Droits des marchés publics
Séance n° 5 : Conseil d'État, 9 novembre 2015
Faits : La département de Corse du Sud souhaite lancer un appel d'offres pour la gestion des
transports scolaires, divisé en 132 lots correspondant aux différents parcours. Le 7 juillet 2015, la
commission des appels d'offres du département de Corse du Sud, après avoir déclaré la procédure
d'appel d'offres infructueuse, choisit la société des Autocars de l'Île de Beauté pour les lots 127 et
132.
Le 4 août 2015, la société écartée, les Autocars Roger Ceccaldi, défère au Tribunal
administratif de Bastia cette décision, afin que soit reprise la procédure d'appel d'offres, au motif
qu'elle a été écartée alors même que le pouvoir adjudicateur départemental n'a pas cherché à vérifier
la matérialité de la possibilité de remplir, pour les deux sociétés en lice, les exigences techniques de
l'appel d'offres (stationnement des véhicules sous abri couvert).
Procédure : Le Tribunal administratif de Bastia est saisi par la Société des autocars Roger
Ceccaldi, sous forme d'un référé pré-contractuel (prévu par l'article L.551-1 Code de Justice
Administrative). Par une ordonnance n°1500638 du 4 août 2015, le juge des référés du Tribunal
administratif de Bastia a annulé, s’agissant du lot n° 127, la décision de la commission d’appel
d’offres du 10 juin 2015 déclarant infructueuse la procédure d’appel d’offres ainsi que la procédure
négociée ultérieure attribuant le marché à la société les Autocars de l'Île de Beauté et, s’agissant du
lot n° 132, l’intégralité de la procédure.
Non content de cette décision, la Société des Autocars de l'Île de Beauté conteste cette
décision, et demande au Conseil d'État d'annuler l'ordonnance de référé du Tribunal administratif de
Bastia. Le Conseil d'État donne raison au juge administratif bastiais, et confirme l'ordonnance qu'il
a rendue.
Problème de droit : le juge du Conseil d’État avait à trancher la question de la preuve de
l'accomplissement d'une caractéristique technique exigée dans les critères d'attribution d'un marché
public. En l'espèce, le pouvoir adjudicateur départemental exigeait des délégataires qu'ils
stationnent les autocars dans un lieu couvert. Or, il se trouve qu'il ressort des pièces transmises à la
Commission des Appels d'Offres (CAO) qu'aucun des deux candidats en lice pour l'attribution des
lots n°127 et 132 ne démontrait matériellement la satisfaction de ce critère. La question qui se pose
au juge est de savoir s'il peut annuler une procédure d'appel d'offres au motif que la preuve de la
satisfaction d'un critère technique exigé par le pouvoir adjudicateur n'est pas démontrée. En effet,
lors d'un appel d'offres, le pouvoir adjudicateur demande aux candidats de remplir un certain
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nombre de critères techniques, apparentés à un cahier des charges, appelés « valeur technique »,
prévus par l'article 53 du Code des marchés publics. En l'espèce, il était question du stockage des
véhicules dans un lieu couvert.
Cette décision du Conseil d'État est cohérente, dans la mesure où elle exige des postulants
aux appels d'offres qu'ils démontrent matériellement la satisfaction des critères contenus dans le
cahier des charges. Ainsi, on se rapproche de la matière civile et de la bonne foi, qui doit gouverner
toutes les étapes contractuelles et pré-contractuelles.
La problématique qui va nous intéresser est la suivante : dans quelle mesure le pouvoir
adjudicateur doit-il contrôler, en amont de la délégation d'un marché public, la possibilité de
l’exécution matérielle de toutes les composantes du cahier des charges par le délégataire? Il est
intéressant de savoir jusqu'à quel niveau de détail doit-il pousser son contrôle, et le cas échéant,
quels sont les pouvoirs du juge, en matière de sanction de l'absence de contrôle de ces critères par le
pouvoir adjudicateur.
Pour répondre à la problématique, nous verrons dans un premier temps que le juge
administratif exige désormais que les candidats à un appel d'offre démontrent de manière précise
qu'ils répondent à l'ensemble des critères techniques imposés par le pouvoir adjudicateur (I).
Ensuite, nous verrons en quoi cette décision apporte davantage de protection à l'administration dans
la continuité de sa mission, pour la poursuite de l'intérêt général (II).
I – Consécration de l'exigence de preuves de la capacité du co-contractant à remplir
l'ensemble des exigences techniques du contrat de marché public
Cet arrêt, dans son considérant de principe : « il lui incombe [au pouvoir adjudicateur]
d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations
données par les candidats ». Ainsi, il semblerait que le juge ajoute une tâche au pouvoir
adjudicateur, en lui demandant de vérifier systématiquement la possibilité pour le co-contractant de
remplir toutes les exigences techniques contenues dans le contrat (A). Cette exigence, en écartant
les candidats qui postuleraient à un appel d'offre sans avoir réellement les exigences techniques
contenues dans le contrat, permet à chacun des candidats d'être choisi pour des qualités qu'il a
réellement (B).
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A - Un obligation pour le pouvoir adjudicateur de vérifier la satisfaction des exigences
techniques du contrat
L'arrêt du 9 novembre 2015 ci-contre constitue une évolution jurisprudentielle importante.
En effet, préalablement à cette décision, le Code des marchés publics, en son article 53 notamment,
ne prévoyait pas qu'il incombât au pouvoir adjudicateur d'exiger la production de justificatifs
(appelés « mémoires techniques » par la doctrine) afin qu'il vérifie l'effectivité de la possibilité pour
le candidat de remplir les critères techniques qu'il a imposés. Ainsi, dans le cas d'espèce, il est
reproché au pouvoir adjudicateur départemental de n'avoir pas, pour départager les deux candidats,
après que la procédure d'appel d'offres a été déclarée infructueuse pour les lots n°127 et 132,
procédé à un examen d'un mémoire technique, notamment s'agissant du stationnement des véhicules
sous abri. Il est cohérent de rendre pareille décision, car cela permet de vérifier, en amont de l'octroi
d'un marché public à un candidat, de s'assurer qu'il sera par la suite en mesure de remplir toutes les
conditions qu'exige les pouvoir adjudicateur, et ainsi de répondre à l'exigence d'égalité des chances,
a priori, qui existe entre les candidats à un marché public (B).
B - Une exigence renforçant le principe d'égalité des chances entre les candidats
En exigeant un « mémoire technique » aux candidats à un marché public, le pouvoir
adjudicateur s'assure, avant même que l'exploitation d'un marché n'ait commencée, que par la suite,
le candidat choisi (devenu titulaire d'un marché public) sera ne pleine mesure de répondre à toutes
les exigences qu'avait fixé le pouvoir adjudicateur en amont du contrat, c'est à dire durant l'appel
d'offres. Ainsi, les juges de la rue du Palais-Royal ont permis d'éviter que des candidats ne disent
remplir ces conditions pour remporter un appel d'offre. Ils doivent prouver qu'ils sont en mesure de
remplir les conditions posées dans celui-ci, et le pouvoir adjudicateur doit vérifier l'exactitude des
informations fournies. En filigrane, le juge suprême de l'ordre administratif revient sur une
jurisprudence antérieure, non pour y mettre fin, mais pour mettre un « coup de cliquet »
supplémentaire : dans la décision du 12 janvier 2011, Département du Doubs (pourvoir n°343324)
prévoyait qu'il était possible d'écarter un candidat proposant une « offre incomplète » s'il ne
possédait pas effectivement le matériel requis au moment de l'appel d'offres. La présente décision
va plus loin, en exigeant le contrôle non seulement de la possession du matériel, mais aussi de
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critères techniques qui peuvent paraître annexes.
L'objectif de cette décision vient aussi d'un autre impératif : celui de protéger les deniers
publics, mais aussi l'usager, et ainsi concourir à l'intérêt général (II)
II – Une protection plus effective de l'usager et la poursuite de l'intérêt général
Le but de cet arrêt est de faire en sorte que le contrat obtenu par le candidat retenu soit
matériellement réalisable. En prenant cette décision, le juge de cassation de l'ordre administratif
concourt à l'effectivité de l'exécution des marchés publics (A). Cette décision comporte cependant
une limite importante, il s'agit de la bonne foi des parties, et notamment du candidat (B).
A – La garantie d'une bonne exécution des marchés publics
En prévoyant un contrôle a priori des possibilités du candidat concernant des détails
techniques de l'appel d'offres, cela permet au pouvoir adjudicateur de s'assurer que le prestataire ne
sera pas défaillant, dans l'exécution de sa mission. Ainsi, en plus de la possibilité pour un pouvoir
adjudicateur d'écarter un candidat qui n'aurait pas le matériel nécessaire à la réalisation d'un marché
public, il peut désormais en écarter un qui ne répondrait pas à l'ensemble des critères techniques : il
protège ainsi les usagers d'éventuels désagréments liés au non-respect de ces critères. Somme toute,
il est cohérent d'imposer au pouvoir adjudicateur une telle exigence de contrôle, afin que l'exécution
même du service ne soit pas perturbée par des éléments extérieurs. Dans le cas d'espèce, le
stationnement des autocars à l'abri permet par exemple de les protéger des intempéries, d'éviter des
retards liés à des conditions météorologiques, ou de se prémunir de dégradations.
L'unique limite à cette jurisprudence concerne la bonne foi des parties (B).
B – La limite de cette décision : la bonne foi des parties
Comme dans toute relation contractuelle, la bonne foi doit présider l'ensemble des étapes de
la relation conventionnelle : pourparlers, négociations, exécution... Ainsi, un candidat peut toujours
annoncer remplir les conditions posées par l'administration, mais ne pas les remplir effectivement.
Grâce à cette décision, le pouvoir adjudicateur doit vérifier qu'il remplit bel et bien les conditions
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qu'il pose. De cette manière, le candidat qui aurait « menti » sur ses qualités, ou n'ayant pas fait
preuve de « bonne foi » se verrait normalement d'office écarté d'un marché public. Ainsi, ce sont les
qualités réelles du candidat qui doivent être appréciées par le pouvoir adjudicateur. L'idée sousjacente concerne la continuité du service (public). Préalablement à cette décision, certaines
entreprises, « machines » à marchés publics, obtenaient des marchés publics, et s'équipaient en
conséquence, voire sous-traitaient certaines tâches, écartant d'office de plus petites entreprises qui
n'avaient pas les services juridiques, les services administratifs et trésoreries adéquates pour
répondre aux procédures très (trop?) complexes. De plus, il est question de financement dans cet
arrêt : le pouvoir adjudicateur avait sous-estimé le coût réel de l'exploitation du service de transports
scolaires, notamment relativement aux critères techniques imposés.
Sur ce point, le droit
communautaire pose un principe important de transparence dans les relations contractuelles des
personnes publiques, équivalent de la bonne foi du droit français.
Christophe Jouin
M1 Droit public général
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