Dictionnaire de la guerre dAlgérie
Dictionnaire de la guerre dAlgérie
Dictionnaire de la guerre dAlgérie
En couverture :
14 Juillet, collage de Jacques Villeglé, 1960. © Adagp, Paris, 2023
EAN : 978-2-38292-311-5
Titre
Copyright
Introduction
Dictionnaire
A
ABANE, Ramdane (1920-1957)
AFFAIRES
AGERON, Charles-Robert (1923-2008)
AMÉRIQUE LATINE
AMEZIANE, ferme
AMOURS ET SEXUALITÉS
AMRANE-MINNE Djamila, née Danièle Minne (1939-2017)
AMROUCHE, Jean El-Mouhoub (1906-1962)
ANARCHISME
ANCIENS COMBATTANTS (associations)
ANIMAUX
ANTICOLONIALISTES (associations)
ARMÉE DE TERRE
ARMÉE DES FRONTIÈRES
ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE
ATTENTAT DE CHÂTEAU-ROYAL
ATTENTAT DE LA RUE DE THÈBES (9 au 10 août 1956, rue Boudriès-Père-et-Fils)
ATTENTAT DU PETIT-CLAMART
ATTENTATS D'ALGER
B
BADJI, Mokhtar (1919-1954)
BANDES DESSINÉES
BANDOENG, Conférence de (18-24 avril 1955)
BARRAGES ÉLECTRIFIÉS
BARRAT, Denise (1923-1995) et Robert (1919-1976)
BATAILLE D'ALGER
BATAILLE DE L'ÉCRIT
BATAILLE DES FRONTIÈRES
BATAILLE DU RAIL
BEAUFRE, général André (1902-1975)
BLED (LE)
BLEUÏTE
BLINDÉS
BOLLARDIÈRE, général Jacques Pâris de (1907-1986)
BOYCOTT
BOYER-BANSE, Louis (1879-1964)
CATHOLICISME
CAUSES DE LA GUERRE
CENSURE
CENTRE D'IDENTIFICATION DE VINCENNES (CIV)
CHAHID (martyr)
CHALLE, Maurice (1905-1979)
CHANSON ALGÉRIENNE
CHANSON FRANÇAISE
CHANTS DE LA GUERRE D'INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
CHEMINOTS (Algérie)
CHERGUI, Brahim, dit Si H'mida (1922-2016)
COMITÉ DE VINCENNES
COMITÉ INTERMOUVEMENTS AUPRÈS DES ÉVACUÉS (Cimade)
COMMANDOS
COMMANDOS NOIRS
COMMÉMORATIONS EN ALGÉRIE
COMMÉMORATIONS FRANÇAISES
COMMISSION DE SAUVEGARDE DES DROITS ET LIBERTÉS INDIVIDUELS
COMPAGNIES SAHARIENNES
CONDAMNATIONS À MORT
CONFÉRENCES AFRICAINES
CONFÉRENCES MAGHRÉBINES (Tanger, 27-30 avril 1958 ; Tunis, 16-20 juin 1958)
CORVÉE DE BOIS
COUR DE SÛRETÉ DE L'ÉTAT
D
2e BUREAU
DELAVIGNETTE, Rapport
DELOUVRIER, Paul (1914-1995)
DÉMOGRAPHIE
DÉSERTEUR (LE), de Boris Vian
DÉVOILEMENT
DGHINE, Benali, dit colonel Lotfi, Si Brahim (1934-1960)
DISPARITIONS
DISPOSITIF DE PROTECTION URBAINE (DPU)
DOCKERS
DOUBLE COLLÈGE
DRAPEAU ALGÉRIEN
DRIF, Zohra (née en 1934)
E
ÉCHO D'ALGER (L') (1912-1961)
ÉCOLES
ÉDITION, ÉDITEURS
ÉGYPTE
EMBUSCADES ET BATAILLES
ÉMIGRATION, IMMIGRATION
ENFANCES ALGÉRIENNES
ÉTAT D'URGENCE
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL (EMG)
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE
ÉTUDIANTS EN FRANCE
ÉVASIONS (France)
ÉVIAN, Accords d'
EXÉCUTIF PROVISOIRE
EXÉCUTIONS SOMMAIRES
F
FANON, Frantz (1925-1961)
FAURE, Gratien (1885-?)
FEMMES ET FLN
FERAOUN, Mouloud (1913-1962)
FUNÉRAILLES EN ALGÉRIE
FUNÉRAILLES EN FRANCE
GÉGÈNE
GENDARMERIE
GÉNÉRATION
GENÈVE, Conventions de
GENRE ET GUERRE
GRÈVES EN ALGÉRIE
GRÈVES EN FRANCE
GUÉRILLA
GUERRE DES MÉMOIRES (LA)
GUERRE FLN-MNA
GUERRE FROIDE
GUERRE NON CONVENTIONNELLE
GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE
GUERROUDJ, Abdelkader (1928-2020) et Jacqueline (1919-2015)
H
HADJ, Messali (1898-1974)
« HARKIS À PARIS »
HARKIS (associations)
HARKIS (camps)
HARKIS (massacres)
HARKIS (mémoires)
HARKIS (politiques publiques)
HARKIS (rapatriement)
HAROUN, Ali (né en 1927)
HUMANITÉ (L')
HURST, Jean-Louis dit Maurienne (1935-2014)
I
IGHILAHRIZ, Louisette (née en 1936)
INDOCHINE, Guerre d'
INDUSTRIE
INSTITUTIONS DE L'ALGÉRIE
ISRAËL
ISSIAKHEM, M'hamed (1928-1985)
ITALIE
IVETON, Fernand (1926-1957)
J
JAUFFRET, Jean-Charles (né en 1949)
JEANSON, Francis (1922-2009)
JEUNE NATION
JOSPIN, Lionel (né en 1937)
K
KADDACHE, Mahfoud (1921-2006)
L
LA POINTE, Ali (1930-1957)
LAMOURI, Complot
LE PEN, Jean-Marie (né en 1928)
LÉGION ÉTRANGÈRE
LENNUYEUX, général Marcel (1908-1994)
LIGUE ARABE
LIGUE DES DROITS DE L'HOMME (LDH)
LILLE
LINDON, Jérôme (1925-2001)
LITTÉRATURE D'EXPRESSION ARABE EN ALGÉRIE, 1920-1962
MAGISTRATS
MAHSAS, Ahmed, dit Ali (1923-2013)
MAIREY, Rapport
MAMMERI, Mouloud (1917-1989)
MANIFESTATIONS (France)
MANIFESTATIONS DE MAI 1945
MANIFESTATIONS DU MNA
MANIFESTATIONS FRANÇAISES D'ALGÉRIE
MANIFESTES
MAROC
MARSEILLE
MELOUZA-BENI ILLEMANE
MÉMORIAL NATIONAL DE LA GUERRE D'ALGÉRIE
MONDE COMMUNISTE
MONDE OCCIDENTAL
MONTLUC
MONUMENTS AUX MARTYRS EN ALGÉRIE
MOUDJAHID
MOUDJAHIDA
MUSÉES DU MOUDJAHID
N
NATIONALITÉ
NATIONS, NATIONALISMES
NATURE, ENVIRONNEMENT
NÉGOCIATIONS
O
OFFICE DE RADIODIFFUSION-TÉLÉVISION FRANÇAISE (ORTF)
OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)
P
1er NOVEMBRE 1954
PACIFICATION
PALESTRO
PARTI RADICAL
PARTI SOCIALISTE UNIFIÉ (PSU)
PATIN, Maurice (1895-1962)
PAYS-BAS
PERVILLÉ, Guy (né en 1948)
PHOTOGRAPHIE
PIEDS-NOIRS
PIEDS-NOIRS (associations)
PIEDS-NOIRS (mémoires)
PIEDS-ROUGES
POLICE (France)
POLITIQUES PUBLIQUES DE LA MÉMOIRE EN FRANCE
POLOGNE
PORTEURS DE VALISES ET SOUTIENS AUX ALGÉRIENS
POSTCOLONIALES, Études
POSTMÉMOIRES
POUJADISTES
POUVOIRS SPÉCIAUX
PRADO, Affaire du
PRÉFETS ET IGAME
PRESSE ALGÉRIENNE DE GUERRE
PRISONNIERS
PRISONS (Algérie)
PRISONS (France)
PROTESTANTISME
PUTSCH DES GÉNÉRAUX (avril 1961)
Q
QASSAMAN
R
RACISME COLONIAL ET POSTCOLONIAL
RADIOS DU FLN
RADIOS FRANCOPHONES
RAPATRIEMENT
RAPATRIÉS (politiques publiques)
RASSEMBLEMENT POUR L'ALGÉRIE FRANÇAISE (RAF)
RATONNADES
REBÉRIOUX, Madeleine (1920-2005)
RÉPUBLIQUE, Ve
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLEMANDE (RDA)
« RÉSURRECTION », Opération
RÉVOLUTION AFRICAINE
REVUES
ROCARD, Rapport
SANTÉ
SARKOZY, Nicolas (né en 1955)
SPORTS EN ALGÉRIE
STATUT DE 1947
STEINER FIORIO, Annie (1928-2021)
SUEZ, Expédition de
SUISSE
T
13 MAI 1958
TCHÉCOSLOVAQUIE
TÉMOIGNAGES (Algérie)
TÉMOIGNAGES (France)
TERRITOIRES DU SUD
THÉÂTRE (Algérie)
THÉÂTRE (France)
TILLION, Germaine (1907-2008)
TRAVAIL ET CHÔMAGE
TRÊVE CIVILE (L'APPEL POUR UNE)
TROTSKISTES
TROUPES DE RÉSERVE GÉNÉRALE
TROUPES DE SECTEUR
TUNISIE
U
UNION DÉMOCRATIQUE DU MANIFESTE ALGÉRIEN (UDMA)
V
« 22 », LES
WILAYA 2 (Nord-Constantinois)
WILAYA 3 (Kabylie)
WILAYA 4 (Algérois)
WILAYA 5 (Oranie)
WILAYA 6 (Sahara)
WUILLAUME, Rapport
Y
YOUGOSLAVIE
Z
ZONES INTERDITES
ZOULIKHA, Oudaï (ECHAÏB, Yamina) (1911-1957)
Cartes
Chronologie
Bibliographie
Introduction
A
ABANE, Ramdane (1920-1957)
ABBAS, Ferhat (1899-1985)
ABIDI, Mohammed Tahar, dit Hadj Lakhdar (1914 ou 1916-1998)
ACCRA, conférence d’
ACTION CIVIQUE NON VIOLENTE (ACNV)
ACTION PSYCHOLOGIQUE
ACTION SOCIALE ET ÉDUCATIVE
ACTIVISME ALGÉRIE FRANÇAISE
ADAMS, Dennis (né en 1948)
ADJOUL, Adjel (1922-1993)
AFFAIRES
AGERON, Charles-Robert (1923- 2008)
AGOUNENDA, Bataille d’ (22 au 23 mai 1957)
AGRICULTURE
AILLERET, général Charles (1907-1968)
AÏT AHMED, Hocine (1926-2015)
AÏT HAMOUDA, Amirouche (1926-1959)
ALGER RÉPUBLICAIN
ALLARD, général Jacques (1903-1995)
ALLEG, Henri (1921-2013)
AMÉRIQUE LATINE
AMEZIANE, ferme
AMIS DU MANIFESTE ET DE LA LIBERTÉ (LES)
AMNISTIE (Lois d’)
AMOURS ET SEXUALITÉS
AMRANE-MINNE, Djamila (1939-2017)
AMROUCHE, Jean El-Mouhoub (1906-1962)
ANARCHISME
ANCIENS COMBATTANTS (associations)
ANCIENS COMBATTANTS (statut)
ANCIENS MOUDJAHIDINES (anciens combattants)
ANIMAUX
ANTICOLONIALISTES (associations)
« APPEL DES DOUZE »
APPELÉS DU CONTINGENT
APPELÉS DU CONTINGENT (mémoires)
ARCHIVES PRIVÉES
ARCHIVES PUBLIQUES EN ALGÉRIE
ARCHIVES PUBLIQUES EN FRANCE
ARGOT MILITAIRE
ARGOUD, colonel Antoine (1914-2004)
ARMÉE DE L’AIR
ARMÉE DE LIBÉRATION NATIONALE (ALN)
ARMÉE DE MER, MARINE
ARMÉE DE TERRE
ARMÉE DES FRONTIÈRES
ARMÉE FRANÇAISE ET POLITIQUE
ARMÉE NATIONALE POPULAIRE (ANP)
ART (HISTORIOGRAPHIE DE L’)
ARTISTES PEINTRES
ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE
ASSOCIATION DES ULÉMAS MUSULMANS ALGÉRIENS (AUMA)
ASSOCIATION GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS D’ALGÉRIE (Agea)
ATTENTAT AU BAZOOKA
ATTENTAT DE CHÂTEAU-ROYAL
ATTENTAT DE LA RUE DE THÈBES (9 au 10 août 1956, rue Boudriès
père et fils)
ATTENTAT DU PETIT-CLAMART
ATTENTATS D’ALGER
ATTENTATS DE L’OAS EN ALGÉRIE
ATTENTATS DE L’OAS EN FRANCE
ATTENTATS DU FLN EN FRANCE
AUDIN, Josette (1931-2019)
AUDIN, Maurice (1932-1957)
AUSSARESSES (Affaire)
AUSSARESSES, général Paul (1918-2013)
AUTODÉTERMINATION (Discours sur l’)
AVIATION LÉGÈRE DE L’ARMÉE DE TERRE (ALAT)
AVOCATS, Collectifs d’
AZZEDINE, commandant (né en 1934)
B
BADJI, Mokhtar (1919-1954)
BANDES DESSINÉES
BANDOENG, Conférence de (18-24 avril 1955)
BARBEROT, colonel Roger (1915-2002)
BARBOUZES
BARRAGES ÉLECTRIFIÉS
BARRAT, Denise (1923-1995) et Robert (1919-1976)
BARRICADES, Semaine des (24 janvier-1er février 1960)
BATAILLE
BATAILLE D’ALGER
BATAILLE DE L’ÉCRIT
BATAILLE DES FRONTIÈRES
BATAILLE DU RAIL
BEAUFRE, général André (1902-1975)
BEAUVOIR, Simone de (1908-1986)
BELGIQUE
BELHADDAD, Mohand Mahdi (1918-1978)
BELHADJ DJILALI, Abdelkader (1921-1958)
BELLOUNIS, Mohammed (1912-1958)
BEN ABDERREZAK HAMOUDA, Ahmed, dit Si El Haouès (1923-1959)
BEN ALLA, Hadj, dit Si Bouzid, Monsieur Henri (1925-2009)
BEN BELLA, Ahmed (1916-2012)
BEN BOUALI, Hassiba (1938-1957)
BEN BOULAID, Mostefa (1917-1956)
BEN KHEDDA, Benyoucef (1920-2003)
BEN M’HIDI, Larbi, dit Si Mohammed, El Hakim (1923-1957)
BENABDELMALEK, Ramdane dit Si Abdallah (1928-1954)
BENCHERIF, Ahmed (1927-2018)
BENDJELLOUL, Mohammed Salah (1893-1985)
BENOIST, Clara (1930) et Henri (1926)
BENTOBBAL, Slimane, dit Si Lakhdar, Si Mahmoud, Si Abdallah (1923-
2010)
BENZEKRI, Isa (1928-2017)
BENZINE, Abdelhamid (1926-2003)
BIGEARD, général Marcel (1916-2010)
BILAN HUMAIN
BILLOTTE, général Pierre (1906-1992)
BITAT, Rabah (1925-2000)
BITTERLIN, Lucien (1932-2017)
BIZERTE, Crise de
BLACHETTE, Georges (1900-1980)
BLED (LE)
BLEUÏTE
BLINDÉS
BOLLARDIÈRE, général Jacques Pâris de (1907-1986)
BONNAUD, Robert (1929-2013)
BORDEL MILITAIRE DE CAMPAGNE (BMC)
BORGEAUD, Henri (1895-1964)
BOUALAM, bachaga Saïd (1906-1982)
BOUATTOURA, Meriem, dite Yasmina (1938-1960)
BOUAZIZ, Rabah, dit Saïd (1928-2009)
BOUBNIDER, Salah, dit Saout el Arab (1929-2005)
BOUDAOUD, Omar (1924-2020)
BOUDIAF, Mohamed, dit Si Tayeb, Si Smaïn (1919-1992)
BOUGARA, Ahmed, dit Si M’hamed (1928-1959)
BOUGLEZ, Amara (1922-1995)
BOUHIRED, Djamila (née en 1935)
BOUMEDIENE, Houari (1932-1978)
BOUMENDJEL, Ahmed (1908-1982)
BOUMENDJEL, Ali (1919-1957)
BOUNAÂMA, Djilali, dit Si Mohamed (1926-1961)
BOUPACHA, Djamila (née en 1938)
BOURDET, Claude (1909-1996)
BOURDIEU, Pierre (1930-2002)
BOUREGAÂ, Lakhdar (1933-2020)
BOURGES, Hervé (1933-2020)
BOURGÈS-MAUNOURY, Maurice (1914-1993)
BOUSSOUF, Abdelhafid, dit Si Mabrouk (1926-1980)
BOUTEFLIKA, Abdelaziz (1937-2021)
BOYCOTT
BOYER-BANSE, Louis (1879-1964)
BUIS, général Georges (1912-1998)
C
5 JUILLET 1961, Manifestations du
5 JUILLET 1962 (Algérie)
5 JUILLET 1962 (Oran)
CAMPS D’INTERNEMENT
CAMUS, Albert (1913-1960)
CARLIER, Omar (1943-2021)
CARTERON, abbé Albert (1912-1992)
CATHOLICISME
CAUSES DE LA GUERRE
CENSURE
CENTRE D’IDENTIFICATION DE VINCENNES (CIV)
CENTRE D’INSTRUCTION PACIFICATION ET CONTRE-GUÉRILLA
(CIPCG)
CENTRE DE RENSEIGNEMENT ET D’OPÉRATIONS
DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL (CROGG)
CENTRES D’HÉBERGEMENT (CH)
CENTRES DE RENSEIGNEMENT ET D’ACTION (CRA)
CENTRES DE TRI ET DE TRANSIT (ou centres de triage et de transit)
CENTRES MILITAIRES D’INTERNÉS (CMI)
CENTRES SOCIAUX ÉDUCATIFS (CSE)
CHAÂBANI, Mohamed (1934-1964)
CHALLE, Maurice (1905-1979)
CHAHID (« martyr »)
CHANSON ALGÉRIENNE
CHANSON FRANÇAISE
CHANTS DE LA GUERRE D’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
CHARONNE, Manifestation de (Paris, 8 février 1962)
CHARONNE (mémoire)
CHAULET, Claudine (1931-2015) et Pierre (1930-2012)
CHELALLI, Khedidja (1938-1957)
CHEMINOTS (Algérie)
CHERGUI, Brahim, dit Si H’mida (1922-2016)
CHERIF, Mahmoud (1911-1987)
CHERRIÈRE, Paul (1895-1965)
CHEVALLIER, Jacques (1911-1971)
CHEVÈNEMENT, Jean-Pierre (né en 1939)
CHIHANI, Bachir, dit Si Messaoud (1929-1955)
CHINE, République populaire de
CHIRAC, Jacques (1932-2019)
CINÉMA (naissance en Algérie coloniale et indépendante)
CINÉMA ET GUERRE D’ALGÉRIE (France)
CINÉMA ET GUERRE D’INDÉPENDANCE (Algérie)
COLONS
COMBATTANTS DE LA LIBÉRATION (CDL)
COMITÉ DE COORDINATION ET D’EXÉCUTION (CCE)
COMITÉ DE VINCENNES
COMITÉ INTERMOUVEMENTS AUPRÈS DES ÉVACUÉS (Cimade)
COMITÉ INTERNATIONAL DE LA CROIX-ROUGE (CICR)
COMITÉS ET PÉTITIONS
COMMANDOS
COMMANDOS NOIRS
COMMÉMORATIONS EN ALGÉRIE
COMMÉMORATIONS FRANÇAISES
COMMISSION DE SAUVEGARDE DES DROITS ET LIBERTÉS
INDIVIDUELS
COMMISSION INTERNATIONALE CONTRE LE RÉGIME
CONCENTRATIONNAIRE
COMMISSIONS MIXTES DE CESSEZ-LE-FEU
COMPAGNIES SAHARIENNES
CONDAMNATIONS À MORT
CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS
(CFTC)
CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL (CGT)
CONFÉRENCES AFRICAINES
CONFÉRENCES MAGHRÉBINES
CONSEIL NATIONAL DE LA RÉVOLUTION ALGÉRIENNE (CNRA)
CONSTANTINE, Plan de
COOPÉRATION
CORVÉE DE BOIS
COUR DE SÛRETÉ DE L’ÉTAT
COURRIÈRE, Yves (1935-2012)
COÛT DE LA GUERRE
CRÉPIN, général Jean (1908-1996)
CRIME CONTRE L’HUMANITÉ
CRISE DE L’ÉTÉ 1962
CRISES ET DISSIDENCES AU SEIN DU FLN-ALN
CROISSANT-ROUGE ALGÉRIEN (CRA)
CURIEL, Henri (1914-1978)
D
2e BUREAU
10e DIVISION PARACHUTISTE
17 OCTOBRE 1961
17 OCTOBRE 1961 (mémoire)
19 MARS 1962 (mémoire)
DAHLAB, Saâd (1918-2000)
DAVEZIES, Robert (1923-2007)
DEBRÉ, Michel (1912-1996)
DEGUELDRE, Roger (1925-1962)
DEHILÈS, Slimane, dit colonel Sadek (1920-2011)
DELAVIGNETTE, Rapport
DELOUVRIER, Paul (1914-1995)
DÉMOGRAPHIE
DÉSERTEUR (LE), de Boris Vian
DÉSERTEURS DE L’ARMÉE FRANÇAISE (DAF)
DÉTACHEMENTS OPÉRATIONNELS DE PROTECTION (DOP)
DÉTOURNEMENT DE L’AVION DU FLN (22 octobre 1956)
DÉVOILEMENT
DGHINE, Benali, dit colonel Lotfi, Si Brahim (1934-1960)
DIB, Mohammed (1920-2003)
DIDOUCHE, Mourad, dit Si Abdelkader (1927-1955)
DISPARITIONS
DISPOSITIF DE PROTECTION URBAINE (DPU)
DIX COLONELS DE L’ALN, Réunion des
DJAMILA (icône)
DOCKERS
DOUBLE COLLÈGE
DRAPEAU ALGÉRIEN
DRIF, Zohra (née en 1934)
DUCOURNAU, général Paul (1910-1985)
DUVAL, monseigneur Léon-Étienne, (1903-1996)
E
ÉCHO D’ALGER (L’) (1912-1961)
ÉCOLES
ÉDITION, ÉDITEURS
ÉGYPTE
EL IBRAHIMI, Mohamed El Bachir (1889-1965)
EL KHATTABI, Abdelkrim (1882-1963)
EL MADANI, Ahmed Tewfik (1899-1983)
ÉLECTIONS EN ALGÉRIE (1945-1962)
ELSENHANS, Hartmut (né en 1941)
ÉLY, général Paul (1897-1975)
EMBUSCADES ET BATAILLES
ÉMIGRATION, IMMIGRATION
ENFANCES ALGÉRIENNES
ENTRÉE DES TROUPES DE L’ÉTAT-MAJOR À CONSTANTINE
(25 juillet 1962)
ENTREPRISES (GRANDES)
ÉQUIPES MÉDICO-SOCIALES ITINÉRANTES (EMSI)
ESSAIS NUCLÉAIRES
ÉTAT D’URGENCE
ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL (EMG)
ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
ÉTUDIANTS EN FRANCE
ÉTUDIANTS MUSULMANS ALGÉRIENS
ÉVASIONS (Algérie)
ÉVASIONS (France)
ÉVIAN, Accords d’
EXÉCUTIF PROVISOIRE
EXÉCUTIONS SOMMAIRES
F
FANON, Frantz (1925-1961)
FAURE, Gratien (1885- ?)
FAURE, général Jacques (1904-1988)
FAVRELIÈRE, Noël (1934-2017)
FÉDÉRATION DE FRANCE DU FLN
FÉDÉRATION DE L’ÉDUCATION NATIONALE (FEN)
FEMMES ET FLN
FERAOUN, Mouloud (1913-1962)
FERRANDEZ, Jacques (1955)
FIGARO (LE)
FILALI, Embareck, dit Abdallah (1913-1957)
FINANCES DU FLN
FLAMENT, Marc (1929-1991)
FOOTBALL (équipe du FLN)
FORCE LOCALE
FORCE OUVRIÈRE (FO)
FORGET, Nelly (née en 1929)
FOUCHET, Christian (1911-1974)
FRÉMEAUX, Jacques (né en 1949)
FREY, Roger (1913-1997)
FROGER, Amédée (1882-1956)
FRONT ALGÉRIEN D’ACTION DÉMOCRATIQUE (FAAD)
FRONT DE L’ALGÉRIE FRANÇAISE (FAF)
FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE (FLN), 1954-1962
FRONT RÉPUBLICAIN
FUNÉRAILLES EN ALGÉRIE
FUNÉRAILLES EN FRANCE
FUSILLADE DE LA RUE D’ISLY (26 MARS 1962)
G
GAILLARD, Félix (1919-1970)
GALLISSOT, René (1934)
GALULA, lieutenant-colonel David (1919-1967)
GAMBIEZ, général Fernand (1903-1989)
GARANGER, Marc (1935-2020)
GARDES, colonel Jean (1914-2000)
GARNE, Affaire Mohamed
GAULLE, général Charles de (1890-1970)
GAVOURY, Roger (1911-1961)
GÉGÈNE
GENDARMERIE
GÉNÉRATION
GENÈVE, Conventions de
GENRE ET GUERRE
GÉOGRAPHIE DE LA GUERRE (1954-1962)
GEORGOPOULOS, Athanase Constantin, dit Tassou (né en 1927)
GISCARD D’ESTAING, Valéry (1926-2020)
GODARD, colonel Yves (1911-1975)
GOURAUD, général Michel (1905- ?)
GOUVERNEMENT GÉNÉRAL
GOUVERNEMENT PROVISOIRE DE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE
(GPRA), 1958-1962
GRÈVE DES HUIT JOURS
GRÈVES EN ALGÉRIE
GRÈVES EN FRANCE
GUÉRILLA
GUERRE DES MÉMOIRES (LA)
GUERRE FLN-MNA
GUERRE FROIDE
GUERRE NON CONVENTIONNELLE
GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE
GUERROUDJ, Abdelkader (1928-2020) et Jacqueline (1919-2015)
H
HADJ, Messali (1898-1974)
HADJ ALI, Bachir (1920-1991)
HADJERÈS, Sadek (1928-2022)
HALIMI, Gisèle (1927-2020)
HAMAÏDIA, Tahar, dit capitaine Zoubir (1931-1960)
HAMIDOU, Maliha dite Rachida (1942-1959)
HAMOUD LALIAM, Nefissa (1924-2002)
HARBI, Mohammed (né en 1933)
« HARKIS À PARIS »
HARKIS (associations)
HARKIS (camps)
HARKIS (massacres)
HARKIS (mémoires)
HARKIS (politiques publiques)
HARKIS (rapatriement)
HAROUN, Ali (né en 1927)
HERVO, Monique (née en 1929)
HOCINE, Baya (1940-2000)
HOLLANDE, François (né en 1954)
HONGRIE
HUMANITÉ (L’)
HURST, Jean-Louis (1935-2014)
I
IGHILAHRIZ, Louisette (née en 1936)
INDOCHINE, Guerre d’
INDUSTRIE
INSTITUTIONS DE L’ALGÉRIE
INSURRECTION DU 20 AOÛT 1955
INTERNATIONALISATION
ISRAËL
ISSIAKHEM, M’hamed (1928-1985)
ITALIE
IVETON, Fernand (1926-1957)
J
JAUFFRET, Jean-Charles (né en 1949)
JEANSON, Francis (1922-2009)
JEUNE NATION
JOSPIN, Lionel (né en 1937)
JOUHAUD, général Edmond (1905-1995)
JOURNAL DES MARCHES ET OPÉRATIONS
JOXE, Louis (1901-1991)
JUIFS D’ALGÉRIE
JUIN, maréchal Alphonse (1888-1967)
JUSTICE MILITAIRE
K
KADDACHE, Mahfoud (1921-2006)
KAFI, Ali (1928-2013)
KAGAN, Élie (1928-1999)
KATEB, Yacine (1929-1989)
KATZ, général Joseph (1907-2001)
KHATIB, Youcef, dit Hassan
KHEIREDDINE, Mohamed (1902-1993)
KHIDER, Mohamed (1912-1967)
KHODJA, Ali (1933-1956)
KRIM, Belkacem (1922-1970)
L
LA POINTE, Ali (1930-1957)
LABAN, Maurice (1914-1956)
LACHERAF, Mostefa (1917-2007)
LACHEROY, colonel Charles (1906-2005)
LACOSTE, Robert (1898-1989)
LADLANI, Amar dit Kaddour (1925-2004)
LAGAILLARDE, Pierre (1931-2014)
LAGHROUR, Abbès (1926-1957)
LAKHDARI, Samia (1934-2012)
LAMBERT, Pierre (1901-1973)
LAMOURI, Complot
LE PEN, Jean-Marie (né en 1928)
LEFEUVRE, Daniel (1951-2013)
LÉGER, commandant Paul-Alain (1922-1999)
LÉGION ÉTRANGÈRE
LENNUYEUX, général Marcel (1908-1994)
LÉONARD, Roger (1898-1987)
LIBÉRAUX D’ALGÉRIE
LIECHTI, Alban (NÉ EN 1935)
LIEUX DE MÉMOIRE (France)
LIGUE ARABE
LIGUE DES DROITS DE L’HOMME (LDH)
LILLE
LINDON, Jérôme (1925-2001)
LITTÉRATURE D’EXPRESSION ARABE EN ALGÉRIE, 1920-1962
LITTÉRATURE D’EXPRESSION FRANÇAISE EN ALGÉRIE
LITTÉRATURE ET GUERRE (France, après-guerre)
LOGEMENT ET GUERRE EN ALGÉRIE
LOGEMENT ET GUERRE EN MÉTROPOLE
LOI-CADRE SUR L’ALGÉRIE
LOI DU 18 OCTOBRE 1999
LOI DU 23 FÉVRIER 2005
LORILLOT, général Henri (1901-1985)
LOUP, Eliette (née en 1934)
LYON
M
MACRON, Emmanuel (né en 1977)
« MAGHREB CIRCUS » (LE)
MAGISTRATS
MAHSAS, Ahmed, dit Ali (1923-2013)
MAILLOT, Henri (1928-1956)
MAIRES (Algérie)
MAIREY, Rapport
MAMMERI, Mouloud (1917-1989)
MANDOUZE, André (1916-2006)
MANIFESTATION DE POLICIERS (13 mars 1958)
MANIFESTATIONS (France)
MANIFESTATIONS DE MAI 1945
MANIFESTATIONS DE DÉCEMBRE 1960
MANIFESTATIONS DE RAPPELÉS
MANIFESTATIONS DU MNA
MANIFESTATIONS FRANÇAISES D’ALGÉRIE
MANIFESTES
MAROC
MARSEILLE
MARTINET, Gilles (1916-2006)
MASCHINO, Maurice Tarik (1931-2021)
MASPERO, François (1932-2015)
MASPÉTIOL, Rapport
MASSIGNON, Louis (1883-1962)
MASSU, général Jacques (1908-2002)
MASSU, Suzanne (1907-1977)
MAURIAC, François (1885-1970)
MEDDAD, Ourida (1938-1957)
MELOUZA-BENI ILLEMANE
MÉMORIAL NATIONAL DE LA GUERRE D’ALGÉRIE
MENDÈS FRANCE, Pierre (1907-1982)
MESLI, Choukri (1931-2017)
MESSMER, Pierre (1913-2007)
METAÏCHE, Abdelkader, dit commandant Jabeur (1928-1958)
MEYNIER, Gilbert (1942-2017)
MICHELET, Edmond (1899-1970)
MICHELETTI, Claude (1936-2004)
MINES
MIRA, Abderrahmane (1922-1959)
MISSION DE FRANCE
MITTERAND, François (1916-1996)
MOHAMMEDI, Saïd, dit colonel Si Nasser (1912-1994)
MOINE, André (1909-1994) et Blanche (1913-1983)
MOLLET, Guy (1905-1975)
MONDE (LE)
MONDE COMMUNISTE
MONDE OCCIDENTAL
MONNEROT, Guy (1931-1954)
MONTEIL, Vincent (1913-2005)
MONTLUC
MONUMENTS AUX MARTYRS EN ALGÉRIE
MONUMENTS AUX MORTS (France)
MORIN, Edgar (né en 1921)
MORIN, Jean (1916-2008)
MOSTEFAÏ-SUSINI, Accord
MOTION DES 61
MOUDJAHID
MOUDJAHIDA (Algérie et France)
MOUEDDEN, Attou (1921-2011)
MOUVEMENT NATIONAL ALGÉRIEN (MNA)
MOUVEMENT POPULAIRE DU 13 MAI (MP 13)
MOUVEMENT RÉPUBLICAIN POPULAIRE (MRP)
MUSÉES DU MOUDJAHID
N
NATIONALITÉ
NATIONS, NATIONALISMES
NATURE, ENVIRONNEMENT
NÉGOCIATIONS
NEMICHE, Djelloul, dit capitaine Bakhti (1922-1992)
NOSTALGÉRIE
O
OFFICE DE RADIODIFFUSION-TÉLÉVISION FRANÇAISE (ORTF)
OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)
« OISEAU BLEU », Opérations
OLIÉ, général Jean (1904-2003)
OPINION PUBLIQUE (Algérie)
OPINION PUBLIQUE (France)
« ORANGE AMÈRE », Opération
ORGANISATION ARMÉE SECRÈTE (OAS)
ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE DE L’AFRIQUE FRANÇAISE
(Oraf)
ORGANISATION DES NATIONS UNIES (ONU)
ORGANISATION SPÉCIALE (OS)
ORTIZ, Joseph (1917-1995)
OUAMRANE, Amar (1919-1992)
OULD KABLIA, Zoubida, dite ZOUBIDA (1934-1958)
OULHADJ, Mohand (Mokrane Akli, dit) (1911-1972)
OUSSEDIK, Mourad (1926-2005)
OUZEGANE, Amar (1910-1981)
P
1er NOVEMBRE 1954
PACIFICATION
PALESTRO
PAPON, Maurice (1910-2007)
PARACHUTISTES
PARLANGE, Gaston (1897-1972)
PARTI COMMUNISTE ALGÉRIEN (PCA)
PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS (PCF)
PARTI DU PEUPLE ALGÉRIEN (PPA)/MOUVEMENT POUR LE
TRIOMPHE DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES (MTLD)
PARTI RADICAL
PARTI SOCIALISTE UNIFIÉ (PSU)
PATIN, Maurice (1895-1962)
PAYS-BAS
PERVILLÉ, Guy (né en 1948)
PESCHARD, Raymonde (1927-1957)
PÉTROLE
PFLIMLIN, Pierre (1907-2000)
PHILATÉLIE
PHOTOGRAPHIE
PIEDS-NOIRS
PIEDS-NOIRS (associations)
PIEDS-NOIRS (mémoires)
PIEDS-ROUGES
PIGNON-ERNEST, Ernest (né en 1942)
PLAN CHALLE
PLAN CHALLE. Opérations « Couronne »
PLAN CHALLE. Opérations « Courroie » et « Cigale »
PLAN CHALLE. Opérations « Étincelles » et « Flammèches »
PLAN CHALLE. Opération « Jumelles »
PLAN CHALLE. Opération « Pierres précieuses »
PLAN CHALLE. Opération « Prométhée »
PLAN CHALLE. Opération « Trident »
POLICE (Algérie)
POLICE (France)
POLITIQUES PUBLIQUES DE LA MÉMOIRE EN FRANCE
POLOGNE
PORTEURS DE VALISES ET SOUTIENS AUX ALGÉRIENS
POSTCOLONIALES, Études
POSTMÉMOIRES
POUJADISTES
POUVOIRS SPÉCIAUX
PRADO, Affaire du
PRÉFETS ET IGAME
PRESSE ALGÉRIENNE DE GUERRE
PRESSE CLANDESTINE (France)
PRESSE EN FRANCE
PRESSE FRANCOPHONE EN ALGÉRIE
PRESSE MNA
PRISONNIERS
PRISONS (Algérie)
PRISONS (France)
PROCÈS DES MEMBRES DE L’OAS
PROGRAMMES SCOLAIRES (Algérie)
PROGRAMMES SCOLAIRES (France)
PROPAGANDE
PROTESTANTISME
PUTSCH DES GÉNÉRAUX (avril 1961)
Q
QASSAMAN
R
RACISME COLONIAL ET POSTCOLONIAL
RADIOS DU FLN
RADIOS FRANCOPHONES
RAFFINI, Georges (1916-1955)
RAFLES EN ALGÉRIE
RAPATRIEMENT
RAPATRIÉS (politiques publiques)
RASSEMBLEMENT POUR L’ALGÉRIE FRANÇAISE (RAF)
RATONNADES
REBÉRIOUX, Madeleine (1920-2005)
REDDITIONS ET RALLIEMENTS EN ALGÉRIE
RÉÉDUCATION
RÉFÉRENDUMS (autodétermination, accords d’Évian, indépendance)
RÉFRACTAIRES FRANÇAIS
RÉFRACTAIRES ET « PORTEURS DE VALISES » (mémoires)
RÉFUGIÉS ALGÉRIENS
RÉGIONALISME ET NATIONALISME (France)
REGROUPEMENT (Camps de)
REPENTANCE
RÉPRESSION DES COMMUNISTES ALGÉRIENS
RÉPUBLIQUE, IVe
RÉPUBLIQUE, Ve
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE ALLEMANDE (RDA)
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE (RFA)
RÉSISTANCE ET GUERRE D’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
« RÉSURRECTION », Opération
RÉVOLUTION AFRICAINE
REVUES
ROCARD, Rapport
ROY, Jules (1907-2000)
S
SAADANE, Meriem (1932-1958) et Fadila (1938-1960)
SAADI, Yacef, dit Djaffar (1928-2021)
SAHLI, Mohammed-Chérif (ou Mohand) (1906-1989)
SAKIET SIDI YOUSSEF, Bombardement de
SALAN, général Raoul (1899-1984)
SANTÉ
SARKOZY, Nicolas (né en 1955)
SARTRE, Jean-Paul (1905-1980)
SAYAD, Abdelmalek (1937-1998)
SCHIAFFINO, Laurent (1897-1978)
SCHWARTZ, Laurent (1915-2002)
SCIENCES SOCIALES ET COLONISATION
SCOUTS DE FRANCE
SCOUTS MUSULMANS ALGÉRIENS
« SEBA’ÂSNÎN BARAKAT » (« SEPT ANS, ÇA SUFFIT »)
SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS
SECTION FRANÇAISE DE L’INTERNATIONALE OUVRIÈRE (SFIO)
SECTIONS ADMINISTRATIVES SPÉCIALISÉES (SAS)
SECTIONS ADMINISTRATIVES URBAINES (SAU)
SERVAN-SCHREIBER Jean-Jacques (1924-2006)
SERVICE CINÉMATOGRAPHIQUE DES ARMÉES (SCA)
SERVICE D’ASSISTANCE TECHNIQUE AUX FRANÇAIS
MUSULMANS D’ALGÉRIE (SAT-FMA)
SERVICE DE DOCUMENTATION EXTÉRIEURE ET DE CONTRE-
ESPIONNAGE (SDECE)
SERVICE DE SANTÉ DE L’ARMÉE FRANÇAISE
SERVICE DES LIAISONS NORD-AFRICAINES (SLNA) (1947-1957)
SERVICE MILITAIRE
SERVICE POSTAL DES ARMÉES
SERVICES DE SANTÉ DE L’ALN
SERVIER, Jean (1918-2000)
SI SALAH (Mohammed Zamoum, dit) (1928-1961)
SID CARA, Nafissa (1910-2002) et Chérif (1902-1999)
SOLDATS DE L’EMPIRE EN ALGÉRIE (1954-1962)
SOLDATS DU REFUS
SOUAÏ, Ali (1932-1961)
SOUÏAH, Houari (1915-1990)
SOUICI, Abdelkrim (mort en 2005)
SOUMMAM, Congrès de la (20-27 août 1956)
SOUS-OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)
SOUSTELLE, Jacques (1912-1990)
SPORTISSE, William (né en 1923)
SPORTS AUX ARMÉES
SPORTS EN ALGÉRIE
STATUT DE 1947
STEINER FIORIO, Annie (1928-2021)
STORA, Benjamin (né en 1950)
STRESS POST-TRAUMATIQUE, Troubles du
SUEZ, Expédition de
SUISSE
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Aassès
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Commando Georges
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Groupes d’autodéfense (GAD)
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Groupes mobiles de police
rurale (GMPR) /Groupes mobiles de sécurité (GMS)
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Harkis
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE FRANÇAISE, Mokhazni
SURSIS
SUSINI, Jean-Jacques (1933-2017)
SYNDICAT NATIONAL DES INSTITUTEURS (SNI)
T
13 MAI 1958
TCHÉCOSLOVAQUIE
TÉBESSI, Larbi (1891-1957)
TEITGEN, Paul (1919-1991)
TÉMOIGNAGES (Algérie)
TÉMOIGNAGES (France)
TERRITOIRES DU SUD
THÉÂTRE (Algérie)
THÉÂTRE (France)
TILLION, Germaine (1907-2008)
TIMSIT, Daniel (1928-2002)
TIZI OUZOU, Groupe de
TLEMCEN, Groupe de
TOMATES, Journée des (6 février 1956)
TORTURE
TORTURE (débats mémoriels)
TRAFIC D’ARMES ET ARRAISONNEMENT DES BATEAUX
TRAVAIL ET CHÔMAGE
TRÊVE CIVILE (L’APPEL POUR UNE)
TRINQUIER, colonel Roger (1908-1986)
TRIPOLI, Congrès de (1962)
TROTSKISTES
TROUPES DE RÉSERVE GÉNÉRALE
TROUPES DE SECTEUR
TUNISIE
U
UNION DÉMOCRATIQUE DU MANIFESTE ALGÉRIEN (UDMA)
UNION DES RÉPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIÉTIQUES (URSS)
UNION DES SYNDICATS DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS (USTA)
UNION FRANÇAISE NORD-AFRICAINE (UFNA)
UNION GÉNÉRALE DES ÉTUDIANTS MUSULMANS ALGÉRIENS
(Ugema)
UNION GÉNÉRALE DES TRAVAILLEURS ALGÉRIENS (UGTA)
UNION NATIONALE DES ÉTUDIANTS DE FRANCE (Unef)
UNION POUR LA NOUVELLE RÉPUBLIQUE (UNR)
UNITÉS TERRITORIALES (UT)
UNIVERSITÉ D’ALGER
V
22, LES
VANUXEM, général Paul (1904-1979)
VAUJOUR, Jean (1914-2010)
VAUTIER, René (1928-2015)
VEIL, Simone (1927-2017)
VERGÈS, Jacques (1924-2013)
VIDAL-NAQUET, Pierre (1930-2006)
VILLA SÉSINI
VIOLS DES FEMMES EN ALGÉRIE
W
WAHBY, Ahmed (1921-1993)
WILAYA 1 (Aurès-Nemencha)
WILAYA 2 (Nord-Constantinois)
WILAYA 3 (Kabylie)
WILAYA 4 (Algérois)
WILAYA 5 (Oranie)
WILAYA 6 (Sahara)
WUILLAUME, Rapport
Y
YOUGOSLAVIE
Z
ZABANA Ahmed (1926-1956) et FERRADJ Abdelkader (1921-1956)
ZBIRI, Tahar (né en 1929)
ZELLER, général André (1898-1979)
ZEMMORA, Réunion interwilayas de (24-25 juin 1962)
ZIGHOUD, Youcef (1921-1956)
ZONE AUTONOME D’ALGER (ZAA)
ZONES INTERDITES
ZOULIKHA, Oudaï (ECHAÏB, Yamina) (1911-1957)
DICTIONNAIRE
A
ACTION PSYCHOLOGIQUE
« Action psychologique » est un terme qui fait sa première apparition
dans le lexique gouvernemental français en 1950. Vague et euphémistique, il
désigne les activités de propagande* anticommuniste. Il permet d’éviter
l’emploi du terme « propagande » lesté par l’histoire récente et associé aux
régimes totalitaires. Il est également moins agressif que le terme « guerre
psychologique » trop conflictuel, tout en conservant l’aura de scientificité de
la psychologie alors en plein développement institutionnel. Il évacue
également le caractère anticommuniste difficile à assumer de la propagande
gouvernementale, le PCF* étant un acteur légal de la vie politique française,
encore auréolé de sa participation à la Résistance*.
Il recouvre progressivement une double réalité. Réalité institutionnelle
tout d’abord, l’action psychologique désigne par extension les institutions,
civiles mais surtout militaires, chargées de sa mise en œuvre. Réalité
pragmatique, il désigne aussi un corpus de méthodes techniques et
discursives, codifié progressivement dans le contexte croisé des guerres
françaises de décolonisation et de la guerre froide*.
Le terme est rapidement capté par l’institution militaire durant la guerre
d’Indochine*, sans qu’il fasse encore l’objet d’une définition précise, étant
alors utilisé de manière indistincte avec « guerre psychologique ». D’abord
pris en charge par une multitude de services ou de bureaux d’état-major, il se
trouve progressivement centralisé par un Bureau de la guerre psychologique,
créé en 1952, sous la direction du lieutenant-colonel Albert Fossey-François.
Il prend en charge une production massive de tracts, la gestion d’une radio*
« Hirondelle » et d’un journal pour la troupe « caravelle » mais aussi les
relations avec les journalistes et la presse*.
L’action psychologique trouve son extension maximale ensuite, dans
l’armée d’Algérie. Un bureau régional d’action psychologique est créé au
sein de l’état-major de la 10e Région militaire, en Algérie, en juillet 1955,
dirigé par Fossey-François. En bute à l’hostilité du général Lorillot*,
commandant l’armée d’Algérie, ce dernier est rapidement remplacé, en
novembre 1955, par le général Tabouis. Sous le commandement de ses deux
premiers chefs, le bureau psychologique se dote de moyens matériels
importants. Sont créés un journal destiné à la troupe, Le Bled*, trois
compagnies de haut-parleurs et tracts, des émissions radio, La Voix du bled,
une antenne algérienne du Service cinématographique des armées* (SCA).
Parallèlement à Paris, à l’interface des milieux gouvernementaux et de la
haute hiérarchie militaire, l’action psychologique est portée par une équipe
d’officiers* rassemblés autour de la figure du charismatique colonel Charles
Lacheroy*, promoteur d’une conception de la guerre comme « guerre
révolutionnaire* » où le contrôle politique de la population civile devient
l’enjeu central. Celui-ci dirige un service d’action psychologique et
d’information, sous la tutelle directe du ministère de la Défense nationale. Un
Centre d’instruction de la guerre psychologique, renommé Centre
d’instruction interarmées de l’arme psychologique, sis à l’École de guerre,
doit former les cadres amenés à prendre en charge la propagande militaire.
Les conceptions radicales portées par Lacheroy et son équipe s’imposent
en Algérie, dans la deuxième moitié de l’année 1956, dans l’entourage de
Robert Lacoste*. Celui-ci, redéfinissant le contenu pratique de la
pacification* et souhaitant imposer l’action psychologique aux échelons
subalternes de l’armée d’Algérie, met en place un corps d’officiers itinérants,
recrutés initialement parmi d’anciens prisonniers du Vietminh. Ceux-ci sont
chargés d’expliquer aux unités du quadrillage comment rassembler la
population rurale algérienne lors de réunions publiques, mais aussi de rendre
directement compte au ministre de l’Algérie de l’application, ou non, de ses
directives. Créé en juillet 1956, le corps des officiers itinérants est rattaché au
bureau psychologique.
Mais, c’est surtout l’arrivée du général Raoul Salan* et de son équipe à la
tête de l’armée en Algérie qui marque un tournant radical dans la pratique et
le développement de l’action psychologique. En effet, le bureau
psychologique sous le commandement du colonel Michel Goussault fait
sienne la doctrine de la guerre révolutionnaire. Alors que la bataille d’Alger*
bat son plein, le bureau psychologique met en œuvre une opération baptisée
« Pilote », dans la région d’Orléansville. Il s’agit d’expérimenter des
structures d’encadrement sociopolitique de la population algérienne à même
de contrer les nationalistes et de reformer radicalement la société coloniale,
en la modernisant et en étendant les droits des Algériens. Ces structures
s’appuient sur l’expérience algéroise du dispositif de protection urbaine*
(DPU) et sur des dispositifs sectoriels s’adressant à des segments de la
société algérienne, femmes*, jeunes, anciens combattants*. Il s’agit
également de former des agents algériens à même d’agir clandestinement
contre le FLN* et d’assurer la médiation entre les autorités françaises et la
population sous-administrée.
Le bureau psychologique devient 5e bureau en octobre 1957, des
5es bureaux étant créés jusqu’à l’échelon des secteurs, des officiers d’action
psychologique devant idéalement être présents jusqu’à l’échelon du bataillon.
Le bureau assure dès lors une importante action de formation des officiers,
multipliant stages et conférences. Il se voit adjoindre le CIPCG*, chargé de
former les officiers arrivant en Algérie. Ce centre devient sous la direction du
5e bureau un important moyen de diffusion des méthodes et des discours de
l’action psychologique et de la doctrine de la guerre révolutionnaire. Un
règlement officiel – le Texte toutes armes 117 – ou instruction provisoire
pour l’emploi de l’arme psychologique est édité par le ministère, donnant un
cadre institutionnel à l’action du 5e bureau. Les vues des partisans de l’action
psychologique s’imposent.
En mai 1958, le 5e bureau, sous le commandement du colonel Feaugas,
participe activement à l’organisation et à la médiatisation des manifestations*
de fraternisation entre Européens et Algériens, faisant sien le mot d’ordre
d’intégration. Sa propagande pratique un étrange culte de la personnalité du
général de Gaulle*, présenté comme un homme providentiel à même de
sauvegarder et de réformer l’Algérie française. Cet enthousiasme s’étiole
progressivement et se trouve douché par le discours du 16 septembre 1959 où
le chef d’État annonce sa politique d’autodétermination de l’Algérie. La
rupture est alors consommée. Le 5e bureau, arc-bouté sur ses positions
intégrationnistes, multiplie les contacts avec les activistes algérois de Joseph
Ortiz*, et son dernier chef, le colonel Jean Gardes*, est présent quelques
minutes au balcon du quartier général des insurgés, lors de la semaine des
barricades*, à la fin du mois de janvier 1960. Les 5es bureaux sont
immédiatement dissous et leurs missions redistribuées. Subsiste dès lors une
section « Problèmes humains » au sein du 3e bureau de l’État-major
interarmées (EMI). Le bureau dissous, ses conceptions quant à la pacification
continuent de prévaloir jusqu’aux derniers mois de la guerre. Action
psychologique ou guerre révolutionnaire sont bannies du lexique militaire et
deviennent taboues, tout en étant conservées au sein de l’infanterie de marine.
Denis LEROUX
AFFAIRES
La presse* métropolitaine parle très tôt de la torture*, d’autant plus que
sa pratique, en Algérie, est connue. La police* en a usé contre les
nationalistes depuis 1945. L’Humanité* dénonce les sévices infligés aux
militants arrêtés dès la Toussaint 1954. En janvier 1955, informés par
l’avocat Pierre Stibbe, François Mauriac* et Claude Bourdet* publient
respectivement « La question » dans L’Express et « Votre Gestapo
d’Algérie » dans France Observateur ; Claude Bourdet se réfère à un de ses
articles, en 1951 : « Y a-t-il une Gestapo algérienne ? » Puis, fin 1955, Jean
Daniel, dans L’Express, lance l’affaire d’Aïn Abid : l’exécution sommaire*
d’un « musulman » par un gendarme auxiliaire, photos à l’appui – extraites
des actualités de la Fox Movietone, elles étaient déjà parues dans Life.
En 1955, la chute des gouvernements responsables enraye les
dénonciations. La durée du gouvernement Mollet* (février 1956-mai 1957)
permet au contraire aux affaires de se développer, après une période
d’attentisme, le temps de le laisser faire ses preuves. En septembre 1956, les
« torturés d’Oran », principalement des communistes, font la une. Une
enquête administrative, niant les faits et suivie en exclusivité par Le Figaro*,
scandalise. L’Assemblée nationale envoie sept membres de sa commission de
l’Intérieur enquêter sur place.
Leur rapport alimente le scandale déclenché en 1957. Non seulement la
« bataille d’Alger* » donne une visibilité inédite aux violences mais les
rappelés envoyés en masse témoignent. En février, Témoignage chrétien
publie le Dossier Jean Müller, lettres d’un scout* décédé en Algérie. Dans la
foulée paraît la brochure Des rappelés témoignent du Comité de résistance
spirituelle et Pierre-Henri Simon, du Cercle des intellectuels catholiques,
signe Contre la torture, au Seuil. Au même moment, le « suicide » de Larbi
Ben M’hidi*, détenu par les paras à Alger, est annoncé tandis que le rapport
sur les « torturés d’Oran » fait controverse ; pour un membre de la
commission, le Dr Hovnanian, les sévices sont prouvés. Puis le soi-disant
suicide de Me Ali Boumendjel*, également aux mains des paras, soulève la
protestation du grand juriste résistant René Capitant, en poste à Alger, dont il
a été l’élève. Arrive ensuite la démission du général Pâris de Bollardière*,
opposé à la torture. Jean-Jacques Servan-Schreiber*, qui a servi sous ses
ordres, l’annonce dans L’Express. Le doyen de la faculté de droit d’Alger,
Jacques Peyrega, dénonce quant à lui une exécution sommaire dont il a été
témoin. En mai, après avoir nié puis minimisé les faits, le gouvernement crée
une Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels*. Cependant,
en juin, le massacre dit « de Melouza* », commis par le FLN*, et la relance
des attentats à Alger tempèrent les critiques ; ils encouragent une
dénonciation des atrocités des deux côtés. Durant le deuxième semestre 1957,
les publications partielles du rapport de la Commission internationale contre
le régime concentrationnaire* (CICRC), le 27 juillet, puis celui de la
Commission de sauvegarde, le 14 décembre, entretiennent néanmoins le
scandale. Y contribuent aussi les affaires Alleg* et Audin*, qui débutent à
l’été 1957 et se poursuivent en 1958, quand paraissent La Question et
L’Affaire Audin, chez Minuit.
La contre-offensive gouvernementale combine médiatisation des atrocités
du FLN (avec Aspects véritables de la rébellion algérienne, une brochure
jouant de photographies* insoutenables), poursuites judiciaires, saisies de
journaux et de livres (La Question, par exemple). La justice inquiète
notamment Claude Bourdet, Georges Montaron, directeur de Témoignage
chrétien, Jean-Jacques Servan-Schreiber, l’historien Henri-Irénée Marrou
auteur d’un vibrant « France ma patrie » dans Le Monde*, André
Mandouze*, directeur de Consciences maghribines qui publie des documents
du FLN. Les trois quarts des saisies de presse, sur l’ensemble de la guerre,
visent la torture, les exécutions sommaires et la détention dans les prisons*
ou les camps. Témoignage chrétien, France Observateur, L’Express, La
Croix, L’Humanité et Le Monde en ont particulièrement souffert.
La chronologie des affaires marque une pause avec l’avènement de la
Ve République*, du fait des ralliements à de Gaulle* et de l’attentisme
consécutif au changement de régime. Un cartel d’organisations, dont le
comité Audin, publie tout de même, en septembre 1958, un Dossier sur la
torture et la répression avant de tenir, en janvier 1959, un meeting « pour la
fin de la torture en Algérie ». Sa pratique en France finit aussi par être
dénoncée. En décembre 1959, Minuit publie des plaintes de militants
algériens contre la DST dans La Gangrène.
Les affaires individuelles se raréfient. Celles d’Aïssat Idir et de Djamila
Boupacha* sont les deux dernières. La mort d’Aïssat Idir est annoncée en
juillet 1959 par l’UGTA* dont il a été le premier secrétaire général. Arrêté,
torturé, interné, traduit en justice, il a été acquitté avant d’être repris et placé
dans un centre de tri et de transit* (CTT) où il est censé avoir mis le feu en
fumant dans sa cellule. En juin 1960, l’affaire Djamila Boupacha, que défend
Gisèle Halimi* et soutient Simone de Beauvoir*, ajoute la dénonciation du
viol* à celle de la torture.
Parallèlement, les polémiques s’élargissent. En avril 1959, les camps de
regroupement* font scandale, à partir du rapport Rocard*. Toute la presse,
jusqu’au Figaro, s’en empare, l’Assemblée nationale y consacre un débat le
9 juin 1959 et le FLN lance une campagne internationale. Suivent les camps
d’internement*, avec un rapport de la Croix-Rouge*. Sa divulgation par Le
Monde, le 5 janvier 1960, implique deux conseillers du ministre de la Justice,
Gaston Gosselin et Joseph Rovan, qui doivent quitter leur poste. Concernant
la torture, les dénonciations insistent désormais sur sa généralisation et sa
systématisation contre la thèse d’abus isolés. Ainsi, en octobre et
novembre 1959, deux « Cahiers verts des disparitions », publiés par Les
Temps modernes, recensent près de 200 plaintes, collectées notamment par
Jacques Vergès*. Le mois suivant, Témoignage chrétien reprend le
témoignage* de rappelés sur l’enseignement de la torture au centre militaire
de Jeanne d’Arc. 1960 voit les affaires Alleg et Audin rebondir. À Alger
s’ouvre en effet, le 14 juin, un procès les visant, parmi d’autres communistes,
alors même qu’Audin a disparu ; le comité portant son nom maintient en
outre une activité soutenue. Cette année-là, enfin, désertion, désobéissance et
insoumission font aussi débat. Maurienne (Jean-Louis Hurst*) signe
Le Déserteur chez Minuit, Maurice Maschino* Le Refus chez Maspero*, puis
Noël Favrelière* Le Désert à l’aube également chez Minuit. Au moment du
procès Jeanson*, du 5 septembre au 1er octobre 1960, le « Manifeste* des
121 » défend l’insoumission. Perquisitions, gardes à vue, inculpations,
suspension et révocations répriment ses signataires. En 1961, d’autres procès
ont lieu. Par exemple, l’écrivain Georges Arnaud est poursuivi pour sa
couverture de la conférence de presse de Jeanson.
Puis, l’opposition à la guerre sur le mode de la polémique
qu’entretiennent des dénonciations ou des prises de position scandaleuses
cesse. D’autres thèmes, en particulier la menace que fait peser la guerre sur
les libertés et la République, avec le putsch* et l’OAS*, prennent le relais.
Des années durant, néanmoins, des soldats, des avocats, des hauts
fonctionnaires… ont fait circuler et publier les informations dont ils
disposaient. Relayés par la presse, des intellectuels et des militants de
diverses obédiences, ils ont assuré un enchaînement impressionnant des
affaires, au contraire d’une idée reçue selon laquelle la torture, notamment,
n’était pas connue.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammarion, 2012.
AGRICULTURE
Épine dorsale de la colonisation, l’agriculture comprend, d’un côté, un
secteur européen concentré, mécanisé et prospère et, de l’autre, un secteur
musulman utilisant, sauf à de rares exceptions, des méthodes traditionnelles
locales peu productives. La démographie*, la nature des terres, la taille des
propriétés, les modes de faire-valoir et les modalités d’accès au crédit
accentuent cette opposition.
En 1954, sur 1 million d’Européens, les propriétaires colons* ne sont que
21 650. Ils possèdent 2 818 000 hectares, soit, en moyenne, 123 hectares par
exploitant. Ils monopolisent les plaines où ils cultivent surtout la vigne
(366 000 ha) et les céréales (758 000 ha) dans de grandes propriétés (29 %
font plus de 100 ha). L’histoire a retenu les noms des propriétaires de grands
domaines viticoles (Borgeaud*) ou céréaliers (Faure*). En 1956, 10 % des
viticulteurs produisent 70 % de la récolte alors que 42,7 % n’en produisent
que 3,1 %. Ils utilisent force engrais et produits chimiques que la colonie ne
produit pas et qu’ils achètent en métropole. En 1959, par exemple, 14,7 %
des exportations françaises de produits chimiques sont destinées à l’Algérie.
L’ensemble des exploitants européens a un accès privilégié au crédit
hypothécaire et de campagne. Les Borgeaud, par exemple, ont la haute main
sur le Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie*.
La valorisation agricole de la colonie est venue d’un hasard historique,
celui, dans les années 1870, de la destruction du vignoble métropolitain par le
phylloxéra. La vigne offre une solution, encouragée par un marché
métropolitain en manque, la franchise douanière sur les vins d’Algérie
obtenue dès 1867, le rétablissement des concessions gratuites en 1871, les
barrières à l’entrée des vins espagnols et italiens depuis 1892, l’exemption
d’impôts jusqu’en 1918 et le bénéfice d’une main-d’œuvre payée quatre fois
moins cher qu’en métropole. En 1950 encore, la viticulture engrange
105 milliards de revenus et ne verse que 15,8 milliards de salaires (15 %).
Les rendements financiers appréciables attirent les capitaux métropolitains.
La Banque de l’Algérie, principale créancière des viticulteurs européens,
verse à ses actionnaires des dividendes mirobolants : 18 % en 1881, 20 % en
1885 et 16 % en 1890. Cette euphorie retombe dès 1895 lorsque le phylloxéra
frappe le vignoble. Le dividende tombe à 8 % en 1897. La Banque s’écarte
progressivement des affaires agricoles. Elle devient banque d’émission et, en
1949, nationalisée, se transforme en Banque de l’Algérie et de la Tunisie.
Parti de zéro, le vignoble s’étend en 1918 sur 171 723 hectares et produit
6 230 000 hectolitres. En 1959, la vigne occupe 349 670 hectares avec
18 600 000 hectolitres. L’Algérie se range parmi les grands producteurs
mondiaux mais reste captive d’un seul débouché : la métropole. Inexistantes
en 1870, les exportations algériennes de vin atteignent, vingt-cinq ans plus
tard, la moitié des recettes d’exportation de la colonie. La proportion
maximale sera de 61,1 % en 1933.
En 1960, les exploitations de moins de 10 hectares n’occupent que
60 700 hectares ; celles de 10 à 50 hectares totalisent 130 600 hectares et
celles de plus de 50 hectares occupent 175 000 hectares. Ces grands
viticulteurs, comme le sénateur Henri Borgeaud, tissent des liens avec les
milieux politiques et financiers et constituent le groupe de pression le plus
puissant du colonat, attaché au maintien du débouché français et de la
présence française en Algérie. Investissant dans la presse*, il cherche à
contrôler l’opinion*.
En 1904, un décret ouvre les hautes plaines à la colonisation et permet
aux entrepreneurs céréaliers de créer, au détriment du pastoralisme local, de
grandes exploitations mécanisées. 80 % des exploitations céréalières
coloniales ont plus de 1 000 hectares. Au total, en 1954, 2 390 exploitations
européennes occupent 768 000 hectares. Parmi elles, 457 occupent
677 391 hectares, soit 1 482 hectares en moyenne par exploitation. On y
cultive surtout le blé tendre, introduit par les Européens (264 000 ha en
1950), le blé dur (255 000 ha) et l’orge (161 000 ha).
La part des céréales dans les exportations de la colonie est de 12 % en
1930 (4 060 000 q) mais elle tombe à 0,25 % en 1947 (81 000 q). L’évolution
des exportations de céréales traduit bien l’impasse de l’agriculture coloniale.
Dès 1945, la perspective d’une Algérie importatrice de nourriture se dessine.
Jusqu’alors, les musulmans arrivaient tant bien que mal à s’autosuffire en
céréales. Mais en un siècle, leur production de blé dur est tombée de
1,32 quintal par tête (1875-1879) à 0,57 quintal (1950-1954) tandis que celle
d’orge – la céréale panifiable du pauvre – tombait de 2,19 quintaux par tête à
0,76 quintal. Leur cheptel ovin – le mouton étant leur source de viande
principale – est tombé de 9 500 000 têtes en 1875 à 5 412 000 en 1954. Les
exportations d’ovins diminuent régulièrement : 1 246 000 unités en 1910 et
181 000 en 1954. À part la viticulture qui, elle, prospère, mais ne produit pas
de vivres, l’agriculture coloniale semble aller à la faillite. Une étude produit
par produit montre qu’à la fin de l’occupation coloniale, l’Algérie aurait dû
importer 70 % de ce qu’elle produisait pour satisfaire les besoins caloriques
élémentaires par personne et par jour. Tel est le terreau de l’insurrection de
1954. Commencée autour d’une histoire de blé, la colonisation française en
Algérie semble bien s’être terminée également autour d’une deuxième
histoire de blé.
L’agriculture des musulmans reste séparée et confinée géographiquement
sur les terres que leur laisse la colonisation, souvent des versants à fertilité
réduite. Dès les années 1890, une fois les besoins des entrepreneurs
européens en viticulture satisfaits, les musulmans ont perdu la plupart des
plaines par divers procédés (expropriation, suppression de l’indivision et
rachat par les colons, etc.). Une enquête fiscale de 1892 montre que 38 % des
terres cultivées par les musulmans sont « mauvaises » et 11 % « nulles ».
Seules 1 % d’entre elles sont considérées comme « très bonnes ».
En 1954, on dénombre 534 000 propriétaires musulmans pour
7 133 000 hectares, soit 13 hectares par fellah. Cette moyenne cache une forte
inégalité : 446 000 propriétaires (70 %) possèdent moins de 10 hectares et
8 499 plus de 100. Ceux-ci sont souvent absentéistes et latifundiaires – près
d’Orléansville, un notable, Sayah Henni, possède à lui seul quelque
60 000 hectares.
Une partie de la paysannerie musulmane commence à adopter les
spéculations et les méthodes des Européens après la Première Guerre
mondiale. Bien que musulmans, des fellahs commencent à planter de la vigne
à vin. En 1903, ils étaient 3 280 à l’avoir fait. Ils sont 16 000 en 1956 mais
n’occupent que 2,5 hectares en moyenne par vigneron, contre 30 pour les
Européens.
Les méthodes modernes sont progressivement adoptées. En 1954, on
recense 750 000 hectares (1/10e de la propriété musulmane) où elles sont
pratiquées. On peut y voir l’amorce d’une classe moyenne paysanne
musulmane qui n’est pas hostile à la présence française mais qui espère une
égalité des conditions. Elle reste cependant minoritaire face aux paysans sans
terre. Ceux-ci ne trouvent souvent ni à s’employer ni à émigrer en métropole.
En 1954, il n’y a que 554 800 salariés musulmans pour 7 051 000 ruraux.
Parmi eux, 112 000 seulement ont un emploi permanent. Reste une majorité
de « précaires » : sans terre, sans travail*, journaliers, saisonniers, etc., soit
quelque 1 200 000 adultes « sous-prolétaires » pourvoyeurs des bataillons de
la Guerre d’indépendance (maquisards d’un côté ou harkis* de l’autre). De
l’autre côté, une minorité de grands propriétaires (15 000 Européens et
musulmans ont 100 ha et plus) ne représente, en 1954, que 2 ‰ de la
population rurale et s’approprie 61 % du revenu agricole. Cette situation
constitue probablement l’un des éléments primordiaux de l’insurrection de
novembre 1954.
Ahmed HENNI
Bibl. : Ahmed Henni, « La naissance d’une classe moyenne paysanne
musulmane après la Première Guerre mondiale », Revue française d’histoire
d’outre-mer, no 311, 1996 • —, Économie de l’Algérie coloniale, 1830-1954,
Namur, Chihab, 2017 • Hildebert Isnard, « Agriculture européenne et
agriculture indigène en Algérie », Les Cahiers d’outre-mer, vol. 12, no 46,
1959.
ALGER RÉPUBLICAIN
Dans l’Algérie coloniale, ce quotidien d’information orienté à gauche ne
fut jamais l’organe d’un parti tout en étant lié à la mouvance socialiste puis
au PCA* (fondé en octobre 1938 pour soutenir le Front populaire). Le titre
détonne tout en restant sur des positions assimilationnistes. Sa faible
diffusion et la censure* militaire le font disparaître dès septembre 1939. Il
reparaît après novembre 1942. Le journal prend une coloration communiste.
Des Algériens viennent y travailler comme le jeune instituteur Boualem
Khalfa. Aux lendemains du 8 mai 1945*, le communiqué du Gouvernement
général* y est publié sans analyse critique. Mais une semaine plus tard le
journal dénonce les campagnes de répression qui suivent le 8 mai. Avec
l’arrivée de Karl Escure, secondé par Boualem Khalfa, devenu rédacteur en
chef, le journal confirme en 1946 son tournant anticolonial. Alger républicain
prend la défense des dockers*, des mineurs et des ouvriers agricoles en
grève* et accroît sa popularité parmi les travailleurs comme l’indiquent les
lectures collectives du journal lors des grèves. Après le 1er novembre 1954*,
le journal parle de la nécessaire « suppression de l’état de fait colonial ». Les
difficultés s’amoncellent avec la loi sur l’état d’urgence* et la censure,
instituée en Algérie dès avril 1955. Le titre inscrit souvent ce placard resté
célèbre : « Alger républicain dit la vérité. Il ne dit que la vérité mais il ne peut
dire toute la vérité. » Le 13 septembre 1955 le Gouvernement décrète
l’interdiction du PCA et de « ses filiales ». C’est le coup d’arrêt, même si
aucun lien organique ne lie le journal au PCA. Acquis à la cause de
l’indépendance, plusieurs membres de la direction du journal passent à la
clandestinité : son directeur Henri Alleg*, Henri Maillot*, Yahia Briki,
Abdelhamid Benzine*, Boualem Khalfa et bien d’autres parmi les ouvriers
qui le fabriquent. À l’indépendance, les survivants de la direction font
ressortir le journal dont le succès ne se dément pas dès le premier numéro du
17 juillet 1962. Mais devant l’aura du journal et ses positions, Ben Bella*
veut absorber le titre. Le coup d’État de Boumediene* le 19 juin 1965
précipite la fin d’Alger républicain qui est interdit.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Henri Alleg, Mémoire algérienne, Stock, 2005 • Boualem Khalfa,
Henri Alleg et Abdelhamid Benzine, La Grande Aventure d’Alger
républicain, Messidor, 1987 • Hassan Remaoun (dir.), « Alger républicain »,
in Dictionnaire du passé de l’Algérie, Oran, DGRST-Crasc, 2015.
AMÉRIQUE LATINE
Quand la guerre d’Algérie débute, la France paraît jouir de positions
favorables en Amérique latine. Le continent, notamment ses principaux États
(Argentine, Brésil, Mexique), est largement ouvert à l’influence culturelle
française. Les échanges économiques sont relativement modestes (environ
3 % du commerce français), mais les investissements ne sont pas
négligeables. À ces liens s’ajoute la solidarité avec le bloc occidental, sous
l’égide des États-Unis*, animateurs de l’Organisation des États américains
(OEA) créée en 1948.
Dans l’ensemble, l’intérêt pour le Maghreb et l’Afrique du Nord est
réduit. Cependant, certains ne peuvent manquer de relever des analogies.
Jacques Soustelle*, ethnologue américaniste de valeur, a nourri de son
expérience mexicaine ses convictions intégrationnistes en Algérie. Dans un
tout autre sens, l’idéologie des dirigeants du continent américain garde une
très forte empreinte anticolonialiste*. La dixième conférence interaméricaine
(Caracas, mars 1954) affirme ainsi la volonté des participants du continent
« d’éliminer définitivement le système colonial, maintenu contre la liberté
des peuples ».
C’est surtout par son poids à l’ONU* (20 membres sur 76 en 1955, sur 82
en 1958, sur 99 en 1960), que le continent latino-américain constitue un enjeu
dans la confrontation entre les dirigeants français et ceux du FLN*, dès lors
que ces derniers cherchent à faire reconnaître leur légitimité internationale.
On peut faire remonter les débuts de cette confrontation à l’automne 1955.
C’est grâce à la médiation des représentants du Pérou et de la Colombie que
l’Assemblée générale, après avoir voté peu auparavant l’inscription de la
question algérienne à l’ordre du jour, décide, à la demande de la France, de
ne pas poursuivre l’examen. Cette modération favorable à la France s’exerce
encore dans les années suivantes, notamment en 1957, où s’exprime à
l’unanimité l’espoir d’une solution pacifique.
En même temps, le FLN s’efforce de trouver des relais locaux, de
manière à contrarier les efforts du réseau des diplomates français. Ferhat
Abbas* effectue un voyage dans la région dès 1956, suivi par plusieurs autres
représentants frontistes. Des points d’entrée sont recherchés du côté des
représentations diplomatiques arabes, mais aussi des immigrants syro-
libanais, notamment en Argentine et au Brésil, par la diffusion du journal El
Moudjahid. Le combat peut aussi trouver un écho parmi des intellectuels ou
des hommes politiques très à gauche, attirés par la relation affichée par les
nationalistes algériens entre révolution et indépendance. Fin 1957, on voit se
créer un comité chilien pour l’indépendance de l’Algérie, auquel adhèrent
plusieurs syndicats, dont celui des mines ; des comités analogues apparaissent
à Lima et à Buenos Aires. En 1959, la 8e conférence internationale des
étudiants* de Lima vote une motion de solidarité, suivie par le
premier congrès des femmes d’Amérique latine, qui publie un appel en
faveur des femmes* algériennes.
Les deux adversaires cherchent à améliorer leurs positions par des
voyages de personnalités importantes. L’initiative la plus spectaculaire réside
dans la tournée du ministre de la Culture du général de Gaulle*, André
Malraux, au Pérou, au Chili, en Argentine, en Uruguay et au Brésil (août-
septembre 1959). Destiné à préparer la proclamation du principe
d’autodétermination, il doit renforcer la confiance en la politique française.
En manière de riposte, l’abbé Alfred Bérenguer, figure haute en couleur du
Front, parcourt tout le continent en qualité de représentant du Croissant-
Rouge algérien* (septembre 1959-juin 1960). Il est suivi peu après par
Benyoucef Ben Khedda*, ministre des Affaires sociales du GPRA*.
L’évolution qui se remarque dans l’attitude des États latino-américains
est plus probablement en rapport avec la dégradation des relations entre la
France et les États-Unis, qui choisissent de s’abstenir plutôt que de voter
contre les résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU combattues par la
France. C’est ainsi que lors du vote du projet de résolution réaffirmant le
droit des Algériens à l’autodétermination et invitant les deux parties à
conclure au plus tôt le processus de négociation*, qui recueille 62 suffrages
positifs et 38 abstentions, 17 des 20 États latino-américains s’abstiennent, 3
seulement se prononçant pour (Bolivie, Cuba, Venezuela).
C’est avec Cuba, qui évolue vers un modèle révolutionnaire, avec le
soutien du camp soviétique (prise du pouvoir par Fidel Castro en
janvier 1959, passage au camp socialiste en juillet 1960, affaire de la baie des
Cochons en avril 1961) que se noue la relation la plus étroite. Le FLN
accueille en Tunisie* le militant Jorge Masetti, proche de Che Guevara. Cuba
est le seul des États d’Amérique latine à reconnaître le GPRA avant la
reconnaissance de l’indépendance par la France (juin 1961). En revanche,
nombre de militaires sud-américains vont s’intéresser aux techniques de
contre-insurrection mises au point par l’armée française en Algérie.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Maurice Vaïsse (dir.), De Gaulle et l’Amérique latine, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2014.
AMEZIANE, FERME
La ferme Ameziane située à la lisière de Constantine appartient à un
notable, Mouloud Ben Hamedi Ameziane, dont le père était bachagha. Elle a
abrité le centre de renseignement et d’action* (CRA) ouvert en 1956 et qui
est devenu tristement célèbre par l’institutionnalisation de la torture*
systématiquement appliquée aux suspects algériens arrêtés.
Son existence est révélée à l’opinion publique* en mai 1961 par un texte
paru dans le journal Vérité-Liberté que Pierre Vidal-Naquet* republia en
1962 dans La Raison d’État. Il s’agit du témoignage* de jeunes appelés,
affectés à la ferme placée sous la direction du commandant Rodier. Par la
suite, Jean-Luc Einaudi se rendit à Constantine, visita le lieu et recueillit les
témoignages de quelques rescapés des sévices qu’ils ont endurés. Après ce
récit paru en 1991, une historienne, Raphaëlle Branche, soutient une thèse sur
la torture (2000), solidement documentée qui dévoile les multiples facettes de
cette réalité.
Le CRA de Constantine dépend du colonel Bertrand, commandant de
secteur, du général de division Lennuyeux* et du général de corps d’armée
Gouraud*. Sur place, le commandant Rodier est le chef du CRA chargé de
lutter contre l’organisation du FLN*. Il dispose de l’appui du 27e bataillon
d’infanterie, de la gendarmerie* nationale et mobile, des sections
administratives urbaines* (SAU) et des services civils (police*, RG, CRS…).
Enfin, un commando spécialisé regroupe des forces provenant de différents
services et comprenant des indicateurs algériens qui fournissent
renseignements et dénonciations au CRA.
La ferme fonctionne au rythme des arrestations visant des hommes et des
femmes* de tout âge, à leur domicile ou lors des rafles*. Le séjour au CRA
commence par une visite des lieux de torture où l’on dirige ceux qui sont
considérés comme les plus suspects. Le reste des arrêtés est cantonné dans les
écuries et soumis à un jeûne forcé de deux à huit jours.
Les interrogatoires sont menés par des tortionnaires qui rivalisent de
cruauté et sont renouvelés plusieurs fois, de jour comme de nuit, sans tenir
compte de l’état physique des suspects. À Constantine, la réputation du
policier El Baz ou de Cherif Tébessi a rapidement dépassé l’enceinte de la
ferme devenue lieu d’où l’on pouvait ne plus revenir. Ceux qui échappent au
CRA sont envoyés au centre de tri et de transit* (CTT) du Hamma Plaisance.
Les plus chanceux sont ceux qui sont déférés devant la justice. D’autres ne
résistent pas aux violences de l’interrogatoire, beaucoup sont exécutés, le
plus souvent à la plâtrière du djebel Chettaba.
Des estimations militantes ont circulé pendant la guerre. Vérité-Liberté
affirme ainsi que 108 175 individus dont des femmes ont séjourné dans le
CRA depuis son ouverture jusqu’à la fin de l’année 1960. En juin 1961, le
mathématicien anticolonialiste Laurent Schwartz* dénonce les arrestations
qui se poursuivent même après la fermeture de la ferme Ameziane. Le CRA
est alors transféré à l’hippodrome de Constantine.
Des milliers d’Algériens ont séjourné à la ferme Ameziane sans que l’on
puisse en préciser le nombre exact. Il est possible d’avancer une estimation à
partir des archives* des CTT qui comprennent de nombreuses lacunes.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Luc Einaudi, La Ferme Améziane.
Enquête sur un centre de torture pendant la guerre d’Algérie, L’Harmattan,
1991 • Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État, Minuit, 1962.
AMIS DU MANIFESTE
ET DE LA LIBERTÉ (LES)
L’association des Amis du Manifeste et de la liberté (AML) est le second
front anticolonialiste* après le Congrès musulman de 1936. Elle s’organise
autour de la défense du « Manifeste* du peuple algérien » de février 1943 et a
pour but de rendre familière l’idée de la nation algérienne. Le manifeste exige
« la condamnation et l’abolition de la colonisation » ainsi que l’application
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Sans être un parti, l’association est dotée d’un comité central où siègent
notamment cheikh Larbi Tébessi*, Lamine Lamoudi, Abdelkader Mimouni et
Abdelaziz Kessous. Les AML rassemblent en quelques semaines, dit-on,
jusqu’à 500 000 membres et le journal de l’association, Égalité, tirerait à
100 000 exemplaires. Si les chiffres sont incertains, le succès ne fait aucun
doute : l’organisation de masse mobilise avec succès depuis les élites sociales
et intellectuelles jusqu’aux couches populaires, avec le soutien des ulémas et
l’adhésion des militants du PPA* de Messali Hadj*. Sa création
s’accompagne d’une fièvre politique qui saisit le pays. Dans l’Aurès, par
exemple, les AML pénètrent les centres urbains, avec des sections à
Khenchela ou Aïn Beida, mais également les douars de communes mixtes où
des sections sont également créées. Ce succès populaire provoque
l’inquiétude des forces de l’ordre françaises et la panique d’une partie des
« Européens » qui font de Ferhat Abbas*, figure de proue des AML, un
ennemi à abattre.
Alors que le gouverneur général Peyrouton avait d’abord semblé
favorable à la discussion, l’arrivée des gaullistes, en 1943, marque un retour
au dogme de l’assimilation. L’action des AML cesse brutalement avec la
répression des manifestations de mai 1945*. L’association est alors dissoute
et ses principaux leaders Ferhat Abbas, Ahmed Cherif Saadane, cheikh
Bachir El Ibrahimi*, Ahmed Francis, Kaddour Sator ou le Dr Benkhellil sont
emprisonnés. Des milliers d’adhérents sont détenus dans des camps ; certains
sont assassinés par les milices comme à Guelma.
La vie politique est suspendue jusqu’en mars 1946. Si les AML ne se
reforment pas, leur héritage est alors revendiqué par Ferhat Abbas et son
nouveau parti, l’UDMA*.
Malika RAHAL
Bibl. : Youcef Beghoul, Le Manifeste du peuple algérien. Les Amis du
Manifeste et de la liberté. Contribution au mouvement national, Alger,
Dahlab, 2007 • Ouanassa Siari Tengour, « Autres lectures, mai 1945 dans
l’Aurès » in Histoire contemporaine de l’Algérie. Nouveaux objets, Oran,
Crasc, 2010.
AMOURS ET SEXUALITÉS
Comme en témoigne l’ouvrage collectif Le Sexe outragé, le sexe est
surtout abordé sous l’angle des violences et/ou de ses usages symboliques.
Dans cette guerre où l’armée vise l’ensemble de la population et cherche à
atteindre les combattants à travers leur entourage (famille, village,
quartier…), Raphaëlle Branche a analysé en pionnière les pratiques des
soldats français. Ils ajoutent aux viols* une panoplie de gestes profanant
l’intimité des corps, surtout féminins mais pas seulement, lors des séances de
torture* (dénudement systématique, électricité sur le sexe et les tétons,
supplice de la bouteille) ou des fouilles domiciliaires (passage de la main
entre les jambes des femmes* pour vérifier leur sexe ou voir s’il est épilé,
signe d’une relation avec leur époux). En réaction, des Algériennes se
souviennent que leurs familles cherchaient à les mettre à l’abri des troupes.
L’histoire de Mohamed Garne*, né des viols répétés de sa mère détenue dans
une unité militaire, dévoile le sort cruel de cette jeune fille de 16 ans, traitée
en esclave sexuelle.
Outre les pratiques, l’histoire repère les représentations anciennes à
l’œuvre : assimilation de la colonisation à une forme de conquête virile,
érotisation des Algériennes dans la continuité des clichés orientalistes,
perception des hommes comme des « brutes dominatrices » ou des « éphèbes
décadents », selon les termes de Catherine Brun et de Todd Shepard, sans
compter que la psychiatrie coloniale leur prête des penchants criminels. La
métropole, qu’a étudiée Emmanuel Blanchard, n’y échappe pas (« Le
mauvais genre des Algériens », Clio, 2008). L’anthropologie, pour sa part,
met en évidence la sexualisation du conflit, forte au point de paraître
obsessionnelle. Les deux parties manient les registres de la masculinité et de
la féminité. Quand, par des gestes, des paroles, des attitudes, chaque camp
affirme sa virilité, il féminise au contraire son ennemi en allant jusqu’à la
castration et pas seulement sur le plan symbolique. En témoignent les
émasculations de soldats français, volontairement spectaculaires ; elles sont
mises en scène pour terroriser. La sexualisation naît aussi de l’entre-soi
genré*. S’y exprime une fraternité dépassant la simple fraternité d’armes – au
FLN*, hors des maquis, les militants se donnent aussi du « frère » (et
les femmes du « sœur »). Dans cet entre-soi se pose la question de
l’homosexualité. Bien que taboue, elle existe dans les deux camps. Elle relève
cependant parfois d’une pratique par défaut ou en reste au stade du fantasme
troublant, refoulé, surgissant à l’occasion avec maladresse ou brutalité,
consciemment ou inconsciemment.
Avec l’histoire et l’anthropologie, les chercheurs s’intéressant aux non-
dits ainsi qu’aux séquelles des violences sur les générations suivantes
recourent au langage de la psychanalyse. Enfin, sur un sujet que les témoins
peinent à aborder, soit qu’ils le nient, soit qu’ils le taisent, soit qu’ils
l’euphémisent, les arts et la fiction sont des sources indispensables. Non
seulement des écrits littéraires s’inspirent explicitement de faits réels mais les
chercheurs utilisent les récits inventés pour documenter les représentations.
Ils recourent aussi à l’analyse de faits divers et de rumeurs – Soraya Laribi
détaille ainsi celle d’une traite des Blanches à Alger et à Oran en 1962 dans
Le Sexe outragé. La guerre intervient ici sur un substrat de longue durée tant
plane l’interdit sur les relations intimes transcendant la barrière coloniale
entre « Européens » et « musulmans », selon la taxonomie d’alors. Les
mariages mixtes étaient rares. Le racisme* se manifeste de surcroît par
l’opprobre jeté sur les relations franco-algériennes. « Pute pour Arabes ! »
s’entend dire Annette Beaumanoir arrêtée pour son aide au FLN en France,
comme Anne Weber le relate dans Annette, une épopée (Seuil, 2020).
Dans l’historiographie des guerres, toutefois, telle qu’elle s’est
développée pour les deux conflits mondiaux, l’étude des amours accompagne
celle des sexualités. De ce point de vue, toute guerre est synonyme
d’empêchements et de contrôles, de contrariétés et de reconfigurations. Les
bouleversements liés à la guerre doivent cependant être saisis à l’aune des
normes en vigueur dans les sociétés concernées. En Algérie, où les mariages
arrangés par les familles sont la norme, les chefs de maquis régulent les
relations entre hommes et femmes. Ils autorisent les mariages et sanctionnent
ceux célébrés sans leur accord, réglementent les relations entre époux,
tolèrent parfois les viols, voire en rendent les femmes responsables. Certaines
l’ont payé de leur vie. Sur ce plan comme sur les autres, les situations varient
beaucoup selon les chefs concernés. Globalement, résume Gilbert Meynier*,
« l’ALN* remplace donc le père dans la gestion du bon sexe » (Histoire
intérieure du FLN, Fayard, 2002, p. 227).
Issue d’une France où les besoins sexuels des hommes sont admis,
l’armée française surveille de près la santé des appelés tout en leur offrant les
services des bordels militaires de campagne* (BMC). Il manque cependant
un tableau global des effets de la guerre sur les relations amoureuses, dans
cette France corsetée que Mai 1968 n’a pas encore fait bouger. Les exemples
abondent néanmoins. Raphaëlle Branche aborde un peu la question dans
« Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » (La Découverte, 2020) tandis que Fabien
Deshayes et Axel Pohn-Weidinger ont publié la correspondance entre un
époux envoyé en Algérie et sa femme, devant affronter seule une grossesse
particulièrement difficile (Bayard, 2017). Dans Les Parapluies de Cherbourg
(1964), une jeune femme enceinte de son fiancé parti en Algérie se résigne à
épouser un autre homme face au déshonneur. Il arrive aussi que des
métropolitaines suivent leur mari ou fiancé sur place où peuvent naître leurs
enfants, telle l’écrivaine Brigitte Giraud (Un loup pour l’homme,
Flammarion, 2017). Comme l’imagine par ailleurs Laurent Mauvignier dans
Des hommes (Minuit, 2009), les relations entre soldats et Françaises
d’Algérie sont facilitées par le partage de normes sociales et culturelles. Il y
aurait aussi à restituer, dans un contexte de détentions multipliées, les
conceptions arrachées à la surveillance des parloirs, à raconter comment les
engagements, tout en radicalité, ont bouleversé les couples. Ainsi Francis
Jeanson* quitte sa femme Colette pour Hélène Cuénat qu’il délaisse
également, une fois qu’elle est incarcérée (elle en parle dans La Porte verte,
Éditions Bouchène, 2001). En Algérie, d’improbables rencontres défient la
frontière coloniale : dans les milieux anticolonialistes* dont la guerre
renforce les combats, à l’image d’Anne-Marie Chaulet et de Salah Louanchi
(Parcours d’un militant algérien, Alger, Dahlab, 1999) mais aussi entre
soldats français et Algériennes – Alain Jaspard raconte son histoire de façon
romancée dans Les bleus étaient verts (Éditions Héloïse d’Ormesson, 2020).
Sur le sol de l’Hexagone, des Algériens se sont liés à des métropolitaines,
avec qui ils se sont mariés ou non – Marc André en présente des cas pour
Lyon* (Femmes dévoilées, ENS Éditions, 2016). Le sujet des relations
amoureuses gagnerait à être pris systématiquement pour objet d’études de
part et d’autre de la Méditerranée.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, « La sexualité des appelés en Algérie », in Jean-
Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des femmes en guerre d’Algérie,
Autrement, 2003 • Catherine Brun et Todd Shepard (dir.), Guerre d’Algérie.
Le sexe outragé, Éditions du CNRS, 2016 • François Rouquet, Fabrice Virgili
et Danièle Voldman (dir.), Amours, guerres et sexualité. 1914-1945,
Gallimard-Musée de l’Armée-BDIC, 2007.
AMRANE-MINNE DJAMILA, NÉE DANIÈLE
MINNE (1939-2017)
Danièle Minne est née en août 1939 en France, à Neuilly-sur-Seine. Son
père est professeur de philosophie, ancien résistant et anticolonialiste*. Après
une affectation au Sénégal, sa famille se retrouve en Algérie en 1948, à
Tlemcen. Après le divorce de ses parents, Danièle Minne reste avec sa mère,
Jacqueline Netter, qui est institutrice à Négrier. Elle baigne dans un milieu
acquis aux idées communistes. En 1950, sa mère épouse Abdelkader
Guerroudj*, instituteur et militant du PCA*. Aux côtés de sa mère et de son
beau-père, Danièle Minne découvre le monde rural algérien et son extrême
paupérisation.
En 1955, interdite de séjour dans l’Oranie, sa famille s’installe à Alger.
L’engagement de Danièle Minne en faveur de l’indépendance de l’Algérie
commence par sa participation à la grève* des lycéens et étudiants* décrétée
en mai 1956. Quand les tâches qu’elle assure – liaisons et transport des
armes – sont découvertes, elle entre dans la clandestinité et rejoint le groupe
des poseuses de bombes réuni autour de Yacef Saadi*. Son nom de fidaiya
est Djamila. Impliquée dans l’attentat du café L’Otomatic (28 janvier 1957),
elle est évacuée au maquis, en Wilaya 3*, pour échapper aux poursuites
policières.
Durant son séjour en Kabylie, celle qu’on appelle Djamila dispense des
soins aux maquisards et aux civils. L’intensité des combats et la
multiplication des zones interdites* décident Amirouche* à organiser
l’évacuation des femmes* du maquis vers la Tunisie*. Mais le convoi de
Djamila Minne est attaqué par l’armée française, près de Medjana, le
26 novembre 1957. Elle est arrêtée avec Nefissa Hamoud*, le Dr Laliam et
Louisa Attouche, tandis que Raymonde Peschard* y perd la vie. Condamnée
à sept ans d’emprisonnement, elle est incarcérée à Barberousse puis
transférée en France dans les prisons* de Rennes et de Pau. Elle y passe son
baccalauréat. Elle est finalement libérée et amnistiée selon les accords
d’Évian* en 1962.
À l’indépendance, elle reprend ses études en histoire à l’université
d’Alger* et soutient une thèse en 1988 sur « Les femmes algériennes et la
guerre de libération en Algérie ». Elle en a tiré deux ouvrages, signés
différemment selon qu’elle utilise son nom d’épouse (Amrane) ou ce nom
accolé à son patronyme de naissance (Minne) : Djamila Amrane, Les Femmes
algériennes dans la guerre (Plon, 1991) et Djamila Amrane-Minne, Des
femmes dans la guerre d’Algérie (Karthala, 1994). Dans ses travaux, elle a
essayé de montrer la complexité et surtout la diversité des femmes engagées
dans la lutte. En 1994, elle quitte l’Algérie et rejoint l’université de Toulouse
où elle enseigne et poursuit ses recherches sur l’histoire des femmes jusqu’à
sa retraite en 2004.
Karima RAMDANI
Bibl. : Jacqueline Martin, « Danièle-Djamila Amrane Minne (1939-2017).
Moudjahida et historienne des moudjahidates », Clio. Femmes, genre,
histoire, no 46, 2017.
Film. : Alexandra Dols, Moudjahidate, film, Hybrid Pulse Production, 2018,
75 min.
ANIMAUX
Si les animaux ont fait l’objet de recherches dans le cas d’autres conflits,
force est de constater que ce champ est encore largement à creuser dans le cas
de la Guerre d’indépendance algérienne. Pourtant, les animaux ont été
largement concernés par ce conflit, comme auxiliaires et comme victimes des
hommes.
Certains animaux domestiques ont tout d’abord été d’utiles auxiliaires des
hommes, comme lors des autres conflits mais aussi avec quelques
spécificités. L’armée française a ainsi utilisé environ 7 500 chiens, répartis
dans des chenils militaires à Mostaganem et surtout à Beni-Messous, et
disséminés dans des unités cynophiles partout en Algérie. Là, ils pouvaient
servir à garder les installations militaires ou à retrouver les mines* déposées
par l’ALN*. Les chiens ont aussi été utilisés pour détecter ou pour pister les
combattants de l’ALN. Parmi les chiens pisteurs, le plus connu du conflit est
Gamin, un berger allemand du chenil de Beni-Messous, qui a protégé le corps
de son maître mort dans un accrochage à Barral, le 29 mars 1958, et qui a été
lui-même grièvement blessé. Mort le 23 novembre 1960, une stèle lui est
élevée au Centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie
(CNICG). Enfin, les premiers essais de dressage de chiens détecteurs
d’explosifs ont été réalisés durant le conflit algérien, pour tenter de déjouer
les attentats du FLN*. Du côté algérien, les chiens étaient au contraire très
craints. D’une part, les chiens étaient des vigies très efficaces, qui pouvaient
prévenir les déplacements des combattants. De ce fait, le FLN a obligé la
population algérienne à tuer les chiens pour ne pas être repérés. L’ALN tuait
également les chiens des Européens d’Algérie avant d’attaquer leurs maîtres.
Les chiens militaires étaient bien entendu également visés. Ceux-ci étaient
d’autre part très redoutés par la population et les combattants algériens : ils
pouvaient blesser et tuer.
Par ailleurs, l’armée française a également eu recours aux chevaux. Elle a
même renforcé leur utilisation, délaissée depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Ainsi, deux Escadrons de spahis algériens (ESA) se sont ajoutés
aux deux préexistants, avant d’être transformés en régiments. Des unités
supplétives montées ont également été créées. Le renforcement de l’usage des
chevaux tient à ce que ceux-ci étaient supposément mieux adaptés à la
montagne que les blindés*. Mais leur utilisation s’est ensuite portée vers des
terrains moins accidentés, comme dans la région de Géryville. Les chevaux
permettaient de surprendre l’adversaire en se déplaçant silencieusement et
rapidement, ou encore d’aller au contact de la population algérienne au sein
de laquelle le cheval était prestigieux (comme en témoignent les fantasias qui
étaient organisées). Mais, si les cavaliers étaient surpris, ils devenaient très
vulnérables, comme lors du premier véritable accrochage d’une unité montée,
le 1er mars 1957, au cours duquel douze spahis moururent. Les chevaux
utilisés étaient des barbes, originaires d’Afrique du Nord, résistants. Ils
étaient soignés dans les groupes vétérinaires de Mostaganem, de Saint-
Arnaud et de Blida. Au nombre de 300 en 1958, ils ont été laissés à l’armée
algérienne à l’indépendance, envoyés au Sénégal ou encore vendus.
Dans les Territoires du Sud*, c’est surtout le dromadaire qui a été utilisé.
Après une réorganisation des compagnies méharistes en 1947, il en restait
ainsi 5 montées, basées à Adrar, Tindouf, Tamanrasset, Fort-Polignac et El
Oued. Celles-ci pouvaient comprendre jusqu’à plus de 70 dromadaires
méhari, animaux de selle originaires du centre du Sahara algérien. Les
méharistes devaient pourvoir eux-mêmes aux besoins de leurs animaux. De
son côté, l’ALN a également utilisé des dromadaires, surtout pour le transport
d’armes et de matériels (notamment depuis la Tunisie* et la Libye). Mais les
caravanes sont des cibles faciles. Ainsi, le 15 octobre 1957, 63 méharistes
désertent près de Timimoun avec plus de 200 dromadaires. Les déserteurs
sont repérés et pris pour cible par des avions de chasse. Il ne reste finalement
plus que 18 bêtes en vie, avant les combats qui deviendront la « bataille de
l’Erg ».
Pour les transports de matériel, les combattants algériens utilisaient aussi
des ânes. Repérables, ils devenaient également des cibles aisées lors d’un
accrochage. Les ânes étaient aussi appréciés par les soldats français, qui s’en
servaient comme animaux de compagnie, de corvée, mais aussi comme
mascottes. Souffrant de mauvaise réputation, ils pouvaient être moqués et
servir d’amusement. D’autres animaux ont servi de mascottes : chiens, chats,
fennecs, caméléons… Ces derniers ont souvent été abandonnés au moment
du départ des soldats, parfois avec émotion.
De nombreux autres animaux ont fait les frais de la guerre d’Algérie.
Ainsi, des animaux domestiques ont été razziés, surtout par l’armée française
auprès de la population algérienne : poules, parfois moutons ou chèvres.
L’ALN tuait quant à elle les animaux des Européens d’Algérie. Les soldats
français pratiquaient également la chasse, afin d’améliorer leur alimentation
quotidienne : sangliers, gazelles dans le Sud, etc. Enfin, les animaux sauvages
ont aussi été victimes des bombardements (notamment au napalm) et des
incendies provoqués par les combattants, qui ont plus largement affecté
l’environnement*.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Amélie Leroy, « Historique du chien militaire, de la domestication à
aujourd’hui », thèse de doctorat vétérinaire sous la dir. de D. Cléro, faculté de
médecine de Créteil, 2018 • Thierry Noulens, « Les unités à cheval en
Algérie, 1954-1962 », Revue historique des armées, no 249, 2007.
ANTICOLONIALISTES (ASSOCIATIONS)
Paradoxalement, alors que les anticolonialistes ont aidé à l’indépendance
de l’Algérie, ils ont constitué un groupe mémoriel peu puissant, disposant de
peu d’associations.
La première est l’Association des combattants de la cause anticoloniale
(Acca). Fondée comme amicale en 1986 puis devenue association en 1996,
elle est basée à Malakoff et est portée par des militants communistes, dont
Henri Alleg* (le premier président), l’opposant à la guerre d’Indochine*
Henri Martin et le « soldat du refus* » Alban Liechti* (qui l’a ensuite
dirigée). Ultérieurement renommée Agir contre le colonialisme aujourd’hui,
elle a publié un « Manifeste pour la condamnation du colonialisme et de ses
crimes, et pour l’instauration de nouveaux rapports Nord/Sud ». Depuis 1999,
elle dispose d’un bulletin, Agir contre le colonialisme aujourd’hui.
Au cours de la guerre civile algérienne, certains anciens opposants de la
guerre d’Algérie se sont également mobilisés pour venir en aide aux
Algériens. Ils ont ainsi créé un bulletin, Pour ! Action & solidarité avec les
démocrates algériens, dont le directeur de publication était Jean-Jacques
Porchez, à la tête du « groupe Nizan » pendant la Guerre d’indépendance. Le
comité de rédaction comprenait d’autres réfractaires* ou membres des
réseaux de « porteurs de valises* » pendant la guerre d’Algérie.
Avec la résurgence de la mémoire de la Guerre d’indépendance dans les
années 1990 et au début des années 2000, d’anciens membres de l’Action
civique non violente (ACNV), créée en 1959, entreprennent de se retrouver.
C’est chose faite en 2003, sur le Causse noir. La quarantaine d’anciens
réfractaires projette l’écriture d’un livre, publié sous le nom collectif d’Erica
Fraters, et la réalisation d’un documentaire. Le groupe ne s’est pas constitué
en association « loi 1901 ».
Une partie d’entre eux ont rejoint l’Association des appelés en Algérie et
leurs amis contre la guerre (4ACG), fondée en 2004 par quatre anciens
appelés en Algérie. Ses membres n’avaient pas forcément contesté la guerre
d’Algérie quand ils y ont participé, mais l’association porte aujourd’hui les
valeurs de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La retraite d’ancien
combattant des membres de l’association qui ont participé au conflit permet
de financer des projets en Algérie et en Palestine. Les membres interviennent
également dans les écoles.
Il faut enfin ajouter l’Association des pieds-noirs progressistes et de leurs
amis (ANPNPA), composée de pieds-noirs* opposés aux associations pieds-
noires favorables à l’Algérie française, voire à l’OAS*, et désirant au
contraire renforcer l’amitié franco-algérienne. Fondée le 8 novembre 2008,
elle est basée à Marseille* et est présidée par Jacques Pradel.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Association des 4ACG, Guerre d’Algérie, guerre d’indépendance.
Paroles d’humanité, L’Harmattan, 2012 • Erica Fraters, Réfractaires à la
guerre d’Algérie. 1959-1963, Syllepse, 2005.
Film. : François Chouquet, Comme un seul homme, film documentaire, 2005.
APPELÉS DU CONTINGENT
Pour faire face à l’extension de la « rébellion » en Algérie, et éviter une
mobilisation partielle qui aurait été très mal perçue par l’opinion* sans
ennemi déclaré, les gouvernements successifs augmentent les effectifs à la
suite de la dissolution des unités marocaines et de désertions dans les unités
de tirailleurs et de spahis algériens. Outre le rappel de disponibles (ou
rappelés) fin 1955 et premier semestre 1956, une autre disposition est prise :
le maintien sous les drapeaux au-delà de la durée légale du service militaire*
fixée à dix-huit mois par la loi du 30 novembre 1950. Déjà, en août 1955, le
contingent 1954-1 effectue un service de vingt-quatre mois. Le décret du
12 avril 1956 maintient sous les drapeaux la classe 55-1. Il en sera de même
pour les suivantes jusqu’au début de 1962. Les temps de présence sous les
armes en Algérie vont alors de vingt-quatre à vingt-huit mois, voire trente
selon les spécialités, les grades et les affectations. On distingue les PDL
(pendant la durée légale) des ADL (au-delà de la durée légale) qui attendent
« la quille » comme une libération sans jamais être vraiment sûrs de la date
du retour dans leurs foyers.
L’accélération des appels est favorisée par la loi du 30 novembre 1950
qui autorise l’exécutif à fixer par décret la date d’incorporation. Ceci permet
non plus un appel par semestre mais plusieurs selon les besoins en effectifs.
De cette sorte, pour la dernière fois de son histoire, la République engage ses
gros bataillons dont les effectifs moyens sont d’environ 400 000 hommes de
fin 1956 à 1961. À compter de fin 1956, le « plan Bugeaud » relève les
rappelés par les appelés et l’extension du maintien sous les drapeaux des
ADL. Dès lors, la guerre d’Algérie repose en très grande partie sur les
hommes du contingent, majoritairement affectés dans les troupes de secteur*.
Pour un total d’environ 2 millions d’hommes en armes en Algérie de 1954 à
1962, on compte 1 200 000 appelés qui ont des visions bien différentes de la
guerre. Face à un adversaire souvent invisible, un appelé de la fin 1954 garde
un souvenir du conflit qui n’a que peu de rapport avec celui d’un camarade
plus jeune, au combat sur la frontière orientale en 1958 ou lors des
déchirements de l’année 1962. Ainsi, le numéro de la classe est essentiel, par
exemple pour ceux qui ont joué un rôle clé dans l’échec du putsch* des
généraux en avril 1961. Chaque classe de jeunes gens de 20 ans constitue
deux contingents semestriels (exemple, classe 52-1 ou 2). À partir de la
classe 54-2/A, incorporée à compter du 1er août 1954, chaque semestre se
divise en trois fractions, la lettre indiquant le mois d’appel sous les drapeaux.
Jusqu’en 1956 inclus, le mois est pair (la 56-1/A pour février), puis il devient
impair (la 57-1/A pour janvier), même si cette règle souffre de nombreuses
exceptions (la classe 60-2/C n’a pas été levée…). Ces jeunes gens de 20 ans,
qui ne sont pas encore électeurs (la majorité légale est à 21 ans), sont plus
malléables et plus obéissants que les réservistes rappelés sous les drapeaux.
Cette génération* est marquée par le sens du devoir inculqué par la famille et
l’école républicaine, mais aussi par le règlement de discipline générale de
1933 qui ordonne que tout ordre soit exécuté « sans un murmure ».
L’étude des sentiments du combattant est riche d’enseignements. De
1994 à 2016, nous avons mené une enquête auprès de mille témoins. Après
une traversée mouvementée à fond de cale, passé la surprise de découvrir de
curieux départements où les inégalités sont criantes, le sentiment dominant
pour 70 % des témoins est un élan de solidarité entre copains. À l’inverse des
autres générations du feu, les combattants d’Algérie présentent une
homogénéité par classes d’âge. L’égalité des situations et l’uniforme leur font
abandonner les préjugés sociaux. Les sursitaires ayant quatre à six ans de
différence d’âge sont davantage à part, mais peuvent s’engager plus
fortement au service des autres en tant qu’officiers* de réserve, en particulier
au sein des postes isolés. Dans les régiments parachutistes*, le clivage
réserve-active s’estompe par un esprit de corps et une solidarité dus, pour
beaucoup, à la qualité de l’encadrement.
Le « cafard » qui peut naître est dû à l’abrutissement d’une vie en poste
marquée par la routine d’un travail de veille, de corvées, d’embuscades*,
d’opérations de « ratissage »… Ce mauvais moral peut devenir contagieux
entre appelés d’une même classe condamnés à la promiscuité de petits postes
inconfortables. Chronique, le cafard peut conduire à l’automutilation et au
suicide, dont le nombre global reste inconnu car compté avec les noyades et
les maladies. En fait, les appelés n’ont pas le choix. Le sentiment du devoir
n’exclut pas celui de se sentir « piégé ». Contre leur gré, les appelés
deviennent des ouvriers de guerre. Quand on interroge les témoins sur cette
accoutumance à la violence de guerre et aux dérapages que cela a pu
entraîner, certains esquivent en retenant surtout leur baptême du feu, même
s’ils éprouvent des difficultés à raconter le combat. Occasionnelle (40 % des
témoins) ou permanente (17 %) selon les unités, la peur est un sentiment
partagé par toutes les générations du feu. Elle prend des formes particulières
en Algérie car l’ennemi est partout et nulle part. Entretenue par les
harcèlements nocturnes des postes, la peur apparaît aussi à la veille de chaque
opération, lorsque le commandement donne l’ordre de ne porter sur soi que la
plaque d’identité (parfois appelée « plaque à viande »). La crainte de
l’embuscade est latente (14 % des témoins). Les mines* sont particulièrement
redoutées, mais la peur d’être fait prisonnier, avec la crainte d’être supplicié
et mutilé, est une terreur qui domine toutes les autres, et est soigneusement
entretenue par les cadres comme le plus sûr rempart contre la désertion.
Par ailleurs, il ne semble pas que le sentiment religieux ait été renforcé.
Comme dans toute guerre se rencontrent autant d’approches qu’il existe
d’individus. Beaucoup se demandent ce qu’ils sont venus faire en Algérie :
envoyés pour le maintien de l’ordre et la pacification*, ils se retrouvent au
casse-pipe dans une guerre ignorée par la métropole. Une majorité s’est tue et
a fait son devoir. Pour les uns, de plus en plus minoritaires, il s’agit d’une
cause juste : défendre la nation sous l’emprise d’une guerre subversive et y
combattre le communisme international sans se rendre compte des
spécificités du FLN*. Beaucoup prennent conscience du déni des lois et
coutumes de la guerre, ce qui hante bien des mémoires. Certains (19 % des
témoins) gardent le sentiment d’une jeunesse volée pour un résultat nul, là où
d’autres pensent avoir fait la guerre malgré eux à un peuple qui se libérait. En
bref, 64 % des appelés gardent une impression négative de leur expérience
algérienne. Pour 25 % d’entre eux, leur séjour en Algérie fut inutile et 20 %
protestent contre le sacrifice non reconnu. Quelques-uns estiment qu’ils n’ont
fait que leur devoir : 5 % se déclarent fiers de l’œuvre accomplie et 3 % ont
le sentiment de défendre la patrie. Parmi ces deux dernières catégories, outre
les instituteurs et infirmiers du contingent, figure une majorité de Français
d’Algérie, des anciens paras, ou des hommes des sections administratives
spécialisées* (SAS) qui ont eu le sentiment d’apporter quelque chose à un
peuple qui accède paradoxalement à la modernité par la guerre.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Jean-Charles Jauffret, Guerre d’Algérie, les combattants français et
leur mémoire, Odile Jacob, 2016.
ARCHIVES PRIVÉES
À côté des archives* issues des institutions publiques, définies par
l’article L. 211-4 du Code du patrimoine, nous trouvons les archives privées.
D’après l’article L. 211-5, celles-ci correspondent aux autres documents, qui
n’entrent pas dans le champ d’application des archives publiques. Il s’agit
donc d’une définition en creux, très large, qui rend dans la pratique complexe
l’appréciation des archivistes sur la nature des documents. Comme toutes les
archives, ce sont l’« ensemble des documents, y compris les données, quels
que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support,
produits ou reçus par toute personne physique ou morale » (art. L. 211-1).
Dans les faits, ces archives sont donc produites par des entreprises, des
associations, des partis politiques, des familles, des personnes… Il existe bien
entendu des interférences entre archives privées et publiques : un homme
politique peut à la fois produire des documents publics dans le cadre de son
activité, et des documents privés personnels. Inversement, des documents
« privés » (une lettre ou un tract) se trouvent fréquemment dans les archives
publiques.
Concernant la guerre d’Algérie, les Archives nationales conservent de
nombreuses archives privées. Les fonds de plus d’une vingtaine de personnes
sont sur le site de Pierrefitte-sur-Seine. Nous y trouvons des archives
d’hommes politiques de tous bords (Georges Bidault, Eugène Claudius-Petit,
Louis Terrenoire, René Mayer, Alain Savary, Marceau Pivert, Oreste
Rosenfeld), des personnes ayant joué un important rôle dans l’administration
ou l’économie (Paul Devinat, Henri-Paul Eydoux, Jacques Lucius), des
avocates (Yvonne Jougla, Gisèle Halimi*), des universitaires (René Capitant,
Antoine Prost, Madeleine Rebérioux*), des journalistes et écrivains (Alfred
Fabre-Luce, Georges Hourdin, Jean-Raymond Tournoux), un architecte
(Fernand Pouillon)… Parmi les archives d’associations et de partis politiques
se trouvent notamment celles du PSU*.
Les Archives nationales d’outre-mer (Anom) à Aix-en-Provence
contiennent bien entendu de très nombreux fonds privés sur l’Algérie. Ceux-
ci se subdivisent entre les fonds privés des colonies, les papiers d’agents, les
archives privées d’outre-mer, les archives entrées par voie extraordinaire, et
les archives d’entreprises. En totalité, plus de quarante fonds concernent la
période de la Guerre d’indépendance. Ils peuvent concerner les événements
en eux-mêmes mais aussi rendre compte de la vie quotidienne à cette période.
Parmi les personnes ayant joué un rôle notable durant le conflit, signalons
Robert Delavignette* (membre de la Commission de sauvegarde des droits et
libertés individuels*), Ali Chekkal (vice-président de l’Assemblée
algérienne) ou encore l’officier Abdelkader Rahmani. Nous trouvons aussi
les fonds d’un préfet* (André Vimeney), d’un sous-préfet (Guy Pauchou), du
maire* de Bougie et député de Constantine Jacques Augarde, ainsi que ceux
d’opposants à la guerre d’Algérie comme Nelly Forget* (assistante sociale
dans les centres sociaux éducatifs*) ou Marianne Peyre (membre d’un
Comité contre la guerre d’Algérie à Tain-l’Hermitage). S’y repèrent
également les archives de Marcel Émerit, professeur à la faculté de lettres
d’Alger, ou encore des journalistes Jean Lacouture et Paul-Marie de la Gorce.
D’autres fonds montrent une activité quotidienne en Algérie : des notaires de
Sétif et d’Alger, un huissier de justice de Cherchell, un cultivateur près
d’Alger, une sage-femme d’Orléansville… Les fonds portent également sur
les religions, avec par exemple les archives des Églises protestantes en
Algérie, de 1833 à 2003, les archives du père blanc Jean Déjeux, et de
Georges Dahmar, premier Kabyle à être ordonné prêtre en 1947. Enfin, les
Anom comprennent plusieurs fonds d’entreprises, telle la Compagnie
agricole oranaise, le Crédit foncier d’Algérie et de Tunisie, la Banque
d’Algérie et de Tunisie ou encore la Compagnie des chemins de fer Bône-
Guelma et prolongements.
Plusieurs fonds intéressant la guerre d’Algérie sont également conservés
aux Archives nationales du monde du travail (ANMT), à Roubaix. Pour les
organisations, nous trouvons en particulier ceux du Secours populaire
français* (SPF), de la Mission de France*, du Syndicat national des
instituteurs* (SNI). Certains fonds d’entreprises peuvent avoir des liens avec
l’Algérie et la guerre, comme ceux du Crédit foncier de France (CFF) et de
Thomson. Enfin, certains fonds individuels concernent aussi la période, que
les personnes soient très connues (comme l’abbé Pierre) ou qu’elles le soient
moins (Francis Philippe de la Jeunesse ouvrière chrétienne, l’historienne
Madeleine Singer).
Au Service historique de la Défense (SHD), parmi les cinquante fonds
privés concernant la période contemporaine, quelques-uns concernent la
guerre d’Algérie, dont ceux du général Bigeard*, de l’amiral Jean-Marie
Querville ou du général Fernand Gambiez*. Le fonds Serge Barcellini peut
aussi servir à écrire une histoire de la mémoire de la guerre d’Algérie. Au
Centre des archives diplomatiques, peu de fonds privés intéressent la guerre
d’Algérie. En revanche, de nombreux fonds ont été déposés aux archives
départementales, notamment à la suite de la « Grande Collecte » de
novembre 2016 sur le thème « Afrique-France XIXe et XXe ». Cette « Grande
Collecte » est organisée pour attirer l’attention des détenteurs d’archives
privées sur leur rôle pour l’écriture de l’histoire.
Certains centres ne détiennent même que des fonds privés. Sur la guerre
d’Algérie, il s’agit en premier lieu de La Contemporaine, ancienne
Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), sise à
Nanterre. Nous y trouvons à la fois des fonds déposés par des personnes
physiques comme les avocats Pierre Stibbe et Jean-Jacques De Felice (qui a
commencé sa carrière pendant la guerre d’Algérie), le photographe Élie
Kagan*, le commissaire Jacques Delarue (qui a beaucoup lutté contre
l’OAS*), ou encore le militant libertaire Daniel Guérin. Les fonds
d’organisations sont aussi stimulants. Citons-en simplement trois parmi les
plus importants : l’Unef*, la Ligue des droits de l’homme* et la Cimade*. En
second lieu, au musée de l’Histoire vivante (MHV), à Montreuil, se trouvent
des fonds privés provenant pour l’essentiel de militants communistes tels
Jacques Duclos et l’avocat Paul Vienney. L’Office universitaire de recherche
socialiste (Ours) détient notamment les archives de Guy Mollet*. Enfin, il
existe les fondations d’hommes politiques, qui possèdent leurs archives
privées : la fondation Charles-de-Gaulle et l’institut François-Mitterrand pour
ne prendre que deux des noms les plus connus.
Ces fonds privés sont constitués pour l’essentiel d’archives écrites, mais,
de plus en plus, les archives orales jouent un rôle important. La
Contemporaine a ainsi développé un programme de collecte d’archives
orales, qui se comprend en interaction avec les fonds privés écrits. Si les
souvenirs se déforment, les écrits peuvent permettre de rétablir une part de
vérité. Ce phénomène s’entend à la fois pour des personnalités qui ont joué
un rôle important dans le conflit, mais aussi, de plus en plus, pour des
« acteurs » ou des « témoins » avec peu de responsabilités qui ont « subi » les
événements. Cela permet ainsi de mieux comprendre comment les
événements ont été ressentis par les acteurs au plus proche du terrain, jusqu’à
écrire parfois des biographies d’anonymes.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?
L’histoire en débats, Points-Seuil, 2005 • Paul Delsalle, Lexique des archives
et documents historiques. Du papyrus au vidéodisque, Nathan université,
1996 • Véronique Gazeau-Goddet et Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet.
Enquête sur un appelé dans la guerre d’Algérie, PUF, 2022.
ARGOT MILITAIRE
De tout temps, dans toutes les armées, un vocabulaire particulier,
insultant, a eu comme fonction de rabaisser l’ennemi. La Première Guerre
mondiale avait eu ses « boches ». En terre coloniale, sait-on que le mot
« salopard » est né durant la guerre du Rif (Maroc*, 1924-1926) ?
Dans les tout premiers temps de la guerre d’Algérie apparaît un
phénomène singulier. Certains officiers* et sous-officiers*, « anciens
d’Indo », continuaient à appeler « Viets » les combattants algériens, selon
une logique assez élémentaire : même « guerre révolutionnaire* », mêmes
adversaires insaisissables… Cette pratique fut suffisamment répandue pour
inquiéter les autorités militaires. Le général Noiret, commandant la région du
Constantinois, y consacra une directive (31 mai 1956).
Plus généralement, il y eut les insultes racistes, non spécifiquement
militaires. Aux classiques « bicots », « troncs », « crouillats » s’ajoute, à
partir de 1957, un nouveau terme, appelé à un certain destin : « bougnoules ».
Mais, massivement, un mot finit par s’imposer : « fellaghas ». Mot passe-
partout, qui ramène les combattants du FLN* à de vulgaires bandits de grands
chemins, des « coupeurs de routes », tout juste bons à pratiquer de lâches
embuscades*. En cela, les observateurs du début de la guerre d’Algérie ne
différèrent guère de ceux de toute l’ère coloniale. On trouve le mot par
exemple dans ce récit de l’assassinat du père de Foucauld (1er décembre
1916) : « Fellaghas : nom donné aux sans-patrie du Sahara » (lieutenant
Béjot, janvier 1918)… En 1952, le mot avait fait une réapparition en
Tunisie*, avant de s’imposer sur le théâtre d’opérations algérien. Dès lors,
lorsque les hommes politiques, les militaires, bien des journalistes,
évoquaient ceux d’en face, nulle hésitation sémantique : « L’action des
fellaghas, ne permet pas de concevoir, en quelque forme que ce soit, une
négociation* » (François Mitterrand*, 5 novembre 1954) ; « Des acteurs
imprévus : les fellagas » (Le Monde, 5 novembre 1954) ; « Les fellaghas
maintiennent leur pression » (L’Aurore, 17 novembre 1954), etc. Au
quotidien, on entendit souvent « fells », voire « fellouzes », le suffixe -ouze
étant en lui-même dévalorisant.
Alain RUSCIO
ARMÉE DE L’AIR
L’armée de l’air, dont le rôle pendant la guerre d’Algérie a été longtemps
minimisé, a participé activement aux opérations ; et ce d’autant plus que les
Algériens étaient dépourvus de toute force aérienne.
Au courant de l’année 1956, Paris se résout à envoyer des personnels en
renfort pour répondre à l’évolution du conflit et à l’aggravation de la situation
militaire. Jusqu’à 50 000 aviateurs, soit 40 % des effectifs de l’armée de l’air,
seront engagés en Algérie et dans les Territoires du Sud*. Le haut
commandement consent un effort considérable en engageant 20 % des
disponibilités matérielles, soit en moyenne 600 avions et 100 hélicoptères.
Déjà, dès 1955, les plus hauts responsables des armées n’avaient pas hésité à
effectuer des prélèvements de moyens au profit de la 5e Région aérienne
(Alger). Cela s’est fait au détriment des forces chargées de la défense de
l’Europe occidentale au sein de l’Otan. Ainsi, le ministre de la Défense
nationale André Morice déclare lors du comité technique des programmes
des forces armées du 30 août 1957 que « l’Algérie est la priorité absolue »
pour marquer la détermination du gouvernement français. Au plus fort des
opérations au début de 1959, l’armée de l’air aligne 952 aéronefs parmi
lesquels 275 T6 (monomoteurs bien connus des moudjahidines*) qui sont de
tous les combats.
En quelques années, une partie non négligeable des forces aériennes subit
une profonde mutation destinée à la mise en œuvre de la stratégie de contre-
guérilla, qui implique la coopération entre les trois armées. Il faut en effet que
l’armée s’adapte à un adversaire « extrêmement fluide » menant une lutte
armée déconcertante tant pour les anciens d’Indochine* que pour les
personnels entraînés à la guerre classique dans l’hypothèse de l’ouverture
d’un « front » en Europe. La révision de la doctrine d’emploi de l’arme
aérienne s’est vite imposée et a permis d’adopter des modes d’action qui ont
conduit à une coopération étroite avec l’armée de terre* en charge (sur le
terrain) de la poursuite et de la neutralisation des katibas. Dès lors, la
troisième dimension occupe une place de premier plan : sans l’appui aérien,
bon nombre de succès n’auraient pu être obtenus. La contribution de la 5e
Région aérienne ne s’arrête pas là ; des formations nouvelles comme les
commandos* de l’air, les compagnies de garde et la demi-brigade de fusiliers
de l’air (DBFA) formées de rappelés qui comptent jusqu’à 2 000 hommes
participent activement aux opérations offensives et au quadrillage du
territoire avec les fantassins de l’armée de terre.
Dans un paysage propice aux dissimulations, la participation de l’aviation
de reconnaissance et d’observation aériennes a pour but d’assurer le bouclage
des frontières et de l’espace aérien afin d’empêcher le ravitaillement en
armement par voie terrestre en provenance de l’étranger, notamment des pays
limitrophes (Maroc*, Tunisie* et Libye). De même, l’aviation de
reconnaissance du groupe d’outre-mer 86 équipé d’avions Dassault 311, 312
et 315 facilite le repérage des convois transportant par voie maritime les
armes de contrebande. Certains de ces appareils sont équipés pour la guerre
du renseignement électronique et l’écoute des communications en Afrique du
Nord. Mais, dès 1954, l’aviation est appelée à jouer un rôle important dans la
conduite des opérations : elle repère les groupes armés et les immobilise,
guide et conseille les troupes au sol, et enfin transporte par hélicoptère les
compagnies de combat qui doivent les intercepter et les neutraliser. Pendant
toute la durée du conflit, l’appui des troupes « au contact » des
moudjahidines reste la mission prioritaire des escadrons de l’aviation de
chasse et de bombardement. Les trois groupements aériens tactiques (Gatac)
disposent d’une quarantaine de bombardiers légers de type B-26, d’escadrons
de biréacteurs Vautour ainsi que de plusieurs escadres de chasseurs
bombardiers à réaction Mistral (dérivés du Vampire britannique) équipés de
quatre canons de 20 mm, de F-47 et Skyraiders américains dotés
d’armements lourds : roquettes, bidons de napalm, mitrailleuses. En outre,
pour appuyer directement les troupes au sol, le commandement obtient
l’achat aux États-Unis* d’hélicoptères lourds Sirkorsky S-55 et leur envoi en
Algérie. Parmi les aéronefs les plus modernes détachés pour de courtes
périodes, le Super-Mystère B2 (SMB2) de la Générale aéronautique Marcel
Dassault (GAMD) et le F-84 E américain, engagés dans quelques opérations,
ont été retirés du théâtre des opérations car trop rapides et d’une efficacité
toute relative dans l’appui-feu.
Tous ces appareils interviennent à partir de nombreuses bases réparties
sur l’ensemble du territoire. Telergma, la base la plus importante de l’est de
l’Algérie, véritable place forte, considérée comme un « porte-avions des
sables », rassemble les aéronefs et les hélicoptères de l’armée de l’air ainsi
que de l’aviation légère de l’armée de terre (Alat), mais aussi les flottilles de
Corsair de l’Aéronavale (détachées à terre, normalement embarquées sur
porte-avions). La zone d’action de ces appareils couvre le Constantinois, les
Aurès, les Nemenchas, l’Ouarsenis et leurs marches, soit les régions
regroupant les meilleures troupes de l’ALN (Wilayas 1*, 2* et 3*). Les dix
bases opérationnelles le 1er novembre 1954* couvrant le nord de l’Algérie ne
permettent pas l’aérotransport de troupes au-delà de Biskra ou de Touggourt.
À la fin de 1958, trente-sept nouvelles infrastructures quadrillent l’Algérie et
le Sahara, traduction spatiale de la présence et de la participation active de
l’armée de l’air dans la lutte antiguérilla. Toutes les pistes peuvent désormais
recevoir les avions Nord 2501 et faciliter l’envoi des unités parachutistes*
dans les zones les plus reculées du territoire. Mais la plupart des opérations
aéroportées (OAP) tombent dans le vide et seront abandonnées au profit du
transport par hélicoptère des unités au contact des katibas.
L’arme aérienne provoque un effet psychologique délétère sur les
combattants de l’ALN jusqu’en 1957. L’effet de surprise joue depuis la mise
en œuvre de la doctrine d’emploi de l’aviation légère : les Morane et les Piper
sont particulièrement redoutés car, très lents, ils voient et repèrent facilement
leurs mouvements, balisent leurs positions et les signalent à l’artillerie et aux
avions d’attaque. En outre, les hélicoptères présentent aussi un grand danger
pour les combattants algériens lors des accrochages : les redoutables Sikorsky
S-58 et H-34 armés d’un canon de 20 mm et d’une mitrailleuse lourde de
12,7 mm empêchent tout mouvement ennemi et permettent le débarquement
des groupes d’assaut français. Mais faute de pouvoir toujours riposter
efficacement, les moudjahidines s’adaptent à la nouvelle tactique ; un
meilleur camouflage, une préparation plus soignée des postes de combat
associés à la mise en place de guets autour des bases aériennes pour prévenir
les mouvements de troupe pallient l’insuffisance notoire des moyens de lutte
anti-aérienne si l’on fait exception de l’utilisation de la mitrailleuse
allemande MG-42 qui explique les pertes françaises (Morane, MH-1521
Broussard, T-6, S-55 et S-58, Alouette II).
Deux opérations aériennes hors normes ont particulièrement marqué les
esprits. En premier lieu, le détournement* spectaculaire le 22 octobre 1956 de
l’avion transportant cinq des chefs du FLN* entre Rabat et Tunis par les
avions de chasse de la base d’Oran-La Sénia, qui a mis en lumière la
détermination du haut commandement en Algérie d’utiliser tous les moyens
pour combattre le FLN. Agissant sur renseignement du Service de
documentation extérieure et de contre-espionnage* (SDECE), Max Lejeune,
secrétaire d’État aux Forces armées (armée de terre*), donne son accord à
Alger pour intercepter et détourner l’avion d’Air Atlas-Air Maroc
transportant cinq des dirigeants du FLN qui sont mis en état d’arrestation à
l’atterrissage sur la base de Boufarik. En second lieu, le 8 février 1958, en
réponse aux tirs de mitrailleuses de l’ALN essuyés à la frontière tunisienne
par un avion français et s’appuyant sur l’exercice du « droit de suite sur une
profondeur de 25 kilomètres conformément au droit international » autorisé
par le ministre de la Défense nationale le 9 août 1957 et confirmé par le
Conseil des ministres du 29 janvier 1958, onze B-26, six Corsair et huit
Mistral cherchent à bombarder le cantonnement d’une unité de l’ALN situé
près du village de Sakiet Sidi Youssef* en causant de lourdes pertes parmi les
civils algériens et tunisiens (plus de 70 tués et 150 blessés).
André-Paul COMOR
Bibl. : Regards sur l’aviation militaire française en Algérie 1954-1962,
Vincennes, Service historique de l’armée de l’Air, 2002 • Revue historique
des armées, no 2, 1992.
ARMÉE DE TERRE
L’importance de l’effort de guerre de la France entre la « Toussaint
rouge » et l’indépendance algérienne peut se résumer à deux chiffres :
2 millions d’hommes dont 1 179 523 soldats du contingent qui ont franchi la
Méditerranée pour servir en Algérie.
Le caractère même du conflit – une guerre dite « de surface » –, la nature
du théâtre des opérations et l’existence d’une importante disproportion des
populations justifient la stratégie opérative du commandement français de
privilégier le quadrillage du territoire et dès lors l’engagement massif de
l’armée de terre. À la veille du déclenchement de l’insurrection, les unités de
l’armée de terre implantées dans la 10e Région militaire et les Territoires du
Sud* comprennent quelque 58 000 personnels dont 20 000 disponibles pour
des opérations de maintien de l’ordre. En effet, depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, l’Algérie sert de base arrière des renforts destinés au corps
expéditionnaire français en Extrême-Orient (Cefeo) en ne comportant que de
simples « dépôts ». La brusque aggravation de la situation en mars 1955
conduit le gouvernement présidé par Edgar Faure à faire adopter par
l’Assemblée nationale la loi no 55-385 relative à l’état d’urgence* suivie par
une mesure lourde de sens en rappelant les hommes de la classe 53-2 nés en
Algérie. Dans un premier temps, les seules troupes de métier, dont une partie
est rapatriée d’Indochine* en 1954, se contentent d’appliquer la stratégie des
opérations « au peigne fin » du général Cherrière* qui est rapidement
abandonnée en raison de son inefficacité. Après l’accession à l’indépendance
des deux protectorats du Maroc* et de la Tunisie* en mars 1956, les
régiments de l’armée d’Afrique (spahis, zouaves, tirailleurs algériens,
légionnaires) encore présents dans ces nouveaux États sont progressivement
repliés en Algérie dans un contexte de montée en puissance décidée par Paris,
sur demande pressante de l’état-major interarmées d’Alger. L’extension
rapide des zones d’insécurité impose la militarisation de l’Algérie : le
commandement procède au découpage et au maillage du territoire en trois
corps d’armée (Alger, Constantine et Oran), 14 zones, 75 secteurs et 220
quartiers. Cette stratégie dite « du quadrillage » pour assurer la surveillance
permanente des populations, démanteler les réseaux et l’organisation politico-
administrative (OPA) du FLN* et entraver les actions des unités combattantes
de l’ALN* exige une augmentation rapide des moyens en personnels qui
s’impose par l’envoi et le rappel de plusieurs classes du contingent. Mais il
faut se rendre à l’évidence : ces mesures ne répondent pas au défi lancé par
l’ALN. Aussi l’allongement de la durée du service militaire* par le maintien
du contingent au-delà de la durée légale – le service de vingt-sept mois entre
en application fin 1957 – devient le dernier recours pour réaliser le plan
d’action arrêté par les centres de décision de Paris et d’Alger. Ce basculement
sans préparation préalable de plus de la moitié de l’armée de terre de la
métropole sur ce théâtre d’opérations imprévu a pour effet de réunir les trois
composantes de l’armée de la IVe République* : l’armée d’Afrique, les
troupes coloniales et les troupes métropolitaines. Ces dernières se voient
attribuer en priorité des missions statiques dans les secteurs et les quartiers
dont elles ont la charge : il s’agit aussi de marquer la présence française et de
reprendre en main la population dans cette guerre à la fois révolutionnaire
pour les nationalistes algériens et tout à la fois subversive pour les officiers*
sortis de la guerre d’Indochine.
Les effectifs augmentent parallèlement à la mise en place de cette
nouvelle « administration » militaire du territoire : 100 000 hommes en
juin 1955 (3 divisions), 381 000 avec le rappel des disponibles en août 1956
pour atteindre le pic de 440 000 en août 1958 (16 divisions !). Il fallait aussi
compléter les tableaux d’effectifs des régiments de l’armée d’Afrique. C’est
pourquoi Paris fait appel aux Français musulmans, soumis à la conscription
depuis 1947 et aux mêmes obligations militaires que les citoyens originaires
de la métropole. Pour réduire les risques de désertion, ces appelés sont
instruits jusqu’en 1958 en France métropolitaine ou dans les garnisons des
Forces françaises d’Allemagne (FFA). Sur la base des archives* du SHD,
Charles-Robert Ageron* a estimé entre 107 000 et 116 000 le nombre des
convoqués qui ont été incorporés. L’écart entre le nombre de convoqués aux
Conseils de révision et celui des incorporés a varié de 30,74 % à 19 % en
1957 pour remonter à 31,63 % en 1958. Compte tenu des difficultés
inhérentes à la nature du conflit pouvant susciter des réserves légitimes des
FNSA qui justifiaient leur emploi hors des zones de refuge des katibas, on
peut conclure que leur incorporation n’était pas considérée par le haut
commandement comme une « variable d’ajustement », ce qui n’est pas le cas
pour l’appel aux engagements volontaires – 47 000 contrats souscrits entre
novembre 1954 et juin 1961. En revanche, les quelques régiments de
tirailleurs sénégalais venus du Maroc sont progressivement retirés à la suite
de graves incidents avec la population musulmane. Cependant l’infanterie et
l’artillerie de marine, dernières formations représentant les troupes coloniales,
occupent une place de choix parmi les forces d’intervention.
On assiste au retour inattendu aux méthodes de combat de la conquête de
l’Algérie avec l’emploi d’unités à cheval qui sont seules en mesure de
manœuvrer dans les régions les plus reculées où les infrastructures routières
font cruellement défaut. Ces escadrons de spahis et de nomades patrouillent
et « éclairent » les forces combattantes au cours des opérations. La création
des commandos* de chasse, « unités légères, à base de harkis* », par la
directive du général Challe* diffusée le 22 décembre 1958, quelques jours
après sa prise de commandement, marque un tournant dans la conduite des
opérations de « contre-guérilla » déjà adoptées par les parachutistes*. À partir
du lancement du « plan Challe* », ces commandos – dont six appartiennent à
la gendarmerie* – vont être largement mis en avant en s’appuyant sur un
imaginaire guerrier qui s’inspire de celui des parachutistes*. Ces troupes
supplétives à effectifs réduits qui rappellent les corps francs de la Seconde
Guerre mondiale et les « centaines » du 11e Choc sont bien encadrées par des
cadres professionnels et se muent en « têtes chercheuses » des katibas.
Enfin, la répartition des « armes et services » (infanterie, arme blindée-
cavalerie, artillerie, génie, train) montre l’importance des régiments et
groupes d’artillerie – plus efficaces que les blindés* – dont les effectifs
passent de 4 régiments le 1er novembre 1954* à 48 groupes de type
« bataillons d’infanterie » le 1er janvier 1961, soit 55 000 hommes
représentant plus de 13 % des effectifs de l’armée de terre. Mais les historiens
militaires s’accordent sur les erreurs initiales d’appréciation des états-majors
(Paris et Alger) sur la nature du conflit et leurs hésitations à lui apporter une
réponse politico-militaire cohérente alors même que le rapport des forces
combattantes au plus fort des combats (au corps à corps !) – les deux
adversaires font jeu égal de 1956 à la bataille des frontières* – pouvait
dispenser d’engager les « gros bataillons » dont l’utilité s’était vite révélée
aléatoire.
André-Paul COMOR
Archives : SHD Terre 1H 4688-4700 et 1H 4742-4.
Bibl. : Stéphanie Chauvin, « Des appelés comme les autres ? Les conscrits
“français de souche nord-africaine” pendant la guerre d’Algérie », Vingtième
Siècle, no 48, 1995.
ARMÉE DES FRONTIÈRES
L’armée des frontières est le nom donné aux forces militaires de l’ALN*
qui s’organisent et se structurent au niveau des frontières marocaines et
tunisiennes de l’Algérie à partir de 1956.
Cette année-là, les voisins de l’Algérie obtiennent successivement leur
indépendance en mars, permettant alors à l’ALN d’installer des bases fixes et
pérennes sur leur territoire. C’est par la Tunisie* que transitent par voie
terrestre les armes en provenance du Moyen-Orient, tandis qu’elles arrivent
par bateau au Maroc*. Consciente de la porosité des zones frontalières et des
transits d’armes qui s’y opèrent, l’armée française commence dès 1956 à
construire des barrages* électrifiés afin d’isoler le territoire algérien. C’est
ainsi qu’en juin 1956 débute le long de la frontière marocaine la construction
de la ligne Pédron. L’année suivante, c’est la ligne Morice qui est édifiée à
l’est du pays, rapidement doublée par la ligne Challe. Ces constructions
consistent en la mise en place d’un réseau de barbelés doublé d’une zone
minée (dont le déminage durera plus d’un demi-siècle) et de l’électrification
de la ligne.
Lorsque ces constructions débutent, les dirigeants algériens ne lancent
aucune opération afin de ralentir leur réalisation et vont même jusqu’à nier
l’évidence : « Les réseaux électrifiés ne créent pas de difficultés sérieuses
pour l’ALN », affirment Belkacem Krim* et Mahmoud Chérif* au journal El
Moudjahid (cités par Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des
origines à la prise de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980, p. 214). Ils
ne prennent la mesure du problème que vers la fin de l’année 1958, alors que
les barrages isolent les maquis intérieurs, rendant difficile, sinon risqué, le
franchissement des barrages aux maquisards chargés de l’acheminement des
armes. De ce fait, les forces de l’ALN stationnées à l’extérieur ne peuvent
venir en renfort des wilayas de l’intérieur, de plus en plus isolées. Elles
constituent l’embryon de la future armée indépendante.
Dans les zones frontalières, l’organisation de ces troupes prend du temps.
La plupart des combattants passés par ces zones témoignent de l’indiscipline
et de la désorganisation qui y règnent durant les premières années. C’est pour
remédier à ce problème qu’à la réunion du CCE* en avril 1958, Belkacem
Krim, responsable chargé du département de la guerre, conçoit les Comités
opérationnels militaires (COM). Ils sont divisés en deux avec un COM est
ayant sous sa tutelle les Wilayas 1*, 2*, 3*, siégeant à Ghardimaou ; avec à
sa tête Saïd Mohammedi*, et un COM ouest chargé des Wilayas 4*, 5*, 6*,
basé à Oujda, dirigé par Houari Boumediene*. Ces COM sont chargés de
détruire les barrages et d’envoyer des hommes et des armes aux maquis. Ces
objectifs ne sont toutefois pas réellement mis en œuvre.
Ces deux organismes fonctionnent en dehors du territoire national et
instituent de fait une rupture entre les maquis et les forces frontalières
appelées à devenir l’armée des frontières. À l’ouest, Houari Boumediene
parvient à mettre de l’ordre au niveau de ses troupes. À l’est, les querelles et
les luttes de pouvoir font de cette brève expérience un échec. Les COM sont
dissous le 9 septembre 1958 et remplacés par deux états-majors distincts,
dont les chefs Boumediene et Mohammedi sont reconduits.
Des actions sont mises en œuvre à partir de l’été 1959 pendant que les
opérations Challe* mettent à mal les wilayas intérieures. Des offensives
mobilisant d’importants effectifs sont lancées à la frontière orientale. Les
opérations de harcèlement et de sabotage du barrage visant à fixer les troupes
françaises et permettre le franchissement de combattants se soldent par un
échec et entraînent d’énormes pertes humaines.
Le commandant Idir tente alors d’organiser les forces stationnées à l’est,
en recourant aux compétences des officiers* et sous-officiers* déserteurs de
l’armée française*. L’opération est toutefois complexe tant les forces sont
dispersées et hétérogènes. Réaliser l’amalgame entre combattants des maquis,
jeunes de retour de formation au Moyen-Orient et anciens de l’armée
française est une tâche ardue qui ne commence à se concrétiser réellement
qu’à partir des décisions adoptées au CNRA* réuni à Tripoli en janvier 1960.
Il fut décidé de créer un Comité interministériel de guerre (CIG) regroupant
les 3 B (Belkacem Krim*, Bentobbal* et Boussouf*) et un État-major
général* (EMG) confié à Houari Boumediene. Celui-ci parvient à unifier les
troupes sous son commandement et à mettre sur pied une armée disciplinée
en voie de professionnalisation. C’est à sa tête qu’il pénètre en Algérie à l’été
1962.
Saphia AREZKI
Bibl. : Saphia Arezki, De l’ALN à l’ANP : la construction de l’armée
algérienne (1954-1991), Éditions de la Sorbonne, 2022 • Jean Delmas,
« L’évolution des barrages frontières en Algérie, la bataille des frontières »,
Revue internationale d’histoire militaire, no 76, 1997.
ASSEMBLÉE ALGÉRIENNE
Créée par l’article 6 du statut de 1947*, l’Assemblée algérienne remplace
les délégations financières qui ont cessé de se réunir sous Vichy. Elles
géraient le budget de l’Algérie. Outre le vote du budget, l’Assemblée est
chargée d’étendre et d’appliquer les lois métropolitaines dans la colonie. Elle
peut aussi émettre des avis et faire des propositions. Face à la montée en
puissance des mouvements nationalistes, sa composition, ses élections*, son
fonctionnement, ses décisions en font un outil au service de la minorité
coloniale.
Renouvelable par tiers tous les trois ans, l’Assemblée compte 60 élus par
collège d’électeurs ; le premier représente une population française
approchant le million d’individus et le second une population algérienne
approchant les 8 millions. Les scrutins de 1948, 1951 et 1954 faussent de
surcroît la représentation du second collège. Aux truquages divers (urnes
bourrées ou substituées, secret non respecté, composition irrégulière des
bureaux, etc.) s’ajoutent les candidatures d’« indépendants » agréés par
l’administration, qui remportent la majorité. Aussi l’électorat du second
collège se désintéresse des scrutins. Le PPA-MTLD* finit par ne plus
présenter de candidats et prôner l’abstention. L’UDMA*, divisée sur la
question, ne compte plus que 5 élus en 1954. Enfin, les élus de l’Assemblée
ne bénéficiant pas de l’inviolabilité, certains d’entre eux sont victimes
d’arrestations, perquisitions et autres mesures répressives. Dans le premier
collège, les conservateurs dominent.
L’Assemblée fonctionne avec un bureau et des commissions (Législation
et Intérieur, Grands Travaux, Agriculture, etc.) au rôle décisif, mais les
nationalistes en sont écartés. Il n’existe pas de groupe, comme à l’Assemblée
nationale, permettant aux partis de s’exprimer. L’alternance entre les collèges
pour la présidence et le partage des vice-présidences (trois chacun) favorise
les personnalités consensuelles. Raymond Laquière, Sayah Abdelkader et
Abderrahmane Farès marquent en particulier la présidence. Les sessions
(trois de six semaines par an) sont houleuses et la parole est verrouillée –
Ferhat Abbas*, par exemple, est expulsé des débats. Jacques Chevallier*, élu
en 1951, anime un court temps une tendance libérale, qui permet notamment
à Ahmed Francis, de l’UDMA, d’intégrer la commission des Finances et de
l’Habitat. Signe de son orientation, l’Assemblée rejette toute motion sur les
questions coloniales (situation au Vietnam, répression des nationalistes en
Algérie, etc.) mais elle suit l’actualité métropolitaine. Elle adopte par
exemple un vœu sur la révision des condamnations de collaborateurs par les
chambres civiques. Toutefois, les élus du premier collège, qui ambitionnent
d’ériger l’Assemblée en lieu de souveraineté à leur profit, sont contrecarrés
par les autorités. Ils n’obtiennent pas un rang de choix dans le protocole
officiel et symboliquement, l’appellation « députés » leur est refusée. Les
élus de l’Assemblée sont nommés « délégués », en référence aux délégations
financières.
Après le 1er novembre 1954*, les élus du premier collège manifestent leur
défiance envers le gouvernement Mendès France*. Ils rejettent l’intégration
défendue par Soustelle*, sauf en matière économique et sociale. Ceux du
second collège finissent par proclamer leur adhésion à l’« idée nationale
algérienne » au sein du Comité des 61. Ce dernier est formé le 26 septembre
1955 par quarante-deux élus à l’Assemblée algérienne, des députés, des
sénateurs et des conseillers de l’Union française. Ils répondent ainsi à l’appel
du FLN* qui cherche leur ralliement. Les élus du premier collège, de leur
côté, forment un Comité pour l’Algérie française. Après un ultime vote du
budget, l’Assemblée algérienne est dissoute par Robert Lacoste* le 12 avril
1956. Non seulement, argumente celui-ci, la désaffection des élus du second
collège la condamne mais elle n’a pas rempli ses missions. Le statut de 1947
lui avait en effet confié quatre tâches : organiser le droit de vote des femmes*
« musulmanes » (article 4), supprimer les communes mixtes (article 53),
revoir l’administration des biens des fondations pieuses musulmanes
conformément au principe de laïcité (article 56), assurer l’enseignement de la
langue arabe (article 57). Aucune n’a été menée à bien. En matière
économique et sociale, elle a ménagé les intérêts coloniaux. Comptant sur
l’aide métropolitaine, elle a adopté une politique fiscale conservatrice,
éminemment inéquitable et, d’abord intéressée par l’agriculture, elle a
délaissé tout autant la prospection minière et pétrolière qu’une
industrialisation indispensable au développement d’une colonie minée par le
chômage.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Tayeb Chenntouf, « L’Assemblée algérienne (1947-1956) », thèse
sous la dir. de X. Yacono, faculté des lettres et sciences humaines de Paris,
1969 • Ivo Rens, L’Assemblée algérienne, Pedone, 1957.
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUANTE
Le 20 septembre 1962, conformément aux accords d’Évian* et sous
l’égide de l’Exécutif provisoire*, a lieu l’élection de l’Assemblée nationale
constituante. L’installation de l’Assemblée s’inscrit dans le processus de
l’édification des institutions* de l’Algérie indépendante et, de facto, de la
légitimation du nouveau pouvoir installé dans un contexte de guerre fratricide
et d’instabilité politique.
Cette élection a été reportée deux fois à cause des rebondissements de la
crise du FLN* de l’été 1962* opposant le GPRA*, les wilayas et l’état-major.
La publication, le 16 août 1962, des listes des 198 candidats cooptés par le
Bureau politique (BP), réuni autour de Ben Bella*, est rejetée par les Wilayas
3* et 4*. En fin de compte, la première liste des candidatures proposées à
l’approbation du peuple ne fait que refléter les profondes divergences qui ont
éclaté entre les dirigeants du FLN lors de la réunion du CNRA* à Tripoli* de
mai-juin 1962. L’exclusion des listes de nombreuses personnalités tels
Benyoucef Ben Khedda*, Boussouf*, Boubnider*, n’a pas pour autant
empêché d’anciens membres du GPRA d’y siéger. Sont également
marginalisées des organisations importantes comme l’UGTA* et l’Ugema*.
Cependant, des figures historiques hostiles au BP comme Belkacem Krim* et
Hocine Aït Ahmed* seront représentées à l’Assemblée. Apprenant par la
presse* sa candidature dans le département de Sétif, Mohamed Boudiaf*
décide de ne pas siéger à l’Assemblée et présente sa démission le 15 octobre
1963. En bref, la sélection des candidats, soumise en théorie aux critères
institutionnels, géographiques, et à la participation à l’action révolutionnaire
a privilégié en réalité l’allégeance à Ben Bella et au BP. La veille de la
consultation électorale, Ben Bella appelle la population algérienne à voter
massivement pour « sortir du provisoire ». Le 20 septembre, sur
6 328 000 électeurs et électrices inscrits, 5 302 294 approuvent les listes
proposées, 18 680 votent non tandis que l’abstention cumule 1 026 121 voix.
Sur les 196 sièges de députés, 15 représentent la population européenne et 10
sont dévolus aux femmes*.
Le 25 septembre, les députés élisent Ferhat Abbas* comme président de
l’Assemblée constituante, proclament la République algérienne démocratique
et populaire, s’attellent à désigner le gouvernement provisoire et à préparer la
future Constitution de l’Algérie. Seul candidat, le 26 septembre, Ben Bella est
investi comme chef de gouvernement. Le 28 septembre, la présentation de
l’équipe ministérielle est approuvée par 159 voix contre 1 et 19 abstentions.
Cette quasi-unanimité ouvre la voie à « une concentration du pouvoir autour
du Président » (Leca, Vatin, p. 52), réduisant l’action de l’Assemblée à n’être
qu’une caisse de résonance.
La seconde tâche dévolue à l’Assemblée constituante est de doter
l’Algérie d’une Constitution. Elle en confie la rédaction du projet à une
commission parlementaire qui ne peut mener à bien sa mission. L’immixtion
personnelle de Ben Bella et celle du BP dessaisissent, en effet, l’Assemblée
de son pouvoir constituant. Ferhat Abbas dénonce cette atteinte à la légalité
formelle d’une Assemblée souveraine et un « geste extrêmement grave ». Il
démissionne de son poste le 14 août 1963. C’est Hadj Ben Alla*, un fidèle de
Ben Bella, qui assure l’intérim (avant d’être élu président de l’Assemblée le
1er octobre).
L’avant-projet de Constitution sera soumis à la discussion des députés du
24 au 28 août 1963, avant d’être adopté par 139 voix et approuvé par le
référendum du 8 septembre. Promulguée le 10 septembre, la première
Constitution de l’Algérie indépendante consacre le principe du parti unique
(le FLN) et son hégémonie sur la vie politique. L’exercice des droits et
libertés est garanti, mais dans le respect des intérêts de la révolution
socialiste. De même les pouvoirs de l’Assemblée populaire nationale et du
président de la République, si étendus soient-ils, sont strictement
subordonnés au parti unique du FLN qui se veut parti d’avant-garde. Le
11 septembre 1963, le parti du FLN réunit ses partisans à la salle Majestic
(actuelle salle Atlas-Bab El Oued) et propose la candidature de Ben Bella à la
magistrature suprême ; le 15 septembre, Ben Bella devient le premier
président de la République algérienne. À la faveur de l’évolution politique
critique tant à l’intérieur par « la rébellion du FFS » qu’à la frontière orientale
par les affrontements avec l’armée marocaine, Ben Bella s’octroie les pleins
pouvoirs le 3 octobre 1963, conformément à l’article 59 de la Constitution.
De fait, la Constitution ne survivra pas à l’arrestation de Ben Bella lors du
coup d’État fomenté par le colonel Boumediene* le 19 juin 1965. Elle est, en
effet, abrogée.
Belkacem BENZENINE
Bibl. : Jean Leca et Jean-Claude Vatin, L’Algérie politique : institutions et
régime, FNSP, 1975 • Amar Mohand-Amer, « La crise du Front de libération
nationale de l’été 1962. Indépendance et enjeux de pouvoirs », thèse de
doctorat d’histoire sous la dir. d’O. Carlier, Paris-7, 2010 • Anisse Salah-Bey,
« L’Assemblée nationale constituante algérienne », Annuaire de l’Afrique du
Nord. 1962, 1964.
ASSOCIATION DES ULÉMAS
MUSULMANS ALGÉRIENS (AUMA)
Créée le 5 mai 1931 au siège du cercle culturel du Progrès (Nadi Tarakki)
à Alger, l’AUMA devient très vite un acteur majeur de la vie culturelle et
politique de l’Algérie.
Avec Abdelhamid Ben Badis comme président et Bachir El Ibrahimi*
comme vice-président, elle s’implique dans le débat politique du moment.
Son slogan « L’islam et notre religion, l’Arabe est notre langue, l’Algérie est
notre patrie » résume son orientation. Son action principale est consacrée au
développement de l’instruction en langue arabe.
Durant l’entre-deux-guerres, elle constitue un courant important du
nationalisme* algérien, dont l’intransigeance se précise dans la « déclaration
nette » parue dans El-Chihâ, au mois d’avril 1936, en réponse à la profession
de foi assimilationniste de Ferhat Abbas*. D’où les réserves exprimées à
l’encontre du projet Blum-Viollette. Mais au gré de la conjoncture, par
pragmatisme, l’AUMA s’impose au Congrès musulman (juin 1936), tout
comme elle participe plus tard au Front algérien pour la défense et le respect
des libertés (FADRL) aux côtés de tous les partis nationalistes (1951).
Au déclenchement de la guerre de libération nationale, El Ibrahimi, qui
dirige l’association, est au Caire quand Ahmed Ben Bella lit l’« Appel » du
1er novembre 1954*, sur les ondes de la radio* égyptienne. La première
réaction exprimée dans un communiqué co-signé avec Fodil El Wartilani le
2 novembre fait référence au djihad et aux erreurs de la politique coloniale
mais ne se prononce pas ouvertement en faveur de la lutte engagée par le
FLN*. Cette position attentiste relève du refus de se fondre dans le nouveau
mouvement et de la volonté de préserver par conséquent son autonomie.
Entre-temps, en janvier 1955, des contacts sont pris avec Brahim Bayoud de
l’UDMA* et Ahmed Mezerna du MNA* en vue de créer un rassemblement
populaire algérien regroupant toutes les tendances nationalistes. De son côté,
la tentative de la délégation extérieure du FLN au Caire échoue malgré les
pressions de Fethi Dib des RG égyptiens à rallier le MNA, les ulémas et
l’UDMA en février 1955.
En Algérie, au début du soulèvement, les positions officielles des ulémas
sont prudentes. Ils œuvrent surtout à assurer leur mission d’instruction et de
soutien aux étudiants* algériens à l’étranger. Ils apportent discrètement leur
soutien à l’ALN* tout en maintenant des contacts avec le gouvernement
français, jouant ainsi le jeu de la légalité (Ahmed Nadir).
Le 7 janvier 1956, à l’issue de la clôture de l’Assemblée générale de
l’Association des ulémas, réunie en Algérie, un communiqué signé par Larbi
Tébessi* et Tewfik El Madani* prend position en faveur du « combat
triomphant pour le Droit, la Justice et la liberté en Algérie ». L’association
reconnaît, sans le mentionner, le FLN comme étant « le représentant
authentique du peuple algérien ».
L’année 1956 connaîtra donc le ralliement officiel des ulémas au FLN.
Les principales figures comme El Madani, Kheireddine* et cheikh Abbas
rejoignent les instances du FLN. Le premier sera membre du CNRA* issu du
congrès de la Soummam*, puis ministre des Affaires culturelles du premier
GPRA*, le deuxième sera représentant du FLN au Maroc* et le troisième
représentant du FLN en Arabie Saoudite. Tébessi, qui entretenait des contacts
avec les responsables du FLN, et dont les conditions de sa disparition, le
4 avril 1957, ne sont toujours pas élucidées, demeure pour l’Association des
ulémas la preuve intangible de leur plein engagement pour la révolution, aux
côtés de bien d’autres tels Ahmed Sahnoun et Mohamed Chebbouki.
Aussitôt, les activités de l’association sont mises en sourdine en l’absence de
ses principaux leaders partis à l’étranger ou arrêtés. À Constantine, l’institut
Ben Badis est fermé par l’administration coloniale en 1957.
Leur organe El Bassair, dont les articles sont jugés subversifs, est saisi à
la suite de l’insurrection du 20 août 1955*, avant d’être interdit.
Au moment de la crise de l’été 1962*, El Ibrahimi appelle en vain les
différents protagonistes à la sagesse.
En octobre 1962, El Ibrahimi regagne Alger. Ses critiques au vu des
options socialistes affichées par Ben Bella lui valent d’être placé en résidence
surveillée. Paradoxalement, certains de ses membres occupent des postes à
responsabilité sous le régime de Ben Bella comme El Madani, nommé
ministre des Affaires religieuses.
Belkacem BENZENINE
Bibl. : Charlotte Courreye, « L’Association des oulémas musulmans
algériens et la construction de l’État algérien indépendant : fondation,
héritages, appropriations et antagonismes (1931-1991) », doctorat sous la dir.
de C. Mayeur-Jaouen, Inalco, 2016 • Ali Merad, Le Réformisme musulman en
Algérie de 1925 à 1960. Essai d’histoire religieuse, Mouton & Cie, 1967 •
Ahmed Nadir, Le Mouvement réformiste algérien : son rôle dans la
formation de l’idéologie nationale, Paris-3, 1968.
ASSOCIATION GÉNÉRALE
DES ÉTUDIANTS D’ALGÉRIE (AGEA)
L’Agea fut l’une des plus anciennes et des plus actives associations
d’étudiants* de France. Fondée dès 1883 sous le nom « Société des étudiants
d’Alger », elle reste difficile à connaître faute d’avoir conservé ses archives*
avant 1919 ; mais l’entre-deux-guerres fut sa plus grande époque, à en juger
d’après sa revue Alger-étudiants. En 1930, elle organisa le congrès annuel de
l’Unef*, alors présidée par l’Algérois Paul Saurin. Il fit élire ensemble à la
vice-présidence de l’Unef le président de l’Agea et celui de l’Association des
étudiants musulmans de l’Afrique du Nord (Aeman), Ferhat Abbas*. Après la
période plus obscure de la Deuxième Guerre mondiale, l’Agea retrouve son
dynamisme, jusqu’au moment où la guerre d’Algérie lui apporte un défi
majeur.
Attachée à rassembler tous les étudiants d’Alger par des activités
communes d’entraide matérielle et culturelle, l’Agea n’a pourtant pas
toujours réussi à le faire. Il semble que les statuts de 1893, imposant la
nécessité d’un parrainage et d’un vote pour toute admission, aient été utilisés
pour exclure les étudiants juifs*. Ce qui expliquerait la participation
d’étudiants aux manifestations antijuives de 1898 conduites par l’étudiant
algérois Max Régis. En 1919 encore, le gouverneur général doit intervenir
pour mettre fin à l’exclusion des étudiants juifs et à la minoration des droits
des musulmans (qui fondèrent en réaction l’Aeman). En 1940, l’abrogation
du décret Crémieux par le gouvernement de Vichy, entraînant une sévère
diminution du nombre d’étudiants juifs admis à l’université d’Alger*, est
approuvée par les présidents de l’Agea.
Quant aux étudiants musulmans, acceptés par l’Agea mais sans droit de
vote en 1919, ils sont admis comme membres à part entière en 1922, et en
bloc dans la mesure où l’Aeman accepte de s’affilier à l’Agea en 1924.
L’Agea continue pourtant d’espérer, comme elle l’exige en 1936, que
l’Aeman accepterait de se dissoudre, mais celle-ci refuse toujours.
C’est en 1956 qu’éclate le conflit ouvert entre l’Agea et l’Union générale
des étudiants musulmans algériens* (Ugema). L’émotion collective
déclenchée à Alger par les élections* législatives du 2 janvier 1956 (qui, pour
les Français d’Algérie, semblaient conduire à la fin de l’Algérie française
sans qu’ils aient été consultés) provoque la contestation de la direction trop
modérée de l’Agea par un « Comité d’action universitaire » (CAU), qui
obtient sa démission par un référendum des étudiants. Désormais, la direction
de l’Agea est, jusqu’à la fin de la guerre, fermement engagée dans le camp de
l’Algérie française au nom des « sentiments d’honneur et de patriotisme », ce
qui incite l’Ugema à couper les ponts en décidant l’appel à la grève* des
cours et des examens du 19 mai 1956. Cet engagement politique fut
symbolisé par la personne des deux plus célèbres présidents de l’Agea. Pierre
Lagaillarde*, jeune avocat retourné à l’université d’Alger après avoir servi
dans les parachutistes* en 1957, prend d’assaut en uniforme le Gouvernement
général* d’Alger le 13 mai 1958*. Élu député, il réoccupe l’université pour
en faire un camp retranché pendant la semaine des barricades* (24 janvier-
1er février 1960). Son successeur à la tête de l’Agea depuis novembre 1959,
Jean-Jacques Susini*, participe lui aussi aux barricades. Évadés à la fin de
1960, ils rejoignent le général Salan* à Madrid et y fondent l’OAS* au début
de 1961. Lors du putsch* des généraux (22 au 25 avril 1961), le premier
choisit de rester en Espagne mais le second accompagne Salan à Alger et
reste son principal conseiller jusqu’à la fin de l’OAS algéroise. L’un de ses
derniers actes, peu avant la signature d’un cessez-le-feu avec le Dr Mostefaï
(responsable FLN* de l’Exécutif provisoire*) le 17 juin 1962, est une
campagne de destruction qui va jusqu’à mettre le feu à la bibliothèque de
l’université d’Alger (bien que l’OAS y ait de solides appuis dans le corps
enseignant des quatre facultés). Celle-ci est abandonnée par la très grande
majorité des enseignants et des étudiants qui fuient l’Algérie en 1962, mais le
retour de la plupart des étudiants algériens qui avaient étudié en France
métropolitaine ou à l’étranger et l’arrivée de coopérants français favorables à
l’indépendance assurent la transition de l’université coloniale à l’université
nationale algérienne.
Guy PERVILLÉ
Bibl. : Guy Pervillé, Les Étudiants algériens de l’Université française, 1881-
1962, Éditions du CNRS, 1984.
ATTENTAT AU BAZOOKA
Le 16 janvier 1957 à 19 heures, une explosion ravage le bureau de l’état-
major du général Salan*, commandant en chef arrivé deux mois plus tôt.
Salan, hors du bureau à ce moment précis, est indemne mais le commandant
Rodier décède. Cet attentat stupéfie les responsables civils et militaires qui
l’imputent d’abord au FLN* ou aux communistes. Cependant, l’arme, un
bazooka, est inhabituelle. Elle est également artisanale : deux tronçons de
gouttière de près de deux mètres de long ficelés sur des affûts de fortune.
Juché sur un escabeau depuis une terrasse d’immeuble faisant face à celui de
la 10e Région, le tireur a braqué l’arme sur la fenêtre du bureau et tiré ses
deux roquettes. Un travail de professionnel, effectué par Philippe Castille, un
ancien du 11e Choc, et cadre de l’Oraf*, dirigée par le Dr René Kovacs. Cette
organisation contre-terroriste a planifié une quinzaine d’attentats sur Alger
entre mai et novembre 1956. Elle est dissoute mais son patron entend
combattre les « tièdes », notamment Salan, le « croque-mort de l’Indo ».
Kovacs ne pensait pas que les autorités remonteraient jusqu’à l’Oraf mais les
premières arrestations ont lieu le 26 janvier et les mis en cause parlent. Leurs
dires sont confirmés par une enquête sur l’achat des câbles à Alger.
L’implication des hommes de l’Oraf ne fait aucun doute et ils sont placés
sous les verrous dans l’attente de leur procès. Kovacs a toutefois incriminé un
« Comité des six », dont Michel Debré* serait la cheville ouvrière avec le
général Cogny : l’attentat aurait été commandité par les gaullistes et une
partie de l’armée. Salan lui-même aurait donné du crédit au scénario. Les
commissions rogatoires et les auditions peinent à l’étayer. Le procès du
bazooka ne s’ouvre que le 24 juillet 1958. Bénéficiant d’une liberté
provisoire lors de la première audience, Kovacs ne se présente pas à la
suivante et est condamné à mort par contumace. Castille, qui a écopé de
douze ans, réussit à s’évader à la faveur de la semaine des barricades* pour se
retrouver à Madrid, au côté de Salan en février 1961 et participer à l’OAS*.
Dossier particulièrement embrouillé, l’affaire du bazooka continue de
diviser : certains la minimisent, d’autres la considèrent comme un des signes
avant-coureurs des « 13 complots du 13 Mai » mettant en cause les liens
entre gaullistes et activistes.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Bob
Maloubier, Bazooka. La confession de Philipe Castille, Levallois-Perret,
Filipacchi, 1988.
ATTENTAT DE CHÂTEAU-ROYAL
Le 15 mars 1962, un commando « Delta » de six membres arrive peu
après 10 h 30 au lieu-dit « Le Château-Royal », siège des centres sociaux
éducatifs* (CSE), près d’Alger. Une réunion débute sous la conduite de Max
Marchand, chef du service. Très organisé, le commando neutralise les
personnels et les communications, installe des fusils-mitrailleurs dans la cour
et investit la salle. L’un de ses membres, muni d’une liste, appelle sept
hommes : Robert Eymard (ou Aimard, selon les sources), Marcel Basset,
Mouloud Feraoun*, Ali Hammoutene, Max Marchand, Salah Ould Aoudia et
René Petitbon. Ce dernier est absent. Invité à la réunion en tant que directeur
du Service de formation des jeunes en Algérie (SFJA), il est visé par l’OAS*
pour avoir négocié avec certains de ses responsables (non mandatés) un
projet de partition refusé en janvier 1962 par l’Élysée ; l’Organisation a
éliminé ces dissidents. Les six autres hommes, anciens instituteurs,
inspecteurs de l’enseignement primaire ou encore directeurs d’école et de
cours complémentaire, devenus les principaux responsables des CSE, sont
conduits dans la cour, placés dos au mur et exécutés. Signé par des
professionnels (109 douilles retrouvées, un seul impact en hauteur), l’attentat
a fait l’objet d’une préparation extrêmement rigoureuse.
Cet attentat a suscité un hommage solennel des autorités et pourtant
aucune suite judiciaire n’a été donnée. Le ministre de l’Éducation nationale,
Lucien Paye, a suivi l’enterrement placé sous très haute sécurité. En
métropole, la presse* a dénoncé le « fascisme » de l’OAS et la violence des
siens, « les maniaques du meurtre » pour France Observateur. Elle a
également rendu un hommage appuyé aux victimes, en particulier à l’écrivain
Mouloud Feraoun. Chez les tenants de l’Algérie française, en France, Jacques
Soustelle*, fondateur des centres sociaux en 1955, choisit le silence. À Alger,
il n’est pas question de désavouer les hommes de Degueldre* et l’Agea*
dénonce « le caractère odieux de l’exploitation faite par les autorités de la
mort de six membres des centres sociaux ». Pour l’OAS, comme l’a dit Jean
Gardes* au procès des barricades en 1960, les CSE sont « truffés d’agents »
du FLN*. Jean-Jacques Susini* reprend ce discours à son compte jusqu’en
2012 dans ses Confessions.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Jean-Philippe
Ould Aoudia, L’Assassinat de Château-Royal. Alger : 15 mars 1962,
Tirésias-Michel Reynaud, 1992.
ATTENTATS D’ALGER
À Alger, l’engrenage des attentats est déclenché par les premières
exécutions de condamnés à mort algériens : Ahmed Zabana* et Abdelkader
Ferradj, qui sont guillotinés le 19 juin 1956 à la prison* de Barberousse.
Abane* Ramdane, qui est parvenu à réimplanter l’organisation dans la ville
après l’arrestation de Rabah Bitat* un an plus tôt, fait alors diffuser un tract
annonçant la mise à mort sans distinction de 100 Français de sexe masculin
âgés de 18 à 54 ans pour chaque moudjahid* exécuté. Ses réseaux passent
rapidement à l’action puisque, dès le 20 juin et jusqu’à la fin du mois, 72
attentats sont dénombrés dans des lieux publics par des jets de grenade ou des
tirs d’arme à feu. Ils font 49 victimes. Les attaques se poursuivent le mois
suivant : le 19 juillet, un mitraillage dans le quartier européen de Bab El
Oued cause la mort de 1 civil et en blesse 3 autres. Puis, le 10 août 1956,
l’attentat de la rue de Thèbes* renforce l’engrenage. Il est en effet commis
par des activistes français membres de l’Organisation de la résistance de
l’Afrique française* (Oraf), qui ont déjà perpétré des attentats matériels dans
la ville depuis le printemps. Dans une logique se réclamant d’un « contre-
terrorisme », ils visent ce jour-là la rue de Thèbes, dans la Casbah, tuant 16
musulmans et en blessant 57 selon le bilan* officiel établi par le
Gouvernement général*, quand le FLN* dénonce plus de 80 morts et 14
blessés. En représailles, les responsables de la Zone autonome d’Alger*
(ZAA) décident de multiplier les attaques en accentuant la terreur par
l’utilisation de bombes artisanales. Leur fabrication avait déjà été lancée, les
grenades ayant été jugées insuffisamment efficaces. Les premières tentatives
de production d’explosifs sont menées clandestinement à l’hôpital Mustapha.
Benyoucef Ben Khedda*, membre du CCE* qui joue le rôle d’état-major du
FLN dans la métropole algéroise, rassemble des hommes dotés des
compétences techniques nécessaires (fondeurs, soudeurs, électriciens,
chimistes, etc.) et crée des ateliers. Il met aussi en place toute une
organisation logistique assurant l’approvisionnement en matériaux ainsi que
le transport des engins une fois ceux-ci assemblés et prévoit l’aménagement
de caches pour les stocker. De son côté, Yacef Saadi*, un ouvrier boulanger
algérois, recrute des jeunes femmes* pour déposer les bombes ou lui servir
d’agents de liaison. Il s’attache le concours de quelques Européennes, telle
Annie Steiner* qui transporte du courrier ou du matériel pour un laboratoire
de fabrication d’explosifs. Arrêtée, elle écope de cinq années de prison. Les
Algériennes doivent modifier leur apparence pour échapper aux contrôles
lorsqu’elles quittent la Casbah et ne pas attirer l’attention sur les lieux des
attentats. Le 25 septembre 1956, Larbi Ben M’hidi* ordonne de passer à
l’action. Pour frapper fort et marquer les esprits, le CCE procède de manière
coordonnée, en plusieurs endroits dans le centre-ville : au Milk-Bar, à la
Cafétéria et dans les locaux d’Air France. La date et l’heure retenues – le
dimanche 30 septembre en fin d’après-midi – visent à faire un maximum de
victimes car en cette veille de rentrée des classes, nombre de familles
algéroises fréquentent les lieux publics. Au Milk-Bar et à la Cafétéria, les
secours relèvent 4 morts et 52 blessés, dont 12 doivent être amputés. À la
suite d’une erreur de l’artificier, l’engin déposé à Air France n’explose pas.
Le chaos engendré par ces deux attentats conduit la sûreté d’Alger à engager
tous les moyens dont elle dispose. Deux semaines plus tard, des membres du
réseau de Yacef Saadi sont interpellés. Malgré ce revers, le FLN garde son
potentiel d’action et les attentats se multiplient dans la ville. Le 7 janvier
1957, cependant, c’est la perspective de la grève* générale à l’approche de la
réunion de l’ONU* qui conduit à déléguer les pouvoirs de police* aux
parachutistes du général Massu*. La 10e division parachutiste* (DP) doit
démanteler la ZAA. Conscient de la menace qui pèse sur l’organisation,
Yacef Saadi obtient de Larbi Ben M’hidi d’intensifier les attentats afin de
démontrer aux Algériens que le Front conserve une pleine liberté d’action. Le
samedi 26 janvier en fin d’après-midi, trois engins explosent dans un
intervalle de quelques minutes. Outre la Cafétéria, à nouveau frappée, sont
pris pour cible L’Otomatic, un établissement très prisé de la jeunesse
algéroise situé juste en face, ainsi que le Coq Hardi dans le quartier des
facultés. Les secours relèvent 4 tués et 37 blessés, dont de nombreuses
femmes. Un jeune musulman est alors lynché à mort par la foule. Si grâce à
un fichage généralisé de la population de la Casbah, à des arrestations
massives et à l’usage de la torture* rapidement décriés, les parachutistes de la
10e DP progressent rapidement dans l’identification des réseaux, ces derniers
n’en demeurent pas moins opérationnels en adaptant leurs cibles. En effet, le
centre-ville étant quadrillé, Yacef Saadi frappe en banlieue. Le 10 février
1957, 4 bombes sont déposées au stade d’El Biar et au stade municipal de
Belcourt, faisant 12 morts et 45 blessés. L’arrestation de Ben M’hidi
quelques jours plus tard et la fuite des principaux membres du CCE ne
mettent pas un terme aux explosions qui, entre le 1er janvier et la fin
avril 1957, font 120 tués et 780 blessés. Progressivement affaiblis, les
réseaux de la ZAA cessent un temps leur activité avant de se réorganiser et de
perpétrer un nouvel attentat : le 3 juin 1957, dans l’après-midi, 4 terroristes se
faisant passer pour des employés de la compagnie EGA effectuant des
travaux d’entretien dissimulent des bombes dans des lampadaires jouxtant
3 arrêts d’autobus. Préréglées pour exploser à 18 heures, heure de pointe,
elles font 12 morts et 90 blessés, dont 33 sont amputés. Mais le profil des
victimes, parmi lesquelles des élèves européens et musulmans, suscite la
réprobation, y compris parmi des Algériens favorables à l’indépendance.
Prenant la mesure de l’erreur commise, Yacef Saadi organise rapidement un
nouvel attentat visant cette fois un lieu essentiellement fréquenté par des
Européens. Le 9 juin 1957, jour de la Pentecôte, un complice employé du très
populaire Casino de la Corniche situé en banlieue d’Alger place sous
l’orchestre une bombe qui tue 8 personnes et en blesse 81, dont 10 sont
amputées. Les obsèques des victimes s’accompagnent de violences à
l’encontre de musulmans. Le général Massu rappelle alors à Alger les
régiments partis nomadiser hors de la ville, avec l’objectif de neutraliser au
plus vite ce qui reste de la ZAA du FLN. Celle-ci étant déjà en grande partie
identifiée, elle est totalement défaite en quatre mois, sans avoir pu organiser
de nouvel attentat meurtrier après celui du Casino de la Corniche.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Jacques Massu, La Vraie Bataille d’Alger, Plon, 1971 • Pierre
Pellissier, La Bataille d’Alger, Perrin, 1995 • Yacef Saadi, La Bataille
d’Alger, Julliard, 1962.
AUTODÉTERMINATION (DISCOURS
SUR L’)
BANDES DESSINÉES
Plus d’une centaine de bandes dessinées concernant l’Algérie coloniale et
la guerre d’Algérie ont été éditées. Pendant la guerre elle-même, le 5e bureau
de l’armée française a ainsi diffusé plusieurs planches et strips dessinés. La
planche intitulée « Le rêve du petit Mohamed » raconte sur le mode des
images d’Épinal la vie d’un petit garçon algérien de 10 ans qui va à l’école
depuis deux ans grâce à l’armée française et rêve d’aller dans un centre
d’apprentissage. Le strip « Ferme ta gueule » incite les soldats à ne pas parler
à la terrasse des cafés, afin de ne pas tomber dans des embuscades*. Ces deux
exemples ne comportent pas de phylactère mais des récitatifs, à l’instar des
anciens illustrés. Quelques éléments dessinés ont également existé du côté
algérien, mais c’est sans commune mesure avec la presse française* qui a
publié de nombreux dessins et strips, favorables à l’« Algérie française » et
au gouvernement (Jacques Faizant) ou critiques vis-à-vis de la guerre (Jean
Effel). De nouveaux caricaturistes, qui ont participé au conflit et en
reviennent très opposés, émergent aussi. C’est le cas de Cabu et de Georges
Wolinski. Siné, quant à lui, est déjà au travail et publie dans L’Express.
Néanmoins, il n’existe aucune bande dessinée à part entière au cours du
conflit : la censure* peut réfréner des velléités de publication, et certains
auteurs ont peut-être préféré s’abstenir de prendre position ou de raconter des
histoires sur des événements en cours qui divisent la société française.
Il faut même attendre le début des années 1980 pour que le premier
album entièrement dédié à la guerre d’Algérie sorte. Il s’agit d’Une éducation
algérienne de Guy Vidal et d’Alain Vignon (Dargaud, 1982), après avoir été
publié dans la revue* Pilote. Cet album est inspiré du parcours de Guy Vidal,
appelé au service militaire* de 1960 à 1962. Dès lors, le nombre de bandes
dessinées commence à croître sur la guerre d’Algérie : nous en dénombrons
quatre de 1985 à 1989, puis cinq de 1990 à 1994 et encore cinq de 1995 à
1999. Les albums de Farid Boudjellal, Petit Polio (Soleil, 1998 et 1999),
reviennent sur l’enfance* de l’auteur franco-algérien à Toulon, sur fond de
prise de conscience de la guerre, de la répression des immigrés algériens en
France, du racisme* et des séquelles psychologiques de la guerre. Les deux
albums Azrayen’ de Franck Giroud (lui-même fils d’appelé du contingent) et
de Christian Lax (Dupuis, 1998 et 1999) plongent au contraire au cœur du
conflit, en suivant une enquête consécutive à la disparition du lieutenant
Messonnier et de ses hommes. Ces deux albums sont solidement documentés
(jusque dans les dialogues transcrits en tamazight) et suivent une enquête
nerveuse, violente, jusqu’au dénouement.
Le grand chantier qui est lancé à cette période est la suite des Carnets
d’Orient de Jacques Ferrandez*, d’origine pied-noire. Cette suite de dix
albums comprend en réalité deux parties : les cinq premiers tomes couvrent la
période coloniale, de 1836 à 1954, avec le fil conducteur original d’une toile
réalisée par un peintre orientaliste (Casterman, 1987-1995). La série reprend
en 2002 avec cinq nouveaux albums couvrant la guerre (Casterman, 2002-
2009). Une troisième série, intitulée Suites algériennes et couvrant la période
de 1962 à 2019 (Casterman, 2021), vient de commencer. Tout cela fait de
Jacques Ferrandez l’auteur le plus prolifique sur la question algérienne,
d’autant qu’il a adapté plusieurs ouvrages, notamment d’Albert Camus*, chez
Gallimard (L’Hôte, 2009 ; L’Étranger, 2013 ; Le Premier Homme, 2017).
Depuis le début des années 2000, le nombre de bandes dessinées
concernant peu ou prou la Guerre d’indépendance s’accroît progressivement.
Nous en comptons 9 de 2000 à 2004, 25 de 2005 à 2009 et une quarantaine
de 2010 à 2014. Depuis, le rythme a quelque peu diminué, mais les sorties
sont régulières (13 de 2015 à 2019), avec des pics au moment des dates
anniversaires. Farid Boudjellal continue aussi sa série avec deux nouveaux
albums autobiographiques : Mémé d’Arménie (Soleil, 2002) et Le Cousin
harki (Futuropolis, 2012). La mémoire de la guerre d’Algérie apparaît aussi
dans une autre série de quatre albums de Manu Larcenet, Le Combat
ordinaire, au sein de laquelle le protagoniste (sorte d’alter ego de l’auteur)
sympathise avec un voisin qui s’avère avoir un passé tortueux avec la guerre
(Dargaud, 2003-2008). Signalons encore la série Les Mystères de la
Ve République de Xavier Richelle et François Ravard (Glénat, 2013 et 2014),
sur fond d’enquêtes policières en métropole liées à la guerre d’Algérie. En
deux albums, il existe aussi Taya El-Djazaïr (Bamboo, 2009-2010) de
Laurent Galandon et A. Dan, dont l’intrigue se déroule essentiellement à
Alger et dans les Aurès, sur fond d’une histoire d’amour* entre un Français et
une Algérienne, avec la particularité de traiter du PCA*.
D’ailleurs, les one shots, qui représentent la majorité des sorties, abordent
un aspect particulier du conflit. Cela peut être un lieu comme le bidonville de
La Folie à Nanterre, avec l’album Demain, demain de Laurent Maffre (Actes
Sud BD/Arte éditions, 2012). Ils peuvent aussi consister en des biographies
comme Soleil brûlant en Algérie de Gaétan Nocq (La boîte à bulles, 2016),
ou des groupes de personnes (Algériennes. 1954-1962, de Meralli et Deloupy,
Marabulles, 2018). Les BD peuvent également traiter d’événements comme
ceux de mai 1958 (Un général des généraux de François Boucq et Nicolas
Junker, 2022), la manifestation d’octobre 1961*, avec notamment Octobre
noir de Didier Daeninckx et Mako (Adlibris, 2011), ou encore celle de
Charonne*. Deux albums lui sont consacrés : Charonne – Bou Kadir 1961-
1962. Une enfance à la fin de la guerre d’Algérie de Jeanne Puchol (Tirésias,
2011), à visée autobiographique et même philosophique, et Dans l’ombre de
Charonne de Désirée et Alain Frappier (Mauconduit, 2012), en suivant un
parcours biographique.
De nombreux auteurs qui traitent de la guerre d’Algérie dans leurs
albums sont d’ailleurs liés à cette histoire. Le genre post-mémoriel s’est
d’ailleurs développé depuis les années 2000. Il est essentiellement porté par
des descendants de pieds-noirs* qui retournent sur les traces familiales, avec
une volonté de « cicatriser » une mémoire douloureuse et conflictuelle. Il en
est ainsi de Morvandiau (D’Algérie, Maison rouge et L’œil électrique, 2007),
d’Anne Sibran, avec Didier Tronchet, et l’album Là-bas (Dupuis, 2003), ou
de Fred Neidhardt (Les Pieds-noirs à la mer, Marabulles, 2013). Ces deux
derniers livres traitent davantage des séquelles du conflit, après le retour. Les
deux albums de Joël Alessandra et d’Olivia Burton, respectivement intitulés
Petit-fils d’Algérie (Castermann, 2015) et L’Algérie, c’est beau comme
l’Amérique (Steinkis, 2015), sortis à quelques mois d’intervalle, relatent une
quête spirituelle : le voyage sur la terre de leurs grands-parents. Il existe
d’autres postmémoires* concernant les harkis* (Daniel Blancou) ou les
appelés* (Samuel Figuière, Claire Dallanges).
Enfin, il existe aussi des bandes dessinées à visée documentaire. Celles-ci
peuvent s’inscrire dans le cadre plus général de l’histoire de France (Robert
Biélot et Raphaël, 1980), des décolonisations françaises (Grégory Jarry et
Otto T., 2009) ou des juifs* d’Algérie (Benjamin Stora et Nicolas Le Scanff,
2021). Elles peuvent aussi concerner la guerre en tant que telle (Benjamin
Stora et Sébastien Vassant, 2016). Tout cela montre combien la bande
dessinée représente un médium très actif pour traiter de la guerre d’Algérie,
de ses mémoires et de ses postmémoires.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Sébastien Llaurens, « “Voir les traces de la blessure”. Figurations et
dramaturgies des conflits en Méditerranée contemporaine dans la bande
dessinée (1986-2018) », thèse d’histoire sous la dir. d’Évelyne Cohen, Aix-
Marseille université, 2021 • Luc Révillon, Algérie 54-62. La guerre fantôme
dans la bande dessinée francophone, Montrouge, PLG, 2022.
BARBOUZES
Le 2 décembre 1961, le journaliste Lucien Bodard titre dans France-
Soir : « Les barbouzes arrivent ». En effet, fin novembre 1961, devant la
difficulté des forces de l’ordre à maintenir le calme en Algérie, le général de
Gaulle* ordonne la mise en place d’une véritable lutte contre l’OAS* et son
terrorisme. C’est la création de la Mission Choc (Mission C) composée de
plusieurs centaines d’officiers* métropolitains envoyés à Alger et provenant
de la police* judiciaire (PJ), des Renseignements généraux (RG), de la Sûreté
nationale (SN), de gendarmes et de membres de la Sécurité militaire (SM).
Cette dernière en est le pivot, même si un officier de la PJ, Michel Hacq, la
dirige. Elle a pour seul objectif de lutter par tous les moyens contre l’OAS.
Pour renforcer ce combat, de Gaulle laisse ses principaux collaborateurs
comme Jacques Foccart, Roger Frey*, Pierre Messmer*, Alexandre
Sanguinetti, Constantin Melnik, Charles Feuvrier, Louis Terrenoire, mettre en
place des réseaux complémentaires de lutte contre l’OAS. Ainsi,
l’Organisation clandestine du contingent (OCC), de l’automne 1961 à
l’indépendance de l’Algérie, vient apporter à la Mission C les renseignements
recueillis au sein de l’armée grâce à la surveillance de jeunes appelés
favorables à l’action du général de Gaulle. Des membres de la SM (Geoffroy
De Clercq, Jean-Pierre Lacave, etc.) et des membres civils du Comité de
défense de la République ou CDR (Charles Hernu, Marcel Hongrois, etc.)
coordonnent l’OCC (Hernu et Lacave en France, Hongrois à Alger, etc.).
Mais c’est l’action du parti gaulliste créé en 1959 par Jacques Dauer à
Paris, le Mouvement pour la communauté (MPC), qui marque durablement
cette lutte contre l’OAS. À l’initiative de Lucien Bitterlin, journaliste à Alger
et responsable du MPC d’Alger, se forme un groupe de police parallèle très
vite appelé « les barbouzes ». Le nom est inspiré au journaliste Bodard par les
romans d’un proche de De Gaulle, Dominique Ponchardier, qui, dans la série
de romans policiers Le Gorille, qualifie ses agents secrets de « barbouzes ».
Au masculin ou au féminin, les barbouzes sont aussi « les barbes » ou les
« bz ».
En mars-avril 1961, Lucien Bitterlin*, face au premier meurtre de l’OAS
parmi les responsables MPC (Barthélemy Rosselo), décide, avec son ami
André Goulay, de tout mettre en œuvre pour riposter contre l’OAS. Goulay
du MPC monte à Paris, rencontre son ami l’avocat Pierre Lemarchand qui
contacte Dominique Ponchardier qui lui-même rencontre Foccart et le
Général. Le « Talion » est né, branche du MPC destinée à lutter contre l’OAS
en complémentarité avec la Mission C et l’OCC.
Il faut des hommes pour monter ce « Talion ». C’est essentiellement
Lemarchand qui les recrute à Paris parmi les copains judokas gravitant autour
de Raymond Sasia, gorille du général. Foccart en trouve quelques-uns dans
les effectifs du Service d’action civique (SAC), mais c’est surtout le
champion en arts martiaux, le maître Jim Alcheik, ancien membre d’une
branche du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage
français* (SDECE) appelée « la Main rouge », qui devient le responsable de
ce groupe envoyé à Alger fin novembre 1961. Quatre Vietnamiens
champions de judo et de karaté l’accompagnent, dont Roger Bui-Thé, second
d’Alcheik au dojo de Paris. Très vite, de nouvelles recrues arrivent et
s’installent à Alger dans deux villas.
L’OAS, contrariée par l’arrivée de ces hommes qui font avec succès le
« sale boulot » de renseignement, arrestations et tabassages musclés que la
Mission C ne peut officiellement accomplir, se met en tête de vouloir anéantir
ces groupes de barbouzes implantés à Oran-Orléansville (Guy Gits), à Aïn-
Taya (Marcel Hongrois) et Alger (Lucien Bitterlin, André Goulay, Louis
Dufour, Jean Dubuquoy, Robert Lavier).
Les barbouzes ne seront jamais plus de 15 à 20 en Algérie, par roulement,
et en tout leur nombre ne dépassera pas la centaine entre novembre 1961 et
fin 1962.
Une attaque au bazooka par l’OAS fin décembre 1961 marque le début
du harcèlement que l’OAS mène contre les barbouzes. Puis c’est l’explosion
par l’OAS de la villa occupée par le MPC à Alger le 29 janvier 1962, avec les
19 barbouzes déchiquetés sur les 26 présents.
Le groupe de barbouzes se reconstitue autour de Ponchardier et de Bob
Morel, l’OAS les traque à Alger puis à Orléansville. Les derniers survivants
se terrent à la cité administrative de Rocher-Noir où siège le délégué général
Jean Morin* qui en expédie en France et en garde quelques-uns. L’Exécutif
provisoire* algérien s’installe à Rocher-Noir après le 19 mars 1962* et laisse
ce petit groupe de barbouzes œuvrer contre les derniers éléments de l’OAS
encore nuisibles à la préparation de l’indépendance de l’Algérie. Les
gaullistes nieront très longtemps l’existence de ces barbouzes historiques.
Christian HONGROIS
Bibl. : Lucien Bitterlin, Histoire des Barbouzes, Palais Royal, 1972 •
Christian Hongrois et Frédéric Ploquin, Fils de Barbouze, Nouveau Monde,
2021 • Christian Hongrois, Voyage au cœur de la lutte contre l’OAS,
Nouveau Monde, 2022.
BARRAGES ÉLECTRIFIÉS
En 1956, les anciens protectorats d’Afrique du Nord redeviennent
indépendants et servent de bases arrière à l’ALN*. Dès lors, le
commandement français cherche à asphyxier les maquis intérieurs de l’ALN
en verrouillant peu à peu les frontières avec le Maroc* et la Tunisie*. Ce
n’est en rien une ligne Maginot. Les obstacles érigés doivent être
suffisamment puissants pour être dissuasifs, aussi bien pour les djounoud de
l’intérieur qui voudraient franchir la frontière, que pour ceux qui tenteraient
de pénétrer en Algérie. Il faut aussi couper les lignes logistiques de l’ALN en
rendant de plus en plus difficile le soutien en munitions et en armes.
Les deux barrages frontaliers fonctionnent d’abord comme des éléments
d’alerte. Une double haie de fils électrifiés sous haut voltage permet de
signaler une coupure (réalisée à l’aide de pinces isolantes) et de donner le
temps aux troupes placées immédiatement en réserve d’intervenir. Le réseau
électrifié est formé de deux haies centrales de 2,4 mètres de hauteur en haute
tension de 5 000 à 7 000 volts. En doublant ou en triplant l’obstacle électrifié,
on compte en 1961 environ 3 000 kilomètres de haie électrifiée sous tension,
alimentés par 104 centrales. Outre l’installation de postes et d’une piste de
surveillance où circulent des blindés* (la « herse »), le couple radar-canon
(portée d’une dizaine de kilomètres) interdit tout franchissement dans les
reliefs non accidentés. La complémentarité interarmées se manifeste par la
surveillance aérienne des avions des armées de l’air et de mer (« luciolage »
la nuit pour éclairer le barrage) et par l’intervention des unités au sol.
À l’ouest, afin de pallier le retrait des unités françaises du Maroc, les
premiers réseaux de barbelés apparaissent en novembre 1956. La
construction de Port-Say à Abadla, au nord du grand erg occidental, tient
compte des incidents de frontière avec le royaume chérifien, de sorte que la
ligne de défense est reportée de plusieurs kilomètres en territoire algérien. En
janvier 1957, des mines* éclairantes sont posées pour rendre plus efficace la
surveillance depuis les postes et déclencher un tir-canon quasi immédiat lors
des tentatives de franchissement. En juillet suivant, les premières mines
explosives, encriers (petites et indétectables car en bakélite) et bondissantes,
sont placées. Pièges à basse tension, des mines électriques sont également
installées. Fin 1957, le barrage s’étend jusqu’à 900 kilomètres de la mer à
Colomb-Béchar et Talzaza. Cependant les sapeurs-mineurs de l’ALN
réalisent des trouées dans le réseau par l’utilisation des longs tuyaux explosifs
du type Bangalore. En 1957, à Oujda, au Maroc, est opérationnelle une école
de spécialistes en destruction qui savent récupérer des mines-encriers et
bondissantes. L’ALN utilise également des mines soviétiques antichars. En
1961, l’ALN crée le 1er bataillon de déminage composé de trois compagnies
légères. Les Français répliquent par la mine télécommandée, couplée à un
allumage électrique un temps relié à des « sismophones » enterrés et destinés
à signaler tout piétinement. L’efficacité du dispositif d’ensemble est telle face
au Maroc que si au 1er trimestre 1958 les réussites de franchissement sont de
27 % dans le sens ouest-est et de 23 % dans le sens est-ouest, elles tombent à
9 % dans les deux sens un an plus tard.
À l’est, le retrait de la 11e division d’infanterie (DI) à l’indépendance de
la Tunisie induit la protection de l’axe ferré des mines d’Ouenza et de la route
stratégique de Bône-Tébessa et son prolongement jusqu’à Négrine. Le 26 juin
1957, le ministre de la Défense nationale et des Forces armées, André
Morice, ordonne la construction de la ligne qui porte son nom. Obstacle
disposant d’une « herse » intérieure (confiée à six régiments blindés) entre
deux haies électrifiées, celle-ci est aussi conçue, comme son équivalent face
au Maroc, comme un dispositif d’alerte permettant la manœuvre non pas
depuis les postes de surveillance (six régiments de secteur), mais par
concentration des forces. En 1958, cinq régiments parachutistes* sont placés
en arrière du barrage et opèrent en « chasse libre ». Quatre autres régiments
sont disposés en couverture, dans le no man’s land entre la frontière et la
ligne électrifiée.
Le général Challe*, nouveau commandant en chef, voulant protéger la
zone côtière, de La Calle à Morris, décide en 1959 de doubler dans cette
direction la ligne électrifiée longue de 1 200 kilomètres. Il s’agit aussi de
protéger les blindés circulant sur la « herse », tout en bénéficiant d’un
dispositif de sécurité en profondeur. Sont utilisées trois tensions pour les
haies électrifiées, haute (7 000 volts), moyenne (3 000 volts) et basse tension
(380 volts). Ce renforcement est d’une telle efficacité qu’il rend toute
tentative de passage pratiquement impossible, à partir de 1960 : en mars, sur
8 300 djounoud engagés, 60 passent mais 40 sont tués sur le terrain ; en
juillet, échec total d’une dernière tentative à grande échelle. D’instrument
d’alerte, l’obstacle érigé à l’est évolue de plus en plus vers la fortification où
les postes dotés d’artillerie et placés en quinconce empêchent tout
franchissement d’importance.
Outre 60 000 tonnes de barbelés, 14 millions de piquets, le coût final des
barrages est estimé à 250 millions de francs. Quant à la guerre des mines, le
total cumulé est de 6 200 000 mines antipersonnel, 400 000 mines
bondissantes et 230 000 mines éclairantes. Au total, de 1957 à 1962, l’ALN
déplore 6 000 tués sur et dans la zone des barrages, soit environ 4 % des
moudjahidines* tombés pendant la guerre de libération. Le champ de bataille
intérieur est ainsi « encagé » et permet le succès du plan Challe* en isolant
les maquis. Mais la veille demande de plus en plus d’effectifs. L’ALN ne
cesse de se renforcer aux frontières, puissant moyen de pression au moment
des négociations*. Entre 1957 et 1962, les effectifs passent de 2 000 à
22 000 hommes pour la Tunisie, et de 2 000 à 10 000 hommes pour le Maroc.
De plus, dans les derniers mois du conflit, l’ALN multiplie les harcèlements
et dispose de moyens antichars (bazookas, canons de 75 sans recul, etc.) et de
mortiers lourds, 120 et 122 mm, venus des pays de l’Est. C’est l’origine de la
gabegie d’effectifs français. En janvier 1959, 45 000 hommes défendent les
frontières, dont 28 000 à l’est. On conçoit que ce surcoût ait pesé dans les
négociations d’Évian-Lugrin.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Henri Lemire, Histoire militaire de la guerre d’Algérie, Albin Michel,
1982 • Revue internationale d’histoire militaire, no 76, La guerre d’Algérie,
la défense des frontières, les barrages algéro-marocain et algéro-tunisien,
1956-1962, 1997.
BATAILLE
Les débats autour de l’appellation « bataille d’Alger* », aujourd’hui
parée de guillemets significatifs d’une distance critique à son égard, résument
le dilemme posé par l’usage du mot « bataille » en général. Si tout le monde
s’accorde à dire qu’il n’y a pas eu à Alger de « bataille » au sens strict du
mot, le consensus règne par ailleurs pour perpétuer l’appellation. Il est
difficile, en effet, de trouver une expression alternative, sauf à se situer du
point de vue des Algérois ayant subi le déploiement des troupes
parachutistes* dans la ville à partir de janvier 1957 en parlant de « grande
répression d’Alger » – Gilbert Meynier*, ainsi, en est partisan. « Grande
répression d’Alger », cependant, ne rend pas compte de la réalité de
l’affrontement, sur le terrain, entre deux camps : celui des indépendantistes
où domine le FLN* même s’il n’est pas le seul (le MNA* et le PCA* étaient
aussi actifs) ; celui de l’Algérie française avec la 10e division parachutiste*
du général Massu* aux côtés de laquelle sont aussi engagés les forces de
police* ainsi que l’appareil judiciaire et pénitentiaire. Certainement pour
mettre en évidence cet affrontement bien réel, cruel et sanglant, les anciens de
la « bataille d’Alger », tant français qu’algériens, emploient l’expression sans
la discuter.
À l’échelle de l’ensemble du conflit, les débats autour du mot « bataille »
rejoignent ceux autour du mot « guerre ». Accepter « bataille » revient à
reconnaître qu’une véritable guerre a bien eu lieu, contrairement au déni
officiel français qui a longtemps perduré. Les Algériens, pour leur part,
trouvent dans cette reconnaissance une légitimation de leur combat pour
l’indépendance mais aussi une reconnaissance de son âpreté et de sa dureté.
Prenant le débat au sérieux, en le délestant de ses enjeux politico-mémoriels,
les historiens discutent de l’existence de batailles au sens d’affrontements
militaires meurtriers trouvant effectivement leur terme sur le terrain par la
victoire des uns ou des autres, comme à Djorf en septembre 1955 ou aux
frontières en 1958. Là de véritables batailles ont eu lieu.
Plus fondamentalement, la discussion sur les batailles renvoie au type de
guerre qu’a été celle pour l’indépendance de l’Algérie. Elle n’est pas une
guerre de « batailles gigantesques dans lesquelles les grands chefs cherchent
avant tout la décision », pour reprendre les mots de Jacques Frémeaux*, mais
une guerre à la fois asymétrique et de basse intensité. Elle est asymétrique
tant l’équipement des forces engagées était déséquilibré – les
indépendantistes n’avaient guère d’autre choix que la guérilla* ou le
terrorisme alors que l’armée française pouvait déployer des opérations
héliportées. Cette guerre est aussi de basse intensité au sens où dominent les
embuscades*, harcèlements et affrontements de faible envergure, tandis que
la population civile est tout à la fois une cible et un enjeu.
L’intensité des combats militaires varie toutefois selon les périodes. De
1955 à 1957, l’ALN a l’initiative sur le terrain avant que les frontières ne
s’imposent comme théâtre majeur en 1958. Dans ce contexte, les
affrontements militaires comptent. Ils sont décisifs. Puis avec le plan Challe*,
en 1959, les maquis peinent à survivre. De là découle l’argument que la
guerre a été militairement gagnée – il est toujours en vigueur dans les milieux
français persistant à nier la légitimité de l’indépendance. La guerre,
cependant, se jouait aussi en dehors des maquis. Ainsi le FLN avait son
nidham (ou nizam selon les retranscriptions), appelé, en français, OPA
(organisation politico-administrative) : quantité de réseaux voués à la collecte
de fonds, à la diffusion de mots d’ordre, à la propagande*, au ravitaillement
des maquis, à l’élaboration d’un contre-État alternatif à l’État colonial mais
aussi aux attentats. Jamais l’armée française n’a pu détruire ces réseaux de
façon définitive, qui étaient reconstitués au fur et à mesure de leur
démantèlement. Pour cette raison, les prisons* et les camps d’internement*
débordaient de captifs et ne pouvaient désemplir. S’il y a eu peu de
« batailles » au sens strict du terme, il y a bien eu une guerre prenant la forme
d’un affrontement protéiforme sur le terrain, dans lequel les forces françaises
ont été défaites. Pour le dire clairement, jamais les réseaux n’ont été anéantis.
Les attentats ont continué jusqu’en 1962.
Aussi il n’est pas juste d’affirmer que, gagnée sur le terrain, la guerre n’a
été perdue qu’au plan politique, notamment parce que le FLN a
internationalisé son combat. Il est tout aussi faux de s’efforcer de la présenter
comme toute autre guerre en surestimant la part prise par les maquis au
détriment de la part assumée par l’OPA. Ainsi, si cette guerre en est bien une
et s’est bien achevée par une défaite française sur le terrain lui-même, elle est
une guerre d’une nature particulière. Le mot « bataille », entendu au sens
strict, n’en rend pas bien compte. Et cela n’a rien de spécifique à la Guerre
d’indépendance algérienne : les conflits armés asymétriques et/ou de basse
intensité marquent l’histoire contemporaine et le temps présent.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Jacques Frémeaux, La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870,
1954-1962, Economica-Institut de stratégie comparée, 2002 • Gilbert
Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002 • Ouanassa
Siari Tengour, Histoire contemporaine de l’Algérie, nouveaux objets, Oran,
Crasc, 2010.
BATAILLE D’ALGER
Densément peuplée par des Algériens ayant fui les rigueurs de la guerre
et venus grossir les rangs de ses bidonvilles, tandis que la vieille ville de la
Casbah concentre une population plus ancienne, Alger est aussi la vitrine de
l’Algérie française avec le siège du pouvoir politique, une université, un
musée des beaux-arts, un opéra et d’autres bâtiments typiques d’une capitale
coloniale sûre d’elle et désireuse de manifester dans le bâti et le foncier, dans
les murs et dans les rues, la présence française. Elle concentre aussi les hôtels
qui, en temps de guerre où la circulation est devenue plus complexe,
accueillent les journalistes français et étrangers, ainsi que les représentants
consulaires témoins de l’aura internationale de cette ville. Or c’est
précisément là que, depuis l’automne 1956, le FLN* commet des attentats
contre des lieux de détente privilégiés par la population française, à
commencer par le Milk-Bar et la Cafétéria, le 30 septembre. Une Zone
autonome d’Alger* (ZAA) a été créée dans ce but. Dirigée par Larbi Ben
M’hidi*, elle sera bientôt incarnée par Yacef Saadi*, son adjoint chargé des
attentats, assisté d’Ali La Pointe*. Au pouvoir colonial qui prétend maîtriser
l’extension d’une révolte populaire et armée qui monte, ces violences
adressent un démenti cinglant.
Alors que l’Assemblée générale des Nations unies* s’apprête à prendre
position sur la situation en Algérie en janvier 1957, le FLN choisit de faire à
Alger la démonstration de sa puissance. L’image des quelques militants,
réussissant à déposer des bombes, fussent-elles très meurtrières, ne suffit pas
– l’implication des femmes*, comme Djamila Bouhired* et Djamila Bouazza,
marque les esprits. Le FLN veut montrer au monde qu’une majorité des
habitants algériens de la ville le soutient. Pour cela, il lance un appel à faire
grève* pendant toute la semaine de session des Nations unies. Si les rideaux
des commerçants restent baissés, si les fonctionnaires ne se rendent pas à leur
travail, si les tramways, les bus, les postes et télécommunications sont au
ralenti, si le port d’Alger ne fonctionne plus, alors l’influence du FLN dans la
population algérienne sera démontrée. L’enjeu est de taille : apparaître
comme le représentant légitime du peuple algérien, non seulement vis-à-vis
de la France coloniale mais vis-à-vis du monde entier.
Quoi qu’elles s’imaginent des méthodes du FLN pour obtenir cette
adhésion populaire, les autorités françaises ont bien perçu l’image désastreuse
qui résulterait d’un succès de cette grève. Rompant avec les méthodes
répressives classiques voulant que l’espace urbain soit réservé à la police*,
elles investissent une division parachutiste (DP) des pouvoirs de police dans
le but premier de briser le mouvement. Le 7 janvier 1957, le général Massu*
reçoit ces pouvoirs pour Alger et ses environs. Après avoir brisé la grève, les
hommes de la 10e DP* s’attachent à démanteler l’ensemble du FLN et de ses
réseaux.
Avançant à l’aveugle dans une ville qu’ils ne connaissent pas, totalement
ignorant des techniques policières de lutte contre une organisation
clandestine, les parachutistes* organisent un quadrillage de la ville visant à
identifier la population algérienne et à repérer les mouvements suspects. Ils
mettent aussi en place des centres de torture où chaque régiment conduit les
personnes arrêtées. Les méthodes sont d’une extrême violence, en totale
illégalité, mais soutenues par le haut commandement militaire soucieux de
réussir sa mission et persuadé qu’il faut que l’armée s’adapte aux nouveaux
visages de son ennemi.
Les militaires français aimeront pourtant parler de « bataille d’Alger » ;
les militants du FLN aussi. Le succès mondial du film de Gillo Pontecorvo
(1965), financé par Yacef Saadi qui y joue son propre rôle, achèvera
d’imposer l’évidence de cette expression. Pour ceux qui se sentent humiliés
par une action jugée dégradante pour des unités d’élite, comme pour ceux qui
sont réduits à une clandestinité de plus en plus étouffante et finalement
rendus impuissants par la terreur, parler de « bataille » est valorisant. Pourtant
où est la bataille ? À Alger, point d’armées face à face mais des troupes de
soldats aguerris aux prises avec une population civile suspectée de cacher,
d’héberger, de soutenir des militants, collecteurs de fonds, propagandistes ou
encore poseurs de bombes. Pour faire parler les suspects raflés ou arrêtés de
manière plus ciblée, la torture* devient systématique. Avec elle se développe
un argumentaire appelé à un grand succès : la torture serait le moindre des
maux. La 10e DP diffuse, en effet, l’exemple théorique d’un terroriste tout
juste arrêté après avoir déposé une bombe et qui doit livrer à ses
interrogateurs son emplacement avant qu’elle n’explose et ne fasse des
victimes. L’exemple a valeur d’exemplum : comment ne pas conclure qu’il
est souhaitable de torturer cet homme plutôt que de laisser exploser sa bombe
meurtrière ? Comment ne pas choisir entre deux maux le moindre, comme le
soutiennent alors un prêtre parachutiste et un des officiers* tenant d’une
nouvelle doctrine de guerre ? Les contextes dans lesquels sont arrêtées des
personnes, sur la base de simples suspicions d’appartenance au FLN ou de
lien avec des militants, n’ont rien à voir avec cette situation de bombe prête à
exploser. Pourtant, l’argumentaire porte alors et étouffe les dilemmes moraux
de nombreux militaires ou politiques.
Plus complexe est la justification d’autres pratiques qui deviennent
typiques de cette répression menée par les parachutistes de la 10e DP : la
disparition* et les assassinats maquillés en suicides. Ainsi Larbi Ben M’hidi,
l’un des fondateurs du FLN et membre du CCE*, est assassiné peu de temps
après son arrestation, début mars 1957. Véritable pied de nez au pouvoir
politique qui aurait pu le juger et le condamner, cet assassinat, comme
d’autres, témoigne du sentiment d’impunité absolue des militaires à cette
période. Le scandale éclate cependant en métropole où les réactions
contraignent Guy Mollet* à réagir. Après s’être ému qu’un gouvernement
comptant plusieurs résistants déportés puisse être accusé d’avoir laissé
accomplir des méthodes dignes des nazis, le président du Conseil s’attache à
réduire les dimensions les plus scandaleuses de cette répression. Il ne
perturbe toutefois pas fondamentalement son action, jugée efficace et vantée
par les militaires. De fait l’élimination de Ben M’hidi porte un coup dur au
FLN et le CCE décide de quitter le territoire algérien pour diriger la guerre de
l’extérieur.
Après une reprise des attentats au mois de juin, en particulier celui du
Casino de la Corniche le 3 juin 1957, la répression connaît une deuxième
phase qui finit d’écraser le FLN à Alger à l’automne. Yacef Saadi est arrêté
en septembre, Ali La Pointe tué en octobre par le plasticage de sa cache de la
Casbah qui fait plusieurs morts dont Hassiba Ben Bouali*. Les attentats
cessent et les parachutistes quittent la ville. Les techniques répressives
utilisées par l’armée française sont théorisées, présentées comme efficaces et
diffusées hors d’Alger. Le FLN, quant à lui, se replie ailleurs. Au-delà de ses
militants, les idées qu’il défend ne sont pas éradiquées. La violence brutale de
la répression française réussit, au contraire, à les alimenter. Si on parle de
bataille, à Alger en 1957, ce doit être alors pour se souvenir que gagner une
bataille n’est pas gagner la guerre.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN
(1954-1962), Fayard, 2002.
BATAILLE DE L’ÉCRIT
La nécessité d’informer et d’analyser s’impose dès les débuts de la guerre
d’Algérie. Ainsi, le FLN* crée Résistance algérienne, en arabe et en français,
qui sera remplacée par El Moudjahid, en 1956-1957. En Algérie, la presse*
coloniale, qui occupe quasiment seule le terrain (Alger républicain* est
interdit en 1955 et El Baçaïr de l’association des ulémas en 1956) et est
relayée par la presse de droite en France, donne sa version des faits et désigne
les résistants algériens comme fellaghas, terroristes, assassins, etc. Elle est au
service des gros possédants : L’Écho d’Alger*, dirigé par Alain de Sérigny, a
été créé par des minotiers d’Alger. La Dépêche de Constantine appartient à
Louis Morel, député puis sénateur.
En France, un front du refus à la guerre se forme très tôt dans la presse :
France Observateur, Témoignage chrétien, Le Monde*, L’Express, Esprit,
puis Les Temps modernes, publient les dénonciations de la torture* et les
récits des appelés* qui sont confrontés à la violence extrême.
On peut distinguer deux moments dans la bataille de l’écrit. D’abord, dire
la torture : des textes arrivent, surtout chez Jérôme Lindon* aux Éditions de
Minuit, qui rapportent les récits des torturés. Il sera relayé par François
Maspero* (la librairie La Joie de lire deviendra les éditions qui portent son
nom). À eux deux, ils vont publier des textes qui, même s’ils sont saisis et
peu lus directement, placent la question de la torture et des exécutions
sommaires* au cœur de la société française, du moins dans le milieu
intellectuel. Puis, défendre le droit à l’insoumission : l’autre corpus de textes
qui va se constituer, presque au corps défendant de Lindon, c’est celui des
récits, à peine romancés ou en dossiers, des déserteurs et de la réflexion que
le refus de tuer entraîne (« Manifeste* des 121 »).
Aux côtés de Lindon se trouve l’historien Pierre Vidal-Naquet*, qui
vérifie les documents reçus, qui participe à la constitution de dossiers dont
L’Affaire Audin. Cet éditeur* qui avait un projet de publications littéraires va,
saisi par le scandale de la torture, publier des textes sur l’Algérie et la guerre
qui s’y déroule, sachant très vite qu’il connaîtra saisies, procès et lourdes
amendes. Si les saisies sont opérées, les poursuites judiciaires n’aboutissent
généralement pas, comme s’il fallait éviter de parler de la guerre lors du
procès. Les amendes seront quelquefois payées par d’autres éditeurs comme
Julliard, qui expriment ainsi leur solidarité. Le monde éditorial, comme le
monde journalistique, prend la configuration d’un terrain de lutte, avec – sans
que cela ait été voulu – une distribution des rôles.
Les Éditions de Minuit et Maspero vont, à elles deux, publier la plupart
des livres sur la guerre entre 1957 et 1962. Chez le premier éditeur, sur les
vingt-trois livres publiés sur la guerre, onze portent sur la torture puis la
désertion et neuf seront saisis, quelquefois à deux reprises (La Question,
d’Henri Alleg*, 1958 et 1959 ; L’Affaire Audin, de Vidal-Naquet, 1958 ; La
Gangrène, collectif, 1959, réédité deux fois la même année ; Le Déserteur, de
Maurienne, 1960 ; Le Désert à l’aube, de Favrelière*, 1960, etc.).
Les éditions Maspero ont une politique éditoriale semblable et subissent
saisies et amendes. Sur la vingtaine de titres publiés sur la même question,
douze sont saisis (Le Refus, de Maurice Maschino*, 1960 ; Le Droit à
l’insoumission, le dossier des « 121 », collectif, 1961 ; Les Damnés de la
terre, de Frantz Fanon*, 1961 ; La Révolution algérienne par les textes,
d’André Mandouze*, 1961, etc.).
En plus des déboires avec la censure* et la justice, des saisies et
inculpations qui accompagnent, et quelquefois devancent (efficacité de la
censure !), la parution des textes, les deux éditeurs sont confrontés à la
violence : plasticage des librairies et des appartements.
Les autres éditeurs, s’ils ne publient pas de textes sur la torture et
l’insoumission, peuvent canaliser les textes vers Lindon et Maspero et même
faire paraître des textes comme L’Algérie hors la loi de Colette et Francis
Jeanson* (Seuil, 1955) et La Guerre d’Algérie de Jules Roy* (Julliard, 1960).
Face aux textes qui dénoncent la violence extrême de la répression, des
auteurs défendent l’Algérie française et l’armée. Jacques Soustelle*,
gouverneur général en Algérie (1955-1956), acquis aux thèses des partisans
de l’Algérie française, défend sa position dans Aimée et souffrante Algérie
(1956). Des intellectuels et journalistes sont proches de l’armée : Serge
Bromberger (Les Rebelles algériens, 1958), Michel Déon (L’Armée d’Algérie
et la pacification, 1959, écrit après un voyage en Algérie). Si les textes de
cette tendance sont plus nombreux que ceux de la dénonciation, ils n’ont pas
le même impact dans l’opinion* française. Après 1962, les écrits de cette
veine continuent à être publiés, comme si autojustification et regret ne
pouvaient s’éteindre.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Jean-Pierre Bertin-Maghit, La Guerre d’Algérie et les médias :
questions aux archives, Presses Sorbonne-Nouvelle, 2013 • Anne Simonin,
Les Éditions de Minuit. 1942-1955. Le devoir d’insoumission, Imec, 1994.
BATAILLE DU RAIL
Afin de garantir la vie économique, les grands axes de communication et
les trains miniers doivent être protégés, tel celui de la ligne des phosphates
d’Ouenza. Or, du 1er novembre 1954* au 31 octobre 1957, on dénombre 730
attentats contre les trains et 227 contre les gares (une centaine d’agents des
chemins de fer algériens et 46 hommes du contingent sont tués). Pour y faire
face, des unités de secteur, le 3e bataillon de zouaves et le 587e bataillon du
train, escortent trains et autorails. En fin de nuit, avant le passage du premier
convoi, ils ouvrent la voie à l’aide d’une draisine de la marque Billard,
parfois armée d’une mitrailleuse, seule ou précédée de wagons. Sous le
moteur diesel, le blindage en forme de « V » dévie le souffle des mines*. Plus
qu’en Indochine*, en avant des convois civils, les draisines blindées et les
chars sur des plates-formes ouvertes assurent la liberté de circulation des
trains, garants de la logistique lourde des troupes disséminées en Algérie. Il
en est de même pour les trains spéciaux et leurs wagons-citernes venus des
sites sahariens avant l’ouverture des premiers oléoducs. Ainsi, une étroite
coopération interarmes englobe le lien rail-route pour les complexes
opérations de déminage. En effet, leçon de l’Indochine, les djounoud sont
particulièrement inventifs en matière de sabotage et de mines, dont la
redoutée bombe à crémaillère. En Algérie, la bataille du rail est grosse de
matériels spécifiques (scout-cars montés sur rail, Dodge ou Jeep blindées-
draisines, draisines radios-commandées…) et de quatre trains blindés, hors
les unités sur rail des barrages frontaliers. En service dans l’Algérois et le
Constantinois, servis par une vingtaine d’hommes, ils comportent une
locomotive blindée et cinq wagons. Deux portent dix fusils-mitrailleurs et
quatre lance-grenades. Un wagon PC permet la liaison radio avec les unités
de secteur. Un dernier wagon abrite un groupe d’intervention. Mais
l’adversaire refuse d’affronter une telle puissance de feu. De plus, la
circulation des trains en Algérie est gênée par le manque d’harmonisation :
les voies étroites ou métriques l’emportent sur les voies normales. Pourtant,
l’apport du rail demeure essentiel. La logistique lourde du plan Challe* en
1959 repose sur 85 trains spéciaux.
La surveillance des voies entraîne la constitution de pelotons cynophiles,
de miradors à l’entrée ou proches des tunnels, de réseaux de fils de fer
barbelés parfois électrifiés… Dès 1956, des « groupes spéciaux », qui
s’appellent eux-mêmes « commandos* de la mort », nomadisent le long des
voies et des viaducs. Ils déjouent plus de cent sabotages sur la seule ligne du
Transalgérien de direction est-ouest. Cette adaptation du rail à la contre-
guérilla fait que la bataille du rail est militairement gagnée en fin de conflit :
après un pic de 870 attentats contre voie ferrée en 1957, on relève seulement
89 attentats en 1961.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Paul Malmassari, Les Trains blindés français, 1826-1962, Soteca,
2010.
BELGIQUE
Pays frontalier, puissance coloniale et terre d’immigration, la Belgique
est un territoire spécifique de la Guerre d’indépendance algérienne. Alors que
la diplomatie belge soutient le gouvernement français par solidarité coloniale,
le FLN*, le MNA* et plus tard l’OAS* intègrent la Belgique à leur
organisation politique et s’appuient sur des civils pour y constituer des
réseaux de soutien. À ces belligérants officiels, il faut ajouter les activités
terroristes de la Main rouge, émanation du Service de documentation
extérieure et de contre-espionnage français* (SDECE). En Belgique, la Main
rouge est en effet responsable de l’assassinat de plusieurs activistes ou
sympathisants du FLN, dont le responsable de l’Ugema* Akli Aïssiou et le
Pr Laperche en mars 1960. La violence s’y manifeste aussi à travers les
règlements de comptes entre messalistes et frontistes et les activités de
l’OAS-Belgique.
Engagées dans un processus de décolonisation au Congo et signataires de
la charte de San Francisco (26 juin 1945), les autorités belges coopèrent avec
leurs homologues français dans le respect des conventions policières et
judiciaires qui lient les deux pays. La convention du 24 avril 1875 sur
l’engagement de mineurs de moins de 21 ans dans la Légion étrangère* est
cependant source de tensions. Les familles belges créent un Groupement de
défense des parents contre l’enrôlement de jeunes belges dans l’armée
française et médiatisent leur combat. « L’affaire des Légionnaires » devient
une affaire d’État, la presse* s’empare du sujet tout autant que les
parlementaires mais l’armée française ne plie pas sauf sur quelques dossiers
individuels.
En réalité, la Belgique vit à l’heure algérienne dès l’été 1954 avec
l’organisation du congrès d’Hornu qui scelle définitivement la scission entre
centralistes et messalistes au sein du MTLD. Puis le pays intéresse le FLN et
le MNA à plus d’un titre. Il leur offre non seulement une zone de repli mais
aussi un vivier de militants non négligeable. Le FLN parvient à y structurer la
grande majorité de l’immigration sous l’égide de sa Fédération de France*
dont la compétence est étendue à la Belgique, à y constituer un réseau de
« porteurs de valises* » et un collectif d’avocats*, coordonné par Serge
Moureaux, fils du ministre de l’Instruction publique. Les répercussions de la
guerre en Belgique ont été suffisamment importantes pour peser sur sa
politique étrangère.
Linda AMIRI
Bibl. : Jean Doneux et Hugues Le Paige, Le Front du Nord. Des Belges dans
la guerre d’Algérie (1954-1962), Bruxelles, Pol-His, 1992 • Vincent Genin,
« L’ambassade de Belgique à Paris et la guerre d’Algérie. Marcel-Henri
Jaspar, des Légionnaires belges et une Algérie française (août 1959-
avril 1961) », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 250, no 2,
2013.
BENABDELMALEK, RAMDANE,
DIT SI ABDALLAH
(1928-1954)
Membre du groupe des « 22* », Benabdelmalek est l’un des premiers
martyrs de la Guerre d’indépendance déclenchée le 1er novembre 1954*.
Natif de Constantine, Benabdelmalek s’éveille à la politique dans
l’effervescence du mouvement des AML*, en pleine Seconde Guerre
mondiale. Il rejoint les rangs du MTLD à sa création en 1946, avant d’être
enrôlé dans les rangs de l’Organisation spéciale* (OS). À la découverte de
celle-ci, en mars 1950, il entre dans la clandestinité. À l’instar de beaucoup
de ses compagnons, dont Ben M’hidi*, Boussouf*, Guerras, Mechati,
Benabdelmalek trouve refuge dans l’Oranie qu’il parcourt pour remplir
diverses missions. Au mois de novembre 1952, à Saïda, puis Géryville, on le
retrouve où il est arrêté. Libéré peu après, il est responsable de la daïra de
Tlemcen en novembre 1953, avant de rejoindre celle de Mostaganem.
Au mois d’avril 1953, Benabdelmalek participe aux travaux du second
congrès du MTLD à Alger (avril 1953) et, courageusement, il « conteste
l’orientation donnée au parti » selon Harbi* et défend l’OS qui sera
reconduite à cette occasion. Partisan du courant activiste, il fait partie des
« 22 » qui décident au mois de juin 1954 de passer à la lutte armée et devient
l’adjoint de Larbi Ben M’hidi, chef de la Zone 5 qui recouvre l’Oranie.
Benabdelmalek prépare les premiers groupes armés de la région du Dahra. Il
n’a aucune difficulté à les recruter dans la section du MTLD de Cassaigne,
qui est l’une des plus importantes de la région. Il peut compter sur son
responsable Amar Bordji et ses compagnons, dont Mohammed Belhamiti,
Douar Miloud, Sahraoui Abdelkader. La veille du 1er novembre 1954,
Benabdemalek réunit ses hommes à Aïn Abid.
Sous sa responsabilité, les premiers maquisards du Dahra commettent
plusieurs actions qui ont pour cible des fermes coloniales (Bosquet et Ouilis),
le sabotage du transformateur électrique, de la ligne téléphonique et de la
gendarmerie de Cassaigne. Les auteurs reconnus des attentats sont activement
recherchés. Le 4 novembre, Benabdelmalek trouve la mort lors du ratissage
de la forêt d’Ouled Larbi.
À l’indépendance, son nom est donné au village de Ouilis où il est
inhumé et un pavillon lui est consacré au musée du Moudjahid* de
Mostaganem ouvert en 2004.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Aux origines du Front de libération nationale : la
scission du PPA-MTLD, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2020 • Ouanassa
Siari Tengour, « Hommage à Benabdelmalek Ramdane et ses compagnons »,
Le Soir d’Algérie, 21 février 2018.
BILAN HUMAIN
Le bilan humain de la guerre d’Algérie fait toujours l’objet de
controverses, tant les visions divergent entre la France et l’Algérie, et entre
les différents groupes « porteurs de mémoire ».
Le nombre le plus important concerne les Algériens tués au cours du
conflit. À la fin de la guerre, Ahmed Ben Bella a affirmé que 1 million
d’Algériens avaient été tués durant le conflit, avant d’utiliser peu après le
nombre de 1 million et demi. Ces nombres sont restés utilisés de manière
officielle en Algérie, mais ne s’appuient sur aucune réalité tangible. L’État
algérien a cependant reconnu en 1964 avoir pris en charge 300 000 veuves de
guerre. De son côté, le général de Gaulle* a évoqué à plusieurs reprises le
nombre de 200 000 morts algériens, sachant que les militaires français en
avaient dénombré 150 000. Bernard Droz et Évelyne Lever ont ensuite
réévalué le chiffre dans une fourchette allant de 300 000 à 400 000 morts.
Enfin, selon les estimations du démographe Kamel Kateb, en se basant sur les
recensements de population, le bilan humain algérien pourrait s’établir entre
400 000 et 500 000 morts. Parmi eux, le nombre de 150 000 combattants de
l’ALN* et du FLN* paraît vraisemblable.
Le nombre de morts algériens fait donc déjà l’objet de grandes
incertitudes. Mais s’il est un domaine qui n’est jamais abordé, c’est le
nombre de blessés. Ceux-ci doivent également s’établir à plusieurs centaines
de milliers, mais il n’en existe à notre connaissance aucune évaluation. Parmi
eux, il faudrait aussi tenir compte des nombreuses victimes de séquelles
psychologiques, sous le choc de la guerre. En 1962, l’euphorie de
l’indépendance et de la (re)construction l’emportait sans pour autant effacer
les souffrances. De ce point de vue, les disparitions* sont les plus
traumatisantes, les corps n’ayant jamais été retrouvés. S’agissant des disparus
après arrestation par les forces françaises, le bilan demeure impossible :
plusieurs dizaines de milliers ? Ces disparitions ne laissant pas de trace
tangible dans les archives*, les tentatives de bilan chiffré ouvrent des
controverses sans fin. C’est le cas, pour la seule « bataille d’Alger* », des
3 024 disparus que disait avoir dénombré le secrétaire général de la préfecture
de police, Paul Teitgen*. Jamais celui-ci n’a dit comment il avait procédé.
Cependant, les travaux sur le système répressif algérois démontrent
l’existence de disparitions massives, et ce même si on ne peut les compter.
Par ailleurs, le conflit entre les partisans du FLN et du MNA* a conduit à
environ 10 000 morts et 23 000 blessés. Le chiffre le plus impressionnant
concerne les déplacements : 2 millions d’Algériens ont été déplacés dans des
camps et des villages de regroupement*, soit le quart de la population
algérienne.
Du côté français, 28 000 soldats sont morts sur les 2 millions qui ont été
envoyés en Algérie. Si l’on y ajoute 2 788 civils français d’Algérie tués, le
rapport entre le nombre de morts français et algérien est donc d’au moins un
pour dix, ce qui montre le grand déséquilibre de cette guerre asymétrique. Du
côté des combattants français, au moins 65 000 ont été blessés. Mais, comme
pour les Algériens, ce nombre est grandement sous-estimé : le phénomène
des troubles de stress* post-traumatique (TSPT), ou post-traumatic stress
disorder en anglais) n’a commencé à être pris en compte que pendant la
guerre du Vietnam. Certains soldats ont sombré dans la folie. Les cas
d’alcoolisme, en partie liés à ce stress, sont également nombreux et ont
ensuite eu des répercussions familiales importantes, avec les violences qui y
sont conjointes. D’autres encore ont préféré échapper aux douleurs
psychologiques en mettant fin à leurs jours. Ici aussi, les chiffres sont
inconnus. L’armée française n’a officiellement reconnu qu’une quarantaine
de suicides, mais ceux-ci sont, selon toute vraisemblance, beaucoup plus
nombreux. Ainsi, parmi les soldats morts en Algérie, environ un tiers d’entre
eux sont soi-disant « morts par accident », ce qui cache des réalités très
différentes : des accidents réels (avec les armes à feu par exemple), des
accidents de voiture avec une vitesse excessive (notamment pour éviter d’être
pris dans une embuscade*), mais encore des conduites à risque suicidaires et
des suicides tout court.
Concernant les civils français d’Algérie, outre les 2 788 morts, il faudrait
y ajouter 7 541 blessés et 875 disparus. Tant du côté algérien que français, les
disparitions laissent les familles dans une impossibilité de faire véritablement
le deuil de leur proche. Par ailleurs, environ 700 000 Français d’Algérie ont
fui vers la France au cours du printemps et de l’été 1962. Leur nombre a
continué de s’accroître ensuite. L’OAS* a quant à elle tué 3 500 personnes et
en a blessé 8 000 environ.
Le bilan parmi les plus incertains concerne les supplétifs* de l’armée
française, regroupés sous le terme générique « harkis* ». En tout, il y a eu
environ 180 000 supplétifs dans l’armée française, et 263 000 Algériens ont
été considérés comme profrançais (rapport transmis à l’ONU*, 13 mars
1962). En totalité, selon le recensement de 1968, quelque 140 000 personnes
auraient été rapatriées, en y incluant les civils. Ils étaient seulement 60 000 en
1962. Ceux qui sont restés ont été victimes de massacres, mais leur
évaluation est presque impossible : probablement plusieurs dizaines de
milliers, peut-être jusqu’à 80 000.
Au total, la guerre d’Algérie a frappé le plus durement la population
algérienne (avec 2 à 3 % de pertes, toutes catégories confondues), puis les
Français d’Algérie (avec 0,5 % de pertes).
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie. 1954-
1962, Seuil, 1995 • Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et Juifs en
Algérie. 1830-1962. Représentations et réalités des populations, Ined, 2001 •
Guy Pervillé, La Guerre d’Algérie (1954-1962), PUF, 2007.
BIZERTE, CRISE DE
La France reste militairement présente en Tunisie* après l’indépendance,
notamment sur la base de Bizerte qui est un maillon important du système de
défense de l’Otan, avec son port en eau profonde et une piste d’atterrissage
de 2 400 mètres. Le président Bourguiba, de son côté, entend recouvrer la
souveraineté sur ces installations pour parachever l’indépendance de son
pays. Il revendique également une rectification de sa frontière avec l’Algérie.
En 1958, déjà, en réaction au bombardement de Sakiet Sidi Youssef*, il avait
exigé un retrait militaire complet et bloqué temporairement la base. En 1961,
le contentieux éclate lorsque Paris veut allonger la piste d’atterrissage – hors
des limites prévues, selon Bourguiba, qui s’y oppose. Il organise alors le
blocus de la base en mobilisant l’armée, la garde nationale et ses concitoyens.
Il peut compter sur le soutien des Tunisiens qui répondent aux mots d’ordre
de grève* générale et manifestent à plusieurs reprises à travers le pays et à
Bizerte où ils se joignent aux soldats qui bloquent la base.
La France bénéficie d’une supériorité militaire incontestable. Ainsi elle
maîtrise totalement les airs, la Tunisie n’ayant pas d’aviation. Le 17 juillet,
Bourguiba donne quarante-huit heures au gouvernement français pour
annoncer l’évacuation de Bizerte et accepter un nouveau tracé de la frontière
dans le Sahara, autour d’El Borma. Puis, le 19 juillet, ordre est donné
d’abattre tout aéronef violant l’espace aérien tunisien et le feu est ouvert. Le
plan « Bouledogue », préalablement conçu, validé par de Gaulle*, est alors
déroulé. La base est dégagée au prix de violents combats et de la répression
des rassemblements tunisiens. La disproportion du bilan*, qui reste discuté,
en témoigne : rapidement, plus de 700 morts et plus de 600 blessés sont
déplorés côté tunisien tandis que les Français auraient eu 26 à 30 morts et une
centaine de blessés. Aussi, le 22 juillet, Bourguiba accepte le cessez-le-feu.
La réprobation internationale pousse cependant la France à proposer
l’évacuation de Bizerte. Entamée six mois plus tard, en janvier 1962, elle
s’étale jusqu’en octobre 1963. Dans le contexte de la guerre d’Algérie, la
crise met une fois de plus la France en difficulté sur la scène mondiale tandis
qu’elle avive le différend frontalier entre Bourguiba et le GPRA*. Ce dernier
rejette les revendications tunisiennes en la matière.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Sébastien Abis, « L’affaire de Bizerte, une crise géopolitique
méconnue », Confluences Méditerranée, no 67, 2008/4 • Henri Le Mire,
Histoire des parachutistes français, Albin Michel, 1980, en particulier
chap. VII, « La bataille de Bizerte » • Patrick-Charles Renaud, La Bataille de
Bizerte, Tunisie, 19 au 23 juillet 1961, L’Harmattan, 1996.
BLACHETTE, GEORGES (1900-1980)
Titulaire d’une concession de 690 000 hectares et PDG de la Société
générale des alfas dans le Sud-Oranais, il est connu sous le nom de « Roi de
l’alfa ». Par la fortune et la carrière politique, il fut, avec Henri Borgeaud* et
Laurent Schiaffino*, l’une des personnalités les plus connues de l’Algérie
coloniale, sinon la plus puissante. Sa famille est originaire de l’Ardèche et a
émigré en Algérie peu après la conquête de 1830. En 1873, elle obtient une
concession d’alfa, plante destinée à la fabrication de pâte à papier que les
Blachette exportent vers la Grande-Bretagne comme fret-retour des bateaux
acheminant le charbon anglais en Algérie. Leurs expéditions ont représenté
jusqu’au tiers des exportations de la colonie. Charles Alphonse, le grand-père
de Georges, entrepreneur de menuiserie, a également fondé en 1880 la
maison Blachette Frères, bois et matériaux de construction, qui a fait aussi
dans la vente et location de fabrication de futailles et se présente comme une
des premières firmes d’Algérie pour le commerce des bois de toutes essences
nécessaires à la construction et à l’industrie*.
Georges, né en 1900 à Alger, hérite des affaires de la famille. À 35 ans, il
est l’un des rares à être décoré de la Légion d’honneur au titre des colonies. Il
sert pendant la guerre de 1940-1945 en tant que lieutenant de réserve. Le
23 novembre 1948, il est élu par l’Assemblée algérienne conseiller de
l’Union française. Il reprend, en 1949, Le Journal d’Alger, quotidien qui
défend la ligne libérale et bénéficie à ce titre d’une large audience. Il est
député d’Alger de 1951 à 1955 sur la liste d’union des indépendants et du
RPF et est notamment lié à Jacques Chevallier*, maire* d’Alger hostile au
système colonial qui optera pour la nationalité* algérienne après
l’indépendance.
Personnalité éminente de la colonie et réputé pour sa sensibilité de
libéral, voire de progressiste, il est approché en 1954 par Pierre Mendès
France* qui veut lui confier le poste de secrétaire d’État à la Défense
nationale. Une offre qu’il décline. Il vote la confiance à Pierre Mendès France
le 5 février 1955 et se prononce pour l’état d’urgence* en Algérie (31 mars
1955). Il déclare à l’Assemblée le 29 juillet 1955 : « Il y a là-bas une richesse
trompeuse, limitée aux rives africaines, et, par-delà cette richesse, un
paupérisme chronique issu de causes complexes, géographiques, politiques,
démographiques. » Sa société est nationalisée en 1956. Il quitte l’Algérie
après 1962 et s’installe en métropole où il décède en 1980.
Ahmed HENNI
Bibl. : Georges Blachette, « L’alfa », Revue internationale des produits
coloniaux, 1939 • Claude Bourdet, « Les maîtres de l’Afrique du Nord », Les
Temps modernes, 1952 • Jean Morin, De Gaulle et l’Algérie : mon
témoignage, 1960-1962, Albin Michel, 2000.
BLED (LE)
Le Bled, puis Bled à partir de 1958, est le journal destiné aux troupes
basées en Afrique du Nord, produit par les services d’action psychologique
de l’armée en Algérie. Sa mise en place est due au lieutenant-colonel Albert
Fossey-François, premier chef du bureau psychologique, en septembre 1955,
dans le contexte tendu des manifestations de rappelés*. Son premier numéro
sort en décembre 1955. D’abord mensuel, puis bimensuel, il devient
hebdomadaire en mars 1956. Il est financé par le Service d’action
psychologique et d’information de la Défense nationale, le Gouvernement
général* avec les moyens techniques et humains du bureau psychologique.
Il s’agit, alors que de nombreuses publications sont interdites dans les
casernements, de fournir des justifications à l’engagement des appelés dans la
guerre, en produisant une représentation du FLN* comme ennemi barbare et
irréductible, mais aussi d’orienter leurs pratiques en mettant en avant le
rapprochement entre armée et population algérienne. Sa ligne se veut
« résolument nationale, anti-communiste et antiprogressiste ». Il participe à la
« mise en condition psychologique » du contingent.
Comportant une douzaine de pages richement illustrées, Le Bled contient
des commentaires de la politique nationale et internationale, des déclarations
des autorités gouvernementales, des présentations d’unités, des pages
« Sport » et « Culture ». Il comporte même dans ses pages finales une photo
de starlettes peu vêtues. Disposant d’une large équipe de journalistes, de
photographes et d’illustrateurs recrutés dans la troupe, il est le journal
hebdomadaire le plus distribué de France – gratuitement, la nuance est
d’importance – avec 350 000 exemplaires imprimés.
Le 10 mai 1958, son éditorial appelle à un « gouvernement de salut
public ». Les mois suivants, il devient le vecteur d’un étrange culte de la
personnalité du général de Gaulle*. Celui-ci est présenté, à l’image du
maréchal Pétain en son temps, comme un chef militaire prestigieux sortant
d’une retraite méritée pour sauver la nation, dont il est l’incarnation physique.
Il s’oppose de manière de plus en plus ouverte à la politique gouvernementale
en se livrant à de complexes exégèses de la parole gaullienne, présentant
contre toute évidence le chef d’État comme un partisan de l’intégration. Le
gouvernement reprend progressivement le contrôle de la ligne éditoriale du
journal, qui survit à la dissolution du 5e bureau.
Denis LEROUX
BLEUÏTE
La « bleuïte » est le nom donné à une campagne de retournement de
militants nationalistes, d’infiltration et d’intoxication du FLN*, lancée en
1957, durant la bataille d’Alger*, par les services secrets français, et
culminant en 1958. Elle aboutit à d’importantes purges dans les rangs
nationalistes, en particulier dans la Wilaya 3*, sous la direction du colonel
Amirouche Aït Hamouda*.
Dès 1956, les forces françaises tentent de réutiliser des méthodes anti-
insurrectionnelles appliquées en Indochine*, comme la pratique des contre-
maquis et de l’intoxication de l’adversaire. Ainsi le SDECE* organise avec
des succès variables et très relatifs des maquis profrançais, comme la
tentative de maquis en Kabylie maritime connu sous le nom « Oiseau
bleu* », où l’armée et le SDECE arment des civils kabyles se révélant être
nationalistes, les maquis Bellounis* ou Kobus, respectivement dans le Sud-
Algérois et la vallée du Chéliff, ou le maquis de Si Cheriff dans la région de
Médéa. À partir du printemps 1957, un centre clandestin, la section
d’instruction des élèves gradés français musulmans (SIEGFM), adossé au
CIPCG* d’Arzew, forme des agents algériens clandestins devant œuvrer pour
l’armée française au sein de la population, comme commissaires politiques,
agents de propagande* ou de renseignement. Rapidement, le FLN est
conscient de cette volonté d’infiltration.
L’appel à la grève* scolaire et universitaire par le FLN, en mai 1956, et
l’appel à la grève générale, en janvier 1957, amènent de nombreux jeunes
Algériens à tenter de rejoindre les maquis. Ces nouveaux maquisards,
francophones et lettrés, font face à des djounoud, majoritairement
d’extraction rurale et illettrés, qui les suspectent de trahison ou de manque
d’ardeur révolutionnaire. Parallèlement, l’accroissement de la répression
française entraîne des tensions au sein du mouvement nationaliste autour de
la question de possibles négociations* avec l’ennemi. Plus largement, la
figure du traître, qu’il s’agit d’éliminer brutalement afin de rendre impossible
tout contact entre la population algérienne et les autorités coloniales et d’ainsi
construire la communauté nationale, est très présente dans l’imaginaire du
FLN, entraînant une fragilité structurelle aux intoxications françaises quant à
d’éventuelles infiltrations.
Le capitaine Paul-Alain Léger*, du SDECE, est, avec le colonel
Amirouche, la figure centrale du récit de la « bleuïte ». Formé durant la
Seconde Guerre mondiale dans les SAS britanniques (Special Air Service),
parachuté à deux reprises derrière les lignes allemandes, il participe, pendant
la guerre d’Indochine, à des opérations de contre-maquis et de retournement
de prisonniers viêt-minh. Son autobiographie est souvent la principale source
mobilisée pour raconter l’opération d’intoxication qu’il monte. Chef du
Groupe de renseignement et d’exploitation (GRE), chargé de mener une
guerre irrégulière contre les cellules nationalistes, dans le cadre de la bataille
d’Alger, il organise le retournement de militants FLN. Ceux-ci sont
réemployés comme supplétifs* armés au sein du GRE, participant au contrôle
des quartiers musulmans. Désignés comme « bleus » du fait des bleus de
chauffe dont ils sont revêtus, ce sont ces supplétifs qui donnent son nom à la
« bleuïte ». Léger parvient à retourner les derniers responsables de la Zone
autonome d’Alger* après l’arrestation de ses chefs historiques, Larbi Ben
M’hidi* et Yacef Saadi*. Il fait parvenir une fausse liste d’agents censés
infiltrer le FLN à la Wilaya 3. Le colonel Amirouche réagit brutalement en
ordonnant des purges dont il est difficile d’estimer l’ampleur ; les
estimations, selon les auteurs, allant de quelques centaines à plus de
5 000 victimes exécutées ou succombant aux violentes tortures infligées par
le redoutable capitaine Hacène Mahiouz, dit « Hacène la torture », un des
seconds d’Amirouche. Les purges s’étendent aux autres wilayas (surtout à la
Wilaya 4*) au cours de l’année 1958, pour continuer jusqu’au début de
l’opération « Jumelles », en juillet 1959. Visant principalement des jeunes
nationalistes urbains, que le fait d’être lettrés en français rend suspects, elles
privent les rangs nationalistes de nombreux cadres potentiels.
Faute d’archives* algériennes (même si les documents récupérés à la
mort d’Amirouche et conservés au SHD fournissent un aperçu de cette
affaire) et face au caractère lacunaire des archives françaises concernant cet
épisode, le témoignage* du capitaine Paul-Alain Léger s’avère être la
principale source disponible. Il convient donc de la manier avec précaution,
plus particulièrement de relativiser l’insistance faite sur la paranoïa maladive
du colonel Amirouche et sur le rôle central que s’attribue Léger. En effet,
d’autres acteurs participent à cette intoxication. Ainsi la formation et
l’infiltration d’agents clandestins, organisées par le 5e bureau, sont réelles,
même si limitées. La bleuïte est surtout rapidement connue du FLN qui, après
l’assassinat d’un officier* de l’action psychologique*, en avril 1957,
s’empare de directives concernant cette opération et de listes de stagiaires.
L’opération se poursuit néanmoins, la perspective de semer la peur de
l’infiltration au sein des nationalistes compensant la divulgation de l’identité
de quelques stagiaires et leur élimination par le FLN. La bleuïte, au-delà du
récit quasi mythique s’intégrant à la légende des services secrets français,
opère surtout comme le révélateur de profondes fractures politiques et
sociologiques au sein du FLN, et d’une culture de l’action clandestine ancrée
dans une génération* d’officiers et de responsables politiques français
rompus à ses subtilités par la Seconde Guerre mondiale et la guerre
d’Indochine.
Denis LEROUX
BLINDÉS
L’armée française déploie en Algérie des unités de l’arme blindée
cavalerie (ABC) dépêchées de la France métropolitaine et des forces
françaises d’Allemagne (FFA). Le matériel utilisé le plus lourd est le Chaffee
ou M24 qui équipe les régiments de chasseurs d’Afrique et de hussards. Ils
sont employés, soit pour la surveillance des frontières, soit comme moyen de
dissuasion à proximité des villes. En organisant des défilés, le
commandement veut à la fois montrer sa force et rassurer la population
européenne. Ainsi, le 17 juin 1955, sitôt débarquée, la 2e Division
d’infanterie mécanisée du général Beaufre* parade sur le front de mer à
Alger. Parmi les blindés affectés aux régiments de cavalerie légère (spahis,
chasseurs d’Afrique, hussards), l’engin blindé de reconnaissance (EBR), doté
du même canon de 75 mm que l’AMX 13, est d’une plus grande souplesse
d’emploi. Ces blindés servent comme appui-feu direct, en « bouclage » à un
carrefour de pistes ou sur un col lors des opérations. Les canons sont
généralement tournés vers les hauteurs et les équipages se livrent également à
la fouille des véhicules suspects. Grâce à sa vitesse, l’EBR sert aussi à assurer
l’avant-garde des escortes de convois, son blindage le rendant invulnérable
aux premières mines* artisanales de l’ALN*. Mieux qu’un engin chenillé, il
peut poursuivre un adversaire débusqué et détruire les mechtas en zone
interdite*. Le blindé le plus commun en Algérie reste l’automitrailleuse
anglo-américaine AMM 8, équipée d’un canon de 37 mm. Comme les half-
tracks et les scout-cars, les AMM 8 sont de toutes les opérations. Elles
assurent les « bouclages », les reconnaissances ou les soutiens directs des
troupes au combat. L’automitrailleuse légère Ferret, de fabrication
britannique, est quant à elle conçue pour un terrain accidenté et est adaptée
aux combats en Algérie.
En ce qui concerne les unités les plus remarquables, le 1er régiment de
hussards parachutistes (RHP) a successivement été employé comme élément
statique d’une troupe de maintien de l’ordre, puis en flanc-garde sur la
frontière algéro-tunisienne, avant de devenir le fer de lance des troupes de
cavalerie engagées dans la lutte antiguérilla. Au total, 4 158 engins blindés
ont été engagés, remplissant notamment les missions habituelles d’ouverture
de routes et de protection des convois. Mais le bilan tactique est mitigé :
l’emploi des blindés dans les zones montagneuses pauvres en routes et pistes
carrossables est loin de produire les effets escomptés sur un adversaire très
mobile.
André-Paul COMOR
Bibl. : Thierry Noulens, « L’arme blindée et cavalerie en guerre d’Algérie,
adaptation d’un système d’arme entre archaïsme et modernité », thèse de
doctorat sous la dir. de J. Frémeaux et J.-C. Jauffret, Paris-4, 2011.
BOYCOTT
Des mots d’ordre nationalistes appelant au boycott de l’alcool et du tabac
sont rapportés dès novembre 1954 par la police* des renseignements
généraux (PRG) d’Alger. Ces consignes, diffusées tant par le FLN* que par
le MNA*, réapparaissent durant tout le conflit, en s’élargissant, le cas
échéant, à d’autres domaines.
Selon la PRG d’Alger, le succès du mot d’ordre visant à interdire de
fumer en public conduit le MNA à exiger de ses compatriotes d’éviter les
cafés européens en juin 1955. Le Monde* rapportait en juillet que le FLN de
Marnia appelait les Algériens musulmans à s’abstenir de boire et de fumer
mais aussi à éviter les commerces européens, juifs* ou mozabites.
Les récalcitrants, plutôt rares, s’exposent à des rappels suivis d’amendes
voire d’agressions physiques ; les plus spectaculaires étant, surtout dans les
zones rurales, les nez coupés, provoquant l’effroi parmi la population. En
métropole, des commandos nationalistes saccagent des cafés tenus par des
émigrés soupçonnés d’avoir servi de l’alcool à des consommateurs algériens,
en particulier durant le mois de Ramadan.
Dans une déclaration du 15 juin 1955, le FLN estime que cette directive
permettrait de « porter un grand coup à l’économie impérialiste » et de
montrer que le peuple algérien est « capable de suivre un mot d’ordre ». Pour
les indépendantistes, l’enjeu réside donc dans leur capacité à exercer leur
mainmise sur la population colonisée et à faire respecter une discipline
communautaire fondée sur les valeurs islamiques.
Cette entreprise est toutefois contrecarrée en 1957 par les « bleus de
chauffe » du Groupe de renseignement et d’exploitation qui, dans leur
tentative d’affaiblir l’autorité du FLN dans la casbah d’Alger, invitent ses
habitants à fumer, jouer aux dominos et écouter la radio*.
Ces mesures sont aussi remises en cause par les indépendantistes eux-
mêmes. Ainsi le comité de la Wilaya 4* décide de lever, à partir du 1er février
1960, l’interdiction relative au boycott du tabac pour ses soldats, en
procédant au rationnement mensuel des boîtes de tabac à chiquer et des
paquets de cigarettes, tout en veillant à rappeler l’interdiction de leur
consommation la nuit, durant les gardes ou les marches.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, documents et
histoire. 1954-1962, Fayard, 2004.
CAMPS D’INTERNEMENT
Légalement fondé sur un arrêté d’assignation à résidence, l’internement
vise de simples « suspects ». Au nom de la répression des indépendantistes, il
frappe arbitrairement, sur la foi des renseignements policiers ou militaires. À
l’origine, l’état d’urgence*, le 3 avril 1955, autorise l’« assignation à
résidence » de toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la
sécurité et l’ordre publics ». Dans ce texte, un alinéa d’origine parlementaire
interdit la création de camps : les assignés auraient dû l’être à domicile ou
dans un secteur déterminé. Cette interdiction doit tout à l’expérience encore
proche de la Seconde Guerre mondiale, que les parlementaires ont en tête et
qu’ils invoquent. Du fait de cette continuité dérangeante, les autorités, pour
leur part, rejettent le mot « camps ». Elles parleront de « centres de détention
administrative » (CDA) ou de « centres d’assignation à résidence surveillée »
(CARS). Historiquement, l’internement interroge bien les continuités du droit
d’exception, d’une guerre à l’autre. Depuis 1939, « la France a ainsi pratiqué
l’internement administratif pendant douze ans, soit plus d’un an sur deux »,
constate le juriste Loïc Philip dans le Recueil Dalloz en 1962.
En dépit de l’interdiction, les premiers camps sont ouverts en 1955 en
Algérie. Le gouvernement Mollet* les légalise définitivement grâce aux
pouvoirs spéciaux*, en 1956. Un système complexe est ensuite organisé. Il
combine des « centres d’hébergement* » (CH) pour les « suspects » détenus
sans limite ; des « centres de tri et de transit* » (CTT) où l’armée détient et
interroge sans contrôle externe ceux qu’elle appréhende ; des « centres
militaires d’internés* » (CMI) pour les combattants pris au maquis, non
reconnus comme prisonniers* de guerre.
En métropole, l’internement débute en 1957, lorsque les pouvoirs
spéciaux y sont appliqués. Deux camps sont ouverts : Vadenay et Saint-
Maurice-l’Ardoise. L’assignation à résidence est alors subordonnée à une
condamnation judiciaire préalable. Cette condition est levée le 7 octobre 1958
par une ordonnance visant ceux qui apportent une « aide matérielle, directe
ou indirecte » aux « rebelles des départements algériens ». Thol et le Larzac
s’ajoutent alors aux deux premiers camps. Puis, dans le contexte du putsch*,
le 24 avril 1961, de Gaulle* étend l’internement à toute personne soupçonnée
d’une « entreprise de subversion ». Des partisans de l’Algérie française sont
alors détenus à Thol puis à Saint-Maurice-l’Ardoise, vidés des Algériens. En
nombre plus réduit, ils bénéficient de meilleures conditions matérielles et
d’un degré de coercition moins élevé. L’extension de l’internement à leur
égard n’en est pas moins significative de l’extension plus générale de
l’exception au fur et à mesure de la guerre, au détriment des libertés
individuelles et publiques.
D’une capacité de 6 000 places, les quatre camps métropolitains sont
aménagés en territoire militaire. Vadenay, par exemple, est sur la base de
Mourmelon, le Larzac sur la partie du plateau aveyronnais que possède
l’armée. Les conditions de vie et le régime peuvent y être particulièrement
rudes mais sans atteindre la dureté qui prévaut en Algérie. Là-bas, les
statistiques officielles, à prendre avec précaution, dénombrent 15 000 à
30 000 internés, suivant les périodes de la guerre. Outre une privation
arbitraire de liberté, ils souffrent de conditions de détention déplorables et
vivent soumis au pouvoir discrétionnaire des directeurs, souvent des
militaires en retraite. Le communiste Abdelhamid Benzine* a livré un
témoignage* puissant de l’enfer qu’il a vécu dans la « section spéciale » du
CMI de Boghari.
La mémoire des internés, cependant, a sa part d’héroïsme. Le FLN*, qui
s’attache à les prendre en charge, les engage en effet dans la lutte pour
l’indépendance. Ses délégués s’imposent, impulsent contestations,
revendications, refus d’obéir, grèves de la faim. Une révolte a même lieu au
camp de Bossuet, où les autorités ont regroupé des « meneurs », disent-elles,
pour neutraliser leur activité dans les camps où ils étaient disséminés. « Le
dilemme est le suivant, explique dès 1959 un général chargé d’un rapport sur
l’internement en Algérie. Ou bien développer, tout au moins jusqu’à
l’achèvement de la pacification*, les centres d’assignation à résidence, et
transformer le pays en un vaste camp de concentration ; ou bien, après s’être
donné les moyens suffisants d’hébergement, organiser la rééducation de la
masse des assignés en vue de leur libération. » Comme ailleurs, cette « action
psychologique », tentée, est restée vaine. Les camps d’internement sont l’un
des théâtres de la guerre témoignant de la défaite française en Algérie.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Abdelhamid Benzine, Le Camp, Éditions sociales, 1962 • Sylvie
Thénault, Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internement,
assignation à résidence, Odile Jacob, 2012 • — (dir.), « L’internement en
France pendant la guerre d’indépendance algérienne. Vadenay, Saint-
Maurice-l’Ardoise, Thol, le Larzac », Matériaux pour l’histoire de notre
temps, no 92, 2008.
CATHOLICISME
Les catholiques sont, entre 1954 et 1962, à l’image de la société
française, profondément divisés par la Guerre d’indépendance nationale
algérienne. En Algérie, la grande majorité des catholiques sont viscéralement
attachés à l’Algérie française, à l’exception des libéraux qui s’efforcent de
maintenir un dialogue avec la population musulmane. Il en est ainsi des
mouvements d’Action catholique et du Secrétariat social, des missionnaires,
Pères blancs, Petits frères de Foucauld, équipes de la Mission de France*.
L’insertion auprès des plus pauvres conduit à une solidarité avec les
aspirations nationalistes et à des prises de position favorables à
l’autodétermination, à l’image de Mgr Duval*, archevêque d’Alger, dès
1956.
En métropole, on trouve des catholiques, officiers* d’active ou de
réserve, aumôniers militaires, notamment, pour le maintien de l’Algérie dans
la République française, et des militants, intellectuels, prêtres engagés pour la
reconnaissance du FLN* comme expression de la nation algérienne. Entre ces
deux ailes minoritaires au sein d’un catholicisme où subsiste une forte
tradition d’obéissance à l’ordre établi, « les gros bataillons de la majorité dite
silencieuse […] suivent probablement les autorités religieuses dans leur lente
et prudente évolution vers l’apaisement d’une solution négociée sans
déshonneur » (Étienne Fouilloux). L’épiscopat est lui aussi divisé entre ceux
qui soutiennent le maintien de l’Algérie dans la République (les cardinaux
Saliège, Grente ou Feltin) et ceux qui défendent sans pour autant les
approuver les prêtres du Prado* et de la Mission de France accusés d’aider le
FLN (Mgrs Gerlier et Liénart). Il tente de trouver une position commune
autour des grands principes évangéliques d’amour du prochain et de respect
de la dignité humaine.
Si les évêques d’Algérie s’expriment collectivement en septembre 1955
dans une lettre largement contestée demandant que « soit assurée la libre
expression des aspirations légitimes », il faut attendre le mois suivant, un an
après le début du conflit, pour trouver une déclaration des cardinaux et
archevêques de France sur « les événements douloureux de l’Afrique du
Nord » qui « posent à la conscience de tous de graves et angoissants
problèmes ». Les déclarations pour la paix et contre la violence ne satisfont
personne et le silence de l’année 1956 traduit les divisions et les incertitudes
de l’épiscopat. Le problème de la torture*, par l’enjeu moral qu’il représente,
joue le rôle de catalyseur et fait s’affronter deux conceptions de l’honneur et
du patriotisme : ordre, autorité, armée d’un côté contre justice et caractère
inviolable de l’homme, image du Créateur, de l’autre. Les autorités
religieuses tranchent dans le sens du « respect dû à la personne humaine » en
mars 1957, lorsque l’Assemblée des cardinaux et archevêques (ACA) de
France déclare qu’« il n’est jamais permis de mettre au service d’une cause,
même bonne, des moyens intrinsèquement mauvais ». L’année suivante, elle
observe « qu’un grand désarroi règne dans les esprits » et rappelle le devoir
du patriotisme « sans haine envers les autres peuples ».
L’arrivée au pouvoir du général de Gaulle* suscite chez les catholiques
« Algérie française » enthousiasme, puis déception dès l’annonce d’une
autodétermination, et même haine. Au contraire, les partisans de la
négociation*, tels Maurice Clavel et François Mauriac*, voient en lui la seule
chance de sortir le pays du bourbier algérien. La très grande majorité de
l’épiscopat est portée à lui faire confiance et la crainte de gêner sa politique et
l’incertitude sur l’avenir de l’Algérie expliquent le silence des années 1959-
1960. À l’automne 1960, alors que les Français découvrent l’existence en
métropole de réseaux de soutien au FLN que dénoncent les partisans de
l’Algérie française, l’ACA « s’émeut du désarroi qui envahit beaucoup de
consciences, spécialement de jeunes qui se demandent où se trouve le
devoir », condamne tout à la fois l’insoumission, le terrorisme et les outrages
à la personne humaine, « procédés violents pour arracher les aveux,
exécutions sommaires*, mesures de représailles visant des innocents ». Pour
la première fois sont clairement posées les questions fondamentales du devoir
et de la légitimité de l’autorité et du « statut futur de l’Algérie ».
Le soutien à la politique du chef de l’État se confirme avec l’intervention
des cardinaux de France qui rappellent l’obligation de voter au référendum*
de janvier 1961 et invitent à « l’union dans la prière pour éviter la guerre
civile » face au putsch* des généraux d’avril 1961. Dans les derniers mois du
conflit, l’ACA condamne fermement les violences de l’OAS*, affirme en
octobre 1961 que la paix passe « par les chemins de la justice et de la
charité ». En mars 1962, au lendemain des accords d’Évian*, elle insiste sur
le fait que « la foi chrétienne et la simple morale humaine condamnent des
groupements qui font preuve du mépris le plus profond des personnes ». Les
affrontements suscités par le conflit algérien sont autant de signes avant-
coureurs de la crise que le catholicisme va traverser dans les années à venir.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Étienne Fouilloux, Les Chrétiens français entre guerre d’Algérie et
mai 1968, Parole et silence, 2008 • Jean-Marie Mayeur, « Les évêques et la
guerre d’Algérie », Les Cahiers de l’IHTP, no 9, 1988 • André Nozière,
Algérie : les chrétiens dans la guerre, Cana, 1979.
CAUSES DE LA GUERRE
La question des causes de la guerre fait moins sens dans l’historiographie
du mouvement national algérien, où la lutte pour l’indépendance va de soi,
que dans l’historiographie de l’Empire français. Cette historiographie débute
avec des réflexions contemporaines des faits, centrées sur les réformes. Dès
1952, dans L’Afrique du Nord en marche (Julliard), l’historien
anticolonialiste Charles-André Julien parle des « occasions perdues » que
constitue l’absence de réformes au Maghreb. Avec son élève, Charles-Robert
Ageron*, le récit se fixe sur une série de projets avortés comme moteur d’un
engrenage expliquant la guerre. L’Histoire de l’Algérie contemporaine, de
1871 à 1954, que signe Ageron aux PUF en 1979, en est significative ; il a
aussi conclu sa thèse en regrettant l’absence d’assimilation (Les Algériens
musulmans et la France, 1871-1919, PUF, 1968). Cette vision, appelée
« libérale » car critique d’une politique fermée à tout progrès, déplore
l’attitude des Français d’Algérie responsables des blocages coloniaux.
L’échec des réformes serait-il la cause de la guerre ? Il faut distinguer les
réformes économiques et sociales des réformes politiques.
Après 1945, les gouvernements français ont réfléchi au développement de
l’Algérie – le plan de Constantine*, en 1958, n’est que l’aboutissement tardif
de projets antérieurs. L’idée est que le développement de l’Algérie française
pourrait la doter d’une assise sociale propre à la sauvegarder, grâce à la
promotion d’une frange des colonisés. Le développement servirait aussi à
combattre le nationalisme* en réduisant la misère sur laquelle ce dernier
prospérerait. Un tel raisonnement ignore le sentiment national algérien
qu’exprime pourtant un mouvement revendicatif pluriel : aux
indépendantistes conduits par Messali Hadj* s’ajoutent un courant
républicain autour de Ferhat Abbas* et celui de l’Association des ulémas
musulmans* algériens (AUMA), centrée sur la liberté de culte et
l’enseignement de l’arabe. L’islam et la langue arabe constituent de forts
repères d’identification face à la colonisation, même si des divergences
existent à leur sujet – tout le monde ne leur accorde pas la même importance,
certains les contestent. Les gouvernements français ne tiennent pas compte de
ces aspirations à l’exercice d’une souveraineté collective, libre de toute
tutelle. L’historiographie considérable sur le nationalisme, dont Gilbert
Meynier* offre une synthèse dans Histoire intérieure du FLN (Fayard, 2002),
a bien démontré que de telles réformes ne répondaient pas, par nature, aux
revendications exprimées. Aussi, s’il est difficile d’imaginer quels effets
auraient produits des réformes économiques et sociales, il est certain qu’elles
ne répondaient pas aux aspirations nationales algériennes. Il n’y a donc pas
de raison de penser qu’elles auraient empêché la guerre.
S’intéresser aux réformes politiques relève d’une tout autre démarche :
sans nier le fait national algérien, il s’agit d’envisager que l’indépendance
aurait pu suivre une autre voie, pas obligatoirement exempte de toute
violence mais tout de même pacifiée. C’est bien faute de représentation
démocratique que les Algériens n’ont pu faire valoir leurs aspirations par la
voie politique, notamment en raison du double collège* qu’aucune réforme
n’a cherché à supprimer avant-guerre. Les propositions d’une évolution
légale et progressive du statut de l’Algérie, allant dans le sens de
l’émancipation collective, faites notamment par Ferhat Abbas avec le
« Manifeste du peuple algérien », ont été systématiquement rejetées. Elles
n’étaient pas écoutées.
Joue également dans le déclenchement de la guerre la permanence d’une
répression visant autant les militants individuellement que les mobilisations
de masse. À l’image de Messali Hadj, qui finit par être expulsé en métropole,
les nationalistes sont nombreux à connaître les condamnations et
l’incarcération, l’assignation à résidence ou encore l’interdiction de séjour.
De telles mesures jalonnent couramment les biographies et elles ne touchent
pas que les indépendantistes. Tous les courants en sont victimes. La violence
de la répression des mobilisations de masse condamne par ailleurs le recours
à la grève* et à la manifestation* pour faire triompher les mots d’ordre. Les
massacres du printemps 1945 ont convaincu une nouvelle génération*
militante que seul le passage aux armes pourrait faire évoluer la situation.
Cette conviction anime les fondateurs du FLN* quand ils décident de
déclencher l’insurrection le 1er novembre 1954*. Le tournant des massacres
de 1945 justifie que les récits de la guerre, après un retour rapide sur les
résistances anciennes à la colonisation, insistent sur la période 1945-1954.
Ainsi procède, par exemple, Mohammed Harbi* dans 1954, la guerre
commence en Algérie (Bruxelles, Complexe, 1984).
S’interroger sur les causes de la guerre conduit par conséquent à
s’interroger sur le blocage de la voie politique et sur la permanence de la
violence répressive. Il faut revenir à la structure de la société coloniale en
Algérie pour les comprendre. Celle-ci correspond en effet parfaitement à
cette description de Georges Balandier : « la société colonisée frappe par
deux faits : sa supériorité numérique écrasante et la domination radicale
qu’elle subit ; majorité numérique, elle n’en est pas moins une minorité
sociologique ». Dans une telle société, l’infériorisation de la majorité
colonisée est indispensable à la suprématie de la minorité coloniale. Que la
majorité cherche à sortir de la sujétion et la minorité se place sur la défensive.
Ainsi s’expliquent l’opposition constante des Français d’Algérie à toute
réforme de la représentation politique et leur soutien, voire leur participation,
aux répressions – dans Guelma, 1945 (La Découverte, 2009), Jean-Pierre
Peyroulou a retracé l’histoire de la milice locale impliquée alors dans le
meurtre de centaines d’Algériens. Les voix favorables à l’égalité politique,
parmi les Français d’Algérie, ne représentent qu’une très étroite minorité, si
minime qu’elle n’infléchit pas cette tendance générale. Par sa structure
sociale, malgré l’absence d’apartheid au sens de régime juridique de strict
cloisonnement, l’Algérie coloniale est comparable à l’Afrique du Sud, en tant
que colonie de peuplement dans laquelle les migrants venus d’Europe sont
restés démographiquement minoritaires.
En métropole, cette structure coloniale obscurcit doublement l’horizon.
Symboliquement, d’abord, elle a impliqué une départementalisation soudant
la colonie algérienne au territoire national comme aucune autre. C’est bien
parce qu’elle est une colonie de peuplement que l’Algérie a été érigée en
départements ; il s’agissait, en 1848, de soustraire les migrants européens au
règne des militaires qui tenaient alors le pays. Concrètement, la rupture du
lien colonial pose le problème du sort du million de Français vivant sur place,
dans des conditions telles que leur maintien semble difficile ; leur venue en
France n’est pas non plus facile à imaginer.
Ainsi l’histoire de la colonisation éclaire avec profit la question des
causes de la guerre. Quittant l’histoire politique avec la mise en série des
réformes inabouties et l’incrimination culpabilisante des Français d’Algérie,
elle élève le débat en orientant l’analyse vers le type de colonie que l’Algérie
constituait : une colonie de peuplement ne tenant que par l’infériorisation de
la majorité démographique. De cette structure coloniale est sortie la violence.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Georges Balandier, « La situation coloniale : approche théorique »,
Cahiers internationaux de sociologie, vol. 110, no 1, 2001 • Hélène Blais,
Claire Fredj et Sylvie Thénault, « Désenclaver l’histoire de l’Algérie à la
période coloniale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 63,
no 2, 2016.
CENSURE
Dans l’Algérie colonisée, la liberté d’expression politique et culturelle (la
chanson*, les contes de la place publique puis le théâtre*) a toujours été
conditionnée par l’application de dispositions qui visaient à contenir la
contestation du système en place. À partir de 1954, le refus de nommer ce qui
commence, en recourant à des euphémismes et périphrases pour parler des
« événements », de la « pacification* », du « rétablissement de l’ordre », de
la « rébellion », etc., et le recours à des termes dépréciatifs comme
« fellaghas » ou « terroristes » s’accompagnent de la mise en place d’un
dispositif pour contrôler toute information ou expression sur la guerre et sur
les violences contre les Algériens, notamment les exécutions sommaires*, la
torture* et le viol*. C’est le temps de la censure. C’est aussi celui de son
contournement par des hommes qui refusent le silence complice.
La censure est instaurée par la loi du 3 avril 1955 qui promulgue l’état
d’urgence*. Les autorités administratives (le ministère de l’Intérieur, le
gouverneur général d’Algérie, les préfets*, etc.) sont chargées de prendre les
mesures nécessaires pour assurer le contrôle des publications et diffusions
des textes, des émissions de radio*, des représentations théâtrales, des images
et films, etc., qui portent sur les « événements ». Elle prend appui sur un
dispositif déjà en place (les premières saisies et poursuites ont lieu dès
novembre 1954) et voit son champ d’action élargi : il s’agit notamment
d’empêcher la diffusion de ce qui peut démoraliser l’armée ou inciter à la
désobéissance, voire à la désertion. De même, il s’agit de ne pas alarmer les
familles en métropole.
La télévision qui commence à se démocratiser voit son journal soumis à
un contrôle préalable avant diffusion. Il en est de même pour le théâtre et le
cinéma*. C’est ainsi que Le Cadavre encerclé de Kateb* Yacine, mis en
scène par Jean-Marie Serreau, est interdit (1958). Les reportages filmés de
René Vautier*, les longs-métrages de Jean-Luc Godard (Le Petit Soldat,
1960) ou d’Alain Cavalier (Le Combat dans l’île, 1961) ne sont pas projetés,
car il ne faut pas exposer des comportements contraires à ceux demandés aux
appelés pour servir en Algérie, explique le ministre de l’Information, Louis
Terrenoire.
La censure atteint sa vitesse de croisière dans les dernières années de la
guerre de 1960 à 1962 : elle concerne également de plus en plus les
publications favorables à « l’Algérie française » et à l’OAS*.
Les chiffres des saisies de journaux et de livres sont impressionnants :
269 périodiques et journaux en France, 586 en Algérie. Par ailleurs, 25
ouvrages sont saisis. Quasiment tous les journaux, de gauche ou de droite, de
tendance chrétienne ou communiste, quotidiens ou périodiques, etc., publient
des articles qui tombent sous le coup de cette loi : L’Humanité*, Le Monde*,
La Croix, L’Express, etc. Le fonctionnaire chargé de veiller au respect de la
loi est présent au moment de l’impression du journal. L’Humanité, par
exemple, saisi pour la première fois en août 1955 (pour un reportage sur des
massacres de civils dans le Constantinois), doit refaire, si les articles ne sont
pas agréés, partiellement ou en totalité, la composition du journal et envoyer
au pilon la version refusée. Le journal finit par adopter la technique du blanc
qui prend la place du mot, de la phrase ou de l’article entier qui sont censurés.
Saisi 27 fois et ayant au total fait l’objet de 150 poursuites, il est accusé de
provocation des militaires à la désobéissance, de diffamation envers l’armée
et d’atteinte à la sûreté de l’État. Les amendes sont très lourdes.
Quant aux livres, les interdictions sont inaugurées avec la saisie de La
Question d’Henri Alleg* (1958), puis La Gangrène (1959) et Le Déserteur de
Maurienne (Jean-Louis Hurst*, 1960), publiés aux Éditions de Minuit.
Maspero* est l’autre maison d’édition particulièrement visée par la censure.
Mais les saisies ne sont pas systématiques : L’Affaire Audin (1958) de
Pierre Vidal-Naquet* est diffusée. Souvent les poursuites contre les journaux
et les éditeurs n’aboutissent pas. La censure est confrontée à cette
contradiction : comment poursuivre des publications sur une question (la
guerre et ses violences) qui, selon les autorités, n’existe pas ? Les journalistes
et éditeurs peuvent profiter de cette incohérence.
La diffusion d’une œuvre peut être bloquée en Algérie : c’est le cas de La
Dernière Impression de Malek Haddad (1958) dont « l’impression, la mise en
vente et la distribution » sont interdites par un décret signé du général Salan*.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Michèle de Bussière, Cécile Méadel et Caroline Ulmann-Mauriat
(dir.), Radios et télévision au temps des « événements d’Algérie » (1954-
1962), L’Harmattan, 1999 • Erwan Savina, « Du déni à l’oubli : la censure en
France pendant la guerre d’Algérie », dossier de synthèse, Rennes-2, 2015
• Benjamin Stora, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre
d’Algérie, La Découverte, 1992.
CENTRE D’IDENTIFICATION
DE VINCENNES
(CIV)
Situé au 12, route de la Pyramide, à proximité de l’actuel centre de
rétention administrative, le CIV, ouvert en 1959, sert à détenir les Algériens
appréhendés en région parisienne. Il répond à des revendications policières
anciennes. Contrôles d’identité et « rafles* », comme les policiers les
appellent alors eux-mêmes, font en effet partie de leur répertoire d’action à
l’égard des Algériens, tant pour des raisons politiques (engagements
nationalistes, y compris avant-guerre) que socio-économiques (ils sont aussi
« indésirables » que les prostituées ou les sans-abri). Avant 1959, des
commissariats, locaux des services techniques de la police*, gymnases ou
encore le Vél d’Hiv étaient utilisés.
Au CIV, les agents de la préfecture de police de Paris centralisent leurs
vérifications et fichages, retiennent leurs « suspects ». Ceux-ci sont ensuite
déférés en justice, transférés dans un camp d’internement*, relâchés avec
obligation de pointer régulièrement au commissariat de leur domicile ou
encore expulsés en Algérie où ils sont internés dès leur arrivée. Dans leur
immense majorité, rien ne pouvant être retenu contre eux, les hommes sont
libérés au bout de quelques jours mais restent exposés à une nouvelle
arrestation.
De quelques centaines de places (jusqu’à 1 400 en 1962), le CIV est
constamment surpeuplé. En 1960, 67 281 entrées y sont enregistrées. Un
régime carcéral y règne : promenade dans la cour deux fois par jour, visites
des familles surveillées, supprimées en punition. Les autres camps
d’internement étant saturés, tant en France qu’en Algérie, certains ont passé
ainsi plusieurs mois en attente. La presse* communiste n’hésite pas à parler
de « camp de concentration » et l’ACNV* organise une manifestation* contre
le CIV le 30 avril 1960, réunissant de nombreuses personnalités.
La Cimade* y intervient pour aider ces hommes à résoudre les problèmes
posés par leurs rétentions incessantes. Ainsi les employeurs se plaignent de
leurs absences répétées. Les militants du FLN* y impulsent une résistance
(chants* et grèves de la faim par exemple) mais, au contraire des autres
camps, la noria des internés en limite le développement. Le CIV témoigne
des modalités de la guerre en métropole et de son vécu par les Algériens en
région parisienne.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Linda Amiri, La Bataille de France. La guerre d’Algérie en
métropole, Robert Laffont, 2004 • Emmanuel Blanchard, « L’internement
avant l’internement. Commissariats, centres de triage et autres lieux
d’assignation à résidence (il)-légale », Matériaux pour l’histoire de notre
temps, vol. 92, no 4, 2008 • —, La Police parisienne et les Algériens (1944-
1962), Nouveau Monde, 2011.
CENTRE D’INSTRUCTION
PACIFICATION ET CONTRE-
GUÉRILLA (CIPCG)
Le Centre d’instruction pacification et contre-guérilla (CIPCG) est un
centre d’instruction créé à la fin de 1955 à l’initiative du corps d’armée
d’Oran. Il est situé dans une ancienne caserne de tirailleurs à Arzew, localité
située sur la côte à l’est d’Oran. Il est initialement destiné à former les cadres
des unités de quadrillage aux méthodes de contre-guérilla. Actif au début de
l’année 1956, sous l’autorité du 3e bureau de la 10e Région militaire,
l’Algérie. Il est dirigé par le colonel Fontès, ancien chef de l’Organisation de
la résistance militaire de la région de Draguignan, vétéran de la contre-
guérilla en Indochine*. Son orientation, d’abord tactique, fait une large part à
l’entraînement physique. Les officiers* stagiaires sont désignés par leur
corps.
En mars 1957, un centre clandestin initialement appelé « Section
d’instruction des élèves gradés français musulmans » lui est adjoint. Dans le
cadre de l’opération Pilote, celui-ci doit former des commissaires politiques
algériens profrançais à même de créer une organisation clandestine au sein de
la population algérienne afin de contrer le FLN*. Le bureau psychologique de
l’état-major de Salan* met ainsi un pied dans le centre.
En octobre 1957, sous la nouvelle appellation de 5e bureau, il met la main
sur le CIPCG, arrivant à obtenir la mutation de Fontès. Dès lors, sous le
commandement du lieutenant-colonel André Bruge, ancien numéro 2 du
bureau psychologique, officier de l’infanterie coloniale ayant connu une
captivité de cinq ans dans les camps du Vietminh, le CIPCG est
profondément réorganisé. Sa formation, réduite à deux semaines, devient
bien plus théorique et politique. Le stage concerne désormais tous les
officiers prenant un poste dans les unités de quadrillage en Algérie qui sont
orientés vers le centre avant de rejoindre leur affectation. Des conférences et
des discussions dirigées occupent l’essentiel de l’instruction.
Ses cours doivent beaucoup aux conférences de Charles Lacheroy* et
Antoine Bonnemaison, et développent les idées de guerre révolutionnaire* et
de guerre psychologique. Le but de cette formation est de faire accepter les
méthodes de pacification* aux cadres de l’armée et de leur en enseigner les
procédures qui se sont dégagées de la bataille d’Alger* et de l’opération
Pilote. Au-delà de cette instruction politico-militaire, un anticommunisme
virulent, se voulant positif, structure le discours du CIPCG. Face à la menace
du communisme international, il est expliqué aux stagiaires militaires de
carrière que l’armée française doit devenir révolutionnaire. Rompant avec la
passivité politique qui est la règle depuis la IIIe République, elle doit assumer
une fonction d’encadrement des populations civiles et de modernisation de
l’Algérie tout en menant la destruction du nationalisme* armé.
Les deux semaines de stage sont ponctuées par des discussions dirigées
visant à obtenir l’adhésion intime des stagiaires aux méthodes enseignées.
Des conférenciers militaires viennent exposer leur action. Une « sortie-
pacification » est organisée afin de présenter aux stagiaires des réalisations
concrètes de l’armée. Chaque stagiaire quitte Arzew avec une volumineuse
documentation reprenant les thèmes développés.
Sous le commandement d’André Bruge, d’octobre 1957 à
septembre 1959, plus de 7 000 officiers, dont une moitié d’officiers de
réserve appelés et quelques stagiaires belges et portugais, suivent les deux
semaines de formation du centre d’Arzew. La réorientation de la politique
française après le discours du général de Gaulle* sur l’autodétermination, le
16 septembre 1959, impacte fortement le centre. Bruge est muté à
Madagascar, éloignant opportunément d’Algérie un officier aux positions
radicales. Le contenu de la formation est adapté aux nouvelles orientations
gouvernementales, tout en interprétant les propos de De Gaulle dans le sens
de l’option intégrationniste qui est celle des militaires les plus engagés dans
la défense de l’Algérie française. Pierre Messmer*, en mai 1960, fait
expurger le programme de toute référence à la guerre révolutionnaire et met
fin au caractère systématique du stage pour les officiers prenant leur poste en
Algérie. Le CIPCG continue néanmoins à dispenser des formations pratiques
concernant la pacification.
Le centre est fermé peu de temps après le putsch* d’avril 1961. En faisant
une large promotion d’une conception se voulant révolutionnaire de l’action
militaire, il aura été un puissant vecteur de politisation des officiers et de
diffusion des méthodes attachées à la doctrine de la guerre révolutionnaire.
Denis LEROUX
CENTRE DE RENSEIGNEMENT
ET D’OPÉRATIONS DU GOUVERNEMENT
GÉNÉRAL (CROGG)
En 1954, plusieurs services surveillent les nationalistes algériens mais
sans réelle coordination, par souci de protection des sources. Peu de
renseignements parviennent en outre du terrain, faute de réseaux infiltrant la
population algérienne. Pour remédier à cette situation, le 19 février 1955, le
colonel Louis Constans, chef du cabinet militaire de Jacques Soustelle*
nouvellement nommé au Gouvernement général*, crée le Centre de
renseignement et d’opérations du Gouvernement général (Crogg). Cet
organisme civilo-militaire est théoriquement placé sous la double autorité du
gouverneur général et du général Cherrière*, commandant la 10e Région
militaire que constitue l’Algérie. S’il est dirigé par un officier* d’active,
cependant, le Crogg est rattaché au cabinet civil du gouverneur général qui a
autorité sur lui. Selon un schéma établi en septembre 1955, le Crogg a pour
vocation de concentrer et de traiter l’ensemble des sources collectées à la fois
par les services militaires et civils ayant une activité de renseignement
comme la direction de la Surveillance du territoire (DST), les
Renseignements généraux (RG), le service de documentation extérieure et de
contre-espionnage* (SDECE), le service de sécurité de la Défense nationale
et des forces armées (SSDNFA), la gendarmerie* et le 2e bureau*, mais
également par l’appareil administratif, notamment les sections
administratives spécialisées* (SAS). Des cellules subordonnées sont placées
à tous les échelons civils et militaires. Cette organisation est censée permettre
aux différents services d’acheminer leurs renseignements vers le Crogg.
Afin d’assurer une bonne circulation, un Centre de liaison et
d’exploitation (CLE) est institué à chaque échelon administratif. Dans les
préfectures, le CLE est rattaché au cabinet du préfet*. Quel que soit son
niveau, le CLE rédige des synthèses et établit des statistiques sur l’évolution
générale de la situation en vue d’éclairer l’autorité politique. En bout de
chaîne, le Crogg rédige également un « bulletin quotidien des événements »
destiné aux préfets. Il est complété par une « physionomie hebdomadaire de
la semaine » qui fait état de la situation politique et militaire. Elle dresse aussi
le bilan* des pertes de l’ALN* et des forces de l’ordre, ainsi que des armes
perdues et récupérées.
Ainsi l’activité du Crogg est dans les faits très proche de celle que mène
le Service des liaisons nord-africaines* (SLNA) du colonel Paul Schœn. En
effet, le SLNA, qui a succédé en mai 1947 au Service d’information et de
documentation musulmane (SIDM) qui traitait notamment de la presse*, des
publications et des émissions radiophoniques, est spécialisé dans les
questions politiques. Cet organisme, modeste par sa taille – il ne compte
qu’une douzaine d’employés –, dispose d’une crédibilité certaine en Algérie
pour avoir alerté sur le risque imminent de soulèvement en octobre 1954.
Dans un contexte d’opérations de maintien de l’ordre de grande envergure,
qui imposent une approche globale du renseignement et une gestion
recentrée, le Crogg reprend progressivement les missions et les attributions
du SLNA jusqu’à l’absorber : un arrêté du 31 mai 1957 met officiellement un
terme à l’existence du SLNA dont les missions sont transférées à la sous-
direction des affaires politiques et générales du Gouvernement général.
De fait, pourtant, au fil des mois, le renseignement militaire prime sur le
renseignement civil. Ainsi, le général Lorillot* crée en juin 1956 un nouvel
organisme, le RAP (répression-action-protection), placé sous le
commandement du colonel Léon Simoneau. En avril 1957, le général Salan*
le transforme en centre de coordination interarmées (CCI), pour coiffer
l’action des différentes unités agissant dans la recherche du renseignement
opérationnel. En conséquence de cette évolution, le Crogg devient, le 8 juillet
1958, un « bureau d’études » conjointement rattaché au cabinet civil du
Gouvernement général et au commandant en chef. Il est toujours commandé
par le colonel Ruyssen, mais n’est plus chargé que du renseignement non
militaire, le renseignement militaire étant de la seule compétence du
2e bureau. Le bureau d’études produit donc des fiches sur les événements
d’ordre public importants, un « rapport hebdomadaire sur l’évolution de la
situation politique » et des rapports mensuels. À l’été 1959, le lieutenant-
colonel Baudet, jusque-là adjoint au chef de bureau, en prend le
commandement. Il est remplacé en août 1960 par le lieutenant-colonel
Thozet. Les productions du bureau d’études disparaissent avec le cessez-le-
feu en Algérie.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Maurice Faivre, Le Renseignement dans la guerre d’Algérie, Panazol,
Lavauzelle, 2006 • Henri Jacquin, La Guerre secrète en Algérie, Olivier
Orban, 1977 • Constantin Parvulesco, Secret-défense, histoire du
renseignement militaire français, Boulogne-Billancourt, ETAI, 2007.
CENTRES DE RENSEIGNEMENT
ET D’ACTION (CRA)
Les centres de renseignement et d’action sont créés à partir de l’été 1958
dans le but de rassembler les différents services chargés de lutter contre le
FLN*, qu’ils soient policiers ou militaires. Ils sont présents sur tout le
territoire algérien et leur action est coordonnée par l’armée. Ce regroupement
sous le même nom et dans le même lieu des différents services chargés du
renseignement témoigne, en fait, de la suprématie totale acquise par l’armée
dans la conduite de la répression en cette deuxième moitié de l’année 1958.
Les CRA sont divisés en deux équipes : une « équipe de centralisation et
d’études » est chargée de recueillir des informations, de les centraliser et de
les analyser tandis qu’une « équipe d’exploitation » mène des opérations sur
la base des informations collectées. Ce sont des commandos de quelques
hommes qui doivent travailler en coordination avec d’autres unités militaires
ou policières, bien que surviennent parfois des tensions inhérentes à toute
concurrence entre services jaloux de leurs prérogatives. Leurs relations avec
les détachements opérationnels de protection* (DOP) sont particulièrement
complexes mais la coopération s’organise globalement. Ils sont aussi liés à
d’autres structures leur préexistant. Ainsi ils sont dirigés par les OR (officiers
de renseignements) des 2e bureaux* de l’armée, mobilisent des policiers ou
des gendarmes détachés, recourent à des harkis*.
Ils contribuent au maillage du territoire indispensable dans la logique
militaire à la lutte contre l’ennemi, selon des modalités différentes entre villes
et campagnes. Ils sont plus soumis aux obligations légales dans les premières
où ils doivent s’assurer le concours d’officiers de police* judiciaire pour
officialiser leurs arrestations et perquisitions susceptibles de déboucher sur
des procédures en justice. En milieu rural, ils cherchent prioritairement, selon
leur langage, à « dénoyauter » les « masses » que le FLN organise.
Un CRA a particulièrement fait parler de lui : la ferme Ameziane*, à
quelques kilomètres de Constantine. Plaque tournante du système répressif
local et une des clés de ce que son responsable appellera « la bataille de
Constantine », au début de l’année 1958, sur le modèle de la répression sans
limite mise en œuvre à Alger en 1957, ce CRA reste le mieux documenté de
l’historiographie.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Luc Einaudi, La Ferme Améziane.
Enquête sur un centre de torture pendant la guerre d’Algérie, L’Harmattan,
1991.
CHAHID (MARTYR)
Comme moudjahid* (pluriel : moudjahidin), chahid (pluriel : chouhadas)
désigne une individualité héroïque, une figure symbolique et politique
majeure de l’Algérie postcoloniale. Tous deux ont en commun une référence
religieuse puissante, parfois estompée, parfois surdimensionnée, mais
prégnante. Ils se rapportent aux combattants engagés dans la lutte armée pour
l’indépendance, sous la direction du FLN* et de l’ALN*. La vie du chahid
(« martyr »), donnée pour la cause, est une forme sublimée de la shahada, la
profession de foi unitaire de l’islam, attestant qu’il n’y a de dieu qu’Allah et
que Mohammed est son envoyé. Prononcée par l’homme à l’instant de sa
mort, le doigt levé, par lui-même ou un proche, s’il ne le peut, la profession
de foi ne fait cependant pas de ce dernier un « martyr ». Seul est sanctifié et
révéré sous ce nom l’homme qui a sacrifié sa vie dans le combat pour Dieu –
et pour sa patrie, l’un étant supposé ne pas aller sans l’autre dans le contexte
de la guerre pour l’indépendance.
Le moudjahid (« combattant »), si courageux soit-il, est resté vivant. En
tant que tel, il est symboliquement inférieur au chahid. Ce sont cependant les
mêmes hommes, jusqu’à ce que la mort les sépare et les distingue sur tous les
plans : physique, théologique, politique et juridique, avec les conséquences
qui en découlent. À l’heure de l’indépendance, l’enjeu de la qualification
comme moudjahid et chahid, source de rente symbolique et matérielle,
devient majeur. Cet enjeu n’est pas seulement politique, il est économique et
susceptible, à ce double titre, et de plus en plus, de toutes les récupérations et
falsifications.
Pour le comprendre, il faut revenir à l’histoire des appellations. Avant
1954, dans le langage usuel des nationalistes, on se donne du « frère » (akh,
pluriel : ikhouan) et non du « camarade ». Quand un militant s’engage dans
l’OS*, organisation paramilitaire du PPA-MTLD*, au prix de sa vie, après
serment sur le Coran et mise à l’épreuve, il est connu sous un pseudonyme,
précédé ou non d’un Si indicateur de respect : Si Tayeb pour Boudiaf*, mais
Hakim, simplement, pour Ben M’hidi*, par exemple. L’OS ne désigne pas
ses membres comme moudjahidin. Une fois l’insurrection lancée, moudjahid
et chahid se répandent, mais le sacré et le séculier s’entrelacent à maints
égards. Le congrès de la Soummam* donne à la lutte armée son terme
générique de « révolution », avec le mot ancien thaoura (« révolte
spontanée », « colère subite »). Le congrès ne choisit pas djihad. Le soldat de
base de l’ALN est appelé djoundi (pluriel : djounoud). En revanche, le FLN
donne à son journal le titre d’El Moudjahid, créé en remplacement de
Résistance algérienne. Sur le terrain, les hommes se dédoublent en
moudjahidin (incluant les fida’iyin, pluriel de fida’i, « sacrifié volontaire »,
auxquels sont confiés les attentats en ville) et moussebiline, désignant ceux
qui apportent une aide financière, matérielle, et logistique décisive aux
combattants.
Après 1962, moudjahid et chahid deviennent des figures structurantes de
la geste révolutionnaire. Elles fournissent à l’État algérien nouveau les bases
de sa légitimité. Ces figures ne sont pas seulement au cœur du récit national
et des rituels de la commémoration*, elles donnent lieu à une
institutionnalisation et une instrumentalisation renforcée, en tant que
ressource et enjeu de pouvoir. Dans la société, la recherche des restes des
parents morts au combat, enterrés en des lieux non identifiés, mais aussi la
création d’espaces dédiés, prémisses des « carrés des martyrs » dans les
cimetières, doivent plus aux initiatives privées et locales des familles qu’à
l’impulsion de l’État. Tahar Djaout, dans son roman Les Chercheurs d’os
(1984), montre néanmoins l’intérêt de cette quête en vue d’un
repositionnement social fructueux dans l’espace villageois.
Les chiffres participent du processus. Premier président de la République
algérienne, Ben Bella* donne un nombre des martyrs supérieur à 1 million,
bientôt augmenté à 1,5 million, pour une population de 8 millions
d’Algériens en 1954. Ce chiffre hyperbolique devient vérité pour l’opinion*
commune, et le reste à ce jour, toutes tendances confondues, y compris chez
des universitaires. L’ampleur des pertes humaines, qui se chiffrent en
plusieurs centaines de milliers, suffit à expliquer la dureté de l’épreuve et la
persistance du trauma : aux hommes morts au combat s’ajoutent les pertes
civiles dues non seulement aux ratissages et représailles frappant les villages,
mais aux conditions de survie fortement aggravées (maladies, sous-
alimentation, mortalité infantile).
Chahid conserve à ce jour l’image de pureté qui lui est attachée dès
l’origine tandis que moudjahid a connu un processus de dévalorisation. Le
cercle qui contrôle encore et toujours le pays se réclame plus que jamais du
sacrifice des chouhadas. La puissance symbolique du chahid parle encore
aux jeunes générations qui la retournent contre le pouvoir, par-delà la
contestation chantée dans les stades et pacifique dans les rues. Le hirak a su
s’emparer, de façon critique, sous une forme collective joyeuse et pacifique,
des deux figures concomitantes et contrastées de la geste de Novembre.
Omar CARLIER
CHALLE, MAURICE (1905-1979)
Né en 1905, Maurice Challe entre à Saint-Cyr en 1923-1925. Il choisit
l’armée de l’air* et devient pilote. En juillet 1939, officier* d’état-major, il
participe à la bataille de France comme aviateur. Il sert dans l’armée de
Vichy avant d’entrer dans l’Organisation de résistance de l’armée à la fin de
l’année 1942 et de constituer le réseau de résistance François Villon. Il
devient commandant de l’armée de l’air au Maroc* en 1949 puis est nommé
commandant de l’école de guerre aérienne en 1953. Lors de la crise de
mai 1958, Challe est placé sous surveillance à Brest par le ministre de la
Défense Pierre de Chevigné. Ayant la confiance de Charles de Gaulle*, il
revient en grâce. À ce titre, il devient le 15 juillet 1958 général d’armée
aérienne et adjoint de Salan* en Algérie, avant de remplacer ce dernier
comme commandant en chef en Algérie à compter du 12 décembre 1958. Il
met alors en place un plan d’opérations militaires resté dans la postérité sous
le nom de « plan Challe* ». Pour Challe et son état-major, ce plan est
l’aboutissement opérationnel des réflexions sur la guerre antisubversive et
vise à garantir la pérennité de l’Algérie française, alors que de Gaulle le
conçoit comme un outil militaire pour mener les négociations* politiques
avec les nationalistes en situation de force. Le discours sur
l’autodétermination* du 16 septembre 1959 achève de le mettre en porte-à-
faux avec la politique gaullienne. De Gaulle, constatant son indulgence
envers les insurgés de la semaine des barricades*, du 24 janvier au 1er février
1960, décide finalement de le remplacer par le général Crépin* en mars 1960.
Challe devient alors commandant en chef des forces alliées Centre-Europe.
Moins d’une année après, désabusé par la tournure des événements en
Algérie, il quitte la vie militaire pour un emploi civil. Mais, le 12 avril 1961,
il participe au putsch* aux côtés de Jouhaud* et Zeller*. Il fait partie des
quatre généraux du putsch – Salan, en exil en Espagne, se greffant
tardivement au complot – et en prend la direction formelle. À la suite de
l’échec du soulèvement militaire, il refuse de plonger dans la clandestinité et
se rend par conséquent aux autorités civiles. Condamné à quinze ans de
prison*, il est gracié en 1966 puis amnistié* en 1968. Il meurt le 18 janvier
1979.
Marius LORIS et Denis LEROUX
Archives : Dossier de carrière du général Maurice Challe, SDH.
Bibl. : Yves Courrière, La Guerre d’Algérie, t. V, SGED, 2001 • Georgette
Elgey, Histoire de la IVe République, t. II, 1956-1959, Bouquins, 2018
• Michel Hardy, Hervé Lemoine et Thierry Sarmant, Pouvoir politique et
autorité militaire en Algérie française, hommes, textes, institutions. 1945-
1962, L’Harmattan, 2002.
CHANSON ALGÉRIENNE
La chanson patriotique a été l’expression artistique la plus flatteuse de la
Guerre d’indépendance et la plus habile des propagandes*. Elle s’inscrit dans
une histoire construite tout au long du XXe siècle dans la volonté du
mouvement national d’associer la culture au combat anticolonial.
Dès l’entre-deux-guerres, les premiers grands artistes comme Bachtarzi,
« le Caruso du désert », participent en région parisienne aux meetings de
l’Étoile nord-africaine (ENA), qui fait de la culture un des socles de la
cohésion communautaire. Au pays, un lettré comme Moufdi Zakaria, futur
auteur du célèbre Qassaman* (Nous jurons), vingt ans plus tard devenu
hymne national, offre déjà en 1936 au leader Messali*, un hymne pour
l’ENA, Fidaou el Djazaïr (Sacrifice pour l’Algérie). La chanson populaire
est aussi présente dans ces lieux de sociabilité politique que sont les cafés.
Des chants* plus engagés sont repris par les scouts musulmans*, véritable
pépinière de militants et de futurs artistes tels que Blaoui Houari ou Ahmed
Wahby*. Les scouts chantent lors de leurs sorties et de manifestations comme
celles du 8 mai 1945*. Après les massacres de Sétif, ils adoptent le chant
emblématique Hayyou Chamal Ifriqia ya Chabab (Ô jeunesse, fais vivre
l’Afrique du Nord).
Cette forte interaction entre culture populaire et histoire politique
s’intensifie après la Seconde Guerre mondiale. En Algérie, même si les
artistes ont besoin de se produire dans l’émission en langue arabe et kabyle
(Elak) de la radio, leur sensibilité au discours nationaliste s’affirme. Fadela
Dziria, l’élégante dame du Hawzi algérois (dérivé de la musique andalouse),
emprisonnée à Serkadji (Barberousse), en est l’exemple.
En métropole, beaucoup militent dans les rangs nationalistes comme
Missoum, emprisonné pour avoir entonné dans des galas des chants
patriotiques. Dans la lutte qui oppose messalistes et FLN*, les artistes se
rangent progressivement du côté de ce dernier en donnant une part de leurs
cachets comme impôt de guerre. La vie artistique nocturne continue dans les
cabarets « orientaux » de la capitale. Les artistes s’y produisent et s’y
rencontrent. Ils enregistrent aussi des titres dans le catalogue arabe des
maisons de disques grâce à un découvreur de talents, Ahmed Hachlef, ancien
scout musulman, véritable médiateur culturel. La censure* interdit les
chansons trop explicites et même celles qui se veulent allusives. Le chanteur
kabyle Slimane Azem est inquiété pour avoir chanté Affagh aya djrad
(Sauterelles, vous avez tout dévoré), parabole quasi biblique du fléau
colonial.
Dans ce contexte, « la jeune Ouarda » se sert de sa voix juvénile et
prodigieuse comme d’un défi avec le titre Ya habibi, Ya moudjahid (Ô ami, ô
combattant). En 1958, après la fermeture du cabaret parisien de son père, Le
Tam-Tam, pour collusion avec le FLN, toute la famille est expulsée au Liban.
Ouarda prend le surnom emblématique d’El Djazaïria et interprète en
hommage aux femmes* combattantes Djamila, en l’honneur de Djamila
Bouhired*.
1958 est l’année de départ, volontaire cette fois, d’artistes qui rejoignent
Tunis pour former la troupe nationale qui fait rayonner la culture algérienne
vivante dans des tournées internationales : Mustapha Toumi, Hsissen, Ahmed
Wahby ou encore Farid Ali, compositeur du célèbre chant kabyle repris dans
le maquis A yemma azizen (Ô mère chérie).
En Algérie, ces chansons circulent au maquis, ou clandestinement en
ville, grâce à la radio* du FLN qui diffuse, à partir du Caire, une émission qui
se clôture par des chants. Un premier disque est pressé en Yougoslavie* en
1961, chants de lutte mais aussi répertoire andalou classique et patrimoine
des régions, comme un acte de réappropriation d’une identité malmenée par
la colonisation. Avec la musique, le FLN gagne sa bataille culturelle.
Dès l’indépendance, la musique, tant savante que populaire reprend ses
droits d’art majeur. La chanson du maître du chaâbi, El Anka, Elhamdou
lilah mab’qach istiamar fi bledna (Dieu soit loué, le colonisateur n’est plus
chez nous !), accompagne la liesse populaire. Pas un segment de la chanson
ne se tient à l’écart, puisque Rimitti, la reine du raï – genre considéré alors
comme sulfureux et décadent –, connaît un grand succès avec Ya ouled
Djazaïr (Ô enfants d’Algérie). Il faut revenir, en citant Fanon*, à l’entreprise
de « déculturation » instaurée par le rapport colonial pour comprendre la forte
participation des artistes au combat anticolonial et l’empathie populaire
autour de leurs chansons. Devenues un véritable bien commun, elles sont
aujourd’hui reprises dans les mobilisations du hirak.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Ahmed et Mohamed El Hbib Hachlaf, Anthologie de la musique
arabe, CCA-Publisud, 1993 • Bachir Hadj Ali, Qu’est-ce qu’une musique
nationale ?, conférence du 6 février 1964, Alger • Naïma Yahi, « Les femmes
connaissent la chanson », in Driss El Yazami, Yvan Gastaut et Naïma Yahi
(dir.), Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France,
Gallimard-CNHI, 2009.
CHANSON FRANÇAISE
Contrairement à d’autres, la guerre d’Algérie n’a guère été accompagnée
de chansons. Ni la génération au faîte de sa gloire (Piaf, Gréco), ni les
chanteurs à texte (Brel, Brassens, Ferrat) n’ont ciblé le conflit algérien. La
censure* veillait. Chacun connaît les mésaventures du Déserteur*, de Boris
Vian – créée dans le contexte de la guerre d’Indochine*, elle est interdite et
ne trouve qu’un interprète Mouloudji. Le seul à percer le mur des interdits est
l’anarchiste* Léo Ferré, osant graver dans le vinyle une dénonciation des
baroudeurs : « Quand l’Indochin’ c’est terminé/Où c’est-t-y qu’on pourrait s’
tailler » et de leurs méthodes : « Fil’ moi ta part mon p’tit Youssef/Sinon j’te
branch’ sur l’EDF/Réponds, dis-moi où est ton pot’/Sinon tu vas êtr’
chatouillé » (1961). Moins frontal, Quand un soldat, interprété par Yves
Montand et Francis Lemarque, peut être reçu comme un cri protestataire. De
même, La Mauvaise Réputation de Georges Brassens (1952) est reprise par
les opposants à la guerre. Dans un genre différent, une œuvre oubliée relate le
quotidien de certains appelés, Y’avait Fanny qui chantait : « Dans ce bled il
faisait chaud/L’ennui nous trouait la peau/On vivait sans savoir si/On
reviendrait au pays » (1958).
La communauté européenne d’Algérie ne reste pas inactive, produisant
en 1958 un Hymne de l’Algérie française, qui ne franchit jamais la
Méditerranée avant de se perdre dans les mémoires.
Que chantent donc les Français, de 1954 à 1962, qui puisse avoir un lien
avec l’Algérie ? Aussi incroyable que cela puisse paraître, les transistors et
les premières télés font un triomphe à « Chérie je t’aime/Chérie je
t’adore/Como la s-a-a-lsa del pomodor » (1960). Sans oublier un Ali Baba
cha-cha ou un Pourquoi la Casbah a brûlé, mon z’ami.
La guerre à peine terminée, un jeune Constantinois qui se fait appeler
Enrico Macias émeut le pays. « J’ai quitté mon pays/J’ai quitté ma
maison/Ma vie, ma triste vie/Se traîne sans raison/J’ai quitté mon soleil/J’ai
quitté ma mer bleue » (1963). Souffrance et sentiment d’abandon, émotion
des téléspectateurs ; simultanément, un autre peuple, au sud de la
Méditerranée, a connu d’autres souffrances, plus terribles.
Alain RUSCIO
Bibl. : Claude et Josette Liauzu, Quand on chantait les colonies.
Colonisation et culture populaire de 1830 à nos jours, Syllepse, 2002 •
Lucien Rioux, « De Bambino à Mustapha, le fond sonore de la guerre »,
in Laurent Gervereau, Jean-Pierre Rioux et Benjamin Stora (dir.), La France
en guerre d’Algérie, Édition du musée d’Histoire contemporaine/BDIC, 1992
• Alain Ruscio, Que la France était belle au temps des colonies. Anthologie
de chansons coloniales et exotiques françaises, Maisonneuve et Larose,
2001.
CHANTS DE LA GUERRE
D’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
L’ethnologue Jean Servier* est à Arris la nuit du 1er novembre 1954*. Il
collecte des chants anciens. Quand il apprend l’attaque, dans les gorges de
Tighanimine, du car où avait pris place un couple d’enseignants, les
Monnerot*, il part avec quelques hommes armés pour ramener les blessés. Ce
natif de Constantine ne s’y trompe pas : ce qui commence n’est ni un acte de
banditisme (selon les termes de l’administration) ni un soulèvement comme il
y en eut tant. Lui reviennent en mémoire les bribes de ce chant qu’il avait
enregistré il y a quelques jours : « Sa ceinture est faite de cartouches/Il porte
des fusils croisés sur son dos/Son visage est voilé/Il règne sur la montagne. »
Ces paroles sont les éléments d’une mémoire chantée qui jalonne et fixe les
événements marquants d’une histoire vécue et interprétée par ceux qu’on dit
sans histoire. Sur un schème récurrent, des femmes* et des hommes
improvisent et reprennent des images et des couplets qu’ils réactualisent. Ce
chant, par exemple, était encore interprété pour glorifier la résistance de
Messaoud Ag-zelmat (Benzelmat), « bandit d’honneur » du début du
e
XX siècle, et fera partie du répertoire de Jarmouni qui chante, mêlant chaoui
CHARONNE (MÉMOIRE)
La première commémoration* de la répression meurtrière de la
manifestation du 8 février 1962 se déroule au cimetière du Père-Lachaise le
13 février 1963, et réunit environ 100 000 personnes. Mais dès les années
suivantes, le nombre de participants décline : il est inférieur à
1 000 personnes en 1967. L’indifférence de la population conduit à
l’étiolement de la commémoration. Il existe aussi des tensions : les autorités
interdisent par exemple les rassemblements au métro Charonne en 1963 et il
existe même une censure* d’État sur l’événement. Le choix de la date (le 8
ou le 13, date de la célébration funéraire des morts de la manifestation) et des
organisations participantes (l’ouverture à des organisations qui n’ont pas
participé à la manifestation en 1962) font aussi débat. Qui plus est, il existe
parfois des commémorations concurrentes et des interférences avec d’autres
événements comme l’affaire Ben Barka. Au cours des années 1970, différents
partis de gauche et d’extrême gauche se réclament ainsi de cette mémoire,
sans volonté d’unité. La commémoration permet néanmoins de mobiliser les
militants et sympathisants politiques de gauche et a fortiori communistes, de
rappeler cette histoire, de réclamer la vérité sur les conditions de la répression
et ses responsables, et d’exiger la justice. Au bout du compte, cet événement
est bien porté dans les mémoires françaises : en 1972, 84 % de la population
sait à quoi il correspond, et en 1992, trois jeunes sur quatre le savent encore.
Par ailleurs, des rues ou des lieux font référence à cet événement,
essentiellement dans les municipalités communistes ou qui l’étaient, de
manière nominale ou générique. Daniel Féry, le plus jeune tué, est l’odonyme
le plus fréquent. Une plaque est apposée dans la station Charonne en 1982, et
le carrefour est rebaptisé « place du 8-Février-1962 » en 2007. De nombreux
textes et images mentionnent aussi l’événement. Ainsi, des chansons* de
Leny Escudero (1968), Jean Ferrat (1969) et Renaud (1975), ou des films (en
particulier Diabolo menthe de Diane Kurys, 1977) font référence à la
manifestation. Des peintures de Robert Lapoujade, André Fougeron et Ernest
Pignon-Ernest*, ou des bandes dessinées* de Jeanne Puchol et de Désirée et
Alain Frappier concernent aussi cet événement. Depuis le début des années
1980, il est également présent dans les manuels scolaires. Si, depuis leur
déroulement, certaines personnes font le lien entre les répressions du
17 octobre 1961* et de Charonne, d’autres dissocient, voire opposent, ces
deux mémoires, surtout depuis les années 1980. Pendant longtemps, la
mémoire de Charonne a supplanté celle du 17 octobre 1961, mais celle du
17 octobre prend maintenant le dessus. Enfin, pour la première fois, le
8 février 2022, un président de la République, Emmanuel Macron*, a rendu
hommage aux victimes du métro Charonne et à leurs familles à l’occasion de
la commémoration du 60e anniversaire de l’événement.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique
d’un massacre d’État, Gallimard, 2006.
CHEMINOTS (ALGÉRIE)
Stratégiques pour la métropole, les chemins de fer de l’Algérie coloniale
drainent un personnel important, convaincu de son rôle dans la vie de la
colonie et défendant son statut. Les cheminots constituent au départ l’ossature
du mouvement syndical. Les Européens dominent dans ces corporations à
statut mais les Algériens y pénètrent peu à peu. Après 1945, majoritairement
à la CGT*, ils participent aux grèves* qui forment leurs capacités
d’organisateurs, comme la dure grève de 1947. Si certains syndicalistes
européens comme Justin Escarnot critiquent « l’algérianisation » de la CGT,
symbole pour eux de division, la poussée se poursuit. Les plus actifs sont très
souvent structurés politiquement, au PCA*, tel Saïd Nasri de Constantine,
mais surtout au MTLD, à l’instar de Boualem Bourouiba, Mohamed Mada et
Rouzik Belmihoub qui rejoignent le FLN* dès novembre 1954. Aux côtés
d’Aïssat Idir, Boualem Bourouiba, ex-cégétiste, entre au secrétariat de
l’UGTA*, créée en février 1956 sous l’impulsion du FLN. Malgré les
arrestations qui décapitent la direction syndicale en mai 1956, Mada et
Zerdani, qui échappent aux rafles*, structurent le syndicat des cheminots. Un
groupe effectue clandestinement, à la gare de tri et de marchandises de
l’Agha, en plein cœur d’Alger, les tâches névralgiques d’une organisation
combattante : liaisons, envoi de la presse et du courrier, transport d’armes.
L’équipe dirigée par Arezki Mabed est démantelée pendant la bataille
d’Alger*, son chef arrêté, interné dans un camp où il disparaît après un
interrogatoire. D’autres cheminots de l’UGTA, tels Belmihoub et Zerdani,
sont arrêtés, torturés et internés après la grève de janvier 1957. Des militants
connus sont aussi la cible des tireurs de l’OAS* comme Mada, abattu en
1961. Après le cessez-le-feu, les syndicalistes libérés des camps font renaître
l’organisation syndicale et redémarrer les services dont le train est un
symbole.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Nora Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question
nationale. 1919-1954, Alger, Office des publications universitaires, 2005
• Boualem Bourouiba, Les Syndicalistes algériens. Leur combat, de l’éveil à
la libération, L’Harmattan, 1998 • René Gallissot (dir.), Algérie :
engagements sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du
mouvement ouvrier, L’Atelier, 2006.
CHEVÈNEMENT, JEAN-PIERRE
(NÉ EN 1939)
Comme pour de nombreux hommes politiques de cette génération*, la
guerre d’Algérie est, pour Jean-Pierre Chevènement, un marqueur. Elle est un
moment de prise de conscience et un accélérateur de la politisation.
Alors étudiant à Sciences Po et engagé à l’Unef*, Jean-Pierre
Chevènement entre en politique convaincu de l’indépendance de l’Algérie.
En 1961, quelques semaines après la tentative de putsch*, il est appelé, à
21 ans, pour son service militaire*. Patriote, il soutient la politique
d’autodétermination du général de Gaulle*. Servant deux ans et demi, il est
témoin et acteur de la fin du conflit.
Après une formation à l’école des officiers* de réserve de Cherchell, il
intègre le 21e régiment d’infanterie et devient sous-lieutenant. Il dirige
ensuite une section administrative spécialisée* (SAS) à Saint-Denis-du-Sig
(aujourd’hui Sig) près d’Oran. Puis il est affecté au cabinet du préfet*. Il est
alors témoin des attentats de l’OAS*, des représailles de la Légion étrangère*
contre les Algériens, de l’exode des pieds-noirs*, des massacres de harkis* et
des événements du 5 Juillet* à Oran. En qualité de membre du cabinet du
préfet, il participe à la rencontre le 10 juillet 1962 entre le consul français et
Ahmed Ben Bella* arrivé dans la ville.
Son expérience de la guerre explique son engagement, son patriotisme
ainsi que son intérêt pour l’Algérie, le monde arabe et les questions de
défense, dont il est ministre de 1988 à 1991. De 2011 à 2018, il préside
l’Association France-Algérie dont il est encore président d’honneur. Fondée
par Germaine Tillion* avec le soutien du général de Gaulle en 1963, cette
association œuvre au rapprochement des deux rives. De 2016 à 2018, il
préside également la Fondation de l’Islam de France qui développe des
projets éducatifs et culturels pour « faire rayonner en France l’Islam des
lumières ».
Jean-Pierre Chevènement intervient régulièrement dans les débats
mémoriels sur la guerre. Répondant par exemple à l’« Appel des douze », il
se dit particulièrement sensible au sort des Français d’Algérie et des
supplétifs*. S’il défend la reconnaissance d’exactions, dont l’usage de la
torture* « par certains éléments de l’armée française », il refuse la
reconnaissance de responsabilités de la France au nom de l’unité nationale.
Paul Max MORIN
Bibl. : Laurent Chabrun, Jean-Pierre Chevènement : une certaine idée de la
République, Le Cherche Midi, 2002 • Jean-Pierre Chevènement, Le Courage
de décider, Robert Laffont, 2002 • Annick Percheron, « La mémoire des
générations : la guerre d’Algérie-Mai 68 », État de l’opinion, 1991, repris
dans La Socialisation politique, Armand Colin, 1993.
CINÉMA ET GUERRE
D’INDÉPENDANCE (ALGÉRIE)
Le cinéma algérien prend naissance durant la Guerre d’indépendance,
avec l’appui de militants étrangers soutenant le FLN* (René Vautier*, Pierre
Clément, Pierre Chaulet*, Stefan Labudovic, etc.), mais aussi d’Algériens
(Ahmed Rachedi, Mohammed Lakhdar- Hamina, etc.) qui réalisent des films
et forment les premiers opérateurs au maquis ou à la frontière tunisienne.
Après le congrès de la Soummam*, le but du FLN est en effet
d’internationaliser l’image d’une Algérie en guerre et d’une armée, l’ALN*.
Le GPRA* développe à partir de 1958 cette politique en créant un « service
cinéma », avec succès. En 1963, la République algérienne crée un Office des
actualités algériennes (OAA) ; le cinéma est nationalisé en août 1964 et un
Centre national du cinéma algérien (CNC) est créé, transformé en 1967 en
Office national du commerce et de l’industrie cinématographiques (Oncic), à
travers lequel une grande partie de la production cinématographique
algérienne est produite. Il n’y a donc que quelques rares producteurs privés,
dont Yacef Saadi*, un des acteurs mêmes du conflit, qui produit La Bataille
d’Alger de Gillo Pontecorvo en 1965. La formation des cinéastes et
opérateurs est assurée par des Européens en Algérie ou au sein d’écoles
étrangères, comme en Tchécoslovaquie* ou en Russie. Mohammed Lakhdar-
Hamina (directeur de l’OAA puis de l’Oncic) et Ahmed Rachedi (directeur
de l’Oncic) signent plusieurs films produits avec de gros moyens,
représentant l’Algérie dans les festivals internationaux (Palme d’or à Cannes
pour Chronique des années de braise de Lakhdar-Hamina en 1975).
L’État algérien, le FLN comme parti unique et l’armée utilisent le cinéma
pour construire leur image auprès du grand public grâce à un médium
populaire. À la différence de la France, l’Algérie produit rapidement de
nombreuses fictions sur la Guerre d’indépendance, s’inspirant des
productions amies comme Djamila l’Algérienne de Youssef Chahine
(Égypte, 1958) pour proposer un cinéma qui soit avant tout panarabe, et se
repose également sur des cinéastes étrangers ayant une vision politique du
cinéma comme Pontecorvo. L’Algérie reprend donc cette idée d’une
puissance nouvelle de la fiction pour faire passer des messages au grand
public, en particulier un message d’unité à travers le slogan « Un seul héros :
le peuple ». Aussi les films algériens, très influencés par le cinéma soviétique
et le néoréalisme italien, ont-ils une tendance épique, les destins individuels
n’étant que des métonymies pour l’ensemble de la nation.
Après la prise de pouvoir par Boumediene* en 1965, le cinéma se voit
encore plus contraint de coller à la nouvelle politique : pour suivre le
programme d’arabisation, les films parlent uniquement arabe et non berbère.
Pour suivre l’islamisation, les films sur la guerre ne mettent que rarement en
avant les femmes* et obligent le port du voile. Même si les films sont
intéressants, comme Le Vent des Aurès (Lakhdar-Hamina, 1966) ou L’Opium
et le bâton (Rachedi, 1969), ils véhiculent une propagande* d’État sur la
guerre : image héroïque des hommes et surtout des « martyrs » (chahid*),
quasi-absence des femmes (sauf dans Le Vent des Aurès), dénonciation des
« traîtres » (les harkis*), absence du MNA* au profit du seul FLN, absence
des viols*, etc. C’est un cinéma postcolonial*, qui rend compte de la manière
dont le pouvoir algérien construit une vision de l’histoire très récente au
service d’une société socialiste largement ancrée sur la religion musulmane.
La mise en scène de la guerre est liée aux choix politiques visant à construire
l’image d’une Algérie unifiée.
Le cinéma de l’Oncic n’est donc pas représentatif de l’ensemble du
peuple algérien, et les cinéastes qui refusent d’entrer dans le moule pour dire
une réalité plus complexe sont broyés par la machine politique du FLN et
doivent s’exiler, comme Mohammed Bouamari après Le Charbonnier (1972),
ou ont des problèmes avec le pouvoir comme Okacha Touita après Les
Sacrifiés (1982).
Après la mort de Boumediene et une relative libéralisation au milieu des
années 1980, le cinéma algérien s’écroule durant la « décennie noire » de la
guerre civile (plus une salle ne projette alors de films), et il faut l’aide du
CNC français pour relancer un programme de coproductions au début des
années 2000 (parfois avec le Maroc*). C’est avec Rachid Bouchareb,
Français d’origine algérienne, et ses coproductions franco-algériennes qu’une
nouvelle dimension apparaît dans la mise en scène de la guerre
d’indépendance, avec une esthétique inspirée du cinéma américain. Depuis,
de nombreux films ont été réalisés au cinéma ou à la télévision – notamment
à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance en 2012 – pour mettre en
avant les figures importantes de la guerre de libération nationale.
Sébastien DENIS
Bibl. : Guy Austin, Algerian National Cinema, Manchester, Manchester
University Press, 2012 • Ahmed Bedjaoui, Cinéma et guerre de libération.
Algérie, des batailles d’images, Alger, Chihab, 2014 • Ahmed Bedjaoui, La
Guerre d’Algérie dans le cinéma mondial, Alger, Chihab, 2016.
COLONS
L’usage de ce mot pour désigner les Français d’Algérie est discuté. Ses
détracteurs, qui en retiennent une définition restrictive, se fondent sur des
données socio-économiques tangibles. Il est vrai que dans leur ensemble, les
« pieds-noirs* » ne sont pas de riches exploitants du sol mais des cadres et
agents de maîtrise (15 %), employés (15 %), ouvriers (26 %). 88 % d’entre
eux vivent en ville en 1954. « La part du petit peuple urbain, celui des
fonctionnaires, des petits commerçants, des artisans, des employés et des
ouvriers », résume Daniel Lefeuvre*, est chez eux « largement
prépondérante ». Aussi leur niveau de vie est-il inférieur, en moyenne, à celui
des métropolitains. Les grands propriétaires fonciers cumulant pouvoirs
économique, financier et politique, comme Blachette*, Borgeaud*,
Schiaffino* ou Faure*, en offrent une image déformée. Après la Seconde
Guerre mondiale, le PCA* les dénonce d’ailleurs comme l’équivalent des
deux cents familles de métropole : ils seraient les « cent seigneurs » de
l’Algérie, parfois écrit « saigneurs ».
Ceci dit, la société coloniale n’oppose pas une minorité de colons au sens
strict du terme à une majorité populaire amalgamant Français et Algériens.
Quel que soit leur profil socio-économique, les Français d’Algérie constituent
bien une minorité favorisée en comparaison desdits « musulmans ». Eux
souffrent, d’abord, d’un déni fondamental : le droit à la nation et à la
souveraineté collective. S’y ajoutent une oppression culturelle et linguistique,
une infériorisation politique, avec le double collège*, mais aussi économique
et sociale. Très majoritairement ruraux (75 %), ils exercent à plus de 80 %
dans le secteur agricole. En 1955, le rapport Maspétiol*, commandé par le
gouvernement Mendès France*, livre en outre une étude des revenus
particulièrement significative. Dans son classement des habitants de l’Algérie
en cinq catégories, la quasi-totalité des « musulmans » se retrouve dans les
deux catégories inférieures (7 440 000 sur 8 millions environ) dans lesquelles
n’est recensé aucun Français d’Algérie. S’ils ne sont pas des colons au sens
strict du terme, les Français d’Algérie constituent bien une minorité coloniale
privilégiée en tous domaines, dans cette colonie de peuplement d’où a surgi
la guerre.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-
1962). Représentations et réalités des populations, Ined, 2001 • Daniel
Lefeuvre, « Les pieds-noirs », in Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.),
La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004.
COMBATTANTS DE LA LIBÉRATION
(CDL)
Les Combattants de la libération (CDL) sont les groupes armés dirigés
par le PCA* en 1955-1956. La décision de leur création remonterait à
février 1955. Elle est entérinée lors d’une session du comité central du PCA
en juin 1955, quelques mois avant l’interdiction du PCA par les autorités
françaises en septembre 1955.
Avant la création des CDL, des communistes sont déjà entrés dans la lutte
armée. Certains, parfois encouragés par la direction du parti, ont rejoint
l’ALN*. D’autres, sans contact avec l’ALN, ont constitué des groupes sans
allégeance. En créant des groupes armés spécifiques, la direction du PCA
poursuit plusieurs objectifs. Le premier consiste à donner des gages de sa
détermination pour se faire reconnaître comme un interlocuteur par le FLN*.
Mais la création des CDL vise aussi à étendre l’insurrection dans de
nouveaux territoires, ainsi qu’à faire participer à l’insurrection des
communistes qui ne sont pas acceptés dans les maquis de l’ALN. Dans les
territoires où l’ALN est implantée et ouverte aux communistes, la direction
du PCA continue en effet à encourager ses militants à rejoindre l’ALN.
La direction nationale des CDL est assurée par Bachir Hadj Ali*, Sadek
Hadjerès*, Jacques Salort et Lucie (dite Lucette) Larribère. Les directions
locales sont pour la plupart constituées de membres du comité central du
PCA. Entre l’été 1955 et le printemps 1956, des groupes urbains se
structurent à Alger, Oran, Constantine ou Blida, tandis que des groupes à
base rurale s’organisent autour des massifs du Dahra, de l’Ouarsenis, des
monts de Tlemcen ou de l’Atlas blidéen. Au total, ils regroupent
probablement plus de 200 membres.
Le premier groupe découvert par les autorités françaises est celui de
Constantine, dirigé par Selim Mohamedia : en décembre 1955, après la
tentative d’assassinat d’un policier, plusieurs de ses membres sont arrêtés en
possession d’armes, tandis que d’autres rejoignent l’ALN dans les Aurès. En
avril 1956, les CDL d’Alger organisent le détournement d’un camion d’armes
de l’armée française par l’aspirant Henri Maillot*. Ce dernier déserte pour
rejoindre le maquis des CDL de l’Ouarsenis, qui mène plusieurs assassinats
ciblés. Début juin, ce maquis est attaqué par l’armée française, qui tue cinq
ou six de ses membres. Les survivants rejoignent l’ALN.
L’opération Maillot consacre la stratégie de la direction du PCA : elle lui
permet d’entrer en contact avec des dirigeants du FLN. Quatre rencontres ont
lieu entre mai et août 1956 à Alger entre Ramdane Abane* et Benyoucef Ben
Khedda* pour le FLN, et Sadek Hadjerès et Bachir Hadj Ali pour le PCA.
Elles seront suivies d’autres rencontres, une fois les accords conclus, entre
Benyoucef Ben Khedda et Jacques Salort. Intéressés par les armes, les
dirigeants du FLN souhaitent aussi discuter de l’avenir du PCA, des CDL, et
de la place des communistes dans l’ALN. Ils reprochent au PCA de ne pas
vouloir se dissoudre dans le FLN, et aux maquisards communistes de
chercher à noyauter l’ALN. Tout en maintenant leur refus de dissolution du
PCA, les communistes adhèrent au principe d’une intégration des CDL à
l’ALN, étant entendu que les combattants passés à l’ALN devront cesser tout
contact avec le PCA. Toutefois, il ne s’agit pas d’une dissolution : plusieurs
groupes de CDL intègrent l’ALN en conservant leur structure. Pour le FLN,
cette conservation permet de gagner en efficacité opérationnelle, mais aussi
d’identifier les communistes afin de réduire leur influence.
À compter de juillet 1956, les CDL sont donc censés ne plus exister.
Cependant, leur intégration à l’ALN varie en fonction des situations locales.
Les CDL d’Oran, dirigés par Boualem Khalfa, ne sont pas intégrés à l’ALN,
même s’ils ravitaillent des maquis de la région de Tlemcen : après avoir mené
des actions de sabotage et au moins un assassinat au printemps et à l’été
1956, leurs membres se revendiquent du PCA lors de leur arrestation en
septembre 1956. À l’inverse, les CDL d’Alger, dirigés par Abdelkader
Guerroudj*, intègrent la Zone autonome d’Alger* (ZAA) de l’ALN durant
l’été 1956. En décembre 1956, ils remettent à la direction de la ZAA des
rapports signés « Groupe d’Alger du FLN (ex-Combattants de la
libération) », dans lesquels ils listent au moins six groupes et font état de
nombreuses actions accomplies durant l’été et l’automne (sabotages, attaques
contre les forces de l’ordre, assassinats ciblés). Mais ils s’y plaignent aussi de
la méfiance des dirigeants de la ZAA à leur égard. L’intégration est
également effective pour les CDL de Blida, dirigés par Abdelkader Babou,
membre de l’ALN depuis le début 1956. Arrêtés en 1956-1957, les
combattants d’Alger et de Blida revendiquent leurs actes au nom du FLN-
ALN devant la justice militaire*.
Au total, plusieurs dizaines de membres des CDL sont morts durant la
Guerre d’indépendance. La majorité d’entre eux ont été tués par l’armée
française – au combat, sous la torture* ou par exécution sommaire*. D’autres
ont été liquidés au sein de l’ALN. Une dizaine d’autres ont subi une
condamnation à mort* – dont une seule, celle de Fernand Iveton*, a été
exécutée.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Serge Kastell, Le Maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre
d’Algérie, 1956, L’Harmattan, 1997 • Hafid Khatib, 1er juillet 1956. L’accord
FLN-PCA et l’intégration des « Combattants de la libération » dans l’Armée
de libération nationale en Algérie, OPU, 1991.
COMITÉ DE COORDINATION
ET D’EXÉCUTION
(CCE)
Le congrès de la Soummam*, organisé en août 1956, décide de créer un
Comité de coordination et d’exécution (CCE), conçu comme un exécutif
collégial du FLN* dont les membres sont choisis par le CNRA*. Il se
compose à l’origine de cinq personnes : Abane* Ramdane, Benyoucef Ben
Khedda*, Larbi Ben M’hidi*, Krim* Belkacem et Saâd Dahlab*, écartant par
conséquent les dirigeants réfugiés au Caire. En théorie, le CCE désigne les
membres du conseil de wilaya à partir du grade de commandant mais en
pratique, il se contente d’officialiser les nominations.
En septembre, le CCE discute d’un mot d’ordre de grève* défendu par
Ben M’hidi, favorable à une grève tournante d’un mois à Alger, persuadé
qu’elle permettrait d’arracher l’indépendance. Plus réaliste, Dahlab soutient
plutôt l’idée d’une grève d’un jour ou deux – tout comme Abdenour Ali
Yahia, au nom de l’UGTA*. Le CCE opte finalement pour une grève de huit
jours* dans vingt-six villes importantes d’Algérie à partir du 28 janvier 1957.
Mais avec l’arrestation de Ben M’hidi, le 23 février, la Grande
Répression d’Alger fait fuir le CCE – qui se réunissait, entre autres, dans la
villa de Mohammed Ouamara, dit « Rachid », enlevé le 28 février par les
parachutistes* de Marcel Bigeard* et torturé à mort. Les quatre autres
membres de cette instance se réfugient les uns au Maroc* (Abane et Dahlab)
et les autres en Tunisie* (Ben Khedda et Krim). En route pour Tunis, Krim
demande à Lakhdar Bentobbal* de l’épauler au sein du CCE afin de
contrebalancer l’influence des anciens membres du comité central du MTLD,
Ben Khedda et Dahlab.
À l’arrivée de ses membres en Tunisie, le CCE tient à Guentis sa
première réunion depuis sa fuite d’Alger, en présence de Bentobbal. Abane y
fait le bilan de l’action du CCE, souhaite convoquer le CNRA et se livre à un
réquisitoire contre la militarisation et l’« esprit féodal » qu’il a observés
notamment au Maroc. Une autre réunion, informelle, se tient à Montfleury, à
Tunis, autour de Krim, Bentobbal, Abdelhafid Boussouf*, les colonels Amar
Ouamrane* et Mahmoud Cherif*, ainsi que les principaux chefs militaires
présents à Tunis en vue de préparer la prochaine session du CNRA au
détriment des politiques, à commencer par Abane.
Le 10 juin 1957, le CCE nomme Omar Boudaoud* à la tête de la
Fédération de France* du FLN et lui donne pour instruction de lutter contre le
MNA* et « d’abattre tous les dirigeants de ce parti ». En Algérie, le CCE
ordonne de brûler les villages ayant demandé la protection de l’armée
française et d’en exécuter les hommes de plus de 20 ans, tout comme les
chefs messalistes. À cette période, et en prévision de la prochaine session des
Nations unies*, le CCE souhaite un « plan militaire de grande envergure » et
préconise « le terrorisme contre les centres européens pour atteindre le moral
des Français ».
En août, la réunion du CNRA se tient au Caire. Elle consacre la
marginalisation d’Abane et élargit la composition d’un CCE où les militaires
sont majoritaires. On y retrouve Abane, Ferhat Abbas*, Bentobbal, Boussouf,
Cherif, Lamine Debaghine, Krim, Abdelhamid Mehri et Ouamrane, en plus
des cinq dirigeants historiques du FLN détenus en France, nommés à titre
honorifique.
Les prérogatives du CCE sont dès lors subordonnées à l’approbation du
CNRA concernant les relations internationales, en particulier les
négociations* et le cessez-le-feu avec la France. Ces rééquilibrages, qui
s’opposent à la stratégie mise en œuvre depuis le congrès de la Soummam,
enveniment davantage les rapports entre Abane et les autres dirigeants
exaspérés par ses critiques. Sur la base de fausses informations faisant état de
la détérioration des rapports entre Algériens et Marocains, Abane est envoyé
pour rencontrer le roi Mohammed V. Arrivé à Tetouan le 27 décembre,
l’architecte de la Soummam est assassiné par ses compagnons.
En avril 1958, la réorganisation du CCE – qui fonctionne au ralenti
depuis janvier – permet de préciser les tâches de ses membres et la création,
par Krim, du Comité opérationnel militaire (COM) qui est un échec et
affaiblit le maquisard kabyle. Avec l’arrivée au pouvoir de Charles de
Gaulle*, le CCE accepte qu’Abbas et Krim rencontrent en Suisse* des
émissaires du général, sans résultat concret.
Au cours de l’été 1958, des consultations ont lieu au sein du CCE au sujet
de la création d’un gouvernement, ce qui entraîne la proclamation du GPRA*
le 19 septembre, signifiant de fait la disparition de l’instance créée à la
Soummam deux ans plus tôt.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, documents et
histoire. 1954-1962, Fayard, 2004 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du
FLN (1954-1962), Fayard, 2002.
COMITÉ DE VINCENNES
Le Comité de Vincennes a tenu son premier « colloque » le 20 juin 1960
dans la grande salle de l’hôtel de ville. Accueillies par le député-maire et
ancien ministre Antoine Quinson, 150 personnes y ont participé. Le
3 novembre suivant, ils étaient près de 500 pour entendre traiter des
« conditions réelles d’une paix en Algérie ». La liste des intervenants
soucieux de « lutter en faveur du maintien de l’Algérie dans la souveraineté
française » témoigne de l’importance des hommes politiques, en particulier
parlementaires. Les élus d’Algérie, de Philippe Marçais à Marc Lauriol, sont
actifs. Mais aussi nombre de parlementaires métropolitains, à l’exception des
éléments les plus radicaux comme Jean-Marie Le Pen*. Ainsi, Georges
Bidault, André Morice et bien sûr Jacques Soustelle* participent aux activités
du comité (colloques et publications). Également des écrivains (Jules
Romains), des universitaires (Jacques Heurgon, Jules Monnerot) et des
militaires (le général de Goislard de Montsabert). Sans oublier le bachaga
Boualam*. À l’instar de leur hôte, ancien du RPF, beaucoup des soutiens du
comité sont des déçus du gaullisme et du 13 Mai*. Une sensibilité
soustellienne combinée à celle du Rassemblement pour l’Algérie française*
lancé par Bidault et Duchet le 19 septembre 1959 irrigue ainsi le comité et
fixe les bornes de son espace politique. Du côté des intellectuels présents,
nombre d’entre eux (Heurgon, Monnerot, Romains, etc.) comptent parmi les
plus de 300 qui ont signé en octobre 1960 le « Manifeste* des intellectuels
français », opposé à celui des « 121 ». Les points de vue du Comité de
Vincennes sont aussi aux antipodes de ceux du chef de l’État pour qui « la
République algérienne existera un jour ». L’article 1er du « serment de
Vincennes » proclame que « l’Algérie est une terre de souveraineté française
et qu’elle doit demeurer partie intégrante de la République ». Les colloques
de Vincennes et leurs Cahiers ont échoué à faire évoluer la politique
gaullienne. Le Comité de Vincennes finit dissous par les autorités le
22 novembre 1961 après que, dans une réunion tenue le 16 novembre 1961 à
la Mutualité, de Gaulle* a été conspué et Salan* acclamé. Pourtant, l’histoire
ne s’arrête pas là pour Bidault et Soustelle qui ont franchi le Rubicon de la
légalité et lancé au printemps 1962 le Conseil national de la Résistance, en
écho à celui du second conflit mondial présidé par Bidault.
Olivier DARD
Bibl. : Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), La Guerre
d’Algérie et les intellectuels français, Complexe, 1991.
COMITÉ INTERMOUVEMENTS
AUPRÈS DES ÉVACUÉS (CIMADE)
Fondée en 1937, la Cim (Comité intermouvements) unit les cinq
mouvements de jeunesse protestante et devient la Cimade (du fait de l’ajout
de « auprès des évacués ») en 1939 pour aider les protestants d’Alsace-
Lorraine repliés dans le sud-ouest de la France après l’invasion de la
Wehrmacht. Entre 1940 et 1944, la Cimade mène une action d’assistance, de
résistance et de sauvetage auprès des étrangers juifs et non juifs internés dans
les camps de la zone sud. Ses rangs comptent une quinzaine de Justes. À la
Libération, elle crée le service « Prisonniers et libérés » poursuivant son
action auprès des prisonniers allemands et collaborateurs.
La rupture de la guerre d’Algérie engage l’association en faveur de
l’indépendance du peuple algérien au nom de l’« Évangile libérateur ». Se
forgeant un militantisme anticolonialiste, elle est un service social engagé,
devenue « la Cimade, service œcuménique d’entraide ». Les années 1956-
1957 marquent un tournant : création du service « Nord-Africains » pour
aider à l’intégration des travailleurs maghrébins (alphabétisation, aide pour
l’emploi et le logement*, vestiaire, etc.), ouverture du poste de Marseille*,
accueil d’objecteurs de conscience dans ses rangs et dénonciation de la
torture*. Le Cimadien Jean Carbonare, responsable d’une association de
travailleurs nord-africains à Besançon, est chargé par le président du Conseil
Guy Mollet* d’organiser des contacts officieux avec les responsables du
FLN* dans les Aurès. La Cimade devient le « Comité d’aide aux déplacés et
aux évacués » dans les camps de regroupement* en Algérie. Entre 1957 et
1961, elle ouvre des postes : le Clos-Salembier à Alger pour un travail socio-
éducatif dans la cité de relogement et en bidonville, puis quatre autres à
proximité de camps de regroupement à Médéa, Sidi-Naamane (dans
l’Algérois), Constantine et enfin Belkitane dans le Sud-Constantinois.
L’objectif des « humanitaires » (Cimade, Secours catholique, Secours
populaire* et CICR*) est de créer un réseau de 85 centres de distribution afin
de pallier les pénuries de vivres et de vêtements. 400 personnes sont
mobilisées au sein des paroisses.
À la fin de la guerre, le pasteur Marc Boegner, président de la Cimade,
est visé par un attentat de l’OAS* à son domicile en août 1961. Par ailleurs,
Jean Carbonare rencontre à plusieurs reprises Ferhat Abbas*, président du
GPRA*, en Suisse* et l’ALN* à Tunis. Avec le pasteur Jacques Beaumont,
secrétaire général de la Cimade, il rend compte au ministre Robert Buron (un
des négociateurs français) de l’évolution des conditions de paix. En
métropole, la Cimade intensifie son action auprès des 20 000 détenus
algériens auxquels s’ajoutent les internés des quatre centres d’assignation à
résidence surveillée (CARS). Dès janvier 1959, la Cimade aide les détenus,
les assignés et leurs familles sur le plan matériel (envoi de vêtements, de
médicaments, et de livres, démarches, covoiturage, etc.). La Cimade
intervient pour libérer les grands malades, les pères de famille nombreuse et
les mineurs. Le siège parisien, rue de Grenelle, héberge des libérés des
CARS. Elle s’engage politiquement en collaborant avec le collectif des
avocats* du FLN (dont Jacques Vergès*, Mourad Oussedik* et Jean-Jacques
De Felice).
Après les accords d’Évian* le 18 mars 1962, la Cimade soutient
logistiquement la libération des militants FLN en collaboration avec la
Fédération de France* du FLN, du ministère de l’Intérieur et des autorités
militaires en Algérie. Une partie du camp militaire de Rivesaltes (Pyrénées-
Orientales) devient camp de triage et de transit entre mars et mai 1962. 700 à
800 détenus arrivent en convois. Afin de rentrer dignement en Algérie, la
Cimade distribue des vêtements et plus de 3 450 pécules de 150 NF. Avec
l’aval de Simone Veil*, missionnée par le ministre de la Justice, la Cimade
exfiltre de nuit, le 21 avril 1962, une dizaine de militantes FLN condamnées à
mort et graciées dont Djamila Boupacha* et Djamila Bouhired*. À Marseille,
le local du 43, rue d’Aix devient le « consulat temporaire et officieux du
FLN » pendant trois mois, jusqu’à l’indépendance. Le FLN y reçoit avec ses
tampons officiels et réalise les votes par correspondance. La Cimade, alliée
de l’œuvre de reconstruction de la « Nouvelle Algérie », est invitée par Ben
Bella* à fêter l’indépendance.
La fin du conflit colonial marque l’engagement de la Cimade auprès des
42 000 harkis* transférés entre septembre 1962 et décembre 1964 dans les
centres d’accueil des rapatriés* musulmans (Cara) à Bourg-Lastic, La Rye,
Le Larzac, Rivesaltes, Bias et Saint-Maurice-l’Ardoise. En janvier 1963, le
Comité national des musulmans français (CNMF), présidé par Alexandre
Parodi, vice-président du Conseil d’État, se structure avec l’appui du Secours
catholique, de la Croix-Rouge* et de la Cimade, qui y mène une action
sociale auprès des familles harkies jusqu’au milieu des années 1970. Elle
intègre par ailleurs le Comité chrétien du service en Algérie (CCSA) et met
en place des « équipes professionnelles » d’ingénieurs, de médecins ou
d’enseignants pour reconstruire le pays, d’où sa présence très marquée
jusqu’en 1965 et plus diffuse jusqu’en 1974.
Linda AMIRI et Anne BOITEL
Bibl. : Anne Boitel, « Des camps de réfugiés aux centres de rétention
administrative : la Cimade, analyse d’une action dans les lieux
d’enfermement et de relégation (de la fin des années 1930 au début du
e
XXI siècle) », thèse sous la dir. de J.-M. Guillon, université Aix-Marseille,
2016 • Denis Pelletier (dir.), À la gauche du Christ, Seuil, 2012.
COMITÉ INTERNATIONAL
DE LA CROIX-ROUGE (CICR)
Membre du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-
Rouge*, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est une
association suisse de droit privé dont les statuts sont annexés aux conventions
de Genève*. Fondée dans cette ville en 1863 par un groupe de notables, dont
Henri Dunant, l’institution est exclusivement dirigée par des citoyens suisses.
Garant du droit humanitaire international, le CICR agit dans le cadre de
conflits armés internationaux et de troubles internes graves. Ses actions sont
financées d’une part par le gouvernement suisse, d’autre part par les États
membres, ainsi que par des dons privés et des sociétés nationales comme la
Croix-Rouge française (CRF).
Considérant qu’il a peu d’espoir de voir la CRF s’engager à contrôler les
conditions de détention des indépendantistes emprisonnés, le CICR sollicite
et obtient, non sans difficulté, des plus hautes autorités françaises des
autorisations d’envoyer des équipes de délégués dans l’Algérie en guerre.
C’est ainsi que de 1955 à 1962, le CICR effectue dix missions
uniquement sur la base de l’article 3, commun aux quatre conventions de
Genève. Selon cet article, en cas de conflit armé non international, les parties
doivent appliquer les dispositions du droit humanitaire permettant aux
« personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les
membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont
été mises hors de combat », d’être traitées « avec humanité ». À raison d’une
à deux missions par an, des délégués du CICR contrôlent les conditions
matérielles et morales de plusieurs milliers d’indépendantistes détenus dans
des prisons* et des camps d’internement*. En 1960, cependant, des membres
du cabinet d’Edmond Michelet*, ministre de la Justice, font publier le texte
rendu qui prouve la pratique de la torture*. Ils cherchent ainsi à faire
pression, en France, pour les négociations*. Dans certains cas, en outre, le
CICR remet une copie, en toute discrétion, aux responsables du FLN*.
À partir de 1957, le CICR fournit des aides matérielles aux populations
réfugiées au Maroc* et en Tunisie*, ainsi qu’aux personnes déplacées dans
des camps de regroupement*. En 1961 et 1962, des délégués du Comité
contrôlent les conditions de détention d’Européens pro-Algérie française.
Après l’indépendance de l’Algérie, de mars à août 1963, le CICR effectue
une mission afin de faire rechercher des Européens disparus à la fin de la
guerre. Lors de cette mission, environ 2 400 harkis* emprisonnés reçoivent
aussi la visite de délégués.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou, Prisons et camps d’internement en Algérie.
Les missions du Comité international de la Croix-Rouge dans la guerre
d’indépendance, 1955-1962, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2018 • —,
Réfugiés et détenus de la guerre d’Algérie. Mémoires photographiques et
historiques, Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2022 • François Bugnion, Le Comité
international de la Croix-Rouge et la protection des victimes de la guerre,
Genève, Comité international de la Croix-Rouge, 1994.
COMITÉS ET PÉTITIONS
La guerre d’Algérie fut aussi une « bataille de l’écrit* » dans laquelle les
comités, les appels et les pétitions ont joué un rôle important. Tout au long de
l’année 1955, se sont créés des comités essentiellement basés à l’extrême
gauche. Ainsi, le Comité pour la libération immédiate de Messali Hadj* est
fondé en novembre 1954 et comprend Jean Cassou, Marceau Pivert et André
Breton. Le Comité de lutte contre la répression colonialiste est créé en
décembre 1954 par Daniel Guérin et des membres de Socialisme ou barbarie.
Le Comité pour la libération de Pierre Morain et pour la défense des libertés
démocratiques est fondé en août 1955 à la suite de l’arrestation du militant
anticolonialiste et notamment animé par Claude Bourdet* et le militant
libertaire Georges Fontenis.
C’est surtout à partir de l’automne 1955 que certains intellectuels se
regroupent, en particulier au sein du Comité d’action contre la poursuite de la
guerre en Afrique du Nord. Parmi eux figurent Claude Bourdet et François
Mauriac*, auteurs de deux articles publiés dans France Observateur et
L’Express en janvier 1955, dénonçant déjà la torture* en Algérie. Les
fondateurs de ce comité sont Robert Antelme, Dionys Mascolo, Louis-René
des Forêts et Edgar Morin*. Le 5 novembre 1955, ils organisent une réunion
à la salle des Horticulteurs à Paris au cours de laquelle ils prennent
l’engagement d’agir de toutes les manières possibles pour mettre fin à la
guerre. La liste des signataires est alors très importante. Le 27 janvier 1956,
un meeting à la salle Wagram du comité montre des positions plus radicales,
notamment d’André Mandouze* et de Jean-Paul Sartre*. Mais ce comité se
heurte rapidement à des dissensions internes entre pro- et anticommunistes
mais aussi entre pro-MNA* et pro-FLN*. Néanmoins, le comité intervient à
nouveau publiquement le 20 mars 1956 pour protester contre les pouvoirs
spéciaux* qui viennent d’être votés.
Quelques jours plus tard, le 28 mars, un groupe d’ethnologues – dont
Georges Balandier, Jean Dresch et Louis Massignon* – adresse au président
du Conseil une lettre ouverte préconisant des négociations* avec les leaders
des différents mouvements algériens. Le 6 avril, le pourtant très réfléchi
Henri-Irénée Marrou publie « France, ma patrie… » dans Le Monde*, où il
dénonce l’existence de « véritables laboratoires de torture » en Algérie. Peu
après, dans le même journal, les partisans de l’« Algérie française » se font
entendre avec un appel « pour le salut et le renouveau de l’Algérie française »
(21 avril) qui dénonce le rôle d’un « impérialisme théocratique, fanatique et
raciste » et ne voit d’autre issue « vers une voie humaine vers l’avenir » pour
l’Algérie que dans le cadre français. Cet appel est notamment signé par le
cardinal Saliège, Paul Rivet et Jacques Soustelle*. Ainsi, le débat sur
l’Algérie échappe au clivage gauche-droite, et montre également un clivage
générationnel. Le 23 mai, à nouveau, Le Monde publie un appel de
professeurs à la Sorbonne approuvant la politique gouvernementale et
désavouant par là même le texte de Marrou. Ce texte est signé par vingt-six
professeurs, dont Raymond Aron. À l’automne 1955 et au printemps 1956,
des pétitions sont aussi signées par le parti communiste et ses organisations
affiliées, en particulier pour protester contre les rappels et les maintiens des
soldats sous les drapeaux.
L’année 1957 est indubitablement celle de la torture et de sa
condamnation. Au début de l’année sort la brochure Des rappelés
témoignent…, du Comité de résistance spirituelle, portant une dénonciation
morale sans ambages de la guerre d’Algérie. Le 29 mars, le général de
Bollardière* apporte son soutien au journaliste Jean-Jacques Servan-
Schreiber* qui a servi sous ses ordres en publiant une lettre dans L’Express
dans laquelle il désapprouve nettement l’usage de la torture en soulignant
« l’effroyable danger qu’il y aurait […] de perdre les valeurs morales qui
seules ont fait jusqu’à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre
Armée ». Deux jours plus tard, deux appels sont également lancés par Lanza
Del Vasto, catholique et disciple de Gandhi, Bernard Gaschard et Pierre
Parodi « aux chefs religieux de l’Islam et aux chefs du FLN d’Algérie » et « à
la conscience des Français » à l’occasion d’un jeûne de vingt et un jours
qu’ils mènent pour protester contre la torture. La dimension morale de la
protestation contre la guerre d’Algérie est alors importante. Mais c’est surtout
avec le comité Maurice Audin*, faisant suite à la « disparition* » du jeune
mathématicien tué par les parachutistes*, qui comprend notamment Pierre
Vidal-Naquet*, Madeleine Rebérioux* et le mathématicien Laurent
Schwartz*, que la contestation morale de la guerre va s’exprimer. Ce comité,
fondé en novembre 1957, publie de nombreux textes dans les revues* semi-
clandestines Témoignages et documents (porté par le Centre d’information et
de coordination pour la défense des libertés et de la paix) et Vérité-Liberté
des textes dénonçant la torture et la « disparition » de Maurice Audin.
C’est également en 1957 que la campagne pour la libération des « soldats du
refus* » communistes commence. Le Secours populaire*, le PCF* et ses
différentes organisations (notamment de jeunesse) organisent des pétitions
pour la libération d’Alban Liechti*, premier « soldat du refus » emprisonné,
et de tous les autres. Néanmoins, l’action des militants fait face à des
difficultés dans les entreprises et l’espace public, des Français considérant
que le refus de porter les armes est une atteinte aux autres soldats.
Au moment des événements du 13 mai 1958*, un Comité national
universitaire de défense de la République est créé, notamment autour de
Laurent Schwartz, Paul Ricœur, Vladimir Jankélévitch et Maxime Rodinson.
Ils participent à la grande manifestation* républicaine du 28 mai, mais
l’affaire n’ira pas plus loin. Sous la Ve République*, Jean-François Sirinelli
dénombre pas moins de 67 textes sur le conflit algérien publiés dans Le
Monde : 62 sont publiés jusqu’en 1962, parmi lesquels seuls 11 sont
favorables à l’« Algérie française » et 7 à une indépendance immédiate. Tous
les autres poussent en faveur de l’ouverture de négociations* ou demandent
un apaisement de la situation. En effet, cette période est avant tout marquée
par la diffusion de manifestes très contradictoires qui rendent le débat très
électrique en 1960. De plus, avec la naissance de l’OAS* en 1961, la
situation devient de plus en plus tendue. Les comités changent de nature.
Certains sont favorables à l’« Algérie française ». C’est par exemple le cas du
Comité de Vincennes*, fondé en juin 1960, qui rassemble plus de
200 personnalités dont Georges Bidault et Jacques Soustelle, avant d’être
dissous en novembre 1961. D’autres s’opposent au contraire à l’OAS et
fondent par exemple un Front uni antifasciste (FUA) à la Sorbonne, qui
rassemble plusieurs milliers d’étudiants* et de lycéens, ou encore la Ligue
d’action pour le rassemblement antifasciste (Lara), qui rassemble 250
intellectuels et universitaires à partir du 14 novembre 1961, et qui devient
ensuite le Front d’action et de coordination des universitaires et des
intellectuels pour un rassemblement antifasciste (Facuira).
Tout cela montre une grande mobilisation des intellectuels dans le conflit
algérien. Il faut y ajouter toutes les pétitions qui ont pu être envoyées à la
présidence de la République et sur lesquelles des études seraient encore à
mener. Les cinq textes publiés en 1963 et 1964 dans Le Monde concernent
quant à eux les séquelles du conflit algérien, et demandent en particulier
l’amnistie* des personnes condamnées et emprisonnées.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007 • Jean-François
Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, Fayard, 1990 • Benjamin Stora,
La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte,
1992.
COMMANDOS
En Algérie, après le 1er Novembre*, pensant l’emporter par des
opérations de ratissage avec des formations classiques, la 10e RM ne juge pas
utile de créer des commandos de supplétifs*. Le 11e Choc n’est pas employé
pour encadrer des contre-maquis. Il est cantonné à des opérations dites
« spéciales », ponctuelles, comme l’exécution en 1956 de Mostefa Ben
Boulaïd*, un des fondateurs du FLN*. En revanche, devant le besoin en
unités mobiles, maîtrisant le combat d’infanterie contre un ennemi
insaisissable, l’armée recourt aux commandos marine. Ces derniers
s’adaptent, abandonnant les moyens amphibies d’Indochine* pour des
hélicoptères. L’armée de l’air*, qui n’avait pas combattu au sol sur ce
précédent théâtre, s’implique cette fois. En 1956, le général Jouhaud* crée
deux commandos « air » d’Afrique du Nord. En 1957, la mise sur pied de
deux autres commandos conduit à former le groupement des commandos
parachutistes* de l’air no 541 (GCPA 541) qui est renforcé en 1959 d’un
cinquième commando.
Des expériences sont aussi tentées. En 1956, le colonel Barberot*, ancien
de la France libre rappelé à sa demande, crée dans le Sud algérois des
commandos nomades, également appelés « commandos noirs* », en y
incorporant des rappelés volontaires. Pour Barberot, les unités ont trop peu de
contacts avec une population « musulmane » qu’il voit comme abandonnée
au FLN. Il croit pouvoir y remédier avec des formations légères, du niveau
groupe de combat (dix hommes environ), bien entraînées et équipées,
notamment en moyens radios. Vêtus de djellabas, les commandos noirs sont
accompagnés d’interprètes. Ils « nomadisent » sur de grandes distances, se
déplaçant la nuit, se camouflant et observant le jour. Se ravitaillant dans les
douars, ils obtiennent ainsi un complément de renseignements. L’expérience
tourne court, faute d’effectifs après la libération des rappelés. En 1956
également, la marine, présente sur la frontière algéro-marocaine, encourage à
partir du 80e GMPR la création d’une unité de contre-guérilla constituée de
volontaires musulmans, appelée commando « Yatagan ». Aux ordres d’un
officier* de la coloniale ayant combattu en Indochine à la tête de supplétifs, il
travaille principalement dans le secteur de Nemours au profit du 2e bureau*
de la DBFM. Après sa dissolution en 1959, ses missions sont reprises par le
commando « Tempête » qui conserve une organisation sensiblement
identique.
Le premier semestre 1959 voit la généralisation en Algérie d’un concept
devenu emblématique de ce conflit : le « commando de chasse ». Sa création
le 22 décembre 1958 par le général Challe*, nouveau commandant en chef,
s’inscrit dans un plan à l’échelle de la 10e RM. Il vise à débarrasser le
territoire de tous les maquis ALN* par une action offensive conduite d’est en
ouest agissant comme un rouleau compresseur. Essentiellement formés de
harkis*, même si certains incorporent des appelés du contingent, les
commandos de chasse doivent marquer l’ALN. Forts d’une centaine de
volontaires bien encadrés, puissamment armés et dotés de moyens radios
efficaces, ils doivent débusquer l’ennemi dans ses zones refuges et le harceler
jusqu’à sa destruction par les troupes du secteur ou de la réserve générale et
de l’aviation. Comme les commandos noirs auparavant, ils sont censés
recueillir des renseignements par l’observation et l’immersion locale. Ils
pratiquent également l’action psychologique dans les douars et le
harcèlement de l’ennemi par des embuscades* préparées après
reconnaissance du terrain.
Répondant à la volonté du commandement, toutes les armées mettent sur
pied des commandos de chasse, y compris la gendarmerie* qui, après avoir
manifesté de fortes réticences, en compte 7 au moment du cessez-le-feu.
Parmi ces nombreuses formations, le commando « Georges » – du nom du
lieutenant Georges Grillot qui le constitue en 1959 dans le secteur de Saïda –
acquiert une notoriété qui tient tant à ses résultats opérationnels qu’au
symbole politique qu’il représente. Avec 398 citations et plus de 1 000
combattants ennemis mis hors de combat, il compte dans ses rangs des
« ralliés » comme le lieutenant Youssef Ben Brahim qui occupe la fonction
d’adjoint. Il revendique également un projet pour l’« Algérie nouvelle » telle
que ses partisans la promeuvent, « Chasser la misère » étant la devise inscrite
sur son fanion.
Après 1962, seules la marine et l’armée de l’air conservent des
formations commandos. L’armée de terre*, qui n’en a pas l’utilité face au
pacte de Varsovie, institue néanmoins plus d’une dizaine de centres
d’entraînement commando en métropole et en Allemagne, où lors de stages
les unités acquièrent certaines technicités, développent leur rusticité et
renforcent leur cohésion. L’ALN créa elle aussi en 1956 une unité spéciale
forte d’une centaine de combattants aguerris et bien armés : le commando
« Ali Khodja* », du nom de son premier chef.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : René Bail, Hélicoptères et commandos-marine en Algérie, Panazol,
Lavauzelle, 1983 • Hocine Aït Idir, Commando Ali Khodja. Souvenirs d’un
combattant. Wilaya IV-zone I, Alger, Alger-Livres Éditions, 2011 • Pierre
Cerutti et Jean-Christophe Damaisin d’Arès, Commandos de chasse. Les têtes
chercheuses du général Challe, Sceaux, L’Esprit du livre, 2012.
COMMANDOS NOIRS
Les « commandos noirs » sont un dispositif imaginé par les colonels
Roger Barberot* et de Bollardière fin août 1956, un mois après* leur arrivée
en Algérie sur l’Atlas blidéen, après avoir constaté l’inanité des méthodes
répressives, notamment la torture*, les mauvais traitements, mais aussi
l’instruction du 27 avril 1956 obligeant à abattre « tout prisonnier* ou suspect
qui tente de s’enfuir », ce qui conduit à tuer de nombreux civils apeurés par
les soldats français. Le colonel Barberot propose alors de mettre en place des
patrouilles de huit hommes au maximum, nomadisant de nuit dans un large
rayon d’action pendant dix à quinze jours, et se camouflant le jour. Les
soldats devaient porter djellaba et turban, et apprendre à vivre avec la
population civile. Le colonel Barberot souligne que ces « commandos noirs »,
auxquels il a donné ce nom inapproprié car leur but n’était pas de détruire et
de tuer, sont involontairement proches du cadre établi par Mao Zedong pour
mener une guerre révolutionnaire*. Le succès des « commandos noirs » est
immédiat : l’expérience est au départ d’une centaine d’hommes, et les
volontaires deviennent de plus en plus nombreux. Le journaliste Jean-Jacques
Servan-Schreiber*, rappelé comme lieutenant, accepte lui-même d’y
participer. Deux brigades sont formées. D’après le général de Bollardière*,
elles ne déplorent que sept tués, alors que dans le même temps les attentats
deviennent de moins en moins nombreux. De ce fait, elles suscitent des
soutiens, de la part du directeur de la Sûreté nationale Jean Mairey*, du
général Manceaux-Demiau et même du gouverneur général Robert Lacoste*.
Mais ce n’est qu’en février 1957 qu’une première unité des « commandos
noirs » trouve une existence légale. En effet, au sein de l’armée, l’expérience
suscite aussi des oppositions. D’ailleurs, le général de Bollardière ne voit pas
une partie de ses effectifs renouvelés dès décembre 1956, et l’unité du
colonel Argoud*, aux méthodes expéditives, s’installe dans le secteur. La
situation empire et les attentats reprennent. Début mars 1957, le secrétaire
d’État aux Forces armées Max Lejeune rend visite au général de Bollardière
et désavoue ses méthodes de pacification* en les jugeant « indignes » de
l’armée. L’expérience des « commandos noirs » prend fin avec la
désobéissance du général de Bollardière, mais trouve un écho notamment
avec les articles de Jean-Jacques Servan-Schreiber dans L’Express, publiés
ensuite sous forme de livre.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Roger Barberot, Malaventure en Algérie avec le général Paris de
Bollardière, Plon, 1957 • Jacques de Bollardière, Bataille d’Alger, bataille de
l’homme, Desclée De Brouwer, 1972 • Jean-Jacques Servan-Schreiber,
Lieutenant en Algérie, Julliard, 1957.
COMMÉMORATIONS EN ALGÉRIE
Les Algériens n’ont pas attendu l’indépendance pour commémorer des
événements historiques. Le souvenir des massacres de mai 1945 fut rappelé
régulièrement par le PPA-MTLD* dans une cérémonie de recueillement
associé souvent à une journée de jeûne.
L’État algérien indépendant s’est doté d’un calendrier de
commémorations nationales. L’une des premières à être inscrite dans le
Journal officiel du 26 juillet 1963 est celle dite « de l’Indépendance et du
FLN* » fêtée chaque 5 juillet en référence à la prise d’Alger survenue en
1830. Sous son second mandat à la présidence, Bouteflika* procède par la loi
du 26 avril 2005 à une modification importante, annulant la référence au
FLN : le 5 juillet correspond désormais à la fête de l’Indépendance. Ce
changement qui survient alors que l’Algérie fête le 50e anniversaire du
déclenchement de la Guerre d’indépendance se fait sur fond de calculs en vue
de la révision de la Constitution de 1996 et de la suppression de l’article
limitant les mandats du président de la République.
Les cérémonies du 5 juillet 1963, premier anniversaire de l’indépendance,
ont été grandioses d’autant plus que Ben Bella* était absent au moment où le
peuple algérien la fêtait une année auparavant. Les réjouissances se déroulent
durant deux jours fériés consécutifs. Elles commencent le vendredi 5 juillet
1963 à minuit avec cent un coups de canons. Elles se poursuivent par un
imposant défilé « des forces de la révolution » qui démarre de la Maison du
peuple (siège de l’UGTA*, place du 1er-Mai) à la place des Martyrs où se
côtoient les bataillons de l’ANP*, les travailleurs, les anciens maquisards, les
scouts*, les femmes*. La tribune officielle dressée au pied de la Casbah
accueille Ben Bella et ses invités dont Che Guevara. Des défilés identiques
sont organisés également dans les grandes villes. C’est l’occasion aussi de
baptiser plusieurs rues d’Alger au nom des martyrs dont Maurice Audin* (ex-
place Maréchal-Lyautey) et maître Pierre Popie. Le soir, un feu d’artifice
illumine le ciel d’Alger. Le 5 juillet 1965, année du coup d’État de
Boumediene*, n’a pas été fêté. L’année suivante, avec l’organisation des
Algériades (spectacle sportif mobilisant la jeunesse algérienne), s’opère un
glissement et la presse* parle de fête de l’Indépendance et de la jeunesse
jusqu’à ce jour.
La date du 1er novembre 1954* est la seconde grande fête nationale. Elle
donne lieu au même cérémonial le 1er novembre 1963 à Alger et dans le reste
du pays. À cette occasion, Ben Bella se déplace à Constantine et préside au
déplacement de la dépouille de Didouche* Mourad, l’un des six fondateurs
du FLN, tué non loin de Constantine, pour être réinhumé au carré des martyrs
du cimetière d’El Alia, à Alger. Il assiste à un grand défilé marqué par la
parade des femmes maquisardes vêtues de pantalon, veste et casquette kaki,
marchant au pas et qui est longuement ovationné. Avant de partir, Ben Bella
se recueille sur la tombe de Abdelhamid Ben Badis*, père du réformisme
musulman.
Sous la présidence de Chadli Bendjedid, l’édification du Maqam El
Chahid – mémorial des martyrs inauguré en 1982 et situé sur les hauteurs
d’Alger – instaure un nouveau protocole aux cérémonies nationales.
Désormais, les principales commémorations (5 juillet 1962* et 1er novembre
1954) se déroulent au Maqam El Chahid, abandonnant le recueillement au
carré des martyrs au cimetière d’El Alia.
En raison des événements d’octobre 1988, la cérémonie du 1er novembre
est annulée cette année-là. L’année suivante, les défilés grandioses
disparaissent aussi bien pour le 1er novembre que pour le 5 juillet.
Le calendrier des commémorations nationales inscrit deux autres
célébrations importantes : la date du 20 août qui couvre à la fois
l’insurrection du 20 août 1955* lancée par Zighoud* Youcef, chef de la Zone
2, et la tenue du congrès de la Soummam* l’année suivante. Elles sont
particulièrement importantes à Skikda (ex-Philippeville), lors du 8e
anniversaire, le 20 août 1963 et à Ifri-Ouzellaguen pour le 7e anniversaire du
congrès de la Soummam.
Mais lors du second congrès de l’Organisation nationale des
moudjahidines (ONM) tenu le 13 mai 1965, la double date du 20 août est
consacrée journée du moudjahid*. La nouvelle désignation s’inscrit dans la
logique de la captation du pouvoir par l’aile militaire, prenant de la distance à
la fois avec l’insurrection populaire du Nord- Constantinois et les principes
adoptés au congrès de la Soummam (enterrés en fait depuis le CNRA* de
1957). Mais en réalité, les deux dates sont célébrées concurremment en
particulier à Skikda et à Ifri-Ouzellaguen, par les moudjahidines et les
associations.
Une dernière date, celle de la conclusion des accords d’Évian*, complète
quoique tardivement ce calendrier des commémorations nationales. Oubliée
par Boumediene par hostilité au GPRA*, la date du cessez-le-feu est
consacrée fête de la Victoire par un décret du 22 juin 1993, sous le
gouvernement de Bélaïd Abdesselam.
Ces fêtes nationales sont complétées par une série de journées
correspondant à des événements mémorables telles celle de l’émigration*
algérienne, en référence aux manifestations du 17 octobre 1961* à Paris, celle
de l’étudiant en souvenir de la grève* du 19 mai 1956, celle du 11 décembre
1960* pour les manifestations populaires, celle du chahid* (martyr) le
18 février (en référence à la création de l’Organisation spéciale* lors du
premier congrès du PPA réuni le 15 février à Alger).
Parallèlement à ces fêtes officielles viennent se superposer d’autres
commémorations tout aussi importantes les unes que les autres, mais qui
restent circonscrites à l’échelle locale. Elles surviennent durant la présidence
de Chadli Bendjedid qui, à la veille des fêtes de novembre 1984, procède à la
réhabilitation de plusieurs martyrs et personnalités éliminées à l’exemple
d’Abane* Ramdane, Krim* Belkacem, le colonel Lamouri*… que l’histoire
officielle a complètement occultés.
Les manifestations d’octobre 1988 accélèrent ce mouvement
« d’ouverture » par la promulgation de la loi du 4 décembre 1990 autorisant
la création des associations, d’où leur floraison à compter de cette date.
Parrainées par des partis politiques, des anciens moudjahidines et des jeunes
se déclarant autonomes, elles manifestent un réel désir de mémoire pour
entretenir le souvenir de certains héros de la révolution, faire connaître des
événements particuliers (liquidations internes, batailles*, embuscades*, etc.).
Le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes. On assiste par
l’entremise des associations à une concurrence entre les régions, chacune se
préoccupant de glorifier un héros ou un événement marquant. La parole des
témoins s’impose comme gage de véracité et la mémoire sollicitée a
posteriori supplante le discours critique de l’historien. Il en résulte selon les
termes utilisés par Fouad Soufi « un émiettement de l’histoire tant dans le
temps que dans l’espace », sans compter les contradictions, les confusions et
les interprétations erronées au gré des idéologies partisanes.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Journal officiel de l’Algérie • Naoufel Brahimi El Mili, France-
Algérie. 50 ans d’histoires secrètes, t. I, Fayard, 2017.
COMMÉMORATIONS FRANÇAISES
En France, la commémoration est conflictuelle car elle se présente
comme une occasion de rejouer symboliquement le conflit. Les pouvoirs
publics ont longtemps refusé de reconnaître la guerre et n’y ont procédé
qu’en 1999, avec une loi résultant d’un long combat mené en ce sens par les
associations d’anciens combattants*. Ceux qui n’ont pas accepté
l’indépendance, de leur côté, ont constamment cherché à en obtenir un
désaveu a posteriori. Objet d’âpres luttes politiques, la commémoration se
présente comme éclatée dans l’agenda officiel et dans l’espace de la nation,
en fonction des rapports de force entre les pouvoirs publics sollicités et les
demandeurs de gestes commémoratifs.
La liste des cérémonies patriotiques françaises comprend trois dates
relatives à la Guerre d’indépendance algérienne, dont deux instituées en
2003, pendant le septennat de Jacques Chirac*. Le 25 septembre est devenu
« journée nationale d’hommage aux harkis* et autres membres des
formations supplétives ». Cette date se réfère à l’inauguration, en 2001, d’une
plaque dans la cour des Invalides leur rendant hommage. Puis, le 5 décembre
a été érigé en « journée d’hommage aux “morts pour la France” pendant la
guerre d’Algérie, les combats du Maroc* et de la Tunisie* ». Cette date ne
correspond à aucun événement de la guerre mais à l’inauguration du
monument du quai Branly en 2002. Officiellement « Mémorial national* de
la guerre d’Algérie et des combats de Maroc et de la Tunisie », ce monument
aux morts* rend hommage, à l’origine, aux combattants, soldats et harkis.
Cette date incongrue car dépourvue de signification historique résulte d’un
choix par défaut. Celle du cessez-le-feu, le 19 mars 1962*, était trop
polémique. Une loi du 6 décembre 2012 l’a cependant également instituée
comme date commémorative, après plusieurs années d’atermoiements que
seule la victoire de la gauche aux présidentielles, en 2012, a permis
d’enrayer.
L’éclatement des commémorations dans l’espace de la nation résulte de
l’activité des municipalités en la matière. Leur rôle s’explique par la marge
de manœuvre que confère l’exercice de responsabilités locales à des partis
accédant peu au pouvoir à l’échelle nationale. Ainsi les mairies communistes
de l’ancienne « banlieue rouge », en région parisienne, ont de longue date
organisé des commémorations en partenariat avec la Fnaca, cette association
d’anciens combattants ancrée à gauche. Elles ont en particulier longtemps
entretenu le souvenir de Charonne*, le 8 février 1962. Elles se sont
également investies dans la commémoration du 17 octobre 1961*, tout
particulièrement en 2011. La ville de Nanterre s’est alors distinguée.
Objets de recherche de mémoires de master ou d’articles, principalement
abordées à travers des exemples, les politiques locales de commémoration
gagneraient à être analysées de façon globale. Témoignant de dynamiques
échappant au pouvoir central, elles sont hautement significatives de la
présence de ce passé dans la société française. Y jouent un rôle fondamental
les associations œuvrant auprès d’élus sensibles à leurs demandes parce
qu’elles rejoignent leur parti pris politique mais également parce qu’elles sont
sources de voix. Cette configuration est manifeste dans le sud-est de la
France. À Marignane, au début des années 2000, l’érection d’une stèle en
hommage au combat pour l’Algérie française à travers la mémoire de l’OAS*
a provoqué une véritable bataille. Cette cause portée par l’Adimad, une
association de défense des partisans de l’Algérie française dont l’origine
remonte à la fin des années 1960, est combattue par l’Anpromevo, une
association de défense de la mémoire des victimes de l’OAS, animée par
Jean-François Gavoury, fils de Roger Gavoury*, un commissaire assassiné à
Alger en 1961. À ses côtés : Jean-Philippe Ould Aoudia au nom de
l’Association des amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun* et de leurs
compagnons, ces six inspecteurs des centres sociaux éducatifs* (CSE)tués en
1962. La stèle finalement érigée offre aujourd’hui aux élus locaux du
Rassemblement national des lieux de cérémonies, comme Stéphane Ravier en
2015. À Paris, la pose d’une plaque rappelant le 17 octobre 1961 au pont
Saint-Michel, en 2001, témoigne aussi des transactions entre geste
commémoratif et préoccupations électorales car elle avait été promise par
Bertrand Delanoë pendant sa campagne. Aujourd’hui, l’Association Maurice
Audin*, ce disparu de la « bataille d’Alger* », longtemps présidée par un ex-
conseiller municipal de Paris, Pierre Mansat, demeure très active. Après
l’inauguration d’une place Audin dans la capitale, en 2004, elle a notamment
fait installer en 2019 un cénotaphe au Père-Lachaise, devenu un lieu de
cérémonie à la date du 11 juin, jour de l’arrestation d’Audin à Alger. Depuis
le décès de Josette Audin*, en 2019, le nom de cette dernière s’ajoute à celui
de son mari dans les commémorations.
Ainsi, si le choix des dates commémoratives est fixé, la dispute demeure
sur la création de lieux potentiels de cérémonies et les noms qui y sont
attachés. Les victimes à commémorer font débat. L’exemple du monument du
quai Branly en témoigne parfaitement. Conçu en hommage aux « morts pour
la France », il a été étendu en 2010, par le gouvernement Fillon, aux morts de
la manifestation de la rue d’Isly*, cette manifestation répondant à l’appel de
l’OAS, le 26 mars 1962. Ainsi le mémorial a été modifié sous la pression
d’associations favorables à l’Algérie française, infléchissant la signification
du monument.
Si elle résulte du fait que ce passé est un enjeu fort de batailles politiques,
tant à l’échelon national qu’à l’échelon local, la conflictualité des
commémorations tient aussi à des contraintes historiques objectives. En
premier lieu, cette guerre est une défaite française, politique mais également
concrète, sur le terrain. La lutte pour l’indépendance, en effet, ne se jouait pas
seulement dans les maquis et jamais les réseaux du FLN* n’ont été anéantis
durablement. Les camps et les prisons* voyaient s’entasser sans fin les
partisans de l’indépendance arrêtés et enfermés. Commémorer une défaite
paraît paradoxal mais la République ne peut ignorer les anciens combattants
qu’elle a engagés dans le conflit. De ce fait, l’exercice commémoratif est
complexe. Loin de toute glorification, il se fixe a minima sur l’hommage
envers les victimes. En deuxième lieu, la conflictualité de la commémoration
s’explique par l’absence de consensus sur la colonisation alors que les débats
sur la guerre conduisent inévitablement à discuter celle-ci, qui n’a jamais fait
l’objet d’un consensus dans la classe politique française.
Force est de constater, pour finir, que les commémorations françaises
développées en interne ignorent le partage de ce passé avec l’Algérie où,
depuis 1962, les dirigeants politiques ont usé du passé à des fins de
légitimation ; et ce, particulièrement dans des moments de crise ou de
contestation. Au-delà du pouvoir et de ses usages, la condamnation de la
colonisation l’emporte dans la société algérienne. Prendre en compte la
dimension bilatérale crée une difficulté supplémentaire pour la
commémoration : d’évidence, la condamnation de la colonisation, risquée en
France, est indispensable dans le contexte bilatéral. De fait, à l’heure actuelle,
chacun des deux pays a développé des rapports au passé et des
commémorations spécifiques.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?,
Seuil, 2005 • Sylvie Thénault, « La guerre d’indépendance algérienne.
Mémoires françaises », Historiens et géographes, no 425, 2014.
COMMISSION DE SAUVEGARDE
DES DROITS
ET LIBERTÉS INDIVIDUELS
Cette commission a connu deux périodes d’existence qui, tout en
présentant des continuités, se distinguent suffisamment pour qu’il soit permis
de parler d’une première et d’une seconde commission.
Elle est instituée pour la première fois en 1957, par un gouvernement
Mollet* acculé face au scandale qui a gagné la grande presse* métropolitaine
et les milieux politiques français – jusqu’à l’intérieur de la SFIO* à laquelle
Mollet appartient – sans compter l’ONU*, à l’échelle internationale. Avec le
début de ce qui est nommé la « bataille d’Alger* », lorsque Massu* obtient
les pouvoirs de police* dans la ville, les violences de l’armée ont en effet
gagné en visibilité et suscité un enchaînement d’affaires. Dans ce contexte,
l’annonce officielle de la création de la Commission, le 10 mai 1957, relève,
selon Raphaëlle Branche, d’une « opération de communication » en vue de
« calmer les esprits et les oppositions ». Sous la présidence de Pierre Béteille,
conseiller à la chambre de la Cour de cassation, elle se compose de
personnalités choisies pour leur stature morale et/ou l’exercice de professions
propres à en faire des spécialistes des questions soulevées par les atteintes
aux droits de l’homme en Algérie : avocat (Maurice Garçon), médecin
(Charles Richet), universitaire (Pierre Daure), haut fonctionnaire colonial
(Robert Delavignette*), militaire (le général Zeller)… Tous prennent leur
mission au sérieux et se lancent dans des enquêtes dont les conclusions
divergent selon leur rapport à la nation : si certains pensent devoir dénoncer
les atteintes aux droits de l’homme pour sauver l’honneur de la France,
d’autres veulent au contraire en préserver la réputation et préconisent d’agir
sans publicité, par des sanctions au sein de l’armée, par exemple. Tous n’en
dressent pas moins un constat susceptible d’alimenter le scandale. Pour cette
raison, le rapport de synthèse rendu par Béteille au gouvernement demeure
confidentiel, en dépit de la démission de Maurice Garçon et de Robert
Delavignette, partisans d’un débat public. Le 14 décembre 1957, le rapport de
synthèse est publié par Le Monde*. Outre qu’il détaille des affaires et cite des
documents officiels, le rapport identifie quatre questions majeures : la
torture*, l’arbitraire des décisions d’internement, les conditions inhumaines
faites aux internés dans les camps, les disparitions*. La publication n’a pas
d’autre effet que de nouvelles annonces mensongères, assurant que les faits
prouvés ont été sanctionnés.
En 1958, de Gaulle* la réactive. Il désigne à sa tête le président de la
chambre criminelle de la Cour de cassation, Maurice Patin*, un de ses
fidèles. Les deux hommes ont étudié ensemble les recours en grâce de
collaborateurs condamnés à mort à la Libération. Cette commission n’est pas
plus efficace que la première. Et pour cause : elle n’a pas plus de moyens ni
de pouvoirs pour enquêter. Trois traits la distinguent cependant de la
précédente. Outre qu’elle gagne en visibilité, elle est doublée par des organes
d’inspection chargés des camps d’internement* : la commission de
vérification des mesures de sécurité publique pour la métropole ; l’Inspection
générale des centres d’internement (IGCI) devenue Commission d’inspection
des centres de détention administrative (CICDA) en Algérie. Enfin, Maurice
Patin s’implique dans les réformes de la justice militaire, censées avoir un
effet mécanique sur la torture et les exécutions sommaires*. Dans la mesure
où le commandement les présente comme constitutives d’une « justice
parallèle » palliant les carences de la justice de l’État, les réformes visent à
rendre celle-ci plus rapide et plus sévère dans la répression du nationalisme*.
Bien que Patin s’attache à protéger de Gaulle, six membres de cette seconde
commission démissionnent en 1961-1962. Ils ne font pas scandale,
cependant. L’heure est désormais aux négociations* en vue de sortir de la
guerre.
De cette expérience peut être tirée une leçon : en matière d’atteinte aux
droits de l’homme, rien ne remplace l’action de la justice. Seuls les
magistrats* disposent des moyens et des pouvoirs indispensables à la
manifestation de la vérité : moyens scientifiques d’investigation, pouvoir de
convoquer les témoins, d’ordonner des perquisitions… L’existence de la
Commission de sauvegarde a cependant permis de constituer un corpus de
première importance pour documenter les atteintes aux droits de l’homme
pendant la guerre grâce aux lettres qu’elle a reçues, aux documents qu’elle a
collectés, aux rapports qu’elle a produits. Ses archives* sont à ce titre
précieuses.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, « La commission de sauvegarde pendant la guerre
d’Algérie : chronique d’un échec annoncé », Vingtième Siècle, vol. 61, no 1,
1999 • —, « La seconde commission de sauvegarde des droits et libertés
individuels », Histoire de la justice, vol. 16, no 1, 2005 • Sylvie Thénault,
Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La
Découverte, 2001.
COMMISSION INTERNATIONALE
CONTRE LE RÉGIME CONCENTRATIONNAIRE
Au moment où la guerre est déclenchée en Algérie, la question des camps
vient de faire polémique en France. Après avoir publié L’Univers
concentrationnaire, en 1946, David Rousset, un militant d’obédience
trotskiste*, déporté à Buchenwald, a dénoncé les camps soviétiques.
Vilipendé par les communistes, il a intenté un procès dont les audiences ont
duré jusqu’en 1951. Il participe également à la fondation de la Commission
internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC). En 1957, lorsque
la critique des méthodes françaises gagne en puissance à Paris, des
associations de déportés sollicitent le gouvernement Mollet* pour envoyer
sur place une délégation. Trois de ses membres (Georges André, Lise
Borsum, Cornelis Van Rij) partent, accompagnés de deux anciens résistants
et déportés : Louis Martin-Chauffier et Germaine Tillion*. Ils visitent des
prisons* et des camps d’internement*, subodorent l’existence de lieux de
détention secrets, rencontrent maints responsables civils et militaires. Aussi
leur rapport, publié en partie, notamment par Le Monde*, le 27 juillet 1957,
est une source précieuse. S’y ajoute le témoignage* de Martin-Chauffier,
dont le Journal en marge d’une enquête paraît dans la revue de la CICRC
(Saturne, août-septembre 1957).
Tout en écrivant qu’ils n’avaient pas à chercher « si, en Algérie,
existaient tous les critères d’un système concentrationnaire », les délégués
concluent qu’il n’en existe pas « au sens propre du terme ». Ils étudient trois
critères : « arrestation arbitraire sans possibilité de défense », « travail forcé
au bénéfice de l’État », « climat de déshumanisation ». Pour eux, le premier
est indiscutablement rempli, le deuxième peut être écarté. Ils sont moins
affirmatifs sur le troisième ; étaient-ils divisés ? Prenant le pire en référence,
ils écrivent en effet que la mortalité dans les camps d’Algérie n’a rien à voir
avec celle des camps de concentration. Pour autant, le traitement des internés
est-il humain ? Ils recourent à une litote révélatrice d’une gêne à cet égard :
« Les conditions de détention ne sont pas inhumaines. » Ils abordent ainsi des
débats restés cruciaux dans l’épistémologie des camps, relatifs à leur
définition, leur typologie et leur commensurabilité ; des débats qui lient, dans
l’historiographie, Seconde Guerre mondiale et Guerre d’indépendance
algérienne.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Émile Copfermann, David Rousset. Une vie dans le siècle. Fragments
d’autobiographie, Plon, 1991 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les
magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.
COMPAGNIES SAHARIENNES
Les compagnies sahariennes motorisées implantées au Sahara algérien en
1954 remplissent les mêmes missions que leurs aînées, les quatre compagnies
méharistes (Tidikelt, Touat, Gouraga et Colomb-Béchar). Les huit unités
(dont trois appartenant à la Légion étrangère*) sont réparties dans les
principaux centres de population et rayonnent dans les secteurs qui leur sont
dévolus. La compagnie saharienne portée des Oasis créée en 1947 est
installée à Ouargla tandis que celle du Tessalit, née en 1943, tient garnison à
Fort Polignac pour surveiller la frontière libyenne et le plateau de Tassili
n’Ajjer (120 000 km2). Celles de l’Erg oriental, du Touat (Adrar), de la
Zousfana (Colomb-Béchar) couvrent le reste du territoire désertique. Les trois
compagnies sahariennes portées de légion (CSPLE) patrouillent dans les
anciens secteurs des compagnies portées des 1er et 2e régiments étrangers
d’infanterie dont ils sont issus : la 1re CSPLE à partir du Ksar El Hirane au
carrefour de l’Atlas et du désert, la 2e compagnie à Ouargla puis à Laghouat ;
la 3e au Fort Leclerc surveille le Fezzan jusqu’en 1956.
L’État-major interarmées (EMI) met sur pied de nouvelles compagnies en
1956, afin de renforcer la surveillance des frontières, de lutter contre la
contrebande à partir de la Libye ou du sud du Maroc*, et de poursuivre les
bandes notamment dans les Ksour et le djebel Amour. Entre 1956 et 1959,
onze formations nouvelles viennent renforcer le dispositif et participer au
quadrillage : à Fort Flatters, Ouargla et In Salah (compagnie de la Tinghert),
Géryville et El Abiod (compagnie du djebel Amour), Touggourt (compagnie
de l’oued R’Hir), Hassi Messaoud (2e et 3e groupements de l’Erg oriental,
lourdement armés et très mobiles), Aïn Sefra et Colomb-Béchar (4e CSPLE),
dans la région de Tindouf à l’ouest (11e, 12e et 13e compagnies sahariennes
portées d’infanterie de marine). De plus, la mise en service des gisements de
pétrole* et de gaz impose des servitudes aux unités qui doivent se redéployer
à l’est du Sahara. Trois groupes mobiles de sécurité assimilés aux
compagnies sahariennes, lourdement armés et motorisés, ont pour missions
principales de sécuriser les routes, d’assurer la protection des installations et
la surveillance du gazoduc H’Rmel-Arzew et des oléoducs reliant Hassi
Messaoud aux ports de Bougie et La Skhira au sud de Sfax (Tunisie*). La
plupart de ces compagnies sahariennes ont été redéployées et maintenues
dans la région jusqu’à l’évacuation des bases Hammaguir et Mers El Kébir-
Bousfer en 1967.
André-Paul COMOR
CONDAMNATIONS À MORT
En Algérie, les TPFA (tribunaux permanents des forces armées) ont
condamné à mort environ 1 500 indépendantistes, dont 198 ont été exécutés ;
aucune femme, sur les 6 condamnées, n’a été guillotinée. La peine frappe en
général un instigateur, complice ou exécutant d’attentat, jeune (moins de
30 ans), « musulman » dans la taxonomie coloniale et sans qualification. Le
nombre de peines en métropole, où Marc André dénombre 24 exécutions,
reste inconnu.
Les magistrats* et les militaires des TPFA prononcent la peine capitale
chaque fois que possible car, suivie d’exécution, elle est la seule irréversible.
Ayant 1945 en tête (des insurgés condamnés ont été amnistiés), ils savent que
les peines de prison* seront annulées à la fin du conflit ; évidente en cas
d’indépendance, l’hypothèse était aussi valable dans le cas contraire, pour
clore la crise traversée.
Le droit de grâce, régalien, appartient au chef de l’État, après avis de
nombreux acteurs (magistrats, responsables militaires et politiques). La
focalisation sur François Mitterrand*, ministre de la Justice lors des
premières exécutions, en juin 1956, masque une règle fondamentale : les
présidents se décident en fonction du contexte. Souvenirs les plus
traumatisants des ex-détenus, les exécutions ensanglantent les cours des
prisons quand le conflit s’intensifie. Pour les autorités, en effet, un tel
contexte requiert l’intransigeance. Ainsi près de la moitié (91) des exécutions
ont lieu en 1957, en Algérie. Au contraire, en janvier 1959, de Gaulle*
marque son accès à la présidence d’une grâce collective. Puis, après une
reprise, il cesse toute exécution sous la pression du GPRA* une fois les
négociations* entamées. Les derniers guillotinés l’ont été en décembre 1960
en Algérie, en janvier 1961 en métropole. Après eux, l’histoire continue avec
la répression des partisans de l’Algérie française, dont quatre ont été
exécutés.
Comme les autres, cette guerre démontre que la peine de mort a d’abord
été, en France, au XXe siècle, une peine d’usage politique. Il est crucial
d’éclairer ainsi le débat public sur cette sentence ; raisonner sur le seul droit
commun est inapproprié.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Marc André, « Requérir la peine de mort. Les magistrats militaires
entre la France et l’Algérie durant la guerre d’indépendance algérienne »,
20 & 21. Revue d’histoire, vol. 142, no 2, 2019 • François Malye et Benjamin
Stora, François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Calmann-Lévy, 2010 •
Sylvie Thénault, « La justice dans la guerre d’Algérie », in Mohammed Harbi
et Benjamin Stora (dir.), La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de
l’amnésie, Robert Laffont, 2004.
CONFÉDÉRATION FRANÇAISE
DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS
(CFTC)
La Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), qui se veut
apolitique, condamne dans son organe Syndicalisme le recours à la violence
de l’insurrection algérienne le 1er novembre 1954*. Elle dénonce les
disparités économiques et sociales en Algérie mais n’évoque pas les causes
coloniales. Cet exercice difficile perdure lors du vote des pouvoirs spéciaux*
en 1956, en justifiant l’envoi de soldats tout en demandant d’urgentes
mesures sociales. Le syndicat chrétien craint l’éclatement de son union
régionale d’Algérie, où une minorité de cadres, incarnée par Alexandre
Chaulet (père du Dr Pierre Chaulet* qui rejoint le FLN* à Tunis), prône le
dialogue avec les belligérants. Mais la grande majorité, pour l’essentiel
Européens, « cols blancs » et fonctionnaires, est pour le statu quo. La
direction nationale évite au moins jusqu’en 1957 de relever les dérives
racistes et violentes. Cette position ambiguë n’empêche pas les plus
importantes fédérations d’Algérie (Postes, Cheminots*, Contributions) de se
prononcer pour la défense de l’Algérie française au congrès de l’union
régionale de 1959. Mais à Paris, le groupe Reconstruction parle du fait
national algérien et établit des contacts avec Safi Boudissa et d’autres
syndicalistes de l’Association générale des travailleurs algériens (AGTA),
émanation en France de l’Union générale des travailleurs algériens* (UGTA).
L’influence grandissante du groupe Reconstruction pousse à la clarification.
La radicalisation des tenants de l’Algérie française durant la semaine des
barricades*, fin janvier 1960, incite la centrale à participer à la grève* du
1er février en proclamant le droit des Algériens à l’autodétermination. Sous
l’impulsion de l’Unef*, la CFTC réclame l’ouverture de négociations* lors de
rencontres avec les syndicats algériens à Genève en février 1961, mot d’ordre
réitéré au moment du « putsch* des généraux ». La guerre d’Algérie accélère
ainsi la crise de la CFTC dont les éléments les plus critiques face à la guerre
coloniale sont aussi les plus déterminés à changer de modèle syndical, en
créant en 1964 la Confédération française démocratique du travail (CFDT).
Anissa BOUAYED
Bibl. : Michel Branciard, Un syndicat dans la guerre d’Algérie, Syros, 1984
• René Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux et question nationale.
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, L’Atelier, 2006 • André
Nozière, Algérie : les chrétiens dans la guerre, Cana, 1979.
CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE
DU TRAVAIL (CGT)
En 1954, la Confédération générale du travail (CGT) a déjà une longue
histoire avec l’Algérie et la question coloniale : tradition d’internationalisme
ouvrier, implantation en Algérie et forte présence de travailleurs algériens
dans ses organisations en métropole. Elle a déjà montré sa solidarité active
avec la lutte pour l’indépendance du peuple vietnamien. Malgré tout, face à la
décolonisation, la position et l’action de la CGT ne sont ni faciles ni linéaires.
En Algérie, la CGT attire massivement les travailleurs algériens par son
action anticoloniale, même si certains de ses militants européens sensibles
aux avantages coloniaux font preuve de paternalisme. En situation coloniale,
l’inégalité de statut entre Européens et Algériens pèse sur l’action syndicale.
Après 1945, ouvriers agricoles, mineurs et dockers* algériens mènent des
actions revendicatives exemplaires dans un climat répressif. Considérant la
spécificité coloniale mais sans rompre avec la Confédération, la CGT crée fin
1946 le Comité de coordination des syndicats confédérés d’Algérie (CCSA).
En 1950, il comprend plus de la moitié d’Algériens. L’évolution se confirme
avec l’arrivée de Lakhdar Kaïdi à la tête du syndicat devenu Union générale
des syndicats d’Algérie (UGSA-CGT), directement affilié à la Fédération
syndicale mondiale (FSM). Cette « algérianisation » fait perdre à l’UGSA la
moitié de ses adhérents européens en moins de quatre ans, mais est une école
de formation pour les militants algériens dont une partie est aussi active dans
le mouvement national. La centrale cégétiste est affaiblie par la création de
l’Union générale des travailleurs algériens* (UGTA), sur instance du FLN*
en février 1956, en rivalité avec l’Union des syndicats des travailleurs
algériens* (USTA) messaliste fondée une semaine avant. La volonté d’être la
seule force dirigeante conduit les nationalistes du FLN à sortir de l’UGSA-
CGT dont la proposition de fusion est rejetée par l’UGTA. Kaïdi entre alors
dans le combat clandestin et appelle à rejoindre le FLN. L’UGSA exsangue
disparaît.
En France, la CGT reste le syndicat le plus puissant, même si elle perd de
l’audience notamment depuis la scission de 1947. Elle réagit au 1er novembre
1954* en mettant en avant la gravité des problèmes sociaux inhérents « au
régime colonial qui sévit en Algérie » et renouvelle « sa solidarité avec les
aspirations nationales du peuple algérien », ce qui constitue un discours peu
conforme à l’idée dominante qui voit l’Algérie comme trois départements
français. La CGT est souvent à l’offensive dans des actions politiques comme
le soutien aux mouvements des rappelés en 1955, symbole selon elle d’une
union en germe autour des soldats. Elle est présente dans les comités
d’information par la voix de ses secrétaires généraux Le Léap et Frachon.
Mais en mars 1956, cette dynamique contre la guerre est affaiblie par le vote
des pouvoirs spéciaux* à une écrasante majorité, y compris le PCF*. La
proximité de la CGT avec le PCF l’isole encore après l’intervention
soviétique en Hongrie* fin 1956. Pèse aussi la lutte pour le leadership entre
FLN et MNA* qui fait des victimes chez les travailleurs algériens. En outre,
dès 1956, les partisans de Messali* quittent la CGT pour l’USTA tandis que
l’UGTA, de façon stratégique, crée en 1957 une amicale des travailleurs
algériens (AGTA) pour laisser les émigrés s’organiser dans les syndicats des
confédérations. Devant le reflux des actions contre la guerre, la CGT prône
l’ouverture de négociations*, avance le mot d’ordre de « Paix en Algérie »
dans les manifestations* sans arriver à rassembler, ce qui provoque les
critiques du FLN. La campagne autour des soldats qui refusent de partir en
Algérie, venus comme Alban Liechti* des rangs communistes et cégétistes,
manque de puissance.
La CGT ne sort de son isolement qu’au moment des grandes
manifestations républicaines contre les menées factieuses des ultras de
l’Algérie française. Elle recherche un impossible front syndical.
En février 1961, à Genève, les syndicats français désunis rencontrent
séparément l’UGTA pour appeler de Gaulle* à négocier. Même après le
17 octobre 1961*, les syndicats condamnent séparément la féroce répression
des manifestants algériens. En réaction aux attentats de l’OAS*, la CGT et
plusieurs syndicats appellent à une manifestation contre le danger fasciste.
Les violences policières s’abattent sur les manifestants, faisant neuf morts
dans les rangs cégétistes, le 9 février 1962 au métro Charonne*. Pour la
première fois tous les syndicats appellent en commun à une grève* et au
grand cortège du 13 février en hommage aux victimes de Charonne,
surmontant les clivages et clarifiant la volonté d’en finir avec la guerre.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Nora Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question
nationale. 1919-1954, thèse de doctorat d’État, OPU, 2005 • Anissa Bouayed,
« La CGT et la guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle sous la dir. de
J. Couland, Paris-7, 1985 • René Gallissot (dir.), Algérie : engagements
sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du mouvement
ouvrier, L’Atelier, 2006.
CONFÉRENCES AFRICAINES
Dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, la contestation de la
domination coloniale s’accélère à l’échelle du continent africain. Deux
facteurs supplémentaires encouragent les nationalistes africains à revendiquer
l’émancipation de leurs pays et à œuvrer pour l’unité du continent : ce sont
d’une part le courant panafricaniste et d’autre part la conférence afro-
asiatique de Bandoeng* (avril 1955).
Ces deux idées-forces créent une dynamique en Afrique à l’heure de la
décolonisation et donnent lieu à de nombreuses conférences tenues à l’échelle
du continent africain.
Pour l’Algérie, la participation à ces rencontres s’avère une bonne
opportunité à saisir pour exposer le problème algérien et obtenir le soutien
d’appuis extérieurs. Outre les conférences maghrébines* de Tanger (27-
30 avril 1958) et de Tunis (16-20 juin 1958), les conférences africaines
comprennent deux ensembles : celles des États africains à Accra*
(avril 1958), Monrovia (août 1959) et Casablanca (janvier 1961) ; celles des
peuples africains (ou conférences panafricaines des peuples) dont la première
se tient à Accra en décembre 1958, la seconde à Tunis en janvier 1960 et la
troisième au Caire en mars 1961.
La première conférence des États africains est organisée à l’initiative de
Nkrumah, premier président du Ghana, à Accra du 15 au 22 avril 1958.
Même si elle ne réunit que huit États, cette conférence reste une date
symbolique pour l’Afrique qui fait du droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes et de l’unité de l’Afrique un leitmotiv incontournable. À la deuxième
Conférence des États africains, qui s’est tenue à Monrovia en août 1959, la
délégation du GPRA* dirigée par M’hamed Yazid, ministre de l’Information,
concentre tous ses efforts pour obtenir la reconnaissance du GPRA par les
nouveaux pays africains indépendants (à cette date, il n’est reconnu que par le
Ghana et la Guinée). Elle obtient de siéger à part entière et le drapeau*
algérien flotte dans le ciel du Liberia. Cette reconnaissance de la légitimité de
la lutte du FLN* pour l’indépendance de l’Algérie se concrétise à la fin de
l’année par l’envoi de missions diplomatiques en Guinée et au Ghana. Par la
suite, l’Algérie siège en tant que membre, comme c’est le cas lors de la
troisième conférence, à Casablanca (4-7 janvier 1961), réunie par le sultan
Mohammed V, en présence de Gamal Abdel Nasser, Nkrumah, Modibo
Keita, Sékou Touré, le représentant du roi Idris de Libye et Ferhat Abbas*.
L’idée de l’édification d’une fédération africaine est défendue avec passion
par Nkrumah dont le pays est déjà uni à la Guinée et au Mali. L’adoption
d’une charte africaine donne lieu à la création du groupe de Casablanca
déterminé à suivre les résolutions des conférences d’Accra (avril et
décembre 1958), de Bandoeng (1955) et de la Charte des Nations unies*.
Dans la pratique, les desseins du groupe de Casablanca, qualifiés de
révolutionnaires, se heurtent à ceux du groupe informel de Monrovia des
États de l’Afrique subsaharienne francophone (né en mai 1961), plus
« réformiste » et plus réservé par rapport à l’idée de se fondre dans une
fédération politique. À l’indépendance, l’Algérie convaincue que « la guerre
de libération a accéléré le processus de décolonisation en Afrique » s’engage
dans une solidarité agissante pour la libération des peuples encore dominés.
La première conférence panafricaine des peuples s’ouvre à Accra,
capitale du Ghana, premier État indépendant de l’Afrique de l’Ouest, du 6 au
13 décembre 1958. Son président Kwame Nkrumah poursuit le double
objectif suivant : soutenir les mouvements d’indépendance et lancer le
panafricanisme. Ces idées ne sont pas nouvelles puisqu’elles sont discutées
depuis 1900, mais loin du continent africain. Néanmoins, elles se précisent à
la fin de la Seconde Guerre mondiale. Trois nationalistes africains, Kwame
Nkrumah, Jomo Kenyatta et Hastings Banda (Malawi), participent au
Ve congrès panafricain de Manchester (octobre 1945) et revendiquent la mise
en application des principes de la Charte de l’Atlantique pour l’Afrique sous
domination. C’est donc naturellement qu’à l’indépendance du premier État de
l’Afrique subsaharienne en 1957 Nkrumah, fidèle à son idéal, fait de sa
capitale le foyer principal du panafricanisme. La conférence de
décembre 1958 est l’occasion offerte à de nombreux délégués
de mouvements de libération de prendre la parole en faveur de
l’émancipation de leurs pays respectifs. À cette date, seuls huit pays africains
indépendants (Égypte*, Ghana, Soudan, Libye, Tunisie*, Maroc*, Liberia et
Éthiopie) y participent. Au nombre des soixante-deux organisations invitées
figure la délégation envoyée par le GPRA, composée d’Ahmed Boumendjel*,
Chawki Mostefaï et Frantz Fanon*. Le discours de Fanon, axé sur la
nécessité de mobiliser toutes les formes de lutte, y compris la violence, est
longuement applaudi et donne une orientation plus radicale aux débats de la
conférence animés par les leaders nationalistes dont Patrice Lumumba. Dans
sa déclaration finale, la conférence déclare son plein soutien aux luttes
armées en Afrique en condamnant le colonialisme, l’impérialisme et les
discriminations raciales, tout en insistant sur la construction de l’unité
africaine. Ce projet connaît un début de concrétisation avec l’union entre le
Ghana et la Guinée de Sékou Touré.
La rencontre d’Accra est suivie d’une seconde, tenue à Tunis, où les
travaux sont dominés par la forte présence des trois principaux pays du
Maghreb. La Guerre d’indépendance algérienne est au cœur des débats et la
proposition de la formation d’un corps de volontaires (à l’image des brigades
internationales lors de la guerre d’Espagne) est adoptée. On sait qu’elle n’est
suivie que partiellement par l’implantation d’une base au Mali, l’accueil de
partisans angolais dans les bases algériennes de Tunisie et l’ouverture de
missions diplomatiques au Ghana et en Guinée. Sont réitérées l’urgence de la
libération des pays africains et la volonté d’œuvrer pour le développement du
continent africain ainsi que la dénonciation des essais nucléaires* poursuivis
par la France.
Enfin, la troisième conférence des peuples africains est organisée
au Caire du 25 au 31 mars 1961. Pour le GPRA, c’est un moment difficile à
l’heure où les négociations* entre le FLN et la France butent sur le projet de
la partition du Sahara. La solidarité africaine est mise à mal par l’opposition
du Niger, du Tchad qui font partie de l’OCRS et de la Tunisie qui convoite
l’inclusion de plusieurs puits pétroliers situés sur le territoire algérien.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : René Gallissot, Le Maghreb de traverse, Saint-Denis, Éditions
Bouchène, 2000 • Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution
algérienne, Jeune Afrique, 1981 • Guy Pervillé, « Le panafricanisme du FLN
algérien », in Charles-Robert Ageron et Michel Marc (dir.), L’Afrique noire
française. L’heure des indépendances, Éditions du CNRS, 1992.
CONFÉRENCES MAGHRÉBINES
(TANGER, 27-30 AVRIL 1958 ; TUNIS, 16-
20 JUIN 1958)
Depuis l’ajournement de la conférence de Tunis (octobre 1956) en raison
du détournement* de l’avion marocain (qui transportait les chefs du FLN*),
le vœu d’édifier la fédération du Maghreb est mis en veilleuse jusqu’en 1958,
année au cours de laquelle se tiennent deux conférences réunissant les
représentants du Maghreb.
La première se déroule du 27 au 30 avril 1958 à Tanger en présence des
dirigeants des trois principaux mouvements nationalistes : l’Istiqlal pour le
Maroc*, le Néo-Destour pour la Tunisie* et le FLN pour l’Algérie.
Plusieurs facteurs concourent à sa convocation. C’est d’abord la
proclamation par Nasser de la République arabe unie le 1er février 1958 qui
fait craindre au Maroc et à la Tunisie la mainmise du leadership égyptien sur
le FLN. Puis, le 8 février 1958, l’aviation française bombarde Sakiet Sidi
Youssef* et intervient dix jours plus tard dans le Sud marocain, stoppant le
projet du « Grand Maroc ». Ces différentes tensions incitent les nationalistes
du Maroc et de la Tunisie à vouloir consolider leur solidarité avec l’Algérie et
à œuvrer en faveur de l’entité maghrébine.
La délégation algérienne est menée par Ferhat Abbas*, Abdelhamid
Mehri, Abdelhafid Boussouf*, Ahmed Francis et Ahmed Boumendjel*.
Parmi les observateurs invités, on note la présence de Me Stibbe, d’un
membre de l’ambassade du Caire et d’un fonctionnaire du consulat
américain.
À l’issue des travaux, la déclaration commune apporte son appui moral et
matériel à la lutte du peuple algérien pour son indépendance et sa
souveraineté, insiste sur l’unité de l’Afrique du Nord, réitère l’urgence « de
liquider les séquelles du colonialisme », autrement dit l’évacuation des forces
françaises du Maroc et de la Tunisie, et jette enfin les bases des institutions*
de la future fédération des trois pays. Mais en réalité, ces résolutions sont vite
oubliées lors de la seconde rencontre tripartite réunie du 17 au 20 juin à
Tunis, en présence cette fois des États constitués. La délégation algérienne
devra compter avec la détermination acharnée de Me Bouabid (Maroc) et
Bahi Ladgham (Tunisie) de défendre d’abord les intérêts de leurs pays
respectifs.
À la faveur du nouveau contexte géopolitique, les gouvernements
marocain et tunisien manifestent plus de réserve et privilégient ouvertement
l’option diplomatique. En effet, l’arrivée du général de Gaulle* au pouvoir
(mai 1958) les encourage à lui « laisser une marge de manœuvre » selon
Bourguiba. Pour Bouabid, le temps est à la réflexion et non à la précipitation.
De fait, le 2 juin, de Gaulle concède le retrait graduel des bases militaires
françaises au Maroc et en Tunisie. Cette nouvelle perspective dicte au Maroc
et à la Tunisie de revoir leurs engagements vis-à-vis du FLN. Celui-ci
n’entend pas infléchir sa ligne de conduite soulignée fermement par Ferhat
Abbas pour qui la position de De Gaulle signifie la guerre autant que
l’intégration proposée. Si le communiqué final de la Tripartite affiche un
consensus de façade, sur le droit à l’indépendance pour l’Algérie, la lecture
des procès-verbaux révèle les échanges équivoques sinon acerbes entre les
membres du CCE* et les ministres marocain et tunisien. Les réticences vis-à-
vis de la formation d’un gouvernement algérien sont mal acceptées par le
CCE qui rejette, de son côté, toute immixtion dans la gestion de sa politique.
La signature de l’accord franco-tunisien pour l’évacuation du pétrole*
d’Edjeleh le 30 juin vers le port de La Skhira explique en partie les
atermoiements observés lors de la conférence et relègue à l’arrière-plan
l’édification d’une unité maghrébine, au grand dam du FLN qui dénonce « la
violation des résolutions de Tanger » dans une note du 11 juillet 1958
adressée au gouvernement tunisien. Puis l’annonce de la création d’un
Gouvernement provisoire de la révolution algérienne* (GPRA) à partir
du Caire, le 19 septembre 1958, ouvre une longue période de tensions et de
pressions exercées sur le FLN. Les différends frontaliers portant sur la région
du Touat, du Gourara et de Tidikelt pour le Maroc et le désir de modification
du tracé de la frontière (en incluant les gisements pétroliers d’Edjeleh et
Hassi Messaoud) pour la Tunisie compliquent les relations avec l’ALN-FLN.
Le Maroc comme la Tunisie n’hésitent pas à prendre de sévères mesures se
traduisant par le contrôle des forces de l’ALN* stationnant sur leur sol et du
ravitaillement en armes. C’est dans le courant de l’année 1960 seulement que
le GPRA réussit à signer un accord avec le Maroc. Avec la Tunisie, la crise
de Bizerte* (juillet 1961) met provisoirement en sourdine le différend
frontalier.
En moins de deux mois, la construction de l’unité du Maghreb ne résista
pas aux enjeux nationaux et les promesses de Tanger ne furent pas tenues.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : René Gallissot, Le Maghreb de traverse, Saint-Denis, Éditions
Bouchène, 2000 • Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution
algérienne, Jeune Afrique, 1981 • Guy Pervillé, « Le panafricanisme du FLN
algérien », in Charles-Robert Ageron et Michel Marc (dir.), L’Afrique noire
française. L’heure des indépendances, Éditions du CNRS, 1992.
CONSEIL NATIONAL
DE LA RÉVOLUTION ALGÉRIENNE
(CNRA)
Le congrès de la Soummam*, réuni en août 1956, crée le Conseil national
de la révolution algérienne (CNRA) qui tient lieu d’instance dirigeante du
FLN*.
Le CNRA doit se réunir tous les ans. Il comprend 17 membres titulaires
et 17 suppléants. Un quorum de 12 membres est exigé pour convoquer une
session. Le CNRA est le seul habilité à engager des négociations* avec le
gouvernement français et à décider d’un cessez-le-feu. Il désigne les
membres du CCE*. Sa composition suscite des tensions entre Larbi Ben
M’hidi* et Lakhdar Bentobbal* qui souhaite un CNRA fidèle à l’esprit du
Crua. Pourtant, le CNRA finit par s’élargir par-delà les membres fondateurs
du FLN – Mostefa Ben Boulaïd* (malgré sa mort), Ben M’hidi, Rabah
Bitat*, Hocine Aït Ahmed*, Ahmed Ben Bella*, Mohamed Boudiaf*,
Mohamed Khider*, Krim* Belkacem, Amar Ouamrane*, Zighoud* Youcef –
en incluant trois anciens membres du comité central du MTLD – Aïssat Idir,
Benyoucef Ben Khedda* et M’hamed Yazid –, Ferhat Abbas*, un ancien
dirigeant de l’UDMA*, et Tewfik El Madani* de l’Association des ulémas*,
en plus de Lamine Debaghine et Abane* Ramdane.
La session du Caire, tenue du 20 au 27 août 1957, est devancée par une
réunion informelle organisée à Montfleury autour de Bentobbal, Abdelhafid
Boussouf*, Krim et des chefs militaires. Dans la capitale égyptienne, le
CNRA rassemble 22 personnes dont 10 colonels parmi lesquels 2 titulaires
nommés lors du congrès de la Soummam, 3 suppléants et 5 cooptés par le trio
Bentobbal-Boussouf-Krim. Les propositions de la réunion de Montfleury sont
validées, tout comme le bilan du CCE présenté par Abane. Le CNRA passe à
54 membres titulaires. Les deux tiers sont des officiers. D’après les
résolutions adoptées, « il n’y a pas de primauté du politique sur le militaire,
ni de différence entre l’Intérieur et l’Extérieur » – même si, dans les faits, les
colonels sont à la manœuvre et que la direction du FLN se trouve hors
d’Algérie. De plus, la future « République algérienne démocratique et
sociale » ne doit pas être « en contradiction avec les principes de l’islam ».
Une réunion des dix colonels*, qui s’étend du 11 août au 16 décembre
1959, vise à préparer la prochaine session du CNRA dont la nouvelle
composition – les trois quarts des membres sont des militaires – reflète
l’évolution du rapport de force en faveur de Boumediene* et au détriment de
Krim. La nouvelle session du CNRA se tient à Tripoli du 16 décembre 1959
au 18 janvier 1960. L’instance réclame l’allégement de l’administration, le
retour des officiers supérieurs en Algérie, le développement des relations
avec les pays socialistes et l’application du principe d’autodétermination par
le biais d’un référendum sous l’égide des Nations unies*. Boumediene est
nommé chef de l’État-major général* (EMG).
Du 9 au 27 août 1961, le CNRA se réunit une seconde fois à Tripoli. À
cette occasion, l’EMG* fait le procès du GPRA* qui a remplacé le CCE deux
ans plus tôt. Le CNRA se prononce pour la reprise des négociations. À la
suite de Abbas, Ben Khedda devient président d’un nouveau GPRA qui ne
comprend plus que d’anciens membres du MTLD. Après l’échec d’une
manœuvre visant à rallier l’ensemble des militaires contre le GPRA, l’EMG
quitte la session avant sa clôture.
La troisième réunion du CNRA à Tripoli, du 22 au 27 février 1962, se
déroule dans un climat de tension entre l’EMG et le GPRA. Le CNRA
mandate le GPRA pour signer la paix avec la France mais Boumediene se
prononce contre ces accords et déclare : « Ce texte marque la fin de notre
révolution, je crois que l’ennemi est parvenu au résultat qu’il recherchait avec
ses valets. »
La dernière session du CNRA se tient à Tripoli*, du 28 mai au 7 juin,
pour adopter un programme et désigner une direction. Le texte discuté
critique l’esprit féodal des dirigeants du FLN et leur manque d’éducation
démocratique. Ali Haroun* fait adopter un amendement faisant référence au
socialisme. Le FLN n’est pas reconnu en tant que parti unique mais son rôle
est compris comme prépondérant dans l’Algérie indépendante. Le CNRA
échoue à s’entendre sur l’élection d’une nouvelle direction. La recherche
d’un compromis est sabordée par le désaccord sur la composition du Bureau
politique proposé par Ben Bella, provoquant la levée de la séance et une crise
qui va se prolonger tout l’été 1962.
Le 20 juillet, le CNRA est convoqué par son bureau pour le 2 août afin de
remédier à la crise du FLN. Mais cette réunion n’a pas lieu, consacrant la
disparition de cette instance vidée de tout pouvoir.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN. Documents et
histoire. 1954-1962, Fayard, 2004 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du
FLN. 1954-1962, Fayard, 2002.
CONSTANTINE, PLAN DE
Le 3 octobre 1958, le général de Gaulle* annonce, depuis Constantine,
capitale de l’Est algérien, un ensemble de mesures destinées à opérer la
transformation profonde de l’Algérie en cinq ans. Elles comprennent
l’admission de 10 % de « musulmans » dans la fonction publique, la mise à
niveau des salaires avec ceux de la métropole, l’attribution de
250 000 hectares aux paysans, l’installation de grands ensembles industriels,
des logements* pour 1 million de personnes, la scolarisation de deux tiers des
enfants, la création de 400 000 emplois nouveaux. Si la genèse lointaine de
ces mesures remonte au Plan de progrès social et économique de l’Algérie,
présenté en 1944, l’initiative résulte plus directement d’une réflexion suscitée
par les gouvernements précédents : rapport de la commission présidée par
Roland Maspétiol* (juin 1955), commandé par Mendès France*,
Perspectives décennales du développement économique de l’Algérie
(mars 1958) élaborées sous le ministre résidant Robert Lacoste*.
Ce programme fait l’objet d’un plan dit « de Constantine ». Il combine la
définition de perspectives et d’objectifs de croissance avec l’intervention
directe de l’État, des établissements nationalisés ainsi que des incitations au
secteur privé. L’élaboration et l’application en sont confiées au nouveau
représentant de la France en Algérie, le délégué général du gouvernement
Paul Delouvrier*, assisté de Jean Vibert, directeur du Plan, qui mobilise tous
les grands bureaux d’études français. Tous les domaines sont concernés :
industrie* lourde, industrie légère, agriculture*, défense et restauration des
sols, hydraulique, routes et ports, logement, enseignement, action sociale, etc.
La construction de logements occupe une place particulière, vu l’exode rural
et la rapide croissance démographique. Devant entraîner maintes sous-
traitances (carrières, industrie du bâtiment, matériaux de construction,
peintures, industrie du meuble, voiries et réseaux divers), elle serait l’un des
principaux moteurs de la croissance.
Le Plan a des visées très ambitieuses. Il doit, en plusieurs périodes
quinquennales, et malgré le défi démographique, porter le niveau
économique, social et culturel de l’Algérie à un niveau comparable à celui de
la métropole. Dans une première étape (1959-1964), les revenus globaux des
ménages devraient progresser de 50 %. Les autorités françaises poursuivent
deux objectifs politiques : remédier à la misère qui sévit dans le pays et, en
même temps, combattre le discours du FLN* pour lequel seule
l’indépendance peut faire de l’Algérie un pays prospère en mettant fin à
l’exploitation coloniale.
Les premiers résultats sont spectaculaires. Une réforme agraire non
négligeable (redistribution d’environ 200 000 ha) est opérée. La croissance
s’établit à plus de 10 % par an en rythme annuel. Le rythme des mises en
chantier de logements est multiplié par trois. Le développement des industries
mécaniques (avec Berliet) ou chimiques (Air Liquide, Michelin) est notable.
Un vaste ensemble sidérurgique est envisagé à Bône, un important complexe
pétrochimique à Arzew. L’exploitation pétrolière suscite l’optimisme, en
garantissant une énergie à bon marché. Sur la même période, les effectifs
d’enfants « musulmans » scolarisés dans le primaire sont multipliés par
presque trois et ceux du secondaire sont majorés d’un tiers. Pourtant, l’échec
est sensible à partir de 1961. À ce moment, seulement 13 % de l’objectif final
en matière d’investissements ont été réalisés et un nombre très faible
d’emplois ont été créés. Les objectifs étaient peut-être trop ambitieux, voire
incorrectement définis en fonction des capacités et des potentialités du pays
en matière de débouchés. Surtout, l’évolution de la politique française vers
l’indépendance est défavorable à l’engagement des entreprises privées. En
1961, celles-ci ne réalisent que 20 % des investissements, les 80 % restants
relevant du secteur public. Les responsables de l’application du Plan sur le
terrain perdent confiance. Le 15 novembre 1960, Delouvrier, déjà fragilisé
par les barricades du 24 janvier, demande à être rappelé.
Si l’on date son début à l’annonce faite par le Général, le 3 octobre 1958,
le plan de Constantine aura duré vingt-six mois, un peu plus de deux années.
Il a montré les limites d’une solution purement économique, même élaborée
par une génération* de très brillants technocrates, pour contribuer à résoudre
une question avant tout politique.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition
d’une France à l’autre. Le passage de la IVe à la Ve République, Publisud,
2000 • Daniel Lefeuvre, Chère Algérie. La France et sa colonie, 1930-1962,
Flammarion, 2005 • Samir Saul, Intérêts économiques français et
décolonisation de l’Afrique du Nord (1945-1962), Genève, Droz, 2016.
COOPÉRATION
Paradoxalement la période qui court du début de l’indépendance à la fin
des années 1970 peut être caractérisée comme un moment d’apaisement des
relations franco-algériennes. Les engagements intellectuels français ont été
nombreux, divers, embrassant toutes les dimensions de la construction d’un
pays sorti exsangue d’une guerre atroce.
Anciens porteurs de valises*, syndicalistes, hommes et femmes de
gauche, catholiques, communistes, trotskistes*, tiers-mondistes, anti-
impérialistes, et de nombreux militants des derniers territoires encore sous
domination coloniale vont être réunis par l’Algérie sur la base d’une utopie
commune, la réalisation du rêve de la libération des peuples sous domination
et leur développement « autocentré ».
Il y a d’abord ceux qui sont restés ou revenus après l’été meurtrier de
1962, les « Européens » d’Algérie, « pieds-noirs* » (quelque
200 000 personnes), enseignants, médecins, ingénieurs, administrateurs,
juristes, avocats, qui ont continué à exercer leur métier et qui ont permis aux
institutions* de fonctionner. Certains parmi ces derniers qui étaient selon les
accords d’Évian* de droit civique algériens, pouvant voter et être élus (16
députés européens ont été élus dans la constituante algérienne), avaient trois
ans pour décider du choix de leur nationalité*. Au début de l’indépendance,
13 000 enseignants, instituteurs, professeurs de l’enseignement secondaire et
professionnel, professeurs des universités ouvrent et font démarrer les
établissements d’enseignement en septembre 1962, trois mois après la fin de
la guerre et la folie meurtrière de l’OAS*. Des ingénieurs restés sur place ont
également fait fonctionner les centrales électriques, les barrages, les
aéroports. Il y a aussi eu des magistrats*, avocats, fonctionnaires des
premiers ministères et de l’administration.
La deuxième catégorie est constituée de ceux qu’on a appelés les « pieds-
rouges* » par opposition aux « pieds-noirs », ceux issus de la mouvance
d’extrême gauche et de la gauche, porteurs de valises et militants
indépendantistes, qui se sont investis dans la mise en œuvre de chantiers
institutionnels d’organisation et de fonctionnement dans la santé*, le monde
rural avec « l’autogestion », l’économie, avec la maintenance des grandes
infrastructures, dans l’administration, dans la culture, le journalisme autour
du journal phare Révolution africaine*.
À la fin des années 1960, une troisième catégorie de coopérants s’engage
en Algérie ; ce sont les jeunes coopérants du service national français
(volontaires au service national actif [VSNA]), de jeunes diplômés de
l’université française post-68 qui viennent renforcer l’encadrement sur place
de nombreuses institutions, dans l’université, l’administration économique et
sociale (l’industrie* naissante, le plan, l’agriculture*, l’hydraulique,
l’électricité).
C’est l’époque de grands débats sur l’autogestion, sur l’impérialisme, sur
les voies non capitalistes de développement, les types de socialisme
« scientifique » versus « spécifique » ou « autogestionnaire », sur les
stratégies de développement et sur la libération nationale.
L’université algérienne – dont le recteur en 1963 est André Mandouze*,
latiniste émérite résistant, venu de Témoignage chrétien et qui a dû quitter
l’Algérie en 1956 sous la menace des partisans de l’« Algérie française » – va
être largement encadrée par des enseignants, vieux universitaires et jeunes
militants indépendantistes. La recherche n’est pas en reste, la période de
coopération scientifique entre la France et l’Algérie, qui s’est développée de
1962 à 1972 (date de la dissolution de l’Organisme de coopération
scientifique franco-algérien), avait, selon le mot de De Broglie au Monde*
(31 janvier 1963), jeté les bases d’un processus cumulatif de mise en place
d’un potentiel scientifique et technique par la mise en place d’un Conseil de
la recherche scientifique (protocole du 11 juin 1963) qui se voit confier la
gestion de quatre instituts de recherche encore administrés par l’Office
universitaire et culturel en Algérie. En sciences sociales*, le premier Centre
algérien de recherches et de documentation en sciences sociales (Cerdess) de
l’Algérie indépendante voit le jour en 1967 dans le cadre de cette
coopération.
La fin des années 1970, qui voit poindre les premiers désenchantements
du nationalisme* développementaliste, marque le reflux de la coopération.
Déjà en 1963 avec la publication de la première Constitution algérienne et le
Code de la nationalité, des premiers départs vers la France se déroulent ; le
coup d’État de juin 1965 du colonel Boumediene* suscite un deuxième
départ, de nombreux militants de gauche rompant avec un régime militaire
qui devenait plus répressif. La troisième vague de départ, au début des
années 1980, après l’élargissement de l’arabisation à l’enseignement
supérieur en 1983, marque la fin de la coopération.
Aissa KADRI
Bibl. : Jean-Robert Henry et Jean-Claude Vatin (dir.), Le Temps de la
coopération. Sciences sociales et décolonisation au Maghreb, Karthala, 2012
• Aissa Kadri et Mohamed Benguerna, Ingénieurs en Algérie dans les
années 1960. Une génération de la coopération, Karthala, 2014 • Catherine
Simon, Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’indépendance au
désenchantement (1962-1969), La Découverte, 2009.
CORVÉE DE BOIS
L’expression « corvée de bois », désignant une exécution sommaire*, est
antérieure à la guerre d’Algérie. Elle apparaît le 9 juin 1949 sous la plume du
journaliste et écrivain Roger Boussinot, dans l’hebdomadaire Action, proche
du PCF*. Sous le titre « Un jeune Français, retour d’Indochine*, m’a raconté
la corvée de bois », l’article relate les exécutions pratiquées par certaines
unités du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (Cefeo), au
prétexte de conduire des prisonniers* vietminh en dehors du poste ou à
l’écart du bivouac pour trouver le combustible nécessaire au foyer de la
cuisine – une corvée organisée par toutes les armées en campagne ; les
gardiens justifiant ensuite l’exécution de leurs prisonniers par la nécessité de
stopper une tentative d’évasion*. Roger Boussinot pointe la responsabilité
d’une hiérarchie qui selon lui a ordonné ces exécutions, ou qui tout au moins
les couvre en ne vérifiant pas l’exactitude des faits qui lui sont rapportés.
L’article ne trouve pourtant que peu d’écho. Ainsi il n’est pas relayé par
d’autres titres de presse*. Cette indifférence générale s’explique par le
désintérêt dont la métropole fait preuve à l’égard d’une guerre menée à
11 000 kilomètres par des soldats professionnels. En revanche, à partir de
1955, l’expression « corvée de bois » est régulièrement utilisée par la presse,
toutes tendances confondues, après la dénonciation, principalement par des
soldats du contingent, des premières exécutions sommaires* de combattants
algériens. La « corvée de bois » est même devenue un phénomène
emblématique de la guerre d’Algérie : le déserteur le plus connu de ce conflit,
le sergent parachutiste* Noël Favrelière*, a justifié son acte par la nécessité
d’entraîner dans sa fuite le « rebelle » dont il avait la garde et qu’il savait
voué à ce sort funeste. La pratique a toujours fait l’objet de dénégations
officielles, l’autorité militaire ne reconnaissant que des « fuyards abattus »
dont le total ne peut être précisément établi.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Frédéric Médard, « Les exécutions
sommaires en guerre d’Algérie », Guerre d’Algérie Magazine, no 16, 2009 •
Pierre Vidal-Naquet, Les Crimes de l’armée française. Algérie, 1954-1962,
La Découverte, 2001.
COÛT DE LA GUERRE
Le 26 décembre 1959, le général de Gaulle* a noté les raisons pour
lesquelles il ne croyait pas possible de maintenir l’Algérie française par la
force, malgré l’écrasante disproportion des moyens dont disposaient les deux
camps, et notamment celle-ci : « Nous dépensons chaque année mille
milliards sous toutes sortes de formes pour la lutte en Algérie. Le FLN*
dépense trente milliards. »
En confrontant toutes les sources algériennes et françaises disponibles,
deux jeunes historiennes travaillant sous la direction de Gilbert Meynier* ont
étudié « le financement du FLN pendant la guerre d’Algérie ». Selon les
sources militaires françaises, en 1958 et 1959, le FLN aurait reçu chaque
année 3,25 milliards de francs de sa Fédération de France*, 8,8 milliards des
wilayas de l’intérieur, 10 puis 11 milliards de l’extérieur, soit en tout 22,050
puis 23,050 milliards de francs. Mais la Fédération de France fait état de
versements très supérieurs : 4,4 milliards transférés vers l’extérieur en 1958,
5 milliards en 1959, près de 6 milliards en 1960, et un rapport du ministre des
Finances du GPRA* affirmait en août 1961 que « l’apport de l’émigration*
algérienne en France constitue 80 % des ressources financières globales du
gouvernement provisoire ». En réalité, les wilayas ont eu de plus en plus de
mal à équilibrer leurs budgets et ont eu besoin d’apports financiers de
l’extérieur, venant du GPRA ou de la Fédération de France. Les fédérations
FLN de Tunisie* et du Maroc* ne pouvaient rien fournir au GPRA à cause de
l’entretien des nombreux réfugiés*. L’apport de la Fédération de France était
donc de plus en plus important, mais selon les sources françaises il aurait été
dépassé par les aides extérieures, venues pour l’essentiel des pays arabes
jusqu’en septembre 1959. L’aide militaire de la Chine* communiste, qui
reconnut le GPRA dès septembre 1958, fut illimitée et sans condition,
contrairement à celle de l’URSS* qui attendit octobre 1960 pour le
reconnaître de facto.
Du côté français, le coût de la guerre d’Algérie est très difficile à chiffrer.
D’une part, les dépenses militaires ne figuraient pas toutes dans le même
budget. D’autre part, la « pacification* » visant à rallier la population
musulmane à la France en augmentant massivement son niveau de vie a
conduit le budget métropolitain à prendre en charge le budget de l’Algérie à
partir de 1956. Il apparaît néanmoins que la hausse très rapide des dépenses
militaires de 1956 à 1958 avait mis en difficulté l’équilibre du budget et celui
du commerce extérieur, relancé l’inflation et menacé la valeur du franc. Mais
après le retour du général de Gaulle au pouvoir (juin 1958), le plan Pinay-
Rueff a rétabli l’équilibre budgétaire et la France a pu entrer dans le Marché
commun européen sans difficulté. Même l’indépendance de l’Algérie et
l’exode massif des « rapatriés* » en 1962 n’ont pas arrêté la croissance.
Paradoxe souligné par Jacques Marseille, qui demandait en 1988 lors du
colloque La Guerre d’Algérie et les Français : « La guerre d’Algérie a-t-elle
eu lieu ? » Jean-Charles Asselain développe : « Le redressement interne de
l’économie française n’a-t-il pas exercé une influence décisive sur le cours
des événements en rendant possible (supportable ?) la poursuite de la
guerre ? » (op. cit., p. 294).
Dès le 20 mars 1962, le journaliste du Monde* Gilbert Mathieu estimait
le coût de la guerre pour la France à 50 milliards de nouveaux francs, ou à
27 milliards si l’on retirait des budgets militaires et civils les dépenses non
liées à l’état de guerre. En 2000, Daniel Lefeuvre*, disciple de Jacques
Marseille, a traité la question dans le colloque La Guerre d’Algérie au miroir
des décolonisations françaises (SFHOM, 2000). Il estimait qu’en 1959,
l’intervention du Trésor métropolitain avait dépassé les 200 milliards de
francs (anciens), s’ajoutant à plus de 800 milliards de francs de dépenses
militaires, et en concluait que les conséquences de la guerre sur les finances
métropolitaines « avoisinaient les 1 200 milliards de francs (anciens) sur un
budget total de l’État qui s’élevait à moins de 6 000 milliards », soit 20 % du
total de ses dépenses. De plus, « la guerre d’Algérie a entraîné un freinage,
difficilement mesurable, de l’économie française résultant de la pénurie de
main-d’œuvre née de la mobilisation prolongée du contingent ». Ainsi la
croissance qui avait repris de 1959 à 1962 s’accéléra davantage encore après
la fin de la guerre et eut un effet inflationniste jusqu’au plan de stabilisation
de 1963. Ainsi, concluait-il, « il paraît difficile d’accréditer la thèse d’une
innocuité de la guerre d’Algérie sur le développement économique de la
France. Celle-ci a pesé lourd sur les finances publiques, sans compter ses
effets inflationnistes, et a ralenti l’effort de modernisation du pays au moment
où celui-ci s’ouvre à la concurrence européenne ».
Guy PERVILLÉ
Bibl. : Jean-Charles Asselain, « Boulet colonial et redressement économique
(1958-1962) » et Jacques Marseille, « La guerre d’Algérie a-t-elle eu lieu ?
Mythes et réalités du fardeau algérien », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La
Guerre d’Algérie et les Français, Fayard, 1990 • Emmanuelle Colin-
Jeanvoine et Stéphanie Dérozier, Le Financement du FLN pendant la guerre
d’Algérie, 1954-1962, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2008 • Daniel
Lefeuvre, « Le coût de la guerre d’Algérie », in La Guerre d’Algérie au
miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de Charles-Robert
Ageron. Actes du colloque international, SFHOM, 2000.
2E BUREAU
En France, après la défaite de 1871 contre la Prusse, l’État-major
général – qui devient état-major de l’Armée en 1890 – est réorganisé en
quatre bureaux dotés chacun d’une fonction particulière, le 2e étant chargé du
renseignement comme organe d’exploitation mais non de recherche. Les
états-majors des grandes unités (armées, corps d’armée, divisions)
reproduisent la même organisation, avec une fonction de formation et de
préparation au temps de guerre.
À la veille de la Toussaint 1954, des 2e bureaux existent au niveau de
l’Algérie, qui constitue la 10e Région militaire (RM), et de ses 3 divisions
territoriales (Alger, Oran et Constantine). Ces bureaux centralisent et
exploitent ce qui a été recueilli par les « officiers de renseignement » (OR)
des unités, dans les 12 subdivisions territoriales. Ce modus operandi permet
d’alerter l’autorité civile de la montée du nationalisme* et du risque
imminent d’insurrection. Celle-ci venue, les 2e bureaux se concentrent sur le
renseignement d’ordre militaire, c’est-à-dire relatif à l’organisation, la
position et l’activité des groupes armés ennemis. Leurs analyses conduisent
ensuite le 3e bureau, en charge des opérations, à planifier l’action militaire.
Dans le cadre de l’exploitation des « sources », les différents 2e bureaux
rédigent des bulletins de renseignement selon une périodicité quotidienne,
hebdomadaire ou mensuelle. S’appuyant sur l’expérience des premiers mois
d’opération, le 2e bureau de la 10e RM élabore également un Guide à l’usage
du commandant de sous-quartier, de son officier de renseignement ou du chef
de poste isolé. En 1957, le 2e bureau de l’État-major général à Paris propose
de son côté un Guide provisoire à l’usage des officiers de renseignement en
Algérie. Parallèlement, les structures vouées au renseignement sont étoffées.
Lorsqu’en mars 1957, les 3 divisions territoriales sont transformées en corps
d’armée et les 12 subdivisions en divisions opérationnelles adaptées aux
nouveaux départements, chacune a été dotée d’un 2e bureau et un officier de
renseignement (OR) a été affecté dans les 72 secteurs opérationnels.
La formation des « OR » est une préoccupation constante de la 10e RM.
Des stages sont organisés (5 stages de 3 jours en 1956). Fin 1957,
l’organisation des 2e bureaux est significativement modifiée dans le but de
l’adapter aux particularités de la guerre qualifiée de « subversive ». Outre un
secrétariat et une sous-section « fichiers statistiques », ils comptent désormais
4 sections : « information » ; « opération », chargée de l’étude des aspects
militaires de la rébellion, de l’exploitation des renseignements d’ordre
opérationnel et de l’orientation de la recherche en la matière grâce à deux
sous-sections « exploitation » et « PLIT » (potentiel, logistique, implantation,
terrain) ; « études générales », chargée de l’étude de la rébellion sous ses
aspects politiques, psychologiques et internationaux ; « RIDO » (relations
extérieures, instruction, documentation et organisation). Le 2e bureau est doté
de crédits spéciaux pour rémunérer les informateurs, qui augmentent très
fortement. Ces « fonds de contact » passent de 240 000 francs en 1955 à
200 millions en 1960.
Après les lieutenants-colonels Wirth, de Sacken et de Bourdoncle, le
lieutenant-colonel Jacquin prend la tête du 2e bureau de la 10e RM en
juillet 1957. Véritable spécialiste du renseignement, il opère une
rationalisation décisive. Outre qu’il reprécise les attributions des 2e bureaux,
il formalise le système « Renseignement, action, protection » (RAP), rappelle
les modalités de transmission des informations, fait adopter un nouveau plan
général, détaille également les missions du CCI et organise la diffusion des
bulletins des 2e bureaux. À l’été 1958, ceux-ci connaissent dans le détail
l’implantation des unités de l’ALN* et en dressent un organigramme
complet. Le 2 octobre, le lieutenant-colonel Jacquin institue des centres de
renseignement et d’action* (CRA) au niveau des secteurs (régiments) et des
éléments de renseignement et d’action (ERA) dans les quartiers (bataillons).
Au fil du temps, le 2e bureau de la 10e RM établit de nombreux ordres de
recherche, dans des domaines aussi divers que l’écoute des émissions
suspectes, la réutilisation par l’ALN des projectiles non éclatés, la protection
du contre-espionnage dans les unités supplétives, l’interrogatoire des ralliés,
le traitement des documents et des matériels pris à l’ennemi. S’il ne prescrit
pas explicitement aux échelons subordonnés et notamment aux « OR » des
unités de recourir à la torture*, celle-ci est tolérée, sinon encouragée à mots
couverts. Le 2e bureau de la 10e RM s’accommode d’une pratique qu’il sait
répandue. Bien que la collecte du renseignement ne repose pas que sur le
recours à la torture, celle-ci y contribue pour une bonne part.
En 1959, une directive du général Challe* fait des commandants de corps
d’armée le rouage essentiel de la chaîne du renseignement et renforce le rôle
des 2e bureaux. Leur organisation est sans cesse adaptée. Ainsi, en mai 1959,
la section « information » est supprimée et ses attributions confiées à une
« salle des opérations » de l’état-major interarmées qui, en outre, prépare les
briefings et rédige les comptes rendus d’opérations ainsi que les bulletins de
renseignement quotidiens (BRQ). Une section « organisation-instruction » se
substitue à la section RIDO pour structurer les services de renseignement et
former les cadres qui y sont affectés ou qui sont chargés de la sécurité
militaire. En 1960, la sous-section « fichiers statistiques » est chargée de
synthétiser dans un mémento les bilans qu’elle dresse sur les pertes en
personnel et armements, les armes saisies, les trafics d’armes*, les activités
du FLN* en métropole ou la défection des forces auxiliaires. Puis, en 1961, la
section « études générales » est remplacée par deux sections. La section
« intérieur » représente le 2e bureau au comité d’action psychologique pour
traiter du renseignement d’ambiance, de la propagande*, de l’état d’esprit des
populations et des rebelles. La section « extérieur » s’intéresse aux aspects
politiques et internationaux de la rébellion et plus particulièrement au
GPRA*, au Maroc*, à la Tunisie*, à la Libye, à la Mauritanie et au Mali-
Niger. Les autres sections et sous-sections sont conservées en l’état. Si cette
nouvelle adaptation rend la chaîne du renseignement plus efficace, la torture
ne disparaît pas complètement jusqu’au cessez-le-feu. En avril 1962, les
forces françaises stationnées en Algérie remplaçant la 10e RM, le 2e bureau
est confié au colonel Cousin qui procède à un ultime remaniement. La section
« organisation-instruction » est maintenue, la sous-section « fichiers
statistiques » devient section au côté d’une section « études militaires-
opérations » et d’une section à nouveau dénommée « études générales » qui
reprend les missions des sections « intérieur » et « extérieur » qui sont
dissoutes.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Jean-Pierre Bat, Nicolas Courtin, Vincent Hiribarren, Histoire du
renseignement en situation coloniale, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2021 • Maurice Faivre, Le Renseignement dans la guerre d’Algérie,
Panazol, Lavauzelle, 2006 • Constantin Parvulesco, Secret-défense. Histoire
du renseignement militaire français, Boulogne-Billancourt, ETAI, 2007.
17 OCTOBRE 1961
À l’origine du 17 octobre 1961, il y a le projet de démonstration pacifique
organisé clandestinement par la Fédération de France* du FLN*. Les mois
qui précèdent cet événement ont vu se succéder le référendum* sur
l’autodétermination de l’Algérie (8 janvier), la création de l’OAS*
(11 février), la tentative de putsch* des généraux à Alger (23 avril) et
l’ouverture officielle des négociations* entre la France et le GPRA* le
20 mai. En métropole, le tourbillon 1961 est marqué par la recrudescence des
actes racistes en France, telle la ratonnade* de Metz (23-24 juillet), le
durcissement de la répression et son corollaire, les attentats frontistes contre
les forces de police*. Pour comprendre le 17 octobre 1961, il faut donc
prendre en considération le temps long, celui qui voit l’implantation du FLN
en France, et le temps court, celui qui plongea la Ville Lumière dans une nuit
d’horreur.
L’immigration algérienne s’inscrit dans la stratégie générale du FLN
lequel ambitionne de contrôler l’ensemble des Algériens, y compris ceux qui
vivent hors de ses frontières. La Fédération de France, chargée de cette
mission, est autonome mais sous contrôle des institutions* frontistes
(CNRA*, CCE* puis GPRA). Ce contrôle s’exprime par la nomination des
cadres fédéraux et l’obligation d’une direction collégiale, mais aussi par
l’application obligatoire d’un modèle d’organisation politico-administratif
(nidham) et d’une ligne politique. Au moment du 17 octobre, la Fédération de
France vient d’être érigée en 7e wilaya du FLN. Si elle peut prendre des
initiatives, elle ne peut bousculer ses modes d’actions politiques sans avoir de
compte à rendre aux instances de la révolution algérienne, surtout dans le
contexte de la fin de l’année 1961 où l’État-FLN est en passe de réussir son
pari. L’organisation des manifestations du 17 octobre 1961 a donc
difficilement pu se faire sans que ces instances en aient été informées.
À l’été 1961, la Fédération de France transmet des consignes à ses
militants afin de surseoir aux attentats, mais cette trêve reste fragile. Des
policiers sont visés à l’aveugle et les violences policières, touchant les
immigrés au nom de la lutte contre le FLN, s’accentuent. Le 3 octobre 1961,
aux obsèques d’un brigadier, le préfet Papon* déclare : « Pour un coup
donné, nous en porterons dix ! » Le 5 octobre, il impose un couvre-feu à tous
les Algériens du département de la Seine de 20 h 30 à 5 h 30 du matin. Initié
à la guerre contre-révolutionnaire et son application au maintien de l’ordre,
Papon a mis en place un dispositif répressif où se superposent différents
services de renseignement et de répression, dont les harkis* de la force de
police auxiliaire (FPA). À l’automne 1961, l’écrivaine Marguerite Duras
demande à un immigré algérien vivant dans le département de la Seine de
résumer son existence. Sa réponse dit beaucoup de la souffrance morale et
psychologique de ces hommes et de ces femmes : « Je crois qu’on peut dire
exactement : terrorisée. Nous avons une vie terrorisée » (France
Observateur, 9 novembre 1961).
Contre ce couvre-feu qui empêche les militants du FLN de se réunir le
soir, contre les violences policières qui s’accentuent à un rythme effréné et
provoque la mort de nombreux Algériens, la Fédération de France réunie en
conseil le 10 octobre 1961 décide d’organiser la riposte en choisissant la voie
pacifique. Pour la première fois de son histoire, alors même que les
manifestations sont interdites, elle décide de modifier son mode d’action
politique en organisant à Paris une marche destinée à dénoncer la répression
et le couvre-feu. Tous les Algériens, à l’exception des vieillards (chargés de
garder les enfants en très bas âge) et des permanents, dont l’éventuelle
arrestation serait un risque trop important pour le nidham, sont appelés à
manifester dans Paris. Les jours qui suivent, la Fédération prévoit, en
prévision des arrestations, une manifestation de protestation des femmes*
algériennes ainsi qu’une grève* des commerçants et des écoliers.
Le soir du 17 octobre 1961, une foule d’hommes, de femmes et d’enfants
marche calmement en direction du centre de Paris, à partir de leurs quartiers
et en particulier des bidonvilles de la banlieue dont celui de Nanterre. Ils
forment donc de multiples cortèges autour de Paris et doivent converger au
cœur de la capitale : ils sont de ce fait réprimés à leurs points d’entrée dans la
ville, comme au pont de Neuilly pour l’ouest de l’agglomération. Le défilé
principal emprunte les grands boulevards aux cris de « Vive
l’indépendance », « Non au couvre-feu », « Libérez Ben Bella* ». Les
charges de la police sont d’une rare violence. S’il y eut bien des morts par
balles, il y eut également de nombreuses victimes décédées sous les coups de
matraque – la police parisienne était armée de longues matraques de bois
appelées « bidules » – ou jetées à la Seine. Cette violence sans limite fut
difficile à canaliser par le commandement policier. Dans le même temps, plus
de 12 000 hommes sont arrêtés le soir même puis entassés dans les bus
réquisitionnés de la RATP avant d’être internés dans divers lieux parisiens
(au parc des Expositions, par exemple) puis, pour des centaines d’entre eux,
renvoyés vers « leurs douars d’origine ».
La réquisition exceptionnelle des bus de la RATP et du parc des
Expositions démontre que la police ne se place pas dans une logique
classique de maintien de l’ordre mais dans celle de la guerre subversive, à
laquelle est initié Maurice Papon* – il a été préfet* à Constantine auparavant.
Le soir du 17 octobre, il recourt ainsi à la FPA qui n’était pas formée au
maintien de l’ordre. La FPA eut la responsabilité du contrôle des principaux
barrages situés aux portes de Paris. De surcroît, malgré les consignes
officielles stipulant d’intervenir « avec fermeté et sans brutalité », la FPA fut
armée de pistolets-mitrailleurs, alors même qu’elle avait un lourd contentieux
avec le FLN. À Paris comme en banlieue, c’est l’ensemble des policiers qui
furent encouragés à la violence par la diffusion de messages radiophoniques
mensongers stipulant la présence d’Algériens armés ou faisant usage de leurs
armes, mais aussi par l’assurance que leurs actes seront couverts par leur
hiérarchie. Le soir du 17 octobre 1961, les logiques répressives colonialistes
prirent le pas sur celles du maintien de l’ordre et entraînèrent la mort de
plusieurs dizaines d’Algériens sous le regard des Parisiens. Comme le
souligne Emmanuel Blanchard, le 17 octobre 1961 est bien un « massacre
colonial » car les violences policières ce soir-là « participaient de techniques
de gouvernement impérial loin d’être propres au cas français – que l’on pense
aux massacres de manifestants dans l’Inde colonisée, même si dans l’Empire
britannique elles ne débordèrent pas de façon si dramatique jusqu’au centre
de la métropole ».
Le bilan* officiel du 17 octobre 1961 est de 7 morts et de 40 blessés. Il
est très rapidement contesté par les contemporains. Les historiens estiment à
plusieurs dizaines le nombre de morts le soir du 17 octobre, plus d’une
centaine en considérant cet événement dans le contexte plus large de
l’automne 1961.
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, La Bataille de France. La guerre d’Algérie en
métropole, Robert Laffont, 2004 • Emmanuel Blanchard, « Histoire et
mémoires de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris », entretien publié
sur le site du Musée de l’histoire de l’immigration, disponible en ligne • Jim
House et Neil MacMaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la
mémoire, Tallandier, 2008.
17 OCTOBRE 1961 (MÉMOIRE)
Après 1962, les témoins meurtris d’octobre 1961 s’enferment dans le
silence, faute d’une écoute favorable au sein de la société française. Ainsi les
morts du 17 octobre 1961 rejoignent le panthéon des victimes oubliées de
l’histoire de France. En Algérie, la date du 17 octobre est érigée en « journée
nationale de l’émigration* » dès 1968 et l’événement est commémoré mais il
ne peut y avoir la même portée mémorielle qu’en France, où il s’est produit.
De ce côté de la Méditerranée, il resurgit dans les années 1980. Les crimes
racistes dont des Maghrébins (parmi lesquels les Algériens sont les plus
nombreux) sont victimes rappellent en effet, inévitablement, la Guerre
d’indépendance algérienne. Parallèlement, les travaux de Pierre Milza,
Gérard Noiriel, Jeanine Ponty, Ralph Schor, Benjamin Stora* ou encore
Patrick Weil documentent l’histoire de l’immigration. Longtemps ignorée,
celle-ci devient un objet de recherches au moment même où les enfants
d’immigrés algériens, nés pendant la guerre, revendiquent leur appartenance
à la société française. Ce n’est pas un hasard si, en marge de la « Marche
pour l’égalité et contre le racisme » de 1983, les jeunes marcheurs
revendiquent une reconnaissance officielle de la répression policière des
manifestations algériennes du 17 octobre 1961. L’important roman de Didier
Daeninckx, Meurtres pour mémoire, paraît alors (Gallimard, 1983). D’autres
associations, comme Au nom de la mémoire, avec Mehdi Lallaoui et Samia
Messaoudi, ainsi que les historiens Michel Levine et Jean-Luc Einaudi,
contribuent à briser l’amnésie collective.
Ironie de l’histoire, c’est avec le procès de Maurice Papon* (8 octobre
1997-2 avril 1998) que le 17 octobre réinvestit la parole publique trente-six
ans après les faits. Le 16 octobre 1997, alors que la cour d’assises de la
Gironde examine sa carrière, Papon reconnaît pour la première fois
l’inexactitude du bilan officiel, tout en niant la responsabilité des forces de
l’ordre. Catherine Trautmann, ministre de la Culture, décide alors d’ouvrir les
archives* relatives au 17 octobre, estimant que « ce sont des faits qui
interrogent les Français depuis des années, les familles algériennes qui ont été
touchées par les disparitions de leurs proches et qui ont souhaité en connaître
les circonstances » (Libération, 22 octobre 1997). S’ensuit la mission de
Dieudonné Mandelkern, haut fonctionnaire chargé d’établir un inventaire des
archives de la préfecture de police de Paris et des services du ministère de
l’Intérieur relatives à la manifestation du FLN* du 17 octobre 1961. Le
dernier acte de cette reconnaissance juridique a lieu en 1998, lorsque Maurice
Papon est débouté de son procès intenté contre Jean-Luc Einaudi pour
diffamation. Selon la 17e chambre correctionnelle de Paris, « dès lors que l’on
admet que la version officielle des événements de 1961 semble avoir été
inspirée largement par la raison d’État admissible » on ne saurait faire grief à
l’historien Einaudi d’avoir utilisé le mot « massacre ». Le 20 mai 1998, dans
une tribune publiée dans Le Monde* et intitulée « Octobre 1961, pour la
vérité enfin », Jean-Luc Einaudi persiste et signe : « En octobre 1961, il y eut
à Paris un massacre perpétré par des forces de police* agissant sous les ordres
de Maurice Papon. » Ce tournant a été possible grâce au sérieux de ses
travaux mais aussi aux témoignages* de Brigitte Lainé et Philippe Grand,
conservateurs aux archives de Paris. Au nom de la vérité historique, ces
derniers sont sortis de leur devoir de réserve pour dire devant la justice
française ce que révélaient les archives dont ils avaient la charge. Un choix
courageux aux lourdes conséquences professionnelles et psychologiques qui
se sont traduites par des sanctions. Puis, dans le sillage de ces deux procès, le
5 mai 1999, Lionel Jospin*, Premier ministre, s’engage à faciliter les
recherches sur le massacre colonial du 17 octobre 1961. L’ouverture des
archives françaises, et en particulier celles de la préfecture de police, a permis
effectivement de lever le voile à la fois sur le rôle des forces de l’ordre et du
préfet Papon dans la répression des manifestations algériennes
d’octobre 1961, mais également de mieux comprendre l’organisation de la
Fédération de France* du FLN. Parmi les travaux historiques importants qui
découlent de ces ouvertures d’archives figure l’ouvrage de référence Paris
61. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire des historiens britanniques
Jim House et Neil MacMaster.
Les faits sont donc établis et la mémoire d’Octobre 1961 n’a jamais quitté
la scène associative, artistique et documentaire. Du sourire de Brahim (Nacer
Kettane, 1985) à la chanson* Paris. Octobre 61 du groupe La Tordue (2008)
ou encore le documentaire de Yasmina Adi Ici on noie les Algériens (2011),
les artistes et réalisateurs n’ont eu de cesse de dénoncer la répression et de
rendre hommage aux victimes d’octobre 1961. En 2001, les
commémorations* des 40 ans du 17 octobre 1961 suscitent une très forte
mobilisation populaire et scientifique de dimension nationale. L’association
Au nom de la mémoire organise une exposition consacrée au 17 octobre
1961, avec 17 illustrateurs, et Michel Duffour, secrétaire d’État au Patrimoine
et à la Décentralisation culturelle, déclare : « Le travail de mémoire, pour
s’accomplir, a tout simplement besoin de la reconnaissance officielle de ce
qui s’est produit. Il ne s’agit pas de rédemption ou de repentance*, mais d’un
acte de justice pour le présent et l’avenir. » Depuis le tournant des
années 2000, l’événement a fait son entrée dans les programmes scolaires*,
via l’étude de la Guerre d’indépendance algérienne. En 2012, le musée de
l’Immigration organise une importante exposition consacrée à l’immigration
algérienne pendant la Guerre d’indépendance. Intitulée « Algériens en
France. La guerre, l’exil, la vie (1954-1962) », elle permet l’entrée au musée
des manifestations pacifiques d’octobre 1961 et leur violente répression.
Les municipalités, au premier chef la ville de Paris sous la mandature de
Bertrand Delanoë, ont devancé l’État dans la reconnaissance politique,
officielle. En 2001, le maire de Paris inaugure, non sans mal, une plaque en
l’hommage des victimes d’octobre 1961, sur le pont Saint-Michel. Depuis,
plusieurs municipalités de la région parisienne mais aussi de province ont
suivi son exemple et ont intégré le 17 octobre 1961 dans l’espace mémoriel
de leur ville, via l’odonymie.
Reste que ce retour de mémoire, récent, est encore fragile. La prise de
parole du président François Hollande* en 2012 suscite de nombreuses
critiques à droite, et des déceptions à gauche. S’il déclare que « la République
reconnaît avec lucidité » la répression « sanglante » et rend hommage à la
« mémoire des victimes », le geste fort tant attendu des passeurs de témoins
n’est pas venu. Une déception réitérée en 2021, après le communiqué du
président Macron* sur les « crimes inexcusables » du 17 octobre 1961.
Soixante ans après, la parole présidentielle peine encore à exprimer la
responsabilité de l’État dans ces « crimes ».
Lorsqu’en juin 2022, Mediapart titre « Massacre du 17 octobre 1961 : les
preuves que le général de Gaulle* savait », il ne lève qu’un secret de
polichinelle. La chaîne des responsabilités est en effet bien connue
aujourd’hui. Si l’État français avance dans la reconnaissance officielle, la
société civile a fait sienne le combat pour la mémoire du 17 octobre 1961.
Pour le dire dans les mots du jazzman Thelonious Monk, « la nuit est toujours
là, sinon nous n’aurions pas besoin de lumière ».
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, Benjamin Stora (dir.), Algériens en France. La guerre,
l’exil, la vie (1954-1962), Autrement, 2012 • Nacer Kettane, Le Sourire de
Brahim, Denoël, 1985 • Anne Tristan, Le Silence du fleuve, Au nom de la
mémoire, 1991.
DELAVIGNETTE, RAPPORT
Robert Delavignette a à son actif une longue carrière coloniale. Il a été
gouverneur du Cameroun, directeur des Affaires politiques au ministère de la
France d’outre-mer, directeur de l’École nationale de la France d’outre-mer
(ENFOM). En 1957, il est nommé dans la première Commission de
sauvegarde*, formée par Guy Mollet*. Par ailleurs beau-père de Jean
Mairey*, il est comme lui l’un des informateurs de Pierre Vidal-Naquet* qui
a publié en 1962 son rapport dans La Raison d’État.
Ce rapport est l’un des huit produits par les membres de la Commission
mais il occupe une place importante dans le rapport de synthèse qu’a rédigé
son président, Pierre Béteille. Remis en septembre au gouvernement, qui ne
lui donne aucune suite, ce rapport de synthèse finit par être publié par Le
Monde* le 14 décembre 1957. Entre-temps, Delavignette, ainsi que l’avocat
Maurice Garçon, ont démissionné de la Commission pour protester contre
l’inaction gouvernementale.
Du rapport Delavignette, le rapport de synthèse retient surtout les affaires
d’Aïn Isser et de Mercier-Lacombe. Dans les deux cas, des dizaines de
« suspects » (41 et 23) ont été enfermés dans des cuves à vin de 30 mètres
cubes, où ils se sont asphyxiés (seuls 7 hommes ont pu être réanimés). Des
notes de service ont prohibé un tel usage des cuves à vin et les responsables
directs ont été punis. Au-delà de ces jeunes hommes (entre 21 et 26 ans),
Delavignette incrimine lucidement la « guerre très spéciale » menée en
Algérie. Le « contre-terrorisme », écrit-il, crée des « groupements »
s’arrogeant les « pouvoirs de police* et de justice » sur tout un chacun ; il
« s’infiltre dans l’armée et l’administration », que guette ainsi un dangereux
« pourrissement ». La suite de son rapport fait l’éloge des sections
administratives spécialisées* (SAS) : une « bouffée d’air pur » dont
« l’œuvre » est gâchée par le « contre-terrorisme ».
Devenu, avec les autres documents publiés par Vidal-Naquet, une source
importante pour l’histoire des méthodes de guerre françaises en Algérie, ce
rapport témoigne d’un positionnement typique de hauts fonctionnaires. Eux
ne dénoncent pas la guerre par anticolonialisme mais pour ses effets délétères
sur les services de l’État républicain.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État,
Minuit, 1962 • —, Mémoires, t. II, Le trouble et la lumière, 1955-1998, Seuil-
La Découverte, 1998.
DELOUVRIER, PAUL (1914-1995)
Ayant grandi, selon ses mots, dans un milieu catholique de province, Paul
Delouvrier se réclame de la démocratie chrétienne, sans approuver Bidault
sur la décolonisation. Son père, autodidacte, est directeur adjoint au Crédit
Lyonnais, lui devient inspecteur des finances sous Vichy – sa mobilisation en
1939 a interrompu son cursus (droit, sciences politiques, préparation du
concours). Entré à l’école vichyste des cadres d’Uriage, il prend le maquis en
1944, quand de Gaulle* rejoint la capitale. Après-guerre, il se consacre au
service de l’État dont il devient un grand commis, aux Finances, d’abord,
pour l’Europe avec Jean Monnet, ensuite.
En 1958, de Gaulle le nomme délégué général du gouvernement en
Algérie (DGGA). Avec le général Challe*, ils remplacent Salan* qui
cumulait pouvoirs civils et militaires. Outre qu’elle sépare les deux, leur
nomination restaure la primauté du civil. Delouvrier doit assurer l’application
du plan de Constantine* et organiser les élections* locales en vue de dégager
une 3e force susceptible de porter un projet nouveau. Lucide sur le fait
national algérien, il envisage une évolution très progressive, épargnant les
Français d’Algérie. Il s’attache aussi à convaincre l’armée de rester loyale.
Son action pendant le soulèvement pro-Algérie française des barricades, qu’il
contribue à éteindre, est à cet égard déterminante.
Il déploie une activité intense pour restaurer le pouvoir civil :
réintroduction de préfets*, libérations massives d’internés, condamnation de
la torture* et des exécutions sommaires*, politique de « dégroupement » et de
transformation des camps en « villages ». Entouré d’hommes de confiance,
dont Éric de Westphal, il s’appuie sur une administration renouvelée, des
commissions d’enquête et d’inspection. Las cependant d’affronter les
opposants à une politique qu’il ne maîtrise pas, il demande à être rappelé en
novembre 1960, lorsque de Gaulle parle de « République algérienne ».
Refusant d’être associé aux pourparlers avec le GPRA*, il se consacrera
ensuite à l’aménagement du territoire (réorganisation de la région parisienne,
villes nouvelles, parc de la Villette…) et au développement économique
(direction d’EDF, responsabilités au plan), jusqu’à sa retraite en 1984.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Roselyne Chenu, Paul Delouvrier ou la passion d’agir, Seuil, 1994
• Sébastien Laurent et Jean-Eudes Roullier (dir.), Paul Delouvrier, un grand
commis de l’État, Presses de Sciences Po, 2005.
DÉMOGRAPHIE
Les études démographiques ont en règle générale peu abordé la Guerre
d’indépendance. Deux grandes études sur le sujet existent néanmoins.
La première est assurément la thèse de Kamel Kateb, qui dresse un état
des lieux de l’évolution des populations européenne, « indigène » et juive en
Algérie, de 1830 à 1962. Il s’agit d’une synthèse des travaux statistiques,
nombreux sur toute la période, qui servaient à asseoir le pouvoir colonial
mais aussi à donner une légitimité à des projets ou des actes politiques. Les
statistiques ne sont donc pas forcément justes et sont très liées au politique.
Pour la période la plus ancienne, Kamel Kateb s’attache notamment à
connaître quel était réellement le nombre de la population algérienne en 1830,
à évaluer la régression de la population « indigène » jusqu’en 1875 et ses
causes (conquête militaire, mais aussi ses conséquences indirectes :
émigration*, famines et épidémies). Il analyse ensuite l’évolution des
populations sous la période coloniale, avec les bouleversements
démographiques qui interviennent (en particulier la transition démographique
des Algériens), avant d’aborder dans un dernier chapitre les incidences du
mouvement insurrectionnel sur les populations.
Il s’attache en particulier à évaluer les pertes de guerre, en partant du
constat de la très grande disparité des quantifications, surtout en ce qui
concerne les pertes algériennes : entre 200 000 morts reconnus a minima du
côté français, et 1,5 million revendiqués du côté algérien. L’idée est de se
baser sur les recensements de 1954 et de 1966 pour apprécier le déficit de
population. Néanmoins, Kamel Kateb affirme que cette méthode ne permet
pas d’arriver à une estimation objective des pertes algériennes car une légère
variation dans les taux de croissance de l’estimation de l’évolution de la
population conduit à des modifications très importantes de l’évaluation des
pertes. Par exemple, une variation de 0,2 point de croissance entre 1954 et
1962 (de 3,2 à 3,4 %) ferait passer les pertes de 429 000 à 578 000, soit une
différence de plus de 150 000 personnes. De ce point de vue, la méthode
démographique, si elle peut être féconde, présente aussi des limites pour
l’étude de la colonisation et de la Guerre d’indépendance algérienne.
Un autre démographe, Francis Ronsin, s’est aussi attaché à étudier
l’influence de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre d’Algérie et de la
première guerre du Golfe de 1991 sur la nuptialité des Français. Pour ce qui
concerne la Guerre d’indépendance, il souligne ainsi un déficit frappant des
mariages pour l’année 1956, imputable en premier lieu aux jeunes hommes
de 23 ans. Analysant l’évolution des mariages au cours des différents mois de
l’année, il remarque que le déficit des mariages se vérifie surtout pour les
mois de juillet à novembre 1956, c’est-à-dire ceux pendant lesquels les
disponibles rappelés sous les drapeaux étaient présents en Algérie. En termes
de nuptialité, c’est le seul moment qui a été sensiblement perturbé au cours de
la guerre d’Algérie.
Mais Francis Ronsin s’attache aussi à analyser la sortie de la guerre, dans
la mesure où il peut exister des phénomènes de « rattrapages » lors des
périodes de retour à la paix. En effet, il apparaît qu’entre 1961 et 1964, le
taux de premiers mariages des jeunes hommes de 20 et de 21 ans est
respectivement multiplié par 2,4 et 2,2. Or, l’âge moyen au premier mariage
décroît dans le même temps de manière régulière depuis la Seconde Guerre
mondiale. Il apparaît ainsi que la guerre d’Algérie a entravé une évolution, en
augmentant l’âge moyen au mariage d’une demi-année environ, et le
rattrapage s’est réalisé de manière brutale et accélérée à la fin du conflit. En
dépit de l’arrivée à l’âge du mariage des « classes creuses » nées au début de
la Seconde Guerre mondiale, un grand nombre de mariages ont été célébrés à
partir de juin 1962 : en un seul mois, 4 914 mariages ont été contractés en
plus. Et ce comportement change de manière durable jusqu’en 1963.
Pour Francis Ronsin, les particularités de la guerre d’Algérie (notamment
l’absence de mobilisation générale et l’appel aux soldats du contingent)
expliquent de faibles incidences démographiques, mais qui n’en sont pas
moins réelles. Il analyse par ailleurs avec précision l’évolution des effectifs
militaires en Algérie, mais aussi au Maroc* et en Tunisie*, chiffres qui ont
depuis été complétés par le Service historique de la Défense. Ces chiffres ont
également été exploités pour l’analyse de l’évolution des réfractaires* dans la
guerre d’Algérie.
Au total, l’étude démographique peut montrer des limites pour analyser
certains phénomènes comme les pertes de la Guerre d’indépendance, mais
être aussi féconde pour étudier des comportements sociaux. Francis Ronsin
souligne enfin que la démographie doit également conserver une dimension
humaine, sensible, propre à montrer l’impact que les phénomènes comme les
guerres peuvent avoir sur les comportements les plus intimes.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-
1962). Représentations et réalités des populations, Ined, 2001 • Francis
Ronsin, « Guerre et nuptialité. Réflexions sur l’influence de la Seconde
Guerre mondiale, et de deux autres, sur la nuptialité des Français »,
Population, vol. 50, no 1, 1995.
DÉSERTEUR (LE), DE BORIS VIAN
Le Déserteur, de Boris Vian, est l’une des chansons* les plus célèbres du
e
XX siècle dans le monde entier. Pacifiste, voire antimilitariste, elle est aussi
associée à l’anticolonialisme. Écrite en février 1954, durant la guerre
d’Indochine*, elle n’était pas spécialement destinée à la dénoncer. De fait,
aucune parole ne fait référence à un lieu ou à un conflit précis.
Le succès phénoménal de cette chanson est lié, outre sa qualité littéraire,
à la cascade d’affaires, pour ne pas écrire de scandales, présidant à sa sortie.
Les plus proches de Vian sont rapidement en possession du texte. Parmi
eux, Mouloudji la met immédiatement à son répertoire, moyennant un « léger
aménagement » – sur les conseils de son entourage, Vian renonce au dernier
couplet, explosif : « Si vous me poursuivez/Prévenez vos gendarmes/Que je
possède une arme : Et que je sais tirer », au profit d’un bien plus sage : « …
Que je n’aurai pas d’arme/Et qu’ils pourront tirer. »
Mouloudji la chante pour la première fois au Théâtre de l’Œuvre, à Paris
le 7 mai 1954. On a appris le jour même la chute de Điên Biên Phù. Scandale,
huées. Un tel début ne peut qu’attirer l’attention sur Le Déserteur lors du
conflit suivant en Algérie. Sur scène, Boris Vian lui-même est souvent
interrompu, menacé, voire interdit, par des gros bras. À Dinard, par exemple,
le maire de la ville, Yves Verney, prend la tête d’une manifestation.
Un conseiller municipal de Paris, Paul Faber, obtient son interdiction sur
les ondes radiophoniques. Vian réplique : « Le métier de militaire consiste à
faire la guerre ; le rôle du civil consiste à chercher à l’éviter. On considère
généralement que tous les moyens sont bons pour faire la guerre ; qu’il me
soit permis de penser que l’usage d’une chanson est aussi correct que celui
d’un fusil » (Le Canard enchaîné, 28 septembre 1955).
Dans la mémoire collective, Le Déserteur reste lié à la protestation contre
cette guerre. Elle est souvent chantée lors des manifestations de rappelés* en
1955-1956.
Alain RUSCIO
Bibl. : Alain Ruscio, « La décolonisation en chantant. Les guerres
d’Indochine et d’Algérie à travers la chanson française », in La Guerre
d’Algérie au miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de Charles-
Robert Ageron. Actes du colloque international, SFHOM, 2000 • Boris Vian,
Textes et Chansons, choisis et présentés par Noël Arnaud, Julliard, 1966 • —,
Chansons, textes établis par Georges Unglik et Dominique Rabourdin,
Christian Bourgois, 1994.
DÉSERTEURS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE (DAF)
Cet acronyme désigne des militaires algériens ayant intégré l’ALN* après
avoir servi dans les rangs de l’armée française. D’après Charles-Robert
Ageron*, son usage est contemporain des désertions de ces hommes.
L’employer est néanmoins problématique. En effet, dans l’imaginaire
collectif, cet acronyme est très souvent associé au hizb França, ou « parti de
la France », expression péjorative et non clairement définie qui désigne un
groupe d’hommes aux contours flous qui aurait accaparé le pouvoir en
Algérie. De ce fait, l’expression « anciens de l’armée française » paraît plus
pertinente et plus neutre pour désigner ces hommes qui ont servi sous le
drapeau français avant de rejoindre l’ALN et ce d’autant plus que tous les
anciens de l’armée française n’ont pas déserté ; certains, bien que
minoritaires, ont rejoint l’ALN à la fin de leur contrat. En outre, ces « DAF »
ne forment pas un groupe homogène.
On peut distinguer parmi eux deux générations* d’hommes, au sens
d’une communauté d’expériences, aux trajectoires assez similaires qui
correspondent au sens premier de l’acronyme DAF. La plupart d’entre eux
désertent depuis la France ou l’Allemagne et rallient l’ALN au niveau de la
frontière tunisienne en raison des barrages frontaliers qui isolent de plus en
plus le territoire algérien.
La « première génération » est formée par des hommes qui sont nés dans
les années 1920 et ont reçu une formation militaire en Algérie à partir de
1942 au sein, pour la majorité d’entre eux, de l’École des élèves officiers
indigènes d’Algérie et de Tunisie (EEOIAT). Certains ont ensuite participé à
la libération de la France à partir de 1944 et ont été décorés. L’essentiel a
ensuite été envoyé en Indochine*. Lorsque la guerre éclate en Algérie, ils
sont donc des hommes aguerris ayant déjà une expérience du feu.
Certains désertent de manière précoce et violente, ce qui leur évite d’être
frappés du sceau de la suspicion contrairement à d’autres qui voient leur
loyauté régulièrement mise en doute. Les deux exemples les plus
emblématiques sont ceux d’Abderrahmane Bensalem et Ahmed Bencherif*.
Le premier, né en 1923, déserte l’armée française en mars 1956. Le second,
né en 1927, déserte en juillet 1957 avec six autres militaires, emportant des
armes et tuant quatorze militaires. Ces désertions sont utilisées par le FLN* à
des fins de propagande* et donnent à leurs auteurs une forte légitimité,
comme en témoignent notamment leurs affectations futures – Abderrahmane
Bensalem est nommé à la tête de la Zone opérationnelle Nord créée par
l’État-major général* (EMG) en 1960 tandis qu’Ahmed Bencherif est le seul
déserteur de l’armée française à faire partie du CNRA*.
Plusieurs anciens de l’armée française de première génération désertent à
la suite de l’affaire du lieutenant Abdelkader Rahmani (connue sous le nom
d’affaire des officiers algériens) qui envoie, en janvier 1957, une lettre au
président français René Coty signée par cinquante-deux officiers algériens.
Ils y exposent leur cas de conscience à aller combattre des Algériens. Cette
affaire entraîne la désertion de plusieurs officiers algériens qui rejoignent
l’ALN. Ils gravissent rapidement les échelons, soutenus par Houari
Boumediene*, chef de l’EMG, qui leur confie d’importantes fonctions à
partir de 1960. Après l’indépendance, ces hommes connaissent l’apogée de
leur carrière sous le régime de Boumediene (1965-1978), avant d’être
progressivement mis à l’écart.
D’autres hommes, plus jeunes, sont également désignés par l’acronyme
DAF. Ils appartiennent à la seconde génération d’anciens de l’armée
française. Ces hommes, nés dans les années 1930, sont passés pour la plupart
par l’école d’enfants de troupe de Koléa, qui accueille les Français
musulmans dès 1946. Ils ont le grade de sous-lieutenant lorsqu’ils rejoignent
les rangs de l’ALN, le plus souvent à la frontière tunisienne, à partir de 1957-
1958. S’ils ne forment en aucun cas un groupe homogène, la plupart d’entre
eux connaissent l’apogée de leur carrière sous la présidence de Chadli
Bendjedid (1979-1992). C’est le cas de Khaled Nezzar, promu général-major,
qui devient ministre de la Défense nationale en 1990, alors que depuis 1965
le poste était détenu par le chef de l’État.
Saphia AREZKI
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Les militaires algériens dans l’armée
française de 1954 à 1962 », in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des
femmes en guerre d’Algérie, Autrement, 2003 • Saphia Arezki, De l’ALN à
l’ANP. La construction de l’armée algérienne (1954-1991), Éditions de la
Sorbonne, 2022 • William Zartman, « L’élite algérienne sous la présidence de
Chadli Bendjedid », Maghreb-Machrek, no 106, 1984.
DÉTACHEMENTS OPÉRATIONNELS
DE PROTECTION (DOP)
Si, dans l’imaginaire français, l’acronyme évoque une marque de
shampoing qui s’est répandue depuis la fin des années 1930, DOP désigne,
dans le contexte de la guerre, des unités militaires spécialisées dans la
pratique de la torture*. Sous le nom anodin de détachements opérationnels de
protection se cachent des éléments des services spéciaux français, dépendant
d’un non moins camouflé Centre de coordination interarmées (CCI). Leur
existence manifeste l’institutionnalisation de la torture au sein de l’armée.
Commandés par le lieutenant-colonel Clément Ruat pendant la majeure partie
de la guerre, ils se développent à partir de 1957 dans la foulée du changement
radical de doctrine que l’armée connaît alors, en s’engageant dans une guerre
qu’elle souhaite contre-révolutionnaire. La torture en est un des piliers : il
s’agit de terroriser la population afin de contrer la terreur par laquelle le
FLN* est censé obtenir l’adhésion populaire à la cause indépendantiste dont
il est le héraut.
Situés dans des locaux à l’écart des autres unités militaires, constitués
d’hommes recrutés spécifiquement et ne se mêlant pas aux autres, dotés d’un
uniforme spécial et d’autorisation de circulation étendue, les DOP travaillent
à maintenir leur sinistre image auprès de leurs ennemis et, bien plus, de
l’ensemble des civils algériens. Au maximum de leur développement, ils
comptent quatre mille hommes – ce qui est extrêmement peu comparé aux
effectifs de l’armée française en Algérie mais impressionnant mesuré à leur
réputation. En interne, les DOP justifient leur existence très libre – jusqu’à
constituer une armée dans l’armée – au nom de leur efficacité. Ils agissent
toujours hors de la légalité et se concentrent sur les prisonniers* jugés les
plus récalcitrants ou les plus intéressants – ainsi les maquisards de l’ALN*
désireux de se rallier après leur capture.
Dénoncés jusqu’en métropole pour leur usage immodéré de la violence et
en particulier de la torture, les DOP doivent changer de nom en 1960. À cette
date, le pouvoir politique s’attache à reprendre en main l’armée et la pratique
de la torture doit disparaître à ce titre. Censés être supprimés, les DOP
deviennent en réalité des UOR, unités opérationnelles de recherche. Seule
l’appellation change.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001.
DÉTOURNEMENT DE L’AVION
DU FLN (22 OCTOBRE 1956)
Aux six dirigeants du FLN* à la tête de l’insurrection à l’intérieur du
territoire algérien, il convient d’ajouter trois membres de la délégation
extérieure composée de Mohamed Khider*, Hocine Aït Ahmed* et Ahmed
Ben Bella*. Après l’accession de Guy Mollet* à la présidence du Conseil, un
tour plus répressif est pris à compter de la « journée des tomates* » le 6
février 1956. Sa politique se résume dans le triptyque « cessez-le-feu,
élections, négociations » : après la victoire militaire marquée par le cessez-le-
feu doivent suivre des élections* puis des négociations* avec les
représentants algériens. Néanmoins, celles-ci existent déjà secrètement dès
mars 1956, et se poursuivent au cours des mois suivants. En septembre, les
négociations se tendent davantage car le FLN « de l’intérieur », par
l’entremise d’Abane* Ramdane, désigne un nouveau représentant de la
délégation extérieure. Elles se poursuivent en octobre dans un cadre régional,
plus propice à dégager une solution acceptable par les deux parties. Les 20 et
21 octobre, les trois membres de la délégation extérieure auxquels il faut
ajouter Mohamed Boudiaf* et un jeune intellectuel, Mostefa Lacheraf*,
rencontrent le sultan du Maroc* Mohammed V à deux reprises. Le
lendemain, les négociations doivent continuer avec Habib Bourguiba en
Tunisie*. Les services secrets français suivent avec attention le déroulement
des pourparlers au Maroc. Le directeur général du Service de documentation
extérieure et de contre-espionnage* (SDECE), Pierre Boursicot, et le
commandant des forces en Algérie, le général Lorillot*, donnent leur accord
pour détourner l’avion transportant les membres de la délégation du FLN. Le
gouverneur général de l’Algérie Robert Lacoste* doit normalement être
consulté, mais il est en voyage. C’est son secrétaire général qui avalise
l’opération, avec le secrétaire d’État aux Forces armées de terre Max
Lejeune.
Le 22 octobre, un avion de la compagnie Air Atlas/Air Maroc est affrété
par le gouvernement marocain, mais il possède encore en partie un équipage
français, dont le commandant de bord et une hôtesse de l’air, correspondante
du SDECE. L’avion évite le survol de l’espace aérien algérien et fait escale
aux Baléares. À 16 heures, le commandant de bord reçoit l’ordre de se
dérouter sur Oran. Il refuse d’abord, avant d’accepter, en ayant reçu
l’assurance de la protection des familles des membres d’équipage. L’avion
tourne lentement dans les airs pour atterrir à l’horaire prévu. Il se pose sur le
tarmac de l’aéroport de Maison-Blanche, près d’Alger, à 21 h 20. Pour les
passagers de l’appareil, c’est la consternation. Il s’agit du premier acte de
piraterie aérienne commis par un État contre un avion civil, amenant la
communauté internationale à désapprouver l’acte commis par les services
secrets français. En Tunisie, l’ambassadeur de France est furieux et, au
Maroc, le sultan Mohammed V se sent trahi, ce dont il rend compte au
président René Coty. Guy Mollet* est ensuite informé. Il réprouve nettement
l’opération mais décide de la couvrir pour éviter l’incompréhension de
l’opinion publique* et un éventuel renversement du gouvernement, très
fréquent sous la IVe République*. Le président René Coty se sent lui-même
déshonoré et convoque plusieurs membres du gouvernement, se disant prêt à
la libération des prisonniers*. Ce n’est pas la décision choisie mais une ligne
de fracture apparaît dans le gouvernement : si Maurice Bourgès-Maunoury*,
ministre de la Défense nationale, et Max Lejeune assument l’opération, en
revanche Christian Pineau, ministre des Affaires étrangères, est de l’avis du
président Coty. Surtout, après Pierre Mendès France* au printemps, Alain
Savary, secrétaire d’État aux Affaires marocaines et tunisiennes, démissionne
avec son chef de cabinet et l’ambassadeur de France en Tunisie.
Après leur arrestation les membres de la délégation extérieure du FLN
sont interrogés par la DST à Alger. Puis ils sont envoyés par avion en France
métropolitaine où ils sont détenus à la prison* de la Santé puis à l’île d’Aix
et, à la fin de la guerre, au château du Turquant et au château d’Aunoy. Cette
arrestation, au départ présentée comme celle de la direction du FLN, laisse
accroire à une fin prochaine du conflit. Il n’en est bien entendu rien. En fait,
elle rend simplement impossible toute poursuite des négociations. Elle
conforte les ailes dures des deux camps : du côté français les officiers* et les
politiques partisans d’une solution répressive, du côté algérien le FLN « de
l’intérieur » opposé à toute forme de négociation, incarné par Abane
Ramdane. Il faut attendre presque quatre ans avec les pourparlers de Melun
en juin 1960 pour que les négociations reprennent officiellement.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Redha Malek, L’Algérie à Évian. Histoire des négociations secrètes,
1956-1962, Seuil, 1995 • Colonel Serge-Henri Parisot, « Début de la piraterie
aérienne : l’interception de Ben Bella (22 octobre 1956) », in Sébastien
Laurent (dir.), Les Espions français parlent. Archives et témoignages inédits
des services secrets français, Nouveau Monde, 2011 • Tramor Quemeneur,
« Le kidnapping de Ben Bella : Algérie, 22 octobre 1956 », Historia, no 838,
octobre 2016.
DÉVOILEMENT
Signe visible de la « différence » de l’« indigène musulman », le voile des
femmes* musulmanes pique l’intérêt des Européens dès le XIXe siècle. Dans
les années 1930, la question du port du voile est débattue par les intellectuels
maghrébins. Son rejet comme signe d’émancipation est défendu par le
Tunisien Tahar Haddad et la féministe et socialiste tunisienne Habiba
Menchari, d’origine algérienne, tandis que les ulémas en Algérie et Habib
Bourguiba en Tunisie* insistent sur le fait que le moment n’est pas encore
venu de se débarrasser du symbole d’une identité culturelle bafouée par le
colonialisme.
Ces débats se rejouent avec une acuité nouvelle pendant la guerre
d’Algérie. Les campagnes de dévoilement menées par les propagandistes de
l’armée française font partie d’une panoplie de mesures qui cherchent à
« moderniser » la femme « musulmane ». Dans les semaines suivant le
13 mai 1958*, des dévoilements et des voiles brûlés sont mis en scène à
l’intention des médias français et internationaux comme symbole de
« fraternisation » entre les populations « européenne » et « musulmane ». Si
certaines se dévoilent librement, d’autres sont contraintes, comme la lycéenne
Monique Ameziane à Constantine. Elle a dû se voiler pour la première fois de
sa vie, et se prêter à la mascarade du dévoilement public, pour sauver la vie
de son frère, arrêté et torturé par l’armée française.
Dans « L’Algérie se dévoile » (1959), Frantz Fanon* analyse le
« dynamisme historique » du voile et comment les femmes algériennes
manipulent les stéréotypes coloniaux associés aux femmes voilées
(ignorantes, apolitiques) et aux femmes non voilées (pro-Algérie française). Il
décrit les premières passant inaperçues pendant qu’elles transportent des
armes et des tracts pour le FLN*, tandis que les dernières commettent des
attentats dans les quartiers européens. Cette description est reprise par le
réalisateur italien Gillo Pontecorvo dans le film La Bataille d’Alger (1966) :
dans l’une des scènes les plus célèbres, trois femmes se dévoilent pour aller
poser des bombes. Cette représentation a fortement marqué les perceptions
populaires du (dé)voilement, mais ne reflète que très partiellement le rapport
au voile des femmes dans le réseau de poseurs de bombes : plusieurs d’entre
elles ne le portaient pas auparavant. Au-delà des images très politisées, le
voile était souvent un objet banal pour les femmes algériennes.
Natalya VINCE
Bibl. : Neil MacMaster, Burning the Veil. The Algerian War and the
“Emancipation” of Muslim Women, 1954-1962, Manchester, Manchester
University Press, 2009.
DGHINE, BENALI, DIT COLONEL LOTFI,
SI BRAHIM (1934-1960)
Il est né le 7 mai 1934 à Tlemcen. Son père est un employé de mairie. Il
fait des études primaires puis secondaires à Tlemcen, Alger et Oujda, puis de
nouveau à Tlemcen (à la Médersa).
Il prend un premier contact avec le FLN* en septembre 1955, en
participant à une réunion clandestine à Tlemcen. Mais en fait, c’est sans
contact particulier qu’il rejoint le maquis dans les monts de Tlemcen fin
octobre 1955.
Benali Dghine est affecté en Zone 1 sous les ordres du capitaine Jabeur*,
dont il devient le secrétaire. En avril 1956, il est envoyé à Tlemcen et placé
sous les ordres de lieutenant Mokhtar Bouzidi, dit Ogb El Lil (l’Aigle de la
Nuit), avec pour mission d’y organiser les cellules clandestines dans la ville.
Il met en place le commando « Brahim ». Il se distingue en organisant et en
participant à au moins trois opérations d’envergure à Tlemcen en 1956 :
l’attaque de la caserne de l’ex-MTO ; la fausse patrouille de la police
militaire qui s’est attaquée au mess des sous-officiers* le 6 mai ; et en dehors
de la ville, l’attaque de fermes de gros colons* le 7 mai. Sa carrière politico-
militaire est lancée. Il a 22 ans.
À la mi-mai 1956, suite à un incident avec Mokhtar Bouzidi, Benali
Dghine rejoint Oujda. Boussouf* lui confie une mission de pénétration et
d’organisation de l’ALN*, depuis les villes d’El Bayadh et Mecheria jusqu’à
Béchar et plus au sud (ouest et est). Sa mission est triple, comme l’explique
Dahou Ould Kablia : une mission politique de prise en charge des
populations et notamment celles soumises à la pression des bellounistes dans
la région de Djelfa-Aflou-Laghouat ; une mission militaire assurée par des
compagnies (katibate) avec des objectifs précis et une mission
organique avec la création de la Zone 8 et ses quatre régions.
Boussouf, devenu colonel commandant de la Wilaya 5* après le congrès
de la Soummam*, nomme Benali Dghine (Brahim) capitaine, chef de la
Zone 8/Béchar. En moins d’un an, il réussit à rallier des responsables
messalistes, à créer la Zone 9 de la Wilaya 5, il ouvre le front sud de
Timimoun à Tindouf avec le soutien des tribus nomades et organise la
désertion des méharistes.
Le capitaine Brahim est promu commandant fin juillet 1957 à la suite de
la mort au combat du commandant Sayah Miloud (El Hansali). Il rejoint à
Oujda le commandant Boumediene*. Au cours de la réunion des chefs de
zone de la Wilaya 5 en octobre 1957, présidée par Boussouf, il y retrouve son
ancien responsable, le capitaine Jaber, et son successeur à la tête de la Zone
8, Kaïd Ahmed (capitaine Slimane). Mais il apprend surtout que Boumediene
est nommé colonel, commandant de la Wilaya 5, Boussouf ayant été nommé
membre du nouveau CCE* lors la réunion du CNRA* au Caire le 20 août
1957.
Dans sa nouvelle fonction au Commandement général de la wilaya
d’Oran, sa préoccupation principale est l’acquisition d’armes pour les
maquis. Fin janvier 1958, le commandant Lotfi se rend en Espagne où il est
arrêté et incarcéré. À sa libération, il apprend sa nomination en qualité de
chef de la Wilaya 5 et est promu au grade de colonel. Il installe son QG à
Bouarfa dans le Sud marocain. De droit, il devient membre du CNRA.
Le président Ferhat Abbas* ne tarit pas d’éloges à son sujet dans
Autopsie d’une guerre (1979) en relevant ses idées généreuses et
respectueuses des droits de l’homme. Il condamne la « bleuïte* » et refuse de
participer à la réunion interwilayas contre le GPRA* organisée par le colonel
Amirouche* (6-12 décembre 1958). Il condamne l’assassinat du maire* de
Thiers près de Mascara dans une interview accordée à El Moudjahid
(mai 1959). Il exprime son espoir que les Européens rejoindront la nouvelle
Algérie indépendante et répète que la communauté juive est chez elle. Il lui
est attribué une étude socio-économique sur l’Algérie rédigée en 1958.
À son retour de Yougoslavie* (juin 1959), il participe à la réunion des dix
colonels* (10 juillet-16 décembre 1959) qui a pour objet de trouver des
solutions à la crise éclatée entre le GPRA et certaines wilayas. Cette
rencontre est suivie du congrès de Tripoli (16 décembre 1959-18 janvier
1960), du renouvellement du CNRA et du GPRA, mais surtout de la mise en
place d’un État-major général* (EMG) confié au colonel Boumediene. Il
retourne dans sa wilaya pour gérer l’affaire Zoubir* (automne 1959).
Il prend la décision de rejoindre le territoire national accompagné de son
adjoint le commandant Mohamed Laouadj (dit Farradj puis M’barek). Le
27 mars 1960, la petite troupe qu’il commandait est interceptée par un
détachement de l’armée française. Il meurt les armes à la main.
Fouad SOUFI
Bibl. : « Dahou Ould Kablia parle du colonel Lotfi », Le Quotidien d’Oran,
2006 • Mohamed Lemkami, Les Hommes de l’ombre. Mémoires d’un officier
du MALG, Alger, Anep, 2004 • Chakib Mesbah, « Itinéraire du colonel
Lotfi », Centenaire de la Medersa de Tlemcen, 1905-2005, Tlemcen,
Ecolymet, 2005.
DISPARITIONS
Par disparition, on entend le fait de faire disparaître une personne vivante
sans que ses proches sachent quoi que ce soit jusqu’à devoir admettre qu’elle
est probablement morte mais sans jamais en avoir la certitude. Cette pratique
a fait son entrée dans les guerres civiles jusqu’à devenir un instrument de
terreur caractéristique de certains acteurs historiques, forces de sécurité ou
groupes armés. Elle allie la violence physique sur la personne disparue à la
violence psychologique sur ses proches, à très long terme. Loin des prises
d’otages anciennes qui voient la disparition d’un individu être revendiquée
par un camp, suivie de l’envoi de preuves de vie puis de négociations en vue
d’une libération, la disparition telle qu’elle est pratiquée en Algérie a une
dimension exclusivement terrorisante. Elle agit sur la population dont a été
extraite la personne, qu’il s’agisse d’un villageois ou d’un citadin, d’un
combattant ou d’un militant. La terreur est sa raison d’être. Elle n’a pas
d’autre fin et n’attend rien de précis en retour : ni information ni argent.
Cette pratique s’est répandue ainsi à partir de 1957 à Alger. Sous cette
forme, il faut la distinguer des disparitions survenues depuis le début de la
guerre qui correspondaient à des accidents de la machine répressive. Si on se
place du point de vue des hommes qui arrêtent un ou une suspect(e) et qui le
ou la détiennent pendant des semaines, dans l’attente qu’il ou elle donne des
renseignements, aide à identifier des caches d’armes, etc., sa mort lors d’une
séance de torture* ou par manque de soins est, en effet, un accident. Pour les
militaires français, la déclarer nécessite de la justifier. La hiérarchie risque de
poser des questions sur les conditions de détention ou d’interrogatoire. Or les
consignes sont claires : il ne doit pas y avoir de souci avec les prisonniers* et,
en cas de contrôle par le pouvoir civil ou le Comité international de la Croix-
Rouge*, il faut pouvoir expliquer les décès. L’habitude est donc rapidement
prise de se débarrasser des cadavres imprévus. Abandonnés aux bêtes
sauvages, enterrés à la va-vite, camouflés en fuyards abattus, ces corps ne
refont jamais surface pour leurs proches. Arrêtés par une unité militaire, des
hommes et des femmes disparaissent ainsi du jour au lendemain et ne rentrent
jamais chez eux.
Les questions demeurent pour les familles. Où leur proche a-t-il été
conduit ? Que lui est-il arrivé ? A-t-il souffert ? Combien de temps s’est-il
écoulé avant sa mort ? Dans quelles circonstances ? Qu’est-il advenu de son
corps ? Où a-t-il été enterré ? La liste est infinie et alimentée par une angoisse
s’abreuvant à toutes les rumeurs. Les autorités ne reconnaissent le caractère
définitif de ces disparitions qu’à la fin de la guerre, signifiant aux familles
qu’elles peuvent alors considérer leur proche comme mort. Si une telle
reconnaissance rend possibles les démarches administratives (remariage,
héritage…), elle n’atténue pas le doute et ne répond à aucune question.
Même le sort de Maurice Audin* reste incertain. Son cas est pourtant très
connu et médiatisé dès la guerre – ce qui en fait un cas totalement à part et
très différent des milliers d’autres disparu(e)s de la guerre qu’un projet lancé
en ligne depuis 2018 par Malika Rahal et Fabrice Riceputi, sous le nom des
1000autres.org, s’attache à identifier. Arrêté par les parachutistes* en 1957,
Maurice Audin a disparu entre leurs mains et la thèse officielle de son
évasion* est rapidement contestée. Pierre Vidal-Naquet* démontre dès 1958
qu’elle a été inventée pour camoufler sa mort. Pourtant, jamais sa veuve
Josette* n’a pu savoir ce qu’il avait vécu après son arrestation et où se
trouverait son cadavre. Son obstination a fini par lui valoir un accès à tous les
documents conservés dans les archives* françaises et identifiés comme ayant
un lien avec la disparition de son mari. Or, même dans ce cas, et même avec
l’aide de l’historienne Sylvie Thénault, les circonstances exactes des derniers
instants de son mari restent obscures. La reconnaissance officielle de la
responsabilité de l’État en la matière par le président de la République
en 2018 affirmait une vérité mais ne donnait aucune réponse matérielle
précise.
Les effets psychologiques de la disparition ont une force destructrice de
très longue portée. Conscients de ces effets, les militaires français prennent,
en 1957, la décision d’en faire une arme de guerre. À la différence des
prisonniers morts accidentellement et dont on se débarrasse pour éviter les
questions gênantes, se multiplient alors les cas de personnes enlevées et pour
lesquelles il est impossible d’obtenir une information quelconque. Du jour au
lendemain, les exemples abondent dans un Alger pourtant quadrillé par
l’armée et où tout mouvement est censé être contrôlé. À l’été 1957,
2 000 familles ont signalé la disparition d’un proche. À l’automne, au bout de
neuf mois de répression, elles sont plus de 3 000.
Cette très nette accentuation correspond à l’émergence de nouvelles
logiques répressives dans la doctrine militaire, avec l’arrivée du nouveau
commandant en chef, le général Salan*. L’armée prétend alors mener une
guerre contre-révolutionnaire au sein de la population algérienne. La
disparition, par sa dimension terrorisante, est parfaitement indiquée.
Cependant la radicalité de la méthode et son usage massif par les troupes
présentes à Alger viennent mettre à rude épreuve les cadres légaux dans
lesquels est censée se dérouler la guerre, qui reste officiellement une
opération de maintien de l’ordre. La disparition de suspects ne peut être une
méthode de guerre étendue à toute l’Algérie. La méthode doit dès lors se faire
plus discrète : à Alger comme dans le bled, la disparition, pendant des
semaines ou des mois, notamment dans des centres de tri et de transit*, va
maintenir la pression sur les communautés d’appartenance des suspects sans
déboucher sur un escamotage des corps. Soit qu’on libère les suspect(e)s, soit
qu’on préfère recourir au camouflage du « fuyard abattu », les disparitions
définitives sont moins massives. Leur nombre reste cependant impossible à
établir jusqu’à aujourd’hui.
Après le cessez-le-feu, la période d’anomie qui caractérise largement le
printemps et l’été 1962 voit revenir cette pratique des disparitions.
Cependant, la logique n’est plus celle d’une répression menée par un État en
guerre contre un ennemi mêlé à la population civile. La plupart des personnes
disparues ont été vues pour la dernière fois avec des acteurs mal identifiés
mais algériens et souvent armés. Elles semblent avoir été visées pour leur
qualité de Français et pour des raisons sans doute essentiellement crapuleuses
(le vol de leur véhicule notamment) ou liées à des règlements de comptes
accompagnant la fin de l’Algérie française. Pour ces mêmes raisons, les
meurtres sont aussi nombreux. Très rapidement, on parle de plusieurs
centaines de disparus par mois et les rumeurs se chargent de diffuser des
récits effrayants qui donnent à ces disparitions le même pouvoir que celles
d’Algériens dans les années précédentes : elles terrorisent les civils et
installent chez les proches les germes d’une souffrance que le temps ne peut
empêcher de croître.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Jacques Jordi, Un silence d’État. Les
disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Soteca, 2011 • Sylvie
Thénault, « Dérogation générale et déclassification des archives
contemporaines. Le cas d’Audin et des disparus de la Guerre d’indépendance
algérienne », Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 74, no 3-4, 2019.
DISPOSITIF DE PROTECTION
URBAINE (DPU)
Le dispositif de protection urbaine (DPU) est un des modèles
d’encadrement des populations civiles d’Algérie, d’« organisation des
populations » selon l’appellation alors en cours. Il est mis en place par le
colonel Roger Trinquier*, adjoint du général Massu*, en janvier 1958, au
début de la « bataille d’Alger* », dans le but de permettre la participation
civile, européenne d’abord, algérienne par la suite, au maintien de l’ordre.
Son existence officielle est actée par un arrêté préfectoral signé par le préfet*
Serge Barret le 9 février 1957.
La vocation première du DPU est d’encadrer les civils européens d’Alger
afin d’éviter ou de neutraliser les activistes les plus virulents, dans un
contexte d’attentats contre-terroristes et de ratonnades* récurrentes, et surtout
de les mettre au service de l’armée dans le cadre du démantèlement des
réseaux FLN*. « Il s’agit en somme de catalyser une bonne volonté parfois
trublionne des éléments européens en l’encadrant dans un système simple
concourant à servir l’intérêt général », explique la directive militaire.
Le DPU repose sur le recensement des populations et leur
immatriculation. La ville d’Alger est divisée selon un découpage de l’espace
urbain en secteurs, composés d’îlots, eux-mêmes divisés en groupes de
bâtiments. Le bâtiment en est l’élément de base. À chacun de ses niveaux,
une lettre ou un chiffre est attribué, produisant ainsi une immatriculation
permettant de localiser aisément chaque foyer recensé.
Une pyramide de responsables, allant du foyer au quartier, fait rentrer la
population ainsi organisée dans une hiérarchie permettant de faire parvenir
des renseignements à l’autorité militaire mais aussi de lui donner des ordres
et de faire circuler des consignes. Chaque responsable de famille doit rendre
compte des invités reçus ou des absences des membres du foyer à
responsable du bâtiment. Les responsables des niveaux supérieurs du DPU
sont recrutés sur la base du volontariat, le plus souvent parmi les nombreuses
associations d’anciens combattants*. Ils sont autorisés à porter une arme
légère. Le DPU se révèle efficace dans son action de supplétifs* des
militaires en charge de l’action policière à Alger. Ainsi, Larbi Ben M’hidi*,
chef de la Zone autonome d’Alger* du FLN, est arrêté grâce à des
renseignements fournis par le dispositif.
En avril 1957, l’expérience est étendue aux quartiers musulmans d’Alger,
en particulier la Casbah, sous l’appellation de « Dispositif antiterroriste de la
Casbah ». Afin de s’orienter dans ses quartiers, l’armée fait peindre les lettres
ou chiffres correspondant à l’immatriculation sur les murs. Contrairement au
DPU, il n’est pas question de volontariat dans la désignation des
responsables. Ceux-ci sont nommés de manière autoritaire par les autorités
militaires et ne bénéficient pas du port d’armes. L’extension de ce système de
hiérarchisation de la population aux Algériens permet également dès
octobre 1957 de rassembler des foules d’Algériens lors de manifestations*
organisées par l’armée. Les chefs d’îlot seront largement mobilisés en
mai 1958 pour faire participer la population algérienne aux fraternisations sur
le Forum.
Paul Aussaresses*, dans son récit autobiographique, raconte que le
système est surnommé Dépéou par les officiers* du général Massu, en
référence au Guépéou, police politique soviétique, ironisant sur son caractère
antidémocratique et violent. D’après lui, Trinquier se serait inspiré de
Napoléon qui a fait numéroter les bâtiments des villes rhénanes conquises.
Cette affirmation est à relativiser. La ville d’Alger, pendant les années de
pouvoir vichyste, a connu l’îlotage de la Légion des combattants et Trinquier,
en poste dans la concession française de Shanghai pendant la Seconde Guerre
mondiale, a aussi pu être témoin des systèmes d’îlotage japonais, des
systèmes comparables existant par ailleurs dans l’Allemagne nazie et en
URSS*. La référence napoléonienne est assurément plus facile à assumer.
Sous le vocable d’« organisation des populations », le système est
progressivement étendu aux autres centres urbains d’Algérie puis aux zones
rurales. De nombreuses directives sont produites à ce sujet, laissant entrevoir
une application difficile sur le terrain. Ainsi l’instruction sur la pacification*
du général Challe*, éditée le 10 décembre 1959, préconise encore une telle
généralisation. En 1960, le système semble assez largement mis en place. Les
résultats ne sont cependant pas à la hauteur des attentes de ces concepteurs,
qui conçoivent cette action comme un moyen de façonner la société
algérienne, d’en faire émerger une nouvelle élite profrançaise. De fait, le FLN
désigne comme responsables de son organisation les responsables de
l’organisation de la population, afin de les neutraliser. Par ailleurs, en 1960,
après la semaine des barricades*, face au constat du noyautage du DPU par
les activistes européens, le dispositif est progressivement délaissé par les
autorités françaises.
Denis LEROUX
DJAMILA (ICÔNE)
Bousculant les stéréotypes les assignant au rôle de victimes civiles ou de
fantasme érotique construit par la visualité coloniale, des femmes*
algériennes, et d’autres nationalités, s’engagent dans la guerre d’Algérie. La
médiatisation de l’affaire Djamila Bouhired* met en lumière et en image la
figure de la femme combattante indépendantiste. La militante du FLN* est
arrêtée en 1957 et, après avoir été torturée, est condamnée à mort. Au procès,
son association avec sa co-accusée, Djamila Bouazza, donne lieu à la
construction d’un duo dont la dénomination joue sur leur prénom : elles sont
les « deux Djamila ». Puis Djamila Bouazza, pourtant condamnée à mort,
pour les mêmes motifs de participation aux attentats d’Alger, s’est effacée de
la mémoire collective. Elle n’a pas été médiatisée comme Djamila Bouhired.
La campagne publique de dénonciation du jugement, en effet, est menée par
son avocat, Jacques Vergès*, qui cosigne, avec Georges Arnaud, l’ouvrage
pamphlétaire Pour Djamila Bouhired (1957). Cet appel public en faveur de la
condamnée s’accompagne rapidement d’autres soutiens internationaux
relayés par la presse*, mais aussi dans les arts. La figure de résistance au
féminin qu’incarne Djamila est propulsée au rang d’icône révolutionnaire à la
faveur notamment du film Djamila l’Algérienne (1958) du cinéaste Youssef
Chahine ou d’un portrait réalisé par la peintre Inji Efflatoun. Un autre procès,
celui de Djamila Boupacha*, agente de liaison du FLN, torturée et violée par
les militaires français après son arrestation en 1960, est aussi porté sur la
place publique par l’ouvrage Pour Djamila Boupacha (1962). Il est coécrit
par son avocate Gisèle Halimi* et l’écrivaine Simone de Beauvoir*, et illustré
par les peintres Robert Lapoujade et Pablo Picasso. La circulation de ces
visages et la construction de ces icônes ont permis de dénoncer massivement
ces condamnations, tout en construisant une certaine invisibilisation d’autres
actrices, qui ont œuvré, à des degrés divers, pour l’indépendance. Ce sont ces
anonymes de l’Histoire qui semblent au centre de travaux d’artistes
postcoloniales* qui révèlent les paradoxes d’une absence visible des
combattantes. Des travaux de Zineb Sedira (Gardiennes d’images, 2010), de
Nadja Makhlouf (Moudjahida. De l’invisible au visible, 2011-2014),
d’Halida Boughriet (Mémoire dans l’oubli, 2012) font resurgir d’autres
visages. Car même si cette icône Djamila a permis de donner une certaine
visibilité au rôle actif des femmes dans la lutte révolutionnaire, il n’en reste
pas moins que le regard critique porté sur cette iconisation politique de la
femme combattante révèle une référence à double tranchant. L’artiste Marwa
Arsanios, en interrogeant l’impact, dans le monde arabe, de cette icône
révolutionnaire féminine, pointe, dans son œuvre Becoming Jamila (2014), la
nécessité de dépasser certaines idoles et instrumentalisations politiques afin
de continuer à œuvrer au présent à l’émancipation politique et sociale des
femmes.
Émilie GOUDAL
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991
• El Moudjahidate. Nos héroïnes, catalogue d’exposition, musée d’Art
moderne et contemporain d’Alger, 2014 • Frantz Fanon, L’An V de la
révolution algérienne, La Découverte, 2001.
DOCKERS
Les dockers occupent une position paradoxale dans l’Algérie coloniale.
Mal payé, peu considéré, leur travail* fait fonctionner les ports, zones
stratégiques. Main-d’œuvre souvent en surnombre, facilement remplaçable à
cause du chômage urbain, elle s’est organisée et défendue grâce au
syndicalisme comme dans la longue grève* de février 1950 à Oran. Ce
syndicalisme devient également visible par le refus de charger les armes pour
la guerre d’Indochine*. Sur les quais, la CGT* est majoritaire en France, et
en Algérie, elle est massivement investie par les Algériens, mais des clivages
apparaissent. À Oran en 1953, le secrétaire Pierre Sanchez critique les
syndicalistes qui font la propagande* du MTLD. Après le 1er novembre
1954*, ceux qui quittent le MTLD pour le FLN* ne restent à la CGT devenue
Union générale des syndicats d’Algérie (UGSA-CGT) que jusqu’au début de
1956, comme Rabah Djermane, nationaliste convaincu et cadre syndical
efficace et populaire sur le port d’Alger. Après la création de l’Union
générale des travailleurs algériens* (UGTA) par le FLN en février 1956,
l’influence cégétiste persiste chez les dockers avec Driss Oudjina à Alger ou
Mohamed Boualem à Oran, bien que Djermane crée aussitôt l’UGTA sur le
port d’Alger et entraîne Brahim Miliani et une grande partie des dockers à
Oran. Pendant que des syndicalistes européens s’éloignent, comme le montre
la grève du 23 juin 1956 à Oran après l’exécution de Zabana*, la grande
masse des dockers algériens participe aux grèves patriotiques de 1956 malgré
l’arrestation de Djermane, interné et torturé. Pendant la grève des huit jours*,
le port ne reprend qu’avec les requis amenés de force par les parachutistes*.
En France, les actions des dockers sont plus irrégulières et moins tenaces que
lors de la guerre d’Indochine, surtout sur le port de Marseille* tenu par les
forces de l’ordre. En Algérie, les dockers sont la cible de la terreur de l’OAS*
après le cessez-le-feu. Sur le port d’Alger, une voiture piégée placée près du
centre d’embauche fait 63 morts et 110 blessés le 2 mai 1962.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Ahmed Abid, « Mouvement syndical et luttes sociales en Oranie,
1942-1951 », thèse de 3e cycle d’histoire sous la dir. de R. Gallissot, Paris-7,
1985 • Nora Benallègue-Chaouia, Algérie. Mouvement ouvrier et question
nationale. 1919-1954, thèse de doctorat d’État, Alger, OPU, 2005 • Anissa
Bouayed, « La CGT et la guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle d’histoire sous
la dir. de J. Couland, Paris-7, 1985.
DOUBLE COLLÈGE
L’organisation des scrutins distingue schématiquement deux collèges :
Français pleinement citoyens et « musulmans », Français de nationalité* mais
à la citoyenneté limitée. La minorité coloniale est ainsi surreprésentée.
L’Assemblée algérienne* créée en 1947, par exemple, prévoit 60 élus pour
chaque collège alors qu’à cette date les Français sont près de 1 million, les
Algériens près de 8 millions.
Les représentants des Français d’Algérie, nationaux (députés et sénateurs)
et locaux (maires*, conseillers généraux, etc.), ont constamment lutté contre
toute réforme. En 1936-1937, ils font échouer le projet « Blum-Viollette »
qui prévoit d’intégrer dans le premier collège certaines catégories de
« musulmans » : anciens gradés, diplômés du secondaire et du supérieur,
certains fonctionnaires et élus locaux… Environ vingt-cinq mille hommes
auraient pu bénéficier de ce projet mais les élus des Français d’Algérie
arguent qu’avec la croissance démographique, les catégories désignées
risquent d’augmenter, et avec elles le nombre de « musulmans » inscrits dans
le premier collège. Ils renouvellent l’argument contre l’ordonnance du 7 mars
1944. Celle-ci est censée répondre au « Manifeste du peuple algérien », porté
par Ferhat Abbas* : le manifeste plaide pour une République algérienne
fondée sur l’égalité politique. Loin de satisfaire ce principe élémentaire,
l’ordonnance reprend le procédé du projet Blum-Viollette distinguant des
catégories admises dans le premier collège. Soixante-cinq mille
« musulmans » sont potentiellement concernés, cette fois. Que l’inégalité
perdure fondamentalement n’empêche pas les partisans du statu quo colonial
de dénoncer ce soi-disant « collège mixte ». Les femmes* dites alors
« musulmanes », en outre, sont écartées du droit de vote et de l’éligibilité
auxquels les citoyennes françaises accèdent au même moment.
Après 1954, les discriminations frappant les « musulmanes », d’une part,
le collège unique d’électeurs, d’autre part, sont régulièrement débattues. Elles
ne prennent fin qu’en 1958. En février, une loi établit enfin l’égalité entre
femmes, et en juin, c’est le collège unique qu’annonce de Gaulle* après son
célèbre « Je vous ai compris ! ». « Il n’y a que des Français à part entière, des
Français à part entière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs »,
poursuit-il. Comment croire pourtant que le cours de l’histoire se joue encore
dans les urnes ? Jamais les Algériens n’ont pu se faire entendre par la voie
démocratique.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Charles-Robert Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, t. II,
1871-1954, PUF, 1979.
DRAPEAU ALGÉRIEN
Soixante ans après l’indépendance du pays, les conditions dans lesquelles
a été créé le drapeau algérien (fond vert et blanc, et au milieu un croissant et
une étoile rouges) font toujours l’objet de débats et de disputes en Algérie.
Les différents travaux et prises de position sur le sujet peinent encore à
apporter des réponses qui consacreraient dans le marbre de l’histoire l’origine
de la naissance du drapeau national et officiel.
En effet, deux versions s’affrontent. La première associe le drapeau à la
militante nationaliste Émilie Busquant, épouse de Messali Hadj*. La seconde
reconnaît la paternité de l’emblème national à Chawki Mostefaï, membre de
la direction du PPA*. Le conflit porte essentiellement sur deux points. Qui
est le concepteur du drapeau national actuel et à quelle période a-t-il été
créé ? Chawki Mostefaï affirme qu’en 1945, le parti voulait participer aux
festivités de la fin du nazisme et ne retrouvait pas le drapeau avec lequel
Messali avait défilé en 1937. Le parti l’a alors chargé avec Hocine Asselah,
Chadli El Mekki de confectionner un autre. C’est finalement son modèle qui
a été avalisé par la direction du PPA. Pour Chawki Mostefaï, le drapeau
réalisé par Émilie Busquant (entre 1934 et 1935) était différent de celui de
1945. Il s’agissait d’un emblème vert avec, dans le coin gauche, un carré
blanc dans lequel il y a un croissant et une étoile.
Il convient de rappeler que ces deux modèles ne sont pas les seuls en
Algérie durant cette période ; une profusion d’étendards, drapeaux et
emblèmes ont coexisté, qu’ils soient politiques, religieux, sportifs ou autre.
Cependant, un fait est attesté historiquement, le drapeau avec les trois
couleurs, le croissant et l’étoile est devenu un des symboles du PPA et qu’il a
participé au rituel d’adhésion au parti. Son statut sera encore plus important
après les massacres du Nord-Constantinois de 1945, à la suite notamment de
la mort le 8 mai à Sétif de Bouzid Saâl, abattu l’emblème à la main. Durant la
guerre de libération nationale, le FLN* s’approprie le drapeau du PPA-
MTLD dans les maquis et les bases de l’ALN* au Maroc* et en Tunisie* où
les moudjahidines* procèdent quotidiennement à la levée des couleurs. Le
19 septembre 1958 au Caire, on peut voir trôner dans la photo du premier
GPRA* un impressionnant drapeau aux couleurs de la révolution algérienne.
En décembre 1960, l’emblème du FLN est brandi dans les manifestations*
des grandes villes du pays. Enfin, à l’indépendance en juillet 1962, le drapeau
flotte partout et constitue désormais le marqueur de la souveraineté nationale.
Aujourd’hui, le rapport des Algériens avec le drapeau national est
fusionnel, comme le hirak du 22 février 2019 en fit la démonstration.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Hafida Ameyar, « Le moudjahid Chawki Mostefaï persiste et signe :
“Le drapeau de Mme Messali n’a rien à voir avec celui de 1945” », Liberté,
2015 • Messali Hadj, Mémoires, J.-C. Lattès, 1982 • Houari Touati, Aux
origines du drapeau algérien : une histoire symbolique, Oran, Zaytūn, 2014.
ÉCOLES
Les écoles arabes privées étaient nombreuses avant la conquête, car elles
étaient entretenues par des fondations pieuses inaliénables, les habous. La
plupart étaient vouées à l’apprentissage du Coran. Certaines enseignaient des
disciplines religieuses et juridiques de niveau plus élevé, destiné à la
formation du personnel religieux et judiciaire. Gravement affaibli par la
confiscation des biens habous durant la conquête, ce système scolaire fut
développé à partir de 1925 par une association privée, l’Association des
ulémas, dont les fondateurs avaient étudié en arabe dans les universités
traditionnelles de Fez, Tunis, Le Caire, Damas, ou Médine. Cette association
animait en 1955 un réseau composé de nombreuses médersas (écoles)
primaires, d’un collège secondaire (l’institut Ben Badis de Constantine), et de
bourses pour les universités islamiques étrangères. Les nombres d’élèves,
d’étudiants* et de maîtres restaient nettement inférieurs à ceux des
établissements français. L’enseignement reçu, mêlant de plus en plus la
religion et la politique, fit de ces écoles un moyen de diffusion du
nationalisme* algérien.
Simultanément, la France avait tenté de modifier l’état d’esprit des
masses musulmanes, en laissant dépérir l’enseignement islamique
traditionnel entretenu par les revenus des biens habous et en créant des écoles
« arabes-françaises » bilingues, puis des « écoles indigènes » adaptées à leur
public, mais inspirées de l’enseignement primaire français. En 1880, Jules
Ferry fit étendre l’obligation scolaire à l’Algérie, mais sans succès pour ce
qui concerne les enfants indigènes, car cet enseignement destiné aux classes
populaires ne toucha qu’un petit nombre, vivant principalement dans les
villes ou dans les régions rurales à l’habitat groupé. D’abord bilingue franco-
arabe pour s’adapter au public urbain sous le Second Empire, il fut ensuite
organisé dans une structure adaptée pour assurer l’apprentissage préalable du
français afin d’en faire le véhicule de tous les autres contenus. De 1892 à
1948, l’enseignement primaire fut donc divisé en deux branches :
l’enseignement A, entièrement conforme aux normes métropolitaines, et
l’enseignement B, spécial aux indigènes, qui organisait méthodiquement
l’enseignement du français pour servir de véhicule à tous les autres
enseignements, ce qui rallongeait la scolarité d’un an. Mais le niveau des
études n’était pas inférieur à celui de l’enseignement A, et des élèves
indigènes y ont toujours été admis.
L’enseignement français ne profita longtemps qu’à une étroite minorité,
d’une part, parce qu’il se heurtait à la peur de perdre la religion et la langue
des ancêtres et, d’autre part, parce qu’il était loin d’être jugé aussi important
et urgent que la scolarisation des enfants des citoyens français à part entière :
5 % des enfants indigènes d’âge scolaire y étaient scolarisés en 1914, 10 %
en 1950, 15 % en 1955, malgré le plan de scolarisation accélérée adopté par
le Comité français de libération nationale en 1944. D’après le recensement de
1954, 13,7 % des musulmans de plus de 10 ans savaient lire et écrire. Parmi
ceux-ci, 55 % étaient lettrés en français, 25 % en arabe, et 20 % bilingues.
D’après celui de 1948, dans la population autochtone en Algérie, 15,3 % des
hommes et 6,2 % des femmes parlaient le français, mais seulement 5,9 % des
hommes et 1,6 % des femmes savaient l’écrire.
Les autorités françaises avaient pourtant compris la nécessité de
s’appuyer sur les classes dirigeantes pour gouverner les masses indigènes.
Après avoir tenté de s’accommoder les élites traditionnelles militaires et
religieuses, elles créèrent de nouvelles élites adaptées à leur rôle
d’intermédiaires : sous-officiers* et officiers* des troupes indigènes,
personnels du culte musulman et de la justice musulmane formés dans les
trois médersas officielles d’Alger, Oran et Constantine depuis 1850
(transformées un siècle plus tard en lycées franco-musulmans, préparant leurs
élèves au baccalauréat), instituteurs issus de l’École normale d’Alger (1865)
puis de celle de la Bouzareah depuis 1887, auxiliaires médicaux instruits à
l’École supérieure puis à la faculté de médecine d’Alger depuis 1906. Dans
un deuxième temps, les enfants de ces cadres intermédiaires bénéficièrent de
la même formation que ceux des classes dirigeantes françaises dans
l’enseignement secondaire et supérieur, qui les préparait aux mêmes
fonctions (sous réserve de « naturalisation » pour les fonctions publiques
d’autorité jusqu’en 1944). Ils furent longtemps beaucoup moins nombreux
que les étudiants français à part entière qui restèrent très largement
majoritaires à l’université d’Alger* (où les étudiants musulmans
représentaient le plus souvent moins de 10 % des étudiants inscrits avant
1952). Les élites de niveau supérieur étaient donc particulièrement
restreintes : 80 bacheliers dans l’académie d’Alger jusqu’en 1915, un millier
d’étudiants en Algérie et en France en 1954, et quelques centaines de
diplômés des facultés (très peu des grandes écoles). Et l’enseignement reçu,
de type français, tendait à les éloigner de leur peuple d’origine qui n’en
bénéficiait pas.
Toutefois, après le déclenchement de la Guerre d’indépendance, le FLN*
ordonne le boycott* des écoles et les étudiants algériens font la grève* des
cours et des examens à partir du 19 mai 1956, une partie d’entre eux montant
alors au maquis. Ce faisant, le FLN cherche à contrôler davantage la
population algérienne en sanctionnant au besoin les personnes ne respectant
pas ses directives, tout en montrant aux autorités françaises sa puissance et
son assise populaire. Dans les maquis, certains cadres de l’ALN* sont
cependant défiants vis-à-vis des anciens étudiants algériens, victimes d’anti-
intellectualisme. C’est en particulier le cas du colonel Amirouche*, victime
de la « bleuïte* » et qui, par crainte de présence de traîtres au sein de ses
rangs, exécute de nombreux combattants dont des anciens étudiants. Pourtant
ceux-ci peuvent s’avérer bien utiles, notamment ceux en médecine qui
officient dans les hôpitaux clandestins de l’ALN. D’autres étudiants sont
progressivement envoyés à l’étranger (notamment en RDA*) pour devenir les
futurs cadres de l’Algérie indépendante, et sont syndiqués au sein de
l’Ugema*.
Parallèlement, les autorités françaises mettent en place un important plan
de scolarisation pour tenter de juguler l’analphabétisme et la misère dans la
société algérienne. C’est le constat qu’effectue Germaine Tillion* en 1955, ce
qui entraîne la mise en place des centres sociaux éducatifs* (CSE). Ceux-ci
contribuent en effet à donner « une éducation de base aux éléments masculins
et féminins » qui vivent dans les situations les plus dramatiques. Par ailleurs,
l’armée française crée aussi de nombreuses écoles dans le cadre de la
politique de pacification*, avec les sections administratives spécialisées*
(SAS). Enfin, des instituteurs sont également recrutés dans le cadre du plan
de scolarisation mis en place à partir de décembre 1958. Tout cela permet de
scolariser un enfant algérien sur deux en 1960. Les disparités matérielles sont
cependant très importantes. Le FLN est au départ très réticent vis-à-vis de la
politique de scolarisation française – jusqu’à tuer des instituteurs –, mais il
laisse ensuite faire, sachant l’indépendance arriver. Il organise aussi un
système d’enseignement pour les enfants réfugiés* en Tunisie* et au Maroc*.
Le système scolaire est totalement bouleversé en 1962. Le 15 mars, six
inspecteurs des CSE sont assassinés par l’OAS*. Les départs des Français
d’Algérie, parmi lesquels de nombreux enseignants, entraînent la fermeture
des écoles en avril 1962. Des « pieds-rouges* » anticolonialistes* deviennent
enseignants à la rentrée 1962. D’autres arrivent ou reviennent dans le cadre
de la coopération* : ils représentent alors plus de la moitié des 15 000
coopérants. Leur nombre décroît progressivement.
Guy PERVILLÉ
Bibl. : Guy Pervillé, Les Étudiants algériens de l’Université française, 1881-
1962, Éditions du CNRS, 1984.
ÉDITION, ÉDITEURS
En France, l’édition tarde à se démarquer d’une opinion* acquise à
l’Algérie française. Comme la presse*, elle affronte les saisies mais aussi la
censure* du marché : dénoncer la guerre peut faire perdre des lecteurs. Les
« événements algériens » sont d’abord l’apanage des revues* et des journaux,
outre quelques livres, comme L’Afrique du Nord en marche de Charles-
André Julien (Julliard, 1952), ou L’Algérie hors-la-loi de Colette et Francis
Jeanson* (Seuil, 1955). Loin de l’opposition à la guerre, les best-sellers de
l’époque sont les romans de Jean Lartéguy, tels Les Centurions (Presses de la
Cité, 1960).
Face à la censure, un « front éditorial » (Nils Andersson) se constitue
autour des Éditions de Minuit, rejointes par François Maspero* et quelques
autres (Présence africaine, Pierre-Jean Oswald, La Petite Collection
républicaine des éditeurs français réunis du parti communiste, Robert
Morel…). Les textes et les auteurs circulent par ailleurs, notamment autour
des périodiques Témoignages et Documents, de Vérité-Liberté, ou encore de
Vérités pour, l’organe du réseau Jeanson. Avec la presse, ils se relaient
efficacement pour faire pièce à la raison d’État (Pierre Vidal-Naquet*), dans
un contexte de monopole sur les médias audiovisuels de l’ORTF*.
L’importance des textes partisans de l’Algérie française ne doit cependant
pas être ignorée. Ils impliquent les éditeurs de droite comme Plon (La
Révolution du 13 mai d’Alain de Sérigny en 1958, peu avant le rachat de la
maison par le groupe de La Cité) ou La Table ronde (Jean Brune, Cette haine
qui ressemble à l’amour, 1962). Parmi les titres : Raoul Girardet, Pour le
tombeau d’un capitaine (L’Esprit nouveau, 1962), ou Jacques Soustelle*,
L’Espérance trahie (L’Alma, 1962). La censure à leur encontre ne se dément
pas après la guerre. Une multitude d’éditions clandestines circulent sous le
manteau, côtoient L’Histoire de l’OAS de Jean-Jacques Susini* (1963) ou
Plaidoyer pour un frère fusillé de Gabriel Bastien-Thiry (1967), tous deux à
La Table ronde.
Chronologiquement, les affaires font rupture en 1957. La guerre « entre
en librairie » (Nicolas Hubert). Avec notamment Contre la torture de Pierre-
Henri Simon (Seuil) et Pour Djamila Bouhired (Minuit), le livre fait « ce que
la presse ne pouvait pas faire » (Jérôme Lindon*). Si la saisie d’un organe de
presse frappe d’interdit comme de désuétude le numéro confisqué, la
diffusion d’un livre au contraire demeure possible. Un livre saisi acquiert un
statut symbolique lui permettant d’espérer une solidarité internationale. Le
livre est alors très réactif sur l’actualité : Ratonnades à Paris de Paulette Péju
(Maspero) paraît un mois et demi après le 17 octobre 1961*, avec les photos
de Kagan*, en dépit de sa saisie chez l’imprimeur. Cette urgence explique le
format des volumes : souvent autour d’une centaine de pages, comme une
brochure. Cas particulier, La Pacification (La Cité), inventaire de tortures et
d’exactions, est transformée par la « Main rouge », soit le SDECE*, en colis
piégé ; le Pr Laperche, favorable à l’indépendance, est tué en ouvrant son
exemplaire à Liège le 25 mars 1960. Rudes, les saisies font reculer de
nombreux éditeurs, même si elles ne débouchent pas sur des procès, car les
autorités en redoutent la publicité. Seul Le Déserteur de Maurienne (Minuit),
sous-titré « roman », finit par une condamnation. Les opposants à la guerre
publient en outre des comptes rendus de procès car ceux-ci ne peuvent pas
être poursuivis (Georges Arnaud, Mon procès, Minuit ou Le Procès de
l’insoumission, Maspero). La pratique est reprise en miroir pour le Procès
Raoul Salan (Albin Michel, 1962).
Les maisons qui « sauvèrent l’honneur de l’édition française » (Jean-
Yves Mollier) s’attellent à trois tâches : documenter par des témoignages* les
violences de la guerre ; faire écho à la lutte de libération algérienne (Le Front
de Robert Davezies*, L’An V de la révolution algérienne de Frantz Fanon*,
La Révolution algérienne par les textes d’André Mandouze*, chez Maspero) ;
relayer la parole des jeunes du contingent confrontés au choix de conscience,
et celle des membres des réseaux de soutien ou insoumis et déserteurs,
poursuivis et stigmatisés. Décisive, 1958 voit l’avènement d’une nouvelle
édition politique, dénonçant la torture* et les disparitions* : La Question,
d’Henri Alleg* et L’Affaire Audin, de Pierre Vidal-Naquet (Minuit), Le Sang
de Bandoeng (Présence africaine) par la Fédération des étudiants d’Afrique
noire en France. La Question illustre la solidarité internationale contre les
saisies : rééditée par La Cité éditeur de Nils Andersson, devenu le relais des
éditeurs français avec les éditions Feltrinelli à Milan, elle est traduite en dix-
neuf langues. Le cloisonnement des lectorats (droite/gauche) va croissant.
Des éditeurs comme Minuit et Julliard essaient de le contourner, en proposant
un éventail des convictions et en convoquant des autorités morales pour
l’époque : écrivains (Vladimir Pozner, Le Lieu du supplice, ou Jules Roy*, La
Guerre d’Algérie, 1960, tous deux chez Julliard), sous-officiers* (Jean-
Jacques Servan-Schreiber*, Lieutenant en Algérie, Julliard, 1957 ou Philippe
Héduy Au lieutenant des Taglaïts à La Table ronde, 1960), officiers* (Roger
Trinquier*, La Guerre moderne à La Table ronde, Georges Buis*, La Grotte,
chez Julliard, tous deux en 1961) et autres (Louis Martin-Chauffier,
L’Examen des consciences, Julliard, 1961). Les attentats de l’OAS* visent
maisons d’éditions et librairies, éditeurs et écrivains.
La production éditoriale comprend des documents, dont la collection du
même nom chez Minuit, des essais avec notamment Les Damnés de la terre
de Frantz Fanon (Maspero, 1961). De nombreux romans sont aussi publiés,
même si Anne Simonin note l’absence d’un « grand roman contemporain ».
La guerre complique la réception des romans maghrébins chez les éditeurs
français. La collection Méditerranée d’Emmanuel Roblès au Seuil perd des
auteurs, tel Mouloud Feraoun*, assassiné par l’OAS, tandis que s’affirme une
nouvelle génération* (Kateb* Yacine au Seuil, Assia Djebar chez Julliard, ou
Malek Haddad chez Maspero). Se manifeste également le retour d’une poésie
engagée, à la fois française et algérienne, très en écho aux poètes résistants de
la Seconde Guerre mondiale.
En 1960-1962, avec l’insoumission et la désertion (Le Refus de Maurice
Maschino* chez Maspero, Le Déserteur de Maurienne et Le Désert à l’aube
de Noël Favrelière* chez Minuit), les positions se radicalisent encore. La
production littéraire se fait plus massive. Les petites structures militantes
influent sur la politique éditoriale des maisons généralistes. Elles rejoignent
les dénonciations, tel Gallimard avec Djamila Boupacha de Simone de
Beauvoir* et de Gisèle Halimi* (1962). Maspero publie Le Peuple algérien et
la guerre. Lettres et témoignages de Patrick Kessel et Giovanni Pirelli, qui
regroupe une documentation exceptionnelle. Les Éditions sociales sortent Le
Camp d’Abdelhamid Benzine*.
L’édition française sort profondément transformée de la décolonisation :
portés par le dynamisme des revues, de nouveaux « éditeurs protagonistes »
se font les vecteurs d’une politisation radicale qui annonce à sa manière
Mai 68 dans une interaction des collections d’essais, de documents et de
littérature*, mais encore sous la forme d’une avant-garde, loin du marché du
livre politique bientôt investi par tous les grands éditeurs.
Julien HAGE
Bibl. : Catherine Brun (dir.), Guerre d’Algérie. Les mots pour la dire,
Éditions du CNRS, 2014 • Nicolas Hubert, Éditeurs et éditions pendant la
guerre d’Algérie, 1954-1962, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012 •
François Vallotton (dir.), Livre et militantisme. La Cité éditeur, 1958-1967,
Lausanne, Éditions d’en bas, 2007.
ÉGYPTE
L’Égypte nassérienne a joué un rôle primordial durant la guerre de
libération nationale. C’est du Caire que l’appel du 1er novembre 1954*
annonçant la constitution du FLN* et de l’ALN* est proclamé. C’est
également dans ce pays que le commando qui a réussi l’expédition du
« Dina » a été formé et instruit militairement. Cette audacieuse opération a
permis la relance de la guerre, en Oranie où des quantités importantes
d’armes ont pu être acheminées du Nador (Maroc espagnol) au début de
l’année 1955. Ce soutien politique, diplomatique et militaire est consolidé par
l’ouverture des services d’information et de propagande* de la radio*
du Caire « Sawt El Arab ».
C’est également dans la capitale égyptienne que le FLN installe dès le
début de la guerre sa délégation extérieure constituée d’Ahmed Ben Bella*,
Hocine Aït Ahmed* et Mohamed Benyoucef Khider*.
Toutefois, cet appui ne sera pas sans conséquence. Aussi la
nationalisation par Gamal Abdel Nasser du canal de Suez et l’exacerbation
des tensions entre les deux blocs Est et Ouest (guerre froide*) est l’occasion
pour le gouvernement français de s’associer avec l’Angleterre et Israël* de
lancer l’expédition contre Suez* le 29 octobre 1956.
C’est au Caire aussi que le FLN organise la première session de son
parlement (CNRA*) en août 1957, là où les principes consacrés au congrès
de la Soummam*, un an auparavant, en l’occurrence la primauté du politique
sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, sont remis en cause et
abandonnés. Enfin, le 19 septembre 1958, du Caire toujours, le FLN annonce
la création du GPRA*.
Cette relation, qui semblait solide, va cependant être profondément
bouleversée à plusieurs reprises. Les raisons sont à rechercher, dans l’attitude
du gouvernement égyptien envers une révolution algérienne de plus en plus
reconnue à l’international, mais aussi dans la recomposition des dirigeants du
FLN, à la suite de l’emprisonnement en octobre 1956 de Ben Bella et ses
compagnons.
Perdant progressivement son influence sur le FLN et récusant la
composition du GPRA, l’Égypte s’est trouvée impliquée, à tort ou à raison,
dans le complot Lamouri* à l’automne 1958. Il s’agit d’une tentative de
renversement du Gouvernement nouvellement installé. L’affaire est assez
grave pour que le FLN quitte Le Caire pour s’installer à Tunis jusqu’à
l’indépendance. Dorénavant, les sessions du CNRA seront organisées à
Tripoli en Libye et non au Caire.
Il faut attendre la signature des accords d’Évian* le 18 mars 1962 et la
libération des chefs historiques pour que l’Égypte retrouve sa place au sein
du FLN. À leur sortie de prison*, Ben Bella a exigé que la première visite
officielle des chefs historiques libérés se fasse au Caire, en reconnaissance
des sacrifices de l’Égypte au profit de l’Algérie combattante. Cela ne se fera
pas, mais n’empêche pas Le Caire de s’impliquer fortement dans le processus
de transition que le pays vit jusqu’à l’élection de l’assemblée nationale le
20 septembre 1962 et de s’ingérer dans les affaires du pays, tout comme le
feront la Tunisie*, le Maroc* et la France. D’abord Nasser apporte un soutien
politique clair et sans conditions à Ben Bella et ses partisans au cours de la
« crise de l’été 1962* », à l’origine de l’implosion du FLN à la session
extraordinaire du CNRA de Tripoli* de mai-juin. Ensuite, Nasser contribue à
renforcer l’armement des troupes de l’EMG* stationnées aux frontières,
armement qui sera utilisé au mois de septembre 1962, lors de la marche sur
Alger et contre les maquisards des Wilayas 3* et 4*. Le bilan des
affrontements fratricides s’élève à des centaines de victimes.
Sous Ben Bella, les relations entre l’Algérie et l’Égypte nassérienne sont
à leur apogée. La promotion et la défense du projet et de la vision
panarabistes consolident ces rapports. Fervent et sincère admirateur de
Nasser, Ben Bella ne dissimule pas sa volonté d’arrimer le pays au projet
d’un « Grand Monde arabe » dont l’Égypte serait le leader.
En conclusion, ni l’ambition de former un puissant ensemble régional
politique et idéologique avec l’Égypte ni l’important soutien de Nasser à son
régime n’ont pu empêcher la fin brutale de Ben Bella. La realpolitik a fini par
s’imposer le 19 juin 1965 lorsque le segment le plus organisé de l’Algérie, à
savoir l’armée, a pris le pouvoir sans que Nasser et son pays l’Égypte ne
puissent intervenir ou protéger Ben Bella. Le premier président de la
République algérienne passera de longues années en prison. Son projet d’une
Algérie liée à l’Égypte n’aura duré que le temps des chimères et d’une naïve
croyance en un romantisme révolutionnaire, détaché de la réalité politique et
anthropologique de la société algérienne et de son histoire sur la longue
durée.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Fathi Al Dib, Abdel Nasser et la révolution algérienne, L’Harmattan,
1985 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Amar Mohand-Amer, « La crise du FLN de l’été 1962 : indépendance
et enjeux de pouvoirs », thèse de doctorat sous la dir. d’O. Carlier, Paris-7,
2010.
EMBUSCADES ET BATAILLES
Dès les débuts de l’insurrection, les maquisards de l’ALN* mènent une
guerre de partisans et privilégient les embuscades et le harcèlement aux
accrochages directs avec l’adversaire qui dispose d’une armée régulière et de
moyens matériels bien supérieurs.
Pour les uns comme pour les autres, le déni de la défaite, que les acteurs
avouent parfois en privé, est relégué à l’arrière-plan au profit d’une
propagande* de guerre à laquelle participent les informations autorisées et
diffusées par les journaux.
Pour l’heure, nous ne disposons pas suffisamment de travaux
académiques pour élaborer une synthèse de tous les aspects de cette histoire
d’autant plus que les sources disponibles (archives*, témoignages* des
acteurs), si elles se complètent, fournissent des données incomplètes et
souvent contradictoires, à propos des bilans relatifs au nombre des victimes,
des blessés, des armes et des documents récupérés d’un côté comme de
l’autre. En dépit de son importance, cette histoire-bataille gagnerait à être
abordée à travers des questions relatives à l’expérience de guerre, au vécu et à
la mort des combattants des deux camps.
Il en est de même pour le traitement partiel des désertions d’une armée à
l’autre qui demeure peu étudié surtout en Algérie mais qui est abordé dans les
témoignages publiés. Dans cette guerre non reconnue, les références
sémantiques sont aussi à prendre avec réserve dans la mesure où les sources
françaises parlent de ralliés ou de dissidents quand il s’agit de déserteurs de
l’ALN, éludant les cas de désobéissance et leurs causes.
Durant les premières années de la guerre, « l’initiative appartient à l’ALN
de 1955 à 1957 » (Meynier) favorisée par l’extension de l’insurrection à
l’ensemble du pays et une meilleure organisation, résultat de l’application des
directives du congrès de la Soummam*. Quand l’ALN ne peut éviter les
grandes opérations françaises, l’affrontement donne lieu à de violents
combats mémorables dont l’intensité et la durée (variable) les assimilent à
une bataille, terme retenu par l’historiographie algérienne.
Parmi les premiers affrontements, les sources algériennes retiennent la
bataille d’El Djorf dans les monts de Nemencha (Zone 1/Aurès) qui
correspond à « l’opération Timgad » selon les sources françaises. Celle-ci est
précédée par plusieurs embuscades particulièrement meurtrières dont celle de
Guentis (24 mai 1955) où l’administrateur Maurice Dupuy et le lieutenant
Guillomot sont tués et la seconde de Tafassour sur la route Taberdga-Djellal
(27 juillet) où 26 légionnaires et 13 « fellaghas » sont tués officiellement. Le
18 septembre, le grand rassemblement organisé par Bachir Chihani* est
surpris par l’offensive lancée par les forces françaises soutenues par
d’importants effectifs et moyens matériels (tanks, artillerie et aviation…).
Selon Adjel Adjoul*, un des acteurs de cette bataille, la quatrième nuit, les
maquisards, craignant l’assaut final, décident une percée en s’engageant dans
les eaux de l’Oued Helaïl où ils ne purent éviter le combat au corps à corps. Il
estime les pertes de l’ALN à 80 tués mais ne fait allusion ni aux blessés ni
aux prisonniers*.
Au fil de l’évolution de la guerre, les deux adversaires ont appris l’un de
l’autre et ont adapté leurs méthodes. Dès que l’ALN a pu améliorer son
équipement en armes, elle forme des katibas commandos* à l’exemple de
celui d’Ali Khodja* en Wilaya 4*. Après la mort de son chef, ce commando
sera repris en main par Azzedine*.
L’année 1957 se distingue par une série d’embuscades et de combats.
Dans le massif de Collo qui abrite le PC de la Wilaya 2*, sur la route entre
Aïn Kechra-Tamalous, le 11 mars 1957, un convoi de 28 camions est attaqué
au lieu-dit « de Zeggar ». 35 tirailleurs et 47 maquisards sont tués (SHD, 1H
4402). Ce lourd bilan* ne soulève pas la même émotion dans l’opinion
publique* que celui de l’embuscade de Palestro* qui a lieu le 18 mai 1956.
Peu après, au mois d’avril, Lakhdar Bentobbal* (Mémoires) évoque la
bataille de Zekrana (lieu-dit entre Oum Toub et Beni Oulbane) et affirme
« qu’une centaine de soldats fut décimée » et des prisonniers exécutés. Il
fournit des détails sur la tactique employée pour éviter les troupes françaises
et sur les représailles qui s’abattent brutalement sur les populations civiles
des douars Tlitane, Ouled Embarek et Beni Sbih où « 92 personnes dont
15 femmes et 9 enfants furent massacrés » (p. 285).
En Wilaya 4, les offensives de Azzedine à la tête du commando « Ali
Khodja* » sont redoutables d’où de grandes opérations engageant les paras
du colonel Bigeard*. Deux batailles, celle d’Agounenda* à partir du 22 mai
1957 et celle du djebel Bouzegza (4 au 12 août 1957), opposent les troupes
aguerries des troupes d’Azzedine à celles de l’armée française. Là aussi, les
bilans avancés par les deux adversaires varient tant pour Agounenda* que
pour Bouzegza mais s’accordent sur l’âpreté des combats : « un véritable
enfer » selon Azzedine, « une victoire en demi-teinte » selon Bigeard.
L’édification des barrages* frontaliers (ligne Morice et Challe),
opérationnels à la fin de l’année 1957, contribue à inverser le cours de la
guerre sans pouvoir y mettre fin. L’acheminement des armes provenant de
Tunisie* et du Maroc* se retrouve bloqué et les wilayas supportent
difficilement cet isolement avec l’extérieur. Quelques tentatives d’infiltration
réussissent à passer les lignes électrifiées, non sans d’énormes pertes
humaines. C’est le cas lors de la bataille de Souk Ahras* (fin avril 1958) où
les sept compagnies qui font une percée dans la ligne Morice se retrouvent
cernées par les troupes françaises.
Quand de Gaulle* revient au pouvoir en mai 1958, il confie au général
Challe* le commandement en chef de l’armée en Algérie dont l’objectif est
d’écraser les troupes de l’ALN. La stratégie consiste à occuper le djebel (le
maquis) et de ne laisser aucun répit aux maquisards. Méthodiquement, les
opérations du plan Challe* passent au peigne fin les wilayas d’ouest en est.
Parallèlement, le plan Challe accélère la politique de pacification* par
déplacement forcé des populations rurales, chassées de leurs mechtas par les
bombardements, ce qui met la résistance de l’ALN à rude épreuve, la privant
de vivres et de protection. Cependant, l’ALN affaiblie survit et demeure
présente sur le terrain. Elle ne se rend pas comme l’espère l’armée française
et la démarche de Si Salah*, de la Wilaya 4, à l’Élysée est sans lendemain.
Cette guerre totale, avec son cortège de violences, n’a épargné personne
ni les combattants ni la population civile. Quand la paix arrive, les Algériens
sont durablement meurtris par les séquelles de la guerre. Les bouleversements
de toutes sortes, induits par la guerre et sa durée, se reflètent sur les relations
sociales qui demeurent sous-étudiées.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des femmes en guerre
d’Algérie, Autrement, 2003 • Mohamed Larbi Madaci, Les Tamiseurs de
sable, 1954-1959, Alger, Anep, 2001 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure
du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.
ÉMIGRATION, IMMIGRATION
Depuis l’entre-deux-guerres, des régions entières d’Algérie, en particulier
en Kabylie, étaient marquées par une émigration importante vers la
métropole. Elle était très largement « spontanée » car non organisée par les
pouvoirs publics qui y voyaient une dimension importante du « problème
nord-africain ». En métropole, les émigrés d’Algérie étaient souvent qualifiés
d’« indésirables », une catégorie d’action publique appliquée de longue date
aux étrangers dont l’expulsion était souhaitée. À partir de la Libération, les
« Français musulmans d’Algérie » ont bénéficié de la liberté de circulation.
Ils avaient seulement à posséder un titre d’identité – document alors non
uniformisé – s’ils souhaitaient s’installer en métropole. En tant que Français,
ils étaient théoriquement inexpulsables et ne relevaient ni de la politique
d’immigration, ni du contrôle des étrangers.
La Guerre d’indépendance a reconfiguré cette dynamique migratoire. La
répression exercée par l’armée française a accéléré les départs. De 1954 à
1962, le nombre des Algériens et Algériennes présents en métropole est passé
d’environ 200 000 à près de 400 000. Une image frappante s’est alors
formée : les bateaux convoyant les appelés en Algérie croisant les
embarcations amenant les jeunes Algériens, main-d’œuvre de substitution.
Elle ne rend compte ni des conditions des départs d’Algérie, ni de l’action
des pouvoirs publics. Ces derniers se sont d’abord inquiétés que des retours
depuis la France ne viennent alimenter les maquis. Ils se sont ensuite
focalisés sur l’enjeu que représentait, pour le MNA* et le FLN*,
l’organisation de « l’immigration ». Ils ont instauré une carte nationale
d’identité (obligatoire pour traverser la Méditerranée, 1955) puis des
autorisations de départs (vers la métropole ou les départements algériens,
1956). Ces formalités ont obéi à une logique de contrôle et d’enregistrement
plus que de réduction de l’immigration. Pour l’administration coloniale
algérienne, jusqu’en 1961 au moins, celle-ci était une soupape de sécurité :
elle diminuait le nombre des « oisifs », éventuellement disponibles pour la
lutte armée. L’immigration était également une ressource financière
indispensable pour les nombreuses familles paupérisées par la guerre et les
déplacements de populations.
Cette accélération du « déracinement » étudié par Pierre Bourdieu* et
Abdelmalek Sayad* modifia la composition des nouveaux immigrants et
immigrantes. L’image de la mère de famille prenant le bateau pour échapper
à un camp de regroupement* et venant avec ses enfants s’installer dans un
bidonville de métropole a contribué à masquer la diversité des trajectoires.
Indéniablement, cependant, la guerre a amené des cohortes plus féminisées,
plus familiales et moins régionalisées, la prédominance kabyle s’effritant.
Même si les intéressé(e)s n’en avaient pas forcément conscience, les liens
avec les lieux et les communautés de départ furent fragilisés, voire rompus, et
les installations devinrent de plus en plus durables.
L’immigration algérienne était de longue date plus concentrée que
d’autres communautés dans des lieux la singularisant (hôtels et garnis
généralement tenus par des « coreligionnaires »). Une partie de ces hommes
s’en échappaient néanmoins. Ils étaient considérés comme « perdus » (les
amjahin étudiés par Abdelmalek Sayad) car vivant au milieu des Français,
souvent en couple dans des quartiers populaires, et entretenant peu de liens
avec leurs « coreligionnaires ». La guerre a rendu plus difficile ces formes
multiples de dispersion dans la ville et d’immersion au milieu d’autres
groupes, migrants ou non. Les contrôles des forces de l’ordre assignaient les
« Nord-Africains » à des espaces où ils tentaient d’échapper aux rafles* et
couvre-feux (informels ou « officiels ») tandis que le FLN imposait des
regroupements dans certains hôtels ou garnis afin de faciliter son
encadrement. L’immigration fut en effet avant tout considérée comme une
« base fiscale » devant favoriser l’édification du futur État indépendant. Le
prélèvement des cotisations était la principale tâche des responsables locaux
du FLN. Ces sommes importantes (près d’une dizaine de millions de
nouveaux francs, chaque mois, à la fin de la Guerre d’indépendance) étaient
une des principales sources de financement du GPRA* et de la révolution
algérienne. Les enjeux financiers furent un des moteurs des violences
marquant alors l’immigration algérienne. Elles ne peuvent être résumées à
des affrontements ni à des « règlements de comptes » entre partisans du FLN
et du MNA. Plus de 4 500 Algériens de France furent ainsi tués entre 1955
et 1962 dans des circonstances multiples : « liquidation de traîtres »,
affrontements politiques, imposition de l’hégémonie d’un mouvement,
collusions entre groupes armés et criminels… Ces attentats et autres
fusillades marquèrent particulièrement certains quartiers (à Paris, en banlieue,
dans le Nord-Pas-de-Calais, à Lyon*…) et contribuèrent à isoler les
Algériens du reste de la population. Cette cohorte de milliers de morts,
souvent retrouvés morts dans la rue ou repêchés dans des canaux et cours
d’eau, fixa le stigmate de « l’Algérien violent ».
L’indépendance de l’Algérie a peu conduit à des retours définitifs. Ces
derniers touchèrent surtout des cadres de la Fédération de France* ou des
diplômés appelés à occuper des postes de responsabilité. Alors qu’une partie
de la classe politique française avait envisagé que le processus de
décolonisation mette fin aux immigrations coloniales et aux facilités de
circulation entre les deux rives de la Méditerranée, un nouveau régime
migratoire fut mis en place progressivement. Dès les premières années de
l’indépendance, les autorités algériennes durent accepter des dispositifs de
contrôle et de contingentement écornant la liberté de circulation reconnue par
les accords d’Évian*. Elles luttaient en effet contre un sous-emploi
endémique, dans un contexte de forte croissance démographique. Aussi l’ex-
métropole demeura, jusqu’en 1973, un « bureau d’embauche » privilégié. Au
moment de l’annonce de la fin de l’immigration de travail, les Algériens
étaient devenus la figure archétypale du « travailleur immigré ». Les
Algériennes demeuraient dans l’ombre, associées au seul regroupement
familial et rendues responsables de la croissance démographique d’une
jeunesse immigrée qui inquiétait. Les programmes d’accompagnement social
ciblant ces femmes* lors de la Guerre d’indépendance disparurent plus vite
que les dispositifs de contrôle ou d’encadrement visant les hommes et dont
certains furent étendus à l’ensemble des originaires de l’ex-empire colonial
(foyer de travailleurs de la Sonacotra, services d’assistance technique de la
préfecture de police…).
Bien que gérée au travers de l’accord franco-algérien de 1968, et non par
l’ordonnance de 1945 dont dépendaient la plupart des étrangers de France,
l’immigration algérienne fut emblématique du changement de régime
migratoire intervenu au début des années 1970 : dès lors, les travailleurs
immigrés ne furent plus les bienvenus, à moins qu’ils ne fussent « choisis »
en amont. L’espace méditerranéen entra dans une période de
« frontiérisation » toujours plus poussée jusqu’à nos jours.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Marc André, Femmes dévoilées. Des Algériennes en France à l’heure
de la décolonisation, ENS Éditions, 2016 • Emmanuel Blanchard, Histoire de
l’immigration algérienne en France, La Découverte, 2018 • Abdelmalek
Sayad, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de
l’immigré, Seuil, 1999.
ENFANCES ALGÉRIENNES
En France métropolitaine, les décrets sur l’interdiction du travail* des
enfants ou encore les lois Ferry sur l’âge de la scolarité obligatoire délimitent
l’âge adulte et celui de l’enfance. En Algérie coloniale, la frontière se
brouille. Petits chausseurs, cireurs ou portefaix des grandes villes, bergers ou
fileuses de laines dans les campagnes, les enfants algériens sont précocement
mis au travail et entrent rapidement dans le monde des adultes. La croissance
démographique exceptionnelle de la population algérienne après la Seconde
Guerre mondiale (120 000 à 150 000 naissances supplémentaires en moyenne
par an) ainsi que l’absence de réformes d’ampleur font que l’immense
majorité des quelque 1,8 million d’enfants algériens en âge d’être scolarisés
ne le sont pas. L’ordonnance du 26 novembre 1944, instaurant l’obligation
scolaire, ne remet pas en cause les inégalités anciennes. Mal nourris et mal
vêtus, ces enfants sont livrés à une pauvreté et à un dénuement renforcés par
l’absence d’école et l’illettrisme. Avec la guerre, la nécessité pour les
nationalistes algériens de mobiliser les populations civiles d’un côté, et les
réformes inabouties de l’État français de l’autre, placent les enfants devant un
horizon encore incertain.
À travers eux, les parents sont visés. L’école* est, pour l’État colonial, un
des moyens d’encadrer et de reprendre en main les populations. Mettre les
enfants à l’école, soit les soustraire au nationalisme*, est une priorité que
l’urgence de la guerre renforce. Les centres sociaux créés en 1955 sous
l’égide de Germaine Tillion* (devenus centres sociaux éducatifs* en 1959)
puis la multiplication des écoles tenues par les militaires et les officiers* des
sections administratives spécialisées* à partir de 1957 entrent dans la
panoplie des moyens dont use l’État pour tenter de garder l’Algérie française.
L’ordonnance du 13 août 1958 établit un ultime plan de scolarisation totale.
Pour les nationalistes, faire participer tous les Algériens à la guerre et les
tourner unanimement vers une Algérie libre et indépendante se joue aussi à
l’échelle des enfants. Entre 1956 et 1957, leur appel au boycott* de l’école
primaire est présenté aux enfants comme le moyen de se hisser à la hauteur
du sacrifice consenti par les adultes. Dans les écoles coraniques qui
continuent à fonctionner ou dans les très précaires « écoles du maquis »
tenues par des responsables politiques du FLN*, les enfants sont sensibilisés
à l’indépendance algérienne.
Dans l’intimité des familles, à mesure que les sphères protectrices des
enfants éclatent et que la confrontation directe à la guerre s’étend, un
vocabulaire nouveau est progressivement intégré : moudjahidine*
(combattants), chouhada (martyrs), ou encore thawra (révolution). Toutefois,
contrairement au petit Omar, enfant-héros de La Bataille d’Alger, la majorité
des enfants est tenue, autant que possible, à l’écart de toute participation
directe au combat. À l’exception des célèbres manifestations de
décembre 1960*, les parents ont en effet durablement tenté de minimiser
l’implication des enfants. Le règne du silence et le cloisonnement des
informations protègent aussi bien les adultes que les enfants d’éventuelles
représailles. Y compris lorsqu’ils sont analphabètes et dès lors que l’occasion
leur est offerte, les enfants dessinent ce qu’ils ont vu ou entendu, offrant ainsi
une vision spécifique de leur expérience de la guerre.
Celle-ci fragmente d’autant plus les expériences enfantines que d’autres
facteurs classiques jouent pleinement (sexe, âge, place dans la fratrie, vie en
ville ou à la campagne, classe sociale…). Les enfants algériens partagent
massivement cependant l’expérience du déplacement contraint. C’est d’abord
le cas aux frontières tunisienne, marocaine et libyenne pour ceux qui ont
quitté leurs villages dès 1956 pour se réfugier dans les pays voisins. Seuls ou
accompagnés, environ 150 000 enfants constituent, aux côtés des femmes, la
majorité des réfugiés* aux frontières. Certains d’entre eux, essentiellement
des garçons, ont été accueillis dans des « maisons d’enfants », mises sous la
tutelle du GPRA* à partir de 1958. Scolarisés et pris en charge, ils ont été
acculturés aux emblèmes du nationalisme algérien. À partir de 1957, les
enfants vivant dans les zones interdite ont vécu les déplacements contraints
opérés par l’armée française vers des camps de regroupement* ou vers de
plus gros bourgs ou villes voisines. Dans certains cas, loin d’être
systématiques et largement instrumentalisés par la propagande* française, ces
déplacements leur ont permis d’accéder à l’école primaire.
Si le versant algérien de l’enfance en guerre est aujourd’hui défriché par
l’historiographie, il ouvre d’autres perspectives prometteuses, notamment du
côté de l’histoire des enfants français ou « européens », qui reste encore à
écrire.
Lydia HADJ-AHMED
Bibl. : Lydia Hadj-Ahmed, « Des séparations à la perte des pères : les
expériences des enfants de pères combattant du côté nationaliste algérien
(1954-1962) », in Laura Hobson Faure, Manon Pignot et Antoine Rivière
(dir.), Enfants et adolescents sans famille dans les guerres du XXe siècle,
Éditions du CNRS, à paraître.
ENTREPRISES (GRANDES)
L’émergence de grandes entreprises dans la colonie a été très lente et
tardive. Au lendemain de la conquête, ce sont surtout des capitaux à la
recherche de concessions foncières qui se manifestent. Paradoxalement,
l’annexion légale du territoire et la sécurité apportée par les lois des
années 1840 encouragent peu d’investisseurs. L’avènement d’un Second
Empire (1851), libéral et généreux en matière de concessions, conforte les
incitations aux investissements dans le foncier, les mines, les chemins de fer
ou la banque. Les grandes sociétés foncières apparaissent. La Compagnie
genevoise obtient 20 000 hectares en 1851, L’Habra et Macta 24 000 en 1864
et la Société générale 89 500 en 1868. Celle-ci deviendra en 1877 la
Compagnie algérienne. Des sociétés minières comme Mokta el Hadid (1862)
(mines de fer) se créent. Des concessions sont accordées à des sociétés de
chemin de fer (1860). Elles sont transférées en 1863 au Paris-Lyon-
Méditerranée (Rothschild). Parallèlement, une Banque de l’Algérie se crée en
1851. Ces entreprises sont toutes à l’initiative d’intérêts parisiens dominés
par des banquiers, comme Mirabaud, partie prenante de la Compagnie
genevoise et de la Compagnie algérienne.
La dynamique endogène de la colonisation reste, en revanche, anémiée.
Les colons* concessionnaires, trop petits, n’entreprennent aucune
accumulation d’envergure. Ce sont, dans les années 1870-1880, l’essor
fulgurant de la viticulture et la concentration foncière progressive, appuyée
de concessions de colonisation, qui donnent naissance aux grands domaines
viticoles et aux grandes fortunes. Ces domaines, souvent organisés en
sociétés, attirent les capitaux métropolitains et deviennent la puissante
armature de l’économie coloniale. On peut citer ceux de la famille Germain –
société du Kéroulis avec 1 200 hectares – ou ceux de la famille Borgeaud* –
La Trappe (1 200 ha) et le Chapeau du gendarme (983 ha). À côté d’eux,
parmi les plus grandes des sociétés, les Vignobles de la Méditerranée, créés
en 1894 (690 ha de vigne à Mondovi – le pays de Camus* – et 923 autres
hectares) ou les Fermes françaises de Tunisie qui possèdent 6 333 hectares en
Algérie (1 663 de vigne et 179 d’agrumes à Bône). Une fois leur fortune
assise, ces familles se contentent de multiplier les investissements en
portefeuille. Ce ne seront pas des industriels. Cette dynamique endogène
n’aboutit donc à aucun empire industriel. C’est le cas de l’entreprise de
Georges Blachette*. Sa Société générale des alfas exploitait une concession
de 600 000 hectares. Il se contentait de transformer l’alfa en pâte à papier
qu’il exportait en Angleterre.
La production agricole a néanmoins engendré l’apparition de quelques
entreprises industrielles. Sous l’impulsion de Juan Bastos, une fusion opérée
en 1921 entre la Société Bastos et les Établissements Ben Turqui donne
naissance aux célèbres Manufactures de tabacs J. Bastos qui réussissent à
s’internationaliser jusqu’à Bruxelles et Barranquilla (Colombie).
L’héritage des concessions foncières accordées sous le Second Empire
donne naissance à quelque chose d’inattendu. En 1877, la Société générale
(89 500 ha) est liquidée et se transforme en Compagnie algérienne. Celle-ci,
bien qu’étant un très grand propriétaire foncier, se met bientôt à effectuer des
opérations de banque. Elle devient alors un acteur incontournable de l’activité
dans la colonie. Alliée aux grands intérêts parisiens (Mirabaud, Mallet,
Vernes), elle domine des pans entiers de l’économie. Devenue en 1941
Compagnie algérienne de crédit et de banque, elle est présente en France, en
Algérie, au Maroc*, en Tunisie*, en Syrie et au Liban. Elle contrôle la
Compagnie foncière et immobilière de la ville d’Alger, la Société algérienne
de produits chimiques et d’engrais, la Société du Chettaba Mokta El Hadid,
Ouasta et Mesloula (mines), etc. Le groupe Suez l’absorbe après 1962.
Les mines attirent aussi bien des capitaux métropolitains que britanniques
ou allemands. À l’origine, les intérêts coloniaux locaux sont absents. La
France de l’époque étant bien pourvue en minerai de fer, le minerai algérien
est exporté vers le Royaume-Uni. Le phosphate est découvert en 1873. Le
transport des minerais par voie maritime oblige à recourir à un armateur local
enrichi dans le cabotage. C’est ainsi que naît en 1920 la Société algérienne de
navigation Schiaffino qui assurera en 1962 le tiers du tonnage maritime de la
colonie. Laurent Schiaffino* devient un personnage en vue de la colonie,
puissant et influent. Avec son allié Henri Borgeaud, partisan comme lui d’une
Algérie française, ils conjuguent tous les deux les affaires, la politique (ils
sont sénateurs) et la presse*. Pour assurer ses intérêts dans le transport,
Laurent Schiaffino participe à l’Omnium des mines d’Algérie-Tunisie. Dès
1927, il siège au conseil de différentes mines et, surtout, des Phosphates de
Constantine. Il s’allie alors à Henri de Peyerimhoff (1872-1953), ancien
directeur de l’Agriculture puis secrétaire général du Gouvernement général*
de l’Algérie, président (1925-1940) du comité central des houillères de
France, dont il fait un administrateur de sa société.
L’exploitation du minerai de fer est assurée par Mokta El Hadid (groupe
Nervo) et surtout, à partir de 1921, à raison des deux tiers, par la société
L’Ouenza, entreprise qu’ont initiée en 1902 les groupes Schneider (Le
Creusot) et Krupp. Devenue dès les années 1930 la première capitalisation en
Algérie, l’État français y prend une part minoritaire (5 administrateurs sur 12
en 1956). L’État algérien la nationalise en 1966.
À ces mines sont souvent associées des concessions de chemin de fer
pour acheminer le minerai vers les ports. Cependant, c’est le transport des
voyageurs qui attire des investisseurs comme Rothschild. Un partage du
réseau est établi en 1921 entre la Compagnie des Chemins de fer algériens de
l’État et le Paris-Lyon-Marseille. Nationalisé, le réseau passe, en 1939, aux
mains de l’Office des chemins de fer algériens, avant de devenir en 1960 la
Société nationale des chemins de fer français en Algérie.
Elle est avec Électricité et gaz d’Algérie (EGA), créée en 1947, l’un des
deux principaux employeurs publics de la colonie. À l’origine, c’est la
Compagnie Lebon qui est, depuis 1900, le principal concessionnaire pour le
gaz et l’électricité. EGA hérite ainsi des actifs des seize sociétés de
production d’électricité nationalisées en 1946.
Dès cette date, l’État se fait de plus en plus interventionniste à travers des
programmes d’industrialisation par création de sociétés publiques ou
attribution d’avantages budgétaires ou fiscaux. Les Verreries d’Afrique du
Nord (groupe Saint-Gobain), éligibles en 1946 au plan d’industrialisation de
l’Algérie, inaugurent, en 1947, une usine à Oran spécialisée dans la
fabrication des bouteilles. La Société bônoise de sidérurgie (SBS) est créée en
1958, année où s’installe le fabricant de camions Berliet.
Mais c’est surtout dans le secteur primaire que s’opère, à cette époque,
une révolution.
Les recherches pétrolières effectuées au Sahara donnent enfin des
résultats probants. La Société nationale de recherche et d’exploitation de
pétrole en Algérie (SN-Repal), créée en 1946, découvre en juin 1956 le
gisement d’Hassi Messaoud. La Compagnie française des pétroles (Algérie)
(groupe Total), créée en 1953, apporte ses participations (49 ou 51 % selon le
gisement). Les intérêts des colons locaux en sont absents. L’État algérien
nationalisera les compagnies pétrolières en 1971.
Ahmed HENNI
Bibl. : Claude Bourdet, « Les maîtres de l’Afrique du Nord », Les Temps
modernes, no 80, 1952 • Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-
1962. La transition d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la
Ve République, Publisud, 2000 • Séries du périodique Cote Desfossés.
ÉQUIPES MÉDICO-SOCIALES
ITINÉRANTES (EMSI)
Les équipes médico-sociales itinérantes (EMSI) sont créées en 1957.
Elles sont directement contrôlées par le 5e bureau (action psychologique) de
l’armée française, et après 1960 par le 3e bureau qui lui succède. Les EMSI
sont composées de femmes* « européennes » et « musulmanes », recrutées en
tant qu’adjointes sanitaires et sociales rurales auxiliaires (ASSRA). Intégrées
le plus souvent aux SAS* et aux SAU*, elles dispensent des soins médicaux
élémentaires, des conseils d’hygiène, et diffusent de la propagande*
profrançaise à des communautés rurales de l’intérieur. Les EMSI cherchent à
rentrer en contact avec les populations « musulmanes » afin de les soustraire
de l’emprise du FLN* et les convaincre qu’une Algérie sous souveraineté
française garantirait leurs intérêts matériels et leur avenir. Les femmes sont
considérées comme une cible privilégiée pour gagner la confiance de la
famille algérienne tout entière. L’action psychologique des EMSI ne vise pas
seulement les populations algériennes, mais aussi l’opinion publique* en
métropole et à l’étranger : photos, pamphlets, films et reportages vantent le
rôle des EMSI comme la preuve de la nécessité de la présence française en
Algérie.
Mme Maugé, directrice des EMSI à Alger, a une longue expérience de la
médecine militaire à Madagascar et en Indochine*. Les premiers membres
des EMSI partagent ce type de formation. Une campagne est lancée pour
recruter des femmes civiles en Algérie et en France. On leur propose une
formation accélérée d’un mois qui inclut les soins médicaux de base,
quelques notions d’arabe pour celles qui en avaient besoin, l’histoire et la
sociologie de la « femme musulmane » et une introduction à la guerre
psychologique. Cette formation est suivie de fiches envoyées aux ASSRA en
poste – expliquant, par exemple, comment mettre la pression sur les femmes
pour qu’elles se dévoilent. En août 1960, 171 unités d’EMSI, composées de
315 ASSRA, dont 80 métropolitaines, 94 « européennes d’Algérie » et 141
« musulmanes » sont à pied d’œuvre. En principe, les EMSI sont financées
par les préfectures : en réalité, elles dépendent du patronage des
commandants régionaux de l’armée française qui leur assurent transport,
bâtiments et matériel. Derrière l’image d’une mission héroïque destinée à
soigner et à promouvoir la fraternité, leur efficacité sur le terrain se heurte à
l’insuffisance des moyens matériels.
L’état-major de l’armée française insiste sur le rôle des EMSI qui doit
être avant tout politique, l’action sociale n’étant qu’un moyen pour atteindre
ce but. En mars 1960, le chef du 3e bureau rappelle aux EMSI leur principale
mission, à savoir préserver la présence française et encourager les femmes à
voter le 28 septembre 1958. De ce fait, les EMSI sont violemment critiquées
par le FLN. Dans la pratique, les ASSRA se concentrent souvent sur
l’immédiat et l’utile – soigner et faire du tricot dans des situations d’extrême
pauvreté. Parmi les ASSRA, un certain nombre sont d’ex-militantes du FLN
« retournées » par l’armée française après leur arrestation. La loyauté de ces
femmes, ainsi que celle d’autres recrues « musulmanes », n’a cessé de
constituer une source d’inquiétude pour les dirigeants des EMSI qui craignent
l’infiltration.
Il est difficile de déterminer la perception des femmes algériennes des
EMSI. Les femmes algériennes acceptent-elles de recevoir les ASSRA parce
qu’elles ont besoin de soins, sans pour autant être convaincues du message
politique ? Vu que l’action de l’EMSI est soutenue par l’armée française, les
populations rurales ont-elles le choix ? La lecture des documents d’archives*
et l’écoute des témoignages* de femmes algériennes qui sont rentrées en
contact avec les EMSI, ainsi que les SAS et les SAU, suggèrent qu’elles
savent faire un usage stratégique de ces ressources, sans pour autant souhaiter
rester sous souveraineté française, et encore moins adhérer au modèle de
l’émancipation promue.
Natalya VINCE
Bibl. : Neil MacMaster, Burning the Veil. The Algerian War and the
“Emancipation” of Muslim Women, 1954-1962, Manchester, Manchester
University Press, 2009 • Diane Sambron, Femmes musulmanes • Guerre
d’Algérie, 1954-1962, Autrement, 2007 • Ryme Seferdjeli, « The French
Army and Muslim Women During the Algerian War (1954-1962) », Hawwa,
no 1, 2005.
ESSAIS NUCLÉAIRES
Le 26 décembre 1954, à la suite d’une réunion secrète au Quai d’Orsay,
le président du Conseil Pierre Mendès France* décide de doter la France de
l’arme atomique. Seuls les États-Unis*, l’URSS* et la Grande-Bretagne la
possèdent alors. Les recherches théoriques étant suffisamment avancées
début 1957, le Comité des applications militaires de l’énergie atomique
(Camea), créé quelques semaines auparavant au sein du Commissariat à
l’énergie atomique (CEA), se met en quête d’un site pour une explosion
atmosphérique déjà programmée pour le premier trimestre 1960. Après des
reconnaissances au Sahara, le choix se porte le 7 mai 1957 sur la palmeraie
de Reggane, dans le désert du Tanezrouft. Une zone de 108 000 kilomètres
carrés baptisée « Zone 42 » y est classée terrain militaire par un décret
maintenu secret – il ne paraît pas au Journal officiel. Les travaux
d’aménagement débutent le 1er octobre. En deux ans, le génie militaire érige
sur le plateau d’Azrafil une base vie avec un hôpital de 100 lits, une centrale
électrique, des installations de captage et d’épuration des eaux, un aérodrome
doté d’une piste « gros porteurs » et des laboratoires dont une grande partie
souterraine. Il crée également un polygone de tir à Hamoudia, à 35 kilomètres
au sud de Reggane, avec une base vie réduite et des blockhaus abritant les
nombreux appareils de mesure. Le 1er octobre 1959, le Centre saharien
d’expérimentations militaires (CSEM), qui peut accueillir 8 000 personnes
lors d’un tir, est classé opérationnel. Le premier tir (Gerboise bleue), est
réalisé le 13 février 1960 à 7 h 04. La bombe au plutonium 239 placée au
sommet d’une tour métallique de 106 mètres de hauteur développe environ
70 kilotonnes (kt), soit deux fois et demie la puissance de celle lancée sur
Hiroshima. Divers matériels militaires et des animaux* en cage sont exposés
pour étudier les effets mécaniques, thermiques et ionisants de l’explosion.
Des scientifiques valident cette première expérimentation, suivie le 1er avril
1960 de Gerboise blanche. Réalisé avec la bombe de secours prévue en cas
de défaillance de l’engin principal, le tir est beaucoup moins puissant (4 kt).
Le troisième essai, Gerboise rouge, intervient le 27 décembre 1960. Le tir,
dont les 10 kilotonnes ne donnent pas entière satisfaction, s’accompagne
d’une brève incursion d’engins blindés* dans la zone des retombées
radioactives, pour démontrer l’efficacité sur le champ de bataille des moyens
de protection contre les radiations. Le quatrième et dernier tir aérien,
Gerboise verte, a lieu le 25 avril 1961, en plein « putsch* des généraux ».
Destiné à tester le prototype de la bombe devant équiper les futurs
bombardiers stratégiques Mirage IV, il est avec 0,4 kilotonne très en dessous
des attentes.
Dès le printemps 1958, des essais souterrains ont été envisagés mais ce
sont les plaintes de nombreux pays africains qui conduisent la France à
accélérer la recherche d’un nouveau site. Fin 1960, le choix se porte sur une
zone du Hoggar au nord de Tamanrasset. Une nouvelle base appelée Centre
d’expérimentation militaire des oasis (CEMO) y est construite en quelques
mois. Plus modeste qu’à Reggane, car ne pouvant héberger plus de
2 000 personnes, elle dispose néanmoins d’équipements complets : voies
goudronnées, base aérienne, bloc opératoire moderne. Le premier tir en
galerie, baptisé Agate, est réalisé le 7 novembre 1961 dans le massif
granitique du Tan Afella. Le deuxième, Béryl a lieu le 1er mai 1962 dans la
même montagne. Une importante fuite radioactive ayant entraîné la
contamination d’environ un tiers du personnel du CEMO et de deux ministres
– Pierre Messmer* (Armées) et Gaston Palewski (Recherche scientifique et
Questions atomiques et spatiales) – venus assister à l’explosion, la campagne
d’essais est provisoirement interrompue. La France qui a obtenu dans le cadre
des accords d’Évian* le droit de poursuivre ses expérimentations au sein
d’une Algérie devenue indépendante (5 juillet 1962*) y reprend les tirs le
18 mars 1963, une fois établi que l’accident du 1er mai 1962 venait d’une
mauvaise obturation de la galerie. Émeraude (10 kt) valide définitivement les
choix technologiques de l’AN11 destinée aux Mirage IV. Le 30 mars, le tir
Améthyste (15 kt) amène une nouvelle contamination, mais beaucoup plus
limitée que pour Béryl. Le tir Rubis, différé au 20 octobre 1963 afin d’en
améliorer la sécurité, n’est pas non plus totalement confiné en raison de sa
forte puissance (60 kt). Opale le 14 février 1964 (3,7 kt), Topaze (15 kt) le
15 juin et Turquoise le 28 novembre (15 à 20 kt) se déroulent sans incident,
les opérations préparatoires étant désormais bien rodées : percement des
galeries, installation des appareils de mesure, puis démontage des éléments
réutilisables. Ce savoir-faire permet de mener quatre essais en 1965 : Saphir
le 27 février (20 kt), Jade le 30 mai (15 kt), Corindon le 1er octobre (10 kt) et
Tourmaline le 1er décembre (10 kt). Le treizième et dernier tir souterrain,
Grenat, intervient le 16 février 1966. Mais l’activité expérimentale du CEMO
se poursuit jusqu’au 9 mars 1966, avec les expériences Pollen. Elles mettent
en réaction une faible quantité de plutonium sans dégagement d’énergie
nucléaire, pour tester la sécurité d’une arme aéroportée en cas de crash de
l’appareil la transportant. Au-delà de cette date, les installations sont
partiellement démontées. Certaines sont données au Niger au titre de l’aide
aux anciennes colonies de l’Afrique subsaharienne, tandis que le matériel
contaminé est soit traité, soit enfoui dans le sol. Les accès aux carreaux des
galeries sont barrés et le Tan Afella est ceinturé d’une clôture grillagée. En
juin 1967, l’ancienne base du CEMO est rétrocédée à l’Armée nationale
populaire algérienne (ANPA) conformément aux accords d’Évian.
L’évacuation de Reggane, où les mêmes opérations de démontage et de
nettoyage avaient débuté après la fin des tirs aériens, est effective le 1er juillet
1967, avec l’arrivée des militaires algériens sur le plateau Azrafil. Entre-
temps, les expérimentations atomiques françaises ont été transférées en
Polynésie, où la première explosion atmosphérique a eu lieu le 19 juillet
1966.
La France a procédé à 17 tirs atomiques au Sahara. Environ 24 000 civils
et militaires français ont servi au CSEM et au CEMO de 1960 à 1966. Des
mesures répondant aux normes internationales de sécurité alors en vigueur –
voire plus strictes – ont été appliquées à l’époque. Parfois mal respectées car
inadaptées à la situation, elles n’ont pas empêché des cancers parmi les
personnes exposées, militaires et civils. En juin 2001, certains se sont
regroupés au sein d’une association, l’Association des vétérans des essais
nucléaires (Aven). Incluant les essais en Polynésie, elle a pour but d’apporter
soutien et reconnaissance, particulièrement aux victimes de maladies radio-
induites, et d’intervenir auprès des autorités. Son action a conduit au vote de
la loi Morin en 2010, permettant des indemnisations y compris des habitants
des régions concernées. Après avoir longtemps gardé le silence sur les essais,
le gouvernement algérien réclame également réparation. Pour y répondre,
un groupe de travail franco-algérien a été créé en 2008 par les autorités des
deux pays. Composé d’experts, il étudie les questions de la réhabilitation des
anciens sites, du suivi des populations et de l’environnement*. Un travail
conjoint sur ce sujet compte parmi les vingt-deux recommandations du
« rapport Stora* » de janvier 2021 pour la réconciliation des mémoires.
Frédéric MÉDARD
Biblio. : Frédéric Médard, « Le Sahara, enjeu scientifique et technologique,
1947-1967 », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et
guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001.
ÉTAT D’URGENCE
Les autorités françaises résolvent une équation complexe de leur point de
vue avec la loi d’état d’urgence, en date du 3 avril 1955 : réprimer
efficacement l’insurrection, sans remettre en cause le rattachement de
l’Algérie à la France. Officiellement, il faut éviter tout ce qui peut évoquer la
guerre. Déclarer l’état de siège est exclu. Ainsi est créé l’état d’urgence. Il se
rapproche de l’état de siège par les mesures d’exception qu’il prévoit mais
avec une différence fondamentale : quand l’état de siège les confie à l’armée,
l’état d’urgence les met à disposition des autorités civiles (gouverneur
général, préfets* et sous-préfets). Face au développement du FLN* et
l’extension de l’insurrection, il autorise le couvre-feu, les perquisitions de
nuit, l’assignation à résidence de tout « suspect », la compétence de la justice
militaire*, le contrôle et l’interdiction de réunions, de spectacles, de la
presse*, de la circulation…
Afin d’éviter sa dénonciation comme une loi discriminatoire envers une
portion du territoire national, constituée de départements, les deux
gouvernements élaborant le projet de loi (Mendès France* et Faure)
choisissent de créer un nouvel état d’exception dans le droit français,
applicable par décret dans toute zone du territoire national connaissant des
troubles. Il pourrait ainsi être déclaré en métropole. Pour les communistes,
d’ailleurs, la situation algérienne n’est qu’un prétexte invoqué pour introduire
dans le droit un nouvel état répressif, pouvant être utilisé contre des
mobilisations ouvrières.
En Algérie, l’état d’urgence est progressivement étendu, par décret,
suivant les zones gagnées par la lutte pour l’indépendance. Il ne couvre
l’ensemble du territoire qu’après l’insurrection du 20 août 1955*. Il y reste
peu longtemps en vigueur. Il est en effet prévu qu’il cesse de s’appliquer en
cas de dissolution de l’Assemblée nationale ; ce que décide Edgar Faure, en
décembre 1955. Après les élections* législatives en janvier 1956, son
successeur, Guy Mollet*, ne reconduit pas l’état d’urgence mais il demande
les pouvoirs spéciaux* à l’Assemblée. Les décrets qui s’ensuivent reprennent
les mesures de l’état d’urgence, parmi d’autres, nouvelles et plus graves :
rappels massifs sous les drapeaux, délégation des pouvoirs de police* à
l’armée, notamment.
Paradoxalement, pendant la guerre elle-même, l’état d’urgence est plus
appliqué en métropole qu’en Algérie. Il est déclaré dans l’hexagone deux
semaines, en mai 1958, dans l’idée de défendre la République contre toute
menace factieuse. Surtout, il est remis en vigueur après la tentative de
putsch*, en avril 1961, et il le reste pendant deux ans, jusqu’en mai 1963. Il
s’agit alors de lutter contre l’OAS* et les irréductibles de l’Algérie française,
qui sévissent encore après l’indépendance de l’Algérie, en prenant le chef de
l’État pour cible. Les critiques ne manquent pas cependant pour dénoncer la
reconduction de cet état d’exception. Ses atteintes aux libertés individuelles
et collectives ne peuvent plus être légitimées par la guerre.
Le procédé choisi par les gouvernements Mendès France et Faure lors de
la création de l’état d’urgence a pour conséquence que celui-ci demeure en
tant que loi dans le droit français après la guerre. Il reste à disposition des
autorités. Après 1962, il est réactivé trois fois. En Nouvelle-Calédonie,
d’abord, en 1985, contre le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS).
Puis, il est déclaré en France, quand des émeutes marquent les banlieues à
l’automne 2005. Il est alors dénoncé comme une loi coloniale. Évident dans
le cas calédonien, l’argument repose, en 2005, sur une perception des
« émeutiers » ramenés à leur ascendance étrangère, maghrébine en
particulier. Pourtant, en tant que loi d’exception, l’état d’urgence est aussi un
outil de répression politique. Ainsi, lors de sa 3e application, après les
attentats du 13 novembre 2015, il vise un terrorisme se réclamant de l’islam
et les populations considérées comme « musulmanes » en constituent des
cibles potentielles. Il est cependant aussi utilisé, à ce moment, contre les
militants anti-COP 21 (conférence de Paris sur le climat) et les occupants des
zones à défendre (ZAD), victimes d’arrestations, gardes à vue et assignation à
résidence. Il connaît là encore une durée d’application de deux ans, puisqu’il
reste en vigueur jusqu’au 1er novembre 2017. Il finit alors par être
« normalisé », c’est-à-dire intégré au droit commun. Ses mesures sont
utilisables en permanence, sans déclaration explicite. Le texte de 1955 a
cependant connu des modifications substantielles.
Les propos du député gaulliste Louis Vallon, le 31 mars 1955, n’en
étaient pas moins prémonitoires : « Pourquoi faire une loi aux incidences
multiples et lointaines dont vous ne pouvez pas prévoir toutes les
imbrications ? », avait demandé à Maurice Bourgès-Maunoury*, ministre de
l’Intérieur défendant le projet de loi.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, « L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie
coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi », Le Mouvement
social, no 218, 2007.
ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
Les présidents américains dont les mandats se déroulent durant la guerre
d’Algérie, Dwight Eisenhower (1952-1960), puis John Kennedy (1961-
1963), se trouvent confrontés à un dilemme. Il leur paraît indispensable de
conserver l’alliance de la France, élément important de la défense de l’Europe
en pleine guerre froide* par sa position au sein de l’Otan, et qui a fait inscrire
les « départements français d’Algérie » dans le périmètre que couvre
l’alliance. En même temps, ils ne veulent pas donner l’impression de soutenir
une guerre destinée au maintien d’un système colonial qui ne rencontre guère
de faveur dans leur opinion publique et compromet leurs relations avec les
pays de ce qu’on commence à appeler le tiers-monde. Dès le début du conflit,
ils font connaître leur préférence pour une solution négociée menant à
l’indépendance, attitude destinée à ne pas varier par la suite, comme l’illustre
la déclaration fracassante de Kennedy, alors sénateur (juillet 1957).
Politiques et militaires américains doivent pourtant se résigner à laisser
les gouvernements de Paris engager des contingents de plus en plus
nombreux en Algérie, dégarnissant ainsi le théâtre européen face aux forces
du pacte de Varsovie. Ils continuent à fournir les matériels (hélicoptères,
aviation d’attaque au sol, blindés*, matériels de transport) dont une bonne
partie est utilisée en Algérie. Ils paraissent faire confiance aux déclarations
françaises qui promettent d’assortir la répression militaire d’un processus de
profondes réformes et de consultation des populations, notamment à partir de
l’arrivée au pouvoir de Guy Mollet*. Par ailleurs, les diplomates américains
font bon accueil aux délégations que le FLN* envoie à New York auprès de
l’ONU*. De plus, les Américains interviennent à deux reprises dans un sens
contraire à la politique française. En octobre 1956, ils imposent à la France et
à la Grande-Bretagne, alliés d’Israël*, de mettre fin à l’opération de Suez*
destinée à renverser le président Nasser, considéré à Paris comme le principal
soutien du FLN. Au printemps 1958, de concert avec les Britanniques, ils
cherchent à imposer leur médiation sous forme de « bons offices » entre
Tunisiens et Français après avoir désapprouvé les représailles menées en
territoire tunisien contre la base de l’ALN* située près du village de Sakiet
Sidi Youssef*. La grande majorité du personnel politique français dénonce
cette tentative comme une ingérence insupportable, ce qui entraîne son échec,
et la chute du gouvernement de Félix Gaillard* (15 avril).
Cette attitude entraîne une désaffection des relations de l’administration
américaine avec le personnel dirigeant de la IVe République*, dont les
ressentiments font redouter des tentations neutralistes, encouragées par la
puissance du PCF*. En revanche, le retour au pouvoir du général de Gaulle*,
qui a multiplié les déclarations rassurantes, est accueilli favorablement,
comme un gage de stabilité et d’amélioration des relations compromises. En
fait, les Américains sont plutôt déçus, dans la mesure où le Général met
longtemps à s’engager dans une politique très différente de celle de ces
prédécesseurs, même après sa prise de position de septembre 1959 en faveur
de l’autodétermination, ce qui accentue l’attraction des nationalistes algériens
en direction de l’URSS* et de la Chine*. En revanche, de Gaulle, comme les
hommes de la IVe République, reproche aux Américains de ne pas soutenir
suffisamment la politique française, en encourageant les nationalistes
algériens, mais aussi les dirigeants tunisiens et marocains, dans leur
opposition à la politique française en Algérie. Le sentiment de ne pas pouvoir
compter sur la solidarité américaine dans cette affaire se renforce du refus
courtois mais ferme opposé par les Américains à la demande du Général
d’associer la France à un directoire à trois de l’ensemble des affaires du
monde (et non seulement de l’Europe occidentale), et de partager la décision
d’emploi des armes nucléaires avec la France et la Grande-Bretagne.
Cet isolement contraint le gouvernement français, qui a échoué au surplus
à prendre la direction d’une Communauté franco-africaine dans laquelle une
Algérie autonome aurait pu trouver sa place, à évoluer vers des négociations*
exclusives avec le FLN. Malgré tout, le gouvernement américain évite de
s’opposer à la politique française, contrairement aux espoirs des milieux
« activistes », qui agitent le danger de voir l’Afrique du Nord basculer dans le
camp soviétique : c’est notamment le cas lors du putsch* d’avril 1961. Il
laisse Paris mener à son gré le processus de désengagement, et voit avec
soulagement la fin d’une confrontation difficile avec l’allié français. Celui-ci,
néanmoins, tirera de l’épreuve algérienne la conviction que l’alliance
américaine, si elle constitue un élément essentiel à la sécurité de la France, ne
peut guère contribuer à défendre ses intérêts dans le monde. D’autres
difficultés avec les États-Unis sont à venir.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Irwin M. Wall, Les États-Unis et la Guerre d’Algérie, Soleb, 2006.
ÉTUDIANTS EN FRANCE
Le poids politique du monde et des mouvements étudiants pendant la
guerre d’Algérie s’explique en partie par leur nombre. De 1954 à 1962, on
passe ainsi de 155 000 à 245 000 étudiants. Les transformations sont aussi
internes : les effectifs du droit, de la médecine et la pharmacie, de tradition
plus conservatrice, passent de 67 000 à 89 000 alors que dans la même
période ceux des lettres et des sciences doublent quasiment, passant de
80 000 à 155 000.
Ce monde étudiant est, à l’image de la société, traversé par des débats
politiques, l’activité des sections jeunes et étudiantes des partis comme des
groupes confessionnels y est importante. Mais – exception dans le paysage
syndical français – l’Unef* en assure le monopole de la représentation,
« mouvement étudiant » et Unef sont deux vocables pour une seule
organisation (voir entrée « Unef »).
La guerre d’Algérie contribue à bouleverser ce consensus, ce qui conduit
à une crise concomitante des mouvements de jeunesse sur fond de
contestation de la guerre qui se manifeste avec la mobilisation des rappelés en
1956. C’est cette même année que la direction de la Jeunesse étudiante
chrétienne (JEC) prend ses distances avec la hiérarchie de l’Église et
démissionne ; l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) s’est engagée
contre la guerre dès 1955. La crise touche les organisations politiques : la
fronde de cellules étudiantes et universitaires du PCF* conduit à la
dissolution de l’Union des jeunesses républicaines de France (UJRF)
remplacée par le Mouvement des jeunesses communistes de France (MJCF)
dont l’Union des étudiants communistes (UEC) sera une composante séparée
des autres jeunes du mouvement ; les étudiants socialistes, déjà contestataires
en 1956, sont également repris en main lors de leur 10e congrès en 1958. Ces
courants trouvent à l’Unef un toit commun, et beaucoup y exercent des
responsabilités.
L’Unef elle-même, qui vient de décider en juillet 1956 de reprendre les
relations avec les étudiants algériens de l’Ugema*, est frappée par une crise,
avec une scission, rapidement résorbée. Dix-sept associations générales
quittent l’Unef et créent un Mouvement des étudiants de France (MEF),
fondé sur « l’apolitisme » en 1957. Faute de soutien gouvernemental, la
plupart des AGE dissidentes réintègrent l’Unef. Il n’en va pas de même en
1961 quand la scission Fédération nationale des étudiants de France (FNEF)
est définitive, d’autant plus qu’elle est soutenue par le gouvernement Debré*.
Bien que se réclamant également de l’apolitisme, en son sein l’influence de
l’extrême droite est grande, notamment par l’activisme de la Fédération des
étudiants nationalistes (FEN) ouvertement pro-Algérie française et
anticommuniste. On en retrouvera dans l’OAS*.
Ces activismes sont toutefois limités aux sphères militantes estudiantines,
qui représentent plusieurs milliers de personnes, dans un monde étudiant dont
les préoccupations majoritaires tournent autour des conditions de vie et
d’études/bourses, restauration, logement*, santé*.
C’est une mesure gouvernementale qui va enclencher une mobilisation de
masse du milieu : l’instruction interministérielle d’août 1959 mettant en cause
les sursis* des étudiants. Évitant d’apparaître comme des privilégiés ne
défendant que leurs sursis, les organisations étudiantes, en premier lieu
l’Unef, doivent gagner l’opinion* en mettant en cause la guerre elle-même.
La décision gouvernementale est rapportée en mars 1960, à la suite d’une
mobilisation étudiante prolongée.
L’Unef ne pouvant – de par son caractère unitaire – avoir des prises de
position ouvertement pour l’indépendance et de soutien au FLN* et aux
déserteurs – de nombreux militants de l’Unef, de l’UEC, des étudiants du
jeune PSU*, les étudiants socialistes unifiés (ESU), s’engagent dans les
réseaux de soutien aux déserteurs et insoumis, autour du « Manifeste* des
121 », tel le réseau Jeanson*, ou le réseau Jeune Résistance, apportant une
aide concrète au FLN, sabotant l’envoi de convois de soldats. Les attentats de
l’OAS radicalisent les positions, et c’est dans ces conditions que naît en 1961
le FEA (Front étudiant antifasciste) qui se transforme rapidement en FUA
(Front universitaire antifasciste) avec des comités dans les facultés et de
nombreux lycées, notamment auprès des terminales et classes prépas.
À la fin de la guerre d’Algérie, de cette génération* ainsi politisée, un
nombre non négligeable va poursuivre l’action en se mettant « au service de
la révolution algérienne » en Algérie même, d’autres – qui se retrouvent à la
fois dans une UEC échappant de plus en plus au contrôle du PCF et dans une
Unef transformée – seront les ferments des nouvelles crises des mouvements
de jeunesse de 1965, et des « groupuscules » révolutionnaires de mai et
juin 1968. C’est en tout cas la fin du syndicalisme étudiant antérieur.
Alain MONCHABLON et Robi MORDER
Bibl. : Dossier « Étudiants et guerre d’Algérie », site du Groupe d’études et
de recherches sur les mouvements étudiants (Germe), disponible en ligne •
Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon et Robi Morder, Cent ans de
mouvements étudiants, Syllepse, 2007 • Eithan Orkibi, Les Étudiants de
France et la Guerre d’Algérie, Syllepse, 2012.
ÉVASIONS (ALGÉRIE)
En l’absence d’un état des lieux exhaustif des évasions réussies ou mises
en échec en Algérie, il est difficile d’en présenter une vue d’ensemble. Au
début de la guerre, les évasions ne concernent que les Algériens liés au
FLN*. Les dernières années, les détenus de l’OAS* prennent à leur tour le
relais. Quelques évasions ont défrayé la chronique comme celle du Coudiat
avec Ben Boulaïd* en novembre 1955 ou encore l’évasion de 13 détenus du
pénitencier de Lambèse en avril 1961.
Bien avant 1954, plusieurs militants de l’Organisation spéciale* (OS)
dont Zighoud* Youcef, Mostefa Benaouda, Slimane Barkat et Abdesselam
Bekkouche réussissent à s’enfuir de la prison* civile de Bône au mois
d’avril 1951, suivis par Ben Bella* et Ahmed Mahsas* internés à la prison de
Blida le 16 mars 1952.
Au soir du 11 novembre 1955, le chef de la zone de l’Aurès, Mostefa Ben
Boulaïd et dix de ses compagnons, tous condamnés à mort par le tribunal
militaire, s’évadent de la prison du Coudiat de Constantine. Ben Boulaïd
laisse une lettre (Anom 93/4304) écrite au nom des condamnés à mort où il
explique le but de leur combat, à savoir « une République algérienne élue au
suffrage universel, sans distinction de race ni de religion ». Il retrace les
préparatifs de l’évasion, déniant toute complicité de la part de la direction et
des gardiens de la prison ou des avocats qui lui ont rendu visite. Tous les
évadés ont échappé aux recherches policières.
Le commandant Azzedine*, arrêté le 14 juillet 1956, parvient également
à s’évader de la prison de Tablat au mois d’octobre, en compagnie de treize
codétenus.
Le 1er novembre 1961, Benguesmia Chadly Djillali, membre d’un réseau
de fida cumulant plusieurs condamnations, parvient après deux tentatives à
sortir de la prison civile d’Oran dans une benne à ordures.
L’année 1962 s’ouvre sur l’évasion de 51 détenus de la maison centrale
d’Orléansville.
De son côté, le 15 janvier 1962, Arroumia Draoua Mohammed quitte la
prison civile d’Oran avec trois compagnons avec la connivence du gardien
Abed Bey. Rattrapés, ils sont exécutés.
On s’évade aussi des camps. Le début de l’année 1956, trois évasions
planifiées par Hihi El Mekki permettent à de nombreux détenus au camp
d’internement* d’El Djorf (M’sila) de rejoindre le maquis. Tout autre est la
grande évasion des prisonniers* du camp de Paul Cazelles d’où 135 détenus
prennent la clé des champs le 13 décembre 1960. La vaste opération lancée
pour retrouver les fuyards permet de rattraper 35 détenus. Du camp de Saint-
Leu, Ben Adda Benaouda dit Si Zaghloul, condamné à mort, réussit à s’en
évader le 26 décembre 1961.
Dans les années 1960, les détenus de l’OAS parviennent à s’évader soit
des hôpitaux, soit des prisons. Ainsi lors de la semaine des barricades* (fin
janvier 1960), un commando d’activistes « libère » Philippe de Castille de
l’hôpital avec deux autres complices. À la prison du Coudiat de Constantine,
le matin du 26 septembre 1961, deux activistes, dont Jean-Claude Hourdeaux,
parviennent à ouvrir la porte située à l’arrière du bâtiment. Dans leur sillage,
26 détenus algériens profitent de l’aubaine et franchissent la porte laissée
ouverte.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : L’Année du Maghreb, no 20, L’inévitable prison, 2019 • Mohamed
Freha, Oran, du mouvement national à la guerre de libération, 1945-1962,
t. I, Oran, El Oufia Talita, 2010 • Mahfoud Kaddache, Récits de feu, Alger,
SNED/El Moudjahid, 1977.
ÉVASIONS (FRANCE)
Les détenus politiques en France s’organisent et se mobilisent, certes,
mais ils pensent aussi à l’évasion bien que tous ne la cherchent pas (les
objecteurs de conscience acceptent la détention). Pour sa part, la Fédération
de France* du FLN* opte pour une « neutralité bienveillante » car si
l’évasion est risquée (représailles et conflits entre détenus), elle relève d’un
droit du détenu. Seules quelques opérations ont été organisées de l’extérieur,
généralement pour libérer des cadres ou des détenus susceptibles de frapper
l’opinion*, mais elles ont rarement réussi. À noter : l’évasion de six femmes
de la prison* de la Petite-Roquette, en 1961, nécessitant un appui extérieur
(collectif des avocats*, réseau de soutien) et des préparatifs intérieurs
(barreaux sciés des WC, tissage d’une corde). Plus nombreuses ont été les
évasions (ou tentatives) d’individus ayant agi seuls ou en petits groupes, en
secret. Ainsi Fodil Bensalem, en 1961, sort sereinement parmi le public grâce
à des faux jetons de visiteurs, une métamorphose physique (barbe coupée) et
une longue cache dans une douche désaffectée de Fresnes. Une quinzaine de
détenus FLN quitte également la prison de Loos-lez-Lille toujours en 1961
par un tunnel creusé patiemment. Mettant à profit les angles morts des
prisons (douches, infirmeries, transports, etc.), les évasions usent
généralement de la ruse, voire de procédés fantaisistes : transformation de
flûtes (djouaks) en sarbacanes anesthésiantes, malles percées, etc. La force
peut néanmoins être utilisée : fin 1961, six détenus, ayant reçu des armes,
s’évadent de la prison de Chambéry en tuant trois gardiens. Il est impossible
d’évaluer le nombre d’évasions (ou de tentatives), ni d’en donner une
chronologie, même si elles semblent s’être accentuées avec le temps : en
1961, quatorze tentatives sont recensées à Fresnes. Chaque évasion (ou
tentative) aboutit à des sanctions dans l’administration (mutations du
directeur, poursuites des gardiens) et chez les détenus (suspension de droits),
ainsi qu’au renforcement de la sécurité des bâtiments.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Ahmed Doum, De la casbah d’Alger à la prison de Fresnes, 1945-
1962, Alger, Casbah, 1999 • Fanny Layani, « “Le ciel est bleu comme une
chaîne.” L’incarcération des militants de l’indépendance algérienne dans les
prisons de France métropolitaine, 1954-1962 », mémoire de Master 2 sous la
dir. de R. Branche, Paris-1, 2012 • Mohand Zeggagh, Prisonniers politiques
FLN en France pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962. La prison, un
champ de bataille, Publisud, 2012.
ÉVIAN, ACCORDS D’
Les accords d’Évian sont signés le 18 mars 1962, après deux ans de
négociations*. L’indépendance n’a pas été préalablement reconnue mais,
d’évidence, l’autodétermination des Algériens, qui est prévue, y conduira.
Aussi les accords ont-ils une double dimension : point de départ d’un
processus de sortie de guerre et règlement des questions divisant les deux
parties. Signe de leur importance, ils sont scellés à l’échelon gouvernemental.
Côté français, sont présents Louis Joxe*, ministre des Affaires algériennes,
Jean de Broglie, secrétaire d’État au Sahara, et Robert Buron, ministre des
Travaux publics qui apporte le soutien de son parti (le MRP*). Le GPRA* a
quant à lui envoyé Krim* Belkacem, vice-président et ministre de l’Intérieur,
Lakhdar Bentobbal*, ministre d’État, M’hamed Yazid, ministre de
l’Information et Saâd Dahlab*, ministre des Affaires extérieures. La France
ne reconnaissant pas le GPRA cependant, seul Krim Belkacem signe le texte
final en tant que chef de la délégation algérienne. Les accords figurent au
Journal officiel français sous la forme d’un accord de cessez-le-feu suivi
d’une série de déclarations dites « gouvernementales », comme si elles étaient
unilatérales.
Le cessez-le-feu est fixé au lendemain de la signature, le 19 mars 1962* à
12 heures. Il s’accompagne d’une amnistie* permettant la libération de tous
les détenus et internés algériens. Il n’est pas écrit qu’elle est réciproque mais
il est évident que l’amnistie des Algériens engagés dans la lutte pour
l’indépendance aura pour pendant celle des forces françaises (policiers et
militaires) qui leur ont été opposées. Dans l’immédiat, une période
d’administration transitoire est prévue. Un Exécutif provisoire*, prenant
l’Algérie en charge, a six mois pour organiser le référendum*
d’autodétermination. Ensuite, « si la solution d’indépendance et de
coopération est adoptée », l’Exécutif provisoire a trois semaines pour
organiser des élections désignant « l’Assemblée nationale algérienne à
laquelle il remettra ses pouvoirs ».
Les accords concernent en outre le statut des Français restant en Algérie,
l’exploitation des richesses sahariennes, la pérennité de la présence militaire
française ainsi que la coopération économique, financière, culturelle et
technique. Trois ans sont donnés aux Français d’Algérie pour choisir leur
nationalité*. Il leur est notamment permis de « transporter leurs biens
mobiliers, liquider leurs biens immobiliers, transférer leurs capitaux ».
« Aucune mesure arbitraire ou discriminatoire ne sera prise à l’encontre des
biens, intérêts et droits acquis des ressortissants français », est-il spécifié ;
toute privation fera l’objet d’une « indemnité équitable préalablement fixée ».
La coopération financière et économique doit reposer sur une garantie des
« intérêts de la France et des droits acquis des personnes physiques et
morales ». L’ancienne puissance coloniale doit de son côté apporter à la
nation nouvelle « une aide financière privilégiée ». Autorisée à exploiter les
hydrocarbures sahariens, elle bénéficie d’une « préférence » dans l’octroi de
permis miniers. Militairement, elle conserve la base de Mers El Kébir pour
quinze ans et pourra continuer ses essais nucléaires* dans le Sahara pendant
cinq ans. Elle pourra entretenir sur place une force de 80 000 hommes.
Ces accords sont immédiatement critiqués par les opposants internes des
deux camps. En France, les partisans de l’Algérie française y voient un
abandon coupable. Côté algérien, ceux qui refusent par principe toute
négociation les dénoncent comme néocolonialistes. Ahmed Ben Bella* et le
colonel Houari Boumediene*, en particulier, défendent ce point de vue. Leur
position est d’autant plus cruciale qu’ils deviennent les deux premiers
présidents de la toute nouvelle République algérienne démocratique et
populaire (Ben Bella de 1962 à 1965, Boumediene ensuite, après un coup
d’État renversant son ancien allié). Eux ne se sentent pas tenus par des
accords qu’ils ont rejetés et qui contreviennent à leurs options politiques.
Outre le fait que les Français d’Algérie quittent massivement le pays en
1962, ainsi s’explique que les garanties prévues pour eux sont restées en
grande partie vaines. La législation algérienne sur les biens déclarés vacants,
en raison de l’absence de leurs propriétaires, ainsi que la nationalisation des
terres ne respectent pas les engagements pris à Évian. Pour Guy Pervillé*, les
dirigeants algériens ont ainsi révisé les accords, unilatéralement.
Ce n’est pas le cas, cependant, dans les autres domaines. Les accords ont
été respectés sur les plans économique et militaire. La France poursuit ses
essais nucléaires dans le Sahara, quitte Mers El Kébir sans conflit en 1968 et
exploite les hydrocarbures jusqu’à la nationalisation de 1971. La coopération
l’a également emporté car Ben Bella puis Boumediene n’ont pas le choix,
tant la colonisation a laissé l’Algérie démunie. Jusqu’en 1962, les Français
assuraient les fonctions d’encadrement, dans le public comme dans le privé,
tandis que les « musulmans », souffrant de discriminations scolaires et
statutaires, y étaient très peu nombreux. Aussi, de 1962 à 1969, selon
Charles-Robert Ageron*, la France et l’Algérie signent 72 accords de
coopération, suscitant, dit l’historien, des jalousies au Maroc* et en Tunisie*.
Des coopérants de nations ayant soutenu la lutte algérienne pour
l’indépendance (pays arabo-musulmans, du bloc de l’Est ou encore Cuba)
remplacent cependant progressivement les Français. De même, la liberté de
circulation accordée aux ressortissants algériens à Évian témoigne de liens
privilégiés dans l’immédiat après-guerre. Assez vite remise en cause par les
deux parties, elle est officiellement enterrée en 1968.
Surtout, le processus de sortie de guerre défini par les accords (cessez-le-
feu puis autodétermination) est bien appliqué ; et ce, en dépit des violences
qui suivent le 19 mars 1962. Le déficit de maintien de l’ordre est alors
général. Les accords ont prévu un système qui peine à se réaliser :
constitution d’une « Force locale* », embauche d’attachés temporaires
occasionnels (ATO). L’OAS* se déchaîne pour empêcher l’organisation du
référendum et éviter l’indépendance. Elle mobilise les Français d’Algérie
dont des dizaines sont tués dans la répression d’un cortège, rue d’Isly*, à
Alger, le 26 mars. Au nom de la lutte contre l’OAS, des groupes armés
algériens enlèvent des Français d’Algérie dont certains disparaissent. Les
représailles envers les harkis* débutent aussi.
Les Français de métropole approuvent les accords par référendum, le
8 avril 1962 (90 % des votants, avec un taux d’abstention de 24 %) ; ils
signifient en effet que les jeunes hommes ne partiront plus. En Algérie,
l’indépendance recouvre les accords d’Évian comme symbole de la victoire.
Après le référendum d’autodétermination le 1er juillet, la reconnaissance du
résultat par de Gaulle* le 3, l’indépendance est fêtée le 5. « Misson
accomplie », estime Saâd Dahlab, l’un des négociateurs d’Évian. Une guerre
civile suit cependant. L’Exécutif provisoire passe le relais à la République
algérienne le 25 septembre 1962 seulement.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Les accords d’Évian (1962) », Vingtième
Siècle, no 35, 1992 • René Gallissot (dir.), Les Accords d’Évian en
conjoncture et en longue durée, Karthala, 1997 • Saâd Dahlab, Mission
accomplie pour l’indépendance de l’Algérie, Alger, Dahlab, 1990.
EXÉCUTIF PROVISOIRE
Les accords d’Évian* signés entre le gouvernement français et le GPRA*
organisent une sortie de guerre, progressive, devant s’achever par un
référendum* d’autodétermination sur l’indépendance avant le passage de
relais au nouvel État algérien. Le processus débute avec le cessez-le-feu, le
19 mars 1962*, suivi d’une période transitoire dans l’attente du référendum.
Dans cette perspective, les accords prévoient de nouvelles institutions*.
Un haut-commissaire, placé sous l’autorité du ministre d’État chargé des
Affaires algériennes, Christian Fouchet*, est désigné et un gouvernement de
fait, l’Exécutif provisoire est mis en place. La composition de cette instance
résulte d’un dosage pragmatique entre libéraux français et algériens, partisans
de la politique gaullienne en Algérie et nationalistes du FLN*, hommes
rompus aux arcanes des IVe et Ve Républiques* et nouvelle génération* de
cadres et intellectuels issus de la révolution algérienne.
Les prérogatives de l’Exécutif provisoire sont importantes et régaliennes :
assurer la gestion des affaires publiques propres à l’Algérie, diriger son
administration, faire accéder les Algériens aux emplois dans différentes
branches de l’administration, maintenir l’ordre public (avec des services de
police* et une force d’ordre, la « Force locale* » estimée à 40 000 hommes)
et surtout préparer et mettre en œuvre l’autodétermination.
Né en 1911 à Akbou (Kabylie), son président, Abderrahmane Farès,
diplômé en droit, a été le premier notaire musulman d’Algérie. Proche de la
SFIO*, il a siégé au Conseil général d’Alger, puis, en 1946, à la première
Assemblée constituante française. En 1953, il a présidé l’Assemblée
algérienne. Après avoir longtemps défendu la solution de l’intégration de
l’Algérie, il a soutenu le FLN en collectant des fonds à son profit, ce qui lui a
valu d’être arrêté, le 4 novembre 1961, pour atteinte à la sûreté de l’État. Il
est libéré avec le cessez-le-feu pour présider l’Exécutif provisoire. Sa
nomination, résultat d’un compromis entre le GPRA et le gouvernement
français, est mal accueillie par l’ALN* qui l’associe à la « Troisième force ».
Dans la Wilaya 4*, il reçoit le sobriquet de « Bao Daï » algérien.
Chawki Mostefaï, pour sa part, préside le groupe FLN au sein de
l’Exécutif provisoire. Selon M’hamed Yazid, porte-parole du GPRA, il
possède trois qualités : bénéficier de la confiance du FLN, jouir d’une
notoriété suffisante auprès de la masse musulmane et apparaître comme un
élément d’apaisement pour les Européens. Tout comme celle de Farès et des
autres membres, sa désignation témoigne de l’importance que revêt, pour les
négociateurs d’Évian, l’avenir de la cohabitation entre les deux communautés
à l’indépendance. Ainsi, la vice-présidence de l’Exécutif provisoire échoit à
Roger Roth, les Travaux publics à Charles Koenig, les Affaires financières à
Jean Mannoni, l’Agriculture* à M’hamed Cheikh, l’Ordre public à
Abdelkader El Hassar, les Affaires culturelles à Brahim Bayoud. Les autres
portefeuilles reviennent aux représentants du FLN : les Affaires économiques
à Bélaïd Abdesselam, les Affaires administratives à Abderrezak Chentouf, les
Affaires sociales à Boumediene Hamidou et les Postes à Mohamed
Benteftifa. Quant à la Force locale, elle est confiée au préfet* de Saïda, Omar
Mokdad.
L’Exécutif provisoire et la Force locale font débat au sein du FLN.
Ahmed Ben Bella* estime que la majorité de ses membres sont des « relais
du gouvernement français ». Son avis est partagé par l’EMG* et les wilayas.
La Force locale aurait ainsi pu être utilisée par le GPRA pour contrôler les
wilayas, limiter leur champ d’action à l’intérieur et en même temps
contrecarrer toute velléité de l’armée des frontières* de s’imposer à
l’indépendance. Avec des effectifs pouvant aller jusqu’à 60 000 hommes, elle
autorisait toute spéculation sur ses finalités politiques. Responsable du
maintien de l’ordre entre le cessez-le-feu et la proclamation des résultats du
référendum d’autodétermination, elle devait assurer des missions de
surveillance générale, de protection des personnes et des biens et du maintien
de l’ordre. Cet échafaudage ne résiste cependant pas à la complexité de la fin
de la guerre. Au jour du référendum d’autodétermination (1er juillet), la Force
locale implose. Une partie de ses membres rejoignent l’ALN avec leurs
armes, accentuant la crise du FLN à l’été 1962* et nourrissant ainsi le
« wilayisme ».
Cependant, l’implosion de la Force locale n’empêche l’Exécutif
provisoire d’organiser le référendum d’autodétermination du 1er juillet.
L’Exécutif provisoire assume alors les pouvoirs devant être ensuite dévolus à
l’État algérien indépendant. Farès et son équipe réussissent alors cahin-caha à
assurer un équilibre entre les différentes factions s’opposant : groupe de
Tlemcen*, groupe de Tizi Ouzou*, les wilayas et l’EMG. L’Exécutif
provisoire reste en fonction jusqu’à l’élection-cooptation de l’Assemblée
nationale le 20 septembre 1962.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, 1954-
1962, Seuil, 1982 • Abderrahmane Farès, La Cruelle Vérité. Mémoires
politiques, Alger, Casbah, 2006 • Maurice Flory, « La fin de la souveraineté
française en Algérie », Annuaire français de droit international, vol. 8,
1962 • Maurice Vaïsse (dir.), Vers la paix en Algérie. Les négociations
d’Évian dans les archives diplomatiques françaises. 15 janvier 1961-29 juin
1962, Bruxelles, Bruylant, 2003.
EXÉCUTIONS SOMMAIRES
En contexte militaire, une exécution sommaire est la mise à mort d’un
individu hors combat et sans sommation. En Algérie, le cadre légal a
cependant posé un problème spécifique car le droit de la guerre n’est pas
officiellement appliqué. L’action des forces de l’ordre est encadrée par un
droit d’exception, dont l’état d’urgence* est la première pierre. La non-
application du droit de la guerre ouvre une vaste question : dans quelles
conditions les soldats peuvent-ils faire feu sans risquer des poursuites
judiciaires ? De ce fait, des directives et circulaires fondamentales sont prises
en 1955. Elles forment un corpus définissant théoriquement la légitimité
d’une exécution sur le terrain. Le 13 mai 1955, d’abord, une directive du
commandant des Aurès-Nemencha – reprenant les orientations discrètement
fixées par le ministre de l’Intérieur et le gouverneur général Jacques
Soustelle* – ordonne que tout « rebelle » pris les armes à la main soit abattu.
Puis le 1er juillet 1955, une circulaire des ministres de la Justice et des Forces
armées liste les conditions dans lesquelles les forces de l’ordre peuvent ouvrir
le feu : tout « rebelle » faisant usage d’une arme ou aperçu une arme à la
main ou en train d’accomplir une exaction peut alors être tué sur-le-champ,
de même que tout suspect qui tente de s’enfuir. En toute logique avec ces
préconisations, pendant toute la guerre, les militaires qui officialiseront leurs
exécutions (ce n’était pas toujours le cas) déclareront leurs victimes comme
des « fuyards abattus ». Enfin, le 3 août 1955, le ministre la Justice fait
clôturer les informations judiciaires ouvertes après des exécutions lorsqu’il
ressort que les faits sont justifiés par les circonstances, la nécessité ou l’ordre
de la loi. Les pouvoirs spéciaux* accordés par la loi du 16 mars 1956
renforcent encore les prérogatives des forces de l’ordre, même si dans une
note du 13 octobre 1956, le général Lorillot*, commandant la 10e RM, exige
le respect des « dispositions humanitaires prévues par la convention de
Genève* », sous peine de sanctions.
Dans cette guerre que l’armée définit comme une guerre
insurrectionnelle, les circonstances des exécutions sont très variables. Les
soldats les justifient par la mort de leurs camarades au combat, suscitant des
désirs de vengeance ou encore par la nécessité de faire disparaître un
prisonnier*, pour des raisons diverses : son état physique ou psychique
prouverait l’usage de la torture*, par exemple, ou, plus simplement, parce que
la garde du captif aurait gêné l’activité opérationnelle de l’unité. Pour sa part,
le commandement, en particulier lorsqu’il doit se justifier auprès des autorités
politiques, présente les exécutions sommaires comme des exécutions extra-
judiciaires. L’armée se substituerait ainsi à la justice, décriée pour son
laxisme, sa mansuétude, son inefficacité. Il s’agirait donc d’une forme de
justice expéditive. L’exemple le plus connu est celui du colonel Argoud* qui
procède à des exécutions en place publique. Sa logique est cependant une
logique de terreur : ces exécutions témoignent aux yeux de tous des risques
encourus et du pouvoir acquis par l’armée sur le terrain – les soldats ont droit
de vie ou de mort. Les appréciations de sa hiérarchie, aux divers échelons
supérieurs, ont divergé : si les généraux Massu* et Pâris de Bollardière* lui
ont ordonné de cesser de telles pratiques, le commandant en chef Raoul
Salan* l’a implicitement soutenu et le général Allard* l’aurait encouragé à
déplacer les populations en camion pour les faire assister aux exécutions.
Rares sont les exécutions sommaires qui font l’objet de poursuites. Seul
un gendarme auxiliaire musulman est inculpé fin 1955 pour avoir abattu un
suspect. L’exécution ayant été filmée par un reporter américain, elle suscite
un vif mais bref émoi : c’est l’affaire d’Aïn Abid. Puis le drame de Palestro*
et les attentats à la bombe à Alger sont opposés, dans le débat public français,
à la dénonciation de la répression. Après le scandale de la torture en 1957, la
parole se libère vraiment en 1958. Des prêtres-ouvriers de la Mission de
France* rendent publique une lettre dans laquelle un appelé relate les
« corvées bois* ». La pratique est généralisée : elle concerne, outre l’armée
de terre*, la gendarmerie*. Elle est aussi contre-productive, selon le
commandant en chef Raoul Salan qui crée, en 1958, des centres militaires
d’internés* (CMI). L’armée y place les djounoud capturés qu’elle juge
opportun de garder sous son contrôle, les soumettant à une « rééducation* »
afin de les « retourner ». Ces structures sont censées décharger rapidement les
unités de leurs prisonniers, avec la perspective qu’ils rallient le camp de la
France. Elles serviraient donc à faire reculer le nombre des exécutions
sommaires – le nombre de CMI reste cependant très faible (7 en 1960) et
seuls quelques milliers d’hommes (4 500 au maximum) y sont détenus. En
1960, une enquête confiée à Maurice Patin*, président de la Commission de
sauvegarde*, conclut que la logique fonctionne. Les exécutions sommaires
diminueraient. Il reconnaît pourtant se fonder sur les procès-verbaux pour
« fuyards abattus » officiellement dressés, qui ne reflètent que les
déclarations et non la réalité de la pratique.
Des cadres de l’armée s’y sont opposés catégoriquement, quand pour
d’autres les exécutions ont une dimension d’exercice de la terreur, présentée
comme une contre-terreur face au FLN*. Paul Aussaresses* s’en est ainsi
revendiqué. Dans le cas des appelés du contingent*, des exécutions
sommaires ont pu résulter des carences de l’encadrement. Les sanctions à
l’égard de leurs auteurs sont exceptionnelles pendant la guerre. Puis aucune
poursuite n’a pu être engagée après le cessez-le-feu en raison de l’amnistie*.
Prévue pour les détenus algériens dans les accords d’Évian*, elle bénéficie
également aux membres des forces de l’ordre françaises par le décret no 62-
327 du 22 mars 1962 et ses ordonnances d’application du 14 avril, amnistiant
les auteurs d’infractions commises au « titre de l’insurrection algérienne ».
L’amnistie n’est toutefois pas synonyme d’amnésie. Aussi le sujet est-il
publiquement évoqué, avec celui de la torture, sans que de nouvelles enquêtes
soient lancées ni une reconnaissance proclamée. Est-il du reste possible de les
quantifier précisément, tant les sources sont rares et qu’aucun décompte ne
figure dans les archives* militaires ? Des statistiques de la 10e RM font état
qu’un quart des combattants algériens capturés entre 1955 et 1958 sont tués,
officiellement après avoir tenté de se soustraire au contrôle ou à l’emprise des
forces de l’ordre – ce qui reste toujours invérifiable au cas par cas. Se basant
sur les journaux des marches et des opérations* (JMO), l’historien Gilbert
Meynier* a établi un décompte de 21 132 « fuyards » abattus sur les 145 195
« rebelles » tués par les forces de l’ordre entre janvier 1955 et février 1962,
ce qui correspond à 14,55 % des pertes du FLN.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN,
Fayard, 2002 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la
guerre d’Algérie, La Découverte, 2004.
F
FÉDÉRATION DE L’ÉDUCATION
NATIONALE (FEN)
Hasard de l’histoire, c’est pendant la Toussaint rouge que se tient le
congrès de la FEN les 1er, 2 et 3 novembre 1954. Celui-ci met au centre du
débat la libération de Messali Hadj* et le recouvrement de ses droits ; il assoit
progressivement la position majoritaire, celle d’une « conférence de La Table
ronde regroupant les représentants authentiques de toutes les populations sans
distinction aucune ». La position des représentants de l’École émancipée
portée par Gaston Diot et Henri Sarda dans L’École libératrice du 25 février
1955 prône même la possibilité pour le peuple algérien « d’élire une
constituante souveraine qui décidera du sort et du régime de l’Algérie ».
Au congrès de la FEN de novembre 1957, les positions achèvent d’être
claires ; la proposition majoritaire de La Table ronde est réaffirmée par Pierre
Desvalois ; dans le même temps la position « Guibert » prône très clairement
« l’ouverture d’une négociation* pour un cessez-le-feu avec ceux qui
combattent devant aboutir à un règlement politique sur la base du droit à
l’indépendance des populations autochtones ». L’École émancipée se
prononce aussi pour « le droit à l’autodétermination ».
C’est bien la rupture du tabou, à travers la reconnaissance « du droit à
l’autodétermination du peuple algérien », qui fait évoluer les positions. Dès
lors, c’est la question de la représentativité des interlocuteurs qui fait débat.
La majorité a déjà introduit des interlocuteurs autres que le FLN*, comme le
MNA* et les « Européens », dans le jeu politique.
L’unité syndicale se ressoude dans l’action, notamment dans la
préparation et l’engagement de la grande grève* du 1er février 1960. Certes,
des polémiques continuent à diviser les syndicats sur les interlocuteurs
représentatifs des populations et combattants.
Le 17 février 1961 à Genève a lieu une rencontre entre les syndicats
algériens de tendance FLN et les représentants de la CGT*, de la CFTC* et
de la FEN. Au fur et à mesure que le congrès de la FEN de novembre 1961
approche et que les violences redoublent, la question de la représentativité de
l’interlocuteur « essentiel ou principal » se pose de manière aiguë.
Au congrès de novembre 1962, la motion majoritaire s’inscrit dans la
perspective de la coopération ; en saluant la jeune nation algérienne « elle
exprime le vœu fervent qu’elle bâtisse démocratiquement l’Algérie
indépendante, coopérant librement avec la France » alors que l’École
émancipée récuse les accords d’Évian* qui visent à « sauvegarder pour un
temps les intérêts de l’impérialisme français en Algérie… ». Quant à Unité et
Action tout en saluant « la naissance de l’Algérie indépendante […] souhaite
que dans une atmosphère nouvelle excluant tout néocolonialisme, toute
sujétion économique, des relations fraternelles s’établissent entre les peuples
français et algérien ».
Aissa KADRI
Bibl. : Guy Brucy, Histoire de la FEN, Belin, 2003 • L’École libératrice,
organe du Syndicat national des instituteurs et institutrices de l’Union
française.
FEMMES ET FLN
L’adhésion des populations rurales et urbaines à la lutte anticoloniale est
au cœur de la stratégie de guerre révolutionnaire* adoptée par le FLN*. Dès
le 1er Novembre*, les femmes des campagnes jouent un rôle de premier plan :
ce sont elles qui cachent les maquisards, leur font à manger et soignent les
blessés.
Le recrutement des femmes des villes s’accélère dans le courant de
l’année 1956 avec le passage à la guerre urbaine. La capacité des femmes à se
déplacer en se faisant moins remarquer, voire pas du tout, dans les milieux
européens pour transporter des messages, des armes et commettre des
attentats est un atout stratégique pour le FLN. Peu nombreuses mais très
médiatisées, les poseuses de bombes étaient presque toutes jeunes et avaient
reçu une éducation à l’école française, contrairement à la grande majorité des
femmes algériennes, analphabètes à 95 %. Une fois repérées en ville par les
autorités coloniales, et pour éviter une arrestation, certaines femmes du
réseau urbain montent au maquis. La grève* des étudiants* et des lycéens en
mai 1956 incite aussi quelques étudiantes à rejoindre le maquis.
Au congrès de la Soummam*, en août 1956, « le Mouvement des
femmes » est ainsi reconnu comme porteur « d’immenses possibilités » pour
développer un soutien moral au combat indépendantiste, fournir un soutien
logistique à la lutte armée et construire des alliances politiques. Cependant, le
FLN n’envisage pas la mise en place d’une organisation politique autonome
des femmes algériennes. En 1957, en pleine bataille d’Alger*, la Zone
autonome d’Alger* a planifié la création d’une organisation spécifiquement
féminine, axée sur le soutien logistique et permettant à un certain nombre de
femmes d’aller vers l’organisation politico-militaire. Ce plan conçu par Zohra
Drif* et Yacef Saadi* est stoppé avec leur arrestation. Les grades sont
rarement conférés aux femmes malgré quelques exceptions, telles que Nefissa
Hamoud*, médecin et commandant de l’ALN*.
La présence des femmes au combat rompt avec les normes
socioculturelles et la séparation des sexes. Les documents internes de l’ALN,
ainsi que les témoignages*, indiquent une grande diversité dans les
perceptions et les vécus. Selon les témoignages d’anciennes combattantes,
malgré une certaine circonspection des chefs, il régnait un respect total entre
« frères » et « sœurs ». L’emploi de ce langage familial normalise des
rapports de genre* tout à fait nouveaux. En fait, l’emprise du patriarcat
continue de régir les rapports entre les hommes et les femmes. Les mariages
sont contrôlés par la hiérarchie militaire. Dans la Wilaya 3* jusqu’en 1959,
des tests de virginité sont imposés aux femmes, même si beaucoup d’entre
elles les refusent. À la fin de 1957, la décision est prise d’évacuer vers les
frontières tunisienne et marocaine les maquisardes, en raison du danger
grandissant. Cet ordre n’est pourtant pas suivi partout, tout comme
l’interdiction de recruter des femmes soldats et infirmières.
Le FLN est poussé par le contexte politique à produire un discours sur la
participation des femmes à la guerre comme un signe de leur émancipation.
En 1958, des réformes du gouvernement français – notamment le droit de
vote et des réformes du mariage et de sa dissolution – visent à « gagner les
cœurs et les esprits » des femmes algériennes. Dénonçant ces mesures
comme des tentatives de « dépersonnalisation », le FLN insiste que la
condition sine qua non pour la libération de la femme est la fin de la
domination coloniale. La présence des femmes est utilisée pour grandir
l’image du FLN à l’extérieur. Mamia Chentouf, ex-militante de l’Association
des femmes musulmanes algériennes (Afma), fait partie de celles envoyées
représenter le FLN dans des événements internationaux comme la conférence
des femmes afro-asiatiques au Caire en 1961. Devenues symboles de la
révolution, elles servent la propagande* du FLN à destination du public
métropolitain progressiste et de l’opinion internationale.
En juin 1962, le programme de Tripoli revient sur la participation de la
femme algérienne à la lutte qui lui aurait permis de « briser le joug séculaire
qui pesait sur elle et [de] l’associer d’une manière pleine et entière à la
gestion des affaires publiques et au développement du pays ». Malgré cette
déclaration d’intention produite dans le contexte d’implosion du FLN, la
volonté politique d’aborder en profondeur « la question de la femme » dans
l’Algérie indépendante est faible. Pour la grande majorité de la société
algérienne, une fois la guerre terminée, la place de la femme doit rester dans
la sphère privée.
Natalya VINCE
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991
• Monique Gadant, Le Nationalisme algérien et les Femmes, L’Harmattan,
1995 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002.
FIGARO (LE)
Contrairement à L’Humanité*, France Observateur ou Le Monde*,
engagés contre la torture*, le titre de Pierre Brisson reste relativement proche
du discours officiel.
Sur le terrain, Serge Bromberger et René Janon, ses envoyés, couvrent la
guerre qui, sans être nommée, est régulièrement présente dans ses colonnes.
Mais Pierre Brisson choisit très tôt de se priver des réflexions critiques de
François Mauriac*. Il offre à ses lecteurs un regard qui légitime l’engagement
militaire français, met en scène l’efficacité de la « pacification* » et
condamne la cruauté des indépendantistes.
Ce positionnement conduit les journalistes du Figaro à contester
l’existence de la torture selon des stratégies qui évoluent au fur et à mesure
des révélations faites par les autres titres de presse*. Si de 1954 à 1956, la
rédaction peut se permettre d’éviter le sujet, la dénonciation croissante de la
torture à partir de mars 1957 la contraint à vilipender, en chœur avec les
prises de paroles officielles, des critiques de l’armée jugées calomnieuses. À
partir d’août 1957, la rédaction parle de la torture, mais produit
systématiquement, en contrepoint, des discours dénonçant les massacres et
exactions commis par le FLN*.
Avec le retour de De Gaulle*, la chronique quasi quotidienne de la guerre
passe à l’arrière-plan et le journal manifeste un intérêt croissant pour le débat
et l’action politiques. Le 7 octobre 1960, Le Figaro publie le « Manifeste*
des intellectuels » qui répond au « Manifeste des 121 » et condamne « les
apologistes de l’insoumission et de la désertion ». Si Pierre Brisson reste
longtemps prudent à l’égard de la stratégie gaulliste, il s’engage plus
nettement, sans réel enthousiasme, en faveur du général à la suite du putsch*
des généraux puis des attentats de l’OAS* qui visent la rédaction du journal
et le domicile de Brisson. En 1961-1962, le titre choisit la dénonciation du
terrorisme de l’OAS, le soutien à l’autodétermination et le respect de la
légalité des institutions*, tout en continuant à dénoncer le terrorisme du FLN
et en tardant à reconnaître la légitimité du GPRA*. Il faut attendre le début de
l’année 1962 pour que la rédaction se rallie à la décolonisation mais elle
épouse toujours le silence des autorités sur la torture et sur les pratiques de
l’armée française.
François ROBINET
Bibl. : Claire Blandin, Le Figaro. Deux siècles d’histoire, Armand Colin,
2007 • Émilie Roche, « Le Figaro en guerre d’Algérie », in Claire Blandin
(dir.), Le Figaro. Histoire d’un journal, Nouveau Monde, 2010.
FINANCES DU FLN
Succédant en 1954 au Crua, le FLN* n’en hérite que de maigres fonds.
Prônant la lutte armée, le Crua, dissidence minoritaire du MTLD, le parti de
Messali*, n’avait attiré que peu d’adeptes. De ce fait, il ne disposait guère de
cotisants. À sa naissance, les fondateurs du FLN doivent le financer de leurs
maigres fonds propres. À ce premier handicap s’en ajoute un second. Lors de
sa proclamation en 1954, le FLN est inconnu sur le plan international. Il
n’émane d’aucun État étranger qui aurait pu le doter. Certes, des militants ont
pu être chichement hébergés au Caire, capitale d’une Égypte* nassérienne
championne d’un nationalisme arabe sous son contrôle. L’aide égyptienne est
surtout en nature. L’ancien chef du renseignement égyptien, Fathi Al Dib,
affirme dans ses mémoires que la première cargaison d’armes arrivée en
Algérie, en février 1954, a été fournie par l’Égypte. Elle valait environ
8 000 livres (11 millions d’anciens francs). Il ajoute que le premier contrat
d’armement en provenance d’Europe de l’Est a été opéré grâce à un
financement égyptien d’environ 1 million de dollars (350 millions d’anciens
francs). L’Égypte, dit-il, a également fourni 75 % de l’argent versé par la
Ligue des États arabes* au FLN, soit 12 millions de livres par an
(16 milliards d’anciens francs). Selon lui, le président Nasser aurait, en 1956,
alloué au FLN la première recette issue de la nationalisation du canal de Suez
(3 milliards d’anciens francs).
Pour recruter des cotisants, le FLN a dû se trouver des adhérents, par la
séduction de son discours indépendantiste ou par l’exercice de la contrainte et
de la violence. Se proclamant seul détenteur de la légitimité de la cause
indépendantiste, il écarte toute opposition. Ses premiers succès sur le terrain
le confirment dans cette prétention. La violence et le retentissement des
événements du 20 août 1955* lui permettent d’imposer son monopole. Il
s’organise en contre-État colonial et transforme les cotisations en taxes sur
une grande partie de la population, notamment les immigrés en Europe
(France et Belgique* principalement). À cela s’ajoutent les contributions en
nature, volontaires ou contraintes, qui vont de la récupération des armes de
chasse ou de poing ou encore la confiscation de véhicules particuliers à la
gratuité de l’hébergement des militants et combattants. Quand les hommes
fournissent argent, aides en nature ou assurent les liaisons, les femmes* sont
réquisitionnées pour les tâches de cuisine ou de lessive.
Des sources historiques relatives à la taxation des résidents algériens en
Europe permettent de s’en faire une idée. Omar Boudaoud*, chef de la
Fédération de France*, affirme dans ses mémoires qu’elle a compté
136 345 membres en 1960 et recueilli 6 milliards d’anciens francs par an de
1955 à 1962. Des Français aident à cette collecte. En témoigne, en 1959,
« l’affaire de la rue Oberkampf » à Paris. La police* française qui traque une
réunion FLN se tenant dans l’appartement de Gérard Lorne y trouve de
l’argent collecté auprès de l’immigration algérienne (44 millions d’anciens
francs). Il a été prétendu que les sommes ainsi collectées auraient, en 1961,
représenté 80 % des ressources financières du GPRA*. Des historiens comme
Charles-Robert Ageron* s’en sont étonnés.
L’écho international de la cause indépendantiste s’est amplifié dès 1955.
La conférence des non-alignés de Bandoeng* (avril 1955) procure au FLN
des soutiens moraux, certes, mais surtout des aides et des dons en matériel
militaire d’Égypte et du camp socialiste. En juin 1955, les dirigeants du
PCA* prennent la décision de participer à l’insurrection aux côtés du FLN.
Les chances d’une aide soviétique s’en trouvent accrues. La réprobation
américaine et soviétique de l’expédition franco-britannique de Suez* en
octobre 1956 renforce la bienveillance internationale pour le nationalisme
anticolonial. Les États-Unis* affichent une sympathie plus grande sans
apporter de soutien matériel. En juillet 1957, le sénateur John F. Kennedy se
prononce en faveur de l’émancipation de l’Algérie. De son côté, la CIA aide
financièrement à la création de l’UGTA* en février 1956 et, par le biais de la
base américaine de Kénitra (Maroc), livre du matériel militaire réformé. Ces
tractations permettent à Abdelhafid Boussouf*, ministre de l’Armement et
des Liaisons générales, de s’introduire dans les réseaux internationaux de
trafic d’armes*. Ces transactions occultes aident l’État-major général* à se
créer une caisse noire à sa disposition, indépendante des finances du GPRA.
La sympathie officielle américaine se traduit aussi par des dons à destination
des réfugiés au Maroc* et en Tunisie* et dont la distribution est, parfois,
sous-traitée lucrativement par des militants FLN.
Les fonds gérés par le FLN donnent lieu à des actions menées par des
sympathisants français, belges et suisses qui les transportent (les porteurs de
valises* du réseau Jeanson*, par exemple). D’autres réseaux, comme celui du
militant communiste Henri Curiel*, s’appuient sur des banques pour
transférer hors de métropole l’argent des cotisations. La gestion de certains
fonds, déposés à la Société des banques suisses, est confiée notoirement à
Ahmed Francis, ministre des Finances du GPRA, à tel point que le 17 juin
1959 Michel Debré* convoque l’ambassadeur de Suisse à ce sujet. D’autres
fonds ont fait l’objet de sombres manœuvres autour d’un banquier suisse
connu pour ses sympathies nazies, François Genoud, administrateur de la
Banque commerciale arabe de Genève qui les avait en dépôt au nom de
Mohamed Khider*, trésorier du FLN, devenu, après 1962, un opposant en
exil et le propriétaire de cette banque. Des règlements de comptes entre
dirigeants du FLN s’en sont suivis. Liées à l’existence de ce « trésor de
guerre », des hypothèses ont été émises impliquant ces dirigeants dans
l’assassinat non élucidé de Mohamed Khider à Madrid en 1967. Un accord de
novembre 1979 entre les héritiers Khider et le gouvernement algérien a clos
cette affaire. La famille Khider a cédé à l’État algérien ses parts dans la
banque, devenue en 1981 Banque algérienne du commerce extérieur basée à
Zurich.
Ahmed HENNI
Bibl. : Fathi Al Dib, Abd El Nasser et la révolution algérienne, L’Harmattan,
1985 • Omar Boudaoud, Du PPA au FLN. Mémoires d’un combattant, Alger,
Casbah, 2007 • Emmanuelle Colin-Janvoine, Stéphanie Derozier, Le
Financement du FLN pendant la guerre d’Algérie. 1954-1962, Saint-Denis,
Éditions Bouchène, 2008.
FORCE LOCALE
La « force de l’ordre », ou « Force locale », fut créée par les accords
d’Évian* pour servir d’instrument militaire à l’Exécutif provisoire* algérien.
Leur première partie, intitulée « Conditions et garanties de
l’autodétermination », fixait en deuxième point « l’organisation des pouvoirs
publics en Algérie pendant la période transitoire » devant séparer le cessez-
le-feu (19 mars 1962*) de la formation d’un gouvernement algérien issu
d’une assemblée constituante. Ce point définissait, dans son titre IV, la
composition de cette « force de l’ordre » : « Article 19 : Il est créé une force
de l’ordre propre à l’Algérie. Cette force de l’ordre est placée sous l’autorité
de l’Exécutif provisoire, qui décide des conditions de son emploi. Article 20 :
La force de l’ordre aura un effectif global de 60 000 hommes. Son effectif
initial sera de 40 000 hommes. Il comprendra : – les auxiliaires de la
gendarmerie et les groupes mobiles de sécurité actuellement existants ; – des
unités constituées par des appelés d’Algérie et, éventuellement, par des
cadres pris parmi les disponibles. L’Exécutif provisoire a le pouvoir de
compléter la force de l’ordre par le rappel de réserves instruites. Article 21 :
Le directeur de la force de l’ordre est nommé par décret en accord avec
l’Exécutif provisoire. »
L’idée d’une telle force venait du gouvernement français, qui l’avait
adoptée depuis le début des négociations* avec le GPRA* (janvier 1961), et
précisée avant leur aboutissement. Le Comité des affaires algériennes du
26 septembre 1961 avait décidé que « la force algérienne à créer sera placée
sous l’autorité du délégué général avant d’être transférée, le cas échéant, à un
organisme algérien chargé de préparer l’autodétermination ». Elle devait
comporter « – une Gendarmerie constituée principalement en faisant appel
aux gendarmes auxiliaires ; – des Unités de sécurité auxquelles seront
affectés les membres des groupes mobiles de sécurité, des supplétifs*, des
hommes recrutés localement et, en cas de besoin, des Musulmans appelés
sous les drapeaux », et réunir 30 à 35 000 hommes à la fin de l’année 1961.
Mais dans les négociations, le GPRA discuta âprement cette proposition qui
lui semblait un moyen de marginaliser l’ALN* (de même qu’au Maroc*, en
1956, l’Armée royale marocaine avait été formée à partir des unités
marocaines de l’armée française et non pas de l’ALN).
La Force locale fut créée par un arrêté interministériel du 30 mars 1962,
afin de maintenir l’ordre et d’assurer le bon déroulement du référendum*
d’autodétermination, et elle fut placée officiellement sous l’autorité de
l’Exécutif provisoire le 21 avril 1962. Elle se composait principalement de
groupes mobiles de sécurité, de pelotons de garde territoriale (gendarmerie),
et de 114 compagnies d’appelés. Les effectifs étaient composés en grande
majorité d’Algériens musulmans, mais une partie des cadres, officiers et
sous-officiers, étaient fournis par l’armée française. Le commandement de
cette force fut confié au préfet* de Saïda Omar Mokdad, supervisé par un
membre de l’Exécutif provisoire, Abdelkader El Hassar.
Mais les soldats musulmans algériens de ces unités furent soumis à une
intense propagande* de la part des wilayas de l’ALN qui les invitaient à
déserter avec leurs armes. Dès le 3 mai, leur chef Omar Mokdad rendit
compte qu’il ne pouvait plus accomplir sa mission, parce que « ses effectifs
fondaient comme neige au soleil, ses membres désertant pour aller grossir les
rangs de l’ALN avec armes et bagages ». Après le référendum du 1er juillet
1962, en quelques jours, les dernières unités achevèrent de rallier l’ALN, et le
Comité des affaires algériennes du 17 juillet 1962 décida que « le retrait des
cadres français de la Force locale doit être achevé dans les meilleurs délais ».
Les rares témoignages* de ceux-ci expriment leur angoisse d’avoir été
affectés contre leur gré dans une armée étrangère, voire ennemie, et de ne pas
savoir s’ils pourraient en sortir vivants. Selon le général Fournier, seuls trois
hommes, le sous-lieutenant Benhabib et les soldats Rousseau et Moreau,
furent tués le 2 juillet à Reibell-Chellala parce qu’ils avaient refusé de livrer
leurs armes à la Wilaya 6*. On doit cependant noter que deux officiers de la
Force locale d’Oran, les lieutenants Rabah Kheliff et R. B., ont sauvé de
nombreux civils français enlevés le 5 juillet* au risque de leur vie.
Ce triste épisode est très peu étudié dans l’histoire de la guerre d’Algérie,
peut-être parce qu’il représente une preuve éclatante de la faillite des accords
d’Évian tels que le gouvernement français les avait conçus.
Guy PERVILLÉ
Bibl. : Soraya Laribi, « La Force locale après les accords d’Évian », Guerres
mondiales et conflits contemporains, no 259, 2015.
FRONT RÉPUBLICAIN
Le 2 décembre 1955, Edgar Faure, dont le gouvernement a été renversé,
dissout l’Assemblée nationale. Mendès France* et le centre du parti radical*,
dont Bourgès-Maunoury* et Gaillard*, l’excluent du parti avec sa droite la
plus colonialiste (René Mayer, Jean-Paul David notamment). Dans l’urgence,
les élections* anticipées étant fixées au 2 janvier 1956, une coalition de
circonstance de centre gauche est formée, comprenant la SFIO*, les radicaux
maintenus, la fraction de l’UDSR derrière Mitterrand* et des républicains
sociaux gaullistes, comme Chaban-Delmas. Le 6 décembre, ces derniers
présentent le Front républicain et lancent un appel recommandant aux
électeurs d’éliminer les « vrais responsables de Điên Biên Phù, de la situation
du Maroc*, des mille millions de déficit et de l’immobilisme social ».
Absente de cet appel fondateur et du programme flou de la coalition, la
situation de l’Algérie s’impose, surtout les derniers jours, dans les combats
électoraux menés sous le sigle du bonnet phrygien. La tonalité de la
campagne du Front républicain est « libérale », selon le vocabulaire de
l’époque, et reçoit le soutien de nombreux intellectuels, dont Camus*, et de
l’hebdomadaire L’Express. Mendès France annonce qu’il traitera le problème
sur place, Mollet* dénonce « la guerre imbécile et sans issue ».
Le 2 janvier 1956, au soir de l’élection, la défaite de Faure et du centre
droit est consommée. Pourtant, le Front républicain n’emporte qu’une
victoire relative, avec 160 à 170 députés. Bien que n’ayant pas de majorité à
lui seul, le Front républicain refuse l’alliance avec les communistes qui
appellent à un nouveau Front populaire et voteront dans cet esprit en faveur
des pouvoirs spéciaux*. Avec l’élection d’une cinquantaine de
« poujadistes* », l’extrême droite colonialiste trouve de nouveaux chantres,
dont Jean-Marie Le Pen*. Aucun député d’Algérie ne siège du fait du report
des élections sine die.
La SFIO ayant le groupe parlementaire le plus nombreux, le président de
la République, René Coty, appelle Guy Mollet comme président du Conseil.
Il est investi le 1er février. Mendès France est ministre d’État sans
portefeuille. Trois hommes occupent des postes clés pour l’Algérie : le
général Catroux, nommé ministre résidant sur place, Bourgès-Maunoury à la
Défense et Mitterrand à la Justice. À la suite du 6 février 1956, lorsque les
Algérois se mobilisent contre Mollet au cours de la fameuse « journée des
tomates* », Lacoste* remplace Catroux.
Le Front républicain, coalition de circonstance, se rompt avec la
démission de Mendès France en mai 1956.
Gilles MORIN
FUNÉRAILLES EN ALGÉRIE
En Algérie, la question des funérailles renvoie aux funérailles des
Algériens. Le 14 janvier 1956, l’arrestation du Dr Benzerdjeb (1921-1956) et
son élimination donnent lieu à une violente démonstration de colère des
Algériens. La première éclate à Oran le 16 janvier avant de se répandre dans
sa ville natale : Tlemcen.
Le 17 janvier, une immense procession composée d’hommes, de femmes
et de lycéens – 10 000 personnes selon L’Écho d’Oran – envahit les rues
principales de la ville se dirigeant vers le cimetière musulman, scandant des
slogans hostiles à la présence française entrecoupés de chants* nationalistes.
Elle exige des autorités militaires que le corps du défunt lui soit rendu
pour être enterré par les siens. Le refus de livrer le corps à sa famille
provoque la colère de la population de Tlemcen. L’inattendue mobilisation de
la population constitue la première manifestation politique que la présence du
sous-préfet, du maire* et des forces de l’ordre ne parvient pas à calmer. À la
sortie du cimetière, la foule défie la police*. Un coup de feu abat le jeune Sid
Ahmed Belkaïd, ce qui entraîne le saccage de commerces européens. Le
couvre-feu est décrété. Le lendemain, un barrage de CRS bloque l’accès au
cimetière.
Quand la population apprend que la dépouille du Dr Benzerdjeb a été
enterrée par l’armée, elle se rend au domicile de sa famille. Pour mettre fin
aux attroupements, les autorités obligent la famille à quitter les lieux. Celle-ci
se réfugie chez des proches et continue de recevoir les condoléances. La
police ordonne alors leur repli à la ferme de Aïn El Houtz. Cet éloignement
n’arrête pas l’afflux des visiteurs qui dure jusqu’au 40e jour. Ce jour-là, le
recueillement a lieu à Tlemcen et Oran, où une grève* est observée par les
commerçants dans les quartiers algériens suivie de manifestations réprimées
par les forces de l’ordre.
Le cas de Tlemcen n’est pas isolé. À Alger, les funérailles de Mohammed
Lekhbizet, assassiné le 29 avril 1956, sont suivies par une foule silencieuse
de quelque 5 000 personnes de la Casbah au cimetière de Belcourt.
Par la suite, ce genre de démonstration se raréfie, les enterrements se
faisant sous contrôle de la police et de l’armée. Ce n’est qu’avec les
manifestations de décembre 1960* et de juillet 1961* que les Algériens
renouent avec le rituel des funérailles publiques. C’est le cas à Constantine et
à Alger, où les funérailles des victimes tuées par l’armée donnent lieu à
d’imposants rassemblements populaires bien encadrés par le FLN*.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : L’Écho de Tlemcen, 18 janvier 1956 • Entretiens.
FUNÉRAILLES EN FRANCE
En France, la question des funérailles liées à la guerre d’Algérie renvoie
essentiellement aux soldats français. Environ 30 000 d’entre eux sont morts
au cours du conflit. Comme dans chaque guerre, le maire* vient apporter le
télégramme apprenant la mort du fils ou du mari. Après la froideur du
télégramme suit une lettre du chef de corps relatant les circonstances de la
mort, parfois de manière euphémique. Les corps ne sont pas transférés tout de
suite en métropole. Pour cela, les familles doivent remplir un formulaire dès
l’annonce du décès. Jusqu’en 1957, elles doivent attendre entre plusieurs
mois et un an avant que les obsèques se déroulent en métropole. C’est
particulièrement le cas après l’embuscade* de Palestro*, le transfert des corps
étant retardé pour éviter des manifestations* du fait de l’émoi suscité dans la
population. Le corps du sergent Bigot est ainsi transféré en juillet 1958, plus
de deux ans après son décès.
Entre-temps, les corps sont entreposés en Algérie, avant d’être inhumés
sur place. Quelques rares familles effectuent le déplacement pour assister là-
bas aux funérailles. Les témoignages* des camarades de régiment présents
relatent souvent la douleur qui les étreint, notamment au moment de la
sonnerie aux morts. Les corps sont ensuite exhumés et acheminés jusque dans
la commune du défunt. Une chapelle ardente est fréquemment installée dans
la mairie pendant deux ou trois jours. La cérémonie draine souvent une foule
de parfois plusieurs milliers de personnes, c’est pourquoi les autorités sont
très sourcilleuses sur le déroulement des obsèques.
Celles-ci sont financées par les communes, et l’inhumation se fait dans le
carré militaire si le militaire est déclaré « mort pour la France ». Dès 1954,
cette appellation fait l’objet d’une lecture extensive puisqu’elle est
normalement réservée aux guerres officiellement déclarées. Le maire, le
conseiller général, parfois le préfet* ou le député, sont présents aux obsèques.
Normalement, un officier* et un détachement de troupes y assistent aussi
mais leur présence est parfois refusée. De même, par opposition politique,
certaines familles refusent la mention « mort pour la France ».
Les discours, souvent empathiques, parfois politiques, sont surveillés,
surtout dans les « banlieues rouges ». Mais ils restent souvent assez
consensuels pour éviter des polémiques fâcheuses en ce temps de
recueillement. Un officier prend parfois la parole, et le défunt se voit accorder
la croix de la Valeur militaire (voire la légion d’honneur) à titre posthume.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, L’Embuscade de Palestro. Algérie, 1956, Armand
Colin, 2010 • Danielle Chevallier, « Les obsèques de soldats morts en
Algérie », in Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en
guerre. 1954-1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance
algérienne, Autrement, 2008.
GÉGÈNE
« Gégène » est un terme de l’argot militaire*, avec un dédoublement de
syllabes synonyme de familiarité. Il désigne un « générateur » de courant
électrique détourné de sa fonction initiale pour infliger des sévices. En
Algérie, son utilisation daterait de l’été 1942, par des gendarmes de la brigade
territoriale de Berrouaghia sur des opposants au régime de Vichy. En
Indochine*, cependant, la torture* à l’électricité a été pratiquée dès l’entre-
deux-guerres, par le service central de renseignements et de sûreté générale
(SCRSG), chargé de réprimer le nationalisme* vietnamien naissant. À partir
de 1947, le procédé est repris par le Corps expéditionnaire en Extrême-Orient
(Cefeo) pour interroger les prisonniers* du Vietminh ; ainsi, en 1949,
l’hebdomadaire Témoignage chrétien dénonce l’usage des « machines à faire
parler ». De nouveau employée en Algérie à partir de 1954 – un député
musulman le dénonce au Palais-Bourbon dès le 3 février 1955 –, la gégène
devient emblématique de la torture en raison des campagnes de presse*
développées en métropole qui répandent le terme. Les générateurs sont alors
le plus souvent des « GN 58 » : un modèle de dynamo manuelle et portative
le plus répandu dans l’armée française dans les années 1950-1960. Présente
dans l’unité collective des postes radios émetteurs-récepteurs militaires en
dotation, la « GN 58 » permet en l’absence de réseau électrique ou de
batteries d’assurer l’alimentation de l’appareil en produisant un courant
continu d’un voltage élevé mais de faible ampérage (425 V/0,115 mA). Le
prisonnier qui y est soumis est généralement raccordé à deux électrodes
placées à des endroits sensibles du corps (orteils, oreilles, langue, parties
génitales…) dans le but de provoquer une douleur intense, dès que la
génératrice est actionnée. Si elle a pu être défendue en tant que pratique non
létale – interviewé en 1971 par le journaliste Pierre Dumayet, le général
Massu* affirmait s’y être soumis pendant la bataille d’Alger* pour en
connaître les effets –, elle peut provoquer un arrêt cardiaque ou l’asphyxie
consécutive à une paralysie musculaire. Son utilisation, du reste, est interdite
par le droit et les conventions internationaux. Bien qu’il reste impossible de
connaître le nombre de victimes de la torture pendant la guerre d’Algérie,
l’usage de l’électricité fut largement répandu.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Jean-Pierre Guéno, Paroles d’Algérie.
Lettres de torturés, 1954-1962, Flammarion, 2013 • Benjamin Stora, Les
Mots de la guerre d’Algérie, Toulouse, Presses universitaires du Mirail,
2006.
GENDARMERIE
En 1954, la gendarmerie départementale en Algérie est organisée en trois
légions qui couvrent chacune un département (10e à Alger, 10e bis à Oran,
10e ter à Constantine), et aligne un effectif de 2 300 officiers* et sous-
officiers*. Ces derniers sont renforcés par une légion de gendarmerie mobile
forte de 1 200 hommes répartis en huit escadrons de marche (dont la moitié
dans le Constantinois). À partir de 1946, comme les autres forces de la
10e RM, la gendarmerie subit d’importants prélèvements en hommes pour les
besoins de la guerre d’Indochine*, 3 000 gendarmes y étant en permanence
engagés jusqu’en 1955. Aussi, plus que tout autre service public d’Algérie, la
gendarmerie nationale souffre d’un déficit de personnel au point que les 254
brigades territoriales, à l’effectif très souvent incomplet, ont en moyenne
1 000 kilomètres carrés et 40 000 habitants à surveiller (soit 6,6 fois plus de
km2 et 3,6 fois plus d’habitants que pour une brigade métropolitaine). Les
moyens matériels, comme les engins motorisés, sont aussi insuffisants, sinon
inexistants. C’est également le cas des chevaux, pourtant indispensables pour
visiter les douars qui ne sont pas desservis par une piste carrossable. En dépit
de ces handicaps, les unités obtiennent avant l’insurrection des
renseignements d’importance, faisant état d’une poussée du sentiment
nationaliste parmi la population algérienne. Signe de cette montée des périls,
elles ouvrent plusieurs enquêtes à la suite d’actes de sabotage visant des
équipements publics ou à des agressions contre des Européens.
Pour faire face à une situation sécuritaire qui se dégrade, le général
Camille Morin, qui commande la gendarmerie d’Algérie, réclame des
renforts dès son entrée en fonction en janvier 1954. Les premiers qui sont mis
à sa disposition – des escadrons de gendarmerie mobile – ne lui sont expédiés
de métropole qu’au lendemain de la Toussaint. Progressivement, ce sont
jusqu’à 48 unités (auxquelles s’ajoutent 2 prélevées sur les forces françaises
stationnées en Allemagne) qui séjournent en Algérie pour une durée
d’environ six mois. Entre 1954 et 1962, tous les escadrons métropolitains
effectuent en moyenne cinq déplacements en AFN. Ils y renforcent les 21
escadrons de marche d’Algérie (dont 13 sont constitués grâce à la dissolution
des légions de marche d’Indochine) qui sont finalement répartis en trois
légions de gendarmerie mobile calquées sur les légions départementales. Les
71 escadrons de gendarmerie mobile présents en permanence en Algérie (soit
quelque 6 600 gendarmes mobiles en 1962 représentant près de la moitié de
l’effectif de cette subdivision d’arme) sont pour la plupart déployés dans le
bled pour les besoins de la pacification*. Participant au « quadrillage »
comme des unités d’infanterie ou à bord de blindés* légers (AMM8 et half-
tracks), ils effectuent des bouclages, de la sécurisation de points sensibles
(PC, barrages, oléoducs…) ou des ouvertures d’itinéraires. Quelques-uns
assurent la protection et le contrôle de centres de population et la surveillance
extérieure des camps de regroupement*.
Après le discours du général de Gaulle* sur l’autodétermination*, le
16 septembre 1959, les escadrons sont redéployés dans une mission de
maintien de l’ordre urbain du fait d’une opposition de plus en plus radicale
des Européens d’Algérie à la politique du chef de l’État. C’est ainsi que le
24 janvier 1960 à Alger, 14 gendarmes mobiles tombent dans une fusillade
provoquée par des ultras de l’Algérie française. Puis, le 23 février 1962, à la
veille de l’indépendance, l’OAS* ordonne l’ouverture du feu systématique
sur les gendarmes et les CRS, entraînant une lutte sans merci.
La gendarmerie départementale connaît une évolution comparable en
termes de renforcement de ses moyens et de ses effectifs. En 1959, 180
brigades territoriales supplémentaires ont été créées pour renforcer le
maillage territorial (portant leur nombre à 434), celles-ci étant désormais
armées par plus de 6 000 militaires. Si l’assiette territoriale des brigades n’est
plus que de 500 kilomètres carrés avec une population moyenne de 20 000
habitants, ces ratios demeurent très supérieurs à ceux de la métropole. La
situation conduit le général Morin à proposer, sans succès du reste, de porter
le nombre de brigades à près de 700 et celui des gendarmes départementaux à
plus de 13 000. La gendarmerie départementale est en effet très sollicitée dès
le début de la guerre d’Algérie. La nuit de la Toussaint 1954, une dizaine de
brigades sont attaquées par les insurgés qui tentent d’y voler des armes. Les
pouvoirs publics considérant ces « rebelles » comme de simples bandits de
droit commun, les gendarmes sont tenus – jusqu’au vote des pouvoirs
spéciaux* en mars 1956 – d’accompagner les troupes qui les traquent,
dressant à chaque ouverture du feu des procès-verbaux des opérations,
lesquels sont ensuite transmis à l’autorité judiciaire. Le même formalisme
s’impose lors des perquisitions, malgré la situation de guerre. Dans un
combat de guérilla*, la gendarmerie apporte également un concours
déterminant dans la collecte et l’exploitation du renseignement, pratiquant le
fichage et l’îlotage des populations. Elle travaille en étroite collaboration
avec les 2e bureaux* et plusieurs dizaines de gendarmes servent au sein des
détachements opérationnels de protection* (DOP) connus pour user de la
torture*. La gendarmerie assure cependant une grande diversité de missions,
telle la recherche de caches à l’aide d’équipes cynophiles spécialisées. Elle
s’implique également dans tous les aspects du conflit, mettant sur pied 7
commandos* de chasse à partir de la fin de l’année 1959.
Après le cessez-le-feu, la gendarmerie départementale est mise à la
disposition de l’Exécutif provisoire*, avec pour mission de former la future
gendarmerie algérienne. La transition se fait difficilement. D’abord, les
gendarmes restent souvent confinés dans leur caserne pour éviter les
incidents face à des provocations de membres du FLN*. Ensuite, l’arme
compte à peine 3 % de « musulmans » dans ses rangs à la fin de la guerre
d’Algérie : une vingtaine d’appelés du contingent* par escadron et 2 500
harkis* qui servent comme « auxiliaires » dans les brigades territoriales.
Seuls 1 400 d’entre eux, encadrés par 500 gendarmes européens, rejoignent
les 110 pelotons de « gardes territoriaux » rattachés à une Force locale* forte
de 40 000 hommes. Ces pelotons ont une existence éphémère puisqu’ils sont
dissous le 1er septembre 1962. La gendarmerie départementale d’Algérie l’est
le 22 septembre et la gendarmerie mobile le 31 décembre suivant. Cela
conduit au rapatriement* de 7 000 hommes. Suivant le processus de
désengagement des autres armées, le commandement de la gendarmerie des
forces françaises en Algérie est supprimé le 31 mai 1964. Ne sont maintenus
jusqu’en 1967 sur la base de Mers El Kébir et les sites d’expérimentations
sahariens que des éléments prévôtaux et deux escadrons de gendarmerie
mobile. Par ailleurs, une mission d’assistance dans les écoles algériennes
décidée au titre des accords de coopération perdure jusqu’en 1971. Cinq cent
soixante officiers et sous-officiers ont été tués ou portés disparus pendant la
guerre d’Algérie et 1 886 ont été blessés, auxquels s’ajoutent 108 tués parmi
les supplétifs*.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Jacques Frémeaux, « La gendarmerie et la guerre d’Algérie », in La
Guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises. En l’honneur de
Charles-Robert Ageron. Actes du colloque international, Paris, Sorbonne,
23-24-25 novembre 2000, Société française d’histoire d’outre-mer,
2000 • —, « La gendarmerie et la guerre d’Algérie », in Jean-Charles Jauffret
et Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie,
Bruxelles, Complexe, 2001 • Benoît Haberbush, « Algérie », in Jean-Noël
Luc et Frédéric Médard (dir.), Histoire et dictionnaire de la gendarmerie. De
la maréchaussée à nos jours, Jacob-Duvernet, 2013.
GÉNÉRATION
Le terme « génération », polysémique, désigne communément les
personnes qui sont nées dans une période donnée, ayant à peu près le même
âge, les générations se succédant les unes les autres en prenant en compte
l’âge moyen des femmes à la maternité (entre 24 et 25 ans pendant la guerre
d’Algérie). A-t-il existé une « génération algérienne » pour paraphraser
l’article du philosophe Paul Thibaud dans la revue* Esprit ?
La première caractéristique de la guerre d’Algérie est qu’il n’y a pas
d’unité d’âge des personnes qui y ont été impliquées, d’une manière ou d’une
autre. Ainsi, pieds-noirs* et harkis*, s’ils ont vécu un événement fondateur –
le « rapatriement* » –, l’ont vécu à des âges très différents. Il en est de même
en ce qui concerne les Algériens vivant tant en France (avec par exemple
l’expérience du 17 octobre 1961*) qu’en Algérie. Qui plus est, il a existé des
ambiguïtés et des retournements tout au long du conflit ne permettant pas une
lecture univoque des événements a posteriori. De ce point de vue, il y aurait
plutôt un « effet Algérie » sur des groupes de population restreints qu’une
véritable génération algérienne, avec des mémoires fragmentées, cristallisées
autour d’événements particuliers. Paul Thibaud prend ainsi l’image d’une
« mémoire-puzzle ». Cet « effet » algérien a conduit à l’éclatement de
l’héritage de la Résistance (Benjamin Stora, La Gangrène et l’Oubli. La
mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991).
Un événement seul comme la guerre d’Algérie ne peut constituer une
génération. Le processus qui consiste à associer un événement à une
génération relève d’une mémoire collective, comme le souligne la sociologue
Claudine Attias-Donfut. Néanmoins, un événement peut influer sur des vies,
façonner une mémoire collective. Il existe une « empreinte du temps » pour
reprendre l’expression de la sociologue. Les appelés du contingent*, le plus
important groupe porteur de mémoire de la guerre d’Algérie, ont vécu des
choses tout à fait différentes – certaines significatives, d’autres non –, sur des
durées variables (entre douze et trente mois environ) pendant huit ans au
total. Cela ne construit pas une génération, mais au mieux une « constellation
de personnes » (Paul Thibaud) qui ont vécu un épisode du conflit à un
moment donné. La notion de génération a pourtant été régulièrement utilisée
à leur propos. C’est la « génération du djebel » pour le poète et journaliste
Xavier Grall, dans son enquête pour le magazine La Vie catholique illustrée
en 1960. Il souligne ainsi que leur expérience algérienne a profondément
marqué ces hommes et les distingue d’autres jeunes européens. Les historiens
Benjamin Stora* (Appelés en guerre d’Algérie, Gallimard, 1997) et Jean-
Charles Jauffret* utilisent aussi cette notion de génération, ce dernier
affirmant d’ailleurs que c’est la « dernière génération du feu » (La Guerre
d’Algérie. Les combattants français et leur mémoire, Odile Jacob, 2016).
Même si tous n’ont pas combattu, c’est une expérience fondatrice pour
beaucoup d’entre eux.
La sociologue Claudine Attias-Donfut souligne aussi qu’une génération
se pense par elle-même, de manière symbolique, par un ensemble de signes
sociohistoriques dans lesquels le langage joue un rôle important. Or, une des
caractéristiques des soldats en Algérie est d’avoir développé un vocabulaire
propre, puisant dans l’argot* à la fois militaire et colonial. Ainsi, les soldats
s’appelaient entre eux les « gusses » et les « Max » ; les combattants
algériens étaient nommés les « fellaghas », « fells » ou « fellouzes » ; un
certain nombre de termes racistes désignaient les Algériens ; des mots et
expressions tirés de la langue arabe ont aussi été employés. Mais leur
utilisation ne s’est pas arrêtée au conflit : ces termes ont continué à être
véhiculés ensuite, forgeant ainsi un système représentatif propre à ceux qui
ont vécu l’expérience algérienne. Si l’on y ajoute la force de la charge
affective de cette expérience, cela peut ainsi constituer les ferments d’une
génération.
Enfin, des jeunes gens sont entrés dans l’action collective au cours de la
période très tendue de la fin de la guerre d’Algérie. C’est le cas de partisans
de l’Algérie française pour une partie de la jeunesse pied-noire et une frange
d’activistes de droite métropolitains, constituant un « sudisme à la française »
(Benjamin Stora, Le Transfert d’une mémoire. De l’« Algérie française » au
racisme anti-arabe, La Découverte, 1999) ou une « nostalgérie* » (Alain
Ruscio, Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, La Découverte, 2015).
D’autres au contraire étaient des partisans de l’indépendance algérienne, sur
des fondements tiers-mondistes et antifascistes. Leur engagement initial, fort
et puissant, qui a laissé des marques profondes, s’est poursuivi jusqu’à
Mai 1968 et au-delà comme l’ont étudié Hervé Hamon et Patrick Rotman
(Génération, t. I, Les années de rêve, Le Seuil, 1987). Or, cette génération,
quel que soit son engagement, s’est aussi mobilisée contre celle des aînés,
instituant un rapport intergénérationnel plus conflictuel, alors que les
générations se suivaient auparavant en se confrontant moins.
Il reste aujourd’hui à savoir comment cette « génération algérienne » – ou
tout au moins celle qui a connu les effets de cette guerre – transmet
aujourd’hui son expérience, dans ses dits et ses non-dits, aux générations
suivantes, dans une perspective post-mémorielle*.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Claudine Attias-Donfut, Sociologie des générations. L’empreinte du
temps, PUF, 1988 • Xavier Grall, La Génération du djebel, Le Bateau-livre,
1994 • Paul Thibaud, « Génération algérienne ? », Esprit, mai 1990.
GENÈVE, CONVENTIONS DE
Les conventions de Genève de 1949 sont constituées de quatre textes
juridiques qui définissent le droit international humanitaire. Les États
signataires des conventions doivent respecter leurs règles en cas de conflits
internationaux. Juridiquement, le conflit franco-algérien n’est pas reconnu
comme tel. La France nie en effet officiellement la guerre. De son côté, en
tant que colonie, l’Algérie ne dispose pas, en 1954, d’un État la représentant,
susceptible d’adhérer aux conventions.
Cependant, l’article 3, commun aux quatre conventions, vaut en cas de
conflits internes répondant à certains critères dont l’intensité des violences
exercées par toutes les parties. Sur cette base, le Comité international de la
Croix-Rouge* (CICR) contrôle les conditions de détention des prisonniers*
du conflit. Il effectuera dix missions en Algérie. Pour Paris, l’article 3 suffit à
couvrir le droit humanitaire des « événements » et le gouvernement français
ne reviendra plus sur sa décision.
Dès les premiers contacts avec le CICR, en mars 1956, des dirigeants du
FLN* s’engagent à appliquer l’intégralité des conventions de Genève, sous
réserve de réciprocité de la part du gouvernement français. La troisième
convention, en particulier, aurait permis de protéger les prisonniers aux mains
de l’armée française et les soldats français détenus par l’ALN*, en leur
octroyant un statut de « prisonniers de guerre ». Cette revendication est au
cœur des événements déclencheurs du 13 mai 1958* : le FLN annonce en
effet l’exécution de soldats français en réplique à celle d’Abderrahmane
Taleb, guillotiné. Aussi, le 28 mai 1958, le CICR envoie aux deux parties
adverses un mémorandum leur rappelant les règles fondamentales du droit
humanitaire.
L’adhésion aux conventions aurait fait du mouvement indépendantiste un
belligérant au sens du droit international. Ainsi il serait intervenu
officiellement sur la scène mondiale, notamment aux Nations unies*, et aurait
été l’interlocuteur indiscutable des autorités françaises. Le 17 juin 1960,
Ferhat Abbas*, président du GPRA*, dépose au Département politique
fédéral à Berne un dossier d’adhésion aux conventions de Genève. Les
autorités suisses en accusent réception mais ne valident le dossier que le
3 juillet 1962, jour de l’indépendance de l’Algérie.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou, « Le Comité international de la Croix-Rouge
(CICR). Un témoin singulier dans la guerre d’Algérie et ses suites », in Aissa
Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur (dir.), La Guerre d’Algérie
revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards, Karthala, 2015, p. 261-
269 • François Bugnion, Le Comité international de la Croix-Rouge et la
protection des victimes de la guerre, Genève, Comité international de la
Croix-Rouge, 1994 • Françoise Perret, « L’action du Comité international de
la Croix-Rouge pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », Revue
internationale de la Croix-Rouge, vol. 86, no 856, 2004.
GENRE ET GUERRE
Une lecture de la guerre du point de vue du genre examine comment la
guerre transforme – ou pas – les rôles assignés aux hommes et aux femmes*,
les rapports de pouvoir et les représentations de la « masculinité » et la
« féminité ».
Comme tout système politique, le système colonial en Algérie est
structuré par le genre. Le sénatus-consulte de 1865 déclare que « l’indigène
musulman » est français, mais pour bénéficier de la citoyenneté à part entière,
il faut renoncer au « statut personnel musulman » qui est considéré comme
contradictoire avec le Code civil français, notamment pour ce qui concerne la
polygamie et la répudiation. La place de la femme au sein de la famille est
souvent présentée comme la barrière principale à l’octroi des droits politiques
aux « musulmans » pendant la période coloniale. Cette discrimination est
renforcée par les représentations stéréotypées véhiculées par la production
populaire et universitaire. « La femme indigène/arabe/musulmane » est soit
un objet sexuel, soit une femme soumise et cloîtrée. « L’homme
indigène/arabe/musulman » est machiste avec une sexualité débridée.
Comme beaucoup de mouvements nationalistes, la politique du
nationalisme* algérien puise aussi dans des stéréotypes de « masculinité » et
de « féminité ». La nation libérée de la domination étrangère est imaginée à
travers une image idéalisée de « notre » femme, représentée comme la mère
de la nation au sens littéral et figuré, celle qui transmet la langue, les valeurs
et la tradition, celle dont le corps, caché, impénétrable, protégé par l’homme,
fait barrage à l’impérialisme.
La guerre d’Algérie renforce autant qu’elle bouleverse ces
représentations et rôles. Pour les autorités françaises, la politique
d’intégration à partir de 1955 passe par la transformation des rapports de
genre au sein de la famille algérienne en « émancipant » la « femme
musulmane ». Le droit de vote est accordé aux femmes « musulmanes » en
1958. En 1959, le mariage et sa dissolution sont ramenés sous le régime de
l’état civil, remplaçant certaines coutumes et pratiques locales du droit
musulman. Dirigés officiellement ou officieusement par l’armée française,
plusieurs organismes comme les équipes médico-sociales itinérantes* (EMSI)
ou le Mouvement de solidarité féminine (MSF) axent leurs actions autour des
femmes dans cette perspective avec des cours d’hygiène, des ateliers de tricot
et des encouragements à se dévoiler. La vision de « l’émancipation »
proposée est moins celle de la libération de la femme des mouvements
féministes des années 1960, que celle de la femme au foyer français
« moderne » des années 1950 : il s’agit de saper le pouvoir de l’homme
algérien nationaliste, pas de remettre en cause la domination masculine d’une
façon plus globale. Sur le terrain, ces initiatives sont entravées par la guerre
et l’indigence des moyens matériels, sans compter la réticence des femmes
algériennes.
De son côté, le FLN* mène une campagne de dénonciation de
l’illégitimité de l’occupation coloniale et du mensonge de « la mission
civilisatrice ». La torture* et le viol* des femmes par les militaires français
font l’objet de dossiers envoyés à l’ONU* et à des organisations
humanitaires. Pour se discréditer mutuellement, le FLN et les autorités
françaises mettent en avant les violences sexuelles commises par l’ennemi
comme preuve de la perversion des normes de la masculinité : l’armée
française diffuse des exemples de mutilation de corps de soldats tués, avec les
organes génitaux placés dans la bouche, tandis que le FLN insiste sur l’aspect
sadique et sexualisé des séances de torture infligées aux militants (application
de l’électricité sur les organes génitaux, « supplice de la bouteille »). Pour les
soldats français, le décalage entre leur image de la guerre et la réalité sur un
terrain où ils sont plus en contact avec des civils qu’avec leurs adversaires
militaires ébranle les modèles de la masculinité. La figure classique du
guerrier noble et viril est plus facilement adoptée par le FLN-ALN*, le
moudjahid* devient l’incarnation d’une masculinité idéale : courageux,
intègre et musulman pratiquant.
La représentation de la moudjahida* est glorifiée de façon plus ambiguë.
D’une part, l’image de la femme combattante en treillis est magnifiée,
notamment dans la propagande* du FLN destinée au public métropolitain
progressiste et à l’opinion internationale. Elle est le symbole d’émancipation
et d’engagement patriotique, de la transformation du rôle de la femme
algérienne et des rapports du pouvoir entre hommes et femmes dans la
société algérienne. Pour Frantz Fanon*, « La femme-pour-le-mariage
disparaît progressivement et cède la place à la femme-pour-l’action » (p. 84).
De l’autre côté, le FLN enjoint aussi les femmes à continuer d’incarner « la
tradition » et « l’authenticité ». Sur le terrain, l’occasion de rejoindre le
maquis ou de faire partie d’un réseau urbain de résistance change
radicalement la vie de ces femmes, en les sortant du milieu familial et de la
sphère domestique, en leur ouvrant l’espace public. Pour la plupart des
femmes toutefois, leur rôle de soutien logistique est calqué sur les tâches
traditionnelles : cuisine, lavage de vêtements et soins. Les instances du FLN
sont presque exclusivement composées d’hommes.
Les femmes algériennes savent aussi subvertir les rôles assignés. Face
aux interrogations de l’armée française, les femmes rurales se font passer
pour soumises et ignorantes. Les poseuses de bombes et agentes de liaison
tirent parti de la conviction des militaires français qu’une femme algérienne
dévoilée habillée « à l’européenne » est forcément profrançaise. L’infirmière
Fadéla Mesli raconte avec humour comment un certain nombre d’hommes
algériens montent au maquis quand des photos d’elle et de deux autres
maquisardes sont publiées dans un magazine français en 1956 – parce qu’ils
se sentent blessés dans leur virilité, étant restés à la maison « comme des
femmes ».
La guerre ainsi crée des espaces de transgression des rôles assignés aux
hommes et aux femmes et des représentations de la masculinité et de la
féminité, sans pour autant transformer durablement les rapports de
domination et les structures de la société patriarcale. Fortes de leur
expérience de la guerre et statut d’anciennes combattantes, un petit nombre
d’anciennes poseuses de bombes et de maquisardes continuent à jouer un rôle
dans la politique et dans le monde du travail* après 1962 tandis que la plupart
des femmes retournent – ou sont renvoyées – aux rôles d’épouse et mère et à
la sphère privée. Dans les années 1960 et 1970, les femmes qui continuent à
occuper l’espace publique sont souvent peu visibles : étant sorties du foyer et
ayant rompu avec la séparation des sexes, elles ne veulent pas être réduites au
rôle de porte-parole des « questions féminines » et rejettent les organisations
de masse non mixtes comme l’Union nationale des femmes algériennes
(UNFA). À partir des années 1980, la participation des femmes algériennes à
la lutte de libération aux côtés des hommes sera un argument majeur utilisé
par les mouvements féministes pour remettre en cause les rôles assignés, les
pratiques et les représentations patriarcaux qui perdurent.
Natalya VINCE
Bibl. : Raphaëlle Branche, « La masculinité à l’épreuve de la guerre sans
nom », Clio. Histoire, femmes et sociétés, no 20, 2004 • Catherine Brun et
Todd Shepard (dir.), Guerre d’Algérie. Le sexe outragé, CNRS, 2016 • Frantz
Fanon, Sociologie d’une révolution (L’an V de la révolution algérienne),
Maspero, 1959.
GRÈVES EN ALGÉRIE
En Algérie, une intense période revendicative entamée dès 1947 se
poursuit jusqu’au milieu des années 1950. Les grèves politiques lancées par
la CGT*, contre la répression coloniale ou contre la guerre d’Indochine*,
accompagnent un mouvement social soutenu. Le mouvement gréviste de la
période pré-insurrectionnelle se caractérise par la poussée des travailleurs
algériens, là où ils sont majoritaires – agriculture*, ports ou mines. La grande
grève des mineurs de Timezrit est considérée comme une inflexion du
mouvement syndical. Fin 1953, en Kabylie, 700 mineurs, avec leur
responsable cégétiste Mohamed Tahar Bouras, mènent une longue grève de
neuf mois, popularisée par le journal anticolonialiste Alger républicain.
Malgré le lock-out, ils organisent une « marche de la faim » en avril 1954,
suscitant une forte solidarité en résonance avec des aspirations politiques plus
globales, tandis qu’une partie du personnel européen de la mine ne
s’implique pas. Les grèves de la période de la Guerre d’indépendance
changent de modalités dans un paysage syndical brusquement modifié. Pour
les nationalistes algériens, elles sont une démonstration de force contre le
pouvoir colonial qui se distingue radicalement du maintien d’un mouvement
revendicatif porté par les syndicats des confédérations françaises FO* et
CFTC* en vue d’améliorer un système politique et social en pleine remise en
cause.
Après une longue gestation, la transformation de la CGT en Union
générale des syndicats d’Algérie (UGSA), en juin 1954, avec à sa tête
Lakhdar Kaïdi, entend affirmer le caractère spécifique de la situation
coloniale de l’Algérie. Mais la crise du mouvement national traverse le
mouvement cégétiste, opposant les messalistes au FLN* qui vient de
déclencher l’insurrection le 1er novembre 1954*. Les messalistes fondent
l’Union des syndicats des travailleurs algériens* (USTA), le 16 février 1956,
devançant les proches du FLN, qui créent l’Union générale des travailleurs
algériens* (UGTA) une semaine plus tard.
Les deux centrales algériennes rivales engagent des tractations pour
adhérer à la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), qui
s’oppose à l’influence communiste dans le monde du travail*, pour obtenir
des moyens matériels et une aura internationale. Elles se lancent dans une
lutte sur le terrain auprès des travailleurs algériens, dont beaucoup quittent
alors la CGT. Si l’USTA messaliste s’étend plus facilement en France dans
les bastions traditionnels de la main-d’œuvre algérienne, en revanche,
l’UGTA pro-FLN surpasse vite sa rivale en Algérie. L’UGSA-CGT quant à
elle perd des adhérents et propose en vain une fusion en une seule centrale
algérienne autonome. Elle mène encore jusqu’en 1956 des grèves à caractère
économique, notamment chez les ouvriers du nettoiement à Alger, ou chez
les dockers* des ports d’Alger et d’Oran dont beaucoup sont attachés à leur
syndicat, mais la vie syndicale classique devient difficile depuis l’instauration
de l’état d’urgence* le 3 avril 1955. Les arrêts de travail lancés par l’UGSA
se terminent souvent par des arrestations pendant que son influence s’étiole
de toutes parts, chez les Algériens et les Européens.
Le caractère politique des grèves prend le dessus, notamment avec le
boycott* du déchargement de matériel militaire, mais à Oran ces grèves sont
mal perçues par une partie des travailleurs européens du port. Ailleurs que
dans le monde ouvrier, le creusement de ce fossé entre communautés est
visible avec la grève des cours lancée le 5 mai 1956 par des étudiants*
européens d’extrême droite, furieux d’un décret facilitant l’accession des
« musulmans » à la fonction publique. Les pouvoirs spéciaux*, votés en
mars 1956, entraînent souvent l’interdiction des démonstrations syndicales
classiques. Ce durcissement de la guerre coloniale pousse alors les étudiants
algériens – dont plus d’une centaine rejoint le maquis – à manifester leur
soutien au FLN le 19 mai 1956 en appelant à la grève illimitée des cours et
des examens, appel qui s’étend vite aux lycéens et aux étudiants installés en
France. Les modalités du mouvement gréviste changent et le FLN sollicite
l’action de catégories peu revendicatives en temps ordinaire mais bien
visibles en milieu urbain. Organisés par Mohamed Lebjaoui, les nouveaux
syndicats de commerçants transforment les centres urbains en « villes
mortes » en fermant boutiques et cafés. Au mois d’avril, ces actions touchent
toute l’Algérie : Tlemcen le 2, Constantine le 4, Alger le 10. Pratique
renouvelée après des arrestations ou des exécutions comme à Oran dans
Medina Jdida (Ville nouvelle) après la mort d’Ahmed Zabana* guillotiné le
19 juin 1956.
La dynamique des grèves urbaines ne fléchit pas au cours de l’année,
même si toute la direction de l’UGTA, avec son secrétaire Aïssat Idir, est
arrêtée le 23 mai. Le nouveau secrétariat est arrêté fin juin, pour décapiter
l’organisation et empêcher la grève patriotique du 5 juillet, première grande
épreuve de force de l’UGTA, date qui rappelle la prise d’Alger en 1830. Le
tract de la nouvelle direction clandestine appelle à la grève en demandant de
déserter rues, chantiers, bureaux et allie explicitement les questions de
salaires à « la solidarité avec le peuple algérien en lutte ». Le FLN suscite ces
grèves de témoignage pour attester sa légitimité. La grève générale du
5 juillet est totale à Alger et dans bien d’autres villes du pays : ouvriers,
employés, commerçants, femmes de ménage, expriment le soutien des
masses urbaines au FLN malgré le nombre élevé de sanctions qui s’ensuivent
dans les entreprises. Soutien réitéré le mois suivant par l’arrêt total des
dockers après l’attentat de la rue de Thèbes* le 9 août. Les grèves
revendicatives deviennent rares. Chez les traminots, cégétistes et militants de
l’UGTA – comme Ahmed Ghermoul, déjà arrêté en mai 1956 puis revenu
dans l’action après sa libération – tentent encore de mener des grèves pour
leur prime de fin d’année. La répression s’accentue avec l’interdiction des
réunions des syndicats UGSA-CGT et UGTA en octobre 1956, ce qui
n’empêche pas l’UGTA de lancer juste après une grève générale pour
l’anniversaire du 1er Novembre. Dans ce modèle de grèves politiques aux
risques très élevés, la grève des huit jours*, commencée le 28 janvier 1957, a
été la plus spectaculaire par l’impact international qu’en attendait le FLN et
par la répression sans précédent pour la briser. Violemment réprimée, la
grève comme modalité d’action urbaine atteint ses limites. Sous d’autres
formes, les grandes manifestations de décembre 1960*, signe fort de la
détermination populaire, pèseront sur l’issue du conflit. Dans la dernière
année, pour rendre visible son influence dans les grandes villes, le FLN
appelle à la fois à la grève générale et à des manifestations de masse contre la
partition, les 1er et 5 juillet 1961*, largement suivies dans tout le pays. Du
côté des tenants de l’Algérie française, la grève générale est surtout activée
en préliminaire de mobilisations factieuses, putsch du 13 mai 1958*, semaine
des barricades* le 24 janvier 1960, ou encore après l’annonce du cessez-le-
feu en mars 1962, cherchant à mobiliser une population européenne
désorientée.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Henri Alleg (dir.), La Guerre d’Algérie, Temps actuels, 1981 • Amar
Benamrouche et René Gallissot, « Bouras, Mohamed Tahar », in René
Gallissot (dir.), Algérie : engagements sociaux et question nationale.
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, L’atelier, 2006 • Anissa
Bouayed, « La CGT et la guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle d’histoire sous
la dir. de J. Couland, Paris-7, 1985.
GRÈVES EN FRANCE
Le mouvement gréviste en France pendant la guerre d’Algérie suit un
régime irrégulier, avec crues et reflux, grèves politiques plutôt que
revendicatives, dans un contexte de division syndicale dû à la guerre froide*.
Au début, les sondages montrent que l’opinion* dans sa majorité ne veut pas
d’une nouvelle guerre après celle d’Indochine* mais que les préjugés raciaux
et l’idée que l’Algérie doit rester française sont prégnants.
Aux clivages syndicaux s’ajoutent ainsi des lectures différentes des
« événements ». En réaction au 1er novembre 1954*, FO* et la CFTC*
demandent surtout des réformes en Algérie, tandis que la CGT* dénonce le
régime colonial et une deuxième « sale guerre », terme déjà utilisé pour le
conflit indochinois. Dans les premiers mois, la combativité des travailleurs
algériens en France est remarquée à Renault, dans la métallurgie et le
bâtiment où ils sont nombreux, alors que la police* surveille parmi eux
l’influence du FLN* pour le priver de base arrière. Avant que ne soit voté
l’état d’urgence* le 3 avril 1955, peu de débrayages ont lieu en métropole
pour s’y opposer, ce que regrette Omar Belouchrani, alias Saïd (membre de la
Fédération de France* du FLN et permanent syndical CGT), délégué au
30e congrès de la CGT. Il veut reprendre pour l’Algérie l’ancien mot d’ordre
contre la guerre d’Indochine : « pas de matériel de guerre ! ». Les décrets
d’août 1955 donnent lieu aux premiers mouvements de soldats rappelés
refusant de partir pour l’Algérie. La CGT opposée aux décrets organise des
ripostes dans les entreprises, avec des actions parfois unitaires chez les
« métallos » (Renault Billancourt ou Fives Lille par exemple), les cheminots,
les postiers, en province ou à Paris. Le climat protestataire se maintient à la
rentrée avec la spectaculaire action de Rouen début octobre quand la
population de sa banlieue rouge et industrielle se joint aux rappelés de la
caserne Richepanse qui refusent de partir, provoquant l’intervention des
forces de l’ordre.
Contexte bouillonnant et promesses de paix en Algérie amènent le Front
républicain* au pouvoir en janvier 1956, investi d’une immense attente sur la
question algérienne, doublée d’un fort soutien populaire aux premières
réformes sociales comme la troisième semaine de congés payés. C’est la
pause sociale avec moitié moins de jours de grève en 1956 qu’en 1955. Pour
l’opinion publique, ce gouvernement semble l’héritier de Pierre Mendès
France* dont les efforts ont abouti à l’indépendance de la Tunisie* et du
Maroc* en mars 1956. Mais le même mois, le pouvoir socialiste choisit pour
l’Algérie la voie de la guerre avec les pouvoirs spéciaux*, votés par une
écrasante majorité allant de la droite aux communistes. Ces derniers,
puissants électoralement, escomptent en vain peser sur le gouvernement de
Guy Mollet*. Ce faisant, ils privent le mouvement d’opposition à la guerre
d’une alternative politique identifiable. Les manifestations de rappelés* de
juin 1956 comme à Grenoble ou Saint-Nazaire reçoivent localement le
soutien de militants syndicaux. Les arrêts de travail chez les dockers* ou dans
les usines n’arrivent pas à faire tache d’huile. Au niveau national, la CGT ne
lance pas de mots d’ordre de grève générale mais encourage les actions sur le
terrain sans pouvoir créer de dynamique durable. Les actions faiblissent
encore plus en 1957 après la répression de l’insurrection hongroise qui jette
l’opprobre sur les communistes et leurs alliés très isolés. En France, la lutte
pour le leadership entre le FLN et le MNA* se traduit par des assassinats de
centaines de militants des deux bords, dont des syndicalistes connus comme
Filali*, adjoint de Messali Hadj*, et éloigne des travailleurs français de leur
lutte, comme à Renault-Billancourt. Le hiatus est patent quand la CGT
échoue à mobiliser pour la « Paix en Algérie » le 17 octobre 1957, alors que
les travailleurs répondent présents le 29 octobre lors de la grève
d’avertissement au nouveau gouvernement de Félix Gaillard* pour les
salaires, mettant fin à la pause sociale. Le journal du FLN El Moudjahid
fustige ces échecs et l’attentisme des syndicats ouvriers et enseignants dont la
Fédération de l’Éducation nationale* (FEN), peu présente sur le terrain.
Pourtant l’opposition à la guerre s’élargit avec la condamnation par les
intellectuels de la torture*, qui ne peut plus être cachée par l’armée et le
pouvoir, tandis que l’agitation pro-Algérie française à Alger le 13 mai 1958*
inquiète les républicains. Mais les débrayages prévus les 19, 26 et 27 mai
pour la défense des libertés restent limités. L’investiture de De Gaulle* et le
oui massif au référendum pour changer la Constitution montrent les attentes
envers « l’homme providentiel ». La faiblesse du mouvement gréviste est au
plus bas en 1959.
Après le discours de De Gaulle sur l’autodétermination* en
septembre 1959 et les réactions violentes des ultras de l’Algérie française, un
sursaut républicain élargit l’audience de l’idée de paix en Algérie par la
négociation*. Au moment de la semaine des barricades*, fin janvier 1960, les
syndicats se rencontrent pour la première fois et l’Unef* très active avec son
nouveau président Gaudez joue un rôle fédérateur. La grève nationale d’une
heure le 1er février est un succès entretenu par des journées d’action et des
arrêts de travail parfois unitaires à la base, réclamant la poursuite des
négociations. Dès l’annonce du putsch* le 21 avril 1961 et avant même le
fameux discours de De Gaulle, les rencontres syndicales et appels à la grève
générale pour le lundi 24 avril articulent lutte contre le fascisme et paix en
Algérie. La grève, suivie par des millions de salariés, comme la riposte des
jeunes soldats du contingent en Algérie qui refusent de suivre les « généraux
félons » ont leur importance dans l’arrêt du putsch dès le 25 avril.
Les actions deviennent difficiles sous le coup des violences policières qui
sévissent lors des manifestations souvent interdites. Les Algériens en sont
particulièrement victimes le 17 octobre 1961*. Si les organisations syndicales
et politiques de gauche condamnent toutes la répression, il n’y a pas d’action
commune pour dénoncer un tel massacre mais des communiqués parallèles
brandissent la menace d’une grève générale si cela recommence. En réaction
aux attentats de l’OAS* qui frappent désormais en métropole, le
rapprochement de ceux qui veulent la paix par la négociation et redoutent
maintenant une dérive fasciste se consolide. CGT et CFTC, les syndicats
enseignants et l’Unef appellent ensemble à une manifestation le 8 février
1962. Les violences policières font 9 morts, tous membres de la CGT, devant
le métro Charonne*. L’unité se réalise à nouveau le 13 février dans
l’immense et solennel cortège funèbre des morts de Charonne et dans la
grève générale suivie dans tout le pays. Après plus de sept ans de guerre, ce
drame achève de disqualifier la guerre coloniale dans l’opinion. Les
fluctuations du mouvement gréviste reflètent bien les difficultés de la société
française à tourner la page.
Anissa BOUAYED
Bibl. : Anissa Bouayed, « La CGT et la guerre d’Algérie », thèse de 3e cycle
d’histoire sous la dir. de J. Couland, Paris-7, 1985 • Laure Pitti, « Ouvriers
algériens à Renault-Billancourt de la guerre d’Algérie aux grèves des OS des
années 1970 », thèse d’histoire sous la dir. de R. Gallissot, Paris-8, 2002 •
Alain Ruscio, Les Communistes et l’Algérie, La Découverte, 2019.
GUÉRILLA
Guerilla est un mot espagnol. Il signifie « petite guerre » et entre dans le
vocabulaire militaire occidental, dans les premières décennies du XIXe siècle,
avec la résistance populaire à l’occupation napoléonienne de l’Espagne. Il se
conçoit d’office en opposition à une « grande guerre », celle des armées
nationales, avec leur discipline, leurs uniformes, leurs grandes unités, leurs
batailles et leur logistique. Il désigne une pratique asymétrique du conflit
armée, où un des belligérants ne dispose pas des moyens matériels et humains
d’une armée nationale et repose donc sur le soutien d’une fraction de la
population. Militairement, la guérilla repose sur la pratique de l’embuscade*,
attaque surprise en surnombre sur des unités isolées suivie d’une retraite
rapide, et le sabotage dirigé contre les moyens de communication de
l’adversaire et sa logistique. Politiquement, la guérilla doit s’assurer le
soutien d’une partie de la population et utilise, pour orienter, stimuler ou
forcer ce soutien, la propagande* mais aussi des actions de terreur, comme
les exécutions de collaborateurs ou les attentats. La pratique de la guérilla
existe bien avant l’irruption du mot dans le lexique européen puis mondial.
Dès l’Antiquité, de nombreux acteurs politico-militaires ont recours à la ruse
et aux stratégies asymétriques face à des armées régulièrement constituées,
dans des guerres aux marges de la gloire militaire.
En Algérie, la guérilla est une composante majeure de l’action des
nationalistes du FLN* et du MNA*, mais aussi plus marginalement du PCA*.
Elle s’articule, sans qu’il soit possible de délimiter nettement leurs limites
avec le terrorisme urbain et l’action politique et diplomatique. Nous nous
contenterons ici de nous pencher sur la guérilla au sens étroit du terme, à
savoir la lutte armée menée par le FLN et l’ALN* dans les zones rurales de
l’Algérie.
Les premiers maquis émergent avant les attentats du 1er novembre 1954*,
dans les Aurès et en Kabylie. Ils sont le lieu de rencontre entre un banditisme
d’honneur ancien et des militants nationalistes radicaux souvent issus de
l’Organisation spéciale* (OS) du PPA*, démantelée en 1950 par les services
de sécurité français. Dès 1953, d’infructueuses opérations de réduction du
banditisme ont lieu dans les Aurès. Ces deux régions sont et demeurent
pendant le conflit deux des points chauds de la résistance nationaliste, du fait
de leur géographie* tourmentée et d’une faible inclusion dans l’économie
coloniale. Elles concentrent, donc durant les premiers mois de la guerre,
l’essentiel de l’effort militaire français. L’embuscade dite « de Palestro* », le
18 mai 1956, marque le premier succès médiatique autant que militaire de
cette stratégie d’action. L’attaque de Philippeville, comme sa terrible
répression, en août 1955, apparaît comme un tournant décisif dans la guerre,
marquant l’engagement de la population et l’extension de la guerre à de
nouveaux territoires.
La guérilla du FLN suppose donc des zones difficiles d’accès, où il est
possible de constituer des refuges, mais aussi le soutien de la population par
l’intermédiaire d’une organisation des supplétifs* civils (les moussebelines)
chargés d’organiser le ravitaillement, d’obtenir des renseignements et de
motiver politiquement, ou par la contrainte, le soutien populaire. Pour les
combattants des maquis, les moudjahidines*, l’essentiel de leurs ressources
dépend de cette connexion avec la population des zones occupées par
l’armée. Celle-ci est assurée par ce que les militaires français viennent à
désigner sous le vocable d’OPA – organisation politico-administrative – et
que les Algériens nomment nidham. La guérilla nationaliste s’étend
rapidement hors de ces premières zones-refuges, au cours de l’année 1955,
pour atteindre son extension maximale en 1957, en s’étendant à l’ensemble
des régions du Tell algérien, d’autant plus profondément que la topographie
et la proximité des frontières marocaines et tunisiennes le permettent. C’est
dans les massifs montagneux de l’Est-Algérois que les maquis trouvent leurs
plus importants développements, puis dans l’Algérois, dans les massifs du
Dahra, de l’Ouarsenis, et enfin en Oranie, région moins propice et plus
marquée par la présence européenne. Des chefs militaires se montrent
particulièrement audacieux et se font une renommée de grands guérilleros.
Ainsi Ali Khodja* ou le colonel Amirouche*, en Kabylie, Youcef Zighoud*,
dans le Constantinois, Si M’hamed Bougara* dans l’Algérois, Ben Boulaïd*,
dans les Aurès, sont autant de chefs de maquis et de martyrs devenus des
légendes de l’épopée nationale algérienne.
L’armée française répond à la guérilla du FLN par une contre-guérilla se
structurant progressivement et s’appuyant sur son expérience indochinoise.
Avec la mobilisation du contingent en 1956, elle met en place un maillage de
postes militaires de plus en plus dense sur les territoires ruraux, le
quadrillage. Elle généralise la création de zones interdites* à la population où
l’ouverture du feu se fait sans sommation. Le corollaire de ces zones
interdites est le regroupement* des populations rurales dans des centres sous
contrôle militaires, afin de priver les maquis du soutien populaire. Des
commandos* de chasse, formés pour une part importante de harkis*, sont
chargés d’accrocher les unités de l’ALN. L’usage de troupes aguerries de
parachutistes* ou de légionnaires, souvent héliportés, et de l’aviation,
utilisant notamment le bombardement au napalm, permet de concentrer
rapidement la puissance de feu sur les maquisards repérés. La fortification
des frontières marocaines et tunisiennes effectives en 1958 empêche le
ravitaillement et la relève des maquisards depuis ses bases extérieures,
affaiblissant durablement les forces nationalistes de l’intérieur. Des contre-
maquis composés de combattants algériens sont animés par le SDECE*,
principalement dans l’Algérois. Ces méthodes brutales se révèlent efficaces
militairement malgré un coup politique et humain élevé, les civils algériens
payant d’un prix élevé l’écrasement de l’ALN.
Bien que jouant sur l’indistinction entre militaires et civils, le FLN
cherche à présenter son armée comme une armée régulière dotée d’uniforme,
d’une hiérarchie formelle et d’une discipline. En 1958, le FLN tente de
constituer des bataillons afin de dépasser le stade de la guérilla et pousser
l’armée française à des affrontements conventionnels. Ce choix s’avère
contre-productif. Ces bataillons, trop repérables, sont écrasés. Sous les coups
des opérations Challe*, en 1959 et 1960, ciblant successivement les zones
refuges montagneuses de l’ALN d’Ouest en Est, les capacités militaires des
nationalistes sont fortement réduites. Le général Gambiez* peut ainsi
annoncer en 1960 que l’Oranie est pacifiée.
Si la guérilla du FLN se révèle un échec tactique sur le temps long du
conflit, elle constitue une victoire stratégique. En obligeant l’armée française
à maintenir une posture défensive permanente dispendieuse en hommes et en
matériel, elle a rendu nécessaire la mobilisation du contingent et l’utilisation
de moyens financièrement coûteux et moralement difficiles à assumer,
notamment d’un point de vue diplomatique. Elle ne permet pas de libérer de
réelles zones où une souveraineté nationaliste pourrait s’exercer,
contrairement à ce que le Vietminh a pu faire en Indochine*. C’est l’action de
guérilla qui a fait de la guerre d’Algérie une guerre et non une simple
opération de maintien de l’ordre.
Denis LEROUX
GUERRE FLN-MNA
Le contexte créé par les attaques du 1er novembre 1954* a permis, dans
un premier temps, de dépasser les tensions suscitées par la crise du MTLD,
autorisant la coopération entre les différentes factions indépendantistes.
Mais la différenciation entre le FLN* et les partisans, alors nombreux, de
Messali Hadj* – regroupés au sein du MNA* après la dissolution du MTLD
décrétée le 5 novembre – devient la matrice d’une nouvelle conflictualité
entre nationalistes.
Pourtant, au début de l’année 1955, les contacts sont maintenus entre les
dirigeants du FLN et du MNA comme en témoignent les tentatives de
formaliser une action concertée pour l’indépendance de leur pays.
En janvier, des rencontres ont lieu à Notre-Dame d’Afrique entre le
messaliste Larbi Oulebsir et le frontiste Krim* Belkacem – qui, après avoir
reçu une importante somme d’argent de la part du MNA, fait paraître une
lettre dans son organe La Voix du peuple. Krim réclame toutefois le
ralliement inconditionnel de Messali au FLN : une exigence hors de propos
pour le chef du nationalisme* révolutionnaire.
En février, des négociations se déroulent au Caire entre des membres du
FLN (Hocine Aït Ahmed*, Ahmed Ben Bella*, Mohamed Khider* et
Mohamed Boudiaf*) et Ahmed Mezerna pour le MNA. Celles-ci débouchent
sur la constitution d’un Front de libération de l’Algérie – élargi aux
représentants de l’Association des ulémas et de l’UDMA*. Or, l’appellation
de ce nouveau groupement provoque un malentendu alimenté par des cadres
du FLN qui souhaitent accréditer l’idée d’une adhésion pure et simple du
MNA au FLN. Par conséquent, Messali désavoue cette initiative ainsi que
Mezerna.
En mars, des discussions sont menées à El Biar à Alger, entre les
directions du FLN (autour d’Abane* Ramdane) et du MNA (dont Mustapha
Ben Mohamed). Abane développe sa vision qui consiste à s’assurer le soutien
des États arabes, rechercher l’alliance avec les bourgeois réformistes,
généraliser la violence dans les villes et les campagnes mais aussi exiger le
ralliement individuel des messalistes au FLN qui dirigerait l’ALN*. Si les
dirigeants du MNA sont favorables à la constitution d’une ALN unique, ils
refusent cependant de reconnaître au FLN le monopole de la représentation
du peuple algérien qui doit s’exprimer à travers une Assemblée constituante.
De plus, les messalistes affirment leur opposition au terrorisme qui frapperait
indistinctement les civils. Enfin, ils s’opposent à l’alliance avec la
bourgeoisie algérienne malgré des liens avec ce milieu.
L’échec de ces démarches provoque la détérioration des rapports entre les
deux organisations, d’autant que le rapport de force évolue en faveur du FLN
tandis que le MNA, dont les membres sont connus des services de
renseignement, subit de plein fouet la répression.
Dès avril, Abane affirme sa résolution à « abattre tous les chefs
messalistes ». À la même période, la presse* révèle le projet d’assassinat de
Messali par Mohammed Tarbouche, suivant les directives de Boudiaf.
Si le ton monte, le conflit reste pour l’essentiel circonscrit à la
propagande* guerrière. Ainsi, un tract du FLN daté du 15 septembre 1955
accuse Messali d’être un « auxiliaire du colonialisme ». En décembre, le
MNA réplique en assimilant son rival à un « panier de crabes », avant de
prêcher l’union, en février 1956.
Or, ce revirement apparaît tardif au vu de la situation. En effet,
l’assassinat de Rabah Saïfi, le 1er avril 1955 à Paris, puis l’attentat contre
Sadek Rihani, le 15 décembre à Alger, inaugurent une séquence au cours de
laquelle les nationalistes font parler la poudre.
La violence « fratricide » touche les maquis de Kabylie puis les villes
d’Algérie pour gagner l’émigration* établie en France et en Europe, malgré
les nombreuses – mais vaines – tentatives de conciliation : en mai 1955 sous
l’impulsion d’Embarek Filali*, en septembre à l’initiative de Lamine
Debaghine, en décembre avec Amir Benaïssa, etc.
Après le massacre de Melouza-Beni Illemane*, le 28 mai 1957, la mort
de Filali, le 24 novembre à Paris, sonne le glas du MNA qui subsiste tant bien
que mal dans ses derniers bastions.
D’après le journal Le Monde* daté du 20 mars 1962, des estimations
officielles évaluent « à douze mille le nombre des agressions, à près de quatre
mille trois cents celui des morts, à près de neuf mille celui des blessés »
causés par l’affrontement FLN-MNA dans la seule métropole.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Jean-Louis Planche, « De la
solidarité militante à l’affrontement armé. MNA et FLN à Alger (1954-
1955) », in Jean-Charles Jauffret et Maurice Vaïsse (dir.), Militaires et
guérilla dans la guerre d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2000 • Benjamin
Stora, « La différenciation entre le FLN et le courant messaliste (été 1954-
décembre 1955) », Cahiers de la Méditerranée, no 26, 1983.
GUERRE FROIDE
Les huit ans de la guerre d’Algérie sont aussi une période de transition
dans l’histoire des relations internationales au cours desquelles le problème
algérien devient un enjeu de la guerre froide. Le processus de transition se
déroule au travers de crises graves (Suez*, Berlin, Congo), mais il se produit
aussi un certain « dégel » des relations entre les grandes puissances, en
premier lieu les États-Unis* et l’URSS*. Leur politique est déterminée par
leur attitude à l’égard de la France en guerre, alliée des États-Unis et alliée
potentielle de l’URSS dans le règlement du problème allemand (ayant une
priorité pour Moscou pendant toute la guerre froide). Le dilemme
fondamental pour les États-Unis est de trouver un équilibre entre leur alliance
avec la France et, en se référant à leur héritage anticolonial, établir et
consolider les relations avec les nouveaux États afro-asiatiques nés de la
décolonisation pour les empêcher de tomber sous l’influence du bloc
communiste. Le dilemme existe pour Moscou aussi entre sa politique de
détente et son idéologie de solidarité internationaliste : ménager la France
pour qu’elle trouve une solution franco-algérienne négociée au problème
algérien et le soutien à la cause nationale des Algériens.
Chacun des deux grands cherche à éloigner l’autre du conflit. La position
des États-Unis est plus embarrassante, en tant que membre de l’Otan comme
la France (et l’Algérie, sa partie intégrante). Paris cherche dès le début du
conflit à impliquer cette organisation, en présentant sa politique de guerre en
Afrique du Nord comme une défense des intérêts occidentaux et de sécurité
européenne. Ainsi, la France elle-même internationalise le conflit algérien.
Elle essaie de faire comprendre à ses alliés que la sécurité de l’Europe, avec
la menace de l’infiltration communiste, se joue en Méditerranée et non plus
au bord du Rhin. Suivant ce raisonnement, le gouvernement français trouve
justifiée sa demande de prélèvement des certains contingents de ses troupes
sous commandement de l’Otan en RFA* à destination de l’Algérie. La
demande est acceptée mais avec de nombreuses réticences, exprimées
nettement par des États nordiques (Danemark et Norvège). Washington
trouve que l’envoi des troupes françaises en Algérie est préoccupant, car la
guerre n’y est pas menée contre le communisme (comme en Indochine*)
mais contre un nationalisme*. La France ne sert donc pas les intérêts du
monde libre, au contraire la poursuite de la guerre constitue le véritable
danger pour l’Occident. La guerre place les États-Unis et les membres de
l’Otan n’ayant pas de passé colonialiste dans une situation difficile face aux
jeunes États qui peuvent choisir le bloc communiste, justement en raison de
la politique guerrière de la France. La presse américaine critique sévèrement
la position française, contribuant à rendre l’opinion publique* hostile au
soutien du gouvernement américain à la France.
Le FLN* constate aussi la responsabilité de tout l’Occident dans la
poursuite de la guerre. Dans le même temps, le prestige de l’URSS est à son
comble dans le monde arabe grâce à son avertissement sévère adressé aux
gouvernements français, britannique et israélien lors de la crise de Suez.
Malgré cette position dure, Moscou continue à ménager la France pour sa
politique algérienne. L’inquiétude des États-Unis et de l’Occident en général,
se sentant en perte de vitesse dans la course pour gagner les nouveaux États à
leur cause, n’est pas sans fondement. Elle s’avère réelle après la conférence
de Bandoeng* de 1955, puis en lien direct avec la situation algérienne, à la
suite du bombardement de Sakiet Sidi Youssef*, une localité tunisienne, en
1958. Les États-Unis et l’Angleterre se présentent en médiateur pour résoudre
le conflit franco-tunisien, mais leurs « bons offices » ne mènent à aucun
résultat positif. L’échec et l’impuissance des États-Unis à faire changer la
politique algérienne du gouvernement français « détournent l’attention du
peuple algérien de l’Occident et le font regarder vers d’autres horizons » –
écrit El Moudjahid, organe officiel du FLN. Les « autres horizons » sont bien
entendu les pays du bloc de l’Est. L’URSS voit dans les « bons offices »
américano-britanniques l’implication des États-Unis dans le conflit algérien
et elle se sent obligée à réagir. Elle sort alors de sa réserve et exprime son
inquiétude, trouvant que de nouvelles tentatives pour résoudre le problème
algérien « par la force des armes laissent de moins en moins d’espoir ». Elle
ne pense plus que le conflit algérien puisse être réglé par les négociations*
dans le cadre franco-algérien. La prise de position de Moscou est très
appréciée par le FLN : « Le plus important pour le peuple algérien c’est que
l’Union soviétique fait état de ses préoccupations au sujet de l’Algérie, et
prend des positions tranchées et sans équivoque quant au fond du problème. »
L’internationalisation* de la question algérienne est un fait évident bien que
le général de Gaulle*, arrivé au pouvoir en raison de la crise politique
provoquée par la guerre d’Algérie, continue à la considérer comme une
affaire intérieure française. Le soutien international de la cause des Algériens
s’élargit : le GPRA* est ainsi reconnu par les pays socialistes (en 1958 et en
1960) et par les pays afro-asiatiques. La conférence fondatrice du
Mouvement des non-alignés à Belgrade en septembre 1961 consacre en effet
son assise internationale.
La guerre d’Algérie provoque des crises permanentes en France et au
Maghreb, menaçant la paix. Cette situation de crise paraît favorable aux
Algériens. Elle pousse le FLN à en profiter par l’appui des pays socialistes,
tout en changeant d’attitude envers eux. C’est ce qu’exprime Ferhat Abbas*
dans son rapport de politique générale rédigé pour le GPRA en août 1960 :
« On a trop joué au chantage avec l’Est. On a fait certes des pas concrets pour
nous rapprocher de l’Est, mais on n’a jamais pu faire intégrer concrètement
cet élément dans le cadre du rapport de force entre nous et la France. Dans la
conjoncture actuelle, il apparaît que seule l’insertion de la guerre d’Algérie
dans la guerre froide par l’appui entier des pays socialistes pourrait constituer
l’élément déterminant recherché. Les événements de Suez, du Congo et de
Cuba ont déjà montré de quel poids pèse sur la solution des problèmes la
simple menace de l’intervention des pays de l’Est. La guerre froide est une
situation internationale qui nous est plus favorable que la coexistence
pacifique. » En fait, les crises de Berlin, de Cuba et l’incident U2 (avion
espion américain abattu au-dessus de l’URSS), rendant la vie internationale
très tendue, sont plus préoccupantes pour l’Occident que la guerre d’Algérie.
Le conflit lie les mains du président de Gaulle, l’empêche de réaliser le but
prioritaire de sa politique extérieure : mettre la France parmi les grandes
puissances, mener une politique d’indépendance nationale par l’accession au
club atomique avec l’acquisition de la force de frappe, et par la modernisation
de l’armée. Pour ces raisons, de Gaulle conduit sa politique de manière à ce
que la guerre cesse au plus tôt, tout en gardant l’influence française en
Algérie. En fin de compte, les acteurs les plus concernés – le FLN, la France,
les États-Unis et l’Union soviétique – arrivent par des compromis mutuels à
ce que la guerre d’Algérie ne dégénère pas une confrontation grave de la
guerre froide entre l’Est et l’Ouest.
László NAGY
Bibl. : El Moudjahid. Organe central du Front de libération nationale,
[imprimé en Yougoslavie], juin 1962 • Mohammed Harbi, Les Archives de la
révolution algérienne, Jeune Afrique, 1981 • Irwin M. Wall, Les États-Unis
et la Guerre d’Algérie, Soleb, 2006.
GUERRE RÉVOLUTIONNAIRE
Le terme « guerre révolutionnaire » est ancien. Il est utilisé initialement
pour désigner les guerres liées à la Révolution française, sans que l’adjectif
révolutionnaire ne soit plus qu’un marqueur chronologique. Il se pare d’une
actualité nouvelle sans faire l’objet d’une conceptualisation notable avec la
guerre civile russe suivant la Révolution de 1917. C’est Mao Zedong, au
milieu des années 1930, qui, le premier, s’empare du terme pour théoriser
l’action de l’Armée rouge chinoise dans la guerre contre les Japonais, son
rapport avec le peuple, l’articulation entre guérilla* et guerre
conventionnelle, entre guerre et révolution. En 1950, Stratégie de la guerre
révolutionnaire en Chine est traduit en français et publié aux Éditions
sociales, maison d’édition du PCF*. L’expression rentre alors dans le
vocabulaire militaire français. Pendant la guerre d’Algérie, le terme devient
central dans l’interprétation militaire des guerres de décolonisation, jusqu’à
prendre la forme d’une doctrine semi-officielle, que les historiens de la guerre
d’Algérie et des méthodes contre-insurrectionnelles désignent comme
« doctrine de la guerre révolutionnaire ». Il convient cependant de ne pas
reconduire comme catégories d’analyse ce qui relève des catégories d’analyse
des acteurs historiques, à savoir leur perception des guerres en cours comme
« guerre révolutionnaire ».
Le colonel Charles Lacheroy*, de l’infanterie coloniale, est l’acteur
central de cette introduction et de la conceptualisation du terme. Habile
conférencier et homme de cabinet, il s’assure une position influente au sein
de l’appareil militaro-gouvernementale, devenant en 1956 chef du Service
d’action psychologique et d’information de la Défense nationale, sous
l’autorité directe du ministre. Sa première conférence, Une arme du Vietminh,
les hiérarchies parallèles, est tenue en Indochine en 1952. Il diffuse l’idée
que l’URSS*, ne pouvant se permettre un affrontement ouvert avec les
Occidentaux, du fait de la menace nucléaire, multiplie les conflits indirects
dans les empires coloniaux européens. Ces conflits sont censés être menés
selon une redoutable doctrine de prise du pouvoir. L’enjeu central en est la
prise de contrôle de la population civile en l’encadrant au sein de hiérarchies
parallèles contrôlées par le parti et ses commissaires politiques. Dans les
années suivantes, Lacheroy, en pleine ascension hiérarchique, étoffe son
propos en dressant un tableau des cinq étapes de la guerre révolutionnaire,
depuis l’action terroriste jusqu’au renversement du régime par une guerre
conventionnelle en passant par la guerre de partisans et la libération de
territoires refuges. Ce scénario élaboré en 1955 correspond, ni plus ni moins,
au début de la guerre d’Algérie commençant par les attentats de
novembre 1954, auquel est accolée la fin de la guerre d’Indochine*, marquée
par la défaite de Điên Biên Phù. In fine, les conférences de Lacheroy sont une
interprétation des rapports géopolitiques du début de la guerre froide* comme
manifestation d’une guerre totale entre communisme et Occident, nécessitant
une refonte des méthodes militaires. Leur fonction principale est de
préconiser et de justifier l’encadrement autoritaire de la population, qui se
dessine alors en Algérie, par des dispositifs de contrôle social hiérarchisés, au
détriment des libertés publiques jugées trop favorables aux insurgés. Le
2 juillet 1957, au sommet de sa gloire, le colonel Lacheroy prend la parole
devant 2 000 officiers* de réserve dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne,
et tient une conférence intitulée Guerre révolutionnaire et action
psychologique. Cette conférence, faite sans note, apparaît comme la synthèse
de sa pensée politico-militaire et une réelle consécration.
Les réflexions de Lacheroy s’inscrivent dans une ambiance d’émulation
doctrinale, lors des premières années de la guerre d’Algérie. Des revues*
militaires spécialisées, telle la Revue militaire d’information, publient de
nombreux articles sur la guerre révolutionnaire. L’École supérieure de guerre
est un des lieux où cette doctrine se formalise, se discute et se diffuse. Elle ne
trouve cependant aucun blanc-seing officiel et demeure un ensemble
hétérogène de réflexions stratégiques, tactiques et politiques. Influent mais
manquant de légitimité, le discours militaire sur la guerre révolutionnaire doit
attendre l’arrivée du général Salan*, en décembre 1956, à la tête de l’armée
en Algérie pour devenir la référence obligée de la hiérarchie militaire outre-
Méditerranée. Jusque-là, le terme est absent des directives du
commandement. La seule occurrence du terme dans un texte officiel se trouve
dans le Texte toutes armes 117, instruction provisoire pour l’emploi de
l’arme psychologique, publié par le ministère de la Défense en juillet 1957,
qui définit la guerre révolutionnaire comme « une doctrine de guerre,
élaborée par les théoriciens marxistes-léninistes et exploitée par des
mouvements révolutionnaires de diverses obédiences ».
Salan et son entourage, notablement les généraux Allard*, Dulac,
Massu*, les colonels Trinquier* ou Goussault, entendent donner corps, en
Algérie, aux réflexions en cours dans les cercles doctrinaux parisiens.
L’annonce d’une grève* générale, en janvier 1957, par le FLN* précipite
cette volonté. Ainsi, la « bataille d’Alger* », menée par les hommes de la
10e division parachutiste*, dirigés par le général Massu, et l’opération Pilote,
coordonnée par le bureau psychologique dans la région d’Orléansville, se
veulent des expérimentations amenées à être systématisées sur tout le
territoire algérien. En organisant des conférences et des stages pour les
officiers en publiant des directives et des notices d’information, le bureau
d’action psychologique, devenu 5e bureau durant l’automne 1957, joue un
rôle de premier plan dans la diffusion du discours militaire sur la guerre
révolutionnaire au sein de l’armée d’Algérie, mais également dans
l’élaboration de ses applications pratiques, principalement des dispositifs
d’encadrement des populations, qui voient le jour en 1957, sous le vocable
d’« organisation des populations ».
Ces dispositifs prennent des formes variées, tels le dispositif de protection
urbaine* (DPU), organisé par le colonel Trinquier à Alger, les foyers sportifs
animés par des moniteurs algériens formés au centre d’Issoire, les maisons
d’anciens combattants* ou les équipes médico-sociales itinérantes* et leurs
cercles féminins. Ils visent à surveiller la population, à rassembler des
renseignements afin de lutter contre l’« organisation politico-administrative »
du FLN, mais également à rendre la population mobilisable et à la façonner
afin de construire une « Algérie nouvelle ».
L’introduction des théories sur la guerre révolutionnaire en Algérie
accompagne un changement de rapport de l’armée vis-à-vis de la population
qui devient, pour les partisans de la nouvelle doctrine, l’enjeu premier du
conflit. En témoigne l’usage nouveau de l’abréviation « OPA », désignant
l’« organisation politico-administrative » ennemie, qu’il convient de détruire.
En déplaçant les enjeux du conflit, à la fois d’un point de vue tactique – la
population doit être purgée de l’OPA – que stratégique – l’enjeu final de la
guerre est l’avenir de l’Occident chrétien –, la nouvelle doctrine implique et
justifie l’usage de moyens illégaux comme la torture* et les exécutions
sommaires*. En effet, la force rhétorique de la doctrine de la guerre
révolutionnaire repose sur la description d’un ennemi total et multiforme, des
maquis de Kabylie aux terrasses germanopratines, de Moscou à Boulogne-
Billancourt. Cet ennemi, le communisme international et ses supposés séides
nationalistes, se voit attribuer des méthodes de mobilisations politiques d’une
efficacité diabolique qu’il est loin de posséder. Ces méthodes prêtées à
l’ennemi, si elles résultent d’une observation du Vietminh en Indochine, sont
en grande partie fantasmées. Ainsi, le terme « hiérarchies parallèles » est
absent du lexique communiste, tout comme celui d’« organisation politico-
administrative » l’est du lexique des nationalistes algériens.
La dissolution des 5es bureaux en février 1960, après la semaine des
barricades*, signe la fin de l’influence de cette doctrine au sein de l’armée
française. Elle se conserve néanmoins officieusement au sein des troupes de
marine et trouve à s’appliquer lors des interventions françaises dans son pré
carré africain. Durant les années 1960 et 1970, elle sera également diffusée
hors de France, au Portugal, en Argentine, au Brésil, aux États-Unis*, qui la
réactualisent durant ses guerres d’Irak et d’Afghanistan, laissant une postérité
difficile à assumer.
Denis LEROUX
Jacqueline Netter est née à Rouen en 1919. Étudiante à Paris, elle épouse
Pierre Minne, avec qui elle a quatre enfants dont Danièle*, née en 1939.
Enseignante à Tours, elle est internée comme juive en 1942. Libérée, elle se
réfugie dans le sud de la France. Le couple s’installe en Algérie en 1947.
Institutrice dans les campagnes autour de Tlemcen, Jacqueline rejoint le
PCA*. Divorcée, elle épouse en 1951 son camarade communiste et collègue
instituteur Abdelkader Guerroudj, dit « Djilali ». Né en 1928, fils d’une
cardeuse et d’un journalier agricole, ce dernier a grandi à Bréa et à Tlemcen,
où il a obtenu le baccalauréat. Issu d’une famille nationaliste, il milite aux
Scouts musulmans algériens* puis au PCA. Le couple élève leur fils et les
enfants de Jacqueline, qu’Abdelkader considère comme les siens.
Tous deux militent parmi les groupes paysans du PCA de la région de
Tlemcen, qui rejoignent la lutte armée à partir de la fin 1954. En avril 1955,
alors qu’Abdelkader est candidat aux élections* cantonales, Jacqueline et lui
sont expulsés vers la France par le préfet* d’Oran. La décision cassée, ils
peuvent reprendre des postes d’instituteurs dans l’Algérois au début 1956. La
direction du PCA clandestin charge alors Abdelkader de diriger les groupes
armés communistes des Combattants de la libération* (CDL) à Alger,
auxquels s’intègre Jacqueline.
En juin 1956, les accords entre le PCA et le FLN* prévoient l’intégration
des CDL à l’ALN*, et leur rupture de tout lien avec le PCA. Cette décision
convient aux Guerroudj, qui reprochent à la direction du PCA de ne s’être pas
engagée immédiatement dans la lutte armée et de ne pas accepter la
dissolution du PCA dans le FLN. Au sein de la Zone autonome d’Alger* de
l’ALN, les ex-CDL accomplissent des dizaines d’attentats contre des biens,
ainsi que des assassinats ciblés.
En janvier 1957, Abdelkader est arrêté et torturé. Jacqueline est arrêtée
peu de temps après. Le même mois, sa fille Danièle, dite « Djamila », pose
une bombe dans un bar d’Alger et monte au maquis, où elle est arrêtée en
novembre 1957. En décembre 1957, les Guerroudj sont condamnés à mort.
Ils échappent à l’exécution après une importante mobilisation en France.
À l’indépendance, Jacqueline, bibliothécaire, est faite citoyenne
algérienne. Abdelkader, député à l’Assemblée constituante, exerce de hautes
responsabilités dans l’administration.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Jacqueline Guerroudj, Des douars et des prisons, Saint-Denis,
Éditions Bouchène, 1993.
H
« HARKIS À PARIS »
« Harkis à Paris » renvoie à une brochure de Paulette Péju, parue en 1961
et dénonçant les exactions de la Force de police auxiliaire (FPA). Celle-ci
avait été mise en place par la préfecture de police* en décembre 1959 suite
aux propositions du colonel Montaner, un officier des Affaires algériennes
ayant participé à la « bataille d’Alger* » et muté en métropole afin de prendre
la tête du SAT-FMA* à Nanterre. Son objectif était la « destruction de
l’organisation rebelle dans le département de la Seine » en y important les
techniques de la guerre contre-révolutionnaire (« les méthodes de la guerre
secrète » selon l’argumentaire de Maurice Papon*). La FPA, dont les effectifs
montèrent jusqu’à 400 agents, comprenait à la fois des militaires en tenue (les
« calots bleus ») et des civils chargés d’infiltrer le FLN*. On sait peu de
choses des seconds, sinon que plusieurs furent assassinés par le FLN. Les
premiers sont mieux connus. Implantés dans les quartiers algériens de Paris –
13e puis 18e arrondissement, rue de la Goutte-d’Or – dans des hôtels fermés
sur décision administrative, se projetant dans les différentes villes de
banlieue, les supplétifs* de la FPA menèrent une action effective de contre-
propagande – prises de paroles dans les cafés, distributions de tracts… Elle
était censée « compléter l’action psychologique et sociale du SAT-FMA ».
Surtout, elle permit d’élever le niveau de répression en affranchissant la
recherche de renseignements des contraintes de la procédure pénale. Dans des
caves servant de « centres d’interrogatoires », les coups pleuvaient sur les
interpellés résistant aux pressions psychologiques. Des certificats médicaux,
dans les archives* de la préfecture de police, attestent que les tortures ne
relevaient pas toutes d’une « campagne de presse calomnieuse ». Les
protestations d’une partie de la presse* et d’élus parisiens conduisirent
d’ailleurs Maurice Papon à fermer les « centres d’interrogatoire » de la
Goutte-d’Or et à replier la FPA sur le Fort de Noisy. Elle multiplia
néanmoins les patrouilles et contrôles brutaux. Elle fut ainsi placée en
première ligne, avec force usage des armes à feu, les 17 et 18 octobre 1961
afin d’empêcher les manifestants algériens de pénétrer dans Paris.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens, 1944-
1962, Nouveau Monde, 2011 • Jim House et Neil MacMaster, Paris 1961.
Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, Tallandier, 2008 • Rémy
Valat, « Un tournant de la “Bataille de Paris” : l’engagement de la FPA
(mars 1960) », Outre-mers, vol. 91, no 342-343, 2004.
HARKIS (ASSOCIATIONS)
Plusieurs centaines d’associations de harkis se sont constituées depuis
1962. Les unes œuvrent sur le plan national, d’autres sur le plan local. Leurs
objectifs sont divers, mais les principales demandent des réparations
matérielles ou/et morales par l’État français pour les préjudices subis à la fin
de la guerre d’Algérie. Trois étapes peuvent être distinguées dans l’histoire
des associations de harkis.
De 1962 à 1975, la première génération* de harkis, économiquement
démunie et qui se heurte à la barrière de la langue, voit ses intérêts pris en
mains, principalement par des associations créées et dirigées par d’anciens
militaires de l’armée française, qui avaient des supplétifs* sous leur
commandant pendant la guerre. L’Association des anciens des affaires
algériennes (AAAA), créée le 26 mai 1962, est toujours en activité. Le
2 janvier 1963, avec le soutien du gouvernement, le Comité national pour les
musulmans français (CNMF) voit le jour. Mis en sommeil depuis 2008, ses
importants fonds d’archives ont été déposés au Centre des archives
contemporaines (CAC) à Fontainebleau en 2011. Ces deux associations sont
essentiellement financées par des subventions ministérielles.
D’autres associations sont créées au début des années 1970 par une élite
francisée d’origine algérienne, dite de « Français musulmans », composées
d’anciens hauts fonctionnaires, de gradés militaires et d’anciens élus
rapatriés. C’est le cas de la Confédération des Français musulmans rapatriés
d’Algérie et leurs amis (CFMRAA) présidée par M’Hamed Laradji,
particulièrement impliquée dans les révoltes des enfants de harkis dans les
camps de Bias (Lot-et-Garonne) et de Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard), en
mai et juin 1975, conduisant à la fermeture des camps sur décision
ministérielle, le 6 août de la même année. Enfin, les pieds-noirs* ne créent
pas d’associations spécifiques pour les harkis, mais les mettent parfois dans
une section spécifique à leurs statuts, comme l’Association nationale des
Français d’Afrique du Nord et leurs amis (Anfanoma), fondée en 1956.
Pendant plus de dix ans, les représentants de ces différentes structures
parlent au nom des harkis.
Ensuite, de 1976 à la fin des années 1990, galvanisés par les actions de
révoltes de 1975, de nombreux jeunes commencent à s’investir dans le
mouvement associatif. Outre les demandes d’ordre matériel (logement* et
travail*), les associations revendiquent la libre circulation entre la France et
l’Algérie pour les pères qui sont parfois refoulés à leur arrivée dans leur pays
natal, ou bien des « carrés musulmans » dans les cimetières communaux.
Dans les années 1990, en outre, progressivement, le mot « harki » supplante
le terme « musulman » dans les appellations. Ce changement marque
l’affirmation d’une spécificité de la cause des harkis sur le plan des droits à
défendre. Tel est le cas de la Coordination harka, structure créée par Hacène
Arfi en 1991. Ce dernier occupe la mairie de Saint-Laurent-des-Arbres en
juin de cette année-là, afin de réclamer, pour les harkis, un statut de citoyen à
part entière. En 1997, Abdelkrim Klech, à la tête du Collectif national de
justice pour les harkis et leurs familles, entame une grève de la faim devant
l’esplanade des Invalides à Paris, réclamant plus de droits pour les harkis.
Enfin, depuis les années 2000, des responsables d’associations luttent
pour obtenir une reconnaissance officielle de leur histoire (abandons,
massacres, relégations dans les camps). Ils tiennent des discours plus
idéologiques et n’hésitent pas à saisir la justice. Leurs actions sont aussi
portées par des filles de harkis. Le 30 août 2001, le Comité national de liaison
des harkis dépose une plainte pour crime contre l’humanité* au Tribunal de
grande instance de Paris. Depuis lors, d’autres associations, notamment
Génération Mémoire Harkis, mènent régulièrement des actions en justice
pour défendre les intérêts des harkis. Le 10 janvier 2004, un groupement
informel, Femmes et filles de harkis, organise une manifestation en présence
des femmes de la première génération. En juin 2004, Fatima Besnaci-Lancou
et Hadjila Kemoum, membres de ce groupe, créent l’association Harkis et
droits de l’homme (AHDH). Le 4 février 2012, la Ligue internationale contre
le racisme et l’antisémitisme (Licra), en coopération avec l’AHDH, organise
un colloque à Paris, au cours duquel son président demande au président de la
République de reconnaître la responsabilité du gouvernement français dans le
drame des harkis. Le 12 mai 2013, des associations manifestent à Paris dans
le même but.
Les présidents Chirac* et Hollande* ont reconnu la responsabilité de la
France dans le sort réservé aux harkis à la fin de la guerre. Des associations
continuent à œuvrer pour que des réparations matérielles accompagnent la
reconnaissance symbolique. Elles réclament de nouvelles mesures,
complétant les politiques publiques* existant depuis les années 1960-1970.
Dans leur majorité, elles ont critiqué la loi du 23 février 2022 portant
« reconnaissance » et « réparation » envers les harkis, conçue après que, le
20 septembre 2021, Emmanuel Macron*, au nom de la France, a demandé
« pardon » aux harkis. Le contenu de cette loi est considéré comme
discriminant puisqu’il ne s’applique qu’à une partie des familles de harkis,
celles qui ont transité par des camps en France.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Tom Charbit, Les Harkis, La Découverte, 2006 • Régis Pierret, Les
Filles et Fils de harkis. Entre double rejet et triple appartenance,
L’Harmattan, 2008 • Les Temps modernes, no 666, Harkis, 1962-2012. Les
mythes et les faits, Gallimard, 2011.
HARKIS (CAMPS)
Les camps de harkis voient le jour avant leur organisation en trois
catégories, par un décret du 8 août 1962 : les camps de transit et de
reclassement, les hameaux de forestage et les centres d’accueil. En effet, à la
fin de la guerre d’Algérie, le ministre des Armées requiert, dans l’urgence,
six camps militaires : Bias (Lot-et-Garonne), Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme),
La Rye Le Vigeant (Vienne), mais aussi le Larzac (Aveyron), Rivesaltes
(Pyrénées-Orientales) et Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard) qui tous trois ont
précédemment servi à la détention de nationalistes algériens. Dès juin 1962,
de premières familles sont installées au Larzac. Le 19 juillet 1962, près de
12 000 personnes sont réparties entre ce camp et Bourg-Lastic. Les familles
de harkis y reçoivent un traitement de « réfugiés* » et non de « rapatriés* ».
Cette surpopulation entraîne promiscuité, manque d’hygiène et de
médicaments, entraînant des maladies infectieuses. Une dizaine d’enfants
décèdent ainsi au camp de Bourg-Lastic. Une association suisse, Action de
secours aux harkis repliés en France, fait livrer des vitamines pour les enfants
fragilisés par le rude climat montagnard de l’Auvergne. Face à cette situation
alarmante, les autorités françaises font fermer les deux camps avant le début
de l’hiver, et les familles sont alors réparties entre les autres : Rivesaltes,
Saint-Maurice-l’Ardoise et La Rye Le Vigeant.
Le camp de Rivesaltes, construit en 1939 pour des nécessités militaires,
est le plus peuplé. Les baraquements avaient auparavant servi à l’internement
de Républicains espagnols, de Juifs et de Tsiganes pendant la Seconde
Guerre mondiale, puis de collaborateurs, de prisonniers de guerre et enfin de
nationalistes algériens. De 1964 à 1966, des familles de Guinéens et de Nord-
Vietnamiens y ont été reléguées.
Ils ne sont restaurés que progressivement. En décembre 1962, près de
10 000 personnes sont entassées dans un gigantesque campement de fortune.
Même s’il ne s’agissait pas d’un « centre d’internement » au sens strict du
terme, Georges Pompidou, Premier ministre, exige que « les sorties du camp
ne puissent être autorisées que pour des motifs sérieux ». Appartenant à
l’Armée, le camp devait se vider rapidement pour reprendre ses fonctions
initiales. Un service de reclassement aide alors les familles à trouver du
travail* et à se loger. Certaines s’installent dans le nord de la France, riche en
activités industrielles. À l’instar des autres camps dits « de transit »,
Rivesaltes doit fermer officiellement le 31 décembre 1964.
Afin d’accélérer les fermetures, le ministère des Rapatriés crée des
hameaux de forestage. Yvan Durand, membre de l’Association des anciens
des affaires algériennes (AAAA), se voit confier la responsabilité du projet en
tant qu’inspecteur du Service des Français musulmans, de 1962 à 1968.
Soixante-neuf hameaux, isolés dans des forêts, sont construits,
principalement dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca),
permettant de fournir des logements* et du travail, proposés par l’Office
national des forêts. Les familles de harkis subissent un régime d’exception
avec une sorte de mise sous tutelle, un règlement de vie sévère, un contrôle
social et une discipline infantilisante exercée par le chef de camp. Parfois, les
enfants sont scolarisés en vase clos. Ce dispositif devait être provisoire mais,
dans certains cas, il va durer plusieurs décennies. Des enfants de harkis ont
vécu cette situation comme une véritable politique de ségrégation voulue par
la France.
Malgré la mise en place des hameaux de forestage, le camp de Rivesaltes
peine à se vider. C’est alors que les autorités françaises procèdent à la
création d’une troisième catégorie de camps pour les personnes inaptes
physiquement au travail : « les centres d’accueil ». C’est le cas des camps de
Bias et de Saint-Maurice-l’Ardoise. En mai 1964, le ministre des Rapatriés
demande que « les déchets existant dans ce camp [Rivesaltes] et dont le
reclassement s’avérera impossible » y soient envoyés. En marge de la société
française, les familles concernées subissent non seulement les conditions de
vie comparables à celles des hameaux de forestage, mais elles se trouvent
confrontées à un univers encore plus contraignant et oppressant : couvre-feu
dès 22 heures, exigence d’autorisations pour recevoir la famille venant de
l’extérieur, contrôle du contenu des courriers, internement arbitraire dans un
service de psychiatrie à l’hôpital d’Agen pour ceux que l’on considère
comme trop récalcitrants.
Il faut attendre 1975 pour que soient ouvertement dénoncés les camps en
France, à la suite de mouvements de révoltes portés par des enfants de harkis.
Durant plusieurs semaines, ils défient les forces de l’ordre, prennent des
armes, s’affrontent à l’administration des camps, prennent en otage le
responsable du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, détruisent le bureau du
chef de camp de Bias… La France découvre la réalité des camps sur son
territoire. En réponse, le Conseil des ministres du 6 août 1975 prend la
décision de les fermer. En réalité, les dernières familles ne quittent ces camps
qu’en 1994.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou, Harkis au camp de Rivesaltes. La relégation
des familles, septembre 1962-décembre 1964, Villemur-sur-Tarn-Rivesaltes,
Loubatières-Mémorial du camp de Rivesaltes, 2019 • Katia Khemache,
Harkis, un passé qui ne passe pas, Cairn, 2018 • Malika Meddah, Une famille
de harkis. Des oliviers de Kabylie aux camps français de forestage,
L’Harmattan, 2012.
HARKIS (MASSACRES)
Les premières exactions visant des harkis se produisent dès la signature
des accords d’Évian*, le 18 mars 1962, mais c’est après l’indépendance de
l’Algérie, le 3 juillet 1962, que la situation s’aggrave.
En effet, si l’un des articles des accords d’Évian a pour but de garantir la
sécurité des personnes, cette disposition n’est pas respectée. Contrairement à
l’Exécutif provisoire* qui s’attache à l’application des accords d’Évian, des
responsables du FLN* et de l’ALN* commettent des exactions dans des
régions isolées, profitant du fait que le cessez-le-feu contraint les militaires
français à l’inaction. À titre d’exemple, le 23 avril 1962, quelques mois avant
l’indépendance, neuf harkis du village de Boualem (près de Géryville) sont
enlevés et massacrés, comme le stipule le général Meyer. Les traces écrites
des ordres donnés sont rares, comme une circulaire de la Wilaya 5* du
10 avril 1962 qui ne laisse aucun doute quant au sort à réserver aux harkis. Le
GPRA* ne diffuse cependant aucun ordre central et les situations ont varié
localement selon les responsables.
À la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, début juillet 1962,
aucun gouvernement réel n’est établi – l’été 1962 est marqué par une guerre
civile ayant pour enjeu l’accès au pouvoir. Dans ce contexte, les enlèvements,
internements et massacres prennent de l’ampleur. Jean-Marie Robert, ancien
sous-préfet d’Akbou (Kabylie), raconte que du 27 juillet au 15 septembre,
« la répression va s’abattre soudainement sans aucune cause locale
particulière. Une cinquantaine d’ex-supplétifs* ou de civils furent tués par
l’ALN dans les villages les plus éloignés. Mais surtout 750 personnes environ
furent arrêtées et regroupées dans trois “centres d’interrogatoires” […]. Dans
ces centres où l’on entendait très loin à la ronde les hurlements des torturés,
près de la moitié des détenus furent exécutés, à raison de cinq à dix chaque
soir » alors qu’avant cette date, l’ALN s’était efforcée de « rassurer les
harkis », laissant entendre que « le passé était totalement oublié » (Rapport
publié dans Les Temps modernes en 2011). Un peu partout sur le territoire,
des tribunaux populaires improvisés à cet effet jugent en effet des harkis.
Leurs familles sont également tuées, lynchées ou torturées.
Dans les camps d’internement*, les harkis connaissent des exactions et
tortures ; d’autres sont envoyés aux travaux de déminage manuel sur
plusieurs zones du territoire, notamment aux frontières du Maroc* et de la
Tunisie*. Selon les rapports du CICR*, des milliers périraient à l’occasion de
ces travaux forcés pendant que d’autres croupissent dans les prisons*.
« Traitement correct par le personnel de l’administration pénitentiaire, mais
au début février 1963, de nombreux harkis ont subi un interrogatoire par la
police*, coups et sévices dont traitement à l’électricité avec fils fixés au nez,
aux oreilles, aux mains, aux organes sexuels, etc. – sévices si violents que les
gardiens ont fini par intervenir et sont parvenus à faire cesser ces séances »,
notent des délégués du CICR.
L’armée française reçoit l’ordre de ne plus intervenir sur le terrain pour
empêcher les exactions ou procéder à des opérations de recherche de harkis.
Charles de Gaulle*, président de la République, estime que toute intervention
militaire risque de relancer les hostilités. L’état-major interarmées en Algérie
diffuse l’information dans une note du 24 août 1962, citée par le général
Meyer. L’installation de la République algérienne avec l’arrivée au pouvoir
d’Ahmed Ben Bella, en septembre 1962, apaise temporairement le climat.
L’accalmie n’est que de courte durée, car les massacres reprennent dès
octobre et s’aggravent au mois de novembre, s’étendant jusqu’au milieu de
l’année suivante. Même si les massacres s’atténuent au 1er semestre 1963, des
assassinats épars ont lieu jusqu’à la libération de tous les prisonniers* harkis,
dont les derniers ne sortent qu’en 1969.
Bien que toutes les archives* françaises et algériennes ne soient pas
ouvertes aux chercheurs, des bilans* extrêmement variés ont été donnés,
allant de quelques milliers à 80 000, par Jean-Charles Jauffret* (Historiens et
géographes, no 373, janvier-février 2001). Ce grand écart est souligné par
Guy Pervillé*, pour qui les massacres de harkis constituent « le plus grand
facteur d’incertitude pour un bilan global » des victimes de la guerre de
décolonisation de l’Algérie (dans sa contribution à Mohammed Harbi et
Benjamin Stora, La Guerre d’Algérie, 1954-2004. La fin de l’amnésie, paru
chez Robert Laffont en 2004). L’évaluation chiffrée n’est qu’un des enjeux
de l’histoire des massacres, qui pose la question des responsabilités des
parties belligérantes, françaises et algériennes.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou, Benoît Falaize et Gilles Manceron (dir.), Les
Harkis. Histoire, mémoire et transmission, L’Atelier, 2010 • Fatima Besnaci-
Lancou, Des harkis envoyés à la mort. Le sort des prisonniers de l’Algérie
indépendante, L’Atelier, 2014 • Général François Meyer, Pour l’honneur…
avec les harkis, de 1958 à nos jours, Tours, CLD, 2005.
HARKIS (MÉMOIRES)
« Les harkis ne sauraient demeurer les oubliés d’une histoire enfouie », a
déclaré Jacques Chirac*, président de la République, dans un discours
prononcé aux Invalides le 25 septembre 2001. Exprimant ainsi une forme de
culpabilité collective envers les harkis, il répondait aux demandes de diverses
associations de harkis agissant au nom du devoir de mémoire qui a émergé
dans les années 1990. Celles-ci marquent un tournant avec une multiplication
des initiatives mémorielles même si, chronologiquement, le sort des harkis a
gagné en visibilité en 1975, avec les révoltes menées par les enfants de harkis
au camp de Bias (Lot-et-Garonne) et de Saint-Maurice-l’Ardoise (Gard).
Dans les années 1990, cependant, l’appui financier des collectivités locales a
permis d’ériger des stèles dédiées aux harkis, notamment au camp de
Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). À l’échelon national, le 5 décembre 2002,
Jacques Chirac a inauguré un mémorial national* pour honorer les « morts
pour la France » durant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc* et de la
Tunisie*, dont font partie les harkis décédés en opérations – c’est le
Mémorial du quai Branly, à Paris, classé « haut lieu de la mémoire
nationale ». Puis, en 2003, une « journée nationale d’hommage aux harkis et
autres membres des formations supplétives » a été instituée le 25 septembre.
Une cérémonie officielle est organisée chaque année aux Invalides à Paris et
dans tous les départements français.
Cette logique de lutte contre l’oubli comprend bien d’autres volets. Ainsi
des témoignages* sont publiés. C’est le cas de deux ouvrages de l’association
Harkis et droits de l’homme (AHDH), en 2006, ou encore d’un ouvrage édité
par le Mémorial du camp de Rivesaltes en 2019, sans compter des
témoignages de descendants publiés directement. Des lieux de transmission
de la mémoire sont aussi créés : la Maison d’histoire et de mémoire d’Ongles
(Mhemo) dans les Alpes-de-Haute-Provence, ouverte en 2008,
spécifiquement dédiée aux harkis, par exemple, et le Mémorial du camp de
Rivesaltes dans les Pyrénées-Orientales, inauguré en 2015, qui consacre un
volet à l’histoire des harkis. L’effort est tout particulier dans le domaine
culturel avec, par exemple, la série de manifestations organisées par l’AHDH
en octobre 2008 à Paris, pendant trois semaines : colloques au Sénat et à
l’Hôtel de ville ; pièces de théâtre* ; expositions de photos aux Invalides et
une autre d’art brut à l’Institut des cultures d’Islam (ICI) ; projections de
films, dont une à la Sorbonne. L’AHDH intervient depuis en milieu scolaire
et universitaire, participe à des formations d’enseignants et développe des
outils pédagogiques avec le concours d’enseignants et d’historiens. D’autres
actions portent sur la préservation des lieux d’inhumation. À titre d’exemple :
l’association Justice, information, réparation (Ajir) a fait rénover des stèles à
la mémoire des enfants décédés dans le camp de Bourg-Lastic (Puy-de-
Dôme) en 1962 tandis que la coordination Harka dans le Gard œuvre pour
l’identification des tombes de personnes décédées dans le camp de Saint-
Maurice-l’Ardoise. En 2022, l’AFP a révélé l’existence d’un cimetière
« illégal, de fortune », que la secrétaire d’État auprès du ministère des
Armées a dénoncé comme une « erreur », un « manquement » de l’État.
Enfin, depuis 2015, des plaques sont disposées sur des lieux de mémoire*,
dont 69 hameaux de forestage identifiés avec l’aide de l’Office national des
forêts (ONF).
Ces politiques mémorielles relevant des pouvoirs publics et de l’action
associative n’épuisent pas cependant la question des mémoires. Celle-ci doit
aussi être appréhendée au plus près du terrain, auprès des acteurs eux-mêmes.
Quelques chercheurs, dont Rossella Spina, se sont penchés sur la question,
notamment au sujet des relations entre les descendants de harkis et ceux
d’immigrés. Dans son ouvrage Enfants de harkis et enfants d’émigrés.
Parcours croisés, identités à recoudre (Karthala, 2012), la sociologue
explore les relations entretenues entre les deux groupes. Si, dans de
nombreux cas, elles apparaissent cordiales voire amicales, Louise Couvelaire,
dans un article du Monde*, « Le combat sans fin des harkis et de leurs
descendants » (23 avril 2019), rapporte que des heurts peuvent perdurer. De
même, des initiatives communes rapprochent enfants de harkis et d’immigrés,
comme, en 1983, la marche « pour l’égalité et contre le racisme ». Laurent
Muller estime que l’événement « a permis aux enfants de ces anciens
ennemis de se rencontrer » (Confluences Méditerranée, no 34). Toumi
Djaïdja, fils de harki qui a transité avec sa famille par le camp de Saint-
Maurice-l’Ardoise (Gard), est une des figures de proue du mouvement. Les
mémoires sont aujourd’hui, outre un motif d’engagement, un objet d’études à
part entière.
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou (dir.), Des vies. 62 enfants de harkis
racontent, Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2010 • Giulia Fabbiano, Hériter 1962.
Harkis et immigrés algériens à l’épreuve des appartenances nationales,
Presses universitaires de Paris-Ouest, 2016 • Laurent Muller, Le Silence des
harkis, L’Harmattan, 1999.
HARKIS (RAPATRIEMENT)
Le 25 septembre 2016, François Hollande* reconnaît « les responsabilités
des gouvernements français dans l’abandon des harkis ». Le terme
« abandon » questionne la politique du rapatriement des harkis en France.
Que s’est-il passé pour que la situation devienne, selon les termes de Chantal
Morelle, « une tragédie pour les harkis et un problème de conscience collectif
dont on cherche à se défausser » ?
La question du sort des harkis, en cas d’indépendance de l’Algérie, est
posée dès la fin 1960. Une étude commandée par le gouvernement français
conclut alors que le rapatriement des harkis n’est « pas envisageable ». Puis
les accords d’Évian*, qui marquent le début du processus de sortie de guerre,
sont signés le 18 mars 1962. Son article 2 stipule que « nul ne pourra faire
l’objet de mesures de police* ou de justice ou d’une discrimination
quelconque en raison d’actes commis à l’occasion des événements survenus
en Algérie avant le scrutin d’autodétermination ». Le 20 mars 1962, un décret
précise les conditions de leur démobilisation. Il est proposé, entre autres, aux
plus jeunes d’entre eux, sous réserve de leur aptitude physique et
intellectuelle, de s’engager dans l’armée. Pour cela, ils doivent quitter
l’Algérie, contraints, dans certains cas, d’abandonner sur place leur famille.
Moins de 1 200 harkis s’engagent alors dans l’armée française et sont
rapatriés. De premiers massacres et enlèvements de harkis sont alors commis.
Le 11 avril 1962, un conseiller d’État, Michel Massenet, remet au
gouvernement une nouvelle étude. Ses conclusions préconisent leur
rapatriement en France et précisent que le gouvernement français dispose de
soixante jours pour les sauver. Louis Joxe*, ministre chargé des Affaires
algériennes, n’en tient pas compte. Il fait savoir à Roger Frey*, ministre de
l’Intérieur, dans une lettre du 24 avril 1962, sa décision de maintenir « en
Algérie même des musulmans engagés à côté des forces de l’ordre. Le retour
de ceux-ci ne devra donc présenter qu’un caractère exceptionnel ». En dépit
des premiers enlèvements et massacres, les instructions confirment la volonté
du gouvernement de maintenir les harkis en Algérie. La question de leur sort
à court terme devient cependant pressante. Début avril 1962, Louis Joxe
demande à Robert Boulin, secrétaire d’État aux Rapatriés, d’établir un plan
de rapatriement. Celui-ci est restrictif : 5 000 harkis au maximum. La liste
précise de ces personnes doit être établie avant le scrutin
d’autodétermination, prévu le 1er juillet 1962, et être accompagnée de
justificatifs prouvant que leur vie est réellement menacée.
Face à ce plan rapatriement en marge de la réalité du terrain, des
officiers* de l’armée française expriment leurs désaccords et commencent à
rassembler des familles de harkis dans des casernes françaises pour organiser
leur transfert en France. Leurs initiatives sont dénoncées, et le 12 mai 1962,
Pierre Messmer*, ministre des Armées, adresse un télégramme incisif aux
officiers de l’armée, dans lequel il menace sans détour de « sanctions
appropriées tous les promoteurs ou complices de ces entreprises… », c’est-à-
dire ceux qui auraient facilité le débarquement en métropole de harkis en
dehors du plan général de rapatriement. Tel est le cas de militaires de la
demi-brigade des fusiliers marins (DBFM) qui créent l’Association amicale
de la demi-brigade de fusiliers marins (AADBFM), le 9 mars 1962, et
collectent des dons en faveur des harkis. Ces officiers contribuent à
l’évacuation de familles de harkis avant l’indépendance proclamée début
juillet. Elles sont les premières arrivées par la voie militaire et installées dans
le camp de transit du Larzac, le 13 juin 1962. Au total, 43 000 harkis et leurs
familles ont quitté l’Algérie avec l’aide de militaires français. Un bilan précis
et plus général du rapatriement est difficile à établir. La méthode la plus
fiable consiste à reprendre les données du recensement de 1968. Celui-ci
estime le total des harkis rapatriés à 140 000 personnes, dont 55 000 civils.
Le terme « harkis » dépasse ici les seuls anciens supplétifs* de l’armée
française. Il inclut également des notables, des fonctionnaires et leurs
familles, susceptibles d’être menacés. Le nombre des demandes de protection
et de rapatriement refusées est évidemment impossible à définir. La
responsabilité d’un rapatriement limité est collective : elle engage les
décisions prises par le général de Gaulle*, chef de l’État, que les ministres
appliquent. La présence massive de « Français musulmans » n’est pas alors
souhaitée en France. À ce sujet, Alain Peyrefitte, secrétaire d’État chargé de
l’information, rapporte dans son journal publié en 1994 des propos du général
de Gaulle tenus lors du Conseil des ministres du 25 juillet 1962 : « Ils [les
musulmans] ne retournent pas dans la terre de leurs pères. Dans leur cas, il ne
saurait s’agir que de réfugiés* ! »
Fatima BESNACI-LANCOU
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou et Houria Delourme, Ils ont dit non à
l’abandon des harkis. Désobéir pour sauver, Villemur-sur-Tarn, Loubatières,
2022 • Chantal Morelle, « Les pouvoirs publics français et le rapatriement des
harkis en 1961-1962 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, no 83, 2004/3
• Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Fayard, 1994.
HONGRIE
La Hongrie prête son concours précieux au FLN* au début de la guerre
de libération par un poste émetteur de Radio Budapest diffusant en langue
arabe La Voix de l’indépendance nationale et de la paix (Saout al-Istiqlal),
installé sur la proposition des communistes maghrébins. Ce poste fonctionne
depuis le 28 mai 1954 et informe amplement les auditeurs des luttes armées
dans les trois pays du Maghreb, notamment les actions armées des
nationalistes tunisiens et marocains, puis celles des Algériens après
novembre 1954, ainsi que les grandes manifestations* de masse qui se
déroulent à l’époque au Maghreb. Il diffuse aussi la proclamation du FLN du
1er Novembre*, quelques jours après son lancement. Sa durée d’émission est
d’une heure trente minutes par jour. Selon le préfet* de Constantine et le
résident général du Maroc*, les émissions sont parfaitement audibles et très
écoutées. L’équipe du poste émetteur, composée des délégués des trois partis
communistes maghrébins, dirigée par William Sportisse*, secrétaire du
PCA*, reçoit des informations à diffuser de la direction du PCF* par
l’intermédiaire de la Légation de Hongrie à Paris. La nuit, l’équipe les traduit
en arabe dialectal pour pouvoir diffuser le matin. Après plusieurs
protestations de Paris puis sous la menace du gouvernement français de
bloquer la candidature de la Hongrie à l’ONU*, les autorités hongroises
décident de supprimer le poste émetteur. Celui-ci cesse toute activité le
26 octobre 1955. L’aide hongroise au FLN s’organise ensuite à partir de
février 1958, et se limite à l’assistance humanitaire (soin des blessés, envoi
de médicaments et de produits alimentaires) et culturelle (bourses d’études
aux jeunes Algériens). La valeur de l’aide totale entre 1958 et 1962 s’élève à
2 800 000 florins hongrois. Dans la presse*, les informations sur la guerre
deviennent quotidiennes : récits des événements, affaire Audin*, reportages
sur les Hongrois déserteurs de la Légion étrangère* et surtout à partir de 1960
sur les répercussions de la guerre en France. La Question (Minuit, 1958)
d’Henri Alleg* est publiée en Hongrie. Le 10 octobre 1960, Ferhat Abbas*,
président du GPRA*, au retour de Moscou, fait une escale à Budapest. Il est
reçu par le vice-Premier ministre avec qui il s’entretient. La visite est
considérée par les deux parties comme une reconnaissance de facto du
GPRA. La reconnaissance de jure vient après la signature des accords
d’Évian*.
László NAGY
Archives : Archives nationales hongroises, XIX-J-1-j Franciaország, 1945-
1964 • Centre des archives d’outre-mer 36 H 1.
Bibl. : László Nagy, « Les relations franco-hongroises à l’époque de la
guerre d’Algérie (1954-1962) », Revue d’histoire diplomatique, no 1, 2003.
HUMANITÉ (L’)
L’Humanité ne partait pas d’une table rase, en 1954. Le journal avait en
permanence informé ses lecteurs des injustices du colonialisme, des
protestations et des luttes, en épousant les évolutions – et souvent les
méandres – du discours communiste sur la question.
En novembre 1954, les premières analyses du journal sont à contre-
courant des réactions majoritaires en France. Apparaît dans ses colonnes un
mot d’une importance décisive : « véritables mesures de guerre »
(3 novembre). L’utilisation de l’aviation contre les populations, les épandages
de napalm sont dénoncés (5, 9 et 10 novembre), tout comme l’usage de
« tortures dignes de la Gestapo » (8 novembre). Les combattants algériens
sont des « patriotes » (2 novembre) qui bénéficient de l’« ardente sympathie
populaire » (10 novembre). Leur identité suscite néanmoins un silence gêné.
Pour de longs mois encore, le FLN* sera le grand oublié du journal. Enfin,
contrairement à bien des idées reçues, le mot « indépendance » (des trois
pays du Maghreb) apparaît également à ce moment (6 novembre), mais ne
s’imposera jamais majoritairement, recouvert massivement par « Paix en
Algérie ».
Dès que la guerre s’amplifia, il devint particulièrement difficile pour
L’Humanité d’obtenir des informations directes : ses relais naturels, les
communistes algériens, étaient en prison* ou plongés dans la clandestinité,
les journalistes venus de Paris (Robert Lambotte, Yves Moreau, Madeleine
Riffaud) étaient presque immédiatement expulsés. Malgré tout, L’Humanité
restera le quotidien (car il y eut également, bien sûr, des hebdomadaires, tel
France Observateur) le plus en pointe dans la dénonciation de la guerre.
Pierre Vidal-Naquet* affirmera plus tard (1986) : « Quelles qu’aient été les
hésitations du Parti, la mollesse dont il a fait preuve, c’est tout de même dans
la presse communiste que l’on trouve l’information la plus continue sur la
répression du mouvement national. » L’Humanité fut l’organe le plus réprimé
de toute la guerre : sur les 316 procès intentés à la presse* de 1955 à 1962,
deux sur trois (209) le visèrent.
Au lendemain des accords d’Évian*, L’Humanité affirma que « la lutte
du peuple français » avait été un facteur de paix. Exagération manifeste. Du
moins une partie de la presse sauva-t-elle l’honneur.
Alain RUSCIO
Bibl. : Christian Delporte, Claire Blandinet, François Robinet, Histoire de la
presse en France, XXe-XXIe siècles, Armand Colin, 2016 • Rosa Moussaoui et
Alain Ruscio (dir.), L’Humanité censuré, 1954-1962. Un quotidien dans la
guerre d’Algérie, Le Cherche Midi, 2012.
INDOCHINE, GUERRE D’
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la « France nouvelle » doit
gérer bien des dossiers. L’un des plus brûlants est le sort de l’Empire, en
particulier celui de l’Indochine, restée continûment vichyste, même après
l’installation du GPRF à Paris. En mars 1945, les Japonais, jusque-là
omniprésents mais respectant les apparences de la souveraineté française,
passent à l’acte et procèdent à un coup de force. Lorsque, quelques mois plus
tard, après Hiroshima (6 août 1945), le Japon capitule, un mouvement
indépendantiste, dit « Vietminh », dirigé par le communiste Ho Chi Minh,
s’empare du pouvoir, la « France nouvelle » est face à un choix : reconquête
de type colonial ou compromis avec ce Vietminh ? La réponse va osciller
durant dix-huit mois, entre contrôle croissant du terrain par le corps
expéditionnaire français, affrontements locaux, et tentatives de négociations
(Ho Chi Minh est même un temps invité officiellement à Paris). Finalement,
l’affrontement armé généralisé embrase le pays (hiver 1946-1947). Acte
initial d’un cycle qui ne s’interrompra qu’avec la signature des accords
d’Évian*, soit dix-sept années plus tard (Indochine, 1946-1954 ; Algérie,
1954-1962).
Les acteurs français – hommes politiques, militaires, intellectuels… –
furent souvent les mêmes, de l’Indochine à l’Algérie.
Chez les politiques, d’abord. De Gaulle* ? Il fut l’homme qui a décidé de
la reconquête de l’Indochine, envoyé là-bas l’amiral d’Argenlieu, soutenu
ensuite celui-ci contre les tentations libérales de Leclerc. Puis, ayant quitté le
pouvoir, il a critiqué la IVe République* pour son « manque d’engagement »
contre Ho Chi Minh… Georges Bidault ? Il a été continûment un belliciste
acharné en Indochine, au point qu’une majorité parlementaire, effrayée par
son jusqu’au-boutisme à Điên Biên Phù, l’avait débarqué en pleine
conférence de Genève pour le remplacer par Mendès*. Son évolution
postérieure vers l’OAS* fut la suite logique d’un cheminement. Pierre
Mendès France ? Sa dénonciation de la guerre d’Indochine, à partir de
l’automne 1950, a été fondée sur la nécessité de replier sur l’Afrique les
forces du pays et de maintenir ainsi son rayonnement international (vieille
tradition française : « Lâchons l’Asie, gardons l’Afrique »). Il n’y a pas eu un
Mendès pacifiste en juillet 1954 (la paix en Indochine) et un Mendès agressif
en novembre suivant (la guerre en Algérie), mais un homme d’État soucieux
de gérer au mieux la présence française outre-mer. Le même raisonnement
s’applique à Mitterrand*, proche des thèses mendésistes à la fin de la guerre
d’Indochine. Quant à Guy Mollet*, qui arrive à Matignon en 1956, il était
secrétaire général de la SFIO* depuis 1946. Sous son autorité, ce parti avait
justifié la guerre d’Indochine au nom de la « défense du monde libre » et
maintenu des ministres au Gouvernement jusqu’en 1951. Il fallait mal
connaître la politique de ce parti en Indochine pour s’étonner de son
engagement belliciste ensuite, en Algérie.
Chez les militaires, ensuite. Il faut avoir en tête le parcours colonial d’un
Salan*, exceptionnellement long et dense, nommé au Tonkin dès 1924 (il a
alors 25 ans) puis, lors de la guerre d’Indochine, chargé des plus hautes
fonctions militaires (dont le commandement en chef adjoint auprès de De
Lattre, enfin le commandement en chef en 1952-1953). Mais aussi Massu*
(au combat dès octobre 1945, avec Leclerc), Vanuxem*, Bigeard*, Allaire,
de Bollardière*, Denoix de Saint-Marc et même les jeunes Schmitt et Le
Pen*, ont tous quelques mois ou quelques années d’Indo quand ils partent en
Algérie, même s’ils n’en ont pas tiré les mêmes enseignements (on pense à de
Bollardière, qui refusa la torture* et devint plus tard non violent). Et que dire
alors des centaines, des milliers de sous-officiers* qui ont parcouru les
rizières bien avant les djebels, au prix de mille souffrances, dont les moindres
ne furent pas celles endurées par les prisonniers du Vietminh, soumis à
un régime d’une exceptionnelle dureté dont une « rééducation* » politique
qui leur inspira l’« action psychologique* » menée en Algérie.
C’est lors du conflit indochinois que fut forgée la doctrine de la guerre
révolutionnaire*, par des officiers* subalternes, partageant une trouble
admiration pour l’emprise du Vietminh sur les populations, assimilée à une
simple technique. Le colonel Charles Lacheroy*, de retour d’Indochine en
1953, est le véritable père de la doctrine. La force de l’ennemi, affirma-t-il,
était dans des « hiérarchies parallèles », directement politiques, permettant de
manipuler les esprits. En 1956, fort de sa réputation, il fut nommé chef du
Service d’action psychologique et d’information de la Défense nationale.
Autre officier de terrain devenu théoricien, le colonel Roger Trinquier*, qui
avait formé des maquis anti-Vietminh sur les arrières de l’ennemi, et qui mit
en place en Algérie le dispositif de protection urbaine* (DPU), quadrillage
méticuleux de la population, assorti de l’usage de la violence immédiate
devant toute tentative de résistance.
Dans le monde intellectuel de gauche, si la guerre d’Indochine n’a pas été
une « guerre des pétitions », comme on l’a dit pour la guerre d’Algérie, elle
n’a pas non plus été un moment de grand silence des intellectuels. Il y eut
plusieurs meetings à la Mutualité, à la salle Wagram ou ailleurs, pas tous,
loin de là, organisés par les communistes, des appels collectifs, etc. Le
recensement des signataires couvre toute l’intelligentsia de gauche de
l’époque : Simone de Beauvoir*, Jacques Berque, Claude Bourdet*, André
Breton, Yves Dechezelles, Jean-Marie Domenach, Jean Dresch, Daniel
Guérin, Charles-André Julien, André Mandouze*, Gilles Martinet*, Louis
Massignon*, Pierre Naville, Jean Rous, Roger Stéphane, Vercors… Noms
qui figureront parmi les pétitionnaires lors de la guerre d’Algérie. Parfois,
comme pour Sartre*, les engagements lors de la guerre d’Algérie ont un peu
masqué, dans la mémoire collective, ceux du conflit précédent. Mais avec une
différence de taille : la dénonciation de la guerre d’Indochine s’est faite dans
l’harmonie avec les communistes, rompue lors de l’intervention soviétique en
Hongrie*. Sartre s’était engagé pour la libération du marin communiste Henri
Martin, réunissant dans un livre de 1953 des intellectuels de renom : Hervé
Bazin, Jean-Marie Domenach, Michel Leiris, Jacques Madaule, Prévert,
Vercors… et un certain Francis Jeanson*, ensuite engagé pour le FLN*.
Il existe aussi des mouvements contradictoires. Paul Rivet et Albert
Bayet, très accusateurs et très actifs encore lors de la guerre d’Indochine,
firent le chemin inverse à propos de l’Algérie. A contrario, François
Mauriac* partagea longtemps la thèse de l’endiguement du communisme en
Indochine, mais s’engagea lors de la guerre d’Algérie, en particulier contre la
torture.
À l’opposé, chez les intellectuels pro-Algérie française, on retrouve des
noms qui avaient soutenu le principe même de la politique française en
Indochine : Paul Claudel, Jules Romains, Thierry Maulnier, Roland Dorgelès,
Henri Massis…
Si la guerre d’Indochine ne fut pas une répétition générale, elle fut bel et
bien un moment clé de la décolonisation tragique, dont le conflit algérien fut
le chant funèbre.
Alain RUSCIO
Bibl. : Michel Bodin, Dictionnaire de la guerre d’Indochine. 1945-1954,
Institut de stratégie comparée/Economica, 2004 • Alain Ruscio (dir.), La
Guerre « française » d’Indochine (1945-1954). Les sources de la
connaissance. Bibliographie, filmographie, documents divers, Les Indes
savantes, 2002 • Benjamin Stora, Imaginaires de guerre. Les images dans les
guerres d’Algérie et du Vietnam, La Découverte, 2004.
INDUSTRIE
En 1830, il n’existe en Algérie qu’un artisanat de laines, cuirs et peaux,
de la poterie, du travail des métaux (dinanderie) et un armement maritime
pour les besoins de la course.
La colonisation, avec ses chemins de fer, gares, routes, ports, magasins,
banques, etc., apporte l’apparence d’une modernité à un pays qui va,
cependant, rester principalement producteur de matières premières
exportables. Cette assignation s’inscrit d’abord dans l’infrastructure. On
destine en priorité les voies de communication à acheminer les produits
primaires (vins, céréales et minerais) vers la mer.
La création de lignes ferroviaires est décidée dès 1857. Une première
ligne Alger-Blida (30 km) est mise en service en 1862. En 1864, une ligne
relie les gisements de fer de Mokta El Hadid au port de Bône, une autre
M’sila à Bordj bou Arreridj pour exporter les phosphates par le port de
Bougie. Alger-Oran (400 km) est ouverte en 1871. Alger-Constantine
(600 km) est achevée en 1886. En tout, il existe 4 396 kilomètres de voies
ferrées en 1954. Le réseau appartient pour 75 % à la Compagnie des chemins
de fer algériens (publique) et 25 % au Paris-Lyon-Marseille (Rothschild). Des
routes asphaltées sont ouvertes et, en 1954, ce réseau atteint
25 000 kilomètres.
Les ports existant en 1830 ne disposent pas de jetées et d’embarcadères
en pierres ni de bassins adaptés au gros tonnage. Les ports historiques (Alger,
Oran, Bougie) sont agrandis. Des travaux sont entamés pour Bône (1855),
puis Philippeville (1860), Nemours (1861), Mostaganem (1890) et Arzew
(1905). Ces ports assurent jusqu’au XXe siècle un cabotage intense. Les
Schiaffino prospèrent d’abord par cette activité. En 1883, un seul bateau au
long cours est inscrit contre 172 caboteurs. En 1930, il y en a respectivement
2 et 125. On enregistre à cette date l’entrée ou la sortie de 33 852 navires
(46 646 000 tonneaux), soit dix fois plus qu’en 1880. En 1930, 8 458 marins
sont inscrits dont 2 431 musulmans. En 1960, l’importance respective des
ports est selon le trafic, en milliers de tonnes, Alger (2 800), Oran (1 200),
Bône (500), Philippeville (500), Mostaganem (340), Bougie (160),
Nemours (155), Arzew (57) et Djidjelli (29).
En 1830, le capitalisme industriel français, bien pourvu en charbon et en
minerai de fer, reste indifférent à la conquête. Mais, dès 1840, la monarchie
de Juillet légifère. Elle considère dorénavant l’Algérie comme une colonie et
il est acquis que la présence française sera durable. L’État se fait même
promoteur de la colonisation. Dès 1849, des concessions minières sont
demandées et attribuées. Il faut attendre, cependant, les années 1900 pour
que, grâce à la réception des voies ferrées et des ports, l’exploitation intéresse
les capitaux et prenne son essor.
Ainsi, découvert en 1873, le phosphate représente 6 000 tonnes en 1893
et déjà 200 000 tonnes en 1900. La découverte de charbon à Kenadsa (1907)
et sa production (300 000 tonnes en 1954) couvrent les besoins de quelques
centrales thermiques (Alger, Bône, Oran). L’exploitation du gisement de fer
le plus important, celui de l’Ouenza, ne commence qu’en 1921. La France
n’ayant pas besoin, à l’époque, d’importer du minerai de fer, la production
algérienne devra être vendue ailleurs, principalement en Grande-Bretagne.
Cet apport de devises est le bienvenu pour le Trésor français. Ces minerais
sont, en général, exportés en l’état brut. En 1954, une quarantaine de mines
sont exploitées : parmi elles, 13 de minerai de fer, 6 de plomb, zinc et cuivre,
2 de phosphate et 1 de houille. Jusqu’en 1954, le pétrole* est quasiment
absent (4 000 m3 en 1950 et 102 300 m3 en 1954).
Les conditions de travail* sont pénibles. On emploie encore des enfants
au fond. En 1930, les services du Gouvernement général* recensent
10 331 employés : 4 144 adultes au fond et 5 408 au jour ; 222 enfants au
fond et 647 au jour. Dans l’ensemble des mines et carrières
(20 858 employés), on enregistre 2 064 accidents du travail et 42 morts.
L’Algérie reste un producteur secondaire. Pour le fer : 500 000 tonnes en
1900, puis 2 millions en 1930 et 2,5 millions en 1950. Pour le phosphate :
300 000 tonnes en 1900, 820 000 en 1930 et 680 000 en 1950. Outre la
houille de Kenadsa, on extrait aussi du zinc (16 000 tonnes en 1950) et du
plomb (14 000 tonnes en 1950).
Les sociétés Ouenza et Mokta El Hadid exploitent le fer. Ouenza (75 %
du minerai) est à capitaux publics ; Mokta est liée aux milieux financiers
parisiens. Le phosphate est exploité par la société privée Phosphates de
Constantine. Parmi les administrateurs, on trouve Henri Borgeaud* et
Laurent Schiaffino*. Depuis 1906, le phosphate est transformé en
superphosphate à Bône par la Société algérienne de produits chimiques
(contrôlée par Mokta).
Les industries manufacturières supposent, quant à elles, la disponibilité
d’énergie. L’absence de grands fleuves réduit les possibilités d’énergie
hydraulique. Le charbon local est insuffisant. En 1954, la production locale
d’énergie (384 700 de tonnes équivalent charbon) ne couvre que 22 % des
besoins. Le reste est importé.
Les stratégies d’investissement des acteurs locaux ou métropolitains sont
pour le moins timides. Les grands colons* placent plutôt leur argent en
métropole. Les industriels français se désintéressent de l’Algérie où les
conditions objectives (énergie, main-d’œuvre qualifiée, etc.) ne sont pas
réunies. Une minorité, ceux qui ont le monopole du débouché algérien
(produits de consommation), ne souhaite pas la naissance d’une industrie
concurrente en Algérie – le gouverneur général Léonard* le dit crûment en
1954 : « L’industrie métropolitaine […] ne désire guère y voir se développer
un équipement qui la priverait de sérieux débouchés. » Quelques-uns ont,
après les guerres successives avec l’Allemagne, envisagé des replis
stratégiques sur l’Algérie (la société alsacienne de Dietrich, se replie à Bône
pour y fabriquer des wagons). La masse musulmane, de par son statut minoré,
reste quasiment exclue de ce champ d’entrepreneuriat.
En 1954, la liste des entreprises industrielles tient sur une page. Elles
n’emploient que 250 000 personnes : 192 000 ouvriers musulmans et 59 000
Européens. L’insuffisance de l’industrie est notoire : durant les deux guerres
mondiales, l’interruption de certaines importations venant de France se
traduit par des pénuries de produits aussi banals que les ficelles, clous et socs
de charrues (1914-1918) ou le savon et les textiles (1939-1945).
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs publics
parisiens commencent à s’intéresser sérieusement au problème de
l’industrialisation. Des plans et des systèmes d’aides publiques sont mis en
place. De 1946 à 1954, plus de 130 entreprises sont créées grâce au soutien
de l’État (20 000 emplois). De petites et moyennes entreprises naissent qui
produisent de faibles tonnages : une batterie de fours Martin et le montage de
wagons à Bône, des laminoirs et une verrerie à Oran, une tréfilerie de métaux
à Alger associée à la fabrication de câbles électriques. À Alger, on fabrique
aussi des emballages de fer-blanc, des cotonnades, des peintures, des vernis,
des encres, et de la soude et du chlore pour les lessives. Il y a, en 1954,
quelque 60 minoteries et 45 fabriques de tabac, dont le célèbre Bastos.
L’industrie des matériaux de construction est fortement présente après 1945.
Les Ciments Lafarge s’installent en 1949, mais le nombre de logements* mis
en chantier reste réduit. En 1954, on a donné seulement 3 457 autorisations
de mises en chantier (9 239 logements). Au final, la part de l’industrie dans le
PIB est de 25 % en 1954. Commencée cette année-là, la guerre alerte
sérieusement le gouvernement de Paris qui entreprend alors une politique
massive d’investissements (infrastructures, logements, industries), connue
sous le nom de « plan de Constantine* » (1958-1961).
Ahmed HENNI
Bibl. : Alain Cotta, « Les perspectives décennales du développement
économique de l’Algérie et le plan de Constantine », Revue économique,
vol. 10, no 6, 1959 • Gouvernement général, série Statistique générale (depuis
1867) suivie de l’Annuaire statistique de l’Algérie, Alger • André Nouschi,
L’Algérie amère, 1914-1994, Maison des sciences de l’homme, 1996.
INSTITUTIONS DE L’ALGÉRIE
En 1848, alors que l’Algérie est sous régime militaire, la Constitution de
la IIe République l’érige en départements. L’organisation de la colonie, dont
la conquête et la soumission sont loin d’être achevées, est alors placée sous le
signe de l’assimilation. Celle-ci est communément comprise comme
signifiant la reproduction des principes valant en métropole. Il n’en est rien. Il
y a à ce sujet un véritable « quiproquo », pour reprendre le mot d’Ageron*
dans son « Que sais-je ? » sur l’Histoire de l’Algérie contemporaine (PUF,
1979) : l’assimilation, dans son acception coloniale, ne concerne que les
migrants venus d’Europe. Elle ne vaut pas pour les « indigènes » que les
stéréotypes culturalistes vouent à une administration par la force. Aussi les
départements n’ont pour assise territoriale que les poches de peuplement
européen. L’immense majorité du territoire et de ses habitants reste
administrée par les Bureaux arabes, que Jacques Frémeaux* n’hésite pas à
qualifier de « régime du sabre ». Les départements et l’administration civile
ne couvrent que très progressivement la partie septentrionale de l’Algérie. La
IIIe République accélère notablement le processus. Le Sud néanmoins reste
voué à l’administration militaire avec l’organisation, en 1902, des
« Territoires du Sud* » englobant le Sahara.
Cette tension entre une assimilation admise pour les seuls Européens et
un particularisme colonial frappant les Algériens de discrimination explique
la complexité des institutions de l’Algérie au moment de la Guerre
d’indépendance. À l’échelon local existent des « communes de plein
exercice » (CPE) et des communes mixtes. Seules les CPE sont dotées d’un
conseil municipal élu et d’un maire*. Historiquement, elles ont été tracées sur
les poches de peuplement européen. La quasi-totalité des Français d’Algérie
vit sous ce régime au moment de la guerre. Au contraire, de très vastes
superficies, les communes mixtes ont été formées sur les espaces de
peuplement « musulmans », selon la taxonomie de l’époque. Elles sont gérées
par un administrateur nommé, assisté d’adjoints et d’une commission
municipale. Environ 5 millions des « musulmans » sur un total de 8 millions
y vivent au moment de la guerre. Au sein des communes mixtes, en outre, des
centres municipaux ont été formés, dotés d’un « président » qui n’est pas un
élu. En 1954, le Dictionnaire des communes recense, pour le seul
département d’Alger, 125 CPE, 24 communes mixtes et 51 centres
municipaux.
À l’échelon départemental, les conseils généraux se rapprochent de leurs
homologues métropolitains. Au sommet de la pyramide, l’Assemblée
algérienne, créée en 1947, est une institution unique en son genre. Sa
composition, son fonctionnement et ses décisions en font un outil au service
de la minorité française. Loin de l’assimilation, enfin, la présence d’un
gouverneur général est caractéristique d’un territoire colonial – au XIXe siècle,
les colons* les plus assimilationnistes en réclamaient la suppression. Sachant
en outre que les élections*, à tous les échelons (communes, conseils
généraux, assemblée algérienne), suivent le principe du double collège*,
minorant la représentation de la majorité algérienne (8,5 millions pour
1 million de Français en 1954), les institutions de l’Algérie ne sont en rien le
décalque de celles de la métropole. Elles reflètent en réalité la structure
profonde de l’Algérie : une colonie de peuplement au sein de laquelle la
suprématie de la minorité coloniale ne tient que par l’infériorisation de la
majorité colonisée.
De ce fait, la réforme des institutions est au programme des
gouvernements français confrontés à la lutte pour l’indépendance. Ils lui
consacrent bien des efforts et des réflexions alors même qu’elle n’a plus
guère de sens. Comme par le passé, les représentants des Français d’Algérie
s’opposent à toute modification les mettant en péril ; ils rejettent en
particulier le collège unique d’électeurs. Le FLN*, de son côté, obtient le
ralliement des élus du second collège avec le Comité des 61 qui, en
septembre 1955, proclame son adhésion à l’« idée nationale algérienne ». Les
élus du second collège sont appelés à démissionner, de façon à faire péricliter
les institutions dans lesquelles ils siègent. L’année 1956, lorsque sont votés
les pouvoirs spéciaux* comportant un important volet réformateur, est
décisive. Cette année-là, les gouvernements dissolvent l’Assemblée
algérienne* et les conseils municipaux ; ces derniers sont remplacés par des
délégations spéciales nommées. Ces dissolutions mettent fin au pouvoir des
élus défenseurs de la minorité française et entérinent la défection des élus du
second collège. Les communes mixtes sont aussi supprimées : elles sont
censées basculer dans le régime communal ordinaire. Concrètement, l’armée,
avec les sections administratives spécialisées* (SAS), prend le relais de
l’administration locale en milieu rural. Le découpage du territoire est par
ailleurs maintes fois revu, afin d’assurer un maillage plus dense de la colonie.
Les départements sont redessinés : après le département de Bône en 1955,
huit autres sont créés en 1956 mais la carte est instable – créations et
suppressions se succèdent dans les années suivantes. Trois régions, enfin,
remplacent les trois départements originels d’Oran, Alger et Constantine.
Elles ont à leur tête un préfet* Igame (inspecteur général de l’administration
en mission extraordinaire). Le collège unique est quant à lui proclamé par de
Gaulle* en 1958, dans son discours que l’expression « Je vous ai compris ! »
a rendu fameux. En 1959 ont lieu les dernières élections municipales en
Algérie mais il est sûr que le destin du pays ne se joue pas au sein des
institutions.
Celles-ci retiennent assez peu l’attention dans l’historiographie de la
guerre tant leur réforme est dénuée d’enjeu dans ce contexte de la lutte pour
l’indépendance. Les connaître est néanmoins fondamental pour au moins
trois raisons. D’une part, elles démentent l’idée d’une départementalisation
synonyme d’assimilation ; bien que constituée de départements, l’Algérie
était une colonie. D’autre part, la réforme de ces institutions a largement
occupé les gouvernements en place et elle explique la chute de plusieurs
d’entre eux, sous la IVe République* ; qu’elle paraisse vaine ne change rien
au fait que les politiques gouvernementales ne peuvent être comprises sans
cet aspect. Enfin et surtout, ces institutions ont leurs conséquences après
l’indépendance. Quels qu’aient été les discriminations de la représentation
politique et les truquages électoraux, l’exercice de fonctions électives au sein
du second collège a contribué à la formation d’élus locaux à même de
prendre les rênes une fois l’indépendance proclamée. À Constantine, note
ainsi Ouanassa Siari Tengour, la municipalité formée le 14 juillet 1962
« reconduit des élus de la municipalité de 1947 ». La vie politique existant au
sein du second collège, conclut l’historienne, a « contribué à modeler les
contours du lien politique et à forger le sentiment national ».
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition
d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la Ve République, Publisud,
2000 • Jacques Frémeaux, Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête,
Denoël, 1993 • Ouanassa Siari Tengour, « La municipalité de Constantine de
1947 à 1962 », Bulletin de l’IHTP, no 83, Répression, contrôle et
encadrement dans le monde colonial au XXe siècle, 2004.
INTERNATIONALISATION
Pour les gouvernements français, la question algérienne est une affaire
purement française, en vertu du principe selon lequel l’Algérie est française
et fait partie du territoire national. Ils s’appuient constamment sur le
chapitre 1, article 2, paragraphe 7 de la Charte des Nations unies*, qui
stipule : « Aucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations
unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la
compétence nationale d’un État ni n’oblige les membres à soumettre des
affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente
Charte. »
Le FLN*, en revanche, recherche dès le début des appuis dans le monde,
destinés à faire reconnaître la légitimité de la lutte du peuple algérien et son
droit à l’indépendance, en présentant l’Algérie comme un sujet de droit
international, et non plus comme une dépendance de la France.
Ces appuis sont trouvés d’abord du côté maghrébin, le déclenchement de
la révolution algérienne se déroulant alors que les combats pour
l’indépendance des voisins tunisiens et marocains sont bien avancés et
aboutissent en mars 1956. Soutenus par leurs opinions publiques, le président
Bourguiba et le roi Mohammed V proclament leur solidarité avec le FLN et
laissent ses militants et ses combattants s’implanter solidement sur leurs
territoires au voisinage de l’Algérie. Par ailleurs, en un moment où le
nationalisme* arabe connaît une vigueur particulière, la révolution algérienne
peut compter sur l’appui de la Ligue arabe*, créée au Caire en 1945, et
renforcée par l’installation au pouvoir de Gamal Abdel Nasser en Égypte*
(mars-octobre 1954), ainsi que par la révolution irakienne de juillet 1958.
Un courant de sympathies plus vaste est représenté par le courant
neutraliste, qui s’organise à partir de la conférence de Bandoeng*
d’avril 1955, dominée par l’Indien Nehru et l’Indonésien Soekarno, avec
l’appui de Chou En-lai, émissaire de la Chine* communiste. Le FLN a
envoyé M’hamed Yazid et Aït Ahmed*, au sein d’une délégation du
Maghreb. Le refus de l’alignement sur un des blocs mais aussi la
dénonciation du colonialisme servent de base à la formation d’un courant
« afro-asiatique » destiné à peser de plus en plus dans les relations
internationales en faveur de la décolonisation.
Les ouvertures des deux blocs sont plus tardives. La bienveillance de
l’URSS* et de ses satellites européens s’affirme surtout à partir de 1956, le
gouvernement soviétique recherchant les sympathies du tiers-monde dans le
cadre d’une « coexistence pacifique » qui est présentée par le premier
secrétaire du PC d’URSS Nikita Khrouchtchev comme une compétition avec
les Occidentaux. Ceux-ci, tout en demeurant solidaires de la France, font très
vite connaître leurs réserves, car ils sont vite convaincus de l’inutilité du
combat que mène leur allié, de son impopularité dans les pays d’Afrique et
d’Asie, et des déséquilibres que le conflit pourrait entraîner, avec tous les
avantages que pourrait en tirer le bloc communiste.
Il faut dire que la théorie française d’une affaire purement intérieure est
plusieurs fois démentie par les faits. L’intervention française à Suez* en
octobre 1956, aux côtés des Britanniques et des Israéliens, qui a pour objet de
renverser le président Nasser, principal soutien du FLN, est à l’origine d’une
crise internationale qui menace de mettre face à face Américains et
Soviétiques. Le bombardement du camp de l’ALN* à Sakiet Sidi Youssef*
(février 1958), en territoire tunisien, suscite la crainte de voir la guerre
s’étendre à l’ensemble du Maghreb. L’intervention de l’armée française
contre la tentative des Tunisiens pour récupérer la base de Bizerte*
(juillet 1961) est également un sujet de tension. Par ailleurs, les essais
nucléaires* de la France au Sahara sont critiqués par les voisins sahariens de
l’Algérie, qui en dénoncent les retombées nocives. Dès sa XIVe session,
l’Assemblée générale de l’ONU* vote une résolution dans laquelle elle
exprime sa « grave préoccupation » et demande à la France de s’abstenir
(20 novembre 1959). Le Nigeria va jusqu’à la rupture des relations
diplomatiques en 1960. Le gouvernement marocain profite de l’émotion pour
soulever de nouveau la question de la souveraineté des provinces sahariennes
dont il revendique la possession.
Le FLN mène une diplomatie très active pour tirer parti de ces divers
éléments favorables. Face au réseau d’ambassades françaises, il accroît son
action à l’extérieur en multipliant les délégations chargées de plaider sa cause
dans un nombre croissant de pays, sous forme de représentations permanentes
et par l’envoi en mission de ses personnalités les plus chevronnées (Abbas*,
Ben Khedda*, Krim*, Francis, Yazid), qui font l’objet de réceptions au plus
haut niveau.
Il se dote avec le GPRA*, officiellement proclamé le 19 septembre 1958,
d’un organe représentatif, reconnu de jure dès 1959 par 17 États, dont 9 États
arabes (Arabie saoudite, Irak, Libye, Maroc*, Tunisie*, République arabe
unie – Égypte-Syrie –, Soudan, Yémen, Liban), 5 États d’Asie, (Nord-
Vietnam, Corée du Nord, Mongolie extérieure, Indonésie, Chine
communiste), 2 États africains (Ghana, Guinée). L’URSS reconnaît de facto
le GPRA en octobre 1960. Les autres reconnaissances (Liberia, Mali, Togo,
Cuba, Pakistan, Yougoslavie*, Chypre, Inde, Cambodge, Afghanistan,
Éthiopie) sont plus tardives (fin 1961 pour la plupart). Pour prouver sa
capacité à engager internationalement l’Algérie, le GPRA fait enregistrer par
le gouvernement suisse le 20 juin 1960 son adhésion aux quatre conventions
de Genève* de 1949 protégeant blessés, prisonniers* et populations civiles en
temps de guerre.
Une action constante est menée auprès de l’ONU, où la question
algérienne est évoquée dès la Xe session (1955) et régulièrement par la suite
(de la XIe à la XVIe session, 1956-1961) avec des appuis croissants, qui
s’expliquent par l’entrée de nouveaux États dans l’organisation, tandis que les
amis de la France se contentent de s’abstenir sur le vote de résolutions
impliquant l’Algérie. Les Algériens sont également représentés lors des
conférences panafricaines inaugurées à l’initiative de Kwame Nkrumah, et
qui amorcent l’évolution destinée à aboutir à la création de l’Organisation de
l’unité africaine (OUA) en 1963 : Accra* en avril 1958, puis Monrovia
(1959) et Casablanca (1961).
La diplomatie française ne peut que freiner ce mouvement irrésistible.
Les députés français refusent la médiation proposée par les Américains et les
Britanniques dans l’affaire de Sakiet. Ils s’efforcent, non sans un certain
succès, d’empêcher les États amis de reconnaître officiellement le GPRA. Les
délégués français à l’ONU réussissent de justesse à empêcher que les
résolutions de l’Assemblée générale relatives à l’Algérie obtiennent les deux
tiers des votes nécessaires pour leur adoption, en vertu du chapitre 4,
article 18, paragraphe 2, de la Charte. Lorsqu’il décide enfin de s’orienter
vers la négociation*, le général de Gaulle* entend voir la France diriger seule
et en toute souveraineté le processus menant à l’autodétermination, puis à
l’indépendance, en repoussant toute médiation autre qu’officieuse, et même
en refusant de reconnaître le « GPRA » (écrit soigneusement à cet effet entre
guillemets). Il proteste d’ailleurs auprès des Soviétiques pour avoir reconnu
de jure le GPRA quelques jours avant la reconnaissance officielle de
l’indépendance par Paris.
Au total, la diplomatie française, en parfaite cohérence avec la politique
suivie en Algérie, s’est épuisée pareillement à ralentir un processus qui
menait à l’apparition d’un État algérien souverain, membre de la société
internationale.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Mohammed Bedjaoui, Une Révolution algérienne à hauteur d’homme,
Riveneuve, 2018 • Matthew Connelly, L’Arme secrète du FLN. Comment de
Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Payot, 2011 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.
ISRAËL
Durant la guerre d’Algérie, l’État d’Israël renforce sa collaboration – déjà
importante – avec la France ; notamment dans le domaine du renseignement
militaire, contre l’Égypte*, mais aussi, à l’échelle algérienne, contre les
groupes indépendantistes. L’État hébreu n’en tira cependant pas avantage, en
termes migratoires. Ayant reçu en 1957 la garantie qu’ils ne verraient pas leur
appartenance collective à la nation française remise en cause en cas
d’indépendance, les Juifs* d’Algérie restent peu sensibles aux appels des
organisations sionistes. Seuls 12 %, sur une population totale évaluée à
140 000 personnes, migrent en Israël entre 1949 et 1965, 10 % pendant la
guerre.
Entre 1948 et 1954, 1 696 personnes font leur alya (soit une moyenne de
282 départs par an). Mais avec le conflit, les flux augmentent. 567 olim sont
enregistrés en 1955, 1 001 en 1956, 915 l’année suivante. Seules 187 et
114 personnes migrent en 1958 et 1959. Cette baisse s’explique par la
limitation des activités de l’Agence juive en Algérie, après l’assassinat de ses
émissaires Yacoov Hassan et de Raphaël Ben Guerra par le FLN*, ainsi que
par l’instauration de la Ve République* et la croyance au maintien de
l’Algérie française. 114 et 228 départs sont enregistrés en 1959 et 1960. Mais
lorsque la société coloniale s’effondre, 4 411 et 3 276 personnes optent pour
l’État hébreu en 1961 et 1962. Après l’indépendance, et les départs massifs
en France, seuls des flux résiduels se dirigent vers Israël. Entre 1963 et 1965,
144 personnes partent d’Algérie.
La faible attraction des Juifs d’Algérie pour Israël s’explique par leur
appartenance au secteur « européen » de la société coloniale, par la protection
sociale que leur offre le statut de rapatrié* en France, comme par les
difficultés d’insertion des populations dites « orientales » en Israël,
réinstallées dans ses espaces périphériques et socialement défavorisés. Par
ailleurs, si aucun lien diplomatique n’est créé entre l’Algérie et Israël après
1962, la collaboration avec la France se relâche sous les coups de la politique
arabe de De Gaulle*, jusqu’à la rupture provoquée par la guerre de 1967.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Joëlle Allouche-Benayoun et Geneviève Dermenjian (dir.), Les Juifs
d’Algérie. Une histoire de ruptures, Aix-en-Provence, Presses universitaires
de Provence, 2015 • Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les Juifs algériens dans la
lutte anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2015.
ITALIE
L’attitude des gouvernements italiens change avec le retour de De
Gaulle* et particulièrement son discours sur l’autodétermination*. À une
position initiale très prudente succède une position plus soucieuse des intérêts
de l’Italie en Méditerranée. À ce moment, avec le centre gauche, se forme
une politique dite « néo-atlantique » qui, faisant converger la Démocratie
chrétienne (DC) et le Parti socialiste italien (PSI), doit permettre leur future
cohabitation au gouvernement. Cette politique tant officielle qu’officieuse
caractérise un pays pris dans des injonctions contradictoires. S’il reste attaché
à l’Europe et à l’Otan, le gouvernement est aussi confronté à une opinion*
qui regarde la lutte des Algériens avec une sympathie croissante, surtout à
partir de la dénonciation de la torture* en 1957. Cette « nouvelle guerre de
libération » leur rappelle directement la Resistenza ou même, pour les plus
cultivés, le Risorgimento.
Le Quai d’Orsay juge la politique italienne équivoque sinon opportuniste.
Pourtant, quand il faut choisir, comme à l’ONU*, le gouvernement italien
donne la priorité à l’axe Otan-Europe-France sur ses intérêts en Méditerranée.
Il faut fortement nuancer la thèse d’une Italie constamment philo-arabe parce
qu’animée par une politique énergétique libre et agressive, sans pour autant
oublier le rôle occulte en la matière d’Enrico Mattei, président de la
principale société d’hydrocarbures : Ente nazionale idrocarburi (ENI). Il est
mort en 1962 dans un accident d’avion dont les circonstances n’ont jamais
été élucidées.
Au-delà, la Guerre d’indépendance algérienne a marqué la société
italienne. Elle a contribué à la naissance de nouvelles cultures politiques
fondamentales pour les « années de la conflictualité » (le long 68 italien).
Importantes, les liaisons idéales et réelles entre FLN* et gauches ainsi
qu’entre OAS* et néofascistes ont inquiété le gouvernement. La gauche, où la
mémoire de la récente lutte antifasciste est vive, a formé des réseaux de
soutien aux Algériens dont les activités, tantôt légales tantôt illégales, ont
perduré ensuite dans le cadre des luttes tiers-mondistes et anti-impérialistes.
Andrea BRAZZODURO
Bibl. : Bruna Bagnato, L’Italia e la guerra d’Algeria (1954-1962), Rubettino,
2012 • Andrea Brazzoduro, « Algeria, Antifascism, and Third Worldism : An
Anticolonial Genealogy of the Western European New Left (Algeria, France,
Italy, 1957-1975) », The Journal of Imperial and Commonwealth History,
vol. 48, no 5, 2020 • Stéphane Mourlane, « La guerre d’Algérie dans les
relations franco-italiennes, 1958-1962 », Guerre mondiales et conflits
contemporaines, no 217, 2005.
JEUNE NATION
Jeune Nation (JN) est un groupuscule fasciste créé en 1950 par les frères
Sidos (dont Jacques et Pierre, condamnés pour collaboration), et que rejoint
Dominique Venner en 1955, lui donnant davantage de dynamisme avec un
recrutement plus étudiant. JN veut un État fort, national et social, sans le
système des partis, « l’éviction totale des métèques » (cité in Rémi Kauffer,
Histoire d’une guerre franco-française, Seuil, 2002, p. 78), et est antisémite
et anticommuniste. À la suite d’une manifestation* houleuse, JN est dissoute
le 15 mai 1958, mais poursuit illégalement ses activités, notamment avec la
publication du journal du même nom à partir du 5 juillet 1958, en référence à
la conquête d’Alger de 1830. JN se fait surtout remarquer par ses tracts et ses
étendards flanqués de la croix celtique, et lors des manifestations auxquelles
elle participe de manière volontiers violente. À Paris, en septembre 1960, une
dizaine de militants de JN, dont Jacques Sidos, assistent au procès du
« réseau Jeanson* », créant des incidents autour du tribunal. Le 14 septembre
1960, deux juges siégeant au procès sont remarqués en pleine discussion
amicale avec Jacques Sidos, ce qui conduit les avocats de la défense à
demander leur récusation. Les juges quittent le procès le lendemain. À Alger,
le mouvement comprend une cinquantaine de militants organisés et dirigés
par Michel Leroy, ingénieur dans l’industrie* pétrolière. Parmi ces militants,
l’étudiant Jean-Marcel Zagamé se fait connaître lors des « barricades
d’Alger » de janvier 1960. Après cet événement, les frères Sidos et
Dominique Venner plongent dans la clandestinité. Jean-Marcel Zagamé
prend quant à lui la tête de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN),
forte de 400 membres, tandis que le lieutenant Claude Cornilleau opère la
liaison entre JN, la FEN et le Front de l’Algérie française* (FAF), créé en
juin 1960. Au moment du « putsch* des généraux », en avril 1961, JN occupe
plusieurs bâtiments publics et libère les meurtriers de l’avocat libéral
Me Popie, assassiné en janvier 1961. Puis les militants plongent dans la
clandestinité pour rejoindre l’OAS*. En métropole, Pierre Sidos participe au
journal pro-OAS proche de JN Vive la France, publié par Louis de
Charbonnières. Celui-ci part en Algérie en janvier 1962. Il y rencontre
Michel Leroy, qui participe à la branche Organisation des masses avec le
colonel Gardes*. Mais Jean-Jacques Susini* accuse Michel Leroy de vouloir
prendre la main sur le Front nationaliste qu’il a créé en juillet 1961, et sur
l’OAS pour l’inféoder aux frères Sidos. Michel Leroy est exécuté en
janvier 1962. JN essaime ensuite différents mouvements, dont Occident,
Europe-Action et L’Œuvre française. Depuis 2013, un site internet porte son
nom, se réclame de son histoire et fait explicitement référence à la mémoire
de la guerre d’Algérie.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Anne-Marie Duranton-Crabol, L’OAS. La peur et la violence, André
Versaille, 2012 • Rémi Kauffer, OAS. Histoire d’une guerre franco-française,
Seuil, 2002.
JUIFS D’ALGÉRIE
Au nombre d’environ 140 000 en 1954, les juifs représentent à peine
1,5 % de la population totale de l’Algérie, mais environ 14 % de sa
population citoyenne de statut civil commun. Dans leur grande majorité, ils
descendent d’« indigènes » faits collectivement citoyens français par le décret
Crémieux de 1870. Accompagnée d’un processus de francisation et
d’ascension sociale, cette intégration au groupe des citoyens est restée
précaire en raison d’un antisémitisme répandu au sein de la population
européenne et des autorités françaises. Déchus de la citoyenneté et
discriminés par le régime de Vichy à partir de 1940, les juifs ont recouvré
l’intégralité de leurs droits en 1943, onze ans avant le déclenchement de
l’insurrection.
En 1954, plusieurs éléments singularisent les juifs par rapport aux
Européens. Même si la religiosité et l’encadrement communautaire tendent à
diminuer, leurs pratiques maritales et leurs sociabilités les lient avant tout à
d’autres juifs. Une proportion importante d’entre eux a pour langue
maternelle l’arabe, et malgré une présence croissante au sein des quartiers
dits « européens », ils sont nombreux à vivre au contact de musulmans dans
les quartiers anciens et dans les villes de l’intérieur. Surreprésentés dans le
commerce, les professions libérales et la fonction publique, ils sont sous-
représentés dans le secteur agricole. Enfin, ils portent majoritairement leurs
suffrages vers les partis de gauche depuis l’époque du Front populaire.
Dans les premiers temps de la guerre, aucun événement ne semble
impliquer des juifs en tant que tels. La situation change en 1956. Au début de
l’année, quelques dizaines d’Algérois fondent le Comité des juifs libéraux.
Plaidant pour un cessez-le-feu, le principe de l’autodétermination et des
négociations* entre gouvernement français et nationalistes, ils se disent
persuadés de représenter l’opinion majoritaire des juifs. D’après les autorités
françaises, surreprésentés parmi la minorité de Français « libéraux », les juifs
se montreraient de fait plus « neutres » ou « attentistes » que les Européens,
et rejetteraient les « ultras » car ils les identifieraient à des fascistes.
Toutefois, rares sont les juifs à participer à la lutte anticoloniale, et les
autorités françaises soulignent sans doute à raison la crainte qu’inspire à la
majorité des juifs la perspective d’un État indépendant dirigé par des
nationalistes.
Encouragé par les prises de position de juifs « libéraux », le FLN* définit
une politique spécifique à l’égard des juifs à partir de l’été 1956. Sa
propagande* les invite à rejeter la nationalité* française, à se revendiquer
Algériens et à se solidariser des musulmans, au nom de leur vécu commun du
racisme* et de leur appartenance ancestrale à une « patrie » commune. Au
même moment toutefois, des violences – rarement revendiquées – visent les
juifs en tant que tels : les commerçants juifs de certaines communes sont
boycottés*, des rabbins, des synagogues ainsi que des lieux de sociabilité
juifs subissent des actions armées. Selon les institutions communautaires, ces
actes spécifiquement antijuifs demeurent peu nombreux et peu meurtriers,
mais ils prennent parfois des formes spectaculaires avec la mise à sac de lieux
religieux lors d’actions de foule en 1960-1961. Ces violences jouent un rôle
dans l’engagement de juifs aux côtés des « ultras » : dès 1956, des groupes de
civils armés participent à des violences antimusulmanes meurtrières ; et
même s’ils demeurent sous-représentés parmi les « ultras », de jeunes juifs
s’engagent dans l’OAS* en 1961-1962 avec des motivations comparables à
celles des Européens.
Les responsables communautaires, regroupés au sein du Comité juif
algérien d’études sociales (CJAES) et de la Fédération des communautés
israélites d’Algérie, sont avant tout préoccupés par la vitalité de la
communauté, comme en témoignent les assises du judaïsme algérien en 1958.
Ils s’expriment toutefois sur la situation politique à partir de la fin 1956.
Déplorant les violences sans identifier leurs causes, leurs auteurs ni leurs
victimes, ils se disent pour la paix, l’égalité et la justice, sans pour autant se
prononcer sur les mesures qui pourraient les garantir. Surtout, ils indiquent
qu’en tant que Français, les juifs ne sauraient mettre en cause les autorités ni
la souveraineté françaises sur l’Algérie. Ces responsables obtiennent en 1961
l’octroi de la citoyenneté aux quelques milliers de juifs des régions du Sud
conquises après 1870 et, dans les derniers mois des négociations entre FLN et
gouvernement français, agissent avec succès auprès des autorités pour que le
sort des juifs ne soit pas dissocié de celui des Européens. Ils affirment alors
en privé au gouvernement français que les juifs se trouveraient en danger à
l’indépendance face aux nationalistes algériens, et semblent encourager les
départs des juifs.
Ces départs obéissent à des facteurs et à une chronologie similaires aux
départs des Européens, en dehors des quelques milliers qui choisissent
Israël*. Quelques milliers d’autres restent en Algérie indépendante, qu’ils
quittent majoritairement à la fin des années 1960.
Pierre-Jean LE FOLL-LUCIANI
Bibl. : Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les Juifs algériens dans la lutte
anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2015.
JUSTICE MILITAIRE
En 1954, la justice militaire se compose de tribunaux permanents des
forces armées (TPFA). Ils ont pour mission de réprimer les soldats
commettant des infractions de droit commun (vol dans des locaux militaires,
blessures et homicides involontaires d’autres soldats, par exemple) ou
spécifiques (désertion, refus d’obéissance, voies de fait sur supérieurs, etc.).
Le commandement peut cependant en rester à des sanctions disciplinaires,
comme des jours d’arrêt. C’est le cas en particulier pour les viols*, en
Algérie, selon Marius Loris qui prend le TPFA de Constantine en exemple.
Jugeant essentiellement des soldats de 2e classe, surtout des soldats
« indigènes » et des étrangers de la Légion, ce TPFA a principalement été
saisi de désertions vers les rangs nationalistes puis vers l’OAS* en 1961-
1962, éventuellement avec emport d’armes. En toute logique avec
l’incorporation du contingent, les jeunes métropolitains sont surtout punis
pour des faits commis au sein de l’armée, des plus graves comme l’homicide
involontaire aux moins sérieux comme le vol, en passant par les outrages et
insultes envers la hiérarchie. Si des peines de mort frappent les déserteurs
rejoignant des groupes armés, les peines de prison* sont aux trois quarts
inférieures à douze mois et de simples amendes répriment les blessures et
homicides involontaires. Les TPFA, complète Tramor Quemeneur, jugent
également les objecteurs de conscience qui écopent de peines en moyenne
très proches du maximum prévu : deux ans. Il en va de même pour les
« soldats du refus* », une quarantaine de communistes à la suite d’Alban
Liechti*. Ces réfractaires* politiques connaissent des trajectoires complexes.
Récidivistes, ils peuvent cumuler les condamnations sans être exemptés du
service qu’ils doivent accomplir après avoir purgé leurs peines. Incarcérés en
métropole ou en Algérie, ils peuvent aussi être envoyés au camp de
Tinfouchy où règne un régime disciplinaire insoutenable.
Cette guerre dote cependant les TPFA d’une mission nouvelle : juger les
partisans de l’indépendance, quels que soient leur degré d’implication et leurs
actes. Autant les indépendantistes du FLN* et du MNA* que les membres du
PCA* et tous ceux qui les soutiennent sont passibles des tribunaux, qu’ils
aient commis des attentats, aidé les maquisards, collecté et transporté des
fonds, caché des militants recherchés, etc. En Algérie, suivant l’état
d’urgence* et les pouvoirs spéciaux*, les TPFA interviennent essentiellement
au stade du jugement et pour les seuls actes qualifiés de crimes (les délits
restent jugés par les tribunaux correctionnels). Des dizaines puis bientôt des
centaines de personnes leur sont déférées chaque mois. À partir de 1960, la
compétence des TPFA est étendue aux délits. Ils jugent alors près de
16 000 personnes jusqu’à la fin de la guerre. En métropole, les TPFA
n’interviennent qu’à partir de 1958 et leur compétence reste cantonnée aux
infractions criminelles. L’ampleur de leur activité reste inconnue. Dans les
deux territoires, cependant, les condamnations à mort* marquent leurs
jugements : ils en prononcent près de 1 500 en Algérie, dont 198 exécutées ;
24 exécutions ont lieu en métropole où le total des peines capitales n’a pas
été calculé. Les articles pionniers de Marc André sur le TPFA de Lyon* et la
prison de Montluc* témoignent cependant que la peine de mort est autant
chargée d’enjeux en métropole qu’en Algérie.
Ainsi, la logique française consistant à nier l’état de guerre et, par
conséquent, à criminaliser les actes des indépendantistes et de leurs soutiens
provoque une mutation profonde de la mission des TPFA, érigés en gardiens
de la nation face à ses ennemis. Au sein du haut commandement, certains en
profitent pour reformuler des revendications anciennes en vue de revenir à
des juridictions expéditives. Les TPFA résultent en effet d’une loi de 1928
qui, à la demande des associations d’anciens combattants de la Première
Guerre mondiale, a offert des garanties aux soldats. Ainsi, les parquets des
TPFA sont dotés d’une magistrature indépendante du commandement, dont
les instructions ne sont pas de rapides enquêtes à charge. Pour les jugements,
les TPFA se composent d’un jury de militaires tirés au sort, à l’image des
jurés d’une cour d’assises et, lorsqu’ils prononcent des peines de mort, celles-
ci ne sont pas immédiatement exécutoires. Le chef de l’État conserve son
droit de grâce. Certains hauts gradés voient cependant dans ces garanties
autant d’entraves à l’efficacité et une dépossession illégitime. Aussi
réclament-ils des réformes pour a minima de l’instruction, rapprocher les
TPFA du commandement sur le terrain et remettre les décisions de grâce à
l’armée. De fait, en 1959-1960, il obtient satisfaction sur les deux premiers
points. En 1959, la décentralisation des TPFA d’Algérie les installe à
l’échelle des zones militaires, au lieu des trois corps d’armée d’Alger, d’Oran
et de Constantine. En 1960, l’instruction des affaires impliquant les
indépendantistes est transformée en une simple enquête confiée à des
procureurs militaires qui sont des magistrats* appelés ou rappelés sous les
drapeaux. Toutefois, dans cette guerre où l’armée empiète sur les attributions
des autorités civiles et s’invite en politique, les gouvernements et chefs de
l’État ne cèdent pas sur le droit de grâce, d’essence régalienne. L’enjeu
devient crucial quand le général de Gaulle*, orientant sa politique vers des
pourparlers, réduit puis cesse les exécutions et affronte les partisans de
l’Algérie française.
À leur égard, les TPFA font rapidement les preuves d’une mansuétude
coupable aux yeux du général de Gaulle. D’emblée méfiant envers les TPFA
d’Algérie, il fait transférer les partisans de l’Algérie française en métropole
mais, en 1960, le procès des barricades, devant le TPFA de Paris, se solde par
douze acquittements sur les quinze accusés présents dans le box. Les laissant
en liberté pendant les audiences, en outre, le TPFA permet à Jean-Jacques
Susini* et Pierre Lagaillarde* de fuir en Espagne où ils fondent l’OAS avec
Salan*. Aussi, après le putsch*, de Gaulle dépossède en grande partie les
TPFA de la répression des partisans de l’Algérie française. Il confie les
affaires les plus sérieuses à des tribunaux créés ad hoc : Haut Tribunal
militaire et tribunal militaire puis Cour militaire de justice ; tous sont
remplacés par la Cour de sûreté de l’État* en 1963. Des militaires, triés sur le
volet pour leur loyalisme, siègent aux côtés de civils au Haut Tribunal
militaire ainsi qu’au tribunal militaire et ils composent en totalité la Cour
militaire de justice. Ces tribunaux d’exception sont à l’aboutissement d’un
long processus de militarisation de la justice, accompagné d’un recul des
garanties pour les justiciables et d’une soumission à des impératifs politiques.
En 1982, François Mitterrand*, qui a connu les TPFA en tant que ministre de
la Justice en 1956-1957, se déleste de ce lourd héritage en les supprimant
définitivement. La rupture est majeure en ce qu’elle sonne le glas de la justice
militaire en France.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Marius Loris Rodionoff, « Crises et reconfigurations de la relation
d’autorité dans l’armée française au défi de la guerre d’Algérie, 1954-1966 »,
thèse sous la dir. de R. Branche, Paris-1, 2018 • Tramor Quemeneur, « Une
guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de
soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir.
de B. Stora, Paris-8, 2007 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les
magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.
K
LAMOURI, COMPLOT
Le complot Lamouri – du nom d’un maquisard de l’Aurès, devenu chef
de cette wilaya en décembre 1957-1958 – est une tentative de renversement
du GPRA* nouvellement créé en septembre 1958.
Les germes du mécontentement s’exacerbent quand, le 13 septembre
1958, les colonels Mohamed Lamouri, Amara Bouglez* et Amar Benaouda,
membres du Commandement opérationnel militaire (COM) de l’Est depuis
avril 1958, sont suspendus de leurs fonctions, au même titre que leur
responsable, le colonel Mohammedi* Saïd, par décision du CCE* réuni
au Caire.
Lamouri et Bouglez sont dégradés et éloignés pour une durée illimitée, le
premier à Djeddah et le second en Irak/Soudan tandis que Mohammedi et
Benaouda sont suspendus de toute activité seulement, le premier pour un
mois et le second pour trois mois.
En fait, l’origine du ressentiment de Lamouri et de nombreux
responsables de l’Aurès est liée à la nomination de Mahmoud Cherif* (2 avril
1957) comme chef de la Wilaya 1*. Le ralliement tardif de cet ancien
officier* de l’armée française au FLN* (1956) est mal accepté par les
pionniers de l’insurrection. Par la suite, les responsabilités attribuées à
Mohammedi Saïd, chef de la Wilaya 3* à la tête du COM et du commandant
Idir sont mises sur le compte des préférences régionales que la rumeur attise.
L’éloignement de Lamouri et Bouglez est vivement ressenti par leurs
compagnons du COM qui ne se privent pas de dénoncer à leur tour « le
racisme* kabyle ». Mieux, ils multiplient les actes d’insubordination comme
le refus de rentrer avec leurs troupes en Algérie, suivant les ordres de
Mohammedi et Krim*. Le colonel Nouaoura exige le retour de Lamouri et le
commandant Aouachria de la base de l’Est abonde dans le même sens,
souhaitant « le jugement de Lamouri par l’ALN* et des explications sur la
liquidation d’Abane* Ramdane.
De son côté, Lamouri rejette l’accusation de « travail fractionnel ».
Au Caire, il rencontre Fathi Al Dib, chef des services secrets égyptiens par
l’entremise de Mostefa Lakehal, un vétéran des commandos* nord-africains
qui a fait ses preuves dans le sillage du commando d’Ali Khodja* en
Wilaya 4*. Il cherche alors à saisir l’opportunité d’éliminer le GPRA. Si le
projet de Lamouri est soutenu par l’Égypte* de Nasser, c’est pour
contrecarrer la volonté du FLN d’agir en toute autonomie.
Fort de la collusion avec le tandem Fethi Dib-Nasser, Lamouri et Mostefa
Lakehal se rendent en Tunisie*. Une réunion a lieu le 12 novembre au Kef en
présence de plusieurs officiers de la Wilaya 1 et de la base de l’Est.
L’intervention de la garde nationale tunisienne alertée par le GPRA met en
échec le putsch* projeté. Elle entraîne l’arrestation de Lamouri et ses
compagnons tout comme celle de nombreux djounoud.
Les conjurés sont internés au camp de Denden (commandé par le colonel
Bencherif*) où ils sont interrogés non sans violence avant d’être déférés
devant le tribunal militaire présidé par Boumediene* assisté d’Ali Mendjeli,
procureur général, et de deux juges, Kaïd Ahmed et le colonel Sadek
(Slimane Dehilès*). Le procès s’ouvre le 20 janvier 1959 et s’achève le
28 février. Treize condamnations sont prononcées : les colonels Lamouri,
Aouachria, Nouaoura et Lakehal sont condamnés à mort et fusillés le
16 mars. Des peines d’emprisonnement assorties de dégradation ont frappé
les neuf autres conjurés.
L’une des conséquences de cette crise se traduit par le transfert du siège
du GPRA du Caire vers Tunis, le FLN désirant se soustraire à toute influence
étrangère. En revanche, la rigueur des condamnations, sans doute pour
l’exemple, envenime le climat de dissidence des troupes stationnées à la
frontière, découragées sinon désenchantées.
Le complot Lamouri met à nu les contradictions qui rongent le FLN.
L’option de la direction collégiale doit faire face aux rivalités des chefs
militaires pour le pouvoir. L’exploitation de la fibre régionaliste est mise à
contribution au mépris de toute stratégie.
Le ralliement d’Ali Hambli à l’armée française en mars 1959 n’est qu’un
exemple de la contestation qui continuera dans les rangs de l’armée des
frontières* ou parmi les maquisards de l’intérieur.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • —, « Le complot Lamouri »,
in Charles-Robert Ageron (dir.), La Guerre d’Algérie et les Algériens,
Armand Colin, 1997 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002.
LÉGION ÉTRANGÈRE
Au déclenchement de l’insurrection, seul le 1er régiment étranger
d’infanterie (REI), en garnison à Sidi-Bel-Abbès, lève un bataillon de marche
aussitôt dépêché dans l’Ouarsenis. L’engagement dans le conflit des autres
unités de la Légion se fait au fur et à mesure du rapatriement d’Indochine*
entre décembre 1954 et avril 1956. De même, les deux régiments du Maroc*
rejoignent l’Algérie entre octobre 1956 et mars 1957. Désormais, jusqu’à la
fin du conflit, toute la Légion – soit 20 000 hommes – est engagée dans
toutes les configurations : opérations de secteur ou de grande envergure,
ratissage et bouclage dans les zones rurales, lutte contre le terrorisme et le
maintien de l’ordre dans les villes. Elle est parfois même impliquée dans les
campagnes dites « de pacification* », sans oublier la protection des récoltes.
Contrairement à une idée reçue, la grande majorité des unités de légion font
partie des troupes statiques de secteur (87 % des effectifs de l’armée française
implantée en Algérie entre 1958 et 1961).
Par ailleurs, le recrutement allemand ne faiblit pas, malgré les déboires de
la guerre d’Indochine marquée par les désertions nombreuses, encouragées et
facilitées par le Vietminh. Ce recrutement suscite une importante opposition
des gouvernements et des opinions publiques de la RDA* et de la RFA*. Les
germanophones représentent 50 % des effectifs jusqu’en 1960. La moyenne
d’âge de ces engagés volontaires – moins de 21 ans – explique le nombre
relativement élevé de déserteurs dans les compagnies d’instruction de Saïda
et de Mascara. Pendant la guerre, les défections individuelles et collectives,
avec ou sans armes, reprennent. Cependant, les ralliements à l’ALN* sont
l’exception : la très grande majorité des légionnaires allemands, autrichiens et
suisses cherchent avant tout à rejoindre leurs pays en ayant souvent recours à
l’aide de l’officine mise en place à Tétouan en 1957 par Winfried Müller,
alias Si Mustapha.
Six des dix régiments étrangers participent activement aux opérations de
contre-guérilla, notamment pendant l’offensive lancée par le général Challe*
entre février 1959 et octobre 1960. Les autres formations complètent le
dispositif des forces affectées à la surveillance des frontières sur les barrages
ouest et est. Les quatre compagnies sahariennes* portées de légion étrangère
(CSPLE) contribuent au contrôle du désert, de la Mauritanie à la Libye dans
la région de Ghadamès. Toutefois, la nomadisation est de règle pour toutes
les formations à l’exception du 1er REI (dépôt et centre de commandement et
d’instruction de la Légion), implanté dans plusieurs villes d’Oranie. Si
nombre de légionnaires sillonnent l’Algérie, d’autres occupent des postes
isolés contrôlant des « quartiers » en s’appuyant sur le concours des
supplétifs* des harkas recrutées sur place, dont les journaux de marche* font
cependant rarement mention.
Mais l’histoire a d’abord retenu le rôle du 1er régiment étranger
parachutiste dans la « bataille d’Alger* » en 1957. Au sein de la 10e division
parachutiste*, ce régiment est en charge de l’un des quatre secteurs de
l’agglomération. La priorité donnée par le général Massu* à la recherche du
renseignement conduit à la pratique de la torture*.
Par ailleurs, le climat politique qui règne dans la capitale algérienne au
cours des journées de mai 1958 puis de la « semaine des barricades* » de
janvier 1960 n’est pas sans effet sur le moral des légionnaires parachutistes*
devenus très populaires auprès des Européens. Les cadres du régiment qui ne
cachent pas leur désaccord avec la politique algérienne du général de Gaulle*
se solidarisent avec leur chef de corps, le colonel Dufour, muté en Allemagne
en décembre 1960. Le malaise tourne à la révolte lorsque trois commandants
de compagnie n’hésitent pas à braver l’autorité en refusant le 7 janvier 1961,
à la veille du référendum* sur l’Algérie, de répondre à l’ordre d’opération en
restant au bivouac. Ainsi s’explique l’engagement du régiment comme fer de
lance du putsch*. De plus, le ralliement du 1er régiment étranger de cavalerie
(REC) et du 2e REP contre le gré de son chef de corps menace l’unité de la
Légion qui échappe – en raison notamment de la diversité des attitudes et du
loyalisme de la très grande majorité des officiers* – à la dissolution envisagée
par le président de la République. Elle sort diminuée de l’épreuve. Malgré un
moral en berne, la solidarité préserve son unité jusqu’à la fin de la guerre.
André-Paul COMOR
Archives : DHPLE, JMO des 1er et 2e REP, des 5 REI et des 2 REC.
Bibl. : André-Paul Comor (dir.), Histoire et dictionnaire de la Légion
étrangère, Bouquins, 2013 • —, « Les officiers de la Légion étrangère et la
tentation politique ? », in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des
femmes en guerre d’Algérie, Autrement, 2003.
LIGUE ARABE
Créée le 22 mars 1945 au Caire, la Ligue arabe suscite beaucoup d’espoir
chez les militants nationalistes maghrébins. Les idées panarabistes défendues
par la Ligue telles que la reconnaissance de la « Nation maghrébine » et
l’intégration des « Arabes d’Afrique du Nord » à « la grande Oumma arabe »
trouvent un écho favorable et enthousiaste chez les dirigeants et les militants
algériens du PPA*, notamment.
Aussi, dès 1945, le PPA délègue Chadli El Mekki au Caire qui participe à
la fondation du Bureau. C’est le début officiel d’un processus politique entre
les Algériens du PPA et les autres pays arabes. Quatre militants vont y jouer
un grand rôle : l’étudiant Belkacem Zeddour, le député Mohamed Khider* et
les anciens chefs de l’Organisation spéciale* (OS), Hocine Aït Ahmed* et
Ahmed Ben Bella*.
En février 1947, le « Bureau du Maghreb arabe » est installé. Le PPA-
MTLD, le Néo-Destour tunisien et l’Istiqlal marocain y siègent. En 1948,
sous l’impulsion de Abdelkrim El Khattabi*, le « Comité de libération du
Maghreb » a pour objectif d’unifier l’action politique et préparer la lutte.
Cependant, les relations entre les Algériens et la Ligue arabe n’ont pas
toujours été aisées. Pour des considérations politiques et d’opportunité, la
Ligue arabe a souvent ménagé la France. Les dissensions, les intérêts
immédiats et la recherche du leadership (arabe) n’ont pas permis de
construire, au sein de la Ligue, une stratégie forte et pérenne mobilisée en
faveur de la décolonisation.
La modération de la Ligue et sa propension à se contenter de faire des
déclarations sont bousculées par l’avènement en 1952 de Gamal Abdel
Nasser au pouvoir en Égypte*. Dans ce contexte, un appel à la rupture des
« relations politiques, économiques et culturelles avec la France » est lancé
par les bureaux du Néo-Destour, de l’Istiqlal et du MTLD.
En conclusion, comme le souligne Samya El Mechat (2012) les relations
entre l’Algérie et la Ligue arabe s’inscrivent dans le diptyque : solidarité
arabe et défense des intérêts propres à chaque pays. Cette stratégie est
modulée constamment par la pression politique et diplomatique exercée par la
France et le soutien réel à l’indépendance de l’Algérie en évitant d’entrer en
conflit avec elle, le souvenir de l’attaque de Suez* planant toujours.
Toutefois, les aides directes et le soutien déclaré des pays (arabes) ont été
décisifs et déterminants pour le FLN* et l’ALN*.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Samya El Mechat, « Les pays arabes et l’indépendance algérienne,
1945-1962 », in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa
Siari Tengour et Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période
coloniale. 1830-1962, La Découverte/Barzakh, 2012 • Gilbert Meynier, « Les
Algériens vus par le pouvoir égyptien pendant la guerre d’Algérie d’après les
mémoires de Fathi al Dib », Cahiers de la Méditerranée, no 41, 1990.
LILLE
En 1947, le statut de l’Algérie, instaurant une relative liberté de
circulation entre l’Algérie et la France, favorise les flux migratoires. La
répartition géographique de l’immigration algérienne épouse la carte
industrielle française. Cette immigration forme un sous-prolétariat
essentiellement constitué de travailleurs précaires et isolés, très actif au sein
du MTLD. En 1952, près de 30 000 Nord-Africains – très majoritairement
algériens – vivent dans le Nord et le Pas-de-Calais. 20 % d’entre eux sont
encartés au MTLD (Jean-René Genty). Dans le détail, le Douaisis fait figure
de place forte du nationalisme*, à l’inverse de l’agglomération lilloise qui
compte le moins d’encartés. Cette disparité s’explique en grande partie par
l’habitat : alors que les mines et les usines métallurgiques, principaux
secteurs de recrutement, disposent d’un habitat favorable au contrôle social,
la ville et ses hôtels-garnis disparates nécessitent un travail politique plus
soutenu (Genty, 1999). La guerre transformera quelque peu la situation de la
capitale des Flandres.
Au moment du congrès d’Hornu (14-16 juillet 1954), la région fait figure
de bastion messaliste et cette caractéristique perdure après le 1er Novembre*.
De fait, c’est l’ensemble de la région du Nord qui se range derrière Messali
Hadj* et intègre son MNA*. Pour ces militants aguerris, l’entrée en guerre se
poursuit sans modification réelle de l’agit-prop et des modalités d’actions
héritées du MTLD. Progressivement, la différenciation entre FLN* et MNA
voit les messalistes se replier dans cette wilaya du Nord où ils sont réprimés.
En 1955, à Lille, le traditionnel défilé du 1er mai est émaillé de violences
policières et d’arrestations de militants, avant la répression meurtrière de la
manifestation* de Douai le 9 octobre 1955. Celle-ci s’inscrit dans un contexte
particulier : vague d’arrestations antimessalistes et débuts de la Fédération de
France* du FLN. Face à cette manifestation douaisienne ouvrière et
nationaliste, les forces de l’ordre font usage de leurs armes : deux
manifestants algériens sont tués par balles. L’implantation progressive du
FLN dans la région piège le MNA dans un sentiment de forteresse assiégée et
son corollaire : la lutte contre « les traîtres », soit ceux qui s’affilient au FLN
ou choisissent la double affiliation. Le MNA cherche à contrôler et encadrer
l’ensemble des ouvriers algériens. Dans cette entreprise de structuration, il
n’hésite pas à recourir à l’intimidation, voire à l’assassinat. En 1955, aux
usines des Asturies, le MNA fait tuer Nebadi Belaïd, délégué syndical de
FO* et intermédiaire entre la direction de l’usine et les ouvriers nord-
africains. Belaïd représentait un frein à l’entreprise politique messaliste
(Genty, 2008). En 1956, le FLN parvient à poser les premiers jalons de son
nidham dans la région. S’il devient prépondérant à Dunkerque et Tourcoing,
il reste très minoritaire à Lille et, ailleurs dans le département, le MNA
domine. 1957 voit une rupture : la Fédération de France du FLN se lance
dans une guerre sans merci qui transforme les quartiers nord-africains de la
région, tel le quartier Saint-Sauveur à Lille, en zone de guérilla* urbaine. La
cour d’assises de Douai, les tribunaux correctionnels du département et le
tribunal militaire de Lille jugent les acteurs de cette guerre dans la guerre
(Deperchin et Lecompte). Des statistiques partielles en donnent l’intensité :
du 1er janvier au 24 mai 1957, 68 attentats sont perpétrés, on dénombre
38 morts et 50 blessés « musulmans », 8 blessés métropolitains. Certains
quartiers de Lille (quartier Saint-Sauveur), de Roubaix (quartier de l’Alma) et
des villes comme Maubeuge, Valenciennes et leurs environs connaissent des
règlements de comptes incessants. Les étudiants* algériens sont quant à eux
très majoritairement rattachés à la section universitaire du FLN, la ville de
Lille étant intégrée à la région Nord-Ouest de l’organisation frontiste.
Le 22 juin 1961, une conférence de presse organisée par des prêtres de
Lille et le Comité de défense des libertés individuelles dénonce cette guerre
civile. Leur mobilisation fait écho aux porteurs de valises* pro-FLN qui
militent le long de la frontière franco-belge. En août 1961, le CNRA* estime
que Lille reste une forteresse messaliste imprenable. Ce constat pèse lourd
dans la décision du FLN de lancer une offensive meurtrière entre novembre et
décembre de la même année. Le Nord reste néanmoins acquis aux messalistes
pour qui l’indépendance a un goût amer. Ville singulière, Lille – et avec elle
l’ensemble du département du Nord – a été le théâtre de la guerre fratricide
entre nationalistes.
Linda AMIRI
Bibl. : Annie Deperchin et Arnaud Lecompte, « Les crimes commis par les
Algériens en métropole devant la cour d’assises du Nord 1954-1962 »,
Histoire de la justice, vol. 16, no 1, 2005 • Jean-René Genty, L’Immigration
algérienne dans le Nord Pas-de-Calais, 1909-1962, L’Harmattan, 1999
• —, Le Mouvement nationaliste algérien dans le Nord (1947-1957), Fidaou
al Djazaïr, L’Harmattan, 2008.
LITTÉRATURE D’EXPRESSION
FRANÇAISE
EN ALGÉRIE
C’est d’abord dans la poésie, orale et écrite, que se dit le vécu de la
guerre, les souffrances, les morts et la certitude de la victoire. C’est
également dans ce genre, dans sa part francophone, que les mots de
l’indicible et du refus sont rassemblés et publiés en anthologie et recueils
individuels (Poèmes algériens. Espoir et parole, poèmes recueillis par Denise
Barrat*, 1963, où l’on lit les mots de la torture* et de la confiance en
l’avenir ; Anna Gréki, Algérie. Capitale Alger, 1963, traduit en arabe).
Des écrivains confirmés comme Mohammed Dib* (Ombre gardienne,
1961) ou Jean Amrouche* portent également le chant d’un peuple.
La guerre a été pressentie dans les textes de réflexion (Amrouche, Jules
Roy*) et dans les romans (Dib, Jean Pélégri, Emmanuel Roblès). Le projet
d’une école littéraire algérienne (les algérianistes) puis d’une communauté
intellectuelle de l’école d’Alger (vers 1935) vient buter sur l’irréductibilité du
colonat et de ceux qui sont contre toute transformation réelle du statut des
« musulmans ». L’exigence de changement, conciliante au départ, se fait de
plus en plus radicale. Les Oliviers de la justice (Pélégri, 1959), Les Hauteurs
de la ville (Roblès, 1948) décrivent un monde en attente de changement ou
déjà bouillonnant alors que Dib (L’Incendie, 1954) annonce un prochain
embrasement et que Mouloud Mammeri* (La Colline oubliée, 1952, ou Le
Sommeil du juste, 1955) décrit les attentes de jeunes intellectuels et évoque
un monde d’une irréductible originalité.
Pourtant, si l’inéluctabilité de la lutte a été souvent annoncée, la guerre
elle-même sera un thème relativement peu abordé entre 1954 et 1962. Dib
(Un été africain, 1959) traite le thème non comme élément référentiel mais
comme cadre d’un drame qui dépasse l’histoire de l’individu. Quant à Kateb*
Yacine (Nedjma, 1956), c’est la fracture de 1945 qui est au cœur de son
écriture. Elle constitue le premier acte de 1954, dont le thème est traité dans
le théâtre* (Le Cadavre encerclé).
Seule l’œuvre de Malek Haddad (La Dernière Impression, 1958 ; Je
t’offrirai une gazelle, 1959 ; L’Élève et la Leçon, 1960 ; Le Quai aux fleurs
ne répond plus, 1961) est entièrement consacrée à la guerre. La Dernière
Impression (1958) relate la nécessité dans laquelle se trouve un ingénieur
algérien formé à l’école française de saboter le pont qu’il a construit. Dans Le
Quai aux fleurs ne répond plus (1961), le narrateur, militant réfugié à Paris,
apprend que sa femme a été tuée avec son amant, un militaire français.
En dehors de ces auteurs, le thème de la guerre n’est pas traité avant
l’indépendance. Il faudra attendre la post-indépendance pour lire des textes
sur la guerre : L’Opium et le Bâton (1965) de Mammeri raconte la fin des
hésitations de l’intellectuel et son inévitable engagement dans la lutte, tandis
que le roman de Dib Qui se souvient de la mer (1962) est un récit onirique.
Le roman d’Assia Djebar Les Enfants du nouveau monde (1962) raconte la
guerre vécue par plusieurs personnages dans une ville d’Algérie. Pour les
femmes*, c’est le chemin de l’émancipation, tel qu’il a été traité par Frantz
Fanon* (« L’Algérie se dévoile », 1959) : Chérifa sort sans voile pour la
première fois pour avertir son mari qu’il est recherché tandis que Touma, la
« traîtresse », décide de disposer de son corps, sans tenir compte des
frontières entre les deux camps. L’autrice choisit de traiter la guerre par les
traumas des femmes : la torture et le silence sur le viol* (Femmes d’Alger
dans leur appartement, 1980) et l’oubli des femmes dans le panthéon des
héros (La Femme sans sépulture, 2002). Un texte retient l’attention : le
Journal, 1955-1962 (1962) de Mouloud Feraoun*, interrompu par
l’assassinat de l’écrivain, constitue un témoignage* sur le vif d’un homme
pris dans la violence, qui raconte le vécu de la guerre.
C’est le cinéma* qui a quelquefois tendance à donner des images d’un
plat réalisme de la violence, à travers un héroïsme sans nuance, alors que le
roman est du côté de la complexité des réactions et des attitudes à travers une
écriture qui se veut à la hauteur de l’exceptionnalité de l’événement
(onirisme, discontinuité du récit, disparate, complexité et multiplicité des
points de vue, etc.). Avec Rachid Boudjedra (La Répudiation, 1969),
l’écrivain se libère de l’obligation d’être un auteur « engagé » dans la lutte de
libération et inaugure la littérature post-indépendance déjà annoncée dans les
récits précédents (1962-1968), dont la thématique s’enracine encore dans la
guerre, qui devient le contexte d’une tragédie qui entraîne l’individu et son
groupe. Ainsi, même si leur engagement politique est certain, les auteurs
algériens refusent donc une écriture « monosémantique ».
Il en est de même pour la plupart des écrivains européens d’Algérie.
Albert Camus*, Pélégri, Roblès, dont l’engagement pour un changement plus
égalitaire entre les deux communautés ne fait aucun doute, ne produiront pas
de grand récit de la guerre. Pourtant leurs articles, reportages dans les
principaux journaux (L’Express, Le Nouvel Observateur…) sur la violence
dans leur pays natal, leurs essais… sont sans ambiguïté.
Roblès, qui dirigeait la collection « Méditerranée » au Seuil, a permis la
publication de plusieurs romanciers algériens de cette époque (Feraoun, Dib,
Kateb…) et édité le journal posthume de son ami Feraoun. Jules Roy, qui a
dénoncé la torture (La Guerre d’Algérie, 1960), avec la saga Les Chevaux du
soleil, commencée à partir de 1967, retrace l’histoire la présence européenne,
depuis le débarquement du corps expéditionnaire français en 1830.
Pour expliquer la composition de l’Anthologie des écrivains maghrébins
d’expression française (1964) qu’il a dirigée et dans laquelle il n’a retenu que
les écrivains algériens et les écrivains européens qui ont opté pour l’Algérie
indépendante, Albert Memmi fait la distinction entre les écrivains de la
révolte (les premiers) et ceux de la séparation (les seconds). Mais cette
différence de posture des auteurs ne peut expliquer le faible traitement de la
guerre dans la fiction qui lui est contemporaine. N’est-il pas plutôt dû à la
proximité des faits et, surtout, aux déchirements qu’ils entraînent ?
Les romans sur l’événement en cours sont écrits par des auteurs qui ne
sont pas d’Algérie, qu’ils soient engagés contre la guerre et la torture ou
venus de la métropole comme acteurs de la guerre, militaires de carrière ou
appelés. Maurice Clavel, dans Le Jardin de Djemila (1958), donne la parole
notamment à celle qui a subi la question et le viol. Georges Buis* (La Grotte,
1961) arrive en Algérie en 1958 comme colonel et raconte une sorte de duel
entre un héros, Enrico, et un ennemi, invisible et qui se cache sous terre. Ce
sont aussi les textes publiés par des déserteurs qui livrent leur choix et leurs
expériences sous une forme romancée : Noël Favrelière*, Le Désert à l’aube
(1960, saisi), Maurienne (Jean-Louis Hurst*, Le Déserteur, 1960, saisi),
Maurice Maschino* (Le Refus, 1960, saisi).
Le thème de la guerre d’Algérie est loin de se tarir tant l’événement
continue à travailler la mémoire (Mohammed Dib, Assia Djebar, Yamina
Mechakra avec La Grotte éclatée, 1979) et la postmémoire* (Laurent
Mauvignier, Mathieu Belezi, Fatima Besnaci-Lancou, Dalila Kerchouche).
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Algérie. Les romans de la guerre, textes choisis et présentés par Guy
Dugas, Omnibus, 2002 • Albert Memmi (dir.), Anthologie des écrivains
maghrébins d’expression française, Présence africaine, 1964 • — (dir.),
Anthologie des écrivains français du Maghreb, Présence africaine, 1969.
LYON
De 1954 à 1962, Lyon est une ville en guerre. En premier lieu, elle est
mobilisée pour l’Algérie française. Ainsi, son maire, Édouard Herriot, répond
à une proposition du mouvement national des élus locaux : parrainer Oran, où
ses parents sont enterrés. Scellé en 1956, ce parrainage permet d’aider et
secourir la ville algérienne. Il se double, en 1959, d’un jumelage entre le
département du Rhône et celui des Oasis. Des usines lyonnaises augmentent
également leur mainmise en Algérie. Berliet ouvre des usines à Rouiba,
Alger, Constantine et Ouargla, fabrique des châssis adaptés au désert et des
« pétroliers roulants » afin de mettre en valeur les richesses découvertes dans
le Sud algérien. À cette action portée par le slogan « L’Algérie c’est la
France » s’en ajoute une plus militaire. Lyon soutient ses jeunes appelés
envoyés en Algérie, par des colis de Noël. Elle accueille aussi leurs
dépouilles et organise des cérémonies collectives lorsqu’ils tombent en
opération. En mars 1958, par exemple, édiles et personnalités se rassemblent
autour d’un soldat « mort pour la France à Sakiet ».
En second lieu, la ville est gagnée directement par la guerre. Depuis
1947, elle accueille une communauté algérienne toujours plus fournie et
familiale si bien qu’en 1962 15 000 hommes et 1 200 femmes y vivent, dans
des « médinas » (Part-Dieu, Guillotière, Croix-Rousse), des bidonvilles
(Gerland), des rues réservées (la rue Mercière), ou dans les poches pauvres de
la ville. À partir de 1954, cette population se politise, intègre les partis
nationalistes (FLN* et MNA*), lance des grèves*, distribue des journaux
militants, entre dans la clandestinité. La municipalité et la préfecture du
Rhône tentent de la contrôler. Par exemple, la mairie soutient la Maison de
l’Afrique du Nord, institution parapublique créée par l’épouse du préfet.
Ceux qui ont recours à ses services (social, médical, travail, accueil et
hébergement) sont étroitement surveillés. La ville est en outre quadrillée par
des services d’assistance technique (SAT) destinés à exercer un contrôle
capillaire sur les Algériens.
La société est alors profondément divisée. La communauté algérienne,
d’abord : les deux partis nationalistes ont fait de Lyon leur QG pour le Sud-
Est et y prélèvent l’impôt révolutionnaire. La guerre* entre le MNA et le
FLN double celle que le FLN livre à la France en s’en prenant à la police* et
aux infrastructures économiques, notamment à l’automne 1958. La lutte
FLN-MNA, l’une des plus sanglantes et durables, se solde à Lyon par des
centaines de morts. Aux assassinats entrepris par le groupe de choc FLN des
« étrangleurs de la Doua » (Villeurbanne) en 1958 répond ainsi le massacre
de huit frontistes par un groupe messaliste en 1959, qualifié à l’époque de
« Saint-Barthélémy villeurbannaise ». Le MNA, tôt mis en minorité, se
regroupe autour de quelques foyers-garnis érigés en forteresses, formant une
sorte d’archipel, dont le 69 rue Mazenod est le plus célèbre. Une autre
division traverse la population lyonnaise. Les irréductibles de l’Algérie
française s’organisent à travers l’association des combattants de l’Union
française par exemple. Certains vont jusqu’à intégrer l’OAS* fin 1961 et
lancent une série d’attentats. En face, une part de plus en plus massive de la
population soutient la cause algérienne (manifestation* pour la paix le
27 octobre 1957, anti-OAS début décembre 1961). Certains (étudiants*
notamment) entrent dans des réseaux clandestins. Une des particularités
lyonnaises semble être l’action efficace de nombreux prêtres dont ceux du
Prado* soutenus par le cardinal Gerlier. Face à la guerre FLN-MNA, aux
attentats et aux réseaux clandestins, une intense répression policière et
judiciaire se déploie : le tribunal correctionnel examine 25 cas d’atteinte à
l’intégrité du territoire national en 1956, 367 en 1958, 234 en 1960, et le
tribunal militaire de Lyon est l’un des plus durs de métropole. Onze
exécutions capitales, décidées en dernier ressort par le chef de l’État, ont eu
lieu à Lyon, chiffre sans équivalent ailleurs en France.
Avec l’indépendance, Lyon doit intégrer 25 000 rapatriés* d’Algérie.
Forte de cet accueil, elle est le siège de trois congrès annuels de l’Association
nationale des Français d’Afrique du Nord et d’Outre-Mer et de leurs amis
(Anfanoma). La guerre laisse des traces dans de multiples mémoires
douloureuses qui rejaillissent régulièrement depuis le rapatriement du
monument aux morts* d’Oran installé à la Duchère jusqu’aux conflits
mémoriels autour du Mémorial de Montluc*.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Marc André, Femmes dévoilées. Des Algériennes en France à l’heure
de la décolonisation, Lyon, ENS Éditions, 2016 • Paul-Marie Atger, « Le
mouvement national algérien à Lyon. Vie, mort et renaissance pendant la
guerre d’Algérie », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 104, no 4, 2009 •
Béatrice Dubell, Marianne Thivend et Arthur Grojean (dir.), Récits
d’engagement. Des Lyonnais auprès des Algériens en guerre, 1954-1962,
Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012.
M
MAGISTRATS
Les magistrats sont massivement impliqués dans la guerre, en Algérie
comme en métropole. Non seulement ils participent à la répression des
nationalistes mais ils sont mobilisés pour exercer des fonctions nouvelles.
Avec l’état d’urgence* puis les pouvoirs spéciaux, en effet, les
gouvernements français organisent la traduction en justice des partisans de
l’indépendance, pour « atteinte à la sûreté de l’État », « association de
malfaiteurs », « assassinat », « détention d’armes et de munitions de
guerre », etc. En Algérie, de 1955 à 1960, les magistrats instruisent les
affaires, siègent dans les tribunaux correctionnels qui jugent les actes
qualifiés de « délits » tandis que les « crimes » sont jugés par les tribunaux
permanents des formes armées (TPFA). À partir de 1960, les juges
d’instruction sont remplacés par des procureurs militaires et les TPFA jugent
toutes les affaires. Ces procureurs militaires sont des magistrats appelés ou
rappelés sous les drapeaux. Les magistrats président par ailleurs les TPFA qui
se composent de militaires. En métropole, la répression reprend le principe
d’une instruction menée dans les parquets, suivie d’une traduction devant les
tribunaux correctionnels en cas de « délit ». En cas de « crimes », les cours
d’assises restent compétentes jusqu’en 1958, puis les TPFA les remplacent.
Dans la colonie, la justice est acquise à la défense de l’Algérie française.
Les magistrats en sont natifs pour l’essentiel (57 % dans la justice pénale,
43 % dans les justices de paix, en 1957). Ils occupent en outre les plus hautes
fonctions : procureur général et avocat général d’Alger, procureurs et
substituts, présidents et vice-présidents. Ces hommes jouent leurs destins
personnels dans l’instruction et les procès. Les natifs de métropole sont
évidemment moins touchés personnellement mais, « phagocytés » par le
milieu colonial, pour reprendre le mot de l’un d’eux, s’étant parfois mariés
sur place et installés depuis plusieurs années, ils adhèrent aussi à l’Algérie
française. Signe de ce parti pris : Paul Susini, procureur général d’Alger en
1954, refuse de réprouver la torture*. Au contraire, son successeur, envoyé de
métropole, Jean Reliquet, en poste de 1956 à 1958, se fait remarquer par son
attachement aux prérogatives de la justice et son indépendance à l’égard de
l’armée comme du pouvoir politique. Il s’élève contre les arrestations
effectuées par les parachutistes* à Alger en 1957 et préconise la sanction des
tortionnaires. Accusé de faire le jeu de l’adversaire, il souffre alors de
relations exécrables tant avec Massu* qu’avec Lacoste*. Reliquet adhère
pourtant sans réserve à la lutte contre les nationalistes. En 1958 lui succède
André Rocca, dont le fils est un fidèle de Michel Debré*, qui s’illustre par ses
positions pro-Algérie française. Au fait des blocages locaux, Edmond
Michelet*, ministre de la Justice en 1959-1961, fait transférer en métropole
plusieurs plaintes déposées en Algérie par des victimes de la torture.
Les penchants de ce personnel judiciaire gagnent en visibilité dans les
deux dernières années de la guerre, lorsque les partisans de l’Algérie
française se mobilisent contre la politique gaulliste et tombent à leur tour sous
le coup de la loi. En 1960, pour cette raison, André Rocca est remplacé par
Robert Schmelk, qui est un homme de confiance pour le pouvoir gaulliste ; il
arrive directement du ministère de la Justice. Il est d’ailleurs arrêté lors du
putsch* de 1961, lequel aboutit à seize sanctions parmi les magistrats
d’Algérie. Face à l’OAS*, ensuite, des métropolitains dignes de confiance
sont nommés en Algérie, de la même façon qu’un détachement de police*
judiciaire (la mission C) est envoyé de métropole.
Celle-ci est le siège d’une évolution majeure. Après la Seconde Guerre
mondiale, en effet, a été formée la première organisation professionnelle
importante, d’essence corporatiste, l’Union fédérale des magistrats (UFM).
Tentés par la transformation de l’UFM en syndicat, ses membres prônent une
conception nouvelle du rôle du juge dans la société, centrée sur la défense des
libertés et l’affranchissement du pouvoir politique. Ils souhaitent notamment
la création d’une école de la magistrature, qui aboutit avec le Centre national
des études judiciaires (CNEJ), en 1959. En 1968, la naissance du Syndicat de
la magistrature résulte de multiples transformations de la profession
(modifications sociologiques, avec l’élargissement de l’assise sociale du
recrutement des magistrats, formation d’une identité professionnelle
nouvelle…). La conjoncture de la Guerre d’indépendance algérienne s’y
ajoute cependant. Pour nombre de premiers adhérents du Syndicat de la
magistrature, elle a occasionné une crise de conscience décisive dans leur
engagement.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Joël Ficet, « Regard sur la naissance d’un militantisme identitaire :
syndicalisme judiciaire, identités professionnelles et rapport au politique dans
la magistrature française, 1945-1986 », Droit et société, no 73, 2009 • Sylvie
Thénault, Une drôle de justice, les magistrats dans la guerre d’Algérie,
La Découverte, 2001.
MAIRES (ALGÉRIE)
L’inégalité qui régit la vie politique en Algérie fait des maires les
représentants des intérêts de la minorité française. L’organisation communale
distingue en effet les communes mixtes, confiées à des administrateurs
nommés, et les « communes de plein exercice » (CPE) dotées d’un conseil
municipal et d’un maire, comme en métropole. Les CPE ont été formées sur
des secteurs de peuplement européen. Officiellement, au moment de la
guerre, elles comptent 934 487 Français d’Algérie (soit la quasi-totalité) et
seulement 3 189 908 « musulmans » (sur un total de 8 millions). Ainsi la
majorité des « musulmans » vit dans les communes mixtes, sans
représentation élective. Dans les CPE, en outre, leur représentation est
minorée par le double collège* électoral. Le premier collège, correspondant
en très grande majorité aux Français d’Algérie, dispose de trois cinquièmes
des sièges. Il contrôle ainsi la désignation du maire.
Les maires sont organisés en trois associations départementales,
chapeautées par une association centrale à l’échelle de la colonie. À travers
elles, ils s’engagent particulièrement contre tout projet de réforme politique.
Dans l’entre-deux-guerres, ils mènent une campagne virulente contre le projet
Blum-Viollette qui prévoit l’extension des droits civiques des « musulmans »
(une vingtaine de milliers d’entre eux auraient pu accéder au premier collège
d’électeurs). Après la Seconde Guerre mondiale, Amédée Froger* donne une
impulsion nouvelle à la Fédération des maires d’Algérie (aussi appelée
« Interfédération »). Elle fournit « un cadre, un lien, une voix aux maires
épars sur notre territoire », clame-t-il. Il se fait en outre élire vice-président de
l’Association des maires de France en 1948. Ainsi il affirme le rattachement
de l’Algérie à la France et au-delà. La Fédération se fait représenter au
Conseil des communes d’Europe en 1953 et 1954 et elle diffuse son
magazine dans les deux protectorats voisins (Maroc*, Tunisie*).
Tous les maires ne s’y reconnaissent pas cependant. Membre de
l’association, Jacques Chevallier*, le maire libéral d’Alger, y représente un
courant minoritaire. Après une crise interne en 1955, qui conduit à
l’élimination de toute contestation, la Fédération des maires est à la pointe
des mobilisations contre la politique de Guy Mollet*, en particulier le
6 février 1956, lors de la fameuse « journée des tomates* ». Elle menace de
fermer les mairies pour faire pression sur le pouvoir. En 1960 encore, au
moment des barricades, la Fédération des maires du département d’Alger
adopte une motion menaçante pour le pouvoir : « Il faut qu’il sache que la
volonté du peuple d’Algérie est de rester français, et qu’il l’exprimera par
tous les moyens, même en prenant les armes s’il le faut », dit-elle à
de Gaulle*, selon Le Monde* de l’époque.
Vu ce bras de fer, l’un des enjeux des réformes pendant la guerre est de
battre en brèche le pouvoir de ces élus locaux arc-boutés sur le statu quo
colonial. Progressivement, les conseils municipaux sont dissous et remplacés
par des « délégations spéciales » aux prérogatives limitées à la gestion des
affaires courantes, dans l’attente de nouvelles élections*. Parallèlement, les
communes mixtes gérées par un administrateur nommé sont aussi
supprimées. Un objectif guide l’ensemble des mesures adoptées : réorganiser
les communes et les doter d’instances plus représentatives. Les élections
doivent se faire au collège unique et les conseils municipaux ne doivent plus
réserver qu’un nombre minimal de sièges aux représentants des Français de
l’ex-premier collège – ce nombre minimum est conçu pour pérenniser la
suprématie de la minorité européenne. Contre l’indépendance, il s’agit aussi
de faire émerger des élus « musulmans » à même de soutenir un maintien de
la France en Algérie sous une forme rénovée. Comme tout projet de réforme
de l’Algérie française dans le but de la sauvegarder, le projet ne tient pas
compte des aspirations algériennes à la souveraineté nationale. Le FLN*,
pour sa part, organise le boycott* des institutions* coloniales, sous peine de
représailles envers les récalcitrants. Les élus en fonction au début de la guerre
doivent démissionner et, sauf adoubement du FLN local, la participation aux
délégations spéciales est interdite.
Finalement, un scrutin municipal est organisé en 1959. En 1960, selon
Hartmut Elsenhans, l’Algérie compte 12 104 conseillers municipaux
« autochtones » contre 2 187 « européens ». L’origine des maires est aussi
modifiée : 650 d’entre eux sur 1 200 sont désormais « musulmans ». Ainsi un
personnel politique local, apte à jouer un rôle après l’indépendance, se forme
malgré tout. Concrètement, cependant, les maires ont largement perdu en
pouvoir. En milieu rural, où vivent les trois quarts des Algériens, les SAS*
ont pris les rênes de l’administration locale.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Claude Collot, Les Institutions de l’Algérie à la période coloniale,
OPU-CNRS, 1987 • Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La
transition d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la Ve République,
Publisud, 2000.
MAIREY, RAPPORT
Haut fonctionnaire, directeur de la Sûreté nationale de 1954 à 1957, Jean
Mairey n’est pas issu des rangs policiers. Pierre Vidal-Naquet* souligne sa
formation en histoire (il est agrégé), son passé résistant et son appartenance à
la SFIO* pour comprendre la tonalité critique de ses rapports, rendus aux
gouvernements. Dans son premier rapport, le 20 mars 1955, non publié par
Vidal-Naquet mais conservé dans les archives*, il qualifie le rapport de
l’inspecteur général Wuillaume* de « document ahurissant », qui préconise
de légaliser certains supplices. Au contraire, ayant insisté pour que le
procureur d’Alger reconnaisse « la nécessité de condamner formellement
toute espèce de pratique semblable », Mairey cherche des solutions pour
ramener à la règle la police* d’Algérie.
Le 13 décembre 1955, constatant non seulement que la torture* y est
toujours répandue mais que « l’exécution sommaire* n’effraye pas nos
collègues », son deuxième rapport envisage des mutations réciproques entre
Algérie et métropole. Il faudrait, écrit-il, implanter en Algérie « deux cents
commissaires et inspecteurs métropolitains, destinés à remplacer un nombre
égal de fonctionnaires qui seraient ramenés en France ». Tout concluant que
« l’expérience vaut d’être tentée », il en énumère les difficultés : trouver, en
métropole, des candidats au départ en Algérie ; assurer, dans l’autre sens,
l’intégration des fonctionnaires mutés d’Algérie, sachant que, « choisis parmi
les plus suspects de se livrer à des actes répréhensibles », ils risquent d’être
« mal accueillis » et de contaminer leurs collègues. Rendu peu après, le
2 janvier 1957, son troisième rapport dresse un bilan pessimiste de l’année
écoulée.
Informateur de Vidal-Naquet, Mairey quitte ses fonctions sur un constat
d’échec. Il a néanmoins livré à la postérité une documentation précieuse pour
la connaissance des pratiques policières en Algérie, avant que l’armée n’y
exerce à son tour. « Des policiers continuèrent en effet à torturer jusqu’en
1962 mais déjà leur tâche était, progressivement, reprise en charge par une
autre force : l’armée de la République », conclut Vidal-Naquet de son analyse
conjointe des rapports Wuillaume et Mairey dans La Torture dans la
République.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État, Minuit, 1962 • —, La Torture
dans la République, Minuit, 1972 • —, Mémoires, t. II, Le trouble et la
lumière, 1955-1998, Seuil-La Découverte, 1998.
MANIFESTATION DE POLICIERS
(13 MARS 1958)
L’historiographie retient généralement le 13 mai 1958* comme le point
de départ du renversement, en à peine trois semaines, de la IVe République*.
Le « coup d’État d’Alger », favorisé, voire impulsé, par une partie de la
hiérarchie militaire, avait pourtant été précédé, deux mois auparavant, par une
autre démonstration antiparlementariste à l’initiative des forces de l’ordre.
Depuis fin 1957, des policiers parisiens sont attaqués par des commandos
de nationalistes algériens. Une première victime tombe le 11 février 1958,
suscitant une vive émotion et diverses mobilisations dans la profession. Le
13 mars 1958, à l’issue d’un rassemblement houleux où se mêlent
revendications corporatistes et sécuritaires, plusieurs milliers d’agents de la
préfecture de police* se dirigent vers le palais Bourbon devant lequel les
députés sont copieusement injuriés et le régime vilipendé. Quelques
parlementaires, dont Jean-Marie Le Pen*, viennent à leur rencontre afin
d’attiser les braises de ce mouvement potentiellement insurrectionnel. Le
leader syndical des gardiens de la paix parisiens, François Rouve, un
sympathisant communiste, réussit cependant à canaliser la colère et à éviter
que l’Assemblée nationale ne soit investie.
Le rassemblement originel, dans la cour de la préfecture, a donc tourné à
la manifestation interdite et au charivari. Le préfet de police récemment
nommé, André Lahilonne, est démis de ses fonctions. Les autorités de la
IVe République souhaitent un « homme de poigne » à ce poste. C’est dans ce
contexte que Maurice Papon* est rappelé de Constantine où il était Igame.
Des policiers continuent cependant d’œuvrer contre le gouvernement et, les
semaines suivantes, la propagande* gaulliste s’exerce ouvertement dans
certains services. Alors que les autorités pensent avoir ramené le calme, elles
ont perdu le soutien des forces de l’ordre. Ainsi, le 29 mai 1958, quand la
cour du palais Bourbon est envahie par des centaines de manifestants des
comités de salut public de la région parisienne, des parlementaires interloqués
et demandant le soutien d’agents de la préfecture de police se virent
rétorquer : « Circulez plus vite que ça. On vous a assez vus ! »
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens, Nouveau
Monde, 2011 • —, « Quand les forces de l’ordre défient le palais Bourbon
(13 mars 1958) », Genèses, no 83, 2011 • Merry Bromberger, Serge
Bromberger, Les Treize Complots du 13 Mai ou la délivrance de Gulliver,
Fayard, 1969.
MANIFESTATIONS (FRANCE)
Les manifestations au cours desquelles les forces de l’ordre se sont
illustrées par un niveau de violence conduisant à de véritables massacres
d’État sont celles qui ont marqué les mémoires. Ne retenir que le 17 octobre
1961* ou le 8 février 1962* comme exemples du rôle joué par « la rue » en
métropole conduit cependant à minorer l’action menée par des Algériens
avant que le FLN* ne domine l’immigration, ainsi qu’à oublier que toutes les
manifestations ne furent pas interdites.
À Paris, dès le 14 juillet 1953, les balles de la police* ciblèrent les
partisans de la cause algérienne : six militants du MTLD et un métallo CGT*
furent tués place de la Nation où se dispersait le cortège organisé par le
Mouvement de la paix, largement investi, en queue de manifestation, par les
messalistes. Ces victimes « tuées aussi par un racisme* qui n’ose pas dire son
nom » (Albert Camus*, Le Monde, 20 juillet 1953) furent présentées comme
des coupables. La justice enquêta sur « des violences à agents » et l’ensemble
du mouvement ouvrier fut frappé : jusqu’en 1967, à Paris, il n’y eut plus de
défilé militant autorisé l’après-midi de la fête nationale. Les Algériens ne
cessèrent cependant pas de se mobiliser, notamment contre les violences
policières (« l’émeute de la Goutte d’Or », le 30 juillet 1955), et les
manifestants messalistes continuèrent de payer un lourd tribut (deux morts à
Douai en octobre 1955). Jusqu’en 1957, ils réussirent à organiser des défilés
imposants, en particulier contre l’adoption des pouvoirs spéciaux*
(mars 1956). Le FLN, structuré par la clandestinité et concentré sur la
collecte de l’impôt révolutionnaire, demeura très réticent à ces actions
collectives par trop associées à un mouvement ouvrier dont il se défiait.
Il est vrai que ce dernier demeura timide dans sa contestation de la guerre
menée en Algérie. Elle n’eut jamais la force de celle menée contre la guerre
d’Indochine* (grève* des dockers*, campagnes pour la libération d’Henri
Martin ou de Raymonde Dien…). La rue fut d’abord investie par des
(r)appelés, dès septembre 1955. Ces rassemblements, destinés à retarder les
convois, concernèrent avant tout les premiers intéressés. L’Humanité*, voire
l’UJRF (l’Union de la jeunesse républicaine de France qui retrouve son
appellation de Jeunesse communiste en 1956) ou le PCF*, pouvaient les
soutenir, mais la tonalité de ces mouvements fut également donnée par des
militants chrétiens. Dans les années suivantes, ces derniers furent centraux
dans les rassemblements de l’Action civique non violente (ACNV) qui, à leur
acmé (1 500 personnes, place Beauvau, le 28 mai 1960), agglomérèrent de
nombreux « minoritaires » qui ne se retrouvaient pas dans le seul slogan
« Paix en Algérie », d’ailleurs scandé dans peu de manifestations.
La principale mobilisation, regroupant diverses composantes d’une
gauche de plus en plus fractionnée, déboucha sur les défilés de « vigilance
républicaine » du 28 mai 1958, journée qui ne concernait qu’incidemment la
question du statut des départements algériens : la défense de la République
contre les factieux, réels ou supposés, dans le contexte du 13 mai 1958*,
constitua un motif important de protestation dans les années suivantes. Elle
permit de faire primer les solidarités « antifascistes » sur les divisions que
continuaient de susciter le devenir de l’Algérie et, plus encore, la nature du
FLN. Après la chute de la IVe République*, il fallut cependant attendre près
de deux ans et demi, dans le sillage du « procès Jeanson* » et du
« Manifeste* des 121 », pour que la rue soit à nouveau investie massivement
(27 octobre 1960), mais en ordre dispersé. L’Unef* et le PSU*, rejoints par
de nombreuses formations, organisèrent un meeting à la Mutualité, suivi d’un
défilé dans les rues de Paris, tandis que la CGT mobilisait localement avec
près de quarante cortèges pour la seule région parisienne. La fracture entre
une « gauche respectueuse » (Marcel Péju, Les Temps modernes, juin 1960)
et des militants se voulant plus « insoumis » semble alors béante. Ainsi, seuls
ces derniers (Comité pour la paix en Algérie du quartier Seine-Buci, comité
Audin*, PSU…) défilèrent afin de dénoncer les « ratonnades* »
d’octobre 1961.
Investir le pavé parisien avait un prix, celui de braver la répression menée
au nom de la proscription des rassemblements « contre la répression en
Algérie ». En province, les interdictions furent cependant plus rares : depuis
un décret-loi de 1935, les organisateurs n’y étaient pas soumis à l’obligation
de déclaration préalable. Les rassemblements de l’ACNV* purent ainsi réunir
jusqu’à quelques centaines de personnes sans interventions violentes des
forces de l’ordre. Dans la capitale, le regain militant des années 1960-1961
s’accompagna d’une élévation du niveau de la répression : la journée d’action
du 19 décembre 1961 « contre l’OAS* et pour la paix en Algérie par la
négociation* » fut ainsi marquée par une courte grève (15 minutes) très
massivement suivie et un défilé parisien d’environ 20 000 personnes. Le
lendemain, Le Populaire (SFIO*) dénonçait la « sauvagerie inouïe des
“forces de l’ordre” ». De nombreux commentateurs s’émurent de ce que la
journée aurait pu être endeuillée – on compta une centaine de blessés dont
deux tiers de femmes. Cette violence indiscriminée des forces de l’ordre
visait spécifiquement les partisans de la « Paix en Algérie » : pendant toute la
guerre, de nombreuses autres manifestations se tinrent, y compris à Paris,
sans que les participants ne bravent interdictions et coups de matraque.
Les obsèques des huit morts du 8 février 1962 furent le seul
rassemblement véritablement massif en lien avec la guerre d’Algérie. Cette
dernière fut cependant un moment de recompositions militantes et
d’innovation dans les formes d’action qui annoncèrent « les années 1968 ».
Le graffiti « Ici on noie les Algériens », visible pendant quelques minutes
seulement et dont les photographies* ne furent alors pas publiées, est ainsi
emblématique de protestations, certes passées inaperçues à l’époque mais qui
ont eu une postérité grandissante au fur et à mesure que les souvenirs de la
guerre d’Algérie étaient associés à un héritage colonial pesant sur le
contemporain, en particulier dans les relations entre les forces de l’ordre et
les jeunes dits « issus de l’immigration ».
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Vincent Lemire et Yann Potin, « “Ici on noie les Algériens.”
Fabriques documentaires, avatars politiques et mémoires partagées d’une
icône militante (1961-2001) », Genèses, no 49, 2002 • Tramor Quemeneur,
« Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de
soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir.
de B. Stora, Paris-8, 2007 • Danielle Tartakowsky, « Les manifestations de
rue », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français,
Fayard, 1990.
MANIFESTATIONS
DE DÉCEMBRE 1960
Le 16 septembre 1959, le général de Gaulle* prononce son discours sur
l’autodétermination*, qui infléchit nettement sa politique algérienne et
l’oriente vers la possibilité de négociations* et l’indépendance. Cela conduit
les partisans algérois de l’« Algérie française » à se révolter ouvertement
contre la politique entreprise au cours de la « semaine des barricades* ». Cela
n’entrave pas la volonté du président français de poursuivre dans la voie qu’il
a ouverte : le 14 juin 1960, il lance un nouvel appel à destination des
dirigeants de l’insurrection, qui débouche sur les rencontres de Melun, du 25
au 29 juin. Celles-ci ne donnent rien, mais le 5 septembre, il évoque l’avenir
de l’Algérie sous la forme d’une « Algérie algérienne » et précise que « la
République algérienne […] existera un jour ». Le 4 novembre, de Gaulle
revient sur la définition de l’« Algérie algérienne » alors que se profile
l’Assemblée générale des Nations unies* où l’inscription de la question
algérienne à l’ordre du jour doit être débattue et qu’il projette un nouveau
voyage en Algérie.
Ce voyage (qui sera son dernier en Algérie) doit se dérouler avant tout
dans de petites villes algériennes et dans des unités militaires. Il s’agit
d’éviter les confrontations avec les mouvements d’ultras de l’« Algérie
française » qui estiment que de Gaulle projette d’installer le GPRA* à Alger.
De fait, la veille de son arrivée, le Front de l’Algérie française* (FAF) lance
un mot d’ordre de grève générale. Le voyage présidentiel débute le
9 décembre à Aïn Témouchent et à Tlemcen. Les manifestations d’Européens
d’Algérie organisées par le FAF, en particulier à Alger, s’en prennent
violemment au chef de l’État et visent son renversement. À Tlemcen, le
général de Gaulle proclame aux musulmans qu’il leur « appartient de prendre
des responsabilités algériennes » et propose au FLN* « sans relâche,
loyalement et honorablement, la paix ». Dès lors, les heurts avec les partisans
de l’« Algérie française » se multiplient. Poursuivant son voyage à Blida puis
Orléansville, le chef de l’État est même obligé d’entrer dans la ville par une
route détournée puis de passer la nuit à la préfecture, alors que plane la
menace d’un attentat « ultra ». Alger et Oran sont en même temps le théâtre
d’affrontements de plus en plus violents. Les jeunes partisans de l’« Algérie
française » sont mobiles, armés de boulons et de diverses armes, et pratiquent
une forme de guérilla urbaine contre les gendarmes mobiles.
Toutefois, depuis l’arrivée du général de Gaulle sur le territoire algérien,
au slogan « Algérie française » sur le passage du cortège présidentiel
répondent des « Algérie algérienne », « Algérie musulmane » ou encore
« Négociations avec le GPRA ». L’avant-dernier jour du voyage présidentiel,
le 11 décembre, à Alger, constitue un point de bascule. Dès 7 heures du
matin, plus de 10 000 Algériens, hommes, femmes et enfants, commencent à
descendre dans les rues depuis les quartiers de la Casbah et de Belcourt, ainsi
que des bidonvilles du Clos-Salembier, de Frais-Vallon et de la cité
Mahieddine. Si des cris de « Vive de Gaulle » et « Algérie algérienne » sont
au départ entendus, ils se muent rapidement en « Libérez Ben Bella » et
« Vive l’indépendance ». Des drapeaux algériens surgissent dans les cortèges.
Des youyous retentissent.
Dès lors, la peur change de camp. Les Français d’Algérie restent chez
eux, craignant pour leur vie. Le FAF lui-même décide de surseoir aux
manifestations. Les forces de l’ordre sont elles aussi débordées et tirent sur la
foule à Alger et dans plusieurs villes algériennes. Du 9 au 13 décembre 1960,
à Alger, 96 morts et 370 blessés sont officiellement dénombrés, dont
8 Européens d’Alger. Jusqu’au 16 décembre, il y aurait officiellement
112 morts. Mathieu Rigouste compte quant à lui au moins 260 morts dans les
confrontations qui se sont déroulées entre le 9 décembre 1960 à Aïn
Témouchent et le 6 janvier 1961 à Tiaret.
Au-delà des chiffres, il reste la signification. Ces manifestations de la
population algérienne se déroulent dans un contexte marqué par une crise du
FLN, avec de grandes difficultés des maquis « de l’intérieur », complètement
coupés de l’armée « de l’extérieur ». Or, elles montrent l’attachement de la
population algérienne à l’indépendance et le fait qu’elle n’a pas besoin d’être
encadrée par le FLN pour s’exprimer. De fait, ces manifestations contribuent
à accélérer la reprise des négociations, en particulier après le résultat du
référendum* sur l’autodétermination du 8 janvier 1961. Ainsi, elles ont
parfois été qualifiées de Điên Biên Phú politique ou diplomatique,
notamment à la suite du journaliste Albert-Paul Lentin. Le 20 décembre
1960, l’Assemblée générale de l’ONU reconnaît en effet « le droit du peuple
algérien à la libre détermination et à l’indépendance ».
La mémoire de ces manifestations a notamment été portée dans le film La
Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966), qui y montre une forme de
libération du peuple par lui-même. Plus récemment, certains comme Mathieu
Rigouste ont établi le parallèle entre les manifestations de décembre 1960 et
celles du hirak en 2019.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : 11 décembre 1960. Le Điên Biên Phú politique de la guerre d’Algérie,
NAQD, 2010 • Mathieu Rigouste, Un seul héros, le peuple. La contre-
insurrection mise en échec par les soulèvements algériens de décembre 1960,
Toulouse, Premiers matins de novembre, 2020.
MANIFESTATIONS DE RAPPELÉS
En 1955, pour faire face à l’aggravation de la situation en Algérie, les
autorités françaises veulent accroître les effectifs militaires. Outre l’envoi de
nouveaux militaires, elles maintiennent sous les drapeaux les appelés du
contingent* et rappellent des « disponibles » (rapidement nommés les
« rappelés ») ayant terminé leur service militaire*. Ces mesures occasionnent
deux importants mouvements de contestations, à l’automne 1955 et au
printemps 1956, qui prennent des formes différentes.
Le 21 mai 1955, un premier décret concerne uniquement les Européens
d’Algérie de la classe 1953/2. Comme le service militaire est alors de dix-huit
mois, ces derniers ont quitté les drapeaux depuis fin 1954. Ils doivent
effectuer une nouvelle période de service militaire de six mois. Cette
première mesure, acceptée sans difficulté, ne suffit pas. Après le soulèvement
de la population algérienne le 20 août 1955*, les autorités prennent les
décrets des 24 et 28 août 1955 : le premier rappelle les classes 1952/4 et
1953/1 ; le second maintient sous les drapeaux le contingent 1954/1, sur le
point d’être libéré, et rappelle le contingent 1953/2. Ces deux décrets
concernent respectivement 60 000 et 180 000 personnes et suscitent une
contestation des soldats maintenus et des « disponibles rappelés ».
Le premier incident éclate le 1er septembre à la gare de l’Est où des
soldats bloquent le départ du train. Dix jours plus tard, 600 rappelés
manifestent à la gare de Lyon, et scandent des mots d’ordre anticolonialistes.
L’incident est largement relayé dans la presse*, le ministère de la Défense
évoquant maladroitement le terme « mutinerie ». Les trajets des soldats font
régulièrement l’objet de difficultés : slogans contestataires, blocage des
convois, manifestations. Le 29 septembre, 200 rappelés assistent à une messe
qui se déroule en l’église Saint-Séverin, à Paris. Ils sont les auteurs d’un tract
diffusé dans la presse, dans lequel ils clament leur refus de tirer sur leurs
« frères musulmans » et leur volonté de désobéissance collective. Cette
question est même relayée par des hommes politiques, tels le socialiste
Marceau Pivert et l’apparenté communiste Pierre Cot. Les incidents les plus
graves se déroulent les 6 et 7 octobre, à la caserne Richepanse, à Rouen.
Celle-ci est le théâtre d’une véritable mutinerie, qui gagne le quartier du
Petit-Quevilly jusqu’au 10 octobre. Quatorze militaires sont condamnés pour
rébellion militaire et trente-deux civils pour outrages, rébellion et violences à
l’encontre d’agents de la force publique. Au fur et à mesure, les incidents
diminuent, a fortiori après l’arrivée des soldats en Algérie. La contestation se
transmet aux appelés. En l’occurrence, le 23 novembre 1955, une centaine de
soldats de la caserne Charras, qui devaient être libérés, viennent d’apprendre
leur envoi au Maroc* (les manifestations concernent indistinctement les
« événements d’Afrique du Nord » comme ils sont alors appelés). Ils décident
alors de manifester en uniforme sur les Champs-Élysées.
Avec la chute du gouvernement Edgar Faure et la dissolution de
l’Assemblée nationale, les élections* législatives sont avancées au 2 janvier
1956. Les rappelés sont renvoyés dans leurs foyers pour la fin de l’année,
deux mois avant la fin officielle de leur rappel. La situation nord-africaine
s’invite dans la campagne : le leader socialiste Guy Mollet* dénonce la
« guerre imbécile et sans issue » en Algérie. Après la victoire du Front
républicain* aux élections, la nomination de Guy Mollet à la présidence du
Conseil et son revirement politique consécutif à la « journée des tomates* »,
il est à nouveau question d’augmenter les effectifs en Algérie. Le 12 avril,
deux décrets sont promulgués : le premier (56-373) pour maintenir les soldats
sous les drapeaux et allonger ainsi le service militaire jusqu’à vingt-quatre
puis plus de vingt-sept mois, le second (56-374) pour rappeler sous les
drapeaux les classes 1951/3, 1952/1 et 1952/2, et 1953/1. Les incidents
reprennent immédiatement, d’abord de manière pacifique. À Firminy, dans la
Loire, 7 000 métallurgistes débrayent pendant une heure le 16 avril. D’autres
actions comme des pétitions ou des réunions sont organisées, surtout dans le
giron communiste. Le premier blocage de train par la population civile
semble se dérouler à Vauvert (Gard), le 18 avril : un millier de personnes
bloquent le départ de 12 rappelés. Ce type de blocage se répand rapidement
sur tout le territoire. Comme à l’automne 1955, la question de la
désobéissance resurgit : des rappelés ne partent pas et refusent d’obéir
comme à La Rochelle les 2 et 3 mai 1956 ou dans le petit village de La
Villedieu dans la Creuse. Ils trouvent souvent un soutien auprès de la
population civile. Mais ces incidents suscitent une répression de plus en plus
forte. Ainsi, le maire de La Villedieu est révoqué de son mandat et un
enseignant d’une localité voisine est suspendu pendant cinq ans.
Progressivement, début mai 1956, avec les départs croissants de la classe
1953/1 vers l’Algérie, les incidents sont moins nombreux, d’autant que les
rappelés ne sont pas soutenus par un mouvement politique structuré : le parti
communiste accompagne le mouvement mais prône une ligne légaliste
(notamment à la suite du comité central des 9 et 10 mai), le parti communiste
internationaliste (PCI, trotskiste*) et la fédération communiste libertaire
(FCL, anarchiste*) soutiennent le mouvement mais sont asphyxiés par la
répression, jusqu’à disparaître.
Avec le rappel de la classe 1952/2, une nouvelle vague de révoltes éclate
dans la seconde moitié de mai. L’une des manifestations les plus connues se
déroule à Grenoble, le 18 mai 1956, où entre 2 000 et 3 000 personnes
affrontent les forces de l’ordre à la gare, qui est dévastée. Le même jour, 20
rappelés meurent dans une embuscade* à Palestro*. Cet événement suscite
les jours suivants un grand émoi dans la société française, mais n’endigue
aucunement le mouvement de protestation. Par exemple, à Saint-Nazaire le
28 mai, 8 000 métallurgistes manifestent contre le départ de 20 rappelés,
occasionnant de violents affrontements avec les forces de l’ordre. Le ministre
de l’Intérieur Jean Gilbert-Jules reconnaît même qu’un train sur cinq est
touché par des incidents. Certains événements restent confinés au sein de
l’institution militaire en dépit de leur gravité. Le camp de La Fontaine du
Berger est ainsi l’objet d’une véritable mutinerie, un officier* devant même
tirer des coups de semonce pour arrêter les soldats. Au même moment, une
rumeur concernant des « maquis de rappelés » commence à circuler et est
relayée dans la presse. Ces maquis n’existent pas mais sont révélateurs de
l’état d’esprit des soldats.
Les poursuites intentées contre les manifestants, les anticolonialistes et
les journalistes, les interdictions des meetings et des manifestations, et la
répression de celles-ci, conduisent à une démobilisation croissante. Pourtant,
dès avril 1956, 49 % des Français (et 65 % des ouvriers) étaient défavorables
à l’appel de nouvelles classes en Algérie. Le 17 juin, à Verdun, le président
René Coty appelle au sens de la discipline militaire et civique pour défendre
la patrie en danger en Algérie. Deux incidents graves secouent encore des
camps militaires : le premier à Mourmelon le 8 juillet est une mutinerie
endiguée par le colonel Barberot* ; le second à Stetten en Allemagne le
18 juillet est une grève* des rappelés pourtant « exemptés d’AFN ».
Épisodiquement, des incidents éclatent encore. En Algérie, la contestation
prend une autre forme, plus insidieuse, marquée par l’indiscipline, voire des
désobéissances individuelles.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007.
MANIFESTATIONS DU MNA
Héritier d’un répertoire d’actions forgé au contact des organisations
ouvrières, le MNA* cherche à maintenir les manifestations de rue malgré le
contexte créé par les attaques du 1er novembre 1954* et la répression.
À l’occasion d’un débat sur l’Afrique du Nord, le MNA appelle à un
rassemblement devant le palais Bourbon le 10 décembre. Selon La Voix du
peuple, 2 000 Algériens protestent mais 205 manifestants sont arrêtés.
Le 1er mai 1955, le MNA annonce la participation de 100 000 Algériens
aux rassemblements ouvriers. Si le calme règne à Lyon*, Mulhouse, Metz et
Stiring-Wendel, des affrontements avec les forces de l’ordre se produisent à
Douai, Lille* et Sous-le-Bois. De plus, les messalistes sont isolés par la
CGT* à Saint-Étienne et Valenciennes, tandis que la parole leur est refusée à
Longwy et Paris.
Pour leur part, les dirigeants du FLN*, opposés à ces pratiques, exploitent
la peur de l’arrestation pour recruter dans l’émigration*. Ils mènent une
propagande* contre la Journée de lutte pour l’indépendance et la libération de
Messali Hadj* prévue le 9 octobre. La manifestation est un échec à Paris. 913
manifestants sont appréhendés.
300 personnes se rassemblent à Lyon, 400 à Metz, Forbach et Thionville.
À Lille, 150 Algériens se réunissent, 19 sont arrêtés et des policiers sont
blessés. À Douai, des centaines d’Algériens se heurtent à la police* : 2
manifestants sont tués et 44 arrêtés. À Saint-Étienne, 300 manifestants
affrontent les forces de l’ordre, un agent est frappé d’un coup de couteau, une
trentaine d’Algériens sont appréhendés.
La manifestation contre le vote des pouvoirs spéciaux*, le 9 mars 1956,
constitue l’ultime coup d’éclat du MNA. Une dizaine de milliers d’Algériens
suivent le mot d’ordre de grève* et de rassemblement à la mosquée de Paris.
Yamina Bensouna brandit le drapeau* algérien dont la police s’empare. Les
manifestants affrontent les forces de l’ordre. Près de 2 500 Algériens sont
interpellés et, pour la plupart, remis en liberté.
Trois semaines plus tard, près de 5 000 Algériens sont arrêtés après des
tentatives de rassemblement à l’appel du MNA qui semble abandonner cette
modalité en raison de son coût humain.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens (1944-
1962), Nouveau Monde, 2011 • Jean-René Genty, « Un dimanche ordinaire à
Douai ? La manifestation algérienne du 9 octobre 1955 », Revue du Nord,
no 414, 2016.
MANIFESTATIONS FRANÇAISES
D’ALGÉRIE
Les manifestations de rue ont compté dans le répertoire d’action des
tenants de l’Algérie française, au moins jusqu’en 1961, le développement de
l’OAS* modifiant les choses. Elles ont eu pour cadre principal Alger et à un
degré moindre Oran. Ces mobilisations ont surtout visé à dénoncer la
politique métropolitaine réputée faire le lit du FLN* ou à honorer des morts
considérés comme des victimes, pour ne pas dire des martyrs, de l’Algérie
française (funérailles* d’Amédée Froger* le 29 décembre 1956). Les
porosités sont nombreuses entre émeutes et manifestations s’accompagnant
souvent de violences. Le rassemblement du 6 février 1956 contre Guy
Mollet* peut être vu comme une sorte de modèle que ses maîtres d’œuvre ont
cherché à réitérer en 1958, voire en janvier 1960. Aux origines, on trouve des
groupements activistes dont les noms changent au fil des dissolutions mais
dont les dirigeants, au moins jusqu’aux barricades, sont peu ou prou les
mêmes ; ajoutons-y les anciens combattants* et les unités territoriales* qui
jouent un rôle fondamental : ils peuvent être porteurs d’armes mais savent
aussi s’en servir comme lors de la fusillade du 24 janvier 1960.
Les manifestations suivent une mécanique bien huilée : profiter d’une
visite officielle (le président du Conseil) ou d’un événement à forte valeur
émotionnelle (exécution de soldats français par le FLN doublée d’une crise
ministérielle ou renvoi d’un symbole comme Massu*) pour faire masse et
dire ainsi leur fait aux autorités. L’objectif est moins de présenter des
revendications que d’obtenir satisfaction sur une exigence précise (le refus de
voir le général Catroux remplacer Soustelle* en 1956) ; mais aussi, par le
biais d’une intimidation doublée d’un rappel appuyé du rôle de l’armée
d’Afrique dans la libération de la France, d’obtenir du gouvernement une
forme de réassurance quant au maintien de l’Algérie française. Le scénario a
fonctionné le 6 février 1956 : Catroux a été évincé et le gouvernement Mollet
a mené en Algérie une politique différente de celle pour laquelle il avait été
élu. En mai 1958, les activistes peuvent un temps penser avoir obtenu gain de
cause puisque le « libéral » Pflimlin* et la IVe République* ont été balayés ;
le rôle joué par l’armée, l’échec des comités de salut public en métropole et
plus largement l’avènement au pouvoir du général de Gaulle* et de la
Ve République* changent toutefois profondément la donne.
Après l’annonce de l’autodétermination le 16 septembre 1959, les
activistes s’emploient à préparer un nouveau 13 Mai* et voient dans le renvoi
de Massu l’opportunité d’une réitération, mais ils doivent déchanter. D’abord
parce que le 24 janvier 1960, l’armée a reçu l’ordre de ne pas laisser les
manifestants converger vers le centre-ville d’Alger : ce n’est donc pas le
rassemblement de masse attendu. Ensuite, parce que le chef de l’État
n’entend nullement laisser la rue lui dicter sa politique : ni la fusillade du
24 janvier ni les barricades n’ébranlent de Gaulle qui obtient une semaine
plus tard une reddition sans concession des insurgés. Pour peser, la rue
algéroise a besoin du renfort de l’armée. Celle-ci n’a pas « basculé » en
janvier 1960, pas plus qu’en décembre 1960 lorsque de Gaulle effectue son
dernier voyage en Algérie. À cette occasion, la direction du Front de
l’Algérie française* (FAF) n’avait d’ailleurs pas organisé de manifestation de
masse. Elle compte plutôt sur le harcèlement des forces de l’ordre par des
commandos de jeunes, frayant ainsi la voie à l’armée. Enfin, lors du putsch*
d’Alger, les militaires tiennent les civils à l’écart et n’entendent pas les
mobiliser dans une manifestation de soutien. L’OAS qui se développe à partir
de mai 1961, principalement sur Alger et Oran, se dote dans son
organigramme d’une « Organisation des masses » dont l’objectif est de
mobiliser autrement que par des manifestations ; les militaires de sa direction
y rechignent. Deux cependant peuvent être évoquées. La première se déroule
le 10 février 1962 à Alger à l’occasion des funérailles de Philippe Le Pivain,
un capitaine de l’OAS abattu trois jours plus tôt alors qu’il tentait d’échapper
à son arrestation : des milliers de personnes suivent cet enterrement dont la
dimension politique est évidente. La seconde, le 26 mars 1962, doit mener les
civils à Bab-el-Oued pour en desserrer le « bouclage ». Interdite, elle
débouche sur un bain de sang (54 morts pour les autorités, 80 selon d’autres
sources). Les autorités ont mis en cause l’OAS et ses commandos. De Gaulle
a considéré qu’il était « indispensable d’avoir tiré pour “disperser les
charmes” ». Quoi qu’il en soit, les communiqués du préfet de police d’Alger
étaient explicites et il était impensable de voir les autorités, armée comprise,
se laisser déborder par une manifestation de rue, même de civils non armés,
des civils algérois chez qui le traumatisme a été profond et démobilisateur.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Marie
Dumont, « Les Européens dans la rue pendant la guerre d’Algérie », Guerres
mondiales et conflits contemporains, no 206, 2002 • Sylvie Thénault, Les
Ratonnades d’Alger, Seuil, 2022.
MANIFESTES
Le jour de l’ouverture du procès du « réseau Jeanson* » d’aide au FLN*,
le 5 septembre 1960, paraît un entrefilet dans Le Monde* annonçant que 121
intellectuels ont signé une « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la
guerre d’Algérie ». Le « Manifeste des 121 » suscite un important débat et
une « guerre des manifestes » (Jean-François Sirinelli) à l’automne 1960 avec
deux autres textes.
Deux écrivains sont à l’origine du « Manifeste des 121 » : le communiste
critique Dionys Mascolo et le surréaliste Jean Schuster. Ils fondent la revue*
Le 14 Juillet après les événements de mai 1958, qui est comme un
« brouillon » du Manifeste. L’écrivain Maurice Blanchot les rejoint, mais la
revue s’éteint en 1959. En avril 1960, Dionys Mascolo propose à Jean
Schuster de s’impliquer dans le débat sur l’insoumission qui secoue la société
française. Ils écrivent un « Appel à l’opinion internationale ». Maurice
Nadeau, des Lettres nouvelles, et Jean Pouillon, des Temps modernes,
collectent de nombreux signataires, dont le nombre atteint 80 le 27 juillet
1960. Le nom « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre
d’Algérie » est alors trouvé. Jérôme Lindon* des Éditions de Minuit en
assure l’impression, le 1er septembre, et arrête le nombre à 121.
Le texte souligne qu’un mouvement de désobéissance « très important »
se développe en France, du fait de la nature coloniale de la guerre et de
l’utilisation de la torture*. La deuxième partie s’attache aux conséquences, à
savoir une remise en cause du « sens de valeurs et d’obligations
traditionnelles », c’est pourquoi le « refus de servir est un devoir sacré » pour
rester « dans le respect courageux du vrai ». La phrase la plus connue du
manifeste stipule : « Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre
les armes contre le peuple algérien », estimant que « la cause du peuple
algérien […] est la cause de tous les hommes libres ».
Parmi les signataires figurent les grands noms de l’existentialisme (Jean-
Paul Sartre*, Simone de Beauvoir*), du surréalisme (André Breton), du
« nouveau roman » (Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Nathalie
Sarraute) et d’autres écrivains comme Vercors ; des enseignants dont Louis
Gernet, André Mandouze*, Jean-Jacques Mayoux, Jean-Pierre Vernant et
Pierre Vidal-Naquet* ; des journalistes dont Robert Barrat* ; des éditeurs
(Jérôme Lindon, François Maspero*) ; des artistes peintres (André Masson) ;
des personnalités du cinéma* (Simone Signoret, Alain Resnais, Claude
Sautet) ; et le compositeur Pierre Boulez. Leur nombre définitif atteint 246
fin octobre. Parmi les nouveaux signataires, Françoise Sagan, l’acteur
Laurent Terzieff et l’abbé Boulier.
Le ministère des Armées porte plainte dès le lendemain ; le ministère de
l’Intérieur propose de déchoir de la nationalité* française l’écrivain Arthur
Adamov ; le ministère de l’Éducation suspend une dizaine d’enseignants et
d’universitaires ; les artistes n’ont plus le droit de jouer sur les scènes
subventionnées et sont interdits d’antenne. Les premières inculpations
pleuvent. Le journaliste Robert Barrat* est même arrêté et placé en détention,
pour la seconde fois de la guerre, pendant quinze jours. Mais la question de
l’opportunité des poursuites se pose rapidement du fait du nombre et de la
notoriété des inculpés, les autorités craignant un procès ingérable. Jean-Paul
Sartre et Simone de Beauvoir, en voyage en Amérique latine*, ne sont
entendus par la police* que le 5 novembre. C’est le chant du cygne de cette
procédure qui est alors littéralement mise en sommeil.
D’ailleurs, entre-temps, le débat a pris une autre tournure. Un « Manifeste
des intellectuels français », signé par 185 personnalités, est en effet publié le
6 octobre dans Le Figaro* puis dans Carrefour. Il proteste contre les
« déclarations scandaleuses » d’une véritable « cinquième colonne » que
représentent « les professeurs de trahison ». Pour eux, la guerre en Algérie est
due à « une minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes ». L’armée
mène au contraire une « mission civilisatrice, sociale et humaine » contre
cette « guerre subversive » qui envenimerait l’opinion publique* et conduirait
à une « désagrégation morale et sociale de la nation ».
Les 54 enseignants, dont Raoul Girardet, forment la principale catégorie.
Viennent ensuite 45 écrivains, dont Michel Déon, Roland Dorgelès, Henri de
Monfreid, Jean Paulhan et Jules Romains. 20 signataires proviennent du
domaine médical, 15 du domaine juridique, et 14 du monde de l’édition. 12
sont des journalistes et 5 des artistes peintres. Le maréchal Juin* représente
une grande figure militaire, le colonel Rémy et Marie-Madeleine Fourcade
deux personnalités de la Résistance*. Les signataires sont relativement plus
âgés et plus établis que ceux du « Manifeste des 121 ». Leur nombre
augmente jusqu’à dépasser les 700 en novembre 1960. Ce manifeste
favorable à l’« Algérie française » structure en même temps une opposition à
la droite du général de Gaulle*. Il contribue au débat sur la désobéissance en
la dénonçant mais favorise la caducité des procédures à l’encontre des 121.
À gauche, une nouvelle ligne de démarcation entre une gauche
« irrespectueuse » ou « insoumise » et une autre « respectueuse » (Marcel
Péju, Les Temps modernes, avril-mai 1960) se révèle avec l’« Appel à
l’opinion pour une paix négociée en Algérie », publié par la Fédération de
l’Éducation nationale* (FEN) le 5 octobre 1960. Cet appel souligne que tant
qu’existeront « ratissages, tortures, déportations » et que « l’exercice du droit,
reconnu, à l’autodétermination réelle » reste refusé, le conflit durera. Les
rédacteurs de l’« appel » n’utilisent pas le terme « indépendance » mais
celui de « paix négociée », plus consensuel à l’époque. Ils soulignent l’impact
de la guerre sur les jeunes qui y sont directement confrontés : « certains
reviennent marqués par le racisme* ; d’autres […] essaient d’oublier ;
d’autres connaissent le dégoût » avant d’évoquer ceux qui refusent de
participer à cette guerre d’une manière ou d’une autre. Ils concluent que « la
crise de conscience » des jeunes est inévitable, mais qu’elle est « l’affaire de
la Nation » et ne peut se régler que par la paix.
Initialement conçu comme une motion critique de soutien aux 121, le
texte devient un appel retentissant. La première raison tient à ses signataires :
les secrétaires généraux de la FEN (Georges Lauré) et du Syndicat national
des instituteurs* (SNI, Denis Forestier) ; les présidents de l’Unef* (Pierre
Gaudez) et de la Ligue des droits de l’homme* (LDH, Daniel Mayer) ; des
personnalités universitaires et de la recherche (Georges Balandier, Roland
Barthes, Jean Cassou, Paul-Henri Chombart de Lauwe, Jean Dresch, René
Étiemble, Vladimir Jankélévitch, Charles-André Julien, Ernest Labrousse,
Jacques Le Goff, Maurice Merleau-Ponty, Edgar Morin*, Marcel Prenant,
Paul Ricœur, Jean Rouch…) ; des écrivains et des journalistes (Jean-Marie
Domenach, Jean Guéhenno, Jacques Prévert…) ; un dessinateur (Jean Effel) ;
des hommes politiques (Robert Verdier, André Philip) ; un pasteur (Henri
Roser)… La seconde raison de l’impact de cet appel tient au nombre de
signataires : 16 000 à la fin du mois d’octobre. C’est sans commune mesure
avec les deux autres manifestes. La dernière raison est que l’appel se
conjugue avec la préparation de la manifestation* du 27 octobre 1960
organisée par l’Unef.
Le débat intellectuel lancé par les 121, à la suite des mouvements de
réfractaires* et de « porteurs de valises* », conduit donc à des réactions
importantes dont un « Appel à l’opinion pour une paix négociée en Algérie »,
à la fois critique et puissant, qui pèse en faveur de l’ouverture de
négociations*.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007 • Jean-François
Sirinelli, Intellectuels et passions françaises. Manifestes et pétitions au
e
XX siècle, Gallimard, 1990.
MAROC
Depuis la naissance de l’Étoile nord-africaine (ENA) en 1926, les
premiers nationalistes algériens nourrissaient le projet d’une libération
commune des pays du Maghreb que de profonds liens historiques unissaient.
Plus tard, le Comité de libération du Maghreb arabe* (CLMA) envisageait
dans le pacte de 1948, une lutte commune et à défaut un engagement aux
côtés du pays luttant pour sa libération. Dans sa proclamation du
1er novembre 1954*, le FLN* rappelait ce principe de « l’indépendance dans
le cadre nord-africain ». L’évolution politique des mouvements nationalistes
de chacun des pays et la décolonisation bousculeront cette attente. En effet,
l’accès à l’autonomie de la Tunisie* en juin 1955 et à l’indépendance pour le
Maroc en mars 1956 met fin au rêve d’un Maghreb uni. Toutefois, le FLN a
pu disposer de « l’installation face à la frontière algérienne, de bases
opérationnelles » (Meynier). Le FLN reçoit, en guise de solidarité avec la
lutte des Algériens, les fonds versés à la résistance marocaine. Il convient de
rappeler qu’avant l’indépendance du Maroc, Mohamed Boudiaf*, l’un des
fondateurs du FLN, préoccupé par la question de l’approvisionnement en
armes, s’était établi à Nador dans l’enclave espagnole. Très lié aux dirigeants
de l’armée de libération marocaine, il bénéficie de leurs réseaux de soutien. À
partir de 1956, le FLN se déplace à la frontière et multiplie l’ouverture de
camps militaires et d’entraînement notamment à Larache, Khemisset,
Kedbani et Oujda (ce dernier accueillera le PC de la Wilaya 5*, dirigé par
Larbi Ben M’hidi*). Quand Abdelhafid Boussouf* prend la direction de la
Wilaya 5, la place d’Oujda jouit de plus d’importance avec les services qu’il
crée. Durant cette période, le gouvernement marocain prodigue une
importante aide matérielle au FLN, ouvrant les ondes de quatre émetteurs
radio*, situés à Rabat, Tanger et Tétouan, à sa cause, organisant des collectes
au profit des milliers de réfugiés*, dont l’afflux ne cesse qu’avec l’édification
du barrage* électrifié sur quelque 750 kilomètres, à partir de 1958.
Cependant la double présence de l’ALN* et des réfugiés algériens sur le
sol marocain a parfois posé de sérieux problèmes. Les Algériens n’hésitaient
pas à critiquer ouvertement l’attitude réservée des autorités marocaines et
souhaitaient un engagement plus radical à leurs côtés, provoquant en retour
méfiance, contrôle et surveillance de l’ALN. Les Marocains comme les
Tunisiens redoutaient que « la présence tumultueuse des Algériens ne vînt
aviver chez eux des conflits sociaux ou y exciter des entreprises
révolutionnaires » (Meynier). Des troubles avec des Marocains éclatent
surtout à proximité des camps de réfugiés à propos de la distribution
inéquitable des aides internationales quand elles ne sont pas détournées.
Au-delà de ces difficultés, le pragmatisme politique devait dicter à
chacun des pays plus de réalisme et la recherche d’autres voies, telles que le
projet de fédération des trois pays d’un Maghreb lié à la France qui devait
être discuté à la conférence de Tunis* (octobre 1956) et qui avorta à la suite
de l’arraisonnement de l’avion transportant les dirigeants du FLN (23 octobre
1956). De même, à la conférence de Tanger* (avril 1958), les représentants
de l’Istiqlal, du Néo-Destour et du FLN envisagent sérieusement d’œuvrer en
faveur de l’édification d’un Maghreb fédéral, mais font l’impasse sur le
conflit frontalier de Figuig. En juin 1958, l’armée royale marocaine bloque le
passage des troupes de l’ALN se rendant en Algérie et exige la
reconnaissance de la souveraineté marocaine sur les régions du Touat,
Gouraya et Tidiklet situées dans le Sud-Ouest algérien. Plusieurs réunions
opposant les deux parties échouent à trouver un règlement. En fait, l’arrivée
de De Gaulle* au pouvoir change la donne. Désormais Marocains et
Tunisiens entendent défendre leurs intérêts respectifs.
Une tentative de réconciliation est perçue lors de la signature d’une
convention, entre Ferhat Abbas*, président du GPRA*, et le roi Hassan II, le
6 juillet 1961 à Rabat, s’engageant à trouver une solution, après
l’indépendance de l’Algérie.
Mais en juillet 1962, l’armée marocaine s’empresse d’occuper l’axe
Colomb-Béchar-Tindouf et annonce l’allégeance des tribus de Tindouf au roi.
En réponse, les troupes de l’ANP* interviennent le 9 octobre et réoccupent
les lieux. Le conflit s’envenime une année plus tard, le 8 octobre 1963, avec
l’attaque marocaine de plusieurs postes frontaliers au nord-est de Tindouf.
Les affrontements entre les deux armées, algérienne et marocaine, ne cessent
que grâce à la médiation de Haïlé Selassié à la conférence de Bamako des 29-
30 octobre. Finalement un cessez-le-feu met fin à la guerre entre les deux
pays frères le 2 novembre mais ne règle pas pour autant le litige frontalier,
hérité de la période coloniale.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Hartmut Elsenhans, La Guerre d’Algérie, 1954-1962. La transition
d’une France à une autre. Le passage de la IVe à la Ve République, Publisud,
2000 • Édouard Méric, « Le conflit algéro-marocain », Revue française de
science politique, no 4, 1965 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN,
Fayard, 2002.
MARSEILLE
Villes miroirs, Marseille et Alger évoluent, de 1830 à 1962, au rythme de
la colonisation, des soubresauts de la vie politique française et du contexte
international. Au cours de la première moitié du XXe siècle, la cité phocéenne
accueillit les expositions coloniales de 1906 et de 1922 tout en étant la « tête
de pont » des pionniers de l’immigration algérienne. Paradoxalement, elle n’a
jamais été un foyer nationaliste de premier plan. Ainsi en 1939, elle comptait
à peine 10 sections marseillaises du PPA* contre 100 à Longwy, 59 dans la
banlieue lyonnaise ou encore 27 à Saint-Étienne (Benjamin Stora). Une
situation qui peut en partie s’expliquer par la surreprésentation des
travailleurs algériens dans les villes industrielles et leur faible présence dans
l’agriculture*. Pour autant, dès l’entre-deux-guerres, Marseille suscite
l’intérêt des milieux indépendantistes et anticolonialistes* car sa situation
géographique fait d’elle une ville indispensable à la structuration politique de
l’immigration en provenance de l’empire.
Hier port colonial de premier ordre, Marseille se mue progressivement en
espace périphérique de la décolonisation et entre en guerre d’Algérie peu
après les attentats de novembre 1954, via le départ du contingent. Jusqu’en
1962, son port est la base arrière des manœuvres militaires françaises en
Algérie et le point de convergence de tous les appelés. Venue des quatre
coins de France, la majorité d’entre eux séjourne au dépôt des internés
militaires, le camp de Saint-Marthe, avant leur départ pour Alger. C’est donc
tout naturellement que la cité phocéenne devient en 1955 l’un des théâtres de
la contestation des appelés contre le rappel des classes 1952/4 et 1953/1.
Quant à l’implantation du MNA* et du FLN*, elle se fait avec une
intensité moindre par rapport aux fiefs historiques du PPA-MTLD,
néanmoins Marseille reçoit toutes les attentions de la délégation extérieure du
FLN et est intégrée au travail d’information visant à faire reconnaître la
légitimité du FLN auprès de l’immigration algérienne. Ici comme ailleurs, la
guerre fratricide opposant le MNA au FLN fait rage et les attentats politiques
se multiplient au cours de l’année 1957. La wilaya messaliste du Centre-Sud
est celle qui perd le plus de membres entre 1957 et 1959. Rapidement, le
MNA cède du terrain et dès 1958 la ville est intégrée aux opérations
militaires du FLN. De fait, dans la nuit du 24 au 25 août 1958, l’Organisation
de la Fédération de France* dépose des bombes à retardement dans le dépôt
pétrolier de Mourepiane et provoque des incendies spectaculaires. Pendant
près de huit jours, les pompiers-marins de Marseille tentent de maîtriser le
feu, on dénombrera un mort et d’importants dégâts matériels. Le 27 avril
1959, 18 Algériens sont présentés devant le tribunal militaire de Marseille,
accusés d’être les auteurs ou les complices de ces attentats. Dans l’arène
judiciaire, Me Ould Aoudia, avocat des accusés, opte pour une défense de
rupture et tente de faire de ce procès médiatisé un procès politique légitimant
le combat du FLN.
Par sa portée, Mourepiane symbolise l’ouverture du second front de la
guerre d’Algérie, pour autant ces attentats ne doivent pas éclipser les
difficultés rencontrées par le FLN pour encadrer et contrôler les Algériens de
cette région constitutive de la Wilaya 3 bis. Très atypique, elle compte 12 548
« éléments » en juillet 1959 et 15 009 en février 1962. Les membres du FLN
peuvent aussi compter sur des réseaux de « porteurs de valises* » dirigés tout
d’abord par Lucien Jubelin puis, après son arrestation en 1960, par l’historien
Robert Bonnaud*. Instable, aux prises avec la pègre, la Wilaya 3 bis est le
terrain de jeux d’Abdellah Younsi, alias Charles Mourad. Un temps
responsable de la wilaya, il fut agent double pour le compte de la direction de
la Sûreté du territoire (DST) et aurait permis l’arrestation de nombreux cadres
du FLN de 1959 à 1962, tout en détournant, avec l’aide de la DST,
d’importantes sommes d’argent issues en partie des cotisations des ouvriers
algériens de Marseille. Arrêté par le FLN à la veille du cessez-le-feu, Younsi
Abdellah est séquestré plusieurs semaines à Aubervilliers, jugé, condamné à
mort pour trahison et exécuté.
Autre symbole de la guerre d’Algérie à Marseille, la prison* des
Baumettes est la deuxième prison de France à accueillir le plus grand nombre
de prisonniers* politiques algériens reconnus ou non par la justice française.
Certains d’entre eux ont été transférés d’Alger vers Marseille, comme le
condamné à mort Abdelkader Guerroudj*, dit Lucien Djliali, responsable des
commandos du Grand Alger en 1956.
À l’été 1962, Marseille n’en a pas terminé avec la guerre, elle ouvre une
seconde page de son histoire algérienne en accueillant les rapatriés*, les
harkis* et leurs familles. « Première ville pied-noire de France », mais aussi
terre d’accueil des vagues d’immigration postcoloniale, Marseille vit depuis
soixante ans avec les mémoires plurielles de la guerre d’Algérie, celles-là
mêmes qui ont croisé son chemin de 1954 à 1962 et contribué à écrire une
partie de son histoire.
Linda AMIRI
Bibl. : Jean-Luc Einaudi, Le Dossier Younsi, 1962. Procès secret et aveux
d’un chef FLN en France, Tiresias, 2013 • Ali Haroun, La 7e Wilaya. La
guerre du FLN en France, Seuil, 2012 [rééd.] • Benjamin Stora, Ils venaient
d’Algérie, l’immigration algérienne en France, 1912-1992, Fayard, 1992.
MASPÉTIOL, RAPPORT
Ce rapport est le fondement à partir de 1955 d’une nouvelle politique
algérienne du gouvernement français. En octobre 1954, le cabinet Mendès
France* crée un Groupe d’étude des relations financières entre la métropole
et l’Algérie, présidé par le conseiller d’État Roland Maspétiol. Aucun
Algérien n’y est désigné. Sa mission consiste à procéder à une analyse des
finances de l’Algérie et à évaluer les investissements à assumer pour résoudre
les difficultés économiques de la colonie. Le rapport est remis au
gouvernement en juin 1955.
En Algérie, les rapports administratifs décrivent une situation intenable
due, écrit La Revue du Trésor de juillet 1960, à un état économique en 1950
peu différent de celui de 1930. La revue ajoute qu’un « petit groupe de jeunes
fonctionnaires », en poste en Algérie, produit à l’époque des travaux qui
dessinent « la toile de fond de l’avenir économique et social de l’Algérie ».
Ils font « apparaître une issue à l’impasse en laquelle une démographie*
surabondante avait conduit l’Algérie ». Le rapport Maspétiol allait, selon la
revue, marquer une étape de « l’approfondissement de ces études ».
Document de 223 pages, il est publié à Paris en juin 1955 sous le titre
Rapport général du groupe d’étude des relations financières entre la
métropole et l’Algérie.
La commission Maspétiol propose l’application, à partir de 1955, d’un
plan d’investissement annuel de 15 milliards. On en attend croissance
économique, logements* et élévation du niveau de vie des Algériens.
Edgar Faure, président du Conseil depuis février 1955, présente ce plan à
l’Assemblée nationale le 18 octobre 1955. Il le qualifie de « courageux »,
« nouveau » et prenant « son départ dans la reconnaissance de faits ». Il fait
immédiatement siennes ses propositions.
La même année, en Algérie, un groupe de travail rédige des Perspectives
de développement, établies pour la période 1957-1966, devenues Perspectives
décennales de développement économique de l’Algérie, publiées en
mars 1958 par le ministère de l’Algérie. Enrichies par les résultats de
l’enquête de la commission Maspétiol, elles servent en 1957 à définir le
contenu du plan annoncé à Constantine le 3 octobre 1958 par le général de
Gaulle*, d’où le nom de plan de Constantine*. En décembre 1958, le Général
charge Paul Delouvrier* de son exécution en le nommant délégué général
pour l’Algérie. Celui-ci s’adjoint le polytechnicien algérien Salah Bouakouir
qu’il promeut au poste de secrétaire général adjoint pour les affaires
économiques. Le document existe sous le titre de Plan de développement
économique et social en Algérie (1958-1961).
Ahmed HENNI
Bibl. : Alain Cotta, « Les perspectives décennales du développement
économique de l’Algérie et le plan de Constantine », Revue économique,
vol. 10, no 6, 1959 • Groupe d’études des relations financières entre la
métropole et l’Algérie, Rapport général, juillet 1955, disponible en ligne :
www.cvce.eu/education • Jean Vibert, « Le plan de Constantine », La Revue
du Trésor, no 7, juillet 1960.
MELOUZA-BENI ILLEMANE
Dans la nuit du 28 au 29 mai 1957, 301 hommes et adolescents,
soupçonnés de sympathies messalistes, sont exécutés à la mitraillette, à la
hache, à la pioche ou au couteau par plusieurs dizaines de maquisards affiliés
au FLN*, accompagnés de 200 civils originaires des alentours. 105 personnes
sont blessées. Les faits ont lieu à la limite des départements de Sétif et de
Médéa, dans la mechta Kasbah, peuplée de 700 habitants et rattachée au
douar Beni-Illemane, distant d’une dizaine de kilomètres du village de
Melouza.
Le massacre est ordonné par Abdelkader Bariki, dit Sahnoun, sous-
lieutenant de la Wilaya 3* de l’ALN*, un proche d’Amirouche Aït Hamouda,
placé sous l’autorité du colonel Saïd Mohammedi* – qui reconnaît sa
responsabilité dans le documentaire de Benjamin Stora*, Les Années
algériennes, diffusé sur Antenne 2 en septembre 1991.
La tuerie s’inscrit dans le conflit entre le FLN et le MNA* dont les
groupes armés ont été évincés de Kabylie pour se replier dans le Sud-
Algérois. Elle reflète cependant un autre antagonisme, ravivant des rivalités
de longue date, dans la mesure où la mechta Kasbah est arabophone tandis
que ses bourreaux sont berbérophones.
Dans un tract, la Wilaya 3 justifie ces exécutions en accusant les
villageois d’être des « traîtres » – avant la tuerie, la mechta Kasbah accueillait
plus volontiers les combattants messalistes – et prévient ainsi leurs voisins du
sort réservé à « ceux qui ne veulent pas marcher avec la Glorieuse ALN ».
Pourtant, devant l’émotion suscitée par le massacre, la direction du FLN
refuse d’en endosser la responsabilité pour la rejeter sur l’armée française.
En effet, cette attitude fait suite à l’appel de René Coty, radiodiffusé le
31 mai, dans lequel le président français invite le « monde civilisé » à refuser
« toute audience aux fauteurs et aux agents de ce hideux terrorisme qui foule
aux pieds toutes les lois divines et humaines au mépris de la conscience
universelle ». Les autorités françaises cherchent à mettre à profit l’onde de
choc créée par la tuerie. Une plaquette intitulée Melouza & Wagram
accusent… est publiée par le service de l’information du Gouvernement
général* de l’Algérie.
En réaction, M’hamed Yazid envoie, le 3 juin, un télégramme au
secrétaire général des Nations unies* proposant « une enquête internationale
sur les méthodes utilisées par les belligérants en Algérie ». Le même jour,
lors d’une conférence de presse organisée par le FLN à Tunis, Frantz Fanon*
déclare : « L’odieuse machination de Melouza […] donne la mesure du
cynisme et de la perfidie monstrueuse des autorités françaises. »
À l’inverse, le représentant du MNA aux États-Unis*, El Abed Bouhafa,
publie à la même date un communiqué condamnant le FLN – sans le
nommer – mais aussi « la tentative faite par le Président Coty de jeter le
discrédit sur cette cause en profitant de la tragédie de Melouza ». Le MNA
diffuse un tract accusant « les bandes criminelles et barbares agissant sur les
directives des pseudo-patriotes du FLN », tout comme le « gouvernement
français et sa presse [qui] se précipitent avec avidité sur ce drame, cherchant
à discréditer la lutte du peuple algérien ».
Le parti messaliste lance un mot d’ordre de « grève* générale de deuil »
pour le 5 juin. En région parisienne, 521 débits de boissons sont fermés et
11 % des travailleurs algériens suivent ces consignes à Courbevoie,
Levallois-Perret, Puteaux, Saint-Ouen, ainsi que dans les 10e, 12e, 17e, 18e et
19e arrondissements de Paris. Le nord, l’est et le centre de la France sont
davantage touchés. Mais le MNA accuse la CGT* et le PCF* d’avoir
« saboté » l’appel.
Le PCF se distingue de la gauche en relayant la thèse avancée par le FLN.
Cette attitude est saluée par Bachir Hadj Ali* qui écrit le 12 juin à Maurice
Thorez : « Seul le PCF et sa presse ont tenu tête […] au déferlement de
calomnies déversées sur les Algériens pour salir notre juste cause. » A
contrario, une dizaine d’intellectuels, dont Claude Bourdet*, Jean Daniel ou
Jean Rous, « lancent un appel instant aux dirigeants du FLN et de l’ALN
pour que ceux-ci désavouent publiquement de pareils procédés de combat ».
Début juin, 200 ouvriers algériens quittent par avion la région parisienne
pour servir dans l’armée française. D’après un rapport, ils sont partis pour
« faire payer la dette du sang à ceux qui ont massacré les leurs ». Fin juillet,
trois responsables du massacre sont retrouvés dans l’Algérois, exécutés d’une
balle dans la nuque (La Dépêche quotidienne d’Algérie, 3 août 1957).
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Les Français devant la guerre civile
algérienne », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français,
Fayard, 1990 • James D. Le Sueur, Uncivil War. Intellectuals and Identity
Politics during the Decolonization of Algeria, Lincoln, University of
Nebraska Press, 2005 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002.
MÉMORIAL NATIONAL
DE LA GUERRE D’ALGÉRIE
Le Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc* et
de la Tunisie*, situé quai Branly à Paris, est l’œuvre de Gérard Collin-
Thiébaut, artiste français né en 1946. Ce mémorial se divise en trois colonnes
parallélépipédiques de 5,85 mètres de hauteur sur 60 centimètres de côté,
illuminées par des diodes aux couleurs du drapeau français. Le nom du
mémorial est inscrit sur les côtés des première et troisième colonnes. Il se
regarde en étant face au sud, tourné vers l’Algérie.
Il a été inauguré le 5 décembre 2002 par le président de la République
Jacques Chirac*, qui souligne dans son discours la reconnaissance tardive de
la République à l’égard des soldats français qui ont participé au conflit (par la
loi d’octobre 1999) et les difficultés de la mémoire de cette guerre. Le
mémorial montre d’autant plus une volonté de rattraper le retard qu’il se situe
au pied de la tour Eiffel. La date d’inauguration du mémorial a ensuite été
choisie pour commémorer la « journée nationale d’hommage aux morts pour
la France pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la
Tunisie », par un décret passé le 26 septembre 2003. Elle est cependant
rejetée par une partie des anciens combattants* qui lui préfèrent le 19 mars*.
Sur le parterre devant le monument est inscrit le texte suivant : « À la
mémoire des combattants morts pour la France lors de la guerre d’Algérie et
des combats du Maroc et de la Tunisie, et à celle de tous les membres des
forces supplétives, tués après le cessez-le-feu en Algérie, dont beaucoup
n’ont pas été identifiés. » Les noms et prénoms des soldats français (appelés
et militaires de carrière) et des supplétifs* (dont les harkis*) défilent sur les
première et troisième colonnes. Les noms sortent du sol, faisant s’élever le
regard, dans une symbolique classique de mort et de spiritualité. La troisième
colonne est reliée à une borne interactive permettant la recherche d’un nom.
La deuxième colonne est consacrée à des messages, rappelant notamment
le nombre de soldats ayant servi en Afrique du Nord. Depuis 2010, elle
indique aussi les noms des civils français morts et disparus. Une plaque se
situant sur le côté gauche du mémorial, érigée en 2006, rappelait déjà leur
souvenir. Parmi les noms de civils qui défilent figurent ceux de la fusillade*
du 26 mars 1962, ce qui crée d’importantes polémiques (l’OAS* ayant
organisé cette manifestation). De plus, le 28 février 2012, le nouveau
secrétaire d’État aux Anciens Combattants Marc Laffineur y fait figurer
1 585 nouveaux noms de civils disparus au cours d’une cérémonie qui se
termine par Le Chant des Africains, l’hymne des nostalgiques de l’empire
colonial. L’initiative suscite de nouvelles protestations. Ce monument, venant
combler un manque qui a longtemps existé, est donc aussi symbolique des
tensions mémorielles autour de la guerre d’Algérie.
Tramor QUEMENEUR
Bibl : Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie : une mémoire apaisée ?,
Seuil, 2005 • Tramor Quemeneur, « Un mémorial pour la guerre d’Algérie »,
Textes et documents pour la classe, no 1103, avril 2016.
MINES
Dès 1955, les artificiers de l’ALN* fabriquent des mines artisanales,
souvent à base d’obus d’artillerie modifiés. Dissimulées sur les itinéraires des
patrouilles ou des convois français, elles se déclenchent généralement sous un
véhicule. Puis les combattants algériens produisent au fil du temps des mines
plus puissantes, indétectables par les appareils magnétiques. De leur côté, les
forces françaises utilisent bien plus massivement des mines, en protection des
nombreux postes quadrillant le territoire : mines éclairantes, mines
antipersonnels APID 51 (antipersonnel à pression indétectable modèle 1951)
et APMB-51/55 (antipersonnel métallique bondissante modèle 1951
modifiées en 1955). Les premières, dites « encrier » en raison de leur forme,
contiennent quelques dizaines de grammes d’explosifs dans une enveloppe en
plastique. Enfouies, elles arrachent le pied. Les secondes, fixées sur un
piquet, sont reliées à un fil tendu à quelques centimètres du sol. Leur
détonateur déclenche deux charges : une première propulse la mine à hauteur
d’homme, puis une seconde plus puissante projette des billes d’acier à
plusieurs dizaines de mètres alentour. L’armée française emploie également
plus de 3 millions de mines le long des barrages* frontaliers. Plus rarement, à
la fin du conflit, les commandos* de chasse posent des mines sur les sentiers
empruntés par leurs adversaires.
En 1963, l’Algérie, qui estime à 11 millions le nombre de mines posées
par la France, entreprend la dépollution de son territoire. D’anciens harkis*,
mal préparés et mal équipés, employés comme démineurs, paient un lourd
tribut. Selon un décompte d’Alger, 8 millions de mines sont neutralisées
jusqu’en 1988, avant une suspension des chantiers en raison de la guerre
civile. Le 20 octobre 2007, à la demande du président Sarkozy*, le général
Georgelin, chef d’état-major des armées, remet officiellement au général
Ahmed Gaïd Salah, son homologue algérien, les plans des zones minées entre
1956 et 1959. Reprenant ses opérations, l’Algérie traite également des zones
polluées par les maquis islamistes durant les années 1990 ainsi que des sites
stratégiques minés à la même époque par son armée. Elle neutralise ainsi
600 000 engins supplémentaires jusqu’en janvier 2017. Elle met alors fin au
déminage, tout en évaluant à 3 millions le nombre d’engins non retrouvés.
Selon Ahmed Gaïd Salah, devenu vice-ministre algérien de la Défense, les
mines françaises ont causé la mort de 4 830 moudjahidines* durant la guerre
et de 2 470 civils depuis l’indépendance. Un travail conjoint sur les mines
aux frontières est l’une des vingt-deux recommandations du rapport Stora*
rendu en janvier 2021.
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Frédéric Médard, Technique et logistique en Algérie. L’armée
française et son soutien, 1954-1962, Panazol, Lavauzelle, 2004.
MISSION DE FRANCE
La Guerre d’indépendance algérienne trouve à la Mission de France,
créée le 24 juillet 1941 pour former des prêtres chargés d’évangéliser les
régions les plus déchristianisées, un lieu particulièrement sensible à ses
enjeux. L’institution missionnaire a des équipes en Algérie qui prennent
conscience de la réalité coloniale et nouent des liens avec les nationalistes
avant même le 1er novembre 1954*. Celle de Souk Ahras est expulsée du
Constantinois en avril 1956 pour ses activités « plus politiques que
religieuses » ; d’autres en métropole exercent leur ministère auprès de
l’immigration algérienne. Certains de ses séminaristes et de ses prêtres,
appelés et rappelés en Algérie, sont confrontés à la question de
l’insoumission. Désireux d’être solidaires des Algériens, qui représentent
pour eux la figure du « pauvre » de l’Évangile, des prêtres font le choix d’un
engagement radical. Certains participent au Comité de résistance spirituelle
qui publie en mars 1957 Des rappelés témoignent…, dossier accablant sur la
répression militaire en Algérie, d’autres à des réseaux de soutien au FLN*.
De nombreuses équipes manifestent leur refus de l’option militaire prise par
les gouvernements successifs en Algérie. La mobilisation des prêtres atteint
son point culminant fin janvier 1958 à Paris lors d’une session de réflexion
sur « les problèmes posés par la guerre d’Algérie ». Dans les conclusions
(mars 1958), approuvées non sans réticence par le cardinal Liénart, prélat de
la Mission de France, et largement reprises par la presse*, l’institution prend
officiellement position sur le droit à l’indépendance du peuple algérien :
« S’il est avéré qu’en Algérie un peuple existe et veut exister comme distinct
du peuple français, nous pouvons donc nettement déclarer que l’Église n’est
pas davantage opposée là qu’ailleurs à l’accession de ce peuple à son
indépendance. » Ce texte constitue la ligne officielle jusqu’à la fin du conflit :
dénonciation morale de la torture* et des exactions de toutes sortes,
reconnaissance des droits légitimes du peuple algérien et refus d’agir au nom
de principes politiques. Cette position sera, entre 1958 et 1962, mise à
l’épreuve des arrestations, des perquisitions et des procès retentissants des
plus radicaux de ses prêtres (Christien Corre, Jobic Kerlan, Robert
Davezies*) qui façonnent l’image d’une institution qui a contribué à faire
accepter à l’opinion* l’évolution progressive de l’Algérie vers son
indépendance.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Tangi Cavalin et Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de
France (1941-2002). La riposte missionnaire, Karthala, 2007 • Sybille
Chapeu, Trois prêtres et un pasteur dans la guerre d’Algérie, GRHI, 1996
• —, Des chrétiens dans la guerre d’Algérie : l’action de la Mission de
France, L’Atelier/Témoignage chrétien, 2004.
MONDE (LE)
Le quotidien de la rue des Italiens joue un rôle à part dans la
médiatisation de la guerre d’Algérie. Si son engagement est plus tardif que
celui de la presse* anticolonialiste, son positionnement légaliste, plutôt
modéré et respectueux des institutions*, tout comme son audience croissante,
contribuent à donner une résonance singulière à sa critique de la politique
gouvernementale et des pratiques de l’armée française.
L’intérêt du journal pour l’Algérie ne date pas de la Toussaint 1954.
Durant la guerre d’Indochine*, la rédaction du Monde suit le dossier algérien
et doute que l’Algérie puisse rester durablement française sans un effort
financier démesuré. Hubert Beuve-Méry et son équipe sont cependant surpris
par une insurrection qui est d’abord lue sous l’angle du terrorisme. Loin
d’adopter d’emblée une position anticolonialiste, ils se révèlent plutôt
respectueux des choix du gouvernement Mendès France*, attachés à offrir
aux lecteurs une couverture permettant de comprendre la situation, sans pour
autant se priver de poser des questions aux autorités françaises. Aussi le
journal propose-t-il des reportages et des correspondances (André Leveuf,
Georges Penchenier…) tout en ouvrant ses colonnes à des expertises
extérieures. Dès août 1955 cependant, le reportage de Penchenier, « Une
guerre impitoyable de race et de religion », engendre une première tension
avec le gouvernement d’Edgar Faure.
Dès la fin de l’année 1955, Beuve-Méry et ses rédacteurs sont persuadés
que l’Algérie ne pourra rester française et que les pratiques de l’armée
française sont contestables. À partir de janvier 1956 et de l’éditorial d’André
Chênebenoit intitulé « Quand la faute s’ajoute au crime », les articles
critiques sont plus fréquents. Le 5 avril 1956, c’est dans Le Monde que paraît
la célèbre tribune d’Henri-Irénée Marrou « France, ma patrie… » ; le
professeur d’histoire des religions à la Sorbonne y affirme qu’« on ne défend
pas une noble cause par des moyens infects », ce qui lui vaut une perquisition
de la DST à son domicile. Ces prises de position et l’arrestation à la fin de
l’année 1956 d’André Mandouze*, proche ami d’Hubert Beuve-Méry,
contribuent à la détérioration des relations entre Le Monde et le
gouvernement de Guy Mollet* qui riposte aux attaques par de multiples
saisies en Algérie, des amendes et une interdiction d’augmentation du prix de
vente du quotidien.
Avec la bataille d’Alger*, Le Monde dénonce désormais ouvertement les
crimes de l’armée française et se fait l’écho des actions de résistance
engagées en France et en Algérie. Ainsi, le 13 mars 1957, sous le
pseudonyme Sirius, Beuve-Méry livre un éditorial consacré au livre de
Pierre-Henri Simon et intitulé « Sommes-nous les vaincus de Hitler ? ». Le
quotidien couvre les différentes affaires* (relèvement du général de la
Bollardière*, affaires Audin* et Alleg*, publication de différents rapports
d’enquête…) et défend dès le début de l’année 1958 l’idée d’une
négociation*.
Pendant les événements qui font suite au 13 mai 1958*, le quotidien subit
la saisie de 142 948 exemplaires du journal entre le 13 mai et le mois
d’octobre 1958 en Algérie tandis qu’un censeur est présent dans les locaux du
journal entre le 26 mai et le 4 juin 1958, présence que conteste Beuve-Méry
en retirant son nom de la manchette du journal. Le retour de De Gaulle*
provoque d’ailleurs des remous au sein de la rédaction. Face à un Beuve-
Méry d’abord attentiste puis finalement favorable à l’option de Gaulle,
plusieurs rédacteurs manifestent leur opposition à ce retour, Claude Estier
allant jusqu’à démissionner du quotidien.
Une fois les institutions de la Ve République* mises en place, le titre se
montre vigilant à l’égard d’un nouveau pouvoir qu’il invite à régler
rapidement la question algérienne. Les éditoriaux de Sirius sur ce thème se
multiplient, le quotidien publie les articles engagés de Pierre-Henri Simon ou
de Pierre Vidal-Naquet* (« Le vrai crime », 6 mai 1961) et évoque de
manière quasi quotidienne le « Manifeste* des 121 ». Un positionnement de
la rédaction qui lui vaut le plasticage des domiciles de plusieurs de ses
rédacteurs. Pourtant, le titre publie aussi le « Manifeste des intellectuels
français » le 7 octobre 1960 et donne régulièrement la parole aux partisans de
l’Algérie française.
Précocement favorable à la négociation, le titre se rallie finalement
tardivement à l’indépendance. Durant cette période, l’engagement du
quotidien a différé de celui de la presse militante car le titre est resté
légitimiste, n’a jamais basculé dans l’antimilitarisme et n’a jamais refusé la
guerre, à condition que celle-ci respecte le droit des individus. Ce
positionnement lui a permis d’affirmer son indépendance à l’égard des
pouvoirs politiques et de renforcer son audience.
François ROBINET
Bibl. : Patrick Éveno, Histoire du journal Le Monde, 1944-2004, Albin
Michel, 2004 • Patrick Éveno et Jean Planchais, La Guerre d’Algérie, dossier
et témoignages, La Découverte-Le Monde, 1989.
MONDE COMMUNISTE
Dès la fondation du Komintern en 1919, le mouvement communiste
mondial condamne le régime colonial et soutient les mouvements de
libération nationale des colonies tout en luttant contre les guerres et en
défendant l’Union soviétique. La guerre d’Algérie doit être replacée dans ce
contexte pour comprendre la politique communiste mondiale. Jusqu’au
milieu des années 1950, cette politique est déterminée par le Kominform.
Cette organisation centralisée du mouvement communiste international,
successeur du Komintern, créée en 1947 et dissoute en 1956, réprouve toute
forme de nationalisme* (gandhisme, panarabisme, etc.) manifestée dans les
colonies. Moscou et les communistes attaquent violemment les partisans de la
troisième voie (comme Nehru) qui veulent rester neutres dans la lutte entre le
« camp de la paix » et « celui de la guerre ». La véritable indépendance ne
peut être réalisée que par la lutte des ouvriers et des paysans, dirigée par le
parti communiste et aboutissant à la révolution démocratique et populaire
(socialisme). La bourgeoisie nationale n’en est pas capable, et est considérée
comme « le laquais de l’impérialisme ». Suivant cette ligne, Larbi Bouhali,
secrétaire du PCA*, écrit un long article en juin 1955 dans l’organe
central du Kominform, « Pour la paix durable, pour la démocratie
populaire », sur la lutte des patriotes algériens contre le régime colonial. Dans
cet article, il ne désapprouve pas la résistance armée mais critique aussi les
patriotes pour leur programme insistant exclusivement sur l’indépendance
nationale à atteindre, sans exprimer de contenu social, et pour leur méthode
donnant la priorité à la lutte armée et sous-estimant le combat politique.
Cette ligne commence à subir un changement après la disparition de
Staline. Les résolutions du XXe congrès du PCUS (février 1956) consacrent
l’ouverture vers les mouvements politiques anticoloniaux non communistes.
La bourgeoisie nationale est réhabilitée et reconnue comme force politique
autonome et anti-impérialiste. Ce même congrès adopte une nouvelle doctrine
de politique extérieure soviétique devenue aussi la ligne générale du monde
communiste, « la coexistence pacifique ». Cette doctrine préfère le dialogue à
la confrontation (ou au moins la combinaison des deux) avec les États-Unis*
et ses alliés. Le titre de la nouvelle revue* théorique du mouvement
communiste international Paix et socialisme, rédigée à Prague et publiée en
16 langues dès 1958, exprime bien le sens de la nouvelle doctrine. Entre 1958
et 1962, 15 articles sont écrits par les communistes algériens, présentant la
situation de la guerre d’Algérie et contribuant largement à ce que les
conditions historique, politique, sociale du problème algérien soient connues
par le monde entier. C’est la direction extérieure installée dans la capitale
tchécoslovaque qui organise la campagne de sensibilisation pour la cause des
Algériens. Henri Alleg*, l’auteur de La Question, évadé de la prison* de
Rennes et arrivé à Prague en octobre 1961, s’y distingue particulièrement.
Sollicité par la presse internationale, il donne des interviews, participe à des
émissions de radio* et de télévision, écrit des articles. La consécration
triomphale de la nouvelle stratégie tiers-mondiste, ouverture vers les forces
politiques non communistes, a lieu à la réunion des 81 partis communistes à
Moscou en novembre 1960. La déclaration finale stipule : « L’écroulement
du système de l’esclavage colonial sous la poussée du mouvement de
libération nationale est un phénomène qui, par son importance historique,
vient immédiatement après la formation du système mondial du socialisme ».
Dans cette nouvelle stratégie communiste, les mouvements de libération
nationale reprennent la deuxième place parmi les forces révolutionnaires
internationales aux mouvements communistes des pays développés. En moins
de dix ans, la bourgeoisie nationale arrive à faire une « carrière »
foudroyante : du traître, du laquais de l’impérialisme, elle devient l’alliée
privilégiée. Malgré cette évolution idéologico-politique, le mouvement
communiste n’a de stratégie élaborée commune ni à l’égard du mouvement
de libération nationale en général, ni concrètement pour la guerre d’Algérie.
Il faut donc constater l’absence de politique coordonnée du mouvement
communiste à l’égard de la guerre d’Algérie, lutte armée anticoloniale la plus
marquante à l’échelle internationale pendant toute sa durée.
Il existe cependant quelques cas où une coordination a lieu, par exemple
lors de la participation des plus hauts responsables communistes au débat à
l’Assemblée générale de l’ONU* à l’automne 1960. Au début du conflit, le
soutien du monde communiste aux Algériens se fait par le biais du Conseil
mondial de la paix (CMP), mais surtout à travers des activités de la
Fédération syndicale mondiale (FSM), tous les deux sous obédience
communiste. Pour le CMP, la colonisation est vue comme une menace à la
paix. Le FSM organise la première campagne à l’échelle internationale en
faveur de la cause algérienne. À son quatrième congrès à Leipzig, en RDA*,
en octobre 1957, Oudjina Driss, dirigeant syndicaliste algérien, y tient un
discours bouleversant sur les atrocités de l’armée française. Il envoie un
télégramme au secrétaire général de l’ONU réclamant la condamnation de la
politique algérienne du gouvernement français. Il consacre le 15 novembre
(jour du début du débat sur l’Algérie à l’ONU) comme « Jour de l’Algérie »,
afin d’appeler à la mobilisation solidaire pour « la reconnaissance de
l’indépendance du peuple algérien ». Ce jour-là, partout dans le monde, sont
organisées diverses manifestations (meetings, conférences, articles de presse)
contribuant grandement à la sensibilisation du conflit algérien.
L’émergence impressionnante du tiers-monde provoque cependant des
divergences graves dans le monde communiste à propos des mouvements de
libération nationale des colonies, lesquelles aboutissent à la scission entre la
Chine* et l’URSS*. Pékin critique, plus tard attaque violemment, Moscou
pour sa politique de « coexistence pacifique », visant à créer le duopole
américano-soviétique en vue de partager le monde en zones d’influence. La
Chine accuse les Soviétiques d’avoir trahi la cause du peuple algérien : « La
direction du PCUS s’est non seulement abstenue de tout soutien pendant
longtemps, mais elle s’est rangée du côté de l’impérialisme français »,
affirme Renmin Ribao, le quotidien du Parti communiste chinois, le
22 octobre 1963. Moscou accuse les Chinois de vouloir provoquer une guerre
thermonucléaire. La politique de coexistence pacifique éveille aussi la
méfiance du FLN* : « La coexistence pacifique, si elle doit aboutir au partage
du monde en zones d’influence entre les deux blocs, ne peut que nous être
préjudiciable. [C’est pourquoi] le bloc naturel auquel nous pouvons nous
joindre, c’est le bloc afro-asiatique », déclare Debaghine, ministre du
GPRA*. Le débat entre les deux grandes puissances communistes se
répercute dans le mouvement communiste mondial, provoquant des désarrois,
mais n’empêche pas la mobilisation des masses contre la guerre. Au cours
des dernières années de la guerre d’Algérie, en raison de la situation
intérieure française très tendue (tentatives de coup d’État, attentats d’extrême
droite), c’est le mot d’ordre « Paix en Algérie » qui paraît le mobilisateur le
plus efficace des mouvements organisés par les communistes en faveur de
l’indépendance de l’Algérie. Les essais nucléaires* français au Sahara
suscitent aussi la protestation des communistes et pacifistes du monde. Dans
ce cas aussi, comme au début de la guerre, c’est le CMP qui joue un rôle
primordial. Mais malgré le soutien du monde communiste,
l’anticommunisme du FLN ne se réduit pas.
László NAGY
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Débat sur la ligne générale du mouvement communiste
international, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1965 • El Moudjahid.
Organe central du Front de libération nationale [imprimé en Yougoslavie],
juin 1962, t. I-III, particulièrement no 20 (mars 1958).
MONDE OCCIDENTAL
Le monde occidental se compose de plusieurs ensembles. Pour
l’essentiel, il est constitué par les adhérents du Pacte atlantique de 1949,
resserré par les engagements militaires conclus au sein de l’Otan. Aux
composants européens de ce système (États-Unis*, Canada, France, Grande-
Bretagne, Italie*, Benelux, Danemark, Grèce Norvège, Portugal, Turquie), il
faut ajouter un allié (l’Espagne) et des pays neutres : Suède et Suisse*. Tous
ces pays partagent, sauf exception (péninsule Ibérique) les mêmes institutions
politiques démocratiques, le libéralisme économique, le rejet du
communisme. On peut secondairement évoquer des pays lointains, unis par
d’autres alliances (Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Chine
nationaliste, etc).
La France est évidemment un élément très important de cet ensemble.
Son statut de grande puissance, même très diminuée depuis 1940, sa
puissance économique en cours de restauration, ses forces armées
reconstituées, sa position stratégique, en font un partenaire de grande valeur.
Le gouvernement français a d’ailleurs insisté pour faire inscrire « les
départements français d’Algérie » au nombre des territoires garantis par le
traité de l’Atlantique nord (article 6). Cette influence s’étend au-delà,
confortée par un rayonnement intellectuel et culturel qui demeure
particulièrement vif.
Au départ, les alliés de la France, quels que soient les jugements qu’ils
portent sur sa politique, se gardent de s’opposer à elle, tout en donnant des
conseils de modération, et acceptent la thèse française qui fait de l’Algérie
une affaire intérieure. Ils ne paraissent guère prêts à aller beaucoup plus loin
dans leur soutien. Ils n’ignorent pas qu’une des principales raisons de
l’attachement français à l’Algérie réside dans le maintien d’un statut de
grande puissance, statut qu’ils ne tiennent pas à défendre, surtout quand ces
ambitions ou prétentions risquent de compromettre les bonnes relations avec
les pays nouvellement indépendants d’Afrique et d’Asie, voire les amener à
se rapprocher du camp de l’Est. Il leur semble discutable que la défense de
l’Europe, menacée par l’URSS* et ses alliés du pacte de Varsovie, puisse être
mise sérieusement en danger par l’indépendance algérienne. Enfin, ils
désapprouvent la violence des méthodes auxquelles a recours l’armée
française, qu’ils découvrent peu à peu par la presse* et les reportages des
correspondants de guerre, méthodes jugées contraires à l’humanisme et aux
principes de liberté des peuples dont ils se réclament face au monde
communiste*.
Ces analyses politiques et cette sensibilité conduisent à ne manifester
qu’une solidarité limitée aux thèses françaises. La seule exception réside dans
l’appui donné au gouvernement français de Guy Mollet* par le gouvernement
britannique d’Antony Eden pour organiser l’expédition de Suez*, afin de
mettre fin au pouvoir du président Nasser, alliance dont le fiasco complet ne
suscite guère d’émulation. Au total, la solidarité occidentale envers la France
se manifeste par le refus de leurs représentants à l’ONU* de voter des
décisions qui amèneraient l’organisation à se saisir de la question algérienne.
Grâce à leur abstention, aucune résolution n’obtient la majorité défavorable à
la France. De même, les Occidentaux se refusent à reconnaître le GPRA*.
Grâce à eux, les gouvernements français peuvent se vanter de contrôler
jusqu’au bout la maîtrise complète de l’affaire algérienne.
Les opinions publiques* occidentales n’ont évidemment pas été sans
peser sur leurs gouvernements. À l’instar de ce qui se passe en France
métropolitaine, toute une sensibilité politique située le plus souvent à gauche
(sociaux-démocrates, notamment SPD allemand, PCI italien, Labour
britannique, mouvance trotskiste*) est portée à dénoncer l’impérialisme, le
colonialisme et la guerre, et à faire bon accueil aux thèses des nationalistes
algériens. Il en va de même au sein des courants syndicaux, d’autant plus que
le FLN* a obtenu l’adhésion des syndicats algériens à la Confédération
internationale des syndicats libres (CISL), dont font partie les plus puissantes
centrales américaines et allemandes. Les sympathies sont également
nombreuses au sein des Églises chrétiennes, ainsi que chez nombre
d’intellectuels, attachés à réclamer la paix en Algérie. D’autres sympathies se
manifestent au sein du grand patronat européen, notamment celle du pétrolier
italien Enrico Mattei. Par suite, les gouvernements sont amenés à laisser une
certaine liberté de mouvement et donc une certaine audience aux
représentants du FLN en Europe et aux États-Unis.
De son côté, le FLN a multiplié les représentations et les missions, en
utilisant un certain nombre de relais : ambassades arabes, étudiants*
maghrébins, travailleurs immigrés, même encore relativement peu nombreux
(quelques milliers en Belgique*, RFA* et Pays-Bas*). Il diffuse des
journaux, organise des conférences. À partir de 1957-1958, il implante des
représentations officieuses dans les grandes capitales européennes (Londres,
Rome, Bonn). Une délégation très importante, destinée à agir auprès de
l’ONU, est installée à New York, essentiellement représentée par M’hamed
Yazid et Abdelkader Chanderli, munis au départ de passeports tunisiens.
Outre une active propagande*, ce réseau établit des filières qui facilitent la
circulation des fonds et des armes destinés au FLN, ainsi que la rencontre de
responsables en dehors du territoire français. Des attentats sont destinés,
comme en France métropolitaine, à intimider les Algériens immigrés,
relativement nombreux, en Belgique et en Allemagne.
Les formes de coopération consenties par les pays occidentaux sont
diverses. Les plus innocentes résident dans l’octroi d’un certain nombre de
bourses accordées à de jeunes Algériens par les autorités universitaires
allemandes, suisses ou américaines. La neutralité suisse est largement utilisée
pour le transfert des fonds très importants prélevés en France parmi les
travailleurs algériens. De manière plus compromettante, certaines firmes
occidentales (sociétés allemandes, belges, italiennes) n’hésitent pas à livrer
des matériels de guerre destinés à l’ALN*. Les autorités italiennes,
espagnoles et surtout grecques ferment les yeux sur le trafic d’armes* vers
l’Algérie. Tout ceci entraîne naturellement des protestations des diplomates
français, et parfois des actions armées des services spéciaux. Les
gouvernements européens répondent en exerçant une certaine surveillance
des militants jugés les plus dangereux, et parfois en réprimant certaines
activités (arrestation du leader trotskiste Michel Raptis, dit Pablo, pour
fabrication, en RFA et aux Pays-Bas, de faux billets en francs français). En
revanche, les autorités suisses, et notamment le diplomate Olivier Long,
participent à la préparation des accords d’Évian*, et hébergent la délégation
algérienne sur leur territoire.
À partir de 1961, les pays européens voisins accueillent aussi des
militants de l’Algérie française en révolte contre la politique gaullienne.
L’OAS* est créée en Espagne, et trouve de solides appuis en Belgique. Des
pressions analogues à celles qui s’étaient exercées contre le FLN sont
employées par Paris pour affaiblir la menace : tandis que le colonel Argoud*
est enlevé sur le territoire de la RFA par les services spéciaux français, des
pressions diplomatiques amènent le gouvernement allemand à expulser un
autre adversaire du régime, l’ancien président Georges Bidault.
Au total, la fin de la guerre d’Algérie constitue un grand soulagement
pour le camp occidental.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Jean-Paul Cahn et Klaus-Jürgen Müller, La République fédérale
d’Allemagne et la guerre d’Algérie, Le Félin, 2003 • Gilbert Meynier,
Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.
MONTLUC
À Lyon*, « fort Montluc » désigne un dispositif spatial constitué d’une
caserne, d’un tribunal militaire et d’une prison*. De fait, il condense
l’intégralité du dispositif répressif déployé durant la Guerre d’indépendance
telle qu’elle se déroule en France. Avec l’extension des pouvoirs spéciaux* à
la métropole, la caserne sert de « centre d’identification ». Des milliers
d’Algériens y sont détenus et fichés après avoir été raflés en 1957, ainsi que
des Algériennes qui manifestaient en novembre 1961. Le tribunal permanent
des forces armées (TPFA) poursuit des soldats insoumis ou déserteurs, des
objecteurs de conscience, des communistes et pacifistes, pour « entrave
violente à la circulation de matériel nécessaire à la Défense nationale ». Ainsi
les manifestations* de 1956 contre des trains militaires se soldent par des
arrestations et condamnations. Puis une ordonnance du 8 octobre 1958
confiant aux TPFA toutes les atteintes à l’intégrité du territoire national, celui
de Montluc juge les membres des réseaux de soutien ainsi que ceux des
groupes armés du FLN* et du MNA*. Les commissaires du gouvernement,
partisans de « la plus grande France » et exerçant aussi parfois en Algérie
durant la guerre, obtiennent de lourdes peines : près de dix ans pour des
« porteuses de valises* », la mort pour des Algériens responsables
d’assassinats. La prison se remplit et se transforme. Elle est partagée en deux
ailes (hommes et femmes), militaires et civils sont séparés, et le quartier des
condamnés à mort est agrandi et sécurisé. C’est à Montluc que la peine de
mort est la plus exécutée : onze Algériens y sont guillotinés. Après
l’indépendance, des membres de l’OAS*, des réseaux de soutien et des
objecteurs de conscience, exclus de l’amnistie*, y restent jusqu’en 1964. Les
mémoires de ces détentions resurgissent à partir de 2010, quand Montluc
devient un mémorial exclusivement centré sur la Seconde Guerre mondiale.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Marc André, Une prison pour mémoire. Montluc de 1944 à nos jours,
Lyon, ENS Éditions, 2022 • —, « Expériences carcérales et traductions
picturales. Le témoignage du peintre et objecteur de conscience Didier
Poiraud durant et après la guerre d’indépendance algérienne (1961-1964) »,
L’Année du Maghreb, no 20, 2019 • —, « Requérir la peine de mort. Les
magistrats militaires entre la France et l’Algérie durant la guerre
d’indépendance algérienne », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 142,
no 2, 2019.
MOSTEFAÏ-SUSINI, ACCORD
Cet accord du 17 juin 1962 est en réalité une double déclaration
radiodiffusée de ses deux principaux négociateurs : le Dr Mostefaï pour le
FLN* et Jean-Jacques Susini* pour l’OAS*. Il sanctionne une négociation*
qui dure depuis la mi-mai et dont il faut saisir les logiques. Du côté de l’OAS,
le rejet radical des accords d’Évian* et la politique de terre brûlée n’ont pas
provoqué le chaos attendu. Les arrestations ont aussi désorganisé l’OAS et la
population européenne, traumatisée par la fusillade de la rue d’Isly*, songe
d’abord à l’exil. Susini souhaite donc trouver un débouché politique ; une
volonté partagée dès la mi-mai par Abderrahmane Farès, le président de
l’Exécutif provisoire*. Un premier face-à-face débouche sur l’accord de
l’Alma du 18 mai 1962. Il est mort-né car jugé trop avantageux pour les
Européens. Reprises à la fin mai sous la médiation de Jacques Chevallier* et
dorénavant conduites côté FLN par Chawki Mostefaï, son représentant à
Alger, les négociations, très laborieuses, aboutissent. Mostefaï s’engage sur
trois points. Il mentionne l’OAS, ce qui confère à cette dernière une légitimité
qui lui avait été déniée par les négociateurs d’Évian. Il indique en outre que
les « forces algériennes du maintien de l’ordre doivent être les forces de
l’Algérie tout entière » et donc inclure des Européens. Explicitement
évoquée, l’amnistie* « sera prononcée dès que les conditions de souveraineté
le permettront ». En retour, Susini se félicite d’un « accord entre Algériens »
et donne ordre, au nom de l’OAS, « de suspendre les combats et d’arrêter les
destructions ». À moins de trois semaines du référendum* du 5 juillet,
l’existence de l’accord et sa proclamation publique, dont la lettre semble
garantir une sortie de conflit pacifiée, sont-elles suffisantes ? La réponse est
négative. L’OAS-Oran se berce encore de l’illusion d’une enclave territoriale
française dans l’Algérie indépendante et sa radio* proclame le 19 juin que
« la lutte continue ». Du côté du FLN, la représentativité des négociateurs est
immédiatement contestée. L’Exécutif provisoire est mis en cause par le
GPRA* tandis que la Zone autonome d’Alger* prend ses distances avec le
texte. Pour citer Gilbert Meynier*, la crise née de l’accord, au FLN, est un
« ultime épisode de la lutte entre activistes et politiques ». Un constat qui
vaut aussi pour l’OAS auquel s’ajoute le fait qu’il aurait fallu pour Susini
convaincre les pieds-noirs* du bien-fondé de l’accord.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011 • Gilbert
Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.
MOTION DES 61
Le 26 septembre 1955, à l’occasion de la discussion à l’Assemblée
algérienne de projets de réformes présentés par le gouverneur général Jacques
Soustelle*, 61 élus du second collège forment un comité et votent une motion
condamnant la politique d’intégration de la France. Élus malgré la fraude
électorale, députés, sénateurs, conseillers de l’Union française et délégués à
l’Assemblée algérienne « préfabriqués » constituent une représentation
politique factice de la population colonisée, docile aux exigences de
l’administration. Si certains étaient des nationalistes de longue date, d’autres,
à l’instar du Dr Bendjelloul*, présenté comme l’instigateur de la motion,
n’avaient jamais adhéré au nationalisme*. Ces « 61 » élus du second collège
comprennent 10 députés sur 15, 5 sénateurs sur 7 et 42 élus de l’Assemblée
algérienne. La presse* coloniale décrit leur texte comme une trahison ; dans
les jours qui suivent, Bendjelloul doit se défendre d’avoir signé sous la
menace. De fait, ce retournement pose une difficulté sérieuse aux autorités
françaises.
Après l’insurrection du 20 août 1955*, la motion intervient dans le
contexte particulier des pourparlers entre le FLN* et les différentes forces
politiques, UDMA*, PCA* et Association des ulémas*, et visant à faire du
FLN le seul représentant de la population algérienne. Par l’intermédiaire des
udmistes, les cadres du FLN cherchent à saborder la représentation mal élue
du second collège. Le vote de la motion exprime d’abord la défiance des élus
« préfabriqués » vis-à-vis de l’administration française.
Sur le fond, les signataires condamnent « formellement la répression
aveugle qui frappe un nombre considérable d’innocents, appliquant le
principe de la responsabilité collective à des populations sans défense. » Ils
notent que la cause principale des troubles de l’Algérie est d’ordre politique,
et que la politique d’intégration est désormais dépassée. Ils affirment enfin
que « l’immense majorité des populations est présentement acquise à l’idée
nationale algérienne ».
La motion sera suivie, en décembre 1955, d’une campagne orchestrée par
l’UDMA de démissions d’élus dans toutes les assemblées locales. Le retrait
des signataires de la motion contribue à la dissolution de l’Assemblée
algérienne* le 12 avril 1956.
Malika RAHAL
Bibl. : Malika Rahal, L’UDMA et les Udmistes. Contribution à l’histoire du
nationalisme algérien, Alger, Barzakh, 2017.
MOUDJAHID
L’insurrection déclenchée par les dirigeants du FLN* peut être comprise
comme une « révolution » – thawra – dans le sens où elle a pour finalité la
rupture avec le colonialisme et qu’elle s’appuie sur des moyens subversifs
pour parvenir à l’indépendance. Ceci étant, dans la propagande* du FLN, la
lutte anticoloniale devient également synonyme de « guerre sainte » –
djihad –, un mot d’ordre mobilisateur, faisant de l’activiste indépendantiste
un « combattant de la foi » – moudjahid.
Pourtant, l’organe du FLN, Résistance algérienne, livre sa propre
conception du djihad dans son édition du 9 octobre 1956 : « Il met davantage
en relief la volonté inébranlable, la concentration de l’effort, l’esprit de
sacrifice total, jusqu’au martyr, en vue d’une destruction totale du système
rétrograde existant. Il ne comporte aucune haine religieuse ou raciale, aucun
exclusivisme ni conformisme si ce n’est celui de la nécessaire unité pour la
victoire finale. Le Djihad ainsi compris est la quintessence du patriotisme
libéral et ouvert. »
Cette définition, qui se réclame de la modernité – et vise un lectorat tant
interne qu’externe à la communauté des colonisés –, est reprise dans le
nouveau journal du FLN qui s’intitule El Moudjahid à partir de 1956. Si
certains cadres indépendantistes sont libéraux et ouverts à titre individuel, la
conception de la nation algérienne qui s’impose se fonde sur l’arabité et
l’islamité, s’inscrivant dans le sillage du fondateur de l’Association des
ulémas*, Abdelhamid Ben Badis, dont les disciples ont instruit de nombreux
maquisards.
Au nom de cette ambiguïté politico-religieuse – instrumentalisée par des
dirigeants parfois agnostiques, voire athées –, le moudjahid mort au combat
devient par conséquent un martyr – chahid*. Dans la hiérarchie des
appellations, il supplante le partisan – fidaï (celui qui sauve autrui en offrant
sa propre vie) –, l’auxiliaire civil – moussabel – et, plus largement, les
« frères » (d’armes ou en religion) – khawa. À l’indépendance, ce lexique est
mobilisé par les autorités algériennes en quête de légitimation – la « journée
du moudjahid », devenu aux yeux de beaucoup un « privilégié », est
commémorée le 20 août – mais aussi par leurs opposants.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Slimane Chikh, L’Algérie en armes ou le temps des certitudes,
Economica, 1981 • Gilbert Meynier, « L’Algérie, la nation et l’islam »,
Raison présente, no 159, 2006 • Abderrahmane Moussaoui, « De la violence
au djihad », Annales, vol. 49, no 6, 1994.
MOUDJAHIDA
Le mot moudjahida ()ﻣﺠﺎھﺪة est le féminin de
moudjahid, le mot arabe pour « combattant saint ». Le pluriel est
moudjahidate. Le FLN* s’approprie cette terminologie, familière à la
population musulmane d’Algérie, pour mener une lutte indépendantiste qui
n’est pas une guerre religieuse. Ainsi moudjahida n’est pas le terme le plus
fréquent dans les documents publics et internes du FLN pendant la guerre.
Ceux-ci font plutôt référence à la militante, à la maquisarde, avec des mots
tels que moussabila (membre féminin du réseau de soutien logistique), fidaïa
(poseuse de bombes) et djoundiates (femmes* soldats). Moudjahida devient
plus employé après la guerre et aujourd’hui, moudjahidate est fréquemment
utilisé pour parler collectivement des femmes qui ont participé à la guerre,
quels que soient leur rôle et leur niveau de reconnaissance officiels. Selon les
archives* du ministère algérien des Moudjahidines, citées par Djamila
Amrane* (1991, p. 275), en 1974, on compte 10 949 femmes sur un nombre
total de 336 784 vétérans officiellement reconnus. Ce chiffre ne reflète pas
l’ampleur de la participation des femmes algériennes à la lutte de libération.
La grande majorité des moudjahidate font partie des réseaux de soutien
logistique, à la campagne et en ville. Les membres du FLN-ALN* trouvent
refuge chez elles, où elles se chargent du ravitaillement, des premiers soins et
du lavage de vêtements. En ville, les femmes transportent des armes, de la
correspondance, des tracts et des médicaments. À partir de 1960, elles sont
présentes en grand nombre dans les manifestations* populaires en faveur de
l’indépendance, notamment à des moments clés comme les votes de l’ONU*
sur « la question algérienne ».
Au début, les femmes rurales – comme la plupart des hommes – sont
recrutées principalement à travers des réseaux familiaux et les structures de
solidarité sociale préexistantes. La coercition est parfois utilisée : « Les
Français sont venus, ils nous ont entourés, ils nous ont sortis, ils ont cassé les
toits », explique Fatima Berci en Kabylie, « ensuite les moudjahidines sont
venus, et ils nous ont obligés de reconstruire nos maisons et rester. On était
entre deux feux » (citée par Natalya Vince, 2015, p. 59). Cependant, au cours
de la guerre, par l’action politique du FLN auprès des populations mais
surtout face à la répression de l’armée française, une nouvelle communauté
politique, farouchement pro-indépendance et aussi pro-FLN, se consolide.
Un plus petit nombre de femmes, souvent des lycéennes et des étudiantes,
rejoignent le maquis. Elles sont infirmières, ou dans d’autres cas cuisinières
et blanchisseuses. La vie au maquis est rude, rythmée par de longues marches
sur des terrains accidentés, une forte probabilité de mourir dans un
bombardement ou un accrochage, un manque d’équipement et des pénuries
de nourriture et de médicaments. Souvent ces femmes viennent de familles
nationalistes, même si cela ne veut pas dire que ces familles sont d’accord
pour que leurs filles rejoignent le maquis. Selon Fadéla Mesli, infirmière dans
la Wilaya 4* en 1956, qui est montée au maquis sans prévenir ses parents :
« on a fait deux révolutions, l’une contre le colonialisme, l’autre contre les
tabous, que je dirai même plus difficile » (citée par Natalya Vince, 2015,
p. 96-97).
Les militantes du FLN-ALN les plus connues venant en ville (Djamila
Bouhired*, Djamila Boupacha*, Zohra Drif*…) sont souvent issues de
familles nationalistes, même si les fréquentations sociales (voisins et
camarades de classe) et le hasard jouent parfois un rôle plus important dans
leur recrutement dans les cellules clandestines. Bon nombre de ces femmes
ont été à l’école française, à la différence de la grande majorité des Algériens.
Elles sont sélectionnées comme poseuses de bombes et agentes de liaison
parce qu’elles passent plus inaperçues que les hommes. Beaucoup d’entre
elles sont arrêtées et torturées par l’armée française. Devenues très
médiatisées, elles sont présentées par la presse* coloniale comme des
« évoluées » « retournées » contre la France, et par le FLN comme la preuve
de la modernité de leur mouvement et de l’illégitimité du colonialisme.
Le FLN n’est pas un mouvement confessionnel. Il faut aussi souligner le
rôle de quelques femmes « européennes », communistes ou libérales, qui
rejoignent le FLN ou prennent cause commune avec la lutte indépendantiste.
Au moins l’une d’entre elles, Raymonde Peschard*, est morte au maquis.
Jacqueline Guerroudj* est condamnée à mort. Comme Guerroudj le raconte
dans ses mémoires, Des douars et des prisons (Alger, Éditions Bouchène,
1991), l’expérience de la prison* contribue à forger une identité collective de
« moudjahidate » même si – comme le journal intime de Baya Hocine* écrit
en prison le démontre – elles ne s’entendent pas tout le temps et ont leurs
différences politiques.
Les femmes algériennes en France, ainsi qu’un certain nombre de
femmes françaises de métropole, participent aussi à la lutte anticoloniale,
dans les manifestations, dans les réseaux de collecte de fonds et dans le
soutien matériel aux familles dont les époux et pères sont en prison. Le
MNA* de Messali Hadj* étant plus ancré en France métropolitaine qu’en
Algérie, le rôle des femmes dans le MNA est plus visible. Les femmes en
France sont donc prises entre « trois feux » : le FLN, le MNA et la police*.
En 1961-1962, la Fédération de France* du FLN crée une section des femmes
pour Paris et sa région sous l’impulsion de Salima Sahraoui et son mari
Rabah Bouaziz*. Cette section milite pour l’égalité hommes-femmes au sein
du FLN, le droit à l’alphabétisation des femmes et un rôle plus prépondérant
pour les femmes dans l’orientation de la ligne politique. Ce projet, qui suscite
quelques réticences masculines et des divisions intergénérationnelles, s’éteint
avec la marginalisation de la Fédération de France dans les disputes internes
du FLN-ALN durant l’été 1962.
Mis à part quelques initiatives telles que la section des femmes, les
Algériennes ne s’organisent pas en tant que femmes pendant la guerre. Le
mouvement nationaliste algérien s’est très peu investi dans le développement
d’un militantisme féminin, à l’exception de l’Afma dont la création est
antérieure à la guerre de libération. Les femmes algériennes rentrent en masse
dans la guerre en tant que militantes, même si pour la plupart des femmes les
rôles assignés restent ceux considérés traditionnellement comme
« féminins ». Ceci crée une approche singulière chez les anciennes
combattantes qui ont pris des armes et transgressé les rôles traditionnels :
elles veulent être vues comme des combattants comme les autres. Après la
guerre, elles revendiquent d’avoir arraché le droit d’être l’égale de l’homme,
comme le peuple algérien a arraché son indépendance. Être organisées ou
s’organiser en tant que femmes est considéré comme une démarche
rétrograde. Ce positionnement change à partir des années 1980, quand un
certain nombre d’anciennes combattantes urbaines et instruites mobilisent
l’identité de moudjahidate pour se battre contre le Code de la famille de 1984
qu’elles considèrent comme une atteinte au progrès vers l’égalité entre les
sexes qui a commencé avec la lutte de libération.
Natalya VINCE
Bibl. : Djamila Amrane, Les Femmes algériennes dans la guerre, Plon, 1991
• Marc André, Femmes dévoilées. Des Algériennes en France à l’heure de la
décolonisation, ENS Éditions, 2016 • Natalya Vince, Our Fighting Sisters :
Nation, Memory and Gender in Algeria, 1954-2012, Manchester, Manchester
University Press, 2015.
MOUVEMENT RÉPUBLICAIN
POPULAIRE (MRP)
Créé en novembre 1944 par Georges Bidault et regroupant la famille
démocrate-chrétienne, le MRP fut un temps le premier parti de France (28 %
des suffrages en juin 1946). Pilier du tripartisme à la Libération, il voit son
poids diminuer avec la concurrence successive du RPF, gaulliste, et du Cnip
de Pinay : le MRP réunit 12,5 % des suffrages en 1951. En matière extérieure
et coloniale, le MRP se marque par son anticommunisme, son atlantisme, son
européisme et sa défense de l’empire, de l’Indochine* à l’Algérie. Georges
Bidault, ancien président du CNR, président du Conseil au temps de la
« troisième force » et longtemps ministre des Affaires étrangères, incarne
cette politique qui fut celle du parti jusqu’en 1956. La guerre d’Algérie
fissure le MRP où les positions « Algérie française » de Bidault ou d’Alfred
Coste-Floret se voient de plus en plus remises en cause par une sensibilité
« libérale » qui ne cesse de marquer des points. Elle est représentée par Pierre
Pflimlin*, dont l’investiture à la présidence du Conseil est au centre de la
crise du 13 mai 1958*. Rallié malgré lui à de Gaulle*, en perte de vitesse au
plan électoral (11 % des suffrages exprimés au premier tour des législatives
de novembre 1958 et 50 députés contre 71 en 1956), le MRP soutient
jusqu’au bout la politique algérienne du Général, à la différence des
dissidents regroupés par Bidault dans la Démocratie chrétienne de France,
lancée en 1958. Le comité national du MRP décide en décembre 1960, à une
écrasante majorité, de préconiser le « oui » au référendum* sur
l’autodétermination du 8 janvier 1961. Il fait de même lors de la ratification
des accords d’Évian*. Ce soutien du MRP est conjoncturel et exclusivement
attaché à la politique algérienne. Car sur la politique étrangère (atlantisme,
européisme) comme sur les institutions, le MRP marque sa distance. Ses
dirigeants aspirent à refermer la « parenthèse » de la guerre d’Algérie et
escomptent un rebond : les législatives de novembre 1962 sont une douche
froide (7,88 % des voix au premier tour). La guerre d’Algérie et la
Ve République* ont eu ainsi raison d’un parti qui incarnait sa devancière.
Olivier DARD
Bibl. : Pierre Letamendia, Le Mouvement républicain populaire. Histoire
d’un grand parti français, Beauchesne, 1995 • Gilles Richard, Histoire des
droites en France de 1815 à nos jours, Perrin, 2017.
MUSÉES DU MOUDJAHID
Comme ailleurs, la fondation de musées du Moudjahid dans l’Algérie
libre participe de la construction de l’État-nation. Au terme d’une évolution
liée à la conjoncture politique agitée et aux enjeux de mémoire, le musée
national du Moudjahid est abrité à l’ombre du Maqam El Chahid (le
mémorial du martyr) en 1978.
Dès 1963, le premier président algérien Ahmed Ben Bella* manifeste son
intérêt de transformer la prison* de Serkadji (ex-Barberousse), lieu hautement
symbolique, en « musée de la révolution », en souvenir des milliers de
détenus nationalistes incarcérés avant et après 1954. Certains y ont été
guillotinés à l’instar d’Ahmed Zabana*. Cette initiative est interrompue par le
coup d’État du colonel Houari Boumediene* le 19 juin 1965. Ce n’est que le
2 décembre 1972 que Boumediene signe une ordonnance instituant le musée
national du Moudjahid dont les principales missions se résument à
« la récupération et la conservation des objets et de tous documents » relatifs
à la guerre de libération nationale de 1954-1962. Son initiative coïncide avec
la commémoration* du 10e anniversaire de l’indépendance à un moment où la
gestation d’une mémoire collective arrive à maturité. Par nécessité de
satisfaire les attentes des anciens moudjahidines* et d’en espérer en retour un
soutien à sa politique générale, Boumediene renoue avec le projet de son
prédécesseur. Le ministre des Anciens Moudjahidines*, Mahmoud Guenez,
veille sur sa réalisation et lance une vaste campagne de « récupération des
archives* nationales » en vue de la constitution des collections à exposer au
musée. Il est fait appel aux conseils du muséologue Georges-Henri Rivière
pour la concrétisation des espaces modernes couplés avec les lieux de
mémoire* de Serkadji (cellules, graffitis, parcours du condamné à mort, etc.).
En 1977, le projet est quasiment abandonné pour diverses raisons, à la fois
d’ordre bureaucratique et politique. La mort de Boumediene en
décembre 1978 y met fin. Les conséquences immédiates se traduisent, sous la
présidence de Chadli Bendjedid, par l’édification de nouveaux lieux de
mémoire – dépourvus de la charge émotionnelle et patriotique de Serkadji. À
partir de 1982, l’esplanade de Riadh el Feth accueillera à la fois Maqam El
Chahid (à l’occasion du 20e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie) et, à
partir de 1984, le musée central de l’Armée et le musée national du
Moudjahid qui sont inaugurés et ouverts au public à l’occasion du
30e anniversaire du déclenchement de la Guerre d’indépendance. Le musée
central de l’Armée se taille la part du lion en exposant toute la documentation
récupérée auprès des anciens moudjahidines* dans les années 1970. Il
sacralise le souvenir de la lutte de libération nationale à travers les choix
muséographiques retenus. En même temps, la représentation de ce passé et sa
réactualisation donnent une légitimation à l’idéologie régnante et confortent
le « soubassement de l’identité nationale » (Halbwachs).
Le 20 août 1984, Bendjedid, poursuivant sa politique de réhabilitation de
nombreux résistants éliminés (tels Abane* Ramdane, Krim* Belkacem…), se
rend à Ifri Ouzellaguen, sur les lieux où s’est tenu le congrès de la
Soummam*, et procède à l’inauguration d’un ensemble mémoriel
comprenant une esplanade où flotte le drapeau* algérien, une stèle des
martyrs, un musée installé dans l’ancien pavillon de chasse, des sculptures
des principaux acteurs du congrès de la Soummam. Le musée acquiert le
statut d’annexe du musée national du Moudjahid en 1995.
Rapidement, ce lieu historique est investi par l’action des associations
culturelles et des partis politiques, fortement marqués par les événements du
printemps 1980, d’octobre 1988 et du printemps noir de 2001. Aussi, à
chaque commémoration, le mémorial attire-t-il les foules de la région où une
manière de concevoir la « mémoire de la guerre » fait son apparition. Sans
renier le sacrifice des moudjahidines, de nouveaux usages publics plus ou
moins opposés à la ligne officielle s’imposent.
En dehors de la capitale qui cristallise les enjeux du pouvoir central et de
l’expérience d’Ifri Ouzellaguen, le mouvement d’ouverture de musées
continue de prendre de l’ampleur, impulsé par le décret du 11 juin 2008,
portant création des musées régionaux à l’échelle des différentes wilayas,
telles Batna et Khenchela (dont les bâtiments sont imposants), Sétif, Guelma,
Kherrata, Tlemcen, Oran, Constantine, Tizi Ouzou, Biskra, etc.
À l’échelle locale aussi, à Arris par exemple, le musée est installé à la
maison de Mostefa Ben Boulaïd*, l’un des fondateurs du FLN*. À M’sara,
commune non loin du camp de regroupement* de Bouhamama (wilaya de
Khenchela), un petit musée a été monté par les moudjahidines avec très peu
de moyens et où l’on trouve une collection hétéroclite d’objets. Parmi ceux-
ci, une série de photos d’identité de trente et une femmes* du camp de
Bouhamama rappelle celles réalisées par Marc Garanger* durant la guerre
(Femmes algériennes, 1960). L’aboutissement de cette initiative,
favorablement accueillie par les habitants de M’sara et Bouhamama, montre
tout l’intérêt de construire un lieu symbolique dont la fonction est de lutter
contre l’oubli des souffrances de la guerre.
La multiplication des musées du Moudjahid, d’inégale importance selon
les régions, entretient la gloire du combat d’hier et conforte la fabrique de
l’État-nation. Néanmoins cette emprise de la guerre et de sa mémoire portée
par l’État est concurrencée par l’implication de la société civile. Ce lent
glissement de l’État-nation (dont la légitimation repose sur la Guerre
d’indépendance) à l’État-société s’accompagne d’un mouvement de
détachement de l’histoire-mémoire, cédant peu à peu la place à une histoire
critique et citoyenne.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Emmanuel Alcaraz, Les Lieux de mémoire de la guerre
d’indépendance, Karthala, 2017 • Maurice Halbwachs, La Mémoire
collective, PUF, 1950 • Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire. La
République. La Nation. Les France, Gallimard, 1984-1992.
N
NATIONALITÉ
La conquête française en Algérie s’accompagne d’un paradoxe : elle
ouvre le déni de l’existence d’une entité politique algérienne et de toute
nationalité algérienne préexistantes à la conquête. Dans le même temps,
l’affirmation de la souveraineté française oblige l’administration à
reconnaître la nationalité algérienne des personnes originaires d’Algérie et
vivant à l’extérieur. C’est en effet nécessaire pour revendiquer sur eux la
souveraineté française, notamment contre l’Empire ottoman.
La Constitution de 1848 fait de l’Algérie un territoire français,
administrativement assimilé à la métropole. Pourtant, l’Algérie française se
caractérise par la distinction, en droit, entre nationalité et citoyenneté.
Jusqu’en 1865, les « musulmans » ne pouvaient accéder à la citoyenneté
française ; en 1865, le sénatus-consulte les déclare « sujets français ». S’ils
sont de nationalité française, ils sont de statut personnel « musulman » et ne
sont pas pleinement citoyens. Pour le devenir, ils doivent renoncer à leur
statut personnel et engager une procédure paradoxalement appelée « de
naturalisation » alors même qu’ils sont déjà français. En revanche, en 1870,
avec le décret Crémieux, les juifs* sont collectivement forcés à renoncer à
leur statut personnel mosaïque, pour être assimilés à la pleine citoyenneté
française. En 1881, « le code de l’indigénat » permet d’ailleurs une
répression spécifique à la population dite « indigène ». Le nombre de
« naturalisés » demeure très faible. Les tentatives de réformes et les
mobilisations (notamment celle des Jeunes-Algériens) ont alors pour but de
réduire l’inégalité de droits entre citoyens et non-citoyens.
Les termes se succèdent et se superposent pour désigner la population
n’ayant pas accès à la pleine citoyenneté. Utilisé avec constance, le terme
« musulman » englobe la dimension raciale et politique du partage, soulignée
par le fait que la conversion au christianisme ne change rien au statut
(l’administration parle des « musulmans catholiques »). Durant la Seconde
Guerre mondiale, l’ordonnance de 1944 accorde la citoyenneté française à
quelque 65 000 « musulmans » dans le respect du statut personnel. Au sortir
de la guerre mondiale, la ligne de fracture essentielle entre population
colonisée et population coloniale s’avère plus difficile encore à désigner dans
le lexique du droit : en 1946, la loi Lamine Gueye reconnaît en effet la qualité
de citoyen à tous les habitants à l’échelle des territoires d’outre-mer.
Malgré cette mesure, l’inégalité perdure avec le double collège*. Sur le
plan électoral, en effet, les anciens non-citoyens demeurent réduits à un
second collège qui représente une population neuf fois plus nombreuse que
celle votant dans le premier collège ; dans le second collège, en outre, les
femmes* n’ont pas le droit de vote. Ce second collège élit pourtant le même
nombre de représentants que le premier au Parlement et à l’Assemblée
algérienne, et un nombre inférieur dans les assemblées locales. À partir de
1958, les deux collèges fusionnent, mais les listes électorales sont encore
composées, selon des proportions fixées, d’anciens « premier collège » et
d’anciens « deuxième collège ». Ces appellations sont caractéristiques de la
difficulté à capter la réalité juridique. Plutôt que citoyens et non-citoyens,
comme avant la Seconde Guerre mondiale, le langage colonial évoque les
« musulmans », « indigènes », « arabes », par opposition aux « Européens ».
À partir de 1958 apparaît la distinction entre « Français de souche
européenne », « Français de souche nord-africaine », « étrangers de souche
européenne », « étrangers musulmans ».
En 1962, durant les négociations* d’Évian, la question de la nationalité
est centrale. Pour la partie algérienne, il s’agit d’éviter que ne se recrée dans
l’Algérie indépendante une communauté aux droits supérieurs ou protégée
par une puissance étrangère. L’affirmation par le FLN* d’une égalité absolue
entre les Algériens et le refus de tout statut particulier ont souvent été
considérés comme un signe d’hostilité des autorités algériennes à l’égard des
anciens ressortissants français. L’enjeu est pourtant d’éviter le
prolongement de la logique coloniale. Pour la partie française, il s’agit en
retour de conserver en Algérie une communauté française qui puisse peser
dans les relations entre les deux pays.
Les termes des accords d’Évian* distinguent encore les « Français
d’Algérie de statut civil de droit commun » et les « Français de statut civil de
droit local ». Durant l’été 1962, les autorités françaises prennent d’ailleurs
des dispositions pour conserver à la première catégorie (et une partie de la
seconde) la nationalité française. La documentation administrative révèle
cependant une foule d’expressions visant à distinguer l’archéologie du statut
de chacun (« Français nés en Algérie d’ascendance métropolitaine »,
« étranger naturalisé », « Israélites bénéficiant du décret Crémieux »…).
Par ailleurs, les accords prévoient une période de trois ans durant
laquelle, sous condition de naissance et de résidence, les « Français d’Algérie
de statut civil de droit commun » pourront exercer leurs droits civiques en
Algérie, et au terme de laquelle ils pourront opter pour la nationalité
algérienne ou devenir étrangers en Algérie. Un long chapitre des accords est
consacré à leurs droits dans la nouvelle Algérie. Il reflète le rapport de force
durant les négociations : désormais qualifiés d’« Algériens de statut civil de
droit commun », il est prévu qu’ils disposeront d’une représentation
automatique dans les municipalités et dans les jurys civils ou pénaux. Ces
mesures constituent l’une des causes de la contestation des accords au sein
même du FLN.
Quant à la loi algérienne sur la nationalité de mars 1963, elle distingue
une « nationalité algérienne d’origine », dans la lignée du statut personnel
musulman colonial (par filiation ou, dans certaines conditions de nationalité
des parents, par la naissance) d’une nationalité algérienne « par acquisition »
(soit par la participation à la lutte pour l’indépendance, soit selon les options
prévues par les accords d’Évian qui pose des conditions de résidence). Elle
oblige même ceux des anciens Français citoyens ayant pris part à la Guerre
d’indépendance à en faire la demande, ce que certains contestent et vivent
comme une exclusion. Ces dispositions spécifiques sont cependant rendues
nécessaires, selon le ministre de la Justice, Amar Bentoumi, par la difficulté à
« sonder les cœurs » pour s’assurer du désir ancien d’être algérien. Durant la
discussion de la loi, du reste, certains auraient voulu aller plus loin. Ils
s’opposent à ce que dix années de résidence suffisent à permettre à des
personnes ayant toujours aspiré à être françaises de devenir algériennes (Ali
Haroun* et Meriem Belmihoub). Enfin, certains critiquent l’adossement du
droit algérien sur l’ancien partage colonial (Kaïd Ahmed), sans qu’aucune
solution plus satisfaisante ne puisse être trouvée. Cette insatisfaisante
« nationalité d’origine » constitue tout à la fois un lourd héritage colonial et
une tentative pour convertir et décoloniser le droit de la nationalité créé par la
colonisation.
Malika RAHAL
Bibl. : Noureddine Amara, « Être algérien en situation impériale, fin
e e
XIX siècle-début XX siècle. L’usage de la catégorie “nationalité algérienne”
par les consulats français dans leur relation avec les Algériens fixés au Maroc
et dans l’Empire ottoman », Revue européenne d’histoire, vol. 29, no 1, 2012.
Laure Blévis, « Les avatars de la citoyenneté en Algérie coloniale ou les
paradoxes d’une catégorisation », Droit et société, vol. 48, no 2, 2001.
NATIONS, NATIONALISMES
La guerre a occasionné de profonds déchirements en France comme en
Algérie. Pas plus que toutes les autres nations, la France et l’Algérie ne
répondent en effet à des définitions simples et objectives.
En France, autant les partisans de l’Algérie française que ceux de
l’indépendance ou encore ceux qui dénonçaient les méthodes de l’armée
pouvaient se réclamer de la nation mais sans y mettre le même contenu. Pour
les premiers, la France était d’abord une puissance impériale que
grandissaient ses possessions coloniales où elle aurait à accomplir une
mission civilisatrice. Pour les autres, la France était avant tout la patrie des
droits de l’homme, au nom desquels le droit des peuples à disposer d’eux-
mêmes devait être défendu, l’injustice de la domination coloniale dénoncée et
la torture* tout comme les exécutions sommaires* et les massacres
combattus. De ce côté-là, les traditions dreyfusardes et résistantes étaient
largement mobilisées. La torture était aussi dénoncée au motif que les
Français se conduisaient en Algérie comme des nazis. Du côté de l’Algérie
française, progressivement, la cause s’est réduite, à l’image d’une « peau de
chagrin », selon la célèbre expression de Serge Berstein. Elle a fini par se
fixer à l’extrême droite dont elle a nourri plusieurs courants, dont celui du
nationalisme maurrassien. Au sein des droites, plus généralement, la guerre a
provoqué une recomposition durable : elle a contribué à la définition du
gaullisme que Gilles Richard présente comme un nationalisme « épuré » au
sens où il est purgé de toute tentation antirépublicaine, « rénové » car
définitivement inscrit dans un cadre démocratique et « adapté » aux
« circonstances » nouvelles de la décolonisation et de la guerre froide*.
Côté algérien, le mouvement nationaliste a porté, depuis l’entre-deux-
guerres, diverses conceptions. Quand le courant républicain, autour de Ferhat
Abbas*, adoptait une conception politique de la nation – elle était une
République de citoyens, possiblement de langues, de religions et de cultures
diverses –, celui des ulémas insistait sur sa dimension arabo-musulmane, la
définissant comme une communauté de croyants. « L’islam est ma religion ;
l’arabe est ma langue ; l’Algérie est ma patrie », défendaient-ils. Dans le
courant indépendantiste, la place à accorder aux cultures berbères divisait
depuis longtemps – elle avait provoqué en 1949 une grave crise au sein du
MTLD, crise qui portait aussi sur le déficit de démocratie au sein du
mouvement. Parce qu’il a rallié les différents courants et recruté dans
l’ensemble d’entre eux, le FLN* était porteur de ces divisions. La place des
Français d’Algérie et des Juifs* faisait aussi débat. La minorité française
résultant de la domination coloniale, son sort était plutôt lié aux engagements
pris individuellement. Si les « Européens », dans la taxonomie coloniale,
engagés pour l’indépendance et se disant eux-mêmes algériens, pouvaient
être intégrés dans la nation algérienne, c’était plus discutable pour les autres.
Les Juifs pouvaient au contraire être considérés comme des compatriotes que
la législation et la politique coloniales avaient séparés. Toutefois, sur la
nation comme sur tous les autres thèmes, aucune doctrine ne domine
nettement au sein du FLN. Les discussions sont vives, les conceptions
diversifiées selon les acteurs. Les documents produits par les membres du
FLN et de l’ALN*, étudiés par Gilbert Meynier*, en attestent.
Outre qu’elle met en jeu la définition de la nation, de part et d’autre, la
guerre occasionne des rapprochements transcendant les frontières nationales.
Aujourd’hui, la vision politique et mémorielle de cette histoire l’oublie
singulièrement et procède, de ce fait, à une simplification surprenante. Il faut
rappeler des évidences : des anticolonialistes français ont pris le parti de
l’indépendance de l’Algérie tandis que le FLN n’a pas rallié les Algériens
dans une unanimité sans faille. L’histoire ne peut être enfermée dans des
cadres nationaux sans être déformée : il n’y a pas eu des Français et des
Algériens, unis en deux blocs, soudés l’un contre l’autre. Aussi il importe de
préciser en quoi cette histoire peut être dite « franco-algérienne » aujourd’hui.
Elle n’a pas impliqué, en effet, les deux sociétés et les deux nations en tant
qu’entités homogènes, unies et opposées, mais elle les a concernées de façon
mêlée et imbriquée. Cette vision heurte les nationalismes, des deux côtés –
tout État-nation, la France et l’Algérie comme les autres, s’accommode mal
des divisions. Il est banal qu’au contraire, les historiens déconstruisent les
mythes en la matière. Du point de vue des nations et des nationalismes, la
mémoire avec sa vision binaire et bilatérale trahit l’histoire, autrement plus
complexe.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Serge Berstein, « La peau de chagrin de “l’Algérie française” »,
in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et les Français, Fayard, 1990
• Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002 •
Gilles Richard, Histoire des droites en France, de 1815 à nos jours, Perrin,
2017.
NATURE, ENVIRONNEMENT
Comme dans toute guerre, la nature et l’environnement pâtissent du
conflit, temporairement mais aussi durablement. Pour le cas algérien, c’est
tout d’abord au cours de la guerre que les premiers essais atomiques sont
réalisés. S’ils ne sont pas imputables au conflit de décolonisation, ils en sont
contemporains. Quatre essais nucléaires* se sont déroulés à l’air libre, et dix-
sept en tout ont eu lieu au Sahara. Des incidents sont en outre à déplorer, dont
le plus important se déroule le 1er mai 1962 lors du tir Béryl. De ce fait, les
deux sites d’expérimentation nucléaire, à Reggane et à In Ecker dans le
massif du Hoggar, ont fait l’objet de radiations et sont encore pollués. Même
si les sites étaient (et sont encore) militaires, les populations nomades sont les
plus susceptibles d’avoir été contaminées. En 2008, un groupe de travail
franco-algérien a été créé pour réhabiliter les anciens sites et suivre les
effets des essais sur les populations locales. Cette question fait aussi partie
des préconisations du « rapport Stora* » remis au président de la République
en janvier 2021. Elle a des répercussions jusqu’en France même : par
exemple, en février 2021 et en mars 2022, du sable saharien, emporté par les
vents, s’est déposé en France, occasionnant une légère pollution radioactive
au césium 137. Au Sahara, cette pollution est évidemment pérenne :
l’environnement est touché sur la très longue durée, d’autant plus que des
déchets ont été enfouis.
Pendant la guerre d’Algérie aussi, du pétrole* et du gaz ont été
découverts au Sahara. L’exploitation des hydrocarbures a bien entendu eu des
conséquences environnementales, bien que celles-ci ne soient pas imputables
à la guerre. Ainsi, leur extraction a entraîné une pollution des sols ainsi que
des airs avec les gaz brûlés. De plus, leur acheminement jusqu’aux ports de
Bougie, Arzew et La Skhira (Tunisie*) a entraîné la construction de pipe-
lines qui ont abîmé l’environnement.
Toujours au Sahara, le site B2-Namous, près de la frontière marocaine, a
été créé en 1935 et a continué à fonctionner jusqu’en 1978, voire après. Là
aussi, il n’est pas directement en lien avec le conflit algérien. L’armée
française y a procédé à des essais chimiques, qui ont touché la population de
la ville marocaine de Figuig, mais aussi la population nomade et des villages
algériens aux alentours. Il s’agirait avant tout d’une pollution aérienne, qui ne
serait donc pas durable mais des infiltrations de produits chimiques dans le
sol ont peut-être eu lieu, occasionnant des pollutions beaucoup plus
profondes. D’ailleurs, des gaz ont été utilisés au cours de la guerre d’Algérie,
dans le cadre de la « guerre des grottes » : il s’agit d’ypérite et de CN2D, qui
peuvent être mortels. Le CN2D aurait été utilisé dans une centaine
d’opérations au moins. Se pose ici la question de la durabilité de cette
pollution : l’atmosphère des grottes, mais aussi les parois et les sols ont pu
conserver ces produits chimiques, sans que l’on connaisse exactement leur
dangerosité soixante ans après.
Toujours du côté des armes non conventionnelles, l’utilisation du napalm
conduit à des bombardements incendiaires ravageurs dans les djebels et les
forêts. Ces incendies, outre les victimes humaines, conduisent aussi à la mort
de nombreux animaux*. Il est à l’heure actuelle impossible de savoir
combien d’hectares ont brûlé du fait de cette arme. Il faudrait de plus ajouter
les feux déclenchés de manière volontaire, au lance-flammes ou autre, dans
les forêts, les maquis forestiers, les djebels et même les champs, pour
empêcher les combattants algériens de se cacher, pour les contraindre à fuir
ou pour les empêcher de se ravitailler. En matière d’incendie, à la fin du
conflit, l’OAS* se distingue aussi par une « politique de la terre brûlée » qui
conduit à mettre le feu à de nombreuses installations. Outre l’incendie de la
bibliothèque universitaire d’Alger en juin 1962, qui constitue une importante
atteinte à la culture (quatrième pilier du développement durable), l’OAS met
aussi le feu au terminal pétrolier du port d’Oran. Les flammes noires couvrent
Oran pendant trois jours, occasionnant une pollution atmosphérique très
importante ayant touché la population oranaise. La métropole est bien moins
concernée mais, lors des attentats d’août 1958 du FLN*, celui de Mourepiane
a conduit à l’incendie du terminal pétrolier près de la cité phocéenne, causant
aussi une importante pollution.
Le long des barrages* frontaliers essentiellement, l’armée française
utilise presque 7 millions de mines*. À l’indépendance, celles-ci ne sont pas
enlevées. L’armée algérienne a partiellement déminé les champs de mines
(notamment en utilisant des prisonniers harkis*), mais l’essentiel des champs
sont restés en l’état. Ce n’est qu’en 2007 que l’État français a donné les plans
des champs de mines au gouvernement algérien. En tout, les mines ont tué
7 300 civils : 4 830 pendant la guerre et 2 470 depuis l’indépendance. Ici ce
ne sont pas que les humains qui ont été tués : les animaux domestiques et
sauvages qui sont passés par ces champs de mines ont été des victimes
collatérales de ce conflit. Les barrages frontaliers, électrifiés à 5 000 volts,
ont aussi électrocuté de très nombreux animaux.
Concernant les armes conventionnelles, les bombardements par avion ou
par canon causent aussi des dégâts sur l’environnement. Ces tirs peuvent
s’effectuer sur des cibles identifiées mais aussi au hasard sur les « zones
interdites* » pour dissuader les civils qui voudraient s’y rendre. De plus, les
unités doivent utiliser leurs dotations en munitions et en carburant sous peine
qu’elles ne soient pas entièrement renouvelées. De fait, les soldats utilisent
leurs obus et laissent tourner les moteurs de leurs véhicules des jours et des
nuits durant. Tout cela cause des dégâts dus aux tirs, mais aussi une pollution
de l’atmosphère et des déchets (douilles des munitions).
Avec les « zones interdites », la nature a paradoxalement pu reprendre ses
droits : les animaux circulent plus librement et les champs sont laissés en
jachère (occasionnant cependant des difficultés supplémentaires pour les
remettre en état). Néanmoins, la guerre d’Algérie amène un surcroît de
population de l’ordre de 400 000 à 500 000 personnes supplémentaires sur le
sol algérien de manière permanente, sans compter les navettes par bateau et
par avion entre la métropole et l’Algérie. En tout, les 2 millions de soldats,
auxquels il faut y ajouter des civils, consomment, jettent des déchets, se
déplacent et ont donc un impact environnemental.
Par ailleurs, une des caractéristiques des soldats français en Algérie est
d’avoir eu de mauvaises conditions d’alimentation avec des rations
insuffisantes. Nombreux sont les soldats qui ont ainsi « amélioré l’ordinaire »
en volant du bétail à la population civile mais aussi en pratiquant la chasse
(gazelles, sangliers, lapins, oiseaux…). Cette pratique régulière par autant de
soldats (même si tous ne chassaient pas) a bien évidemment un impact sur la
faune de l’Algérie. Depuis le XIXe siècle et la colonisation, cette faune a déjà
été transformée, subissant des pertes irrémédiables comme la disparition des
lions. Au-delà du caractère simplement humain, il est certain que la Guerre
d’indépendance a aussi eu des conséquences sur l’évolution de la faune, dans
des proportions qui sont pour l’instant difficilement appréciables.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Claire Billet, « La guerre des grottes », Revue XXI, no 58, 2022 • Jean-
Charles Jauffret, La Guerre d’Algérie. Les combattants français et leur
mémoire, Odile Jacob, 2016 • Frédéric Médard, « Le Sahara : enjeu
scientifique et technologique, 1947-1967 », in Maurice Vaïsse et Jean-
Charles Jauffret (dir.) Militaires et guérilla dans la guerre d’Algérie,
Bruxelles, Complexe, 2001.
NÉGOCIATIONS
La durée des négociations (deux ans) a pu sembler longue aux
contemporains mais elle ne l’est pas tant au regard de l’histoire et des
questions à résoudre : il fallait mettre fin à la guerre et à une colonisation très
profonde, datant de plus d’un siècle.
L’annonce de l’autodétermination, le 16 septembre 1959, permet une
première entrevue, à Melun, en juin 1960. En effet, jusque-là, le triptyque
défini par Guy Mollet* en 1956 était resté en vigueur : « cessez-le-feu,
élections*, négociations ». Le FLN* l’avait rejeté. Il ne voulait pas d’un
cessez-le-feu sans condition, ni d’élections désignant d’autres interlocuteurs
pour les autorités françaises. Surtout, dans ce triptyque, les négociations sont
proposées sans reconnaissance préalable de l’indépendance – aussi toute
autre issue (comme une simple autonomie) est possible. En annonçant un
référendum* d’auto-détermination, au contraire, de Gaulle* se montre prêt à
reconnaître l’indépendance si le scrutin en décide. Au moment de l’annonce
de l’autodétermination, toutefois, le GPRA*, formé en 1958, traverse une
crise interne qui le paralyse. Un nouveau GPRA (le deuxième) doit être
constitué et consolidé pour qu’une rencontre puisse avoir lieu.
Les deux parties s’opposent d’abord sur le Sahara. La position française
cause la rupture de l’entrevue de Melun, en juin 1960, puis celle des deux
rencontres suivantes, à Évian, du 20 mai au 13 juin 1961, et à Lugrin, du 20
au 28 juillet 1961. Les autorités françaises cherchent en effet à conserver le
Sahara, pour assurer la pérennité de leurs essais nucléaires* et l’exploitation
des gisements d’hydrocarbures. Elles tentent donc de négocier une partition
de l’Algérie, en réduisant l’assise territoriale du futur État algérien à la partie
septentrionale de la colonie. Alain Peyrefitte mène une intense campagne
médiatique en ce sens. Ses articles composent un livre témoignant des projets
de partition, sous un titre fallacieusement interrogatif : Faut-il partager
l’Algérie ? (Plon, 1962). Le GPRA, s’il est prêt à faire des concessions
économiques et militaires, affirme sa souveraineté sur le Sahara. Il est
soutenu par les Algériens, qui manifestent massivement contre la partition, le
5 juillet 1961*.
Le statut des Français d’Algérie et celui des bases militaires font aussi
divergence. Au GPRA prévaut le principe d’unité du peuple algérien. Selon
Redha Malek, Krim* Belkacem aurait dit, lors des ultimes rencontres d’Évian
(7-18 mars 1962), que les « Européens » ont « le droit de lier leur sort à la
nation algérienne et même de s’y fondre » ; pour ceux qui « se refusent à être
algériens » rester en Algérie aurait aussi été possible mais sans statut
spécifique. Les négociateurs français au contraire demandent des garanties
pour leurs compatriotes d’Algérie, qui seraient ainsi constitués en minorité
étrangère protégée. Les garanties qu’ils finissent par obtenir restent cependant
en grande partie sans objet, notamment car l’immense majorité des Français
d’Algérie quitte le pays.
Le problème des bases militaires ressemble à celui du Sahara. Le GPRA
est ferme sur sa souveraineté. Il n’est pas question d’enclaves françaises en
terre algérienne. Au contraire, « la base navale de Mers El Kébir sera pour la
France ce que Gibraltar est à l’Angleterre », déclare Georges Pompidou lors
de réunions officieuses, selon Redha Malek. Comme pour le Sahara, un
compromis finit par être trouvé, associant respect de la souveraineté
algérienne et sauvegarde des intérêts français.
La sortie de guerre (cessez-le-feu, référendum d’autodétermination,
accords politiques) elle-même doit être définie. D’évidence, le cessez-le-feu
doit précéder le référendum mais à quel moment situer les accords ? Le
GPRA défend qu’ils doivent précéder le reste. Sinon, le cessez-le-feu serait
sans condition. L’organisation même du référendum est à discuter. Les
autorités françaises tentent d’obtenir un cessez-le-feu préalable, avant de se
raviser. Il serait risqué pour la France d’organiser le référendum devant
conduire à l’indépendance sans avoir réglé l’avenir de sa présence militaire et
économique, ni le statut de ses ressortissants.
L’année 1961 est émaillée de manœuvres et d’obstacles mais aussi de
gestes. Louis Joxe*, ministre des Affaires algériennes, convie ainsi le MNA*
aux négociations. Six mille détenus algériens, dont l’écrivain Mostefa
Lacheraf*, sont cependant libérés et un régime assoupli est accordé aux
dirigeants du FLN détenus en France, tous symboliquement nommés au
GPRA (Ahmed Ben Bella*, Hocine Aït Ahmed*, Mohamed Boudiaf*,
Mohamed Khider*, détenus depuis l’arraisonnement de leur avion en 1956, et
Rabah Bitat*, transféré d’Algérie). Une trêve unilatérale est également
décrétée : l’« interruption des opérations offensives ». Celle-ci piège les
Algériens car si le GPRA accepte cette trêve, un cessez-le-feu sans condition
est de fait instauré. En n’y répondant pas, cependant, il apparaît comme
intransigeant face à un adversaire faisant preuve de bonne volonté. Enfin, la
crise de Bizerte*, en Tunisie*, retarde les négociations. Elle débute par une
demande de Bourguiba, en juillet 1961 : l’évacuation de cette base militaire
restée française. Les Français refusent. Sur place, les parachutistes* répriment
très violemment des manifestations tunisiennes : le bilan est d’au moins
plusieurs centaines de morts. Les relations franco-tunisiennes sont rompues.
L’événement incite les Algériens à la plus grande méfiance. Il renforce les
opposants aux négociations.
Chez les deux belligérants, les pourparlers créent de profondes divisions.
Le GPRA est ainsi mis en difficulté par l’EMG*, soutenu par des membres
du CNRA*. Ils refusent toute transaction avec la France. Un 3e GPRA finit
par être formé, après l’échec de Lugrin, à l’été 1961. Les anciens de
l’UDMA*, dont Ferhat Abbas*, en sont exclus. Considérés comme modérés,
ils semblent suspects au moment où les négociations supposent la plus grande
fermeté dans les rapports avec l’adversaire. Côté français, les partisans de
l’Algérie française vont jusqu’à tenter un putsch*, le 22 avril 1961, et
l’OAS*, formée cette année-là, se lance dans des attentats*. Ces tensions
internes poussent les deux parties à aboutir à un accord.
Le 5 septembre 1961, de Gaulle, en admettant la souveraineté algérienne
sur le Sahara, lève le principal obstacle. Les contacts continuent,
officieusement. Mohamed Benyahia, ancien directeur de cabinet de Ferhat
Abbas, Redha Malek, directeur d’El Moudjahid, Claude Chaylet, conseiller
de Louis Joxe, Bruno de Leusse, directeur des Affaires politiques au
ministère des Affaires algériennes, et Louis Joxe lui-même travaillent dans
l’ombre. Ainsi est préparée une rencontre officielle qui a lieu aux Rousses, du
11 au 18 février 1962. Puis le texte final des accords est mis au point à Évian,
du 7 au 18 mars 1962. Diplomatiquement, la Suisse* joue un rôle éminent.
Les Algériens y résident pendant les pourparlers. Symboliquement,
cependant, les rencontres doivent se tenir en France et, de ce point de vue, le
Jura et la Haute-Savoie sont les régions idéales. Évian s’impose pour des
raisons de sécurité : la délégation algérienne n’a qu’à traverser le lac Léman
pour s’y rendre.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Redha Malek, L’Algérie à Évian. Histoire des négociations secrètes,
1956-1962, Seuil, 1995 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002 • Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance
algérienne, Flammarion, 2012.
NOSTALGÉRIE
La subtile association d’un mot chargé d’émotion et d’un nom propre, qui
a donné naissance au néologisme « nostalgérie », est fort ancienne.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire – et ce qui est souvent écrit –, le
mot est attesté bien avant la fin de la guerre d’Algérie et le départ massif des
Européens : la première trace écrite retrouvée date de 1867. Progressivement,
le mot a désigné un sentiment très fort d’attachement, de la part des
Européens d’Algérie éloignés de la terre natale, provisoirement ou
définitivement. Peu de temps après l’inauguration de la tour Eiffel, ainsi, un
reporter du journal Le Gaulois a la curiosité de feuilleter le livre d’or. Il y
découvre – et cite à ses lecteurs – ce sonnet, signé d’un certain Dupin, qui fait
suivre son nom de la mention « Rédacteur à La Dépêche algérienne » :
« Nostalgérie/De ce hardi sommet, je me perds dans l’espace/Et malgré moi,
rêvant, je vois se dégager/Dans le lointain confus, que mon regard embrasse :
Notre mer azurée et notre blanche Alger » (7 juillet 1889). Lorsque l’Algérie
était française, ces sentiments étaient parcellaires, individuels et temporaires.
On pouvait avoir le « mal du pays »… mais on pouvait y retourner.
En 1962, après les accords d’Évian*, la « nostalgérie » devient tout autre
chose. L’exode massif (mais pas total) de la population européenne est sans
retour. Avec l’indépendance de ce pays qu’ils affirmaient avoir sorti des
ténèbres, ce sentiment va se teinter d’une immense amertume : « notre
Algérie » était irrémédiablement perdue.
Après 1962, on prendra bien soin de distinguer ce sentiment et les
manœuvres récupératrices de divers milieux OAS* non repentis. On rangera
dans la première catégorie les couplets d’Enrico Macias (« J’ai quitté mon
pays… »). Ou encore un roman-témoignage* d’Anne Loesch, ancienne
Française d’Algérie, dont une phrase résume l’esprit : « Peut-on guérir de
Bab-el-Oued ? » (La Grande Fugue, 1973). À la lecture de ce livre, la
réponse est évidemment : non.
Au-delà de ce sentiment individuel s’est développée une entreprise de
récupération et d’instrumentalisation, à des fins politiques, le plus souvent
par les courants d’extrême droite. Au cœur de cette récupération : une
réécriture partisane de l’histoire, un retour aux mythes de l’« Algérie
heureuse », un bilan magnifié de l’œuvre française : « La France coloniale a
permis d’éradiquer des épidémies dévastatrices […], a permis la fertilisation
de terres incultes et marécageuses, la réalisation d’infrastructures que les
Algériens utilisent encore aujourd’hui […], a posé les jalons de la modernité
en Algérie, en lui donnant les moyens d’exploiter les richesses naturelles de
son sous-sol » (Michèle Tabarot, députée UMP, fille d’un activiste OAS,
Assemblée nationale, 29 novembre 2005). On peut sans exagération parler
d’un véritable lobby, qui a ses organisations, ses moments forts (les
rassemblements festifs réguliers, mais aussi la présence, tous les 26 mars, à
l’Arc de triomphe, à la mémoire des morts de la rue d’Isly*), ses lieux
mémoriels (le centre de documentation d’Aix-en-Provence, celui de
Perpignan, adossé à un mur des disparus, l’imposante stèle de Toulon,
« L’Algérie française, à tous ceux, de toute origine qui, souvent au prix de
leur vie, ont pacifié, fertilisé et défendu sa terre, 1830-1962 »), le soutien
ouvert d’une presse nationale à grand tirage (Valeurs actuelles), ses relais
politiques, le Rassemblement national, mais aussi une frange de la droite
classique, comme en témoigne l’épisode de la loi du 23 février 2005* (« Les
programmes scolaires* reconnaissent en particulier le rôle positif de la
présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord… »).
En 1961, un jeune historien nommé Pierre Nora avait publié un essai sur
Les Français d’Algérie. Dans la préface, Charles-André Julien, qui
connaissait de l’intérieur cette société européenne, avait résumé l’état d’esprit
de la majorité de cette communauté d’une formule : « Ils se sont installés à
contre-courant de toute évolution, ils ont bloqué l’Histoire. » Ou en tout cas
ils ont essayé. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis les derniers coups de
feu de la guerre d’Algérie. Et certains nostalgériques – ou leurs descendants –
répètent inlassablement le même discours.
L’histoire n’a pas été bloquée mais des pans entiers sont singulièrement
obscurcis dans ces discours.
Alain RUSCIO
Bibl. : Jean-François Guilhaume, Les Mythes fondateurs de l’Algérie
française, L’Harmattan, 1992 • Alain Ruscio, Nostalgérie. L’interminable
histoire de l’OAS, La Découverte, 2015 • Benjamin Stora, Le Transfert d’une
mémoire. De l’Algérie française au racisme anti-arabe, La Découverte,
1999.
O
OFFICE DE RADIODIFFUSION-
TÉLÉVISION FRANÇAISE (ORTF)
Dès 1954 et encore plus après l’envoi massif du contingent en 1956,
l’opinion* française est confrontée aux images d’une guerre qui ne dit pas
son nom, avec les actualités cinématographiques, les reportages de Paris
Match et la télévision. Dans ce contexte, les productions de l’ORTF, sous
contrôle gouvernemental, représentent un enjeu majeur.
Télévision et radio* publiques offrent d’abord une vision très édulcorée
du conflit. Avec une grande prudence, elles reproduisent la sémantique
gouvernementale tendant à euphémiser la dimension violente et tragique de la
guerre. Les sujets des journaux télévisés et parlés évoquent les opérations de
« pacification* », l’engagement de l’armée au service de l’ordre, la
sécurisation des « départements d’Algérie ». Les indépendantistes sont
présentés comme des terroristes et leurs revendications ne sont guère
audibles. Étroitement contrôlées par l’armée, les images valorisent le
professionnalisme de soldats bien acceptés par les populations.
Les gouvernements utilisent directement l’ORTF. Si Pierre Mendès
France* présente ses choix lors de « causeries radiophoniques » le samedi
soir, Guy Mollet* choisit la télévision pour justifier sa politique, en
mars 1956 dans l’émission Face à la vérité, puis le 18 juin 1956 en recevant
Pierre Sabbagh et les caméras à Matignon pour l’émission Vingt Minutes
avec le président du Conseil.
Après 1958 s’engage une véritable bataille de l’information. La station
d’État Radio Alger est prise par les insurgés et le gouvernement riposte en
brouillant les ondes en métropole. Les chaînes de l’ORTF s’appliquent à
minimiser la crise. Elles ignorent les premières interventions de De Gaulle*
alors que sa conférence de presse radiodiffusée du 19 mai 1958 visait à
rassurer l’opinion sur ses intentions et se présenter en sauveur. Les
journalistes de l’ORTF finissent cependant par soutenir le changement de
pouvoir. Président du Conseil, de Gaulle bénéficie de l’attention et du soutien
des chaînes de l’ORTF pour son discours du 4 juin 1958 à Alger, son
allocution radiotélévisée du 27 juin 1958 et sa mise en scène du 4 septembre
1958.
Par la suite, face à une presse* écrite jugée hostile, radio et télévision
publiques sont considérées comme des prérogatives directes du chef de l’État.
Alors que débute la construction de la Maison de la radio, le pouvoir contrôle
étroitement les sujets des journaux télévisés. Roger Frey*, Louis Terrenoire,
Christian de La Malène, Alain Peyrefitte et Christian Fouchet*, ministres de
l’Information successifs, placent des hommes de confiance aux postes clés
(tel Jean Amrouche* comme rédacteur en chef du journal parlé). Les
journalistes sont soumis à la direction de l’actualité et à la direction des
programmes, elles-mêmes soumises au ministère de l’Information et au
service de propagande* de l’armée. Contraints de relayer la parole du
gouvernement et exposés à des sanctions, les journalistes font preuve d’une
prudence allant jusqu’à l’autocensure. Un silence complet est ainsi imposé
sur le « Manifeste* des 121 ». Lecture pour tous, émission littéraire animée
par Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet, Nicole Vedrès et Max-Pol Fouchet,
se voit interdire d’inviter les signataires du « Manifeste » et Max-Pol Fouchet
doit renoncer à une chronique de Maurice Nadeau, ce qui ne l’empêche pas
de présenter quelques semaines plus tard l’ouvrage La Route des Flandres de
Claude Simon, également signataire du « Manifeste ».
Le choix de l’autodétermination s’accompagne d’une remarquable
maîtrise de l’outil télévisuel par de Gaulle. Ses conférences de presse,
allocutions télévisées, voyages en province ou à l’étranger sont autant
d’occasions de convaincre l’opinion. De même lors du putsch* des généraux,
l’allocution de De Gaulle à la radio et à la télévision à 20 heures le dimanche
23 avril 1961 est marquée par une mise en mots et en images très contrôlée.
De Gaulle dramatise la situation, réaffirme sa légitimité, décrédibilise les
putschistes, appelle les officiers* de métier et les soldats du contingent à se
désolidariser d’eux. Le magazine de reportage Cinq Colonnes à la une,
programmé une fois par mois à 20 h 30 sur l’unique chaîne de la RTF, offre
aux Français un regard original sur la guerre. Produite par Pierre Lazareff,
Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet et réalisée par Igor Barrère, l’émission
propose une vingtaine de reportages sur l’Algérie entre janvier 1959 et
mars 1962. Si le magazine suit globalement la politique gaulliste et si
l’émission est confrontée à la censure*, l’influence de Lazareff et la
popularité de l’émission permettent une certaine liberté de ton. Les scènes
diffusées sont beaucoup plus diverses que celles du journal télévisé. Aux
sujets sur l’armée française et son « action pacificatrice » s’ajoutent le sort
des civils, les revendications du FLN*, la situation des pieds-noirs* et même
quelques scènes de combat.
François ROBINET
Bibl. : Jérôme Bourdon, Histoire de la télévision sous de Gaulle, Presse des
Mines, 1990 • Hélène Bousser-Eck, « Cinq Colonnes et l’Algérie, 1959-
1962 », in Jean-Noël Jeanneney et Monique Sauvage (dir.), Télévision,
nouvelle mémoire. Les magazines de grand reportage, 1959-1968, INA-
Seuil, 1982 • Michèle de Bussierre, Cécile Méadel et Caroline Ulmann-
Mauriat (dir.), Radios et télévision au temps des « événements d’Algérie »
(1954-1962), L’Harmattan, 1999.
OFFICIERS (ARMÉE FRANÇAISE)
La composition du corps des officiers évolue de manière significative
entre 1954 – avec la présence des quelques unités de l’armée d’Afrique – et
1960 au plus fort de la guerre, qui conduit le commandement à recourir à des
expédients pour compléter l’encadrement des unités. Les officiers d’active
formés à Saint-Cyr côtoient leurs camarades issus du rang et les officiers de
réserve en situation d’activité (ORSA).
Les officiers de réserve occupent une place inédite et considérable dans la
guerre en raison de l’envoi massif du contingent sur le théâtre d’opérations
algérien, ce qui conduit le haut commandement à accélérer leur formation,
notamment à Cherchell. De 2,62 % en novembre 1954, le pourcentage des
réservistes atteint 39,19 % au déclenchement du « plan Challe* » en
février 1959. Des civils sont alors formés au commandement en quelques
semaines avant de se retrouver éventuellement à la tête de sections de
combat. Étudiants* sursitaires, enseignants, cadres moyens et supérieurs, ils
peuvent se prévaloir d’un niveau d’instruction supérieur à celui des cadres
sortis du rang qui ont « gagné l’épaulette ». Ils servent davantage dans les
troupes de secteur* que dans les régiments des « réserves générales* ». Jean-
Jacques Servan-Schreiber* et Pierre Clostermann font partie des nombreux
officiers rappelés en Algérie. En dépit de frictions dans certaines unités, leur
contribution à l’effort de guerre est saluée par le haut commandement et leurs
camarades d’active. Outre l’hétérogénéité du corps des officiers d’active, une
difficulté réside dans le fait que les cadres anciens de l’Armée d’Afrique
doivent apprendre à travailler avec les officiers de France métropolitaine et
des forces françaises d’Allemagne (FFA) qui découvrent et l’Algérie et une
guerre subversive à laquelle ils ne sont pas préparés.
La plupart des cadres de l’armée de l’Air* effectuent un séjour en Algérie
et remplissent de très nombreuses missions aériennes. Quant aux marins, une
poignée a servi de 1956 à 1962 dans la demi-brigade de fusiliers marins
(DBFM) pendant que leurs homologues embarqués à bord des navires de
guerre assurent la surveillance maritime.
En revanche, le haut commandement s’est (enfin) décidé à renforcer
l’encadrement musulman de l’armée d’Afrique en procédant à des
nominations – longtemps attendues – de sous-officiers* méritants et à des
promotions d’officiers d’active, dont le nombre passe de 51 en 1954 à 348 en
1962. Parmi les mesures les plus remarquées, le colonel Ahmed Rafa est
promu général de brigade en 1961. Certains officiers Français de souche
nord-africaine (FSNA) servent – sans succès et sans doute sans grande
conviction – dans des équipes itinérantes chargées de l’action psychologique*
auprès des populations rurales. Mais la désertion le 20 juillet 1957 du sous-
lieutenant Ahmed Bencherif* (ancien d’Indochine*) qui entraîne avec lui
plusieurs soldats du 1er régiment de tirailleurs algériens (RTA) et l’affaire
Rahmani – du nom du lieutenant rédacteur de la lettre adressée au président
de la République René Coty et contresignée par 52 officiers d’origine
algérienne – qui éclate en février 1957 met en émoi les responsables du
2e bureau* de l’État-major interarmées (EMI) d’Alger qui craignent la
contagion dans les régiments de tirailleurs algériens, de zouaves et de spahis.
Avec la création le 26 septembre 1955 du service des Affaires algériennes
(AA), ultime retour ou recours aux méthodes des affaires indigènes, des
officiers volontaires sont détachés jusqu’en 1961 dans les quelque 700
sections administratives spécialisées* (SAS) et 20 sections administratives
urbaines* (SAU). L’expérience tente environ 4 000 officiers d’origines très
variées, issus des trois armées, et de grande qualité : deux tiers sont des
réservistes rappelés ou des appelés du contingent*.
Une dernière catégorie d’officiers est constituée par des « défenseurs de
la loi ». Jusqu’à la bataille d’Alger*, les gendarmes sont tenus de respecter
les procédures légales en matière de perquisitions ou d’arrestations tout en
participant aux opérations de maintien de l’ordre. Après les émeutes
sanglantes de décembre 1960 et le putsch* des généraux, la participation
active de la gendarmerie* mobile dans la lutte contre l’OAS* et les officiers
déserteurs qui rejoignent l’organisation creuse encore plus le fossé entre une
majorité d’officiers loyalistes, et les nostalgiques de l’Empire français.
Après la signature des accords d’Évian*, pendant les « cent jours » de
l’Exécutif provisoire* qui précèdent l’indépendance, il est fait appel au
volontariat d’officiers algériens pour encadrer les unités de la « Force
locale* ». La plupart d’entre eux se récusent et sont remplacés par des
officiers (européens) de gendarmerie qui assurent la relève entre l’armée
française et l’ALN*.
André-Paul COMOR
Bibl. : Eugène-Jean Duval, L’Armée de terre et son corps d’officiers, 1944-
1994, Addim, 1996 • Jacques Frémeaux, « Les SAS (sections administratives
spécialisées) », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 208, 2002.
ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE
DE L’AFRIQUE FRANÇAISE (ORAF)
En 1956, l’Oraf est le groupe contre-terroriste le mieux organisé d’Alger.
Les premiers jalons en ont été posés en 1955 par deux hommes, bien
différents. Le premier est André Achiary, ancien sous-préfet de Guelma (il y
a conduit une répression brutale au printemps 1945), cadre du
Rassemblement du peuple français (RPF) puis responsable du SDECE*. Le
second est un médecin, René Kovacs, dont la villa à Alger est un haut lieu de
l’activisme naissant. Kovacs travaille avec la police*, notamment avec le
commissaire Norbert Gazeu, qui le renseigne sur les cibles à atteindre.
Parallèlement, Kovacs a réuni un noyau d’hommes décidés à répondre au
terrorisme du FLN* par le même moyen et dotés des compétences
nécessaires, avec Philippe Castille, expert en explosifs. Achiary expulsé
d’Algérie après la « journée des tomates* », Kovacs est seul aux commandes
de l’Oraf lorsque celle-ci passe à l’action à la fin du printemps 1956. Le
mode opératoire se met rapidement en place. Le samedi soir est privilégié car
en semaine, les contre-terroristes travaillent. Ils pratiquent l’attentat à
l’explosif qu’ils perfectionnent au fil du temps et qui peut être
particulièrement sanglant comme celui perpétré le 10 août 1956 contre un
immeuble de la Casbah, rue de Thèbes. Enfin, les cibles visées sont les
soutiens syndicaux, financiers ou médiatiques du FLN (UGTA*, huilerie
Tamzali, le quotidien communiste Alger républicain, etc.). On estime
qu’entre le 24 mai 1956 (attentat à la grenade contre une épicerie musulmane)
et le 9 novembre 1956 (bombe contre l’Imprimerie générale), 17 attentats
sont à mettre sur le compte de l’Oraf. Elle est finalement dissoute le
11 décembre 1956. L’histoire ne s’arrête pas là car ses militants n’ont
nullement renoncé à la lutte armée. L’Oraf a même révisé ses ambitions à la
hausse et réorienté son combat contre des dirigeants civils ou militaires de
haut rang jugés trop tièdes. Salan*, arrivé comme commandant en chef en
novembre 1956 et à qui on reproche la perte de l’Indochine*, est la cible d’un
attentat au bazooka* le 16 janvier 1957 dont il ressort indemne mais dans
lequel meurt l’un des membres de son cabinet, le commandant Rodier.
L’enquête remonte jusqu’aux hommes de l’Oraf qui sont arrêtés et incarcérés
à Barberousse. L’Oraf clandestine est donc mise hors d’état d’agir même si
les rebondissements et les polémiques sur l’affaire du bazooka et ses
commanditaires supposément gaullistes a fait couler de l’encre tout au long
de la guerre d’Algérie et au-delà.
Olivier DARD
Bibl. : Olivier Dard, Voyage au cœur de l’OAS, Perrin, 2011.
PACIFICATION
Action consistant à « faire la paix », selon l’étymologie latine du terme, la
pacification acquiert un sens tout particulier dans l’histoire coloniale : celui
de méthodes de conquête et d’administration visant à pérenniser la
domination exogène par l’utilisation civile de l’armée. Cette pratique irrigue
l’histoire militaire de l’Empire français, des Bureaux arabes aux services des
Affaires indigènes du Maroc* (AIM), en passant par la politique des cercles
de Gallieni à Madagascar. Une tradition ancienne qui refait surface entre
1954 et 1962, tout en se modernisant au contact des enjeux spécifiques de la
décolonisation : la crise de légitimité de l’État colonial, la construction d’un
État algérien indépendant comme alternative portée par le FLN*, et la guerre
irrégulière par lequel il entend y parvenir.
La pacification est un terme à l’acception floue, polysémique et ambiguë.
En 1955, son retour dans le débat public traduit une volonté d’euphémisation
du « rétablissement de l’ordre » et de ses enjeux en Algérie. L’arrivée au
Gouvernement général* de Jacques Soustelle* lui offre une traduction
politique : la réintroduction d’une forme d’administration militaire dans les
régions les plus touchées par l’insurrection. La pacification, d’ailleurs plutôt
nommée « politique du contact », se réfère alors explicitement à la tradition
lyautéenne – filiation d’autant plus assumée que la mise en œuvre de cette
politique est confiée à une quinzaine d’officiers des AIM. Il s’agit de
« rétablir le contact » avec les ruraux algériens, de créer une dizaine de postes
administratifs annexes dans les vastes communes mixtes de l’Aurès-
Nemencha afin de « rapprocher l’administration des administrés ». Une lutte
contre la sous-administration qui sonne comme l’aveu d’un échec : celui de
l’État colonial et de sa légitimité en milieu rural. C’est dans cette perspective
que s’inscrit d’abord cette mise à jour théorique de la « pacification » en
Algérie : la « politique du contact » doit permettre de multiplier les pôles
d’influence locaux, pour reprendre l’ascendant sur les populations civiles,
mais aussi pour préparer le terrain à une réforme de l’économie et de la
société rurales, condition sine qua non de la préservation de la souveraineté
française en Algérie.
Ce double principe d’action est institutionnalisé par le Gouvernement
général, peu après l’insurrection du 20 août 1955*. Créé en septembre
suivant, le Service de l’action administrative et économique (SAE) est ainsi
« chargé d’élaborer les programmes tendant à la pacification », tandis que le
Service des affaires algériennes (SAA), dont dépendent les sections
administratives spécialisées* (SAS), est chargé de l’appliquer. En mai 1956,
Robert Lacoste* franchit un palier supplémentaire en concevant la
« pacification » comme un vaste processus de construction de la paix sociale
qui, parallèlement à la répression du FLN, doit permettre de faire émerger
une « Algérie nouvelle ». Ce leitmotiv cher au ministre résidant est censé
affirmer la volonté de l’État de réaliser enfin les promesses de la République
française en Algérie, afin d’opposer aussi un nouvel horizon politique à
l’alternative étatique et sociétale portée par le FLN : celui incarné par les
réformes municipales, foncières et agraires, par la promotion des Algériens et
des Algériennes et leur accession à la fonction publique, puis par la loi-
cadre* de novembre 1957. Faute d’un personnel civil suffisant, c’est aux
acteurs militaires qu’incombe la responsabilité de la « pacification ». Les
chefs de SAS sont notamment chargés d’encadrer les actions administratives,
économiques et sociales qui doivent préparer le terrain de ce réformisme :
ouverture de postes administratifs, recensement et état-civil, dispense de
l’AMG, distribution de secours, ouverture d’écoles, de foyers de jeunesse ou
d’anciens combattants, construction d’habitat et d’infrastructures collectives,
ou modernisation de l’économie agraire.
Dans le même temps, l’arrivée en Algérie d’anciens officiers* ayant servi
en Indochine* et l’affirmation collatérale de la doctrine de la guerre
révolutionnaire* dans les cercles de réflexion et de décision militaires
complexifient encore les acceptions du terme. Pour une grande part des
officiers, la « pacification » est un terme générique, qui s’apparente à ceux de
« contre-guérilla » ou de « contre-subversion ». Comme eux, il désigne une
nouvelle manière de faire la guerre, une « guerre révolutionnaire » pour
mieux s’opposer à la stratégie « révolutionnaire » du FLN, c’est-à-dire de
s’adapter à un conflit « total » dont la population reste la pièce maîtresse :
« La population est l’enjeu de l’adversaire comme des forces de l’ordre. Elle
détient la clé de voûte du problème, car le succès appartiendra à celui des
deux qui la fera s’engager dans son action », affirme l’Instruction pour la
pacification en Algérie du commandement en chef des forces en Algérie, en
mars 1960. La création en 1958 des centres d’instruction à la pacification et à
la contre-guérilla* (CIPCG) de Philippeville et d’Arzew, porte à son
paroxysme la polysémie de la « pacification » : l’action psychologique* y est
dès lors enseignée à des milliers de cadres militaires comme complémentaire
à l’organisation, à la structuration et à l’encadrement des populations, pour
parvenir à la « pacification » par la conquête des « cœurs et des esprits ».
Dans cette perspective, la pacification regroupe in fine des activités
multiples et différenciées, mais solidaires. Le système qui en résulte s’articule
dès lors dans un triptyque d’actions simultanées et complémentaires :
répression violente et permanente, d’un point de vue politique et militaire, de
toute velléité indépendantiste ; politique de normalisation des relations
administratives à des fins sécuritaires et gouvernementales, prolongée par des
mesures d’urgence dont l’ambition est autant sociale (atténuer la
paupérisation des Algériens, en attendant de la résorber) que psychologique
et politique (faire pencher la population en faveur de la France) ; réformes
structurelles du système politique, de l’administration, de l’économie et de la
société algériennes, dont la réalisation dépend d’abord du succès des deux
premiers axes. La « pacification » en Algérie cristallise dès lors une forme
exacerbée de la gouvernementalité foucaldienne : elle doit assurer le maintien
de l’ordre établi ainsi que la prise en charge du destin biologique et sociétal
de la population, dont il s’agit de faire un facteur de puissance pour l’État
souverain. La pacification est donc un système dont le but reste in fine de
faire triompher une ultime tentative d’étatisation de la société algérienne, en
incluant un recours à la contrainte. En cela, le terme relève d’un euphémisme
qui, en recourant au champ sémantique de la paix, cherche à nuancer les
enjeux de la guerre et à atténuer, sinon à occulter, les violences militaires,
politiques, économiques, sociales et culturelles qui l’ont caractérisée.
Fabien SACRISTE
Bibl. : Denis Leroux, « Une armée révolutionnaire : la guerre d’Algérie du
5e bureau », thèse sous la dir. de R. Branche, Paris-1, 2018 • Fabien Sacriste,
Les Camps de regroupement en Algérie. Une histoire des déplacements
forcés pendant la guerre d’indépendance (1954-1962), Presses de Sciences
Po, 2022 • Sylvie Thénault, Algérie. Des « événements » à la guerre : idées
reçues sur la guerre d’indépendance algérienne, Le Cavalier bleu, 2012.
PALESTRO
Petit bourg colonial, situé à 80 kilomètres à l’ouest d’Alger, à l’entrée des
gorges de la rivière Isser, Palestro doit son nom à un village lombard où eut
lieu une bataille à laquelle participèrent des zouaves venus soutenir l’armée
de Victor-Emmanuel II. Quelques années après sa fondation, en 1868, il est
ravagé à l’occasion de la grande insurrection qui secoua l’Algérie. Au
printemps 1871, les hommes sont massacrés tandis que femmes et enfants
sont faits prisonniers. Le village colonial renaît pourtant de ses cendres tout
en gardant vive la mémoire de ses colons* pionniers martyrisés. Son
extension le long de la fertile vallée de l’Isser se fait au détriment des
populations environnantes spoliées de leurs biens par le séquestre collectif, le
séquestre individuel touchant précisément les meneurs de la révolte. Les
meilleures terres sont récupérées pour la colonisation, les anciens
propriétaires contraints de louer leurs bras ou de changer d’activité. Dans
leurs familles aussi, la mémoire de cette déchéance est vive, l’échec de
l’insurrection nourrissant discours fatalistes et désirs de revanche.
Le 18 mai 1956, la vie de ces populations bascule de nouveau. Ce jour-là,
une embuscade* met en présence les maquisards indépendantistes et des
militaires français, tout juste rappelés sous les drapeaux. Les enjeux sont
clairs depuis plus d’un an et demi : la lutte armée vise à chasser les Français
d’Algérie ; pour la France, l’envoi du contingent, décidé en mars 1956, doit
écraser cette impudente tentative. En un beau jour de mai, une section de
vingt et un jeunes soldats, nouvellement arrivée en Kabylie, entreprend
d’aller reconnaître le territoire dont elle a la charge, sur les hauteurs des
gorges de l’Isser. Elle tombe dans une embuscade tendue en plein jour par
l’ALN*. Dix-sept hommes sont tués. Leurs cadavres seront retrouvés
dépouillés et, pour certains, mutilés. Sans qu’aucune preuve ne soit fournie,
se répand tout de suite le récit de leur émasculation. Cette barbarie justifie la
mise en place immédiate de la censure* sur la presse* et l’approfondissement
de la répression.
Depuis des mois, le FLN* s’est implanté dans la région, demandant
soutien et aide aux villageois, annonçant l’arrivée d’une nouvelle ère. Le
18 mai, l’audace du commando dirigé par Ali Khodja* a payé. Le plus
faiblement armé des deux groupes, mais meilleur connaisseur du terrain, l’a
emporté dans cette action caractéristique de la guérilla*. Les hommes du
sous-lieutenant Artur n’ont rien pu faire. Leur surprise n’a eu d’égale que leur
isolement. Les quatre survivants sont faits prisonniers* et très vite emmenés.
Pour les habitants du village de Djerrah tout proche, l’avenir est écrit :
l’armée française pratique les représailles collectives. Le village, à proximité
de l’embuscade, paiera le prix fort dès que l’alerte sera donnée. Dans les
quelques heures tout au plus qui séparent l’embuscade des représailles,
qu’ont fait les villageois ? Ils ont déplacé les cadavres de leur village,
espérant peut-être éloigner ainsi la violence française. En récupérant ce qui
pouvait l’être sur les corps, ils les ont aussi abîmés sciemment. À l’arme
blanche, ils en ont marqué certains, incisant les chairs, émasculant ou
égorgeant. Combien de soldats subirent ce sort ? Peu, contrairement à ce que
dira la presse alimentée par l’armée, mais sans doute faute de temps.
L’intention est bien là : loin de suivre les directives d’un FLN encore en train
de prendre racine dans la région, les villageois ont imposé leur point de vue
dans cette guerre. Ayant souffert dans leurs terres et leurs familles de la
violence coloniale, ils ont saisi cette opportunité de faire entendre aux
Français (mais aussi au FLN) qu’ils étaient, eux aussi, dans l’histoire. Par
cette atteinte aux corps des militaires français morts, les villageois refusent de
n’être que les hôtes des uns ou les victimes des autres. Ils affirment
l’existence d’une personnalité collective blessée qu’il aurait fallu davantage
écouter.
Leur village s’appelle Djerrah. C’est ainsi qu’on nommera l’embuscade
en Algérie. Mais, à l’époque, dans les médias français et dans la
propagande*, l’expression « embuscade de Palestro » s’impose. Ce
glissement toponymique n’est pas une erreur géographique. Les images
associées à Palestro sont en effet sans commune mesure avec ce que dit le
petit village de Djerrah. Les sensations impressionnantes que procurent les
gorges escarpées de l’Isser deviennent terrifiantes dans le nouveau contexte
de la guerre. La géographie* se mêle à l’histoire pour apporter à la force
évocatrice des gorges les souvenirs du massacre de 1871 : « Palestro »
devient la métonymie de la cruauté autochtone. Son nom terrorisera les
Français jusqu’à la fin de la guerre. Pour les Algériens, en revanche,
« l’embuscade de Djerrah » rappelle bien, à qui veut les écouter, que ces
populations avaient été repoussées dans les montagnes par la colonisation et
qu’elles attendaient le moment opportun pour se révolter.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, L’Embuscade de Palestro : Algérie, 1956,
Armand Colin, 2010.
PARACHUTISTES
Dans les jours qui suivent l’insurrection, plusieurs bataillons
parachutistes du sud-ouest de la France sont envoyés en Algérie. Ils
constituent en 1955 les seules troupes opérationnelles dans la 10e Région
militaire. À la suite des émeutes des 20 et 21 août 1955, la montée en
puissance des formations de type Blizzard (structure opérationnelle de
300 hommes adaptée au combat contre les katibas) marque la volonté du
commandement français d’utiliser les parachutistes comme force de frappe.
En 1956, après les premières déconvenues françaises, les 10e et 25e divisions
parachutistes (DP), soit plus de 20 000 hommes, adoptent la tactique de
contre-guérilla et deviennent le fer de lance des réserves générales
intervenant en tout temps et en tout lieu, notamment au cours de la bataille
des frontières* (décembre 1957-janvier 1958) et du plan Challe* (1959-
1960).
Leur emploi dans la « bataille d’Alger* » en 1957, leur participation au
13 mai 1958* puis leur inaction au cours de la semaine des barricades* –
voire leur fraternisation avec la population européenne de la capitale
algérienne – signent la politisation de nombre de leurs cadres, notamment
avec le ralliement de certaines unités aux généraux du coup de force d’Alger.
Le 30 avril 1961, la dissolution des deux divisions par le ministre des
Armées, Pierre Messmer*, met un terme aux dérives dénoncées dans certains
cercles de l’armée après les campagnes contre la torture* pendant la « bataille
d’Alger ».
Le général commandant la 5e Région aérienne (Algérie) crée en mai 1956
plusieurs commandos* parachutistes rivalisant avec les formations de l’armée
de terre*. Ils suivent l’exemple des régiments parachutistes engagés dans le
coup de force d’Alger. Toutes ces formations, à l’exception notable des deux
régiments étrangers parachutistes, ne sont pas professionnalisées. Autrement
dit, se côtoient des engagés (ADL) et des appelés* (PDL) ou rappelés du
contingent avec des cadres d’active et de réserve. Ainsi, les soldats appelés
du contingent du 3e régiment parachutiste d’infanterie de marine (RPIMa) du
colonel Bigeard* mettent un point d’honneur à se montrer dignes de leurs
frères d’armes par leurs bilans opérationnels. Les rivalités entre unités
parachutistes et la course aux « résultats » sont à l’origine de leur réputation
antithétique dans les deux camps et laissent des traces dans les deux pays qui
se sont affrontés pendant huit longues années.
André-Paul COMOR
Bibl. : Laurent Cadena, « L’organisation des troupes aéroportées pendant la
guerre d’Algérie », in Jean-Charles Jauffret (dir.), Des hommes et des femmes
en guerre d’Algérie, Autrement, 2003 • Marie-Danielle Demélas,
Parachutistes en Algérie, 1954-1958, Vendémiaire, 2021.
PARTI RADICAL
Le parti radical, ancien parti dominant de la République impériale,
occupe durant la première moitié de la guerre d’Algérie une place stratégique
dans les équilibres politiques. Cette position repose sur sa présence tant en
Algérie qu’en France, où désormais très minoritaire, il occupe néanmoins une
position charnière lui permettant d’être présent dans toutes les combinaisons
gouvernementales. Plus encore que pour les autres partis de gauche, les
fédérations radicales algériennes jouent un rôle actif, notamment par le
financement du parti national. Dominées par deux personnalités incarnant le
« parti colonial », le « grand colon* » algérois, Henri Borgeaud*, et le député
de Constantine, René Mayer, elles pèsent pour le maintien de l’Algérie
française et pour une politique de répression du nationalisme*.
De novembre 1954 à décembre 1955, puis de juin 1957 à mai 1958,
quatre présidents du Conseil sont issus du parti radical : Mendès France*,
Faure, Bourgès-Maunoury* et Gaillard*. Entre-temps, les ministres radicaux
ont participé au gouvernement Mollet* où ils ont occupé des fonctions clés,
notamment Bourgès-Maunoury.
Les radicaux au pouvoir mènent tous une politique répressive contre le
nationalisme algérien – plus ou moins brutale et assumée – et proposent tous
une politique de réformes afin de mieux conserver l’Algérie, en espérant
maintenir la souveraineté française, contrer le nationalisme et éviter
l’indépendance. À plusieurs reprises, le parti se déchire sur l’équilibre à
trouver entre répression et réformes, sur les méthodes à employer en
subordonnant ou non les réformes au retour à l’ordre et sur la question d’un
éventuel dialogue avec les nationalistes.
Le mendésisme lui-même partage la logique impériale, s’inscrivant
toutefois dans le courant libéral de la colonisation, méfiant vis-à-vis du
nationalisme mais plus soucieux des droits de l’homme et prêt à des
évolutions comme l’ont montré les exemples indochinois et tunisiens.
Une série de scissions et d’exclusions affaiblissent le parti. Lors de la
rupture du parti avec le Rassemblement des gauches républicaines (RGR),
René Mayer, avec Léon Martinaud-Déplat, Bernard Lafay et Jean-Paul
David, en sont exclus. Suivent Faure, puis Mendès France et ses amis. Des
dissidents radicaux, durant la Ve République*, rejoignent les positions de
défense de l’Algérie française, comme André Morice qui a été constructeur
de la fameuse ligne visant à isoler l’Algérie de ses voisins pour contrer
l’ALN*. Amputé de son aile gauche (le Mouvement des radicaux de gauche),
en 1972, associé au programme commun du PS et du PCF*, le parti s’ancre
au centre droit avec sa fusion dans l’Union pour la démocratie française
(UDF) en 1978.
Gilles MORIN
Bibl. : Frédéric Fogacci, « Le malheur des temps : la mouvance politique
radicale de la Libération à la fin des années 1960 », thèse d’histoire sous la
dir. de J.-P. Chaline, Paris-4, 2008.
PAYS-BAS
Plus que d’autres pays européens, les Pays-Bas soutiennent la France
dans la guerre menée contre les indépendantistes algériens. En politique
étrangère, les gouvernements néerlandais souscrivent toujours à une loyauté
de fer avec, d’une part, l’Otan, et d’autre part l’Europe dont la Hollande est,
comme la France, membre fondateur. Une position conservatrice qui est aussi
liée au profond malaise du pays par rapport à son propre passé colonial et à
ses relations difficiles avec l’Indonésie concernant la Nouvelle-Guinée.
La Hollande est en effet gouvernée par des majorités parlementaires très
modérées, de centre-gauche ou de centre-droit. Les forces plus nettement à
gauche sont insignifiantes, que ce soit le Parti communiste néerlandais
(Communistiche Partij Nederland [CPN]) ou le Parti socialiste pacifiste
(Pacifistisch Socialistiche Partij [PSP]) né, entre autres, de l’anticolonialisme
et en cela non dénué d’analogies avec la « nouvelle gauche » et le PSU* de
Gilles Martinet*. Ils n’ont jamais plus de cinq sièges au Parlement (sur 150).
C’est donc plutôt dans la vaste base sociale progressiste, parmi les
travailleurs et surtout parmi les étudiants* et les intellectuels, que se
manifeste un intérêt marqué pour le sort du peuple algérien. Fortement
influencées par les débats français, les élites cultivées néerlandaises – comme
ailleurs en Europe – s’intéressent progressivement à la guerre d’Algérie, à
travers la « bataille d’Alger* » (1957), l’avènement problématique de la
Ve République* (1958), le débat sur la torture* et l’affaire Boupacha* (1960).
Une minorité fait l’analogie entre la guerre d’Algérie et l’occupation
nazie subie pendant la Seconde Guerre mondiale, la Résistance* et la
décolonisation néerlando-indonésienne (1945-1949). Ainsi à partir de 1959,
des groupes d’information s’organisent, comme l’Actie Informatie Algerije
(action information Algérie [AIA]). Ils font circuler les textes de
dénonciation publiés en France. Des structures comme, à Amsterdam, le
comité Hulp Algerijnse Vluchtelingen (comité d’aide aux réfugiés algériens)
mènent des campagnes humanitaires.
Enfin, des militants de la gauche révolutionnaire (essentiellement des
courants trotskistes* de la IVe Internationale) se lient aux « porteurs de
valises* » français pour soutenir clandestinement le FLN*, sur le plan
logistique et militaire. En juin 1960, l’arrestation de certains d’entre eux, dont
Michel Raptis (Pablo), pour fabrication de fausse monnaie destinée à
déstabiliser la France, est particulièrement spectaculaire. Lors de leur procès,
Claude Bourdet*, Isaac Deutscher, Michel Leiris et Laurent Schwartz*
viennent à Amsterdam leur exprimer leur solidarité.
Andrea BRAZZODURO
Bibl. : Niek Pas, Les Pays-Bas et la guerre d’Algérie, Alger, Barzakh, 2013.
PÉTROLE
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie a produit de très faibles
quantités de pétrole. Les conditions d’une recherche active se mettent en
place dès 1945, mais la réticence des responsables freine la prospection. Le
premier forage, dans le Mzab, fait naître des espoirs, mais les suivants se
révèlent infructueux, en dépit du recours à des techniques de pointe. La
guerre d’Algérie a commencé depuis quinze mois lorsque, le 11 janvier 1956,
le pétrole jaillit à Edjeleh, près de la frontière libyenne, sur un chantier de la
Compagnie pour la recherche et l’exploitation du pétrole saharien (Creps),
filiale de la Régie autonome des pétroles (RAP). Le 15 juillet, le phénomène
se renouvelle pour la Société nationale de recherches et d’exploitation du
pétrole en Algérie (SN-Repal), sur l’important gisement d’Hassi Messaoud, à
75 kilomètres à l’ouest d’Ouargla. Les gisements gaziers d’Hassi R’mel,
entre Ghardaïa et Lahouat, alors considérés comme les plus importants du
monde, sont atteints en novembre.
Ces découvertes pourraient assurer à la France son autonomie
énergétique. La crise de Suez* vient de souligner sa dépendance à l’égard du
Moyen-Orient, qui fournit alors 85 % de ses importations de brut. Le blocage
du canal et celui des oléoducs syrien et libanais qui desservent les gisements
irakiens ont obligé les autorités à instaurer quelques mois de rationnement.
Selon les experts, le pétrole du Sahara pourrait couvrir le quart des besoins
nationaux dès 1959, et garantir l’autosuffisance peu après 1970. Grâce à un
code particulièrement favorable, les capitaux français détiennent près de
80 % du domaine minier algérien, avec une prépondérance des entreprises
publiques (SN-Repal, Creps) sur les entreprises privées (Compagnie française
des pétroles [CFP]). Ces découvertes paraissent aussi très importantes pour
l’avenir de l’Algérie en guerre. Il apparaît en effet aux dirigeants français que
le combat pour le développement, solennellement inscrit dans le plan de
Constantine*, est inséparable de l’action militaire pour amarrer
définitivement l’Algérie à la France, en apportant la prospérité à des
populations que la misère rend sensibles à la propagande* du FLN*. L’apport
d’un pétrole et d’un gaz bon marché doit favoriser la croissance et fournir des
ressources au budget algérien, en limitant le recours à l’aide financière de la
métropole.
Aussi l’augmentation de la production, fortement encouragée par l’État,
est rapide : de 500 000 tonnes de pétrole en 1958, elle passe à 20 millions en
1962 ; environ 14 millions sont exportés en France, pour une consommation
nationale de 37 millions de tonnes. Les infrastructures se mettent en place.
Un oléoduc provisoire, dit baby-pipe, de 168 kilomètres, en mars 1958, relie
Hassi Messaoud à Touggourt. De là, le pétrole est évacué vers Bougie par
chemin de fer, après élargissement de la section Biskra-Touggourt qui était à
voie étroite. Cet expédient n’a qu’un temps : l’oléoduc d’Hassi Messaoud à
Bougie (660 kilomètres) est inauguré en décembre 1959 par le Premier
ministre Michel Debré*. Un autre oléoduc raccorde le gisement d’Edjeleh au
port tunisien de La Skhira en octobre 1960. Un an plus tard, le gazoduc
d’Hassi R’Mel (510 kilomètres) atteint Arzew, à l’est d’Oran. Les techniciens
français acquièrent un savoir-faire comparable à celui des grandes entreprises
opératrices mondiales. Routes, pistes d’aviation, bases vies pour les
personnels, transforment l’aspect du désert. La guerre qui se déroule au Nord
épargne à peu près totalement les exploitations. La tentative pour ouvrir un
« front saharien » s’est traduite par un échec de l’ALN*, après des combats
menés par le 3e RPC du lieutenant-colonel Marcel Bigeard* dans le Grand
Erg occidental aux environs de Timimoun, et le 1er REP du lieutenant-colonel
Jeanpierre à l’ouest de Biskra (fin octobre-fin décembre 1957). Par la suite,
l’ALN n’a guère pu tenter sérieusement de saboter des installations d’ailleurs
efficacement surveillées, jusqu’au moment où ses chefs ont pris conscience
de la nécessité de ne pas toucher à une ressource précieuse pour l’Algérie
indépendante.
La question pétrolière est un point important des discussions sur
l’indépendance. Les responsables français ont très sérieusement envisagé de
conserver le Sahara, jugé autonome des autorités turques avant 1830, puis
conquis, organisé et mis en valeur assez indépendamment de l’Algérie du
Nord. Cette argumentation est insupportable aux nationalistes, qui réclament
l’intégrité du territoire et organisent en juillet 1961 des manifestations*
contre la partition de l’Algérie. Aussi le général de Gaulle* se convainc que
le maintien de la souveraineté française sur le Sahara compromet
l’aboutissement de négociations* rapides. Dans sa conférence de presse du
5 septembre 1961, il n’exige plus que la « libre exploitation du pétrole et du
gaz que nous avons découverts et que nous découvririons ». Le règlement
s’effectue sur cette base, comme le précise la « déclaration générale »,
complétée par une « déclaration de principes sur la coopération pour la mise
en valeur des richesses du sous-sol du Sahara », incluse dans les déclarations
gouvernementales du 19 mars 1962* (dites « accords d’Évian* »). Ce texte
maintient les dispositions du Code pétrolier saharien pour tous les titres
miniers accordés avant l’indépendance. Il prévoit la continuité et la
prépondérance des compagnies françaises, avec le droit de vendre et de
disposer librement de leur production, la garantie des conditions établies en
matière fiscale et, pendant une durée de six ans, la priorité en matière
d’attribution de permis. La coopération franco-algérienne doit être assurée
par la création d’un organisme, successeur de l’Organisation commune des
régions sahariennes (OCRS), qui prend en charge l’entretien et le
développement des infrastructures. Il dispose aussi d’un droit de regard sur
les textes administratifs et législatifs édictés par l’État algérien en matière
minière. Un organisme franco-algérien mixte et paritaire est chargé de
coordonner l’exploitation et de donner un avis sur les demandes de nouveaux
permis. Enfin, il est prévu que les transactions portant sur les hydrocarbures
algériens se feront en francs, devise qui servira aussi à payer les redevances
dues par les compagnies à l’État algérien, ce qui est favorable à la balance
des paiements français. Dans ces conditions, le pétrole algérien, qui
représentait le tiers de l’approvisionnement français en 1963, en constitue
encore plus du quart en 1970 (en 1967, environ 20 millions de tonnes, sur une
consommation qui dépasse alors les 70 millions).
Cette situation dure jusqu’en 1971, en dépit d’une renégociation plus
avantageuse pour les Algériens en 1965. Les deux États ne trouvent plus alors
dans la coopération de bénéfices suffisants. Les Français jugent excessives
les conditions des Algériens et préfèrent diversifier leur consommation,
tandis que les Algériens désirent prendre le contrôle total de leurs richesses.
La nationalisation des intérêts français intervient en 1971. L’État algérien
prend alors une participation majoritaire dans le capital des sociétés. La
France devient un partenaire de l’État algérien parmi d’autres. Les sociétés
françaises opèrent désormais en Algérie sans privilège particulier. La
configuration mondiale du marché des hydrocarbures détermine désormais
les engagements réciproques.
Jacques FRÉMEAUX
Bibl. : Maurice Brogini, « L’exploitation des hydrocarbures en Algérie de
1956 à 1971 », thèse sous la dir. d’A. Nouschi, Nice, 1973 • Jacques
Frémeaux, Le Sahara et la France, Soteca, 2010.
PHILATÉLIE
Les timbres représentent un autre lieu de mémoire*, ou plus précisément
un objet porteur de mémoires de la Guerre d’indépendance algérienne.
Dès la guerre elle-même, les timbres et marques postales ont été le
vecteur de messages. Par exemple, des oblitérations mécaniques officielles
pro-Algérie française ont été apposées sur des enveloppes dès 1956, sans que
l’on sache si elles étaient tolérées par l’administration. De même, en 1957,
des vaguemestres militaires ont apposé des cachets sur les enveloppes
favorables à l’« Algérie française ». Des flammes officielles sont également
inscrites sur les enveloppes fin 1959 et contiennent des messages de
prévention à destination des soldats. Elles étaient apposées sur le courrier que
les soldats envoyaient : ils ne les voyaient donc pas, au contraire des familles
qui s’inquiétaient. Des timbres cherchent également à promouvoir un sens de
fraternité ou d’entraide. Un timbre est émis en juin 1958 en faveur du
« Secours aux enfants », et un autre intitulé « Tous frères » montre deux
infirmières, l’une d’origine algérienne, l’autre européenne, devant l’hôpital
Verdun d’Alger. D’autres marques et timbres vantent le développement de
l’Algérie, par exemple avec la commémoration* en 1959 du jaillissement du
pétrole* à Hassi Messaoud. Les événements du 13 mai 1958* ont fait l’objet
de plusieurs commémorations dès la guerre d’Algérie, notamment avec des
surcharges sur les timbres réalisées en décembre 1961 et janvier 1962,
portant « Algérie française. 13 mai 1958. OAS ». La mention du 13 mai 1958
manifeste une réappropriation de cette date par l’OAS* pour qui de Gaulle* a
trahi les espoirs de ceux qui l’avaient alors appelé au pouvoir pour garder
l’Algérie française.
Des timbres français sont surchargés des lettres « EA » (pour État
algérien) jusqu’à début 1963. Le premier timbre algérien sort le 1er novembre
1962 au profit des enfants de chouhadas. Un spectaculaire renversement de
tendance s’opère alors. Alors qu’auparavant il n’existait que quelques cachets
du FLN* et du GPRA*, et évidemment aucun timbre algérien, les timbres
français font désormais peu référence à cette période au contraire des timbres
algériens. Certains d’entre eux vantent la nation et la patrie, comme le
drapeau* et les frontières de l’État algérien pour le timbre édité le
1er novembre 1962. Le timbre édité le 1er novembre 1963 montre un
combattant de l’ALN* de l’extérieur, une femme* combattante, un
moudjahid* de l’intérieur, une femme voilée éplorée et un enfant brandissant
un drapeau. Le 20 août 1966 sort un timbre de la même veine, pour la journée
nationale du moudjahid, montrant deux combattants algériens en arme (dont
l’un ressemble à Zighoud* Youcef), aux pieds desquels se trouve un autre
combattant en train d’agoniser, accompagné par une femme et un enfant.
D’autres timbres commémorent des événements. Le premier concerne
l’incendie de la bibliothèque universitaire d’Alger par l’OAS, sorti le 7 juin
1965. Un autre de 1982 célèbre le 26e anniversaire du congrès de la
Soummam*, et un autre de 1990 les manifestations de décembre 1960*. Un
timbre fête aussi le 50e anniversaire de la grève* des étudiants*, et un autre
désigne ouvertement la France en faisant « hommage aux victimes des essais
nucléaires* français en Algérie » (2010). Le premier timbre représentant une
personnalité est à la mémoire de Houari Boumediene*, sorti le 5 janvier
1979. Boumediene est la seule personnalité à avoir fait l’objet de deux
timbres à son effigie. Parmi les autres, signalons Ferhat Abbas* (en 2008),
Abderrahmane Taleb (2003, à l’occasion de la « journée de l’étudiant »), ou
encore les six chefs historiques photographiés avant l’insurrection (2004).
Mais des absences sont notables : Ahmed Ben Bella*, Messali Hadj* ou
encore Abane* Ramdane.
Du côté français, les timbres sont peu nombreux et commémorent de
façon plutôt militante la guerre et ses conséquences : le premier timbre, de
1987, intitulé « 25 ans après », concerne le « Rassemblement mondial (à)
Nice » des pieds-noirs*, et montre les pourtours de la France, avec le drapeau
tricolore et des traces de pas pieds-noirs marchant sur l’hexagone. Les
cachets, oblitérations mécaniques et flammes sont nombreux concernant ce
groupe mémoriel. En 1989, un autre timbre concerne un « Hommage aux
harkis soldats de la France ». Des envois de lettres vers l’Algérie avec ce
timbre ont été effectués, conduisant les autorités algériennes à renvoyer les
lettres. Les harkis*, qui ont longtemps été totalement oubliés, font ainsi
l’objet de l’un des premiers timbres français. Il faut en effet attendre 1997
pour qu’il soit fait « Hommage aux combattants français en Afrique du Nord
1952-1962 », deux ans seulement avant la reconnaissance de l’état de guerre
en Algérie… Le cessez-le-feu du 19 mars 1962* n’est quant à lui
commémoré que par le service « Mon timbre à moi », avec un timbre
imprimé par la Fnaca. Récemment ont encore circulé par ce service des
timbres à l’effigie de Jean-Marie Bastien-Thiry, auteur de l’attentat du Petit-
Clamart* contre le général de Gaulle*. Ainsi, même des objets comme les
timbres illustrent les tensions mémorielles autour de la guerre d’Algérie.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : www.histoire-et-philatelie.fr, consulté le 19 juillet 2022 (Prix internet
du Cercle de la presse philatélique, 2018) • Emmanuel Alcaraz, « Les timbres
algériens de 1962 à nos jours, lieux de mémoire de la guerre d’indépendance
algérienne », Cahiers de la Méditerranée, no 91, 2015 • Jean-Noël Jeanneney,
« Enquête sur un timbre-poste », L’Histoire, no 495, mai 2022.
PHOTOGRAPHIE
Entre 1954 et 1962, la photographie fut une arme comme une autre
utilisée par les deux camps en présence, dans le cadre d’une guerre des
images marquée par une profonde inégalité de moyens, tant en termes de
production que de diffusion. Côté français, des centaines de milliers de
photographies ont été mises au service de la conduite de la guerre : comme
auxiliaires du renseignement pour identifier et traquer l’adversaire, recenser
et contrôler les populations ; comme moyens d’action psychologique*, à la
fois sur les appelés qu’il s’agissait de conditionner et sur les populations
civiles algériennes qu’il fallait – par la terreur et la séduction mêlées – faire
basculer définitivement dans le camp de la France. En imposant des
restrictions strictes au travail des reporters civils sur le terrain, l’armée a
cherché à s’arroger un monopole sur la production et sur la diffusion
d’images, dans le but de maîtriser le récit donné à voir à l’opinion publique*
française et internationale. Des enveloppes de photographies produites par le
Service cinématographique des armées (SCA) qui avait installé une antenne à
Alger, soigneusement choisies et légendées, étaient ainsi distribuées
gratuitement aux journaux et aux agences de presse, à charge pour eux de les
publier sous leur propre timbre, faisant ainsi disparaître l’origine militaire de
l’information. Dans leur majorité, les médias se sont fait le relais, consentant
ou forcé, de cette information dirigée qui ne disait pas son nom, passée par
les filtres successifs de la censure*, banalisant la vision univoque et répétitive
d’une armée dédiée à la « pacification* », à mille lieues des vrais actes de
guerre. À tel point qu’on a pu vivre pendant des années avec l’idée que,
finalement, cette guerre qui fut « sans nom » fut aussi une guerre « sans
image ». Face à l’immense machine de guerre médiatique déployée par les
Français, les indépendantistes algériens disposaient de faibles moyens pour
produire eux-mêmes des photographies. Ils eurent pourtant très tôt la
conviction que l’image était indispensable pour concurrencer l’adversaire sur
les terrains médiatique et diplomatique et qu’il leur fallait mettre en scène un
autre récit, pour faire connaître et pour défendre, auprès du peuple algérien
comme aux yeux du monde entier, la cause de leur combat pour
l’indépendance. Tous les moyens étaient bons pour réaliser ou pour se
procurer des images. Au cœur des maquis, simples combattants et
commissaires politiques, dotés de petits appareils amateur, photographièrent
les soldats de l’ALN*, au repos, à l’entraînement et au combat, mais aussi les
traces laissées dans les villages par la répression de l’armée française. Autant
de preuves visuelles de l’existence d’une véritable armée organisée, en lieu et
place des bandes de « hors-la-loi » dont parlaient les Français. Preuves aussi
des exactions de l’armée française contre les populations civiles, loin des
clichés de soldats apportant la paix, le développement et la civilisation. Pas
de laboratoires clandestins dans les montagnes : les pellicules étaient
acheminées jusque dans les villes où elles étaient développées par des
militants, parfois avec l’aide de réseaux de soutien européens. Ces images
étaient ensuite transmises aux services d’information installés hors des
frontières (au Maroc* et en Tunisie*, mais également à New York) qui les
publièrent dans les journaux du FLN* (Résistance algérienne, puis El
Moudjahid) mais également dans des brochures d’information, dont certaines
étaient éditées en plusieurs langues pour toucher l’opinion internationale.
Pour illustrer ces publications, les Algériens organisèrent par ailleurs des
filières d’approvisionnement en dehors de l’organisation, afin de s’assurer un
flux constant et renouvelé de clichés photographiques, y compris en
provenance de sources occidentales, armée française comprise. Par
l’intermédiaire de journaux marocains et tunisiens, de journalistes étrangers
et des réseaux de soutien à travers le monde, ils récupéraient des images
diffusées par abonnement par les grandes agences de presse mondiales. À
Tanger, une société espagnole leur servit même de prête-nom pour intercepter
les clichés transmis par le bélinographe, ancêtre du fax qui permettait la
transmission d’images fixes par le réseau téléphonique. Faute de moyens, il
fallait faire feu de tout bois, quitte à utiliser les photographies prises par
l’adversaire pour mieux les détourner par l’adjonction d’une nouvelle
légende. Afin d’accroître leur capacité de production et leur impact
médiatique, les Algériens ont aussi eu recours à des journalistes étrangers,
accueillis dans les rangs de l’ALN pour réaliser des reportages exceptionnels
au cœur des maquis. Les médias internationaux, las de recevoir toujours les
mêmes images militaires françaises, étaient friands de ces scoops
journalistiques, qui montraient enfin l’autre versant de la guerre. Au passage,
ces reporters laissaient des copies de leurs photographies aux services
d’information du FLN, qui les ont utilisées comme un fonds de roulement
iconographique pour leurs propres publications. Insérés dans le système
médiatique international, ces clichés gagnèrent une crédibilité et une audience
que n’auraient pu leur donner à eux seuls les nationalistes algériens. Cette
expérience pionnière, lancée fin 1956 avec les Américains Herb Greer et
Peter Throckmorton, tendit à devenir un système à partir de la fin de
l’année 1957, alors que les services d’information du FLN, regroupés à
Tunis, accueillirent de nombreux journalistes étrangers. Ces derniers restèrent
cependant cantonnés aux bases de l’ALN installées en Tunisie et à la zone du
no man’s land entre les deux pays, suite à la construction par l’armée
française du barrage électrifié sur la frontière, connu sous le nom de « ligne
Morice ». Le GPRA*, proclamé en septembre 1958, se dota rapidement d’un
service photographique rattaché au ministère de l’Information, dont la
direction fut confiée à Mohamed Kouaci. Formé à la photographie à Paris, il
avait accompagné en août 1957 la délégation de l’Union générale des
étudiants musulmans algériens* (Ugema) invitée pour représenter l’Algérie
lors du Festival mondial de la jeunesse à Moscou. À Tunis, il centralisa et
développa la collecte d’images mises au service de la communication de
l’État algérien en gestation. Il réalisa également de très beaux portraits des
soldats de l’ALN, des hommes politiques et des diplomates qui incarnaient
aux yeux du monde le combat pour l’indépendance, tandis que ses portraits
de réfugiés*, réalisés dans un style humaniste maîtrisé, servirent à éveiller la
conscience internationale au problème algérien. L’analyse des pratiques et
des usages de la photographie pendant la Guerre d’indépendance algérienne
amène à constater un retournement de situation paradoxal : commencée sous
le signe de l’inégalité, la guerre des images fut finalement remportée par les
Algériens.
Marie CHOMINOT
Bibl. : Marie Chominot, « Quand la photographie vint à la Révolution. Petite
contribution à l’histoire des services d’information du FLN pendant la guerre
d’indépendance algérienne », in Omar Carlier (dir.), Images du Maghreb,
Images au Maghreb (XIXe-XXe siècles). Une Révolution du visuel ?,
L’Harmattan, 2010 • Laurent Gervereau et Benjamin Stora (dir.),
Photographier la guerre d’Algérie, Marval, 2004.
PIEDS-NOIRS
Le substantif « pied-noir », dont l’usage a connu une grande popularité en
France métropolitaine dans la seconde moitié du XXe siècle, a permis de
distinguer de façon simplifiée, sur des bases ethnico-religieuses, les
populations de l’Algérie coloniale : celles dites « d’origine européenne »,
catégorie administrative qui incluait aussi les Juifs* originaires du pays, des
populations « musulmanes », catégorie qui resta en vigueur en dépit de la loi
de séparation, en 1905, des Églises et de l’État. Son origine étymologique est
incertaine : il peut faire référence aux guêtres noires portées par les soldats
français lors de la conquête. Il évoque aussi les pieds noircis des viticulteurs
foulant les raisins au moment des vendanges ; la culture de la vigne étant
alors l’apanage des exploitations agricoles européennes. Cela importe peu,
car son utilisation a surtout été une façon de désigner un groupe spécifique,
juridiquement, socialement et culturellement placé à la symétrie des
populations « algériennes ».
Ils ont, pour la plupart d’entre eux, une histoire familiale difficile : si
quelques-uns sont les descendants des grandes familles capitalistes venus
exploiter les terres « dévoyées » à la colonisation, et qui ont constitué une
bourgeoisie coloniale influente, nombreux sont les enfants de gens de peu,
originaires des régions pauvres de l’Europe, mais qui ont toutefois pu
bénéficier d’une insertion rapide dans le secteur « français » de la société
coloniale.
En effet, au lendemain de la conquête, Français et étrangers affluent en
Algérie, aidés dans leurs migrations par les politiques de peuplement
encouragées par l’État, dont les nombreuses créations de villages de
colonisation et la mise en œuvre d’une politique d’accaparement des terres.
La conséquence en fut la création d’une société coloniale plurinationale, car
en dépit de la naturalisation de la population juive par le décret Crémieux de
1870, le nombre de Français présents en Algérie peinait à dépasser celui des
étrangers. En 1886 étaient dénombrés 219 000 Français et 211 000 étrangers,
Italiens, Espagnols et Maltais pour la plupart. La loi du 26 juin 1889
organisant la naturalisation automatique des enfants d’étrangers nés sur le sol
français participa au renforcement démographique du groupe des Français
d’Algérie : en 1901, on dénombrait 364 000 Français dont 72 000 naturalisés
et 189 000 étrangers. Dès lors, les descendants d’Européens bénéficièrent des
droits de citoyenneté, à l’inverse des « musulmans » qui, bien que de
nationalité* française, n’en jouissaient pas. Par ailleurs, la constitution de
grands domaines latifundiaires tarit rapidement la population rurale au profit
d’une colonisation urbaine. En 1872, 60 % des Français et des Européens
étaient des citadins ; ils étaient 71,4 % en 1926.
De ce fait, à la veille de la Guerre d’indépendance algérienne, on
dénombrait 984 000 Français d’Algérie ; 80 % y étaient nés. Ils comptaient
pour un dixième de la population des départements algériens. Ils furent les
principaux bénéficiaires, en Algérie, des lois républicaines, dont l’accès au
suffrage universel masculin, puis féminin après 1944, des lois scolaires mais
aussi des aides sociales mises en place au sortir de la Seconde Guerre
mondiale. Ils jouissaient d’une situation économique et sociale favorable. En
1959, leur revenu annuel était de 450 000 francs par habitant, celui des
« musulmans » était évalué à 61 000 francs. Leur patrimoine immobilier était
estimé à 8 milliards de francs (tandis que celui des Algériens était inconnu de
l’administration). La suprématie des Français se retrouvait évidemment dans
l’achat des biens de consommation. Ils avaient acquis 82 % du parc
automobile neuf vendu au cours de l’année 1958, les sociétés 12 %, les
« Algériens » 6 %. Enfin, 83 % des étudiants* de l’université d’Alger*
appartenaient au groupe des « Français d’Algérie ». Leur situation sociale
n’était toutefois pas équivalente à celle des Français métropolitains. Si
quelques grands propriétaires terriens menaient une vie à la richesse
tapageuse, les Français d’Algérie étaient pour 44 % des salariés et pour 29 %
des fonctionnaires. Et les membres des professions indépendantes ne
percevaient que de faibles revenus : les trois quarts de leurs boutiques
n’employaient aucun salarié. Une enquête militaire, relayée par le sénateur
Pellenc, estimait que le revenu des Français d’Algérie était inférieur de 20 %
à celui des métropolitains.
Mais en dépit des importantes inégalités sociales qui traversaient leur
groupe, la société « pied-noire » ne s’était pas structurée autour d’un
sentiment de classe, susceptible de rapprocher les habitants de l’Algérie
coloniale en fonction de leurs conditions sociales, ou d’un même désir
d’amélioration de leur avenir, mais bien autour de valeurs distinguant les
individus en fonction de leurs catégories ethniques et d’une culture qui ne
prenaient en considération que celle des « Français de France », selon
l’expression alors en vigueur. Les « Français d’Algérie » avaient développé
un rapport « ambivalent » avec les « Algériens ». Si, à l’échelle des relations
interindividuelles ou professionnelles ils entretenaient avec eux d’étroits
rapports, toute relation égalitaire de groupe était structurellement impossible.
Au terme du conflit, les Français d’Algérie furent contraints de migrer en
France métropolitaine, dans des conditions d’urgence et d’inquiétude
difficilement descriptibles. Si la plupart des personnes aisées avaient organisé
leur départ et la mise à l’abri de leurs biens à partir de 1958, ne restaient en
1962 que la plupart des Français d’Algérie les plus pauvres et qui allaient
connaître d’importantes difficultés matérielles lors de leur arrivée en France
métropolitaine.
Ainsi, du point de vue juridique de l’État, le groupe des Français
d’Algérie appartenait désormais à la catégorie des « rapatriés* », qui
bénéficiaient à ce titre des aides à la réinstallation et à l’indemnisation
graduellement mises en place. Du point de vue populaire, ceux que l’on
appelait « pieds-noirs » souffraient de stéréotypes grossiers, les présentant
comme des parvenus, racistes, sinon les seuls responsables des succès
électoraux de l’extrême droite, des gouailleurs à la culture savante douteuse,
voire des « nostalgériques* » qu’une partie de l’opinion* estimait justement
punis d’avoir profité de la colonisation. Leurs représentations caricaturales
envahirent les productions cinématographiques et télévisuelles, et ce ne fut
qu’au tournant de la décennie 1990, grâce notamment à la cinéaste
Dominique Cabrera, que leurs personnages regagnèrent en profondeur et en
subtilité. Les pieds-noirs étaient désormais compris à l’aune de leur histoire ;
celle de Français périphériques, à la fois « nationalisés » sous les coups de la
politique menée par la France en Algérie, mais qui avaient aussi développé
une culture nationale particulière, propre à la société profondément
inégalitaire et catégorielle dans laquelle ils avaient vécu.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari
Tengour et Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale
(1830-1962), La Découverte/Barzakh, 2012 • Éric Savarèse, L’Invention des
pieds-noirs, Séguier, 2002 • Hugo Vermeren, Les Italiens à Bône (1865-
1940). Migrations méditerranéennes et colonisation de peuplement en
Algérie, Rome, École française de Rome, 2017.
PIEDS-NOIRS (ASSOCIATIONS)
Lorsque les pieds-noirs arrivent en France en 1962, rien ne laisse
présager une implication identitaire forte de leur part. Les activistes sont une
minorité organisée mais marginalisée. Lors du rapatriement*, des
associations se mettent en place, en particulier le Mouvement de solidarité et
d’entraide pour les Français d’outre-mer, créé par l’écrivain Jules Romains le
12 janvier 1962. Ce mouvement s’adresse avant tout aux métropolitains qui
voudraient venir en aide aux rapatriés*.
Pourtant, une association spécifiquement pied-noire est créée dès 1956,
dans le cadre des décolonisations du Maroc* et de la Tunisie* : l’Association
nationale des Français d’Afrique du Nord et d’outre-mer et leurs amis
(Anfanoma), dont l’avocat Pierre Reveillaud est le premier président. Son
journal, Le Pied noir, rend compte de la situation matérielle des rapatriés en
France, souligne les démarches entreprises auprès des pouvoirs publics, sert
de caisse de résonance aux revendications, et répercute les activités
culturelles. Par ailleurs, en 1965 est créée l’Union syndicale de défense des
intérêts des Français repliés d’Algérie (Usdifra) à Marseille*. Son but est de
regrouper les « populations déplacées contre leur gré », de les assister, de les
défendre, et d’organiser des manifestations pour entretenir le souvenir. Elle a
longtemps été dirigée par Gabriel Mene (1941-2015). D’autres associations
sont formées localement dans le sud de la France, où s’installent
majoritairement les rapatriés, comme dans le Gard et l’Hérault.
Le développement spectaculaire de l’identité pied-noire date des années
1970. Le traumatisme du départ et le sentiment de l’impossibilité de retourner
sur les lieux de leur enfance* ou de leur jeunesse ont poussé de nombreux
pieds-noirs à développer une forme de nostalgie, parfois appelée la
« nostalgérie* ». Des associations se sont créées et ont porté ce sentiment. La
plus importante est le Cercle algérianiste, fondé en 1973, notamment par
Maurice Calmein (né en 1947 à Oran) qui en devient le président jusqu’en
1985. Elle s’appuie sur une revue*, L’Algérianiste, forte de 12 000 lecteurs
revendiqués, qui traite de sujets historiques et culturels. Mais l’un des buts
primordiaux de l’association est de « protester contre l’histoire officielle de la
présence française en Algérie ». Le discours est donc revendicateur, afin de
promouvoir la vision des pieds-noirs et de « redonner de la vigueur à la
communauté des Français d’Algérie ». Elle a longtemps été dirigée par
Thierry Rolando, qui a cosigné le livre Vive l’Algérie française ! avec Robert
Ménard, maire de Béziers, proche du Rassemblement national. Actuellement,
l’association revendique 8 000 membres et s’appuie sur 40 cercles locaux.
Elle est présidée par Suzy Simon-Nicaise, ancienne adjointe à la mairie de
Perpignan. Cette association est à l’origine de l’inauguration du Mémorial
national des disparus, érigé le 25 novembre 2007 dans l’enceinte du couvent
Sainte-Claire-de-la-Passion à Perpignan, en présence de plusieurs milliers de
personnes. Dans ce même lieu, l’association a aussi créé un Centre national
de documentation des Français d’Algérie (CDDFA), inauguré en 2012, pour
collecter et transmettre la mémoire des pieds-noirs.
C’est aussi l’objectif du Centre de documentation historique sur l’Algérie
(CDHA) installé à Aix-en-Provence et créé en 1974 avec la volonté de
collecter de la documentation et des archives* essentiellement relatives aux
rapatriés d’Algérie. Le CDHA, dirigé par Joseph Perez (ancien patron de la
Société marseillaise de crédit), était initialement installé dans la maison du
maréchal Juin* et a récemment déménagé dans un nouveau bâtiment
adjacent. De très nombreux sites internet très documentés sont également nés,
dont certains reposent sur des associations, afin de retracer l’histoire de
localités algériennes, de familles pied-noires, de personnalités et
d’événements. Mais une cristallisation de la mémoire s’est opérée, dans un
sens de plus en plus politique et revendicatif. L’Association pour la défense
des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie (Adimad),
sans être spécifiquement pied-noire, se veut même défendre la mémoire des
anciens de l’OAS*. Longtemps présidée par Jean-François Collin, elle l’est
maintenant par Jean-Paul Le Perlier.
Une association comme Coup de soleil a au contraire été créée en 1985
pour favoriser les rapprochements entre les personnes liées au Maghreb, dans
un esprit d’ouverture. Elle est issue du Centre d’information sur le Grand
Maghreb, créé en 1980 à l’Institut d’études politiques de Grenoble par un
petit groupe de pieds-noirs proches du PS. Elle s’appuie sur la revue Grand
Maghreb, dont le premier numéro sort le 10 mai 1981. Le Centre est alors
dirigé par Georges Morin. Celui-ci prend ensuite la présidence de Coup de
soleil qui organise chaque année le « Maghreb Orient des livres » à la mairie
de Paris.
Enfin, l’Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis
(ANPNPA) a été fondée le 8 novembre 2008 par des pieds-noirs qui ne se
reconnaissent pas dans les associations de rapatriés marquées par la
« nostalgérie », et qui s’arrogent la mémoire des pieds-noirs sans prendre en
compte la diversité des opinions. Cette association œuvre à la dénonciation
du colonialisme, au rapprochement des deux peuples et à la réconciliation de
la France et de l’Algérie. Elle est essentiellement basée dans le sud de la
France et est dirigée par Jacques Pradel, ancien chercheur du CNRS.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Clarisse Buono, Pieds-noirs de père en fils, Balland, 2004 •
Emmanuelle Comtat, Les Pieds-Noirs et la Politique. Quarante ans après le
retour, Presses de Sciences Po, 2009 • Didier Lavrut, « Les associations de
rapatriés. Une histoire à construire. L’exemple du Gard et de l’Hérault », in
Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en guerre, 1954-
1962. Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne,
Autrement, 2008.
PIEDS-NOIRS (MÉMOIRES)
Les mémoires pieds-noires, potentiellement celles de 1 million de
personnes, sont constitutives de l’imaginaire national français. Elles ont
colporté, dans un pays peu enclin à vouloir évoquer le dossier algérien au
lendemain de la guerre, le souvenir d’une Algérie idéalisée tout en ayant su
faire partager les violences quotidiennes du conflit, les déchirements de l’été
1962 et la difficulté de l’installation en France. Elles ont notamment rappelé à
l’opinion* métropolitaine que la société coloniale était aussi composée de
gens de peu, et que la population française d’Algérie ne se réduisait pas, ni
aux seuls grands propriétaires terriens, ni à une bourgeoisie opulente.
Par ailleurs, la mémoire collective des pieds-noirs a été soutenue par un
réseau associatif, devenu pléthorique. Les premières associations, créées à la
fin de la décennie 1950, eurent tout d’abord une action sociale. Elles
développèrent une importante influence auprès des pouvoirs publics, tout en
entretenant envers eux un discours critique, et offrirent indirectement un
cadre social aux premières expressions collectives des rapatriés*. Ce fut le
cas de l’Association nationale des Français d’Afrique du Nord et de leurs
amis (Anfanoma), créée en 1956, qui revendiquait 250 000 membres en
1962, et du Rassemblement national des rapatriés d’Afrique du Nord et de
leurs amis (Ranfranom) fondé, quant à lui, en 1960.
Au cours de la décennie 1970, les premières associations dites
« nostalgériques* » furent organisées afin de porter la mémoire de l’Algérie
française. Elles réunissaient des originaires de mêmes localités, professions
ou écoles, publiaient des journaux, et coordonnaient des rassemblements dont
des festivals et pèlerinages religieux. En glorifiant le temps passé, elles
inventaient la narration d’une histoire mythique où la colonisation était
innocentée de ses maux et pérennisaient le discours de justification coloniale,
qui depuis la fin du XIXe siècle assurait qu’il existait une mission civilisatrice
de la France sur ses colonies. Le Cercle algérianiste fut ainsi créé en 1973
autour d’un vaste réseau départemental de Maisons des rapatriés. Dans le
même temps, ces associations furent sérieusement concurrencées par de
nouvelles militances, usant de la mémoire pour asseoir leurs combats
politiques. L’Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés
d’Algérie (Usdifra), créée en 1975, proche de l’extrême droite, prônait une
défense musclée de la cause des rapatriés tout en menant des actions
xénophobes contre les Algériens présents en France. Le Rassemblement et
coordination unitaires des rapatriés et spoliés (Recours), fondé en 1976,
d’obédience républicaine, initia quant à lui une forte action de lobbying.
L’association soutint la candidature de François Mitterrand* en 1981 et celle
de Jacques Chirac* en 1986. Son président fut assassiné en 1993 par des
anciens membres de l’OAS*, dans un contexte politique où le Front national,
en plein essor, instrumentalisait l’histoire de l’Algérie française.
Dès lors, les associations de rapatriés d’Algérie durent clarifier leurs
positions. Les unes poursuivirent le mélange des genres et entretinrent, sous
couvert de défense de la culture pied-noire, des propos partisans de l’œuvre
coloniale. D’autres luttèrent, au contraire, pour une société multiculturelle,
tandis que certains regroupements se tournaient vers des activités
dépolitisées, généalogiques ou culinaires par exemple. La conséquence en fut
un paysage associatif très morcelé, et des mémoires antagonistes.
Par ailleurs, en dépit de cette diversité associative, les pouvoirs politiques
français cédèrent à toutes les revendications des grandes associations, sans
pour autant promouvoir publiquement la politique d’intégration qu’ils
menaient à l’intention des rapatriés d’Algérie. Il s’ensuivit de nombreuses
lois dans lesquelles des indemnisations financières avaient un complément
symbolique mémoriel. Ainsi celle du 23 février 2005* portant
« reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français
rapatriés », qui octroyait d’importantes aides sociales. Son article 4 –
aujourd’hui abrogé – exigeait l’insertion, dans les programmes scolaires*, du
« rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du
Nord ». Ces « guerres des mémoires », soutenues par le pouvoir législatif,
témoignent des usages politiques de l’histoire coloniale et des mémoires des
rapatriés, mais restent in fine peu représentatives de leur pluralité.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Claire Eldridge, From Empire to Exile : History and Memory within
the Pied-Noir and Harki Communities, 1962-2012, Manchester, Manchester
University Press, 2016 • Valérie Esclangon-Morin, Les Rapatriés d’Afrique
du Nord, de 1956 à nos jours, L’Harmattan, 2008 • Éric Savarèse,
L’Invention des pieds-noirs, Séguier, 2002 • —, Algérie, la guerre des
mémoires, Non-Lieu, 2007.
PIEDS-ROUGES
À l’indépendance algérienne, alors qu’un très grand nombre de pieds-
noirs* prennent le chemin de l’exil et du rapatriement*, certains font le trajet
en sens inverse et vont en Algérie. Ils ont été surnommés les « pieds-
rouges ». L’origine du terme est encore incertaine : il aurait pu être inventé
par des journalistes de droite, voire d’extrême droite, ou encore par l’écrivain
Kateb* Yacine, en hommage à la naissance du fils d’un docker pied-noir
communiste. La sociologue Juliette Minces souligne quant à elle que
l’expression « pied-rouge » était utilisée de manière très péjorative par les
dépositaires des autorités algériennes. D’une manière générale, les « pieds-
rouges » sont des militants anticolonialistes politisés, communistes et
trotskistes* pour un grand nombre d’entre eux. Leur engagement contre la
guerre et pour l’indépendance algérienne s’est poursuivi par une volonté
d’aider à la construction du jeune État, si possible dans un sens socialiste et
révolutionnaire. D’après Catherine Simon, leur nombre aurait même pu être
de plusieurs dizaines de milliers. Le nombre de plusieurs milliers apparaît en
tout cas certain. Pour une partie d’entre eux, l’installation en Algérie est une
nécessité car ils se trouvent dans la clandestinité en France ou à l’étranger, en
tant que membres des réseaux de soutien au FLN* ou comme déserteurs et
insoumis. Tel est par exemple le cas de Jean-Louis Hurst*, instituteur
communiste déserteur, fondateur de Jeune Résistance et auteur du Déserteur
sous le pseudonyme de Maurienne, qui vient en Algérie avec sa compagne
Heike, d’origine allemande.
Là, les « pieds-rouges » vivent l’euphorie des premiers jours de l’État
indépendant. Ils ne voient pas forcément les exactions qui peuvent se
commettre, en particulier à l’encontre des harkis*, les dissensions qui existent
entre les différentes factions du FLN ou encore les dysfonctionnements qui
sont déjà présents. Le départ des pieds-noirs laisse l’Algérie dans une
situation dramatique, avec une quasi-absence de fonctionnaires, de
techniciens et d’ingénieurs. Des « pieds-rouges » se lancent avec exaltation
dans les chantiers de (re)construction, tel celui d’Oued Fodda où Heike et
Jean-Louis Hurst encadrent des jeunes Algériens venus aider à consolider un
barrage hydraulique. D’autres participent à l’organisation des hôpitaux et des
services de santé*, telle Anne Beaumanoir, dite Annette Roger, ancienne
résistante et neuropsychiatre qui entre au cabinet du ministère de la Santé en
juillet 1962. D’autres encore remettent sur pied le système éducatif, du fait du
manque cruel d’enseignants, tel le réfractaire* Henri Cheyrouze et son
épouse Nicole en Kabylie. Certains pieds-rouges participent aussi à
l’organisation du cinéma* algérien, comme René Vautier*, ou créent des
journaux, comme l’avocat Jacques Vergès* et Gérard Chaliand qui fondent
Révolution africaine*.
L’engagement politique constitue une des caractéristiques centrales des
pieds-rouges. Quelques-uns jouent un rôle politique majeur, comme l’avocat
pied-noir indépendantiste Yves Mathieu, qui participe à la rédaction de la loi
sur les biens dits « vacants » votée en octobre 1962. Un autre militant prépare
les décrets sur l’autogestion qui sont votés en mars 1963 : il s’agit du militant
trotskiste Michel Raptis, dit Pablo, devenu l’un des conseillers du président
Ben Bella*. Citons encore le communiste juif égyptien Henri Curiel*,
emprisonné en France pour son aide au FLN, qui s’installe en Algérie avec
ses proches pour y fonder l’organisation Solidarité, sorte d’ONG d’aide aux
mouvements révolutionnaires et de libération nationale.
Rapidement, les activités politiques des pieds-rouges qui sortent du giron
du nouveau pouvoir algérien sont condamnées. Il existe en effet des
tentatives de déstabilisation du régime : ainsi, en 1963, un projet de maquis
révolutionnaire voit le jour en Kabylie. Une dizaine d’étrangers, dont
plusieurs Français, composent la moitié des membres du maquis en voie de
constitution. Ils sont arrêtés ; une jeune Française, Michèle Cleuziou, meurt
même dans des conditions suspectes. Dès lors, les critiques fusent contre les
étrangers et en particulier les Français. Par exemple, la sociologue Juliette
Minces, qui travaille comme reporter à l’hebdomadaire Révolution africaine,
publie un article (« Fallait-il le dire ? », novembre 1963) sur la corruption
dans une usine en Algérie, ce qui entraîne sa mise en cause jusqu’à
l’Assemblée nationale algérienne où il est question de « donneurs de leçon
étrangers ». De nombreux « pieds-rouges » se sentent moins tolérés, du
moins dans les instances officielles. Le coup d’État de juin 1965 portant
Houari Boumediene* au pouvoir en amène beaucoup à fuir l’Algérie, de peur
de subir la répression. Progressivement, les coopérants, qui se mêlent moins
de politique, prennent leur relève.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Juliette Minces, L’Algérie de la révolution (1963-1964), L’Harmattan,
1988 • Catherine Simon, Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de
l’indépendance au désenchantement (1962-1969), La Découverte, 2009.
PLAN CHALLE
Le nom du plan Challe, de février 1959 à avril 1961, est forgé par la
presse* en 1959. Dès le début, son auteur a choisi de s’adapter constamment
à l’adversaire, plutôt que de tout planifier. Le 19 décembre 1958, le général
d’aviation Maurice Challe* remplace le général Raoul Salan* à la tête de la
10e RM. Pour vaincre l’ALN* et « casser » les katibas, ses recettes sont
simples : secret absolu, jeunes et talentueux officiers* de son état-major,
liaison parfaite entre les armées de terre, de l’air et de mer, commandement
coordonné au plus près des troupes engagées, surprise pour le déclenchement
de chacune des grandes opérations, et concentration du maximum de moyens
dont 940 avions et 175 hélicoptères. Le plan Challe prend en écharpe le
territoire algérien d’ouest en est dans les zones de forte implantation de
l’ALN, selon la pugnacité de l’adversaire pour y adapter progressivement les
troupes. Véritable rouleau compresseur, il bénéficie en amont du verrouillage
des frontières et de l’acquisition du renseignement grâce à l’écoute radio et
aux méthodes « fortes » des détachements opérationnels de protection*
(DOP) et des officiers de renseignement. L’encerclement puis la destruction
des bastions de l’ALN dépendent des régiments de réserve générale. Aidés
par les compagnies opérationnelles des troupes de secteur*, ils assomment les
katibas sous un déluge de feu. Fort de l’expérience des commandos de
quartier et de secteur, Challe forme alors les commandos* de chasse avec des
ralliés encadrés par des Européens. Ils traquent, détruisent ou dispersent les
petites unités de l’ALN qui ont survécu aux grandes opérations. Le
remplacement de Challe en avril 1960 par le général Jean Crépin* ne ralentit
pas les opérations qui se terminent un an plus tard.
En vingt-quatre mois, l’ALN intérieure perd les deux tiers de ses
effectifs. Le bilan est de 26 000 djounoud hors de combat,
10 800 prisonniers*, 20 800 armes saisies… L’effectif de l’ALN dans les
maquis n’est plus que de 8 000 combattants sur les 50 000 hommes estimés
en 1958, y compris moussebiline (auxiliaires) et mounadiline (chargés de la
logistique).
Le plan Challe s’accompagne de déplacements massifs de populations
« regroupées » dans des camps et de nouveaux villages et la construction de
routes pour pénétrer les massifs. L’aspect politique pour impliquer les
Algériens dans la guerre révolutionnaire* concerne le recrutement accru de
supplétifs* et la constitution de villages ralliés en autodéfense.
Pour de Gaulle*, sans le dire aux militaires, la réussite du plan Challe
donne la possibilité de négocier en position de force. Pour les Algériens, ce
plan se traduit par une guerre totale qui ne dit pas son nom. Déjà affaiblies
par la « bleuïte* », les élites algériennes sont décapitées, de sorte que nombre
de cadres de l’ALN et d’hommes expérimentés issus de la résistance
intérieure font cruellement défaut au jour de l’indépendance.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Guy Pervillé et Cécile Morin, Atlas de la guerre d’Algérie,
Autrement, 2011.
PLAN CHALLE. OPÉRATIONS « COURONNE »
Cette appellation concerne deux opérations de diversion quasi
simultanées du plan Challe, l’une très peu connue dans le sud d’Alger, l’autre
plus célèbre car mettant en scène le colonel Marcel Bigeard*, commandant
du secteur de Saïda.
Du nom de la grande périphérie d’Alger, l’opération secondaire
« Couronne » se déroule le 6 février 1959 et les jours qui suivent. Elle porte
la même appellation qu’une opération de la 27e division d’infanterie alpine
(DIA) déployée plus à l’Est en 1957. Afin de détruire le potentiel de la
Wilaya 5* est déclenchée dans les monts de Tlemcen et de Saïda la première
grande opération « Oranie » du plan Challe. Elle débute à la même date et se
poursuit jusqu’au 19 juin dans l’ensemble du corps d’armée d’Oran, dont
l’Ouarsenis (opération de complément « Courroie » à partir d’avril), et réunit
toutes les forces, y compris la demi-brigade de fusiliers marins (DBFM).
Pour dégager toute menace au sud d’Alger entre les Wilayas 4* et 5,
l’opération « Couronne » concerne les troupes de la zone Nord-Algérois
(ZNA) et une partie de la 10e division parachutiste* (DP) du général Jean
Gracieux. L’objectif est de rechercher et détruire les « bandes rebelles » dans
leur sanctuaire montagneux et boisé des Beni-Khalfoun, Z’Bar-Bouzegza et
Soufflet. Il s’agit aussi d’empêcher toute possibilité de repli dans cette zone
accidentée aux katibas de la Wilaya 5. Le bouclage est assuré par trois
groupements de troupes sur les lignes de fuite en ceinturant les oueds El-
Melah, à l’Ouest, affluent de l’Isser au Nord et de l’oued Chouachi à l’Est. La
tenaille une fois établie, le groupement Sud pénètre dans les montagnes, le fer
de lance étant confié au 5e bataillon de tirailleurs algériens (BTA) et au
3e régiment de parachutistes coloniaux (RPC). Ce dernier s’établit sur les plus
hauts sommets du massif par un mouvement tournant. Si des caches d’armes
sont détruites ainsi que des installations logistiques et médicales de l’ALN*,
l’opération se révèle décevante.
En revanche, destinée à « casser » l’ALN en arrière du barrage
occidental, l’autre opération « Couronne » de Saïda à Tiaret, du 6 février au
6 avril 1959, est plus efficace. Le 2e régiment étranger d’infanterie (REI), la
13e division d’infanterie (DI) du général Jean Crépin* et la 10e DP épaulées
par des DI démantèlent la Wilaya 5 : 1 800 djounoud sont hors de combat. Le
cœur du dispositif, aux ordres du colonel Bigeard, est un groupement
opérationnel d’intervention de 1 500 hommes venus du 14e BTA, du
23e régiment de spahis (RS) et du 8e régiment d’infanterie motorisée (RIM),
plus d’un groupe d’artillerie. De mai à août 1959, la poursuite est confiée
essentiellement aux commandos* de choc « Cobra » et « Georges », distincts
des commandos de chasse par leurs effectifs plus importants (120 et
150 hommes, tous les « rebelles » ralliés encadrés par des Européens) et aux
méthodes évoquant la terreur.
Jean-Charles JAUFFRET
POLICE (ALGÉRIE)
Avec la loi du 18 octobre 1999*, la reconnaissance lexicale de l’état de
guerre entérina que la lutte contre le « terrorisme nord-africain » ne fut pas
qu’une affaire de polices, même si leurs effectifs, gendarmerie* incluse,
furent multipliés par trois entre 1954 et 1962.
En 1945, les forces de l’ordre étaient trop peu nombreuses pour faire face
à une insurrection en Algérie. Des compagnies de gendarmes mobiles avaient
certes été implantées dans les années 1930. Mais, après le 8 mai 1945,
l’armée et des milices de colons* furent mobilisées dans de véritables
opérations de guerre. Pour les « Européens d’Algérie », les conceptions du
maintien de l’ordre alors en vigueur en métropole ne faisaient pas sens : ils ne
cherchaient pas à concilier ordre public et expression des droits politiques des
« Français musulmans ». Les messalistes, organisateurs de nombreux
meetings publics et manifestations* de rue en métropole, furent beaucoup
moins actifs en la matière en Algérie. Défier les interdictions les exposait en
effet à une répression sans retenue. En situation coloniale, les usages de la
force n’étaient ni contenus, ni « proportionnés ». Plusieurs militants du
MTLD le payèrent de leur vie lors de la tournée de meetings de Messali
Hadj* en 1952, avant son expulsion puis son internement en métropole.
Malgré un usage immodéré de la force et avéré de la torture*, dès avant 1954,
les forces de police locales n’avaient pas les faveurs des colons. Eux
comptaient avant tout sur l’armée et leur propre armement.
Afin d’anticiper toute insurrection, le poids des services de
renseignement était disproportionné par rapport à la métropole. Pourtant, pas
plus le Service des liaisons nord-africaines* (SLNA) que les Renseignements
généraux ou la DST ne virent venir le 1er novembre 1954*. Grâce à leurs
informateurs, ils alertèrent certes sur la « constitution d’un groupe autonome
d’action directe par les extrémistes séparatistes » mais ils découvrirent le
sigle FLN* après la « Toussaint rouge ». Cette nuit-là, des commissariats et
gendarmeries furent attaqués, un agent de police et un garde forestier tués.
Afin de montrer qu’elles ne restaient pas inactives, les forces de l’ordre se
rabattirent sur les suspects habituels et interpellèrent des centaines de
militants messalistes.
Si les enquêtes sur les attentats et les assassinats étaient officiellement
confiées à des officiers de police judiciaire, très vite ils se contentèrent de
« régulariser » a posteriori les pratiques des militaires. Cette légalité de
façade prit de nouvelles formes à partir de juin 1956. Dans le Constantinois
d’abord, puis dans le département d’Alger (janvier 1957), l’armée se vit
confier les pouvoirs de police et la confusion entre militaires menant des
opérations de police et policiers intégrés à des unités militaires, y compris
dans les détachements opérationnels de protection* (DOP), fut portée à son
comble dans les années suivantes. La « bataille d’Alger* » fut une
gigantesque opération de police (perquisitions, arrestations,
interrogatoires, etc.) menée par des commandos* de parachutistes* convertis
à la recherche de renseignement et à l’utilisation de la « gégène* ». Des
fonctionnaires de police et des supplétifs* (les « bleus de chauffe » du
commandant Montaner par exemple) furent engagés dans la « grande
répression d’Alger » mais les militaires menaient le bal. En 1957, Paul
Teitgen*, secrétaire général de la préfecture d’Alger, chargé des questions de
police mais dépourvu de véritables pouvoirs, préféra démissionner plutôt que
de couvrir les milliers de disparitions* qu’il avait recensées.
Certaines forces de police furent cependant motrices dans la dernière
phase de la guerre. Avec les engagements factieux de l’armée en janvier 1960
et avril 1961, la lutte contre les activistes de l’Algérie française pouvait
difficilement être menée par les militaires. Les policiers locaux apparaissaient
également peu sûrs. Aussi la mission fut-elle confiée à des policiers de
métropole, à des « barbouzes* » et aux gendarmes, notamment mobiles. Ces
derniers payèrent cher leur loyauté : le 24 janvier 1960, à Alger, des
manifestants hostiles à de Gaulle* et à l’autodétermination ouvrirent le feu
sur un escadron qui compta 14 morts et une soixantaine de blessés. L’OAS*
fit ensuite savoir que les gendarmes étaient des « ennemis à abattre ». Elle
n’épargna pas non plus les policiers. Outre le commissaire central d’Alger,
Roger Gavoury*, le 31 mars 1961, elle tua quatre officiers de police en 1961,
soit autant que le FLN depuis le début de la guerre. Entre les accords
d’Évian* en mars 1962 et l’indépendance en juillet, FLN et forces de l’ordre
françaises luttèrent parfois de concert contre l’OAS, notamment à Alger.
Cette coopération et l’intégration d’une partie des policiers et gendarmes
« musulmans » des unités coloniales jetèrent les bases des nouvelles forces de
l’ordre de l’Algérie indépendante.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Roger Le Doussal, Commissaire en Algérie, 1952-1962, Riveneuve,
2011 • Vincent Milliot, Emmanuel Blanchard, Vincent Denis et Arnaud-
Dominique Houte (dir.), Histoire des polices en France. Des guerres de
Religion à nos jours, Belin, 2020 • Jean-Pierre Peyroulou, « La police
française et les Algériens en Algérie française de 1945 à 1962 »,
in Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.), La Guerre d’Algérie. 1954-
2004, la fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004.
POLICE (FRANCE)
Pour la police, la guerre d’Algérie a été un moment important de
« militarisation » ou, du moins, de l’accentuation d’un « style » beaucoup
plus rugueux et offensif que dans d’autres démocraties d’Europe de l’Ouest.
À partir de 1925, des « brigades nord-africaines » (BNA) furent créées,
en particulier dans le département de la Seine, afin de contrôler et d’encadrer
une population ne relevant pas de la police des étrangers puisque française. À
la Libération, ces services avaient été dissous. Pas plus que « les
Auvergnats » – la comparaison fut utilisée –, les Algériens ne devaient être
placés sous la coupe de services d’exception. Pour des raisons linguistiques,
mais aussi d’expérience coloniale, certains inspecteurs demeurèrent
cependant spécialisés dans la « criminalité nord-africaine ». En 1953, à Paris,
sous le faux nez de la lutte contre les « agressions nocturnes » fut créée une
Brigade des agressions et violences (BAV), chargée d’interpeller et de rafler
des Algériens pour des vérifications d’identité approfondies. En 1955, cette
obsession du fichage s’étendit à toutes les régions d’immigration où les
« brigades nord-africaines », qu’elles soient judiciaires ou de « voie
publique », se multiplièrent, le plus souvent hors des organigrammes
officiels. Au ministère de l’Intérieur, un Service de coordination des
informations nord-africaines (SCINA), centralisait le renseignement et la
lutte contre les mouvements indépendantistes. La préfecture de police, la
direction nationale des Renseignements généraux et la direction de la Sûreté
du territoire (DST) étaient cependant réticentes à son égard. En 1958, la
première, sous l’impulsion de Maurice Papon*, se dota d’un Service de
coordination des affaires algériennes (SCAA) auquel fut rattachée, lors de sa
création, la Force de police auxiliaire. La DST demeura en pointe dans la
surveillance et le démantèlement des échelons élevés de l’Organisation
politico-administrative de la Fédération de France* du FLN*, dont la
direction s’était réfugiée en Allemagne.
Localement, la priorité des forces de police était de désorganiser la
collecte de fonds, les services de renseignement se chargeant de la
structuration idéologique et organisationnelle du FLN. Leurs actions
privilégiées passaient par des descentes et des rafles* dans les garnis, les
foyers et les quartiers d’habitat immigré. En particulier dans les périodes
d’attentats visant les forces de l’ordre, ces contrôles se doublaient
d’humiliations (papiers d’identité déchirés, injures, etc.) et d’exactions
(coups, vols de numéraires et de bijoux – montres –, etc.), voire de conduites
au poste et d’internements administratifs. Le centre d’identification de
Vincennes* (CIV) ou, par exemple, les casernes Vauban à Lyon*, ou
Noailles à Versailles, sont ainsi de sinistre mémoire pour les centaines de
milliers d’Algériens qui y furent « gardés au secret » sans que leurs
employeurs ou leurs familles ne soient prévenus de ces arrestations bien
souvent « régularisées » a posteriori. Avant même le 17 octobre 1961*, y
compris hors périodes de couvre-feu, les Algériens circulaient la peur au
ventre, en anticipant les conséquences de l’extension des pouvoirs policiers.
Cette dernière tenait notamment à l’état d’urgence* (loi du 3 avril 1955), aux
« pouvoirs spéciaux* » (loi du 16 mars 1956) ou à l’ordonnance du 7 octobre
1958 permettant l’internement administratif des « personnes dangereuses
pour la sécurité publique ».
La plupart des unités (BAV, FPA, etc.) et services spécialisés (SCINA,
SCAA, etc.) ont été dissous dans les mois suivant les accords d’Évian*.
Certains de leurs personnels ont cependant continué de travailler sur la
« clientèle » nord-africaine ou se consacrèrent au contrôle de l’immigration.
Surtout, des habitudes prises au cours de ces années se sont perpétuées
jusqu’à nos jours, en particulier les contrôles d’identité. L’ampleur de ces
derniers, qui étonnent les homologues allemands ou britanniques des
policiers français, est ancrée dans la période de la guerre d’Algérie – la carte
nationale d’identité fut instituée par un décret d’octobre 1955. Pour les agents
en tenue, ces contrôles apparaissent encore comme un moyen irremplaçable,
sans lequel il n’est pas possible d’effectuer un « vrai travail de police »
affranchi de toute considération sociétale. Les efforts récurrents de certains
syndicats, des années 1960 aux années 1980, pour revenir à une définition
élargie et moins agressive du métier du gardien de la paix ont été vains : le
tournant répressif et offensif pris par les forces de l’ordre au cours de la
guerre d’Algérie avait rendu caduques d’autres conceptions du métier (« la
police au service de la population ») encore exprimées avec force au début
des années 1950.
Emmanuel BLANCHARD
Bibl. : Jean-Marc Berlière, « Policiers et pouvoirs en période de crise : la
guerre d’Algérie (1958-1962) », in Jean-Marc Berlière, Catherine Denys,
Dominique Kalifa et Vincent Milliot (dir.), Être policier : les métiers de
police(s) en Europe, XVIIIe-XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2008 • Emmanuel Blanchard, La Police parisienne et les Algériens,
1944-1962, Nouveau Monde, 2011 • Sylvie Thénault, « Des couvre-feux à
Paris en 1958 et 1961 : une mesure importée d’Algérie pour mieux lutter
contre le FLN ? », Politix, no 84, 2008.
POLITIQUES PUBLIQUES
DE LA MÉMOIRE EN FRANCE
À l’échelon national, outre les commémorations*, les politiques
publiques de la mémoire ont pour objet les monuments* et mémoriaux
rappelant le passé de la guerre ainsi que les dispositifs juridiques élaborés en
faveur de ses protagonistes. Contrairement à une vulgate qui s’est imposée,
ces politiques n’ont pas manqué depuis 1962.
Les dispositifs juridiques en faveur des acteurs de la guerre ont mêlé
mesures financières et symboliques. Parfois précoces, ils ont essentiellement
résulté de la mobilisation d’associations défendant les intérêts de leurs
membres. Pour les Français d’Algérie, ils remontent à 1961 avec une loi se
préoccupant de leurs conditions d’hébergement et de prise en charge
financière, sur la foi de l’expérience antérieure de rapatriés des ex-colonies
françaises. Après 1962, la logique de ces dispositifs évolue : le principe
d’indemnisation apparaît en 1970. Ainsi commence la reconnaissance des
mérites des Français en Algérie, jusqu’à la loi du 23 février 2005*. Les
politiques publiques vis-à-vis des harkis* lient de la même façon mesures
socio-économiques et reconnaissance politique, mais elles sont beaucoup plus
tardives. Théoriquement, les harkis pouvaient bénéficier des textes
concernant les rapatriés* mais concrètement les mesures prévues n’étaient
pas adaptées à leurs besoins. Les harkis ont manqué d’organisations
collectives efficaces, jusqu’aux années 1975-1980. Après son élection à la
présidence de la République, François Mitterrand* les inclut dans une
politique globalement favorable aux rapatriés. Il cherche également un
éventuel vote maghrébin. En 1994, une loi instaure un véritable « plan
harki », pour combattre leur exclusion économique et sociale. Elle
proclame la « reconnaissance » de la « République française » envers les
« anciens membres des formations supplétives ». Troisième groupe, les
anciens combattants* obtiennent en 1967 un « titre de reconnaissance de la
nation », à défaut de la carte d’anciens combattants. En 1974, cette carte leur
est accordée sans que la guerre soit explicitement reconnue. La loi parle de
leur participation « aux opérations effectuées en Afrique du Nord ». Non
seulement la « guerre d’Algérie » n’est pas nommée mais la confusion est
entretenue avec les contextes marocain et tunisien. Cette incohérence
explique certainement le caractère consensuel de la loi de 1999 qui a mis fin à
cette situation. Dans les textes régissant le statut des anciens combattants, elle
remplace « aux opérations effectuées en Afrique du Nord » par « à la guerre
d’Algérie ou aux combats en Tunisie* et au Maroc* ».
Concernant les monuments et mémoriaux, cette guerre a été traitée dans
la continuité des autres, par le biais de la mémoire combattante. En 1977, un
soldat inconnu « d’Afrique du Nord » a été inhumé à la nécropole militaire de
Notre-Dame-de-Lorette, consacrée alors à la Première et la Seconde Guerre
mondiale. Giscard d’Estaing*, président, déclare alors selon Le Monde* : « Il
est juste que le soldat inconnu d’Afrique du Nord repose ici aux côtés de ses
frères d’armes des deux guerres mondiales, dans ce cimetière dépositaire de
tant de gloire. C’est un même hommage qui leur sera désormais rendu par la
nation. » Parmi les hauts lieux de la mémoire nationale, que gère le ministère
de la Défense, le mémorial* de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc
et de la Tunisie, au quai Branly, honore les « morts pour la France » du
conflit, depuis 2002. D’abord limité aux combattants et supplétifs* de
l’armée française, le monument a été étendu à d’autres victimes de la guerre,
au gré des revendications et des choix gouvernementaux. En revanche, le
mémorial de la prison de Montluc*, également haut lieu de la mémoire
nationale, est centré sur la Seconde Guerre mondiale alors même que des
nationalistes algériens, des militants français les soutenant, des soldats
désobéissants… y ont été détenus. Officiellement, en effet, il est
contradictoire, dans une logique de mémoire nationale portée par l’armée,
d’honorer la mémoire des partisans de l’indépendance ou de soldats
réfractaires*.
Le passé algérien dans toute sa complexité est plus aisément restitué hors
d’une tutelle nationale, militaire qui plus est. Ainsi le Mémorial de
Rivesaltes, créé sous l’égide du conseil général des Pyrénées orientales,
présente toute l’histoire du lieu, quand des nationalistes algériens ont été
détenus dans le camp, avant que des harkis et leurs familles ne soient
contraints d’y vivre. Une fois le camp de transit fermé, certains sont restés à
Rivesaltes dans un « village provisoire » puis un « hameau de forestage ».
Comme pour les commémorations, les politiques locales de monuments et
mémoriaux expriment la pluralité des mémoires de la guerre, loin d’une ligne
centrale guidée par la défense de la nation et la mémoire combattante. Cette
guerre a mis la nation et la société françaises à l’épreuve. Une juste politique
de la mémoire doit en rendre compte.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Marc André, Une prison pour mémoire. Montluc, de 1944 à nos jours,
Lyon, ENS éditions, 2022 • Raphaëlle Branche, La Guerre d’Algérie, une
histoire apaisée ?, Seuil, 2005 • Sylvie Thénault, « La guerre d’indépendance
algérienne. Mémoires françaises », Historiens et géographes, no 425, 2014.
POLOGNE
La Pologne suit la ligne politique des autres pays socialistes d’Europe de
l’Est envers la guerre d’Algérie. Mais contrairement à ceux-ci, elle se montre
moins militante dans la propagande* et surtout l’assistance au FLN*. Un
document de mars 1962 du ministère français des Affaires étrangères constate
que « la Pologne dont le gouvernement, soucieux de ménager nos
susceptibilités, adopte une attitude relativement modérée dans l’affaire
algérienne ». Les blessés algériens sont accueillis dans les hôpitaux et
quelques jeunes peuvent y étudier. Le FLN utilise des bateaux polonais pour
transporter des matériaux (dont des armes) pour les combattants algériens.
Souvent ces bateaux sont arraisonnés par la marine française sans jamais
qu’elle trouve à leur bord des armes. Pour la Pologne le problème le plus
préoccupant au cours de toute la guerre, et même après, est la frontière Oder-
Neisse définie par les Alliés lors de la conférence de Potsdam en juillet-août.
Celle-ci n’est reconnue de jure et de facto que par Moscou et les États du
bloc communiste. Varsovie prend l’occasion de la constitution du GPRA*
pour faire pression sur la France afin qu’elle reconnaisse sa frontière
occidentale. Le projet, plus aventureux que sérieux, préparé par le ministère
polonais des Affaires étrangères, envisage de proposer au général de Gaulle*
de reconnaître la frontière Oder-Neisse en échange de la non-reconnaissance
du GPRA par la Pologne. À propos des frontières de l’Allemagne, de Gaulle
a déjà une position solide qu’il exprime au chancelier Adenauer lors de leur
première rencontre à Colombey, le 14 septembre 1958 : « la ligne Oder-
Neisse qui la sépare de la Pologne est sa limite définitive ». Ces propos ne
sont pas publiés, Adenauer ne les divulgue pas non plus à sa conférence de
presse, respectant le caractère confidentiel de la rencontre, et de Gaulle n’en
parle pas non plus lors de son entretien avec l’ambassadeur polonais. La
réaction du Général au projet polonais, pour lequel il ne gaspille même pas
un mot lors de l’entretien, est simple et ferme : si la Pologne reconnaissait le
GPRA, la France romprait immédiatement les relations diplomatiques avec
elle. Les événements de la guerre d’Algérie sont largement présentés par la
presse polonaise, et lors du vote sur la question algérienne à l’ONU*, la
Pologne vote toujours en faveur du FLN. La reconnaissance du GPRA par la
Pologne n’a lieu que le 3 mai 1962 ; elle est le dernier des pays socialistes à
le faire.
László NAGY
Bibl. : Ministère des Affaires étrangères, Documents diplomatiques français,
1958, 2 vol., Imprimerie nationale, 1992 • Maria Pastor, « La question
algérienne, “argument inefficace” dans la question de la frontière de l’Oder-
Neisse », in Hervé Bismuth et Fritz Taubert (dir.), La Guerre d’Algérie et le
monde communiste, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2014 • Maurice
Vaïsse, La Grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969,
Fayard, 1998.
PORTEURS DE VALISES
ET SOUTIENS AUX ALGÉRIENS
L’expression « porteur de valises » est pratiquement née d’un
malentendu. En effet, lors du procès du « réseau Jeanson* », jugeant
6 Algériens et 18 Français membres du réseau de soutien au FLN* créé par le
philosophe Francis Jeanson, secrétaire de la revue* Les Temps modernes, une
lettre de Jean-Paul Sartre* du 16 septembre 1960 est adressée au tribunal
pénal des forces armées de Paris. Celle-ci stipule : « Si Jeanson m’avait
demandé de porter des valises ou d’héberger des militants algériens, et que
j’aie pu le faire sans risque pour eux, je l’aurais fait sans hésitation… » Jean-
Paul Sartre n’est pourtant pas l’auteur de cette lettre. Il était parti avec
Simone de Beauvoir* pour une tournée de conférences au Brésil, sans laisser
de texte de soutien aux inculpés. Claude Lanzmann a finalement obtenu
l’autorisation de rédiger une lettre qui serait attribuée au philosophe. Celle-ci
est écrite par Marcel Péju, secrétaire des Temps modernes, et « authentifiée »
par une signature réalisée par le caricaturiste Siné. La charge de la déclaration
aurait même inquiété Sartre et Beauvoir, et pourrait être la raison du
licenciement ultérieur de Marcel Péju.
Il n’empêche que la déclaration fait florès. D’après Hervé Hamon et
Patrick Rotman, l’expression « porteur de valises » est employée dès cette
période et de manière infamante. Néanmoins, nous n’avons pas trouvé trace
de cette expression à l’automne 1960. Plusieurs locutions s’en rapprochent,
en particulier dans un article de Paris-Presse – L’Intransigeant d’André
Halphen, publié le 1er décembre 1960, qui évoque les « porteuses de fonds »
du FLN à Lyon* et dans la région frontalière. Ainsi, la première locution
s’écrit au féminin, ce qui ne paraît pas sans fondement puisque les femmes*
ont été très impliquées dans les réseaux de soutien aux Algériens. Une
première occurrence de l’expression « porteur de valises » apparaît dans un
article d’Historia le 18 décembre 1972, mais le livre d’Hervé Hamon et de
Patrick Rotman la popularise définitivement. Elle désigne les personnes qui
ont soutenu et aidé les Algériens et plus particulièrement le FLN pendant la
Guerre d’indépendance. D’anciens membres des réseaux l’estimaient
cependant péjorative. Ainsi, Jacques Charby, proche de Francis Jeanson,
publie en 2004 un recueil de témoignages* des acteurs des réseaux de soutien
qu’il intitule Les Porteurs d’espoir, montrant par là même sa distance critique
vis-à-vis de l’expression « porteurs de valises ». Qui sont-ils ? Quelles ont été
leurs actions ?
Il est impossible de donner une date d’inauguration des réseaux de
« porteurs de valises ». L’aide était souvent, à l’origine, interpersonnelle, la
rendant encore plus difficile à connaître. Par exemple, à Paris, le jeune Jean-
Jacques Rousset aide parmi les premiers, début 1955, les militants du FLN en
France, avant d’être arrêté en septembre 1956 et condamné à trois ans de
prison*. L’aide aux Algériens était même antérieure à la guerre : des
libertaires et des trotskistes* soutenaient l’action de Messali Hadj*. Ils ont
poursuivi cette aide pendant le conflit. Certains ont continué à soutenir les
messalistes, tandis que d’autres ont basculé en faveur du FLN. Tel est le cas
du Parti communiste internationaliste (PCI) de la tendance Pierre Franck, qui
aide le FLN dès le début de l’année 1955, pour l’édition de documents et du
journal du FLN Résistance algérienne, et même l’impression de faux papiers.
En avril 1956, quatre militants sont arrêtés ; ils ne seront cependant pas
condamnés par manque de preuve.
Il n’est pas non plus aisé de retrouver les traces de l’aide des « porteurs
de valises » car celle-ci était clandestine. Le réseau dont l’activité est la
mieux connue est celui mis en place par Francis Jeanson. Le philosophe
rappelait qu’il avait commencé à aider les Algériens en servant de taxi pour
les militants recherchés. Progressivement, il a élargi le spectre de ses activités
et fait participer ses amis à celles-ci. En octobre 1957, des prêtres de la
Mission de France* qui aident le FLN rejoignent le réseau, notamment
Robert Davezies* et Jean Urvoas. La première filière de passage de
frontières, vers l’Espagne, se met alors en place. Puis, à la demande d’Omar
Boudaoud* de la Fédération de France* du FLN, une autre est créée vers la
Suisse*. Elle devient ensuite prépondérante. Elle permet de faire passer des
hommes mais aussi l’argent des cotisations ramassé par les militants du FLN
puis centralisé et emmené en Suisse par les « porteurs de valises ».
Cette filière s’appuie aussi sur des réseaux locaux, en particulier lyonnais
dans lequel officient des militants libertaires, trotskistes et chrétiens.
L’homme de théâtre* Jean-Marie Boëglin en devient le chef de file, dont le
réseau est démantelé en novembre 1960. Il existe aussi un réseau marseillais,
mis en place par Lucien Jubelin, militant de la Nouvelle Gauche. À Paris, le
« groupe Nizan », constitué essentiellement d’étudiants*, se situe à mi-
chemin entre le soutien au FLN et l’aide aux déserteurs et insoumis. À Lille*,
il existe aussi un réseau constitué d’étudiants cinéphiles de la petite revue
Objectif du Nord et de prêtres. Ce réseau trouve un prolongement en
Belgique, notamment autour de Jean Van Lierde et du groupe de la revue
Esprit. C’est notamment en Belgique* qu’Adolfo Kaminsky, photographe
devenu spécialiste des faux papiers, continue à officier après avoir été mis en
difficulté à Paris. Il existe donc de multiples réseaux locaux trouvant aussi
des soutiens à l’étranger. Francis Jeanson affirmait d’ailleurs qu’il n’avait
jamais éprouvé de difficulté à recruter.
Les 19, 20 et 21 février 1960, une vague d’arrestations menée par la
direction de la Sûreté du territoire (DST) démantèle une grande partie du
« réseau Jeanson » dont les membres, jugés en septembre 1960, sont
condamnés jusqu’à dix ans de prison, 70 000 francs d’amende et cinq ans de
privation des droits civiques. La Fédération de France du FLN fait alors appel
à Henri Curiel*, communiste juif égyptien, qui met en place un nouveau
réseau, comprenant plusieurs de ses proches (Didar Fawzy et Joyce Blau en
particulier) tout en recrutant d’autres personnes comme Jehan de Wangen et
en reprenant certaines personnes du « réseau Jeanson » comme Georges
Mattéi ou Martin Verlet. Le « réseau Curiel » cherche à devenir plus
« professionnel », en cloisonnant davantage les activités, et en parvenant à
déposer l’argent en France même sans avoir besoin de le transporter à
l’étranger. Néanmoins, son réseau est également démantelé en octobre 1960,
sans que cela conduise à des condamnations du fait de la fin du conflit
algérien. À la fin de la guerre, le contexte change : l’aide aux Algériens cède
le pas à la lutte contre le fascisme et l’OAS*. Après l’indépendance de
l’Algérie, certains « porteurs de valises » s’installent en Algérie et deviennent
ainsi des « pieds-rouges* », à l’instar d’Henri Curiel, de Didar Fawzy, du
déserteur Jean-Louis Hurst*, ou encore de Jacques Charby du réseau Jeanson.
Certains continuent à œuvrer en faveur des indépendances : Henri Curiel met
ainsi en place le réseau Solidarité d’aide aux luttes de libération nationale ;
Robert Davezies aide à l’indépendance des colonies portugaises ; Martin
Verlet met en place un réseau de déserteurs américains du Vietnam… Les
« porteurs de valises » condamnés ont été amnistiés* en 1966.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Jacques Charby, Les Porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au
FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent, La Découverte, 2004 •
Charlotte Gobin, « Genre et engagement : devenir “porteur.e de valises” en
guerre d’Algérie (1954-1966) », doctorat d’histoire sous la dir. de
S. Schweitzer, Lyon-2, 2017 • Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les Porteurs
de valises. La résistance française à la guerre d’Algérie, Albin Michel, 1979.
POSTCOLONIALES, ÉTUDES
Les études postcoloniales (ou postcolonial studies) se sont développées
dans le sillage des subaltern studies à partir de la fin des années 1970, en
particulier à la suite de la publication de L’Orientalisme d’Edward Said, en
1978. Ce livre, qui concerne davantage le Moyen-Orient, étudie les
conceptions occidentales sur l’Orient au XIXe siècle. Bien qu’il ait fait l’objet
de critiques historiennes, ce livre est maintenant devenu un classique,
permettant par exemple d’étudier certains regards sur l’Afrique du Nord au
e
XIX siècle. Certains considèrent cependant que Frantz Fanon*, dont on
connaît le lien intime avec l’Algérie, serait un des fondateurs du
postcolonialisme, dans ses livres Peau noire, masques blancs (Seuil, 1952) et
Les Damnés de la terre, publié juste avant la mort du psychiatre martiniquais
(Maspero, 1961). Or, ce livre est écrit alors que la guerre d’Algérie fait rage
et que Frantz Fanon y est directement impliqué. Il détaille d’ailleurs plusieurs
cas psychiatriques qu’il a traités dans ses activités médicales. Il est aussi
l’auteur de L’An V de la révolution algérienne (Maspero, 1959), qui
rassemble plusieurs textes qu’il a écrits au cours du conflit. Parmi les textes
fondateurs des études postcoloniales, il faut aussi y ajouter Portrait du
colonisé, précédé de Portrait du colonisateur, d’Albert Memmi (Buchet-
Chastel, 1957), qui prend appui sur son expérience personnelle de juif
tunisien. Cette étude en aller-retour présente une caractéristique fondamentale
des postcolonial studies : entre le Nord et le Sud (et inversement), entre hier
et aujourd’hui. La pluridisciplinarité est une autre caractéristique des études
postcoloniales : art* et littérature*, psychiatrie, psychologie et sciences
humaines, et bien sûr histoire, sociologie et sciences politiques.
Néanmoins, les études postcoloniales ont mis du temps à s’imposer en
France, probablement du fait de freins à l’interdisciplinarité et de l’existence
d’une discipline consacrée : l’histoire coloniale. Le tournant s’amorce au
début des années 2000, alors que la résurgence de la mémoire de la guerre
d’Algérie est très forte dans la société française. Parallèlement, les débats sur
la colonisation prennent de l’acuité avec le vote de la loi du 23 février 2005*,
demandant notamment aux enseignants de traiter les « aspects positifs de la
colonisation » et suscitant à ce titre une levée de boucliers, notamment de la
part des historiens. La même année, un mouvement de révolte dans les
banlieues posait la question des héritages du passé colonial dans les inégalités
de la société française. Était aussi formé le Parti des indigènes de la
République (PIR), défendant l’idée que les descendants de l’immigration
peuvent encore être considérés comme des « indigènes ». La dimension
militante, très présente dans les études postcoloniales dans la mesure où elles
interrogent les sociétés contemporaines et leur rapport au passé colonial,
conduit à ce que la frontière entre engagement et recherche soit parfois très
perméable.
Le livre dirigé par la politiste Marie-Claude Smouts en 2007 offre un
bilan synthétique et utile des débats qui agitent à cette date les spécialistes de
la colonisation et de l’Afrique, en particulier autour de Jean-François Bayart
et de Romain Bertrand (auteur d’un ouvrage sur la loi du 23 février 2005 :
Mémoires d’Empire. La controverse autour du « fait colonial », Le Croquant,
2006). Le livre dirigé par Marie-Claude Smouts souligne à plusieurs reprises
l’importance de la mémoire algérienne dans le débat français, a fortiori dans
le texte de Benjamin Stora*, seul spécialiste de la question dans le livre.
Depuis le début des années 2000, les travaux de Pascal Blanchard, Sandrine
Lemaire et Nicolas Bancel portant sur La Culture coloniale (CNRS Éditions
et Autrement, 2003-2006) entrent aussi dans ce cadre conceptuel, en laissant
une large place au « temps des héritages ». Parmi ceux-ci, la question des
banlieues est au centre de la thèse de Mathieu Rigouste sur L’Ennemi
intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la
France contemporaine (La Découverte, 2009). Celui-ci part de la Guerre
d’indépendance algérienne et la manière dont les théoriciens de la guerre
contre-révolutionnaire ont considéré les combattants algériens, en démontrant
que ces conceptions se sont perpétuées ensuite jusqu’à la période la plus
récente. Il défend l’idée, comme le souligne Catherine Coquery-Vidrovitch,
qu’il existe « une matrice algérienne de pratiques militantes et
administratives » (p. 100).
D’autres travaux, en particulier de sociologues et de politistes spécialistes
de l’État et de l’immigration, nuancent – sans la nier – l’idée d’une continuité
des pratiques coloniales jusqu’à nos jours, à partir d’une triple interrogation :
le contenu même du capital accumulé en terrain colonial, les modalités
concrètes de sa transmission, l’existence d’une expérience et d’une formation
métropolitaines existant en même temps et contribuant elles aussi à
configurer les pratiques des fonctionnaires. Le livre de Sylvain Laurens sur
les hauts fonctionnaires chargés de l’immigration en France (Une politisation
feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France, 1962-1981,
Belin, 2009) n’en est qu’un exemple. À cette question des continuités du
colonial s’ajoutent deux thématiques inscrites dans le temps de la guerre lui-
même, traitées notamment par des auteurs anglo-saxons dont les ouvrages ont
été traduits en français : premièrement, l’importation de méthodes coloniales
en métropole, à travers la répression du 17 octobre 1961* qu’étudient Jim
House et Neil MacMaster dans leur ouvrage (Paris 1961. Les Algériens, la
terreur d’État et la mémoire, Tallandier, 2008) ou encore la thèse
d’Emmanuel Blanchard sur la police* parisienne au temps de Maurice
Papon* (La Police parisienne et les Algériens (1944-1962), Nouveau Monde,
2011) ; deuxièmement, l’identité, à travers la reconfiguration de la nation
française consécutive à l’indépendance de l’Algérie, qu’analyse Todd
Shepard (1962 : comment l’indépendance algérienne a transformé la France,
Payot, 2008). Ainsi les études postcoloniales ont pour caractéristique de lier
étroitement l’histoire de la guerre et l’histoire de la colonisation.
Depuis la décennie 2000-2010, le débat s’est élargi à la vaste question du
traitement du passé colonial dans la société française. Il a fini par s’organiser
autour d’un clivage sur une approche « décoloniale » de l’histoire, que
disqualifient les accusations d’« islamo-gauchisme » puis de « wokisme » (du
verbe anglais awake signifiant « s’éveiller », notamment aux questions de
discrimination et de ségrégation). Outrancier, un tel débat masque la
fécondité des études postcoloniales qui ont abouti in fine à interroger ce que
les inégalités et les discriminations doivent à la classe et aux origines,
conduisant notamment à des phénomènes de transmission postmémorielle, de
génération* en génération.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Catherine Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire
coloniale, Marseille, Agone, 2009 • Marie-Claude Smouts (dir.), La Situation
postcoloniale. Les colonial studies dans le débat français, Presses de
Sciences Po, 2007 • Benjamin Stora, Voyages en postcolonies. Vietnam,
Algérie, Maroc, Stock, 2012.
POSTMÉMOIRES
Le concept de postmémoire a été créé par la chercheuse américaine
Marianne Hirsch qui s’est interrogée sur la transmission mémorielle du
génocide juif de la Seconde Guerre mondiale. Elle s’est intéressée à ce sujet à
partir de la bande dessinée d’Art Spiegelman Maus. Elle s’est interrogée aussi
sur la transmission mémorielle au sein des familles à partir des albums de
photographies*, avant de réfléchir sur la postmémoire de la Shoah dans la
société tout entière. Le concept de postmémoire naît initialement dans le
domaine littéraire, mais trouve à s’appliquer dans une démarche
transdisciplinaire entre histoire, histoire de l’art, études littéraires et
cinématographiques, sociologie, sciences politiques et psychologie
notamment. Le concept de postmémoire s’est ensuite appliqué sur d’autres
terrains : l’esclavage, les dictatures latino-américaines et plus récemment la
période coloniale. Quelles sont les postmémoires de la guerre d’Algérie
actuellement portées en France ?
La première étude qui a été réalisée sur ce sujet concerne les pieds-noirs*.
La sociologue Clarisse Buono souligne les difficultés d’une transmission de
la mémoire pied-noire car celle-ci aurait été cadenassée par les membres
nostalgiques de la communauté pour éviter de la déstabiliser. Seuls se
transmettent des souvenirs faits de silences pesants, de larmes voire de
discussions familiales et politiques. De plus, il existe une particularité à la
mémoire pied-noire (comme harkie* pourrait-on ajouter) : son
« intransmissibilité » (p. 160). Elle repose en effet sur un travail de deuil
identitaire, car il est difficilement envisageable pour les pieds-noirs de revenir
vivre sur la terre de leurs ancêtres… Une autre caractéristique des enfants de
pieds-noirs (comme des enfants de soldats) est que leur différence n’est pas
visible : ils n’ont pas eu à subir de discrimination, au contraire des enfants
d’Algériens et de harkis. Mais les enfants de pieds-noirs peuvent revendiquer
leur appartenance filiale de différentes manières : lorsque l’ascendance pied-
noire vient justifier une appartenance identitaire en cas de conflit, lorsque les
enfants partent dans la quête identitaire de leurs origines à l’adolescence, et
lorsque des descendants de rapatriés* se rencontrent (sentiment
d’appartenance communautaire).
D’après Clarisse Buono, originellement, il existe différents idéaux types
de profils pieds-noirs, des plus nostalgiques aux plus « reconstructeurs
modernes » en passant par les indifférents à leur histoire. Les descendants de
pieds-noirs obéissent eux aussi à différentes logiques quant à leur
postmémoire. Certains sont relativement indifférents à leurs origines jusqu’à
rejeter cette mémoire collective et s’en remettent à une mémoire individuelle,
personnelle, « sans influence ». D’autres se rapprochent d’une vision
historique en ayant un regard distancié, critique, sur la mémoire familiale.
D’autres, plus rares, portent au contraire une mémoire pied-noire forte et
revendicative, surtout basée dans le sud de la France, à l’image du Parti pied-
noir et de l’Association jeune pied-noir par exemple. Enfin, d’autres encore
se situent dans une position de médiation, qui navigue entre les différentes
logiques précédentes, la mémoire individuelle se trouvant à l’intersection
entre mémoire collective pied-noire et mémoire nationale.
D’une manière plus générale, les postmémoires des différents groupes
porteurs de mémoire obéissent à ce même schéma, de manière plus ou moins
nette. Marianne Hirsch évoque la « mémoire des cendres » en prenant appui
sur un texte de l’historienne française Nadine Fresco (« Remembering the
Unknown », International Review of Psychoanalysis, vol. 11, 1984). Cette
« mémoire des cendres » correspond à une diaspora sans espoir de retour. Tel
est le cas pour les pieds-noirs, mais aussi pour les harkis qui (se) sont
interdits de retourner en Algérie, parfois même jusque dans leur mort. Il
n’existe pas d’étude systématique sur les descendants de harkis, mais les
différentes logiques mémorielles mises à jour par Clarisse Buono semblent
bien répondre à celles des descendants de harkis, à la différence près que les
harkis ont été victimes de discrimination, et doublement pourrait-on dire : et
comme Algérien musulman et comme harki. De fait, c’est le groupe porteur
de mémoire qui a subi les plus importantes difficultés, psychologiques,
matérielles, sociales et culturelles. C’est d’ailleurs le groupe qui a le moins
réinvesti le champ artistique pour s’exprimer. La romancière Alice Zeniter,
avec L’Art de perdre (Flammarion, 2017), s’y distingue.
Les appelés du contingent* et la transmission ont fait l’objet de plusieurs
études, en particulier de Florence Dosse (Les Héritiers du silence. Enfants
d’appelés en Algérie, Stock, 2012) qui utilise le terme « mémoire seconde »,
et de Raphaëlle Branche. Toutes les recherches sur les mémoires des anciens
appelés soulignent la notion de silence, contribuant à ce que les descendants
ne connaissent que des bribes de l’histoire de leurs parents. Dans une
perspective postmémorielle, Marianne Hirsch invoque le travail de l’écrivain
français Henri Raczymow parlant de « mémoire trouée » (Pardès, no 3/1986).
La transmission de cette mémoire doit donc se faire malgré les silences
parfois pesants, les cauchemars et parfois les pleurs des anciens appelés. À la
différence des postmémoires pieds-noires, il existe peu de réappropriation ou
de revendication identitaires. Les anciens appelés constituent le groupe
mémoriel numériquement le plus important (initialement de 1,5 million de
personnes) mais c’est celui qui apparaît en effet le moins dans les débats
publics. Florence Dosse souligne ainsi que la guerre du (grand-)père est « un
héritage mémoriel de faible résonance » (p. 220). Pour autant, les douleurs
posttraumatiques ressenties par ces anciens appelés laissent des questions
insidieuses et douloureuses en suspens, faites de douleur, d’interdit et de
honte. Certains descendants en tirent le substrat pour des créations artistiques,
tel Laurent Mauvignier et son roman Des hommes (Minuit, 2009).
La postmémoire des descendants d’Algériens est elle aussi « trouée », en
particulier pour les descendants de militants indépendantistes. Les pères
parlent peu dans les familles algériennes bien que ce soit un récit de victoire
qui puisse être raconté. Mais la vie en France est aussi faite de déclassement,
de racisme*, et il existe de surcroît une contradiction difficilement explicable
dans les familles : avoir lutté pour l’indépendance de l’Algérie et vivre dans
le pays colonisateur. Cela a muré certains anciens Algériens de France dans
le silence, et la génération* d’après a dû vivre avec cette « mémoire trouée »
et les discriminations. Cela a néanmoins pu servir de moteur pour des
créations artistiques, du Gône du Châaba d’Azouz Begag aux chanteurs
Rachid Taha et Magyd Cherfi, en passant par Bourlem Guerdjou avec son
film Vivre au paradis (1999) ou Kaouther Adimi avec son roman Nos
richesses (Seuil, 2017).
Dans sa thèse soutenue en 2022, Paul Max Morin souligne que les jeunes
de 18 à 25 ans issus de cette histoire franco-algérienne sont davantage
politisés et engagés que les autres : la postmémoire de cette histoire dure et
elle est devenue une ressource politique pour certains. De cette génération
émerge une demande de connaissance de l’histoire, dans toutes ses facettes,
sans tabou et sans esprit de revanche. Un sondage de mars 2022 réalisé par
Harris interactive pour Historia souligne d’ailleurs que 70 % des jeunes
Français et des jeunes Algériens ont une vision positive de l’autre pays. 68 %
des jeunes Français seraient même prêts à ce que la France présente ses
excuses à l’Algérie. Est-ce la condition pour contribuer à apaiser les relations
franco-algériennes et les mémoires issues du conflit ?
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, « Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? » Enquête sur
un silence familial, La Découverte, 2020 • Clarisse Buono, Pieds-noirs de
père en fils, Balland, 2004 • Paul Max Morin, Les Jeunes et la guerre
d’Algérie. Une nouvelle génération face à son histoire, PUF, 2022.
POUJADISTES
Mouvement de défense interprofessionnel, le poujadisme naît
officiellement en novembre 1953 avec l’Union de défense des artisans et
commerçants (UDCA). Son fondateur, Pierre Poujade (1920-2003), tient une
librairie-papeterie à Saint-Céré dans le Lot. L’UDCA compte 130 000
adhérents au printemps 1954 et 400 000 deux ans plus tard.
Le poujadisme a originellement peu à voir avec l’Algérie française. 1955
marque un tournant avec la décision de présenter des candidats aux
législatives. Le 2 janvier 1956, les poujadistes obtiennent 12 % des suffrages
et 52 élus à l’Assemblée nationale, dont le jeune Jean-Marie Le Pen*.
Antiparlementaire, anticommuniste et nationaliste, le poujadisme a inscrit
l’Algérie française à son programme. Poujade a en effet rejoint l’Algérie en
1943 pour s’engager dans les FFL et a épousé une infirmière pied-noire*. Il
bénéficie d’un terrain favorable dans le monde de la boutique en Algérie. Il y
compte 10 000 adhérents en février 1956 et des dirigeants actifs (Roger
Goutailler, Joseph Ortiz*). Eux entendent élargir ses soutiens et devenir la
colonne vertébrale de l’Algérie française. Les poujadistes pourraient-ils
mener une action coordonnée sur les deux rives ?
Dès la fin de 1956, le poujadisme se délite. Certaines prises de position
comme l’hostilité à l’expédition de Suez* sont mal comprises. Mai 1958 fait
rupture. Le 23 mai, Ortiz rencontre Berthommier, ancien élu RPF devenu un
des dirigeants de l’UDCA. Il essuie un refus catégorique. De fait, les
dirigeants de l’UDCA sont circonspects devant le 13 Mai*, l’hebdomadaire
Fraternité française (100 000 exemplaires) passe sous silence l’action des
poujadistes d’Algérie et leur groupe parlementaire vote le 1er juin la confiance
à de Gaulle*. Ce soutien ne dure pas mais les zigzags de Poujade affaiblissent
un mouvement qui n’obtient que 225 000 voix aux législatives de 1958 et
moins de 60 000 en 1962. L’antigaullisme et la défense de l’Algérie française
par le poujadisme officiel devenu groupusculaire n’ont plus guère d’écho.
Dans ces conditions, si certains poujadistes restent engagés dans le combat en
faveur de l’Algérie française et se retrouvent dans les rangs de l’OAS*, à
l’instar de Marcel Bouyer, c’est le plus souvent à titre personnel.
Olivier DARD
Bibl. : Romain Souillac, Le Mouvement Poujade. De la défense
professionnelle au populisme nationaliste (1953-1962), Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, 2007.
POUVOIRS SPÉCIAUX
L’expression désigne une loi, en date du 16 mars 1956, restée le symbole
du basculement dans la guerre. Pour les Français, elle est associée à une
période de rappels massifs sous les drapeaux qui suscitent manifestations* et
protestations. La loi elle-même ne joue pourtant aucun rôle en la matière.
Juridiquement, il n’y en avait pas besoin – des rappels avaient eu lieu dès
1955.
Selon son intitulé, cette loi est d’abord réformatrice. Elle autorise en effet
le gouvernement « à mettre en œuvre en Algérie un programme d’expansion
économique, de progrès social et de réforme administrative ». Son article
premier, le plus long de tous, liste de nombreux domaines : « équipement
scolaire et sanitaire », « normalisation et abaissement des coûts de
production », « aménagement foncier », « élévation du niveau de vie »,
« condition de l’ouvrier agricole », etc. La loi comprend aussi un volet
répressif. L’article 5 attribue au gouvernement « les pouvoirs les plus étendus
pour prendre toute mesure exceptionnelle en vue du rétablissement de l’ordre,
de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire ».
L’expression de « pouvoirs spéciaux » est absente du texte. Elle exprime
cependant parfaitement la nature de la loi, qui est une habilitation donnant
carte blanche au gouvernement pour agir par décret, tant en matière de
réforme qu’en matière répressive. Lors des débats à l’Assemblée, Mollet*,
président du Conseil, refuse de s’engager sur l’usage qu’il fera des pouvoirs
ainsi accordés. Pour cette raison, le projet suscite d’âpres débats. Mollet doit
engager la confiance de son gouvernement pour en obtenir le vote ; sinon, la
IVe République* basculera dans une énième crise. Cette contrainte, combinée
à la recherche d’une union des gauches, explique que les parlementaires
communistes aient voté pour. En interne, le mécontentement s’exprime ;
localement, des militants n’ont pas craint de diffuser leurs propres tracts ou
brochures dénonçant la loi. À la SFIO* existent aussi des critiques, très
minoritaires. Chez les nationalistes, le MNA* manifeste dans Paris, le 9 mars
1956. Finalement, seuls 73 députés, en majorité des poujadistes*, votent
contre. Par la suite, la loi sera reconduite en faveur de tous les gouvernements
et elle sera aussi étendue à la métropole. Elle est par conséquent la pièce
maîtresse du développement d’un droit d’exception pendant la guerre.
Sur le plan répressif, le gouvernement a utilisé ses pouvoirs pour
reconduire les mesures de l’état d’urgence* qui, en vigueur en 1955, avait été
aboli. Il innove cependant en autorisant la délégation des pouvoirs de police*
à l’armée en Algérie. Cette délégation, comme à Alger en faveur du général
Massu* en 1957, finit par couvrir tout le territoire. Permettant aux soldats
d’arrêter, d’interroger et de détenir tout « suspect », elle offre une couverture
légale à la torture* et engage, à ce titre, la responsabilité du pouvoir politique
dans cette pratique. Un décret des pouvoirs spéciaux a également légalisé les
zones interdites*, ces zones vidées de leurs habitants expulsés par la force et
regroupés dans des camps où un quart des Algériens vit en 1962.
Le volet réformateur n’est pas totalement nouveau non plus. Depuis
1945, l’idée qu’il faut réformer l’Algérie s’est imposée. Avant Mollet, le
gouvernement Mendès France* a été renversé pour avoir soutenu de tels
projets. Voyant dans les réformes un risque pour leur suprématie, les Français
d’Algérie se mobilisent contre les projets gouvernementaux sans hésiter à en
contester l’autorité légale parisienne. Leurs élus, tant à l’échelon national que
local, les relaient efficacement. Dans le domaine économique et social, le
rapport Maspétiol*, sollicité par le gouvernement Mendès France, sert de
base aux décrets des pouvoirs spéciaux. L’un d’eux crée ainsi une Caisse
d’accession à la propriété et à l’exploitation rurale (Caper). Elle doit
récupérer, par expropriation ou à l’amiable, des terres auprès de grands
propriétaires afin de les redistribuer aux paysans, qu’elle doit aider
techniquement et financièrement. La mise en place de la caisse est longue et
le résultat très limité. Non seulement les propriétaires y résistent mais en
plein conflit, les moyens vont d’abord à la conduite de la guerre. Le FLN*,
quant à lui, interdit aux paysans d’acquérir les terres ainsi redistribuées. Sur
le plan administratif, un décret réserve aux « Français musulmans » 10 % des
postes aux concours de la fonction publique, en vue de dégager une élite
favorable à la France. Un autre supprime les communes mixtes, ces
communes gérées par un administrateur nommé et non par un conseil
municipal élu.
Les pouvoirs spéciaux mettent ainsi en évidence l’alliance entre
répression et réformes qui, loin d’être contradictoires, sont pensées comme
complémentaires pour sauver l’Algérie française. Fondamentalement, une
telle politique repose sur un déni du fait national algérien et une vision
dépassée de l’avenir du monde. L’heure n’est plus aux empires.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammarion, 2012.
PRADO, AFFAIRE DU
L’affaire du Prado, institution religieuse au service du monde ouvrier,
éclate à Lyon* le 18 octobre 1958 avec l’inculpation « d’atteinte à l’intégrité
du territoire national » de Joseph Chaize et Louis Magnin, prêtres du Prado,
et d’Albert Carteron*, prêtre du diocèse de Lyon, accusés d’entreposer et de
transporter des fonds du FLN*. Carteron a demandé à deux prêtres du Prado
de prêter un local à des Algériens arrêtés quelques jours plus tôt, qui
s’occupent d’un service d’aide aux familles de détenus nationalistes de la
prison* Saint-Paul. La police* lyonnaise, qui considère cette association
comme un service du FLN, convoque les trois hommes. Les deux premiers
répondent à la convocation du juge d’instruction mais l’abbé Carteron
disparaît quelques jours. Laissés en liberté provisoire, les trois hommes
profitent de la tribune qui leur est offerte, en cet automne 1958 marqué par
les débats autour de la question de la torture*, pour dénoncer les violences
subies par les Algériens arrêtés avec eux. Ces derniers portent plainte et le
rapport d’expertise médicale conclut à la réalité des sévices. Une controverse
éclate entre Mgr Ancel, supérieur du Prado, qui soutient ses prêtres,
Mgr Gerlier, archevêque de Lyon, qui dénonce les méthodes d’interrogatoire
de la police, et le ministre de l’Intérieur qui cherche à accréditer la thèse d’un
réseau de soutien au FLN animé par les « curés » de la Mission de France*,
dont des prêtres sont au même moment arrêtés (Bernard Boudouresques) ou
recherchés (Robert Davezies*), et du Prado. La déclaration commune de
Mgr Liénart, prélat de la Mission de France, et Mgr Gerlier affirmant que les
prêtres ne cherchent qu’à « secourir au nom de la charité chrétienne les Nord-
Africains résidant en France » n’atténue pas les tensions. Témoignage
chrétien est brûlé, des tracts hostiles sont distribués aux portes des églises et
Paris Match offre jusqu’à 10 000 francs pour obtenir une photographie*
d’Albert Carteron en train de dire la messe. Laissés en liberté provisoire, les
trois hommes ne seront pas jugés et l’affaire sera classée mais elle met en
lumière les liens noués en métropole entre les milieux progressistes chrétiens
et les militants nationalistes algériens.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Béatrice Dubell, Arthur Grosjean et Marianne Thivend (dir.), Récits
d’engagement. Des Lyonnais auprès des Algériens en guerre, 1954-1962,
Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2012 • Béatrice Dubell, El Bi’r, le puits.
Récits d’engagements anticolonialistes à Lyon pendant la guerre d’Algérie,
Grand Ensemble/Atelier de cinéma populaire, 2008 (film documentaire).
PRÉFETS ET IGAME
L’idée domine que les autorités civiles ont été dépossédées par les
militaires obtenant tout pouvoir en Algérie pendant la guerre. La réalité est
plus complexe. Il est vrai qu’un processus de militarisation de
l’administration se produit, l’armée renouant avec le rôle qu’elle avait assumé
au XIXe siècle, quand les Bureaux arabes administraient la colonie. Des
pouvoirs sont aussi massivement transférés des civils vers les militaires mais
l’évolution suit une nette chronologie.
En 1955, l’état d’urgence* maintient les autorités civiles en place.
L’application des mesures d’exception prévues dépend du gouverneur
général, des préfets et sous-préfets. Il leur appartient aussi de mettre en œuvre
les réformes auxquelles réfléchissent les gouvernements. Une expérience est
cependant menée dans les Aurès, haut lieu de l’insurrection, cette année-là.
Le général Parlange*, nommé commandant civil et militaire, est
officiellement subordonné au préfet de Constantine et il doit cohabiter avec le
sous-préfet mais la situation génère une concurrence conflictuelle ; in fine, le
sous-préfet devient l’adjoint du général. En 1955 également sont créées les
sections administratives spécialisées* (SAS) dont les officiers* assument des
tâches administratives (état civil, listes électorales, etc.). Les SAS dépendent
d’un Service des affaires algériennes installé aux différents échelons de
l’administration, de la base jusqu’au sommet, au Gouvernement général*.
Elles mettent donc directement en contact corps préfectoral et armée. Ils
cohabitent et échangent également dans des états-majors et commissions
mixtes institués à tous les échelons de la pyramide administrative.
Les pouvoirs spéciaux* marquent un seuil en autorisant la délégation des
pouvoirs de police* aux militaires. Celle-ci se généralise en 1956-1957. Le
cas bien connu d’Alger n’est que le plus célèbre, lorsque, le 7 janvier 1957, le
général Massu*, chef de la 10e division parachutiste*, reçoit en délégation les
pouvoirs de Serge Baret, préfet Igame – acronyme d’« Inspecteur général de
l’administration en mission extraordinaire », Igame désignant ici des préfets
en charge du maintien de l’ordre, à l’échelle régionale. Puis en 1958, la chute
de la IVe République* s’accompagne d’une véritable confiscation des
pouvoirs par les militaires. Quand, au moment du 13 Mai*, des comités de
salut public se substituent à l’autorité légitime dans le pays, des préfets et
sous-préfets sont arrêtés ou placés sous une étroite surveillance. Igame et
préfets en place quittent presque tous l’Algérie. Le général Salan* cumule
alors tous les pouvoirs. Dans les corps d’armée d’Oran, d’Alger et de
Constantine, les généraux Rethoré, Massu et Olié* font fonction de préfet
Igame. Aux échelons inférieurs, les commandants de zone obtiennent la
suprématie sur les préfets et les commandants de secteur dominent les sous-
préfets.
La reprise en main du général de Gaulle* se manifeste par le
rétablissement progressif de l’autorité civile. À l’automne 1958, la
nomination du binôme Delouvrier*/Challe*, respectivement délégué général
du gouvernement en Algérie et commandant en chef, sépare de nouveau
pouvoirs civils et militaires à l’échelon central. Le 4 juillet 1959, un décret
permet à Paul Delouvrier de nommer trois préfets Igame. Entre février 1960
et mars 1961, d’autres textes rendent leurs prérogatives aux préfets et sous-
préfets – en matière financière, par exemple, avec de nouveaux crédits.
L’enjeu est fondamental : disposer d’une administration pour l’application de
la politique gaulliste qui s’oriente vers des négociations* rendant possible
l’indépendance, à partir de l’autodétermination. La loyauté du corps
préfectoral, du reste, est testée lors de la tentative de putsch* en avril 1961.
Préfets et sous-préfets, sollicités par le successeur de Paul Delouvrier, Jean
Morin*, contribuent à la sauvegarde du régime.
À l’instar de Paul Delouvrier et de Jean Morin, le corps préfectoral
fournit aux politiques gouvernementales de précieux relais. Outre que ses
membres sont très impliqués dans la réalisation du plan de Constantine*, ils
remplissent des fonctions administratives particulières, comme, par exemple,
la direction du Service central des centres d’hébergement*, installé au
Gouvernement général à Alger pour gérer les camps d’internement*.
Conformément à l’idée dominante d’une dépossession au profit de
l’armée, les quelques témoignages* publiés a posteriori racontent une
opposition aux militaires. Après celui de Lucien Ferré, converti à l’islam sous
le nom de Mohammed Al-Bachir, paru en 1990, les éditions Phénix en ont
publié d’autres, au début des années 2000. Georges Audebert, en poste à
Relizane en 1958-1959, accuse l’armée d’avoir sapé le climat de confiance
qu’il aurait instauré entre les communautés, tout en insistant sur le racisme*
colonial qu’il découvre et lui répugne. Georges Belorgey propose une
biographie très littéraire, croisant toutes les facettes de son rapport à
l’Algérie : militant anticolonialiste, officier de renseignements, stagiaire de
l’ENA, etc. Ces témoignages ont leurs biais. Seuls s’expriment ceux qui
peuvent se prévaloir d’une action légitimée par la fin de la guerre. Dans le
détail, leurs écrits mériteraient d’être vérifiés d’autant plus qu’ils n’optent pas
toujours pour une narration clairement située dans l’espace ni dans le temps.
Il faudrait les dépasser pour enquêter sur cet aspect mal connu de la guerre.
Les relations avec les militaires, ainsi, ne sont pas toujours conflictuelles.
Le cas de Maurice Papon*, Igame à Constantine de 1956 à 1958, met en
évidence une répartition consentie des rôles avec l’armée, sans qu’il soit
dessaisi. Étudiant de près la politique des regroupements* de populations
impliquant civils et militaires, Fabien Sacriste démontre que Papon prend
l’initiative des regroupements dans le Constantinois. À Oran, à la même
période, l’Igame d’Oran les défend avec l’armée. Ni le corps préfectoral, ni
l’armée ne sont unis l’un face à l’autre quand se posent des questions
concrètes telles que la création d’un nouveau camp, son aménagement, sa
gestion, etc. Des militaires peuvent freiner la pratique quand des civils la
soutiennent.
D’autres problématiques pourraient être étudiées. La trajectoire de
Maurice Papon, nommé préfet de police de Paris après avoir été Igame à
Constantine, pose la question des transferts de méthodes entre Algérie et
métropole, par le biais des circulations du personnel. Une autre interrogation
porte sur le recrutement d’Algériens dits alors « musulmans », que les
réformes (notamment celles des pouvoirs spéciaux) ont prévu. Georges
Audebert évoque à ce titre l’un de ses prédécesseurs, le sous-préfet Lakdhari.
Ce dernier a voulu démissionner une première fois pour dénoncer
l’anéantissement d’un village par l’armée. Puis, témoin de tortures pratiquées
par les gendarmes, lui-même malmené par les parachutistes*, il a fini par
rejoindre le FLN*. Sous réserve de sources disponibles et accessibles,
l’histoire de ce corps et de ses acteurs gagnerait à être écrite. Il importe de
sortir de l’histoire militaire pour mieux comprendre la guerre.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Jean-Pierre Peyroulou, « Maurice Papon, administrateur colonial
(1945-1958) », in Samia El Mechat (dir.), Les Administrations coloniales.
Esquisse d’une histoire comparée, XIXe-XXe siècles, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2009 • Fabien Sacriste, « Les camps de
“regroupement”. Une histoire de l’État colonial et de la société rurale pendant
la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) », thèse de doctorat sous la
dir. de G. Pervillé et de J. Cantier, Toulouse-2, 2014 • Sylvie Thénault,
Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammation, 2012.
PRESSE EN FRANCE
La guerre est attentivement suivie par une presse écrite française
profondément divisée quant à la nature et à la légitimité de l’engagement
français. Jusqu’en 1956, elle relaie, dans sa majorité, le discours officiel,
inflexible face aux revendications indépendantistes. Les « événements
d’Algérie » sont présentés comme une opération de retour à l’ordre
républicain. Si les photographies* de titres comme Paris Match donnent à
voir des opérations de guerre par ailleurs décrites dans les colonnes des
journaux, le vocabulaire utilisé tend à euphémiser la violence et les
journalistes épousent la sémantique gouvernementale.
Pourtant, quelques titres de la presse hebdomadaire d’opinion aux tirages
encore relativement modestes (France Observateur, L’Express, Témoignage
chrétien, etc.) dénoncent certaines pratiques de l’armée. France Observateur,
hebdomadaire fondé en 1950 et encore imprégné de l’esprit de la
Résistance*, s’y distingue avec « Votre gestapo d’Algérie », en janvier 1955,
de Claude Bourdet*, ancien dirigeant du mouvement de résistance
« Combat ». Puis le 15 septembre 1955, Robert Barrat* signe « Un
journaliste français chez les “hors-la-loi” algériens », dans lequel il donne la
parole à des indépendantistes. Face à ces articles, les autorités usent de saisies
et d’intimidation : Robert Barrat est ainsi arrêté après son reportage et libéré
rapidement sous la contrainte d’une importante campagne de presse.
Avec l’envoi massif du contingent en 1956, la couverture médiatique se
densifie avant que la contestation de la guerre se renforce. La torture* est
dénoncée en 1957. Si les titres communistes ainsi que France Observateur,
L’Express, Témoignage chrétien restent très impliqués, Le Monde* de Beuve-
Méry, jusqu’alors prudent, s’engage fermement. C’est l’année des grandes
affaires*, Alleg* et Audin*, notamment. Les autorités répondent en nommant
une Commission de sauvegarde des droits et libertés individuels*, en
dénonçant « les ennemis de la France » et en recourant aux saisies et à
l’intimidation. Jean-Jacques Servan-Schreiber* est ainsi inculpé pour
« atteinte au moral de l’armée » après la publication en feuilleton dans
L’Express de son témoignage* : « Lieutenant en Algérie ». En 1958, la
parution de La Question, d’Henri Alleg, génère une nouvelle vague de saisies
comme celles de L’Express pour « Une victoire », de Jean-Paul Sartre*,
saluant l’ouvrage. Un titre comme Le Figaro*, ne pouvant plus nier la guerre,
s’engage dans la négation de la torture et dans le soutien aux discours
étatiques dénonçant les critiques comme calomnieuses. Dans cette véritable
« bataille de l’écrit », selon les mots de Michel Crouzet, le gouvernement
trouve aussi souvent le soutien de titres favorables à l’Algérie française tels
Carrefour, Le Parisien libéré ou L’Aurore.
Avec le 13 mai 1958*, la censure*, en vigueur en Algérie, est étendue à
la métropole à partir du 25 mai. La prise du Gouvernement général à Alger
est interprétée de diverses manières : quand L’Humanité* dénonce un coup
de force, d’autres ont tendance à dédramatiser l’événement. Ce clivage se
retrouve lors des négociations* entre le président Coty et le général de
Gaulle*. La perspective d’un retour de De Gaulle suscite l’opposition de la
presse de gauche qui soutient la manifestation* du 28 mai pour « la défense
de la République » et dénonce le coup d’État du général. Nombreux sont
cependant ceux qui appuient la pertinence du choix de l’homme du 18 juin
pour sortir la France de la crise.
Avec le retour de De Gaulle, la presse s’attache aux hésitations gaullistes,
puis, à partir du discours du 16 septembre 1959, à l’autodétermination.
Certaines rédactions continuent à sensibiliser l’opinion* contre la guerre,
particulièrement au moment du procès du réseau Jeanson* et du « Manifeste*
des 121 » pour « le droit à l’insoumission » en 1960. À l’instar du mensuel
Témoignages et documents publié de janvier 1958 à avril 1963 par le Centre
de coordination pour la défense des libertés et de la paix, les cahiers
d’information Vérité-Liberté, qui paraissent de mai 1960 à mars 1962 en
soutien au comité Maurice Audin*, collectent les témoignages et textes
interdits attestant de la pratique systématisée de la torture. La presse est alors
traversée par d’intenses débats sur l’opposition à la guerre, le soutien au
FLN* et l’insoumission, tandis que le 17 octobre 1961* suscite l’émoi. Les
partisans de l’Algérie française, menés par des plumes aussi talentueuses que
celles de Jules Romains, Roland Dorgelès ou Roger Nimier, se fracturent
durant cette période, certains optant pour le soutien à de Gaulle, d’autres pour
la radicalité de l’OAS*.
Les autorités poursuivent quant à elles leurs efforts pour faire taire les
critiques. Si la censure, en 1958, est rapidement supprimée, les saisies
continuent et atteignent même un pic en 1961-1962. Si elles visent avant tout
la presse de gauche, elles répriment désormais aussi le camp de l’Algérie
française.
François ROBINET
Bibl. : Philippe Baudorre, La Plume dans la plaie. Les écrivains journalistes
et la guerre d’Algérie, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003 •
Barbara Vignaux, « L’Agence France-Presse en guerre d’Algérie »,
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 83, no 3, 2004 • Michel Winock,
« Guerre d’Algérie : des médias mal enchaînés », in Le XXe Siècle idéologique
et politique, Perrin, 2013.
PRESSE FRANCOPHONE EN ALGÉRIE
Durant la guerre, la presse en Algérie est soumise à la censure*, aux
saisies et à une forte pression des autorités coloniales.
Avec l’état d’urgence* en 1955, la presse en arabe est interdite, de même
que les titres critiques de la colonisation. C’est le cas de la presse communiste
(Liberté, Alger républicain*, etc.) à la suite de la dissolution du PCA* en
septembre 1955. Il ne reste plus que quelques titres coloniaux, avec, hors
d’Alger, La Dépêche de Constantine, dirigée par le sénateur Léopold Morel,
et L’Écho d’Oran, le plus ancien titre d’Algérie, créé en 1844 et dirigé par
Pierre Laffont ; ses tirages approchent souvent les 75 000 exemplaires durant
la guerre. Les principaux titres sont cependant algérois. Le groupe L’Écho
d’Alger*, dirigé par Alain de Sérigny depuis 1941 et fortement lié à la riche
famille des Duroux, comprend aussi Dernière Heure et Dimanche matin.
Depuis 1945, L’Écho d’Alger est le principal journal des Français d’Algérie.
Solide et professionnelle, l’équipe compte dans ses rangs Jacques Chevallier*
ainsi que le correspondant du Monde* Georges Messud.
Financé par Georges Blachette, qui doit sa fortune au commerce de l’alfa,
le Journal d’Alger se veut plus libéral. Dirigée par Louis Cardona, la
rédaction est conduite par Edmond Brua et compte Gabriel Conesa qui écrit
aussi dans Le Monde et dans Paris Match. Elle tente de se démarquer des
appels à la répression qui dominent alors la presse coloniale. Longtemps
menée par Jean Brune, La Dépêche quotidienne d’Algérie reste également
attachée à l’Algérie française.
Lancée en 1956, la revue* mensuelle L’Espoir est un cas original.
« Journal des libéraux d’Algérie », elle regroupe des personnalités françaises
(Paul Houdart, André Gallice, Charles-Robert Ageron*, etc.) et des
intellectuels musulmans (Mahfoud Kaddache*, Ahmed Benzadi, etc.). Elle
prône le dialogue, dénonce le cycle terrorisme/répression, s’oppose à la
guerre et aux méthodes de Lacoste* et de Massu*. À la suite de multiples
saisies et perquisitions entre novembre 1956 et février 1957, Jean Gonnet
décide d’en suspendre la parution. Elle reparaît du 29 avril au 28 septembre
1960, avec l’équipe des fondateurs et de nouveaux collaborateurs comme
Mohammed Taïbi ou Jean Foscoco, mais elle subit de nouveau saisies et
menaces. Interrompue, elle ne reparaîtra qu’une fois en juin 1962.
La tonalité générale de la presse coloniale évolue après 1958. Jusqu’en
1958, elle propose généralement la chronique d’une guerre considérée
comme gagnable et avant tout présentée via le prisme des attentats et des
exactions du FLN*. Après 1958, le doute puis le spectre de la défaite
marquent des productions centrées sur les questionnements politiques et
soumises à la pression des autorités, de l’OAS* et du FLN.
Dans cet ensemble, L’Écho d’Alger se distingue par le soutien de son
directeur, Alain de Sérigny, à de Gaulle*, en 1958, avant une radicalisation
lui valant d’être arrêté puis interdit de séjour en Algérie. Au-delà, la presse
coloniale est visée par les autorités en 1960-1961. Les journaux du groupe
L’Écho d’Alger sont interdits après le putsch*. Le 6 février 1962, l’OAS
réquisitionne L’Écho d’Oran pour imprimer une édition pirate de 20 000
exemplaires. Le gouvernement réagit immédiatement en interdisant tous les
titres du groupe. Seul Le Journal d’Alger, proche des positions gaullistes,
continue de paraître. Sous forte pression de l’OAS, la rédaction est plastiquée
le 17 avril 1962. Du fait de ces difficultés, à la fin de la guerre, ne subsistent
que La Dépêche quotidienne d’Algérie à Alger et quatre quotidiens en
province.
De son côté, le FLN s’est très tôt doté de titres. Après Le Patriote et
Résistance algérienne, il lance, au printemps 1956, El Moudjahid (Le
Combattant), journal clandestin dirigé par Abdelmalek Temmam et imprimé
à Alger. Si le FLN a tendance à privilégier le français, El Moudjahid est
également proposé en arabe à partir de 1957. Dans le contexte de la bataille
d’Alger*, Redha Malek relance le titre depuis le Maroc* puis la Tunisie*
autour d’une équipe constituée notamment de Frantz Fanon* et de Pierre et
Claudine Chaulet*. Un des enjeux est de montrer la guerre comme une guerre
populaire de libération nationale qui n’est pas dirigée contre la France et les
Français mais contre l’oppression coloniale.
Après l’indépendance, El Moudjahid devient le journal officiel de la
République algérienne. Alger républicain, le titre communiste, reprend le
17 juillet 1962. Jusqu’à la nationalisation de la presse en 1963, il est, avec La
Dépêche quotidienne d’Algérie, le quotidien le plus lu. Leurs tirages
approchent les 80 000 exemplaires quand le quotidien national Le Peuple
(Ach-Chaab) atteint à peine les 40 000. À son image, les nouveaux journaux
connaissaient de grandes difficultés (Alger ce soir, La République).
François ROBINET
Bibl. : Marc Agostino, « Les journaux quotidiens d’Algérie et l’opinion »,
in Philippe Baudorre (dir.), La Plume dans la plaie. Les écrivains journalistes
et la guerre d’Algérie, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003 •
Henri Alleg, Abdelhamid Benzine et Boualem Khalfa, La Grande Aventure
d’Alger républicain, Messidor, 1987 • Gilles Kraemer, Trois Siècles de
presse francophone dans le monde. Hors de France, de Belgique, de Suisse et
du Québec, L’Harmattan, 1995.
PRESSE MNA
Après la dissolution du MTLD en novembre 1954, les dirigeants
messalistes ont pu compter sur l’appui d’anticolonialistes, comme Alexandre
Hébert qui permet l’impression de La Voix du peuple – nom de l’organe du
MNA* – grâce aux moyens techniques de l’Union départementale Force
ouvrière* à Nantes, avant que l’opération ne se déroule dans la cave d’un
restaurateur ami du syndicaliste.
Mohammed Maroc est, avec Raymond-Nourredine Naït-Mazi, le
principal rédacteur et responsable du journal jusqu’en 1956. En décembre, la
direction de la Surveillance du territoire procède à l’interpellation de
dirigeants et à la saisie de deux valises contenant des milliers d’exemplaires
du journal. Une descente est effectuée à l’imprimerie d’André Ribet située à
Vanves et où sont édités des documents messalistes. La répression policière
et la pression du FLN* conduisent à transférer à Cologne le Comité
d’information et de propagande confié à Moulay Merbah.
Journaux et tracts sont alors imprimés en Allemagne sous la
responsabilité du secrétaire général, avant d’être pris en charge par la
délégation de Belgique* dont est membre Sid-Ali Addab. À son départ de
Belle-Île-en-Mer, en janvier 1959, Messali Hadj* supervise personnellement
la conception du journal et sollicite les dirigeants, souvent en vain, pour
enrichir son contenu.
En plus de La Voix du peuple – 55 numéros entre le 1er décembre 1954 et
le 1er juillet 1962 –, des bulletins d’information, brochures ou publications
plus éphémères comme Le Sahara – 3 numéros entre mai 1958 et
juillet 1959 – sont édités par le MNA.
Le parti messaliste diffuse des titres comme Algérie libre – édition
française de Free Algeria, entre le 1er décembre 1957 et le 2 septembre
1960 –, Réalités algériennes – 23 numéros publiés en Belgique, de juin 1959
à juin 1962, par Camille Van Deyck ; une édition allemande comprend une
dizaine de numéros entre 1959 et 1961 – mais aussi des publications en
langue étrangère comme Algerian News – publié à Londres de mars 1957 à
mai-juin 1960 par Betty Hamilton – ou Algeria Libera – publié du
21 septembre 1957 à avril-mai 1959 –, ou encore Levend Algerië – 6 numéros
de juin 1959 à juin 1960.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Bernard Hazo, L’Homme qui dit non. Hommage à Alexandre Hébert,
ancien secrétaire de l’Union départementale CGT-Force ouvrière de Loire-
Atlantique, s. l., 2011 • Benjamin Stora, Dictionnaire biographique de
militants nationalistes algériens (1926-1954). ENA, PPA, MTLD,
L’Harmattan, 1985.
PRISONNIERS
Dès novembre 1954, le Comité international de la Croix-Rouge* (CICR)
cherche à être autorisé par le gouvernement français à agir en Algérie. Il
estime en effet que le conflit qui commence revêt une gravité suffisante pour
entrer dans le cadre de l’article 3 commun aux quatre conventions de
Genève* de 1949 concernant les « conflits non internationaux ». Ceux-ci sont
définis comme des « conflits qui ressemblent à une guerre internationale,
mais qui ont lieu à l’intérieur même du territoire d’un État ». Or, l’un des
sujets d’inquiétude du CICR concerne les prisonniers des deux camps.
Initialement, le CICR se soucie avant tout des prisonniers algériens de
l’armée française dans la mesure où le bruit d’exécutions sommaires* et de
tortures* court déjà. Du côté français, le président du Conseil Pierre Mendès
France* autorise, en février 1955, le CICR à se rendre en Afrique du Nord
pour vérifier l’application de la troisième convention sur les prisonniers de
guerre, quand bien même aucune guerre n’est reconnue (l’Algérie étant
considérée comme composée de départements français et la France ne
pouvant être en guerre contre elle-même). La mission du CICR vise à obtenir
la liste nominative des personnes arrêtées par les forces françaises, à visiter
les lieux d’internement et de détention, à faciliter la correspondance des
détenus, et à leur organiser une aide de secours ainsi qu’à leur famille. Du
côté algérien, le CICR noue des relations avec Ahmed Ben Bella* et
Mohamed Khider* au Caire en janvier 1956 pour prévoir le cas des
prisonniers français du FLN*. Le nouveau président du Conseil français Guy
Mollet* estime à la même période que la question des prisonniers français du
FLN ne se pose pas dans la mesure où ceux-ci seraient presque
systématiquement exécutés.
Dans le même temps, les autorités françaises considèrent les combattants
algériens comme des « rebelles » et les traitent comme des criminels de droit
commun. Il ne saurait donc leur être reconnu le statut de prisonnier de guerre.
Pour cette raison, les condamnations à mort* pleuvent et les premières
exécutions ont lieu en 1956 (Ferradj et Zabana*). Des lieux d’enfermement
non judiciaires sont par ailleurs ouverts. Ainsi des prisonniers algériens sont
internés dans les locaux militaires puis dans les centres de tri et de transit*
(CTT), théoriquement pour un temps limité à l’issue duquel ils doivent être
soit libérés soit déférés devant les tribunaux soit encore internés dans des
centres d’hébergement*. À partir de mars 1958, le commandement français
estime cependant que le fait de traiter avec considération les combattants
algériens « pris les armes à la main » (PAM) pourrait les amener à devenir
moins résolus au combat, voire à être « retournés ». C’est ainsi que des
centres militaires d’internés* (CMI) sont créés. Leur nom indique clairement
que les camps sont gérés par des militaires mais que les internés ne sauraient
être considérés comme des militaires. Néanmoins, cette création va dans le
sens de la volonté du CICR de reconnaître de fait un statut distinct pour les
combattants algériens. Le général de Gaulle* dans son discours sur la « paix
des braves » en octobre 1958 va dans le sens de cette même reconnaissance,
sans que cela débouche sur un fléchissement algérien. Le nombre d’internés
algériens reste peu important : de l’ordre de 4 500 au maximum, tandis que
les détenus dans les CTT seraient mensuellement entre 17 500 et 20 000 de
janvier à août 1959. Par ailleurs, ces prisonniers algériens – bien qu’ils ne
soient pas reconnus comme tels – sont alors entrés dans un système où ils
peuvent être au moins en partie identifiés, tandis qu’une partie d’entre eux ne
sont même pas arrivés à ce stade, en ayant subi tortures et/ou exécutions
extrajudiciaires, conduisant dans ce dernier cas à des disparitions* dont le
nombre s’élève à plusieurs milliers, voire dizaines de milliers.
En comparaison, le nombre de prisonniers français est beaucoup moins
important, démontrant ici aussi le caractère asymétrique de la guerre : il serait
de l’ordre de 1 350 jusqu’au cessez-le-feu. La prise en compte de cette réalité
est laborieuse pour les autorités françaises, laissant un flou propice à tous les
errements possibles envers les familles. Certaines d’entre elles sont
confrontées au silence soudain de leur proche, sans qu’elles aient de
nouvelles ; d’autres apprennent à la radio* que leur fils ou frère est fait
prisonnier ; pire encore, une mère reçoit la plaque militaire de son fils par la
poste, signifiant brutalement son décès, alors que, fait prisonnier, il parvient à
s’évader onze jours plus tard… Afin de juguler toutes ces erreurs, le ministre
résidant Robert Lacoste* crée en avril 1957 un « Bureau de recherche dans
l’intérêt des familles », qui recense les disparus civils et militaires.
Néanmoins, cela n’élimine pas tous les problèmes. Par exemple, certains
militaires considérés comme disparus sont en fait des déserteurs.
Parallèlement, le CICR demande au Croissant-Rouge algérien* de fournir une
liste des captifs de l’ALN*, ce qu’il ne fait pas. Le FLN n’est d’ailleurs pas
toujours en mesure de donner des renseignements sur ses prisonniers, réalisés
dans le cadre d’une guérilla*. Parfois, des lettres parviennent directement ou
indirectement aux familles, jusqu’à apprendre l’exécution de leur proche.
Par ailleurs, le FLN traite différemment les Français et les Algériens, les
hommes et les femmes*. Autant les Français et les hommes sont plus
facilement exécutés ou faits prisonniers, autant les Algériens et les femmes
sont plus facilement libérés. Il n’en reste pas moins que, pour le FLN, le fait
de faire des prisonniers lui permet de montrer sa puissance et de peser en
faveur de la libération de ses propres prisonniers. C’est aussi un levier sur le
plan international en montrant sa capacité à capturer des soldats ennemis et
en cherchant éventuellement à les traiter selon les conventions de Genève,
afin de se montrer comme unique autorité légitime du côté algérien.
D’une manière générale, très peu de prisonniers sont faits et leur situation
reste très précaire dans les conditions d’une guérilla, a fortiori en cas de
blessure. Ils sont détenus dans des fermes, villages ou grottes ; quelques-uns
restent à un seul endroit mais la grande majorité doit changer régulièrement
de lieu, avec des conditions de déplacement souvent difficiles. Cela peut
occasionner des possibilités de fuite, qui restent cependant très marginales
tout au long du conflit. Leur situation sanitaire et alimentaire est en règle
générale très rudimentaire. Quelques prisonniers sont détenus au Maroc* ou
en Tunisie*, dans des conditions un peu meilleures. Ils sont par exemple 15 à
Oujda, et 4 en Tunisie à la suite de l’embuscade* de Sakiet* en janvier 1958.
La construction des barrages* frontaliers limite cependant la possibilité pour
le FLN d’exfiltrer ses prisonniers chez ses voisins.
Si certaines exécutions sont médiatisées par le FLN, provoquant une
effervescence du débat politique du côté français, nombre d’entre elles ne le
sont pas, laissant les familles dans l’expectative avec leur proche considéré
comme disparu. Les libérations sont elles aussi largement mises en scène,
surtout après la création du GPRA* en 1958. Mais au bout du compte, plus
de la moitié des prisonniers français du FLN ne sont pas revenus de captivité.
Tant du côté français que du côté algérien (dont les chiffres sont plus
importants), cette question continue de hanter les familles qui se demandent
encore où se trouve le corps de leur proche.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Raphaëlle Branche, Prisonniers du FLN, Payot, 2014 • Véronique
Gazeau et Tramor Quemeneur, Mourir à Sakiet. Enquête sur un appelé dans
la guerre d’Algérie, PUF, 2022 • Sylvie Thénault, Violence ordinaire dans
l’Algérie coloniale. Camps, internement, assignation à résidence, Odile
Jacob, 2012.
PRISONS (ALGÉRIE)
Les législations d’exception encadrant la guerre posent comme principe
la traduction en justice des nationalistes, y compris, potentiellement, ceux
faits prisonniers* dans les maquis. Rapidement, les condamnations pleuvent
et les prisons d’Algérie sont saturées. En 1957, selon un rapport de
l’administration pénitentiaire, la population carcérale a augmenté de 133 %
depuis le 1er novembre 1954*. Le nombre de détenus dépasse pratiquement
en permanence la capacité totale de 14 000 places des prisons d’Algérie :
21 000 en juillet 1958, 13 000 en mars 1960, 18 500 en janvier 1962. Les
transferts en métropole offrent un palliatif plus qu’une solution. Ils ne font
que déplacer le problème. Surtout, ils se heurtent aux réticences de détenus
souhaitant le plus souvent rester en Algérie, près de leurs familles. De ce fait,
au moment du décès de Simone Veil*, en 2017, une importance trop grande a
été accordée au rapport qu’elle a rendu lorsque, jeune magistrate* détachée
au ministère de la Justice, elle a préconisé des transferts de femmes*
d’Algérie en métropole. Non seulement ce rapport s’inscrit dans une politique
globale antérieure mais ses effets concrets sont restés limités.
Diverses enquêtes mentionnent les conséquences de ce surpeuplement.
En 1957, selon les délégués de la Commission internationale contre le régime
concentrationnaire* (CICRC), « les prisonniers prévenus, appelants ou
condamnés, se trouvent en dehors de leur dortoir ou cellule, pendant la
journée, soit durant sept à huit heures et demie » et « les cellules individuelles
peuvent contenir jusqu’à trois prisonniers ». Le Pr Richet et le général Zeller,
pour la Commission de sauvegarde*, s’indignent du sort réservé aux
condamnés à mort à Barberousse, la prison civile d’Alger : « La chose
devient proprement inhumaine pour les condamnés à mort : 60 ou
65 hommes attendent là parfois quatre ou cinq mois l’exécution ou la grâce,
entassés à trois par cellule, alors que ces cellules sont faites pour un seul, à la
rigueur pour deux. » En théorie, en Algérie, le régime carcéral est identique à
celui de la métropole mais il est adapté face aux mobilisations. Ainsi à
Barberousse, avant le régime politique officiellement octroyé en 1959, les
femmes condamnées pour des affaires de droit commun sont séparées de
celles condamnées pour raisons politiques, autant que faire se peut. Les
condamnés à mort masculins, en revanche, sont menottés – si l’entrave a été
supprimée dans les textes, une exception a été décidée pour l’Algérie en
guerre. Les femmes condamnées à mort en restent dispensées.
Dans leurs témoignages*, les anciens détenus ne s’attardent pas, le plus
souvent, sur leurs conditions de détention, pourtant déplorables – dortoir
collectif, nourriture de piètre qualité si ce n’est infâme, tenues spécifiques
sans confort ni esthétique, conditions sanitaires sommaires, brimades des
gardiens, etc. Plus que tout, le souvenir des exécutions les a marqués. À
Barberousse, quand ils n’en guettent pas les signes avec anxiété, ils en sont
avertis par le bruit de l’ouverture des portes à l’aube, suivi de l’entrée du
camion transportant les bois de justice et du montage de la guillotine. Les
slogans, cris et chants* accompagnent la sortie des condamnés de leurs
cellules et leur mise à mort. Ainsi la Casbah, en bordure de laquelle
Barberousse est située, est alertée. L’autre spécificité du vécu carcéral réside
dans les mobilisations collectives. Non seulement le FLN* prolonge en
prison la lutte pour l’indépendance, par des grèves de la faim, en particulier,
mais les détenus trouvent des motifs de soulèvement dans la vie quotidienne.
À Barberousse, par exemple, en 1957, les femmes refusant d’admettre une
prisonnière de droit commun dans leur dortoir ont subi gifles, coups de pied,
de poing, de cravaches, et douches tout habillées. L’une d’elles, Éliette
Loup*, raconte qu’elles ont jeté des projectiles divers sur les forces de
l’ordre, manifesté en chantant et criant « assassins », « buveurs de sang »
(comme le relèvent notamment les rapports officiels). Puis les condamnées à
mort ont dénoncé un régime particulier de visite (deux personnes deux fois
par mois), de nourriture, de promenade, ainsi que leur entassement à trois
dans une cellule. En militantes, elles écrivent au ministère de la Justice qui a
gardé trace de leurs doléances. La prison est aussi un lieu de production
d’écrits. Aux journaux intimes, carnets de poésie et correspondance entre
condamnés, d’un quartier à un autre, grâce notamment à des complicités chez
les gardiens, s’ajoute la rédaction de témoignages sur les tortures subies en
amont de l’incarcération, entre les mains des militaires. Le livre d’Henri
Alleg*, La Question, paru chez Minuit en 1958, en est le symbole. Son auteur
l’a rédigé dans sa cellule à Barberousse et l’a fait sortir par son avocat.
Du point de vue des autorités, le surpeuplement pose de redoutables
problèmes de sécurité. La prison de Sétif, par exemple, connaît une révolte en
1961 puis, un surveillant ayant été tué, deux autres, « d’origine musulmane »,
selon les autorités, ont aidé six condamnés à mort à s’évader avant qu’une
seconde révolte éclate ; les gendarmes interviennent. Le général Ailleret*,
alors commandant en chef, alerte son ministre sur « l’encombrement des
prisons », qui « a pour effet de paralyser la tâche des gardiens ». Les prisons
sont non seulement l’un des lieux de la guerre mais l’un des lieux de la
défaite française. Les partisans de l’indépendance ne désarmant pas, les
arrestations perdurent et toute mesure de déflation des effectifs reste vaine.
En décembre 1961, après la grâce de 2 500 condamnés à de courtes peines,
les autorités prévoient que les prisons retrouveront leur niveau
d’encombrement dans les trois mois.
Par rapport aux camps d’internement*, les prisons se distinguent en tant
que lieux de détention judiciaire, sous couvert d’une instruction en cours ou
d’une condamnation. Des dires des détenus, si la violence n’en est pas
absente, le pire y est évité. Le soulagement accompagne la traduction en
justice. Néanmoins, les prisons s’inscrivent dans un ensemble de lieux de
détention que les prisonniers connaissent au cours des trajectoires complexes
débutant avec leur arrestation. Ils peuvent ainsi passer par les camps
d’internement : centres de tri et de transit* de l’armée en amont des
incarcérations judiciaires, centres d’hébergement* en aval – les prisonniers
libérés par la justice sont internés, après un non-lieu, un acquittement, une
condamnation avec sursis ou encore à l’issue de leurs peines. D’autres lieux
sans existence officielle sont restés dans les mémoires, telle la prison des
femmes de Tifelfel, aménagée à la hâte dans l’Aurès à l’été 1955 pour les
épouses des maquisards. Comme il n’en reste plus de trace matérielle, elles
seules peuvent en témoigner tant qu’elles sont encore en vie. Les hôpitaux,
enfin, notamment l’établissement psychiatrique de Blida, voient aussi passer
des détenus. Pour Marc André et Susan Slyomovics, « la prison se comprend
inévitablement dans un dispositif d’enfermement plus vaste ».
Réinvesties à l’indépendance et parfois encore utilisées, ces prisons n’ont
pas fait l’objet d’une patrimonialisation propre à en susciter l’étude. Les
recherches sont en cours. Même si leur envoi en métropole était privilégié,
l’incarcération des partisans de l’Algérie française, dont ceux de l’OAS*,
manque également dans l’historiographie des prisons algériennes.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Marc André et Susan Slyomovics (dir.), L’Année du Maghreb, no 20,
L’Inévitable prison, 2019 • Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les
magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.
PRISONS (FRANCE)
L’état de guerre n’étant pas juridiquement reconnu, a fortiori en France,
les prisons se remplissent d’ennemis prévenus ou condamnés, principalement
des nationalistes algériens, au point qu’on parle de « prisons algériennes » sur
le territoire métropolitain. En effet, alors que le nombre de détenus ne cessait
de diminuer depuis 1945, il est en forte hausse à partir de 1956 et atteint un
pic en 1961. Au cours de 1956, le nombre de « détenus nord-africains » (pour
reprendre la terminologie de l’époque) passe de 1 608 à 2 535. Puis il
augmente de façon spectaculaire dans certaines régions pénitentiaires : 91 %
à Paris, 144 % à Lyon*, 93 % à Marseille*, 295 % à Lille* en 1957. Près de
44 280 Algériens sont arrêtés durant la guerre, soit un dixième de ceux qui
résident alors en métropole. Fin 1958, les détenus algériens représentent
62,5 % des détenus à Fresnes et 35 % à la Santé, et ils forment la totalité de la
population pénale de Loos-les-Lille ou de Saint-Martin-de-Ré. En 1962, ils se
comptent en centaines : 373 à Loos-les-Lille, 491 à Saint-Paul à Lyon, 459
aux Grandes Baumettes et 115 aux Petites Baumettes à Marseille, 765 à
Fresnes. L’augmentation de la population carcérale s’explique par
l’augmentation de la population algérienne en France (environ
350 000 personnes en 1962), sa très forte politisation et l’approfondissement
de la répression en métropole (pouvoirs spéciaux* en juillet 1957, tribunaux
militaires à partir d’octobre 1958).
La surpopulation carcérale aggrave les conditions de détention. Malgré la
réouverture de prisons dont celles de Riom et de Trévoux, le surpeuplement
freine l’application des réformes carcérales promues dès 1945 et destinées à
humaniser les conditions de détention, notamment par un traitement
individualisé. Durant la guerre d’Algérie, le régime cellulaire est rarement
possible, du fait de contraintes architecturales (une quarantaine de prisons sur
130 sont constituées de dortoirs) et du manque de place. L’enfermement
individuel est réalisé dans moins d’un tiers des prisons. La surpopulation, en
outre, empêche les séparations habituelles entre catégories de détenus. Par
exemple, en juin 1959, la maison d’arrêt de Châlon-sur-Marne, d’une
capacité de 155 places, regroupe 31 métropolitains et 51 « Nord-Africains »
de droit commun mais aussi 242 détenus politiques. Enfin, les oppositions
peuvent rejouer en prison. Certes, l’administration tente de séparer les
ennemis. À Lyon, les détenus FLN* vont à Saint-Paul, ceux du MNA* à
Saint-Joseph. En 1962, la Santé regroupe 315 détenus OAS* et 8 FLN,
Fresnes 721 FLN pour 44 MNA. Les frictions sont réelles : à la maison
d’arrêt de Douai, une première séance de cinéma* collectif aboutit à une
bagarre entre détenus MNA et détenus FLN.
Les Algériens établissent un rapport de force avec l’administration
pénitentiaire. Le FLN organise des comités de soutien, à l’extérieur, et des
comités de détention, à l’intérieur, pour avancer des revendications. De
grandes grèves de la faim, lancées en 1959 pour l’obtention d’un régime
spécial, aboutissent à la circulaire Michelet* du 4 août : les prisonniers*
incarcérés pour des faits en relation avec la guerre d’Algérie deviennent des
détenus de « catégorie A » et leur ordinaire est amélioré (promenades
allongées, courrier plus fréquent, lecture de journaux, réception de colis de la
Croix-Rouge*, vie diurne en commun, scolarisation, etc.). Une fois le statut
obtenu, les détenus œuvrent pour son amélioration mais, après un nouveau
durcissement à la suite du départ d’Edmond Michelet, une nouvelle longue
grève de la faim en novembre 1961 leur permet d’obtenir un nouveau statut
(19 novembre 1961) et de nouveaux droits (transistors, etc.). Il reste très
difficile d’appliquer un règlement uniforme dans toutes les prisons : les
conditions de détention varient de l’une à l’autre. Elles varient également
selon le statut du prisonnier (les cadres du FLN bénéficient d’une
amélioration de leur régime, les condamnés à mort sont rassemblés dans des
quartiers distincts) et selon la trajectoire carcérale tant la prison est un espace
traversé : des suspects sont arrêtés et détenus en France sur mandat d’amener
de tribunaux d’Algérie, avant d’y être transférés et parfois internés dans des
camps ; dans l’autre sens, des condamnés à mort sont envoyés en métropole
pour désengorger les prisons de la colonie ; en France, les prévenus, une fois
condamnés, rejoignent des centrales situées loin de chez eux comme Saint-
Martin-de-Ré, Mauzac ou Thol.
Si les détenus algériens, hommes, ont été les plus nombreux, s’ils ont fait
le plus de bruit, la guerre d’Algérie a conduit bien d’autres personnes en
prison. Des femmes*, algériennes ou européennes, ont également été
emprisonnées, souvent discrètement même si elles ont parfois fait parler
d’elles, comme lors de grèves de la faim ou de l’évasion* de six d’entre elles
de la Petite Roquette (25 février 1961). En janvier 1962, 81 femmes sont
emprisonnées, notamment à Montluc*, Rennes, Caen, Pau. Leurs conditions
de détention sont aussi variables que celles des hommes : cellules
individuelles à Fontenay-le-Comte, cellules collectives à Rouen, dortoirs à
Pau par exemple. Toutes les prisons séparent cependant les « politiques » des
« droit commun ». Outre les partisans de l’indépendance, des objecteurs de
conscience ont été très sévèrement condamnés : en juin 1962, 160 sont encore
emprisonnés dont 139 depuis plus de deux ans. Quelques prisons en
concentrent un grand nombre : Aix-en-Provence où ils sont en 1962 plus de
50, Metz (20 % d’entre eux), Rennes, Lyon. Eux aussi ont des trajectoires
mouvementées et protestent, parfois en faisant la grève de la faim, non
seulement en solidarité avec les Algériens et pour obtenir le régime politique
mais aussi, plus spécifiquement, pour obtenir un statut des objecteurs de
conscience.
Les accords d’Évian* entraînent des libérations massives : le 18 mai
1962, il ne reste plus aucun des 5 000 détenus algériens de catégorie A en
prison. D’autres détenus pour « des faits en relation avec la guerre
d’Algérie », non amnistiés*, restent enfermés : objecteurs de conscience
concentrés sur Mauzac, soutiens du FLN jusqu’en 1963-1964 ou encore
activistes de l’OAS. Ces derniers sont encore 1 688 en prison au 1er janvier
1963 et 188 le 1er janvier 1966. Des détenus de toutes ces catégories ont
témoigné de leurs expériences dans de nombreuses autobiographies.
Marc ANDRÉ
Bibl. : Fanny Layani, « “Le ciel est bleu comme une chaîne.” L’incarcération
des militants de l’indépendance algérienne dans les prisons de France
métropolitaine. 1954-1962 », mémoire de Master 2 sous la dir. de
R. Branche, Paris-1, 2012 • —, « Fresnes, “prison algérienne” ? (1954-
1962) », L’Année du Maghreb, no 20, 2019 • —, « Ce que la guerre fait aux
prisons. L’impact de la guerre d’indépendance algérienne sur les prisons de
métropole », Criminocorpus, no 13, 2019, disponible en ligne.
PROPAGANDE
Les pratiques d’influence politique sont anciennes. Depuis l’Antiquité,
les différents acteurs politiques utilisent discours, iconographie et mise en
scène pour renforcer leur position ou affaiblir leurs adversaires. L’usage
moderne du terme « propagande » naît de la contre-réforme catholique avec
la création de la Sacra Congregatio de Propaganda Fide, chargée de contrer
l’influence de la Réforme et de diffuser le catholicisme* dans un contexte
d’expansion coloniale. Il faut attendre l’avènement des sociétés industrielles à
la fin du XIXe siècle et l’apparition de moyens de communication de masse
pour qu’il fasse l’objet d’une théorisation progressive, notamment après la
Seconde Guerre mondiale, de la part d’auteurs et praticiens comme Serge
Tchakhotine, Willi Münzenberg ou Edward Bernays. Le second conflit
mondial marque en ses contemporains le déploiement massif de la
propagande de guerre par les États belligérants, devenant ainsi un objet de
réflexion important pour les États occidentaux et leurs armées.
Il faut attendre le début de la guerre froide*, malgré la brève existence
d’un service dédié, pour que le régime républicain en France porte de l’intérêt
à la propagande, à la contre-propagande ou encore à la guerre psychologique,
et tente, sans grand succès, de se doter de moyens, d’institutions et d’une
doctrine ad hoc. La chose est d’autant plus complexe que le parti communiste
est un parti puissant jouant le jeu électoral et même républicain. Le
gouvernement républicain ne peut donc assumer explicitement une
propagande anticommuniste d’État. D’où l’appui discret à des officines
anticommunistes privées tels le groupe de Georges Albertini ou Paix et
Liberté du député Jean-Paul David, couvrant la France d’affiches
anticommunistes. La propagande gouvernementale, clandestine par nécessité,
porte le sceau de la clandestinité. Ainsi, en 1950, le SDECE* se dote d’un
service d’action psychologique*, dirigé par Antoine Bonnemaison, assurant
un important travail de documentation et d’analyse, tissant des liens avec les
élites politiques, économiques et intellectuelles françaises et européennes.
Seule l’armée, plus spécialement dans ses guerres coloniales, peut assumer
officiellement des services de propagande, prenant rapidement l’appellation
d’action psychologique, chargés de soutenir le moral, d’éclairer les cadres sur
les enjeux politiques et les méthodes à mettre en œuvre, de s’assurer du moral
des troupes et de stimuler la collaboration des autochtones.
En Algérie, comme en Indochine*, l’armée française fait face à un
adversaire utilisant la propagande. La propagande du FLN* est conditionnée
par la clandestinité et l’exil. Il produit, avec les faibles moyens dont il
dispose, des tracts, diffuse des slogans en les peignant sur les murs, fait courir
des rumeurs. Ces commissaires politiques doivent assurer l’éducation
politique des Algériens, rassemblant les villageois pour des discours et
assurant la motivation politique des maquisards. Il imprime, à partir de 1955,
d’abord en Algérie puis au Maroc* et en Tunisie*, El Moudjahid et
Résistance algérienne, qui sont ses organes officiels. Sa propagande est aussi
tournée vers l’opinion internationale. Il lui faut légitimer sa lutte, par le
discours et l’image, aux nations étrangères et montrer l’ALN* comme une
armée organisée et disciplinée à l’égale des armées conventionnelles. La
radiodiffusion* est un puissant relais politique pour les nationalistes algériens
qui peuvent compter sur des postes émetteurs puissants au Maroc, en
Égypte*, en Syrie mais aussi dans certains pays du bloc de l’Est. Ainsi la
station égyptienne La Voix des Arabes relaie efficacement, au grand dam des
autorités françaises, la propagande du FLN. En décembre 1956, avec La Voix
de l’Algérie libre et combattante, le FLN se dote de son propre canal émettant
principalement depuis des pays arabes, à qui les autorités françaises opposent
brouillages, émissions en langues arabe et kabyle et fausses radios
nationalistes. À la fin de la guerre, l’OAS* a également recours à des radios
pirates pour diffuser ses idées.
Tous les belligérants de la guerre d’Algérie utilisent la propagande, avec
des approches, des moyens et des buts différents. Toutes se développent,
adaptant leur contenu au public visé, sur trois axes : présenter l’adversaire
comme un agresseur face auquel la défense est légitime, justifier les moyens
de lutte utilisés par la finalité politique positive du combat et la promesse
d’un futur meilleur, influencer le comportement de la population en jouant
sur les registres de la promesse et de la menace, imposant aux auditeurs de
choisir entre « eux » et « nous ». En ce domaine, le mimétisme avec
l’adversaire joue à plein, la propagande française répond à la propagande
algérienne. Chaque camp justifiant sa propagande par l’antériorité de la
propagande de l’adversaire. Tous s’appuient sur la performativité relative de
la propagande qui, dans un contexte de menace permanent, influe sur les
comportements de la population civile, quitte à s’intoxiquer soi-même. Cette
auto-intoxication atteint son apogée lors de l’été 1958, quand les services
d’action psychologique s’illusionnent à la fois sur la volonté des Algériens
d’accéder à la pleine citoyenneté française et sur les intentions réelles du
général de Gaulle*. Son discours sur l’autodétermination* du 16 septembre
1959 et les émeutes de décembre 1960 sont autant de démentis cinglants à
leurs obsessions propagandistes.
Denis LEROUX
PROTESTANTISME
La grande préoccupation du protestantisme français durant la Guerre
d’indépendance algérienne est la question morale des tortures, des pratiques
policières et des exécutions sommaires*. La première condamnation de ces
violences est faite par la commission sociale de l’Église réformée de France
(ERF), en février 1955, puis par le Conseil régional de l’Église réformée
d’Algérie et le Conseil national de l’ERF, qui, en avril 1956, dénoncent
l’usage de la torture* par l’armée. Si l’aumônerie militaire protestante
désigne, à partir de 1956, des pasteurs parmi des officiers* de réserve
rappelés en Algérie, le Mouvement international de la réconciliation (MIR),
courant pacifiste du protestantisme, refuse toute compromission avec l’armée.
Les Églises réformées d’Algérie sont plus nuancées quant aux violences
militaires et soucieuses de ne pas porter atteinte au moral de l’armée qui
protège les Français d’Algérie. Le conseil de la Fédération protestante de
France (FPF) « adjure », le 12 mars 1957, en pleine bataille d’Alger*, « les
pouvoirs publics de mettre un terme aux agissements qui portent à la France
un préjudice incalculable tant auprès de ses propres enfants qu’auprès de
l’opinion mondiale et des populations locales ». Afin de répondre aux
angoisses des hommes du contingent, auxquels aucune réponse n’est
apportée, la FPF renouvelle ses protestations le 25 mars 1958, quelques jours
après le verdict du procès du pasteur Mathiot. Premier Français jugé en
métropole pour aide au FLN*, après avoir fait passer en Suisse* un de ses
dirigeants, il fait du prétoire une tribune contre la torture et pour le droit
d’asile. La charité est, en effet, une autre préoccupation du protestantisme
français. La Cimade*, organisation caritative des protestants, présente en
Algérie depuis 1958, répond à cette préoccupation en agissant auprès des
populations musulmanes dans les quartiers pauvres d’Alger et dans les
« centres de regroupement* ». L’action de Tania Metzel, aumônier des
prisons*, qui assiste les prisonniers* nationalistes détenus dans les centres
d’hébergement* en Algérie, soulève la colère des protestants d’Algérie avec
lesquels le dialogue est de plus en plus difficile. Les appels à la solidarité
avec les populations regroupées du pasteur Beaumont et de Mgr Feltin,
aumônier des armées, en mai 1959 et du pasteur Beaumont et de Jean
Rodhain, secrétaire général du Secours catholique, en janvier 1960, ne
calment pas les tensions. Président depuis 1929 de la FPF, le pasteur Marc
Boegner ne ménage pas sa peine et n’élude pas la question de l’avenir de
l’Algérie. Entre 1954 et 1959, le choix est celui d’une « coexistence dans la
justice », avec le maintien de la présence française en Algérie. L’arrivée au
pouvoir du général de Gaulle, le 13 mai 1958*, suscite le silence de l’ERF
qui est soucieuse de ne pas diviser ses rangs. Mais elle libère la parole des
protestants de la FPF qui veulent apporter une réponse chrétienne au
problème politique et réaffirment le droit à la justice et au respect de la
personne humaine. En janvier 1960, la FPF fait une déclaration de soutien au
général de Gaulle lors de la semaine des barricades*, et lors du synode
national de juin 1960, l’ERF regrette que le drame algérien menace « l’unité
du pays. » Ces deux déclarations suscitent la méfiance de la communauté
pied-noire*. L’assemblée générale du protestantisme français, qui se tient à
Montbéliard en octobre 1960, constitue une étape dans l’engagement d’une
partie du protestantisme français. Pour la première fois apparaît l’affirmation
d’une solution politique dans le triptyque « trêve, négociation*, médiation. »
Les questions de l’insoumission, qui n’est ni justifiée ni condamnée, du refus
légitime de la torture et de l’objection de conscience ne sont pas éludées. Au
contraire même, un soutien moral, matériel et juridique est fourni à ceux qui
font ce choix de l’insoumission et de l’objection. À partir de 1961, la FPF
demeure la seule parole du protestantisme français. M. Boegner, qui a
demandé, en décembre 1960, au général de Gaulle de mettre fin à la guerre et
aux tortures, est remplacé par Charles Westphal. Ce dernier intervient
fermement auprès du préfet Papon* après la répression policière des
manifestations du 17 octobre 1961* à Paris. Il s’oppose également à l’OAS*
et à la menace de guerre civile dans un message de vigilance du 12 janvier
1962 aux conseils presbytéraux et aux mouvements protestants. En 1961 et
1962, l’ERF se condamne au silence pour ne pas briser son unité, alors qu’en
Algérie les protestants se sentent mis en accusation. Après le cessez-le-feu, le
sort des rapatriés* et des harkis* monopolise la parole des autorités
protestantes.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Pierre Bolle, « Le protestantisme français et la guerre d’Algérie », Les
Cahiers de l’IHTP, no 9, La guerre d’Algérie et les chrétiens, 1988 • Denis
Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de
gauche en France de 1945 à nos jours, Seuil, 2012.
QASSAMAN
Qassaman est le titre de l’hymne national de l’Algérie, consacré
officiellement par l’Assemblée constituante le 28 août 1963.
Si l’écriture de ce poème revient au poète Moufdi Zakaria – de son vrai
nom Zekri Chikh –, elle ne doit rien au hasard. Moufdi Zakaria est l’auteur
du poème Fidaou el Djazaïr (Le Sacrifice de l’Algérie) (1937), hymne du
PPA*. Quand le FLN* déclenche la guerre de libération nationale le
1er novembre 1954*, il était inconcevable de continuer à chanter Fidaou el
Djazaïr, en raison de l’évocation du nom de Messali Hadj* dans un des vers.
Les nationalistes disposent de deux autres titres : Châ’bou el Djazaïr (Peuple
algérien), poème écrit par Abdelhamid Ben Badis, le père du réformisme
musulman, et Min Djibalina (De nos djebels [montagnes]), texte adapté par
le poète Mohamed Laïd Al-Khalifa. Sans être contestés comme Fidaou el
Djazaïr, ces deux derniers restent liés le premier aux ulémas, le second aux
partisans de Ferhat Abbas*. Pour de nombreux militants du FLN, dont
Hocine Belmili, la nécessité de doter le nouveau mouvement d’un chant plus
approprié, sacralisant le combat pour l’indépendance, s’imposait. Il s’en
ouvrit à Abane* Ramdane.
Aussitôt, Ben Khedda* Benyoucef et Lakhdar Rebbah sont chargés de
trouver la personne idoine en mesure d’écrire un poème au contenu
patriotique et correspondant à ses attentes. La prise de contact avec Moufdi
Zakaria – qui coïncide avec le boycott* des commerces tenus par les
Mozabites – tourne à l’échec. Ce n’est qu’après la diffusion d’un tract
condamnant « ceux qui sèment la zizanie dans les rangs des Algériens » que
Moufdi Zakaria accepte d’écrire un poème à la gloire du combat des
Algériens et du FLN en faveur de l’indépendance dont le premier
enregistrement ne donne pas satisfaction. Si l’enregistrement est perdu, cette
première version a circulé dans la prison* de Barberousse et a donc été
sauvée de l’oubli grâce à Meriem Zerdani, détenue qui l’avait apprise et
retenue.
La seconde version réalisée à Tunis, grâce à l’aide de l’avocat Chadly
Ammar Dakhlaoui et le maestro Mohamed Triki, connut le même sort que la
précédente. Finalement, les responsables du FLN au Caire confient la mission
à Mohamed Fawzi qui s’en acquitte au bout de cinq mois. C’est cette version
qui reçoit l’agrément de la direction des émissions du Maghreb arabe et des
responsables algériens. Mohamed Fawzi est décoré de la médaille du mérite
national en décembre 2017.
À l’indépendance, le maestro Haroun Rachid introduit des instruments de
percussion dans la version du Caire. Mais, sous la présidence de Chadli
Bendjedid, il fut question d’amputer l’hymne national des deux vers
suivants : « Ô France, le temps des palabres est révolu/Nous l’avons clos
comme on ferme un livre. » En réponse au refus des députés d’introduire le
moindre changement, la loi du 4 mars 1986 confirme le maintien des cinq
strophes initiales de l’hymne.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Lamine Bechichi et Abderrahmane Benhamida, Historique de
l’épopée du chant de Qassaman, Alger, Alpha, 2009.
R
RACISME COLONIAL
ET POSTCOLONIAL
Contrairement à des idées reçues souvent rencontrées, le racisme
spécifique visant la communauté nord-africaine (c’était l’expression la plus
courante jusqu’aux années 1960-1970) n’a pas été un fruit pourri de la guerre
d’Algérie. Plus généralement, le racisme anti-arabe et l’islamophobie (mêlés
dans l’esprit de ses partisans) sont très anciens en dépit, tout au long de la
période précoloniale, d’un vif intérêt, dans les milieux érudits, pour le Coran
et la civilisation musulmane ainsi que d’échanges et de relations entre
sociétés arabo-musulmanes et européennes.
Pour Maxime Rodinson, « longtemps, pour l’Occident chrétien, les
musulmans furent un danger, avant de devenir un problème ». On pourrait
ajouter : « … puis de redevenir un danger. » Certains éléments constitutifs de
la culture historique des Français sont intimement liés à des affrontements
avec le monde arabo-musulman (Poitiers et son preux chevalier franc Charles
qui « martela » les envahisseurs… Roncevaux, où pas un « Sarrasin »,
pourtant, n’apparut… les Croisades, au nom du « vrai » Dieu…). Les
événements de la conquête, puis de la « pacification* » de l’Algérie, ne vont
évidemment pas amoindrir cette hostilité. Et, depuis 1830, l’affrontement,
même à armes inégales, n’a jamais vraiment cessé. Toutes les générations*
de Français, avant 1954, ont reçu des échos d’affrontements avec le monde
arabo-musulman. D’où cette image solidement ancrée dans l’imaginaire
collectif : « ces gens-là » sont à craindre. À la veille du conflit algérien,
l’heureux possesseur du Nouveau Larousse universel, édition 1953, pouvait
lire, à la définition du mot « Arabe », cette formule, parmi d’autres : « … race
batailleuse, superstitieuse et pillarde… ». En janvier 1951, on pose aux
Français la question : quel est, parmi les peuples voisins, celui pour lequel
« vous avez personnellement le plus de sympathie » ? Suivait un choix
portant sur dix peuples. Les « Nord-Africains » se classent… avant-derniers,
précédés dans ce palmarès de l’impopularité par les seuls Allemands – le
temps n’avait pas encore effacé les douleurs de l’occupation. Seuls 2 %
trouvaient les « Nord-Africains » les plus sympathiques : toutes les
générations ont leurs originaux (Cahier de l’INED, no 19, 1953).
La presse* dite populaire se faisait le véhicule – parfois la source – de
cette image. Les faits divers où étaient impliqués ces Nord-Africains faisaient
la une de cette presse, en particulier s’il y avait crimes et agressions
sexuelles. Il y avait bel et bien, des années avant l’explosion nationaliste, un
sentiment (spontané ?) d’hostilité aux Arabes, aux musulmans, un
« syndrome nord-africain ». Ce fut le titre d’un des premiers écrits de Frantz
Fanon* (Esprit, février 1952), qui le définissait ainsi : « Dans le cas
particulier du Nord-Africain émigré en France, une théorie de l’inhumanité
risque de trouver ses lois et ses corollaires. » Pour conclure : « Cela veut dire
que sur tout le territoire de la nation française (métropole et Union française),
il y a des pleurs à sécher, des attitudes inhumaines à combattre, des “mon
z’ami” à rendre inadmissibles, des hommes à humaniser. » Voilà où en
étaient les relations humaines entre « Français de souche » et « Arabes »
après plus d’un siècle de colonisation. Constatation qui, au passage, était déjà
en soi une condamnation de la « situation coloniale » (Georges Balandier).
La guerre d’Algérie n’a pas surgi comme un coup de tonnerre dans un
ciel serein. Les affrontements, de 1954 à 1962, accentuèrent le phénomène.
Affrontements en Algérie même : durant ces huit années, 2 millions de
Français, dont une majorité d’appelés, de « petits gars de France », ont
combattu et souffert dans les djebels, des dizaines de milliers y ont été
blessés ou y ont perdu la vie. Autant de familles qui, de l’autre côté de la
Méditerranée, s’inquiétaient ou connaissaient des drames… et qui en
rendaient responsables d’abord ces « fellaghas » dénoncés à longueur de
temps par la majorité des hommes politiques et des journalistes. Il aurait fallu
à ces « Français moyens » une capacité exceptionnelle d’analyse pour
dépasser ce premier degré. Certains en firent preuve. Ils furent minoritaires.
On sait, par le témoignage* des militants anti-guerre qui tentaient de
combattre en même temps le racisme, que la portée des explications était
limitée. Le fils, le frère, le fiancé au combat, en danger, à chaque minute,
comptaient plus que la légitimité de la lutte pour l’indépendance.
Mais aussi affrontements en France même. Bien plus que tous les conflits
coloniaux qui avaient précédé, la guerre d’Algérie marqua la société
métropolitaine. Il y eut bientôt des « cafés arabes », lieux inquiétants où ne
pénétraient jamais les Européens, puis progressivement des « quartiers
arabes », tel ce Barbès-Goutte-d’Or, forteresse ou ghetto, selon l’angle
d’observation. Pour beaucoup, ces centaines de milliers d’Algériens sur
« notre sol » étaient des alliés, potentiels ou réels, de ce FLN* qui « nous »
faisait la guerre. La décision de la Fédération de France*, en août 1958, de
perpétrer des attentats sur le sol de la métropole, obéit certes à une logique
interne à ce mouvement, mais eut des effets collatéraux catastrophiques. Une
presse quasi unanime amplifia le climat de panique. Désormais, bien des
Français considéraient le « Nord-Africain » croisé dans la rue, dans le métro,
voire dans le lieu de travail, comme un individu louche, dangereux. La classe
ouvrière, présentée par une certaine gauche comme internationaliste, n’était
nullement épargnée. En 1959, Jacques Gautrat, dit Guy Mothé, animateur par
ailleurs de la revue* Socialisme ou Barbarie, publie un récit de vie, deux
années passées au cœur de ce Renault-Billancourt, objet de toutes les
attentions. L’image des relations entre ouvriers français et algériens y est
plutôt désespérante : les contacts, hors des lieux de travail, sont inexistants.
Facteur aggravant, les soldats revenus d’Algérie, réintégrés dans l’usine après
leur temps d’armée, ne réfléchissent guère à leur expérience et sont parfois
plus racistes qu’avant leur départ. Partout, le vocabulaire raciste fleurit.
« Sauf chez quelques militants communistes, la solidarité prolétarienne entre
les rappelés et les Nord-Africains ne s’est pour ainsi dire jamais manifestée »
(Journal d’un ouvrier, 1959). Un an plus tard, la sociologue Andrée Michel
publie un article dans la revue La Pensée (janvier 1960). Les relations entre
travailleurs français et algériens étaient qualifiées de « précaires » : « Ni les
uns ni les autres ne semblent “intégrés “au même groupe prolétarien. La
guerre n’a pu que creuser un peu plus le fossé. »
Les appels généreux à la solidarité ne rencontraient que peu d’échos. Les
manifestations* connaissant le plus de succès s’opposaient à la guerre :
manifestations contre le rappel en 1955-1956, celle des étudiants* en 1960.
Contre l’OAS*, après celle du 9 décembre 1961, les plus massives et les plus
connues sont celles de février 1962 (Charonne*, puis enterrement des
victimes de la répression) : avec le temps, les victimes françaises effacèrent
les morts algériens, infiniment plus nombreux, d’octobre 1961.
Le racisme anti-arabe n’est donc pas né de la guerre d’Algérie. Mais il y a
trouvé un nouveau souffle, il est devenu une « gangrène », selon l’expression
bien connue de Benjamin Stora*. Il a été ensuite le terreau d’une dégradation
malsaine des relations humaines entre « Eux » et « Nous », pourtant tous
Français…
Alain RUSCIO
Bibl. : Tahar Ben Jelloun, Hospitalité française. Racisme et immigration
maghrébine, Seuil, 1997 • Andrée Michel, Les Travailleurs algériens en
France, Travaux du Centre d’études sociologiques (CNRS), 1956 • Benjamin
Stora, Le Transfert d’une mémoire. De l’Algérie française au racisme anti-
arabe, La Découverte, 1999.
RADIOS DU FLN
Le mouvement national dans le Maghreb a été un catalyseur politique,
mais surtout social et culturel. Il a favorisé le développement de l’intérêt des
Algériens pour le cinéma*, le théâtre*, la presse*, etc. Dans ce contexte, la
radio a été un des vecteurs de cette sociabilisation politique et culturelle dès
son introduction en Algérie en 1925 et surtout après 1943 avec le début
d’émissions diffusées en langue arabe.
Créée en juillet 1953, la radio cairote Sawt al-Arab (La Voix des Arabes)
s’engage à mener « […] la bataille contre les impérialistes et travailler à la
constitution de la Nation arabe ». Quelques mois après sa constitution, elle
apporte son soutien à la cause anticoloniale algérienne. En septembre 1953, la
radio diffuse l’hymne révolutionnaire algérien Min Djibalina : « De nos
montagnes s’élève la voix des hommes libres, et nous engage à libérer le
pays ! »
Au 1er novembre 1954*, le FLN* inscrit son combat pour l’indépendance
de l’Algérie dans un cadre international. Aussi, son premier appel est-il
diffusé naturellement à la radio au Caire, Sawt al-Arab.
À cet effet, la presse française relève rapidement l’usage politique et de
propagande* de la voix des ondes. Ainsi, le 4 novembre 1954, Serge
Bromberger, l’envoyé spécial du Figaro*, évoque déjà l’importance de ce
média pour le FLN : « Ben Bella*, un agitateur, qui depuis longtemps a été
signalé au Caire et en Tripolitaine, semble […] jouer un rôle de premier plan
[dans la Toussaint rouge]. […] Il a amené du Caire plus que la bénédiction de
la Ligue arabe*, car les insurgés disposent de postes, de radios et de
camions. »
Durant les premières années de la guerre, d’autres émissions
radiophoniques égyptiennes fleurissent : Le Bulletin de l’Algérie, Le FLN
vous parle du Caire, La Voix de l’Algérie libre (en français) et La Voix de la
République algérienne.
Le soutien par les ondes à la révolution algérienne est apporté aussi
d’autres stations émettant à partir des principales capitales arabes du Proche-
Orient (Amman, Baghdad, Damas). Dans les pays du Maghreb, Benghazi,
Tétouan (Les Causeries du Front de libération nationale), Tanger (Radio-
Africa-Maghreb) participent à faire connaître la lutte des Algériens. Après
mars 1956, Rabat diffuse Sawtu Al Jazâ’ir al moukâfiha (La Voix de
l’Algérie libre et combattante) et Tunis La Voix de l’Algérie arabe sœur.
Dans ce cadre, des speakers algériens sont mobilisés et participent à
l’animation de ces émissions. À la fin de l’année 1956, Abdelhafid
Boussouf*, chef de la Wilaya 5*, choisit d’émettre à partir de la région du
Nador (Maroc*) La Voix de l’Algérie libre et combattante. Pour éviter les
brouillages opérés par les services français, la radio est itinérante avec
démontage de l’émetteur.
La constitution de la première radio-FLN suscite l’intérêt des Algériens et
participe à la consolidation de son combat au sein de la population. Cet
intérêt est mis en exergue par Frantz Fanon* qui écrit, dans son ouvrage
L’An V de la révolution algérienne (Maspero, 1959) : « En moins de
vingt jours tous les stocks de postes de radio sont enlevés. Dans les souks, le
commerce des postes usagés fait son apparition… En quelques semaines
plusieurs milliers de postes sont vendus aux Algériens ». Fanon résume ainsi
l’importance de ce média si prisé par les Algériens et son utilisation en arme
de lutte politique : « Avoir un poste de TSF, c’est solennellement entrer en
guerre ». À titre d’illustration de cette réalité, le nom de guerre Sawt al-Arab
a été associé au colonel Salah Boubnider*, chef de la Wilaya 2* (Nord-
Constantinois), grand admirateur de la radio cairote.
Par ailleurs, dans les pays communistes, les ondes des radios de Prague,
Berlin, Erevan, Tirana, Pékin, apportent leur soutien à la cause algérienne.
Cet appui commence dès août 1954 avec l’installation à Budapest d’un
puissant émetteur en langue arabe. Toutefois, selon Charles-Robert Ageron*
(2005), l’audience de La Voix de l’indépendance et de la paix et de Radio
Budapest (Kominform) créée le 1er juillet de la même année est faible en
Algérie et au Maghreb ; la radio cesse d’émettre le 26 octobre 1955. Son
remplacement par des sections arabes des diverses radios soviétiques n’était
pas non plus concluant. Cependant, sur les plans symbolique et politique, la
prise en charge par ces radios de la question algérienne est perçue par le FLN
comme une victoire sur le colonialisme français, tout comme l’appui de La
Voix de l’Amérique, fortement apprécié.
Cependant, dans l’esprit des auditeurs, les radios émettaient à partir des
maquis, amplifiant l’aura de la révolution algérienne.
Sur le plan des idées, les sujets développés par la radio du FLN
s’articulent autour de plusieurs thématiques dont la souveraineté nationale, la
civilisation arabe, le recouvrement de l’indépendance, le rejet de l’intégration
ou le fédéralisme avec la France ; le combat légitime des Algériens, la
barbarie de la France coloniale, l’appartenance à la Nation arabe, l’anti-
impérialisme (Charles Robert-Ageron, 2005).
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Charles-Robert Ageron (dir.), « Un aspect de la guerre d’Algérie : la
propagande radiophonique du FLN et des États arabes », Genèse de l’Algérie
algérienne, t. II, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2005 • Frantz Fanon,
L’an V de la révolution algérienne, Maspero, 1959 • Gilbert Meynier,
Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.
RADIOS FRANCOPHONES
À l’heure où la radio reste le seul média à pouvoir faire vivre l’événement
en direct aux populations de métropole et d’Algérie, la langue se fait
instrument de combat pour des belligérants. Radios et émissions pensent alors
leurs programmes en français, en arabe ou en kabyle. En métropole, comme
en Algérie, les populations s’équipent en postes récepteurs (500 000 en
Algérie en 1960) et découvrent de nouvelles pratiques d’écoute, plus
individuelles et plus mobiles, grâce à l’apparition des premiers postes à
transistor. Ces nouvelles pratiques expliquent en partie le rôle décisif joué par
la radio lors du 13 mai 1958* et de la tentative de putsch* d’avril 1961.
Au cœur de cette bataille : Radio Alger, dont Antoine Sabbagh a décrit la
mobilisation. De 1956 à 1958, les officiers* tentent de la transformer en
véritable outil de propagande*, avec l’émission La Voix du bled, pensée et
prise en charge par le bureau d’action psychologique. Au-delà, les
programmes de Radio Alger manient, volontairement ou non, l’exagération,
les fausses informations, les partis pris et les interprétations fallacieuses :
choix du vocabulaire, toilettage des dépêches d’agence, diabolisation de
l’adversaire, traitement des attentats comme des faits divers, valorisation de
la mission civilisatrice française. Radio Alger se trouve pleinement engagée
dans la guerre même si les militaires aimeraient pouvoir donner aux
programmes de la station un ton plus révolutionnaire.
En mai 1958, Radio Alger est transformée, pendant trois semaines, en
radio insurrectionnelle aux mains du Comité de salut public de la ville.
Durant les premiers jours, le ton martial des émissions soutient la formation
des comités de salut public ailleurs en Algérie. L’arrivée à Alger de Lucien
Neuwirth et Jacques Soustelle*, à partir du 17 mai, favorise la mise en place
d’une propagande efficace au service de De Gaulle* et le déploiement d’une
rhétorique moins révolutionnaire, faisant la part belle à la « fraternisation »
des populations. L’inquiétude est telle à Paris que Pierre Pflimlin* ordonne
pendant quelques jours, à partir du 25 mai, le brouillage de la station reçue en
ondes moyennes en Corse et dans le Midi, et plus au Nord encore en ondes
courtes. Censurée sur les chaînes de l’ORTF*, Radio Alger est parfois
relayée par Europe no 1 et RTL, reprise par des journalistes de la presse*
écrite, à l’heure où les dépêches en provenance d’Alger sont interdites. À
partir de 1959, Radio Alger est reprise en main par Paris et ses émissions
accompagnent, non sans tensions, le choix de l’autodétermination. Elle suit
ainsi la RTF, soumise au contrôle tatillon de Paris, qui produit des émissions
en français, arabe et kabyle. En 1961, toutefois, elle passe très précocement
sous le contrôle des putschistes incitant les soldats à la rébellion. Les
autorités ripostent alors également par la radio. Michel Debré*, puis le
général de Gaulle, intervient sur les ondes pour délégitimer l’initiative des
généraux et appeler l’armée à respecter l’ordre républicain. Fondé en 1943,
Radio Monte Carlo assure les rediffusions nocturnes de l’intervention de De
Gaulle du 23 avril 1961, au rythme d’une par heure, jusqu’en Afrique du
Nord. La RTF, radio publique d’État, sert en outre une campagne de
communication organisant une véritable psychose autour du risque de coup
d’État.
François ROBINET
Bibl. : Charles-Robert Ageron (dir.), « Un aspect de la guerre d’Algérie : la
propagande radiophonique du FLN et des États arabes », in Genèse de
l’Algérie algérienne, t. II, Saint-Denis, Bouchène, 2005 • Michèle de
Bussierre, Cécile Méadel et Caroline Ulmann-Mauriat (dir.), Radios et
télévision au temps des « événements d’Algérie » (1954-1962), L’Harmattan,
1999 • Frantz Fanon, « Ici la voix de l’Algérie », in L’An V de la Révolution
algérienne, Maspero, 1959.
RAPATRIEMENT
On estime à 679 000 le nombre de Français d’Algérie qui ont gagné la
métropole durant l’année 1962. Si le terme « rapatriement » désigne
habituellement ce mouvement, il est impropre car il s’agissait la plupart du
temps de personnes nées en Algérie, qui ne revenaient pas ainsi sur leur sol
natal. Ces Français d’Algérie étaient « accompagnés » par 16 000 Algériens,
dont environ 12 000 soldats supplétifs* de l’armée française et leurs familles.
En l’espace d’une année, l’Algérie nouvellement indépendante avait perdu
85 % de sa population française. Un mouvement de panique généralisée avait
gagné les Français qui, au lendemain des accords d’Évian*, cherchaient à fuir
un pays où les violences redoublaient. Ports et aéroports furent pris d’assaut,
des ponts aériens furent organisés et les voyages se déroulèrent dans des
conditions sanitaires souvent déplorables. Entre le 25 mai et le 18 juin 1962,
325 avions furent exceptionnellement affrétés ; d’autres appareils encore
furent envoyés pour évacuer environ 900 personnes de confession juive,
résidantes du Mzab et naturalisées françaises en juillet 1961. Les rotations de
navires surchargés s’accélérèrent entre l’Algérie et la France ; certains
Français partirent même sur des bateaux de pêche. Il n’y eut plus assez de
containers pour organiser les déménagements. L’accueil en France
métropolitaine fut aussi difficile. Les opérations de douane et l’ouverture des
dossiers administratifs conférant le statut juridique de rapatrié* étaient alors
particulièrement longues et éprouvantes. Le gouvernement de Michel Debré*
ayant mal anticipé la réception de cette immigration massive, les personnes
furent temporairement logées dans des conditions difficiles, où le
surpeuplement et la nécessité de « repartir de zéro » allaient de pair avec
l’apprentissage d’une nouvelle vie. Les mémoires des rapatriés, non encore
devenues « la mémoire pied-noire* », en furent durablement marquées.
Cette situation chaotique fut l’aboutissement d’une guerre longue de huit
années durant lesquelles la violence avait touché toutes les populations
civiles, et dont les Français d’Algérie craignaient qu’elle ne se retourne
désormais contre eux seuls. L’incertitude générée par une passation confuse
des pouvoirs entre l’Algérie et la France durant le printemps 1962, les
assassinats ciblés de l’OAS* (environ 2 200 morts et 5 000 blessés) et les
enlèvements de personnes par le FLN* (on évalue à 3 393 les Français
d’Algérie enlevés et disparus pendant la guerre, dont 3 018 durant le
printemps 1962) empêchèrent le retour à une situation d’apaisement et à une
reprise des contacts entre les groupes ethniques et religieux, séparés par une
fin de conflit délétère. Les rumeurs relevées par les autorités françaises
circulant à Alger évoquaient d’ailleurs « une prochaine Saint-Barthélemy »
contre les chrétiens et les juifs*.
Enfin, le départ en métropole signifiait aussi l’abandon définitif de
l’Algérie : un décret d’application de la loi algérienne pourtant sur les biens
vacants, pris le 7 octobre 1962, déclarait propriété de l’État les biens dont les
propriétaires avaient été absents pendant plus de deux mois. De ce fait, les
Français d’Algérie ne purent se réinstaller, ni même liquider leurs propriétés.
Une loi algérienne du 22 octobre 1962 interdisait désormais les transactions
immobilières des Français partant en France. Aussi, le départ de l’Algérie ne
fut pas temporaire, mais irrévocable. En 1995, le nombre des rapatriés
d’Algérie s’élevait à 969 257 personnes.
La migration des Français d’Algérie ne s’est toutefois pas déroulée durant
la seule année 1962. En effet, dès 1957, le ministère de l’Intérieur français
diligentait des enquêtes préfectorales afin d’illustrer ce qui était perçu comme
une « infiltration continue » en métropole par l’achat, d’abord de terres puis
de logements*. De même, les ménages qui en avaient les moyens adoptèrent
des stratégies de repli, souvent pour une partie de leurs familles, en envoyant
notamment les enfants étudier en métropole. Ainsi, au 1er juin 1960,
1 024 000 Français d’Algérie étaient dénombrés ; une année et demie plus
tard, le 31 décembre 1961, 164 000 d’entre eux avaient déjà rejoint la France
métropolitaine.
Le départ d’Algérie ne confère cependant pas automatiquement le statut
juridique de rapatrié. Ce dernier fut donné aux seules personnes de
nationalité* française et arrivées en métropole après le 31 juillet 1961. Il
consistait alors en l’octroi d’aides substantielles aidant à la réinstallation.
Yann SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Yann Scioldo-Zürcher, Devenir métropolitain. Politique d’intégration
et parcours de rapatriés d’Algérie en métropole (1954-2005), Éditions de
l’EHESS, 2010 • Sung-Eun Choi, Decolonization and the French of Algeria.
Bringing the Settler Colony Home, New York, Palgrave Macmillan, 2016.
RAPATRIÉS (POLITIQUES PUBLIQUES)
La mémoire de la politique publique de réinsertion, créée par la France à
l’attention des rapatriés coloniaux, n’a pas été portée par les activistes
« pieds-noirs* », ni même par les gouvernements successifs de la Ve
République*. Sans doute parce qu’elle atténue les discours victimaires
associatifs et reconnaît, de facto, l’échec du maintien de la présence française.
Cependant, une politique inédite d’intégration des Français d’Algérie fut
menée. Elle organisa, durant la décennie 1960, l’insertion professionnelle et
sociale de ceux qui pouvaient prétendre au statut juridique de rapatrié (sous
réserve notamment de détenir la nationalité* française, ou « d’avoir combattu
pour la France », et s’installer en métropole après le 31 juillet 1961).
La loi du 26 décembre 1961, « relative à l’accueil et à la réinstallation des
Français d’outre-mer », ouvrait les bénéfices de la solidarité nationale à la
majorité des Français originaires des territoires anciennement coloniaux. Un
ministère des Rapatriés (créé en août 1961) organisait ainsi, le recouvrement
des situations professionnelles perdues, et pour les inactifs, dont les rapatriés
âgés, distribuait des aides sociales exceptionnelles. Il s’agissait là d’une
politique de régulation, qui en encadrant le déroulement d’une migration
contrainte, visait à détourner de l’OAS* une population économiquement et
moralement fragilisée.
Le dispositif administratif consistait à ce que tous les chefs de ménage
rapatriés soient répertoriés, suivis dans leurs trajectoires géographiques après
leur débarquement en métropole, et soutenus par des aides financières
conséquentes, variant en fonction de leurs situations professionnelles
d’origine. L’administration recensait et organisait la réaffectation en
métropole de tous les fonctionnaires, maintenait le versement de leurs
salaires, quel que fût leur corps d’origine, et priorisait le réemploi des non-
titulaires. Pour les rapatriés exerçant une profession indépendante, l’État
garantissait, pendant un an, le versement d’une allocation mensuelle dite « de
subsistance », équivalente au salaire minimum interprofessionnel garanti
(SMIG). Il s’agissait de leur « laisser le temps » de trouver les locaux
nécessaires à leur réinstallation, et de présenter à la préfecture de leur lieu de
résidence un dossier d’obtention de subventions et de crédits aidés, pour en
faciliter l’acquisition, reconstituer les stocks, sinon acquérir les outillages et
les matériaux de production perdus. La question du logement* fut aussi
centrale. L’État proposait un accueil temporaire dans des locaux collectifs,
souvent inconfortables, mais qui évitaient cependant une installation dans les
bidonvilles qui ceinturaient la plupart des villes. Dans le même temps, il
menait une active politique de construction et imposait aux organismes
publics de logement, selon des quotas régionaux, leur location aux ménages
rapatriés. Enfin, l’État mettait en place des aides spéciales pour organiser le
rachat de biens immobiliers pour les anciens propriétaires et rentiers. La
réorganisation du recouvrement des situations sociales et professionnelles
perdues ne fut cependant pas accompagnée par une politique de promotion
sociale. Elle favorisa l’installation des professionnels qui étaient les plus
aisés, sans anticiper que les petits commerces et ateliers étaient voués à
disparaître dans le tissu économique métropolitain.
On dénombre ainsi plus de 800 lois et décrets qui, dans le sillage de la loi
du 26 décembre 1961, organisaient pour chaque corps professionnel, ou
situation particulière qui n’avait pas été anticipée par le législateur,
l’intégration en métropole des rapatriés, au prix d’un déficit budgétaire des
comptes publics.
Cette première politique fut suivie, dès l’élection de Georges Pompidou à
la présidence de la République en 1970, par la mise en place de plusieurs lois
d’indemnisation des biens perdus. Renouvelées à chaque changement de
majorité politique, elles imposèrent l’idée que la politique publique de
rapatriement* consistait en un dédommagement. Il fallut attendre le milieu
des années 1990 pour que l’État crée des aides spécifiques pour ceux qui
n’avaient été, du temps colonial, ni actifs, ni propriétaires, et dont les
situations sociales restaient toujours précaires ; en premier lieu les ménages
des anciens soldats supplétifs* de l’armée française, peu considérés
jusqu’alors par ces dispositifs, pensés et votés pour les « pieds-noirs ».
YANN SCIOLDO-ZÜRCHER LEVI
Bibl. : Yann Scioldo-Zürcher, Devenir métropolitain. Politique d’intégration
et parcours de rapatriés d’Algérie en métropole (1954-2005), Éditions de
l’EHESS, 2010 • —, « L’indemnisation des biens perdus des rapatriés
d’Algérie : politique de retour ou innovation post-coloniale ? », Revue
européenne des migrations internationales, vol. 29, no 3, 2013.
RATONNADES
Après le 17 octobre 1961*, Marcel et Paulette Péju, ce couple d’anciens
résistants engagés dans l’anticolonialisme, publient Ratonnades à Paris. Ni
eux ni François Maspero*, leur éditeur*, ne justifient ce titre. L’usage du
terme est alors courant. Selon le Trésor de la langue française, « raton » (nom
d’un petit rat) est devenu un terme raciste dans l’entre-deux-guerres.
« Ratonnades » semble s’être répandu dans le contexte de la Guerre
d’indépendance pour désigner des violences propres au contexte colonial
algérien.
En l’absence d’étude globale du phénomène, l’historiographie et la
presse* de l’époque en livrent des exemples. Ceux-ci suggèrent qu’en
Algérie, les enterrements de Français victimes des indépendantistes en
constituent des moments privilégiés. Ainsi, lors des obsèques d’Européens
tués pendant l’insurrection du 20 août 1955* à Philippeville, Le Monde*
rapporte que des Algériens (deux ?) ont été tués sur le passage du cortège
funèbre. À Alger, les plus connues ont été commises le 29 décembre 1956,
sur le trajet conduisant au cimetière de la dépouille d’Amédée Froger*, haute
figure de l’Algérie française, tué lors d’un attentat. Le journaliste du Monde
relate par exemple qu’en fin de journée « les manifestants » prennent d’assaut
camions et camionnettes de marchandises, en font descendre « conducteurs et
convoyeurs musulmans », les battent à coups de « démonte-pneus, de
manivelles et de bâtons », répandent les chargements sur la chaussée
« bientôt jonchée de légumes, de cageots, de bouteilles de lait, de
paille, etc. ». Ils hurlent, saccagent vitrines et véhicules sur leur passage, s’en
prennent aux « ouvriers musulmans » descendant « des tramways, des
trolleybus et des autocars » pour rentrer chez eux après leur journée de
travail. Les six morts recensés à l’époque sont tous tués par arme à feu. La
foule conspue en outre les responsables parisiens et algérois, en appelle à
l’armée : « Guy Mollet* au poteau », « Lacoste* au poteau », « Armée au
pouvoir ».
Avec les ratonnades apparaît la société coloniale algérienne en guerre, en
tant que colonie de peuplement. Les ratonnades manifestent en effet chez les
Français d’Algérie, minoritaires en nombre, la conscience aiguë de la menace
pesant sur leur suprématie, à l’heure où la majorité algérienne cherche à sortir
de la sujétion. « Pour un Français, dix Arabes » retentit aux obsèques de
Froger. Spatialement, les ratonnades témoignent d’une expérience de la
résidence et de la circulation dans la ville obéissant à des normes séparant les
uns et les autres, en vertu d’une ségrégation subtile mêlant critère « social »
et « racial », selon le géographe Jean Pelletier qui a minutieusement analysé
les fiches du recensement à Alger en 1955. « Les quartiers musulmans de la
ville ont été cloisonnés par l’armée et isolés ainsi des secteurs européens »,
écrit aussi le commissaire Builles, chargé du service d’ordre aux obsèques de
Froger. Il veut éviter, dit-il de façon euphémisée, « les heurts entre les deux
grands éléments ethniques de la population ».
Dans Commissaire de police en Algérie (Riveneuve, 2011), Roger Le
Doussal confirme qu’il était « perpétuellement en éveil » au sujet des
enterrements : « Si les Européens étaient devenus trop nerveux, il avait été
prévu, pour les tenir en mains, d’augmenter le nombre de leurs jours de
service dans les UT » – c’est-à-dire les unités territoriales*. Ainsi les hommes
étaient-ils retenus au sein de ces unités composées de civils armés. Sur la
longue durée, et plus encore sachant qu’elles s’accompagnent d’une
contestation de l’autorité légitime, les ratonnades interrogent les racines
coloniales des violences de l’OAS*. Celle-ci n’a pas été qu’une organisation
d’extrême droite où se retrouvaient des militants d’extrême droite de diverses
obédiences (royalistes, poujadistes*, intégristes catholiques). En Algérie, les
Français l’ont massivement soutenue, quand ils ne s’y sont pas engagés.
L’ex-commissaire Le Doussal dit également avoir assisté au glissement
de la pratique des Français d’Algérie vers les troupes envoyées sur place
comme le 19 août 1956 à Bône, après un attentat visant une patrouille, faisant
2 morts et 1 blessé européens. Les violences prenant les Algériens pour cibles
au hasard font quant à elles 23 morts et 18 blessés « musulmans » pour
reprendre la taxonomie faisant particulièrement sens dans ce contexte. La
mémoire constantinoise désigne également comme des ratonnades la
« gigantesque rafle* à travers la ville », selon le titre de La Dépêche de
Constantine, consécutive à l’attentat ayant coûté la vie au commissaire
Sammarcelli, le 29 mars 1956.
En métropole, les ratonnades sont interprétées comme résultant de
l’importation d’un racisme* et de pratiques ayant pris naissance en Algérie.
Les violences des parachutistes* à Metz en 1961 relèvent d’une transposition
de la guerre par le 1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP) – le
régiment a été employé au Maroc* avant de l’être en Algérie puis d’être
démobilisé en Lorraine. À la suite d’une première bagarre entre militaires et
Algériens dans un dancing, suivie d’une fusillade, trois cents parachutistes
s’en prennent aux Algériens, la nuit du 23 mars 1961, dans une « logique de
punitions collectives », analyse Lucas Hardt. Comme à Alger lors des
obsèques de Froger, le cloisonnement de l’espace urbain entre les quartiers
repérés pour leur population algérienne et les autres paraît être le seul moyen
de neutraliser les violences. Pour comprendre la répression policière en
région parisienne à l’automne 1961, les auteurs de Paris 1961 (Tallandier,
2008), Jim House et Neil MacMaster, insistent sur l’accumulation d’un
capital colonial outre-Méditerranée, par le préfet de police Maurice Papon*
revenant du Maroc et de Constantine ainsi que par les forces de l’ordre
œuvrant à Paris à l’époque. Si elle est convaincante, l’interprétation doit être
enrichie de la culture professionnelle des policiers d’alors et des normes de la
répression des manifestations* dans la capitale pendant la guerre. Au-delà de
cette discussion qui caractérise la métropole, où il faut faire la part entre
importation coloniale et terreau hexagonal des violences, l’histoire des
ratonnades gagnerait à être redéployée dans la longue durée, en vue
d’analyser les continuités entre guerre et après-guerre. La flambée
d’agressions racistes dans le sud de la France en 1973, par exemple,
correspond à un renouveau de violences dans lesquelles l’héritage de la
guerre joue un rôle fondamental. Et ce, non seulement d’un point de vue des
représentations, l’amalgame régnant « entre l’Arabe et l’Algérien », selon
Yvan Gastaut, mais aussi d’un point de vue d’histoire sociale, en raison de la
présence de Français d’Algérie dans la région et de leur implication dans les
événements, à travers leurs associations.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Yvan Gastaut, « La flambée raciste de 1973 en France », Revue
européenne des migrations internationales, vol. 9, no 2, 1993 • Lucas Hardt,
« Quand les soldats de l’Algérie française arrivaient en Lorraine. Le
1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP) et la traque parachutiste de
Metz », Histoire@Politique, no 32, 2017 • Sylvie Thénault, Les Ratonnades
d’Alger. Une histoire sociale du racisme colonial, Seuil, 2022.
REDDITIONS ET RALLIEMENTS
EN ALGÉRIE
Dans des circonstances bien précises, de nombreux combattants de
l’ALN* ont déposé les armes à titre individuel ou collectif. Mais des agents
de l’administration française à l’exemple du caïd Merchi (Arris) ou du
bachagha Ourabah (Oued Amizour) n’ont pas hésité à choisir de se rallier à
l’armée française plutôt qu’au FLN*, entraînant dans leur sillage la levée de
harkas et la constitution de villages d’autodéfense.
Au-delà du manichéisme que traduit la qualification de traîtres pour les
uns ou de sujets « loyaux » pour les autres, une approche critique de ces
logiques (que toute guerre ne manque pas d’engendrer) doit étudier la
pluralité des conduites que les acteurs du moment sont amenés à adopter dans
une situation complexe.
Quels que soient les motifs, ce phénomène est révélateur du malaise
éprouvé par les Algériens vis-à-vis de l’organisation du FLN et de l’ALN.
Sans forcément être l’expression d’une opposition à la politique du FLN, il
convient de ne pas exclure les positions d’attente et d’hésitation, de défense
d’intérêts personnels, de vengeances ancestrales, de peur devant les procédés
employés comme l’obligation de verser de grosses sommes d’argent, les
menaces de mort, les comportements autoritaires et humiliants, accompagnés
souvent de violences physiques, les atteintes à l’honneur sans oublier la
brutalité de la répression exercée par l’armée française. Il est donc permis de
souscrire à l’hypothèse émise par Mohammed Harbi*, sur l’ambiguïté et les
contradictions de ce phénomène qu’il désigne d’antirévolution et qui reste à
approfondir sous l’angle des rapports du FLN avec la population (L’Algérie
et son destin. Croyants ou citoyens, Arcantère, 1992, p. 109). Il en est de
même des crises au sein des troupes de l’ALN tiraillées entre « polarisation
nationale et régionale » (Harbi, in Ageron, La Guerre d’Algérie et les
Algériens, 1997) et qui, mal prises en considération par leur hiérarchie, ont
abouti à des redditions.
Au regard de leur médiatisation par la propagande* de l’armée française,
ces redditions et ralliements si importants soient-ils, selon les estimations des
statistiques militaires, ont permis aux services de renseignements – dans
certains cas – de constituer des contre-maquis redoutables et d’accélérer les
pratiques de la politique de « pacification* » avec la mise sous protection des
populations civiles (par contrainte ou de leur plein gré) dans des villages
d’autodéfense et des camps de regroupement*.
Les redditions ou ralliements se succéderont donc durant toute la guerre,
obéissant à des motifs variés d’un cas à un autre.
L’un des premiers exemples de reddition a lieu le 21 décembre 1955 dans
l’Aurès. Ce jour-là, « le chef de bande » Ali Kerbadou, âgé de 20 ans, se rend
au poste militaire de Djellal (Aurès) avec quatre maquisards de l’ALN, par
crainte de subir le sort de Bachir Chihani* exécuté par le tandem Adjel
Adjoul* et Abbès Laghrour*. Sa soumission au général Parlange* fait l’objet
d’une grande publicité dans la presse*.
Tout autre est la reddition d’Adjel Adjoul, le 1er novembre 1955 au camp
militaire de Zeribet El Oued. Faisant partie du cercle des premiers dirigeants
de l’insurrection dans l’Aurès, sa décision de fuir l’ALN pour échapper à une
liquidation par ses rivaux est une aubaine pour l’armée française, à qui il
dévoile les arcanes de l’organisation du FLN. À cette occasion, la propagande
française se saisit de l’événement et promène Adjoul dans les marchés où il
appellera les villageois à suivre son exemple.
L’année suivante, Si Larbi Cherif, un sous-officier* aguerri de l’armée
française – dont la présence dans les rangs de la Wilaya 6/Sud* est sujette à
caution – mobilise efficacement les populations « arabes » de la région du
Titteri, en attisant les oppositions ethniques à l’encontre des premiers chefs
de la Wilaya 6, le colonel Ali Mellah et son adjoint, issus de la Wilaya 3*
(Kabylie). Combattu par les troupes de la Wilaya 4*, il finit par « rallier » les
forces adverses, en juillet 1957 et constitue ouvertement un contre-maquis
qui dure jusqu’en 1962 avant d’être transféré en France.
L’exemple le plus frappant est la reddition du capitaine Ali Hambli avec
son bataillon, survenue à la fin du mois de mars 1959, à partir du territoire
tunisien. Hostile à Krim* Belkacem, ministre des Forces armées, et
Mohammedi* Saïd (Si Nasser), responsable du COM à qui il reproche leurs
décisions arbitraires, il s’implique dans le complot Lamouri*. L’exécution de
ce dernier le conforte dans son opposition. Sa résistance est mise à rude
épreuve par les combats avec l’ALN, secondée par la garde nationale
tunisienne. Le SDECE* profite de cette crise pour prendre contact avec Ali
Hambli qui se résout à se rendre à l’armée française en franchissant le
barrage de l’Est avec ses hommes. Comme Adjoul, il fut promené de marché
en marché mais Ali Hambli ose déclarer à l’assistance muette : « Je suis un
singe, ne m’écoutez pas […]. Je suis un traître à la révolution. Les Français
m’utilisent et se moquent de vous » (Azzedine, On nous appelait fellaghas,
Stock, 1976, p. 291). Il finit par être « liquidé » dans un accident de voiture.
Ces quelques exemples sont loin d’épuiser ce dossier dont les archives*
ne sont pas toujours accessibles. Mais ils renseignent sur les tensions et
déchirements internes nés durant la guerre et invitent à approfondir la
réflexion sur les modalités du fonctionnement interne du FLN-ALN.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Complots et purges dans l’armée de
libération nationale algérienne (1958-1961) », Vingtième Siècle. Revue
d’histoire, no 59, 1998 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-
1962), Fayard, 2002 • Ouanassa Siari Tengour, « Adjel Adjoul, le combat
inachevé », Insaniyat, no 25-26, 2004.
RÉÉDUCATION
La politisation des conflits induite par la guerre froide* entraîne
rapidement un fort intérêt pour la question du conditionnement et de la
rééducation politique des prisonniers* de guerre. D’une part, les régimes
soviétiques et chinois expérimentent des techniques coercitives de persuasion
qu’ils appliquent à certains de leurs opposants, ou supposés tels, ou aux
prisonniers ennemis. Les autocritiques d’accusés de grands procès politiques,
notamment celle du cardinal hongrois József Mindszenty en 1948, choquent
les opinions du bloc occidental. Durant la guerre de Corée, quelques
prisonniers américains en Chine* sous l’effet de ce reconditionnement
prennent position publiquement contre la politique des États-Unis* en Asie.
La psychologie behavioriste et la neurochimie, alors en plein développement,
sont sollicitées pour tenter de répondre à cette menace. Persuadés que les
communistes ont découvert les secrets du contrôle de la psyché humaine, la
CIA et l’US Army lancent donc des programmes impliquant des chercheurs
civils en vue d’explorer les possibilités d’une telle rééducation par des
protocoles mêlant suggestion, hibernation artificielle, électrochocs et usages
de drogue. En Indochine*, la tentative de rééducation d’officiers* français
prisonniers de guerre, menée par des commissaires politiques du Vietminh,
s’inspirant de méthodes chinoises, fait miroir aux camps de prisonniers des
autorités franco-vietnamiennes où les prisonniers vietnamiens font l’objet
d’un conditionnement psychologique avant d’être utilisés comme agents
civils de l’armée. C’est cette expérience indochinoise qui sert de socle à la
politique de rééducation politique menée par l’armée en Algérie.
La mise en place, au cours des deux premières années de la guerre en
Algérie, d’un réseau de camps d’internement* et la détention de nombreux
Algériens, plus ou moins impliqués dans la lutte nationaliste, confrontent les
autorités civiles et militaires à de nouveaux problèmes. Ces camps sont en
effet des lieux de politisation nationaliste. Les prisonniers les moins
compromis se voient libérés et demeurent néanmoins acquis aux idéaux
nationalistes. En 1956, le lieutenant-colonel André Bruge, prisonnier durant
cinq ans en Indochine, produit une note à destination du cabinet de Robert
Lacoste*. Il y préconise la mise en œuvre d’un traitement psychologique des
Algériens internés, inspiré des méthodes du Vietminh. La fuite de cette note
et sa publication par Le Monde* vont ralentir et modifier la réalisation d’un
tel programme.
L’opération Pilote, en 1957, est l’occasion de la première expérience
poussée de rééducation politique. Un centre clandestin de formation d’agents
algériens est créé, sous l’autorité du bureau psychologique, à côté du CIPCG*
d’Arzew. S’y succèdent des stages de trois mois, concernant une
cinquantaine de stagiaires, destinés à devenir des commissaires politiques
algériens pro-français. Des officiers itinérants du bureau psychologique,
anciens prisonniers du Vietminh, se chargent, avec un succès relatif, de
transformer ces Algériens, qui ne sont pas volontaires, en partisans de
l’Algérie nouvelle et française. Une fois réintroduits dans leur communauté
d’origine, les stagiaires ont pour mission de constituer une organisation
clandestine pro-française à même de contrer le FLN*, en s’inspirant de son
mode d’organisation. Le programme de ce centre sert de base à toutes les
tentatives de rééducation qui se déploient ultérieurement en Algérie.
Parallèlement, dans le quartier de Warnier, au nord d’Orléansville, dans
le cadre de l’opération Pilote, le 2e bataillon du 2e régiment d’infanterie
coloniale, de sa propre initiative et avec l’appui du bureau psychologique,
met en place un centre de désintoxication destiné à rééduquer la population
civile de la région. Cette rééducation consiste en une détention de quinze
jours. La propagande* anti-FLN y accompagne des interrogatoires de masse
permettant de trier partisans du FLN, à éliminer, et possibles collaborateurs, à
intégrer dans les harkis* ou à désigner comme responsables des
communautés villageoises locales. À la fin de la guerre, quand le centre est
fermé, 28 000 hommes de la région y ont été ainsi « rééduqués ».
Le bureau psychologique forme également des moniteurs d’action
psychologique pour les camps d’hébergement. Ces moniteurs, recrutés parmi
les appelés et formés lors de stages organisés par le 5e bureau, sont détachés
dans les centres d’internement relevant de l’administration civile. Ils doivent
y contrer la propagande nationaliste et participer à la rééducation politique
des internés jugés les moins compromis. À partir de 1958, des centres de
rééducation sont ouverts sur tout le territoire algérien. Il s’agit principalement
de neutraliser politiquement les prisonniers, voire de les amener à collaborer
avec les autorités françaises.
Ces pratiques de rééducation politique rencontrent celle de la formation
des cadres militaires, via des écoles de cadres. En se basant sur l’expérience
du centre d’Arzew, des centres destinés à former, non plus des agents
clandestins, mais des agents à même d’assurer l’encadrement et la protection
des collectivités rurales, sont ouverts. La formule se généralise sous l’autorité
du général Maurice Challe*. À la fin de l’année 1960, plus de soixante
centres de formation des autodéfenses sont actifs et forment des milliers de
responsables des autodéfenses. Tout comme les centres de rééducation, les
centres de formation des autodéfenses (CFAD) sont progressivement fermés
lors des dernières années du conflit. Il est difficile d’estimer les effets d’une
telle politique. À défaut d’avoir suscité de sincères vocations pro-françaises,
elle a participé à semer le trouble dans la population algérienne, à désorienter
les prisonniers libérés et à attiser la peur de l’infiltration au sein du FLN.
Denis LEROUX
RÉFÉRENDUMS (AUTODÉTERMINATION,
ACCORDS D’ÉVIAN, INDÉPENDANCE)
RÉFRACTAIRES ET « PORTEURS
DE VALISES » (MÉMOIRES)
Dès la guerre elle-même, le nombre de réfractaires a fait l’objet d’une
« bataille des chiffres […] rude et brouillonne » (Hamon et Rotman, 1979,
p. 216). Le nombre 3 000 réfractaires devient le chiffre le plus fréquemment
annoncé, sans fondement réel. Mais, dès la fin de la guerre, de nombreux
militants anticolonialistes relativisent leur action et amoindrissent leur
nombre. Robert Bonnaud*, responsable du réseau marseillais de soutien au
FLN*, met l’accent en 1961 sur le très faible nombre de soutiens au FLN et
aux refus de participer à la guerre. Après l’indépendance, Janine Cahen et
Micheline Pouteau, deux « porteuses de valises* », publient en Italie* un
livre intitulé Una Resistenza incompiuta. La guerra d’Algeria e gli
anticolonialisti francesi 1954-1962 (Il Saggiatore, 1964). Selon elles, la
« résistance » à la guerre d’Algérie aurait donc été « incomplète » et le fait
d’une « infime minorité » (p. 4). Or, le nombre de réfractaires a été nettement
plus conséquent qu’imaginé (de l’ordre de 12 000, peut-être de 15 000
réfractaires). Pour quelles raisons les représentations mémorielles ont-elles eu
tendance à « écraser » le nombre de réfractaires et plus largement
d’opposants à la Guerre d’indépendance algérienne ?
D’une part, les opposants étaient dans la clandestinité ou en exil, isolés
ou regroupés dans des réseaux aux faibles effectifs. Tout cela conduit à ce
qu’ils soient des « solitudes qui s’entrecroisent » (Pierre Vidal-Naquet*,
in Hamon et Rotman, p. 10). Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils
étaient peu nombreux. De plus, les risques encourus étaient importants et
nécessitaient un engagement total. Sans aller aussi loin ni prendre autant de
risques, d’autres plus nombreux se sont aussi engagés pour la cause
algérienne. Tous ces engagements sont donc loin d’être anodins. D’autre part,
lorsque la Guerre d’indépendance débute, dix ans à peine la séparent de la fin
du second conflit mondial. Le modèle de la résistance au nazisme est de ce
fait omniprésent. Les résistants sont des héros et des figures respectées. Le
mythe résistancialiste bat son plein. Or, des termes (comme ceux de
« maquis » et de « résistance ») ne manquent pas de créer des interférences
mémorielles entre les deux conflits, qui sont pourtant de natures différentes
(la lutte contre l’occupation nazie et une guerre coloniale en Algérie). De ce
fait, les opposants à la guerre d’Algérie, qui comparent eux aussi les deux
conflits, dévalorisent « leur » résistance au profit de celle de la Seconde
Guerre mondiale.
Après l’indépendance algérienne, les réfractaires français et les « porteurs
de valises » sont davantage préoccupés par leur situation matérielle et légale
(obtenir l’amnistie*) ou par le soutien à la construction de l’Algérie
indépendante (comme « pieds-rouges* » et coopérants) qu’à porter leur
propre mémoire. La seule exception notable est constituée par les deux épais
livres de Janine Cahen et Micheline Pouteau publiés en 1964 en Italie et
jamais traduits en français. Il faut attendre le début des années 1970 pour
qu’il soit à nouveau question des désobéissances dans la guerre d’Algérie,
notamment lors du débat sur la torture* et de sa condamnation par le général
de Bollardière*. Francis Jeanson* intervient aussi dans la collection à succès
du magazine Historia d’Yves Courrière* au début des années 1970 (no 271 et
no 317). Il en est aussi question dans le cinéma*, avec plusieurs films :
indirectement avec Le Pistonné de Claude Berri (avec Guy Bedos, 1970), et
directement avec Avoir vingt ans dans les Aurès de René Vautier* (avec
Philippe Léotard, 1972). Ce dernier film se base sur le parcours du déserteur
Noël Favrelière*, à la différence notable que le réalisateur fait mourir le
réfractaire, fâchant les deux amis. Cette mort du réfractaire semble aussi
signer comme un impossible refus de la guerre d’Algérie. Un autre film
s’ouvre toutefois sur une désobéissance en devenir : RAS d’Yves Boisset
(avec Jacques Weber, Jean-François Balmer et Jacques Villeret, 1973), tiré de
l’autofiction de Roland Perrot. La question de la désobéissance à la guerre
d’Algérie revient donc dans le débat public, notamment à la suite de
mai 1968, dans une forme contestataire à l’ordre établi, notamment militaire.
Le véritable tournant dans la connaissance et la reconnaissance des
opposants à la guerre d’Algérie tient au livre d’Hervé Hamon et de Patrick
Rotman, en 1979. Cette recherche (aboutissant à un doctorat) est avant tout
basée sur un entrecroisement d’entretiens à une époque où les archives* sont
peu accessibles. Elle est davantage centrée sur les « porteurs de valises » que
sur les réfractaires, et sur les réseaux de Francis Jeanson et d’Henri Curiel*
que sur les réseaux locaux. Cette enquête continue à faire référence jusqu’à
aujourd’hui. Néanmoins, la mémoire des opposants émerge difficilement,
même si le film Cher frangin de Gérard Mordillat aborde la question de la
désobéissance, en partie vue sous l’angle du petit frère (joué par Marius
Colucci, 1989). Cette difficile émergence tient notamment à une forme de
« mauvaise conscience » de la société française : de nombreux anciens
appelés abordent en effet la question de la désobéissance, saluant cet acte tout
en se justifiant de ne pas avoir déserté ou refusé d’obéir. Cette question
suscite une gêne, d’autant que la désobéissance apparaît comme un acte
grave, une remise en cause des institutions et de l’ordre établi. Les
réfractaires et « porteurs de valises » sont en quelque sorte rendus
responsables d’avoir eu « raison » trop tôt.
Néanmoins, chez les réfractaires il existe aussi une absence de volonté de
parler de leur parcours. Comme pour tous les acteurs de la guerre, la mémoire
a mis du temps à se révéler. Les gens sont occupés à travailler, à s’occuper de
leurs enfants, à se divertir et éventuellement à s’investir dans la vie publique.
Jean Le Meur n’a par exemple pas parlé de son refus d’obéissance à ses
enfants ; ce sont d’autres membres de la famille qui leur en ont parlé.
Certains réfractaires ont tiré un trait sur cette période. Ils sont passés à autre
chose. Certains n’agiraient peut-être pas de même, d’autant plus qu’ils se
désolent de l’évolution prise par l’Algérie après l’indépendance. Pour eux, il
existe un gouffre entre l’idéalisme de leur engagement et la réalité
sociopolitique algérienne. Enfin, la « mémoire sudiste » des ex-partisans de
l’« Algérie française », virulente et concomitante avec la montée de l’extrême
droite, conduit d’anciens réfractaires à ne pas se mettre en avant. Noël
Favrelière a par exemple été à plusieurs reprises menacé de mort, jusque dans
les années 1990 et après.
Cependant, à compter des années 2000, les réfractaires et opposants de la
guerre apparaissent davantage dans l’espace public. Noël Favrelière et Alban
Liechti* signent par exemple l’« Appel des douze* » pour protester contre la
torture en 2000. Ils œuvrent aussi dans des associations anticolonialistes et
publient pour certains des témoignages* mémoriels. Il en est aussi question
dans des documentaires comme celui d’Alain Taieb et Virginie Adoutte
(Monsieur le Président, je vous fais une lettre, Arte, 2000). Le livre de
Jacques Charby (lui-même ancien « porteur de valises ») donne la parole à
ces Porteurs d’espoir (La Découverte, 2004). Ma thèse soutenue en 2007
consacrée aux réfractaires aide à une meilleure connaissance des oppositions
à la guerre d’Algérie, de même que celles de Charlotte Gobin consacrée aux
« porteuses de valises » (« Guerre et engagement : devenir “porteur.e de
valises” en guerre d’Algérie (1954-1962) », sous la dir. de S. Schweitzer,
Lyon-2, 2017) et de Marius Loris Rodionoff (« Crises et reconfigurations de
la relation d’autorité dans l’armée française au défi de la guerre d’Algérie
(1954-1966) », sous la dir. de R. Branche, Paris-1, 2018). En Algérie, si
certains saluent le rôle joué par les « amis » de l’Algérie, voire les « frères »,
leur action reste toutefois largement méconnue du grand public.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les Porteurs de valises. La
résistance française à la guerre d’Algérie, Seuil, 1979 • Tramor Quemeneur,
« Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de
soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir.
de B. Stora, Paris-8, 2007.
RÉFUGIÉS ALGÉRIENS
Dès les débuts de la guerre de libération algérienne, le Maroc* et la
Tunisie* enregistrent un important afflux des populations rurales frontalières
fuyant les opérations militaires. Cet exode, démenti officiellement, est estimé
à 80 000 personnes pour le Maroc et à plus de 220 000 personnes pour la
Tunisie selon Gilbert Meynier*. Ces chiffres recoupent ceux fournis par la
Ligue des sociétés de la Croix-Rouge qui retient le chiffre global de
300 000 réfugiés (Tarradelas) pour l’année 1961.
La grande vague des départs forcés est liée à la multiplication des
opérations de ratissage qui se terminent souvent par l’incendie des mechtas et
l’ordre d’évacuer leurs territoires transformés en zones interdites* pour
couper toute relation entre les populations et les maquisards dans les années
1956-1957.
Avec la construction des barrages* électrifiés à partir de 1957, le
franchissement des frontières est ralenti pour les populations civiles, d’autant
plus que ce dispositif est renforcé par la constitution de « glacis »,
entièrement minés* et s’étendant sur une dizaine de kilomètres de large, tout
le long de la frontière.
Déracinés, coupés de leurs terres et de leurs troupeaux, ces réfugiés
mènent une vie pénible. En Tunisie, les familles du nord de l’Algérie (Souk
Ahras) se concentrent dans les centres frontaliers de Ghardimaou, Sakiet Sidi
Youssef*, Le Kef, celles de la région de Tébessa se sont installées à Feriana,
Sbeïtla, Kasserine. On retrouve la même répartition au Maroc oriental : les
populations du Nord-Ouest (M’sirda, Marnia, Tlemcen, Beni Snous,
Nedroma…) s’installent là où elles peuvent à Oujda, à Berkane, Boubekeur
tandis que celles du Sud oranais gagnent Guenfouda, Djerda, Berguent,
Figuig, Bouarfa.
La solidarité des populations locales et des autorités tunisiennes et
marocaines s’est traduite par une aide à la mesure de leurs moyens, aide qui
s’avère très rapidement insuffisante à couvrir les besoins élémentaires de
l’afflux croissant de réfugiés. Habib Bourguiba alerta en vain le Haut
Commissariat pour les réfugiés (HCR) sur la situation des réfugiés. Celui-ci,
tenu par la convention de Genève* de 1951, ne reconnaît le statut de réfugiés
qu’aux personnes des camps de la Seconde Guerre mondiale. De son côté, la
France adopte la même position, arguant qu’elle mène dans ses départements
algériens des opérations de « maintien de l’ordre ». Mieux, elle exige du
gouvernement tunisien la restitution de ces « civils algériens ».
Mais l’intervention auprès des réfugiés hongrois en 1956 offre une
opportunité à August Lindt, qui dirige le HCR, d’élargir sa sphère
d’intervention. Encouragé tacitement par le secrétaire général de l’ONU*,
Dag Hammarskjöld et les États-Unis*, Lindt décide l’envoi d’une mission
d’enquête en Tunisie avant d’expédier les premiers secours aux réfugiés. Il
est vrai que le contexte international sensible à la question de la
décolonisation, défendue par le groupe de Bandoeng* et les diplomates
algériens, pèse sur son engagement.
En décembre 1958, une résolution de l’ONU permet officiellement au
HCR de poursuivre son action humanitaire auprès des réfugiés algériens en
Tunisie et au Maroc. Fort de l’appui de la Croix-Rouge internationale* et des
Croissants-Rouges* maghrébins, le HCR passe à l’action ouvertement,
livrant nourriture, vêtements, médicaments et argent. Par ailleurs, le
bombardement de Sakiet Sidi Youssef (février 1958) a attiré une foule de
journalistes venus du monde entier. Leurs dépêches racontent le triste sort des
réfugiés et suscitent un élan de solidarité internationale auquel adhèrent de
nombreuses organisations humanitaires et des donateurs privés.
La cause algérienne y gagne en visibilité et le service social du FLN*
maîtrise mieux la gestion des réfugiés confiée d’abord au Croissant-Rouge
créé en 1957 (non reconnu par le CICR) avant de passer sous l’égide d’un
ministère des Affaires sociales du GPRA* en septembre 1958.
À partir de décembre 1958, des bateaux déchargent dans les ports de
Casablanca et de Tunis des tonnes de vivres. Si les rations alimentaires
s’améliorent, si les réfugiés sont mieux vêtus, d’autres difficultés persistent.
Au premier chef, ce sont les conditions de logement* qui demeurent
précaires. Certains réfugiés ont pu être logés dans les villes alors que la
majorité a dû se contenter des abris de fortune (gourbis, tentes et grottes). Les
réfugiés plus chanceux sont hébergés dans des camps de toile montés par les
autorités tunisiennes par exemple à Sakiet Sidi Youssef, Sbeïtla ou Aïn
Khmouda près de Kasserine. La même assistance est observée au Maroc.
Hors d’Oujda qui abrite plus de 6 000 réfugiés recensés dans le courant de
l’année 1957, les conditions de vie sont tout aussi difficiles, notamment au
centre minier de Boubekeur où l’on compte plus de 17 000 personnes. Le
projet d’édifier des villages de réfugiés dotés des commodités élémentaires,
souhaité par les responsables algériens, ne verra pas le jour faute d’accord du
HCR et des pays d’accueil.
Par ailleurs, ici et là, des mécontentements éclatent, du au ralentissement
dans la distribution des secours qui est mis sur le compte de la dispersion
géographique des réfugiés sur un vaste territoire. Mais on invoque aussi des
détournements dont on retrouve les produits vendus dans les marchés. À ces
complications s’ajoute la grande proportion des enfants (43 %) et des
femmes. Des efforts sont déployés pour scolariser un maximum d’enfants.
Les écoles tunisiennes accueillent quelque 10 000 enfants (El Moudjahid,
no 38, 1959). Selon la disponibilité, des rudiments d’instruction sont
dispensés aux enfants des camps.
Quant aux enfants orphelins (que le Croissant-Rouge algérien a recensés),
des efforts particuliers sont consentis. L’UGTA* a mis en place des maisons
d’enfants. D’autres sont envoyés dans des pensionnats en Libye.
Pour lutter contre le désœuvrement, à titre d’exemple, le centre d’Ariana
non loin de Tunis (doté d’un dortoir, d’un réfectoire, d’une infirmerie)
accueille une centaine de travailleurs qui trouvent à s’occuper dans le potager
ou les ateliers de menuiserie et de matelasserie. Cette expérience renouvelée
ici et là, au Maroc également, a ses limites et ne peut résorber le chômage des
réfugiés algériens.
À l’heure du retour, au moment de l’indépendance en 1962, le HCR
prépare un plan de rapatriement* des réfugiés en accord avec le GPRA et les
autorités françaises qui ouvrent les deux frontières à partir du 10 mai 1962.
Le rapatriement dure jusqu’à la fin du mois de juillet.
Les observations que Bourdieu* et Sayad* ont relevées dans Le
Déracinement (Minuit, 1964) sont valables pour les réfugiés algériens. Les
réfugiés chassés par la guerre ont tout perdu, les quelques biens qu’ils
possédaient mais aussi des membres de leur famille et leurs repères avec le
passé. L’ancrage à l’espace est brisé. Les jours de liesse pour fêter la
libération n’effacent pas les traumatismes. Pour beaucoup, l’oubli invite à
poursuivre l’errance ailleurs, cette fois en allant grossir les bidonvilles
installés autour des centres urbains en quête d’un hypothétique travail.
L’histoire des réfugiés reste à écrire.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad, Le Déracinement. La crise de
l’agriculture traditionnelle en Algérie, Minuit, 1964 • Fabien Sacriste, Les
Camps de regroupement. Une histoire des déplacements forcés (1954-1962),
Presses de Sciences Po, 2022 • Anton Taradellas, « Les réfugiés de la guerre
d’Algérie », mémoire de maîtrise sous la dir. de M. Schulz, Genève, 2017.
RÉGIONALISME ET NATIONALISME
(FRANCE)
La Guerre d’indépendance algérienne signe un réveil des régionalismes
indépendantistes en France. Ces nationalismes* régionalistes avaient été mis
à mal par la Seconde Guerre mondiale, de nombreux militants ayant eu des
positions collaborationnistes.
Pendant le conflit algérien, certaines personnes à la fibre régionaliste,
voire indépendantiste, font le parallèle entre la situation algérienne et la leur.
Même s’il reste marginal, ce mouvement est d’autant plus profond que le
conflit algérien mobilise l’immense majorité des jeunes appelés du
contingent*. Les parcours sont alors encore relativement individuels. Ainsi,
Guy Poulain, indépendantiste breton né en 1940, s’insoumet en 1960.
Dénoncé par son frère, sous-officier* à Saint-Cyr Coëtquidan, il justifie son
acte en affirmant qu’il ne reviendra que lorsqu’il existera une armée bretonne.
Il se réfugie en Suisse* où il est en contact avec le « réseau Jeanson* ». Il s’y
installe, travaille comme horloger et sert même comme tireur d’élite. Il rentre
temporairement en France en 1968, avant de retourner en Suisse où il meurt
en 1991.
À la fin du conflit algérien encore, le parti nationaliste occitan, comptant
une cinquantaine de militants, met en place un embryon de réseau
d’exfiltration de réfractaires* depuis Montpellier jusqu’à Menton puis vers
l’Italie*. La direction de la Sûreté du territoire (DST) appréhende ainsi trois
personnes lors d’une tentative de passage de la frontière franco-italienne le
26 février 1961. L’enquête fait apparaître l’existence d’un réseau lié au parti
nationaliste occitan, qui aurait exfiltré quelques réfractaires vers l’Italie.
Dès 1955, le militant anticolonialiste et anarchiste* Daniel Guérin publie
Les Antilles décolonisées (Présence africaine, 1955). Autant dire que la
maturation du mouvement indépendantiste antillais se déroule en même
temps que la guerre d’Algérie. Ainsi, Édouard Glissant, écrivain, poète et
futur fondateur des concepts de « créolisation » et de « tout-monde », est l’un
des signataires du « Manifeste* des 121 » en septembre 1960. L’année
suivante, il fonde le Front des Antillais et des Guyanais pour l’autonomie
(FAGA), avec notamment l’avocat martiniquais Marcel Manville. Dès lors,
Édouard Glissant est expulsé de Guadeloupe et assigné à résidence en France
métropolitaine pour « séparatisme » jusqu’en 1965. Marcel Manville est par
ailleurs un proche de Frantz Fanon*, penseur du tiers-mondisme et militant
de l’indépendance algérienne. L’auteur de Peau noire, masques blancs
(Seuil, 1952) et des Damnés de la terre (Maspero, 1961) est mort en 1961,
sans avoir véritablement œuvré pour l’indépendance des Antilles. Manville et
Fanon ont participé ensemble à la résistance contre l’occupation nazie
pendant la Seconde Guerre mondiale. Marcel Manville prend lui aussi
résolument parti pour l’indépendance de l’Algérie dès 1955. Il défend des
militants nationalistes algériens tant à Alger qu’à Paris, et fait partie du
collectif des avocats* du PCF* dont il est membre. Son activité lui vaut
d’être la cible d’un attentat de l’OAS* en 1962 dont il sort indemne. Après
son retour en Martinique en 1977, il crée le Parti communiste pour
l’indépendance et le socialisme (PKLS) en 1984. Il décède à Paris en 1998,
juste avant de plaider en faveur des victimes de la manifestation algérienne
d’octobre 1961*. Enfin, signalons encore Sonny Rupaire, jeune poète né en
Guadeloupe. Appelé au service militaire* en Algérie, il s’insoumet, rejoint
les rangs de l’ALN* et y travaille comme enseignant après l’indépendance.
De retour en Guadeloupe en 1968, il devient notamment le porte-parole de
l’Union populaire pour la libération de la Guadeloupe (UPLG) en 1978 et
écrit dans son journal Lendépandans.
D’autres mouvements indépendantistes naissent dans l’immédiat après-
guerre d’Algérie. Ainsi, les premières traces du Front de libération de la
Bretagne (FLB) sont identifiées en octobre 1963, à peine plus d’un an après
la fin de la guerre d’Algérie. Selon la police*, le nom même puise son
inspiration dans le sigle du FLN*. En 1966, avant même ses premières
actions clandestines, le FLB rédige un communiqué attirant l’attention de
l’opinion sur « la nécessaire décolonisation de la Bretagne » et appuyant sur
le « statut colonial » qui sévirait en Bretagne. La proximité avec la Guerre
d’indépendance algérienne n’est probablement pas fortuite dans ce discours
anticolonial. Dès 1957 d’ailleurs, le journal communiste Dimanche matin
affirmait à la suite de la création du Mouvement pour l’organisation de la
Bretagne (MOB) : « Si nous n’y prenons pas garde, nous aurons bientôt des
fellaghas dans la banlieue de Rennes » (17 novembre 1957). De 1966 à 1968,
les journaux qualifient même à de multiples reprises les militants clandestins
du FLB de « fellaghas bretons ». Selon le journaliste et militant
indépendantiste Jean Bothorel, une partie des clandestins du FLB sont
marqués par leur service militaire en Algérie.
La guerre d’Algérie a encore eu des conséquences indirectes en Corse. En
effet, grâce à la Société pour la mise en valeur agricole de la Corse
(Somivac), des « pieds-noirs* » se lancent dans l’agriculture en Corse,
entraînant des résistances locales. En 1975, les militants de l’Action pour la
renaissance de la Corse (ARC), fondée par Edmond Simeoni, occupent la
cave d’un viticulteur pied-noir. L’occupation se termine dramatiquement
avec la mort de deux personnes. Un an plus tard, le Front de libération
nationale de la Corse (FLNC) est créé, en référence explicite au modèle
algérien.
Enfin, chez les nationalistes basques, en particulier l’organisation
Iparretarrak (IK) créée en 1973, les références à la guerre d’Algérie ne sont
pas absentes non plus. Des militants ont également participé ou ont été
marqués par ce conflit et jugent « naturel de prendre les armes contre une
occupation » (cité in Eneko Bidegain, Iparretarrak [IK]. Histoire d’une
organisation politique armée, Bayonne, Gatuzain, 2007).
Une partie de ces mouvements ont de plus été aidés par l’Algérie
indépendante : alors qu’Alger était la « capitale du tiers-monde », de
nombreux mouvements indépendantistes y avaient leurs bureaux. Certains
mouvements indépendantistes régionalistes ont également bénéficié de cette
aide financière et matérielle.
Il est en tout cas certain que la guerre d’Algérie a constitué un ferment
intellectuel et politique, duquel le tiers-mondisme a véritablement éclos,
servant de modèle pour d’autres mouvements politiques indépendantistes, et
pour la maturation d’un discours anticolonial, tant et si bien qu’en 1971,
Robert Lafont titrait par exemple l’un de ses livres Décoloniser en France.
Les régions face à l’Europe (Gallimard, 1971), dans lequel il estimait qu’il
existait une « reconnaissance de plus en plus large de la situation coloniale en
France, et conséquemment l’apparition d’une volonté de plus en plus nette de
décolonisation » (p. 9-10). Ce mouvement s’inscrit dans celui plus large des
décolonisations, mais la France a été d’autant plus marquée par la guerre
d’Algérie que la participation à cette guerre a été massive avec les appelés du
contingent* et que l’Algérie était aussi constituée de départements français.
De là à ce que certains veuillent décoloniser leurs propres départements ou
région, il n’y avait qu’un pas.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Manuel Borutta, « De la Méridionalité à la Méditerranée : le Midi de
la France au temps de l’Algérie coloniale », Cahiers de la Méditerranée,
no 100, 2020, p. 97-113 • Lionel Henry et Annick Lagadec, FLB-ARB.
L’histoire 1966-2005, Yoran Embanner, 2006 • Tramor Quemeneur, « Une
guerre sans “non” ? Insoumissions, refus d’obéissance et désertions de
soldats français pendant la guerre d’Algérie (1954-1962) », thèse sous la dir.
de B. Stora, Paris-8, 2007.
REPENTANCE
Le mot « repentance » a été mis à la mode… par ses adversaires, selon un
procédé rodé des polémistes : amalgamer des thèses à prétention radicale et
celles d’observateurs critiques, cibler des outrances, puis se présenter comme
raisonnables, nuancés, étrangers à toute idéologie. Les pamphlets
antirepentance se sont ainsi succédé. Après Alain Griotteray, en 2001 avec Je
ne demande pas pardon. La France n’est pas coupable (Éditions du Rocher) ;
trois ouvrages paraissent en 2006 : Paul-François Paoli, Nous ne sommes pas
coupables. Assez de repentances ! (La Table ronde) ; Max Gallo, Fier d’être
Français (Fayard) ; Pascal Bruckner, La Tyrannie de la pénitence. Essai sur
le masochisme occidental (Grasset). Ce fut également le cas d’un ouvrage
signé par Daniel Lefeuvre*, Pour en finir avec la repentance coloniale
(Flammarion, 2008). Et que dire des hors-séries spéciaux « Colonies »
d’hebdomadaires divers.
Ces ouvrages n’étayent leur démonstration sur aucun texte d’hommes ou
de femmes politiques (Christiane Taubira, par exemple) ni d’historiens
critiques (texte fondateur de protestation contre la loi de février 2005, signé
Claude Liauzu, Gilbert Meynier* et Gérard Noiriel). Et pour cause : la
repentance est un concept quasi unanimement rejeté. Leur idée n’est pas que
la France aurait à « s’agenouiller ».
La demande vise la reconnaissance. Que l’État français reconnaisse les
préjudices causés par le système colonial, des premières déportations
négrières à la décolonisation – plus de trois siècles : conquêtes aux
conséquences démographiques épouvantables, appropriation illégale de
territoires étrangers, pillages, spoliations, massacres, discriminations raciales
à base de discours pseudoscientifiques… Certains les qualifient de crimes
contre l’humanité mais la question divise. S’ils connaissent par ailleurs
l’existence d’infrastructures économiques, éducatives et sanitaires, ils
soulignent qu’elles étaient surtout destinées à la mise en valeur de l’Empire.
Cette demande plaide pour une mise au point sereine, équilibrée, mais
reconnaissant les faits les plus effroyables. Elle serait propice à pacifier le
débat sur la question, à désamorcer toute tentative d’instrumentalisation
communautariste (voire à ôter un prétexte au chantage de certains
gouvernements d’ex-colonies). Les chefs d’État ont contourné l’obstacle, soit
par le silence gêné, soit par des formules convenues et globalisantes, jusqu’à
ce qu’émerge une nouvelle génération*. Encouragé dès 2017 par diverses
personnalités à mettre ses actes en accord avec ses paroles (il avait promis
lors de la campagne un « geste fort » sur les questions mémorielles liées à la
guerre d’Algérie), Emmanuel Macron* s’est saisi du dossier Maurice Audin*.
Le 13 septembre 2018, il a fait connaître une déclaration, doublée d’un geste
symbolique, une visite à la veuve et aux enfants du militant assassiné. Le
texte présidentiel disait que l’« évasion* » d’Audin était « manifestement une
mise en scène visant à camoufler sa mort », qu’on avait la « certitude » qu’il
avait été auparavant « torturé ». Il dépassait le cas de Maurice Audin. Il
dénonçait un « système, dont les gouvernements successifs ont permis le
développement […], appelé “arrestation-détention” à l’époque même, qui
autoris[ait] les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout “suspect”
dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire ». Qui en était
responsable ? Les « gouvernements successifs » avec une formule minimale :
ils auraient échoué « à prévenir et à punir le recours à la torture* ». La
déclaration s’achevait sur un appel à poursuivre le travail historique,
poursuite facilitée par la « libre consultation de tous les fonds d’archives* de
l’État qui concernent ce sujet » et le recours à de nouveaux témoignages*.
Le jeune président a fait un pas dans le sens voulu qu’aucun de ses
prédécesseurs, en particulier les deux se réclamant de la gauche, n’avait
franchi. Chez les partisans de la reconnaissance, des insatisfactions
demeurent. Si des mesures d’ouverture des archives publiques ont été prises
de 2019 à 2021, dans la continuité de cette déclaration, une reconnaissance a
concerné Ali Boumendjel* mais être élargie aux milliers d’autres,
compagnons de malheur d’Audin. Pour eux, une clarification plus globale
encore aurait le mérite de limiter les risques d’un violent retour du refoulé et
d’amorcer un débat – enfin sérieux – sur ce que devrait et devra être une
France républicaine respectueuse de ses principes fondateurs.
Alain RUSCIO
Bibl. : Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson (dir.), Les Guerres de
mémoires. La France et son histoire. Enjeux politiques, controverses
historiques, stratégies médiatiques, La Découverte, 2008 • Catherine
Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Marseille,
Agone, 2009 • Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale,
Flammarion, 2006.
RÉPUBLIQUE, IVE
L’instabilité de la IVe République tient au fait que les gouvernements,
responsables devant l’Assemblée, doivent former des coalitions pour trouver
une majorité. Les rassemblements de partis aux positions hétéroclites ne
résistent pas longtemps à l’examen de questions délicates comme celle de la
politique à mener en Algérie. Un consensus règne, pourtant, sur l’idée de
garder l’Algérie française et sur la façon d’y parvenir. De novembre 1954 à
mai 1958, les six présidents du conseil à la tête des gouvernements, Pierre
Mendès France*, Edgar Faure, Guy Mollet*, Maurice Bourgès-Maunoury* et
Félix Gaillard*, raisonnent de façon similaire. Pour eux, il faut résolument
combattre la lutte pour l’indépendance et mettre en œuvre des réformes
économiques, sociales et administratives en vue de développer le pays et de
corriger les inégalités les plus flagrantes de ses institutions. Des deux volets
(réprimer, réformer), toutefois, le premier prime. Non seulement le retour à
l’ordre est pensé comme un préalable à toute autre politique mais le contenu
des mesures à prendre en la matière est moins risqué pour les gouvernements.
Ils ne sont pas renversés sur les mesures répressives mais sur les autres.
La IVe République dote la lutte contre l’insurrection de fondements
durables. La guerre et ses conventions étant rejetées, le choix est fait de créer
des législations d’exception : état d’urgence* en 1955, pouvoirs spéciaux* en
1956 qui inaugurent le transfert des pouvoirs de police* à l’armée. Le recours
massif au contingent est aussi décidé, par le biais de l’appel sous les drapeaux
et du rappel des disponibles, ces jeunes gens ayant terminé leur service
militaire*. La négation de l’état de guerre implique également, à partir de
1956, les exécutions de condamnés à mort quand le FLN* réclame le
traitement de ses membres en prisonniers* de guerre. S’y ajoute le refus de
tout regard extérieur dans un contexte où, sur la scène mondiale,
l’indépendance des colonies est une cause légitime ; le FLN mise au contraire
avec pertinence sur l’internationalisation*. Enfin, Mollet définit un triptyque
valable jusqu’à ce que de Gaulle* se prononce pour l’autodétermination en
1959 : cessez-le-feu, élections*, négociations*. Le FLN, de son côté, ne veut
pas d’un cessez-le-feu sans garantie sur l’indépendance, ni d’élections
désignant d’autres interlocuteurs que ses dirigeants pour d’éventuels
pourparlers.
L’idée qu’il faudrait réformer l’Algérie française pour la sauvegarder est
bien antérieure à la guerre mais après 1954, elle se renforce sous l’effet de
l’insurrection. Les Français d’Algérie, pour leur part, combattent les
réformes, surtout lorsque, touchant aux institutions* coloniales, elles mettent
leurs pouvoirs en péril. Mendès France est la première victime de cette
opposition. En janvier 1955, il est renversé par une Assemblée hostile à un
plan ambitieux (grands travaux hydrauliques, réduction des écarts de salaire
avec la métropole, accès des Algériens à de hauts postes de la fonction
publique, droit de vote aux femmes* algériennes, suppression des communes
mixtes gérées par un administrateur). Puis, le plan porté par le gouverneur
général Soustelle* ne trouve pas non plus de soutien. Il aboutit
essentiellement à la création des centres sociaux éducatifs* (CSE), sous
l’égide de Germaine Tillion*. En 1956, les pouvoirs spéciaux comportent un
important volet réformateur mais les réalisations restent limitées. Après
Mollet, Bourgès-Maunoury s’attelle à une loi-cadre* prévoyant l’instauration
du collège unique et l’autonomie de l’Algérie, découpée en territoires gérés
par un « conseil fédératif ». En butte à une très vive opposition, il
démissionne avant de présenter la loi au Parlement. Faure en fait adopter une
version remaniée, le 5 février 1958. Les élus des Français d’Algérie espèrent
en limiter la mise en œuvre. La chute de la IVe République que provoque, par
ricochet, le bombardement de Sakiet* en bloque de toute façon l’application.
Les femmes algériennes ont cependant désormais le droit de vote, inscrit à
l’article premier.
Ainsi, en dépit de la valse des gouvernements, la politique algérienne est
marquée par une grande continuité qu’explique la présence régulière de
certains hommes au pouvoir, appartenant essentiellement à la SFIO*, au parti
radical* et à l’UDSR. François Mitterrand*, ministre de l’Intérieur sous
Mendès France, est à la Justice sous Mollet. Jean Gilbert-Jules, secrétaire
d’État aux Finances et aux Affaires économiques dans les gouvernements
Mendès France et Faure, devient ministre de l’Intérieur avec Mollet et le reste
avec Bourgès-Maunoury. Quant à Christian Pineau, il est aux Affaires
étrangères sous Mollet, Bourgès-Maunoury et Gaillard. Un trio se distingue
tout particulièrement : Robert Lacoste*, ministre résidant à Alger, de
février 1956 à mai 1958 ; Max Lejeune, secrétaire d’État à l’Armée de terre*
dans le gouvernement Mollet puis ministre du Sahara dans les deux suivants ;
Maurice Bourgès-Maunoury, enfin, qui est en permanence au pouvoir. Il est
successivement ministre de l’Industrie et du Commerce, de l’Intérieur puis de
la Défense nationale, avant de diriger lui-même un gouvernement et de
revenir à l’Intérieur. Socialistes ou radicaux, mus par des principes jacobins
et/ou laïcs, selon les cas, tous trois se retrouvent, en 1961, dans un « Comité
de gauche pour le maintien de l’Algérie dans la République française ».
La continuité de l’action administrative explique aussi celle des politiques
menées. En matière économique et sociale, en particulier, un rapport rédigé
par un groupe d’études en 1955, sous Mendès, le rapport Maspétiol*, inspire
toutes les réformes postérieures. D’un gouvernement à l’autre, les projets,
rapports, notes, etc., sont gardés par les services administratifs qui les
ressortent à l’arrivée de nouveaux ministres. Certains hauts fonctionnaires,
restant en poste, mènent une action constante. Ils peuvent aussi faire
fructifier, au gré de leurs mutations, leurs expériences antérieures, parfois
d’Algérie en métropole ou inversement. Par exemple, Jean Vaujour*,
directeur des renseignements généraux d’Algérie au moment où la guerre est
déclenchée, conseille Bourgès-Maunoury à l’Intérieur en 1955, puis son
successeur, Gilbert-Jules. Au-delà de l’instabilité ministérielle, ainsi
s’élaborent des politiques relevant des mêmes logiques et aux contenus
similaires.
En 1958, la politique du général de Gaulle ne rompt pas
fondamentalement avec celle du régime précédent, sauf sur un point crucial :
le collège unique d’électeurs, annoncé dans l’euphorie des lendemains du
13 Mai*. Les condamnés à mort bénéficient également d’une grâce
collective. Pour le reste, de Gaulle propose aux combattants de l’ALN* de se
rendre, avec son appel à la « paix des braves », ce qui revient au cessez-le-feu
sans condition que le FLN rejette. Le plan de Constantine*, quant à lui,
reprend des propositions du rapport Maspétiol, tandis que le plan Challe*, du
nom du nouveau général en chef en Algérie, a pour ambition d’anéantir
l’adversaire. Seule l’autodétermination, annoncée le 16 septembre 1959,
change radicalement la donne. Pour la première fois depuis le début de la
guerre, l’indépendance est officiellement envisageable. En définitive, plus
que la fin de l’instabilité, cette lucidité différencie la IVe et la
Ve République*, tant elle permet de tracer une voie nouvelle pour l’avenir.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammation, 2012.
RÉPUBLIQUE, VE
L’appel à de Gaulle* par le Comité de salut public, le 13 mai 1958* à
Alger, a pour but de sauver l’Algérie française et non de changer de
République ; cependant le retour du Général implique une nouvelle
constitution. Il demande et obtient, pour six mois, les pleins pouvoirs à cet
effet. La Ve République naît donc dans un contexte considéré par les
opposants du Général comme un coup de force militaire ; le nouveau régime
est critiqué pour son autoritarisme aux dépens du système parlementaire,
traditionnel en France.
Les idées de De Gaulle sont connues depuis le discours de Bayeux
(1946). S’il se veut républicain, il voit le président en véritable chef. Ses
pouvoirs, sous la Ve République, n’ont jamais été aussi importants : il nomme
le Premier ministre et, sur sa proposition, les membres du gouvernement ;
avec les référendums sur l’organisation des pouvoirs publics, il instaure une
sorte de démocratie directe au-dessus des élus ; il peut dissoudre l’Assemblée
nationale. La responsabilité du gouvernement devant le Parlement doit être
limitée pour éviter l’instabilité que de Gaulle a toujours reprochée à la
IVe République*. L’Assemblée n’investit plus le Premier ministre et le
gouvernement peut faire passer un projet de loi en engageant sa
responsabilité grâce à l’article 49, alinéa 3. Contrairement à la
IIIe République en 1940, de Gaulle veut disposer d’un pouvoir important pour
des temps exceptionnels afin d’assurer la continuité du pouvoir : c’est
l’article 16. « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la
nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements
internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu,
le Président de la République prend les mesures exigées par ces
circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des
présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. » Très
débattue, cette question a fait craindre une dérive dictatoriale, même si la
consultation des autres autorités évite tout blanc-seing au chef de l’État. En
outre « les événements » d’Algérie justifient, aux yeux de De Gaulle, une
lecture particulière : il y a l’esprit et la lettre de la Constitution. Le chef de
l’État garde un « domaine réservé », dont la question algérienne. Le Premier
ministre et l’ensemble du gouvernement appliquent sa politique.
Défaisant ce qui a été construit après le 13 Mai, de Gaulle limite le poids
de l’armée et notamment du général Salan* qui cumulait les pouvoirs civils et
militaires : il confie à Paul Delouvrier*, délégué du gouvernement, les
questions politiques et économiques, et au général en chef, Challe*, les
questions militaires.
Selon l’article 20 de la Constitution, le Premier ministre « détermine et
conduit la politique de la Nation », mais, Michel Debré* étant favorable à
l’Algérie française, le chef de l’État met en place d’autres structures afin de
contourner l’autorité du chef du gouvernement et préserver son domaine
réservé. En juin 1958, le secrétariat général aux Affaires algériennes est
rattaché à Matignon, c’est-à-dire au général qui est alors chef du
gouvernement. Devenu chef de l’État, il réorganise les responsabilités pour
garder la main. À l’automne 1960, après son discours sur « la République
algérienne qui existera un jour », il crée un ministère chargé des Affaires
algériennes, dépendant de lui. Louis Joxe* est nommé et devient ministre
d’État, ce qui le place au deuxième rang dans la hiérarchie gouvernementale,
immédiatement derrière le Premier ministre : il en référera avant tout à
l’Élysée. Le délégué du gouvernement (Paul Delouvrier) est remplacé par un
délégué général en Algérie (Jean Morin*) qui passe de l’autorité du Premier
ministre à celle du ministre d’État chargé des Affaires algériennes. Matignon
est donc dessaisi de cette question, bien que de Gaulle et Joxe respectent les
formes et que Michel Debré soit associé aux discussions entre les deux
hommes. À la fin de 1960, il est clair que les décisions les plus importantes
sont prises directement à l’Élysée. Elles ne souffrent d’aucune contestation,
même si le président consulte ses ministres, individuellement ou en conseil,
maintient les formes et fait passer ses instructions concernant l’Algérie au
Premier ministre aussi bien qu’au ministre d’État chargé des Affaires
algériennes.
Ainsi, la décision de négocier avec les représentants du GPRA*, que le
FLN* a formé en 1958, officialisée le 30 mars 1961, émane de lui ; puis le
putsch* des généraux, le 22 avril, justifie la mise en œuvre des pouvoirs
exceptionnels et l’application de l’article 16 du 23 avril au 29 septembre. Le
gouvernement prend des dispositions en vertu de la loi du 16 mars 1956 qui
lui donne des pouvoirs spéciaux* et confirme que le ministre des Affaires
algériennes a délégation « pour prendre en Algérie, au nom du gouvernement,
toutes les décisions qu’imposent les circonstances » comme le lui avait
affirmé le général avant son départ pour l’Algérie, et les autorités civiles et
militaires ont une grande liberté pour agir.
Dans ce régime qui tourne le dos au système parlementaire, la
personnalisation du pouvoir est favorisée. Elle rend indispensables et
efficaces les prises de parole du chef de l’État, paraissant en uniforme à la
télévision, lors du putsch d’avril 1961 comme précédemment, le 29 janvier
1960 après la semaine des barricades*. Ses allocutions participent au
retournement de situation et signalent bien que l’autorité lui appartient.
En vertu du domaine réservé, après la proclamation de l’indépendance de
l’Algérie, de Gaulle nomme un proche, Jean-Marcel Jeanneney, ambassadeur
et haut représentant en Algérie qui ne dépend que de lui et non du Quai
d’Orsay. Un secrétariat d’État chargé des Affaires algériennes (1963-1966)
est maintenu après l’indépendance, et la gestion des questions de l’Algérie
reste contrôlée par l’Élysée.
La guerre d’Algérie a justifié le renforcement du pouvoir présidentiel
dans les institutions de la Ve République ; l’indépendance n’a pas
fondamentalement changé ces pouvoirs que les successeurs de Charles de
Gaulle ont maintenus, comme le domaine réservé, hormis sa dimension
algérienne.
Chantal MORELLE
RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE
ALLEMANDE (RDA)
La RDA exprime peu d’intérêt envers la lutte algérienne de libération
nationale au début de la guerre. En raison de la doctrine Hallstein ouest-
allemande qui n’est reconnue que par les pays du bloc communiste, la presse
de la RDA publie les informations émanant exclusivement du PCF*. Mais en
raison de cette même doctrine ouest-allemande, elle peut agir plus facilement
en faveur du FLN* sans risquer de provoquer des problèmes diplomatiques
avec la France et ses alliés de l’Otan. La politique « algérienne » de la RDA
devient très active dès la constitution du GPRA* en septembre 1958. Les
aides matérielles commencent à acheminer des vêtements, des médicaments
et de l’équipement hospitalier au FLN. Entre 1957 et 1962, la valeur du
matériel envoyé est de plus de 8 millions de marks est-allemands. Les jeunes
Algériens étudient aux universités Humboldt et de Leipzig, les ouvriers
algériens sont formés en RDA, et les combattants blessés sont soignés dans
les hôpitaux est-allemands. Beaucoup de légionnaires – prisonniers* ou
déserteurs – y sont rapatriés. Diverses manifestations sont organisées :
accueil solennel des blessés, meetings de solidarité… Mais le but principal de
la RDA, comme d’ailleurs de la RFA*, est aussi de se faire reconnaître par le
GPRA et d’établir des relations diplomatiques. Le problème de la
reconnaissance fait donc partie de la rivalité entre les deux Allemagne et
constitue ainsi un aspect de la guerre froide*, certes secondaire. Le GPRA,
craignant des représailles de la RFA contre les Algériens résidant dans le
pays, ne reconnaît pas la RDA, mais demande d’ouvrir un bureau du FLN à
Berlin-Est, ce que les dirigeants de la RDA n’acceptent qu’à la condition
d’une reconnaissance réciproque. À l’été 1960, Berlin-Est accepte que le
GPRA soit représenté de manière officieuse par le représentant d’un délégué,
Ahmed Kroun, de l’Union générale des travailleurs algériens* (UGTA). Mais
celui-ci est expulsé en mai 1961, en raison de ses activités non autorisées par
les autorités. L’Algérie indépendante établit des relations diplomatiques avec
la RFA en 1962. Après d’âpres négociations*, la RDA peut ouvrir une
mission commerciale à Alger en avril 1963. Mais il faut attendre 1971 pour
que l’Algérie et la RDA établissent des relations diplomatiques, quand la
doctrine Hallstein est enterrée avec la nouvelle Ostpolitik de Willy Brandt.
László NAGY
Bibl. : Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune
Afrique, 1981 • Fritz Taubert, La Guerre d’Algérie et la République
démocratique allemande. Le rôle de l’« autre » Allemagne pendant les
« événements » (1954 à 1962), Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2010
• —, « La RDA pendant la guerre d’Algérie et ses relations avec la
République Algérienne jusqu’à sa reconnaissance en 1971 : une guerre
continue », in Hervé Bismuth et Fritz Taubert (dir.), La Guerre d’Algérie et le
monde communiste, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2014.
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE
D’ALLEMAGNE (RFA)
Les années de guerre d’Algérie sont une période de grande mutation de
l’Allemagne fédérale : recouvrant sa pleine souveraineté par les accords de
Paris (23 octobre 1954), elle arrive à devenir au début des années 1960 une
puissance économique et politique de plein droit en Europe et dans le monde
occidental*. Pendant le conflit algérien, ce sont les problèmes de la division
de l’Allemagne et de Berlin qui occupent la première place dans sa politique
extérieure. Pour mener cette politique avec succès, le partenariat français et
une attitude de « non-ingérence » concernant le problème algérien, considéré
comme affaire intérieure française, sont indispensables. Cette attitude
réservée du gouvernement fédéral est perturbée par des problèmes de la
présence des Algériens en RFA ou de l’arraisonnement des navires des
sociétés allemandes transportant des armes vers la Tunisie* en 1957-1958. En
avril 1958, le bureau du FLN* s’installe à l’ambassade de Tunisie en RFA
sous la couverture d’un dit « service social », revêtant dès septembre de la
même année la fonction de représentation du GPRA*. Paris proteste, Bonn
dément sans vouloir fermer le bureau. Le Parti social-démocrate d’Allemagne
(PSDA) s’engage ouvertement du côté du GPRA. Une délégation du parti
invitée par le FLN effectue un voyage d’information en Tunisie en
septembre 1958. Elle est reçue par deux ministres du GPRA. À la fin du
voyage, le chef de la délégation, le député Wischnewski, donne une interview
à El Moudjahid, organe central du FLN, repris par la presse allemande, dans
laquelle il déclare : « Chaque jour qui passe est une bataille de plus perdue
pour le monde libre. Assez avec cette guerre inhumaine ! Donnez la liberté à
l’Algérie. » Le parti mène ensuite une campagne vigoureuse en collaboration
avec la société civile, les églises et les organisations estudiantines en faveur
de l’indépendance algérienne : meetings d’information, collecte pour les
réfugiés* algériens, reportages filmés, interviews diffusées des ministres du
GPRA, participation des invités du FLN aux conférences du PSDA. À
mesure que la politique algérienne de De Gaulle* évolue vers le dénouement
du conflit, Bonn s’adapte au contexte et gère le problème algérien de plus en
plus clairement, dans la perspective de l’indépendance. La campagne du
PSDA et son contact permanent avec le GPRA, par l’intermédiaire de Hans-
Jürgen Wischnewski, contribuent à ce que le nouvel État algérien reconnaisse
la RFA et non la RDA* en 1962.
László NAGY
Bibl. : Jean-Paul Cahn, « La République fédérale d’Allemagne et l’Afrique
du Nord (1949-1962) », Revue française d’histoire d’outre-mer, no 372-373,
2011 • — et Klaus-Jürgen Müller, La République fédérale d’Allemagne et la
guerre d’Algérie (1954-1962), Le Félin, 2003 • El Moudjahid. Organe
central du Front de libération nationale, [imprimé en Yougoslavie],
juin 1962, t. I-III, particulièrement nos 30 (septembre 1958), 44 (juin 1959),
50 (septembre 1959).
RÉSISTANCE ET GUERRE
D’INDÉPENDANCE ALGÉRIENNE
« Aux Françaises et aux Français qui ont résisté à Hitler ; à celles et ceux
qui ont affronté les périls, défié la mort et subi la torture* afin que cette
ombre recule au ciel de l’histoire, je dédie ce cri pour la justice et
l’honneur. » Ainsi Pierre-Henri Simon ouvre-t-il Contre la torture, au Seuil,
en 1957. Côté français, la mobilisation du passé de la Seconde Guerre
mondiale profite tout particulièrement à la dénonciation des méthodes de la
guerre. La qualification de la torture comme une pratique nazie, que les
Français se compromettent à utiliser, est récurrente. Au retentissant « Votre
Gestapo d’Algérie », de Claude Bourdet*, en 1955, font écho, en 1957, le
« Sommes-nous les vaincus de Hitler ? », d’Hubert Beuve-Méry, rendant
compte du livre de Pierre-Henri Simon dans Le Monde*, ou encore, en 1959,
la déclaration d’Edmond Michelet* reproduite en exergue de La Gangrène,
dénonçant la torture pratiquée en métropole : « Il s’agit là de séquelles de la
vérole, du totalitarisme nazi. » Les mesures répressives touchant les
Algériens de la région parisienne rappellent également aux contemporains les
« rafles* » de la guerre précédente, d’autant plus que le mot « rafles » est
toujours en usage dans les milieux policiers. Les législations d’exception
élaborées par les gouvernements, elles aussi, évoquent Vichy, notamment
quand elles concernent les camps d’internement*.
En tant que mouvement réifié, devenu emblématique de la lutte pour la
liberté, la Résistance peut être réinvestie dans les années 1954-1962 par des
jeunes qui n’y ont pas participé du simple fait de leur âge, des étudiants* par
exemple, comme ceux de Caen étudiés par Bertrand Hamelin. Du point de
vue des trajectoires individuelles, cependant, la diversité des valeurs et des
ancrages politiques des résistants ouvre la voie à des trajectoires tout à fait
contraires. Aucun parti pris ne va de soi pour les anciens résistants prenant
position sur l’indépendance de l’Algérie. Au nom des droits de l’homme, de
la lutte contre l’oppression, du droit à la souveraineté nationale, nombre
d’entre eux, à l’image de Francis Jeanson*, de Claude Bourdet ou d’André
Mandouze*, choisissent de soutenir les Algériens. D’autres, au nom de la
France, de sa puissance et de son empire, se rangent résolument du côté de
l’Algérie française allant jusqu’à soutenir l’OAS*, comme Georges Bidault et
Jacques Soustelle*, quand ils ne s’y engagent pas, comme Raoul Salan*. Ils
arguent que de Gaulle* en d’autres temps a lui-même justifié la
désobéissance au motif d’une noble cause. Parmi les militaires, certains
résistants prônent aussi la torture – c’est le cas de Raoul Salan et de Jacques
Massu* à Alger. Enfin, les destinées des résistants peuvent aussi être suivies
au sein de l’État où ils sont nombreux à faire carrière après 1945. De Gaulle
recrute tout particulièrement parmi eux après 1958, quand il est sûr de leur
loyalisme. Maurice Patin*, président de la Commission de sauvegarde*, en
est un parfait exemple.
Les partisans de l’indépendance, pour leur part, se comparent aux
résistants français afin de légitimer leurs engagements, quand ils n’ont pas été
eux-mêmes déjà engagés pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est le cas
de Jacques Salort et de Jean Farrugia, ces militants du PCA* membres des
Combattants de la libération*, jugés en 1957 par le tribunal permanent des
forces armées d’Alger. Pour continuer avec cet exemple, l’analogie avec la
résistance française est au cœur de la campagne pour la grâce
d’Abderrahmane Taleb, d’Abdelkader et de Jacqueline Guerroudj*,
condamnés à mort au même procès.
Le FLN* réinvestit l’argumentaire juridique de la Résistance française.
En 1961, dans La Révolution algérienne par le droit, paru à Bruxelles,
Mohammed Bedjaoui légitime les institutions* créées par le FLN, dont le
GPRA*. Réalisée à l’adresse du monde, dans un souci de légitimation des
revendications algériennes sur la scène internationale, cette entreprise
mobilise le droit avec une imitation assumée des Français. Le mimétisme de
la dénomination du GPRA avec le GPRF de 1944 est frappant, de même que
la toute première appellation envisagée, « gouvernement de l’Algérie libre »,
rappelait la France libre. Au-delà de ce mimétisme, Mohammed Bedjaoui
fonde l’existence du GPRA sur une série de précédents historiques, en
rappelant qu’à plusieurs reprises, notamment en France au XIXe siècle, la
proclamation de gouvernements provisoires a précédé leur investiture légale.
« Les exemples de formation du GPRF en 1944 et du GPRA le 19 septembre
1958 vont dans le même sens », conclut-il. Cet argumentaire élaboré dans les
normes du discours juridique doit tout à la formation de Mohammed
Bedjaoui. Arrivé à la faculté de droit de Grenoble en 1948, il a soutenu en
1956 une thèse de droit international remarquée, puisqu’elle a été primée, à
Londres, par la fondation Carnegie. Rejoignant le FLN, il est devenu, en
1958, l’un des collaborateurs d’Ahmed Francis, ministre des Finances et des
Affaires économiques du GPRA. Il a alors contribué à l’œuvre juridique du
FLN, en travaillant notamment à l’élaboration des institutions provisoires de
l’Algérie en devenir. Après l’indépendance, il a poursuivi une brillante
carrière tant dans son pays que dans diverses instances mondiales.
Au-delà d’un argumentaire juridique puisant dans le précédent de la
Seconde Guerre mondiale, l’édition de La Révolution algérienne par le droit
relie directement Résistance française et FLN. Le livre est en effet publié par
l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD), une association
créée en 1946 par des juristes résistants de diverses obédiences, avant que son
identité communiste ne s’affirme ; son lien avec Moscou est étroit. En 1961,
Pierre Cot, son président, signe la préface de La Révolution algérienne par le
droit et Mohammed Bedjaoui ne manque pas de remercier Joë Nordmann,
secrétaire général de l’AIJD, pour la publication de l’ouvrage. Les modalités
de la rencontre du FLN avec l’association restent à élucider, mais elle est
peut-être passée par la relation qu’ont nouée Mohammed Bedjaoui et Pierre
Cot, à Grenoble, vraisemblablement, où ce dernier dit avoir été l’un des
« maîtres » de l’étudiant algérien. Il est cependant possible que le contact se
soit établi en dehors de l’université, dans des réseaux croisant militantisme et
liens familiaux : la fille de Pierre Cot aurait été engagée auprès du FLN. Quoi
qu’il en soit, l’histoire gagnerait à considérer ensemble les deux conflits qui
ont été si proches dans le temps. Tout juste esquissée ici, la façon dont le
passé de la Seconde Guerre mondiale rejoue dans la Guerre d’indépendance
algérienne présente de multiples facettes qui restent à explorer, au-delà même
de la Résistance qui en est l’aspect le plus évident.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Bertrand Hamelin, « Les résistants et la guerre d’Algérie »,
in Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault (dir.), La France en guerre (1954-
1962). Expériences métropolitaines de la guerre d’indépendance algérienne,
Autrement, 2008 • Liora Israël, « La résistance par le droit ? Un
enseignement paradoxal de l’histoire de France des années sombres »,
in Pierre Truche, La Résistance dans la pratique judiciaire (1940-1944), La
Documentation française, 2012 • Sylvie Thénault, « “La nation du FLN, c’est
la résistance ?” », in Tahar Khalfoune (dir.), Mélanges en l’honneur de
l’historien Gilbert Meynier, L’Harmattan, 2019.
« RÉSURRECTION », OPÉRATION
Des militaires à Alger et des proches de De Gaulle* à Paris prévoient une
intervention de l’armée pour favoriser le retour du Général aux affaires. Ce
projet de coup de force militaire porte le nom de code Résurrection après que
de Gaulle a utilisé le mot lors de sa conférence de presse du 19 mai 1958. Sa
préparation, avancée, est stoppée par l’appel du président Coty à de Gaulle le
29 mai.
Le 18 mai le général Salan* accepte que deux militaires se rendent à Paris
pour mettre au point une opération appuyée par les troupes d’Algérie. Du 24
au 26 mai, une équipe arrive en Corse, aidée par le 1er bataillon de choc lié au
SDECE*, rejointe par Delbecque, fidèle du Général : la Corse ralliée, un
Comité de salut public y est créé. Des parachutages de troupes d’Algérie et de
métropole sont prévus à Paris le 29 pour contraindre à la création d’un
gouvernement de salut public dirigé par de Gaulle, et des avions décollent de
Paris pour le sud-ouest.
Que sait de Gaulle de ce projet et quelle est sa part de responsabilité ?
Cela pose la question de la légalité de son retour. Son entourage proche est
impliqué et nie – contrairement aux militaires – qu’il a donné son
approbation. Si un accord existe sur le but (son arrivée au pouvoir), il manque
sur les moyens. Au moment du déclenchement de l’opération parisienne,
Debré* signale que, pour de Gaulle, l’armée ne doit agir qu’en cas de refus
de Coty de faire appel à lui, de prise de pouvoir par les communistes et de
risque de guerre civile ; sinon il faut seulement maintenir la pression.
Officiellement, le Général insiste sur le respect de la légalité, sur « le
processus régulier » (communiqué du 27 mai). Le lendemain, il dit à un
émissaire de Salan qu’il ne viendra pas au pouvoir dans les fourgons de
l’armée, tout en jugeant les moyens projetés insuffisants. Si l’appel « au plus
illustre des Français », le 29 mai, arrête l’opération, la mobilisation des
acteurs est maintenue jusqu’au 3 juin, jour de l’investiture ; dans son
discours, de Gaulle renvoie dos à dos l’opération « Résurrection » et les
manifestations* de défense républicaine qui auraient été responsables d’une
guerre civile : ce n’est donc pas un désaveu. Si la légalité républicaine est
sauve, la pression organisée par l’armée et soutenue par l’entourage gaulliste
a été décisive. De Gaulle a joué de ses approbations silencieuses et du respect
de la démocratie. En ce sens, l’opération est bien « un coup d’État
démocratique ».
Chantal MORELLE
Bibl. : Christophe Nick, Résurrection. Naissance de la Ve République, un
coup d’État démocratique, Fayard, 1998.
RÉVOLUTION AFRICAINE
Au cours du procès du « réseau Jeanson* » en septembre 1960,
Me Jacques Vergès* a fait l’objet de poursuites du fait de ses déclarations
mettant en cause le Premier ministre Michel Debré*. Le 15 février 1961, il
est condamné à quinze jours de prison* et ne peut plus plaider pendant une
année. Afin d’éviter la détention, il part s’installer au Maroc* où il se
rapproche d’Abdelaziz Bouteflika* et d’autres leaders africains. Il fait partie
de la délégation qui accueille Ahmed Ben Bella* après sa libération en 1962.
En novembre, le futur président de la République algérienne lui demande de
créer un journal, financé par le FLN*, pour œuvrer en faveur de la libération
des pays africains. Jacques Vergès accepte et fait appel à Gérard Chaliand,
étudiant de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco),
membre des réseaux de « porteurs de valises* ». Celui-ci accepte de devenir
le rédacteur en chef du journal. Son épouse Juliette Minces, future
sociologue, également membre du réseau mis en place par Henri Curiel*,
l’accompagne pour travailler comme journaliste. Parmi les membres qui
rejoignent l’équipe figurent aussi l’écrivain Georges Arnaud (auteur du
Salaire de la peur), le dessinateur Siné, et Georges Chatain, jeune journaliste
professionnel ayant également milité contre la guerre d’Algérie. L’équipe du
journal se réunit dans les anciens locaux de L’Écho d’Alger* aux thèses
partisanes de « l’Algérie française ». Le premier numéro de Révolution
africaine sort le 2 février 1963. Le journal devient une référence
internationale sur la situation en Afrique, devenant même une « presqu’île de
modernité » en Algérie selon Catherine Simon. De fait, le journal a abordé de
nombreux sujets sur les colonies portugaises, sur l’Afrique du Sud, mais aussi
sur la situation intérieure algérienne, se faisant déjà l’écho d’un débat sur la
langue par exemple ou dénonçant aussi la corruption. Cependant, rapidement
des dissensions interviennent au sein de la rédaction, notamment à la suite du
voyage de Jacques Vergès et de son épouse Djamila Bouhired* en Chine*,
qui conduisent à des articles vantant le régime maoïste. Après le dix-
huitième numéro, Jacques Vergès quitte le journal, qui est repris par
Mohammed Harbi*, le futur historien alors conseiller à la présidence de Ben
Bella. Les « pieds-rouges* » quittent progressivement le journal au cours des
années 1963 et 1964. Mohammed Harbi est quant à lui arrêté après le coup
d’État de Houari Boumediene* en juin 1965. Le journal continue à exister
ensuite, sans avoir la même portée.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « The French Networks Helping the
Independence Movements of Portuguese Colonies. From the Algerian War to
Third-Worldism », Afriche e Orienti, vol. 19, no 3, 2017 • Catherine Simon,
Algérie, les années pieds-rouges. Des rêves de l’indépendance au
désenchantement (1962-1969), La Découverte, 2009.
REVUES
La guerre d’Algérie fut une « guerre de l’écrit », déclenchée bien avant
1954 avec les deux pôles qu’on retrouvera plus tard, mais qui ne sont pas
encore bien affirmés : justification du maintien de la colonisation et lutte
contre la domination. Les revues, à côté des journaux, vont se positionner
dans le champ éditorial en France et en Algérie et rendre visible une
structuration dont on peut relever les lignes de force. Après une
recomposition de ce champ à la suite de l’épuration à la fin de la Seconde
Guerre mondiale, même si en Algérie la presse vichyste ne fut pas vraiment
inquiétée, le discours colonial continue, encore plus radical, surtout après la
répression des soulèvements de Sétif et du Constantinois.
À partir de 1955-1956, on a une information plus massive sur les
« événements ». Le pôle opposé à la guerre parle de violences que rien ne
justifie : exécutions sommaires* et torture* (à partir de 1956). Les revues
s’occupent plus des analyses, des dossiers sur telle ou telle question, des
témoignages* d’appelés et des extraits des livres censurés.
En 1955, Colette et Francis Jeanson* (alors secrétaire général des Temps
modernes) publient L’Algérie hors la loi (Seuil) qui constitue le « bréviaire
des anticolonialistes ». L’ouvrage comme la revue se livrent à une analyse
radicale du système colonial et jouent un rôle central dans le débat sur la
guerre et les méthodes qui y sont employées.
Des deux côtés de la mer, on a donc deux pôles discursifs (avec les
implications politiques qui les accompagnent) entre anticolonialisme, hostilité
à la guerre et dénonciation des violences (notamment dans les revues
chrétiennes et de gauche comme Esprit et Les Temps modernes) et
colonialisme, justification de la guerre et intensification de la répression.
En Algérie, face aux thèses colonialistes développées dans un journal
comme L’Écho d’Alger*, relayées en France notamment par La Revue de
Paris, se développe un front contre le discours dominant, dont les
implications peuvent aller très loin : reconnaissance du droit à l’insoumission
et soutien effectif aux combattants algériens.
On peut voir les prémices d’une volonté de faire évoluer le système
colonial dans les revues culturelles des années 1950 (Forge, Progrès,
Simoun, Soleil, Terrasses… souvent créées par des écrivains) qui œuvrent à
l’établissement d’une communauté culturelle en transcendant la séparation
coloniale.
Mais les publications des organisations nationalistes et des intellectuels
engagés pour la cause algérienne se font plus radicales. Les revues
Consciences algériennes (1950-1951) puis Consciences maghribines (1954-
1956), sous l’impulsion d’André Mandouze*, ont un ton et développent une
dénonciation sans concession de la colonisation. Elles vont, avec des
différences, dans le même sens que les éditions En-Nahdha, qui les publient,
ou Le Jeune Musulman, revue des ulémas où paraissent les premières
analyses sur la littérature* algérienne francophone des années 1950 et où sont
esquissées les lignes du champ littéraire de l’État-nation en constitution.
C’est dans ce contexte que la question de la torture s’impose, notamment
sur l’impulsion d’intellectuels chrétiens (Jean-Marie Domenach, André
Mandouze, Paul Ricœur dans Esprit) et de gauche (Jean-Paul Sartre*,
Simone de Beauvoir* dans Les Temps modernes) ou simplement humanistes
(Raymond Aron dans La Nef). Des témoignages et dossiers sont publiés :
« Le dossier Müller », récit d’un jeune soldat mort en Algérie, Témoignage
chrétien, 1957, « Le cahier vert » qui regroupe les lettres, reçues par les
avocats Jacques Vergès* et Michel Zavrian, signalant les disparitions*, Les
Temps modernes, 1959.
Esprit publie de 1947 à 1962, en plus des analyses et des dénonciations
générales (Mandouze, Jeanson, Lacheraf*, Massignon*), des récits d’acteurs
de la guerre (« La paix des Némentchas » de Robert Bonnaud, 1957 ;
« Aventure d’un parachutiste » de Pierre Leulliette, 1959).
Ces revues, comme les journaux et les livres, sont soumises à la censure*
et aux saisies. Mais elles peuvent permettre de précéder et de contourner
l’interdiction en publiant des dossiers, des extraits de livres saisis ou les
minutes des procès qui permettent d’avoir le texte saisi quasiment en entier.
On peut également y lire des analyses et des dénonciations radicales du
colonialisme (Sartre ou Lacheraf). On y voit les premières études de la
littérature et de la culture algériennes (Lacheraf) ou les textes des écrivains
algériens : Kateb* Yacine (« Le cadavre encerclé », Esprit, 1954-1955).
Entretiens publie un numéro spécial (février 1957) avec plus d’une dizaine
d’auteurs algériens.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Jean-Robert Henry, « Consciences algériennes et Consciences
maghribines : résister au colonialisme », Le Carnet des glycines, disponible
en ligne, https://glycines.hypotheses.org/221 • Joël Roman, Esprit. Écrire
contre la guerre d’Algérie, Hachette, 2002.
ROCARD, RAPPORT
En 1959, la presse* française s’empare des camps de regroupement*. El
Moudjahid y avait consacré un article en février 1958, dont des fragments
avaient été repris en France mais sans qu’une véritable campagne s’ensuive.
Le 11 février 1959, Mgr Rodhain, secrétaire général du Secours catholique,
lance l’alerte dans La Croix, au sujet de la « sous-alimentation » du « million
de réfugiés* » algériens. « Des hommes ont faim. Des enfants ont faim […].
Il y a un devoir pour l’autorité du pays à [y] remédier », a-t-il écrit à Paul
Delouvrier*, délégué général du gouvernement en Algérie, dans un rapport
qu’il fait alors connaître. France Observateur et Le Monde*, qui publie un
premier article le 12 mars, entretiennent le scandale en reproduisant de larges
extraits d’un autre document, dans leurs éditions du 16 et du 18 avril 1959 :
une « note sur les centres de regroupement ». Elle leur a été transmise par
deux membres du cabinet d’Edmond Michelet*, ministre de la Justice :
Gaston Gosselin et Joseph Rovan, anciens résistants et compagnons de
captivité du ministre à Dachau. La fuite de documents est l’une de leurs
stratégies pour faire connaître les réalités de la guerre en Algérie et tenter
d’en hâter la fin.
La dénonciation des camps de regroupement s’élargit. Elle gagne Le
Figaro*. Ils sont aussi évoqués à l’Assemblée nationale le 9 juin 1959, tandis
que le FLN* lance une campagne internationale. Le rapport, comme tant
d’autres, finit par être intégralement reproduit dans La Raison d’État en 1962.
Vidal-Naquet* l’a obtenu du Monde mais le publie sans connaître l’identité
de son auteur, dévoilée dans la réédition de l’ouvrage en 2002. À l’époque, il
a été attribué à un groupe de « six fonctionnaires ».
La « note » émane de Michel Rocard, alors jeune inspecteur des finances
(il n’a pas 30 ans), ancien dirigeant des étudiants* socialistes, envoyé en
Algérie. L’un de ses amis, officier* SAS, lui a parlé des camps de
regroupement et ils se sont lancés ensemble dans une enquête officieuse.
Avec ou sans son ami, Rocard parcourt les départements d’Orléansville et de
Tiaret ainsi que l’arrondissement de Blida. Il s’éloigne donc assez peu
d’Alger mais complète ses informations par la documentation administrative
disponible. Remis à Delouvrier le 17 février 1959 puis au cabinet de
Michelet, son rapport lui a échappé. Il n’en souhaitait pas la publication.
Le rapport dresse un état des lieux « tragique », pour reprendre un
qualificatif dont Rocard use à plusieurs reprises. Il commence par une
tentative de définition des camps de regroupement en insistant sur leur
« importance numérique » pour en arriver rapidement au point crucial de son
rapport : « Tout déplacement de population entraîne une amputation toujours
sensible, parfois totale, des moyens d’existence des intéressés. » Et ce, alors
même que la proportion d’enfants y est considérable : il estime proche de
55 % la proportion des moins de 15 ans, en moyenne. La deuxième partie du
rapport, consacrée à la « situation des regroupés », revient sur le sort réservé
aux plus jeunes : « Une loi empirique a été constatée : lorsqu’un
regroupement atteint 1 000 personnes, il y meurt à peu près un enfant tous les
deux jours. » Il démontre ensuite la quasi-inexistence des « ressources » des
familles, souvent privées de présence masculine sauf chez les plus âgés. Le
déplacement les a coupées de leurs terres et fait perdre leur cheptel alors
qu’elles vivaient d’un élevage extensif déjà peu rentable. L’« assistance »
qu’elles perçoivent dans les camps est en outre aléatoire. « La situation
alimentaire est donc préoccupante dans la quasi-totalité des centres de
regroupement. Des moyens d’existence doivent à tout prix être fournis à ces
populations pour éviter que l’expérience ne se termine en catastrophe. » Dans
sa troisième partie, le rapport préconise une solution permettant à
l’administration civile de reprendre la main sur les militaires qui gèrent alors
les camps : y créer des coopératives et y affecter des spécialistes des
questions agricoles. Sa conclusion est sans appel : « Un million d’hommes,
de femmes et d’enfants sont pratiquement menacés de famine » mais des
mesures « viables » peuvent être prises « pour des temps plus cléments », soit
après-guerre. Les déplacements massifs de population sont consubstantiels à
la lutte contre les maquis, ils ne pourront cesser qu’avec la fin du conflit.
Le rapport conduit Delouvrier à interdire la création de nouveaux
regroupements, par circulaire, le 30 mars 1959. Il la communique d’ailleurs à
la presse après la publication du rapport, en gage de sa réactivité, avant de
concevoir le projet d’une transformation des camps en « mille villages ».
Rocard et lui raisonnent et agissent en serviteurs de l’État, sans envisager
officiellement l’indépendance.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Michel Rocard, Rapport sur les camps de regroupement et autres
textes sur la guerre d’Algérie, édition critique établie sous la direction de
Vincent Duclert et Pierre Encrevé, avec la collaboration de Claire Andrieu,
Gilles Morin et Sylvie Thénault, Mille et une nuits, 2003.
SANTÉ
La santé est l’un des chapitres qui met le mieux en lumière les inégalités
de traitement entre Européens et musulmans. Au bout de cent trente ans de
gouvernement colonial, l’état sanitaire de la population musulmane reste
déplorable. Certes, des progrès considérables ont été accomplis par rapport à
la situation précoloniale mais les ressources budgétaires consacrées à la santé
publique restent marginales.
Dans les villes, les citadins s’entassent souvent dans une promiscuité
favorisant les épidémies urbaines (choléra, peste). Dans les campagnes, la
variole et le typhus déciment périodiquement les populations. Dans les
vallées ou les plaines marécageuses, le paludisme sévit. Durant la guerre de
conquête, les troupes françaises enregistrent davantage de décès dus à la
malaria qu’aux combats. Elles font une priorité de la lutte contre cette
maladie et créent les premières infrastructures. De 1830 à 1900, le seul
progrès spectaculaire en matière de politique sanitaire concerne le paludisme.
Le nom du Dr Maillot y reste attaché qui, dès 1833, à Bône, prescrit, contre
l’académie, l’usage de la quinine. En 1880, à Constantine, le Dr Laveran
découvre le protozoaire.
Une statistique de 1903 donne une idée des affections endémiques les
plus fréquemment soignées : le paludisme (1 508 cas), la syphilis (1 263 cas)
et le trachome (591 cas). S’y ajoutent périodiquement le choléra, la peste, le
typhus, la typhoïde et la variole. L’urbanisation favorise la tuberculose et les
maladies vénériennes. Albert Camus* découvre sa tuberculose en 1930. Il a
17 ans.
Les premiers médecins sont des militaires qui soignent d’autres militaires
en campagne. Les premiers hôpitaux sont militaires : 11 en 1833 et 33 en
1850. En 1845, l’organisation d’un « service médical de colonisation » est
décidée mais la santé militaire domine longtemps par ses infrastructures et
son personnel. En 1852, des commissions municipales d’hygiène
apparaissent. En 1853, des « médecins de colonisation » y sont affectés.
La politique de santé de la colonie reste segmentée en trois éléments : les
hôpitaux militaires, les hôpitaux civils destinés aux Européens et
l’« assistance médicale aux indigènes ». Le premier hôpital est militaire,
construit en 1854 au lieu-dit « Mustapha » dont il tire son nom. En 1874, un
hôpital destiné exclusivement aux musulmans est créé aux Attafs. Sa gestion
est confiée aux Pères blancs. À partir de 1904, des « infirmeries indigènes »
voient le jour et un corps d’auxiliaires médicaux masculins musulmans est
institué. En 1920, les « infirmeries indigènes » deviennent des hôpitaux
auxiliaires. À la veille de l’insurrection de 1954, il existe 3 grands hôpitaux
de chef-lieu (Alger, Oran et Constantine) et 112 hôpitaux polyvalents, soit 1
lit pour 300 habitants.
Au XIXe siècle, l’action sanitaire relève de l’armée et des communes.
C’est seulement après 1900 qu’une coordination d’ensemble voit le jour. Une
Commission supérieure d’hygiène est créée et, en 1909, le directeur de la
santé maritime d’Alger devient le coordonnateur unique des actions de santé
publique sur le territoire. On ajoute en 1928 un Office algérien de médecine
préventive et d’hygiène.
Les Statistiques financières rendent compte du déséquilibre des
ressources budgétaires consacrées à la santé des Européens et des
musulmans. De 1901 à 1918, les dépenses cumulées de l’assistance publique
sont de 44 855 000 francs pour les Européens (600 000 personnes, soit
74 francs/tête) et de 5 891 000 francs pour les indigènes
(4 500 000 personnes, soit 1,3 franc/tête).
La formation de médecins reproduit les mêmes déséquilibres. On forme
d’abord des médecins militaires, puis européens pour la population
européenne et, sur le tard, quelques musulmans. La première école de
médecine est créée par l’armée en 1831. En 1855, l’école de médecine et de
chirurgie d’Alger lui succède. En 1884, le premier médecin algérien y
soutient sa thèse. En 1909, la faculté de médecine et de pharmacie d’Alger
voit le jour. Les étudiants* musulmans en médecine ne sont que 7 en 1915
puis 13 en 1932 et, enfin, 123 en 1954. En 1946, il n’y a que 0,6 médecin
pour 10 000 habitants. En 1960, ils sont 17. Ce bond spectaculaire montre
que la santé a bénéficié comme les autres secteurs des importants
investissements décidés après 1945.
Le retard reste grand et les écarts entre Européens et musulmans toujours
marqués. L’espérance de vie à la naissance reste basse : en 1948-1951, elle
est, pour les musulmans, de 44 ans pour les hommes et de 49 ans pour les
femmes. Pour les Européens, elle est respectivement de 60 et de 67 ans. Faute
d’instruction publique des femmes, la mortalité infantile reste forte chez les
musulmans, 192 pour 1 000 en 1951 contre 61 pour les Européens. En 1954,
le recensement général n’évalue qu’à 4,5 % la part des femmes musulmanes
alphabétisées. Santé et instruction publiques sont restées deux parents
pauvres de la colonisation. Dès 1956, des actions intensives de rattrapage
sont menées durant la guerre avec la multiplication des dispensaires
médicaux et des centres d’animation, pour le progrès, l’hygiène et l’éducation
auprès des sections administratives spécialisées* (SAS), auxquels
s’ajoutèrent, plus spécialement en direction des femmes du monde rural,
analphabètes pour la plupart, des équipes médico-sociales itinérantes*
(EMSI), en général féminines et polyvalentes.
Ahmed HENNI
Bibl. : Commissariat général du Centenaire, Le Centenaire de l’Algérie,
exposé d’ensemble, Alger, Soubiron, 1931 • Claire Fredj, « Encadrer la
naissance dans l’Algérie coloniale. Personnels de santé et assistance à la mère
et à l’enfant “indigènes” (XIXe-début du XXe siècle) », Annales de
démographie historique, no 122, 2011 • Gouvernement général, Quelques
Aspects de la vie sociale et de l’administration des indigènes en Algérie,
Alger, Imprimerie orientale Fontana, 1922.
SCIENCES SOCIALES
ET COLONISATION
L’affirmation des sciences sociales comme disciplines positives est
concomitante du développement du capitalisme, de son expansion à l’échelle
du monde par l’exploitation des pays dominés. Occidentalo-centrées, les
sciences sociales ont accompagné, au moins jusqu’à la première moitié du
e
XX siècle, et ceci aussi bien, par les justifications, les représentations qu’elles
véhiculaient, que les informations qu’elles faisaient remonter, une domination
fondée sur la force et la violence de la puissance colonisatrice. Cependant
cette interpénétration n’a pas été aussi mécanique et univoque ; les
productions, enquêtes et travaux d’observation qu’elles ont développés, ont
participé également à une connaissance du milieu et des populations. Elles
ont fait remonter des données importantes, des connaissances et des savoirs
qui restent éclairants des « situations coloniales ».
À ce titre, le cas algérien est emblématique, en ce qu’il témoigne des
logiques qui ont vu s’interpénétrer et se nourrir les unes par les autres : la
légitimation intellectuelle et idéologique de la domination fondée sur
l’inégalité raciale, le primat de la civilisation occidentale, et les actions ainsi
que les pratiques développées sur le terrain.
Dans les premières années de l’intrusion coloniale, ce sont des hommes
d’action, militaires, administrateurs et colons*, qui sont sur place. L’heure
n’est pas à la compréhension, à l’analyse mais à la domination. La
connaissance de l’Algérie qui est développée est descriptive, elle est
reconnaissance d’un terrain, terrain géographique en premier lieu, terrain
humain ensuite. L’Algérie de la deuxième moitié du XIXe siècle est
« l’Algérie des anthropologues et ethnologues ». Les premiers ouvrages se
veulent avant tout des projets de découvertes, d’exploration « scientifique ».
La résistance insoupçonnée des Algériens va appeler progressivement à une
connaissance plus approfondie, plus analytique. Sont ciblés les noyaux durs à
réduire : d’abord les ordres religieux, ensuite les « Kabylies ». Sont ainsi tour
à tour observées les structures organisationnelles des ordres religieux, les
structures sociales de la société kabyle. Tous les stéréotypes, tous les mythes
et les représentations qui vont scander la vision coloniale de l’autre, de
« l’indigène », se trouvent en gestation dans cette production ethnologique. Il
y a bien sûr la séparation Arabes/Kabyles, mais aussi et surtout la présence
d’un Islam déclaré obsolescent, rétrograde et fanatique, pourtant bien
permanent et toujours au cœur du refus. Les présupposés de ces différentes
tentatives sont donc clairs. Il s’agit moins de reconnaître une spécificité que
d’envisager les modalités de son détournement, de sa dissolution.
L’insurrection de 1871 en ébranlant le système colonial va mettre à nu sa
logique interne, touchée au cœur ses symboles. Le déplacement de terrain
dans la production des connaissances sur la société coloniale comme dans les
objectifs recherchés est assez net à partir de cette date. L’expérience
synthétique du Royaume arabe est bien loin. L’Algérie coloniale entrait dans
une phase d’expansion. La colonisation foncière triomphait. La science du
droit colonial s’affirmait et devenait une « science politique du plus haut
intérêt ».
Une plus grande ouverture de l’institution universitaire aux sciences
sociales va correspondre à un recentrage de l’analyse sur la société locale
indigène. Alors que celle-ci évoluait, que l’Islam se transformait sous le
double effet de l’ébranlement causé par la Première Guerre mondiale et de
l’influence du mouvement de réforme religieuse venu du Moyen-Orient, le
retour de l’institution sur le local, sur les coutumes, donne l’illusion d’un
évitement du religieux déjà mis en boîte et prétendu dépassé. L’institution se
faisait ainsi l’instrument d’un processus de fixation/détournement.
L’approche ethnologique et sociologique, qui prend de l’ampleur à partir des
années 1920, tendait à vouloir ancrer davantage dans les institutions* vidées
de leur contenu par la puissance coloniale une société en mouvement, et à
éloigner celle-ci de l’Islam perçu même dans son expression la plus
appauvrie, comme le catalyseur essentiel d’un nationalisme* en éveil.
Les sciences sociales et humaines – le droit, l’anthropologie, l’ethnologie,
la sociologie, la géographie, la psychologie sociale, la littérature* même – se
rejoignaient alors dans une sorte de formalisation de l’idéologie coloniale ;
« le colonialisme » triomphait, les enseignements, les connaissances sur la
société locale et l’idéologie coloniale tendaient à se confondre, ceux-ci à se
réaliser à travers celle-là. Les analyses et les recherches retrouvaient leur
domaine privilégié : « le monde berbère ».
On peut donc dire que, jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre
mondiale, l’évolution confirme le monopole de fait de l’institution
universitaire qui se met en place, en matière de traitement analytique de la
colonisation. Les professeurs se font les porte-parole d’une colonisation
totale. Ils transmettent les valeurs considérées comme essentielles, « l’esprit
de colonisation, les méthodes de gouvernement colonial, les mobiles de la
législation spéciale, les éléments de la subdivision arabes/kabyles, les raisons
de l’infériorité des indigènes ». Les analyses fondées sur les mythes
coloniaux, abordées par les enseignants de l’université d’Alger* et revêtues
en tant que telles du sceau de la scientificité, devenaient incontestables,
même chez les pairs de l’autre côté de la Méditerranée.
Au moment où le nationalisme est aux portes de l’action armée, le
monopole de l’institution universitaire s’effritait peu à peu. Au début des
années 1950, quelques enseignements et travaux, portés par une minorité
d’enseignants, expriment des points de vue quelque peu critiques, distanciés
par rapport à ce qui avait prévalu jusque-là. Mais face au développement de
la lutte pour l’indépendance qui remet l’Algérie à l’ordre du jour des
préoccupations métropolitaines, le combat des universitaires coloniaux paraît
comme celui d’une arrière-garde qui cherchait, en figeant un mouvement de
transformation largement engagé, à éviter l’abandon. Dans un tel contexte,
une grande majorité des professeurs s’implique davantage dans le combat
politique. Les sciences sociales, dont l’anthropologie, se mettent au service
de la répression et des opérations dites « de pacification* » dans une logique
de penser « l’armée comme matrice d’organisation des savoirs ». Sera créé
auprès du Premier ministre un centre de recherches : le LSHA (le Laboratoire
des sciences humaines appliquées), organisé sur le modèle de l’institution de
sondage « Gallup Institute », visant à réunir les spécialistes des « questions
musulmanes ». La sociologie sera sollicitée à travers des commandes
militaires pour une meilleure connaissance du milieu paysan, des camps de
regroupement* et du monde du travail* ; la psychologie et la psychologie
sociale vont être des portes d’entrée pour tenter de comprendre « les
mentalités et les comportements des autochtones », voire les refaçonner.
Aissa KADRI
Bibl. : Philippe Lucas et Jean-Claude Vatin, L’Algérie des anthropologues,
Maspero, 1975 • Marnia Lazreg, « L’organisation militaire du savoir et le
rêve d’un sujet colonial nouveau », in Aissa Kadri, Moula Bouaziz, Tramor
Quemeneur (dir.), La Guerre d’Algérie revisitée. Nouvelles générations,
nouveaux regards, Karthala, 2015.
SCOUTS DE FRANCE
L’Association des scouts de France se veut discrète durant la Guerre
d’indépendance algérienne afin de préserver son unité. Elle se saisit
néanmoins de la question par La Route, sa branche aînée, sous l’influence de
son commissaire national, Paul Rendu, pour lequel la jeunesse doit participer
à la construction d’un monde meilleur. Au moment où débute la Guerre
d’indépendance algérienne, Michel Rigal, commissaire général des scouts de
France, et Paul Rendu sont en tournée en Algérie. Ils signent, le 2 novembre
1954, avec les responsables de quinze mouvements de jeunes d’Algérie, une
lettre au gouverneur général qui dénonce les violences du FLN*, la
répression, et appelle au rapprochement entre les deux communautés en
Algérie. Le 27 octobre 1956, la mort de Jean Müller, routier rappelé en
Algérie, provoque une crise sans précédent et met en lumière les divisions du
mouvement. Un hommage dans la revue* est rendu à celui qui fut membre de
l’équipe nationale de La Route. Mais ses lettres, qui révèlent le quotidien du
soldat en Algérie mais aussi la généralisation de la torture*, divisent les
scouts de France qui refusent d’en assurer la publication. Témoignage
chrétien (TC), à l’avant-garde du combat anticolonialiste, s’en charge en
février 1957, en pleine bataille d’Alger*, dans un Cahier de TC intitulé « De
la pacification à la répression. Le dossier Jean Müller » Paul Rendu et le père
Liégé, aumônier de La Route, décident de publier dans le numéro de
mai 1957 de La Route une citation de Jean Müller accompagnée d’une
publicité pour le « dossier ». Jamais la revue n’est allée aussi loin dans la
dénonciation de la guerre en soutenant ce Cahier. Alors que les jeunes
militants des mouvements scouts diffusent le « dossier Müller », leurs
instances dirigeantes bloquent la revue, refusant d’embarquer le mouvement
sur une voie politique et de compromettre sa position au sein de l’Église.
Cela provoque la démission de l’équipe nationale de La Route le 9 mai 1957.
L’apolitisme redevient la ligne officielle ; la prière et la prudence sont
préconisées lors des sessions « Scoutisme et armée » organisées pour les
jeunes mobilisés en 1958-1959. Michel Rigal continue de tenir le Mouvement
à l’écart des remous politiques. Mais sa participation à un appel à la paix en
Algérie le 2 juin 1960, avec 53 mouvements de jeunesse, suscite encore des
protestations. En 1962, les attentats de l’OAS*, que quelques scouts
rejoignent, sort le mouvement de son mutisme en condamnant la violence. La
guerre d’Algérie révèle la diversité des positions des scouts de France et
annonce l’éclatement, deux ans après le cessez-le-feu algérien, du scoutisme
catholique en France.
Sybille CHAPEU
Bibl. : Aline Coutrot, « Les scouts de France et la guerre d’Algérie », Les
Cahiers de l’IHTP, no 9, La guerre d’Algérie et les chrétiens, 1988 • Étienne
Fouilloux, Les Chrétiens français entre guerre d’Algérie et mai 1968, Parole
et silence, 2008.
SECTION FRANÇAISE
DE L’INTERNATIONALE OUVRIÈRE
(SFIO)
Au XIXe siècle, le mouvement socialiste français, héritier de la tradition
universaliste de la Révolution et situé à l’extrême gauche du parti républicain,
a majoritairement approuvé la colonisation comme facteur d’émancipation.
La SFIO, le « parti socialiste unifié » fondé en 1905 au temps de la lutte
contre le nationalisme* et alors que les conquêtes coloniales s’achèvent,
admet la colonisation comme un fait accompli, dont il faut éliminer les
aspects réactionnaires. Elle rejette tous les nationalismes, tant du côté français
que de celui des peuples colonisés. Peu implanté en Algérie, tant chez les
« colons* » que chez les « indigènes » présents surtout en Oranie et à Alger,
le parti socialiste, depuis les années 1930, a tenté de mettre en place une
politique évolutive et réformiste qui s’est incarnée dans deux combats qui
restent ses modèles en 1954 : celui du projet Blum-Viollette en 1936-1939,
puis celui du Statut de l’Algérie en 1947-1948. C’est pourtant l’un des siens,
le gouverneur général socialiste Marcel-Edmond Naegelen qui, en 1948,
organise le trucage des élections* par crainte de l’affirmation du mouvement
nationaliste algérien.
Le déclenchement de la guerre en 1954 surprend la classe politique. La
SFIO dirigée par Mollet* approuve la politique de Mendès France* qu’elle
soutient au Parlement. Puis, dans l’opposition au gouvernement Faure, les
socialistes critiquent la politique répressive ainsi que l’état d’urgence*. Fin
1955, le parti contribue à la formation du Front républicain*, avec Mendès
France, Mitterrand* et des gaullistes. Après la victoire aux législatives,
Mollet, à la tête du parti le plus important de ce Front, est nommé président
du Conseil le 30 janvier 1956. Son gouvernement constitué, il s’envole le
6 février à Alger pour installer le général Catroux à la place de Jacques
Soustelle*, gouverneur général. La manifestation* des « Européens » et la
démission de Catroux sont un électrochoc pour lui. Guy Mollet donne
désormais priorité au retour à l’ordre pour rassurer les « petits colons » en
faisant appel au contingent. Pour remplacer Catroux, il choisit son camarade
Lacoste* qui réprime le mouvement nationaliste autant qu’il s’efforce de
réformer l’Algérie. La loi des pouvoirs spéciaux* approuvée par
l’Assemblée, avec les voix communistes, propose ainsi un programme
d’expansion économique et de progrès social. Cependant, dès le printemps
1956, une minorité du parti socialiste, représentant environ 10 % de ses
troupes, demande la reconnaissance du « fait national algérien » et des
négociations*.
Les critiques internes et externes se multiplient avec le détournement* de
l’avion des chefs du FLN*, l’intervention à Suez* et surtout la bataille
d’Alger* et les polémiques sur la torture* et les exactions militaires. Au
congrès national de la SFIO de 1957, une minorité propose de reconnaître le
droit à l’indépendance de l’Algérie et d’autres courants critiquent la politique
Mollet-Lacoste.
Faisant bloc derrière le gouvernement, la majorité de la SFIO oppose à la
revendication d’indépendance de l’Algérie une série d’arguments. Tout
d’abord, la nécessité de la protection des minorités et la défense de la laïcité.
Ensuite, elle dénonce le mouvement nationaliste et surtout le FLN, vu comme
non démocratique et inféodé au panislamisme et au nationalisme arabe
égyptien dont Guy Mollet dénonce le caractère féodal et réactionnaire. Enfin,
elle rejette des pressions étrangères, tant anglo-saxonnes que soviétiques, et
celles de l’ONU*.
La direction de la SFIO, sur la défensive, exclut début 1958 l’ancien
ministre André Philip, pour avoir publié un livre accusateur Le Socialisme
trahi (Plon, 1957). Après le soulèvement du 13 mai 1958*, sans solution
politique pour défendre la République et proposer une politique en Algérie, le
parti socialiste à une faible majorité se rallie au retour au pouvoir du général
de Gaulle* et à l’instauration de la Ve République*.
Si la guerre d’Algérie occupe, par paliers, une importance grandissante
dans les préoccupations en métropole, elle n’a pas été prioritaire pour les
électeurs et adhérents socialistes, jusqu’en 1958 au moins, lorsqu’elle
provoque le départ des minoritaires (Depreux, Savary, Mayer) et la création
du PSA. En tête de leurs préoccupations viennent les réformes économiques,
sociales et, pour les responsables socialistes, les équilibres parlementaires et
politiques intérieurs, notamment l’alliance avec les radicaux orthodoxes (non
mendésistes) et l’UDSR. « À l’avant-garde de la Ve République » jusqu’en
janvier 1959, le retour de la question scolaire et la nécessité de se distinguer
du gaullisme poussent la SFIO dans l’opposition au régime, sauf sur la
question algérienne. Jusqu’à la signature des accords d’Évian* en 1962, elle
soutient la politique du général de Gaulle. Le parti n’a pas de solution à
proposer et il se trouve de nouveau divisé, avec une minorité agissante
favorable au maintien de l’Algérie française, incarnée notamment par Lacoste
et Lejeune.
Gilles MORIN
Bibl. : Gilles Morin, « De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au
Parti socialiste autonome, 1954-1960 : un courant socialiste de la SFIO au
PSU », thèse d’histoire sous la dir. d’A. Prost, Paris-1, 1992.
SECTIONS ADMINISTRATIVES
SPÉCIALISÉES (SAS)
Institutions d’administration rurale confiées à des officiers* de carrière ou
du contingent, les SAS sont l’une des manifestations les plus emblématiques
des prérogatives exceptionnelles accordées à l’autorité militaire de 1954 à
1962. Une administration d’exception au regard des normes métropolitaines,
mais non de l’histoire coloniale algérienne, qui a déjà connu celle des
Bureaux arabes, dont les principes et pratiques se sont transmis au sein du
service des Affaires indigènes du Maroc* (AIM) créé par Lyautey en 1913.
L’envoi d’une quinzaine d’officiers des AIM en Algérie, en 1955, ressuscite
donc un héritage colonial lointain, mais modernisé.
Affectés dans l’Aurès où l’insurrection perdure, ces officiers reçoivent la
mission de suppléer l’administration civile dans ses contacts avec la
population algérienne. La recherche du renseignement opérationnel motive ce
choix : les cadres des AIM doivent apporter leur connaissance des
populations indigènes et leur savoir-faire administratif pour favoriser les
contacts avec les ruraux et les inciter à informer l’autorité coloniale, afin que
celle-ci puisse efficacement combattre le FLN*. L’impulsion donnée à cette
politique par le général Parlange*, une figure majeure des AIM, contribue
toutefois à étendre leurs domaines d’action. S’inspirant de la « méthode
Lyautey » et de ses réflexions sur « le rôle social de l’officier », il conçoit sa
mission comme une « politique de contact » visant à « rapprocher
l’administration des administrés » par la multiplication des postes annexes.
Un prélude nécessaire à une politique d’ampleur visant à mieux encadrer les
populations et à les impliquer dans une réforme globale, bien qu’encore
floue, du milieu rural. Prodrome de la « pacification* », cette politique
aurésienne est reproduite à plus grande échelle dès l’été 1955. L’insurrection
du 20 août* incite Soustelle* à créer, le 26 septembre, un service des Affaires
algériennes (AA) inspiré des AIM et composé d’officiers spécialement
détachés pour être affectés dans ces postes annexes, qui prennent désormais
le nom de SAS. Leur réseau va s’étendre dans toute l’Algérie et impliquer un
nombre toujours croissant d’officiers : 4 000 d’entre eux serviront dans l’une
des 696 SAS créées au cours de la guerre.
La double dépendance hiérarchique est l’une de leurs spécificités :
officiers relevant d’une hiérarchie militaire, ils sont les représentants locaux
de l’autorité sous-préfectorale, qui impulse et coordonne leurs actions par le
biais d’officiers supérieurs affectés au sein des arrondissements et
départements. Tous sont des cadres volontaires, qu’ils soient officiers de
carrière (dont beaucoup proviennent des AIM après la fin du protectorat, en
1956), réservistes rappelés ou jeunes officiers du contingent. La plupart
restent en moyenne deux ans en Algérie, évoluant au gré de leurs mutations
dans les SAS, où leurs situations sont fortement diversifiées. Échelon
intermédiaire entre deux « nouvelles » entités administratives après 1956,
l’arrondissement et la commune, leurs circonscriptions sont de superficies
variables, d’une centaine à un millier de kilomètres carrés pour les plus
vastes. De même les populations dont ils reçoivent l’administration, souvent
réparties en un peuplement épars, sont nombreuses et difficilement
accessibles du fait du faible personnel qui leur est affecté. Depuis leurs postes
de SAS, leur quotidien consiste d’abord et surtout à visiter les populations
avec leur maghzen, groupe de supplétifs* recrutés localement pour assurer la
défense du bordj et de l’officier. Rarement destinés à combattre l’ALN, les
membres de ce maghzen jouent un rôle crucial dans le contact avec des civils
algériens dont il facilite la surveillance et l’encadrement : ils sont les
« factotums de la pacification » (François-Xavier Hautreux, La Guerre
d’Algérie des harkis, Perrin, 2013), lorsque les chefs de SAS en sont les
« maîtres jacques » – comme les officiers des Bureaux arabes furent, en leur
temps, ceux de la colonisation (Jacques Frémeaux*).
Les SAS sont de fait considérées, pendant la guerre et depuis, comme les
fers de lance de la « pacification ». Intermédiaires entre l’État et les
délégations spéciales, ces officiers reçoivent de fait toutes les prérogatives
administratives à l’échelle d’une ou de plusieurs des communes créées par la
réforme municipale de 1956, en attendant qu’une nouvelle élite algérienne
n’émerge de leurs actions. Représentants du sous-préfet, ils doivent en effet
susciter, encadrer et orienter cette élite, s’efforcer d’assurer un rôle de tutelle
tout en s’effaçant progressivement au fur et à mesure de sa maturation. La
difficulté à organiser des élections* démocratiques dans ce contexte a
toutefois conduit les chefs de SAS à administrer durablement les populations
rurales, et souvent de manière totale. Officiers d’état civil, ils doivent
résorber la sous-administration en procédant au recensement des populations
et à la gestion des services civils : service militaire*, prélèvement de l’impôt,
préparation des élections, ou gestion des sociétés agricoles de prévoyance
(SAP). Leur mission est également sociale : dispense de l’aide médicale
gratuite (AMG), distribution de ressources aux indigents, scolarisation des
enfants ou formation des jeunes adultes. Elle est enfin économique :
aménagement du milieu rural, de l’habitat, des activités agraires, de l’élevage,
du développement de l’irrigation ou bien des micro-réformes foncières.
Toutes ces activités restent inséparables d’une action psychologique* plus
globale : si les tensions ou les divergences entre officiers d’action
psychologique et chefs de SAS sont nombreuses, les Affaires Algériennes
participent entièrement à cette vaste tentative de pénétrer « les cœurs et les
esprits » qui caractérise la guerre menée par l’armée française en Algérie.
Depuis 1962, publications officielles et récits de vie ont fait des SAS
l’incarnation institutionnelle et humaine de cette politique de « pacification »
– ou du moins d’une mémoire idéalisée de celle-ci, qui repose sur une
séparation de principe entre activités militaires et extra-militaires de l’armée
française. Nombreux sont les anciens officiers à revendiquer leur
participation à « une autre guerre » comme un moyen de contrebalancer,
sinon récuser, la focalisation sur les violences commises par les militaires.
Difficile de souscrire à une telle assertion, qui fait l’impasse à la fois sur la
dimension systémique des actions de l’armée française, comme sur le recours
à la violence par les officiers de SAS dans leurs rapports à la population
algérienne. Si une minorité seulement semble avoir eu recours à la torture*,
leur pouvoir, oscillant constamment entre contrainte et persuasion, dépend
aussi d’un champ des possibles dans lequel les méthodes autoritaires et
coercitives, sinon la brutalité, sont loin d’être absentes. Ils renouent en cela
avec une tradition paternaliste d’administration coloniale, entre discipline et
pastoralisme social, qui repose sur une conception culturaliste et
essentialisante des populations colonisées, tout en modernisant les principes
et les pratiques à l’aune des nouveaux enjeux économiques et sociaux qui se
révèlent dans les pays du tiers-monde à l’aube des décolonisations.
Fabien SACRISTE
Bibl. : Jacques Frémeaux, « Les SAS », Guerres mondiales et conflits
contemporains, no 208, 2002 • Gregor Mathias, Les Sections administratives
spécialisées en Algérie. Entre idéal et réalité (1955-1962), L’Harmattan,
1998 • Fabien Sacriste, Les Camps de regroupement en Algérie. Une histoire
des déplacements forcés pendant la guerre d’indépendance (1954-1962),
Presses de Sciences Po, 2022.
SECTIONS ADMINISTRATIVES
URBAINES (SAU)
Pendant urbain des SAS*, vingt SAU ont été déployées pendant la guerre
en ville, notamment dans les bidonvilles. Membres du service des Affaires
algériennes (AA), les chefs de SAU partagent les attributions, missions et
fonctions des officiers* de SAS : recherche du renseignement, surveillance
du corps social, encadrement des Algériens et Algériennes par un maillage du
tissu urbain. Ils sont cependant confrontés à des populations plus nombreuses
et à des situations plus hétérogènes. L’afflux des ruraux fuyant les zones
interdites* et les violences militaires, comme à Constantine où la population
algérienne quadruple entre 1954 et 1961, n’y est pas étranger. La création et
l’installation des SAU sont alors liées à la nécessité d’accueillir, d’organiser
et d’encadrer ces populations déracinées et oisives, dont l’autorité coloniale
craint qu’elles ne renforcent la base urbaine du FLN*. La « structuration » de
la casbah d’Alger par la 10e division parachutiste* (1957) sert dès lors de
modèle à la mise en place de dispositifs « contre-subversifs » : les
circonscriptions des SAU sont divisées en quartiers, îlots et blocs, dotés
chacun de responsables algériens. Les questions de logement* se posent ici
avec une acuité particulière, et les chefs de SAU sont souvent amenés à
participer aux politiques de résorption des bidonvilles et au relogement de
leurs habitants dans des « cités de recasement ». Comme pour les SAS, leurs
actions sociales (scolarisation des jeunes enfants, aide apportée aux mères,
création de foyers sportifs et d’anciens combattants, etc.) sont autant
d’attentions visant à pénétrer au sein des familles algériennes pour mieux
favoriser leur ralliement à la cause française. Elles restent ainsi indissociables
d’une entreprise psychologique plus globale dont la fonction démonstrative
transparaît lors des très contestés épisodes de « fraternisation » du
16 septembre 1958 : les populations algéroises, mobilisées et encadrées par
les officiers de SAU, défilent dans la rue aux côtés des manifestants
européens. La croissance continue des bidonvilles, notamment pendant le
plan Challe* (1958-1960), rend cependant toujours plus ardue la tâche de ces
SAU. En poussant sur les routes de l’exil des centaines de milliers
d’Algériens et Algériennes, les violences militaires aggravent de fait un cycle
infernal né dans les années 1930 : les politiques de résorption des bidonvilles
sont toujours en retard sur le rythme des migrations rurales, peinant à
résoudre un problème structurel que l’armée française a accentué en
ravageant les campagnes algériennes.
Fabien SACRISTE
Bibl. : Gregor Mathias, Les Sections administratives spécialisées en Algérie.
Entre idéal et réalité (1955-1962), L’Harmattan, 1998.
SERVAN-SCHREIBER, JEAN-JACQUES
(1924-2006)
Jean-Jacques Servan-Schreiber (JJSS) est né le 13 février 1924 à Paris
dans une famille dont le père codirige Les Échos et dont la mère est maire de
Veulettes-sur-Mer. En 1943, il rejoint les FFL avant de suivre une formation
de pilote de chasse aux États-Unis*. Il est diplômé de l’École polytechnique à
la fin de la Seconde Guerre mondiale, avant de partir au Brésil où il
commence à écrire des articles pour la presse*. Il est remarqué par Hubert
Beuve-Méry du Monde*, qui l’embauche comme éditorialiste de politique
étrangère. Sa rencontre avec Pierre Mendès France* est décisive. Les deux
hommes sont d’accord sur la décolonisation de l’Indochine* et l’inutilité de
la poursuite de la guerre. En 1953, JJSS décide de créer L’Express avec
Françoise Giroud, directrice de la rédaction de Elle, afin de promouvoir les
idées de Pierre Mendès France. Le journal paraît d’abord en supplément des
Échos, avant de devenir hebdomadaire en 1955 et de voir ses ventes grimper.
François Mauriac*, Albert Camus*, André Malraux, Jean-Paul Sartre* ou
encore Jules Roy* écrivent dans le journal. Lorsque Pierre Mendès France est
nommé président du Conseil de juin 1954 à février 1955, JJSS devient l’un
de ses conseillers. La guerre d’Algérie commence alors à s’aggraver.
L’Express critique la guerre et dénonce notamment la torture* (François
Mauriac : « La question », 15 janvier 1955). En juillet 1956, JJSS est rappelé
comme officier* de réserve. Il est affecté dans l’unité du colonel puis général
de Bollardière* et du colonel Barberot*. Il relate son parcours en Algérie
dans les commandos « noirs »* dans son livre Lieutenant en Algérie (Julliard,
1957). Il y raconte notamment les difficultés qu’il a rencontrées avec les
partisans de l’« Algérie française », dont l’un aurait même été chargé de le
tuer. Il y souligne aussi que la guerre d’Algérie est en train de devenir la
« bataille de France » car elle ruine moralement toute une génération* du fait
des pratiques qui s’y déroulent. À son retour, la publication de son récit dans
L’Express est poursuivie. Mais parallèlement, le général de Bollardière lui
apporte son soutien dans Le Monde (30 mars 1957), en dénonçant les
méthodes utilisées dans la guerre d’Algérie. Parallèlement, il crée
l’Association des anciens d’Algérie (AAA), qu’il parvient à regrouper avec
deux autres associations d’anciens combattants* en 1958, formant alors la
Fédération nationale des anciens d’Algérie (FNAA) dont il est élu président
jusqu’en 1965. Entre-temps, en 1963, la FNAA est devenue la Fédération
nationale des anciens combattants en Algérie (Fnaca), la plus importante
association d’anciens combattants. JJSS a ensuite poursuivi sa carrière de
journaliste, mais aussi d’écrivain, et s’est lancé en politique, devenant
brièvement ministre des Réformes de Valéry Giscard d’Estaing*. Il est mort
le 7 novembre 2006 à Fécamp.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Jean-Jacques Servan-Schreiber, Lieutenant en Algérie, Julliard,
1957 • —, Passions, Fixot, 1991.
SERVICE CINÉMATOGRAPHIQUE
DES ARMÉES (SCA)
Quand commence la guerre d’Algérie, l’armée française n’est que très
peu équipée pour fabriquer des images en Algérie même – seul existe sur
place un service s’occupant de projeter des films dans les régiments. Une
autre entité, le Service de diffusion cinématographique, existe aussi au sein
du Gouvernement général* de l’Algérie (GGA), qui a pour rôle de projeter
des films au sein des populations civiles. Durant l’année 1955, ce sont surtout
des cameramen civils qui couvrent les « événements » pour le compte des
firmes d’actualités. Mais en 1956 il apparaît à l’état-major, tandis que le
conflit s’enlise, que la dimension médiatique est centrale dans ce nouveau
conflit, surtout après la lourde défaite de la France en Indochine*. Dans le
même temps continuent de se mettre en place dans toute la hiérarchie
militaire les concepts de guerre contre-révolutionnaire et d’action
psychologique*. La création d’un Service cinématographique des armées
(SCA) à Alger est donc décidée en juillet 1956 ; il est équipé grâce aux
services démantelés d’Indochine et d’Allemagne et dépend du SCA
métropolitain, situé au fort d’Ivry-sur-Seine. Rapidement, des tensions
apparaissent entre le directeur du SCA algérois et son chef quant à la manière
de gérer les opérations ; le SCA d’Alger obtient un changement de hiérarchie
pour dépendre directement du « 5e bureau » de la 10e Région militaire
(Algérie), chargé de l’action psychologique, en décembre 1957.
Les productions du SCA sont de deux ordres : d’une part, des rushes
d’actualités « militaires » envoyés par rotation aux différentes firmes
d’actualités cinématographiques (Éclair, Pathé, Gaumont, Actualités
françaises, Fox Movietone) qui, de leur côté, continuent à produire des
images mais n’ont pas forcément accès à toutes les zones d’Algérie comme le
SCA ; d’autre part, des films montés à destination de différents publics :
actualités militaires pour les appelés réalisées à partir des rushes déjà
mentionnés, films de propagande* pour le grand public ou des publics plus
ciblés, ou encore films d’instruction militaire pour les appelés, voire les
officiers*. De 1956 à 1958, les rushes pour les actualités se veulent rassurants
mais traitent en fait d’événements inintéressants pour la presse* (levers de
drapeaux, cérémonies…) ; d’une qualité technique trop faible, ils sont
souvent rejetés par les firmes d’actualités. Les films montés rendent compte
de manière forte des opérations principales de l’armée française : ratissage et
quadrillage par zones du territoire algérien dans le cadre de la
« pacification* », traque des « fellaghas » et dénonciation systématique de
leurs méfaits (sans pour autant jamais parler d’une ALN*), construction de la
« ligne Morice » le long de la frontière tunisienne, actions des sections
administratives spécialisées* (les « képis bleus »), mise en valeur des travaux
du Génie, etc.
L’arrivée du général de Gaulle* au pouvoir en mai-juin 1958 donne lieu à
plusieurs films de propagande, ainsi qu’à l’interdiction de certains films
antérieurs. Mais il faut attendre 1959 et la mise en avant par de Gaulle d’une
possible autodétermination du peuple algérien, et la transformation du GGA
en délégation générale du Gouvernement en Algérie (DGGA), pour noter un
véritable changement. Ces différents éléments, accompagnés du renvoi du
général Massu* en métropole, mènent à une radicalisation d’une partie des
officiers d’Algérie. Le service est alors rattaché à la DGGA, ce qui en fait un
outil bien différent puisqu’il n’opère plus au seul profit des militaires
d’Alger, mais à celui du gouvernement. Le contenu de cette « nouvelle »
propagande militaire devient plus ambivalent : d’une part, certains films et
actualités (dont certains réalisés par de jeunes cinéastes comme Claude
Lelouch ou Philippe de Broca) sont plus martiaux afin de suivre le plan
Challe* ; mais d’autre part des films sont produits afin de mettre en valeur
L’Algérie de demain – pour reprendre le titre d’un film de 1961. Victoire
militaire donc, mais aussi préparation des esprits à une séparation
programmée avec l’Algérie. Les films mettent alors particulièrement en
valeur les femmes et les enfants comme meilleurs symboles d’une Algérie à
reconstruire (avec l’appui de la France dans la doxa gaulliste).
Par ailleurs, l’action et la couleur militaires du SCA Alger tendent à se
perdre dans la nouvelle politique des images voulue par le général de Gaulle
et mise en œuvre par Paul Delouvrier* à la DGGA. C’est un changement de
stratégie médiatique qui s’opère, puisque tous deux ne font pas confiance à
un outil militaire et préfèrent traiter avec des producteurs cinématographiques
civils et avec la Radio-Télévision française (RTF). Cette dernière diffuse en
France une propagande moins visible grâce à des journalistes, comme on le
voit avec des magazines d’actualité comme Cinq colonnes à la une. En
Algérie, elle diffuse grâce à son centre algérois appelé « France V » des
fictions en arabe ou en kabyle mettant davantage en valeur la culture nord-
africaine.
Sébastien DENIS
Bibl. : Sébastien Denis, Le Cinéma et la Guerre d’Algérie. La propagande à
l’écran (1945-1962), Nouveau Monde, 2009.
SERVICE DE DOCUMENTATION
EXTÉRIEURE ET DE CONTRE-
ESPIONNAGE (SDECE)
Le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage
(SDECE) est créé en 1945, à partir des services secrets de la France libre et
d’anciens membres des 2es bureaux, les services de renseignement militaires
de la IIIe République, passés à Vichy puis à la Résistance*. Pendant la guerre,
le SDECE compte environ 1 500 agents en poste en métropole, civils pour les
deux tiers, et 300 agents en poste à l’étranger, auxquels il faut ajouter les
militaires du service Action formant la 11e demi-brigade de parachutistes de
choc, connue sous le nom de 11e Choc. On trouve trois grands profils parmi
ces hommes, anciens de la France libre, anciens des 2es bureaux et anciens
des réseaux de la résistance socialiste, Libération Nord en particulier. Leur
action se déploie sur deux fronts, la lutte contre les Soviétiques et leurs
satellites, d’une part, et les guerres de décolonisation, d’autre part. Service de
renseignement extérieur, il n’est pas censé agir sur le territoire national,
réservé à la direction de la Surveillance du territoire (DST). Pendant le conflit
algérien, le SDECE outrepasse néanmoins largement cette limite dans les
départements français d’Algérie mais aussi en métropole.
Pendant la guerre d’Algérie il est dirigé d’abord par Pierre Boursicot,
ancien syndicaliste et résistant. Celui est remplacé en septembre 1957 par le
général Paul Grossin, officier* du génie natif d’Oran, proche de la SFIO*,
nommé par Maurice Bourgès-Maunoury*.
En Algérie, le SDECE, et plus particulièrement son service Action, le
e
11 Choc, est impliqué dès le début de la guerre dans la lutte contre les
nationalistes. Ainsi, en mars 1956, ils parviennent à tuer Mostefa Ben
Boulaïd*, chef FLN* des Aurès, en piégeant une radio de campagne. Le
11e Choc participe également, en 1956, au fiasco de l’opération « Oiseau
bleu* », qui vise, sur le modèle des contre-maquis initiés en Indochine*, à
former une force armée kabyle capable de s’opposer au FLN. On retrouve
aussi des officiers du SDECE dans l’encadrement des contre-maquis de
Kobus dans la vallée du Cheliff ou de Bellounis* dans le Sud-Algérois, mais
aussi dans les expériences plus durables de la harka du bachaga Boualam*,
dans l’ouest de l’Ouarsenis ou des forces auxiliaires françaises-musulmanes
de Si Cherif dans la région de Maginot, au sud d’Alger. Il s’agit à la fois de
semer le trouble dans les rangs nationalistes en accentuant ses divisions et de
tenir à moindres frais de vastes régions. Cette envie de susciter une force
algérienne pro-française, la fameuse « troisième force », se heurte à
l’opposition farouche du FLN mais aussi des partisans de l’Algérie française
qui ne peuvent concevoir une quelconque alliance avec des nationalistes
algériens même modérés, ce qui hypothèque fortement tous possibles
débouchés politiques à ces opérations.
À partir de 1956, le service Action utilise la couverture de la Main rouge,
nom d’une organisation terroriste de colons* d’extrême droite ayant agi au
Maroc* et en Tunisie*, au début des années 1950, pour mener une longue
campagne d’assassinats et de sabotage visant principalement des trafiquants
d’armes approvisionnant le FLN, mais aussi des avocats. Des centaines
d’assassinats sont ainsi opérés jusqu’à la fin de la guerre, principalement en
RFA*, en Suisse*, en Belgique*, aux Pays-Bas* et en Italie*.
Pendant la bataille d’Alger*, ce sont des hommes du 11e Choc qui
forment l’escadron de la mort du capitaine Aussaresses*, chargé d’éliminer
les militants nationalistes après leurs interrogatoires. Paul Aussaresses a
avoué sa responsabilité dans l’exécution de Larbi Ben M’hidi, chef de la
Zone autonome d’Alger*, et dans le meurtre en mars 1957 d’Ali
Boumendjel*, avocat nationaliste. Une compagnie du service Action est
également dépêchée à Orléansville afin d’y détruire les réseaux FLN, au
début de l’opération Pilote.
Les militaires du SDECE, anciens ou en activité sont donc à la pointe de
la répression. Souvent formés à l’action clandestine par les Britanniques puis
parachutés en France occupée, ces hommes sont fréquemment passés,
pendant la guerre d’Indochine, dans les rangs du Groupe de commandos
mixtes aéroportés, où ils eurent à encadrer des partisans issus des peuples des
hauts plateaux et des montagnes. Rompus à la contre-guérilla et à la
manipulation, ils sont au cœur de la raison d’État.
Le 24 mai 1958, alors que la crise politique partie d’Alger s’enlise, les
hommes du premier bataillon du 11e Choc caserné à Calvi marchent sur
Bastia et Ajaccio. Ils s’emparent des mairies et des préfectures. Des comités
de salut public sont établis. Cette extension de la rébellion militaire, première
phase de l’opération « Résurrection* », accélère l’effondrement de la
IVe République* et le vote des pleins pouvoirs à de Gaulle*.
Paul Grossin maintient son commandement sous le gouvernement du
général de Gaulle. Le SDECE passe sous la tutelle de Michel Debré*. Le
Premier ministre, ardent partisan de l’Algérie française, est contraint par sa
totale fidélité au général. Jacques Foccart, devenu le principal responsable
des affaires africaines, exerce dès lors une autorité réelle quoiqu’en grande
partie informelle sur les services. Au côté de Debré, le jeune Constantin
Melnik est chargé de coordonner les questions relatives au renseignement.
Au-delà des engagements du service Action en Algérie, le SDECE lutte
contre la propagande* du FLN. Il cherche tout d’abord à brouiller les
émissions nationalistes émettant depuis le Maroc, la Tunisie ou l’Égypte*,
puis, face à l’ampleur de la tâche, abandonne en 1956 pour tenter
d’intoxiquer les nationalistes algériens. Une propriété dans l’Eure-et-Loir est
utilisée comme studio pour enregistrer de fausses émissions en arabe visant à
semer le trouble chez les auditeurs algériens. Cette activité coûteuse dont il
est difficile d’évaluer l’impact dure jusqu’en 1961. Dans le même ordre
d’idée, les services parviennent à mettre en circulation des versions falsifiées
d’El Moudjahid, le journal du FLN.
En métropole, Antoine Bonnemaison, responsable de la guerre
psychologique du SDECE, joue un rôle central dans l’organisation de l’action
psychologique* militaire. Responsable des premiers stages, il diffuse
largement ses conférences sur la guerre psychologique, au sein des milieux
militaires. C’est à l’occasion d’un cycle de conférences à Alger que ses idées
sur la « société de masse », les méthodes de propagande et l’encadrement des
masses dans une société démocratique pénètrent les états-majors algériens.
Elles constituent une base importante de l’enseignement du CIPCG* et seront
largement diffusées en Algérie. En lançant une vaste campagne d’influence
anticommuniste au sein de l’armée, Antoine Bonnemaison fournit des
arguments aux officiers les plus engagés en faveur de l’Algérie française.
En 1960, alors que la perspective d’une Algérie indépendante à moyen
terme devient de plus en plus probable, sur ordre de Michel Debré, le SDECE
se lance dans la manipulation du Front algérien d’action démocratique*
(FAAD), une structure rassemblant des militants messalistes en rupture de
ban et des agents français, censée disputer au FLN le contrôle politique de la
population algérienne, sur les deux rives de la Méditerranée. Il mobilise
quelques milliers de militants s’affrontant violemment au FLN et se voyant
finalement lâcher après le putsch* d’avril 1961. L’heure n’est plus à une
« troisième force » alors que les négociations* sont entamées entre le
gouvernement et le FLN.
La fin de la guerre et la montée des affrontements entre les partisans de
l’Algérie française et le pouvoir gaulliste entraînent une marginalisation du
SDECE, dont beaucoup d’agents sans s’engager dans les rangs de l’OAS*
restent attachés au maintien de la France en Algérie. Jugé moins fiable que
les services de sécurité militaires ou la gendarmerie* qui sont au cœur de la
lutte contre l’organisation clandestine, le SDECE n’est donc pas associé à la
répression de l’OAS. Paul Grossin, natif d’Algérie, est débarqué en
janvier 1962. Il est remplacé par le général Jacquier, gaulliste à la fidélité
éprouvée.
Au cœur de la raison d’État, jouissant d’importants moyens et de la
possibilité de s’affranchir des règles de droits qui peuvent contraindre l’action
d’autres institutions, le SDECE est une des chevilles ouvrières de la lutte
contre le FLN. Il s’obstine à soutenir des opérations de contre-maquis,
s’inspirant en cela de son expérience indochinoise, sans grand succès. En
effet, la promotion d’une « troisième force » s’avère penser tactiquement
comme moyen de lutte contre les maquis du FLN et non stratégiquement
comme solution politique au conflit. Ses missions sèment néanmoins le
trouble dans les rangs nationalistes. Le service Action du SDECE joue un
rôle central, mais discret, dans la mise en œuvre d’un crescendo répressif, à
partir de 1957, aboutissant à la généralisation de la torture*, des exécutions
sommaires* et des assassinats. Il est néanmoins largement réorganisé à la
sortie de la guerre et son action est réorientée vers le pré carré africain et la
lutte contre les Soviétiques.
Denis LEROUX
SERVICE MILITAIRE
Lorsque la guerre d’Algérie commence, le service militaire est en France
une institution bien établie qui fait office d’un véritable rite de passage entre
l’adolescence et l’âge adulte. Le conseil de révision constitue la première
étape de ce rite, qui se déroule à 19 ans révolus dans le chef-lieu de canton ou
au bureau de recrutement pour les grandes villes. À l’issue des examens
physiques et psychologiques, les hommes de la classe d’âge du contingent,
âgés de 20 ans (par exemple la classe 1954, née en 1934), peuvent être
déclarés « Bon service armé » (BSA). À l’époque, être « bon pour le
service », c’est aussi être « bon pour les filles » : le jeune homme est en
bonne santé, prêt à faire son service, à partir de chez lui, à rencontrer des
femmes et à se marier. De ce fait, le rite du service militaire est très lié à des
valeurs de virilité, entretenues par l’institution militaire et les soldats entre
eux. Le fait d’être « ajourné » (le jeune homme doit revenir faire des tests) ou
« exempté » est donc dévalorisé. Les « classards » se livrent avant leur appel
à des charivaris alcoolisés, mais cette pratique tombe en désuétude avec le
remplacement des conseils de révision par les centres de sélection. La loi du
30 novembre 1950, qui fixe la durée du service militaire à dix-huit mois,
instaure aussi les « trois jours » de sélection dans le centre de sélection de
chacune des neuf régions militaires. L’Algérie compte trois centres de
sélection à partir de 1959 (Blida, Telergma et Nouvion).
D’ailleurs, les Français d’Algérie (qui constituent une partie des Français
de souche européenne, les FSE) et les Français musulmans (les Français de
souche nord-africaine, FSNA, pour les autorités militaires) effectuent eux
aussi leur service militaire. Pour les premiers, la connaissance de l’arabe
contribue à ce qu’ils soient prisés en Algérie. Les FSNA, qui effectuent leur
service militaire depuis 1912, sont davantage vus avec suspicion : il ne
faudrait pas que leur apprentissage des armes serve l’ALN*. De ce fait, le
nombre de réformes est important (jusqu’à 60 % d’une classe d’âge), pour
des motifs réels et parfois d’opportunité (politiques). Cette suspicion conduit
les autorités militaires à les incorporer en France métropolitaine ou en
Allemagne, surtout au début du conflit. De fait, le nombre d’insoumis est
important (50 % des appelés sont absents au conseil de révision) ainsi que de
déserteurs : ils sont plus de 6 000 sur toute la durée de la guerre (sans
compter les harkis*). En tout, plus de 100 000 Algériens (FSNA) ont effectué
leur service militaire durant la guerre d’Algérie.
Après la réception de leur « ordre de route » indiquant le lieu et l’heure
de leur incorporation, les jeunes conscrits sont appelés pour faire leurs
classes, d’une durée normale de quatre mois, réduite jusqu’à quatorze
semaines pendant la guerre d’Algérie. Certains sont directement incorporés
en Algérie. Les appelés sont contraints à des exercices répétitifs destinés à
acquérir des réflexes mais aussi à intérioriser la discipline militaire, souvent
avec des brimades. Pour certains, la vie militaire, c’est aussi l’apprentissage
de règles sociales et de l’hygiène. À l’issue des classes, les appelés
obtiennent une permission avant le moment redouté, quelquefois désiré, de
leur envoi en Algérie.
Par ailleurs, les pratiques vis-à-vis du service militaire changent au cours
du conflit : d’une part, pour faire face à d’importants besoins, les autorités
augmentent considérablement les effectifs en Algérie : à compter de fin 1956,
à la suite du « plan Bugeaud » d’incorporation, ils sont en moyenne de
400 000 hommes en permanence. Les appels ne sont alors plus effectués par
semestre (par exemple, les classes 1956/1 et 1956/2), mais par tranches
successives selon les besoins, et indiqués par des lettres (par exemple 1956-
1/A). D’autre part, pour faire face au déficit du nombre d’appelés du fait des
« classes creuses » nées pendant les années 1930, les autorités allongent aussi
la durée du service militaire, qui passe de dix-huit à vingt-quatre puis à vingt-
sept mois, et quelquefois jusqu’à plus de trente mois. Ces mesures conduisent
à distinguer les « Pendant la durée légale » (PDL) des « Au-delà de la durée
légale » (ADL), dont les soldes sont majorées et qui attendent souvent avec
anxiété leur libération. La « quille » est en effet célébrée avec l’existence
d’une vraie quille marquée du numéro du contingent, de même que le « Père
cent », célébration caustique du centième jour avant la libération. À
l’automne 1955 et au printemps 1956, pour accroître rapidement les effectifs,
les mesures de rappel des « disponibles » (qui ont terminé leur service depuis
moins de trois ans) et de maintien sous les drapeaux conduisent à
d’importantes manifestations de rappelés*. D’ailleurs, du côté des appelés du
contingent*, les pratiques changent aussi : les sursis* s’accroissent, ainsi que
les tentatives d’évitement du service militaire en feignant des problèmes
physiques ou psychologiques. Mais la demande en effectifs est telle que les
autorités contrôlent très sévèrement ces stratégies d’évitement et restreignent
considérablement les exemptions.
Au total, les appelés du contingent ont été 1,2 million à participer à la
guerre d’Algérie, auxquels il faut ajouter 200 000 disponibles rappelés. Sur
les 23 670 morts officiels de la guerre d’Algérie (le total réel est supérieur à
28 000), hors supplétifs*, 12 954 sont morts au combat. Parmi eux, 6 158
sont des appelés et rappelés FSE (soit 47 % des pertes) et 949 des appelés
algériens (FSNA). 8 000 soldats sont morts par accident, et officiellement
60 000 ont été blessés (mais ces chiffres ne prennent pas en compte les
troubles de stress* post-traumatique). Pour porter leurs intérêts, les appelés
ont rejoint ou ont créé des associations d’anciens combattants*.
Comme la guerre n’était pas reconnue comme telle puisque la France ne
pouvait pas entrer en conflit contre une partie de son territoire (l’Algérie était
composée de départements français), les autorités ont qualifié les
« événements » d’Algérie comme des « opérations de maintien de l’ordre ».
Cela a conduit à ce que la confusion soit entretenue entre le simple fait
d’effectuer son service militaire et la participation à une guerre dont le nom
était tu. La dernière « génération* du feu » a ainsi été largement constituée
d’appelés du contingent d’une vingtaine d’années. D’ailleurs, l’armée a
même créé un magazine à leur destination en Algérie, Le Bled*. Les
événements auxquels les appelés ont participé étaient fréquemment
dévalorisés dans leurs familles, dans lesquelles les grands-pères avaient
participé à la Première Guerre mondiale et les pères à la Seconde. Mais le
type de conflit était très différent, et les appelés ressentaient le poids du rite
du service militaire auquel ils ne pouvaient échapper, tout en participant à
une guerre qui leur était largement étrangère et dont beaucoup réprouvaient
les méthodes. Ces contradictions et les débats publics sur la désobéissance,
avec l’existence de 12 000 réfractaires* français, ont contribué à fragiliser
l’institution du service militaire et à une coupure de plus en plus forte entre
l’armée et la nation. Le vote du statut d’objecteur de conscience le
21 décembre 1963, avant une multiplication des formes de service civil en
1965. Le règlement de discipline générale de 1965 modifie aussi
substantiellement les règles de fonctionnement au sein de l’armée, même si
les pratiques anciennes perdurent. D’ailleurs, en 1965, le général de Gaulle*
envisage la suppression du service militaire, institution à laquelle il s’oppose
depuis l’entre-deux-guerres. La guerre d’Algérie a ainsi introduit une brèche
dans cette institution, qui s’est accrue au fil du temps, jusqu’à la suspension
du service militaire en 2001.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Stéphanie Chauvin, « Les appelés de souche nord-africaine dans
l’armée française pendant la guerre d’Algérie », mémoire de maîtrise, Paris-
1, 1993 • Jean-Charles Jauffret, La Guerre d’Algérie. Les combattants
français et leur mémoire, Odile Jacob, 2016.
Son nom est lié à l’affaire Si Salah, connue également sous le nom
d’affaire Tilsit ou d’affaire de l’Élysée pour les maquisards de la Wilaya 4*.
Si Salah Zamoum est né à Aïn-Taya en 1928. Son père est instituteur. Il
adhère au PPA-MTLD* probablement à la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Il occupe le poste de secrétaire au centre d’Ighil Imoula, berceau
de sa famille.
Membre de l’Organisation spéciale* (OS), il est arrêté après sa
découverte et interné à la prison* de Tizi Ouzou jusqu’au début de 1954. Il
participe sous les ordres de Krim* Belkacem et Amar Ouamrane* à la
préparation de la lutte armée en tant que chef de région de Bordj Menaïel. À
la veille du congrès de la Soummam*, Amar Ouamrane, chef de la Zone 4
(Algérois), le rappelle à ses côtés. L’été 1957, Si Salah participe aux côtés du
colonel Slimane Dehilès* (Sadek) aux réunions informelles du CCE* replié
en Tunisie*. De ce séjour, il garde de l’amertume. Il est commissaire
politique à l’échelle de la Wilaya 4, dirigée par Si M’hamed Bougara*, de
1957 à 1959.
Quand son chef Si M’hamed Bougara cède aux soupçons d’Amirouche*,
complètement obnubilé par le complot de la bleuïte*, Si Salah Zamoum fait
partie de la Commission de sécurité, d’investigation et de contre-espionnage
(CSICE) chargée des purges qui ont fait beaucoup de victimes et démoralisé
les combattants. À la mort du colonel Si M’hamed (mai 1959) et en l’absence
de remplacement par le GPRA* (lui-même en pleine crise avec la réunion des
dix colonels* d’août-décembre 1959), le commandement de la Wilaya 4
revient à Si Salah. Le 14 janvier 1960, il convoque le conseil de wilaya,
procède à la promotion du capitaine Lakhdar Bouchama, dirigeant de la
mintaqa 4 (Ténès-Cherchell) au grade de commandant, chargé des
renseignements et liaisons. Le capitaine Halim (Hamdi Benyahia),
responsable de la mintaqa 1 (Palestro-Tablat), est promu commandant et
remplit les fonctions de commissaire politique. Si Mohamed (Djilali
Bounaâma*), retenu dans l’Ouarsenis, est maintenu responsable militaire. La
discussion porte sur la posture difficile de la wilaya aux prises avec les
opérations « Couronne » du plan Challe* (avril-juin 1959). La situation du
peuple n’est guère meilleure : « le peuple a trop souffert, le peuple est en voie
de nous abandonner », écrit Boualem Seghir dans son rapport cité par
Meynier*. Le silence du GPRA qui ne répond pas aux appels au secours
nourrit le ressentiment des dirigeants de la Wilaya 4 et leur incompréhension
face à l’absence de recherche d’une solution négociée après le discours de De
Gaulle* relatif à l’autodétermination du 16 septembre 1959.
Il convient de souligner aussi l’intrusion des services d’écoute du Bureau
d’études et de liaisons (BEL) qui interceptent les échanges orageux entre
Wilaya 4 et état-major d’Oujda, et intensifient leur propagande* pour
atteindre le moral des troupes de l’ALN* et les exhorter à accepter la « paix
des braves ». Mieux encore, le captage de la radio du PC de wilaya permet
l’envoi de faux messages. Par ailleurs, la hiérarchie militaire française
privilégie une solution conclue avec les seuls combattants.
Il semble que ce soit principalement le commandant Lakhdar Bouchama
qui ait manifesté le plus d’intérêt pour ce courant favorable aux propositions
de De Gaulle (Teguia, 1980). C’est encore lui qui réussit à convaincre le
commandant Halim et le capitaine Abdelatif (Othmane Telba), chef de la
mintaqa 2 (Titteri-Atlas blidéen), et qui entre en contact avec les autorités
françaises à Médéa avant d’en informer Si Salah et Si Mohamed (Djilali
Bounaâma*).
La principale condition exigée par Si Salah, à savoir ne discuter qu’avec
de Gaulle, est satisfaite. Et le 9 juin 1962, Si Salah, Lakhdar Bouchama et Si
Mohamed Bounaâma s’envolent pour la France, ils sont reçus le 10 juin à
l’Élysée par de Gaulle, en présence de Bernard Tricot. Les officiers de la
Wilaya 4, craignant de ne pouvoir entraîner l’adhésion de toutes les wilayas,
envisagent un cessez-le-feu partiel et demandent de pouvoir contacter la
Wilaya 3*, de se déplacer à Tunis et de rencontrer Ben Bella*, prisonnier*.
De Gaulle rejette ces deux dernières requêtes et ne leur cache pas son
intention de saisir le GPRA (ce qu’il fera le 14 juin).
De retour en Algérie, Si Salah s’ouvre du projet de cessez-le-feu à
Mohand Oulhadj*, chef de la Wilaya 3, sans résultat tangible.
Entre-temps, Si Mohamed, en accord avec le lieutenant Lakhdar
Bouregaâ* et le sous-lieutenant Mohammed Bousmaha, chef de la nahia
Médéa-Boghari, met aux arrêts Lakhdar Bouchama, le capitaine Abdelatif et
Halim. Jugés, ils sont exécutés. Quant à Si Salah, il est destitué de ses
fonctions et envoyé à Tunis. En chemin, il est tué le 20 juillet 1961 dans un
accrochage du côté de Bouira au moment où les négociations* s’ouvrent à
Lugrin entre la France et le GPRA. Le dernier protagoniste de l’affaire, Si
Mohamed, meurt au combat le 9 août 1961 à Blida. La Wilaya 4 est reprise
en main par le colonel Youcef Khatib* et Ahmed Bencherif*, rentré de Tunis.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002 • Sadek
Sellam, « L’affaire Si Salah vécue par le commandant Lakhdar Bouregaâ »,
Guerres mondiales et conflits contemporains, no 201, 2001 • Mohamed
Teguia, L’Algérie en guerre, Alger, Opu-Sned, 1980.
SOLDATS DU REFUS
Les « soldats du refus », dont le nom est employé dès la guerre d’Algérie,
sont des appelés du contingent*, militants communistes, qui ont préféré être
incarcérés plutôt que participer à la guerre d’Algérie. Le premier d’entre eux
est Alban Liechti*, qui refuse de partir en Algérie en juillet 1956. Condamné
à deux ans de prison* en novembre 1956, il n’est pas soutenu par son parti.
Les premiers articles sur son refus datent du début de l’année 1957,
favorisant de nouveaux refus à partir du milieu de l’année. Le 17 septembre
1957, le discours de Léon Feix devant le comité central du PCF* souligne la
faiblesse du soutien à Alban Liechti par rapport à celui en faveur d’Henri
Martin pendant la guerre d’Indochine*. Dès lors, la campagne communiste
bat son plein, tant en termes de publications que de refus. Deux responsables
de l’Union des jeunesses communistes de France, Paul Laurent et Jean Gajer,
encouragent même certains jeunes à désobéir. L’acmé des refus se situe en
janvier 1958, avec neuf refus. Quelques « soldats du refus » ont des noms
connus : Serge Magnien est un étudiant en vue de l’UJCF, Raphaël Grégoire
est le fils du maire de Montreuil et Pierre Guyot, fils du député Raymond
Guyot. Les refus croissants font réagir les autorités : une directive
ministérielle du 27 janvier 1958 prévoit d’envoyer les « soldats du refus »
communistes récalcitrants à la « section d’exclus », autrement appelée
« bagne de Tinfouchy ». Les premiers d’entre eux y sont envoyés à partir de
mai 1958 : en tout, six le seront jusqu’en décembre 1959. Ils y subissent de
fréquents mauvais traitements. Après une dernière vague de refus à la fin de
l’année 1958, la campagne se tarit, d’autant plus qu’en mai 1959, Maurice
Thorez affirme que la place des militants communistes est à l’armée. Entre-
temps, les soldats emprisonnés ont progressivement été regroupés au centre
pénitentiaire d’Alger, avant d’être transférés en métropole fin 1958 aux
Baumettes puis à Casabianda, où ils sont neuf. Le seul à avoir renouvelé son
refus est Alban Liechti en mars 1959. À l’issue de leur condamnation à deux
années de prison (peine la plus fréquente), les « soldats du refus » acceptent
d’effectuer à nouveau leur service militaire*, qu’ils accomplissent en Algérie.
Alban Liechti fait de même à compter de mars 1961, avant d’être libéré de
son service militaire un an plus tard. Les « soldats du refus » ont au total été
au nombre de 45, mais 11 ne paraissent pas avoir persévéré une fois arrivés
en Algérie. Certains d’entre eux ont par la suite intégré l’Association des
combattants de la cause anticoloniale (Acca).
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Tramor Quemeneur, « Une guerre sans “non” ? Insoumissions, refus
d’obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962) », thèse sous la dir. de B. Stora, Paris-8, 2007 • Les Soldats du
refus pendant la guerre d’Algérie, Noisy-le-Sec, L’Épervier, 2012.
SOUS-OFFICIERS (ARMÉE
FRANÇAISE)
Dans toutes les armées, les sous-officiers tiennent une place particulière
dans la hiérarchie et l’organisation de la troupe. Leur rôle de charnière entre
les officiers* qui commandent et la troupe qui exécute leur confère une
certaine responsabilité dans l’exécution des ordres et, entorse aux habitudes
de l’obéissance passive, la possibilité de prendre des initiatives pour le « bien
du service ». Entre 1954 et 1962, ce corps militaire grossit par suite de
l’engagement massif du contingent (appelés et rappelés) dans le conflit
algérien. Il est composé de personnels d’origine et de statut divers destinés à
compléter les tableaux d’effectifs des services et des unités combattantes.
Le 1er novembre 1954*, 85,6 % des sous-officiers en service en Afrique
du Nord (16 250) dans les dépôts de « l’armée d’Afrique » sont des soldats de
métier. Dès 1955, le pourcentage des appelés et rappelés augmente en raison
du rappel du contingent 53-2 des soldats nés en Algérie ou y résidant
provisoirement. Ce rappel ouvre la voie aux mesures exceptionnelles
entraînant le gouvernement dans une guerre à outrance avec une armée de
masse contre des forces combattantes dispersées et peu nombreuses. Ainsi, le
rappel des « disponibles » le 11 avril 1956 ramène sous l’uniforme des sous-
officiers libérés dans les six derniers mois. Au cessez-le-feu du 19 mars
1962*, les sous-officiers pendant la durée légale du service militaire* (PDL)
et après la durée légale (ADL) représentent plus du tiers (37,14 %) des
effectifs présents en Algérie (54 880). Très vite, le clivage entre les sous-
officiers de métier et les autres tend à s’effacer au sein des unités. Ce
phénomène n’est pas nouveau et rappelle l’amalgame réalisé après les
mobilisations de la Grande Guerre et de 1939. Toutefois les sous-officiers
appartenant aux unités d’intervention dont les « réserves générales » se
distinguent de leurs camarades des troupes dites « de secteur » aux missions
moins « exaltantes » ou « valorisantes ». Ces derniers, montrés du doigt en
raison de leur supposée inefficacité et qualifiés parfois de « planqués »,
reçoivent ces critiques comme autant de blessures qui portent atteinte à leur
moral et à la fraternité d’armes vantée et défendue par leurs officiers. De
surcroît, la course aux résultats et aux bilans (pertes en personnels et en
armes de l’adversaire) attise les rivalités entre les régiments en pointe : Alger,
qui craint un embrasement général, demande de frapper fort en réponse au
défi lancé par l’ALN* au courant de l’année 1956. Pour ces cadres « de
contact », les blessures d’amour-propre ne seront pas oubliées et pèseront
dans leurs réactions à la crise d’avril 1961 devenue « révolution des
transistors ». Aussi, un nouveau défi attend les chefs militaires qui doivent
prendre en compte les nouveaux rapports hiérarchiques nés de la guerre
d’Algérie. À l’initiative du ministre des Armées Pierre Messmer*, appuyée
par l’ancien commandant en chef en Algérie, le général Gambiez*, en
avril 1961, la réponse au problème de l’obéissance et de la désobéissance
militaires pendant la guerre d’Algérie est apportée par le décret du 1er octobre
1966 établissant le nouveau règlement de discipline générale de l’armée.
Ainsi, la fin de la présence française en Algérie signe la double disparition du
sous-officier « indigène » et du type de sous-officier hérité de l’armée des IIIe
et IVe Républiques.
André-Paul COMOR
Bibl. : Pierre Carles, Un historique du sous-officier français, SIRPA-Terre,
1988 • Marius Loris Rodionoff, « Crises et reconfigurations de la relation de
l’autorité dans l’armée française au défi de la guerre d’Algérie, 1954-1966 »,
thèse sous la dir. de R. Branche, Paris-1, 2018.
STATUT DE 1947
Après la Seconde Guerre mondiale, l’architecture institutionnelle de
l’Empire doit être redéfinie. Ainsi est formée l’Union française mais quelle
place peut y avoir l’Algérie ? À la première Constituante, Mohamed Salah
Bendjelloul* défend l’assimilation totale : l’Algérie aurait été une collectivité
territoriale de l’Union, avec un collège unique d’électeurs, hommes et
femmes* confondus – les femmes « musulmanes » sont alors exclues de tout
suffrage. À la seconde Constituante, Ferhat Abbas* propose de faire de
l’Algérie un État associé, avec un Parlement souverain sauf en matière de
défense et de politique étrangère, la transition vers le collège unique devant
être organisée. Le cas algérien est cependant systématiquement disjoint des
autres. Le 27 mai 1946, la loi Lamine-Gueye, qui proclame citoyens tous les
ressortissants d’outre-mer, ne concerne que les élections* à l’Assemblée
nationale en Algérie. Celle-ci est en outre inclassable dans la typologie des
territoires composant la République française, selon la Constitution du
27 octobre 1946 : France métropolitaine, départements et territoires d’outre-
mer, territoires et États associés. L’Algérie n’est rien de tout cela.
L’élaboration d’un statut spécifique est donc nécessaire. En 1947, les
propositions sont nombreuses (six), les débats longs et houleux. Principale
innovation du Statut voté le 20 septembre 1947 : une assemblée algérienne*
est créée mais elle reste élue en deux collèges et les représentants du premier
collège la dominent. Pour Tayeb Chenntouf, faisant sienne la remarque d’un
journaliste de l’époque, le statut vient dix ans trop tard pour les nationalistes,
un siècle trop tôt pour les colons*.
Qu’aurait changé un autre statut, du point de vue de l’histoire de la
guerre ? Celle-ci n’aurait-elle pas pu être évitée, avec une refonte
institutionnelle conforme aux principes démocratiques ? Les Algériens, le cas
échéant, auraient pu élire des représentants en mesure d’exprimer leurs
aspirations et de les libérer de la tutelle coloniale d’une autre façon.
L’histoire de l’Algérie elle-même, marquée par l’exclusivisme qu’a imposé le
FLN* au nom de l’union sans faille dans la lutte armée, pour remporter la
victoire, aurait pu en être transformée.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Tayeb Chenntouf, « L’Assemblée algérienne (1947-1956) », thèse de
doctorat de 3e cycle sous la dir. de X. Yacono, faculté des lettres et sciences
humaines de Paris, 1969 • Ivo Rens, L’Assemblée algérienne, Pedone, 1957.
STRESS POST-TRAUMATIQUE,
TROUBLES DU
Les troubles du stress post-traumatique (TSPT) ou post-traumatic stress
disorder (PTSD) sont des troubles psychiatriques pouvant apparaître après un
événement traumatisant, comme un accident, une catastrophe naturelle, ou
encore une agression, un attentat ou des combats militaires. Autant dire que
les TSPT ont largement eu l’occasion de se répandre pendant la Guerre
d’indépendance algérienne. Néanmoins, si les TSPT dans les guerres sont
connus depuis l’Antiquité et si la prise en compte de la psychiatrie dans les
guerres s’est accrue au cours du XXe siècle, les TSPT ont véritablement
commencé à être pris en compte à partir de la guerre du Vietnam (Richard
A. Gabriel, Il n’y a plus de héros. Folie et psychiatrie dans la guerre
moderne, Albin Michel, 1990). De ce fait, ils n’ont pas été mesurés ni pris en
compte pour le cas algérien. Les TSPT peuvent en règle générale toucher 5 à
12 % de la population et jusqu’à 25 % des combattants. Ils se traduisent par
des flash-back faisant revivre la scène traumatique et paralysant la victime,
des évitements pour ne pas avoir à revivre le trauma qui renforce au contraire
la peur initiale, des troubles de l’humeur pouvant aboutir à une
hypervigilance, une irritabilité, des difficultés de concentration et des troubles
du sommeil. Ces troubles se développent quelques jours après l’événement
traumatique mais parfois plus progressivement. Environ 20 % des personnes
atteintes développent des formes chroniques.
En ce qui concerne le cas de la Guerre d’indépendance, la population
algérienne, largement touchée par la guerre, a de ce fait été concernée par les
troubles psychiatriques. Frantz Fanon* et son équipe à l’hôpital de Blida,
jusqu’en 1956, puis en Tunisie*, ont ainsi été amenés à soigner de nombreux
Algériens, dont le psychiatre relate plusieurs séries de cas dans Les Damnés
de la terre (Maspero, 1961). La victoire avec l’accession à l’indépendance en
1962 et la nécessité de reconstruire le pays ont conduit à ce que les troubles
psychiatriques en Algérie ne soient pas l’objet d’une prise en compte
prioritaire, même si Anne Beaumanoir (dite Annette Roger), Anne Leduc ou
encore Alice Cherki se sont occupées de ces troubles à la clinique
psychiatrique de L’Hermitage dès 1962. L’ampleur des troubles
psychiatriques en Algérie reste cependant inconnue.
Les victimes d’attentat, françaises ou algériennes, durant la Guerre
d’indépendance ont été dans des conditions favorisant l’apparition de TSPT.
Il est là aussi impossible de savoir combien de personnes ont pu en être
atteintes. Parfois, la fiction rend bien compte du phénomène. Tel est ainsi le
cas avec le film de Nicole Garcia, Un balcon sur la mer (2010), avec Jean
Dujardin, qui concerne notamment les phénomènes d’occultation et
d’évitement. Pour les Français d’Algérie et les familles de harkis*, le
« rapatriement* » (ou l’exode ou l’exil) constitue un événement qui a
traumatisé de nombreuses personnes. Cela a ainsi conduit à de nombreux
phénomènes d’évitement pour ne pas avoir à parler de ces événements, et
pouvait amener à des manifestations d’hyperémotivité lorsque le sujet
apparaissait, par exemple lors des réunions familiales. Là aussi, la fiction
rend bien compte de ces phénomènes, comme les bandes dessinées* Les
Pieds-noirs à la mer de Fred Neidhardt (Marabulles, 2013) ou L’Algérie,
c’est beau comme l’Amérique d’Olivia Burton et Mahi Grand (Steinkis,
2015).
Les TSPT sont mieux connus et appréhendés pour les anciens
combattants d’Algérie. Pourtant, parmi les 60 000 soldats blessés de la guerre
d’Algérie reconnus par les autorités françaises, peu d’entre eux sont des
victimes de troubles psychiatriques. Or, parmi les personnes internées dans
les hôpitaux psychiatriques figuraient beaucoup d’« anciens d’Algérie ».
L’ampleur du phénomène a amené le psychiatre Bernard W. Sigg, lui-même
réfractaire* de la guerre d’Algérie, à vouloir l’analyser dans Le Silence et la
Honte. Il montre ainsi que peuvent exister des troubles immédiats, par
exemple des cas de « désertion-fugue » (Tramor Quemeneur, Une guerre
sans « non » ?, 2007) où les soldats errent en ayant perdu tout contact avec la
réalité. Bernard Sigg détaille davantage les troubles retardés, avec de
nombreux cas d’angoisse névrotique accompagnée de cauchemars,
d’agressivité, d’intolérance et de difficultés sexuelles. Cela peut aussi passer
par des phénomènes dépressifs pouvant conduire au suicide (dont le nombre
pendant la guerre d’Algérie est inconnu, a fortiori après la guerre, dans ses
conséquences). Ces troubles peuvent conduire à des prises de drogues dont la
plus fréquente fut évidemment l’alcool. Les troubles psychiatriques
favorisent en effet l’alcoolisme et celui-ci les masque souvent. Certains
anciens d’Algérie ont encore plongé dans des bouffées délirantes, ou ont
souffert de troubles psychosomatiques (ulcères, colites) ou somato-
psychiques (infirmité ayant des conséquences psychiques par exemple).
Au total, il existe d’importants troubles post-traumatiques de la guerre
d’Algérie, qui conduisent à de véritables « troubles de la mémoire ». Or,
ceux-ci peuvent aussi se transmettre de génération* en génération.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Louis Crocq, Les Traumatismes psychiques de guerre, Odile Jacob,
1999 • Pierre Gagnepain (en collaboration), « Troubles du stress post-
traumatique. Quand un souvenir stressant altère les mécanismes de
mémorisation », inserm.fr, 23 novembre 2020, disponible en ligne •
Bernard W. Sigg, Le Silence et la Honte. Névroses de la guerre d’Algérie,
Messidor, 1989.
SUEZ, EXPÉDITION DE
Le 19 juillet 1956, Washington cesse de financer le barrage d’Assouan
pour sanctionner l’Égypte* d’avoir reconnu la Chine* communiste et adhéré
au pacte de Bagdad. Moscou refusant d’apporter des capitaux, le 26, le
colonel Nasser nationalise le canal de Suez, propriété d’une compagnie
franco-britannique. Si les Occidentaux s’inquiètent de voir cette artère vitale
pour leurs économies passer aux mains du leader du panarabisme, les griefs à
l’encontre du Raïs vont bien au-delà : Paris l’accuse de soutenir les insurgés
algériens et Londres le soupçonne de vouloir s’allier aux Soviétiques. À
l’initiative des États-Unis*, du 16 au 23 août, une conférence réunit les pays
utilisateurs du canal. Elle propose son placement sous contrôle international
que l’Égypte, logiquement, rejette. Une seconde conférence échouant
également, Paris et Londres saisissent le Conseil de sécurité de l’ONU* le
23 septembre. Leur démarche est purement formelle puisque les deux pays
ont déjà envisagé l’option militaire en planifiant une expédition conjointe,
l’« Opération 700 ». Les Britanniques apportent leurs bases navales et
aériennes de Malte et de Chypre, une centaine de bâtiments de la Royal Navy
et 50 000 hommes. Pour ne pas dégarnir l’Algérie, les Français s’en tiennent
à 30 000, avec une cinquantaine de navires. Un commandement intégré est
prévu mais Paris maintient son propre état-major. Si la fermeté domine en
France à l’égard de l’Égypte, les Britanniques sont plus divisés et les Français
craignent une défection. D’ailleurs, dans cette hypothèse, Paris recherche le
concours d’Israël* et l’arme secrètement. Londres, qui souhaite ménager les
pays arabes, refuse une participation de Tel-Aviv avant de l’accepter.
Concrètement, après avoir envisagé de débarquer à Alexandrie pour
s’emparer du Caire, les deux pays finissent par opter pour une prise du canal.
Ce choix nécessite moins de moyens. Le plan définitif est arrêté le
14 octobre : une attaque israélienne dans le Sinaï servira de prétexte pour
adresser un ultimatum aux belligérants et l’intervention franco-anglaise fera
suite au refus de Nasser, parfaitement prévisible. Le 24 octobre, un accord
tripartite secret est conclu à Sèvres sur cette base, les assaillants misant sur
l’inaction de l’URSS*, confrontée au soulèvement hongrois, et des États-Unis
en pleine campagne présidentielle. Tsahal attaque le 29 octobre, bousculant
les forces égyptiennes. Le lendemain, Paris et Londres lancent leur ultimatum
et, seul l’État hébreu obtempérant, bombardent les positions égyptiennes le
31 octobre.
Le 2 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution
américaine prescrivant un cessez-le-feu. Le 3, les Égyptiens coulent des
bateaux dans le canal pour le rendre impraticable. Le 4, l’ONU renouvelle sa
demande de cessez-le-feu et décide l’envoi d’une force internationale
d’interposition. Le 5, ignorant ces appels, Paris et Londres lancent leurs
parachutistes* sur Port-Saïd et Port-Fouad (opération Amilcar). Au même
moment, l’Union soviétique, qui est intervenue à Budapest, propose à
Washington une action militaire conjointe visant la France et la Grande-
Bretagne, ce que le président Eisenhower décline. Si ce dernier ne veut pas
fracturer l’alliance occidentale, il fait néanmoins pression sur Londres en
attaquant la livre sterling. Et tandis que Nasser accepte le déploiement de
casques bleus, le Kremlin prend une seconde initiative plus ferme encore en
menaçant les trois pays agresseurs de représailles sur leur territoire. Dans un
premier temps, la France et le Royaume-Uni n’en tiennent pas compte
puisque le 6 au matin un assaut amphibie est lancé sur Port-Saïd, avec pour
objectif El Kantara, à 40 kilomètres au sud. Mais face à une activité
menaçante de l’aviation et de la flotte soviétiques à la frontière turque, Paris
et Londres doivent accepter quelques heures plus tard le cessez-le-feu qui est
effectif le 7. Le 15 novembre, la force multinationale entame son déploiement
sur la ligne d’armistice, les forces franco-britanniques achevant leur retrait le
23 décembre 1956.
Dans le contexte de la guerre d’Algérie, l’expédition est l’un des épisodes
majeurs du désaveu de la France sur la scène internationale. Outre le soutien
de Nasser aux Algériens, l’opération a été conçue au motif de sauver la
présence occidentale dans l’ensemble du nord de l’Afrique, du Maghreb à
l’Égypte. Selon Samya El Mechat, le ministre français des Affaires
étrangères, Christian Pineau avait déclaré à son homologue américain :
« Nous ne disposons que de quelques semaines pour sauver l’Afrique du
Nord, qui échapperait au contrôle et à l’influence européenne. »
Frédéric MÉDARD
Bibl. : Denis Lefebvre, L’Affaire de Suez, 1956, Bruno Leprince éditeur,
1996 • —, Les Secrets de l’expédition de Suez, 1956, Perrin, 2010 • Samya El
Machat, Les États-Unis et l’Algérie. De la méconnaissance à la
reconnaissance, 1945-1962, L’Harmattan, 1996.
SUISSE
Après la Seconde Guerre mondiale, la Confédération helvétique est
isolée. Sans être vaincue, elle est critiquée pour ses relations économiques
constantes avec le IIIe Reich et son application restrictive du droit d’asile.
Son « rattrapage humanitaire » (Jean-Claude Favez) ne fait pas illusion. Les
banques suisses bloquent les enquêtes sur les avoirs de victimes du régime
nazi. Dans ce contexte, la Suisse met tout en œuvre pour préserver sa
neutralité et conquérir des marchés. Elle adhère ainsi au plan Marshall et
participe à l’Organisation européenne de coopération économique (OECE).
« Métropole coloniale sans empire » (Patrick Minder), elle profite
paradoxalement de la décolonisation pour réintégrer le concert des nations et
démontrer la « réelle utilité de sa neutralité » (Damien Caron). Depuis
l’entre-deux-guerres, le pays accueille des militants nationalistes algériens,
souvent de premier plan. Ainsi, Ahmed Ben Bella* et d’autres fondateurs du
FLN* y ont tenu des réunions clandestines, en prélude au déclenchement de
la Toussaint rouge. Cependant, plus de 2 000 Suisses vivent en Algérie, la
Confédération helvétique veille donc à ménager les autorités françaises sans
hypothéquer ses intérêts sur place.
Les tensions diplomatiques, toutefois, sont nombreuses, en raison des
activités du FLN et de ses réseaux de soutien de « porteurs de valises* » (en
particulier le « réseau Jeanson* »). La Fédération de France* du FLN compte
suffisamment de militants étudiants* ou salariés pour faire de la Suisse* une
région administrative qui lui est rattachée. Le FLN privilégiant les
établissements suisses pour la gestion de l’impôt révolutionnaire, le secret
bancaire est également source de tensions entre Berne et Paris. Par ailleurs, le
réseau Jeune Résistance, qui regroupe des réfractaires* et des déserteurs
français, opère depuis la Suisse tandis que des éditeurs (La Cité, par exemple)
publient des ouvrages censurés en France. Comme en Belgique*,
l’enrôlement de ressortissants dans la Légion étrangère* suscite l’indignation
du Conseil fédéral. Nonobstant, la coopération policière et judiciaire entre les
deux pays se maintient. En 1961, ce jeu constant d’équilibriste permet à la
Suisse d’organiser des réunions informelles entre le gouvernement français et
le GPRA*, lesquelles permettent d’aboutir aux accords d’Évian*. À bien des
égards, le 19 mars 1962* scelle la réintégration définitive de la Suisse parmi
les puissances diplomatiques.
Linda AMIRI
Bibl. : Linda Amiri, « Les espaces de voisinage dans les conflits de
décolonisation : le cas de la Suisse pendant la guerre d’indépendance
algérienne », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 97-98, no 1-2,
2010 • Damien Caron, La Suisse et la guerre d’indépendance algérienne
(1954-1962), Lausanne, Antipodes, 2013 • Patrick Minder, « La construction
du colonisé dans une métropole sans empire : le cas de la Suisse (1880-
1939) », Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines, La Découverte,
2004.
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, AASSÈS
Les aassès sont des unités supplétives formées à la fin de l’année 1960,
qui disparaissent officiellement un an plus tard. On retrouve toutefois des
auxiliaires servant sous ce statut jusqu’à la fin du conflit. La dénomination
(qui connaît différentes orthographes) renvoie au terme arabe qui signifie
« gardiens ».
L’apparition tardive des aassès dans le conflit est une conséquence de la
disparition des unités territoriales* (UT). Une minorité d’Algériens servait en
effet au sein des UT – quelques centaines avant 1958, un peu moins de 8 000
fin 1959. L’intégration d’Algériens dans les UT répondait après mai 1958 à
un objectif de propagande* explicite – Raoul Salan* écrivait ainsi en juin à
Pierre Guillaumat, ministre des Armées, qu’il s’agissait ainsi de « souder
effectivement les deux communautés, Français de souche européenne et
Français de souche nord-africaine ». Après la dissolution des UT, il n’est pas
question pour l’état-major de se passer de ces auxiliaires.
Le commandement dénombre jusqu’à 5 500 aassès en 1961. Outre les
anciens membres des UT, une partie des aassès étaient auparavant des
harkis*. Leur statut et leur salaire sont en effet identiques. Ils ne s’en
distinguent que par l’origine de leur financement (crédits civils pour les
harkis, crédits du ministère des Armées pour les aassès) et par certaines
facilités offertes aux aassès souhaitant s’engager dans l’armée régulière. Au-
delà du service effectué, certains aassès doivent donc être considérés comme
des sortes de supplétifs de papier, dont l’existence relève des méandres
parfois kafkaïens de l’administration de l’armée française en Algérie : dans le
cadre de la réduction des effectifs harkis en 1961, la transformation
temporaire d’un harki en aassès lui permet en effet d’acquérir des droits
d’ancienneté en cas d’engagement dans l’armée régulière.
Les missions remplies par les aassès sont relativement mieux définies que
celles des harkis. Il s’agit en effet, à la suite des UT, d’un rôle essentiellement
statique : surveillance de « points sensibles », d’axes de communication, de
bâtiments publics ou privés (installations agricoles, notamment), etc.
Comparés aux autres unités auxiliaires, les aassès furent celles qui
rencontrèrent le moins de succès. Dans la perspective de la fin des combats,
la suppression de ces unités fut la plus rapide à mettre en œuvre. Les aassès
disparaissent administrativement le 8 novembre 1961, et la plupart des
intéressés signent des contrats de harkis.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis (1954-
1962), Perrin, 2013 • Marie Dumont, « Les unités territoriales », in Jean-
Charles Jauffret et Maurice Vaïsse, Militaires et guérilla dans la guerre
d’Algérie, Bruxelles, Complexe, 2001.
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, COMMANDO « GEORGES »
Le commando « Georges » est un commando de chasse, engagé entre
février 1959 et avril 1962. Il tire son nom de l’homme qui le commande : le
lieutenant Georges Grillot. Ancien d’Indochine* où il a commandé une
section de « partisans » vietnamiens, Grillot est en 1959 officier* au
3e régiment de parachutistes coloniaux (RPC) dirigé par Marcel Bigeard*,
commandant le secteur militaire de Saïda.
Le commando « Georges » est exceptionnel à plus d’un titre. Par sa
composition tout d’abord. « Georges » ne recrute dans son commando que
des Algériens, sous statut harki*. Une partie des membres du commando sont
d’anciens membres du FLN* « ralliés » – la légende du commando veut que
tous ses membres le soient. Ainsi Youcef Ben Brahim, le plus proche adjoint
de Grillot, se présente comme un ancien commissaire politique du FLN
recruté lors de son séjour au centre de tri et de transit* de Saïda.
Par son organisation interne ensuite : comprenant jusqu’à 250 hommes en
1960 (contre une centaine pour un commando de chasse classique),
« Georges » adopte une structure mimant celle de l’ALN* : ses sections sont
surnommées katibas et des « commissaires politiques » encadrent les
hommes. Payés comme les autres harkis, les chefs de groupe reçoivent des
primes « au rendement ».
Par son activité enfin : le commando « Georges » est utilisé par le
commandement comme un groupe d’intervention à l’échelle du secteur, puis
de tout le corps d’armée d’Oran. Unité bien équipée, au bilan opérationnel
impressionnant, décorée par de Gaulle* lui-même, célébrée dans différentes
publications et reportages télévisés dès l’été 1959, elle s’est également rendue
célèbre par sa brutalité – des méthodes violentes reconnues et justifiées au
nom de l’efficacité et des « mœurs » algériennes.
Ses membres connaissent les mêmes conditions de démobilisation que les
autres harkis en 1961-1962, entre engagement dans l’armée, désertions,
désarmement et licenciements. Le commando « Georges » est officiellement
dissous en avril 1962. Une partie de ses anciens membres sont enlevés et
exécutés.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : Général Robert Gaget, Commando Georges, des harkis de feu,
Jacques Grancher, 1990 • François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des
harkis (1954-1962), Perrin, 2013 • Pascal de Pautremat, « Le commando
Georges, de la contre-guérilla à la tragédie (1959-1962) », in Guerres
mondiales et conflits contemporains, t. I, no 213, 2004.
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, GROUPES D’AUTODÉFENSE
(GAD)
Les groupes d’autodéfense (GAD) sont des unités auxiliaires constituées
d’hommes, auxquels l’armée française fournit des armes à feu pour assurer la
défense de leur village.
Confondus avec les harkis* jusqu’à l’été 1956, les membres des GAD
s’en distinguent alors par le caractère statique de leurs missions. Les hommes
qui constituent les GAD ne signent pas de contrat, ne reçoivent pas de solde.
La formation d’une autodéfense s’accompagne néanmoins de certains
avantages : priorité lors des distributions de vivres, recrutement préférentiel
sur les chantiers, autorisations de circuler, aide médicale, etc.
Conséquence du caractère peu formalisé de leur engagement, les
dénombrements produits par l’armée sont souvent imprécis et sujets à
caution. En janvier 1957, le commandement dénombre 141 groupes,
comprenant 3 500 gardes. Fin 1958, ils sont entre 12 000 et 16 000 hommes,
formant 600 groupes. À compter de cette date, la mise en autodéfense de la
population rurale devient un objectif prioritaire du commandement en chef.
L’apogée est atteint fin 1960, avec 62 000 hommes, armés de 28 000 fusils et
répartis dans 2000 GAD.
Dans le discours militaire, la création d’un GAD doit répondre à une
demande formulée par la population elle-même. Dans les faits toutefois, les
GAD relèvent, comme les autres unités auxiliaires, d’une stratégie décidée
par le commandement en chef.
Leur rôle militaire est très limité. L’armement des GAD est médiocre,
constitué d’abord de fusils de chasse, puis d’armes de guerre anciennes
(fusils Lebel). À partir de 1959, le commandement tente de leur conférer un
rôle opérationnel actif, sans grande réussite. Leur intérêt pour l’armée
demeure essentiellement dans le symbole d’une population rurale assurant
elle-même sa protection contre les « rebelles ». Une fois un GAD créé, le
village est considéré comme « rallié ». La mise en scène de ce ralliement,
avec cérémonie et visite d’officiels, témoigne de cette fonction. Avec
l’avancée des négociations* de paix, une telle stratégie devient caduque.
Durant l’été 1961, le désarmement des GAD est entamé, présenté comme une
mesure de sécurité à la suite des « désertions » (lorsque des gardes armés
disparaissaient). Aucune alternative ne leur est laissée. Quelques semaines
après la signature des accords d’Évian*, tous les GAD sont désarmés.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Les supplétifs algériens de l’armée
française pendant la guerre d’Algérie », Vingtième Siècle, no 48, 1995 •
François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis (1954-1962),
Perrin, 2013.
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE,
GROUPES MOBILES DE POLICE RURALE
(GMPR)/
GROUPES MOBILES DE SÉCURITÉ (GMS)
Les groupes mobiles de police rurale (GMPR), devenus groupes mobiles
de sécurité (GMS) en 1958, sont des unités auxiliaires composées d’une
centaine d’hommes majoritairement algériens, surnommés généralement
« goumiers » ou parfois « Jean-Pierre » (par déformation du sigle GMPR).
Elles sont créées le 14 janvier 1955. Le projet de former de telles unités
est toutefois antérieur au déclenchement de l’insurrection nationaliste. Les
GMPR devaient initialement constituer des unités mobiles, motorisées ou à
cheval, opérant en réserve d’intervention des forces assurant la sécurité dans
les campagnes algériennes. Ils devaient agir en groupe (non fractionnés), de
façon autonome. Le développement de la guerre ne permet toutefois pas de
respecter ces règles d’engagement et il devient très difficile de percevoir des
missions uniformes à l’échelle de l’Algérie. Concrètement, si certains
GMPR/GMS continuent d’assurer des missions d’intervention, d’autres (la
plupart, semble-t-il) participent comme des unités de secteur au quadrillage
du bled, assurant patrouilles, protection des chantiers, ravitaillement des
postes. Ils servent le plus souvent par sections de 20 à 30 hommes.
On dénombre 84 groupes en janvier 1957, rassemblant 4 748 auxiliaires
de police*. Fin 1958, ils sont 9 000 répartis dans 94 groupes. L’effectif
n’augmente guère par la suite. Force civile à l’origine, les groupes passent
sous commandement militaire en mars 1958.
Les GMPR/GMS se distinguent des autres unités supplétives par un fort
encadrement, majoritairement d’origine européenne (officiers* et sous-
officiers* issus de l’armée). Les gardes, quant à eux, sont tous Algériens à la
fin de la guerre. Comparativement aux autres supplétifs, les membres des
GMPR/GMS sont mieux armés (fusils plus modernes, armes à répétition plus
nombreuses), ils sont logés par l’administration avec leurs familles. S’ils
touchent le même salaire de base que les mokhaznis ou les harkis*, ils
bénéficient de certaines primes et avantages sociaux. Le recrutement
s’effectue en priorité parmi les anciens combattants*. Les groupes servent le
plus souvent hors de leur lieu de recrutement.
À la fin de la guerre, les gardes des GMS (environ 10 000 hommes en
mars 1962) sont transférés vers la Force locale* après la signature des
accords d’Évian*. Ils rejoignent alors le sort des membres de cette autorité,
entre désertion et récupération par le FLN* au pouvoir.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis (1954-
1962), Perrin, 2013.
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, HARKIS
Les harkis* sont des soldats auxiliaires de l’armée française, engagés
dans les campagnes algériennes entre 1955 et 1962. L’étymologie algérienne
e
du terme renvoie au XIX siècle et à une expédition fiscale ou punitive. Il
tombe ensuite en désuétude. Le terme est également en usage au Maroc*, où
son usage s’est maintenu au XXe siècle. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
les harkis marocains sont des auxiliaires temporaires, engagés pour participer
à des opérations de police*, encadrés par des mokhaznis.
En Algérie entre fin 1954 et l’été 1956, différentes initiatives locales font
état de l’engagement de ruraux algériens légèrement armés au côté des unités
françaises pour des opérations à proximité de leurs villages. Le mot
« harkis » est alors utilisé sans exclusive pour désigner ces auxiliaires.
Certaines sources insistent sur le caractère collectif de leur engagement
(« tribal »). Le 7 août 1956, une circulaire signée du ministre résidant
formalise ces initiatives. Elle crée deux nouvelles unités supplétives : les
groupes d’autodéfense (GAD) et les « harkas » (unité regroupant des harkis).
Les harkis sont distingués par leur « participation active aux opérations de
maintien de l’ordre ». Unité civile à l’origine (leur financement le demeure
jusqu’à la fin de la guerre), les harkis passent sous l’autorité effective de
l’armée à compter du 1er juillet 1957.
Auxiliaires souvent définis par le caractère journalier de leur engagement
davantage que par leurs missions, la plupart des harkis ne signent pas de
contrats. Leur solde est équivalente à celle des autres auxiliaires algériens
(750 francs par jour pour un harki du rang, puis 825 francs à partir de 1958),
mais peut être diminuée par différentes retenues (frais d’équipement, de
nourriture, par exemple, jusqu’à la moitié du total). Lors des opérations, les
harkis sont équipés d’armes anciennes prélevées sur les stocks : fusils de
chasse exclusivement entre 1954 et 1957, puis fusils de guerre et armes à
répétition en petit nombre (pistolets-mitrailleurs essentiellement).
Le nombre de harkis ne cesse d’augmenter durant la guerre : on en
dénombre autour de 2 000 en janvier 1957, 28 000 fin 1958 et jusqu’à 60 000
environ entre 1959 et 1961.
Prévus à l’origine comme des auxiliaires mobilisés de façon temporaire,
les harkis doivent pourtant être considérés comme une troupe pérenne dès
1957. Ils effectuent leurs missions dans les campagnes, sur tout le territoire
algérien, le plus possible à proximité de leur lieu de recrutement. Au moment
de leur plus fort emploi, les harkis représentent un appoint susceptible de
compléter les unités. Ils sont souvent intégrés collectivement au dispositif de
quadrillage. Ils partagent le même type d’expérience que les appelés
métropolitains. Certains groupes de harkis peuvent tenir un poste militaire de
façon autonome, voire un quartier de pacification* (échelon de base du
dispositif de quadrillage).
Dès l’origine et jusqu’à la fin de la guerre, des harkis peuvent également
remplir certaines tâches spécifiques (guides, pisteurs, traducteurs, par
exemple). Quelques milliers servent dans des unités d’élite de type
commandos*, dont les « commandos de chasse », créés par Maurice Challe*
fin 1958, fournissent le modèle. Là, les harkis combattent individuellement
ou en petits groupes, intégrés dans les sections de combat ou de
renseignement. Quelques situations rarissimes ont mené à la constitution de
commandos entièrement composés de harkis, comme le commando
« Georges ». Sauf exception, les règles d’emploi des harkis interdisent en
effet les opérations autonomes. Malgré la « confiance » évoquée après-guerre
par certains de leurs anciens chefs, la hiérarchie militaire s’est toujours
méfiée de possibles désertions et multiplie durant toute la durée de la guerre
les mesures de surveillance.
À partir de 1961, le nombre de harkis commence à diminuer. Ils sont, de
fait, le groupe de supplétifs démobilisés le plus tardivement. On compte
encore plus de 40 000 harkis en mars 1962. Après la signature des accords
d’Évian*, trois à quatre mille sont transférés dans la « Force locale* »,
environ le même nombre s’engage dans l’armée régulière, alors qu’aux
alentours de 90 % d’entre eux sont licenciés – une situation qui est
encouragée par la hiérarchie militaire et le gouvernement par le versement de
primes et d’aides diverses.
Le mot « harkis » se charge alors de nouveaux sens, polysémiques. Pour
certains Algériens qui revendiquent leur nationalisme*, il devient un symbole
à même de jeter l’opprobre sur une partie de la population accusée de
collusion avec l’ennemi, une sorte de « parti de la France » qui peut, en
fonction du besoin, désigner d’anciens auxiliaires, policiers ou notables
« profrançais ». Dès le printemps 1962, ces harkis sont parfois arrêtés, parfois
tués, souvent victimes de relégation, privés d’emplois ou d’aides sociales,
leurs terres saisies. Côté français, les nouveaux contours du mot sont
également troubles, désignant parfois l’ensemble des anciens auxiliaires,
parfois les « musulmans menacés » en Algérie, parfois encore des groupes
d’Algériens transférés en France après le printemps 1962.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron, Les Harkis dans la
colonisation et ses suites, L’Atelier, 2008 • François-Xavier Hautreux, La
Guerre d’Algérie des harkis (1954-1962), Perrin, 2013 • Alice Zeniter, L’Art
de perdre, Flammarion, 2017.
SUPPLÉTIFS DE L’ARMÉE
FRANÇAISE, MOKHAZNI
Gardes associés aux sections administratives spécialisées* (SAS), les
mokhaznis (ou « moghaznis », qui forment un « makhzen ») constituent une
force de police* rurale sous le commandement d’un officier* des Affaires
algériennes. Leur dénomination renvoie étymologiquement à une force
d’appoint au service du pouvoir. Si le terme tombe en désuétude après la
conquête en Algérie, il continue d’être utilisé au Maroc* et en Tunisie*, où il
désigne à la fois une force supplétive et l’appareil d’État.
Créés en septembre 1955 dans le contexte de la Guerre d’indépendance,
les makhzens sont des groupes formés d’une trentaine d’hommes, recrutés
généralement autour de la SAS parmi la population algérienne. Les candidats
ayant une expérience militaire sont recherchés – celle-ci devient obligatoire à
partir de 1959. Ils signent des contrats de six mois et touchent un salaire de
base de 750 francs par jour en 1955. On dénombre environ 3 500 mokhaznis
en janvier 1957 et jusqu’à 20 000 fin 1959, en service dans 690 SAS.
Les mokhaznis sont chargés en premier lieu de la défense rapprochée du
territoire de la SAS. Rapidement, toutefois, leurs missions se diversifient, en
fonction de l’officier qui les commande. Aux gardes de chantiers et
ouvertures de pistes s’adjoignent alors éventuellement une participation aux
opérations militaires du secteur (ratissages, embuscades*, etc.). Les
mokhaznis peuvent également assister les chefs de SAS dans leur mission de
renseignement, en jouant le rôle de traducteur et, pour certains, de
tortionnaire. Leur armement est comparable à celui des harkis*, quoiqu’un
peu plus moderne et comptant quelques armes à répétition (pistolets-
mitrailleurs et fusils-mitrailleurs). Les mokhaznis et leurs familles sont logés
à proximité du centre de la SAS (« cité makhzen »), formant souvent un
quartier à part.
Dès 1959, le gouvernement tente de limiter le rôle opérationnel des SAS
– et, partant, celui des mokhaznis. En 1961, elles sont démilitarisées. Le
nombre de mokhaznis diminue alors pour la première fois. On en compte
toutefois encore 18 000 au 1er mars 1962. Entre février et juin 1962, les SAS
sont supprimées, remplacées par d’éphémères « centres d’aide
administrative » (CAA). Les gardes algériens souscrivent peu à cette
évolution. Le nombre de désertions – jusqu’alors extrêmement limité –
augmente jusqu’autour de 250 mensuels en mars et avril. Désarmés, les
mokhaznis disparaissent administrativement durant cette période. Ils sont
licenciés pour la plupart. Leur situation, dès lors, est comparable à celle des
harkis.
François-Xavier HAUTREUX
Bibl. : François-Xavier Hautreux, La Guerre d’Algérie des harkis (1954-
1962), Perrin, 2013 • Gregor Mathias, Les Sections administratives en Algérie
• Entre idéal et réalité, L’Harmattan, 1998 • Fabien Sacriste, Les Camps de
regroupement en Algérie. Une histoire des déplacements forcés (1954-1962),
Presses de Sciences Po, 2022.
SURSIS
Les sursis représentent un sujet d’intérêt croissant pour les jeunes et la
société pendant la guerre d’Algérie. La loi du 31 mars 1928 fixe la limite
d’âge de 25 ans maximum pour les sursis pour études, sauf pour les
disciplines médicales où elle est de 27 ans. Les mineurs de fond peuvent par
ailleurs être sursitaires de même que les jeunes gens qui ont déjà un frère
sous les drapeaux en Algérie. En 1959, ils sont respectivement 1 500 et
7 500.
L’état de guerre doit entraîner la résiliation de tous les sursis, mais cet
état n’est pas déclaré car la France ne peut être en guerre contre elle-même
(l’Algérie est alors composée de départements français). Cela convient aussi
à l’armée qui trouve des officiers* de réserve parmi ces sursitaires même si
cela peut poser problème : les étudiants* sursitaires ne sont pas forcément de
bons officiers en opération.
Le nombre de sursitaires s’accroît fortement avec l’augmentation du
nombre de bacheliers (de 30 000 en 1950 à 60 000 en 1960) et du nombre
d’étudiants (de 123 000 en 1946 à 200 000 en 1959). La proportion de
sursitaires dans chaque contingent croît ainsi de 7,4 % des conscrits en 1955
à 12,9 % en 1958, avant de baisser légèrement puis de remonter à 13,6 % en
1961 et à 16,9 % en 1962.
Cette augmentation entraîne parfois des critiques à l’encontre des
étudiants. L’Aurore titre : « Supprimez les sursis d’études ! » en avril 1956.
Les étudiants se font parfois traiter de « planqués ». Or, certains étudiants ont
participé à la guerre du fait de leur sursis ; ils l’auraient évitée s’ils n’avaient
pas fait d’études. Mais l’augmentation des sursitaires est aussi un signe
croissant du rejet de la guerre d’Algérie par les jeunes.
Le nombre de sursitaires incorporés devient même inférieur au nombre de
jeunes gens mis en sursis, ce qui pose problème au Gouvernement, qui doit
faire face au phénomène des classes creuses nées pendant l’entre-deux-
guerres. Par l’ordonnance du 12 juillet 1958, les services de recrutement de
l’armée traquent les « sursis abusifs », en vérifiant l’assiduité aux cours et en
sanctionnant les échecs répétés aux examens. Surtout, l’instruction
interministérielle du 11 août 1959 signée par Pierre Guillaumat (Armées) et
André Boulloche (Éducation nationale) limite considérablement les
possibilités de sursis et entraîne la suppression brutale de 20 000 d’entre eux.
La contestation gagne les enseignants, les universitaires et l’Unef*. Celle-
ci effectue 7 000 recours contre les décisions de résiliation avec l’aide
d’avocats et organise deux journées de grèves* et de manifestations* au
printemps 1960. Cela montre sa capacité de mobilisation, qu’elle poursuit en
1960 et au-delà, jusqu’en 1968… Pour une partie de la jeunesse, le service
militaire* représente désormais moins un rite de passage qu’une menace.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Ludivine Bantigny, Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de
l’aube des « Trente Glorieuses » à la guerre d’Algérie, Fayard, 2007 • Jean-
Charles Jauffret, La Guerre d’Algérie. Les combattants français et leur
mémoire, Odile Jacob, 2016.
SYNDICAT NATIONAL
DES INSTITUTEURS (SNI)
Le SNI Algérie est divisé en trois sections, selon les trois départements :
Alger, Oran, Constantine. Il compte jusqu’à 3 000 syndiqués en 1956 ; les
instituteurs dits « musulmans » y sont assez bien représentés.
Le 6 février 1956, le voyage de Guy Mollet* à Alger et les conditions de
son accueil contribuent à une fracture au sein de la section d’Alger. Une
bonne moitié des syndiqués quittent le SNI pour former le « syndicat
indépendant », partisan de « l’Algérie française ». Son bulletin, L’École
française, est le pendant de L’École républicaine, qui est l’organe de la
section historique. Dès lors, les oppositions sont déclarées. De 1956 à 1962,
une lutte d’influence permanente s’installe entre les deux syndicats. En
revanche, en métropole, les débats du syndicat national restent globalement
alignés sur le principe de la table ronde.
La participation des musulmans au syndicat est ancienne et on peut la
faire démarrer un peu avant la fondation de La Voix des humbles (1922-1939)
par Saïd Faci et Mohand Lechani. L’intégration des instituteurs
« musulmans » ne fait guère avancer l’action syndicale en situation coloniale.
Mais ils œuvrent en faveur de la fusion des enseignements « européen » et
« indigène », puis désignés comme A et B, avant qu’ils ne fassent qu’un avec
le décret du 15 mars 1949. Les instituteurs musulmans militent également
pour l’enseignement de la langue arabe et contre l’abaissement du niveau du
recrutement des enseignants, quand le gouverneur Jacques Soustelle* ouvre
celui-ci aux instructeurs. Ils appuient les plans de scolarisation, notamment
de 1944 et de 1958. Certains s’engagent dans les centres sociaux éducatifs*
(CSE), en s’inscrivant dans la lignée de la lutte du SNI contre
l’analphabétisme.
À la fin de la guerre, le travail syndical s’effectue dans des conditions de
plus en plus difficiles, voire intenables. Les enseignants syndicalistes sont dès
lors happés par la spirale des violences, jusqu’à l’assassinat des six
principaux responsables des CSE, exécutés par l’OAS* le 15 mars 1962.
À la veille de l’indépendance, les représentants du SNI sont engagés en
lien avec l’Exécutif provisoire* et leurs camarades syndicalistes algériens,
dans la préparation de la rentrée scolaire de septembre. La première rentrée
de l’indépendance assurée, le travail syndical continue et le SNI sections
algériennes se transforme en Association professionnelle des instituteurs
français en Algérie (Apifa) dont un des responsables est l’instituteur pied-
noir* Louis Rigaud.
Aissa KADRI
Bibl. : L’École libératrice, organe du Syndicat national des instituteurs et
institutrices de l’Union française (1953 à 1962) • Charles Koenig,
« Souvenirs et témoignage d’un membre de l’Exécutif provisoire algérien »,
Cahiers du Centre fédéral de l’Éducation nationale (FEN), no 1, 1992 • Louis
Rigaud, « Vie et militantisme en Algérie de 1922 à 1964 », Cahiers du
Centre fédéral de l’Éducation nationale (FEN), no 12, 1995.
T
13 MAI 1958
Si la guerre menée en Algérie est centrale dans la chute de la
IVe République*, elle n’en est pas la seule cause. Cette République est en
elle-même fragile. Sa Constitution contraint les partis à nouer des alliances
pour former des gouvernements disposant d’une majorité au Parlement et ces
coalitions ne résistent pas longtemps. Du déclenchement de la guerre à la
chute du régime, six gouvernements se succèdent ainsi. Outre la guerre en
Algérie, ils doivent affronter les problèmes financiers posés par l’inflation
qu’ils n’arrivent pas à juguler.
L’internationalisation* du conflit est quant à elle l’élément déclencheur
de la crise. En effet, le 8 février 1958, l’aviation française, poursuivant
jusqu’en Tunisie* l’ennemi algérien qui s’y replie, pilonne le village de
Sakiet Sidi Youssef*, faisant des dizaines de morts et plus d’une centaine de
blessés. Le président Bourguiba saisit l’ONU* et riposte en organisant le
blocus de la base de Bizerte*, en fermant des postes consulaires français et en
appelant au retrait des troupes de l’ex-puissance coloniale encore présentes
sur son sol. Craignant un embrasement de la région, la diplomatie anglo-
saxonne propose alors ses « bons offices » pour tenter de résoudre ce
contentieux. En acceptant de rencontrer Harold Beeley, pour le Foreign
Office, et Robert Murphy, pour le secrétariat d’État américain, Félix
Gaillard*, chef du gouvernement, déroge à la ligne suivie depuis 1954 :
refuser toute intervention étrangère. Puisque l’Algérie fait partie intégrante de
la République, les autorités françaises défendent qu’il s’agit d’affaires
intérieures, relevant de leur seule souveraineté. Le FLN*, au contraire,
déploie depuis le début de la guerre une stratégie d’internationalisation
fructueuse.
La rencontre avec les diplomates anglo-saxons vaut à Félix Gaillard
d’être renversé le 15 avril 1958. Après les complexes et délicates tractations
qui suivent invariablement les démissions des présidents du conseil sous la
IVe République, Pierre Pflimlin*, du MRP*, est pressenti, le 9 mai, pour
former un nouveau gouvernement. En désaccord, car Pflimlin s’est déclaré
favorable à des pourparlers, les partisans de l’Algérie française appellent à
manifester le 13 mai, jour prévu pour son investiture. Au fait des
mobilisations antérieures, dont celle du 6 février 1956 contre Guy Mollet*,
lors de la fameuse « journée des tomates* », les autorités tentent d’encadrer le
mouvement à Alger. Elles organisent, sous la conduite du général Salan*, une
cérémonie aux monuments aux morts*. Les Français d’Algérie ont pris
l’habitude d’y exprimer leur colère. Outre que le monument symbolise leurs
sacrifices antérieurs, lorsqu’ils ont répondu à l’appel de la France en guerre, il
leur permet de se rassembler aux portes du pouvoir. Il est situé en contrebas
de la place du Forum, qui borde le Gouvernement général* (le « GG »). De
son long balcon blanc orné de deux colonnes entre lesquelles se placent les
orateurs s’adressant à la foule, aisément reconnaissable dans l’iconographie
de la guerre, seront lancées des formules devenues fameuses, dont le « Je
vous ai compris » de De Gaulle*, le 4 juin.
Le rassemblement algérois du 13 mai doit rendre hommage à trois soldats
français tombés aux mains du FLN. Le 9 mai, jour où le nom de Pflimlin a
émergé, un communiqué du FLN a affirmé que ces trois soldats avaient été
exécutés après avoir été jugés pour « tortures, viol* et assassinat ». Si
l’information reste à vérifier (il est possible que ces prisonniers* soient morts
autrement), il n’empêche que le FLN entend ainsi lancer une controverse
cruciale. Il déclare en effet que l’exécution des trois soldats riposte à celle
d’Abderrahmane Taleb, guillotiné le 24 avril précédent. Ce jeune chimiste de
26 ans, qui fabriquait les bombes de la « bataille d’Alger* », avait été trois
fois condamné à mort par le tribunal militaire d’Alger. Le FLN, par
conséquent, pose la question de la réciprocité du traitement des prisonniers,
dans cette guerre soustraite aux conventions de Genève* qui fixent les règles
à suivre en cas de conflit armé. « Nous ne respecterons les lois de la guerre
que si l’adversaire fait de même. Que les familles des soldats français en
Algérie le sachent. Il leur revient d’exiger que cesse le massacre des
combattants algériens prisonniers », déclare le FLN, repris par la presse* ;
pour lui, en l’absence d’armée régulière, les auteurs d’attentats sont des
« combattants ». La suite des événements relègue cette question au second
plan ; elle finit par être occultée. Pour longtemps se fixe, dans
l’historiographie française, une narration du 13 Mai débutant par l’exécution
des trois soldats sans mentionner celle d’Abderrahmane Taleb, ni la
controverse avortée du FLN.
En effet, le 13 mai, les manifestants rassemblés devant le monument aux
morts prennent d’assaut le « GG » et un Comité de salut public est formé.
Pour la première fois s’unissent des militaires (Massu*, chef de la
10e division parachutiste*, Salan, commandant en chef) et des activistes
(Pierre Lagaillarde*, Joseph Ortiz*, Robert Martel). Le gaulliste Léon
Delbecque, envoyé de métropole par Jacques Chaban-Delmas, les convainc
de s’en remettre à de Gaulle. Le 15 mai, Salan fait acclamer le nom du
général qui, promptement, se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la
République ». Le 17 mai, Jacques Soustelle*, lui aussi venu de métropole,
enchaîne des slogans reliant de Gaulle à la sauvegarde de la République et de
l’Algérie française : « Vive la République », « Vive l’Algérie française »,
« Vive la France », « Vive de Gaulle ».
Sauveur ou fossoyeur de la République ? La question est posée. S’il
revient au pouvoir, de Gaulle, hostile à la IVe, changera de régime et le
« putsch » du 13 Mai suscite les pires craintes. Le plan « Résurrection* »
prévoit des parachutages à Paris ainsi que la formation de Comités de salut
public en Corse, où le colonel Thomazo est envoyé d’Alger avec le titre de
gouverneur militaire. En Algérie, où de nombreux Comités de salut public
sont formés, des personnalités, comme les avocats Gisèle Halimi* et Pierre
Braun, des représentants de l’autorité légale, notamment des préfets*, sont
arrêtés et détenus ou étroitement surveillés. Le dispositif de protection
urbaine* (DPU) met à profit son quadrillage d’Alger pour embrigader des
Algériens et leur faire rejoindre les manifestations*. Le terme trompeur de
« fraternisations », utilisé pour les désigner, masque leur caractère limité et
encadré si ce n’est contraint. Elles n’en ont pas moins été interprétées comme
les signes d’une confiance nouvelle et prometteuse.
À Paris, la résistance s’organise autour du PCF* et de personnalités
comme François Mitterrand* et Pierre Mendès France*, avec une grande
manifestation de vigilance républicaine, le 28 mai. De Gaulle finit par être
investi le 1er juin à la tête d’un gouvernement de cohésion ; le socialiste Guy
Mollet est vice-président du Conseil. Soumise par référendum aux Français,
le 28 septembre 1958, la nouvelle Constitution entre en vigueur le 1er janvier
1959. Elle renforce l’exécutif, selon les vœux de De Gaulle qui, par ailleurs,
prend le contrôle de la politique algérienne. Difficiles à connaître, ses
intentions d’alors continuent d’être discutées. Il reste de cette histoire une
Constitution marquée par cette conjoncture.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne,
Flammarion, 2012 • Jean-Paul Thomas, Gilles Le Béguec et Bernard
Lachaise (dir.), Mai 1958. Le retour du général de Gaulle, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2010 • Maurice Vaïsse, Alger, le putsch, Bruxelles,
Complexe, 1983.
TCHÉCOSLOVAQUIE
La Tchécoslovaquie est connue dans les pays arabes pour sa vente
d’armes à l’Égypte* en 1955. Elle se distingue parmi les pays socialistes
d’Europe de l’Est comme le fournisseur le plus important d’armes aux
combattants algériens. En 1955-1956, la fourniture d’armes se fait le plus
souvent par l’intermédiaire de l’Égypte ou de la Syrie. Dès 1957, les armes
pour l’ALN* sont acheminées aux ports égyptiens ou marocains par des
bâtiments naviguant sous pavillon de différentes nations ou de sociétés
privées de commerce. Elles proviennent des usines tchécoslovaques (le pays
a une industrie* d’armement importante), des stocks laissés par la
Wehrmacht lors de la Seconde Guerre mondiale ou bien elles sont de
fabrication soviétique. Ainsi, le bâtiment yougoslave Slovenia, arraisonné par
la marine française en janvier 1958, est chargé de 55 tonnes d’armes et de 95
tonnes de munitions tchécoslovaques. Le premier contrat de vente d’armes
direct avec le FLN* a lieu en 1961. L’assistance humanitaire est organisée
par la Croix-Rouge*, sa valeur est de l’ordre de 70 000 couronnes en 1957,
250 000 en 1958, mais en 1959-1960 elle augmente à 36 millions (vêtements,
vivres, médicaments). Quelques dizaines de blessés de l’ALN sont soignés
dans les hôpitaux. Prague accueille la délégation extérieure du PCA* dirigée
par le secrétaire général Larbi Bouhali. Celui-ci voyage beaucoup dans les
pays d’Europe de l’Est afin de faire connaître la situation en Algérie et de
mobiliser pour une aide accrue au FLN. Durant les premières années de
l’insurrection, les dirigeants tchécoslovaques ont peu d’informations réelles
et authentiques sur le FLN ; celles-ci proviennent exclusivement des PC
français et algérien. C’est aussi une raison de la méfiance de Prague à l’égard
du FLN. En janvier 1957, le président de la commission des Affaires
étrangères du Parlement tchécoslovaque reçoit les deux jeunes délégués du
FLN, ce que l’on peut considérer comme premier contact politique. Le
gouvernement tchécoslovaque ne reconnaît ni de facto, ni de jure le GPRA*
lors de sa constitution. Par contre, les organisations non gouvernementales
(syndicats, Croix-Rouge) reçoivent la délégation du GPRA en 1960. En
septembre de cette même année, lors des travaux de l’Assemblée générale de
l’ONU*, Antonín Novotný, président tchécoslovaque, s’entretient avec
Krim* Belkacem. Le 25 mars 1961, la reconnaissance de facto du GPRA a
lieu. La reconnaissance de jure se déroule quant à elle deux jours après la
signature des accords d’Évian*, le 20 mars 1962.
László NAGY
Bibl. : Petr Zídek, « Une alliance alimentée par l’argent : la Tchécoslovaquie
et le FLN (1954-1962) », in Hervé Bismuth et Fritz Taubert (dir.), La Guerre
d’Algérie et le monde communiste, Dijon, Éditions universitaires de Dijon,
2014 • Philip Muehlenbeck, Czechoslovakia in Africa, 1945-1968,
Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015.
TÉMOIGNAGES (ALGÉRIE)
Le temps d’une génération* et à la faveur des événements de 1988, de
nombreux témoignages ont commencé à être publiés et portent, selon les
auteurs, sur la « révolution », la « lutte armée de libération nationale », la
« Guerre de libération nationale » et enfin la « Guerre d’indépendance ».
L’écriture de l’histoire du temps présent ne peut que s’en réjouir, non
seulement en raison des précieux témoignages offerts mais surtout grâce aux
pièces d’archives* jointes en annexe des ouvrages.
La plupart des auteurs, militants du mouvement national et/ou acteurs de
la Guerre d’indépendance, insistent sur le besoin de lever le voile sur bien des
événements et donc de livrer des secrets à l’opinion publique*. Abderrezak
Bouhara, officier de l’ALN*, déclare vouloir apporter « des éclairages sur
une tranche de l’histoire de notre pays, en livrant un maximum d’éléments
d’information et en me libérant […] de l’autocensure qui pèse sur de
nombreux cadres de ma génération ».
Cette déclaration d’intention sonne comme un aveu et semble rompre
avec les contraintes imposées par le discours officiel qui relaie le monopole
exercé par le parti du FLN*. Mansour Rahal, responsable des transmissions
en Wilaya 1*, poursuit le même but : « Sortir de l’ombre et de l’oubli, dans
les limites de la mémoire et de notes personnelles, une séquence non
négligeable du maquis de la Guerre d’indépendance. »
Chacun des textes publiés a comme préoccupation majeure de remplir un
« devoir de mémoire », une exigence morale, une dette envers les martyrs.
Mais il y a plus, le « désir de mémoire » exprimé par la jeunesse post-1988
n’a pas manqué d’interpeller la conscience de certains protagonistes de la
guerre. S’il est difficile de cerner la relation de cause à effet entre le devoir de
mémoire des uns et le désir de mémoire des autres, l’essentiel réside dans la
révélation du malaise éprouvé vis-à-vis d’un passé récent compliqué par une
conjoncture de crise.
Au cœur de ce malaise aux formes diverses, ce sont « l’héritage de la
violence fondatrice » (Omar Carlier) et l’impact des blessures réelles et
symboliques qui posent problème tant aux générations de la guerre qu’à
celles de l’indépendance.
Aussi, si la part des faits de guerre et leurs atrocités occupent une bonne
place, les écrits évoquent aussi la vie intérieure dans les maquis et les
dissensions nées de la guerre telles que les cas de désobéissance (individuelle
ou collective), les ralliements à l’armée française, les harkis*. Les violentes
dissidences nées dans l’Aurès, les désaccords survenus lors de la tenue du
congrès de la Soummam* et les oppositions à l’application de ses directives,
l’implication de responsables du CCE* dans l’élimination d’Abane*
Ramdane, les complots et les purges dans les rangs de l’ALN, la crise de
l’été 1962*… mettent à jour les liquidations fratricides et les luttes de
pouvoir au sein du FLN-ALN. Autant dire qu’il n’y a plus de secret ni de
sujet tabou.
Tant de matériaux représentent des sources utiles aux approches
historiques. Leur apport est en mesure de contribuer à une (re)définition des
savoirs sur la Guerre d’indépendance. Cependant, l’historien(ne) ne peut
s’empêcher de s’interroger sur la finalité d’un tel foisonnement de la
mémoire. L’expérience montre que tout retour aux sources est à double
tranchant : l’opération d’écriture permet une opération d’objectivation mais
elle peut aussi occulter une volonté de récupération ou de réappropriation des
rôles. Il convient en effet de rappeler l’exercice du monopole du ministère
des Anciens Moudjahidines* sur « l’écriture et réécriture de l’histoire » de
cette période confiée à « ceux qui ont fait la révolution » (selon le mot
d’ordre donné lors du premier colloque sur l’écriture de l’histoire en 1981).
Ces réserves émises, l’intérêt majeur de ces textes est de permettre
l’élaboration d’une histoire intérieure de la guerre, à partir de l’univers des
individus, de leur vécu, en rupture avec la tradition et l’unanimisme du
discours de l’histoire nationaliste. Toutefois, ces témoignages ne doivent pas
masquer les difficultés d’accès aux archives publiques, conservées en Algérie
ou en France. En l’absence de leur exploitation, le devoir de mémoire reste à
sens unique, suspendu à la parole des acteurs d’hier.
Toutefois, les sociétés en crise « convoquent le passé pour conjurer les
périls » (Jean-Pierre Rioux, La Guerre d’Algérie et les Français, Fayard,
1990). Il est effectivement aisé dans les moments difficiles de solliciter la
mémoire, et d’en exiger des réponses convaincantes. La crainte que ces récits,
modèles d’un engagement et fruits d’une expérience unique, ne visent
finalement qu’une transmission en vase clos n’est pas à écarter. Dans cette
perspective, la représentation du passé va à l’encontre des attentes des
historiens qui se distinguent par une pratique critique où la mémoire est saisie
comme objet de l’histoire. C’est à cette seule condition que l’on peut éviter la
confusion des genres entre le travail de remémoration et ce qui relève du
métier de l’historien.
Pour l’heure, les œuvres de témoins et acteurs de la guerre tels Ferhat
Abbas*, Hocine Aït Ahmed*, Mohammed Lebdjaoui, Messali Hadj*…
censurées au lendemain de l’indépendance sont désormais accessibles. Des
responsables de wilaya tels que Lakhdar Bouregaâ*, Ali Kafi*, Lakhdar
Bentobbal*, Tahar Zbiri*, des négociateurs à Évian tels que Saâd Dahlab*,
Redha Malek… ont également publié leur témoignage. Des femmes* telles
que Louisette Ighilahriz* et Zohra Drif* ont pris la plume pour raconter leur
parcours marqué pour l’une par la torture*, pour l’autre par son immersion
dans la Casbah durant la « bataille d’Alger* ». Enfin, de nombreux acteurs,
combattants et militants ordinaires livrent également leur expérience.
L’ouverture des maisons d’édition privées concourt aussi à offrir au
lecteur une représentation démultipliée de la mémoire.
Le premier constat de ce moment mémoriel qui semble s’installer dans la
durée est que la guerre de libération nationale est bien finie et que le travail
de deuil peut commencer pour les hommes comme pour les femmes d’hier
(même si celles-ci sont moins visibles dans le champ de l’édition). Pour les
nouvelles générations, porteuses d’une autre manière de vivre la citoyenneté,
il s’agit simplement de comprendre ce passé plein de bruit et de fureur, fort
d’actes héroïques et de souffrances, pour mieux appréhender l’horizon
d’attente.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Omar Carlier, Entre nation et djihad. Histoire sociale des
radicalismes algériens, Presses de Sciences Po, 1995 • Ouanassa Siari
Tengour, « La guerre d’Algérie à l’épreuve de l’écrit », Histoire
contemporaine de l’Algérie, Oran, CRASC, 2010 • Ouanassa Siari Tengour et
Fouad Soufi, « Les Algériens écrivent enfin la guerre », Insaniyat, no 25-26,
2004.
TÉMOIGNAGES (FRANCE)
Des témoignages ont été publiés dès la guerre d’Algérie, des appelés* ou
des rappelés du contingent rendant par exemple compte de leur expérience à
leur retour d’Algérie. Parmi ceux-ci figurent les articles de Robert Bonnaud*
« La paix des Nementchas » (Esprit, avril 1957) et de Georges M. Mattéi
« Jours kabyles. Notes d’un rappelé » (Les Temps modernes, juillet 1957).
Certains témoignages sont aussi laudatifs quant au combat mené en Algérie,
comme Ceux d’Algérie. Lettres de rappelés, qui est précédé d’un débat entre
plusieurs personnalités plutôt marquées à droite (Plon, 1957). Le plus
important témoignage écrit à cette période est sans conteste le livre d’Henri
Alleg*, La Question (Minuit, 1958), dans lequel il relate les tortures qu’il a
subies par les parachutistes* français. Des livres ont été écrits jusqu’à la fin
de la guerre, subissant régulièrement les foudres de la censure*. Leur
caractéristique est d’avoir été écrits très peu de temps après les faits. La
mémoire, même si elle peut déjà occulter ou déformer certains faits, est
encore « fraîche ».
La très grande majorité des livres publiés de 1962 à 1982 concerne au
contraire des témoignages favorables aux thèses de l’« Algérie française » :
près de 70 % selon Benjamin Stora* (1992, p. 239). Ceux concernant les
harkis* ont été écrits par le bachaga Boualam*, ancien vice-président de
l’Assemblée nationale, qui explique son attachement à la France dans Mon
pays, la France (France-Empire, 1962) et Les Harkis au service de la France
(France-Empire, 1963). Des officiers* se mettent aussi à relater « leur »
guerre d’Algérie. Le général Massu*, avec La Vraie Bataille d’Alger (Plon,
1971), suscite le premier débat mémoriel d’importance en justifiant l’emploi
de la torture*. D’autres témoignages mémoriels lui répondent, dénonçant la
torture, en particulier ceux du général de Bollardière* (Bataille d’Alger,
bataille de l’homme, Desclée de Brouwer, 1972) et du colonel Barberot* (À
bras le cœur, Robert Laffont, 1972). Le général Bigeard* publie quant à lui
Pour une parcelle de gloire (Plon, 1975).
Ces témoignages de militaires engagés, parfois jusqu’à la désobéissance,
cherchent à justifier leurs actes, à les expliquer, souvent sans les récuser,
comme le laisse entendre le titre du livre du déserteur partisan de l’OAS*,
Pierre Sergent, Je ne regrette rien (Fayard, 1972), qui raconte « la poignante
histoire des légionnaires parachutistes du 1er REP ». Les partisans de l’OAS
sont nombreux à écrire au cours des années 1970, au premier rang desquels
Raoul Salan* dans Mémoires. Fin d’un Empire. L’Algérie, de Gaulle et moi
(Presses de la Cité, 1974), ou encore Antoine Argoud*, auteur de La
Décadence, l’Imposture et la Tragédie (Fayard, 1974). Ceux-ci cherchent à
expliquer, à convaincre, éventuellement dans une volonté de revanche. Ils
n’acceptent pas l’indépendance algérienne ; le combat a pris pour eux une
autre forme, intellectuelle et politique.
Avec les témoignages de pieds-noirs*, il en est différemment. Jules Roy*
avait déjà publié en 1960 La Guerre d’Algérie (Julliard, 1960), à mi-chemin
entre le reportage et le témoignage. Certains se sont au contraire engagés en
faveur de l’OAS ou en ont été proches. Le livre de Micheline Susini, De
soleil et de larmes, est ainsi dédié à Roger Degueldre* et à « Bobby »
Dovecar, fusillés pour leur activité terroriste « pro-Algérie française ». Ce
livre est marqué par l’arrachement à la terre natale, comme le sont de
nombreux témoignages pieds-noirs. Certains de ces témoignages confinent au
roman : ce sont plus des autofictions que des autobiographies. Ces textes, en
particulier écrits par des femmes pied-noires, livrent un récit intimiste, parmi
lesquels ceux de Marie Elbe, À l’heure de notre mort (roman à succès de
1963 réédité chez Albin Michel en 1992), ou de Marie Cardinal, avec
notamment Au pays de mes racines (Grasset, 1980).
Au centre de la période de 1962 à 1982, dominent les quatre volumes du
journaliste Yves Courrière* réunis sous le titre La Guerre d’Algérie, publiés
chez Fayard de 1968 à 1971. Le succès est considérable (1,5 million
d’exemplaires vendus). Cette fresque se base en fait sur un montage croisé de
témoignages. Il en est de même dans les 3 712 pages des 128 numéros
d’Historia Magazine publiés de septembre 1971 à avril 1974. Beaucoup de
ces articles s’appuient sur des témoignages. Selon Benjamin Stora, il existe
un véritable « effet Courrière » mettant en valeur les témoignages. En effet,
comme il existe une difficulté à trouver un récit commun, qui fasse sens, il
existe une dispersion dans les récits individuels, chacun livrant « sa » guerre
d’Algérie. Au total, ce sont près de 500 témoignages qui ont été publiés de
1962 à 1982.
À compter des années 1980, les Français d’origine algérienne
commencent à se faire entendre dans les témoignages publiés en France.
Parmi les livres de cette période, Saïd Ferdi se raconte par exemple comme
Un enfant dans la guerre (Seuil, 1981), en Algérie jusqu’au départ vers la
France en 1962. Céline Ackaouy relate quant à elle le parcours de Mahiou
Roumi dans Un nom de papier. L’identité perdue d’un immigré (Clancier-
Guénaud, 1981). Dans ce livre, nous passons des Aurès à Lille* puis dans le
bidonville de La Folie à Nanterre, de la guerre d’Algérie à Mai 68, dans la
débrouille et la misère.
À compter des années 2000 surtout apparaissent des témoignages de
militants anticolonialistes. Quelques-uns les avaient livrés pendant la guerre,
tels les trois réfractaires* Jean-Louis Hurst*, Maurice Maschino* et Noël
Favrelière*. Les deux chefs de file des réseaux de « porteurs de valises* »,
Francis Jeanson* et Henri Curiel*, n’ont cependant jamais écrit leurs
Mémoires. En 1987, Robert Barrat* a livré son intéressant témoignage d’Un
journaliste au cœur de la guerre d’Algérie (Témoignage chrétien, 1987). Dix
ans plus tard, Didar Fawzy-Rossano, proche d’Henri Curiel, a écrit ses
Mémoires d’une militante communiste (L’Harmattan, 1997). Soulignons
encore le beau témoignage d’Hélène Cuenat, membre du « réseau Jeanson »,
La Porte verte (Éditions Bouchène, 2001), dans lequel elle raconte sa période
de détention et son évasion* en 1961. Les témoignages de réfractaires et
d’anticolonialistes ont probablement mis du temps à être publiés dans la
mesure où cette mémoire répondait à une « mauvaise conscience » française
et que leur apparition dans la sphère publique pouvait les amener à être
stigmatisés, voire menacés.
Les témoignages ont continué à être publiés en dépit de l’émergence des
livres d’histoire sur la guerre d’Algérie, qui commençaient à dire une histoire
commune. Beaucoup ont eu des difficultés à être publiés et ont dû passer par
l’autoédition. Il n’en reste pas moins qu’un très grand nombre de livres ont
paru. En 1995, Benjamin Stora n’en recensait pas moins de 2 200. Au début
des années 2000, une véritable avalanche mémorielle a existé à la suite du
débat sur la torture provoqué par les déclarations de Louisette Ighilahriz* et
du général Aussaresses*. De très nombreux acteurs et témoins ont livré leur
récit : l’âge aidant, écrire ses mémoires devient une manière de laisser une
trace de son parcours pour les générations suivantes. Mais la distance avec les
événements éloigne aussi de la véracité des faits. La mémoire s’émousse. Le
travail de l’historien intervient alors pour croiser les sources, les récits et
rendre au mieux compte des événements. Aujourd’hui, de nombreux
témoignages sont d’ailleurs enregistrés tant auprès d’institutions (INA, La
Contemporaine) que d’associations (CDHA, Grand Ensemble). Tous ces
témoignages mémoriels oraux et écrits constituent un magnifique matériau
pour les chercheurs.
Tramor QUEMENEUR
Bibl. : Benjamin Stora, Le Dictionnaire des livres de la guerre d’Algérie,
L’Harmattan, 1996 • —, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre
d’Algérie, La Découverte, 1992 • —, Le Livre, mémoire de l’Histoire.
Réflexions sur le livre et la guerre d’Algérie, Le Préau des collines, 2005.
TERRITOIRES DU SUD
La conquête militaire française du Sahara, marquée par l’occupation du
Sahara septentrional (Laghouat, Biskra, M’Zab, Ouargla, Oued Righ) dans
les années 1850-1860, puis de celle du Touat, du Tidikelt, du Gourara et du
Hoggar dans la première décennie du XXe siècle, s’achève par la
« pacification* » de la région de Tindouf en 1934. Entre-temps, la loi du
24 décembre 1902 crée les « Territoires du Sud » (de l’Algérie) « dotés de la
personnalité civile, pouvant posséder des biens, concéder des chemins de fer,
contracter des emprunts ». Rattachés au Gouvernement général* de l’Algérie,
ces quatre territoires (Aïn Sefra, Ghardaïa, Touggourt et Oasis) comprennent
des communes mixtes aux portes du désert (Géryville, Djelfa, Aïn Sefra) et
au Sahara septentrional (Colomb-Béchar, Laghouat, Touggourt), et des
communes indigènes dans le Grand Sud (Hoggar, Tassili N’Ajjer) ainsi que
dans le Sud-Ouest (Tidikelt, Saoura, Touat, Gourara). De plus, les
« Territoires du Sud » reposent aussi sur un découpage militaire en cercles,
annexes et postes sous commandement militaire, afin d’assurer la liberté de
circulation des hommes et des marchandises, d’effectuer des tournées de
police*, et de surveiller plus de 5 500 kilomètres de frontières.
Une profonde réorganisation territoriale est menée de 1955 à 1960 pour
densifier le maillage administratif du territoire en augmentant le nombre de
départements. La promulgation de la loi du 10 janvier 1957 sur
l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) divise la partie
algérienne du Sahara en deux départements. Le département de la Saoura –
avec Colomb-Béchar pour centre administratif – recouvre
approximativement l’ancien territoire d’Aïn Sefra, incluant les monts des
Ksour et le djebel Amour, celui des Oasis, les territoires de Touggourt, de
Ghardaïa et des Oasis avec comme chef-lieu Laghouat, puis Ouargla. La
découverte des premiers gisements de pétrole* en janvier 1956 à Hassi
Messaoud et de gaz naturel à Hassi R’Mel ouvre de nouvelles perspectives.
Le général de Gaulle*, favorable au détachement du Sahara de l’Algérie – il a
effectué au cours de son voyage au Sahara du 10 au 17 mars 1957 deux
visites remarquées des sites d’Edjeleh et d’Hassi Messaoud – doit renoncer à
ce projet en septembre 1961 après l’échec de la conférence de Lugrin (20-28
juillet). Les rares affrontements dans cette région reculée du théâtre principal
des opérations, siège de la Wilaya 6*, se sont déroulés au nord dans le djebel
Amour et les monts des Ksour jusqu’en 1960, sans incidence sur le cours de
la guerre.
André-Paul COMOR
Bibl. : Pierre Denis, « L’évolution des troupes sahariennes françaises »,
thèse, Rennes, 1969 • André Nouschi, « De Gaulle et la fin de la guerre
d’Algérie », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 251, 2013.
THÉÂTRE (ALGÉRIE)
En 1957, la délégation algérienne est invitée au Festival mondial de la
jeunesse et des étudiants pour la paix et l’amitié, qui se déroule à Moscou
(28 juillet-11 août). Elle présente en 9 tableaux les différentes régions
d’Algérie pour affirmer une irréductible identité et une richesse culturelle
(langues, costumes, etc.).
Auparavant, la troupe du MTLD, créée en 1949, participe à plusieurs
festivals d’Europe de l’Est (Berlin, 1952, Budapest, 1953, Varsovie, 1955).
Dès 1956, Abdelhalim Raïs, obligé de quitter l’Algérie, comme Mustapha
Kateb ou Mohamed Zinet, écrit deux pièces de théâtre qui font partie du
premier répertoire de la troupe artistique du FLN* qui est officiellement créée
en 1958. Celle-ci donne, jusqu’en 1962, des représentations en Europe de
l’Est, en Asie et dans les pays arabes. Il s’agit de sensibiliser à la lutte du
peuple algérien. Ce théâtre est engagé et exprime la résistance et les
souffrances du peuple, représenté par un personnage collectif. Les Enfants de
la Casbah et El Khalidun, de Raïs, sont joués en 1959.
La troupe du FLN regroupe les comédiens déjà présents en Europe et
ceux qui quittent l’Algérie, malgré la surveillance des autorités coloniales
dont ils subissent déjà la censure* qui frappe leurs œuvres, qu’elles soient
jouées devant un public ou lues à la radio* (jusqu’en 1956, des pièces sont
lues à la radio deux fois par semaine).
Elle est dirigée par Mustapha Kateb, formé dans la troupe de Mahieddine
Bachtarzi, qui fut l’un des initiateurs du théâtre algérien. Le genre avait
trouvé, dès la fin de la Première Guerre mondiale ses points forts : la langue
populaire prend le pas sur l’arabe classique, les thèmes pris dans le
patrimoine arabe ou universel sont réinterprétés en fonction de l’actualité
sociale et, allusivement, politique. Le comique et la satire fustigent les travers
sociaux, la dimension didactique et éducative vise la formation sociale. Puis
la dimension politique est de plus prononcée. Bachtarzi, parallèlement à son
groupe musical, crée une troupe théâtrale, la Troupe du théâtre arabe (TTA),
qui sera un cadre de formation et de création.
Kateb a, de son côté, créé et dirigé la troupe El-Masrah El-Djazaïri, qui
avait les mêmes objectifs que Bachtarzi. Des acteurs y seront formés (Sid Ali
Kouiret, Mohamed Debbah, Yahia Benmabrouk), qui, pour la plupart,
rejoindront la troupe du FLN. Lui-même arrive en France en 1956 et opte
pour un théâtre engagé pour faire entendre la voix du peuple en lutte.
Les innovations formelles semblent en retrait sur le message délivré car
c’est le thème de la lutte de libération qui doit être représenté. C’est donc un
théâtre éminemment politique qui est présenté à travers le monde. Pourtant le
genre tragique s’est imposé à plusieurs dramaturges : sur une place (de la
casbah) qui devient, comme la place de la tragédie grecque, le lieu du drame,
les personnages se croisent, échangent et viennent, comme dans Le Cadavre
encerclé de Kateb* Yacine, mourir en délivrant leur testament politique. Lors
de ses échanges avec le dramaturge Bertolt Brecht, Kateb maintient la
nécessité du tragique dans ce théâtre de la guerre.
Un volet important de ce théâtre est occupé par la création en français, en
direction d’un public étranger, avec diverses techniques de traduction
(simultanée, par le biais de panneaux textuels, etc.). Les textes de Kateb,
Henri Kréa (Le Séisme, 1959), Mouloud Mammeri* (Le Foehn ou la preuve
par neuf, écrit en 1957, détruit par l’auteur alors recherché par la police* à
Alger où il est obligé de se cacher avant de quitter le pays, et réécrit en 1958-
1859), Hocine Bouzaher (Des voix dans la Casbah, 1960), Mohamed Boudia
(Naissance et L’Olivier, pièces écrites en prison*), s’ils ont souvent été
publiés, ont été, sauf quelques exceptions, peu joués. Le Cadavre encerclé
(Kateb Yacine) est mis en scène par Jean-Marie Serreau en 1958, après avoir
eu une première création au théâtre antique de Carthage (4 août 1958) par les
étudiants* tunisiens aidés par Serreau, mais ne peut pas être joué en France.
La pièce est donnée à Bruxelles, au théâtre Molière, le 25 novembre
suivant, malgré les menaces des ultras qui cernent le lieu de la représentation.
Elle est jouée clandestinement à Paris, au théâtre de Lutèce le 17 avril 1959.
Kateb Yacine, comme Kréa ou Mammeri, adopte la forme de la tragédie,
dans laquelle le personnage dit sa solitude au moment de la mort et son
espoir. La dimension symbolique est aussi importante, à travers le lien vital
avec la terre et l’arbre (Kateb, Boudia). Souvent le dramaturge engage, dans
l’écriture, un dialogue contradictoire avec un prédécesseur (Kateb et Brecht
ou Mammeri et Camus*). Cette production en langue française est marquée,
par-delà son engagement, par la volonté de renouveler les formes du théâtre.
Toutes ces tendances, engagement et recherches formelles, se
retrouveront dans le théâtre de la période postindépendance.
Zineb ALI-BENALI
Bibl. : Mahieddine Bachtarzi, Mémoires, 3 vol., Alger, ENAL, 1968 •
Ahmed Cheniki, Le Théâtre en Algérie. Histoire et enjeux, Aix-en-Provence,
Edisud, 2002.
THÉÂTRE (FRANCE)
Les Paravents de Jean Genet ont caché la centaine de pièces campant le
théâtre des événements. Les trois quarts d’entre elles sont postérieures aux
années 1980, et moins d’une sur cinq est contemporaine de la guerre – il
s’agit généralement d’un théâtre algérien militant. En France, à la fin des
années 1950, ceux qui prétendent se colleter au politique sans didactisme
peinent à se faire entendre. Les écarts entre date de composition et date de
création en témoignent : 1957/1980 pour Les Huissiers de Michel Vinaver,
1961/1966 pour Les Paravents ou Plaidoyer pour un rebelle d’Emmanuel
Roblès. La référence algérienne embarrasse : Roblès transpose l’histoire de
Fernand Iveton* aux Indes néerlandaises, Genet réitère les postulations
contradictoires.
Pièces et mises en scène se multiplient à partir de la fin des années 1970.
Deux générations* se rencontrent alors : celle d’anciens qui ont été ou
auraient pu être mobilisés, avec André Benedetto (Djebel Amour, 1983),
Yves Laplace (Nationalité française, 1986), Jean Magnan (Algérie 54-62,
1986), Robert Poudérou (Pendant que vous dormiez, 1987), François
Bourgeat (Djurdjura, 1991), Richard Demarcy (Les Mimosas d’Algérie,
1991), Olivier Perrier (Des siècles de paix, 1991), Benoît Marbot (Algérie
française, 1993), Jean-Louis Maunoury (Omar le Maboul, 1994), Georges
Mattéi (On n’a pas la médaille mais on a les yeux bleus, Le Fantôme de
Mohammed D., s. d.), Serge Pauthe (Chers parents, 1994), Bernard Gerland
(Ma guerre d’Algérie, 2001) ; celle d’auteurs trop jeunes pour avoir fait la
guerre, mais qui en portent les stigmates, avec Daniel Lemahieu (La
Gangrène, 1976 ; Djebels, 1983-1988), Eugène Durif (Tonkin-Alger, 1988 ;
BMC, 1990), Bernard-Marie Koltès (Le Retour au désert, 1988), Gilles
Boulan (Le Silence des familles, 2000), Denis Guénoun (Scène, 2000),
Olivier Py (L’Exaltation du labyrinthe, 2001), Yakoub Abdellatif (La Chute
des anges, 2001), Lancelot Hamelin (Ici, ici, ici, 2002), Gilles Granouillet
(Nuit d’automne à Paris, 2002), Laurent Gaudé (Les Sacrifiées, 2004), etc.
Forts du temps nécessaire à un retour sur les lieux de la culpabilité, secoués
par l’arrivée au pouvoir d’une classe politique mise à l’épreuve en Algérie,
par les émeutes d’octobre 1988 en Algérie et par la persistance du racisme*,
les dramaturges veulent illustrer la honte nationale. Si quelques pièces
s’attachent à des moments (Palestro*, le 17 octobre 1961*, l’année 1962) ou
des figures (Iveton, Abane* Ramdane) de la guerre, la plupart télescopent
monologues et polylogues, dans une esthétique de la discontinuité spatiale et
temporelle à l’image, chaotique, des cœurs et des corps malmenés par le
conflit.
Si les voix algériennes continuent plus longtemps à être militantes
(Robert Belghanem, Charge creuse, 1966 ; Noureddine Aba, L’Annonce faite
à Marco, 1981 ; Hocine Bouzaher, L’Honneur réconcilié, 1988) ou à guetter
des figures exemplaires (Messaoud Benyoucef, Dans les ténèbres gîtent les
aigles, 2002), elles osent un retour critique sur la révolution (Mohammed
Dib*, Mille Hourras pour une gueuse, 1980 ; Mohamed Kacimi, 1962,
1998), la place qu’y prirent les femmes* (Myriam Ben, Leïla et Les Enfants
du mendiant, 1998), la diversité des trajectoires (Fatima Gallaire, Au loin les
caroubiers, 1993). Progressivement, s’impose l’impératif de se libérer du
passé. Les pièces de Slimane Benaïssa, Messaoud Benyoucef, Mustapha
Benfodil, notamment, mettent en scène des mémoires à la dérive. De part et
d’autre de la Méditerranée, les frontières s’estompent : à partir de la France,
nombre d’auteurs algériens visent moins désormais à établir le passé ou l’état
des culpabilités qu’à projeter un avenir commun possible (Aziz Chouaki, Les
Oranges, 2008 ; Mehdi Charef, 1962, le dernier voyage, 2005) ou à
esquisser, pour les fils et les filles, la voie d’une sortie de la rumination. Le
flux des pièces ne se tarit pas. Plusieurs dramaturges et collectifs de la
troisième génération reprennent l’enquête, et mêlent archives*, témoignages*
et fiction. Les femmes y prédominent : Judith Depaule, Barbara Bouley-
Franchitti, Marie Maucorps et les Butineurs, Margaux Eskenazi et la
compagnie Nova, Lydie Le Doeuff, Alexandra Badea, Sarah Mouline, etc.
Elles voudraient substituer à « une transmission par défaut » (Laurent
Gaudé), des failles et des béances assumées – conditions d’énonciation de
paroles véritablement adressées, conditions de possibilité de la
reconnaissance.
Catherine BRUN
Bibl. : Catherine Brun, « Le “théâtre” des événements », in Philippe
Baudorre (dir.), La Plume dans la plaie • Les écrivains journalistes et la
guerre d’Algérie, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003 • —,
« Le nom du père » [sur Messaoud Benyoucef], Lendemains, no 121,
Mémoires de la guerre d’Algérie, 2006 • —, « Le Retour au désert : un drame
messin et algérien », in André Petitjean (dir.), Bernard-Marie Koltès. Textes
et contextes, Metz, Université Paul-Verlaine, 2011.
TLEMCEN, GROUPE DE
À l’indépendance de l’Algérie le 3 juillet 1962, plusieurs forces politico-
militaires ont émergé du fait de l’implosion du FLN* lors de la session
extraordinaire du CNRA* à Tripoli* de mai-juin. Il est incontestable que la
plus importante de ces coalitions est celle de Tlemcen, constituée par Ahmed
Ben Bella*, Ferhat Abbas*, Mohamed Benyoucef Khider*, Houari
Boumediene* et leurs partisans.
C’est le 11 juillet qu’est né formellement ce groupe avec l’entrée en
Algérie, par le Maroc*, de Ben Bella à Tlemcen où il installe son quartier
général, à la villa Rivaud. Entre le 11 et le 23 juillet, Tlemcen constitue le
principal pôle politique et diplomatique de l’Algérie indépendante. Au
détriment d’Alger, siège du GPRA*. Aussi, la presse internationale et les
délégations étrangères s’y rendent pour être reçues par Ben Bella qui semble
l’homme fort du moment en Algérie. La villa Rivaud est également le lieu de
rencontre, de conciliabules et de négociations* d’une grande partie des
responsables du FLN et de l’ALN*.
Affaibli, le GPRA finit par reconnaître la prééminence du groupe de
Tlemcen. Ce bouleversement décisif des rapports de force au sein de la
révolution algérienne s’est réalisé en deux temps. Le 22 juillet, à la villa
Carpe-Diem, le porte-parole du groupe de Tlemcen : Ahmed Boumendjel*
annonce la constitution du Bureau politique (BP) du FLN, avec la même
composition que celle qui fut rejetée au CNRA de Tripoli de juin. Les
membres sont : Ben Bella*, Mohamed Boudiaf*, Mohamed Khider, Hocine
Aït Ahmed*, Rabah Bitat*, Saïd Mohammedi*, et Hadj Ben Alla*. Le BP est
cautionné par la majorité des responsables du FLN réunis à Tlemcen. Coopté,
Aït Ahmed refuse d’y siéger. Quant à Boudiaf, il accepte d’en faire partie. En
raison de profondes divergences avec Ben Bella, il le quitte au mois d’août et
fonde le 20 septembre le Parti de la révolution socialiste (PRS), le premier
parti d’opposition de l’Algérie indépendante.
Le 23 juillet 1962, c’est le GPRA qui consacre le BP de Tlemcen. Le
7 août, Benyoucef Ben Khedda* et son gouvernement lui cèdent leurs
principaux pouvoirs. C’est l’épilogue d’une des plus enrichissantes
expériences qu’a connu le FLN au cours de la guerre de libération nationale.
Pendant cette courte période, le groupe de Tlemcen en tant que force politico-
militaire a pu créer les conditions objectives à un regroupement national.
Toutefois, les pratiques qu’il a mises en œuvre ont provoqué une fragilisation
des institutions* issues de la guerre, le CNRA et le GPRA, et inaugurent le
début du processus de personnalisation du pouvoir.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Ferhat Abbas, L’Indépendance confisquée, 1962-1978, Flammarion,
1984 • Hervé Bourges, L’Algérie à l’épreuve du pouvoir, 1962-1967, Grasset,
1967 • Amar Mohand-Amer, « Les déchirements du Front de libération
nationale à l’été 1962 », in Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou,
Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la
période coloniale (1830-1962), La Découverte-Barzakh, 2012.
TORTURE
En 2018, dans sa déclaration sur la disparition* d’Audin* en 1957, le
président Macron* a reconnu l’existence d’un système « arrestation-
détention » reposant sur l’usage massif de la torture ; une réalité niée jusque-
là. L’importance du discours tient à l’importance du déni auquel il met fin, en
dépit de résistances demeurant dans certains milieux.
Car la torture a effectivement été massivement employée en Algérie, sur
ordre de la hiérarchie et en toute impunité. Loin d’être le fait d’individus
isolés et marginaux, elle était au service de la guerre telle qu’elle était menée
et pensée. Les forces françaises avaient besoin d’informations sur leurs
ennemis qu’elles connaissaient mal et qui semblaient perpétuellement renaître
et, plus encore, elles avaient besoin de détourner d’eux la population civile
pour la rallier à l’Algérie française. Aux côtés d’actions proches de l’aide
humanitaire, voire de l’aide au développement (construire des routes,
développer l’industrie*, former un réseau d’écoles* ou faire des campagnes
d’information sur la puériculture ou les vaccinations, etc.), la torture servait le
dessein de terroriser une population censée adhérer au FLN* par la force. À
la terreur qu’elle imaginait présente chez ses adversaires, l’armée souhaitait
répondre par une autre. Fondamentalement, cette dimension explique
l’ampleur de la pratique et non pas son efficacité dans l’obtention du
renseignement comme on l’a parfois présenté. Seule cette dimension permet
de comprendre pourquoi on est passé d’une méthode policière
d’interrogatoire, née d’un terreau colonial ancien, à des violences pratiquées
massivement sur les terrains d’opérations.
La répression menée par les parachutistes* à Alger en 1957 fut un
tournant clé dans la généralisation et la justification de la torture. Près de
quarante-cinq ans plus tard, le général Massu*, ancien commandant de la
10e division parachutiste* (DP), reconnut « que la torture avait été généralisée
en Algérie ». De fait, il en fut un des ordonnateurs. Bien que camouflée ou
euphémisée dans des expressions telles que « interrogatoire musclé »,
« interrogatoire sous la contrainte » ou encore « interrogatoire serré », la
torture fut justifiée comme un moindre mal comparé au terrorisme aveugle.
C’est notamment ce qu’expliqua l’aumônier de la 10e DP au printemps 1957.
Cette justification répondait à l’émotion qui secouait une France
métropolitaine frappée par ce que révélaient alors des récits publiés. Jusqu’en
1962, cependant, aucune affaire ne perturba significativement le déroulement
de la guerre, en dépit des témoignages* qui furent rendus publics et qui
montraient la persistance de ces violences tout autant que leur arrivée en
métropole (notamment à Paris par les forces de l’ordre spécialisées dans le
contrôle de l’immigration algérienne) ou leur extension aux activistes de
l’Algérie française en 1962.
Dans tous les cas, ces violences ont les mêmes buts. Elles visent,
éventuellement, à obtenir des informations mais surtout à terroriser les
groupes d’appartenance des personnes arrêtées et considérées comme
suspectes : ici la population d’un village auprès duquel a eu lieu une
embuscade*, là un réseau de soutien apportant gîte et couvert à des
clandestins recherchés, là encore un groupe de militants ou de combattants.
Les techniques sont aussi toujours les mêmes : coups, décharges
électriques, étouffements (torture avec de l’eau) et pendaisons (par les
poignets ou les chevilles). Les organes sexuels sont des lieux d’application
privilégiés des coups et décharges, les violences sexuelles participent aussi de
ces supplices. Invariablement, les victimes sont soumises à des hommes qui
souhaitent leur faire mal et manipulent, au-delà des violences physiques,
l’idée de leur mort : la vie des victimes est littéralement entre leurs mains. Ce
ressort psychologique est bien souvent passé sous silence par les discours qui
réduisent les tortures à de simples techniques de renseignement.
En Algérie, les tortures sont toujours accomplies dans un cadre normé et
hiérarchique : en dépit de leur caractère illégal, elles sont ordonnées par un
supérieur et effectuées par des soldats qui obéissent. Si certains officiers* ont
pu refuser de l’ordonner, si des soldats du rang ont pu ne jamais y être
confrontés, l’impunité a caractérisé leurs auteurs jusqu’à aujourd’hui. Dès le
22 mars 1962, en effet, l’amnistie* des actes commis dans le cadre des
« opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne »
est acquise et reconnue par les deux parties signataires des accords d’Évian*.
Jusqu’en 2018, il a été possible d’en nier l’importance au plus haut niveau de
l’État.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001 • Sylvie Thénault, « Politiques publiques de la
mémoire et guerre d’indépendance algérienne : un combat pour l’histoire ? »,
Revue d’histoire culturelle, 2021 • Pierre Vidal-Naquet, La Torture dans la
République, Minuit, 1972.
TRAFIC D’ARMES
ET ARRAISONNEMENT DE BATEAUX
Les voies terrestres autant que les voies aériennes et maritimes ont été
exploitées par les dirigeants du FLN* pour ravitailler les maquis en armes de
toutes catégories. Dès le début de l’insurrection, deux chefs du FLN,
Mohamed Boudiaf* et Ahmed Ben Bella*, sont chargés de fournir des armes
à l’ALN*, le premier à partir de Nador et Tétouan sur les côtes marocaines, le
second à partir d’Alexandrie (Égypte*) et de la base de Tripoli (Libye). La
première livraison d’armes comprenant fusils, mitraillettes, grenades et
cartouches que l’Égypte envoie à l’ALN date du 24 décembre 1954. Elle
parvient aux maquis de l’Aurès par la voie du sud. L’accès à l’indépendance
de la Tunisie* en 1956 facilite par la suite l’acheminement des armes à partir
de la frontière est.
Le Dyna est l’un des premiers bateaux chargés au port d’Alexandrie à
avoir accosté les côtes algériennes le soir du 29 mars 1955. Conduit par
Milan Bacic, officier yougoslave, le Dyna a transporté une cargaison de
21 tonnes d’armes sous la responsabilité de Nadir Bouzar et six autres
volontaires acquis à la révolution algérienne. Au mois de septembre 1955, un
second bateau l’Intissar décharge à son tour dans la région de Nador
40 tonnes d’armes.
Mais ce trafic doit compter avec la surveillance que la marine française
exerce sur les côtes algériennes, à partir de la base de Mers El Kébir (Oran).
Défiant ces difficultés, le trafic d’armes empruntant tantôt la voie aérienne,
tantôt la voie maritime prend de l’ampleur au vu de l’accroissement des
besoins des maquis de l’ALN et de la durée de la guerre. Boudiaf réussit à
entrer en contact avec Georg Puchert (1915-1959), un fournisseur d’armes à
la résistance marocaine, ex-officier de la marine allemande qui accepte de
servir le FLN. Sous couvert de sa société de pêche domiciliée à Tanger,
Puchert constitue une flottille de plusieurs bateaux qui fait du cabotage
d’abord, à partir de Gibraltar vers les côtes marocaines. Dans un second
temps, Puchert prend attache avec des fabricants et marchands d’armes en
Allemagne fédérale dont l’armurier Otto Schluter à Hambourg qui devient
l’une des plaques tournantes de l’approvisionnement en armes destinées aux
maquis algériens. Par l’intermédiaire d’Otto Schluter, le délégué au bureau du
FLN à Bonn, Ameziane Aït Ahcène, envoie un chargement d’armes par avion
à Tunis (janvier 1957). De même, l’aéroport de Casablanca réceptionne une
importante cargaison d’armes chargées au Luxembourg au mois de mai 1957.
Peu à peu, le FLN réussit à tisser un important réseau logistique dans
plusieurs pays de l’Europe occidentale sous l’impulsion d’un homme :
Abdelhafid Boussouf*, chef de la Wilaya 5 (Oranie), qui est à l’origine de la
création du Service de renseignement et des liaisons.
C’est naturellement que le commerce maritime des armes connaît un
grand essor à la suite de la fermeture des frontières est et ouest par les
barrages électrifiés* (1958). Cependant, il doit compter avec les interventions
de la marine française qui deviennent plus efficaces grâce aux
renseignements du SDECE* qui concentre tous ses efforts sur la surveillance
des missions du FLN dans les capitales européennes, les pays de l’Est, en
URSS*, au Moyen-Orient, aux États-Unis d’Amérique* et de ses relais. Le
contre-espionnage du SDECE est secondé par le service Action dont le rôle
s’avère redoutable dans l’élimination des marchands d’armes, des
responsables du FLN et de leurs multiples intermédiaires.
Parmi les bateaux interceptés par la marine française figure l’Athos qui
appareille à Alexandrie. Arrêté le 16 octobre 1956 en haute mer par le
croiseur Pimodan, sa cargaison est débarquée à Mers El Kébir. Les années
suivantes, la marine française intercepte le Juan-Illueca, le Suwanee en 1957,
le Slovenija, le Granita et le Tigrito en 1958, le Lidice en 1959. Ces
opérations se poursuivent sans interruption jusqu’à la fin de l’année 1961.
Certains sont coulés tels le Bruja Roja et le Typhoon dans le port de
Tanger en juin-juillet 1957 ; l’Atlas à Hambourg le 27 septembre 1958 ; El
Kahira au port d’Ostende (Belgique*) le 1er mars 1958. Le Bussard explose
au large des côtes hollandaises le 13 septembre 1959.
En plus de l’arraisonnement des bateaux, les hommes du service Action
se sont distingués par de nombreux attentats à la voiture piégée contre les
responsables du FLN et leurs fournisseurs dont la plupart résident en
République fédérale d’Allemagne* ou en Suisse*. Ainsi Schluter, blessé
grièvement le 3 juin 1957 à Eppendorf, finit par rompre toute relation avec
Puchert et le FLN. Le 5 novembre 1958, la voiture du délégué du FLN,
l’avocat Ameziane Aït Ahcène, explose à Bad Godesberg, le blessant
grièvement.
À Genève, en septembre 1957, deux assassinats éliminent Georges
Geiser, fabricant de détonateurs, et Marcel Léopold, autre trafiquant d’armes.
Le 3 mars 1959, Puchert meurt dans sa voiture piégée. Le 15 octobre 1960, le
même procédé est utilisé contre Wilhelm Beissner à Munich, qui est
sérieusement blessé.
Il convient de souligner que la création du GPRA* en 1958 et sa
reconnaissance par certains pays contribuent efficacement à élargir les
sources de ravitaillement. Ainsi la Yougoslavie*, la Chine* suivies de
l’URSS participent à leur tour à l’affrètement de bateaux qui empruntent
diverses voies avant de parvenir à bon port, soit à Casablanca, Tanger, Tunis,
Tripoli…
Pour sa part, la Fédération de France du FLN* s’est appuyée sur des
anticolonialistes français comme Jacques Vignes – ami de jeunesse de
Francis Jeanson* – ou le trotskiste allemand Georg Jungglas, mais aussi sur
le milieu des truands et trafiquants, notamment à Lyon*, pour armer ses
groupes de choc via la Belgique ou l’Italie*.
Enfin, surtout à partir de 1960, le service Action 4 du MALG avec à sa
tête M’hamed Yousfi met au point un atelier de mécanique à Remagen, au
sud de Bonn, qui réaménage des véhicules de tourisme et des autobus avant
de les charger en armes et de les acheminer soit vers la Fédération de France,
soit vers les ports d’Alger, Oran ou Bône, à partir de Marseille.
Ce déploiement du front de la guerre sur la scène internationale qui a
mobilisé tant du côté français que du côté algérien toute une armada de
professionnels de l’espionnage et de l’action secrète demeure l’une des
singularités de la Guerre d’indépendance de l’Algérie dont l’étude reste à
faire.
Mais en dépit des pertes humaines et matérielles enregistrées, l’armement
a continué à parvenir aux ports du Maroc, de la Tunisie et même de l’Algérie
à partir de 1960.
Ouanassa SIARI TENGOUR et Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Ali Haroun, La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France, 1954-1962,
Seuil, 1986 • Mohamed Lemkami, Les Hommes de l’ombre. Mémoires d’un
officier du MALG, Alger, Anep, 2004 • Dahou Ould Kablia, Boussouf et le
MALG. La face cachée de la Révolution, Alger, Casbah, 2020.
TRAVAIL ET CHÔMAGE
Essentiellement rurale, la société algérienne précoloniale ne pratique
qu’exceptionnellement le salariat. Elle ne connaît pas le servage. Le travail de
la terre s’effectue par des paysans libres (fellahs) ou tenus par divers contrats
de métayage. Le plus répandu est celui au 1/5e. Ces khammès sont 1 012 000
en 1903 (contre 1 724 000 propriétaires musulmans) et encore 940 000 en
1936 (pour 2 109 000 propriétaires).
L’introduction du salariat par la viticulture coloniale, à partir de 1880,
occasionne une vraie révolution dans les campagnes algériennes. Dès 1890,
on compte entre 16 000 et 20 000 musulmans salariés dans l’agriculture*
coloniale. En 1903, on compte 386 000 ouvriers agricoles et, en 1954,
564 000. Entre-temps, la population rurale, essentiellement des musulmans, a
plus que doublé, passant de 3 304 000 en 1903 à 7 051 000 en 1954.
Resserrés sur des surfaces souvent peu fertiles, les fellahs, ne pouvant
s’engager dans des emplois salariés, alimentent un flot continu de paysans
sans terre qu’on ne recense pas comme chômeurs parce qu’ils n’ont pas perdu
un travail. D’où la difficulté de mesure du chômage dans la colonie. Selon un
rapport du Conseil économique et social de juillet 1955, les statistiques de
chômeurs n’existent que dans un dixième des communes. Le Conseil note
qu’aux « inemployés s’ajoute la masse des sous-employés », fellahs qui,
« ayant cultivé leurs terres […] cherchent un travail complémentaire ».
Seules des observations sociales permettent de rendre compte du
phénomène. En 1923, Victor Demontès, inspecteur général de l’Agriculture
au Gouvernement général*, est témoin de ces « pauvres » qui « meurent sur
les routes, ou se réfugient dans les villes. Ajoutez que leurs vêtements sont
sales, rapiécés, réduits à de véritables loques ». Sans emploi dans
l’agriculture, les musulmans sans terre et sans emploi n’en trouvent pas non
plus dans les villes. En 1954, il y a seulement 334 500 salariés non agricoles,
dont 240 300 Européens (72 %). On compte 94 200 musulmans salariés pour
une population urbaine musulmane de 1 390 000 (6,7 % contre 31,6 % pour
la population citadine européenne). Les commerçants, artisans et chefs
d’entreprise sont 123 500 dont 69 200 Européens (56 %).
L’économie coloniale se caractérise par un sous-emploi structurel des
musulmans. Elle accumule des tensions qu’atténue l’émigration* vers la
métropole. Auparavant, on avait déjà enregistré plusieurs exodes vers la
Tunisie* et l’Orient (1870, 1875, 1888, 1898, 1910 et 1911). Dès le
lendemain de la Première Guerre mondiale, la demande de travail en
métropole va absorber une partie des sans-terre et sans emploi musulmans.
On distingue trois âges de l’émigration. Elle est marginale avant 1918,
substantielle entre 1918 et 1946, et massive après 1946. Les soldes nets sont
de 57 300 en 1920-1924, de 60 400 en 1935-1939 et 142 200 en 1949-1954.
En 1954, le salaire horaire dans la colonie est de 88 francs contre 109 en
métropole. Un indice de ce sous-paiement est fourni par le rapport
Maspétiol* de 1958 qui estime les salaires à 40 % du revenu national de la
colonie contre 50 % pour les profits.
C’est seulement en 1949 que l’Assemblée algérienne* introduit le régime
des assurances sociales. Le régime général embrasse en majorité des
Européens. Le nombre des salariés déclarés en 1950, au titre des allocations
familiales, s’élevait à 315 000 dont seulement 89 000 musulmans.
En ajoutant aux salariés agricoles musulmans le nombre de propriétaires
terriens et de khammès, il y aurait, en 1954, 1 105 000 actifs musulmans
occupés dans les campagnes pour 7 051 000 ruraux musulmans. Or, si l’on
exclut les propriétaires, ces actifs sont, pour la plupart, journaliers,
saisonniers, aides familiaux, etc. Les ouvriers permanents musulmans dans
l’agriculture ne sont que 112 800. En y ajoutant les employés non agricoles et
les artisans et commerçants (54 300), et compte tenu de la population active
musulmane recensée en 1954 (3 218 000 personnes), il apparaît que 68 % de
cette population n’a pas d’emploi permanent. Dans les villes, la situation
n’est plus maîtrisable : il y a moins de 100 000 occupés réguliers (salariés et
artisans ou commerçants) pour 1 400 000 musulmans. Il y aurait donc, en
1954, plus de 700 000 adultes musulmans citadins qui ne disposent d’aucune
activité permanente. Tel est le véritable arrière-plan de la fameuse « bataille
d’Alger* ». Le nombre de sous-prolétaires citadins et ruraux sans emploi ne
manque pas de peser décisivement dans la balance des forces le jour de
l’embrasement.
Ahmed HENNI
Archives : Service de la statistique générale, Annuaire statistique de
l’Algérie, Gouvernement général, Alger, années 1954 et suiv.
Bibl. : Ahmed Henni, Économie de l’Algérie coloniale 1830-1954, Chihab,
2018 • André Nouschi, L’Algérie amère 1914-1994, Maison des sciences de
l’homme, 1996.
TROTSKISTES
Les trotskistes se confrontent au soulèvement algérien en ordre dispersé.
En effet, le Parti communiste internationaliste (PCI) connaît une scission en
1952. Sa majorité – dont Pierre Boussel dit Lambert – refuse l’entrisme au
sein du PCF* préconisé par le Secrétariat international et conserve La Vérité,
tandis que la minorité, animée par Pierre Frank, lance La Vérité des
travailleurs, tout en gardant l’appui de la IVe Internationale dirigée par
Michel Raptis dit Pablo. Dans ces journaux, le ton est à la polémique, par
positionnement algérien interposé. En effet, le PCI-Lambert verse dans le
soutien inconditionnel au MNA*, tandis que le PCI-Frank appuie le FLN*.
Au lendemain du 1er novembre 1954*, Messali Hadj* reçoit la visite de
Lambert et décide de faire parvenir, par l’intermédiaire du militant Henri
Peulet, une importante somme d’argent à Krim* Belkacem. Ce courant, qui
partage avec les messalistes l’idée de l’existence d’un « peuple-classe » en
Algérie, est engagé dans le Comité pour la libération de Messali Hadj et des
victimes de la répression (CLVP), actif jusqu’en 1957. Lors de sa rupture
avec le MNA en 1958-1959, le PCI-Lambert compte une cinquantaine de
militants contre une centaine quelques années plus tôt.
Début 1955, c’est par l’intermédiaire d’Yvain Craipeau qu’une rencontre
a lieu entre Simonne Minguet – membre du bureau politique du PCI-
Franck –, Pablo – qui représente la IVe Internationale – et un cadre de la
Fédération de France* du FLN. Les trotskistes assurent l’impression de
Résistance algérienne, premier organe officiel du FLN. Certains militants
comme Jacques Grinblat dit Privas estiment néanmoins, en janvier 1958,
qu’« il ne s’agit pas pour nous d’idéaliser le FLN, de voir en lui le parti
bolchevik ». Ce qui n’empêche pas Pablo de mettre à disposition ses contacts
au plan international.
Si La Voie communiste s’engage aussi dans le soutien au FLN, l’Union
communiste internationaliste, adopte pour sa part une attitude plus réservée à
l’égard des nationalistes algériens.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Sylvain Pattieu, Les Camarades des frères. Trotskistes et libertaires
dans la guerre d’Algérie, Syllepse, 2002 • Jean-Paul Salles, « Les trotskystes
et la guerre d’Algérie », Dissidences, 2012 • Benjamin Stora, « La gauche et
les minorités anticoloniales françaises devant les divisions du nationalisme
algérien (1954-1958) », in Jean-Pierre Rioux (dir.), La Guerre d’Algérie et
les Français, Fayard, 1990.
TROUPES DE SECTEUR
Face à un adversaire qui se dérobe, se fond dans le paysage et bénéficie
des complicités de la population, les vieilles recettes de la conquête coloniale
et de la guerre d’Indochine* ressurgissent pour quadriller le pays. On finit par
engloutir des effectifs répartis dans 75 secteurs confiés à des hommes du
contingent parfois épaulés de harkis*. Chaque secteur relève théoriquement
d’un régiment et est lui-même divisé en sous-secteurs confiés chacun à un
bataillon. Mais ces unités sont sous-équipées et surtout sous-encadrées.
En 1956, les renforts envoyés de métropole permettent la constitution de
bataillons de secteur type TED 107 (tableau des effectifs et des dotations).
Formé le 12 avril 1956, le 3e bataillon du 9e régiment d’infanterie coloniale
(RIC) compte 677 rappelés encadrés par 33 officiers*, dont 21 de réserve, et
116 sous-officiers* dont 85 rappelés. Au départ des rappelés, en
décembre 1956, l’effectif des militaires du rang, tous appelés, reste le même
mais celui des cadres s’effondre : 28 officiers, dont 10 de réserve, et 86 sous-
officiers dont 15 appelés. Or ce bataillon fait figure de privilégié par rapport à
d’autres unités souffrant d’un déficit chronique de cadres. En sont aussi
victimes les régiments du corps de bataille, comme le 2e Dragons de la
7e DMR, qui n’apprécient pas, à leur arrivée en Algérie, de renoncer à leurs
blindés* pour la marche à pied. En fait, si le 9e escadron du 9e Spahis
retrouve ses chevaux d’antan, la contre-guérilla transforme l’armée française
en une rustique et gigantesque troupe de fantassins combattant un adversaire
véloce.
On conçoit que les troupes de secteur (TS), « soutiers de la
pacification* », soient considérées comme des unités de seconde zone. Le
traitement de faveur dont bénéficient les régiments de réserve générale en
matière d’armement, d’uniforme et d’équipement suscite des rancunes
tenaces. Certains leur reprochent d’avoir toujours le beau rôle, d’intervenir au
moment de l’hallali et de rafler les citations, alors que ce sont les patrouilles
des « braves petits gars du contingent » qui débusquent souvent l’adversaire.
En effet, les TS participent aux « bouclages » et « ratissages », de sorte que la
distinction entre les régiments n’est pas aussi absolue. Ainsi, le 12e Dragons
est, dès 1956, à la fois unité de secteur et troupe d’intervention grâce à deux
escadrons portés, un escadron de chars et un escadron de half-tracks. De plus,
tout chef de corps qui se respecte met sur pied une compagnie opérationnelle
qui « nomadise » dans son secteur. Des unités opérationnelles de zones
apparaissent aussi, tel le 31e groupe de chasseurs à pied en opération de façon
ininterrompue de janvier à août 1959, à Tiaret (Oranais), puis dans l’Est
algérien.
Près de 5 000 postes sont construits pour surveiller environ 7 500 points
sensibles (ouvrages d’art, mines de phosphates, barrages hydroélectriques,
cols routiers, tunnels, orangeraies, etc.) et des fermes isolées. En dehors des
garnisons citadines, de fermes fortifiées, ou des postes bétonnés des gorges
de Palestro*, les TS vivent sous la tente ou dans des baraquements, dont le
type Sarades est fait de baraques métalliques à assembler. Elles disposent
d’un velum contre la chaleur. Les postes du Grand Sud sont généralement des
camps de toile protégés par de simples murs de sacs de sable.
Ceinturé de fils de fer barbelés, ordonné autour de son mât des couleurs,
le poste tient à la fois du bidonville et du retranchement où les hommes
vivent un scoutisme guerrier fait de promiscuité. Les plus grands et les mieux
armés protègent les frontières à raison d’un poste tous les 5 ou 10 kilomètres,
selon le relief et les possibilités d’appui mutuel. Chaque implantation obéit à
une configuration particulière destinée à la protéger des jets de grenades ou
des tirs directs. Outre les maisons forestières et les fermes sommairement
fortifiées, les postes abritant une section ont souvent une forme triangulaire.
Posés sur des pitons, exposés à tous les vents, disposant parfois de pièces
d’artillerie, ils sont entourés de murs de pierres sèches épousant la forme du
terrain. Coiffés de tôle ondulée maintenue par de grosses pierres, trois
blockhaus d’angle en constituent les seules ouvertures. La muraille peu
épaisse est percée de meurtrières qui sont autant d’emplacements de combat.
Pour protéger les voies ferrées, telle celle des mines d’Ouenza, ainsi que les
vallées encaissées où serpente une route stratégique, le génie construit des
tours d’observation espacées de quelques kilomètres, à partir de l’hiver 1957-
1958. Cette réminiscence reprend l’expérience indochinoise, mais en
bétonnant les ouvrages édifiés sur une butte ou à proximité immédiate d’un
viaduc. Il s’agit de constructions rudimentaires sur trois niveaux pour une
garnison de huit hommes.
Vivant dans l’isolement, les postes mènent une vie uniforme de gardes et
de corvées, dont l’ennui est cependant rompu par une opération, l’arrivée du
courrier ou d’un convoi. Les TS ne sont pas confinées dans une interminable
attente, en raison de la présence d’un ennemi passé maître dans le
harcèlement. Ses tirs exaspèrent les garnisons, provoquent des insomnies et
par voie de conséquence des accidents et des méprises. Cette distillation
homéopathique de la peur permet à l’ALN* de tester à la fois défense et
vigilance du poste. En plus de la pose de mines* aux abords du poste, une
réponse au harcèlement consiste à installer des pièges sur des passages
repérés.
Enfin, les TS vivent dans la crainte de La Trahison – pour reprendre le
titre du film éponyme de Philippe Faucon, en 2006 – de harkis, de tirailleurs
ou de spahis algériens. Ainsi, dans la nuit du 4 février 1958, le poste de
Laourane, près de M’Sila, 8e RS, est pris après qu’un maréchal des logis de
carrière a ouvert l’entrée en chicane aux « rebelles » : 15 spahis, surpris dans
leur sommeil, sont tués.
Jean-Charles JAUFFRET
Bibl. : Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie, 1954-1962. Expériences
contrastées des hommes du contingent, Autrement, 2011.
TUNISIE
Durant la Guerre d’indépendance, si les rapports entre la Tunisie et
l’Algérie sont empreints par une solidarité manifeste, ils ont évolué au gré
des intérêts particuliers des uns et des autres. Les partis nationalistes des deux
pays entretiennent de bonnes relations et partagent l’espoir d’une libération
de la présence française.
Au lendemain du 1er novembre 1954*, la proximité de la frontière permet
aux maquisards algériens de trouver refuge en territoire tunisien, de se
ravitailler en armes. Quelques « fellaghas », combattants de la lutte
tunisienne, prêtent main-forte aux Algériens.
La situation se complique avec l’approche de l’indépendance de la
Tunisie, quand les négociations* ouvertes avec le gouvernement français
aboutissent à la signature des accords sur l’autonomie interne de la Tunisie,
en juillet 1955, en l’absence de Salah Ben Youssef, secrétaire du Néo
Destour. Partisan de l’émancipation totale des trois pays du Maghreb, Ben
Youssef récuse la solution par étapes choisie par Bourguiba qu’il qualifie de
« politique de reniement et de trahison » des peuples tunisien et algérien. La
délégation extérieure du FLN* est sensible à la position défendue par Ben
Youssef et son soutien à la cause algérienne. Quand Ali Mahsas* est envoyé
par Ben Bella* en Tunisie à la fin de l’année 1956, pour s’occuper de la
logistique, il entretient des contacts avec les partisans de Ben Youssef,
défiant ainsi Bourguiba qui, par ailleurs, n’a jamais cessé d’affirmer sa
solidarité avec la lutte des Algériens. L’arrivée du colonel Ouamrane*,
dépêché par le CCE*, met fin aux agissements de Mahsas avec l’appui de
Bourguiba (Mahsas est arrêté au printemps 1957 avant de s’évader et de
trouver refuge en Allemagne). Les relations reprennent dans un climat plus
serein entre le gouvernement tunisien et le FLN. Les membres du CCE ne
tardent pas à se replier en Tunisie en même temps que des milliers de
réfugiés* y sont accueillis ; l’ALN* renforce ses bases installées depuis
l’autonomie (juin 1955) et le trafic des armes* traverse la frontière avant
l’édification des barrages* électrifiés. Les hôpitaux soignent les blessés de
l’ALN. Bref, la Tunisie ne ménage point sa précieuse aide malgré la faiblesse
de ses moyens, provoquant du coup le mécontentement des autorités
françaises et la suspension de leurs aides financières.
Le 6 septembre 1957, le général Salan* envisage d’envahir la Tunisie
pour mettre fin à la rébellion algérienne. En représailles contre la présence de
l’ALN en Tunisie, l’aviation française bombarde le 8 février 1958 le village
tunisien Sakiet Sidi Youssef*, pas loin des frontières algériennes. La crise
diplomatique entre la France et la Tunisie s’envenime encore, après le
démantèlement du « réseau Magenta » (postiers français espionnant le FLN et
le GPRA* à partir de Tunis, en février 1959). Le gouvernement français
maintient la pression sur la Tunisie pour qu’elle cesse son soutien à l’Algérie.
La solution à la guerre, écrivit le général Salan à de Gaulle* après l’arrivée de
ce dernier au pouvoir, consiste dans « l’élimination du FLN de Tunisie ».
Par ailleurs, la présence des responsables du FLN et de l’ALN manque de
discrétion. Leurs rivalités s’exposent sur le territoire tunisien. Il est fait appel
à la garde nationale de la Tunisie plus d’une fois pour résoudre certains
conflits (tentative d’assassinat d’Ali Mahsas, l’affaire Lamouri*). Bourguiba
est mis dans l’obligation d’observer plus de réserve et tente de contrôler les
débordements du FLN-ALN. Lors de la conférence de Tunis, réunie en
juin 1958, Bourguiba s’accorde avec le Maroc pour encourager le FLN à
privilégier la voie diplomatique. Après l’annonce du retrait des bases
françaises au Maroc et en Tunisie par de Gaulle le 2 juin 1958, Bourguiba
renoue avec la France et conclut l’accord sur le projet d’évacuation du
pétrole* d’Edjeleh le 30 juin, ce qui ne manque pas de créer une nouvelle
période de tension avec le FLN.
En septembre 1958, la création du GPRA est bien accueillie par la
Tunisie. L’ouverture des négociations entre le GPRA et le gouvernement
français impacte les relations entre les deux pays. Le 17 février 1959,
Bourguiba annonce qu’il est prêt à aider les Algériens et la France à mettre
fin au « conflit ». « Pour l’abandon de Bizerte, la seule contrepartie serait la
paix et un règlement négocié du problème algérien », devait-il ajouter. Cette
bonne volonté est mise en doute avec le souhait de la Tunisie d’obtenir la
rectification de la frontière sud. Seul l’éclatement de la crise de Bizerte* en
juillet 1961 parvient à mettre en sourdine les griefs du GPRA, bien déterminé
à sauvegarder l’intégrité du territoire algérien.
L’imminence du règlement du problème algérien, concrétisé par la
signature des accords d’Évian* (mars 1962), finit par apaiser les hostilités des
deux parties. Le 2 juillet 1962 à Tunis, le GPRA partage avec le peuple
tunisien la fête de l’indépendance.
Belkacem BENZENINE
Archives : Relations du FLN avec le Maroc et la Tunisie, SHD, GR 10 R 613,
Vincennes.
Bibl. : Samya El Mechat, Tunisie. Les chemins de l’indépendance (1945-
1956), L’Harmattan, 1985 • Caterina Rogerro, L’Algérie au Maghreb. La
guerre de libération et l’unité régionale, Mimésis, 2013.
U
UNION DÉMOCRATIQUE
DU MANIFESTE ALGÉRIEN (UDMA)
L’UDMA est un parti politique nationaliste structuré autour de son
journal, La République algérienne – dont le titre était aussi un programme –
et qui, durant sa décennie d’existence (1946-1956), fut dirigé par son
secrétaire général Ferhat Abbas*, dont Ahmed Boumendjel* était l’adjoint.
Sa création résultait de l’amnistie de mars 1946 qui permit la libération
des militants des AML* emprisonnés. Elle faisait suite aux réformes
électorales consécutives à la Seconde Guerre mondiale : malgré un scrutin
inégal, un second collège électoral offrait alors une scène politique à des
représentants de la population colonisée. Une succession d’élections*
encouragèrent l’organisation en partis : le MTLD de Messali Hadj*, né quatre
mois après l’UDMA, devint son principal partenaire et adversaire. Durant
presque une décennie, l’UDMA, le MTLD et le PCA* s’affrontèrent au cours
de campagnes régulières, malgré le truquage croissant des élections au profit
de candidats « administratifs ».
Aux législatives de juin 1946, l’UDMA fut d’abord une liste électorale
qui remporta 11 des 13 sièges, après une campagne enthousiaste. Pendant que
siégeaient Ferhat Abbas, Ahmed Francis et leurs camarades, Ahmed
Boumendjel structura un parti doté d’un programme et de statuts. Un congrès
des cadres à Blida, en octobre 1947, fut suivi de plusieurs congrès nationaux
à Sétif (1948), Tlemcen (1949) et Constantine (1951).
Le nationalisme* du parti mettait en avant une République algérienne
démocratique et sociale dotée de son drapeau (dit « drapeau de l’émir
Abdelkader », avec trois bandes et une main cerclée d’or) et à laquelle les
« Européens » qui le souhaitaient pourraient appartenir. Son calendrier
partisan était organisé autour du 10 février, date anniversaire du « Manifeste
du peuple algérien » de 1943, célébrée par l’ensemble des sections. Son
panthéon reflétait à la fois son nationalisme (avec l’émir Abdelkader et l’émir
Khaled), sa proximité avec l’Association des ulémas* (avec Abdelhamid Ben
Badis) et son identité partisane (avec, après son décès, le militant Ahmed
Cherif Saadane).
Les deux premières années furent celles de l’enthousiasme, le parti
comptant près de 10 000 membres « à jour de cotisation ». Les votes à venir
d’une nouvelle constitution française (adoptée en 1946) puis d’un statut de
l’Algérie (adopté en 1947) ouvraient la possibilité à court terme d’évoluer
vers l’indépendance. Mais les élus nationalistes ne trouvèrent pas d’alliés à
l’assemblée et des textes décevants repoussaient les perspectives
d’indépendance à un avenir lointain. Sur le terrain, l’enthousiasme des
militants s’émoussait.
Ce désenchantement était également lié à la répression et au truquage
électoral, manifeste à partir des élections dites « à la Naegelen » à
l’Assemblée algérienne* en 1948. Les campagnes électorales devenaient plus
dures : en mai 1952, accusé d’avoir frappé un administrateur, Abbas fut
condamné à deux ans de prison*. La répression décourageait les militants.
L’apathie croissante, qui fit descendre les effectifs à 3 000 adhérents vers
1950, fut accrue par l’impossible union des nationalistes, pourtant exigée par
les militants. Fallait-il s’unir avec le seul MTLD ? ou privilégier un
rapprochement intégrant communistes et socialistes ? En août 1951, un
éphémère Front algérien pour la défense et le respect des libertés regroupa le
MTLD, l’UDMA, le PCA et l’Association des ulémas autour d’un
programme comprenant l’annulation des élections à l’Assemblée algérienne.
La méfiance des udmistes à l’égard du MTLD pesa dans son échec.
Souvent accusée d’être un parti bourgeois, voire un groupe de
« salonnards » réduit à la figure de Ferhat Abbas, l’UDMA fut pourtant un
authentique parti, comptant militants, sympathisants et lecteurs de son
journal. Sa composition sociale variait entre des sections plus conservatrices
et proches des ulémas (comme à Constantine) et des sections plus populaires
(comme à Oran). Par ailleurs, les contestations furent récurrentes au sein du
parti, notamment parmi les jeunes militants qui reprochaient à Abbas trop de
complaisance avec les autorités coloniales, ou critiquaient la direction du
parti.
Lors du 1er novembre 1954*, l’UDMA reconnut immédiatement
l’importance de l’événement. Individuellement, certains militants rejoignirent
les rangs du FLN*. Des négociations* débutèrent en 1955 entre UDMA et
FLN, menées par Ali Boumendjel*, Ahmed Boumendjel* ou Kaddour Sator
d’une part, Abane* Ramdane et Benyoucef Ben Khedda* de l’autre. C’est
dans le cadre de ce rapprochement que les udmistes impulsèrent des actions
favorables au FLN, notamment la « motion des 61* ». Le 6 février 1956,
Ferhat Abbas quittait l’Algérie avec Ahmed Francis pour gagner Paris et, de
là, Le Caire. Dans une conférence de presse, le 25 avril 1956, il annonçait son
ralliement au FLN et la dissolution de l’UDMA.
Malika RAHAL
Bibl. : Malika Rahal, L’UDMA et les Udmistes. Contribution à l’histoire du
nationalisme algérien, Alger, Barzakh, 2017.
UNION GÉNÉRALE
DES TRAVAILLEURS
ALGÉRIENS (UGTA)
Après le déclenchement de la guerre de libération nationale en
novembre 1954, le MNA* de Messali Hadj* regroupe à la fin de 1955 les
travailleurs algériens au sein d’une centrale « nationaliste », l’USTA*. Très
vite, le FLN*, sur l’instigation d’Abane* Ramdane et Benyoucef Ben
Khedda*, réagit et encourage la constitution le 24 février 1956 de l’UGTA.
Parmi les premiers fondateurs, on trouve Rabah Idir Aïssat, Rabah Djermane,
Attalalah Ben Aïssa et Boualem Bourouiba.
Les deux syndicats ne sont pas des créations ex nihilo. Leurs dirigeants et
adhérents sont issus du mouvement national et des centrales syndicales
françaises, notamment la CGT*. En 1952, sur 43 000 syndiqués algériens,
35 750 sont affiliés à la CGT, soit 83 % au total (Ageron, 2005). Les raisons
de cette forte adhésion sont liées plus à des considérations matérielles et
d’opportunité que d’une supposée proximité politique ou idéologique avec la
CGT.
Sur le terrain, l’UGTA est violemment réprimée en Algérie :
déstabilisation, arrestation et emprisonnement des militants syndicalistes,
occupation des locaux. Son coordinateur, Aïssat Idir, torturé, trouve la mort
en détention à l’hôpital militaire d’Alger le 26 juillet 1959.
Dès lors, sous couvert de l’AGTA (Amicale générale des travailleurs
algériens, fondée le 16 février 1957 à Paris), l’action syndicale et militante de
l’UGTA se déplace au Maroc*, en Tunisie* et surtout en France. Cette
période est marquée par des démarches auprès des organisations syndicales
internationales pour exposer la cause algérienne.
La fin des hostilités militaires, entre l’ALN* et les forces françaises au
19 mars 1962*, est l’occasion d’un retour sur le terrain de l’UGTA. Libérée
des contraintes de la clandestinité, une direction provisoire se constitue dès le
2 avril. Le départ en masse des Européens, les séquelles de la guerre et des
actions meurtrières de l’OAS* créent une nouvelle réalité que l’UGTA doit
affronter. Sa priorité première est l’installation des sections syndicales dans
tout le pays. Ce déploiement n’est pas sans conséquences dans une Algérie
indépendante en pleine crise politique. Le 31 août, l’UGTA organise un
grand meeting populaire à Alger, au Foyer civique (Maison du peuple), en
présence d’une foule entre 10 000 et 15 000 personnes dont de nombreuses
femmes. L’imminence d’un affrontement armé entre les troupes de la Wilaya
4* (Algérois) et les troupes de l’EMG* soutenant le Bureau politique (BP) du
FLN engage l’UGTA à appeler la population à se rassembler autour des
slogans : « Non à des fusils, mais des pelles et des pioches », « Halte au
sang ».
L’UGTA entend ainsi préserver son rôle sociopolitique et son autonomie
par rapport au BP. Mais Khider*, responsable du BP, récuse une telle
position et reproche à l’UGTA de vouloir accaparer le pouvoir.
De son côté, Ahmed Ben Bella* attaque la centrale syndicale qui véhicule
des valeurs contraires aux « réalités » de la société algérienne (Le Monde,
14 septembre 1962).
La volonté du BP du FLN de contrôler l’UGTA s’impose au moment de
la désignation des membres devant siéger à l’Assemblée nationale
constituante : des trente noms de militants syndicalistes proposés à la
députation, aucun d’eux n’est choisi.
En France, l’AGTA est en proie à des tentatives de déstabilisation
encouragées par le BP du FLN et la Fédération du Grand Alger (FGA).
Acculés, les dirigeants de l’UGTA annoncent le 7 octobre la tenue d’un
congrès national pour janvier 1963. Le 19 octobre, ils clarifient leurs
positions politiques en rappelant que les syndicalistes sont des militants du
FLN à part entière, qu’ils ne constituent pas un parti d’opposition et que leur
centrale syndicale reste fermement décidée à jouer un rôle important dans
l’édification d’une Algérie socialiste (L’Ouvrier algérien, 19 octobre 1962).
Dans son conflit avec le BP du FLN, l’UGTA reçoit le soutien de députés de
l’Assemblée nationale dont Hocine Aït Ahmed* qui traite de réactionnaires
ceux qui s’en prennent à l’organisation des travailleurs. De son côté, le Parti
de la Révolution socialiste (PRS), crée le 20 septembre, s’engage au côté de
l’UGTA, notamment en France où l’influence politique de son fondateur
Mohamed Boudiaf* est grande. Membre fondateur du PRS et un des
responsables de l’AGTA, Aboubakr Belkaid compare les dirigeants du BP du
FLN à de « nouveaux Blachette* et Borgeaud* de l’Algérie indépendante »
(AFP, 12 décembre 1962). Dans ce contexte, La direction de l’UGTA est de
plus en plus contestée. On trouve dans les journaux, notamment dans al-
Chaâb, des motions de défiance à son encontre.
Le premier congrès de l’UGTA ouvre ses travaux le 17 janvier 1963 à
Alger, au Foyer civique, en présence du président du Conseil Ahmed Ben
Bella. Les syndicalistes sont accusés de vouloir constituer une catégorie de
« privilégiés » au détriment de l’ensemble de la masse laborieuse, dont les
fellahs (al-Chaâb, 18 janvier 1963). Ce premier congrès de l’UGTA se
termine dans une grande confusion, le vote de ses représentants est faussé par
l’irruption dans la salle de plusieurs centaines de « travailleurs » mobilisés
par la fédération du FLN du Grand Alger et les membres du bureau sont
remplacés. C’est un véritable coup de force qui acte la « caporalisation de
l’organisation syndicale » (Bourouiba, 2012) en Algérie.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Charles-Robert Ageron, « Vers un syndicalisme national en Algérie
(1946-1956) », in Genèse de l’Algérie algérienne, t. II, Saint-Denis, Éditions
Bouchène, 2005 • Boualem Bourouiba, Les Syndicalistes algériens. Leur
combat, de l’éveil à la libération, L’Harmattan, 1998 [rééd. : Alger, Enag-
Dahlab, 2001] • —, L’UGTA dans les premières années de l’indépendance
(1962-1965), Alger, livres Éditions, 2012.
UNIVERSITÉ D’ALGER
La création en 1909 de l’université de l’empire colonial, qui va rayonner
et devenir à partir des années 1930 le lieu de production et de justification de
l’idéologie coloniale, ne s’est pas faite sans débats et arrière-pensées. Il
paraissait communément admis que la colonie devait être dotée d’une
université spécifique d’un enseignement supérieur qui ait « un double
caractère, pratique et local ». Le projet colonial lui-même dictait qu’il en fût
ainsi. Jusqu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, les professeurs,
à quelques exceptions près, se font les porte-parole d’une colonisation totale.
Les travaux, analyses et enseignements fondés sur les mythes coloniaux sont
développés par les enseignants d’Alger généralement praticiens. Ils ne
souffrent pas de contestations, même chez leurs pairs métropolitains. Les
principales disciplines – l’ethnologie, la sociologie, la géographie, l’histoire,
la littérature*, le droit – se rejoignent pour justifier l’idéologie coloniale. La
part la plus large des effectifs de l’université coloniale est constituée
d’étudiants* et d’enseignants imprégnés et acquis à l’idéologie colonialiste.
Les étudiants musulmans y ont une place minoritaire et marginalisée.
Dans les luttes politiques qui démarrent après 1954, l’université devient
le bastion de l’irrédentisme colonialiste. Elle est à l’avant-garde des combats
des ultras en différents moments clés : journées de février 1956*, mai 1958*,
semaine des barricades* en 1960, putsch* des généraux en 1961. Elle joue
aussi dans le rapport de force métropole/colonie. Des enseignants et des
étudiants rejoignent au final les rangs de l’OAS*. Dans cette université,
véritable citadelle des irréductibles coloniaux, les oppositions ou critiques qui
restent minoritaires sont sinon refoulées, le plus souvent stigmatisées ou
violemment combattues. Un certain nombre d’enseignants comme André
Mandouze* et Jacques Peyrega sont menacés et rejoignent la métropole. Les
tentatives d’enseignants et d’étudiants « libéraux » dont certains sont réunis
dans le comité Étudiants d’action laïque (CEALD), des courants « chrétiens-
progressistes », d’étudiants juifs* et de communistes, cherchant à construire
des ponts avec leurs camarades musulmans, se fracassent sur le bloc des
ultras. Certains des membres de ces mouvances, qui s’engagent dans le
soutien à l’émancipation des Algériens, s’exilent ou y perdent leur vie.
L’incendie criminel de la bibliothèque universitaire d’Alger en juin 1962 clôt
dramatiquement l’histoire d’une université citadelle coloniale, arc-boutée sur
ses certitudes et valeurs inégalitaires. La réouverture de l’université après
l’indépendance en septembre 1962 se fait avec certains des enseignants
européens (André Mandouze est nommé recteur en 1963) qui ont résisté aux
logiques de l’exclusion.
Aissa KADRI
Bibl. : Jean Mélia, Histoire de l’université d’Alger, L’Épopée intellectuelle
de l’Algérie, Alger, La Maison des livres, 1950 • Université d’Alger.
Cinquantenaire, 1909-1959, Alger, Gouvernement général de l’Algérie,
1959.
V
« 22 », LES
L’historiographie consacre cette appellation pour désigner le groupe de
militants de l’Organisation spéciale* (OS) qui prend la décision de
déclencher l’insurrection en Algérie.
La reconduction de l’OS par le MTLD lors du congrès d’avril 1953 (en
l’absence des membres de l’OS, à l’exception de Ramdane Benabdelmalek*)
intervient alors que le conflit entre Messali Hadj* et le comité central (CC)
menace le parti d’éclatement. Fin décembre, leur désaccord, circonscrit
jusque-là à la direction, finit par être porté à la connaissance de la base
militante en France et en Algérie. La contre-offensive de Messali se traduit
par la désignation d’un Comité de salut public – exigeant la désobéissance et
le blocage des fonds – qui produit ses effets auprès des militants. Les
tentatives de compromis que les envoyés du CC exposent à Messali sont
rejetées. Dans la confusion générale, et pour sauver l’unité du parti, des voix
s’élèvent, tant au CC que chez les activistes de l’OS, appelant à la neutralité
entre les deux parties rivales lesquelles n’hésitent pas à se livrer bataille.
De guerre lasse, le CC est contraint de céder ses pouvoirs à la délégation
provisoire choisie par Messali le 28 mars 1954. En éliminant les centralistes,
les messalistes ouvrent la voie, sans le savoir, à l’action armée. Entre-temps,
un Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (Crua) est créé le 23 mars
1954, avec le soutien du CC. A priori, le Crua semble le résultat d’une
alliance entre l’OS et le CC. « Les centralistes taxés de réformisme par leurs
adversaires vont essayer d’utiliser les activistes pour se couvrir des
accusations portées contre eux » (Harbi, L’Algérie et son destin, Arcantère,
1992).
La constitution de ce comité – dont l’existence est des plus éphémères –
est concrétisée d’abord par le rappel de Mohamed Boudiaf* et Didouche*
Mourad, contactés à Paris par Hocine Lahouel du CC fin avril 1953, au nom
de la commission de l’OS désignée lors du dernier congrès. De retour à
Alger, Boudiaf participe à deux réunions qui aboutissent à la naissance du
Crua. Le comité est composé de Ben Boulaïd*, Mohamed Dekhli, Ramdane
Bouchebouba (contrôleur général du parti) et Boudiaf.
Ce dernier fournit une version différente relative à la création du Crua
(témoignage* paru dans El Djarida, 1974). Informé de la situation qui régnait
à Alger par ses compagnons, Boudiaf prend congé de la Fédération de Paris,
regagne Alger au début de mars 1954 et prend contact avec Dekhli avec qui il
convient « d’entreprendre quelque chose pour arrêter la débandade, à la
condition de maintenir la base militante en dehors du conflit de la direction ».
Avant la rencontre ultime avec Dekhli et Ramdane Bouchebouba qui fonde le
Crua, Boudiaf entre en contact avec les membres de l’OS de Constantine, se
réunit à Alger avec Mostefa Ben Boulaïd, Rabah Bitat*, Larbi Ben M’hidi*
et ensemble s’accordent pour « lancer un mouvement d’opinion dans la base
en vue de préserver l’unité du parti ».
Le quatuor du Crua est composé des premiers cadres de l’OS mais Ben
Boulaïd et Dekhli sont également membres du CC. Un bulletin intérieur, Le
Patriote, s’adresse dès son premier numéro aux militants et précise sa
préoccupation majeure (« sauver l’organisation ») en appelant « à la
neutralité vis-à-vis des antagonistes » qu’il invite « à venir s’expliquer » dans
un congrès extraordinaire. Loin de constituer une troisième voie, le Crua
scelle une tentative d’alliance de circonstance entre le CC et l’OS qui, au bout
de trois mois, est rompue, les uns et les autres ne poursuivant pas les mêmes
objectifs.
Les partisans de l’OS nourrissent en effet un vif ressentiment à l’encontre
du CC qui a prononcé leur dissolution en février 1951 et ils n’ignorent pas
non plus son peu d’empressement à passer à l’action. En outre, les violentes
critiques émises par Messali qui leur reproche d’être à la traîne du CC les
blessent et les confortent dans leur volonté de prendre leur distance à l’égard
des deux parties rivales. Durant ce laps de temps, les attaques des messalistes
contre les membres du Crua se multiplient : la délégation provisoire décide de
suspendre deux de ses membres (Dekhli et Bouchebouba) tandis que Boudiaf
et Bitat sont agressés violemment dans la Casbah le 9 mai. À leur tour, ils
décident de riposter en organisant l’attaque du siège du MTLD, rue de
Chartres. Autant dire que le Crua n’existe plus – ses autres membres, Ben
Boulaïd et Boudiaf, font déjà bande à part avec Didouche Mourad, Larbi Ben
M’hidi et Rabah Bitat.
La conjugaison de plusieurs événements accélère la décantation entre
centralistes et activistes. D’une part, les rumeurs de collusion avec le CC sont
très mal vécues par les militants de l’OS ; d’autre part, en réponse à la
prochaine tenue du congrès messaliste (Hornu, 13-15 juillet), le CC veut
réunir le sien. Les activistes de l’OS désapprouvent et se préparent à
l’insurrection. Tel est l’objectif de la réunion dite des « 22 » militants de
l’OS, le 25 juin. Selon le témoignage de Boudiaf, l’option du passage à la
lutte armée est admise par tous mais pour certains « le moment de la
déclencher n’est pas encore venu. Les échanges furent très durs. La décision
fut acquise après l’intervention émouvante de Souidani Boudjemaâ qui, les
larmes aux yeux, fustigea les réticents en déclarant : “Oui ou non, sommes-
nous des révolutionnaires ? Alors qu’attendons-nous pour faire cette
révolution si nous sommes sincères avec nous-mêmes ?” ». La réunion se
termine par l’élection du responsable national qui, à son tour, désigne quatre
membres qui assurent la direction collégiale du mouvement. Ce sont Boudiaf,
Ben Boulaïd, Didouche, Bitat et Ben M’hidi. Ils reçoivent l’adhésion d’Aït
Ahmed*, Ben Bella* et Khider* de la délégation extérieure du MTLD
au Caire. Krim* Belkacem, responsable de la Kabylie, les rejoint et compose
avec eux le groupe dit plus tard « des 6 ». À partir de juillet, les activistes de
l’OS doivent compter avec l’opposition « des messalistes qui veulent trancher
les divergences politiques avant de s’engager dans l’action armée » et
l’opposition « des centralistes qui crient à l’aventure » (Harbi, 1980).
Par ailleurs, à l’intérieur du groupe des « 22 », les divergences perturbent
les préparatifs de la lutte armée. Ce sont quatre participants de Constantine
qui critiquent ouvertement la composition de la direction. Les griefs visent
deux personnes : Boudiaf, connu pour son franc-parler et à qui on reproche
ses liens avec le CC, et Bitat, considéré moins apte à diriger la Zone 2 du
Nord-Constantinois. Ils soulèvent aussi la pression des messalistes et des
centralistes sur le terrain sans compter le manque de moyens matériels.
Didouche Mourad, présent à une réunion des chefs du Constantinois, rejette
toutes leurs propositions et conclut : « Vous suivez. Celui qui ne marche pas
ira en prison*. » Le groupe de Constantine décide son retrait portant un coup
d’arrêt aux cellules prêtes à passer à l’action. Selon d’autres sources, les
quatre Constantinois soumis à l’influence d’Abderrahmane Gherras ont
préféré se retirer faute de moyens.
Pour le groupe dirigeant de l’OS, les mois suivants sont consacrés à
l’organisation du pays, divisé en cinq zones : Aurès, Constantinois, Kabylie,
Algérois, Oranais. Dans une dernière rencontre, fin octobre, le groupe se dote
d’un nouveau sigle : le Front de libération nationale* (FLN) soutenu par
l’Armée de libération nationale* (ALN). Dans la nuit du 31 octobre au
1er novembre*, une série d’actions armées est menée et la proclamation
annonçant au peuple algérien le début de la Guerre d’indépendance est
diffusée. Les débuts du FLN sont difficiles mais peu à peu la résistance
s’affirme sur le terrain.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Benyoucef Ben Khedda, Les Origines du 1er novembre 1954, Alger,
Dahlab, 1989 • Mohammed Harbi, Le FLN. Mirage et réalité, Jeune Afrique,
1980 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002.
VILLA SÉSINI
Somptueuse villa construite à la fin du XIXe siècle sur les hauteurs
d’Alger, dans le style néo-mauresque typique de la période, la villa Sésini est
une très vaste construction blanche, ornementée de faïences et de tuiles
vernissées, protégeant une cour intérieure au centre de laquelle une fontaine
fait entendre son ruissellement. Appartenant d’abord à un notaire du nom de
Sésini, elle a été cédée au consulat d’Allemagne dans les années 1920 avant
d’accueillir, pendant la guerre, le poste de commandement de certaines unités
militaires. C’est dans sa cour, lors d’une prise d’armes, que le général
Massu*, commandant l’ensemble de la 10e division parachutiste*, remet au
lieutenant Jean-Marie Le Pen*, député mais aussi officier* au 1er régiment
étranger de parachutistes, la Croix de la Valeur militaire étoile de bronze.
L’activité à la villa est particulièrement intense lors de la répression qui
s’abat sur Alger au cours de l’année 1957 en particulier. Associé au 1er REP,
le nom de cette villa (souvent orthographié par erreur Susini) est devenu
emblématique de la pratique de la torture*. Ici comme ailleurs, ces violences
sont dirigées par un officier, souvent le capitaine Roger Faulques. À la villa
Sésini, elles reposent sur deux techniques de base : l’application d’électricité
sur le corps et l’ingurgitation forcée d’eau.
C’est en effet dans sa cour (notamment dans la vasque de la fontaine),
dans sa cave ou dans certains de ses bâtiments qu’ont lieu les tortures des
nombreux suspects et suspectes conduits dans ce qui fonctionne alors comme
un centre de détention clandestin. Contrairement aux autres centres de ce type
qui se multiplient à Alger, de très nombreux témoignages* concordants
existent, dès l’époque, sur ce qui s’y passe. Sont dénoncées les violences
perpétrées par les forces de l’ordre (légionnaires et policiers agissant avec
eux). La justice est saisie de plusieurs plaintes pour sévices graves au début
du printemps 1957. Ces plaintes révèlent une forme de spécialisation de ce
centre dans un type de suspects bien particulier : non pas des Algériens
suspectés d’appartenir au FLN* mais des Français politiquement engagés au
PCA* ou proches des libéraux*. C’est ainsi qu’y sont conduits André Gallice,
ancien conseiller municipal d’Alger, ou encore Nelly Forget*, membre des
centres sociaux*. Une autre particularité remarquable de ce centre de tortures
est en effet la présence de femmes* détenues.
Raphaëlle BRANCHE
Bibl. : Raphaëlle Branche, La Torture et l’Armée pendant la guerre d’Algérie
(1954-1962), Gallimard, 2001.
VIOLS DES FEMMES EN ALGÉRIE
Sujet tabou, enfoui dans les mémoires meurtries, à l’exception de
quelques dénonciations durant la Guerre d’indépendance, le viol des
femmes* algériennes investit tardivement le champ de la recherche, comme
le souligne Raphaëlle Branche (2002). Toute étude approfondie se heurte à
un double écueil : le silence des archives* – celles de la justice militaire* en
particulier – et le silence des victimes peu enclines à parler des sévices subis.
Ils furent dénoncés en leur temps par des acteurs témoins de cette « pratique
courante » qui a touché en particulier les femmes rurales. Celles des villes
n’ont pas été non plus épargnées lors de leur arrestation et des séances de
torture* qu’elles ont endurées. Quelques photos récupérées auprès de
déserteurs tels que Constantinos Papadopoulos (avril 1958) apportent la
preuve matérielle d’un viol collectif perpétré sur des paysannes enfermées
dans le camp de regroupement* de Bouhamama (Aurès). Ces précieux
documents sont parvenus au CCE* et semblent avoir fait l’objet d’un dossier
présenté par la délégation extérieure du FLN* à l’ONU*.
En l’absence d’une enquête générale, cette question est abordée à partir
des écrits d’acteurs de cette tragédie, de rares témoignages* des victimes
elles-mêmes, d’entretiens avec les femmes arrêtées et torturées et celles qui
furent enfermées dans les camps de regroupement.
Dès le déclenchement de l’insurrection en novembre 1954, la guerre est
totale, elle touche indistinctement les hommes comme les femmes. Quand les
représailles s’abattent sur les mechtas de l’Aurès, ce sont les populations
civiles – et en particulier les femmes – qui en paient le prix le plus fort. Les
femmes du douar Kimmel ont été éloignées de leurs demeures et parquées
dans le courant du mois de novembre 1954, dans une maison à part. Ces
femmes ont réussi à fuir et à trouver refuge dans le maquis pour échapper au
sort qui les attendait… Une autre épreuve est infligée aux femmes de Tifelfel
(Aurès) durant l’été 1955. L’armée décide de les isoler de leurs demeures
pour éviter les visites nocturnes des hommes qui ont pris le maquis. Du jour
au lendemain, elles se retrouvent sans défense livrées aux brutalités de toutes
sortes. Les atteintes à leur dignité de personne sont rapportées sans détail
mais avec des mots comme el monker (« sévices »), el mouhel (« l’indicible »
ou « l’indescriptible ») ou encore el batel (« l’irréparable ») qui en disent
long sur le calvaire enduré.
Désarmées, vulnérables, elles s’échinent à souiller leur corps pour
échapper à ce phénomène de guerre terrifiant qui demeura dissimulé d’autant
plus qu’il se déroulait en toute impunité dans les campagnes contrôlées par
l’armée. Dans son Journal (1962), Mouloud Feraoun* rapporte en termes
crus la transformation des douars des Ouadhias en « un populeux BMC* où
furent lâchées les compagnies de chasseurs alpins ou autres légionnaires »
(p. 184) en janvier 1957. De même dans le camp de regroupement de
Messelmoun (Cherchell), les viols des femmes sont une pratique courante,
selon les témoignages recueillis.
La plupart des maquisardes interrogées par Natalya Vince insistent sur les
souffrances vécues dans les campagnes quadrillées par l’armée. Les
Algériennes engagées dans la lutte anticoloniale n’ont pas été non plus
épargnées quand elles sont arrêtées et livrées à leurs tortionnaires. L’une
d’elles, A. B., mineure, a raconté les premiers moments de l’arrestation. « Ce
n’est pas la torture que je craignais, je m’y attendais, mais je n’oublierais
jamais quand on m’a obligée à me déshabiller entièrement. » Cette mise à nu
des corps de jeunes femmes est devenue un champ de bataille dans l’enfer
des salles de torture.
Quelques cas de femmes torturées et violées telles Djamila Bouhired* et
Djamila Boupacha* ont fait l’objet d’une dénonciation publique en leur
temps. Mais la réalité de la guerre a eu pour effet de produire la banalisation
de ces déchaînements inhumains d’autant que les rares procédures intentées
par les victimes n’ont guère abouti, à l’exemple de l’affaire de Djamila
Boupacha (juin 1961). Quarante ans après l’indépendance, en juin 2000,
Louisette Ighilahriz* brise le silence et révèle les violences qu’elle a subies.
Si ses enfants sont choqués par l’aveu de leur mère, ses compagnes de lutte
désapprouvent sa courageuse démarche. C’est bien la preuve que les
traumatismes d’hier sont encore vivement ressentis au-delà de la volonté de
les oublier. C’est dire aussi que la société algérienne actuelle n’est pas prête à
regarder son passé tout comme elle occulte les viols commis par certains
maquisards. Comment décider ces femmes qui ont défié bien des obstacles,
transgressé les codes inhérents au patriarcat à transmettre ce qu’elles ont
vécu ? Sans la parole des victimes, le grand récit des viols survenus en
Algérie durant la Guerre d’indépendance demeurera inachevé.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Khedidja Adel, « La prison des femmes de Tifelfel : enfermement et
corps en souffrance », L’Année du Maghreb, no 20, 2019 • Raphaëlle
Branche, « Des viols pendant la guerre d’Algérie », Vingtième siècle. Revue
d’histoire, no 75, 2002 • Natalya Vince, Our Fighting Sisters. Nation,
Memory and Gender in Algeria, 1954-1962, Manchester, Manchester
University Press, 2016.
W
WILAYA 1 (AURÈS-NEMENCHA)
La région de l’Aurès correspond à la Zone 1 selon le découpage opéré par
les fondateurs du FLN*. Dirigé par Mostefa Ben Boulaïd*, l’Aurès entre en
guerre dans la nuit du 1er novembre 1954*. Le retentissement des actions
armées accomplies par ses hommes fait braquer les projecteurs sur l’Aurès
qui devient le symbole de la résistance algérienne à l’occupation coloniale.
Son évolution est bouleversée par de graves dissensions politiques
internes, liées à l’arrestation de Ben Boulaïd en février 1955, puis à sa
disparition en mars 1956.
En son absence, le commandement est assuré par son principal adjoint
Bachir Chihani* qui sera éliminé par ses adjoints, au mois d’octobre 1955.
Le retour aux commandes de la Zone 1 de Ben Boulaïd, après son
évasion* de la prison* de Constantine en novembre 1955, met fin en
apparence à la crise qui renaît de plus belle dès sa mort en mars 1956.
À compter de cette date, la question de la succession se pose avec acuité.
Aucun des prétendants au pouvoir n’a assez d’envergure pour remplacer Ben
Boulaïd. Le 15 avril plusieurs chefs de l’Aurès tentent de trouver une solution
consensuelle en désignant une direction collégiale représentée par le
« Comité des douze », qui sera rejetée par Abbès Laghrour* et Adjel
Adjoul*, prétendants au pouvoir avec Omar, le frère de Ben Boulaïd. Au
printemps 1956, la Zone 1 est donc de nouveau le théâtre de violents
affrontements entre les deux groupes prétendants à la direction de l’Aurès.
Cette période est caractérisée par des comportements coupables dont usent
sans retenue les groupes rivaux, pour réduire l’influence de l’adversaire :
fausses rumeurs, courrier et ravitaillement détournés, exactions, règlements
de comptes.
C’est cette situation qui explique l’absence des responsables de la Zone 1
au congrès de la Soummam* où ils étaient invités. Au mois de
septembre 1956, le CCE* dépêche dans l’Aurès Amirouche* qui a pour
missions de transmettre les directives du Congrès et de remettre de l’ordre
dans la Zone 1, appelée désormais Wilaya 1. Amirouche s’entretient avec la
plupart des chefs de l’Aurès à l’exception d’Abbès Laghrour, blessé. Sa
rencontre avec Adjel Adjoul se termine par des échanges de coups de feu.
Adjoul en sort blessé. Acculé, ce dernier se rend au camp militaire de Zeribet
El Oued (versant sud du massif de l’Aurès) en novembre 1956.
Sa reddition* à l’armée française sème le désarroi parmi ses compagnons
et offre une opportunité à ses rivaux de s’affirmer : Omar Ben Boulaïd et
Messaoud Aïssi (éliminés des postes de commandements par Amirouche)
espèrent reconquérir leur place. Pour atteindre leur objectif, ils jouent la carte
d’Ahmed Mahsas* qui partage avec Ben Bella* leur opposition au congrès de
la Soummam. Contrôlant une partie de l’acheminement des armes qui transite
par la frontière algéro-tunisienne, Ahmed Mahsas se rapproche des dissidents
de l’Aurès, sans se soucier des conséquences néfastes de leur débordement
sur le sol tunisien.
L’interruption de la mission d’Amirouche est suivie de nouvelles
rencontres organisées en décembre 1956, janvier et avril 1957 en Kabylie
mais sans grand succès. Ouamrane*, Amirouche et Mohammedi* Saïd s’en
remettent finalement au CCE (qui a quitté Alger) pour régler le cas de la
Wilaya 1 et proposent une convocation de toutes les parties adverses de
l’Aurès en Tunisie*.
Sur le terrain, les groupes armés – dissidents – manifestent ouvertement
leur indépendance, voire leur opposition, aux résolutions du congrès de la
Soummam, privilégiant le recours aux armes au détriment de tout dialogue.
À partir d’avril 1957, la Wilaya 1 entre dans une phase d’instabilité
durable que révèle la cadence des chefs qui se succèdent. La durée de certains
ne dépasse pas quelques mois. C’est le cas de Mahmoud Cherif*, un ancien
officier* de l’armée française à la retraite, à la tête de la Wilaya 1, nommé au
mois d’avril par le CCE. Originaire de la région de Tébessa, il est mal
accueilli par les pionniers de la guerre de libération en dépit de ses
compétences pour doter la Wilaya 1 de structures adaptées à une guerre de
partisans en mesure de résister aux coups de butoir d’une armée coloniale
moderne et jouissant d’une longue expérience. Il est remplacé par
Mohammed Lamouri* à la fin de l’année 1957 qui sera mieux accepté, mais
nommé au COM en avril 1958, il cède son poste à son responsable politique :
Ahmed Nouaoura. Au bout d’un an et demi, la Wilaya 1 a connu trois chefs
basés en Tunisie qui n’ont pas réussi à unifier les rangs de l’ALN*, ébranlée
par les actions anarchiques des dissidents, agissant à la fois dans l’Aurès-
Nemencha mais également en territoire tunisien. Avec la nomination de Hadj
Lakhdar Abidi* en septembre 1958, la Wilaya 1 commence à retrouver une
certaine stabilité au prix d’une discipline de fer. Appelé à participer à la
réunion des dix colonels*, Hadj Lakhdar quitte à son tour l’Aurès à la fin du
mois d’avril 1959 pour la Tunisie où il restera jusqu’à l’indépendance.
L’intérim est assuré par Mostéfa Bennoui dans des conditions difficiles : il
use de beaucoup de tact pour en finir avec les dissidents et surtout pour
démanteler le spectre de la bleuïte* des rangs de la Wilaya 1 auquel Hadj
Lakhdar a succombé. L’arrivée du commandant Ali Souaï* le 29 avril 1960
crée une situation conflictuelle qui entraîne mutations, limogeages et
exécutions. Son court règne est interrompu dès octobre 1960 par l’arrivée de
Tahar Zbiri*, qui remplit la fonction de commandant en chef par intérim de la
Wilaya 1. Cette année coïncide avec l’offensive des opérations Challe*,
appuyées par de puissants moyens militaires pour détruire « les katibas
restées entières et assez fortes ». « Les Aurès sont le berceau de la rébellion,
elles en seront le tombeau », déclare le général Ducournau*, au cours d’une
conférence de presse à Batna à la fin du mois de septembre 1960.
Si la résistance des maquisards (Beni Melloul, Kimmel, Inoughissen, etc.)
fut héroïque, elle enregistre de lourdes pertes dans ses rangs. Ali Souaï trouve
la mort dans une de ces opérations au mois de février 1961. Le PC, avec à sa
tête Tahar Zbiri, doit se déplacer sans cesse pour échapper aux
bombardements. Il n’eut aucun répit avant la fin de l’opération « Ariège ».
L’organisation du PC de la wilaya est reconstituée à la fin de l’année 1961.
Elle ne dispose plus que d’environ 2 500 maquisards qui saluent avec
soulagement l’annonce du cessez-le-feu, transmis par la radio*, au soir du
18 mars 1962.
Le 23 avril 1962, Tahar Zbiri reçoit une délégation de l’Exécutif
provisoire* venue d’Alger à Medina. La commission de cessez-le-feu
désignée rencontre la partie française à la préfecture de Batna le 3 mai 1962.
Ensemble, les deux parties ont veillé tant bien que mal au respect des
dispositions contenues dans les accords d’Évian*. La démobilisation des
harkis* a posé de sérieux problèmes à la Wilaya 1. D’importants groupes de
harkis, voire des compagnies entières, ont rejoint l’ALN*. La décision de
Tahar Zbiri de leur faire bon accueil suscite de sérieuses réticences chez les
maquisards. Affublés du sobriquet de « marsiens », ils sont tout de même
intégrés dans les katibas de l’ALN.
Après le référendum* du 1er juillet 1962, l’Aurès meurtri par plus de sept
années de guerre fête l’indépendance en comptant ses martyrs. Les hommes
de novembre 1954 ignorent alors qu’ils s’apprêtent à affronter les frères
d’autres wilayas, au nom de la course au pouvoir à laquelle l’EMG* et le
GPRA* se sont livrés au cours de l’été.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Commandant Mostéfa Merarda « Bennoui », Sept ans de maquis en
Aurès, Batna, Pic des cèdres, 2004 • Mansour Rahal, Les Maquisards, pages
du maquis des Aurès durant la guerre de libération, Alger, El Chourouk,
2000 • Tahar Zbiri, Mémoires du dernier chef historique des Aurès, Alger,
ANEP, 2010.
WILAYA 2 (NORD-CONSTANTINOIS)
Au début de l’insurrection du 1er novembre 1954*, le Nord-Constantinois
correspond à la Zone 1 qui recouvre les principaux centres urbains de
Constantine, Bône, Djidjelli, Mila, Philippeville, Souk Ahras et leur arrière-
pays.
Son histoire se distingue par une solide organisation qu’elle doit à la
qualité de ses dirigeants d’où une stabilité remarquable. Après le congrès de
la Soummam*, elle devient la Wilaya 2. Son territoire est amputé de la zone
frontalière de Souk Ahras, érigée en « base de l’Est » et d’une partie de la
Petite Kabylie rattachée à la Wilaya 3*.
Son premier responsable Didouche* Mourad, l’un des fondateurs du
FLN*, a rencontré des difficultés en raison de la défection de plusieurs
membres des « 22* », tous de la ville de Constantine. D’où le calme relatif
qui prévaut durant les premiers jours de novembre 1954. À sa mort survenue
le 18 janvier 1955, Zighoud* Youcef lui succède. C’est lui qui organise les
premiers réseaux de la résistance coiffés par des conseils populaires à
l’échelle des douars chargés de tâches précises (renseignements, intendance,
refuges, guides, aide aux familles…), qui multiplie les actions armées contre
les mouchards avant de lancer l’insurrection spectaculaire du 20 août 1955*
et qui réfléchit à l’urgence d’une rencontre nationale prochaine.
Zighoud Youcef meurt au cours d’un accrochage en septembre 1956. Il
est remplacé par Lakhdar Bentobbal* qui s’attelle à parfaire les structures
selon les résolutions adoptées au congrès de la Soummam. Le territoire de la
Wilaya 2 est réparti en quatre mintaqa puis cinq à partir de 1959, divisées
chacune en nahia, elles-mêmes subdivisées en secteurs.
Au mois d’avril 1957, Bentobbal quitte la Wilaya 2 en compagnie de Ben
Khedda* et Krim* Belkacem, tous deux membres du CCE*, pour la
Tunisie*.
Son successeur, Ali Kafi*, hérite d’une wilaya bien structurée, forte de la
mobilisation de la population civile des campagnes, bien encadrée par des
responsables patriotes. Au mois d’avril, Kafi est convoqué à Tunis pour
participer à la réunion des dix colonels* (août-décembre 1959). Durant son
absence, Salah Boubnider* assure l’intérim avant d’être confirmé comme
chef de wilaya.
Selon les témoignages* des pionniers, les débuts sont difficiles pour
mettre en place l’organisation du FLN dans un milieu rural livré aux
tourments de la vie quotidienne, aux conflits sociaux et à la pression de
l’administration coloniale. De plus, la Zone 2 est durement affectée par le
retrait du groupe des quatre membres des « 22 » de Constantine, en désaccord
avec la préparation précipitée à la lutte armée (mettant en avant l’absence de
moyens suffisants pour déclencher la lutte armée), la vague des arrestations
des militants du MTLD au lendemain du 1er novembre 1954, la disparition
prématurée de Badji* Mokhtar, suivie de celle de Didouche Mourad. Le
relais est vite pris par Zighoud Youcef qui réussit avec ses compagnons à
lancer des actions armées, dans plusieurs villes, dès le printemps 1955. Mais
il doit compter avec les groupes messalistes, tout aussi présents sur le terrain,
qu’il n’hésite pas à éliminer. C’est ainsi que, cédant à de fausses informations
ou à des rivalités de pouvoir, des militants tels que Smaïn Zighed, Cherif
Zadi et Abdesselam Bakhouche dit Saci sont jugés et exécutés en
novembre 1955.
Après le soulèvement du 20 août 1955, les rangs de l’ALN* augmentent
sensiblement. À la veille du congrès de la Soummam, Zighoud Youcef estime
les effectifs de l’ALN à quelque 3 100 maquisards et 7 470 moussebelines,
sans compter l’aide des populations civiles.
Peu à peu, l’ALN parvient à se doter d’armes modernes qui transitent
facilement par la frontière algéro-tunisienne jusqu’à l’édification de la ligne
Morice. Durant les années 1957-1958, l’ALN peut se glorifier du succès de
nombreuses batailles* (Sidi Driss, mars 1957) et embuscades* (Zeggar,
mai 1957). Cependant, leurs conséquences se retournent sur les villageois
déplacés vers les camps de regroupement* et entraînent l’extension des zones
interdites*, surtout dans les régions montagneuses (massif de Collo, Petite
Kabylie, Edough, monts des Beni Salah…). Paradoxalement, ce no man’s
land va devenir un véritable sanctuaire pour l’implantation des postes de
commandement de l’ALN et de toute sa logistique (ateliers de fabrication de
tenues, infirmeries…).
En comparaison avec les cinq autres wilayas de l’intérieur, la Wilaya 2 a
échappé aux graves dissensions qui ont déchiré l’Aurès, aux purges liées à la
bleuïte* (avril 1958) qui ont décimé les rangs des maquisards en Wilayas 3 et
4*, et dans l’ensemble, la discipline a régné dans les rangs de l’ALN. En
décembre 1958, la Wilaya 2 accueille « la réunion des colonels de
l’intérieur », sur proposition du colonel Amirouche* avec les chefs des
Wilayas 1*, 3 et 4. Mais ni Ali Kafi ni Lotfi* respectivement chefs des
Wilayas 2 et 5* n’y participent, sans doute en raison de leurs liens avec
Bentobbal et Boussouf*, et de la crainte de faire le jeu de Krim, selon Harbi*
(1980, p. 246). Le GPRA*, informé des résolutions très critiques à son
encontre, décide de convoquer les colonels des 6 wilayas. La rencontre n’aura
pas lieu en raison de la mort des colonels Amirouche et Si El Haouès* le
29 mars 1959, suivie de celle du colonel Si M’hamed le 5 mai.
Lors des opérations Challe* (« Pierres précieuses » et « Émeraude »,
octobre 1959), si l’ALN n’est point surprise par l’importance des forces
mobilisées par l’armée française, elle n’a pu éviter des engagements
meurtriers qui ont affecté ses réserves et les bombardements aériens ont
accéléré l’évacuation des populations civiles vers les camps de regroupement
ou leur exode vers les villes les plus proches. Mais selon Meynier*, la Wilaya
2 a bien résisté en dépit des pertes évaluées à quelque 2 500 maquisards,
mieux elle a su regagner du terrain.
En revanche, à la veille de l’indépendance, l’unité de cette wilaya est
fissurée par le ralliement de plusieurs de ses commandants à l’état-major
dirigé par Boumediene* alors que son chef Salah Boubnider demeure fidèle
au GPRA. Lors du CNRA* de Tripoli* (juin 1962), ce dernier se heurta
violemment à Ben Bella*.
Au lendemain de l’échec du CNRA, la Wilaya 2 participe à la réunion
interwilayas de Zemmora* du 24 juin dont les résolutions ne parviennent
point à mettre fin à la course au pouvoir. La crise « circonscrite au sommet »
(Harbi, 2001) finit par éclater au grand jour et donner lieu à diverses
tractations et à des affrontements sur le terrain. Boubnider réussit à négocier
la levée de l’état d’urgence* à l’échelle de sa wilaya contre la promesse d’une
nouvelle convocation du CNRA.
Or le 24 juillet, les bataillons de l’état-major avec à leur tête Larbi
Berredjem, un dissident de la Wilaya 2, investissent la ville de Constantine.
Les accrochages entre forces de l’EMG* et celles de la Wilaya 2 se terminent
par des morts et des blessés. La plupart des dirigeants de la Wilaya 2 sont
arrêtés et ne sont libérés qu’après l’accord du 9 août conclu entre Ben Bella,
vice-président du Bureau politique et la Wilaya 2. Les entretiens avec les
témoins de cette période en gardent une grande amertume.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité. Des origines à la prise
de pouvoir (1945-1962), Jeune Afrique, 1980 • Gilbert Meynier, Histoire
intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002 • Amar Mohand-Amer, « Les
wilayas dans la crise du FLN de l’été 1962 », Insaniyat, no 65-66, 2014.
WILAYA 3 (KABYLIE)
Instituée par le congrès de la Soummam* d’août 1956, la Wilaya 3 prend
le relais de la Zone 3 dans la réorganisation de l’insurrection lancée par le
FLN*.
À l’occasion du redécoupage des frontières, Krim* Belkacem obtient, au
détriment de la Wilaya 2* (Nord-Constantinois), de nouveaux territoires
placés sous son autorité. La Wilaya 3 est essentiellement berbérophone, à
l’exception de localités comme Sétif, Bordj Bou Arreridj et Bordj Menaïel où
la population est aussi arabophone.
La Wilaya 3 est dirigée par Krim – jusqu’en 1957 – Mohammedi* Saïd,
Amirouche Aït Hamouda* – de l’été 1957 jusqu’à sa mort en mars 1959 – et
Mohand Oulhadj* – en conflit pour la direction avec Abderrahmane Mira*,
jusqu’à la mort de celui-ci en novembre 1959.
Sa structuration interne, très hiérarchisée, place sous l’autorité du colonel
– chef politico-militaire de la wilaya – des capitaines qui contrôlent une
mintaqa (zone), la Kabylie étant divisée en quatre zones. Chaque zone est
ensuite subdivisée en nahia (région) placée sous la responsabilité de sous-
lieutenants. Une nahia comprend à son tour plusieurs kasma (secteur)
commandées par des sergents.
À l’échelon du douar, un commissaire politique représente le FLN et
contrôle un comité rassemblant un responsable de l’organisation, un chargé
de l’assemblée du peuple et le responsable du douar auquel est associé un
adjoint pour chaque djemaa. Cette dernière est composée de cinq membres en
charge des impôts et allocations familiales, de la justice et affaires culturelles,
de l’état civil et de la santé, de la sécurité, des eaux et forêts et, enfin, du
recrutement.
À l’automne 1957, l’état-major français évalue le nombre de combattants
de l’ALN* en Kabylie à 4 000 maquisards dotés de 1 200 armes de guerre.
Parallèlement à l’organisation politico-administrative de la Wilaya 3, l’ALN
suit le modèle suivant : un faïlek regroupe trois à quatre cents hommes, une
kabita une centaine, une ferka une trentaine et un faoudj une dizaine.
Après l’installation de l’état de guerre à partir de janvier 1955 et
l’intensification du conflit avec le MNA* – particulièrement meurtrier au
début de l’année 1956 –, la Kabylie connaît plusieurs épisodes de violences
tournées contre les civils. En effet, avant le massacre de Melouza-Beni
Illemane* de mai 1957, de nombreuses personnes sont égorgées dans les
régions de Sidi Aïch, Oued Amizour et Seddouk, de l’hiver 1955 au
printemps 1956, sans que l’on puisse établir s’il s’agit de messalistes ou de
personnes hostiles à l’ALN.
En effet, le comportement de certains maquisards avec la population –
menaces, humiliations, viols*, etc. – incite parfois les villageois à demander
la protection des autorités françaises ou à s’engager dans des groupes
d’autodéfense pour se venger des exactions d’éléments de l’ALN qui exerce à
son tour des représailles.
Ainsi, dans la nuit du 13 au 14 avril, la totalité des habitants de la dechra
Ifraten – de 490 à 1 200 personnes – sont égorgés par les hommes du
lieutenant Fadel H’mimi placé sous la responsabilité d’Amirouche. La terreur
provoquée par cette « nuit rouge » entraîne le ralliement à l’armée française
des villages situés aux alentours et qui demeurent, jusqu’en 1960, interdits à
l’ALN. Lors du congrès de la Soummam, le massacre est reproché à
Amirouche, dont la destitution est réclamée par les représentants du Nord-
Constantinois, mais bénéficiant de la protection de Krim, il n’est pas
sanctionné.
Une autre séquence, connue sous le nom de « bleuïte* », marque
durablement la Wilaya 3. Dans un rapport daté du 3 août 1958, Amirouche
adresse un rapport aux autres colonels de l’ALN dans lequel il déclare avoir
découvert « un vaste complot ourdi depuis de longs mois par les services
secrets français contre la révolution algérienne ». En réalité, Amirouche est
tombé dans le piège tendu par le capitaine Paul-Alain Léger* qui cherche à
lui faire croire que son maquis est infiltré par des agents doubles.
En plus des accusations ou dénonciations fantaisistes, des « traîtres »
présumés sont exécutés, touchant aussi bien des officiers que des soldats. On
découvre deux charniers dans la forêt de l’Akfadou (plus de 400 cadavres) et
dans le djebel Tamgout (de 200 à 300 corps) mais le nombre de victimes est
bien plus important : environ 2 000 personnes exécutées, ce qui représente de
6 à 25 % de l’effectif de la Wilaya 3. En septembre, le 2e bureau* constate
qu’« il est matériellement impossible à l’adversaire de remplacer toutes ces
pertes par du personnel de même valeur ».
En raison de la paranoïa d’Amirouche et de la servilité de ses
subordonnés, la manipulation de Léger dépasse les résultats escomptés,
démoralisant profondément les survivants. Dans un rapport adressé le 1er avril
1959 au chef de l’état-major est, Oulhadj et Mira décrivent les « tortures
inhumaines » employées lors de ces purges (perforation des membres à la
baïonnette, arrachage des ongles, coupure des oreilles et du sexe, introduction
de bâtons dans l’anus, aiguilles dans les yeux, etc.).
C’est dans cet état d’esprit que les combattants doivent faire face aux
offensives de l’armée française, déterminée à démanteler la Wilaya 3 qui
subit déjà les conséquences de la fermeture des frontières, limitant son
approvisionnement en armes. Le 22 juillet, l’opération « Jumelles » est lancée
sur l’initiative du général Maurice Challe*. Les autorités militaires établissent
le bilan suivant : 2 995 maquisards tués, 898 prisonniers*, 136 ralliés et
1 592 membres de l’Organisation politico-administrative arrêtés. Le coup
porté à l’ALN-FLN est terrible, d’autant que les moyens financiers chutent
considérablement en raison des opérations de guerre couplées aux
déplacements de populations. Les soldes des combattants sont suspendues et
les allocations familiales échelonnées. Il faut attendre l’année 1961 pour
obtenir un soutien de la Fédération de France* du FLN où les Kabyles sont
majoritaires.
La mort au combat d’Amirouche, le 28 mars 1959, provoque une
nouvelle crise au sein de la direction de la Wilaya 3 puisque Oulhadj et Mira
se disputent sa succession. En réaction, de jeunes maquisards conduits par les
lieutenants Allaoua Zioual et Sadek Ferhani organisent, du 14 au
16 septembre, un congrès des « officiers libres » qui réunit une quarantaine
de cadres dans la forêt de l’Akfadou et dénonce « l’abandon du
commandement pratique » par Oulhadj et Mira. Selon Salah Mekacher, un
proche d’Oulhadj, les insurgés s’emparent du butin de la Wilaya 3.
À l’approche des négociations* avec la France, Oulhadj accorde sa
confiance au GPRA* et rompt avec l’État-major général* (EMG) le 3 avril
1962. Dans la crise de l’été*, Oulhadj confirme le soutien de la Wilaya 3 à un
Krim affaibli. Le 24 juin, une réunion se tient à Zemmora* entre les chefs des
Wilayas 2, 3 et 4*, avec la Fédération de France en opposition avec l’EMG.
Mais les dirigeants kabyles, qui refusent de reconnaître l’autorité du Bureau
politique, se retrouvent isolés avec la capitulation du GPRA face à l’avancée
inexorable de l’armée des frontières*.
Nedjib SIDI MOUSSA
Bibl. : Moula Bouaziz et Alain Mahé, « La Grande Kabylie durant la guerre
d’indépendance algérienne », in Mohammed Harbi et Benjamin Stora (dir.),
La Guerre d’Algérie. 1954-2004, la fin de l’amnésie, Robert Laffont, 2004 •
Ali Guenoun, La Question kabyle dans le nationalisme algérien, 1949-1962,
Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2021 • Gilbert Meynier, Histoire intérieure
du FLN (1954-1962), Fayard, 2002.
WILAYA 4 (ALGÉROIS)
La Wilaya 4 correspond à la Zone 4 selon le découpage décidé par les
fondateurs du FLN*. Elle recouvre un immense territoire et « se présente
comme une Algérie en réduction : elle rassemble les hommes des djebels et
ceux des cités, les paysans, la petite bourgeoisie urbaine et les ouvriers, Alger
la prestigieuse n’en est détachée qu’à l’automne 1956, au lendemain du
congrès de la Soummam* », écrit Madeleine Rebérioux* en guise de préface
à l’ouvrage de Mohammed Teguia (2002).
Région de grande colonisation, abritant de nombreux centres urbains et
des régions montagneuses (l’Atlas blidéen avec les djebels de Bouzegza et
Zbarbar, les monts de Tablat et de Palestro*, une partie des monts du Dahra
et du Zakkar, de l’Ouarsenis et sur la côte les monts du Chenoua et de
Cherchell), la Zone 4 offre à une guerre de partisans de nombreux atouts en la
pourvoyant en militants, en lui assurant des relais en ville pour le
ravitaillement et des possibilités de repli.
Les préparatifs au soulèvement se font dans une atmosphère rendue
difficile par le séisme qui a secoué la ville d’Orléansville et ses environs, en
septembre 1954. Nombreux sont les militants qui disparaissent au cours du
tremblement de terre.
Son premier chef Rabah Bitat*, membre fondateur du FLN, organise avec
ses adjoints Boudjemaâ Souidani, Belhadj Bouchaïb (tous deux membres des
« 22* ») et Amar Ouamrane* (venu de Kabylie en renfort la veille du
1er novembre 1954* avec ses hommes) les premiers commandos* qui
préparent les opérations armées dans l’Algérois. Si des explosions font grand
bruit surtout à Alger, si les incendies des entrepôts de pétrole* du port
d’Alger, de l’usine Cellunaf et de la coopérative des agrumes de Boufarik
sont spectaculaires, les attaques prévues à Blida et Boufarik pour s’emparer
des dépôts d’armes échouent.
Les premiers mois sont difficiles pour Bitat en raison des nombreuses
arrestations qui déciment ses groupes, en particulier ceux d’Alger et Blida. Le
6 mars 1955, Bitat est arrêté par la DST. Lui succède à la Zone 4 Ouamrane
qui s’attelle à organiser les réseaux FLN-ALN*. Il met à profit l’arrivée
d’Abane* Ramdane à Alger au mois de février qui prend en charge
l’information et la propagande*. À eux deux, ils prennent contact et
obtiennent le ralliement de la plupart des militants centralistes libérés au
printemps – parmi eux Ben Khedda*, Saâd Dahlab*, de l’UDMA* de Ferhat
Abbas*, de l’Association des ulémas et du PCA* dont les Combattants de la
libération* (CDL) ont commencé à accomplir de nombreux actes des
sabotages dans la région de Blida dès 1955. Dans les maquis, les
embuscades* meurtrières se multiplient avec le commando « Ali Khodja* ».
Aussi, à l’heure du bilan présenté au congrès de la Soummam, Ouamrane
est en mesure d’avancer les progrès réalisés à son niveau, avec la
mobilisation d’un millier de djounoud et du double en partisans
(moussebiline). Ouamrane est promu colonel à la tête de la Zone 4 érigée en
wilaya. Quand il quitte son poste pour une mission en Tunisie*, à la fin de
l’année 1956, ses successeurs d’abord, le colonel Slimane Dehilès* (1957-
1958) mais surtout le colonel Si M’hamed Bougara* (1958-1959),
poursuivent la restructuration de la wilaya selon les nouvelles directives de la
Soummam.
L’arrivée de nombreux étudiant(e)s grévistes en 1956 ou pour échapper à
la répression lors de la « bataille d’Alger* » renforce en qualité le
recrutement de militants. D’où une organisation politico-militaire de la
Wilaya 4 remarquable. Chaque mintaqa (« zone ») est dotée d’un commando
et chaque nahia (« région ») d’une katiba (« compagnie »). Les commandos
d’Ali Khodja, de Si Djamel, Azzedine ou Si Mohamed sont entrés dans la
légende par leurs embuscades redoutables. De même, les katibas ont livré
d’âpres batailles et de violents accrochages à leurs adversaires dont le
3e régiment de parachutistes du colonel Bigeard* comme à Agounenda* en
mai 1957).
Comme ailleurs, chaque accrochage est suivi le plus souvent par des
représailles qui s’abattent sur les populations rurales. Aussi le territoire de la
Wilaya 4 est-il échancré de zones interdites* et de camps de regroupement*
où sont parquées les populations rurales évacuées de force. L’Algérois
compte au mois d’avril 1961 plus d’un millier de camps regroupant plus de
750 000 personnes selon Michel Cornaton (1967).
Par ailleurs, la Wilaya 4 eut à combattre d’autres adversaires dont les
maquis messalistes implantés ici et là et surtout ceux de Bellounis*. L’ALN
dut intensifier aussi la lutte contre les harkas du bachaga Boualam installés
au douar Beni-Boudouane, situé sur les flancs de l’Ouarsenis. La
multiplication des villages d’autodéfense au nombre de 385, en 1957, selon
Alistair Horne (1980), inquiéta fortement les responsables de la Wilaya 4.
Parallèlement aux harkas, deux contre-maquis, celui de Belhadj* Djilali
alias Kobus et celui de Cherif Bensaïdi mobilisent les hommes du commando
« Djamel ». Kobus finit par être éliminé par son adjoint et la majorité de la
force K rallie l’ALN, au mois d’avril 1958.
Le second contre-maquis est dirigé par Si Larbi Cherif Bensaïdi, un sous-
officier* de l’armée française dont la présence dans les rangs de la Wilaya 6*
est sujette à caution. Suivant les directives de l’action psychologique, il attise
les différences opposant les populations « arabes » et « berbères » pour
déstabiliser le commandement du colonel Ali Mellah, chef de la Wilaya 6,
qu’il assassine en mai 1957. S’étant proclamé colonel, il est combattu par le
commando d’Azzedine*, ce qui l’amène à se rallier à l’armée française. Il
dirigera un contre-maquis jusqu’à l’indépendance.
Une autre affaire secoue gravement cette wilaya modèle sous le
commandement de Si M’hamed. Il s’agit de la « bleuïte* », cette vaste
opération d’intoxication montée par le capitaine Léger* à la fin de l’année
1957. Ce dernier réussit à retourner à leur insu des membres des réseaux FLN
de Yacef Saadi* arrêtés qui infiltrent avec succès les maquis de la Wilaya 3*
dirigée par Amirouche* et provoquent d’importantes purges dans les rangs de
l’ALN. Le colonel Si M’hamed mis au courant par son homologue de la
Wilaya 3 ne tarde pas à tomber dans le même piège et entame à son tour un
mouvement d’épuration, aggravé au lendemain de la rencontre inter-wilayas
de décembre 1958 et visant de nombreux responsables suspectés de trahison
tels Azzedine* et Omar Oussedik.
Convoqué par le GPRA* pour la réunion des dix colonels*, Si M’hamed
est tué le 5 mai dans un accrochage dans le Titteri. C’est Salah* Zamoum
(1959-1961), un pionnier de novembre 1954, qui le remplace. La Wilaya 4
doit faire face aux dégâts causés par l’opération « Courroie » du plan Challe*
(avril-juin 1959) mais également aux difficultés liées à l’isolement des
maquis. Aussi l’offre de « la paix des braves » faite par de Gaulle* le
23 octobre 1958 ne laisse-t-elle pas insensible le conseil de la Wilaya 4.
Après maints contacts avec les autorités françaises locales, Si Salah, les
commandants Si Mohamed et Si Lakhdar rencontrent de Gaulle à l’Élysée.
De retour, les délégués subissent un retournement de situation qui se termine
par l’exécution de Si Lakhdar. Si Salah est tué avec sa garde en juillet 1961
par l’armée française, et Si Mohamed/Djilali Bounaâma*, chef durant
quelques mois, est tué à Blida. Le docteur Youcef Khatib* lui succède
jusqu’à l’indépendance. Durant la crise de l’été 1962*, la Wilaya 4 se range
du côté du GPRA.
Ouanassa SIARI TENGOUR
Bibl. : Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard,
2002 • Fouad Soufi, « Mémoires de la wilaya 4 », in Ouanassa Siari Tengour
(dir.), La Résistance algérienne. Histoire et mémoire, 1945-1962, Oran,
CRASC, 2017 • Mohamed Teguia, L’Armée de libération nationale en
wilaya 4, Alger, Casbah, 2002.
WILAYA 5 (ORANIE)
Dans l’histoire de l’ALN*, l’Oranie (Zone puis Wilaya 5, à partir
d’août 1956) occupe un statut particulier. Son premier responsable est Larbi
Ben M’hidi* secondé par trois adjoints, Ramdane Benabdelmalek*,
Abdelhafid Boussouf* et Hadj Ben Alla*. Après les opérations du
1er novembre 1954*, la quasi-totalité des groupes, qui ont participé aux
opérations armées de l’insurrection, sont arrêtés et Ramdane Benabdelmalek,
un des adjoints de Larbi Ben M’hidi, est tué par l’armée française, le
4 novembre dans la région de Cassaigne (Mostaganem).
L’étau se resserrant et du fait de la proximité géographique avec le
Maroc*, Ben M’hidi se déplace au Nador et rejoint Mohamed Boudiaf* qui
s’occupe de l’approvisionnement en armes destinées aux maquis de l’Ouest
algérien. Dès lors, pour des considérations de sécurité, Ben M’hidi installe
son quartier général à Nador. C’est dans cette région que le bateau Dina
décharge au tout début de l’année 1955 un conséquent chargement d’armes
en provenance de l’Égypte* nassérienne. Cette cargaison, acheminée aux
maquisards de l’intérieur, impacte positivement l’ALN dans son ensemble.
Cette situation hors de l’Algérie dure jusqu’à l’indépendance et détermine
des relations particulières avec l’ALN installée à la frontière et sa position
politique avec la direction du FLN*.
Ben M’hidi, coopté au premier CCE* en août 1956, est remplacé à la tête
de la Wilaya 5 par Abdelhafid Boussouf. Ce dernier joue un rôle primordial
dans l’organisation de la wilaya et la constitution d’un puissant et efficace
service de renseignement. Promu au mois d’août 1957 au second CCE, il
cède son poste à Houari Boumediene*.
Par ailleurs, la constitution en avril 1958 à Oujda d’un COM-Ouest
(Commandement opérationnel militaire), qui est remplacé en septembre de la
même année par l’EMG-Ouest (État-major général*) concourt à
l’accélération du processus de dépendance de la Wilaya 5 envers l’armée des
frontières*. Cette situation est favorisée par la nomination en janvier 1960 du
colonel Houari Boumediene à la tête de l’EMG unifié de l’ALN.
La Wilaya 5 se démarque également des autres structures de l’ALN par la
constitution au Maroc des premiers noyaux du service des transmissions et de
renseignement et de l’école des cadres du FLN d’Oujda. Les promotions
formées dans ces deux institutions jouent un rôle majeur, pendant la guerre et
à l’indépendance, dans la consolidation de l’État-FLN.
Cependant, sa situation de wilaya dirigée de l’extérieur est différemment
appréciée au sein de l’ALN. Sous la direction du successeur de Boumediene,
le colonel Lotfi (Benali Dghine*), la réinstallation du PC de la wilaya dans
les maquis se pose avec acuité. La fronde en 1959 contre l’EMG du capitaine
Zoubir (Tahar Hamaïdia*), responsable de la Zone 1 (Tlemcen), appuyée par
une grande partie des moudjahidines* de la wilaya engage le colonel Lotfi et
son adjoint le commandant Faradj (Louadj Mohamed) à traverser la frontière
occidentale par le sud afin de régler l’affaire Zoubir. Tombés dans une
embuscade* de l’armée française, ils sont tués le 27 mars 1960 dans le djebel
Béchar. Le successeur de Lotfi, le colonel Othmane (Bouhadjar Benhaddou),
dirige, à son tour, la Wilaya 5 à partir du Maroc.
Dans le brain-trust de Boumediene à Oujda, un nombre important de
cadres de l’armée des frontières sont issus de la Wilaya 5. Cette proximité
s’exprime au moment de l’affaire du pilote français, le lieutenant Gaillard,
dont l’avion a été abattu par l’ALN en Tunisie*, provoquant le 15 juillet 1961
la démission (non effective) des quatre membres de l’EMG (Houari
Boumediene, Ahmed Kaïd, Ali Mendjeli et le commandant Azzedine*). De
toutes les wilayas, seule la 5 apporte son soutien à l’EMG. Ce ne sera pas le
cas au CNRA* de février 1962, où la quasi-totalité du conseil de la Wilaya 5
vote en faveur des futurs accords qui seront ratifiés, un mois après, à Évian.
De leur côté, les trois membres de l’EMG, le colonel Boumediene et les
commandants Kaïd, Mendjeli et Mokhtar Bouizem de la Wilaya 5 refusent de
les cautionner.
Dans la crise de l’été 1962*, la Wilaya 5 est divisée. Son chef, le colonel
Othmane, ménage et le GPRA* et le groupe de Tlemcen*. En revanche, une
partie de ses officiers restent favorable au colonel Boumediene et à l’armée
des frontières. Ces dissensions ont des répercussions sur la cohésion de la
wilaya et contribuent à créer un climat d’insécurité, notamment à Oran. Le
5 juillet*, les tirs sur la manifestation de la population oranaise fêtant
l’indépendance provoquent des massacres où périssent des Algériens et des
Européens. Ces événements tragiques contribuent au départ des derniers
Européens d’Oran vers la France et exacerbent la crise politique au sein du
FLN et de l’ALN.
Par ailleurs, dans leur confrontation avec le GPRA pour la prise du
pouvoir, Ben Bella* et ses partisans (groupe de Tlemcen) font de la Wilaya 5
la base de leur déploiement politique et militaire. Tlemcen est ainsi consacrée
comme capitale-bis, qui concurrence et porte ombrage à Alger, où siège le
GPRA, le représentant officiel de la révolution algérienne. Au cours du mois
de juillet 1962, Tlemcen constitue le lieu de pèlerinage et des allégeances
politiques au profit de Ben Bella. Reconnue de facto, comme le lieu où
s’exerce l’imperium politique, Tlemcen abrite le 21 juillet un conclave qui
impose le Bureau politique du FLN et assure à Ben Bella l’accès au pouvoir.
In fine, la Wilaya 5 a su exploiter et mettre à profit sa géographie* et ses
potentialités au profit de la révolution avec un quartier général installé à
Nador puis Bouarfa, profitant des facilités d’accès en Espagne, du soutien du
roi Mohamed V, puis de son fils Hassan II, de l’appui des familles
algériennes anciennement installées dans le royaume et dans l’administration,
du vivier des jeunes Algériens dont les familles se sont réfugiées au
Maroc, etc. Ces facteurs renseignent sur la capacité d’adaptation et de
résilience du FLN et de l’ALN et la prise en compte des spécificités locales et
régionales.
Amar MOHAND-AMER
Bibl. : Ahmed Bensadoun, Guerre de libération • Parcelle de vérité de la
wilaya 5 • Oranie, Tlemcen, El Boustane, 2006 • Mohamed Benaboura, OAS.
Oran dans la tourmente, 1961-1962, Oran, Daâr El Gharb, 2005 •
Mohammed Harbi, Les Archives de la révolution algérienne, Jeune Afrique,
1980.
WILAYA 6 (SAHARA)
Au 1er novembre 1954*, le découpage territorial de l’ALN* en zones ne
prend pas en compte le Sahara. Les raisons motivant cette décision renvoient
à des considérations organisationnelles et logistiques, mais également au
faible maillage du mouvement national dans la région.
Cependant, cette décision va lourdement impacter l’histoire de cette
région tout au long de la guerre de libération nationale. Le déploiement
soutenu de l’ALN au cours des deux premières années de la guerre sur une
grande partie du pays va poser l’impératif politique et stratégique de doter le
Sahara d’un cadre organique et de moyens humains et militaires. Aussi une
organisation politico-militaire est-elle mise en place et confiée à Ali Mellah
(Si Cherif).
Au congrès de la Soummam* du 20 août 1956, le Sud algérien donne
naissance à la Wilaya 6, à l’instar des autres régions du pays (Oranie,
Algérois, Kabylie, Aurès-Nemencha et Nord-Constantinois). Toutefois, le
nouveau statut politique de la Wilaya 6 demeure toujours problématique. Au
CNRA* réuni au Caire au mois d’août 1957, le nouveau CCE*, largement
remanié, ne comporte pas de représentants du Sahara contrairement aux
autres wilayas. C’est un scénario similaire qui se reproduit à la constitution
des COM (Commandements opérationnels militaires) Est et Ouest, en
avril 1958.
Des raisons objectives expliquent les relations tumultueuses et la défiance
entre le FLN* et la Wilaya 6. La pénétration de l’ALN dans ces contrées du
Sud n’est pas aisée. La présence du maquis MNA* du « général »
Mohammed Bellounis* dans la région y est pour beaucoup. Après une guerre
fratricide, les maquisards de l’ALN réussissent à contrôler la situation, aidés
en cela par le ralliement au FLN des principaux responsables du MNA de la
région, à l’exemple de Yousfi Boucherit, Ahmed Ben Abderrezak Hamouda*
(Si El Haouès), Driss Amor et Cheikh Ziane. Par ailleurs, afin de raffermir
son autorité sur le Sahara, le FLN promeut le 15 avril 1958 Si El Haouès au
grade de colonel et le nomme chef de la Wilaya 6, Driss Amor étant désigné
commandant militaire adjoint.
Deux autres affaires plus complexes sur les plans social et psychologique
expliquent la suspicion du FLN envers cette wilaya. Les deux situations
concernent le rapport des responsables originaires de la wilaya avec ceux
venant du nord du pays. La désignation des gens du Nord aux postes de
commandement est mal accueillie par les responsables locaux. De fait, deux
dirigeants de cette wilaya, le colonel Si Cherif de la Wilaya 3* et le
commandant Tayeb Bouguesmi (Djoghlali) de la Wilaya 4*, sont éliminés
physiquement par leurs adjoints ; le premier le 31 mars 1957, le second, le
29 juillet 1959. Les auteurs de la liquidation de Tayeb Djoghlali dirigeront la
wilaya jusqu’à l’indépendance, sans toutefois bénéficier de la caution ou du
soutien du GPRA*. Constituant un « Conseil de capitaines », Ali Ben
Messaoud, Belkadi, Lakehal élisent Mohamed Chaâbani*, chef de la wilaya.
De son côté, la Wilaya 4 (Algérois) dont est issu Djoghlali dépêche un
commando afin de neutraliser et de punir les auteurs de cet assassinat
politique. Le 23 août 1959, un conseil présidé par les commandants Salah*
Zamoum et Mohamed Bounaâma* charge le capitaine Halim de « reprendre
en mains la Wilaya 6 en partant du nord vers le sud ». Les capitaines
Mohamed Chaâbani, Ali Ben Messaoud, Belkadi et Lakehal sont traqués par
les maquisards de la Wilaya 4. Ali Ben Messaoud et Belkadi sont arrêtés et
exécutés. Mohamed Chaâbani et Lakehal se retirent dans les djebels Messaâd
et Zakkar, proches de Djelfa.
Depuis l’« affaire Djoghlali », le Sahara est ses dirigeants autoproclamés
sont bannis du FLN. Ainsi, au cours de la décisive réunion des dix colonels*
de l’ALN de 1959, le colonel Houari Boumediene*, responsable de l’EMG*-
Ouest, accuse publiquement le « Conseil des capitaines » de « haute
trahison ». Au CNRA de décembre 1959-janvier 1960, la wilaya n’est pas
représentée et aucun de ses dirigeants n’est coopté. En janvier 1960, sur
proposition du colonel Houari Boumediene, le CNRA dissout, à l’unanimité,
la Wilaya 6 et partage son territoire entre les Wilayas 1*, 4 et 5*. Depuis, le
Sahara est entré dans une période de grand isolement politique et militaire.
La mise au ban de la Wilaya 6 dure jusqu’au CNRA d’août 1961.
L’accélération de l’histoire avec l’entrée des négociations* de paix dans une
phase plus active et l’émergence du « dossier pétrolier » comme facteur
déterminant pour les futures relations post-indépendance entre l’Algérie et la
France obligent le FLN à reconsidérer ses rapports avec la Wilaya 6 et à faire
preuve de pragmatisme politique. À la session du CNRA de mai-juin 1962, la
wilaya retrouve enfin son statut au sein des différentes instances du FLN.
Durant la crise de l’été 1962*, la Wilaya 6 se rallie stratégiquement au
segment le plus solide du FLN, en l’occurrence le groupe de Tlemcen*. Ses
rapports difficiles avec le colonel Houari Boumediene et l’hostilité déclarée à
son égard par la Wilaya 4 expliquent en partie cette démarche. Sur le plan
idéologique, son chef Mohamed Chaâbani est dans la même lignée que celle
d’Ahmed Ben Bella* et de Mohamed Benyoucef Khider*, partageant avec
eux la vision d’une Algérie arabo-islamique.
Il convient de souligner également que la mort, en juillet 1958, de
Mohammed Bellounis n’a pas mis fin à la présence du MNA au Sahara. Au
cessez-le-feu, un maquis messaliste commandé par Abdallah Selmi est encore
très actif à Ouled Djellal. Bien que rassurés par les garanties données par le
FLN dans l’esprit des accords d’Évian*, les hommes d’Abdallah Selmi sont
finalement exécutés par les troupes du colonel Mohamed Chaâbani. Ce
tragique épisode où la surenchère révolutionnaire a prévalu sur le respect des
engagements pris par le FLN a compliqué encore l’histoire de la Wilaya 6.
Les relations de Chaâbani avec le pouvoir d’Ahmed Ben Bella et de ses
partisans, notamment Houari Boumediene, chef de l’armée, et le commandant
Ahmed Bencherif*, chef de la Gendarmerie nationale, sont des plus
chaotiques. Accusé d’avoir cherché à créer un pouvoir local au Sahara et de
porter atteinte à la stabilité de l’ANP*, Mohamed Chaâbani est exclu en
juillet 1964 du Bureau politique du FLN et dénoncé publiquement comme un
« féodal contre-révolutionnaire ». Dans un discours prononcé le 5 juillet
1964, Ahmed Ben Bella le qualifie « d’apprenti bachagha Bengana, de vice-
roi des dunes et de réactionnaire ». Le 3 septembre de la même année, la cour
martiale d’Oran le condamne à la peine capitale.
L’exécution immédiate de Mohamed Chaâbani clôt l’histoire de cette
wilaya atypique et renseigne sur une des facettes des plus méconnues du FLN
et de l’ALN.
Amar MOHAND-AMER
Archives : Rapport spécial du ministère des Liaisons générales et de
Communications (MLGC) du 24 octobre 1958 sur la situation extraordinaire
en wilaya 6 adressé au président du Conseil, vice-président et ministres,
fonds GPRA/CNRA, carton no 16.
Bibl. : Amar Mohand-Amer, « Les wilayas dans la crise du FLN de l’été
1962 », Insaniyat, no 65-66, 2014.
WUILLAUME, RAPPORT
En 1955, après les articles retentissants de Claude Bourdet* et de
François Mauriac* dans L’Observateur et L’Express, dénonçant la torture*,
François Mitterrand*, ministre de l’Intérieur, diligente une enquête.
Inspecteur général de l’administration en poste à Alger, sous l’autorité du
gouverneur général Soustelle*, Roger Wuillaume remet son rapport le 2 mars
1955. Il prouve que la torture est une pratique ordinaire de la police* en
Algérie et qu’elle est couverte par la haute administration sur place.
« Tous les services de police, gendarmerie*, PJ [police judiciaire] et PRG
[police des renseignements généraux] » recourent « plus ou moins » aux
sévices, selon Wuillaume, qui conclut également, après bien des
circonvolutions, à l’inaction des magistrats*. Bien qu’ayant vu des traces sur
nombre de détenus, il affirme que peu ont été torturés et attribue les plaintes à
la stratégie des avocats ; les juges, reconnaît-il toutefois, « montrent peu de
zèle pour connaître des procédés grâce auxquels la police est parvenue à leur
présenter des “affaires qui se tiennent” ». Lui-même défend « l’utilité, dans
certaines conditions, des sévices ». Il préconise d’autoriser les supplices de
l’eau et de l’électricité. « La police a bien œuvré depuis le 1er novembre*,
écrit-il encore, mais elle est complètement désorientée et ne comprend pas
qu’on lui reproche d’y être parvenue par les procédés qu’elle utilise de
longue date. »
Avec ceux de Jean Mairey*, de la Commission internationale contre le
régime concentrationnaire* (CICRC) et des commissions de sauvegarde*, ce
rapport met en cause les responsabilités politiques dans la pratique de la
torture ; les gouvernements en étaient informés. Il fait partie des documents
transmis à Pierre Vidal-Naquet*, figure éminente du comité Audin*, par de
hauts fonctionnaires horrifiés de voir les principes républicains bafoués par
les services mêmes de l’État. Ainsi il est paru dans le journal circulant sous le
manteau, Vérité-Liberté, en 1961 puis dans La Raison d’État en 1962. Il a
intégré le corpus des sources classiques de l’histoire de la torture en Algérie.
En démontrant son ancienneté, son usage par la police et son approbation
jusque chez les magistrats, il invite à un retour sur la longue durée coloniale.
La torture n’a pas été qu’une pratique de l’armée en lutte contre les
indépendantistes.
Sylvie THÉNAULT
Bibl. : Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État, Minuit, 1962 • —, La Torture
dans la République, Minuit, 1972.
Y
YOUGOSLAVIE
D’après les Mémoires de Ferhat Abbas*, la Yougoslavie est le seul pays à
être dans le secret des événements du 1er novembre 1954*. Ces propos
recoupent les informations des services secrets français qui constatent des
visites fréquentes des nationalistes algériens (parmi eux Mohamed Khider*) à
l’ambassade yougoslave au Caire, au cours des mois d’octobre et de
novembre 1954. Le FLN* a beaucoup de respect pour les Yougoslaves pour
leur guerre de libération antinazie au cours de la Seconde Guerre mondiale,
pour leur politique d’indépendance entre les deux blocs. Pendant la guerre, El
Moudjahid, organe central du FLN, publie les articles les plus nombreux sur
la Yougoslavie parmi ceux sur les pays socialistes d’Europe de l’Est. Au
début de la guerre, les Yougoslaves ne peuvent pas s’exprimer ouvertement
pour la cause du FLN, en raison de leur situation particulière : ils sont bannis
du camp de l’Est, mais ne veulent pas intégrer pleinement le monde
occidental*, et ils ont de bonnes relations avec la France. Se présentant en
médiateur, Tito arrive même à organiser en 1956 des rencontres entre les
délégués du FLN et les représentants de Paris (à Rome et à Belgrade). Mais la
tentative de médiation est bloquée par la crise de Suez*. Dès l’année
suivante, à l’Assemblée générale de l’ONU*, le ministre yougoslave des
Affaires étrangères se prononce clairement en faveur de l’indépendance du
peuple algérien. L’aide matérielle commence à s’acheminer en faveur des
réfugiés* algériens (vivres, médicaments). Un centre de réhabilitation est
ouvert à Tunis en mai 1961, deux dispensaires en décembre. Des centaines de
blessés sont reçus dans les hôpitaux yougoslaves. Le transport des armes en
faveur des combattants algériens continue. En 1961, Tito décide d’augmenter
la valeur des armes fournies au FLN à 1 million de dollars. Plusieurs
bâtiments yougoslaves sont arraisonnés et escortés vers les ports algériens. Le
plus médiatisé est le cas du Slovenija, le 18 janvier 1958. Cette même année,
la première prise de contact a lieu avec le FLN au Caire. En mars 1960, un
bureau du FLN est ouvert à Belgrade. La population est sensibilisée à la
cause des Algériens pour se libérer du système colonial : publications de
livres, reportages faits dans le maquis algérien… En 1959, le président du
GPRA* effectue une visite à l’issue de laquelle il obtient la reconnaissance de
facto, ce que Tito confirme en 1961 lors de sa visite en Tunisie*. La
reconnaissance de jure est annoncée à la conférence fondatrice du
mouvement des non-alignés, le 5 septembre 1961 à Belgrade.
László NAGY
Bibl. : Ferhat Abbas, Autopsie d’une guerre, Garnier, 1980 • El Moudjahid.
Organe central du Front de libération nationale, [imprimé en Yougoslavie],
juin 1962, t. I-III • Vojislav Pavlović, « La guerre d’Algérie et la quête d’une
nouvelle politique étrangère de la Yougoslavie de Tito », in Hervé Bismuth et
Fritz Taubert (dir.), La Guerre d’Algérie et le monde communiste, Dijon,
Éditions universitaires de Dijon, 2014.
Z
ZONES INTERDITES
Une zone interdite est un espace géographique de taille variable dans
lequel l’armée française prohibe toute présence et circulation humaines. Déjà
utilisée en Indochine*, la pratique est institutionnalisée en Algérie dans la
foulée des pouvoirs spéciaux*. Une directive du 30 mars 1956 codifie et
légalise en effet le principe du « zonage sécuritaire », qui consiste à diviser le
territoire algérien en fonction du degré de « pacification* » local et à
instaurer en conséquence des espaces répressifs différenciés. Toute une
géographie* militaire de la guerre distingue dès lors, par degré décroissant de
stabilité sécuritaire, zones de pacification, zones d’opération, zones
d’isolement et zones interdites. Si les noms de ces zones évoluent jusqu’en
1962, le principe de la zone interdite est désormais institué : la population
doit en être évacuée et regroupée dans des « centres » situés en périphérie, où
elle sera, en théorie, nourrie et prise en charge par l’autorité ; la vie
doit ensuite y être rendue impossible par la destruction des villages et des
biens matériels, comme la saisie des récoltes et des troupeaux ; le
bombardement et l’ouverture systématique du feu y sont autorisés sur tout
individu qui s’y trouverait. Du fait des implications humaines, matérielles et
budgétaires de telles zones, le haut commandement n’en envisage au départ
qu’une application exceptionnelle. Elles se multiplient pourtant dès 1956
autour des lieux les plus stratégiques (voies ferrées, oléoducs), dans les
espaces contraignants (forêts, montagnes) ou les étendues longeant les lignes
Morice et Challe, qu’elles transforment en vastes no man’s land. Leur
ambiguïté n’a pas manqué de susciter dès la guerre de fortes critiques. Outre
qu’elles attestent de l’incapacité de l’État à contrôler l’ensemble du territoire
national, leur délimitation trace surtout, au sein de ce dernier, de nouvelles
frontières où s’arrête l’État de droit. Elles permettent de créer des zones de
guerre où l’armée se donne toute latitude pour éradiquer physiquement les
moudjahidines*, tout en s’exonérant du principe de précaution à l’égard des
civils algériens – décrétés, au même titre que les combattants de l’ALN*,
hors-la-loi du fait de leur présence dans ces territoires de non-droit. La
violence arbitraire qu’elle libère contre les ruraux, ceux surtout qui n’ont pas
été autoritairement regroupés, est le principal facteur des migrations forcées
qui poussent plus de 1 million d’individus vers les bidonvilles ou les camps
de réfugiés* tenus par le FLN* à l’arrière de la frontière tunisienne, et qui
feront l’objet de la première intervention extra-européenne du Haut-
Commissariat aux réfugiés (HCR) de l’ONU* après 1962.
Fabien SACRISTE
1945
1er mai Premières manifestations nationalistes en Algérie.
8 mai Manifestations nationalistes dans plusieurs villes
d’Algérie.
Mai-juin Violente répression dans le Constantinois.
1946
16 mars Amnistie pour les détenus algériens de mai 1945 et
fondation de l’Union démocratique du Manifeste
algérien (UDMA) de Ferhat Abbas.
7 mai La loi Lamine-Gueye accorde la citoyenneté française
« aux indigènes » des colonies dont l’Algérie.
15 octobre Retour d’exil de Messali Hadj.
10 novembre
Participation de la liste pour le triomphe des libertés
démocratiques aux élections législatives qui obtient
cinq sièges et le PCA deux.
1947
14 février Premier congrès du MTLD et création de l’Organisation
spéciale (OS), maintien du PPA clandestin.
19-26 octobre Élections municipales, succès des listes MTLD.
1948
11 février Marcel-Edmond Naegelen remplace Yves Chataigneau
au Gouvernement général.
4 avril Élections de l’Assemblée algérienne, scandale de la
fraude.
1949
La crise dite « berbériste » au MTLD éclate au sein de
la Fédération de France. Ahmed Ben Bella est nommé à
la tête de l’OS à la place de Hocine Aït Ahmed.
21 octobre Circulaire du gouverneur général Naegelen contre les
sévices infligés par les services de police.
1950
Démantèlement de l’OS du PPA-MTLD. Nombreuses
arrestations suivies de procès et de lourdes
condamnations.
1951
12 février Procès de 47 militants de l’OS à Oran.
11 avril Roger Léonard remplace Naegelen au Gouvernement
général.
11 juin Procès de 122 militants de l’OS à Bône.
17 juin Élections législatives, fraude dénoncée par les
nationalistes.
25 juillet Constitution du Front algérien pour la défense et le
respect des libertés (FADRL).
6 décembre « Y a-t-il une Gestapo en Algérie ? », de Claude
Bourdet, dans France-Observateur.
1952
16 mars Évasion de Ben Bella et Ahmed Mahsas de la prison de
Blida.
14 mai Messali est interdit de séjour en Algérie, il est assigné à
résidence à Niort.
1953
4 au 6 avril Congrès du MTLD, reconduction de l’OS.
26 avril et 3 mai Élections municipales, la liste MTLD triomphe à Alger.
14 juillet Six morts, tués par la police, dans le cortège parisien du
MTLD.
1954
23 mars 1954 Création clandestine du Comité révolutionnaire pour
l’unité et l’action (Crua).
Fin juin Réunion à Alger des « 22 » par des activistes de l’OS et
décision du passage à la lutte armée.
13-15 juillet Congrès des messalistes à Hornu.
13-16 août Congrès des centralistes à Alger.
16-22 octobre Visite de François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, en
Algérie après le séisme d’Orléansville.
23 octobre Création à Alger du Front de libération nationale (FLN)
et de sa branche armée : l’Armée de libération nationale
(ALN).
31 octobre- « Toussaint rouge ». Série d’attentats organisés
1er novembre par le FLN.
1er novembre Proclamation du FLN.
3-5 novembre Saisie de journaux nationalistes et communistes à
Alger.
4 novembre Ramdane Benabdelmalek, membre des « 22 » et adjoint
de Ben M’hidi, est tué.
5 novembre Interdiction du MTLD, arrestation de ses militants.
Envoi de renforts militaires français en Algérie.
6 novembre Dissolution du MTLD.
26 novembre Premiers déplacements de population dans l’Aurès.
24 novembre Débat sur les affaires algériennes au Conseil de la
République.
27-30 novembre Voyage de François Mitterrand dans l’Aurès.
22 décembre Création du Mouvement national algérien (MNA) par
Messali Hadj.
22 décembre Opération « Orange » et arrestation de 150 militants du
MTLD en Algérie.
26 décembre Début de la mission de Germaine Tillion dans l’Aurès.
1955
13 janvier « Votre Gestapo d’Algérie » de Claude Bourdet, dans
France Observateur.
15 janvier « La question » de François Mauriac, dans L’Express.
18 janvier Mort au combat de Didouche Mourad, l’un des chefs du
FLN.
25 janvier Nomination de Jacques Soustelle au poste de
gouverneur général de l’Algérie, en remplacement de
Roger Léonard.
Février Arrestation de Mostefa Ben Boulaïd, l’un des chefs du
FLN.
5 février Chute du gouvernement de Pierre Mendès France,
remplacé par Edgar Faure.
23 février Soustelle définit sa politique d’« intégration » devant
l’Assemblée algérienne.
2 mars Rapport de Roger Wuillaume, préconisant la
réglementation des sévices.
20 mars Rapport de Jean Mairey, directeur de la Sûreté
nationale, sur le fonctionnement de la police en Algérie
et l’utilisation de la torture.
23 mars Arrestation de Rabah Bitat, l’un des chefs du FLN.
28 mars Jacques Soustelle rencontre clandestinement une
délégation de dirigeants nationalistes algériens.
31 mars Vote par l’Assemblée nationale de la loi sur l’état
d’urgence en Algérie.
1er avril Appel d’Abane Ramdane à l’unité des Algériens dans le
FLN.
3 avril Ouverture des premiers « centres d’hébergement ».
1er mai
Nomination du général Parlange comme commandant
civil et militaire des zones du Sud-Constantinois sous
état d’urgence.
1956
2 janvier Victoire du Front républicain aux élections législatives.
7 janvier L’Assemblée générale des ulémas publie un manifeste
en faveur de l’indépendance algérienne et annonce son
ralliement au FLN.
11 janvier Annonce par Ferhat Abbas du ralliement de l’UDMA
au FLN dans le journal tunisien L’Action.
12 janvier Déclaration de Jacques Soustelle rejetant le fédéralisme,
prônant l’intégration et le collège électoral unique.
14 janvier Création à Alger d’un comité d’action et de défense de
l’Algérie française.
20 janvier Motion de la Fédération des maires d’Algérie prônant le
maintien du caractère français à l’Algérie.
22 janvier Albert Camus lance à Alger son « Appel pour une trêve
civile en Algérie ».
25 janvier Le groupe arabo-asiatique renonce à porter la question
algérienne devant le Conseil de sécurité de l’ONU.
1er février Investiture de Guy Mollet.
2 février Jacques Soustelle quitte l’Algérie.
6 février Violente manifestation contre Guy Mollet en visite à
Alger, dite « journée des tomates » ; démission du
général Catroux (nommé ministre résident en Algérie
en remplacement de Jacques Soustelle).
10 février Robert Lacoste est nommé ministre résident.
16 février Guy Mollet évoque le statut futur de l’Algérie. Il établit
le triptyque « cessez-le-feu, élections, négociations » ;
création de l’USTA par le MNA.
24 février Création de l’UGTA par le FLN.
28 février Robert Lacoste réclame l’envoi de 200 000 hommes en
Algérie.
7 mars Assassinat de fermiers français d’Algérie à Palestro.
9 mars Manifestation du MNA à Paris, contre la discussion des
pouvoirs spéciaux.
12 mars Guy Mollet obtient la confiance et les pouvoirs
spéciaux.
14 mars Gamal Abdel Nasser affirme à Christian Pineau qu’il
n’aidera plus les insurgés algériens.
16 mars Publication de la loi sur les pouvoirs spéciaux au JO
17 mars Décret autorisant la délégation des pouvoirs civils aux
militaires.
23 mars Mort de Mostefa Ben Boulaïd à la suite de l’explosion
d’une radio piégée.
Avril Réglementation sur les harkas par Robert Lacoste.
1er avril Création de 16 subdivisions militaires en Algérie.
Assassinat de Rabah Saïfi à Paris
4 avril
L’aspirant Henri Maillot, militant communiste français
d’Algérie, déserte avec un camion chargé d’armes.
5 avril « France, ma patrie », par Henri-Irénée Marrou, dans Le
Monde.
10 avril Contacts franco-algériens.
11 avril Décrets sur le rappel des disponibles pour l’Algérie
(120 000 hommes), l’allongement du service militaire à
vingt-sept mois, les expropriations agraires.
13 avril Dissolution de l’Assemblée algérienne.
Avril-juin Nombreuses manifestations de contestation de l’envoi
du contingent en Algérie.
4 mai Appel à la grève du FLN aux travailleurs algériens en
métropole.
8 mai Manifestation d’Européens d’Alger contre Robert
Lacoste.
12-13 mai Violents incidents à Constantine.
18 mai Dix-neuf militaires français tombent dans une
embuscade à Palestro.
Violente manifestation contre l’envoi du contingent à
Grenoble.
19 mai Appel de l’Ugema à la grève générale des cours et
examens, effective à partir du 26 mai.
22 mai Démission de Pierre Mendès France de son poste de
ministre d’État, en opposition à la politique algérienne
du gouvernement.
24 mai Arrestation du Pr André Mandouze à Alger.
26 mai Les dirigeants du FLN réaffirment au Caire que leur
objectif est la reconnaissance du droit à l’indépendance
de l’Algérie.
1er juin Création du service Renseignement action protection
(RAP), dont font partie les détachements opérationnels
de protection (DOP).
Parution du premier numéro d’El Moudjahid, organe du
FLN.
5 juin Vote de confiance de l’Assemblée nationale sur
l’Afrique du Nord ; mort de Maurice Laban et Henri
Maillot du « maquis rouge » dans un accrochage avec
l’armée française.
9 juin Lancement du journal mensuel L’Espoir des libéraux
d’Algérie.
19 juin Premières exécutions capitales à Alger.
26 juin Le Conseil de sécurité de l’ONU refuse d’inscrire la
question algérienne à l’ordre du jour.
1er juillet Le PCA dissout ses groupes clandestins, les
Combattants de la libération (CDL) après l’accord
conclu avec le FLN. Ses militants rejoignent
individuellement le FLN.
2 juillet Alban Liechti écrit au président de la République son
refus de prendre les armes contre le peuple algérien.
3 juillet L’Algérie est réorganisée en 12 départements et les
communes mixtes sont transformées en communes de
« plein exercice ».
5 juillet Grève générale des « Français musulmans » dans
l’Algérois.
8 juillet Mutinerie au camp de Mourmelon.
18 juillet Tito, Nasser et Nehru condamnent la politique française
en Algérie lors de la conférence de Brioni.
26 juillet Nouveaux contacts franco-algériens.
10 août Attentat activiste rue de Thèbes à Alger.
17 août Contacts franco-algériens à Rome.
20 août-
1957
6 janvier Le général Faure, accusé de complot contre le
gouvernement, est mis aux arrêts pour trente jours.
7 janvier Délégation des pouvoirs de police au général Massu,
commandant la 10e division parachutiste, à Alger.
9 janvier « Déclaration d’intention » de Guy Mollet sur l’Algérie
(égalité des droits, large autonomie, liens indissolubles
avec la France).
16 janvier Attentat au bazooka par des activistes contre le général
Salan.
20 janvier Grève des travailleurs algériens en métropole.
26 janvier Attentats du FLN à L’Otomatic, à la Cafétéria et au
Coq-Hardi.
28 janvier Début de la grève générale à l’appel du FLN (« grève
des huit jours ») à Alger et les principaux centres
urbains.
5 février Réception par Guy Mollet d’une délégation d’officiers
algériens de l’armée française, auteurs d’une lettre
adressée par le lieutenant Abdelkader Rahmani au
président René Coty. Ils lui « exposent leur cas de
conscience ».
10 février Attentats du FLN au stade d’El Biar et au stade
municipal d’Alger.
11 février Exécution de Fernand Iveton.
15 février Vote d’une motion de conciliation sur l’Algérie à
l’Assemblée générale de l’ONU.
23 février Arrestation de Larbi Ben M’hidi.
Publication du « Dossier Jean Müller » par Témoignage
chrétien.
28 février Arrestation de Mohammed Lebjaoui et Ahmed Taleb,
responsables de la Fédération du FLN en France.
Mars Les quatre membres du Comité de coordination et
d’exécution (CCE) quittent Alger.
1er mars Mise aux arrêts du lieutenant Rahmani.
6 mars Annonce du « suicide » de Larbi Ben M’hidi.
8 et 15 mars « Lieutenant en Algérie », dans L’Express.
13 mars Contre la torture, de Pierre-Henri Simon, aux éditions
du Seuil.
16 mars Rapport Provo sur les « torturés d’Oran », contesté.
24 mars Lettre de démission de Paul Teitgen, secrétaire général
de la préfecture de police d’Alger.
26 mars Annonce du « suicide » d’Ali Boumendjel.
28 mars Le général de Bollardière demande à être relevé de son
commandement, en protestation des méthodes
employées par l’armée française en Algérie.
Avril Diffusion de : Des rappelés témoignent, par le Comité
de résistance spirituelle ; « La paix des Nementchas »,
de Robert Bonnaud, dans Esprit.
4 avril Publication de la lettre du doyen Peyrega la faculté de
droit d’Alger, dans France Observateur. Arrestation et
disparition de Larbi Tébessi, vice-président de
l’Association des ulémas.
1958
11 janvier Une embuscade à Sakiet Sidi Youssef fait 15 morts et
4 prisonniers.
18 janvier Accrochage entre l’Armée de libération marocaine et
les troupes françaises d’Algérie près de Colomb-
Béchar.
19 janvier Arraisonnement du cargo yougoslave Slovenija
transportant des armes destinées au FLN.
28 janvier Adoption définitive de la loi électorale pour l’Algérie ;
décision de dissolution par le gouvernement de
l’Ugema
29 janvier Approbation d’un droit de suite des Algériens en
Tunisie par le gouvernement de Félix Gaillard.
31 janvier Adoption définitive de la loi-cadre pour l’Algérie.
Février La Question, d’Henri Alleg, aux Éditions de Minuit.
5 février Loi-cadre incluant le droit de vote des Algériennes.
8 février Bombardement du village tunisien de Sakiet Sidi
Youssef par l’aviation française. Crise diplomatique
avec la Tunisie.
13 février Mort du commandant Djabeur.
17 février
Offre anglo-américaine de « bons offices » dans
l’affaire de Sakiet, acceptée par la France et la Tunisie.
Mars Début de la « bleuïte » en Wilaya 3.
14 mars Manifestation de la police nationale devant le Palais-
Bourbon ; Maurice Papon est nommé préfet de police
de Paris.
18 mars Création de trois nouveaux départements en Algérie
(Bougie, Aumale, Saïda) et de cinq territoires (Oran,
Chélif, Alger, Kabylie, Constantinois).
27 mars Saisie de La Question d’Henri Alleg.
Avril Création du COM-est et du COM-ouest par Krim
Belkacem.
15 avril Chute du gouvernement de Félix Gaillard.
24 avril Exécution d’Abderrahmane Taleb, et de six autres
condamnés à mort.
26 avril Manifestation à Alger à l’appel du Comité d’entente des
anciens combattants et de l’USRAF réclamant la
constitution d’un gouvernement de salut public.
27 au 30 avril Conférence de Tanger, entre les trois pays du Maghreb.
28 avril René Pleven accepte de former le gouvernement.
30 avril Trois cents supplétifs de l’armée française désertent
dans l’Ouarsenis après avoir tué leur chef, Djilali
Belhadj, dit Kobus.
9 mai Communiqué du FLN annonçant l’exécution de trois
soldats français ; René Coty fait appel à Pierre Pflimlin
pour constituer le gouvernement.
12 mai L’Affaire Audin, de Pierre Vidal-Naquet, aux Éditions
de Minuit (immédiatement saisi).
13 mai
Manifestation des Européens et prise du Gouvernement
général à Alger ; formation d’un Comité de salut public
présidé par le général Salan ; investiture de Pierre
Pflimlin à Paris.
15 mai Appel public de Raoul Salan au général de Gaulle qui
se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République.
16 mai Vote de la loi sur l’état d’urgence ; manifestation de
fraternisation franco-musulmane à Alger.
17 mai Création d’un Comité pour la défense de la République
à Paris ; arrivée de Jacques Soustelle à Alger.
19 mai Conférence de presse du général de Gaulle dans
laquelle il se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la
République selon une procédure exceptionnelle.
23 mai Création d’un Comité central de salut public à Alger,
présidé par le général Massu.
24 mai Création d’un Comité de salut public à Ajaccio.
27 mai Le général de Gaulle annonce qu’il a « entamé le
processus régulier » pour rétablir l’ordre républicain.
28 mai Manifestation de vigilance républicaine à Paris ;
démission du gouvernement Pflimlin.
1er juin Investiture de Charles de Gaulle, président du Conseil ;
les pouvoirs spéciaux sont reconduits en Algérie.
3 juin Vote des pleins pouvoirs pour le général de Gaulle pour
six mois ; le Parlement vote la loi constitutionnelle.
4-7 juin Premier voyage de De Gaulle en Algérie : « Je vous ai
compris » à Alger.
8 juin Le chanteur Ali Maâchi est enlevé et pendu à Tiaret par
l’armée française.
9 juin
Le général Salan est nommé délégué général en
Algérie ; le FLN prescrit à l’ALN de continuer
impitoyablement la lutte.
16 juin Le général Massu devient préfet d’Alger.
17 juin La conférence nord-africaine de Tunis, réunissant le
FLN, l’Istiqlal et le Destour, se déclare favorable à une
action diplomatique pour régler pacifiquement le conflit
algérien.
27 juin Le général André Zeller devient chef d’état-major de
l’armée de terre.
Juillet Ouverture des centres militaires d’internés.
1er-3 juillet Second voyage de De Gaulle en Algérie, accompagné
de Guy Mollet (Constantine, Alger, Batna, Tizi-Ouzou
et postes militaires isolés).
4 juillet Décrets sur l’Algérie : vote des femmes et collège
unique.
14 juillet Liquidation de Mohammed Bellounis (MNA) par
l’armée française près de Bou Saâda.
13 août Reconstitution de la Commission de sauvegarde des
droits et libertés individuels en Algérie sous la
présidence de Maurice Patin.
25-26 août Ouverture d’un « second front » en métropole par la
Fédération du FLN en France et série d’attentats.
27-29 août Troisième voyage du général de Gaulle en Algérie.
Septembre Dissolution du COM-est.
15 septembre Attentat manqué du FLN contre Jacques Soustelle.
19 septembre Proclamation du GPRA au Caire, présidé par Ferhat
Abbas.
28 septembre
Référendum approuvant la Constitution de la
Ve République.
Octobre Début de la mutinerie d’Ali Hambli en Tunisie.
2-3 octobre Quatrième voyage de De Gaulle en Algérie.
3 octobre Annonce du plan de Constantine.
11 octobre Ferhat Abbas déclare que le GPRA est prêt à discuter
des conditions d’un cessez-le-feu.
23 octobre Appel à la « paix des braves » par le général de Gaulle.
25 octobre Rejet par le GPRA de l’offre de « paix des braves ».
29 octobre Libération de mille personnes internées en Algérie.
12 novembre Arrestation, par la Garde tunisienne, des conjurés du
complot Lamouri.
30 novembre Premières élections législatives de la Ve République.
3-6 décembre Cinquième voyage de De Gaulle en Algérie et au
Sahara.
6-12 décembre Réunion interwilayas à l’initiative du colonel
Amirouche en Wilaya 2.
12 décembre Delouvrier est nommé délégué général à Alger et le
général Challe commandant en chef en Algérie.
21 décembre Le général de Gaulle est élu premier président de la
Ve République au suffrage indirect.
1959
15 janvier Grâce collective des condamnés à mort algériens ;
Messali Hadj libre de toute assignation à résidence.
21 janvier Ouverture du Centre d’identification de Vincennes.
Février Début des opérations du plan Challe qui touchent toutes
les wilayas du FLN.
8-12 février Voyage de Michel Debré en Algérie.
16 février Motion de 481 Français du Maroc demandant la
reconnaissance de l’indépendance algérienne.
9 mars Transfert de Ben Bella et ses codétenus à l’île d’Aix au
fort Liédot.
28 mars Mort des colonels Amirouche et Si El Haouès dans une
embuscade française.
31 mars Circulaire de Paul Delouvrier interdisant l’ouverture de
nouveaux camps de regroupement.
8 avril Arraisonnement du cargo tchèque Lidice, chargé
d’armes, au large des côtes oranaises.
11 avril Interview de Mgr Rodhain sur les camps de
regroupement, dans La Croix.
18 avril Publication du rapport de Michel Rocard sur les camps
de regroupement, dans Le Monde.
19-21 avril Élections municipales en Algérie.
21 avril Le général Challe déclare qu’« il peut y avoir une
solution militaire à l’affaire algérienne ».
29 avril Remous dans les milieux activistes d’Algérie après les
déclarations du général de Gaulle au directeur de
L’Écho d’Oran (« l’Algérie de papa est morte »).
5 mai Mort du colonel M’hamed Bougara.
22 mai Assassinat de Me Amokrane Ould Aoudia à Paris,
probablement par les services secrets.
31 mai Élections sénatoriales en Algérie.
18 juin- Grève de la faim des détenus algériens dans les
1er juillet prisons métropolitaines.
19 juin Saisie du livre La Gangrène.
4 juillet Rétablissement des préfets Igame en Algérie.
17 juillet Nouvelle grève de la faim dans les prisons
métropolitaines des détenus algériens.
1960
4 janvier Mort d’Albert Camus.
5 janvier Publication du rapport de la Croix-Rouge sur les camps
d’internement.
18 janvier Fin de la réunion du CNRA. Deuxième GPRA, création
de l’État-major général (EMG).
19 janvier Rappel du général Massu à Paris après une interview
dans le Süddeutsche Zeitung.
21 janvier Georges Bidault se voit interdire l’entrée en Algérie.
23 janvier
Le général Crépin remplace le général Massu à la tête
du corps d’armée d’Alger.
24 janvier- Insurrection des barricades et fusillade des ultras
1er février contre des gendarmes.
28 janvier Delouvrier et Challe quittent Alger pour la base de
Réghaïa.
29 janvier Déclaration radiotélévisée du général de Gaulle
condamnant les émeutiers et appelant l’armée à
l’obéissance.
1er février Fin des barricades. Joseph Ortiz est en fuite, Pierre
Lagaillarde est incarcéré à la Santé.
2 février Pouvoirs spéciaux accordés par l’Assemblée au
gouvernement pour un an.
8 février Arrestation d’Alain de Sérigny, directeur de L’Écho
d’Alger.
10 février Dissolution du 5e bureau de l’armée française,
réorganisation de la justice militaire, dissolution des
unités territoriales, sanctions et mutations, et création
d’un comité des affaires algériennes.
12 février Décret créant des procureurs militaires.
13 février Première bombe atomique à Reggane (« Gerboise
bleue »).
17 février Le Conseil des ministres adopte un décret pour un
retour à l’administration civile en Algérie.
Ferhat Abbas appelle les Européens à édifier en
commun la République algérienne.
24 février Arrestations du responsable de la métropole du FLN et
de membres du « réseau Jeanson » d’aide aux
indépendantistes algériens.
29 février Ferhat Abbas précise la position du GPRA sur le
principe de l’autodétermination et l’ouverture de
pourparlers.
1962
3 janvier Alfred Locussol (PCA) est tué par l’OAS à Alençon.
4 janvier Attentat de l’OAS contre le siège du PCF à Paris.
9-10 janvier Procès de l’abbé Davezies, de la Mission de France,
pour aide au FLN.
12 janvier Internement de 65 activistes au camp de Saint-Maurice-
l’Ardoise.
13 janvier Désertion du colonel Château-Jobert.
14 janvier Mitraillages à Alger et actions de commando OAS à
Oran.
15 janvier Manifeste anti-OAS de cent anciens Résistants.
22 janvier Attentat de l’OAS contre le Quai d’Orsay.
24 janvier Vingt-deux attentats au plastic (dont un contre Hubert
Beuve-Méry, directeur du Monde).
25 janvier Manifestation anti-OAS organisée par la CGT.
29 janvier Attentat de l’OAS contre une brigade anti-OAS dans
une villa d’El Biar à Alger (18 morts).
30 janvier Arrestations de Philippe Castille et de Marcel Bouyer,
responsables OAS.
Février Dissolution des SAS.
2 février Le tribunal militaire de Paris condamne le colonel
Godard et le capitaine Sergent à vingt ans de réclusion
criminelle.
7 février Attentat contre le domicile d’André Malraux blessant
grièvement la jeune Delphine Renard (4 ans) ; opération
anti-OAS en Avignon ; arrestation d’Henri Vignau.
8 février Répression sanglante d’une manifestation anti-OAS au
métro Charonne (8 morts).
11-18 février Négociations aux Rousses.
13 février 500 000 personnes suivent les obsèques des morts de
Charonne.
19 février Première condamnation des auteurs d’un attentat de
l’OAS.
22-28 février Troisième réunion du CNRA à Tripoli.
24-25 février Attentats et affrontements à Alger (66 morts).
24 février « Ratonnade » à Bab El Oued (20 morts).
28 février Attentat OAS à la voiture piégée dans la Ville-
Nouvelle, à Oran.
1er mars Émeute dans les différents quartiers musulmans d’Oran.
5-6 mars Opération « Rock and Roll » de l’OAS en Algérie.
7-18 mars Négociations à Évian.
11 mars Mesures officielles pour l’accueil et le reclassement des
Français rapatriés.
15 mars Assassinat par l’OAS de Mouloud Feraoun et de cinq
autres dirigeants des centres sociaux.
18 mars Signature des accords d’Évian ; Ahmed Ben Bella et ses
compagnons quittent Aunoy.
19 mars Cessez-le-feu à midi ; grève à l’appel de l’OAS
largement suivie à Alger et Oran ; premiers massacres
de harkis à Saint-Denis-du-Sig.
1963
12 janvier André Mandouze est nommé directeur de
l’Enseignement supérieur et premier recteur
de l’université d’Alger.
18 janvier Abdelatif Rahal, premier ambassadeur extraordinaire et
plénipotentiaire d’Algérie auprès de la République
française. Libération de 17 Européens à Alger.
26 janvier Enlèvement à Munich de l’ex-colonel Argoud par les
services français.
4 mars Six condamnations à mort dans le procès de l’attentat
du Petit-Clamart. Opérations de déminage à la frontière
algéro-tunisienne
5 mars Remise à l’ANP de la base d’aviation d’Aïn Arnat
(Sétif)
18 mars Explosion d’une bombe atomique au Sahara suivie de
manifestations à Alger
18 et 22 mars Décret portant réglementation des biens vacants et mise
en place de leur autogestion.
21 mars L’Algérie demande la révision des accords militaires.
11 mars Jean-Marie Bastien-Thiry est fusillé.
30 mars La Fnaca adopte la date du 19 mars pour commémorer
la fin de la guerre d’Algérie.
3 avril Enquête du CICR sur les disparus en Algérie
2-3 mai De Broglie déclare le retrait des troupes françaises du
Constantinois avant la fin de l’année.
31 mai Fin de l’état d’urgence en France.
13 juin Accord entre la France et l’Algérie sur la libération de
600 prisonniers de guerre.
21 juin Constitution de l’Association France-Algérie à Paris.
Son homologue Algérie-France est créée le 26 juillet.
25 juin Rapport de la Croix-Rouge sur les harkis internés.
1 300 harkis sur les 2 500 internés souhaitent gagner la
France. Départ d’un premier contingent de 300 harkis
prévu vers Marseille.
26 juin Quatre accords signés à la suite des négociations
financières entre France et Algérie.
6 juillet Déblocage de 2 millions d’hectolitres de vins algériens
en France.
31 juillet Loi créant « un régime d’indemnisation des personnes
de nationalité française victimes de dommages
physiques subis en Algérie entre le 31 octobre 1954 et
le 29 septembre 1962 du fait d’attentat ou de tout autre
acte de violence, ainsi que de leurs ayants droit de
nationalité française ».
4 septembre Premier accord franco-algérien sur les questions
domaniales.
29 septembre Création du Front des forces socialistes (FFS) par Aït
Ahmed.
1er octobre Décret « déclarant biens d’État les exploitations
agricoles des personnes qui ne jouissent pas de la
nationalité ».
2 octobre Protestation du gouvernement français contre la
nationalisation des propriétés agricoles.
1964
24 janvier L’Assemblée nationale vote la loi sur les détenus
algériens qui obtiennent les mêmes avantages que les
anciens moudjahidines.
16 avril Congrès du FLN et adoption de la Charte d’Alger.
15 juin
Retrait définitif des troupes françaises d’Algérie (sauf à
Mers El Kébir et au Sahara).
17 décembre Vote de la première loi d’amnistie en France.
21 décembre Grâce présidentielle pour 173 anciens membres de
l’OAS.
1965
13 mai L’Organisation des anciens moudjahidines (ONM) fixe
la journée du Moudjahid au 20 août.
19 juin Coup d’État de Houari Boumediene à Alger.
28 juillet Création de l’Organisation de la résistance populaire
(ORP).
22 décembre Mesure de clémence en faveur de 203 condamnés
politiques liés à la guerre d’Algérie en France.
1966
17 juin Loi d’amnistie concernant les infractions contre la
sûreté de l’État.
13 juillet Grâce présidentielle en France, notamment pour l’ex-
général Zeller.
23 décembre Restitution à l’Algérie de « 450 registres originaux en
langue turque et arabe relatifs à l’administration de
l’Algérie avant 1830 ».
Décembre Libération d’anciens harkis détenus dans les prisons
algériennes.
20 décembre
Vote d’une loi réglant le cas des juifs des territoires
militaires du Sud algérien qui n’avaient pas été
concernés par le décret Crémieux de 1870.
23 décembre Grâce présidentielle, notamment pour l’ex-général
Challe.
1967
4 janvier Assassinat de Mohamed Khider à Madrid.
15 février Dernière expérience française dans le Sahara.
21 mai Fermeture des bases françaises dans le Sahara.
14 décembre Échec du coup d’État de Tahar Zbiri.
22 décembre Libération de six activistes condamnés, dont le général
Jouhaud.
1968
Janvier Évacuation de la base de Mers El Kébir par les
Français.
26 janvier Loi sur les archives nationales en Algérie.
Mars Nouvelles libérations d’anciens harkis détenus dans les
prisons algériennes.
14 mai Nationalisation des sociétés de distribution des produits
pétroliers et du gaz.
7 juin Grâce des membres de l’OAS.
12 juin Nationalisation des secteurs de la chimie, mécanique ;
ciment et alimentation.
24 juillet Dernière loi d’amnistie liée à la guerre d’Algérie.
27 décembre Signature d’un protocole portant le contingent de
travailleurs algériens candidats à un emploi en France à
35 000 pour une période de trois ans.
1970
15 juillet Vote d’une loi de « contribution nationale » en faveur
des rapatriés d’Algérie.
21 juillet L’Algérie augmente le prix de base du pétrole, servant
au calcul des impôts des compagnies françaises.
20 octobre Krim Belkacem est retrouvé étranglé à Francfort.
5 décembre Premières manifestations de harkis dans les camps de
Bias et de Saint-Maurice-l’Ardoise.
1971
24 février Nationalisation des hydrocarbures.
3 juin Ordonnance instituant un fonds d’archives nationales en
Algérie.
13 décembre Limitation de l’émigration algérienne à 25 000
travailleurs.
1972
Octobre Le livre La Vraie Bataille d’Alger de Jacques Massu
suscite un important débat sur la torture.
17 octobre
Le Premier ministre Pierre Messmer annonce des
mesures en faveur des « pieds-noirs ».
31 décembre Création d’une direction des Archives nationales en
Algérie.
1973
19 septembre Suspension unilatérale de l’émigration vers la France,
par le gouvernement algérien.
1974
3 juin Mort de Messali Hadj à Gouvieux dans l’Oise.
7 juin Funérailles de Messali Hadj à Tlemcen
(20 000 personnes).
2 décembre Michel Poniatowski, ministre d’État, déclare lors de sa
visite à Alger : « Il n’y a plus de contentieux entre la
France et l’Algérie. »
9 décembre Loi permettant l’attribution de la carte d’ancien
combattant aux soldats ayant participé aux combats
d’Afrique du Nord de 1952 à 1962.
1975
10 avril Valéry Giscard d’Estaing, premier président français à
se rendre en visite dans l’Algérie indépendante, restitue
450 cartons d’archives historiques faisant partie du
« fonds arabe ».
Mai-juin Révoltes dans les camps d’anciens harkis.
1976
10 décembre Houari Boumediene est élu président de la République.
1977
16 octobre Inhumation du soldat inconnu de la guerre d’Algérie à
Notre-Dame-de-Lorette à Paris.
1979
3 janvier Loi sur les archives françaises.
3 décembre Décret portant le délai de consultation de certaines
archives à soixante ans.
1981
2 novembre Séminaire d’écriture sur « l’histoire de la révolution » à
Alger.
1982
5 juillet Inauguration du Mémorial des martyrs (Maqam el
Chahid) à Alger à l’occasion du vingtième anniversaire
de l’indépendance.
3 décembre Loi « relative au règlement de certaines situations
résultant des événements d’Afrique du Nord, de la
guerre d’Indochine ou de la Seconde Guerre
mondiale ».
1983
7 novembre Premier voyage du président Chadli Bendjedid en
France.
1984
15 mai Second séminaire sur « l’histoire de la révolution » à
Alger.
1985
12 février Dans Libération, cinq Algériens accusent Jean-Marie
Le Pen de les avoir torturés en 1956-1957.
18 avril Jean-Marie Le Pen est débouté du procès qu’il a intenté.
Mai Polémique autour des essais nucléaires en Algérie.
1987
16 juillet Nouvelle loi en faveur des rapatriés comportant pour la
première fois des dispositions en faveur des anciens
harkis.
1989
18 février Création de l’Organisation nationale des enfants de
chouhada (Onec).
1991
21 décembre Loi établissant la « Journée nationale du chahid » fixée
au 18 février.
1993
22 juin La date du cessez-le-feu est déclarée fête de la Victoire.
1994
29 janvier Le ministère des Anciens Moudjahidines crée le Centre
national d’études et de recherche sur le mouvement
national et la révolution de novembre 1954.
11 juin Loi « relative aux rapatriés anciens membres des
formations supplétives et assimilés ou victimes de la
captivité en Algérie » (plan « Harkis »).
1997
8 octobre Ouverture du procès de Maurice Papon : son rôle dans
la répression du 17 octobre 1961 est longuement
rappelé.
1999
18 octobre Loi remplaçant officiellement l’expression « opérations
de maintien de l’ordre » par « guerre d’Algérie ».
2000
20 juin Témoignage de Louisette Ighilahriz dans Le Monde
relatant les tortures qu’elle a subies en 1957.
31 octobre Publication de l’« Appel des douze » dans L’Humanité
condamnant la torture dans la guerre d’Algérie.
2001
3 mai Publication du livre du général Aussaresses justifiant
les exécutions qu’il a commises.
17 octobre Inauguration d’une stèle en hommage aux victimes du
17 octobre 1961 sur le pont Saint-Michel à Paris.
2002
5 décembre Inauguration du Mémorial national de la guerre
d’Algérie sur le quai Branly en présence du président
Jacques Chirac.
2003
28 février Création d’une allocation pour les anciens supplétifs
d’origine algérienne et leurs femmes ou veuves.
2005
23 février Loi demandant notamment aux professeurs d’histoire-
géographie d’enseigner « les aspects positifs de la
colonisation », vives protestations entraînant le retrait
de l’article.
27 février L’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de
Verdière, qualifie de « tragédie inexcusable » les
massacres de mai-juin 1945 dans le Constantinois.
2008
15 juillet Nouvelle loi sur les archives portant notamment à vingt-
cinq et cinquante ans les délais de consultation, création
d’une catégorie d’archives incommunicables.
2012
17 octobre Le président François Hollande reconnaît « avec
lucidité […] la répression sanglante » de la
manifestation du 17 octobre 1961.
2013
1er février Premier arrêté de dérogation générale (ouverture avant
le délai fixé par la loi) concernant la guerre d’Algérie
(cas de Maurice Audin).
2017
15 février En campagne électorale, Emmanuel Macron qualifie en
Algérie la colonisation de « crime contre l’humanité »,
avant de se raviser.
2018
13 septembre Le président Emmanuel Macron reconnaît l’assassinat
de Maurice Audin par des militaires français.
2019
9 septembre Dérogation générale portant sur des archives relatives à
la disparition de Maurice Audin.
2020
9 avril Dérogation générale portant sur des archives relatives
aux disparus de la guerre d’Algérie.
3 juillet La France restitue 24 crânes de résistants algériens du
e
XIX siècle à l’Algérie.
2021
20 janvier Benjamin Stora remet son rapport à Emmanuel Macron.
2 mars Reconnaissance officielle de l’assassinat d’Ali
Boumendjel par des militaires français.
20 septembre Reconnaissance d’une dette de l’État français envers les
familles de harkis parqués dans les camps après 1962.
16 octobre Minute de silence au pont de Bezons en hommage aux
victimes du 17 octobre 1961. Crimes qualifiés
d’« inexcusables pour la République ».
23 décembre Ouverture avec quinze ans d’avance des archives
judiciaires relatives à la guerre d’Algérie.
2022
26 janvier Reconnaissance de la responsabilité de la République
dans la répression de la manifestation de la rue d’Isly le
26 mars 1962.
5 février Inauguration d’une stèle en hommage à Abd el-Kader
au château d’Amboise.
23 février Loi portant reconnaissance et réparation pour les harkis
et leurs familles.
26 août Voyage du président Macron à Alger. Annonce de la
création d’une commission d’historiens français et
algériens sur la colonisation.
Bibliographie