgi comme un coup de tonnerre dans un
ciel serein. Les affrontements, de 1954 à 1962, accentuèrent le phénomène.
Affrontements en Algérie même : durant ces huit années, 2 millions de
Français, dont une majorité d’appelés, de « petits gars de France », ont
combattu et souffert dans les djebels, des dizaines de milliers y ont été
blessés ou y ont perdu la vie. Autant de familles qui, de l’autre côté de la
Méditerranée, s’inquiétaient ou connaissaient des drames… et qui en
rendaient responsables d’abord ces « fellaghas » dénoncés à longueur de
temps par la majorité des hommes politiques et des journalistes. Il aurait fallu
à ces « Français moyens » une capacité exceptionnelle d’analyse pour
dépasser ce premier degré. Certains en firent preuve. Ils furent minoritaires.
On sait, par le témoignage* des militants anti-guerre qui tentaient de
combattre en même temps le racisme, que la portée des explications était
limitée. Le fils, le frère, le fiancé au combat, en danger, à chaque minute,
comptaient plus que la légitimité de la lutte pour l’indépendance.
Mais aussi affrontements en France même. Bien plus que tous les conflits
coloniaux qui avaient précédé, la guerre d’Algérie marqua la société
métropolitaine. Il y eut bientôt des « cafés arabes », lieux inquiétants où ne
pénétraient jamais les Européens, puis progressivement des « quartiers
arabes », tel ce Barbès-Goutte-d’Or, forteresse ou ghetto, selon l’angle
d’observation. Pour beaucoup, ces centaines de milliers d’Algériens sur
« notre sol » étaient des alliés, potentiels ou réels, de ce FLN* qui « nous »
faisait la guerre. La décision de la Fédération de France*, en août 1958, de
perpétrer des attentats sur le sol de la métropole, obéit certes à une logique
interne à ce mouvement, mais eut des effets collatéraux catastrophiques. Une
presse quasi unanime amplifia le climat de panique. Désormais, bien des
Français considéraient le « Nord-Africain » croisé dans la rue, dans le métro,
voire dans le lieu de travail, comme un individu louche, dangereux. La classe
ouvrière, présentée par une certaine gauche comme internationaliste, n’était
nullement épargnée. En 1959, Jacques Gautrat, dit Guy Mothé, animateur par
ailleurs de la revue* Socialisme ou Barbarie, publie un récit de vie, deux
années passées au cœur de ce Renault-Billancourt, objet de toutes les
attentions. L’image des relations entre ouvriers français et algériens y est
plutôt désespérante : les contacts, hors des lieux de travail, sont inexistants.
Facteur aggravant, les soldats revenus d’Algérie, réintégrés dans l’usine après
leur temps d’armée, ne réfléchissent guère à leur expérience et sont parfois
plus racistes qu’avant leur départ. Partout, le vocabulaire raciste fleurit.
« Sauf chez quelques militants communistes, la solidarité prolétarienne entre
les rappelés et les Nord-Africains ne s’est pour ainsi dire jamais manifestée »
(Journal d’un ouvrier, 1959). Un an plus tard, la sociologue Andrée Michel
publie un article dans la revue La Pensée (janvier 1960). Les relations entre
travailleurs français et algériens étaient qualifiées de « précaires » : « Ni les
uns ni les autres ne semblent “intégrés “au même groupe prolétarien. La
guerre n’a pu que creuser un peu plus le fossé. »
Les appels généreux à la solidarité ne rencontraient que peu d’échos. Les
manifestations* connaissant le plus de succès s’opposaient à la guerre :
manifestations contre le rappel en 1955-1956, celle des étudiants* en 1960.
Contre l’OAS*, après celle du 9 décembre 1961, les plus massives et les plus
connues sont celles de février 1962 (Charonne*, puis enterrement des
victimes de la répression) : avec le temps, les victimes françaises effacèrent
les morts algériens, infiniment plus nombreux, d’octobre 1961.
Le racisme anti-arabe n’est donc pas né de la guerre d’Algérie. Mais il y a
trouvé un nouveau souffle, il est devenu une « gangrène », selon l’expression
bien connue de Benjamin Stora*. Il a été ensuite le terreau d’une dégradation
malsaine des relations humaines entre « Eux » et « Nous », pourtant tous
Français…
Alain RUSCIO
Bibl. : Tahar Ben Jelloun, Hospitalité française. Racisme et immigration
maghrébine, Seuil, 1997 • Andrée Michel, Les Travailleurs algériens en
France, Travaux du Centre d’études sociologiques (CNRS), 1956 • Benjamin
Stora, Le Transfert d’une mémoire. De l’Algérie française au racisme anti-
arabe, La Découverte, 1999.
RADIOS DU FLN
Le mouvement national dans le Maghreb a été un catalyseur politique,
mais surtout social et culturel. Il a favorisé le développement de l’intérêt des
Algériens pour le cinéma*, le théâtre*, la presse*, etc. Dans ce contexte, la
radio a été un des vecteurs de cette sociabilisation politique et culturelle dès
son introduction en Algérie en 1925 et surtout après 1943 avec le début
d’émissions diffusées en langue arabe.
Créée en juillet 1953, la radio cairote Sawt al-Arab (La Voix des Arabes)
s’engage à mener « […] la bataille contre les impérialistes et travailler à la
constitution de la Nation arabe ». Quelques mois après sa constitution, elle
apporte son soutien à la cause anticoloniale algérienne. En septembre 1953, la
radio diffuse l’hymne révolutionnaire algérien Min Djibalina : « De nos
montagnes s’élève la voix des hommes libres, et nous engage à libérer le
pays ! »
Au 1er novembre 1954*, le FLN* inscrit son combat pour l’indépendance
de l’Algérie dans un cadre international. Aussi, son premier appel est-il
diffusé naturellement à la radio au Caire, Sawt al-Arab.
À cet effet, la presse française relève rapidement l’usage politique et de
propagande* de la voix des ondes. Ainsi, le 4 novembre 1954, Serge
Bromberger, l’envoyé spécial du Figaro*, évoque déjà l’importance de ce
média pour le FLN : « Ben Bella*, un agitateur, qui depuis longtemps a été
signalé au Caire et en Tripolitaine, semble […] jouer un rôle de premier plan
[dans la Toussaint rouge]. […] Il a amené du Caire plus que la bénédiction de
la Ligue arabe*, car les insurgés disposent de postes, de radios et de
camions. »
Durant les premières années de la guerre, d’autres émissions
radiophoniques égyptiennes fleurissent : Le Bulletin de l’Algérie, Le FLN
vous parle du Caire, La Voix de l’Algérie libre (en français) et La Voix de la
République algérienne.
Le soutien par les ondes à la révolution algérienne est apporté aussi
d’autres stations émettant à partir des principales capitales arabes du Proche-
Orient (Amman, Baghdad, Damas). Dans les pays du Maghreb, Benghazi,
Tétouan (Les Causeries du Front de libération nationale), Tanger (Radio-
Africa-Maghreb) participent à faire connaître la lutte des Algériens. Après
mars 1956, Rabat diffuse Sawtu Al Jazâ’ir al moukâfiha (La Voix de
l’Algérie libre et combattante) et Tunis La Voix de l’Algérie arabe sœur.
Dans ce cadre, des speakers algériens sont mobilisés et participent à
l’animation de ces émissions. À la fin de l’année 1956, Abdelhafid
Boussouf*, chef de la Wilaya 5*, choisit d’émettre à partir de la région du
Nador (Maroc*) La Voix de l’Algérie libre et combattante. Pour éviter les
brouillages opérés par les services français, la radio est itinérante avec
démontage de l’émetteur.
La constitution de la première radio-FLN suscite l’intérêt des Algériens et
participe à la consolidation de son combat au sein de la population. Cet
intérêt est mis en exergue par Frantz Fanon* qui écrit, dans son ouvrage
L’An V de la révolution algérienne (Maspero, 1959) : « En moins de
vingt jours tous les stocks de postes de radio sont enlevés. Dans les souks, le
commerce des postes usagés fait son apparition… En quelques semaines
plusieurs milliers de postes sont vendus aux Algériens ». Fanon résume ainsi
l’importance de ce média si prisé par les Algériens et son utilisation en arme
de lutte politique : « Avoir un poste de TSF, c’est solennellement entrer en
guerre ». À titre d’illustration de cette réalité, le nom de guerre Sawt al-Arab
a été associé au colonel Salah Boubnider*, chef de la Wilaya 2* (Nord-
Constantinois), grand admirateur de la radio cairote.
Par ailleurs, dans les pays communistes, les ondes des radios de Prague,
Berlin, Erevan, Tirana, Pékin, apportent leur soutien à la cause algérienne.
Cet appui commence dès août 1954 avec l’installation à Budapest d’un
puissant émetteur en langue arabe. Toutefois, selon Charles-Robert Ageron*
(2005), l’audience de La Voix de l’indépendance et de la paix et de Radio
Budapest (Kominform) créée le 1er juillet de la même année est faible en
Algérie et au Maghreb ; la radio cesse d’émettre le 26 octobre 1955. Son
remplacement par des sections arabes des diverses radios soviétiques n’était
pas non plus concluant. Cependant, sur les plans symbolique et politique, la
prise en charge par ces radios de la question algérienne est perçue par le FLN
comme une victoire sur le colonialisme français, tout comme l’appui de La
Voix de l’Amérique, fortement apprécié.
Cependant, dans l’esprit des auditeurs, les radios émettaient à partir des
maquis, amplifiant l’aura de la révolution algérienne.
Sur le plan des idées, les sujets développés par la radio du FLN
s’articulent autour de plusieurs thématiques dont la souveraineté nationale, la
civilisation arabe, le recouvrement de l’indépendance, le rejet de l’intégration
ou le fédéralisme avec la France ; le combat légitime des Algériens, la
barbarie de la France coloniale, l’appartenance à la Nation arabe, l’anti-
impérialisme (Charles Robert-Ageron, 2005).
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Charles-Robert Ageron (dir.), « Un aspect de la guerre d’Algérie : la
propagande radiophonique du FLN et des États arabes », Genèse de l’Algérie
algérienne, t. II, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2005 • Frantz Fanon,
L’an V de la révolution algérienne, Maspero, 1959 • Gilbert Meynier,
Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

RADIOS FRANCOPHONES
À l’heure où la radio reste le seul média à pouvoir faire vivre l’événement
en direct aux populations de métropole et d’Algérie, la langue se fait
instrument de combat pour des belligérants. Radios et émissions pensent alors
leurs programmes en français, en arabe ou en kabyle. En métropole, comme
en Algérie, les populations s’équipent en postes récepteurs (500 000 en
Algérie en 1960) et découvrent de nouvelles pratiques d’écoute, plus
individuelles et plus mobiles, grâce à l’apparition des premiers postes à
transistor. Ces nouvelles pratiques expliquent en partie le rôle décisif joué par
la radio lors du 13 mai 1958* et de la tentative de putsch* d’avril 1961.
Au cœur de cette bataille : Radio Alger, dont Antoine Sabbagh a décrit la
mobilisation. De 1956 à 1958, les officiers* tentent de la transformer en
véritable outil de propagande*, avec l’émission La Voix du bled, pensée et
prise en charge par le bureau d’action psychologique. Au-delà, les
programmes de Radio Alger manient, volontairement ou non, l’exagération,
les fausses informations, les partis pris et les interprétations fallacieuses :
choix du vocabulaire, toilettage des dépêches d’agence, diabolisation de
l’adversaire, traitement des attentats comme des faits divers, valorisation de
la mission civilisatrice française. Radio Alger se trouve pleinement engagée
dans la guerre même si les militaires aimeraient pouvoir donner aux
programmes de la station un ton plus révolutionnaire.
En mai 1958, Radio Alger est transformée, pendant trois semaines, en
radio insurrectionnelle aux mains du Comité de salut public de la ville.
Durant les premiers jours, le ton martial des émissions soutient la formation
des comités de salut public ailleurs en Algérie. L’arrivée à Alger de Lucien
Neuwirth et Jacques Soustelle*, à partir du 17 mai, favorise la mise en place
d’une propagande efficace au service de De Gaulle* et le déploiement d’une
rhétorique moins révolutionnaire, faisant la part belle à la « fraternisation »
des populations. L’inquiétude est telle à Paris que Pierre Pflimlin* ordonne
pendant quelques jours, à partir du 25 mai, le brouillage de la station reçue en
ondes moyennes en Corse et dans le Midi, et plus au Nord encore en ondes
courtes. Censurée sur les chaînes de l’ORTF*, Radio Alger est parfois
relayée par Europe no 1 et RTL, reprise par des journalistes de la presse*
écrite, à l’heure où les dépêches en provenance d’Alger sont interdites. À
partir de 1959, Radio Alger est reprise en main par Paris et ses émissions
accompagnent, non sans tensions, le choix de l’autodétermination. Elle suit
ainsi la RTF, soumise au contrôle tatillon de Paris, qui produit des émissions
en français, arabe et kabyle. En 1961, toutefois, elle passe très précocement
sous le contrôle des putschistes incitant les soldats à la rébellion. Les
autorités ripostent alors également par la radio. Michel Debré*, puis le
général de Gaulle, intervient sur les ondes pour délégitimer l’initiative des
généraux et appeler l’armée à respecter l’ordre républicain. Fondé en 1943,
Radio Monte Carlo assure les rediffusions nocturnes de l’intervention de De
Gaulle du 23 avril 1961, au rythme d’une par heure, jusqu’en Afrique du
Nord. La RTF, radio publique d’État, sert en outre une campagne de
communication organisant une véritable psychose autour du risque de coup
d’État.
François ROBINET
Bibl. : Charles-Robert Ageron (dir.), « Un aspect de la guerre d’Algérie : la
propagande radiophonique du FLN et des États arabes », in Genèse de
l’Algérie algérienne, t. II, Saint-Denis, Bouchène, 2005 • Michèle de
Bussierre, Cécile Méadel et Caroline Ulmann-Mauriat (dir.), Radios et
télévision au temps des « événements d’Algérie » (1954-1962), L’Harmattan,
1999 • Frantz Fanon, « Ici la voix de l’Algérie », in L’An V de la Révolution
algérienne, Maspero, 1959.

RAFFINI, GEORGES (1916-1955)


Georges Raffini est né en 1916 à Constantine dans une famille
d’ascendance européenne. Sa mère est institutrice, son père employé des
chemins de fer. Communiste depuis ses études secondaires, il dirige la
Jeunesse communiste à Constantine jusqu’à la fin 1937, date à laquelle il
rejoint les Brigades internationales. Blessé en Espagne, il revient à Alger en
1938.
Après l’interdiction du PCA* en septembre 1939, il participe à la
direction clandestine du parti à Constantine et à Alger. Chargé de
l’imprimerie, il tire le manifeste indépendantiste du PCA publié dans La Lutte
sociale en novembre 1940. Arrêté en janvier 1941, il s’évade de la prison* de
Barberousse le 1er novembre avec Maurice Laban*, son ancien camarade du
lycée de Constantine et des Brigades internationales. Tous deux sont à
nouveau arrêtés le 9 novembre. Le tribunal militaire d’Alger inculpe 99 puis
61 militants. Le 21 mars 1942, il est condamné à mort avec cinq autres
militants lors du procès dit « des 61 ». En mars 1943, quatre mois après le
débarquement anglo-américain, il est libéré et rejoint l’armée. Il participe aux
campagnes d’Italie et de France, dont il revient blessé et décoré.
Après la guerre, il est membre de la direction du PCA et du Secours
populaire algérien, et devient journaliste à Alger républicain*. Il épouse sa
camarade constantinoise Reine Zaoui, sténodactylographe née en 1928.
Lorsque démarre la Guerre d’indépendance, le couple réside à Birmandreis,
dans la banlieue d’Alger. Le 20 juin 1955, Georges Raffini est arrêté avec
Paul Caballero à leur sortie de la réunion du comité central du PCA lors de
laquelle a été collectivement entérinée la décision de participer à la lutte
armée. Il est condamné à un mois de prison. À sa libération, interdit de séjour
dans le département d’Alger, il décide, avec l’aval de la direction du PCA, de
gagner un maquis du FLN*. En juillet 1955, il rejoint un maquis des Aurès
avec l’avocat Laïd Lamrani. Stigmatisés en tant que communistes, Raffini,
Lamrani, mais aussi Georges Counillon, André Martinez, Roland Siméon et
Tahar Belkhodja sont exécutés à la fin 1955 par leurs chefs de maquis. Même
s’ils affirmeront qu’ils sont « morts au champ d’honneur », les dirigeants du
PCA savent rapidement que ces militants ont été liquidés.
Son épouse Reine, militante du PCA clandestin à Alger, est arrêtée en
mars 1956 et condamnée à quinze mois de prison en mars 1957. Elle
obtiendra la nationalité* algérienne en 1963.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
RAFLES EN ALGÉRIE
La rafle est l’une des manifestations les plus spectaculaires de la guerre
d’Algérie dont la population civile a beaucoup souffert. Si les sources
photographiques permettent de se représenter ces longues files d’Algériens
arrêtés, les mains en l’air, les sources écrites – indépendamment de la
presse*, du roman et des témoignages* – sont encore bien lacunaires.
Une étude approfondie des rafles révélerait l’ampleur des pratiques
policières de contrôle qui visent les populations civiles après un attentat, une
embuscade* ou pour la recherche de renseignements. Elles correspondent au
principe de la responsabilité collective des populations, appliqué depuis 1955.
En ville, le mode d’action commence par un déploiement des forces de
l’ordre (police*, armée, unités territoriales*) autour d’un secteur dont les
issues principales sont bouclées et fermées à toute circulation avec barbelés et
chevaux de frise. La rafle et les fouilles visent tous les Algériens, présents
dans les lieux et considérés comme suspects. De nuit, les hommes sont
expulsés violemment de leur domicile. Les contrôles d’identité s’effectuent
selon les cas, sur place en plein air, dans les stades, les marchés ou dans les
commissariats. Les rafles débouchent souvent sur des gardes à vue dont la
durée dépend des résultats des interrogatoires. À la campagne, les troupes
opèrent tout aussi brutalement, les suspects sont le plus souvent abattus et les
mechtas incendiées ou bombardées.
Quelques exemples permettent de mieux comprendre cette dure épreuve
qui diffère d’un endroit à un autre.
À Constantine, durant le seul mois de juin de l’année 1955, pas moins de
quatre rafles successives contrôlent des centaines de personnes. Le 11 juin la
rafle vise le quartier réservé situé à la place des Chameaux (Rahbat El
Djemal). Le 17 juin, l’opération Verrou s’étend à deux quartiers populaires :
le Bardo et l’avenue Bienfait. Le 23 juin, le couvre-feu est de rigueur à
Constantine de 22 heures à 4 heures. Ce même jour, une gigantesque rafle,
mobilisant d’importants moyens, est déclenchée. Simultanément, le centre de
la ville est passé au peigne fin méthodiquement. De 5 à 6 000 Algériens sont
arrêtés et dirigés vers les deux postes de contrôle installés l’un à l’entrée du
pont d’El Kantara et le second à la place de La Brèche (place 1er-Novembre-
1954). Sitôt achevée, cette première phase est doublée d’une seconde
intervention des forces de l’ordre dans les domiciles et les commerces. La
vérification des papiers d’identité et les fouilles durent une bonne partie de la
nuit. La Dépêche de Constantine annonce l’arrestation de 150 suspects. Si la
presse a manifesté sa satisfaction pour cette action préventive, elle a omis de
rapporter tous les dépassements et brutalités perpétrés par les forces de
police, ce que les élus du Second Collège n’ont pas manqué de dénoncer le
lendemain de la rafle dans un télégramme adressé au ministre de l’Intérieur.
Quant aux maires* du Constantinois réunis sous la houlette du président de
leur fédération Aimé Isella, les 26 et 27 juin, ils n’ont de cesse de réclamer
l’état de siège.
Le 29 juin, une nouvelle rafle s’étend aux quartiers de la partie haute de
la ville incluant la Casbah dès 18 heures. On achemine tous les hommes
démunis d’une pièce d’identité au commissariat central du Coudiat dont
soixante-dix sont gardés à l’issue de ce second filtrage.
Une telle situation n’est pas propre à Constantine. Les rafles se sont
multipliées au gré des circonstances, fortes des dispositions qu’autorise la loi
de l’état d’urgence* (avril 1955), elles se sont aggravées avec les pouvoirs
spéciaux* et la création du Service d’action psychologique* placé sous les
ordres du colonel Lacheroy*.
Bien avant la « bataille d’Alger* », la Casbah a connu « la plus
spectaculaire des rafles depuis le 1er novembre 1954* » qui mobilise 1 500
policiers, des CRS, des gendarmes, des Bérets verts de la Légion, des
tirailleurs sénégalais, des démineurs et 200 auxiliaires féminines. Dans la nuit
du 25 au 26 mai 1956, les forces de l’ordre ont commencé par boucler toutes
les issues avant de découper la Casbah en quartiers subdivisés à leur tour en
îlots. À la première heure du 26 mai commence une fouille systématique de
toutes les maisons, des hommes et des femmes. Ce n’est qu’à 18 heures que
sont embarqués quelque 5 000 suspects dans des camions militaires pour être
parqués au stade de Saint-Eugène (Bologhine). On croit alors à la fin de la
rafle. Mais celle-ci reprend et ne cesse qu’à 20 heures. La presse rapporte
sous de gros titres le détail des armes (pistolets, mitraillettes, munitions,
cheddite) récupérées ainsi que des effets militaires, des tampons, des insignes
de l’ALN*, des tampons humides au nom du MNA*, des cartes d’état-major,
des cartes d’identité, des tracts, divers documents et des sommes d’argent.
Cette rafle s’est soldée par la détention de plus de 500 personnes. Pour
dénoncer les brutalités subies par la population lors des perquisitions, les
commerçants de la Casbah observent une grève* les 1er et 2 juin.
L’écrivain Mouloud Feraoun* rapporte dans son Journal (1962) qu’à Tizi
Rached, « tous les hommes du village étaient parqués sous un hangar. Nuit et
jour, et il fait froid. […] Chaque jour, on choisit un Kabyle dans le tas pour
aller le fusiller à quelque distance du hangar ». Les faits remontent au mois
de décembre 1956.
À Saint-Arnaud (Sétif), une rafle est déclenchée après l’attentat du
lieutenant Lelong Robert survenu le 7 août 1958 dans la matinée. Plus d’un
millier de personnes sont rassemblées dans les rues en plein soleil. Le soir,
l’évacuation est interrompue et de nouveau la rafle se poursuit. Cette fois, on
achemine les hommes au stade municipal. Ceux qui ont tenté de fuir sont
mitraillés. Le lendemain et les jours suivants, soit durant dix-huit jours, les
suspects sont transférés vers les trois centres de détention situés au théâtre, au
dock et à la ferme Crochet où la torture* a eu raison de la résistance des plus
durs. Beaucoup ont disparu. Au cours de ces longues journées, Saint-Arnaud
est coupé du reste du monde et la population algérienne est livrée aux
exactions et pillages des soldats du 29e Dragons. Au quatorzième jour, la ville
est divisée en quatre quartiers par des barbelés et le haut-parleur appelle cette
fois tous les hommes pour un contrôle. Ils défilent devant un « cagoulard »
puis passent devant trois fichiers. À l’issue de ces quatre étapes, s’ils sont
déclarés « libérables », ils sont autorisés à rentrer chez eux. Suspects, ils sont
dirigés vers les centres de détention.
Au dix-huitième jour, les sorties sont autorisées. Mais le répit est de
courte durée car, le 24 août 1958, un nouvel attentat provoque une seconde
rafle et plus de mille personnes sont parquées au square (actuellement du
7 août 1958), sous une pluie battante et en butte aux sévices des soldats et des
chiens qui les mordent au moindre mouvement.
Les vérifications d’identité terminées, certains sont libérés tandis que
d’autres sont envoyés à la ferme Crochet dont seuls quelques-uns peuvent
échapper à la liquidation.
Jusqu’à ce jour, le silence pèse sur ces pratiques qui consistent à terroriser
les populations civiles. Il pèse encore plus lourd sur les disparus de ces rafles
bien antérieures à la « bataille d’Alger ». Le devoir et le travail de mémoire
ne peuvent donc concerner les disparus de la seule « bataille d’Alger ».
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Denise et Robert Barrat, Algérie 1956, Livre blanc sur la répression,
L’Aube, 2001 • Mouloud Feraoun, Journal, 1955-1956, Seuil, 1962 •
Mahfoud Kaddache, Récits de feu, Alger, SNED/El Moudjahid, 1977.

RAPATRIEMENT
On estime à 679 000 le nombre de Français d’Algérie qui ont gagné la
métropole durant l’année 1962. Si le terme « rapatriement » désigne
habituellement ce mouvement, il est impropre car il s’agissait la plupart du
temps de personnes nées en Algérie, qui ne revenaient pas ainsi sur leur sol
natal. Ces Français d’Algérie étaient « accompagnés » par 16 000 Algériens,
dont environ 12 000 soldats supplétifs* de l’armée française et leurs familles.
En l’espace d’une année, l’Algérie nouvellement indépendante avait perdu
85 % de sa population française. Un mouvement de panique généralisée avait
gagné les Français qui, au lendemain des accords d’Évian*, cherchaient à fuir
un pays où les violences redoublaient. Ports et aéroports furent pris d’assaut,
des ponts aériens furent organisés et les voyages se déroulèrent dans des
conditions sanitaires souvent déplorables. Entre le 25 mai et le 18 juin 1962,
325 avions furent exceptionnellement affrétés ; d’autres appareils encore
furent envoyés pour évacuer environ 900 personnes de confession juive,
résidantes du Mzab et naturalisées françaises en juillet 1961. Les rotations de
navires surchargés s’accélérèrent entre l’Algérie et la France ; certains
Français partirent même sur des bateaux de pêche. Il n’y eut plus assez de
containers pour organiser les déménagements. L’accueil en France
métropolitaine fut aussi difficile. Les opérations de douane et l’ouverture des
dossiers administratifs conférant le statut juridique de rapatrié* étaient alors
particulièrement longues et éprouvantes. Le gouvernement de Michel Debré*
ayant mal anticipé la réception de cette immigration massive, les personnes
furent temporairement logées dans des conditions difficiles, où le
surpeuplement et la nécessité de « repartir de zéro » allaient de pair avec
l’apprentissage d’une nouvelle vie. Les mémoires des rapatriés, non encore
devenues « la mémoire pied-noire* », en furent durablement marquées.
Cette situation chaotique fut l’aboutissement d’une guerre longue de huit
années durant lesquelles la violence avait touché toutes les populations
civiles, et dont les Français d’Algérie craignaient qu’elle ne se retourne
désormais contre eux seuls. L’incertitude générée par une passation confuse
des pouvoirs entre l’Algérie et la France durant le printemps 1962, les
assassinats ciblés de l’OAS* (environ 2 200 morts et 5 000 blessés) et les
enlèvements de personnes par le FLN* (on évalue à 3 393 les Français
d’Algérie enlevés et disparus pendant la guerre, dont 3 018 durant le
printemps 1962) empêchèrent le retour à une situation d’apaisement et à une
reprise des contacts entre les groupes ethniques et religieux, séparés par une
fin de conflit délétère. Les rumeurs relevées par les autorités françaises
circulant à Alger évoquaient d’ailleurs « une prochaine Saint-Barthélemy »
contre les chrétiens et les juifs*.
Enfin, le départ en métropole signifiait aussi l’abandon définitif de
l’Algérie : un décret d’application de la loi algérienne pourtant sur les biens
vacants, pris le 7 octobre 1962, déclarait propriété de l’État les biens dont les
propriétaires avaient été absents pendant plus de deux mois. De ce fait, les
Français d’Algérie ne purent se réinstaller, ni même liquider leurs propriétés.
Une loi algérienne du 22 octobre 1962 interdisait désormais les transactions
immobilières des Français partant en France. Aussi, le départ de l’Algérie ne
fut pas temporaire, mais irrévocable. En 1995, le nombre des rapatriés
d’Algérie s’élevait à 969 257 personnes.
La migration des Français d’Algérie ne s’est toutefois pas déroulée durant
la seule année 1962. En effet, dès 1957, le ministère de l’Intérieur français
diligentait des enquêtes préfectorales afin d’illustrer ce qui était perçu comme
une « infiltration continue » en métropole par l’achat, d’abord de terres puis
de logements*. De même, les ménages qui en avaient les moyens adoptèrent
des stratégies de repli, souvent pour une partie de leurs familles, en envoyant
notamment les enfants étudier en métropole. Ainsi, au 1er juin 1960,
1 024 000 Français d’Algérie étaient dénombrés ; une année et demie plus
tard, le 31 décembre 1961, 164 000 d’entre eux avaient déjà rejoint la France
métropolitaine.
Le départ d’Algérie ne confère cependant pas automatiquement le statut
juridique de rapatrié. Ce dernier fut donné aux seules personnes de
nationalité* française et arrivées en métropole après le 31 juillet 1961. Il
consistait alors en l’octroi d’aides substantielles aidant à la réinstallation.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Yann Scioldo-Zürcher, Devenir métropolitain. Politique d’intégration
et parcours de rapatriés d’Algérie en métropole (1954-2005), Éditions de
l’EHESS, 2010 • Sung-Eun Choi, Decolonization and the French of Algeria.
Bringing the Settler Colony Home, New York, Palgrave Macmillan, 2016.
RAPATRIÉS (POLITIQUES PUBLIQUES)
La mémoire de la politique publique de réinsertion, créée par la France à
l’attention des rapatriés coloniaux, n’a pas été portée par les activistes
« pieds-noirs* », ni même par les gouvernements successifs de la Ve
République*. Sans doute parce qu’elle atténue les discours victimaires
associatifs et reconnaît, de facto, l’échec du maintien de la présence française.
Cependant, une politique inédite d’intégration des Français d’Algérie fut
menée. Elle organisa, durant la décennie 1960, l’insertion professionnelle et
sociale de ceux qui pouvaient prétendre au statut juridique de rapatrié (sous
réserve notamment de détenir la nationalité* française, ou « d’avoir combattu
pour la France », et s’installer en métropole après le 31 juillet 1961).
La loi du 26 décembre 1961, « relative à l’accueil et à la réinstallation des
Français d’outre-mer », ouvrait les bénéfices de la solidarité nationale à la
majorité des Français originaires des territoires anciennement coloniaux. Un
ministère des Rapatriés (créé en août 1961) organisait ainsi, le recouvrement
des situations professionnelles perdues, et pour les inactifs, dont les rapatriés
âgés, distribuait des aides sociales exceptionnelles. Il s’agissait là d’une
politique de régulation, qui en encadrant le déroulement d’une migration
contrainte, visait à détourner de l’OAS* une population économiquement et
moralement fragilisée.
Le dispositif administratif consistait à ce que tous les chefs de ménage
rapatriés soient répertoriés, suivis dans leurs trajectoires géographiques après
leur débarquement en métropole, et soutenus par des aides financières
conséquentes, variant en fonction de leurs situations professionnelles
d’origine. L’administration recensait et organisait la réaffectation en
métropole de tous les fonctionnaires, maintenait le versement de leurs
salaires, quel que fût leur corps d’origine, et priorisait le réemploi des non-
titulaires. Pour les rapatriés exerçant une profession indépendante, l’État
garantissait, pendant un an, le versement d’une allocation mensuelle dite « de
subsistance », équivalente au salaire minimum interprofessionnel garanti
(SMIG). Il s’agissait de leur « laisser le temps » de trouver les locaux
nécessaires à leur réinstallation, et de présenter à la préfecture de leur lieu de
résidence un dossier d’obtention de subventions et de crédits aidés, pour en
faciliter l’acquisition, reconstituer les stocks, sinon acquérir les outillages et
les matériaux de production perdus. La question du logement* fut aussi
centrale. L’État proposait un accueil temporaire dans des locaux collectifs,
souvent inconfortables, mais qui évitaient cependant une installation dans les
bidonvilles qui ceinturaient la plupart des villes. Dans le même temps, il
menait une active politique de construction et imposait aux organismes
publics de logement, selon des quotas régionaux, leur location aux ménages
rapatriés. Enfin, l’État mettait en place des aides spéciales pour organiser le
rachat de biens immobiliers pour les anciens propriétaires et rentiers. La
réorganisation du recouvrement des situations sociales et professionnelles
perdues ne fut cependant pas accompagnée par une politique de promotion
sociale. Elle favorisa l’installation des professionnels qui étaient les plus
aisés, sans anticiper que les petits commerces et ateliers étaient voués à
disparaître dans le tissu économique métropolitain.
On dénombre ainsi plus de 800 lois et décrets qui, dans le sillage de la loi
du 26 décembre 1961, organisaient pour chaque corps professionnel, ou
situation particulière qui n’avait pas été anticipée par le législateur,
l’intégration en métropole des rapatriés, au prix d’un déficit budgétaire des
comptes publics.
Cette première politique fut suivie, dès l’élection de Georges Pompidou à
la présidence de la République en 1970, par la mise en place de plusieurs lois
d’indemnisation des biens perdus. Renouvelées à chaque changement de
majorité politique, elles imposèrent l’idée que la politique publique de
rapatriement* consistait en un dédommagement. Il fallut attendre le milieu
des années 1990 pour que l’État crée des aides spécifiques pour ceux qui
n’avaient été, du temps colonial, ni actifs, ni propriétaires, et dont les
situations sociales restaient toujours précaires ; en premier lieu les ménages
des anciens soldats supplétifs* de l’armée française, peu considérés
jusqu’alors par ces dispositifs, pensés et votés pour les « pieds-noirs ».
YANN SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Yann Scioldo-Zürcher, Devenir métropolitain. Politique d’intégration
et parcours de rapatriés d’Algérie en métropole (1954-2005), Éditions de
l’EHESS, 2010 • —, « L’indemnisation des biens perdus des rapatriés
d’Algérie : politique de retour ou innovation post-coloniale ? », Revue
européenne des migrations internationales, vol. 29, no 3, 2013.

RASSEMBLEMENT POUR L’ALGÉRIE


FRANÇAISE (RAF)
Dès l’été 1959, des indépendants, soutiens parlementaires du
gouvernement Debré*, s’inquiètent de la politique de De Gaulle*. Le
13 juillet, dans un éditorial de France indépendante intitulé « Menaces sur
l’Algérie », Roger Duchet, secrétaire général du Centre national des
indépendants et paysans (CNIP), fustige les tenants de « l’abandon » :
« Toutes les déclarations du général de Gaulle préparent l’unité de l’Algérie
et de la France. » Il anticipe et dénonce néanmoins tout changement : « […]
si par quelque fatale erreur, le gouvernement modifiait sa politique
algérienne, nous serions résolument, passionnément, contre le
gouvernement. »
Après l’annonce de l’autodétermination le 16 septembre 1959, la mise en
garde est suivie d’effet. Le 19, le Rassemblement pour l’Algérie française
(RAF) est créé. Son manifeste, signé par 19 parlementaires, proclame une
« hostilité absolue au processus établi pour l’Algérie par le général de
Gaulle ». Outre la présence conjointe de Duchet et de Bidault, on relèvera
qu’ils sont issus de trois groupes différents : 10 unités de la République, 5
députés UNR* (dont Delbecque) et 3 indépendants. Pour la première fois,
une structure politique plus offensive que l’intergroupe entend défendre
l’Algérie française au Parlement et ambitionne d’y construire sur cette base
une nouvelle majorité. Les cadres du CNIP, cependant, peinent à suivre leur
secrétaire général et les indépendants sont divisés. Duchet n’entraîne qu’une
frange d’élus derrière lui. Il ne parvient pas non plus à provoquer une scission
des gaullistes de l’UNR. La tendance Algérie française y est isolée et
Soustelle* lui-même rentre dans le rang. Le RAF a donc échoué à conquérir
l’espace politique espéré. Le 17 novembre 1959, Duchet écrit à Bidault qu’il
en démissionnerait si les ultras en prenaient le contrôle. Le RAF entre en
léthargie. Il n’a pas pu créer un arc parlementaire de défense de l’Algérie
française contre la politique gaulliste. Il atteste aussi des contradictions du
CNIP écartelé entre les vues opposées de ses élus, allant de Paul Reynaud à
Jean-Marie Le Pen*.
Olivier DARD
Bibl. : Serge Berstein, « La peau de chagrin de l’Algérie française », in Jean-
Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, Fayard, 1990 •
Jérôme Pozzi, Les Mouvements gaullistes. Partis, associations, réseaux,
1958-1976, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011 • Gilles Richard,
« Le Centre national des indépendants et paysans de 1948 à 1962, ou l’échec
de l’union des droites françaises dans le parti des modérés », thèse de
doctorat d’État sous la dir. de S. Berstein, IEP de Paris, 1998.

RATONNADES
Après le 17 octobre 1961*, Marcel et Paulette Péju, ce couple d’anciens
résistants engagés dans l’anticolonialisme, publient Ratonnades à Paris. Ni
eux ni François Maspero*, leur éditeur*, ne justifient ce titre. L’usage du
terme est alors courant. Selon le Trésor de la langue française, « raton » (nom
d’un petit rat) est devenu un terme raciste dans l’entre-deux-guerres.
« Ratonnades » semble s’être répandu dans le contexte de la Guerre
d’indépendance pour désigner des violences propres au contexte colonial
algérien.
En l’absence d’étude globale du phénomène, l’historiographie et la
presse* de l’époque en livrent des exemples. Ceux-ci suggèrent qu’en
Algérie, les enterrements de Français victimes des indépendantistes en
constituent des moments privilégiés. Ainsi, lors des obsèques d’Européens
tués pendant l’insurrection du 20 août 1955* à Philippeville, Le Monde*
rapporte que des Algériens (deux ?) ont été tués sur le passage du cortège
funèbre. À Alger, les plus connues ont été commises le 29 décembre 1956,
sur le trajet conduisant au cimetière de la dépouille d’Amédée Froger*, haute
figure de l’Algérie française, tué lors d’un attentat. Le journaliste du Monde
relate par exemple qu’en fin de journée « les manifestants » prennent d’assaut
camions et camionnettes de marchandises, en font descendre « conducteurs et
convoyeurs musulmans », les battent à coups de « démonte-pneus, de
manivelles et de bâtons », répandent les chargements sur la chaussée
« bientôt jonchée de légumes, de cageots, de bouteilles de lait, de
paille, etc. ». Ils hurlent, saccagent vitrines et véhicules sur leur passage, s’en
prennent aux « ouvriers musulmans » descendant « des tramways, des
trolleybus et des autocars » pour rentrer chez eux après leur journée de
travail. Les six morts recensés à l’époque sont tous tués par arme à feu. La
foule conspue en outre les responsables parisiens et algérois, en appelle à
l’armée : « Guy Mollet* au poteau », « Lacoste* au poteau », « Armée au
pouvoir ».
Avec les ratonnades apparaît la société coloniale algérienne en guerre, en
tant que colonie de peuplement. Les ratonnades manifestent en effet chez les
Français d’Algérie, minoritaires en nombre, la conscience aiguë de la menace
pesant sur leur suprématie, à l’heure où la majorité algérienne cherche à sortir
de la sujétion. « Pour un Français, dix Arabes » retentit aux obsèques de
Froger. Spatialement, les ratonnades témoignent d’une expérience de la
résidence et de la circulation dans la ville obéissant à des normes séparant les
uns et les autres, en vertu d’une ségrégation subtile mêlant critère « social »
et « racial », selon le géographe Jean Pelletier qui a minutieusement analysé
les fiches du recensement à Alger en 1955. « Les quartiers musulmans de la
ville ont été cloisonnés par l’armée et isolés ainsi des secteurs européens »,
écrit aussi le commissaire Builles, chargé du service d’ordre aux obsèques de
Froger. Il veut éviter, dit-il de façon euphémisée, « les heurts entre les deux
grands éléments ethniques de la population ».
Dans Commissaire de police en Algérie (Riveneuve, 2011), Roger Le
Doussal confirme qu’il était « perpétuellement en éveil » au sujet des
enterrements : « Si les Européens étaient devenus trop nerveux, il avait été
prévu, pour les tenir en mains, d’augmenter le nombre de leurs jours de
service dans les UT » – c’est-à-dire les unités territoriales*. Ainsi les hommes
étaient-ils retenus au sein de ces unités composées de civils armés. Sur la
longue durée, et plus encore sachant qu’elles s’accompagnent d’une
contestation de l’autorité légitime, les ratonnades interrogent les racines
coloniales des violences de l’OAS*. Celle-ci n’a pas été qu’une organisation
d’extrême droite où se retrouvaient des militants d’extrême droite de diverses
obédiences (royalistes, poujadistes*, intégristes catholiques). En Algérie, les
Français l’ont massivement soutenue, quand ils ne s’y sont pas engagés.
L’ex-commissaire Le Doussal dit également avoir assisté au glissement
de la pratique des Français d’Algérie vers les troupes envoyées sur place
comme le 19 août 1956 à Bône, après un attentat visant une patrouille, faisant
2 morts et 1 blessé européens. Les violences prenant les Algériens pour cibles
au hasard font quant à elles 23 morts et 18 blessés « musulmans » pour
reprendre la taxonomie faisant particulièrement sens dans ce contexte. La
mémoire constantinoise désigne également comme des ratonnades la
« gigantesque rafle* à travers la ville », selon le titre de La Dépêche de
Constantine, consécutive à l’attentat ayant coûté la vie au commissaire
Sammarcelli, le 29 mars 1956.
En métropole, les ratonnades sont interprétées comme résultant de
l’importation d’un racisme* et de pratiques ayant pris naissance en Algérie.
Les violences des parachutistes* à Metz en 1961 relèvent d’une transposition
de la guerre par le 1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP) – le
régiment a été employé au Maroc* avant de l’être en Algérie puis d’être
démobilisé en Lorraine. À la suite d’une première bagarre entre militaires et
Algériens dans un dancing, suivie d’une fusillade, trois cents parachutistes
s’en prennent aux Algériens, la nuit du 23 mars 1961, dans une « logique de
punitions collectives », analyse Lucas Hardt. Comme à Alger lors des
obsèques de Froger, le cloisonnement de l’espace urbain entre les quartiers
repérés pour leur population algérienne et les autres paraît être le seul moyen
de neutraliser les violences. Pour comprendre la répression policière en
région parisienne à l’automne 1961, les auteurs de Paris 1961 (Tallandier,
2008), Jim House et Neil MacMaster, insistent sur l’accumulation d’un
capital colonial outre-Méditerranée, par le préfet de police Maurice Papon*
revenant du Maroc et de Constantine ainsi que par les forces de l’ordre
œuvrant à Paris à l’époque. Si elle est convaincante, l’interprétation doit être
enrichie de la culture professionnelle des policiers d’alors et des normes de la
répression des manifestations* dans la capitale pendant la guerre. Au-delà de
cette discussion qui caractérise la métropole, où il faut faire la part entre
importation coloniale et terreau hexagonal des violences, l’histoire des
ratonnades gagnerait à être redéployée dans la longue durée, en vue
d’analyser les continuités entre guerre et après-guerre. La flambée
d’agressions racistes dans le sud de la France en 1973, par exemple,
correspond à un renouveau de violences dans lesquelles l’héritage de la
guerre joue un rôle fondamental. Et ce, non seulement d’un point de vue des
représentations, l’amalgame régnant « entre l’Arabe et l’Algérien », selon
Yvan Gastaut, mais aussi d’un point de vue d’histoire sociale, en raison de la
présence de Français d’Algérie dans la région et de leur implication dans les
événements, à travers leurs associations.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Yvan Gastaut, « La flambée raciste de 1973 en France », Revue
européenne des migrations internationales, vol. 9, no 2, 1993 • Lucas Hardt,
« Quand les soldats de l’Algérie française arrivaient en Lorraine. Le
1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP) et la traque parachutiste de
Metz », Histoire@Politique, no 32, 2017 • Sylvie Thénault, Les Ratonnades
d’Alger. Une histoire sociale du racisme colonial, Seuil, 2022.

REBÉRIOUX, MADELEINE (1920-2005)


Née Amoudruz, normalienne, agrégée d’histoire, âgée de 34 ans en 1954,
Madeleine Rebérioux enseigne alors au lycée et milite au PCF*. Elle a rejoint
le parti à la Libération en Alsace, où elle vivait. Elle y a rencontré son mari,
Paul Rebérioux. Très sensible à la cause ouvrière, autrice de nombreux
articles sur le socialisme et le syndicalisme, spécialiste de la IIIe République,
elle participe à la fondation du Mouvement social en 1960. Elle dirigera la
revue* de 1971 à 1982.
La politique de Guy Mollet* infléchit son parcours de façon décisive.
« J’étais hors de moi quand je voyais la façon dont se comportaient les
socialistes français », explique-t-elle à Questions de communication. De là
naît un intérêt jamais démenti pour Jaurès, chez qui elle trouve de tout autres
conceptions. En 1959, elle lui consacre un premier ouvrage aux Éditions
sociales, hautement significatif : Textes choisis, t. I, Contre la guerre et la
politique coloniale. La même année est créée, avec son concours, la Société
d’études jaurésiennes qu’elle dirigera plus tard également.
Forte de son opposition à Guy Mollet, elle s’engage en 1957 dans l’un de
ces comités dénonçant la guerre au nom des libertés publiques. En 1958, elle
est l’une des conceptrices de la brochure pour la grâce de communistes
algériens et de leur artificier, condamnés à la peine capitale : Les Guerroudj
et Taleb ne doivent pas mourir. Elle s’investit ainsi par remords, après
l’exécution de Fernand Iveton* : le PCF n’a pas défendu ce militant du PCA*
guillotiné pour une tentative d’attentat. Elle est également très active au
comité Audin* ainsi qu’à la revue Vérité-Liberté et elle signe le « Manifeste*
des 121 ». Pendant cette période, elle adhère à la Ligue des droits de
l’homme* où son engagement est resté profond et durable. Elle présidera la
Ligue de 1991 à 1995.
Si elle pense que ses engagements ont longtemps bloqué sa carrière
d’enseignante, Ernest Labrousse, grand maître d’histoire économique et
sociale, la recrute comme assistante à la Sorbonne en 1962 – « j’étais un peu
à la mode », commente-t-elle. Après 1968, elle participe à l’aventure de
l’université de Vincennes et finit par être exclue du PCF. Ses engagements et
fonctions se diversifient notablement par la suite. S’y distinguent la vice-
présidence du musée d’Orsay et la cause palestinienne qui lui ont
particulièrement tenu à cœur.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Jean-Luc Einaudi, Pour l’exemple. L’affaire Fernand Iveton. Enquête,
L’Harmattan, 1986 • Madeleine Rebérioux, « Militantisme et recherche
historique », Questions de communication, no 4, 2003 • —, Pour que vive
l’histoire. Écrits, Belin, 2017.

REDDITIONS ET RALLIEMENTS
EN ALGÉRIE
Dans des circonstances bien précises, de nombreux combattants de
l’ALN* ont déposé les armes à titre individuel ou collectif. Mais des agents
de l’administration française à l’exemple du caïd Merchi (Arris) ou du
bachagha Ourabah (Oued Amizour) n’ont pas hésité à choisir de se rallier à
l’armée française plutôt qu’au FLN*, entraînant dans leur sillage la levée de
harkas et la constitution de villages d’autodéfense.
Au-delà du manichéisme que traduit la qualification de traîtres pour les
uns ou de sujets « loyaux » pour les autres, une approche critique de ces
logiques (que toute guerre ne manque pas d’engendrer) doit étudier la
pluralité des conduites que les acteurs du moment sont amenés à adopter dans
une situation complexe.
Quels que soient les motifs, ce phénomène est révélateur du malaise
éprouvé par les Algériens vis-à-vis de l’organisation du FLN et de l’ALN.
Sans forcément être l’expression d’une opposition à la politique du FLN, il
convient de ne pas exclure les positions d’attente et d’hésitation, de défense
d’intérêts personnels, de vengeances ancestrales, de peur devant les procédés
employés comme l’obligation de verser de grosses sommes d’argent, les
menaces de mort, les comportements autoritaires et humiliants, accompagnés
souvent de violences physiques, les atteintes à l’honneur sans oublier la
brutalité de la répression exercée par l’armée française. Il est donc permis de
souscrire à l’hypothèse émise par Mohammed Harbi*, sur l’ambiguïté et les
contradictions de ce phénomène qu’il désigne d’antirévolution et qui reste à
approfondir sous l’angle des rapports du FLN avec la population (L’Algérie
et son destin. Croyants ou citoyens, Arcantère, 1992, p. 109). Il en est de
même des crises au sein des troupes de l’ALN tiraillées entre « polarisation
nationale et régionale » (Harbi, in Ageron, La Guerre d’Algérie et les
Algériens, 1997) et qui, mal prises en considération par leur hiérarchie, ont
abouti à des redditions.
Au regard de leur médiatisation par la propagande* de l’armée française,
ces redditions et ralliements si importants soient-ils, selon les estimations des
statistiques militaires, ont permis aux services de renseignements – dans
certains cas – de constituer des contre-maquis redoutables et d’accélérer les
pratiques de la politique de « pacification* » avec la mise sous protection des
populations civiles (par contrainte ou de leur plein gré) dans des villages
d’autodéfense et des camps de regroupement*.
Les redditions ou ralliements se succéderont donc durant toute la guerre,
obéissant à des motifs variés d’un cas à un autre.
L’un des premiers exemples de reddition a lieu le 21 décembre 1955 dans
l’Aurès. Ce jour-là, « le chef de bande » Ali Kerbadou, âgé de 20 ans, se rend
au poste militaire de Djellal (Aurès) avec quatre maquisards de l’ALN, par
crainte de subir le sort de Bachir Chihani* exécuté par le tandem Adjel
Adjoul* et Abbès Laghrour*. Sa soumission au général Parlange* fait l’objet
d’une grande publicité dans la presse*.
Tout autre est la reddition d’Adjel Adjoul, le 1er novembre 1955 au camp
militaire de Zeribet El Oued. Faisant partie du cercle des premiers dirigeants
de l’insurrection dans l’Aurès, sa décision de fuir l’ALN pour échapper à une
liquidation par ses rivaux est une aubaine pour l’armée française, à qui il
dévoile les arcanes de l’organisation du FLN. À cette occasion, la propagande
française se saisit de l’événement et promène Adjoul dans les marchés où il
appellera les villageois à suivre son exemple.
L’année suivante, Si Larbi Cherif, un sous-officier* aguerri de l’armée
française – dont la présence dans les rangs de la Wilaya 6/Sud* est sujette à
caution – mobilise efficacement les populations « arabes » de la région du
Titteri, en attisant les oppositions ethniques à l’encontre des premiers chefs
de la Wilaya 6, le colonel Ali Mellah et son adjoint, issus de la Wilaya 3*
(Kabylie). Combattu par les troupes de la Wilaya 4*, il finit par « rallier » les
forces adverses, en juillet 1957 et constitue ouvertement un contre-maquis
qui dure jusqu’en 1962 avant d’être transféré en France.
L’exemple le plus frappant est la reddition du capitaine Ali Hambli avec
son bataillon, survenue à la fin du mois de mars 1959, à partir du territoire
tunisien. Hostile à Krim* Belkacem, ministre des Forces armées, et
Mohammedi* Saïd (Si Nasser), responsable du COM à qui il reproche leurs
décisions arbitraires, il s’implique dans le complot Lamouri*. L’exécution de
ce dernier le conforte dans son opposition. Sa résistance est mise à rude
épreuve par les combats avec l’ALN, secondée par la garde nationale
tunisienne. Le SDECE* profite de cette crise pour prendre contact avec Ali
Hambli qui se résout à se rendre à l’armée française en franchissant le
barrage de l’Est avec ses hommes. Comme Adjoul, il fut promené de marché
en marché mais Ali Hambli ose déclarer à l’assistance muette : « Je suis un
singe, ne m’écoutez pas […]. Je suis un traître à la révolution. Les Français
m’utilisent et se moquent de vous » (Azzedine, On nous appelait fellaghas,
Stock, 1976, p. 291). Il finit par être « liquidé » dans un accident de voiture.
Ces quelques exemples sont loin d’épuiser ce dossier dont les archives*
ne sont pas toujours accessibles. Mais ils renseignent sur les tensions et
déchirements internes nés durant la guerre et invitent à approfondir la
réflexion sur les modalités du fonctionnement interne du FLN-ALN.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Complots et purges dans l’armée de
libération nationale algérienne (1958-1961) », Vingtième Siècle. Revue
d’histoire, no 59, 1998 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002 • Ouanassa Siari Tengour, « Adjel Adjoul, le combat
inachevé », Insaniyat, no 25-26, 2004.

RÉÉDUCATION
La politisation des conflits induite par la guerre froide* entraîne
rapidement un fort intérêt pour la question du conditionnement et de la
rééducation politique des prisonniers* de guerre. D’une part, les régimes
soviétiques et chinois expérimentent des techniques coercitives de persuasion
qu’ils appliquent à certains de leurs opposants, ou supposés tels, ou aux
prisonniers ennemis. Les autocritiques d’accusés de grands procès politiques,
notamment celle du cardinal hongrois József Mindszenty en 1948, choquent
les opinions du bloc occidental. Durant la guerre de Corée, quelques
prisonniers américains en Chine* sous l’effet de ce reconditionnement
prennent position publiquement contre la politique des États-Unis* en Asie.
La psychologie behavioriste et la neurochimie, alors en plein développement,
sont sollicitées pour tenter de répondre à cette menace. Persuadés que les
communistes ont découvert les secrets du contrôle de la psyché humaine, la
CIA et l’US Army lancent donc des programmes impliquant des chercheurs
civils en vue d’explorer les possibilités d’une telle rééducation par des
protocoles mêlant suggestion, hibernation artificielle, électrochocs et usages
de drogue. En Indochine*, la tentative de rééducation d’officiers* français
prisonniers de guerre, menée par des commissaires politiques du Vietminh,
s’inspirant de méthodes chinoises, fait miroir aux camps de prisonniers des
autorités franco-vietnamiennes où les prisonniers vietnamiens font l’objet
d’un conditionnement psychologique avant d’être utilisés comme agents
civils de l’armée. C’est cette expérience indochinoise qui sert de socle à la
politique de rééducation politique menée par l’armée en Algérie.
La mise en place, au cours des deux premières années de la guerre en
Algérie, d’un réseau de camps d’internement* et la détention de nombreux
Algériens, plus ou moins impliqués dans la lutte nationaliste, confrontent les
autorités civiles et militaires à de nouveaux problèmes. Ces camps sont en
effet des lieux de politisation nationaliste. Les prisonniers les moins
compromis se voient libérés et demeurent néanmoins acquis aux idéaux
nationalistes. En 1956, le lieutenant-colonel André Bruge, prisonnier durant
cinq ans en Indochine, produit une note à destination du cabinet de Robert
Lacoste*. Il y préconise la mise en œuvre d’un traitement psychologique des
Algériens internés, inspiré des méthodes du Vietminh. La fuite de cette note
et sa publication par Le Monde* vont ralentir et modifier la réalisation d’un
tel programme.
L’opération Pilote, en 1957, est l’occasion de la première expérience
poussée de rééducation politique. Un centre clandestin de formation d’agents
algériens est créé, sous l’autorité du bureau psychologique, à côté du CIPCG*
d’Arzew. S’y succèdent des stages de trois mois, concernant une
cinquantaine de stagiaires, destinés à devenir des commissaires politiques
algériens pro-français. Des officiers itinérants du bureau psychologique,
anciens prisonniers du Vietminh, se chargent, avec un succès relatif, de
transformer ces Algériens, qui ne sont pas volontaires, en partisans de
l’Algérie nouvelle et française. Une fois réintroduits dans leur communauté
d’origine, les stagiaires ont pour mission de constituer une organisation
clandestine pro-française à même de contrer le FLN*, en s’inspirant de son
mode d’organisation. Le programme de ce centre sert de base à toutes les
tentatives de rééducation qui se déploient ultérieurement en Algérie.
Parallèlement, dans le quartier de Warnier, au nord d’Orléansville, dans
le cadre de l’opération Pilote, le 2e bataillon du 2e régiment d’infanterie
coloniale, de sa propre initiative et avec l’appui du bureau psychologique,
met en place un centre de désintoxication destiné à rééduquer la population
civile de la région. Cette rééducation consiste en une détention de quinze
jours. La propagande* anti-FLN y accompagne des interrogatoires de masse
permettant de trier partisans du FLN, à éliminer, et possibles collaborateurs, à
intégrer dans les harkis* ou à désigner comme responsables des
communautés villageoises locales. À la fin de la guerre, quand le centre est
fermé, 28 000 hommes de la région y ont été ainsi « rééduqués ».
Le bureau psychologique forme également des moniteurs d’action
psychologique pour les camps d’hébergement. Ces moniteurs, recrutés parmi
les appelés et formés lors de stages organisés par le 5e bureau, sont détachés
dans les centres d’internement relevant de l’administration civile. Ils doivent
y contrer la propagande nationaliste et participer à la rééducation politique
des internés jugés les moins compromis. À partir de 1958, des centres de
rééducation sont ouverts sur tout le territoire algérien. Il s’agit principalement
de neutraliser politiquement les prisonniers, voire de les amener à collaborer
avec les autorités françaises.
Ces pratiques de rééducation politique rencontrent celle de la formation
des cadres militaires, via des écoles de cadres. En se basant sur l’expérience
du centre d’Arzew, des centres destinés à former, non plus des agents
clandestins, mais des agents à même d’assurer l’encadrement et la protection
des collectivités rurales, sont ouverts. La formule se généralise sous l’autorité
du général Maurice Challe*. À la fin de l’année 1960, plus de soixante
centres de formation des autodéfenses sont actifs et forment des milliers de
responsables des autodéfenses. Tout comme les centres de rééducation, les
centres de formation des autodéfenses (CFAD) sont progressivement fermés
lors des dernières années du conflit. Il est difficile d’estimer les effets d’une
telle politique. À défaut d’avoir suscité de sincères vocations pro-françaises,
elle a participé à semer le trouble dans la population algérienne, à désorienter
les prisonniers libérés et à attiser la peur de l’infiltration au sein du FLN.
Denis LEROUX

RÉFÉRENDUMS (AUTODÉTERMINATION,
ACCORDS D’ÉVIAN, INDÉPENDANCE)

De Gaulle* défend la dimension démocratique de sa politique par des


consultations référendaires ; trois sont organisées sur la question algérienne :
l’autodétermination, les accords d’Évian* et l’indépendance.
Après le discours sur l’autodétermination* du 16 septembre 1959, le
référendum organisé le 8 janvier 1961 est une arme politique. La
propagande* de l’armée et des représentants de l’État doit expliquer le texte,
rassurer sur le fait que le oui signifie l’indépendance, convaincre les
récalcitrants et abstentionnistes. Pour de Gaulle, au-delà des intérêts
personnels et partisans, la paix est à ce prix ; il attend une approbation forte
(plus de 50 % des inscrits) et se dit prêt à démissionner sinon. Bien que
favorable à l’autodétermination, Ferhat Abbas*, président du GPRA*, prône
l’abstention : il voit le référendum comme une concession de la France. En
métropole, les opposants, PCF*, PSU* ou partisans de l’Algérie française ne
veulent pas accorder un blanc-seing à de Gaulle, pour des raisons diverses.
En métropole, l’abstention est de 26 % et le oui l’emporte avec 74,9 %. En
Algérie, 69,5 % des électeurs votent oui, mais l’abstention est massive (40 %)
et le non l’emporte là où les partisans de l’Algérie française sont majoritaires.
Après la signature des accords d’Évian, comme s’y était engagé de
Gaulle, deux référendums ont lieu : le 8 avril 1962 en métropole et le
1er juillet en Algérie. Le premier invite les électeurs à se prononcer sur
l’application des accords et sur un projet de loi permettant de conclure des
accords de coopération avec le futur État algérien. Le oui l’emporte avec
90,80 % des suffrages, les opposants défendant surtout l’Algérie française. Le
haut-commissaire, Christian Fouchet*, rédige la formulation du second :
« Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la
France […] ? » De nombreux Européens sont partis, et dans une ferveur
patriotique les « musulmans » votent en masse : oui à 99,72 %. Après la
proclamation officielle des résultats, le 3 juillet, le président de la République
reconnaît l’indépendance de l’Algérie et transmet à l’Exécutif provisoire* les
pouvoirs de souveraineté.
Le contexte politique, la radicalité des positions, la guerre et le terrorisme
ont compliqué les débats et l’abstention a toujours été très importante en
Algérie. La participation aux référendums ne vaut pas soutien au régime
gaullien pour une partie de la gauche qui dénonce le « plébiscite », mais qui
ne veut pas se trouver aux côtés des partisans de l’Algérie française ou de
l’OAS* à ce moment décisif. Ces référendums ont néanmoins permis à de
Gaulle de légitimer sa politique alors que l’indépendance lui a été davantage
« arrachée » et de sortir de cette guerre, tout en excluant, d’une certaine
manière, le Parlement et le gouvernement.
Chantal MORELLE
RÉFRACTAIRES FRANÇAIS
Le terme « réfractaire », générique, signifie littéralement « qui s’oppose,
qui refuse » et sert notamment à désigner les personnes qui refusent le cadre
militaire. Trois catégories de désobéissances militaires contenues dans le
Code de justice militaire* peuvent être regroupées sous cette appellation : les
insoumis, les déserteurs et les refus d’obéissance. Comme le conflit n’était
officiellement pas considéré comme une guerre, les peines qui s’appliquaient
étaient celles du temps de paix, même si elles se sont aggravées au fur et à
mesure du conflit. Les insoumis, qui regroupent les personnes qui ne se
présentent pas au moment de leur appel sous les drapeaux, sont condamnés
d’un mois à un an de prison*. De 1955 à 1962, ils ont été au nombre de
10 861. Les refus d’obéissance correspondent aux soldats incorporés qui
refusent d’exécuter un ordre. Parmi eux, les objecteurs de conscience refusent
de porter l’uniforme ou une arme. La peine oscille entre un et deux ans de
prison, reconductible si l’objecteur persévère dans son refus. Le nombre de
refus d’obéissance n’est pour l’instant pas déterminable, d’autant que certains
n’ont pas été portés devant les tribunaux militaires et sont restés au stade de
la sanction disciplinaire. Les objecteurs de conscience ont été au nombre de
420 durant le conflit, mais ce nombre est peut-être minoré : certains
réfractaires emprisonnés pour leur refus de participer à la guerre d’Algérie
n’ont pas forcément été considérés comme des objecteurs de conscience.
Enfin, les déserteurs sont les soldats qui quittent illégalement leur unité. Ils
sont punis de six mois de prison à la peine de mort, selon que la désertion
s’est faite en France ou à l’étranger ou encore en rejoignant les rangs
ennemis, avec ou sans armes et effets militaires. En Algérie même, les
déserteurs ont été au nombre de 886. Ce nombre ne comprend ni les
déserteurs de la Légion étrangère*, ni les soldats qui ont déserté avant
d’arriver sur le territoire algérien (ce qui est caractéristique des refus de
participer à la guerre d’Algérie). Au total, le nombre de réfractaires est
d’environ 12 000, soit 1 % des appelés du contingent en Algérie. C’est donc
peu, mais bien supérieur aux estimations données, même par les opposants à
la guerre d’Algérie. Il est très difficile de dresser le portrait de ces
réfractaires, comme ce sont des personnes qui basculent dans la clandestinité
(sauf les objecteurs). Parmi les personnes dont nous avons retrouvé les
parcours, deux catégories se distinguent : d’une part les chrétiens (catholiques
et protestants pour la plupart) et d’autre part les communistes, même si nous
trouvons également des anarchistes*, des trotskistes et des socialistes.
Trois périodes scandent les refus de participer à la guerre d’Algérie. La
première concerne « le temps des rappelés », entre 1955 et 1956. Cette
période est marquée par une prise de conscience progressive de l’état de
guerre et des mouvements de manifestations* contre les mesures de rappel et
de maintien sous les drapeaux à l’automne 1955 et au printemps 1956. La
question de la désobéissance surgit au cours de ces mouvements, débouchant
sur les premiers refus individuels de participer à la guerre. Parmi ceux-ci, des
parcours vont devenir emblématiques. Ce sont en particulier ceux d’Henri
Maillot*, Européen d’Algérie communiste et déserteur en avril 1956, d’Alban
Liechti*, communiste de la région parisienne qui a refusé d’obéir en
juillet 1956 par opposition à la guerre, ou encore de Noël Favrelière*, qui a
déserté en Algérie pour sauver un prisonnier* algérien promis à la mort en
août 1956. Ces parcours exceptionnels en masquent cependant d’autres restés
dans l’anonymat, bien qu’ils puissent revêtir des formes exceptionnelles.
La seconde période correspond au « temps du témoignage* et de
l’organisation », entre 1957 et 1959. Les mouvements sociaux d’opposition à
la guerre d’Algérie ayant échoué, les refus se cantonnent tout d’abord à une
dimension individuelle. Certaines désobéissances se déroulent même au sein
du cadre militaire, en passant par des formes d’aide à l’ALN* et au FLN*, ou
par des formes d’indiscipline variées comme le refus de saluer un supérieur,
le fait de porter des tenues non réglementaires ou de se laisser pousser les
cheveux ou la barbe. D’autres témoignent publiquement des exactions
françaises auxquelles ils assistent. L’une des figures les plus emblématiques
est ici le général Jacques Pâris de Bollardière*, qui dénonce la torture* en
1957. D’autres soldats publient également des articles, des lettres ou même
des journaux intimes qui sont dévoilés ultérieurement, tels Robert Bonnaud*,
Jean Müller ou Stanislas Hutin. Par ailleurs, les premiers réfractaires partis en
exil se regroupent progressivement. Les plus nombreux se retrouvent en
Suisse*. Sous l’impulsion de Jean-Louis Hurst*, instituteur communiste
déserteur, ils forment le mouvement Jeune Résistance, en octobre 1958.
D’autres réfractaires vivent en Belgique*, en Italie*, en Allemagne, en
Tunisie*, au Maroc*, ou ailleurs. Le nombre croissant d’objecteurs conduit
aussi à l’organisation d’une campagne en leur faveur par le pacifiste libertaire
Louis Lecoin, à partir de 1958. Le parti communiste soutient également les
« soldats du refus* », militants communistes qui refusent de participer à la
guerre, à la suite d’Alban Liechti. La campagne, commencée en 1957,
s’achève au cours de l’année 1959.
Enfin, la troisième période, qui couvre les années 1960 à 1962, concerne
« le temps du débat ». En effet, l’arrestation de « porteurs de valises* » et de
membres de Jeune Résistance en février 1960 conduit à faire connaître
l’organisation et à alimenter un débat sur la désobéissance, avec la
publication (et la censure*) de nombreux articles sur le sujet. Deux livres de
réfractaires sont publiés au printemps 1960 : Le Déserteur (Minuit) de Jean-
Louis Hurst (sous le pseudonyme de Maurienne) et Le Refus (Maspero) de
Maurice Maschino*, instituteur insoumis au Maroc puis en Tunisie. Ces deux
livres, censurés, sont suivis par un troisième : Le Désert à l’aube (Minuit) de
Noël Favrelière, en septembre. Les partis politiques (tel le nouveau PSU*) et
les syndicats (en particulier l’Unef*) s’emparent aussi de cette question au
printemps 1960, créant de véritables lignes de fracture au sein de ces
organisations. Le débat couve au cours de l’été, avant une nouvelle irruption
dans la sphère publique, à partir de début septembre, au moment de
l’ouverture du procès du « réseau Jeanson* ». Ainsi, 121 puis
246 intellectuels, dont Jean-Paul Sartre*, Simone de Beauvoir*, Simone
Signoret, André Breton et Marguerite Duras, signent la Déclaration sur le
droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, restée sous le nom de
« Manifeste* des 121 ». Cela suscite de nombreuses réactions. Les
insoumissions et les désertions augmentent ensuite, mais les arrestations
minent les organisations clandestines qui ne parviennent pas à s’organiser. Ce
sont en revanche les objecteurs de conscience qui se structurent, avec
l’Action civique non violente (ACNV) qui lance une campagne à compter de
la rentrée 1960 et qui soutient les refus de 35 objecteurs jusqu’en 1963. Après
l’indépendance, les objecteurs obtiennent un statut en décembre 1963.
Certains déserteurs et insoumis acceptent d’effectuer tout ou partie de leur
service militaire*. Amnistiés* en 1966, ils s’insèrent parfois avec difficulté.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Hélène Bracco, Pour avoir dit non. Actes de refus dans la guerre
d’Algérie, 1954-1962, Paris-Méditerranée, 2003 • Marius Loris Rodionoff,
« Crises et reconfigurations de la relation d’autorité dans l’armée française au
défi de la guerre d’Algérie (1954-1966) », thèse sous la dir. de R. Branche,
université Paris-1, 2018 » • Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ?
Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de soldats français pendant la
guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007.

RÉFRACTAIRES ET « PORTEURS
DE VALISES » (MÉMOIRES)
Dès la guerre elle-même, le nombre de réfractaires a fait l’objet d’une
« bataille des chiffres […] rude et brouillonne » (Hamon et Rotman, 1979,
p. 216). Le nombre 3 000 réfractaires devient le chiffre le plus fréquemment
annoncé, sans fondement réel. Mais, dès la fin de la guerre, de nombreux
militants anticolonialistes relativisent leur action et amoindrissent leur
nombre. Robert Bonnaud*, responsable du réseau marseillais de soutien au
FLN*, met l’accent en 1961 sur le très faible nombre de soutiens au FLN et
aux refus de participer à la guerre. Après l’indépendance, Janine Cahen et
Micheline Pouteau, deux « porteuses de valises* », publient en Italie* un
livre intitulé Una Resistenza incompiuta. La guerra d’Algeria e gli
anticolonialisti francesi 1954-1962 (Il Saggiatore, 1964). Selon elles, la
« résistance » à la guerre d’Algérie aurait donc été « incomplète » et le fait
d’une « infime minorité » (p. 4). Or, le nombre de réfractaires a été nettement
plus conséquent qu’imaginé (de l’ordre de 12 000, peut-être de 15 000
réfractaires). Pour quelles raisons les représentations mémorielles ont-elles eu
tendance à « écraser » le nombre de réfractaires et plus largement
d’opposants à la Guerre d’indépendance algérienne ?
D’une part, les opposants étaient dans la clandestinité ou en exil, isolés
ou regroupés dans des réseaux aux faibles effectifs. Tout cela conduit à ce
qu’ils soient des « solitudes qui s’entrecroisent » (Pierre Vidal-Naquet*,
in Hamon et Rotman, p. 10). Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils
étaient peu nombreux. De plus, les risques encourus étaient importants et
nécessitaient un engagement total. Sans aller aussi loin ni prendre autant de
risques, d’autres plus nombreux se sont aussi engagés pour la cause
algérienne. Tous ces engagements sont donc loin d’être anodins. D’autre part,
lorsque la Guerre d’indépendance débute, dix ans à peine la séparent de la fin
du second conflit mondial. Le modèle de la résistance au nazisme est de ce
fait omniprésent. Les résistants sont des héros et des figures respectées. Le
mythe résistancialiste bat son plein. Or, des termes (comme ceux de
« maquis » et de « résistance ») ne manquent pas de créer des interférences
mémorielles entre les deux conflits, qui sont pourtant de natures différentes
(la lutte contre l’occupation nazie et une guerre coloniale en Algérie). De ce
fait, les opposants à la guerre d’Algérie, qui comparent eux aussi les deux
conflits, dévalorisent « leur » résistance au profit de celle de la Seconde
Guerre mondiale.
Après l’indépendance algérienne, les réfractaires français et les « porteurs
de valises » sont davantage préoccupés par leur situation matérielle et légale
(obtenir l’amnistie*) ou par le soutien à la construction de l’Algérie
indépendante (comme « pieds-rouges* » et coopérants) qu’à porter leur
propre mémoire. La seule exception notable est constituée par les deux épais
livres de Janine Cahen et Micheline Pouteau publiés en 1964 en Italie et
jamais traduits en français. Il faut attendre le début des années 1970 pour
qu’il soit à nouveau question des désobéissances dans la guerre d’Algérie,
notamment lors du débat sur la torture* et de sa condamnation par le général
de Bollardière*. Francis Jeanson* intervient aussi dans la collection à succès
du magazine Historia d’Yves Courrière* au début des années 1970 (no 271 et
no 317). Il en est aussi question dans le cinéma*, avec plusieurs films :
indirectement avec Le Pistonné de Claude Berri (avec Guy Bedos, 1970), et
directement avec Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier* (avec
Philippe Léotard, 1972). Ce dernier film se base sur le parcours du déserteur
Noël Favrelière*, à la différence notable que le réalisateur fait mourir le
réfractaire, fâchant les deux amis. Cette mort du réfractaire semble aussi
signer comme un impossible refus de la guerre d’Algérie. Un autre film
s’ouvre toutefois sur une désobéissance en devenir : RAS d’Yves Boisset
(avec Jacques Weber, Jean-François Balmer et Jacques Villeret, 1973), tiré de
l’autofiction de Roland Perrot. La question de la désobéissance à la guerre
d’Algérie revient donc dans le débat public, notamment à la suite de
mai 1968, dans une forme contestataire à l’ordre établi, notamment militaire.
Le véritable tournant dans la connaissance et la reconnaissance des
opposants à la guerre d’Algérie tient au livre d’Hervé Hamon et de Patrick
Rotman, en 1979. Cette recherche (aboutissant à un doctorat) est avant tout
basée sur un entrecroisement d’entretiens à une époque où les archives* sont
peu accessibles. Elle est davantage centrée sur les « porteurs de valises » que
sur les réfractaires, et sur les réseaux de Francis Jeanson et d’Henri Curiel*
que sur les réseaux locaux. Cette enquête continue à faire référence jusqu’à
aujourd’hui. Néanmoins, la mémoire des opposants émerge difficilement,
même si le film Cher frangin de Gérard Mordillat aborde la question de la
désobéissance, en partie vue sous l’angle du petit frère (joué par Marius
Colucci, 1989). Cette difficile émergence tient notamment à une forme de
« mauvaise conscience » de la société française : de nombreux anciens
appelés abordent en effet la question de la désobéissance, saluant cet acte tout
en se justifiant de ne pas avoir déserté ou refusé d’obéir. Cette question
suscite une gêne, d’autant que la désobéissance apparaît comme un acte
grave, une remise en cause des institutions et de l’ordre établi. Les
réfractaires et « porteurs de valises » sont en quelque sorte rendus
responsables d’avoir eu « raison » trop tôt.
Néanmoins, chez les réfractaires il existe aussi une absence de volonté de
parler de leur parcours. Comme pour tous les acteurs de la guerre, la mémoire
a mis du temps à se révéler. Les gens sont occupés à travailler, à s’occuper de
leurs enfants, à se divertir et éventuellement à s’investir dans la vie publique.
Jean Le Meur n’a par exemple pas parlé de son refus d’obéissance à ses
enfants ; ce sont d’autres membres de la famille qui leur en ont parlé.
Certains réfractaires ont tiré un trait sur cette période. Ils sont passés à autre
chose. Certains n’agiraient peut-être pas de même, d’autant plus qu’ils se
désolent de l’évolution prise par l’Algérie après l’indépendance. Pour eux, il
existe un gouffre entre l’idéalisme de leur engagement et la réalité
sociopolitique algérienne. Enfin, la « mémoire sudiste » des ex-partisans de
l’« Algérie française », virulente et concomitante avec la montée de l’extrême
droite, conduit d’anciens réfractaires à ne pas se mettre en avant. Noël
Favrelière a par exemple été à plusieurs reprises menacé de mort, jusque dans
les années 1990 et après.
Cependant, à compter des années 2000, les réfractaires et opposants de la
guerre apparaissent davantage dans l’espace public. Noël Favrelière et Alban
Liechti* signent par exemple l’« Appel des douze* » pour protester contre la
torture en 2000. Ils œuvrent aussi dans des associations anticolonialistes et
publient pour certains des témoignages* mémoriels. Il en est aussi question
dans des documentaires comme celui d’Alain Taieb et Virginie Adoutte
(Monsieur le Président, je vous fais une lettre, Arte, 2000). Le livre de
Jacques Charby (lui-même ancien « porteur de valises ») donne la parole à
ces Porteurs d’espoir (La Découverte, 2004). Ma thèse soutenue en 2007
consacrée aux réfractaires aide à une meilleure connaissance des oppositions
à la guerre d’Algérie, de même que celles de Charlotte Gobin consacrée aux
« porteuses de valises » (« Guerre et engagement : devenir “porteur.e de
valises” en guerre d’Algérie (1954-1962) », sous la dir. de S. Schweitzer,
Lyon-2, 2017) et de Marius Loris Rodionoff (« Crises et reconfigurations de
la relation d’autorité dans l’armée française au défi de la guerre d’Algérie
(1954-1966) », sous la dir. de R. Branche, Paris-1, 2018). En Algérie, si
certains saluent le rôle joué par les « amis » de l’Algérie, voire les « frères »,
leur action reste toutefois largement méconnue du grand public.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les Porteurs de valises. La
résistance française à la guerre d’Algérie, Seuil, 1979 • Tramor Quemeneur,
« Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de
soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir.
de B. Stora, Paris-8, 2007.

RÉFUGIÉS ALGÉRIENS
Dès les débuts de la guerre de libération algérienne, le Maroc* et la
Tunisie* enregistrent un important afflux des populations rurales frontalières
fuyant les opérations militaires. Cet exode, démenti officiellement, est estimé
à 80 000 personnes pour le Maroc et à plus de 220 000 personnes pour la
Tunisie selon Gilbert Meynier*. Ces chiffres recoupent ceux fournis par la
Ligue des sociétés de la Croix-Rouge qui retient le chiffre global de
300 000 réfugiés (Tarradelas) pour l’année 1961.
La grande vague des départs forcés est liée à la multiplication des
opérations de ratissage qui se terminent souvent par l’incendie des mechtas et
l’ordre d’évacuer leurs territoires transformés en zones interdites* pour
couper toute relation entre les populations et les maquisards dans les années
1956-1957.
Avec la construction des barrages* électrifiés à partir de 1957, le
franchissement des frontières est ralenti pour les populations civiles, d’autant
plus que ce dispositif est renforcé par la constitution de « glacis »,
entièrement minés* et s’étendant sur une dizaine de kilomètres de large, tout
le long de la frontière.
Déracinés, coupés de leurs terres et de leurs troupeaux, ces réfugiés
mènent une vie pénible. En Tunisie, les familles du nord de l’Algérie (Souk
Ahras) se concentrent dans les centres frontaliers de Ghardimaou, Sakiet Sidi
Youssef*, Le Kef, celles de la région de Tébessa se sont installées à Feriana,
Sbeïtla, Kasserine. On retrouve la même répartition au Maroc oriental : les
populations du Nord-Ouest (M’sirda, Marnia, Tlemcen, Beni Snous,
Nedroma…) s’installent là où elles peuvent à Oujda, à Berkane, Boubekeur
tandis que celles du Sud oranais gagnent Guenfouda, Djerda, Berguent,
Figuig, Bouarfa.
La solidarité des populations locales et des autorités tunisiennes et
marocaines s’est traduite par une aide à la mesure de leurs moyens, aide qui
s’avère très rapidement insuffisante à couvrir les besoins élémentaires de
l’afflux croissant de réfugiés. Habib Bourguiba alerta en vain le Haut
Commissariat pour les réfugiés (HCR) sur la situation des réfugiés. Celui-ci,
tenu par la convention de Genève* de 1951, ne reconnaît le statut de réfugiés
qu’aux personnes des camps de la Seconde Guerre mondiale. De son côté, la
France adopte la même position, arguant qu’elle mène dans ses départements
algériens des opérations de « maintien de l’ordre ». Mieux, elle exige du
gouvernement tunisien la restitution de ces « civils algériens ».
Mais l’intervention auprès des réfugiés hongrois en 1956 offre une
opportunité à August Lindt, qui dirige le HCR, d’élargir sa sphère
d’intervention. Encouragé tacitement par le secrétaire général de l’ONU*,
Dag Hammarskjöld et les États-Unis*, Lindt décide l’envoi d’une mission
d’enquête en Tunisie avant d’expédier les premiers secours aux réfugiés. Il
est vrai que le contexte international sensible à la question de la
décolonisation, défendue par le groupe de Bandoeng* et les diplomates
algériens, pèse sur son engagement.
En décembre 1958, une résolution de l’ONU permet officiellement au
HCR de poursuivre son action humanitaire auprès des réfugiés algériens en
Tunisie et au Maroc. Fort de l’appui de la Croix-Rouge internationale* et des
Croissants-Rouges* maghrébins, le HCR passe à l’action ouvertement,
livrant nourriture, vêtements, médicaments et argent. Par ailleurs, le
bombardement de Sakiet Sidi Youssef (février 1958) a attiré une foule de
journalistes venus du monde entier. Leurs dépêches racontent le triste sort des
réfugiés et suscitent un élan de solidarité internationale auquel adhèrent de
nombreuses organisations humanitaires et des donateurs privés.
La cause algérienne y gagne en visibilité et le service social du FLN*
maîtrise mieux la gestion des réfugiés confiée d’abord au Croissant-Rouge
créé en 1957 (non reconnu par le CICR) avant de passer sous l’égide d’un
ministère des Affaires sociales du GPRA* en septembre 1958.
À partir de décembre 1958, des bateaux déchargent dans les ports de
Casablanca et de Tunis des tonnes de vivres. Si les rations alimentaires
s’améliorent, si les réfugiés sont mieux vêtus, d’autres difficultés persistent.
Au premier chef, ce sont les conditions de logement* qui demeurent
précaires. Certains réfugiés ont pu être logés dans les villes alors que la
majorité a dû se contenter des abris de fortune (gourbis, tentes et grottes). Les
réfugiés plus chanceux sont hébergés dans des camps de toile montés par les
autorités tunisiennes par exemple à Sakiet Sidi Youssef, Sbeïtla ou Aïn
Khmouda près de Kasserine. La même assistance est observée au Maroc.
Hors d’Oujda qui abrite plus de 6 000 réfugiés recensés dans le courant de
l’année 1957, les conditions de vie sont tout aussi difficiles, notamment au
centre minier de Boubekeur où l’on compte plus de 17 000 personnes. Le
projet d’édifier des villages de réfugiés dotés des commodités élémentaires,
souhaité par les responsables algériens, ne verra pas le jour faute d’accord du
HCR et des pays d’accueil.
Par ailleurs, ici et là, des mécontentements éclatent, du au ralentissement
dans la distribution des secours qui est mis sur le compte de la dispersion
géographique des réfugiés sur un vaste territoire. Mais on invoque aussi des
détournements dont on retrouve les produits vendus dans les marchés. À ces
complications s’ajoute la grande proportion des enfants (43 %) et des
femmes. Des efforts sont déployés pour scolariser un maximum d’enfants.
Les écoles tunisiennes accueillent quelque 10 000 enfants (El Moudjahid,
no 38, 1959). Selon la disponibilité, des rudiments d’instruction sont
dispensés aux enfants des camps.
Quant aux enfants orphelins (que le Croissant-Rouge algérien a recensés),
des efforts particuliers sont consentis. L’UGTA* a mis en place des maisons
d’enfants. D’autres sont envoyés dans des pensionnats en Libye.
Pour lutter contre le désœuvrement, à titre d’exemple, le centre d’Ariana
non loin de Tunis (doté d’un dortoir, d’un réfectoire, d’une infirmerie)
accueille une centaine de travailleurs qui trouvent à s’occuper dans le potager
ou les ateliers de menuiserie et de matelasserie. Cette expérience renouvelée
ici et là, au Maroc également, a ses limites et ne peut résorber le chômage des
réfugiés algériens.
À l’heure du retour, au moment de l’indépendance en 1962, le HCR
prépare un plan de rapatriement* des réfugiés en accord avec le GPRA et les
autorités françaises qui ouvrent les deux frontières à partir du 10 mai 1962.
Le rapatriement dure jusqu’à la fin du mois de juillet.
Les observations que Bourdieu* et Sayad* ont relevées dans Le
Déracinement (Minuit, 1964) sont valables pour les réfugiés algériens. Les
réfugiés chassés par la guerre ont tout perdu, les quelques biens qu’ils
possédaient mais aussi des membres de leur famille et leurs repères avec le
passé. L’ancrage à l’espace est brisé. Les jours de liesse pour fêter la
libération n’effacent pas les traumatismes. Pour beaucoup, l’oubli invite à
poursuivre l’errance ailleurs, cette fois en allant grossir les bidonvilles
installés autour des centres urbains en quête d’un hypothétique travail.
L’histoire des réfugiés reste à écrire.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le Déracinement. La crise de
l’agriculture traditionnelle en Algérie, Minuit, 1964 • Fabien Sacriste, Les
Camps de regroupement. Une histoire des déplacements forcés (1954-1962),
Presses de Sciences Po, 2022 • Anton Taradellas, « Les réfugiés de la guerre
d’Algérie », mémoire de maîtrise sous la dir. de M. Schulz, Genève, 2017.

RÉGIONALISME ET NATIONALISME
(FRANCE)
La Guerre d’indépendance algérienne signe un réveil des régionalismes
indépendantistes en France. Ces nationalismes* régionalistes avaient été mis
à mal par la Seconde Guerre mondiale, de nombreux militants ayant eu des
positions collaborationnistes.
Pendant le conflit algérien, certaines personnes à la fibre régionaliste,
voire indépendantiste, font le parallèle entre la situation algérienne et la leur.
Même s’il reste marginal, ce mouvement est d’autant plus profond que le
conflit algérien mobilise l’immense majorité des jeunes appelés du
contingent*. Les parcours sont alors encore relativement individuels. Ainsi,
Guy Poulain, indépendantiste breton né en 1940, s’insoumet en 1960.
Dénoncé par son frère, sous-officier* à Saint-Cyr Coëtquidan, il justifie son
acte en affirmant qu’il ne reviendra que lorsqu’il existera une armée bretonne.
Il se réfugie en Suisse* où il est en contact avec le « réseau Jeanson* ». Il s’y
installe, travaille comme horloger et sert même comme tireur d’élite. Il rentre
temporairement en France en 1968, avant de retourner en Suisse où il meurt
en 1991.
À la fin du conflit algérien encore, le parti nationaliste occitan, comptant
une cinquantaine de militants, met en place un embryon de réseau
d’exfiltration de réfractaires* depuis Montpellier jusqu’à Menton puis vers
l’Italie*. La direction de la Sûreté du territoire (DST) appréhende ainsi trois
personnes lors d’une tentative de passage de la frontière franco-italienne le
26 février 1961. L’enquête fait apparaître l’existence d’un réseau lié au parti
nationaliste occitan, qui aurait exfiltré quelques réfractaires vers l’Italie.
Dès 1955, le militant anticolonialiste et anarchiste* Daniel Guérin publie
Les Antilles décolonisées (Présence africaine, 1955). Autant dire que la
maturation du mouvement indépendantiste antillais se déroule en même
temps que la guerre d’Algérie. Ainsi, Édouard Glissant, écrivain, poète et
futur fondateur des concepts de « créolisation » et de « tout-monde », est l’un
des signataires du « Manifeste* des 121 » en septembre 1960. L’année
suivante, il fonde le Front des Antillais et des Guyanais pour l’autonomie
(FAGA), avec notamment l’avocat martiniquais Marcel Manville. Dès lors,
Édouard Glissant est expulsé de Guadeloupe et assigné à résidence en France
métropolitaine pour « séparatisme » jusqu’en 1965. Marcel Manville est par
ailleurs un proche de Frantz Fanon*, penseur du tiers-mondisme et militant
de l’indépendance algérienne. L’auteur de Peau noire, masques blancs
(Seuil, 1952) et des Damnés de la terre (Maspero, 1961) est mort en 1961,
sans avoir véritablement œuvré pour l’indépendance des Antilles. Manville et
Fanon ont participé ensemble à la résistance contre l’occupation nazie
pendant la Seconde Guerre mondiale. Marcel Manville prend lui aussi
résolument parti pour l’indépendance de l’Algérie dès 1955. Il défend des
militants nationalistes algériens tant à Alger qu’à Paris, et fait partie du
collectif des avocats* du PCF* dont il est membre. Son activité lui vaut
d’être la cible d’un attentat de l’OAS* en 1962 dont il sort indemne. Après
son retour en Martinique en 1977, il crée le Parti communiste pour
l’indépendance et le socialisme (PKLS) en 1984. Il décède à Paris en 1998,
juste avant de plaider en faveur des victimes de la manifestation algérienne
d’octobre 1961*. Enfin, signalons encore Sonny Rupaire, jeune poète né en
Guadeloupe. Appelé au service militaire* en Algérie, il s’insoumet, rejoint
les rangs de l’ALN* et y travaille comme enseignant après l’indépendance.
De retour en Guadeloupe en 1968, il devient notamment le porte-parole de
l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe (UPLG) en 1978 et
écrit dans son journal Lendépandans.
D’autres mouvements indépendantistes naissent dans l’immédiat après-
guerre d’Algérie. Ainsi, les premières traces du Front de libération de la
Bretagne (FLB) sont identifiées en octobre 1963, à peine plus d’un an après
la fin de la guerre d’Algérie. Selon la police*, le nom même puise son
inspiration dans le sigle du FLN*. En 1966, avant même ses premières
actions clandestines, le FLB rédige un communiqué attirant l’attention de
l’opinion sur « la nécessaire décolonisation de la Bretagne » et appuyant sur
le « statut colonial » qui sévirait en Bretagne. La proximité avec la Guerre
d’indépendance algérienne n’est probablement pas fortuite dans ce discours
anticolonial. Dès 1957 d’ailleurs, le journal communiste Dimanche matin
affirmait à la suite de la création du Mouvement pour l’organisation de la
Bretagne (MOB) : « Si nous n’y prenons pas garde, nous aurons bientôt des
fellaghas dans la banlieue de Rennes » (17 novembre 1957). De 1966 à 1968,
les journaux qualifient même à de multiples reprises les militants clandestins
du FLB de « fellaghas bretons ». Selon le journaliste et militant
indépendantiste Jean Bothorel, une partie des clandestins du FLB sont
marqués par leur service militaire en Algérie.
La guerre d’Algérie a encore eu des conséquences indirectes en Corse. En
effet, grâce à la Société pour la mise en valeur agricole de la Corse
(Somivac), des « pieds-noirs* » se lancent dans l’agriculture en Corse,
entraînant des résistances locales. En 1975, les militants de l’Action pour la
renaissance de la Corse (ARC), fondée par Edmond Simeoni, occupent la
cave d’un viticulteur pied-noir. L’occupation se termine dramatiquement
avec la mort de deux personnes. Un an plus tard, le Front de libération
nationale de la Corse (FLNC) est créé, en référence explicite au modèle
algérien.
Enfin, chez les nationalistes basques, en particulier l’organisation
Iparretarrak (IK) créée en 1973, les références à la guerre d’Algérie ne sont
pas absentes non plus. Des militants ont également participé ou ont été
marqués par ce conflit et jugent « naturel de prendre les armes contre une
occupation » (cité in Eneko Bidegain, Iparretarrak [IK]. Histoire d’une
organisation politique armée, Bayonne, Gatuzain, 2007).
Une partie de ces mouvements ont de plus été aidés par l’Algérie
indépendante : alors qu’Alger était la « capitale du tiers-monde », de
nombreux mouvements indépendantistes y avaient leurs bureaux. Certains
mouvements indépendantistes régionalistes ont également bénéficié de cette
aide financière et matérielle.
Il est en tout cas certain que la guerre d’Algérie a constitué un ferment
intellectuel et politique, duquel le tiers-mondisme a véritablement éclos,
servant de modèle pour d’autres mouvements politiques indépendantistes, et
pour la maturation d’un discours anticolonial, tant et si bien qu’en 1971,
Robert Lafont titrait par exemple l’un de ses livres Décoloniser en France.
Les régions face à l’Europe (Gallimard, 1971), dans lequel il estimait qu’il
existait une « reconnaissance de plus en plus large de la situation coloniale en
France, et conséquemment l’apparition d’une volonté de plus en plus nette de
décolonisation » (p. 9-10). Ce mouvement s’inscrit dans celui plus large des
décolonisations, mais la France a été d’autant plus marquée par la guerre
d’Algérie que la participation à cette guerre a été massive avec les appelés du
contingent* et que l’Algérie était aussi constituée de départements français.
De là à ce que certains veuillent décoloniser leurs propres départements ou
région, il n’y avait qu’un pas.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Manuel Borutta, « De la Méridionalité à la Méditerranée : le Midi de
la France au temps de l’Algérie coloniale », Cahiers de la Méditerranée,
no 100, 2020, p. 97-113 • Lionel Henry et Annick Lagadec, FLB-ARB.
L’histoire 1966-2005, Yoran Embanner, 2006 • Tramor Quemeneur, « Une
guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de
soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir.
de B. Stora, Paris-8, 2007.

REGROUPEMENT (CAMPS DE)


Emprunté au vocabulaire militaire, le terme « regroupement » désigne,
pendant la guerre, un procédé aussi militaire qu’administratif ayant conduit
au déplacement forcé et à la mise en camp de plus de 2 millions d’Algériens
et d’Algériennes. Des familles paysannes, sinon les populations de villages
entiers, ont ainsi été contraintes de quitter leur habitat pour s’installer à
proximité d’un poste militaire ou de SAS*, dans des lieux qualifiés de
« centres » ou de « villages » de regroupement. Autant d’euphémismes
administratifs visant à éviter l’usage du mot « camp », dans un contexte
encore marqué par la Seconde Guerre mondiale. Les regroupements se
rattachent pourtant bel et bien à la figure du camp, même si leurs objectifs,
fonctions et conséquences les distinguent des autres camps du XXe siècle.
Si les premiers regroupements ont lieu dès 1954 dans l’Aurès, la
rationalisation et la théorisation de la pratique ne débutent réellement qu’avec
l’arrivée des officiers* des Affaires indigènes du Maroc* dans le Sud-Est
algérien (1955). Sous l’impulsion du général Parlange*, le regroupement est
peu à peu conçu comme un instrument de contrôle et d’encadrement des
populations, permettant de les couper des moudjahidines* sinon de les
enrôler contre le FLN*. À plus long terme, il s’agit de réformer la société
rurale par la construction de « centres de regroupement définitifs ». Le
principe est progressivement utilisé dans toute l’Algérie pour légitimer la
multiplication des déplacements forcés, notamment dans le Constantinois où
l’Igame Maurice Papon* contribue à sa diffusion et à son application massive
dès 1956. La progression des théories sur la « guerre révolutionnaire* »
accélère encore ce processus : à partir de 1957, la pratique connaît un succès
croissant auprès de cadres militaires et civils persuadés d’être confrontés à un
conflit dont la population serait l’enjeu, consacrant le regroupement comme
un procédé clé de la contre-guérilla. Après mai 1958, les programmes de
regroupement se multiplient dans toute l’Algérie, mais la prolifération des
camps et la misère qui en résulte à l’approche de l’hiver incitent le haut
commandement à en limiter la création. La publication d’une note officieuse
de Michel Rocard*, décrivant de manière très critique la situation des camps,
incite Paul Delouvrier*, délégué général du gouvernement en Algérie, à en
interdire officiellement la pratique en mars 1959. La divulgation du rapport
Rocard par Le Monde* entraîne cependant un scandale public, que le délégué
général parvient à résorber en lançant le programme dit des « mille villages ».
Ce programme prétend transformer les camps en autant d’entités semi-
urbaines modernes, véritables fers de lance du développement du « bled » et
de l’avènement d’une « Algérie nouvelle ». Un projet qui sert surtout, dans
l’immédiat, à légitimer, par un argumentaire économique et social, la reprise
des regroupements, parallèlement aux principales opérations du plan Challe*
(1959-1960).
Installation forcée dans des villages existants, création de camps ex nihilo
à une plus ou moins grande distance des terres cultivées, transformations de
quartiers informels en nouveaux espaces urbains… Impossible de parler du
regroupement au singulier, tant ses configurations locales sont nombreuses et
différenciées. De même les camps varient-ils par l’importance des
populations qu’ils accueillent, de quelques dizaines d’individus pour les
villages de supplétifs*, à près de dix mille pour les grands camps de nomades
du Sud-Oranais – voire plus, si l’on prend en compte les cités de recasement
alors construites pour résorber les bidonvilles algériens, et qui sont recensées
comme des regroupements à la fin de la guerre. Tous, cependant, ont en
commun le fait d’avoir été contraints par l’autorité publique. Exception faite
de rares cas notables, dont celui du douar Beni Ilmane victime du massacre
dit « de Melouza* » (1957), la quasi-totalité des regroupements est
imputable, directement ou indirectement aux choix des acteurs de l’État
colonial ou à la violence de l’armée française : création de zones interdites*,
destruction de villages ou représailles militaires. La contrainte est également
indissociable de la fonction du camp. Celui-ci doit d’abord permettre la
surveillance constante d’une population toujours suspecte aux yeux de
l’autorité par sa proximité sociale, sinon familiale, avec les moudjahidines.
Dès lors, les camps, en concentrant les Algériens et Algériennes dans un
espace cloisonné et isolé par un réseau de barbelés, offrent un condensé des
actions d’encadrement administratif et politique assurées par l’armée dans ce
conflit : recherche du renseignement, recensement des personnes et des biens,
surveillance des opinions et des activités politiques ou religieuses,
embrigadement politique ou enrôlement militaire. Rarement planifiés, les
regroupements conduisent par ailleurs à l’édification de lieux de misère,
proches des camps de réfugiés* par la précarité durable qu’ils imposent aux
déplacés. Le déracinement et la déstructuration sociale, les carences
alimentaires et la misère physiologique, l’insalubrité et la promiscuité des
logements* sont autant d’éléments structurels d’une crise qui, sans être
systématique, est généralisée dans les camps, où elle suscite une forte
surmortalité : entre 150 000 et 200 000 individus, essentiellement de jeunes
enfants, ont pu y trouver la mort. Face à cette crise, les chefs de SAS
s’évertuent, dans une tentative souvent désespérée, à résorber les effets
économiques et sociaux du regroupement par des mesures d’urgence :
construction de logements, distributions de secours, chantiers de chômage ou
petits aménagements agraires. Des réalisations bien en deçà de l’ambition de
la politique des « mille villages », malgré l’impulsion qui lui est donnée avec
la création d’une inspection générale des regroupements de populations
(IGRP), confiée au général Parlange (1959). Censée assurer la coordination
de ce programme d’aménagement, présenté comme le pendant rural du plan
de Constantine*, l’IGRP s’avère cependant incapable d’imposer son rythme
et sa conception du regroupement aux acteurs militaires qui, sur le terrain,
dominent cette politique jusqu’en 1961.
En 1962, près de la moitié de la population rurale, estimée à 7 millions
d’individus en 1954, se trouve hors de son domicile : aux plus de 2 millions
d’Algériens et d’Algériennes déplacé(e)s dans les camps s’ajoutent plus de
1 million de ruraux qui ont cherché refuge dans les bidonvilles algériens ou à
l’arrière des frontières marocaine et tunisienne. Le regroupement, violence la
plus massive parmi celles exercées par l’État et l’armée contre la population
algérienne, se démarque également par son caractère « durable »
(C. Gerlach). Après l’indépendance, la ruine des écosystèmes et des sociétés
rurales favorise le maintien des populations dans les camps, qui évoluent peu
à peu vers de nouvelles entités citadines : autant de stigmates d’une histoire
qui a brusquement et définitivement bouleversé l’Algérie, mais qui reste
encore aujourd’hui largement méconnue de l’opinion publique* française.
Fabien SACRISTE
Bibl. : Michel Cornaton, Les Regroupements de la décolonisation en Algérie,
Éditions ouvrières, 1967 • Michel Rocard, Rapport sur les camps de
regroupement et autres textes sur la guerre d’Algérie, édition critique établie
sous la direction de Vincent Duclert et Pierre Encrevé, avec la collaboration
de Claire Andrieu, Gilles Morin et Sylvie Thénault, Mille et une nuits, 2003 •
Fabien Sacriste, Les Camps de regroupement en Algérie. Une histoire des
déplacements forcés pendant la guerre d’indépendance (1954-1962), Presses
de Sciences Po, 2022.

REPENTANCE
Le mot « repentance » a été mis à la mode… par ses adversaires, selon un
procédé rodé des polémistes : amalgamer des thèses à prétention radicale et
celles d’observateurs critiques, cibler des outrances, puis se présenter comme
raisonnables, nuancés, étrangers à toute idéologie. Les pamphlets
antirepentance se sont ainsi succédé. Après Alain Griotteray, en 2001 avec Je
ne demande pas pardon. La France n’est pas coupable (Éditions du Rocher) ;
trois ouvrages paraissent en 2006 : Paul-François Paoli, Nous ne sommes pas
coupables. Assez de repentances ! (La Table ronde) ; Max Gallo, Fier d’être
Français (Fayard) ; Pascal Bruckner, La Tyrannie de la pénitence. Essai sur
le masochisme occidental (Grasset). Ce fut également le cas d’un ouvrage
signé par Daniel Lefeuvre*, Pour en finir avec la repentance coloniale
(Flammarion, 2008). Et que dire des hors-séries spéciaux « Colonies »
d’hebdomadaires divers.
Ces ouvrages n’étayent leur démonstration sur aucun texte d’hommes ou
de femmes politiques (Christiane Taubira, par exemple) ni d’historiens
critiques (texte fondateur de protestation contre la loi de février 2005, signé
Claude Liauzu, Gilbert Meynier* et Gérard Noiriel). Et pour cause : la
repentance est un concept quasi unanimement rejeté. Leur idée n’est pas que
la France aurait à « s’agenouiller ».
La demande vise la reconnaissance. Que l’État français reconnaisse les
préjudices causés par le système colonial, des premières déportations
négrières à la décolonisation – plus de trois siècles : conquêtes aux
conséquences démographiques épouvantables, appropriation illégale de
territoires étrangers, pillages, spoliations, massacres, discriminations raciales
à base de discours pseudoscientifiques… Certains les qualifient de crimes
contre l’humanité mais la question divise. S’ils connaissent par ailleurs
l’existence d’infrastructures économiques, éducatives et sanitaires, ils
soulignent qu’elles étaient surtout destinées à la mise en valeur de l’Empire.
Cette demande plaide pour une mise au point sereine, équilibrée, mais
reconnaissant les faits les plus effroyables. Elle serait propice à pacifier le
débat sur la question, à désamorcer toute tentative d’instrumentalisation
communautariste (voire à ôter un prétexte au chantage de certains
gouvernements d’ex-colonies). Les chefs d’État ont contourné l’obstacle, soit
par le silence gêné, soit par des formules convenues et globalisantes, jusqu’à
ce qu’émerge une nouvelle génération*. Encouragé dès 2017 par diverses
personnalités à mettre ses actes en accord avec ses paroles (il avait promis
lors de la campagne un « geste fort » sur les questions mémorielles liées à la
guerre d’Algérie), Emmanuel Macron* s’est saisi du dossier Maurice Audin*.
Le 13 septembre 2018, il a fait connaître une déclaration, doublée d’un geste
symbolique, une visite à la veuve et aux enfants du militant assassiné. Le
texte présidentiel disait que l’« évasion* » d’Audin était « manifestement une
mise en scène visant à camoufler sa mort », qu’on avait la « certitude » qu’il
avait été auparavant « torturé ». Il dépassait le cas de Maurice Audin. Il
dénonçait un « système, dont les gouvernements successifs ont permis le
développement […], appelé “arrestation-détention” à l’époque même, qui
autoris[ait] les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout “suspect”
dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire ». Qui en était
responsable ? Les « gouvernements successifs » avec une formule minimale :
ils auraient échoué « à prévenir et à punir le recours à la torture* ». La
déclaration s’achevait sur un appel à poursuivre le travail historique,
poursuite facilitée par la « libre consultation de tous les fonds d’archives* de
l’État qui concernent ce sujet » et le recours à de nouveaux témoignages*.
Le jeune président a fait un pas dans le sens voulu qu’aucun de ses
prédécesseurs, en particulier les deux se réclamant de la gauche, n’avait
franchi. Chez les partisans de la reconnaissance, des insatisfactions
demeurent. Si des mesures d’ouverture des archives publiques ont été prises
de 2019 à 2021, dans la continuité de cette déclaration, une reconnaissance a
concerné Ali Boumendjel* mais être élargie aux milliers d’autres,
compagnons de malheur d’Audin. Pour eux, une clarification plus globale
encore aurait le mérite de limiter les risques d’un violent retour du refoulé et
d’amorcer un débat – enfin sérieux – sur ce que devrait et devra être une
France républicaine respectueuse de ses principes fondateurs.
Alain RUSCIO
Bibl. : Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson (dir.), Les Guerres de
mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses
historiques, stratégies médiatiques, La Découverte, 2008 • Catherine
Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Marseille,
Agone, 2009 • Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale,
Flammarion, 2006.

RÉPRESSION DES COMMUNISTES


ALGÉRIENS
La répression qui touche le PCA* durant la Guerre d’indépendance
s’inscrit dans celle subie par l’ensemble des organisations et militants
anticolonialistes. Elle obéit toutefois à une chronologie propre.
Deux vagues peuvent être distinguées. La première court de
novembre 1954 à septembre 1955. À la différence du MTLD, qui subit une
interdiction et des arrestations dès le déclenchement de la lutte armée, le PCA
dispose de plusieurs mois de répit. Le vote de la loi sur l’état d’urgence* en
avril 1955 marque une première inflexion : au printemps et à l’été 1955, en
même temps que des centaines de nationalistes, des dizaines de communistes
font l’objet de mesures administratives d’interdiction de séjour ou
d’internement. Une partie des autorités réclament des mesures plus radicales
et obtient en septembre 1955 l’interdiction du PCA et de ses organisations
satellites.
La seconde vague répressive débute en décembre 1955, et atteint son
paroxysme entre l’automne 1956 et le printemps 1957. Des réseaux
clandestins composés de communistes dépendants du PCA ou du FLN* sont
démantelés au cours d’opérations menées par la police* ou l’armée. Leurs
membres sont massivement torturés, et plusieurs meurent entre les mains de
l’armée. La plupart sont présentés à la justice militaire*, qui juge au moins
200 communistes entre 1955 et 1958, en même temps que plus de
20 000 nationalistes. Quelques militants sont condamnés à mort, et l’un
d’entre eux – Fernand Iveton* – est exécuté. Au même moment, la répression
administrative se massifie sous l’effet notamment du vote de la loi sur les
pouvoirs spéciaux* (mars 1956). Au rythme des affaires qui impliquent des
communistes dans la lutte armée en 1956-1957, des mesures administratives
sont prononcées le même jour contre des dizaines de militants différenciés
selon leur sexe et leur statut juridique : les hommes dits « musulmans » sont
internés, les hommes dits « français » sont expulsés ou internés dans un camp
spécifique, et les femmes dites « françaises » sont expulsées.
Au total, plus de 500 communistes ont subi une arrestation durant la
guerre, suivie selon les cas d’une mesure administrative, judiciaire et/ou de
violences extralégales.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « La répression des communistes en
Algérie (1954-1957) », in Magalie Besse et Sylvie Thénault (dir.), Réparer
l’injustice. L’affaire Maurice Audin, Institut francophone pour la justice et la
démocratie, 2019.

RÉPUBLIQUE, IVE
L’instabilité de la IVe République tient au fait que les gouvernements,
responsables devant l’Assemblée, doivent former des coalitions pour trouver
une majorité. Les rassemblements de partis aux positions hétéroclites ne
résistent pas longtemps à l’examen de questions délicates comme celle de la
politique à mener en Algérie. Un consensus règne, pourtant, sur l’idée de
garder l’Algérie française et sur la façon d’y parvenir. De novembre 1954 à
mai 1958, les six présidents du conseil à la tête des gouvernements, Pierre
Mendès France*, Edgar Faure, Guy Mollet*, Maurice Bourgès-Maunoury* et
Félix Gaillard*, raisonnent de façon similaire. Pour eux, il faut résolument
combattre la lutte pour l’indépendance et mettre en œuvre des réformes
économiques, sociales et administratives en vue de développer le pays et de
corriger les inégalités les plus flagrantes de ses institutions. Des deux volets
(réprimer, réformer), toutefois, le premier prime. Non seulement le retour à
l’ordre est pensé comme un préalable à toute autre politique mais le contenu
des mesures à prendre en la matière est moins risqué pour les gouvernements.
Ils ne sont pas renversés sur les mesures répressives mais sur les autres.
La IVe République dote la lutte contre l’insurrection de fondements
durables. La guerre et ses conventions étant rejetées, le choix est fait de créer
des législations d’exception : état d’urgence* en 1955, pouvoirs spéciaux* en
1956 qui inaugurent le transfert des pouvoirs de police* à l’armée. Le recours
massif au contingent est aussi décidé, par le biais de l’appel sous les drapeaux
et du rappel des disponibles, ces jeunes gens ayant terminé leur service
militaire*. La négation de l’état de guerre implique également, à partir de
1956, les exécutions de condamnés à mort quand le FLN* réclame le
traitement de ses membres en prisonniers* de guerre. S’y ajoute le refus de
tout regard extérieur dans un contexte où, sur la scène mondiale,
l’indépendance des colonies est une cause légitime ; le FLN mise au contraire
avec pertinence sur l’internationalisation*. Enfin, Mollet définit un triptyque
valable jusqu’à ce que de Gaulle* se prononce pour l’autodétermination en
1959 : cessez-le-feu, élections*, négociations*. Le FLN, de son côté, ne veut
pas d’un cessez-le-feu sans garantie sur l’indépendance, ni d’élections
désignant d’autres interlocuteurs que ses dirigeants pour d’éventuels
pourparlers.
L’idée qu’il faudrait réformer l’Algérie française pour la sauvegarder est
bien antérieure à la guerre mais après 1954, elle se renforce sous l’effet de
l’insurrection. Les Français d’Algérie, pour leur part, combattent les
réformes, surtout lorsque, touchant aux institutions* coloniales, elles mettent
leurs pouvoirs en péril. Mendès France est la première victime de cette
opposition. En janvier 1955, il est renversé par une Assemblée hostile à un
plan ambitieux (grands travaux hydrauliques, réduction des écarts de salaire
avec la métropole, accès des Algériens à de hauts postes de la fonction
publique, droit de vote aux femmes* algériennes, suppression des communes
mixtes gérées par un administrateur). Puis, le plan porté par le gouverneur
général Soustelle* ne trouve pas non plus de soutien. Il aboutit
essentiellement à la création des centres sociaux éducatifs* (CSE), sous
l’égide de Germaine Tillion*. En 1956, les pouvoirs spéciaux comportent un
important volet réformateur mais les réalisations restent limitées. Après
Mollet, Bourgès-Maunoury s’attelle à une loi-cadre* prévoyant l’instauration
du collège unique et l’autonomie de l’Algérie, découpée en territoires gérés
par un « conseil fédératif ». En butte à une très vive opposition, il
démissionne avant de présenter la loi au Parlement. Faure en fait adopter une
version remaniée, le 5 février 1958. Les élus des Français d’Algérie espèrent
en limiter la mise en œuvre. La chute de la IVe République que provoque, par
ricochet, le bombardement de Sakiet* en bloque de toute façon l’application.
Les femmes algériennes ont cependant désormais le droit de vote, inscrit à
l’article premier.
Ainsi, en dépit de la valse des gouvernements, la politique algérienne est
marquée par une grande continuité qu’explique la présence régulière de
certains hommes au pouvoir, appartenant essentiellement à la SFIO*, au parti
radical* et à l’UDSR. François Mitterrand*, ministre de l’Intérieur sous
Mendès France, est à la Justice sous Mollet. Jean Gilbert-Jules, secrétaire
d’État aux Finances et aux Affaires économiques dans les gouvernements
Mendès France et Faure, devient ministre de l’Intérieur avec Mollet et le reste
avec Bourgès-Maunoury. Quant à Christian Pineau, il est aux Affaires
étrangères sous Mollet, Bourgès-Maunoury et Gaillard. Un trio se distingue
tout particulièrement : Robert Lacoste*, ministre résidant à Alger, de
février 1956 à mai 1958 ; Max Lejeune, secrétaire d’État à l’Armée de terre*
dans le gouvernement Mollet puis ministre du Sahara dans les deux suivants ;
Maurice Bourgès-Maunoury, enfin, qui est en permanence au pouvoir. Il est
successivement ministre de l’Industrie et du Commerce, de l’Intérieur puis de
la Défense nationale, avant de diriger lui-même un gouvernement et de
revenir à l’Intérieur. Socialistes ou radicaux, mus par des principes jacobins
et/ou laïcs, selon les cas, tous trois se retrouvent, en 1961, dans un « Comité
de gauche pour le maintien de l’Algérie dans la République française ».
La continuité de l’action administrative explique aussi celle des politiques
menées. En matière économique et sociale, en particulier, un rapport rédigé
par un groupe d’études en 1955, sous Mendès, le rapport Maspétiol*, inspire
toutes les réformes postérieures. D’un gouvernement à l’autre, les projets,
rapports, notes, etc., sont gardés par les services administratifs qui les
ressortent à l’arrivée de nouveaux ministres. Certains hauts fonctionnaires,
restant en poste, mènent une action constante. Ils peuvent aussi faire
fructifier, au gré de leurs mutations, leurs expériences antérieures, parfois
d’Algérie en métropole ou inversement. Par exemple, Jean Vaujour*,
directeur des renseignements généraux d’Algérie au moment où la guerre est
déclenchée, conseille Bourgès-Maunoury à l’Intérieur en 1955, puis son
successeur, Gilbert-Jules. Au-delà de l’instabilité ministérielle, ainsi
s’élaborent des politiques relevant des mêmes logiques et aux contenus
similaires.
En 1958, la politique du général de Gaulle ne rompt pas
fondamentalement avec celle du régime précédent, sauf sur un point crucial :
le collège unique d’électeurs, annoncé dans l’euphorie des lendemains du
13 Mai*. Les condamnés à mort bénéficient également d’une grâce
collective. Pour le reste, de Gaulle propose aux combattants de l’ALN* de se
rendre, avec son appel à la « paix des braves », ce qui revient au cessez-le-feu
sans condition que le FLN rejette. Le plan de Constantine*, quant à lui,
reprend des propositions du rapport Maspétiol, tandis que le plan Challe*, du
nom du nouveau général en chef en Algérie, a pour ambition d’anéantir
l’adversaire. Seule l’autodétermination, annoncée le 16 septembre 1959,
change radicalement la donne. Pour la première fois depuis le début de la
guerre, l’indépendance est officiellement envisageable. En définitive, plus
que la fin de l’instabilité, cette lucidité différencie la IVe et la
Ve République*, tant elle permet de tracer une voie nouvelle pour l’avenir.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammation, 2012.

RÉPUBLIQUE, VE
L’appel à de Gaulle* par le Comité de salut public, le 13 mai 1958* à
Alger, a pour but de sauver l’Algérie française et non de changer de
République ; cependant le retour du Général implique une nouvelle
constitution. Il demande et obtient, pour six mois, les pleins pouvoirs à cet
effet. La Ve République naît donc dans un contexte considéré par les
opposants du Général comme un coup de force militaire ; le nouveau régime
est critiqué pour son autoritarisme aux dépens du système parlementaire,
traditionnel en France.
Les idées de De Gaulle sont connues depuis le discours de Bayeux
(1946). S’il se veut républicain, il voit le président en véritable chef. Ses
pouvoirs, sous la Ve République, n’ont jamais été aussi importants : il nomme
le Premier ministre et, sur sa proposition, les membres du gouvernement ;
avec les référendums sur l’organisation des pouvoirs publics, il instaure une
sorte de démocratie directe au-dessus des élus ; il peut dissoudre l’Assemblée
nationale. La responsabilité du gouvernement devant le Parlement doit être
limitée pour éviter l’instabilité que de Gaulle a toujours reprochée à la
IVe République*. L’Assemblée n’investit plus le Premier ministre et le
gouvernement peut faire passer un projet de loi en engageant sa
responsabilité grâce à l’article 49, alinéa 3. Contrairement à la
IIIe République en 1940, de Gaulle veut disposer d’un pouvoir important pour
des temps exceptionnels afin d’assurer la continuité du pouvoir : c’est
l’article 16. « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la
nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements
internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu,
le Président de la République prend les mesures exigées par ces
circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des
présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. » Très
débattue, cette question a fait craindre une dérive dictatoriale, même si la
consultation des autres autorités évite tout blanc-seing au chef de l’État. En
outre « les événements » d’Algérie justifient, aux yeux de De Gaulle, une
lecture particulière : il y a l’esprit et la lettre de la Constitution. Le chef de
l’État garde un « domaine réservé », dont la question algérienne. Le Premier
ministre et l’ensemble du gouvernement appliquent sa politique.
Défaisant ce qui a été construit après le 13 Mai, de Gaulle limite le poids
de l’armée et notamment du général Salan* qui cumulait les pouvoirs civils et
militaires : il confie à Paul Delouvrier*, délégué du gouvernement, les
questions politiques et économiques, et au général en chef, Challe*, les
questions militaires.
Selon l’article 20 de la Constitution, le Premier ministre « détermine et
conduit la politique de la Nation », mais, Michel Debré* étant favorable à
l’Algérie française, le chef de l’État met en place d’autres structures afin de
contourner l’autorité du chef du gouvernement et préserver son domaine
réservé. En juin 1958, le secrétariat général aux Affaires algériennes est
rattaché à Matignon, c’est-à-dire au général qui est alors chef du
gouvernement. Devenu chef de l’État, il réorganise les responsabilités pour
garder la main. À l’automne 1960, après son discours sur « la République
algérienne qui existera un jour », il crée un ministère chargé des Affaires
algériennes, dépendant de lui. Louis Joxe* est nommé et devient ministre
d’État, ce qui le place au deuxième rang dans la hiérarchie gouvernementale,
immédiatement derrière le Premier ministre : il en référera avant tout à
l’Élysée. Le délégué du gouvernement (Paul Delouvrier) est remplacé par un
délégué général en Algérie (Jean Morin*) qui passe de l’autorité du Premier
ministre à celle du ministre d’État chargé des Affaires algériennes. Matignon
est donc dessaisi de cette question, bien que de Gaulle et Joxe respectent les
formes et que Michel Debré soit associé aux discussions entre les deux
hommes. À la fin de 1960, il est clair que les décisions les plus importantes
sont prises directement à l’Élysée. Elles ne souffrent d’aucune contestation,
même si le président consulte ses ministres, individuellement ou en conseil,
maintient les formes et fait passer ses instructions concernant l’Algérie au
Premier ministre aussi bien qu’au ministre d’État chargé des Affaires
algériennes.
Ainsi, la décision de négocier avec les représentants du GPRA*, que le
FLN* a formé en 1958, officialisée le 30 mars 1961, émane de lui ; puis le
putsch* des généraux, le 22 avril, justifie la mise en œuvre des pouvoirs
exceptionnels et l’application de l’article 16 du 23 avril au 29 septembre. Le
gouvernement prend des dispositions en vertu de la loi du 16 mars 1956 qui
lui donne des pouvoirs spéciaux* et confirme que le ministre des Affaires
algériennes a délégation « pour prendre en Algérie, au nom du gouvernement,
toutes les décisions qu’imposent les circonstances » comme le lui avait
affirmé le général avant son départ pour l’Algérie, et les autorités civiles et
militaires ont une grande liberté pour agir.
Dans ce régime qui tourne le dos au système parlementaire, la
personnalisation du pouvoir est favorisée. Elle rend indispensables et
efficaces les prises de parole du chef de l’État, paraissant en uniforme à la
télévision, lors du putsch d’avril 1961 comme précédemment, le 29 janvier
1960 après la semaine des barricades*. Ses allocutions participent au
retournement de situation et signalent bien que l’autorité lui appartient.
En vertu du domaine réservé, après la proclamation de l’indépendance de
l’Algérie, de Gaulle nomme un proche, Jean-Marcel Jeanneney, ambassadeur
et haut représentant en Algérie qui ne dépend que de lui et non du Quai
d’Orsay. Un secrétariat d’État chargé des Affaires algériennes (1963-1966)
est maintenu après l’indépendance, et la gestion des questions de l’Algérie
reste contrôlée par l’Élysée.
La guerre d’Algérie a justifié le renforcement du pouvoir présidentiel
dans les institutions de la Ve République ; l’indépendance n’a pas
fondamentalement changé ces pouvoirs que les successeurs de Charles de
Gaulle ont maintenus, comme le domaine réservé, hormis sa dimension
algérienne.
Chantal MORELLE
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE
ALLEMANDE (RDA)
La RDA exprime peu d’intérêt envers la lutte algérienne de libération
nationale au début de la guerre. En raison de la doctrine Hallstein ouest-
allemande qui n’est reconnue que par les pays du bloc communiste, la presse
de la RDA publie les informations émanant exclusivement du PCF*. Mais en
raison de cette même doctrine ouest-allemande, elle peut agir plus facilement
en faveur du FLN* sans risquer de provoquer des problèmes diplomatiques
avec la France et ses alliés de l’Otan. La politique « algérienne » de la RDA
devient très active dès la constitution du GPRA* en septembre 1958. Les
aides matérielles commencent à acheminer des vêtements, des médicaments
et de l’équipement hospitalier au FLN. Entre 1957 et 1962, la valeur du
matériel envoyé est de plus de 8 millions de marks est-allemands. Les jeunes
Algériens étudient aux universités Humboldt et de Leipzig, les ouvriers
algériens sont formés en RDA, et les combattants blessés sont soignés dans
les hôpitaux est-allemands. Beaucoup de légionnaires – prisonniers* ou
déserteurs – y sont rapatriés. Diverses manifestations sont organisées :
accueil solennel des blessés, meetings de solidarité… Mais le but principal de
la RDA, comme d’ailleurs de la RFA*, est aussi de se faire reconnaître par le
GPRA et d’établir des relations diplomatiques. Le problème de la
reconnaissance fait donc partie de la rivalité entre les deux Allemagne et
constitue ainsi un aspect de la guerre froide*, certes secondaire. Le GPRA,
craignant des représailles de la RFA contre les Algériens résidant dans le
pays, ne reconnaît pas la RDA, mais demande d’ouvrir un bureau du FLN à
Berlin-Est, ce que les dirigeants de la RDA n’acceptent qu’à la condition
d’une reconnaissance réciproque. À l’été 1960, Berlin-Est accepte que le
GPRA soit représenté de manière officieuse par le représentant d’un délégué,
Ahmed Kroun, de l’Union générale des travailleurs algériens* (UGTA). Mais
celui-ci est expulsé en mai 1961, en raison de ses activités non autorisées par
les autorités. L’Algérie indépendante établit des relations diplomatiques avec
la RFA en 1962. Après d’âpres négociations*, la RDA peut ouvrir une
mission commerciale à Alger en avril 1963. Mais il faut attendre 1971 pour
que l’Algérie et la RDA établissent des relations diplomatiques, quand la
doctrine Hallstein est enterrée avec la nouvelle Ostpolitik de Willy Brandt.
László NAGY
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Fritz Taubert, La Guerre d’Algérie et la République
démocratique allemande. Le rôle de l’« autre » Allemagne pendant les
« événements » (1954 à 1962), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2010
• —, « La RDA pendant la guerre d’Algérie et ses relations avec la
République Algérienne jusqu’à sa reconnaissance en 1971 : une guerre
continue », in Hervé Bismuth et Fritz Taubert (dir.), La Guerre d’Algérie et le
monde communiste, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2014.

RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE
D’ALLEMAGNE (RFA)
Les années de guerre d’Algérie sont une période de grande mutation de
l’Allemagne fédérale : recouvrant sa pleine souveraineté par les accords de
Paris (23 octobre 1954), elle arrive à devenir au début des années 1960 une
puissance économique et politique de plein droit en Europe et dans le monde
occidental*. Pendant le conflit algérien, ce sont les problèmes de la division
de l’Allemagne et de Berlin qui occupent la première place dans sa politique
extérieure. Pour mener cette politique avec succès, le partenariat français et
une attitude de « non-ingérence » concernant le problème algérien, considéré
comme affaire intérieure française, sont indispensables. Cette attitude
réservée du gouvernement fédéral est perturbée par des problèmes de la
présence des Algériens en RFA ou de l’arraisonnement des navires des
sociétés allemandes transportant des armes vers la Tunisie* en 1957-1958. En
avril 1958, le bureau du FLN* s’installe à l’ambassade de Tunisie en RFA
sous la couverture d’un dit « service social », revêtant dès septembre de la
même année la fonction de représentation du GPRA*. Paris proteste, Bonn
dément sans vouloir fermer le bureau. Le Parti social-démocrate d’Allemagne
(PSDA) s’engage ouvertement du côté du GPRA. Une délégation du parti
invitée par le FLN effectue un voyage d’information en Tunisie en
septembre 1958. Elle est reçue par deux ministres du GPRA. À la fin du
voyage, le chef de la délégation, le député Wischnewski, donne une interview
à El Moudjahid, organe central du FLN, repris par la presse allemande, dans
laquelle il déclare : « Chaque jour qui passe est une bataille de plus perdue
pour le monde libre. Assez avec cette guerre inhumaine ! Donnez la liberté à
l’Algérie. » Le parti mène ensuite une campagne vigoureuse en collaboration
avec la société civile, les églises et les organisations estudiantines en faveur
de l’indépendance algérienne : meetings d’information, collecte pour les
réfugiés* algériens, reportages filmés, interviews diffusées des ministres du
GPRA, participation des invités du FLN aux conférences du PSDA. À
mesure que la politique algérienne de De Gaulle* évolue vers le dénouement
du conflit, Bonn s’adapte au contexte et gère le problème algérien de plus en
plus clairement, dans la perspective de l’indépendance. La campagne du
PSDA et son contact permanent avec le GPRA, par l’intermédiaire de Hans-
Jürgen Wischnewski, contribuent à ce que le nouvel État algérien reconnaisse
la RFA et non la RDA* en 1962.
László NAGY
Bibl. : Jean-Paul Cahn, « La République fédérale d’Allemagne et l’Afrique
du Nord (1949-1962) », Revue française d’histoire d’outre-mer, no 372-373,
2011 • — et Klaus-Jürgen Müller, La République fédérale d’Allemagne et la
guerre d’Algérie (1954-1962), Le Félin, 2003 • El Moudjahid. Organe
central du Front de libération nationale, [imprimé en Yougoslavie],
juin 1962, t. I-III, particulièrement nos 30 (septembre 1958), 44 (juin 1959),
50 (septembre 1959).

RÉSISTANCE ET GUERRE
D’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
« Aux Françaises et aux Français qui ont résisté à Hitler ; à celles et ceux
qui ont affronté les périls, défié la mort et subi la torture* afin que cette
ombre recule au ciel de l’histoire, je dédie ce cri pour la justice et
l’honneur. » Ainsi Pierre-Henri Simon ouvre-t-il Contre la torture, au Seuil,
en 1957. Côté français, la mobilisation du passé de la Seconde Guerre
mondiale profite tout particulièrement à la dénonciation des méthodes de la
guerre. La qualification de la torture comme une pratique nazie, que les
Français se compromettent à utiliser, est récurrente. Au retentissant « Votre
Gestapo d’Algérie », de Claude Bourdet*, en 1955, font écho, en 1957, le
« Sommes-nous les vaincus de Hitler ? », d’Hubert Beuve-Méry, rendant
compte du livre de Pierre-Henri Simon dans Le Monde*, ou encore, en 1959,
la déclaration d’Edmond Michelet* reproduite en exergue de La Gangrène,
dénonçant la torture pratiquée en métropole : « Il s’agit là de séquelles de la
vérole, du totalitarisme nazi. » Les mesures répressives touchant les
Algériens de la région parisienne rappellent également aux contemporains les
« rafles* » de la guerre précédente, d’autant plus que le mot « rafles » est
toujours en usage dans les milieux policiers. Les législations d’exception
élaborées par les gouvernements, elles aussi, évoquent Vichy, notamment
quand elles concernent les camps d’internement*.
En tant que mouvement réifié, devenu emblématique de la lutte pour la
liberté, la Résistance peut être réinvestie dans les années 1954-1962 par des
jeunes qui n’y ont pas participé du simple fait de leur âge, des étudiants* par
exemple, comme ceux de Caen étudiés par Bertrand Hamelin. Du point de
vue des trajectoires individuelles, cependant, la diversité des valeurs et des
ancrages politiques des résistants ouvre la voie à des trajectoires tout à fait
contraires. Aucun parti pris ne va de soi pour les anciens résistants prenant
position sur l’indépendance de l’Algérie. Au nom des droits de l’homme, de
la lutte contre l’oppression, du droit à la souveraineté nationale, nombre
d’entre eux, à l’image de Francis Jeanson*, de Claude Bourdet ou d’André
Mandouze*, choisissent de soutenir les Algériens. D’autres, au nom de la
France, de sa puissance et de son empire, se rangent résolument du côté de
l’Algérie française allant jusqu’à soutenir l’OAS*, comme Georges Bidault et
Jacques Soustelle*, quand ils ne s’y engagent pas, comme Raoul Salan*. Ils
arguent que de Gaulle* en d’autres temps a lui-même justifié la
désobéissance au motif d’une noble cause. Parmi les militaires, certains
résistants prônent aussi la torture – c’est le cas de Raoul Salan et de Jacques
Massu* à Alger. Enfin, les destinées des résistants peuvent aussi être suivies
au sein de l’État où ils sont nombreux à faire carrière après 1945. De Gaulle
recrute tout particulièrement parmi eux après 1958, quand il est sûr de leur
loyalisme. Maurice Patin*, président de la Commission de sauvegarde*, en
est un parfait exemple.
Les partisans de l’indépendance, pour leur part, se comparent aux
résistants français afin de légitimer leurs engagements, quand ils n’ont pas été
eux-mêmes déjà engagés pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas
de Jacques Salort et de Jean Farrugia, ces militants du PCA* membres des
Combattants de la libération*, jugés en 1957 par le tribunal permanent des
forces armées d’Alger. Pour continuer avec cet exemple, l’analogie avec la
résistance française est au cœur de la campagne pour la grâce
d’Abderrahmane Taleb, d’Abdelkader et de Jacqueline Guerroudj*,
condamnés à mort au même procès.
Le FLN* réinvestit l’argumentaire juridique de la Résistance française.
En 1961, dans La Révolution algérienne par le droit, paru à Bruxelles,
Mohammed Bedjaoui légitime les institutions* créées par le FLN, dont le
GPRA*. Réalisée à l’adresse du monde, dans un souci de légitimation des
revendications algériennes sur la scène internationale, cette entreprise
mobilise le droit avec une imitation assumée des Français. Le mimétisme de
la dénomination du GPRA avec le GPRF de 1944 est frappant, de même que
la toute première appellation envisagée, « gouvernement de l’Algérie libre »,
rappelait la France libre. Au-delà de ce mimétisme, Mohammed Bedjaoui
fonde l’existence du GPRA sur une série de précédents historiques, en
rappelant qu’à plusieurs reprises, notamment en France au XIXe siècle, la
proclamation de gouvernements provisoires a précédé leur investiture légale.
« Les exemples de formation du GPRF en 1944 et du GPRA le 19 septembre
1958 vont dans le même sens », conclut-il. Cet argumentaire élaboré dans les
normes du discours juridique doit tout à la formation de Mohammed
Bedjaoui. Arrivé à la faculté de droit de Grenoble en 1948, il a soutenu en
1956 une thèse de droit international remarquée, puisqu’elle a été primée, à
Londres, par la fondation Carnegie. Rejoignant le FLN, il est devenu, en
1958, l’un des collaborateurs d’Ahmed Francis, ministre des Finances et des
Affaires économiques du GPRA. Il a alors contribué à l’œuvre juridique du
FLN, en travaillant notamment à l’élaboration des institutions provisoires de
l’Algérie en devenir. Après l’indépendance, il a poursuivi une brillante
carrière tant dans son pays que dans diverses instances mondiales.
Au-delà d’un argumentaire juridique puisant dans le précédent de la
Seconde Guerre mondiale, l’édition de La Révolution algérienne par le droit
relie directement Résistance française et FLN. Le livre est en effet publié par
l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD), une association
créée en 1946 par des juristes résistants de diverses obédiences, avant que son
identité communiste ne s’affirme ; son lien avec Moscou est étroit. En 1961,
Pierre Cot, son président, signe la préface de La Révolution algérienne par le
droit et Mohammed Bedjaoui ne manque pas de remercier Joë Nordmann,
secrétaire général de l’AIJD, pour la publication de l’ouvrage. Les modalités
de la rencontre du FLN avec l’association restent à élucider, mais elle est
peut-être passée par la relation qu’ont nouée Mohammed Bedjaoui et Pierre
Cot, à Grenoble, vraisemblablement, où ce dernier dit avoir été l’un des
« maîtres » de l’étudiant algérien. Il est cependant possible que le contact se
soit établi en dehors de l’université, dans des réseaux croisant militantisme et
liens familiaux : la fille de Pierre Cot aurait été engagée auprès du FLN. Quoi
qu’il en soit, l’histoire gagnerait à considérer ensemble les deux conflits qui
ont été si proches dans le temps. Tout juste esquissée ici, la façon dont le
passé de la Seconde Guerre mondiale rejoue dans la Guerre d’indépendance
algérienne présente de multiples facettes qui restent à explorer, au-delà même
de la Résistance qui en est l’aspect le plus évident.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Bertrand Hamelin, « Les résistants et la guerre d’Algérie »,
in Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en guerre (1954-
1962). Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne,
Autrement, 2008 • Liora Israël, « La résistance par le droit ? Un
enseignement paradoxal de l’histoire de France des années sombres »,
in Pierre Truche, La Résistance dans la pratique judiciaire (1940-1944), La
Documentation française, 2012 • Sylvie Thénault, « “La nation du FLN, c’est
la résistance ?” », in Tahar Khalfoune (dir.), Mélanges en l’honneur de
l’historien Gilbert Meynier, L’Harmattan, 2019.

« RÉSURRECTION », OPÉRATION
Des militaires à Alger et des proches de De Gaulle* à Paris prévoient une
intervention de l’armée pour favoriser le retour du Général aux affaires. Ce
projet de coup de force militaire porte le nom de code Résurrection après que
de Gaulle a utilisé le mot lors de sa conférence de presse du 19 mai 1958. Sa
préparation, avancée, est stoppée par l’appel du président Coty à de Gaulle le
29 mai.
Le 18 mai le général Salan* accepte que deux militaires se rendent à Paris
pour mettre au point une opération appuyée par les troupes d’Algérie. Du 24
au 26 mai, une équipe arrive en Corse, aidée par le 1er bataillon de choc lié au
SDECE*, rejointe par Delbecque, fidèle du Général : la Corse ralliée, un
Comité de salut public y est créé. Des parachutages de troupes d’Algérie et de
métropole sont prévus à Paris le 29 pour contraindre à la création d’un
gouvernement de salut public dirigé par de Gaulle, et des avions décollent de
Paris pour le sud-ouest.
Que sait de Gaulle de ce projet et quelle est sa part de responsabilité ?
Cela pose la question de la légalité de son retour. Son entourage proche est
impliqué et nie – contrairement aux militaires – qu’il a donné son
approbation. Si un accord existe sur le but (son arrivée au pouvoir), il manque
sur les moyens. Au moment du déclenchement de l’opération parisienne,
Debré* signale que, pour de Gaulle, l’armée ne doit agir qu’en cas de refus
de Coty de faire appel à lui, de prise de pouvoir par les communistes et de
risque de guerre civile ; sinon il faut seulement maintenir la pression.
Officiellement, le Général insiste sur le respect de la légalité, sur « le
processus régulier » (communiqué du 27 mai). Le lendemain, il dit à un
émissaire de Salan qu’il ne viendra pas au pouvoir dans les fourgons de
l’armée, tout en jugeant les moyens projetés insuffisants. Si l’appel « au plus
illustre des Français », le 29 mai, arrête l’opération, la mobilisation des
acteurs est maintenue jusqu’au 3 juin, jour de l’investiture ; dans son
discours, de Gaulle renvoie dos à dos l’opération « Résurrection » et les
manifestations* de défense républicaine qui auraient été responsables d’une
guerre civile : ce n’est donc pas un désaveu. Si la légalité républicaine est
sauve, la pression organisée par l’armée et soutenue par l’entourage gaulliste
a été décisive. De Gaulle a joué de ses approbations silencieuses et du respect
de la démocratie. En ce sens, l’opération est bien « un coup d’État
démocratique ».
Chantal MORELLE
Bibl. : Christophe Nick, Résurrection. Naissance de la Ve République, un
coup d’État démocratique, Fayard, 1998.

RÉVOLUTION AFRICAINE
Au cours du procès du « réseau Jeanson* » en septembre 1960,
Me Jacques Vergès* a fait l’objet de poursuites du fait de ses déclarations
mettant en cause le Premier ministre Michel Debré*. Le 15 février 1961, il
est condamné à quinze jours de prison* et ne peut plus plaider pendant une
année. Afin d’éviter la détention, il part s’installer au Maroc* où il se
rapproche d’Abdelaziz Bouteflika* et d’autres leaders africains. Il fait partie
de la délégation qui accueille Ahmed Ben Bella* après sa libération en 1962.
En novembre, le futur président de la République algérienne lui demande de
créer un journal, financé par le FLN*, pour œuvrer en faveur de la libération
des pays africains. Jacques Vergès accepte et fait appel à Gérard Chaliand,
étudiant de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco),
membre des réseaux de « porteurs de valises* ». Celui-ci accepte de devenir
le rédacteur en chef du journal. Son épouse Juliette Minces, future
sociologue, également membre du réseau mis en place par Henri Curiel*,
l’accompagne pour travailler comme journaliste. Parmi les membres qui
rejoignent l’équipe figurent aussi l’écrivain Georges Arnaud (auteur du
Salaire de la peur), le dessinateur Siné, et Georges Chatain, jeune journaliste
professionnel ayant également milité contre la guerre d’Algérie. L’équipe du
journal se réunit dans les anciens locaux de L’Écho d’Alger* aux thèses
partisanes de « l’Algérie française ». Le premier numéro de Révolution
africaine sort le 2 février 1963. Le journal devient une référence
internationale sur la situation en Afrique, devenant même une « presqu’île de
modernité » en Algérie selon Catherine Simon. De fait, le journal a abordé de
nombreux sujets sur les colonies portugaises, sur l’Afrique du Sud, mais aussi
sur la situation intérieure algérienne, se faisant déjà l’écho d’un débat sur la
langue par exemple ou dénonçant aussi la corruption. Cependant, rapidement
des dissensions interviennent au sein de la rédaction, notamment à la suite du
voyage de Jacques Vergès et de son épouse Djamila Bouhired* en Chine*,
qui conduisent à des articles vantant le régime maoïste. Après le dix-
huitième numéro, Jacques Vergès quitte le journal, qui est repris par
Mohammed Harbi*, le futur historien alors conseiller à la présidence de Ben
Bella. Les « pieds-rouges* » quittent progressivement le journal au cours des
années 1963 et 1964. Mohammed Harbi est quant à lui arrêté après le coup
d’État de Houari Boumediene* en juin 1965. Le journal continue à exister
ensuite, sans avoir la même portée.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « The French Networks Helping the
Independence Movements of Portuguese Colonies. From the Algerian War to
Third-Worldism », Afriche e Orienti, vol. 19, no 3, 2017 • Catherine Simon,
Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’indépendance au
désenchantement (1962-1969), La Découverte, 2009.

REVUES
La guerre d’Algérie fut une « guerre de l’écrit », déclenchée bien avant
1954 avec les deux pôles qu’on retrouvera plus tard, mais qui ne sont pas
encore bien affirmés : justification du maintien de la colonisation et lutte
contre la domination. Les revues, à côté des journaux, vont se positionner
dans le champ éditorial en France et en Algérie et rendre visible une
structuration dont on peut relever les lignes de force. Après une
recomposition de ce champ à la suite de l’épuration à la fin de la Seconde
Guerre mondiale, même si en Algérie la presse vichyste ne fut pas vraiment
inquiétée, le discours colonial continue, encore plus radical, surtout après la
répression des soulèvements de Sétif et du Constantinois.
À partir de 1955-1956, on a une information plus massive sur les
« événements ». Le pôle opposé à la guerre parle de violences que rien ne
justifie : exécutions sommaires* et torture* (à partir de 1956). Les revues
s’occupent plus des analyses, des dossiers sur telle ou telle question, des
témoignages* d’appelés et des extraits des livres censurés.
En 1955, Colette et Francis Jeanson* (alors secrétaire général des Temps
modernes) publient L’Algérie hors la loi (Seuil) qui constitue le « bréviaire
des anticolonialistes ». L’ouvrage comme la revue se livrent à une analyse
radicale du système colonial et jouent un rôle central dans le débat sur la
guerre et les méthodes qui y sont employées.
Des deux côtés de la mer, on a donc deux pôles discursifs (avec les
implications politiques qui les accompagnent) entre anticolonialisme, hostilité
à la guerre et dénonciation des violences (notamment dans les revues
chrétiennes et de gauche comme Esprit et Les Temps modernes) et
colonialisme, justification de la guerre et intensification de la répression.
En Algérie, face aux thèses colonialistes développées dans un journal
comme L’Écho d’Alger*, relayées en France notamment par La Revue de
Paris, se développe un front contre le discours dominant, dont les
implications peuvent aller très loin : reconnaissance du droit à l’insoumission
et soutien effectif aux combattants algériens.
On peut voir les prémices d’une volonté de faire évoluer le système
colonial dans les revues culturelles des années 1950 (Forge, Progrès,
Simoun, Soleil, Terrasses… souvent créées par des écrivains) qui œuvrent à
l’établissement d’une communauté culturelle en transcendant la séparation
coloniale.
Mais les publications des organisations nationalistes et des intellectuels
engagés pour la cause algérienne se font plus radicales. Les revues
Consciences algériennes (1950-1951) puis Consciences maghribines (1954-
1956), sous l’impulsion d’André Mandouze*, ont un ton et développent une
dénonciation sans concession de la colonisation. Elles vont, avec des
différences, dans le même sens que les éditions En-Nahdha, qui les publient,
ou Le Jeune Musulman, revue des ulémas où paraissent les premières
analyses sur la littérature* algérienne francophone des années 1950 et où sont
esquissées les lignes du champ littéraire de l’État-nation en constitution.
C’est dans ce contexte que la question de la torture s’impose, notamment
sur l’impulsion d’intellectuels chrétiens (Jean-Marie Domenach, André
Mandouze, Paul Ricœur dans Esprit) et de gauche (Jean-Paul Sartre*,
Simone de Beauvoir* dans Les Temps modernes) ou simplement humanistes
(Raymond Aron dans La Nef). Des témoignages et dossiers sont publiés :
« Le dossier Müller », récit d’un jeune soldat mort en Algérie, Témoignage
chrétien, 1957, « Le cahier vert » qui regroupe les lettres, reçues par les
avocats Jacques Vergès* et Michel Zavrian, signalant les disparitions*, Les
Temps modernes, 1959.
Esprit publie de 1947 à 1962, en plus des analyses et des dénonciations
générales (Mandouze, Jeanson, Lacheraf*, Massignon*), des récits d’acteurs
de la guerre (« La paix des Némentchas » de Robert Bonnaud, 1957 ;
« Aventure d’un parachutiste » de Pierre Leulliette, 1959).
Ces revues, comme les journaux et les livres, sont soumises à la censure*
et aux saisies. Mais elles peuvent permettre de précéder et de contourner
l’interdiction en publiant des dossiers, des extraits de livres saisis ou les
minutes des procès qui permettent d’avoir le texte saisi quasiment en entier.
On peut également y lire des analyses et des dénonciations radicales du
colonialisme (Sartre ou Lacheraf). On y voit les premières études de la
littérature et de la culture algériennes (Lacheraf) ou les textes des écrivains
algériens : Kateb* Yacine (« Le cadavre encerclé », Esprit, 1954-1955).
Entretiens publie un numéro spécial (février 1957) avec plus d’une dizaine
d’auteurs algériens.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Jean-Robert Henry, « Consciences algériennes et Consciences
maghribines : résister au colonialisme », Le Carnet des glycines, disponible
en ligne, https://glycines.hypotheses.org/221 • Joël Roman, Esprit. Écrire
contre la guerre d’Algérie, Hachette, 2002.

ROCARD, RAPPORT
En 1959, la presse* française s’empare des camps de regroupement*. El
Moudjahid y avait consacré un article en février 1958, dont des fragments
avaient été repris en France mais sans qu’une véritable campagne s’ensuive.
Le 11 février 1959, Mgr Rodhain, secrétaire général du Secours catholique,
lance l’alerte dans La Croix, au sujet de la « sous-alimentation » du « million
de réfugiés* » algériens. « Des hommes ont faim. Des enfants ont faim […].
Il y a un devoir pour l’autorité du pays à [y] remédier », a-t-il écrit à Paul
Delouvrier*, délégué général du gouvernement en Algérie, dans un rapport
qu’il fait alors connaître. France Observateur et Le Monde*, qui publie un
premier article le 12 mars, entretiennent le scandale en reproduisant de larges
extraits d’un autre document, dans leurs éditions du 16 et du 18 avril 1959 :
une « note sur les centres de regroupement ». Elle leur a été transmise par
deux membres du cabinet d’Edmond Michelet*, ministre de la Justice :
Gaston Gosselin et Joseph Rovan, anciens résistants et compagnons de
captivité du ministre à Dachau. La fuite de documents est l’une de leurs
stratégies pour faire connaître les réalités de la guerre en Algérie et tenter
d’en hâter la fin.
La dénonciation des camps de regroupement s’élargit. Elle gagne Le
Figaro*. Ils sont aussi évoqués à l’Assemblée nationale le 9 juin 1959, tandis
que le FLN* lance une campagne internationale. Le rapport, comme tant
d’autres, finit par être intégralement reproduit dans La Raison d’État en 1962.
Vidal-Naquet* l’a obtenu du Monde mais le publie sans connaître l’identité
de son auteur, dévoilée dans la réédition de l’ouvrage en 2002. À l’époque, il
a été attribué à un groupe de « six fonctionnaires ».
La « note » émane de Michel Rocard, alors jeune inspecteur des finances
(il n’a pas 30 ans), ancien dirigeant des étudiants* socialistes, envoyé en
Algérie. L’un de ses amis, officier* SAS, lui a parlé des camps de
regroupement et ils se sont lancés ensemble dans une enquête officieuse.
Avec ou sans son ami, Rocard parcourt les départements d’Orléansville et de
Tiaret ainsi que l’arrondissement de Blida. Il s’éloigne donc assez peu
d’Alger mais complète ses informations par la documentation administrative
disponible. Remis à Delouvrier le 17 février 1959 puis au cabinet de
Michelet, son rapport lui a échappé. Il n’en souhaitait pas la publication.
Le rapport dresse un état des lieux « tragique », pour reprendre un
qualificatif dont Rocard use à plusieurs reprises. Il commence par une
tentative de définition des camps de regroupement en insistant sur leur
« importance numérique » pour en arriver rapidement au point crucial de son
rapport : « Tout déplacement de population entraîne une amputation toujours
sensible, parfois totale, des moyens d’existence des intéressés. » Et ce, alors
même que la proportion d’enfants y est considérable : il estime proche de
55 % la proportion des moins de 15 ans, en moyenne. La deuxième partie du
rapport, consacrée à la « situation des regroupés », revient sur le sort réservé
aux plus jeunes : « Une loi empirique a été constatée : lorsqu’un
regroupement atteint 1 000 personnes, il y meurt à peu près un enfant tous les
deux jours. » Il démontre ensuite la quasi-inexistence des « ressources » des
familles, souvent privées de présence masculine sauf chez les plus âgés. Le
déplacement les a coupées de leurs terres et fait perdre leur cheptel alors
qu’elles vivaient d’un élevage extensif déjà peu rentable. L’« assistance »
qu’elles perçoivent dans les camps est en outre aléatoire. « La situation
alimentaire est donc préoccupante dans la quasi-totalité des centres de
regroupement. Des moyens d’existence doivent à tout prix être fournis à ces
populations pour éviter que l’expérience ne se termine en catastrophe. » Dans
sa troisième partie, le rapport préconise une solution permettant à
l’administration civile de reprendre la main sur les militaires qui gèrent alors
les camps : y créer des coopératives et y affecter des spécialistes des
questions agricoles. Sa conclusion est sans appel : « Un million d’hommes,
de femmes et d’enfants sont pratiquement menacés de famine » mais des
mesures « viables » peuvent être prises « pour des temps plus cléments », soit
après-guerre. Les déplacements massifs de population sont consubstantiels à
la lutte contre les maquis, ils ne pourront cesser qu’avec la fin du conflit.
Le rapport conduit Delouvrier à interdire la création de nouveaux
regroupements, par circulaire, le 30 mars 1959. Il la communique d’ailleurs à
la presse après la publication du rapport, en gage de sa réactivité, avant de
concevoir le projet d’une transformation des camps en « mille villages ».
Rocard et lui raisonnent et agissent en serviteurs de l’État, sans envisager
officiellement l’indépendance.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Michel Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres
textes sur la guerre d’Algérie, édition critique établie sous la direction de
Vincent Duclert et Pierre Encrevé, avec la collaboration de Claire Andrieu,
Gilles Morin et Sylvie Thénault, Mille et une nuits, 2003.

ROY, JULES (1907-2000)


Comment un officier* de l’armée française, né dans une famille de petits
colons*, en vient-il à publier en 1960 La Guerre d’Algérie, récit et réflexion à
la suite d’un périple à travers l’Algérie en guerre ? Son itinéraire, singulier,
lui fait abandonner le séminaire pour une carrière des armes, qui le fait passer
du soutien à Pétain à l’engagement aux côtés de De Gaulle*, pour finir par se
consacrer à la littérature*. Officier dans le service des communications de
l’armée, il participe à la guerre d’Indochine* (1952-1953). S’il est d’abord
convaincu du bien-fondé de l’action de l’armée française, son journal révèle
une position plus réservée jusqu’à sa démission, ne pouvant accepter les
exactions de l’armée.
Il mène une carrière littéraire à Paris et semble d’abord détaché de
l’Algérie en guerre.
Sa capacité à faire évoluer ses positions va le faire passer d’une sorte de
tranquillité dans une Algérie colonisée, où les « Arabes » sont traités de
« troncs », imperméables au confort et au progrès, au scandale devant la
situation qui leur est imposée et à la dénonciation de la violence de la guerre.
Plus que les autres écrivains français d’Algérie (Camus*, Pélégri) qui ont
clairement dénoncé l’injustice du système colonial, il en arrive à la
justification de la lutte du côté algérien.
Son retour dans son pays natal en 1960 lui fait prendre contact avec des
populations soumises aux exactions des militaires français. Ce sont ce périple
et les réflexions qu’il lui inspire qu’on retrouve dans son essai-récit. La
Guerre d’Algérie fait scandale, non pas tant par sa dénonciation de la
violence, que parce que c’est un officier de l’armée qui tient ces propos. Il
donne un tableau saisissant de l’Algérie qui subit la guerre. Il dira : « La
cause que je sers ? Celle d’une humanité qui ne veut pas enlever le soleil, la
patrie et le pain à ceux qui y ont droit. Petit-fils de colons, j’ai entendu,
pendant la dernière guerre mondiale, sonner le glas du colonialisme et je dis
que cela est juste. Fils d’une paysanne et d’un gendarme, je veux que mon
armée soit le sel de la nation. »
Il entreprend ensuite la rédaction de la saga Les Chevaux du soleil (dont
le premier volume paraît en 1967) qui raconte la présence française en
Algérie, depuis 1830.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : José Lenzini, Jules Roy. Le céleste insoumis, Blida, Éditions du Tell,
2007 • Jules Roy, La Guerre d’Algérie, Julliard, 1960.
S

SAÂDANE, MERIEM (1932-1958) ET FADILA


(1938-1960)
Meriem et Fadila Saâdane sont deux sœurs qui ont partagé le même
destin. Issues d’un milieu de lettrés (le père est oukil judiciaire), l’oncle
paternel, le Dr Cherif Saâdane, est un nationaliste très proche de Ferhat
Abbas*. Meriem Saâdane disparaît en 1958, la seconde meurt les armes à la
main deux années plus tard.
Meriem Saâdane, dotée d’un diplôme d’infirmière d’État, est employée à
l’hôpital de Constantine en 1951. Elle fait partie des premiers réseaux mis en
place par l’organisation du FLN*. Arrêtée une première fois en janvier 1958,
elle séjourne à la ferme Ameziane qui abrite le centre de renseignement et
d’action* (CRA), puis au centre de triage et de transit* (CTT) du Hamma,
avant d’être libérée, faute de preuve. Elle est arrêtée de nouveau au début de
juin 1958 à la suite du démantèlement de plusieurs réseaux FLN. Elle fait
partie des 51 disparus de la ville de Constantine dont les corps sont
découverts dans un charnier, situé au djebel Boughareb, non loin d’El Aria, à
l’indépendance de l’Algérie.
Fadila Saâdane est lycéenne au collège moderne de Constantine. Comme
sa sœur aînée, elle fait partie des premiers réseaux mis en place par le FLN.
Forte de son expérience acquise auparavant, dans l’animation de
l’Association de la jeunesse estudiantine musulmane, parrainée par le MTLD,
Fadila Saâdane joue un rôle dans la mobilisation des lycéennes lors de la
grève* du 19 mai 1956.
Elle fait l’objet d’une arrestation, en novembre 1956, avec ses camarades
Zohra Gherib et Anissa Ghamri, membres de son réseau. Libérée à l’automne
1957, sa famille l’envoie poursuivre ses études au lycée de Clermont-
Ferrand, en classe terminale. À la disparition de sa sœur, Fadila Saâdane
décide de retourner à Constantine, bien déterminée à continuer son combat.
Elle rejoint un commando de fida.
Les années 1959-1960 sont particulièrement meurtrières pour
l’organisation FLN de la ville qui perd plusieurs de ses responsables, ce qui
contraint les responsables de la Wilaya 2* à en remanier l’organigramme.
Fadila Saâdane est désignée comme membre de la nahia 1 (centre-ville).
Outre les renseignements, elle est chargée de reconstituer les cellules
féminines de la ville. Pour circuler et passer les barrages de contrôle, elle
porte tantôt le voile traditionnel, tantôt elle est habillée à l’européenne. Elle
échappe aux tirs d’une patrouille le 24 septembre 1959.
Malgré ses précautions, son refuge est encerclé dans la nuit du 17 août
1960. Fadila Saâdane, Amar Kikaya, Saïd Rouag sont tués après une
résistance acharnée, et Malika Bencheikh El Hocine est grièvement blessée.
Dans l’histoire des femmes* algériennes, les sœurs Saâdane symbolisent
l’exemple du sacrifice suprême à l’instar des sœurs Farida et Fadila Sahnoun
et des sœurs Messaouda et Fatma Bedj de la Wilaya 4* et de bien d’autres.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Khedidja Adel et Ouanassa Siari Tengour, Récits de moudjahidates,
Constantine, Média-Plus, 2023.

SAADI, YACEF, DIT DJAFFAR (1928-2021)


Son nom est lié à la « bataille d’Alger* » livrée par la 10e division de
parachutistes* du général Massu* à qui Robert Lacoste* a délégué la
responsabilité du maintien de l’ordre, le 7 janvier 1957. À cette date, Yacef
Saadi est responsable militaire de la Zone autonome d’Alger* (ZAA) et il
dépend de Larbi Ben M’hidi*.
Yacef Saadi est né à la Casbah. Il quitte l’école primaire réquisitionnée
par les troupes anglo-américaines à l’automne 1942. Il est recruté en 1944,
comme secrétaire copiste au bureau des embarquements qui abrite les
insoumis dont des nationalistes à qui il rend des services en transmettant des
messages à leurs familles. À leur contact, il est sensibilisé à la lutte
anticoloniale. Les manifestations de mai 1945* et les massacres du
Constantinois le rapprochent du PPA-MTLD* auquel il finit par adhérer. À la
création de l’Organisation spéciale* (OS) en 1947, organisation paramilitaire
du parti, il est chef du groupe de la Casbah. À la découverte de l’OS, il part
en France et y séjourne deux années.
De retour à Alger, il acquiert une petite boulangerie pour faire vivre sa
famille. Le 12 octobre 1954, il est chargé par Zoubir Bouadjadj, ex-
compagnon de l’OS et membre des « 22* », de préparer un groupe de
réserve. À la fin de novembre 1954, Il héberge Rabah Bitat*, chef de
l’Algérois et s’occupe des liaisons avec les principaux chefs du FLN*.
Le 1er mai 1955, Saadi se rend en Suisse* pour transmettre un message de
Abane* à Boudiaf* ou Ben Bella* : « La délégation extérieure est-elle pour
ou contre la primauté de l’intérieur sur l’extérieur ? » Selon Saadi, Boudiaf
répond sans équivoque : « De l’extérieur, il est difficile de diriger une
révolution. » Arrêté par la police suisse et expulsé, il regagne Alger le 31 mai
où il est recueilli par la DST. Relâché trois mois plus tard, il consacre toute
son énergie à l’organisation des groupes armés d’Alger et met au point un
plan d’action pour l’élimination des militants messalistes, des indicateurs et
de la pègre. Il est secondé efficacement par le recrutement d’Ali La Pointe*.
C’est l’époque où il installe des laboratoires de fabrication de bombes
confiées à des femmes* volontaires qui peuvent passer aisément les barrages
militaires. Les exécutions capitales et l’attentat de la rue de Thèbes* (août
1956) sonnent le glas de la riposte de ses hommes. Alger vit au rythme des
attentats à la bombe du FLN et des ratonnades* tout aussi meurtrières.
La décision du FLN de lancer une grève* générale à la fin de
janvier 1957 est qualifiée par les autorités françaises de « grève
insurrectionnelle » d’où la mise sous haute surveillance des quartiers
algériens – dont la Casbah qui est investie par les parachutistes. La « bataille
d’Alger » inaugure un cycle de répressions où arrestations et tortures
s’enchaînent jusqu’aux rencontres de Yacef Saadi avec Germaine Tillion*, le
1er juillet et le 9 août. Contre la suspension des exécutions, Saadi s’engage à
épargner les civils. La brève accalmie respectée est rompue par la poursuite
des exécutions. L’échec de la démarche de Germaine Tillion, l’arrestation de
Yacef Saadi le 25 septembre 1957 marquent en apparence la fin de la
« bataille d’Alger ». Mais la rigueur de la répression a fait basculer les
populations algériennes dans le camp de la résistance du FLN.
Yacef Saadi est condamné à mort trois fois et gracié par de Gaulle* en
1959. Dans le film, La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966), il joue
son propre rôle.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Zohra Drif, Mémoires d’une combattante de l’ALN, Alger, Chihab,
2013 • Yacef Saadi, Souvenirs de la bataille d’Alger, Julliard, 1962 •
Germaine Tillion, Fragments de vie, Seuil, 2009.

SAHLI, MOHAMED CHERIF (OU MOHAND)


(1906-1989)
Son itinéraire est comparable à celui de nombreux Algériens de sa
génération*, qui conjuguent la formation intellectuelle en contexte colonial à
l’engagement pour la cause nationaliste et à l’écriture d’une « autre » histoire.
Après l’école primaire à Sidi Aïch (wilaya de Béjaïa) puis le lycée Bugeaud
(Émir-Abdelkader) à Alger, il poursuit ses études supérieures à la Sorbonne,
à Paris, où il obtient une licence en philosophie et l’agrégation. Il enseigne à
Paris de 1930 à 1939. Il est révoqué de son poste pour ses écrits et parce qu’il
n’aurait pas été naturalisé français. Il s’engage dans le journalisme : El
Oumma, journal de l’Étoile nord-africaine, El Ifriqia (revue* qu’il fonde à
Paris, 1939), El Hayat (bulletin antinazi qu’il édite) et Résistance
algérienne… Il reprend l’enseignement en 1950. En 1953, dans Le Jeune
Algérien, revue des ulémas, il publie « La colline oubliée ou la colline du
reniement », qui participe, avec Lacheraf*, Amar Ouzegane*, à l’attaque
contre le roman de Mouloud Mammeri*, qui est jugé régionaliste, non
positionné dans l’engagement nationaliste, peut-être écrit par un partisan de
l’Algérie française… On pouvait comprendre, à l’époque, les positions
radicales quant à la constitution d’un corpus littéraire algérien.
En 1957, il devient représentant permanent du FLN* et ambassadeur du
GPRA*. Après 1962, il est directeur des archives* à Alger, puis ambassadeur
dans de nombreux pays.
Comme Mostefa Lacheraf, il entreprend de revoir l’histoire et ses
concepts et de relire les documents. Dans son essai majeur, Décoloniser
l’histoire, il demande d’opérer une « véritable révolution copernicienne », qui
déplace l’Europe du centre du monde pour prendre d’autres points de
référence. Il montre la solidarité de l’histoire écrite jusque-là avec la
conception coloniale.
En même temps qu’il développe l’idée d’une continuité de l’histoire d’un
peuple, il affirme une continuité entre les pays du tiers-monde.
Par ailleurs, il reprend des personnages historiques comme l’émir
Abdelkader ou Jugurtha et les resitue dans une irréductible résistance à
l’occupant. Il en fait des relais dans l’idée d’une nation, dont ils deviennent
des figures emblématiques.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Mohamed Cherif Sahli, Le Message de Yougourtha, En-Nahdha, 1947
[rééd. : L’Algérien en Europe, 1968] • —, Décoloniser l’histoire.
Introduction à l’histoire du Maghreb, Maspero, 1965.

SAKIET SIDI YOUSSEF, BOMBARDEMENT


DE

Sakiet Sidi Youssef est un village tunisien situé près de la frontière


algérienne. Le 8 février 1958, il est bombardé par l’armée française, suscitant
une grave crise internationale.
L’affaire remonte au 11 janvier 1958, lorsqu’une section d’appelés tombe
dans une embuscade* près du poste de Bordj Sakiet, du côté algérien. Cette
embuscade est le 84e incident de frontière qui se déroule entre la Tunisie* et
l’Algérie depuis juillet 1957. Celui-ci est le plus meurtrier : 15 appelés sont
tués, 2 blessés, et 4 faits prisonniers*. Les appelés auraient été pris à partie
par environ 250 soldats de l’ALN* « de l’extérieur », basés près du village de
Sakiet Sidi Youssef. Une quinzaine d’entre eux auraient été tués, et environ
25 blessés.
Cette embuscade s’inscrit dans la « bataille des frontières* » avec des
accrochages de plus en plus fréquents, surtout avec l’édification du barrage
électrifié (la « ligne Morice »). Or, le ministère de la Défense a autorisé, le
5 août 1957, les forces armées françaises à intervenir jusqu’à une profondeur
de 25 kilomètres en territoire étranger. Sur la frontière algéro-tunisienne, la
situation est particulièrement tendue : à plusieurs reprises, ce « droit de
suite » a été mis en œuvre, suscitant des protestations tunisiennes virulentes
alors que ses relations diplomatiques avec la France s’amélioraient. Cette
« stratégie de la tension » est due à la fois aux nationalistes algériens dans
leur combat contre la France et la construction du barrage, et dans leur
volonté de tendre les relations entre la Tunisie et la France, et à l’armée
française qui ne supporte pas les incursions des combattants algériens en
Algérie. Certains cadres sont également prêts à en découdre avec la Tunisie,
accusée de soutenir les nationalistes algériens. En Tunisie se trouvent aussi
une dizaine de soldats français prisonniers de l’ALN, dont les quatre de
l’embuscade du 11 janvier, ce qui conduit à suspendre les relations
diplomatiques avec le pays. Le 15 janvier, le Conseil des ministres donne à
nouveau son aval pour que s’exerce le « droit de suite », avec l’opportunité
laissée au commandant en chef de le déclencher. Ce droit est encore rappelé
le 29 janvier. Les Affaires étrangères ont pourtant émis des réserves quant à
son utilisation, mais la primauté du militaire sur le civil depuis la loi sur les
« pouvoirs spéciaux* » en mars 1956 conduit à privilégier la résolution
militaire.
Le 30 janvier, un tir de mortier vise un avion T-6. À nouveau, le 8 février
1958 à 8 heures, un avion de reconnaissance français est visé et touché, le
contraignant à se poser en urgence. Aussitôt, 25 avions français sont
détournés vers Sakiet et équipés de nouvelles bombes. Ils reçoivent
l’autorisation du général Salan* pour leur nouvelle mission à 10 heures. À
11 h 10, le village de Sakiet Sidi Youssef est bombardé, en deux opérations
différentes. La première, réalisée par 11 bombardiers B 26, vise une mine
désaffectée où serait cantonnée une unité de l’ALN. D’après les autorités
françaises, elle tuerait une centaine de soldats de l’ALN sur les 500 qui
stationneraient dans la localité. La seconde, effectuée par 6 chasseurs Corsair
et 8 Mistral, cible deux postes de DCA se trouvant sur des bâtiments
administratifs du village. Les autorités tunisiennes font état de 74 morts (dont
8 enfants) et de 83 blessés. C’est en effet un jour de marché et il y a beaucoup
de monde dans le village, et le bâtiment visé a été utilisé par l’ALN mais
rendu à sa destination originelle, à savoir une école. Enfin, une délégation de
la Croix-Rouge internationale* et du Croissant-Rouge* se trouve dans le
village pour aider les réfugiés* algériens. Leurs véhicules (pourtant marqués
d’une croix rouge) sont détruits dans le bombardement.
Si le général Salan considère que l’objectif est atteint et sa mission
remplie, celle-ci est un désastre sur le plan international. En Tunisie, le
bombardement de Sakiet conduit à une répression envers la population
française locale. Douze personnes vivant à Bizerte sont même expulsées. Les
Tunisiens demandent aussi l’évacuation des troupes françaises en Tunisie,
dont celles de la base maritime de Bizerte. Par ailleurs, le cinéaste
anticolonialiste Pierre Clément, alors en Tunisie, se rend rapidement à Sakiet.
Il filme les cadavres, notamment ceux des enfants, les véhicules de la Croix-
Rouge et les dégâts commis par le bombardement. Ce film est diffusé auprès
des médias étrangers et des instances internationales. D’ailleurs, dès le
9 février, l’ambassadeur tunisien à Paris est rappelé dans son pays, et la
Tunisie porte plainte devant le Conseil de sécurité de l’ONU* pour agression.
La France porte également plainte pour l’aide tunisienne au FLN*. Du coup,
le 16 février, les États-Unis* et le Royaume-Uni proposent une mission de
« bons offices », qui est acceptée, et confiée à Robert Murphy, ancien consul
américain à Alger pendant la Seconde Guerre mondiale, et à Harold Beeley,
sous-secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères. Cette mission
atténue les tensions, mais fragilise le gouvernement Gaillard*, qui est
renversé le 15 avril, ouvrant la voie à la crise du 13 mai 1958* et à la chute
de la IVe République*.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Véronique Gazeau-Goddet, Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet,
PUF, 2022.

SALAN, GÉNÉRAL RAOUL (1899-1984)


Le destin de Raoul Salan durant la guerre d’Algérie est fait de paradoxes.
Arrivé comme commandant en chef, il est accusé d’avoir bradé l’Indochine*.
Le 16 janvier 1957, il échappe ainsi à l’attentat au bazooka* le visant. C’est
aussi lui qui lance le fameux « Vive de Gaulle* ! » du balcon du
Gouvernement général*, le 15 mai 1958, ouvrant la voie au retour de l’ancien
patron du GPRF ; celui-là même qui l’avait fait commandeur de la Légion
d’honneur le 10 février 1945 alors qu’il était général de brigade. Pourtant,
en 1961, en prélude à son engagement dans l’OAS*, il participe au putsch*
d’Alger contre de Gaulle et sa politique algérienne.
Salan a eu une carrière militaire des plus prestigieuses : engagé volontaire
en 1917, Saint-Cyr, affectation au Maghreb comme en Indochine, service de
renseignement du ministère des Colonies, belle campagne de 1940 sur la
Somme. Après deux ans passés au service de Vichy, il a rallié le camp allié
depuis Dakar en 1942. Arrivé à Alger en août 1943, il exerce des
commandements lors du débarquement de Provence et des campagnes
d’Alsace puis d’Allemagne. Son destin s’affermit en Indochine où il a été
appelé par Leclerc dès octobre 1945 : succédant à de Lattre, dont il était
l’adjoint, celui qu’on appelle « le Mandarin » y devient commandant en chef
d’avril 1952 à mai 1953. Il occupe les mêmes fonctions en Algérie de
novembre 1956 à décembre 1958. Tout bascule après sa retraite, en
juin 1960. Le 15 septembre, lors du procès Jeanson*, Salan publie un
communiqué s’étonnant de voir les accusés mis en cause « puisqu’on a dit
aux musulmans qu’ils pourraient choisir de n’être plus français ». Il dénie
aussi le droit au gouvernement de « décider l’abandon d’une portion du
territoire national ». Il fait l’objet de toutes les attentions et passe en Espagne
le 30 octobre 1960. Il y participe à la création de l’OAS, qu’il dirige ensuite
et personnifie dans les médias français et étrangers de mai 1961 à son
arrestation à Alger le 20 avril 1962. Le 23 mai, Salan est condamné à la
réclusion criminelle à perpétuité après un procès* houleux. Le 15 juin 1968,
il est le dernier libéré des détenus OAS à Tulle. Son combat n’est cependant
pas terminé car il milite pour une amnistie pleine et entière avec réintégration
dans les cadres. En 1981, il soutient François Mitterrand* (témoin à son
procès) qui l’a promise. Il est ainsi réintégré le 3 décembre 1982.
Olivier DARD
Bibl. : Maurice Garçon, Le Procès de Raoul Salan. Compte rendu
sténographique, Albin Michel, 1962 • Pierre Pellissier, Salan. Quarante
années de commandement, Perrin, 2014.

SANTÉ
La santé est l’un des chapitres qui met le mieux en lumière les inégalités
de traitement entre Européens et musulmans. Au bout de cent trente ans de
gouvernement colonial, l’état sanitaire de la population musulmane reste
déplorable. Certes, des progrès considérables ont été accomplis par rapport à
la situation précoloniale mais les ressources budgétaires consacrées à la santé
publique restent marginales.
Dans les villes, les citadins s’entassent souvent dans une promiscuité
favorisant les épidémies urbaines (choléra, peste). Dans les campagnes, la
variole et le typhus déciment périodiquement les populations. Dans les
vallées ou les plaines marécageuses, le paludisme sévit. Durant la guerre de
conquête, les troupes françaises enregistrent davantage de décès dus à la
malaria qu’aux combats. Elles font une priorité de la lutte contre cette
maladie et créent les premières infrastructures. De 1830 à 1900, le seul
progrès spectaculaire en matière de politique sanitaire concerne le paludisme.
Le nom du Dr Maillot y reste attaché qui, dès 1833, à Bône, prescrit, contre
l’académie, l’usage de la quinine. En 1880, à Constantine, le Dr Laveran
découvre le protozoaire.
Une statistique de 1903 donne une idée des affections endémiques les
plus fréquemment soignées : le paludisme (1 508 cas), la syphilis (1 263 cas)
et le trachome (591 cas). S’y ajoutent périodiquement le choléra, la peste, le
typhus, la typhoïde et la variole. L’urbanisation favorise la tuberculose et les
maladies vénériennes. Albert Camus* découvre sa tuberculose en 1930. Il a
17 ans.
Les premiers médecins sont des militaires qui soignent d’autres militaires
en campagne. Les premiers hôpitaux sont militaires : 11 en 1833 et 33 en
1850. En 1845, l’organisation d’un « service médical de colonisation » est
décidée mais la santé militaire domine longtemps par ses infrastructures et
son personnel. En 1852, des commissions municipales d’hygiène
apparaissent. En 1853, des « médecins de colonisation » y sont affectés.
La politique de santé de la colonie reste segmentée en trois éléments : les
hôpitaux militaires, les hôpitaux civils destinés aux Européens et
l’« assistance médicale aux indigènes ». Le premier hôpital est militaire,
construit en 1854 au lieu-dit « Mustapha » dont il tire son nom. En 1874, un
hôpital destiné exclusivement aux musulmans est créé aux Attafs. Sa gestion
est confiée aux Pères blancs. À partir de 1904, des « infirmeries indigènes »
voient le jour et un corps d’auxiliaires médicaux masculins musulmans est
institué. En 1920, les « infirmeries indigènes » deviennent des hôpitaux
auxiliaires. À la veille de l’insurrection de 1954, il existe 3 grands hôpitaux
de chef-lieu (Alger, Oran et Constantine) et 112 hôpitaux polyvalents, soit 1
lit pour 300 habitants.
Au XIXe siècle, l’action sanitaire relève de l’armée et des communes.
C’est seulement après 1900 qu’une coordination d’ensemble voit le jour. Une
Commission supérieure d’hygiène est créée et, en 1909, le directeur de la
santé maritime d’Alger devient le coordonnateur unique des actions de santé
publique sur le territoire. On ajoute en 1928 un Office algérien de médecine
préventive et d’hygiène.
Les Statistiques financières rendent compte du déséquilibre des
ressources budgétaires consacrées à la santé des Européens et des
musulmans. De 1901 à 1918, les dépenses cumulées de l’assistance publique
sont de 44 855 000 francs pour les Européens (600 000 personnes, soit
74 francs/tête) et de 5 891 000 francs pour les indigènes
(4 500 000 personnes, soit 1,3 franc/tête).
La formation de médecins reproduit les mêmes déséquilibres. On forme
d’abord des médecins militaires, puis européens pour la population
européenne et, sur le tard, quelques musulmans. La première école de
médecine est créée par l’armée en 1831. En 1855, l’école de médecine et de
chirurgie d’Alger lui succède. En 1884, le premier médecin algérien y
soutient sa thèse. En 1909, la faculté de médecine et de pharmacie d’Alger
voit le jour. Les étudiants* musulmans en médecine ne sont que 7 en 1915
puis 13 en 1932 et, enfin, 123 en 1954. En 1946, il n’y a que 0,6 médecin
pour 10 000 habitants. En 1960, ils sont 17. Ce bond spectaculaire montre
que la santé a bénéficié comme les autres secteurs des importants
investissements décidés après 1945.
Le retard reste grand et les écarts entre Européens et musulmans toujours
marqués. L’espérance de vie à la naissance reste basse : en 1948-1951, elle
est, pour les musulmans, de 44 ans pour les hommes et de 49 ans pour les
femmes. Pour les Européens, elle est respectivement de 60 et de 67 ans. Faute
d’instruction publique des femmes, la mortalité infantile reste forte chez les
musulmans, 192 pour 1 000 en 1951 contre 61 pour les Européens. En 1954,
le recensement général n’évalue qu’à 4,5 % la part des femmes musulmanes
alphabétisées. Santé et instruction publiques sont restées deux parents
pauvres de la colonisation. Dès 1956, des actions intensives de rattrapage
sont menées durant la guerre avec la multiplication des dispensaires
médicaux et des centres d’animation, pour le progrès, l’hygiène et l’éducation
auprès des sections administratives spécialisées* (SAS), auxquels
s’ajoutèrent, plus spécialement en direction des femmes du monde rural,
analphabètes pour la plupart, des équipes médico-sociales itinérantes*
(EMSI), en général féminines et polyvalentes.
Ahmed HENNI
Bibl. : Commissariat général du Centenaire, Le Centenaire de l’Algérie,
exposé d’ensemble, Alger, Soubiron, 1931 • Claire Fredj, « Encadrer la
naissance dans l’Algérie coloniale. Personnels de santé et assistance à la mère
et à l’enfant “indigènes” (XIXe-début du XXe siècle) », Annales de
démographie historique, no 122, 2011 • Gouvernement général, Quelques
Aspects de la vie sociale et de l’administration des indigènes en Algérie,
Alger, Imprimerie orientale Fontana, 1922.

SARKOZY, NICOLAS (NÉ EN 1955)


Né pendant la guerre d’Algérie, Nicolas Sarkozy ne s’est pas construit
politiquement sur le clivage que cette guerre a représenté. Pourtant, il en
instrumentalise les mémoires pour créer des ruptures tant idéologiques que
partisanes. Il rompt ainsi avec l’héritage gaulliste et chiraquien, en
réhabilitant l’Algérie française.
Pragmatique, il s’appuie sur les élus dits de la droite décomplexée pour
prendre l’UMP et la présidence de la République. Ces élus ont émergé dans
le contexte des débats autour de la loi du 23 février 2005* sur l’enseignement
positif de la colonisation. Durant la campagne de 2007, il relaie leurs discours
sur le passé colonial en refusant la « repentance* », terme qu’il prononce
27 fois. Il réhabilite le passé colonial au service de son projet de redéfinition
de l’identité nationale à laquelle il dédiera un ministère. Le 7 février 2007, il
tient à Toulon un discours mêlant glorification coloniale et stigmatisation des
enfants d’immigrés. Il tente ainsi de rompre la digue idéologique séparant la
droite républicaine de l’extrême droite pour récupérer l’électorat du Front
national. La réhabilitation du passé colonial se présente comme un projet
contemporain de réaffirmation des rapports de domination et de
stigmatisation. À ses côtés à l’Élysée, Patrick Buisson, partisan de l’Algérie
française, est l’architecte de cette stratégie.
Le président Sarkozy use de la mémoire de façon clientéliste : ses gestes
sont essentiellement tournés vers les groupes de pression sur lesquels il
s’appuie. Il oriente sa politique mémorielle vers les harkis* et les
nostalgiques. Le 5 décembre 2007, il reconnaît une dette de la France envers
les premiers et promet des réparations. En 2012, il est le premier président à
se rendre au camp de Rivesaltes. Son gouvernement satisfait les
revendications de certaines associations de rapatriés* en modifiant la
destination du monument du quai Branly. Les noms des victimes de la rue
d’Isly* puis ceux de 1 500 civils européens disparus pendant la guerre y sont
inscrits. En 2011, il accorde la Légion d’honneur à Jean-François Collin,
ancien cadre de l’OAS*, et remet la grand-croix au putschiste Hélie Denoix
de Saint-Marc.
Son pragmatisme se confirme en Algérie où il use d’un tout autre ton.
Lors de ses deux déplacements en 2007, il « condamne sans réserve le
système colonial » et reconnaît qu’il « était injuste par nature et ne pouvait
être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et
d’exploitation ».
Paul Max MORIN
Bibl. : Bernard Bajolet, Le soleil ne se lève plus à l’Est, Plon, 2018 • Romain
Bertrand, Mémoires d’Empire, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2006 •
Alain Ruscio, Nostalgérie, La Découverte, 2015.

SARTRE, JEAN-PAUL (1905-1980)


Jean-Paul Sartre est né le 21 juin 1905 dans une famille de
polytechniciens et d’intellectuels parisiens. Fils unique, il perd son père alors
qu’il est encore tout jeune. Il est choyé par sa famille jusqu’au remariage de
sa mère lorsqu’il a 12 ans. Au lycée Henri-IV, il se lie d’amitié avec Paul
Nizan, le futur philosophe dont un des ouvrages phares, Aden Arabie, sera
republié durant la guerre d’Algérie. Le duo étudie à l’École normale
supérieure de Paris et crée de nouvelles amitiés : Raymond Aron, Maurice
Merleau-Ponty, Pierre-Henri Simon… Sartre rencontre Simone de Beauvoir*
lors de la préparation de l’agrégation. Leur amour dure jusqu’à la fin de leur
vie, même si le couple a de nombreuses « amours contingentes ». D’abord
peu politisé, Sartre a même une attitude très ambiguë pendant la Seconde
Guerre mondiale, au cours de laquelle il fait jouer la pièce Huis clos qui
rencontre un grand succès. Albert Camus* le fait entrer dans le réseau
Combat après la libération de Paris. En 1945, Sartre fonde avec Beauvoir la
revue* Les Temps modernes qui joue un grand rôle dans la diffusion de leurs
idées. Il devient le représentant de l’existentialisme, sa pensée étant résumée
dans L’existentialisme est un humanisme (1946). Il devient alors un
compagnon de route du PCF*, ce qui entraîne sa rupture intellectuelle avec
Camus, et s’engage dans les événements de l’époque, notamment la
décolonisation. Pendant la guerre d’Indochine*, il fait partie du collectif qui
prend la défense d’Henri Martin, militant communiste emprisonné pour son
action contre la guerre (L’Affaire Henri Martin, Gallimard, 1953). Il apporte
aussi son soutien au Néo-Destour tunisien et au parti de l’Istiqlal au Maroc*
au début des années 1950.
Cependant, c’est surtout la Guerre d’indépendance algérienne qui
constitue « la guerre de Sartre » (Roland Dumas, cité par Annie Cohen-
Solal). Dès 1955, il fait partie du Comité d’action des intellectuels contre la
poursuite de la guerre en Afrique du Nord, qui organise une réunion publique
salle Wagram à Paris, le 27 janvier 1956. Ce comité publie la brochure
Guerre d’Algérie et colonialisme reprenant les interventions de Dionys
Mascolo, Marguerite Duras, Daniel Guérin, Edgar Morin*, Robert Barrat*…
Celle de Jean-Paul Sartre, publiée sous le titre « Le colonialisme est un
système » dans Les Temps modernes en mars 1956, constitue le premier
article du philosophe dans le conflit. La revue publie des articles sur la guerre
d’Algérie dans un sens résolument anticolonialiste depuis 1955, dénonce la
torture* à partir de 1957, notamment avec l’article de Sartre intitulé « Vous
êtes formidables » (mai 1957), qui concerne la brochure Des rappelés
témoignent… du Comité de résistance spirituelle. Moins d’un an plus tard, il
publie « Une victoire » dans L’Express, à propos du livre d’Henri Alleg*, La
Question. Pour protester contre la saisie de ce livre, il rédige aussi une
adresse solennelle au président de la République René Coty, avec André
Malraux, François Mauriac* et Roger Martin du Gard. Puis il participe avec
Gilberte Alleg (épouse du militant communiste algérien), le mathématicien
Laurent Schwartz* et François Mauriac à une conférence de presse sur « les
violations des droits de l’homme en Algérie », le 30 mai 1958.
Résolument opposé au retour au pouvoir du général de Gaulle*, il apporte
son soutien intellectuel aux militants anticolonialistes. Il accorde d’ailleurs
une interview au journal Vérités pour, du réseau clandestin d’aide au FLN*
mis en place par Francis Jeanson*, ancien secrétaire des Temps modernes
(no 9, 2 juin 1959). Il se dit pleinement en accord avec le journal pour former
des groupes militants qui aident pratiquement les combattants algériens. Ses
positions prennent encore plus de force l’année suivante : il signe le
« Manifeste* des 121 » justifiant le droit à la désobéissance dans la guerre
d’Algérie, et une lettre qui lui est attribuée est lue devant le tribunal lors du
procès du « réseau Jeanson », le 16 septembre 1960. Il y affirmait que si
Francis Jeanson lui avait demandé de « porter des valises ou d’héberger des
militants algériens », il l’aurait fait « sans hésitation ». C’est en réalité Marcel
Péju, alors secrétaire des Temps modernes, qui a rédigé cette lettre, à l’origine
de l’expression « porteur de valises* ». Celle-ci pourrait constituer un des
motifs du licenciement de Péju à la fin de la guerre. Jean-Paul Sartre et
Simone de Beauvoir, de retour d’un voyage en Amérique du Sud, s’inquiètent
d’ailleurs de poursuites à leur encontre, en particulier pour avoir signé le
« Manifeste des 121 ». Il n’en est cependant rien. Le général de Gaulle aurait
d’ailleurs dit à cette occasion : « On n’emprisonne pas Voltaire. » À la même
période, les partisans de « l’Algérie française » scandent : « Fusillez
Sartre ! », notamment lors de la manifestation* du 3 octobre 1960 aux
Champs-Élysées. Son appartement est même plastiqué à deux reprises par
l’OAS*. Les positions de Sartre se radicalisent, en particulier avec la préface
qu’il rédige pour Les Damnés de la terre de Frantz Fanon*, dans laquelle il
fait une véritable apologie de la violence libératrice : « Abattre un Européen,
c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur
et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre. » Son engagement
tiers-mondiste est intellectuel mais aussi concret : il participe à des
manifestations comme celle du 1er novembre 1961 pour protester contre la
répression sanglante du 17 octobre*, et à celle du 13 février 1962 en
hommage aux morts de la répression du métro Charonne*. Après la guerre
d’Algérie, son engagement se poursuit, notamment au moment de Mai 1968,
avec la direction du journal maoïste La Cause du peuple puis avec la création
du quotidien Libération. Il s’éteint le 15 avril 1980.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Annie Cohen-Solal, Sartre, Gallimard, 1985 • Jean-Paul Sartre,
Situations V. Colonialisme et néocolonialisme, Gallimard, 1964.

SAYAD, ABDELMALEK (1937-1998)


Abdelmalek Sayad est né en Algérie à Aghbal en Petite Kabylie en 1937.
Il fait partie de la promotion 52-56 de l’École normale supérieure de la
Bouzareah, comprenant 50 inscrits dont 6 musulmans. Devenu instituteur
dans une école des environs d’Alger, il s’inscrit en licence de psychologie
sociale à l’université d’Alger*. Son désir de continuer des études supérieures
est contrarié par l’appel à la grève* générale des étudiants* musulmans en
mai 1956. Ils sont, dit-il, « une quinzaine d’étudiants musulmans à rejoindre
l’université d’Alger », arguant du fait que cela étant permis à leurs camarades
en France et à l’étranger, ils doivent avoir les mêmes possibilités de suivre
leurs études sur place. Il vit alors des moments difficiles de positionnement,
dans une atmosphère délétère, entre pressions et violences à l’université, du
fait de l’activisme d’étudiants « pro-Algérie française », et vie sociale et
professionnelle dans un contexte de guerre.
Pierre Bourdieu*, son professeur à l’université d’Alger, mène des
enquêtes sociologiques sur les camps de regroupement*, à la demande des
autorités civiles et militaires. Abdelmalek Sayad y participe et assume
pleinement son engagement, comme modalité « de comprendre, d’apprendre,
plutôt que de se complaire dans l’expectative ». Il a la conviction, ajoute-t-il,
« qu’il n’y avait en cela aucune compromission et… qu’au contraire, ce
travail dans la mesure où il pouvait contribuer à établir et à révéler la vérité
ne pouvait que servir les intéressés eux-mêmes, la population regroupée,
même si nous ne pouvions rien pour elle ». Ces enquêtes sont publiées en
1964 sous le titre Le Déracinement. La crise de l’agriculture traditionnelle
en Algérie aux Éditions de Minuit.
Après l’indépendance de l’Algérie, Abdelmalek Sayad rejoint la France
et, de vacations universitaires en petits emplois, éprouve « le sentiment du
provisoire ». Ses intérêts intellectuels s’inscrivent d’abord dans la suite de sa
quête « identitaire ». Il publie un premier article sur la question linguistique
en Algérie, dans l’ouvrage Éducation, développement et démocratie, sous la
direction de Robert Castel et Jean-Claude Passeron. Il est intégré au CNRS en
1977, d’abord comme chargé de recherches, puis comme directeur de
recherches. Il met alors en œuvre son projet, de ce qui était déjà « un objet
social avant de devenir un objet des sciences sociales* », à savoir « le
problème de l’immigration ». Il devient dès lors un des chercheurs majeurs
sur la question de l’émigration/immigration* des générations* coloniales
paysannes devenues ouvrières. Mais il rencontre des problèmes de santé
récurrents et est tenu quelque peu à la marge du champ académique car
l’objet immigration est pris en otage par la « politique » et la sociologie de
« l’immigration ne vaut que ce que valent les immigrés, c’est-à-dire une
valeur accessoire ». Décédé en 1998, un collège de Nanterre porte son nom.
Aissa KADRI
Bibl. : Hassan Arfaoui, « Entretien avec Abdelmalek Sayad », Revue MARS
(Monde arabe dans la recherche scientifique), no 6, 1996.

SCHIAFFINO, LAURENT (1897-1978)


Principal armateur de la colonie (35 % du tonnage en 1962), il fut, selon
les mots du délégué général Jean Morin*, « la plus grosse fortune du pays »
(1960). Il est en tout cas dans le trio de tête avec Henri Borgeaud* et Georges
Blachette*. Les frères Schiaffino, d’origine génoise, créent en 1874 une
compagnie de cabotage. En 1920, ils fondent la Société algérienne de
navigation. Sous la direction de Laurent, fils du fondateur Charles, elle
s’impose comme l’acteur majeur du transport maritime de la colonie.
Laurent naît en 1897 à Alger. Il est officier* de marine durant la guerre
1914-1918. Dès 1920, il est placé à la tête des trois entreprises familiales
(navigation, cabotage et acconage). Les transports de phosphate assurant des
chargements importants, il se rapproche des milieux miniers mais aussi de
puissantes familles de la colonie et de métropole. En 1927, il siège au conseil
des mines de Gar’Rouban, des mines de Rarbou et de Sakamody, et des
phosphates de Constantine (Omnium minier d’Algérie-Tunisie). Il s’allie
alors à Henri de Peyerimhoff (1872-1953), ancien directeur de l’Agriculture,
du Commerce et de la Colonisation puis secrétaire général du Gouvernement
général* de l’Algérie, devenu président (1925-1940) du Comité central des
houillères de France, dont il fait un administrateur de sa société. À partir de
1949, il devient administrateur des chantiers navals de La Ciotat et de la
Caisse centrale des banques populaires. Lié aux milieux bancaires à travers le
Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie, il préside jusqu’en 1962 le Conseil
algérien du Crédit populaire.
Se rapprochant de Henri Borgeaud, tous deux ardents défenseurs de la
colonisation, il prend des intérêts dans le domaine de Saint-Charles à
Boufarik dont le président, Léon Deyron, député de Constantine, est
secrétaire général de l’Omnium minier d’Algérie-Tunisie.
En 1955, Laurent Schiaffino se fait élire sénateur d’Alger. Pour appuyer
son action politique, il rachète le quotidien La Dépêche d’Algérie dans lequel
Henri Borgeaud possède des intérêts. Ils partagent le même refus d’accorder
leur indépendance aux Algériens. En avril 1961, leur journal est favorable
aux généraux putschistes d’Alger.
Doutant de l’avenir de la colonie, Laurent Schiaffino rapatrie
prudemment à Paris les sièges sociaux de ses sociétés (Mines et carrières en
juin 1961), et, surtout, en juin 1962, la Société algérienne de navigation et
l’armement de ses flottes commerciales. En 1971, il cesse toute activité en
Algérie et replie ses activités sur les ports de la Manche et de la mer du Nord
au sein de l’Entreprise de remorquage, de sauvegarde et d’acconage (ERSA).
Il décède à Paris en 1978.
Ahmed HENNI
Bibl. : Émile Girardeau, Notice sur la vie et les travaux de H. de Peyerimhoff
de Fontenelle, Firmin-Didot, 1955 • Laurent Schiaffino, L’Algérie, province
française, Alger, Baconnier, 1952.

SCHWARTZ, LAURENT (1915-2002)


Issu d’un milieu aisé – un père chirurgien, une mère née Debré, sœur du
pédiatre Robert Debré – Laurent Schwartz développe dans les années 1930
une sensibilité de gauche liée à la montée des fascismes en Europe et au Front
populaire. Élève en mathématiques à l’ENS d’Ulm au moment des procès de
Moscou, il rejoint les trotskistes* du Parti ouvrier internationaliste (POI) où il
milite jusqu’en 1947. Après trois ans dans l’armée (1937-1940),
d’ascendance juive bien qu’élevé dans l’athéisme, il continue son cursus de
mathématiques en zone libre avant de se réfugier dans la région grenobloise
avec sa femme Marie-Hélène. Leur fils aîné, Marc-André, y naît en 1943.
Après-guerre, il devient un mathématicien de renommée internationale.
Récipiendaire de la médaille Fields en 1950, il est recruté à la Sorbonne en
1952. Militant syndical, il consacre ses réflexions à la réforme de
l’enseignement supérieur – l’École polytechnique où il enseigne, en
particulier.
La Guerre d’indépendance algérienne suspend ses recherches tant il
s’engage dans divers comités d’intellectuels. La disparition* de Maurice
Audin* le mobilise pleinement et durablement. Doctorant en mathématiques,
en effet, ce dernier est venu le voir à Paris peu avant son arrestation par les
parachutistes* à Alger. Contacté par Josette Audin*, Schwartz est l’un des
premiers à réagir. « La personnalisation a plus d’impact que l’évocation de
mille victimes », explique-t-il. Très présent dans les milieux anticolonialistes,
il préside la séance de fondation du PSU* au congrès d’Issy-les-Moulineaux,
en 1960. Il ne s’y investit pas cependant. Signataire du « Manifeste* des
121 », il est révoqué de l’École polytechnique où il sera réintégré après un
recours en justice. Surtout, il est tragiquement touché par l’OAS*. Non
seulement il est menacé mais son fils est enlevé et bientôt accusé d’avoir
ainsi maquillé une fugue. L’épisode accentuera la psychologie maladive de
Marc-André qui mettra fin à ses jours en 1971.
Après 1962, Schwartz se consacre à l’opposition à la guerre du Vietnam.
Y développant des relations, il se dit « vietnamien de cœur » mais c’est dans
le Comité des mathématiciens, fondé en 1974 pour sauver des membres de la
profession en danger dans diverses dictatures du globe (URSS*, Chili,
Bolivie, Maroc*, etc.), qu’il voit l’héritage le plus évident des années
algériennes de sa trajectoire politique.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Magalie Besse et Sylvie Thénault (dir.), Réparer l’injustice : l’affaire
Maurice Audin, IFJD, 2019 • Laurent Schwartz, Un mathématicien aux prises
avec le siècle, Odile Jacob, 1997.

SCIENCES SOCIALES
ET COLONISATION
L’affirmation des sciences sociales comme disciplines positives est
concomitante du développement du capitalisme, de son expansion à l’échelle
du monde par l’exploitation des pays dominés. Occidentalo-centrées, les
sciences sociales ont accompagné, au moins jusqu’à la première moitié du
e
XX siècle, et ceci aussi bien, par les justifications, les représentations qu’elles
véhiculaient, que les informations qu’elles faisaient remonter, une domination
fondée sur la force et la violence de la puissance colonisatrice. Cependant
cette interpénétration n’a pas été aussi mécanique et univoque ; les
productions, enquêtes et travaux d’observation qu’elles ont développés, ont
participé également à une connaissance du milieu et des populations. Elles
ont fait remonter des données importantes, des connaissances et des savoirs
qui restent éclairants des « situations coloniales ».
À ce titre, le cas algérien est emblématique, en ce qu’il témoigne des
logiques qui ont vu s’interpénétrer et se nourrir les unes par les autres : la
légitimation intellectuelle et idéologique de la domination fondée sur
l’inégalité raciale, le primat de la civilisation occidentale, et les actions ainsi
que les pratiques développées sur le terrain.
Dans les premières années de l’intrusion coloniale, ce sont des hommes
d’action, militaires, administrateurs et colons*, qui sont sur place. L’heure
n’est pas à la compréhension, à l’analyse mais à la domination. La
connaissance de l’Algérie qui est développée est descriptive, elle est
reconnaissance d’un terrain, terrain géographique en premier lieu, terrain
humain ensuite. L’Algérie de la deuxième moitié du XIXe siècle est
« l’Algérie des anthropologues et ethnologues ». Les premiers ouvrages se
veulent avant tout des projets de découvertes, d’exploration « scientifique ».
La résistance insoupçonnée des Algériens va appeler progressivement à une
connaissance plus approfondie, plus analytique. Sont ciblés les noyaux durs à
réduire : d’abord les ordres religieux, ensuite les « Kabylies ». Sont ainsi tour
à tour observées les structures organisationnelles des ordres religieux, les
structures sociales de la société kabyle. Tous les stéréotypes, tous les mythes
et les représentations qui vont scander la vision coloniale de l’autre, de
« l’indigène », se trouvent en gestation dans cette production ethnologique. Il
y a bien sûr la séparation Arabes/Kabyles, mais aussi et surtout la présence
d’un Islam déclaré obsolescent, rétrograde et fanatique, pourtant bien
permanent et toujours au cœur du refus. Les présupposés de ces différentes
tentatives sont donc clairs. Il s’agit moins de reconnaître une spécificité que
d’envisager les modalités de son détournement, de sa dissolution.
L’insurrection de 1871 en ébranlant le système colonial va mettre à nu sa
logique interne, touchée au cœur ses symboles. Le déplacement de terrain
dans la production des connaissances sur la société coloniale comme dans les
objectifs recherchés est assez net à partir de cette date. L’expérience
synthétique du Royaume arabe est bien loin. L’Algérie coloniale entrait dans
une phase d’expansion. La colonisation foncière triomphait. La science du
droit colonial s’affirmait et devenait une « science politique du plus haut
intérêt ».
Une plus grande ouverture de l’institution universitaire aux sciences
sociales va correspondre à un recentrage de l’analyse sur la société locale
indigène. Alors que celle-ci évoluait, que l’Islam se transformait sous le
double effet de l’ébranlement causé par la Première Guerre mondiale et de
l’influence du mouvement de réforme religieuse venu du Moyen-Orient, le
retour de l’institution sur le local, sur les coutumes, donne l’illusion d’un
évitement du religieux déjà mis en boîte et prétendu dépassé. L’institution se
faisait ainsi l’instrument d’un processus de fixation/détournement.
L’approche ethnologique et sociologique, qui prend de l’ampleur à partir des
années 1920, tendait à vouloir ancrer davantage dans les institutions* vidées
de leur contenu par la puissance coloniale une société en mouvement, et à
éloigner celle-ci de l’Islam perçu même dans son expression la plus
appauvrie, comme le catalyseur essentiel d’un nationalisme* en éveil.
Les sciences sociales et humaines – le droit, l’anthropologie, l’ethnologie,
la sociologie, la géographie, la psychologie sociale, la littérature* même – se
rejoignaient alors dans une sorte de formalisation de l’idéologie coloniale ;
« le colonialisme » triomphait, les enseignements, les connaissances sur la
société locale et l’idéologie coloniale tendaient à se confondre, ceux-ci à se
réaliser à travers celle-là. Les analyses et les recherches retrouvaient leur
domaine privilégié : « le monde berbère ».
On peut donc dire que, jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre
mondiale, l’évolution confirme le monopole de fait de l’institution
universitaire qui se met en place, en matière de traitement analytique de la
colonisation. Les professeurs se font les porte-parole d’une colonisation
totale. Ils transmettent les valeurs considérées comme essentielles, « l’esprit
de colonisation, les méthodes de gouvernement colonial, les mobiles de la
législation spéciale, les éléments de la subdivision arabes/kabyles, les raisons
de l’infériorité des indigènes ». Les analyses fondées sur les mythes
coloniaux, abordées par les enseignants de l’université d’Alger* et revêtues
en tant que telles du sceau de la scientificité, devenaient incontestables,
même chez les pairs de l’autre côté de la Méditerranée.
Au moment où le nationalisme est aux portes de l’action armée, le
monopole de l’institution universitaire s’effritait peu à peu. Au début des
années 1950, quelques enseignements et travaux, portés par une minorité
d’enseignants, expriment des points de vue quelque peu critiques, distanciés
par rapport à ce qui avait prévalu jusque-là. Mais face au développement de
la lutte pour l’indépendance qui remet l’Algérie à l’ordre du jour des
préoccupations métropolitaines, le combat des universitaires coloniaux paraît
comme celui d’une arrière-garde qui cherchait, en figeant un mouvement de
transformation largement engagé, à éviter l’abandon. Dans un tel contexte,
une grande majorité des professeurs s’implique davantage dans le combat
politique. Les sciences sociales, dont l’anthropologie, se mettent au service
de la répression et des opérations dites « de pacification* » dans une logique
de penser « l’armée comme matrice d’organisation des savoirs ». Sera créé
auprès du Premier ministre un centre de recherches : le LSHA (le Laboratoire
des sciences humaines appliquées), organisé sur le modèle de l’institution de
sondage « Gallup Institute », visant à réunir les spécialistes des « questions
musulmanes ». La sociologie sera sollicitée à travers des commandes
militaires pour une meilleure connaissance du milieu paysan, des camps de
regroupement* et du monde du travail* ; la psychologie et la psychologie
sociale vont être des portes d’entrée pour tenter de comprendre « les
mentalités et les comportements des autochtones », voire les refaçonner.
Aissa KADRI
Bibl. : Philippe Lucas et Jean-Claude Vatin, L’Algérie des anthropologues,
Maspero, 1975 • Marnia Lazreg, « L’organisation militaire du savoir et le
rêve d’un sujet colonial nouveau », in Aissa Kadri, Moula Bouaziz, Tramor
Quemeneur (dir.), La Guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations,
nouveaux regards, Karthala, 2015.

SCOUTS DE FRANCE
L’Association des scouts de France se veut discrète durant la Guerre
d’indépendance algérienne afin de préserver son unité. Elle se saisit
néanmoins de la question par La Route, sa branche aînée, sous l’influence de
son commissaire national, Paul Rendu, pour lequel la jeunesse doit participer
à la construction d’un monde meilleur. Au moment où débute la Guerre
d’indépendance algérienne, Michel Rigal, commissaire général des scouts de
France, et Paul Rendu sont en tournée en Algérie. Ils signent, le 2 novembre
1954, avec les responsables de quinze mouvements de jeunes d’Algérie, une
lettre au gouverneur général qui dénonce les violences du FLN*, la
répression, et appelle au rapprochement entre les deux communautés en
Algérie. Le 27 octobre 1956, la mort de Jean Müller, routier rappelé en
Algérie, provoque une crise sans précédent et met en lumière les divisions du
mouvement. Un hommage dans la revue* est rendu à celui qui fut membre de
l’équipe nationale de La Route. Mais ses lettres, qui révèlent le quotidien du
soldat en Algérie mais aussi la généralisation de la torture*, divisent les
scouts de France qui refusent d’en assurer la publication. Témoignage
chrétien (TC), à l’avant-garde du combat anticolonialiste, s’en charge en
février 1957, en pleine bataille d’Alger*, dans un Cahier de TC intitulé « De
la pacification à la répression. Le dossier Jean Müller » Paul Rendu et le père
Liégé, aumônier de La Route, décident de publier dans le numéro de
mai 1957 de La Route une citation de Jean Müller accompagnée d’une
publicité pour le « dossier ». Jamais la revue n’est allée aussi loin dans la
dénonciation de la guerre en soutenant ce Cahier. Alors que les jeunes
militants des mouvements scouts diffusent le « dossier Müller », leurs
instances dirigeantes bloquent la revue, refusant d’embarquer le mouvement
sur une voie politique et de compromettre sa position au sein de l’Église.
Cela provoque la démission de l’équipe nationale de La Route le 9 mai 1957.
L’apolitisme redevient la ligne officielle ; la prière et la prudence sont
préconisées lors des sessions « Scoutisme et armée » organisées pour les
jeunes mobilisés en 1958-1959. Michel Rigal continue de tenir le Mouvement
à l’écart des remous politiques. Mais sa participation à un appel à la paix en
Algérie le 2 juin 1960, avec 53 mouvements de jeunesse, suscite encore des
protestations. En 1962, les attentats de l’OAS*, que quelques scouts
rejoignent, sort le mouvement de son mutisme en condamnant la violence. La
guerre d’Algérie révèle la diversité des positions des scouts de France et
annonce l’éclatement, deux ans après le cessez-le-feu algérien, du scoutisme
catholique en France.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Aline Coutrot, « Les scouts de France et la guerre d’Algérie », Les
Cahiers de l’IHTP, no 9, La guerre d’Algérie et les chrétiens, 1988 • Étienne
Fouilloux, Les Chrétiens français entre guerre d’Algérie et mai 1968, Parole
et silence, 2008.

SCOUTS MUSULMANS ALGÉRIENS


(SMA)
C’est au cœur de l’entre-deux-guerres que les premiers groupes de scouts
algériens sont créés à l’initiative de deux personnes : Mohamed Bouras et le
cheikh Ben Badis. Dès 1930, le premier, conquis par les enseignements du
scoutisme français, est à l’origine du groupe scout El Falah (La Réussite) à
Alger. Le second fonde en 1935, à Constantine, le groupe Erradjah (Espoir).
Rapidement, leur exemple crée une dynamique au sein de la jeunesse,
encouragée durant cette période par l’Association des ulémas musulmans
algériens* (AUMA) à l’échelle de la plupart des centres urbains. En
juillet 1939, à Maison Carrée, près de 150 chefs selon le témoignage de
Mahfoud Kaddache (Les Soldats de l’avenir, 2003) participent à la fondation
de la Fédération des scouts musulmans algériens (FSMA). Ils sont 450 au
rassemblement tenu à Tlemcen, au cours de l’été 1944. La multiplication des
groupes scouts, les symboles arborés (fanions vert et rouge), les chants qui
rythment leurs défilés (dont le poème de Ben Badis « Chaâbou el djazaïr
muslimoun » [« Le peuple algérien est musulman »]) inquiètent
l’administration française au point d’inviter les chefs des scouts et éclaireurs
de France à encadrer une session de formation destinée aux cadres des SMA,
à El Riad (Alger). Lors des manifestations de mai 1945*, la participation des
scouts à tous les défilés (au cours desquels Bouzid Saâl, porteur de
l’emblème algérien à Sétif le 8 mai, est abattu) est remarquable. Aussitôt, le
mouvement est interdit dans le Constantinois et en Kabylie et ne reprend
qu’après l’amnistie de mars 1946 qui libère les détenus arrêtés en mai 1945.
Il a comme particularité d’être plus proche du PPA-MTLD*. Et lors des
rencontres internationales (jamboree de la paix en France en 1947, Festival
mondial de la jeunesse à Prague en 1949…), les scouts algériens racontent
leur situation coloniale et relaient les revendications nationalistes du PPA-
MTLD.
Cette implication du parti le plus radical au sein des SMA est mal
appréciée par certains chefs scouts et sera à l’origine d’une scission qui a
donné lieu à la création des Boy-scouts musulmans d’Algérie (BSMA) en
1948.
Avec les chefs du scoutisme français (Scouts de France*, Éclaireurs de
France…), les échanges sont nombreux et sincères et abordent les
divergences quant au refus de procéder à la levée du drapeau français, à la
définition de la patrie. Citons Pierre Rigal qui entretient des relations suivies
avec des responsables scouts algériens comme Mahfoud Kaddache, Omar
Lagha et Salah Louanchi. Dans le même esprit, l’Association de la jeunesse
algérienne pour l’action sociale (Ajaas) qui voit le jour en 1952, grâce aux
bonnes volontés telle celle de Pierre Chaulet*, est ouverte aux jeunes de
toutes origines et se consacre à des tâches socioculturelles. En 1954, l’Ajaas
se dote d’une revue*, Consciences maghribines, avec le concours du
Pr André Mandouze* dont le comité de rédaction comprend des dirigeants
des SMA.
Au lendemain du 1er novembre 1954, l’opération « Orange amère* »
porte un coup de boutoir aux activités des SMA en arrêtant ses dirigeants. Ne
restent que des « patrouilles libres » qui continueront difficilement leurs
tâches, réduites à de la propagande* et à de l’aide aux familles de détenus, en
l’absence de toute direction officielle. Nombreux sont les responsables des
SMA qui perdent la vie lors de la « bataille d’Alger* », des manifestations de
décembre 1960* ou au maquis.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Jean-Jacques Gauthé, « Les Scouts musulmans algériens vus par les
services de renseignements français (1945-1962) », in Nicolas Bancel, Daniel
Denis et Youssef Fates (dir.), De l’Indochine à l’Algérie. La jeunesse en
mouvements des deux côtés du miroir colonial, 1940-1962, La Découverte,
2003 • Mahfoud Kaddache, « “Les soldats de l’avenir”. Les Scouts
musulmans algériens (1930-1962) », in Nicolas Bancel et al. (dir.), De
l’Indochine à l’Algérie, op. cit. • Mohamed Tayeb-Illoul et Ali Aroua, Le
Groupe Émir Khaled de Belcourt. Un maillon des Scouts musulmans
algériens, Alger, Dahlab, 1991.

SEBA’ÂSNÎN BARAKAT (« SEPT


ANS, ÇA SUFFIT »)
Après Tlemcen, où la proclamation, à la villa Carpe-Diem, du Bureau
politique (BP) le 22 juillet 1962 a permis une décantation au sein du FLN*,
au profit d’Ahmed Ben Bella* et de son groupe, c’est à Bou Saâda que
l’avenir de l’Algérie se joue.
Réunis le 27 août 1962 à l’hôtel Le Caïd, le colonel Houari
Boumediene*, les commandants Ali Mendjeli et Ahmed Kaïd (de l’EMG*),
les colonels Tahar Zbiri* (Wilaya 1*), le colonel Othmane (Wilaya 5*),
Mohamed Chaâbani* (Wilaya 6*), les commandants Larbi Berredjem et
Rabah Belloucif (dissidents de la Wilaya 2*) et les commissaires régionaux
du FLN paraphent un texte, appelé pour la circonstance, « Manifeste de Bou
Saâda ».
Cette proclamation est rendue publique le 28 août à Sétif. Elle consiste en
un appel pressant au BP afin qu’il rétablisse l’ordre dans tout le pays, en
particulier à Alger où le contrôle de la capitale est désormais sous l’autorité
du colonel de la Wilaya 4* Youcef Khatib* et de ses troupes.
Le 30 août 1962, le BP répond à l’appel de Bou Saâda et ordonne à
l’ANP*, nouvelle appellation de l’ALN*, de « pacifier » Alger et sa région.
C’est au colonel Boumediene qu’échoit la mission de diriger les opérations.
Les effectifs mobilisés par l’ANP avoisinent les 16 000 hommes. Les deux
tiers sont issus de l’armée des frontières*. L’objectif principal de la « Marche
sur Alger » est de réduire, y compris par la violence, la Wilaya 4 opposée au
BP.
Les premiers accrochages débutent dans la soirée du 1er septembre dans la
région de Boghari. Tout au long de cette journée, la population sort en masse
dans les villes pour manifester sa colère et réclamer le retour en calme en
scandant le slogan Seba’âsnîn barakat (« Sept ans, ça suffit »). Cette formule
résume à elle seule la détresse des Algériens exténués au sortir d’une longue
guerre.
Tard dans la nuit, des cortèges se forment à Alger, à l’appel de Ben
Khedda*, Krim*, le colonel Boubnider*, l’UGTA*, à manifester
pacifiquement. À Médéa, on scande « Assez des assassins ».
Le 2 septembre, à Boghari, les affrontements reprennent dans la matinée
en faisant de nombreuses victimes. Le soir, la casbah d’Alger est secouée par
une violente fusillade. Une dizaine de morts sont recensés. La population
continue à manifester et à se masser sur les routes pour empêcher les
affrontements. Parmi la foule, des hommes se couchent par terre pour gêner
l’avancée des colonnes de l’ANP.
Le 9 septembre, les troupes de l’ANP font leur entrée à Alger, assurant
ainsi la victoire du Bureau politique et celle de Ben Bella pour quelques
années.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS


(SPF)
Le Secours populaire est l’héritier de la section française du Secours
rouge international, créée en 1923, qui devient Secours populaire de France et
des colonies en 1936. Il prend son appellation définitive en 1944, à sa sortie
de la clandestinité. Il compte alors environ 180 000 adhérents. Avec la guerre
froide*, ses effectifs diminuent jusqu’à atteindre 7 000 membres en 1951-
1952. Son triple objectif, prévu dans les statuts de l’association, est d’offrir
une « solidarité morale, matérielle et juridique » aux militants inculpés ou
emprisonnés. La guerre d’Algérie lui fournit largement l’occasion de
répondre à ses missions tout en le conduisant à opérer un « tournant
identitaire » (Axelle Brodiez) pour devenir l’organisation humanitaire
actuelle.
Si la position du PCF* a longtemps été ambiguë dans le conflit algérien,
il n’en est pas de même pour le Secours populaire, présidé par Francis
Jourdain et épaulé par Julien Lauprêtre à partir de 1956 (qui en devient
ensuite le président). Dès décembre 1954, son mensuel La Défense dénonce
les arrestations des militants nationalistes et des syndicalistes, l’interdiction
du parti de Messali Hadj*, les conditions de la répression en Algérie, et
qualifie la situation de « guerre » (et non d’« événements »). La
condamnation de la torture* devient permanente à partir de février 1955. Le
SPF proteste aussi contre la loi sur l’état d’urgence* et envoie dès lors quatre
avocats en Algérie : Mes Henri Douzon, Renée et Pierre Stibbe, et Pierre
Braun. Le 19 août 1955, le parti communiste donne officiellement la directive
au SPF d’aider les militants algériens, ce que l’association fait déjà. Un
véritable « pont aérien » d’avocats (50 au total) se met alors en place pour
tenter de faire respecter les droits de l’homme, avec même la mise en place
de permanences dans les trois tribunaux permanents des forces armées
(TPFA) d’Algérie. Cette présence semble influer positivement sur le
fonctionnement des tribunaux.
Avec cette permanence, le Secours populaire a une information de
première main sur l’ampleur des tortures pratiquées en Algérie. En mai 1957,
il publie la brochure Vérité sur les tortures dont le premier tirage de
100 000 exemplaires est rapidement épuisé. Le SPF soutient aussi une
déclaration de 49 avocats de la cour d’appel de Paris, de retour d’Algérie, qui
dénonce le système généralisé de la torture. Il s’associe à d’autres
associations, faisant par exemple paraître la brochure Algérie 59 avec le
comité Audin* et le Comité de coordination pour la défense des libertés et de
la paix. La dernière grande affaire de torture sur laquelle le SPF se mobilise
est celle concernant Djamila Boupacha*.
Le SPF dénonce également les condamnations à mort*. Après les
premières exécutions de Zabana* et Ferradj en juin 1956, il réclame le
respect des conventions internationales, participe aux grandes campagnes en
vue d’empêcher les exécutions de Fernand Iveton*, de Djamila Bouhired* ou
encore des époux Guerroudj*, et multiplie les recours en grâce.
Un autre grand thème dénoncé par le SPF concerne les camps de
regroupement*, souvent qualifiés de « camps de concentration », réactivant la
mémoire communiste de la Seconde Guerre mondiale. Un numéro spécial sur
les camps d’hébergement est publié en février 1956, puis des reportages sont
réalisés sur les camps de Blida (mars 1958) et de Berrouaghia
(septembre 1959). Il fait aussi connaître le camp de Tinfouchy (mai-
juin 1959), où sont notamment détenus des « soldats du refus* »
communistes.
Ces derniers sont au centre d’une des campagnes majeures du SPF. Le
refus du jeune militant communiste Alban Liechti* de participer à la guerre
d’Algérie est suivi par une quarantaine d’autres « soldats du refus ». La
réticence du parti communiste à les soutenir conduit à ce que le SPF prenne
en charge leur défense sans avoir à approuver officiellement leur geste, en
n’entrant pas dans une justification politique mais morale, dans un sens
humanitaire. Il n’en reste pas moins que le SPF constitue une caisse de
résonance pour les « soldats du refus », leur apportant un soutien permanent.
Il en est de même avec les « fils de martyrs » qui refusent de servir sous les
ordres du général Speidel, ancien général de la Wehrmacht devenu
commandant des forces de l’Otan.
L’association affrète par ailleurs des « bateaux de la solidarité » vers
l’Algérie aux Noëls 1954 et 1955 pour venir en aide aux Algériens les plus
nécessiteux (c’est également le cas au cours des journées de lutte contre la
misère). Plus tard, cette aide humanitaire concerne les Algériens vivant dans
les camps de regroupement ou de réfugiés* aux frontières marocaine et
tunisienne. À la fin du conflit, l’organisation revient temporairement à son
rôle traditionnel de solidarité envers les victimes de violences policières, en
particulier à la suite des répressions des manifestations du 17 octobre 1961*
et du 8 février 1962 à Charonne*. Pour cette dernière, elle édite une brochure
diffusée à 60 000 exemplaires. Elle proteste aussi contre les violences
perpétrées par l’OAS*. Son action se poursuit après l’indépendance, pour
venir en aide à la population algérienne, lutter en faveur de l’amnistie* des
« partisans de la paix » et porter plainte dans l’affaire de Charonne.
Au total, le SPF est devenu un véritable moteur dans l’organisation
communiste, dénonçant les tortures, les camps et défendant les soldats
réfractaires*. Son apolitisme grandissant, social et humanitaire, la fait
s’ouvrir à d’autres tendances sociopolitiques, lui donnant une audience de
plus en plus importante.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Axelle Brodiez, « Le Secours populaire français dans la guerre
d’Algérie. Mobilisation communiste et tournant identitaire d’une organisation
de masse », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 90, 2006/2, p. 47-59 •
—, Le Secours populaire français, 1945-2000. Du communisme à
l’humanitaire, Presses de Sciences Po, 2006.

SECTION FRANÇAISE
DE L’INTERNATIONALE OUVRIÈRE
(SFIO)
Au XIXe siècle, le mouvement socialiste français, héritier de la tradition
universaliste de la Révolution et situé à l’extrême gauche du parti républicain,
a majoritairement approuvé la colonisation comme facteur d’émancipation.
La SFIO, le « parti socialiste unifié » fondé en 1905 au temps de la lutte
contre le nationalisme* et alors que les conquêtes coloniales s’achèvent,
admet la colonisation comme un fait accompli, dont il faut éliminer les
aspects réactionnaires. Elle rejette tous les nationalismes, tant du côté français
que de celui des peuples colonisés. Peu implanté en Algérie, tant chez les
« colons* » que chez les « indigènes » présents surtout en Oranie et à Alger,
le parti socialiste, depuis les années 1930, a tenté de mettre en place une
politique évolutive et réformiste qui s’est incarnée dans deux combats qui
restent ses modèles en 1954 : celui du projet Blum-Viollette en 1936-1939,
puis celui du Statut de l’Algérie en 1947-1948. C’est pourtant l’un des siens,
le gouverneur général socialiste Marcel-Edmond Naegelen qui, en 1948,
organise le trucage des élections* par crainte de l’affirmation du mouvement
nationaliste algérien.
Le déclenchement de la guerre en 1954 surprend la classe politique. La
SFIO dirigée par Mollet* approuve la politique de Mendès France* qu’elle
soutient au Parlement. Puis, dans l’opposition au gouvernement Faure, les
socialistes critiquent la politique répressive ainsi que l’état d’urgence*. Fin
1955, le parti contribue à la formation du Front républicain*, avec Mendès
France, Mitterrand* et des gaullistes. Après la victoire aux législatives,
Mollet, à la tête du parti le plus important de ce Front, est nommé président
du Conseil le 30 janvier 1956. Son gouvernement constitué, il s’envole le
6 février à Alger pour installer le général Catroux à la place de Jacques
Soustelle*, gouverneur général. La manifestation* des « Européens » et la
démission de Catroux sont un électrochoc pour lui. Guy Mollet donne
désormais priorité au retour à l’ordre pour rassurer les « petits colons » en
faisant appel au contingent. Pour remplacer Catroux, il choisit son camarade
Lacoste* qui réprime le mouvement nationaliste autant qu’il s’efforce de
réformer l’Algérie. La loi des pouvoirs spéciaux* approuvée par
l’Assemblée, avec les voix communistes, propose ainsi un programme
d’expansion économique et de progrès social. Cependant, dès le printemps
1956, une minorité du parti socialiste, représentant environ 10 % de ses
troupes, demande la reconnaissance du « fait national algérien » et des
négociations*.
Les critiques internes et externes se multiplient avec le détournement* de
l’avion des chefs du FLN*, l’intervention à Suez* et surtout la bataille
d’Alger* et les polémiques sur la torture* et les exactions militaires. Au
congrès national de la SFIO de 1957, une minorité propose de reconnaître le
droit à l’indépendance de l’Algérie et d’autres courants critiquent la politique
Mollet-Lacoste.
Faisant bloc derrière le gouvernement, la majorité de la SFIO oppose à la
revendication d’indépendance de l’Algérie une série d’arguments. Tout
d’abord, la nécessité de la protection des minorités et la défense de la laïcité.
Ensuite, elle dénonce le mouvement nationaliste et surtout le FLN, vu comme
non démocratique et inféodé au panislamisme et au nationalisme arabe
égyptien dont Guy Mollet dénonce le caractère féodal et réactionnaire. Enfin,
elle rejette des pressions étrangères, tant anglo-saxonnes que soviétiques, et
celles de l’ONU*.
La direction de la SFIO, sur la défensive, exclut début 1958 l’ancien
ministre André Philip, pour avoir publié un livre accusateur Le Socialisme
trahi (Plon, 1957). Après le soulèvement du 13 mai 1958*, sans solution
politique pour défendre la République et proposer une politique en Algérie, le
parti socialiste à une faible majorité se rallie au retour au pouvoir du général
de Gaulle* et à l’instauration de la Ve République*.
Si la guerre d’Algérie occupe, par paliers, une importance grandissante
dans les préoccupations en métropole, elle n’a pas été prioritaire pour les
électeurs et adhérents socialistes, jusqu’en 1958 au moins, lorsqu’elle
provoque le départ des minoritaires (Depreux, Savary, Mayer) et la création
du PSA. En tête de leurs préoccupations viennent les réformes économiques,
sociales et, pour les responsables socialistes, les équilibres parlementaires et
politiques intérieurs, notamment l’alliance avec les radicaux orthodoxes (non
mendésistes) et l’UDSR. « À l’avant-garde de la Ve République » jusqu’en
janvier 1959, le retour de la question scolaire et la nécessité de se distinguer
du gaullisme poussent la SFIO dans l’opposition au régime, sauf sur la
question algérienne. Jusqu’à la signature des accords d’Évian* en 1962, elle
soutient la politique du général de Gaulle. Le parti n’a pas de solution à
proposer et il se trouve de nouveau divisé, avec une minorité agissante
favorable au maintien de l’Algérie française, incarnée notamment par Lacoste
et Lejeune.
Gilles MORIN
Bibl. : Gilles Morin, « De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au
Parti socialiste autonome, 1954-1960 : un courant socialiste de la SFIO au
PSU », thèse d’histoire sous la dir. d’A. Prost, Paris-1, 1992.
SECTIONS ADMINISTRATIVES
SPÉCIALISÉES (SAS)
Institutions d’administration rurale confiées à des officiers* de carrière ou
du contingent, les SAS sont l’une des manifestations les plus emblématiques
des prérogatives exceptionnelles accordées à l’autorité militaire de 1954 à
1962. Une administration d’exception au regard des normes métropolitaines,
mais non de l’histoire coloniale algérienne, qui a déjà connu celle des
Bureaux arabes, dont les principes et pratiques se sont transmis au sein du
service des Affaires indigènes du Maroc* (AIM) créé par Lyautey en 1913.
L’envoi d’une quinzaine d’officiers des AIM en Algérie, en 1955, ressuscite
donc un héritage colonial lointain, mais modernisé.
Affectés dans l’Aurès où l’insurrection perdure, ces officiers reçoivent la
mission de suppléer l’administration civile dans ses contacts avec la
population algérienne. La recherche du renseignement opérationnel motive ce
choix : les cadres des AIM doivent apporter leur connaissance des
populations indigènes et leur savoir-faire administratif pour favoriser les
contacts avec les ruraux et les inciter à informer l’autorité coloniale, afin que
celle-ci puisse efficacement combattre le FLN*. L’impulsion donnée à cette
politique par le général Parlange*, une figure majeure des AIM, contribue
toutefois à étendre leurs domaines d’action. S’inspirant de la « méthode
Lyautey » et de ses réflexions sur « le rôle social de l’officier », il conçoit sa
mission comme une « politique de contact » visant à « rapprocher
l’administration des administrés » par la multiplication des postes annexes.
Un prélude nécessaire à une politique d’ampleur visant à mieux encadrer les
populations et à les impliquer dans une réforme globale, bien qu’encore
floue, du milieu rural. Prodrome de la « pacification* », cette politique
aurésienne est reproduite à plus grande échelle dès l’été 1955. L’insurrection
du 20 août* incite Soustelle* à créer, le 26 septembre, un service des Affaires
algériennes (AA) inspiré des AIM et composé d’officiers spécialement
détachés pour être affectés dans ces postes annexes, qui prennent désormais
le nom de SAS. Leur réseau va s’étendre dans toute l’Algérie et impliquer un
nombre toujours croissant d’officiers : 4 000 d’entre eux serviront dans l’une
des 696 SAS créées au cours de la guerre.
La double dépendance hiérarchique est l’une de leurs spécificités :
officiers relevant d’une hiérarchie militaire, ils sont les représentants locaux
de l’autorité sous-préfectorale, qui impulse et coordonne leurs actions par le
biais d’officiers supérieurs affectés au sein des arrondissements et
départements. Tous sont des cadres volontaires, qu’ils soient officiers de
carrière (dont beaucoup proviennent des AIM après la fin du protectorat, en
1956), réservistes rappelés ou jeunes officiers du contingent. La plupart
restent en moyenne deux ans en Algérie, évoluant au gré de leurs mutations
dans les SAS, où leurs situations sont fortement diversifiées. Échelon
intermédiaire entre deux « nouvelles » entités administratives après 1956,
l’arrondissement et la commune, leurs circonscriptions sont de superficies
variables, d’une centaine à un millier de kilomètres carrés pour les plus
vastes. De même les populations dont ils reçoivent l’administration, souvent
réparties en un peuplement épars, sont nombreuses et difficilement
accessibles du fait du faible personnel qui leur est affecté. Depuis leurs postes
de SAS, leur quotidien consiste d’abord et surtout à visiter les populations
avec leur maghzen, groupe de supplétifs* recrutés localement pour assurer la
défense du bordj et de l’officier. Rarement destinés à combattre l’ALN, les
membres de ce maghzen jouent un rôle crucial dans le contact avec des civils
algériens dont il facilite la surveillance et l’encadrement : ils sont les
« factotums de la pacification » (François-Xavier Hautreux, La Guerre
d’Algérie des harkis, Perrin, 2013), lorsque les chefs de SAS en sont les
« maîtres jacques » – comme les officiers des Bureaux arabes furent, en leur
temps, ceux de la colonisation (Jacques Frémeaux*).
Les SAS sont de fait considérées, pendant la guerre et depuis, comme les
fers de lance de la « pacification ». Intermédiaires entre l’État et les
délégations spéciales, ces officiers reçoivent de fait toutes les prérogatives
administratives à l’échelle d’une ou de plusieurs des communes créées par la
réforme municipale de 1956, en attendant qu’une nouvelle élite algérienne
n’émerge de leurs actions. Représentants du sous-préfet, ils doivent en effet
susciter, encadrer et orienter cette élite, s’efforcer d’assurer un rôle de tutelle
tout en s’effaçant progressivement au fur et à mesure de sa maturation. La
difficulté à organiser des élections* démocratiques dans ce contexte a
toutefois conduit les chefs de SAS à administrer durablement les populations
rurales, et souvent de manière totale. Officiers d’état civil, ils doivent
résorber la sous-administration en procédant au recensement des populations
et à la gestion des services civils : service militaire*, prélèvement de l’impôt,
préparation des élections, ou gestion des sociétés agricoles de prévoyance
(SAP). Leur mission est également sociale : dispense de l’aide médicale
gratuite (AMG), distribution de ressources aux indigents, scolarisation des
enfants ou formation des jeunes adultes. Elle est enfin économique :
aménagement du milieu rural, de l’habitat, des activités agraires, de l’élevage,
du développement de l’irrigation ou bien des micro-réformes foncières.
Toutes ces activités restent inséparables d’une action psychologique* plus
globale : si les tensions ou les divergences entre officiers d’action
psychologique et chefs de SAS sont nombreuses, les Affaires Algériennes
participent entièrement à cette vaste tentative de pénétrer « les cœurs et les
esprits » qui caractérise la guerre menée par l’armée française en Algérie.
Depuis 1962, publications officielles et récits de vie ont fait des SAS
l’incarnation institutionnelle et humaine de cette politique de « pacification »
– ou du moins d’une mémoire idéalisée de celle-ci, qui repose sur une
séparation de principe entre activités militaires et extra-militaires de l’armée
française. Nombreux sont les anciens officiers à revendiquer leur
participation à « une autre guerre » comme un moyen de contrebalancer,
sinon récuser, la focalisation sur les violences commises par les militaires.
Difficile de souscrire à une telle assertion, qui fait l’impasse à la fois sur la
dimension systémique des actions de l’armée française, comme sur le recours
à la violence par les officiers de SAS dans leurs rapports à la population
algérienne. Si une minorité seulement semble avoir eu recours à la torture*,
leur pouvoir, oscillant constamment entre contrainte et persuasion, dépend
aussi d’un champ des possibles dans lequel les méthodes autoritaires et
coercitives, sinon la brutalité, sont loin d’être absentes. Ils renouent en cela
avec une tradition paternaliste d’administration coloniale, entre discipline et
pastoralisme social, qui repose sur une conception culturaliste et
essentialisante des populations colonisées, tout en modernisant les principes
et les pratiques à l’aune des nouveaux enjeux économiques et sociaux qui se
révèlent dans les pays du tiers-monde à l’aube des décolonisations.
Fabien SACRISTE
Bibl. : Jacques Frémeaux, « Les SAS », Guerres mondiales et conflits
contemporains, no 208, 2002 • Gregor Mathias, Les Sections administratives
spécialisées en Algérie. Entre idéal et réalité (1955-1962), L’Harmattan,
1998 • Fabien Sacriste, Les Camps de regroupement en Algérie. Une histoire
des déplacements forcés pendant la guerre d’indépendance (1954-1962),
Presses de Sciences Po, 2022.

SECTIONS ADMINISTRATIVES
URBAINES (SAU)
Pendant urbain des SAS*, vingt SAU ont été déployées pendant la guerre
en ville, notamment dans les bidonvilles. Membres du service des Affaires
algériennes (AA), les chefs de SAU partagent les attributions, missions et
fonctions des officiers* de SAS : recherche du renseignement, surveillance
du corps social, encadrement des Algériens et Algériennes par un maillage du
tissu urbain. Ils sont cependant confrontés à des populations plus nombreuses
et à des situations plus hétérogènes. L’afflux des ruraux fuyant les zones
interdites* et les violences militaires, comme à Constantine où la population
algérienne quadruple entre 1954 et 1961, n’y est pas étranger. La création et
l’installation des SAU sont alors liées à la nécessité d’accueillir, d’organiser
et d’encadrer ces populations déracinées et oisives, dont l’autorité coloniale
craint qu’elles ne renforcent la base urbaine du FLN*. La « structuration » de
la casbah d’Alger par la 10e division parachutiste* (1957) sert dès lors de
modèle à la mise en place de dispositifs « contre-subversifs » : les
circonscriptions des SAU sont divisées en quartiers, îlots et blocs, dotés
chacun de responsables algériens. Les questions de logement* se posent ici
avec une acuité particulière, et les chefs de SAU sont souvent amenés à
participer aux politiques de résorption des bidonvilles et au relogement de
leurs habitants dans des « cités de recasement ». Comme pour les SAS, leurs
actions sociales (scolarisation des jeunes enfants, aide apportée aux mères,
création de foyers sportifs et d’anciens combattants, etc.) sont autant
d’attentions visant à pénétrer au sein des familles algériennes pour mieux
favoriser leur ralliement à la cause française. Elles restent ainsi indissociables
d’une entreprise psychologique plus globale dont la fonction démonstrative
transparaît lors des très contestés épisodes de « fraternisation » du
16 septembre 1958 : les populations algéroises, mobilisées et encadrées par
les officiers de SAU, défilent dans la rue aux côtés des manifestants
européens. La croissance continue des bidonvilles, notamment pendant le
plan Challe* (1958-1960), rend cependant toujours plus ardue la tâche de ces
SAU. En poussant sur les routes de l’exil des centaines de milliers
d’Algériens et Algériennes, les violences militaires aggravent de fait un cycle
infernal né dans les années 1930 : les politiques de résorption des bidonvilles
sont toujours en retard sur le rythme des migrations rurales, peinant à
résoudre un problème structurel que l’armée française a accentué en
ravageant les campagnes algériennes.
Fabien SACRISTE
Bibl. : Gregor Mathias, Les Sections administratives spécialisées en Algérie.
Entre idéal et réalité (1955-1962), L’Harmattan, 1998.

SERVAN-SCHREIBER, JEAN-JACQUES
(1924-2006)
Jean-Jacques Servan-Schreiber (JJSS) est né le 13 février 1924 à Paris
dans une famille dont le père codirige Les Échos et dont la mère est maire de
Veulettes-sur-Mer. En 1943, il rejoint les FFL avant de suivre une formation
de pilote de chasse aux États-Unis*. Il est diplômé de l’École polytechnique à
la fin de la Seconde Guerre mondiale, avant de partir au Brésil où il
commence à écrire des articles pour la presse*. Il est remarqué par Hubert
Beuve-Méry du Monde*, qui l’embauche comme éditorialiste de politique
étrangère. Sa rencontre avec Pierre Mendès France* est décisive. Les deux
hommes sont d’accord sur la décolonisation de l’Indochine* et l’inutilité de
la poursuite de la guerre. En 1953, JJSS décide de créer L’Express avec
Françoise Giroud, directrice de la rédaction de Elle, afin de promouvoir les
idées de Pierre Mendès France. Le journal paraît d’abord en supplément des
Échos, avant de devenir hebdomadaire en 1955 et de voir ses ventes grimper.
François Mauriac*, Albert Camus*, André Malraux, Jean-Paul Sartre* ou
encore Jules Roy* écrivent dans le journal. Lorsque Pierre Mendès France est
nommé président du Conseil de juin 1954 à février 1955, JJSS devient l’un
de ses conseillers. La guerre d’Algérie commence alors à s’aggraver.
L’Express critique la guerre et dénonce notamment la torture* (François
Mauriac : « La question », 15 janvier 1955). En juillet 1956, JJSS est rappelé
comme officier* de réserve. Il est affecté dans l’unité du colonel puis général
de Bollardière* et du colonel Barberot*. Il relate son parcours en Algérie
dans les commandos « noirs »* dans son livre Lieutenant en Algérie (Julliard,
1957). Il y raconte notamment les difficultés qu’il a rencontrées avec les
partisans de l’« Algérie française », dont l’un aurait même été chargé de le
tuer. Il y souligne aussi que la guerre d’Algérie est en train de devenir la
« bataille de France » car elle ruine moralement toute une génération* du fait
des pratiques qui s’y déroulent. À son retour, la publication de son récit dans
L’Express est poursuivie. Mais parallèlement, le général de Bollardière lui
apporte son soutien dans Le Monde (30 mars 1957), en dénonçant les
méthodes utilisées dans la guerre d’Algérie. Parallèlement, il crée
l’Association des anciens d’Algérie (AAA), qu’il parvient à regrouper avec
deux autres associations d’anciens combattants* en 1958, formant alors la
Fédération nationale des anciens d’Algérie (FNAA) dont il est élu président
jusqu’en 1965. Entre-temps, en 1963, la FNAA est devenue la Fédération
nationale des anciens combattants en Algérie (Fnaca), la plus importante
association d’anciens combattants. JJSS a ensuite poursuivi sa carrière de
journaliste, mais aussi d’écrivain, et s’est lancé en politique, devenant
brièvement ministre des Réformes de Valéry Giscard d’Estaing*. Il est mort
le 7 novembre 2006 à Fécamp.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Jean-Jacques Servan-Schreiber, Lieutenant en Algérie, Julliard,
1957 • —, Passions, Fixot, 1991.

SERVICE CINÉMATOGRAPHIQUE
DES ARMÉES (SCA)
Quand commence la guerre d’Algérie, l’armée française n’est que très
peu équipée pour fabriquer des images en Algérie même – seul existe sur
place un service s’occupant de projeter des films dans les régiments. Une
autre entité, le Service de diffusion cinématographique, existe aussi au sein
du Gouvernement général* de l’Algérie (GGA), qui a pour rôle de projeter
des films au sein des populations civiles. Durant l’année 1955, ce sont surtout
des cameramen civils qui couvrent les « événements » pour le compte des
firmes d’actualités. Mais en 1956 il apparaît à l’état-major, tandis que le
conflit s’enlise, que la dimension médiatique est centrale dans ce nouveau
conflit, surtout après la lourde défaite de la France en Indochine*. Dans le
même temps continuent de se mettre en place dans toute la hiérarchie
militaire les concepts de guerre contre-révolutionnaire et d’action
psychologique*. La création d’un Service cinématographique des armées
(SCA) à Alger est donc décidée en juillet 1956 ; il est équipé grâce aux
services démantelés d’Indochine et d’Allemagne et dépend du SCA
métropolitain, situé au fort d’Ivry-sur-Seine. Rapidement, des tensions
apparaissent entre le directeur du SCA algérois et son chef quant à la manière
de gérer les opérations ; le SCA d’Alger obtient un changement de hiérarchie
pour dépendre directement du « 5e bureau » de la 10e Région militaire
(Algérie), chargé de l’action psychologique, en décembre 1957.
Les productions du SCA sont de deux ordres : d’une part, des rushes
d’actualités « militaires » envoyés par rotation aux différentes firmes
d’actualités cinématographiques (Éclair, Pathé, Gaumont, Actualités
françaises, Fox Movietone) qui, de leur côté, continuent à produire des
images mais n’ont pas forcément accès à toutes les zones d’Algérie comme le
SCA ; d’autre part, des films montés à destination de différents publics :
actualités militaires pour les appelés réalisées à partir des rushes déjà
mentionnés, films de propagande* pour le grand public ou des publics plus
ciblés, ou encore films d’instruction militaire pour les appelés, voire les
officiers*. De 1956 à 1958, les rushes pour les actualités se veulent rassurants
mais traitent en fait d’événements inintéressants pour la presse* (levers de
drapeaux, cérémonies…) ; d’une qualité technique trop faible, ils sont
souvent rejetés par les firmes d’actualités. Les films montés rendent compte
de manière forte des opérations principales de l’armée française : ratissage et
quadrillage par zones du territoire algérien dans le cadre de la
« pacification* », traque des « fellaghas » et dénonciation systématique de
leurs méfaits (sans pour autant jamais parler d’une ALN*), construction de la
« ligne Morice » le long de la frontière tunisienne, actions des sections
administratives spécialisées* (les « képis bleus »), mise en valeur des travaux
du Génie, etc.
L’arrivée du général de Gaulle* au pouvoir en mai-juin 1958 donne lieu à
plusieurs films de propagande, ainsi qu’à l’interdiction de certains films
antérieurs. Mais il faut attendre 1959 et la mise en avant par de Gaulle d’une
possible autodétermination du peuple algérien, et la transformation du GGA
en délégation générale du Gouvernement en Algérie (DGGA), pour noter un
véritable changement. Ces différents éléments, accompagnés du renvoi du
général Massu* en métropole, mènent à une radicalisation d’une partie des
officiers d’Algérie. Le service est alors rattaché à la DGGA, ce qui en fait un
outil bien différent puisqu’il n’opère plus au seul profit des militaires
d’Alger, mais à celui du gouvernement. Le contenu de cette « nouvelle »
propagande militaire devient plus ambivalent : d’une part, certains films et
actualités (dont certains réalisés par de jeunes cinéastes comme Claude
Lelouch ou Philippe de Broca) sont plus martiaux afin de suivre le plan
Challe* ; mais d’autre part des films sont produits afin de mettre en valeur
L’Algérie de demain – pour reprendre le titre d’un film de 1961. Victoire
militaire donc, mais aussi préparation des esprits à une séparation
programmée avec l’Algérie. Les films mettent alors particulièrement en
valeur les femmes et les enfants comme meilleurs symboles d’une Algérie à
reconstruire (avec l’appui de la France dans la doxa gaulliste).
Par ailleurs, l’action et la couleur militaires du SCA Alger tendent à se
perdre dans la nouvelle politique des images voulue par le général de Gaulle
et mise en œuvre par Paul Delouvrier* à la DGGA. C’est un changement de
stratégie médiatique qui s’opère, puisque tous deux ne font pas confiance à
un outil militaire et préfèrent traiter avec des producteurs cinématographiques
civils et avec la Radio-Télévision française (RTF). Cette dernière diffuse en
France une propagande moins visible grâce à des journalistes, comme on le
voit avec des magazines d’actualité comme Cinq colonnes à la une. En
Algérie, elle diffuse grâce à son centre algérois appelé « France V » des
fictions en arabe ou en kabyle mettant davantage en valeur la culture nord-
africaine.
Sébastien DENIS
Bibl. : Sébastien Denis, Le Cinéma et la Guerre d’Algérie. La propagande à
l’écran (1945-1962), Nouveau Monde, 2009.

SERVICE D’ASSISTANCE TECHNIQUE


AUX FRANÇAIS MUSULMANS
D’ALGÉRIE (SAT-FMA)
Le 13 août 1958, Papon* accueille à la préfecture de police* de Paris
trois officiers* des Affaires indigènes, arrivant d’Algérie. Parmi eux, le
capitaine Roger Cunibile résume ainsi la feuille de route tracée par le préfet :
« Il s’agit enfin de prolonger sur une même population, qu’elle soit d’un côté
ou de l’autre de la Méditerranée, l’action des SAS*. » C’est dans ces
conditions qu’est créé le SAT-FMA. Son personnel, militaire, est mis à
disposition de la préfecture de police. Il reçoit une triple mission d’assistance
sociale, de renseignement et d’action psychologique* auprès des populations
algériennes. Concrètement, le SAT-FMA se traduit par la création de cinq
bureaux de renseignements spécialisés (BRS), implantés aux portes de Paris
ou en banlieue, accueillant les Algériens pour toutes les démarches
administratives ou sociales. Cette quasi-obligation de passer par eux permet
d’édifier un gigantesque fichier. À la fin de l’année 1958, plus de 100 000
dossiers individuels ont été ouverts.
Par ailleurs, le SAT-FMA est impliqué dans la gestion du centre
d’identification de Vincennes* (CIV), aménagé en 1959. Des dizaines de
milliers d’Algériens raflés dans les rues de Paris y ont transité. Au CIV, les
opérations d’identification sont menées sous la direction d’officiers des
Affaires algériennes, venus rejoindre les trois précurseurs arrivés en
août 1958, et de personnels auxiliaires de la préfecture de police. Du fait de
leur rôle, des agents du SAT ont été ciblés par l’Organisation spéciale et les
groupes armés du FLN*. Ces attaques meurtrières sont d’ailleurs l’une des
raisons qui ont présidé à la création d’une force de police auxiliaire à Paris
(FPA). Celle-ci est notamment chargée de protéger l’action des officiers des
Affaires algériennes, de la même façon qu’en Algérie, les SAS étaient dotées
de leurs forces supplétives.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens, (1944-
1962), Nouveau Monde, 2011 • Emmanuel Blanchard et Neil MacMaster,
« David Galula and Maurice Papon: A Watershed in COIN Strategy in de
Gaulle’s Paris », in Martin Thomas et Gareth Curless (dir.), Decolonization
and Conflict: Colonial Comparisons and Legacies, Londres, Bloomsbury
Academic, 2016 • Jim House et Neil MacMaster, Paris 1961. Les Algériens,
la terreur d’État et la mémoire, Tallandier, 2008.

SERVICE DE DOCUMENTATION
EXTÉRIEURE ET DE CONTRE-
ESPIONNAGE (SDECE)
Le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage
(SDECE) est créé en 1945, à partir des services secrets de la France libre et
d’anciens membres des 2es bureaux, les services de renseignement militaires
de la IIIe République, passés à Vichy puis à la Résistance*. Pendant la guerre,
le SDECE compte environ 1 500 agents en poste en métropole, civils pour les
deux tiers, et 300 agents en poste à l’étranger, auxquels il faut ajouter les
militaires du service Action formant la 11e demi-brigade de parachutistes de
choc, connue sous le nom de 11e Choc. On trouve trois grands profils parmi
ces hommes, anciens de la France libre, anciens des 2es bureaux et anciens
des réseaux de la résistance socialiste, Libération Nord en particulier. Leur
action se déploie sur deux fronts, la lutte contre les Soviétiques et leurs
satellites, d’une part, et les guerres de décolonisation, d’autre part. Service de
renseignement extérieur, il n’est pas censé agir sur le territoire national,
réservé à la direction de la Surveillance du territoire (DST). Pendant le conflit
algérien, le SDECE outrepasse néanmoins largement cette limite dans les
départements français d’Algérie mais aussi en métropole.
Pendant la guerre d’Algérie il est dirigé d’abord par Pierre Boursicot,
ancien syndicaliste et résistant. Celui est remplacé en septembre 1957 par le
général Paul Grossin, officier* du génie natif d’Oran, proche de la SFIO*,
nommé par Maurice Bourgès-Maunoury*.
En Algérie, le SDECE, et plus particulièrement son service Action, le
e
11 Choc, est impliqué dès le début de la guerre dans la lutte contre les
nationalistes. Ainsi, en mars 1956, ils parviennent à tuer Mostefa Ben
Boulaïd*, chef FLN* des Aurès, en piégeant une radio de campagne. Le
11e Choc participe également, en 1956, au fiasco de l’opération « Oiseau
bleu* », qui vise, sur le modèle des contre-maquis initiés en Indochine*, à
former une force armée kabyle capable de s’opposer au FLN. On retrouve
aussi des officiers du SDECE dans l’encadrement des contre-maquis de
Kobus dans la vallée du Cheliff ou de Bellounis* dans le Sud-Algérois, mais
aussi dans les expériences plus durables de la harka du bachaga Boualam*,
dans l’ouest de l’Ouarsenis ou des forces auxiliaires françaises-musulmanes
de Si Cherif dans la région de Maginot, au sud d’Alger. Il s’agit à la fois de
semer le trouble dans les rangs nationalistes en accentuant ses divisions et de
tenir à moindres frais de vastes régions. Cette envie de susciter une force
algérienne pro-française, la fameuse « troisième force », se heurte à
l’opposition farouche du FLN mais aussi des partisans de l’Algérie française
qui ne peuvent concevoir une quelconque alliance avec des nationalistes
algériens même modérés, ce qui hypothèque fortement tous possibles
débouchés politiques à ces opérations.
À partir de 1956, le service Action utilise la couverture de la Main rouge,
nom d’une organisation terroriste de colons* d’extrême droite ayant agi au
Maroc* et en Tunisie*, au début des années 1950, pour mener une longue
campagne d’assassinats et de sabotage visant principalement des trafiquants
d’armes approvisionnant le FLN, mais aussi des avocats. Des centaines
d’assassinats sont ainsi opérés jusqu’à la fin de la guerre, principalement en
RFA*, en Suisse*, en Belgique*, aux Pays-Bas* et en Italie*.
Pendant la bataille d’Alger*, ce sont des hommes du 11e Choc qui
forment l’escadron de la mort du capitaine Aussaresses*, chargé d’éliminer
les militants nationalistes après leurs interrogatoires. Paul Aussaresses a
avoué sa responsabilité dans l’exécution de Larbi Ben M’hidi, chef de la
Zone autonome d’Alger*, et dans le meurtre en mars 1957 d’Ali
Boumendjel*, avocat nationaliste. Une compagnie du service Action est
également dépêchée à Orléansville afin d’y détruire les réseaux FLN, au
début de l’opération Pilote.
Les militaires du SDECE, anciens ou en activité sont donc à la pointe de
la répression. Souvent formés à l’action clandestine par les Britanniques puis
parachutés en France occupée, ces hommes sont fréquemment passés,
pendant la guerre d’Indochine, dans les rangs du Groupe de commandos
mixtes aéroportés, où ils eurent à encadrer des partisans issus des peuples des
hauts plateaux et des montagnes. Rompus à la contre-guérilla et à la
manipulation, ils sont au cœur de la raison d’État.
Le 24 mai 1958, alors que la crise politique partie d’Alger s’enlise, les
hommes du premier bataillon du 11e Choc caserné à Calvi marchent sur
Bastia et Ajaccio. Ils s’emparent des mairies et des préfectures. Des comités
de salut public sont établis. Cette extension de la rébellion militaire, première
phase de l’opération « Résurrection* », accélère l’effondrement de la
IVe République* et le vote des pleins pouvoirs à de Gaulle*.
Paul Grossin maintient son commandement sous le gouvernement du
général de Gaulle. Le SDECE passe sous la tutelle de Michel Debré*. Le
Premier ministre, ardent partisan de l’Algérie française, est contraint par sa
totale fidélité au général. Jacques Foccart, devenu le principal responsable
des affaires africaines, exerce dès lors une autorité réelle quoiqu’en grande
partie informelle sur les services. Au côté de Debré, le jeune Constantin
Melnik est chargé de coordonner les questions relatives au renseignement.
Au-delà des engagements du service Action en Algérie, le SDECE lutte
contre la propagande* du FLN. Il cherche tout d’abord à brouiller les
émissions nationalistes émettant depuis le Maroc, la Tunisie ou l’Égypte*,
puis, face à l’ampleur de la tâche, abandonne en 1956 pour tenter
d’intoxiquer les nationalistes algériens. Une propriété dans l’Eure-et-Loir est
utilisée comme studio pour enregistrer de fausses émissions en arabe visant à
semer le trouble chez les auditeurs algériens. Cette activité coûteuse dont il
est difficile d’évaluer l’impact dure jusqu’en 1961. Dans le même ordre
d’idée, les services parviennent à mettre en circulation des versions falsifiées
d’El Moudjahid, le journal du FLN.
En métropole, Antoine Bonnemaison, responsable de la guerre
psychologique du SDECE, joue un rôle central dans l’organisation de l’action
psychologique* militaire. Responsable des premiers stages, il diffuse
largement ses conférences sur la guerre psychologique, au sein des milieux
militaires. C’est à l’occasion d’un cycle de conférences à Alger que ses idées
sur la « société de masse », les méthodes de propagande et l’encadrement des
masses dans une société démocratique pénètrent les états-majors algériens.
Elles constituent une base importante de l’enseignement du CIPCG* et seront
largement diffusées en Algérie. En lançant une vaste campagne d’influence
anticommuniste au sein de l’armée, Antoine Bonnemaison fournit des
arguments aux officiers les plus engagés en faveur de l’Algérie française.
En 1960, alors que la perspective d’une Algérie indépendante à moyen
terme devient de plus en plus probable, sur ordre de Michel Debré, le SDECE
se lance dans la manipulation du Front algérien d’action démocratique*
(FAAD), une structure rassemblant des militants messalistes en rupture de
ban et des agents français, censée disputer au FLN le contrôle politique de la
population algérienne, sur les deux rives de la Méditerranée. Il mobilise
quelques milliers de militants s’affrontant violemment au FLN et se voyant
finalement lâcher après le putsch* d’avril 1961. L’heure n’est plus à une
« troisième force » alors que les négociations* sont entamées entre le
gouvernement et le FLN.
La fin de la guerre et la montée des affrontements entre les partisans de
l’Algérie française et le pouvoir gaulliste entraînent une marginalisation du
SDECE, dont beaucoup d’agents sans s’engager dans les rangs de l’OAS*
restent attachés au maintien de la France en Algérie. Jugé moins fiable que
les services de sécurité militaires ou la gendarmerie* qui sont au cœur de la
lutte contre l’organisation clandestine, le SDECE n’est donc pas associé à la
répression de l’OAS. Paul Grossin, natif d’Algérie, est débarqué en
janvier 1962. Il est remplacé par le général Jacquier, gaulliste à la fidélité
éprouvée.
Au cœur de la raison d’État, jouissant d’importants moyens et de la
possibilité de s’affranchir des règles de droits qui peuvent contraindre l’action
d’autres institutions, le SDECE est une des chevilles ouvrières de la lutte
contre le FLN. Il s’obstine à soutenir des opérations de contre-maquis,
s’inspirant en cela de son expérience indochinoise, sans grand succès. En
effet, la promotion d’une « troisième force » s’avère penser tactiquement
comme moyen de lutte contre les maquis du FLN et non stratégiquement
comme solution politique au conflit. Ses missions sèment néanmoins le
trouble dans les rangs nationalistes. Le service Action du SDECE joue un
rôle central, mais discret, dans la mise en œuvre d’un crescendo répressif, à
partir de 1957, aboutissant à la généralisation de la torture*, des exécutions
sommaires* et des assassinats. Il est néanmoins largement réorganisé à la
sortie de la guerre et son action est réorientée vers le pré carré africain et la
lutte contre les Soviétiques.
Denis LEROUX

SERVICE DE SANTÉ DE L’ARMÉE


FRANÇAISE
Pendant le premier semestre de la guerre, le dispositif sanitaire en Algérie
reste inchangé, avec 3 500 lits répartis en 12 hôpitaux militaires. Après le
déploiement de grandes unités venues de métropole, le service est saturé à
l’été 1955. Si les besoins en consultations médicales augmentent en
proportion des effectifs, il faut surtout traiter le nombre croissant de blessures
dues aux combats qui s’intensifient. Aussi, en 1955, le service de santé
double ses effectifs. Puis, en 1956, il ouvre des hôpitaux annexes à Bône,
Constantine et El Biar, des hôpitaux d’évacuation à Oran, Tlemcen et
Telergma, ainsi qu’un centre de transit « air » à Alger. L’existant est
également renforcé : l’hôpital Maillot d’Alger, le plus important d’Afrique du
Nord avec 2 services de chirurgie et de nombreuses spécialités, monte à
1 200 lits, plus 300 à l’annexe d’El Biar et 25 conventionnés à l’hôpital civil
de neurochirurgie Barbier-Hugo. Quelque 2 000 traumatisés crânio-cérébraux
y reçoivent des soins entre 1955 et 1962. Signe de l’engagement dans une
véritable guerre, Maillot accueille au plus fort des opérations entre 19 000 et
21 000 malades et blessés par an. En 1961, la 10e RM compte jusqu’à 8 700
lits, pour l’essentiel en chirurgie, relavant de 19 hôpitaux militaires et 40
« mixtes » qui disposent d’une ou plusieurs « salles militaires ». À ceux-ci
s’ajoutent environ 600 lits d’infirmeries et d’infirmeries-hôpitaux, des
garnisons de secteurs ou d’unités, le général Salan* ayant ordonné qu’elles
puissent répondre à une urgence vitale ou réaliser des protocoles opératoires
simples. La 10e RM dispose en outre de 2 centres de convalescence à Dellys
et Bugeaud.
Au départ, ramassage et tri des blessés sont assurés par 3 sections
d’infirmiers militaires (la 101e à Alger, la 102e à Oran et la 103e à
Constantine). Le 1er juillet 1957, les escadrons divisionnaires du train sont
renforcés d’un peloton sanitaire. Par ailleurs, les unités sanitaires des
divisions venues de France et des forces stationnées en Allemagne,
organisées en bataillons médicaux, ne sont pas adaptées aux besoins d’une
armée éparpillée en de multiples emprises, ni à un combat décentralisé. La
direction du service de santé les démantèle et leurs moyens sont réaffectés au
soutien des régiments afin d’accélérer la prise en charge des blessés sur le
terrain. Dans les secteurs de Tébessa (où un hôpital militaire n’est ouvert
qu’en 1959) et de Souk Ahras, 2 antennes chirurgicales médicalisent les
nombreuses victimes de la bataille des frontières*. Au fil des créations, pour
16 divisions déployées en 10e RM, le service de santé aligne 3 compagnies
médicales, 17 éléments de santé répartis en 69 détachements sanitaires de
groupement, 19 antennes chirurgicales, 4 équipes chirurgicales mobiles des
hôpitaux de base et 3 compagnies sanitaires de transport, avec d’importants
moyens aériens (dont des hélicoptères, des avions Broussard et 2 Noratlas)
pour les évacuations premières et secondaires.
Le développement des évacuations héliportées médicalisées consolide le
rôle des 19 antennes qui prennent le nom d’antennes de secteur sédentarisées.
Souvent installées dans des baraquements Fillod, elles réalisent 22 000
protocoles opératoires entre 1955 et 1963, prodiguant l’essentiel des soins
aux hommes les plus légèrement atteints et stabilisant ceux qui sont trop
gravement touchés pour être immédiatement transportés. Phénomène
nouveau, la guerre d’Algérie marque la juxtaposition du front et du bloc
opératoire grâce à la multiplication des évacuations qui résulte de la
généralisation des voilures tournantes. Expérimentée en Indochine*,
l’« évasan » (évacuation sanitaire) est mise en œuvre dès le début du conflit.
Sous l’impulsion du commandant Déodat du Puy-Montbrun, emblématique
chef de corps du groupe d’hélicoptères no 2, les procédures sont améliorées.
Du 15 avril 1955 au 1er août 1956, parfois sous les tirs ennemis, 2 523 blessés
en 2 020 heures de vol sont ainsi relevés. Les évacuations sont généralement
réalisées dans la demi-heure suivant la blessure, permettant d’opérer guère
plus d’une heure après. Si le service de santé de la 10e RM compte jusqu’à
416 médecins d’active, l’effectif reste insuffisant pour répondre aux urgences
médicales consécutives aux combats, aux accidents, ou pour traiter les
affections dont peuvent souffrir les 450 000 hommes servant en Algérie. Les
médecins d’active reçoivent donc le concours de médecins-auxiliaires
(aspirants) issus du contingent, affectés jusqu’au niveau du bataillon, voire de
la compagnie pour les plus isolées d’entre elles. Ce renforcement est d’autant
plus nécessaire qu’à partir de 1955, les médecins militaires dispensent aussi
l’assistance médicale gratuite (AMG) aux populations « musulmanes »,
passant de 4 millions de consultations en 1957 à 16 millions en 1960.
L’engagement du service de santé a un prix : 52 médecins militaires sont tués
en Algérie entre 1954 et 1962.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Pierre Huard, « Le service de santé des armées en Algérie, 1830-
1958 », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, vol. 13, no 3,
1960 • Frédéric Médard, Technique et Logistique en Algérie. L’armée
française et son soutien, 1954-1962, Panazol, Lavauzelle, 2004.

SERVICE DES LIAISONS NORD-


AFRICAINES (SLNA) (1947-1957)
Le SLNA est un service de renseignement qui succède à l’ancien Service
ou Centre d’information et d’études (SIE ou CIE) supprimé en mai 1947. Il
est dirigé par le colonel Paul Schœn (1900-1984) qui vient des Affaires
indigènes du Maroc* avant d’être affecté au CIE en 1938. Durant vingt ans
entrecoupés par un retour à l’armée (1943-1945), Schœn est le grand patron
du renseignement colonial parallèlement aux autres structures tels le
SDECE*, la DST, la police* des renseignements généraux (PRG) et le
2e bureau* de la 10e Région militaire.
Il a pour tâche principale d’informer et de documenter le cabinet du
gouverneur général d’Algérie sur toutes les questions de politique
« musulmane ». Outre la direction centrale auprès du gouverneur général, le
SLNA exerce sa mission grâce à trois services placés au niveau des cabinets
des préfets* des trois départements. Les renseignements sont recueillis auprès
des préfectures, sous-préfectures, communes mixtes et des différents services
de police ou gendarmerie*, secondés par quelque 8 000 « informateurs »
infiltrés ou occasionnels. Ces derniers sont désignés par des pseudos dans les
archives* et la plupart sont algériens à l’instar de Djilali Belhadj* alias Kobus
instructeur de l’Organisation spéciale* (OS) retourné lors de son arrestation
au printemps 1950.
Le SLNA exerce également une surveillance de la presse* locale, de
Radio-Algérie émettant en arabe, des radios* du Caire et de Budapest et suit
de près les évolutions du monde arabe et leurs influences sur l’opinion
musulmane à travers les dépêches fournies par les représentations françaises
implantées à l’étranger.
L’ensemble des renseignements font l’objet de rapports confidentiels
périodiquement et d’études plus approfondies. Leur rédaction est confiée à un
staff de treize officiers des affaires musulmanes, secondés par trois
interprètes qui traduisent les documents écrits en arabe.
L’importante somme de rapports de surveillance touche aussi bien les
militants nationalistes que tous les faits et gestes de personnalités tels les
notables, les chefs de confréries, les instituteurs, les voyageurs (dont les
pèlerins), les étrangers, les manifestations* publiques, les activités
syndicales, les grèves*, les rumeurs ainsi que les étrangers qui visitent le
pays. Si leur exploitation permet aux historiens de suivre l’histoire intérieure
des partis en l’absence de leurs propres archives, il convient de souligner
avec Jean-Charles Jauffret* (2006) la nécessité de soumettre cette
documentation à la critique pour éviter bien des erreurs d’appréciation dues
au zèle de certains informateurs.
À la veille du 1er novembre 1954*, le SLNA ne manque pas de manifester
son inquiétude au vu des nombreux troubles qui agitent l’Algérie. Jauffret
signale quelque 53 attentats entre octobre 1953 et octobre 1954 perpétrés
contre des représentants de l’ordre, des civils et des actes de sabotage. Le
SLNA suit en particulier les tensions que traverse le mouvement de Messali
Hadj*, considéré comme étant le plus radical. Si Schœn relève bien la
création du Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (Crua) le 15 avril
1954 et la parution clandestine du Patriote, il n’en perçoit pas l’importance
tout en craignant « l’éclosion du terrorisme » dont il identifie quelques
responsables. Mais la décision secrète du passage à la lutte armée lui
échappe, si bien que le SLNA incrimine le gouvernement du Caire et La Voix
des Arabes dans le déclenchement de l’insurrection le 1er novembre 1954.
Mais pour les autorités françaises, il s’avère urgent de mettre fin au
cloisonnement des services de renseignements d’où la priorité au Centre de
renseignement et d’opérations (CRO) qui finit par céder la place au Centre de
renseignement et d’opérations du Gouvernement général* (Crogg), au
printemps 1957. Cette nouvelle structure répond à l’emprise que l’armée
exerce de plus en plus sur le cours de la guerre à partir du vote des pouvoirs
spéciaux*. Elle est confiée au colonel Jean Ruyssen. À cette date, Schœn
atteint l’âge de la retraite mais il est admis à poursuivre ses activités comme
agent contractuel.
En 1960, il regagne la France et garde le contact avec les anciens des
Affaires algériennes. De 1963 à 1972, il assure le secrétariat du Comité
Parodi qui apporte son aide aux harkis*. Il s’occupe jusqu’à son décès du
Bureau d’aide aux musulmans français, aux Invalides.
L’importante documentation du SLNA se trouve dans les différents
services d’archives de France (SHD et Anom) et d’Algérie alors que le fonds
propre du colonel Schœn est conservé au CDHA à Aix-en-Provence.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Archives : Anom/11 CAB/85, notice sur le SLNA.
Bibl. : Maurice Faivre, « Le colonel Paul Schœn du SLNA au Comité
Parodi », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 208, 2002 • Jean-
Charles Jauffret, « Le nationalisme vu par deux services de renseignement
français : l’œil du cyclone (1946-1954) », colloque de l’ENS de Lyon, Pour
une histoire critique et citoyenne franco-algérienne, 2006, communications
publiées en ligne.

SERVICE MILITAIRE
Lorsque la guerre d’Algérie commence, le service militaire est en France
une institution bien établie qui fait office d’un véritable rite de passage entre
l’adolescence et l’âge adulte. Le conseil de révision constitue la première
étape de ce rite, qui se déroule à 19 ans révolus dans le chef-lieu de canton ou
au bureau de recrutement pour les grandes villes. À l’issue des examens
physiques et psychologiques, les hommes de la classe d’âge du contingent,
âgés de 20 ans (par exemple la classe 1954, née en 1934), peuvent être
déclarés « Bon service armé » (BSA). À l’époque, être « bon pour le
service », c’est aussi être « bon pour les filles » : le jeune homme est en
bonne santé, prêt à faire son service, à partir de chez lui, à rencontrer des
femmes et à se marier. De ce fait, le rite du service militaire est très lié à des
valeurs de virilité, entretenues par l’institution militaire et les soldats entre
eux. Le fait d’être « ajourné » (le jeune homme doit revenir faire des tests) ou
« exempté » est donc dévalorisé. Les « classards » se livrent avant leur appel
à des charivaris alcoolisés, mais cette pratique tombe en désuétude avec le
remplacement des conseils de révision par les centres de sélection. La loi du
30 novembre 1950, qui fixe la durée du service militaire à dix-huit mois,
instaure aussi les « trois jours » de sélection dans le centre de sélection de
chacune des neuf régions militaires. L’Algérie compte trois centres de
sélection à partir de 1959 (Blida, Telergma et Nouvion).
D’ailleurs, les Français d’Algérie (qui constituent une partie des Français
de souche européenne, les FSE) et les Français musulmans (les Français de
souche nord-africaine, FSNA, pour les autorités militaires) effectuent eux
aussi leur service militaire. Pour les premiers, la connaissance de l’arabe
contribue à ce qu’ils soient prisés en Algérie. Les FSNA, qui effectuent leur
service militaire depuis 1912, sont davantage vus avec suspicion : il ne
faudrait pas que leur apprentissage des armes serve l’ALN*. De ce fait, le
nombre de réformes est important (jusqu’à 60 % d’une classe d’âge), pour
des motifs réels et parfois d’opportunité (politiques). Cette suspicion conduit
les autorités militaires à les incorporer en France métropolitaine ou en
Allemagne, surtout au début du conflit. De fait, le nombre d’insoumis est
important (50 % des appelés sont absents au conseil de révision) ainsi que de
déserteurs : ils sont plus de 6 000 sur toute la durée de la guerre (sans
compter les harkis*). En tout, plus de 100 000 Algériens (FSNA) ont effectué
leur service militaire durant la guerre d’Algérie.
Après la réception de leur « ordre de route » indiquant le lieu et l’heure
de leur incorporation, les jeunes conscrits sont appelés pour faire leurs
classes, d’une durée normale de quatre mois, réduite jusqu’à quatorze
semaines pendant la guerre d’Algérie. Certains sont directement incorporés
en Algérie. Les appelés sont contraints à des exercices répétitifs destinés à
acquérir des réflexes mais aussi à intérioriser la discipline militaire, souvent
avec des brimades. Pour certains, la vie militaire, c’est aussi l’apprentissage
de règles sociales et de l’hygiène. À l’issue des classes, les appelés
obtiennent une permission avant le moment redouté, quelquefois désiré, de
leur envoi en Algérie.
Par ailleurs, les pratiques vis-à-vis du service militaire changent au cours
du conflit : d’une part, pour faire face à d’importants besoins, les autorités
augmentent considérablement les effectifs en Algérie : à compter de fin 1956,
à la suite du « plan Bugeaud » d’incorporation, ils sont en moyenne de
400 000 hommes en permanence. Les appels ne sont alors plus effectués par
semestre (par exemple, les classes 1956/1 et 1956/2), mais par tranches
successives selon les besoins, et indiqués par des lettres (par exemple 1956-
1/A). D’autre part, pour faire face au déficit du nombre d’appelés du fait des
« classes creuses » nées pendant les années 1930, les autorités allongent aussi
la durée du service militaire, qui passe de dix-huit à vingt-quatre puis à vingt-
sept mois, et quelquefois jusqu’à plus de trente mois. Ces mesures conduisent
à distinguer les « Pendant la durée légale » (PDL) des « Au-delà de la durée
légale » (ADL), dont les soldes sont majorées et qui attendent souvent avec
anxiété leur libération. La « quille » est en effet célébrée avec l’existence
d’une vraie quille marquée du numéro du contingent, de même que le « Père
cent », célébration caustique du centième jour avant la libération. À
l’automne 1955 et au printemps 1956, pour accroître rapidement les effectifs,
les mesures de rappel des « disponibles » (qui ont terminé leur service depuis
moins de trois ans) et de maintien sous les drapeaux conduisent à
d’importantes manifestations de rappelés*. D’ailleurs, du côté des appelés du
contingent*, les pratiques changent aussi : les sursis* s’accroissent, ainsi que
les tentatives d’évitement du service militaire en feignant des problèmes
physiques ou psychologiques. Mais la demande en effectifs est telle que les
autorités contrôlent très sévèrement ces stratégies d’évitement et restreignent
considérablement les exemptions.
Au total, les appelés du contingent ont été 1,2 million à participer à la
guerre d’Algérie, auxquels il faut ajouter 200 000 disponibles rappelés. Sur
les 23 670 morts officiels de la guerre d’Algérie (le total réel est supérieur à
28 000), hors supplétifs*, 12 954 sont morts au combat. Parmi eux, 6 158
sont des appelés et rappelés FSE (soit 47 % des pertes) et 949 des appelés
algériens (FSNA). 8 000 soldats sont morts par accident, et officiellement
60 000 ont été blessés (mais ces chiffres ne prennent pas en compte les
troubles de stress* post-traumatique). Pour porter leurs intérêts, les appelés
ont rejoint ou ont créé des associations d’anciens combattants*.
Comme la guerre n’était pas reconnue comme telle puisque la France ne
pouvait pas entrer en conflit contre une partie de son territoire (l’Algérie était
composée de départements français), les autorités ont qualifié les
« événements » d’Algérie comme des « opérations de maintien de l’ordre ».
Cela a conduit à ce que la confusion soit entretenue entre le simple fait
d’effectuer son service militaire et la participation à une guerre dont le nom
était tu. La dernière « génération* du feu » a ainsi été largement constituée
d’appelés du contingent d’une vingtaine d’années. D’ailleurs, l’armée a
même créé un magazine à leur destination en Algérie, Le Bled*. Les
événements auxquels les appelés ont participé étaient fréquemment
dévalorisés dans leurs familles, dans lesquelles les grands-pères avaient
participé à la Première Guerre mondiale et les pères à la Seconde. Mais le
type de conflit était très différent, et les appelés ressentaient le poids du rite
du service militaire auquel ils ne pouvaient échapper, tout en participant à
une guerre qui leur était largement étrangère et dont beaucoup réprouvaient
les méthodes. Ces contradictions et les débats publics sur la désobéissance,
avec l’existence de 12 000 réfractaires* français, ont contribué à fragiliser
l’institution du service militaire et à une coupure de plus en plus forte entre
l’armée et la nation. Le vote du statut d’objecteur de conscience le
21 décembre 1963, avant une multiplication des formes de service civil en
1965. Le règlement de discipline générale de 1965 modifie aussi
substantiellement les règles de fonctionnement au sein de l’armée, même si
les pratiques anciennes perdurent. D’ailleurs, en 1965, le général de Gaulle*
envisage la suppression du service militaire, institution à laquelle il s’oppose
depuis l’entre-deux-guerres. La guerre d’Algérie a ainsi introduit une brèche
dans cette institution, qui s’est accrue au fil du temps, jusqu’à la suspension
du service militaire en 2001.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Stéphanie Chauvin, « Les appelés de souche nord-africaine dans
l’armée française pendant la guerre d’Algérie », mémoire de maîtrise, Paris-
1, 1993 • Jean-Charles Jauffret, La Guerre d’Algérie. Les combattants
français et leur mémoire, Odile Jacob, 2016.

SERVICE POSTAL DES ARMÉES


Le régime postal applicable aux hommes de la 10e RM se révèle
rapidement inadapté, d’autant plus qu’un seul bureau postal militaire existe
alors, à Alger. C’est en juin 1955 qu’une annexe est créée pour la division de
Constantine, principal foyer d’insurrection. Au même moment, les familles
métropolitaines réclament le bénéfice de la franchise postale pour les soldats
servant en Algérie. Elle est accordée par un décret du 15 novembre 1955, qui
autorise deux lettres et deux colis de 3 kilogrammes par homme et par mois.
Puis une décision ministérielle réorganise le service postal des armées à
compter du 1er janvier 1956, en instituant une direction de la poste aux
armées de la 10e RM, 1 bureau frontière pour l’AFN, 5 bureaux postaux
militaires et 8 annexes servis par 130 personnels de tous grades. 1956 voit
aussi l’instauration des secteurs postaux (aujourd’hui codes postaux) :
86 000, 87 000, 88 000 pour l’Algérie, 89 000 pour le Sahara – les secteurs
postaux 90 000 et 91 000 étant utilisés le temps de l’expédition de Suez* au
second semestre 1956. La création de ces secteurs postaux avait été retardée
pour ne pas donner trop d’importance à l’insurrection.
L’arrivée massive des rappelés en 1956 provoque de nouvelles
ouvertures qui portent à 35 le nombre de bureaux de poste militaires, pourvus
de 29 annexes. Le 11 janvier 1957, soucieux d’améliorer encore
l’acheminement du courrier, les effectifs du service sont augmentés :
395 hommes répartis en 12 officiers*, 179 sous-officiers* du corps spécial de
la poste aux armées et 204 militaires du rang. Rapidement, le service est
encore renforcé : 29 bureaux de poste militaires et 59 annexes, servis par 498
personnels. Alors que les effectifs de la 10e RM ont triplé en deux ans, le
nombre de bureaux de poste et d’annexes a été multiplié par six. La poste aux
armées connaît encore quelques créations comme un bureau naval à Bône en
1957, plusieurs bureaux à Tiaret (annexe à Aflou), et Mecheria (annexes à
Aïn Sefra, Géryville) en 1958. L’armée étant omniprésente en Algérie, son
service postal arme même les bureaux civils ouverts en 1958-1959 pour les
pétroliers à Hassi Messaoud, In-Amenas et Edjeleh. La déflation accompagne
le retrait progressif des troupes entamé en 1961. Toutefois, alors que les
effectifs stationnés en Algérie sont réduits d’environ un quart cette année-là,
ceux de la poste aux armées avec 442 militaires (24 officiers, 169 sous-
officiers et 249 hommes du rang) ne le sont que de 10 %. Une décision de
décembre 1961 finit cependant par supprimer la direction de la poste aux
armées de la 10e RM. Seuls 4 bureaux sont conservés (1 pour le corps
d’armée d’Alger, 2 pour le corps d’armée d’Oran et 2 pour le corps d’armée
de Constantine). Une annexe est maintenue pour le corps d’armée d’Oran,
tandis que celles du corps d’armée de Constantine et du commandement
interarmées du Sahara sont fermées.
Au plus fort de la guerre, 20 à 100 tonnes de lettres et de colis sont
acheminées chaque mois aux soldats d’Algérie, l’activité étant plus
particulièrement soutenue au moment des fêtes de fin d’année. Lettres et colis
mettent en moyenne cinq à dix jours pour parvenir à leur destinataire en dépit
de la dissémination des unités. Les délais gagnés le sont sur le trajet
métropolitain, entre le lieu de résidence de la famille et le centre de Paris, le
Bureau central militaire B de Marseille* assurant les transmissions et le
transit des colis, à destination ou en provenance d’Algérie. Selon une enquête
réalisée en 1959, la grande majorité du personnel utilise les enveloppes « par
avion », gage de rapidité. Car une fois ramassée dans une unité – à condition
que celle-ci ne soit pas implantée dans un lieu trop isolé et soumise à des
liaisons par convois – une lettre qui parvient dans la journée dans un bureau
de poste de la 10e RM est immédiatement triée et mise en sac le soir. Dès le
lendemain matin, elle est acheminée sur Alger, d’où elle s’envole dans la
soirée pour la France. En avril 1962, 16 000 lettres arrivant ou partant de
métropole transitent encore chaque jour par le bureau postal militaire de
Bougie. Malgré le retrait qui se poursuit, une décision ministérielle du
30 juillet 1962 maintient une direction de la poste au Sahara avec toutes ses
prérogatives, attestant des intérêts de la France dans cette région. Par
conséquent, le service postal militaire voit ses effectifs brièvement abondés,
au point de revenir presque au niveau de 1960. Une note de service du
23 novembre 1962 supprime toutefois à compter du 1er décembre 1962 la
mention « AFN » de l’adresse des correspondances adressées aux militaires
servant en Algérie. Puis la note du 8 décembre 1962 prévoit dans le cadre du
plan de déflation Cigogne VII de ramener l’effectif de la poste aux armées à
480 au 18 mars 1963, puis à 456 au 1er juillet 1963, même si celle-ci est
présente à Mers El Kébir jusqu’en décembre 1970, date à laquelle la base est
cédée à l’Algérie.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Frédéric Médard, Technique et Logistique en Algérie. L’armée
française et son soutien, 1954-1962, Panazol, Lavauzelle, 2004.
SERVICES DE SANTÉ DE L’ALN
Dans une guerre conventionnelle, les services de santé se situent à
l’arrière de la ligne de front et disposent de toute l’infrastructure nécessaire
pour dispenser les soins aux blessés. Tel n’est pas le cas de la guérilla* des
maquisards algériens. À l’exception des stages de secourisme assurés par le
Dr Mohamed Seghir Nekkache dans le sous-sol de son cabinet à Oran,
l’ALN* ne dispose d’aucun service de santé, à la veille du 1er Novembre*.
Selon les différents témoignages*, deux étapes jalonnent l’histoire de la santé
durant la Guerre d’indépendance.
À l’intérieur, les premiers blessés de l’ALN ont reçu des soins sur place,
par des aides soignants peu expérimentés. Les cas graves sont transférés en
ville et pris en charge par des médecins algériens et européens. Ce fut le cas
du commandant Azzedine* qui fut soigné au Clos-Salembier, à Alger en
1956. À Oran, la clinique du Dr Jean-Marie Larribère accueille des blessés
dès 1955 tout comme la clinique du Dr Lebail à Constantine.
Entre-temps, les stages de secourisme sont ouverts aux étudiants* par
l’Ugema* à Alger supervisés par le Dr Nefissa Hammoud, suivant les
instructions du Dr Nekkache. Il en est de même en France.
Après la grève* du 19 mai 1956, des étudiants en médecine, des
infirmières rejoignent les maquis et concourent à l’amélioration du système
de santé. À l’échelle des wilayas, des infirmeries de fortune – abritées dans
des gourbis ou dans des grottes) sont ouvertes en principe dans chaque nahia
(région) avec souvent un personnel formé sur le tas et quelques infirmiers et
infirmières. Sur place, en Wilaya 2*, le Dr Lamine Khene relayé par
Mohammed Toumi donne des cours de formation surtout à des jeunes filles.
En mai 1958, on dénombre « 25 centres de santé et 37 rattachés aux unités
militaires » d’après Ali Kafi* (Mémoires). De même en Wilaya 4*, le
Dr Damerdji a formé infirmières et assistantes sociales.
Des infirmières diplômées ont aussi servi dans ces structures
rudimentaires où elles ont réalisé des prouesses. Certaines y ont laissé la vie
comme Malika Gaïd, Ziza Massika ou les sœurs Bedj… Ces services de santé
ont été l’une des cibles des ratissages et surtout des bombardements aériens
d’où leur déplacement constant, en particulier durant les opérations Challe*.
Pour les préserver, le Dr Bensalem avait prié le colonel Amirouche* d’éviter
les combats à leur proximité. Durant leurs tournées dans les dechras, les
équipes médicales ont dispensé des soins à la mesure de leurs moyens
à la population civile qui les appréciait beaucoup.
À l’extérieur, dans les bases de l’Est et de l’Ouest, un service de santé a
été mis en place. En 1956, le Dr Nekkache a trouvé refuge à Tunis, il monte
un service de santé. Sa présence coïncide avec celle d’Ali Mahsas*, envoyé
par Ben Bella* pour prendre en charge la base de l’Est. Celui-ci crée le
Conseil de la santé qui assure une formation paramédicale très diversifiée et
adaptée à une situation de guerre. Rien n’est négligé : formation de
brancardiers, de secouristes, d’équipes itinérantes pour les campagnes de
vaccination, d’hygiène, de lutte contre le paludisme. Après le congrès de la
Soummam*, la mise à l’écart de Mahsas entraîne le remplacement de
Nekkache par le Dr Toumi à la tête du Conseil de la santé. En 1958, le tout
nouveau GPRA* rappelle le Dr Nekkache qui se voit confier le service de la
santé de l’ALN dépendant du ministère des Forces armées. Deux problèmes
l’obsèdent : l’absence de maîtrise de la chirurgie de guerre et la prise en
charge d’un millier de grands blessés invalides répartis dans deux camps, à
Béja et à la ferme Mousa (Kef). Pour mettre en pratique le plan de
développement accéléré de nouveaux services de santé, le Dr Nekkache fait
appel aux compétences du Dr Michel Martini, un chirurgien expulsé
d’Algérie depuis 1957, qui s’en charge efficacement.
Les efforts du tandem Nekkache-Martini finissent par améliorer l’état de
santé des blessés. La convalescence est complétée pour certains invalides
dans le centre de rééducation réalisé grâce à l’aide de la Yougoslavie* à
Nassen (banlieue de Tunis), d’autres sont envoyés dans les centres de
rééducation de pays de l’Est.
Les mêmes efforts sont déployés dans la base de l’Ouest, à la frontière
marocaine avec une équipe de médecins aussi dynamique, menée par les
Dr Rabah Allouache, Mokhtar Kherroubi, Amir Benaïssa… Une école
militaire d’infirmiers et des centres d’accueil des moudjahidines* voient le
jour ainsi qu’un hôpital dans la base Ben-M’hidi (Oujda). Les effets de la
solidarité marocaine (dont les hôpitaux soignent les blessés algériens),
conjuguée avec celle des pays de l’Est, des médecins espagnols (Nador) sans
oublier l’aide non négligeable de la Croix-Rouge internationale*, contribuent
à renforcer les services de santé, à l’avantage des blessés de l’ALN.
La situation de la population réfugiée tant en Tunisie* qu’au Maroc*
bénéficie également de la dynamique politique de la santé fondée sur
l’observation des règles d’hygiène et sur la prévention.
Au vu de leur importance, ces structures sanitaires sont la cible de
bombardements par l’aviation militaire française tant à l’intérieur qu’aux
frontières, à l’exemple de l’hôpital de la base Ben-M’hidi, ou lors des conflits
internes qui secouent certaines wilayas : plusieurs médecins perdent la vie…
C’est le cas du Dr Georges Counillon du PCA*, éliminé dans l’Aurès en
1955. En Wilaya 3*, plusieurs médecins – dont Mohammed Boudaoud,
Hamdad Mouloud, Mustapha Liassine sont les victimes des purges liées à la
bleuïte*. En 1962, à Oran, le Dr Larribère échappe par miracle à l’attentat
commis par l’OAS* au mois d’avril.
À la veille de l’indépendance, nombreux sont les médecins présents aux
frontières ou en France qui répondent à l’appel du GPRA pour regagner
l’Algérie.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Djamel-Eddine Bensalem, Voyez nos armes, voyez nos médecins,
Alger, Enag, 1984 • Michel Martini, Chroniques algériennes, 1946-1962,
Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2000 • Khiati Mostefa et Lamine Khene, Les
Blouses blanches de la révolution, Alger, ANEP, 2011.

SERVIER, JEAN (1918-2000)


Spécialiste de la civilisation berbère, cet ethnologue est connu pour avoir
proposé son expertise au Gouvernement général* et à l’armée française
pendant la Guerre d’indépendance. Né à Constantine, Servier passe sa
jeunesse en Algérie avant de s’engager dans l’armée en 1938. Démobilisé, il
reprend du service après le débarquement d’Afrique du Nord (1942),
participe à la campagne d’Italie (1943) et au débarquement de Provence
(1944). Étudiant à Paris (1945), il rencontre l’helléniste Louis Gernet et
l’ethnologue Marcel Griaule et s’inspire de leurs travaux pour étudier la
cosmogonie des populations berbères d’Algérie. Il y recherche les vestiges
d’une pensée néolithique commune au bassin méditerranéen, sorte de
préhistoire sociale de la civilisation occidentale dont l’authenticité aurait été
mieux préservée dans les montagnes algériennes. À rebours d’une ethnologie
attentive aux dynamiques sociales, Servier renoue avec une science coloniale
qui néglige le poids du contexte social et politique, et minore la place de
l’islam dans la vie culturelle algérienne. Ses multiples implications pendant la
guerre se fondent sur cette représentation anhistorique du monde berbère.
Présent à Arris le 1er novembre 1954*, il dit avoir joué un rôle dans
l’armement des premiers supplétifs* grâce à sa connaissance des rivalités
tribales ; sa version a été depuis quelque peu nuancée. Après son retour à
Paris pour soutenir sa thèse, son interprétation culturaliste de l’insurrection
trouve un écho favorable dans les cercles militaires et administratifs. En
1956, il est détaché du CNRS auprès de Robert Lacoste*, pour apporter son
expertise à l’élaboration de la réforme communale. Il est ainsi envoyé en
Kabylie, où il se trouve pendant l’opération « Oiseau bleu* ». Il conteste y
avoir joué un rôle décisif, au contraire de ce qu’affirme Camille Lacoste-
Dujardin. Il revendique en revanche son implication dans Pilote, une vaste
entreprise de « guerre contre-révolutionnaire » menée par le 5e bureau dans
l’Orléansvillois. En conflit avec les responsables militaires et civils de
l’opération, il en est peu à peu écarté. Il quitte l’Algérie après son
recrutement à l’université de Montpellier. Il plaide dès lors pour l’intégration
des Algériens et Algériennes dans le respect et la préservation des traditions
berbères.
Fabien SACRISTE
Bibl. : Jacques Cantier, « L’ethnologue et les savoirs autochtones : Jean
Servier et les Berbères d’Algérie », Revue française d’histoire d’outre-mer,
no 352-353, 2006 • Camille Lacoste-Dujardin, Opération Oiseau bleu : des
kabyles, des ethnologues et la guerre en Algérie, La Découverte, 1997 •
Fabien Sacriste, Germaine Tillion, Jacques Berque, Jean Servier et Pierre
Bourdieu. Des ethnologues dans la guerre d’indépendance algérienne,
L’Harmattan, 2011.

SI SALAH (MOHAMMED ZAMOUM,


DIT) (1928-1961)

Son nom est lié à l’affaire Si Salah, connue également sous le nom
d’affaire Tilsit ou d’affaire de l’Élysée pour les maquisards de la Wilaya 4*.
Si Salah Zamoum est né à Aïn-Taya en 1928. Son père est instituteur. Il
adhère au PPA-MTLD* probablement à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Il occupe le poste de secrétaire au centre d’Ighil Imoula, berceau
de sa famille.
Membre de l’Organisation spéciale* (OS), il est arrêté après sa
découverte et interné à la prison* de Tizi Ouzou jusqu’au début de 1954. Il
participe sous les ordres de Krim* Belkacem et Amar Ouamrane* à la
préparation de la lutte armée en tant que chef de région de Bordj Menaïel. À
la veille du congrès de la Soummam*, Amar Ouamrane, chef de la Zone 4
(Algérois), le rappelle à ses côtés. L’été 1957, Si Salah participe aux côtés du
colonel Slimane Dehilès* (Sadek) aux réunions informelles du CCE* replié
en Tunisie*. De ce séjour, il garde de l’amertume. Il est commissaire
politique à l’échelle de la Wilaya 4, dirigée par Si M’hamed Bougara*, de
1957 à 1959.
Quand son chef Si M’hamed Bougara cède aux soupçons d’Amirouche*,
complètement obnubilé par le complot de la bleuïte*, Si Salah Zamoum fait
partie de la Commission de sécurité, d’investigation et de contre-espionnage
(CSICE) chargée des purges qui ont fait beaucoup de victimes et démoralisé
les combattants. À la mort du colonel Si M’hamed (mai 1959) et en l’absence
de remplacement par le GPRA* (lui-même en pleine crise avec la réunion des
dix colonels* d’août-décembre 1959), le commandement de la Wilaya 4
revient à Si Salah. Le 14 janvier 1960, il convoque le conseil de wilaya,
procède à la promotion du capitaine Lakhdar Bouchama, dirigeant de la
mintaqa 4 (Ténès-Cherchell) au grade de commandant, chargé des
renseignements et liaisons. Le capitaine Halim (Hamdi Benyahia),
responsable de la mintaqa 1 (Palestro-Tablat), est promu commandant et
remplit les fonctions de commissaire politique. Si Mohamed (Djilali
Bounaâma*), retenu dans l’Ouarsenis, est maintenu responsable militaire. La
discussion porte sur la posture difficile de la wilaya aux prises avec les
opérations « Couronne » du plan Challe* (avril-juin 1959). La situation du
peuple n’est guère meilleure : « le peuple a trop souffert, le peuple est en voie
de nous abandonner », écrit Boualem Seghir dans son rapport cité par
Meynier*. Le silence du GPRA qui ne répond pas aux appels au secours
nourrit le ressentiment des dirigeants de la Wilaya 4 et leur incompréhension
face à l’absence de recherche d’une solution négociée après le discours de De
Gaulle* relatif à l’autodétermination du 16 septembre 1959.
Il convient de souligner aussi l’intrusion des services d’écoute du Bureau
d’études et de liaisons (BEL) qui interceptent les échanges orageux entre
Wilaya 4 et état-major d’Oujda, et intensifient leur propagande* pour
atteindre le moral des troupes de l’ALN* et les exhorter à accepter la « paix
des braves ». Mieux encore, le captage de la radio du PC de wilaya permet
l’envoi de faux messages. Par ailleurs, la hiérarchie militaire française
privilégie une solution conclue avec les seuls combattants.
Il semble que ce soit principalement le commandant Lakhdar Bouchama
qui ait manifesté le plus d’intérêt pour ce courant favorable aux propositions
de De Gaulle (Teguia, 1980). C’est encore lui qui réussit à convaincre le
commandant Halim et le capitaine Abdelatif (Othmane Telba), chef de la
mintaqa 2 (Titteri-Atlas blidéen), et qui entre en contact avec les autorités
françaises à Médéa avant d’en informer Si Salah et Si Mohamed (Djilali
Bounaâma*).
La principale condition exigée par Si Salah, à savoir ne discuter qu’avec
de Gaulle, est satisfaite. Et le 9 juin 1962, Si Salah, Lakhdar Bouchama et Si
Mohamed Bounaâma s’envolent pour la France, ils sont reçus le 10 juin à
l’Élysée par de Gaulle, en présence de Bernard Tricot. Les officiers de la
Wilaya 4, craignant de ne pouvoir entraîner l’adhésion de toutes les wilayas,
envisagent un cessez-le-feu partiel et demandent de pouvoir contacter la
Wilaya 3*, de se déplacer à Tunis et de rencontrer Ben Bella*, prisonnier*.
De Gaulle rejette ces deux dernières requêtes et ne leur cache pas son
intention de saisir le GPRA (ce qu’il fera le 14 juin).
De retour en Algérie, Si Salah s’ouvre du projet de cessez-le-feu à
Mohand Oulhadj*, chef de la Wilaya 3, sans résultat tangible.
Entre-temps, Si Mohamed, en accord avec le lieutenant Lakhdar
Bouregaâ* et le sous-lieutenant Mohammed Bousmaha, chef de la nahia
Médéa-Boghari, met aux arrêts Lakhdar Bouchama, le capitaine Abdelatif et
Halim. Jugés, ils sont exécutés. Quant à Si Salah, il est destitué de ses
fonctions et envoyé à Tunis. En chemin, il est tué le 20 juillet 1961 dans un
accrochage du côté de Bouira au moment où les négociations* s’ouvrent à
Lugrin entre la France et le GPRA. Le dernier protagoniste de l’affaire, Si
Mohamed, meurt au combat le 9 août 1961 à Blida. La Wilaya 4 est reprise
en main par le colonel Youcef Khatib* et Ahmed Bencherif*, rentré de Tunis.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002 • Sadek
Sellam, « L’affaire Si Salah vécue par le commandant Lakhdar Bouregaâ »,
Guerres mondiales et conflits contemporains, no 201, 2001 • Mohamed
Teguia, L’Algérie en guerre, Alger, Opu-Sned, 1980.

SID CARA, NAFISSA (1910-2002) ET CHÉRIF


(1902-1999)
Nés d’un père instituteur, Nafissa est professeure de lettres tandis que son
frère Chérif est médecin. Partisans du maintien de la souveraineté française
en Algérie, les Sid Cara incarnent les possibilités d’ascension sociale pour les
« Français musulmans » ouvertes par « l’intégration ».
La carrière politique de Chérif Sid Cara débute à la mairie d’Oran dans
les années 1930. Il est élu sénateur puis député. Il est secrétaire d’État à
l’Algérie de 1957 à 1958. En mai 1958, il devient coprésident avec le général
Massu* du Comité de salut public, tandis que Nafissa Sid Cara s’active dans
le Mouvement de solidarité féminine, une organisation d’œuvres sociales
étroitement liée à l’armée française. Les deux Sid Cara font partie d’un
groupe de 49 « musulmans » sur 71 députés venus d’Algérie siéger à
l’Assemblée nationale en 1958. Cette présence est censée symboliser une
nouvelle Algérie, plus égalitaire, inséparable de la France, et saper la
légitimité du FLN* en tant que représentant du peuple algérien.
L’élection de trois premières députées « musulmanes » – Nafissa Sid
Cara, Rebiha Khebtani et Kheira Bouabsa – en novembre 1958 est mise en
avant par le gouvernement français comme preuve de « l’émancipation » de
la femme* algérienne. Nafissa Sid Cara est nommée secrétaire d’État chargée
des Affaires sociales en Algérie et de l’évolution du statut personnel de droit
musulman auprès du Premier ministre Michel Debré*. Elle est à l’origine de
l’ordonnance no 59-274 du 4 février 1959, qui réintègre la réglementation du
mariage et de sa dissolution dans le régime de l’état civil, remplaçant
certaines coutumes et pratiques locales du droit musulman. Le texte supprime
le mariage forcé et la répudiation, fixe l’âge légal du mariage et exige que le
divorce soit prononcé par un juge.
Nafissa Sid Cara est plus réformiste que son frère, un fervent défenseur
de l’Algérie française qui a un échange verbal violent avec de Gaulle* au
sujet du référendum* du 8 janvier 1961 sur l’autodétermination en Algérie.
En 1962, les Sid Cara perdent leur siège à l’Assemblée. Ils restent en France
et sont tous les deux décorés de la Légion d’honneur.
Natalya VINCE
Bibl. : Arthur Asseraf, « Weapons of Mass Representation: Algerians in the
French Parliament, 1958-1962 », in Rabah Aissaoui et Claire Eldridge (dir.),
Algeria Revisited. History, Culture and Identity, Londres, Bloomsbury, 2017
• Ryme Seferdjeli, « French “reforms” and Muslim Women’s Emancipation
during the Algerian War », The Journal of North African Studies, vol. 9, no 4,
2004.

SOLDATS DE L’EMPIRE EN ALGÉRIE


(1954-1962)
Une longue tradition de l’armée française fut d’utiliser des auxiliaires
venus d’autres territoires déjà colonisés pour la conquête de nouveaux, puis
la répression des mouvements de résistance. Avant l’Algérie, le corps
expéditionnaire français en Indochine* avait perdu 104 000 hommes, dont
75 000 Maghrébins, Africains et « Indochinois ».
En Algérie, le principal recrutement fut dans les rangs des Algériens eux-
mêmes, appelés, engagés ou supplétifs*. Il y eut également d’autres apports
et, d’abord, les soldats venus d’Afrique subsaharienne, la plupart du temps
appelés de façon globalisante « tirailleurs sénégalais ».
Le 1er bataillon du 24e régiment d’infanterie coloniale (RIC) fut envoyé
en Algérie dès novembre 1954. Un autre bataillon le rejoignit en juin 1955.
Ils furent cantonnés à Biskra. Comme pour le reste de l’activité militaire,
l’avènement du gouvernement de Front républicain* (Guy Mollet*) marqua
une accélération de l’effort. En juin 1956, il y a en Algérie 17 330 soldats
africains. Une décroissance commence en 1959, en vue des imminentes
indépendances africaines. Les dernières troupes noires (11 800 hommes)
seront relevées en 1961. Au sein de ces troupes, certains étaient en opérations
quasi continues depuis la débâcle de 1940, d’autres depuis leur premier
séjour en Indochine. 751 Africains perdent la vie lors du conflit algérien.
Moins connu, car quantitativement négligeable, fut le recrutement de
Vietnamiens, la plupart d’entre eux venus des minorités ethniques, déjà
employés comme supplétifs par le corps expéditionnaire en Indochine. Restés
francophiles et attachés à leurs chefs, ils refusèrent de rester dans un pays
américanisé au sud, communiste au nord. Quand les derniers militaires
français quittèrent Saïgon, quelques-uns de ces éléments les suivirent. Ils
débarquèrent à Oran le 6 avril 1956 et formèrent le commando d’Extrême-
Orient, dit « Dam San ». Peu nombreux (de l’ordre de 250), ces hommes
furent des combattants redoutés. Le commando fut salué et décoré par les
généraux Salan* (qui avait derrière lui une très longue carrière
« indochinoise ») et Massu*. Le commando fut dissous en juin 1960.
Alain RUSCIO
Bibl. : Julien Fargettas, La Fin de la « Force noire ». Les soldats africains et
la décolonisation française, Les Indes savantes, 2018 • Maurice Rives et Éric
Deroo, Les Linh Tập. Histoire des militaires indochinois au service de la
France (1859-1960), Panazol, Lavauzelle, 1999.

SOLDATS DU REFUS
Les « soldats du refus », dont le nom est employé dès la guerre d’Algérie,
sont des appelés du contingent*, militants communistes, qui ont préféré être
incarcérés plutôt que participer à la guerre d’Algérie. Le premier d’entre eux
est Alban Liechti*, qui refuse de partir en Algérie en juillet 1956. Condamné
à deux ans de prison* en novembre 1956, il n’est pas soutenu par son parti.
Les premiers articles sur son refus datent du début de l’année 1957,
favorisant de nouveaux refus à partir du milieu de l’année. Le 17 septembre
1957, le discours de Léon Feix devant le comité central du PCF* souligne la
faiblesse du soutien à Alban Liechti par rapport à celui en faveur d’Henri
Martin pendant la guerre d’Indochine*. Dès lors, la campagne communiste
bat son plein, tant en termes de publications que de refus. Deux responsables
de l’Union des jeunesses communistes de France, Paul Laurent et Jean Gajer,
encouragent même certains jeunes à désobéir. L’acmé des refus se situe en
janvier 1958, avec neuf refus. Quelques « soldats du refus » ont des noms
connus : Serge Magnien est un étudiant en vue de l’UJCF, Raphaël Grégoire
est le fils du maire de Montreuil et Pierre Guyot, fils du député Raymond
Guyot. Les refus croissants font réagir les autorités : une directive
ministérielle du 27 janvier 1958 prévoit d’envoyer les « soldats du refus »
communistes récalcitrants à la « section d’exclus », autrement appelée
« bagne de Tinfouchy ». Les premiers d’entre eux y sont envoyés à partir de
mai 1958 : en tout, six le seront jusqu’en décembre 1959. Ils y subissent de
fréquents mauvais traitements. Après une dernière vague de refus à la fin de
l’année 1958, la campagne se tarit, d’autant plus qu’en mai 1959, Maurice
Thorez affirme que la place des militants communistes est à l’armée. Entre-
temps, les soldats emprisonnés ont progressivement été regroupés au centre
pénitentiaire d’Alger, avant d’être transférés en métropole fin 1958 aux
Baumettes puis à Casabianda, où ils sont neuf. Le seul à avoir renouvelé son
refus est Alban Liechti en mars 1959. À l’issue de leur condamnation à deux
années de prison (peine la plus fréquente), les « soldats du refus » acceptent
d’effectuer à nouveau leur service militaire*, qu’ils accomplissent en Algérie.
Alban Liechti fait de même à compter de mars 1961, avant d’être libéré de
son service militaire un an plus tard. Les « soldats du refus » ont au total été
au nombre de 45, mais 11 ne paraissent pas avoir persévéré une fois arrivés
en Algérie. Certains d’entre eux ont par la suite intégré l’Association des
combattants de la cause anticoloniale (Acca).
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007 • Les Soldats du
refus pendant la guerre d’Algérie, Noisy-le-Sec, L’Épervier, 2012.

SOUAÏ, ALI (1932-1961)


Ali Souaï est né à Tébessa. Sa scolarité s’arrête à l’obtention du certificat
d’études primaires. Depuis la fin des années 1940, il milite dans les rangs du
PPA-MTLD* tout en exerçant le métier de tailleur. Il a 20 ans quand la
Guerre d’indépendance commence. Il rejoint en 1955 les rangs de l’ALN*
dans la région de Souk Ahras dirigée par Louardi Guettal. Jusqu’à
l’édification de la « ligne Morice » qui sera doublée de la « ligne Challe »,
Ali Souaï assure l’acheminement des armes à partir de la Libye et de la
Tunisie* en direction de la base de l’Est.
À l’issue du CNRA* de décembre 1959-janvier 1960, Ali Souaï est élevé
au rang de commandant. Il fait partie des officiers envoyés en renfort à
l’intérieur. Aussi, réussit-il à franchir le barrage et à rejoindre le PC de la
Wilaya 1*, le 24 avril 1960.
Avec sagesse et un grand sens des responsabilités, il parvient à mettre fin
aux nombreuses rivalités et cas de désobéissance dans les rangs de l’ALN. En
juillet 1960, le PC de la Wilaya 1 est renforcé par l’arrivée du commandant
Tahar Zbiri*.
Sous l’impulsion des deux commandants, l’Aurès connaît une période de
stabilité que le rouleau compresseur de l’opération « Ariège » vient ébranler
entre octobre 1960 et avril 1961. Il faut bien reconnaître que sous Ali Souaï
« l’offensive Challe se heurta dans l’Aurès à une résistance concertée
relativement supérieure à celle de la plupart des autres wilayas » (Meynier,
2002, p. 396), sans doute parce qu’il l’attendait. Mais le 10 février 1961, les
hommes du PC dont Ali Souaï, accompagnés de plus d’une centaine de
combattants, se retrouvent encerclés dans la forêt des Beni Melloul et ne
peuvent éviter le contact. L’affrontement a lieu et provoque la mort d’Ali
Souaï. Pour l’heure, nous ne disposons que du récit publié par Mansour
Rahal, officier responsable des transmissions radio et qui était présent sur le
champ de bataille, d’après son journal de bord à comparer avec les journaux
des marches et des opérations* (JMO) des unités de l’armée française
mobilisées lors de l’opération Ariège. La dépouille de celui que la presse*
appela « le lion des Aurès » fut exposée à la vue de la population de Tébessa.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002 • Mansour
Rahal, Les Maquisards, pages du maquis des Aurès durant la guerre de
libération, Alger, El Chourouk, 2000.

SOUÏAH, HOUARI (1915-1990)


Houari Souïah est né le 21 septembre 1915 à Oran. Muni d’un certificat
d’études, il commence à travailler à la librairie Manesse, où il trouve de quoi
étancher sa soif de connaissances par la lecture et le côtoiement des
notabilités et des lettrés qui fréquentent le commerce. C’est au cœur de la
Seconde Guerre mondiale qu’il se rapproche du mouvement réformiste des
ulémas et du PPA* auquel il adhère. À la création des AML* en mars 1944,
Souïah est secrétaire général de la section d’Oran. Du fait de son implication
dans l’organisation de la manifestation patriotique du 1er mai 1945*, il est
condamné par le tribunal militaire à trente mois de prison avec confiscation
de ses biens, le 29 janvier 1946. À sa libération, au lendemain de l’amnistie
de mars 1946, il reprend l’action militante et noue des relations cordiales
avec les Européens libéraux et les militants de l’UDMA*, du PCA* et les
ulémas. Il est élu aux élections* municipales du 19 octobre 1947, sur la liste
MTLD. Il devient le premier adjoint au maire* Henri Fouques-Duparc.
Membre du comité central du MTLD en 1953-1954, Houari Souïah fait partie
des premiers réseaux du FLN* mis en place au début de 1955. En même
temps, il crée le mouvement « Fraternité algérienne » de tendance libérale et
progressiste. Souïah est arrêté dans la nuit du 20 au 21 avril 1956, sur ordre
du préfet* d’Oran, Pierre Lambert*. C’est le début d’une longue période de
détention dans les prisons* d’Algérie et de France. Le 29 mai 1957, il est
condamné par le tribunal permanent des forces armées (TPFA) d’Oran, à
vingt ans de travaux forcés.
Libéré en 1962 à la faveur des accords d’Évian*, Houari Souïah retrouve
sa ville, sa famille et ses amis. À la satisfaction générale, il est nommé préfet
dans les premiers jours de l’indépendance. En septembre 1962, il est élu
député à l’Assemblée constituante puis à l’APN. Lors du 1er congrès du FLN
(avril 1964), Souïah entre au comité central (1964-1965). Durant la nuit du
coup d’État militaire du 19 juin 1965, il figure parmi les premières
personnalités arrêtées parce qu’il est étiqueté comme benbelliste.
Rapidement, pour battre en brèche l’impopularité du coup d’État,
Boumediene* le rappelle au même titre que d’autres personnalités de la ville.
Souïah, qui est toujours membre du CC du FLN, reprend du service au seul
Comité pour le maintien de la paix, et retrouve sa place à la direction de la
Société nationale des tabacs et allumettes (SNTA) jusqu’en 1979. Il se
consacre jusqu’à sa mort au mouvement associatif.
Saddek BENKADA
Bibl. : Saddek Benkada, « Souïah, Houari (1915-1990) », in Kouider Métaïr
(dir.), Oran. La Mémoire, Paris-Méditerranée, 2004 • Omar Carlier,
« “Homme-fétiche” ou “Homme-symbole” ? Un notable-militant : Houari
Souiah, premier préfet d’Oran (1915-1990) », Cahiers de la Méditerranée,
no 46-47, 1993 • Fouad Soufi, « Oran, 28 février 1962, 5 juillet 1962. Deux
événements pour l’histoire, deux événements pour la mémoire », in La
Guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de
Charles-Robert Ageron. Actes du colloque international, SFHOM, 2000.

SOUICI, ABDELKRIM (MORT EN 2005)


Originaire d’Annaba, Abdelkrim Souici est resté discret sur ses
engagements. Formé à l’école du PPA*, il est arrêté une première fois en
1945. Il est alors mineur et aurait protesté par un graffiti sur les murs de sa
ville contre l’assignation à résidence de Messali Hadj*, le chef du PPA, à
Brazzaville. Arrêté et traduit devant un tribunal pour enfants, il aurait été
inculpé, selon Ali Haroun*, d’atteinte à la sûreté de l’État.
En février 1954, aux prémices de la crise du MTLD, il émigre en
métropole où il s’engage dans la Fédération de France du MTLD. Alors que
tous les regards sont tournés vers le congrès d’Hornu, il choisit de rentrer en
Algérie pour soutenir les centralistes.
Arrêté dans le sillage des attentats du 1er novembre 1954*, il bénéficie
d’une courte peine de prison* : son CV politique est encore mince et aucune
charge ne pèse contre lui. À sa libération, il reprend les chemins de
l’émigration* pour offrir ses services à la jeune Fédération de France* du
FLN*, alors en cours de constitution. Aux côtés de Mourad Terbouche et
d’Ahmed Doum dont il est l’adjoint, Abdelkrim Souici met tout en œuvre
pour placer l’immigration en état d’insurrection du côté du FLN. Il s’illustre
notamment en constituant les premières cellules de l’Organisation spéciale
appelée à jouer un funeste rôle dans la lutte contre les immigrés messalistes.
Arrêté en août 1957, il bénéficie, là encore, d’un non-lieu et reprend
contact avec la Fédération de France du FLN. Reprise en main par Abane*
Ramdane, celle-ci connaît alors une profonde restructuration depuis l’arrivée
d’Omar Boudaoud*. Connu des services de police* et des militants de base,
Abdelkrim Souici aurait dû être écarté de tout poste à responsabilités afin de
respecter les règles de la clandestinité. Pourtant, Omar Boudaoud fait le choix
de lui confier un portefeuille hautement sensible, celui des finances, tout en
lui ordonnant de quitter la France pour les espaces européens de voisinage à
la Guerre d’indépendance algérienne et notamment la Suisse* et l’Allemagne.
De 1958 à l’indépendance, Abdelkrim Souici est de fait membre du Comité
des cinq, en charge des finances de la Fédération de France du FLN et de la
coordination de deux organisations syndicales annexes : l’AGTA et la section
universitaire du FLN. Après 1962, Abdelkrim Souici embrasse une carrière
diplomatique avant de prendre la direction, dans les années 1980, de
l’Amicale des Algériens en Europe.
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, « Du point de vue du FLN : les comités de détention
dans l’organisation politico-administrative de sa Fédération de France (1958-
1962) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 92, no 4, 2008.

SOUMMAM, CONGRÈS DE LA (20-


27 AOÛT 1956)
À l’issue du congrès de la Soummam, la révolution algérienne se dote
d’une direction nationale dont l’objectif est l’indépendance du pays.
Après le déclenchement de la lutte armée le 1er Novembre*, la gestion de
la guerre est laissée à l’initiative des cinq chefs de zones. Les conditions
difficiles dans lesquelles évolue la guerre n’ont pas permis aux chefs du
FLN* de se rencontrer au mois de janvier 1955 comme prévu et de faire le
bilan. C’est dans ces conditions que Ramdane Abane*, Larbi Ben M’hidi* et
Belkacem Krim* décident de tenir une réunion nationale afin de doter le
FLN-ALN* d’institutions et d’une plate-forme politique.
La rencontre se tient à Ifri, un village de la rive gauche de la Soummam
en Zone 3 (Kabylie) à partir du 20 août 1956, mais en l’absence de la
délégation extérieure, de la Zone 1 (Aurès) et de la Fédération de France*.
Sont présents, outre Abane, les quatre chefs de zone et leurs adjoints : la
Zone 2 avec Zighoud* Youcef accompagnés de Lakhdar Bentobbal*,
Mostefa Benaouda, Ali Kafi*, Brahim Mezhoudi et Hocine Rouibah ; la Zone
3 avec Belkacem Krim accompagnés de Saïd Mohammedi*, Amirouche* et
Kaci Hamaï ; la Zone 4 avec Amar Ouamrane* accompagnés de Slimane
Dehilès*, Si M’hamed et Si Cherif, la Zone 5 avec Larbi Ben M’hidi.
Dans l’ordre du jour, les exposés des quatre chefs de zones FLN-ALN
donnent un aperçu général de la situation politique et matérielle et permettent
d’amorcer l’urgence de doter la révolution de structures et d’un programme
politique.
La plate-forme politique de la Soummam s’ouvre sur l’idée-force du
combat pour l’indépendance qui est le ciment de l’unité du peuple algérien,
rassemblant « paysans, ouvriers, intellectuels, femmes*, jeunes, etc. ». La
nation exclut tout sectarisme religieux, englobe les communautés non
musulmanes, Juifs* et Européens, sans pour autant se prononcer pour une
sécularisation du politique (Harbi, 1980). L’essentiel est la destruction du
régime colonialiste et « le projet du FLN est celui d’un contre-État et non
d’une contre société » (Harbi, 1980) d’où les accents populistes teintés de
conservatisme social où les femmes sont exclues des responsabilités
politiques et militaires, cantonnées dans des tâches bien précises. Sur le plan
des alliances, la plate-forme est conciliante avec les deux pays voisins : la
Tunisie* et le Maroc* mais critique sévèrement l’Égypte* et les pays arabes,
sous-estimant leur appui.
Les documents qui jettent les bases de l’organisation de l’ALN avec
l’édification de six wilayas – nouvelle appellation des zones – ne posent pas
de problèmes majeurs. Chaque wilaya a son assise territoriale bien délimitée
et applique le même schéma à l’organisation militaire de l’ALN. Le principe
d’une direction collégiale est incarné par un conseil de wilaya coiffé d’un
chef issu des rangs de l’ALN. Des grades sont institués, des soldes sont fixées
pour les combattants ainsi que des aides aux familles.
En revanche, le préalable de la primauté du politique sur le militaire n’a
pas manqué de soulever de vifs échanges entre partisans d’Abane et les autres
chefs de zones comme le souligne Bentobbal dans ses Mémoires (2021) :
« Pour Zighoud et moi, la primauté du politique sur le militaire voulait dire
que la révolution était en elle-même politique et le but auquel nous visions
était politique […] Nous n’acceptions pas l’idée que le civil, au sens commun
du terme, dirige et que le soldat reste en dehors de la politique. » Le second
préalable prescrivant la primauté de l’intérieur sur l’extérieur est approuvé
par tous, même si Bentobbal et Zighoud pressentent des questions de
leadership « entre Abane et Ben M’hidi d’un côté, Ben Bella*, Khider* et Aït
Ahmed* de l’autre ».
La conjugaison de ces deux préalables assure à Abane, Ben M’hidi et
Krim le contrôle de la direction politique confiée au CNRA*, composé de 34
membres, organe souverain disposant de larges prérogatives comme la
désignation des cinq membres du CCE*. Y siègent Abane, Ben M’hidi, Krim,
Benyoucef Ben Khedda* et Saâd Dahlab*. La nomination dans ces deux
structures de centralistes, d’acteurs de l’UDMA* et de l’Association des
ulémas*, fut acceptée du bout des lèvres, par discipline.
Les résolutions du congrès de la Soummam ont été violemment remises
en cause par des cadres de l’intérieur (Wilayas 1* et 5*) et de la délégation
extérieure du FLN à l’exception d’Aït Ahmed. Ben Bella exprima dans un
long rapport ses griefs, reprochant à Abane l’absence de la délégation et celle
des représentants de l’Oranie, des Aurès-Nemencha, de la zone de Souk
Ahras. Il rejeta aussi les principes de la primauté du politique sur le militaire
et de celle de l’intérieur sur l’extérieur. Il critiqua la remise en cause du
caractère islamique des futures institutions politiques de l’Algérie et le fait
que les rapports avec l’Égypte soient énoncés comme de simples rapports
d’alliance et non de subordination. L’arrestation de la délégation extérieure le
22 octobre 1956 met un terme momentanément à la contestation du tandem
Ben Bella-Boudiaf*. Après le départ du CCE à l’étranger et la réunion du
CNRA au mois d’août 1957 s’opère « le retour aux sources » (Harbi, 1980)
remettant en selle les dirigeants militaires et annulant la question de la
primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Le
processus d’institutionnalisation amorcé par le congrès est ainsi mis en échec,
donnant libre cours au jeu des factions et de leur clientèle.
Ali GUENOUN
Bibl. : Slimane Chikh, L’Algérie en armes ou le temps des certitudes,
Economica, 1981 • Daho Djerbal, Lakhdar Bentobbal. Mémoires de
l’intérieur, Alger, Chihab, 2021 • Mohammed Harbi, L’Algérie et son destin.
Croyants ou citoyens, Arcanthère, 1992.

SOUS-OFFICIERS (ARMÉE
FRANÇAISE)
Dans toutes les armées, les sous-officiers tiennent une place particulière
dans la hiérarchie et l’organisation de la troupe. Leur rôle de charnière entre
les officiers* qui commandent et la troupe qui exécute leur confère une
certaine responsabilité dans l’exécution des ordres et, entorse aux habitudes
de l’obéissance passive, la possibilité de prendre des initiatives pour le « bien
du service ». Entre 1954 et 1962, ce corps militaire grossit par suite de
l’engagement massif du contingent (appelés et rappelés) dans le conflit
algérien. Il est composé de personnels d’origine et de statut divers destinés à
compléter les tableaux d’effectifs des services et des unités combattantes.
Le 1er novembre 1954*, 85,6 % des sous-officiers en service en Afrique
du Nord (16 250) dans les dépôts de « l’armée d’Afrique » sont des soldats de
métier. Dès 1955, le pourcentage des appelés et rappelés augmente en raison
du rappel du contingent 53-2 des soldats nés en Algérie ou y résidant
provisoirement. Ce rappel ouvre la voie aux mesures exceptionnelles
entraînant le gouvernement dans une guerre à outrance avec une armée de
masse contre des forces combattantes dispersées et peu nombreuses. Ainsi, le
rappel des « disponibles » le 11 avril 1956 ramène sous l’uniforme des sous-
officiers libérés dans les six derniers mois. Au cessez-le-feu du 19 mars
1962*, les sous-officiers pendant la durée légale du service militaire* (PDL)
et après la durée légale (ADL) représentent plus du tiers (37,14 %) des
effectifs présents en Algérie (54 880). Très vite, le clivage entre les sous-
officiers de métier et les autres tend à s’effacer au sein des unités. Ce
phénomène n’est pas nouveau et rappelle l’amalgame réalisé après les
mobilisations de la Grande Guerre et de 1939. Toutefois les sous-officiers
appartenant aux unités d’intervention dont les « réserves générales » se
distinguent de leurs camarades des troupes dites « de secteur » aux missions
moins « exaltantes » ou « valorisantes ». Ces derniers, montrés du doigt en
raison de leur supposée inefficacité et qualifiés parfois de « planqués »,
reçoivent ces critiques comme autant de blessures qui portent atteinte à leur
moral et à la fraternité d’armes vantée et défendue par leurs officiers. De
surcroît, la course aux résultats et aux bilans (pertes en personnels et en
armes de l’adversaire) attise les rivalités entre les régiments en pointe : Alger,
qui craint un embrasement général, demande de frapper fort en réponse au
défi lancé par l’ALN* au courant de l’année 1956. Pour ces cadres « de
contact », les blessures d’amour-propre ne seront pas oubliées et pèseront
dans leurs réactions à la crise d’avril 1961 devenue « révolution des
transistors ». Aussi, un nouveau défi attend les chefs militaires qui doivent
prendre en compte les nouveaux rapports hiérarchiques nés de la guerre
d’Algérie. À l’initiative du ministre des Armées Pierre Messmer*, appuyée
par l’ancien commandant en chef en Algérie, le général Gambiez*, en
avril 1961, la réponse au problème de l’obéissance et de la désobéissance
militaires pendant la guerre d’Algérie est apportée par le décret du 1er octobre
1966 établissant le nouveau règlement de discipline générale de l’armée.
Ainsi, la fin de la présence française en Algérie signe la double disparition du
sous-officier « indigène » et du type de sous-officier hérité de l’armée des IIIe
et IVe Républiques.
André-Paul COMOR
Bibl. : Pierre Carles, Un historique du sous-officier français, SIRPA-Terre,
1988 • Marius Loris Rodionoff, « Crises et reconfigurations de la relation de
l’autorité dans l’armée française au défi de la guerre d’Algérie, 1954-1966 »,
thèse sous la dir. de R. Branche, Paris-1, 2018.

SOUSTELLE, JACQUES (1912-1990)


Le 25 janvier 1955, Pierre Mendès France* remplace Roger Léonard* par
Jacques Soustelle au poste de gouverneur général de l’Algérie. Ce dernier est
un député gaulliste, ancien résistant dans les services secrets et ethnologue
spécialisé sur les Aztèques. Malgré la chute du gouvernement, il est maintenu
dans ses fonctions.
À son arrivée à Alger, le 15 février, il se confronte aux colons* qui
l’accusent de vouloir « brader l’Algérie française ». Il est déjà qualifié de juif
et surnommé « Ben Soussan », bien qu’il soit d’origine protestante
cévenole… Il multiplie les déplacements, notamment dans les Aurès à partir
du 21 février, ce qui lui permet de constater l’ampleur de la tâche pour
endiguer la misère. Pour y parvenir, il s’entoure d’un préfet* proche de
Mendès France, Jacques Juillet, du commandant Vincent Monteil*, ancien
officier* des Affaires indigènes, arabisant et fervent croyant, et de Germaine
Tillion*, qui met en place les centres sociaux éducatifs*. Il réorganise la
police*, notamment du fait de l’utilisation de la torture*, favorise la création
des groupes mobiles de protection rurale (GMPR) et des sections
administratives spécialisées* (SAS). Plus largement, ses projets puisent dans
les travaux du conseiller d’État Maspétiol*, préconisant de développer
l’Algérie. Soustelle réclame au gouvernement une enveloppe immédiate de
5 milliards de francs, obtenue en grande partie. Mais son plan est critiqué par
les milieux activistes et la droite métropolitaine.
Cette opposition et l’extension progressive de l’insurrection le conduisent
à privilégier un sens répressif : adoption de l’état d’urgence* le 3 avril 1955,
et accord en faveur de mesures de responsabilité collective, favorisant
l’arbitraire, en mai. Ses trois proches collaborateurs démissionnent. Il ne reste
plus que l’aile dure de son cabinet, notamment Henri-Paul Eydoux, proche
d’André Achiary. Après le soulèvement du 20 août 1955*, il bascule
irrémédiablement dans la répression.
En janvier 1956, remplacé par le général Catroux, Jacques Soustelle est
acclamé par les Algérois au moment de son départ. Il fonde l’Union pour le
salut et le renouveau de l’Algérie française (USRAF) et œuvre en faveur du
retour au pouvoir du général de Gaulle*, qui le nomme ensuite ministre de
l’Information. Il est élu député sous l’étiquette UNR*, mais il s’oppose de
plus en plus à la politique gaullienne. En décembre 1961, il exprime son
accord avec les actions de l’OAS* avant de fonder le Conseil national de la
Résistance (CNR) favorable à l’Algérie française en mai 1962. Poursuivi par
la justice, il ne rentre en France qu’en 1968. Il revient ensuite en politique,
avant d’être impliqué dans un scandale politico-financier. Il meurt le 6 août
1990.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Christian Desbordes, « Jacques Soustelle et la défense de l’Occident »,
thèse de doctorat sous la dir. de R. Chiroux, université d’Auvergne, 2000.

SPORTISSE, WILLIAM (NÉ EN 1923)


Meyer William Sportisse est né en 1923 à Constantine. Ses grands-
parents, « indigènes » juifs*, ont été faits citoyens par le décret Crémieux en
1870. Sa mère et son père, comptable, élèvent leurs six enfants dans les
langues arabe et française et dans la religion juive.
À la suite de ses deux frères et d’une sœur, communistes depuis l’entre-
deux-guerres, William s’engage au PCA* clandestin sous Vichy. La famille
subit alors les lois antijuives et la répression anticommuniste. En 1941, ses
frères Lucien et Bernard, révoqués de la fonction publique, sont
respectivement interné en France et emprisonné à Alger. Évadé en 1943,
Lucien, résistant, est abattu par des miliciens à Lyon* en 1944. William,
exclu du lycée en 1941, obtient le baccalauréat après le débarquement allié.
Mobilisé en avril 1943, il lutte contre l’antisémitisme dans l’armée puis
participe à la libération de la France.
De retour en Algérie, il devient permanent des organisations de jeunesse
communiste puis du PCA, dont il est élu membre du comité central en 1947.
Il se définit dès 1946 comme un « patriote algérien » et défend des positions
anticolonialistes avancées.
En 1953, clandestin à Budapest sous le nom de Serradj, il prend la
direction d’une émission de radio* en langue arabe. La Voix de
l’indépendance et de la paix soutient les luttes armées au Maghreb et relaie
en novembre 1954 le premier appel du FLN*. Sous pression du
gouvernement français, l’émission cesse à la fin 1955.
De retour en Algérie où le PCA vient d’être interdit, il plonge dans la
clandestinité à Constantine tandis que son épouse et ses deux enfants gagnent
Philippeville. Sous le pseudonyme de Omar, il assure jusqu’en 1962 la
direction du PCA de sa ville natale, qui édite sa propre propagande* et
apporte un soutien matériel à des maquis FLN de la région.
Employé au journal Alger républicain* après l’indépendance, il est fait
citoyen algérien en 1965. Membre de l’Organisation de la résistance
populaire (ORP) contre le coup d’État de juin 1965, il est arrêté en
septembre 1965, torturé, emprisonné sans jugement puis assigné à résidence
jusqu’en 1974. Employé d’entreprises nationales, il prend sa retraite en 1988.
Pressés de partir par des amis qui craignent pour leur vie durant la guerre
civile, sa compagne Gilberte Chemouilli et lui quittent l’Algérie en 1994.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : William Sportisse, Le Camp des oliviers. Parcours d’un communiste
algérien. Entretiens avec Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2012.

SPORTS AUX ARMÉES


L’armée française s’est dotée d’un service central des sports en 1945. En
1949, le paquetage du soldat s’est enrichi d’effets spécifiques : une « culotte
d’entraînement physique », une paire de « sandales » ou d’« espadrilles » et
un « caleçon de bain ». Démarche plus novatrice encore : la création, en
1955, d’une commission « armées-jeunesse », associant des officiers* et des
fonctionnaires à des représentants de mouvements, d’institutions et
d’associations de jeunesse et de sports. Ils doivent étudier les méthodes
nécessaires à la préparation des jeunes gens au passage sous les drapeaux et
renseigner l’armée sur la jeunesse contemporaine. Un Mémento de
l’entraînement physique militaire, réactualisé en 1954, fixe le programme des
séances de sport. Pendant les classes puis lors du « peloton » d’élèves gradés
ou d’élèves officiers, les recrues sont soumises dès le réveil à des exercices
très inspirés des méthodes prônées au début du XXe siècle par le lieutenant de
vaisseau Hébert, théoricien précurseur en la matière. Suit une séance de
course à pied, voire une séance de natation si la garnison dispose d’un bassin,
ce qui reste rare. Le close-combat enseigne aux hommes les procédés pour
neutraliser un ennemi à mains nues. Ils doivent aussi affronter les vingt
obstacles du « parcours du combattant » censés reproduire tout ce qu’ils
peuvent avoir à franchir sur le terrain. Les unités aéroportées, composées de
volontaires, se distinguent car elles préparent à l’épreuve physique et morale
du saut en parachute. La pratique sportive y est plus intense et plus poussée,
avec notamment une « piste du risque » à surmonter. En Algérie, le sport
reste pratiqué dans les garnisons les plus importantes mais il disparaît dans
les secteurs isolés pour des raisons de sécurité. Les sports collectifs aident
cependant à soutenir le moral et renforcer la cohésion. Les matchs, le plus
souvent de football* ou de volley-ball, voire les rencontres avec des
militaires voisins ou des civils locaux, sont très prisés. C’est le moment de
détente apprécié du dimanche après-midi, ceux qui ne jouent pas
s’improvisant supporters. Généralement, le gérant du foyer organise et anime
les « challenges ». Les unités reçoivent des ballons au titre des « matériels de
distraction ». Le Bled* traite de l’actualité sportive, avec les résultats de
championnats ou compétitions en métropole. Il signale aussi la présence de
champions très populaires au sein des troupes, valorisant ainsi le caractère
sensément égalitaire de la conscription et légitimant le combat que mène
l’armée.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Frédéric Médard, Technique et Logistique en Algérie. L’armée
française et son soutien, 1954-1962, Panazol, Lavauzelle, 2004.
SPORTS EN ALGÉRIE
Concomitant du moment colonial, le sport moderne est, à son apparition
en Algérie, une activité essentiellement réservée aux populations d’origine
européenne.
À la fin des années 1850, Constantine accueille ses premières courses de
chevaux. L’institutionnalisation du sport hippique par les Français d’Algérie
répond à leur besoin en termes de loisir mais aussi à une affirmation
patriotique et communautaire, ce qui n’empêche toutefois pas la cooptation
de membres issus de l’élite musulmane urbaine.
Si la création d’associations sportives est, pour l’essentiel, l’œuvre des
Européens, Didier Rey relève une exception notable : celle du Football* club
musulman de Mascara, en mars 1913. Plusieurs sources signalent l’existence
d’autres précurseurs, mais à l’existence plus éphémère, comme l’Étoile
sportive de Duperré en 1910. Néanmoins, ce mouvement amorcé avant la
Première Guerre mondiale s’accélère après le conflit comme l’atteste la
fondation, le 7 août 1921, du Mouloudia club d’Alger.
À Constantine, Abdelhamid Ben Badis soutient la création de plusieurs
clubs de sport. Brahim Amouchi, membre de l’Association des ulémas
musulmans algériens, participe, entre autres, à la fondation du Club sportif
constantinois, le 26 juin 1926, et du Mouloudia olympique constantinois, le
15 décembre 1939. Les équipes nouvellement créées arborent les couleurs et
les symboles rappelant leur identité arabo-musulmane tout en inculquant à
leurs membres des valeurs inspirées de l’islah et du nationalisme* algérien.
Le courant indépendantiste tente d’ailleurs de s’appuyer sur ce
dynamisme associatif qui constitue une pépinière de militants et de cadres.
Brahim Adjami déclare avoir été recruté dans l’Organisation spéciale*,
branche paramilitaire du mouvement créée en 1947, en raison de son
appartenance à la section boxe de l’Union sportive musulmane de Bône,
fondée en 1945.
L’organe du MTLD, L’Algérie libre, comporte d’ailleurs une rubrique
intitulée « Sports et jeunesse ». On peut encore relever qu’en janvier 1950, à
l’occasion de la fête du Mouloud, l’Association des femmes musulmanes
algériennes organise au local de l’Union sportive musulmane algéroise – créé
le 5 juillet 1937 – une distribution de vêtements et un goûter au profit des
victimes de la répression et des nécessiteux.
L’influence du mouvement dirigé par Messali Hadj* est indéniable sur
les joueurs et spectateurs algériens ainsi que l’atteste ce rapport du Service
des liaisons nord-africaines* daté du 9 juin 1947 : « On rapporte qu’à l’issue
de son match contre l’Union sportive de Blida, match gagné par cinq buts à
un, les joueurs et supporters de l’Union sportive musulmane blidéenne ont,
alors qu’ils se trouvaient dans les cars devant les ramener à Blida, entonné
l’hymne messaliste. »
Le déclenchement de l’insurrection armée s’accompagne de la
multiplication d’incidents violents à l’occasion des rencontres sportives. À la
suite de l’annulation de la finale de la coupe de l’Afrique du Nord, devant
opposer en mai 1956 le Sporting club Bel-Abbès à l’Union sportive
musulmane Bel-Abbès, le FLN* appelle les clubs algériens à se retirer de la
compétition, avant de lancer une campagne d’attentats dans les stades.
Pour sa part, le boxeur Chérif Hamia, sacré champion de France en
novembre 1954 puis champion d’Europe en janvier 1957, est appelé, par une
envoyée du FLN, à ne pas offrir le titre de champion du monde à la France,
se laissant ainsi malmener contre toute attente par son adversaire lors du
combat pour le titre, mettant ainsi fin à sa jeune carrière.
Dans le cadre de l’« action psychologique* » destinée à contrecarrer
l’influence des indépendantistes, la création des sections administratives
spécialisées* par les autorités coloniales s’accompagne souvent, à travers le
territoire algérien, de l’ouverture de foyers pour jeunes auxquels sont
proposés formation professionnelle et activités sportives, sous l’égide du
Service de formation des jeunes en Algérie créé par l’armée française en
1958.
De plus, ce nouveau contexte correspond au développement des lendits –
manifestations sportives qui se déroulent en milieu scolaire –, implantés dans
l’entre-deux-guerres en Algérie, plus particulièrement dans le département de
Constantine, afin de favoriser l’accès à l’éducation physique pour les élèves,
avec le soutien de l’Union sportive de l’enseignement du premier degré, et
ainsi vanter les mérites de la politique d’« intégration » chez la jeunesse
scolarisée.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Djamel Boulebier, « Constantine, fait colonial et pionniers musulmans
du sport », Insaniyat, no 35-36, 2007 • Philip Dine et Didier Rey, « Le
football en guerre d’Algérie », Matériaux pour l’histoire de notre temps,
no 106, 2012 • Youssef Fates, « Le club sportif, structure d’encadrement et de
formation nationaliste de la jeunesse musulmane pendant la période
coloniale », in Nicolas Bancel, Daniel Denis et Youssef Fates (dir.), De
l’Indochine à l’Algérie. La jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir
colonial, 1940-1962, La Découverte, 2003.

STATUT DE 1947
Après la Seconde Guerre mondiale, l’architecture institutionnelle de
l’Empire doit être redéfinie. Ainsi est formée l’Union française mais quelle
place peut y avoir l’Algérie ? À la première Constituante, Mohamed Salah
Bendjelloul* défend l’assimilation totale : l’Algérie aurait été une collectivité
territoriale de l’Union, avec un collège unique d’électeurs, hommes et
femmes* confondus – les femmes « musulmanes » sont alors exclues de tout
suffrage. À la seconde Constituante, Ferhat Abbas* propose de faire de
l’Algérie un État associé, avec un Parlement souverain sauf en matière de
défense et de politique étrangère, la transition vers le collège unique devant
être organisée. Le cas algérien est cependant systématiquement disjoint des
autres. Le 27 mai 1946, la loi Lamine-Gueye, qui proclame citoyens tous les
ressortissants d’outre-mer, ne concerne que les élections* à l’Assemblée
nationale en Algérie. Celle-ci est en outre inclassable dans la typologie des
territoires composant la République française, selon la Constitution du
27 octobre 1946 : France métropolitaine, départements et territoires d’outre-
mer, territoires et États associés. L’Algérie n’est rien de tout cela.
L’élaboration d’un statut spécifique est donc nécessaire. En 1947, les
propositions sont nombreuses (six), les débats longs et houleux. Principale
innovation du Statut voté le 20 septembre 1947 : une assemblée algérienne*
est créée mais elle reste élue en deux collèges et les représentants du premier
collège la dominent. Pour Tayeb Chenntouf, faisant sienne la remarque d’un
journaliste de l’époque, le statut vient dix ans trop tard pour les nationalistes,
un siècle trop tôt pour les colons*.
Qu’aurait changé un autre statut, du point de vue de l’histoire de la
guerre ? Celle-ci n’aurait-elle pas pu être évitée, avec une refonte
institutionnelle conforme aux principes démocratiques ? Les Algériens, le cas
échéant, auraient pu élire des représentants en mesure d’exprimer leurs
aspirations et de les libérer de la tutelle coloniale d’une autre façon.
L’histoire de l’Algérie elle-même, marquée par l’exclusivisme qu’a imposé le
FLN* au nom de l’union sans faille dans la lutte armée, pour remporter la
victoire, aurait pu en être transformée.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Tayeb Chenntouf, « L’Assemblée algérienne (1947-1956) », thèse de
doctorat de 3e cycle sous la dir. de X. Yacono, faculté des lettres et sciences
humaines de Paris, 1969 • Ivo Rens, L’Assemblée algérienne, Pedone, 1957.

STEINER FIORIO, ANNIE (1928-2021)


« La révolution algérienne, un coup de tonnerre », voilà comment Annie
Steiner percevait le déclenchement de la révolution. Née le 7 février 1928 à
Marengo, wilaya de Tipaza, Annie est issue d’une vieille famille de pieds-
noirs* et a grandi dans un milieu catholique modeste de fonctionnaires. En
décembre 1951, elle épouse Rudolf Steiner et aura avec lui deux filles. Le
1er novembre 1954*, elle a 26 ans et travaille à la bibliothèque des centres
sociaux, à Alger. À cette époque, elle n’est affiliée à aucun parti politique ni
association. Quand la révolution éclate, elle cherche à s’engager au FLN*.
Elle est recrutée comme agent de liaison. Son origine européenne lui permet
de porter des plis, des couffins, sans éveiller les soupçons – pas même dans
sa famille. Elle joue un rôle, notamment, dans la signature des accords FLN-
PCA* intervenus pendant l’été 1956. En octobre de la même année, Annie
Steiner est arrêtée, avant d’être jugée fin mars 1957 et condamnée à cinq ans
de prison*. Son incarcération provoque la déchirure dans les relations
familiales : rupture avec le mari et les membres de la famille, et séparation
avec ses deux enfants. Elle passera plus de cinq années de sa vie dans six
prisons : trois en Algérie (Barberousse, Maison-Carrée, Blida) et trois en
France (Paris, Rennes, Pau). Elle y rencontre d’autres détenues et des amitiés
se tissent avec des moudjahidates*. Elle participe avec ses compagnes de
lutte aux grèves de la faim et à toutes les actions permettant de continuer le
combat en prison. Son engagement est en faveur de la cause des opprimés,
des parias et de tous les laissés-pour-compte du système colonial. Libérée en
1961, elle ne retourne en Algérie qu’en octobre 1962 seule, sans un sou,
abandonnée par sa famille d’origine mais aussi par son mari qui gardera ses
filles.
À l’indépendance, elle intègre le secrétariat général du gouvernement, où
elle fait toute sa carrière professionnelle. En 1963, elle fait partie des
premiers Européens qui acquièrent la nationalité* algérienne. Avec d’autres
moudjahidates, Annie Steiner s’implique dans des luttes pour le respect des
droits des femmes*, s’investit à la suite des événements du 5 octobre 1988 et
participe à une enquête contre les violences faites aux femmes. Elle
s’exprime comme d’autres moudjahidates par devoir de mémoire, pour lutter
contre l’oubli et pour parler des anonymes qui ont permis la victoire.
Karima RAMDANI
Bibl. : Hafida Ameyar, La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner. Une vie pour
l’Algérie, Alger, Les Amis de Abdelhamid Benzine, 2011 • Djamila Amrane,
Des femmes dans la guerre d’Algérie, Karthala, 1994 • Andrée Dore-
Audibert, Des Françaises d’Algérie dans la guerre de libération. Des
oubliées de l’histoire, Karthala, 2000.

STORA, BENJAMIN (NÉ EN 1950)


Benjamin Stora est assurément l’historien le plus reconnu sur l’histoire de
la Guerre d’indépendance algérienne, de la colonisation et des mémoires de
cette période. Né le 2 décembre 1950 à Constantine dans une famille juive
d’Algérie, il est le témoin de violences pendant la guerre. Ses parents
s’exilent en France en juin 1962, ce qui conduit à un déclassement familial :
la famille vit à Sartrouville, sa mère travaillant à l’usine. Lui subit des
quolibets quant à son accent. La politique constitue un très puissant moyen
d’intégration : à 17 ans, au moment de Mai 1968, il s’engage dans
l’Organisation communiste internationaliste (OCI), parti trotskiste* de
tendance lambertiste fondé en 1953. Il devient un militant de premier plan au
cours des années 1970, ce qu’il raconte dans La Dernière Génération
d’octobre (Stock, 2003). Bien qu’il suive certains de ses camarades au PS
après la victoire de François Mitterrand*, il s’éloigne de la politique à la fin
des années 1980, à la suite du décès de sa fille emportée par un cancer à l’âge
de 12 ans.
Parallèlement, il a commencé une thèse sur Messali Hadj* sous la
direction de Charles-Robert Ageron*, qu’il soutient à l’EHESS en 1978. Elle
est publiée sous le titre Messali Hadj : pionnier du nationalisme algérien (Le
Sycomore, 1982). Puis Benjamin Stora élabore un Dictionnaire biographique
de militants nationalistes algériens, 1926-1954 (L’Harmattan, 1985), qui lui
sert pour sa thèse de sociologie, soutenue à l’université Paris-7 en 1984. Il
devient maître de conférences en 1986, à l’université Paris-8. Sa thèse d’État,
soutenue en 1991, lui permettant de devenir professeur des universités, porte
sur l’immigration des Algériens et a été publiée sous le titre Ils venaient
d’Algérie. L’immigration algérienne en France (1912-1992), aux éditions
Fayard en 1992 et Hachette en 2005. Dans le contexte des émeutes
d’octobre 1988 en Algérie et de la montée du fondamentalisme islamiste, il a
l’idée de créer un centre universitaire spécialisé sur le Maghreb : l’institut
Maghreb-Europe, codirigé par René Gallissot*, est ouvert en 1990 à
l’université Paris-8. Il publie dans le même temps son maître-livre, La
Gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie (La Découverte,
1991), consacré à l’histoire des mémoires de ce conflit. À la même période
sort la série de quatre documentaires Les Années algériennes, qu’il réalise
avec Bernard Fabre et Philippe Alfonsi, et qui est diffusée sur France 2 en
septembre-octobre 1991. Le documentaire fait l’objet de critiques qui lui
reprochent de renvoyer dos à dos les belligérants du conflit et de faire un film
« colonialiste », mais aussi des partisans de « l’Algérie française », qui
qualifient ce film d’anticolonialiste et de faire la part belle aux nationalistes
algériens. L’extrême droite qualifie d’ailleurs facilement Benjamin Stora
d’« historien du FLN* ».
Benjamin Stora fait un infarctus en plein cours à l’université en 1995.
Après sa période de convalescence, menacé de mort par des fondamentalistes
islamistes, il décide de poursuivre ses recherches à Hanoï en 1996-1997, d’où
il ramène le livre Imaginaires de guerre. Algérie – Vietnam. En France et aux
États-Unis (La Découverte, 1997). Il part ensuite à New York en 1998 et à
Rabat, au centre Jacques-Berque de 1998 à 2002. À son retour en France, il
enseigne à Sciences-Po, puis à l’Institut national des langues et civilisations
orientales (Inalco) et enfin à l’université Paris-13. Poursuivant parallèlement
son travail d’écriture, avec une quarantaine d’ouvrages à son actif, qu’il
ouvre notamment aux relations entre les juifs* et les musulmans avec
Abdelwahab Meddeb (Histoire des relations entre juifs et musulmans des
origines à nos jours, Albin Michel, 2013), il participe à la réalisation de
nombreux documentaires et œuvres filmiques, et est le commissaire général
de plusieurs expositions, dont « Juifs d’Orient » à l’Institut du monde arabe
(IMA) en 2022. En 2013, il devient inspecteur général de l’Éducation
nationale, puis il est nommé en 2014 président du Conseil d’orientation du
Palais de la Porte dorée, qui comprend le musée national d’Histoire de
l’immigration (MNHI).
Enfin, en juillet 2020, le président de la République Emmanuel Macron*
charge Benjamin Stora d’une mission sur « la mémoire de la colonisation et
de la guerre d’Algérie ». L’historien remet son rapport au président le
20 janvier 2021 (publié sous le titre France-Algérie. Les passions
douloureuses). Ce rapport préconise des mesures concrètes permettant d’aller
dans le sens d’un apaisement des relations avec l’Algérie et d’une
réconciliation des peuples français et algérien. Il est critiqué par certains
comme n’allant pas assez loin, et par d’autres comme allant dans le sens
d’une « repentance* ». Il a contribué à instituer une commission Mémoires et
vérité pour mettre en œuvre les 22 préconisations, dont plus de la moitié ont
été réalisées et dont certaines sont encore en cours, comme l’Office franco-
algérien de la jeunesse et le musée de la France et de l’Algérie, qui doit ouvrir
ses portes à Montpellier. Il est reçu le 4 juillet 2022 par le président algérien
Abdelmadjid Tebboune qui lui suggère la mise en place d’une commission
mixte entre historiens français et algériens pour une écriture scientifique de
l’histoire de la colonisation française.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Benjamin Stora, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre
d’Algérie, La Découverte, 1991 • —, Une mémoire algérienne, Bouquins,
2020 • —, France-Algérie. Les passions douloureuses, Albin Michel, 2021.

STRESS POST-TRAUMATIQUE,
TROUBLES DU
Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) ou post-traumatic stress
disorder (PTSD) sont des troubles psychiatriques pouvant apparaître après un
événement traumatisant, comme un accident, une catastrophe naturelle, ou
encore une agression, un attentat ou des combats militaires. Autant dire que
les TSPT ont largement eu l’occasion de se répandre pendant la Guerre
d’indépendance algérienne. Néanmoins, si les TSPT dans les guerres sont
connus depuis l’Antiquité et si la prise en compte de la psychiatrie dans les
guerres s’est accrue au cours du XXe siècle, les TSPT ont véritablement
commencé à être pris en compte à partir de la guerre du Vietnam (Richard
A. Gabriel, Il n’y a plus de héros. Folie et psychiatrie dans la guerre
moderne, Albin Michel, 1990). De ce fait, ils n’ont pas été mesurés ni pris en
compte pour le cas algérien. Les TSPT peuvent en règle générale toucher 5 à
12 % de la population et jusqu’à 25 % des combattants. Ils se traduisent par
des flash-back faisant revivre la scène traumatique et paralysant la victime,
des évitements pour ne pas avoir à revivre le trauma qui renforce au contraire
la peur initiale, des troubles de l’humeur pouvant aboutir à une
hypervigilance, une irritabilité, des difficultés de concentration et des troubles
du sommeil. Ces troubles se développent quelques jours après l’événement
traumatique mais parfois plus progressivement. Environ 20 % des personnes
atteintes développent des formes chroniques.
En ce qui concerne le cas de la Guerre d’indépendance, la population
algérienne, largement touchée par la guerre, a de ce fait été concernée par les
troubles psychiatriques. Frantz Fanon* et son équipe à l’hôpital de Blida,
jusqu’en 1956, puis en Tunisie*, ont ainsi été amenés à soigner de nombreux
Algériens, dont le psychiatre relate plusieurs séries de cas dans Les Damnés
de la terre (Maspero, 1961). La victoire avec l’accession à l’indépendance en
1962 et la nécessité de reconstruire le pays ont conduit à ce que les troubles
psychiatriques en Algérie ne soient pas l’objet d’une prise en compte
prioritaire, même si Anne Beaumanoir (dite Annette Roger), Anne Leduc ou
encore Alice Cherki se sont occupées de ces troubles à la clinique
psychiatrique de L’Hermitage dès 1962. L’ampleur des troubles
psychiatriques en Algérie reste cependant inconnue.
Les victimes d’attentat, françaises ou algériennes, durant la Guerre
d’indépendance ont été dans des conditions favorisant l’apparition de TSPT.
Il est là aussi impossible de savoir combien de personnes ont pu en être
atteintes. Parfois, la fiction rend bien compte du phénomène. Tel est ainsi le
cas avec le film de Nicole Garcia, Un balcon sur la mer (2010), avec Jean
Dujardin, qui concerne notamment les phénomènes d’occultation et
d’évitement. Pour les Français d’Algérie et les familles de harkis*, le
« rapatriement* » (ou l’exode ou l’exil) constitue un événement qui a
traumatisé de nombreuses personnes. Cela a ainsi conduit à de nombreux
phénomènes d’évitement pour ne pas avoir à parler de ces événements, et
pouvait amener à des manifestations d’hyperémotivité lorsque le sujet
apparaissait, par exemple lors des réunions familiales. Là aussi, la fiction
rend bien compte de ces phénomènes, comme les bandes dessinées* Les
Pieds-noirs à la mer de Fred Neidhardt (Marabulles, 2013) ou L’Algérie,
c’est beau comme l’Amérique d’Olivia Burton et Mahi Grand (Steinkis,
2015).
Les TSPT sont mieux connus et appréhendés pour les anciens
combattants d’Algérie. Pourtant, parmi les 60 000 soldats blessés de la guerre
d’Algérie reconnus par les autorités françaises, peu d’entre eux sont des
victimes de troubles psychiatriques. Or, parmi les personnes internées dans
les hôpitaux psychiatriques figuraient beaucoup d’« anciens d’Algérie ».
L’ampleur du phénomène a amené le psychiatre Bernard W. Sigg, lui-même
réfractaire* de la guerre d’Algérie, à vouloir l’analyser dans Le Silence et la
Honte. Il montre ainsi que peuvent exister des troubles immédiats, par
exemple des cas de « désertion-fugue » (Tramor Quemeneur, Une guerre
sans « non » ?, 2007) où les soldats errent en ayant perdu tout contact avec la
réalité. Bernard Sigg détaille davantage les troubles retardés, avec de
nombreux cas d’angoisse névrotique accompagnée de cauchemars,
d’agressivité, d’intolérance et de difficultés sexuelles. Cela peut aussi passer
par des phénomènes dépressifs pouvant conduire au suicide (dont le nombre
pendant la guerre d’Algérie est inconnu, a fortiori après la guerre, dans ses
conséquences). Ces troubles peuvent conduire à des prises de drogues dont la
plus fréquente fut évidemment l’alcool. Les troubles psychiatriques
favorisent en effet l’alcoolisme et celui-ci les masque souvent. Certains
anciens d’Algérie ont encore plongé dans des bouffées délirantes, ou ont
souffert de troubles psychosomatiques (ulcères, colites) ou somato-
psychiques (infirmité ayant des conséquences psychiques par exemple).
Au total, il existe d’importants troubles post-traumatiques de la guerre
d’Algérie, qui conduisent à de véritables « troubles de la mémoire ». Or,
ceux-ci peuvent aussi se transmettre de génération* en génération.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Louis Crocq, Les Traumatismes psychiques de guerre, Odile Jacob,
1999 • Pierre Gagnepain (en collaboration), « Troubles du stress post-
traumatique. Quand un souvenir stressant altère les mécanismes de
mémorisation », inserm.fr, 23 novembre 2020, disponible en ligne •
Bernard W. Sigg, Le Silence et la Honte. Névroses de la guerre d’Algérie,
Messidor, 1989.

SUEZ, EXPÉDITION DE
Le 19 juillet 1956, Washington cesse de financer le barrage d’Assouan
pour sanctionner l’Égypte* d’avoir reconnu la Chine* communiste et adhéré
au pacte de Bagdad. Moscou refusant d’apporter des capitaux, le 26, le
colonel Nasser nationalise le canal de Suez, propriété d’une compagnie
franco-britannique. Si les Occidentaux s’inquiètent de voir cette artère vitale
pour leurs économies passer aux mains du leader du panarabisme, les griefs à
l’encontre du Raïs vont bien au-delà : Paris l’accuse de soutenir les insurgés
algériens et Londres le soupçonne de vouloir s’allier aux Soviétiques. À
l’initiative des États-Unis*, du 16 au 23 août, une conférence réunit les pays
utilisateurs du canal. Elle propose son placement sous contrôle international
que l’Égypte, logiquement, rejette. Une seconde conférence échouant
également, Paris et Londres saisissent le Conseil de sécurité de l’ONU* le
23 septembre. Leur démarche est purement formelle puisque les deux pays
ont déjà envisagé l’option militaire en planifiant une expédition conjointe,
l’« Opération 700 ». Les Britanniques apportent leurs bases navales et
aériennes de Malte et de Chypre, une centaine de bâtiments de la Royal Navy
et 50 000 hommes. Pour ne pas dégarnir l’Algérie, les Français s’en tiennent
à 30 000, avec une cinquantaine de navires. Un commandement intégré est
prévu mais Paris maintient son propre état-major. Si la fermeté domine en
France à l’égard de l’Égypte, les Britanniques sont plus divisés et les Français
craignent une défection. D’ailleurs, dans cette hypothèse, Paris recherche le
concours d’Israël* et l’arme secrètement. Londres, qui souhaite ménager les
pays arabes, refuse une participation de Tel-Aviv avant de l’accepter.
Concrètement, après avoir envisagé de débarquer à Alexandrie pour
s’emparer du Caire, les deux pays finissent par opter pour une prise du canal.
Ce choix nécessite moins de moyens. Le plan définitif est arrêté le
14 octobre : une attaque israélienne dans le Sinaï servira de prétexte pour
adresser un ultimatum aux belligérants et l’intervention franco-anglaise fera
suite au refus de Nasser, parfaitement prévisible. Le 24 octobre, un accord
tripartite secret est conclu à Sèvres sur cette base, les assaillants misant sur
l’inaction de l’URSS*, confrontée au soulèvement hongrois, et des États-Unis
en pleine campagne présidentielle. Tsahal attaque le 29 octobre, bousculant
les forces égyptiennes. Le lendemain, Paris et Londres lancent leur ultimatum
et, seul l’État hébreu obtempérant, bombardent les positions égyptiennes le
31 octobre.
Le 2 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution
américaine prescrivant un cessez-le-feu. Le 3, les Égyptiens coulent des
bateaux dans le canal pour le rendre impraticable. Le 4, l’ONU renouvelle sa
demande de cessez-le-feu et décide l’envoi d’une force internationale
d’interposition. Le 5, ignorant ces appels, Paris et Londres lancent leurs
parachutistes* sur Port-Saïd et Port-Fouad (opération Amilcar). Au même
moment, l’Union soviétique, qui est intervenue à Budapest, propose à
Washington une action militaire conjointe visant la France et la Grande-
Bretagne, ce que le président Eisenhower décline. Si ce dernier ne veut pas
fracturer l’alliance occidentale, il fait néanmoins pression sur Londres en
attaquant la livre sterling. Et tandis que Nasser accepte le déploiement de
casques bleus, le Kremlin prend une seconde initiative plus ferme encore en
menaçant les trois pays agresseurs de représailles sur leur territoire. Dans un
premier temps, la France et le Royaume-Uni n’en tiennent pas compte
puisque le 6 au matin un assaut amphibie est lancé sur Port-Saïd, avec pour
objectif El Kantara, à 40 kilomètres au sud. Mais face à une activité
menaçante de l’aviation et de la flotte soviétiques à la frontière turque, Paris
et Londres doivent accepter quelques heures plus tard le cessez-le-feu qui est
effectif le 7. Le 15 novembre, la force multinationale entame son déploiement
sur la ligne d’armistice, les forces franco-britanniques achevant leur retrait le
23 décembre 1956.
Dans le contexte de la guerre d’Algérie, l’expédition est l’un des épisodes
majeurs du désaveu de la France sur la scène internationale. Outre le soutien
de Nasser aux Algériens, l’opération a été conçue au motif de sauver la
présence occidentale dans l’ensemble du nord de l’Afrique, du Maghreb à
l’Égypte. Selon Samya El Mechat, le ministre français des Affaires
étrangères, Christian Pineau avait déclaré à son homologue américain :
« Nous ne disposons que de quelques semaines pour sauver l’Afrique du
Nord, qui échapperait au contrôle et à l’influence européenne. »
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Denis Lefebvre, L’Affaire de Suez, 1956, Bruno Leprince éditeur,
1996 • —, Les Secrets de l’expédition de Suez, 1956, Perrin, 2010 • Samya El
Machat, Les États-Unis et l’Algérie. De la méconnaissance à la
reconnaissance, 1945-1962, L’Harmattan, 1996.

SUISSE
Après la Seconde Guerre mondiale, la Confédération helvétique est
isolée. Sans être vaincue, elle est critiquée pour ses relations économiques
constantes avec le IIIe Reich et son application restrictive du droit d’asile.
Son « rattrapage humanitaire » (Jean-Claude Favez) ne fait pas illusion. Les
banques suisses bloquent les enquêtes sur les avoirs de victimes du régime
nazi. Dans ce contexte, la Suisse met tout en œuvre pour préserver sa
neutralité et conquérir des marchés. Elle adhère ainsi au plan Marshall et
participe à l’Organisation européenne de coopération économique (OECE).
« Métropole coloniale sans empire » (Patrick Minder), elle profite
paradoxalement de la décolonisation pour réintégrer le concert des nations et
démontrer la « réelle utilité de sa neutralité » (Damien Caron). Depuis
l’entre-deux-guerres, le pays accueille des militants nationalistes algériens,
souvent de premier plan. Ainsi, Ahmed Ben Bella* et d’autres fondateurs du
FLN* y ont tenu des réunions clandestines, en prélude au déclenchement de
la Toussaint rouge. Cependant, plus de 2 000 Suisses vivent en Algérie, la
Confédération helvétique veille donc à ménager les autorités françaises sans
hypothéquer ses intérêts sur place.
Les tensions diplomatiques, toutefois, sont nombreuses, en raison des
activités du FLN et de ses réseaux de soutien de « porteurs de valises* » (en
particulier le « réseau Jeanson* »). La Fédération de France* du FLN compte
suffisamment de militants étudiants* ou salariés pour faire de la Suisse* une
région administrative qui lui est rattachée. Le FLN privilégiant les
établissements suisses pour la gestion de l’impôt révolutionnaire, le secret
bancaire est également source de tensions entre Berne et Paris. Par ailleurs, le
réseau Jeune Résistance, qui regroupe des réfractaires* et des déserteurs
français, opère depuis la Suisse tandis que des éditeurs (La Cité, par exemple)
publient des ouvrages censurés en France. Comme en Belgique*,
l’enrôlement de ressortissants dans la Légion étrangère* suscite l’indignation
du Conseil fédéral. Nonobstant, la coopération policière et judiciaire entre les
deux pays se maintient. En 1961, ce jeu constant d’équilibriste permet à la
Suisse d’organiser des réunions informelles entre le gouvernement français et
le GPRA*, lesquelles permettent d’aboutir aux accords d’Évian*. À bien des
égards, le 19 mars 1962* scelle la réintégration définitive de la Suisse parmi
les puissances diplomatiques.
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, « Les espaces de voisinage dans les conflits de
décolonisation : le cas de la Suisse pendant la guerre d’indépendance
algérienne », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 97-98, no 1-2,
2010 • Damien Caron, La Suisse et la guerre d’indépendance algérienne
(1954-1962), Lausanne, Antipodes, 2013 • Patrick Minder, « La construction
du colonisé dans une métropole sans empire : le cas de la Suisse (1880-
1939) », Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines, La Découverte,
2004.

SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE


Depuis l’Antiquité, le recrutement de troupes auxiliaires est un
phénomène classique pour une armée en campagne. Au-delà des phases
d’affrontement armé, la sous-traitance du maintien de l’ordre par des
autochtones est tout autant une tradition de la domination impériale. Suivant
cette logique, l’armée française mobilisa entre 1954 et 1962 des miliciens
ruraux au côté des unités régulières dès les premières semaines du conflit. Le
langage populaire a conservé la trace de l’indistinction entre ces différentes
unités : ils étaient communément appelés « goumiers ». Du Maroc* à
l’Algérie, depuis le XIXe siècle, les « goumiers » étaient en effet les auxiliaires
autochtones des forces de l’ordre. Entre 1954 et 1962, jusqu’à cinq
différentes catégories d’unités auxiliaires ou « supplétives » furent
constituées en Algérie, majoritairement ou exclusivement algériennes, à côté
d’une unique formation supplétive européenne : les unités territoriales*.
Groupes mobiles de police rurale GMPR (devenus groupes mobiles de
sécurité GMS – en 1958), makhzens, aassès, harkas et groupes d’autodéfense
(GAD) avaient le point commun d’être recrutés localement, c’est-à-dire de
servir à proximité de leur lieu de vie, et d’être considérés le plus souvent
comme des soldats de seconde zone, mal armés, suspects de connivence avec
l’ennemi. Comme les Algériens en service dans les unités régulières, il était
interdit aux auxiliaires d’utiliser des armes collectives (fusils-mitrailleurs, par
exemple) ou de garder seuls les postes. En théorie, ils ne conservaient pas
leur armement en dehors des opérations. Ils signaient des contrats courts
(quelques mois pour les GMS et les mokhaznis, harkis*), renouvelables, ou
pouvaient ne pas laisser de trace écrite à leur engagement (GAD, harkis). Les
catégories d’auxiliaires différaient néanmoins par leurs fonctions et leurs
logiques d’engagement opérationnel. Leur efficacité militaire était par
définition extrêmement variable, mais leur principal apport dépassait ce seul
aspect.
« Harkis », « mokhaznis », etc. étaient des mots qui définissaient des
formes modernes d’engagement, mais s’inscrivaient aussi dans un lexique
traditionnel impérial. Comme le terme « goumier », ils rappelaient – en
réinventant dans le même temps – une tradition.
Pendant la Guerre d’indépendance algérienne, le recours massif aux
auxiliaires algériens par l’armée française dépasse en effet les cadres
classiques du maintien de l’ordre colonial : pour les militaires convaincus des
doctrines de la guerre révolutionnaire*, il s’agissait, en distribuant des armes
à des centaines de milliers d’Algériens, de construire « l’Algérie nouvelle »,
favorable à la France et d’engager le plus largement possible la population
rurale algérienne dans le conflit. En armant massivement des paysans,
l’armée française a inscrit la guerre au cœur même des communautés
villageoises, instrumentalisant et amplifiant les conflits qui pouvaient y
préexister.
Politiquement et « psychologiquement », les auxiliaires manifestaient de
façon tangible le « ralliement » des populations algériennes au côté de la
France – un « choix de la France », une « fidélité » toujours vantée soixante
ans après la fin de la guerre. Les archives* audiovisuelles conservent de
nombreuses traces de ces cérémonies de remise d’armes, organisées lors de la
« mise en autodéfense » d’un village – témoignage du ralliement des
« Français musulmans ». Entre 1958 et 1960, l’armée étudie différents projets
visant à donner un contenu politique à l’engagement dans les unités
auxiliaires – elles se soldent par autant d’échecs.
Au plus fort de leur engagement, les supplétifs algériens furent entre
100 000 et 120 000. Les registres militaires manquant de précision, on ne
peut qu’estimer imparfaitement le nombre total d’Algériens passés par l’une
ou l’autre des unités entre 1954 et 1962 : au minimum 200 000, au maximum
400 000. Malgré l’imprécision, rapportés à la population rurale masculine,
ces chiffres incitent à ne pas considérer cette expérience comme un simple
épiphénomène de la politique française du maintien de l’ordre en Algérie,
mais à l’inscrire dans l’histoire économique et sociale du monde rural durant
la Guerre d’indépendance. Ainsi, dans Le Déracinement (Minuit, 1964),
Pierre Bourdieu* et Abdelmalek Sayad* ont montré que pour certains
villages de Kabylie, la part des revenus monétaires apportée par les
auxiliaires était proche de celle issue des transferts de l’émigration* – soit
environ un tiers des revenus d’une communauté villageoise.
Mais du point de vue des supplétifs eux-mêmes, qu’est-ce qui a bien pu
expliquer le succès des recrutements ? Pourquoi s’engager ? Les causes sont
multiples, bien sûr. Les bouleversements économiques et sociaux nés de la
guerre – paupérisation et déclassement – se mêlent à des traditions plus
anciennes, mais aussi à des fractures sociales, parfois familiales. Les archives
militaires françaises ne laissent jamais imaginer de difficulté pour trouver des
candidats. Les supplétifs avaient-ils conscience au moment de leur
engagement de rejoindre indéfectiblement un camp contre un autre ? On peut
en douter. Les discours militants, les identités issues de 1962 figent et
sclérosent les antagonismes, négligent les zones grises du conflit, les allers et
retours, les différentes possibilités de composer avec un engagement. Entre
une population qui reste et une population qui part, c’est bien l’après-guerre
qui transforme un contrat temporaire en identité, transmise aux générations*
suivantes. Loin de clore l’histoire des désormais ex-auxiliaires de l’armée
française, 1962 marque le point de départ d’un nouveau récit.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les Harkis dans la
colonisation et ses suites, L’Atelier, 2008 • François-Xavier Hautreux, La
Guerre d’Algérie des harkis (1954-1962), Perrin, 2013.

SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, AASSÈS
Les aassès sont des unités supplétives formées à la fin de l’année 1960,
qui disparaissent officiellement un an plus tard. On retrouve toutefois des
auxiliaires servant sous ce statut jusqu’à la fin du conflit. La dénomination
(qui connaît différentes orthographes) renvoie au terme arabe qui signifie
« gardiens ».
L’apparition tardive des aassès dans le conflit est une conséquence de la
disparition des unités territoriales* (UT). Une minorité d’Algériens servait en
effet au sein des UT – quelques centaines avant 1958, un peu moins de 8 000
fin 1959. L’intégration d’Algériens dans les UT répondait après mai 1958 à
un objectif de propagande* explicite – Raoul Salan* écrivait ainsi en juin à
Pierre Guillaumat, ministre des Armées, qu’il s’agissait ainsi de « souder
effectivement les deux communautés, Français de souche européenne et
Français de souche nord-africaine ». Après la dissolution des UT, il n’est pas
question pour l’état-major de se passer de ces auxiliaires.
Le commandement dénombre jusqu’à 5 500 aassès en 1961. Outre les
anciens membres des UT, une partie des aassès étaient auparavant des
harkis*. Leur statut et leur salaire sont en effet identiques. Ils ne s’en
distinguent que par l’origine de leur financement (crédits civils pour les
harkis, crédits du ministère des Armées pour les aassès) et par certaines
facilités offertes aux aassès souhaitant s’engager dans l’armée régulière. Au-
delà du service effectué, certains aassès doivent donc être considérés comme
des sortes de supplétifs de papier, dont l’existence relève des méandres
parfois kafkaïens de l’administration de l’armée française en Algérie : dans le
cadre de la réduction des effectifs harkis en 1961, la transformation
temporaire d’un harki en aassès lui permet en effet d’acquérir des droits
d’ancienneté en cas d’engagement dans l’armée régulière.
Les missions remplies par les aassès sont relativement mieux définies que
celles des harkis. Il s’agit en effet, à la suite des UT, d’un rôle essentiellement
statique : surveillance de « points sensibles », d’axes de communication, de
bâtiments publics ou privés (installations agricoles, notamment), etc.
Comparés aux autres unités auxiliaires, les aassès furent celles qui
rencontrèrent le moins de succès. Dans la perspective de la fin des combats,
la suppression de ces unités fut la plus rapide à mettre en œuvre. Les aassès
disparaissent administrativement le 8 novembre 1961, et la plupart des
intéressés signent des contrats de harkis.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis (1954-
1962), Perrin, 2013 • Marie Dumont, « Les unités territoriales », in Jean-
Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Militaires et guérilla dans la guerre
d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001.

SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, COMMANDO « GEORGES »
Le commando « Georges » est un commando de chasse, engagé entre
février 1959 et avril 1962. Il tire son nom de l’homme qui le commande : le
lieutenant Georges Grillot. Ancien d’Indochine* où il a commandé une
section de « partisans » vietnamiens, Grillot est en 1959 officier* au
3e régiment de parachutistes coloniaux (RPC) dirigé par Marcel Bigeard*,
commandant le secteur militaire de Saïda.
Le commando « Georges » est exceptionnel à plus d’un titre. Par sa
composition tout d’abord. « Georges » ne recrute dans son commando que
des Algériens, sous statut harki*. Une partie des membres du commando sont
d’anciens membres du FLN* « ralliés » – la légende du commando veut que
tous ses membres le soient. Ainsi Youcef Ben Brahim, le plus proche adjoint
de Grillot, se présente comme un ancien commissaire politique du FLN
recruté lors de son séjour au centre de tri et de transit* de Saïda.
Par son organisation interne ensuite : comprenant jusqu’à 250 hommes en
1960 (contre une centaine pour un commando de chasse classique),
« Georges » adopte une structure mimant celle de l’ALN* : ses sections sont
surnommées katibas et des « commissaires politiques » encadrent les
hommes. Payés comme les autres harkis, les chefs de groupe reçoivent des
primes « au rendement ».
Par son activité enfin : le commando « Georges » est utilisé par le
commandement comme un groupe d’intervention à l’échelle du secteur, puis
de tout le corps d’armée d’Oran. Unité bien équipée, au bilan opérationnel
impressionnant, décorée par de Gaulle* lui-même, célébrée dans différentes
publications et reportages télévisés dès l’été 1959, elle s’est également rendue
célèbre par sa brutalité – des méthodes violentes reconnues et justifiées au
nom de l’efficacité et des « mœurs » algériennes.
Ses membres connaissent les mêmes conditions de démobilisation que les
autres harkis en 1961-1962, entre engagement dans l’armée, désertions,
désarmement et licenciements. Le commando « Georges » est officiellement
dissous en avril 1962. Une partie de ses anciens membres sont enlevés et
exécutés.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : Général Robert Gaget, Commando Georges, des harkis de feu,
Jacques Grancher, 1990 • François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des
harkis (1954-1962), Perrin, 2013 • Pascal de Pautremat, « Le commando
Georges, de la contre-guérilla à la tragédie (1959-1962) », in Guerres
mondiales et conflits contemporains, t. I, no 213, 2004.

SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, GROUPES D’AUTODÉFENSE
(GAD)
Les groupes d’autodéfense (GAD) sont des unités auxiliaires constituées
d’hommes, auxquels l’armée française fournit des armes à feu pour assurer la
défense de leur village.
Confondus avec les harkis* jusqu’à l’été 1956, les membres des GAD
s’en distinguent alors par le caractère statique de leurs missions. Les hommes
qui constituent les GAD ne signent pas de contrat, ne reçoivent pas de solde.
La formation d’une autodéfense s’accompagne néanmoins de certains
avantages : priorité lors des distributions de vivres, recrutement préférentiel
sur les chantiers, autorisations de circuler, aide médicale, etc.
Conséquence du caractère peu formalisé de leur engagement, les
dénombrements produits par l’armée sont souvent imprécis et sujets à
caution. En janvier 1957, le commandement dénombre 141 groupes,
comprenant 3 500 gardes. Fin 1958, ils sont entre 12 000 et 16 000 hommes,
formant 600 groupes. À compter de cette date, la mise en autodéfense de la
population rurale devient un objectif prioritaire du commandement en chef.
L’apogée est atteint fin 1960, avec 62 000 hommes, armés de 28 000 fusils et
répartis dans 2000 GAD.
Dans le discours militaire, la création d’un GAD doit répondre à une
demande formulée par la population elle-même. Dans les faits toutefois, les
GAD relèvent, comme les autres unités auxiliaires, d’une stratégie décidée
par le commandement en chef.
Leur rôle militaire est très limité. L’armement des GAD est médiocre,
constitué d’abord de fusils de chasse, puis d’armes de guerre anciennes
(fusils Lebel). À partir de 1959, le commandement tente de leur conférer un
rôle opérationnel actif, sans grande réussite. Leur intérêt pour l’armée
demeure essentiellement dans le symbole d’une population rurale assurant
elle-même sa protection contre les « rebelles ». Une fois un GAD créé, le
village est considéré comme « rallié ». La mise en scène de ce ralliement,
avec cérémonie et visite d’officiels, témoigne de cette fonction. Avec
l’avancée des négociations* de paix, une telle stratégie devient caduque.
Durant l’été 1961, le désarmement des GAD est entamé, présenté comme une
mesure de sécurité à la suite des « désertions » (lorsque des gardes armés
disparaissaient). Aucune alternative ne leur est laissée. Quelques semaines
après la signature des accords d’Évian*, tous les GAD sont désarmés.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens de l’armée
française pendant la guerre d’Algérie », Vingtième Siècle, no 48, 1995 •
François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis (1954-1962),
Perrin, 2013.

SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE,
GROUPES MOBILES DE POLICE RURALE
(GMPR)/
GROUPES MOBILES DE SÉCURITÉ (GMS)
Les groupes mobiles de police rurale (GMPR), devenus groupes mobiles
de sécurité (GMS) en 1958, sont des unités auxiliaires composées d’une
centaine d’hommes majoritairement algériens, surnommés généralement
« goumiers » ou parfois « Jean-Pierre » (par déformation du sigle GMPR).
Elles sont créées le 14 janvier 1955. Le projet de former de telles unités
est toutefois antérieur au déclenchement de l’insurrection nationaliste. Les
GMPR devaient initialement constituer des unités mobiles, motorisées ou à
cheval, opérant en réserve d’intervention des forces assurant la sécurité dans
les campagnes algériennes. Ils devaient agir en groupe (non fractionnés), de
façon autonome. Le développement de la guerre ne permet toutefois pas de
respecter ces règles d’engagement et il devient très difficile de percevoir des
missions uniformes à l’échelle de l’Algérie. Concrètement, si certains
GMPR/GMS continuent d’assurer des missions d’intervention, d’autres (la
plupart, semble-t-il) participent comme des unités de secteur au quadrillage
du bled, assurant patrouilles, protection des chantiers, ravitaillement des
postes. Ils servent le plus souvent par sections de 20 à 30 hommes.
On dénombre 84 groupes en janvier 1957, rassemblant 4 748 auxiliaires
de police*. Fin 1958, ils sont 9 000 répartis dans 94 groupes. L’effectif
n’augmente guère par la suite. Force civile à l’origine, les groupes passent
sous commandement militaire en mars 1958.
Les GMPR/GMS se distinguent des autres unités supplétives par un fort
encadrement, majoritairement d’origine européenne (officiers* et sous-
officiers* issus de l’armée). Les gardes, quant à eux, sont tous Algériens à la
fin de la guerre. Comparativement aux autres supplétifs, les membres des
GMPR/GMS sont mieux armés (fusils plus modernes, armes à répétition plus
nombreuses), ils sont logés par l’administration avec leurs familles. S’ils
touchent le même salaire de base que les mokhaznis ou les harkis*, ils
bénéficient de certaines primes et avantages sociaux. Le recrutement
s’effectue en priorité parmi les anciens combattants*. Les groupes servent le
plus souvent hors de leur lieu de recrutement.
À la fin de la guerre, les gardes des GMS (environ 10 000 hommes en
mars 1962) sont transférés vers la Force locale* après la signature des
accords d’Évian*. Ils rejoignent alors le sort des membres de cette autorité,
entre désertion et récupération par le FLN* au pouvoir.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis (1954-
1962), Perrin, 2013.

SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, HARKIS
Les harkis* sont des soldats auxiliaires de l’armée française, engagés
dans les campagnes algériennes entre 1955 et 1962. L’étymologie algérienne
e
du terme renvoie au XIX siècle et à une expédition fiscale ou punitive. Il
tombe ensuite en désuétude. Le terme est également en usage au Maroc*, où
son usage s’est maintenu au XXe siècle. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
les harkis marocains sont des auxiliaires temporaires, engagés pour participer
à des opérations de police*, encadrés par des mokhaznis.
En Algérie entre fin 1954 et l’été 1956, différentes initiatives locales font
état de l’engagement de ruraux algériens légèrement armés au côté des unités
françaises pour des opérations à proximité de leurs villages. Le mot
« harkis » est alors utilisé sans exclusive pour désigner ces auxiliaires.
Certaines sources insistent sur le caractère collectif de leur engagement
(« tribal »). Le 7 août 1956, une circulaire signée du ministre résidant
formalise ces initiatives. Elle crée deux nouvelles unités supplétives : les
groupes d’autodéfense (GAD) et les « harkas » (unité regroupant des harkis).
Les harkis sont distingués par leur « participation active aux opérations de
maintien de l’ordre ». Unité civile à l’origine (leur financement le demeure
jusqu’à la fin de la guerre), les harkis passent sous l’autorité effective de
l’armée à compter du 1er juillet 1957.
Auxiliaires souvent définis par le caractère journalier de leur engagement
davantage que par leurs missions, la plupart des harkis ne signent pas de
contrats. Leur solde est équivalente à celle des autres auxiliaires algériens
(750 francs par jour pour un harki du rang, puis 825 francs à partir de 1958),
mais peut être diminuée par différentes retenues (frais d’équipement, de
nourriture, par exemple, jusqu’à la moitié du total). Lors des opérations, les
harkis sont équipés d’armes anciennes prélevées sur les stocks : fusils de
chasse exclusivement entre 1954 et 1957, puis fusils de guerre et armes à
répétition en petit nombre (pistolets-mitrailleurs essentiellement).
Le nombre de harkis ne cesse d’augmenter durant la guerre : on en
dénombre autour de 2 000 en janvier 1957, 28 000 fin 1958 et jusqu’à 60 000
environ entre 1959 et 1961.
Prévus à l’origine comme des auxiliaires mobilisés de façon temporaire,
les harkis doivent pourtant être considérés comme une troupe pérenne dès
1957. Ils effectuent leurs missions dans les campagnes, sur tout le territoire
algérien, le plus possible à proximité de leur lieu de recrutement. Au moment
de leur plus fort emploi, les harkis représentent un appoint susceptible de
compléter les unités. Ils sont souvent intégrés collectivement au dispositif de
quadrillage. Ils partagent le même type d’expérience que les appelés
métropolitains. Certains groupes de harkis peuvent tenir un poste militaire de
façon autonome, voire un quartier de pacification* (échelon de base du
dispositif de quadrillage).
Dès l’origine et jusqu’à la fin de la guerre, des harkis peuvent également
remplir certaines tâches spécifiques (guides, pisteurs, traducteurs, par
exemple). Quelques milliers servent dans des unités d’élite de type
commandos*, dont les « commandos de chasse », créés par Maurice Challe*
fin 1958, fournissent le modèle. Là, les harkis combattent individuellement
ou en petits groupes, intégrés dans les sections de combat ou de
renseignement. Quelques situations rarissimes ont mené à la constitution de
commandos entièrement composés de harkis, comme le commando
« Georges ». Sauf exception, les règles d’emploi des harkis interdisent en
effet les opérations autonomes. Malgré la « confiance » évoquée après-guerre
par certains de leurs anciens chefs, la hiérarchie militaire s’est toujours
méfiée de possibles désertions et multiplie durant toute la durée de la guerre
les mesures de surveillance.
À partir de 1961, le nombre de harkis commence à diminuer. Ils sont, de
fait, le groupe de supplétifs démobilisés le plus tardivement. On compte
encore plus de 40 000 harkis en mars 1962. Après la signature des accords
d’Évian*, trois à quatre mille sont transférés dans la « Force locale* »,
environ le même nombre s’engage dans l’armée régulière, alors qu’aux
alentours de 90 % d’entre eux sont licenciés – une situation qui est
encouragée par la hiérarchie militaire et le gouvernement par le versement de
primes et d’aides diverses.
Le mot « harkis » se charge alors de nouveaux sens, polysémiques. Pour
certains Algériens qui revendiquent leur nationalisme*, il devient un symbole
à même de jeter l’opprobre sur une partie de la population accusée de
collusion avec l’ennemi, une sorte de « parti de la France » qui peut, en
fonction du besoin, désigner d’anciens auxiliaires, policiers ou notables
« profrançais ». Dès le printemps 1962, ces harkis sont parfois arrêtés, parfois
tués, souvent victimes de relégation, privés d’emplois ou d’aides sociales,
leurs terres saisies. Côté français, les nouveaux contours du mot sont
également troubles, désignant parfois l’ensemble des anciens auxiliaires,
parfois les « musulmans menacés » en Algérie, parfois encore des groupes
d’Algériens transférés en France après le printemps 1962.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les Harkis dans la
colonisation et ses suites, L’Atelier, 2008 • François-Xavier Hautreux, La
Guerre d’Algérie des harkis (1954-1962), Perrin, 2013 • Alice Zeniter, L’Art
de perdre, Flammarion, 2017.

SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, MOKHAZNI
Gardes associés aux sections administratives spécialisées* (SAS), les
mokhaznis (ou « moghaznis », qui forment un « makhzen ») constituent une
force de police* rurale sous le commandement d’un officier* des Affaires
algériennes. Leur dénomination renvoie étymologiquement à une force
d’appoint au service du pouvoir. Si le terme tombe en désuétude après la
conquête en Algérie, il continue d’être utilisé au Maroc* et en Tunisie*, où il
désigne à la fois une force supplétive et l’appareil d’État.
Créés en septembre 1955 dans le contexte de la Guerre d’indépendance,
les makhzens sont des groupes formés d’une trentaine d’hommes, recrutés
généralement autour de la SAS parmi la population algérienne. Les candidats
ayant une expérience militaire sont recherchés – celle-ci devient obligatoire à
partir de 1959. Ils signent des contrats de six mois et touchent un salaire de
base de 750 francs par jour en 1955. On dénombre environ 3 500 mokhaznis
en janvier 1957 et jusqu’à 20 000 fin 1959, en service dans 690 SAS.
Les mokhaznis sont chargés en premier lieu de la défense rapprochée du
territoire de la SAS. Rapidement, toutefois, leurs missions se diversifient, en
fonction de l’officier qui les commande. Aux gardes de chantiers et
ouvertures de pistes s’adjoignent alors éventuellement une participation aux
opérations militaires du secteur (ratissages, embuscades*, etc.). Les
mokhaznis peuvent également assister les chefs de SAS dans leur mission de
renseignement, en jouant le rôle de traducteur et, pour certains, de
tortionnaire. Leur armement est comparable à celui des harkis*, quoiqu’un
peu plus moderne et comptant quelques armes à répétition (pistolets-
mitrailleurs et fusils-mitrailleurs). Les mokhaznis et leurs familles sont logés
à proximité du centre de la SAS (« cité makhzen »), formant souvent un
quartier à part.
Dès 1959, le gouvernement tente de limiter le rôle opérationnel des SAS
– et, partant, celui des mokhaznis. En 1961, elles sont démilitarisées. Le
nombre de mokhaznis diminue alors pour la première fois. On en compte
toutefois encore 18 000 au 1er mars 1962. Entre février et juin 1962, les SAS
sont supprimées, remplacées par d’éphémères « centres d’aide
administrative » (CAA). Les gardes algériens souscrivent peu à cette
évolution. Le nombre de désertions – jusqu’alors extrêmement limité –
augmente jusqu’autour de 250 mensuels en mars et avril. Désarmés, les
mokhaznis disparaissent administrativement durant cette période. Ils sont
licenciés pour la plupart. Leur situation, dès lors, est comparable à celle des
harkis.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis (1954-
1962), Perrin, 2013 • Gregor Mathias, Les Sections administratives en Algérie
• Entre idéal et réalité, L’Harmattan, 1998 • Fabien Sacriste, Les Camps de
regroupement en Algérie. Une histoire des déplacements forcés (1954-1962),
Presses de Sciences Po, 2022.

SURSIS
Les sursis représentent un sujet d’intérêt croissant pour les jeunes et la
société pendant la guerre d’Algérie. La loi du 31 mars 1928 fixe la limite
d’âge de 25 ans maximum pour les sursis pour études, sauf pour les
disciplines médicales où elle est de 27 ans. Les mineurs de fond peuvent par
ailleurs être sursitaires de même que les jeunes gens qui ont déjà un frère
sous les drapeaux en Algérie. En 1959, ils sont respectivement 1 500 et
7 500.
L’état de guerre doit entraîner la résiliation de tous les sursis, mais cet
état n’est pas déclaré car la France ne peut être en guerre contre elle-même
(l’Algérie est alors composée de départements français). Cela convient aussi
à l’armée qui trouve des officiers* de réserve parmi ces sursitaires même si
cela peut poser problème : les étudiants* sursitaires ne sont pas forcément de
bons officiers en opération.
Le nombre de sursitaires s’accroît fortement avec l’augmentation du
nombre de bacheliers (de 30 000 en 1950 à 60 000 en 1960) et du nombre
d’étudiants (de 123 000 en 1946 à 200 000 en 1959). La proportion de
sursitaires dans chaque contingent croît ainsi de 7,4 % des conscrits en 1955
à 12,9 % en 1958, avant de baisser légèrement puis de remonter à 13,6 % en
1961 et à 16,9 % en 1962.
Cette augmentation entraîne parfois des critiques à l’encontre des
étudiants. L’Aurore titre : « Supprimez les sursis d’études ! » en avril 1956.
Les étudiants se font parfois traiter de « planqués ». Or, certains étudiants ont
participé à la guerre du fait de leur sursis ; ils l’auraient évitée s’ils n’avaient
pas fait d’études. Mais l’augmentation des sursitaires est aussi un signe
croissant du rejet de la guerre d’Algérie par les jeunes.
Le nombre de sursitaires incorporés devient même inférieur au nombre de
jeunes gens mis en sursis, ce qui pose problème au Gouvernement, qui doit
faire face au phénomène des classes creuses nées pendant l’entre-deux-
guerres. Par l’ordonnance du 12 juillet 1958, les services de recrutement de
l’armée traquent les « sursis abusifs », en vérifiant l’assiduité aux cours et en
sanctionnant les échecs répétés aux examens. Surtout, l’instruction
interministérielle du 11 août 1959 signée par Pierre Guillaumat (Armées) et
André Boulloche (Éducation nationale) limite considérablement les
possibilités de sursis et entraîne la suppression brutale de 20 000 d’entre eux.
La contestation gagne les enseignants, les universitaires et l’Unef*. Celle-
ci effectue 7 000 recours contre les décisions de résiliation avec l’aide
d’avocats et organise deux journées de grèves* et de manifestations* au
printemps 1960. Cela montre sa capacité de mobilisation, qu’elle poursuit en
1960 et au-delà, jusqu’en 1968… Pour une partie de la jeunesse, le service
militaire* représente désormais moins un rite de passage qu’une menace.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Ludivine Bantigny, Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de
l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie, Fayard, 2007 • Jean-
Charles Jauffret, La Guerre d’Algérie. Les combattants français et leur
mémoire, Odile Jacob, 2016.

SUSINI, JEAN-JACQUES (1933-2017)


Né à Alger, d’origine corse, Susini entreprend des études de médecine à
Alger et en métropole, qu’il ne conclut à Paris qu’en… 1978. La politique le
mobilise très jeune, au RPF puis dans les droites nationalistes : de Jeune
Nation* au Mouvement national étudiant qu’il lance à Lyon* en 1957. En
1958, réservé mais favorable à de Gaulle*, il revient à Alger, milite au Front
national français de Joseph Ortiz* et succède en 1959 à Lagaillarde*, à la tête
de l’Agea*. Les barricades de janvier 1960 accélèrent son basculement.
Arrêté et incarcéré en métropole comme Lagaillarde, il comparaît libre au
procès et en profite pour rejoindre Madrid où il échafaude l’OAS*, au
début 1961. Il est alors dans l’entourage immédiat de Salan* et revient avec
lui sur Alger lors du putsch* d’avril. L’échec du putsch débouche sur la
structuration de l’OAS. Susini y joue un rôle de premier ordre.
Officiellement, il est chargé de l’action psychologique* et de la propagande*
mais son contact direct avec Salan et ses liens avec Roger Degueldre*, le
patron des commandos « Delta », lui confèrent un périmètre d’intervention
plus étendu : il a été présenté comme le « no 2 de l’OAS ». Cette influence
n’a pas manqué de nourrir des controverses quant à son rôle dans des affaires
mettant en cause l’état-major de l’OAS (l’élimination de Michel Leroy et de
René Villard en janvier 1962) ou son rôle dans l’« accord » FLN*/OAS de
juin 1962 dénoncé par d’autres dirigeants mais qu’il n’a cessé de justifier.
Tout comme le recours à la violence de l’OAS. Réfugié en Italie* après
juillet 1962, il n’a jamais décroché. Le 15 août 1964, il organise avec André
Rossfelder l’attentat raté du Mont-Faron contre de Gaulle. Revenu en France,
il tente dès 1969 de rebondir en politique via l’associationnisme rapatrié mais
il doit s’en éloigner après sa mise en cause dans l’enlèvement et la disparition
du colonel Gorel, trésorier de l’OAS. Faute d’un horizon judiciaire dégagé, il
s’investit dans une société d’études et de gestion en sécurité dont il devient le
PDG au début des années 1980. Il revient en politique aux législatives de
1997, comme candidat du Front national à Marseille* (il est battu par Guy
Hermier). Élu au conseil régional l’année suivante, il y siège jusqu’en 2004.
Il boucle ainsi un parcours politique où la défense de l’Algérie française et ce
qu’il appelait « le sens du combat de l’OAS » ont tenu une place centrale.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Bertrand Le
Gendre, Entretiens avec Jean-Jacques Susini. Confessions du no 2 de l’OAS,
Les Arènes, 2012 • Clément Steuer, Susini et l’OAS, L’Harmattan, 2004.

SYNDICAT NATIONAL
DES INSTITUTEURS (SNI)
Le SNI Algérie est divisé en trois sections, selon les trois départements :
Alger, Oran, Constantine. Il compte jusqu’à 3 000 syndiqués en 1956 ; les
instituteurs dits « musulmans » y sont assez bien représentés.
Le 6 février 1956, le voyage de Guy Mollet* à Alger et les conditions de
son accueil contribuent à une fracture au sein de la section d’Alger. Une
bonne moitié des syndiqués quittent le SNI pour former le « syndicat
indépendant », partisan de « l’Algérie française ». Son bulletin, L’École
française, est le pendant de L’École républicaine, qui est l’organe de la
section historique. Dès lors, les oppositions sont déclarées. De 1956 à 1962,
une lutte d’influence permanente s’installe entre les deux syndicats. En
revanche, en métropole, les débats du syndicat national restent globalement
alignés sur le principe de la table ronde.
La participation des musulmans au syndicat est ancienne et on peut la
faire démarrer un peu avant la fondation de La Voix des humbles (1922-1939)
par Saïd Faci et Mohand Lechani. L’intégration des instituteurs
« musulmans » ne fait guère avancer l’action syndicale en situation coloniale.
Mais ils œuvrent en faveur de la fusion des enseignements « européen » et
« indigène », puis désignés comme A et B, avant qu’ils ne fassent qu’un avec
le décret du 15 mars 1949. Les instituteurs musulmans militent également
pour l’enseignement de la langue arabe et contre l’abaissement du niveau du
recrutement des enseignants, quand le gouverneur Jacques Soustelle* ouvre
celui-ci aux instructeurs. Ils appuient les plans de scolarisation, notamment
de 1944 et de 1958. Certains s’engagent dans les centres sociaux éducatifs*
(CSE), en s’inscrivant dans la lignée de la lutte du SNI contre
l’analphabétisme.
À la fin de la guerre, le travail syndical s’effectue dans des conditions de
plus en plus difficiles, voire intenables. Les enseignants syndicalistes sont dès
lors happés par la spirale des violences, jusqu’à l’assassinat des six
principaux responsables des CSE, exécutés par l’OAS* le 15 mars 1962.
À la veille de l’indépendance, les représentants du SNI sont engagés en
lien avec l’Exécutif provisoire* et leurs camarades syndicalistes algériens,
dans la préparation de la rentrée scolaire de septembre. La première rentrée
de l’indépendance assurée, le travail syndical continue et le SNI sections
algériennes se transforme en Association professionnelle des instituteurs
français en Algérie (Apifa) dont un des responsables est l’instituteur pied-
noir* Louis Rigaud.
Aissa KADRI
Bibl. : L’École libératrice, organe du Syndicat national des instituteurs et
institutrices de l’Union française (1953 à 1962) • Charles Koenig,
« Souvenirs et témoignage d’un membre de l’Exécutif provisoire algérien »,
Cahiers du Centre fédéral de l’Éducation nationale (FEN), no 1, 1992 • Louis
Rigaud, « Vie et militantisme en Algérie de 1922 à 1964 », Cahiers du
Centre fédéral de l’Éducation nationale (FEN), no 12, 1995.
T

13 MAI 1958
Si la guerre menée en Algérie est centrale dans la chute de la
IVe République*, elle n’en est pas la seule cause. Cette République est en
elle-même fragile. Sa Constitution contraint les partis à nouer des alliances
pour former des gouvernements disposant d’une majorité au Parlement et ces
coalitions ne résistent pas longtemps. Du déclenchement de la guerre à la
chute du régime, six gouvernements se succèdent ainsi. Outre la guerre en
Algérie, ils doivent affronter les problèmes financiers posés par l’inflation
qu’ils n’arrivent pas à juguler.
L’internationalisation* du conflit est quant à elle l’élément déclencheur
de la crise. En effet, le 8 février 1958, l’aviation française, poursuivant
jusqu’en Tunisie* l’ennemi algérien qui s’y replie, pilonne le village de
Sakiet Sidi Youssef*, faisant des dizaines de morts et plus d’une centaine de
blessés. Le président Bourguiba saisit l’ONU* et riposte en organisant le
blocus de la base de Bizerte*, en fermant des postes consulaires français et en
appelant au retrait des troupes de l’ex-puissance coloniale encore présentes
sur son sol. Craignant un embrasement de la région, la diplomatie anglo-
saxonne propose alors ses « bons offices » pour tenter de résoudre ce
contentieux. En acceptant de rencontrer Harold Beeley, pour le Foreign
Office, et Robert Murphy, pour le secrétariat d’État américain, Félix
Gaillard*, chef du gouvernement, déroge à la ligne suivie depuis 1954 :
refuser toute intervention étrangère. Puisque l’Algérie fait partie intégrante de
la République, les autorités françaises défendent qu’il s’agit d’affaires
intérieures, relevant de leur seule souveraineté. Le FLN*, au contraire,
déploie depuis le début de la guerre une stratégie d’internationalisation
fructueuse.
La rencontre avec les diplomates anglo-saxons vaut à Félix Gaillard
d’être renversé le 15 avril 1958. Après les complexes et délicates tractations
qui suivent invariablement les démissions des présidents du conseil sous la
IVe République, Pierre Pflimlin*, du MRP*, est pressenti, le 9 mai, pour
former un nouveau gouvernement. En désaccord, car Pflimlin s’est déclaré
favorable à des pourparlers, les partisans de l’Algérie française appellent à
manifester le 13 mai, jour prévu pour son investiture. Au fait des
mobilisations antérieures, dont celle du 6 février 1956 contre Guy Mollet*,
lors de la fameuse « journée des tomates* », les autorités tentent d’encadrer le
mouvement à Alger. Elles organisent, sous la conduite du général Salan*, une
cérémonie aux monuments aux morts*. Les Français d’Algérie ont pris
l’habitude d’y exprimer leur colère. Outre que le monument symbolise leurs
sacrifices antérieurs, lorsqu’ils ont répondu à l’appel de la France en guerre, il
leur permet de se rassembler aux portes du pouvoir. Il est situé en contrebas
de la place du Forum, qui borde le Gouvernement général* (le « GG »). De
son long balcon blanc orné de deux colonnes entre lesquelles se placent les
orateurs s’adressant à la foule, aisément reconnaissable dans l’iconographie
de la guerre, seront lancées des formules devenues fameuses, dont le « Je
vous ai compris » de De Gaulle*, le 4 juin.
Le rassemblement algérois du 13 mai doit rendre hommage à trois soldats
français tombés aux mains du FLN. Le 9 mai, jour où le nom de Pflimlin a
émergé, un communiqué du FLN a affirmé que ces trois soldats avaient été
exécutés après avoir été jugés pour « tortures, viol* et assassinat ». Si
l’information reste à vérifier (il est possible que ces prisonniers* soient morts
autrement), il n’empêche que le FLN entend ainsi lancer une controverse
cruciale. Il déclare en effet que l’exécution des trois soldats riposte à celle
d’Abderrahmane Taleb, guillotiné le 24 avril précédent. Ce jeune chimiste de
26 ans, qui fabriquait les bombes de la « bataille d’Alger* », avait été trois
fois condamné à mort par le tribunal militaire d’Alger. Le FLN, par
conséquent, pose la question de la réciprocité du traitement des prisonniers,
dans cette guerre soustraite aux conventions de Genève* qui fixent les règles
à suivre en cas de conflit armé. « Nous ne respecterons les lois de la guerre
que si l’adversaire fait de même. Que les familles des soldats français en
Algérie le sachent. Il leur revient d’exiger que cesse le massacre des
combattants algériens prisonniers », déclare le FLN, repris par la presse* ;
pour lui, en l’absence d’armée régulière, les auteurs d’attentats sont des
« combattants ». La suite des événements relègue cette question au second
plan ; elle finit par être occultée. Pour longtemps se fixe, dans
l’historiographie française, une narration du 13 Mai débutant par l’exécution
des trois soldats sans mentionner celle d’Abderrahmane Taleb, ni la
controverse avortée du FLN.
En effet, le 13 mai, les manifestants rassemblés devant le monument aux
morts prennent d’assaut le « GG » et un Comité de salut public est formé.
Pour la première fois s’unissent des militaires (Massu*, chef de la
10e division parachutiste*, Salan, commandant en chef) et des activistes
(Pierre Lagaillarde*, Joseph Ortiz*, Robert Martel). Le gaulliste Léon
Delbecque, envoyé de métropole par Jacques Chaban-Delmas, les convainc
de s’en remettre à de Gaulle. Le 15 mai, Salan fait acclamer le nom du
général qui, promptement, se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la
République ». Le 17 mai, Jacques Soustelle*, lui aussi venu de métropole,
enchaîne des slogans reliant de Gaulle à la sauvegarde de la République et de
l’Algérie française : « Vive la République », « Vive l’Algérie française »,
« Vive la France », « Vive de Gaulle ».
Sauveur ou fossoyeur de la République ? La question est posée. S’il
revient au pouvoir, de Gaulle, hostile à la IVe, changera de régime et le
« putsch » du 13 Mai suscite les pires craintes. Le plan « Résurrection* »
prévoit des parachutages à Paris ainsi que la formation de Comités de salut
public en Corse, où le colonel Thomazo est envoyé d’Alger avec le titre de
gouverneur militaire. En Algérie, où de nombreux Comités de salut public
sont formés, des personnalités, comme les avocats Gisèle Halimi* et Pierre
Braun, des représentants de l’autorité légale, notamment des préfets*, sont
arrêtés et détenus ou étroitement surveillés. Le dispositif de protection
urbaine* (DPU) met à profit son quadrillage d’Alger pour embrigader des
Algériens et leur faire rejoindre les manifestations*. Le terme trompeur de
« fraternisations », utilisé pour les désigner, masque leur caractère limité et
encadré si ce n’est contraint. Elles n’en ont pas moins été interprétées comme
les signes d’une confiance nouvelle et prometteuse.
À Paris, la résistance s’organise autour du PCF* et de personnalités
comme François Mitterrand* et Pierre Mendès France*, avec une grande
manifestation de vigilance républicaine, le 28 mai. De Gaulle finit par être
investi le 1er juin à la tête d’un gouvernement de cohésion ; le socialiste Guy
Mollet est vice-président du Conseil. Soumise par référendum aux Français,
le 28 septembre 1958, la nouvelle Constitution entre en vigueur le 1er janvier
1959. Elle renforce l’exécutif, selon les vœux de De Gaulle qui, par ailleurs,
prend le contrôle de la politique algérienne. Difficiles à connaître, ses
intentions d’alors continuent d’être discutées. Il reste de cette histoire une
Constitution marquée par cette conjoncture.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammarion, 2012 • Jean-Paul Thomas, Gilles Le Béguec et Bernard
Lachaise (dir.), Mai 1958. Le retour du général de Gaulle, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2010 • Maurice Vaïsse, Alger, le putsch, Bruxelles,
Complexe, 1983.
TCHÉCOSLOVAQUIE
La Tchécoslovaquie est connue dans les pays arabes pour sa vente
d’armes à l’Égypte* en 1955. Elle se distingue parmi les pays socialistes
d’Europe de l’Est comme le fournisseur le plus important d’armes aux
combattants algériens. En 1955-1956, la fourniture d’armes se fait le plus
souvent par l’intermédiaire de l’Égypte ou de la Syrie. Dès 1957, les armes
pour l’ALN* sont acheminées aux ports égyptiens ou marocains par des
bâtiments naviguant sous pavillon de différentes nations ou de sociétés
privées de commerce. Elles proviennent des usines tchécoslovaques (le pays
a une industrie* d’armement importante), des stocks laissés par la
Wehrmacht lors de la Seconde Guerre mondiale ou bien elles sont de
fabrication soviétique. Ainsi, le bâtiment yougoslave Slovenia, arraisonné par
la marine française en janvier 1958, est chargé de 55 tonnes d’armes et de 95
tonnes de munitions tchécoslovaques. Le premier contrat de vente d’armes
direct avec le FLN* a lieu en 1961. L’assistance humanitaire est organisée
par la Croix-Rouge*, sa valeur est de l’ordre de 70 000 couronnes en 1957,
250 000 en 1958, mais en 1959-1960 elle augmente à 36 millions (vêtements,
vivres, médicaments). Quelques dizaines de blessés de l’ALN sont soignés
dans les hôpitaux. Prague accueille la délégation extérieure du PCA* dirigée
par le secrétaire général Larbi Bouhali. Celui-ci voyage beaucoup dans les
pays d’Europe de l’Est afin de faire connaître la situation en Algérie et de
mobiliser pour une aide accrue au FLN. Durant les premières années de
l’insurrection, les dirigeants tchécoslovaques ont peu d’informations réelles
et authentiques sur le FLN ; celles-ci proviennent exclusivement des PC
français et algérien. C’est aussi une raison de la méfiance de Prague à l’égard
du FLN. En janvier 1957, le président de la commission des Affaires
étrangères du Parlement tchécoslovaque reçoit les deux jeunes délégués du
FLN, ce que l’on peut considérer comme premier contact politique. Le
gouvernement tchécoslovaque ne reconnaît ni de facto, ni de jure le GPRA*
lors de sa constitution. Par contre, les organisations non gouvernementales
(syndicats, Croix-Rouge) reçoivent la délégation du GPRA en 1960. En
septembre de cette même année, lors des travaux de l’Assemblée générale de
l’ONU*, Antonín Novotný, président tchécoslovaque, s’entretient avec
Krim* Belkacem. Le 25 mars 1961, la reconnaissance de facto du GPRA a
lieu. La reconnaissance de jure se déroule quant à elle deux jours après la
signature des accords d’Évian*, le 20 mars 1962.
László NAGY
Bibl. : Petr Zídek, « Une alliance alimentée par l’argent : la Tchécoslovaquie
et le FLN (1954-1962) », in Hervé Bismuth et Fritz Taubert (dir.), La Guerre
d’Algérie et le monde communiste, Dijon, Éditions universitaires de Dijon,
2014 • Philip Muehlenbeck, Czechoslovakia in Africa, 1945-1968,
Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015.

TÉBESSI, LARBI (1891-1957)


De son vrai nom Djadri, Larbi Tébessi est l’un des prédicateurs les plus
remarquables du mouvement réformiste. Après des études à la Zitouna et à El
Azhar, il regagne la ville de Tébessa, en 1929 où il commence à dispenser un
enseignement nourri des idées propagées par l’Association des ulémas* et
contribue à multiplier l’ouverture des écoles coraniques à l’échelle de toute la
région de Tébessa.
Très apprécié de Ben Badis, il devient en 1935 le secrétaire général de
l’AUMA. Par deux fois, il est interné : en 1943 durant six mois et à la suite
des manifestations de mai 1945*. Amnistié au printemps 1946, il participe à
l’Assemblée générale de l’association dont il devient vice-président. Le
départ d’El Ibrahimi* au Caire, en 1951, le met au-devant de la scène.
Au déclenchement de la Guerre d’indépendance, il publie, le 5 novembre
1954, un article dans El Bassair intitulé « Les événements de la nuit sombre »
où il déclare : « Actuellement nous ne possédons pas d’informations
détaillées et satisfaisantes… Nous ne pouvons donc en faire le moindre
commentaire… Ce n’est d’ailleurs pas El Bassaïr qui pourrait se permettre de
faire preuve de précipitation dans de pareils domaines. »
Si, en apparence, il observe beaucoup de retenue, sans doute par prudence
et pour éviter la saisie d’El Bassaïr et l’interdiction de l’association, il est
l’un des premiers réformistes à s’être rapproché des responsables du FLN*.
Ses faits et gestes sont surveillés de près, d’autant plus que plusieurs de ses
élèves affiliés à l’association de Tébessa ont rejoint le bureau du FLN à
Tunis. Mais il attend le feu vert d’El Ibrahimi contacté par ses émissaires,
avant de se prononcer ouvertement pour la lutte armée, à l’issue de
l’Assemblée générale de l’AUMA et que confirme le communiqué paru dans
El Bassaïr le 13 janvier 1956. Il précise sa position en revendiquant un État
algérien indépendant dans une conférence de presse le 12 février 1956.
Larbi Tébessi est enlevé de son domicile le soir du 4 avril 1957 durant la
« bataille d’Alger* ». Sa famille le recherche vainement. Des informations
fantaisistes circulent sur son enlèvement, distillées par les services français,
sans preuves tangibles. Trois semaines après sa disparition*, un communiqué
de l’AUMA, paru dans Résistance algérienne du 29 avril 1957, révèle que
« depuis quelques mois, le Cheikh Larbi Tébessi était l’objet de pressions et
de manœuvres […] pour faire de lui “un interlocuteur valable” ».
Il fait partie des milliers de disparus de la Guerre de libération dont la
tombe demeure inconnue.
Belkacem BENZENINE
Archives : SHD, 1H 2589 et 2878.
Bibl. : Ali Merad, Le Réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1960,
Mouton, 1967.

TEITGEN, PAUL (1919-1991)


Paul Teitgen est né en 1919 dans une famille de juristes, très tôt engagée
contre le nazisme. Il est déporté, comme son père, Henri, avocat, et son frère,
Pierre-Henri, agrégé de droit public. Dirigeants du MRP*, tous deux exercent
de hautes responsabilités sous la IVe République* (son père est vice-président
de l’Assemblée nationale). Énarque, Paul Teitgen devient en août 1956
secrétaire général de la préfecture de police* d’Alger. Il s’y distingue en
confondant le général Faure*, auteur d’un complot pour installer un militaire
au pouvoir, en décembre 1956. Puis, chargé de suivre les arrestations
effectuées par les parachutistes*, il assiste impuissant aux disparitions* qui
s’ensuivent. Tout en gardant son évaluation confidentielle, il les estime à
3 000. Le procureur général d’Alger, Jean Reliquet, avec qui il est en
confiance, en fait état à son ministre en juin 1957.
À cette date, invoquant son passé résistant et sa déportation, Teitgen a
déjà remis sa démission mais il n’est nommé qu’en septembre 1957 à un
autre poste. Envoyé ensuite au Brésil, il sort de sa réserve en 1959, à
l’occasion de l’affaire Audin*. Il témoigne alors à plusieurs procès, dont celui
du réseau Jeanson*, rend publiques sa lettre de démission et son évaluation
des disparitions. Celle-ci a fini par être contestée. Yves Courrière*, auteur de
quatre tomes sur La Guerre d’Algérie (Fayard, 1968-1972), a en effet
reproduit un document venant de Teitgen mais, outre que l’original n’a pas
pu être retrouvé, son interprétation est discutée. Au-delà, pourtant, l’analyse
du système répressif algérois prouve l’existence de disparitions massives.
Teitgen est de ces serviteurs de l’État que révolte la torture*,
informateurs précieux de Vidal-Naquet*. D’autres ont agi dans l’ombre, tel
Reliquet qui a alerté ses supérieurs et affronté Massu*. Chez Teitgen a joué
une conscience humaniste et républicaine, forgée dans la Résistance* et un
milieu propice. Faute de biographie, Le Monde* permet de restituer son
parcours. Retraité du Conseil d’État en 1978, il s’est illustré en 1985 en
soutenant Vidal-Naquet que Jean-Marie Le Pen* attaquait en diffamation
pour l’avoir nommé comme tortionnaire. Il est décédé en 1991.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Fabrice Riceputi, « Paul Teitgen et la torture pendant la guerre
d’Algérie. Une trahison républicaine », 20 & 21. Revue d’histoire, no 142,
2019 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre
d’Algérie, La Découverte, 2001 • Pierre Vidal-Naquet, Mémoires, t. II, Le
trouble et la lumière, 1955-1998, Seuil-La Découverte, 1998.

TÉMOIGNAGES (ALGÉRIE)
Le temps d’une génération* et à la faveur des événements de 1988, de
nombreux témoignages ont commencé à être publiés et portent, selon les
auteurs, sur la « révolution », la « lutte armée de libération nationale », la
« Guerre de libération nationale » et enfin la « Guerre d’indépendance ».
L’écriture de l’histoire du temps présent ne peut que s’en réjouir, non
seulement en raison des précieux témoignages offerts mais surtout grâce aux
pièces d’archives* jointes en annexe des ouvrages.
La plupart des auteurs, militants du mouvement national et/ou acteurs de
la Guerre d’indépendance, insistent sur le besoin de lever le voile sur bien des
événements et donc de livrer des secrets à l’opinion publique*. Abderrezak
Bouhara, officier de l’ALN*, déclare vouloir apporter « des éclairages sur
une tranche de l’histoire de notre pays, en livrant un maximum d’éléments
d’information et en me libérant […] de l’autocensure qui pèse sur de
nombreux cadres de ma génération ».
Cette déclaration d’intention sonne comme un aveu et semble rompre
avec les contraintes imposées par le discours officiel qui relaie le monopole
exercé par le parti du FLN*. Mansour Rahal, responsable des transmissions
en Wilaya 1*, poursuit le même but : « Sortir de l’ombre et de l’oubli, dans
les limites de la mémoire et de notes personnelles, une séquence non
négligeable du maquis de la Guerre d’indépendance. »
Chacun des textes publiés a comme préoccupation majeure de remplir un
« devoir de mémoire », une exigence morale, une dette envers les martyrs.
Mais il y a plus, le « désir de mémoire » exprimé par la jeunesse post-1988
n’a pas manqué d’interpeller la conscience de certains protagonistes de la
guerre. S’il est difficile de cerner la relation de cause à effet entre le devoir de
mémoire des uns et le désir de mémoire des autres, l’essentiel réside dans la
révélation du malaise éprouvé vis-à-vis d’un passé récent compliqué par une
conjoncture de crise.
Au cœur de ce malaise aux formes diverses, ce sont « l’héritage de la
violence fondatrice » (Omar Carlier) et l’impact des blessures réelles et
symboliques qui posent problème tant aux générations de la guerre qu’à
celles de l’indépendance.
Aussi, si la part des faits de guerre et leurs atrocités occupent une bonne
place, les écrits évoquent aussi la vie intérieure dans les maquis et les
dissensions nées de la guerre telles que les cas de désobéissance (individuelle
ou collective), les ralliements à l’armée française, les harkis*. Les violentes
dissidences nées dans l’Aurès, les désaccords survenus lors de la tenue du
congrès de la Soummam* et les oppositions à l’application de ses directives,
l’implication de responsables du CCE* dans l’élimination d’Abane*
Ramdane, les complots et les purges dans les rangs de l’ALN, la crise de
l’été 1962*… mettent à jour les liquidations fratricides et les luttes de
pouvoir au sein du FLN-ALN. Autant dire qu’il n’y a plus de secret ni de
sujet tabou.
Tant de matériaux représentent des sources utiles aux approches
historiques. Leur apport est en mesure de contribuer à une (re)définition des
savoirs sur la Guerre d’indépendance. Cependant, l’historien(ne) ne peut
s’empêcher de s’interroger sur la finalité d’un tel foisonnement de la
mémoire. L’expérience montre que tout retour aux sources est à double
tranchant : l’opération d’écriture permet une opération d’objectivation mais
elle peut aussi occulter une volonté de récupération ou de réappropriation des
rôles. Il convient en effet de rappeler l’exercice du monopole du ministère
des Anciens Moudjahidines* sur « l’écriture et réécriture de l’histoire » de
cette période confiée à « ceux qui ont fait la révolution » (selon le mot
d’ordre donné lors du premier colloque sur l’écriture de l’histoire en 1981).
Ces réserves émises, l’intérêt majeur de ces textes est de permettre
l’élaboration d’une histoire intérieure de la guerre, à partir de l’univers des
individus, de leur vécu, en rupture avec la tradition et l’unanimisme du
discours de l’histoire nationaliste. Toutefois, ces témoignages ne doivent pas
masquer les difficultés d’accès aux archives publiques, conservées en Algérie
ou en France. En l’absence de leur exploitation, le devoir de mémoire reste à
sens unique, suspendu à la parole des acteurs d’hier.
Toutefois, les sociétés en crise « convoquent le passé pour conjurer les
périls » (Jean-Pierre Rioux, La Guerre d’Algérie et les Français, Fayard,
1990). Il est effectivement aisé dans les moments difficiles de solliciter la
mémoire, et d’en exiger des réponses convaincantes. La crainte que ces récits,
modèles d’un engagement et fruits d’une expérience unique, ne visent
finalement qu’une transmission en vase clos n’est pas à écarter. Dans cette
perspective, la représentation du passé va à l’encontre des attentes des
historiens qui se distinguent par une pratique critique où la mémoire est saisie
comme objet de l’histoire. C’est à cette seule condition que l’on peut éviter la
confusion des genres entre le travail de remémoration et ce qui relève du
métier de l’historien.
Pour l’heure, les œuvres de témoins et acteurs de la guerre tels Ferhat
Abbas*, Hocine Aït Ahmed*, Mohammed Lebdjaoui, Messali Hadj*…
censurées au lendemain de l’indépendance sont désormais accessibles. Des
responsables de wilaya tels que Lakhdar Bouregaâ*, Ali Kafi*, Lakhdar
Bentobbal*, Tahar Zbiri*, des négociateurs à Évian tels que Saâd Dahlab*,
Redha Malek… ont également publié leur témoignage. Des femmes* telles
que Louisette Ighilahriz* et Zohra Drif* ont pris la plume pour raconter leur
parcours marqué pour l’une par la torture*, pour l’autre par son immersion
dans la Casbah durant la « bataille d’Alger* ». Enfin, de nombreux acteurs,
combattants et militants ordinaires livrent également leur expérience.
L’ouverture des maisons d’édition privées concourt aussi à offrir au
lecteur une représentation démultipliée de la mémoire.
Le premier constat de ce moment mémoriel qui semble s’installer dans la
durée est que la guerre de libération nationale est bien finie et que le travail
de deuil peut commencer pour les hommes comme pour les femmes d’hier
(même si celles-ci sont moins visibles dans le champ de l’édition). Pour les
nouvelles générations, porteuses d’une autre manière de vivre la citoyenneté,
il s’agit simplement de comprendre ce passé plein de bruit et de fureur, fort
d’actes héroïques et de souffrances, pour mieux appréhender l’horizon
d’attente.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Omar Carlier, Entre nation et djihad. Histoire sociale des
radicalismes algériens, Presses de Sciences Po, 1995 • Ouanassa Siari
Tengour, « La guerre d’Algérie à l’épreuve de l’écrit », Histoire
contemporaine de l’Algérie, Oran, CRASC, 2010 • Ouanassa Siari Tengour et
Fouad Soufi, « Les Algériens écrivent enfin la guerre », Insaniyat, no 25-26,
2004.

TÉMOIGNAGES (FRANCE)
Des témoignages ont été publiés dès la guerre d’Algérie, des appelés* ou
des rappelés du contingent rendant par exemple compte de leur expérience à
leur retour d’Algérie. Parmi ceux-ci figurent les articles de Robert Bonnaud*
« La paix des Nementchas » (Esprit, avril 1957) et de Georges M. Mattéi
« Jours kabyles. Notes d’un rappelé » (Les Temps modernes, juillet 1957).
Certains témoignages sont aussi laudatifs quant au combat mené en Algérie,
comme Ceux d’Algérie. Lettres de rappelés, qui est précédé d’un débat entre
plusieurs personnalités plutôt marquées à droite (Plon, 1957). Le plus
important témoignage écrit à cette période est sans conteste le livre d’Henri
Alleg*, La Question (Minuit, 1958), dans lequel il relate les tortures qu’il a
subies par les parachutistes* français. Des livres ont été écrits jusqu’à la fin
de la guerre, subissant régulièrement les foudres de la censure*. Leur
caractéristique est d’avoir été écrits très peu de temps après les faits. La
mémoire, même si elle peut déjà occulter ou déformer certains faits, est
encore « fraîche ».
La très grande majorité des livres publiés de 1962 à 1982 concerne au
contraire des témoignages favorables aux thèses de l’« Algérie française » :
près de 70 % selon Benjamin Stora* (1992, p. 239). Ceux concernant les
harkis* ont été écrits par le bachaga Boualam*, ancien vice-président de
l’Assemblée nationale, qui explique son attachement à la France dans Mon
pays, la France (France-Empire, 1962) et Les Harkis au service de la France
(France-Empire, 1963). Des officiers* se mettent aussi à relater « leur »
guerre d’Algérie. Le général Massu*, avec La Vraie Bataille d’Alger (Plon,
1971), suscite le premier débat mémoriel d’importance en justifiant l’emploi
de la torture*. D’autres témoignages mémoriels lui répondent, dénonçant la
torture, en particulier ceux du général de Bollardière* (Bataille d’Alger,
bataille de l’homme, Desclée de Brouwer, 1972) et du colonel Barberot* (À
bras le cœur, Robert Laffont, 1972). Le général Bigeard* publie quant à lui
Pour une parcelle de gloire (Plon, 1975).
Ces témoignages de militaires engagés, parfois jusqu’à la désobéissance,
cherchent à justifier leurs actes, à les expliquer, souvent sans les récuser,
comme le laisse entendre le titre du livre du déserteur partisan de l’OAS*,
Pierre Sergent, Je ne regrette rien (Fayard, 1972), qui raconte « la poignante
histoire des légionnaires parachutistes du 1er REP ». Les partisans de l’OAS
sont nombreux à écrire au cours des années 1970, au premier rang desquels
Raoul Salan* dans Mémoires. Fin d’un Empire. L’Algérie, de Gaulle et moi
(Presses de la Cité, 1974), ou encore Antoine Argoud*, auteur de La
Décadence, l’Imposture et la Tragédie (Fayard, 1974). Ceux-ci cherchent à
expliquer, à convaincre, éventuellement dans une volonté de revanche. Ils
n’acceptent pas l’indépendance algérienne ; le combat a pris pour eux une
autre forme, intellectuelle et politique.
Avec les témoignages de pieds-noirs*, il en est différemment. Jules Roy*
avait déjà publié en 1960 La Guerre d’Algérie (Julliard, 1960), à mi-chemin
entre le reportage et le témoignage. Certains se sont au contraire engagés en
faveur de l’OAS ou en ont été proches. Le livre de Micheline Susini, De
soleil et de larmes, est ainsi dédié à Roger Degueldre* et à « Bobby »
Dovecar, fusillés pour leur activité terroriste « pro-Algérie française ». Ce
livre est marqué par l’arrachement à la terre natale, comme le sont de
nombreux témoignages pieds-noirs. Certains de ces témoignages confinent au
roman : ce sont plus des autofictions que des autobiographies. Ces textes, en
particulier écrits par des femmes pied-noires, livrent un récit intimiste, parmi
lesquels ceux de Marie Elbe, À l’heure de notre mort (roman à succès de
1963 réédité chez Albin Michel en 1992), ou de Marie Cardinal, avec
notamment Au pays de mes racines (Grasset, 1980).
Au centre de la période de 1962 à 1982, dominent les quatre volumes du
journaliste Yves Courrière* réunis sous le titre La Guerre d’Algérie, publiés
chez Fayard de 1968 à 1971. Le succès est considérable (1,5 million
d’exemplaires vendus). Cette fresque se base en fait sur un montage croisé de
témoignages. Il en est de même dans les 3 712 pages des 128 numéros
d’Historia Magazine publiés de septembre 1971 à avril 1974. Beaucoup de
ces articles s’appuient sur des témoignages. Selon Benjamin Stora, il existe
un véritable « effet Courrière » mettant en valeur les témoignages. En effet,
comme il existe une difficulté à trouver un récit commun, qui fasse sens, il
existe une dispersion dans les récits individuels, chacun livrant « sa » guerre
d’Algérie. Au total, ce sont près de 500 témoignages qui ont été publiés de
1962 à 1982.
À compter des années 1980, les Français d’origine algérienne
commencent à se faire entendre dans les témoignages publiés en France.
Parmi les livres de cette période, Saïd Ferdi se raconte par exemple comme
Un enfant dans la guerre (Seuil, 1981), en Algérie jusqu’au départ vers la
France en 1962. Céline Ackaouy relate quant à elle le parcours de Mahiou
Roumi dans Un nom de papier. L’identité perdue d’un immigré (Clancier-
Guénaud, 1981). Dans ce livre, nous passons des Aurès à Lille* puis dans le
bidonville de La Folie à Nanterre, de la guerre d’Algérie à Mai 68, dans la
débrouille et la misère.
À compter des années 2000 surtout apparaissent des témoignages de
militants anticolonialistes. Quelques-uns les avaient livrés pendant la guerre,
tels les trois réfractaires* Jean-Louis Hurst*, Maurice Maschino* et Noël
Favrelière*. Les deux chefs de file des réseaux de « porteurs de valises* »,
Francis Jeanson* et Henri Curiel*, n’ont cependant jamais écrit leurs
Mémoires. En 1987, Robert Barrat* a livré son intéressant témoignage d’Un
journaliste au cœur de la guerre d’Algérie (Témoignage chrétien, 1987). Dix
ans plus tard, Didar Fawzy-Rossano, proche d’Henri Curiel, a écrit ses
Mémoires d’une militante communiste (L’Harmattan, 1997). Soulignons
encore le beau témoignage d’Hélène Cuenat, membre du « réseau Jeanson »,
La Porte verte (Éditions Bouchène, 2001), dans lequel elle raconte sa période
de détention et son évasion* en 1961. Les témoignages de réfractaires et
d’anticolonialistes ont probablement mis du temps à être publiés dans la
mesure où cette mémoire répondait à une « mauvaise conscience » française
et que leur apparition dans la sphère publique pouvait les amener à être
stigmatisés, voire menacés.
Les témoignages ont continué à être publiés en dépit de l’émergence des
livres d’histoire sur la guerre d’Algérie, qui commençaient à dire une histoire
commune. Beaucoup ont eu des difficultés à être publiés et ont dû passer par
l’autoédition. Il n’en reste pas moins qu’un très grand nombre de livres ont
paru. En 1995, Benjamin Stora n’en recensait pas moins de 2 200. Au début
des années 2000, une véritable avalanche mémorielle a existé à la suite du
débat sur la torture provoqué par les déclarations de Louisette Ighilahriz* et
du général Aussaresses*. De très nombreux acteurs et témoins ont livré leur
récit : l’âge aidant, écrire ses mémoires devient une manière de laisser une
trace de son parcours pour les générations suivantes. Mais la distance avec les
événements éloigne aussi de la véracité des faits. La mémoire s’émousse. Le
travail de l’historien intervient alors pour croiser les sources, les récits et
rendre au mieux compte des événements. Aujourd’hui, de nombreux
témoignages sont d’ailleurs enregistrés tant auprès d’institutions (INA, La
Contemporaine) que d’associations (CDHA, Grand Ensemble). Tous ces
témoignages mémoriels oraux et écrits constituent un magnifique matériau
pour les chercheurs.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Benjamin Stora, Le Dictionnaire des livres de la guerre d’Algérie,
L’Harmattan, 1996 • —, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre
d’Algérie, La Découverte, 1992 • —, Le Livre, mémoire de l’Histoire.
Réflexions sur le livre et la guerre d’Algérie, Le Préau des collines, 2005.

TERRITOIRES DU SUD
La conquête militaire française du Sahara, marquée par l’occupation du
Sahara septentrional (Laghouat, Biskra, M’Zab, Ouargla, Oued Righ) dans
les années 1850-1860, puis de celle du Touat, du Tidikelt, du Gourara et du
Hoggar dans la première décennie du XXe siècle, s’achève par la
« pacification* » de la région de Tindouf en 1934. Entre-temps, la loi du
24 décembre 1902 crée les « Territoires du Sud » (de l’Algérie) « dotés de la
personnalité civile, pouvant posséder des biens, concéder des chemins de fer,
contracter des emprunts ». Rattachés au Gouvernement général* de l’Algérie,
ces quatre territoires (Aïn Sefra, Ghardaïa, Touggourt et Oasis) comprennent
des communes mixtes aux portes du désert (Géryville, Djelfa, Aïn Sefra) et
au Sahara septentrional (Colomb-Béchar, Laghouat, Touggourt), et des
communes indigènes dans le Grand Sud (Hoggar, Tassili N’Ajjer) ainsi que
dans le Sud-Ouest (Tidikelt, Saoura, Touat, Gourara). De plus, les
« Territoires du Sud » reposent aussi sur un découpage militaire en cercles,
annexes et postes sous commandement militaire, afin d’assurer la liberté de
circulation des hommes et des marchandises, d’effectuer des tournées de
police*, et de surveiller plus de 5 500 kilomètres de frontières.
Une profonde réorganisation territoriale est menée de 1955 à 1960 pour
densifier le maillage administratif du territoire en augmentant le nombre de
départements. La promulgation de la loi du 10 janvier 1957 sur
l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) divise la partie
algérienne du Sahara en deux départements. Le département de la Saoura –
avec Colomb-Béchar pour centre administratif – recouvre
approximativement l’ancien territoire d’Aïn Sefra, incluant les monts des
Ksour et le djebel Amour, celui des Oasis, les territoires de Touggourt, de
Ghardaïa et des Oasis avec comme chef-lieu Laghouat, puis Ouargla. La
découverte des premiers gisements de pétrole* en janvier 1956 à Hassi
Messaoud et de gaz naturel à Hassi R’Mel ouvre de nouvelles perspectives.
Le général de Gaulle*, favorable au détachement du Sahara de l’Algérie – il a
effectué au cours de son voyage au Sahara du 10 au 17 mars 1957 deux
visites remarquées des sites d’Edjeleh et d’Hassi Messaoud – doit renoncer à
ce projet en septembre 1961 après l’échec de la conférence de Lugrin (20-28
juillet). Les rares affrontements dans cette région reculée du théâtre principal
des opérations, siège de la Wilaya 6*, se sont déroulés au nord dans le djebel
Amour et les monts des Ksour jusqu’en 1960, sans incidence sur le cours de
la guerre.
André-Paul COMOR
Bibl. : Pierre Denis, « L’évolution des troupes sahariennes françaises »,
thèse, Rennes, 1969 • André Nouschi, « De Gaulle et la fin de la guerre
d’Algérie », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 251, 2013.

THÉÂTRE (ALGÉRIE)
En 1957, la délégation algérienne est invitée au Festival mondial de la
jeunesse et des étudiants pour la paix et l’amitié, qui se déroule à Moscou
(28 juillet-11 août). Elle présente en 9 tableaux les différentes régions
d’Algérie pour affirmer une irréductible identité et une richesse culturelle
(langues, costumes, etc.).
Auparavant, la troupe du MTLD, créée en 1949, participe à plusieurs
festivals d’Europe de l’Est (Berlin, 1952, Budapest, 1953, Varsovie, 1955).
Dès 1956, Abdelhalim Raïs, obligé de quitter l’Algérie, comme Mustapha
Kateb ou Mohamed Zinet, écrit deux pièces de théâtre qui font partie du
premier répertoire de la troupe artistique du FLN* qui est officiellement créée
en 1958. Celle-ci donne, jusqu’en 1962, des représentations en Europe de
l’Est, en Asie et dans les pays arabes. Il s’agit de sensibiliser à la lutte du
peuple algérien. Ce théâtre est engagé et exprime la résistance et les
souffrances du peuple, représenté par un personnage collectif. Les Enfants de
la Casbah et El Khalidun, de Raïs, sont joués en 1959.
La troupe du FLN regroupe les comédiens déjà présents en Europe et
ceux qui quittent l’Algérie, malgré la surveillance des autorités coloniales
dont ils subissent déjà la censure* qui frappe leurs œuvres, qu’elles soient
jouées devant un public ou lues à la radio* (jusqu’en 1956, des pièces sont
lues à la radio deux fois par semaine).
Elle est dirigée par Mustapha Kateb, formé dans la troupe de Mahieddine
Bachtarzi, qui fut l’un des initiateurs du théâtre algérien. Le genre avait
trouvé, dès la fin de la Première Guerre mondiale ses points forts : la langue
populaire prend le pas sur l’arabe classique, les thèmes pris dans le
patrimoine arabe ou universel sont réinterprétés en fonction de l’actualité
sociale et, allusivement, politique. Le comique et la satire fustigent les travers
sociaux, la dimension didactique et éducative vise la formation sociale. Puis
la dimension politique est de plus prononcée. Bachtarzi, parallèlement à son
groupe musical, crée une troupe théâtrale, la Troupe du théâtre arabe (TTA),
qui sera un cadre de formation et de création.
Kateb a, de son côté, créé et dirigé la troupe El-Masrah El-Djazaïri, qui
avait les mêmes objectifs que Bachtarzi. Des acteurs y seront formés (Sid Ali
Kouiret, Mohamed Debbah, Yahia Benmabrouk), qui, pour la plupart,
rejoindront la troupe du FLN. Lui-même arrive en France en 1956 et opte
pour un théâtre engagé pour faire entendre la voix du peuple en lutte.
Les innovations formelles semblent en retrait sur le message délivré car
c’est le thème de la lutte de libération qui doit être représenté. C’est donc un
théâtre éminemment politique qui est présenté à travers le monde. Pourtant le
genre tragique s’est imposé à plusieurs dramaturges : sur une place (de la
casbah) qui devient, comme la place de la tragédie grecque, le lieu du drame,
les personnages se croisent, échangent et viennent, comme dans Le Cadavre
encerclé de Kateb* Yacine, mourir en délivrant leur testament politique. Lors
de ses échanges avec le dramaturge Bertolt Brecht, Kateb maintient la
nécessité du tragique dans ce théâtre de la guerre.
Un volet important de ce théâtre est occupé par la création en français, en
direction d’un public étranger, avec diverses techniques de traduction
(simultanée, par le biais de panneaux textuels, etc.). Les textes de Kateb,
Henri Kréa (Le Séisme, 1959), Mouloud Mammeri* (Le Foehn ou la preuve
par neuf, écrit en 1957, détruit par l’auteur alors recherché par la police* à
Alger où il est obligé de se cacher avant de quitter le pays, et réécrit en 1958-
1859), Hocine Bouzaher (Des voix dans la Casbah, 1960), Mohamed Boudia
(Naissance et L’Olivier, pièces écrites en prison*), s’ils ont souvent été
publiés, ont été, sauf quelques exceptions, peu joués. Le Cadavre encerclé
(Kateb Yacine) est mis en scène par Jean-Marie Serreau en 1958, après avoir
eu une première création au théâtre antique de Carthage (4 août 1958) par les
étudiants* tunisiens aidés par Serreau, mais ne peut pas être joué en France.
La pièce est donnée à Bruxelles, au théâtre Molière, le 25 novembre
suivant, malgré les menaces des ultras qui cernent le lieu de la représentation.
Elle est jouée clandestinement à Paris, au théâtre de Lutèce le 17 avril 1959.
Kateb Yacine, comme Kréa ou Mammeri, adopte la forme de la tragédie,
dans laquelle le personnage dit sa solitude au moment de la mort et son
espoir. La dimension symbolique est aussi importante, à travers le lien vital
avec la terre et l’arbre (Kateb, Boudia). Souvent le dramaturge engage, dans
l’écriture, un dialogue contradictoire avec un prédécesseur (Kateb et Brecht
ou Mammeri et Camus*). Cette production en langue française est marquée,
par-delà son engagement, par la volonté de renouveler les formes du théâtre.
Toutes ces tendances, engagement et recherches formelles, se
retrouveront dans le théâtre de la période postindépendance.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Mahieddine Bachtarzi, Mémoires, 3 vol., Alger, ENAL, 1968 •
Ahmed Cheniki, Le Théâtre en Algérie. Histoire et enjeux, Aix-en-Provence,
Edisud, 2002.

THÉÂTRE (FRANCE)
Les Paravents de Jean Genet ont caché la centaine de pièces campant le
théâtre des événements. Les trois quarts d’entre elles sont postérieures aux
années 1980, et moins d’une sur cinq est contemporaine de la guerre – il
s’agit généralement d’un théâtre algérien militant. En France, à la fin des
années 1950, ceux qui prétendent se colleter au politique sans didactisme
peinent à se faire entendre. Les écarts entre date de composition et date de
création en témoignent : 1957/1980 pour Les Huissiers de Michel Vinaver,
1961/1966 pour Les Paravents ou Plaidoyer pour un rebelle d’Emmanuel
Roblès. La référence algérienne embarrasse : Roblès transpose l’histoire de
Fernand Iveton* aux Indes néerlandaises, Genet réitère les postulations
contradictoires.
Pièces et mises en scène se multiplient à partir de la fin des années 1970.
Deux générations* se rencontrent alors : celle d’anciens qui ont été ou
auraient pu être mobilisés, avec André Benedetto (Djebel Amour, 1983),
Yves Laplace (Nationalité française, 1986), Jean Magnan (Algérie 54-62,
1986), Robert Poudérou (Pendant que vous dormiez, 1987), François
Bourgeat (Djurdjura, 1991), Richard Demarcy (Les Mimosas d’Algérie,
1991), Olivier Perrier (Des siècles de paix, 1991), Benoît Marbot (Algérie
française, 1993), Jean-Louis Maunoury (Omar le Maboul, 1994), Georges
Mattéi (On n’a pas la médaille mais on a les yeux bleus, Le Fantôme de
Mohammed D., s. d.), Serge Pauthe (Chers parents, 1994), Bernard Gerland
(Ma guerre d’Algérie, 2001) ; celle d’auteurs trop jeunes pour avoir fait la
guerre, mais qui en portent les stigmates, avec Daniel Lemahieu (La
Gangrène, 1976 ; Djebels, 1983-1988), Eugène Durif (Tonkin-Alger, 1988 ;
BMC, 1990), Bernard-Marie Koltès (Le Retour au désert, 1988), Gilles
Boulan (Le Silence des familles, 2000), Denis Guénoun (Scène, 2000),
Olivier Py (L’Exaltation du labyrinthe, 2001), Yakoub Abdellatif (La Chute
des anges, 2001), Lancelot Hamelin (Ici, ici, ici, 2002), Gilles Granouillet
(Nuit d’automne à Paris, 2002), Laurent Gaudé (Les Sacrifiées, 2004), etc.
Forts du temps nécessaire à un retour sur les lieux de la culpabilité, secoués
par l’arrivée au pouvoir d’une classe politique mise à l’épreuve en Algérie,
par les émeutes d’octobre 1988 en Algérie et par la persistance du racisme*,
les dramaturges veulent illustrer la honte nationale. Si quelques pièces
s’attachent à des moments (Palestro*, le 17 octobre 1961*, l’année 1962) ou
des figures (Iveton, Abane* Ramdane) de la guerre, la plupart télescopent
monologues et polylogues, dans une esthétique de la discontinuité spatiale et
temporelle à l’image, chaotique, des cœurs et des corps malmenés par le
conflit.
Si les voix algériennes continuent plus longtemps à être militantes
(Robert Belghanem, Charge creuse, 1966 ; Noureddine Aba, L’Annonce faite
à Marco, 1981 ; Hocine Bouzaher, L’Honneur réconcilié, 1988) ou à guetter
des figures exemplaires (Messaoud Benyoucef, Dans les ténèbres gîtent les
aigles, 2002), elles osent un retour critique sur la révolution (Mohammed
Dib*, Mille Hourras pour une gueuse, 1980 ; Mohamed Kacimi, 1962,
1998), la place qu’y prirent les femmes* (Myriam Ben, Leïla et Les Enfants
du mendiant, 1998), la diversité des trajectoires (Fatima Gallaire, Au loin les
caroubiers, 1993). Progressivement, s’impose l’impératif de se libérer du
passé. Les pièces de Slimane Benaïssa, Messaoud Benyoucef, Mustapha
Benfodil, notamment, mettent en scène des mémoires à la dérive. De part et
d’autre de la Méditerranée, les frontières s’estompent : à partir de la France,
nombre d’auteurs algériens visent moins désormais à établir le passé ou l’état
des culpabilités qu’à projeter un avenir commun possible (Aziz Chouaki, Les
Oranges, 2008 ; Mehdi Charef, 1962, le dernier voyage, 2005) ou à
esquisser, pour les fils et les filles, la voie d’une sortie de la rumination. Le
flux des pièces ne se tarit pas. Plusieurs dramaturges et collectifs de la
troisième génération reprennent l’enquête, et mêlent archives*, témoignages*
et fiction. Les femmes y prédominent : Judith Depaule, Barbara Bouley-
Franchitti, Marie Maucorps et les Butineurs, Margaux Eskenazi et la
compagnie Nova, Lydie Le Doeuff, Alexandra Badea, Sarah Mouline, etc.
Elles voudraient substituer à « une transmission par défaut » (Laurent
Gaudé), des failles et des béances assumées – conditions d’énonciation de
paroles véritablement adressées, conditions de possibilité de la
reconnaissance.
Catherine BRUN
Bibl. : Catherine Brun, « Le “théâtre” des événements », in Philippe
Baudorre (dir.), La Plume dans la plaie • Les écrivains journalistes et la
guerre d’Algérie, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003 • —,
« Le nom du père » [sur Messaoud Benyoucef], Lendemains, no 121,
Mémoires de la guerre d’Algérie, 2006 • —, « Le Retour au désert : un drame
messin et algérien », in André Petitjean (dir.), Bernard-Marie Koltès. Textes
et contextes, Metz, Université Paul-Verlaine, 2011.

TILLION, GERMAINE (1907-2008)


Née le 30 mai 1907 dans une famille bourgeoise de Haute-Loire,
Germaine Tillion suit des études de psychologie et de préhistoire, puis les
cours d’ethnologie de Marcel Mauss à l’EHESS et au Collège de France.
Celui-ci la pousse à devenir ethnographe des populations berbères. Elle
effectue avec Thérèse Rivière son premier voyage d’études dans les Aurès en
1934. Elle y retourne à plusieurs reprises jusqu’en 1940, publie ses premiers
articles sur le sujet et s’inscrit en thèse d’État. Mais elle est confrontée à la
débâcle et entre dans la Résistance*. Membre du « réseau du musée de
l’Homme », elle est arrêtée en août 1942 et déportée à Ravensbrück en
octobre 1943. Malgré les conditions, elle y applique la méthode d’analyse
ethnographique. Elle parvient même à y écrire une opérette : Le Verfügbar
aux enfers, tournant en dérision le fonctionnement du camp. Libérée en
avril 1945, elle rédige peu après plusieurs textes sur les camps et le
totalitarisme. Mais le déclenchement de l’insurrection algérienne la ramène
vers ses premières préoccupations. Poussée par Louis Massignon*, elle
enquête en Algérie de décembre 1954 à mars 1955 et, au sein du gouvernorat
de Jacques Soustelle*, élabore le projet des centres sociaux éducatifs* (CSE),
destinés à éduquer, former et dispenser des soins médicaux. L’Association
nationale des déportées et internées dans la Résistance (Adir) lui propose
alors de rédiger une étude sur l’Algérie, ce qui conduit au livre L’Algérie en
1957 (Minuit, 1957) dans lequel elle dénonce la « clochardisation » des
Algériens. Elle publie ensuite Les Ennemis complémentaires (Minuit, 1960),
consacrés à la guerre d’Algérie. Par ailleurs, en pleine « bataille d’Alger* »,
elle enquête sur les prisons* et les camps d’internement* en Algérie, lui
faisant prendre conscience de l’ampleur de l’utilisation de la torture*. Le
4 juillet 1957, elle rencontre Yacef Saadi* à Alger pour négocier avec lui une
trêve : l’arrêt des attentats du FLN* contre celui des exécutions mais ces
dernières continuent. Elle œuvre alors pour sauver des Algériennes et des
Algériens, en leur obtenant des grâces présidentielles ou en les hébergeant
chez elle. Cette action perturbe évidemment les deux camps : le FLN projette
de l’assassiner parce qu’elle détourne certaines femmes* de la sphère
frontiste mais le GPRA* refuse. De l’autre côté, les CSE sont la cible des
militaires français qui arrêtent et torturent plusieurs de ses membres. Surtout,
l’OAS* exécute six cadres des CSE le 15 mars 1962 lors de « l’attentat de
Château-Royal* ». Elle continue ensuite à travailler sur les sociétés
méditerranéennes. Décédée le 19 avril 2008, elle est entrée au Panthéon le
27 mai 2015.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Armelle Mabou et Gwendal Simon (dir.), L’Engagement à travers la
vie de Germaine Tillion, Riveneuves, 2013 • Fabien Sacriste, Germaine
Tillion, Jacques Berque, Jean Servier et Pierre Bourdieu. Des ethnologues
dans la guerre d’indépendance algérienne, L’Harmattan, 2011.

TIMSIT, DANIEL (1928-2002)


Moïse Daniel Timsit est né en 1928 à Alger. Ses grands-parents,
« indigènes » juifs*, ont été faits citoyens par le décret Crémieux en 1870.
Son père, ancien combattant de la Grande Guerre, et sa mère, auparavant
postière, tiennent un commerce dans une rue judéo-musulmane de la Casbah.
Ils élèvent leurs cinq enfants dans la religion juive.
Les frères et sœurs Timsit adhèrent au PCA* durant les années 1940.
Exclu du lycée par les lois antijuives de Vichy, Daniel obtient son
baccalauréat après la guerre. Ses deux frères et lui étudient la médecine à
l’université d’Alger*, où ils militent dans les cellules d’étudiants*
communistes aux positions anticolonialistes avancées.
Dès novembre 1954, Daniel Timsit estime que le PCA doit s’engager
dans l’insurrection. Après la dissolution du parti en septembre 1955, les
étudiants communistes se réorganisent sous sa direction. Le réseau, composé
de 22 membres, se lie en dehors de toute directive à des étudiants du FLN*.
De sa propre initiative, Daniel Timsit monte un premier laboratoire
d’explosifs en mars 1956. Après la découverte de son activité en mai 1956, il
prend la fuite.
De retour à Alger en août 1956, il est orienté par la direction du PCA vers
un laboratoire d’explosifs mis en place par le FLN à Birkhadem. Il rompt
alors avec le PCA, en application des accords FLN-PCA mais aussi en raison
de divergences avec son parti, dont il souhaite qu’il se dissolve dans le FLN.
Le laboratoire produit du fulminate de mercure, qui sert d’amorce à des
explosifs déposés dans des lieux publics à Alger fin septembre 1956.
Quelques jours plus tard, le réseau est démantelé. Daniel Timsit est arrêté et
inculpé avec 42 autres militants. Condamné à vingt ans de travaux forcés en
mars 1957, il est emprisonné jusqu’en 1962. Ses frères Meyer et Gabriel,
condamnés à des peines de sursis, sont internés au camp de Lodi. Sa sœur
Huguette est torturée en août 1957.
À l’indépendance, il est médecin et fonctionnaire ministériel. Tout
comme ses frères, il acquiert la nationalité* algérienne. Après le coup d’État
de juin 1965, il craint d’être arrêté. Il s’installe en France avec son épouse,
l’avocate anticolonialiste et féministe Monique Antoine.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Pierre-Jean Le Foll-Luciani, « Algérianisation et radicalisation : les
étudiants communistes de l’université d’Alger (1946-1956) », Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique, no 126, 2015 • Daniel Timsit, Algérie.
Récit anachronique, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 1998.
TIZI OUZOU, GROUPE DE
Le 25 juillet 1962, les troupes de l’ALN* stationnées en Tunisie*, la
Wilaya 1* et des dissidents de la Wilaya 2* occupent Constantine et Bône.
La prise de ces deux bastions stratégiques du Nord-Constantinois renseigne
sur la complexité de la guerre d’usure qui se joue au sein du FLN*-ALN.
Démentant toute participation de ses alliés dans cette opération, Ahmed Ben
Bella* l’impute à des éléments « incontrôlés ». Sa déclaration est révélatrice
des tensions qui existent dans son camp, le groupe de Tlemcen*. Ce grave
événement inaugure le recours à la violence par l’ALN dès le début de
l’indépendance.
À Tizi Ouzou, Mohamed Boudiaf*, Belkacem Krim* et le colonel
Mohand Oulhadj*, commandant de la Wilaya 3*, dénoncent ce qu’ils
qualifient de « coup d’État » et appellent à la population algérienne à entrer
en résistance. Soutenus par les membres de la Wilaya 2 restés loyaux au
colonel Salah Boubnider* et la Fédération du FLN en France*, ils annoncent
la création d’un « commandement unifié » des Wilayas 2 et 3. Le 26 juillet,
des milliers de personnes investissent le stade municipal de Bougie. Krim,
Boudiaf et Oulhadj réaffirment leur volonté de s’opposer militairement au
coup de force du 25 juillet. Le 27 juillet, à Tizi Ouzou, un Comité de liaison
et de défense de la Révolution (CLDR) est créé. Son plan d’action s’articule
autour de quatre points : unité de l’Algérie, création d’un commandement
unifié à l’échelle nationale, participation des wilayas à l’organisation des
élections législatives (constituante) et lutte contre les enlèvements, les
brimades et les exactions, qu’elles soient dirigées contre le peuple, « artisan
de la victoire », ou contre les étrangers.
Sans l’exprimer frontalement, Ben Bella voit dans la constitution du
groupe de Tizi Ouzou une façon de perpétuer le colonialisme en Algérie par
« l’exaltation du sentiment berbère en Kabylie ». Afin d’éviter la
transformation d’une crise politique et militaire en conflit identitaire ou
régionaliste, des voix au FLN appellent à préserver l’unité nationale. À cet
effet, Hocine Aït Ahmed* avertit qu’aucun conflit armé entre Arabes et
Berbères n’aura lieu et que la Kabylie n’a jamais formulé de positions
séparatistes. Le 1er août, une réunion se tient à Alger avec Krim, Boudiaf,
Mohamed Khider*, Rabah Bitat* et Oulhadj. Le risque d’une guerre civile,
l’affrontement entre les combattants de l’ALN et l’image désastreuse qu’offre
le FLN les engagent à mettre fin à la crise en paraphant l’accord du 2 août, en
précisant les prérogatives du bureau politique de Tlemcen et en réduisant son
champ d’action.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : « Déclaration du colonel Mohand Oulhadj », Paris-Match, 1962
• François Mannelet, « L’avertissement des “colonels” », Le Figaro, 1962
• Robert Merle, Ahmed Ben Bella, Gallimard, 1965.

TLEMCEN, GROUPE DE
À l’indépendance de l’Algérie le 3 juillet 1962, plusieurs forces politico-
militaires ont émergé du fait de l’implosion du FLN* lors de la session
extraordinaire du CNRA* à Tripoli* de mai-juin. Il est incontestable que la
plus importante de ces coalitions est celle de Tlemcen, constituée par Ahmed
Ben Bella*, Ferhat Abbas*, Mohamed Benyoucef Khider*, Houari
Boumediene* et leurs partisans.
C’est le 11 juillet qu’est né formellement ce groupe avec l’entrée en
Algérie, par le Maroc*, de Ben Bella à Tlemcen où il installe son quartier
général, à la villa Rivaud. Entre le 11 et le 23 juillet, Tlemcen constitue le
principal pôle politique et diplomatique de l’Algérie indépendante. Au
détriment d’Alger, siège du GPRA*. Aussi, la presse internationale et les
délégations étrangères s’y rendent pour être reçues par Ben Bella qui semble
l’homme fort du moment en Algérie. La villa Rivaud est également le lieu de
rencontre, de conciliabules et de négociations* d’une grande partie des
responsables du FLN et de l’ALN*.
Affaibli, le GPRA finit par reconnaître la prééminence du groupe de
Tlemcen. Ce bouleversement décisif des rapports de force au sein de la
révolution algérienne s’est réalisé en deux temps. Le 22 juillet, à la villa
Carpe-Diem, le porte-parole du groupe de Tlemcen : Ahmed Boumendjel*
annonce la constitution du Bureau politique (BP) du FLN, avec la même
composition que celle qui fut rejetée au CNRA de Tripoli de juin. Les
membres sont : Ben Bella*, Mohamed Boudiaf*, Mohamed Khider, Hocine
Aït Ahmed*, Rabah Bitat*, Saïd Mohammedi*, et Hadj Ben Alla*. Le BP est
cautionné par la majorité des responsables du FLN réunis à Tlemcen. Coopté,
Aït Ahmed refuse d’y siéger. Quant à Boudiaf, il accepte d’en faire partie. En
raison de profondes divergences avec Ben Bella, il le quitte au mois d’août et
fonde le 20 septembre le Parti de la révolution socialiste (PRS), le premier
parti d’opposition de l’Algérie indépendante.
Le 23 juillet 1962, c’est le GPRA qui consacre le BP de Tlemcen. Le
7 août, Benyoucef Ben Khedda* et son gouvernement lui cèdent leurs
principaux pouvoirs. C’est l’épilogue d’une des plus enrichissantes
expériences qu’a connu le FLN au cours de la guerre de libération nationale.
Pendant cette courte période, le groupe de Tlemcen en tant que force politico-
militaire a pu créer les conditions objectives à un regroupement national.
Toutefois, les pratiques qu’il a mises en œuvre ont provoqué une fragilisation
des institutions* issues de la guerre, le CNRA et le GPRA, et inaugurent le
début du processus de personnalisation du pouvoir.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Ferhat Abbas, L’Indépendance confisquée, 1962-1978, Flammarion,
1984 • Hervé Bourges, L’Algérie à l’épreuve du pouvoir, 1962-1967, Grasset,
1967 • Amar Mohand-Amer, « Les déchirements du Front de libération
nationale à l’été 1962 », in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou,
Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la
période coloniale (1830-1962), La Découverte-Barzakh, 2012.

TOMATES, JOURNÉE DES (6 FÉVRIER 1956)


Le 6 février 1956, Guy Mollet*, président du Conseil, se rend à Alger
afin d’installer le général Catroux au Gouvernement général*, en
remplacement de Soustelle*. Disciple de Lyautey, Catroux est connu pour
avoir prononcé l’indépendance formelle de la Syrie et du Liban, où il
représentait de Gaulle*, en 1941. Puis, gouverneur général de l’Algérie, en
1944, il a présidé à l’ordonnance du 7 mars 1944. Celle-ci a aboli les mesures
d’exception frappant les Algériens et ouvert le premier collège d’électeurs à
quelques dizaines de milliers d’entre eux. À ce titre, l’ordonnance a été
dénoncée par les plus fervents partisans de l’Algérie française.
Vers 15 heures, devant le monument aux morts*, en centre-ville, où il a
été conduit depuis l’aéroport pour déposer une gerbe, Mollet est conspué, pris
sous les projectiles : « mottes de gazons, tomates, oranges, pommes de
terre », selon les rapports policiers, ainsi que des « pots de fleurs » ; les
tomates en sont restées le symbole. Les associations d’anciens combattants*,
de défense de l’Algérie française comme l’UFNA (Union française nord-
africaine*) mais aussi les élus locaux (la Fédération des maires*), les
poujadistes* de l’UDCA (Union de défense des commerçants et artisans) et
des syndicalistes étudiants* ont organisé la mobilisation.
Son passage au monument aux morts écourté, Mollet gagne le palais
d’Été, résidence des gouverneurs généraux. Les manifestations* continuent,
leurs protagonistes affrontent les forces de l’ordre. Aussi, en fin d’après-midi,
Mollet annonce le remplacement de Catroux par Robert Lacoste*, avec le
titre de ministre résidant. Contrairement à une orthographe répandue depuis,
ce n’est pas « résident ». Ce terme est sciemment écarté pour éviter toute
ressemblance avec les protectorats du Maroc* et de Tunisie*, où les
« résidents » français cohabitent avec les pouvoirs locaux. Il s’agit bien du
participe présent, de nature à réaffirmer la présence française : Lacoste est
ministre résidant en Algérie. Il incarne sur place une autorité
gouvernementale délocalisée.
Dans une historiographie focalisée sur l’histoire politique de la France, le
contexte local a été sous-estimé. Ce 6 février 1956 n’est que l’acmé de
mobilisations des Français d’Algérie contre l’autorité parisienne. Dès le début
de la guerre, leurs élus (maires, délégués à l’Assemblée algérienne) ont
exprimé leur défiance à l’égard des gouvernements. Ils se sont opposés à
toute réforme risquant de remettre en cause leur suprématie, ont dénoncé une
répression à leurs yeux insuffisante et cité en contre-exemples les évolutions
des protectorats voisins. Alors dans une phase d’autonomie, la Tunisie et le
Maroc accèdent officiellement à l’indépendance, respectivement, le 20 mars
et le 7 avril 1956. Les milieux à la pointe de la « journée des tomates » (élus,
étudiants, anciens combattants) ont accentué leurs manifestations et meetings
au cours de l’année 1955 avant de les accélérer encore pendant l’hiver. En
effet, en décembre 1955, la dissolution de l’Assemblée nationale par Edgar
Faure a entraîné l’abolition de l’état d’exception alors en vigueur en Algérie
(l’état d’urgence*), puis les élections* législatives ont été reportées sine die.
Elles n’ont eu lieu qu’en métropole en janvier 1956. La nouvelle Assemblée
nationale, par conséquent, discutera du sort de l’Algérie en l’absence de tout
représentant des Français de la colonie. Quatre jours avant la « journée des
tomates », des dizaines de milliers d’entre eux (100 000 ?) ont accompagné
Soustelle à l’aéroport. Après des débuts difficiles, il était devenu leur
défenseur.
Dans la foulée du 6 février 1956 s’installe une ambiance
insurrectionnelle. Un Comité de salut public est formé, les manifestations
perdurent. Le monument aux morts en est le point de ralliement, en tant que
lieu symbolique du sang autrefois versé pour la patrie. Au cœur des slogans :
l’exécution des condamnés à mort – des Algériens ont été ainsi condamnés
depuis le début de la guerre mais aucun n’a encore été exécuté. Un ultimatum
est lancé aux autorités, pour le 21 mars. Le calme revient très
progressivement, avec le vote des pouvoirs spéciaux*, le 16 mars, et l’action
de Robert Lacoste. Il reçoit des représentants des contestataires, en particulier
des élus, comme Raymond Laquière, président de l’Assemblée algérienne, et
multiplie les déclarations rassurantes de leur point de vue. Les deux
premières exécutions, celles de Zabana* Ben Mohamed et de Ferradj
Abdelkader Ben Moussa, ont lieu le 19 juin 1956.
Quel rôle a joué la « journée des tomates » dans le revirement apparent de
Mollet, avec les pouvoirs spéciaux et l’enfoncement dans la guerre qui
s’ensuit ? Si Mollet a certainement compris ce jour-là la menace que
représente la rue algéroise, il ne faut pas oublier que les pouvoirs spéciaux
prévoient aussi des réformes. Cette alliance de la répression et des réformes
n’est pas nouvelle. C’est une tendance longue de la politique française en
Algérie sous la IVe République*.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammarion, 2012.

TORTURE
En 2018, dans sa déclaration sur la disparition* d’Audin* en 1957, le
président Macron* a reconnu l’existence d’un système « arrestation-
détention » reposant sur l’usage massif de la torture ; une réalité niée jusque-
là. L’importance du discours tient à l’importance du déni auquel il met fin, en
dépit de résistances demeurant dans certains milieux.
Car la torture a effectivement été massivement employée en Algérie, sur
ordre de la hiérarchie et en toute impunité. Loin d’être le fait d’individus
isolés et marginaux, elle était au service de la guerre telle qu’elle était menée
et pensée. Les forces françaises avaient besoin d’informations sur leurs
ennemis qu’elles connaissaient mal et qui semblaient perpétuellement renaître
et, plus encore, elles avaient besoin de détourner d’eux la population civile
pour la rallier à l’Algérie française. Aux côtés d’actions proches de l’aide
humanitaire, voire de l’aide au développement (construire des routes,
développer l’industrie*, former un réseau d’écoles* ou faire des campagnes
d’information sur la puériculture ou les vaccinations, etc.), la torture servait le
dessein de terroriser une population censée adhérer au FLN* par la force. À
la terreur qu’elle imaginait présente chez ses adversaires, l’armée souhaitait
répondre par une autre. Fondamentalement, cette dimension explique
l’ampleur de la pratique et non pas son efficacité dans l’obtention du
renseignement comme on l’a parfois présenté. Seule cette dimension permet
de comprendre pourquoi on est passé d’une méthode policière
d’interrogatoire, née d’un terreau colonial ancien, à des violences pratiquées
massivement sur les terrains d’opérations.
La répression menée par les parachutistes* à Alger en 1957 fut un
tournant clé dans la généralisation et la justification de la torture. Près de
quarante-cinq ans plus tard, le général Massu*, ancien commandant de la
10e division parachutiste* (DP), reconnut « que la torture avait été généralisée
en Algérie ». De fait, il en fut un des ordonnateurs. Bien que camouflée ou
euphémisée dans des expressions telles que « interrogatoire musclé »,
« interrogatoire sous la contrainte » ou encore « interrogatoire serré », la
torture fut justifiée comme un moindre mal comparé au terrorisme aveugle.
C’est notamment ce qu’expliqua l’aumônier de la 10e DP au printemps 1957.
Cette justification répondait à l’émotion qui secouait une France
métropolitaine frappée par ce que révélaient alors des récits publiés. Jusqu’en
1962, cependant, aucune affaire ne perturba significativement le déroulement
de la guerre, en dépit des témoignages* qui furent rendus publics et qui
montraient la persistance de ces violences tout autant que leur arrivée en
métropole (notamment à Paris par les forces de l’ordre spécialisées dans le
contrôle de l’immigration algérienne) ou leur extension aux activistes de
l’Algérie française en 1962.
Dans tous les cas, ces violences ont les mêmes buts. Elles visent,
éventuellement, à obtenir des informations mais surtout à terroriser les
groupes d’appartenance des personnes arrêtées et considérées comme
suspectes : ici la population d’un village auprès duquel a eu lieu une
embuscade*, là un réseau de soutien apportant gîte et couvert à des
clandestins recherchés, là encore un groupe de militants ou de combattants.
Les techniques sont aussi toujours les mêmes : coups, décharges
électriques, étouffements (torture avec de l’eau) et pendaisons (par les
poignets ou les chevilles). Les organes sexuels sont des lieux d’application
privilégiés des coups et décharges, les violences sexuelles participent aussi de
ces supplices. Invariablement, les victimes sont soumises à des hommes qui
souhaitent leur faire mal et manipulent, au-delà des violences physiques,
l’idée de leur mort : la vie des victimes est littéralement entre leurs mains. Ce
ressort psychologique est bien souvent passé sous silence par les discours qui
réduisent les tortures à de simples techniques de renseignement.
En Algérie, les tortures sont toujours accomplies dans un cadre normé et
hiérarchique : en dépit de leur caractère illégal, elles sont ordonnées par un
supérieur et effectuées par des soldats qui obéissent. Si certains officiers* ont
pu refuser de l’ordonner, si des soldats du rang ont pu ne jamais y être
confrontés, l’impunité a caractérisé leurs auteurs jusqu’à aujourd’hui. Dès le
22 mars 1962, en effet, l’amnistie* des actes commis dans le cadre des
« opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne »
est acquise et reconnue par les deux parties signataires des accords d’Évian*.
Jusqu’en 2018, il a été possible d’en nier l’importance au plus haut niveau de
l’État.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Sylvie Thénault, « Politiques publiques de la
mémoire et guerre d’indépendance algérienne : un combat pour l’histoire ? »,
Revue d’histoire culturelle, 2021 • Pierre Vidal-Naquet, La Torture dans la
République, Minuit, 1972.

TORTURE (DÉBATS MÉMORIELS)


Contrairement à une idée reçue, la torture a été régulièrement débattue et
dénoncée. Elle est le thème qui a le plus polarisé l’attention de l’opinion
publique* française et, par ricochet, mondiale, que ce soit pendant la guerre,
avec la multiplication des grandes affaires à partir de 1957, ou après.
Dix ans après la fin du conflit, le débat s’enflamme à nouveau et, une fois
de plus, c’est la « bataille d’Alger* » qui s’impose (à tort) comme un
symbole de toute la guerre d’Algérie. En 1971, le général Jacques Massu*
publie un volume de mémoires, lancé par une campagne promotionnelle
agressive et intitulé de manière significative La Vraie Bataille d’Alger (Plon).
Massu – lors de la « bataille » à la tête de la 10e division parachutiste* –
entend répondre au film La Bataille d’Alger du réalisateur italien Gillo
Pontecorvo. Le film, produit par Yacef Saadi*, l’un des cadres du FLN* dans
la Zone autonome d’Alger* en 1957, n’est en effet sorti en France
qu’en 1970, quatre ans après sa diffusion. L’intervention de Massu suscite
immédiatement un vaste débat, non seulement pour son prévisible plaidoyer
pro domo sua mais aussi parce qu’il n’était jamais arrivé qu’un officier* de
son grade admette l’emploi de la torture et sa généralisation. Il la revendique
de surcroît comme le seul moyen efficace de combattre la « guerre
révolutionnaire* » du FLN et de garder l’Algérie française. Outre l’habituelle
justification par l’obéissance aux ordres, laquelle met en cause les
responsabilités politiques dans la conduite de la guerre, Massu évoque les
arguments du révérend Delarue, aumônier de sa division de parachutistes,
selon lequel la torture aurait sauvé des vies innocentes grâce aux aveux
extorqués par la violence. L’argument est renforcé par une approche
apparemment froide et détachée, presque « scientifique » – Massu se plaît à
raconter qu’il a essayé sur lui-même les décharges électriques de la
« gégène* ». Il évite de parler de « torture » en utilisant un langage moins
rugueux : il écrit que les interrogatoires étaient « musclés », voire
« poussés ». Mais « poussés » jusqu’où ?
C’est précisément sur ce point qu’insiste Pierre Vidal-Naquet* dans une
tribune du journal Le Monde* intitulée « La torture-spectacle » : « La torture
dont nous parle Massu est une torture aseptisée, chirurgicale, celle dont le
R.P. Delarue fut le théologien : un peu d’électricité, ce n’est pas grave, est-ce
même de la torture ? » Ainsi commence une autre de ces « batailles de
l’écrit » qui ont toujours caractérisé le débat sur la guerre d’Algérie. En fait,
l’année suivante, en 1972, trois livres paraissent en réponse à celui de Massu.
Pierre Vidal-Naquet publie, en historien, une enquête très fouillée, reprenant
un texte déjà paru en Italie* et au Royaume-Uni dix ans plus tôt et présenté à
cette occasion par l’éditeur français comme « l’anti-Massu » : La Torture
dans la République (Minuit). Jules Roy*, ex-officier, originaire d’Algérie,
écrit un pamphlet vibrant et sans appel : J’accuse le général Massu (Seuil).
Le général Jacques Pâris de Bollardière*, quant à lui, avec Bataille d’Alger,
bataille de l’homme (Desclée de Brower), se situe plutôt au niveau de la
conscience.
Au-delà des considérations éthiques (« faut-il toujours obéir aux
ordres ? »), l’efficacité de la torture s’impose au centre du débat. En réponse
à ses détracteurs, dans une lettre au journal Le Monde, Massu insiste sur les
résultats obtenus : « L’action de la 10e division parachutiste […] a abouti en
dix mois au double résultat recherché : la fin de la peur, le rétablissement de
la sécurité et le rapprochement des deux communautés musulmanes et
européennes ». Ses détracteurs contre-attaquent en soulignant au contraire la
mécanique perverse que la torture déclenche. D’abord, parce que, pour mettre
fin aux souffrances, les torturés sont enclins à admettre tout ce qu’on leur
demande d’avouer. L’efficacité de la torture est en outre contestable car elle
ne permet qu’une victoire à court terme : à long terme, son action
indiscriminée ne fait que renforcer les liens entre la population et les
combattants indépendantistes.
Peu avant sa mort, Massu interviendra de nouveau dans le scandale qui
éclate en juin 2000 à l’occasion de la venue du président Bouteflika* en
France et du témoignage* de Louisette Ighilahriz* dans le journal Le Monde,
sous la plume de Florence Beaugé. Contrairement à d’autres militaires
(comme Bigeard*), Massu exprime ses regrets : « La torture n’est pas
indispensable en temps de guerre, on pourrait très bien s’en passer. Quand je
repense à l’Algérie, cela me désole. » Prolongée par la publication de
l’ouvrage d’Aussaresses* (Services spéciaux, Plon, 2001), cette nouvelle
polémique révèle aux générations* qui l’ignoraient la pratique de la torture en
Algérie. Elle s’accompagne d’une libération de la parole d’anciens du
contingent et elle débouche sur une demande de reconnaissance politique de
la torture avec l’« Appel des douze* ». La politique mémorielle d’Emmanuel
Macron*, particulièrement volontariste, y répond partiellement, avec retard
par rapport à la connaissance de la torture, tant par les contemporains que par
les travaux historiques.
Andrea BRAZZODURO

TRAFIC D’ARMES
ET ARRAISONNEMENT DE BATEAUX
Les voies terrestres autant que les voies aériennes et maritimes ont été
exploitées par les dirigeants du FLN* pour ravitailler les maquis en armes de
toutes catégories. Dès le début de l’insurrection, deux chefs du FLN,
Mohamed Boudiaf* et Ahmed Ben Bella*, sont chargés de fournir des armes
à l’ALN*, le premier à partir de Nador et Tétouan sur les côtes marocaines, le
second à partir d’Alexandrie (Égypte*) et de la base de Tripoli (Libye). La
première livraison d’armes comprenant fusils, mitraillettes, grenades et
cartouches que l’Égypte envoie à l’ALN date du 24 décembre 1954. Elle
parvient aux maquis de l’Aurès par la voie du sud. L’accès à l’indépendance
de la Tunisie* en 1956 facilite par la suite l’acheminement des armes à partir
de la frontière est.
Le Dyna est l’un des premiers bateaux chargés au port d’Alexandrie à
avoir accosté les côtes algériennes le soir du 29 mars 1955. Conduit par
Milan Bacic, officier yougoslave, le Dyna a transporté une cargaison de
21 tonnes d’armes sous la responsabilité de Nadir Bouzar et six autres
volontaires acquis à la révolution algérienne. Au mois de septembre 1955, un
second bateau l’Intissar décharge à son tour dans la région de Nador
40 tonnes d’armes.
Mais ce trafic doit compter avec la surveillance que la marine française
exerce sur les côtes algériennes, à partir de la base de Mers El Kébir (Oran).
Défiant ces difficultés, le trafic d’armes empruntant tantôt la voie aérienne,
tantôt la voie maritime prend de l’ampleur au vu de l’accroissement des
besoins des maquis de l’ALN et de la durée de la guerre. Boudiaf réussit à
entrer en contact avec Georg Puchert (1915-1959), un fournisseur d’armes à
la résistance marocaine, ex-officier de la marine allemande qui accepte de
servir le FLN. Sous couvert de sa société de pêche domiciliée à Tanger,
Puchert constitue une flottille de plusieurs bateaux qui fait du cabotage
d’abord, à partir de Gibraltar vers les côtes marocaines. Dans un second
temps, Puchert prend attache avec des fabricants et marchands d’armes en
Allemagne fédérale dont l’armurier Otto Schluter à Hambourg qui devient
l’une des plaques tournantes de l’approvisionnement en armes destinées aux
maquis algériens. Par l’intermédiaire d’Otto Schluter, le délégué au bureau du
FLN à Bonn, Ameziane Aït Ahcène, envoie un chargement d’armes par avion
à Tunis (janvier 1957). De même, l’aéroport de Casablanca réceptionne une
importante cargaison d’armes chargées au Luxembourg au mois de mai 1957.
Peu à peu, le FLN réussit à tisser un important réseau logistique dans
plusieurs pays de l’Europe occidentale sous l’impulsion d’un homme :
Abdelhafid Boussouf*, chef de la Wilaya 5 (Oranie), qui est à l’origine de la
création du Service de renseignement et des liaisons.
C’est naturellement que le commerce maritime des armes connaît un
grand essor à la suite de la fermeture des frontières est et ouest par les
barrages électrifiés* (1958). Cependant, il doit compter avec les interventions
de la marine française qui deviennent plus efficaces grâce aux
renseignements du SDECE* qui concentre tous ses efforts sur la surveillance
des missions du FLN dans les capitales européennes, les pays de l’Est, en
URSS*, au Moyen-Orient, aux États-Unis d’Amérique* et de ses relais. Le
contre-espionnage du SDECE est secondé par le service Action dont le rôle
s’avère redoutable dans l’élimination des marchands d’armes, des
responsables du FLN et de leurs multiples intermédiaires.
Parmi les bateaux interceptés par la marine française figure l’Athos qui
appareille à Alexandrie. Arrêté le 16 octobre 1956 en haute mer par le
croiseur Pimodan, sa cargaison est débarquée à Mers El Kébir. Les années
suivantes, la marine française intercepte le Juan-Illueca, le Suwanee en 1957,
le Slovenija, le Granita et le Tigrito en 1958, le Lidice en 1959. Ces
opérations se poursuivent sans interruption jusqu’à la fin de l’année 1961.
Certains sont coulés tels le Bruja Roja et le Typhoon dans le port de
Tanger en juin-juillet 1957 ; l’Atlas à Hambourg le 27 septembre 1958 ; El
Kahira au port d’Ostende (Belgique*) le 1er mars 1958. Le Bussard explose
au large des côtes hollandaises le 13 septembre 1959.
En plus de l’arraisonnement des bateaux, les hommes du service Action
se sont distingués par de nombreux attentats à la voiture piégée contre les
responsables du FLN et leurs fournisseurs dont la plupart résident en
République fédérale d’Allemagne* ou en Suisse*. Ainsi Schluter, blessé
grièvement le 3 juin 1957 à Eppendorf, finit par rompre toute relation avec
Puchert et le FLN. Le 5 novembre 1958, la voiture du délégué du FLN,
l’avocat Ameziane Aït Ahcène, explose à Bad Godesberg, le blessant
grièvement.
À Genève, en septembre 1957, deux assassinats éliminent Georges
Geiser, fabricant de détonateurs, et Marcel Léopold, autre trafiquant d’armes.
Le 3 mars 1959, Puchert meurt dans sa voiture piégée. Le 15 octobre 1960, le
même procédé est utilisé contre Wilhelm Beissner à Munich, qui est
sérieusement blessé.
Il convient de souligner que la création du GPRA* en 1958 et sa
reconnaissance par certains pays contribuent efficacement à élargir les
sources de ravitaillement. Ainsi la Yougoslavie*, la Chine* suivies de
l’URSS participent à leur tour à l’affrètement de bateaux qui empruntent
diverses voies avant de parvenir à bon port, soit à Casablanca, Tanger, Tunis,
Tripoli…
Pour sa part, la Fédération de France du FLN* s’est appuyée sur des
anticolonialistes français comme Jacques Vignes – ami de jeunesse de
Francis Jeanson* – ou le trotskiste allemand Georg Jungglas, mais aussi sur
le milieu des truands et trafiquants, notamment à Lyon*, pour armer ses
groupes de choc via la Belgique ou l’Italie*.
Enfin, surtout à partir de 1960, le service Action 4 du MALG avec à sa
tête M’hamed Yousfi met au point un atelier de mécanique à Remagen, au
sud de Bonn, qui réaménage des véhicules de tourisme et des autobus avant
de les charger en armes et de les acheminer soit vers la Fédération de France,
soit vers les ports d’Alger, Oran ou Bône, à partir de Marseille.
Ce déploiement du front de la guerre sur la scène internationale qui a
mobilisé tant du côté français que du côté algérien toute une armada de
professionnels de l’espionnage et de l’action secrète demeure l’une des
singularités de la Guerre d’indépendance de l’Algérie dont l’étude reste à
faire.
Mais en dépit des pertes humaines et matérielles enregistrées, l’armement
a continué à parvenir aux ports du Maroc, de la Tunisie et même de l’Algérie
à partir de 1960.
Ouanassa SIARI TENGOUR et Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Ali Haroun, La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France, 1954-1962,
Seuil, 1986 • Mohamed Lemkami, Les Hommes de l’ombre. Mémoires d’un
officier du MALG, Alger, Anep, 2004 • Dahou Ould Kablia, Boussouf et le
MALG. La face cachée de la Révolution, Alger, Casbah, 2020.

TRAVAIL ET CHÔMAGE
Essentiellement rurale, la société algérienne précoloniale ne pratique
qu’exceptionnellement le salariat. Elle ne connaît pas le servage. Le travail de
la terre s’effectue par des paysans libres (fellahs) ou tenus par divers contrats
de métayage. Le plus répandu est celui au 1/5e. Ces khammès sont 1 012 000
en 1903 (contre 1 724 000 propriétaires musulmans) et encore 940 000 en
1936 (pour 2 109 000 propriétaires).
L’introduction du salariat par la viticulture coloniale, à partir de 1880,
occasionne une vraie révolution dans les campagnes algériennes. Dès 1890,
on compte entre 16 000 et 20 000 musulmans salariés dans l’agriculture*
coloniale. En 1903, on compte 386 000 ouvriers agricoles et, en 1954,
564 000. Entre-temps, la population rurale, essentiellement des musulmans, a
plus que doublé, passant de 3 304 000 en 1903 à 7 051 000 en 1954.
Resserrés sur des surfaces souvent peu fertiles, les fellahs, ne pouvant
s’engager dans des emplois salariés, alimentent un flot continu de paysans
sans terre qu’on ne recense pas comme chômeurs parce qu’ils n’ont pas perdu
un travail. D’où la difficulté de mesure du chômage dans la colonie. Selon un
rapport du Conseil économique et social de juillet 1955, les statistiques de
chômeurs n’existent que dans un dixième des communes. Le Conseil note
qu’aux « inemployés s’ajoute la masse des sous-employés », fellahs qui,
« ayant cultivé leurs terres […] cherchent un travail complémentaire ».
Seules des observations sociales permettent de rendre compte du
phénomène. En 1923, Victor Demontès, inspecteur général de l’Agriculture
au Gouvernement général*, est témoin de ces « pauvres » qui « meurent sur
les routes, ou se réfugient dans les villes. Ajoutez que leurs vêtements sont
sales, rapiécés, réduits à de véritables loques ». Sans emploi dans
l’agriculture, les musulmans sans terre et sans emploi n’en trouvent pas non
plus dans les villes. En 1954, il y a seulement 334 500 salariés non agricoles,
dont 240 300 Européens (72 %). On compte 94 200 musulmans salariés pour
une population urbaine musulmane de 1 390 000 (6,7 % contre 31,6 % pour
la population citadine européenne). Les commerçants, artisans et chefs
d’entreprise sont 123 500 dont 69 200 Européens (56 %).
L’économie coloniale se caractérise par un sous-emploi structurel des
musulmans. Elle accumule des tensions qu’atténue l’émigration* vers la
métropole. Auparavant, on avait déjà enregistré plusieurs exodes vers la
Tunisie* et l’Orient (1870, 1875, 1888, 1898, 1910 et 1911). Dès le
lendemain de la Première Guerre mondiale, la demande de travail en
métropole va absorber une partie des sans-terre et sans emploi musulmans.
On distingue trois âges de l’émigration. Elle est marginale avant 1918,
substantielle entre 1918 et 1946, et massive après 1946. Les soldes nets sont
de 57 300 en 1920-1924, de 60 400 en 1935-1939 et 142 200 en 1949-1954.
En 1954, le salaire horaire dans la colonie est de 88 francs contre 109 en
métropole. Un indice de ce sous-paiement est fourni par le rapport
Maspétiol* de 1958 qui estime les salaires à 40 % du revenu national de la
colonie contre 50 % pour les profits.
C’est seulement en 1949 que l’Assemblée algérienne* introduit le régime
des assurances sociales. Le régime général embrasse en majorité des
Européens. Le nombre des salariés déclarés en 1950, au titre des allocations
familiales, s’élevait à 315 000 dont seulement 89 000 musulmans.
En ajoutant aux salariés agricoles musulmans le nombre de propriétaires
terriens et de khammès, il y aurait, en 1954, 1 105 000 actifs musulmans
occupés dans les campagnes pour 7 051 000 ruraux musulmans. Or, si l’on
exclut les propriétaires, ces actifs sont, pour la plupart, journaliers,
saisonniers, aides familiaux, etc. Les ouvriers permanents musulmans dans
l’agriculture ne sont que 112 800. En y ajoutant les employés non agricoles et
les artisans et commerçants (54 300), et compte tenu de la population active
musulmane recensée en 1954 (3 218 000 personnes), il apparaît que 68 % de
cette population n’a pas d’emploi permanent. Dans les villes, la situation
n’est plus maîtrisable : il y a moins de 100 000 occupés réguliers (salariés et
artisans ou commerçants) pour 1 400 000 musulmans. Il y aurait donc, en
1954, plus de 700 000 adultes musulmans citadins qui ne disposent d’aucune
activité permanente. Tel est le véritable arrière-plan de la fameuse « bataille
d’Alger* ». Le nombre de sous-prolétaires citadins et ruraux sans emploi ne
manque pas de peser décisivement dans la balance des forces le jour de
l’embrasement.
Ahmed HENNI
Archives : Service de la statistique générale, Annuaire statistique de
l’Algérie, Gouvernement général, Alger, années 1954 et suiv.
Bibl. : Ahmed Henni, Économie de l’Algérie coloniale 1830-1954, Chihab,
2018 • André Nouschi, L’Algérie amère 1914-1994, Maison des sciences de
l’homme, 1996.

TRÊVE CIVILE (L’APPEL POUR UNE)


C’est avec « L’appel pour une trêve civile » lancé par Albert Camus*,
lors d’une conférence donnée le 22 janvier 1956 à Alger, au Cercle du
progrès, au pied de la Casbah, face à la place du Gouvernement, que se fait la
convergence entre le désir de l’écrivain de faire quelque chose pour son pays
et l’engagement des libéraux*, qui rassemblent des « Européens » et des
« musulmans », qui veulent une sortie de la logique de la violence.
Le camp des libéraux regroupe des gens, venus de divers horizons, portés
par le refus du statut inégalitaire du système colonial, animés par un idéal qui
est aussi bien celui de l’humaniste que du chrétien ou de celui qui rêve
d’égalité. S’il est possible de retrouver les prémices d’une telle attitude tout
au long de la colonisation, comme avec les saint-simoniens, le mouvement
devient plus manifeste après la répression des manifestations de mai 1945* à
Sétif et dans le Constantinois. Déjà, les reportages de Camus sur la « Misère
de la Kabylie », publiés en juin 1939 dans Alger républicain, constituent une
relance de la question de l’injustice coloniale. Alors qu’un comité est déjà
constitué à Oran, les premières réunions du groupe d’Alger ont lieu les 15 et
16 janvier 1956, en présence de Camus qui peut mesurer la gravité de la
situation dans son pays natal.
Il était en contact avec ses amis d’Alger, comme Emmanuel Roblès ou
Charles Poncet. L’idée d’un appel se précise, qui est lancé au cours d’une
conférence. Camus avait déjà publié deux articles dans L’Express (« Trêve
pour les civils », 6 janvier, et « Le parti de la trêve », 17 janvier) qui
contiennent les idées qu’il développera.
Il se place sous le signe du vécu et de l’émotion. Il sait que la violence de
la colonisation explique celle de la rébellion, mais ne peut en accepter les
débordements contre les civils. Il précise que dans un monde fracturé dans
lequel il faut choisir son camp, lui choisit celui de son pays, « celui de
l’Algérie de la justice, où Français et Arabes s’associeront librement ». Il
demande donc une « trêve au massacre des civils, de part et d’autre » et
souhaite la fin des « noces sanglantes du terrorisme et de la répression ».
Le retour de Camus dans son pays natal avait été entouré de précautions
car les ultras de l’Algérie française sont opposés à tout ce qui ne va pas dans
le sens de leur position. Le service d’ordre est assuré par des étudiants*
musulmans et juifs*. On apprend plus tard que le FLN* veillait en arrière-
plan au bon déroulement de la conférence.
Ferhat Abbas* est aux côtés de Camus, tandis que le cheikh El Okbi (que
Camus avait autrefois défendu), malade, a été transporté dans la salle. Aux
côtés de Roblès et Poncet, on trouve l’éditeur Edmond Charlot, Jean de
Maisonseul, Louis Miquel, Louis Bénisti et Évelyne Chauvin (journaliste aux
services de presse américains), un représentant de Mgr Duval*, un pasteur,
les avocats Yves Dechezelles et Ahmed Chentouf, le sociologue Abdelmalek
Sayad*, les militants algériens Mohamed Lebjaoui et Amar Ouzegane*.
Camus situe son appel en dehors de tout contexte de politique partisane.
Il intervient en tant qu’homme vivant le malheur algérien. Il a en commun
avec ceux qui ont préparé la conférence « l’amour de la terre commune et
l’angoisse ». Son objectif est d’« obtenir que le mouvement arabe et les
autorités françaises [déclarent] qu’ils ne s’en prendront pas aux civils ». Au
souci de la préservation des vies s’ajoute le souci de l’avenir du pays, qui
n’est pas, selon lui et ses amis, totalement compromis. Pour cela, il faut la
solidarité des deux parties qui peuvent refuser la logique de la guerre. Il
rappelle qu’il existe une communauté de l’espoir qu’il faut consolider
jusqu’au jour où la discussion sera engagée sur le fond. Il faut agir sur le
caractère odieux de la lutte. Le but est d’arriver à une Algérie de la fraternité,
celle que veulent les Français libéraux et les modérés arabes, de lutter contre
la méfiance réciproque des deux communautés, et d’empêcher la séparation
qui deviendra inévitable. Échouer dans ce projet serait compromettre l’avenir.
Il réaffirme sa passion de la terre et sa conviction qu’il est possible de sortir
de la logique de la violence.
Pendant ce temps, dehors, les ultras crient « Camus au poteau ».
Camus se rend compte que l’engrenage de la violence est bien installé et
qu’il est peut-être trop tard. Revenu à Paris, il n’interviendra plus
publiquement sur l’Algérie, même s’il agira pour sauver des Algériens de la
peine de mort.
Les libéraux vont se constituer en groupe et publient, pendant quelques
mois, un journal, L’Espoir, dans lequel ils exposent leurs objectifs. Mais le
temps d’une trêve semble bien passé, même si en 1957, Germaine Tillion*,
en accord avec Yacef Saadi*, obtient une trêve civile pour quelques mois.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Albert Camus, Chroniques algériennes, in Œuvres complètes, t. IV,
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2008 • Charles Poncet,
Camus et l’impossible trêve civile, suivi de Correspondance avec Amar
Ouzegane, Gallimard, 2015.

TRINQUIER, COLONEL ROGER (1908-1986)


Né le 20 mars 1908 dans les Hautes-Alpes, Roger Trinquier s’oriente
initialement vers l’enseignement. Élève de l’école normale d’Aix-en-
Provence, il prépare le concours d’officier* de réserve, en 1928. Ayant opté
pour l’infanterie coloniale, il commande une section de tirailleurs sénégalais.
À la fin de son service militaire*, il choisit l’armée d’active et finit sa
formation d’officier à l’école de Saint-Maixent.
En 1934, il embarque pour l’Indochine* où il devient chef de poste au
Tonkin. Après un retour en France en 1936, il est affecté dans les concessions
françaises en Chine* en 1938. En 1940, il est à la tête d’une compagnie
composée de soldats vietnamiens appartenant au bataillon chargé de la
défense de la concession de Shanghai. La ville est occupée par les Japonais,
qui désarment et encasernent son unité. Pétainiste, soupçonné de
collaboration avec les Japonais, il est inquiété par sa hiérarchie au sortir de la
guerre.
Il rejoint l’Indochine en 1946 et est affecté au commando « Ponchardier »
puis au 2e bataillon colonial de commandos* parachutistes dont il prend le
commandement en 1948. Il finit ce séjour en 1949 et retourne en France. En
1951, il est envoyé en Corée pour participer à l’opération Rat Killer, une
opération antiguérilla menée par les Américains. Il est de retour en Indochine
en 1952. Il prend la tête du Groupe de commandos mixtes aéroporté (GCMA)
et devient chef du service Action en Indochine. Le GCMA organise dans les
hautes régions des maquis anti-Vietminh, rassemblant plus de 30 000
combattants recrutés parmi les peuples de ces régions très souvent hostiles
aux Vietnamiens.
Il retourne en France en 1955 puis gagne l’Algérie en 1956 et rejoint
rapidement l’état-major du général Massu* à la tête de la 10e division
parachutiste*. Il joue un rôle majeur durant la bataille d’Alger* en mettant en
place l’encadrement de la population algéroise – européenne tout d’abord,
algérienne ensuite – dans le dispositif de protection urbaine* (DPU), système
de quadrillage et d’îlotage qui se répand progressivement dans le reste de
l’Algérie. Il prend, en 1958, la tête du 3e régiment de parachutistes coloniaux.
Il joue un rôle actif dans les événements du 13 mai 1958*, son régiment se
laissant déborder par les émeutiers. Il est un des officiers du Comité de salut
public. Après les événements d’Alger, il opère avec son régiment en Kabylie
et le Nord-Constantinois.
Rappelé en métropole en 1960, afin d’éloigner cet officier politique
d’Algérie, il est envoyé clandestinement au Katanga, pour soutenir la
sécession de Moïse Tschombé, et former son armée. L’opération est un
échec. Il quitte alors l’armée et se consacre à la politique et à l’écriture. La
Guerre moderne, publié en 1961, est un ouvrage marquant de cette
génération* d’officiers français. Trinquier y assume l’emploi des méthodes
les plus dures.
Il meurt accidentellement en 1986.
Denis LEROUX

TRIPOLI, CONGRÈS DE (1962)


Contrairement à ce qui est généralement admis, la qualification de
« congrès » donnée aux travaux du CNRA* menés à Tripoli en Libye
(28 mai-6 juin 1962) est inexacte. Il s’agit, en l’espèce, d’une session
extraordinaire organisée dans le but d’atténuer les dissensions nées de la
signature des accords d’Évian* le 19 mars* et ses conséquences directes et
indirectes sur les équilibres de forces au sein du FLN* et de l’ALN*.
Ce qui est connu comme étant le programme de Tripoli – élaboré en vue
de la concrétisation de la Révolution démocratique et populaire, de la
détermination de la nature du parti et des tâches immédiates qui lui
incombent – fut adopté à l’unanimité, moyennant quelques amendements
comme la référence à l’islam introduite par Ben Bella* ou le socialisme que
proposa Ali Haroun* de la Fédération de France*. En revanche, la
composition du futur Bureau politique (BP), principal enjeu de cette
rencontre donna lieu à des débats d’une rare violence, révélant les profonds
clivages qui divisent les protagonistes regroupés autour de deux coalitions.
La première est alignée sur le GPRA*, la seconde est menée par Ben Bella et
ses alliés.
Lors du choix de la désignation du BP, principal enjeu de ce CNRA, les
débats rudes et violents révèlent un FLN miné par des clivages politiques
majeurs. On convoque ainsi les antagonismes du temps du mouvement
national (partisans de Ferhat Abbas* ou centralistes) et des rivalités politiques
et/ou militaires inhérentes à la guerre. Enfin, les conflits de personnes et de
leadership entre partisans de Ben Bella et de Boudiaf* brisent l’unité du FLN.
Le refus par la majorité des participants au CNRA de Tripoli de cautionner
un BP, inféodé à Ben Bella et à ses alliés, déclenche le processus d’implosion
du FLN historique et provoque l’interruption des travaux le 6 juin.
Les conséquences de l’échec de Tripoli sont lourdes. En sacrifiant le
CNRA, un cadre de concertation et de collégialité ayant globalement fait ses
preuves au cours de la guerre, les alliances et les divisions engendrées par la
recomposition des équilibres au sein du FLN fragilisent les autres
institutions*, en particulier le GPRA et les wilayas de l’intérieur. Incapable
de poursuivre sa mission, le GPRA s’efface au profit de nouvelles forces
réunies autour du groupe de Tlemcen*, agrégat de forces politiques et
militaires constitué autour de Ben Bella. Quant aux wilayas, le CNRA a
accentué leur marginalisation politique. Échouant à présenter un front uni,
vieille revendication des maquisards de l’intérieur, elles sombreront à
l’indépendance. En revanche, l’armée des frontières négocie mieux sa
participation dans le groupe de Tlemcen et en tire tous les dividendes en 1962
puis le 19 juin 1965 en fomentant un coup d’État contre le pouvoir civil
incarné par Ben Bella.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Benyoucef Ben Khedda, L’Algérie à l’indépendance. La crise de l’été
1962, Alger, Dahlab, 1997 • Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité.
Des origines à la prise de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Ali
Haroun, L’Été de la discorde. Algérie, 1962, Alger, Casbah, 2000.

TROTSKISTES
Les trotskistes se confrontent au soulèvement algérien en ordre dispersé.
En effet, le Parti communiste internationaliste (PCI) connaît une scission en
1952. Sa majorité – dont Pierre Boussel dit Lambert – refuse l’entrisme au
sein du PCF* préconisé par le Secrétariat international et conserve La Vérité,
tandis que la minorité, animée par Pierre Frank, lance La Vérité des
travailleurs, tout en gardant l’appui de la IVe Internationale dirigée par
Michel Raptis dit Pablo. Dans ces journaux, le ton est à la polémique, par
positionnement algérien interposé. En effet, le PCI-Lambert verse dans le
soutien inconditionnel au MNA*, tandis que le PCI-Frank appuie le FLN*.
Au lendemain du 1er novembre 1954*, Messali Hadj* reçoit la visite de
Lambert et décide de faire parvenir, par l’intermédiaire du militant Henri
Peulet, une importante somme d’argent à Krim* Belkacem. Ce courant, qui
partage avec les messalistes l’idée de l’existence d’un « peuple-classe » en
Algérie, est engagé dans le Comité pour la libération de Messali Hadj et des
victimes de la répression (CLVP), actif jusqu’en 1957. Lors de sa rupture
avec le MNA en 1958-1959, le PCI-Lambert compte une cinquantaine de
militants contre une centaine quelques années plus tôt.
Début 1955, c’est par l’intermédiaire d’Yvain Craipeau qu’une rencontre
a lieu entre Simonne Minguet – membre du bureau politique du PCI-
Franck –, Pablo – qui représente la IVe Internationale – et un cadre de la
Fédération de France* du FLN. Les trotskistes assurent l’impression de
Résistance algérienne, premier organe officiel du FLN. Certains militants
comme Jacques Grinblat dit Privas estiment néanmoins, en janvier 1958,
qu’« il ne s’agit pas pour nous d’idéaliser le FLN, de voir en lui le parti
bolchevik ». Ce qui n’empêche pas Pablo de mettre à disposition ses contacts
au plan international.
Si La Voie communiste s’engage aussi dans le soutien au FLN, l’Union
communiste internationaliste, adopte pour sa part une attitude plus réservée à
l’égard des nationalistes algériens.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Sylvain Pattieu, Les Camarades des frères. Trotskistes et libertaires
dans la guerre d’Algérie, Syllepse, 2002 • Jean-Paul Salles, « Les trotskystes
et la guerre d’Algérie », Dissidences, 2012 • Benjamin Stora, « La gauche et
les minorités anticoloniales françaises devant les divisions du nationalisme
algérien (1954-1958) », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et
les Français, Fayard, 1990.

TROUPES DE RÉSERVE GÉNÉRALE


Le modèle indochinois distinguant une masse de manœuvre, la réserve
générale (RG), des troupes de secteur* quadrillant le terrain, se met en place
en Algérie au fur et à mesure de l’accroissement des effectifs et de
l’intensification de la guerre. La RG a pour noyau dur les unités
parachutistes*.
Dans les premiers mois du conflit, à côté des groupes mobiles
traditionnels en Afrique du Nord, des bataillons du nom de code Blizzard
concilient la légèreté de leur équipement avec la puissance de feu de
l’infanterie. Chaque bataillon comprend 330 hommes de troupe, une section
de mortiers, trois compagnies de combat, une section de transmissions et une
de commandement. Les parachutistes, pour la plupart appelés, du
18e régiment d’infanterie parachutiste de choc, en sont les premiers exemples
en novembre 1954. Ce régiment forme deux bataillons de marche aux ordres
du colonel Paul Ducournau*, les chasseurs alpins du 99e bataillon de marche
de la 27e division d’infanterie alpine, et le 5e bataillon de parachutistes
coloniaux (BPC). En outre, chacun des trois corps d’armée (Alger, Oran,
Constantine) ou division territoriale possède une réserve opérationnelle. En
1954-1955, la 11e division d’infanterie algérienne joue ce rôle avec ses
régiments de tirailleurs. En 1958-1959, le célèbre Bataillon de Corée,
composé d’appelés, sert de réserve opérationnelle au corps d’armée de
Constantine.
Les déceptions nées des grosses opérations de « peigne fin » imposent
l’installation permanente de forces mobiles. Par fusions successives
apparaissent les régiments parachutistes. Ainsi, les professionnels du 1er BPC,
de retour d’Indochine*, rejoignent les appelés des 5e et 8e BPC pour former,
le 1er octobre 1955, le 2e régiment de parachutistes coloniaux (RPC)
commandé par le lieutenant-colonel Château-Jobert, dit « Conan ». Cette
unité comporte trois compagnies de combat et une d’appui. Ses 780 hommes
de troupe sont fortement encadrés par 37 officiers* et 164 sous-officiers*.
Tout régiment parachutiste de RG doit avoir un effectif théorique de
982 militaires du rang. Ce plafond est rarement atteint dans les unités formées
de soldats de métier. Preuve de la crise du volontariat pour cause de guerre
impopulaire, les unités mythiques de la guerre d’Algérie ne sont en fait que
de gros bataillons. À sa formation, en novembre 1955, le 3e RPC, commandé
par le lieutenant-colonel Bigeard*, dont le surnom « Bruno » est l’indicatif
radio, ne compte que 615 hommes de troupe. À l’inverse, les régiments
parachutistes composés presque exclusivement d’appelés volontaires arrivent
même à dépasser leur quota d’effectifs. Ainsi, à sa formation, en juin 1956, le
14e régiment de chasseurs parachutistes (RCP), aux ordres du colonel
Autrand, compte 1 034 militaires du rang, tous issus du contingent, dont 400
nouvelles recrues de la 56-1/A.
Cette distinction dans le recrutement se retrouve lors de la composition
des deux divisions parachutistes (DP) en 1956, la 10e DP* composée en
grande majorité de professionnels, et la 25e DP, aux gros effectifs, formée en
grande partie d’appelés. Aux ordres du général Massu*, la 10e DP comprend
les légionnaires du 1er REP, les coloniaux des 2e, 3e et 6e RPC, les chasseurs
du 1er RCP et les artilleurs du 20e GAP. Les dragons du 13e RDP et les
chasseurs du 9e RCP font d’abord partie de la 25e DP avant de rejoindre la
10e DP. La 25e DP, plutôt centrée sur des opérations à l’est de l’Algérie, aux
ordres du général Gilles à sa création, comprend les 2e REP, 1er, 8e, 14e et
18e RCP, les hussards du 1er RHP et les artilleurs du 1/35 RA. En 1957-1958,
les légionnaires de la 11e DI, héritière de la « division de fer » de 14-18,
rejoignent la RG, soit la 13e DBLE et les 2e et 5e REI. La 7e DMR est aussi
incorporée dans la RG par le général Challe*. Pour plus de mobilité, celle-ci
comprend tous les commandos* de choc (100 à 200 hommes), distincts des
commandos de chasse aux effectifs plus modestes. Les plus anciens sont les
professionnels des quatre commandos marine regroupés dans le Grouco en
juin 1959. À partir de 1956, le colonel Coulet forme avec des appelés
volontaires les cinq commandos de l’air bientôt rassemblés au sein du GCPA.
Enfin, pour avoir toujours une réserve immédiatement disponible en fonction
de la pugnacité de l’adversaire, le général Challe crée le 1er avril 1959 le
Groupement de commandos parachutistes de réserve générale (GCP-RG).
Forte de sept commandos, cette unité est formée à partir de détachement
venant de chaque régiment des deux DP, y compris légionnaires.
En 1958, la RG représente un effectif d’environ 30 000 hommes pour un
effectif total (y compris les armées de l’air et de mer) de près de
500 000 hommes en Algérie, soit 6 % de l’ensemble. En 1959-1960, Challe
la porte à un effectif global de 45 000 hommes par un jeu de chaises
musicales entre grandes unités selon les besoins des grandes opérations.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie, 1954-1962. Expériences
contrastées des hommes du contingent, Autrement, 2011.

TROUPES DE SECTEUR
Face à un adversaire qui se dérobe, se fond dans le paysage et bénéficie
des complicités de la population, les vieilles recettes de la conquête coloniale
et de la guerre d’Indochine* ressurgissent pour quadriller le pays. On finit par
engloutir des effectifs répartis dans 75 secteurs confiés à des hommes du
contingent parfois épaulés de harkis*. Chaque secteur relève théoriquement
d’un régiment et est lui-même divisé en sous-secteurs confiés chacun à un
bataillon. Mais ces unités sont sous-équipées et surtout sous-encadrées.
En 1956, les renforts envoyés de métropole permettent la constitution de
bataillons de secteur type TED 107 (tableau des effectifs et des dotations).
Formé le 12 avril 1956, le 3e bataillon du 9e régiment d’infanterie coloniale
(RIC) compte 677 rappelés encadrés par 33 officiers*, dont 21 de réserve, et
116 sous-officiers* dont 85 rappelés. Au départ des rappelés, en
décembre 1956, l’effectif des militaires du rang, tous appelés, reste le même
mais celui des cadres s’effondre : 28 officiers, dont 10 de réserve, et 86 sous-
officiers dont 15 appelés. Or ce bataillon fait figure de privilégié par rapport à
d’autres unités souffrant d’un déficit chronique de cadres. En sont aussi
victimes les régiments du corps de bataille, comme le 2e Dragons de la
7e DMR, qui n’apprécient pas, à leur arrivée en Algérie, de renoncer à leurs
blindés* pour la marche à pied. En fait, si le 9e escadron du 9e Spahis
retrouve ses chevaux d’antan, la contre-guérilla transforme l’armée française
en une rustique et gigantesque troupe de fantassins combattant un adversaire
véloce.
On conçoit que les troupes de secteur (TS), « soutiers de la
pacification* », soient considérées comme des unités de seconde zone. Le
traitement de faveur dont bénéficient les régiments de réserve générale en
matière d’armement, d’uniforme et d’équipement suscite des rancunes
tenaces. Certains leur reprochent d’avoir toujours le beau rôle, d’intervenir au
moment de l’hallali et de rafler les citations, alors que ce sont les patrouilles
des « braves petits gars du contingent » qui débusquent souvent l’adversaire.
En effet, les TS participent aux « bouclages » et « ratissages », de sorte que la
distinction entre les régiments n’est pas aussi absolue. Ainsi, le 12e Dragons
est, dès 1956, à la fois unité de secteur et troupe d’intervention grâce à deux
escadrons portés, un escadron de chars et un escadron de half-tracks. De plus,
tout chef de corps qui se respecte met sur pied une compagnie opérationnelle
qui « nomadise » dans son secteur. Des unités opérationnelles de zones
apparaissent aussi, tel le 31e groupe de chasseurs à pied en opération de façon
ininterrompue de janvier à août 1959, à Tiaret (Oranais), puis dans l’Est
algérien.
Près de 5 000 postes sont construits pour surveiller environ 7 500 points
sensibles (ouvrages d’art, mines de phosphates, barrages hydroélectriques,
cols routiers, tunnels, orangeraies, etc.) et des fermes isolées. En dehors des
garnisons citadines, de fermes fortifiées, ou des postes bétonnés des gorges
de Palestro*, les TS vivent sous la tente ou dans des baraquements, dont le
type Sarades est fait de baraques métalliques à assembler. Elles disposent
d’un velum contre la chaleur. Les postes du Grand Sud sont généralement des
camps de toile protégés par de simples murs de sacs de sable.
Ceinturé de fils de fer barbelés, ordonné autour de son mât des couleurs,
le poste tient à la fois du bidonville et du retranchement où les hommes
vivent un scoutisme guerrier fait de promiscuité. Les plus grands et les mieux
armés protègent les frontières à raison d’un poste tous les 5 ou 10 kilomètres,
selon le relief et les possibilités d’appui mutuel. Chaque implantation obéit à
une configuration particulière destinée à la protéger des jets de grenades ou
des tirs directs. Outre les maisons forestières et les fermes sommairement
fortifiées, les postes abritant une section ont souvent une forme triangulaire.
Posés sur des pitons, exposés à tous les vents, disposant parfois de pièces
d’artillerie, ils sont entourés de murs de pierres sèches épousant la forme du
terrain. Coiffés de tôle ondulée maintenue par de grosses pierres, trois
blockhaus d’angle en constituent les seules ouvertures. La muraille peu
épaisse est percée de meurtrières qui sont autant d’emplacements de combat.
Pour protéger les voies ferrées, telle celle des mines d’Ouenza, ainsi que les
vallées encaissées où serpente une route stratégique, le génie construit des
tours d’observation espacées de quelques kilomètres, à partir de l’hiver 1957-
1958. Cette réminiscence reprend l’expérience indochinoise, mais en
bétonnant les ouvrages édifiés sur une butte ou à proximité immédiate d’un
viaduc. Il s’agit de constructions rudimentaires sur trois niveaux pour une
garnison de huit hommes.
Vivant dans l’isolement, les postes mènent une vie uniforme de gardes et
de corvées, dont l’ennui est cependant rompu par une opération, l’arrivée du
courrier ou d’un convoi. Les TS ne sont pas confinées dans une interminable
attente, en raison de la présence d’un ennemi passé maître dans le
harcèlement. Ses tirs exaspèrent les garnisons, provoquent des insomnies et
par voie de conséquence des accidents et des méprises. Cette distillation
homéopathique de la peur permet à l’ALN* de tester à la fois défense et
vigilance du poste. En plus de la pose de mines* aux abords du poste, une
réponse au harcèlement consiste à installer des pièges sur des passages
repérés.
Enfin, les TS vivent dans la crainte de La Trahison – pour reprendre le
titre du film éponyme de Philippe Faucon, en 2006 – de harkis, de tirailleurs
ou de spahis algériens. Ainsi, dans la nuit du 4 février 1958, le poste de
Laourane, près de M’Sila, 8e RS, est pris après qu’un maréchal des logis de
carrière a ouvert l’entrée en chicane aux « rebelles » : 15 spahis, surpris dans
leur sommeil, sont tués.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie, 1954-1962. Expériences
contrastées des hommes du contingent, Autrement, 2011.

TUNISIE
Durant la Guerre d’indépendance, si les rapports entre la Tunisie et
l’Algérie sont empreints par une solidarité manifeste, ils ont évolué au gré
des intérêts particuliers des uns et des autres. Les partis nationalistes des deux
pays entretiennent de bonnes relations et partagent l’espoir d’une libération
de la présence française.
Au lendemain du 1er novembre 1954*, la proximité de la frontière permet
aux maquisards algériens de trouver refuge en territoire tunisien, de se
ravitailler en armes. Quelques « fellaghas », combattants de la lutte
tunisienne, prêtent main-forte aux Algériens.
La situation se complique avec l’approche de l’indépendance de la
Tunisie, quand les négociations* ouvertes avec le gouvernement français
aboutissent à la signature des accords sur l’autonomie interne de la Tunisie,
en juillet 1955, en l’absence de Salah Ben Youssef, secrétaire du Néo
Destour. Partisan de l’émancipation totale des trois pays du Maghreb, Ben
Youssef récuse la solution par étapes choisie par Bourguiba qu’il qualifie de
« politique de reniement et de trahison » des peuples tunisien et algérien. La
délégation extérieure du FLN* est sensible à la position défendue par Ben
Youssef et son soutien à la cause algérienne. Quand Ali Mahsas* est envoyé
par Ben Bella* en Tunisie à la fin de l’année 1956, pour s’occuper de la
logistique, il entretient des contacts avec les partisans de Ben Youssef,
défiant ainsi Bourguiba qui, par ailleurs, n’a jamais cessé d’affirmer sa
solidarité avec la lutte des Algériens. L’arrivée du colonel Ouamrane*,
dépêché par le CCE*, met fin aux agissements de Mahsas avec l’appui de
Bourguiba (Mahsas est arrêté au printemps 1957 avant de s’évader et de
trouver refuge en Allemagne). Les relations reprennent dans un climat plus
serein entre le gouvernement tunisien et le FLN. Les membres du CCE ne
tardent pas à se replier en Tunisie en même temps que des milliers de
réfugiés* y sont accueillis ; l’ALN* renforce ses bases installées depuis
l’autonomie (juin 1955) et le trafic des armes* traverse la frontière avant
l’édification des barrages* électrifiés. Les hôpitaux soignent les blessés de
l’ALN. Bref, la Tunisie ne ménage point sa précieuse aide malgré la faiblesse
de ses moyens, provoquant du coup le mécontentement des autorités
françaises et la suspension de leurs aides financières.
Le 6 septembre 1957, le général Salan* envisage d’envahir la Tunisie
pour mettre fin à la rébellion algérienne. En représailles contre la présence de
l’ALN en Tunisie, l’aviation française bombarde le 8 février 1958 le village
tunisien Sakiet Sidi Youssef*, pas loin des frontières algériennes. La crise
diplomatique entre la France et la Tunisie s’envenime encore, après le
démantèlement du « réseau Magenta » (postiers français espionnant le FLN et
le GPRA* à partir de Tunis, en février 1959). Le gouvernement français
maintient la pression sur la Tunisie pour qu’elle cesse son soutien à l’Algérie.
La solution à la guerre, écrivit le général Salan à de Gaulle* après l’arrivée de
ce dernier au pouvoir, consiste dans « l’élimination du FLN de Tunisie ».
Par ailleurs, la présence des responsables du FLN et de l’ALN manque de
discrétion. Leurs rivalités s’exposent sur le territoire tunisien. Il est fait appel
à la garde nationale de la Tunisie plus d’une fois pour résoudre certains
conflits (tentative d’assassinat d’Ali Mahsas, l’affaire Lamouri*). Bourguiba
est mis dans l’obligation d’observer plus de réserve et tente de contrôler les
débordements du FLN-ALN. Lors de la conférence de Tunis, réunie en
juin 1958, Bourguiba s’accorde avec le Maroc pour encourager le FLN à
privilégier la voie diplomatique. Après l’annonce du retrait des bases
françaises au Maroc et en Tunisie par de Gaulle le 2 juin 1958, Bourguiba
renoue avec la France et conclut l’accord sur le projet d’évacuation du
pétrole* d’Edjeleh le 30 juin, ce qui ne manque pas de créer une nouvelle
période de tension avec le FLN.
En septembre 1958, la création du GPRA est bien accueillie par la
Tunisie. L’ouverture des négociations entre le GPRA et le gouvernement
français impacte les relations entre les deux pays. Le 17 février 1959,
Bourguiba annonce qu’il est prêt à aider les Algériens et la France à mettre
fin au « conflit ». « Pour l’abandon de Bizerte, la seule contrepartie serait la
paix et un règlement négocié du problème algérien », devait-il ajouter. Cette
bonne volonté est mise en doute avec le souhait de la Tunisie d’obtenir la
rectification de la frontière sud. Seul l’éclatement de la crise de Bizerte* en
juillet 1961 parvient à mettre en sourdine les griefs du GPRA, bien déterminé
à sauvegarder l’intégrité du territoire algérien.
L’imminence du règlement du problème algérien, concrétisé par la
signature des accords d’Évian* (mars 1962), finit par apaiser les hostilités des
deux parties. Le 2 juillet 1962 à Tunis, le GPRA partage avec le peuple
tunisien la fête de l’indépendance.
Belkacem BENZENINE
Archives : Relations du FLN avec le Maroc et la Tunisie, SHD, GR 10 R 613,
Vincennes.
Bibl. : Samya El Mechat, Tunisie. Les chemins de l’indépendance (1945-
1956), L’Harmattan, 1985 • Caterina Rogerro, L’Algérie au Maghreb. La
guerre de libération et l’unité régionale, Mimésis, 2013.
U

UNION DÉMOCRATIQUE
DU MANIFESTE ALGÉRIEN (UDMA)
L’UDMA est un parti politique nationaliste structuré autour de son
journal, La République algérienne – dont le titre était aussi un programme –
et qui, durant sa décennie d’existence (1946-1956), fut dirigé par son
secrétaire général Ferhat Abbas*, dont Ahmed Boumendjel* était l’adjoint.
Sa création résultait de l’amnistie de mars 1946 qui permit la libération
des militants des AML* emprisonnés. Elle faisait suite aux réformes
électorales consécutives à la Seconde Guerre mondiale : malgré un scrutin
inégal, un second collège électoral offrait alors une scène politique à des
représentants de la population colonisée. Une succession d’élections*
encouragèrent l’organisation en partis : le MTLD de Messali Hadj*, né quatre
mois après l’UDMA, devint son principal partenaire et adversaire. Durant
presque une décennie, l’UDMA, le MTLD et le PCA* s’affrontèrent au cours
de campagnes régulières, malgré le truquage croissant des élections au profit
de candidats « administratifs ».
Aux législatives de juin 1946, l’UDMA fut d’abord une liste électorale
qui remporta 11 des 13 sièges, après une campagne enthousiaste. Pendant que
siégeaient Ferhat Abbas, Ahmed Francis et leurs camarades, Ahmed
Boumendjel structura un parti doté d’un programme et de statuts. Un congrès
des cadres à Blida, en octobre 1947, fut suivi de plusieurs congrès nationaux
à Sétif (1948), Tlemcen (1949) et Constantine (1951).
Le nationalisme* du parti mettait en avant une République algérienne
démocratique et sociale dotée de son drapeau (dit « drapeau de l’émir
Abdelkader », avec trois bandes et une main cerclée d’or) et à laquelle les
« Européens » qui le souhaitaient pourraient appartenir. Son calendrier
partisan était organisé autour du 10 février, date anniversaire du « Manifeste
du peuple algérien » de 1943, célébrée par l’ensemble des sections. Son
panthéon reflétait à la fois son nationalisme (avec l’émir Abdelkader et l’émir
Khaled), sa proximité avec l’Association des ulémas* (avec Abdelhamid Ben
Badis) et son identité partisane (avec, après son décès, le militant Ahmed
Cherif Saadane).
Les deux premières années furent celles de l’enthousiasme, le parti
comptant près de 10 000 membres « à jour de cotisation ». Les votes à venir
d’une nouvelle constitution française (adoptée en 1946) puis d’un statut de
l’Algérie (adopté en 1947) ouvraient la possibilité à court terme d’évoluer
vers l’indépendance. Mais les élus nationalistes ne trouvèrent pas d’alliés à
l’assemblée et des textes décevants repoussaient les perspectives
d’indépendance à un avenir lointain. Sur le terrain, l’enthousiasme des
militants s’émoussait.
Ce désenchantement était également lié à la répression et au truquage
électoral, manifeste à partir des élections dites « à la Naegelen » à
l’Assemblée algérienne* en 1948. Les campagnes électorales devenaient plus
dures : en mai 1952, accusé d’avoir frappé un administrateur, Abbas fut
condamné à deux ans de prison*. La répression décourageait les militants.
L’apathie croissante, qui fit descendre les effectifs à 3 000 adhérents vers
1950, fut accrue par l’impossible union des nationalistes, pourtant exigée par
les militants. Fallait-il s’unir avec le seul MTLD ? ou privilégier un
rapprochement intégrant communistes et socialistes ? En août 1951, un
éphémère Front algérien pour la défense et le respect des libertés regroupa le
MTLD, l’UDMA, le PCA et l’Association des ulémas autour d’un
programme comprenant l’annulation des élections à l’Assemblée algérienne.
La méfiance des udmistes à l’égard du MTLD pesa dans son échec.
Souvent accusée d’être un parti bourgeois, voire un groupe de
« salonnards » réduit à la figure de Ferhat Abbas, l’UDMA fut pourtant un
authentique parti, comptant militants, sympathisants et lecteurs de son
journal. Sa composition sociale variait entre des sections plus conservatrices
et proches des ulémas (comme à Constantine) et des sections plus populaires
(comme à Oran). Par ailleurs, les contestations furent récurrentes au sein du
parti, notamment parmi les jeunes militants qui reprochaient à Abbas trop de
complaisance avec les autorités coloniales, ou critiquaient la direction du
parti.
Lors du 1er novembre 1954*, l’UDMA reconnut immédiatement
l’importance de l’événement. Individuellement, certains militants rejoignirent
les rangs du FLN*. Des négociations* débutèrent en 1955 entre UDMA et
FLN, menées par Ali Boumendjel*, Ahmed Boumendjel* ou Kaddour Sator
d’une part, Abane* Ramdane et Benyoucef Ben Khedda* de l’autre. C’est
dans le cadre de ce rapprochement que les udmistes impulsèrent des actions
favorables au FLN, notamment la « motion des 61* ». Le 6 février 1956,
Ferhat Abbas quittait l’Algérie avec Ahmed Francis pour gagner Paris et, de
là, Le Caire. Dans une conférence de presse, le 25 avril 1956, il annonçait son
ralliement au FLN et la dissolution de l’UDMA.
Malika RAHAL
Bibl. : Malika Rahal, L’UDMA et les Udmistes. Contribution à l’histoire du
nationalisme algérien, Alger, Barzakh, 2017.

UNION DES RÉPUBLIQUES


SOCIALISTES SOVIÉTIQUES (URSS)
Sous Staline, l’URSS est méfiante à l’égard des mouvements nationaux
des colonies qui ne sont pas dirigés par les partis communistes. Après sa
disparition, Moscou commence à développer une doctrine à vocation
globaliste et à s’intéresser aux problèmes du monde extra-européen.
L’ouverture vers le tiers-monde est consacrée par le XXe congrès du Parti
communiste de l’Union soviétique (PCUS) en février 1956, de même que
l’adoption du principe de la « coexistence pacifique » préférant le dialogue à
la confrontation dans les relations internationales. Mais dans ce contexte
général, la France et sa colonie, l’Algérie, occupent une place particulière.
Moscou pense à la France comme à une alliée potentielle dans le règlement
du problème allemand, et dans les premières années du conflit algérien elle le
considère comme une affaire intérieure française. À l’issue de la visite
officielle de la délégation du Parti socialiste français en mai 1956, le
communiqué final évoque la position de Moscou dans ces termes : « Les
ministres soviétiques ont exprimé l’espoir que dans l’esprit libéral qui
l’anime, le gouvernement français saurait donner à ce problème si important
la solution appropriée dans l’esprit de notre époque et dans l’intérêt des
peuples. » Lors de la crise de Suez*, Moscou critique la politique du
gouvernement socialiste de Guy Mollet*. Même Khrouchtchev parle de
l’indépendance de l’Algérie, comme d’ailleurs le communiqué commun
soviéto-syrien publié à la fin de la visite du président syrien Kouatli, fin
novembre 1956. Mais ce sont des prises de position occasionnelles. Les
précautions à l’égard de la France concernant le problème algérien perdurent
pendant l’intégralité du conflit et constituent un élément de la position du
Kremlin. Paris et Moscou s’accordent à ne pas permettre aux États-Unis* de
s’immiscer dans les affaires algériennes pour supplanter la France en Afrique
du Nord, que cela soit un objectif avoué ou non. Dans la propagande*,
quelques articles de la presse soviétique sont favorables aux combattants
algériens, sans mentionner le FLN*, et critiquent la brutalité de l’armée
française. Mais officiellement, Moscou ne parle jamais de l’indépendance, en
ne voulant pas internationaliser le problème contrairement à l’objectif du
FLN.
Après le bombardement de Sakiet Sidi Youssef*, ville tunisienne près de
la frontière algérienne, par l’aviation française le 8 février 1958, l’attitude de
Moscou change. Tunis saisit le Conseil de sécurité qui décide de mettre en
place une commission de bons offices confiée à un Américain et à un
Britannique. Ainsi, le conflit prend une dimension internationale. C’est ce qui
provoque le changement à Moscou, qui voit « de moins en moins l’espoir »
du règlement du problème algérien dans le cadre des rapports franco-
algériens. Au contraire, elle pense, non sans fondement, à l’implication des
États-Unis afin de supplanter la France en Afrique du Nord. Le FLN se
réjouit de la prise de position soviétique : « Le plus important pour le peuple,
c’est que l’Union soviétique fait état de ses préoccupations au sujet de
l’Algérie », stipule l’éditorial d’El Moudjahid en mars 1958. Aux Algériens,
la prise de position de Moscou rappelle l’intervention énergique des
Soviétiques aux côtés de l’Égypte* en 1956. L’URSS s’engage de plus en
plus clairement en faveur de l’indépendance de l’Algérie : la prise de contact
avec le FLN a lieu en mars 1958 au Caire, les dons soviétiques aux réfugiés*
algériens commencent à arriver, les blessés de l’ALN* sont reçus. Le retour
du général de Gaulle* est bien vu à Moscou, dont les dirigeants ne doutent
pas que le général veuille en finir avec la guerre. La constitution du GPRA*
est saluée, mais le Kremlin ne se sent pas de le reconnaître. Pour Moscou, la
nature politique du GPRA et de Krim* Belkacem n’est pas claire, ses
rapports avec le FLN non plus. Et le PCF* demande aussi de retarder la
reconnaissance. En 1960, la situation internationale change, c’est l’essor du
tiers-monde, le groupe afro-asiatique à l’ONU* devient déterminant pour la
cause des peuples coloniaux. Le 23 septembre 1960, Khrouchtchev prononce
un discours très violent contre le régime colonial à l’Assemblée générale de
l’ONU et demande son abolition complète. Le 3 octobre, à Glen Cove, près
de New York, Khrouchtchev s’entretient longuement avec les membres de la
délégation algérienne conduite par Krim Belkacem participant aux travaux de
l’Assemblée générale de l’ONU. D’après les mémoires de Ferhat Abbas*,
président du GPRA, lors de l’entretien, Nikita Khrouchtchev recommande à
Krim Belkacem, ministre des Affaires étrangères du GPRA, de « chercher
avec la France et avec la France seule, un compromis honorable pour mettre
fin à la guerre. De toute manière, l’Algérie, en tant que pays arabe, sera un
jour indépendante ». Le 8 octobre, le dirigeant soviétique déclare que
l’entretien signifie la reconnaissance de facto. À ce même moment, la
délégation du GPRA conduite par Ferhat Abbas est reçue officiellement à
Moscou par Kossyguine, vice-Premier ministre, qui confirme la
reconnaissance de facto. Après l’entretien de Moscou, l’aide soviétique
s’étend au transport d’armes (par l’intermédiaire de l’Égypte et de la
Tchécoslovaquie*) et à la formation militaire des cadres de l’ALN. Mais
pendant toute la guerre d’Algérie, les Soviétiques restent prudents et veillent
à ne pas y être impliqués. En fait, leur soutien se réduit en premier lieu à
l’appui moral et politique, à une action de propagande par voie de presse et à
l’aide humanitaire. L’ambassadeur de France à Moscou, Maurice Dejean,
présente avec exactitude la politique « algérienne » de l’URSS dans son
rapport du 2 novembre 1960 adressé à Couve de Murville, ministre des
Affaires étrangères : « Pour l’immédiat et pour le prochain avenir l’URSS
n’irait pas plus loin. Elle ne songerait nullement à l’heure actuelle à une
reconnaissance de jure et elle n’en envisagerait pas d’apporter une aide
militaire. Le gouvernement soviétique demeurerait soucieux de ne pas couper
les ponts avec nous. » De ce fait, la reconnaissance de jure de l’Algérie
indépendante a lieu le jour de la signature des accords d’Évian*.
László NAGY
Bibl. : Front de libération nationale « Organe central du Front de libération
nationale » El Moudjahid, [imprimé en Yougoslavie], juin 1962, t. I-III,
particulièrement no 20 (mars 1958), no 69 (septembre 1960), no 71
(octobre 1960) • Mohieddine Hadhri, L’URSS et le Maghreb. De la
révolution d’octobre à l’indépendance de l’Algérie, 1917-1962, L’Harmattan,
1985 • Evgeniya Obitchkina, « Le communisme soviétique face au
nationalisme arabe lors de la guerre d’Algérie », in Hervé Bismuth et Fritz
Taubert (dir.), La Guerre d’Algérie et le monde communiste, Dijon, Éditions
universitaires de Dijon, 2014.

UNION DES SYNDICATS


DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS
(USTA)
Un communiqué daté du 14 février 1956 annonce la création de l’Union
des syndicats des travailleurs algériens (USTA), après une assemblée tenue
les 25 et 26 décembre 1955 à Alger. La centrale, qui a pour secrétaire général
Mohammed Ramdani – membre du bureau de l’Union générale des syndicats
algériens jusqu’en juin 1954 – ne comprend dans son comité directeur aucun
élément d’origine européenne et se propose de « préparer un avenir de liberté
et de justice où le travailleur algérien retrouvera sa dignité et sa place de
principal artisan de la prospérité et du progrès social. »
Ramdani, adhérent du MNA*, est arrêté en mai 1956 avec les cadres de
l’USTA et interné dans le camp de Saint-Leu (Arzew). De plus, le syndicat
messaliste se heurte à l’Union générale des travailleurs algériens* (UGTA),
créée le 24 février avec le soutien du FLN*. Après avoir échoué à lancer une
centrale commune – des contacts ont lieu dans ce but jusqu’à fin janvier – les
nationalistes déclinent leur antagonisme sur le terrain syndical. Seule
l’UGTA, qui prend le dessus sur sa rivale, réussit à obtenir l’affiliation à la
Confédération internationale des syndicats libres.
L’USTA tente de se structurer dans l’émigration*, aggravant les tensions
entre les messalistes et les syndicats français. Les statuts de sa fédération,
signés par son secrétaire général Ahmed Bekhat, le 31 janvier 1957 à Paris,
affirment « l’indépendance absolue » à l’égard des partis politiques. Or, le
service de coordination des affaires nord-africaines note en juin qu’« il se
confirme, d’ailleurs de plus en plus que pour le MNA, l’USTA est une
couverture syndicale commode pour l’activité séparatiste du mouvement ».
L’USTA lance La Voix du travailleur algérien – 19 numéros, de
mars 1957 à mai 1962 – organise un congrès en juin 1957 à Paris puis un
second en décembre 1959 à Lille*, mais subit des pertes sévères avec
l’assassinat de Bekhat, en octobre 1957, et la défection d’Abderrahmane
Bensid lors de la crise du Front algérien d’action démocratique* en juin 1961.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Boualem Bourouiba, Les Syndicalistes algériens. Leur combat, de
l’éveil à la libération, L’Harmattan, 1998 • René Gallissot (dir.), Algérie :
engagements sociaux et question nationale. De la colonisation à
l’indépendance de 1830 à 1962, L’Atelier, 2006 • Benjamin Stora, « L’Union
des syndicats des travailleurs algériens USTA : la brève existence du syndicat
messaliste (1956-1959) », Le Mouvement social, no 116, 1981.

UNION FRANÇAISE NORD-AFRICAINE


(UFNA)
Créée le 25 août 1955, l’UFNA a pour premier président Louis Boyer-
Banse*, ancien responsable de la section algérienne de présence française.
Son secrétaire général René Reygasse dirige Prestige français qui devient
l’organe du mouvement. Cependant, la cheville ouvrière de l’UFNA est
Robert Martel, un agriculteur de Chebli, surnommé le « Chouan de la
Mitidja ». Ayant d’emblée proposé au maire* de sa commune de créer une
milice, il est actif depuis novembre 1954. Martel s’est également
autoproclamé porte-parole des « petits colons* » apostrophant les
métropolitains dans une lettre ouverte au général Aumeran du 21 juin 1955 :
« Dites-leur bien que nous ne partirons jamais. »
L’UFNA se développe à l’automne 1955 en s’implantant sur Alger et sa
banlieue. Martel en devient le secrétaire général et Prestige français est
racheté à Reygasse, évincé. Fin 1955, l’UFNA est créditée de 1 000 adhérents
et Prestige français de 4 000 abonnés. Si Martel et son groupe ne sont pas les
seuls à tenir des discours virulents et à en appeler à une autodéfense qu’ils
considèrent comme légitime, ils jouent un rôle important le 6 février 1956.
Avant la visite de Guy Mollet*, Martel a galvanisé ses partisans. Il a
rencontré des responsables gaullistes le 5 février au matin et a promis de
mobiliser, outre des militants, 250 hommes armés. La suite est connue : la rue
fait reculer le président du conseil issu du Front républicain*. Après cette
victoire, Martel se sent d’autant plus assuré qu’il pense disposer de contacts
solides en métropole grâce au journaliste belge Pierre Joly, représentant sur
Alger du Dr Martin. Cependant, l’éternel conspirateur qu’est cet ancien
cagoulard entend contrôler l’UFNA. Martin compte ainsi monter une
conspiration disposant d’appuis des deux côtés de la Méditerranée. Ses
ambitions sont contrariées par l’interdiction de l’UFNA le 5 juillet 1956
qu’accompagnent l’arrestation puis la mise en résidence surveillée de Martel.
Mais lorsque ce dernier retrouve sa ferme à l’été 1956 et lance le Comité de
renaissance française (CRF) qui succède à l’UFNA, les projets des uns et des
autres reprennent leur cours.
Olivier DARD
Bibl. : Francis Balace, « Pierre Joly, le passeur d’illusions. Faux activiste ou
vraie barbouze ? », in Olivier Dard (dir.), Doctrinaires, vulgarisateurs et
passeurs des droites radicales au XXe siècle (Europe-Amériques), Berne, Peter
Lang, 2012 • Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011.
UNION GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS
MUSULMANS ALGÉRIENS (UGEMA)
Le 27 février 1955, l’assemblée générale de l’Aeman d’Alger lança un
pressant appel à tous les étudiants* algériens pour fonder au plus vite
l’Ugema. Les partisans de l’Unea fondèrent alors l’Union des étudiants
algériens de Toulouse. Une conférence préparatoire, du 4 au 7 avril 1955,
réunit à Paris des délégués de toutes les villes universitaires où il y avait des
étudiants algériens. L’unanimité en faveur d’une union nationale ne se rompit
que sur le critère religieux, moyen d’empêcher l’adhésion d’étudiants
communistes européens ou juifs*. La majorité prit parti pour le « M », tout en
s’engageant à le supprimer une fois l’indépendance de l’Algérie acquise
(promesse tenue en 1963, quand l’Ugema devint l’Unea). Deux organisations
se constituèrent simultanément à Paris en juillet 1955 : l’Ugema fondée du 8
au 14 juillet, et l’Unea qui disparut rapidement. L’Ugema, présidée par
Ahmed Taleb Ibrahimi (fils du président de l’AUMA*, le cheikh Bachir El
Ibrahimi*) et associant tous les partis nationalistes, entendait revendiquer
dans l’intérêt de ses membres en tant qu’étudiants, qu’étudiants musulmans,
et que « privilégiés au sein de notre jeunesse » ; mais elle situait toutes ses
revendications dans une perspective nationaliste.
La plupart de ses dirigeants furent rapidement recrutés par les
organisations clandestines du FLN*. Après l’insurrection et les massacres du
20 août 1955*, puis après les élections* législatives du 2 janvier 1956, elle
lança des appels solennels aux dirigeants français pour que cesse l’effusion
de sang en Algérie. Mais la tension monta dans l’université d’Alger* (où un
« Comité d’action universitaire » favorable à l’Algérie française renversa la
direction plus modérée de l’Agea* par un référendum en février 1956) et
dans certaines universités métropolitaines telles que Montpellier. L’Ugema se
radicalisa en réclamant lors de son deuxième congrès (réuni du 24 au 30 mars
1956 à Paris) « la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, la libération
de tous les patriotes emprisonnés, des négociations* avec le FLN ». Le
congrès de l’Unef*, réuni à Strasbourg du 5 au 15 avril 1956, s’efforça de
maintenir son unité entre les « majos » (apolitiques en principe, mais
conservateurs et patriotes) et les « minos » (de gauche, anticolonialistes, et
favorables à l’engagement politique), en promettant de soutenir les
revendications corporatives de l’Ugema sans approuver ses revendications
nationalistes, et en lui demandant de condamner tout recours à la violence.
En réaction à une grève* ordonnée par l’Agea et à une déclaration de
celle-ci réclamant la résiliation automatique de tous les sursis* et la formation
d’un corps franc universitaire, la section d’Alger de l’Ugema vota le 18 mai
1956 une motion appelant à la grève générale et illimitée des cours et des
examens et à l’engagement dans les rangs de l’ALN*. Cet appel fut très
discuté au sein de la direction centrale de l’Ugema à Paris et des autres
sections locales, seule la section de Toulouse refusa de la voter, mais l’ordre
de grève fut généralisé parce qu’il venait de la direction algéroise du FLN,
puis étendu à tous les élèves de l’enseignement secondaire et primaire.
Cependant, l’appel à rejoindre le maquis ne fut pas officiellement repris par
la direction de l’Ugema dans sa déclaration du 25 mai.
Il fut aussi très inégalement suivi. Si la plupart des étudiants respectèrent
l’ordre de grève, la montée au maquis fut davantage le fait de lycéens que
d’étudiants. Ce fut une expérience très dure, mais bénéfique pour ceux qui y
survécurent et pour l’organisation du FLN-ALN. Une méfiance durable
sépara les maquisards des simples grévistes, et ces deux catégories des non-
grévistes. L’ordre de grève finit par être levé par la direction du FLN, ce qui
permit à la direction de l’Ugema de voter la reprise des cours pour tous les
étudiants, lycéens et écoliers algériens, à l’exception de l’université
colonialiste d’Alger, le 22 septembre 1957. Son troisième congrès, réuni à
huis clos à Paris du 23 au 26 décembre 1957, exclut tous les non-grévistes.
Mais l’Ugema fut dissoute par le gouvernement français le 28 janvier 1958
en tant que couverture du FLN. Les étudiants restant en France furent
organisés en une « section universitaire du FLN » rattachée à la Fédération de
France* du FLN. La direction de l’Ugema réfugiée à l’extérieur organisa le
transfert d’un nombre croissant d’étudiants, au moyen de bourses, avec l’aide
des deux grandes confédérations mondiales d’étudiants, vers les pays de
l’Ouest, ceux de l’Est et les pays arabes. Son quatrième congrès national,
réuni à Tunis en juillet-août 1960, eut l’allure d’une conférence
internationale. Il vota une motion remettant les étudiants à la disposition du
GPRA*, ce qui permit à l’état-major général de l’ALN (dirigé par le colonel
Boumediene*) de recruter des volontaires pour renforcer l’encadrement de
ses troupes à l’extérieur des barrages* frontaliers, en Tunisie* et au Maroc*.
En même temps, l’Ugema renoua ses relations avec l’Unef (rompues en
décembre 1956) en juin 1960 sur la base de l’autodétermination de l’Algérie.
La participation des étudiants à la lutte de libération nationale, comme celle
de leurs aînés diplômés, fut donc globalement un succès. Mais en s’intégrant
dans le FLN, l’Ugema renonça à son indépendance.
Guy PERVILLÉ

UNION GÉNÉRALE
DES TRAVAILLEURS
ALGÉRIENS (UGTA)
Après le déclenchement de la guerre de libération nationale en
novembre 1954, le MNA* de Messali Hadj* regroupe à la fin de 1955 les
travailleurs algériens au sein d’une centrale « nationaliste », l’USTA*. Très
vite, le FLN*, sur l’instigation d’Abane* Ramdane et Benyoucef Ben
Khedda*, réagit et encourage la constitution le 24 février 1956 de l’UGTA.
Parmi les premiers fondateurs, on trouve Rabah Idir Aïssat, Rabah Djermane,
Attalalah Ben Aïssa et Boualem Bourouiba.
Les deux syndicats ne sont pas des créations ex nihilo. Leurs dirigeants et
adhérents sont issus du mouvement national et des centrales syndicales
françaises, notamment la CGT*. En 1952, sur 43 000 syndiqués algériens,
35 750 sont affiliés à la CGT, soit 83 % au total (Ageron, 2005). Les raisons
de cette forte adhésion sont liées plus à des considérations matérielles et
d’opportunité que d’une supposée proximité politique ou idéologique avec la
CGT.
Sur le terrain, l’UGTA est violemment réprimée en Algérie :
déstabilisation, arrestation et emprisonnement des militants syndicalistes,
occupation des locaux. Son coordinateur, Aïssat Idir, torturé, trouve la mort
en détention à l’hôpital militaire d’Alger le 26 juillet 1959.
Dès lors, sous couvert de l’AGTA (Amicale générale des travailleurs
algériens, fondée le 16 février 1957 à Paris), l’action syndicale et militante de
l’UGTA se déplace au Maroc*, en Tunisie* et surtout en France. Cette
période est marquée par des démarches auprès des organisations syndicales
internationales pour exposer la cause algérienne.
La fin des hostilités militaires, entre l’ALN* et les forces françaises au
19 mars 1962*, est l’occasion d’un retour sur le terrain de l’UGTA. Libérée
des contraintes de la clandestinité, une direction provisoire se constitue dès le
2 avril. Le départ en masse des Européens, les séquelles de la guerre et des
actions meurtrières de l’OAS* créent une nouvelle réalité que l’UGTA doit
affronter. Sa priorité première est l’installation des sections syndicales dans
tout le pays. Ce déploiement n’est pas sans conséquences dans une Algérie
indépendante en pleine crise politique. Le 31 août, l’UGTA organise un
grand meeting populaire à Alger, au Foyer civique (Maison du peuple), en
présence d’une foule entre 10 000 et 15 000 personnes dont de nombreuses
femmes. L’imminence d’un affrontement armé entre les troupes de la Wilaya
4* (Algérois) et les troupes de l’EMG* soutenant le Bureau politique (BP) du
FLN engage l’UGTA à appeler la population à se rassembler autour des
slogans : « Non à des fusils, mais des pelles et des pioches », « Halte au
sang ».
L’UGTA entend ainsi préserver son rôle sociopolitique et son autonomie
par rapport au BP. Mais Khider*, responsable du BP, récuse une telle
position et reproche à l’UGTA de vouloir accaparer le pouvoir.
De son côté, Ahmed Ben Bella* attaque la centrale syndicale qui véhicule
des valeurs contraires aux « réalités » de la société algérienne (Le Monde,
14 septembre 1962).
La volonté du BP du FLN de contrôler l’UGTA s’impose au moment de
la désignation des membres devant siéger à l’Assemblée nationale
constituante : des trente noms de militants syndicalistes proposés à la
députation, aucun d’eux n’est choisi.
En France, l’AGTA est en proie à des tentatives de déstabilisation
encouragées par le BP du FLN et la Fédération du Grand Alger (FGA).
Acculés, les dirigeants de l’UGTA annoncent le 7 octobre la tenue d’un
congrès national pour janvier 1963. Le 19 octobre, ils clarifient leurs
positions politiques en rappelant que les syndicalistes sont des militants du
FLN à part entière, qu’ils ne constituent pas un parti d’opposition et que leur
centrale syndicale reste fermement décidée à jouer un rôle important dans
l’édification d’une Algérie socialiste (L’Ouvrier algérien, 19 octobre 1962).
Dans son conflit avec le BP du FLN, l’UGTA reçoit le soutien de députés de
l’Assemblée nationale dont Hocine Aït Ahmed* qui traite de réactionnaires
ceux qui s’en prennent à l’organisation des travailleurs. De son côté, le Parti
de la Révolution socialiste (PRS), crée le 20 septembre, s’engage au côté de
l’UGTA, notamment en France où l’influence politique de son fondateur
Mohamed Boudiaf* est grande. Membre fondateur du PRS et un des
responsables de l’AGTA, Aboubakr Belkaid compare les dirigeants du BP du
FLN à de « nouveaux Blachette* et Borgeaud* de l’Algérie indépendante »
(AFP, 12 décembre 1962). Dans ce contexte, La direction de l’UGTA est de
plus en plus contestée. On trouve dans les journaux, notamment dans al-
Chaâb, des motions de défiance à son encontre.
Le premier congrès de l’UGTA ouvre ses travaux le 17 janvier 1963 à
Alger, au Foyer civique, en présence du président du Conseil Ahmed Ben
Bella. Les syndicalistes sont accusés de vouloir constituer une catégorie de
« privilégiés » au détriment de l’ensemble de la masse laborieuse, dont les
fellahs (al-Chaâb, 18 janvier 1963). Ce premier congrès de l’UGTA se
termine dans une grande confusion, le vote de ses représentants est faussé par
l’irruption dans la salle de plusieurs centaines de « travailleurs » mobilisés
par la fédération du FLN du Grand Alger et les membres du bureau sont
remplacés. C’est un véritable coup de force qui acte la « caporalisation de
l’organisation syndicale » (Bourouiba, 2012) en Algérie.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Vers un syndicalisme national en Algérie
(1946-1956) », in Genèse de l’Algérie algérienne, t. II, Saint-Denis, Éditions
Bouchène, 2005 • Boualem Bourouiba, Les Syndicalistes algériens. Leur
combat, de l’éveil à la libération, L’Harmattan, 1998 [rééd. : Alger, Enag-
Dahlab, 2001] • —, L’UGTA dans les premières années de l’indépendance
(1962-1965), Alger, livres Éditions, 2012.

UNION NATIONALE DES ÉTUDIANTS


DE FRANCE (UNEF)
Devenue progressivement un acteur majeur de l’action contre la guerre
d’Algérie, l’Unef s’en est trouvée profondément transformée.
Née en 1907 comme fédération d’associations générales d’étudiants*
(AGE), l’Unef se veut, depuis l’adoption de la « charte de Grenoble » en
1946, un mouvement syndical visant la transformation de la société. En
même temps, groupant un étudiant sur deux tout au long de la période, elle
est reconnue comme la seule organisation représentative du monde étudiant.
Elle est partagée en deux courants principaux, les « majos » (pour
majoritaires) affichant leur apolitisme de principe (auquel déroge pourtant la
Corpo de droit de Paris où l’influence de Jean-Marie Le Pen* est dominante)
et les « minos » (pour minoritaires) orientés à gauche, chez qui les partis
communiste et socialiste ont beaucoup moins de poids que les militants de la
JEC (Jeunesse étudiante chrétienne). Les deux courants cohabitent au sein de
bureaux nationaux d’union. Les uns et les autres reconnaissent d’emblée la
toute nouvelle (1955) et nationaliste Ugema* comme partenaire syndical de
l’Unef. Les événements algérois du printemps 1956, après les incidents
racistes de Montpellier, précipitent la rupture au sein de l’Unef :
l’Association générale des étudiants d’Alger (Agea) passe aux mains de
tenants de l’Algérie française et demande la levée de corps francs
universitaires ; en réaction la section d’Alger de l’Ugema appelle les
étudiants musulmans à la grève* des cours et à rejoindre les maquis de
l’ALN*. Le bureau de l’Unef désavoue l’Agea (qui quitte bientôt l’Unef),
mais la direction de l’Ugema reprend à son compte l’appel à la grève des
cours et s’affiche ouvertement indépendantiste. Cette attitude est inadmissible
pour les majos qui prônent la rupture avec l’Ugema. Hostiles à la rupture, les
« minos » prennent la direction de l’Unef et imposent le maintien des
rapports avec l’Ugema. Mais c’est hors du cadre Unef qu’ils organisent avec
les étudiants algériens une conférence nationale étudiante pour une solution
du problème algérien en juillet 1956. Cependant, l’Ugema exige de l’Unef
l’appui explicite à l’indépendance algérienne et, devant le refus de celle-ci,
choisit la rupture en décembre 1956. L’Ugema, dont les militants sont
pourchassés, est dissoute en janvier 1958, l’Unef assurant néanmoins la
défense de nombreux cas individuels.
L’année 1957 est pour l’Unef celle de la mise en cause de la torture*. Le
congrès de 1957, celui du cinquantenaire, y est pour partie consacré, mais
l’obstruction des majos oblige les dirigeants au quasi-silence pour préserver
l’unité. Pourtant une minorité des AGE choisit de faire scission, qui
finalement ne dure guère. Mais si l’Unef nationale se voit contrainte à des
positions prudentes, localement les associations générales s’engagent plus
ouvertement dans l’opposition à la guerre.
Lorsque l’instruction interministérielle d’août 1959 met en cause les
sursis* étudiants, la direction de l’Unef choisit d’éviter « l’anticolonialisme
corporatif » (Jacques Julliard) que serait la pure défense des sursis : tout en
assurant la défense individuelle des étudiants, elle tente de gagner l’opinion*
en mettant en cause la guerre elle-même et en formulant des propositions
pour aménager les sursis. Succès de la mobilisation, la mesure est abrogée en
mars 1960.
Fort de ce résultat, le congrès de l’Unef de 1960 se prononce pour des
négociations* avec le FLN* et charge la direction du syndicat de « favoriser
la réconciliation des étudiants français et algériens ». Le 6 juin, un
communiqué commun annonce la reprise des relations entre l’Unef et
l’Ugema. Par précaution, la rencontre avait eu lieu à Lausanne en Suisse*.
L’initiative a un retentissement considérable.
Après l’action symbolique, l’initiative de masse : lorsque le 6 septembre
s’ouvre à Paris le procès du réseau Jeanson* et qu’est publié le « Manifeste*
des 121 », la direction de l’Unef est consciente des tensions internes au
syndicat étudiant : plusieurs de ses cadres ont choisi l’aide directe au FLN ou
menacent de le faire. Elle prend alors l’initiative d’une manifestation* de rue
contre la guerre, ouverte aux syndicats, mouvements de jeunesse et
organisations démocratiques. Interdite d’emblée, la manifestation du
27 octobre 1960 se mue en réunion publique tolérée, débordant dans la rue.
C’est la première manifestation intersyndicale contre la guerre. Elle répond à
la montée de l’opposition étudiante à la guerre, l’Unef s’efforçant de
constituer un front syndical commun et de rassembler la communauté
universitaire. Le syndicat étudiant est de toutes les manifestations contre la
poursuite de la guerre et l’OAS*, y compris celle du 8 février 1962 à l’issue
tragique. Aux obsèques des victimes de Charonne*, le président de l’Unef,
seul avec la CFTC*, dénonce le massacre des Algériens le 17 octobre 1961*.
Après les accords d’Évian*, l’Unef réaffirme ses revendications
universitaires et se prépare à développer la coopération avec les étudiants
algériens. Les soubresauts de l’Algérie indépendante en décideront
autrement, tandis qu’en France le gouvernement supprime la subvention
traditionnelle et favorise ouvertement la création d’une organisation étudiante
rivale. L’unité du mouvement étudiant a vécu.
Alain MONCHABLON et Robi MORDER
Bibl. : Alain Monchablon, Histoire de l’Unef, PUF, 1983 • Robi Morder,
« Les relations Unef/Ugema : entre internationalisme et diplomatie ? », Les
Cahiers du Germe, no 30, 2012-2013 • Jean-Yves Sabot, Le Syndicalisme
étudiant et la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 1995.

UNION POUR LA NOUVELLE


RÉPUBLIQUE (UNR)
Pour le politologue Jean Charlot, l’UNR, née le 1er octobre 1958, « est
d’abord une équipe ministérielle, puis un comité central de sélection des
candidats aux législatives, ensuite le groupe parlementaire le plus nombreux
de l’Assemblée nationale [206 élus dont 7 apparentés], enfin seulement un
parti ».
Née du retour du général de Gaulle* et réunissant sept organisations
issues de la Résistance* et du gaullisme d’opposition sous la
IVe République*, l’UNR a en partage l’attachement au Général, l’approbation
par principe de son retour et de la nouvelle Ve République*. Cet unanimisme
doublé de verticalité se heurte cependant rapidement aux divergences
croissantes entre, d’une part, certains gaullistes historiques et/ou acteurs
majeurs du 13 Mai* (Soustelle*, Delbecque) et, d’autre part, leur figure
tutélaire ainsi que son Premier ministre, Michel Debré*, originellement
défenseur de l’Algérie française. Conçue dans une logique centripète et
considérée par ses adversaires comme un parti de « godillots », l’UNR
pourrait-elle se briser sur la question algérienne ? Les défenseurs de l’Algérie
française qui n’ont cessé jusqu’aux procès* des activistes de remettre au goût
du jour les déclarations du général de Gaulle de 1958 ou les formules les plus
martiales de Michel Debré l’espèrent.
Dès 1958, l’UNR est divisée. Une première tendance, très « Algérie
française », est conduite par Soustelle. Elle voudrait doter le mouvement d’un
président disposant d’une marge de manœuvre face à l’exécutif et nouant des
alliances avec des personnalités et des courants favorables à l’Algérie
française. Une autre tendance, considérée comme légitimiste, voit l’UNR,
dotée d’un secrétariat général, au soutien du président de la République et de
l’ensemble de sa politique. Compromis : Roger Frey* est nommé premier
secrétaire général. Il est avalisé par le Général, n’est pas président et rassure
les soustelliens dont il est issu. Nommé ministre de l’Information, il est
remplacé au bout de quelques mois par Albin Chalandon, alors jeune
inspecteur des Finances, qui assure une transition jusqu’aux assises de
Bordeaux de novembre 1959. Le contexte est alors marqué par l’allocution
du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination et les tentatives de
déstabilisation nées de la naissance, trois jours plus tard, du Rassemblement
pour l’Algérie française* (RAF). Le RAF s’efforce, sous la houlette de
Georges Bidault (Démocratie chrétienne de France) et de Roger Duchet
(Cnip) mais aussi avec l’aval de quelques parlementaires UNR de créer un
arc favorable à l’Algérie française. À l’Assemblée nationale tout d’abord,
puis lors des assises de Bordeaux, ce projet fait long feu. Les soustelliens sont
marginalisés et Jacques Richard, issu du sérail gaulliste et de l’appareil RPF,
qui n’était pas candidat, devient secrétaire général jusqu’aux assises de
Strasbourg de mars 1961.
Entre-temps, les barricades de janvier 1960 ont achevé de marginaliser
les « ultras » qui, à l’instar de Soustelle, quittent dorénavant le navire
gaulliste. La politique algérienne gaulliste est en effet clarifiée et les
hypothèques levées par les départs de secrétaires de fédérations importantes
acquises aux défenseurs de l’Algérie française (Nord, Rhône). Tout risque de
scission écarté, l’UNR se lance dans une véritable politique d’adhésions. Elle
ne compte en octobre 1960 qu’environ 35 000 adhérents et ne dispose qu’en
décembre 1960 d’un représentant dans chacun des départements
métropolitains (l’UNR n’a jamais pu s’implanter en Algérie). Sous la houlette
de Roger Dusseaulx, un ancien du MRP* promu secrétaire général en
mars 1961, elle est sur les rails pour aborder l’ultime phase de la guerre
d’Algérie. La menace des tenants de l’Algérie française est jugulée et les 30
parlementaires qui ont quitté l’UNR depuis 1958, entraînant dans leur sillage
un certain nombre de militants, ne l’ont jamais gravement menacée ;
Raymond Dronne, en lançant « Unité et sauvegarde de la République » le
16 novembre 1961, a bien espéré fédérer l’ensemble des dissidents du
gaullisme mais ce fut un échec. L’UNR a donc résisté aux menaces
centrifuges et le « lien féodal » (Raymond Aron) unissant les gaullistes à leur
chef a été plus fort que leur attachement à l’Algérie française. La guerre finie,
il revient au nouveau secrétaire général, Louis Terrenoire, à partir de
mai 1962, de faire vivre l’UNR dans un nouveau contexte où les partis
relèvent la tête. Il s’agit surtout de conduire la formation gaulliste au succès
électoral lors des législatives de novembre 1962 qui suivent la dissolution de
l’Assemblée née de la censure du gouvernement Pompidou. L’UNR, associée
à l’Union démocratique du travail (UDT), l’emporte avec 233 sièges, frôlant
la majorité absolue et battant les forces du centre et de la droite, MRP et
Cnip.
Olivier DARD
Bibl. : Serge Berstein, Histoire du gaullisme, Perrin, 2001 • Jean Charlot,
L’UNR. Étude du pouvoir au sein d’un parti politique, Cahiers de la
fondation nationale des sciences politiques, 1967 • Jérôme Pozzi, Les
Mouvements gaullistes. Partis, associations, réseaux, 1958-1976, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2011.

UNITÉS TERRITORIALES (UT)


Les unités territoriales (UT) sont des unités supplétives rassemblant des
civils qui n’étaient pas obligatoirement, dans les textes, des Européens
d’Algérie, pendant la Guerre d’indépendance. Fondées sur des décrets
antérieurs à 1954, elles sont mises en place, sur initiative du général
Lorillot*, après l’insurrection nationaliste dans la région de Philippeville. Se
pensant comme une garde nationale, elles s’inscrivent dans la pratique
ancienne de l’autodéfense et de l’armement des colons*, ayant cours depuis
l’invasion de 1830.
Il s’agit, pour les autorités françaises, de faire participer les « Français de
souche européenne » à leur propre défense tout en déchargeant l’armée de
certaines tâches, telles que les gardes fixes, patrouilles et contrôles routiers
dans les centres urbains. Le service dû est temporaire et variable, il peut être
de quelques jours par mois. L’encadrement est assuré par des officiers* de
réserve. En 1956, une UT « Blindés* » est créée et participe aux opérations
militaires dans la région d’Alger.
Les UT se trouvent donc, de fait, liées aux associations d’anciens
combattants particulièrement actives dans les troubles politiques précédant
les événements de mai 1958. Le 5e bureau va s’appuyer sur les UT pour
toucher politiquement des Européens d’Algérie. Il organise, dès le printemps
1958, des stages pour ses cadres en vue de les persuader de la nécessité d’un
rapprochement entre communautés.
Les UT en tant que telles ne jouent pas de rôle notable en mai 1958. Un
bataillon mixte rassemblant Algériens et Européens est cependant créé pour
quadriller la Casbah, tentant de rejouer militairement les manifestations de
fraternisation du Forum. Les membres des UT, notamment ses cadres,
s’avèrent fréquemment des activistes. Le Front national français de Joseph
Ortiz*, depuis sa création en novembre 1958, noyaute ainsi systématiquement
les UT.
Cette politisation devient de plus en plus problématique après
septembre 1959 et le discours du général de Gaulle* sur
l’autodétermination*. Elle l’est d’autant plus qu’elle croise la politisation des
officiers de l’entourage du général Maurice Challe*, notamment les colonels
Argoud* et Gardes*. Ceux-ci multiplient les contacts semi-officiels avec les
responsables des UT et les militants du FNF.
Ces officiers s’engagent dès lors, avec l’appui de Challe, dans la création
de la Fédération des unités territoriales et des autodéfenses, devant armer
sous les drapeaux les partisans de l’Algérie française. Celle-ci voit le jour le
29 novembre 1959, à la suite de son premier congrès à Alger qui porte à sa
tête Victor Sapin-Lignière, commandant de l’UT de la Casbah, et Marcel
Ronda, proche d’Ortiz. Le Bled* peut annoncer qu’elle « proclame la
détermination de tous ses membres de défendre leur condition de citoyens
français et de maintenir contre toute attaque l’intégrité du territoire national ».
Le renvoi du général Massu* accélère les événements, interdisant aux
hommes de l’action psychologique* de rejouer les fraternisations contre de
Gaulle.
La semaine des barricades* éclate, le 24 janvier 1960, sous l’impulsion
des militants FNF et cadres des UT les plus décidés, pensant que l’armée
basculera à leur côté. Les UT se mobilisent et joignent les manifestations*
appelant au retour du général Massu. Des dépôts d’armes sont ouverts et
équipent les insurgés qui se barricadent dans le centre d’Alger et l’université.
Des affrontements entre gendarmes et insurgés, le premier soir, cause la mort
de 14 gendarmes et 8 insurgés. Ceux-ci bénéficient cependant d’une
bienveillance coupable du service d’ordre militaire. Après une semaine de
siège, les insurgés se rendent finalement. L’armée n’a pas basculé. Les UT
comme le 5e bureau sont dissous.
Des compagnies de réserves sont constituées afin de se substituer aux
UT. Elles sont attachées à des unités d’active, garantie de leur discipline. Ces
dispositifs sont abandonnés au début de 1962. Initialement pensées comme
une troupe supplétive à même d’alléger la tâche de l’armée, les UT sont
progressivement devenues un enjeu politique pour les militaires désireux de
pousser le programme intégrationniste comme pour les militants ultras de
l’Algérie française. Cette collusion se manifeste lors de la semaine des
barricades. La dissolution des UT fait partie des nombreuses mesures qui
ponctuent la reprise en main politique de l’armée d’Algérie par le nouveau
régime gaullien.
Denis LEROUX

UNIVERSITÉ D’ALGER
La création en 1909 de l’université de l’empire colonial, qui va rayonner
et devenir à partir des années 1930 le lieu de production et de justification de
l’idéologie coloniale, ne s’est pas faite sans débats et arrière-pensées. Il
paraissait communément admis que la colonie devait être dotée d’une
université spécifique d’un enseignement supérieur qui ait « un double
caractère, pratique et local ». Le projet colonial lui-même dictait qu’il en fût
ainsi. Jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les professeurs,
à quelques exceptions près, se font les porte-parole d’une colonisation totale.
Les travaux, analyses et enseignements fondés sur les mythes coloniaux sont
développés par les enseignants d’Alger généralement praticiens. Ils ne
souffrent pas de contestations, même chez leurs pairs métropolitains. Les
principales disciplines – l’ethnologie, la sociologie, la géographie, l’histoire,
la littérature*, le droit – se rejoignent pour justifier l’idéologie coloniale. La
part la plus large des effectifs de l’université coloniale est constituée
d’étudiants* et d’enseignants imprégnés et acquis à l’idéologie colonialiste.
Les étudiants musulmans y ont une place minoritaire et marginalisée.
Dans les luttes politiques qui démarrent après 1954, l’université devient
le bastion de l’irrédentisme colonialiste. Elle est à l’avant-garde des combats
des ultras en différents moments clés : journées de février 1956*, mai 1958*,
semaine des barricades* en 1960, putsch* des généraux en 1961. Elle joue
aussi dans le rapport de force métropole/colonie. Des enseignants et des
étudiants rejoignent au final les rangs de l’OAS*. Dans cette université,
véritable citadelle des irréductibles coloniaux, les oppositions ou critiques qui
restent minoritaires sont sinon refoulées, le plus souvent stigmatisées ou
violemment combattues. Un certain nombre d’enseignants comme André
Mandouze* et Jacques Peyrega sont menacés et rejoignent la métropole. Les
tentatives d’enseignants et d’étudiants « libéraux » dont certains sont réunis
dans le comité Étudiants d’action laïque (CEALD), des courants « chrétiens-
progressistes », d’étudiants juifs* et de communistes, cherchant à construire
des ponts avec leurs camarades musulmans, se fracassent sur le bloc des
ultras. Certains des membres de ces mouvances, qui s’engagent dans le
soutien à l’émancipation des Algériens, s’exilent ou y perdent leur vie.
L’incendie criminel de la bibliothèque universitaire d’Alger en juin 1962 clôt
dramatiquement l’histoire d’une université citadelle coloniale, arc-boutée sur
ses certitudes et valeurs inégalitaires. La réouverture de l’université après
l’indépendance en septembre 1962 se fait avec certains des enseignants
européens (André Mandouze est nommé recteur en 1963) qui ont résisté aux
logiques de l’exclusion.
Aissa KADRI
Bibl. : Jean Mélia, Histoire de l’université d’Alger, L’Épopée intellectuelle
de l’Algérie, Alger, La Maison des livres, 1950 • Université d’Alger.
Cinquantenaire, 1909-1959, Alger, Gouvernement général de l’Algérie,
1959.
V

« 22 », LES
L’historiographie consacre cette appellation pour désigner le groupe de
militants de l’Organisation spéciale* (OS) qui prend la décision de
déclencher l’insurrection en Algérie.
La reconduction de l’OS par le MTLD lors du congrès d’avril 1953 (en
l’absence des membres de l’OS, à l’exception de Ramdane Benabdelmalek*)
intervient alors que le conflit entre Messali Hadj* et le comité central (CC)
menace le parti d’éclatement. Fin décembre, leur désaccord, circonscrit
jusque-là à la direction, finit par être porté à la connaissance de la base
militante en France et en Algérie. La contre-offensive de Messali se traduit
par la désignation d’un Comité de salut public – exigeant la désobéissance et
le blocage des fonds – qui produit ses effets auprès des militants. Les
tentatives de compromis que les envoyés du CC exposent à Messali sont
rejetées. Dans la confusion générale, et pour sauver l’unité du parti, des voix
s’élèvent, tant au CC que chez les activistes de l’OS, appelant à la neutralité
entre les deux parties rivales lesquelles n’hésitent pas à se livrer bataille.
De guerre lasse, le CC est contraint de céder ses pouvoirs à la délégation
provisoire choisie par Messali le 28 mars 1954. En éliminant les centralistes,
les messalistes ouvrent la voie, sans le savoir, à l’action armée. Entre-temps,
un Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (Crua) est créé le 23 mars
1954, avec le soutien du CC. A priori, le Crua semble le résultat d’une
alliance entre l’OS et le CC. « Les centralistes taxés de réformisme par leurs
adversaires vont essayer d’utiliser les activistes pour se couvrir des
accusations portées contre eux » (Harbi, L’Algérie et son destin, Arcantère,
1992).
La constitution de ce comité – dont l’existence est des plus éphémères –
est concrétisée d’abord par le rappel de Mohamed Boudiaf* et Didouche*
Mourad, contactés à Paris par Hocine Lahouel du CC fin avril 1953, au nom
de la commission de l’OS désignée lors du dernier congrès. De retour à
Alger, Boudiaf participe à deux réunions qui aboutissent à la naissance du
Crua. Le comité est composé de Ben Boulaïd*, Mohamed Dekhli, Ramdane
Bouchebouba (contrôleur général du parti) et Boudiaf.
Ce dernier fournit une version différente relative à la création du Crua
(témoignage* paru dans El Djarida, 1974). Informé de la situation qui régnait
à Alger par ses compagnons, Boudiaf prend congé de la Fédération de Paris,
regagne Alger au début de mars 1954 et prend contact avec Dekhli avec qui il
convient « d’entreprendre quelque chose pour arrêter la débandade, à la
condition de maintenir la base militante en dehors du conflit de la direction ».
Avant la rencontre ultime avec Dekhli et Ramdane Bouchebouba qui fonde le
Crua, Boudiaf entre en contact avec les membres de l’OS de Constantine, se
réunit à Alger avec Mostefa Ben Boulaïd, Rabah Bitat*, Larbi Ben M’hidi*
et ensemble s’accordent pour « lancer un mouvement d’opinion dans la base
en vue de préserver l’unité du parti ».
Le quatuor du Crua est composé des premiers cadres de l’OS mais Ben
Boulaïd et Dekhli sont également membres du CC. Un bulletin intérieur, Le
Patriote, s’adresse dès son premier numéro aux militants et précise sa
préoccupation majeure (« sauver l’organisation ») en appelant « à la
neutralité vis-à-vis des antagonistes » qu’il invite « à venir s’expliquer » dans
un congrès extraordinaire. Loin de constituer une troisième voie, le Crua
scelle une tentative d’alliance de circonstance entre le CC et l’OS qui, au bout
de trois mois, est rompue, les uns et les autres ne poursuivant pas les mêmes
objectifs.
Les partisans de l’OS nourrissent en effet un vif ressentiment à l’encontre
du CC qui a prononcé leur dissolution en février 1951 et ils n’ignorent pas
non plus son peu d’empressement à passer à l’action. En outre, les violentes
critiques émises par Messali qui leur reproche d’être à la traîne du CC les
blessent et les confortent dans leur volonté de prendre leur distance à l’égard
des deux parties rivales. Durant ce laps de temps, les attaques des messalistes
contre les membres du Crua se multiplient : la délégation provisoire décide de
suspendre deux de ses membres (Dekhli et Bouchebouba) tandis que Boudiaf
et Bitat sont agressés violemment dans la Casbah le 9 mai. À leur tour, ils
décident de riposter en organisant l’attaque du siège du MTLD, rue de
Chartres. Autant dire que le Crua n’existe plus – ses autres membres, Ben
Boulaïd et Boudiaf, font déjà bande à part avec Didouche Mourad, Larbi Ben
M’hidi et Rabah Bitat.
La conjugaison de plusieurs événements accélère la décantation entre
centralistes et activistes. D’une part, les rumeurs de collusion avec le CC sont
très mal vécues par les militants de l’OS ; d’autre part, en réponse à la
prochaine tenue du congrès messaliste (Hornu, 13-15 juillet), le CC veut
réunir le sien. Les activistes de l’OS désapprouvent et se préparent à
l’insurrection. Tel est l’objectif de la réunion dite des « 22 » militants de
l’OS, le 25 juin. Selon le témoignage de Boudiaf, l’option du passage à la
lutte armée est admise par tous mais pour certains « le moment de la
déclencher n’est pas encore venu. Les échanges furent très durs. La décision
fut acquise après l’intervention émouvante de Souidani Boudjemaâ qui, les
larmes aux yeux, fustigea les réticents en déclarant : “Oui ou non, sommes-
nous des révolutionnaires ? Alors qu’attendons-nous pour faire cette
révolution si nous sommes sincères avec nous-mêmes ?” ». La réunion se
termine par l’élection du responsable national qui, à son tour, désigne quatre
membres qui assurent la direction collégiale du mouvement. Ce sont Boudiaf,
Ben Boulaïd, Didouche, Bitat et Ben M’hidi. Ils reçoivent l’adhésion d’Aït
Ahmed*, Ben Bella* et Khider* de la délégation extérieure du MTLD
au Caire. Krim* Belkacem, responsable de la Kabylie, les rejoint et compose
avec eux le groupe dit plus tard « des 6 ». À partir de juillet, les activistes de
l’OS doivent compter avec l’opposition « des messalistes qui veulent trancher
les divergences politiques avant de s’engager dans l’action armée » et
l’opposition « des centralistes qui crient à l’aventure » (Harbi, 1980).
Par ailleurs, à l’intérieur du groupe des « 22 », les divergences perturbent
les préparatifs de la lutte armée. Ce sont quatre participants de Constantine
qui critiquent ouvertement la composition de la direction. Les griefs visent
deux personnes : Boudiaf, connu pour son franc-parler et à qui on reproche
ses liens avec le CC, et Bitat, considéré moins apte à diriger la Zone 2 du
Nord-Constantinois. Ils soulèvent aussi la pression des messalistes et des
centralistes sur le terrain sans compter le manque de moyens matériels.
Didouche Mourad, présent à une réunion des chefs du Constantinois, rejette
toutes leurs propositions et conclut : « Vous suivez. Celui qui ne marche pas
ira en prison*. » Le groupe de Constantine décide son retrait portant un coup
d’arrêt aux cellules prêtes à passer à l’action. Selon d’autres sources, les
quatre Constantinois soumis à l’influence d’Abderrahmane Gherras ont
préféré se retirer faute de moyens.
Pour le groupe dirigeant de l’OS, les mois suivants sont consacrés à
l’organisation du pays, divisé en cinq zones : Aurès, Constantinois, Kabylie,
Algérois, Oranais. Dans une dernière rencontre, fin octobre, le groupe se dote
d’un nouveau sigle : le Front de libération nationale* (FLN) soutenu par
l’Armée de libération nationale* (ALN). Dans la nuit du 31 octobre au
1er novembre*, une série d’actions armées est menée et la proclamation
annonçant au peuple algérien le début de la Guerre d’indépendance est
diffusée. Les débuts du FLN sont difficiles mais peu à peu la résistance
s’affirme sur le terrain.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Benyoucef Ben Khedda, Les Origines du 1er novembre 1954, Alger,
Dahlab, 1989 • Mohammed Harbi, Le FLN. Mirage et réalité, Jeune Afrique,
1980 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002.

VANUXEM, GÉNÉRAL PAUL (1904-1979)


Paul Vanuxem naît en 1904. Il fait ses études à l’université de Lille*, où
il obtient une licence de philosophie. D’abord professeur, il s’engage dans
l’armée en 1939 à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il participe à la
campagne d’Italie et à la libération de la France, puis à la guerre
d’Indochine*. Le général de Lattre de Tassigny le considère comme un chef
prometteur et le fait monter dans la hiérarchie. Il appartient aux « maréchaux
de De Lattre », ces officiers* formés et marqués par le commandant en chef
en Indochine et anciens chefs de la 1re armée de la Libération. Général de
brigade en 1955, il est affecté en Algérie et nommé commandant militaire de
la zone des Aurès, épicentre de l’insurrection algérienne. Connu pour ses
méthodes expéditives, il mène alors une répression très brutale contre les
maquis et les populations civiles. En 1957, il est nommé commandant de la
Zone Est-Constantinois. Il a la charge de développer la ligne Morice qui se
construit sous ses ordres. Il mène alors la bataille des frontières* contre les
troupes de l’ALN retranchées en Tunisie*. Mais il se retrouve souvent en
conflit avec certains colonels sous ses ordres, notamment avec Marcel
Bigeard*. En effet, le général Vanuxem est adepte des grandes opérations
militaires et s’oppose à la culture des commandos* parachutistes, notamment
de Bigeard, favorable à la contre-guérilla. Promu général de division le
1er janvier 1958, Paul Vanuxem reste en poste jusqu’au 28 novembre 1958 à
la frontière tunisienne. Le 6 décembre suivant, il est nommé commandant en
second des forces françaises en Allemagne du fait de ses sympathies pour
l’Algérie française. Ses opinions favorables à l’OAS* lui valent d’être mis en
disponibilité le 31 mai 1961. Il est même arrêté le 7 septembre de la même
année car il est soupçonné d’être un des chefs de l’OAS en métropole.
Emprisonné, il est jugé en septembre 1963 pour complot contre l’autorité de
l’État par la Cour de sûreté* et finalement acquitté, après avoir nié sa
participation à l’OAS-métropole.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, 2 vol., Bouquins, 2018 • Jean Guisnel,
Les Généraux. Enquête sur le pouvoir militaire en France, La Découverte,
1990 • Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant, Pouvoir politique
et autorité militaire en Algérie française. Hommes, textes, institutions, 1945-
1962, L’Harmattan, 2002.

VAUJOUR, JEAN (1914-2010)


Le témoignage* que Vaujour livre dans De la révolte à la révolution
(1985) apporte un important éclairage sur la somme des renseignements
récoltés par ses services quant à l’imminence de graves événements,
contrebalançant ainsi la thèse « d’un coup de foudre dans un ciel serein ».
Arrivé en juillet 1953 en Algérie, le préfet* Jean Vaujour va assumer la
fonction de directeur de la Sécurité générale auprès du gouverneur général
Roger Léonard*.
À Alger, Vaujour prend la mesure des difficultés, notamment ceux liés à
la faiblesse des effectifs nécessaires au maintien de l’ordre et des moyens
matériels, à l’absence de coopération entre les différents services de
renseignement DST, SLNA* et PRG, sans compter la défiance à son égard de
la part de Borgeaud*. À ce constat vient s’ajouter un faisceau d’événements
dont la conjugaison met en alerte Vaujour. Divers actes de désobéissance à la
force publique (à l’exemple des incidents de Nedroma, 23 octobre 1953), de
sabotages, de menaces ne relevant ni de la délinquance, ni du banditisme,
sont signalés un peu partout, sans compter le trafic d’armes*. Par ailleurs, le
passage à l’action armée en Tunisie* et au Maroc* ne laisse pas insensibles
les milieux nationalistes algériens acquis à cette solution. Mais les
observateurs de la scène algérienne pensent que la crise traversée par le PPA-
MTLD* écarte tout danger de contagion. Pourtant, l’année 1954 enregistre
d’autres faits marquants qui confirment la préparation d’actions violentes.
L’arrestation de Mohamed Achachi à Tizi Ouzou, militant du MTLD, le
2 janvier 1954, et l’exploitation des documents saisis apportent la preuve de
l’existence de groupes armés clandestins. Au mois d’avril 1954, Vaujour
adresse à sa hiérarchie une note de 36 pages sur « Les commandos* nord-
africains destinés à lutter contre le colonialisme français en Afrique du
Nord » que des Algériens ont rejoint. Le 23 octobre 1954, le rapport que
transmet le gouverneur général à Paris est le résultat de l’infiltration par la
PRG d’Alger, de l’existence d’un groupe clandestin préparant des bombes.
Quand Grasser, chef de la PRG de Constantine, informe Vaujour de la
présence de quelques centaines d’hommes armés dans l’Aurès, ce dernier
convoque une réunion d’urgence à la préfecture de Constantine le
29 octobre… La mise en alerte des forces de l’ordre, l’envoi de renforts dans
l’Aurès, la dissolution du MTLD le 5 novembre 1954, tout comme la
répression, ne rétablissent pas l’ordre. Après le rappel de Léonard, son
remplacement par Soustelle*, c’est à son tour de quitter l’Algérie en
juillet 1955, non sans craindre « une nouvelle Indochine* ». Il a l’occasion de
revenir en Algérie dans le cabinet de Paul Delouvrier* en 1960.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Jean Vaujour, De la révolte à la révolution. Aux premiers jours de la
guerre d’Algérie, Albin Michel, 1985 • Georgette Elgey, Histoire de la
IVe République, t. I, 1945-1957, Bouquins, 2018.

VAUTIER, RENÉ (1928-2015)


Le cinéma* de René Vautier naît dans le creuset de la Seconde Guerre
mondiale. Ce Breton, communiste et résistant dans son adolescence, est bien
décidé après l’Institut des hautes études cinématographiques à faire du
cinéma pour lutter contre le colonialisme. Comme il le disait dans un
documentaire : « Sorti de la résistance française, je ne pouvais pas admettre
qu’au nom de la France on maintienne là-bas [dans les pays colonisés] un
régime qui par bien des aspects me rappelait ce que les Allemands faisaient
en France occupée » (Youssef El Ftouh et Moktar Ladjimi, Le Cinéma
colonial, 1997). Il tourne au Niger Afrique 50 en 1949-1950 pour la Ligue de
l’enseignement avec un style inimitable, dénonçant déjà l’impôt forcé et la
violence militaire. Son cinéma d’intervention subit les foudres de la censure*,
tout comme celui de Paul Carpita sur la guerre d’Indochine*.
Cette première partie de l’histoire de Vautier permet de comprendre son
engagement au moment de la guerre d’Algérie. De son propre chef, il met son
talent au service du FLN*. Il en sort vivant, mais avec un éclat de caméra
incrusté dans la tête et un an de prison* dans les geôles du FLN. En effet, ses
interlocuteurs algériens ne comprennent pas le projet de ce militant
communiste. La diffusion de ses films à l’étranger, et notamment dans le bloc
soviétique pour Algérie en flammes (1958), lui vaut le respect des Algériens
et fait de lui un des formateurs importants de jeunes cinéastes algériens. Tout
en respectant totalement ses convictions, Vautier se fait le chantre d’Une
nation, l’Algérie (dès 1954) et de l’ALN*. Il constitue ainsi un cinéma de
propagande* engagé, plein d’empathie pour un pays qui n’est pas le sien
(Peuple en marche, 1964), chose assez rare qui préfigure un film collectif
comme Loin du Vietnam (1967).
Il forme de nombreux Algériens dans l’Algérie indépendante au sein du
Centre audiovisuel d’Alger et des projections « Ciné-Pops », mais il doit
quitter le pays après le coup d’État de Boumediene*, en 1965. Il retourne en
France et s’intéresse à d’autres causes – notamment aux Bretons ou au
nucléaire ; il revient sur la guerre d’Algérie avec Avoir vingt ans dans les
Aurès (1972) ou La Folle de Toujane (1974). Il y décrit les effets de la guerre
à la fois sur les Français et sur les Algériens.
Sébastien DENIS
Bibl. : René Vautier, Caméra citoyenne, Rennes, Apogée, 1998 •
Décadrages, no 29-30, « René Vautier », 2015.

VEIL, SIMONE (1927-2017)


Simone Jacob est née le 13 juillet 1927 à Nice dans une famille d’origine
lorraine dans laquelle le père est architecte. Sa mère, formée comme chimiste,
élève ses enfants. La famille est laïque et non pratiquante. Après l’entrée de
la Wehrmacht à Nice en septembre 1943, la situation devient très difficile,
mais Simone Jacob, à 16 ans, parvient à passer le bac sous son vrai nom le
29 mars 1944. Elle est arrêtée le lendemain. Les autres membres de sa famille
sont arrêtés, sauf une sœur. Son père et son frère sont déportés vers Kaunas
(Lituanie) où leur trace se perd. Simone, sa mère et sa sœur Madeleine
transitent par Drancy et sont déportées à Auschwitz-Birkenau. Affectée à des
travaux de terrassement, elle tombe malade mais bénéficie de la protection
d’une kapo qui l’affecte avec sa mère et sa sœur au camp annexe de Bobrek
en juillet 1944. Le 18 janvier 1945, le camp est évacué pour les « marches de
la mort » qui conduisent les trois femmes à Bergen-Belsen. Sa mère y meurt
du typhus, un mois avant la libération du camp le 15 avril 1945. Simone et
Madeleine Jacob arrivent à Paris le 23 mai 1945. Les sœurs parviennent à se
réadapter, bien que Simone retire de son expérience une forme de dureté. Elle
s’inscrit à la faculté de droit et à Sciences-Po, et se marie avec Antoine Veil
en octobre 1946. Le couple a trois enfants. En 1954, tandis que son mari entre
à l’École nationale de l’administration, elle se décide à devenir magistrate*.
Elle est reçue au concours en 1957 et choisit l’administration pénitentiaire.
Dans ce cadre, elle cherche à améliorer les conditions de détention, en
particulier sous le ministère d’Edmond Michelet* : elle obtient un camion
radiologique pour lutter contre la tuberculose, ouvre des bibliothèques
carcérales et des structures scolaires pour les mineurs. Proche de Germaine
Tillion*, elle suit avec attention le conflit algérien et les conditions de
détention des détenus. Elle est chargée d’une tournée d’inspection générale
des prisons* algériennes par Edmond Michelet, et organise le transfert vers la
métropole des condamnés algériens menacés d’être exécutés par des
commandos pro-« Algérie française ». Elle obtient aussi pour Yasmina
Belkacem, amputée des deux jambes par la bombe qu’elle allait poser, des
conditions d’emprisonnement compatibles avec son handicap. Elle visite
aussi de nombreuses prisons de métropole, s’occupant notamment des
porteurs et porteuses de valises*. Après l’indépendance algérienne, elle
devient la première femme secrétaire générale du Conseil supérieur de la
magistrature, avant d’être nommée ministre de la Santé en 1974 et d’obtenir
le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Elle occupe encore de
nombreuses fonctions européennes et nationales, avant de faire partie du
Conseil constitutionnel. Elle décède le 30 juin 2017. Le président algérien
Abdelaziz Bouteflika* rend à cette occasion hommage au rôle qu’elle a joué
auprès des condamnés algériens. Elle entre au Panthéon avec son mari le
1er juillet 2018.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Constance de Gaulmyn et Olivier Rozenberg, « Nous vous aimons,
Madame. » Simone Veil, 1927-2017, Flammarion, 2021 • Simone Veil, Une
vie, Stock, 2007.

VERGÈS, JACQUES (1924-2013)


Témoin prolixe et contradictoire dont la biographie reste énigmatique,
Jacques Vergès est né en 1924 ou 1925, d’une mère vietnamienne et d’un
père réunionnais, futur député-maire communiste. Ayant rejoint à 17 ans les
FFL, il s’installe à Paris, adhère au PCF* et s’investit dans l’Union
internationale des étudiants. Devenu avocat* en 1955, il part à Alger en 1957
pour le collectif de défense communiste ; ses membres se relaient sur place
afin d’assister les nationalistes. Ainsi il plaide pour Djamila Bouhired*,
accusée d’attentat. Ses provocations à l’audience font sensation. Rompant
avec le PCF, il s’engage au collectif du FLN* dirigé par Me Oussedik*. Ses
coups d’éclat lui valent une notoriété trompeuse : elle gomme ce cadre, dans
lequel il agit. C’est avec ses confrères du FLN qu’il signe maints ouvrages
dénonçant la guerre d’un point de vue légal. Comme eux, il est réprimé
(expulsé d’Alger, suspendu un an) mais, au contraire d’autres, sa vie ne
semble pas avoir été menacée et il n’a pas été arrêté.
Il fait controverse jusque chez les anticolonialistes. Alors que pleuvent les
peines de mort, ne sacrifie-t-il pas ses clients en provoquant les juges ? Il
assure obtenir leur grâce par la médiatisation et cite toujours l’exemple de
Pour Djamila Bouhired, que publie Georges Arnaud chez Minuit, en 1957 ;
son activité concrète reste mal connue. Au procès Jeanson*, en outre, Gisèle
Halimi* dénonce la multiplication des incidents car elle empêche tout
discours politique. Cette stratégie, enfin, ne répond pas aux besoins
quotidiens de défense, nés d’une répression massive ; conçue pour frapper
l’opinion*, elle ne fait sens que dans de grandes affaires*.
Vergès n’a théorisé la « défense de rupture » qu’en 1968 (De la stratégie
judiciaire, Minuit). Il est alors à Alger où il a épousé Djamila Bouhired.
Résolument prochinois, il déplaît cependant au régime. Après une disparition
volontaire de 1970 à 1978, il réactive son passé algérien en 1984, quand il nie
à la France le droit de juger Barbie, au nom des crimes coloniaux. Peu
entendus, Mohammed Harbi* et Hocine Aït Ahmed*, notamment, s’insurgent
contre cette « grossière manipulation ». Sa défense postérieure de dirigeants
du Front islamique du salut (FIS) témoigne également d’une trajectoire plus
sûrement guidée par la provocation que par la fidélité à des principes.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Bernard Violet (avec Robert Jégaden), Vergès. Le maître de l’ombre,
Seuil, 2000 • Sylvie Thénault, « Défendre les nationalistes algériens en lutte
pour l’indépendance. La “défense de rupture” en question », Le Mouvement
social, vol. 240, no 3, 2012.

VIDAL-NAQUET, PIERRE (1930-2006)


Historien de la Grèce ancienne, Pierre Vidal-Naquet a l’expérience du
deuil contrarié, lorsque les corps des morts ne sont pas rendus aux vivants ; il
a 14 ans lorsque ses parents sont déportés en 1944. Pour cette raison peut-
être, c’est une disparition* qui le conduit à s’engager résolument : celle de
Maurice Audin*, que les parachutistes* ont arrêté et torturé à Alger en 1957.
Héritier de positions dreyfusardes, car des membres de sa famille ont soutenu
le capitaine, il dénonce la torture* et la guerre au nom des valeurs
républicaines. Il mobilise à cet effet un impressionnant capital social et
culturel, que révèlent ses Mémoires et ses biographies, reçu de sa famille ou
constitué au gré de ses études et de sa carrière universitaire.
Il a aidé son ami Robert Bonnaud*, rappelé, à publier son témoignage*
sur les violences de l’armée (« La paix des Nementchas », Esprit, avril 1957),
avant de s’investir dans le comité Audin, voué à la recherche de la vérité sur
le sort du disparu ; l’armée prétend qu’il s’est évadé. En 1958, dans L’affaire
Audin, qui paraît chez Minuit, il démonte la version officielle
méthodiquement, en historien. Il dira toutefois que l’éditeur Jérôme Lindon*
aurait pu cosigner l’ouvrage tant il s’y est impliqué.
De militant maniant les armes de sa profession au service de son
engagement, Vidal-Naquet devient le premier historien de la torture. Éclairer
le sort d’Audin nécessite en effet de comprendre le système répressif déployé
en Algérie. Aussi il collecte des documents sur la torture, dont Minuit édite
un recueil commenté en 1962 : La Raison d’État. L’année suivante, à la
demande de Penguins Book, il passe de l’édition critique de textes à l’essai,
avec Cancer of Democracy (traduit en 1972 seulement, chez Minuit : La
Torture dans la République). Immense, son œuvre reste incontournable.
« Je n’ai pas cessé », conclut-il dans ses Mémoires, « d’établir des vérités
au sens le plus élémentaire du terme. » Il lie ainsi la dénonciation de la torture
avec celle des négationnistes, autre cause marquante de sa vie. Fidèle à ses
principes, il a notamment signé, en 2000, l’« Appel des douze* » demandant
la reconnaissance officielle de la torture. Mort en 2006, il n’a pas vu
l’aboutissement du combat de Josette Audin* quand, le 13 septembre 2018, le
président Macron* a reconnu la responsabilité de l’État dans la disparition de
son mari.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : François Dosse, Pierre Vidal-Naquet. Une vie, La Découverte, 2020 •
François-René Julliard, « Le comité Maurice-Audin : s’organiser contre la
torture », Le Mouvement social, vol. 267, no 2, 2019 • Pierre Vidal-Naquet,
Mémoires, t. II, Le trouble et la lumière, 1955-1998, Seuil-La Découverte,
1998.

VILLA SÉSINI
Somptueuse villa construite à la fin du XIXe siècle sur les hauteurs
d’Alger, dans le style néo-mauresque typique de la période, la villa Sésini est
une très vaste construction blanche, ornementée de faïences et de tuiles
vernissées, protégeant une cour intérieure au centre de laquelle une fontaine
fait entendre son ruissellement. Appartenant d’abord à un notaire du nom de
Sésini, elle a été cédée au consulat d’Allemagne dans les années 1920 avant
d’accueillir, pendant la guerre, le poste de commandement de certaines unités
militaires. C’est dans sa cour, lors d’une prise d’armes, que le général
Massu*, commandant l’ensemble de la 10e division parachutiste*, remet au
lieutenant Jean-Marie Le Pen*, député mais aussi officier* au 1er régiment
étranger de parachutistes, la Croix de la Valeur militaire étoile de bronze.
L’activité à la villa est particulièrement intense lors de la répression qui
s’abat sur Alger au cours de l’année 1957 en particulier. Associé au 1er REP,
le nom de cette villa (souvent orthographié par erreur Susini) est devenu
emblématique de la pratique de la torture*. Ici comme ailleurs, ces violences
sont dirigées par un officier, souvent le capitaine Roger Faulques. À la villa
Sésini, elles reposent sur deux techniques de base : l’application d’électricité
sur le corps et l’ingurgitation forcée d’eau.
C’est en effet dans sa cour (notamment dans la vasque de la fontaine),
dans sa cave ou dans certains de ses bâtiments qu’ont lieu les tortures des
nombreux suspects et suspectes conduits dans ce qui fonctionne alors comme
un centre de détention clandestin. Contrairement aux autres centres de ce type
qui se multiplient à Alger, de très nombreux témoignages* concordants
existent, dès l’époque, sur ce qui s’y passe. Sont dénoncées les violences
perpétrées par les forces de l’ordre (légionnaires et policiers agissant avec
eux). La justice est saisie de plusieurs plaintes pour sévices graves au début
du printemps 1957. Ces plaintes révèlent une forme de spécialisation de ce
centre dans un type de suspects bien particulier : non pas des Algériens
suspectés d’appartenir au FLN* mais des Français politiquement engagés au
PCA* ou proches des libéraux*. C’est ainsi qu’y sont conduits André Gallice,
ancien conseiller municipal d’Alger, ou encore Nelly Forget*, membre des
centres sociaux*. Une autre particularité remarquable de ce centre de tortures
est en effet la présence de femmes* détenues.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001.
VIOLS DES FEMMES EN ALGÉRIE
Sujet tabou, enfoui dans les mémoires meurtries, à l’exception de
quelques dénonciations durant la Guerre d’indépendance, le viol des
femmes* algériennes investit tardivement le champ de la recherche, comme
le souligne Raphaëlle Branche (2002). Toute étude approfondie se heurte à
un double écueil : le silence des archives* – celles de la justice militaire* en
particulier – et le silence des victimes peu enclines à parler des sévices subis.
Ils furent dénoncés en leur temps par des acteurs témoins de cette « pratique
courante » qui a touché en particulier les femmes rurales. Celles des villes
n’ont pas été non plus épargnées lors de leur arrestation et des séances de
torture* qu’elles ont endurées. Quelques photos récupérées auprès de
déserteurs tels que Constantinos Papadopoulos (avril 1958) apportent la
preuve matérielle d’un viol collectif perpétré sur des paysannes enfermées
dans le camp de regroupement* de Bouhamama (Aurès). Ces précieux
documents sont parvenus au CCE* et semblent avoir fait l’objet d’un dossier
présenté par la délégation extérieure du FLN* à l’ONU*.
En l’absence d’une enquête générale, cette question est abordée à partir
des écrits d’acteurs de cette tragédie, de rares témoignages* des victimes
elles-mêmes, d’entretiens avec les femmes arrêtées et torturées et celles qui
furent enfermées dans les camps de regroupement.
Dès le déclenchement de l’insurrection en novembre 1954, la guerre est
totale, elle touche indistinctement les hommes comme les femmes. Quand les
représailles s’abattent sur les mechtas de l’Aurès, ce sont les populations
civiles – et en particulier les femmes – qui en paient le prix le plus fort. Les
femmes du douar Kimmel ont été éloignées de leurs demeures et parquées
dans le courant du mois de novembre 1954, dans une maison à part. Ces
femmes ont réussi à fuir et à trouver refuge dans le maquis pour échapper au
sort qui les attendait… Une autre épreuve est infligée aux femmes de Tifelfel
(Aurès) durant l’été 1955. L’armée décide de les isoler de leurs demeures
pour éviter les visites nocturnes des hommes qui ont pris le maquis. Du jour
au lendemain, elles se retrouvent sans défense livrées aux brutalités de toutes
sortes. Les atteintes à leur dignité de personne sont rapportées sans détail
mais avec des mots comme el monker (« sévices »), el mouhel (« l’indicible »
ou « l’indescriptible ») ou encore el batel (« l’irréparable ») qui en disent
long sur le calvaire enduré.
Désarmées, vulnérables, elles s’échinent à souiller leur corps pour
échapper à ce phénomène de guerre terrifiant qui demeura dissimulé d’autant
plus qu’il se déroulait en toute impunité dans les campagnes contrôlées par
l’armée. Dans son Journal (1962), Mouloud Feraoun* rapporte en termes
crus la transformation des douars des Ouadhias en « un populeux BMC* où
furent lâchées les compagnies de chasseurs alpins ou autres légionnaires »
(p. 184) en janvier 1957. De même dans le camp de regroupement de
Messelmoun (Cherchell), les viols des femmes sont une pratique courante,
selon les témoignages recueillis.
La plupart des maquisardes interrogées par Natalya Vince insistent sur les
souffrances vécues dans les campagnes quadrillées par l’armée. Les
Algériennes engagées dans la lutte anticoloniale n’ont pas été non plus
épargnées quand elles sont arrêtées et livrées à leurs tortionnaires. L’une
d’elles, A. B., mineure, a raconté les premiers moments de l’arrestation. « Ce
n’est pas la torture que je craignais, je m’y attendais, mais je n’oublierais
jamais quand on m’a obligée à me déshabiller entièrement. » Cette mise à nu
des corps de jeunes femmes est devenue un champ de bataille dans l’enfer
des salles de torture.
Quelques cas de femmes torturées et violées telles Djamila Bouhired* et
Djamila Boupacha* ont fait l’objet d’une dénonciation publique en leur
temps. Mais la réalité de la guerre a eu pour effet de produire la banalisation
de ces déchaînements inhumains d’autant que les rares procédures intentées
par les victimes n’ont guère abouti, à l’exemple de l’affaire de Djamila
Boupacha (juin 1961). Quarante ans après l’indépendance, en juin 2000,
Louisette Ighilahriz* brise le silence et révèle les violences qu’elle a subies.
Si ses enfants sont choqués par l’aveu de leur mère, ses compagnes de lutte
désapprouvent sa courageuse démarche. C’est bien la preuve que les
traumatismes d’hier sont encore vivement ressentis au-delà de la volonté de
les oublier. C’est dire aussi que la société algérienne actuelle n’est pas prête à
regarder son passé tout comme elle occulte les viols commis par certains
maquisards. Comment décider ces femmes qui ont défié bien des obstacles,
transgressé les codes inhérents au patriarcat à transmettre ce qu’elles ont
vécu ? Sans la parole des victimes, le grand récit des viols survenus en
Algérie durant la Guerre d’indépendance demeurera inachevé.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Khedidja Adel, « La prison des femmes de Tifelfel : enfermement et
corps en souffrance », L’Année du Maghreb, no 20, 2019 • Raphaëlle
Branche, « Des viols pendant la guerre d’Algérie », Vingtième siècle. Revue
d’histoire, no 75, 2002 • Natalya Vince, Our Fighting Sisters. Nation,
Memory and Gender in Algeria, 1954-1962, Manchester, Manchester
University Press, 2016.
W

WAHBY, AHMED (1921-1993)


Le pseudonyme d’Ahmed Wahby, que prend Sid Ahmed Tedjani Driche,
dit son amour pour le grand musicien égyptien Abdel Wahab, mais cette
influence ne l’empêche nullement de se réapproprier le patrimoine musical
oranais. Né à Marseille* en 1921, orphelin de mère, il grandit à Medina Jdida
(Ville nouvelle), partie arabe de la ville d’Oran, avec son père musicien.
C’est dans les rangs des scouts musulmans* que son talent se révèle. En effet,
Sid Ahmed y adhère en 1937 dès que se crée le groupe d’Oran, An-Najah (le
succès). Dans cette véritable école du nationalisme*, où l’on entonne en
groupe des chants* patriotiques, on laisse souvent le jeune prodige chanter
seul pendant les veillées. En 1946, le musicien passe du statut d’amateur à
celui de professionnel, se produit à Alger en prenant le surnom de Wahby,
avant d’émigrer à Paris. L’éloignement aiguillonne l’amour du pays attesté
dans le titre à succès Wahran, Wahran (« Oran, Oran ») pendant que
Lasnamia, sa complainte sur le tremblement de terre d’El Asnam (ex-
Orléansville, aujourd’hui Chlef) en 1954, peut s’entendre comme une
métaphore du séisme politique de l’insurrection. Wahby, comme l’autre
grand chanteur Blaoui Houari, forge un style musical moderne, El Asri, en
faisant resurgir les rythmes de la musique badawi (bédouine), propre à
l’Oranie, associant la flûte traditionnelle au luth oriental. Ses interprétations
des poèmes du Cheikh El Khaldi comme Wahd el ghzal (« Une gazelle ») et
du Cheikh Ben Brahim comme Yemna font désormais partie du répertoire. Il
accomplit ce travail de réappropriation culturelle de concert avec ses activités
politiques comme deux volets d’un même combat. Puis le politique prime et
Ahmed Wahby est un des premiers artistes à quitter Paris pour rejoindre
Tunis et fonder la troupe artistique du FLN* en 1958. Ici le caractère collectif
de la lutte prend le pas sur l’individualité. Wahby participe à l’écriture de
chants révolutionnaires et aux tournées internationales, réservant ses
recherches artistiques pour les lendemains de l’indépendance, en revenant
bien sûr à Oran.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Ahmed Hachlef, « Ahmed Wahby », in Ahmed et Mohamed Elhabib
Hachlef, Anthologie de la musique arabe, CCA-Édisud, 1993 • Rachid
Mokhtari, La Chanson de l’exil. Les voix natales (1939-1969), Alger,
Casbah, 2001.

WILAYA 1 (AURÈS-NEMENCHA)
La région de l’Aurès correspond à la Zone 1 selon le découpage opéré par
les fondateurs du FLN*. Dirigé par Mostefa Ben Boulaïd*, l’Aurès entre en
guerre dans la nuit du 1er novembre 1954*. Le retentissement des actions
armées accomplies par ses hommes fait braquer les projecteurs sur l’Aurès
qui devient le symbole de la résistance algérienne à l’occupation coloniale.
Son évolution est bouleversée par de graves dissensions politiques
internes, liées à l’arrestation de Ben Boulaïd en février 1955, puis à sa
disparition en mars 1956.
En son absence, le commandement est assuré par son principal adjoint
Bachir Chihani* qui sera éliminé par ses adjoints, au mois d’octobre 1955.
Le retour aux commandes de la Zone 1 de Ben Boulaïd, après son
évasion* de la prison* de Constantine en novembre 1955, met fin en
apparence à la crise qui renaît de plus belle dès sa mort en mars 1956.
À compter de cette date, la question de la succession se pose avec acuité.
Aucun des prétendants au pouvoir n’a assez d’envergure pour remplacer Ben
Boulaïd. Le 15 avril plusieurs chefs de l’Aurès tentent de trouver une solution
consensuelle en désignant une direction collégiale représentée par le
« Comité des douze », qui sera rejetée par Abbès Laghrour* et Adjel
Adjoul*, prétendants au pouvoir avec Omar, le frère de Ben Boulaïd. Au
printemps 1956, la Zone 1 est donc de nouveau le théâtre de violents
affrontements entre les deux groupes prétendants à la direction de l’Aurès.
Cette période est caractérisée par des comportements coupables dont usent
sans retenue les groupes rivaux, pour réduire l’influence de l’adversaire :
fausses rumeurs, courrier et ravitaillement détournés, exactions, règlements
de comptes.
C’est cette situation qui explique l’absence des responsables de la Zone 1
au congrès de la Soummam* où ils étaient invités. Au mois de
septembre 1956, le CCE* dépêche dans l’Aurès Amirouche* qui a pour
missions de transmettre les directives du Congrès et de remettre de l’ordre
dans la Zone 1, appelée désormais Wilaya 1. Amirouche s’entretient avec la
plupart des chefs de l’Aurès à l’exception d’Abbès Laghrour, blessé. Sa
rencontre avec Adjel Adjoul se termine par des échanges de coups de feu.
Adjoul en sort blessé. Acculé, ce dernier se rend au camp militaire de Zeribet
El Oued (versant sud du massif de l’Aurès) en novembre 1956.
Sa reddition* à l’armée française sème le désarroi parmi ses compagnons
et offre une opportunité à ses rivaux de s’affirmer : Omar Ben Boulaïd et
Messaoud Aïssi (éliminés des postes de commandements par Amirouche)
espèrent reconquérir leur place. Pour atteindre leur objectif, ils jouent la carte
d’Ahmed Mahsas* qui partage avec Ben Bella* leur opposition au congrès de
la Soummam. Contrôlant une partie de l’acheminement des armes qui transite
par la frontière algéro-tunisienne, Ahmed Mahsas se rapproche des dissidents
de l’Aurès, sans se soucier des conséquences néfastes de leur débordement
sur le sol tunisien.
L’interruption de la mission d’Amirouche est suivie de nouvelles
rencontres organisées en décembre 1956, janvier et avril 1957 en Kabylie
mais sans grand succès. Ouamrane*, Amirouche et Mohammedi* Saïd s’en
remettent finalement au CCE (qui a quitté Alger) pour régler le cas de la
Wilaya 1 et proposent une convocation de toutes les parties adverses de
l’Aurès en Tunisie*.
Sur le terrain, les groupes armés – dissidents – manifestent ouvertement
leur indépendance, voire leur opposition, aux résolutions du congrès de la
Soummam, privilégiant le recours aux armes au détriment de tout dialogue.
À partir d’avril 1957, la Wilaya 1 entre dans une phase d’instabilité
durable que révèle la cadence des chefs qui se succèdent. La durée de certains
ne dépasse pas quelques mois. C’est le cas de Mahmoud Cherif*, un ancien
officier* de l’armée française à la retraite, à la tête de la Wilaya 1, nommé au
mois d’avril par le CCE. Originaire de la région de Tébessa, il est mal
accueilli par les pionniers de la guerre de libération en dépit de ses
compétences pour doter la Wilaya 1 de structures adaptées à une guerre de
partisans en mesure de résister aux coups de butoir d’une armée coloniale
moderne et jouissant d’une longue expérience. Il est remplacé par
Mohammed Lamouri* à la fin de l’année 1957 qui sera mieux accepté, mais
nommé au COM en avril 1958, il cède son poste à son responsable politique :
Ahmed Nouaoura. Au bout d’un an et demi, la Wilaya 1 a connu trois chefs
basés en Tunisie qui n’ont pas réussi à unifier les rangs de l’ALN*, ébranlée
par les actions anarchiques des dissidents, agissant à la fois dans l’Aurès-
Nemencha mais également en territoire tunisien. Avec la nomination de Hadj
Lakhdar Abidi* en septembre 1958, la Wilaya 1 commence à retrouver une
certaine stabilité au prix d’une discipline de fer. Appelé à participer à la
réunion des dix colonels*, Hadj Lakhdar quitte à son tour l’Aurès à la fin du
mois d’avril 1959 pour la Tunisie où il restera jusqu’à l’indépendance.
L’intérim est assuré par Mostéfa Bennoui dans des conditions difficiles : il
use de beaucoup de tact pour en finir avec les dissidents et surtout pour
démanteler le spectre de la bleuïte* des rangs de la Wilaya 1 auquel Hadj
Lakhdar a succombé. L’arrivée du commandant Ali Souaï* le 29 avril 1960
crée une situation conflictuelle qui entraîne mutations, limogeages et
exécutions. Son court règne est interrompu dès octobre 1960 par l’arrivée de
Tahar Zbiri*, qui remplit la fonction de commandant en chef par intérim de la
Wilaya 1. Cette année coïncide avec l’offensive des opérations Challe*,
appuyées par de puissants moyens militaires pour détruire « les katibas
restées entières et assez fortes ». « Les Aurès sont le berceau de la rébellion,
elles en seront le tombeau », déclare le général Ducournau*, au cours d’une
conférence de presse à Batna à la fin du mois de septembre 1960.
Si la résistance des maquisards (Beni Melloul, Kimmel, Inoughissen, etc.)
fut héroïque, elle enregistre de lourdes pertes dans ses rangs. Ali Souaï trouve
la mort dans une de ces opérations au mois de février 1961. Le PC, avec à sa
tête Tahar Zbiri, doit se déplacer sans cesse pour échapper aux
bombardements. Il n’eut aucun répit avant la fin de l’opération « Ariège ».
L’organisation du PC de la wilaya est reconstituée à la fin de l’année 1961.
Elle ne dispose plus que d’environ 2 500 maquisards qui saluent avec
soulagement l’annonce du cessez-le-feu, transmis par la radio*, au soir du
18 mars 1962.
Le 23 avril 1962, Tahar Zbiri reçoit une délégation de l’Exécutif
provisoire* venue d’Alger à Medina. La commission de cessez-le-feu
désignée rencontre la partie française à la préfecture de Batna le 3 mai 1962.
Ensemble, les deux parties ont veillé tant bien que mal au respect des
dispositions contenues dans les accords d’Évian*. La démobilisation des
harkis* a posé de sérieux problèmes à la Wilaya 1. D’importants groupes de
harkis, voire des compagnies entières, ont rejoint l’ALN*. La décision de
Tahar Zbiri de leur faire bon accueil suscite de sérieuses réticences chez les
maquisards. Affublés du sobriquet de « marsiens », ils sont tout de même
intégrés dans les katibas de l’ALN.
Après le référendum* du 1er juillet 1962, l’Aurès meurtri par plus de sept
années de guerre fête l’indépendance en comptant ses martyrs. Les hommes
de novembre 1954 ignorent alors qu’ils s’apprêtent à affronter les frères
d’autres wilayas, au nom de la course au pouvoir à laquelle l’EMG* et le
GPRA* se sont livrés au cours de l’été.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Commandant Mostéfa Merarda « Bennoui », Sept ans de maquis en
Aurès, Batna, Pic des cèdres, 2004 • Mansour Rahal, Les Maquisards, pages
du maquis des Aurès durant la guerre de libération, Alger, El Chourouk,
2000 • Tahar Zbiri, Mémoires du dernier chef historique des Aurès, Alger,
ANEP, 2010.

WILAYA 2 (NORD-CONSTANTINOIS)
Au début de l’insurrection du 1er novembre 1954*, le Nord-Constantinois
correspond à la Zone 1 qui recouvre les principaux centres urbains de
Constantine, Bône, Djidjelli, Mila, Philippeville, Souk Ahras et leur arrière-
pays.
Son histoire se distingue par une solide organisation qu’elle doit à la
qualité de ses dirigeants d’où une stabilité remarquable. Après le congrès de
la Soummam*, elle devient la Wilaya 2. Son territoire est amputé de la zone
frontalière de Souk Ahras, érigée en « base de l’Est » et d’une partie de la
Petite Kabylie rattachée à la Wilaya 3*.
Son premier responsable Didouche* Mourad, l’un des fondateurs du
FLN*, a rencontré des difficultés en raison de la défection de plusieurs
membres des « 22* », tous de la ville de Constantine. D’où le calme relatif
qui prévaut durant les premiers jours de novembre 1954. À sa mort survenue
le 18 janvier 1955, Zighoud* Youcef lui succède. C’est lui qui organise les
premiers réseaux de la résistance coiffés par des conseils populaires à
l’échelle des douars chargés de tâches précises (renseignements, intendance,
refuges, guides, aide aux familles…), qui multiplie les actions armées contre
les mouchards avant de lancer l’insurrection spectaculaire du 20 août 1955*
et qui réfléchit à l’urgence d’une rencontre nationale prochaine.
Zighoud Youcef meurt au cours d’un accrochage en septembre 1956. Il
est remplacé par Lakhdar Bentobbal* qui s’attelle à parfaire les structures
selon les résolutions adoptées au congrès de la Soummam. Le territoire de la
Wilaya 2 est réparti en quatre mintaqa puis cinq à partir de 1959, divisées
chacune en nahia, elles-mêmes subdivisées en secteurs.
Au mois d’avril 1957, Bentobbal quitte la Wilaya 2 en compagnie de Ben
Khedda* et Krim* Belkacem, tous deux membres du CCE*, pour la
Tunisie*.
Son successeur, Ali Kafi*, hérite d’une wilaya bien structurée, forte de la
mobilisation de la population civile des campagnes, bien encadrée par des
responsables patriotes. Au mois d’avril, Kafi est convoqué à Tunis pour
participer à la réunion des dix colonels* (août-décembre 1959). Durant son
absence, Salah Boubnider* assure l’intérim avant d’être confirmé comme
chef de wilaya.
Selon les témoignages* des pionniers, les débuts sont difficiles pour
mettre en place l’organisation du FLN dans un milieu rural livré aux
tourments de la vie quotidienne, aux conflits sociaux et à la pression de
l’administration coloniale. De plus, la Zone 2 est durement affectée par le
retrait du groupe des quatre membres des « 22 » de Constantine, en désaccord
avec la préparation précipitée à la lutte armée (mettant en avant l’absence de
moyens suffisants pour déclencher la lutte armée), la vague des arrestations
des militants du MTLD au lendemain du 1er novembre 1954, la disparition
prématurée de Badji* Mokhtar, suivie de celle de Didouche Mourad. Le
relais est vite pris par Zighoud Youcef qui réussit avec ses compagnons à
lancer des actions armées, dans plusieurs villes, dès le printemps 1955. Mais
il doit compter avec les groupes messalistes, tout aussi présents sur le terrain,
qu’il n’hésite pas à éliminer. C’est ainsi que, cédant à de fausses informations
ou à des rivalités de pouvoir, des militants tels que Smaïn Zighed, Cherif
Zadi et Abdesselam Bakhouche dit Saci sont jugés et exécutés en
novembre 1955.
Après le soulèvement du 20 août 1955, les rangs de l’ALN* augmentent
sensiblement. À la veille du congrès de la Soummam, Zighoud Youcef estime
les effectifs de l’ALN à quelque 3 100 maquisards et 7 470 moussebelines,
sans compter l’aide des populations civiles.
Peu à peu, l’ALN parvient à se doter d’armes modernes qui transitent
facilement par la frontière algéro-tunisienne jusqu’à l’édification de la ligne
Morice. Durant les années 1957-1958, l’ALN peut se glorifier du succès de
nombreuses batailles* (Sidi Driss, mars 1957) et embuscades* (Zeggar,
mai 1957). Cependant, leurs conséquences se retournent sur les villageois
déplacés vers les camps de regroupement* et entraînent l’extension des zones
interdites*, surtout dans les régions montagneuses (massif de Collo, Petite
Kabylie, Edough, monts des Beni Salah…). Paradoxalement, ce no man’s
land va devenir un véritable sanctuaire pour l’implantation des postes de
commandement de l’ALN et de toute sa logistique (ateliers de fabrication de
tenues, infirmeries…).
En comparaison avec les cinq autres wilayas de l’intérieur, la Wilaya 2 a
échappé aux graves dissensions qui ont déchiré l’Aurès, aux purges liées à la
bleuïte* (avril 1958) qui ont décimé les rangs des maquisards en Wilayas 3 et
4*, et dans l’ensemble, la discipline a régné dans les rangs de l’ALN. En
décembre 1958, la Wilaya 2 accueille « la réunion des colonels de
l’intérieur », sur proposition du colonel Amirouche* avec les chefs des
Wilayas 1*, 3 et 4. Mais ni Ali Kafi ni Lotfi* respectivement chefs des
Wilayas 2 et 5* n’y participent, sans doute en raison de leurs liens avec
Bentobbal et Boussouf*, et de la crainte de faire le jeu de Krim, selon Harbi*
(1980, p. 246). Le GPRA*, informé des résolutions très critiques à son
encontre, décide de convoquer les colonels des 6 wilayas. La rencontre n’aura
pas lieu en raison de la mort des colonels Amirouche et Si El Haouès* le
29 mars 1959, suivie de celle du colonel Si M’hamed le 5 mai.
Lors des opérations Challe* (« Pierres précieuses » et « Émeraude »,
octobre 1959), si l’ALN n’est point surprise par l’importance des forces
mobilisées par l’armée française, elle n’a pu éviter des engagements
meurtriers qui ont affecté ses réserves et les bombardements aériens ont
accéléré l’évacuation des populations civiles vers les camps de regroupement
ou leur exode vers les villes les plus proches. Mais selon Meynier*, la Wilaya
2 a bien résisté en dépit des pertes évaluées à quelque 2 500 maquisards,
mieux elle a su regagner du terrain.
En revanche, à la veille de l’indépendance, l’unité de cette wilaya est
fissurée par le ralliement de plusieurs de ses commandants à l’état-major
dirigé par Boumediene* alors que son chef Salah Boubnider demeure fidèle
au GPRA. Lors du CNRA* de Tripoli* (juin 1962), ce dernier se heurta
violemment à Ben Bella*.
Au lendemain de l’échec du CNRA, la Wilaya 2 participe à la réunion
interwilayas de Zemmora* du 24 juin dont les résolutions ne parviennent
point à mettre fin à la course au pouvoir. La crise « circonscrite au sommet »
(Harbi, 2001) finit par éclater au grand jour et donner lieu à diverses
tractations et à des affrontements sur le terrain. Boubnider réussit à négocier
la levée de l’état d’urgence* à l’échelle de sa wilaya contre la promesse d’une
nouvelle convocation du CNRA.
Or le 24 juillet, les bataillons de l’état-major avec à leur tête Larbi
Berredjem, un dissident de la Wilaya 2, investissent la ville de Constantine.
Les accrochages entre forces de l’EMG* et celles de la Wilaya 2 se terminent
par des morts et des blessés. La plupart des dirigeants de la Wilaya 2 sont
arrêtés et ne sont libérés qu’après l’accord du 9 août conclu entre Ben Bella,
vice-président du Bureau politique et la Wilaya 2. Les entretiens avec les
témoins de cette période en gardent une grande amertume.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002 • Amar Mohand-Amer, « Les
wilayas dans la crise du FLN de l’été 1962 », Insaniyat, no 65-66, 2014.

WILAYA 3 (KABYLIE)
Instituée par le congrès de la Soummam* d’août 1956, la Wilaya 3 prend
le relais de la Zone 3 dans la réorganisation de l’insurrection lancée par le
FLN*.
À l’occasion du redécoupage des frontières, Krim* Belkacem obtient, au
détriment de la Wilaya 2* (Nord-Constantinois), de nouveaux territoires
placés sous son autorité. La Wilaya 3 est essentiellement berbérophone, à
l’exception de localités comme Sétif, Bordj Bou Arreridj et Bordj Menaïel où
la population est aussi arabophone.
La Wilaya 3 est dirigée par Krim – jusqu’en 1957 – Mohammedi* Saïd,
Amirouche Aït Hamouda* – de l’été 1957 jusqu’à sa mort en mars 1959 – et
Mohand Oulhadj* – en conflit pour la direction avec Abderrahmane Mira*,
jusqu’à la mort de celui-ci en novembre 1959.
Sa structuration interne, très hiérarchisée, place sous l’autorité du colonel
– chef politico-militaire de la wilaya – des capitaines qui contrôlent une
mintaqa (zone), la Kabylie étant divisée en quatre zones. Chaque zone est
ensuite subdivisée en nahia (région) placée sous la responsabilité de sous-
lieutenants. Une nahia comprend à son tour plusieurs kasma (secteur)
commandées par des sergents.
À l’échelon du douar, un commissaire politique représente le FLN et
contrôle un comité rassemblant un responsable de l’organisation, un chargé
de l’assemblée du peuple et le responsable du douar auquel est associé un
adjoint pour chaque djemaa. Cette dernière est composée de cinq membres en
charge des impôts et allocations familiales, de la justice et affaires culturelles,
de l’état civil et de la santé, de la sécurité, des eaux et forêts et, enfin, du
recrutement.
À l’automne 1957, l’état-major français évalue le nombre de combattants
de l’ALN* en Kabylie à 4 000 maquisards dotés de 1 200 armes de guerre.
Parallèlement à l’organisation politico-administrative de la Wilaya 3, l’ALN
suit le modèle suivant : un faïlek regroupe trois à quatre cents hommes, une
kabita une centaine, une ferka une trentaine et un faoudj une dizaine.
Après l’installation de l’état de guerre à partir de janvier 1955 et
l’intensification du conflit avec le MNA* – particulièrement meurtrier au
début de l’année 1956 –, la Kabylie connaît plusieurs épisodes de violences
tournées contre les civils. En effet, avant le massacre de Melouza-Beni
Illemane* de mai 1957, de nombreuses personnes sont égorgées dans les
régions de Sidi Aïch, Oued Amizour et Seddouk, de l’hiver 1955 au
printemps 1956, sans que l’on puisse établir s’il s’agit de messalistes ou de
personnes hostiles à l’ALN.
En effet, le comportement de certains maquisards avec la population –
menaces, humiliations, viols*, etc. – incite parfois les villageois à demander
la protection des autorités françaises ou à s’engager dans des groupes
d’autodéfense pour se venger des exactions d’éléments de l’ALN qui exerce à
son tour des représailles.
Ainsi, dans la nuit du 13 au 14 avril, la totalité des habitants de la dechra
Ifraten – de 490 à 1 200 personnes – sont égorgés par les hommes du
lieutenant Fadel H’mimi placé sous la responsabilité d’Amirouche. La terreur
provoquée par cette « nuit rouge » entraîne le ralliement à l’armée française
des villages situés aux alentours et qui demeurent, jusqu’en 1960, interdits à
l’ALN. Lors du congrès de la Soummam, le massacre est reproché à
Amirouche, dont la destitution est réclamée par les représentants du Nord-
Constantinois, mais bénéficiant de la protection de Krim, il n’est pas
sanctionné.
Une autre séquence, connue sous le nom de « bleuïte* », marque
durablement la Wilaya 3. Dans un rapport daté du 3 août 1958, Amirouche
adresse un rapport aux autres colonels de l’ALN dans lequel il déclare avoir
découvert « un vaste complot ourdi depuis de longs mois par les services
secrets français contre la révolution algérienne ». En réalité, Amirouche est
tombé dans le piège tendu par le capitaine Paul-Alain Léger* qui cherche à
lui faire croire que son maquis est infiltré par des agents doubles.
En plus des accusations ou dénonciations fantaisistes, des « traîtres »
présumés sont exécutés, touchant aussi bien des officiers que des soldats. On
découvre deux charniers dans la forêt de l’Akfadou (plus de 400 cadavres) et
dans le djebel Tamgout (de 200 à 300 corps) mais le nombre de victimes est
bien plus important : environ 2 000 personnes exécutées, ce qui représente de
6 à 25 % de l’effectif de la Wilaya 3. En septembre, le 2e bureau* constate
qu’« il est matériellement impossible à l’adversaire de remplacer toutes ces
pertes par du personnel de même valeur ».
En raison de la paranoïa d’Amirouche et de la servilité de ses
subordonnés, la manipulation de Léger dépasse les résultats escomptés,
démoralisant profondément les survivants. Dans un rapport adressé le 1er avril
1959 au chef de l’état-major est, Oulhadj et Mira décrivent les « tortures
inhumaines » employées lors de ces purges (perforation des membres à la
baïonnette, arrachage des ongles, coupure des oreilles et du sexe, introduction
de bâtons dans l’anus, aiguilles dans les yeux, etc.).
C’est dans cet état d’esprit que les combattants doivent faire face aux
offensives de l’armée française, déterminée à démanteler la Wilaya 3 qui
subit déjà les conséquences de la fermeture des frontières, limitant son
approvisionnement en armes. Le 22 juillet, l’opération « Jumelles » est lancée
sur l’initiative du général Maurice Challe*. Les autorités militaires établissent
le bilan suivant : 2 995 maquisards tués, 898 prisonniers*, 136 ralliés et
1 592 membres de l’Organisation politico-administrative arrêtés. Le coup
porté à l’ALN-FLN est terrible, d’autant que les moyens financiers chutent
considérablement en raison des opérations de guerre couplées aux
déplacements de populations. Les soldes des combattants sont suspendues et
les allocations familiales échelonnées. Il faut attendre l’année 1961 pour
obtenir un soutien de la Fédération de France* du FLN où les Kabyles sont
majoritaires.
La mort au combat d’Amirouche, le 28 mars 1959, provoque une
nouvelle crise au sein de la direction de la Wilaya 3 puisque Oulhadj et Mira
se disputent sa succession. En réaction, de jeunes maquisards conduits par les
lieutenants Allaoua Zioual et Sadek Ferhani organisent, du 14 au
16 septembre, un congrès des « officiers libres » qui réunit une quarantaine
de cadres dans la forêt de l’Akfadou et dénonce « l’abandon du
commandement pratique » par Oulhadj et Mira. Selon Salah Mekacher, un
proche d’Oulhadj, les insurgés s’emparent du butin de la Wilaya 3.
À l’approche des négociations* avec la France, Oulhadj accorde sa
confiance au GPRA* et rompt avec l’État-major général* (EMG) le 3 avril
1962. Dans la crise de l’été*, Oulhadj confirme le soutien de la Wilaya 3 à un
Krim affaibli. Le 24 juin, une réunion se tient à Zemmora* entre les chefs des
Wilayas 2, 3 et 4*, avec la Fédération de France en opposition avec l’EMG.
Mais les dirigeants kabyles, qui refusent de reconnaître l’autorité du Bureau
politique, se retrouvent isolés avec la capitulation du GPRA face à l’avancée
inexorable de l’armée des frontières*.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Moula Bouaziz et Alain Mahé, « La Grande Kabylie durant la guerre
d’indépendance algérienne », in Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.),
La Guerre d’Algérie. 1954-2004, la fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004 •
Ali Guenoun, La Question kabyle dans le nationalisme algérien, 1949-1962,
Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2021 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure
du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

WILAYA 4 (ALGÉROIS)
La Wilaya 4 correspond à la Zone 4 selon le découpage décidé par les
fondateurs du FLN*. Elle recouvre un immense territoire et « se présente
comme une Algérie en réduction : elle rassemble les hommes des djebels et
ceux des cités, les paysans, la petite bourgeoisie urbaine et les ouvriers, Alger
la prestigieuse n’en est détachée qu’à l’automne 1956, au lendemain du
congrès de la Soummam* », écrit Madeleine Rebérioux* en guise de préface
à l’ouvrage de Mohammed Teguia (2002).
Région de grande colonisation, abritant de nombreux centres urbains et
des régions montagneuses (l’Atlas blidéen avec les djebels de Bouzegza et
Zbarbar, les monts de Tablat et de Palestro*, une partie des monts du Dahra
et du Zakkar, de l’Ouarsenis et sur la côte les monts du Chenoua et de
Cherchell), la Zone 4 offre à une guerre de partisans de nombreux atouts en la
pourvoyant en militants, en lui assurant des relais en ville pour le
ravitaillement et des possibilités de repli.
Les préparatifs au soulèvement se font dans une atmosphère rendue
difficile par le séisme qui a secoué la ville d’Orléansville et ses environs, en
septembre 1954. Nombreux sont les militants qui disparaissent au cours du
tremblement de terre.
Son premier chef Rabah Bitat*, membre fondateur du FLN, organise avec
ses adjoints Boudjemaâ Souidani, Belhadj Bouchaïb (tous deux membres des
« 22* ») et Amar Ouamrane* (venu de Kabylie en renfort la veille du
1er novembre 1954* avec ses hommes) les premiers commandos* qui
préparent les opérations armées dans l’Algérois. Si des explosions font grand
bruit surtout à Alger, si les incendies des entrepôts de pétrole* du port
d’Alger, de l’usine Cellunaf et de la coopérative des agrumes de Boufarik
sont spectaculaires, les attaques prévues à Blida et Boufarik pour s’emparer
des dépôts d’armes échouent.
Les premiers mois sont difficiles pour Bitat en raison des nombreuses
arrestations qui déciment ses groupes, en particulier ceux d’Alger et Blida. Le
6 mars 1955, Bitat est arrêté par la DST. Lui succède à la Zone 4 Ouamrane
qui s’attelle à organiser les réseaux FLN-ALN*. Il met à profit l’arrivée
d’Abane* Ramdane à Alger au mois de février qui prend en charge
l’information et la propagande*. À eux deux, ils prennent contact et
obtiennent le ralliement de la plupart des militants centralistes libérés au
printemps – parmi eux Ben Khedda*, Saâd Dahlab*, de l’UDMA* de Ferhat
Abbas*, de l’Association des ulémas et du PCA* dont les Combattants de la
libération* (CDL) ont commencé à accomplir de nombreux actes des
sabotages dans la région de Blida dès 1955. Dans les maquis, les
embuscades* meurtrières se multiplient avec le commando « Ali Khodja* ».
Aussi, à l’heure du bilan présenté au congrès de la Soummam, Ouamrane
est en mesure d’avancer les progrès réalisés à son niveau, avec la
mobilisation d’un millier de djounoud et du double en partisans
(moussebiline). Ouamrane est promu colonel à la tête de la Zone 4 érigée en
wilaya. Quand il quitte son poste pour une mission en Tunisie*, à la fin de
l’année 1956, ses successeurs d’abord, le colonel Slimane Dehilès* (1957-
1958) mais surtout le colonel Si M’hamed Bougara* (1958-1959),
poursuivent la restructuration de la wilaya selon les nouvelles directives de la
Soummam.
L’arrivée de nombreux étudiant(e)s grévistes en 1956 ou pour échapper à
la répression lors de la « bataille d’Alger* » renforce en qualité le
recrutement de militants. D’où une organisation politico-militaire de la
Wilaya 4 remarquable. Chaque mintaqa (« zone ») est dotée d’un commando
et chaque nahia (« région ») d’une katiba (« compagnie »). Les commandos
d’Ali Khodja, de Si Djamel, Azzedine ou Si Mohamed sont entrés dans la
légende par leurs embuscades redoutables. De même, les katibas ont livré
d’âpres batailles et de violents accrochages à leurs adversaires dont le
3e régiment de parachutistes du colonel Bigeard* comme à Agounenda* en
mai 1957).
Comme ailleurs, chaque accrochage est suivi le plus souvent par des
représailles qui s’abattent sur les populations rurales. Aussi le territoire de la
Wilaya 4 est-il échancré de zones interdites* et de camps de regroupement*
où sont parquées les populations rurales évacuées de force. L’Algérois
compte au mois d’avril 1961 plus d’un millier de camps regroupant plus de
750 000 personnes selon Michel Cornaton (1967).
Par ailleurs, la Wilaya 4 eut à combattre d’autres adversaires dont les
maquis messalistes implantés ici et là et surtout ceux de Bellounis*. L’ALN
dut intensifier aussi la lutte contre les harkas du bachaga Boualam installés
au douar Beni-Boudouane, situé sur les flancs de l’Ouarsenis. La
multiplication des villages d’autodéfense au nombre de 385, en 1957, selon
Alistair Horne (1980), inquiéta fortement les responsables de la Wilaya 4.
Parallèlement aux harkas, deux contre-maquis, celui de Belhadj* Djilali
alias Kobus et celui de Cherif Bensaïdi mobilisent les hommes du commando
« Djamel ». Kobus finit par être éliminé par son adjoint et la majorité de la
force K rallie l’ALN, au mois d’avril 1958.
Le second contre-maquis est dirigé par Si Larbi Cherif Bensaïdi, un sous-
officier* de l’armée française dont la présence dans les rangs de la Wilaya 6*
est sujette à caution. Suivant les directives de l’action psychologique, il attise
les différences opposant les populations « arabes » et « berbères » pour
déstabiliser le commandement du colonel Ali Mellah, chef de la Wilaya 6,
qu’il assassine en mai 1957. S’étant proclamé colonel, il est combattu par le
commando d’Azzedine*, ce qui l’amène à se rallier à l’armée française. Il
dirigera un contre-maquis jusqu’à l’indépendance.
Une autre affaire secoue gravement cette wilaya modèle sous le
commandement de Si M’hamed. Il s’agit de la « bleuïte* », cette vaste
opération d’intoxication montée par le capitaine Léger* à la fin de l’année
1957. Ce dernier réussit à retourner à leur insu des membres des réseaux FLN
de Yacef Saadi* arrêtés qui infiltrent avec succès les maquis de la Wilaya 3*
dirigée par Amirouche* et provoquent d’importantes purges dans les rangs de
l’ALN. Le colonel Si M’hamed mis au courant par son homologue de la
Wilaya 3 ne tarde pas à tomber dans le même piège et entame à son tour un
mouvement d’épuration, aggravé au lendemain de la rencontre inter-wilayas
de décembre 1958 et visant de nombreux responsables suspectés de trahison
tels Azzedine* et Omar Oussedik.
Convoqué par le GPRA* pour la réunion des dix colonels*, Si M’hamed
est tué le 5 mai dans un accrochage dans le Titteri. C’est Salah* Zamoum
(1959-1961), un pionnier de novembre 1954, qui le remplace. La Wilaya 4
doit faire face aux dégâts causés par l’opération « Courroie » du plan Challe*
(avril-juin 1959) mais également aux difficultés liées à l’isolement des
maquis. Aussi l’offre de « la paix des braves » faite par de Gaulle* le
23 octobre 1958 ne laisse-t-elle pas insensible le conseil de la Wilaya 4.
Après maints contacts avec les autorités françaises locales, Si Salah, les
commandants Si Mohamed et Si Lakhdar rencontrent de Gaulle à l’Élysée.
De retour, les délégués subissent un retournement de situation qui se termine
par l’exécution de Si Lakhdar. Si Salah est tué avec sa garde en juillet 1961
par l’armée française, et Si Mohamed/Djilali Bounaâma*, chef durant
quelques mois, est tué à Blida. Le docteur Youcef Khatib* lui succède
jusqu’à l’indépendance. Durant la crise de l’été 1962*, la Wilaya 4 se range
du côté du GPRA.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Fouad Soufi, « Mémoires de la wilaya 4 », in Ouanassa Siari Tengour
(dir.), La Résistance algérienne. Histoire et mémoire, 1945-1962, Oran,
CRASC, 2017 • Mohamed Teguia, L’Armée de libération nationale en
wilaya 4, Alger, Casbah, 2002.
WILAYA 5 (ORANIE)
Dans l’histoire de l’ALN*, l’Oranie (Zone puis Wilaya 5, à partir
d’août 1956) occupe un statut particulier. Son premier responsable est Larbi
Ben M’hidi* secondé par trois adjoints, Ramdane Benabdelmalek*,
Abdelhafid Boussouf* et Hadj Ben Alla*. Après les opérations du
1er novembre 1954*, la quasi-totalité des groupes, qui ont participé aux
opérations armées de l’insurrection, sont arrêtés et Ramdane Benabdelmalek,
un des adjoints de Larbi Ben M’hidi, est tué par l’armée française, le
4 novembre dans la région de Cassaigne (Mostaganem).
L’étau se resserrant et du fait de la proximité géographique avec le
Maroc*, Ben M’hidi se déplace au Nador et rejoint Mohamed Boudiaf* qui
s’occupe de l’approvisionnement en armes destinées aux maquis de l’Ouest
algérien. Dès lors, pour des considérations de sécurité, Ben M’hidi installe
son quartier général à Nador. C’est dans cette région que le bateau Dina
décharge au tout début de l’année 1955 un conséquent chargement d’armes
en provenance de l’Égypte* nassérienne. Cette cargaison, acheminée aux
maquisards de l’intérieur, impacte positivement l’ALN dans son ensemble.
Cette situation hors de l’Algérie dure jusqu’à l’indépendance et détermine
des relations particulières avec l’ALN installée à la frontière et sa position
politique avec la direction du FLN*.
Ben M’hidi, coopté au premier CCE* en août 1956, est remplacé à la tête
de la Wilaya 5 par Abdelhafid Boussouf. Ce dernier joue un rôle primordial
dans l’organisation de la wilaya et la constitution d’un puissant et efficace
service de renseignement. Promu au mois d’août 1957 au second CCE, il
cède son poste à Houari Boumediene*.
Par ailleurs, la constitution en avril 1958 à Oujda d’un COM-Ouest
(Commandement opérationnel militaire), qui est remplacé en septembre de la
même année par l’EMG-Ouest (État-major général*) concourt à
l’accélération du processus de dépendance de la Wilaya 5 envers l’armée des
frontières*. Cette situation est favorisée par la nomination en janvier 1960 du
colonel Houari Boumediene à la tête de l’EMG unifié de l’ALN.
La Wilaya 5 se démarque également des autres structures de l’ALN par la
constitution au Maroc des premiers noyaux du service des transmissions et de
renseignement et de l’école des cadres du FLN d’Oujda. Les promotions
formées dans ces deux institutions jouent un rôle majeur, pendant la guerre et
à l’indépendance, dans la consolidation de l’État-FLN.
Cependant, sa situation de wilaya dirigée de l’extérieur est différemment
appréciée au sein de l’ALN. Sous la direction du successeur de Boumediene,
le colonel Lotfi (Benali Dghine*), la réinstallation du PC de la wilaya dans
les maquis se pose avec acuité. La fronde en 1959 contre l’EMG du capitaine
Zoubir (Tahar Hamaïdia*), responsable de la Zone 1 (Tlemcen), appuyée par
une grande partie des moudjahidines* de la wilaya engage le colonel Lotfi et
son adjoint le commandant Faradj (Louadj Mohamed) à traverser la frontière
occidentale par le sud afin de régler l’affaire Zoubir. Tombés dans une
embuscade* de l’armée française, ils sont tués le 27 mars 1960 dans le djebel
Béchar. Le successeur de Lotfi, le colonel Othmane (Bouhadjar Benhaddou),
dirige, à son tour, la Wilaya 5 à partir du Maroc.
Dans le brain-trust de Boumediene à Oujda, un nombre important de
cadres de l’armée des frontières sont issus de la Wilaya 5. Cette proximité
s’exprime au moment de l’affaire du pilote français, le lieutenant Gaillard,
dont l’avion a été abattu par l’ALN en Tunisie*, provoquant le 15 juillet 1961
la démission (non effective) des quatre membres de l’EMG (Houari
Boumediene, Ahmed Kaïd, Ali Mendjeli et le commandant Azzedine*). De
toutes les wilayas, seule la 5 apporte son soutien à l’EMG. Ce ne sera pas le
cas au CNRA* de février 1962, où la quasi-totalité du conseil de la Wilaya 5
vote en faveur des futurs accords qui seront ratifiés, un mois après, à Évian.
De leur côté, les trois membres de l’EMG, le colonel Boumediene et les
commandants Kaïd, Mendjeli et Mokhtar Bouizem de la Wilaya 5 refusent de
les cautionner.
Dans la crise de l’été 1962*, la Wilaya 5 est divisée. Son chef, le colonel
Othmane, ménage et le GPRA* et le groupe de Tlemcen*. En revanche, une
partie de ses officiers restent favorable au colonel Boumediene et à l’armée
des frontières. Ces dissensions ont des répercussions sur la cohésion de la
wilaya et contribuent à créer un climat d’insécurité, notamment à Oran. Le
5 juillet*, les tirs sur la manifestation de la population oranaise fêtant
l’indépendance provoquent des massacres où périssent des Algériens et des
Européens. Ces événements tragiques contribuent au départ des derniers
Européens d’Oran vers la France et exacerbent la crise politique au sein du
FLN et de l’ALN.
Par ailleurs, dans leur confrontation avec le GPRA pour la prise du
pouvoir, Ben Bella* et ses partisans (groupe de Tlemcen) font de la Wilaya 5
la base de leur déploiement politique et militaire. Tlemcen est ainsi consacrée
comme capitale-bis, qui concurrence et porte ombrage à Alger, où siège le
GPRA, le représentant officiel de la révolution algérienne. Au cours du mois
de juillet 1962, Tlemcen constitue le lieu de pèlerinage et des allégeances
politiques au profit de Ben Bella. Reconnue de facto, comme le lieu où
s’exerce l’imperium politique, Tlemcen abrite le 21 juillet un conclave qui
impose le Bureau politique du FLN et assure à Ben Bella l’accès au pouvoir.
In fine, la Wilaya 5 a su exploiter et mettre à profit sa géographie* et ses
potentialités au profit de la révolution avec un quartier général installé à
Nador puis Bouarfa, profitant des facilités d’accès en Espagne, du soutien du
roi Mohamed V, puis de son fils Hassan II, de l’appui des familles
algériennes anciennement installées dans le royaume et dans l’administration,
du vivier des jeunes Algériens dont les familles se sont réfugiées au
Maroc, etc. Ces facteurs renseignent sur la capacité d’adaptation et de
résilience du FLN et de l’ALN et la prise en compte des spécificités locales et
régionales.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Ahmed Bensadoun, Guerre de libération • Parcelle de vérité de la
wilaya 5 • Oranie, Tlemcen, El Boustane, 2006 • Mohamed Benaboura, OAS.
Oran dans la tourmente, 1961-1962, Oran, Daâr El Gharb, 2005 •
Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune Afrique,
1980.

WILAYA 6 (SAHARA)
Au 1er novembre 1954*, le découpage territorial de l’ALN* en zones ne
prend pas en compte le Sahara. Les raisons motivant cette décision renvoient
à des considérations organisationnelles et logistiques, mais également au
faible maillage du mouvement national dans la région.
Cependant, cette décision va lourdement impacter l’histoire de cette
région tout au long de la guerre de libération nationale. Le déploiement
soutenu de l’ALN au cours des deux premières années de la guerre sur une
grande partie du pays va poser l’impératif politique et stratégique de doter le
Sahara d’un cadre organique et de moyens humains et militaires. Aussi une
organisation politico-militaire est-elle mise en place et confiée à Ali Mellah
(Si Cherif).
Au congrès de la Soummam* du 20 août 1956, le Sud algérien donne
naissance à la Wilaya 6, à l’instar des autres régions du pays (Oranie,
Algérois, Kabylie, Aurès-Nemencha et Nord-Constantinois). Toutefois, le
nouveau statut politique de la Wilaya 6 demeure toujours problématique. Au
CNRA* réuni au Caire au mois d’août 1957, le nouveau CCE*, largement
remanié, ne comporte pas de représentants du Sahara contrairement aux
autres wilayas. C’est un scénario similaire qui se reproduit à la constitution
des COM (Commandements opérationnels militaires) Est et Ouest, en
avril 1958.
Des raisons objectives expliquent les relations tumultueuses et la défiance
entre le FLN* et la Wilaya 6. La pénétration de l’ALN dans ces contrées du
Sud n’est pas aisée. La présence du maquis MNA* du « général »
Mohammed Bellounis* dans la région y est pour beaucoup. Après une guerre
fratricide, les maquisards de l’ALN réussissent à contrôler la situation, aidés
en cela par le ralliement au FLN des principaux responsables du MNA de la
région, à l’exemple de Yousfi Boucherit, Ahmed Ben Abderrezak Hamouda*
(Si El Haouès), Driss Amor et Cheikh Ziane. Par ailleurs, afin de raffermir
son autorité sur le Sahara, le FLN promeut le 15 avril 1958 Si El Haouès au
grade de colonel et le nomme chef de la Wilaya 6, Driss Amor étant désigné
commandant militaire adjoint.
Deux autres affaires plus complexes sur les plans social et psychologique
expliquent la suspicion du FLN envers cette wilaya. Les deux situations
concernent le rapport des responsables originaires de la wilaya avec ceux
venant du nord du pays. La désignation des gens du Nord aux postes de
commandement est mal accueillie par les responsables locaux. De fait, deux
dirigeants de cette wilaya, le colonel Si Cherif de la Wilaya 3* et le
commandant Tayeb Bouguesmi (Djoghlali) de la Wilaya 4*, sont éliminés
physiquement par leurs adjoints ; le premier le 31 mars 1957, le second, le
29 juillet 1959. Les auteurs de la liquidation de Tayeb Djoghlali dirigeront la
wilaya jusqu’à l’indépendance, sans toutefois bénéficier de la caution ou du
soutien du GPRA*. Constituant un « Conseil de capitaines », Ali Ben
Messaoud, Belkadi, Lakehal élisent Mohamed Chaâbani*, chef de la wilaya.
De son côté, la Wilaya 4 (Algérois) dont est issu Djoghlali dépêche un
commando afin de neutraliser et de punir les auteurs de cet assassinat
politique. Le 23 août 1959, un conseil présidé par les commandants Salah*
Zamoum et Mohamed Bounaâma* charge le capitaine Halim de « reprendre
en mains la Wilaya 6 en partant du nord vers le sud ». Les capitaines
Mohamed Chaâbani, Ali Ben Messaoud, Belkadi et Lakehal sont traqués par
les maquisards de la Wilaya 4. Ali Ben Messaoud et Belkadi sont arrêtés et
exécutés. Mohamed Chaâbani et Lakehal se retirent dans les djebels Messaâd
et Zakkar, proches de Djelfa.
Depuis l’« affaire Djoghlali », le Sahara est ses dirigeants autoproclamés
sont bannis du FLN. Ainsi, au cours de la décisive réunion des dix colonels*
de l’ALN de 1959, le colonel Houari Boumediene*, responsable de l’EMG*-
Ouest, accuse publiquement le « Conseil des capitaines » de « haute
trahison ». Au CNRA de décembre 1959-janvier 1960, la wilaya n’est pas
représentée et aucun de ses dirigeants n’est coopté. En janvier 1960, sur
proposition du colonel Houari Boumediene, le CNRA dissout, à l’unanimité,
la Wilaya 6 et partage son territoire entre les Wilayas 1*, 4 et 5*. Depuis, le
Sahara est entré dans une période de grand isolement politique et militaire.
La mise au ban de la Wilaya 6 dure jusqu’au CNRA d’août 1961.
L’accélération de l’histoire avec l’entrée des négociations* de paix dans une
phase plus active et l’émergence du « dossier pétrolier » comme facteur
déterminant pour les futures relations post-indépendance entre l’Algérie et la
France obligent le FLN à reconsidérer ses rapports avec la Wilaya 6 et à faire
preuve de pragmatisme politique. À la session du CNRA de mai-juin 1962, la
wilaya retrouve enfin son statut au sein des différentes instances du FLN.
Durant la crise de l’été 1962*, la Wilaya 6 se rallie stratégiquement au
segment le plus solide du FLN, en l’occurrence le groupe de Tlemcen*. Ses
rapports difficiles avec le colonel Houari Boumediene et l’hostilité déclarée à
son égard par la Wilaya 4 expliquent en partie cette démarche. Sur le plan
idéologique, son chef Mohamed Chaâbani est dans la même lignée que celle
d’Ahmed Ben Bella* et de Mohamed Benyoucef Khider*, partageant avec
eux la vision d’une Algérie arabo-islamique.
Il convient de souligner également que la mort, en juillet 1958, de
Mohammed Bellounis n’a pas mis fin à la présence du MNA au Sahara. Au
cessez-le-feu, un maquis messaliste commandé par Abdallah Selmi est encore
très actif à Ouled Djellal. Bien que rassurés par les garanties données par le
FLN dans l’esprit des accords d’Évian*, les hommes d’Abdallah Selmi sont
finalement exécutés par les troupes du colonel Mohamed Chaâbani. Ce
tragique épisode où la surenchère révolutionnaire a prévalu sur le respect des
engagements pris par le FLN a compliqué encore l’histoire de la Wilaya 6.
Les relations de Chaâbani avec le pouvoir d’Ahmed Ben Bella et de ses
partisans, notamment Houari Boumediene, chef de l’armée, et le commandant
Ahmed Bencherif*, chef de la Gendarmerie nationale, sont des plus
chaotiques. Accusé d’avoir cherché à créer un pouvoir local au Sahara et de
porter atteinte à la stabilité de l’ANP*, Mohamed Chaâbani est exclu en
juillet 1964 du Bureau politique du FLN et dénoncé publiquement comme un
« féodal contre-révolutionnaire ». Dans un discours prononcé le 5 juillet
1964, Ahmed Ben Bella le qualifie « d’apprenti bachagha Bengana, de vice-
roi des dunes et de réactionnaire ». Le 3 septembre de la même année, la cour
martiale d’Oran le condamne à la peine capitale.
L’exécution immédiate de Mohamed Chaâbani clôt l’histoire de cette
wilaya atypique et renseigne sur une des facettes des plus méconnues du FLN
et de l’ALN.
Amar MOHAND-AMER
Archives : Rapport spécial du ministère des Liaisons générales et de
Communications (MLGC) du 24 octobre 1958 sur la situation extraordinaire
en wilaya 6 adressé au président du Conseil, vice-président et ministres,
fonds GPRA/CNRA, carton no 16.
Bibl. : Amar Mohand-Amer, « Les wilayas dans la crise du FLN de l’été
1962 », Insaniyat, no 65-66, 2014.

WUILLAUME, RAPPORT
En 1955, après les articles retentissants de Claude Bourdet* et de
François Mauriac* dans L’Observateur et L’Express, dénonçant la torture*,
François Mitterrand*, ministre de l’Intérieur, diligente une enquête.
Inspecteur général de l’administration en poste à Alger, sous l’autorité du
gouverneur général Soustelle*, Roger Wuillaume remet son rapport le 2 mars
1955. Il prouve que la torture est une pratique ordinaire de la police* en
Algérie et qu’elle est couverte par la haute administration sur place.
« Tous les services de police, gendarmerie*, PJ [police judiciaire] et PRG
[police des renseignements généraux] » recourent « plus ou moins » aux
sévices, selon Wuillaume, qui conclut également, après bien des
circonvolutions, à l’inaction des magistrats*. Bien qu’ayant vu des traces sur
nombre de détenus, il affirme que peu ont été torturés et attribue les plaintes à
la stratégie des avocats ; les juges, reconnaît-il toutefois, « montrent peu de
zèle pour connaître des procédés grâce auxquels la police est parvenue à leur
présenter des “affaires qui se tiennent” ». Lui-même défend « l’utilité, dans
certaines conditions, des sévices ». Il préconise d’autoriser les supplices de
l’eau et de l’électricité. « La police a bien œuvré depuis le 1er novembre*,
écrit-il encore, mais elle est complètement désorientée et ne comprend pas
qu’on lui reproche d’y être parvenue par les procédés qu’elle utilise de
longue date. »
Avec ceux de Jean Mairey*, de la Commission internationale contre le
régime concentrationnaire* (CICRC) et des commissions de sauvegarde*, ce
rapport met en cause les responsabilités politiques dans la pratique de la
torture ; les gouvernements en étaient informés. Il fait partie des documents
transmis à Pierre Vidal-Naquet*, figure éminente du comité Audin*, par de
hauts fonctionnaires horrifiés de voir les principes républicains bafoués par
les services mêmes de l’État. Ainsi il est paru dans le journal circulant sous le
manteau, Vérité-Liberté, en 1961 puis dans La Raison d’État en 1962. Il a
intégré le corpus des sources classiques de l’histoire de la torture en Algérie.
En démontrant son ancienneté, son usage par la police et son approbation
jusque chez les magistrats, il invite à un retour sur la longue durée coloniale.
La torture n’a pas été qu’une pratique de l’armée en lutte contre les
indépendantistes.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État, Minuit, 1962 • —, La Torture
dans la République, Minuit, 1972.
Y

YOUGOSLAVIE
D’après les Mémoires de Ferhat Abbas*, la Yougoslavie est le seul pays à
être dans le secret des événements du 1er novembre 1954*. Ces propos
recoupent les informations des services secrets français qui constatent des
visites fréquentes des nationalistes algériens (parmi eux Mohamed Khider*) à
l’ambassade yougoslave au Caire, au cours des mois d’octobre et de
novembre 1954. Le FLN* a beaucoup de respect pour les Yougoslaves pour
leur guerre de libération antinazie au cours de la Seconde Guerre mondiale,
pour leur politique d’indépendance entre les deux blocs. Pendant la guerre, El
Moudjahid, organe central du FLN, publie les articles les plus nombreux sur
la Yougoslavie parmi ceux sur les pays socialistes d’Europe de l’Est. Au
début de la guerre, les Yougoslaves ne peuvent pas s’exprimer ouvertement
pour la cause du FLN, en raison de leur situation particulière : ils sont bannis
du camp de l’Est, mais ne veulent pas intégrer pleinement le monde
occidental*, et ils ont de bonnes relations avec la France. Se présentant en
médiateur, Tito arrive même à organiser en 1956 des rencontres entre les
délégués du FLN et les représentants de Paris (à Rome et à Belgrade). Mais la
tentative de médiation est bloquée par la crise de Suez*. Dès l’année
suivante, à l’Assemblée générale de l’ONU*, le ministre yougoslave des
Affaires étrangères se prononce clairement en faveur de l’indépendance du
peuple algérien. L’aide matérielle commence à s’acheminer en faveur des
réfugiés* algériens (vivres, médicaments). Un centre de réhabilitation est
ouvert à Tunis en mai 1961, deux dispensaires en décembre. Des centaines de
blessés sont reçus dans les hôpitaux yougoslaves. Le transport des armes en
faveur des combattants algériens continue. En 1961, Tito décide d’augmenter
la valeur des armes fournies au FLN à 1 million de dollars. Plusieurs
bâtiments yougoslaves sont arraisonnés et escortés vers les ports algériens. Le
plus médiatisé est le cas du Slovenija, le 18 janvier 1958. Cette même année,
la première prise de contact a lieu avec le FLN au Caire. En mars 1960, un
bureau du FLN est ouvert à Belgrade. La population est sensibilisée à la
cause des Algériens pour se libérer du système colonial : publications de
livres, reportages faits dans le maquis algérien… En 1959, le président du
GPRA* effectue une visite à l’issue de laquelle il obtient la reconnaissance de
facto, ce que Tito confirme en 1961 lors de sa visite en Tunisie*. La
reconnaissance de jure est annoncée à la conférence fondatrice du
mouvement des non-alignés, le 5 septembre 1961 à Belgrade.
László NAGY
Bibl. : Ferhat Abbas, Autopsie d’une guerre, Garnier, 1980 • El Moudjahid.
Organe central du Front de libération nationale, [imprimé en Yougoslavie],
juin 1962, t. I-III • Vojislav Pavlović, « La guerre d’Algérie et la quête d’une
nouvelle politique étrangère de la Yougoslavie de Tito », in Hervé Bismuth et
Fritz Taubert (dir.), La Guerre d’Algérie et le monde communiste, Dijon,
Éditions universitaires de Dijon, 2014.
Z

ZABANA, AHMED (1926-1956)


ET FERRADJ,
ABDELKADER (1921-1956)
Ahmed Zahana (plus connu sous son nom de guerre Zabana) et
Abdelkader Ferradj sont les premiers militants nationalistes algériens
guillotinés de la guerre d’Algérie, le 19 juin 1956. Comme la guerre
d’Algérie n’était pas officiellement reconnue, les forces françaises n’étaient
censées combattre que des « rebelles » ou des « hors-la-loi », sous le régime
du droit commun. De ce fait, les condamnés à mort n’étaient pas passés par
les armes devant un peloton d’exécution, mais guillotinés.
Après le vote des « pouvoirs spéciaux* » le 12 mars 1956, toute une série
de lois et de décrets sont adoptés les jours suivants, notamment pour
condamner à mort les déserteurs passant à une « bande armée ». Tel est le cas
d’Abdelkader Ferradj, qui est un goumier déserteur arrêté le 26 mars 1956. Il
a participé à une attaque ayant tué 6 personnes, près de Palestro*. Or, ce nom
prend une tout autre résonance avec l’embuscade* au cours de laquelle 20
« rappelés » sont tués et mutilés le 18 mai 1956. Le nom enflamme
l’actualité. Condamner à mort Abdelkader Ferradj, c’est ainsi répondre aux
morts de Palestro en tuant quelqu’un qui n’en était pas responsable mais qui
était difficilement défendable.
Ahmed Zabana est un militant chevronné. Ouvrier dans une cimenterie à
Oran, il était syndicaliste de la CGT* et animateur du PPA-MTLD* et même
de son bras armé clandestin, l’Organisation spéciale* (OS). Arrêté et torturé
en 1950, il est condamné à trois ans de prison*. Le 1er novembre 1954*, il
participe à l’insurrection près d’Oran, où il attaque une maison forestière et
en tue le garde. Il est arrêté huit jours plus tard lors d’un accrochage près de
Saint-Denis-du-Sig au cours duquel il est sérieusement blessé. Il est
condamné à mort le 3 mai 1956.
Le Conseil supérieur de la magistrature, auquel participent le président de
la République René Coty et le garde des Sceaux François Mitterrand*, rejette
les demandes de grâce. Le 19 juin 1956, à 4 heures du matin, dans la prison
de Barberousse à Alger, Ahmed Zabana puis Abdelkader Ferradj sont
guillotinés. Ces exécutions plongent l’Algérie dans une spirale de la violence.
Le FLN* multiplie les attentats individuels : en dix jours, 43 Européens sont
tués ou blessés. Les « ultras » de l’Algérie française répliquent en déposant
une bombe dans la casbah d’Alger, rue de Thèbes, en août 1956. L’escalade
du terrorisme urbain est dès lors lancée. En tout, 222 Algériens ont été
officiellement exécutés pendant la guerre d’Algérie, 142 sous la
IVe République*, et 80 sous de Gaulle*. À Oran, un stade et un musée portent
aujourd’hui le nom d’Ahmed Zabana.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, L’Embuscade de Palestro. Algérie, 1956, Armand
Colin, 2010 • Benjamin Stora et François Malye, François Mitterrand et la
Guerre d’Algérie, Fayard, 2012 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les
magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.

ZBIRI, TAHAR (NÉ EN 1929)


Tahar Zbiri est le dernier chef de la Wilaya 1* qui correspond aux régions
de l’Aurès et des Nemenchas.
Zbiri est né à Oum el Adhaim située au sud-ouest de Souk Ahras dans
une famille pauvre dont le père se déplace, sans cesse à la recherche d’un
emploi. En 1946, la famille s’installe à Tébessa. Il adhère au MTLD suivant
l’exemple de son frère aîné.
En 1950, il commence à travailler dans les mines de fer de l’Ouenza en
1950 où il devient membre du bureau syndical CGT*.
Zbiri fait partie des pionniers du 1er novembre 1954*. En liaison avec
Badji* Mokhtar qu’il rencontre à Souk Ahras, il prépare un groupe prêt à
passer à la lutte armée dans la région de l’Ouenza. Il est arrêté au cours de
l’accrochage du djebel Sidi Ahmed à la frontière algéro-tunisienne le
3 janvier 1955. Gravement blessé, il est interrogé durant cinq jours dans la
prison* de Souk Ahras, avant d’être hospitalisé. En juillet 1955, il est
transféré à la prison de la Casbah à Constantine. Condamné à mort par le
tribunal militaire, il attend son exécution dans la prison du Coudiat où il
rencontre Mostefa Ben Boulaïd*. Ensemble, ils préparent leur évasion* qui a
lieu la veille du 11 novembre 1955. Il trouve refuge au PC de Zighoud*
Youcef avant de reprendre le chemin de Souk Ahras et de renouer avec ses
anciens compagnons aux prises avec des rivalités entre chefs. Il rejoint la
Tunisie* en septembre 1956 et reprend contact avec Amara Bouglez*, le
responsable de la base de l’Est. Devenu capitaine, Zbiri est alors chargé du
3e bataillon de cette Base et dirige plusieurs attaques contre les postes de
l’armée française qui longent la frontière est. Intégré au conseil de la
Wilaya 1 dirigée par Hadj Lakhdar (fin décembre 1959), il assiste au CNRA*
réuni à Tripoli (fin décembre 1959-début 1960). Il est appelé au COM de
l’Est, impuissant à venir à bout des désordres causés par les troupes de
« dissidents ». Partisan du retour à l’intérieur, Zbiri traverse la ligne Morice
en mai 1960, arrive en Wilaya 1, confrontée aux opérations Challe*. C’est
par miracle que son PC parvient à échapper aux ratissages. Au cessez-le-feu
du 19 mars 1962*, Zbiri facilite l’intégration de quelque 500 harkis* dans les
rangs de l’ALN*.
Il participe au congrès de Tripoli*, choisit le clan de Ben Bella* et de
l’EMG*, apporte son soutien au groupe de Tlemcen* avec ses troupes qui
font mouvement d’abord sur Constantine en juillet puis sur Alger, à partir de
M’sila, non sans devoir affronter les troupes des Wilayas 2*, 3* et 4*. Il est
promu chef d’état-major de l’ANP* qui prend le relais de l’ALN. Il est l’un
des protagonistes du coup d’État du 19 juin 1965. Mécontent de l’élimination
des maquisards de l’ALN, il fomente à son tour un coup d’État contre
Boumediene*, en décembre 1967. Son échec l’oblige à prendre le chemin de
l’exil… Il rentre en Algérie lors de la présidence de Chadli Bendjedid en
1980.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Tahar Zbiri, Mémoires du dernier chef historique des Aurès, Alger,
ANEP, 2010 • Mansour Rahal, Les Maquisards. Pages du maquis des Aurès
durant la guerre de libération, Alger, El Chourouk, 2000.

ZELLER, GÉNÉRAL ANDRÉ (1898-1979)


Né en 1898, André Zeller prépare l’École polytechnique quand la
Première Guerre mondiale éclate. Il devient finalement officier* d’artillerie et
participe à la bataille de Verdun en 1916. Il échoue à Polytechnique en 1919,
mais reste dans l’armée comme artilleur. Il sert notamment en Cilicie en 1921
puis à Alger en 1935. Lors de l’encerclement de Dunkerque en 1940, il
parvient à s’échapper pour Londres, mais n’intègre pas la France libre. Il
arrive à Alger en septembre de la même année. Il participe ensuite aux
campagnes de Tunisie (novembre 1942) puis d’Italie. Au cours de cette
dernière, il est nommé à l’état-major du général Juin*. Après avoir été adjoint
du directeur de l’École supérieure de guerre en 1946, il devient chef d’état-
major de l’armée sous les ordres du général Koenig, ministre de la Défense
(15 juin 1955). Il ajoute à ses fonctions celle d’inspecteur général de l’armée
en 1956. En désaccord avec la baisse des effectifs militaires en Algérie
prévue par le gouvernement, il démissionne de ses fonctions et quitte l’armée
en mars 1956. André Zeller intègre alors la société de développement
régional du Sud-Est. Il s’affiche comme un partisan très déterminé de
l’Algérie française et rend compte du malaise de l’armée dans la presse*
conservatrice. Malgré son engagement militant en faveur de l’Algérie
française, qui fait de lui un des porte-parole officieux des milieux militaires,
le général de Gaulle* lui demande de reprendre son poste de chef d’état-
major de l’armée de terre* le 1er juillet 1958. Maintenu en activité malgré le
fait d’avoir atteint la limite d’âge, il est nommé vice-président du Conseil
supérieur de la guerre en 1959 avant de quitter définitivement l’armée le
1er septembre de la même année. Farouche partisan de l’Algérie française, il
est l’un des organisateurs du putsch* d’avril 1961 avec les généraux Maurice
Challe* et Edmond Jouhaud*. Dans ce cadre, il est chargé des questions
économiques et financières. Face à l’échec du putsch, il s’incline avec regret
devant la décision de Challe de se rendre aux autorités, le 25 avril 1961. Il se
réfugie dans la clandestinité avant de se livrer, le 6 mai, afin de ne pas
compromettre ses plus proches collaborateurs selon ses dires. Comme le
général Challe, il est condamné à quinze ans de détention. Il est libéré
en 1966 et amnistié* en 1968. Il écrit plusieurs ouvrages sur la guerre
d’Algérie, notamment Dialogues avec un général (1974). Il meurt le
18 septembre 1979.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, 2 vol., Bouquins, 2018 • Michel Hardy,
Hervé Lemoine et Thierry Sarmant, Pouvoir politique et autorité militaire en
Algérie française. Hommes, textes, institutions, 1945-1962, L’Harmattan,
2002.
ZEMMORA, RÉUNION INTERWILAYAS DE (24-
25 JUIN 1962)
Le 24 juin 1962, à quelques jours du référendum* sur
l’autodétermination, un crucial conclave réunit à Zemmora (Bordj Bou
Arreridj) les colonels des wilayas de l’intérieur : Salah Boubnider*, Mohand
Oulhadj* et le commandant Hassan Khatib*, respectivement responsables des
Wilayas 2* (Nord-Constantinois), 3* (Kabylie) et 4* (Algérois). Manquent à
l’appel les dirigeants des Wilayas 1* (Aurès-Nemencha), 5* (Oranie) et 6*
(Sahara), ainsi que des délégués de la Zone autonome d’Alger* (ZAA) et de
la Fédération de France*. Ensemble, ils créent un Comité de coordination
interwilayas (CCI).
La raison principale est liée à la menace que font peser l’état-major et
l’armée des frontières, stationnée au Maroc* et en Tunisie*, sur l’ALN* des
maquis et le GPRA*. Il convient de rappeler que la crise larvée couve depuis
la conclusion des accords d’Évian* et s’est aggravée lors du congrès de
Tripoli*.
Dans les résolutions adoptées à Zemmora, le CCI, inquiet de la gravité du
conflit opposant le GPRA et l’EMG* et de l’incapacité des institutions*
légales, GPRA et CNRA*, à résoudre la crise, s’invite dans le jeu des
recompositions politiques qui se jouent au FLN*, pour mettre fin à la crise
dite d’autorité et qui menace « l’unité et l’avenir de la nation » (Harbi, 1981).
Aussi le CCI en appelle à l’instauration d’un état d’urgence*, à l’intégration
des troupes de l’ALN des frontières au sein des wilayas, à la préparation des
listes des candidats à la Constituante, à l’organisation du Congrès national du
FLN. Il critique également les manœuvres de l’état-major et les tentatives de
division exercées sur les wilayas. En filigrane, la réunion de Zemmora, tout
en défendant la légitimité du GPRA, aspire à son tour à faire prévaloir la
légitimité maquisarde qui a mené la lutte anticoloniale pendant plus de sept
ans. Sitôt publiées, les résolutions de Zemmora déchaînent le processus
d’éclatement du GPRA. Mohamed Khider* dénonce la constitution par les
wilayas d’un « gouvernement à l’intérieur » et démissionne le 27 juin.
Le 29 juin, Ben Khedda* rappelle la légitimité du GPRA. Le lendemain,
il prononce la destitution de l’EMG et de ses chefs dont Boumediene*.
De son côté et jouant sur le registre de la surenchère patriotique, l’EMG
considère que la réunion du 24 et 25 juin a été organisée avec « la complicité
des Français ».
In fine, l’initiative de Zemmora au lieu de régler la crise la précipite et
consacre la fragmentation du FLN-ALN en deux entités opposées,
revendiquant le leadership exclusif sur la révolution algérienne.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Benyoucef Ben Khedda, L’Algérie à l’indépendance. La crise de l’été
1962, Alger, Dahlab, 1997 • Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution
algérienne, Jeune Afrique, 1981 • Ali Haroun, L’Été de la discorde. Algérie,
1962, Alger, Casbah, 2000.

ZIGHOUD, YOUCEF (1921-1956)


Zighoud Youcef est le second chef de la Zone 2 (Nord-Constantinois). Il
prit l’initiative de lancer l’insurrection du 20 août 1955* dans le Nord-
Constantinois, qui marqua un tournant décisif de la guerre de libération.
Issu d’un milieu très modeste, Zighoud est un natif du village de Condé-
Smendou qui portera son nom à l’indépendance. Tout en exerçant le métier
de forgeron, il est membre actif du PPA-MTLD*. En 1947, il est élu
conseiller municipal et fait partie des groupes de l’Organisation spéciale*
(OS) ce qui lui vaudra d’être arrêté lors de sa découverte en 1950. Il parvient
à s’évader de la prison* civile de Bône en 1952. À compter de cette date, il
mène une vie clandestine jusqu’au rappel des anciens de l’OS par Boudiaf*
au printemps 1954. Il participe à la réunion des « 22* » où la décision de
déclencher la lutte armée est prise.
Zighoud Youcef se retrouve aux côtés de Didouche* Mourad chef du
Nord-Constantinois et prépare avec lui les actions du 1er novembre 1954*. Il
succède à son chef mort en janvier 1955. C’est l’occasion pour ce
révolutionnaire mystique de donner libre cours à ses qualités de chef
politique.
Partisan des actions spectaculaires, il organise les réseaux FLN* des
principales villes de la Zone 2 qui enregistrent les premiers attentats à la date
symbolique du 8 mai 1955.
Pour rompre l’isolement de la Zone 2, il prend l’initiative de préparer
« un second novembre » en engageant la population civile.
De fait, l’une des conséquences de l’insurrection du 20 août se traduit par
la reprise des contacts avec l’Aurès et l’Algérois. « Politiquement et
stratégiquement, le mouvement lancé par Zighoud avait été l’œuvre d’un
calculateur qui avait bien calculé », note Meynier* (2002, p. 281).
Il pressent la nécessité de faire le point sur la situation générale et invite
les quatre autres Zones à une réunion. Au final, c’est à Ifri en Kabylie que la
rencontre aura lieu. Zighoud s’y rend avec ses proches collaborateurs. Il
accepte par discipline les critiques formulées par Abane* à propos de
l’insurrection du 20 août, tout comme il émet des réserves sur la question de
la priorité du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur,
convaincu d’être avant tout un militant politique.
À l’issue des travaux, Zighoud, membre du CNRA*, créé à cette
occasion, est mandaté pour se rendre dans la région de l’Aurès en Wilaya 1*
en compagnie de Brahim Mezhoudi, pour transmettre les décisions du
congrès et tenter d’aplanir les rivalités qui portaient atteinte à l’unité des
rangs.
Il n’eut pas le temps de remplir sa mission. De passage dans sa famille au
douar Souadek, il est tué dans une embuscade* le 23 septembre 1955.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Ali Kafi, Du militant
politique au dirigeant militaire. Mémoires, 1946-1962, Alger, Casbah, 2021 •
Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.

ZONE AUTONOME D’ALGER (ZAA)


Au 1er novembre 1954*, Alger et sa région font partie de la Zone 4 qui
recouvre l’Algérois, le Sahel, la Mitidja, l’Atlas blidéen, la vallée du Chélif,
le Titteri, le Dahra et l’Ouarsenis. C’est une décision du congrès de la
Soummam* (1956) qui décide de la création de la Zone autonome d’Alger
(ZAA). Elle abrite les cinq membres du CCE* jusqu’à leur départ vers le
Maroc* et la Tunisie*, le 25 février 1957, après l’arrestation de Ben M’hidi*.
La ZAA dépend directement du CCE et en particulier du duo Ben
Khedda*-Ben M’hidi avec Brahim Chergui*, alias Si H’mida, qui assure la
liaison et supervise la branche politique. Elle hérite des premiers réseaux du
FLN* qui ont échappé aux arrestations survenues au lendemain du début de
la guerre et qui doivent compter avec les réseaux rivaux du MNA* fortement
présents dans les grandes villes.
Après l’arrestation du premier responsable de la Zone 4, Rabah Bitat*, en
mars 1955, Amar Ouamrane* lui succède et s’entoure d’Abane* Ramdane.
Chargé d’abord de l’information et de la propagande*, ce dernier s’emploie
aussi à mettre de l’ordre dans l’organisation politique du FLN avec Hachemi
Hamoud qui contrôle les groupes plus ou moins autonomes de Kouba
(Ahmed Hassam, Nadir Kassab, Mohamed Dab, Tahar Kedoui, Ahmed
Okbane), Belcourt (Mustapha Fettal, Mokhtar Bouchafa) et la Casbah
(Mohamed Hamada et Bouzrina dit H’didouche). Au printemps 1956,
l’organisation de la ZAA est confiée à Brahim Chergui, adjoint d’Hamoud
appelé à d’autres fonctions auprès d’Abane. Chergui procède à la
restructuration de l’organisation FLN de la ville d’Alger et sa proche banlieue
en trois régions (centre, est et ouest). Ancien membre de l’Organisation
spéciale* (OS) et chef de wilaya, il n’a aucun mal à parfaire l’organigramme
de l’organisation en respectant la composition triangulaire des cellules,
garante de leur cloisonnement. Des commissions chargées des finances,
armement, logistique, renseignements, santé, collectif d’avocats* sont
installées pour répondre aux besoins de la résistance. La discipline est
strictement appliquée à tous les échelons de l’organisation clandestine. Les
groupes armés (fidaiyne) n’opèrent plus que dans leur secteur et selon les
ordres. Le premier responsable de cette branche militaire est Mustapha Fettal,
qui, arrêté, est remplacé par Mokhtar Bouchafa. Yacef Saadi* succède à ce
dernier, arrêté à son tour en juin 1956. Pour les fondateurs du FLN comme
pour le CCE, Alger, capitale politique de la Révolution et lieu de
ravitaillement nécessaire pour les wilayas environnantes, doit être épargnée
par les actions armées. Selon Chergui (Au cœur de la bataille d’Alger, 2013),
c’est l’attentat de la rue de Thèbes* qui fait basculer Alger dans le cycle des
attentats et des explosions de bombes.
Celles-ci sont fabriquées dans divers laboratoires (Birkhadem, Casbah, El
Biar), chapeautés par des étudiants* en médecine ou en chimie, devenus
artificiers tels Taleb Abderrahmane, les communistes Habib Giorgio, Daniel*
et Gabriel Timsit. Un réseau de jeunes femmes* est mis à contribution pour
transporter les bombes, voire les déposer dans les lieux visés par les attentats.
Les effectifs de la ZAA varient selon les auteurs et témoignages* de
1 500 à 5 000 personnes.
Tout l’automne 1956 est marqué par une offensive du FLN dans la
capitale, créant une insécurité générale. L’année se termine par l’assassinat de
Froger* et des ratonnades* lors de ses obsèques. En 1957, Robert Lacoste*
remet les pouvoirs de police* au général Massu*. Chargé de remettre de
l’ordre, Massu mobilise ses parachutistes* qui quadrillent Alger. Une énorme
rafle* est déclenchée dans la Casbah dès le 8 janvier. Des centaines de
personnes sont arrêtées. Le recours à la torture* est systématique. Ceux qui
en réchappent racontent.
À la veille de la grève des huit jours*, Ben M’hidi s’installe dans la
Casbah. Il dispose de plusieurs refuges et caches. Il rencontre Ali La Pointe*
et fait connaissance avec les poseuses de bombes. Le CCE estime le moment
favorable pour lancer une grève de huit jours à Alger et dans les centres
urbains, à partir du 28 janvier 1957, à l’occasion de l’examen de la question
algérienne à l’ONU*. L’organisation de Yacef Saadi réussit à diffuser le mot
d’ordre parmi la population algérienne et la grève est de fait largement suivie,
bravant l’intervention brutale des parachutistes qui réquisitionnent les
hommes pour aller travailler et défoncent les commerces fermés.
À l’ONU, la résolution adoptée à l’unanimité des votants préconise « une
solution juste, démocratique et pacifique […] conformément aux principes de
la Charte des Nations unies ». L’internationalisation* de la question
algérienne est engagée, le FLN gagne en audience.
Sur place, l’arrestation de Ben M’hidi le 23 février marque un tournant
pour la ZAA, privée de nombreux responsables dont Chergui. Les quatre
membres du CCE décident de quitter Alger. Un conseil zonal avec Yacef
Saadi, Ali La Pointe, Debbih Cherif reprend l’organisation et les attentats.
L’infiltration de ses rangs par les « bleus de chauffe » manipulés par le
commandant Léger* aboutit à l’arrestation de Yacef Saadi et Zohra Drif* le
24 septembre. Dans la nuit du 7 au 8 octobre, le refuge d’Ali La Pointe et
Hassiba Ben Bouali est dynamité.
En moins d’une année, à l’exception de quelques réseaux, la ZAA est
démantelée, des milliers d’Algériens sont envoyés dans des camps, d’autres
liquidés ou portés disparus. Paul Teitgen*, secrétaire de la préfecture d’Alger,
en dénombre plus de 3 000. Mais la cause du FLN gagne les couches
indécises de la société algérienne.
Les wilayas limitrophes, soit la 3* et la 4*, tentent de s’y implanter et se
disputent âprement la collecte des fonds. Le congrès du CNRA* de Tripoli
(1960) rattache Alger à la Wilaya 4. La ZAA réapparaît au printemps 1962
avec l’affectation du commandant Azzedine* qui a pour mission de lutter
contre l’OAS*. Libéré de prison*, Yacef Saadi constitue ses propres troupes
et entre en conflit armé avec la Wilaya 4. Ailleurs, la question d’une zone
autonome implantée à Constantine et Oran à la fin de la guerre ne fait pas
l’unanimité parmi les moudjahidines*.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Brahim Chergui, Au cœur de la bataille d’Alger. La grève des huit
jours et l’arrestation de Larbi Ben M’hidi, Alger, Dahlab, 2013 • Gilbert
Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002 • Yacef Saadi, La Bataille
d’Alger, Enal, 1982.

ZONES INTERDITES
Une zone interdite est un espace géographique de taille variable dans
lequel l’armée française prohibe toute présence et circulation humaines. Déjà
utilisée en Indochine*, la pratique est institutionnalisée en Algérie dans la
foulée des pouvoirs spéciaux*. Une directive du 30 mars 1956 codifie et
légalise en effet le principe du « zonage sécuritaire », qui consiste à diviser le
territoire algérien en fonction du degré de « pacification* » local et à
instaurer en conséquence des espaces répressifs différenciés. Toute une
géographie* militaire de la guerre distingue dès lors, par degré décroissant de
stabilité sécuritaire, zones de pacification, zones d’opération, zones
d’isolement et zones interdites. Si les noms de ces zones évoluent jusqu’en
1962, le principe de la zone interdite est désormais institué : la population
doit en être évacuée et regroupée dans des « centres » situés en périphérie, où
elle sera, en théorie, nourrie et prise en charge par l’autorité ; la vie
doit ensuite y être rendue impossible par la destruction des villages et des
biens matériels, comme la saisie des récoltes et des troupeaux ; le
bombardement et l’ouverture systématique du feu y sont autorisés sur tout
individu qui s’y trouverait. Du fait des implications humaines, matérielles et
budgétaires de telles zones, le haut commandement n’en envisage au départ
qu’une application exceptionnelle. Elles se multiplient pourtant dès 1956
autour des lieux les plus stratégiques (voies ferrées, oléoducs), dans les
espaces contraignants (forêts, montagnes) ou les étendues longeant les lignes
Morice et Challe, qu’elles transforment en vastes no man’s land. Leur
ambiguïté n’a pas manqué de susciter dès la guerre de fortes critiques. Outre
qu’elles attestent de l’incapacité de l’État à contrôler l’ensemble du territoire
national, leur délimitation trace surtout, au sein de ce dernier, de nouvelles
frontières où s’arrête l’État de droit. Elles permettent de créer des zones de
guerre où l’armée se donne toute latitude pour éradiquer physiquement les
moudjahidines*, tout en s’exonérant du principe de précaution à l’égard des
civils algériens – décrétés, au même titre que les combattants de l’ALN*,
hors-la-loi du fait de leur présence dans ces territoires de non-droit. La
violence arbitraire qu’elle libère contre les ruraux, ceux surtout qui n’ont pas
été autoritairement regroupés, est le principal facteur des migrations forcées
qui poussent plus de 1 million d’individus vers les bidonvilles ou les camps
de réfugiés* tenus par le FLN* à l’arrière de la frontière tunisienne, et qui
feront l’objet de la première intervention extra-européenne du Haut-
Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU* après 1962.
Fabien SACRISTE

ZOULIKHA, OUDAÏ (ECHAÏB, YAMINA)


(1911-1957)
La Femme sans sépulture, comme la nomme Assia Djebar dans le roman
du même nom, n’est pas intégrée, comme tant d’autres femmes*, au panthéon
des héros officiels. Son parcours éclaire un moment de l’histoire de
l’engagement dans la lutte de libération du pays : l’accès à l’école française
des filles puis l’adhésion à la lutte de libération, avec, dans son cas, l’accès à
des responsabilités dans le réseau clandestin.
Née dans une famille aisée de la région de Cherchell, elle obtient le
certificat d’études primaires. Elle perd son frère lors de la Seconde Guerre
mondiale ; son fils Lahbib est envoyé en Indochine* pour le service
militaire*. Il est blessé et fait prisonnier des Vietnamiens. Rentré en Algérie,
il s’engage dans la lutte et rejoint le maquis à Chréa. Le mari de Zoulikha, El
Hadj Larbi, rejoint également le maquis, après avoir été collecteur de fonds et
de renseignements. Des policiers perquisitionnent sa maison. Elle se rend au
commissariat pour déclarer la disparition* de son mari. Quand il est tué en
1956, elle veut constater elle-même son décès. Elle proteste auprès du
commissaire contre le vol de son argent (celui de la collecte de fonds) et de
ses effets, engage un avocat et obtient gain de cause. Son fils Lahbib est
arrêté en 1957 ; elle se met à sa recherche, ignorant qu’il a été tué.
Le réseau du FLN* en ville est presque totalement détruit quand elle est
nommée responsable politique. Elle fait preuve d’un sens de l’organisation
assez remarquable : contact avec les militants, recrutement d’autres agents –
surtout parmi ceux dont la police* et les militaires ne se méfient pas – les
femmes et les enfants, et adopte l’organisation pyramidale bien connue.
Dénoncée à son tour, elle entre en clandestinité, vit au maquis, nommée « La
mère des combattants ». Elle s’installe dans une grotte (renouant avec une
pratique qui date de la conquête française) et revient régulièrement en ville,
pour y prendre médicaments, fonds et documents, notamment chez une sage-
femme, Lla Lbiya, « Dame lionne » (Djebar), qui habite près du
commissariat. Elle est arrêtée en 1957, atrocement torturée et exécutée.
Le roman de Djebar suit la quête d’une mémoire orale et féminine, loin
des circuits officiels, et lui offre une sépulture littéraire.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Kamel Bouchama, Lalla Zouleikha Oudaï. La mère des résistants,
Alger, Juba, 2016 • Assia Djebar, La Femme sans sépulture, Albin Michel,
2002.
Cartes
Chronologie

Centrée sur la guerre, cette chronologie débute en 1945, année de


rupture dans l’évolution vers le conflit. Pour la période postérieure à 1962,
elle propose quelques repères relatifs aux échanges entre les deux pays, aux
questions des indemnisations, de l’amnistie, des archives, de la mémoire, etc.

1945
1er mai Premières manifestations nationalistes en Algérie.
8 mai Manifestations nationalistes dans plusieurs villes
d’Algérie.
Mai-juin Violente répression dans le Constantinois.

1946
16 mars Amnistie pour les détenus algériens de mai 1945 et
fondation de l’Union démocratique du Manifeste
algérien (UDMA) de Ferhat Abbas.
7 mai La loi Lamine-Gueye accorde la citoyenneté française
« aux indigènes » des colonies dont l’Algérie.
15 octobre Retour d’exil de Messali Hadj.
10 novembre
Participation de la liste pour le triomphe des libertés
démocratiques aux élections législatives qui obtient
cinq sièges et le PCA deux.

1947
14 février Premier congrès du MTLD et création de l’Organisation
spéciale (OS), maintien du PPA clandestin.
19-26 octobre Élections municipales, succès des listes MTLD.

1948
11 février Marcel-Edmond Naegelen remplace Yves Chataigneau
au Gouvernement général.
4 avril Élections de l’Assemblée algérienne, scandale de la
fraude.

1949
La crise dite « berbériste » au MTLD éclate au sein de
la Fédération de France. Ahmed Ben Bella est nommé à
la tête de l’OS à la place de Hocine Aït Ahmed.
21 octobre Circulaire du gouverneur général Naegelen contre les
sévices infligés par les services de police.

1950
Démantèlement de l’OS du PPA-MTLD. Nombreuses
arrestations suivies de procès et de lourdes
condamnations.
1951
12 février Procès de 47 militants de l’OS à Oran.
11 avril Roger Léonard remplace Naegelen au Gouvernement
général.
11 juin Procès de 122 militants de l’OS à Bône.
17 juin Élections législatives, fraude dénoncée par les
nationalistes.
25 juillet Constitution du Front algérien pour la défense et le
respect des libertés (FADRL).
6 décembre « Y a-t-il une Gestapo en Algérie ? », de Claude
Bourdet, dans France-Observateur.

1952
16 mars Évasion de Ben Bella et Ahmed Mahsas de la prison de
Blida.
14 mai Messali est interdit de séjour en Algérie, il est assigné à
résidence à Niort.

1953
4 au 6 avril Congrès du MTLD, reconduction de l’OS.
26 avril et 3 mai Élections municipales, la liste MTLD triomphe à Alger.
14 juillet Six morts, tués par la police, dans le cortège parisien du
MTLD.

1954
23 mars 1954 Création clandestine du Comité révolutionnaire pour
l’unité et l’action (Crua).
Fin juin Réunion à Alger des « 22 » par des activistes de l’OS et
décision du passage à la lutte armée.
13-15 juillet Congrès des messalistes à Hornu.
13-16 août Congrès des centralistes à Alger.
16-22 octobre Visite de François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, en
Algérie après le séisme d’Orléansville.
23 octobre Création à Alger du Front de libération nationale (FLN)
et de sa branche armée : l’Armée de libération nationale
(ALN).
31 octobre- « Toussaint rouge ». Série d’attentats organisés
1er novembre par le FLN.
1er novembre Proclamation du FLN.
3-5 novembre Saisie de journaux nationalistes et communistes à
Alger.
4 novembre Ramdane Benabdelmalek, membre des « 22 » et adjoint
de Ben M’hidi, est tué.
5 novembre Interdiction du MTLD, arrestation de ses militants.
Envoi de renforts militaires français en Algérie.
6 novembre Dissolution du MTLD.
26 novembre Premiers déplacements de population dans l’Aurès.
24 novembre Débat sur les affaires algériennes au Conseil de la
République.
27-30 novembre Voyage de François Mitterrand dans l’Aurès.
22 décembre Création du Mouvement national algérien (MNA) par
Messali Hadj.
22 décembre Opération « Orange » et arrestation de 150 militants du
MTLD en Algérie.
26 décembre Début de la mission de Germaine Tillion dans l’Aurès.
1955
13 janvier « Votre Gestapo d’Algérie » de Claude Bourdet, dans
France Observateur.
15 janvier « La question » de François Mauriac, dans L’Express.
18 janvier Mort au combat de Didouche Mourad, l’un des chefs du
FLN.
25 janvier Nomination de Jacques Soustelle au poste de
gouverneur général de l’Algérie, en remplacement de
Roger Léonard.
Février Arrestation de Mostefa Ben Boulaïd, l’un des chefs du
FLN.
5 février Chute du gouvernement de Pierre Mendès France,
remplacé par Edgar Faure.
23 février Soustelle définit sa politique d’« intégration » devant
l’Assemblée algérienne.
2 mars Rapport de Roger Wuillaume, préconisant la
réglementation des sévices.
20 mars Rapport de Jean Mairey, directeur de la Sûreté
nationale, sur le fonctionnement de la police en Algérie
et l’utilisation de la torture.
23 mars Arrestation de Rabah Bitat, l’un des chefs du FLN.
28 mars Jacques Soustelle rencontre clandestinement une
délégation de dirigeants nationalistes algériens.
31 mars Vote par l’Assemblée nationale de la loi sur l’état
d’urgence en Algérie.
1er avril Appel d’Abane Ramdane à l’unité des Algériens dans le
FLN.
3 avril Ouverture des premiers « centres d’hébergement ».
1er mai
Nomination du général Parlange comme commandant
civil et militaire des zones du Sud-Constantinois sous
état d’urgence.

13 mai Le général Cherrière préconise des représailles


collectives.
14 mai Mise en liberté provisoire de quatorze membres du
MTLD.
19 mai Le Conseil des ministres décide l’envoi de renforts en
Algérie et le rappel de disponibles résidant en Algérie
sous les drapeaux (publié au JO le 21 mai).
16 juin Nomination du général Lorillot en remplacement du
général Cherrière.
20 juin Arrestation de Paul Caballero, secrétaire général du
Parti communiste algérien.
21 juin Réunion de la Fédération des maires d’Algérie, présidée
par Amédée Froger, maire de Boufarik. Adoption d’une
motion retirant sa confiance au gouvernement et au
Gouvernement général.
8 juillet Reconduction de l’état d’urgence en Algérie pour six
mois.
8 au 14 juillet Congrès fondateur de l’Ugema en métropole.
30 juillet Demande de l’inscription des questions algérienne et
marocaine à l’ordre du jour de l’Assemblée générale de
l’ONU par les pays arabes.
9 août Création de neuf nouveaux arrondissements en Algérie.
20 août Soulèvement dans le Nord-Constantinois.
22 août Extension de l’état d’urgence à toute l’Algérie.
11 septembre Manifestation de soldats à la gare de Lyon à Paris
contre leur envoi en Afrique du Nord.
12 septembre Dissolution du PCA, vague d’arrestations de ses
militants et interdiction du journal Alger républicain.

15 septembre « Un journaliste chez les hors-la-loi », de Robert Barrat,


dans France Observateur.
26 septembre Soixante et un élus algériens du « groupe des 61 »
refusent la politique d’intégration et ne participent pas
aux travaux de l’Assemblée algérienne. Création d’un
Service des affaires algériennes, gérant les SAS.
29 septembre Messe en l’église Saint-Séverin à Paris et distribution
d’un tract appelant à la désobéissance collective.
30 septembre Inscription de la question algérienne à l’ordre du jour
des Nations unies.
Octobre L’Algérie hors la loi, de Francis et Colette Jeanson, aux
éditions du Seuil.
6 au 8 octobre Révolte de soldats français à la caserne Richepanse.
13 octobre Edgar Faure se prononce en faveur de « l’intégration ».
18 octobre L’Assemblée nationale vote la confiance au
gouvernement sur sa politique algérienne.
27 octobre Création des Centres sociaux éducatifs.
1er novembre Grève des commerçants algériens dans plusieurs villes.
11 novembre Évasion de Mostefa Ben Boulaïd de la prison de
Constantine.
25 novembre L’Assemblée générale des Nations unies se dessaisit de
l’affaire algérienne.
29 novembre Début de l’opération « Oiseau bleu ».
Décembre Multiplication des camps de regroupement dans
l’Aurès.
2 décembre Edgar Faure dissout l’Assemblée nationale (première
dissolution depuis 1877).

5 décembre Démission des élus UDMA des conseils locaux.

22 décembre Démission des élus algériens, à l’appel du FLN.


26 décembre Déclaration d’Edgar Faure estimant que l’Algérie ne
doit en aucun cas se séparer de la France ; Pierre
Mendès France déclare que le « but est de sauver la
présence française en Algérie ».
29 décembre Début de l’affaire d’Aïn Abid (répression du 20 août
1955).

1956
2 janvier Victoire du Front républicain aux élections législatives.
7 janvier L’Assemblée générale des ulémas publie un manifeste
en faveur de l’indépendance algérienne et annonce son
ralliement au FLN.
11 janvier Annonce par Ferhat Abbas du ralliement de l’UDMA
au FLN dans le journal tunisien L’Action.
12 janvier Déclaration de Jacques Soustelle rejetant le fédéralisme,
prônant l’intégration et le collège électoral unique.
14 janvier Création à Alger d’un comité d’action et de défense de
l’Algérie française.
20 janvier Motion de la Fédération des maires d’Algérie prônant le
maintien du caractère français à l’Algérie.
22 janvier Albert Camus lance à Alger son « Appel pour une trêve
civile en Algérie ».
25 janvier Le groupe arabo-asiatique renonce à porter la question
algérienne devant le Conseil de sécurité de l’ONU.
1er février Investiture de Guy Mollet.
2 février Jacques Soustelle quitte l’Algérie.
6 février Violente manifestation contre Guy Mollet en visite à
Alger, dite « journée des tomates » ; démission du
général Catroux (nommé ministre résident en Algérie
en remplacement de Jacques Soustelle).
10 février Robert Lacoste est nommé ministre résident.
16 février Guy Mollet évoque le statut futur de l’Algérie. Il établit
le triptyque « cessez-le-feu, élections, négociations » ;
création de l’USTA par le MNA.
24 février Création de l’UGTA par le FLN.
28 février Robert Lacoste réclame l’envoi de 200 000 hommes en
Algérie.
7 mars Assassinat de fermiers français d’Algérie à Palestro.
9 mars Manifestation du MNA à Paris, contre la discussion des
pouvoirs spéciaux.
12 mars Guy Mollet obtient la confiance et les pouvoirs
spéciaux.
14 mars Gamal Abdel Nasser affirme à Christian Pineau qu’il
n’aidera plus les insurgés algériens.
16 mars Publication de la loi sur les pouvoirs spéciaux au JO
17 mars Décret autorisant la délégation des pouvoirs civils aux
militaires.
23 mars Mort de Mostefa Ben Boulaïd à la suite de l’explosion
d’une radio piégée.
Avril Réglementation sur les harkas par Robert Lacoste.
1er avril Création de 16 subdivisions militaires en Algérie.
Assassinat de Rabah Saïfi à Paris
4 avril
L’aspirant Henri Maillot, militant communiste français
d’Algérie, déserte avec un camion chargé d’armes.
5 avril « France, ma patrie », par Henri-Irénée Marrou, dans Le
Monde.
10 avril Contacts franco-algériens.
11 avril Décrets sur le rappel des disponibles pour l’Algérie
(120 000 hommes), l’allongement du service militaire à
vingt-sept mois, les expropriations agraires.
13 avril Dissolution de l’Assemblée algérienne.
Avril-juin Nombreuses manifestations de contestation de l’envoi
du contingent en Algérie.
4 mai Appel à la grève du FLN aux travailleurs algériens en
métropole.
8 mai Manifestation d’Européens d’Alger contre Robert
Lacoste.
12-13 mai Violents incidents à Constantine.
18 mai Dix-neuf militaires français tombent dans une
embuscade à Palestro.
Violente manifestation contre l’envoi du contingent à
Grenoble.
19 mai Appel de l’Ugema à la grève générale des cours et
examens, effective à partir du 26 mai.
22 mai Démission de Pierre Mendès France de son poste de
ministre d’État, en opposition à la politique algérienne
du gouvernement.
24 mai Arrestation du Pr André Mandouze à Alger.
26 mai Les dirigeants du FLN réaffirment au Caire que leur
objectif est la reconnaissance du droit à l’indépendance
de l’Algérie.
1er juin Création du service Renseignement action protection
(RAP), dont font partie les détachements opérationnels
de protection (DOP).
Parution du premier numéro d’El Moudjahid, organe du
FLN.
5 juin Vote de confiance de l’Assemblée nationale sur
l’Afrique du Nord ; mort de Maurice Laban et Henri
Maillot du « maquis rouge » dans un accrochage avec
l’armée française.
9 juin Lancement du journal mensuel L’Espoir des libéraux
d’Algérie.
19 juin Premières exécutions capitales à Alger.
26 juin Le Conseil de sécurité de l’ONU refuse d’inscrire la
question algérienne à l’ordre du jour.
1er juillet Le PCA dissout ses groupes clandestins, les
Combattants de la libération (CDL) après l’accord
conclu avec le FLN. Ses militants rejoignent
individuellement le FLN.
2 juillet Alban Liechti écrit au président de la République son
refus de prendre les armes contre le peuple algérien.
3 juillet L’Algérie est réorganisée en 12 départements et les
communes mixtes sont transformées en communes de
« plein exercice ».
5 juillet Grève générale des « Français musulmans » dans
l’Algérois.
8 juillet Mutinerie au camp de Mourmelon.
18 juillet Tito, Nasser et Nehru condamnent la politique française
en Algérie lors de la conférence de Brioni.
26 juillet Nouveaux contacts franco-algériens.
10 août Attentat activiste rue de Thèbes à Alger.
17 août Contacts franco-algériens à Rome.
20 août-

19 septembre Congrès de la Soummam du FLN.


1er septembre Contacts franco-algériens à Rome.
13 septembre Vague d’arrestations de militants communistes
indépendantistes en Oranie.
22 septembre Contacts franco-algériens à Belgrade.
23 septembre Mort de Zighoud Youssef, chef de la Wilaya 2 (Nord-
Constantinois).
27 septembre Début de l’affaire des « torturés d’Oran ».
30 septembre Attentats du FLN au Milk-Bar et à la Cafétéria.
16 octobre Arraisonnement du cargo Athos, en provenance
d’Égypte, chargé d’armes pour le FLN.
22 octobre Arraisonnement de l’avion de la délégation extérieure
du FLN (Ben Bella, Khider, Boudiaf, Aït Ahmed) et de
l’intellectuel Mostefa Lacheraf.
1er novembre Grève générale en Algérie.
5-6 novembre Expédition de Suez.
9 novembre Nouvelle arrestation du Pr André Mandouze.
15 novembre Le général Salan est nommé commandant en chef en
Algérie, en remplacement du général Lorillot.
16 novembre La question algérienne est inscrite à l’ordre du jour de
l’ONU.
24 novembre Condamnation de Fernand Iveton, militant du PCA.
26 novembre Proposition de Bourguiba pour un cessez-le-feu en
Algérie.
5 décembre Dissolution des conseils généraux d’Algérie et des
municipalités de plein exercice. Des délégations
spéciales provisoires dirigent dorénavant les
municipalités.
28 décembre Assassinat d’Amédée Froger, président de l’Inter
fédération des maires d’Algérie.
29 décembre Ratonnades aux obsèques d’Amédée Froger.
Création de l’« organisation commune des régions
sahariennes » et délimitation de la frontière entre
l’Algérie et le Fezzan.

1957
6 janvier Le général Faure, accusé de complot contre le
gouvernement, est mis aux arrêts pour trente jours.
7 janvier Délégation des pouvoirs de police au général Massu,
commandant la 10e division parachutiste, à Alger.
9 janvier « Déclaration d’intention » de Guy Mollet sur l’Algérie
(égalité des droits, large autonomie, liens indissolubles
avec la France).
16 janvier Attentat au bazooka par des activistes contre le général
Salan.
20 janvier Grève des travailleurs algériens en métropole.
26 janvier Attentats du FLN à L’Otomatic, à la Cafétéria et au
Coq-Hardi.
28 janvier Début de la grève générale à l’appel du FLN (« grève
des huit jours ») à Alger et les principaux centres
urbains.
5 février Réception par Guy Mollet d’une délégation d’officiers
algériens de l’armée française, auteurs d’une lettre
adressée par le lieutenant Abdelkader Rahmani au
président René Coty. Ils lui « exposent leur cas de
conscience ».
10 février Attentats du FLN au stade d’El Biar et au stade
municipal d’Alger.
11 février Exécution de Fernand Iveton.
15 février Vote d’une motion de conciliation sur l’Algérie à
l’Assemblée générale de l’ONU.
23 février Arrestation de Larbi Ben M’hidi.
Publication du « Dossier Jean Müller » par Témoignage
chrétien.
28 février Arrestation de Mohammed Lebjaoui et Ahmed Taleb,
responsables de la Fédération du FLN en France.
Mars Les quatre membres du Comité de coordination et
d’exécution (CCE) quittent Alger.
1er mars Mise aux arrêts du lieutenant Rahmani.
6 mars Annonce du « suicide » de Larbi Ben M’hidi.
8 et 15 mars « Lieutenant en Algérie », dans L’Express.
13 mars Contre la torture, de Pierre-Henri Simon, aux éditions
du Seuil.
16 mars Rapport Provo sur les « torturés d’Oran », contesté.
24 mars Lettre de démission de Paul Teitgen, secrétaire général
de la préfecture de police d’Alger.
26 mars Annonce du « suicide » d’Ali Boumendjel.
28 mars Le général de Bollardière demande à être relevé de son
commandement, en protestation des méthodes
employées par l’armée française en Algérie.
Avril Diffusion de : Des rappelés témoignent, par le Comité
de résistance spirituelle ; « La paix des Nementchas »,
de Robert Bonnaud, dans Esprit.
4 avril Publication de la lettre du doyen Peyrega la faculté de
droit d’Alger, dans France Observateur. Arrestation et
disparition de Larbi Tébessi, vice-président de
l’Association des ulémas.

5 avril Création d’une Commission de sauvegarde des droits et


libertés individuels.
11 avril Légalisation des centres de triage et de transit.
15 avril Le général de Bollardière est frappé de soixante jours
d’arrêts de forteresse pour avoir dénoncé la torture en
Algérie.
11 mai La Tunisie et la Libye demandent de « mettre fin au
massacre en Algérie ».
25 mai Découverte de pétrole à Hassi Messaoud.
26 mai Assassinat d’Ali Chekkal, ancien vice-président de
l’Assemblée algérienne, au stade de Colombes, par un
militant du FLN.
28-29 mai Massacre dit « de Melouza » par le FLN au douar pro
messaliste Beni Ilmane.
9 juin Attentat du FLN au casino de la Corniche.
11 juin Arrestation de Maurice Audin à Alger (puis disparition,
c’est-à-dire assassinat, à partir du 21 juin).
12 juin Arrestation d’Henri Alleg à Alger.
Investiture du gouvernement de Maurice Bourgès-
Maunoury (après la chute de Guy Mollet le 21 mai).
26 juin Directive d’André Morice sur l’aménagement des
barrages frontaliers.
2 juillet Déclaration du sénateur américain John Kennedy en
faveur de l’indépendance de l’Algérie.
4 juillet Le FLN maintient la reconnaissance de l’indépendance
comme condition préalable à toute négociation.
8 juillet Contacts franco-algériens à Tunis.
19 juillet Nouveau vote des pouvoirs spéciaux sur l’Algérie par
l’Assemblée.

26 juillet Publication du rapport de la Commission internationale


contre le régime concentrationnaire sur l’Algérie.
1er août André Morice annonce que l’exercice du droit de
poursuite sera exercé sur les bandes rebelles se repliant
en territoire tunisien.
20-27 août Réunion au Caire du CNRA, élargi de 34 à 54 membres
(le CCE de 5 à 14), intention de créer un « front nord-
africain » à l’ONU.
1er septembre Premier exercice du « droit de suite » en Tunisie créant
une nouvelle crise des rapports franco-tunisiens.
2 septembre Appel de Messali Hadj pour faire cesser les attentats en
métropole.
12 septembre Démission de Paul Teitgen, secrétaire général de la
police à Alger, en protestation des pratiques de l’armée
française (notamment les disparitions).
15 septembre Achèvement du barrage électrifié sur la frontière
tunisienne (« ligne Morice ») ; mot d’ordre de grève à
Alger.
24 septembre Arrestation de Yacef Saadi, chef de la Zone autonome
d’Alger du FLN.
30 septembre Chute du gouvernement de Maurice Bourgès-
Maunoury, remplacé par Félix Gaillard, sur le projet de
loi-cadre.
2 octobre
Robert Delavignette rend publique sa démission de la
Commission de sauvegarde des droits et libertés
individuels (suivi de Me Maurice Garçon et d’Émile
Pierret-Gérard).
8 octobre Ali La Pointe, lieutenant de Yacef Saadi, est tué dans
une explosion à Alger.

17 octobre Le prix Nobel de littérature est attribué à Albert Camus.


26 octobre Ahmed Bekhat, secrétaire du syndicat messaliste
USTA, est assassiné par le FLN à Paris.
6 novembre Investiture du gouvernement Félix Gaillard.
11 novembre Manifestation contre la loi-cadre à Alger.
12 novembre Renouvellement par l’Assemblée des pouvoirs spéciaux
pour la métropole et l’Algérie.
22 novembre Proposition tuniso-marocaine de bons offices pour
régler « l’affaire algérienne ».
29 novembre Adoption par l’Assemblée de la loi-cadre sur l’Algérie.
2 décembre Soutenance de thèse, in absentia, de Maurice Audin à la
Sorbonne ; le dit « général Bellounis », ancien militant
du MNA, réaffirme sa volonté de coopérer avec la
France pour lutter contre le FLN ; achèvement du pipe-
line Hassi Messaoud-Touggourt (commencé le
5 octobre).
10 décembre Robert Lacoste déclare à Alger que « le FLN a perdu la
partie » ; motion modérée des Nations unies sur
l’Algérie.
13 décembre Vote définitif de pouvoirs spéciaux au gouvernement ;
la Commission de sauvegarde rend son rapport sur
l’Algérie.
14 décembre
Publication du rapport de la Commission de sauvegarde
et d’extraits d’Aspects véritables de la rébellion
algérienne dans Le Monde.
27 décembre Assassinat d’Abane Ramdane par Abdelhafid Boussouf,
au Maroc.

1958
11 janvier Une embuscade à Sakiet Sidi Youssef fait 15 morts et
4 prisonniers.
18 janvier Accrochage entre l’Armée de libération marocaine et
les troupes françaises d’Algérie près de Colomb-
Béchar.
19 janvier Arraisonnement du cargo yougoslave Slovenija
transportant des armes destinées au FLN.
28 janvier Adoption définitive de la loi électorale pour l’Algérie ;
décision de dissolution par le gouvernement de
l’Ugema
29 janvier Approbation d’un droit de suite des Algériens en
Tunisie par le gouvernement de Félix Gaillard.
31 janvier Adoption définitive de la loi-cadre pour l’Algérie.
Février La Question, d’Henri Alleg, aux Éditions de Minuit.
5 février Loi-cadre incluant le droit de vote des Algériennes.
8 février Bombardement du village tunisien de Sakiet Sidi
Youssef par l’aviation française. Crise diplomatique
avec la Tunisie.
13 février Mort du commandant Djabeur.
17 février
Offre anglo-américaine de « bons offices » dans
l’affaire de Sakiet, acceptée par la France et la Tunisie.
Mars Début de la « bleuïte » en Wilaya 3.
14 mars Manifestation de la police nationale devant le Palais-
Bourbon ; Maurice Papon est nommé préfet de police
de Paris.
18 mars Création de trois nouveaux départements en Algérie
(Bougie, Aumale, Saïda) et de cinq territoires (Oran,
Chélif, Alger, Kabylie, Constantinois).
27 mars Saisie de La Question d’Henri Alleg.
Avril Création du COM-est et du COM-ouest par Krim
Belkacem.
15 avril Chute du gouvernement de Félix Gaillard.
24 avril Exécution d’Abderrahmane Taleb, et de six autres
condamnés à mort.
26 avril Manifestation à Alger à l’appel du Comité d’entente des
anciens combattants et de l’USRAF réclamant la
constitution d’un gouvernement de salut public.
27 au 30 avril Conférence de Tanger, entre les trois pays du Maghreb.
28 avril René Pleven accepte de former le gouvernement.
30 avril Trois cents supplétifs de l’armée française désertent
dans l’Ouarsenis après avoir tué leur chef, Djilali
Belhadj, dit Kobus.
9 mai Communiqué du FLN annonçant l’exécution de trois
soldats français ; René Coty fait appel à Pierre Pflimlin
pour constituer le gouvernement.
12 mai L’Affaire Audin, de Pierre Vidal-Naquet, aux Éditions
de Minuit (immédiatement saisi).
13 mai
Manifestation des Européens et prise du Gouvernement
général à Alger ; formation d’un Comité de salut public
présidé par le général Salan ; investiture de Pierre
Pflimlin à Paris.
15 mai Appel public de Raoul Salan au général de Gaulle qui
se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République.
16 mai Vote de la loi sur l’état d’urgence ; manifestation de
fraternisation franco-musulmane à Alger.
17 mai Création d’un Comité pour la défense de la République
à Paris ; arrivée de Jacques Soustelle à Alger.
19 mai Conférence de presse du général de Gaulle dans
laquelle il se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la
République selon une procédure exceptionnelle.
23 mai Création d’un Comité central de salut public à Alger,
présidé par le général Massu.
24 mai Création d’un Comité de salut public à Ajaccio.
27 mai Le général de Gaulle annonce qu’il a « entamé le
processus régulier » pour rétablir l’ordre républicain.
28 mai Manifestation de vigilance républicaine à Paris ;
démission du gouvernement Pflimlin.
1er juin Investiture de Charles de Gaulle, président du Conseil ;
les pouvoirs spéciaux sont reconduits en Algérie.
3 juin Vote des pleins pouvoirs pour le général de Gaulle pour
six mois ; le Parlement vote la loi constitutionnelle.
4-7 juin Premier voyage de De Gaulle en Algérie : « Je vous ai
compris » à Alger.
8 juin Le chanteur Ali Maâchi est enlevé et pendu à Tiaret par
l’armée française.
9 juin
Le général Salan est nommé délégué général en
Algérie ; le FLN prescrit à l’ALN de continuer
impitoyablement la lutte.
16 juin Le général Massu devient préfet d’Alger.
17 juin La conférence nord-africaine de Tunis, réunissant le
FLN, l’Istiqlal et le Destour, se déclare favorable à une
action diplomatique pour régler pacifiquement le conflit
algérien.
27 juin Le général André Zeller devient chef d’état-major de
l’armée de terre.
Juillet Ouverture des centres militaires d’internés.
1er-3 juillet Second voyage de De Gaulle en Algérie, accompagné
de Guy Mollet (Constantine, Alger, Batna, Tizi-Ouzou
et postes militaires isolés).
4 juillet Décrets sur l’Algérie : vote des femmes et collège
unique.
14 juillet Liquidation de Mohammed Bellounis (MNA) par
l’armée française près de Bou Saâda.
13 août Reconstitution de la Commission de sauvegarde des
droits et libertés individuels en Algérie sous la
présidence de Maurice Patin.
25-26 août Ouverture d’un « second front » en métropole par la
Fédération du FLN en France et série d’attentats.
27-29 août Troisième voyage du général de Gaulle en Algérie.
Septembre Dissolution du COM-est.
15 septembre Attentat manqué du FLN contre Jacques Soustelle.
19 septembre Proclamation du GPRA au Caire, présidé par Ferhat
Abbas.
28 septembre
Référendum approuvant la Constitution de la
Ve République.
Octobre Début de la mutinerie d’Ali Hambli en Tunisie.
2-3 octobre Quatrième voyage de De Gaulle en Algérie.
3 octobre Annonce du plan de Constantine.
11 octobre Ferhat Abbas déclare que le GPRA est prêt à discuter
des conditions d’un cessez-le-feu.
23 octobre Appel à la « paix des braves » par le général de Gaulle.
25 octobre Rejet par le GPRA de l’offre de « paix des braves ».
29 octobre Libération de mille personnes internées en Algérie.
12 novembre Arrestation, par la Garde tunisienne, des conjurés du
complot Lamouri.
30 novembre Premières élections législatives de la Ve République.
3-6 décembre Cinquième voyage de De Gaulle en Algérie et au
Sahara.
6-12 décembre Réunion interwilayas à l’initiative du colonel
Amirouche en Wilaya 2.
12 décembre Delouvrier est nommé délégué général à Alger et le
général Challe commandant en chef en Algérie.
21 décembre Le général de Gaulle est élu premier président de la
Ve République au suffrage indirect.

1959
15 janvier Grâce collective des condamnés à mort algériens ;
Messali Hadj libre de toute assignation à résidence.
21 janvier Ouverture du Centre d’identification de Vincennes.
Février Début des opérations du plan Challe qui touchent toutes
les wilayas du FLN.
8-12 février Voyage de Michel Debré en Algérie.
16 février Motion de 481 Français du Maroc demandant la
reconnaissance de l’indépendance algérienne.
9 mars Transfert de Ben Bella et ses codétenus à l’île d’Aix au
fort Liédot.
28 mars Mort des colonels Amirouche et Si El Haouès dans une
embuscade française.
31 mars Circulaire de Paul Delouvrier interdisant l’ouverture de
nouveaux camps de regroupement.
8 avril Arraisonnement du cargo tchèque Lidice, chargé
d’armes, au large des côtes oranaises.
11 avril Interview de Mgr Rodhain sur les camps de
regroupement, dans La Croix.
18 avril Publication du rapport de Michel Rocard sur les camps
de regroupement, dans Le Monde.
19-21 avril Élections municipales en Algérie.
21 avril Le général Challe déclare qu’« il peut y avoir une
solution militaire à l’affaire algérienne ».
29 avril Remous dans les milieux activistes d’Algérie après les
déclarations du général de Gaulle au directeur de
L’Écho d’Oran (« l’Algérie de papa est morte »).
5 mai Mort du colonel M’hamed Bougara.
22 mai Assassinat de Me Amokrane Ould Aoudia à Paris,
probablement par les services secrets.
31 mai Élections sénatoriales en Algérie.
18 juin- Grève de la faim des détenus algériens dans les
1er juillet prisons métropolitaines.
19 juin Saisie du livre La Gangrène.
4 juillet Rétablissement des préfets Igame en Algérie.
17 juillet Nouvelle grève de la faim dans les prisons
métropolitaines des détenus algériens.

31 juillet Début de l’affaire « Aïssat Idir ».


3-8 août La conférence de Monrovia des neuf États africains
indépendants et du GPRA invite la France à reconnaître
le droit de l’Algérie à l’indépendance et dénonce les
futurs essais nucléaires au Sahara.
4 août Circulaire d’Edmond Michelet, ministre de la Justice,
accordant aux détenus algériens en métropole un régime
de détention assoupli.
11 août Circulaire interministérielle modifiant les règles
d’attribution des sursis d’incorporation pour les
étudiants. Nombreuses protestations.
11 août- Réunion des dix colonels, créant un nouveau
16 décembre CNRA.
27-30 août De Gaulle en Algérie : première « tournée des
popotes ».
28 août Chérif Benhabylès, sénateur de Constantine, assassiné à
Vichy.
14-16 septembre Réunion lançant le mouvement des « officiers libres »
en Wilaya 3.
16 septembre Discours du général de Gaulle sur l’autodétermination.
17 septembre Messali Hadj échappe à un attentat.
19 septembre Création du Rassemblement pour l’Algérie française à
Paris, avec Georges Bidault.
28 septembre Le GPRA se déclare prêt à des pourparlers en vue d’un
cessez-le-feu et de la garantie de l’autodétermination.
30 septembre
À l’ONU, la France refuse toute ingérence étrangère
dans l’affaire algérienne.
15 octobre Affaire de l’attentat de l’Observatoire contre François
Mitterrand.
30 octobre Ouverture du débat sur l’Algérie à l’ONU.
3 novembre Le PCF approuve la politique d’autodétermination.
6 novembre Mort du commandant Abderrahmane Mira.
10 novembre Appel du général de Gaulle pour des négociations.
20 novembre Le GPRA désigne Ben Bella et ses compagnons
prisonniers comme négociateurs, refus du général de
Gaulle ; l’Assemblée générale de l’ONU demande à la
France de s’abstenir d’effectuer des essais nucléaires.
25 novembre Création d’une inspection générale des regroupements
de population.
30 novembre Création d’une force supplétive à Paris.
Décembre Début de la révolte du capitaine Zoubir, au Maroc.
16 décembre Réunion du nouveau CNRA à Tripoli.

1960
4 janvier Mort d’Albert Camus.
5 janvier Publication du rapport de la Croix-Rouge sur les camps
d’internement.
18 janvier Fin de la réunion du CNRA. Deuxième GPRA, création
de l’État-major général (EMG).
19 janvier Rappel du général Massu à Paris après une interview
dans le Süddeutsche Zeitung.
21 janvier Georges Bidault se voit interdire l’entrée en Algérie.
23 janvier
Le général Crépin remplace le général Massu à la tête
du corps d’armée d’Alger.
24 janvier- Insurrection des barricades et fusillade des ultras
1er février contre des gendarmes.
28 janvier Delouvrier et Challe quittent Alger pour la base de
Réghaïa.
29 janvier Déclaration radiotélévisée du général de Gaulle
condamnant les émeutiers et appelant l’armée à
l’obéissance.
1er février Fin des barricades. Joseph Ortiz est en fuite, Pierre
Lagaillarde est incarcéré à la Santé.
2 février Pouvoirs spéciaux accordés par l’Assemblée au
gouvernement pour un an.
8 février Arrestation d’Alain de Sérigny, directeur de L’Écho
d’Alger.
10 février Dissolution du 5e bureau de l’armée française,
réorganisation de la justice militaire, dissolution des
unités territoriales, sanctions et mutations, et création
d’un comité des affaires algériennes.
12 février Décret créant des procureurs militaires.
13 février Première bombe atomique à Reggane (« Gerboise
bleue »).
17 février Le Conseil des ministres adopte un décret pour un
retour à l’administration civile en Algérie.
Ferhat Abbas appelle les Européens à édifier en
commun la République algérienne.
24 février Arrestations du responsable de la métropole du FLN et
de membres du « réseau Jeanson » d’aide aux
indépendantistes algériens.
29 février Ferhat Abbas précise la position du GPRA sur le
principe de l’autodétermination et l’ouverture de
pourparlers.

1er mars Transformation des unités territoriales en unités de


réserve ; recrudescence d’attentats en métropole et en
Algérie.
3-5 mars Voyage de De Gaulle en Algérie (« tournée des
popotes »).
5-6 mars Réunion du Conseil national du « MP13 » à Paris.
7 mars Perquisitions dans les milieux activistes à Paris et en
province.
16 mars Recrudescence de l’activité de l’ALN sur le barrage
algéro-tunisien.
20 mars Création d’une « force de police auxiliaire musulmane »
en métropole.
27 mars Mort du colonel Lotfi dans un accrochage.
30 mars Le général Crépin remplace le général Challe comme
commandant en chef en Algérie.
Avril Le Déserteur paraît aux Éditions de Minuit, et Le Refus
aux Éditions Maspero.
1er avril Explosion de la deuxième bombe atomique à Reggane
(« Gerboise blanche »).
4-6 avril Réunion du GPRA à Tripoli.
9-13 avril Le congrès de l’Unef vote une motion en faveur de
négociations avec le FLN et de l’autodétermination.
12 avril Le GPRA ratifie les conventions de Genève.
15 avril Conférence de presse clandestine de Francis Jeanson à
Paris.
23-24 avril Recrudescence d’attentats du FLN en métropole.
25 avril Incidents à la frontière algéro-tunisienne.
Fin avril Le capitaine Zoubir, traduit devant le tribunal militaire
de l’EMG, est exécuté.
1er-15 mai Séjour d’une délégation du GPRA en Chine et en Corée
du Nord.

4 mai Attentat contre Robert Abdesselam, député d’Alger, à


Paris.
7-8 mai Incidents à la frontière algéro-marocaine.
10 mai Transformation des DOP en unités opérationnelles de
recherche (UOR).
17 mai Circulaire de Michel Debré, interdisant les sévices.
27-29 mai Élections cantonales à Alger.
2 juin Tribune de Simone de Beauvoir en soutien à Djamila
Boupacha, dans Le Monde ; 53 mouvements de
jeunesse expriment leur souhait que la guerre en Algérie
cesse.
4 juin Ordonnance accroissant la répression contre des crimes
commis « en vue d’apporter une aide aux rebelles
algériens ».
7 juin Publication dans Le Monde du témoignage de Paul
Teitgen au procès du comité Audin contre La Voix du
Nord.
9 juin L’Unef et l’Ugema demandent ensemble l’ouverture de
négociations sur l’autodétermination.
10 juin Si Salah, Si Mohammed et Si Lakhdar de la Wilaya 4 à
l’Élysée.
14 juin Nouvel appel du général de Gaulle pour trouver une fin
honorable aux combats.
16 juin Création du Front de l’Algérie française à Alger.
20 juin Appel de Ferhat Abbas au peuple algérien ;
communiqué Tito-Nasser sur l’Algérie.
25-29 juin Échec des pourparlers franco-algériens à Melun.
5 juillet Nouvel appel de Ferhat Abbas au peuple algérien :
« L’indépendance ne s’offre pas, elle s’arrache. »

3 août Nomination de trois sous-préfets musulmans.


22 août Le GPRA demande un référendum sous contrôle de
l’ONU.
5 septembre-
1er octobre Procès du réseau Jeanson à Paris.
6 septembre Diffusion de la Déclaration sur le droit à l’insoumission
dans la guerre d’Algérie, dit « Manifeste des 121 ».
9 septembre Démarche du FLN auprès du président américain
Eisenhower.
14 septembre Treize signataires du « Manifeste des 121 » sont
inculpés ; le général Salan prend position contre la
politique algérienne du général de Gaulle.
28 septembre Voyage de Ferhat Abbas à Pékin et Moscou.
6 octobre Publication de l’« Appel à l’opinion pour une solution
négociée » préparé par la FEN, le SNI et l’Unef.
7 octobre Publication d’un « Manifeste des intellectuels français
pour la résistance à l’abandon » ; publication du Désert
à l’aube de Noël Favrelière, immédiatement saisi ;
manifestation d’anciens combattants place de l’Étoile
pour protester contre les « 121 ».
16 octobre Déclaration de l’assemblée des cardinaux et
archevêques de France condamnant l’insoumission mais
aussi les tortures.
27 octobre Grande manifestation pour la paix à l’appel de l’Unef.
31 octobre Ferhat Abbas condamne le principe de l’« Algérie
algérienne » du général de Gaulle.
1er novembre L’assemblée plénière du protestantisme français
demande une démarche de toutes les autorités
religieuses en faveur de la paix en Algérie.
3 novembre Ouverture du « procès des barricades » ; expulsion
d’Algérie de 13 Européens ; grève des étudiants à
Alger.
11 novembre Violents incidents à Alger ; le maréchal Juin rompt avec
le général de Gaulle sur sa politique algérienne.
22 novembre Louis Joxe nommé ministre des Affaires algériennes.
24 novembre Remplacement de Paul Delouvrier par Jean Morin.
1er décembre Dernière exécution capitale en Algérie.
5 décembre Fuite de Lagaillarde et de quatre inculpés (Susini,
Demarquet, Ronda, Féral) du « procès des barricades »
vers l’Espagne ; ouverture du débat sur l’Algérie devant
les commissions politiques de l’ONU.
9-13 décembre Dernier voyage du général de Gaulle en Algérie ;
manifestations de Français et d’Algériens : émeutes et
répression meurtrières.
15 décembre Sanctions disciplinaires contre le général Salan, et
révocation de 40 fonctionnaires pour avoir suivi la
grève à Alger.
16 décembre Appel de Ferhat Abbas au peuple algérien.
19 décembre L’ONU reconnaît le droit à l’autodétermination du
peuple algérien.
24 décembre Dissolution du Front national pour l’Algérie française.
27 décembre Troisième bombe atomique à Reggane (« Gerboise
rouge »).
1961
6 janvier Six explosions au plastic à Paris.
8 janvier Référendum approuvant l’autodétermination.
16 janvier Le GPRA se déclare prêt à engager des négociations
avec le gouvernement français.
19 janvier Manifeste commun de onze partis et syndicats pour une
paix négociée en Algérie.
25 janvier Assassinat de Me Pierre Popie à Alger par des activistes
français.
1er février Remplacement du général Crépin par le général
Gambiez.
10 février Mort d’Ali Souaï.
11 février Création de l’OAS à Madrid.
18 février Le Mali reconnaît le GPRA.
20-22 février Conversations en Suisse entre négociateurs français et
algériens.
21 février Lancement d’une fusée Véronique près de Colomb-
Béchar avec un rat de laboratoire à son bord.
28 février Formation d’une section du Rassemblement
démocratique algérien à l’Assemblée nationale.
2 mars Verdict du « procès des barricades » : Ortiz condamné à
mort par contumace, Lagaillarde à dix ans de détention.
24 mars Attentat contre le Palais-Bourbon.
31 mars Le GPRA renonce à se rendre à Évian ; assassinat du
maire d’Évian, Camille Blanc, par des activistes.
3 avril
Conférence de presse de Messali Hadj déclarant refuser
d’adhérer au FLN et de s’effacer devant lui.
9-10 avril Nombreux attentats au plastic en métropole revendiqués
par l’OAS.
13-15 avril Manifestations à Alger.
22-24 avril Tentative de putsch des généraux à Alger.
23 avril Ralliement des généraux Salan et Gouraud ; message de
De Gaulle à la nation (pouvoirs exceptionnels).
25 avril Quatrième et dernière bombe atomique à Reggane
(« Gerboise verte »).
28 avril Création du Haut Tribunal militaire pour juger les
putschistes ; nombreuses inculpations.
1er-15 mai Manifestations à Alger et Oran.
4 mai Dissolution de l’ordre des avocats à Alger.
6 mai Arrestation du général Zeller, putschiste.
Mi-mai Refondation de l’OAS, en Algérie.
16-22 mai Incidents à la frontière algéro-marocaine.
20 mai Ben Bella et ses codétenus sont transférés en résidence
surveillée à Turquant.
20 mai-13 juin Négociations à Évian.
20 mai-12 août Interruption des opérations offensives.
29 mai Ouverture du procès Challe-Zeller.
31 mai Assassinat du commissaire Gavoury, commissaire
central d’Alger, par l’OAS ; Challe et Zeller sont
condamnés à quinze ans de réclusion criminelle.
5-21 juin Condamnation du commandant de Saint-Marc et des
généraux Bigot, Petit, Nicot et Gouraud.
7 juin Le général Ailleret est nommé commandant supérieur
interarmées en Algérie en remplacement du général
Gambiez.
13 juin Ajournement de la conférence d’Évian.

20 juin Réunion à Tunis du GPRA en faveur de la reprise des


pourparlers d’Évian.
22 juin Assassinat du chanteur cheikh Raymond par le FLN.
1er juillet Grève des Algériens à Alger.
4-23 juillet Crise de Bizerte.
5 juillet Sanglantes manifestations algériennes contre la
partition dans l’Algérois et le Constantinois.
11 juillet Le Haut Tribunal militaire condamne à mort par
contumace Salan, Jouhaud, Gardy, Argoud, Broizat,
Gardes, Godard et Lacheroy.
15 juillet Attentat de l’OAS contre le domicile de Mgr Duval,
archevêque d’Alger.
20 juillet Négociations au château de Lugrin (Haute-Savoie)
suspendues huit jours plus tard.
8 août Mort du commandant Djilali Bounaâma.
9 au 27 août Deuxième réunion du CNRA à Tripoli, formation d’un
troisième GPRA présidé par Ben Khedda.
5 septembre Le général de Gaulle reconnaît la souveraineté
algérienne sur le Sahara.
8 septembre Attentat de l’OAS contre le général de Gaulle, à Pont-
sur-Seine.
23 septembre Journée des casseroles en Algérie, à l’appel de l’OAS.
30 septembre Fin de l’application de l’article 16.
2 octobre Grèves à Alger et Oran à l’appel de l’OAS.
5 octobre Le préfet de police Maurice Papon instaure un couvre-
feu à 20 heures à l’encontre des Algériens, à Paris et sa
région.
17-20 octobre Manifestation des Algériens à Paris et répression.
23 octobre Début d’une série de manifestations françaises contre la
guerre à Paris.

30 octobre Communiqué commun de FO, la CFTC, la CGT et


l’Unef sur la répression des manifestations algériennes.
1er novembre Début d’une grève de la faim des détenus algériens dans
les prisons métropolitaines pour obtenir le régime
politique ; manifestations algériennes à l’occasion de la
Journée nationale pour l’indépendance organisée par le
FLN en Algérie.
4 novembre Arrestation d’Abderrahmane Farès, ancien président de
l’Assemblée algérienne.
18 novembre Manifestations contre l’OAS et pour la paix en
métropole.
20 novembre Assassinat de William Lévy (SFIO) par l’OAS.
22 novembre Dissolution du Comité de Vincennes ; 18 attentats au
plastic en France.
28 novembre Arrivée de brigades anti-OAS à Alger.
29 novembre Adoption d’un projet d’aide aux rapatriés par
l’Assemblée nationale.
6 décembre Le Conseil des ministres dissout l’OAS ; manifestations
anti-OAS à Paris et en province ; mort de Frantz Fanon
qui vient de publier Les Damnés de la terre.
9 décembre Assemblée générale de l’Association des rapatriés
d’Afrique du Nord.
12 décembre Mesure de grâce pour 2 500 Algériens.
14-19 décembre Débat sur l’Algérie à l’ONU : appel à la reprise des
négociations entre le GPRA et le gouvernement
français.
19 décembre Manifestation contre l’OAS et pour la paix en Algérie
organisée par la CGT, la CFTC et l’Unef, violemment
réprimée.

19-31 décembre Mouvement de grèves anti-OAS en France.

1962
3 janvier Alfred Locussol (PCA) est tué par l’OAS à Alençon.
4 janvier Attentat de l’OAS contre le siège du PCF à Paris.
9-10 janvier Procès de l’abbé Davezies, de la Mission de France,
pour aide au FLN.
12 janvier Internement de 65 activistes au camp de Saint-Maurice-
l’Ardoise.
13 janvier Désertion du colonel Château-Jobert.
14 janvier Mitraillages à Alger et actions de commando OAS à
Oran.
15 janvier Manifeste anti-OAS de cent anciens Résistants.
22 janvier Attentat de l’OAS contre le Quai d’Orsay.
24 janvier Vingt-deux attentats au plastic (dont un contre Hubert
Beuve-Méry, directeur du Monde).
25 janvier Manifestation anti-OAS organisée par la CGT.
29 janvier Attentat de l’OAS contre une brigade anti-OAS dans
une villa d’El Biar à Alger (18 morts).
30 janvier Arrestations de Philippe Castille et de Marcel Bouyer,
responsables OAS.
Février Dissolution des SAS.
2 février Le tribunal militaire de Paris condamne le colonel
Godard et le capitaine Sergent à vingt ans de réclusion
criminelle.
7 février Attentat contre le domicile d’André Malraux blessant
grièvement la jeune Delphine Renard (4 ans) ; opération
anti-OAS en Avignon ; arrestation d’Henri Vignau.
8 février Répression sanglante d’une manifestation anti-OAS au
métro Charonne (8 morts).
11-18 février Négociations aux Rousses.
13 février 500 000 personnes suivent les obsèques des morts de
Charonne.
19 février Première condamnation des auteurs d’un attentat de
l’OAS.
22-28 février Troisième réunion du CNRA à Tripoli.
24-25 février Attentats et affrontements à Alger (66 morts).
24 février « Ratonnade » à Bab El Oued (20 morts).
28 février Attentat OAS à la voiture piégée dans la Ville-
Nouvelle, à Oran.
1er mars Émeute dans les différents quartiers musulmans d’Oran.
5-6 mars Opération « Rock and Roll » de l’OAS en Algérie.
7-18 mars Négociations à Évian.
11 mars Mesures officielles pour l’accueil et le reclassement des
Français rapatriés.
15 mars Assassinat par l’OAS de Mouloud Feraoun et de cinq
autres dirigeants des centres sociaux.
18 mars Signature des accords d’Évian ; Ahmed Ben Bella et ses
compagnons quittent Aunoy.
19 mars Cessez-le-feu à midi ; grève à l’appel de l’OAS
largement suivie à Alger et Oran ; premiers massacres
de harkis à Saint-Denis-du-Sig.

20 mars Christian Fouchet nommé haut-commissaire de France


en Algérie et Abderrahmane Farès président de
l’exécutif provisoire pour diriger l’Exécutif provisoire.
Décret proposant trois choix d’avenir aux harkis.
Attentats et violents incidents à Oran, Alger et Saint-
Denis-du-Sig.
23 mars Insurrection armée de l’OAS à Bab-el-Oued. Décret
portant amnistie des condamnés algériens.
25 mars Arrestation à Oran du général Jouhaud et de son adjoint.
26 mars Sanglante fusillade entre manifestants européens et
forces de l’ordre rue d’Isly à Alger.
27 mars Arrestation du lieutenant de vaisseau Guillaume, chef
de l’OAS en Oranie.
29 mars Installation de l’Exécutif provisoire à Rocher-Noir.
30 mars Salan crée un « Conseil national de la Résistance » en
France ; échec des commandos OAS dans l’Ouarsenis ;
Abderrahmane Farès lance un appel à la réconciliation
aux Européens.
4 avril Arrestation de l’ex-lieutenant Godot à Paris.
5 avril Dissolution des UOR.
7 avril Arrestation de Roger Degueldre des commandos Delta
de l’OAS à Alger.
8 avril Référendum en métropole, approuvant les accords
d’Évian.
10 avril Démantèlement du commando Gardes dans l’Ouarsenis.
11-13 avril Jugement et condamnation à mort du général Jouhaud
par le Haut Tribunal militaire.
12 avril Violents combats de rue à Alger.
14 avril Démission de Michel Debré. Georges Pompidou
devient Premier ministre.
16 avril Mort de Jean Amrouche.
20 avril Arrestation de Raoul Salan, chef de l’OAS, à Alger.
21-22 avril Nombreux attentats à Alger.
23 avril Massacre de harkis à Bou Alam.
27 avril Attentat contre la Délégation générale à Alger.
Mai Multiplication des attentats OAS en Algérie ;
accélération des départs des « pieds-noirs ».
1er mai Explosion atomique souterraine au Hoggar : incident
nucléaire et radiations.
2 mai Attentat de l’OAS à la voiture piégée à Alger contre les
dockers.
5 mai « Journée des femmes de ménage », visées par l’OAS ;
arrestation d’André Canal, chef OAS de la « Mission
III ».
8-10 mai Redoublement des attentats de l’OAS (83 morts).
9 mai Ben Khedda appelle les Algériens à ne pas répondre
aux provocations de l’OAS.
10 mai Les autorités françaises ouvrent les deux frontières (est
et ouest) pour permettre le retour des réfugiés.
15-23 mai Procès de Salan (condamné à la détention perpétuelle).
18 mai Le bachaga Boualam, vice-président de l’Assemblée
nationale, quitte d’Algérie et s’installe au Mas Thibert.
24 mai Publication de la note de Louis Joxe interdisant la
venue des harkis en France par Combat et La Nation
française ; ordonnance de rétablissement des libertés
publiques en Algérie.
26 mai Prise en charge des supplétifs et de leurs familles,
regroupés en Algérie et rassemblés au camp du Larzac.
28 mai-7 juin Quatrième réunion du CNRA à Tripoli : le départ de
Ben Khedda met fin aux travaux.
30 mai Création d’une Cour de justice militaire.
31 mai Trêve des attentats de l’OAS.
7 juin Rupture de la trêve des attentats et incendie de la
bibliothèque universitaire d’Alger par l’OAS.
15 juin L’hôtel de ville d’Alger est dynamité par l’OAS ;
l’hôpital Mustapha est gravement endommagé.
17 juin Accord signé entre Jean-Jacques Susini (OAS) et
Chawki Mostefaï (FLN).
23 juin Mort du général Ginestet à la suite d’un attentat de
l’OAS à Oran.
24 juin Réunion à Zemmora des wilayas de l’intérieur pour
soutenir le GPRA contre l’EMG.
25 juin Attentat et incendie du port pétrolier d’Oran par l’OAS.
27 juin Mohamed Khider démissionne du GPRA ; l’ex-général
Gardy quitte Oran.
28 juin Roger Degueldre est condamné à mort et exécuté le
6 juillet.
30 juin Destitution de l’EMG par le président du GPRA,
Benyoucef Ben Khedda.
1er juillet Référendum d’autodétermination en Algérie.
3 juillet Reconnaissance de l’indépendance par le général de
Gaulle ; arrivée du GPRA et discours de Benyoucef
Ben Khedda à Alger ; Jean-Marcel Jeanneney est
nommé ambassadeur de France à Alger.
4 juillet Recrudescence des massacres de harkis en Algérie.
5 juillet Première fête de l’indépendance en Algérie ;
manifestations et affrontements à Oran.

9 juillet Entretiens Ben Bella-GPRA à Rabat.


11 juillet Le gouvernement adopte un projet de statut des
objecteurs de conscience.
22 juillet Création du Bureau politique par le « groupe de
Tlemcen », rassemblant les partisans d’Ahmed Ben
Bella et de Houari Boumediene. Création d’un Comité
de défense et liaison de la République par leurs
opposants du « groupe de Tizi Ouzou ».
25 juillet Violente intervention de troupes de l’EMG à
Constantine et arrestation de Ben Tobbal et de
nombreux responsables FLN de la ville.
27 juillet Aït Ahmed donne sa démission du GPRA.
29 juillet Occupation d’Alger par les troupes de la Wilaya 4.
Juillet-août Massacres de harkis.
2 août Accord entre le groupe de Tlemcen et celui de Tizi
Ouzou sur l’organisation et la date des élections de la
Constituante.
4 août Installation du Bureau politique à Alger.
8 août Décret créant les cités d’accueil, les camps de transit et
les hameaux de forestage pour les anciens supplétifs et
leurs familles.
9 août Mandat d’arrêt contre Georges Bidault.
22 août Attentat de l’OAS contre le général de Gaulle au Petit-
Clamart.
27 août Le Manifeste de Bou Saâda émis par Houari
Boumediene et des officiers de l’ALN appelle le Bureau
politique à rétablir l’ordre.

30 août Proclamation de l’Armée nationale populaire (ANP) par


Houari Boumediene.
31 août Marche de l’armée des frontières et de troupes
intérieures sur Alger.
1er septembre Manifestations populaires « Sept ans, ça suffit ».
20 septembre Élections de l’Assemblée constituante. Mohammed
Boudiaf crée le Parti de la Révolution socialiste (PRS).
25 septembre Première séance de l’Assemblée constituante qui sera
présidée par Ferhat Abbas. Proclamation de la
République algérienne démocratique et populaire
(RADP).
26 septembre Ben Bella est investi chef du gouvernement.
27 septembre Formation du premier gouvernement dont un ministère
des Anciens Moudjahidines et des Victimes de la
guerre.
15 octobre Nouveaux massacres de harkis en Algérie.
29 octobre Ouverture du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise.
28 novembre Grâce d’Edmond Jouhaud et d’André Canal.
29 novembre Interdiction du PCA en Algérie.

1963
12 janvier André Mandouze est nommé directeur de
l’Enseignement supérieur et premier recteur
de l’université d’Alger.
18 janvier Abdelatif Rahal, premier ambassadeur extraordinaire et
plénipotentiaire d’Algérie auprès de la République
française. Libération de 17 Européens à Alger.
26 janvier Enlèvement à Munich de l’ex-colonel Argoud par les
services français.
4 mars Six condamnations à mort dans le procès de l’attentat
du Petit-Clamart. Opérations de déminage à la frontière
algéro-tunisienne
5 mars Remise à l’ANP de la base d’aviation d’Aïn Arnat
(Sétif)
18 mars Explosion d’une bombe atomique au Sahara suivie de
manifestations à Alger
18 et 22 mars Décret portant réglementation des biens vacants et mise
en place de leur autogestion.
21 mars L’Algérie demande la révision des accords militaires.
11 mars Jean-Marie Bastien-Thiry est fusillé.
30 mars La Fnaca adopte la date du 19 mars pour commémorer
la fin de la guerre d’Algérie.
3 avril Enquête du CICR sur les disparus en Algérie
2-3 mai De Broglie déclare le retrait des troupes françaises du
Constantinois avant la fin de l’année.
31 mai Fin de l’état d’urgence en France.
13 juin Accord entre la France et l’Algérie sur la libération de
600 prisonniers de guerre.
21 juin Constitution de l’Association France-Algérie à Paris.
Son homologue Algérie-France est créée le 26 juillet.
25 juin Rapport de la Croix-Rouge sur les harkis internés.
1 300 harkis sur les 2 500 internés souhaitent gagner la
France. Départ d’un premier contingent de 300 harkis
prévu vers Marseille.
26 juin Quatre accords signés à la suite des négociations
financières entre France et Algérie.
6 juillet Déblocage de 2 millions d’hectolitres de vins algériens
en France.
31 juillet Loi créant « un régime d’indemnisation des personnes
de nationalité française victimes de dommages
physiques subis en Algérie entre le 31 octobre 1954 et
le 29 septembre 1962 du fait d’attentat ou de tout autre
acte de violence, ainsi que de leurs ayants droit de
nationalité française ».
4 septembre Premier accord franco-algérien sur les questions
domaniales.
29 septembre Création du Front des forces socialistes (FFS) par Aït
Ahmed.
1er octobre Décret « déclarant biens d’État les exploitations
agricoles des personnes qui ne jouissent pas de la
nationalité ».
2 octobre Protestation du gouvernement français contre la
nationalisation des propriétés agricoles.

1964
24 janvier L’Assemblée nationale vote la loi sur les détenus
algériens qui obtiennent les mêmes avantages que les
anciens moudjahidines.
16 avril Congrès du FLN et adoption de la Charte d’Alger.
15 juin
Retrait définitif des troupes françaises d’Algérie (sauf à
Mers El Kébir et au Sahara).
17 décembre Vote de la première loi d’amnistie en France.
21 décembre Grâce présidentielle pour 173 anciens membres de
l’OAS.

1965
13 mai L’Organisation des anciens moudjahidines (ONM) fixe
la journée du Moudjahid au 20 août.
19 juin Coup d’État de Houari Boumediene à Alger.
28 juillet Création de l’Organisation de la résistance populaire
(ORP).
22 décembre Mesure de clémence en faveur de 203 condamnés
politiques liés à la guerre d’Algérie en France.

1966
17 juin Loi d’amnistie concernant les infractions contre la
sûreté de l’État.
13 juillet Grâce présidentielle en France, notamment pour l’ex-
général Zeller.
23 décembre Restitution à l’Algérie de « 450 registres originaux en
langue turque et arabe relatifs à l’administration de
l’Algérie avant 1830 ».
Décembre Libération d’anciens harkis détenus dans les prisons
algériennes.
20 décembre
Vote d’une loi réglant le cas des juifs des territoires
militaires du Sud algérien qui n’avaient pas été
concernés par le décret Crémieux de 1870.
23 décembre Grâce présidentielle, notamment pour l’ex-général
Challe.

1967
4 janvier Assassinat de Mohamed Khider à Madrid.
15 février Dernière expérience française dans le Sahara.
21 mai Fermeture des bases françaises dans le Sahara.
14 décembre Échec du coup d’État de Tahar Zbiri.
22 décembre Libération de six activistes condamnés, dont le général
Jouhaud.

1968
Janvier Évacuation de la base de Mers El Kébir par les
Français.
26 janvier Loi sur les archives nationales en Algérie.
Mars Nouvelles libérations d’anciens harkis détenus dans les
prisons algériennes.
14 mai Nationalisation des sociétés de distribution des produits
pétroliers et du gaz.
7 juin Grâce des membres de l’OAS.
12 juin Nationalisation des secteurs de la chimie, mécanique ;
ciment et alimentation.
24 juillet Dernière loi d’amnistie liée à la guerre d’Algérie.
27 décembre Signature d’un protocole portant le contingent de
travailleurs algériens candidats à un emploi en France à
35 000 pour une période de trois ans.

1970
15 juillet Vote d’une loi de « contribution nationale » en faveur
des rapatriés d’Algérie.
21 juillet L’Algérie augmente le prix de base du pétrole, servant
au calcul des impôts des compagnies françaises.
20 octobre Krim Belkacem est retrouvé étranglé à Francfort.
5 décembre Premières manifestations de harkis dans les camps de
Bias et de Saint-Maurice-l’Ardoise.

1971
24 février Nationalisation des hydrocarbures.
3 juin Ordonnance instituant un fonds d’archives nationales en
Algérie.
13 décembre Limitation de l’émigration algérienne à 25 000
travailleurs.

1972
Octobre Le livre La Vraie Bataille d’Alger de Jacques Massu
suscite un important débat sur la torture.
17 octobre
Le Premier ministre Pierre Messmer annonce des
mesures en faveur des « pieds-noirs ».
31 décembre Création d’une direction des Archives nationales en
Algérie.

1973
19 septembre Suspension unilatérale de l’émigration vers la France,
par le gouvernement algérien.

1974
3 juin Mort de Messali Hadj à Gouvieux dans l’Oise.
7 juin Funérailles de Messali Hadj à Tlemcen
(20 000 personnes).
2 décembre Michel Poniatowski, ministre d’État, déclare lors de sa
visite à Alger : « Il n’y a plus de contentieux entre la
France et l’Algérie. »
9 décembre Loi permettant l’attribution de la carte d’ancien
combattant aux soldats ayant participé aux combats
d’Afrique du Nord de 1952 à 1962.

1975
10 avril Valéry Giscard d’Estaing, premier président français à
se rendre en visite dans l’Algérie indépendante, restitue
450 cartons d’archives historiques faisant partie du
« fonds arabe ».
Mai-juin Révoltes dans les camps d’anciens harkis.

1976
10 décembre Houari Boumediene est élu président de la République.

1977
16 octobre Inhumation du soldat inconnu de la guerre d’Algérie à
Notre-Dame-de-Lorette à Paris.

1979
3 janvier Loi sur les archives françaises.
3 décembre Décret portant le délai de consultation de certaines
archives à soixante ans.

1981
2 novembre Séminaire d’écriture sur « l’histoire de la révolution » à
Alger.

1982
5 juillet Inauguration du Mémorial des martyrs (Maqam el
Chahid) à Alger à l’occasion du vingtième anniversaire
de l’indépendance.
3 décembre Loi « relative au règlement de certaines situations
résultant des événements d’Afrique du Nord, de la
guerre d’Indochine ou de la Seconde Guerre
mondiale ».

1983
7 novembre Premier voyage du président Chadli Bendjedid en
France.

1984
15 mai Second séminaire sur « l’histoire de la révolution » à
Alger.

1985
12 février Dans Libération, cinq Algériens accusent Jean-Marie
Le Pen de les avoir torturés en 1956-1957.
18 avril Jean-Marie Le Pen est débouté du procès qu’il a intenté.
Mai Polémique autour des essais nucléaires en Algérie.

1987
16 juillet Nouvelle loi en faveur des rapatriés comportant pour la
première fois des dispositions en faveur des anciens
harkis.

1989
18 février Création de l’Organisation nationale des enfants de
chouhada (Onec).

1991
21 décembre Loi établissant la « Journée nationale du chahid » fixée
au 18 février.

1993
22 juin La date du cessez-le-feu est déclarée fête de la Victoire.

1994
29 janvier Le ministère des Anciens Moudjahidines crée le Centre
national d’études et de recherche sur le mouvement
national et la révolution de novembre 1954.
11 juin Loi « relative aux rapatriés anciens membres des
formations supplétives et assimilés ou victimes de la
captivité en Algérie » (plan « Harkis »).
1997
8 octobre Ouverture du procès de Maurice Papon : son rôle dans
la répression du 17 octobre 1961 est longuement
rappelé.

1999
18 octobre Loi remplaçant officiellement l’expression « opérations
de maintien de l’ordre » par « guerre d’Algérie ».

2000
20 juin Témoignage de Louisette Ighilahriz dans Le Monde
relatant les tortures qu’elle a subies en 1957.
31 octobre Publication de l’« Appel des douze » dans L’Humanité
condamnant la torture dans la guerre d’Algérie.

2001
3 mai Publication du livre du général Aussaresses justifiant
les exécutions qu’il a commises.
17 octobre Inauguration d’une stèle en hommage aux victimes du
17 octobre 1961 sur le pont Saint-Michel à Paris.

2002
5 décembre Inauguration du Mémorial national de la guerre
d’Algérie sur le quai Branly en présence du président
Jacques Chirac.

2003
28 février Création d’une allocation pour les anciens supplétifs
d’origine algérienne et leurs femmes ou veuves.

2005
23 février Loi demandant notamment aux professeurs d’histoire-
géographie d’enseigner « les aspects positifs de la
colonisation », vives protestations entraînant le retrait
de l’article.
27 février L’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de
Verdière, qualifie de « tragédie inexcusable » les
massacres de mai-juin 1945 dans le Constantinois.

2008
15 juillet Nouvelle loi sur les archives portant notamment à vingt-
cinq et cinquante ans les délais de consultation, création
d’une catégorie d’archives incommunicables.

2012
17 octobre Le président François Hollande reconnaît « avec
lucidité […] la répression sanglante » de la
manifestation du 17 octobre 1961.

2013
1er février Premier arrêté de dérogation générale (ouverture avant
le délai fixé par la loi) concernant la guerre d’Algérie
(cas de Maurice Audin).

2017
15 février En campagne électorale, Emmanuel Macron qualifie en
Algérie la colonisation de « crime contre l’humanité »,
avant de se raviser.

2018
13 septembre Le président Emmanuel Macron reconnaît l’assassinat
de Maurice Audin par des militaires français.

2019
9 septembre Dérogation générale portant sur des archives relatives à
la disparition de Maurice Audin.
2020
9 avril Dérogation générale portant sur des archives relatives
aux disparus de la guerre d’Algérie.
3 juillet La France restitue 24 crânes de résistants algériens du
e
XIX siècle à l’Algérie.

24 juillet Emmanuel Macron confie à Benjamin Stora


la rédaction d’un rapport sur les mémoires de la
colonisation et de la guerre d’Algérie.

2021
20 janvier Benjamin Stora remet son rapport à Emmanuel Macron.
2 mars Reconnaissance officielle de l’assassinat d’Ali
Boumendjel par des militaires français.
20 septembre Reconnaissance d’une dette de l’État français envers les
familles de harkis parqués dans les camps après 1962.
16 octobre Minute de silence au pont de Bezons en hommage aux
victimes du 17 octobre 1961. Crimes qualifiés
d’« inexcusables pour la République ».
23 décembre Ouverture avec quinze ans d’avance des archives
judiciaires relatives à la guerre d’Algérie.

2022
26 janvier Reconnaissance de la responsabilité de la République
dans la répression de la manifestation de la rue d’Isly le
26 mars 1962.
5 février Inauguration d’une stèle en hommage à Abd el-Kader
au château d’Amboise.
23 février Loi portant reconnaissance et réparation pour les harkis
et leurs familles.
26 août Voyage du président Macron à Alger. Annonce de la
création d’une commission d’historiens français et
algériens sur la colonisation.
Bibliographie

Cette bibliographie générale comporte deux parties : ouvrages de


synthèse et collectifs ; ouvrages de recherche. En sont exclus les articles (à
l’exception de certains recueils), les autobiographies et mémoires, de même
que les ouvrages ayant un rapport trop lointain avec la période de la guerre.
Néanmoins, beaucoup de ces références se retrouvent dans les bibliographies
particulières suivant chaque notice.

OUVRAGES DE SYNTHÈSE ET COLLECTIFS


Abécassis Frédéric, Boyer Gilles, Falaize Benoît, Meynier Gilbert et
Zancarini-Fournel Michelle (dir.), La France et l’Algérie : leçons
d’histoire. De l’école en situation coloniale à l’enseignement du fait
colonial, Lyon, ENS Éditions, 2007.
Abécassis Frédéric et Meynier Gilbert (dir.), Pour une histoire franco-
algérienne. En finir avec les pressions officielles et les lobbies de
mémoire, La Découverte, 2008.
Ageron Charles-Robert, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II, 1871-
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Ageron Charles-Robert (dir.), La Guerre d’Algérie et les Algériens, Armand
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Aissaoui Rabah et Eldridge Claire (dir.), Algeria Revisited, Londres,
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Alcaraz Emmanuel, Histoire de l’Algérie et de ses mémoires, des origines
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Blanchard Emmanuel, Histoire de l’immigration algérienne en France, La
Découverte, 2018.
Bouaziz Moula, Kadri Aissa et Quemeneur Tramor (dir.), La Guerre
d’Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards, Karthala,
2015.
Bouchène Abderrahmane, Peyroulou Jean-Pierre, Siari Tengour Ouanassa et
Thénault Sylvie (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale,
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