Obésité (2009) 4:91-96
DOI 10.1007/s11690-009-0192-2
DOSSIER THÉMATIQUE / THEMATIC FILE
Traitement de la restriction cognitive : est-ce si simple ?
6es Rencontres du GROS : progrès dans l’abord des obésités.
6–8 novembre 2008, Paris
Cognitive restriction treatment: is it that simple?
G. Apfeldorfer · J.-P. Zermati
© Springer-Verlag 2009
Résumé Nous définissons la restriction cognitive comme
l’ensemble des comportements alimentaires, des croyances,
des interprétations et des cognitions concernant la nourriture
et la façon de se nourrir, découlant d’une intention de
maîtriser son poids par le contrôle mental du comportement
alimentaire. Nous décrivons quatre stades de restriction
cognitive : légère, modérée, sévère, décompensée, qui
correspondent cliniquement à des troubles du comportement
alimentaire de plus en plus graves. Les stades mineurs
comme les stades majeurs sont accessibles à un traitement.
Le traitement de la restriction cognitive consiste en : 1) un
travail sur les croyances alimentaires : la psychophysiologie
de l’alimentation et du poids sont expliquées au patient, ses
croyances alimentaires dysfonctionnelles sont repérées et
discutées, on détermine un contrat thérapeutique consistant
à manger en fonction de ses sensations et émotions alimentaires, à accepter son poids d’équilibre, qui en résulte ; 2) un
travail sur les comportements alimentaires : les prises
alimentaires sont réorganisées de telle sorte que l’écoute
des sensations et émotions alimentaires soit possible. La
désensibilisation systématique au moyen d’exercices successifs constitue l’élément décisif du traitement. Elle vise à
diminuer l’anxiété de grossir, la culpabilité de consommation, les croyances dichotomiques liées à des aliments
problématiques. L’accent est mis sur la dégustation en pleine
conscience des aliments problématiques, c’est-à-dire ceux
qui sont diabolisés et qui font le plus souvent l’objet de prises
alimentaires compulsives ou de boulimies. Le traitement de
la restriction cognitive est nécessaire, mais non suffisant pour
traiter les troubles du comportement alimentaire et les
problèmes pondéraux. Il convient aussi d’aborder les
troubles émotionnels à l’origine de compulsions alimentaires
ou de boulimies. Un travail d’acceptation de soi et
G. Apfeldorfer (*) · J.-P. Zermati
GROS (Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids),
31, rue de Ponthieu, F-75008 Paris, France
e-mail : gapfeldorfer@free.fr
d’affirmation de soi est aussi nécessaire lorsque le poids
d’équilibre diffère de façon importante du poids idéal de la
personne. Le traitement n’est pas dépourvu de chaussetrappes : l’écoute des sensations alimentaires est pervertie
lorsqu’elle devient un moyen de maîtrise pondérale. Ou bien
la perte de poids induit une logique de performance
s’opposant à la régulation. Le traitement de la restriction
cognitive permet au patient de retrouver une relation apaisée
avec ses aliments et participe à la prise en charge des troubles
du comportement alimentaire et des problèmes pondéraux.
Mots clés Restriction cognitive · Obésité ·
Troubles du comportement alimentaire ·
Thérapie cognitive · Désensibilisation systématique
Abstract We define cognitive restraint as all eating
behaviors, beliefs, interpretations and cognitions about
food and how to eat, stemming from an intention to control
one’s weight by mentally controlling eating behavior. We
describe four levels of cognitive restraint: mild, moderate,
severe and decompensated, which correspond to increasingly
serious eating disorders. All levels are treatable. Cognitive
restraint treatment consists of: 1) working on eating beliefs:
the psychophysiology of eating and weight regulation are
explained to the patient and dysfunctional beliefs about
eating are identified and discussed. A behaviour contract is
determined consisting of eating in accordance with eating
sensations and emotions, and accepting the weight attained
from eating in this way; 2) working on eating behaviors:
meals and snacks are reorganized so that paying attention to
eating sensations and emotions becomes possible. Systematic desensitization through successive tasks is the crucial
component of treatment in order to reduce anxiety about
weight, guilt about eating and dichotomous beliefs related to
food. Mindful tasting, especially of demonized foods is also
essential. This type of food is most often the subject of
compulsive eating or bulimia. Cognitive restraint treatment
is necessary, but not sufficient to treat eating disorders and
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weight problems. Emotional problems at the source of
compulsive eating behaviours or bulimia also need to be
addressed. Working on self-acceptance and self-affirmation
is also necessary when the set-point differs significantly from
the ideal weight. The treatment is not without pitfalls: paying
attention to eating sensations becomes distorted when it
becomes a way of controlling weight. Weight loss may also
lead to a performance rationale, which is opposed to weight
regulation. Cognitive restraint treatment allows the patient to
develop a more peaceful relationship with food, and to
participate in the management of eating disorders and weight
problems.
alimentaires, et qui devient contrôlée par des facteurs
cognitifs[4]. Une alimentation planifiée, visant à être
diététiquement correcte (diet-approved eating), entre alors
dans le cadre de la restriction cognitive.
Nous avons, quant à nous, défini la restriction cognitive
comme l’ensemble des comportements alimentaires, des
croyances, des interprétations et des cognitions concernant
la nourriture et la façon de se nourrir, découlant d’une
intention de maîtriser son poids par le contrôle mental du
comportement alimentaire [5,6].
Keywords Cognitive restraint · Obesity ·
Eating disorders · Cognitive therapy ·
Systematic desensitization
On peut être en restriction cognitive sans pour autant
présenter de perte de contrôle de son comportement
alimentaire. Dans ces états sans perte de contrôle régulière,
le comportement alimentaire génère des émotions induites
négatives, il est réflexif et non plus intuitif ; le plaisir et le
contentement procurés par le fait de s’alimenter sont
diminués ou annulés.
Il nous a donc paru utile de décrire plusieurs stades ou
états [7].
Introduction
Les comportements de restriction cognitive se retrouvent
avec une grande fréquence chez les personnes insatisfaites de
leur poids ou de leurs formes corporelles, ainsi que dans
les différents troubles du comportement alimentaire. Ces
conduites ont des conséquences nutritionnelles, pondérales
et psychologiques délétères, provoquent ou aggravent les
troubles du comportement alimentaire. Malgré cela, on n’a
pas jusqu’ici proposé de traitement de la restriction
cognitive. Nous nous proposons de le faire ici.
Clinique de la restriction cognitive
Restriction cognitive légère
Les sensations et émotions alimentaires sont perçues, mais
le mangeur décide délibérément de ne pas en tenir compte.
Sa position peut être résumée par : je sais que j’ai faim,
mais je ne dois pas/plus manger.
En quoi consiste la restriction cognitive ?
Restriction cognitive modérée
Définitions
Les sensations et émotions alimentaires sont toujours perçues
mais ne peuvent plus être respectées du fait de l’apparition
d’émotions induites à fort contenu négatif. Le mangeur
devient plus vulnérable à ses émotions extra-alimentaires. Je
sais que je n’ai plus faim, mais je ne peux pas m’arrêter.
Le concept de restriction cognitive a été proposé par Herman
et Polivy, en 1975 [1]. Ces deux auteurs montrèrent
expérimentalement que les pertes de contrôle des individus
qui se restreignent en vue de maîtriser leur poids n’étaient pas
dues à des effets métaboliques, mais à des processus cognitifs,
des croyances concernant les effets des aliments ingérés.
Ainsi, lorsqu’un individu croit avoir mangé en excès,
il cesse de se restreindre et mange davantage. L’excès
alimentaire joue un rôle désinhibiteur. Dans l’expérience
princeps, les individus restreints mangeaient en excès après
une « précharge » composée de crème glacée [2]. Ils
conservaient le même comportement désinhibé lorsque la
précharge était composée d’aliments apparemment riches
mais en réalité hypocaloriques [3].
Les mêmes auteurs, en 1991, cessent d’identifier le
concept à la seule désinhibition et élargissent leur définition
de la restriction cognitive. La restriction cognitive correspond alors à une alimentation qui a cessé d’être contrôlée
par des facteurs internes, c’est-à-dire par les sensations
Restriction cognitive sévère
Les sensations et émotions alimentaires ne sont plus
perceptibles. Le mangeur lutte douloureusement pour
conserver un contrôle mental, ne pas céder à l’envahissement
des émotions induites et des émotions extra-alimentaires. Je
ne sais plus si j’ai encore faim ou si j’ai assez mangé.
Restriction cognitive décompensée
Le comportement alimentaire est sous le contrôle des
émotions extra-alimentaires et des émotions induites. Je
mange sans faim et je ne peux plus rien contrôler.
La plupart de nos patients se situent dans la restriction
cognitive légère ou modérée qu’ils alternent plus ou moins
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fréquemment avec la restriction cognitive décompensée. Le
comportement alimentaire est tour à tour contrôlé par des
cognitions ou des émotions.
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Traitement de la restriction cognitive
L’objectif de ce traitement est de permettre une alimentation
socialisée, contrôlée par les sensations et les émotions
alimentaires. Il comporte plusieurs éléments.
Est-il nécessaire de traiter la restriction cognitive ?
Travail sur les croyances alimentaires
La restriction cognitive légère correspond à la « restriction
cognitive souple » décrite par Westenhöfer et al. [8]. Si cet
état ne se traduit pas par des anomalies visibles du
comportement alimentaire, il ne saurait néanmoins être
recommandable. Le côté « souple » ou « rigide » de la
restriction cognitive nous semble inhérent à la personnalité
de l’individu, sans que ce dernier ait la possibilité d’opter
pour l’un ou l’autre.
Certains auteurs [9,10] considèrent aussi que la restriction cognitive, malgré ses inconvénients, constitue dans
bien des cas la seule issue existante pour obtenir un poids
satisfaisant : il s’agit alors d’aider le patient à devenir un
meilleur contrôleur. On ne lutte pas contre la restriction
cognitive, mais au contraire on la prescrit.
D’autres encore proposent de lutter contre la restriction
cognitive par le moyen de conseils diététiques, sans
remarquer que c’est justement le fait de distinguer les
« aliments grossissants » des aliments autorisés qui constituent la trame de la restriction cognitive. « Devant un
patient en restriction cognitive, qu’il soit ou non obèse, il est
inutile, voire néfaste de prescrire un régime ; (…) [on
encouragera] la consommation ad libitum de glucides avec
des conseils portant uniquement sur la manière de diminuer
l’apport des graisses. » [11].
Certains auteurs font remarquer que certaines études
n’établissent pas de lien entre l’intensité de la restriction
cognitive et les pertes de contrôle. Celles-ci seraient
davantage en rapport avec l’intensité de l’insatisfaction
corporelle et la confrontation avec des situations stressantes.
Ils en déduisent que la restriction cognitive pourrait être
tolérée par certains patients [12].
Nous considérons, quant à nous, qu’il n’y a pas lieu
d’encourager les conduites de restriction cognitive, par
exemple dans le cadre de conseils ou programmes diététiques. Les effets délétères de la restriction cognitive ne se
réduisent pas en effet aux états de perte de contrôle. Les états
de contrôle conduisent à une disparition progressive de la
perception ou de la prise en compte des sensations
alimentaires, ce qui occasionne des désordres dans les
processus de contrôle physiologique du comportement
alimentaire. Dans ses stades mineurs, la restriction cognitive
induit un inconfort alimentaire ; dans ses stades majeurs, elle
induit ou aggrave les troubles du comportement alimentaire
et les problèmes pondéraux [13]. Dans tous les cas, elle peut
faire l’objet du traitement de type cognitivocomportemental
ci-dessous.
Les comportements de restriction cognitive sont mis en
place par le patient en raison de ses croyances sur la bonne
façon de manger. Il convient donc en premier lieu de
revisiter ces croyances avec lui, de lui proposer des
croyances alternatives, fondées sur les données de la
physiologie et de la psychologie des conduites alimentaires.
Données explicatives sur la psychophysiologie
de l’alimentation
Manger normalement, c’est avoir une relation d’amour avec
ses aliments, c’est mettre en soi de bonnes choses pour se
faire du bien, c’est augmenter ainsi son estime de soi à
chaque prise alimentaire [14]. Le traitement de la restriction
cognitive consiste à rétablir cette relation d’amour, diminuer
l’anxiété et la culpabilité liée aux aliments, afin de permettre
le contrôle psychophysiologique des prises alimentaires.
L’acte alimentaire répond normalement à des besoins
divers : des besoins énergétiques signalés par les sensations
alimentaires (la faim et la satiété), des besoins en nutriments
et micronutriments, signalés par des émotions alimentaires,
des besoins de représentations, affectifs et relationnels, dont
la satisfaction aboutit à un sentiment de contentement.
L’acte alimentaire est aussi normalement utilisable comme
mécanisme de défense non spécifique contre des émotions
négatives et des états de stress.
Le contrôle inconscient des comportements alimentaires
s’apparente à un perpétuel bricolage de l’organisme visant
à satisfaire en priorité les besoins les plus urgents. Ce n’est
que lorsque certains besoins l’emportent constamment sur les
autres que l’alimentation cesse d’être correctement contrôlée.
Abord des distorsions cognitives
Le Tableau 1 présente quelques croyances courantes
concernant le contrôle du poids et du comportement
alimentaire, qu’il s’agira de remettre en question.
Comportement alimentaire, poids et contrat thérapeutique
Le poids n’est pas naturellement l’objet d’un contrôle
volontaire et, si sur le court terme, l’individu peut
déterminer volontairement le poids qu’il veut faire, il n’en
va pas de même à moyen et long terme. Lorsqu’un individu
a une alimentation contrôlée par ses sensations et ses
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Tableau 1 Croyances dysfonctionnelles habituellement rencontrées chez les mangeurs en restriction cognitive, avec proposition de
cognitions alternatives
Croyance dysfonctionnelle
Cognition alternative
Je ne dois jamais manger entre les repas
Je ne dois pas sauter de repas
Tous mes repas doivent être équilibrés
Je mange lorsque j’ai faim
Je ne mange pas, ou très peu, lorsque je n’ai pas faim
Mon alimentation s’équilibre d’elle-même à l’échelle de la semaine
lorsque j’écoute mes sensations et émotions alimentaires
Je détermine les quantités en fonction de ma faim
Je peux manger beaucoup le matin, mais je dois manger
peu le soir
Je ne dois pas gaspiller la nourriture
Je ne peux pas refuser un plat que l’on m’offre
Je gaspille aussi la nourriture quand je mange sans faim
J’accepte les cadeaux alimentaires faits de bon cœur, sans me sentir
obligé de manger au-delà de mon appétit
Manger les aliments diététiquement corrects permet de maigrir,
Manger en fonction de mes appétences, en m’arrêtant quand je suis
ou de rester mince et en bonne santé
rassasié me permet d’atteindre mon poids d’équilibre et d’avoir les
apports indispensables à ma santé
Les aliments « grossissants », tels les sucreries ou les corps gras, Continuer à manger régulièrement quand on n’a plus faim fait
font automatiquement grossir (quelle que soit la quantité mangée) grossir, quel que soit le type d’aliments consommés
Une alimentation sans restriction aboutit automatiquement à une Écouter ses sensations et ses émotions alimentaires permet
prise de poids
d’atteindre et de se maintenir à son poids d’équilibre (set-point)
Seul un régime strict, le jeûne, le vomissement,
la prise de certains médicaments, peuvent me
permettre de contrôler mon poids
émotions alimentaires, lorsqu’il a un mode de vie stable,
son poids se stabilise à son poids d’équilibre (set-point, ou
settling zone [15]). Si l’individu mange régulièrement audelà de ses besoins, et seulement dans ce cas, manger en
fonction de ses sensations et émotions alimentaires conduira
à une perte de poids.
Le contrat passé entre le thérapeute et le patient se doit
donc d’être clair : l’objectif consiste à rétablir une
alimentation apaisée, contrôlée par les sensations alimentaires, et à laisser le poids évoluer sans contrôle volontaire.
Le contrat thérapeutique reste inchangé lorsqu’une
croissance hyperplasique du tissu adipeux a conduit à une
augmentation irréversible du set-point, avec un niveau de
poids préjudiciable à la santé. En effet, se maintenir audessous de son poids d’équilibre impose une réduction
calorique chronique conduisant à rester affamé en permanence, ce dont peu d’individus sont capables sur la durée.
Mieux vaut alors une stabilisation pondérale au poids
d’équilibre qu’une évolution du poids en yoyo ascendant.
Travail sur les comportements alimentaires
Réorganisation des prises alimentaires
Il s’agit de créer les conditions qui permettent l’écoute et
la prise en compte des sensations et des émotions
alimentaires. On demande au patient de dégager le temps
nécessaire aux prises alimentaires, de choisir des lieux
adéquats, de privilégier la convivialité, d’instaurer un temps
de détente ou de relaxation avant la prise alimentaire, de
consommer les aliments en pleine conscience, lentement,
en dégustant, en repérant les sensations de rassasiement, le
contentement.
Tâches comportementales graduées
La désensibilisation systématique au moyen d’exercices
successifs constitue l’élément décisif du traitement. Elle vise
à diminuer l’anxiété de grossir, la culpabilité de consommation, les croyances dichotomiques. L’objectif fixé est de
pouvoir manger quand on a faim, s’arrêter lorsqu’on n’a
plus faim, abandonner la nourriture excédentaire. On doit
aussi pouvoir déroger à ces principes pour satisfaire ses
besoins culturels et sociaux, ses besoins affectifs. La tenue
d’un carnet alimentaire avec évaluation des sensations de
faim, de rassasiement et de contentement, appréciation de la
zone de confort, le listage des aliments problématiques,
c’est-à-dire des aliments dont la perspective de consommation déclenche culpabilité et anxiété, servent de ligne de
base.
Certains exercices seront pratiqués en présence du
thérapeute, puis reproduits au domicile. D’autres seront
pratiqués directement en milieu naturel, quotidiennement,
jusqu’à extinction de l’anxiété et de la culpabilité. Pour tous
les exercices alimentaires, l’accent est mis sur la dégustation
en pleine conscience.
Les exercices seront gradués, du plus facile au plus
difficile, et chaque exercice sera répété quotidiennement
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jusqu’à extinction de la culpabilité et de l’anxiété. On
considérera que l’objectif est atteint pour un aliment donné
quand le patient retrouve une appétence normale pour cet
aliment, que celui-ci cesse de faire l’objet de prises
alimentaires compulsives ou de boulimies.
Sans qu’il s’agisse là d’une liste exhaustive, les exercices
les plus couramment utilisées sont :
la dégustation d’aliments problématiques avec modelage ;
le jetage d’aliments problématiques avec modelage ;
le remplacement d’un aliment diététiquement correct par
un aliment problématique, à calories égales, dans un repas ;
le remplacement d’un repas, par exemple le déjeuner, par
la consommation d’un aliment problématique, à calories
égales ;
le remplacement d’un repas par la consommation d’un
aliment problématique, en se fiant à ses sensations
alimentaires de rassasiement pour déterminer la quantité
consommée.
Limites du traitement de la restriction cognitive
Le traitement de la restriction cognitive est nécessaire,
mais non suffisant
Le plus souvent, la restriction cognitive ne représente pas le
seul moteur des troubles du comportement alimentaire
observés.
Les prises alimentaires en réponse à des difficultés
d’ordre émotionnel et cognitif sont un obstacle majeur à la
réussite du traitement de la restriction cognitive. Il peut
s’agir d’hypersensibilité émotionnelle, souvent améliorée
par la dédramatisation des conduites alimentaires. Il peut
aussi s’agir de troubles émotionnels primaires conduisant à
des compulsions et boulimies, débouchant elles-mêmes sur
une restriction cognitive secondaire.
Dans ces cas, la prise en charge des troubles émotionnels
doit être envisagée, avant, pendant ou après le traitement de
la restriction cognitive. Le traitement de la restriction
cognitive nécessite alors d’être complété ou bien précédé
par un travail sur les déclencheurs émotionnels, relationnels,
sociaux de la prise alimentaire, par un travail abordant la
relation au corps.
De plus, d’un point de vue pondéral, l’objectif de la prise
en charge est d’obtenir un poids qui se stabilise au poids
d’équilibre (set-point) de la personne. Ce poids peut différer
notablement du poids médicalement souhaitable, ou du
poids idéal. Dans ces cas, un travail d’acceptation de soi (et
de ses formes corporelles) et d’affirmation de soi (pour faire
face à la pression sociale) est nécessaire. On fera appel pour
cela à différentes techniques : thérapie cognitivocomportementale, thérapie émotionnelle, travail corporel.
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Pièges et chausse-trappes
Les personnes en restriction cognitive depuis de longues
années sont dans une logique de performance. Elles ont
tendance à considérer l’écoute des sensations alimentaires
comme un moyen parmi d’autres pour minorer leurs ingesta.
Elles appliquent une logique dichotomique, en tout ou rien,
aux sensations alimentaires. Elles ont tendance à considérer
les besoins de représentations, affectifs et relationnels
comme d’importance mineure ou comme illégitimes. Pour
ces personnes, l’écoute des sensations alimentaires de faim,
de rassasiement ou des appétits spécifiques tend alors à être
obsessionnelle, anxiogène et culpabilisante et ne se différencie pas d’un régime classique. Un travail d’acceptation de
soi est alors à envisager préalablement à un travail sur les
sensations et émotions alimentaires.
Dans certains cas, la personne parvient à mettre en place un
mode alimentaire fondé sur l’écoute des sensations alimentaires
jusqu’au moment où elle commence à perdre du poids. La prise
de conscience de la perte de poids la conduit à vouloir « encore
plus ». Cette logique de performance s’oppose naturellement
à la possibilité d’une régulation et conduit à la rechute.
Dans d’autres cas, l’arrêt des progrès est dû à l’anticipation des conséquences d’un amaigrissement. Il convient de
l’envisager avec le patient.
Conclusion
Le protocole décrit a été évalué sur des cas uniques. Une
évaluation plus précise constitue notre prochaine étape. Malgré
cela, il nous semble dès à présent possible d’affirmer que passer
d’une alimentation contrôlée sur un mode volontariste à une
alimentation contrôlée par les sensations alimentaires permet
de diminuer l’anxiété et la culpabilité attachées aux conduites
alimentaires et procure au patient un réel soulagement.
Il est clair aussi que le traitement de la restriction cognitive
n’est pas le traitement du surpoids et de l’obésité. Ce
traitement doit être compris comme l’un des éléments d’une
prise en charge triaxiale, comportant en outre un travail sur
les aspects émotionnels et sur l’acceptation de soi.
Les effets pondéraux de cette approche sont aléatoires,
puisque leur objectif est de permettre à l’individu de
stabiliser son poids au niveau du poids d’équilibre ou setpoint. Cet objectif nous semble le seul qui ne soit pas
iatrogène et qui soit réaliste sur le moyen et long terme, dans
l’état actuel de la science.
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