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DOCUMENTI ATTIVITA' ISPETTIVA DELLA CROCE ROSSA NEI CAMPI TEDESCHI

DOCUMENTI ATTIVITA' ISPETTIVA DELLA CROCE ROSSA NEI CAMPI TEDESCHI

COMITATO INTERNAZIONALE DELLA CROCE ROSSA 1939-1945 Sull’attività del Comitato internazionale della Croce-Rossa che favorisce la detenzione civile nei campi di concentramento in Germania DOCUMENTI > i *i t C O M IT É IN T E R N A T IO N A L D E LA C R O IX -R O U G E DOCUMENTS sur l’a c tiv ité du C o m ité in tern a tio n a l de la C r o ix -R o u g e en fa v e u r d es c iv ils d éten u s d an s les cam p s de co n cen tra tio n en A llem a g n e (1 9 3 9 -1 9 4 5 ) + TROISIÈME ÉDITION GENÈVE Avril 1947 zjj //" / C O M IT É IN T E R N A T IO N A L D E LA C R O IX -R O U G E DOCUMENTS su r l’a c tiv ité d u C o m ité in ter n a tio n a l de la C r o ix -R o u g e en fa v e u r d es c iv ils d éten u s d a n s le s cam p s de co n cen tra tio n en A llem a g n e (1 9 3 9 -1 9 4 5 ) j TROISIÈME ÉDITION GENÈVE DOCUMENTS sur l’activité du Comité international de la Croix-Rouge en faveur des civils détenus dans les camps de concentration en Allemagne (1939-1945) P R E M IÈ R E P A R T IE IN T R O D U C T IO N Désireux de répondre à diverses questions qui lui sont posées par des Autorités gouvernementales, des Sociétés nationales de la CroixRouge, des associations et des particuliers, le Comité international de la Croix-Rouge a jugé devoir publier une suite des plus impor­ tants documents de ses archives, propres à illustrer l’activité qù’il a „ déployée pendant la guerre en faveur des civils en mains ennemies et notamment en faveur de ceux qui étaient détenus en Allemagne dans des camps de concentration 1. I l a paru nécessaire de faire précéder ces documents d’une brève introduction décrivant la situation générale des civils en mains ennemies, lors de la première guerre mondiale, et son évolution pendant le récent conflit. Le régime auquel ces civils étaient soumis, allait de la liberté relative et de l’internement à celui de la détention dans des camps de concentration. Cette introduction relate égale­ ment les efforts entrepris par le Comité international, en vertu de son droit d’initiative humanitaire, pour tenter d’assurer à ces civils une certaine protection et améliorer leur sort. Dans son œuvre pour les détenus des camps de concentration — à laquelle se rapportent la plupart des documents que nous publions ici — le Comité international a rencontré des difficultés très ardues et parfois insurmontables. A ucun instrument de droit 1 Voir page 27. 3 international n ’assurait, en effet, à ces détenus une -protection effec­ tive et ne sanctionnait une intervention de la Croix-Rouge en leur faveur. D ’autre part, le Comité international déployait en Allemagne, comme dans la plupart des autres pays, une importante activité, conforme à sa mission primordiale, au bénéfice des nombreux pri­ sonniers de guerre internés dans ce pays. Cette activité était la plus efficace parce que reconnue par les belligérants sur la base d’une complète réciprocité et fondée sur les Conventions internationales dont les Etats intéressés sont signataires. I l ne pouvait donc pas formuler en faveur des civils des exi. gences impératives —• que les Autorités allemandes, vu leur attitude générale, auraient jugées intolérables — sans par là compromettre l’ensemble de son activité pour les prisonniers, qu’il était en mesure d’exercer de façon satisfaisante dans son ensemble. I l dut même tenir compte de la menace, évoquée à plusieurs reprises par ces Autorités, de suspendre l’application de la Convention de 192g rela­ tive au traitement des prisonniers de guerre. Le Comité international ne pouvait donc user que d’arguments *de patiente persuasion et de sa force morale, ne possédant pas tous les pouvoirs qu’on est enclin à lui attribuer. I l a d’ailleurs pu constater en maintes occasions que des pro­ testations publiques, réclamées parfois par l'opinion, sont malheu­ reusement stériles et même susceptibles de compromettre ce qrie la Croix-Rouge peut accomplir utilement. A ussi considère-t-il que t son devoir primordial est d’apporter partout où il le peut une aide pratique et efficace. C’est pourquoi, dans ses efforts en faveur des détenus se trouvant en Allemagne dans les camps de concentration, le Comité inter­ national, agissant selon les circonstances et suivant de près l’évo­ lution de la situation politique, n ’a pas manqué de saisir toutes les occasions et de tirer parti de toutes les possibilités qui s’offraient à lui pour obtenir des résultats tangibles que, si faibles soient-ils en regard des maux à soulager, il est le seul peut-être à avoir atteints. C’est ainsi qu’il a peu à peu préparé les négociations qui ont, dans la phase ultime des hostilités, ouvert à ses délégués et à ses camions les portes de certains camps de concentration. 4 Première guerre mondiale Ju sq u ’à une époque relativem ent récente, le droit de la guerre était fondé sur le principe que les opérations militaires doivent se lim iter aux forces armées et que la population civile jouit d ’une im m unité générale. Cette notion était si largement admise que la Conférence de La Haye, en 1907, renonça à l'idée d ’in­ troduire dans le Règlement sur les lois et coutumes de la guerre sur terre une disposition qui aurait précisé que « les ressortis­ sants d ’un belligérant h abitant sur le territoire de la partie adverse ne seront pas internés », jugeant que ce principe était hors de discussion. Cependant, la guerre de 1914 allait profondément modifier la conception traditionnelle. Dès l’ouverture des hostilités, en effet, la plupart des E tats fermèrent leurs frontières, retinrent sur leur territoire tous les étrangers et internèrent les civils de natio­ nalité ennemie. Dans le rapport qu’il a présenté à la X e Conférence inter­ nationale de la Croix-Rouge, le Comité international s’exprim ait à leur sujet de la façon suivante : « Des civils se virent assimilés d ’une heure à l’autre à des criminels, conduits dans des camps de concentration ou dans des dépôts plus ou moins improvisés, absolument insuffisants. Ici, hommes, femmes, enfants, malades, gens de toutes conditions, entassés dans une promiscuité lam entable et privés de toute espèce de confort, ont vu ce provisoire se perpétuer, tandis que l’indifférence, quand ce n 'éta it pas la haine et les menaces, leur étaient largem ent prodiguées. Des mesures qui, au début, sem­ blaient devoir viser à la sécurité de l'E ta t et se justifier de ce fait, si elles n ’avaient été que temporaires, se sont transformées bientôt en un instrum ent de représailles et de rétorsions, faisant du civil capturé un simple gage entre les mains du détenteur. A l'intérieur des E tats même, rien ne semblait avoir été prévu pour régler le sort des internés civils. » Aussi, dès le début des hostilités de 1914, les demandes de nouvelles et d'intervention relatives à des civils affluèrent-elles à Genève. Le Comité international qui s’occupait d ’organiser 5 l’Agence internationale des prisonniers de guerre, se trouva sou­ dain devant une tâche imprévue et nouvelle qui s’im posait à lui. Cependant il n ’hésita pas et mit sur pied, dans le cadre de l'Agence, une section chargée d ’obtenir des renseignements sur les civils internés, évacués et déportés. La tâche était ardue, car tandis que les listes des prisonniers militaires étaient tran s­ mises régulièrement à l’Agence, aucune liste d ’internés civils n ’était établie ni prévue. Ce ne fut q u 'à la suite de démarches réitérées du Comité international que certains Gouvernements consentirent à inscrire les civils internés sur les listes de prison­ niers. Mais d’autres s’y refusèrent et ne répondaient pas aux demandes d ’enquêtes faites à leur sujet, laissant ainsi les familles dans la plus douloureuse angoisse. La Section civile de l’Agence à Genève s’occupa d ’obtenir des Autorités détentrices que les internés fussent autorisés à tran s­ m ettre des messages sommaires à leurs parents domiciliés en territoires ennemis ou occupés p ar l’adversaire, soit sous la forme de brèves lettres originales acheminées vers les desti­ nataires par l’Agence, soit en transcrivant des nouvelles sur des formulaires spéciaux établis par ses soins. De plus, le Comité international organisa la visite de camps d ’internés civils par ses délégués ou ceux de pays neutres. Mais, pour toutes ces démarches et interventions, le Comité inter­ national ne pouvait s’appuyer sur aucun texte de droit positif. Quelques conventions particulières ad hoc furent cependant conclues pendant les hostilités ; une des premières fut établie à Genève sous les auspices du Comité international, en 1917, par les représentants des Croix-Rouges bulgare et serbe. Mais la plupart furent passées par l’intermédiaire de Gouvernements neutres et notam m ent du Gouvernement suisse. Ces conventions conclues pour la durée des hostilités, devinrent caduques après la conclusion de l’armistice de 1918. 6 Période de 1918 à 1939 La fin des hostilités survenue, le Comité international étudia les moyens d ’éviter le retour d ’une situation aussi douloureuse. A cet effet, il proposa, en 1921, à la Xe Conférence internationale de la Croix-Rouge, réunie à Genève1, que le texte d ’une conven­ tion protégeant les civils ennemis et les populations des régions occupées fût étudié en même tem ps que le sta tu t des prisonniers de guerre. Le rapport qu’il présenta dans ce sens devait servir de base à un « Code des prisonniers de guerre, déportés et réfu­ giés », com prenant, outre les dispositions relatives au sta tu t des prisonniers de guerre, des articles relatifs aux populations civiles des territoires tombés au pouvoir de l’ennemi. Ces articles limi­ taient notam m ent le droit de l’occupant quant aux déporta­ tions, aux évacuations des populations et aux prises d ’otages. Les représentants des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et des Gouvernements qui participèrent à la X e Conférence acceptèrent à l’unanim ité les propositions du Comité inter­ national et le chargèrent d ’élaborer sans délai le texte d ’un projet de convention, selon les principes énoncés. Les travaux aboutirent cependant, en fait, à l’établissement de deux projets séparés : l’un relatif au sta tu t des prisonniers de guerre (avant- • projet de la Convention de 1929), l’autre relatif au sta tu t des civils (ébauche du Projet dit de Tokio, dont il sera parlé plus loin), la disjonction des sujets en deux instrum ents distincts ayant été en définitive adoptée par les auteurs des projets. En exécution de son m andat, le Comité international ne m an­ qua pas de prendre aussitôt toutes les dispositions utiles en vue de réaliser les vœ ux de la X e Conférence. Néanmoins, il ne lui fut pas possible alors de faire passer ses suggestions dans le domaine des réalisations. Nombreux en effet étaient ceux qui, m ettant tous leurs espoirs dans l’idée du désarmement général des nations, ne voulaient plus envisager la possibilité d'une 1 L a C onférence in te r n a tio n a le de la C roix -R o u g e, q u i grou p e le s rep ré­ se n ta n ts de to u te s les S o c ié té s n a tio n a le s de la C roix-R ou ge, d u C om ité in te r n a tio n a l, d e la L ig u e d es S o cié té s d e la C ro ix -R o u g e e t d es G ou ver­ n em en ts, e st la p lu s h a u te a u to r ité d élib éra n te d e la C ro ix -R o u g e. E lle se réu n it en p rin cip e to u s les q u a tre a n s. 7 guerre. Diverses personnalités officielles firent valoir auprès du Comité international que le moment paraissait inopportun pour proposer aux Gouvernements l’élaboration d ’un statu t des civils en temps de guerre et qu’une telle initiative pour­ rait même être considérée comme desservant la cause de la paix que soutenait la Société des Nations. L ’introduction dans le droit international d ’un nouveau chapitre fondé sur l’ex­ tension possible de la guerre à des non-belligérants ne semblait guère compatible avec les efforts du moment qui tendaient au contraire à limiter la notion même de belligérant. C’est la raison pour laquelle, contrairem ent au vœu du Comité international, la Conférence diplomatique réunie à Genève en 1929 par les soins du Conseil fédéral suisse ne s’occupa que du sort des prisonniers de guerre, en faveur desquels fut conclue la Convention relative à leur traitem ent sur la base du projet établi par le Comité in tern atio n al1. Cependant, sur les instances de ce dernier, le vœu suivant fut inscrit dans l'Acte final : « La Conférence, faisant siennes les résolutions unanimes de ses deux commissions générales, exprime le vœu que des études approfondies soient entreprises en vue de la conclusion d ’une convention internationale concernant la condition et la protection de civils de nationalité ennemie qui se trouvent sur le territoire d’un belligérant ou sur un territoire occupé par lui ». La X IV e Conférence internationale de la Croix-Rouge, réunie à Bruxelles en 1930, confirma au Comité international le m andat de poursuivre la tâche qu’il avait entreprise pour la protection des civils de nationalité ennemie. Une commission constituée par le Comité international élabora alors, dans le cadre des principes posés par les Conférences anté­ rieures, le projet qui fut soumis à la XVe Conférence inter­ nationale de la Croix-Rouge, réunie à Tokio en 1934, et qui est connu sous le nom de « Projet de Tokio ». Ce projet de convention 1 R a p p elo n s q u ’une C onférence d ip lo m a tiq u e e st un e réu n ion de repré­ s e n ta n ts au torisés d es E ta ts . E lle a p ou r o b je t n o ta m m e n t la co n clu sio n ou la rév isio n d e c o n v e n tio n s in tern a tio n a le s. 8 confirmait et développait les principes que, de 1920 à 1925, le Comité international avait toujours soutenus, à savoir la limi­ tation de l’internem ent aux civils mobilisables ou suspects ; la possibilité pour ceux qui en exprim ent le vœu de rentrer dans leur patrie ; la proscription des évacuations massives ainsi que celle des déportations individuelles qui ne seraient pas fondées sur des motifs précis et déterminés ; la possibilité pour les civils qui restent sur le territoire ennemi de jouir de leur liberté, sous réserve de mesures de contrôle et de sécurité qui pourraient être jugées nécessaires ; enfin, l'application aux civils, qui seraient internés, d ’un traitem ent au moins aussi favorable que celui des prisonniers de guerre, la Convention de Genève leur étant au surplus applicable, par analogie, dans la mesure où elle l’est à des civils. Le projet prévoyait, quant à l’application de la future convention, les mêmes mesures de contrôle que celles qu’a établies la Convention de 1929 relative au traitem ent des prisonniers de guerre. Le projet du Comité international fut adopté d ’emblée par la XVe Conférence réunie à Tokio, comme base de négociations diplomatiques et le Comité international reçut de la XVe Con­ férence le m andat de se m ettre, dans le plus bref délai possible, en rapport avec le Gouvernement suisse en vue de réunir au plus tô t une Conférence diplomatique analogue à celle qui, en 1929, aboutit à la Convention relative au traitem ent des prisonniers de guerre. Il ne dépendit malheureusement pas du Comité in ter­ national que cette Conférence p û t être réunie à bref délai. Comme on n ’envisageait pas la possibilité d ’un conflit imminent, le caractère d ’urgence d'une telle Conférence était loin d ’appa­ raître à tous les yeux. Aussi les réponses à l’invitation du Gou­ vernem ent suisse se firent-elles attendre. Ce n ’est qu’au cours de l’année 1939 que l’adhésion des E tats invités perm it de fixer la date de la Conférence au début de 1940 à Genève. L ’ouverture des hostilités, comme on le sait, mit obstacle à ce projet. 9 Seconde guerre mondiale On peut distinguer plusieurs phases dans l’action du Comité international en faveur des civils de nationalité ennemie durant le dernier conflit. La première phase (de septembre 1939 au printem ps 1940) est caractérisée par les démarches générales du Comité inter­ national tendant à obtenir des Puissances belligérantes, au début de la guerre, l’adoption tem poraire du Projet de Tokio ou, à son défaut, l’application aux internés civils des disposi­ tions de la Convention de 1929 relative aux prisonniers de guerre. Les interventions du Comité durant cette période s’exercent favorablement et des résultats substantiels "sont obtenus au profit des civils internés, ou surveillés en raison de leur nationalité, par les deux groupes de belligérants. La deuxième phase (1940-1943) correspond à l'occupation de la majeure partie de l’Europe par les E tats de l’Axe. Des millions de civils tom bent ainsi sous la dépendance d ’un seul groupe de belligérants. L ’équilibre se trouvant ainsi rompu entre les Puissances adverses, ces civils sont de plus en plus exposés à l'arbitraire des Autorités occupantes, la réciprocité n ’exerçant plus guère son influence modératrice. L’activité du Comité international en faveur des civils se trouve entravée par des difficultés accrues. ■ Dans la troisième phase (1943-1945), le Comité international, dont les interventions générales et officielles en faveur des déte­ nus civils se heurtent invariablem ent à des fins de non-recevoir, s’efforce d’alléger leur sort en m ultipliant des actions de caractère pratique et local. En 1944, les Autorités allemandes, en raison de l’évolution de la situation politique et militaire, et dès l’occupation d’une parcelle du territoire allemand par les forces alliées, se décident enfin à accorder certaines facilités, notam m ent en perm ettant l'envoi dans les camps de concentration des colis de secours individuels, puis collectifs. La quatrièm e phase (1945) est marquée par les concessions capitales que le Gouvernement allemand se résoud à accorder 10 pendant les trois derniers mois de la guerre et notam m ent par les accords conclus en Allemagne par le Président du Comité international de la Croix-Rouge, accords qui ouvrent pour la première fois les camps de concentration aux délégués du Comité. Première phase 1 Lorsque la seconde guerre mondiale éclata, en septembre 1939, des centaines de milliers de civils en territoire ennemi se trouvèrent dépourvus de toute protection conventionnelle. Comme en 1914, le Comité international te n ta aussitôt d ’assu­ rer à ces civils une certaine protection et, par d ’inlassables démarches, il réussit à faire adm ettre par la plupart des E ta ts belligérants certaines garanties minimums en leur faveur. Les civils qu’il s’agissait de protéger appartenaient à deux catégories distinctes : 1) Les civils de nationalité ennemie se tro u v an t à l'ouver­ ture des hostilités sur le territoire d'un belligérant ; 2) Les civils ressortissant à un pays occupé p ar l'ennemi 2. Remarquons à ce propos que le Comité international s’en est toujours tenu au principe — et n ’a cessé de chercher à le faire prévaloir — que tous les civils quels qu’ils soient doivent avoir droit aux mêmes garanties, sans distinction de race, de con­ fession ou d ’opinion politique. Si, dans la pratique, et faute d ’un texte conventionnel, le Comité a dû parfois adm ettre certaines distinctions, c’est que celles-ci lui furent imposées par la Puis­ sance détentrice. Alors que les civils de la secçnde catégorie peuvent se réclamer de la très insuffisante protection des articles 44 et suivants de la section I II de l’annexe à la IVe Convention de La Haye de 1907, qui traiten t de « l’Autorité militaire sur le territoire de l’E ta t ennemi », les civils de la première catégorie ne jouissent d ’aucune protection. 1 V oir p age 28. 2 L es civ ils en n em is r ésid a n t d an s u n p a y s o ccu p é m ais étra n g ers à ce p a y s, te ls que, p ar ex em p le , le s c iv ils d e n a tio n a lité b rita n n iq u e se tr o u v a n t en F ran ce occu p ée, p e u v e n t être r a tta c h é s à la p rem ière c a t é ­ gorie. Ils fu ren t d ’ailleu rs tr a ité s de la m êm e m an ière. II Le Projet de Tokio, s’il avait été adopté à temps, aurait assuré aux civils des deux catégories une protection au moins égale à celle qu’a assurée aux prisonniers de guerre la Convention du 27 juillet 1929. Dès le 4 septembre 1939, le Comité international, fort de l’adhésion de principe que son projet de convention avait obtenue à Tokio, proposait aux Gouvernements des E tats belli­ gérants d ’établir, sur la base de ce projet, un sta tu t général englobant les deux catégories de civils ennemis, à savoir ceux qui se trouvent sur le territoire de ces E tats et ceux qui résident sur un territoire soumis, à quelque titre que ce soit, à la souve­ raineté de ces E tats. Il suggérait, à cet effet, soit la conclusion d ’accords bilatéraux ad hoc soit l’application anticipée et limitée à la seule durée du conflit actuel des dispositions du Projet de Tokio 1. P ar son mémorandum du 21 octobre 1939, le Comité inter­ national, tout en reprenant ses propositions du 4 septembre, suggérait en outre aux Gouvernements l’adoption d ’une solu­ tion subsidiaire en faveur des civils se trouvant à l’ouverture des hostilités en territoire ennemi, au cas où ceux-ci seraient internés : l’application à ces internés civils des dispositions de la Convention de 1929 relative au traitem ent des prisonniers de guerre, pour au tan t qu’elles ne sont pas applicables aux militaires seulement 2. Cette assimilation entraînait la commu­ nication à l’Agence centrale des prisonniers de guerre, par l’E ta t détenteur, des listes nominatives des civils internés et des ren­ seignements les concernant (articles 77 et 79 de la Convention) et la visite de leurs camps par les délégués du Comité inter­ national de la Croix-Rouge ou des Puissances protectrices. Parallèlement à ses démarches auprès des Gouvernements des E tats belligérants, le Comité international chargeait ses délégués à l’étranger d’entreprendre une vaste enquête sur la situation des civils en territoire ennemi. Les Gouvernements intéressés firent presque tous part de leur préférence pour cette solution subsidiaire qui fut ainsi adoptée 1 V oir p a g e 28. a V oir p age 32. 12 et mise en pratique, au début de la guerre, en faveur des civils de nationalité ennemie se trouvant à l’ouverture des hostilités sur le territoire des E tats belligérants. Le droit était reconnu à ces civils d ’être rapatriés, sous réserve que la réciprocité serait accordée par la partie adverse, pourvu q u ’ils en exprim ent le désir et que leur transport soit technique­ ment possible ; de vaquer à leurs occupations, dans le cas où ils sont laissés dans une liberté relative ; de bénéficier de la pro­ tection des organes diplomatiques de la Puissance neutre chargée de leurs intérêts ; d ’être visités par les délégués de cette Puis­ sance ou ceux du Comité international. En outre, le Comité obtint que la correspondance des internés civils fût mise au bénéfice de la franchise postale, comme celle des prisonniers de guerre. Il fit également, de sa propre initiative, des démarches pour que fussent groupées dans un même camp les familles d’internés ; pour que la faculté de se livrer à des trav au x non prohibés par les articles 31 et suivants de la Con­ vention de 1929 fût accordée aux internés civils qui, n ’ayant pas à travailler comme les prisonniers de guerre, souffrent de l’inactivité et de ses conséquences démoralisantes. Il leur a pro­ curé des livres et les matières premières nécessaires à leurs tra ­ vaux ; des écoles ont été organisées pour les enfants internés ; les délégués du Comité international ont facilité l’organisation des soins médicaux et dentaires dans les camps d ’internés civils, particulièrem ent dans les pays d ’outre-mer. On le voit, l’assimilation, par les Puissances détentrices, des civils de la première catégorie aux prisonniers de guerre perm it au Comité international et aux Puissances protectrices de con­ trôler le traitem ent réservé à ces civils internés qui bénéficièrent par analogie, en l’absence d ’une convention ratifiée par les E tats, des droits minimums prévus pour les prisonniers de guerre. Il n ’en fut malheureusement pas de même pour les civils de la deuxième catégorie (civils ressortissant à un pays occupé par l’ennemi). Les dispositions du titre I I I du Projet de Tokio n ’ayant pu être mises en vigueur à la suite du refus d ’entrer en matière ou du silence opposé par la majorité des Gouverne­ ments à la proposition formulée le 4 septembre 1939 par le 13 Comité international \ ces civils n'étaient plus protégés que par les dispositions incomplètes et surannées du Règlement annexé à la IVe Convention de La Haye du 18 octobre 1907. Deuxième phase 2 L ’occupation de plusieurs pays par l’Allemagne allait m ettre en évidence les conséquences tragiques de cette lacune du droit des gens : des milliers de civils se virent exposés aux « évacua­ tions adm inistratives », aux déportations collectives ou indivi­ duelles, aux prises d ’otages, à l’internem ent dans des camps de concentration ; toutes ces mesures résultaient de l’extension toujours plus généralisée de la guerre totale. Em u par les rumeurs qui circulaient sur les camps de concen­ tration et par les demandes de renseignements qui lui parve­ naient d ’organismes officiels ou privés, ainsi que de particuliers, le Comité international s’adressa à plusieurs reprises, dès 1941, aux Autorités du Reich et à la Croix-Rouge allemande pour obtenir des informations sur le sort des civils déportés, les lieux de leur détention et le traitem ent auquel ils étaient soumis s. Ses moyens d ’investigation étaient extrêmem ent limités : le souci de ne pas nuire à ses activités fondées sur les Conventions, son principe d ’agir au grand jour, lui interdisaient de recourir à des moyens clandestins de recherche. D ’autre part, l’expé­ rience lui dém ontra rapidem ent qu’il devait renoncer à des dé­ marches officielles qui heurtaient certaines susceptibilités en touchant à un domaine qu’aucun texte de droit international ne l’autorisait à aborder. Eveiller ces susceptibilités, c’était courir le risque de voir se fermer les portes qui étaient encore ouvertes à ses délégués. Situation, comme on le voit, infiniment complexe et délicate, hérissée de difficultés. C’est en vertu de son seul droit d ’initiative hum anitaire que le Comité international dem andait que les civils internés dans des camps de concentration fussent mis au bénéfice des garanties minimums accordées aux civils ennemis arrêtés au 1 S eul le G o u v ern em en t a llem a n d se d éclara p rêt à d isc u te r la co n clu ­ sio n d ’u n e c o n v e n tio n ¡sur la_b aseii_du P r o jet d e T o k io (voir p a g e 3 1). 1 V oir p a g e 39. * V oir p a g e 41. 14 I début des hostilités sur le territoire allemand, du seul fait de leur nationalité, c ’est-à-dire des internés civils proprement dits (première catégorie du Projet de Tokio) ; qu’ils fussent autorisés notam m ent à donner de leurs nouvelles à leurs familles, à recevoir des colis et de la correspondance ; q u ’ils fussent visités par les délégués du Comité international et signalés par le moyen de listes officielles ou de cartes signalétiques adressées à l’Agence centrale des prisonniers de guerre. S’appuyant sur le principe de la réciprocité, le Comité inter­ national ne m anquait pas de se prévaloir du caractère universel de son activité, mise de façon identique au service de tous les belligérants : c’est ainsi qu’il pouvait faire état, auprès du Gou­ vernem ent allemand, des interventions de ses délégués en faveur des ressortissants allemands internés en pays ennemis et des résultats favorables obtenus en Grande-Bretagne, en Afrique du Nord, et dans les pays d'outre-m er — aux Etats-U nis, au Brésil, en Guyane hollandaise, au Vénézuéla, etc. — où ses délégués avaient obtenu généralement l’autorisation de visiter les camps de détenus « pour raison de sécurité » 1. Toutes ces démarches, écrites ou verbales, se heurtèrent à une fin de non-recevoir des A utorités allemandes. Celles-ci arguaient du fait que les personnes détenues dans les camps de concen­ tration ne l’étaient pas du seul fait de leur nationalité ennemie, mais aussi pour diverses raisons « relatives à la sécurité de l'E ta t détenteur » 2 et que, par conséquent, elles ne pouvaient être assimilées aux prisonniers de guerre ni aux internés civils pro­ prem ent dits. Elles étaient considérées comme des « criminels », des « ennemis de l’E ta t » relevant uniquem ent de la police politique. On ne peut évidemment, dans le cadre de cette publication, rendre compte des efforts, d ’une rare complexité, qui ont été déployés en marge des interventions officielles et qui n ’ont pas, le plus souvent, laissé de trace documentaire : travaux d'approche ou d ’orientation, sondages, démarches personnelles, 1 V oir p a g e 48. 2 Ces d é te n u s é ta ie n t d é n o m m é s S ch u tzh âftlin ge p ar les A u to r ités a llem a n d es. 15 conversations, qui tendaient à déterminer l’atmosphère psy­ chologique du moment, à apprécier jusqu’à quel point l’on pou­ vait pousser certaines demandes sans m ettre en danger l'ensem ­ ble de la négociation, à m aintenir enfin les contacts jusqu'au jour où une conjoncture plus favorable perm ettrait d ’obtenir des concessions. On ne saurait, d ’autre part, porter un jugement équitable sur l’activité du CICR dans ce domaine sans tenir compte du fait qu’il avait pour interlocuteur un E ta t dont la puissance s’étendait alors sur l'Europe presque entière et que rien ne pouvait empêcher, s’il le jugeait bon, de rompre to u t lien avec, une institution dont la force ne réside que dans sa tradition hum anitaire et son autorité morale. Troisième phase 1 Le Comité international ne renonça pas, pour au tan t, à revenir à la charge chaque fois qu’il le jugeait possible 2 et il décida de chercher surtout à porter secours aux détenus des camps de concentration en faisant usage de la seule concession que le Reich ait accordée en leur faveur. En effet, au cours de l’année 1943, sur une démarche faite auprès du Ministère alle­ m and des Affaires étrangères, la délégation du Comité inter­ national à Berlin avait été informée que des colis de vivres pourraient être remis aux civils des camps de concentration, à condition qu’ils soient adressés directem ent et nominalement à des ressortissants de nationalités étrangères à l'Allemagne. Cette autorisation était illusoire, même contradictoire, puisqu’on refusait précisément au Comité les renseignements nominatifs indispensables selon la décision allemande. Le Comité international p u t cependant entreprendre une action secourable bien qu’il ne possédât à cette époque que fort peu 1 V oir p a g e 50. 2 L e 9 d écem b re 1944, le C om ité in te r n a tio n a l p ro p o sa it encore au M inistre d es A ffaires étra n g ères du R eich , de m êm e q u 'a u x a u tres G ou­ v ern em en ts, la réu n ion à G en èv e d e rep rése n ta n ts p lén ip o ten tia ires des G o u v ern em en ts in téressés, en v u e de l ’a d o p tio n d ’un accord p ra tiq u e — en a p p lica tio n de l ’art. 83 de la C o n v en tio n de G en èv e — sur to u s les p rob lèm es rela tifs a u x c iv ils en m ain s de l'en n e m i (voir p a g e 74). 16 de noms et d ’adresses de détenus. Mais il mit to u t en œuvre pour s’en procurer. Ses délégués, faisant en quelque sorte le siège des camps de concentration où ils n ’entraient pas, ne négli­ gèrent rien pour obtenir des renseignements : prises de contact avec les com mandants de camps, avec des employés subalternes ou même parfois avec des détenus employés à la K om m andantur ; tentatives de pénétrer dans les bureaux de la cartothèque des camps — au cours de ces tentatives, les délégués du Comité international seront parfois éconduits sous la menace du revol­ ver — ; prises de contact avec les évadés des camps de concen­ tration ; collationnement, lors des visites de camps de prisonniers de guerre, de tous les renseignements concernant les Schutzhaftlinge 1. Des milliers de noms et d ’adresses de détenus parvinrent ainsi au Comité international qui créa alors le « Service des colis aux camps de concentration » (dit Service CGC) ; ce service prit peu à peu une am pleur inespérée. Le résultat du premier envoi de colis individuels dépassa lar­ gement les prévisions. Quelques semaines plus tard, le Service CCC recevait déjà des accusés de réception p o rtan t la signature des destinataires eux-mêmes. Ces quittances devenaient une nouvelle source de renseigne­ ments : outre celle du bénéficiaire, elles étaient revêtues sou­ vent de plusieurs signatures de détenus ayant eu l’idée d ’écrire leur nom et leur numéro matricule sur la quittance d ’un cam a­ rade afin de recevoir à leur tour un envoi. Ces signatures consti­ tu a n t de plus un premier signe de vie du déporté pouvaient d ’au­ tre p art atténuer quelque peu l’angoisse de sa famille. En outre le détenu était « repéré » par Genève. Même s’il appartenait à la catégorie la plus menacée, dite N.N. a, il avait une chance, si faible fût-elle, de ne pas disparaître. A Genève, le fichier des déportés se développa ainsi peu à peu, alimenté encore par d ’autres voies. La nouvelle de l’arrivée des premiers colis s’était répandue dans les camps. Ceux des détenus qui étaient autorisés à correspondre en avisèrent leurs familles. 1 S o u v e n t d es d é ta c h e m e n ts d e tr a v a il form és de p rison n iers d e guerre se tr o u v a ie n t m êlés d a n s le s u sin es à d es d é ta c h e m e n ts v e n a n t des ca m p s de co n cen tra tio n . * C’est-à -d ire N aclit u n d N ebel, m o ts sig n ifia n t « n u it e t b rou illard ». 17 Le Service CGC reçut de nombreuses lettres, de Norvège et de Pologne occupées notam m ent, qui donnaient les noms et les adresses de civils déportés auxquels des vivres devaient être expédiés. D ’autres listes parvinrent clandestinement à Genève des camps ou des pays occupés par les forces armées du Reich. Une première difficulté se trouvait donc surmontée : des noms et des adresses de détenus arrivaient ; le Service CGC pouvait leur adresser des colis individuels. Mais un nouvel obstacle surgit alors. Les délégués du Comité international, n 'éta n t pas admis à pénétrer dans les camps de concentration, ne pouvaient contrôler la distribution des colis, comme ils le faisaient dans les camps de prisonniers de guerre. Or, vu cette absence de contrôle, les Autorités alliées dont dépen­ daient les mesures de blocus ne perm irent pas au Comité in ter­ national, malgré ses nombreuses démarches, d ’im porter en Europe des marchandises destinées aux civils des camps de con­ centration. Ces Autorités s’opposaient également au transfert des fonds qui auraient permis d ’acheter en Europe même, des secours en nature pour ces civils 1. Le Service CCC, en collaboration avec la Commission mixte de secours de la Croix-Rouge internationale — organisme créé par le Comité international et la Ligue des Sociétés nationales de la Croix-Rouge pour l’achat, le conditionnem ent et la distri­ bution des secours aux civils victimes de la guerre — d u t donc s’ingénier à se procurer, à l'intérieur de la zone du blocus, dans une Europe épuisée et en partie affamée, les marchandises des­ tinées à compléter les rations insuffisantes des détenus des camps de concentration. Il p u t acquérir en Roumanie et surtout en Hongrie et en Slovaquie, des quantités im portantes de con­ serves de viande, de biscuits, de marmelade, de sucre, etc., qui furent groupées en port franc à Genève et emballées de nouveau. On put ainsi confectionner jusqu’à 9000 colis par jour. Mais les fonds m anquaient encore. Le Comité international s’efforça de recueillir en Suisse, avec l’aide des représentants des 1 On sa it, en effet, q ue le C om ité in te r n a tio n a l n e d isp o se p a s d e m o y en s fin an ciers propres lu i p e r m e tta n t d ’en trep ren d re d es a c tio n s de secou rs. Il n ’e s t q u e l ’in term éd ia ire q u i tr a n sm e t a u x b én éficiaires d é si­ gn és par les d o n a teu rs le s d o n s m is à sa d isp o sitio n par les G o u v ern em en ts, le s S o ciétés n a tio n a le s de la C ro ix -R o u g e e t le s o rg a n isa tio n s p riv ées. 18 Gouvernements et Sociétés de la Croix-Rouge intéressés et de diverses organisations charitables nationales et étrangères en Suisse, les moyens financiers nécessaires. Ces concours généreux lui perm irent d ’expédier des milliers de tonnes de colis dans les camps de concentration. Ces colis parvenaient-ils tous à leurs destinataires ? L ’absence de to u t contrôle exercé par les délégués du Comité international sur leur distribution im pliquait un risque que le Comité n'hésita pas à courir. A vrai dire, si des abus ont été commis dans certains camps, si des colis furent confisqués, le Comité international en eut assez rapidem ent connaissance et suspendit im m édiate­ ment les envois dans les camps où ces faits se produisaient ; ce fut le cas, notam m ent, pour le camp de M authausen. Toute­ fois, dans de nombreux autres cas, l’action de secours se révéla efficace et fut même quelque peu facilitée par certains comman­ dants de camps. D ’utiles témoignages sur l’arrivée et la distri­ bution des colis de secours étaient fournis au Comité internatio­ nal par des déclarations de détenus évadés et par des lettres qui lui parvenaient des camps de concentration. C’est ainsi qu'un détenu d ’Oranienburg a pu renseigner régu­ lièrement le Service CCC sur le nombre exact des colis arrivés à bon port, ou volés. Quoi qu’il en soit, il n ’est pas douteux que ces colis, même si une partie d’entre eux n ’est pas parvenue aux destinataires, n ’en ont pas moins sauvé des milliers d’exis­ tences. « Les paquets, écrivait un détenu, représentaient une valeur inestimable. Dans certains cas, un seul colis a suffi pour rem onter le moral de malades en train de mourir de faim. » Si des résultats satisfaisants purent ainsi être obtenus dans le domaine des secours, il fut en revanche toujours impossible au Comité international d ’exercer sur le régime des camps de concentration une influence quelconque pour m ettre un term e aux sévices pratiqués sur les détenus. Son action de secours elle-même était tolérée par les com m andants de camps plutôt qu ’officiellement autorisée par le pouvoir central. Malgré l’im portance du fichier constitué p ar le Comité inter­ national, le système des colis individuels avait l’inconvénient de lim iter le nombre des bénéficiaires. Il im portait d'en étendre le cercle le plus possible. 19 C’est à cette fin que le Comité international se décida, au cours de l’été 1944, à expédier des envois collectifs de colis dans les camps de concentration et cela sans s’arrêter au fait que l'au to ­ risation allemande ne concernait que les envois individuels. A cette époque, l’évolution de la situation politique et militaire offrait à une telle entreprise des chances de succès qui n ’exis­ taient pas auparavant. Bien que le contrôle de la réception de ces colis risquât d ’être encore moins efficace que pour les colis individuels, le Comité international crut devoir faire cette tentative. En effet, les Gou­ vernements intéressés insistaient à ce moment pour que fût augm enté à to u t prix le nombre des envois. Le Comité inter­ national fit alors de pressantes démarches pour obtenir que les Autorités alliées atténuent les rigueurs du blocus en faveur des détenus des camps de concentration, comme elles le faisaient pour les prisonniers de guerre. Le « W ar Refugee Board », com­ prenant que les colis du Comité international sauvaient de la mort de nombreux déportés, prit l’initiative de m ettre à la dispo­ sition du Service CCC des denrées alimentaires. Cet appoint fut d’au tan t plus précieux que les possibilités d’achat en Europe dimi­ nuaient de plus en plus et qu’aucun envoi de vivres ne pouvait parvenir de France et de Belgique, ces pays étan t encore occupés. Les denrées américaines — qui n ’arrivèrent en quantités im portantes que vers la fin de 1944 — perm irent de secourir des milliers de détenus dans les camps de concentration au cours des derniers mois de la guerre. En outre, en septembre 1944, le « W ar Refugee Board » céda au Comité international, avec le consentement des Croix-Rouges américaine et canadienne, la cargaison récupérée du vapeur « Cristina », qui avait coulé ; les boîtes de conserves rouillées, mais reconnues propres à la con­ sommation, furent accueillies avec joie par les détenus. Les envois collectifs étaient accompagnés, comme les colis individuels, de formules d ’accusés de réception qui devaient perm ettre aux bénéficiaires de faire connaître leurs noms. Ce système augm enta sensiblement l’im portance du fichier et, au I er mars 1945, le Service CCC connaissait les noms et le lieu de détention de 56.000 détenus. 20 Si, dans certains camps, les com mandants interdirent de ren­ voyer au Comité international les quittances qu’il avait jointes aux envois collectifs, dans d ’autres, notam m ent à Dachau, ce renvoi fut toléré. Comme on l’a vu, les quittances qui revenaient à Genève por­ taient plusieurs noms — jusqu’à quinze sur une même quit­ tance — qui, im m édiatem ent classés par nationalité, venaient compléter les fichiers du Service CCC, et de l’Agence centrale. D ’utiles renseignements continuaient- à être fournis par des détenus sur l'effectif des captifs qui se trouvaient dans les camps, renseignements qu’il s’agissait d'« interpréter ». Si le Comité international était, par exemple, avisé que dans un camp sept Polonais s’étaient partagé un colis, on en déduisait à Genève qu’il fallait multiplier par sept le nombre des colis expédiés aux Polonais de ce camp pour connaître le to tal approxim atif des détenus de cette nationalité. Outre les vivres, le Service CCC du Comité international put faire parvenir dans les camps une certaine quantité de vête­ ments. Toujours limité par le blocus au marché européen —- la pénurie de textiles étant telle qu’aucun pays n ’en perm ettait l’exportation •—-, il envoya des sous-vêtements en fibranne. Après la libération de la Belgique, le Gouvernement belge fit don de lainages grâce auxquels un grand nombre de déportés belges reçurent des sous-vêtements chauds au cours de l’hiver 1944-45. Le Service CCC envoya également dans les camps des colis standard contenant des produits pharmaceutique^ (decalcit, redoxon, protovit, saridon, coramine, caféine, entéro-vioforme, onguent cibazol, néocide, gaze et ouate cellulosique). Enfin de nombreux colis de secours intellectuels et spirituels furent adressés dans les camps : caisses de vin de messe aux aumôniers français, des livres, bibles et évangiles, notam m ent aux déportés norvégiens et français. Ces divers envois, outre leur utilité matérielle, étaient d'une inappréciable valeur morale, ainsi qu’en témoignent les nom­ breuses lettres de reconnaissance des détenus qui sont parvenues au Comité international. Ces malheureux, privés de toute pro­ tection et souvent dans l’impossibilité d ’échanger le moindre mot avec les leurs, voyaient dans ces colis, même lorsqu’il étaient 21 parfois partiellem ent détournés par leurs gardiens, un « véritable message de la Providence », ainsi qu’un détenu l’écrivit. « Quel­ qu’un pense à nous et c’est la Croix-Rouge », disait un autre. Il ne dépendait malheureusement pas du seul Comité inter­ national que cette action de secours fût étendue à tous les camps de concentration. De nombreux camps et détachem ents de travail lui sont demeurés inconnus jusqu’à la fin des hostilités. De plus, en raison des exigences du blocus, les moyens financiers et les marchandises lui ont longtemps fait défaut. Ce n ’est que durant les tout derniers mois de-la guerre qu'ils lui furent fournis en suffisance. Enfin, la destruction des voies de communication en Allemagne, due aux bombardements aériens qui s'intensifiaient, paralysa considérablement l'action de secours dès la fin de l’année 1944. Ainsi, en février 1945, la situation était telle que le Comité international redoutait de devoir cesser toute activité en faveur des détenus civils des camps de concentration. Le réseau ferro­ viaire allemand était en effet en grande partie détruit et les camions mis à la disposition du Comité international par les Croix-Rouges américaine, britannique et canadienne ne pou­ vaient alors être affectés q u 'à l’action de secours aux prison­ niers de guerre. Quatrième -phase 1 Cette situation angoissante ne pouvait se prolonger. Le Gou­ vernement allemand lui-même s’en rendit compte. Le I er février 1945, le ministre des Affaires étrangères du Reich inform ait le Comité international, en réponse à sa lettre du 2 octobre 1944, que l’envoi de colis — nominatifs ou collectifs — était autorisé dans les camps de concentration pour les détenus originaires des territoires français et belge. En outre, le ministre donnait l’assu­ rance que ces détenus pourraient correspondre avec leurs familles au moyen de formulaires spéciaux établis par le Comité international de la Croix-Rouge. Le Comité m ultiplia alors ses efforts et ses démarches pour tenter de remédier à la crise ferroviaire en im provisant une vaste 1 V oir p age 76. 22 organisation de transports routiers destinée à ravitailler d ’ur­ gence les camps de prisonniers de guerre et les camps de concen­ tration. Il adressa un pressant appel aux Gouvernements alliés pour que quelques centaines de camions et de l'essence soient mis à sa disposition. Gagné à ces vues, le Gouvernement français céda au Comité international cent camions pour lesquels le « W ar Refugee Board » fournit l'essence nécessaire et le Gouver­ nem ent allemand des chauffeurs canadiens prisonniers de guerre. M ettant à profit les dispositions plus favorables des Autorités allemandes et la possibilité offerte soudainem ent par une situa­ tion militaire toute nouvelle, le président du Comité international de la Croix-Rouge, M. Carl J. Burckhardt, se rendit en Allemagne plaider de nouveau la cause des détenus des camps de concen­ tration. En mars 1945, il obtenait du général des SS Kaltenbrunner d ’im portants accords généraux, dans le sens suivant : Outre des dispositions relatives au ravitaillem ent des pri­ sonniers de guerre, des mesures d ’une im portance capitale étaient décidées en faveur des détenus des camps de concen­ tration : le Comité international était autorisé à leur distribuer des colis de vivres ; un délégué du Comité serait installé dans chaque camp à condition qu’il s’engage à y demeurer jusqu’à la fin des hostilités ; un échange global des détenus français et belges contre les internés civils allemands en France et en Bel­ gique était prévu et, en atten d an t sa réalisation, le Comité avait la faculté de rapatrier les enfants, femmes et Vieillards des camps de concentration, de même que des déportés israélites, notam m ent ceux de Theresienstadt. Pour la première fois, les camps de concentration étaient donc ouverts aux délégués du Comité international. Sans perdre un instant, les colonnes de camions du Comité international peints en blanc, se mirent en route — véritables « anges sauveurs », comme les nomm aient ceux qui les voyaient arriver. Voyageant de jour et de nuit, sur des routes défoncées, franchissant, en dépit de tous les obstacles, des zones où la bataille faisait rage, elles, apportèrent des vivres dans les camps de concentration et en distribuèrent, sur les routes même, aux flots de prisonniers et détenus évadés ou évacués, qui tous se trouvaient dans une détresse physique indicible. 23 Mais les camions ainsi déchargés devaient aussitôt servir à d’autres fins : au retour vers la frontière suisse 1, ils ramenèrent de ces camps des hommes et des femmes, les sauvant ainsi d'une mort quasi certaine. Ce que les envoyés du Comité international de la Croix-Rouge, sur les camions mis à sa disposition par le Ministère français des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, de même que par les Croix-Rouges alliées, ont pu accomplir pendant les dernières semaines des hostilités, tient du miracle. Un ravitaillem ent de grande envergure p u t même avoir lieu dans certains camps de concentration ; le rapatriem ent de milliers de détenus fut effectué. En outre, les délégués du Comité inter­ national, en application des accords passés par son président avec le général K altenbrunner, purent souvent jouer un rôle décisif dans les camps et empêcher l ’exécution de mesures extrêmes qui étaient à craindre, avant la libération des camps par les armées alliées. Cependant, en dépit des accords précités, les pourparlers avec les com mandants de camps furent malaisés. P rétendant en effet n ’avoir, pas reçu d ’ordres, les com mandants s’opposaient à l'entrée des délégués du Comité qui n ’obtinrent q u ’à grand’peine l’autorisation de distribuer eux-mêmes les vivres aux détenus a. Ju sq u ’aux derniers instants, les com m andants s’efforcèrent de dissimuler le secret des camps tragiques. Si les délégués du Comité international réussirent dans certains cas — notam m ent à Turckheim, à Ravensbrück, à Dachau, à Theresienstadt, à Mauthausen — à empêcher l’évacuation précipitée des camps et à en faciliter la remise aux armées alliées, en hissant euxmêmes le drapeau blanc, comme à Dachau et à M authausen; il n ’en fut pas de même ailleurs. C’est ainsi qu’à Oranienburg l’évacuation du camp fut ordon­ née : 30.000 à 40.000 êtres humains, hommes, femmes et enfants partirent en longues colonnes sur les routes, encadrés par des détenus de droit commun revêtus de l’uniforme de la W ehrm acht 1 D es ra p a triem en ts eu ren t é g a lem e n t lieu v ia L u b eck e t la S u èd e, so it a v ec le con cou rs de la C ro ix -R o u g e su éd o ise so it d ire c te m e n t par elle. 2 V oir en tro isièm e p a rtie, les ra p p o rts d es d élég u és e t p a g e 88 la ca rte d es p rin cip a u x ca m p s de c o n cen tra tio n . 24 et utilisés par les SS comme personnel auxiliaire de garde. La tâche des délégués du Comité consista alors à ravitailler ces colonnes en marche, qui ne recevaient aucune nourriture. Ainsi, pendant des jours et des nuits, les camions du Comité international firent un continuel va-et-vient entre les dépôts de ravitaillem ent et les colonnes d ’évacués, dont la trace était marquée souvent par les corps des traînards fusillés au bord des routes. Des milliers de déportés eurent alors la vie sauve grâce aux colis de la Croix-Rouge et de nombreux retardataires furent chargés sur les camions vides et transportés vers des lazarets et des centres d ’accueil. En outre, intervenant courageusement au­ près des chefs SS responsables, les délégués du Comité tentèrent d'empêcher des exécutions sommaires et y parvinrent parfois. Cependant, à Berlin même, malgré les com bats terribles qui m arquèrent l’occupation de la capitale, la délégation du Comité international demeura à son poste. Elle multiplia, dans cette phase ultime de la guerre, ses démarches auprès des Autorités en faveur des détenus des prisons et des camps de la région berlinoise, les prenant sous sa protection et veillant à leur ravi­ taillement. Grâce à ses interventions, la plupart des détenus furent libérés. * * * Le Comité international de la Croix-Rouge, qui a pour mission de veiller à l’application des conventions hum anitaires se devait à cette tâche, pourtant si lourde en regard de ses forces et de ses ressources. On sait l ’importance des résultats acquis dans ce domaine. C’est, dans une notable mesure, grâce à l’existence d ’une charte à laquelle la plupart des E tats avaient adhéré — la Con­ vention de 1929 — que les prisonniers de guerre ont pu jouir d ’un véritable statu t, dont l’application a été régulièrement con­ trôlée par les représentants des Puissances protectrices et du Comité international. C’est grâce à cette Convention que l’Agence centrale des prisonniers de guerre, ayant établi 25 millions de fiches de renseignements, put recevoir et transm ettre quelque cent millions de messages relatifs aux prisonniers et à leurs familles. C’est aussi grâce à la Convention qu’une vaste action de 25 secours, com portant la distribution de centaines de milliers de tonnes de vivres aux prisonniers de guerre, leur a permis de supporter la captivité et de regagner leurs foyers dans un état physique relativem ent satisfaisant. Tout autre était le sort des civils qui, on l'a vu, ne jouissaient d ’aucune protection conventionnelle. F aute d ’un sta tu t analogue à celui des prisonniers, ceux d ’entre eux qui, n’étan t pas des internés civils proprem ent dits, furent incarcérés pour des rai­ sons de sécurité se trouvèrent livrés au pouvoir discrétionnaire de la Puissance détentrice. Néanmoins, le Comité international mit to u t en œuvre pour les arracher à leur isolement et improviser, avec les ressources malheureusement limitées dont il disposait, une action de secours en leur faveur. Nombreuses, certes, sont les personnes qui n'ont pas été atteintes parce qu’inconnues ou faute de moyens tech­ niques pour les secourir. Néanmoins, du 12 novembre 1943 au 8 mai 1945, 751.000 colis environ, représentant 2600 tonnes de secours, furent envoyés par le Comité international aux déportés dans les camps de concentration. F ort nom breux et infiniment touchants sont les témoignages de gratitude qui parvinrent et qui parviennent encore à Genève. Mais la tâche du Comité international n ’est pas terminée : deux guerres mondiales rendent évidentes la nécessité et l’ur­ gence de fixer, dès le temps de paix, en droit international, le sta tu t des civils de nationalité ennemie ; qu’ils se trouvent à l’ouverture des hostilités sur le territoire des E tats belligérants ou qu’ils résident sur des territoires occupés. Aussi le Comité international de la Croix-Rouge juge-t-il indispensable que les Puissances s’emploient dans le proche avenir à conclure une convention à cet égard. Comme par le passé, le Comité, dans la mesure de ses moyens et à la place qui lui est assignée, est prêt à collaborer à cette œuvre prim or­ diale \ afin que les douloureuses expériences de la guerre qui vient de se term iner ne puissent pas se reproduire. 1 D an s ce sen s, il a d éjà en trep ris d e rassem b ler la d o cu m en ta tio n p e r m e tta n t de d év elo p p e r e t de rev iser le P r o je t de T ok io. 26 D E U X IÈ M E P A R T IE DOCUM ENTS On trouvera ci-après, in extenso ou résumées, classées chro­ nologiquement, les pièces essentielles, extraites des archives du Comité international de la Croix-Rouge, qui ont tra it à l'activité exercée par lui durant la seconde guerre mondiale en faveur des civils aux mains de l’ennemi et principalement en faveur de ceux qui étaient détenus en Allemagne dans des camps de concentration b En lisant ces documents, il convient de se rappeler que le Comité international se doit d ’entretenir avec tous les Gouver­ nem ents et Sociétés nationales de la Croix-Rouge des relations confiantes et suivies, et cela dans l’intérêt même des activités qu'il déploie en faveur des victimes de la guerre. Aussi a-t-il adopté, à l'égard de tous ses correspondants, une forme cour­ toise — s'inspirant d ’ailleurs des usages diplomatiques — qui lui est imposée par son caractère d ’autorité morale et par ses responsabilités. Il faut, d'autre part, garder présent à l’esprit qu'un grand nom­ bre de démarches en faveur des détenus revêtirent la forme d'interventions verbales, souvent personnelles, dont il est évi­ demment impossible de rendre compte ici. 1 S eu ls o n t é té su p p rim és les p a ssa g es ne se r a p p o rta n t p as d ire c te m en t à la m atière tr a ité e ou ju g és d 'im p o rta n ce seco n d a ire. L es su p p ressio n s s o n t ch a q u e fois in d iq u ées p ar d es p o in ts de su sp en sio n . 27 PREM IÈRE PHASE Dès le début de la guerre, le Comité international soumit aux Gouvernements belligérants des propositions tendant à remédier à l’absence de protection conventionnelle des civils aux mains de l’ennemi. Ces propositions visaient à obtenir des Puissances belligé­ rantes, au début de la guerre, l’adoption du Projet de Tokio ou, à son défaut, l’application, par analogie, aux internés civils, des dispositions de la Convention de Genève de 1929 relative aux prisonniers de guerre. Les démarches du Comité devaient aboutir, dans cette pre­ mière phase de la guerre, à l’application généralisée aux civils sur territoire ennemi -— il ne s’agissait alors que de cette caté­ gorie -— des dispositions de la Convention de 1929, dans la mesure où elles étaient applicables à des civils. Lettre-circulaire du CICR 1 aux Puissances belligérantes Genève, le 4 septembre 1939. Au moment où éclate un grave conflit armé, le Comité inter­ national de la Croix-Rouge, qui a son siège permanent à Genève depuis 1863 et se recrute exclusivement parmi les citoyens suisses, a l’honneur d’informer votre Excellence qu’il se met à la disposition du Gouvernement... pour contribuer, sur le plan humanitaire, selon son rôle traditionnel et dans toute la mesure de ses forces, à porter remède aux maux qu’engendrera la guerre... Les civils ennemis se trouvant sur le territoire de chacun des Etats belligérants, ou sur un territoire soumis, à quelque titre que ce soit, à la souveraineté de ces Etats, ne se trouvent, en temps de guerre, protégés par aucune convention internationale. Leur situation n’a été réglée, pendant la guerre de 1914-1918, que par des accords bila­ téraux conclus vers la fin de la guerre et aujourd’hui caducs. A l’heure qu’il est, elle n’est déterminée que par un projet de Convention approuvé par la XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge, réunie à Tokio en 1934, à laquelle votre Gouvernement était repré­ senté. Aussi, le Comité international de la Croix-Rouge propose-t-il au Gouvernement... d’établir un statut à appliquer à ces civils, statut 1 D a n s les d o c u m e n ts q u i su iv e n t, le C om ité in te r n a tio n a l de la CroixR o u g e e s t d ésign é p ar l ’a b ré v ia tio n : C IC R , sa u f to u te fo is d an s les te x te s rep rod u its in extenso. 28 qui pourrait s’inspirer des accords bilatéraux cités plus haut. Une autre solution pourrait encore consister en l’adoption anticipée et au moins provisoire, pour le seul confit actuel et pour sa seule durée, des dispositions du projet de Convention sus-mentionné, dont votre Excellence voudra bien trouver sous ce pli un exemplaire. Le Comité international de la Croix-Rouge ose exprimer le ferme espoir que votre Excellence voudra bien l’informer le plus rapide­ ment possible des dispositions que le Gouvernement... croira pouvoir prendre dans le sens des considérations et suggestions qu’il se permet de vous présenter. Note explicative du CICR à ses délégués, concernant le traitement des internés civils Genève, le 12 septembre 1939. Les belligérants, les uns par déclarations formelles, les autres en fait, appliquent par analogie aux internés civils (qui ne sont encore au bénéfice d’aucune convention) les termes de la Convention de 1929 relative au traitement des prisonniers de guerre, exception faite des dispositions (soldes, etc.) qui ne peuvent être appliquées qu’aux militaires. Le délégué devra donc, pour les visites d’internés civils, obtenir entre autres les mêmes normes que pour les camps de prisonniers de guerre. Il serait notamment utile d’obtenir des éclaircissements sur les points suivants : a) de quelles instances dépendent les renseignements relatifs aux civils ennemis ; b) quelles sont les catégories de civils ennemis qui ont été internées, celles qui ont été mises sous régime de liberté surveillée et celles qui n'ont pas été inquiétées ; c) mesures prises à l’égard des civils ennemis appartenant aux diverses catégories ci-dessus et habitant des territoires éloignés de la Métropole (protectorats, colonies, etc.) ; d) régime auquel les civils internés sont soumis (conditions d’in­ ternement, possibilité d’envoyer et de recevoir dès colis et des secours, paquets et argent), occupations auxquelles ils peuvent se livrer ; e) mesures prises à l'égard des réfugiés et apatrides originaires d'un pays ennemi ; /) obtenir si possible des listes de lieux d’internement et désignation des régions de confinement ; g) obtenir si possible des listes des civils internés. Pour faciliter l’identification des intéressés, il serait hautement désirable que les 29 listes comportassent au moins les indications suivantes : nom, pré­ noms, date et lieu de naissance, profession et adresse du dernier domicile. Si ces listes n’ont pas encore pu être établies, le délégué pourrait suggérer une distribution de formulaires de correspon­ dance dont le dépouillement au: bureau central permettrait, dans une certaine mesure, un redressement ; h) il serait hautement désirable que le délégué s’informât auprès des Autorités compétentes des mesures prévues pour l’échange de lettres contenant des nouvelles de caractère exclusivement fami­ lial entre les membres d’une même famille, domiciliés ou retenus dans divers pays belligérants. La correspondance peut-elle être échangée directement ? Si ce n’est pas le cas, pourrait-elle être transmise par l’intermédiaire du bureau central du Comité inter­ national de la Croix-Rouge qui en assurerait le tri, la censure et l’acheminement à destination ; au cas où cette éventualité devrait également être écartée, on pourrait envisager la distribution de formulaires de correspondance aux intéressés, formulaires qui seraient triés, censurés et acheminés à destination par le bureau central, où, en tout dernier ressort, ils seraient retranscrits et traduits dans la langue du pays de destination ; i) il serait désirable que le délégué pût obtenir des rensei­ gnements, aussi précis que possible, sur les localités qui auraient été évacuées, avec l’indication des catégories de civils (nationaux, neutres ou ennemis) qui auraient bénéficié de ces évacuations. Il serait utile également de connaître les localités ou régions vers les­ quelles ces évacuations auraient été dirigées ; y aurait-il lieu d’en­ visager la distribution de formulaires de correspondance aux per­ sonnes évacuées pour les mettre en mesure de rassurer le plus rapi­ dement possible leurs familles à l’étranger ? ; j) dans quelles conditions les civils ennemis non-mobilisables pourraient-ils être rapatriés dans leur pays d’origine s’ils le dé­ sirent ? Réponse verbale du Ministère des Affaires étrangères du Reich aux remarques techniques adjointes à la lettre du CICR du 4 septembre 1939, transmise par la délégation du Comité international de la Croix-Rouge à Berlin Berlin, le 28 septembre 1939. Les personnes civiles de nationalité ennemie, se trouvant en terri­ toire allemand, sont soumises à l’ordonnance sur le traitement des étrangers du 5 septembre 1939. 30 Le Gouvernement allemand serait prêt à discuter la conclusion d’une Convention pour la protection des civils sur la base du « Projet de Tokio »1. D’ores et déjà les prisonniers civils sont sous le même régime que les prisonniers de guerre. La visite des camps d’internés civils, la correspondance et l’envoi des secours seront autorisés dans la même mesure que pour les pri­ sonniers de guerre. La visite des délégués devra être précédée d’une autorisation écrite du Haut Commandement de l’armée. Actuellement, les internés civils se trouvent dans des établisse­ ments qui sont soumis à l’armée. On ne prévoit pas de changement dans cette manière de procéder. Les listes de civils internés sont déposées à la même agence que celles des prisonniers de guerre. En ce qui concerne les renseignements relatifs aux civils ennemis qui ne sont pas internés, le Département allemand de l’intérieur est compétent. Les renseignements relatifs aux civils ennemis internés sont donnés par le Bureau central de renseignements. Les civils ennemis n’ont pas été internés par catégories, mais il s’agit uniquement de mesures de sécurité, qui sont prises pour chaque cas particulier. Il s’agit du reste uniquement d’hommes. Les adresses postales des établissements d’internement peuvent être commu­ niquées. Les listes des civils internés remises au Comité international de la Croix-Rouge comprendront les indications demandées (nom, pré­ noms, date et lieu de naissance, profession et adresse du dernier domicile). Pour la correspondance des civils ennemis internés, les mêmes prescriptions que pour les prisonniers de guerre sont valables. Des formulaires, à l’exception des cartes, ne sont pas prévus. Les civils ennemis qui le désirent pourront retourner dans leur pays, pour autant que leur pays d’origine accorde la réciprocité. Ceci est également valable, sous les mêmes conditions, pour les civils mobilisables. Du côté allemand, on souhaiterait que les civils allemands internés dans les colonies puissent rentrer dans leur pays, s’ils le désirent. Il n'y aurait aucun inconvénient à ce que les belligérants s’obligent réciproquement à ne pas utiliser militairement les civils mobilisables qui seraient renvoyés dans leur pays d’origine. 1 P a r le ttr e du 30 n o v em b re 1939, le M in istère d es A ffaires étra n g ères du R eich co n firm a it q u e a du c ô té a llem a n d , o n e stim a it qu e le « P r o je t de T o k io » p ou rrait serv ir d e b a se à la c o n clu sio n d ’un accord in te r ­ n a tio n a l sur le tr a ite m e n t e t la p r o te c tio n d es c iv ils se tr o u v a n t en terri­ toire en n em i ou o ccu p é ». 31 Mémorandum du Comité international de la Croix-Rouge aux Gouvernements belligérants sur la possibilité d’accords destinés à apporter, pendant les présentes hostilités, certaines améliorations au sort des victimes de la guerre Genève, le 21 octobre 1939. Dans ses lettres du 4 septembre, adressées aux Gouvernements belligérants, ainsi que' dans les mémoires et notes techniques remis à ceux-ci par ses délégués, le Comité international de la Croix-Rouge a proposé aux Etats belligérants d’adopter, soit par des accords ad hoc conclus pour la durée des hostilités, soit par des ententes résultant éventuellement de déclarations unilatérales concordantes ou complémentaires, certains principes qui pourraient améliorer d’une manière générale la situation des victimes de la guerre... Le Comité international de la Croix-Rouge estime utile d’informer les Gouvernements — en confirmation et complément d’informations déjà fournies par ses délégués — de la situation telle qu’elle résulte des réponses provisoires des Gouvernements, pour autant que ceux-ci ont déjà manifesté leurs points de vue. Civils de nationalité ennemie, qui se trouvent sur le territoire d’un belligérant. Il importait avant tout d’adopter, comme base d’entente, le Projet de Convention adopté par la XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge en 1934 à Tokio, titres I et II (voir document annexe n° 1 : Projet dit de Tokio). Cela comporterait donc, sous condition de réciprocité, la possibilité de rapatrier certaines catégories de civils qui désireraient rentrer dans leur pays. Si l’on peut, dès maintenant, adopter le titre II du Projet dit de Tokio, ou une solution analogue — ce qui serait la meilleure solution du problème des civils en pays ennemis — il serait désirable que la situation des civils internés en pays ennemi trouvât une solution provisoire par l’assimilation du cas de ces civils internés à celui des prisonniers de guerre. Cette assimilation pourrait être totale, pour autant qu’il ne s’agisse pas de dispositions de la Convention du 27 juillet 1929 applicables aux militaires seulement (soldes, etc.). L’assimilation peut être faite notamment dans les trois cas sui­ vants : a) Traitement des civils internés. —- Ce traitement serait celui qui est prévu pour les prisonniers de guerre par la Convention du 27 juillet 1929. Remarque: Les Autorités allemandes appliquent actuellement aux civils les dispositions de la Convention de 1929. 32 b) Communication des listes nominatives des civils internés et des renseignements les concernant, conformément aux articles 77 et 79 de la Convention du 27 juillet 192g. Remarque: Aucun Gouvernement belligérant n’a pris, jusqu’à présent, d’engagements à ce sujet. Cependant, à la suite de démar­ ches spéciales faites par le Comité international de la Croix-Rouge, celui-ci a successivement reçu des Autorités anglaises de HongKong, du Ministère de la Défense nationale du Canada et du Gou­ vernement des Iles Falkland, des noms de civils allemands internés. c) Visites de camps d’internés civils. Remarque: Tous les Gouvernements consultés semblent être dis­ posés à autoriser les délégués du Comité international de la CroixRouge à visiter ces camps. Civils de nationalité ennemie qui se trouvent sur un territoire occupé par un belligérant. Il serait hautement souhaitable que le titre III du Projet dit de Tokio fût adopté par les belligérants comme règlement provisoire ; ce titre III marquerait un progrès incontestable sur les dispositions du Règlement de La Haye de 1907. Réponse du Ministère des Affaires étrangères à Paris, aux propositions du Comité international de la Croix-Rouge concernant la protection des civils en mains ennemies Paris, le 23 novembre 1939. Vous avez bien voulu appeler l’attention du Gouvernement fran­ çais sur la situation des civils de nationalité ennemie, internés ou retenus par la partie adverse. Vous avez fait remarquer que le sort de ces civils n'a fait l’objet d’aucune convention internationale mais que, toutefois, la XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge, réunie à Tokio en 1934, a adopté un Projet de Convention élaboré par le Comité international de la Croix-Rouge, concernant la con­ dition et la protection des civils de nationalité ennemie qui se trou­ vent sur le territoire d ’un belligérant, ou sur le territoire occupé par lui. La XVe Conférence a recommandé ce Projet à l’attention des Gouvernements signataires de la Convention de Genève et a chargé le Comité international de la Croix-Rouge de faire toutes démarches utiles pour le faire aboutir dans le plus bref délai possible. Vous ajoutez que le Comité s’efforce d’obtenir des Etats belligé­ rants, sous condition de réciprocité, leur adhésion aux principes énoncés dans le « Projet de Tokio » et vous indiquez que, des pre­ 33 mières démarches accomplies, il résulte que le Gouvernement alle­ mand serait disposé à prendre ce Projet comme base d’une entente avec les Etats ennemis. Vous suggérez toutefois qu'en attendant que le Gouvernement français juge possible, en ce qui le concerne, de donner son adhésion à ce texte, l’application de la Convention de Genève de 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre soit étendue, par analogie et sous condition de réciprocité, aux internés civils. J ’ai l’honneur de vous faire savoir que le Gouvernement français est d'autant plus disposé à se rallier aux vues exprimées par le Comité international de la Croix-Rouge sur la nécessité de régler par voie de statut international la condition des internés civils, que, de son côté, et dès le début des hostilités, il a pris spontanément toutes mesures utiles pour que les étrangers ennemis retenus sur son sol soient traités selon les principes de l’humanité. Le Gouvernement français reconnaît pleinement l’intérêt que pré­ sentent, pour établir le statut des civils se trouvant en territoire ennemi, les principes posés, sous les auspices du Comité international de la Croix-Rouge, dans le Projet dit de Tokio. Il estime cependant que le texte dont il s’agit nécessiterait encore une étude attentive et, avant de pouvoir devenir accord international, des discussions, qui, surtout dans les circonstances actuelles, risqueraient de deman­ der un assez long délai et de retarder d’autant la solution des pro­ blèmes intéressant les internés civils. C'est pourquoi, tout en acceptant en principe de poursuivre l’exa­ men du Projet de Tokio, le Gouvernement français estime préférable de retenir la deuxième suggestion que vous avez bien voulu faire. Il est donc disposé, en ce qui le concerne, et sous condition de réci­ procité de la part du Gouvernement allemand, à appliquer aux civils de nationalité ennemie internés sur son territoire les principes de la Convention de Genève du 27 juillet 1929 sur le traitement des pri­ sonniers de guerre en tant, bien entendu, que ces principes sont susceptibles d'être appliqués à des civils. Le Gouvernement français tient toutefois à préciser qu’il se verra dans l'impossibilité de se conformer strictement aux dispositions de la Convention de 1929, relatives à la communication des listes nomi­ natives de civils internés et des renseignements les concernant. La diversité des catégories de civils de nationalité ennemie internés en territoire français entraînerait en effet des difficultés insurmontables pour une communication obligatoire. D’autre part, en raison de la position toute spéciale dans laquelle se trouve un nombre important des internés à l’égard de l’Allemagne, le Gouvernement français est d’avis qu’il pourrait éventuellement résulter pour les internés euxmêmes et leurs familles restées en Allemagne de sérieux inconvé­ nients de la divulgation d’informations les concernant. Il se propose 34 donc de ne porter sur les listes que les noms des internés qui y con­ sentiront formellement. Note du Consulat d’Allemagne à Genève concernant le rapatriement d’étrangers de nationalité ennemie, du 27 novembre 1939 (résumé). Le Consulat d’Allemagne se réfère à l'entrevue du 16 novembre avec le Président du Comité international de la Croix-Rouge au cours de laquelle communication a été faite du grand intérêt que le Gou­ vernement du Reich porte au rapatriement prochain des ressortis­ sants du Reich, internés en pays ennemi. Il a été constaté avec satis­ faction que le Comité international partage le point de vue du Gou­ vernement du Reich sur cette question et qu’il a déjà entrepris des démarches en vue de sa prompte solution. Le Gouvernement allemand partage l’opinion du Gouvernement des Etats-Unis, à savoir que l’internement en masse de ressortissants de pays ennemis devrait, dans la mesure du possible, être évité. Aussi, les Autorités allemandes ont-elles interné, au début de la guerre, un nombre limité seulement de ressortissants ennemis. Il convient, d’autre part, de souligner que les Etats ennemis se sont déjà fortement engagés dans la voie des internements massifs, mesure qui suscite du reste des informations toujours plus nombreuses sur le traitement inutilement sévère infligé aux ressortissants du Reich. Lettre du Comité international de la Croix-Rouge au Ministère des Affaires étrangères à Londres Genève, le 7 décembre 1939. Le Comité international de la Croix-Rouge s’est permis d’attirer l’attention des Gouvernements des Puissances belligérantes, dès le . début des hostilités, sur la nécessité de régler la situation des civils . de nationalité ennemie qui se trouvent sur le territoire d’un belli­ gérant, ou sur un territoire occupé par lui. Il a proposé aux Puissances belligérantes de mettre en vigueur, provisoirement, par des accords ad hoc, le projet que la XVe Conférence internationale de la CroixRouge, réunie à Tokio en 1934, avait adopté à ce sujet, ou tout au moins certains titres dudit projet. Dans un mémorandum daté du 21 octobre, nous nous sommes permis de revenir sur ce point en connexité avec d’autres questions * qui pourraient trouver une solution provisoire par des accords ad hoc entre les Puissances belligérantes. 35 Le Comité international de la Croix-Rouge a suggéré dans le mémo­ randum précité que, en attendant que le projet de Tokio puisse trouver sa mise en vigueur, en tout ou partie, la Convention du 27 juillet 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre soit appli­ quée aux civils de nationalité ennemie internés sur le territoire d’un belligérant. Nous avons mentionné dans ledit mémorandum que le Gouvernement allemand avait déjà accordé aux civils internés le bénéfice de la Convention de 1929, pour autant que les dispositions de celle-ci sont susceptibles d’être appliquées à des civils. De son côté, le Gouvernement français, par lettre du 23 novembre, tout en acceptant en principe de poursuivre l’examen du projet de Tokio, s’est déclaré disposé, pour sa part, et sous condition de réci­ procité de la part du Gouvernement allemand, à appliquer aux civils de nationalité ennemie internés sur le territoire français les principes de la Convention du 27 juillet 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre, pour autant, bien entendu, que ces principes sont suscep­ tibles d'être appliqués à des civils. Le Gouvernement français a du reste formulé une réserve au sujet de la communication des noms d’internés. Pour différentes raisons, le Gouvernement français n’ins­ crira sur les listes visées aux articles 77 et 79 de la Convention de 1929 que les noms de ceux des internés qui consentent formellement à être portés sur les listes à communiquer. Il nous a paru utile de mettre le Gouvernement de Sa Majesté au courant de ces faits qui sont de natùre à améliorer, dans une sen­ sible mesure, le sort des civils ennemis internés et qui engagent le Comité international de la Croix-Rouge à demander à Votre Excel­ lence si le Gouvernement de Sa Majesté serait aussi disposé à appli­ quer également les principes de la Convention de 1929 aux internés civils allèmands qui se trouvent sur le territoire britannique. Comme les deux Gouvernements, qui se sont déjà prononcés en faveur de l’application des principes de la Convention sur le trai­ tement des prisonniers de guerre aux civils internés, ont formulé la réserve très naturelle que l’application ne saurait concerner que les dispositions qui sont susceptibles d’être appliquées à des civils, le Comité international de la»Croix-Rouge a pris la liberté d’informer ces Gouvernements qu’il leur soumettra prochainement une note concernant des observations sur l’ensemble de l’application de la Convention aux internés civils et sur certains points qui semblent exiger un examen particulier. Nous nous permettrons ultérieurement de vous soumettre également ce document. Le Comité international de la Croix-Rouge espère que le Gouver­ nement britannique voudra bien examiner avec bienveillance notre suggestion et il serait heureux de connaître la suite qui pourrait y être donnée. 36 Réponse du Ministère des Affaires étrangères à Londres aux propositions du Comité international de la Croix-Rouge (traduction). Londres, le 30 avril 1940. 1) Je suis chargé par le vicomte Halifax de me référer aux lettres qui lui ont été adressées par le Président du Comité international de la Croix-Rouge, au sujet de la possibilité d’appliquer aux internés civils les dispositions de la Convention signée à Genève en 1929 et relative aux prisonniers de guerre. 2) Je dois vous informer que les civils de nationalité ennemie internés dans le Royaume-Uni sont en principe traités conformément à la Convention relative aux prisonniers de guerre de 1929. Cepen­ dant, comme le Comité international le comprendra, quelques diffé­ rences de détail dans le régime sont inévitables. Ainsi, les civils internés ne sont pas nécessairement nourris et habillés de la même façon que les prisonniers de guerre, ils ne touchent pas de solde et ne peuvent, d'autre part, être forcés à travailler. Depuis longtemps déjà, des listes de civils allemands internés dans le Royaume-Uni ont été envoyées au Bureau de renseignements sur les prisonniers de guerre et des représentants de la Légation suisse et du Comité international ont eu l’occasion de visiter les camps d’internés dans le Royaume-Uni. Les internés civils allemands sont autorisés à écrire deux lettres par semaine et jouissent des facilités qu’offre le service postal en faveur des prisonniers de guerre. 3) Le Gouvernement allemand a sans doute déjà eu connaissance de ces faits, par les soins du Gouvernement suisse. 4) Le Gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume-Uni examine en ce moment la possibilité de conclure un accord formel avec le Gouvernement allemand sur ce point, et la proposition que M. Max Huber a bien voulu faire ne sera pas négligée en cette occasion. Le Comité international de la Croix-Rouge reçut encore des Gou­ vernem ents italien, canadien, australien, égyptien et des Indes néerlandaises, des réponses favorables à ses propositions relatives à l’application de la Convention de 1929 aux internés civils. Le Comité recommanda également aux Gouvernements des E ta ts neutres ayan t interné des ressortissants d ’E tats belligé­ rants de leur appliquer par analogie les dispositions de la Con­ vention de 1929. Dans cette première phase de la guerre, la grande majorité des civils en mains ennemies est maintenue en liberté. Cependant, une tendance à les interner se dessine bientôt. 37 Le Gouvernement du Reich informe le Comité international de la Croix-Rouge, le 21 octobre 1939, « que les civils français en Allemagne n ’ont pas été internés jusqu'à présent, mais qu’ils le seront vraisem blablement parce que la France interne les civils allemands ». Le Gouvernement allemand se déclare prêt « à fournir les listes d ’internés civils sous surveillance de la W ehrm acht, sous condition de réciprocité et à indiquer les lieux d ’internem ent ». Le 29 décembre 1939, le Comité international de la CroixRouge informe le Ministère français des Affaires étrangères « que ses délégués en Allemagne ont été autorisés à visiter les internés civils français, britanniques et polonais ». Il constate que c’est un progrès dans la voie de l’assimilation des internés civils aux prisonniers de guerre. Le Comité demande que le Gouvernement français autorise ses délégués à visiter les Dépôts de civils en France. Il indique que le Gouvernement britannique a également autorisé ses délégués à visiter les Dépôts d ’internés civils alle­ mands en Grande-Bretagne. P ar un mémorandum du 17 février 1940, le Gouvernement allemand se déclare disposé, m oyennant garantie de réciprocité, à prendre les engagements suivants : 1) pas de représailles pour les faits dont les internés civils ne sont pas personnellement responsables ; 2) pas d ’internem ent en masse ; 3) l’internem ent des Britanniques n'au ra lieu qu’après enquête approfondie ; 4) chaque B ritannique qui le désire pourra obtenir l’auto­ risation d’être rapatrié, m oyennant engagement de sa part de ne pas prendre les armes durant la guerre. Le rapatriem ent ne sera refusé qu’aux internés civils contre lesquels une action, judiciaire est en cours ; 5) les camps d ’internés civils pourront être visités. Par lettre du 19 janvier 1940, le Gouvernement du Reich adm et la réserve du Gouvernement français de ne communiquer les noms des internés civils qu’avec leur consentement, à con­ dition que ceux-ci ne soient pas « influencés ». Il se m ontrait dis­ 38 posé à accorder une légère solde aux internés civils et à les autoriser à travailler pour un salaire, à charge de réciprocité. Ces diverses déclarations perm ettent au Comité international de la Croix-Rouge, dans ses « Instructions à ses délégués » du 17 février 1941, d'exposer « que les belligérants, les uns par suite de déclarations formelles, les autres, en fait, appliquent par analogie aux internés civils les dispositions de la Convention de Genève de 1929 — dans la mesure où elles sont applicables à des civils. Les délégués devront donc, pour la visite des internés civils, observer les mêmes normes que pour les camps de pri­ sonniers de guerre ». D E U X IÈ M E PHASE Au fur et à mesure que la guerre se développe, de nouvelles catégories de civils tom bent en mains ennemies. Aux civils en territoire ennemi — en liberté ou internés « en raison de leur nationalité » — viennent s’ajouter les civils en territoire occupé, les otages, les déportés, incarcérés ou internés dans les camps de concentration « pour raison de sécurité » (Schutzhâf tlinge). Lettre du Comité international de la Croix-Rouge au Ministère des Affaires étrangères du Reich, relative au rapatriement de certaines catégories d’internés civils (traduction) Genève, le 5 août 1941. Le Comité international de la Croix-Rouge reçoit de plus en plus fréquemment des appels émanant d’Autorités gouvernementales et de personnalités civiles le priant de vouer toute son attention au rapatriement des personnes civiles se trouvant en territoire occupé ou en pays ennemi. En raison de la durée des hostilités et de la dureté croissante des conditions économiques, la situation des civils de nationalité ennemie détenus dans un E tat belligérant devient de jour en jour plus pénible ; leur présence constitue en outre pour la Puissance détentrice une charge qui n’est nullement négligeable. Dans ces conditions, le Comité international de la Croix-Rouge croit de son devoir de demander aux Etats belligérants s’ils ne considèrent pas que le moment est venu 39 d’envisager la possibilité d’un accord pour le rapatriement de cer­ tains groupes de civils et, en premier lieu, des ressortissants ennemis qui sont détenus pour d’autres motifs que ceux de la sécurité nationale. Par sa circulaire du 4 septembre 1939, ainsi que par son mémoire du 21 octobre de la même année, le Comité international de la CroixRouge a déjà eu l’honneur d’attirer l’attention des Gouvernements belligérants sur l’urgence de cette question et de proposer comme base de discussion le projet de Convention internationale adopté par la XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge à Tokio en 1934. Les articles 2 et 3 dudit projet, dont copie ci-jointe, méritent une attention particulière. Cette proposition ne s’est heurtée à aucune objection de principe de la part des Gouvernements belligérants ; certains Gouvernements ont même accueilli ce projet avec faveur. Le fait qu’aucun accord n’a pu être conclu jusqu'à présent est dû surtout à des difficultés d’ordre technique, qui aujourd’hui ne sont peut-être plus insurmontables. Si le Gouvernement du Reich se décidait à accueillir avec bien­ veillance la suggestion du Comité international de la Croix-Rouge, il conviendrait de définir les groupes de civils entrant en ligne de compte et d’étudier la réalisation pratique de ce rapatriement. La classification pourrait se présenter comme suit : 1. Civils non internés, désireux d’être rapatriés et qui com­ prendraient surtout les femmes et’les enfants, ainsi que les hommes qui ne sont plus d’âge militaire. 2. Internés civils dont la situation est particulière : médecins, prêtres, pasteurs, diaconesses, religieuses et infirmières. 3. Autres internés civils, en particulier les femmes et les enfants. L’organisation pratique des rapatriements serait à examiner ensuite sous tous ses aspects (financement, mode et voies de transport, saufconduits, etc.). Le Comité international de la Croix-Rouge serait reconnaissant au Gouvernement du Reich de lui faire connaître son point de vue. Le Gouvernement du Reich serait-il prêt à charger le Comité inter­ national de la Croix-Rouge d’étffidier cet ensemble de problèmes et disposé en outre à autoriser le départ des groupes précédemment mentionnés de civils britanniques, détenus soit sur le territoire du Reich, soit dans les régions occupées ? Le Comité international de la Croix-Rouge demande en même temps aux Gouvernements britannique et italien s’ils seraient enclins à autoriser la libération et le rapatriement des groupes correspondants de civils allemands et italiens d'une part, et britanniques d’autre part. Le Comité international de la Croix-Rouge serait disposé, si on 40 lui en exprimait le désir, à prendre toutes les mesures et à faire, selon les circonstances présentes, toutes les démarches nécessaires pour la réalisation de ce rapatriement. Au cas où le Comité international de la Croix-Rouge recevrait des réponses affirmatives, il examinerait immédiatement les aspects pratiques du problème (finances, voies de transport, sauf-conduits), et cela dans les pays mêmes où se trouvent les internés. Le Comité international de la Croix-Rouge serait égale­ ment prêt à organiser des convois de rapatriés et à affréter des navires, qui voyageraient sous l’emblème de la Croix-Rouge. L’identité des passagers serait alors vérifiée à bord par un délégué de la CroixRouge. Le Comité international de la Croix-Rouge serait heureux et recon­ naissant si le Gouvernement du Reich voulait bien lui communiquer son point de vue sur une question de principe dont la solution lui paraît hautement désirable. Lettre du Ministère des Affaires étrangères du Reich au CICR, du 12 mars 1942 (résumé) Le Gouvernement allemand répond aux propositions du CICR relatives à la création de camps de familles. Le Gouvernement alle­ mand espère pouvoir résoudre cette question qui lui tient à cœur. Quand il a dû se résoudre à interner des civils britanniques, il a toujours eu soin d’adoucir dans la mesure du possible les règlements de l'internement en ne séparant pas les mères de leurs enfants, les pères de leurs fils. En France occupée, les couples sont inter­ nés à Vittel. Lettre de la Croix-Rouge allemande au- CICR, du 29 avril 1942 (résumé) La Croix-Rouge allemande informe le CICR qu’elle n’a pu obtenir les renseignements que celui-ci lui demandait concernant des non'aryens qui auraient été évacués des territoires occupés ; tous rensei­ gnements à leur sujet sont refusés par les Autorités compétentes. La Croix-Rouge allemande prie donc dorénavant le CICR de s’abste­ nir de lui adresser des demandes d’informations qu’elle n’est pas en mesure de satisfaire. A l’avenir, elle n’aura que la possibilité de pro­ céder à des enquêtes sur les non-aryens de nationalité étrangère qui se trouvent sur le territoire du Reich. Lettre du CICR au Ministère des Affaires étrangères du Reich, du 20 mai 1942 (résumé) Le Comité international de la Croix-Rouge demande communica­ tion des listes nominatives des internés civils des camps de Drancy, 41 de Compiègne et d’Afrique du Nord, qui auraient été déportés en Alle­ magne ; le lieu actuel de leur détention, les adresses où l'on peut leur envoyer des secours et s’ils sont autorisés à correspondre avec leur famille. (Cette demande est restée sans réponse.) Note du délégué du CICR à Berlin, du 24 mai IÇ42 (résumé) Le délégué a pu visiter, suivant les instructions du Comité inter­ national, le camp d’otages hollandais de s’Hertogenbosch. Il trans­ met une note du Gouvernement allemand réfutant l’assertion selon laquelle les otages seraient maltraités. De nombreux avantages leur ont été au contraire accordés ; aucune limitation n’est apportée à l'envoi de colis et de correspondance. Lettre personnelle du Président du Comité international de la CroixRouge au Président en exercice de la Croix-Rouge allemande, relative à la prise d'otages en Hollande (traduction) Genève, le I er juin 1942. Si, par ces lignes, je m’adresse à vous à titre personnel, c’est qu’il s’agit d’une affaire qui revêt à nos yeux une importance primordiale. J ’ai en outre la conviction que vous comprendrez pleinement notre situation et les mobiles auxquels nous obéissons. Il ressort d’informations parues dans la presse qu’on a procédé dernièrement aux Pays-Bas à de nombreuses arrestations d’otages ; on envisagerait en outre de transférer dans un autre camp (St Michiels) les otages hollandais internés au camp de s’Hertogenbosch, où ils se trouvent dans des conditions relativement supportables. Le Comité international de la Croix-Rouge ne peut demeurer indifférent à cette nouvelle. Je ne veux pas traiter ici de l’aspect général et humanitaire de ce problème. Nous sommes persuadés que les Autorités allemandes ne prennent pas à la légère des mesures aussi sérieuses et qu’elles ne s’y décident que lorsque la gravité des infrac­ tions et des attentats commis contre la Wehrmacht exigent les sanc­ tions les plus strictes. Je voudrais me borner à rappeler à cette occasion, pour ne rien omettre, le projet dit de Tokio (XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge, 1934) et en particulier le passage suivant : « Au cas où, à titre exceptionnel, il apparaîtrait indispensable à l’E tat occupant de prendre des otages, ceux-ci devront toujours être traités avec humanité. Ils ne devront sous aucun prétexte être mis à mort ou soumis à des châtiments corporels. » 42 Cet alinéa du projet de Tokio — projet qui d'ailleurs n’est pas entré en vigueur — est fondé sur l'article 50 du Règlement de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre, article interdisant les peines collectives infligées aux populations de territoires occupés, par suite d’actes individuels dont elles ne peuvent être considérées comme responsables. Je me limiterai ici au cas particulier des Hollandais, en soulignant toutefois un point qui est d'une importance capitale pour notre travail en faveur des nombreux ressortissants du Reich qui se trou­ vent dans les territoires d’outre-mer. Nous avons constamment fourni aux Autorités du Reich des ren­ seignements détaillés sur l’activité de nos délégués en faveur des internés allemands qui demeurent dans les pays en guerre avec l'Allemagne. Tout dernièrement encore, nous avons pu communiquer au Ministère allemand des Affaires étrangères les résultats remar­ quables de la mission entreprise par notre délégué en Guyane hol­ landaise, où celui-ci put obtenir des améliorations sensibles en faveur des ressortissants du Reich détenus dans ce pays depuis deux ans. Le travail que nos délégués accomplissent outre-mer en faveur des ressortissants allemands ne peut avoir de résultats pratiques et durables que si les Autorités allemandes, pour des motifs de réci­ procité, tiennent compte de ces résultats dans le traitement des ressortissants desdits pays ennemis qui se trouvent en mains alle­ mandes. La valeur de notre travail serait, d'autre part, gravement compromise si les rapports que nous adressons au Ministère des Affaires étrangères sur les résultats d’une mission, non seulement n’étaient suivis d’aucun allégement, mais, comme par exemple dans la question des otages, devaient même coïncider avec une attitude plus rigoureuse des Autorités du Reich. Nous sommes précisément en train de renforcer nos délégations dans les Etats d’Amérique latine ; des tâches considérables et ardues nous y attendent, dans l'intérêt aussi de milliers de ressortissants allemands qui s’y trouvent. En ce qui concerne le Brésil, nous avons déjà reçu une importante proposition du Ministère allemand des Affaires étrangères concernant l’aide à apporter aux Allemands dans ce pays. Nous ne souhaitons rien avec plus d’ardeur que de faire, comme auparavant, tout ce qui est en notre pouvoir pour améliorer le sort souvent pénible de ces victimes de la guerre, qui n’ont jamais combattu. Mais comment pourrions-nous, nous et nos délégations, compter sur la compréhension et la bonne volonté des Autorités d’une Puissance détentrice, si celles-ci sont en mesure de rétorquer que les facilités qu’elles accordent ne trouvent pas, en règle générale, de contre-partie du côté allemand ? Je vous adresse donc, Monsieur le Président, la prière instante d ’user de toute votre influence auprès des milieux compétents pour 43 qu’ils tiennent compte des difficultés et des conditions préalables de réciprocité qui régissent le travail de nos délégués dans les différents Etats belligérants. Il importe d’éviter, autant que faire se peut, toutes mesures pouvant entraîner l’aggravation de la situation générale, et notamment des répercussions défavorables pour les citoyens alle­ mands se trouvant outre-mer. Vous connaissez l'importance de nos délégations dans presque tous les pays du monde et les dépenses énormes auxquelles nous ne fai­ sons face qu’au prix de grandes difficultés. Nous souhaitons que cette organisation universelle puisse continuer à rendre service à vos com­ patriotes en pays ennemis ; mais je ne puis vous cacher ma crainte que nos efforts ne soient sérieusement entravés si les résultats acquis n’éveillent pas d’écho dans le Reich, dans le sens indiqué plus haut. J'ajoute pour terminer que nous connaissons le point de vue du Gouvernement du Reich, tendant à résoudre ce problème par le rapatriement réciproque de tous les internés civils. Sans doute cette idée doit être accueillie avec faveur ; je crois cependant devoir exprimer certains doutes quant aux possibilités de la réaliser. Même si, par exemple, les Gouvernements belge et néerlandais en exil se déclaraient prêts à rapatrier tous les Allemands, y compris les hommes d’âge militaire, les Autorités du Reich seraient toujours en mesure d’opérer des arrestations ultérieures dans les territoires occupés. Cette supposition a sans doute fourni aux Gouvernements susnommés le motif de leur premier refus, qui a été porté à notre connaissance. Bien que nous n’ayons rien entrepris dans ce domaine jusqu’ici et que nous ignorions l’avis des Gouvernements intéressés, je crains que la proposition du Gouvernement allemand ne soit pas acceptée. Ce qui nous importe toutefois, c’est d’obtenir des allége­ ments tangibles en faveur de cette catégorie de victimes de la guerre et d’arriver à des solutions pratiques. C'est pourquoi nous estimons de notre devoir de chercher à exercer une influence modératrice chaque fois que la situation menace d’em­ pirer et de tenter tout ce qui est de nature à amener une détente. C’est dans ce sens que je vous prie d’interpréter ces lignes person­ nelles et de vouloir bien, comme par le passé, faire preuve de votre compréhension habituelle de notre situation particulière entre les belligérants, situation qui repose en grande partie sur l'application du principe de réciprocité. Réponse du Président en exercice de la Croix-Rouge allemande à la lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge du i ei juin 1942, concernant les otages hollandais (traduction) Berlin, le 7 juillet 1942. Votre lettre du I er juin m’a vivement préoccupé. Vous savez à quel point le travail du Comité international de la Croix-Rouge me 44 tient à cœur et, par conséquent, combien je partage vos pensées et les soucis que vous inspire votre rôle d'intermédiaire et de modéra­ teur à propos des incidents qui se sont produits en Hollande et que vous rapportez. Vos préoccupations me paraissent entièrement justifiées, même si les conséquences que vous redoutez ne pouvaient avoir de réper­ cussions fâcheuses pour nos propres ressortissants. Bien que mes constatations relatives aux questions qui nous pré­ occupent ne me permettent pas, jusqu’ici, de vous donner une réponse qui nous satisfasse tous, je partage néanmoins votre espoir qu’une aggravation du sort de mes compatriotes, pour le présent et à l’ave­ nir, puisse être évitée, des mesures de ce genre entraînant toujours des représailles. Et ceci d’autant plus, qu’il y a tout de même une distinction à faire entre les nécessités devant lesquelles les Autorités allemandes se trouvent placées dans un territoire occupé comme les Pays-Bas et le traitement des internés civils pour lesquels les Con­ ventions en vigueur prévoient un régime nettement défini. Nous éprouvons de la gratitude envers le Comité international de la Croix-Rouge pour chaque allégement, fût-il minime, que ses efforts inlassables ont tant de fois procuré au sort des détenus. Vous comprendrez donc combien je regrette, précisément dans ce do­ maine, de ne pouvoir vous offrir l’entremise efficace de la CroixRouge allemande en ce qui concerne les incidents dont il est question dans votre lettre. Croyez, je vous prie, que seules des nécessités militaires péremptoires ont pu amener les Autorités compétentes à prendre ces mesures et que, pour l’instant, il est impossible d'invoquer même certains principes qui nous tiennent fort à cœur. Note du CICR à sa délégation à Berlin, du 21 juillet 1942 (résumé) Le Comité international, qui a appris par la Croix-Rouge polo­ naise l’arrestation d’officiers de réserve polonais, demande à sa délé- ^ gation à Berlin de se procurer les listes nominatives de ces officiers et d’obtenir l’autorisation de visiter le camp où ils sont détenus. Lettre de la Croix-Rouge allemande au CICR, du 20 août 1942 (résumé) En confirmation de sa lettre du 29 avril 1942, la Croix-Rouge alle­ mande expose qu’elle ne peut donner des renseignements sur les déte­ nus non-aryens qui se trouvent sur les territoires occupés par la Wehrmacht. En ce qui concerne les autres détenus civils dans les territoires occupés, les Autorités compétentes se refusent à donner des rensei­ gnements à leur sujet. 45 Lettre du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 24 août 1942 (résumé) 1) Les internés civils originaires des pays occupés par l’Allemagna n’ont pas de Puissance protectrice. Il semble au CICR qu’ils ne sau­ raient être privés de la garantie de la Convention du 27 juillet 1929. Comment est assurée la défense de leurs intérêts privés, leur propre défense devant les tribunaux ? 2) Les Espagnols républicains internés au camp de Mauthausen, ■d’après le Gouvernement allemand, ne sont pas sous le contrôle de la XVehrmacht, mais de la police. Le CICR demande qu'ils soient trai­ tés comme prisonniers de guerre, qu’ils puissent envoyer et recevoir de la correspondance ; il demande également la liste de ces internés. Instructions du CICR à ses délégués concernant les civils internés ou incarcérés en Italie, Allemagne, Egypte, France occupée, du 15 septembre 1942 Le Comité international de la Croix-Rouge insiste sur la nécessité d’étendre son appui à cette catégorie de personnes. Il est évident que les facilités que le délégué du CICR pourra obtenir auprès d’un belligérant permettront de demander les mêmes privilèges auprès de la partie adverse. Le CICR doit intervenir dans certains domaines où la Puissance protectrice n’intervient généralement pas. C’est dans ce sens que le CICR entreprend des enquêtes individuelles concernant les civils non internés en pays ennemi, avec le concours des Sociétés nationales de la Croix-Rouge. De même, il a réussi, avec l’accord des belligérants, à instaurer un système de correspondance permettant aux civils de rester en contact avec leur pays d’origine. En l’absence d’une convention spéciale (Projet de Tokio), il est , apparu nécessaire d’assimiler les internés civils aux prisonniers de guerre et de leur appliquer les dispositions de la Convention de Genève. Les internés délinquants doivent également être au bénéfice du Chapitre III, articles 47 et suivants, de la Convention de 1929. Le CICR doit s’efforcer de faire appliquer la Convention de 1929, par analogie, à tous les cas où cela est matériellement et juridique­ ment possible. Note du CICR à sa délégation à Berlin Nous — nous Comme de tous tation ; 46 Genève, le 24 septembre 1942. vous envoyons en annexe une Note traitant d’un sujet qui ne le cachons pas — nous cause de sérieuses préoccupations. vous pouvez facilement l'imaginer, nous sommes assaillis côtés de demandes relatives aux nombreux cas de dépor­ ces demandes concernent en tout premier lieu des Israélites, mais cette Note se rapporte également aux arrestations de nationaux non Israélites dans les pays occupés, par exemple les otages, etc. Jusqu’à maintenant, nous avons transmis à la Croix-Rouge alle­ mande des enquêtes individuelles concernant les déportés ; c’était tout ce que nous pouvions faire. Or, lors de sa dernière visite, M. H artm ann1 nous a déclaré que la Croix-Rouge allemande était obligée de refuser toute enquête concernant les Juifs. En ce qui concerne les déportés non Israélites, M. Hartmann n’a pas refusé les enquêtes d’une façon aussi catégorique ; et nous avons reçu de la Croix-Rouge allemande quelques réponses, dont un petit nombre — une trentaine — étaient positives ; plusieurs réponses disaient cependant que les Autorités allemandes refusaient de donner suite à nos enquêtes, d'autres indiquaient que la personne recherchée était évacuée vers l'Est. Il est difficile de déterminer exactement le pourcen­ tage de réponses positives, bon nombre des noms signalés ne per­ mettant pas d’établir avec certitude s’il s’agit ou non d’Israélites. Nous estimons toutefois que ce problème est beaucoup trop grave pour que le Comité ne l’aborde que par le moyen d’enquêtes indi­ viduelles. Le grand nombre d’arrestations et de déportations, notam­ ment en France, pose un problème humanitaire dont le Comité inter­ national de la Croix-Rouge ne peut se désintéresser. Pour le Comité international, il s’agit là de civils ressortissants de pays belligérants aux mains de l’ennemi. Ainsi que nous l’exposons dans la Note cijointe, nous considérons ne pas pouvoir les priver de notre sollicitude et c’est dans ce dessein que nous vous confions cette Note en vous priant de l’utiliser comme base pour un entretien avec le Ministère des Affaires étrangères ; si vous le jugez opportun, vous voudrez bien la remettre à votre interlocuteur. Nous nous rendons compte des diffi­ cultés et des résistances auxquelles votre démarche se heurtera... Enfin, nous tenons à vous dire que nous avons pensé nous servir du meilleur argument possible en fondant cette tentative sur le prin­ cipe de la réciprocité. En effet, nos délégués en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ont obtenu de visiter les détenus dans les camps qui sont sous administration de la police ou des autorités judiciaires. Notre délégué au Vénézuéla a également visité des marins allemands qui sont, croyons-nous, des « saboteurs ». Il n’y a évidemment pas de réciprocité directe ; cependant, si les Autorités allemandes ne nous accordent pas certaines facilités que nous réclamons dans la Note annexée, nous risquons de voir partout les portes se fermer lorsque nous demanderons à l’avenir des autorisations analogues. Nous vous remercions à l’avance de ce que vous croirez pouvoir faire dans cette question, ainsi que du rapport que vous voudrez bien nous adresser après votre visite à la Wilhelmstrasse. 1 C hef d u D ép a rtem e n t d es rela tio n s ex té r ie u r e s de la C roix -R o u g e allem a n d e. 47 Annexe à la Note précédente (traduction) A plusieurs reprises, les Autorités du Reich ont attiré l’attention du CICR sur la situation des ressortissants allemands qui, pour des raisons de sécurité nationale, ont été mis en état d’arrestation dans les pays qui se trouvent en guerre avec l’Allemagne. Afin de donner suite au vœu exprimé à ce sujet par le Gouvernement allemand, le Comité a chaque fois donné instruction à ses délégués d’entreprendre des démarches auprès des Etats en question et de s'efforcer, dans la mesure du possible, d’obtenir une amélioration de la situation de ces détenus qui ne sont pas au bénéfice du statut des internés civils proprement dits. Aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, nous avons été autorisés à visiter ces personnes arrêtées et détenues par la police dans les lieux mêmes de leur détention. Des démarches ana­ logues sont envisagées auprès de certains Etats de l’Amérique latine récemment entrés en guerre, notamment au Brésil et au Vénézuéla. Le CICR est d’autant plus anxieux de poursuivre son activité dans ce sens et de la développer qu’il agit, dans ce domaine, conformé­ ment à sa politique traditionnelle et aux mandats qui lui ont été confiés par les Conférences internationales de la Croix-Rouge. Le Comité se tient toujours à la disposition du Gouvernement du Reich au cas où ses services lui paraîtraient désirables et pour des cas de ce genre. Dans cette question, le Comité international s’inspire du désir d’assurer à la dite catégorie de personnes, d’accord avec la Puissance détentrice, les facilités prévues en leur faveur, tant par l’extension aux internés civils de la Convention de 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre, que par l’application des articles du projet de Tokio, lequel avait recueilli l’approbation de principe de tous les délégués des Gouvernements et des Sociétés de Croix-Rouge repré­ sentés à la dite Conférence. Du reste, au cours du présent conflit, le Gouvernement allemand nous a déclaré qu’il était disposé, sous condition de réciprocité, à appliquer les dispositions du dit projet. Or, nous sommes saisis maintenant, au sujet des ressortissants étran­ gers mis en état d'arrestation par les Autorités allemandes dans les territoires occupés, de cas analogues aux cas cités plus haut et qui nous avaient été soumis par l’Allemagne. Le Gouvernement du Reich comprend certainement que notre activité passée et de caractère universel n’a été possible en principe que grâce au principe de réci­ procité. Le fait que nous demeurions de façon identique à la dispositioh de tous les belligérants, nous a acquis une confiance qui nous a mis en état de nous occuper de toutes les victimes de la guerre, sans distinction. C’est pourquoi nous nous permettons de recourir au Ministère des Affaires étrangères du Reich à propos des ressor­ tissants étrangers qui ont été arrêtés dans les territoires occupés et qui, depuis lors, sont internés ou déportés en Allemagne sans que l’on 48 puisse, dans la plupart des cas, connaître ni leur lieu de détention, ni leur sort actuel. Nous voudrions, dans cet ordre d'idées, soumettre au Ministère des Affaires étrangères les propositions suivantes : 1. -— Nous souhaiterions vivement recevoir des renseignements individuels sur le domicile actuel des personnes mises en état d’arrestation, emprisonnées ou déportées à l’étranger, afin de pou­ voir renseigner leurs familles et, dans certains cas, des milieux plus étendus, anxieux quant à leur sort. 2. — Pourrait-on donner à ces personnes la possibilité d’en­ voyer des nouvelles à leurs familles ? Au cas où un échange nor­ mal de correspondance pourrait être autorisé, peut-être y aurait-il lieu d’étudier l’emploi de simples formulaires imprimés, semblables aux cartes de captivité dont l'emploi est accordé aux prisonniers de guerre. 3. — Les familles de ces détenus et les Sociétés nationales de Croix-Rouge pourraient-elles avoir l’autorisation de leur envoyer des colis ? 4. — Les délégués du CICR pourraient-ils recevoir la permission de les visiter ? Ce mode de faire serait hautement recommandable pour les raisons que nous avons invoquées plus haut (visites aux ressortissants allemands internés en pays ennemi). Il nous paraît d’autant plus nécessaire d’accorder ces facilités que la Croix-Rouge allemande vient de nous faire savoir qu’elle n'est plus à même d’entreprendre des enquêtes individuelles sur ces personnes — enquêtes qu'un nombre considérable de familles dans les divers pays nous demandent sans cesse d’entreprendre. Si le CICR se permet d’exposer son point de vue dans cette affaire, c’est parce qu’il met sa confiance dans l’attitude de compréhension et de bonne volonté que les Autorités du Reich n’ont cessé de mani­ fester à son égard. En outre sa neutralité absolue lui impose le devoir d'obéir en tous pays et en toutes circonstances aux mêmes principes et de solliciter partout les mêmes facilités dans l’accomplissement de sa tâche. (La délégation du CICR à Berlin ne put transmettre au Comité, en date du 22 décembre 1942, qu’une réponse négative du Ministère des Affaires étrangères à cette note : le ministère était dans l’impos­ sibilité de répondre aux demandes formulées à l’égard des déportés.) Note de la délégation du CICR à Berlin, du 21 novembre I Ç 4 2 (résumé) A la suite des démarches de notre délégation à Berlin, le Ministère des Affaires étrangères a déclaré que des Français qui avaient-été 49 internés par erreur au camp de Mauthausen ont été retransférés dans des camps de prisonniers de guerre: La délégation espère obtenir le même résultat en faveur des Espa­ gnols républicains internés à Mauthausen. Elle informe le Comité « que les Polonais internés dans les camps de concentration sont légion et que malgré tous ses efforts elle ne peut intervenir pour de tels cas ». Note du CICR à lu Croix-Rouge allemande et au Ministère des Affaires étrangères du Reich, décembre 1942 (résumé) Les délégués du CICR ont eu l’autorisation de visiter les camps d’internement des civils allemands au Brésil condamnés pour crimes contre la sécurité de l'Etat. Ces internés sont astreints à un travail non payé ; la direction des camps pourvoit à leur entretien. Les délégués ont pu s'entretenir sans témoins avec les internés. Ils ont attiré l’attention des Autorités brésiliennes sur les motifs de plaintes des internés et les améliorations qu’il conviendrait d’apporter à leur traitement. Note de la délégation du CICR à Berlin sur le traitement des officiers arrêtés en tenue civile dans les territoires occupés (Belges, Hollandais, Norvégiens, Polonais, Yougoslaves), décembre 1942 (résumé) Selon le Haut Commandement de l'armée allemande, les officiers norvégiens arrêtés à titre préventif le 12 janvier 1942, après le coup de main britannique sur Trondjem, et internés à la prison de la Gestapo d’Oslo, puis transférés à Schokken, sont traités comme des prisonniers de guerre. Ils ont pu faire venir leurs uniformes. Le Haut Commandement allemand ne sait rien de l’internement d'aviateurs et d'officiers de l’armée belge en Belgique. Les 2028 Hollandais de Stanislau, bien qu’arrêtés par la police, restent sous la protection de la Convention de 1929. Les Yougoslaves arrêtés à titré préventif sont traités comme des prisonniers de guerre. En revanche, les Polonais arrêtés par la Gestapo ne sont pas traités comme des prisonniers de guerre. TROISIÈME PHASE D evant le refus des Autorités du Reich de laisser pénétrer les délégués du Comité dans les camps de concentration, et de fournir les listes nominatives des déportés, le Comité interna­ tional de la Croix-Rouge doit s'ingénier à tourner la difficulté. 50 Grâce à sa persévérance, aux intelligences q u ’il réussit à avoir dans les camps, il se procure des adresses d ’internés et, par le jeu des quittances, constitue un fichier des déportés qui lui perm et d ’envoyer des colis individuels dans les camps, puis des colis collectifs. Il crée le Service des colis aux camps de concentration (Ser­ vice CGC). Chaque fois que des arrestations de civils et des déportations lui sont signalées, il s’efforce de connaître les noms de ces civils et leur lieu de déportation. Le Comité international s’inquiète du sort des civils belges, danois, yougoslaves ; des otages hollandais, des professeurs déportés de l’Université de Cracovie, des officiers polonais et norvégiens arrêtés en tenue civile et internés préventivem ent ; des détenus politiques français, des réfractaires français au ser­ vice du travail, etc. Inlassablem ent, il demande pour tous ces internés et déportés l’octroi de « garanties minimums ». Il tente, sans succès, de leur faire parvenir des messages civils. Il harcèle la Croix-Rouge alle­ mande de demandes d'enquêtes individuelles. Elle répond à quelques-unes, en précisant qu’elle ne peut les faire que s’il s'agit d’Aryens et qu’elle est elle-même impuissante, devant le refus des A utorités allemandes de fournir des renseignements. La réponse est invariable : les personnes arrêtées l’ont été « pour des raisons de sécurité » et sont soustraites, de ce fait, à tout contrôle ; elles dépendent uniquem ent de la police. Le Comité international entreprend aussi de pressantes démarches auprès des Autorités alliées dont dépendent les mesures du blocus pour obtenir leur assouplissement en faveur des détenus dans les camps de concentration. Des secours parviennent à Dachau, Ravensbrück, Oranienburg, M authausen. En août et septembre 1944, les marchandises du navire « Cristina » sont distribuées dans les camps. Note du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 17 juin 1943 (résumé) Le Comité envoie à la Croix-Rouge allemande des listes de per­ sonnes arrêtées dans les territoires occupés et qui vraisemblablement ont été envoyées en Allemagne ; il demande à la Croix-Rouge alle­ 5.1 mande de lui envoyer si possible les adresses de ces personnes. Il s’agit de Français, de Tchèques, de Grecs, de Russes et de Belges. (Cette note ne reçut pas de réponse, voir plus loin la note de la CroixRouge allemande du 5 octobre 1943.) Appel du Comité international de la Croix-Rouge aux Gouvernements belligérants, du 24 juillet 1943. Le Comité international de la Croix-Rouge a toujours eu et conserve comme ligne de conduite, en présence des horreurs, des souffrances et des injustices découlant de la guerre, de manifester sa position morale et sa volonté secourable par des actes plutôt que par des paroles. Cependant, dès le début des hostilités en 1939, puis les 12 mars et 12 mai 1940, le Comité international a, dans des appels et messages aux Gouvernements, exprimé les vues que lui dicte sa tradition sur les méthodes de la guerre. Le Comité rappelle instamment la teneur de-ces documents à tous les belligérants. Une fois de plus, devant la violence des hostilités, le Comité inter­ national de la Croix-Rouge désire adjurer les Puissances belligérantes de respecter, même en face de considérations militaires, le droit naturel qu’a l’homme d’être traité selon la justice, sans arbitraire, et sans lui imputer la responsabilité d’actes qu’il n’a pas commis. Il prie égale­ ment les Puissances de ne pas recourir à des actes de destruction injustifiés, ni surtout à des méthodes de guerre délétères proscrites par le droit international. Note de la délégation du CICR à Berlin, du 29 juillet 1943 (résumé) A la suite de ses démarches, la délégation à Berlin a été autorisée par le Ministère des Affaires étrangères à visiter les camps d’otages en Norvège 1. Elle a discuté avec le Ministère la question des accusés de réception des colis pour les camps de concentration. La délégation poursuit ses efforts en vue de prendre contact avec le camp d’Oranienburg. Note du Comité international de la Croix-Rouge au Consul britannique à Genève demandant une atténuation du blocus pour permettre l'envoi de colis dé vivres aux camps de concentration et aux prisons (traduction) Genève, le 24 août 1943. Le Comité international de la Croix-Rouge s’est constamment efforcé d’inclure dans le cadre de son activité les prisonniers d’origine 1 C ette a u to risa tio n fu t retirée par la su ite a v a n t qu e les v isite s a ie n t pu a voir lieu. 52 étrangère qui sont internés dans les camps de concentration alle­ mands. Ces prisonniers sont, en majeure partie, ressortissants de territoires occupés. Etant donné que, de l’avis des Autorités alle­ mandes, les dispositions de la Convention de 1929 sur les prisonniers de guerre ne touchent pas cette catégorie de détenus, nous n’avons jamais reçu, à quelques exceptions près, l’autorisation de pénétrer dans les camps de concentration. De même, aucune liste de noms ne nous a été communiquée. Selon des informations dignes de foi, ces détenus auraient cependant un besoin urgent d’aliments sup­ plémentaires. Nous estimons en conséquence de notre devoir de soumettre cette nécessité à l’examen approfondi des Gouvernements et des Sociétés nationales de la Croix-Rouge intéressés, afin que nous puissions envoyer à ces détenus civils des colis-standard de 'vivres, semblables à ceux que reçoivent les prisonniers de guerre et les per­ sonnes traitées comme internés civils. Les Autorités compétentes en Allemagne ont déjà accordé aux détenus dans les camps de concentration l’autorisation de recevoir des colis individuels, sous condition qu’ils ne soient pas détenus pour des raisons graves et que leur nom et leur adresse dans les camps soient déjà connus. Il nous a été possible de nous procurer environ 150 noms et adresses, la plupart de Norvégiens 1, mais aussi de Polonais, de Hollandais, etc. On peut prévoir que d’autres noms et adresses nous parviendront dès que le projet de faire des envois réguliers de colis alimentaires entrera en exécution. Toutefois, le règlement édicté par le Comité anglo-américain pour la guerre économique ne permet pas l’envoi de colis-standard des Croix-Rouges américaine et britannique à des personnes autres que les prisonniers de guerre et les internés civils reconnus comme tels. De semblables envois sont subordonnés à la condition que les camps désignés soient régulièrement visités par des délégués du Comité international et que des listes de noms soient fournies. Ce mode de contrôle étant malheureusement impossible en ce qui concerne les camps de concentration, nous avons voulu nous assurer si un autre genre de contrôle pourrait être acceptable, c’est-à-dire s’il serait possible d’obtenir pour chaque colis une quittance signée personnel­ lement par le bénéficiaire, ce qui servirait de preuve de la réception du colis. A titre d’essai, nous avons envoyé 50 colis d’origine suisse, chacun contenant une quittance ; ces colis furent adressés person­ nellement à 50 détenus dont nous possédions les noms, dans diffé1 II c o n v ie n t de p réciser q u ’en a v ril 1943 d éjà , le rep résen ta n t de la C roix-R ou ge de N o r v è g e à G en èv e rem it au C IC R un e liste de 250 d é ten u s n o rv ég ien s a u x q u els, à c e tte é p o q u e, d es colis fu ren t ex p é d iés de Su èd e pour le co m p te du G o u v ern em en t n o rv ég ien e t par l ’en trem ise de la C roix-R ou ge su éd o ise. 53 rents camps de concentration et prisons en Allemagne. Le résultat a dépassé tous nos espoirs. En moins de six semaines, plus des deux tiers des quittances, dûment signées par les bénéficiaires, nous sont revenues. Ce résultat est d’autant plus frappant que, vu les mutations constantes dans les camps, on pouvait s’attendre à ce qu’un certain pourcentage des bénéficiaires ne puisse être atteint. Malheureusement, nous ne disposons pas d’autres colis dont nous puissions faire bénéficier ces prisonniers civils et nous ne voyons aucun espoir d'obtenir d’autres permis d’exporter des denrées ali­ mentaires de Suisse. Le Comité international se permet donc d’expri­ mer le vœu que les dirigeants de la guerre économique veuillent bien tenir compte (à titre exceptionnel) de la situation particulièrement difficile'de ces prisonniers originaires des territoires occupés qui sont détenus dans les camps de concentration, qu’ils examinent la possi­ bilité de surseoir aux exigences relatives aux visites des camps et à la fourniture de listes pour les besoins du contrôle et acceptent les quittances individuelles comme contrôle suffisant. La première mesure à prendre serait d’envoyer aux prisonniers dont les noms nous sont actuellement connus (et dont le nombre ne dépasse pas 200) des colis de vivres mensuels qui seraient mis à notre disposition par les pays d’outre-mer. Au cas où des noms supplé­ mentaires nous seraient communiqués, nous les annoncerions au fur et à mesure et le nombre des colis serait augmenté en proportion. Pour l’instant nous évaluons à quelques centaines au maximum le nombre total des bénéficiaires. Le Comité international serait extrêmement heureux de connaître l’avis des Autorités compétentes sur le projet qu’il vient d’esquisser. Lettre personnelle du Président du Comité international de la CroixRouge à la Croix-Rouge britannique, sur le même sujet que la précédente (traduction) Genève, le 26 août 1943. Je me permets de me référer à votre aimable communication du 14 juillet et plus particulièrement à son deuxième paragraphe con­ cernant nos efforts pour procurer des secours aux ressortissants des territoires occupés, qui sont détenus dans des camps de concentration et de prisonniers de guerre en Allemagne. Je voudrais tout d’abord vous exprimer mes remerciements les plus sincères pour l’intérêt que la Croix-Rouge britannique a manifesté à l’égard de nos tentatives d’alléger le triste sort des catégories d’internés qui ne sont pas au bénéfice de notre œuvre de secours. Comme vous le savez, nos efforts n’ont pas toujours été couronnés de succès et l’on nous a rapporté récemment de Londres des renseigne­ ments de caractère plutôt négatif. Cependant, nous estimons de notre 54 devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour réaliser notre pro­ jet, et nous avons tout dernièrement adressé une requête aux Gouverne­ ments intéressés pour qu’ils relâchent en faveur des ressortissants des territoires occupés qui sont internés en Allemagne les règle­ ments concernant le blocus. Nous vous remettons ci-joint copie de la note que nous avons com­ muniquée à ce sujet au Consulat britannique à Genève, pour être transmise aux Autorités compétentes. 1 Vous y trouverez un exposé très clair de la situation et je vous serais extrêmement reconnaissant de bien vouloir user de votre influence quant à la décision qui doit être prise. Le Comité international prend cette question extrêmement à cœur, car il a appris de divers côtés que la situation dans les camps de concentration est des plus alarmante et que le taux de mortalité y est très élevé. Nous avons reçu de différents milieux de pressants appels de secours et nous estimons devoir tenter l’impossible pour chercher à obtenir ces secours d’outre-mer. Bien entendu, nous sommes conscients du fait que les conditions dans ces camps diffèrent de celles qui régnent dans les camps de prisonniers de guerre et d’in­ ternés civils et que les possibilités d’un contrôle de notre part sont limitées. Mais nos démarches auprès du Ministère de la Guerre écono­ mique nous paraissent justifiées, car nous estimons que les quittances reçues sont une preuve suffisante que les colis ont été remis aux destinataires. De plus, le nombre relativement restreint de colis entrant en ligne de compte — quelques centaines par mois — devrait permettre de faire agréer notre projet, même en tenant compte des exigences de la guerre économique en général. Nous serions heureux si vous estimiez possible d’attirer sur ce problème l’attention des Autorités ou des Sociétés de la Croix-Rouge des pays alliés, dont plusieurs (Norvège, Hollande, Tchécoslovaquie) nous ont adressé, par l’entremise de leurs représentants en Suisse, la fréquente prière de venir au secours de leurs compatriotes qui se trouvent dans les camps de concentration. Conférence tenue le 16 septembre 1943, au siège du CICR, avec un représentant du Ministère des Affaires étrangères du Reich, au sujet des otages Le CICR constate que les otages, qui ne sont ni prisonniers de guerre ni internés civils, n’ont pu jusqu’ici bénéficier de sa protection. Toutes ses démarches en vue d’obtenir l’autorisation de visiter les camps de concentration ont échoué. 1 V oir page 52. 55 Le représentant du Ministère des Affaires étrangères du Reich ne pense pas que cette autorisation puisse être accordée. Le CICR fait observer que le fait de pouvoir intervenir en faveur de ces détenus procurerait des avantages réciproques à l’E tat qui donnerait ces facilités. Au Brésil, les internés allemands sont considérés comme des per­ sonnes dangereuses pour la sécurité de l’Etat, mais les délégués du CICR peuvent cependant les visiter. Note de la Croix-Rouge allemande, du 5 octobre 1943 (résumé) Le CICR, qui n’a toujours pas reçu de réponse de la Croix-Rouge allemande au sujet des listes de déportés qu’il lui a adressées, est informé par le chef du Département des relations extérieures de la Croix-Rouge allemande que celle-ci peut faire des enquêtes sur les cas individuels qui lui seront soumis. Note du CICR à la Croix-Rouge de Belgrade, du 6 octobre 1943 (résumé) Le CICR demande à la Croix-Rouge de Belgrade de lui envoyer des listes de déportés yougoslaves, qui seraient obtenues par l’entre­ mise des familles, pour tenter de leur faire parvenir des secours. Note de la délégation du CICR à Berlin, du 12 novembre 1943 (résumé) Les délégués du CICR ont pris contact avec le commandant du camp d'Oranienburg. Ils n’ont pu visiter ce camp. L’envoi de colis de secours et de vêtements est autorisé. Lettre du Président du CICR au Président du Comité central de la CroixRouge polonaise à Londres, du Jer décembre 1943 (résumé) Le CICR a reçu de l’homme de confiance polonais de l'Oflag VII A une liste d’environ 500 ressortissants polonais se trouvant dans des camps de concentration et prisons et qui semblent être des parents des officiers de cet Oflag. Cette liste permettra au CICR d’intensifier son action de secours. Note de la délégation du CICR à Londres, du 16 décembre 1943 (résumé) La délégation du Comité à Londres fait part de la réponse néga­ tive du Foreign Office à la demande du CICR de relâcher le blocus en faveur des détenus des camps de concentration. 56 Réponse du Président du CICR à une demande d’information de l’attaché commercial adjoint de l’Ambassade de France à Berne, au sujet des jeunes Français qui refusent d’aller travailler en Allemagne et sont arrêtés et déportés, du 30 décembre iç>43 (résumé) Le CICR n’a négligé aucun effort pour venir en aide à cette caté­ gorie de personnes. Se fondant sur le fait que ces personnes n’ont pas été arrêtées en raison de leur nationalité, les Autorités allemandes ne leur accordent pas le traitement prévu par la Convention de 1929, appliquée par analogie aux internés civils, et n’ont pas autorisé les délégués du CICR à visiter les camps où elles sont détenues. L’Agence centrale des prisonniers de guerre n’a pu obtenir la liste de leurs noms. En revanche, il est possible en principe d’entreprendre des enquêtes individuelles, à condition de connaître les noms exacts des intéressés ainsi que tous les détails pouvant faciliter les recherches. II y a lieu, en outre, de préciser l’origine aryenne ou non aryenne, aucune recherche concernant des Israélites ne pouvant aboutir. Note du Département d’Etat américain transmise au CICR par la délégation à Genève de la Croix-Rouge américaine, du 24 janvier 1944 (résumé) La Croix-Rouge américaine communique au CICR une note du Département d’E tat qui fixe la position du Gouvernement fédéral à l'égard des internés civils allemands détenus aux Etats-Unis, afin de faciliter les démarches du CICR en faveur des déportés français en Allemagne : « La politique du Gouvernement des Etats-Unis est de traiter les internés civils allemands détenus conformément aux dis­ positions de la Convention de 1929, dans la mesure où celle-ci est applicable à des civils. Le Gouvernement allemand a été informé de cette politique en maintes occasions. » Note de la délégation du CICR à Berlin, du 25 janvier 1944 (résumé) La délégation du CICR donne des nouvelles de personnalités fran­ çaises déportées en Allemagne : le général Gamelin, les présidents Reynaud et Lebrun sont dans la région d’Innsbruck. Note du CICR à la Croix-Rouge de Belgique, du 25 janvier 1944 (résumé) Le CICR informe la Croix-Rouge de Belgique qu’il s’efforce, par l'intermédiaire de sa délégation à Berlin, de connaître le nombre 57 approximatif des Belges qui pourraient se trouver dans les quatre grands camps de concentration d'Oranienburg, Buchenwald, Dachau, Ravensbrück (ce dernier pour femmes), de façon à pouvoir intensifier ses envois de colis. Lettre du CICR à diverses personnalités françaises, du 29 février 1944 (résumé) Dans le courant de 1943, le Comité international de la Croix-Rouge a pu créer un Service de colis individuels pour les camps de concen­ tration et a expédié un certain nombre de colis de vivres à des prisonniers administratifs en Allemagne et dans les pays occupés. Les accusés de réception qui sont venus en retour prouvent que ces colis ont atteint en grande partie leurs destinataires. Comme le Comité international de la Croix-Rouge ne dispose pas de fonds pour les frais d’achat et de transport de ces colis, il doit en réclamer la contre-valeur aux personnes ou aux organisations qui en demandent l’envoi. Or, si le Comité a pu jusqu’à présent obtenir suffisamment de fonds pour adresser des colis à des prisonniers administratifs de diverses nationalités, il lui a été en revanche très difficile de trouver de l’argent pour secourir les prisonniers administratifs français, et il serait au regret de devoir refuser parfois de faire des envois parce que les demandeurs ne sont pas en mesure d’en assumer les frais. Cela serait d’autant plus regrettable que le retour de l’accusé de réception d’un colis constitue souvent le seul signe de vie qu’une personne détenue soit à même de donner. Note du CICR au Comité français de Libération nationale à Alger, du 6 mars 1944 (résumé) Le CICR possède relativement peu de noms de Français détenus dans les camps de concentration. Les envois collectifs étant interdits, il expédie des colis individuels aux personnes dont il connaît les adresses. Il pourrait intensifier son action, mais les Autorités du blocus n’admettent, en faveur des déportés, ni transferts de fonds, ni envois de colis d'outre-mer, parce que cette catégorie de victimes de la guerre n’est pas assimilée aux prisonniers de guerre. Note du CICR au Ministère des Affaires étrangères du Reich, du 10 mars 1944 (résumé) Le CICR s’informe auprès du Gouvernement allemand du sort d’une centaine d’officiers français qui ont été récemment appré­ hendés par les Autorités d’occupation, puis déportés, et auxquels il désirerait envoyer des secours. 58 Note de la délégation du CICR à Berlin, du 12 mars 1944 (résumé) La délégation à Berlin demande au CICR d’envoyer des secours à cinq cents Norvégiens qui se trouvent au camp de Sachsenhausen. Ils devraient être rapidement secourus en vivres et médicaments (cibazol et vitamines). La délégation donne trois nouveaux noms de Norvégiens détenus à Buchenwald pour qu’on leur fasse parvenir des secours. Note de la délégation du CICR à Berlin, du 30 avril 1944 (résumé) La délégation du CICR à Berlin transmet une liste de personnalités lithuaniennes dont trente-neuf sont détenues à Dachau et dix-huit à Struthof. Note de la délégation du CICR à Berlin, du 12 mai 1944 (résumé) La délégation fournit des renseignements sur les nouveaux camps de Norvégiens déportés en Allemagne : camps de Natzweiler et Sachsenhausen ; cinq cents Norvégiens s’y trouvent. Le camp de Sachsenhausen a été rendu meilleur, mais les internés qui s’y trouvent devraient être rapidement secourus par des envois de vivres et de médicaments (cibazol et vitamines). Les Norvégiens précédemment au Marlag Milag Nord ont été transférés à Sonnenberg « camp très secret dont nous ne savons rien ». Note de la délégation du CICR à Berlin, du 30 mai 1944 (résumé) Le chef de la délégation du CICR à Berlin a rendu visite au com­ mandant du camp de concentration de Struthof et signale au Service CCC la présence dans ce camp de mille Polonais, deux cent soixante Norvégiens, cent cinquante-cinq Danois, trente Tchèques, trois Français et cinquante-cinq Belges. Les Norvégiens et les Danois se trouvent dans un camp séparé, le « Germanenlager ». Ils sont assez bien traités et reçoivent des colis du Danemark et de la Suède. Ils ont besoin de sous-vêtements pour l’hiver, ainsi que de vivres pou­ vant être cuits au camp. Chaque nationalité sera représentée par un homme de confiance. Note du CICR à sa délégation à Washington sur l’assistance aux Israélites, du 30 juin 1944 (résumé) Pour apporter une aide efficace aux Israélites des pays sous con­ trôle de l’Axe, il serait précieux de savoir ce que le « War Refugee Board » a l’intention de faire sur le vu des informations et des docu­ ments que le CICR lui a transmis. 59 Le CICR est toujours désireux, comme il l’a dit maintes fois, de faire tout son possible pour secourir les déportés et internés des camps de concentration ; toutefois cette action devrait être conduite aussi rapidement que possible, au mieux des possibilités du moment, si l’on ne veut pas laisser échapper des occasions d'intervention qui risquent de ne plus se présenter. Le CICR a déjà souligné la nécessité de recevoir des envois de vivres des pays d’outre-mer afin de pouvoir entreprendre une action de secours générale dans les camps de concentration. En effet, ses possibilités d'approvisionnement en Suisse ou dans les autres pays neutres d’Europe sont trop réduites pour lui permettre d'envoyer un colis de vivres mensuel à chacune des personnes à secourir dont il connaît l’adresse. Depuis lors, le nombre des malheureux auxquels il pourrait, en principe, venir en aide s’est très fortement accru, alors que les possibilités d’approvisionnement en Europe se sont, en revanche, sensiblement réduites. Or, les Autorités américaines inté­ ressées n’ont toujours pas fait connaître au CICR leur attitude à cet égard et n’ont pas indiqué si elles pourraient envisager de faire une exception aux règles du blocus pour permettre l’envoi des vivres indispensables au développement de l’action de secours en faveur des détenus civils. Le CICR désirerait connaître d’urgence la décision du « War Refugee Board ». Lettre -personnelle du Président du Comité international de la CroixRouge au régent Horthy (traduction) Genève, le 5 juillet 1944. J ’ai l’honneur de m’adresser à Votre Altesse au nom d’une Insti­ tution dont je fais partie depuis bientôt une vingtaine d’années, ainsi qu’en mon nom propre. De toutes les parties du monde parviennent aujourd’hui au Comité international de la Croix-Rouge des questions, des informations et des protestations ayant trait aux mesures de rigueur qui seraient prises actuellement à l’égard des Juifs de nationalité hongroise. Le Comité n’est pas à même de répondre à cette correspondance, car il ne possède pas de renseignements qu’il serait en mesure de contrôler. Ce qui a été porté à notre connaissance nous semble tellement en contra­ diction avec les traditions chevaleresques du grand peuple hongrois qu’il nous paraît presque impossible d’ajouter foi même à la plus faible partie des informations qui nous parviennent. Au nom du Comité international de la Croix-Rouge, je voudrais adresser à Votre Altesse la prière de donner des instructions afin que nous soyons mis en mesure de répondre à ces rumeurs et accusations. Nous voudrions en même temps, au nom des principes que le Comité international a toujours défendus et de la grande tradition humani­ 60 taire de la Hongrie, adjurer le Gouvernement royal hongrois de prendre toutes les mesures possibles pour empêcher que ne se pro­ duise la plus minime occasion qui puisse donner lieu à d’aussi mons­ trueuses rumeurs. Réponse personnelle du régent Horthy an Président du Comité international de la Croix-Rouge (traduction) Budapest, le 12 août 1944. J ’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre et je vous en remercie. J ’ai donné les instructions nécessaires pour que la Présidence du Comité international de la Croix-Rouge reçoive des informations véridiques sur la situation des Israélites dans notre pays et sur les faits précis concernant la question juive en Hongrie. Selon les informations du Ministère royal hongrois des Affaires étrangères, le Chargé d’affaires de Hongrie à Berne a donné à M. Burckhardt, vice-président du Comité international de la Croix-Rouge, des renseignements sur. la situation réelle.1 Convaincu, Monsieur le Président, que vous avez eu connaissance des dites informations, je me borne à insister sur le fait que je suis particulièrement conscient de la haute importance de ce problème. Malheureusement, il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher des actes inhumains, que personne ne condamne avec plus de sévérité que mon peuple dont les pensées et les sentiments sont chevale­ resques. J ’ai chargé le Gouvernement hongrois de prendre lui-même en mains le règlement de la question juive à Budapest. Il faut espérer que cette déclaration ne suscitera pas de graves complications.2 Note de la délégation du CICR à Berlin, du I er septembre iç44 (résumé) La délégation de Berlin adresse au CICR, pour l’envoi de secours individuels, deux listes de Danois déportés dans des pénitenciers et à Oranienburg. 1 E n d a te du iS ju ille t, le Chargé d'affaires de H on grie d o n n a certain es a ssurances rela tiv es au so rt des J u ifs en H o n g rie. Il d éclara n o ta m m e n t que les d ép o rta tio n s d ’Isra é lite s en A llem a g n e a v a ie n t é té su sp en d u es e t que le G o u v ern em en t h o n g ro is a u to risa it le C ICR à d istrib u er des secours à to u s les Isra élites se tr o u v a n t d an s les g h e tto s e t d an s les cam p s. 2 Le C IC R ne p eu t rendre co m p te ici de l'a c tiv ité de secou rs qu'il d ép lo y a en fa v eu r des Isra élites, n o ta m m e n t en H on grie e t en R o u m a ­ nie. Il se réserve de le faire é v e n tu e lle m e n t d an s une p u b lica tio n sp é ­ ciale. 6l Note de la délégation du CICR à Belgrade, du 3 septembre 1944 (résumé) Le délégué du CICR à Belgrade donne au Comité l’indication sui­ vante à propos des déportés politiques yougoslaves : « Tout ce que nous pouvons faire c’est d’ouvrir des enquêtes individuelles, mais nous recevons rarement des réponses. » Lettre du CICR au Congrès juif mondial concernant l’envoi de secours à Theresienstadt, du 5 septembre 1944 (résumé) Le CICR remercie le Congrès juif mondial de lui avoir communiqué une lettre parvenue de Theresienstadt, qui confirme la réception de 52 caisses de médicaments et de fortifiants expédiés en son temps par les soins de la Commission mixte de secours de la Croix-Rouge internationale. Note du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 6 septembre 1944 (résumé) Le CICR demande à la Croix-Rouge allemande l’adresse de deux cents déportés de Vichy (notamment l’archevêque de ClermontFerrand) pour l’envoi de secours. Note du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 6 septembre 1944 (résumé) Le CICR se plaint à la Croix-Rouge allemande de l’insuffisance des réponses à ses demandes de renseignements concernant des déportés civils français. Les réponses sont toujours évasives : «... aux mains de la police ... incarcérés », et rien de plus. Note du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 8 septembre 1944 (résumé) Le CICR propose d’organiser un système de correspondance pour les déportés avec leurs familles et de remédier à l’interruption des relations postales entre l’Allemagne et la France. Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge au Cardinal Suhard, archevêque de Paris Genève, le 20 septembre 1944. J ’ai l'honneur d’accuser réception de la lettre que Votre Eminence a bien voulu m’écrire en date du 14 septembre et què Monsieur l'abbé Rodhain m’a lui-même remise. 62 La situation fort alarmante des détenus politiques français en Allemagne, telle que la dépeint l’émouvant message de Votre Emi­ nence, est l’objet de nos vives et constantes préoccupations. Ainsi que Votre Eminence l’indique Elle-même dans Sa lettre, la Croix-Rouge ne possède pas, comme elle le souhaiterait, en faveur de cette catégorie de victimes de la guerre pourtant si digne d’in­ térêt, les mêmes moyens d’action humanitaire qu’envers d’autres captifs, tels que les prisonniers de guerre et les internés civils pro­ prement dits. Toutefois, Votre Eminence peut avoir la certitude que le Comité international de la Croix-Rouge partage pleinement Son souci et Sa sollicitude et qu’il ne négligera rien de ce qui est en son pouvoir pour tenter d’alléger le sort de ces détenus. Le Comité s’efforce et s’efforcera de leur venir en aide avec tout le sérieux et l’urgence que requiert leur détresse. Je présume que Monsieur l’abbé Rodhain vous rendra compte, à cet égard, des entretiens que nous avons eu le privilège d’avoir avec lui. Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge au Président de la Croix-Rouge française Genève, le 21 septembre 1944. J ’ai l’honneur d’accuser réception de la lettre que vous avez bien voulu m'adresser, en date du 7 septembre 1944, et qui m’a été remise par le comte de Grammont, dont nous sommes heureux d’avoir actuel­ lement la visite à Genève. Ainsi que votre délégué aura pu s’en rendre compte, au cours des différents entretiens que nous avons eus avec lui pendant son séjour, la situation de vos compatriotes, détenus politiques en Allemagne, est un des problèmes particulièrement douloureux qui retiennent depuis longtemps notre constante attention. Comme vous le savez sans doute, le Comité international de la Croix-Rouge a déjà pu, après de persévérantes démarches auprès des Autorités allemandes, apporter, dans la limite des moyens dont il disposait, des secours matériels à nombre de détenus dont le lieu d’internement en Allemagne lui était connu. Cette oeuvre, commencée il y a quelques mois déjà, au milieu de sérieuses difficultés, sera pour­ suivie par nous et, nous l’espérons, étendue dans toute la mesure du possible. D’ores et déjà, je vous donne l’assurance que le Comité international va multiplier tous ses efforts dans ce sens. Il faut malheureusement indiquer ici qu’en ce qui concerne le statut même des civils français détenus en Allemagne, et dont les Autorités et la Croix-Rouge françaises désireraient que la protection fût assurée désormais par le Comité international de la Croix-Rouge, 63 les moyens d'action de celui-ci sont actuellement très limités. C'est d’ailleurs en prévision d’une telle situation que le Comité inter­ national, dès le début de la guerre, en 1939, proposa aux divers belligérants l’adoption et la mise en vigueur immédiate du Projet de Convention (dit de Tokio) pour la protection des civils en territoire ennemi ou occupé par l’ennemi. Mais cette suggestion n’a fait l’objet d’aucune réponse de la plupart des Gouvernements intéressés. Bien que privé de l’appui que lui eût donné l’adhésion des dits Gouvernements, le Comité international de la Croix-Rouge n’en a pas moins tenté, dès le début du conflit, d’obtenir pour tous les civils en territoire ennemi ou occupé par l'ennemi, détenus à quelque titre que ce soit, un régime conforme à certains principes d’humanité. En outre, et comme je vous le disais plus haut, le Comité international va répéter, dans ce sens, ses démarches, et cela de façon pressante. Désireux comme il l’est de réunir toutes les chances de réussite, le Comité international de la Croix-Rouge croit devoir attirer votre attention sur le point suivant : L’expérience prouve que, dans des négociations de ce genre, l’élé­ ment de réciprocité est un facteur important. Il est donc possible que la partie adverse, lorsqu’elle sera saisie de la proposition que nous allons lui adresser en faveur des détenus politiques français, demande si, en contre-partie, le Gouvernement français accepterait que le Comité international agît dans le même sens en faveur des ressortissants allemands que les Autorités militaires ou civiles fran­ çaises ont jugé ou jugeraient devoir interner en France même, ou lors de l’occupation de territoires allemands. Si je vous indique l’éven­ tualité d’une telle demande, c’est pour que cette question fasse dès à présent, de la part des Autorités et de la Croix-Rouge françaises, l’objet de l’examen urgent qu’elle nous paraît devoir mériter. Il nous semblerait utile que les diverses Autorités alliées, pour ce qui les concerne, envisagent également ce problème d’une façon analogue et, si possible, d’un commun accord. Si je me suis permis d’indiquer dans cette lettre les difficultés que le Comité international de la Croix-Rouge a rencontrées, c’est, vous le comprendrez certainement, afin que tous les moyens d’action pos­ sibles soient réunis dans l’espoir d'atteindre le but auquel vont tendre tous nos efforts. Note du CICR à sa délégation à Berlin, du 15 septembre 1944 (résumé) Depuis un certain temps, le Service CCC ne reçoit plus les étiquettes-quittances pour les colis adressés individuellement au camp de Sachsenhausen, alors que d’autres camps continuent à les ren­ voyer. Serait-il possible que cet arrêt dans le retour des quittances signifie que les destinataires n’ont pas reçu leurs colis, ou bien les 64 ont-ils reçus et n’ont-ils pas eu la possibilité, pour des raisons de censure ou de poste, de réexpédier les quittances ? D’autre part, il est possible que certains envois n’aient pas atteint le camp à la suite de bombardements, par exemple. Afin -que la délégation puisse con­ trôler les expéditions, le Comité joint à la présente note la liste des envois effectués à destination de ce camp depuis le I er juillet 1944. La délégation est priée d’informer le Comité, selon les impressions qu'elle aura recueillies, si possible personnellement, dans ce camp, s’il peut continuer ses envois ; en effet, il prépare de nouvelles expé­ ditions à destination de ce camp pour ce mois-ci encore. L’enquête demandée revêt donc un caractère très urgent. Note du CICR à sa délégation à Berlin, du 15 septembre 1944 (résumé) Le CICR est heureux de pouvoir annoncer que les envois effectués à Dachau, grâce aux marchandises du vapeur « Cristina », ont donné des résultats inespérés. Les colis expédiés collectivement à l’homme de confiance, et qui ont quitté Genève le 23 août, ont été reçus à Dachau le 3 septembre et les quittances estampillées par la poste le 7 septembre, sont parvenues à Genève le 11 septembre. En outre le rendement de ces envois collectifs est excellent car chaque quittance est signée par plusieurs personnes (de quatre à quinze per­ sonnes). Le Comité remercie sa délégation des efforts qu’elle a déployés lors de sa visite au commandant du camp de Dachau et qui ont cer­ tainement contribué pour une grande partie à ce bon résultat. Note de la délégation du CICR à Bruxelles, du 16 septembre 1944 (résumé) La délégation à Bruxelles donne des renseignements au CICR sur les déportés belges en Allemagne : il y a en Allemagne environ 8000 prisonniers politiques belges ; les efforts du CICR ont permis d’identifier 1600 déportés qui reçoivent chacun depuis quelques mois 2 colis par mois. Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge au Ministre des Affaires étrangères du Reich (traduction) , Genève, le 2 octobre 1944. Permettez-moi de vous remettre en annexe une note relative aux détenus à titre préventif (Schutzhdftlinge) et de la recommander à votre bienveillante attention. 65 f Si le Comité international de la Croix-Rouge insiste aujourd’hui encore sur ce problème, en demandant de pouvoir porter secours à cette catégorie de civils, la raison en est d’abord qu’une par­ tie de ces personnes — les Français par exemple — sont, à l’heure qu’il est, totalement séparées de leurs familles et ne peuvent plus recevoir de chez eux des colis de secours. En outre, ces civils ne peuvent plus, comme auparavant, donner aux leurs le moindre signe de vie. Le Comité international de la Croix-Rouge se trouve donc aujourd’hui la seule institution qui soit à même d'offrir à ces détenus étrangers un appui moral et matériel, quoique bien faible si on le compare à celui qu’il est en mesure d’apporter aux prisonniers de guerre et aux internés civils. Pour illustrer le fait que le Comité international de la Croix-Rouge s’est partout et toujours préoccupé du sort des détenus politiques, dès qu’il en avait la possibilité, on peut citer l’exemple du Brésil, où le Comité a pu intervenir, dès le début des hostilités entre ce pays et l’Allemagne et secourir de façon régulière de nombreux ressortis­ sants allemands arrêtés pour des motifs politiques, et détenus dans des prisons. En Grande-Bretagne aussi, le Comité international de la Croix-Rouge put visiter un camp de détenus allemands qui n’étaient pas au bénéfice des dispositions de la Convention de 1929 relative aux prisonniers de guerre. Le Comité international de la Croix-Rouge se permet donc, Mon­ sieur le Ministre, d’exprimer l’espoir que vous voudrez bien recom­ mander l’adoption de notre proposition concernant les secours aux personnes qui sont détenues dans des camps de concentration ou des prisons, pour des motifs préventifs ou de police, et que vous voudrez bien nous faire part de votre décision à ce sujet dans un avenir prochain. Note annexée à la lettre précédente (traduction) Genève, le 2 octobre 1944. L’absence d’une protection effective, basée sur le droit inter­ national, des civils se trouvant pendant une guerre sur le territoire d’un E tat ennemi, a conduit à l’élaboration, dans l’intervalle des deux guerres mondiales, du projet dit de Tokio, qui marque un pro­ grès substantiel en ce qui concerne le traitement des ressortissants ennemis appartenant à cette catégorie. Malheureusement, ce projet de Convention qui fut admis par le Gouvernement du Reich, au début de la guerre, comme base de discussion pour la conclusion d’une conven­ tion, n’a pas pu être mis en vigueur. Pourtant, les Puissances belligé­ rantes consentirent, dès le début du conflit actuel, à accorder aux ressor­ tissants ennemis se trouvant sur leur territoire un traitement ana­ logue à celui qui est accordé aux prisonniers de guerre au sens de la 66 Convention de 1929, qui toutefois ne confère pas aux civilstous les avantages prévus par le projet de Tokio. Ce traitement,, basé sur la Convention relative au traitement des prisonniers de guerre, ne fut pas accordé aux détenus dits politiques. Sous la dénomination de « détenus politiques », il con­ vient de comprendre des civils dont l’internement ne dépend pas uniquement du fait qu’ils sont ressortissants d’un Etat ennemi. Néanmoins, le Comité international de la Croix-Rouge n’a jamais cessé d'intervenir auprès de tous les belligérants en faveur de cette catégorie particulière d’internés civils, afin qu’ils soient traités de la même façon que les internés civils sus-mentionnés. Quels que soient les motifs de l’internement et du transfertde ces personnes, des territoires occupés au territoire de la Puissance déten­ trice, il y a lieu de considérer comme urgentes les garanties minimums suivantes concernant la sécurité et le traitement des détenus poli­ tiques, sans distinction de nationalité ni de lieu d’internement : a) notification des noms des détenus, de leur lieu de détention, de leur état de santé ; transmission de nouvelles entre les détenus et leurs parents ; b) possibilité de recevoir des secours sous forme de vivres, vête­ ments, médicaments et livres ; c) autorisation de recevoir des visites de la part d’une institu­ tion neutre, par exemple du Comité international de la Croix-Rouge, dont les délégués auraient pour tâche de se renseigner sur les condi­ tions de vie des détenus en ce qui concerne le logement, la nour­ riture, l'hygiène et le traitement. Dans les circonstances actuelles, tous les civils détenus et séparés de leur patrie — et leur nombre va croissant —r retiennent l’attention particulière du Comité international de la Croix-Rouge. Pour cette raison, le Comité croit devoir tenter par tous les moyens d’être en mesure d’assurer une activité semblable à celle qu’il exerce dans les pays belligérants en faveur des prisonniers de guerre et des internés civils.. Le Comité international de la Croix-Rouge prie donc les Autorités compétentes du Reich de consentir, au plus tôt et pour le moins, que : 1) les délégués du Comité international de la Croix-Rouge soient autorisés à visiter les camps de concentration et d’autres lieux de détention en Allemagne et dans les territoires occupés où se trou­ vent des détenus politiques de nationalité non allemande ; 2) le Comité international de la Croix-Rouge soit autorisé à faire distribuer à ces détenus des vivres, des vêtements, et des médi­ caments, selon les besoins constatés par ses délégués ; 67 3) des listes soient établies, indiquant les noms et adresses des détenus politiques mentionnés ci-dessus, et que ces listes soient transmises au Comité international de la Croix-Rouge. Le Comité international de la Croix-Rouge se permet de rappeler que ces propositions, si urgentes qu’elles soient, représentent seule­ ment une partie minime des concessions accordées aux civils internés dans les pays belligérants. C’est pourquoi il a le ferme espoir que les Autorités du Reich les approuveront et il prie ces Autorités de vouloir bien lui faire connaître aussitôt que possible leur opinion à ce sujet. AicLe-mémoire concernant les démarches entreprises par le Comité international de la Croix-Rouge en faveur des détenus politiques étrangers, et adressé aux Consuls de Grande-Bretagne et des Etats-Unis à Genève Genève, le 16 octobre 1944. Au mois de septembre 1944, la Croix-Rouge française et la CroixRouge de Belgique ont adressé au Comité international de la CroixRouge, par l’intermédiaire d’une délégation venue spécialement à Genève, le plus pressant appel en faveur des déportés et prisonniers politiques français et belges se trouvant en Allemagne. En réponse à cet appel et comme suite aux nombreuses démarches qu’il avait déjà entreprises, le Comité international de la Croix-Rouge s’est adressé de nouveau aux Autorités allemandes dans le sens ci-dessous : Dès le début de la guerre, le Comité international de la CroixRouge s’est préoccupé de la protection des civils en territoire ennemi et a proposé à tous les belligérants l’adoption et la mise en vigueur immédiate du projet — dit de Tokio —- de Convention pour la pro­ tection des civils en territoire ennemi ou occupé par l’ennemi. Cette démarche du Comité international de la Croix-Rouge n’a malheu­ reusement pas abouti, la plupart des belligérants n’ayant pas répondu à cette proposition l. Le Comité international de la Croix-Rouge a néanmoins continué ses efforts pour venir en aide en Allemagne aux détenus des prisons et camps de concentration, notamment en leur faisant parvenir des secours dans tous les camps où l’envoi de colis était possible. Le Comité international de la Croix-Rouge a donc demandé aux Autorités allemandes d’autoriser pour le moins : 1 L e C om ité in tern a tio n a l de la C roix-R ou ge rap p elle ici q u ’en ce qui concerne les in tern és c iv ils p ro p rem en t d its, il a pu o b ten ir par la su ite , d e la p lu p art des b ellig éra n ts q u 'ils a c c e p te n t d ’accord er à ces in tern és u n tr a ite m e n t an a lo g u e à celu i qu e p rév o it, pour les p rison n iers de guerre, la C o n v en tio n d e G en èv e de 1929. 68 1) rétablissement et la remise au Comité international de la Croix-Rouge de listes nominativës (avec l’indication de l’adresse) des personnes détenues dans les prisons et les camps de concen­ tration ; 2) l’envoi de secours matériels et intellectuels à ces personnes ; 3) la visite des camps de concentration et autres lieux de déten­ tion, par les délégués du Comité international de la Croix-Rouge. Dans sa réponse aux Croix-Rouges de Belgique et de France, le Comité international de la Croix-Rouge, tout en assurant celles-ci qu’il continuait ses efforts en vue d’obtenir une amélioration du sort des civils français et belges déportés ou détenus en Allemagne, a relevé la nécessité, admise par ces deux Sociétés elles-mêmes, de traiter le problème dans son ensemble et d’agir en faveur de tous les civils ressortissants de nations alliées. Il a relevé également que pour assurer, autant que faire se peut, une réponse favorable à la requête qu’il vient de présenter aux Autorités allemandes, il conviendrait qu’il puisse leur indiquer spontanément, ou en réponse à une demande très probable de leur part, que les Autorités belges et françaises et peut-être même les autres Autorités alliées seraient disposées, au moins en principe, à accorder la réciprocité. Le Comité international de la Croix-Rouge entend par là qu’au cas où les divers Gouvernements alliés, et notamment les Autorités américaines et britanniques, auraient en leur pouvoir ou capture­ raient ultérieurement des ressortissants allemands au titre de détenus politiques, quelle que soit la procédure judiciaire éventuellement ouverte contre certains d’entre eux, ces Autorités seraient disposées à leur accorder un régime analogue à celui que le Comité international demande actuellement aux Autorités du Reich, à savoir : 1) établissement et remise au Comité international de la CroixRouge de listes nominatives de ces détenus ; 2) permission de recevoir des secours matériels et intellectuels ; 3) visite par des délégués du Comité international de la CroixRouge des lieux d’internement où ces personnes seraient éventuelle­ ment déportées. Si les Autorités américaines et britanniques jugeaient possible d’entrer dans cette voie, pour ce qui les concerne, et de plus, de repré­ senter aux autres Autorités alliées l’intérêt qu’il y aurait pour elles à donner suite à la présente suggestion du Comité international de la Croix-Rouge, celui-ci pense que les démarches qu’il a déjà faites et qu’il renouvellerait alors en Allemagne auraient plus de chances de succès. 69 Note de la délégation du CICR à Berlin, du iy octobre 1944 (résumé) Profitant d’un voyage à Ravensbrück, les délégués du Comité ont demandé à être reçus par l’adjudant du camp de concentration. Ils ont abordé avec lui la question de l’envoi possible de médicaments aux femmes médecins des diverses nationalités. Cet envoi est autorisé pour autant qu’il s’agit d’un seul envoi collectif et non pas de paquets adressés à chaque détenue en parti­ culier ; un envoi par nationalité sera accepté et la quittance retour­ nera à Genève. Lettre du CICR au Commandant du camp d'Auschwitz (Oswiecim, Haute-Silésie), du iy octobre 1944 (résumé) Le CICR annonce l’envoi de colis aux hommes de confiance fran­ çais et belges et demande que toute facilité soit donnée à ceux-ci pour la répartition entre leurs compatriotes. Il serait obligé au Commandant de lui indiquer le nombre approxi­ matif d’internés de chaque nationalité dans le camp, ce qui permet­ trait au Comité d’intensifier ses envois de colis. Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge au Ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés à Paris Genève, 23 octobre 1944. ... Le Comité international de la Croix-Rouge a été très heureux d'apprendre que le Gouvernement provisoire de la République fran­ çaise avait bien voulu répondre affirmativement à la suggestion du Comité international touchant la réciprocité de traitement que ce Gouvernement était prêt à accorder aux civils allemands déjà arrêtés en France ou à ceux qui viendraient à être arrêtés ultérieu­ rement en France et en Allemagne. Cette réciprocité doit porter notamment sur les points suivants : a) remise au Comité international de la Croix-Rouge d’un état nominatif des détenus civils allemands ; b) autorisation de faire visiter par des délégués du Comité inter­ national les lieux de séjour ou de détention ; c) autorisation de faire procéder au rapatriement immédiat des femmes, hommes âgés et des malades. Les trois premiers points ont déjà été soumis par le Comité inter­ national de la Croix-Rouge aux Autorités allemandes, en leur deman­ dant de donner une réponse favorable. 70 De plus, le Comité international juge qu’il conviendrait que les détenus civils en question fussent informés des chefs d’accusation qui ont motivé leur arrestation. Le Comité international de la Croix-Rouge se permet d’indiquer ici qu’il croirait préférable d’employer désormais pour désigner ces personnes — à l’exception des internés civils reconnus comme tels par la Puissance détentrice — l’appellation de « détenus allemands aux mains des Autorités françaises » plutôt que celles de « détenus politiques » ou « déportés politiques », qui risqueraient d’être com­ prises par les Autorités allemandes dans un sens plus restrictif qu’elles ne donnent elles-mêmes aux civils désignés par elles sous le nom de Schutzhâftlinge. Quant au rapatriement immédiat des femmes, des hommes âgés et des malades, le Comité international de la Croix-Rouge a, jusqu’à présent, réservé ce point pour la suite des négociations et il ne man­ quera pas de le soumettre à l’agrément des Autorités allemandes dès qu'il le jugera opportun, ainsi que la question de la correspon­ dance en provenance et à destination de ces détenus. Il le pourra sans doute plus utilement aujourd’hui, étant informé des dispositions positives du Gouvernement provisoire de la République française touchant ces divers points. Rapport du Service CGC sur la distribution des marchandises du vapeur « Cristina » (août et septembre 1944) 1 Genève, le 30 octobre 1944. Avec l’autorisation de la Croix-Rouge américaine, la Division des secours du CICR a mis à la disposition du Service CCC, en date du 20 août 1944, des marchandises provenant de l'ex-vapeur « Cris­ tina ». Il s’agissait de deux lots : 1) 50.775 kg. brut de denrées diverses ; 2) 12.000 kg. brut de conserves mélangées. La Commission mixte de secours, travaillant pour le compte du Service CCC, a confectionné et réexpédié en deux semaines un nombre de colis d’un poids net de 54.756 kg. (25.600 colis de 2 kg. 150). Les expéditions ont été effectuées entre le 24 août et le 9 sep­ tembre, soit à un rythme de 1700 colis par jour. 1 II s ’a g it là d ’un ra p p o rt d e ca ractère in tern e e t lim ité , pris parm i d ’au tres du m êm e genre. T o u te fo is, v u son in térêt, il a é té rep rod u it à titr e d ’ex em p le. 71 Ces envois « Cristina » ont été adressés par wagons-postaux aux principaux camps de concentration. Pour chaque camp, de même que pour chaque nationalité de prisonniers civils, les expéditions compre­ naient : a) des colis individuellement adressés b) des colis adressés à l’homme de confiance de chaque natio­ nalité. Les commandants des camps ont été informés des quantités de colis expédiés et chaque homme de confiance a reçu une lettre ainsi que des extraits du rapport d’expertise du Laboratoire cantonal de Genève concernant la qualité des denrées, leur durée de conser­ vation maximum et les mesures à prendre pour éviter d’éventuelles intoxications. La répartition des colis par nationalité fut la suivante : Adressés individuellem ent B e l g e s ................................. E sp a g n o ls . . . . F r a n ç a is .................... G r e c s ......................... H o lla n d a is . . . . P o l o n a i s ........................... N o rv ég ien s . . . T ch èq u es . . . . Y o u g o sla v es . . . I t a l i e n s .................... 2 .404 ----5-386 109 966 I . 32O 3 -U S -----------1 3. 30° A ux homm es de confiance T o tal I .9 0 0 300 3.200 300 I . 900 2 . 900 500 800 4 OO IO O 4-304 300 8.586 409 2.866 4 . 220 1 2 . 3 OO 2 5 .600 3-615 800 4 OO IO O Au cours du mois de septembre, les délégués du Comité inter­ national de la Croix-Rouge ont pris contact avec les camps de Dachau, près de Münich, Buchenwald-Weimar, Natzweiler (Alsace), Ravensbriick, près de Fürstenberg, et Sachsenhausen-Oranienburg, près de Berlin. Ils ont pu se convaincre de la nécessité de continuer les expé­ ditions. De l’un de ces camps, un homme de confiance a pu nous écrire pour nous confirmer la bonne réception des envois du Comité inter­ national. D'autre part, cet homme de confiance a communiqué des indications très intéressantes sur la quantité de colis adressés à chaque nationalité de détenus et a fait part au Comité de ses appréciations sur les proportions des envois : suffisants pour les Norvégiens et les Hollandais ; devraient être décuplés pour les Polonais et les Français. Accusés de réception. A ce jour la situation est la suivante : sur 13.300 colis adressés individuellement, 2407 accusés de récep­ tion ont été envoyés en retour au Comité international ; 72 sur 12.300 colis adressés aux hommes de confiance, 3069 quittances sont parvenues à Genève, représentant un nombre total de 8000 nouveaux noms de prisonniers civils. Grâce à ces envois collectifs, adressés aux hommes de confiance, le fichier du Service CGC a été utilement complété et augmenté. Les premiers accusés de réception du camp de Dachau sont parvenus au Comité international, le 7 septembre déjà. Dispositions financières. Les frais de « reconditionnement », d’emballage, de manutention, d’expédition et d’assurance contre les risques ordinaires de transport et les risques de guerre se sont élevés à fr. 3,25 par colis. Les sommes correspondantes ont été débitées aux comptes des Croix-Rouges nationales, à l’exception des frais occasionnés par l’envoi des colis aux prisonniers civils espagnols et italiens. En effet, le Service CGC ne dispose pas de fonds en faveur de ces nationalités de pri­ sonniers civils ; les montants respectifs ont donc été débités au compte « Marge de sécurité » du Service CGC. Note de la délégation du CICR à Berlin (résumé) Berlin, le 3 novembre 1944. La délégation du CICR à Berlin envoie à Genève des « formulaires de nouvelles » reçus du camp de concentration dé Buchenwald pour qu’ils soient transmis aux adresses indiquées et pour qu’on envoie des colis à ces déportés. Note de la délégation du CICR à Berlin, du S décembre 1944 (résumé) Un délégué du CICR s’est rendu au camp d’Oranienburg pour savoir si le formulaire d’accusé de réception proposé par le CICR serait accepté. Il s,’agit d’un accusé de réception à signer par les hommes de confiance, pour les envois collectifs. Ce formulaire a été accepté par le commandant du camp ; un envoi adressé aux Norvégiens a été signé par 3 hommes de confiance. Le délégué espère que la même autorisation sera donnée pour les autres nationalités. Le délégué demande qu’on lui envoie des for­ mules d’accusés de réception concernant tous les envois collec­ tifs faits ces derniers temps pour qu’il puisse obtenir la signature des hommes de confiance pour la réception de ces envois à Oranienburg. 73 Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge au Ministre des Affaires étrangères du Reich (traduction) Genève, le 9 décembre 1944. ... Etant donné que le Projet dit de Tokio n’est appliqué par les Puissances belligérantes, sous réserve de réciprocité, que sur un seul point — soit en ce qui concerne les civils se trouvant sur territoire belligérant et qui y sont internés — la situation des populations civiles datis les territoires occupés, et plus particulièrement celle des personnes arrêtées pour des motifs divers, parfois déportées en dehors du territoire occupé, reste, sous bien des rapports, incertaine et sou­ vent peu satisfaisante. Ceci tient à ce que les dispositions du Règle­ ment annexé à la IVe Convention de La Haye, concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, sont appliquées de manières diverses pour ce qui a trait aux droits de la Puissance occupante. Le Comité international de la Croix-Rouge, saisi par les deux parties belligérantes du problème de la protection des civils arrêtés par l’ennemi, se permet de soulever la question de savoir s’il ne serait pas possible de régler le problème, d’une façon conforme aux désirs et aux vœux exprimés par les parties intéressées, par la réu­ nion simultanée à Genève de représentants plénipotentiaires des Gouvernements intéressés qui, sans entamer des pourparlers directs, s'entendraient, par l’entremise du Comité international de la CroixRouge, sur un « modus vivendi » provisoire pour tout ce qui touche aux civils se trouvant aux mains de l’ennemi. De tels accords d’ordre pratique ont eu lieu à maintes reprises par le truchement d’un organe neutre au cours de la guerre 19141918, et c’est sur la base des expériences faites à cette époque que l’article 83 fut inséré dans la Convention de 1929 relative au trai­ tement des prisonniers de guerre. Au début de la présente guerre, le Comité international de la Croix-Rouge attira l’attention des Puissances belligérantes sur l’avan­ tage de pareilles prises de contact. Bien que, pour autant que le Comité international de la Croix-Rouge en soit informé, aucune réu­ nion de ce genre n’ait eu lieu jusqu’ici, la question qui nous pré­ occupe — c’est-à-dire le traitement des civils ressortissants d’Etats ennemis — offrirait l’occasion de conclure un accord pratique du même genre, en application, par analogie, de l’article 83 précité. Les Gouvernements intéressés n’étant actuellement pas en relations diplomatiques directes par l’entremise des Puissances protectrices, le Comité international de la Croix-Rouge croit devoir prendre l'ini­ tiative d'une telle proposition. Il tient cependant à souligner qu’il attache la plus haute importance à ce que l’examen des propo­ sitions soumises au Gouvernement allemand dans son mémoire du 2 octobre 1944 ne subisse aucun retard. Au contraire, l’adhésion des 74 Puissances intéressées à ces propositions et le début d’une activité du Comité international de la Croix-Rouge sur la base indiquée, crée­ raient des conditions favorables à une entente, grâce à des négo­ ciations simultanées du Comité international de la Croix-Rouge avec des représentants des Puissances intéressées venus à Genève. Comme on le verra, d’après la note précitée du Comité international de la Croix-Rouge, les principes préconisés par lui ne représentent que le minimum de protection dont les personnes civiles de nationalité ennemie se trouvant en état d’arrestation devraient pouvoir béné­ ficier pour des raisons d’humanité. Il serait hautement désirable que les discussions ne se limitent pas seulement au traitement de ces détenus, mais qu’elles traitent aussi la question du rapatriement éventuel de certaines catégories telles que les femmes, les vieillards, les malades et les enfants. Il y aurait lieu également de tenir compte des personnes dont l’état d’arrestation ne semble plus se justifier, du fait que les motifs qui ont provoqué cette arrestation n’existent plus. Si désirable que soit l’examen simultané des problèmes de la libé­ ration et du rapatriement de ces détenus, les difficultés qui pourraient éventuellement surgir à ce sujet ne devraient en aucun cas mettre obstacle â la conclusion d’un accord favorable et aussi rapide que possible, assurant aux détenus les facilités générales exposées dans notre note du 2 octobre 1944. Le Comité international de la Croix-Rouge serait extrêmement reconnaissant au Gouvernement du Reich de bien vouloir réserver un accueil favorable à ces propositions. Lettre du Comité international de la Croix-Rouge aux représentants à Genève des Croix-Rouges de Yougoslavie, Pologne, Hollande, Grèce, Norvège, France (Ministère des prisonniers de guerre, mission en Suisse) Genève, le 19 décembre 1944. Certaines informations reçues récemment nous ont appris que les Autorités allemandes semblent être au courant du fait que, d’après les accusés de réception que nous avons reçus, nous avons établi des listes de déportés de votre pays. Or, ces Autorités ne semblent pas désirer que nous puissions pro­ céder à un tel recensement et nous risquons de compromettre défini­ tivement les quelques possibilités dont nous disposons encore pour le ravitaillement des déportés si nous nous servons des accusés de réception, relatifs aux colis que nous leur expédions, pour établir une liste des déportés recherchés et retrouvés. Persuadés que vous partagez notre désir de continuer, tant que la chose est possible, nos envois de secours si indispensables aux 75 déportés, nous vous informons donc que nous sommes obligés de renoncer dorénavant à la remise périodique des listes des déportés dont nous avons pu obtenir les noms et les adresses. Toutefois, nous ne désirons pas priver les familles du renseigne­ ment, si précieux pour elles, qu’un signe de vie a été reçu d'un déporté. C’est pourquoi toute nouvelle reçue d’un déporté au Comité inter­ national, soit au moyen d’un accusé de réception d’un colis, soit par correspondance, soit d’une autre manière, sera communiquée à la famille sans l’indication de l’adresse où se trouve le déporté. Copie de cette communication vous sera remise. Vous serez donc informés comme auparavant des renseignements que nous pourrons recevoir au sujet de la réception de colis par un prisonnier civil, toutefois plus sous forme de liste. D’autre part, toute demande individuelle de renseignements que vous pourriez nous adresser sera «fichée » et l’Agence centrale des prisonniers de guerre vous répondra dès qu’un renseignement nouveau lui sera parvenu. Nous sommes certains que vous comprendrez les motifs qui nous obligent à introduire cette nouvelle méthode de communication. Lettre d'un homme de confiance du camp de concentration d’Oranienburg au Comité international de la Croix-Rouge (traduction) Sachsenhausen-Oranienburg, le 26 décembre 1944. J ’accuse réception de vos envois Z 674, Z 254, 260, 266, Z 231 A, arrivés très à point pour Noël ; ils furent reçus avec enthousiasme et par des cris de joie. Au nom de tous les bénéficiaires, je vous en ex­ prime la plus sincère gratitude. Lors du dernier envoi Z 25/, aucun avis ne m’est parvenu et je me demande si d’autres envois n’ont pas été expédiés entre-temps. Pour assurer le contrôle, je vous serais obligé de me tenir constamment au courant. L’envoi sans adresse, bien emballé dans des caisses, a été plus facile à distribuer et a permis de satisfaire la majorité des détenus. Naturellement les autres groupes : Yougoslaves, Espagnols, etc., ont été très déçus, car ils n’ont rien reçu depuis septembre dernier et les Hollandais n’ont pas pu satisfaire la grande majorité de leurs compatriotes. Souhaitons que vous puissiez, lors du Nouvel an, tenir compte davantage de ces derniers. Les articles de toilette, le linge, les chaussettes et les pull­ overs, dont nous avons un besoin urgent, ne sont pas encore arrivés. QUATRIÈME PHASE Le Gouvernement allemand se résoud à faire des concessions capitales en faveur des détenus des camps de concentration. 76 Le I er février 1945, il autorise l’envoi aux déportés originaires des territoires français et belges de colis de vivres, de vêtements, de médicaments, et de livres, soit sous forme de colis individuels, soit sous forme de colis collectifs. Enfin, en mars 1945, les accords conclus entre le Président du Comité international de la Croix-Rouge et le général Kaltenbrunner ouvrent les camps de concentration aux délégués du Comité. E t alors commence la grande croisade contre la faim. Réponse du Gouvernement allemand à la lettre du Comité international de la Croix-Rouge du 2 octobre 1944, transmise par le Consulat d Allemagne à Genève (traduction) Genève, le I er février 1945. Conformément aux instructions reçues, le Consulat d’Allemagne a l'honneur de faire savoir au Comité international de la Croix-Rouge, en réponse à sa lettre du 2 octobre 1944 qui a été soumise à Monsieur le Ministre des Affaires étrangères avec une lettre personnelle de Monsieur le Président Huber, ce qui suit : Les Autorités allemandes compétentes ont examiné avec attention les exposés du Comité international de la Croix-Rouge concernant le traitement des détenus à titre préventif (Schutzhàftlinge). Comme suite à cet examen, les mesures suivantes ont été ordon­ nées au sujet de cette catégorie de détenus originaires des territoires français et belge. 1) Un échange de nouvelles sur formulaires de Croix-Rouge est autorisé entre ces détenus et leurs familles. Les préparatifs néces­ saires sont terminés. Il est à prévoir que cette correspondance débutera très prochainement. De cette manière les noms des déte­ nus seront connus par ce moyen ; ceux-ci pourront ainsi donner des nouvelles de leur état de santé. 2) Les détenus peuvent recevoir des colis contenant des vivres, des vêtements, des médicaments et des livres, soit sous forme de colis individuels pour des destinataires individuels, soit d’envois collectifs du Comité international de la Croix-Rouge. 3) En cas de poursuites judiciaires, les détenus sont informés du motif de la plainte. Il s’agit là d’une règle fondamentale du Code pénal allemand, lequel prévoit également la remise de l’acte d’accusation à l’accusé. 77 Du moment que les noms et les adresses des détenus seront communiqués aux familles et au Comité international de la CroixRouge par la correspondance postale, l’établissement et l’envoi de listes spéciales paraissent superflus. D’autre part, les Autorités allemandes sont en principe prêtes à fournir des réponses aux enquêtes individuelles concernant les détenus. . Pour des raisons impérieuses, relevant de la défense nationale, il est malheureusement impossible actuellement d'autoriser la visite des camps et des lieux habités par ces détenus. La question du rapatriement des détenus, soulevée dans la lettre du Comité inter­ national de la Croix-Rouge du g septembre 1944, est en ce moment à l’étude. Il serait important, en vue des décisions à prendre, de savoir si le Comité international de la Croix-Rouge est en mesure de faire entrevoir également un rapatriement des personnes arrêtées en France, en Alsace et en Lorraine. Réponse du Président du Comité international de la Croix-Rouge à la lettre précédente du Consulat d’Allemagne à Genève (traduction) Genève, le 15 février 1945. En réponse à votre lettre du I er février 1945, contenant une com­ munication du Ministère des Affaires étrangères du Reich au sujet de mesures prises en faveur des détenus politiques provenant de France et de Belgique, je me permets de transmettre à votre Gou­ vernement, par votre intermédiaire, la présente note du Comité international de la Croix-Rouge. A cette occasion, le Comité international se permet d’observer, au sujet du troisième point des mesures dont vous nous avez donné connaissance, qu’à son avis la possibilité d'une défense juridique ordinaire de ces détenus devrait être l’objet de mesures urgentes non seulement dans les procédures de droit pénal au sens plus étroit, mais aussi dans les procédures administratives et notamment de police. Le Comité international se permet, d’autre part, de demander au Gouvernement du Reich, ainsi qu’il l'a fait dans sa note du 2 octobre, de vouloir bien continuer à envisager la possibilité que les camps puissent être visités par ses délégués, notamment en vue de l’orga­ nisation pratique des envois de secours et de la transmission de nouvelles. Le Comité international ne voudrait pas manquer de constater avec une réelle satisfaction que la communication des Autorités du Reich, en date du I er février 1945, représente un progrès notable dans le statut des détenus politiques... 78 N o te a n n exée à la lettre p récéd en te ( t r a d u c t i o n ) Le Comité international de la Croix-Rouge a l’honneur d’accuser réception au Consulat d’Allemagne de sa communication du I er février 1945, constituant la réponse des Autorités du Reich à la note con­ cernant le traitement des détenus civils adressée à M. le Ministre des Affaires étrangères en date du 2 octobre 1944. Le Comité international est heureux de pouvoir constater que les Autorités du Reich, de même que les Autorités françaises et belges, sont disposées à faire bénéficier les « détenus préventifs » des facilités suivantes : 1. Echange de nouvelles sur formulaires de Croix-Rouge. — Le CICR apprécie sincèrement la décision du Gouvernement allemand qui est, sans nul doute, de nature à créer dans ce domaine une atmosphère de détente. Nos expériences nous enseignent cependant que cet échange de nouvelles ne saurait suppléer aux listes nominatives. Si cependant l’établissement de telles listes devait se heurter à de graves diffi­ cultés d'ordre pratique, le CICR propose de joindre au premier envoi de nouvelles une carte d’identité, que l’intéressé devrait lui-même remplir et qui correspondrait aux cartes de capture des prisonniers de guerre. (Nous nous permettons de joindre un exemplaire de la carte proposée.) Au vu de ce formulaire, le CICR serait à même de constituer un fichier des détenus. L'expérience a démontré en effet qu’un tel fichier ne peut être établi de façon satisfaisante sur la base de communications incomplètes et souvent illisibles, même en y con­ sacrant beaucoup de soins, de temps, et un personnel nombreux. L’expédition des nouvelles, ainsi que celle du formulaire, devrait s'effec­ tuer le plus rapidement possible, soit directement à Genève, soit aux délégations du CICR à Berlin et à Uffing. Le CICR est prêt à fournir les formulaires ; nos délégués à Berlin et à Uffing en possèdent du reste un certain nombre, rédigés en allemand. 2. Envoi de colis collectifs et individuels. — Pour assurer le maximum de sécurité à ces envois et pouvoir prendre, d’ores et déjà, les mesures techniques propres à les faciliter, il est non seulement souhaitable mais nécessaire de recevoir les indications essentielles concernant les lieux de détention et les effectifs des camps, comme nous les recevons pour les prisonniers de guerre. Nous voudrions également savoir si les envois doivent être adressés directement aux camps ou à des centres de distribution. Les envois de colis individuels peuvent-ils être faits sans limitations, ou sont-ils restreints quant au poids, au contenu et au nombre ? 3. Procédure pénale. — Bien que le CICR soit convaincu que la procédure pénale appliquée aux « détenus préventifs » observe les 79 formes habituelles et les normes du droit pénal, le Comité se permet d'émettre le vœu de leur voir accorder des garanties minimums, ana­ logues à celles que la Convention de 1929 stipule en faveur des pri­ sonniers de guerre. Le statut de ces détenus se distingue, il est vrai, de celui des prisonniers de guerre, en ce que les premiers n’apparte­ nant à aucune organisation militaire, le code pénal militaire ne leur est pas applicable et ils ne sont pas soumis, quant aux sanctions pé­ nales aux dispositions générales prévues dans la Convention de 1929. 4. Renseignements individuels et enquêtes. —• Au cas où les Autorités du Reich ne seraient pas à même de fournir des listes nominatives, les cartes d’identité dont il est question sous chiffre 1, outre qu’elles faciliteraient singulièrement la tâche du service compétent du Comité, constitueraient la condition technique indispensable à l’établissement de tout service de renseignements et de secours individuels. Le CICR est particulièrement reconnaissant aux Autorités alle­ mandes de lui avoir accordé l’autorisation de poursuivre des enquêtes directement auprès des offices compétents. Il fera un usage aussi discret que possible de cette autorisation, et cela seulement dans des cas urgents. 5. Visites de délégués. — Bien que conscients des arguments qui ne permettent pas aux Autorités allemandes d’envisager pour le moment de régler favorablement cette question, le CICR prie ins­ tamment ces Autorités de la reconsidérer aussi rapidement que pos­ sible. C’est précisément sur ce point que le Comité a reçu des garanties de réciprocité de la part des Gouvernements qui détiennent des internés civils allemands. Le Comité est également convaincu que les rapports impartiaux de ses délégués le mettraient à même de réduire à néant certains bruits qui sont de nature à aggraver le sort des internés civils allemands. 6. Rapatriement. — C’est avec satisfaction que le CICR constate que tant le Gouvernement du Reich que les Gouvernements fran­ çais et belge se sont déclarés en principe favorables au rapatriement de certaines catégories de civils et de « détenus préventifs ». Par con­ séquent, le CICR propose aux Gouvernements allemand, français et belge de rapatrier les catégories suivantes : 1) les malades, les blessés, les vieillards infirmes, ainsi que les femmes et les enfants. Quant aux malades et aux blessés, on pour­ rait en premier lieu leur appliquer les normes en vigueur pour les prisonniers de guerre. Les enfants devraient, autant que possible, être rapatriés en compagnie de leurs parents, de leurs proches ou des personnes qui en ont la charge. 2) Les personnes contre qui aucune poursuite pénale n’a été introduite, ou qui ne sont l’objet d’aucune accusation grave. 80 3) Les personnes pouvant invoquer la prescription ou la cadu­ cité en ce qui concerne les faits qui ont motivé leur internement. Le CICR propose de commencer le plus rapidement possible avec le rapatriement des femmes et des enfants, et de continuer par celui des vieillards et des malades. Il se déclare disposé, au cas où les Autorités compétentes le désireraient, à examiner, d’entente avec le Gouvernement suisse, la question du transit et du transport de ces personnes à destination. Le CICR se permet enfin de souligner l’avantage qu’il y aurait à ménager un échange de vues simultanément avec les différents offices allemands compétents en la matière, afin de s’entendre aussi rapi­ dement que possible quant aux mesures de rapatriement et à leur réalisation pratique. En conséquence, le CICR réitère les propositions qu’il a eu l’honneur de soumettre au Gouvernement allemand dans sa note du 2 octobre 1944, et le prie de désigner une personnalité qui serait chargée offi­ ciellement d’engager à Genève les pourparlers envisagés. Note du Consulat britannique à Genève au CICR, du 14 février 1945 (résumé) Le Consulat britannique à Genève, répondant à la lettre et au mémorandum du Comité international de la Croix-Rouge du 16 octobre 1944, fait connaître au CICR, de la part du Gouvernement britannique, que les internés civils allemands rètenus en GrandeBretagne sont au bénéfice des garanties « Croix-Rouge » et qu’il n’y a aucune analogie entre eux et les civils déportés en Allemagne. Lettre du Président du CICR aux Consuls des Etats-Unis et de Grande-Bretagne, du 16 février 1945 Le Président du CICR demande aux Consuls des Etats-Unis et de Grande-Bretagne à Genève, de transmettre respectivement à S. Exc. M. Stettinius et à S. Exc. M. Eden, secrétaires d’Etat, et par la voie la plus rapide, le message suivant : « Chef notre délégation en Allemagne, rentré cet instant en Suisse pour court rapport, décrit situation prisonniers de guerre et internés comme suit : évacuation en direction est-ouest s’opère dans conditions les plus difficiles à pied sans nourriture par grand froid. Rassemblement des prisonniers de guerre dans camps de passage privés de toutes réserves. Nouvelle évacuation prévue toujours direction ouest nord-ouest dans conditions semblables. 81 Internés civils et déportés évacués sous mêmes conditions plus haut citées et méritant également aide immédiate. Délé­ gation a pu et peut contrôler arrivée des évacués de toutes caté­ gories mais se trouve dans l’impossibilité faire acheminer vivres matériel pansements et médicaments se trouvant dans réserve Lübeck au nord et Suisse au sud. Ainsi s’imposeraient deux solutions primo transport immédiat secours au moyen quelques centaines camions mis à disposition Comité international de la Croix-Rouge avec essence et autres accessoires nécessaires secundo protection contre action aérienne de voie ferroviaire secondaire signalée par Comité international de la Croix-Rouge. Employons tous moyens dont nous disposons mais prions devant l’immensité du problème de nous aider dans notre tâche dans le sens indiqué. » Note du Consulat d’Allemagne à Genève au CICR relative au rapatriement des « détenus préventifs », du 5 mars 1945 La communication adressée au Président du CICR, en réponse à sa lettre du 2 octobre 1944, laissait entendre que la question du rapatriement des « détenus préventifs » (Schutzhâftlinge), soulevée dans la lettre du CICR du 9 décembre 1944, ferait l’objet d’une com­ munication ultérieure. La question ayant été étudiée depuis lors, on peut aujourd’hui déclarer que le Gouvernement du Reich est prêt à rapatrier les enfants, les femmes et les vieillards français qui se trouvent en Alle­ magne, à condition que les internés civils allemands soient renvoyés de France dans leur pays. Des propositions touchant le nombre des Français qui entrent en ligne de compte et la réalisation pratique du rapatriement seront soumises au CICR dans le plus bref délai. Il demeure entendu qu’en France également tous les travaux prépa­ ratoires seront immédiatement entrepris en vue de réaliser ce projet. Lettre du général des SS Kaltenbrunner confirmant les accords passés avec le Président du CICR (traduction) 1 Le 29 mars 1945. Conformément à notre accord, j'ai entrepris, dès mon retour, avec les Autorités compétentes, l’examen des questions que vous avez 1 L 'en trev u e du P r ésid en t du C ICR a v e c le gén éral K a lten b ru n n er a v a it eu lieu le 12 m ars 1945. C o m m en ta n t c e tte e n tre v u e e t les accord s q u i en résu ltèren t d e v a n t les d élég u és d es C ro ix -R o u g es in tére ssé e s et les rep résen ta n ts de d iv erses o r g a n isa tio n s, le 26 m ars 1945, le P résid en t du C ICR d écla ra it n o ta m m e n t : 82 posées. J ’ai le plaisir de vous informer que j’ai pu constater chez tous les intéressés une grande bonne volonté. Voici dans le détail la façon dont je puis répondre aux vœux que vous avez exprimés : 1 II. Internés civils. 1) L’échange global de tous les internés civils français et belges contre tous les internés civils allemands, proposé par vous, favorise­ rait grandement les Français. Nous devrions libérer près de 62.000 Français contre 15.000 internés allemands seulement. En outre, les catégories sont complètement différentes. Les Allemands qui se trouvent en mains françaises n’ont été internés que parce qu’ils sont restés en France, tandis que la majorité des internés civils français détenus par les Allemands sont accusés d’actes graves commis contre les forces occupantes pendant l’occupation de la France. Nous sommes cependant prêts à accepter l’échange global des internés civils aux conditions suivantes : a) Toutes garanties seront données d’abandonner les poursuites contre les Alsaciens et les Lorrains ayant collaboré avec nous et acquis la nationalité allemande, mais qui, en France, sont considérés aujourd’hui encore comme ressortissants français, et qu’ils seront compris dans l’échange, sous condition d’en expri­ mer eux-mêmes le désir. b) Les poursuites contre les collaborationnistes français en France seront définitivement abandonnées. 2) Si le rapatriement global des internés civils ne peut se réaliser, il reste la possibilité de s’entendre sur un échange en nombre égal comprenant les Alsaciens et les Lorrains. On pourrait, dans ce cas, commencer par le rapatriement des vieillards, des malades, des femmes et des enfants, comme le Comité international le propose. En outre, on pourrait envisager des échanges individuels, selon vos propositions. « L a q u estion des prison n iers d e guerre, d éte n u s e t in te rn és c iv ils a fa it l'o b je t de ces en tr e tie n s, e t on p e u t parler d ès m a in te n a n t de résu l­ ta t s acq u is. L e C IC R ne p o u v a it ju sq u 'a lo rs v is ite r les cam p s de d éten u s c iv ils. L es q u elq u es v isite s d es d élég u és du C IC R eu ren t lieu dans la p ériph érie d es cam p s. E lles é ta ie n t restr e in te s a u x seu ls c o n ta c ts a v e c les co m m a n d a n ts d e cam p s. L ors des récen tes co n v e r sa tio n s, p ar con tre, il a é té p révu que des d élég u és p ou rraien t être e n v o y é s d an s les cam p s, à la co n d itio n q u ’ils y re ste n t ju s q u ’à la fin d es h o stilité s. » D es pourparlers en tre les rep résen ta n ts du C IC R e t les rep rése n ta n ts d es A u to rités a llem a n d es sur les m o d a lités d ’a p p lica tio n des accord s B u rclch ard t-K alten b ru n n er eu ren t lieu le 10 a v ril à C on stan ce e t le 24 a vril à Innsbruck . 1 Le C IC R ne rep rod u it ici qu e le s p a ssa g es relatifs a u x d iv erses c a té ­ gories de d éten u s civils. 83 3) La répartition des internés civils par nationalités et en camps séparés, telle qu'elle se fait en ce moment pour les Norvégiens et les Danois, pourrait être envisagée, dans la mesure des possibilités techniques. 4) La fourniture par le Comité international de la Croix-Rouge de vivres, vêtements et médicaments aux internés civils a été autorisée en principe par le Ministère des Affaires étrangères, d’entente avec mes services. L’application pratique de cette mesure a fait l’objet de pourparlers avec la délégation du Comité international de la Croix-Rouge à Berlin, pourparlers dont l’issue a donné pleine satis­ faction à tous les intéressés. IV. Prisonniers de guerre polonais faits lors de la révolte de Var­ sovie ; femmes polonaises et jeunes gens capturés à cette occasion. L’hospitalisation des prisonniers de guerre ainsi que des femmes et des jeunes gens capturés par les Allemands lors de la révolte de Varsovie peut être envisagée sous condition de réciprocité, par exemple si la Grande-Bretagne et les Etats-Unis se déclarent prêts à libérer les femmes allemandes qu’ils détiennent en tant que mem­ bres de la Wehrmacht ou des services auxiliaires de la Wehrmacht (auxiliaires d’Etat-Major, infirmières de la Croix-Rouge). V. Internés civils juifs. Pour ce qui est du transfert d’internés civils juifs en Suisse, j ’ai pu également constater une attitude plutôt favorable. En traitant ce problème, on ne doit, à mon avis, envisager aucune réciprocité ni aucune compensation, mais il devrait apparaître sous quelle forme et dans quel domaine le Reich allemand pourrait s’attendre à des compensations. VI. En vue de l’étude ultérieure et technique des points énumérés ci-dessus, je me permets de vous proposer de demander à votre délégation à Berlin de se mettre immédiatement en rapport avec le Ministère des Affaires étrangères. Afin de hâter ces pourparlers, je - fais envoyer copie de la présente lettre à votre délégation à Berlin, ainsi qu’au Ministère des Affaires étrangères... Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge au Commandant du camp de concentration de Dachau (traduction) Genève, le 11 avril 1945. Au cours de mes derniers entretiens avec l’Obergruppenführer général SS Kaltenbrunner, toute assistance a été promise au Comité 84 international de la Croix-Rouge en vue du ravitaillement en vivres et médicaments des internés étrangers en Allemagne. Je me permets à cet effet de vous recommander très vivement notre délégué qui est chargé d’organiser le ravitaillement des internés de votre camp et de ses dépendances. A cette fin, quatre camions et une voiture personnelle sont mis à sa disposition avec l’essence nécessaire. Veuillez donner à notre délégué toutes facilités pour l'exécution de sa tâche. Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge au Commandant du camp de Mauthausen (traduction) Genève, le 29 avril 1945. Lors de mes pourparlers avec l’Obergruppenführer Kaltenbrunner, il a été convenu que des délégués du Comité international seraient désignés pour se rendre dans les camps de concentration où se trou­ vent des détenus de nationalité étrangère et qu’ils y demeureraient jusqu’à la fin de la guerre. Dans une nouvelle entrevue, le 24 avril, l’Obergruppenführer Kaltenbrunner a expressément confirmé cet accord et déclaré que les ordres nécessaires avaient été donnés. Si donc un commandant de camp refuse de recevoir ces représentants (délégués du Comité international et personnel infirmier) il agit con­ trairement à un ordre, ou bien alors les ordres donnés ne parviennent pas à destination. Je vous prie, en conséquence, de mettre immédiatement le porteur de la présente lettre en mesure d’installer les délégués dont il est question dans le camp de Mauthausen ; je vous prie en outre de veiller à ce que ces délégués puissent circuler librement dans le camp et entrer en contact avec tous les détenus de nationalité étrangère. Au cas où ces instructions ne seraient pas suivies, le Comité inter­ national de la Croix-Rouge vous tiendra pour personnellement respon­ sable des conséquences ; en outre, il informera l’opinion publique mondiale de votre responsabilité. Si, au contraire, vous prenez toutes mesures pour faciliter l'application des accords conclus avec l'Obergruppenführer Kaltenbrunner en ce qui concerne la désignation de nos délégués et leur séjour dans le camp selon les conditions indiquées, le Comité international de la Croix-Rouge portera témoignage de votre bonne volonté. Lettre du Comité international de la Croix-Rouge au Commandant du camp de concentration de Dachau Genève, le 30 avril 1945. Dans le sens des accords conclus entre le Président du Comité international de la Croix-Rouge et l’Obergruppenführer Kalten85 brunner, nous avons envoyé une colonne de 10 camions en vue de ravitailler les camps suivants : Ueberlingen am Bodensee, Lichtenau, Biberach, Saulgau, Wurzach, Waldsee, Memmingen, Blaichach, Kaufbeuren, München. Nous vous serons obligés de donner tous les ordres nécessaires aux commandants de ces camps pour faciliter la distribution de ces colis. Télégramme du Comité international de la Croix-Rouge à M. Stettinius, Secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Président de la Conférence de San Francisco Genève, le n mai 1945. Correspondants presse accrédités Conférence San Francisco ayant signalé légitime intérêt porté dans milieux conférence à sort pri­ sonniers et détenus alliés en Allemagne ainsi que critiques formulées touchant actions CICR ce domaine, celui-ci fait déclaration suivante qu’il vous serait reconnaissant porter connaissance Conférence San Francisco commencement : CICR relève en premier lieu que Conven­ tion Genève 1929 s’applique de par volonté parties contractantes aux seuls militaires prisonniers guerre. Conscient danger résultant absence toute protection pour civils en territoires ennemis ou occupés par ennemis, CICR s’efforça depuis septembre 1939 obtenir des belli­ gérants application de facto du projet de Convention adopté 1934 par quinzième Conférence internationale Croix-Rouges et non encore ratifié par Gouvernements. Application de projet aurait assuré pro­ tection tous civils ci-dessus mentionnés. Proposition CICR étant restée sans écho auprès des belligérants celui-ci obtint seulement extension Convention Genève aux internés civils c’est-à-dire aux civils résidant en territoires ennemis et internés dès début conflit du seul fait de leur nationalité. En revanche, civils en territoires occupés et emprisonnés pour motifs autres que nationalité puis sou­ vent déportés restèrent privés toute protection malgré efforts répétés CICR en leur faveur. Ainsi CICR fut seulement admis à visiter en Allemagne prisonniers guerre et internés civils alliés dont pays d'origine était partie à Convention Genève. Les constatations faites par ses délégués ont été régulièrement portées à connaissance Gouver­ nements intéressés de même que ses interventions constantes en vue d’obtenir toutes améliorations nécessaires. En outre prisonniers guerre et internés civils alliés purent recevoir colis secours fournis par pays origine grâce à efforts incessants CICR qui réussit malgré difficultés de transport résultant guerre maritime et terrestre à ache­ miner vers camps jusqu’au milieu année 1944 environ trois cent mille tonnes vivres vêtements et médicaments. Cette action fut sérieusement compromise dès octobre 1944 par destructions massives voies de communication ferroviaires Allemagne par suite bombar86 dements et absence moyens transports routiers que ÇICR avait pourtant demandés instamment à Puissances alliées dès début 1944. Ces moyens transports commencèrent être fournis en automne 1944 seulement et en quantités limitées. Leur utilisation en Allemagne fut autorisée par Autorités alliées seulement depuis mars 1945 alors qu’intensification guerre aérienne rendait organisation et achemine­ ment secours aux prisonniers guerre toujours plus difficiles. En ce qui concerne civils emprisonnés ou déportés et sans protection con­ ventionnelle CICR put pas obtenir durant tout conflit pénétrer inté­ rieur camps concentration sauf rares exceptions dans tout derniers jours avant arrivée troupes alliées. Néanmoins CICR s’efforça du moins secourir déportés par envois vivres et médicaments. Malgré entraves provenant Autorités allemandes et restrictions imposées au CICR par Autorités blocus, plusieurs centaines milliers colis vivres et médicaments furent expédiés à destination nombreux camps con­ centration. En outre CICR ayant obtenu dernier moment libération certaines catégories déportés réussit au moyen ses convois routiers évacuer vers Suisse et Suède plusieurs milliers personnes. Ainsi malgré obstacles toutes sortes et modicité moyens mis à disposition CICR, cette double action permit, selon nombreux témoignages déportés,, sauver quantité considérable vies humaines. 87 DANEMARK L U B E C K t_ ^ Ç ^ ^ T w iS M A R ^HAM BOURG*- MALCHOW e STETTIN (N EU EN G A M M f ) • PUTLlTZ V RAV6NSBRÜCK W^TTSTOCK N E U R U P P I N X f :L • L0W E N SB E R G ORANIENBURG LINDOW BERLIN \ WAGENIT2 ALTENGRABOW HOLLANDE VARSOVIE SCHWERIN POLOGNE WEIMAR B ELG IQ U E BUCHENWALD COLOGNE AUSCHWITZ , AUSSIG FRANCFORT t h e r e s ie n s t a b t • PRAGUE STUTTGART ULM' FRANCE I TURCKHEIN^ (LA N D SB ER G )/ )xMC>OSBURG ® -MUNICH DAC H A U ^ s? ST. GEO RG EN STA RN BERG V • BAD TÔLZ A UTRICHE S T MARGRETHEN E m p la ce m e n t g é o g rap hiqu e d e s p rin cip a u x c a m p s de c o nce ntra tio n en A llem agne L e s f l è c h e s i n d i q u e n t la d ir ec tio n des convois de seco u rs IT A L IE TR O ISIÈM E PA R T IE R A P P O R T S D E D É L É G U É S D U C O M IT É I N T E R N A T I O N A L D E L A C R O IX -R O U G E S U R L E U R A C T IV IT É E N F A V E U R D E S C IV IL S D É T E N U S D A N S L E S C AM PS D E C O N C E N T R A T IO N E N A L L E M A G N E (1945) Le Comité international de la Croix-Rouge publie ci-après les rapports de ses. délégués qui ont pu soit pénétrer dans les camps de concentration à la suite des accords conclus par le Président du Comité international avec les Autorités du Reich, soit porter secours aux évacués de ces camps. Le premier rap p o rt1se réfère toutefois à une période antérieure : celle où les délégués du Comité international de la Croix-Rouge cherchent par des prises de contact avec les com mandants de camps de concentration — alors que la visite même des camps leur demeure interdite —• et par des discussions sur place, à pénétrer le mystère qui enveloppe ces camps et à obtenir des listes de détenus, des renseignements et des assurances propres à faciliter l’envoi de secours. Le deuxième rapport 2, de caractère général, relate les efforts incessants et tenaces tentés par la délégation de Berlin en vue d'obtenir des concessions des,Autorités allemandes en faveur des détenus des camps de concentration — efforts parallèles à ceux que poursuivait de son côté le Président du Comité international — et qui furent, comme on le verra, au moins partiellement couronnés de succès. 1 R a p p o rt n° I, p age 91. 2 R a p p o rt n° II , p age 92. 89 Les rapports suivants illustrent la dernière phase de la guerre — celle où les délégués sont admis dans les camps, non sans par­ fois encore d’âpres discussions sur le pas de la porte, et peuvent y faire pénétrer les convois de secours. Certains ont tra it au rapatriem ent de détenus vers la frontière suisse 1, d ’autres aux efforts des délégués pour éviter des évacua­ tions massives 2 (Oranienburg, Ravensbrück), d ’autres encore au ravitaillem ent de colonnes de détenus évacués3. On verra notam m ent les délégués du CICR à l’œuvre à Theresienstadt 4, à M authausen 5, à Dachau 6, à Turckheim 7, où leur présence évita le pire, dans les prisons de Berlin 8, où ils obtinrent la libération de nombreux détenus. Certains de ces rapports sont de simples « carnets de route » de délégués-convoyeurs. Rédigés souvent en pleine action, ils reflètent la situation chaotique qui prévalait alors en Allemagne e t m ontrent le caractère d ’improvisation hardie que dut revêtir l ’action de secours, épousant pour ainsi dire au. jour le .jour le cours des événements dans leur confusion même, sans qu’un plan raisonné puisse toujours être établi ou suivi. A partir de points fixes — la frontière suisse, la délégation cen­ trale d ’Ufflng, les dépôts de vivres de Wagenitz, près de Berlin, de Lübeck, de Moosburg — les colonnes de camions durent em prunter des itinéraires de fortune et des chemins de traverse pour atteindre leurs objectifs, dans des conditions exigeant des convoyeurs et des chauffeurs un dévouement et un sang-froid de tous les instants. 1 R a p p o rt n° I I I , p a g e 105. 2 R a p p o rt n° IV , p a g e n i . 3 R a p p o rts nos V e t V I, p a g es 120 e t 123. * R a p p o rt n° V I I , p a g e 130. 6 R a p p o rts n09 I X e t X , p a g es 134 e t 136. 6 R a p p o rts n09 X I e t X I I , p a g es 143 e t 149. ’ R a p p o rt n° X I I I , p a g e 152. 8 R a p p o rt n° V I I I , p a g e 133. 90 I. — Visite au Commandant du camp d’Auschwitz d’un délégué du CICR (septembre 1944) ... Tout au long des routes, des pistes polonaises pour être plus exact, qui mènent de Teschen à Auschwitz, nous avons rencontré des groupes d’hommes et de femmes, encadrés de SS, portant l’habit rayé des camps de concentration et formant de petits Kommandos (détachements de travail). Ces Kommandos travaillent tantôt à l’agriculture, tantôt aux mines. Ces gens, malgré le travail en plein air, ont tous le teint blafard, cendré. Tous marchent au pas et en rang de quatre ; les gardes, le fusil sous le bras, sont des SS de la Division Totenkopf... Nous arrivons enfin à Auschwitz et, après avoir eu la patience nécessaire, nous sommes introduits à l’intérieur du camp de concen­ tration. Du camp même, nous n’apercevons que six à huit très grandes casernes en briques rouges. Ces bâtisses paraissent neuves; toutes les fenêtres sont munies de barreaux ; le camp est entouré d’un mur en plaques de béton, mur très haut, surmonté d’une garniture de barbelés. Entretien avec le Commandant : Comme à Oranienburg et à Ravensbrück, les officiers sont ici à la fois aimables et réticents. Chaque mot est bien calculé et Ton sent la crainte de laisser échapper le moindre renseignement. 1) Les distributions des envois faits par le Comité semblent être admises et même réglées par un ordre général valable pour tous les camps de concentration. 2) Le commandant nous dit que les paquets adressés personnel­ lement à un détenu sont toujours remis intégralement. 3) Il existe des hommes de confiance pour chaque nationalité (Français, Belges, pas d’autre nationalité citée, mais certainement plusieurs autres). 4) Il existe un « Judenâltester » (doyen des Juifs), responsable pour l’ensemble des internés juifs. 5) Les hommes de confiance et le « Judenâltester » peuvent recevoir des envois collectifs ; ces envois sont distribués librement par eux. Les paquets personnels arrivant à un nom inconnu au camp sont remis à l’homme de confiance de la nationalité en ques­ tion. 6) La distribution des envois faits par le Comité nous paraît certaine. Nous n’avons pas de preuve, mais notre impression est que le Commandant dit vrai quand il affirme que ces distributions se font régulièrement et que tout vol est puni sévèrement... 91 Nous espérons pouvoir vous faire parvenir bientôt des noms, pré­ noms et numéros de détenus d’Auschwitz ainsi que leur nationalité. En effet, un Kommando de prisonniers de guerre britanniques tra­ vaille dans une mine à Auschwitz en contact avec ces gens. Nous avons prié l’homme de confiance principal de Teschen de faire son possible pour obtenir de l’homme de confiance du Kommando d’Auschwitz tous les renseignements utiles. Spontanément, l’homme de confiance principal britannique de Teschen nous a demandé si nous étions au courant au sujet de la « salle de douches ». Le bruit court en effet qu’il existe au camp une salle de douches très moderne où les détenus seraient gazés en série. L’homme de confiance britannique a, par l’intermédiaire de son Kommando d’Auschwitz, essayé d’obtenir confirmation de ce fait. Ce fut impossible de rien prouver. Les détenus eux-mêmes n’en ont pas parlé. Une fois de plus, en sortant d’Auschwitz nous avons l’impression que le mystère reste bien gardé. Nous emportons pourtant la certi­ tude que des envois sont à faire, la plus grande quantité possible et le plus vite possible. Une fois encore, disons que nous croyons que ce qui est envoyé est remis intégralement aux détenus. II. — Rapport sur les pourparlers de la délégation du CICR à Berlin avec les Autorités allemandes et sur son activité en faveur des détenus dans les camps de concentration ... Dès le début, du moins aussi longtemps que la constellation militaire fut favorable au Reich, les Autorités allemandes furent d’avis que les camps de concentration étaient une affaire interne, qui ne regardait que le Reich et que, par conséquent, aucune Puis­ sance étrangère et aucune organisation internationale n’avait à s’en occuper. Des démarches peu diplomatiques et conduites avec brus­ querie auraient mis en danger toute l’action du Comité international de la Croix-Rouge en faveur des prisonniers de guerre et des internés civils sur la base de la Convention de Genève. Dans les années 1943 et 1944, la délégation du Comité international à Berlin s’est toujours préoccupée de se mettre en rapport avec les commandants des divers camps de concentration pour discuter avec eux la question d’envois de secours aux détenus de ces camps. On se procura des milliers de noms de déportés et l’on put ainsi renseigner leurs parents dans les territoires occupés. Les envois de secours du CICR dans les camps de concentration tenaient une large place dans le plan de secours collectifs des prisonniers se trouvant en Allemagne. Mais les dirigeants et les véritables maîtres des camps de concen­ tration étaient pour nous des inconnus et nous ne pouvions pas les 92 atteindre. Le contact avec les Autorités intérieures était extrême­ ment difficile à établir puisqu'il y avait, par principe, une profonde méfiance à l'égard de toute organisation qui n’était pas d’origine allemande, de la part des Autorités du Service de sécurité et des SS. Au début de janvier 1945, je fis la connaissance d’un membre du Ministère des Affaires étrangères, le Dr Reichel, qui faisait la liaison entre les services intérieurs et le Ministère lui-même. Grâce à ses très bons rapports avec tous les bureaux des SS et du Service de sécurité, le Dr Reichel nous a rendu par la suite des services signalés en tant qu’intermédiaire. Le 9 janvier, un de nos délégués eut une première entrevue avec le chef du Service de la sécurité et de la défense pour les détenus politiques, l’Obersturmbannführer Dr Berndorf. Le Dr Berndorf lui indiqua le nom de l’Obergruppenführer Glücks, chef de l’adminis­ tration de tous les camps de concentration en Allemagne. Les pour­ parlers avec l’Obergruppenführer Glücks eurent lieu le 11 janvier et les résultats acquis à ce moment éveillèrent en nous les plus grands espoirs. Ainsi que nous l’avons déjà dit, nos efforts tendaient à fournir les camps de concentration en vivres, en vêtements et en médicaments, dans la même mesure où l’on fournissait les camps de prisonniers de guerre. Il va sans dire que le CICR devait exercer un contrôle par ses délégués pour savoir si les envois parvenaient bien à leur lieu de destination et s’ils arrivaient bien aux mains des détenus. On ne pouvait arriver à exercer un tel contrôle que par l’intermé­ diaire d’hommes de confiance dignes de foi. Le texte des accords passés par le délégué du CICR avec l’Obergruppenführer Glücks était le suivant : 1. Chaque camp principal indique au CICR une personnalité connue appartenant à chacune des nationalités, qui devra fonc­ tionner comme homme de confiance principal. 2. Dans chaque camp annexe ou secondaire des divers camps de concentration on choisit également un homme de confiance pour chaque nationalité, dont le nom est notifié au CICR. 3. Les hommes de confiance dans les camps annexes ou secon­ daires envoient à l’homme de confiance du camp principal les accusés de réception des colis de secours pour qu’il les fasse par- ‘ venir à Genève. 4. On peut envoyer toutes les denrées non périssables, ainsi que des conserves dans des boîtes de fer blanc, du café et des cigarettes. 5. L’envoi de sous-vêtements chauds et de chaussures est très souhaitable. 93 6. On peut envoyer tous les médicaments à l’exception de stupé­ fiants. 7. Les colis collectifs doivent être envoyés au camp de concen­ tration de Dachau, qu’il convient de considérer comme le camp principal d’après la nouvelle organisation des camps de concen­ tration en Allemagne. 8. Le Service central de la sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt) se charge du transport des colis de secours de Dachau aux divers camps. 9. Tous les commandants de camps de concentration reçoivent l’ordre du Service central de la sécurité du Reich de distribuer les colis de secours aux diverses nationalités, selon un plan pro­ posé par le CICR. 10. Les visites des camps de concentration et des camps secon­ daires par les délégués seront annoncées au Reichsführer SS Himmler. Cette question reste ouverte. Cet accord est valable pour les déportés politiques des nationalités suivantes : Français, Belges, Hollandais, Danois, Norvégiens. On saura lors d’une prochaine séance si les ressortissants d’autres nationalités peuvent aussi être ravitaillés. Par l’accord ainsi passé, la délégation du CICR a pu inscrire à son actif un succès qui dépassait même nos espérances. Malheureu­ sement, diverses promesses n’ont jamais été tenues. C’est ainsi, par exemple, que jamais on n’a pu obtenir la liste des hommes de con­ fiance. Les envois collectifs et individuels firent le plus souvent l’objet d’accusés de réception, mais, ainsi que l’expérience nous l’a démontré plus tard, ils ne parvinrent pas tous aux mains des détenus politiques. Le nombre des détenus dans les camps de concentration ne nous a jamais été communiqué malgré diverses promesses faites. La visite des camps de concentration par les délégués du Comité international de là Croix-Rouge n’eut lieu que dans des camps isolés et seulement dans les derniers jours de la guerre. Jamais une conversation franche avec les hommes de confiance des diverses nationalités n’a eu lieu, que je sache, et pourtant c’était là un des seuls moyens d’être ren­ seigné exactement sur les conditions existant dans les camps de con­ centration. Le 2 février, les délégués du CICR se rendirent au Quartier général des camps de concentration à Oranienburg pour y discuter les diverses questions relatives à l’approvisionnement des camps de concentration en vivres et particulièrement en médicaments. Le Standartenführer Loling, médecin en chef de tous les camps de concentration d'Allemagne, montra toute la compréhension désirable au projet du Comité international d’envoyer des médicaments aux 94 médecins prisonniers et dicta sur-le-champ un ordre, pour en faciliter l’application à tous les camps de concentration. Dans cet ordre, il était spécifié que les quittances mentionnant la réception des médicaments devaient être signées uniquement par les médecins étrangers pri­ sonniers. Le Dr Loling profita de l’occasion pour signaler aux repré­ sentants du CICR tous les efforts faits par le Service de sécurité du Reich pour éviter les épidémies dans les camps de concentration, les­ quelles mettraient en danger la santé du peuple allemand. En même temps, nous eûmes une conversation avec l’Obersturmbannführer Hoess, le représentant et adjudant de l’Obergruppenführer Glücks. Nous fîmes remarquer de nouveau la grande importance que le CICR attachait à la visite de ses délégués dans les camps de concentration. L’Obersturmbannführer Hoess nous répondit que c’était du Reichsführer Himmler que dépendait toute décision sur ce sujet ; cependant il nous promit encore une fois de soumettre la question à l’Autorité dont il relevait. En ce qui concerne les listes des hommes de con­ fiance et des effectifs des divers camps de concentration d’après les nationalités, on nous assura que ces listes n’étaient pas encore arri­ vées. L’Obersturmbannführer Hoess s’excusa en invoquant les mau­ vaises conditions de transmission du courrier et des communica­ tions. Par la suite, nous devions recevoir encore souvent cette réponse stéréotypée à nos demandes réitérées. Plus tard, nos pourparlers avec le Quartier général des camps de concentration à Oranienburg devinrent assez fréquents. Dans les diverses séances avec l’Obersturmbannführer Hoess et le Standartenführer Loling, on régla maintes questions de détail sans arriver pour­ tant à un accord de principe concernant la visite des camps de con­ centration par les délégués du CICR. Le Reichsführer SS Himmler se confina dans le silence. Entre le 13 et le 15 mars, des conversations eurent lieu entre le Président du Comité international de la Croix-Rouge, M. Cari Burckhardt, et l’Obergruppenführer Kaltenbrunner. Sans attendre l'issue de ces pourparlers, la délégation à Berlin entreprit de nouvelles démarches auprès du Brigadeführer Schellenberg, chef du Service d’informations politiques. Ce dernier occupait alors une place très en vue parmi les premiers dirigeants de l’Allemagne et son influence s’étendait sans aucun doute jusqu’aux sphères les plus hautes. Les conversations avec Schellenberg nous permirent de distinguer au sein du Gouvernement du Reich deux tendances qui se heurtaient constamment : l’une consistait à faire certaines concessions, à mener la guerre avec des méthodes humaines et correctes, à traiter les pri­ sonniers selon les conventions internationales et à concéder des droits étendus au Comité international de la Croix-Rouge, tandis que l'autre soutenait la théorie qu’il fallait avoir des cœurs et des entrailles d’acier, et préconisait la nécessité de lutter à outrance sans aucun 95 égard aux sentiments humains et sans faire de concessions à la propa­ gande étrangère ou à l’idéologie humanitaire, considérée comme une fai­ blesse. On pouvait admettre au nombre des défenseurs de la première théorie le Brigadeführer Schellenberg, qui exerçait son influence dans ce sens sur le Reichsführer SS Himmler. Dans le camp opposé se trouvaient Hitler et son adjudant Bormann. Nous discutâmes divers problèmes. Les questions concernant les camps de concentration étaient les suivantes : 1. Le rapatriement des femmes françaises du camp de concentration de Ravensbrück. Schellenberg nous dit que ce problème devait être tranché d’ici peu ; il ajouta cependant qu’il y aurait lieu d’envisager un échange de ces femmes avec les femmes du Service auxiliaire de la Wehrmacht se trouvant en captivité en France. 2. Le ravitaillement des camps de concentration par le CICR, leur visite par ses délégués, l’organisation de la correspondance. • Schellenberg connaissait très bien l’ensemble du problème et il promit d’apporter son concours à sa solution. Les diverses questions devaient cependant encore être discutées avec le Gruppenführer Müller, du Service de la sécurité. 3. Le problème juif. A notre demande si la condition des Juifs ne pourrait pas être rendue meilleure, et s’il y avait un espoir que cessent les persécutions à leur égard, Schellenberg nous répondit que divers allègements étaient en vue et promit d’exercer son influence dans ce sens. Nous prîmes congé du Brigadeführer Schellenberg avec l’impres­ sion d’avoir trouvé un homme avec qui une discussion était possible et qui avait une vaste compréhension des problèmes qui préoccupent le Comité international de la Croix-Rouge. Le 23 mars, les délégués du CICR se rendirent chez l’Obergruppenführer Müller, chef du Sicherheitsdienst. Cette entrevue fut également ménagée par le Dr Reichel. Malheureusement, nous ne connaissions pas encore à ce moment le résultat des pourparlers entre le président Cari Burckhardt et le général Kaltenbrunner. Aussi ne pouvions-nous discuter certaines questions assez à fond. Toute la discussion roula sur le problème des camps de concentration et l’on discuta en particulier les points suivants : 1. Envois de secours aux camps de concentration. Nous rendîmes l’Obergruppenführer Müller attentif aux résultats que nous avions déjà obtenus. Nous lui fîmes remarquer que le CICR 96 avait déjà livré des milliers de tonnes de vivres dans les camps de concentration ; que les conditions de communication ayant entre temps notablement empiré, le CICR s’était décidé à organiser des colonnes de camions partant de Genève pour les camps de concen­ tration, comme il les organisait pour les camps de prisonniers de guerre. Nous le priâmes d’accorder lui aussi toute son aide au Comité international de la Croix-Rouge. L’Obergruppenführer Müller nous répondit que tous ces problèmes avaient déjà été discutés par le président Cari Burckhardt et le général Kaltenbrunner et qu’ils avaient reçu une solution favorable. Les envois de secours devaient parvenir aux ressortissants de toutes nationalités. 2. Correspondance pour les camps de concentration. Le Ministère des Affaires étrangères avait déjà donné l’autorisa­ tion au CICR de fournir des formulaires de messages Croix-Rouge aux détenus des camps de concentration de nationalité belge et fran­ çaise. Nous proposâmes à l’Obergruppenführer Müller d’étendre cette autorisation à tous les détenus des camps de concentration. Les camions Croix-Rouge apporteraient aux camps, en même temps que les vivres, des formulaires de messages Croix-Rouge, qu’ils remporte­ raient, dûment remplis, lors de leur voyage de retour. L’Obergruppen­ führer Müller fut d’avis que la censure serait très difficile à établir du fait du manque de censeurs. La quantité de nouvelles qui pour­ raient être transmises de cette manière dépendrait du nombre des censeurs que le Reich pourrait mettre à disposition. 3. La question juive. Nous demandâmes la permission de visiter Theresienstadt, ce qui nous avait déjà été promis depuis longtemps. L’Obergruppenführer Müller répondit que la visite était autorisée et qu'un délégué du CICR verrait le camp dans quelques jours. Müller espérait que cette visite mettrait enfin un terme à la propagande mensongère ennemie. 4. Visite du camp de Bergen-Belsen. Nous fîmes remarquer à M. Müller que les Autorités allemandes nous avaient promis à plusieurs reprises d’organiser une visite de ce camp, mais que cette visite était toujours remise à une date ulté­ rieure. Müller indiqua qu’il connaissait aussi ce problème mais qu’il fallait remettre encore une fois la visite. Il dit que le camp de BergenBelsen serait dissous, que tous les Juifs d'Allemagne seraient réunis dans un seul et même camp et que les envois de secours aux Juifs seraient autorisés en principe. C’est par cette déclaration que se ter­ mina la séance avec l’Obergruppenführer Müller. 97 Le 30 mars, un délégué du CICR vint à Berlin en mission spéciale pour discuter avec l’Obergruppenführer Kaltenbrunner les modalités de rapatriement des femmes françaises internées à Ravensbriick. L’entretien avec l’Obergruppenführer Kaltenbrunner eut lieu à Berlin. ... Le 3 avril, au cours d’une conversation au Minis­ tère des Affaires étrangères à laquelle prirent part l’ambassadeur Schmidt, l'adjudant de Kaltenbrunner, l’ambassadeur Windecker et les délégués du CICR, furent arrêtées les modalités du rapatriement de 300 femmes françaises internées au camp de concentration de Ravensbrück. Selon les décisions prises lors des pourparlers du pré­ sident Burckhardt avec Kaltenbrunner, un délégué du CICR devait s’installer dans chaque camp de concentration. Comme entre temps un délégué du CICR était allé à Prague en vue de s’établir dans le ghetto de Theresienstadt, nous demandâmes une autorisation et des instructions à cet effet. L’adjudant de Kaltenbrunner nous répondit qu’il devait encore discuter ce point avec Kaltenbrunner lui-même. Le 4 avril, je fis une visite au Quartier général d’Oranienburg. Nous vîmes là toutes les personnalités dirigeantes : le Standartenführer Loling, l’Obersturmbannführer Hoess avec tout l’état-major faisant partie de son administration. On discuta de diverses questions de détail et il y eut une réunion avec les hommes de confiance. Il n’était naturellement pas question d’un entretien libre, étant donné que la confrontation eut lieu en présence de tous les SS. Les hommes de confiance étaient visiblement impressionnés et apeurés ; seul l'homme de confiance hollandais osa parler un peu plus ouvertement. Nous étions très prudents dans nos questions, car nous ne voulions en aucune manière compromettre les hommes de confiance. Ainsi que me l’a dit plus tard l'homme de confiance yougoslave, il avait été spécifié, avant l’entrevue, exactement à quelles questions les hommes de confiance pouvaient répondre ou non. En particulier, il leur était sévèrement défendu de communiquer l’effectif des détenus des diverses nationalités. Des lettres de recommandation pour tous les commandants de camps de concentration furent établies au nom de deux délégués du CICR : ces lettres rendirent de grands services par la suite. Dési­ reux d’envoyer un délégué permanent au camp de concentration de Buchenwald, je rendis l'Obersturmbannführer Hoess attentif à la promesse faite dans ce sens par le général Kaltenbrunner et je lui demandai une autorisation d’entrée et une « autorisation de séjour» dans le camp pour ce délégué. L’Obersturmbannführer Hoess me répondit qu’il devait en cette occurrence s’adresser tout d’abord à son chef, le Reichsführer SS Himmler, un pareil accord lui étant inconnu. Je recommandai au délégué de se rendre tout de même sans autorisation à Buchenwald et de chercher à pénétrer dans le camp de concentration. De mon côté, je voulais faire toutes les 98 démarches nécessaires à Berlin pour obtenir l’autorisation aussi rapi­ dement que possible. Le 5 avril, je me rendis à Prague pour me mettre en relation avec les Autorités du Service de sécurité de cette ville et pour visiter le ghetto de Theresienstadt. Le 6 avril eut lieu la visite du ghetto de Theresienstadt, où nous devions avoir d’importantes conversations avec le Dr Weineman, chef du Sicherheitsdienst du « Protectorat de Bohême et Mora­ vie », et avec l’Oberführer Eichmann, spécialiste pour toutes les ques­ tions juives. Ce dernier s’était rendu de Berlin à Prague pour exa­ miner avec les délégués du CICR diverses questions concernant les Juifs. L’Oberführer Eichmann avait joué un rôle de premier plan dans les camps de concentration de Lublin et d’Auschwitz. Ainsi qu'il me l’a communiqué, il était le mandataire direct du Reichsführer SS pour toutes les questions juives. Dans une réception qui fut donnée au Hradschin, j ’eus l’occasion de parler avec ces deux hommes jusque tard dans la nuit et d’examiner les problèmes les plus divers. Ce qui intéressait particulièrement le CICR ce n’était pas tellement les conditions de logement et les installations du ghetto de Theresienstadt que de savoir si ce ghetto servait seulement de camp de passage pour les Juifs et dans quelles proportions les déportations avaient eu lieu vers l’Est (Auschwitz). Conformément à ce que j'avais pu constater dans le ghetto de Theresienstadt, le doyen des Juifs, Dr Eppstein, homme de confiance du camp, avait aussi été déporté à Auschwitz en même temps que beaucoup d’autres. De ce fait, je demandai au Dr Weineman, sans ambages, quand les déportations avaient eu lieu et dans quelles proportions. Le Dr Weineman me répondit que les derniers transports vers Auschwitz dataient d’environ six mois. Il s’agissait de 10.000 Juifs qui avaient été employés à agrandir le camp d’Auschwitz et qui seraient, pour la plupart, em­ ployés dans l’administration. Plusieurs milliers devaient avoir été employés dans des travaux de retranchement. Selon le Dr Weineman, il n’y avait aucune communication entre ces gens et Theresienstadt. Il ajouta qu'il ne savait rien d’autre sur leur sort ; qu'ils avaient probablement été emmenés par les Russes qui avaient pénétré entre temps dans cette région. Il dit que le transfert de ces Juifs n’avait pas eu lieu sur son ordre mais qu’il avait obéi à un ordre venant de plus haut. Au cours de la soirée, Eichmann développa ses théories au sujet du problème juif. A son avis, les Juifs de Theresienstadt étaient beaucoup mieux lotis en ce qui concerne la nourriture et les soins médicaux que beaucoup d’Allemands. Il dit que Theresienstadt était une création du Reichsführer SS Himmler qui voulait donner aux Juifs la possibilité d’organiser une vie en commun dans le ghetto de ce camp sous une direction juive et en jouissant d’une autonomie 99 presque complète ; on voulait éveiller le sens d’une communauté raciale. Les Juifs de Theresienstadt devaient être ensuite transportés dans quelque région où ils vivraient tout à fait à part, séparés de l’ensemble de la population allemande. Pour ce qui était du problème général des Juifs, Eichmann fut d’avis que Himmler était en train d'envisager à ce moment-là l’in­ troduction de méthodes humaines. Eichmann, personnellement, n’approuvait pas entièrement ces méthodes mais, en tant que bon soldat, il obéissait naturellement aveuglément aux ordres du Reichsführer. Lors de cette rencontre, je persuadai le Dr Weineman de la nécessité d’établir une délégation du CICR à Prague. Le délégué dans cette ville devrait avoir la possi­ bilité de visiter le camp de Therasienstadt à n’importe quel moment. Je mentionnai aussi le camp de concentration de Theresienstadt, qui se trouvait immédiatement à proximité du ghetto, et je reçus un demi-assentiment pour une telle visite. J ’aurais naturellement mieux aimé que le délégué de Prague pût établir son domicile à Theresienstadt. Le Dr Weineman adressa une requête télégraphique à ce propos à l’Obergruppenführer Kaltenbrunner mais, jusqu’à mon départ, il n’obtint aucune réponse. Dans le courant de cette soirée, j'exprimai à Eichmann le désir de visiter le camp de Bergen-Belsen. Eichmann déclara que dans ce camp avait éclaté une épidémie de typhus et que les Autorités du Reich préposées à l'hygiène et à la santé la combattaient avec tous les moyens dont elles disposaient. Il me promit de visiter le camp avec moi dans les jours à venir. Cette visite ne put être effectuée car il ne me fut plus possible d’atteindre le Dr Eichmann à Berlin. C’est sur cette promesse de l’Oberführer Eichmann et la parole d’honneur du Dr Weineman que plus aucun Juif ne serait déporté du camp de Theresienstadt que je pris congé de mes interlocuteurs. Lorsque je quittai Prague, le 8 avril, pour Berlin, la situation militaire s’était fortement modifiée aux dépens de l’Allemagne. Les troupes russes avançaient vers la capitale. De l’ouest, l’avance angloaméricaine faisait toujours plus de progrès. Un second convoi de 300 détenues du camp de concentration de Ravensbrück ne put se frayer un chemin vers le sud ; en effet, le grave danger d’attaques par des avions en rase-mottes nous empêcha d’assumer la respon­ sabilité d’un transport de 300 femmes gravement affaiblies par une longue détention. Le train routier avec ses nombreux camions fut utilisé pour le transport de vivres de Lübeck vers les camps de concentration de Ravensbrück et d’Oranienburg. Le 12 avril, nous fûmes informés que, sur ordre de la Gestapo, tous les papiers d’identité et les dossiers concernant les détenus dans les camps, ainsi que ceux des prisonniers politiques se trouvant dans les pri­ sons, avaient été détruits. Le but de cette mesure était suffisamment 100 6 clair. La Police de sûreté du Reich voulait faire disparaître tous les papiers compromettants. Cette mesure comportait le danger qu’au der­ nier moment on ne se livrât à des exécutions en masse. Les détenus politiques étaient devenus un troupeau anonyme. Cela nous posait une tâche nettement définie : intervenir énergiquement auprès des Autorités du Reich et des chefs de la SS qui nous étaient connus. Le 13 avril, nous eûmes un entretien avec le ministre Schmidt, à qui nous avons communiqué notre inquiétude. M. Schmidt nous fit recevoir par le Gruppenführer (lieut.-général des SS) Müller et par des fonctionnaires du Ministère de la Justice du Reich. Il nous promit en outre son appui entier, et tint parole au cours des jours suivants. Le lendemain déjà, nous avions pu voir le Gruppenführer Müller et le Ministerialrat Dr Franke, représentant du Ministère de la Jus­ tice du Reich. Ces deux fonctionnaires nous déclarèrent formelle­ ment qu'il n'y aurait, ni représailles, ni jugements sommaires au dernier moment. Nous leur avons envoyé confirmation écrite de ces deux conversations. Voici copie de la lettre que nous avons adressée au Gruppenführer Müller : Berlin, le 16 avril 1945. Monsieur le Général, Nous nous empressons de vous remercier vivement de l’entrevue que vous avez bien voulu nous accorder le 13 avril 1945, et avons l’honneur de vous en confirmer brièvement la substance. Emus par le sort des victimes de la guerre, nous avons exprimé le vœu de pouvoir étendre les secours que le Comité international de la Croix-Rouge leur apporte, par voie d’analogie, aux détenus se trou­ vant dans les prisons comme il est autorisé, par suite des accords de l’Obergruppenführer Kaltenbrunner et de M. Burckhardt, Président du CICR, à en faire bénéficier les détenus des camps de concen­ tration. Cette mesure en faveur des détenus politiques devrait s’étendre pour le moins aux sujets étrangers qui ont été mis en état d’arrestation à Berlin, ou dans les environs, pour des motifs politiques ou militaires. Vous avez bien voulu réserver bon accueil à notre vœu, mais avez attiré notre attention sur le fait qu'une partie des détenus ne relèvent pas de la Police de sûreté, mais du Ministère de la Justice du Reich. Donnant suite à votre suggestion, nous nous sommes adressés à ce Ministère par l’intermédiaire de M. le Ministre Schmidt, et y avons rencontré également un esprit de compré­ hension. En conséquence, nous vous adressons la prière d’établir un laisser-passer en faveur de notre délégué, lui permettant de distribuer personnellement les colis de secours et de pénétrer à cet effet à n’importe quel moment dans les prisons. 101 Lors de notre entrevue, nous avons cru devoir vous informer de l’inquiétude qui règne parmi cette catégorie de détenus, par suite du sentiment d’insécurité que créent chez les détenus les mesures prises pour la défense de la capitale. En outre, le bruit court que ces jours derniers, les dossiers et les papiers d’identité auraient été détruits, ce qui a fait naître la crainte d’instructions secrètes accordant une compétence exécutive étendue aux organes subordonnés du pouvoir judiciaire. C’est avec une vive satisfaction que nous avons pris note de votre déclaration formelle que des représailles ne seraient pas exécutées ni des tribunaux d’exception institués, qui auraient pour conséquence des dommages irréparables. Nous croyons que dans ces temps difficiles des instructions dans ce sens, à vos services subordonnés, contribueraient à faciliter notre activité en vue d’atténuer les conséquence^ matérielles et morales de la guerre ; en outre, votre attitude bienveillante nous a fait entrevoir la possibilité de renforcer la situation morale de nos délégués chargés des intérêts des prisonniers de guerre allemands... Une communication analogue fut adressée à M. le Ministerialrat Dr Franke, représentant du Ministère de la Justice du Reich. Les jours suivants, la situation devint critique pour les camps de concentration d’Oranienburg et de Ravensbrück. Il fallait s’attendre à ce que, malgré les promesses faites, des mesures extrêmes fussent prises à l’égard des détenus. Je m’efforçai, en conséquence, d’atteindre le Brigadeführer Schellenberg, afin d’obtenir, par son intermédiaire, le consentement du Reichsführer SS Himmler à ce que soient placés les camps d’Oranienburg et de Ravensbrück sous la protection d’un délégué.du Comité international de la Croix-Rouge, qui assure­ rait la remise de ces camps aux Autorités militaires russes dès leur arrivée. Malheureusement, je ne pus voir que l’adjudant de Schellen­ berg, le Brigadeführer étant lui-même absent de Berlin à ce moment. Le 20 avril, j ’ai eu à ce sujet une nouvelle entrevue avec M. Schmidt, qui m’introduisit une seconde fois auprès du Gruppenführer Müller. M. Müller me reçut le soir du 20 avril 1945 dans son quartier général, près du Grand Wannsee. Müller, qui d’habitude se montrait impassible, manifestait une nervosité visible. C’est au son de la canonnade lointaine de l’artillerie russe que cette dernière entrevue décisive se déroula. Je rappelai à Müller toutes les promesses qui nous avaient été faites. Je fis allusion aux accords intervenus entre M. Burckhardt et Kaltenbrunner ; je lui dis que des concessions des Autorités du Reich, faites en dernière heure, constitueraient peut-être un sérieux appoint à une époque ultérieure. J ’insistai pour que soit tenue la promesse de Kaltenbrunner, à savoir que les délégués du CICR pourraient pénétrer dans les camps de concentration. Müller me répon­ 102 dit sur ce point : « Les Russes sont à 10 kilomètres d’Oranienburg ; comment voulez-vous que vos délégués y arrivent ?» A quoi je répon­ dis : « Ça, c’est notre affaire. » Je lui proposai de remettre les camps de concentration d’Oranienburg et de Ravensbriick à un délégué du CICR et de retirer les SS de ces camps. Sur cette proposition, Müller me répondit qu'une pareille décision outrepassait ses compétences et qu’il devait d’abord consulter Himmler. Il me promit une réponse avant 10 heures le même soir. D’autre part, il me permit de placer sous la protection du CICR le camp de rassemblement juif de la Schulstrasse 78, à Berlin, ainsi que l'hôpital juif de l’Iranische Strasse 2, également à Berlin. A dix heures du soir, nous n’avions reçu aucune réponse de Müller. Nous nous décidâmes, par conséquent, à envoyer un délégué à Oranienburg en vue de pourparlers avec les Autorités locales. Je lui donnai une lettre pour l’Obersturmbannführer Hoess. Le départ du délégué fut retardé de quelques heures par une attaque aérienne contre Berlin. Ce fut le matin à 3 heures qu’il quitta la délégation, afin de traverser les lignes allemandes pour gagner le camp d’Oranien­ burg. Le matin du 21 avril, il revenait déjà, après avoir été reçu par l’Obersturmbannführer Hoess et le Standartenführer Keindl. Notre délégué ne put malheureusement pénétrer dans le camp d’Ora­ nienburg ; un ordre contraire du Reichsführer SS Himmler était venu, l'interdisant. Quelques heures plus tard, je fus appelé au téléphone par Hoess ; 11 me dit que, sur l’ordre de Himmler, le camp d’Oranienburg allait être évacué vers Wittstock. Les détenus devraient faire un trajet de 100 kilomètres à pied. On nous indiqua les diverses étapes, ainsi que la direction générale. Hoess insista sur l’envoi de colis CroixRouge, car le ravitaillement était très insuffisant. Cette communication inattendue posait de nouveaux problè­ mes. Heureusement, nous avions établi un dépôt de colis de CroixRouge à notre dépôt secondaire de Wagenitz. D’autre part, il était urgent de prendre contact avec Lübeck et de faire partir de cette ville les colonnes de camions vers les étapes indiquées. Toute l’entreprise était fort risquée, car des avions mitraillaient les routes qui étaient, d’autre part, complètement encombrées de colonnes militaires venant du front. La route que devaient suivre les détenus traversait en partie le « no man’s land ». Cette entreprise dangereuse ne fut cependant pas retardée un instant, car nous savions que c’était une question de vie ou de mort pour 50.000 détenus. Entre temps, je reçus encore un téléphone du Gruppenführer Müller confirmant l’évacuation d’Ora­ nienburg. Vers 3 heures de l’après-midi, un délégué, accompagné d'un chauffeur, quitta la délégation, afin de surveiller l’évacuation du camp et d’apporter des vivres de Wagenitz. 103 Le 22 avril, le chauffeur se présenta à la délégation et con­ firma que l’action de secours avait commencé. Il nous apporta en même temps un rapport du délégué du CICR, disant que l’évacua­ tion se poursuivait dans des conditions inhumaines. Sur les routes, les détenus avaient l’aspect de squelettes en marche. Les traînards étaient exécutés sans pitié par leurs gardiens SS. Le délégué nous déclara cependant que l’arrivée des délégués du CICR avait produit une vive impression parmi les gardiens et aussi parmi les détenus eux-mêmes. L'intervention énergique de notre représentant avait déjà empêché bien des malheurs. Dans ces circonstances, je me décidai à adresser un dernier appel urgent à l’Autorité supérieure responsable des camps de concentra­ tion, afin, si possible, d’empêcher l'évacuation du camp de Ravensbrück dans des conditions similaires. Les seuls commandants que l'on pouvait encore atteindre dans le désordre général étaient l’Obersturmbannführer Hoess et les deux commandants des camps d’Oranienburg et de Ravensbriick. Hoess m’avait téléphoné qu'il s’était rendu à Ravensbriick. Le 23 avril, l’un des délégués du CICR, accompagné d’un chauffeur, se rendit à Ravensbriick. Nous lui donnâmes une lettre pour Hoess dont voici la teneur : 22 avril 1945. Je reçois à l’instant un rapport de nos délégués qui ont pu dis­ tribuer les colis aux colonnes de détenus provenant du camp d’Oranienburg/Sachsenhausen. Nous avons pu, en dépit de nom­ breuses difficultés, amener ces paquets de notre dépôt de Wagenitz. Malheureusement, il ne s’agit que d’un modeste secours d’urgence ; j’espère cependant qu’il sera possible de transporter des colis de notre dépôt central à Liibeck vers les différentes étapes. Je saisis l’occasion pour attirer votre attention sur la détresse indescriptible qui s’est abattue sur les détenus comme conséquence de l’évacuation du camp. Ces gens sont si faibles qu’ils ont la plus grande peine à se traîner. On nous rapporte que les gardiens se sont rendus coupables d’excès et que les traînards ont été fusillés. Je suis persuadé que ces excès ne correspondent pas à votre intention et ne trouveront nullement votre approbation. Il m’est malheureusement impossible, pour le moment, d’atteindre le Reichsführer SS ou quelque autre personnalité responsable ; je me permets par conséquent de vous adresser l’appel urgent, au nom du Comité international de la Croix-Rouge, de ne pas évacuer le camp de Ravensbriick si cette évacuation devait avoir lieu dans des conditions aussi déplorables qu’à Oranienburg. Je vous envoie un délégué compétent ; je vous prie de l’autoriser à pénétrer dans le camp de concentration de Ravensbriick et, le 104 cas échéant, de lui confier par écrit la responsabilité du camp. De son côté, il vous donnera toute garantie en ce qui concerne le ravitaillement du camp. Ainsi les dés étaient jetés. Tout ce qu’il était humainement possible de faire avait été fait... Sans vouloir afficher la moindre prétention, nous sommes en mesure d’affirmer que, grâce à notre dernière initiative, des milliers de malheureux détenus ont eu la vie sauve. L’apparition des délégués du Comité international de la Croix-Rouge au milieu des colonnes de détenus épuisés, pourchassés et condamnés à une mort certaine, constitua pour ceux-ci un appui moral inestimable. D’autre part, les colonnes de camions arrivées de Lübeck, ville avec laquelle, malgré toutes les difficultés, nous avions pu établir un contact, ainsi que celles venant de Wagenitz, ont pu ravitailler ces affamés et trans­ porter les détenus malades et épuisés vers Schwerin, dans la région occupée par les Américains. La présence des délégués a créé chez les gardiens SS une très forte impression. Les raisons psychologiques sont évidentes : les opérations de guerre tiraient à leur fin, et bien des gar­ diens, sans doute, étaient envahis par la crainte de leurs responsabilités. Comme me disait l'homme de confiance yougoslave du camp d’Oranienburg, qui faisait partie d’une colonne de détenus, l’appa­ rition des colonnes de la Croix-Rouge dans la forêt de Below fit l’effet d'un miracle. Un cri unanime s’échappa des masses de détenus épuisés et affamés : « La Croix-Rouge internationale ! Nous sommes sauvés ! » I I I . — Rapport d’un délégué du Comité international de la Croix-Rouge sur le rapatriement des détenues de Ravensbrück Le 26 mars 1945, je pars avec un convoi d'automobiles du Comité international de la Croix-Rouge qui, de Constance, se rend au Stalag IV D à Torgau pour y apporter des colis de Croix-Rouge. Ceci fait, le 28 mars, je devais m’acquitter de ma seconde tâche, confor­ mément à mon ordre de mission : me « rendre à Berlin pour remettre de la part du Comité une lettre du Président du Comité international à l’Obergruppenführer Kaltenbrunner et discuter avec lui au nom du Comité international ». Il s’agissait de poursuivre les pourparlers entamés en Allemagne par le Président du Comité international de la Croix-Rouge avec les Autorités allemandes au sujet du rapatriement et de l’échange de prisonniers de guerre et de déportés, de leur ravi­ taillement en colis Croix-Rouge ainsi que de la visite des camps de concentration par les délégués du Comité international. Comme les premiers entretiens, le 29 mars, avec l'Auswârtiges Amt n’aboutissent qu’à une promesse de l'administration allemande d'étudier la question, je décide de m’adresser directement aux plus hautes 105 instances, si possible à Himmler, ministre de l’Intérieur et Reichsführer SS, car je savais ce dernier à la fois le seul compétent dans ce domaine et d’habitude relativement accessible à ce genre d’entretiens. Je quitte donc Berlin en direction nord, le 30 mars, avec l’inten­ tion de me rendre auprès du Reichsführer SS et de faire une visite au camp de concentration de Ravensbrück qui se trouve sur ma route et d'où je veux sortir et ramener en Suisse, avec mes autos, un pre­ mier convoi de 300 femmes... A l’entrée du camp, la barrière est levée. Cependant, nous arrêtons notre Ford peinte en blanc devant le corps de garde où nous sommes salués par un Allemand, originaire de la Volga, comme nous l’ap­ prîmes plus tard. Ne sachant que peu d'allemand, il appelle le chef de colonne, qui nous explique que la route pour Templin est à gauche le long du camp ; il refuse de croire que nous voulons pénétrer dans le camp et nous engage à faire un détour. Il ne peut compren­ dre notre demande de parler au Commandant et affirme qu’il est absent, ayant dû partir de bonne heure. Nous parlementons pendant cinq minutes pour savoir si je puis ou non me rendre à la Kommandantur en voiture ; puis, je lui déclare à la prussienne que je vais aller tout droit chez le Commandant et qu’il me donne un guide, si cela lui convient. Il salue avec raideur et, mon chauffeur et moi, nous nous dirigeons vers un grand bâtiment en face de la véritable entrée du camp, et amenons l'auto droit devant le portail par lequel doivent passer les détenus et au travers duquel on voit la grande rue du camp et quelques baraques. Le chauffeur reste dans l'auto en observateur tandis que je m’ef­ force de parvenir jusqu’au Commandant, Sturmbannführer Suhrens. J ’offre d’emblée une cigarette au sous-officier de garde et lui dis : « Conduisez-moi immédiatement chez le Commandant. » Il s’apprête à obéir et me devance, mais se retourne tout à coup et déclare qu’il doit tout d'abord s’assurer par téléphone si je puis être admis. «Je suis annoncé, mais j’arrive en retard », lui dis-je, dans l’espoir d’éviter Une vérification de mes papiers, car je n’ai même pas en mains le plus simple laissez-passer. Mais cet homme grisonnant et à la mine florissante, Unterscharführer des SS, portant les insignes du régiment « Tête de mort », ne se laisse pas convaincre. Il téléphone au Com­ mandant ; je donne mon nom et indique comme grade : médecinlieutenant. Tandis qu’il poursuit son entretien téléphonique, je m’apprête à gravir les premières marches de l’escalier de marbre que Tune des détenues du camp est en train d’astiquer... Arrivé au premier étage, je frappe à la porte du bureau et demande le Commandant. Il n’est pas là, il est au camp, répond-on sèchement. Sur quoi j ’ordonne : « Conduisez-moi immédiatement vers lui, c’est de toute urgence ! » Quelques instants de discussion pour savoir qui devra m’accompagner, puis un SS m’invite à le suivre. L’U.V.D. 106 téléphone toujours. Nous parvenons à la grille ; on ouvre. La senti­ nelle s’intéresse aussitôt à ma condition de civil, réclame mes papiers d’identité, un laissez-passer, une autorisation, etc. :— toutes choses qui me manquent. Il finit par demander comment j’ai pu parvenir jusque-là ; il déclare que c’est invraisemblable, qu’il doit m’arrêter... Je reprends la manière prussienne qui m’a permis de passer les lignes de fer et refuse tout renseignement ; je n’ai à rendre de compte qu’au Commandant et il s’agit de me « l’amener » au plus vite. Mais la sentinelle invoque ses ordres écrits et formels. Elle se déclare néan­ moins et exceptionnellement d’accord de me laisser partir sans autre, à condition de quitter immédiatement l’enceinte du camp, les espions n’ayant rien à chercher par là... Il refuse mes cigarettes, déclarant en avoir en suffisance. Lorsque finalement je me présente comme délégué du Comité international de la Croix-Rouge mon homme se fait un peu plus poli, mais il m’intime d’autant plus fermement l’ordre de repasser de l’autre côté de la grille. Il demande en passant si j ’ai apporté des colis Croix-Rouge et s’en déclare satisfait, car il y a là-dedans de bonnes choses ; le chocolat en particulier est délicieux. Nous poursuivons finalement un entretien sans importance au sujet du camp et des détenues et j’ai pendant ce temps l’occasion d'observer de la porte l’activité du camp... Plusieurs groupes de détenues marchent sans surveillance, en colonnes et par rangs de trois ou de cinq, sur la grande chaussée du camp. Je m’efforce de découvrir dans la direction du four crématoire des nuages de fumée, mais en vain. On voit de nombreuses femmes avec des vêtements civils, portant des croix dans le dos ; les man­ teaux avec des croix rouges, jaunes, sont nombreux ; mais la majorité portent l’uniforme à rayures grises et bleues. Presque toutes les femmes ont des sabots, la plupart même des bas. Il s’agit probable­ ment de détachements d’ouvrières qui travaillent aussi en dehors du camp. A trente mètres de moi environ, deux femmes à cheveux blancs, au dos voûté, sont occupées à enlever les mauvaises herbes, les chif­ fons de papier sur la chaussée. En me rapprochant, je vois qu’elles ont les joues affaissées, le ventre gonflé et les jambes enflées près des chevilles ; la peau a un aspect terreux. Tout à coup surgit une colonne entière de ces malheureuses affamées. Dans chaque rang, une malade était soutenue ou traînée par ses camarades ; une jeune surveillante SS, un chien loup de race à la main, mène la colonne, tandis que deux autres filles suivent, injuriant sans arrêt ces pauvres créatures. Comme ce spectacle me fait oublier la conversation, le gardien me saisit poliment, mais fermement, par le bras et me dit : « C’est là-bas que vous trouverez le Commandant du camp ; annoncez-vous, s.v.p., selon le règlement et ne dites à personne que vous avez été jusqu’ici. » « Quant à toi, camarade », dit-il à mon guide du bureau, « espèce 107 d’âne, fais bien attention, car tu pourrais avoir des ennuis. Aujour­ d’hui, je suis de bonne humeur, cela va, mais... » Mon guide m’invite à partir immédiatement, mais je persiste à réclamer le Commandant et j’interpelle dans ce but, un peu plus loin, un Obersturmführer apparu sur le chemin. Ce dernier réclame également mes papiers, déclarant en avoir le droit comme chef SS, et même si je venais direc­ tement du « Sicherheitsdienst » (service de sécurité). Je dois donc décliner mon identité ; il me dit alors que le Commandant ne peut me recevoir, qu’il est occupé dans le camp et que, sans autorisation spéciale de la Gestapo ou du Sicherheitsdienst. je ne pourrais en aucun cas entrer dans le camp ; toutefois j ’aurais quelque chance de voir le Commandant si je veux attendre jusqu’à 16 heures. Impossible d’attendre aussi longtemps, car je dois me rendre aussi rapidement que possible à H., chez le Reichsführer SS. Malgré de nombreuses difficultés, mes démarches aboutissent, et le 5 avril 1945, les camions du Comité international de la Croix-Rouge, emmènent du camp de concentration de Ravensbrück vers la Suisse 299 déportées françaises et une Polonaise, qui rejoindront ensuite leur patrie. Entre temps, les camions s’étaient rendus de Torgau à Lübeck pour y chercher des colis Croix-Rouge et les apporter au camp d’Oschatz. Dûment muni d'un laisser-passer de la Direction centrale des SS, je rentre le 3 avril à Ravensbrück pour y préparer le transport des détenues. Le Commandant du camp me reçoit très aimablement, se posant en bon père de famille préoccupé des détenues comme de ses enfants. Il m’offre des cigarettes américaines et suisses, me pro­ met tout le concours possible pour ce transport et semble très heureux de cette visite du Comité international de la Croix-Rouge. Mais aux questions concernant le nombre des détenues dans le camp, la répar­ tition des Kommandos, les mesures à prendre en cas d’arrivée des Russes et autres questions de ce genre, il refuse de donner aucune précision. Pour lui, la situation n’est nullement aussi grave qu’on le dit ; il parle des réserves de vivres qu’il se propose de faire pour les temps difficiles, de constructions nouvelles pour parer à un surpeu­ plement du camp, etc. A 20 h. nous faisons rapidement ensemble le tour du camp, ce qui ne m’apprend rien et doit uniquement me donner le change. Lorsque je demande à voir les femmes désignées pour le transport, le Com­ mandant se dérobe, mais néanmoins me remet une liste avec tous les noms. Dans une cantine, j ’aperçois des hommes de la SS qui soupaient et, dans un dortoir qui ne semblait pas surpeuplé, une surveillante SS qui faisait l’appel. Comme tout n’était que tromperie, je renonce à continuer ma tournée, puisque je ne peux entrer en contact avec les détenues et qu'à toutes mes questions sur les mauvais traitements, 108 les maladies, les punitions et les tortures, on me répond qu’il s’agit de calomnies répandues par des ennemis de l’Etat. Je m’en retourne à H., où le comte Folke Bernadette est venu discuter le sort des Danois et des Norvégiens détenus dans les camps de concentration. Je dois tout d’abord rejoindre la colonne de camions qui est censée s’y trouver. Le 5 avril, à 6 h. du matin, je me rends au camp et demande à voir le Commandant pour assister à l’appel des 300 femmes qui doi­ vent m’accompagner en Suisse. Il est déjà parti ; personne ne sait que je dois faire un transport ; personne ne veut me laisser entrer ni me conduire auprès du Commandant. Un sous-officier me confie qu’un ordre rigoureux est parvenu à tous les hommes de troupe, que les femmes devaient être traitées avec aménité et dirigées vers les camions sur la route principale, mais que personne ne devait pénétrer dans le camp. A 7 h. paraissent les cent premières femmes. Vision d’horreur et de misère, que celle de ces pauvres créatures souffrant de famine, négligées, apeurées, méfiantes, vêtues de mé­ chants vêtements étrangers. Elles ne peuvent croire qu’elles vont enfin s’éloigner de leurs bourreaux et être libres ; elles me pren­ nent pour un agent à la solde des SS qui va les conduire dans la chambre à gaz. Elles peuvent à peine comprendre qu’elles vont partir pour la Suisse ; celles qui s’en laissent persuader me supplient alors d’emmener aussi leurs camarades. Beaucoup d’entre elles sont inca­ pables de monter dans les camions sans aide. La plupart avaient des œdèmes de la faim, les chevilles et les ventres enflés, l’œdème des paupières. Chacune avait reçu des provisions pour trois jours ; mais à peine en voiture, elles se jettent dessus avec avidité ; en cinq minutes le saucisson, le beurre et le fromage ont disparu ainsi que la moitié de leur pain. Parmi les cent dernières se trouvait une femme de 60 ans, incapable de marcher seule et soutenue par deux jeunes détenues ; seule, elle ne pouvait même plus se tenir debout. J ’avais demandé, lors des pourparlers, qu'on ne me donne pour ce premier transport que des femmes robustes et résistantes ; je ne voulais donc pas emmener cette femme dont l'état de santé ne permettait plus un tel voyage. Mais toutes ses camarades me supplièrent de l’emmener, promettant d’en prendre particulièrement soin. Voyant qu’elle se remettait bien après avoir absorbé un fortifiant, je commençai par administrer aux plus faibles des médicaments pour la circulation du sang et des fortifiants afin de les préparer au voyage. Heureusement, parmi les détenues, les femmes-médecins avaient emporté du camp quelques médicaments indispensables. Tandis que les prisonniers de guerre canadiens — qui, comme con­ ducteurs m’ont rendu les plus précieux services et qui se montraient également émus et révoltés par cette détresse, — m’aidaient à 109 faire monter ces femmes en voiture, un SS replet me rejoint et, me poussant de côté avec ses coudes, sans aménité m’apostrophe : « Mieux vaudrait faire crever ces maudits cochons que de continuer à les laisser manger notre pain et pour finir encore, les laisser rentrer chez eux, les sales... » crie-t-il. Peut-être en a-t-il été pour lui ainsi que je le lui disais : « Sans doute, vous n’aurez pas à souffrir ces prochains mois comme ces pauvres femmes, car les autres sont trop civilisés pour traiter même un ennemi mortel de façon aussi cruelle et indigne. » Lors de l’embarquement, nous fûmes témoins du ton, des hurle­ ments et des noms d’animaux dont ces Françaises, presque toutes ardentes patriotes, étaient gratifiées par leurs gardiennes. Les coups pleuvaient sur elles sans ménagement. Sur le visage, le dos, partout où l’on pouvait frapper. Evidemment la cohue n’en diminuait pas pour autant, et seules des femmes SS pouvaient estimer pratique de vouloir faire monter vingt femmes en surnombre dans une même voiture. Aucune des détenues n’avait reçu en retour les vêtements qui leur avaient été enlevés lors de l’arrivée au camp. Aucune n’avait un seul papier, aucune ne revit les bijoux et l’argent qu’elles avaient sur elles au moment de leur arrestation. Vieilles et jeunes, elles durent faire le voyage habillées de vieux vêtements usés, presque en loques, beaucoup trop longs ou trop courts, et plusieurs avaient le crâne rasé. On essaya de me faire accroire que les objets « déposés » avaient été mis ailleurs en sûreté par mesure de précaution, à cause des bombardements ;• à ma remarque qu'il semblait peu probable que l’on eût prévu d’aussi loin l’évolution de la guerre, on ne me fit plus aucune réponse. Cela n ’empêcha pas cependant le Commandant du camp de me recommander du ton le plus aimable de n’ajouter aucune foi aux racontars de ces femmes, toutes, disait-il, des criminelles, des canailles, des crapules... A la suite des Françaises libérées, plusieurs colonnes de détenues sortirent du camp pour se rendre au travail. Comme il s’agissait là encore de Kommandos sélectionnés, la vue de ces colonnes mar­ chant rapidement était infiniment moins déprimante que le spectacle véritablement tragique que nous avions sous les yeux. Deux jeunes surveillantes SS prirent congé de certaines de leurs « protégées » avec des paroles amicales ; l’une essaya même de leur souhaiter « bon voyage » en français, mais un officier SS bavarois la rappela immédiatement à l’ordre : « une Allemande n’a pas à se per­ mettre d’aussi sottes manières de parler... » La confiance, chez ces femmes, au début si craintives, augmenta peu à peu ; elles commencèrent à croire qu’elles allaient vers la liberté. Quelque chose devait avoir changé, car elles n’auraient jamais pu imaginer une pareille transformation chez leurs bourreaux. On HO hurlait le moins possible, on s’efforçait de paraître civilisé et surtout on cherchait à tenir les trois Suisses et les prisonniers canadiens à l'écart de ces femmes. Six fonctionnaires de la police criminelle, dont l’un appartenait à la suite d’Himmler, furent, dans ce transport, préposés à notre surveillance et à celle de ces femmes. Les femmes ignoraient d’où provenaient les vêtements qu'elles portaient. En revanche, j ’avais eu à H., l’occasion de voir, dans une cave, de véritables montagnes de vêtements tous semblables, sur lesquels étaient encore cousues les étoiles jaunes des Juifs, que le Kommando de Ravensbrück qui travaillait à H. avait ordre d’en­ lever. A H., avant le 5 avril, régnait une grande animation. Je dois à une Polonaise de Ravensbrück, avec laquelle je fus longtemps en communication clandestine, ainsi qu’à une infirmière de la CroixRouge allemande, d’avoir pu observer ces faits. A 9 heures, nous quittions Ravensbrück avec notre transport, avec espoir de pouvoir y revenir rapidement. Après une halte prolongée à Hof, qui permit à ces femmes épuisées de se reposer enfin, de se détendre, nous arrivions le soir du 9 avril en Suisse. Là, seulement, ces 300 femmes, victimes d’une inhumaine terreur, comprirent enfin que l’heure de la liberté avait sonné pour elles. Les opérations militaires ont malheureusement empêché notre retour à Ravensbrück mais, sur la base de nos accords, de nouveaux transports purent avoir lieu, depuis d’autres camps. IV . — Rapport d'un délégué du CICR sur sa visite au camp de concentration de Ravensbrück pour tenter d’en empêcher Vévacuation, et sur les évacués d’Oranienburg En date du 19 avril 1945, l’Adjoint au Chef de tous les camps de concentration de l’Allemagne, l’Obersturmbannführer Hoess, fai­ sait savoir au chef de la délégation du CICR à Berlin, que le camp de concentration d’Oranienburg allait être évacué d’un moment à l’autre et priait la délégation du CICR d'apporter des vivres aux évacués. Un délégué du CICR fut chargé de cette mission et partit le len­ demain en direction d’Oranienburg pour contrôler la répartition de ces colis et se rendre personnellement compte des conditions d’exis­ tence et d’évacuation des déportés politiques. Dans la nuit du 22 avril 1945, un chauffeur du CICR, venant de Wagenitz, se présenta à la délégation de Berlin porteur d’un message annonçant que le camp de concentration d’Oranienburg ainsi que les Kommandos dépendant de ce camp étaient en mouvement. D’in­ nombrables colonnes de détenus politiques se dirigeaient à pied vers l’Ouest. Ces détenus se trouvaient dans une grande détresse. n i Comme on craignait que le camp de concentration de femmes de Ravensbrück ne subît le même sort, je fus chargé d’aller à Ravensbrück-Sachsenhausen afin d’obtenir la remise du camp jusqu’à l'arri­ vée des troupes russes. Je partis dans la matinée du 23 avril porteur d'une lettre destinée à l'Obersturmbannführer Hoess qui occupait à ce moment-là les fonctions de chef de l'Administration interne des camps de Ravens­ brück et d’Oranienburg. Le parcours de Wannsee à Wagenitz (50 kilomètres environ) dura plus de cinq heures (trajet que l'on faisait habituellement en une heure) tant était encombrée la route BerlinHambourg par les réfugiés venant de Poméranie et des environs de Berlin et qui s’en allaient à la rencontre des Américains. Se frayer un passage à travers ce flot humain coulant vers l’Ouest était impos­ sible ; il fallait se contenter de suivre le mouvement. Il y avait de tout sur cette route. Les camions et voitures de la Wehrmacht (même des pièces d’artillerie) étaient mêlés aux « trecks ». Ces « trecks » — qui rappelaient étrangement les « Conquérants du Far-West » du siècle dernier — avançaient lentement et si près les uns des autres, qu’à intervalles réguliers l’embouteillage arrêtait la colonne. Et au milieu de cela, les réfugiés, hommes et femmes de tous âges et surtout beaucoup d’enfants, traînant pour la plupart des véhicules de tous genres (chars à bras, poussettes, bicyclettes, brouettes, etc.) chargés de maigres bagages et souvent de choses inutiles. Ce troupeau humain était loin de ressembler aux évacuations du mois de janvier dernier lorsque les Russes arrivèrent jusqu’à l’Oder. A cette époque l’évacuation avait été organisée et se faisait méthodiquement... ... Mais que penser des évacuations du mois d’avril. Ce ne sont plus des convois organisés que l’on voit. C’est le désordre complet. Il n’y a plus de chefs. On vit au jour le jour. Les fugitifs dorment sur place et se nourrissent des victuailles qu’ils ont emportées avec eux .ou qu’ils réussissent à trouver sur place. Quelquefois c’est un cheval ou un bœuf épuisé qui périt au bord de la route. Alors on se précipite sur le pauvre animal et la curée commence. Les faibles restent en arrière. C’est avec une de ces colonnes que j ’atteignis en fin d’après-midi Wagenitz... et je pris la route de Ravensbrück, où j ’arrivai dans la soirée. Immédiatement introduit auprès du Commandant du camp, le Sturmbannführer Suhrens, je lui expliquai les raisons de ma visite et mon désir d’avoir un entretien avec l'Obersturmbannführer Hoess à qui je devais remettre une lettre personnelle du chef \de la délé­ gation du CICR à Berlin. Suhrens m’informa que Hoess n’était pas là, qu’il venait d’avoir un accident d’auto (?) et qu’il était peu pro­ bable qu’on puisse l’atteindre. Je lui exposai la situation tragique des évacués d’Oranienburg, lui décrivant les scènes horribles aux­ 112 quelles avait assisté la veille un délégué du CICR, tout en attirant son attention sur la grave responsabilité des chefs qui toléraient de pareils excès. Je lui expliquai mon plan : remise du camp de concentration de Ravensbrück au délégué du CICR en dressant un protocole ; possi­ bilité d’éloignement (fuite) de tous les SS ; entretien avec les personnes de confiance du camp pour assurer la nourriture des déportées ; maintien de l’ordre dans le camp jusqu’à l’arrivée des Russes. Suhrens refusa ma proposition, disant qu’il avait reçu du Reichsführer SS Himmler des instructions précises à ce sujet : le camp devait être évacué. Suhrens envisageait la situation militaire avec optimisme. Le Russe serait non seulement arrêté dans son avance, mais refoulé dans ses steppes. La contre-offensive qui serait fou­ droyante allait bientôt être lancée. Il avait déjà établi son plan d’évacuation, qu’il me tendit. Sur une carte murale, il me désignait les différentes étapes que devaient suivre les colonnes de détenues. Evacuation de 500 à 1000 femmes, les « Oestliche » (Russes, Ukrainiennes, Roumaines, Serbes, etc.) en direction de Malchow. Les étapes étaient de 25 à 40 km. par jour. Malheureusement, les notes que j ’avais prises à ce sujet disparurent quelques jours plus tard avec une voiture. Suhrens m’assura que des cantonnements et des cuisines étaient déjà installés aux différents endroits. Chaque femme aurait avec elle un colis Croix-Rouge. Quant aux « Westliche » (Françaises, Belges, Hollandaises, Nordiques, etc.) y compris les Polonaises, elles seraient évacuées soit par train, soit par les cars de la Croix-Rouge suédoise (pour les Nordiques seule­ ment), ainsi que par les colonnes de camions du CICR qui appor­ taient les colis de Lübeck... C’est en vain que j ’ai cherché à obtenir de Suhrens de ne pas évacuer les « Oestliche » à pied, mais de les laisser au camp ou de les transporter en cars, camions ou en train. Suhrens me répondit que c’était impossible, que seules les malades — au nombre de 1500 environ ■ — resteraient au camp. Au cours de l’entretien, j ’ai cherché à connaître à différentes reprises les effectifs du camp. Comme j’articulais le chiffre de 100.000, il me répondit que ce nombre était fortement exagéré, que le camp n’a­ vait jamais atteint ce chiffre. J ’avançai le chiffre de 50.000. Là encore, il se déroba... Suhrens n’admit que les chiffres suivants : 3000 seraient évacuées par train ; 4000 par cars et camions Croix-Rouge ; 7000 quitteraient le camp à pied et environ 1.500 malades et inaptes à la marche resteraient sur place quoi qu’il advienne. Ce qui ferait à peu près 17.000 au total. Malgré mes nombreuses questions, il me fut impossible de con­ naître, même approximativement, le nombre des Kommandos et leurs effectifs... 113 A neuf heures le lendemain, les premières colonnes de femmes en costumes rayés attendaient le départ devant la Kommandantur. Elles étaient fortement encadrées par des SS armés de fusils. Toute nouvelle discussion devenait inutile. Je me rendis néanmoins chez le Comman­ dant du camp, qui me reçut de nouveau très poliment. Il me parla du bon esprit qui régnait chez ses femmes (« meine Frauen », disait-il en parlant des déportées) et se plut à me montrer des lettres de recon­ naissance (sic) que les détenues lui avaient adressées. Pendant que je discutais avec lui apparut une femme SS à qui Suhrens posa une question qui m’échappa. La SS lui répondit « die Akten sind doch vernichtet ».1 Comme je m’étais tourné du côté de la fenêtre ouverte, j ’ai très bien pu observer dans le reflet de la vitre le signe que lui fit Suhrens. Il me la présenta alors et, me prenant à témoin, lui posa des questions relatives à une évacuation d’un Kommando de l’Est de Berlin, sauf erreur, qui avait eu lieu quelques jours auparavant. A l’en croire, cette évacuation avait été parfaite à tous points de vue. Les femmes avaient été « menschlich behandelt » 2, disait-elle. Tou­ jours, selon ses dires, les femmes qui avaient eu quelque peine à suivre avaient eu la possibilité de monter sur les chars qui sui­ vaient les colonnes et on n’avait enregistré « keine Verluste » s. Suhrens levait les bras, triomphant, et me disait « Sehen Sie ! Sehen Sie ! » 4. Ayant renvoyé sa subordonnée, Suhrens commença à me faire une longue apologie du système des camps de concentration et me parla des résultats remarquables que l’on avait atteints, et ceci grâce au travail, à l'« Aufklârung » et à l’« Erziehung » 5. Tout ce que l’on avait écrit et raconté sur les camps de concentration était une affreuse « Greuelpropaganda » 6. Je lui fis entendre qu'effectivement les camps de concentration avaient une drôle de réputation à l'étranger, que le simple fait de prononcer ce mot faisait frissonner les gens. Je lui fis remarquer en outre que cela était peut-être imputable au fait que ja­ mais aucun organisme international n’avait eu la possibilité de visiter un de ces camps. Suhrens me répondit que cette autorisation dépen­ dait des « hôheren Dienstellen », 7 mais que pour prouver le non-fondé des bruits que l’on répandait à l'extérieur, il était prêt à me faire 1 « les arch iv es o n t é té d é tru ites ». 2 « tra itées a v ec h u m a n ité ». 2 « a u cu n e p erte ». 4 « v o u s v o y e z bien ». 1 « l ’in stru ctio n e t l ’é d u ca tio n ». 6 « p rop agan d e des a tro cités ». 7 « in sta n ces sup érieu res ». 114 visiter le camp. Je le pris au mot et, quelques minutes après, nous étions à l’intérieur du camp. A première vue, pas grande différence avec les camps de prison­ niers de guerre ; il y a la grande place au centre, différents bâtiments sont disposés tout autour, très près les uns des autres. Sur la place, il y a grand branle-bas. On est en train de procéder à l’appel des femmes qui vont être évacuées. A l'appel de son nom, chaque femme vient se placer dans la colonne par quatre. L’appel se fait en russe (il s’agit donc bien de femmes russes). Ce sont les détenues elles-mêmes qui sont chargées de ce travail sous la surveillance des femmes SS. Ailleurs, on nettoie et on récure. On sent que le camp va être liquidé. Suhrens me fit tout visiter, les baraques, la cuisine, l’infirmerie, les installations hygiéniques, la buanderie, les cellules pour les délin­ quantes et d’autres bâtiments encore. En regardant de plus près, j ’ai pu constater que les baraques contenaient des lits à trois étages et que le cube d’air était nettement insuffisant. La cuisine est une installa­ tion moderne telle que l’on en voit dans les usines et dans certains camps de prisonniers de guerre. A l’infirmerie, ce sont les déte­ nues qui travaillent comme infirmières ; elles sont toutes vêtues de blanc. L'infirmerie elle-même comprend, plusieurs vastes salles toutes très bien aménagées (salle d’opération, de pansement, etc.). La bibliothèque contient plusieurs milliers de volumes, la plus grande partie en langue allemande. L’« Arrestlokal » est un bâtiment en pierre à deux étages, avec cour intérieure couverte. Plusieurs cellules furent ouvertes et je fus étonné de constater la parfaite installation de ces cellules et la propreté qui y régnait. Chaque cellule contient un lit métallique avec deux couvertures, une chaise, un lavabo avec eau courante et un miroir, une cuvette WC avec chasse d’eau. Le camp ne possède pas de chapelle. A l’est du camp se trouvent plusieurs bâtiments dont l’accès ne me fut pas permis. Le « Sturmbannführer » Suhrens me confia qu’il s’agissait de fabriques de textiles travaillant pour la Wehrmacht. Au hasard (était-ce vraiment un hasard ?) Suhrens interpellait une femme, lui demandait si elle était mal traitée, combien de fois par jour elle était battue et si elle avait à se plaindre de quoi que ce soit. Naturellement, personne ne se plaignait. Au contraire, ce n’étaient que des louanges adressées surtout au Commandant du camp. Et à chaque réponse, Suhrens se tournait vers moi et me disait avec gravité : « Bitte » 1. Les femmes SS elles aussi étaient interrogées. Suhrens leur demandait si elles maltraitaient les détenues. Elles répondaient toutes d’un air offensé « aber das ist uns doch 1 « s ’il v ou s p la ît. » verboten » 1. « Et si vous les battez ? » continuait d’interroger Suhrens. « Dann werden wir bestraft » 2 était la réponse. En quittant le camp, j ’étais sur le point de demander à Suhrens de me montrer la chambre à gaz et le crématoire. Je ne l’ai cependant pas fait. Quelque temps plus tard — c’était dans le courant du mois de mai, j ’ai rencontré dans une rue de Berlin une femme habillée de haillons. Dans le dos elle portait la marque des camps de con­ centration, le grand X. Elle me déclara qu’elle revenait de Ravensbrück à pied (environ 100 km.) et que le camp avait été délivré par les Russes. C’était une Autrichienne qui avait été amenée au camp pour le seul fait, disait-elle, d’avoir un Juif pour mari. Comme elle vitupérait « ces cochons de SS », je lui demandai où se trouvaient le crématoire et la chambre à gaz. « Sous la grande place », me répon­ dit-elle. C’était donc sous cette grande place, cette place sur laquelle régnait une grande animation lorsque je m’y trouvais un mois aupa­ ravant. A ce moment-là, j ’étais loin de me douter que c’était sous mes pieds que des centaines, peut-être des milliers de malheureuses avaient été gazées et incinérées. Je lui demandai également ce qu’elle pensait du Sturmbannführer Suhrens. «Ein Gauner wie die anderen»3. A notre retour au Vorlager, on vint annoncer au Sturmbannführer Suhrens que le Standartenführer Keindel, commandant du camp d’Oranienburg venait d’arriver. Je demandai immédiatement à le voir. Keindel me reçut de façon distante. Je lui exposai le but de ma visite à Ravensbrück à la suite des atrocités commises par ses SS sur les routes menant d’Oranienburg à Wittstock. Keindel con­ testa la chose. Et lorsque je lui mis sous le nez une copie de la lettre que je devais remettre à l’Obersturmbannführer Hoess et que je lui fis remarquer qu’un délégué du CICR ainsi que deux chauffeurs avaient été témoins de ces tueries, Keindel répondit qu’il était peutêtre possible que les soldats SS eussent abrégé les souffrances de quel­ ques détenus qui ne pouvaient plus avancer et qu’il ne s’agissait là en somme que d’un acte humain. Keindel ne comprenait pas que l’on fasse tant de bruit pour ces quelques morts, alors qu’on ne disait absolument rien des « Terrorangriffen » dont était victime l’Alle­ magne et il parla encore du bombardement de Dresde. Il avoua que certains soldats SS allaient peut-être trop vite en besogne mais qu’il fallait tenir compte que la plupart d’entre eux étaient des « Volksdeutsche » (Hongrois, Roumains, Ukrainiens, Lettons, etc.), et que ces gens avaient une autre mentalité. Je lui fis remarquer que les détenus des camps de concentration n’avaient rien à voir avec les 1 « m ais cela n ou s e s t d éfen d u . » 2 « alors n ous so m m es p u n ies. » 3 « u n e can aille co m m e les au tres. » Il6 bombardements des villes et je l’adjurai de faire cesser ces tueries immédiatement, ceci non seulement dans l’intérêt de lui-même ou de ses SS, mais du peuple allemand tout entier. Il me promit de donner des ordres en conséquence et je pris congé de lui. Suhrens m’accompagna — car il avait assisté à tout l’entretien -— et en descendant les escaliers il me prit par le bras et me dit que son plan d’évacuation jouerait parfaitement, que lui avait tout prévu et tout organisé et il ajouta «bei mir passiert nichts»1. J ’étais autorisé à revenir quand je voulais, j ’étais même invité à venir voir les colonnes en marche et à visiter les lieux d’étape. Je repris la route pour Wagenitz, mais en empruntant celle qui est utilisée par les évacués du camp d’Oranienburg. Sur le parcours, je dépassai ou rencontrai plusieurs dizaines de colonnes dont les effectifs variaient entre cent et cinq cents hommes. Je m'arrêtais auprès de cha­ cune d’elles et m’informais auprès du Kolonenführer (presque tou­ jours des Oberfeldwebel) de l’état de santé des hommes, s’ils avaient à manger et s’il y avait eu des pertes à déplorer. Il y en avait, mais bien moins que les jours précédents. Je rendais les Kolonen­ führer attentifs à des faits qui devaient cesser et leur prodiguais des conseils qui très souvent étaient des menaces : cessation immédiate des tueries, distribution de nourriture convenable, les détenus doivent dormir à l’abri, pas de grandes étapes ; tous les noms des SS étant connus des Autorités alliées, chacun aura à répondre de ses crimes. Je suis persuadé que les apparitions des délégués du CICR, ainsi que des chauffeurs, dans les colonnes, ont produit un certain effet sur les SS, car il arriva souvent qu'aux arrêts les SS se soient approchés de moi et m’aient déclaré qu’ils n’étaient pas des SS, qu’ils avaient été enrôlés de force et qu’il leur répugnait de faire ce métier. D’autres encore affirmaient qu’ils n’étaient pas Allemands. Je leur répondais invariablement que leur salut dépendait de leur conduite envers les déportés. Par souci d’objectivité, je dois reconnaître que certains soldats SS nous ont rendu des services en nous informant sur ce qui se passait dans les colonnes ou en nous facilitant le service de distribution des colis. Mais il ne s’est agi là que de cas isolés. On peut aussi se demander si c’est par dévouement humanitaire, par crainte ou par pur oppor­ tunisme que certains SS ont agi ainsi. Pour ma part, je n’ai pas pu constater la présence de cadavres au bord de la route, mais il n’était pas rare de trouver sur la route des effets d'habillement ayant appartenu à des déportés. A intervalles réguliers on voyait ici une veste rayée, là un bonnet, d'autres fois une couverture ou un manteau. C’était un indice, mais pas une preuve. 1 « a v ec m oi rien de pareil à craindre. » 117 A différentes reprises, j’ai vu des SS sortir de la forêt voisine et re­ joindre leur colonne. Venaient-ils d’exécuter des malheureux ? Certaines colonnes réquisitionnaient elles-mêmes les chevaux épuisés des réfugiés, les abattaient et se répartissaient la viande. En continuant la route sur Wittstock, centre de ralliement de toutes les colonnes, j’aperçus subitement à quelque vingt mètres de la route des évacués qui me faisaient signe. Ils étaient parqués dans un enclos comme du bétail ; ils étaient environ 500. Je m’approchai de l’enclos et m’entretins avec un groupe de détenus. Les SS qui mon­ taient la garde autour de l'enclos ne bougèrent pas. Les détenus m'annoncèrent qu’ils n’avaient rien mangé depuis trois jours. C’est alors que j ’assistai à des scènes poignantes et dignes de la plus grande pitié. Les détenus se jetèrent à genoux et en pleurant (ils me tendaient les bras) me supplièrent de ne pas les laisser mourir. Un avocat slovaque, père de sept enfants, me montra une poignée de froment : c’était tout ce qu’on leur avait donné depuis trois jours. Un Améri­ cain ajouta qu’une distribution partielle (pour la moitié de l’effectif seulement) avait eu lieu la veille (trois petites pommes de terre par homme), mais que les Russes (le plus fort groupe) s’étaient livrés à une attaque durant la nuit sur leurs camarades et leur avaient tout pris. Je demandai à parler immédiatement au chef de la colonne qui apparut au bout d’une demi-heure. Je ne lui cachai pas mon indi­ gnation d’apprendre que les détenus n’avaient presque rien mangé depuis trois jours. Il me déclara que cela était inexact et lorsqu’il apprit que je m’étais entretenu avec les détenus, il entra dans une violente colère. Il hurla : « Je vous défends de parler aux détenus. » Je hurlai à mon tour, et je fus aidé en cela par le fidèle et dévoué chauffeur qui me fut d’ailleurs d’un grand secours tout au long de mes tournées. Des SS arrivèrent à la rescousse de leur chef et adop­ tèrent à notre égard une attitude menaçante. Je dois avouer que je ne me sentais pas en sécurité. Calmement, je leur expliquai qu’ils avaient tout avantage à bien traiter les détenus s’ils ne voulaient pas aggraver leur cas lorsqu’ils auraient à rendre des comptes. J ’exigeai qu’une distribution de nourriture eût lieu le soir même. L’Oberfeldwebel me déclara que le nécessaire serait fait. Il refusa cependant de m’indiquer le lieu de stationnement de la colonne, le lendemain soir. Je lui fis remarquer que .j’avais eu une entrevue le matin même avec le Commandant du camp et que j ’en référerais à son chef. Cela lui fit apparemment une certaine impression. Je m’arrêtai encore auprès de différentes autres colonnes. Partout, c’était la même vision. Ces malheureux détenus faisaient peine à voir ; même dans leur malheur, ces hommes étaient grands. Les plus forts aidaient et soutenaient les plus faibles. Derrière les colonnes une vingtaine d’«esclaves» tiraient péniblement les chars sur lesquels étaient entassés les bagages de ces messieurs les SS. 118 A la sortie de Neuruppin, à une quinzaine de kilomètres de Wittstock, les colonnes s’étaient passablement étirées. On rencontrait régulièrement de petits groupes de cinq à dix détenus qui n’en pouvaient plus. La garde de ces groupes était confiée à un SS. Sou­ vent c’étaient des condamnés de droit commun qui surveillaient ces groupes. Lors de l’évacuation du camp, ils avaient été revêtus de l’uniforme des SS, ils avaient reçu des fusils et avaient pour mission de renforcer la garde des SS. Ces personnages étaient craints des déportés autant que des véritables SS. D’ailleurs ces criminels exerçaient dans les camps les fonctions de « Blockwarte » et dans certains cas avaient même droit de vie ou de mort sur les détenus. J ’ai transporté (et ravitaillé au moyen des colis que j ’avais pris dans la voiture) plusieurs de ces groupes dans ma voiture de Neu­ ruppin à Wittstock. Rencontrant le chauffeur qui venait d’effectuer une distribution de colis dans la forêt de Below (emplacement du camp), je le chargeai d’aller recueillir avec son camion tous ces mori­ bonds. A mon arrivée à Below, je fus accueilli par des vivats et des cris de joie, poussés par des milliers de détenus qui agitaient la main dans ma direction. Je n’apportais pourtant pas de colis. C’était la reconnaissance de tous ces malheureux envers la Croix-Rouge dont le nom était prononcé dans toutes les langues. Je m’entretins avec les détenus et leur annonçai que d’autres camions de colis allaient encore arriver et que la Croix-Rouge ne les abandonnerait pas. L’annonce de cette bonne nouvelle — immédiatement traduite en russe, polonais, hollandais, etc. — provoqua une nouvelle manifes­ tation de joie et de reconnaissance. Je me rendis chez le Commandant de la place. Là, l’Oberzahlmeister me déclara que les détenus resteraient dans la forêt de Below au moins 5 jours. L’installation d’une boulangerie serait prête dans deux jours et ainsi les évacués recevraient du pain et aussi de l’eau potable. A la Croix-Rouge de faire le reste. Si curieux que cela paraisse, les SS étaient convaincus que la Croix-Rouge avait le devoir de nourrir les détenus. Le Commandant du camp m’annonça en outre que l’ins­ tallation d’une infirmerie était également prévue. Au cours de cette visite, j'ai pu voir de mes propres yeux avec quelle brutalité certains SS traitaient les détenus épuisés par une si longue marche. Un officier subalterne rassemblait en colonne par quatre les détenus qui devaient recevoir le colis Croix-Rouge. Esti­ mant que la formation de la colonne n’allait pas assez rapidement, le SS — un gros cigare à la bouche —- faisait avancer les détenus à grands coups de pieds dans le ventre. Pas un détenu n’eut un geste d’étonnement ou de révolte. Ils avaient certainement l’habitude de ce traitement. Plus loin, des SS assistaient impassibles à la scène. 119 J ’ai dévisagé cette brute, nos regards se croisèrent. Ses yeux de cri­ minel sadique me glacèrent. Je décidai de rentrer à Wagenitz afin de prendre contact avec les autres membres de la sous-délégation et avec l’intention de revenir les jours suivants. Je n'ai malheureusement pas pu mettre ce projet à exécution, l’arrivée des Russes ne m’ayant plus permis de quitter Wagenitz. En revanche, d’autres délégués ont certainement pu faire du travail utile, car je suis persuadé que les fréquentes appari­ tions des délégués du CICR auprès des SS ont sauvé des milliers d’évacués. Il n’y a qu’à se rappeler les exécutions massives des pre­ miers jours de l’évacuation, qui cessèrent peu après à la suite de nos protestations énergiques (le mot n’est pas de trop). Les distributions de colis ont naturellement sauvé d’innombrables vies, c’est certain, mais il sied de relever que la présence même des représentants du CICR au milieu des colonnes a produit un double effet psychologique. D’une part, les SS se sentant contrôlés par le CICR ont cessé les tueries et, d'autre part, les détenus ont senti qu’ils n’étaient plus seuls, qu’il y avait quelqu’un derrière eux qui avait nettement pris position contre les SS, qui leur tenait tête, qui les soutenait, eux les déshérités, et les encourageait à tenir encore quelques jours. V. — Rapport d'un délégué du CICR sur Vévacuation du camp d'Oranienburg (avril 1945) Dans la nuit du 20 au 21 avril 1945 a commencé l’évacuation du camp de concentration d’Oranienburg ainsi que des Kommandos extérieurs. Dans les premières heures du 21 avril, lorsque les troupes russes se trouvèrent devant Berlin, j’ai remis au Commandant du camp Keindel la proposition de la délégation du CICR à Berlin de remettre le camp à un délégué du CICR. On voulait empêcher de cette façon que les SS ne se livrent à la dernière minute à des excès à l’égard des détenus. Le Commandant du camp a refusé notre pro­ position en s’appuyant sur les instructions qui lui avaient été données par le Reichsführer SS Himmler. Ces instructions prévoyaient, à l’approche de l’ennemi, une évacuation immédiate du camp entier à l’exception du lazaret. Sous une pluie battante, tous les détenus ont été mis en route en direction du nord. Cinq cents détenus formaient un « Pulk » ou un «Trek » et étaient soumis à l’autorité d’un commandant SS. Une garde très serrée fut exercée par les SS qui, peu de temps auparavant, avaient vêtu un grand nombre de détenus de droit commun alle­ mands de l’uniforme de la Wehrmacht pour les utiliser comme per­ sonnel auxiliaire de garde. 120 Le nombre exact des détenus à évacuer n’a pu être établi du fait de l’anéantissement des cartothèques et parce que des exécutions avaient eu lieu avant l’évacuation. D’après mon évaluation et selon les dires des détenus, environ 30.000 à 40.000 êtres humains, pour la plupart des hommes, mais également des femmes et même des enfants, se trouvaient sur les routes. Deux immenses colonnes se dirigeaient vers Wittstock par les itinéraires suivants : Oranienburg, Kremmen, Sommerfeld, Neuruppin, Wittstock ; Oranienburg, Kremmen, Sommerfeld, Herzberg, Lindow, Rheinsberg, Zechlin, Wittstock. Ces indications m’ont été données par un adjudant du Commandant du camp. Ma tâche consistait à ramener des colis de vivres par des camions Croix-Rouge vers les colonnes de détenus qui, la plu­ part du temps, n’étaient pas ravitaillées par les SS. J ’ai procédé à ce ravitaillement au moyen des réserves constituées à Wagenitz. Pendant quatre jours et quatre nuits les camions roulèrent et les chauffeurs et moi fûmes témoins des faits suivants : Le soir de la première journée de marche, des détenus français déclarèrent avoir appris que les SS avaient l’intention de commencer dans la nuit la fusillade de détenus. Ils nous priaient de rester auprès d’eux pendant la nuit avec les camions Croix-Rouge pour empêcher, dans la mesure du possible, de tels excès. Nous ne pouvions malheureu­ sement pas donner suite à ce désir puisque nous devions charger les camions pendant la nuit. Le matin du 22 avril, nous découvrîmes sur une longueur de 7 km. entre Lôwenberg et Lindow, les premiers 20 détenus fusillés au bord de la route ; tous avaient une balle dans la tête. Au fur et à mesure de notre avance, nous rencontrâmes un nombre toujours plus grand de détenus fusillés au bord de la route ou dans les fossés. Dans les forêts entre Neuruppin et Wittstock nous avons trouvé alors régulièrement, aux endroits où les détenus avaient passé la nuit ou à des endroits de halte, plusieurs cadavres, en partie jetés dans les feux de camp et à moitié brûlés. Au premier village après Neuruppin, en direction de Râgelin, un détenu resté en arrière a porté le fait suivant à notre connaissance : Le 22 avril, un commandant a entassé dans ce village ses 500 détenus dans une grange pour faire une halte de quelques heures. A quatre heures de l’après-midi, sa colonne se remit en marche. Quatorze détenus complètement épuisés restèrent endormis dans la grange. A cinq heures, une autre colonne arriva dans la même grange et trouva les quatorze détenus endormis. Les SS traînèrent alors les quatorze détenus restés en arrière derrière la grange et les fusillèrent aussitôt sous l’inculpation de désertion. Le troisième jour de l’évacuation, nous rencontrâmes encore plus de cadavres que la veille. Des détenus de nationalités diverses nous ont secrètement déclaré que les SS et les criminels allemands en uni­ 121 forme de la Wehrmacht continuaient à tuer à coups de fusil à la tête chaque détenu exténué. Les malades étaient également fusillés de la même manière. Les SS profitaient de chaque occasion pour fusiller les « notables ». Jusqu’au soir du troisième jour de l’évacuation, les corps des détenus fusillés restèrent au bord de la route et dans les forêts, non enterrés. J ’ai appris de source digne de foi que le 21 avril déjà les « Ortsgruppenleiter » du Parti avaient reçu l’ordre des SS d’en­ terrer les corps dans l’enceinte de leur territoire de commune. Cet ordre ne fut pas exécuté parce que ces « Ortsgruppenleiter » ont éga­ lement pris la fuite à ce moment-là. Le 23 avril, des détachements furent organisés pour enterrer les victimes. L’examen d’un grand nombre de cadavres a révélé que toutes les vic­ times avaient été liquidées d’une balle dans la tête. Sur notre deman­ de, les détenus nous ont déclaré que souvent les SS ont obligé leurs victimes à s’agenouiller ou à s’allonger, cinquante mètres derrière la colonne en marche, pour être exécutées. Il nous fut impossible d’apprendre le nombre exact des tués. Sur notre parcours nous avons vu au total plusieurs centaines de morts, mais nous n’avions pas un aperçu complet sur tout le territoire d ’évacuation car, venant du nord, une assez grande colonne de camions de Lübeck approvisionnait également les détenus. Je déduis des nombreux entretiens avec des détenus qu’environ 15 à 20% de l’effec­ tif du camp de concentration d’Oranienburg a été tué de la manière décrite plus haut. Nous n’avons pas pu connaître les noms des victimes. Nous aurions pu — non sans danger pourtant — noter les numéros matricules, mais cela n’aurait pas eu de sens, parce que les cartothèques avaient été détruites par les SS. Le 22 avril je me suis rendu deux fois auprès du chef de camp Hôhn (chef de l’administration interne du camp principal d’Oranien­ burg) pour protester très énergiquement au nom du CICR contre les excès perpétrés par les SS. Celui-ci me promit de donner immé­ diatement l’ordre à tous les commandants de groupe de cesser les exécutions. Il résulte de nombreux entretiens que j’ai eus avec des Gruppenkommandanten, Unterfüfirer et également avec le personnel de garde, que les sentiments qui animent les SS. sont d’une perversité effrayante. Quelques-uns des commandants voulaient même nous prouver qu’ils rendaient un service aux exténués et aux malades en les fusillant, pour qu’ils n’aient plus à souffrir ; ils étaient d’avis que la SS était en réalité très humaine ou même plus humaine que la CroixRouge qui elle prolongeait les peines des malades et des exténués par l’apport de colis de vivres ! Le seul langage que ces SS primitifs compre­ naient au moment de l’approche de l’ennemi, c’étaient les menaces. Il ressort de tous les témoignages que tous les SS étaient d’avis qu’ils 122 faisaient une œuvre tout à fait justifiée en fusillant les détenus. Pour la sauvegarde du Troisième Reich il était quasi naturel de tuer les Juifs et les ennemis de l’E tat par tous les moyens. J ’ai été témoin à Neuruppin de la légèreté avec laquelle ces brutes pouvaient tuer des êtres humains : nous avions trouvé près d’un buisson au bord de la route un détenu politique qui, depuis des heures, était allongé là et souffrait, gravement blessé à la tête par une balle. Le commandant SS avec qui j ’étais en train de m’entretenir, interrompit la conver­ sation, se rendit vers le détenu blessé, le fusilla, revint aussitôt et continua la conversation comme si rien ne s’était passé. Il semblait également tout à fait justifié aux yeux des SS d’utiliser la force des détenus jusqu’à l’extrême. Pendant l’évacuation même, la force de quelques détenus fut exploitée sans pitié. Les SS chargeaient leurs effets sur de grandes remorques de camions qu’ils faisaient pousser par envi­ ron 40 détenus exténués. On faisait avancer ces esclaves « pousseurs de wagons » à coups de bâton et de fouet. Les détenus qui se traînaient en longues colonnes étaient dans un état de dénuement physique et spirituel complet. Ils se laissaient pousser en avant sans manifester un signe de volonté ou de résistance. Nous avons remarqué qu’ils ne se révoltaient que s’ils étaient placés devant une menace de mort directe. Cet éfat d’âme est illustré par l’exemple suivant : Lorsque nous essayions de faire monter les détenus complètement épuisés dans nos camions vides, ils se défendaient en nous suppliant de ne pas les tuer; ils croyaient qu’on avait l’intention de les mener quelque part dans un abattoir, se souvenant de la pra­ tique des SS à Oranienburg qui autrefois chargeaient les camions de victimes, roulaient quelques centaines de mètres dans le camp pour les diriger ensuite directement vers les chambres d’extermi­ nation. VI. — Rapport d'un délégué du CICR sur le ravitaillement des évacués d’Oranienburg et de Ravensbrück Le soussigné s’est trouvé pour la dernière fois à la délégation du Comité international de la Croix-Rouge à Berlin, le vendredi 20 avril 1945. Etant donné les conséquences terribles de l’évacuation des camps de prisonniers et de concentration, les membres de la délé­ gation étaient d’avis qu’il fallait empêcher l’évacuation des camps de concentration de Ravensbrück et Oranienburg et qu’on devait essayer d’influencer les dirigeants de la Centrale SS dans ce sens. Le matin du 21 avril 1945, le médecin des prisonniers de guerre, le capitaine Burton, arrivait d’Altengrabow à Wagenitz auprès de la délégation pour nous faire rapport sur l’état du camp d’Altengrabow 123 et demander notre aide. Comme la ligne téléphonique entre Wagenitz et Berlin avait été coupée par les avions volant en rase-mottes, je me rendis avec le capitaine Burton à Nauen pour demander à Berlin l’envoi de colis de secours. Par hasard, nous rencontrâmes à Nauen deux camions du CICR auxquels nous ordonnâmes d’aller à Wagenitz. A ce moment, nous avions à Wagenitz à peu près 3000 colis de secours américains et 5000 paquets du « War Refugee Board». Entre temps, un mécanicien de la délégation à Berlin arriva à Wagenitz et nous informa que le camp de concentration d’Oranienburg était en voie d’évacuation depuis 4 heures du matin. Je fis rentrer à Altengrabow le camion de la Croix-Rouge française venu à Wagenitz avec 1000 colis et gardai les deux camions de la Croix-Rouge que nous avions rencontrés pour l’approvisionnement des colonnes du camp de con­ centration d’Oranienburg. Trois délégués du CICR surveillaient la distribution aux détenus ; ils m’informèrent de l’itinéraire exact de la colonne, dont le but était Wittstock. Deux routes s’offraient, l’une par Lôwenberg-Lindow, et l’autre par Kremmin-Neuruppin-Zechlin. Les jours suivants, les 5000 paquets du «War Refugee Board » et à peu près 1000 colis améri­ cains furent distribués aux détenus par le personnel de la délégation du Comité international.6 En même temps, nous reçûmes des informations sur les fusillades en masse des détenus incapables de marcher, malades, etc. Le délégué et deux de ses collaborateurs ont eux-mêmes vu les cadavres et ont pu constater incontestablement que les victimes étaient décédées par suite de coups de feu tirés dans la nuque ou dans la bouche. Pendant les jours qui suivirent, nos communications avec la délégation à Berlin fu­ rent coupées, parce que des avant-gardes de blindés russes étaient arri­ vées à Plauen et Nauen. Bien que nous sachions que la délégation à Berlin s’efforçait d’obtenir la cessation des fusillades, j ’envoyai le 24 avril un délégué du Comité avec deux notes de protestation au camp d’Oranienburg, car je savais que s'y trouvaient le chef respon­ sable des deux camps de concentration, le SS-Sturmbannführer Hoess et les deux commandants de camp, Sturmbannführer Suhrens et Keindl. L’une des deux notes avait pour but de faire cesser les fusillades, l’autre note exigeait de ne pas évacuer les femmes déte­ nues au camp de concentration de Ravensbrück. Grâce aux efforts des délégués, les fusillades cessèrent en effet presque complètement au cours des derniers jours. Lundi, le 23 avril, j ’envoyai le capitaine Burton, du camp de prisonniers d’Altengrabow, qui était rentré entre temps, chercher de nouveaux colis de se­ cours, et lui dis de se rendre avec sa voiture de la Croix-Rouge française à Lübeck. Je lui confiai pour le délégué du CICR à Lübeck un rapport sur la situation et les secours nécessaires aux camps de concentration et de prisonniers. Grâce aux efforts du délégué de 124 Liibeck, le capitaine Burton put rentrer le lendemain à la tête d’une colonne de 16 camions du CICR. Ainsi, je n’avais plus de souci à me faire au sujet de ce camp. Les 16 camions rentrèrent par Malchow à Lübeck, après avoir pris en charge à Malchow des détenus malades des camps de concentration. Le mardi 24 avril, 130 prisonniers de guerre de Berlin arrivèrent à la délégation à Wagenitz, nous demandant de les accueillir et, si possible, de les nourrir. Etant donné que ces prisonniers de guerre étaient déjà très sous-alimentés, j ’ai trouvé prudent de les retenir à Wagenitz, où je pouvais leur donner à manger, puisqu’il y avait encore 1200 colis de secours. Les Russes étant parvenus entre temps jusqu’au canal, à 1 km. au sud de Wagenitz, je demandai un entre­ tien avec le commandant du régiment allemand qui combattait à cet endroit, exigeant la promesse d’un espace exterritorial de 600 m. autour du château. Grâce aux efforts des prisonniers de guerre bri­ tanniques, qui avaient organisé un corps de police, nous pûmes obtenir qu’aucun soldat allemand ne pénétrât dans cet espace. Mais les troupes allemandes avaient placé un canon à 600 m. derrière le château et les troupes russes tiraient sur ce canon avec un « orgue de Staline » et leur artillerie. Nous hissâmes sur la tour du château le drapeau suisse et le drapeau de la Croix-Rouge, mais comme le châ­ teau se trouvait dans la ligne de tir, il était inévitable que de temps à autre une série de projectiles, venant surtout de l’«orgue de Staline», s’abattît sur le château et ses environs. Nous eûmes à déplorer la perte de deux travailleurs civils polonais ; il y eut également quelques blessés, légèrement atteints. Jeudi le 26 avril, le médecin-SS, Dr Baumkôtter, arriva du camp de concentration d’Oranienburg à Wagenitz, et me signala le danger menaçant d’épidémies parmi les détenus et le manque absolu de médicaments. Entre temps, nous avions reçu la nouvelle de l’éva­ cuation du camp de concentration de Ravensbrück et l’avis que l’ac­ tion de secours au moyen de colis avait commencé depuis Lübeck. Soulignons ici le fait surprenant que les troupes SS admettaient, comme allant de soi, notre ravitaillement des camps dès le moment de l’évacuation et que, depuis cet instant, personne ne nous a plus empêchés de nous occuper des camps de concentration, tandis qu’au­ paravant nous nous heurtions aux plus grandes difficultés dès que nous tentions de nous intéresser de quelque façon que ce fût aux camps... Entre temps, les Russes s’étaient approchés du château jusqu'à une distance de 500 m. Dans la partie septentrionale de l'Allemagne il n’y avait pas d’autres délégués de la Croix-Rouge et le soussigné y était le seul médecin délégué du CICR. C’est pourquoi je me décidai, le 27 avril, à renoncer à l'idée de passer chez les Russes et je partis pour Lübeck, accompagné d’un délégué et de la secrétaire de la 125 délégation. Le délégué avait pour tâche d'apporter encore des colis à Wagenitz pour secourir, le cas échéant, les prisonniers et les inter­ nés, même sous l’occupation russe, si cela était nécessaire. Le même soir, ce délégué tenta de retourner à Wagenitz, mais ne pouvant plus atteindre le château, il rentra par la suite à Lübeck, après avoir dis­ tribué ses colis de secours à des détenus. Après m’être renseigné auprès du délégué du CICR et du Dr Arnoldson, de la Croix-Rouge suédoise, sur la situation générale, je partis le 28 avril par Schwerin vers Parchim, dans la région de Wittstock et de Malchow, pour empêcher de nouveaux sévices des troupes SS contre les détenus et pour assurer, autant que possible, le ravitaillement de ceux-ci. Entre temps, les détenus d’Oranienburg étaient tous arrivés à Wittstock et continuaient leur marche, le 28 avril, dans la direction de Schwerin. Le camp de concentration de Ravensbrück se dirigeait également vers Schwerin — pour autant que les détenues n'avaient pas été transportées par camions de la Croix-Rouge à Lübeck — et se trouvait dans la région de Malchow-Criwitz. Les détenus étaient en général dans un état horrible. Je vis beaucoup de cadavres sur la route, pourtant ceux que j ’ai vus étaient ceux de victimes mortes de famine et d’affaiblissement. Je ne pus constater la présence de cadavres de détenus fusillés par les troupes SS ; d’autre part, les détenus me confirmèrent que, depuis le mardi 24 avril, c’est-à-dire depuis notre intervention, les fusillades avaient cessé. Sur la place principale de Parchim, je trouvai une colonne de 2000 détenus environ faisant une halte. Parmi eux, huit moururent pendant l’arrêt. Lorsque le Commandant me vit, il se précipita vers moi, m'affirmant qu’il n’avait jamais fait fusiller quiconque. Je le prévins de bien veiller à ce qu’il en soit encore ainsi et lui ordonnai de loger les malades et les impotents dans la ville ; sur ce, il se hâta d’aller consulter le maire. Vers le même endroit, je rencontrai une colonne de 5000 détenus qui se traînaient avec difficulté. Devant la colonne, sur une petite voiture chargée de malles et tirée péniblement par six à huit détenus, trônait une femme apparemment «de bonne société». J ’interpellai le commandant de la colonne et lui demandai qui était cette per­ sonne. Il me répondit qu’il s’agissait de la femme d’un officier SS qui était tombée malade au cours de la fuite. A ma question sur ce qu’elle avait, il me répondit très sérieusement qu’elle souffrait d’indigestion pour avoir trop mangé de raisins secs (sic). Dans les environs de Putlitz, je croisai de nouveau une colonne d’à peu près 5000 détenus gardée par des troupes SS. En allant chercher le Commandant, je remarquai dans un fossé neuf détenus étendus sous leur couverture, inanimés. Un SS qui ne m'avait pas vu s’approcha d’eux et frappa de son bâton le tas qui ne réagissait 126 plus. J'eus juste le temps d’arrêter la voiture et d’en sortir pour l’em­ pêcher de tuer ces neuf hommes avec son revolver, qu’il avait déjà tiré de son étui. Je hélai l’individu, lui demandant son état civil. Au lieu de cela, il me répondit : « Ce sont de pauvres gens, tout à fait innocents. Je ne peux pourtant pas les laisser dans le fossé. » Je lui répondis qu’il était fou, qu’il devait disparaître le plus vite possible, et que je m’occuperais de ces neuf détenus et de leur hébergement dans le village le plus proche. C’est là une petite contribution au chapitre : soldats SS et leur mentalité. A la même époque, c’est-à-dire entre le 29 avril et le 2 mai, à peu près quinze camions du Comité international de la Croix-Rouge par­ taient de Lübeck chargés de colis de secours pour Wittstock et Below, près de Wittstock, où les détenus se reposaient pendant quelques jours. Comme les détenus, entre temps, s’étaient de nouveau mis en route, le chef de la colonne du CICR dirigea les camions sur les différentes routes qu’ils suivaient ; de cette manière, la sécurité et le ravitaillement des détenus furent assurés pour le mieux et dans la mesure du possible. Distribution de colis de secours: Les colonnes marchaient générale­ ment par rangs de cinq ; j ’ai pu constater souvent qu’un homme par groupe de cinq portait un colis de secours. En général, on peut dire, qu’à part les cigarettes et autres articles de luxe plus ou moins recherchés, les détenus gardaient leurs colis de secours, dès que ceux-ci avaient été distribués personnellement aux détenus par le délégué, le chef de colonne, ou le personnel-adjoint du CICR. A Wittstock, une colonne de camions avait établi un dépôt permettant d’apporter de nouveaux colis de secours. Lorsque les détenus devaient continuer leur marche, chaque soldat SS recevait un paquet, tandis que les détenus ne recevaient qu’un paquet pour cinq hommes, c'est-à-dire le reste du solde. Malheureusement, je n'ai jamais pu surprendre un SS en possession d’un colis de secours, mais le procédé ci-dessus m’a été confirmé de plusieurs côtés. D’ailleurs, d’où seraient venus les raisins secs qui avaient provoqué une indigestion chez la femme de l’offi­ cier SS ? Les SS, craignant d’être vus, n’osaient plus infliger de sévices aux détenus. A en juger par le comportement des simples SS à notre égard, je dois supposer qu’ils interprétaient les mots « Comité international » comme désignant une commission d’en­ quête sur les crimes de guerre. Je n’ai jamais, de ma vie, vu d’hommes plus serviles et obséquieux. La population allemande dans les villages et les petites villes était en général passive et se bornait à regarder. A Parchim seulement, lors de l’incident susmentionné sur la place du marché, un monsieur « bien » vint vers moi tout désespéré et me dit : « Mais faites donc quelque chose pour ces 127 gens ! » Lorsque je lui répondis que nous faisions tout ce qui était en notre pouvoir et que la population devait nous aider, il disparut dans la foule. Les derniers jours furent marqués par des attaques constantes d’avions sur les petites villes et les routes. On ne pouvait circuler qu’à grand’peine sur les routes bondées de réfugiés, de détenus et de troupes. Des centaines de voitures carbonisées, des cadavres de chevaux et des douzaines de cadavres humains, pour la plupart de réfugiés alle­ mands, gisaient à droite et à gauche de la route. J ’ai vu et pansé des détenus qui avaient été blessés par les attaques en piqué. Vu que les détenus marchaient généralement par ordre sur de petits chemins vicinaux et devaient camper dans les forêts, les pertes dues aux attaques par avions n’étaient probablement pas très considé­ rables parmi eux. Pour ma part, je n'ai vu aucun détenu tué par un avion volant en rase-mottes. Dans la région de Blumenthal-Pritzwalk, je rencontrai le Stalag Altdrewitz, qui voulait tenter de passer l’Elbe, près de Dômitz, avec la garde allemande. La situation alimentaire des prisonniers était très critique ; d’autre part, il fallait faire parvenir de nouveaux colis de secours aux camps de concentration et en tout premier lieu créer à Schwerin un dépôt de colis de secours pour détenus. Je me décidai donc, le mardi I e r mai, à rentrer à Schwerin, afin de me mettre en relation avec Lübeck, d’une manière ou d’une autre. Arrivé tard dans la soirée à Schwerin, je couchai chez le’ pharmacien du Stalag II E. L'organi­ sation militaire de la ville était déjà en train de s’effondrer ; les membres de l’administration militaire s’habillaient de vêtements civils et quittaient leurs postes. L’agitation était grande, parce qu'entre temps les Russes s’étaient avancés jusque dans la région de Wismar. Les communications téléphoniques avec Lübeck étant im­ possibles, je quittai Schwerin le 2 mai, mais une heure plus tard je fus forcé d’y revenir, à cause d’une grave attaque aérienne. Les détenus et les prisonniers de guerre me reçurent avec des cris de joie, la nouvelle leur étant parvenue que les Américains entreraient à Schwerin dans deux heures. Je me rendis auprès du colonel von Bülow, commandant du Stalag II A, pour éviter des troubles lors de la reddition des prisonniers de guerre et empêcher des complications pouvant résulter d’opérations militaires. Puis je rentrai au Stalag ; là eut lieu une séance avec les hommes de confiance et les doyens, pour organiser des troupes de police qui devaient assurer la discipline au camp. A cette occasion, une organisation de «gaullistes », formée sous l'influence et la direction d’un officier français du Stalag Neubrandenburg, qui avait reçu pleins pouvoirs du général de Gaulle, me rendit les plus grands services. Chaque nation constitua sa propre garde et organisa ses patrouilles dans le camp. A 2 heures, le mercredi 2 mai, la nouvelle nous parvint 128 que les Américains étaient entrés à Schwerin. Ils n’avancèrent pas jusqu’au Stalag même, situé à peu près à 4 km. à l’est de la ville. Je partis donc avec le doyen britannique et avec les hommes de con­ fiance français et yougoslaves pour Schwerin où nous eûmes un entretien avec le commandant du régiment américain. La zone entre Schwerin et le fleuve qui se jette à l’est de la ville dans le lac de Schwerin — zone dans laquelle est situé également le Stalag — fut déclarée zone neutre pour éviter des incidents avec les troupes russes. Jusqu’au 3 mai affluèrent dans cette zone, venant de l’Est, des détenus des deux camps de concentration pour camper aux alen­ tours du Stalag. Des centaines de milliers de soldats allemands furent capturés pendant ces deux jours ; et, sur la même route CrivitzSchwerin, sur laquelle tout cela se passait, arrivaient sans cesse des centaines de milliers de réfugiés allemands. Le 4 mai, les Russes avaient atteint la ligne de démarcation et l’afflux des réfugiés, détenus et soldats, cessa. Le soir du 2 mai, je me présentai au Gouverneur militaire améri­ cain, arrivé entre temps, et lui donnai un aperçu de la situation et du nombre de détenus venant des camps de concentration et déjà arrivés dans la zone de Schwerin. Je lui dis que 40.000 étaient déjà » là et qu’il fallait en attendre encore 30.000. Le Gouverneur militaire me répondit que Schwerin était surpeuplé et qu’il ne pouvait rien faire ; je le priai alors de faire un tour pour se faire une idée de l’état des détenus. La tournée lui fit apparemment un grosse impres­ sion. On nous informa qu’un nombre considérable de détenus se trou­ vaient à l’est de la future ligne de démarcation, encore sous la garde de troupes SS. Les SS ne semblaient pas vouloir accepter d’être capturés et continuaient à martyriser et fusiller les détenus. J ’obtins du Gouverneur militaire d’envoyer encore pendant la même nuit des troupes pour désarmer les SS et libérer les détenus. De même, j’obtins aussi qu’on mît à disposition des troupes améri­ caines pour assurer l’ordre dans le gigantesque rassemblement de détenus campés autour du Stalag et pour diriger vers lui les nou­ veaux arrivants. Néanmoins, nous eûmes quelques blessés, car beau­ coup de détenus, qui avaient trouvé des armes, se querellaient, sous l'empire de la faim, pour une simple pomme de terre, etc. Ni les trou­ pes américaines, ni moi-même n'étions à même de ravitailler conve­ nablement les détenus. Cependant, comme de nombreux camions et des chars chargés de vivres circulaient sur la route de Crivitz à Schwerin, je pus distribuer à chaque groupe de détenus des vivres pour au moins trois jours. Je fis chercher tous les médicaments disponibles dans ces camions et les portai dans le Stalag. Il y avait assez de médecins parmi les détenus. Malheureusement, les pourparlers en vue d’obtenir un meilleur logement pour les détenus traînèrent encore trois jours et on ne put empêcher que beaucoup d’entre eux continuassent leur marche 129 vers l'Ouest de leur propre initiative, pour s’établir dans les villages au delà de la ligne de démarcation. Par permission du Gouverneur militaire, je reçus néanmoins l’autorisation le 5. mai de réquisition­ ner deux grands groupes de bâtiments, casernes, etc. Dans l’un d’eux, la caserne Adolf-Hitler, il y avait un lazaret de réserve alle­ mand. Les médecins militaires, après discussion, se mirent à notre disposition pour donner aux détenus les soins médicaux nécessaires. Malheureusement, une grave arthrite à l’épaule droite et la fièvre me forcèrent d’abandonner mon travail. Entre temps, la lutte sur la route de Schwerin à Lübeck avait pris fin. Il me restait encore à faire parvenir des colis de secours à Schwe­ rin ; c’est pourquoi je partis le 5 mai pour Lübeck, où le délégué du CICR se chárgea de cette tâche, et peu après je fus obligé d’entrer à l’hôpital. A Schwerin, j ’avais laissé le chef de colonne du CICR qui me donna une aide très précieuse pendant les journées de Schwerin. D'autre part, je fus grandement aidé par deux prisonniers de guerre bri­ tanniques (qui ne me quittaient plus depuis mon départ de Wagenitz), par l’homme de confiance français et l’homme de confiance yougoslave, du Stalag II E, et aussi par tous les hommes de con­ fiance français des petits détachements de travail, auprès desquels je trouvai le gîte et la nourriture. VII. — Rapport d'un délégué du CICR sur son activité dans le camp de Theresienstadt (avril-mai 1945) I Prague, le 23 avril 1945. J ’ai visité Theresienstadt le 21 courant dans l’après-midi. En pre­ nant contact avec le chef du camp, je demandai que le Conseil des Anciens soit réuni pour entendre ma déclaration et répondre à différentes questions que j ’avais à poser. Je vais rapporter, aussi fidèlement que possible, cette phase de mon court séjour au Ghetto. Je fis la déclaration suivante : « Le Comité international dè la Croix-Rouge m’a chargé tout spé­ cialement de vos intérêts. J ’ai consacré mon temps depuis ma première visite du 6 avril jusqu'à aujourd'hui à l’exécution de cette mission. 130 Le Gouvernement du Protectorat m’a assuré qu’à moins de nécessité stratégique, personne ne serait déplacé du camp jusqu'au jour de sa liquidation. Celle-ci sera assurée par les soins du Comité international en collaboration avec des institutions juives! Je vous prie de me faciliter ma mission en assurant l'administration et l’ordre de la ville pendant la période de transition, comme vous l'avez fait et continuez à le faire sous l’autorité allemande. Vous aurez vraisem­ blablement à recevoir à Theresienstadt des coreligionnaires évacués d’autres camps, voire des internés civils, prisonniers de guerre ou blessés. Vous devez vous souvenir que, quelles que soient les conditions de vie ici, vous y trouverez plus de confort et moins de' risques que sur le chemin de l’évacuation... » A la fin de cet entretien, qui s’est tenu en présence du chef du camp et de son lieutenant, ainsi que d’un inspecteur de la police de sûreté de Prague, j’ai fait part au chef du camp qu'en attendant les réponses écrites, mon intention était de visiter Theresienstadt. Pendant deux heures et sans aucune objection de la part des officiers et civils allemands qui m’accompagnaient, j ’ai pu inspecter tout ce qui, au cours de la visite du 6 avril, avait éveillé ma curiosité. De cette visite absolument libre des édifices de la ville et des baraquements annexes, je rapporte une impression identique à celle que nous avons eue au cours de notre visite du 6 et la conviction qu’aucune mise en scène spéciale n'avait été préparée pour nous recevoir. Les habitants de Theresien­ stadt y vivent tous les jours de la manière que nous avons eu l’occasion de constater à trois reprises. En ce moment, les contingents juifs d’au­ tres camps sont dirigés sur Theresienstadt. Ils arrivent naturellement dans un état pitoyable, mais tout est prévu pour les amener rapide­ ment au niveau de ceux qui les y ont précédés. Depuis le 6 avril There­ sienstadt a vu sa population augmenter de 4000 personnes (jeunes hommes de 18 à 30 ans). Au cours d'un entretien antérieur, le Ministre d’E tat Frank m’avait assuré que tous les Juifs évacués qui passeraient à proximité du Pro­ tectorat, seraient dirigés sur Theresienstadt; j'ai pu, le jour même, constater l'exécution de cet ordre dans la ville d’Aussig où je me suis rendu en quittant Theresienstadt. Voyage à Aussi g: On m’avait signalé à Prague des passages de trains contenant des évacués blessés prisonniers de guerre où civils qui, à la suite du bombardement d’Aussig, étaient bloqués dans cette région. Aussi, ai-je profité de mon voyage à Theresienstadt pour me rendre à Aussig et y recueillir des renseignements. Les employés de gare, autorités militaires et de police ne m’ont pas donné de grandes précisions. Les convois militaires ont pu être transbordés ; les convois civils sont encore en panne sur des voies de garage (je ne les ai pas vus à proximité de la gare, en tous cas) ; les convois de Juifs ont 131 pris ou prennent à pied le chemin de Theresienstadt. Les deux bom­ bardements de la semaine ont été sérieux. Les trains en stationne­ ment ont été durement touchés... II Le 22 mai 1945. Après avoir passé la journée du 30 avril à Theresienstadt, je suis venu m'y installer le 2 mai. J ’en suis parti le 10 mai, ma mission étant terminée. Quoique la décision du Gouvernement du Protectorat de placer Theresienstadt (ghettos et citadelle) sous l’autorité unique du Comité international de la Croix-Rouge date du 5 mai, cette situation exis­ tait déjà en fait le 2 mai, les commandants des deux prisons m’ayant abandonné leurs pouvoirs. Contrairement à mes craintes, exposées dans mon rapport du 23 avril, aucun interné n’avait quitté Theresienstadt. D’autre part, le transfert des 300 personnes (notabilités du ghetto) dans une résidence « plus sûre », projeté par les Autorités du Reich, n’a pas eu lieu : Frank a tenu parole. C’est également sur ses instruc­ tions et conformément à sa promesse que 12.863 Juifs en provenance d’autres camps de concentration ont été dirigés sur Theresienstadt au cours du mois d’avril. A l'exception du jardinier employé par les Allemands, tué par une balle allemande et d’un interné juif tué dans son lit par un obus russe, aucun interné n’a péri de mort violente à Theresienstadt. Voyage à Aussi g. — Sous ce titre j ’ai signalé dans mon rapport du 23 avril l’existence de trains de déportés errant dans les parages de Theresienstadt. Le 4 mai, je les ai trouvés dans les gares avoisinantes et les ai dirigés sur Theresienstadt. Trois trains y sont arrivés le 6. Ils « tournaient en rond » depuis plusieurs semaines et sur 2500 hommes et 600 enfants au départ, nous avons dénombré 1800 hommes et 180 enfants; les autres étaient morts au cours du voyage. Quelques autres petits contingents sont arrivés par la route et ont été mis en quarantaine. Une caserne vide a servi de refuge à quelque 600 prisonniers de guerre français, belges, britanniques, canadiens (hommes en bonne santé). Citadelle. — Dès le 3 mai, l’évacuation de la citadelle contenant 5000 détenus politiques, en majeure partie tchèques (quelques nota­ bilités françaises) a commencé, par les soins d’une organisation de médecins tchèques dirigés par le Dr Taska et sous la responsabilité 132 du CICR. Tout s’est passé sans incident. Tous les détenus étaient évacués le 8. A cette date, jour de la cessation des hostilités, j ’ai supprimé la « tutelle » du CICR. VIII. — Rapport d’un délégué du CICR sur les détemis politiques se trouvant dans les prisons de Berlin (avril 1945) En ce qui concerne la situation des détenus se trouvant dans les pri­ sons de Berlin et des environs, et parmi lesquels se trouvaient encore fir mars 1945, selon des renseignements dignes de foi, environ 1500 prison­ niers politiques étrangers, elle a exigé de la délégation une vigilance et une énergie particulières. Ces efforts eurent pour premier objet de pou­ voir étendre à cette catégorie de détenus politiques (Schutzhâftlinge) les accords passés entre le professeur Burckhardt et l’Obergruppenführer Kaltenbrunner. Cependant il était pour ainsi dire impossible d’obtenir officiellement des indications précises et des concessions. Par la suite, la délégation a été informée assez exactement, grâce à une action projetée, et préparée en partie par un de ses délégués «à ses risques et périls », en vue de s’opposer aux excès qui étaient à craindre dans les diverses prisons. Grâce aux efforts faits par la délégation, qui avait pu établir la liaison avec quelques-uns des commissaires de la Gestapo, membres de la direction centrale (Gestapo-Hauptleitstelle, Kurfürstendamm 106), il fut possible d’obtenir, depuis le mois d’avril 1945, des libéra­ tions de prisonniers dans un assez'grand nombre de cas particuliers. Dans d’autres cas, la délégation fit distribuer des colis de vivres. C’est ainsi que les délégués s’étaient rendus le 25 mars, à la prison Kaiserdamm 1, Charlottenburg. Comme ils furent informés qu’une partie des paquets étaient retenus, ils protestèrent. De plusieurs côtés, on apprit par la suite, les 10 et 11 avril, que le bureau central de la Sûreté du Reich (Reichsicherheitshauptamt) avait donné des ordres pour la destruction de tous dossiers et papiers, dans toutes les chambres d’instruction, toutes les prisons et tous les camps. Cette mesure fut expressément confirmée, le 12 avril, par un commissaire de la Gestapo qui fit remarquer que le pire était à craindre pour les détenus. A l’occasion d’une visite qu’ils firent le 13 avril, à la prison Kaiserdamm 1, les délégués du CICR purent se rendre compte qu’une frayeur atroce avait envahi les détenus. Le même jour encore ils se rendirent à l’Auswârtiges Amt, où ils attirèrent l’attention du Ministre Schmidt sur ces craintes. Celui-ci ménagea le jour même un entretien avec le Gruppenführer et le général Mueller, et un autre 133 entretien, pour le 14 avril, avec le secrétaire d'E tat au Ministère de la Justice du Reich, le Dr Franke (en l'absence du ministre du Reich, Dr Thierack, soi-disant indisposé), à qui nous avons demandé des explications concernant le sort des personnes emprisonnées. La Délégation se déclara prête à prendre les détenus sous sa pro­ tection et à veiller à leur ravitaillement dans de grandes proportions, au moyen de colis de vivres. Les assurances tranquillisantes données à la Délégation, furent confirmées par écrit, le 15 avril, et ces confirmations furent envoyées par courrier. Le 17 avril, les délégués du CICR apprirent à la prison de l’Alexanderplatz que, depuis le 15 avril 1945, des libérations de prison­ niers avaient été ordonnées en nombre considérable. L’exactitude de cette assertion fut prouvée lors d’une visite faite le jour même dans le camp d’emprisonnement Triftweg Friedrichsfelde, visite au cours de laquelle des colis de vivres furent apportés à des Russes, des Tchèques, des Hollandais, etc. La Délégation ayant appris, d’autre part, que ce jour-là on avait exécutés 34 détenus de la prison Grosse Hamburgerstrasse, les délé­ gués du CICR entreprirent de nouvelles démarches auprès du bureau central de la Sûreté du Reich (Reichsicherheitshauptamt) et auprès du Ministère de la Justice du Reich (Reichj ustizministerium). Il semble que le 22 avril, on ait libéré de prison les derniers déte­ nus. Les opérations militaires qui se déroulaient à proximité de Berlin et dans la ville même, rendirent impossibles d’autres démarches de la Délégation. Lorsque le 24 avril, les délégués du CICR traversèrent l’Avus, ce ne fut qu'avec peine qu’ils eurent la vie sauve. IX . — Rapport d’un délégué du CICR sur sa mission à Mauthausen Le 23 avril 1945, à 19 h. 30, arrivée à Mauthausen. Notre arrivée le soir sembla ne pas être du goût de l’officier de service qui nous reçut au corps de garde. On nous fit attendre plus d'une demi-heure, après quoi nous fûmes présentés à l’adjudant par un courrier SS. Jusqu’à cette réception, vingt minutes s’écoulèrent encore, que nous avons passées à attendre sous la pluie et le vent. L’adjudant fut correct mais froid dahs son salut ; il nous pria d’avoir encore un peu de patience étant donné que le commandant était engagé dans une conférence importante. Enfin nous fûmes conduits dans le cabinet de travail du Chef qui parut après environ un quart d’heure. Il par­ courut rapidement la lettre de recommandation qui lui avait déjà été donnée auparavant. Sans y revenir davantage, il nous commu­ niqua en peu de mots que 183 déportés français, dont la liste était 134 déjà dressée, seraient à notre disposition à 00.30 h. et qu’il fallait les emmener immédiatement. Il n’accepta pas ma proposition de repousser ce transfert jusqu’au matin pour l’effectuer à la lumière du jour. Tout d’abord il n’y avait point de logement pour nous et deuxièmement il était urgent de faire partir les déportés aussi rapi­ dement que possible. A 00.30 h., les paquets devaient avoir été déchargés et comptés par l’officier de service qui en donnerait quit­ tance. Ma demande que les hommes de confiance des déportés accusent réception des colis par leur propre signature ne fut pas prise en considération. Mais le Commandant nous dit qu’en sa qualité de chef il garantissait que les envois de secours parviendraient à qui de droit. Notre personnel n'a pas eu l'autorisation de faire entrer les voitures dans le camp, même pour procéder au déchargement et au contrôle de l’envoi. A nous aussi (délégué, chef de colonne et officier accompagnant) il fut interdit d’entrer dans le camp de concentration lui-même. Comme je rendais le Commandant attentif, par deux fois, à l'objet véritable de ma mission, il me fit comprendre laconiquement que je devais considérer ma mission comme accomplie dès le moment où les 183 déportés français me seraient remis. D’autre part, il me dit qu’il ne possédait pas d’ordre pour la visite que j ’indiquais. Je lui proposai d ’attendre à Mauthausen (village) jusqu’à ce que l’autorisation lui parvienne, mais cela aussi rencontra un refus catégorique. Entre temps nos camions furent remis par nos chauffeurs aux troupes SS devant la porte qui donnait accès au camp ; ces troupes les firent entrer ensuite dans le camp. Le déchargement qui se fit dans l’obscurité dura beaucoup plus longtemps que prévu, c’est-à-dire jusqu'à peu après deux heures. Sur l’ordre du Commandant, on nous ravitailla ainsi que le personnel. Je reçus la promesse de l’officier de service, qui présida au déchar­ gement et fit le contrôle des paquets, que lors de la distribution de ceux-ci, les hommes de confiance en signeraient les accusés de récep­ tion et que ces pièces seraient envoyés au CICR à Genève. Le sous­ signé doute que la distribution des envois ait été faite correctement. A trois heures trente environ, notre colonne était prête à recevoir les déportés sur le Sportplatz. Sur les 183 hommes, la plupart étaient déjà là, en rangs, exposés au vent mordant. Enfin, peu avant quatre heures, le dernier arriva. Je comptai les hommes qui montaient dans les voitures et je donnai quittance, attestant ainsi l’exactitude de ce transfert. Mes impressions personnelles au sujet du camp étaient les suivan­ tes : quelque chose de mystérieux et d’horrible planait sur tout ; naturellement cette impression était d’autant plus forte dans la nuit. Que notre arrivée aussi tardive fût très désagréable pour ces messieurs, qui étaient impatients de nous voir partir, c’était là chose facile à 135 concevoir. Ils avaient l’air de ne pas aimer du tout le retard que nous avions eu. Lors de notre arrivée déjà, nous fûmes témoins d’une scène tragi­ que. Cinq colonnes de travailleurs comprenant chacune cent hommes environ, se traînaient au camp, fatigués après un jour de travail pénible. Dans chacune de ces colonnes, il y en avait quelques-uns qui étaient portés par leurs camarades car, à cause de leur épuisement, ils ne pouvaient plus continuer et ils étaient près de la mort. Certaine­ ment c’étaient là d’éventuelles victimes bonnes pour le crématoire qui d’ailleurs travailla toute la nuit à plein rendement. On m'a dit d’autre part que ces colonnes de travailleurs étaient très bien loties au point de vue physique. Quel devait être alors l’aspect des autres malheureux ? Nous étions tous si fortement impressionnés par ce que nous avions vu que pendant des heures nous n’échangeâmes pas un mot. Lors de la première courte halte, ce furent les Canadiens qui les pre­ miers retrouvèrent la parole et qui exprimèrent leur dégoût par ces mots : « Dieu ! que nous sommes contents d’en être sortis, c’est un enfer ! » X. Rapport sur le séjour d'un délégué du CICR à Mauthausen jusqu’à la libération de ce camp, du 27 avril au 8 mai IÇ45 (extraits) ... Le convoi se dirige vers Linz — qui vient d’être sévèrement bom­ bardé — et parcourt les rues éventrées par les bombes. Les chauffeurs canadiens et suisses doivent faire de l’acrobatie. Nous passons la nuit à St Georgen, à environ 18 km de Linz. Le lendemain matin, la colonne se dirige vers Mauthausen. Le commandant H. nous attend à michemin et prend le commandement de la colonne. Dès l'entrée dans le camp, il fait décharger les colis ; pendant ce temps, nous nous ren­ dons auprès du commandant du camp Ziereis, qui a le grade de Standartenführer. C’est un homme d’une quarantaine d’années, d’aspect énergique mais inquiétant, dont la commissure des lèvres est agitée d’un léger tremblement. Des officiers SS apparaissent. Nous lui expli­ quons qu’aux termes des accords du Président du CICR avec le Chef responsable des camps de concentration Kaltenbrunner, un délégué du CICR doit pouvoir pénétrer dans le camp et distribuer lui-même les colis ; il doit rester dans le camp jusqu’à sa liquidation définitive. Ziereis prétend ne rien savoir de ces accords. Il déclare que ma présence est indésirable au camp. Il se plaint du manque de confiance du CICR au sujet de la répartition des vivres par la direction du camp. Vu l'impossibilité de remplir ma mission, le chef de colonne est d’avis que je retourne en Suisse. Je m’y refuse de la façon la plus catégorique, décidé à remplir ma tâche à tout prix et à pénétrer dans le camp. J ’insiste pour qu’on me laisse entrer et pour que je puisse loger dans le 136 camp. Ziereis se déclare prêt à envoyer un télégramme à Kaltenbrunner dont la teneur serait la suivante : « Le CICR, dont le représentant se trouve ici, demande qu’un délégué suisse puisse pénétrer dans le camp pour y distribuer des colis. La présence de ce délégué, demandée par le CICR, n'est pas indispensable. Répondez télégraphiquement si le délégué doit être autorisé ou non à pénétrer dans le camp. » Signé : Ziereis. Ce télégramme me fournissait un prétexte pour rester dans les envi­ rons du camp et j ’en exprimai à Ziereis ma ferme volonté : je viendrais chercher la réponse au télégramme, même si je devais parcourir chaque jour à pied les 10 km qui séparent St Georgen de Mauthausen. Ma méfiance à l’égard des SS ne faisait qu’augmenter. La colonne reprit le chemin de la Suisse emmenant un certain nombre de ressortissants des Puissances de l’Ouest et je restai seul à St Georgen. Durant trois jours j’attendis la réponse au télégramme et demeurai dans le voisinage du camp maudit où les détenus, à leur entrée, étaient accueillis par ces mots ironiques des sous-officiers SS et des employés : « Demain vous ne vivrez plus. » Le camp de Mauthausen est une « bastille de granit » dont chaque pierre représente une vie humaine et est souillée de sang humain. Malgré tout, je persiste dans ma volonté de pénétrer dans ce camp, pleinement conscient de la responsabilité que j’assume à l’égard de ma famille. Les personnes qui connaissent Ziereis cherchent en vain à me faire renoncer à ma décision en me disant que c’est tenter Dieu, que c’est un suicide... Le troisième jour, emportant tous mes effets, je me rendis en voiture au camp où, forçant la consigne, je me fis immédiatement introduire auprès de Ziereis. Je lui déclarai fermement que ne comptant plus sur la réponse de Kaltenbrunner, je demandais l’autorisation d’entrée. Ziereis me désigna alors comme quartier la chambre de l’Obersturmführer Reiner que j’aurais à partager avec lui : le délégué du CICR dormirait côte à côte avec un SS dont la casquette s’orne d’une tête de mort ! Pour les détenus que je sentais terrorisés autour de moi, j ’acceptai cette torture ! Les jours suivants, j ’eus des pourparlers avec Ziereis sur la situation exacte qui prévalait au camp : manque de pain, de vêtements, de sou­ liers, effroyable disette de linge. Le camp de Mauthausen était sur­ peuplé ; ceux de Gusen I et II pleins à craquer. Les malades étaient à cinq dans d’étroits lits de camp ; il y avait 60.000 êtres humains — hommes, femmes, enfants. Ziereis ne savait plus où donner de la tête — ce qui ne l'empêchait pas, comme je l'appris, d’exécuter chaque matin 30 à 40 détenus d’une balle dans la nuque. Il accélère tant qu'il peut l’œuvre de destruction. La cheminée du crématoire fume jour et nuit. Depuis des jours, les détenus n’ont pas reçu de pain. L'état sani­ 137 taire est tombé au plus bas. Ils meurent de faim. Ziereis lui-même feint de s’en émouvoir. Il affecte de s’apitoyer, cet homme avec qui je dois prendre mes repas, ce monstre qui, un jour, fit conduire un camion chargé de cadavres devant la fenêtre de sa femme, en se vantant de son œuvre ! Je propose de me rendre à Linz auprès du Gauleiter Eigruber pour tenter d’obtenir sans délai de la farine. Linz est alors sous le feu des Américains. Je pars néanmoins, je prends comme chauffeur mon voisin de lit, le SS Obersturmfiihrer Reiner. Je veux l’éprouver, tenter de le ga­ gner à ma cause. Ziereis me rend attentif aux risques de l’expédition... Nous arrivons à 10 heures du soir auprès du Gauleiter Eigruber et du Chef de l’économie paysanne. La misère qui règne ici est indescriptible. Ma demande de farine pour Mauthausen et Gusen est rejetée. Mais on m’indique que près de Mauthausen un bac s’est échoué avec quelques wagons de blé. Je suis autorisé à récupérer ce blé. Mais j'ai encore quelque chose à obtenir de Eigruber : je désire communiquer avec Genève... J ’obtiens d’envoyer un télégramme à Genève du télégra­ phe de Linz, installé dans une cave et où je suis l’unique civil. Je réclame de Genève l’envoi de pain, de vêtements, de linge, de sou­ liers. Le télégramme est parti, mais est-il arrivé ? Dès mon retour à Mauthausen, je discute avec le chirurgien Potlazka de la gravité de la situation. Il me décrit son impuissance à l’égard de la direction du camp. On ne lui donne aucun moyen pour assurer aux détenus un traitement humain ; depuis des semaines ils n’ont pu être lavés ni désinfectés. Ils errent, vêtus de lambeaux innommables. Je réussis à organiser une conférence entre le chirurgien Potlaska, Ziereis et moimême. Sur ma proposition, Ziereis donne l’ordre que les détenus pren­ nent un bain et soient désinfectés immédiatement ; pendant ce temps les vêtements qu’ils portent seront lavés. Je demande en outre à Ziereis de mettre à ma disposition 40 charrettes à chevaux pour rentrer des pommes de terre, plus ou moins avariées, au camp, mais qui permettront aux détenus de se mettre au moins quel­ que chose sous la dent. Je reproche vivement à Ziereis la façon dont les colis déchargés ont été répartis avant mon entrée au camp. Une partie seulement en a été distribuée aux détenus et plusieurs colis avaient été vidés de leur con­ tenu le plus précieux : lait condensé, chocolat, biscuits, beurre... Durant la nuit du 2 au 3 mai, j’engageai mon voisin de lit, Reiner, à me révéler les ordres donnés en vue de détruire les camps de Gusen I et II et de Mauthausen. Reiner — un ancien employé de banque — se confia à moi sans me cacher qu’au cas où ses confidences seraient connues, nous serions bons tous les deux pour une balle dans la nuque. Je lui ordonnai de mander le 3 mai le Commandant de l’usine d’avions de Gusen auprès de Ziereis. Au cours de l’entretien qui eut lieu, je 138 demandai à Ziereis, en présence de Reiner, d’annuler immédiatement l’ordre de faire sauter l’usine d’avions. Ziereis refusa en déclarant que ce n’était pas lui qui avait donné cet ordre et qu’il ne lui appartenait pas d’annuler des ordres supérieurs. Je fis appel à son grade, à ses sentiments d’humanité. Le commandant de l'usine d'avions expliqua que le plan prévu consistait, au cas où les Américains ou les Russes approcheraient, à rassembler, par le signal d'alerte, dans la nuit du 5 ou 6 mai, les détenus de Gusen I et II, soit environ 40.000 êtres humains, dans les ateliers de l’usine souterraine d’une superficie de 50.000 m2, ainsi que les habitants de Gusen et St Georgen. L’éclatement de 24 tonnes et demie de dynamite disposées à l’avance dans les cou­ loirs ferait alors sauter l’usine avec détenus et habitants. J ’obtins pour­ tant que Ziereis retirât, au moins verbalement, l’ordre de faire sauter l’usine et s’engageât à faire suivre cette annulation aux commandants de l’usine. Il pensait que cette annulation verbale, en ma présence, était suffisante. J ’étais plein de méfiance à l’égard des SS et pénétré de plus en plus de ma responsabilité à l’égard des détenus. Je demandai à Ziereis la permission de me rendre à l’atelier des tailleurs du camp. Il m'y accom­ pagna lui-même et me demanda ce que je désirais. « Un drapeau suisse », répondis-je. Ce n’était pas à proprement parler mon dessein, mais il me fallait absolument un grand drapeau blanc que je me propo­ sais de faire hisser le samedi suivant. Ziereis me quitta en me priant de revenir tout à l’heure à la Kommandantur. J ’expliquai alors à l'ouvrier qu’outre le drapeau suisse il me fallait un grand drapeau blanc, tous deux d’une dimension de 3 m. sur 3 m. Je me rendis ensuite au garage et je donnai l’ordre aux détenus hongrois qui y travaillaient de peindre en blanc la voiture « Opel » que Ziereis avait mise à ma disposition, et cela au plus tard pour le samedi matin suivant. Je mis l'un des ouvriers, qui était mon ami, dans ma confidence et je m’entendis avec lui sur la façon dont les cho­ ses devraient se passer au camp. Je retournai ensuite à la Kommandantur où me trouvant seul avec Ziereis, je lui fis part des dispositions que j ’avais prises pour améliorer la situation sanitaire du camp. J ’eus alors tout à coup devant moi un autre homme, faible et tremblant, vieilli et découragé. Il me demanda ce qu’il devait faire. Il se leva, se mit à jouer avec des pistolets. Je suivais ses mouvements avec plus de curiosité que de crainte. Mon calme l’impressionna. Soudain il me dit : « Le séjour au camp ne doit pas être agréable pour vous, je mets ma maison à votre disposition ; elle est en dehors du camp où il se joue des scènes un peu insolites pour un novice. J ’ai pris la décision de gagner le front russe, avec une partie des troupes de garde, pour combattre contre les Russes. Il restera plus de 2.000 hommes pour la garde des camps, ce qui est suffisant ». 139 Ziereis me conduisit à la serrurerie où il donna l’ordre qu’on fasse pour moi un double de la clef de sa maison. Une heure plus tard il me conduisit en voiture avec Reiner à sa maison. Il nous la fit visiter avec un calme effrayant : la chambre d’enfants, le salon, la salle de chasse, les trophées d’armes ; autour de la maison : la basse-cour, les ruches, la piscine... Mais j'aime mieux vivre avec les détenus que dans la con­ fortable villa de ce monstre. Je prends néanmoins la clef qu’il me tend. Si mon séjour au camp doit se prolonger, je pourrai y installer un home d’enfants. Ziereis nous quitte. Nous rentrons à pied au camp, Reiner et moi. Il y a de l’agitation au camp ; des mitrailleuses de renfort sont ame­ nées aux postes de garde ; des caisses de grenades à main sont distri­ buées ici et là ; des soldats SS construisent de nouveaux nids de mi­ trailleuses. On renforce partout la défense. Le camp est en fermentation. Moi qui croyais à une remise pacifique du camp aux Russes ou aux Américains ! Je suis inquiet. 5 mai IÇ45- — J ’ai été réveillé comme par un lointain roulement d’orage. Un violent feu d’artillerie couvre la région de Linz. La situa­ tion me paraît de plus en plus inquiétante. Le sort de 60.000 êtres humains est en jeu. Leur destin doit se décider aujourd'hui. Mon destin est lié au leur. Il faut que j’agisse coûte que coûte... Je me tourne vers Reiner : « Reiner, venez-vous avec moi tout de suite dans la zone de combat américaine ? » Reiner, à qui j’ai fait enlever l’insigne de la tête de mort de sa casquette, est d’accord. Je remets à l’homme de confiance du camp le drapeau suisse et le drapeau blanc. Il est convenu que dès qu’il verra revenir ma voiture peinte en blanc, il abaissera le pavillon à croix gammée et hissera le drapeau blanc. Il est surpris de ma décision ; il me supplie de mettre tout en œuvre pour libérer le camp. Nous partons, Reiner et moi. A St Georgen, je me rends auprès du bourgmestre et lui expose mon plan. Je lui demande de laisser ou­ verte la défense anti-tanks. Je demande aux Autorités si elles veulent que leur commune soit comprise dans les opérations de libération, que toutes les armes soient abandonnées et que l’engagement soit pris que, au cas où je réussirais à atteindre les lignes américaines, aucun coup de feu ne serait tiré. Ce n’est que si ces conditions sont assurées que je pourrai continuer ma route au delà de St Georgen vers la zone de combat et intercéder pour la libération des communes. Ces garanties me sont absolument nécessaires pour poursuivre mon entreprise. Les Autorités approuvent chaleureusement notre plan et nous souhaitent plein succès. Nous continuons notre route et rou­ lons vers Gallneukirchen pour rejoindre la grande route de Budweiss et gagner Urfahr où nous supposons que se trouvent les Américains. Plus vite que nous ne nous y attendions, nous nous trouvons devant le front. J ’aperçois de loin un gros tank pourvu d’un canon lourd. 140 J'arrête la voiture et prends un bâton auquel j’attache un linge blanc pour toute éventualité. J ’engage Reiner à laisser son pistolet dans la voiture. Nous avançons prudemment. Je prie aussi le chauffeur, un lieutenant de la police des pompiers de Vienne, de nous accompagner, également désarmé. Je n’aperçois aucun soldat. On voit seulement les bouches des canons se mouvoir vers la gauche ou la droite. J ’ordonne à mes compagnons de s’arrêter et je m’avance seul vers les canons, mon pavillon blanc à la main, espérant voir enfin les hommes qui épient derrière les meur­ trières venir au-devant de moi. Des trappes s’ouvrent et de jeunes hommes armés surgissent. Ils s’étonnent de me voir et de m’entendre leur demander, en mauvais anglais, de me mettre en rapport avec leur commandant. L’un d’eux, qui sait l’allemand, traduit ma demande qui est transmise au commandement de la IIe division qui opère devant Linz. Ma demande est nette : l’avant-garde des tanks, compo­ sée de 2 ou 3 tanks lourds et autant de tanks légers avec leur équi­ page d’une trentaine de soldats américains, et en outre 500 soldats, doivent aussitôt venir assumer la garde du camp et désarmer les quel­ que 500 SS qui s’y trouvent encore, ainsi que les membres du Volkssturm et les troupes de renfort de la police viennoise. Je donne la garantie au commandant américain qu’aucune résistance n’est à craindre de la part de la population civile. Le commandant me donne son assentiment par radio, en m’avertissant que je suis responsable de la vie de chaque Américain. Mes deux compagnons doivent prendre place dans un tank ; un Américain s’installe à côté de moi dans l’Opel et nous roulons de nouveau vers St Georgen, suivis des autres tanks. Une joyeuse surprise nous accueillit dans cette commune. Les Autorités et la population nous comblèrent de remerciements et les Américains furent reçus comme des libérateurs. Notre arrivée causa la même joie à Gusen. Au camp de Gusen II, je me rends chez le commandant et obtiens sa parole qu’aucun coup de feu ne sera tiré et que l’ordre sera maintenu. Mais il faut d’urgence se rendre à Mauthausen, où les SS, suivant des messages qui me parviennent, intensifient les travaux de défense. Nous passons encore cependant par l'usine d’avions de Gusen où je montre aux Américains les ateliers souterrains et les cou­ loirs chargés de mines. Nous nous dirigeons vers Mauthausen. Je constate avec satisfaction que le système de défense anti-tanks est resté ouvert. J ’ai eu raison de faire confiance à la population. Nous gravissons la grande route en lacets qui mène au fort et déjà l’on aperçoit la tour du crématoire. Le dernier lacet est franchi et comme j ’arrive devant la Kommandantur, le pavillon à croix gammée est abaissé et le drapeau blanc est hissé. Mais la révolte gronde au camp. Les détenus montent sur les toits. Que va-t-il arriver ? Il s’agit main­ tenant de désarmer les SS. Nous sommes soutenus par des milliers de détenus. Les SS sont trop peu nombreux pour offrir une résistance. 141 Le plan a réussi. Les détenus désignés d’avance prennent les armes des SS et les relayent à leurs postes. Des détenus armés gardent leurs bourreaux désarmés. Les coups de crosses pleuvent sur les anciens maîtres du camp. Les détenus sortent des baraques en criant, en hur­ lant et nous portent sur leurs épaules ; nous ne pouvons nous défendre de leurs embrassements — l'un d’eux s'assied sur le capot de ma voi­ ture et le caresse. Au coup de midi, le 5 mai 1945, tous les SS étaient désarmés, de même que les soldats du « Volkssturm » et les troupes de renfort du corps des pompiers de Vienne. Le chaos régnait dans le camp. Les détenus envahissaient les cuisines, pillaient la Kommandantur. Les hommes s’affublaient de plusieurs paires de pantalons, se disputaient une boîte de conserves. C’était un va-et-vient inimagi­ nable. Subitement libérés, ces détenus se comportaient comme une horde de sauvages. Il fallut du temps pour ramener un peu de calme dans le camp. Je songeai à mes propres effets. Dans ma chambre, tout avait disparu : malle, vêtements, linge. Mais le temps presse : il faut encore libérer les camps de Gusen I et II. Je m’y rends, suivi des tanks américains. Le désarmement s’y effectue encore plus rapidement qu’à Mauthausen. Les hommes déposent leurs armes en tas ; deux bidons de benzine sont répandus et une allumette y met le feu. Un cortège de plus de 2.000 détenus se forme dans la rue, mais pas un coup de feu n’est tiré. Les frères d’armes américains me secouent les deux mains et me demandent d’aller avec eux à Gallneukirchen. Cependant un détenu tente de franchir les barbelés. Un Américain tire un coup de revolver dans sa direction pour l’effrayer. Ce coup de feu est le signal d’une panique générale ; c’est la ruée vers les barbelés. Les Américains tentent en vain d’arrêter l’exode du camp comme ils ont pu le faire à Mauthausen. La garde composée de détenus est trop faible. Se sentant libres, les captifs se ruent à travers champs vers les villages et les fermes pour se procurer des vivres et des vêtements. Il y eut des jours et des nuits de terreur. Mais les camps de Gusen et de Mauthausen sont libérés ; la plus grande usine d’avions de l’Autriche n’a pas sauté, des machines pour une valeur de 10 à 20 millions de francs ont été sauvées ; les communes de St Georgen, Gusen et Mauthausen ont été épargnées par la guerre. Le problème que je m’étais posé est résolu : les camps n’ont pas été anéantis, 60.000 êtres humains sont libérés, alors que les Américains ne sont pas encore entrés à Linz où les combats font rage... Les jours suivants, je me vouai à la réorganisation du camp. Les anciens détenus s’administrèrent eux-mêmes, sous la direction des détenus russes. Un comité central fut formé de représentants de toutes les nationalités. La garde du camp fonctionna parfaitement. Un nou­ veau fichier fut constitué, le fichier de la Kommandantur ayant été détruit par les SS. Les 7 et 8 mai, les Américains arrivèrent et prirent en main la direc­ tion des camps de Gusen et de Mauthausen. 142 X I. — Carnet de route d’un délégué-convoyeur du CICR sur son activité en Allemagne, du 16 avril au 12 mai T 9 4 5 (extraits) Le délégué s’est rendu à Dachau aux fins de ravitailler ce camp et d'y installer un délégué permanent. Mercredi 18 avril 1945. — Départ pour Dachau. Le commandant du camp nous recevra dans l’après-midi. A 14 h. 30, nous nous annon­ çons au corps de garde. Nous ne pouvons être reçus car il y a alerte aérienne. Nous attendons et à 16.00 h. sommes reçus par le com­ mandant du camp, Oberbannführer Weiter. Les points suivants sont à traiter avec lui : 1. Possibilité pour moi d’habiter dans le camp. 2. Possibilité de loger les chauffeurs de la colonne 40 et de garer les camions. 3. Dépôt de vivres et d’essence. 4. Distributions de colis de vivres aux différents kommandos. 5. Contact avec les prisonniers et avec leurs hommes de con­ fiance. 6. Subsistance du personnel CICR. Le contact est froid. Les cigares détendent un peu la raideur de Weiter. Celui-ci nous dit d'emblée qu’il n’y a pas une place dispo­ nible dans son camp, mais qu’il y aurait peut-être possibilité pour nous de loger dans le camp d’instruction des SS, contigu. Dans la cour, que nous voyons des fenêtres du bureau, un peuple de miséreux en haillons, aux pyjamas rayés bleu et blanc, grouille inlassablement. Ils sont là plusieurs milliers dans le vent et la poussière. Nous sortons avec le commandant Weiter, traversons une autre cour bordée de magasins, dépôts et garages où s’affairent des SS et des détenus. On charge un immense camion à gazogène avec du pain. Ces quelques détenus ne paraissent pas avoir trop mauvaise mine. D’autres, que nous avons vus dehors faisaient moins bonne impression. Nous remontons en voiture et arrivons à la caserne principale des SS. Après un moment d’attente, nous sommes reçus par un autre Hauptbannführer. Les pourparlers reprennent. Pour finir, il est décidé que : 1. Je logerai à la'baraque ’203, chambre°3, quartier des officiers. 2. Les chauffeurs logeront à la Hauptkaserne, chambre 331, 4° étage ; ... 8. Il sera interdit de s’entretenir avec des détenus hors de la présence d’un SS désigné à cet effet ; 143 g. Nous aurons à effectuer, outre les courses de ravitaillement, le transport des malades, des kommandos à l’infirmerie du camp ; io. A l’occasion, et d’une manière exceptionnelle, nous trans­ porterons les vivres et vêtements du camp aux kommandos de travail — Lansberg par exemple. A 17.30, les pourparlers sont terminés ; je reste seul au camp... Vendredi 20 avril 1945. — J ’essaie d’entrer en contact avec le chef de la délégation du CICR par téléphone, depuis la caserne des SS. Impossible, les lignes téléphoniques sont « dérangées ». Je retourne voir le commandant du camp, je désire parler aux hommes de con­ fiance qui sont sur place. Après trois démarches, je suis reçu. Ma demande est refusée. Je demande alors à entrer dans le camp, accompagné d’un SS ; cela m’est refusé. Je demande à pouvoir parler aux prisonniers qui tra­ vaillent en dehors du camp ; cela m’est également refusé par l’adju­ dant du commandant du camp, l’Obersturmführer Otto. Je retourne alors au camp d’instruction et essaie de faire connaissance avec les officiers de SS. C’est difficile. Toutefois, ayant offert une cigarette, j ’arrive à causer avec l’un, puis avec l’autre. Ils ont presque tous leur femme dans le camp. De l’autre côté du mur, dans le camp des détenus, on entend des détonations brèves. Le soir, comme tous les soirs, ces détonations se multiplient... Samedi 21 avril 1945. — A 06.00 h., je pars pour Uffing 1 prendre des instructions. Arrivée vers 09.00 h. Le chef de la délégation me dit que mes camions ont été envoyés à Moosburg... Mardi 24 avril 1945. — A 18 h., départ pour Moosburg, retenir tous les camions qui s’y trouvent jusqu’à l’arrivée du chef de la délégation qui pense recevoir le même soir l’ordre écrit nous per­ mettant d’entrer dans les camps de concentration ainsi que celui qui prescrit l’arrêt de l’évacuation des prisonniers de guerre devant l’avance américaine. A 21 h., arrivée à Moosburg... Jeudi 26 avril 1945.'— 06.00 h. départ pour Moosburg avec le délégué destiné à Mauthausen. Mission : organiser la colonne qui partira ravitailler Mauthausen, faire opérer les chargements de vivres et d’essence, prescrire la route au chef de colonne puis essayer d’entrer à Dachau et d’y laisser un délégué permanent. A 15.30 h. départ pour Dachau. A 17.00 h., arrivée à Dachau; accueil encore froid de l’adjudant du commandant du camp qui dit n’avoir pas reçu d’ordres pour l’entrée d’un délégué au camp. Revenir le lendemain. Retour à Uffing à 21.00 h. 1 A lors q u artier gén éral de la d élég a tio n du C IC R en A llem agn e. 144 Vendredi 27 avril 1945. — 06.00 h., départ pour Moosburg avec mission d'acheter les voitures qui pourraient être utilisables, repasser à Dachau et organiser une colonne pour Mauthausen. Arrivée à Moos­ burg à 08.30 h. L’artillerie alliée tire à moins d’un kilomètre de la route Munich-Moosburg. A 11.00 h., l’homme de confiance français, m’avise qu’une colonne de détenus politiques comprenant des Fran­ çais a passé la nuit à Moosburg et demande qu’on puisse la ravitailler. Ensemble, nous partons immédiatement à sa recherche pendant qu’on charge un camion de colis américains. A 11.45 h. nous sommes de retour ayant trouvé la colonne et repartons tout de suite avec un camion. A 12.30 la distribution commence et dure jusqu’à 14.00 h. C’est le spectacle le plus émouvant qu’il m’ait été donné de voir. Dès que j ’ai eu l’autorisation de distribuer les vivres, j'ai fait inter­ dire l’accès au camion et laissé passer les hommes un à un pour toucher leur colis et entrer dans le pré voisin pour le manger. Les Russes les premiers se sont jetés sur cette nourriture. C’est à grand peine que les gardiens les contenaient, sans quoi le camion eût été mis en pièces. Plusieurs étaient manchots et avaient l’autre main bles­ sée ; entourés de haillons innommables, ils se penchaient pour saisir leurs paquets entre leurs moignons et vous disaient merci en russe ou en je ne sais quelle langue. Spectacle tragique de leur dignité d’homme soudainement retrouvée sous leurs loques. Le corps amaigri, fatigué et pouilleux, mais les yeux graves enfoncés dans les orbites, tous ma­ nifestaient leur joie de pouvoir enfin manger à leur faim. Les Français et les Polonais restaient à l’écart, très dignes, et pas­ sèrent ensuite tranquillement, sans hâte. L’un d'eux me dit dans un souffle, car il était interdit de leur adresser la parole : « Commandant V., prévenez ma femme à la préfecture de Nantes. » Puis le cortège continua. Nous leur avons distribué 807 colis. Ces gens venaient de Buchenwald, marchaient depuis 21 jours et n’avaient rien mangé depuis 5 jours. Le but de leur voyage était Dachau, mais l’officier SS qui les conduisait m’a dit vouloir les con- . duire dans les lignes américaines. Nous avons encore ravitaillé 182 malades de leur colonne à Frei­ sing. Je ne suis pas près d’oublier cette extraordinaire distribution ni l'homme qui est venu au nom de ses camarades remercier la CroixRouge qui leur avait « sauvé la vie », ni l’ovation qui nous fut faite au moment du départ. Retour à Moosburg à 15.00 h. Départ à 16.00 h. pour Dachau. Arrivée à 18.00 h. après une cre­ vaison. Reçu immédiatement par l'Adjudant du commandant de camp. Le ton a changé ; je puis avoir en mains et examiner la liste des détenus qui resteront au camp. Il s’agit de 15.936 Français, Britanni­ ques, Belges, Hollandais, Américains, ressortissants des Dominions bri­ tanniques et Polonais. Les autres : Allemands, Russes, Italiens, Autri145 1 chiens et Balkaniques sont emmenés conformément aux instructions du général Berger, commandant les forces du Sud de l'Allemagne. Si je veux bien repasser demain matin, le camp me sera ouvert ; on me remettra définitivement les listes des prisonniers restants. On désire que la Croix-Rouge remette le camp aux forces alliées qui approchent. En sortant je constate que les véhicules sont chargés et qu’on met la dernière main aux préparatifs d’évacuation. Le commandant Weiter est déjà parti. Il est 19.00 h., les jjremières gouttes de pluie commencent à tomber Au moment où je franchis le corps de garde, l'orage se déchaîne, violent. Je pars pour Uffing. A 7 km. avant d’arriver à Basing, j'aperçois une colonne de femmes, couverture sur la tête qui marchent en direction de Basing. Je remonte lentement la colonne en deman­ dant s’il y a des Françaises. Bersonne ne se détourne pour me ré­ pondre, si grande est la crainte de ces pauvres femmes. En avant marche un groupe d’hommes presque aussi nombreux que celui des femmes. J ’interpelle sèchement un des gardiens en tête qui prend la position devant moi et je lui pose quelques questions. J'apprends que le groupe vient de Dachau et marche sur Mittelvvald. Le gardien prétend ignorer la nationalité de ces gens, mais dit qu’il s'agit de Juifs (j’apprendrai plus tard que c’est faux). Ils ont trois jours de vivres avec eux. Comme personne ne paraît rien porter, sauf les gar­ diens leurs armes, je me demande où sont ces vivres. Je repars, traverse Basing et prends la route de Starnberg ; 10 km. avant d’y arriver, je rencontre une colonne de prisonniers serrés épaule contre épaule et qùi prend toute la largeur de la route. Là où il y a encore des rangs, j ’arrive à compter 8 hommes de front. Je parviens à Starnberg en tête de colonne. Cela fait 10 km. Je ne suis pas sûr qu’il n’y ait plus de colonnes devant moi. J ’ai cons­ tamment demandé s’il y avait des Français et n’ai pas obtenu de réponse. Certains groupes chantaient des chants slaves, nostalgiques, la pluie tombait serrée, abondante, froide ; de loin en loin, un cadavre au bord de la route. Avant Starnberg j’ai vu plusieurs tas de cadavres d’un mètre de haut, peut-être même plus. Il pouvait y avoir 3 à 5 tas rapprochés à l’endroit où je me suis arrêté en dernier lieu pour questionner un gardien. J ’ai entendu plusieurs coups de feu pendant ce trajet de 10 km. La colonne était gardée à droite et à gauche par des hommes armés de fusil. Tous les 6 à 8 m., un gardien sur deux accompagné d’un chien. Tous les 300 m. environ trois ou quatre rangs de 8 gardiens sans chiens... Rentré à Uffing vers 10.00 h. j'ai immédiatement proposé au chef de la délégation de partir avec la moitié d'une colonne de camions 146 qui venait d’arriver, pour ravitailler ces gens dès le lendemain matin, tandis que l’autre moitié irait à Dachau prendre les archives promises et entrerait dans le camp, en attendant que j ’arrive... Samedi 28 avril 1945. — 08.00 h., départ pour rechercher la colonne de détenus. Je vais à Starnberg où je me renseigne. De là à Wolfratshausen. En cours de route, je rencontre quelques débris de la colonne ; des morts, des gens à demi-morts de fatigue dans des haies avec un gardien le fusil baissé. Il pleut toujours depuis la veille au soir ; par moments il neige. A 5 km. de Wolfratshausen, nous sommes arrêtés par un SS qui a blessé une femme allemande. Il nous demande de la conduire à l’infirmerie de Wolfratshausen. Il paraît très énervé. Pendant le trajet, cette femme nous raconte qu’elle a donné du pain à deux Russes, que le SS lui a tiré dessus ; elle ne sait si c’est pour la punir ou s’il a manqué les Russes qui se sont sauvés. Monté à Kôchel par Koenigsdorf sans plus rencontre;- de «pyjamas »; retour à 13.00 h. à Uffing. A 14.00 h., départ avec cinq camions de vivres pour Mittelwald dans l’idée de redescendre par l’autre route, au lieu de celle suivie ce matin, au cas où je ne pourrais réussir à cons­ tituer un dépôt gardé par nous pour nourrir ces gens au passage. N’ayant pu atteindre à Mittelwald aucune autorité compétente, je repars avec les camions par la petite route que je n’avais pas voulu prendre le matin, espérant toujours trouver mes prisonniers. De Kôchel, nous passons par de petites.routes qui ne figurent pas sur la carte. Par trois fois, un camion tombe dans le fossé, la route étant étroite et glissante. Nous finissons par arriver dans une ferme à 7 km. de St Heinrich am Starnbergersee à la tombée de la nuit. Nous sommes complètement bloqués par le flot des colonnes allemandes en retraite. Je décide de laisser là mes camions et de rejoindre Uffing. Après bien des péripéties (chute de la voiture dans un fossé, blocage par les blindés et les camions), je parviens à Uffing à minuit 45. Le chef de la délégation me donne alors l’ordre de ravitailler un train de 2.500 Juifs environ, qui se trouve à la gare de Bernried, près de Tuging. Il a été signalé par la Légation de Suisse, il y a une heure. Ensuite ravitailler un camp de 162 Français près de Tuging... Dimanche 29 avril 1945. — Il est 01.15 h. lorsque je repars pour re­ joindre ma colonne. J ’ai mal aux yeux, car il est très pénible de con­ duire de nuit sans lumière. Le trajet Murnau-Weillheim se fait sans autre incident qu’un arrêt par un homme armé d’une mitraillette qui croit avoir affaire aux Américains. ' A 07.45 h. nous pouvons partir pour Bernried. Nous atteignons enfin Bernried à 08.45 h., trouvons notre train de Juifs et procédons à la distribution des colis. Nous avons distribué 2621 colis. Nous prenons note de nombreux messages pour toutes les parties du monde. A 10.30 h. la distribution est terminée. 147 Je ¿le à la délégation avec un camion pour charger n caisses des­ tinées à Uffing, puis avec un autre camion à Haushofen pour ravi­ tailler les Français ; nous distribuons 209 colis et repartons à 12.50 h. pour rejoindre les camions arrêtés à Bernried. Vu les renseignements obtenus, nous ne pouvons plus passer par Weillheim qui serait occupé depuis ce matin par les Américains, je décide donc de revenir à Uffing avec le colonne qui compte encore deux camions chargés sur cinq. Nous traversons une sorte de « no man’s land » peuplé de temps à autre par des soldats et détachements qui attendent nettement l’arrivée des Américains pour se rendre. Nous circulons par les petits chemins et arrivons sains et saufs à Uffing par Murnau à 14.30 h., une heure et demie avant les Américains, la colonne et le personnel au complet, au plus grand étonnement et à la plus grande joie de chacun... Mercredi 2 mai 1945. — 08.00 h. Départ pour Dachau. Pendant plus de trois heures nous essayons en vain d’y arriver. Nous profitons de notre passage pour voir le train de cadavres qui stationne au bord de la route à 1 km. du camp. De là nous allons sur Moosburg. Retour vers 20.00 à Uffing... Vendredi 4 mai 1945. — Je commande à Moosburg du ravitaille­ ment destiné à un détachement de 160 femmes hollandaises, fran­ çaises et belges, plus 1550 colis destinés à un Stalag français à Wolfratshausen. Nous passons ensuite à Munich voir 59 femmes du commando Agfa... Samedi 5 mai 1945. — Le chef de la délégation est d’accord que j ’essaie de rapatrier les femmes hollandaises du détachement de Wolfratshausen. Avec un peu d’audace, nous espérons que cela réussira. Je quitte Uffing à 07.30 h. et arrive à 10.00 h. à Wolfrats­ hausen après une crevaison. Des prisonniers de guerre français, avec leur amabilité coutumière, me réparent la voiture. Pendant ce temps, je vais voir le comman­ dant du camp où se trouvent ces femmes et l’avise que je suis en possession des autorisations nécessaires pour procéder à ces évacua-tions. On me demande l’ordre écrit, je réponds que les autorisations sont verbales. On me prie alors d’aller au 21e corps d’armée, à Bad Tôlz, muni de la liste des gens à évacuer. Je me rends au camp de Führenwald où se trouvent ces femmes, pour y établir la liste nomi­ native désirée. Cela dure quatre heures. Nous gagnons Bad Tôlz sans autre incident. Quand nous péné­ trons dans le bureau G. 5 nous y trouvons le Dr Fischer qui me dit que tout est en ordre pour nos évacuations, que les ordres écrits se trouvent au Quartier général de la 7e armée... 148 Dimanche 6 mai 1945. — Départ à 09.00 h. pour Münich. Pris con­ tact avec le bureau français de rapatriement pour organiser l’éva­ cuation de 210 détenus politiques français... Lundi y mai 1945. — 05.30 h. départ pour l’Oflag de Murnau pour évacuer les Français qui s'y trouvent au nombre de 210. Un délégué est chargé d'évacuer 250 Français de Moosburg. Ils embarqueront sur la colonne de camions qui partira de ce camp. A Uffing je dispose de 6 camions sur lesquels j ’installe mes 210 Français... Mardi 8 mai 1945. — Départ à 06.00 h. pour Ulm. A Ulm nous devons attendre trois heures pour franchir le pont de bateau. Entre­ temps nous avons recueilli 50 Français qui se dirigeaient vers Ulm, soit à pied, soit à bicyclette ou sur un camion américain. Puis nous partons pour Ravensbourg, Mersebourg, Radolfzell, Constance, Kreuzlingen. Le passage de la frontière a pris deux heures ; il est 21.00 h. quand le train emmène pour Zurich ce convoi de Français... z X I I . — Rapport d'un délégué du CICR sur son activité à Dachau, du 2y avril au 2 mai 1945 I. Voyage avec une colonne d’Uffing à Dachau. II. Répartition des colis de vivres directement aux prisonniers. III. Remise du camp de concentration aux Américains. I. Le 27 avril 1945, je fus chargé de la mission suivante : me rendre au camp de concentration de Dachau et y rester... II. Je fis part à une sentinelle du camp de concentration de Dachau demon désir de parler au commandant du camp. Peu après, je fus reçu par l’adjudant du commandement, lé lieutenant Otto, dans le bureau du Commandant, dans la Kommandantur elle-même, bâtiment n° 109. Je demandai la permission de circuler librement dans le camp de concentration où se trouvent les détenus, mais je dus de nouveau essuyer un échec. Le commandant déclara qu’il ne lui était pas possible de m’accorder une telle autorisation. Il me com­ muniqua de plus que nous ne pourrions l’obtenir que par l’inter­ médiaire du général Kaltenbrunner qui se trouvait à ce moment-là dans les environs de Linz. Le téléphone et le télégraphe ne fonc­ tionnaient plus, ce qui compliquait notablement les choses. Ces messieurs furent très heureux d'apprendre l’arrivée de colis de vivres. Le Commandant me fit connaître son désir concernant le 149 rapatriement immédiat d’environ 17.500 déportés dont l’état de santé était jusqu’alors satisfaisant. Dans ce nombre, il y avait une majorité de Français et de Polonais, à côté d’autres natio­ nalités ; mais les Allemands, Juifs, Russes et Bulgares ne pour­ raient être libérés. Je répondis que je devais commencer par prendre contact avec mon quartier général à Uffing, et cela si possible déjà le lendemain dimanche. Pour terminer le Commandant me pria de faire transporter le plus vite possible une cargaison de colis de vivres dans le nouveau camp de concentration d’Oetzthal, dans le Tyrol. Il ne le nomma pas «camp de concentration», mais «dépôt » (Verlagerung). Nous prîmes congé sans avoir obtenu l’autorisation de distribuer personnellement les colis de vivres aux prisonniers. J ’étais accom­ pagné du lieutenant Otto, alors que M. M. était occupé à faire ren­ trer la colonne dans la cour ; je reçus alors l’autorisation de distri­ buer moi-même les paquets aux déportés, dans la cour de la prison. Une très grande joie régnait naturellement parmi les prisonniers et cela parce que c’était la première fois qu’un délégué du Comité international de la Croix-Rouge avait accès au camp. Des ^offi­ ciers SS restaient toujours dans notre voisinage et avec de grandes difficultés je pus obtenir d’eux quelques renseignements, entre autres que depuis le I er janvier 1945, il y avait eu environ 15.000 cas mortels de typhus, que lors d'un transport de Buchenwald, qui compre• nait 5000 prisonniers, 2700 environ étaient morts à leur arrivée à Dachau. J ’appris de plus que des prisonniers parmi lesquels se trou­ vaient M. Blum, M. Schuschnigg, etc., avaient été emmenés peu de jours auparavant, en même temps que 5 à 6000 autres prisonniers. A mon avis, la chose s’était faite parce que le front de combat se rappro­ chait toujours davantage. Les hommes de confiance des diverses natio­ nalités, assistés de leurs aides, déchargèrent les camions et me signè­ rent les accusés de réception ci-joints... Je passai la nuit dans la baraque n° 203, chambre n° 3 ; cette baraque ne se trouve pas dans le camp de prisonniers. La nuit de samedi à dimanche fut agitée à cause du vacarme de la bataille qui se rapprochait toujours davantage. En outre, dans les autres baraques se trouvaient beaucoup de troupes SS qui devaient se préparer à aller au combat ou qui avaient d'autres tâches à accomplir. Mais tout cela, je ne l'appris que le dimanche matin. L’atmosphère était étrange ; où qu’on regardât, on apercevait des indications qui permettaient de penser que les troupes qui s’étaient trouvées dans ces baraques avaient fui et de plus, le bruit de la bataille se rapprochait toujours. En arrivant vers 10.30 h., à l’entrée principale du camp de concentration, je rencontrai des soldats qui montaient la garde, un drapeau blanc flottait sur une des tours principales. La plupart des officiers, soldats et employés avaient pris la fuite pendant la nuit. IS O III. Je restai avec le lieutenant Wickert jusqu’à la remise du camp aux Américains. Il avait l’intention, lui et ses soldats, d’abandonner le grand camp de 35 à 40.000 prisonniers et ce n’est qu’après de longs pourparlers que je réussis à lui faire changer d’avis, mais aux conditions suivantes : les sentinelles devaient rester sur les tours afin de tenir en échec les prisonniers et de les empêcher de s’enfuir ; les soldats qui n’étaient pas de garde devaient se déplacer dans la cour, sans armes ; toute cette garnison devait avoir la retraite assurée vers ses propres lignes de bataille. Ces conditions furent heureusement observées, car autrement, il serait arrivé un grand malheur : si des milliers de déportés avaient pu s’évader, animés de sentiments de vengeance, la population de Dorten et toute la région avoisinante auraient eu à souffrir ; l’on ne pouvait prévoir, d’autre part, tout le mal qu’aurait occasionné l’extension des épidémies. Le vacarme de la bataille devenait insupportable ; je remar­ quai qu’elle avait pour théâtre l’espace se trouvant devant les murs mêmes du camp de concentration. Je pris alors la décision suivante : je trouvai un manche à balai et y fixai une serviette blanche. Je priai alors un officier allemand de m’accompagner et nous franchîmes le portail du camp de concentration. Les balles sifflaient autour de nous. Peu après, je vis une section motorisée américaine dont j ’atti­ rai l’attention en agitant le drapeau blanc. Bientôt nous fûmes entourés par diverses automobiles militaires américaines. Je me pré­ sentai. Le général me pria tout d’abord d’aller prendre quelques photos de presse en compagnie de l’officier allemand et en parti­ culier celle d’un train tout rempli de cadavres. Ainsi que je l’ai appris par la suite, c’était un train de prisonniers de Buchenwald ; il y avait là 500 cadavres. A mon avis, beaucoup d’entre ces hommes avaient été tués tandis que d’autres étaient probablement morts de faim. J'ai fait alors la connaissance du major Every et je lui ai commu­ niqué le plan de remise du camp aux Américains, en le priant de le transmettre au général. Nous rentrâmes avec la voiture dans la cour du camp de concentration où se trouvaient déjà quelques Américains. Celles des troupes allemandes qui n’étaient pas de garde s’étaient déjà rendues. Les milliers de déportés, une foule en désordre, étaient hors d’eux et fous de joie de se savoir libérés. Les sentinelles sur les tours furent aussi remplacées. Dans une petite cour extérieure, quel­ ques coups furent encore tirés et il y eut quelques tués de chaque côté. Je me mis en rapport personnellement avec le général américain. Je lui exposai le plan de remise du camp et je reçus son assentiment. La joie des déportés ne connut plus de bornes, beaucoup se présen­ ifii tèrent en armes et prêts, semblait-il, à exercer une vengeance immédiate contre les Allemands. Ceux qui portaient des armes furent immédiatement désarmés. La foule réussit à arracher les grandes grilles de barbelés. Les uns profitèrent de leur libération pour s’évader tandis que d’autres embrassaient les soldats américains ; pour ramener un certain calme, ceux-ci furent forcés de tirer par-dessus la tête des déportés. Les officiers responsables se mirent également en rapport avec le doyen du camp et les divers hommes de confiance. Vers 22 heures, le camp était redevenu plus calme, mais bien des coups sont encore partis cette nuit-là. Vers minuit, je me rendis enfin dans mon logement, où à la Kommandantur j'occupais la chambre du commandant de camp allemand. Je m’aperçus alors que mes malles avaient été forcées et qu’il me man­ quait divers objets et une somme de Fr. s. 200.—. Le lündi 20 avril I 945. je me mis en rapport avec les divers officiers américains res­ ponsables ainsi qu’avec les hommes de confiance. Je me renseignai immédiatement au sujet du ravitaillement. Il y avait assez à manger pour les premiers jours. Je chargeai alors les hommes de confiance de dresser la liste des occupants de ce camp. Mardi I er mai 1945, nous reçûmes la visite de deux membres de notre légation qui vinrent faire une courte visite et nous visitâmes alors la prison, le crématoire où nous vîmes dans une grande chambre des centaines de cadavres empilés les uns sur les autres et tous nus. Nous visitâmes également la chambre du bourreau, la chambre à gaz, les fours crématoires, etc. Je passai le reste de ce jour avec les officiers américains et les hommes de confiance. Mercredi 2 mai 1945, j ’ai eu affaire presque uniquement au quar­ tier général américain où durent être débattues les questions les plus diverses. On me demanda d’amener aussi rapidement que pos­ sible de grandes quantités de ravitaillement et de médicaments. Le major Batt, officier responsable pour le ravitaillement, m’exprima toute sa reconnaissance pour les efforts faits par le Comité interna­ tional de la Croix-Rouge et l’assistance qu’il apporte. En revenant dans ma chambre tard dans l’après-midi, je dus malheureusement constater que j ’avais été volé une seconde fois. J ’ai déjà rapporté les listes de Polonais et de Hollandais ainsi qu'une liste d’environ 160 femmes juives. X I I I . — Rapport d'un délégué du CICR, sur la libération du camp de Turckheitn près de Landsberg Les camps de Landsberg, placés sous le commandement de l’Obersturmbandführer Foerstner, étaient formés de dix camps différents, séparés les uns des autres. Les détenus au nombre de 15.000 environ étaient des Juifs de toutes nationalités, avec une majorité de Hongrois et de Polonais. Le 26 avril 1945, nous nous sommes rendus à Landsberg et nous avons pu constater que les camps avaient été évacués, à l’exception de 500 personnes, à Turckheim. L’évacuation de ces détenus se poursuivait et tous les Juifs avaient de grandes craintes d’être fusillés. Nous avons demandé au commandant Foerstner le retour à Landsberg des 15.000 personnes transférées à Dachau. Le comman­ dant nous a opposé un refus en disant que les ordres supérieurs qu’il avait reçus ne lui permettaient pas de ramener les détenus à Landsberg. De retour à Turckheim, j'ai ouvert le camp et fait sortir tous les détenus, qui se sont réfugiés dans les forêts environnantes, dans un rayon de 10 km. Seules, 200 personnes ont préféré rester au camp. J ’ai passé la nuit dans une baraque du camp. A deux heures du matin, les Américains ont ouvert le feu contre les Allemands ; le combat s’est déroulé au camp même et a duré trois heures. A l’issue de cette rencontre, beaucoup de cadavres jonchaient le terrain. J'ai ramassé des blessés gravement atteints et que j'ai pu placer dans des maisons environnantes. Il a fallu quelques jours avant d’avoir la possibilité de les transporter dans un lazaret où ils ont été placés sous la garde d'un médecin allemand. Les vivres faisant totalement défaut au camp, je me suis rendu auprès du Burgermeister Zwick, parent de Julius Streicher, en lui demandant de façon pressante de fournir des vivres au camp. M. Zwick a accédé à cette requête et a fait de son mieux. Je me suis d’autre part rendu à la fabrique de chaussures Salamander et j ’ai pu obtenir 500 paires de souliers. J ’ai, par ailleurs, réquisitionné dans un dépôt une certaine quantité de vêtements et nous avons pu également obtenir la semaine suivante un second lot en tissus d’été, si bien que les détenus ont pu troquer leurs pyjamas de détenus politiques contre des vêtements décents. L’état sanitaire du camp est lamentable. Les malades atteints de typhus exanthématique sont au nombre de 80. J ’ai pu les transporter avec l’assistance des Américains au ParkHotel à Woerishofen. Les vaccins manquant complètement, le nombre des morts est de 3 à 4 par semaine. Les détenus qui ne sont pas malades n’ont cependant presque plus la force de manger. Le médecin du camp est le Dr Ratz, qui est un Juif originaire de Vienne. Une grande partie des détenus logent actuellement chez les paysans des alentours et viennent se ravitailler au camp. J ’ai dû faire presque tous les trajets à pied, soit 40 km par jour en moyenne, en raison du manque total de moyens de transport. 153 J ’ai été pendant une nuit le prisonnier d’une cinquantaine de pri­ sonniers de guerre et de travailleurs russes qui m’ont enfermé dans une ferme. J ’ai pu dresser jusqu’ici la liste de 3.000 personnes qui se trouvent actuellement près de Landsberg. En ce qui concerne les morts, les tombes qui se trouvent dans le cimetière ne portent pas de noms et la plupart des personnes décédées ne sont pas identifiables. Quant au rapatriement, les détenus ne peuvent pas attendre qu’il soit organisé et ils partent, sans papiers, sur les routes. 154 TABLE DES M ATIÈRES P I r e m iè r e pa r t ie ........................................................................... ' ............................................................ 3 P rem ière guerre m o n d ia le ............................................................................... 5 P ériode de 1 9 1 8 à 1 9 3 9 ................................................................................... 7 Seconde guerre m o n d i a l e ............................................................................... 10 n t r o d u c t io n P rem ière p h ase ............................................................................... D e u x iè m e p h a se ................................................................................................... T roisièm e p h a s e ............................................................................................. Q u atrièm e p h a s e ........................................................................................ D D o c u m e n t s e u x iè m e II 14 16 22 p a r t ie ................................................................................................................. 27 P rem ière p h a s e .................................................................................................. 28 D e u x iè m e p h a se ............................................................................................. • 3g T roisièm e p h a s e .................................................................................................. 50 Q u atrièm e p h a s e ............................................................................................. 76 T R a ppo r t s C r o ix -R d é t e n u s d e d é l é g u é s o u g e d a n s r o is iè m e d u su r l e u r d e s cam ps C o m it é a c t iv it é d e pa r t ie in t e r n a t io n a l e n f a v e u r c o n c e n t r a t io n e n d e s A d e la c iv il s l le m a g n e 8g I. R a p p o rt sur une v is ite au C o m m a n d a n t du ca m p d ’A u s­ ch w itz (sep tem b re 1 9 4 4 ) ..................................................................... II . gi R a p p o rt sur les p ou rp arlers d e la d é lé g a tio n du C IC R à B erlin a v ec les A u to r ité s a lle m a n d e s ............................................. g2 155 Pages I I I . R a p p o rt su r le ra p a tr ie m en t d es d é te n u e s du ca m p de R a v e n s b r ü c k ................................................................................ 105 IV . R a p p o rt sur la v is ite d ’un d élég u é au ca m p de R a v e n s­ brück pou r te n te r d ’en em p êch er l ’é v a c u a tio n e t sur les I ll év a c u é s d ’O ra n ien b u rg ............................................................. V. V I. V II. R a p p o rt sur l ’é v a c u a tio n du ca m p d ’O ranienburg . . . 120 R a p p o rt sur le r a v ita ille m e n t des é v a cu és d ’O ranienburg e t de R a v e n s b r ü c k ................................................................. 123 R a p p o rt sur le ca m p de T h e r e s ie n s t a d t .................... 130 V I I I . R a p p o rt sur le s d éten u s p o litiq u e s se tr o u v a n t d a n s les ■ p rison s d e B e r l i n ..................................................................... 133 IX . CICR R a p p o rt sur le ca m p d e M a u th a u se n .............................. 134 X. R a p p o rt sur la lib éra tio n du ca m p de M a u th a u sen . . . 136 X I. C arnet de ro u te d ’un d é lé g u é-c o n v o y e u r d u X I C R . . . 143 X II. R a p p o rt sur le ca m p de D a c h a u ........................................ 149 X III. R a p p o rt sur le ca m p de T u r c k h e i m .............................. 152 BIBLIOTHEQUE