COMITATO INTERNAZIONALE DELLA CROCE ROSSA
1939-1945
Sull’attività del Comitato internazionale della Croce-Rossa
che favorisce la detenzione civile nei campi di
concentramento in Germania
DOCUMENTI
>
i
*i
t
C O M IT É IN T E R N A T IO N A L D E LA C R O IX -R O U G E
DOCUMENTS
sur l’a c tiv ité du C o m ité in tern a tio n a l de la
C r o ix -R o u g e
en fa v e u r
d es c iv ils
d éten u s
d an s les cam p s de co n cen tra tio n en A llem a g n e
(1 9 3 9 -1 9 4 5 )
+
TROISIÈME
ÉDITION
GENÈVE
Avril 1947
zjj
//"
/
C O M IT É IN T E R N A T IO N A L D E LA C R O IX -R O U G E
DOCUMENTS
su r l’a c tiv ité d u C o m ité in ter n a tio n a l de la
C r o ix -R o u g e
en fa v e u r
d es c iv ils
d éten u s
d a n s le s cam p s de co n cen tra tio n en A llem a g n e
(1 9 3 9 -1 9 4 5 )
j
TROISIÈME
ÉDITION
GENÈVE
DOCUMENTS
sur l’activité du Comité international de la Croix-Rouge
en faveur des civils détenus dans les camps de concentration
en Allemagne (1939-1945)
P R E M IÈ R E P A R T IE
IN T R O D U C T IO N
Désireux de répondre à diverses questions qui lui sont posées par
des Autorités gouvernementales, des Sociétés nationales de la CroixRouge, des associations et des particuliers, le Comité international
de la Croix-Rouge a jugé devoir publier une suite des plus impor
tants documents de ses archives, propres à illustrer l’activité qù’il a „
déployée pendant la guerre en faveur des civils en mains ennemies
et notamment en faveur de ceux qui étaient détenus en Allemagne
dans des camps de concentration 1.
I l a paru nécessaire de faire précéder ces documents d’une brève
introduction décrivant la situation générale des civils en mains
ennemies, lors de la première guerre mondiale, et son évolution
pendant le récent conflit. Le régime auquel ces civils étaient soumis,
allait de la liberté relative et de l’internement à celui de la détention
dans des camps de concentration. Cette introduction relate égale
ment les efforts entrepris par le Comité international, en vertu de
son droit d’initiative humanitaire, pour tenter d’assurer à ces
civils une certaine protection et améliorer leur sort.
Dans son œuvre pour les détenus des camps de concentration
— à laquelle se rapportent la plupart des documents que nous
publions ici — le Comité international a rencontré des difficultés
très ardues et parfois insurmontables. A ucun instrument de droit
1 Voir page 27.
3
international n ’assurait, en effet, à ces détenus une -protection effec
tive et ne sanctionnait une intervention de la Croix-Rouge en leur
faveur.
D ’autre part, le Comité international déployait en Allemagne,
comme dans la plupart des autres pays, une importante activité,
conforme à sa mission primordiale, au bénéfice des nombreux pri
sonniers de guerre internés dans ce pays. Cette activité était la plus
efficace parce que reconnue par les belligérants sur la base d’une
complète réciprocité et fondée sur les Conventions internationales
dont les Etats intéressés sont signataires.
I l ne pouvait donc pas formuler en faveur des civils des exi. gences impératives —• que les Autorités allemandes, vu leur attitude
générale, auraient jugées intolérables — sans par là compromettre
l’ensemble de son activité pour les prisonniers, qu’il était en mesure
d’exercer de façon satisfaisante dans son ensemble. I l dut même
tenir compte de la menace, évoquée à plusieurs reprises par ces
Autorités, de suspendre l’application de la Convention de 192g rela
tive au traitement des prisonniers de guerre.
Le Comité international ne pouvait donc user que d’arguments
*de patiente persuasion et de sa force morale, ne possédant pas tous
les pouvoirs qu’on est enclin à lui attribuer.
I l a d’ailleurs pu constater en maintes occasions que des pro
testations publiques, réclamées parfois par l'opinion, sont malheu
reusement stériles et même susceptibles de compromettre ce qrie la
Croix-Rouge peut accomplir utilement. A ussi considère-t-il que t
son devoir primordial est d’apporter partout où il le peut une aide
pratique et efficace.
C’est pourquoi, dans ses efforts en faveur des détenus se trouvant
en Allemagne dans les camps de concentration, le Comité inter
national, agissant selon les circonstances et suivant de près l’évo
lution de la situation politique, n ’a pas manqué de saisir toutes
les occasions et de tirer parti de toutes les possibilités qui s’offraient
à lui pour obtenir des résultats tangibles que, si faibles soient-ils
en regard des maux à soulager, il est le seul peut-être à avoir
atteints. C’est ainsi qu’il a peu à peu préparé les négociations qui
ont, dans la phase ultime des hostilités, ouvert à ses délégués et à
ses camions les portes de certains camps de concentration.
4
Première guerre mondiale
Ju sq u ’à une époque relativem ent récente, le droit de la guerre
était fondé sur le principe que les opérations militaires doivent
se lim iter aux forces armées et que la population civile jouit
d ’une im m unité générale. Cette notion était si largement admise
que la Conférence de La Haye, en 1907, renonça à l'idée d ’in
troduire dans le Règlement sur les lois et coutumes de la guerre
sur terre une disposition qui aurait précisé que « les ressortis
sants d ’un belligérant h abitant sur le territoire de la partie
adverse ne seront pas internés », jugeant que ce principe était
hors de discussion.
Cependant, la guerre de 1914 allait profondément modifier la
conception traditionnelle. Dès l’ouverture des hostilités, en effet,
la plupart des E tats fermèrent leurs frontières, retinrent sur
leur territoire tous les étrangers et internèrent les civils de natio
nalité ennemie.
Dans le rapport qu’il a présenté à la X e Conférence inter
nationale de la Croix-Rouge, le Comité international s’exprim ait
à leur sujet de la façon suivante :
« Des civils se virent assimilés d ’une heure à l’autre à des
criminels, conduits dans des camps de concentration ou dans des
dépôts plus ou moins improvisés, absolument insuffisants. Ici,
hommes, femmes, enfants, malades, gens de toutes conditions,
entassés dans une promiscuité lam entable et privés de toute
espèce de confort, ont vu ce provisoire se perpétuer, tandis que
l’indifférence, quand ce n 'éta it pas la haine et les menaces, leur
étaient largem ent prodiguées. Des mesures qui, au début, sem
blaient devoir viser à la sécurité de l'E ta t et se justifier de ce
fait, si elles n ’avaient été que temporaires, se sont transformées
bientôt en un instrum ent de représailles et de rétorsions, faisant
du civil capturé un simple gage entre les mains du détenteur.
A l'intérieur des E tats même, rien ne semblait avoir été prévu
pour régler le sort des internés civils. »
Aussi, dès le début des hostilités de 1914, les demandes de
nouvelles et d'intervention relatives à des civils affluèrent-elles
à Genève. Le Comité international qui s’occupait d ’organiser
5
l’Agence internationale des prisonniers de guerre, se trouva sou
dain devant une tâche imprévue et nouvelle qui s’im posait à
lui. Cependant il n ’hésita pas et mit sur pied, dans le cadre de
l'Agence, une section chargée d ’obtenir des renseignements sur
les civils internés, évacués et déportés. La tâche était ardue,
car tandis que les listes des prisonniers militaires étaient tran s
mises régulièrement à l’Agence, aucune liste d ’internés civils
n ’était établie ni prévue. Ce ne fut q u 'à la suite de démarches
réitérées du Comité international que certains Gouvernements
consentirent à inscrire les civils internés sur les listes de prison
niers. Mais d’autres s’y refusèrent et ne répondaient pas aux
demandes d ’enquêtes faites à leur sujet, laissant ainsi les familles
dans la plus douloureuse angoisse.
La Section civile de l’Agence à Genève s’occupa d ’obtenir des
Autorités détentrices que les internés fussent autorisés à tran s
m ettre des messages sommaires à leurs parents domiciliés en
territoires ennemis ou occupés p ar l’adversaire, soit sous la
forme de brèves lettres originales acheminées vers les desti
nataires par l’Agence, soit en transcrivant des nouvelles sur des
formulaires spéciaux établis par ses soins.
De plus, le Comité international organisa la visite de camps
d ’internés civils par ses délégués ou ceux de pays neutres. Mais,
pour toutes ces démarches et interventions, le Comité inter
national ne pouvait s’appuyer sur aucun texte de droit positif.
Quelques conventions particulières ad hoc furent cependant
conclues pendant les hostilités ; une des premières fut établie à
Genève sous les auspices du Comité international, en 1917, par
les représentants des Croix-Rouges bulgare et serbe. Mais la
plupart furent passées par l’intermédiaire de Gouvernements
neutres et notam m ent du Gouvernement suisse. Ces conventions
conclues pour la durée des hostilités, devinrent caduques après
la conclusion de l’armistice de 1918.
6
Période de 1918 à 1939
La fin des hostilités survenue, le Comité international étudia
les moyens d ’éviter le retour d ’une situation aussi douloureuse.
A cet effet, il proposa, en 1921, à la Xe Conférence internationale
de la Croix-Rouge, réunie à Genève1, que le texte d ’une conven
tion protégeant les civils ennemis et les populations des régions
occupées fût étudié en même tem ps que le sta tu t des prisonniers
de guerre. Le rapport qu’il présenta dans ce sens devait servir
de base à un « Code des prisonniers de guerre, déportés et réfu
giés », com prenant, outre les dispositions relatives au sta tu t des
prisonniers de guerre, des articles relatifs aux populations civiles
des territoires tombés au pouvoir de l’ennemi. Ces articles limi
taient notam m ent le droit de l’occupant quant aux déporta
tions, aux évacuations des populations et aux prises d ’otages.
Les représentants des Sociétés nationales de la Croix-Rouge
et des Gouvernements qui participèrent à la X e Conférence
acceptèrent à l’unanim ité les propositions du Comité inter
national et le chargèrent d ’élaborer sans délai le texte d ’un
projet de convention, selon les principes énoncés. Les travaux
aboutirent cependant, en fait, à l’établissement de deux projets
séparés : l’un relatif au sta tu t des prisonniers de guerre (avant- •
projet de la Convention de 1929), l’autre relatif au sta tu t des
civils (ébauche du Projet dit de Tokio, dont il sera parlé plus
loin), la disjonction des sujets en deux instrum ents distincts
ayant été en définitive adoptée par les auteurs des projets.
En exécution de son m andat, le Comité international ne m an
qua pas de prendre aussitôt toutes les dispositions utiles en vue
de réaliser les vœ ux de la X e Conférence. Néanmoins, il ne
lui fut pas possible alors de faire passer ses suggestions dans le
domaine des réalisations. Nombreux en effet étaient ceux qui,
m ettant tous leurs espoirs dans l’idée du désarmement général
des nations, ne voulaient plus envisager la possibilité d'une
1 L a C onférence in te r n a tio n a le de la C roix -R o u g e, q u i grou p e le s rep ré
se n ta n ts de to u te s les S o c ié té s n a tio n a le s de la C roix-R ou ge, d u C om ité
in te r n a tio n a l, d e la L ig u e d es S o cié té s d e la C ro ix -R o u g e e t d es G ou ver
n em en ts, e st la p lu s h a u te a u to r ité d élib éra n te d e la C ro ix -R o u g e. E lle
se réu n it en p rin cip e to u s les q u a tre a n s.
7
guerre. Diverses personnalités officielles firent valoir auprès
du Comité international que le moment paraissait inopportun
pour proposer aux Gouvernements l’élaboration d ’un statu t
des civils en temps de guerre et qu’une telle initiative pour
rait même être considérée comme desservant la cause de la
paix que soutenait la Société des Nations. L ’introduction dans
le droit international d ’un nouveau chapitre fondé sur l’ex
tension possible de la guerre à des non-belligérants ne semblait
guère compatible avec les efforts du moment qui tendaient
au contraire à limiter la notion même de belligérant.
C’est la raison pour laquelle, contrairem ent au vœu du Comité
international, la Conférence diplomatique réunie à Genève en
1929 par les soins du Conseil fédéral suisse ne s’occupa que du
sort des prisonniers de guerre, en faveur desquels fut conclue la
Convention relative à leur traitem ent sur la base du projet
établi par le Comité in tern atio n al1. Cependant, sur les instances
de ce dernier, le vœu suivant fut inscrit dans l'Acte final :
« La Conférence, faisant siennes les résolutions unanimes de
ses deux commissions générales, exprime le vœu que des
études approfondies soient entreprises en vue de la conclusion
d ’une convention internationale concernant la condition et la
protection de civils de nationalité ennemie qui se trouvent
sur le territoire d’un belligérant ou sur un territoire occupé
par lui ».
La X IV e Conférence internationale de la Croix-Rouge, réunie
à Bruxelles en 1930, confirma au Comité international le m andat
de poursuivre la tâche qu’il avait entreprise pour la protection
des civils de nationalité ennemie.
Une commission constituée par le Comité international élabora
alors, dans le cadre des principes posés par les Conférences anté
rieures, le projet qui fut soumis à la XVe Conférence inter
nationale de la Croix-Rouge, réunie à Tokio en 1934, et qui est
connu sous le nom de « Projet de Tokio ». Ce projet de convention
1 R a p p elo n s q u ’une C onférence d ip lo m a tiq u e e st un e réu n ion de repré
s e n ta n ts au torisés d es E ta ts . E lle a p ou r o b je t n o ta m m e n t la co n clu sio n
ou la rév isio n d e c o n v e n tio n s in tern a tio n a le s.
8
confirmait et développait les principes que, de 1920 à 1925, le
Comité international avait toujours soutenus, à savoir la limi
tation de l’internem ent aux civils mobilisables ou suspects ; la
possibilité pour ceux qui en exprim ent le vœu de rentrer dans
leur patrie ; la proscription des évacuations massives ainsi que
celle des déportations individuelles qui ne seraient pas fondées
sur des motifs précis et déterminés ; la possibilité pour les civils
qui restent sur le territoire ennemi de jouir de leur liberté, sous
réserve de mesures de contrôle et de sécurité qui pourraient être
jugées nécessaires ; enfin, l'application aux civils, qui seraient
internés, d ’un traitem ent au moins aussi favorable que celui des
prisonniers de guerre, la Convention de Genève leur étant au
surplus applicable, par analogie, dans la mesure où elle l’est
à des civils. Le projet prévoyait, quant à l’application de la
future convention, les mêmes mesures de contrôle que celles
qu’a établies la Convention de 1929 relative au traitem ent des
prisonniers de guerre.
Le projet du Comité international fut adopté d ’emblée par
la XVe Conférence réunie à Tokio, comme base de négociations
diplomatiques et le Comité international reçut de la XVe Con
férence le m andat de se m ettre, dans le plus bref délai possible,
en rapport avec le Gouvernement suisse en vue de réunir au plus
tô t une Conférence diplomatique analogue à celle qui, en 1929,
aboutit à la Convention relative au traitem ent des prisonniers
de guerre. Il ne dépendit malheureusement pas du Comité in ter
national que cette Conférence p û t être réunie à bref délai.
Comme on n ’envisageait pas la possibilité d ’un conflit imminent,
le caractère d ’urgence d'une telle Conférence était loin d ’appa
raître à tous les yeux. Aussi les réponses à l’invitation du Gou
vernem ent suisse se firent-elles attendre. Ce n ’est qu’au cours
de l’année 1939 que l’adhésion des E tats invités perm it de
fixer la date de la Conférence au début de 1940 à Genève.
L ’ouverture des hostilités, comme on le sait, mit obstacle à
ce projet.
9
Seconde guerre mondiale
On peut distinguer plusieurs phases dans l’action du Comité
international en faveur des civils de nationalité ennemie durant
le dernier conflit.
La première phase (de septembre 1939 au printem ps 1940)
est caractérisée par les démarches générales du Comité inter
national tendant à obtenir des Puissances belligérantes, au
début de la guerre, l’adoption tem poraire du Projet de Tokio
ou, à son défaut, l’application aux internés civils des disposi
tions de la Convention de 1929 relative aux prisonniers de guerre.
Les interventions du Comité durant cette période s’exercent
favorablement et des résultats substantiels "sont obtenus
au profit des civils internés, ou surveillés en raison de leur
nationalité, par les deux groupes de belligérants.
La deuxième phase (1940-1943) correspond à l'occupation
de la majeure partie de l’Europe par les E tats de l’Axe. Des
millions de civils tom bent ainsi sous la dépendance d ’un seul
groupe de belligérants. L ’équilibre se trouvant ainsi rompu
entre les Puissances adverses, ces civils sont de plus en plus
exposés à l'arbitraire des Autorités occupantes, la réciprocité
n ’exerçant plus guère son influence modératrice. L’activité
du Comité international en faveur des civils se trouve entravée
par des difficultés accrues. ■
Dans la troisième phase (1943-1945), le Comité international,
dont les interventions générales et officielles en faveur des déte
nus civils se heurtent invariablem ent à des fins de non-recevoir,
s’efforce d’alléger leur sort en m ultipliant des actions de caractère
pratique et local.
En 1944, les Autorités allemandes, en raison de l’évolution de
la situation politique et militaire, et dès l’occupation d’une
parcelle du territoire allemand par les forces alliées, se décident
enfin à accorder certaines facilités, notam m ent en perm ettant
l'envoi dans les camps de concentration des colis de secours
individuels, puis collectifs.
La quatrièm e phase (1945) est marquée par les concessions
capitales que le Gouvernement allemand se résoud à accorder
10
pendant les trois derniers mois de la guerre et notam m ent
par les accords conclus en Allemagne par le Président du Comité
international de la Croix-Rouge, accords qui ouvrent pour la
première fois les camps de concentration aux délégués du Comité.
Première phase 1
Lorsque la seconde guerre mondiale éclata, en septembre
1939, des centaines de milliers de civils en territoire ennemi se
trouvèrent dépourvus de toute protection conventionnelle.
Comme en 1914, le Comité international te n ta aussitôt d ’assu
rer à ces civils une certaine protection et, par d ’inlassables
démarches, il réussit à faire adm ettre par la plupart des E ta ts
belligérants certaines garanties minimums en leur faveur.
Les civils qu’il s’agissait de protéger appartenaient à deux
catégories distinctes :
1) Les civils de nationalité ennemie se tro u v an t à l'ouver
ture des hostilités sur le territoire d'un belligérant ;
2) Les civils ressortissant à un pays occupé p ar l'ennemi 2.
Remarquons à ce propos que le Comité international s’en est
toujours tenu au principe — et n ’a cessé de chercher à le faire
prévaloir — que tous les civils quels qu’ils soient doivent avoir
droit aux mêmes garanties, sans distinction de race, de con
fession ou d ’opinion politique. Si, dans la pratique, et faute d ’un
texte conventionnel, le Comité a dû parfois adm ettre certaines
distinctions, c’est que celles-ci lui furent imposées par la Puis
sance détentrice.
Alors que les civils de la secçnde catégorie peuvent se réclamer
de la très insuffisante protection des articles 44 et suivants de
la section I II de l’annexe à la IVe Convention de La Haye de
1907, qui traiten t de « l’Autorité militaire sur le territoire de
l’E ta t ennemi », les civils de la première catégorie ne jouissent
d ’aucune protection.
1 V oir p age 28.
2 L es civ ils en n em is r ésid a n t d an s u n p a y s o ccu p é m ais étra n g ers à
ce p a y s, te ls que, p ar ex em p le , le s c iv ils d e n a tio n a lité b rita n n iq u e se
tr o u v a n t en F ran ce occu p ée, p e u v e n t être r a tta c h é s à la p rem ière c a t é
gorie. Ils fu ren t d ’ailleu rs tr a ité s de la m êm e m an ière.
II
Le Projet de Tokio, s’il avait été adopté à temps, aurait
assuré aux civils des deux catégories une protection au moins
égale à celle qu’a assurée aux prisonniers de guerre la Convention
du 27 juillet 1929.
Dès le 4 septembre 1939, le Comité international, fort de
l’adhésion de principe que son projet de convention avait
obtenue à Tokio, proposait aux Gouvernements des E tats belli
gérants d ’établir, sur la base de ce projet, un sta tu t général
englobant les deux catégories de civils ennemis, à savoir ceux
qui se trouvent sur le territoire de ces E tats et ceux qui résident
sur un territoire soumis, à quelque titre que ce soit, à la souve
raineté de ces E tats. Il suggérait, à cet effet, soit la conclusion
d ’accords bilatéraux ad hoc soit l’application anticipée et limitée
à la seule durée du conflit actuel des dispositions du Projet de
Tokio 1.
P ar son mémorandum du 21 octobre 1939, le Comité inter
national, tout en reprenant ses propositions du 4 septembre,
suggérait en outre aux Gouvernements l’adoption d ’une solu
tion subsidiaire en faveur des civils se trouvant à l’ouverture
des hostilités en territoire ennemi, au cas où ceux-ci seraient
internés : l’application à ces internés civils des dispositions de
la Convention de 1929 relative au traitem ent des prisonniers
de guerre, pour au tan t qu’elles ne sont pas applicables aux
militaires seulement 2. Cette assimilation entraînait la commu
nication à l’Agence centrale des prisonniers de guerre, par l’E ta t
détenteur, des listes nominatives des civils internés et des ren
seignements les concernant (articles 77 et 79 de la Convention)
et la visite de leurs camps par les délégués du Comité inter
national de la Croix-Rouge ou des Puissances protectrices.
Parallèlement à ses démarches auprès des Gouvernements des
E tats belligérants, le Comité international chargeait ses délégués
à l’étranger d’entreprendre une vaste enquête sur la situation
des civils en territoire ennemi.
Les Gouvernements intéressés firent presque tous part de leur
préférence pour cette solution subsidiaire qui fut ainsi adoptée
1 V oir p a g e 28.
a V oir p age 32.
12
et mise en pratique, au début de la guerre, en faveur des civils
de nationalité ennemie se trouvant à l’ouverture des hostilités
sur le territoire des E tats belligérants.
Le droit était reconnu à ces civils d ’être rapatriés, sous réserve
que la réciprocité serait accordée par la partie adverse, pourvu
q u ’ils en exprim ent le désir et que leur transport soit technique
ment possible ; de vaquer à leurs occupations, dans le cas où
ils sont laissés dans une liberté relative ; de bénéficier de la pro
tection des organes diplomatiques de la Puissance neutre chargée
de leurs intérêts ; d ’être visités par les délégués de cette Puis
sance ou ceux du Comité international.
En outre, le Comité obtint que la correspondance des internés
civils fût mise au bénéfice de la franchise postale, comme celle
des prisonniers de guerre. Il fit également, de sa propre initiative,
des démarches pour que fussent groupées dans un même camp
les familles d’internés ; pour que la faculté de se livrer à des
trav au x non prohibés par les articles 31 et suivants de la Con
vention de 1929 fût accordée aux internés civils qui, n ’ayant
pas à travailler comme les prisonniers de guerre, souffrent de
l’inactivité et de ses conséquences démoralisantes. Il leur a pro
curé des livres et les matières premières nécessaires à leurs tra
vaux ; des écoles ont été organisées pour les enfants internés ;
les délégués du Comité international ont facilité l’organisation
des soins médicaux et dentaires dans les camps d ’internés civils,
particulièrem ent dans les pays d ’outre-mer.
On le voit, l’assimilation, par les Puissances détentrices, des
civils de la première catégorie aux prisonniers de guerre perm it
au Comité international et aux Puissances protectrices de con
trôler le traitem ent réservé à ces civils internés qui bénéficièrent
par analogie, en l’absence d ’une convention ratifiée par les
E tats, des droits minimums prévus pour les prisonniers de guerre.
Il n ’en fut malheureusement pas de même pour les civils
de la deuxième catégorie (civils ressortissant à un pays occupé
par l’ennemi). Les dispositions du titre I I I du Projet de
Tokio n ’ayant pu être mises en vigueur à la suite du refus d ’entrer
en matière ou du silence opposé par la majorité des Gouverne
ments à la proposition formulée le 4 septembre 1939 par le
13
Comité international \ ces civils n'étaient plus protégés que
par les dispositions incomplètes et surannées du Règlement
annexé à la IVe Convention de La Haye du 18 octobre 1907.
Deuxième phase 2
L ’occupation de plusieurs pays par l’Allemagne allait m ettre
en évidence les conséquences tragiques de cette lacune du droit
des gens : des milliers de civils se virent exposés aux « évacua
tions adm inistratives », aux déportations collectives ou indivi
duelles, aux prises d ’otages, à l’internem ent dans des camps de
concentration ; toutes ces mesures résultaient de l’extension
toujours plus généralisée de la guerre totale.
Em u par les rumeurs qui circulaient sur les camps de concen
tration et par les demandes de renseignements qui lui parve
naient d ’organismes officiels ou privés, ainsi que de particuliers,
le Comité international s’adressa à plusieurs reprises, dès 1941,
aux Autorités du Reich et à la Croix-Rouge allemande pour
obtenir des informations sur le sort des civils déportés, les lieux
de leur détention et le traitem ent auquel ils étaient soumis s.
Ses moyens d ’investigation étaient extrêmem ent limités : le
souci de ne pas nuire à ses activités fondées sur les Conventions,
son principe d ’agir au grand jour, lui interdisaient de recourir
à des moyens clandestins de recherche. D ’autre part, l’expé
rience lui dém ontra rapidem ent qu’il devait renoncer à des dé
marches officielles qui heurtaient certaines susceptibilités en
touchant à un domaine qu’aucun texte de droit international
ne l’autorisait à aborder. Eveiller ces susceptibilités, c’était
courir le risque de voir se fermer les portes qui étaient encore
ouvertes à ses délégués. Situation, comme on le voit, infiniment
complexe et délicate, hérissée de difficultés.
C’est en vertu de son seul droit d ’initiative hum anitaire
que le Comité international dem andait que les civils internés
dans des camps de concentration fussent mis au bénéfice des
garanties minimums accordées aux civils ennemis arrêtés au
1 S eul le G o u v ern em en t a llem a n d se d éclara p rêt à d isc u te r la co n clu
sio n d ’u n e c o n v e n tio n ¡sur la_b aseii_du P r o jet d e T o k io (voir p a g e 3 1).
1 V oir p a g e 39.
* V oir p a g e 41.
14
I
début des hostilités sur le territoire allemand, du seul fait
de leur nationalité, c ’est-à-dire des internés civils proprement
dits (première catégorie du Projet de Tokio) ; qu’ils fussent
autorisés notam m ent à donner de leurs nouvelles à leurs familles,
à recevoir des colis et de la correspondance ; q u ’ils fussent visités
par les délégués du Comité international et signalés par le
moyen de listes officielles ou de cartes signalétiques adressées à
l’Agence centrale des prisonniers de guerre.
S’appuyant sur le principe de la réciprocité, le Comité inter
national ne m anquait pas de se prévaloir du caractère universel
de son activité, mise de façon identique au service de tous les
belligérants : c’est ainsi qu’il pouvait faire état, auprès du Gou
vernem ent allemand, des interventions de ses délégués en faveur
des ressortissants allemands internés en pays ennemis et des
résultats favorables obtenus en Grande-Bretagne, en Afrique du
Nord, et dans les pays d'outre-m er — aux Etats-U nis, au Brésil,
en Guyane hollandaise, au Vénézuéla, etc. — où ses délégués
avaient obtenu généralement l’autorisation de visiter les camps
de détenus « pour raison de sécurité » 1.
Toutes ces démarches, écrites ou verbales, se heurtèrent à une
fin de non-recevoir des A utorités allemandes. Celles-ci arguaient
du fait que les personnes détenues dans les camps de concen
tration ne l’étaient pas du seul fait de leur nationalité ennemie,
mais aussi pour diverses raisons « relatives à la sécurité de l'E ta t
détenteur » 2 et que, par conséquent, elles ne pouvaient être
assimilées aux prisonniers de guerre ni aux internés civils pro
prem ent dits. Elles étaient considérées comme des « criminels »,
des « ennemis de l’E ta t » relevant uniquem ent de la police
politique.
On ne peut évidemment, dans le cadre de cette publication,
rendre compte des efforts, d ’une rare complexité, qui ont été
déployés en marge des interventions officielles et qui n ’ont
pas, le plus souvent, laissé de trace documentaire : travaux
d'approche ou d ’orientation, sondages, démarches personnelles,
1 V oir p a g e 48.
2 Ces d é te n u s é ta ie n t d é n o m m é s S ch u tzh âftlin ge p ar les A u to r ités
a llem a n d es.
15
conversations, qui tendaient à déterminer l’atmosphère psy
chologique du moment, à apprécier jusqu’à quel point l’on pou
vait pousser certaines demandes sans m ettre en danger l'ensem
ble de la négociation, à m aintenir enfin les contacts jusqu'au
jour où une conjoncture plus favorable perm ettrait d ’obtenir
des concessions.
On ne saurait, d ’autre part, porter un jugement équitable
sur l’activité du CICR dans ce domaine sans tenir compte du
fait qu’il avait pour interlocuteur un E ta t dont la puissance
s’étendait alors sur l'Europe presque entière et que rien ne
pouvait empêcher, s’il le jugeait bon, de rompre to u t lien avec,
une institution dont la force ne réside que dans sa tradition
hum anitaire et son autorité morale.
Troisième phase 1
Le Comité international ne renonça pas, pour au tan t, à
revenir à la charge chaque fois qu’il le jugeait possible 2 et il
décida de chercher surtout à porter secours aux détenus des
camps de concentration en faisant usage de la seule concession
que le Reich ait accordée en leur faveur. En effet, au cours de
l’année 1943, sur une démarche faite auprès du Ministère alle
m and des Affaires étrangères, la délégation du Comité inter
national à Berlin avait été informée que des colis de vivres
pourraient être remis aux civils des camps de concentration, à
condition qu’ils soient adressés directem ent et nominalement à
des ressortissants de nationalités étrangères à l'Allemagne.
Cette autorisation était illusoire, même contradictoire,
puisqu’on refusait précisément au Comité les renseignements
nominatifs indispensables selon la décision allemande. Le
Comité international p u t cependant entreprendre une action
secourable bien qu’il ne possédât à cette époque que fort peu
1 V oir p a g e 50.
2 L e 9 d écem b re 1944, le C om ité in te r n a tio n a l p ro p o sa it encore au
M inistre d es A ffaires étra n g ères du R eich , de m êm e q u 'a u x a u tres G ou
v ern em en ts, la réu n ion à G en èv e d e rep rése n ta n ts p lén ip o ten tia ires des
G o u v ern em en ts in téressés, en v u e de l ’a d o p tio n d ’un accord p ra tiq u e
— en a p p lica tio n de l ’art. 83 de la C o n v en tio n de G en èv e — sur to u s
les p rob lèm es rela tifs a u x c iv ils en m ain s de l'en n e m i (voir p a g e 74).
16
de noms et d ’adresses de détenus. Mais il mit to u t en œuvre
pour s’en procurer. Ses délégués, faisant en quelque sorte le
siège des camps de concentration où ils n ’entraient pas, ne négli
gèrent rien pour obtenir des renseignements : prises de contact
avec les com mandants de camps, avec des employés subalternes
ou même parfois avec des détenus employés à la K om m andantur ;
tentatives de pénétrer dans les bureaux de la cartothèque des
camps — au cours de ces tentatives, les délégués du Comité
international seront parfois éconduits sous la menace du revol
ver — ; prises de contact avec les évadés des camps de concen
tration ; collationnement, lors des visites de camps de prisonniers
de guerre, de tous les renseignements concernant les Schutzhaftlinge 1. Des milliers de noms et d ’adresses de détenus parvinrent
ainsi au Comité international qui créa alors le « Service des
colis aux camps de concentration » (dit Service CGC) ; ce service
prit peu à peu une am pleur inespérée.
Le résultat du premier envoi de colis individuels dépassa lar
gement les prévisions. Quelques semaines plus tard, le Service
CCC recevait déjà des accusés de réception p o rtan t la signature
des destinataires eux-mêmes.
Ces quittances devenaient une nouvelle source de renseigne
ments : outre celle du bénéficiaire, elles étaient revêtues sou
vent de plusieurs signatures de détenus ayant eu l’idée d ’écrire
leur nom et leur numéro matricule sur la quittance d ’un cam a
rade afin de recevoir à leur tour un envoi. Ces signatures consti
tu a n t de plus un premier signe de vie du déporté pouvaient d ’au
tre p art atténuer quelque peu l’angoisse de sa famille. En outre
le détenu était « repéré » par Genève. Même s’il appartenait à la
catégorie la plus menacée, dite N.N. a, il avait une chance, si
faible fût-elle, de ne pas disparaître.
A Genève, le fichier des déportés se développa ainsi peu à peu,
alimenté encore par d ’autres voies. La nouvelle de l’arrivée des
premiers colis s’était répandue dans les camps. Ceux des détenus
qui étaient autorisés à correspondre en avisèrent leurs familles.
1 S o u v e n t d es d é ta c h e m e n ts d e tr a v a il form és de p rison n iers d e guerre
se tr o u v a ie n t m êlés d a n s le s u sin es à d es d é ta c h e m e n ts v e n a n t des
ca m p s de co n cen tra tio n .
* C’est-à -d ire N aclit u n d N ebel, m o ts sig n ifia n t « n u it e t b rou illard ».
17
Le Service CGC reçut de nombreuses lettres, de Norvège et de
Pologne occupées notam m ent, qui donnaient les noms et les
adresses de civils déportés auxquels des vivres devaient être
expédiés. D ’autres listes parvinrent clandestinement à Genève
des camps ou des pays occupés par les forces armées du Reich.
Une première difficulté se trouvait donc surmontée : des noms
et des adresses de détenus arrivaient ; le Service CGC pouvait
leur adresser des colis individuels.
Mais un nouvel obstacle surgit alors. Les délégués du Comité
international, n 'éta n t pas admis à pénétrer dans les camps de
concentration, ne pouvaient contrôler la distribution des colis,
comme ils le faisaient dans les camps de prisonniers de guerre.
Or, vu cette absence de contrôle, les Autorités alliées dont dépen
daient les mesures de blocus ne perm irent pas au Comité in ter
national, malgré ses nombreuses démarches, d ’im porter en
Europe des marchandises destinées aux civils des camps de con
centration. Ces Autorités s’opposaient également au transfert
des fonds qui auraient permis d ’acheter en Europe même, des
secours en nature pour ces civils 1.
Le Service CCC, en collaboration avec la Commission mixte
de secours de la Croix-Rouge internationale — organisme créé
par le Comité international et la Ligue des Sociétés nationales
de la Croix-Rouge pour l’achat, le conditionnem ent et la distri
bution des secours aux civils victimes de la guerre — d u t donc
s’ingénier à se procurer, à l'intérieur de la zone du blocus, dans
une Europe épuisée et en partie affamée, les marchandises des
tinées à compléter les rations insuffisantes des détenus des
camps de concentration. Il p u t acquérir en Roumanie et surtout
en Hongrie et en Slovaquie, des quantités im portantes de con
serves de viande, de biscuits, de marmelade, de sucre, etc., qui
furent groupées en port franc à Genève et emballées de nouveau.
On put ainsi confectionner jusqu’à 9000 colis par jour.
Mais les fonds m anquaient encore. Le Comité international
s’efforça de recueillir en Suisse, avec l’aide des représentants des
1 On sa it, en effet, q ue le C om ité in te r n a tio n a l n e d isp o se p a s d e
m o y en s fin an ciers propres lu i p e r m e tta n t d ’en trep ren d re d es a c tio n s de
secou rs. Il n ’e s t q u e l ’in term éd ia ire q u i tr a n sm e t a u x b én éficiaires d é si
gn és par les d o n a teu rs le s d o n s m is à sa d isp o sitio n par les G o u v ern em en ts,
le s S o ciétés n a tio n a le s de la C ro ix -R o u g e e t le s o rg a n isa tio n s p riv ées.
18
Gouvernements et Sociétés de la Croix-Rouge intéressés et de
diverses organisations charitables nationales et étrangères en
Suisse, les moyens financiers nécessaires. Ces concours généreux
lui perm irent d ’expédier des milliers de tonnes de colis dans les
camps de concentration.
Ces colis parvenaient-ils tous à leurs destinataires ? L ’absence
de to u t contrôle exercé par les délégués du Comité international
sur leur distribution im pliquait un risque que le Comité n'hésita
pas à courir. A vrai dire, si des abus ont été commis dans certains
camps, si des colis furent confisqués, le Comité international
en eut assez rapidem ent connaissance et suspendit im m édiate
ment les envois dans les camps où ces faits se produisaient ;
ce fut le cas, notam m ent, pour le camp de M authausen. Toute
fois, dans de nombreux autres cas, l’action de secours se révéla
efficace et fut même quelque peu facilitée par certains comman
dants de camps. D ’utiles témoignages sur l’arrivée et la distri
bution des colis de secours étaient fournis au Comité internatio
nal par des déclarations de détenus évadés et par des lettres qui
lui parvenaient des camps de concentration.
C’est ainsi qu'un détenu d ’Oranienburg a pu renseigner régu
lièrement le Service CCC sur le nombre exact des colis arrivés
à bon port, ou volés. Quoi qu’il en soit, il n ’est pas douteux
que ces colis, même si une partie d’entre eux n ’est pas parvenue
aux destinataires, n ’en ont pas moins sauvé des milliers d’exis
tences. « Les paquets, écrivait un détenu, représentaient une
valeur inestimable. Dans certains cas, un seul colis a suffi pour
rem onter le moral de malades en train de mourir de faim. »
Si des résultats satisfaisants purent ainsi être obtenus dans
le domaine des secours, il fut en revanche toujours impossible
au Comité international d ’exercer sur le régime des camps de
concentration une influence quelconque pour m ettre un term e
aux sévices pratiqués sur les détenus. Son action de secours
elle-même était tolérée par les com m andants de camps plutôt
qu ’officiellement autorisée par le pouvoir central.
Malgré l’im portance du fichier constitué p ar le Comité inter
national, le système des colis individuels avait l’inconvénient de
lim iter le nombre des bénéficiaires. Il im portait d'en étendre le
cercle le plus possible.
19
C’est à cette fin que le Comité international se décida, au cours
de l’été 1944, à expédier des envois collectifs de colis dans les
camps de concentration et cela sans s’arrêter au fait que l'au to
risation allemande ne concernait que les envois individuels.
A cette époque, l’évolution de la situation politique et militaire
offrait à une telle entreprise des chances de succès qui n ’exis
taient pas auparavant.
Bien que le contrôle de la réception de ces colis risquât d ’être
encore moins efficace que pour les colis individuels, le Comité
international crut devoir faire cette tentative. En effet, les Gou
vernements intéressés insistaient à ce moment pour que fût
augm enté à to u t prix le nombre des envois. Le Comité inter
national fit alors de pressantes démarches pour obtenir que les
Autorités alliées atténuent les rigueurs du blocus en faveur des
détenus des camps de concentration, comme elles le faisaient
pour les prisonniers de guerre. Le « W ar Refugee Board », com
prenant que les colis du Comité international sauvaient de la
mort de nombreux déportés, prit l’initiative de m ettre à la dispo
sition du Service CCC des denrées alimentaires. Cet appoint fut
d’au tan t plus précieux que les possibilités d’achat en Europe dimi
nuaient de plus en plus et qu’aucun envoi de vivres ne pouvait
parvenir de France et de Belgique, ces pays étan t encore
occupés.
Les denrées américaines — qui n ’arrivèrent en quantités
im portantes que vers la fin de 1944 — perm irent de secourir
des milliers de détenus dans les camps de concentration au cours
des derniers mois de la guerre. En outre, en septembre 1944, le
« W ar Refugee Board » céda au Comité international, avec le
consentement des Croix-Rouges américaine et canadienne, la
cargaison récupérée du vapeur « Cristina », qui avait coulé ; les
boîtes de conserves rouillées, mais reconnues propres à la con
sommation, furent accueillies avec joie par les détenus.
Les envois collectifs étaient accompagnés, comme les colis
individuels, de formules d ’accusés de réception qui devaient
perm ettre aux bénéficiaires de faire connaître leurs noms. Ce
système augm enta sensiblement l’im portance du fichier et, au
I er mars 1945, le Service CCC connaissait les noms et le lieu de
détention de 56.000 détenus.
20
Si, dans certains camps, les com mandants interdirent de ren
voyer au Comité international les quittances qu’il avait jointes
aux envois collectifs, dans d ’autres, notam m ent à Dachau, ce
renvoi fut toléré.
Comme on l’a vu, les quittances qui revenaient à Genève por
taient plusieurs noms — jusqu’à quinze sur une même quit
tance — qui, im m édiatem ent classés par nationalité, venaient
compléter les fichiers du Service CCC, et de l’Agence centrale.
D ’utiles renseignements continuaient- à être fournis par des
détenus sur l'effectif des captifs qui se trouvaient dans les camps,
renseignements qu’il s’agissait d'« interpréter ». Si le Comité
international était, par exemple, avisé que dans un camp sept
Polonais s’étaient partagé un colis, on en déduisait à Genève
qu’il fallait multiplier par sept le nombre des colis expédiés
aux Polonais de ce camp pour connaître le to tal approxim atif
des détenus de cette nationalité.
Outre les vivres, le Service CCC du Comité international put
faire parvenir dans les camps une certaine quantité de vête
ments. Toujours limité par le blocus au marché européen —- la
pénurie de textiles étant telle qu’aucun pays n ’en perm ettait
l’exportation •—-, il envoya des sous-vêtements en fibranne.
Après la libération de la Belgique, le Gouvernement belge fit don
de lainages grâce auxquels un grand nombre de déportés belges
reçurent des sous-vêtements chauds au cours de l’hiver 1944-45.
Le Service CCC envoya également dans les camps des colis
standard contenant des produits pharmaceutique^ (decalcit,
redoxon, protovit, saridon, coramine, caféine, entéro-vioforme,
onguent cibazol, néocide, gaze et ouate cellulosique). Enfin
de nombreux colis de secours intellectuels et spirituels furent
adressés dans les camps : caisses de vin de messe aux aumôniers
français, des livres, bibles et évangiles, notam m ent aux déportés
norvégiens et français.
Ces divers envois, outre leur utilité matérielle, étaient d'une
inappréciable valeur morale, ainsi qu’en témoignent les nom
breuses lettres de reconnaissance des détenus qui sont parvenues
au Comité international. Ces malheureux, privés de toute pro
tection et souvent dans l’impossibilité d ’échanger le moindre mot
avec les leurs, voyaient dans ces colis, même lorsqu’il étaient
21
parfois partiellem ent détournés par leurs gardiens, un « véritable
message de la Providence », ainsi qu’un détenu l’écrivit. « Quel
qu’un pense à nous et c’est la Croix-Rouge », disait un autre.
Il ne dépendait malheureusement pas du seul Comité inter
national que cette action de secours fût étendue à tous les camps
de concentration. De nombreux camps et détachem ents de
travail lui sont demeurés inconnus jusqu’à la fin des hostilités.
De plus, en raison des exigences du blocus, les moyens financiers
et les marchandises lui ont longtemps fait défaut. Ce n ’est que
durant les tout derniers mois de-la guerre qu'ils lui furent fournis
en suffisance. Enfin, la destruction des voies de communication en
Allemagne, due aux bombardements aériens qui s'intensifiaient,
paralysa considérablement l'action de secours dès la fin de
l’année 1944.
Ainsi, en février 1945, la situation était telle que le Comité
international redoutait de devoir cesser toute activité en faveur
des détenus civils des camps de concentration. Le réseau ferro
viaire allemand était en effet en grande partie détruit et les
camions mis à la disposition du Comité international par les
Croix-Rouges américaine, britannique et canadienne ne pou
vaient alors être affectés q u 'à l’action de secours aux prison
niers de guerre.
Quatrième -phase 1
Cette situation angoissante ne pouvait se prolonger. Le Gou
vernement allemand lui-même s’en rendit compte. Le I er février
1945, le ministre des Affaires étrangères du Reich inform ait le
Comité international, en réponse à sa lettre du 2 octobre 1944,
que l’envoi de colis — nominatifs ou collectifs — était autorisé
dans les camps de concentration pour les détenus originaires des
territoires français et belge. En outre, le ministre donnait l’assu
rance que ces détenus pourraient correspondre avec leurs
familles au moyen de formulaires spéciaux établis par le Comité
international de la Croix-Rouge.
Le Comité m ultiplia alors ses efforts et ses démarches pour
tenter de remédier à la crise ferroviaire en im provisant une vaste
1 V oir p age 76.
22
organisation de transports routiers destinée à ravitailler d ’ur
gence les camps de prisonniers de guerre et les camps de concen
tration. Il adressa un pressant appel aux Gouvernements alliés
pour que quelques centaines de camions et de l'essence soient
mis à sa disposition. Gagné à ces vues, le Gouvernement français
céda au Comité international cent camions pour lesquels le
« W ar Refugee Board » fournit l'essence nécessaire et le Gouver
nem ent allemand des chauffeurs canadiens prisonniers de guerre.
M ettant à profit les dispositions plus favorables des Autorités
allemandes et la possibilité offerte soudainem ent par une situa
tion militaire toute nouvelle, le président du Comité international
de la Croix-Rouge, M. Carl J. Burckhardt, se rendit en Allemagne
plaider de nouveau la cause des détenus des camps de concen
tration. En mars 1945, il obtenait du général des SS Kaltenbrunner d ’im portants accords généraux, dans le sens suivant :
Outre des dispositions relatives au ravitaillem ent des pri
sonniers de guerre, des mesures d ’une im portance capitale
étaient décidées en faveur des détenus des camps de concen
tration : le Comité international était autorisé à leur distribuer
des colis de vivres ; un délégué du Comité serait installé dans
chaque camp à condition qu’il s’engage à y demeurer jusqu’à
la fin des hostilités ; un échange global des détenus français et
belges contre les internés civils allemands en France et en Bel
gique était prévu et, en atten d an t sa réalisation, le Comité
avait la faculté de rapatrier les enfants, femmes et Vieillards
des camps de concentration, de même que des déportés israélites, notam m ent ceux de Theresienstadt.
Pour la première fois, les camps de concentration étaient donc
ouverts aux délégués du Comité international.
Sans perdre un instant, les colonnes de camions du Comité
international peints en blanc, se mirent en route — véritables
« anges sauveurs », comme les nomm aient ceux qui les voyaient
arriver. Voyageant de jour et de nuit, sur des routes défoncées,
franchissant, en dépit de tous les obstacles, des zones où la
bataille faisait rage, elles, apportèrent des vivres dans les camps
de concentration et en distribuèrent, sur les routes même, aux
flots de prisonniers et détenus évadés ou évacués, qui tous se
trouvaient dans une détresse physique indicible.
23
Mais les camions ainsi déchargés devaient aussitôt servir à
d’autres fins : au retour vers la frontière suisse 1, ils ramenèrent
de ces camps des hommes et des femmes, les sauvant ainsi d'une
mort quasi certaine.
Ce que les envoyés du Comité international de la Croix-Rouge,
sur les camions mis à sa disposition par le Ministère français
des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, de même que par les
Croix-Rouges alliées, ont pu accomplir pendant les dernières
semaines des hostilités, tient du miracle.
Un ravitaillem ent de grande envergure p u t même avoir lieu
dans certains camps de concentration ; le rapatriem ent de milliers
de détenus fut effectué. En outre, les délégués du Comité inter
national, en application des accords passés par son président
avec le général K altenbrunner, purent souvent jouer un rôle
décisif dans les camps et empêcher l ’exécution de mesures
extrêmes qui étaient à craindre, avant la libération des camps
par les armées alliées.
Cependant, en dépit des accords précités, les pourparlers avec
les com mandants de camps furent malaisés. P rétendant en effet
n ’avoir, pas reçu d ’ordres, les com mandants s’opposaient à
l'entrée des délégués du Comité qui n ’obtinrent q u ’à grand’peine
l’autorisation de distribuer eux-mêmes les vivres aux détenus a.
Ju sq u ’aux derniers instants, les com m andants s’efforcèrent de
dissimuler le secret des camps tragiques. Si les délégués du Comité
international réussirent dans certains cas — notam m ent à
Turckheim, à Ravensbrück, à Dachau, à Theresienstadt, à
Mauthausen — à empêcher l’évacuation précipitée des camps
et à en faciliter la remise aux armées alliées, en hissant euxmêmes le drapeau blanc, comme à Dachau et à M authausen; il
n ’en fut pas de même ailleurs.
C’est ainsi qu’à Oranienburg l’évacuation du camp fut ordon
née : 30.000 à 40.000 êtres humains, hommes, femmes et enfants
partirent en longues colonnes sur les routes, encadrés par des
détenus de droit commun revêtus de l’uniforme de la W ehrm acht
1 D es ra p a triem en ts eu ren t é g a lem e n t lieu v ia L u b eck e t la S u èd e,
so it a v ec le con cou rs de la C ro ix -R o u g e su éd o ise so it d ire c te m e n t par
elle.
2 V oir en tro isièm e p a rtie, les ra p p o rts d es d élég u és e t p a g e 88 la
ca rte d es p rin cip a u x ca m p s de c o n cen tra tio n .
24
et utilisés par les SS comme personnel auxiliaire de garde. La
tâche des délégués du Comité consista alors à ravitailler ces
colonnes en marche, qui ne recevaient aucune nourriture.
Ainsi, pendant des jours et des nuits, les camions du Comité
international firent un continuel va-et-vient entre les dépôts de
ravitaillem ent et les colonnes d ’évacués, dont la trace était
marquée souvent par les corps des traînards fusillés au bord des
routes. Des milliers de déportés eurent alors la vie sauve grâce
aux colis de la Croix-Rouge et de nombreux retardataires furent
chargés sur les camions vides et transportés vers des lazarets et
des centres d ’accueil. En outre, intervenant courageusement au
près des chefs SS responsables, les délégués du Comité tentèrent
d'empêcher des exécutions sommaires et y parvinrent parfois.
Cependant, à Berlin même, malgré les com bats terribles qui
m arquèrent l’occupation de la capitale, la délégation du Comité
international demeura à son poste. Elle multiplia, dans cette
phase ultime de la guerre, ses démarches auprès des Autorités
en faveur des détenus des prisons et des camps de la région
berlinoise, les prenant sous sa protection et veillant à leur ravi
taillement. Grâce à ses interventions, la plupart des détenus
furent libérés.
*
*
*
Le Comité international de la Croix-Rouge, qui a pour mission
de veiller à l’application des conventions hum anitaires se devait
à cette tâche, pourtant si lourde en regard de ses forces et de ses
ressources. On sait l ’importance des résultats acquis dans ce
domaine.
C’est, dans une notable mesure, grâce à l’existence d ’une
charte à laquelle la plupart des E tats avaient adhéré — la Con
vention de 1929 — que les prisonniers de guerre ont pu jouir
d ’un véritable statu t, dont l’application a été régulièrement con
trôlée par les représentants des Puissances protectrices et du
Comité international. C’est grâce à cette Convention que l’Agence
centrale des prisonniers de guerre, ayant établi 25 millions de
fiches de renseignements, put recevoir et transm ettre quelque
cent millions de messages relatifs aux prisonniers et à leurs
familles. C’est aussi grâce à la Convention qu’une vaste action de
25
secours, com portant la distribution de centaines de milliers
de tonnes de vivres aux prisonniers de guerre, leur a permis de
supporter la captivité et de regagner leurs foyers dans un état
physique relativem ent satisfaisant.
Tout autre était le sort des civils qui, on l'a vu, ne jouissaient
d ’aucune protection conventionnelle. F aute d ’un sta tu t analogue
à celui des prisonniers, ceux d ’entre eux qui, n’étan t pas des
internés civils proprem ent dits, furent incarcérés pour des rai
sons de sécurité se trouvèrent livrés au pouvoir discrétionnaire
de la Puissance détentrice.
Néanmoins, le Comité international mit to u t en œuvre pour
les arracher à leur isolement et improviser, avec les ressources
malheureusement limitées dont il disposait, une action de secours
en leur faveur. Nombreuses, certes, sont les personnes qui n'ont
pas été atteintes parce qu’inconnues ou faute de moyens tech
niques pour les secourir.
Néanmoins, du 12 novembre 1943 au 8 mai 1945, 751.000 colis
environ, représentant 2600 tonnes de secours, furent envoyés
par le Comité international aux déportés dans les camps de
concentration.
F ort nom breux et infiniment touchants sont les témoignages
de gratitude qui parvinrent et qui parviennent encore à Genève.
Mais la tâche du Comité international n ’est pas terminée :
deux guerres mondiales rendent évidentes la nécessité et l’ur
gence de fixer, dès le temps de paix, en droit international,
le sta tu t des civils de nationalité ennemie ; qu’ils se trouvent à
l’ouverture des hostilités sur le territoire des E tats belligérants
ou qu’ils résident sur des territoires occupés.
Aussi le Comité international de la Croix-Rouge juge-t-il
indispensable que les Puissances s’emploient dans le proche
avenir à conclure une convention à cet égard. Comme par le
passé, le Comité, dans la mesure de ses moyens et à la place
qui lui est assignée, est prêt à collaborer à cette œuvre prim or
diale \ afin que les douloureuses expériences de la guerre qui
vient de se term iner ne puissent pas se reproduire.
1 D an s ce sen s, il a d éjà en trep ris d e rassem b ler la d o cu m en ta tio n
p e r m e tta n t de d év elo p p e r e t de rev iser le P r o je t de T ok io.
26
D E U X IÈ M E P A R T IE
DOCUM ENTS
On trouvera ci-après, in extenso ou résumées, classées chro
nologiquement, les pièces essentielles, extraites des archives du
Comité international de la Croix-Rouge, qui ont tra it à l'activité
exercée par lui durant la seconde guerre mondiale en faveur
des civils aux mains de l’ennemi et principalement en faveur
de ceux qui étaient détenus en Allemagne dans des camps de
concentration b
En lisant ces documents, il convient de se rappeler que le
Comité international se doit d ’entretenir avec tous les Gouver
nem ents et Sociétés nationales de la Croix-Rouge des relations
confiantes et suivies, et cela dans l’intérêt même des activités
qu'il déploie en faveur des victimes de la guerre. Aussi a-t-il
adopté, à l'égard de tous ses correspondants, une forme cour
toise — s'inspirant d ’ailleurs des usages diplomatiques — qui
lui est imposée par son caractère d ’autorité morale et par ses
responsabilités.
Il faut, d'autre part, garder présent à l’esprit qu'un grand nom
bre de démarches en faveur des détenus revêtirent la forme
d'interventions verbales, souvent personnelles, dont il est évi
demment impossible de rendre compte ici.
1 S eu ls o n t é té su p p rim és les p a ssa g es ne se r a p p o rta n t p as d ire c te m en t
à la m atière tr a ité e ou ju g és d 'im p o rta n ce seco n d a ire. L es su p p ressio n s
s o n t ch a q u e fois in d iq u ées p ar d es p o in ts de su sp en sio n .
27
PREM IÈRE PHASE
Dès le début de la guerre, le Comité international soumit aux
Gouvernements belligérants des propositions tendant à remédier
à l’absence de protection conventionnelle des civils aux mains
de l’ennemi.
Ces propositions visaient à obtenir des Puissances belligé
rantes, au début de la guerre, l’adoption du Projet de Tokio
ou, à son défaut, l’application, par analogie, aux internés civils,
des dispositions de la Convention de Genève de 1929 relative
aux prisonniers de guerre.
Les démarches du Comité devaient aboutir, dans cette pre
mière phase de la guerre, à l’application généralisée aux civils
sur territoire ennemi -— il ne s’agissait alors que de cette caté
gorie -— des dispositions de la Convention de 1929, dans la
mesure où elles étaient applicables à des civils.
Lettre-circulaire du CICR 1 aux Puissances belligérantes
Genève, le 4 septembre 1939.
Au moment où éclate un grave conflit armé, le Comité inter
national de la Croix-Rouge, qui a son siège permanent à Genève
depuis 1863 et se recrute exclusivement parmi les citoyens suisses,
a l’honneur d’informer votre Excellence qu’il se met à la disposition
du Gouvernement... pour contribuer, sur le plan humanitaire, selon
son rôle traditionnel et dans toute la mesure de ses forces, à porter
remède aux maux qu’engendrera la guerre...
Les civils ennemis se trouvant sur le territoire de chacun des Etats
belligérants, ou sur un territoire soumis, à quelque titre que ce soit,
à la souveraineté de ces Etats, ne se trouvent, en temps de guerre,
protégés par aucune convention internationale. Leur situation n’a
été réglée, pendant la guerre de 1914-1918, que par des accords bila
téraux conclus vers la fin de la guerre et aujourd’hui caducs. A l’heure
qu’il est, elle n’est déterminée que par un projet de Convention
approuvé par la XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge,
réunie à Tokio en 1934, à laquelle votre Gouvernement était repré
senté.
Aussi, le Comité international de la Croix-Rouge propose-t-il au
Gouvernement... d’établir un statut à appliquer à ces civils, statut
1 D a n s les d o c u m e n ts q u i su iv e n t, le C om ité in te r n a tio n a l de la CroixR o u g e e s t d ésign é p ar l ’a b ré v ia tio n : C IC R , sa u f to u te fo is d an s les te x te s
rep rod u its in extenso.
28
qui pourrait s’inspirer des accords bilatéraux cités plus haut. Une
autre solution pourrait encore consister en l’adoption anticipée et
au moins provisoire, pour le seul confit actuel et pour sa seule durée,
des dispositions du projet de Convention sus-mentionné, dont votre
Excellence voudra bien trouver sous ce pli un exemplaire.
Le Comité international de la Croix-Rouge ose exprimer le ferme
espoir que votre Excellence voudra bien l’informer le plus rapide
ment possible des dispositions que le Gouvernement... croira pouvoir
prendre dans le sens des considérations et suggestions qu’il se permet
de vous présenter.
Note explicative du CICR à ses délégués, concernant le traitement
des internés civils
Genève, le 12 septembre 1939.
Les belligérants, les uns par déclarations formelles, les autres en
fait, appliquent par analogie aux internés civils (qui ne sont encore
au bénéfice d’aucune convention) les termes de la Convention de
1929 relative au traitement des prisonniers de guerre, exception faite
des dispositions (soldes, etc.) qui ne peuvent être appliquées qu’aux
militaires.
Le délégué devra donc, pour les visites d’internés civils, obtenir
entre autres les mêmes normes que pour les camps de prisonniers
de guerre.
Il serait notamment utile d’obtenir des éclaircissements sur les
points suivants :
a) de quelles instances dépendent les renseignements relatifs
aux civils ennemis ;
b) quelles sont les catégories de civils ennemis qui ont été internées,
celles qui ont été mises sous régime de liberté surveillée et celles
qui n'ont pas été inquiétées ;
c) mesures prises à l’égard des civils ennemis appartenant aux
diverses catégories ci-dessus et habitant des territoires éloignés de
la Métropole (protectorats, colonies, etc.) ;
d) régime auquel les civils internés sont soumis (conditions d’in
ternement, possibilité d’envoyer et de recevoir dès colis et des
secours, paquets et argent), occupations auxquelles ils peuvent se
livrer ;
e) mesures prises à l'égard des réfugiés et apatrides originaires
d'un pays ennemi ;
/) obtenir si possible des listes de lieux d’internement et
désignation des régions de confinement ;
g)
obtenir si possible des listes des civils internés. Pour faciliter
l’identification des intéressés, il serait hautement désirable que les
29
listes comportassent au moins les indications suivantes : nom, pré
noms, date et lieu de naissance, profession et adresse du dernier
domicile. Si ces listes n’ont pas encore pu être établies, le délégué
pourrait suggérer une distribution de formulaires de correspon
dance dont le dépouillement au: bureau central permettrait, dans
une certaine mesure, un redressement ;
h) il serait hautement désirable que le délégué s’informât auprès
des Autorités compétentes des mesures prévues pour l’échange de
lettres contenant des nouvelles de caractère exclusivement fami
lial entre les membres d’une même famille, domiciliés ou retenus
dans divers pays belligérants. La correspondance peut-elle être
échangée directement ? Si ce n’est pas le cas, pourrait-elle être
transmise par l’intermédiaire du bureau central du Comité inter
national de la Croix-Rouge qui en assurerait le tri, la censure et
l’acheminement à destination ; au cas où cette éventualité devrait
également être écartée, on pourrait envisager la distribution de
formulaires de correspondance aux intéressés, formulaires qui
seraient triés, censurés et acheminés à destination par le bureau
central, où, en tout dernier ressort, ils seraient retranscrits et
traduits dans la langue du pays de destination ;
i) il serait désirable que le délégué pût obtenir des rensei
gnements, aussi précis que possible, sur les localités qui auraient
été évacuées, avec l’indication des catégories de civils (nationaux,
neutres ou ennemis) qui auraient bénéficié de ces évacuations. Il
serait utile également de connaître les localités ou régions vers les
quelles ces évacuations auraient été dirigées ; y aurait-il lieu d’en
visager la distribution de formulaires de correspondance aux per
sonnes évacuées pour les mettre en mesure de rassurer le plus rapi
dement possible leurs familles à l’étranger ? ;
j) dans quelles conditions les civils ennemis non-mobilisables
pourraient-ils être rapatriés dans leur pays d’origine s’ils le dé
sirent ?
Réponse verbale du Ministère des Affaires étrangères du Reich
aux remarques techniques adjointes à la lettre du CICR
du 4 septembre 1939, transmise par la délégation du Comité
international de la Croix-Rouge à Berlin
Berlin, le 28 septembre 1939.
Les personnes civiles de nationalité ennemie, se trouvant en terri
toire allemand, sont soumises à l’ordonnance sur le traitement des
étrangers du 5 septembre 1939.
30
Le Gouvernement allemand serait prêt à discuter la conclusion
d’une Convention pour la protection des civils sur la base du « Projet
de Tokio »1.
D’ores et déjà les prisonniers civils sont sous le même régime que
les prisonniers de guerre.
La visite des camps d’internés civils, la correspondance et l’envoi
des secours seront autorisés dans la même mesure que pour les pri
sonniers de guerre. La visite des délégués devra être précédée d’une
autorisation écrite du Haut Commandement de l’armée.
Actuellement, les internés civils se trouvent dans des établisse
ments qui sont soumis à l’armée. On ne prévoit pas de changement
dans cette manière de procéder.
Les listes de civils internés sont déposées à la même agence que
celles des prisonniers de guerre.
En ce qui concerne les renseignements relatifs aux civils ennemis
qui ne sont pas internés, le Département allemand de l’intérieur est
compétent.
Les renseignements relatifs aux civils ennemis internés sont donnés
par le Bureau central de renseignements.
Les civils ennemis n’ont pas été internés par catégories, mais il
s’agit uniquement de mesures de sécurité, qui sont prises pour chaque
cas particulier. Il s’agit du reste uniquement d’hommes. Les adresses
postales des établissements d’internement peuvent être commu
niquées.
Les listes des civils internés remises au Comité international de la
Croix-Rouge comprendront les indications demandées (nom, pré
noms, date et lieu de naissance, profession et adresse du dernier
domicile).
Pour la correspondance des civils ennemis internés, les mêmes
prescriptions que pour les prisonniers de guerre sont valables. Des
formulaires, à l’exception des cartes, ne sont pas prévus.
Les civils ennemis qui le désirent pourront retourner dans leur
pays, pour autant que leur pays d’origine accorde la réciprocité. Ceci
est également valable, sous les mêmes conditions, pour les civils
mobilisables.
Du côté allemand, on souhaiterait que les civils allemands internés
dans les colonies puissent rentrer dans leur pays, s’ils le désirent. Il
n'y aurait aucun inconvénient à ce que les belligérants s’obligent
réciproquement à ne pas utiliser militairement les civils mobilisables
qui seraient renvoyés dans leur pays d’origine.
1 P a r le ttr e du 30 n o v em b re 1939, le M in istère d es A ffaires étra n g ères
du R eich co n firm a it q u e a du c ô té a llem a n d , o n e stim a it qu e le « P r o je t
de T o k io » p ou rrait serv ir d e b a se à la c o n clu sio n d ’un accord in te r
n a tio n a l sur le tr a ite m e n t e t la p r o te c tio n d es c iv ils se tr o u v a n t en terri
toire en n em i ou o ccu p é ».
31
Mémorandum du Comité international de la Croix-Rouge
aux Gouvernements belligérants sur la possibilité d’accords destinés
à apporter, pendant les présentes hostilités, certaines améliorations au
sort des victimes de la guerre
Genève, le 21 octobre 1939.
Dans ses lettres du 4 septembre, adressées aux Gouvernements
belligérants, ainsi que' dans les mémoires et notes techniques remis
à ceux-ci par ses délégués, le Comité international de la Croix-Rouge
a proposé aux Etats belligérants d’adopter, soit par des accords
ad hoc conclus pour la durée des hostilités, soit par des ententes
résultant éventuellement de déclarations unilatérales concordantes ou
complémentaires, certains principes qui pourraient améliorer d’une
manière générale la situation des victimes de la guerre...
Le Comité international de la Croix-Rouge estime utile d’informer
les Gouvernements — en confirmation et complément d’informations
déjà fournies par ses délégués — de la situation telle qu’elle résulte
des réponses provisoires des Gouvernements, pour autant que ceux-ci
ont déjà manifesté leurs points de vue.
Civils de nationalité ennemie, qui se trouvent sur le territoire d’un
belligérant.
Il importait avant tout d’adopter, comme base d’entente, le Projet
de Convention adopté par la XVe Conférence internationale de la
Croix-Rouge en 1934 à Tokio, titres I et II (voir document annexe
n° 1 : Projet dit de Tokio). Cela comporterait donc, sous condition
de réciprocité, la possibilité de rapatrier certaines catégories de civils
qui désireraient rentrer dans leur pays.
Si l’on peut, dès maintenant, adopter le titre II du Projet dit de
Tokio, ou une solution analogue — ce qui serait la meilleure solution
du problème des civils en pays ennemis — il serait désirable que la
situation des civils internés en pays ennemi trouvât une solution
provisoire par l’assimilation du cas de ces civils internés à celui des
prisonniers de guerre. Cette assimilation pourrait être totale, pour
autant qu’il ne s’agisse pas de dispositions de la Convention du
27 juillet 1929 applicables aux militaires seulement (soldes, etc.).
L’assimilation peut être faite notamment dans les trois cas sui
vants :
a)
Traitement des civils internés. —- Ce traitement serait celui qui
est prévu pour les prisonniers de guerre par la Convention du
27 juillet 1929.
Remarque: Les Autorités allemandes appliquent actuellement
aux civils les dispositions de la Convention de 1929.
32
b) Communication des listes nominatives des civils internés et des
renseignements les concernant, conformément aux articles 77 et 79
de la Convention du 27 juillet 192g.
Remarque: Aucun Gouvernement belligérant n’a pris, jusqu’à
présent, d’engagements à ce sujet. Cependant, à la suite de démar
ches spéciales faites par le Comité international de la Croix-Rouge,
celui-ci a successivement reçu des Autorités anglaises de HongKong, du Ministère de la Défense nationale du Canada et du Gou
vernement des Iles Falkland, des noms de civils allemands internés.
c) Visites de camps d’internés civils.
Remarque: Tous les Gouvernements consultés semblent être dis
posés à autoriser les délégués du Comité international de la CroixRouge à visiter ces camps.
Civils de nationalité ennemie qui se trouvent sur un territoire occupé
par un belligérant.
Il serait hautement souhaitable que le titre III du Projet dit de
Tokio fût adopté par les belligérants comme règlement provisoire ;
ce titre III marquerait un progrès incontestable sur les dispositions
du Règlement de La Haye de 1907.
Réponse du Ministère des Affaires étrangères à Paris, aux propositions
du Comité international de la Croix-Rouge concernant la protection
des civils en mains ennemies
Paris, le 23 novembre 1939.
Vous avez bien voulu appeler l’attention du Gouvernement fran
çais sur la situation des civils de nationalité ennemie, internés ou
retenus par la partie adverse. Vous avez fait remarquer que le sort
de ces civils n'a fait l’objet d’aucune convention internationale mais
que, toutefois, la XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge,
réunie à Tokio en 1934, a adopté un Projet de Convention élaboré
par le Comité international de la Croix-Rouge, concernant la con
dition et la protection des civils de nationalité ennemie qui se trou
vent sur le territoire d ’un belligérant, ou sur le territoire occupé
par lui. La XVe Conférence a recommandé ce Projet à l’attention
des Gouvernements signataires de la Convention de Genève et a
chargé le Comité international de la Croix-Rouge de faire toutes
démarches utiles pour le faire aboutir dans le plus bref délai possible.
Vous ajoutez que le Comité s’efforce d’obtenir des Etats belligé
rants, sous condition de réciprocité, leur adhésion aux principes
énoncés dans le « Projet de Tokio » et vous indiquez que, des pre
33
mières démarches accomplies, il résulte que le Gouvernement alle
mand serait disposé à prendre ce Projet comme base d’une entente
avec les Etats ennemis.
Vous suggérez toutefois qu'en attendant que le Gouvernement
français juge possible, en ce qui le concerne, de donner son adhésion
à ce texte, l’application de la Convention de Genève de 1929 sur le
traitement des prisonniers de guerre soit étendue, par analogie et sous
condition de réciprocité, aux internés civils.
J ’ai l’honneur de vous faire savoir que le Gouvernement français
est d'autant plus disposé à se rallier aux vues exprimées par le
Comité international de la Croix-Rouge sur la nécessité de régler par
voie de statut international la condition des internés civils, que, de
son côté, et dès le début des hostilités, il a pris spontanément toutes
mesures utiles pour que les étrangers ennemis retenus sur son sol
soient traités selon les principes de l’humanité.
Le Gouvernement français reconnaît pleinement l’intérêt que pré
sentent, pour établir le statut des civils se trouvant en territoire
ennemi, les principes posés, sous les auspices du Comité international
de la Croix-Rouge, dans le Projet dit de Tokio. Il estime cependant
que le texte dont il s’agit nécessiterait encore une étude attentive
et, avant de pouvoir devenir accord international, des discussions,
qui, surtout dans les circonstances actuelles, risqueraient de deman
der un assez long délai et de retarder d’autant la solution des pro
blèmes intéressant les internés civils.
C'est pourquoi, tout en acceptant en principe de poursuivre l’exa
men du Projet de Tokio, le Gouvernement français estime préférable
de retenir la deuxième suggestion que vous avez bien voulu faire.
Il est donc disposé, en ce qui le concerne, et sous condition de réci
procité de la part du Gouvernement allemand, à appliquer aux civils
de nationalité ennemie internés sur son territoire les principes de la
Convention de Genève du 27 juillet 1929 sur le traitement des pri
sonniers de guerre en tant, bien entendu, que ces principes sont
susceptibles d'être appliqués à des civils.
Le Gouvernement français tient toutefois à préciser qu’il se verra
dans l'impossibilité de se conformer strictement aux dispositions de
la Convention de 1929, relatives à la communication des listes nomi
natives de civils internés et des renseignements les concernant. La
diversité des catégories de civils de nationalité ennemie internés en
territoire français entraînerait en effet des difficultés insurmontables
pour une communication obligatoire. D’autre part, en raison de la
position toute spéciale dans laquelle se trouve un nombre important
des internés à l’égard de l’Allemagne, le Gouvernement français est
d’avis qu’il pourrait éventuellement résulter pour les internés euxmêmes et leurs familles restées en Allemagne de sérieux inconvé
nients de la divulgation d’informations les concernant. Il se propose
34
donc de ne porter sur les listes que les noms des internés qui y con
sentiront formellement.
Note du Consulat d’Allemagne à Genève concernant le rapatriement
d’étrangers de nationalité ennemie, du 27 novembre 1939 (résumé).
Le Consulat d’Allemagne se réfère à l'entrevue du 16 novembre
avec le Président du Comité international de la Croix-Rouge au cours
de laquelle communication a été faite du grand intérêt que le Gou
vernement du Reich porte au rapatriement prochain des ressortis
sants du Reich, internés en pays ennemi. Il a été constaté avec satis
faction que le Comité international partage le point de vue du Gou
vernement du Reich sur cette question et qu’il a déjà entrepris des
démarches en vue de sa prompte solution.
Le Gouvernement allemand partage l’opinion du Gouvernement
des Etats-Unis, à savoir que l’internement en masse de ressortissants
de pays ennemis devrait, dans la mesure du possible, être évité.
Aussi, les Autorités allemandes ont-elles interné, au début de la
guerre, un nombre limité seulement de ressortissants ennemis. Il
convient, d’autre part, de souligner que les Etats ennemis se sont
déjà fortement engagés dans la voie des internements massifs, mesure
qui suscite du reste des informations toujours plus nombreuses sur
le traitement inutilement sévère infligé aux ressortissants du Reich.
Lettre du Comité international de la Croix-Rouge au Ministère
des Affaires étrangères à Londres
Genève, le 7 décembre 1939.
Le Comité international de la Croix-Rouge s’est permis d’attirer
l’attention des Gouvernements des Puissances belligérantes, dès le
. début des hostilités, sur la nécessité de régler la situation des civils
. de nationalité ennemie qui se trouvent sur le territoire d’un belli
gérant, ou sur un territoire occupé par lui. Il a proposé aux Puissances
belligérantes de mettre en vigueur, provisoirement, par des accords
ad hoc, le projet que la XVe Conférence internationale de la CroixRouge, réunie à Tokio en 1934, avait adopté à ce sujet, ou tout au
moins certains titres dudit projet.
Dans un mémorandum daté du 21 octobre, nous nous sommes
permis de revenir sur ce point en connexité avec d’autres questions
* qui pourraient trouver une solution provisoire par des accords ad
hoc entre les Puissances belligérantes.
35
Le Comité international de la Croix-Rouge a suggéré dans le mémo
randum précité que, en attendant que le projet de Tokio puisse
trouver sa mise en vigueur, en tout ou partie, la Convention du
27 juillet 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre soit appli
quée aux civils de nationalité ennemie internés sur le territoire d’un
belligérant. Nous avons mentionné dans ledit mémorandum que le
Gouvernement allemand avait déjà accordé aux civils internés le
bénéfice de la Convention de 1929, pour autant que les dispositions
de celle-ci sont susceptibles d’être appliquées à des civils.
De son côté, le Gouvernement français, par lettre du 23 novembre,
tout en acceptant en principe de poursuivre l’examen du projet de
Tokio, s’est déclaré disposé, pour sa part, et sous condition de réci
procité de la part du Gouvernement allemand, à appliquer aux civils
de nationalité ennemie internés sur le territoire français les principes
de la Convention du 27 juillet 1929 sur le traitement des prisonniers
de guerre, pour autant, bien entendu, que ces principes sont suscep
tibles d'être appliqués à des civils. Le Gouvernement français a du
reste formulé une réserve au sujet de la communication des noms
d’internés. Pour différentes raisons, le Gouvernement français n’ins
crira sur les listes visées aux articles 77 et 79 de la Convention de
1929 que les noms de ceux des internés qui consentent formellement
à être portés sur les listes à communiquer.
Il nous a paru utile de mettre le Gouvernement de Sa Majesté
au courant de ces faits qui sont de natùre à améliorer, dans une sen
sible mesure, le sort des civils ennemis internés et qui engagent le
Comité international de la Croix-Rouge à demander à Votre Excel
lence si le Gouvernement de Sa Majesté serait aussi disposé à appli
quer également les principes de la Convention de 1929 aux internés
civils allèmands qui se trouvent sur le territoire britannique.
Comme les deux Gouvernements, qui se sont déjà prononcés en
faveur de l’application des principes de la Convention sur le trai
tement des prisonniers de guerre aux civils internés, ont formulé la
réserve très naturelle que l’application ne saurait concerner que les
dispositions qui sont susceptibles d’être appliquées à des civils, le
Comité international de la»Croix-Rouge a pris la liberté d’informer
ces Gouvernements qu’il leur soumettra prochainement une note
concernant des observations sur l’ensemble de l’application de la
Convention aux internés civils et sur certains points qui semblent
exiger un examen particulier. Nous nous permettrons ultérieurement
de vous soumettre également ce document.
Le Comité international de la Croix-Rouge espère que le Gouver
nement britannique voudra bien examiner avec bienveillance notre
suggestion et il serait heureux de connaître la suite qui pourrait y
être donnée.
36
Réponse du Ministère des Affaires étrangères à Londres aux propositions
du Comité international de la Croix-Rouge (traduction).
Londres, le 30 avril 1940.
1) Je suis chargé par le vicomte Halifax de me référer aux lettres
qui lui ont été adressées par le Président du Comité international de
la Croix-Rouge, au sujet de la possibilité d’appliquer aux internés
civils les dispositions de la Convention signée à Genève en 1929 et
relative aux prisonniers de guerre.
2) Je dois vous informer que les civils de nationalité ennemie
internés dans le Royaume-Uni sont en principe traités conformément
à la Convention relative aux prisonniers de guerre de 1929. Cepen
dant, comme le Comité international le comprendra, quelques diffé
rences de détail dans le régime sont inévitables. Ainsi, les civils
internés ne sont pas nécessairement nourris et habillés de la même
façon que les prisonniers de guerre, ils ne touchent pas de solde et
ne peuvent, d'autre part, être forcés à travailler. Depuis longtemps
déjà, des listes de civils allemands internés dans le Royaume-Uni
ont été envoyées au Bureau de renseignements sur les prisonniers
de guerre et des représentants de la Légation suisse et du Comité
international ont eu l’occasion de visiter les camps d’internés dans
le Royaume-Uni. Les internés civils allemands sont autorisés à écrire
deux lettres par semaine et jouissent des facilités qu’offre le service
postal en faveur des prisonniers de guerre.
3) Le Gouvernement allemand a sans doute déjà eu connaissance
de ces faits, par les soins du Gouvernement suisse.
4) Le Gouvernement de Sa Majesté dans le Royaume-Uni examine
en ce moment la possibilité de conclure un accord formel avec le
Gouvernement allemand sur ce point, et la proposition que M. Max
Huber a bien voulu faire ne sera pas négligée en cette occasion.
Le Comité international de la Croix-Rouge reçut encore des Gou
vernem ents italien, canadien, australien, égyptien et des Indes
néerlandaises, des réponses favorables à ses propositions relatives
à l’application de la Convention de 1929 aux internés civils.
Le Comité recommanda également aux Gouvernements des
E ta ts neutres ayan t interné des ressortissants d ’E tats belligé
rants de leur appliquer par analogie les dispositions de la Con
vention de 1929.
Dans cette première phase de la guerre, la grande majorité
des civils en mains ennemies est maintenue en liberté.
Cependant, une tendance à les interner se dessine bientôt.
37
Le Gouvernement du Reich informe le Comité international de
la Croix-Rouge, le 21 octobre 1939, « que les civils français en
Allemagne n ’ont pas été internés jusqu'à présent, mais qu’ils le
seront vraisem blablement parce que la France interne les civils
allemands ».
Le Gouvernement allemand se déclare prêt « à fournir les
listes d ’internés civils sous surveillance de la W ehrm acht, sous
condition de réciprocité et à indiquer les lieux d ’internem ent ».
Le 29 décembre 1939, le Comité international de la CroixRouge informe le Ministère français des Affaires étrangères « que
ses délégués en Allemagne ont été autorisés à visiter les internés
civils français, britanniques et polonais ». Il constate que c’est
un progrès dans la voie de l’assimilation des internés civils aux
prisonniers de guerre. Le Comité demande que le Gouvernement
français autorise ses délégués à visiter les Dépôts de civils en
France. Il indique que le Gouvernement britannique a également
autorisé ses délégués à visiter les Dépôts d ’internés civils alle
mands en Grande-Bretagne. P ar un mémorandum du 17 février
1940, le Gouvernement allemand se déclare disposé, m oyennant
garantie de réciprocité, à prendre les engagements suivants :
1) pas de représailles pour les faits dont les internés civils
ne sont pas personnellement responsables ;
2) pas d ’internem ent en masse ;
3) l’internem ent des Britanniques n'au ra lieu qu’après
enquête approfondie ;
4) chaque B ritannique qui le désire pourra obtenir l’auto
risation d’être rapatrié, m oyennant engagement de sa part
de ne pas prendre les armes durant la guerre. Le rapatriem ent
ne sera refusé qu’aux internés civils contre lesquels une
action, judiciaire est en cours ;
5) les camps d ’internés civils pourront être visités.
Par lettre du 19 janvier 1940, le Gouvernement du Reich
adm et la réserve du Gouvernement français de ne communiquer
les noms des internés civils qu’avec leur consentement, à con
dition que ceux-ci ne soient pas « influencés ». Il se m ontrait dis
38
posé à accorder une légère solde aux internés civils et à les
autoriser à travailler pour un salaire, à charge de réciprocité.
Ces diverses déclarations perm ettent au Comité international
de la Croix-Rouge, dans ses « Instructions à ses délégués » du
17 février 1941, d'exposer « que les belligérants, les uns par suite
de déclarations formelles, les autres, en fait, appliquent par
analogie aux internés civils les dispositions de la Convention
de Genève de 1929 — dans la mesure où elles sont applicables
à des civils. Les délégués devront donc, pour la visite des internés
civils, observer les mêmes normes que pour les camps de pri
sonniers de guerre ».
D E U X IÈ M E PHASE
Au fur et à mesure que la guerre se développe, de nouvelles
catégories de civils tom bent en mains ennemies.
Aux civils en territoire ennemi — en liberté ou internés « en
raison de leur nationalité » — viennent s’ajouter les civils en
territoire occupé, les otages, les déportés, incarcérés ou internés
dans les camps de concentration « pour raison de sécurité »
(Schutzhâf tlinge).
Lettre du Comité international de la Croix-Rouge au Ministère
des Affaires étrangères du Reich, relative au rapatriement de certaines
catégories d’internés civils (traduction)
Genève, le 5 août 1941.
Le Comité international de la Croix-Rouge reçoit de plus en plus
fréquemment des appels émanant d’Autorités gouvernementales et
de personnalités civiles le priant de vouer toute son attention au
rapatriement des personnes civiles se trouvant en territoire occupé
ou en pays ennemi.
En raison de la durée des hostilités et de la dureté croissante des
conditions économiques, la situation des civils de nationalité ennemie
détenus dans un E tat belligérant devient de jour en jour plus pénible ;
leur présence constitue en outre pour la Puissance détentrice une
charge qui n’est nullement négligeable. Dans ces conditions, le Comité
international de la Croix-Rouge croit de son devoir de demander aux
Etats belligérants s’ils ne considèrent pas que le moment est venu
39
d’envisager la possibilité d’un accord pour le rapatriement de cer
tains groupes de civils et, en premier lieu, des ressortissants ennemis
qui sont détenus pour d’autres motifs que ceux de la sécurité
nationale.
Par sa circulaire du 4 septembre 1939, ainsi que par son mémoire
du 21 octobre de la même année, le Comité international de la CroixRouge a déjà eu l’honneur d’attirer l’attention des Gouvernements
belligérants sur l’urgence de cette question et de proposer comme
base de discussion le projet de Convention internationale adopté par
la XVe Conférence internationale de la Croix-Rouge à Tokio en 1934.
Les articles 2 et 3 dudit projet, dont copie ci-jointe, méritent une
attention particulière.
Cette proposition ne s’est heurtée à aucune objection de principe
de la part des Gouvernements belligérants ; certains Gouvernements
ont même accueilli ce projet avec faveur.
Le fait qu’aucun accord n’a pu être conclu jusqu'à présent est dû
surtout à des difficultés d’ordre technique, qui aujourd’hui ne sont
peut-être plus insurmontables.
Si le Gouvernement du Reich se décidait à accueillir avec bien
veillance la suggestion du Comité international de la Croix-Rouge, il
conviendrait de définir les groupes de civils entrant en ligne de
compte et d’étudier la réalisation pratique de ce rapatriement.
La classification pourrait se présenter comme suit :
1. Civils non internés, désireux d’être rapatriés et qui com
prendraient surtout les femmes et’les enfants, ainsi que les hommes
qui ne sont plus d’âge militaire.
2. Internés civils dont la situation est particulière : médecins,
prêtres, pasteurs, diaconesses, religieuses et infirmières.
3. Autres internés civils, en particulier les femmes et les enfants.
L’organisation pratique des rapatriements serait à examiner ensuite
sous tous ses aspects (financement, mode et voies de transport, saufconduits, etc.).
Le Comité international de la Croix-Rouge serait reconnaissant au
Gouvernement du Reich de lui faire connaître son point de vue. Le
Gouvernement du Reich serait-il prêt à charger le Comité inter
national de la Croix-Rouge d’étffidier cet ensemble de problèmes et
disposé en outre à autoriser le départ des groupes précédemment
mentionnés de civils britanniques, détenus soit sur le territoire du
Reich, soit dans les régions occupées ?
Le Comité international de la Croix-Rouge demande en même
temps aux Gouvernements britannique et italien s’ils seraient enclins
à autoriser la libération et le rapatriement des groupes correspondants
de civils allemands et italiens d'une part, et britanniques d’autre
part. Le Comité international de la Croix-Rouge serait disposé, si on
40
lui en exprimait le désir, à prendre toutes les mesures et à faire, selon
les circonstances présentes, toutes les démarches nécessaires pour la
réalisation de ce rapatriement. Au cas où le Comité international de
la Croix-Rouge recevrait des réponses affirmatives, il examinerait
immédiatement les aspects pratiques du problème (finances, voies de
transport, sauf-conduits), et cela dans les pays mêmes où se trouvent
les internés. Le Comité international de la Croix-Rouge serait égale
ment prêt à organiser des convois de rapatriés et à affréter des navires,
qui voyageraient sous l’emblème de la Croix-Rouge. L’identité des
passagers serait alors vérifiée à bord par un délégué de la CroixRouge.
Le Comité international de la Croix-Rouge serait heureux et recon
naissant si le Gouvernement du Reich voulait bien lui communiquer
son point de vue sur une question de principe dont la solution lui
paraît hautement désirable.
Lettre du Ministère des Affaires étrangères du Reich au CICR,
du 12 mars 1942 (résumé)
Le Gouvernement allemand répond aux propositions du CICR
relatives à la création de camps de familles. Le Gouvernement alle
mand espère pouvoir résoudre cette question qui lui tient à cœur.
Quand il a dû se résoudre à interner des civils britanniques, il a
toujours eu soin d’adoucir dans la mesure du possible les règlements
de l'internement en ne séparant pas les mères de leurs enfants,
les pères de leurs fils. En France occupée, les couples sont inter
nés à Vittel.
Lettre de la Croix-Rouge allemande au- CICR,
du 29 avril 1942 (résumé)
La Croix-Rouge allemande informe le CICR qu’elle n’a pu obtenir
les renseignements que celui-ci lui demandait concernant des non'aryens qui auraient été évacués des territoires occupés ; tous rensei
gnements à leur sujet sont refusés par les Autorités compétentes.
La Croix-Rouge allemande prie donc dorénavant le CICR de s’abste
nir de lui adresser des demandes d’informations qu’elle n’est pas en
mesure de satisfaire. A l’avenir, elle n’aura que la possibilité de pro
céder à des enquêtes sur les non-aryens de nationalité étrangère qui
se trouvent sur le territoire du Reich.
Lettre du CICR au Ministère des Affaires étrangères du Reich,
du 20 mai 1942 (résumé)
Le Comité international de la Croix-Rouge demande communica
tion des listes nominatives des internés civils des camps de Drancy,
41
de Compiègne et d’Afrique du Nord, qui auraient été déportés en Alle
magne ; le lieu actuel de leur détention, les adresses où l'on peut leur
envoyer des secours et s’ils sont autorisés à correspondre avec leur
famille. (Cette demande est restée sans réponse.)
Note du délégué du CICR à Berlin, du 24 mai IÇ42 (résumé)
Le délégué a pu visiter, suivant les instructions du Comité inter
national, le camp d’otages hollandais de s’Hertogenbosch. Il trans
met une note du Gouvernement allemand réfutant l’assertion selon
laquelle les otages seraient maltraités. De nombreux avantages leur
ont été au contraire accordés ; aucune limitation n’est apportée à
l'envoi de colis et de correspondance.
Lettre personnelle du Président du Comité international de la CroixRouge au Président en exercice de la Croix-Rouge allemande, relative
à la prise d'otages en Hollande (traduction)
Genève, le
I er
juin 1942.
Si, par ces lignes, je m’adresse à vous à titre personnel, c’est qu’il
s’agit d’une affaire qui revêt à nos yeux une importance primordiale.
J ’ai en outre la conviction que vous comprendrez pleinement notre
situation et les mobiles auxquels nous obéissons.
Il ressort d’informations parues dans la presse qu’on a procédé
dernièrement aux Pays-Bas à de nombreuses arrestations d’otages ;
on envisagerait en outre de transférer dans un autre camp (St
Michiels) les otages hollandais internés au camp de s’Hertogenbosch,
où ils se trouvent dans des conditions relativement supportables.
Le Comité international de la Croix-Rouge ne peut demeurer
indifférent à cette nouvelle. Je ne veux pas traiter ici de l’aspect
général et humanitaire de ce problème. Nous sommes persuadés que
les Autorités allemandes ne prennent pas à la légère des mesures aussi
sérieuses et qu’elles ne s’y décident que lorsque la gravité des infrac
tions et des attentats commis contre la Wehrmacht exigent les sanc
tions les plus strictes. Je voudrais me borner à rappeler à cette
occasion, pour ne rien omettre, le projet dit de Tokio (XVe Conférence
internationale de la Croix-Rouge, 1934) et en particulier le passage
suivant :
« Au cas où, à titre exceptionnel, il apparaîtrait indispensable à
l’E tat occupant de prendre des otages, ceux-ci devront toujours
être traités avec humanité. Ils ne devront sous aucun prétexte
être mis à mort ou soumis à des châtiments corporels. »
42
Cet alinéa du projet de Tokio — projet qui d'ailleurs n’est pas entré
en vigueur — est fondé sur l'article 50 du Règlement de La Haye
concernant les lois et coutumes de la guerre, article interdisant les
peines collectives infligées aux populations de territoires occupés,
par suite d’actes individuels dont elles ne peuvent être considérées
comme responsables.
Je me limiterai ici au cas particulier des Hollandais, en soulignant
toutefois un point qui est d'une importance capitale pour notre
travail en faveur des nombreux ressortissants du Reich qui se trou
vent dans les territoires d’outre-mer.
Nous avons constamment fourni aux Autorités du Reich des ren
seignements détaillés sur l’activité de nos délégués en faveur des
internés allemands qui demeurent dans les pays en guerre avec
l'Allemagne. Tout dernièrement encore, nous avons pu communiquer
au Ministère allemand des Affaires étrangères les résultats remar
quables de la mission entreprise par notre délégué en Guyane hol
landaise, où celui-ci put obtenir des améliorations sensibles en faveur
des ressortissants du Reich détenus dans ce pays depuis deux ans.
Le travail que nos délégués accomplissent outre-mer en faveur des
ressortissants allemands ne peut avoir de résultats pratiques et
durables que si les Autorités allemandes, pour des motifs de réci
procité, tiennent compte de ces résultats dans le traitement des
ressortissants desdits pays ennemis qui se trouvent en mains alle
mandes. La valeur de notre travail serait, d'autre part, gravement
compromise si les rapports que nous adressons au Ministère des
Affaires étrangères sur les résultats d’une mission, non seulement
n’étaient suivis d’aucun allégement, mais, comme par exemple dans
la question des otages, devaient même coïncider avec une attitude
plus rigoureuse des Autorités du Reich.
Nous sommes précisément en train de renforcer nos délégations
dans les Etats d’Amérique latine ; des tâches considérables et ardues
nous y attendent, dans l'intérêt aussi de milliers de ressortissants
allemands qui s’y trouvent. En ce qui concerne le Brésil, nous avons
déjà reçu une importante proposition du Ministère allemand des
Affaires étrangères concernant l’aide à apporter aux Allemands dans
ce pays. Nous ne souhaitons rien avec plus d’ardeur que de faire,
comme auparavant, tout ce qui est en notre pouvoir pour améliorer
le sort souvent pénible de ces victimes de la guerre, qui n’ont jamais
combattu. Mais comment pourrions-nous, nous et nos délégations,
compter sur la compréhension et la bonne volonté des Autorités d’une
Puissance détentrice, si celles-ci sont en mesure de rétorquer que les
facilités qu’elles accordent ne trouvent pas, en règle générale, de
contre-partie du côté allemand ?
Je vous adresse donc, Monsieur le Président, la prière instante
d ’user de toute votre influence auprès des milieux compétents pour
43
qu’ils tiennent compte des difficultés et des conditions préalables de
réciprocité qui régissent le travail de nos délégués dans les différents
Etats belligérants. Il importe d’éviter, autant que faire se peut, toutes
mesures pouvant entraîner l’aggravation de la situation générale, et
notamment des répercussions défavorables pour les citoyens alle
mands se trouvant outre-mer.
Vous connaissez l'importance de nos délégations dans presque tous
les pays du monde et les dépenses énormes auxquelles nous ne fai
sons face qu’au prix de grandes difficultés. Nous souhaitons que cette
organisation universelle puisse continuer à rendre service à vos com
patriotes en pays ennemis ; mais je ne puis vous cacher ma crainte
que nos efforts ne soient sérieusement entravés si les résultats acquis
n’éveillent pas d’écho dans le Reich, dans le sens indiqué plus haut.
J'ajoute pour terminer que nous connaissons le point de vue du
Gouvernement du Reich, tendant à résoudre ce problème par le
rapatriement réciproque de tous les internés civils. Sans doute cette
idée doit être accueillie avec faveur ; je crois cependant devoir
exprimer certains doutes quant aux possibilités de la réaliser. Même
si, par exemple, les Gouvernements belge et néerlandais en exil se
déclaraient prêts à rapatrier tous les Allemands, y compris les
hommes d’âge militaire, les Autorités du Reich seraient toujours en
mesure d’opérer des arrestations ultérieures dans les territoires
occupés. Cette supposition a sans doute fourni aux Gouvernements
susnommés le motif de leur premier refus, qui a été porté à notre
connaissance. Bien que nous n’ayons rien entrepris dans ce domaine
jusqu’ici et que nous ignorions l’avis des Gouvernements intéressés,
je crains que la proposition du Gouvernement allemand ne soit pas
acceptée. Ce qui nous importe toutefois, c’est d’obtenir des allége
ments tangibles en faveur de cette catégorie de victimes de la guerre
et d’arriver à des solutions pratiques.
C'est pourquoi nous estimons de notre devoir de chercher à exercer
une influence modératrice chaque fois que la situation menace d’em
pirer et de tenter tout ce qui est de nature à amener une détente.
C’est dans ce sens que je vous prie d’interpréter ces lignes person
nelles et de vouloir bien, comme par le passé, faire preuve de votre
compréhension habituelle de notre situation particulière entre les
belligérants, situation qui repose en grande partie sur l'application
du principe de réciprocité.
Réponse du Président en exercice de la Croix-Rouge allemande
à la lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge
du i ei juin 1942, concernant les otages hollandais (traduction)
Berlin, le 7 juillet 1942.
Votre lettre du I er juin m’a vivement préoccupé. Vous savez à
quel point le travail du Comité international de la Croix-Rouge me
44
tient à cœur et, par conséquent, combien je partage vos pensées et
les soucis que vous inspire votre rôle d'intermédiaire et de modéra
teur à propos des incidents qui se sont produits en Hollande et que
vous rapportez.
Vos préoccupations me paraissent entièrement justifiées, même
si les conséquences que vous redoutez ne pouvaient avoir de réper
cussions fâcheuses pour nos propres ressortissants.
Bien que mes constatations relatives aux questions qui nous pré
occupent ne me permettent pas, jusqu’ici, de vous donner une réponse
qui nous satisfasse tous, je partage néanmoins votre espoir qu’une
aggravation du sort de mes compatriotes, pour le présent et à l’ave
nir, puisse être évitée, des mesures de ce genre entraînant toujours
des représailles. Et ceci d’autant plus, qu’il y a tout de même une
distinction à faire entre les nécessités devant lesquelles les Autorités
allemandes se trouvent placées dans un territoire occupé comme les
Pays-Bas et le traitement des internés civils pour lesquels les Con
ventions en vigueur prévoient un régime nettement défini.
Nous éprouvons de la gratitude envers le Comité international de
la Croix-Rouge pour chaque allégement, fût-il minime, que ses efforts
inlassables ont tant de fois procuré au sort des détenus. Vous
comprendrez donc combien je regrette, précisément dans ce do
maine, de ne pouvoir vous offrir l’entremise efficace de la CroixRouge allemande en ce qui concerne les incidents dont il est
question dans votre lettre. Croyez, je vous prie, que seules des
nécessités militaires péremptoires ont pu amener les Autorités
compétentes à prendre ces mesures et que, pour l’instant, il est
impossible d'invoquer même certains principes qui nous tiennent
fort à cœur.
Note du CICR à sa délégation à Berlin, du 21 juillet 1942 (résumé)
Le Comité international, qui a appris par la Croix-Rouge polo
naise l’arrestation d’officiers de réserve polonais, demande à sa délé- ^
gation à Berlin de se procurer les listes nominatives de ces officiers
et d’obtenir l’autorisation de visiter le camp où ils sont détenus.
Lettre de la Croix-Rouge allemande au CICR, du 20 août 1942 (résumé)
En confirmation de sa lettre du 29 avril 1942, la Croix-Rouge alle
mande expose qu’elle ne peut donner des renseignements sur les déte
nus non-aryens qui se trouvent sur les territoires occupés par la Wehrmacht. En ce qui concerne les autres détenus civils dans les territoires
occupés, les Autorités compétentes se refusent à donner des rensei
gnements à leur sujet.
45
Lettre du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 24 août 1942 (résumé)
1) Les internés civils originaires des pays occupés par l’Allemagna
n’ont pas de Puissance protectrice. Il semble au CICR qu’ils ne sau
raient être privés de la garantie de la Convention du 27 juillet 1929.
Comment est assurée la défense de leurs intérêts privés, leur propre
défense devant les tribunaux ?
2) Les Espagnols républicains internés au camp de Mauthausen,
■d’après le Gouvernement allemand, ne sont pas sous le contrôle de la
XVehrmacht, mais de la police. Le CICR demande qu'ils soient trai
tés comme prisonniers de guerre, qu’ils puissent envoyer et recevoir
de la correspondance ; il demande également la liste de ces internés.
Instructions du CICR à ses délégués concernant les civils internés ou
incarcérés en Italie, Allemagne, Egypte, France occupée,
du 15 septembre 1942
Le Comité international de la Croix-Rouge insiste sur la nécessité
d’étendre son appui à cette catégorie de personnes. Il est évident
que les facilités que le délégué du CICR pourra obtenir auprès d’un
belligérant permettront de demander les mêmes privilèges auprès de
la partie adverse. Le CICR doit intervenir dans certains domaines
où la Puissance protectrice n’intervient généralement pas. C’est dans
ce sens que le CICR entreprend des enquêtes individuelles concernant
les civils non internés en pays ennemi, avec le concours des Sociétés
nationales de la Croix-Rouge. De même, il a réussi, avec l’accord des
belligérants, à instaurer un système de correspondance permettant
aux civils de rester en contact avec leur pays d’origine.
En l’absence d’une convention spéciale (Projet de Tokio), il est ,
apparu nécessaire d’assimiler les internés civils aux prisonniers de
guerre et de leur appliquer les dispositions de la Convention de
Genève. Les internés délinquants doivent également être au bénéfice
du Chapitre III, articles 47 et suivants, de la Convention de 1929.
Le CICR doit s’efforcer de faire appliquer la Convention de 1929,
par analogie, à tous les cas où cela est matériellement et juridique
ment possible.
Note du CICR à sa délégation à Berlin
Nous
— nous
Comme
de tous
tation ;
46
Genève, le 24 septembre 1942.
vous envoyons en annexe une Note traitant d’un sujet qui
ne le cachons pas — nous cause de sérieuses préoccupations.
vous pouvez facilement l'imaginer, nous sommes assaillis
côtés de demandes relatives aux nombreux cas de dépor
ces demandes concernent en tout premier lieu des Israélites,
mais cette Note se rapporte également aux arrestations de nationaux
non Israélites dans les pays occupés, par exemple les otages, etc.
Jusqu’à maintenant, nous avons transmis à la Croix-Rouge alle
mande des enquêtes individuelles concernant les déportés ; c’était
tout ce que nous pouvions faire. Or, lors de sa dernière visite,
M. H artm ann1 nous a déclaré que la Croix-Rouge allemande était
obligée de refuser toute enquête concernant les Juifs. En ce qui
concerne les déportés non Israélites, M. Hartmann n’a pas refusé
les enquêtes d’une façon aussi catégorique ; et nous avons reçu de
la Croix-Rouge allemande quelques réponses, dont un petit nombre
— une trentaine — étaient positives ; plusieurs réponses disaient
cependant que les Autorités allemandes refusaient de donner suite à
nos enquêtes, d'autres indiquaient que la personne recherchée était
évacuée vers l'Est. Il est difficile de déterminer exactement le pourcen
tage de réponses positives, bon nombre des noms signalés ne per
mettant pas d’établir avec certitude s’il s’agit ou non d’Israélites.
Nous estimons toutefois que ce problème est beaucoup trop grave
pour que le Comité ne l’aborde que par le moyen d’enquêtes indi
viduelles. Le grand nombre d’arrestations et de déportations, notam
ment en France, pose un problème humanitaire dont le Comité inter
national de la Croix-Rouge ne peut se désintéresser. Pour le Comité
international, il s’agit là de civils ressortissants de pays belligérants
aux mains de l’ennemi. Ainsi que nous l’exposons dans la Note cijointe, nous considérons ne pas pouvoir les priver de notre sollicitude
et c’est dans ce dessein que nous vous confions cette Note en vous
priant de l’utiliser comme base pour un entretien avec le Ministère des
Affaires étrangères ; si vous le jugez opportun, vous voudrez bien la
remettre à votre interlocuteur. Nous nous rendons compte des diffi
cultés et des résistances auxquelles votre démarche se heurtera...
Enfin, nous tenons à vous dire que nous avons pensé nous servir
du meilleur argument possible en fondant cette tentative sur le prin
cipe de la réciprocité. En effet, nos délégués en Grande-Bretagne et
aux Etats-Unis ont obtenu de visiter les détenus dans les camps qui
sont sous administration de la police ou des autorités judiciaires.
Notre délégué au Vénézuéla a également visité des marins allemands
qui sont, croyons-nous, des « saboteurs ». Il n’y a évidemment pas
de réciprocité directe ; cependant, si les Autorités allemandes ne
nous accordent pas certaines facilités que nous réclamons dans la
Note annexée, nous risquons de voir partout les portes se fermer
lorsque nous demanderons à l’avenir des autorisations analogues.
Nous vous remercions à l’avance de ce que vous croirez pouvoir
faire dans cette question, ainsi que du rapport que vous voudrez bien
nous adresser après votre visite à la Wilhelmstrasse.
1 C hef d u D ép a rtem e n t d es rela tio n s ex té r ie u r e s de la C roix -R o u g e
allem a n d e.
47
Annexe à la Note précédente (traduction)
A plusieurs reprises, les Autorités du Reich ont attiré l’attention
du CICR sur la situation des ressortissants allemands qui, pour des
raisons de sécurité nationale, ont été mis en état d’arrestation dans
les pays qui se trouvent en guerre avec l’Allemagne. Afin de donner
suite au vœu exprimé à ce sujet par le Gouvernement allemand, le
Comité a chaque fois donné instruction à ses délégués d’entreprendre
des démarches auprès des Etats en question et de s'efforcer, dans la
mesure du possible, d’obtenir une amélioration de la situation de
ces détenus qui ne sont pas au bénéfice du statut des internés civils
proprement dits. Aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne, nous
avons été autorisés à visiter ces personnes arrêtées et détenues par
la police dans les lieux mêmes de leur détention. Des démarches ana
logues sont envisagées auprès de certains Etats de l’Amérique latine
récemment entrés en guerre, notamment au Brésil et au Vénézuéla.
Le CICR est d’autant plus anxieux de poursuivre son activité dans
ce sens et de la développer qu’il agit, dans ce domaine, conformé
ment à sa politique traditionnelle et aux mandats qui lui ont été
confiés par les Conférences internationales de la Croix-Rouge. Le
Comité se tient toujours à la disposition du Gouvernement du Reich
au cas où ses services lui paraîtraient désirables et pour des cas de
ce genre.
Dans cette question, le Comité international s’inspire du désir
d’assurer à la dite catégorie de personnes, d’accord avec la Puissance
détentrice, les facilités prévues en leur faveur, tant par l’extension
aux internés civils de la Convention de 1929 sur le traitement des
prisonniers de guerre, que par l’application des articles du projet de
Tokio, lequel avait recueilli l’approbation de principe de tous les
délégués des Gouvernements et des Sociétés de Croix-Rouge repré
sentés à la dite Conférence. Du reste, au cours du présent conflit,
le Gouvernement allemand nous a déclaré qu’il était disposé, sous
condition de réciprocité, à appliquer les dispositions du dit projet.
Or, nous sommes saisis maintenant, au sujet des ressortissants étran
gers mis en état d'arrestation par les Autorités allemandes dans les
territoires occupés, de cas analogues aux cas cités plus haut et qui
nous avaient été soumis par l’Allemagne. Le Gouvernement du Reich
comprend certainement que notre activité passée et de caractère
universel n’a été possible en principe que grâce au principe de réci
procité. Le fait que nous demeurions de façon identique à la dispositioh de tous les belligérants, nous a acquis une confiance qui nous
a mis en état de nous occuper de toutes les victimes de la guerre,
sans distinction. C’est pourquoi nous nous permettons de recourir
au Ministère des Affaires étrangères du Reich à propos des ressor
tissants étrangers qui ont été arrêtés dans les territoires occupés et
qui, depuis lors, sont internés ou déportés en Allemagne sans que l’on
48
puisse, dans la plupart des cas, connaître ni leur lieu de détention,
ni leur sort actuel.
Nous voudrions, dans cet ordre d'idées, soumettre au Ministère
des Affaires étrangères les propositions suivantes :
1. -— Nous souhaiterions vivement recevoir des renseignements
individuels sur le domicile actuel des personnes mises en état
d’arrestation, emprisonnées ou déportées à l’étranger, afin de pou
voir renseigner leurs familles et, dans certains cas, des milieux plus
étendus, anxieux quant à leur sort.
2. — Pourrait-on donner à ces personnes la possibilité d’en
voyer des nouvelles à leurs familles ? Au cas où un échange nor
mal de correspondance pourrait être autorisé, peut-être y aurait-il
lieu d’étudier l’emploi de simples formulaires imprimés, semblables
aux cartes de captivité dont l'emploi est accordé aux prisonniers
de guerre.
3. — Les familles de ces détenus et les Sociétés nationales de
Croix-Rouge pourraient-elles avoir l’autorisation de leur envoyer
des colis ?
4. — Les délégués du CICR pourraient-ils recevoir la permission
de les visiter ? Ce mode de faire serait hautement recommandable
pour les raisons que nous avons invoquées plus haut (visites aux
ressortissants allemands internés en pays ennemi).
Il nous paraît d’autant plus nécessaire d’accorder ces facilités que
la Croix-Rouge allemande vient de nous faire savoir qu’elle n'est plus
à même d’entreprendre des enquêtes individuelles sur ces personnes
— enquêtes qu'un nombre considérable de familles dans les divers
pays nous demandent sans cesse d’entreprendre.
Si le CICR se permet d’exposer son point de vue dans cette affaire,
c’est parce qu’il met sa confiance dans l’attitude de compréhension
et de bonne volonté que les Autorités du Reich n’ont cessé de mani
fester à son égard.
En outre sa neutralité absolue lui impose le devoir d'obéir en tous
pays et en toutes circonstances aux mêmes principes et de solliciter
partout les mêmes facilités dans l’accomplissement de sa tâche.
(La délégation du CICR à Berlin ne put transmettre au Comité,
en date du 22 décembre 1942, qu’une réponse négative du Ministère
des Affaires étrangères à cette note : le ministère était dans l’impos
sibilité de répondre aux demandes formulées à l’égard des déportés.)
Note de la délégation du CICR
à
Berlin, du
21
novembre I Ç 4 2 (résumé)
A la suite des démarches de notre délégation à Berlin, le Ministère
des Affaires étrangères a déclaré que des Français qui avaient-été
49
internés par erreur au camp de Mauthausen ont été retransférés dans
des camps de prisonniers de guerre:
La délégation espère obtenir le même résultat en faveur des Espa
gnols républicains internés à Mauthausen. Elle informe le Comité
« que les Polonais internés dans les camps de concentration sont légion
et que malgré tous ses efforts elle ne peut intervenir pour de tels cas ».
Note du CICR à lu Croix-Rouge allemande et au Ministère des Affaires
étrangères du Reich, décembre 1942 (résumé)
Les délégués du CICR ont eu l’autorisation de visiter les camps
d’internement des civils allemands au Brésil condamnés pour crimes
contre la sécurité de l'Etat. Ces internés sont astreints à un travail
non payé ; la direction des camps pourvoit à leur entretien. Les
délégués ont pu s'entretenir sans témoins avec les internés. Ils ont
attiré l’attention des Autorités brésiliennes sur les motifs de plaintes
des internés et les améliorations qu’il conviendrait d’apporter à leur
traitement.
Note de la délégation du CICR à Berlin sur le traitement des officiers
arrêtés en tenue civile dans les territoires occupés (Belges, Hollandais,
Norvégiens, Polonais, Yougoslaves), décembre 1942 (résumé)
Selon le Haut Commandement de l'armée allemande, les officiers
norvégiens arrêtés à titre préventif le 12 janvier 1942, après le coup
de main britannique sur Trondjem, et internés à la prison de la
Gestapo d’Oslo, puis transférés à Schokken, sont traités comme des
prisonniers de guerre. Ils ont pu faire venir leurs uniformes.
Le Haut Commandement allemand ne sait rien de l’internement
d'aviateurs et d'officiers de l’armée belge en Belgique. Les 2028
Hollandais de Stanislau, bien qu’arrêtés par la police, restent sous
la protection de la Convention de 1929.
Les Yougoslaves arrêtés à titré préventif sont traités comme des
prisonniers de guerre. En revanche, les Polonais arrêtés par la Gestapo
ne sont pas traités comme des prisonniers de guerre.
TROISIÈME PHASE
D evant le refus des Autorités du Reich de laisser pénétrer les
délégués du Comité dans les camps de concentration, et de
fournir les listes nominatives des déportés, le Comité interna
tional de la Croix-Rouge doit s'ingénier à tourner la difficulté.
50
Grâce à sa persévérance, aux intelligences q u ’il réussit à avoir
dans les camps, il se procure des adresses d ’internés et, par le
jeu des quittances, constitue un fichier des déportés qui lui
perm et d ’envoyer des colis individuels dans les camps, puis des
colis collectifs.
Il crée le Service des colis aux camps de concentration (Ser
vice CGC).
Chaque fois que des arrestations de civils et des déportations
lui sont signalées, il s’efforce de connaître les noms de ces civils
et leur lieu de déportation.
Le Comité international s’inquiète du sort des civils belges,
danois, yougoslaves ; des otages hollandais, des professeurs
déportés de l’Université de Cracovie, des officiers polonais et
norvégiens arrêtés en tenue civile et internés préventivem ent ;
des détenus politiques français, des réfractaires français au ser
vice du travail, etc.
Inlassablem ent, il demande pour tous ces internés et déportés
l’octroi de « garanties minimums ». Il tente, sans succès, de leur
faire parvenir des messages civils. Il harcèle la Croix-Rouge alle
mande de demandes d'enquêtes individuelles. Elle répond à
quelques-unes, en précisant qu’elle ne peut les faire que s’il
s'agit d’Aryens et qu’elle est elle-même impuissante, devant le
refus des A utorités allemandes de fournir des renseignements.
La réponse est invariable : les personnes arrêtées l’ont été « pour
des raisons de sécurité » et sont soustraites, de ce fait, à tout
contrôle ; elles dépendent uniquem ent de la police.
Le Comité international entreprend aussi de pressantes
démarches auprès des Autorités alliées dont dépendent les
mesures du blocus pour obtenir leur assouplissement en faveur
des détenus dans les camps de concentration.
Des secours parviennent à Dachau, Ravensbrück, Oranienburg, M authausen. En août et septembre 1944, les marchandises
du navire « Cristina » sont distribuées dans les camps.
Note du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 17 juin 1943 (résumé)
Le Comité envoie à la Croix-Rouge allemande des listes de per
sonnes arrêtées dans les territoires occupés et qui vraisemblablement
ont été envoyées en Allemagne ; il demande à la Croix-Rouge alle
5.1
mande de lui envoyer si possible les adresses de ces personnes. Il
s’agit de Français, de Tchèques, de Grecs, de Russes et de Belges.
(Cette note ne reçut pas de réponse, voir plus loin la note de la CroixRouge allemande du 5 octobre 1943.)
Appel du Comité international de la Croix-Rouge aux Gouvernements
belligérants, du 24 juillet 1943.
Le Comité international de la Croix-Rouge a toujours eu et conserve
comme ligne de conduite, en présence des horreurs, des souffrances et
des injustices découlant de la guerre, de manifester sa position morale
et sa volonté secourable par des actes plutôt que par des paroles.
Cependant, dès le début des hostilités en 1939, puis les 12 mars
et 12 mai 1940, le Comité international a, dans des appels et messages
aux Gouvernements, exprimé les vues que lui dicte sa tradition
sur les méthodes de la guerre. Le Comité rappelle instamment la
teneur de-ces documents à tous les belligérants.
Une fois de plus, devant la violence des hostilités, le Comité inter
national de la Croix-Rouge désire adjurer les Puissances belligérantes
de respecter, même en face de considérations militaires, le droit naturel
qu’a l’homme d’être traité selon la justice, sans arbitraire, et sans lui
imputer la responsabilité d’actes qu’il n’a pas commis. Il prie égale
ment les Puissances de ne pas recourir à des actes de destruction
injustifiés, ni surtout à des méthodes de guerre délétères proscrites
par le droit international.
Note de la délégation du CICR à Berlin, du 29 juillet 1943 (résumé)
A la suite de ses démarches, la délégation à Berlin a été autorisée
par le Ministère des Affaires étrangères à visiter les camps d’otages
en Norvège 1. Elle a discuté avec le Ministère la question des accusés
de réception des colis pour les camps de concentration. La délégation
poursuit ses efforts en vue de prendre contact avec le camp d’Oranienburg.
Note du Comité international de la Croix-Rouge au Consul britannique
à Genève demandant une atténuation du blocus pour permettre l'envoi
de colis dé vivres aux camps de concentration et aux prisons (traduction)
Genève, le 24 août 1943.
Le Comité international de la Croix-Rouge s’est constamment
efforcé d’inclure dans le cadre de son activité les prisonniers d’origine
1 C ette a u to risa tio n fu t retirée par la su ite a v a n t qu e les v isite s a ie n t
pu a voir lieu.
52
étrangère qui sont internés dans les camps de concentration alle
mands. Ces prisonniers sont, en majeure partie, ressortissants de
territoires occupés. Etant donné que, de l’avis des Autorités alle
mandes, les dispositions de la Convention de 1929 sur les prisonniers
de guerre ne touchent pas cette catégorie de détenus, nous n’avons
jamais reçu, à quelques exceptions près, l’autorisation de pénétrer
dans les camps de concentration. De même, aucune liste de noms
ne nous a été communiquée. Selon des informations dignes de foi,
ces détenus auraient cependant un besoin urgent d’aliments sup
plémentaires. Nous estimons en conséquence de notre devoir de
soumettre cette nécessité à l’examen approfondi des Gouvernements
et des Sociétés nationales de la Croix-Rouge intéressés, afin que nous
puissions envoyer à ces détenus civils des colis-standard de 'vivres,
semblables à ceux que reçoivent les prisonniers de guerre et les per
sonnes traitées comme internés civils.
Les Autorités compétentes en Allemagne ont déjà accordé aux
détenus dans les camps de concentration l’autorisation de recevoir
des colis individuels, sous condition qu’ils ne soient pas détenus pour
des raisons graves et que leur nom et leur adresse dans les camps
soient déjà connus.
Il nous a été possible de nous procurer environ 150 noms et adresses,
la plupart de Norvégiens 1, mais aussi de Polonais, de Hollandais, etc.
On peut prévoir que d’autres noms et adresses nous parviendront
dès que le projet de faire des envois réguliers de colis alimentaires
entrera en exécution.
Toutefois, le règlement édicté par le Comité anglo-américain pour
la guerre économique ne permet pas l’envoi de colis-standard des
Croix-Rouges américaine et britannique à des personnes autres que
les prisonniers de guerre et les internés civils reconnus comme tels.
De semblables envois sont subordonnés à la condition que les camps
désignés soient régulièrement visités par des délégués du Comité
international et que des listes de noms soient fournies. Ce mode de
contrôle étant malheureusement impossible en ce qui concerne les
camps de concentration, nous avons voulu nous assurer si un autre
genre de contrôle pourrait être acceptable, c’est-à-dire s’il serait
possible d’obtenir pour chaque colis une quittance signée personnel
lement par le bénéficiaire, ce qui servirait de preuve de la réception
du colis. A titre d’essai, nous avons envoyé 50 colis d’origine suisse,
chacun contenant une quittance ; ces colis furent adressés person
nellement à 50 détenus dont nous possédions les noms, dans diffé1 II c o n v ie n t de p réciser q u ’en a v ril 1943 d éjà , le rep résen ta n t de la
C roix-R ou ge de N o r v è g e à G en èv e rem it au C IC R un e liste de 250
d é ten u s n o rv ég ien s a u x q u els, à c e tte é p o q u e, d es colis fu ren t ex p é d iés
de Su èd e pour le co m p te du G o u v ern em en t n o rv ég ien e t par l ’en trem ise
de la C roix-R ou ge su éd o ise.
53
rents camps de concentration et prisons en Allemagne. Le résultat
a dépassé tous nos espoirs. En moins de six semaines, plus des deux
tiers des quittances, dûment signées par les bénéficiaires, nous sont
revenues. Ce résultat est d’autant plus frappant que, vu les mutations
constantes dans les camps, on pouvait s’attendre à ce qu’un certain
pourcentage des bénéficiaires ne puisse être atteint.
Malheureusement, nous ne disposons pas d’autres colis dont nous
puissions faire bénéficier ces prisonniers civils et nous ne voyons
aucun espoir d'obtenir d’autres permis d’exporter des denrées ali
mentaires de Suisse. Le Comité international se permet donc d’expri
mer le vœu que les dirigeants de la guerre économique veuillent bien
tenir compte (à titre exceptionnel) de la situation particulièrement
difficile'de ces prisonniers originaires des territoires occupés qui sont
détenus dans les camps de concentration, qu’ils examinent la possi
bilité de surseoir aux exigences relatives aux visites des camps et à
la fourniture de listes pour les besoins du contrôle et acceptent les
quittances individuelles comme contrôle suffisant.
La première mesure à prendre serait d’envoyer aux prisonniers
dont les noms nous sont actuellement connus (et dont le nombre ne
dépasse pas 200) des colis de vivres mensuels qui seraient mis à notre
disposition par les pays d’outre-mer. Au cas où des noms supplé
mentaires nous seraient communiqués, nous les annoncerions au fur
et à mesure et le nombre des colis serait augmenté en proportion.
Pour l’instant nous évaluons à quelques centaines au maximum le
nombre total des bénéficiaires.
Le Comité international serait extrêmement heureux de connaître
l’avis des Autorités compétentes sur le projet qu’il vient d’esquisser.
Lettre personnelle du Président du Comité international de la CroixRouge à la Croix-Rouge britannique, sur le même sujet que la précédente
(traduction)
Genève, le 26 août 1943.
Je me permets de me référer à votre aimable communication du
14 juillet et plus particulièrement à son deuxième paragraphe con
cernant nos efforts pour procurer des secours aux ressortissants des
territoires occupés, qui sont détenus dans des camps de concentration
et de prisonniers de guerre en Allemagne.
Je voudrais tout d’abord vous exprimer mes remerciements les
plus sincères pour l’intérêt que la Croix-Rouge britannique a manifesté
à l’égard de nos tentatives d’alléger le triste sort des catégories
d’internés qui ne sont pas au bénéfice de notre œuvre de secours.
Comme vous le savez, nos efforts n’ont pas toujours été couronnés de
succès et l’on nous a rapporté récemment de Londres des renseigne
ments de caractère plutôt négatif. Cependant, nous estimons de notre
54
devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour réaliser notre pro
jet, et nous avons tout dernièrement adressé une requête aux Gouverne
ments intéressés pour qu’ils relâchent en faveur des ressortissants
des territoires occupés qui sont internés en Allemagne les règle
ments concernant le blocus.
Nous vous remettons ci-joint copie de la note que nous avons com
muniquée à ce sujet au Consulat britannique à Genève, pour être
transmise aux Autorités compétentes. 1 Vous y trouverez un exposé
très clair de la situation et je vous serais extrêmement reconnaissant
de bien vouloir user de votre influence quant à la décision qui doit
être prise.
Le Comité international prend cette question extrêmement à
cœur, car il a appris de divers côtés que la situation dans les camps
de concentration est des plus alarmante et que le taux de mortalité
y est très élevé. Nous avons reçu de différents milieux de pressants
appels de secours et nous estimons devoir tenter l’impossible pour
chercher à obtenir ces secours d’outre-mer. Bien entendu, nous sommes
conscients du fait que les conditions dans ces camps diffèrent de
celles qui régnent dans les camps de prisonniers de guerre et d’in
ternés civils et que les possibilités d’un contrôle de notre part sont
limitées. Mais nos démarches auprès du Ministère de la Guerre écono
mique nous paraissent justifiées, car nous estimons que les quittances
reçues sont une preuve suffisante que les colis ont été remis aux
destinataires.
De plus, le nombre relativement restreint de colis entrant en ligne
de compte — quelques centaines par mois — devrait permettre de
faire agréer notre projet, même en tenant compte des exigences de
la guerre économique en général.
Nous serions heureux si vous estimiez possible d’attirer sur ce
problème l’attention des Autorités ou des Sociétés de la Croix-Rouge
des pays alliés, dont plusieurs (Norvège, Hollande, Tchécoslovaquie)
nous ont adressé, par l’entremise de leurs représentants en Suisse,
la fréquente prière de venir au secours de leurs compatriotes qui se
trouvent dans les camps de concentration.
Conférence tenue le 16 septembre 1943, au siège du CICR,
avec un représentant du Ministère des Affaires étrangères du Reich,
au sujet des otages
Le CICR constate que les otages, qui ne sont ni prisonniers de
guerre ni internés civils, n’ont pu jusqu’ici bénéficier de sa protection.
Toutes ses démarches en vue d’obtenir l’autorisation de visiter les
camps de concentration ont échoué.
1 V oir page 52.
55
Le représentant du Ministère des Affaires étrangères du Reich ne
pense pas que cette autorisation puisse être accordée.
Le CICR fait observer que le fait de pouvoir intervenir en faveur
de ces détenus procurerait des avantages réciproques à l’E tat qui
donnerait ces facilités.
Au Brésil, les internés allemands sont considérés comme des per
sonnes dangereuses pour la sécurité de l’Etat, mais les délégués du
CICR peuvent cependant les visiter.
Note de la Croix-Rouge allemande, du 5 octobre 1943 (résumé)
Le CICR, qui n’a toujours pas reçu de réponse de la Croix-Rouge
allemande au sujet des listes de déportés qu’il lui a adressées, est
informé par le chef du Département des relations extérieures de la
Croix-Rouge allemande que celle-ci peut faire des enquêtes sur les
cas individuels qui lui seront soumis.
Note du CICR à la Croix-Rouge de Belgrade, du 6 octobre 1943 (résumé)
Le CICR demande à la Croix-Rouge de Belgrade de lui envoyer
des listes de déportés yougoslaves, qui seraient obtenues par l’entre
mise des familles, pour tenter de leur faire parvenir des secours.
Note de la délégation du CICR à Berlin, du 12 novembre 1943 (résumé)
Les délégués du CICR ont pris contact avec le commandant du
camp d'Oranienburg. Ils n’ont pu visiter ce camp. L’envoi de colis
de secours et de vêtements est autorisé.
Lettre du Président du CICR au Président du Comité central de la CroixRouge polonaise à Londres, du Jer décembre 1943 (résumé)
Le CICR a reçu de l’homme de confiance polonais de l'Oflag VII A
une liste d’environ 500 ressortissants polonais se trouvant dans des
camps de concentration et prisons et qui semblent être des parents
des officiers de cet Oflag.
Cette liste permettra au CICR d’intensifier son action de secours.
Note de la délégation du CICR à Londres, du 16 décembre 1943 (résumé)
La délégation du Comité à Londres fait part de la réponse néga
tive du Foreign Office à la demande du CICR de relâcher le blocus en
faveur des détenus des camps de concentration.
56
Réponse du Président du CICR à une demande d’information de l’attaché
commercial adjoint de l’Ambassade de France à Berne, au sujet des
jeunes Français qui refusent d’aller travailler en Allemagne et sont
arrêtés et déportés, du 30 décembre iç>43 (résumé)
Le CICR n’a négligé aucun effort pour venir en aide à cette caté
gorie de personnes. Se fondant sur le fait que ces personnes n’ont
pas été arrêtées en raison de leur nationalité, les Autorités allemandes
ne leur accordent pas le traitement prévu par la Convention de 1929,
appliquée par analogie aux internés civils, et n’ont pas autorisé les
délégués du CICR à visiter les camps où elles sont détenues. L’Agence
centrale des prisonniers de guerre n’a pu obtenir la liste de leurs
noms.
En revanche, il est possible en principe d’entreprendre des enquêtes
individuelles, à condition de connaître les noms exacts des intéressés
ainsi que tous les détails pouvant faciliter les recherches. II y a lieu,
en outre, de préciser l’origine aryenne ou non aryenne, aucune
recherche concernant des Israélites ne pouvant aboutir.
Note du Département d’Etat américain transmise au CICR
par la délégation à Genève de la Croix-Rouge américaine,
du 24 janvier 1944 (résumé)
La Croix-Rouge américaine communique au CICR une note du
Département d’E tat qui fixe la position du Gouvernement fédéral à
l'égard des internés civils allemands détenus aux Etats-Unis, afin de
faciliter les démarches du CICR en faveur des déportés français en
Allemagne : « La politique du Gouvernement des Etats-Unis est de
traiter les internés civils allemands détenus conformément aux dis
positions de la Convention de 1929, dans la mesure où celle-ci est
applicable à des civils. Le Gouvernement allemand a été informé de
cette politique en maintes occasions. »
Note de la délégation du CICR à Berlin, du 25 janvier 1944 (résumé)
La délégation du CICR donne des nouvelles de personnalités fran
çaises déportées en Allemagne : le général Gamelin, les présidents
Reynaud et Lebrun sont dans la région d’Innsbruck.
Note du CICR à la Croix-Rouge de Belgique, du 25 janvier 1944
(résumé)
Le CICR informe la Croix-Rouge de Belgique qu’il s’efforce, par
l'intermédiaire de sa délégation à Berlin, de connaître le nombre
57
approximatif des Belges qui pourraient se trouver dans les quatre
grands camps de concentration d'Oranienburg, Buchenwald, Dachau,
Ravensbrück (ce dernier pour femmes), de façon à pouvoir intensifier
ses envois de colis.
Lettre du CICR à diverses personnalités françaises, du 29 février 1944
(résumé)
Dans le courant de 1943, le Comité international de la Croix-Rouge
a pu créer un Service de colis individuels pour les camps de concen
tration et a expédié un certain nombre de colis de vivres à des
prisonniers administratifs en Allemagne et dans les pays occupés.
Les accusés de réception qui sont venus en retour prouvent que
ces colis ont atteint en grande partie leurs destinataires.
Comme le Comité international de la Croix-Rouge ne dispose pas
de fonds pour les frais d’achat et de transport de ces colis, il doit en
réclamer la contre-valeur aux personnes ou aux organisations qui en
demandent l’envoi.
Or, si le Comité a pu jusqu’à présent obtenir suffisamment de fonds
pour adresser des colis à des prisonniers administratifs de diverses
nationalités, il lui a été en revanche très difficile de trouver de l’argent
pour secourir les prisonniers administratifs français, et il serait au
regret de devoir refuser parfois de faire des envois parce que les
demandeurs ne sont pas en mesure d’en assumer les frais. Cela serait
d’autant plus regrettable que le retour de l’accusé de réception d’un
colis constitue souvent le seul signe de vie qu’une personne détenue
soit à même de donner.
Note du CICR au Comité français de Libération nationale à Alger,
du 6 mars 1944 (résumé)
Le CICR possède relativement peu de noms de Français détenus
dans les camps de concentration. Les envois collectifs étant interdits,
il expédie des colis individuels aux personnes dont il connaît les
adresses. Il pourrait intensifier son action, mais les Autorités du
blocus n’admettent, en faveur des déportés, ni transferts de fonds,
ni envois de colis d'outre-mer, parce que cette catégorie de victimes
de la guerre n’est pas assimilée aux prisonniers de guerre.
Note du CICR au Ministère des Affaires étrangères du Reich,
du 10 mars 1944 (résumé)
Le CICR s’informe auprès du Gouvernement allemand du sort
d’une centaine d’officiers français qui ont été récemment appré
hendés par les Autorités d’occupation, puis déportés, et auxquels il
désirerait envoyer des secours.
58
Note de la délégation du CICR à Berlin, du 12 mars 1944 (résumé)
La délégation à Berlin demande au CICR d’envoyer des secours à
cinq cents Norvégiens qui se trouvent au camp de Sachsenhausen.
Ils devraient être rapidement secourus en vivres et médicaments
(cibazol et vitamines). La délégation donne trois nouveaux noms de
Norvégiens détenus à Buchenwald pour qu’on leur fasse parvenir des
secours.
Note de la délégation du CICR à Berlin, du 30 avril 1944 (résumé)
La délégation du CICR à Berlin transmet une liste de personnalités
lithuaniennes dont trente-neuf sont détenues à Dachau et dix-huit à
Struthof.
Note de la délégation du CICR à Berlin, du 12 mai 1944 (résumé)
La délégation fournit des renseignements sur les nouveaux camps
de Norvégiens déportés en Allemagne : camps de Natzweiler et
Sachsenhausen ; cinq cents Norvégiens s’y trouvent. Le camp de
Sachsenhausen a été rendu meilleur, mais les internés qui s’y trouvent
devraient être rapidement secourus par des envois de vivres et de
médicaments (cibazol et vitamines). Les Norvégiens précédemment
au Marlag Milag Nord ont été transférés à Sonnenberg « camp très
secret dont nous ne savons rien ».
Note de la délégation du CICR à Berlin, du 30 mai 1944 (résumé)
Le chef de la délégation du CICR à Berlin a rendu visite au com
mandant du camp de concentration de Struthof et signale au Service
CCC la présence dans ce camp de mille Polonais, deux cent soixante
Norvégiens, cent cinquante-cinq Danois, trente Tchèques, trois
Français et cinquante-cinq Belges. Les Norvégiens et les Danois se
trouvent dans un camp séparé, le « Germanenlager ». Ils sont assez
bien traités et reçoivent des colis du Danemark et de la Suède. Ils
ont besoin de sous-vêtements pour l’hiver, ainsi que de vivres pou
vant être cuits au camp. Chaque nationalité sera représentée par un
homme de confiance.
Note du CICR à sa délégation à Washington sur l’assistance
aux Israélites, du 30 juin 1944 (résumé)
Pour apporter une aide efficace aux Israélites des pays sous con
trôle de l’Axe, il serait précieux de savoir ce que le « War Refugee
Board » a l’intention de faire sur le vu des informations et des docu
ments que le CICR lui a transmis.
59
Le CICR est toujours désireux, comme il l’a dit maintes fois, de faire
tout son possible pour secourir les déportés et internés des camps de
concentration ; toutefois cette action devrait être conduite aussi
rapidement que possible, au mieux des possibilités du moment, si
l’on ne veut pas laisser échapper des occasions d'intervention qui
risquent de ne plus se présenter.
Le CICR a déjà souligné la nécessité de recevoir des envois de
vivres des pays d’outre-mer afin de pouvoir entreprendre une action
de secours générale dans les camps de concentration. En effet, ses
possibilités d'approvisionnement en Suisse ou dans les autres pays
neutres d’Europe sont trop réduites pour lui permettre d'envoyer
un colis de vivres mensuel à chacune des personnes à secourir dont
il connaît l’adresse. Depuis lors, le nombre des malheureux auxquels
il pourrait, en principe, venir en aide s’est très fortement accru,
alors que les possibilités d’approvisionnement en Europe se sont, en
revanche, sensiblement réduites. Or, les Autorités américaines inté
ressées n’ont toujours pas fait connaître au CICR leur attitude à cet
égard et n’ont pas indiqué si elles pourraient envisager de faire une
exception aux règles du blocus pour permettre l’envoi des vivres
indispensables au développement de l’action de secours en faveur
des détenus civils. Le CICR désirerait connaître d’urgence la décision
du « War Refugee Board ».
Lettre -personnelle du Président du Comité international de la CroixRouge au régent Horthy (traduction)
Genève, le 5 juillet 1944.
J ’ai l’honneur de m’adresser à Votre Altesse au nom d’une Insti
tution dont je fais partie depuis bientôt une vingtaine d’années, ainsi
qu’en mon nom propre.
De toutes les parties du monde parviennent aujourd’hui au Comité
international de la Croix-Rouge des questions, des informations et des
protestations ayant trait aux mesures de rigueur qui seraient prises
actuellement à l’égard des Juifs de nationalité hongroise. Le Comité
n’est pas à même de répondre à cette correspondance, car il ne possède
pas de renseignements qu’il serait en mesure de contrôler. Ce qui
a été porté à notre connaissance nous semble tellement en contra
diction avec les traditions chevaleresques du grand peuple hongrois
qu’il nous paraît presque impossible d’ajouter foi même à la plus
faible partie des informations qui nous parviennent.
Au nom du Comité international de la Croix-Rouge, je voudrais
adresser à Votre Altesse la prière de donner des instructions afin que
nous soyons mis en mesure de répondre à ces rumeurs et accusations.
Nous voudrions en même temps, au nom des principes que le Comité
international a toujours défendus et de la grande tradition humani
60
taire de la Hongrie, adjurer le Gouvernement royal hongrois de
prendre toutes les mesures possibles pour empêcher que ne se pro
duise la plus minime occasion qui puisse donner lieu à d’aussi mons
trueuses rumeurs.
Réponse personnelle du régent Horthy an Président du Comité
international de la Croix-Rouge (traduction)
Budapest, le 12 août 1944.
J ’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre et je vous en remercie.
J ’ai donné les instructions nécessaires pour que la Présidence du
Comité international de la Croix-Rouge reçoive des informations
véridiques sur la situation des Israélites dans notre pays et sur les faits
précis concernant la question juive en Hongrie. Selon les informations
du Ministère royal hongrois des Affaires étrangères, le Chargé d’affaires
de Hongrie à Berne a donné à M. Burckhardt, vice-président du
Comité international de la Croix-Rouge, des renseignements sur. la
situation réelle.1
Convaincu, Monsieur le Président, que vous avez eu connaissance
des dites informations, je me borne à insister sur le fait que je suis
particulièrement conscient de la haute importance de ce problème.
Malheureusement, il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher des
actes inhumains, que personne ne condamne avec plus de sévérité
que mon peuple dont les pensées et les sentiments sont chevale
resques. J ’ai chargé le Gouvernement hongrois de prendre lui-même
en mains le règlement de la question juive à Budapest. Il faut espérer
que cette déclaration ne suscitera pas de graves complications.2
Note de la délégation du CICR à Berlin, du
I er
septembre iç44 (résumé)
La délégation de Berlin adresse au CICR, pour l’envoi de secours
individuels, deux listes de Danois déportés dans des pénitenciers et
à Oranienburg.
1 E n d a te du iS ju ille t, le Chargé d'affaires de H on grie d o n n a certain es
a ssurances rela tiv es au so rt des J u ifs en H o n g rie. Il d éclara n o ta m m e n t
que les d ép o rta tio n s d ’Isra é lite s en A llem a g n e a v a ie n t é té su sp en d u es
e t que le G o u v ern em en t h o n g ro is a u to risa it le C ICR à d istrib u er des
secours à to u s les Isra élites se tr o u v a n t d an s les g h e tto s e t d an s les
cam p s.
2 Le C IC R ne p eu t rendre co m p te ici de l'a c tiv ité de secou rs qu'il
d ép lo y a en fa v eu r des Isra élites, n o ta m m e n t en H on grie e t en R o u m a
nie. Il se réserve de le faire é v e n tu e lle m e n t d an s une p u b lica tio n sp é
ciale.
6l
Note de la délégation du CICR à Belgrade, du 3 septembre 1944 (résumé)
Le délégué du CICR à Belgrade donne au Comité l’indication sui
vante à propos des déportés politiques yougoslaves : « Tout ce que
nous pouvons faire c’est d’ouvrir des enquêtes individuelles, mais
nous recevons rarement des réponses. »
Lettre du CICR au Congrès juif mondial concernant l’envoi de secours
à Theresienstadt, du 5 septembre 1944 (résumé)
Le CICR remercie le Congrès juif mondial de lui avoir communiqué
une lettre parvenue de Theresienstadt, qui confirme la réception de
52 caisses de médicaments et de fortifiants expédiés en son temps
par les soins de la Commission mixte de secours de la Croix-Rouge
internationale.
Note du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 6 septembre 1944
(résumé)
Le CICR demande à la Croix-Rouge allemande l’adresse de deux
cents déportés de Vichy (notamment l’archevêque de ClermontFerrand) pour l’envoi de secours.
Note du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 6 septembre 1944
(résumé)
Le CICR se plaint à la Croix-Rouge allemande de l’insuffisance
des réponses à ses demandes de renseignements concernant des
déportés civils français. Les réponses sont toujours évasives : «... aux
mains de la police ... incarcérés », et rien de plus.
Note du CICR à la Croix-Rouge allemande, du 8 septembre 1944
(résumé)
Le CICR propose d’organiser un système de correspondance pour
les déportés avec leurs familles et de remédier à l’interruption des
relations postales entre l’Allemagne et la France.
Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge
au Cardinal Suhard, archevêque de Paris
Genève, le 20 septembre 1944.
J ’ai l'honneur d’accuser réception de la lettre que Votre Eminence
a bien voulu m’écrire en date du 14 septembre et què Monsieur l'abbé
Rodhain m’a lui-même remise.
62
La situation fort alarmante des détenus politiques français en
Allemagne, telle que la dépeint l’émouvant message de Votre Emi
nence, est l’objet de nos vives et constantes préoccupations.
Ainsi que Votre Eminence l’indique Elle-même dans Sa lettre, la
Croix-Rouge ne possède pas, comme elle le souhaiterait, en faveur
de cette catégorie de victimes de la guerre pourtant si digne d’in
térêt, les mêmes moyens d’action humanitaire qu’envers d’autres
captifs, tels que les prisonniers de guerre et les internés civils pro
prement dits.
Toutefois, Votre Eminence peut avoir la certitude que le Comité
international de la Croix-Rouge partage pleinement Son souci et Sa
sollicitude et qu’il ne négligera rien de ce qui est en son pouvoir pour
tenter d’alléger le sort de ces détenus. Le Comité s’efforce et s’efforcera
de leur venir en aide avec tout le sérieux et l’urgence que requiert
leur détresse.
Je présume que Monsieur l’abbé Rodhain vous rendra compte,
à cet égard, des entretiens que nous avons eu le privilège d’avoir
avec lui.
Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge
au Président de la Croix-Rouge française
Genève, le 21 septembre 1944.
J ’ai l’honneur d’accuser réception de la lettre que vous avez bien
voulu m'adresser, en date du 7 septembre 1944, et qui m’a été remise
par le comte de Grammont, dont nous sommes heureux d’avoir actuel
lement la visite à Genève.
Ainsi que votre délégué aura pu s’en rendre compte, au cours des
différents entretiens que nous avons eus avec lui pendant son séjour,
la situation de vos compatriotes, détenus politiques en Allemagne,
est un des problèmes particulièrement douloureux qui retiennent
depuis longtemps notre constante attention.
Comme vous le savez sans doute, le Comité international de la
Croix-Rouge a déjà pu, après de persévérantes démarches auprès des
Autorités allemandes, apporter, dans la limite des moyens dont il
disposait, des secours matériels à nombre de détenus dont le lieu
d’internement en Allemagne lui était connu. Cette oeuvre, commencée
il y a quelques mois déjà, au milieu de sérieuses difficultés, sera pour
suivie par nous et, nous l’espérons, étendue dans toute la mesure
du possible. D’ores et déjà, je vous donne l’assurance que le Comité
international va multiplier tous ses efforts dans ce sens.
Il faut malheureusement indiquer ici qu’en ce qui concerne le
statut même des civils français détenus en Allemagne, et dont les
Autorités et la Croix-Rouge françaises désireraient que la protection
fût assurée désormais par le Comité international de la Croix-Rouge,
63
les moyens d'action de celui-ci sont actuellement très limités. C'est
d’ailleurs en prévision d’une telle situation que le Comité inter
national, dès le début de la guerre, en 1939, proposa aux divers
belligérants l’adoption et la mise en vigueur immédiate du Projet de
Convention (dit de Tokio) pour la protection des civils en territoire
ennemi ou occupé par l’ennemi. Mais cette suggestion n’a fait l’objet
d’aucune réponse de la plupart des Gouvernements intéressés.
Bien que privé de l’appui que lui eût donné l’adhésion des dits
Gouvernements, le Comité international de la Croix-Rouge n’en a pas
moins tenté, dès le début du conflit, d’obtenir pour tous les civils en
territoire ennemi ou occupé par l'ennemi, détenus à quelque titre que
ce soit, un régime conforme à certains principes d’humanité. En
outre, et comme je vous le disais plus haut, le Comité international
va répéter, dans ce sens, ses démarches, et cela de façon pressante.
Désireux comme il l’est de réunir toutes les chances de réussite, le
Comité international de la Croix-Rouge croit devoir attirer votre
attention sur le point suivant :
L’expérience prouve que, dans des négociations de ce genre, l’élé
ment de réciprocité est un facteur important. Il est donc possible
que la partie adverse, lorsqu’elle sera saisie de la proposition que
nous allons lui adresser en faveur des détenus politiques français,
demande si, en contre-partie, le Gouvernement français accepterait
que le Comité international agît dans le même sens en faveur des
ressortissants allemands que les Autorités militaires ou civiles fran
çaises ont jugé ou jugeraient devoir interner en France même, ou
lors de l’occupation de territoires allemands. Si je vous indique l’éven
tualité d’une telle demande, c’est pour que cette question fasse dès
à présent, de la part des Autorités et de la Croix-Rouge françaises,
l’objet de l’examen urgent qu’elle nous paraît devoir mériter. Il nous
semblerait utile que les diverses Autorités alliées, pour ce qui les
concerne, envisagent également ce problème d’une façon analogue
et, si possible, d’un commun accord.
Si je me suis permis d’indiquer dans cette lettre les difficultés que
le Comité international de la Croix-Rouge a rencontrées, c’est, vous
le comprendrez certainement, afin que tous les moyens d’action pos
sibles soient réunis dans l’espoir d'atteindre le but auquel vont tendre
tous nos efforts.
Note du CICR à sa délégation à Berlin, du 15 septembre 1944 (résumé)
Depuis un certain temps, le Service CCC ne reçoit plus les étiquettes-quittances pour les colis adressés individuellement au camp
de Sachsenhausen, alors que d’autres camps continuent à les ren
voyer. Serait-il possible que cet arrêt dans le retour des quittances
signifie que les destinataires n’ont pas reçu leurs colis, ou bien les
64
ont-ils reçus et n’ont-ils pas eu la possibilité, pour des raisons de
censure ou de poste, de réexpédier les quittances ? D’autre part, il
est possible que certains envois n’aient pas atteint le camp à la suite
de bombardements, par exemple. Afin -que la délégation puisse con
trôler les expéditions, le Comité joint à la présente note la liste des
envois effectués à destination de ce camp depuis le I er juillet 1944.
La délégation est priée d’informer le Comité, selon les impressions
qu'elle aura recueillies, si possible personnellement, dans ce camp,
s’il peut continuer ses envois ; en effet, il prépare de nouvelles expé
ditions à destination de ce camp pour ce mois-ci encore. L’enquête
demandée revêt donc un caractère très urgent.
Note du CICR à sa délégation à Berlin, du 15 septembre 1944 (résumé)
Le CICR est heureux de pouvoir annoncer que les envois effectués
à Dachau, grâce aux marchandises du vapeur « Cristina », ont
donné des résultats inespérés. Les colis expédiés collectivement à
l’homme de confiance, et qui ont quitté Genève le 23 août, ont été
reçus à Dachau le 3 septembre et les quittances estampillées par la
poste le 7 septembre, sont parvenues à Genève le 11 septembre. En
outre le rendement de ces envois collectifs est excellent car chaque
quittance est signée par plusieurs personnes (de quatre à quinze per
sonnes). Le Comité remercie sa délégation des efforts qu’elle a déployés
lors de sa visite au commandant du camp de Dachau et qui ont cer
tainement contribué pour une grande partie à ce bon résultat.
Note de la délégation du CICR à Bruxelles, du 16 septembre 1944
(résumé)
La délégation à Bruxelles donne des renseignements au CICR sur
les déportés belges en Allemagne : il y a en Allemagne environ
8000 prisonniers politiques belges ; les efforts du CICR ont permis
d’identifier 1600 déportés qui reçoivent chacun depuis quelques mois
2 colis par mois.
Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge
au Ministre des Affaires étrangères du Reich (traduction)
, Genève, le 2 octobre 1944.
Permettez-moi de vous remettre en annexe une note relative aux
détenus à titre préventif (Schutzhdftlinge) et de la recommander à
votre bienveillante attention.
65
f
Si le Comité international de la Croix-Rouge insiste aujourd’hui
encore sur ce problème, en demandant de pouvoir porter secours
à cette catégorie de civils, la raison en est d’abord qu’une par
tie de ces personnes — les Français par exemple — sont, à l’heure
qu’il est, totalement séparées de leurs familles et ne peuvent plus
recevoir de chez eux des colis de secours. En outre, ces civils
ne peuvent plus, comme auparavant, donner aux leurs le moindre
signe de vie. Le Comité international de la Croix-Rouge se trouve donc
aujourd’hui la seule institution qui soit à même d'offrir à ces détenus
étrangers un appui moral et matériel, quoique bien faible si on le
compare à celui qu’il est en mesure d’apporter aux prisonniers de
guerre et aux internés civils.
Pour illustrer le fait que le Comité international de la Croix-Rouge
s’est partout et toujours préoccupé du sort des détenus politiques,
dès qu’il en avait la possibilité, on peut citer l’exemple du Brésil,
où le Comité a pu intervenir, dès le début des hostilités entre ce pays
et l’Allemagne et secourir de façon régulière de nombreux ressortis
sants allemands arrêtés pour des motifs politiques, et détenus dans
des prisons. En Grande-Bretagne aussi, le Comité international de
la Croix-Rouge put visiter un camp de détenus allemands qui
n’étaient pas au bénéfice des dispositions de la Convention de 1929
relative aux prisonniers de guerre.
Le Comité international de la Croix-Rouge se permet donc, Mon
sieur le Ministre, d’exprimer l’espoir que vous voudrez bien recom
mander l’adoption de notre proposition concernant les secours aux
personnes qui sont détenues dans des camps de concentration ou des
prisons, pour des motifs préventifs ou de police, et que vous voudrez
bien nous faire part de votre décision à ce sujet dans un avenir
prochain.
Note annexée à la lettre précédente (traduction)
Genève, le 2 octobre 1944.
L’absence d’une protection effective, basée sur le droit inter
national, des civils se trouvant pendant une guerre sur le territoire
d’un E tat ennemi, a conduit à l’élaboration, dans l’intervalle des
deux guerres mondiales, du projet dit de Tokio, qui marque un pro
grès substantiel en ce qui concerne le traitement des ressortissants
ennemis appartenant à cette catégorie. Malheureusement, ce projet
de Convention qui fut admis par le Gouvernement du Reich, au début
de la guerre, comme base de discussion pour la conclusion d’une conven
tion, n’a pas pu être mis en vigueur. Pourtant, les Puissances belligé
rantes consentirent, dès le début du conflit actuel, à accorder aux ressor
tissants ennemis se trouvant sur leur territoire un traitement ana
logue à celui qui est accordé aux prisonniers de guerre au sens de la
66
Convention de 1929, qui toutefois ne confère pas aux civilstous
les avantages prévus par le projet de Tokio.
Ce traitement,, basé sur la Convention relative au traitement
des prisonniers de guerre, ne fut pas accordé aux détenus dits
politiques. Sous la dénomination de « détenus politiques », il con
vient de comprendre des civils dont l’internement ne dépend pas
uniquement du fait qu’ils sont ressortissants d’un Etat ennemi.
Néanmoins, le Comité international de la Croix-Rouge n’a jamais
cessé d'intervenir auprès de tous les belligérants en faveur de cette
catégorie particulière d’internés civils, afin qu’ils soient traités de la
même façon que les internés civils sus-mentionnés.
Quels que soient les motifs de l’internement et du transfertde ces
personnes, des territoires occupés au territoire de la Puissance déten
trice, il y a lieu de considérer comme urgentes les garanties minimums
suivantes concernant la sécurité et le traitement des détenus poli
tiques, sans distinction de nationalité ni de lieu d’internement :
a) notification des noms des détenus, de leur lieu de détention,
de leur état de santé ; transmission de nouvelles entre les détenus
et leurs parents ;
b) possibilité de recevoir des secours sous forme de vivres, vête
ments, médicaments et livres ;
c) autorisation de recevoir des visites de la part d’une institu
tion neutre, par exemple du Comité international de la Croix-Rouge,
dont les délégués auraient pour tâche de se renseigner sur les condi
tions de vie des détenus en ce qui concerne le logement, la nour
riture, l'hygiène et le traitement.
Dans les circonstances actuelles, tous les civils détenus et séparés
de leur patrie — et leur nombre va croissant —r retiennent l’attention
particulière du Comité international de la Croix-Rouge. Pour cette
raison, le Comité croit devoir tenter par tous les moyens d’être
en mesure d’assurer une activité semblable à celle qu’il exerce dans
les pays belligérants en faveur des prisonniers de guerre et des internés
civils.. Le Comité international de la Croix-Rouge prie donc les
Autorités compétentes du Reich de consentir, au plus tôt et pour le
moins, que :
1) les délégués du Comité international de la Croix-Rouge soient
autorisés à visiter les camps de concentration et d’autres lieux de
détention en Allemagne et dans les territoires occupés où se trou
vent des détenus politiques de nationalité non allemande ;
2) le Comité international de la Croix-Rouge soit autorisé à faire
distribuer à ces détenus des vivres, des vêtements, et des médi
caments, selon les besoins constatés par ses délégués ;
67
3) des listes soient établies, indiquant les noms et adresses des
détenus politiques mentionnés ci-dessus, et que ces listes soient
transmises au Comité international de la Croix-Rouge.
Le Comité international de la Croix-Rouge se permet de rappeler
que ces propositions, si urgentes qu’elles soient, représentent seule
ment une partie minime des concessions accordées aux civils internés
dans les pays belligérants. C’est pourquoi il a le ferme espoir que les
Autorités du Reich les approuveront et il prie ces Autorités de vouloir
bien lui faire connaître aussitôt que possible leur opinion à ce sujet.
AicLe-mémoire concernant les démarches entreprises par le Comité
international de la Croix-Rouge en faveur des détenus politiques
étrangers, et adressé aux Consuls de Grande-Bretagne et des Etats-Unis
à Genève
Genève, le 16 octobre 1944.
Au mois de septembre 1944, la Croix-Rouge française et la CroixRouge de Belgique ont adressé au Comité international de la CroixRouge, par l’intermédiaire d’une délégation venue spécialement à
Genève, le plus pressant appel en faveur des déportés et prisonniers
politiques français et belges se trouvant en Allemagne.
En réponse à cet appel et comme suite aux nombreuses démarches
qu’il avait déjà entreprises, le Comité international de la Croix-Rouge
s’est adressé de nouveau aux Autorités allemandes dans le sens
ci-dessous :
Dès le début de la guerre, le Comité international de la CroixRouge s’est préoccupé de la protection des civils en territoire ennemi
et a proposé à tous les belligérants l’adoption et la mise en vigueur
immédiate du projet — dit de Tokio —- de Convention pour la pro
tection des civils en territoire ennemi ou occupé par l’ennemi. Cette
démarche du Comité international de la Croix-Rouge n’a malheu
reusement pas abouti, la plupart des belligérants n’ayant pas répondu
à cette proposition l. Le Comité international de la Croix-Rouge a
néanmoins continué ses efforts pour venir en aide en Allemagne aux
détenus des prisons et camps de concentration, notamment en leur
faisant parvenir des secours dans tous les camps où l’envoi de colis
était possible.
Le Comité international de la Croix-Rouge a donc demandé aux
Autorités allemandes d’autoriser pour le moins :
1 L e C om ité in tern a tio n a l de la C roix-R ou ge rap p elle ici q u ’en ce qui
concerne les in tern és c iv ils p ro p rem en t d its, il a pu o b ten ir par la su ite ,
d e la p lu p art des b ellig éra n ts q u 'ils a c c e p te n t d ’accord er à ces in tern és
u n tr a ite m e n t an a lo g u e à celu i qu e p rév o it, pour les p rison n iers de
guerre, la C o n v en tio n d e G en èv e de 1929.
68
1) rétablissement et la remise au Comité international de la
Croix-Rouge de listes nominativës (avec l’indication de l’adresse)
des personnes détenues dans les prisons et les camps de concen
tration ;
2) l’envoi de secours matériels et intellectuels à ces personnes ;
3) la visite des camps de concentration et autres lieux de déten
tion, par les délégués du Comité international de la Croix-Rouge.
Dans sa réponse aux Croix-Rouges de Belgique et de France, le
Comité international de la Croix-Rouge, tout en assurant celles-ci
qu’il continuait ses efforts en vue d’obtenir une amélioration du sort
des civils français et belges déportés ou détenus en Allemagne, a
relevé la nécessité, admise par ces deux Sociétés elles-mêmes, de
traiter le problème dans son ensemble et d’agir en faveur de tous les
civils ressortissants de nations alliées. Il a relevé également que pour
assurer, autant que faire se peut, une réponse favorable à la requête
qu’il vient de présenter aux Autorités allemandes, il conviendrait
qu’il puisse leur indiquer spontanément, ou en réponse à une demande
très probable de leur part, que les Autorités belges et françaises et
peut-être même les autres Autorités alliées seraient disposées, au
moins en principe, à accorder la réciprocité.
Le Comité international de la Croix-Rouge entend par là qu’au
cas où les divers Gouvernements alliés, et notamment les Autorités
américaines et britanniques, auraient en leur pouvoir ou capture
raient ultérieurement des ressortissants allemands au titre de détenus
politiques, quelle que soit la procédure judiciaire éventuellement
ouverte contre certains d’entre eux, ces Autorités seraient disposées
à leur accorder un régime analogue à celui que le Comité international
demande actuellement aux Autorités du Reich, à savoir :
1) établissement et remise au Comité international de la CroixRouge de listes nominatives de ces détenus ;
2) permission de recevoir des secours matériels et intellectuels ;
3) visite par des délégués du Comité international de la CroixRouge des lieux d’internement où ces personnes seraient éventuelle
ment déportées.
Si les Autorités américaines et britanniques jugeaient possible
d’entrer dans cette voie, pour ce qui les concerne, et de plus, de repré
senter aux autres Autorités alliées l’intérêt qu’il y aurait pour elles
à donner suite à la présente suggestion du Comité international
de la Croix-Rouge, celui-ci pense que les démarches qu’il a déjà
faites et qu’il renouvellerait alors en Allemagne auraient plus de
chances de succès.
69
Note de la délégation du CICR à Berlin, du iy octobre 1944 (résumé)
Profitant d’un voyage à Ravensbrück, les délégués du Comité ont
demandé à être reçus par l’adjudant du camp de concentration. Ils
ont abordé avec lui la question de l’envoi possible de médicaments
aux femmes médecins des diverses nationalités.
Cet envoi est autorisé pour autant qu’il s’agit d’un seul envoi
collectif et non pas de paquets adressés à chaque détenue en parti
culier ; un envoi par nationalité sera accepté et la quittance retour
nera à Genève.
Lettre du CICR au Commandant du camp d'Auschwitz (Oswiecim,
Haute-Silésie), du iy octobre 1944 (résumé)
Le CICR annonce l’envoi de colis aux hommes de confiance fran
çais et belges et demande que toute facilité soit donnée à ceux-ci pour
la répartition entre leurs compatriotes.
Il serait obligé au Commandant de lui indiquer le nombre approxi
matif d’internés de chaque nationalité dans le camp, ce qui permet
trait au Comité d’intensifier ses envois de colis.
Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge
au Ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés à Paris
Genève, 23 octobre 1944.
... Le Comité international de la Croix-Rouge a été très heureux
d'apprendre que le Gouvernement provisoire de la République fran
çaise avait bien voulu répondre affirmativement à la suggestion du
Comité international touchant la réciprocité de traitement que ce
Gouvernement était prêt à accorder aux civils allemands déjà
arrêtés en France ou à ceux qui viendraient à être arrêtés ultérieu
rement en France et en Allemagne. Cette réciprocité doit porter
notamment sur les points suivants :
a) remise au Comité international de la Croix-Rouge d’un état
nominatif des détenus civils allemands ;
b) autorisation de faire visiter par des délégués du Comité inter
national les lieux de séjour ou de détention ;
c) autorisation de faire procéder au rapatriement immédiat des
femmes, hommes âgés et des malades.
Les trois premiers points ont déjà été soumis par le Comité inter
national de la Croix-Rouge aux Autorités allemandes, en leur deman
dant de donner une réponse favorable.
70
De plus, le Comité international juge qu’il conviendrait que les
détenus civils en question fussent informés des chefs d’accusation
qui ont motivé leur arrestation.
Le Comité international de la Croix-Rouge se permet d’indiquer
ici qu’il croirait préférable d’employer désormais pour désigner ces
personnes — à l’exception des internés civils reconnus comme tels
par la Puissance détentrice — l’appellation de « détenus allemands
aux mains des Autorités françaises » plutôt que celles de « détenus
politiques » ou « déportés politiques », qui risqueraient d’être com
prises par les Autorités allemandes dans un sens plus restrictif qu’elles
ne donnent elles-mêmes aux civils désignés par elles sous le nom
de Schutzhâftlinge.
Quant au rapatriement immédiat des femmes, des hommes âgés
et des malades, le Comité international de la Croix-Rouge a, jusqu’à
présent, réservé ce point pour la suite des négociations et il ne man
quera pas de le soumettre à l’agrément des Autorités allemandes
dès qu'il le jugera opportun, ainsi que la question de la correspon
dance en provenance et à destination de ces détenus. Il le pourra
sans doute plus utilement aujourd’hui, étant informé des dispositions
positives du Gouvernement provisoire de la République française
touchant ces divers points.
Rapport du Service CGC sur la distribution des marchandises du vapeur
« Cristina » (août et septembre 1944) 1
Genève, le 30 octobre 1944.
Avec l’autorisation de la Croix-Rouge américaine, la Division des
secours du CICR a mis à la disposition du Service CCC, en date du
20 août 1944, des marchandises provenant de l'ex-vapeur « Cris
tina ». Il s’agissait de deux lots :
1) 50.775 kg. brut de denrées diverses ;
2) 12.000 kg. brut de conserves mélangées.
La Commission mixte de secours, travaillant pour le compte du
Service CCC, a confectionné et réexpédié en deux semaines un nombre
de colis d’un poids net de 54.756 kg. (25.600 colis de 2 kg. 150).
Les expéditions ont été effectuées entre le 24 août et le 9 sep
tembre, soit à un rythme de 1700 colis par jour.
1 II s ’a g it là d ’un ra p p o rt d e ca ractère in tern e e t lim ité , pris parm i
d ’au tres du m êm e genre. T o u te fo is, v u son in térêt, il a é té rep rod u it à
titr e d ’ex em p le.
71
Ces envois « Cristina » ont été adressés par wagons-postaux aux
principaux camps de concentration. Pour chaque camp, de même que
pour chaque nationalité de prisonniers civils, les expéditions compre
naient :
a) des colis individuellement adressés
b) des colis adressés à l’homme de confiance de chaque natio
nalité.
Les commandants des camps ont été informés des quantités de
colis expédiés et chaque homme de confiance a reçu une lettre ainsi
que des extraits du rapport d’expertise du Laboratoire cantonal de
Genève concernant la qualité des denrées, leur durée de conser
vation maximum et les mesures à prendre pour éviter d’éventuelles
intoxications.
La répartition des colis par nationalité fut la suivante :
Adressés
individuellem ent
B e l g e s .................................
E sp a g n o ls . . . .
F r a n ç a is ....................
G r e c s .........................
H o lla n d a is . . . .
P o l o n a i s ...........................
N o rv ég ien s
. . .
T ch èq u es . . . .
Y o u g o sla v es . . .
I t a l i e n s ....................
2 .404
----5-386
109
966
I . 32O
3 -U S
-----------1 3. 30°
A ux homm es de
confiance
T o tal
I .9 0 0
300
3.200
300
I . 900
2 . 900
500
800
4 OO
IO O
4-304
300
8.586
409
2.866
4 . 220
1 2 . 3 OO
2 5 .600
3-615
800
4 OO
IO O
Au cours du mois de septembre, les délégués du Comité inter
national de la Croix-Rouge ont pris contact avec les camps de Dachau,
près de Münich, Buchenwald-Weimar, Natzweiler (Alsace), Ravensbriick, près de Fürstenberg, et Sachsenhausen-Oranienburg, près de
Berlin. Ils ont pu se convaincre de la nécessité de continuer les expé
ditions.
De l’un de ces camps, un homme de confiance a pu nous écrire
pour nous confirmer la bonne réception des envois du Comité inter
national. D'autre part, cet homme de confiance a communiqué des
indications très intéressantes sur la quantité de colis adressés à chaque
nationalité de détenus et a fait part au Comité de ses appréciations
sur les proportions des envois :
suffisants pour les Norvégiens et les Hollandais ;
devraient être décuplés pour les Polonais et les Français.
Accusés de réception.
A ce jour la situation est la suivante :
sur 13.300 colis adressés individuellement, 2407 accusés de récep
tion ont été envoyés en retour au Comité international ;
72
sur 12.300 colis adressés aux hommes de confiance, 3069 quittances
sont parvenues à Genève, représentant un nombre total de 8000
nouveaux noms de prisonniers civils.
Grâce à ces envois collectifs, adressés aux hommes de confiance,
le fichier du Service CGC a été utilement complété et augmenté. Les
premiers accusés de réception du camp de Dachau sont parvenus au
Comité international, le 7 septembre déjà.
Dispositions financières.
Les frais de « reconditionnement », d’emballage, de manutention,
d’expédition et d’assurance contre les risques ordinaires de transport
et les risques de guerre se sont élevés à fr. 3,25 par colis.
Les sommes correspondantes ont été débitées aux comptes des
Croix-Rouges nationales, à l’exception des frais occasionnés par l’envoi
des colis aux prisonniers civils espagnols et italiens. En effet, le Service
CGC ne dispose pas de fonds en faveur de ces nationalités de pri
sonniers civils ; les montants respectifs ont donc été débités au compte
« Marge de sécurité » du Service CGC.
Note de la délégation du CICR à Berlin (résumé)
Berlin, le 3 novembre 1944.
La délégation du CICR à Berlin envoie à Genève des « formulaires
de nouvelles » reçus du camp de concentration dé Buchenwald pour
qu’ils soient transmis aux adresses indiquées et pour qu’on envoie
des colis à ces déportés.
Note de la délégation du CICR à Berlin, du S décembre 1944 (résumé)
Un délégué du CICR s’est rendu au camp d’Oranienburg pour
savoir si le formulaire d’accusé de réception proposé par le CICR
serait accepté. Il s,’agit d’un accusé de réception à signer par les
hommes de confiance, pour les envois collectifs.
Ce formulaire a été accepté par le commandant du camp ; un
envoi adressé aux Norvégiens a été signé par 3 hommes de confiance.
Le délégué espère que la même autorisation sera donnée pour les
autres nationalités. Le délégué demande qu’on lui envoie des for
mules d’accusés de réception concernant tous les envois collec
tifs faits ces derniers temps pour qu’il puisse obtenir la signature
des hommes de confiance pour la réception de ces envois à Oranienburg.
73
Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge
au Ministre des Affaires étrangères du Reich (traduction)
Genève, le 9 décembre 1944.
... Etant donné que le Projet dit de Tokio n’est appliqué par les
Puissances belligérantes, sous réserve de réciprocité, que sur un seul
point — soit en ce qui concerne les civils se trouvant sur territoire
belligérant et qui y sont internés — la situation des populations
civiles datis les territoires occupés, et plus particulièrement celle des
personnes arrêtées pour des motifs divers, parfois déportées en dehors
du territoire occupé, reste, sous bien des rapports, incertaine et sou
vent peu satisfaisante. Ceci tient à ce que les dispositions du Règle
ment annexé à la IVe Convention de La Haye, concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre, sont appliquées de manières diverses
pour ce qui a trait aux droits de la Puissance occupante.
Le Comité international de la Croix-Rouge, saisi par les deux
parties belligérantes du problème de la protection des civils arrêtés
par l’ennemi, se permet de soulever la question de savoir s’il ne
serait pas possible de régler le problème, d’une façon conforme aux
désirs et aux vœux exprimés par les parties intéressées, par la réu
nion simultanée à Genève de représentants plénipotentiaires des
Gouvernements intéressés qui, sans entamer des pourparlers directs,
s'entendraient, par l’entremise du Comité international de la CroixRouge, sur un « modus vivendi » provisoire pour tout ce qui touche
aux civils se trouvant aux mains de l’ennemi.
De tels accords d’ordre pratique ont eu lieu à maintes reprises
par le truchement d’un organe neutre au cours de la guerre 19141918, et c’est sur la base des expériences faites à cette époque que
l’article 83 fut inséré dans la Convention de 1929 relative au trai
tement des prisonniers de guerre.
Au début de la présente guerre, le Comité international de la
Croix-Rouge attira l’attention des Puissances belligérantes sur l’avan
tage de pareilles prises de contact. Bien que, pour autant que le
Comité international de la Croix-Rouge en soit informé, aucune réu
nion de ce genre n’ait eu lieu jusqu’ici, la question qui nous pré
occupe — c’est-à-dire le traitement des civils ressortissants d’Etats
ennemis — offrirait l’occasion de conclure un accord pratique du
même genre, en application, par analogie, de l’article 83 précité. Les
Gouvernements intéressés n’étant actuellement pas en relations
diplomatiques directes par l’entremise des Puissances protectrices, le
Comité international de la Croix-Rouge croit devoir prendre l'ini
tiative d'une telle proposition. Il tient cependant à souligner qu’il
attache la plus haute importance à ce que l’examen des propo
sitions soumises au Gouvernement allemand dans son mémoire du
2 octobre 1944 ne subisse aucun retard. Au contraire, l’adhésion des
74
Puissances intéressées à ces propositions et le début d’une activité du
Comité international de la Croix-Rouge sur la base indiquée, crée
raient des conditions favorables à une entente, grâce à des négo
ciations simultanées du Comité international de la Croix-Rouge avec
des représentants des Puissances intéressées venus à Genève.
Comme on le verra, d’après la note précitée du Comité international
de la Croix-Rouge, les principes préconisés par lui ne représentent
que le minimum de protection dont les personnes civiles de nationalité
ennemie se trouvant en état d’arrestation devraient pouvoir béné
ficier pour des raisons d’humanité. Il serait hautement désirable que
les discussions ne se limitent pas seulement au traitement de ces
détenus, mais qu’elles traitent aussi la question du rapatriement
éventuel de certaines catégories telles que les femmes, les vieillards,
les malades et les enfants. Il y aurait lieu également de tenir compte
des personnes dont l’état d’arrestation ne semble plus se justifier,
du fait que les motifs qui ont provoqué cette arrestation n’existent plus.
Si désirable que soit l’examen simultané des problèmes de la libé
ration et du rapatriement de ces détenus, les difficultés qui pourraient
éventuellement surgir à ce sujet ne devraient en aucun cas mettre
obstacle â la conclusion d’un accord favorable et aussi rapide que
possible, assurant aux détenus les facilités générales exposées dans
notre note du 2 octobre 1944.
Le Comité international de la Croix-Rouge serait extrêmement
reconnaissant au Gouvernement du Reich de bien vouloir réserver
un accueil favorable à ces propositions.
Lettre du Comité international de la Croix-Rouge aux représentants
à Genève des Croix-Rouges de Yougoslavie, Pologne, Hollande, Grèce,
Norvège, France (Ministère des prisonniers de guerre, mission en
Suisse)
Genève, le 19 décembre 1944.
Certaines informations reçues récemment nous ont appris que les
Autorités allemandes semblent être au courant du fait que, d’après
les accusés de réception que nous avons reçus, nous avons établi des
listes de déportés de votre pays.
Or, ces Autorités ne semblent pas désirer que nous puissions pro
céder à un tel recensement et nous risquons de compromettre défini
tivement les quelques possibilités dont nous disposons encore pour le
ravitaillement des déportés si nous nous servons des accusés de
réception, relatifs aux colis que nous leur expédions, pour établir
une liste des déportés recherchés et retrouvés.
Persuadés que vous partagez notre désir de continuer, tant que
la chose est possible, nos envois de secours si indispensables aux
75
déportés, nous vous informons donc que nous sommes obligés de
renoncer dorénavant à la remise périodique des listes des déportés
dont nous avons pu obtenir les noms et les adresses.
Toutefois, nous ne désirons pas priver les familles du renseigne
ment, si précieux pour elles, qu’un signe de vie a été reçu d'un déporté.
C’est pourquoi toute nouvelle reçue d’un déporté au Comité inter
national, soit au moyen d’un accusé de réception d’un colis, soit
par correspondance, soit d’une autre manière, sera communiquée à
la famille sans l’indication de l’adresse où se trouve le déporté. Copie
de cette communication vous sera remise. Vous serez donc informés
comme auparavant des renseignements que nous pourrons recevoir
au sujet de la réception de colis par un prisonnier civil, toutefois
plus sous forme de liste. D’autre part, toute demande individuelle
de renseignements que vous pourriez nous adresser sera «fichée » et
l’Agence centrale des prisonniers de guerre vous répondra dès qu’un
renseignement nouveau lui sera parvenu.
Nous sommes certains que vous comprendrez les motifs qui nous
obligent à introduire cette nouvelle méthode de communication.
Lettre d'un homme de confiance du camp de concentration d’Oranienburg
au Comité international de la Croix-Rouge (traduction)
Sachsenhausen-Oranienburg, le 26 décembre 1944.
J ’accuse réception de vos envois Z 674, Z 254, 260, 266, Z 231 A,
arrivés très à point pour Noël ; ils furent reçus avec enthousiasme et
par des cris de joie. Au nom de tous les bénéficiaires, je vous en ex
prime la plus sincère gratitude. Lors du dernier envoi Z 25/, aucun
avis ne m’est parvenu et je me demande si d’autres envois n’ont pas
été expédiés entre-temps. Pour assurer le contrôle, je vous serais
obligé de me tenir constamment au courant. L’envoi sans adresse,
bien emballé dans des caisses, a été plus facile à distribuer et a permis
de satisfaire la majorité des détenus. Naturellement les autres
groupes : Yougoslaves, Espagnols, etc., ont été très déçus, car ils
n’ont rien reçu depuis septembre dernier et les Hollandais n’ont pas
pu satisfaire la grande majorité de leurs compatriotes. Souhaitons
que vous puissiez, lors du Nouvel an, tenir compte davantage de ces
derniers. Les articles de toilette, le linge, les chaussettes et les pull
overs, dont nous avons un besoin urgent, ne sont pas encore arrivés.
QUATRIÈME PHASE
Le Gouvernement allemand se résoud à faire des concessions
capitales en faveur des détenus des camps de concentration.
76
Le I er février 1945, il autorise l’envoi aux déportés originaires
des territoires français et belges de colis de vivres, de vêtements,
de médicaments, et de livres, soit sous forme de colis individuels,
soit sous forme de colis collectifs.
Enfin, en mars 1945, les accords conclus entre le Président
du Comité international de la Croix-Rouge et le général Kaltenbrunner ouvrent les camps de concentration aux délégués du
Comité. E t alors commence la grande croisade contre la
faim.
Réponse du Gouvernement allemand à la lettre du Comité international
de la Croix-Rouge du 2 octobre 1944, transmise par le Consulat
d Allemagne à Genève (traduction)
Genève, le
I er
février 1945.
Conformément aux instructions reçues, le Consulat d’Allemagne a
l'honneur de faire savoir au Comité international de la Croix-Rouge,
en réponse à sa lettre du 2 octobre 1944 qui a été soumise à Monsieur
le Ministre des Affaires étrangères avec une lettre personnelle de
Monsieur le Président Huber, ce qui suit :
Les Autorités allemandes compétentes ont examiné avec attention
les exposés du Comité international de la Croix-Rouge concernant le
traitement des détenus à titre préventif (Schutzhàftlinge).
Comme suite à cet examen, les mesures suivantes ont été ordon
nées au sujet de cette catégorie de détenus originaires des territoires
français et belge.
1) Un échange de nouvelles sur formulaires de Croix-Rouge est
autorisé entre ces détenus et leurs familles. Les préparatifs néces
saires sont terminés. Il est à prévoir que cette correspondance
débutera très prochainement. De cette manière les noms des déte
nus seront connus par ce moyen ; ceux-ci pourront ainsi donner
des nouvelles de leur état de santé.
2) Les détenus peuvent recevoir des colis contenant des vivres,
des vêtements, des médicaments et des livres, soit sous forme de
colis individuels pour des destinataires individuels, soit d’envois
collectifs du Comité international de la Croix-Rouge.
3) En cas de poursuites judiciaires, les détenus sont informés
du motif de la plainte. Il s’agit là d’une règle fondamentale du
Code pénal allemand, lequel prévoit également la remise de l’acte
d’accusation à l’accusé.
77
Du moment que les noms et les adresses des détenus seront
communiqués aux familles et au Comité international de la CroixRouge par la correspondance postale, l’établissement et l’envoi de
listes spéciales paraissent superflus. D’autre part, les Autorités
allemandes sont en principe prêtes à fournir des réponses aux
enquêtes individuelles concernant les détenus. .
Pour des raisons impérieuses, relevant de la défense nationale, il
est malheureusement impossible actuellement d'autoriser la visite
des camps et des lieux habités par ces détenus. La question du
rapatriement des détenus, soulevée dans la lettre du Comité inter
national de la Croix-Rouge du g septembre 1944, est en ce moment
à l’étude. Il serait important, en vue des décisions à prendre, de
savoir si le Comité international de la Croix-Rouge est en mesure de
faire entrevoir également un rapatriement des personnes arrêtées en
France, en Alsace et en Lorraine.
Réponse du Président du Comité international de la Croix-Rouge
à la lettre précédente du Consulat d’Allemagne à Genève (traduction)
Genève, le 15 février 1945.
En réponse à votre lettre du I er février 1945, contenant une com
munication du Ministère des Affaires étrangères du Reich au sujet
de mesures prises en faveur des détenus politiques provenant de
France et de Belgique, je me permets de transmettre à votre Gou
vernement, par votre intermédiaire, la présente note du Comité
international de la Croix-Rouge.
A cette occasion, le Comité international se permet d’observer, au
sujet du troisième point des mesures dont vous nous avez donné
connaissance, qu’à son avis la possibilité d'une défense juridique
ordinaire de ces détenus devrait être l’objet de mesures urgentes non
seulement dans les procédures de droit pénal au sens plus étroit, mais
aussi dans les procédures administratives et notamment de police.
Le Comité international se permet, d’autre part, de demander au
Gouvernement du Reich, ainsi qu’il l'a fait dans sa note du 2 octobre,
de vouloir bien continuer à envisager la possibilité que les camps
puissent être visités par ses délégués, notamment en vue de l’orga
nisation pratique des envois de secours et de la transmission de
nouvelles.
Le Comité international ne voudrait pas manquer de constater
avec une réelle satisfaction que la communication des Autorités du
Reich, en date du I er février 1945, représente un progrès notable
dans le statut des détenus politiques...
78
N o te a n n exée à la lettre p récéd en te ( t r a d u c t i o n )
Le Comité international de la Croix-Rouge a l’honneur d’accuser
réception au Consulat d’Allemagne de sa communication du I er février
1945, constituant la réponse des Autorités du Reich à la note con
cernant le traitement des détenus civils adressée à M. le Ministre
des Affaires étrangères en date du 2 octobre 1944.
Le Comité international est heureux de pouvoir constater que les
Autorités du Reich, de même que les Autorités françaises et belges,
sont disposées à faire bénéficier les « détenus préventifs » des facilités
suivantes :
1. Echange de nouvelles sur formulaires de Croix-Rouge. — Le CICR
apprécie sincèrement la décision du Gouvernement allemand qui est,
sans nul doute, de nature à créer dans ce domaine une atmosphère
de détente.
Nos expériences nous enseignent cependant que cet échange de
nouvelles ne saurait suppléer aux listes nominatives. Si cependant
l’établissement de telles listes devait se heurter à de graves diffi
cultés d'ordre pratique, le CICR propose de joindre au premier envoi
de nouvelles une carte d’identité, que l’intéressé devrait lui-même
remplir et qui correspondrait aux cartes de capture des prisonniers
de guerre. (Nous nous permettons de joindre un exemplaire de la
carte proposée.) Au vu de ce formulaire, le CICR serait à même de
constituer un fichier des détenus. L'expérience a démontré en effet
qu’un tel fichier ne peut être établi de façon satisfaisante sur la base
de communications incomplètes et souvent illisibles, même en y con
sacrant beaucoup de soins, de temps, et un personnel nombreux.
L’expédition des nouvelles, ainsi que celle du formulaire, devrait s'effec
tuer le plus rapidement possible, soit directement à Genève, soit aux
délégations du CICR à Berlin et à Uffing. Le CICR est prêt à fournir
les formulaires ; nos délégués à Berlin et à Uffing en possèdent du
reste un certain nombre, rédigés en allemand.
2. Envoi de colis collectifs et individuels. — Pour assurer le maximum
de sécurité à ces envois et pouvoir prendre, d’ores et déjà, les mesures
techniques propres à les faciliter, il est non seulement souhaitable mais
nécessaire de recevoir les indications essentielles concernant les lieux
de détention et les effectifs des camps, comme nous les recevons pour
les prisonniers de guerre. Nous voudrions également savoir si les
envois doivent être adressés directement aux camps ou à des centres
de distribution. Les envois de colis individuels peuvent-ils être faits
sans limitations, ou sont-ils restreints quant au poids, au contenu
et au nombre ?
3. Procédure pénale. — Bien que le CICR soit convaincu que la
procédure pénale appliquée aux « détenus préventifs » observe les
79
formes habituelles et les normes du droit pénal, le Comité se permet
d'émettre le vœu de leur voir accorder des garanties minimums, ana
logues à celles que la Convention de 1929 stipule en faveur des pri
sonniers de guerre. Le statut de ces détenus se distingue, il est vrai,
de celui des prisonniers de guerre, en ce que les premiers n’apparte
nant à aucune organisation militaire, le code pénal militaire ne leur est
pas applicable et ils ne sont pas soumis, quant aux sanctions pé
nales aux dispositions générales prévues dans la Convention de 1929.
4. Renseignements individuels et enquêtes. —• Au cas où les Autorités
du Reich ne seraient pas à même de fournir des listes nominatives,
les cartes d’identité dont il est question sous chiffre 1, outre qu’elles
faciliteraient singulièrement la tâche du service compétent du Comité,
constitueraient la condition technique indispensable à l’établissement
de tout service de renseignements et de secours individuels.
Le CICR est particulièrement reconnaissant aux Autorités alle
mandes de lui avoir accordé l’autorisation de poursuivre des enquêtes
directement auprès des offices compétents. Il fera un usage aussi discret
que possible de cette autorisation, et cela seulement dans des cas
urgents.
5. Visites de délégués. — Bien que conscients des arguments qui
ne permettent pas aux Autorités allemandes d’envisager pour le
moment de régler favorablement cette question, le CICR prie ins
tamment ces Autorités de la reconsidérer aussi rapidement que pos
sible. C’est précisément sur ce point que le Comité a reçu des garanties
de réciprocité de la part des Gouvernements qui détiennent des
internés civils allemands. Le Comité est également convaincu que
les rapports impartiaux de ses délégués le mettraient à même de
réduire à néant certains bruits qui sont de nature à aggraver le sort des
internés civils allemands.
6. Rapatriement. — C’est avec satisfaction que le CICR constate
que tant le Gouvernement du Reich que les Gouvernements fran
çais et belge se sont déclarés en principe favorables au rapatriement
de certaines catégories de civils et de « détenus préventifs ». Par con
séquent, le CICR propose aux Gouvernements allemand, français et
belge de rapatrier les catégories suivantes :
1) les malades, les blessés, les vieillards infirmes, ainsi que les
femmes et les enfants. Quant aux malades et aux blessés, on pour
rait en premier lieu leur appliquer les normes en vigueur pour les
prisonniers de guerre. Les enfants devraient, autant que possible,
être rapatriés en compagnie de leurs parents, de leurs proches ou
des personnes qui en ont la charge.
2) Les personnes contre qui aucune poursuite pénale n’a été
introduite, ou qui ne sont l’objet d’aucune accusation grave.
80
3)
Les personnes pouvant invoquer la prescription ou la cadu
cité en ce qui concerne les faits qui ont motivé leur internement.
Le CICR propose de commencer le plus rapidement possible avec
le rapatriement des femmes et des enfants, et de continuer par celui
des vieillards et des malades. Il se déclare disposé, au cas où les
Autorités compétentes le désireraient, à examiner, d’entente avec le
Gouvernement suisse, la question du transit et du transport de ces
personnes à destination.
Le CICR se permet enfin de souligner l’avantage qu’il y aurait à
ménager un échange de vues simultanément avec les différents offices
allemands compétents en la matière, afin de s’entendre aussi rapi
dement que possible quant aux mesures de rapatriement et à leur
réalisation pratique.
En conséquence, le CICR réitère les propositions qu’il a eu l’honneur
de soumettre au Gouvernement allemand dans sa note du 2 octobre
1944, et le prie de désigner une personnalité qui serait chargée offi
ciellement d’engager à Genève les pourparlers envisagés.
Note du Consulat britannique à Genève au CICR, du 14 février 1945
(résumé)
Le Consulat britannique à Genève, répondant à la lettre et au
mémorandum du Comité international de la Croix-Rouge du
16 octobre 1944, fait connaître au CICR, de la part du Gouvernement
britannique, que les internés civils allemands rètenus en GrandeBretagne sont au bénéfice des garanties « Croix-Rouge » et qu’il n’y
a aucune analogie entre eux et les civils déportés en Allemagne.
Lettre du Président du CICR aux Consuls des Etats-Unis
et de Grande-Bretagne, du 16 février 1945
Le Président du CICR demande aux Consuls des Etats-Unis et de
Grande-Bretagne à Genève, de transmettre respectivement à S. Exc.
M. Stettinius et à S. Exc. M. Eden, secrétaires d’Etat, et par la voie
la plus rapide, le message suivant :
« Chef notre délégation en Allemagne, rentré cet instant en
Suisse pour court rapport, décrit situation prisonniers de guerre
et internés comme suit : évacuation en direction est-ouest s’opère
dans conditions les plus difficiles à pied sans nourriture par grand
froid. Rassemblement des prisonniers de guerre dans camps de
passage privés de toutes réserves. Nouvelle évacuation prévue
toujours direction ouest nord-ouest dans conditions semblables.
81
Internés civils et déportés évacués sous mêmes conditions
plus haut citées et méritant également aide immédiate. Délé
gation a pu et peut contrôler arrivée des évacués de toutes caté
gories mais se trouve dans l’impossibilité faire acheminer vivres
matériel pansements et médicaments se trouvant dans réserve
Lübeck au nord et Suisse au sud. Ainsi s’imposeraient deux
solutions primo transport immédiat secours au moyen quelques
centaines camions mis à disposition Comité international de la
Croix-Rouge avec essence et autres accessoires nécessaires secundo
protection contre action aérienne de voie ferroviaire secondaire
signalée par Comité international de la Croix-Rouge. Employons
tous moyens dont nous disposons mais prions devant l’immensité
du problème de nous aider dans notre tâche dans le sens indiqué. »
Note du Consulat d’Allemagne à Genève au CICR relative
au rapatriement des « détenus préventifs », du 5 mars 1945
La communication adressée au Président du CICR, en réponse à
sa lettre du 2 octobre 1944, laissait entendre que la question du
rapatriement des « détenus préventifs » (Schutzhâftlinge), soulevée
dans la lettre du CICR du 9 décembre 1944, ferait l’objet d’une com
munication ultérieure.
La question ayant été étudiée depuis lors, on peut aujourd’hui
déclarer que le Gouvernement du Reich est prêt à rapatrier les
enfants, les femmes et les vieillards français qui se trouvent en Alle
magne, à condition que les internés civils allemands soient renvoyés
de France dans leur pays. Des propositions touchant le nombre des
Français qui entrent en ligne de compte et la réalisation pratique
du rapatriement seront soumises au CICR dans le plus bref délai.
Il demeure entendu qu’en France également tous les travaux prépa
ratoires seront immédiatement entrepris en vue de réaliser ce projet.
Lettre du général des SS Kaltenbrunner confirmant les accords passés
avec le Président du CICR (traduction) 1
Le 29 mars 1945.
Conformément à notre accord, j'ai entrepris, dès mon retour, avec
les Autorités compétentes, l’examen des questions que vous avez
1 L 'en trev u e du P r ésid en t du C ICR a v e c le gén éral K a lten b ru n n er
a v a it eu lieu le 12 m ars 1945. C o m m en ta n t c e tte e n tre v u e e t les accord s
q u i en résu ltèren t d e v a n t les d élég u és d es C ro ix -R o u g es in tére ssé e s et
les rep résen ta n ts de d iv erses o r g a n isa tio n s, le 26 m ars 1945, le P résid en t
du C ICR d écla ra it n o ta m m e n t :
82
posées. J ’ai le plaisir de vous informer que j’ai pu constater chez
tous les intéressés une grande bonne volonté. Voici dans le détail la
façon dont je puis répondre aux vœux que vous avez exprimés : 1
II. Internés civils.
1) L’échange global de tous les internés civils français et belges
contre tous les internés civils allemands, proposé par vous, favorise
rait grandement les Français. Nous devrions libérer près de 62.000
Français contre 15.000 internés allemands seulement. En outre, les
catégories sont complètement différentes. Les Allemands qui se
trouvent en mains françaises n’ont été internés que parce qu’ils sont
restés en France, tandis que la majorité des internés civils français
détenus par les Allemands sont accusés d’actes graves commis contre
les forces occupantes pendant l’occupation de la France.
Nous sommes cependant prêts à accepter l’échange global des
internés civils aux conditions suivantes :
a) Toutes garanties seront données d’abandonner les poursuites
contre les Alsaciens et les Lorrains ayant collaboré avec nous
et acquis la nationalité allemande, mais qui, en France, sont
considérés aujourd’hui encore comme ressortissants français, et
qu’ils seront compris dans l’échange, sous condition d’en expri
mer eux-mêmes le désir.
b) Les poursuites contre les collaborationnistes français en
France seront définitivement abandonnées.
2) Si le rapatriement global des internés civils ne peut se réaliser,
il reste la possibilité de s’entendre sur un échange en nombre égal
comprenant les Alsaciens et les Lorrains. On pourrait, dans ce cas,
commencer par le rapatriement des vieillards, des malades, des
femmes et des enfants, comme le Comité international le propose.
En outre, on pourrait envisager des échanges individuels, selon
vos propositions.
« L a q u estion des prison n iers d e guerre, d éte n u s e t in te rn és c iv ils a
fa it l'o b je t de ces en tr e tie n s, e t on p e u t parler d ès m a in te n a n t de résu l
ta t s acq u is. L e C IC R ne p o u v a it ju sq u 'a lo rs v is ite r les cam p s de d éten u s
c iv ils. L es q u elq u es v isite s d es d élég u és du C IC R eu ren t lieu dans la
p ériph érie d es cam p s. E lles é ta ie n t restr e in te s a u x seu ls c o n ta c ts a v e c
les co m m a n d a n ts d e cam p s. L ors des récen tes co n v e r sa tio n s, p ar con tre,
il a é té p révu que des d élég u és p ou rraien t être e n v o y é s d an s les cam p s,
à la co n d itio n q u ’ils y re ste n t ju s q u ’à la fin d es h o stilité s. »
D es pourparlers en tre les rep résen ta n ts du C IC R e t les rep rése n ta n ts
d es A u to rités a llem a n d es sur les m o d a lités d ’a p p lica tio n des accord s
B u rclch ard t-K alten b ru n n er eu ren t lieu le 10 a v ril à C on stan ce e t le 24
a vril à Innsbruck .
1 Le C IC R ne rep rod u it ici qu e le s p a ssa g es relatifs a u x d iv erses c a té
gories de d éten u s civils.
83
3) La répartition des internés civils par nationalités et en camps
séparés, telle qu'elle se fait en ce moment pour les Norvégiens et les
Danois, pourrait être envisagée, dans la mesure des possibilités
techniques.
4) La fourniture par le Comité international de la Croix-Rouge de
vivres, vêtements et médicaments aux internés civils a été autorisée
en principe par le Ministère des Affaires étrangères, d’entente avec
mes services. L’application pratique de cette mesure a fait l’objet
de pourparlers avec la délégation du Comité international de la
Croix-Rouge à Berlin, pourparlers dont l’issue a donné pleine satis
faction à tous les intéressés.
IV. Prisonniers de guerre polonais faits lors de la révolte de Var
sovie ; femmes polonaises et jeunes gens capturés à cette occasion.
L’hospitalisation des prisonniers de guerre ainsi que des femmes et
des jeunes gens capturés par les Allemands lors de la révolte de
Varsovie peut être envisagée sous condition de réciprocité, par
exemple si la Grande-Bretagne et les Etats-Unis se déclarent prêts
à libérer les femmes allemandes qu’ils détiennent en tant que mem
bres de la Wehrmacht ou des services auxiliaires de la Wehrmacht
(auxiliaires d’Etat-Major, infirmières de la Croix-Rouge).
V. Internés civils juifs.
Pour ce qui est du transfert d’internés civils juifs en Suisse, j ’ai
pu également constater une attitude plutôt favorable. En traitant ce
problème, on ne doit, à mon avis, envisager aucune réciprocité ni
aucune compensation, mais il devrait apparaître sous quelle forme
et dans quel domaine le Reich allemand pourrait s’attendre à des
compensations.
VI. En vue de l’étude ultérieure et technique des points énumérés
ci-dessus, je me permets de vous proposer de demander à votre
délégation à Berlin de se mettre immédiatement en rapport avec
le Ministère des Affaires étrangères. Afin de hâter ces pourparlers, je
- fais envoyer copie de la présente lettre à votre délégation à Berlin,
ainsi qu’au Ministère des Affaires étrangères...
Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge
au Commandant du camp de concentration de Dachau (traduction)
Genève, le 11 avril 1945.
Au cours de mes derniers entretiens avec l’Obergruppenführer
général SS Kaltenbrunner, toute assistance a été promise au Comité
84
international de la Croix-Rouge en vue du ravitaillement en vivres
et médicaments des internés étrangers en Allemagne.
Je me permets à cet effet de vous recommander très vivement
notre délégué qui est chargé d’organiser le ravitaillement des internés
de votre camp et de ses dépendances.
A cette fin, quatre camions et une voiture personnelle sont mis à
sa disposition avec l’essence nécessaire.
Veuillez donner à notre délégué toutes facilités pour l'exécution de
sa tâche.
Lettre du Président du Comité international de la Croix-Rouge
au Commandant du camp de Mauthausen (traduction)
Genève, le 29 avril 1945.
Lors de mes pourparlers avec l’Obergruppenführer Kaltenbrunner,
il a été convenu que des délégués du Comité international seraient
désignés pour se rendre dans les camps de concentration où se trou
vent des détenus de nationalité étrangère et qu’ils y demeureraient
jusqu’à la fin de la guerre. Dans une nouvelle entrevue, le 24 avril,
l’Obergruppenführer Kaltenbrunner a expressément confirmé cet
accord et déclaré que les ordres nécessaires avaient été donnés. Si
donc un commandant de camp refuse de recevoir ces représentants
(délégués du Comité international et personnel infirmier) il agit con
trairement à un ordre, ou bien alors les ordres donnés ne parviennent
pas à destination.
Je vous prie, en conséquence, de mettre immédiatement le porteur
de la présente lettre en mesure d’installer les délégués dont il est
question dans le camp de Mauthausen ; je vous prie en outre de veiller
à ce que ces délégués puissent circuler librement dans le camp et
entrer en contact avec tous les détenus de nationalité étrangère.
Au cas où ces instructions ne seraient pas suivies, le Comité inter
national de la Croix-Rouge vous tiendra pour personnellement respon
sable des conséquences ; en outre, il informera l’opinion publique
mondiale de votre responsabilité. Si, au contraire, vous prenez toutes
mesures pour faciliter l'application des accords conclus avec l'Obergruppenführer Kaltenbrunner en ce qui concerne la désignation de
nos délégués et leur séjour dans le camp selon les conditions indiquées,
le Comité international de la Croix-Rouge portera témoignage de
votre bonne volonté.
Lettre du Comité international de la Croix-Rouge au Commandant
du camp de concentration de Dachau
Genève, le 30 avril 1945.
Dans le sens des accords conclus entre le Président du Comité
international de la Croix-Rouge et l’Obergruppenführer Kalten85
brunner, nous avons envoyé une colonne de 10 camions en vue de
ravitailler les camps suivants : Ueberlingen am Bodensee, Lichtenau,
Biberach, Saulgau, Wurzach, Waldsee, Memmingen, Blaichach,
Kaufbeuren, München. Nous vous serons obligés de donner tous les
ordres nécessaires aux commandants de ces camps pour faciliter la
distribution de ces colis.
Télégramme du Comité international de la Croix-Rouge à M. Stettinius,
Secrétaire d'Etat des Etats-Unis, Président de la Conférence
de San Francisco
Genève, le n mai 1945.
Correspondants presse accrédités Conférence San Francisco ayant
signalé légitime intérêt porté dans milieux conférence à sort pri
sonniers et détenus alliés en Allemagne ainsi que critiques formulées
touchant actions CICR ce domaine, celui-ci fait déclaration suivante
qu’il vous serait reconnaissant porter connaissance Conférence San
Francisco commencement : CICR relève en premier lieu que Conven
tion Genève 1929 s’applique de par volonté parties contractantes
aux seuls militaires prisonniers guerre. Conscient danger résultant
absence toute protection pour civils en territoires ennemis ou occupés
par ennemis, CICR s’efforça depuis septembre 1939 obtenir des belli
gérants application de facto du projet de Convention adopté 1934
par quinzième Conférence internationale Croix-Rouges et non encore
ratifié par Gouvernements. Application de projet aurait assuré pro
tection tous civils ci-dessus mentionnés. Proposition CICR étant
restée sans écho auprès des belligérants celui-ci obtint seulement
extension Convention Genève aux internés civils c’est-à-dire aux
civils résidant en territoires ennemis et internés dès début conflit
du seul fait de leur nationalité. En revanche, civils en territoires
occupés et emprisonnés pour motifs autres que nationalité puis sou
vent déportés restèrent privés toute protection malgré efforts répétés
CICR en leur faveur. Ainsi CICR fut seulement admis à visiter en
Allemagne prisonniers guerre et internés civils alliés dont pays
d'origine était partie à Convention Genève. Les constatations faites
par ses délégués ont été régulièrement portées à connaissance Gouver
nements intéressés de même que ses interventions constantes en vue
d’obtenir toutes améliorations nécessaires. En outre prisonniers
guerre et internés civils alliés purent recevoir colis secours fournis
par pays origine grâce à efforts incessants CICR qui réussit malgré
difficultés de transport résultant guerre maritime et terrestre à ache
miner vers camps jusqu’au milieu année 1944 environ trois cent
mille tonnes vivres vêtements et médicaments. Cette action fut
sérieusement compromise dès octobre 1944 par destructions massives
voies de communication ferroviaires Allemagne par suite bombar86
dements et absence moyens transports routiers que ÇICR avait
pourtant demandés instamment à Puissances alliées dès début 1944.
Ces moyens transports commencèrent être fournis en automne 1944
seulement et en quantités limitées. Leur utilisation en Allemagne
fut autorisée par Autorités alliées seulement depuis mars 1945 alors
qu’intensification guerre aérienne rendait organisation et achemine
ment secours aux prisonniers guerre toujours plus difficiles. En ce
qui concerne civils emprisonnés ou déportés et sans protection con
ventionnelle CICR put pas obtenir durant tout conflit pénétrer inté
rieur camps concentration sauf rares exceptions dans tout derniers
jours avant arrivée troupes alliées. Néanmoins CICR s’efforça du
moins secourir déportés par envois vivres et médicaments. Malgré
entraves provenant Autorités allemandes et restrictions imposées au
CICR par Autorités blocus, plusieurs centaines milliers colis vivres
et médicaments furent expédiés à destination nombreux camps con
centration. En outre CICR ayant obtenu dernier moment libération
certaines catégories déportés réussit au moyen ses convois routiers
évacuer vers Suisse et Suède plusieurs milliers personnes. Ainsi malgré
obstacles toutes sortes et modicité moyens mis à disposition CICR,
cette double action permit, selon nombreux témoignages déportés,,
sauver quantité considérable vies humaines.
87
DANEMARK
L U B E C K t_
^ Ç ^ ^ T w iS M A R
^HAM BOURG*- MALCHOW
e STETTIN
(N EU EN G A M M f ) • PUTLlTZ
V
RAV6NSBRÜCK
W^TTSTOCK
N E U R U P P I N X f :L • L0W
E N SB E R G
ORANIENBURG
LINDOW
BERLIN
\ WAGENIT2
ALTENGRABOW
HOLLANDE
VARSOVIE
SCHWERIN
POLOGNE
WEIMAR
B ELG IQ U E
BUCHENWALD
COLOGNE
AUSCHWITZ
, AUSSIG
FRANCFORT
t h e r e s ie n s t a b t
• PRAGUE
STUTTGART
ULM'
FRANCE
I
TURCKHEIN^
(LA N D SB ER G )/
)xMC>OSBURG
® -MUNICH
DAC H A U ^
s?
ST. GEO RG EN
STA RN BERG V
• BAD TÔLZ
A UTRICHE
S T MARGRETHEN
E m p la ce m e n t g é o g rap hiqu e
d e s p rin cip a u x c a m p s de c o nce ntra tio n
en A llem agne
L e s f l è c h e s i n d i q u e n t la d ir ec tio n
des convois de seco u rs
IT A L IE
TR O ISIÈM E PA R T IE
R A P P O R T S D E D É L É G U É S D U C O M IT É I N T E R N A T I O N A L
D E L A C R O IX -R O U G E S U R L E U R A C T IV IT É E N F A V E U R D E S
C IV IL S D É T E N U S D A N S L E S C AM PS D E C O N C E N T R A T IO N
E N A L L E M A G N E (1945)
Le Comité international de la Croix-Rouge publie ci-après les
rapports de ses. délégués qui ont pu soit pénétrer dans les camps
de concentration à la suite des accords conclus par le Président du
Comité international avec les Autorités du Reich, soit porter
secours aux évacués de ces camps.
Le premier rap p o rt1se réfère toutefois à une période antérieure :
celle où les délégués du Comité international de la Croix-Rouge
cherchent par des prises de contact avec les com mandants de
camps de concentration — alors que la visite même des camps
leur demeure interdite —• et par des discussions sur place, à
pénétrer le mystère qui enveloppe ces camps et à obtenir des
listes de détenus, des renseignements et des assurances propres
à faciliter l’envoi de secours.
Le deuxième rapport 2, de caractère général, relate les efforts
incessants et tenaces tentés par la délégation de Berlin en vue
d'obtenir des concessions des,Autorités allemandes en faveur des
détenus des camps de concentration — efforts parallèles à ceux
que poursuivait de son côté le Président du Comité international
— et qui furent, comme on le verra, au moins partiellement
couronnés de succès.
1 R a p p o rt n° I, p age 91.
2 R a p p o rt n° II , p age 92.
89
Les rapports suivants illustrent la dernière phase de la guerre
— celle où les délégués sont admis dans les camps, non sans par
fois encore d’âpres discussions sur le pas de la porte, et peuvent y
faire pénétrer les convois de secours.
Certains ont tra it au rapatriem ent de détenus vers la frontière
suisse 1, d ’autres aux efforts des délégués pour éviter des évacua
tions massives 2 (Oranienburg, Ravensbrück), d ’autres encore au
ravitaillem ent de colonnes de détenus évacués3. On verra
notam m ent les délégués du CICR à l’œuvre à Theresienstadt 4,
à M authausen 5, à Dachau 6, à Turckheim 7, où leur présence
évita le pire, dans les prisons de Berlin 8, où ils obtinrent la
libération de nombreux détenus.
Certains de ces rapports sont de simples « carnets de route » de
délégués-convoyeurs. Rédigés souvent en pleine action, ils
reflètent la situation chaotique qui prévalait alors en Allemagne
e t m ontrent le caractère d ’improvisation hardie que dut revêtir
l ’action de secours, épousant pour ainsi dire au. jour le .jour le
cours des événements dans leur confusion même, sans qu’un
plan raisonné puisse toujours être établi ou suivi.
A partir de points fixes — la frontière suisse, la délégation cen
trale d ’Ufflng, les dépôts de vivres de Wagenitz, près de Berlin,
de Lübeck, de Moosburg — les colonnes de camions durent
em prunter des itinéraires de fortune et des chemins de traverse
pour atteindre leurs objectifs, dans des conditions exigeant des
convoyeurs et des chauffeurs un dévouement et un sang-froid
de tous les instants.
1 R a p p o rt n° I I I , p a g e 105.
2 R a p p o rt n° IV , p a g e n i .
3 R a p p o rts nos V e t V I, p a g es 120 e t 123.
* R a p p o rt n° V I I , p a g e 130.
6 R a p p o rts n09 I X e t X , p a g es 134 e t 136.
6 R a p p o rts n09 X I e t X I I , p a g es 143 e t 149.
’ R a p p o rt n° X I I I , p a g e 152.
8 R a p p o rt n° V I I I , p a g e 133.
90
I. — Visite au Commandant du camp d’Auschwitz d’un délégué
du CICR (septembre 1944)
... Tout au long des routes, des pistes polonaises pour être plus
exact, qui mènent de Teschen à Auschwitz, nous avons rencontré
des groupes d’hommes et de femmes, encadrés de SS, portant l’habit
rayé des camps de concentration et formant de petits Kommandos
(détachements de travail). Ces Kommandos travaillent tantôt à
l’agriculture, tantôt aux mines.
Ces gens, malgré le travail en plein air, ont tous le teint blafard,
cendré. Tous marchent au pas et en rang de quatre ; les gardes, le
fusil sous le bras, sont des SS de la Division Totenkopf...
Nous arrivons enfin à Auschwitz et, après avoir eu la patience
nécessaire, nous sommes introduits à l’intérieur du camp de concen
tration. Du camp même, nous n’apercevons que six à huit très grandes
casernes en briques rouges. Ces bâtisses paraissent neuves; toutes les
fenêtres sont munies de barreaux ; le camp est entouré d’un mur en
plaques de béton, mur très haut, surmonté d’une garniture de
barbelés.
Entretien avec le Commandant : Comme à Oranienburg et à
Ravensbrück, les officiers sont ici à la fois aimables et réticents.
Chaque mot est bien calculé et Ton sent la crainte de laisser échapper
le moindre renseignement.
1) Les distributions des envois faits par le Comité semblent
être admises et même réglées par un ordre général valable pour
tous les camps de concentration.
2) Le commandant nous dit que les paquets adressés personnel
lement à un détenu sont toujours remis intégralement.
3) Il existe des hommes de confiance pour chaque nationalité
(Français, Belges, pas d’autre nationalité citée, mais certainement
plusieurs autres).
4) Il existe un « Judenâltester » (doyen des Juifs), responsable
pour l’ensemble des internés juifs.
5) Les hommes de confiance et le « Judenâltester » peuvent
recevoir des envois collectifs ; ces envois sont distribués librement
par eux. Les paquets personnels arrivant à un nom inconnu au
camp sont remis à l’homme de confiance de la nationalité en ques
tion.
6) La distribution des envois faits par le Comité nous paraît
certaine. Nous n’avons pas de preuve, mais notre impression est
que le Commandant dit vrai quand il affirme que ces distributions
se font régulièrement et que tout vol est puni sévèrement...
91
Nous espérons pouvoir vous faire parvenir bientôt des noms, pré
noms et numéros de détenus d’Auschwitz ainsi que leur nationalité.
En effet, un Kommando de prisonniers de guerre britanniques tra
vaille dans une mine à Auschwitz en contact avec ces gens. Nous
avons prié l’homme de confiance principal de Teschen de faire son
possible pour obtenir de l’homme de confiance du Kommando
d’Auschwitz tous les renseignements utiles.
Spontanément, l’homme de confiance principal britannique de
Teschen nous a demandé si nous étions au courant au sujet de la
« salle de douches ». Le bruit court en effet qu’il existe au camp une
salle de douches très moderne où les détenus seraient gazés en série.
L’homme de confiance britannique a, par l’intermédiaire de son
Kommando d’Auschwitz, essayé d’obtenir confirmation de ce fait.
Ce fut impossible de rien prouver. Les détenus eux-mêmes n’en ont
pas parlé.
Une fois de plus, en sortant d’Auschwitz nous avons l’impression
que le mystère reste bien gardé. Nous emportons pourtant la certi
tude que des envois sont à faire, la plus grande quantité possible et
le plus vite possible. Une fois encore, disons que nous croyons que
ce qui est envoyé est remis intégralement aux détenus.
II. — Rapport sur les pourparlers de la délégation du CICR à Berlin
avec les Autorités allemandes et sur son activité en faveur des détenus
dans les camps de concentration
... Dès le début, du moins aussi longtemps que la constellation
militaire fut favorable au Reich, les Autorités allemandes furent
d’avis que les camps de concentration étaient une affaire interne,
qui ne regardait que le Reich et que, par conséquent, aucune Puis
sance étrangère et aucune organisation internationale n’avait à s’en
occuper. Des démarches peu diplomatiques et conduites avec brus
querie auraient mis en danger toute l’action du Comité international
de la Croix-Rouge en faveur des prisonniers de guerre et des internés
civils sur la base de la Convention de Genève. Dans les années 1943
et 1944, la délégation du Comité international à Berlin s’est toujours
préoccupée de se mettre en rapport avec les commandants des divers
camps de concentration pour discuter avec eux la question d’envois
de secours aux détenus de ces camps. On se procura des milliers de
noms de déportés et l’on put ainsi renseigner leurs parents dans les
territoires occupés. Les envois de secours du CICR dans les camps
de concentration tenaient une large place dans le plan de secours
collectifs des prisonniers se trouvant en Allemagne.
Mais les dirigeants et les véritables maîtres des camps de concen
tration étaient pour nous des inconnus et nous ne pouvions pas les
92
atteindre. Le contact avec les Autorités intérieures était extrême
ment difficile à établir puisqu'il y avait, par principe, une profonde
méfiance à l'égard de toute organisation qui n’était pas d’origine
allemande, de la part des Autorités du Service de sécurité et des SS.
Au début de janvier 1945, je fis la connaissance d’un membre du
Ministère des Affaires étrangères, le Dr Reichel, qui faisait la liaison
entre les services intérieurs et le Ministère lui-même. Grâce à ses
très bons rapports avec tous les bureaux des SS et du Service de
sécurité, le Dr Reichel nous a rendu par la suite des services signalés
en tant qu’intermédiaire.
Le 9 janvier, un de nos délégués eut une première entrevue avec
le chef du Service de la sécurité et de la défense pour les détenus
politiques, l’Obersturmbannführer Dr Berndorf. Le Dr Berndorf lui
indiqua le nom de l’Obergruppenführer Glücks, chef de l’adminis
tration de tous les camps de concentration en Allemagne. Les pour
parlers avec l’Obergruppenführer Glücks eurent lieu le 11 janvier
et les résultats acquis à ce moment éveillèrent en nous les plus
grands espoirs. Ainsi que nous l’avons déjà dit, nos efforts tendaient
à fournir les camps de concentration en vivres, en vêtements et en
médicaments, dans la même mesure où l’on fournissait les camps de
prisonniers de guerre. Il va sans dire que le CICR devait exercer
un contrôle par ses délégués pour savoir si les envois parvenaient
bien à leur lieu de destination et s’ils arrivaient bien aux mains des
détenus.
On ne pouvait arriver à exercer un tel contrôle que par l’intermé
diaire d’hommes de confiance dignes de foi. Le texte des accords
passés par le délégué du CICR avec l’Obergruppenführer Glücks
était le suivant :
1. Chaque camp principal indique au CICR une personnalité
connue appartenant à chacune des nationalités, qui devra fonc
tionner comme homme de confiance principal.
2. Dans chaque camp annexe ou secondaire des divers camps de
concentration on choisit également un homme de confiance pour
chaque nationalité, dont le nom est notifié au CICR.
3. Les hommes de confiance dans les camps annexes ou secon
daires envoient à l’homme de confiance du camp principal les
accusés de réception des colis de secours pour qu’il les fasse par- ‘
venir à Genève.
4. On peut envoyer toutes les denrées non périssables, ainsi que
des conserves dans des boîtes de fer blanc, du café et des cigarettes.
5. L’envoi de sous-vêtements chauds et de chaussures est très
souhaitable.
93
6. On peut envoyer tous les médicaments à l’exception de stupé
fiants.
7. Les colis collectifs doivent être envoyés au camp de concen
tration de Dachau, qu’il convient de considérer comme le camp
principal d’après la nouvelle organisation des camps de concen
tration en Allemagne.
8. Le Service central de la sécurité du Reich (Reichssicherheitshauptamt) se charge du transport des colis de secours de Dachau
aux divers camps.
9. Tous les commandants de camps de concentration reçoivent
l’ordre du Service central de la sécurité du Reich de distribuer
les colis de secours aux diverses nationalités, selon un plan pro
posé par le CICR.
10. Les visites des camps de concentration et des camps secon
daires par les délégués seront annoncées au Reichsführer SS
Himmler. Cette question reste ouverte.
Cet accord est valable pour les déportés politiques des nationalités
suivantes : Français, Belges, Hollandais, Danois, Norvégiens.
On saura lors d’une prochaine séance si les ressortissants d’autres
nationalités peuvent aussi être ravitaillés.
Par l’accord ainsi passé, la délégation du CICR a pu inscrire à
son actif un succès qui dépassait même nos espérances. Malheureu
sement, diverses promesses n’ont jamais été tenues. C’est ainsi, par
exemple, que jamais on n’a pu obtenir la liste des hommes de con
fiance. Les envois collectifs et individuels firent le plus souvent l’objet
d’accusés de réception, mais, ainsi que l’expérience nous l’a démontré
plus tard, ils ne parvinrent pas tous aux mains des détenus politiques.
Le nombre des détenus dans les camps de concentration ne nous a
jamais été communiqué malgré diverses promesses faites. La visite
des camps de concentration par les délégués du Comité international
de là Croix-Rouge n’eut lieu que dans des camps isolés et seulement
dans les derniers jours de la guerre. Jamais une conversation franche
avec les hommes de confiance des diverses nationalités n’a eu lieu,
que je sache, et pourtant c’était là un des seuls moyens d’être ren
seigné exactement sur les conditions existant dans les camps de con
centration.
Le 2 février, les délégués du CICR se rendirent au Quartier
général des camps de concentration à Oranienburg pour y discuter
les diverses questions relatives à l’approvisionnement des camps de
concentration en vivres et particulièrement en médicaments. Le
Standartenführer Loling, médecin en chef de tous les camps de
concentration d'Allemagne, montra toute la compréhension désirable
au projet du Comité international d’envoyer des médicaments aux
94
médecins prisonniers et dicta sur-le-champ un ordre, pour en faciliter
l’application à tous les camps de concentration. Dans cet ordre, il était
spécifié que les quittances mentionnant la réception des médicaments
devaient être signées uniquement par les médecins étrangers pri
sonniers. Le Dr Loling profita de l’occasion pour signaler aux repré
sentants du CICR tous les efforts faits par le Service de sécurité du
Reich pour éviter les épidémies dans les camps de concentration, les
quelles mettraient en danger la santé du peuple allemand. En même
temps, nous eûmes une conversation avec l’Obersturmbannführer
Hoess, le représentant et adjudant de l’Obergruppenführer Glücks.
Nous fîmes remarquer de nouveau la grande importance que le CICR
attachait à la visite de ses délégués dans les camps de concentration.
L’Obersturmbannführer Hoess nous répondit que c’était du Reichsführer Himmler que dépendait toute décision sur ce sujet ; cependant
il nous promit encore une fois de soumettre la question à l’Autorité
dont il relevait. En ce qui concerne les listes des hommes de con
fiance et des effectifs des divers camps de concentration d’après les
nationalités, on nous assura que ces listes n’étaient pas encore arri
vées. L’Obersturmbannführer Hoess s’excusa en invoquant les mau
vaises conditions de transmission du courrier et des communica
tions. Par la suite, nous devions recevoir encore souvent cette
réponse stéréotypée à nos demandes réitérées.
Plus tard, nos pourparlers avec le Quartier général des camps de
concentration à Oranienburg devinrent assez fréquents. Dans les
diverses séances avec l’Obersturmbannführer Hoess et le Standartenführer Loling, on régla maintes questions de détail sans arriver pour
tant à un accord de principe concernant la visite des camps de con
centration par les délégués du CICR. Le Reichsführer SS Himmler
se confina dans le silence.
Entre le 13 et le 15 mars, des conversations eurent lieu entre
le Président du Comité international de la Croix-Rouge, M. Cari
Burckhardt, et l’Obergruppenführer Kaltenbrunner. Sans attendre
l'issue de ces pourparlers, la délégation à Berlin entreprit de nouvelles
démarches auprès du Brigadeführer Schellenberg, chef du Service
d’informations politiques. Ce dernier occupait alors une place très
en vue parmi les premiers dirigeants de l’Allemagne et son influence
s’étendait sans aucun doute jusqu’aux sphères les plus hautes. Les
conversations avec Schellenberg nous permirent de distinguer au
sein du Gouvernement du Reich deux tendances qui se heurtaient
constamment : l’une consistait à faire certaines concessions, à mener
la guerre avec des méthodes humaines et correctes, à traiter les pri
sonniers selon les conventions internationales et à concéder des droits
étendus au Comité international de la Croix-Rouge, tandis que l'autre
soutenait la théorie qu’il fallait avoir des cœurs et des entrailles
d’acier, et préconisait la nécessité de lutter à outrance sans aucun
95
égard aux sentiments humains et sans faire de concessions à la propa
gande étrangère ou à l’idéologie humanitaire, considérée comme une fai
blesse. On pouvait admettre au nombre des défenseurs de la première
théorie le Brigadeführer Schellenberg, qui exerçait son influence dans
ce sens sur le Reichsführer SS Himmler. Dans le camp opposé se
trouvaient Hitler et son adjudant Bormann.
Nous discutâmes divers problèmes. Les questions concernant les
camps de concentration étaient les suivantes :
1. Le rapatriement des femmes françaises du camp de concentration
de Ravensbrück.
Schellenberg nous dit que ce problème devait être tranché d’ici
peu ; il ajouta cependant qu’il y aurait lieu d’envisager un échange
de ces femmes avec les femmes du Service auxiliaire de la Wehrmacht
se trouvant en captivité en France.
2. Le ravitaillement des camps de concentration par le CICR, leur visite
par ses délégués, l’organisation de la correspondance.
• Schellenberg connaissait très bien l’ensemble du problème et il
promit d’apporter son concours à sa solution. Les diverses questions
devaient cependant encore être discutées avec le Gruppenführer
Müller, du Service de la sécurité.
3. Le problème juif.
A notre demande si la condition des Juifs ne pourrait pas être
rendue meilleure, et s’il y avait un espoir que cessent les persécutions à
leur égard, Schellenberg nous répondit que divers allègements étaient en
vue et promit d’exercer son influence dans ce sens.
Nous prîmes congé du Brigadeführer Schellenberg avec l’impres
sion d’avoir trouvé un homme avec qui une discussion était possible
et qui avait une vaste compréhension des problèmes qui préoccupent
le Comité international de la Croix-Rouge.
Le 23 mars, les délégués du CICR se rendirent chez l’Obergruppenführer Müller, chef du Sicherheitsdienst. Cette entrevue fut
également ménagée par le Dr Reichel. Malheureusement, nous ne
connaissions pas encore à ce moment le résultat des pourparlers
entre le président Cari Burckhardt et le général Kaltenbrunner.
Aussi ne pouvions-nous discuter certaines questions assez à fond.
Toute la discussion roula sur le problème des camps de concentration
et l’on discuta en particulier les points suivants :
1. Envois de secours aux camps de concentration.
Nous rendîmes l’Obergruppenführer Müller attentif aux résultats
que nous avions déjà obtenus. Nous lui fîmes remarquer que le CICR
96
avait déjà livré des milliers de tonnes de vivres dans les camps de
concentration ; que les conditions de communication ayant entre
temps notablement empiré, le CICR s’était décidé à organiser des
colonnes de camions partant de Genève pour les camps de concen
tration, comme il les organisait pour les camps de prisonniers de
guerre. Nous le priâmes d’accorder lui aussi toute son aide au Comité
international de la Croix-Rouge.
L’Obergruppenführer Müller nous répondit que tous ces problèmes
avaient déjà été discutés par le président Cari Burckhardt et le
général Kaltenbrunner et qu’ils avaient reçu une solution favorable.
Les envois de secours devaient parvenir aux ressortissants de toutes
nationalités.
2. Correspondance pour les camps de concentration.
Le Ministère des Affaires étrangères avait déjà donné l’autorisa
tion au CICR de fournir des formulaires de messages Croix-Rouge
aux détenus des camps de concentration de nationalité belge et fran
çaise. Nous proposâmes à l’Obergruppenführer Müller d’étendre cette
autorisation à tous les détenus des camps de concentration. Les
camions Croix-Rouge apporteraient aux camps, en même temps que
les vivres, des formulaires de messages Croix-Rouge, qu’ils remporte
raient, dûment remplis, lors de leur voyage de retour. L’Obergruppen
führer Müller fut d’avis que la censure serait très difficile à établir
du fait du manque de censeurs. La quantité de nouvelles qui pour
raient être transmises de cette manière dépendrait du nombre des
censeurs que le Reich pourrait mettre à disposition.
3. La question juive.
Nous demandâmes la permission de visiter Theresienstadt, ce qui
nous avait déjà été promis depuis longtemps. L’Obergruppenführer
Müller répondit que la visite était autorisée et qu'un délégué du CICR
verrait le camp dans quelques jours. Müller espérait que cette visite
mettrait enfin un terme à la propagande mensongère ennemie.
4. Visite du camp de Bergen-Belsen.
Nous fîmes remarquer à M. Müller que les Autorités allemandes
nous avaient promis à plusieurs reprises d’organiser une visite de
ce camp, mais que cette visite était toujours remise à une date ulté
rieure. Müller indiqua qu’il connaissait aussi ce problème mais qu’il
fallait remettre encore une fois la visite. Il dit que le camp de BergenBelsen serait dissous, que tous les Juifs d'Allemagne seraient réunis
dans un seul et même camp et que les envois de secours aux Juifs
seraient autorisés en principe. C’est par cette déclaration que se ter
mina la séance avec l’Obergruppenführer Müller.
97
Le 30 mars, un délégué du CICR vint à Berlin en mission
spéciale pour discuter avec l’Obergruppenführer Kaltenbrunner les
modalités de rapatriement des femmes françaises internées à Ravensbriick. L’entretien avec l’Obergruppenführer Kaltenbrunner eut lieu
à Berlin. ... Le 3 avril, au cours d’une conversation au Minis
tère des Affaires étrangères à laquelle prirent part l’ambassadeur
Schmidt, l'adjudant de Kaltenbrunner, l’ambassadeur Windecker et
les délégués du CICR, furent arrêtées les modalités du rapatriement
de 300 femmes françaises internées au camp de concentration de
Ravensbrück. Selon les décisions prises lors des pourparlers du pré
sident Burckhardt avec Kaltenbrunner, un délégué du CICR devait
s’installer dans chaque camp de concentration. Comme entre temps
un délégué du CICR était allé à Prague en vue de s’établir dans le
ghetto de Theresienstadt, nous demandâmes une autorisation et des
instructions à cet effet. L’adjudant de Kaltenbrunner nous répondit
qu’il devait encore discuter ce point avec Kaltenbrunner lui-même.
Le 4 avril, je fis une visite au Quartier général d’Oranienburg.
Nous vîmes là toutes les personnalités dirigeantes : le Standartenführer Loling, l’Obersturmbannführer Hoess avec tout l’état-major
faisant partie de son administration. On discuta de diverses questions
de détail et il y eut une réunion avec les hommes de confiance. Il
n’était naturellement pas question d’un entretien libre, étant donné
que la confrontation eut lieu en présence de tous les SS. Les hommes
de confiance étaient visiblement impressionnés et apeurés ; seul
l'homme de confiance hollandais osa parler un peu plus ouvertement.
Nous étions très prudents dans nos questions, car nous ne voulions
en aucune manière compromettre les hommes de confiance. Ainsi que
me l’a dit plus tard l'homme de confiance yougoslave, il avait été
spécifié, avant l’entrevue, exactement à quelles questions les hommes
de confiance pouvaient répondre ou non. En particulier, il leur était
sévèrement défendu de communiquer l’effectif des détenus des
diverses nationalités.
Des lettres de recommandation pour tous les commandants de
camps de concentration furent établies au nom de deux délégués du
CICR : ces lettres rendirent de grands services par la suite. Dési
reux d’envoyer un délégué permanent au camp de concentration de
Buchenwald, je rendis l'Obersturmbannführer Hoess attentif à la
promesse faite dans ce sens par le général Kaltenbrunner et je lui
demandai une autorisation d’entrée et une « autorisation de séjour»
dans le camp pour ce délégué. L’Obersturmbannführer Hoess me
répondit qu’il devait en cette occurrence s’adresser tout d’abord
à son chef, le Reichsführer SS Himmler, un pareil accord lui étant
inconnu. Je recommandai au délégué de se rendre tout de même
sans autorisation à Buchenwald et de chercher à pénétrer dans le
camp de concentration. De mon côté, je voulais faire toutes les
98
démarches nécessaires à Berlin pour obtenir l’autorisation aussi rapi
dement que possible.
Le 5 avril, je me rendis à Prague pour me mettre en relation
avec les Autorités du Service de sécurité de cette ville et pour visiter
le ghetto de Theresienstadt.
Le 6 avril eut lieu la visite du ghetto de Theresienstadt, où
nous devions avoir d’importantes conversations avec le Dr Weineman, chef du Sicherheitsdienst du « Protectorat de Bohême et Mora
vie », et avec l’Oberführer Eichmann, spécialiste pour toutes les ques
tions juives. Ce dernier s’était rendu de Berlin à Prague pour exa
miner avec les délégués du CICR diverses questions concernant les
Juifs. L’Oberführer Eichmann avait joué un rôle de premier plan
dans les camps de concentration de Lublin et d’Auschwitz. Ainsi
qu'il me l’a communiqué, il était le mandataire direct du Reichsführer SS pour toutes les questions juives. Dans une réception qui
fut donnée au Hradschin, j ’eus l’occasion de parler avec ces deux
hommes jusque tard dans la nuit et d’examiner les problèmes les
plus divers. Ce qui intéressait particulièrement le CICR ce n’était pas
tellement les conditions de logement et les installations du ghetto de
Theresienstadt que de savoir si ce ghetto servait seulement de camp
de passage pour les Juifs et dans quelles proportions les déportations
avaient eu lieu vers l’Est (Auschwitz). Conformément à ce que j'avais
pu constater dans le ghetto de Theresienstadt, le doyen des Juifs,
Dr Eppstein, homme de confiance du camp, avait aussi été déporté
à Auschwitz en même temps que beaucoup d’autres. De ce fait, je
demandai au Dr Weineman, sans ambages, quand les déportations
avaient eu lieu et dans quelles proportions. Le Dr Weineman me
répondit que les derniers transports vers Auschwitz dataient d’environ
six mois. Il s’agissait de 10.000 Juifs qui avaient été employés à
agrandir le camp d’Auschwitz et qui seraient, pour la plupart, em
ployés dans l’administration. Plusieurs milliers devaient avoir été
employés dans des travaux de retranchement. Selon le Dr Weineman,
il n’y avait aucune communication entre ces gens et Theresienstadt.
Il ajouta qu'il ne savait rien d’autre sur leur sort ; qu'ils avaient
probablement été emmenés par les Russes qui avaient pénétré entre
temps dans cette région. Il dit que le transfert de ces Juifs n’avait
pas eu lieu sur son ordre mais qu’il avait obéi à un ordre venant de
plus haut.
Au cours de la soirée, Eichmann développa ses théories au sujet
du problème juif. A son avis, les Juifs de Theresienstadt étaient
beaucoup mieux lotis en ce qui concerne la nourriture et les soins
médicaux que beaucoup d’Allemands. Il dit que Theresienstadt était
une création du Reichsführer SS Himmler qui voulait donner aux
Juifs la possibilité d’organiser une vie en commun dans le ghetto
de ce camp sous une direction juive et en jouissant d’une autonomie
99
presque complète ; on voulait éveiller le sens d’une communauté
raciale. Les Juifs de Theresienstadt devaient être ensuite transportés
dans quelque région où ils vivraient tout à fait à part, séparés de
l’ensemble de la population allemande.
Pour ce qui était du problème général des Juifs, Eichmann fut
d’avis que Himmler était en train d'envisager à ce moment-là l’in
troduction de méthodes humaines.
Eichmann, personnellement, n’approuvait pas entièrement ces
méthodes mais, en tant que bon soldat, il obéissait naturellement
aveuglément aux ordres du Reichsführer. Lors de cette rencontre,
je persuadai le Dr Weineman de la nécessité d’établir une délégation
du CICR à Prague. Le délégué dans cette ville devrait avoir la possi
bilité de visiter le camp de Therasienstadt à n’importe quel moment.
Je mentionnai aussi le camp de concentration de Theresienstadt,
qui se trouvait immédiatement à proximité du ghetto, et je reçus
un demi-assentiment pour une telle visite. J ’aurais naturellement
mieux aimé que le délégué de Prague pût établir son domicile à
Theresienstadt. Le Dr Weineman adressa une requête télégraphique
à ce propos à l’Obergruppenführer Kaltenbrunner mais, jusqu’à mon
départ, il n’obtint aucune réponse.
Dans le courant de cette soirée, j'exprimai à Eichmann le désir
de visiter le camp de Bergen-Belsen. Eichmann déclara que dans ce
camp avait éclaté une épidémie de typhus et que les Autorités du
Reich préposées à l'hygiène et à la santé la combattaient avec tous les
moyens dont elles disposaient. Il me promit de visiter le camp avec
moi dans les jours à venir. Cette visite ne put être effectuée car il ne
me fut plus possible d’atteindre le Dr Eichmann à Berlin.
C’est sur cette promesse de l’Oberführer Eichmann et la parole
d’honneur du Dr Weineman que plus aucun Juif ne serait déporté
du camp de Theresienstadt que je pris congé de mes interlocuteurs.
Lorsque je quittai Prague, le 8 avril, pour Berlin, la situation
militaire s’était fortement modifiée aux dépens de l’Allemagne. Les
troupes russes avançaient vers la capitale. De l’ouest, l’avance angloaméricaine faisait toujours plus de progrès. Un second convoi de
300 détenues du camp de concentration de Ravensbrück ne put se
frayer un chemin vers le sud ; en effet, le grave danger d’attaques
par des avions en rase-mottes nous empêcha d’assumer la respon
sabilité d’un transport de 300 femmes gravement affaiblies par une
longue détention. Le train routier avec ses nombreux camions fut
utilisé pour le transport de vivres de Lübeck vers les camps de
concentration de Ravensbrück et d’Oranienburg.
Le 12 avril, nous fûmes informés que, sur ordre de la Gestapo, tous
les papiers d’identité et les dossiers concernant les détenus dans les
camps, ainsi que ceux des prisonniers politiques se trouvant dans les pri
sons, avaient été détruits. Le but de cette mesure était suffisamment
100
6
clair. La Police de sûreté du Reich voulait faire disparaître tous les
papiers compromettants. Cette mesure comportait le danger qu’au der
nier moment on ne se livrât à des exécutions en masse. Les détenus
politiques étaient devenus un troupeau anonyme. Cela nous posait
une tâche nettement définie : intervenir énergiquement auprès des
Autorités du Reich et des chefs de la SS qui nous étaient connus.
Le 13 avril, nous eûmes un entretien avec le ministre Schmidt,
à qui nous avons communiqué notre inquiétude. M. Schmidt nous
fit recevoir par le Gruppenführer (lieut.-général des SS) Müller et par
des fonctionnaires du Ministère de la Justice du Reich. Il nous promit
en outre son appui entier, et tint parole au cours des jours suivants.
Le lendemain déjà, nous avions pu voir le Gruppenführer Müller
et le Ministerialrat Dr Franke, représentant du Ministère de la Jus
tice du Reich. Ces deux fonctionnaires nous déclarèrent formelle
ment qu'il n'y aurait, ni représailles, ni jugements sommaires au
dernier moment. Nous leur avons envoyé confirmation écrite de ces
deux conversations. Voici copie de la lettre que nous avons adressée
au Gruppenführer Müller :
Berlin, le 16 avril 1945.
Monsieur le Général,
Nous nous empressons de vous remercier vivement de l’entrevue
que vous avez bien voulu nous accorder le 13 avril 1945, et avons
l’honneur de vous en confirmer brièvement la substance.
Emus par le sort des victimes de la guerre, nous avons exprimé le
vœu de pouvoir étendre les secours que le Comité international de la
Croix-Rouge leur apporte, par voie d’analogie, aux détenus se trou
vant dans les prisons comme il est autorisé, par suite des accords de
l’Obergruppenführer Kaltenbrunner et de M. Burckhardt, Président
du CICR, à en faire bénéficier les détenus des camps de concen
tration. Cette mesure en faveur des détenus politiques devrait
s’étendre pour le moins aux sujets étrangers qui ont été mis en
état d’arrestation à Berlin, ou dans les environs, pour des motifs
politiques ou militaires.
Vous avez bien voulu réserver bon accueil à notre vœu, mais
avez attiré notre attention sur le fait qu'une partie des détenus
ne relèvent pas de la Police de sûreté, mais du Ministère de la Justice
du Reich. Donnant suite à votre suggestion, nous nous sommes
adressés à ce Ministère par l’intermédiaire de M. le Ministre
Schmidt, et y avons rencontré également un esprit de compré
hension. En conséquence, nous vous adressons la prière d’établir
un laisser-passer en faveur de notre délégué, lui permettant de
distribuer personnellement les colis de secours et de pénétrer à cet
effet à n’importe quel moment dans les prisons.
101
Lors de notre entrevue, nous avons cru devoir vous informer
de l’inquiétude qui règne parmi cette catégorie de détenus, par
suite du sentiment d’insécurité que créent chez les détenus les
mesures prises pour la défense de la capitale. En outre, le bruit
court que ces jours derniers, les dossiers et les papiers d’identité
auraient été détruits, ce qui a fait naître la crainte d’instructions
secrètes accordant une compétence exécutive étendue aux organes
subordonnés du pouvoir judiciaire.
C’est avec une vive satisfaction que nous avons pris note de
votre déclaration formelle que des représailles ne seraient pas
exécutées ni des tribunaux d’exception institués, qui auraient pour
conséquence des dommages irréparables.
Nous croyons que dans ces temps difficiles des instructions dans
ce sens, à vos services subordonnés, contribueraient à faciliter notre
activité en vue d’atténuer les conséquence^ matérielles et morales
de la guerre ; en outre, votre attitude bienveillante nous a fait
entrevoir la possibilité de renforcer la situation morale de nos
délégués chargés des intérêts des prisonniers de guerre allemands...
Une communication analogue fut adressée à M. le Ministerialrat
Dr Franke, représentant du Ministère de la Justice du Reich.
Les jours suivants, la situation devint critique pour les camps de
concentration d’Oranienburg et de Ravensbrück. Il fallait s’attendre
à ce que, malgré les promesses faites, des mesures extrêmes fussent
prises à l’égard des détenus. Je m’efforçai, en conséquence, d’atteindre
le Brigadeführer Schellenberg, afin d’obtenir, par son intermédiaire,
le consentement du Reichsführer SS Himmler à ce que soient placés
les camps d’Oranienburg et de Ravensbrück sous la protection
d’un délégué.du Comité international de la Croix-Rouge, qui assure
rait la remise de ces camps aux Autorités militaires russes dès leur
arrivée. Malheureusement, je ne pus voir que l’adjudant de Schellen
berg, le Brigadeführer étant lui-même absent de Berlin à ce moment.
Le 20 avril, j ’ai eu à ce sujet une nouvelle entrevue avec
M. Schmidt, qui m’introduisit une seconde fois auprès du Gruppenführer Müller.
M. Müller me reçut le soir du 20 avril 1945 dans son quartier
général, près du Grand Wannsee. Müller, qui d’habitude se montrait
impassible, manifestait une nervosité visible. C’est au son de la
canonnade lointaine de l’artillerie russe que cette dernière entrevue
décisive se déroula. Je rappelai à Müller toutes les promesses qui
nous avaient été faites. Je fis allusion aux accords intervenus entre
M. Burckhardt et Kaltenbrunner ; je lui dis que des concessions des
Autorités du Reich, faites en dernière heure, constitueraient peut-être
un sérieux appoint à une époque ultérieure. J ’insistai pour que soit
tenue la promesse de Kaltenbrunner, à savoir que les délégués du CICR
pourraient pénétrer dans les camps de concentration. Müller me répon
102
dit sur ce point : « Les Russes sont à 10 kilomètres d’Oranienburg ;
comment voulez-vous que vos délégués y arrivent ?» A quoi je répon
dis : « Ça, c’est notre affaire. » Je lui proposai de remettre les camps de
concentration d’Oranienburg et de Ravensbriick à un délégué du
CICR et de retirer les SS de ces camps. Sur cette proposition, Müller me
répondit qu'une pareille décision outrepassait ses compétences et qu’il
devait d’abord consulter Himmler. Il me promit une réponse avant
10 heures le même soir. D’autre part, il me permit de placer sous la
protection du CICR le camp de rassemblement juif de la Schulstrasse
78, à Berlin, ainsi que l'hôpital juif de l’Iranische Strasse 2, également
à Berlin.
A dix heures du soir, nous n’avions reçu aucune réponse de Müller.
Nous nous décidâmes, par conséquent, à envoyer un délégué à
Oranienburg en vue de pourparlers avec les Autorités locales. Je lui
donnai une lettre pour l’Obersturmbannführer Hoess. Le départ du
délégué fut retardé de quelques heures par une attaque aérienne
contre Berlin. Ce fut le matin à 3 heures qu’il quitta la délégation,
afin de traverser les lignes allemandes pour gagner le camp d’Oranien
burg. Le matin du 21 avril, il revenait déjà, après avoir été reçu
par l’Obersturmbannführer Hoess et le Standartenführer Keindl.
Notre délégué ne put malheureusement pénétrer dans le camp d’Ora
nienburg ; un ordre contraire du Reichsführer SS Himmler était
venu, l'interdisant.
Quelques heures plus tard, je fus appelé au téléphone par Hoess ;
11 me dit que, sur l’ordre de Himmler, le camp d’Oranienburg allait
être évacué vers Wittstock. Les détenus devraient faire un trajet
de 100 kilomètres à pied. On nous indiqua les diverses étapes, ainsi
que la direction générale. Hoess insista sur l’envoi de colis CroixRouge, car le ravitaillement était très insuffisant.
Cette communication inattendue posait de nouveaux problè
mes. Heureusement, nous avions établi un dépôt de colis de CroixRouge à notre dépôt secondaire de Wagenitz. D’autre part, il était
urgent de prendre contact avec Lübeck et de faire partir de cette ville
les colonnes de camions vers les étapes indiquées. Toute l’entreprise
était fort risquée, car des avions mitraillaient les routes qui étaient,
d’autre part, complètement encombrées de colonnes militaires venant
du front. La route que devaient suivre les détenus traversait en partie
le « no man’s land ». Cette entreprise dangereuse ne fut cependant
pas retardée un instant, car nous savions que c’était une question
de vie ou de mort pour 50.000 détenus. Entre temps, je reçus encore
un téléphone du Gruppenführer Müller confirmant l’évacuation d’Ora
nienburg.
Vers 3 heures de l’après-midi, un délégué, accompagné d'un
chauffeur, quitta la délégation, afin de surveiller l’évacuation du
camp et d’apporter des vivres de Wagenitz.
103
Le 22 avril, le chauffeur se présenta à la délégation et con
firma que l’action de secours avait commencé. Il nous apporta en
même temps un rapport du délégué du CICR, disant que l’évacua
tion se poursuivait dans des conditions inhumaines. Sur les routes,
les détenus avaient l’aspect de squelettes en marche. Les traînards
étaient exécutés sans pitié par leurs gardiens SS. Le délégué nous
déclara cependant que l’arrivée des délégués du CICR avait produit
une vive impression parmi les gardiens et aussi parmi les détenus
eux-mêmes. L'intervention énergique de notre représentant avait
déjà empêché bien des malheurs.
Dans ces circonstances, je me décidai à adresser un dernier appel
urgent à l’Autorité supérieure responsable des camps de concentra
tion, afin, si possible, d’empêcher l'évacuation du camp de Ravensbrück dans des conditions similaires. Les seuls commandants que
l'on pouvait encore atteindre dans le désordre général étaient l’Obersturmbannführer Hoess et les deux commandants des camps d’Oranienburg et de Ravensbriick. Hoess m’avait téléphoné qu'il s’était
rendu à Ravensbriick.
Le 23 avril, l’un des délégués du CICR, accompagné d’un
chauffeur, se rendit à Ravensbriick. Nous lui donnâmes une lettre
pour Hoess dont voici la teneur :
22 avril 1945.
Je reçois à l’instant un rapport de nos délégués qui ont pu dis
tribuer les colis aux colonnes de détenus provenant du camp
d’Oranienburg/Sachsenhausen. Nous avons pu, en dépit de nom
breuses difficultés, amener ces paquets de notre dépôt de Wagenitz.
Malheureusement, il ne s’agit que d’un modeste secours d’urgence ;
j’espère cependant qu’il sera possible de transporter des colis
de notre dépôt central à Liibeck vers les différentes étapes.
Je saisis l’occasion pour attirer votre attention sur la détresse
indescriptible qui s’est abattue sur les détenus comme conséquence
de l’évacuation du camp. Ces gens sont si faibles qu’ils ont la plus
grande peine à se traîner. On nous rapporte que les gardiens se sont
rendus coupables d’excès et que les traînards ont été fusillés.
Je suis persuadé que ces excès ne correspondent pas à votre
intention et ne trouveront nullement votre approbation. Il m’est
malheureusement impossible, pour le moment, d’atteindre le
Reichsführer SS ou quelque autre personnalité responsable ; je me
permets par conséquent de vous adresser l’appel urgent, au
nom du Comité international de la Croix-Rouge, de ne pas évacuer
le camp de Ravensbriick si cette évacuation devait avoir lieu dans
des conditions aussi déplorables qu’à Oranienburg.
Je vous envoie un délégué compétent ; je vous prie de l’autoriser
à pénétrer dans le camp de concentration de Ravensbriick et, le
104
cas échéant, de lui confier par écrit la responsabilité du camp. De
son côté, il vous donnera toute garantie en ce qui concerne le
ravitaillement du camp.
Ainsi les dés étaient jetés. Tout ce qu’il était humainement possible
de faire avait été fait... Sans vouloir afficher la moindre prétention, nous
sommes en mesure d’affirmer que, grâce à notre dernière initiative, des
milliers de malheureux détenus ont eu la vie sauve. L’apparition des
délégués du Comité international de la Croix-Rouge au milieu des
colonnes de détenus épuisés, pourchassés et condamnés à une mort
certaine, constitua pour ceux-ci un appui moral inestimable. D’autre
part, les colonnes de camions arrivées de Lübeck, ville avec laquelle,
malgré toutes les difficultés, nous avions pu établir un contact, ainsi
que celles venant de Wagenitz, ont pu ravitailler ces affamés et trans
porter les détenus malades et épuisés vers Schwerin, dans la région
occupée par les Américains. La présence des délégués a créé chez les
gardiens SS une très forte impression. Les raisons psychologiques sont
évidentes : les opérations de guerre tiraient à leur fin, et bien des gar
diens, sans doute, étaient envahis par la crainte de leurs responsabilités.
Comme me disait l'homme de confiance yougoslave du camp
d’Oranienburg, qui faisait partie d’une colonne de détenus, l’appa
rition des colonnes de la Croix-Rouge dans la forêt de Below fit l’effet
d'un miracle. Un cri unanime s’échappa des masses de détenus épuisés
et affamés : « La Croix-Rouge internationale ! Nous sommes sauvés ! »
I I I . — Rapport d’un délégué du Comité international de la Croix-Rouge
sur le rapatriement des détenues de Ravensbrück
Le 26 mars 1945, je pars avec un convoi d'automobiles du Comité
international de la Croix-Rouge qui, de Constance, se rend au
Stalag IV D à Torgau pour y apporter des colis de Croix-Rouge. Ceci
fait, le 28 mars, je devais m’acquitter de ma seconde tâche, confor
mément à mon ordre de mission : me « rendre à Berlin pour remettre
de la part du Comité une lettre du Président du Comité international
à l’Obergruppenführer Kaltenbrunner et discuter avec lui au nom du
Comité international ». Il s’agissait de poursuivre les pourparlers
entamés en Allemagne par le Président du Comité international de la
Croix-Rouge avec les Autorités allemandes au sujet du rapatriement
et de l’échange de prisonniers de guerre et de déportés, de leur ravi
taillement en colis Croix-Rouge ainsi que de la visite des camps de
concentration par les délégués du Comité international.
Comme les premiers entretiens, le 29 mars, avec l'Auswârtiges Amt
n’aboutissent qu’à une promesse de l'administration allemande d'étudier la question, je décide de m’adresser directement aux plus hautes
105
instances, si possible à Himmler, ministre de l’Intérieur et Reichsführer SS, car je savais ce dernier à la fois le seul compétent dans ce
domaine et d’habitude relativement accessible à ce genre d’entretiens.
Je quitte donc Berlin en direction nord, le 30 mars, avec l’inten
tion de me rendre auprès du Reichsführer SS et de faire une visite au
camp de concentration de Ravensbrück qui se trouve sur ma route
et d'où je veux sortir et ramener en Suisse, avec mes autos, un pre
mier convoi de 300 femmes...
A l’entrée du camp, la barrière est levée. Cependant, nous arrêtons
notre Ford peinte en blanc devant le corps de garde où nous sommes
salués par un Allemand, originaire de la Volga, comme nous l’ap
prîmes plus tard. Ne sachant que peu d'allemand, il appelle le chef
de colonne, qui nous explique que la route pour Templin est à gauche
le long du camp ; il refuse de croire que nous voulons pénétrer dans
le camp et nous engage à faire un détour. Il ne peut compren
dre notre demande de parler au Commandant et affirme qu’il
est absent, ayant dû partir de bonne heure. Nous parlementons
pendant cinq minutes pour savoir si je puis ou non me rendre à la
Kommandantur en voiture ; puis, je lui déclare à la prussienne que je
vais aller tout droit chez le Commandant et qu’il me donne un guide,
si cela lui convient. Il salue avec raideur et, mon chauffeur et moi,
nous nous dirigeons vers un grand bâtiment en face de la véritable
entrée du camp, et amenons l'auto droit devant le portail par lequel
doivent passer les détenus et au travers duquel on voit la grande rue
du camp et quelques baraques.
Le chauffeur reste dans l'auto en observateur tandis que je m’ef
force de parvenir jusqu’au Commandant, Sturmbannführer Suhrens.
J ’offre d’emblée une cigarette au sous-officier de garde et lui dis :
« Conduisez-moi immédiatement chez le Commandant. » Il s’apprête
à obéir et me devance, mais se retourne tout à coup et déclare qu’il
doit tout d'abord s’assurer par téléphone si je puis être admis.
«Je suis annoncé, mais j’arrive en retard », lui dis-je, dans l’espoir
d’éviter Une vérification de mes papiers, car je n’ai même pas en mains
le plus simple laissez-passer. Mais cet homme grisonnant et à la mine
florissante, Unterscharführer des SS, portant les insignes du régiment
« Tête de mort », ne se laisse pas convaincre. Il téléphone au Com
mandant ; je donne mon nom et indique comme grade : médecinlieutenant. Tandis qu’il poursuit son entretien téléphonique, je
m’apprête à gravir les premières marches de l’escalier de marbre que
Tune des détenues du camp est en train d’astiquer...
Arrivé au premier étage, je frappe à la porte du bureau et demande
le Commandant. Il n’est pas là, il est au camp, répond-on sèchement.
Sur quoi j ’ordonne : « Conduisez-moi immédiatement vers lui, c’est
de toute urgence ! » Quelques instants de discussion pour savoir qui
devra m’accompagner, puis un SS m’invite à le suivre. L’U.V.D.
106
téléphone toujours. Nous parvenons à la grille ; on ouvre. La senti
nelle s’intéresse aussitôt à ma condition de civil, réclame mes papiers
d’identité, un laissez-passer, une autorisation, etc. :— toutes choses
qui me manquent. Il finit par demander comment j’ai pu parvenir
jusque-là ; il déclare que c’est invraisemblable, qu’il doit m’arrêter...
Je reprends la manière prussienne qui m’a permis de passer les lignes
de fer et refuse tout renseignement ; je n’ai à rendre de compte qu’au
Commandant et il s’agit de me « l’amener » au plus vite. Mais la
sentinelle invoque ses ordres écrits et formels. Elle se déclare néan
moins et exceptionnellement d’accord de me laisser partir sans autre,
à condition de quitter immédiatement l’enceinte du camp, les espions
n’ayant rien à chercher par là...
Il refuse mes cigarettes, déclarant en avoir en suffisance. Lorsque
finalement je me présente comme délégué du Comité international de
la Croix-Rouge mon homme se fait un peu plus poli, mais il m’intime
d’autant plus fermement l’ordre de repasser de l’autre côté de la grille.
Il demande en passant si j ’ai apporté des colis Croix-Rouge et s’en
déclare satisfait, car il y a là-dedans de bonnes choses ; le chocolat
en particulier est délicieux. Nous poursuivons finalement un entretien
sans importance au sujet du camp et des détenues et j’ai pendant ce
temps l’occasion d'observer de la porte l’activité du camp...
Plusieurs groupes de détenues marchent sans surveillance, en
colonnes et par rangs de trois ou de cinq, sur la grande chaussée du
camp. Je m’efforce de découvrir dans la direction du four crématoire
des nuages de fumée, mais en vain. On voit de nombreuses femmes
avec des vêtements civils, portant des croix dans le dos ; les man
teaux avec des croix rouges, jaunes, sont nombreux ; mais la majorité
portent l’uniforme à rayures grises et bleues. Presque toutes les
femmes ont des sabots, la plupart même des bas. Il s’agit probable
ment de détachements d’ouvrières qui travaillent aussi en dehors du
camp.
A trente mètres de moi environ, deux femmes à cheveux blancs,
au dos voûté, sont occupées à enlever les mauvaises herbes, les chif
fons de papier sur la chaussée. En me rapprochant, je vois qu’elles ont
les joues affaissées, le ventre gonflé et les jambes enflées près des
chevilles ; la peau a un aspect terreux. Tout à coup surgit une colonne
entière de ces malheureuses affamées. Dans chaque rang, une malade
était soutenue ou traînée par ses camarades ; une jeune surveillante
SS, un chien loup de race à la main, mène la colonne, tandis que deux
autres filles suivent, injuriant sans arrêt ces pauvres créatures. Comme
ce spectacle me fait oublier la conversation, le gardien me saisit
poliment, mais fermement, par le bras et me dit : « C’est là-bas que
vous trouverez le Commandant du camp ; annoncez-vous, s.v.p.,
selon le règlement et ne dites à personne que vous avez été jusqu’ici. »
« Quant à toi, camarade », dit-il à mon guide du bureau, « espèce
107
d’âne, fais bien attention, car tu pourrais avoir des ennuis. Aujour
d’hui, je suis de bonne humeur, cela va, mais... » Mon guide m’invite
à partir immédiatement, mais je persiste à réclamer le Commandant
et j’interpelle dans ce but, un peu plus loin, un Obersturmführer
apparu sur le chemin. Ce dernier réclame également mes papiers,
déclarant en avoir le droit comme chef SS, et même si je venais direc
tement du « Sicherheitsdienst » (service de sécurité). Je dois donc
décliner mon identité ; il me dit alors que le Commandant ne peut
me recevoir, qu’il est occupé dans le camp et que, sans autorisation
spéciale de la Gestapo ou du Sicherheitsdienst. je ne pourrais en
aucun cas entrer dans le camp ; toutefois j ’aurais quelque chance de
voir le Commandant si je veux attendre jusqu’à 16 heures. Impossible
d’attendre aussi longtemps, car je dois me rendre aussi rapidement
que possible à H., chez le Reichsführer SS.
Malgré de nombreuses difficultés, mes démarches aboutissent, et le
5 avril 1945, les camions du Comité international de la Croix-Rouge,
emmènent du camp de concentration de Ravensbrück vers la Suisse
299 déportées françaises et une Polonaise, qui rejoindront ensuite
leur patrie.
Entre temps, les camions s’étaient rendus de Torgau à Lübeck
pour y chercher des colis Croix-Rouge et les apporter au camp
d’Oschatz. Dûment muni d'un laisser-passer de la Direction centrale
des SS, je rentre le 3 avril à Ravensbrück pour y préparer le transport
des détenues. Le Commandant du camp me reçoit très aimablement,
se posant en bon père de famille préoccupé des détenues comme de
ses enfants. Il m’offre des cigarettes américaines et suisses, me pro
met tout le concours possible pour ce transport et semble très heureux
de cette visite du Comité international de la Croix-Rouge. Mais aux
questions concernant le nombre des détenues dans le camp, la répar
tition des Kommandos, les mesures à prendre en cas d’arrivée des
Russes et autres questions de ce genre, il refuse de donner aucune
précision. Pour lui, la situation n’est nullement aussi grave qu’on le
dit ; il parle des réserves de vivres qu’il se propose de faire pour les
temps difficiles, de constructions nouvelles pour parer à un surpeu
plement du camp, etc.
A 20 h. nous faisons rapidement ensemble le tour du camp, ce qui
ne m’apprend rien et doit uniquement me donner le change. Lorsque
je demande à voir les femmes désignées pour le transport, le Com
mandant se dérobe, mais néanmoins me remet une liste avec tous les
noms.
Dans une cantine, j ’aperçois des hommes de la SS qui soupaient
et, dans un dortoir qui ne semblait pas surpeuplé, une surveillante
SS qui faisait l’appel. Comme tout n’était que tromperie, je renonce
à continuer ma tournée, puisque je ne peux entrer en contact avec
les détenues et qu'à toutes mes questions sur les mauvais traitements,
108
les maladies, les punitions et les tortures, on me répond qu’il s’agit
de calomnies répandues par des ennemis de l’Etat.
Je m’en retourne à H., où le comte Folke Bernadette est venu
discuter le sort des Danois et des Norvégiens détenus dans les camps de
concentration. Je dois tout d’abord rejoindre la colonne de camions qui
est censée s’y trouver.
Le 5 avril, à 6 h. du matin, je me rends au camp et demande à
voir le Commandant pour assister à l’appel des 300 femmes qui doi
vent m’accompagner en Suisse. Il est déjà parti ; personne ne sait
que je dois faire un transport ; personne ne veut me laisser
entrer ni me conduire auprès du Commandant. Un sous-officier me
confie qu’un ordre rigoureux est parvenu à tous les hommes de
troupe, que les femmes devaient être traitées avec aménité et dirigées
vers les camions sur la route principale, mais que personne ne devait
pénétrer dans le camp. A 7 h. paraissent les cent premières femmes.
Vision d’horreur et de misère, que celle de ces pauvres créatures
souffrant de famine, négligées, apeurées, méfiantes, vêtues de mé
chants vêtements étrangers. Elles ne peuvent croire qu’elles vont
enfin s’éloigner de leurs bourreaux et être libres ; elles me pren
nent pour un agent à la solde des SS qui va les conduire dans la
chambre à gaz. Elles peuvent à peine comprendre qu’elles vont partir
pour la Suisse ; celles qui s’en laissent persuader me supplient alors
d’emmener aussi leurs camarades. Beaucoup d’entre elles sont inca
pables de monter dans les camions sans aide. La plupart avaient des
œdèmes de la faim, les chevilles et les ventres enflés, l’œdème des
paupières. Chacune avait reçu des provisions pour trois jours ; mais
à peine en voiture, elles se jettent dessus avec avidité ; en cinq
minutes le saucisson, le beurre et le fromage ont disparu ainsi que la
moitié de leur pain.
Parmi les cent dernières se trouvait une femme de 60 ans, incapable
de marcher seule et soutenue par deux jeunes détenues ; seule, elle
ne pouvait même plus se tenir debout. J ’avais demandé, lors des
pourparlers, qu'on ne me donne pour ce premier transport que des
femmes robustes et résistantes ; je ne voulais donc pas emmener cette
femme dont l'état de santé ne permettait plus un tel voyage. Mais
toutes ses camarades me supplièrent de l’emmener, promettant d’en
prendre particulièrement soin. Voyant qu’elle se remettait bien après
avoir absorbé un fortifiant, je commençai par administrer aux plus
faibles des médicaments pour la circulation du sang et des fortifiants
afin de les préparer au voyage. Heureusement, parmi les détenues,
les femmes-médecins avaient emporté du camp quelques médicaments
indispensables.
Tandis que les prisonniers de guerre canadiens — qui, comme con
ducteurs m’ont rendu les plus précieux services et qui se montraient
également émus et révoltés par cette détresse, — m’aidaient à
109
faire monter ces femmes en voiture, un SS replet me rejoint et, me
poussant de côté avec ses coudes, sans aménité m’apostrophe :
« Mieux vaudrait faire crever ces maudits cochons que de continuer
à les laisser manger notre pain et pour finir encore, les laisser rentrer
chez eux, les sales... » crie-t-il. Peut-être en a-t-il été pour lui ainsi
que je le lui disais : « Sans doute, vous n’aurez pas à souffrir ces
prochains mois comme ces pauvres femmes, car les autres sont trop
civilisés pour traiter même un ennemi mortel de façon aussi cruelle
et indigne. »
Lors de l’embarquement, nous fûmes témoins du ton, des hurle
ments et des noms d’animaux dont ces Françaises, presque toutes
ardentes patriotes, étaient gratifiées par leurs gardiennes. Les coups
pleuvaient sur elles sans ménagement. Sur le visage, le dos, partout
où l’on pouvait frapper. Evidemment la cohue n’en diminuait pas
pour autant, et seules des femmes SS pouvaient estimer pratique de
vouloir faire monter vingt femmes en surnombre dans une même
voiture.
Aucune des détenues n’avait reçu en retour les vêtements qui leur
avaient été enlevés lors de l’arrivée au camp. Aucune n’avait un
seul papier, aucune ne revit les bijoux et l’argent qu’elles avaient
sur elles au moment de leur arrestation. Vieilles et jeunes, elles durent
faire le voyage habillées de vieux vêtements usés, presque en loques,
beaucoup trop longs ou trop courts, et plusieurs avaient le crâne rasé.
On essaya de me faire accroire que les objets « déposés » avaient
été mis ailleurs en sûreté par mesure de précaution, à cause des
bombardements ;• à ma remarque qu'il semblait peu probable que
l’on eût prévu d’aussi loin l’évolution de la guerre, on ne me fit plus
aucune réponse. Cela n ’empêcha pas cependant le Commandant du
camp de me recommander du ton le plus aimable de n’ajouter aucune
foi aux racontars de ces femmes, toutes, disait-il, des criminelles,
des canailles, des crapules...
A la suite des Françaises libérées, plusieurs colonnes de détenues
sortirent du camp pour se rendre au travail. Comme il s’agissait là
encore de Kommandos sélectionnés, la vue de ces colonnes mar
chant rapidement était infiniment moins déprimante que le spectacle
véritablement tragique que nous avions sous les yeux.
Deux jeunes surveillantes SS prirent congé de certaines de leurs
« protégées » avec des paroles amicales ; l’une essaya même de leur
souhaiter « bon voyage » en français, mais un officier SS bavarois la
rappela immédiatement à l’ordre : « une Allemande n’a pas à se per
mettre d’aussi sottes manières de parler... »
La confiance, chez ces femmes, au début si craintives, augmenta
peu à peu ; elles commencèrent à croire qu’elles allaient vers la liberté.
Quelque chose devait avoir changé, car elles n’auraient jamais pu
imaginer une pareille transformation chez leurs bourreaux. On
HO
hurlait le moins possible, on s’efforçait de paraître civilisé et surtout
on cherchait à tenir les trois Suisses et les prisonniers canadiens à
l'écart de ces femmes. Six fonctionnaires de la police criminelle, dont
l’un appartenait à la suite d’Himmler, furent, dans ce transport,
préposés à notre surveillance et à celle de ces femmes.
Les femmes ignoraient d’où provenaient les vêtements qu'elles
portaient. En revanche, j ’avais eu à H., l’occasion de voir, dans une
cave, de véritables montagnes de vêtements tous semblables, sur
lesquels étaient encore cousues les étoiles jaunes des Juifs, que le
Kommando de Ravensbrück qui travaillait à H. avait ordre d’en
lever. A H., avant le 5 avril, régnait une grande animation. Je dois
à une Polonaise de Ravensbrück, avec laquelle je fus longtemps en
communication clandestine, ainsi qu’à une infirmière de la CroixRouge allemande, d’avoir pu observer ces faits.
A 9 heures, nous quittions Ravensbrück avec notre transport, avec
espoir de pouvoir y revenir rapidement. Après une halte prolongée à
Hof, qui permit à ces femmes épuisées de se reposer enfin, de se
détendre, nous arrivions le soir du 9 avril en Suisse. Là, seulement,
ces 300 femmes, victimes d’une inhumaine terreur, comprirent
enfin que l’heure de la liberté avait sonné pour elles.
Les opérations militaires ont malheureusement empêché notre
retour à Ravensbrück mais, sur la base de nos accords, de nouveaux
transports purent avoir lieu, depuis d’autres camps.
IV .
— Rapport d'un délégué du CICR sur sa visite au camp
de concentration de Ravensbrück pour tenter d’en empêcher Vévacuation,
et sur les évacués d’Oranienburg
En date du 19 avril 1945, l’Adjoint au Chef de tous les camps de
concentration de l’Allemagne, l’Obersturmbannführer Hoess, fai
sait savoir au chef de la délégation du CICR à Berlin, que le camp
de concentration d’Oranienburg allait être évacué d’un moment à
l’autre et priait la délégation du CICR d'apporter des vivres aux
évacués.
Un délégué du CICR fut chargé de cette mission et partit le len
demain en direction d’Oranienburg pour contrôler la répartition de
ces colis et se rendre personnellement compte des conditions d’exis
tence et d’évacuation des déportés politiques.
Dans la nuit du 22 avril 1945, un chauffeur du CICR, venant de
Wagenitz, se présenta à la délégation de Berlin porteur d’un message
annonçant que le camp de concentration d’Oranienburg ainsi que les
Kommandos dépendant de ce camp étaient en mouvement. D’in
nombrables colonnes de détenus politiques se dirigeaient à pied vers
l’Ouest. Ces détenus se trouvaient dans une grande détresse.
n i
Comme on craignait que le camp de concentration de femmes de
Ravensbrück ne subît le même sort, je fus chargé d’aller à Ravensbrück-Sachsenhausen afin d’obtenir la remise du camp jusqu’à l'arri
vée des troupes russes.
Je partis dans la matinée du 23 avril porteur d'une lettre destinée
à l'Obersturmbannführer Hoess qui occupait à ce moment-là les
fonctions de chef de l'Administration interne des camps de Ravens
brück et d’Oranienburg. Le parcours de Wannsee à Wagenitz (50
kilomètres environ) dura plus de cinq heures (trajet que l'on faisait
habituellement en une heure) tant était encombrée la route BerlinHambourg par les réfugiés venant de Poméranie et des environs
de Berlin et qui s’en allaient à la rencontre des Américains. Se frayer
un passage à travers ce flot humain coulant vers l’Ouest était impos
sible ; il fallait se contenter de suivre le mouvement. Il y avait de
tout sur cette route. Les camions et voitures de la Wehrmacht (même
des pièces d’artillerie) étaient mêlés aux « trecks ». Ces « trecks » —
qui rappelaient étrangement les « Conquérants du Far-West » du
siècle dernier — avançaient lentement et si près les uns des autres,
qu’à intervalles réguliers l’embouteillage arrêtait la colonne. Et au
milieu de cela, les réfugiés, hommes et femmes de tous âges et surtout
beaucoup d’enfants, traînant pour la plupart des véhicules de tous
genres (chars à bras, poussettes, bicyclettes, brouettes, etc.) chargés
de maigres bagages et souvent de choses inutiles. Ce troupeau humain
était loin de ressembler aux évacuations du mois de janvier dernier
lorsque les Russes arrivèrent jusqu’à l’Oder. A cette époque
l’évacuation avait été organisée et se faisait méthodiquement...
... Mais que penser des évacuations du mois d’avril. Ce ne sont
plus des convois organisés que l’on voit. C’est le désordre complet.
Il n’y a plus de chefs. On vit au jour le jour. Les fugitifs dorment
sur place et se nourrissent des victuailles qu’ils ont emportées avec
eux .ou qu’ils réussissent à trouver sur place. Quelquefois c’est un
cheval ou un bœuf épuisé qui périt au bord de la route. Alors on se
précipite sur le pauvre animal et la curée commence. Les faibles
restent en arrière.
C’est avec une de ces colonnes que j ’atteignis en fin d’après-midi
Wagenitz... et je pris la route de Ravensbrück, où j ’arrivai dans
la soirée.
Immédiatement introduit auprès du Commandant du camp, le
Sturmbannführer Suhrens, je lui expliquai les raisons de ma visite
et mon désir d’avoir un entretien avec l'Obersturmbannführer Hoess
à qui je devais remettre une lettre personnelle du chef \de la délé
gation du CICR à Berlin. Suhrens m’informa que Hoess n’était pas
là, qu’il venait d’avoir un accident d’auto (?) et qu’il était peu pro
bable qu’on puisse l’atteindre. Je lui exposai la situation tragique
des évacués d’Oranienburg, lui décrivant les scènes horribles aux
112
quelles avait assisté la veille un délégué du CICR, tout en attirant
son attention sur la grave responsabilité des chefs qui toléraient de
pareils excès.
Je lui expliquai mon plan : remise du camp de concentration de
Ravensbrück au délégué du CICR en dressant un protocole ; possi
bilité d’éloignement (fuite) de tous les SS ; entretien avec les personnes
de confiance du camp pour assurer la nourriture des déportées ;
maintien de l’ordre dans le camp jusqu’à l’arrivée des Russes.
Suhrens refusa ma proposition, disant qu’il avait reçu du Reichsführer SS Himmler des instructions précises à ce sujet : le camp
devait être évacué. Suhrens envisageait la situation militaire avec
optimisme. Le Russe serait non seulement arrêté dans son avance,
mais refoulé dans ses steppes. La contre-offensive qui serait fou
droyante allait bientôt être lancée.
Il avait déjà établi son plan d’évacuation, qu’il me tendit. Sur
une carte murale, il me désignait les différentes étapes que devaient
suivre les colonnes de détenues. Evacuation de 500 à 1000 femmes,
les « Oestliche » (Russes, Ukrainiennes, Roumaines, Serbes, etc.) en
direction de Malchow. Les étapes étaient de 25 à 40 km. par jour.
Malheureusement, les notes que j ’avais prises à ce sujet disparurent
quelques jours plus tard avec une voiture. Suhrens m’assura que des
cantonnements et des cuisines étaient déjà installés aux différents
endroits. Chaque femme aurait avec elle un colis Croix-Rouge. Quant
aux « Westliche » (Françaises, Belges, Hollandaises, Nordiques, etc.)
y compris les Polonaises, elles seraient évacuées soit par train, soit
par les cars de la Croix-Rouge suédoise (pour les Nordiques seule
ment), ainsi que par les colonnes de camions du CICR qui appor
taient les colis de Lübeck...
C’est en vain que j ’ai cherché à obtenir de Suhrens de ne pas
évacuer les « Oestliche » à pied, mais de les laisser au camp ou de
les transporter en cars, camions ou en train. Suhrens me répondit
que c’était impossible, que seules les malades — au nombre de 1500
environ ■
— resteraient au camp.
Au cours de l’entretien, j ’ai cherché à connaître à différentes
reprises les effectifs du camp. Comme j’articulais le chiffre de 100.000,
il me répondit que ce nombre était fortement exagéré, que le camp n’a
vait jamais atteint ce chiffre. J ’avançai le chiffre de 50.000. Là encore,
il se déroba... Suhrens n’admit que les chiffres suivants : 3000 seraient
évacuées par train ; 4000 par cars et camions Croix-Rouge ; 7000
quitteraient le camp à pied et environ 1.500 malades et inaptes à
la marche resteraient sur place quoi qu’il advienne. Ce qui ferait à
peu près 17.000 au total.
Malgré mes nombreuses questions, il me fut impossible de con
naître, même approximativement, le nombre des Kommandos et leurs
effectifs...
113
A neuf heures le lendemain, les premières colonnes de femmes en
costumes rayés attendaient le départ devant la Kommandantur. Elles
étaient fortement encadrées par des SS armés de fusils. Toute nouvelle
discussion devenait inutile. Je me rendis néanmoins chez le Comman
dant du camp, qui me reçut de nouveau très poliment. Il me parla
du bon esprit qui régnait chez ses femmes (« meine Frauen », disait-il
en parlant des déportées) et se plut à me montrer des lettres de recon
naissance (sic) que les détenues lui avaient adressées. Pendant que
je discutais avec lui apparut une femme SS à qui Suhrens posa une
question qui m’échappa. La SS lui répondit « die Akten sind doch
vernichtet ».1 Comme je m’étais tourné du côté de la fenêtre ouverte,
j ’ai très bien pu observer dans le reflet de la vitre le signe que lui fit
Suhrens. Il me la présenta alors et, me prenant à témoin, lui posa
des questions relatives à une évacuation d’un Kommando de l’Est
de Berlin, sauf erreur, qui avait eu lieu quelques jours auparavant.
A l’en croire, cette évacuation avait été parfaite à tous points de vue.
Les femmes avaient été « menschlich behandelt » 2, disait-elle. Tou
jours, selon ses dires, les femmes qui avaient eu quelque peine à
suivre avaient eu la possibilité de monter sur les chars qui sui
vaient les colonnes et on n’avait enregistré « keine Verluste » s.
Suhrens levait les bras, triomphant, et me disait « Sehen Sie ! Sehen
Sie ! » 4.
Ayant renvoyé sa subordonnée, Suhrens commença à me faire une
longue apologie du système des camps de concentration et me parla
des résultats remarquables que l’on avait atteints, et ceci grâce au
travail, à l'« Aufklârung » et à l’« Erziehung » 5. Tout ce que l’on avait
écrit et raconté sur les camps de concentration était une affreuse
« Greuelpropaganda » 6. Je lui fis entendre qu'effectivement les camps
de concentration avaient une drôle de réputation à l'étranger, que le
simple fait de prononcer ce mot faisait frissonner les gens. Je lui fis
remarquer en outre que cela était peut-être imputable au fait que ja
mais aucun organisme international n’avait eu la possibilité de visiter
un de ces camps. Suhrens me répondit que cette autorisation dépen
dait des « hôheren Dienstellen », 7 mais que pour prouver le non-fondé
des bruits que l’on répandait à l'extérieur, il était prêt à me faire
1 « les arch iv es o n t é té d é tru ites ».
2 « tra itées a v ec h u m a n ité ».
2 « a u cu n e p erte ».
4 « v o u s v o y e z bien ».
1 « l ’in stru ctio n e t l ’é d u ca tio n ».
6 « p rop agan d e des a tro cités ».
7 « in sta n ces sup érieu res ».
114
visiter le camp. Je le pris au mot et, quelques minutes après, nous
étions à l’intérieur du camp.
A première vue, pas grande différence avec les camps de prison
niers de guerre ; il y a la grande place au centre, différents bâtiments
sont disposés tout autour, très près les uns des autres. Sur la place,
il y a grand branle-bas. On est en train de procéder à l’appel des
femmes qui vont être évacuées. A l'appel de son nom, chaque
femme vient se placer dans la colonne par quatre. L’appel se fait
en russe (il s’agit donc bien de femmes russes). Ce sont les détenues
elles-mêmes qui sont chargées de ce travail sous la surveillance des
femmes SS. Ailleurs, on nettoie et on récure. On sent que le camp va
être liquidé.
Suhrens me fit tout visiter, les baraques, la cuisine, l’infirmerie, les
installations hygiéniques, la buanderie, les cellules pour les délin
quantes et d’autres bâtiments encore. En regardant de plus près, j ’ai
pu constater que les baraques contenaient des lits à trois étages et que
le cube d’air était nettement insuffisant. La cuisine est une installa
tion moderne telle que l’on en voit dans les usines et dans certains
camps de prisonniers de guerre. A l’infirmerie, ce sont les déte
nues qui travaillent comme infirmières ; elles sont toutes vêtues
de blanc. L'infirmerie elle-même comprend, plusieurs vastes salles
toutes très bien aménagées (salle d’opération, de pansement, etc.). La
bibliothèque contient plusieurs milliers de volumes, la plus grande
partie en langue allemande. L’« Arrestlokal » est un bâtiment en pierre
à deux étages, avec cour intérieure couverte. Plusieurs cellules furent
ouvertes et je fus étonné de constater la parfaite installation de ces
cellules et la propreté qui y régnait. Chaque cellule contient un lit
métallique avec deux couvertures, une chaise, un lavabo avec eau
courante et un miroir, une cuvette WC avec chasse d’eau. Le camp
ne possède pas de chapelle. A l’est du camp se trouvent plusieurs
bâtiments dont l’accès ne me fut pas permis. Le « Sturmbannführer »
Suhrens me confia qu’il s’agissait de fabriques de textiles travaillant
pour la Wehrmacht.
Au hasard (était-ce vraiment un hasard ?) Suhrens interpellait
une femme, lui demandait si elle était mal traitée, combien de fois
par jour elle était battue et si elle avait à se plaindre de quoi que ce
soit. Naturellement, personne ne se plaignait. Au contraire, ce
n’étaient que des louanges adressées surtout au Commandant du
camp. Et à chaque réponse, Suhrens se tournait vers moi et me
disait avec gravité : « Bitte » 1. Les femmes SS elles aussi étaient
interrogées. Suhrens leur demandait si elles maltraitaient les détenues.
Elles répondaient toutes d’un air offensé « aber das ist uns doch
1 « s ’il v ou s p la ît. »
verboten » 1. « Et si vous les battez ? » continuait d’interroger
Suhrens. « Dann werden wir bestraft » 2 était la réponse.
En quittant le camp, j ’étais sur le point de demander à Suhrens
de me montrer la chambre à gaz et le crématoire. Je ne l’ai cependant
pas fait. Quelque temps plus tard — c’était dans le courant du mois
de mai, j ’ai rencontré dans une rue de Berlin une femme habillée
de haillons. Dans le dos elle portait la marque des camps de con
centration, le grand X. Elle me déclara qu’elle revenait de Ravensbrück à pied (environ 100 km.) et que le camp avait été délivré par
les Russes. C’était une Autrichienne qui avait été amenée au camp
pour le seul fait, disait-elle, d’avoir un Juif pour mari. Comme elle
vitupérait « ces cochons de SS », je lui demandai où se trouvaient
le crématoire et la chambre à gaz. « Sous la grande place », me répon
dit-elle. C’était donc sous cette grande place, cette place sur laquelle
régnait une grande animation lorsque je m’y trouvais un mois aupa
ravant. A ce moment-là, j ’étais loin de me douter que c’était sous
mes pieds que des centaines, peut-être des milliers de malheureuses
avaient été gazées et incinérées. Je lui demandai également ce qu’elle
pensait du Sturmbannführer Suhrens. «Ein Gauner wie die anderen»3.
A notre retour au Vorlager, on vint annoncer au Sturmbannführer
Suhrens que le Standartenführer Keindel, commandant du camp
d’Oranienburg venait d’arriver. Je demandai immédiatement à le
voir.
Keindel me reçut de façon distante. Je lui exposai le but de
ma visite à Ravensbrück à la suite des atrocités commises par ses
SS sur les routes menant d’Oranienburg à Wittstock. Keindel con
testa la chose. Et lorsque je lui mis sous le nez une copie de la lettre
que je devais remettre à l’Obersturmbannführer Hoess et que je lui
fis remarquer qu’un délégué du CICR ainsi que deux chauffeurs
avaient été témoins de ces tueries, Keindel répondit qu’il était peutêtre possible que les soldats SS eussent abrégé les souffrances de quel
ques détenus qui ne pouvaient plus avancer et qu’il ne s’agissait là en
somme que d’un acte humain. Keindel ne comprenait pas que l’on
fasse tant de bruit pour ces quelques morts, alors qu’on ne disait
absolument rien des « Terrorangriffen » dont était victime l’Alle
magne et il parla encore du bombardement de Dresde. Il avoua que
certains soldats SS allaient peut-être trop vite en besogne mais qu’il
fallait tenir compte que la plupart d’entre eux étaient des « Volksdeutsche » (Hongrois, Roumains, Ukrainiens, Lettons, etc.), et que
ces gens avaient une autre mentalité. Je lui fis remarquer que les
détenus des camps de concentration n’avaient rien à voir avec les
1 « m ais cela n ou s e s t d éfen d u . »
2 « alors n ous so m m es p u n ies. »
3 « u n e can aille co m m e les au tres. »
Il6
bombardements des villes et je l’adjurai de faire cesser ces tueries
immédiatement, ceci non seulement dans l’intérêt de lui-même ou
de ses SS, mais du peuple allemand tout entier. Il me promit de
donner des ordres en conséquence et je pris congé de lui.
Suhrens m’accompagna — car il avait assisté à tout l’entretien -—
et en descendant les escaliers il me prit par le bras et me dit que son
plan d’évacuation jouerait parfaitement, que lui avait tout prévu et
tout organisé et il ajouta «bei mir passiert nichts»1. J ’étais autorisé
à revenir quand je voulais, j ’étais même invité à venir voir les
colonnes en marche et à visiter les lieux d’étape.
Je repris la route pour Wagenitz, mais en empruntant celle qui est
utilisée par les évacués du camp d’Oranienburg. Sur le parcours, je
dépassai ou rencontrai plusieurs dizaines de colonnes dont les effectifs
variaient entre cent et cinq cents hommes. Je m'arrêtais auprès de cha
cune d’elles et m’informais auprès du Kolonenführer (presque tou
jours des Oberfeldwebel) de l’état de santé des hommes, s’ils avaient
à manger et s’il y avait eu des pertes à déplorer. Il y en avait, mais
bien moins que les jours précédents. Je rendais les Kolonen
führer attentifs à des faits qui devaient cesser et leur prodiguais
des conseils qui très souvent étaient des menaces : cessation
immédiate des tueries, distribution de nourriture convenable, les
détenus doivent dormir à l’abri, pas de grandes étapes ; tous les noms
des SS étant connus des Autorités alliées, chacun aura à répondre de
ses crimes.
Je suis persuadé que les apparitions des délégués du CICR, ainsi
que des chauffeurs, dans les colonnes, ont produit un certain effet
sur les SS, car il arriva souvent qu'aux arrêts les SS se soient
approchés de moi et m’aient déclaré qu’ils n’étaient pas des SS, qu’ils
avaient été enrôlés de force et qu’il leur répugnait de faire ce métier.
D’autres encore affirmaient qu’ils n’étaient pas Allemands. Je leur
répondais invariablement que leur salut dépendait de leur conduite
envers les déportés.
Par souci d’objectivité, je dois reconnaître que certains soldats SS
nous ont rendu des services en nous informant sur ce qui se passait
dans les colonnes ou en nous facilitant le service de distribution des
colis. Mais il ne s’est agi là que de cas isolés. On peut aussi se demander
si c’est par dévouement humanitaire, par crainte ou par pur oppor
tunisme que certains SS ont agi ainsi.
Pour ma part, je n’ai pas pu constater la présence de cadavres au
bord de la route, mais il n’était pas rare de trouver sur la route des
effets d'habillement ayant appartenu à des déportés. A intervalles
réguliers on voyait ici une veste rayée, là un bonnet, d'autres fois
une couverture ou un manteau. C’était un indice, mais pas une preuve.
1 « a v ec m oi rien de pareil à craindre. »
117
A différentes reprises, j’ai vu des SS sortir de la forêt voisine et re
joindre leur colonne. Venaient-ils d’exécuter des malheureux ?
Certaines colonnes réquisitionnaient elles-mêmes les chevaux
épuisés des réfugiés, les abattaient et se répartissaient la viande.
En continuant la route sur Wittstock, centre de ralliement de
toutes les colonnes, j’aperçus subitement à quelque vingt mètres de la
route des évacués qui me faisaient signe. Ils étaient parqués dans un
enclos comme du bétail ; ils étaient environ 500. Je m’approchai de
l’enclos et m’entretins avec un groupe de détenus. Les SS qui mon
taient la garde autour de l'enclos ne bougèrent pas. Les détenus
m'annoncèrent qu’ils n’avaient rien mangé depuis trois jours. C’est
alors que j ’assistai à des scènes poignantes et dignes de la plus grande
pitié. Les détenus se jetèrent à genoux et en pleurant (ils me tendaient
les bras) me supplièrent de ne pas les laisser mourir. Un avocat
slovaque, père de sept enfants, me montra une poignée de froment :
c’était tout ce qu’on leur avait donné depuis trois jours. Un Améri
cain ajouta qu’une distribution partielle (pour la moitié de l’effectif
seulement) avait eu lieu la veille (trois petites pommes de terre par
homme), mais que les Russes (le plus fort groupe) s’étaient livrés à
une attaque durant la nuit sur leurs camarades et leur avaient tout
pris. Je demandai à parler immédiatement au chef de la colonne qui
apparut au bout d’une demi-heure. Je ne lui cachai pas mon indi
gnation d’apprendre que les détenus n’avaient presque rien mangé
depuis trois jours. Il me déclara que cela était inexact et lorsqu’il
apprit que je m’étais entretenu avec les détenus, il entra dans une
violente colère. Il hurla : « Je vous défends de parler aux détenus. »
Je hurlai à mon tour, et je fus aidé en cela par le fidèle et dévoué
chauffeur qui me fut d’ailleurs d’un grand secours tout au long de
mes tournées. Des SS arrivèrent à la rescousse de leur chef et adop
tèrent à notre égard une attitude menaçante. Je dois avouer que je
ne me sentais pas en sécurité. Calmement, je leur expliquai qu’ils
avaient tout avantage à bien traiter les détenus s’ils ne voulaient
pas aggraver leur cas lorsqu’ils auraient à rendre des comptes.
J ’exigeai qu’une distribution de nourriture eût lieu le soir même.
L’Oberfeldwebel me déclara que le nécessaire serait fait. Il refusa
cependant de m’indiquer le lieu de stationnement de la colonne, le
lendemain soir. Je lui fis remarquer que .j’avais eu une entrevue le
matin même avec le Commandant du camp et que j ’en référerais
à son chef. Cela lui fit apparemment une certaine impression.
Je m’arrêtai encore auprès de différentes autres colonnes. Partout,
c’était la même vision. Ces malheureux détenus faisaient peine à voir ;
même dans leur malheur, ces hommes étaient grands. Les plus forts
aidaient et soutenaient les plus faibles. Derrière les colonnes une
vingtaine d’«esclaves» tiraient péniblement les chars sur lesquels
étaient entassés les bagages de ces messieurs les SS.
118
A la sortie de Neuruppin, à une quinzaine de kilomètres de
Wittstock, les colonnes s’étaient passablement étirées. On rencontrait
régulièrement de petits groupes de cinq à dix détenus qui n’en
pouvaient plus. La garde de ces groupes était confiée à un SS. Sou
vent c’étaient des condamnés de droit commun qui surveillaient
ces groupes. Lors de l’évacuation du camp, ils avaient été revêtus
de l’uniforme des SS, ils avaient reçu des fusils et avaient pour
mission de renforcer la garde des SS. Ces personnages étaient craints
des déportés autant que des véritables SS. D’ailleurs ces criminels
exerçaient dans les camps les fonctions de « Blockwarte » et
dans certains cas avaient même droit de vie ou de mort sur les
détenus.
J ’ai transporté (et ravitaillé au moyen des colis que j ’avais pris
dans la voiture) plusieurs de ces groupes dans ma voiture de Neu
ruppin à Wittstock. Rencontrant le chauffeur qui venait d’effectuer
une distribution de colis dans la forêt de Below (emplacement du
camp), je le chargeai d’aller recueillir avec son camion tous ces mori
bonds.
A mon arrivée à Below, je fus accueilli par des vivats et des cris
de joie, poussés par des milliers de détenus qui agitaient la main
dans ma direction. Je n’apportais pourtant pas de colis. C’était la
reconnaissance de tous ces malheureux envers la Croix-Rouge dont
le nom était prononcé dans toutes les langues. Je m’entretins avec
les détenus et leur annonçai que d’autres camions de colis allaient
encore arriver et que la Croix-Rouge ne les abandonnerait pas.
L’annonce de cette bonne nouvelle — immédiatement traduite en
russe, polonais, hollandais, etc. — provoqua une nouvelle manifes
tation de joie et de reconnaissance.
Je me rendis chez le Commandant de la place. Là, l’Oberzahlmeister
me déclara que les détenus resteraient dans la forêt de Below au
moins 5 jours. L’installation d’une boulangerie serait prête dans deux
jours et ainsi les évacués recevraient du pain et aussi de l’eau potable.
A la Croix-Rouge de faire le reste. Si curieux que cela paraisse, les
SS étaient convaincus que la Croix-Rouge avait le devoir de nourrir
les détenus. Le Commandant du camp m’annonça en outre que l’ins
tallation d’une infirmerie était également prévue.
Au cours de cette visite, j'ai pu voir de mes propres yeux avec
quelle brutalité certains SS traitaient les détenus épuisés par une si
longue marche. Un officier subalterne rassemblait en colonne par
quatre les détenus qui devaient recevoir le colis Croix-Rouge. Esti
mant que la formation de la colonne n’allait pas assez rapidement,
le SS — un gros cigare à la bouche —- faisait avancer les détenus à
grands coups de pieds dans le ventre. Pas un détenu n’eut un geste
d’étonnement ou de révolte. Ils avaient certainement l’habitude de
ce traitement. Plus loin, des SS assistaient impassibles à la scène.
119
J ’ai dévisagé cette brute, nos regards se croisèrent. Ses yeux de cri
minel sadique me glacèrent.
Je décidai de rentrer à Wagenitz afin de prendre contact avec
les autres membres de la sous-délégation et avec l’intention de revenir
les jours suivants. Je n'ai malheureusement pas pu mettre ce projet
à exécution, l’arrivée des Russes ne m’ayant plus permis de quitter
Wagenitz. En revanche, d’autres délégués ont certainement pu
faire du travail utile, car je suis persuadé que les fréquentes appari
tions des délégués du CICR auprès des SS ont sauvé des milliers
d’évacués. Il n’y a qu’à se rappeler les exécutions massives des pre
miers jours de l’évacuation, qui cessèrent peu après à la suite de nos
protestations énergiques (le mot n’est pas de trop). Les distributions
de colis ont naturellement sauvé d’innombrables vies, c’est certain,
mais il sied de relever que la présence même des représentants du
CICR au milieu des colonnes a produit un double effet psychologique.
D’une part, les SS se sentant contrôlés par le CICR ont cessé les
tueries et, d'autre part, les détenus ont senti qu’ils n’étaient plus
seuls, qu’il y avait quelqu’un derrière eux qui avait nettement pris
position contre les SS, qui leur tenait tête, qui les soutenait, eux les
déshérités, et les encourageait à tenir encore quelques jours.
V. — Rapport d'un délégué du CICR sur Vévacuation du camp
d'Oranienburg (avril 1945)
Dans la nuit du 20 au 21 avril 1945 a commencé l’évacuation du
camp de concentration d’Oranienburg ainsi que des Kommandos
extérieurs. Dans les premières heures du 21 avril, lorsque les troupes
russes se trouvèrent devant Berlin, j’ai remis au Commandant du
camp Keindel la proposition de la délégation du CICR à Berlin de
remettre le camp à un délégué du CICR. On voulait empêcher de
cette façon que les SS ne se livrent à la dernière minute à des excès à
l’égard des détenus. Le Commandant du camp a refusé notre pro
position en s’appuyant sur les instructions qui lui avaient été données
par le Reichsführer SS Himmler. Ces instructions prévoyaient, à
l’approche de l’ennemi, une évacuation immédiate du camp entier à
l’exception du lazaret.
Sous une pluie battante, tous les détenus ont été mis en route en
direction du nord. Cinq cents détenus formaient un « Pulk » ou un
«Trek » et étaient soumis à l’autorité d’un commandant SS. Une garde
très serrée fut exercée par les SS qui, peu de temps auparavant,
avaient vêtu un grand nombre de détenus de droit commun alle
mands de l’uniforme de la Wehrmacht pour les utiliser comme per
sonnel auxiliaire de garde.
120
Le nombre exact des détenus à évacuer n’a pu être établi du fait
de l’anéantissement des cartothèques et parce que des exécutions
avaient eu lieu avant l’évacuation. D’après mon évaluation et selon
les dires des détenus, environ 30.000 à 40.000 êtres humains, pour la
plupart des hommes, mais également des femmes et même des enfants,
se trouvaient sur les routes. Deux immenses colonnes se dirigeaient
vers Wittstock par les itinéraires suivants : Oranienburg, Kremmen, Sommerfeld, Neuruppin, Wittstock ; Oranienburg, Kremmen,
Sommerfeld, Herzberg, Lindow, Rheinsberg, Zechlin, Wittstock. Ces
indications m’ont été données par un adjudant du Commandant
du camp. Ma tâche consistait à ramener des colis de vivres par des
camions Croix-Rouge vers les colonnes de détenus qui, la plu
part du temps, n’étaient pas ravitaillées par les SS. J ’ai procédé à
ce ravitaillement au moyen des réserves constituées à Wagenitz.
Pendant quatre jours et quatre nuits les camions roulèrent et les
chauffeurs et moi fûmes témoins des faits suivants :
Le soir de la première journée de marche, des détenus français
déclarèrent avoir appris que les SS avaient l’intention de commencer
dans la nuit la fusillade de détenus. Ils nous priaient de rester auprès
d’eux pendant la nuit avec les camions Croix-Rouge pour empêcher,
dans la mesure du possible, de tels excès. Nous ne pouvions malheureu
sement pas donner suite à ce désir puisque nous devions charger les
camions pendant la nuit.
Le matin du 22 avril, nous découvrîmes sur une longueur de 7 km.
entre Lôwenberg et Lindow, les premiers 20 détenus fusillés au bord
de la route ; tous avaient une balle dans la tête. Au fur et à mesure
de notre avance, nous rencontrâmes un nombre toujours plus grand de
détenus fusillés au bord de la route ou dans les fossés. Dans les forêts
entre Neuruppin et Wittstock nous avons trouvé alors régulièrement,
aux endroits où les détenus avaient passé la nuit ou à des endroits
de halte, plusieurs cadavres, en partie jetés dans les feux de camp et
à moitié brûlés.
Au premier village après Neuruppin, en direction de Râgelin, un
détenu resté en arrière a porté le fait suivant à notre connaissance :
Le 22 avril, un commandant a entassé dans ce village ses 500 détenus
dans une grange pour faire une halte de quelques heures. A quatre
heures de l’après-midi, sa colonne se remit en marche. Quatorze
détenus complètement épuisés restèrent endormis dans la grange.
A cinq heures, une autre colonne arriva dans la même grange et
trouva les quatorze détenus endormis. Les SS traînèrent alors les
quatorze détenus restés en arrière derrière la grange et les fusillèrent
aussitôt sous l’inculpation de désertion.
Le troisième jour de l’évacuation, nous rencontrâmes encore plus
de cadavres que la veille. Des détenus de nationalités diverses nous
ont secrètement déclaré que les SS et les criminels allemands en uni
121
forme de la Wehrmacht continuaient à tuer à coups de fusil à la tête
chaque détenu exténué. Les malades étaient également fusillés de la
même manière. Les SS profitaient de chaque occasion pour fusiller les
« notables ».
Jusqu’au soir du troisième jour de l’évacuation, les corps des
détenus fusillés restèrent au bord de la route et dans les forêts, non
enterrés. J ’ai appris de source digne de foi que le 21 avril déjà les
« Ortsgruppenleiter » du Parti avaient reçu l’ordre des SS d’en
terrer les corps dans l’enceinte de leur territoire de commune. Cet
ordre ne fut pas exécuté parce que ces « Ortsgruppenleiter » ont éga
lement pris la fuite à ce moment-là. Le 23 avril, des détachements
furent organisés pour enterrer les victimes.
L’examen d’un grand nombre de cadavres a révélé que toutes les vic
times avaient été liquidées d’une balle dans la tête. Sur notre deman
de, les détenus nous ont déclaré que souvent les SS ont obligé leurs
victimes à s’agenouiller ou à s’allonger, cinquante mètres derrière la
colonne en marche, pour être exécutées.
Il nous fut impossible d’apprendre le nombre exact des tués. Sur
notre parcours nous avons vu au total plusieurs centaines de morts,
mais nous n’avions pas un aperçu complet sur tout le territoire
d ’évacuation car, venant du nord, une assez grande colonne de camions
de Lübeck approvisionnait également les détenus. Je déduis des
nombreux entretiens avec des détenus qu’environ 15 à 20% de l’effec
tif du camp de concentration d’Oranienburg a été tué de la manière
décrite plus haut. Nous n’avons pas pu connaître les noms des
victimes. Nous aurions pu — non sans danger pourtant — noter les
numéros matricules, mais cela n’aurait pas eu de sens, parce que les
cartothèques avaient été détruites par les SS.
Le 22 avril je me suis rendu deux fois auprès du chef de camp
Hôhn (chef de l’administration interne du camp principal d’Oranien
burg) pour protester très énergiquement au nom du CICR contre les
excès perpétrés par les SS. Celui-ci me promit de donner immé
diatement l’ordre à tous les commandants de groupe de cesser les
exécutions.
Il résulte de nombreux entretiens que j’ai eus avec des Gruppenkommandanten, Unterfüfirer et également avec le personnel de garde,
que les sentiments qui animent les SS. sont d’une perversité effrayante.
Quelques-uns des commandants voulaient même nous prouver qu’ils
rendaient un service aux exténués et aux malades en les fusillant,
pour qu’ils n’aient plus à souffrir ; ils étaient d’avis que la SS
était en réalité très humaine ou même plus humaine que la CroixRouge qui elle prolongeait les peines des malades et des exténués par
l’apport de colis de vivres ! Le seul langage que ces SS primitifs compre
naient au moment de l’approche de l’ennemi, c’étaient les menaces. Il
ressort de tous les témoignages que tous les SS étaient d’avis qu’ils
122
faisaient une œuvre tout à fait justifiée en fusillant les détenus. Pour
la sauvegarde du Troisième Reich il était quasi naturel de tuer les
Juifs et les ennemis de l’E tat par tous les moyens. J ’ai été témoin
à Neuruppin de la légèreté avec laquelle ces brutes pouvaient tuer des
êtres humains : nous avions trouvé près d’un buisson au bord de la
route un détenu politique qui, depuis des heures, était allongé là et
souffrait, gravement blessé à la tête par une balle. Le commandant
SS avec qui j ’étais en train de m’entretenir, interrompit la conver
sation, se rendit vers le détenu blessé, le fusilla, revint aussitôt
et continua la conversation comme si rien ne s’était passé. Il semblait
également tout à fait justifié aux yeux des SS d’utiliser la force des
détenus jusqu’à l’extrême. Pendant l’évacuation même, la force de
quelques détenus fut exploitée sans pitié. Les SS chargeaient leurs effets
sur de grandes remorques de camions qu’ils faisaient pousser par envi
ron 40 détenus exténués. On faisait avancer ces esclaves « pousseurs de
wagons » à coups de bâton et de fouet.
Les détenus qui se traînaient en longues colonnes étaient dans un
état de dénuement physique et spirituel complet. Ils se laissaient
pousser en avant sans manifester un signe de volonté ou de résistance.
Nous avons remarqué qu’ils ne se révoltaient que s’ils étaient placés
devant une menace de mort directe. Cet éfat d’âme est illustré par
l’exemple suivant : Lorsque nous essayions de faire monter les détenus
complètement épuisés dans nos camions vides, ils se défendaient en nous
suppliant de ne pas les tuer; ils croyaient qu’on avait l’intention de
les mener quelque part dans un abattoir, se souvenant de la pra
tique des SS à Oranienburg qui autrefois chargeaient les camions
de victimes, roulaient quelques centaines de mètres dans le camp
pour les diriger ensuite directement vers les chambres d’extermi
nation.
VI. — Rapport d'un délégué du CICR sur le ravitaillement des évacués
d’Oranienburg et de Ravensbrück
Le soussigné s’est trouvé pour la dernière fois à la délégation du
Comité international de la Croix-Rouge à Berlin, le vendredi 20 avril
1945. Etant donné les conséquences terribles de l’évacuation des
camps de prisonniers et de concentration, les membres de la délé
gation étaient d’avis qu’il fallait empêcher l’évacuation des camps
de concentration de Ravensbrück et Oranienburg et qu’on devait
essayer d’influencer les dirigeants de la Centrale SS dans ce sens.
Le matin du 21 avril 1945, le médecin des prisonniers de guerre, le
capitaine Burton, arrivait d’Altengrabow à Wagenitz auprès de la
délégation pour nous faire rapport sur l’état du camp d’Altengrabow
123
et demander notre aide. Comme la ligne téléphonique entre Wagenitz
et Berlin avait été coupée par les avions volant en rase-mottes, je me
rendis avec le capitaine Burton à Nauen pour demander à Berlin
l’envoi de colis de secours. Par hasard, nous rencontrâmes à Nauen
deux camions du CICR auxquels nous ordonnâmes d’aller à Wagenitz.
A ce moment, nous avions à Wagenitz à peu près 3000 colis de secours
américains et 5000 paquets du « War Refugee Board». Entre temps,
un mécanicien de la délégation à Berlin arriva à Wagenitz et nous
informa que le camp de concentration d’Oranienburg était en voie
d’évacuation depuis 4 heures du matin. Je fis rentrer à Altengrabow
le camion de la Croix-Rouge française venu à Wagenitz avec 1000
colis et gardai les deux camions de la Croix-Rouge que nous avions
rencontrés pour l’approvisionnement des colonnes du camp de con
centration d’Oranienburg.
Trois délégués du CICR surveillaient la distribution aux détenus ;
ils m’informèrent de l’itinéraire exact de la colonne, dont le but était
Wittstock. Deux routes s’offraient, l’une par Lôwenberg-Lindow, et
l’autre par Kremmin-Neuruppin-Zechlin. Les jours suivants, les
5000 paquets du «War Refugee Board » et à peu près 1000 colis améri
cains furent distribués aux détenus par le personnel de la délégation
du Comité international.6
En même temps, nous reçûmes des informations sur les fusillades
en masse des détenus incapables de marcher, malades, etc. Le délégué
et deux de ses collaborateurs ont eux-mêmes vu les cadavres et ont
pu constater incontestablement que les victimes étaient décédées par
suite de coups de feu tirés dans la nuque ou dans la bouche. Pendant les
jours qui suivirent, nos communications avec la délégation à Berlin fu
rent coupées, parce que des avant-gardes de blindés russes étaient arri
vées à Plauen et Nauen. Bien que nous sachions que la délégation à
Berlin s’efforçait d’obtenir la cessation des fusillades, j ’envoyai le
24 avril un délégué du Comité avec deux notes de protestation au
camp d’Oranienburg, car je savais que s'y trouvaient le chef respon
sable des deux camps de concentration, le SS-Sturmbannführer Hoess
et les deux commandants de camp, Sturmbannführer Suhrens et
Keindl. L’une des deux notes avait pour but de faire cesser les
fusillades, l’autre note exigeait de ne pas évacuer les femmes déte
nues au camp de concentration de Ravensbrück.
Grâce aux efforts des délégués, les fusillades cessèrent en effet
presque complètement au cours des derniers jours. Lundi, le 23 avril,
j ’envoyai le capitaine Burton, du camp de prisonniers d’Altengrabow,
qui était rentré entre temps, chercher de nouveaux colis de se
cours, et lui dis de se rendre avec sa voiture de la Croix-Rouge
française à Lübeck. Je lui confiai pour le délégué du CICR à Lübeck
un rapport sur la situation et les secours nécessaires aux camps
de concentration et de prisonniers. Grâce aux efforts du délégué de
124
Liibeck, le capitaine Burton put rentrer le lendemain à la tête d’une
colonne de 16 camions du CICR. Ainsi, je n’avais plus de souci à
me faire au sujet de ce camp. Les 16 camions rentrèrent par Malchow
à Lübeck, après avoir pris en charge à Malchow des détenus malades
des camps de concentration.
Le mardi 24 avril, 130 prisonniers de guerre de Berlin arrivèrent à
la délégation à Wagenitz, nous demandant de les accueillir et, si
possible, de les nourrir. Etant donné que ces prisonniers de guerre
étaient déjà très sous-alimentés, j ’ai trouvé prudent de les retenir à
Wagenitz, où je pouvais leur donner à manger, puisqu’il y avait
encore 1200 colis de secours. Les Russes étant parvenus entre temps
jusqu’au canal, à 1 km. au sud de Wagenitz, je demandai un entre
tien avec le commandant du régiment allemand qui combattait à
cet endroit, exigeant la promesse d’un espace exterritorial de 600 m.
autour du château. Grâce aux efforts des prisonniers de guerre bri
tanniques, qui avaient organisé un corps de police, nous pûmes
obtenir qu’aucun soldat allemand ne pénétrât dans cet espace. Mais
les troupes allemandes avaient placé un canon à 600 m. derrière le
château et les troupes russes tiraient sur ce canon avec un « orgue de
Staline » et leur artillerie. Nous hissâmes sur la tour du château le
drapeau suisse et le drapeau de la Croix-Rouge, mais comme le châ
teau se trouvait dans la ligne de tir, il était inévitable que de temps
à autre une série de projectiles, venant surtout de l’«orgue de Staline»,
s’abattît sur le château et ses environs. Nous eûmes à déplorer la
perte de deux travailleurs civils polonais ; il y eut également quelques
blessés, légèrement atteints.
Jeudi le 26 avril, le médecin-SS, Dr Baumkôtter, arriva du camp
de concentration d’Oranienburg à Wagenitz, et me signala le danger
menaçant d’épidémies parmi les détenus et le manque absolu de
médicaments. Entre temps, nous avions reçu la nouvelle de l’éva
cuation du camp de concentration de Ravensbrück et l’avis que l’ac
tion de secours au moyen de colis avait commencé depuis Lübeck.
Soulignons ici le fait surprenant que les troupes SS admettaient,
comme allant de soi, notre ravitaillement des camps dès le moment
de l’évacuation et que, depuis cet instant, personne ne nous a plus
empêchés de nous occuper des camps de concentration, tandis qu’au
paravant nous nous heurtions aux plus grandes difficultés dès que
nous tentions de nous intéresser de quelque façon que ce fût aux
camps...
Entre temps, les Russes s’étaient approchés du château jusqu'à
une distance de 500 m. Dans la partie septentrionale de l'Allemagne
il n’y avait pas d’autres délégués de la Croix-Rouge et le soussigné y
était le seul médecin délégué du CICR. C’est pourquoi je me décidai, le
27 avril, à renoncer à l'idée de passer chez les Russes et je partis
pour Lübeck, accompagné d’un délégué et de la secrétaire de la
125
délégation. Le délégué avait pour tâche d'apporter encore des colis
à Wagenitz pour secourir, le cas échéant, les prisonniers et les inter
nés, même sous l’occupation russe, si cela était nécessaire. Le même
soir, ce délégué tenta de retourner à Wagenitz, mais ne pouvant plus
atteindre le château, il rentra par la suite à Lübeck, après avoir dis
tribué ses colis de secours à des détenus.
Après m’être renseigné auprès du délégué du CICR et du Dr
Arnoldson, de la Croix-Rouge suédoise, sur la situation générale, je
partis le 28 avril par Schwerin vers Parchim, dans la région de
Wittstock et de Malchow, pour empêcher de nouveaux sévices des
troupes SS contre les détenus et pour assurer, autant que possible,
le ravitaillement de ceux-ci.
Entre temps, les détenus d’Oranienburg étaient tous arrivés à
Wittstock et continuaient leur marche, le 28 avril, dans la direction
de Schwerin. Le camp de concentration de Ravensbrück se dirigeait
également vers Schwerin — pour autant que les détenues n'avaient
pas été transportées par camions de la Croix-Rouge à Lübeck — et
se trouvait dans la région de Malchow-Criwitz. Les détenus étaient
en général dans un état horrible. Je vis beaucoup de cadavres sur la
route, pourtant ceux que j ’ai vus étaient ceux de victimes mortes
de famine et d’affaiblissement. Je ne pus constater la présence de
cadavres de détenus fusillés par les troupes SS ; d’autre part, les
détenus me confirmèrent que, depuis le mardi 24 avril, c’est-à-dire
depuis notre intervention, les fusillades avaient cessé.
Sur la place principale de Parchim, je trouvai une colonne de
2000 détenus environ faisant une halte. Parmi eux, huit moururent
pendant l’arrêt. Lorsque le Commandant me vit, il se précipita vers
moi, m'affirmant qu’il n’avait jamais fait fusiller quiconque. Je le
prévins de bien veiller à ce qu’il en soit encore ainsi et lui ordonnai
de loger les malades et les impotents dans la ville ; sur ce, il se hâta
d’aller consulter le maire.
Vers le même endroit, je rencontrai une colonne de 5000 détenus
qui se traînaient avec difficulté. Devant la colonne, sur une petite
voiture chargée de malles et tirée péniblement par six à huit détenus,
trônait une femme apparemment «de bonne société». J ’interpellai le
commandant de la colonne et lui demandai qui était cette per
sonne. Il me répondit qu’il s’agissait de la femme d’un officier SS qui
était tombée malade au cours de la fuite. A ma question sur ce qu’elle
avait, il me répondit très sérieusement qu’elle souffrait d’indigestion
pour avoir trop mangé de raisins secs (sic).
Dans les environs de Putlitz, je croisai de nouveau une colonne
d’à peu près 5000 détenus gardée par des troupes SS. En allant
chercher le Commandant, je remarquai dans un fossé neuf détenus
étendus sous leur couverture, inanimés. Un SS qui ne m'avait pas
vu s’approcha d’eux et frappa de son bâton le tas qui ne réagissait
126
plus. J'eus juste le temps d’arrêter la voiture et d’en sortir pour l’em
pêcher de tuer ces neuf hommes avec son revolver, qu’il avait déjà
tiré de son étui. Je hélai l’individu, lui demandant son état civil.
Au lieu de cela, il me répondit : « Ce sont de pauvres gens, tout à fait
innocents. Je ne peux pourtant pas les laisser dans le fossé. » Je lui
répondis qu’il était fou, qu’il devait disparaître le plus vite possible,
et que je m’occuperais de ces neuf détenus et de leur hébergement
dans le village le plus proche. C’est là une petite contribution au
chapitre : soldats SS et leur mentalité.
A la même époque, c’est-à-dire entre le 29 avril et le 2 mai, à peu
près quinze camions du Comité international de la Croix-Rouge par
taient de Lübeck chargés de colis de secours pour Wittstock et Below,
près de Wittstock, où les détenus se reposaient pendant quelques
jours. Comme les détenus, entre temps, s’étaient de nouveau mis en
route, le chef de la colonne du CICR dirigea les camions sur les
différentes routes qu’ils suivaient ; de cette manière, la sécurité et le
ravitaillement des détenus furent assurés pour le mieux et dans la
mesure du possible.
Distribution de colis de secours: Les colonnes marchaient générale
ment par rangs de cinq ; j ’ai pu constater souvent qu’un homme
par groupe de cinq portait un colis de secours. En général, on peut
dire, qu’à part les cigarettes et autres articles de luxe plus ou moins
recherchés, les détenus gardaient leurs colis de secours, dès que
ceux-ci avaient été distribués personnellement aux détenus par le
délégué, le chef de colonne, ou le personnel-adjoint du CICR. A
Wittstock, une colonne de camions avait établi un dépôt permettant
d’apporter de nouveaux colis de secours. Lorsque les détenus devaient
continuer leur marche, chaque soldat SS recevait un paquet, tandis que
les détenus ne recevaient qu’un paquet pour cinq hommes, c'est-à-dire
le reste du solde. Malheureusement, je n'ai jamais pu surprendre un
SS en possession d’un colis de secours, mais le procédé ci-dessus m’a été
confirmé de plusieurs côtés. D’ailleurs, d’où seraient venus les raisins
secs qui avaient provoqué une indigestion chez la femme de l’offi
cier SS ?
Les SS, craignant d’être vus, n’osaient plus infliger de sévices
aux détenus. A en juger par le comportement des simples SS
à notre égard, je dois supposer qu’ils interprétaient les mots
« Comité international » comme désignant une commission d’en
quête sur les crimes de guerre. Je n’ai jamais, de ma vie, vu
d’hommes plus serviles et obséquieux. La population allemande dans
les villages et les petites villes était en général passive et se bornait
à regarder. A Parchim seulement, lors de l’incident susmentionné sur
la place du marché, un monsieur « bien » vint vers moi tout
désespéré et me dit : « Mais faites donc quelque chose pour ces
127
gens ! » Lorsque je lui répondis que nous faisions tout ce qui était
en notre pouvoir et que la population devait nous aider, il disparut
dans la foule.
Les derniers jours furent marqués par des attaques constantes
d’avions sur les petites villes et les routes. On ne pouvait circuler qu’à
grand’peine sur les routes bondées de réfugiés, de détenus et de troupes.
Des centaines de voitures carbonisées, des cadavres de chevaux et
des douzaines de cadavres humains, pour la plupart de réfugiés alle
mands, gisaient à droite et à gauche de la route. J ’ai vu et pansé
des détenus qui avaient été blessés par les attaques en piqué. Vu
que les détenus marchaient généralement par ordre sur de petits
chemins vicinaux et devaient camper dans les forêts, les pertes dues
aux attaques par avions n’étaient probablement pas très considé
rables parmi eux. Pour ma part, je n'ai vu aucun détenu tué par un
avion volant en rase-mottes.
Dans la région de Blumenthal-Pritzwalk, je rencontrai le Stalag
Altdrewitz, qui voulait tenter de passer l’Elbe, près de Dômitz, avec
la garde allemande. La situation alimentaire des prisonniers était très
critique ; d’autre part, il fallait faire parvenir de nouveaux colis de
secours aux camps de concentration et en tout premier lieu créer à
Schwerin un dépôt de colis de secours pour détenus. Je me décidai donc,
le mardi I e r mai, à rentrer à Schwerin, afin de me mettre en relation avec
Lübeck, d’une manière ou d’une autre. Arrivé tard dans la soirée à
Schwerin, je couchai chez le’ pharmacien du Stalag II E. L'organi
sation militaire de la ville était déjà en train de s’effondrer ; les
membres de l’administration militaire s’habillaient de vêtements
civils et quittaient leurs postes. L’agitation était grande, parce
qu'entre temps les Russes s’étaient avancés jusque dans la région de
Wismar. Les communications téléphoniques avec Lübeck étant im
possibles, je quittai Schwerin le 2 mai, mais une heure plus tard je
fus forcé d’y revenir, à cause d’une grave attaque aérienne. Les
détenus et les prisonniers de guerre me reçurent avec des cris de joie,
la nouvelle leur étant parvenue que les Américains entreraient à
Schwerin dans deux heures. Je me rendis auprès du colonel von
Bülow, commandant du Stalag II A, pour éviter des troubles lors de
la reddition des prisonniers de guerre et empêcher des complications
pouvant résulter d’opérations militaires. Puis je rentrai au Stalag ; là
eut lieu une séance avec les hommes de confiance et les doyens, pour
organiser des troupes de police qui devaient assurer la discipline au
camp. A cette occasion, une organisation de «gaullistes », formée sous
l'influence et la direction d’un officier français du Stalag Neubrandenburg, qui avait reçu pleins pouvoirs du général de Gaulle, me rendit
les plus grands services.
Chaque nation constitua sa propre garde et organisa ses patrouilles
dans le camp. A 2 heures, le mercredi 2 mai, la nouvelle nous parvint
128
que les Américains étaient entrés à Schwerin. Ils n’avancèrent pas
jusqu’au Stalag même, situé à peu près à 4 km. à l’est de la ville.
Je partis donc avec le doyen britannique et avec les hommes de con
fiance français et yougoslaves pour Schwerin où nous eûmes un
entretien avec le commandant du régiment américain. La zone entre
Schwerin et le fleuve qui se jette à l’est de la ville dans le lac de
Schwerin — zone dans laquelle est situé également le Stalag — fut
déclarée zone neutre pour éviter des incidents avec les troupes russes.
Jusqu’au 3 mai affluèrent dans cette zone, venant de l’Est, des
détenus des deux camps de concentration pour camper aux alen
tours du Stalag. Des centaines de milliers de soldats allemands furent
capturés pendant ces deux jours ; et, sur la même route CrivitzSchwerin, sur laquelle tout cela se passait, arrivaient sans cesse des
centaines de milliers de réfugiés allemands. Le 4 mai, les Russes
avaient atteint la ligne de démarcation et l’afflux des réfugiés,
détenus et soldats, cessa.
Le soir du 2 mai, je me présentai au Gouverneur militaire améri
cain, arrivé entre temps, et lui donnai un aperçu de la situation et
du nombre de détenus venant des camps de concentration et déjà
arrivés dans la zone de Schwerin. Je lui dis que 40.000 étaient déjà »
là et qu’il fallait en attendre encore 30.000. Le Gouverneur militaire
me répondit que Schwerin était surpeuplé et qu’il ne pouvait rien
faire ; je le priai alors de faire un tour pour se faire une idée de
l’état des détenus. La tournée lui fit apparemment un grosse impres
sion. On nous informa qu’un nombre considérable de détenus se trou
vaient à l’est de la future ligne de démarcation, encore sous la
garde de troupes SS. Les SS ne semblaient pas vouloir accepter
d’être capturés et continuaient à martyriser et fusiller les détenus.
J ’obtins du Gouverneur militaire d’envoyer encore pendant la même
nuit des troupes pour désarmer les SS et libérer les détenus. De
même, j’obtins aussi qu’on mît à disposition des troupes améri
caines pour assurer l’ordre dans le gigantesque rassemblement de
détenus campés autour du Stalag et pour diriger vers lui les nou
veaux arrivants. Néanmoins, nous eûmes quelques blessés, car beau
coup de détenus, qui avaient trouvé des armes, se querellaient, sous
l'empire de la faim, pour une simple pomme de terre, etc. Ni les trou
pes américaines, ni moi-même n'étions à même de ravitailler conve
nablement les détenus. Cependant, comme de nombreux camions et des
chars chargés de vivres circulaient sur la route de Crivitz à Schwerin,
je pus distribuer à chaque groupe de détenus des vivres pour au
moins trois jours. Je fis chercher tous les médicaments disponibles dans
ces camions et les portai dans le Stalag. Il y avait assez de médecins
parmi les détenus. Malheureusement, les pourparlers en vue d’obtenir
un meilleur logement pour les détenus traînèrent encore trois jours et on
ne put empêcher que beaucoup d’entre eux continuassent leur marche
129
vers l'Ouest de leur propre initiative, pour s’établir dans les villages
au delà de la ligne de démarcation. Par permission du Gouverneur
militaire, je reçus néanmoins l’autorisation le 5. mai de réquisition
ner deux grands groupes de bâtiments, casernes, etc. Dans l’un
d’eux, la caserne Adolf-Hitler, il y avait un lazaret de réserve alle
mand. Les médecins militaires, après discussion, se mirent à notre
disposition pour donner aux détenus les soins médicaux nécessaires.
Malheureusement, une grave arthrite à l’épaule droite et la fièvre
me forcèrent d’abandonner mon travail.
Entre temps, la lutte sur la route de Schwerin à Lübeck avait pris
fin. Il me restait encore à faire parvenir des colis de secours à Schwe
rin ; c’est pourquoi je partis le 5 mai pour Lübeck, où le délégué du
CICR se chárgea de cette tâche, et peu après je fus obligé d’entrer
à l’hôpital.
A Schwerin, j ’avais laissé le chef de colonne du CICR qui me donna
une aide très précieuse pendant les journées de Schwerin. D'autre
part, je fus grandement aidé par deux prisonniers de guerre bri
tanniques (qui ne me quittaient plus depuis mon départ de Wagenitz), par l’homme de confiance français et l’homme de confiance
yougoslave, du Stalag II E, et aussi par tous les hommes de con
fiance français des petits détachements de travail, auprès desquels
je trouvai le gîte et la nourriture.
VII. — Rapport d'un délégué du CICR sur son activité dans le camp
de Theresienstadt (avril-mai 1945)
I
Prague, le 23 avril 1945.
J ’ai visité Theresienstadt le 21 courant dans l’après-midi. En pre
nant contact avec le chef du camp, je demandai que le Conseil des
Anciens soit réuni pour entendre ma déclaration et répondre à
différentes questions que j ’avais à poser. Je vais rapporter, aussi
fidèlement que possible, cette phase de mon court séjour au Ghetto.
Je fis la déclaration suivante :
« Le Comité international dè la Croix-Rouge m’a chargé tout spé
cialement de vos intérêts. J ’ai consacré mon temps depuis ma première
visite du 6 avril jusqu'à aujourd'hui à l’exécution de cette mission.
130
Le Gouvernement du Protectorat m’a assuré qu’à moins de nécessité
stratégique, personne ne serait déplacé du camp jusqu'au jour de sa
liquidation. Celle-ci sera assurée par les soins du Comité international
en collaboration avec des institutions juives! Je vous prie de me
faciliter ma mission en assurant l'administration et l’ordre de la
ville pendant la période de transition, comme vous l'avez fait et
continuez à le faire sous l’autorité allemande. Vous aurez vraisem
blablement à recevoir à Theresienstadt des coreligionnaires évacués
d’autres camps, voire des internés civils, prisonniers de guerre
ou blessés. Vous devez vous souvenir que, quelles que soient les
conditions de vie ici, vous y trouverez plus de confort et moins de'
risques que sur le chemin de l’évacuation... »
A la fin de cet entretien, qui s’est tenu en présence du chef du
camp et de son lieutenant, ainsi que d’un inspecteur de la police de
sûreté de Prague, j’ai fait part au chef du camp qu'en attendant
les réponses écrites, mon intention était de visiter Theresienstadt.
Pendant deux heures et sans aucune objection de la part des officiers
et civils allemands qui m’accompagnaient, j ’ai pu inspecter tout ce qui,
au cours de la visite du 6 avril, avait éveillé ma curiosité. De cette visite
absolument libre des édifices de la ville et des baraquements annexes, je
rapporte une impression identique à celle que nous avons eue au cours
de notre visite du 6 et la conviction qu’aucune mise en scène spéciale
n'avait été préparée pour nous recevoir. Les habitants de Theresien
stadt y vivent tous les jours de la manière que nous avons eu l’occasion
de constater à trois reprises. En ce moment, les contingents juifs d’au
tres camps sont dirigés sur Theresienstadt. Ils arrivent naturellement
dans un état pitoyable, mais tout est prévu pour les amener rapide
ment au niveau de ceux qui les y ont précédés. Depuis le 6 avril There
sienstadt a vu sa population augmenter de 4000 personnes (jeunes
hommes de 18 à 30 ans).
Au cours d'un entretien antérieur, le Ministre d’E tat Frank m’avait
assuré que tous les Juifs évacués qui passeraient à proximité du Pro
tectorat, seraient dirigés sur Theresienstadt; j'ai pu, le jour même,
constater l'exécution de cet ordre dans la ville d’Aussig où je me
suis rendu en quittant Theresienstadt.
Voyage à Aussi g: On m’avait signalé à Prague des passages de
trains contenant des évacués blessés prisonniers de guerre où civils qui,
à la suite du bombardement d’Aussig, étaient bloqués dans cette
région. Aussi, ai-je profité de mon voyage à Theresienstadt pour me
rendre à Aussig et y recueillir des renseignements. Les employés de
gare, autorités militaires et de police ne m’ont pas donné de grandes
précisions. Les convois militaires ont pu être transbordés ; les convois
civils sont encore en panne sur des voies de garage (je ne les ai pas
vus à proximité de la gare, en tous cas) ; les convois de Juifs ont
131
pris ou prennent à pied le chemin de Theresienstadt. Les deux bom
bardements de la semaine ont été sérieux. Les trains en stationne
ment ont été durement touchés...
II
Le 22 mai 1945.
Après avoir passé la journée du 30 avril à Theresienstadt, je suis
venu m'y installer le 2 mai. J ’en suis parti le 10 mai, ma mission
étant terminée.
Quoique la décision du Gouvernement du Protectorat de placer
Theresienstadt (ghettos et citadelle) sous l’autorité unique du Comité
international de la Croix-Rouge date du 5 mai, cette situation exis
tait déjà en fait le 2 mai, les commandants des deux prisons
m’ayant abandonné leurs pouvoirs.
Contrairement à mes craintes, exposées dans mon rapport du
23 avril, aucun interné n’avait quitté Theresienstadt.
D’autre part, le transfert des 300 personnes (notabilités du ghetto)
dans une résidence « plus sûre », projeté par les Autorités du Reich,
n’a pas eu lieu : Frank a tenu parole. C’est également sur ses instruc
tions et conformément à sa promesse que 12.863 Juifs en provenance
d’autres camps de concentration ont été dirigés sur Theresienstadt
au cours du mois d’avril.
A l'exception du jardinier employé par les Allemands, tué par une
balle allemande et d’un interné juif tué dans son lit par un obus
russe, aucun interné n’a péri de mort violente à Theresienstadt.
Voyage à Aussi g. — Sous ce titre j ’ai signalé dans mon rapport
du 23 avril l’existence de trains de déportés errant dans les parages
de Theresienstadt. Le 4 mai, je les ai trouvés dans les gares avoisinantes et les ai dirigés sur Theresienstadt. Trois trains y sont arrivés
le 6. Ils « tournaient en rond » depuis plusieurs semaines et sur 2500
hommes et 600 enfants au départ, nous avons dénombré 1800 hommes
et 180 enfants; les autres étaient morts au cours du voyage. Quelques
autres petits contingents sont arrivés par la route et ont été mis en
quarantaine.
Une caserne vide a servi de refuge à quelque 600 prisonniers de
guerre français, belges, britanniques, canadiens (hommes en bonne
santé).
Citadelle. — Dès le 3 mai, l’évacuation de la citadelle contenant
5000 détenus politiques, en majeure partie tchèques (quelques nota
bilités françaises) a commencé, par les soins d’une organisation de
médecins tchèques dirigés par le Dr Taska et sous la responsabilité
132
du CICR. Tout s’est passé sans incident. Tous les détenus étaient
évacués le 8. A cette date, jour de la cessation des hostilités, j ’ai
supprimé la « tutelle » du CICR.
VIII. — Rapport d’un délégué du CICR sur les détemis politiques
se trouvant dans les prisons de Berlin (avril 1945)
En ce qui concerne la situation des détenus se trouvant dans les pri
sons de Berlin et des environs, et parmi lesquels se trouvaient encore fir
mars 1945, selon des renseignements dignes de foi, environ 1500 prison
niers politiques étrangers, elle a exigé de la délégation une vigilance et
une énergie particulières. Ces efforts eurent pour premier objet de pou
voir étendre à cette catégorie de détenus politiques (Schutzhâftlinge)
les accords passés entre le professeur Burckhardt et l’Obergruppenführer Kaltenbrunner. Cependant il était pour ainsi dire impossible
d’obtenir officiellement des indications précises et des concessions.
Par la suite, la délégation a été informée assez exactement, grâce à
une action projetée, et préparée en partie par un de ses délégués «à
ses risques et périls », en vue de s’opposer aux excès qui étaient
à craindre dans les diverses prisons.
Grâce aux efforts faits par la délégation, qui avait pu établir la
liaison avec quelques-uns des commissaires de la Gestapo, membres
de la direction centrale (Gestapo-Hauptleitstelle, Kurfürstendamm
106), il fut possible d’obtenir, depuis le mois d’avril 1945, des libéra
tions de prisonniers dans un assez'grand nombre de cas particuliers.
Dans d’autres cas, la délégation fit distribuer des colis de vivres.
C’est ainsi que les délégués s’étaient rendus le 25 mars, à la
prison Kaiserdamm 1, Charlottenburg. Comme ils furent informés
qu’une partie des paquets étaient retenus, ils protestèrent.
De plusieurs côtés, on apprit par la suite, les 10 et 11 avril,
que le bureau central de la Sûreté du Reich (Reichsicherheitshauptamt) avait donné des ordres pour la destruction de tous dossiers et
papiers, dans toutes les chambres d’instruction, toutes les prisons
et tous les camps. Cette mesure fut expressément confirmée, le
12 avril, par un commissaire de la Gestapo qui fit remarquer que
le pire était à craindre pour les détenus.
A l’occasion d’une visite qu’ils firent le 13 avril, à la prison
Kaiserdamm 1, les délégués du CICR purent se rendre compte
qu’une frayeur atroce avait envahi les détenus. Le même jour encore
ils se rendirent à l’Auswârtiges Amt, où ils attirèrent l’attention du
Ministre Schmidt sur ces craintes. Celui-ci ménagea le jour même un
entretien avec le Gruppenführer et le général Mueller, et un autre
133
entretien, pour le 14 avril, avec le secrétaire d'E tat au Ministère
de la Justice du Reich, le Dr Franke (en l'absence du ministre du
Reich, Dr Thierack, soi-disant indisposé), à qui nous avons demandé
des explications concernant le sort des personnes emprisonnées.
La Délégation se déclara prête à prendre les détenus sous sa pro
tection et à veiller à leur ravitaillement dans de grandes proportions,
au moyen de colis de vivres. Les assurances tranquillisantes données
à la Délégation, furent confirmées par écrit, le 15 avril, et ces
confirmations furent envoyées par courrier.
Le 17 avril, les délégués du CICR apprirent à la prison de
l’Alexanderplatz que, depuis le 15 avril 1945, des libérations de prison
niers avaient été ordonnées en nombre considérable. L’exactitude de
cette assertion fut prouvée lors d’une visite faite le jour même dans le
camp d’emprisonnement Triftweg Friedrichsfelde, visite au cours de
laquelle des colis de vivres furent apportés à des Russes, des Tchèques,
des Hollandais, etc.
La Délégation ayant appris, d’autre part, que ce jour-là on avait
exécutés 34 détenus de la prison Grosse Hamburgerstrasse, les délé
gués du CICR entreprirent de nouvelles démarches auprès du bureau
central de la Sûreté du Reich (Reichsicherheitshauptamt) et auprès
du Ministère de la Justice du Reich (Reichj ustizministerium).
Il semble que le 22 avril, on ait libéré de prison les derniers déte
nus.
Les opérations militaires qui se déroulaient à proximité de Berlin
et dans la ville même, rendirent impossibles d’autres démarches de la
Délégation. Lorsque le 24 avril, les délégués du CICR traversèrent
l’Avus, ce ne fut qu'avec peine qu’ils eurent la vie sauve.
IX . — Rapport d’un délégué du CICR sur sa mission à Mauthausen
Le 23 avril 1945, à 19 h. 30, arrivée à Mauthausen. Notre arrivée
le soir sembla ne pas être du goût de l’officier de service qui nous
reçut au corps de garde. On nous fit attendre plus d'une demi-heure,
après quoi nous fûmes présentés à l’adjudant par un courrier SS.
Jusqu’à cette réception, vingt minutes s’écoulèrent encore, que nous
avons passées à attendre sous la pluie et le vent. L’adjudant fut
correct mais froid dahs son salut ; il nous pria d’avoir encore un peu
de patience étant donné que le commandant était engagé dans une
conférence importante. Enfin nous fûmes conduits dans le cabinet de
travail du Chef qui parut après environ un quart d’heure. Il par
courut rapidement la lettre de recommandation qui lui avait déjà
été donnée auparavant. Sans y revenir davantage, il nous commu
niqua en peu de mots que 183 déportés français, dont la liste était
134
déjà dressée, seraient à notre disposition à 00.30 h. et qu’il fallait
les emmener immédiatement. Il n’accepta pas ma proposition de
repousser ce transfert jusqu’au matin pour l’effectuer à la lumière du
jour. Tout d’abord il n’y avait point de logement pour nous et
deuxièmement il était urgent de faire partir les déportés aussi rapi
dement que possible. A 00.30 h., les paquets devaient avoir été
déchargés et comptés par l’officier de service qui en donnerait quit
tance. Ma demande que les hommes de confiance des déportés accusent
réception des colis par leur propre signature ne fut pas prise en
considération. Mais le Commandant nous dit qu’en sa qualité de chef
il garantissait que les envois de secours parviendraient à qui de
droit. Notre personnel n'a pas eu l'autorisation de faire entrer les
voitures dans le camp, même pour procéder au déchargement et au
contrôle de l’envoi. A nous aussi (délégué, chef de colonne et officier
accompagnant) il fut interdit d’entrer dans le camp de concentration
lui-même.
Comme je rendais le Commandant attentif, par deux fois, à l'objet
véritable de ma mission, il me fit comprendre laconiquement que je
devais considérer ma mission comme accomplie dès le moment où les
183 déportés français me seraient remis. D’autre part, il me dit qu’il
ne possédait pas d’ordre pour la visite que j ’indiquais. Je lui proposai
d ’attendre à Mauthausen (village) jusqu’à ce que l’autorisation lui
parvienne, mais cela aussi rencontra un refus catégorique.
Entre temps nos camions furent remis par nos chauffeurs aux
troupes SS devant la porte qui donnait accès au camp ; ces troupes
les firent entrer ensuite dans le camp. Le déchargement qui se fit
dans l’obscurité dura beaucoup plus longtemps que prévu, c’est-à-dire
jusqu'à peu après deux heures. Sur l’ordre du Commandant, on nous
ravitailla ainsi que le personnel.
Je reçus la promesse de l’officier de service, qui présida au déchar
gement et fit le contrôle des paquets, que lors de la distribution de
ceux-ci, les hommes de confiance en signeraient les accusés de récep
tion et que ces pièces seraient envoyés au CICR à Genève. Le sous
signé doute que la distribution des envois ait été faite correctement.
A trois heures trente environ, notre colonne était prête à recevoir
les déportés sur le Sportplatz. Sur les 183 hommes, la plupart étaient
déjà là, en rangs, exposés au vent mordant. Enfin, peu avant quatre
heures, le dernier arriva. Je comptai les hommes qui montaient
dans les voitures et je donnai quittance, attestant ainsi l’exactitude
de ce transfert.
Mes impressions personnelles au sujet du camp étaient les suivan
tes : quelque chose de mystérieux et d’horrible planait sur tout ;
naturellement cette impression était d’autant plus forte dans la nuit.
Que notre arrivée aussi tardive fût très désagréable pour ces messieurs,
qui étaient impatients de nous voir partir, c’était là chose facile à
135
concevoir. Ils avaient l’air de ne pas aimer du tout le retard que
nous avions eu.
Lors de notre arrivée déjà, nous fûmes témoins d’une scène tragi
que. Cinq colonnes de travailleurs comprenant chacune cent hommes
environ, se traînaient au camp, fatigués après un jour de travail
pénible. Dans chacune de ces colonnes, il y en avait quelques-uns qui
étaient portés par leurs camarades car, à cause de leur épuisement,
ils ne pouvaient plus continuer et ils étaient près de la mort. Certaine
ment c’étaient là d’éventuelles victimes bonnes pour le crématoire qui
d’ailleurs travailla toute la nuit à plein rendement. On m'a dit d’autre
part que ces colonnes de travailleurs étaient très bien loties au point
de vue physique. Quel devait être alors l’aspect des autres malheureux ?
Nous étions tous si fortement impressionnés par ce que nous
avions vu que pendant des heures nous n’échangeâmes pas un mot.
Lors de la première courte halte, ce furent les Canadiens qui les pre
miers retrouvèrent la parole et qui exprimèrent leur dégoût par ces
mots : « Dieu ! que nous sommes contents d’en être sortis, c’est un
enfer ! »
X. Rapport sur le séjour d'un délégué du CICR à Mauthausen jusqu’à
la libération de ce camp, du 27 avril au 8 mai IÇ45 (extraits)
... Le convoi se dirige vers Linz — qui vient d’être sévèrement bom
bardé — et parcourt les rues éventrées par les bombes. Les chauffeurs
canadiens et suisses doivent faire de l’acrobatie. Nous passons la nuit à
St Georgen, à environ 18 km de Linz. Le lendemain matin, la colonne
se dirige vers Mauthausen. Le commandant H. nous attend à michemin et prend le commandement de la colonne. Dès l'entrée dans
le camp, il fait décharger les colis ; pendant ce temps, nous nous ren
dons auprès du commandant du camp Ziereis, qui a le grade de Standartenführer. C’est un homme d’une quarantaine d’années, d’aspect
énergique mais inquiétant, dont la commissure des lèvres est agitée
d’un léger tremblement. Des officiers SS apparaissent. Nous lui expli
quons qu’aux termes des accords du Président du CICR avec le Chef
responsable des camps de concentration Kaltenbrunner, un délégué
du CICR doit pouvoir pénétrer dans le camp et distribuer lui-même
les colis ; il doit rester dans le camp jusqu’à sa liquidation définitive.
Ziereis prétend ne rien savoir de ces accords. Il déclare que ma présence
est indésirable au camp. Il se plaint du manque de confiance du CICR
au sujet de la répartition des vivres par la direction du camp. Vu
l'impossibilité de remplir ma mission, le chef de colonne est d’avis que
je retourne en Suisse. Je m’y refuse de la façon la plus catégorique,
décidé à remplir ma tâche à tout prix et à pénétrer dans le camp.
J ’insiste pour qu’on me laisse entrer et pour que je puisse loger dans le
136
camp. Ziereis se déclare prêt à envoyer un télégramme à Kaltenbrunner
dont la teneur serait la suivante :
« Le CICR, dont le représentant se trouve ici, demande qu’un délégué
suisse puisse pénétrer dans le camp pour y distribuer des colis. La
présence de ce délégué, demandée par le CICR, n'est pas indispensable.
Répondez télégraphiquement si le délégué doit être autorisé ou non
à pénétrer dans le camp. » Signé : Ziereis.
Ce télégramme me fournissait un prétexte pour rester dans les envi
rons du camp et j ’en exprimai à Ziereis ma ferme volonté : je viendrais
chercher la réponse au télégramme, même si je devais parcourir
chaque jour à pied les 10 km qui séparent St Georgen de Mauthausen.
Ma méfiance à l’égard des SS ne faisait qu’augmenter.
La colonne reprit le chemin de la Suisse emmenant un certain nombre
de ressortissants des Puissances de l’Ouest et je restai seul à St Georgen.
Durant trois jours j’attendis la réponse au télégramme et demeurai
dans le voisinage du camp maudit où les détenus, à leur entrée, étaient
accueillis par ces mots ironiques des sous-officiers SS et des employés :
« Demain vous ne vivrez plus. »
Le camp de Mauthausen est une « bastille de granit » dont chaque
pierre représente une vie humaine et est souillée de sang humain.
Malgré tout, je persiste dans ma volonté de pénétrer dans ce camp,
pleinement conscient de la responsabilité que j’assume à l’égard de ma
famille.
Les personnes qui connaissent Ziereis cherchent en vain à me faire
renoncer à ma décision en me disant que c’est tenter Dieu, que c’est
un suicide...
Le troisième jour, emportant tous mes effets, je me rendis en voiture
au camp où, forçant la consigne, je me fis immédiatement introduire
auprès de Ziereis. Je lui déclarai fermement que ne comptant plus sur
la réponse de Kaltenbrunner, je demandais l’autorisation d’entrée.
Ziereis me désigna alors comme quartier la chambre de l’Obersturmführer Reiner que j’aurais à partager avec lui : le délégué du CICR
dormirait côte à côte avec un SS dont la casquette s’orne d’une tête
de mort ! Pour les détenus que je sentais terrorisés autour de moi,
j ’acceptai cette torture !
Les jours suivants, j ’eus des pourparlers avec Ziereis sur la situation
exacte qui prévalait au camp : manque de pain, de vêtements, de sou
liers, effroyable disette de linge. Le camp de Mauthausen était sur
peuplé ; ceux de Gusen I et II pleins à craquer. Les malades étaient à
cinq dans d’étroits lits de camp ; il y avait 60.000 êtres humains —
hommes, femmes, enfants. Ziereis ne savait plus où donner de la tête —
ce qui ne l'empêchait pas, comme je l'appris, d’exécuter chaque matin
30 à 40 détenus d’une balle dans la nuque. Il accélère tant qu'il peut
l’œuvre de destruction. La cheminée du crématoire fume jour et
nuit. Depuis des jours, les détenus n’ont pas reçu de pain. L'état sani
137
taire est tombé au plus bas. Ils meurent de faim. Ziereis lui-même feint
de s’en émouvoir. Il affecte de s’apitoyer, cet homme avec qui je dois
prendre mes repas, ce monstre qui, un jour, fit conduire un camion
chargé de cadavres devant la fenêtre de sa femme, en se vantant de son
œuvre !
Je propose de me rendre à Linz auprès du Gauleiter Eigruber pour
tenter d’obtenir sans délai de la farine. Linz est alors sous le feu des
Américains. Je pars néanmoins, je prends comme chauffeur mon voisin
de lit, le SS Obersturmfiihrer Reiner. Je veux l’éprouver, tenter de le ga
gner à ma cause. Ziereis me rend attentif aux risques de l’expédition...
Nous arrivons à 10 heures du soir auprès du Gauleiter Eigruber et du
Chef de l’économie paysanne. La misère qui règne ici est indescriptible.
Ma demande de farine pour Mauthausen et Gusen est rejetée. Mais on
m’indique que près de Mauthausen un bac s’est échoué avec quelques
wagons de blé. Je suis autorisé à récupérer ce blé. Mais j'ai encore
quelque chose à obtenir de Eigruber : je désire communiquer avec
Genève... J ’obtiens d’envoyer un télégramme à Genève du télégra
phe de Linz, installé dans une cave et où je suis l’unique civil.
Je réclame de Genève l’envoi de pain, de vêtements, de linge, de sou
liers. Le télégramme est parti, mais est-il arrivé ? Dès mon retour à
Mauthausen, je discute avec le chirurgien Potlazka de la gravité de la
situation. Il me décrit son impuissance à l’égard de la direction du
camp. On ne lui donne aucun moyen pour assurer aux détenus un
traitement humain ; depuis des semaines ils n’ont pu être lavés ni
désinfectés. Ils errent, vêtus de lambeaux innommables. Je réussis à
organiser une conférence entre le chirurgien Potlaska, Ziereis et moimême. Sur ma proposition, Ziereis donne l’ordre que les détenus pren
nent un bain et soient désinfectés immédiatement ; pendant ce temps
les vêtements qu’ils portent seront lavés.
Je demande en outre à Ziereis de mettre à ma disposition 40 charrettes
à chevaux pour rentrer des pommes de terre, plus ou moins avariées, au
camp, mais qui permettront aux détenus de se mettre au moins quel
que chose sous la dent.
Je reproche vivement à Ziereis la façon dont les colis déchargés ont
été répartis avant mon entrée au camp. Une partie seulement en a été
distribuée aux détenus et plusieurs colis avaient été vidés de leur con
tenu le plus précieux : lait condensé, chocolat, biscuits, beurre...
Durant la nuit du 2 au 3 mai, j’engageai mon voisin de lit, Reiner, à
me révéler les ordres donnés en vue de détruire les camps de
Gusen I et II et de Mauthausen. Reiner — un ancien employé de
banque — se confia à moi sans me cacher qu’au cas où ses confidences
seraient connues, nous serions bons tous les deux pour une balle dans
la nuque.
Je lui ordonnai de mander le 3 mai le Commandant de l’usine d’avions
de Gusen auprès de Ziereis. Au cours de l’entretien qui eut lieu, je
138
demandai à Ziereis, en présence de Reiner, d’annuler immédiatement
l’ordre de faire sauter l’usine d’avions. Ziereis refusa en déclarant que
ce n’était pas lui qui avait donné cet ordre et qu’il ne lui appartenait
pas d’annuler des ordres supérieurs. Je fis appel à son grade, à ses
sentiments d’humanité. Le commandant de l'usine d'avions expliqua
que le plan prévu consistait, au cas où les Américains ou les Russes
approcheraient, à rassembler, par le signal d'alerte, dans la nuit du
5 ou 6 mai, les détenus de Gusen I et II, soit environ 40.000 êtres
humains, dans les ateliers de l’usine souterraine d’une superficie de
50.000 m2, ainsi que les habitants de Gusen et St Georgen. L’éclatement
de 24 tonnes et demie de dynamite disposées à l’avance dans les cou
loirs ferait alors sauter l’usine avec détenus et habitants. J ’obtins pour
tant que Ziereis retirât, au moins verbalement, l’ordre de faire sauter
l’usine et s’engageât à faire suivre cette annulation aux commandants
de l’usine. Il pensait que cette annulation verbale, en ma présence,
était suffisante.
J ’étais plein de méfiance à l’égard des SS et pénétré de plus en plus
de ma responsabilité à l’égard des détenus. Je demandai à Ziereis la
permission de me rendre à l’atelier des tailleurs du camp. Il m'y accom
pagna lui-même et me demanda ce que je désirais. « Un drapeau
suisse », répondis-je. Ce n’était pas à proprement parler mon dessein,
mais il me fallait absolument un grand drapeau blanc que je me propo
sais de faire hisser le samedi suivant. Ziereis me quitta en me priant de
revenir tout à l’heure à la Kommandantur. J ’expliquai alors à l'ouvrier
qu’outre le drapeau suisse il me fallait un grand drapeau blanc, tous
deux d’une dimension de 3 m. sur 3 m.
Je me rendis ensuite au garage et je donnai l’ordre aux détenus
hongrois qui y travaillaient de peindre en blanc la voiture « Opel »
que Ziereis avait mise à ma disposition, et cela au plus tard pour le
samedi matin suivant. Je mis l'un des ouvriers, qui était mon ami,
dans ma confidence et je m’entendis avec lui sur la façon dont les cho
ses devraient se passer au camp.
Je retournai ensuite à la Kommandantur où me trouvant seul avec
Ziereis, je lui fis part des dispositions que j ’avais prises pour améliorer
la situation sanitaire du camp. J ’eus alors tout à coup devant moi un
autre homme, faible et tremblant, vieilli et découragé. Il me demanda
ce qu’il devait faire. Il se leva, se mit à jouer avec des pistolets. Je
suivais ses mouvements avec plus de curiosité que de crainte. Mon
calme l’impressionna. Soudain il me dit : « Le séjour au camp ne doit
pas être agréable pour vous, je mets ma maison à votre disposition ;
elle est en dehors du camp où il se joue des scènes un peu insolites
pour un novice. J ’ai pris la décision de gagner le front russe, avec
une partie des troupes de garde, pour combattre contre les Russes. Il
restera plus de 2.000 hommes pour la garde des camps, ce qui est
suffisant ».
139
Ziereis me conduisit à la serrurerie où il donna l’ordre qu’on fasse
pour moi un double de la clef de sa maison. Une heure plus tard il me
conduisit en voiture avec Reiner à sa maison. Il nous la fit visiter avec
un calme effrayant : la chambre d’enfants, le salon, la salle de chasse,
les trophées d’armes ; autour de la maison : la basse-cour, les ruches,
la piscine... Mais j'aime mieux vivre avec les détenus que dans la con
fortable villa de ce monstre. Je prends néanmoins la clef qu’il me tend.
Si mon séjour au camp doit se prolonger, je pourrai y installer un home
d’enfants. Ziereis nous quitte. Nous rentrons à pied au camp, Reiner
et moi.
Il y a de l’agitation au camp ; des mitrailleuses de renfort sont ame
nées aux postes de garde ; des caisses de grenades à main sont distri
buées ici et là ; des soldats SS construisent de nouveaux nids de mi
trailleuses. On renforce partout la défense. Le camp est en fermentation.
Moi qui croyais à une remise pacifique du camp aux Russes ou aux
Américains ! Je suis inquiet.
5 mai IÇ45- — J ’ai été réveillé comme par un lointain roulement
d’orage. Un violent feu d’artillerie couvre la région de Linz. La situa
tion me paraît de plus en plus inquiétante. Le sort de 60.000 êtres
humains est en jeu. Leur destin doit se décider aujourd'hui. Mon destin
est lié au leur. Il faut que j’agisse coûte que coûte... Je me tourne vers
Reiner : « Reiner, venez-vous avec moi tout de suite dans la zone de
combat américaine ? » Reiner, à qui j’ai fait enlever l’insigne de la
tête de mort de sa casquette, est d’accord. Je remets à l’homme de
confiance du camp le drapeau suisse et le drapeau blanc. Il est convenu
que dès qu’il verra revenir ma voiture peinte en blanc, il abaissera le
pavillon à croix gammée et hissera le drapeau blanc. Il est surpris
de ma décision ; il me supplie de mettre tout en œuvre pour libérer
le camp. Nous partons, Reiner et moi. A St Georgen, je me rends auprès
du bourgmestre et lui expose mon plan. Je lui demande de laisser ou
verte la défense anti-tanks. Je demande aux Autorités si elles veulent
que leur commune soit comprise dans les opérations de libération,
que toutes les armes soient abandonnées et que l’engagement soit
pris que, au cas où je réussirais à atteindre les lignes américaines,
aucun coup de feu ne serait tiré. Ce n’est que si ces conditions sont
assurées que je pourrai continuer ma route au delà de St Georgen vers
la zone de combat et intercéder pour la libération des communes.
Ces garanties me sont absolument nécessaires pour poursuivre mon
entreprise. Les Autorités approuvent chaleureusement notre plan
et nous souhaitent plein succès. Nous continuons notre route et rou
lons vers Gallneukirchen pour rejoindre la grande route de Budweiss
et gagner Urfahr où nous supposons que se trouvent les Américains.
Plus vite que nous ne nous y attendions, nous nous trouvons devant
le front. J ’aperçois de loin un gros tank pourvu d’un canon lourd.
140
J'arrête la voiture et prends un bâton auquel j’attache un linge blanc
pour toute éventualité. J ’engage Reiner à laisser son pistolet dans la
voiture. Nous avançons prudemment. Je prie aussi le chauffeur, un
lieutenant de la police des pompiers de Vienne, de nous accompagner,
également désarmé.
Je n’aperçois aucun soldat. On voit seulement les bouches des canons
se mouvoir vers la gauche ou la droite. J ’ordonne à mes compagnons
de s’arrêter et je m’avance seul vers les canons, mon pavillon blanc à
la main, espérant voir enfin les hommes qui épient derrière les meur
trières venir au-devant de moi. Des trappes s’ouvrent et de jeunes
hommes armés surgissent. Ils s’étonnent de me voir et de m’entendre
leur demander, en mauvais anglais, de me mettre en rapport avec leur
commandant. L’un d’eux, qui sait l’allemand, traduit ma demande
qui est transmise au commandement de la IIe division qui opère
devant Linz. Ma demande est nette : l’avant-garde des tanks, compo
sée de 2 ou 3 tanks lourds et autant de tanks légers avec leur équi
page d’une trentaine de soldats américains, et en outre 500 soldats,
doivent aussitôt venir assumer la garde du camp et désarmer les quel
que 500 SS qui s’y trouvent encore, ainsi que les membres du
Volkssturm et les troupes de renfort de la police viennoise. Je donne
la garantie au commandant américain qu’aucune résistance n’est à
craindre de la part de la population civile. Le commandant me donne
son assentiment par radio, en m’avertissant que je suis responsable
de la vie de chaque Américain. Mes deux compagnons doivent prendre
place dans un tank ; un Américain s’installe à côté de moi dans l’Opel
et nous roulons de nouveau vers St Georgen, suivis des autres tanks.
Une joyeuse surprise nous accueillit dans cette commune. Les Autorités
et la population nous comblèrent de remerciements et les Américains
furent reçus comme des libérateurs. Notre arrivée causa la même joie
à Gusen. Au camp de Gusen II, je me rends chez le commandant et
obtiens sa parole qu’aucun coup de feu ne sera tiré et que l’ordre
sera maintenu. Mais il faut d’urgence se rendre à Mauthausen, où les
SS, suivant des messages qui me parviennent, intensifient les travaux
de défense. Nous passons encore cependant par l'usine d’avions de
Gusen où je montre aux Américains les ateliers souterrains et les cou
loirs chargés de mines. Nous nous dirigeons vers Mauthausen.
Je constate avec satisfaction que le système de défense anti-tanks est
resté ouvert. J ’ai eu raison de faire confiance à la population. Nous
gravissons la grande route en lacets qui mène au fort et déjà l’on
aperçoit la tour du crématoire. Le dernier lacet est franchi et comme
j ’arrive devant la Kommandantur, le pavillon à croix gammée est
abaissé et le drapeau blanc est hissé. Mais la révolte gronde au camp.
Les détenus montent sur les toits. Que va-t-il arriver ? Il s’agit main
tenant de désarmer les SS. Nous sommes soutenus par des milliers de
détenus. Les SS sont trop peu nombreux pour offrir une résistance.
141
Le plan a réussi. Les détenus désignés d’avance prennent les armes des
SS et les relayent à leurs postes. Des détenus armés gardent leurs
bourreaux désarmés. Les coups de crosses pleuvent sur les anciens
maîtres du camp. Les détenus sortent des baraques en criant, en hur
lant et nous portent sur leurs épaules ; nous ne pouvons nous défendre
de leurs embrassements — l'un d’eux s'assied sur le capot de ma voi
ture et le caresse. Au coup de midi, le 5 mai 1945, tous les SS étaient
désarmés, de même que les soldats du « Volkssturm » et les troupes de
renfort du corps des pompiers de Vienne. Le chaos régnait dans le
camp. Les détenus envahissaient les cuisines, pillaient la Kommandantur. Les hommes s’affublaient de plusieurs paires de pantalons,
se disputaient une boîte de conserves. C’était un va-et-vient inimagi
nable. Subitement libérés, ces détenus se comportaient comme une
horde de sauvages. Il fallut du temps pour ramener un peu de calme
dans le camp. Je songeai à mes propres effets. Dans ma chambre,
tout avait disparu : malle, vêtements, linge. Mais le temps presse :
il faut encore libérer les camps de Gusen I et II. Je m’y rends, suivi des
tanks américains. Le désarmement s’y effectue encore plus rapidement
qu’à Mauthausen. Les hommes déposent leurs armes en tas ; deux
bidons de benzine sont répandus et une allumette y met le feu.
Un cortège de plus de 2.000 détenus se forme dans la rue,
mais pas un coup de feu n’est tiré. Les frères d’armes américains me
secouent les deux mains et me demandent d’aller avec eux à Gallneukirchen. Cependant un détenu tente de franchir les barbelés. Un
Américain tire un coup de revolver dans sa direction pour l’effrayer.
Ce coup de feu est le signal d’une panique générale ; c’est la ruée vers
les barbelés. Les Américains tentent en vain d’arrêter l’exode du
camp comme ils ont pu le faire à Mauthausen. La garde composée de
détenus est trop faible. Se sentant libres, les captifs se ruent à travers
champs vers les villages et les fermes pour se procurer des vivres et des
vêtements. Il y eut des jours et des nuits de terreur. Mais les camps de
Gusen et de Mauthausen sont libérés ; la plus grande usine d’avions
de l’Autriche n’a pas sauté, des machines pour une valeur de 10 à 20
millions de francs ont été sauvées ; les communes de St Georgen,
Gusen et Mauthausen ont été épargnées par la guerre. Le problème
que je m’étais posé est résolu : les camps n’ont pas été anéantis,
60.000 êtres humains sont libérés, alors que les Américains ne sont pas
encore entrés à Linz où les combats font rage...
Les jours suivants, je me vouai à la réorganisation du camp. Les
anciens détenus s’administrèrent eux-mêmes, sous la direction des
détenus russes. Un comité central fut formé de représentants de toutes
les nationalités. La garde du camp fonctionna parfaitement. Un nou
veau fichier fut constitué, le fichier de la Kommandantur ayant été
détruit par les SS.
Les 7 et 8 mai, les Américains arrivèrent et prirent en main la direc
tion des camps de Gusen et de Mauthausen.
142
X I. — Carnet de route d’un délégué-convoyeur du CICR sur son activité
en Allemagne, du 16 avril au 12 mai T 9 4 5 (extraits)
Le délégué s’est rendu à Dachau aux fins de ravitailler ce camp
et d'y installer un délégué permanent.
Mercredi 18 avril 1945. — Départ pour Dachau. Le commandant
du camp nous recevra dans l’après-midi. A 14 h. 30, nous nous annon
çons au corps de garde. Nous ne pouvons être reçus car il y a alerte
aérienne. Nous attendons et à 16.00 h. sommes reçus par le com
mandant du camp, Oberbannführer Weiter.
Les points suivants sont à traiter avec lui :
1. Possibilité pour moi d’habiter dans le camp.
2. Possibilité de loger les chauffeurs de la colonne 40 et de garer
les camions.
3. Dépôt de vivres et d’essence.
4. Distributions de colis de vivres aux différents kommandos.
5. Contact avec les prisonniers et avec leurs hommes de con
fiance.
6. Subsistance du personnel CICR.
Le contact est froid. Les cigares détendent un peu la raideur de
Weiter. Celui-ci nous dit d'emblée qu’il n’y a pas une place dispo
nible dans son camp, mais qu’il y aurait peut-être possibilité pour
nous de loger dans le camp d’instruction des SS, contigu. Dans la
cour, que nous voyons des fenêtres du bureau, un peuple de miséreux
en haillons, aux pyjamas rayés bleu et blanc, grouille inlassablement.
Ils sont là plusieurs milliers dans le vent et la poussière.
Nous sortons avec le commandant Weiter, traversons une autre
cour bordée de magasins, dépôts et garages où s’affairent des SS et
des détenus. On charge un immense camion à gazogène avec du pain.
Ces quelques détenus ne paraissent pas avoir trop mauvaise mine.
D’autres, que nous avons vus dehors faisaient moins bonne impression.
Nous remontons en voiture et arrivons à la caserne principale des
SS. Après un moment d’attente, nous sommes reçus par un autre
Hauptbannführer. Les pourparlers reprennent. Pour finir, il est
décidé que :
1. Je logerai à la'baraque ’203, chambre°3, quartier des officiers.
2. Les chauffeurs logeront à la Hauptkaserne, chambre 331,
4° étage ; ...
8. Il sera interdit de s’entretenir avec des détenus hors de la
présence d’un SS désigné à cet effet ;
143
g. Nous aurons à effectuer, outre les courses de ravitaillement,
le transport des malades, des kommandos à l’infirmerie du camp ;
io.
A l’occasion, et d’une manière exceptionnelle, nous trans
porterons les vivres et vêtements du camp aux kommandos de
travail — Lansberg par exemple.
A 17.30, les pourparlers sont terminés ; je reste seul au camp...
Vendredi 20 avril 1945. — J ’essaie d’entrer en contact avec le
chef de la délégation du CICR par téléphone, depuis la caserne des
SS. Impossible, les lignes téléphoniques sont « dérangées ». Je retourne
voir le commandant du camp, je désire parler aux hommes de con
fiance qui sont sur place.
Après trois démarches, je suis reçu. Ma demande est refusée. Je
demande alors à entrer dans le camp, accompagné d’un SS ; cela
m’est refusé. Je demande à pouvoir parler aux prisonniers qui tra
vaillent en dehors du camp ; cela m’est également refusé par l’adju
dant du commandant du camp, l’Obersturmführer Otto. Je retourne
alors au camp d’instruction et essaie de faire connaissance avec les
officiers de SS. C’est difficile. Toutefois, ayant offert une cigarette,
j ’arrive à causer avec l’un, puis avec l’autre. Ils ont presque tous
leur femme dans le camp. De l’autre côté du mur, dans le camp des
détenus, on entend des détonations brèves. Le soir, comme tous les
soirs, ces détonations se multiplient...
Samedi 21 avril 1945. — A 06.00 h., je pars pour Uffing 1 prendre
des instructions. Arrivée vers 09.00 h. Le chef de la délégation me
dit que mes camions ont été envoyés à Moosburg...
Mardi 24 avril 1945. — A 18 h., départ pour Moosburg, retenir
tous les camions qui s’y trouvent jusqu’à l’arrivée du chef de la
délégation qui pense recevoir le même soir l’ordre écrit nous per
mettant d’entrer dans les camps de concentration ainsi que celui
qui prescrit l’arrêt de l’évacuation des prisonniers de guerre devant
l’avance américaine. A 21 h., arrivée à Moosburg...
Jeudi 26 avril 1945.'— 06.00 h. départ pour Moosburg avec le
délégué destiné à Mauthausen. Mission : organiser la colonne qui
partira ravitailler Mauthausen, faire opérer les chargements de
vivres et d’essence, prescrire la route au chef de colonne puis essayer
d’entrer à Dachau et d’y laisser un délégué permanent.
A 15.30 h. départ pour Dachau. A 17.00 h., arrivée à Dachau;
accueil encore froid de l’adjudant du commandant du camp qui dit
n’avoir pas reçu d’ordres pour l’entrée d’un délégué au camp.
Revenir le lendemain. Retour à Uffing à 21.00 h.
1 A lors q u artier gén éral de la d élég a tio n du C IC R en A llem agn e.
144
Vendredi 27 avril 1945. — 06.00 h., départ pour Moosburg avec
mission d'acheter les voitures qui pourraient être utilisables, repasser à
Dachau et organiser une colonne pour Mauthausen. Arrivée à Moos
burg à 08.30 h. L’artillerie alliée tire à moins d’un kilomètre de la
route Munich-Moosburg. A 11.00 h., l’homme de confiance français,
m’avise qu’une colonne de détenus politiques comprenant des Fran
çais a passé la nuit à Moosburg et demande qu’on puisse la ravitailler.
Ensemble, nous partons immédiatement à sa recherche pendant
qu’on charge un camion de colis américains. A 11.45 h. nous sommes
de retour ayant trouvé la colonne et repartons tout de suite avec
un camion. A 12.30 la distribution commence et dure jusqu’à
14.00 h.
C’est le spectacle le plus émouvant qu’il m’ait été donné de voir.
Dès que j ’ai eu l’autorisation de distribuer les vivres, j'ai fait inter
dire l’accès au camion et laissé passer les hommes un à un pour
toucher leur colis et entrer dans le pré voisin pour le manger. Les
Russes les premiers se sont jetés sur cette nourriture. C’est à grand
peine que les gardiens les contenaient, sans quoi le camion eût été
mis en pièces. Plusieurs étaient manchots et avaient l’autre main bles
sée ; entourés de haillons innommables, ils se penchaient pour saisir leurs
paquets entre leurs moignons et vous disaient merci en russe ou en je
ne sais quelle langue. Spectacle tragique de leur dignité d’homme
soudainement retrouvée sous leurs loques. Le corps amaigri, fatigué
et pouilleux, mais les yeux graves enfoncés dans les orbites, tous ma
nifestaient leur joie de pouvoir enfin manger à leur faim.
Les Français et les Polonais restaient à l’écart, très dignes, et pas
sèrent ensuite tranquillement, sans hâte. L’un d'eux me dit dans un
souffle, car il était interdit de leur adresser la parole : « Commandant
V., prévenez ma femme à la préfecture de Nantes. » Puis le cortège
continua. Nous leur avons distribué 807 colis.
Ces gens venaient de Buchenwald, marchaient depuis 21 jours et
n’avaient rien mangé depuis 5 jours. Le but de leur voyage était
Dachau, mais l’officier SS qui les conduisait m’a dit vouloir les con- .
duire dans les lignes américaines.
Nous avons encore ravitaillé 182 malades de leur colonne à Frei
sing. Je ne suis pas près d’oublier cette extraordinaire distribution
ni l'homme qui est venu au nom de ses camarades remercier la CroixRouge qui leur avait « sauvé la vie », ni l’ovation qui nous fut faite
au moment du départ. Retour à Moosburg à 15.00 h.
Départ à 16.00 h. pour Dachau. Arrivée à 18.00 h. après une cre
vaison. Reçu immédiatement par l'Adjudant du commandant de
camp. Le ton a changé ; je puis avoir en mains et examiner la liste des
détenus qui resteront au camp. Il s’agit de 15.936 Français, Britanni
ques, Belges, Hollandais, Américains, ressortissants des Dominions bri
tanniques et Polonais. Les autres : Allemands, Russes, Italiens, Autri145
1
chiens et Balkaniques sont emmenés conformément aux instructions
du général Berger, commandant les forces du Sud de l'Allemagne.
Si je veux bien repasser demain matin, le camp me sera ouvert ;
on me remettra définitivement les listes des prisonniers restants. On
désire que la Croix-Rouge remette le camp aux forces alliées qui
approchent.
En sortant je constate que les véhicules sont chargés et qu’on met
la dernière main aux préparatifs d’évacuation. Le commandant
Weiter est déjà parti.
Il est 19.00 h., les jjremières gouttes de pluie commencent à tomber
Au moment où je franchis le corps de garde, l'orage se déchaîne,
violent. Je pars pour Uffing. A 7 km. avant d’arriver à Basing,
j'aperçois une colonne de femmes, couverture sur la tête qui marchent
en direction de Basing. Je remonte lentement la colonne en deman
dant s’il y a des Françaises. Bersonne ne se détourne pour me ré
pondre, si grande est la crainte de ces pauvres femmes. En avant
marche un groupe d’hommes presque aussi nombreux que celui des
femmes.
J ’interpelle sèchement un des gardiens en tête qui prend la
position devant moi et je lui pose quelques questions. J'apprends
que le groupe vient de Dachau et marche sur Mittelvvald. Le gardien
prétend ignorer la nationalité de ces gens, mais dit qu’il s'agit de
Juifs (j’apprendrai plus tard que c’est faux). Ils ont trois jours de
vivres avec eux. Comme personne ne paraît rien porter, sauf les gar
diens leurs armes, je me demande où sont ces vivres.
Je repars, traverse Basing et prends la route de Starnberg ;
10 km. avant d’y arriver, je rencontre une colonne de prisonniers
serrés épaule contre épaule et qùi prend toute la largeur de la route.
Là où il y a encore des rangs, j ’arrive à compter 8 hommes de front.
Je parviens à Starnberg en tête de colonne. Cela fait 10 km. Je
ne suis pas sûr qu’il n’y ait plus de colonnes devant moi. J ’ai cons
tamment demandé s’il y avait des Français et n’ai pas obtenu de
réponse. Certains groupes chantaient des chants slaves, nostalgiques,
la pluie tombait serrée, abondante, froide ; de loin en loin, un cadavre
au bord de la route.
Avant Starnberg j’ai vu plusieurs tas de cadavres d’un mètre de
haut, peut-être même plus. Il pouvait y avoir 3 à 5 tas rapprochés
à l’endroit où je me suis arrêté en dernier lieu pour questionner un
gardien. J ’ai entendu plusieurs coups de feu pendant ce trajet de
10 km.
La colonne était gardée à droite et à gauche par des hommes armés
de fusil. Tous les 6 à 8 m., un gardien sur deux accompagné d’un chien.
Tous les 300 m. environ trois ou quatre rangs de 8 gardiens sans
chiens... Rentré à Uffing vers 10.00 h. j'ai immédiatement proposé au
chef de la délégation de partir avec la moitié d'une colonne de camions
146
qui venait d’arriver, pour ravitailler ces gens dès le lendemain matin,
tandis que l’autre moitié irait à Dachau prendre les archives promises
et entrerait dans le camp, en attendant que j ’arrive...
Samedi 28 avril 1945. — 08.00 h., départ pour rechercher la colonne
de détenus. Je vais à Starnberg où je me renseigne. De là à Wolfratshausen. En cours de route, je rencontre quelques débris de la
colonne ; des morts, des gens à demi-morts de fatigue dans des haies
avec un gardien le fusil baissé. Il pleut toujours depuis la veille au
soir ; par moments il neige.
A 5 km. de Wolfratshausen, nous sommes arrêtés par un SS qui
a blessé une femme allemande. Il nous demande de la conduire à
l’infirmerie de Wolfratshausen. Il paraît très énervé. Pendant le
trajet, cette femme nous raconte qu’elle a donné du pain à deux
Russes, que le SS lui a tiré dessus ; elle ne sait si c’est pour la punir
ou s’il a manqué les Russes qui se sont sauvés.
Monté à Kôchel par Koenigsdorf sans plus rencontre;- de «pyjamas »;
retour à 13.00 h. à Uffing. A 14.00 h., départ avec cinq camions de
vivres pour Mittelwald dans l’idée de redescendre par l’autre route,
au lieu de celle suivie ce matin, au cas où je ne pourrais réussir à cons
tituer un dépôt gardé par nous pour nourrir ces gens au passage.
N’ayant pu atteindre à Mittelwald aucune autorité compétente, je
repars avec les camions par la petite route que je n’avais pas voulu
prendre le matin, espérant toujours trouver mes prisonniers. De
Kôchel, nous passons par de petites.routes qui ne figurent pas sur la
carte. Par trois fois, un camion tombe dans le fossé, la route étant
étroite et glissante. Nous finissons par arriver dans une ferme à 7 km.
de St Heinrich am Starnbergersee à la tombée de la nuit. Nous
sommes complètement bloqués par le flot des colonnes allemandes en
retraite. Je décide de laisser là mes camions et de rejoindre Uffing.
Après bien des péripéties (chute de la voiture dans un fossé, blocage
par les blindés et les camions), je parviens à Uffing à minuit 45.
Le chef de la délégation me donne alors l’ordre de ravitailler un
train de 2.500 Juifs environ, qui se trouve à la gare de Bernried, près
de Tuging. Il a été signalé par la Légation de Suisse, il y a une heure.
Ensuite ravitailler un camp de 162 Français près de Tuging...
Dimanche 29 avril 1945. — Il est 01.15 h. lorsque je repars pour re
joindre ma colonne. J ’ai mal aux yeux, car il est très pénible de con
duire de nuit sans lumière. Le trajet Murnau-Weillheim se fait sans
autre incident qu’un arrêt par un homme armé d’une mitraillette
qui croit avoir affaire aux Américains.
' A 07.45 h. nous pouvons partir pour Bernried. Nous atteignons enfin
Bernried à 08.45 h., trouvons notre train de Juifs et procédons à la
distribution des colis. Nous avons distribué 2621 colis. Nous prenons
note de nombreux messages pour toutes les parties du monde. A
10.30 h. la distribution est terminée.
147
Je ¿le à la délégation avec un camion pour charger n caisses des
tinées à Uffing, puis avec un autre camion à Haushofen pour ravi
tailler les Français ; nous distribuons 209 colis et repartons à 12.50 h.
pour rejoindre les camions arrêtés à Bernried.
Vu les renseignements obtenus, nous ne pouvons plus passer par
Weillheim qui serait occupé depuis ce matin par les Américains, je
décide donc de revenir à Uffing avec le colonne qui compte encore
deux camions chargés sur cinq. Nous traversons une sorte de « no
man’s land » peuplé de temps à autre par des soldats et détachements
qui attendent nettement l’arrivée des Américains pour se rendre.
Nous circulons par les petits chemins et arrivons sains et saufs à
Uffing par Murnau à 14.30 h., une heure et demie avant les Américains,
la colonne et le personnel au complet, au plus grand étonnement et
à la plus grande joie de chacun...
Mercredi 2 mai 1945. — 08.00 h. Départ pour Dachau. Pendant plus
de trois heures nous essayons en vain d’y arriver. Nous profitons de
notre passage pour voir le train de cadavres qui stationne au bord de
la route à 1 km. du camp. De là nous allons sur Moosburg. Retour
vers 20.00 à Uffing...
Vendredi 4 mai 1945. — Je commande à Moosburg du ravitaille
ment destiné à un détachement de 160 femmes hollandaises, fran
çaises et belges, plus 1550 colis destinés à un Stalag français à Wolfratshausen. Nous passons ensuite à Munich voir 59 femmes du
commando Agfa...
Samedi 5 mai 1945. — Le chef de la délégation est d’accord que
j ’essaie de rapatrier les femmes hollandaises du détachement de
Wolfratshausen. Avec un peu d’audace, nous espérons que cela
réussira. Je quitte Uffing à 07.30 h. et arrive à 10.00 h. à Wolfrats
hausen après une crevaison.
Des prisonniers de guerre français, avec leur amabilité coutumière,
me réparent la voiture. Pendant ce temps, je vais voir le comman
dant du camp où se trouvent ces femmes et l’avise que je suis en
possession des autorisations nécessaires pour procéder à ces évacua-tions. On me demande l’ordre écrit, je réponds que les autorisations
sont verbales. On me prie alors d’aller au 21e corps d’armée, à Bad
Tôlz, muni de la liste des gens à évacuer. Je me rends au camp de
Führenwald où se trouvent ces femmes, pour y établir la liste nomi
native désirée. Cela dure quatre heures.
Nous gagnons Bad Tôlz sans autre incident. Quand nous péné
trons dans le bureau G. 5 nous y trouvons le Dr Fischer qui me dit
que tout est en ordre pour nos évacuations, que les ordres écrits se
trouvent au Quartier général de la 7e armée...
148
Dimanche 6 mai 1945. — Départ à 09.00 h. pour Münich. Pris con
tact avec le bureau français de rapatriement pour organiser l’éva
cuation de 210 détenus politiques français...
Lundi y mai 1945. — 05.30 h. départ pour l’Oflag de Murnau pour
évacuer les Français qui s'y trouvent au nombre de 210. Un délégué
est chargé d'évacuer 250 Français de Moosburg. Ils embarqueront
sur la colonne de camions qui partira de ce camp. A Uffing je dispose
de 6 camions sur lesquels j ’installe mes 210 Français...
Mardi 8 mai 1945. — Départ à 06.00 h. pour Ulm. A Ulm nous
devons attendre trois heures pour franchir le pont de bateau. Entre
temps nous avons recueilli 50 Français qui se dirigeaient vers Ulm,
soit à pied, soit à bicyclette ou sur un camion américain.
Puis nous partons pour Ravensbourg, Mersebourg, Radolfzell,
Constance, Kreuzlingen. Le passage de la frontière a pris deux heures ;
il est 21.00 h. quand le train emmène pour Zurich ce convoi de
Français...
z
X I I . — Rapport d'un délégué du CICR sur son activité à Dachau,
du 2y avril au 2 mai 1945
I. Voyage avec une colonne d’Uffing à Dachau.
II. Répartition des colis de vivres directement aux prisonniers.
III. Remise du camp de concentration aux Américains.
I. Le 27 avril 1945, je fus chargé de la mission suivante : me rendre
au camp de concentration de Dachau et y rester...
II. Je fis part à une sentinelle du camp de concentration de
Dachau demon désir de parler au commandant du camp. Peu après, je
fus reçu par l’adjudant du commandement, lé lieutenant Otto, dans
le bureau du Commandant, dans la Kommandantur elle-même,
bâtiment n° 109. Je demandai la permission de circuler librement
dans le camp de concentration où se trouvent les détenus, mais je
dus de nouveau essuyer un échec. Le commandant déclara qu’il ne
lui était pas possible de m’accorder une telle autorisation. Il me com
muniqua de plus que nous ne pourrions l’obtenir que par l’inter
médiaire du général Kaltenbrunner qui se trouvait à ce moment-là
dans les environs de Linz. Le téléphone et le télégraphe ne fonc
tionnaient plus, ce qui compliquait notablement les choses.
Ces messieurs furent très heureux d'apprendre l’arrivée de colis
de vivres. Le Commandant me fit connaître son désir concernant le
149
rapatriement immédiat d’environ 17.500 déportés dont l’état de
santé était jusqu’alors satisfaisant. Dans ce nombre, il y avait
une majorité de Français et de Polonais, à côté d’autres natio
nalités ; mais les Allemands, Juifs, Russes et Bulgares ne pour
raient être libérés. Je répondis que je devais commencer par prendre
contact avec mon quartier général à Uffing, et cela si possible déjà
le lendemain dimanche. Pour terminer le Commandant me pria de
faire transporter le plus vite possible une cargaison de colis de vivres
dans le nouveau camp de concentration d’Oetzthal, dans le Tyrol. Il
ne le nomma pas «camp de concentration», mais «dépôt » (Verlagerung).
Nous prîmes congé sans avoir obtenu l’autorisation de distribuer
personnellement les colis de vivres aux prisonniers. J ’étais accom
pagné du lieutenant Otto, alors que M. M. était occupé à faire ren
trer la colonne dans la cour ; je reçus alors l’autorisation de distri
buer moi-même les paquets aux déportés, dans la cour de la prison.
Une très grande joie régnait naturellement parmi les prisonniers et
cela parce que c’était la première fois qu’un délégué du Comité
international de la Croix-Rouge avait accès au camp. Des ^offi
ciers SS restaient toujours dans notre voisinage et avec de grandes
difficultés je pus obtenir d’eux quelques renseignements, entre autres
que depuis le I er janvier 1945, il y avait eu environ 15.000 cas mortels
de typhus, que lors d'un transport de Buchenwald, qui compre• nait 5000 prisonniers, 2700 environ étaient morts à leur arrivée à
Dachau. J ’appris de plus que des prisonniers parmi lesquels se trou
vaient M. Blum, M. Schuschnigg, etc., avaient été emmenés peu de
jours auparavant, en même temps que 5 à 6000 autres prisonniers. A
mon avis, la chose s’était faite parce que le front de combat se rappro
chait toujours davantage. Les hommes de confiance des diverses natio
nalités, assistés de leurs aides, déchargèrent les camions et me signè
rent les accusés de réception ci-joints... Je passai la nuit dans la
baraque n° 203, chambre n° 3 ; cette baraque ne se trouve pas dans le
camp de prisonniers.
La nuit de samedi à dimanche fut agitée à cause du vacarme de la
bataille qui se rapprochait toujours davantage. En outre, dans les
autres baraques se trouvaient beaucoup de troupes SS qui devaient
se préparer à aller au combat ou qui avaient d'autres tâches
à accomplir. Mais tout cela, je ne l'appris que le dimanche matin.
L’atmosphère était étrange ; où qu’on regardât, on apercevait des
indications qui permettaient de penser que les troupes qui s’étaient
trouvées dans ces baraques avaient fui et de plus, le bruit de la bataille
se rapprochait toujours. En arrivant vers 10.30 h., à l’entrée principale
du camp de concentration, je rencontrai des soldats qui montaient la
garde, un drapeau blanc flottait sur une des tours principales. La
plupart des officiers, soldats et employés avaient pris la fuite pendant
la nuit.
IS O
III.
Je restai avec le lieutenant Wickert jusqu’à la remise du camp
aux Américains. Il avait l’intention, lui et ses soldats, d’abandonner
le grand camp de 35 à 40.000 prisonniers et ce n’est qu’après de
longs pourparlers que je réussis à lui faire changer d’avis, mais aux
conditions suivantes :
les sentinelles devaient rester sur les tours afin de tenir en échec
les prisonniers et de les empêcher de s’enfuir ;
les soldats qui n’étaient pas de garde devaient se déplacer dans
la cour, sans armes ;
toute cette garnison devait avoir la retraite assurée vers ses propres
lignes de bataille.
Ces conditions furent heureusement observées, car autrement, il
serait arrivé un grand malheur : si des milliers de déportés avaient pu
s’évader, animés de sentiments de vengeance, la population de Dorten
et toute la région avoisinante auraient eu à souffrir ; l’on ne pouvait
prévoir, d’autre part, tout le mal qu’aurait occasionné l’extension des
épidémies. Le vacarme de la bataille devenait insupportable ; je remar
quai qu’elle avait pour théâtre l’espace se trouvant devant les murs
mêmes du camp de concentration. Je pris alors la décision suivante : je
trouvai un manche à balai et y fixai une serviette blanche. Je
priai alors un officier allemand de m’accompagner et nous franchîmes
le portail du camp de concentration. Les balles sifflaient autour de
nous. Peu après, je vis une section motorisée américaine dont j ’atti
rai l’attention en agitant le drapeau blanc. Bientôt nous fûmes
entourés par diverses automobiles militaires américaines. Je me pré
sentai. Le général me pria tout d’abord d’aller prendre quelques
photos de presse en compagnie de l’officier allemand et en parti
culier celle d’un train tout rempli de cadavres. Ainsi que je l’ai
appris par la suite, c’était un train de prisonniers de Buchenwald ;
il y avait là 500 cadavres. A mon avis, beaucoup d’entre ces hommes
avaient été tués tandis que d’autres étaient probablement morts de
faim. J'ai fait alors la connaissance du major Every et je lui ai commu
niqué le plan de remise du camp aux Américains, en le priant de le
transmettre au général.
Nous rentrâmes avec la voiture dans la cour du camp de
concentration où se trouvaient déjà quelques Américains. Celles
des troupes allemandes qui n’étaient pas de garde s’étaient déjà
rendues. Les milliers de déportés, une foule en désordre, étaient hors
d’eux et fous de joie de se savoir libérés. Les sentinelles sur les
tours furent aussi remplacées. Dans une petite cour extérieure, quel
ques coups furent encore tirés et il y eut quelques tués de chaque côté.
Je me mis en rapport personnellement avec le général américain. Je
lui exposai le plan de remise du camp et je reçus son assentiment.
La joie des déportés ne connut plus de bornes, beaucoup se présen
ifii
tèrent en armes et prêts, semblait-il, à exercer une vengeance
immédiate contre les Allemands. Ceux qui portaient des armes furent
immédiatement désarmés. La foule réussit à arracher les grandes
grilles de barbelés. Les uns profitèrent de leur libération pour
s’évader tandis que d’autres embrassaient les soldats américains ;
pour ramener un certain calme, ceux-ci furent forcés de tirer
par-dessus la tête des déportés. Les officiers responsables se mirent
également en rapport avec le doyen du camp et les divers hommes
de confiance. Vers 22 heures, le camp était redevenu plus calme,
mais bien des coups sont encore partis cette nuit-là. Vers minuit,
je me rendis enfin dans mon logement, où à la Kommandantur
j'occupais la chambre du commandant de camp allemand. Je
m’aperçus alors que mes malles avaient été forcées et qu’il me man
quait divers objets et une somme de Fr. s. 200.—. Le lündi 20 avril
I 945. je me mis en rapport avec les divers officiers américains res
ponsables ainsi qu’avec les hommes de confiance. Je me renseignai
immédiatement au sujet du ravitaillement. Il y avait assez à manger
pour les premiers jours. Je chargeai alors les hommes de confiance
de dresser la liste des occupants de ce camp.
Mardi I er mai 1945, nous reçûmes la visite de deux membres de
notre légation qui vinrent faire une courte visite et nous visitâmes
alors la prison, le crématoire où nous vîmes dans une grande chambre
des centaines de cadavres empilés les uns sur les autres et tous nus.
Nous visitâmes également la chambre du bourreau, la chambre à
gaz, les fours crématoires, etc. Je passai le reste de ce jour avec les
officiers américains et les hommes de confiance.
Mercredi 2 mai 1945, j ’ai eu affaire presque uniquement au quar
tier général américain où durent être débattues les questions les
plus diverses. On me demanda d’amener aussi rapidement que pos
sible de grandes quantités de ravitaillement et de médicaments.
Le major Batt, officier responsable pour le ravitaillement, m’exprima
toute sa reconnaissance pour les efforts faits par le Comité interna
tional de la Croix-Rouge et l’assistance qu’il apporte. En revenant
dans ma chambre tard dans l’après-midi, je dus malheureusement
constater que j ’avais été volé une seconde fois. J ’ai déjà rapporté
les listes de Polonais et de Hollandais ainsi qu'une liste d’environ
160 femmes juives.
X I I I . — Rapport d'un délégué du CICR, sur la libération du camp
de Turckheitn près de Landsberg
Les camps de Landsberg, placés sous le commandement de
l’Obersturmbandführer Foerstner, étaient formés de dix camps
différents, séparés les uns des autres. Les détenus au nombre de
15.000 environ étaient des Juifs de toutes nationalités, avec une
majorité de Hongrois et de Polonais.
Le 26 avril 1945, nous nous sommes rendus à Landsberg et nous
avons pu constater que les camps avaient été évacués, à l’exception
de 500 personnes, à Turckheim. L’évacuation de ces détenus se
poursuivait et tous les Juifs avaient de grandes craintes d’être
fusillés.
Nous avons demandé au commandant Foerstner le retour à
Landsberg des 15.000 personnes transférées à Dachau. Le comman
dant nous a opposé un refus en disant que les ordres supérieurs
qu’il avait reçus ne lui permettaient pas de ramener les détenus à
Landsberg.
De retour à Turckheim, j'ai ouvert le camp et fait sortir tous
les détenus, qui se sont réfugiés dans les forêts environnantes, dans
un rayon de 10 km. Seules, 200 personnes ont préféré rester au
camp.
J ’ai passé la nuit dans une baraque du camp. A deux heures du
matin, les Américains ont ouvert le feu contre les Allemands ; le
combat s’est déroulé au camp même et a duré trois heures. A l’issue
de cette rencontre, beaucoup de cadavres jonchaient le terrain.
J'ai ramassé des blessés gravement atteints et que j'ai pu placer
dans des maisons environnantes. Il a fallu quelques jours avant
d’avoir la possibilité de les transporter dans un lazaret où ils ont
été placés sous la garde d'un médecin allemand.
Les vivres faisant totalement défaut au camp, je me suis rendu
auprès du Burgermeister Zwick, parent de Julius Streicher, en lui
demandant de façon pressante de fournir des vivres au camp.
M. Zwick a accédé à cette requête et a fait de son mieux. Je me suis
d’autre part rendu à la fabrique de chaussures Salamander et j ’ai pu
obtenir 500 paires de souliers. J ’ai, par ailleurs, réquisitionné dans un
dépôt une certaine quantité de vêtements et nous avons pu également
obtenir la semaine suivante un second lot en tissus d’été, si bien que
les détenus ont pu troquer leurs pyjamas de détenus politiques contre
des vêtements décents. L’état sanitaire du camp est lamentable.
Les malades atteints de typhus exanthématique sont au nombre de
80. J ’ai pu les transporter avec l’assistance des Américains au ParkHotel à Woerishofen. Les vaccins manquant complètement, le
nombre des morts est de 3 à 4 par semaine. Les détenus qui ne sont
pas malades n’ont cependant presque plus la force de manger. Le
médecin du camp est le Dr Ratz, qui est un Juif originaire de Vienne.
Une grande partie des détenus logent actuellement chez les paysans
des alentours et viennent se ravitailler au camp. J ’ai dû faire presque
tous les trajets à pied, soit 40 km par jour en moyenne, en raison
du manque total de moyens de transport.
153
J ’ai été pendant une nuit le prisonnier d’une cinquantaine de pri
sonniers de guerre et de travailleurs russes qui m’ont enfermé dans
une ferme.
J ’ai pu dresser jusqu’ici la liste de 3.000 personnes qui se trouvent
actuellement près de Landsberg. En ce qui concerne les morts, les
tombes qui se trouvent dans le cimetière ne portent pas de noms et
la plupart des personnes décédées ne sont pas identifiables. Quant
au rapatriement, les détenus ne peuvent pas attendre qu’il soit
organisé et ils partent, sans papiers, sur les routes.
154
TABLE DES M ATIÈRES
P
I
r e m iè r e
pa r t ie
........................................................................... ' ............................................................
3
P rem ière guerre m o n d ia le ...............................................................................
5
P ériode de 1 9 1 8 à 1 9 3 9 ...................................................................................
7
Seconde guerre m o n d i a l e ...............................................................................
10
n t r o d u c t io n
P rem ière p h ase
...............................................................................
D e u x iè m e p h a se ...................................................................................................
T roisièm e p h a s e .............................................................................................
Q u atrièm e p h a s e ........................................................................................
D
D
o c u m e n t s
e u x iè m e
II
14
16
22
p a r t ie
.................................................................................................................
27
P rem ière p h a s e ..................................................................................................
28
D e u x iè m e p h a se .............................................................................................
• 3g
T roisièm e p h a s e ..................................................................................................
50
Q u atrièm e p h a s e .............................................................................................
76
T
R
a ppo r t s
C
r o ix
-R
d é t e n u s
d e
d é l é g u é s
o u g e
d a n s
r o is iè m e
d u
su r
l e u r
d e s
cam ps
C
o m it é
a c t iv it é
d e
pa r t ie
in t e r n a t io n a l
e n
f a v e u r
c o n c e n t r a t io n
e n
d e s
A
d e
la
c iv il s
l le m a g n e
8g
I. R a p p o rt sur une v is ite au C o m m a n d a n t du ca m p d ’A u s
ch w itz (sep tem b re 1 9 4 4 ) .....................................................................
II .
gi
R a p p o rt sur les p ou rp arlers d e la d é lé g a tio n du C IC R à
B erlin a v ec les A u to r ité s a lle m a n d e s .............................................
g2
155
Pages
I I I . R a p p o rt su r le ra p a tr ie m en t d es d é te n u e s du ca m p de
R a v e n s b r ü c k ................................................................................
105
IV . R a p p o rt sur la v is ite d ’un d élég u é au ca m p de R a v e n s
brück pou r te n te r d ’en em p êch er l ’é v a c u a tio n e t sur les
I ll
év a c u é s d ’O ra n ien b u rg .............................................................
V.
V I.
V II.
R a p p o rt sur l ’é v a c u a tio n du ca m p d ’O ranienburg . . .
120
R a p p o rt sur le r a v ita ille m e n t des é v a cu és d ’O ranienburg
e t de R a v e n s b r ü c k .................................................................
123
R a p p o rt sur le ca m p de T h e r e s ie n s t a d t ....................
130
V I I I . R a p p o rt sur le s d éten u s p o litiq u e s se tr o u v a n t d a n s les
■
p rison s d e B e r l i n .....................................................................
133
IX .
CICR
R a p p o rt sur le ca m p d e M a u th a u se n ..............................
134
X.
R a p p o rt sur la lib éra tio n du ca m p de M a u th a u sen . . .
136
X I.
C arnet de ro u te d ’un d é lé g u é-c o n v o y e u r d u X I C R . . .
143
X II.
R a p p o rt sur le ca m p de D a c h a u ........................................
149
X III.
R a p p o rt sur le ca m p de T u r c k h e i m ..............................
152
BIBLIOTHEQUE