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Penser les humains ensemble.
La recherche pluri, inter- et transdisciplinaire en pratique.
Par : Anne-Claire Collier, Laura Péaud et Claire Vincent-Mory | date de parution : jeudi 15
février 2018
Illustration : Amaryllis M, « Convergence », 10.09.2010, Flickr
(licence Creative Commons).
L’injonction contemporaine à l’interdisciplinarité se révèle paradoxale. Elle
s’accompagne, dans la pratique, de nombreuses difficultés théoriques et pratiques,
comme l’ont montré, par exemple, Nicole Mathieu et Anne-Françoise Schmid à partir
de la question de la modélisation (Mathieu et Schmid 2014). Ce constat liminaire a
conduit à l’organisation d’une journée d’études sur les « Pratiques du
pluridisciplinaire », le 12 juin 2015, à l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense,
avec le soutien du laboratoire Sophiapol. L’objectif était de mettre en lumière les
enjeux et les difficultés rencontrées par les jeunes chercheurs, lors de la mise en
œuvre de leur recherche à la croisée de plusieurs disciplines. En effet, ceux-ci sont
particulièrement soumis à un contexte académique qui semble toujours plus favorable
aux formes de recherche et d’écriture pluri-, inter- ou trans-disciplinaire, en
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particulier en sciences humaines et sociales, alors même que la mise en œuvre
méthodologique et pratique, ainsi que la reconnaissance académique de cette
injonction, ne vont pas toujours de soi.
Cette tendance actuelle est illustrée par le nombre croissant de manifestations
scientifiques sur ce thème, comme par exemple en 2014 avec le colloque intitulé « De
l’interdisciplinarité à la transdisciplinarité ? Nouveaux enjeux, nouveaux objets de la
recherche en littérature et sciences humaines » (Laboratoire IMAGER)[1], à
l’Université Paris-Est ; ou, en 2015, le colloque « Disciplines sans frontières » qui a eu
lieu à l’Université de Versailles Saint-Quentin[2]. De même, de nombreuses
publications scientifiques récentes témoignent d’un véritable intérêt pour la
redéfinition des frontières disciplinaires[3]. Enfin, les chercheurs, jeunes ou moins
jeunes, rencontrent régulièrement des injonctions à initier des travaux pluri-, inter- ou
trans-disciplinairea (en particulier pour l’obtention de contrats de recherche publics
ou privés, pour les doctorants comme pour les chercheurs confirmés) et à développer
des enseignements interdisciplinaires à l’université (Rege Colet 2002) (Vinck 2000)
(Renisio et Zamith 2015). L’interdisciplinarité serait même devenue un vecteur
important de consolidation des institutions disciplinaires (Louvel 2015, p. 77).
L’interdisciplinarité est communément considérée comme un processus d’intégration
des disciplines et d’évolution paradigmatique (Apter 2010, p. 8)[4]. À ce terme, qui est
certainement le plus couramment utilisé pour qualifier les processus de rencontre
entre disciplines, ainsi qu’au terme de transdisciplinarité, qui souligne la dimension
transversale de certains objets, méthodes ou concepts, nous préférons dans ce dossier
le terme de pluridisciplinarité. Ce dernier, plus large, nous semble le mieux à même
d’envisager les formes plurielles de croisements disciplinaires, c’est-à-dire à la fois les
formes d’incorporations ou d’hybridation, les mouvements des frontières
disciplinaires, mais aussi les conséquences créatrices et destructrices du dialogue
entre disciplines. Ce faisant, nous souhaitons nous inscrire dans une démarche
conversionniste (Lemieux 2012, p. 201), qui implique que les disciplines ne sont pas
indifférentes les unes aux autres[5]. Dans cette perspective, chaque discipline
développe ses questionnements et ses ambitions, dans une relation aux autres
disciplines. Les différences, voire l’antagonisme entre les disciplines, lorsqu’il prend la
forme d’une confrontation intellectuelle et non d’une ignorance réciproque, a su
produire des œuvres majeures (Calafat, Lavergne et Monnet 2013, p. 11-12).
La pluridisciplinarité se réalise dans la production d’objets de recherche, de méthodes
(Morin 1994), de cadres linguistiques et épistémologiques. Ainsi, une
interdisciplinarité élargie (Jollivet et Legay 2005) requiert tout d’abord la construction
d’objets mixtes, de macro-objets, capables d’associer les propriétés étudiées par
différentes disciplines. Par exemple, ériger le « mode d’habiter » comme objet d’étude
implique d’associer à la fois des dimensions naturalistes ou matérielles et des
dimensions sociales, qui ne peuvent être dissociées dans une recherche sur
l’habitabilité durable en milieu urbain (Mathieu 2006, p. 380). La ville et l’urbain
constituent, en ce sens, un thème privilégié pour l’élaboration d’objets qui
n’appartiennent plus exclusivement aux seuls géographes, aménageurs ou urbanistes
(Dumont 2004), mais qui, d’une part, s’élargissent en intégrant les cadres conceptuels
et méthodologiques d’autres disciplines et, d’autre part, sont appropriés et remodelés
par ces mêmes disciplines, sciences humaines et sociales ou sciences de la nature.
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L’ampleur des travaux articulant la ville et l’environnement le démontre, illustrée
notamment par des actions de recherche, comme celle du programme
interdisciplinaire de recherche sur la ville (PIRVE) du CNRS[6].
Au-delà des objets de recherche, ce sont aussi les méthodes et les pratiques
scientifiques qui sont mises en question par les démarches de recherche
pluridisciplinaire, comme le montre, par exemple, l’ouvrage coordonné par Nicole
Mathieu et Anne-Françoise Schmid, Modélisation et interdisciplinarité. Six disciplines
en quête d’épistémologie (2014). En effet, la confrontation entre des données de
nature et de temporalité fondamentalement différentes demande de repenser l’usage
et l’articulation des méthodologies de recherche, comme dans le cas de la
combinaison entre approche historique et approche ethnographique (Arborio et al.
2008) ou, de manière plus classique, l’articulation entre méthodes qualitatives,
quantitatives et historiques en sciences sociales (Weber 1995) (Lemercier et Zalc
2008) (Beaud et Weber 2010) (Venturini, Cardon et Cointet 2014). Par ailleurs, dans la
pratique, la rencontre de différentes disciplines peut nécessiter la création de
méthodes et d’outils visant à soutenir le travail interdisciplinaire. Ainsi, une équipe de
chercheurs de différentes disciplines, travaillant sur les Inégalités Sociales de Santé
(ISS), a tenté d’élaborer, après un repérage de certains de ces « mots-pièges », un
glossaire visant à expliciter les différentes acceptions auxquelles un même terme peut
renvoyer, suivant les disciplines. En effet, « la multiplicité des déterminants de la
santé et des trajectoires qui conduisent aux ISS rend indispensable de réfléchir
ensemble, au-delà des frontières disciplinaires, dès lors qu’il s’agit de comprendre la
façon dont elles se construisent et d’envisager comment agir pour les réduire »
(Villeval et al. 2014, p. 160)[7]. Leur objectif n’était pas d’obtenir un consensus ou une
définition commune, ni de prescrire ou proscrire certains termes, mais d’outiller les
chercheurs pour favoriser le dialogue interdisciplinaire au sein des programmes de
recherche menés par l’IFERISS (Institut Fédératif d’Études et de Recherches
Interdisciplinaires Santé Société)[8].
Finalement, la pluridisciplinarité requiert une rencontre entre des cadres
épistémologiques. Pour la plupart des chercheurs, c’est là qu’elle se joue
véritablement, dans la mesure où elle n’est plus, dès lors, une simple démarche
d’emprunt d’idées à différents cadres d’analyse, chacun se référant à une discipline
spécifique. La pluridisciplinarité intervient lorsque « ce qui a commencé comme la
recherche de solution à un problème précis se prolonge par une exploration théorique
d’où émergeront de nouvelles combinaisons qui vont modifier le corpus théorique et
conceptuel de la discipline concernée » (Apter 2010, p. 9-10). S’appuyant sur Thomas
Kuhn, Apter suggère ainsi que le « vrai » travail interdisciplinaire ne se réduit pas à
l’emprunt ponctuel d’idées, mais implique l’élaboration et la transformation de
systèmes scientifiques relativement autonomes.
Si les emprunts interdisciplinaires se banalisent dans toutes les disciplines (Louvel
2015) (Boelaert et al. 2015), les modalités et les conséquences de leurs emplois ne
sont pas résolues. En effet, au-delà de l’enthousiasme (naïf ?) soulevé par les
possibilités d’enrichissement et d’approfondissement des connaissances permis par le
croisement disciplinaire, l’expérience du chercheur montre que celui-ci peut se révéler
obscur, compliqué, producteur de biais et source d’inconfort, pour l’analyse comme
pour le positionnement dans le champ académique, auprès des pairs. Les difficultés
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suscitées par le dialogue interdisciplinaire sont de plusieurs ordres. En premier lieu,
l’utilisation superficielle de théories empruntées à d’autres disciplines peut entraîner
des erreurs de méthode et des explications approximatives, comme l’expliquent Nicole
Martin, Julie Noak et Barthélémy Durrive dans ce dossier. Par ailleurs, la pratique est
toujours fondée sur des incompréhensions partielles et implique une part de
« traîtrise », dans la mesure où tout transfert de concept, de problème ou de méthode
s’accompagne toujours d’une transformation partielle ou plus significative de ceux-ci
(Villeval et al. 2014). En outre, les modalités de transfert et le contexte de réception
sont déterminants sur le rôle que peuvent jouer les échanges interdisciplinaires, pour
les disciplines concernées (Lepetit 1990, p. 334). Car, pour être prise au sérieux et
pour ajouter à l’intelligibilité du réel et de la société, la pratique de la recherche
pluridisciplinaire doit être en mesure d’accueillir de nouvelles approches, de les
maîtriser et d’en contrôler leur transformation. Il faut aussi être en mesure de se
mettre d’accord sur un objet commun[9]. Enfin, les difficultés ne sont pas seulement
d’ordre épistémologique et méthodologique, elles relèvent aussi d’une dimension
proprement académique : dans un système universitaire français structuré par des
appartenances disciplinaires souvent strictes (sections du CNU, répercutées par les
profils de poste de MCF et de PR, etc.), comment concrètement parvenir à être pluriet/ou interdisciplinaire (Renisio et Zamith 2015) ?
En cela, si les avantages des hybridations disciplinaires semblent évidents, leurs
inconvénients et les risques encourus par les travaux de recherche sont nombreux.
Comment, en pratique, les chercheurs naviguent-ils dans ce désordre propice à la
création, à la découverte, mais susceptible de rencontrer de nombreux écueils ? Des
lectures aux expériences personnelles, tout montre que les chercheurs en sciences
humaines et sociales s’essaient régulièrement à des combinaisons, des associations
d’outils et de protocoles de recherche issus de démarches épistémologiques
différentes, qui paraissent souvent relever du « bricolage ». Or, comme le soulignent
Lemercier et Ollivier, cette pratique relève moins d’un amateurisme que d’une
aptitude à se tirer de difficultés complexes et peut se révéler source d’innovations
(Lemercier et Ollivier 2011). Sans remettre en cause cette capacité d’innovation, nous
nous interrogeons précisément sur sa mise en œuvre : au-delà d’une simple
« juxtaposition » de méthodes, la pratique de la pluridisciplinarité peut-elle conduire à
l’élaboration d’une pluri-méthodologie, entendue comme une approche empirique
combinant de manière cohérente et spécifique des questionnements et des outils issus
d’épistémologies différentes ?
Dans cette traverse, nous souhaitons donc prolonger le travail initié lors de la journée
d’étude « Pratiques du pluridisciplinaire » de juin 2015, en donnant la parole en
particulier aux jeunes chercheurs. Ce dossier n’a pas pour objectif de questionner la
nature des frontières épistémologiques, ni de discuter des possibilités de
rapprochement et d’échange entre les disciplines, mais plutôt de comprendre, à partir
de l’expérience de recherche, comment se met en place le travail pluridisciplinaire et
ce qu’il provoque, pour le chercheur, en matière de positionnement académique, de
temporalité de la recherche, de biais et d’innovations méthodologiques et
heuristiques, ou d’effets de hiérarchie indépassables entre les disciplines. Les jeunes
chercheurs sont sans doute, plus que les autres, aux prises avec les enthousiasmes et
les désillusions d’une expérimentation pluridisciplinaire. Ils se trouvent, en effet, dans
ce moment liminaire de leur trajectoire de recherche, qui est celle d’une interrogation
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profonde sur leur propre démarche réflexive, l’opérationnalité et la validité
épistémologique de leurs choix méthodologiques et théoriques, ainsi que sur leur
posture académique. Leur expérience est, en ce sens, précieuse.
On pourrait présenter les contributions qui constituent cette traverse de plusieurs
manières. Bien entendu, on pourrait les situer les unes par rapport aux autres, à partir
de leurs positionnements épistémologiques vis-à-vis de la pluri et de l’interdisciplinarité. L’article de Nicole Mathieu, qui ouvre ce numéro, effectue ce travail, à
partir d’une vision personnelle et rétrospective de la question, au regard de
l’engagement qui fut et reste le sien en faveur de la recherche interdisciplinaire. Mais
on peut aussi présenter les contributions du point de vue de la pratique du
pluridisciplinaire. Tous les articles – sauf un, nous y reviendrons – sont bâtis autour
d’un retour réflexif du chercheur sur son itinéraire de recherche individuel. Dans un
premier temps, Suzie Telep, Daphné Leroux et Karine Ginisty explorent, dans leurs
expériences de recherche doctorale, l’articulation entre un objet de recherche et une
intuition épistémologique initiale qui les a conduites à effectuer des choix
épistémologiques pluridisciplinaires. Dans un même mouvement, elles montrent
comment l’élaboration progressive de cette pente pluridisciplinaire est venue à son
tour modeler leurs questionnements. Suzie Telep étudie les discours de migrants
d’origine camerounaise portant sur la pratique du whitisage, un néologisme qui
signifie « parler comme un blanc ». Partant du postulat que le langage est un objet
social, elle montre, d’une part, comment la description des formes linguistiques doit
être corrélée avec une démarche sociologique de compréhension des « pratiques
langagières et du sens que les acteurs leur donnent »[10] et, d’autre part, comment la
sociolinguistique et l’anthropologie du langage peuvent participer à la recherche sur
les phénomènes sociaux. Daphné Leroux présente le cheminement qui lui a permis
d’élaborer une démarche de recherche originale, qui allie étude ethnographique du
rituel du mariage catholique en France et questionnements philosophiques au sujet
des logiques des pratiques individuelles. Elle montre comment la construction
progressive d’une cohérence, dans sa réflexion interdisciplinaire, l’a conduite à des
déplacements successifs, ce qui lui permet d’aborder à nouveaux frais la question du
rapport entre pratiques concrètes et subjectivité. À partir d’une étude sur les liens
entre inégalités sociales et expériences de la justice et de l’injustice sociales, dans la
ville de Maputo au Mozambique, Karine Ginisty souligne, quant à elle, le rôle de
l’interaction avec le terrain de recherche. Celui-ci l’a amenée à suivre un itinéraire
méthodologique qui a eu de nombreuses répercussions théoriques. Son expérience
montre les bénéfices d’avoir dû articuler la dimension matérielle de l’espace, pour
laquelle la géographie fournir des outils pertinents, avec les théories et les méthodes
de la philosophie politique, de l’ethnographie et de la sociologie politique.
La traverse se poursuit par trois contributions proposant une réflexion plus élargie.
L’article d’Axel Barenboim prolonge la réflexion en matière d’expérience individuelle
de travail pluridisciplinaire, en travaillant davantage la possibilité de la création
disciplinaire et en montrant ses conséquences concrètes pour le positionnement
académique du chercheur. Axel Barenboim reprend ainsi la démarche qui l’a amené à
étudier le Congrès de Londres de 1881 – moment capital dans l’histoire et
l’historiographie du mouvement anarchiste – à l’aide d’un cadre épistémologique
spécifique et pluridisciplinaire : celui des études globales. Il défend l’intérêt de ce
choix, tout en reconnaissant que celui-ci ne peut être valide qu’à certaines conditions,
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notamment pratiques, en matière de nature du questionnement. Ce faisant, il montre
qu’une pluridisciplinarité en pratique peut conduire à des formes de création
disciplinaire. Puis, à partir d’une expérience de recherche articulant pratique de la
monographie et pratique de la philosophie, Théophile Lavault propose un article
ouvertement épistémologique, dans lequel il expose une définition stimulante de la
pratique inter- ou pluri-disciplinaire. Celle-ci relève, pour lui, de « déplacements », qui
signalent une véritable « intention pluridisciplinaire », présente dès la
problématisation, d’appréhension de l’objet de recherche et des questionnements qui
le guident. Ces déplacements s’effectueraient selon une méthodologie de
l’« empathie ». Il affronte également plusieurs questions importantes, comme celle des
représentations disciplinaires et des hiérarchies explicites ou implicites, qui jouent un
rôle dans la pratique concrète de la recherche pluridisciplinaire. S’ajoute à ces textes
une contribution un peu différente des autres. Barthélémy Durrive et Julie Noak
présentent, en effet, un retour réflexif et comparatif entre deux projets de recherche
interdisciplinaires collectifs, menés dans le cadre de laboratoires juniors. Leur objectif
est d’identifier les pratiques réussies, tout en prenant la mesure de ce qui n’a pas
fonctionné. Ils montrent l’inexistence d’« objets-frontières » et l’incommensurabilité
entre les approches disciplinaires. Ce faisant, ils soulignent, par contraste, l’intérêt
des prismes disciplinaires pour les recherches pluridisciplinaires et la « portée
cognitive » de l’expérience immédiate de dialogue entre des regards disciplinaires
profondément différents. Ils abordent la démarche d’élaboration concrète d’un
ouvrage collectif et montrent, là aussi, comment se bâtit un travail collectif
pluridisciplinaire. La recherche pluridisciplinaire est-elle possible, en pratique ? En
effet, peu de postes sont aujourd’hui mis au concours sur ces thématiques pluri-, interou transdisciplinaires, les procédures de qualification et de recrutement demeurant
encore très disciplinaires. Quelques exceptions peuvent être relevées du côté des
« humanités numériques », mais elles ne constituent pas, pour le moment, une vague
de fond.
Tels sont ainsi les enjeux de la réflexion collective amorcée ensemble en juin 2015. La
présente traverse en constitue la trace, mais elle invite aussi tous les chercheurs
confrontés à ces questionnements à la prolonger par leur propre contribution.
Note
[1] Ce colloque a lieu en novembre 2014 à Paris-Est Créteil, à l’initiative du laboratoire
IMAGER, il était coordonné par Sylvie Le Moël et Guillaume Marche.
[2] Ce colloque a été organisé par les étudiants en deuxième année de master en Sciences,
Art, Culture, Innovation et Multimédia (SACIM) de l’Université Versailles Saint-Quentin,
les 15 et 16 avril 2015.
[3] Voir par exemple : Gingras et Heilbron 2016 ; Louvel 2015 ; Boelaert et al. 2015 ; Lévy
2007 ; Matthieu et Schmid 2014. Nota bene : même si les références mentionnées dans ce
texte demeurent globalement centrées sur l’espace de la recherche français ou
francophone, nous avons pour autant bien conscience que ce processus touche l’ensemble
des sciences humaines et sociales, de manière internationale, voire mondiale. Les enjeux
liés à la langue rejoignent d’ailleurs ceux rencontrés en inter-, pluri- ou transdisciplinarité
– ils ne sont qu’une autre forme de circulation ou de mobilité des mots et des concepts.
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[4] Ce choix de définition appelle une précision de notre part. De nombreuses définitions
des termes inter-, trans- et pluri- disciplinaires, parfois contradictoires, ont été établies
dans la littérature. Comme les débats à ce propos ne sont pas l’objet de notre introduction,
nous nous permettons de renvoyer aux travaux de Weingart et Stehr (2000), Calafat,
Lavergne et Monnet (2013), Gingras et Heilbron (2016).
[5] À propos du positionnement du sociologue par rapport à la philosophie, Cyril Lemieux
(2012) a établi trois catégories, reprises et élargies à l’ensemble des sciences humaines et
sociales par Guillaume Calafat, Cécile Lavergne et Eric Monnet (2013) : la posture
démarcationniste, qui fait de la frontière entre philosophie et sciences sociales une
barrière incommensurable interdisant tout dialogue ; la posture intégrationniste, qui
constitue la posture opposée et qui estime que la frontière peut non seulement être
allègrement franchie, mais qu’il convient même de l’abolir en se retrouvant autour d’objets
communs et de discours unifiés ; la démarche conversionniste, qui considère que les
disciplines se construisent et évoluent dans les relations qu’elles nouent entre elles.
[6] Ce programme a existé entre 2006 et 2012.
[7] « Les mots, parce qu’ils recouvrent des enjeux épistémologiques et disciplinaires
implicites, ont une importance cruciale dans ces expériences. L’un des nœuds des
difficultés rencontrées au cours de ces recherches est en effet lié à certains termes
pouvant paraître consensuels, mais dont la compréhension et l’utilisation par les
chercheurs de différentes disciplines varient fortement. Ces termes, sources
d’incompréhensions voire de conflits liés à la cristallisation de positionnements divergents
ou à des interprétations diverses, ont ainsi été qualifiés de « mots-pièges ». Les
terminologies sont en effet parfois propres et spécifiques à certains courants de recherche,
tandis que les acceptions de certains termes se révèlent différentes voire inverses, d’une
discipline à l’autre. Les incompréhensions peuvent également être liées à des utilisations
différentes selon les cultures et les langues et selon leur traduction. » (Villeval et al. 2014,
p. 160).
[8] L’IFERISS est une structure fédérative de recherche interuniversitaire, rassemblant
des équipes de recherches de disciplines diverses (épidémiologie, sociologie, psychologie,
sciences politiques, droit).
[9] « Les avantages de ces hybridations théoriques sont évidents. Leurs inconvénients ne
commencent à apparaître que lorsque ces hybridations atteignent les limites de leur
potentiel d’explication, surtout si, au nom de la professionnalisation, elles reproduisent les
défauts des disciplines mères. Ayant créé les règles et les limites qui définissent,
restreignent et gèrent le champ d’investigation, elles peuvent tout aussi bien, en vertu de
ce même principe d’autorité, tarir la source de ces poussées d’intuition, d’imagination et
de créativité qui constituent pour Kuhn comme pour Dogan la véritable « intelligence » de
la recherche scientifique. » (Apter 2010, p. 9)
[10] Le texte de Telep peut être consulté ici.
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Résumé
L’injonction contemporaine à l’interdisciplinarité se révèle paradoxale. Elle
s’accompagne, dans la pratique, de nombreuses difficultés théoriques et pratiques,
comme l’ont montré, par exemple, Nicole Mathieu et Anne-Françoise Schmid à partir de
la question de la modélisation (Mathieu et Schmid 2014). Ce constat liminaire a conduit
à l’organisation d’une journée d’études sur les « Pratiques du pluridisciplinaire », le 12
juin 2015, à l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense, avec le soutien du laboratoire
Sophiapol. L’objectif était de mettre en lumière les enjeux et les difficultés rencontrées
par les jeunes chercheurs, lors de la mise en œuvre de leur recherche à la croisée de
plusieurs disciplines. En effet, ceux-ci sont particulièrement soumis à un contexte
académique qui semble toujours plus favorable aux formes de recherche et d’écriture
pluri-, inter- ou trans-disciplinaire, en particulier en sciences humaines et sociales, alors
même que la mise en œuvre méthodologique et pratique, ainsi que la reconnaissance
académique de cette injonction, ne vont pas toujours de soi.
Date de publication : le jeudi 15 février 2018 à 16:18
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