1 Pas de nullité sans texte. Éléments pour une archéologie d'une directive Cette rapide incursion dans le passé du droit cherche à préciser l'apparition et la signification historique de la maxime pas de nullité sans texte en montrant...
more1 Pas de nullité sans texte. Éléments pour une archéologie d'une directive Cette rapide incursion dans le passé du droit cherche à préciser l'apparition et la signification historique de la maxime pas de nullité sans texte en montrant comment, depuis le droit romain, la question de la nullité a été posée en regard de celle de la puissance de la loi. Par David Deroussin Professeur à l'université Jean Moulin (Lyon 3), C.L.H.D.P.P. (E.A. 669), université Lyon 3 114z8 D e l'aveu de la plupart des commentateurs du Code civil, au XIX e siècle (1) comme encore aujourd'hui, ce dernier ne renferme pas de véritable théorie de la nullité. La matière est, dit-on volontiers, confuse, au point qu'il pourrait être téméraire de s'y frotter. Il ne s'agit cepen-dant pas ici d'enquêter sur la formation historique de ce qui pourrait être considéré comme une théorie des nullités, mais de s'interroger sur un de ses éléments : pas de nullité sans texte. Ainsi formulé, l'adage est, paradoxalement, récent. F. Laurent conclut à propos de la nullité du mariage : « pas de nullité sans texte qui l'établisse en termes formels » (2). A. Tissier l'évoque presque comme une évi-dence en 1903 (3) , et il se lit ensuite dans certains des grands manuels publiés après la Grande Guerre, spécialement chez L. Josserand (4) , mais M. Planiol, au début du XX e siècle, n'adopte qu'une expression approchante (5). Plus ancien est, en revanche, le principe directeur (1) Demolombe C., Cours de Code Napoléon, Traité du mariage et de la sépara-tion de corps, t. I, 1874, Paris, n° 237 : « La théorie des nullités, partout si compli-quée… Une théorie générale et complète sur les nullités ! (…) je n'hésite pas à dire qu'elle n'existe pas dans le Code Napoléon ». Elle n'existe pas même, à ses yeux, en doctrine. (2) Laurent F., Principes de droit civil, t. II, 1870, Paris-Bruxelles, n° 430. (3) Tissier A., note sous Cass. req., 30 déc. 1902 : S. 1903, 1, p. 257 : « Il est à remar-quer qu'en matière d'actes de procédure, où le principe est aussi qu'il n'y a pas de nullité sans texte (…) ». (4) Josserand L., Cours de droit civil positif français, t. I, 3 e éd., 1937, Paris, n° 787 : « Pas de nullité sans texte ». Il faudrait évidemment compléter cette enquête, mais l'adage n'apparaît pas tel quel chez L. Larombière, ni chez G. Baudry-Lacantinerie. Peu importe en réalité : plus que la forme, c'est le contenu, i. e. la directive qu'ex-prime cette maxime, qui compte. (5) Planiol M., Traité élémentaire de droit civil, 2 e éd., 1903, Paris, n° 327 : « D'après l'opinion dominante, la théorie des nullités en matière de mariage est soumise à une règle exceptionnelle qu'on peut formuler ainsi : "Pas de nullité pour le mariage sans un texte qui la prononce expressément" ». qu'il renferme : l'affirmation selon laquelle, dans l'ordre juridique, il revient à la loi de sanctionner la violation de ses dispositions par la technique de la nullité, parce que la nullité est au fond la sanction la plus ordinaire de cette violation, remonte en effet loin dans le temps. On la retrouve, déjà, sous la plume de nos anciens jurisconsultes. D'ailleurs, si la formule pas de nullité sans texte ne se comprend que dans un ordre juridique qui comporte des énoncés qui, quoique précisant certaines conditions nécessaires à la formation d'un acte juridique, ne sanctionnent pas la violation de ces conditions par la nullité (6) , cet enjeu n'est pas propre aux ordres juridiques légicentrés, et, quoique la question de la nullité se présente de manière assez différente dans le droit romain puis dans notre ancien droit et dans le système hérité des codes napoléoniens, il n'est sans doute pas inutile de convoquer, dans le cadre d'une réflexion générale sur cet adage, les expériences juridiques passées, ne serait-ce que parce qu'une constitution du Code justinien (C.J. 1.14.5) a constitué pendant long-temps-au moins jusqu'à la première moitié du XIX e siècle-un lieu commun de la réflexion en la matière. Évidemment, il est hors de pro-pos, en quelques pages, et à supposer que cela fût possible, d'écrire une histoire complète de cet adage ou de la directive qu'il énonce (7) , qui obéirait au schéma classique de la narration historique. On se limitera ici à mettre en exergue quelques éléments particuliers qui, on l'espère, permettront de saisir les problématiques auxquelles il est censé répondre, et mettre en lumière l'équilibre subtil qu'il traduit entre les différentes sources du droit et, s'agissant du juge, à l'inté-rieur même de la jurisprudence (8). Pas de nullité sans texte a en effet rapport au rôle du juge, à la conception de la iuris dictio et à des choix herméneutiques : dire, comme on le verra plus bas, que le juge doit scruter les intentions du législateur et reconstituer sa volonté, c'est (6) Tel était le cas dans notre ancien droit et tel est le cas aussi du Code civil. Par exemple, l'article 228 du Code civil interdisait formellement à la femme de contrac-ter un nouveau mariage dans les 10 mois qui suivent la dissolution du mariage précédent, mais ne frappait pas de nullité le remariage conclu pendant ce délai. Par exemple encore, le non-respect de l'obligation posée par l'article 151 (ancien) relatif aux actes respectueux ne permettait pas aux parents d'agir en nullité du mariage contracté par leur enfant. Autrement dit, notre ancien droit comme le droit du Code civil fournissent des exemples de lois impératives dont l'inobservation ne confère pas le droit d'agir en annulation. Les commentateurs médiévaux, qui dres-saient un constat similaire à propos du Corpus justinien ou du droit canonique, en tiraient la maxime multa prohibentur in iure fieri, quoe tamen facta tenent (« il y a en droit plusieurs choses qui sont défendues et qui néanmoins subsistent lorsqu'elles sont faites »). (7) La question des nullités intéresse assez peu les historiens du droit. On doit, en conséquence, lire les lignes qui suivent comme une présentation sommaire (de Rome au XIX e siècle), ou l'ébauche d'une étude plus fouillée qu'il resterait à faire. (8) Par exemple, la maxime pas de nullité sans grief, qu'il faut comprendre en relation avec cette autre maxime de combat contre la chicane : malitiis non est indulgendum, permet au juge de limiter la liberté qu'il s'octroie en admettant des nullités virtuelles. V., parmi les premiers exemples d'application de cette maxime : Cass., 19 août 1814 (cité par Solon V.-H., Traités des nullités des conventions et des actes en matière civile, 1836, Bruxelles, n° 411). 114z8