L’éthique journalistique entre anciennes
et nouvelles valeurs
Lavinia Rotili1
Dans cette contribution, nous abordons l’évolution des normes déontologiques en Belgique francophone, Finlande, France, Italie, Portugal, Québec, Royaume-Uni et Suisse selon deux axes. Le premier
concerne l’évolution digitale, avec les conséquences que la numérisation engendre sur les normes et leur portée, avec une attention particulière en matière d’User Generated Content et d’intelligence artificielle.
Le second axe aborde les normes concernant les discriminations et la
diversité, notamment en matière de genre et d’origine. Ces axes sont
identifiés au départ d’une démarche inductive basée sur l’analyse comparée des différents conseils. Deux constats majeurs peuvent être tirés
de cette analyse : d’une part, les conseils renforcent la responsabilité
sociale du journalisme et les valeurs traditionnelles de la profession ;
d’autre part, de nouvelles valeurs semblent s’affirmer, telles que la tolérance et la diversité.
Cet article propose une lecture des enjeux éthiques à travers
l’analyse des organes d’autorégulation de plusieurs pays analysés
dans ce numéro de revue : la Finlande, la Suisse, le Portugal, l’Italie,
le Royaume-Uni, le Québec et la Belgique francophone. À ceux-ci
s’ajoute la France, qui s’est récemment dotée d’un conseil de presse.
Notre objectif est de dresser un bilan de l’évolution des normes et des
1 Lavinia Rotili est assistante et doctorante à l’Observatoire de Recherche sur les
Médias et le Journalisme, Université catholique de Louvain.
Recherches en Communication, n° 54 – Article publié le 07/12/2022
204
LAVINIA ROTILI
valeurs éthiques qui les sous-tendent, à un moment où plusieurs conseils
de presse se renouvellent. L’inclusion de la perspective française à cette
analyse apporte une approche complémentaire, bien que la naissance
du conseil français soit trop récente pour tirer un bilan de son activité.
Partant du postulat d’un journalisme « ductile », évolutif et en
tension entre pouvoir, contraintes économiques et responsabilité visà-vis du public (Grevisse, 2016, p. 52), les normes déontologiques
représentent « la traduction d’une visée éthique à un moment et un lieu
de l’histoire du journalisme » (Cornu, 2009, p. 125, cité par Grevisse,
2016, p. 52). Autrement dit, les phénomènes que nous allons décrire et
les réponses qu’y apportent les conseils de presse révèlent la manière
dont ces phénomènes interrogent les valeurs traditionnelles du journalisme, ses droits et ses devoirs. Cela équivaut à interroger l’éthique de
l’information en tant que « puissance de questionnement de l’ensemble
du procès de l’information » (Cornu, 2009, p. 36).
Notre analyse se concentre sur les codes de déontologie et sur les
autres textes publiés par les instances d’autorégulation. D’un point de
vue méthodologique, nous adoptons une démarche inductive, permettant
de dégager deux axes de changement majeurs et transversaux : la digitalisation et la sensibilisation accrue aux questions de genre et diversité.
Des études récentes, comme celle de Harder (2021) et Juntunen (2022)
confirment l’attention de l’autorégulation à la digitalisation. D’autres
facteurs d’évolution mériteraient sans doute une certaine attention,
nous y reviendrons en guise de conclusion.
L’évolution numérique est révélatrice d’un double défi éthique : le
premier tient à la portée des normes déontologiques et à leur application, lié à la multiplication des producteurs de contenus et des canaux
d’information. Le deuxième défi tient à l’établissement de limites et
frontières dans les usages potentiellement infinis offerts par internet.
À cet égard, nous analysons les normes portant sur les sources numériques, les contenus générés par les utilisateurs (UGC) et l’intelligence
artificielle (IA).
La prise en compte du contexte financier des médias sous-tend
toute notre réflexion, comme facteur influençant les pratiques, alors
que la sensibilisation accrue aux questions de diversité et de genre,
moins abordée par les études, laisse supposer l’émergence de nouvelles
valeurs dans le journalisme.
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
1.
205
Portée et définition des normes déontologiques
Le premier constat à dresser en analysant les textes déontologiques
concerne la portée des normes. Leur évolution est la conséquence d’une
réflexion éthique engendrée par les effets des nouvelles technologies.
S’il est impossible d’aborder de manière exhaustive tous les effets de la
digitalisation, il nous paraît opportun de souligner les effets de la numérisation sur l’espace public, qui a modifié les rôles journalistiques de
gatekeeping et d’agenda setting. Ces changements remettent également
en question l’identité et le rôle du journaliste, ce qui se reflète dans les
normes déontologiques.
En effet, d’une part, l’avènement des réseaux sociaux et des
influenceurs comme nouvelles sources d’information interroge la position occupée par le journaliste au sein de la société : les journalistes
risquent d’être relégués au second plan (Newman et al., 2021, p. 25).
D’autre part, la digitalisation a ouvert la voie à des formes de journalisme participatif. Cette démultiplication des acteurs pose la question
de l’identité du journaliste (Cornu, 2013, para 19) et celle du traitement
de l’information en provenance du citoyen. En termes déontologiques,
cela se traduit dans la redéfinition du champ d’application des normes,
souvent étendu également aux non-journalistes de profession et dans le
renforcement des principes de vérification de l’information et de respect de la vie privée. Ces principes sont évoqués par tous les conseils
de presse, qui rappellent l’équilibre entre vie privée et droit du public
de connaître les informations relevant de l’intérêt général. La notion de
responsabilité sociale du journaliste en sort renforcée. En ce sens, les
principes de base se montrent stables, même dans un contexte d’évolution technologique.
Au sein des conseils des pays analysés, nous observons deux
approches : l’une concerne l’application de la déontologie à tout producteur de contenu, qu’il soit journaliste de profession ou non ; l’autre
concerne le type de média auquel s’applique la déontologie. Les conseils
adoptent une approche soit transversale, soit « par média ». Dans ce
dernier cas, l’autorégulation se base sur un principe de « convergence
readiness » (Fielden, 2012, p. 101) qui dépasse les clivages entre
« anciens » et « nouveaux » médias pour aboutir à un environnement
où la seule différence concernerait les contenus régulés et non régulés.
Tous les organes d’autorégulation n’ont pas encore adopté ce
modèle. C’est le cas du Royaume-Uni, par exemple. Si cette approche
visant à scinder l’autorégulation de la presse écrite et de l’audiovisuel
206
LAVINIA ROTILI
correspond à une répartition des tâches presque « historique » et liée
à la volonté des États « de gérer la répartition des fréquences » (Grevisse, 2016, p. 268), la situation varie d’un pays à l’autre : alors qu’au
Royaume-Uni la distinction entre Impress, IPSO et Ofcom est nette, en
Belgique francophone, la répartition des tâches entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et le Conseil de la Déontologie Journalistique (CDJ) est moins afférente aux secteurs qu’aux compétences de
chaque organe.
Au-delà de cette catégorisation, il importe également de souligner l’attitude des conseils de presse face aux réseaux sociaux et à la
Toile. Selon une catégorisation proposée par l’AIPCE (2020) plusieurs
« objets » peuvent rentrer dans le système de l’autorégulation : les
publications des médias sur les réseaux sociaux, les publications des
journalistes sur les réseaux sociaux, les commentaires des utilisateurs
publiés sur les sites d’un média et les commentaires publiés par les
utilisateurs sur les pages des médias reprises sur les réseaux sociaux et
leur modération.
Parmi les conseils de presse étudiés, ceux qui présentent le champ
d’application le plus large sont le CDJ belge francophone/germanophone (CDJ) et le Conseil de Presse du Québec (CPQ) : les deux
couvrent les médias dits traditionnels (presse écrite, presse magazine,
audiovisuel), mais aussi les sites web, les podcasts, les blogs – tenus par
des médias ou des blogueurs –, les livres de non-fiction et les contenus
produits par les agences de presse. Le CDJ prend en compte l’activité
journalistique dans son ensemble et dans toutes les étapes de sa production (CDJ, s. d.).
Pour les journalistes, l’obligation déontologique naît de
l’exercice d’une activité qui a une répercussion dans la
société. Ce n’est donc pas le fait d’être professionnel du
journalisme qui oblige à respecter la déontologie, ni d’être
membre ou pas d’une association professionnelle ; c’est le
fait de diffuser de l’information de type journalistique vers
le public. (CDJ, s. d.)
Depuis 2010, l’application de la déontologie s’étend également
aux réseaux sociaux (CDJ, 2010). Le CDJ a récemment discuté de la
possibilité de modifier l’avis de 2010 en raison du nombre de plaintes
reçues à cet égard, sans qu’un consensus entre les parties puisse être
trouvé (Juntunen, 2022, p. 14).
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
207
Au Québec, le CPQ exerce ses fonctions « à l’égard de tous les
journalistes et de tous les médias d’information distribués ou diffusés
au Québec, peu importe le support utilisé, qu’ils soient membres ou
non du Conseil de presse » (CPQ, 2015, p. 4). Le CPQ considère que
« les médias d’information sont responsables de tout le contenu journalistique qu’ils publient ou diffusent, sans égard au support utilisé, ce
qui comprend les comptes des médias sociaux qu’ils exploitent » (CPQ,
2015, p. 11). La notion de journaliste est large et inclut toute personne
exerçant une fonction journalistique et « ayant pour objectif de servir le
public » (CPQ, 2015, p. 10).
Une définition aussi large est donnée aussi par Impress, l’un des
deux Conseils de presse britanniques, qui prend en compte à la fois la
publication sur le web et les réseaux sociaux, mais aussi le matériel
audiovisuel, photographique, lié aux titres ou aux animations. « Il peut
également inclure le contenu de tiers (comme un rapport d’agence, des
informations sur les marchés financiers et du contenu fourni par des
services d’urgence, des organisations caritatives ou des groupes environnementaux) et le contenu généré par l’utilisateur (UGC), y compris
les commentaires sous les articles d’actualité » (Impress, 2022b, p. 5).
La portée d’application en Suisse est également large, à une exception près : les posts sur les réseaux sociaux rentrent dans le champ d’action du Conseil seulement si le compte est utilisé pour des fins professionnelles, alors que les commentaires des utilisateurs sur les pages
des réseaux sociaux des médias n’ont jamais fait l’objet d’une plainte
(AIPCE, 2021).
Le seul pays où les posts des journalistes sur les réseaux sociaux
n’appartiennent pas au champ d’action du conseil est la Finlande
(AIPCE, 2021). Cela pourrait être dû à une forte media literacy et à une
grande confiance historiquement accordée aux médias (Newman et al.,
2022) : ces éléments expliqueraient que le public est capable de faire la
distinction entre la sphère privée et la sphère publique/professionnelle
des journalistes. Pourtant, le conseil finlandais s’interroge sur l’autorégulation à appliquer aux nouvelles plateformes et aux éventuels non
professionnels qui produisent des contenus journalistiques, comme le
souligne Väliverronen (2022) dans ce numéro de revue.
Bien plus floues sont les définitions appliquées par les organes
d’autorégulation des pays que Hallin et Mancini (2004) incluent dans
le modèle méditerranéen. En Italie, l’Ordine dei giornalisti ne semble
opérer aucune distinction selon le type de média ou le format et considère que les normes déontologiques doivent être appliquées également
208
LAVINIA ROTILI
sur les réseaux sociaux (Partipilo, 2017 dans Ugolini & Ciofalo, 2022),
même si, dans les faits, la norme concernant les réseaux sociaux a été
rarement appliquée (Ugolini & Ciofalo, 2022).
Au Portugal, aucune mention de l’étendue des normes n’est donnée dans le code d’éthique. En revanche, la Commission de la carte professionnelle aborde une notion de la profession assez large, comprenant
tous les médias et « tout autre moyen de diffusion électronique » pour
les journalistes ayant obtenu leur carte professionnelle (CCPJ, s. d.).
En France, le CDJM statue que la saisine « doit porter sur un acte
journalistique édité, publié ou diffusé en France, ou à destination du
public français » (CDJM, s. d.). Selon l’AIPCE, le conseil français doit
trancher sur l’inclusion dans son champ d’application des commentaires des utilisateurs sur les sites des médias et des commentaires que
les utilisateurs laissent sur les pages publiées par des médias d’information sur les réseaux sociaux. (AIPCE, 2021).
Les différences constatées dans le champ d’action sont révélatrices
de l’adaptation des conseils de presse aux usages des publics et aux pratiques professionnelles. En adoptant la vision d’un journalisme ductile
(Grevisse, 2016, p. 52), cela correspond à repenser les traits distinctifs
et caractéristiques de la profession dans un espace public aux multiples
émetteurs. Pour les organes ayant élargi leur spectre, cela équivaut à
reconnaître un espace public éclaté où l’intention communicative l’emporte sur le statut.
L’application de la déontologie aux réseaux sociaux est emblématique de cette perspective : elle renforce la responsabilité sociale du
journaliste en lien avec les effets induits sur le public. Face à des frontières floues entre communication et journalisme, sphère publique et
privée sur les réseaux, la responsabilisation du journaliste par la norme
lui rappelle que ses droits et ses devoirs sont valables sur tout support, en vertu de sa mission et de son impact sur le public. Cette vision
semble ancrer davantage l’éthique journalistique dans une éthique de
l’information telle qu’envisagée par Cornu (2009), capable de prendre
en compte « les domaines de la diffusion et de la réception » (Cornu,
2009, pp. 16-17).
D’un point de vue des identités professionnelles, le risque d’accroître le « professionnalisme du flou » (Ruellan, 1993) dans un espace
public multiple est réel, mais les normes semblent justement renforcer les valeurs de base pour y remédier. En effet, miser sur les valeurs
traditionnelles de responsabilité sociale et d’intérêt général correspond
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
209
à reconnaître les limites2 des approches élitistes3, fonctionnalistes4 et
corporatistes de la profession : à l’ère du web, une quelconque carte de
presse ou statut de journaliste sont, encore plus qu’avant, inaptes à définir qui est journaliste. Ainsi, le réflexe protectionniste de la profession,
qui voit dans la déontologie un « rituel » (Ruellan, 2011, p. 20, cité
par Grevisse, 2016, p. 55) ou un outil pour « protéger » le journalisme
(Grevisse, 2016), s’avère insuffisant. Face à cela, d’autres éléments
semblent plus performants pour définir le journalisme : le « comment »
et le « pourquoi » (Friend & Singer 2007, p. 41, cité dans Cornu, 2013,
para 25). Cette distinction rattache l’identité du journaliste à un système
de valeurs pour distinguer le professionnel de l’amateur.
Pour autant, il convient également de signaler que, dans certains
cas, cet élargissement des normes peut aussi relever d’une démarche
stratégique de la part des conseils de presse : « In the long term, ignoring
these media may be unwise for media councils », affirme Harder (2021,
p. 19). Pour lui, les instances d’autorégulation auraient intérêt à trancher
les cas relatifs aux réseaux sociaux avant que des lois ne s’imposent et
risquent, sous prétexte de contrer les fake news, de brider la liberté de
la presse (Harder, 2021). Cela revient également à attribuer aux plateformes une couche éditoriale qu’elles-mêmes ne souhaitent pas assumer, dans un contexte de faiblesse de la réglementation internationale
sur les GAFAM. L’enjeu de la crédibilité du journaliste demeure une
toile de fond à ce renforcement des normes : qu’on élargisse les normes
pour marquer le territoire de l’information ou qu’on le fasse de manière
préventive vis-à-vis des GAFAM, la volonté de s’ancrer sur des valeurs
de responsabilité vis-à-vis du public révèle une éthique consciente de
son rôle à jouer dans la société.
2.
Évolution des codes
L’analyse de la portée et de l’étendue des normes et du champ
d’application des organes d’autorégulation permet également une analyse plus approfondie de l’évolution des normes déontologiques. Dans
la section qui suit, nous nous penchons sur deux aspects inhérents au
numérique, tels que l’User Generated Content (UGC) et l’intelligence
2 Ruellan, 1993, cité dans Cornu, 2013.
3 Neveu, 2009, cité dans Grevisse, 2016.
4 Ruellan, 1993, cité dans Cornu, 2013.
210
LAVINIA ROTILI
artificielle (IA) en tant que préoccupations communes à plusieurs
conseils de presse.
2.1.
Sources en ligne et User Generated Content (UGC)
En termes de pratiques journalistiques, l’éclatement de l’espace
public se traduit par une multiplication des sources. Une partie d’entre
elles, provenant des utilisateurs, sont définies par le terme User Generated Content (UGC) (Salaverría, 2021). Or l’UGC a des racines
anciennes : les formes d’interaction comme le courrier des lecteurs,
l’envoi de témoignages ou l’interpellation des journalistes ont toujours existé. Le phénomène s’est amplifié avec la digitalisation, posant
deux défis majeurs : la vérification de l’information en provenance de
sources parfois inconnues et le danger de la diffusion de contenus ou
expressions inappropriés (Singer, 2011 dans Salaverría, 2021, p. 320).
La vérification de l’information renvoie au danger des fausses informations, qui pose, à son tour, le problème de la confiance dans les médias
(Salaverría, 2021). Le danger lié à la diffusion de contenus inappropriés
oblige le journaliste à une prudence accrue et mobilise sa responsabilité
sociale.
En réaction, les conseils de presse semblent développer ce que
Juntunen (2022) définit comme une propension à la transparence. Ce
constat est à nuancer, étant donné qu’il ne concerne pas tous les organes
d’autorégulation, ni tous les domaines. Dans bon nombre de cas, les
instances d’autorégulation ont rappelé les bases de la vérification des
sources dans l’objectif de respecter le devoir de recherche de la vérité.
Cependant, tous les conseils de presse n’ont pas adapté leurs codes :
pour ces organes, une révision trop fréquente des normes peut générer
de la confusion, là où des normes plus générales peuvent laisser de la
place à la réflexion du journaliste (Juntunen, 2022, p. 5).
Avant nous, Harder (2021) a également relevé une tendance des
conseils de presse à clarifier les consignes en matière de sources en
ligne. Les approches sont alors de deux types : peu de conseils parlent
ouvertement d’UGC, alors que la plupart d’entre eux se focalisent, de
manière plus générale, sur les sources en ligne.
Les seuls organes d’autorégulation étudiés qui parlent explicitement d’UGC sont l’Impress britannique et le Conseil de presse du Québec. Chez Impress, l’UGC est défini comme
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
211
tout matériel sur un site d’information volontairement
fourni par le public (en opposition [au matériel fourni par]
l’équipe éditoriale). Il peut s’agir, entre autres, de : lettres
à l’éditeur, commentaires en dessous des articles, critiques
et témoignages, toute image, vidéo ou enregistrement
vocal téléchargé, visualisé, partagé et échangé dans les
espaces réservés aux membres (utilisateurs). (Impress,
2022b, p. 4)
L’utilisation de ce contenu est doublement réglementée, rappelle
Impress : l’autorégulation impose le respect de la Clause n° 1, relative
à l’accuracy, la loi oblige à éviter la diffamation (Impress, 2022b, p. 4).
Le devoir de vérification en sort renforcé, même si la mise en parallèle
de la norme déontologique et de la loi témoignent de la frontière floue
qui existe entre autorégulation et hétérorégulation. La réflexion menée
par Impress permet toutefois de mieux comprendre cette frontière : la
question de l’UGC a été abordée sous l’angle de ses effets sur la propagation de la désinformation et des contenus incitant à la haine. Pour
éviter ces deux dangers, Impress attribue une responsabilité accrue aux
éditeurs (Impress, 2022b, p. 5).
Au Québec, le CPQ évoque explicitement les contributions du
public. L’élément distinctif du Guide réside dans la mise en avant de
la pluralité des opinions au travers d’un contenu que l’on peut définir
de type UGC : « Les médias d’information qui choisissent d’accepter
les contributions du public doivent tenter de refléter une diversité de
points de vue. » (CPQ, 2015, p. 23) Pour le reste, la norme québécoise
est similaire aux autres lorsqu’elle évoque le respect de la vie privée et
de la dignité.
Dans les autres conseils de presse, cette question est abordée sans
utiliser explicitement la notion d’UGC. Au sein de l’autre conseil de
presse britannique, IPSO, la question est abordée dans le cadre d’une
plus vaste Guidance sur les réseaux sociaux mise à jour en 2022 (IPSO,
2022 ; Urwin, 2017). À la différence des autres conseils, IPSO adopte
une approche davantage pédagogique en adressant un document au
public pour expliquer comment les journalistes utilisent les réseaux
sociaux (IPSO, s. d.-c).
La Finlande, elle, aborde la question dans une annexe de 2011, où
elle établit une distinction nette entre les contenus éditoriaux (réalisés
par les journalistes) et les contenus produits par le public qui se retrouve
sur les sites des médias (CMM, 2014). Au-delà de cette spécificité, la
212
LAVINIA ROTILI
norme est très semblable à celles qui sont appliquées dans d’autres pays
en matière de modération : attention à la vie privée, à la dignité, à la
protection des publics des contenus de haine. Un point d’attention est
consacré aux enfants.
Comme la Finlande, la Belgique francophone aborde la question
dès 2011 : le CDJ affirme que les règles déontologiques doivent également être appliquées aux démarches journalistiques entreprises dans
les forums, et donc dans l’interaction entre les lecteurs, ainsi que dans
les espaces d’expression des internautes, ce qui appelle à la responsabilité du média plutôt que du journaliste et configure la modération
comme une véritable activité journalistique (CDJ, 2011, p. 8). L’année
suivante, le CDJ éclaircit les balises déontologiques des rapports avec
les sources (CDJ, 2012), sans évoquer explicitement les sources numériques.
En Suisse, les Directives émises par le Conseil de la presse
contiennent des indications pour le courrier des lecteurs et les commentaires en ligne (Directive 5.2) ainsi que pour leur signature (Directive
5.3) : la déontologie s’applique également à ces contenus, et les interventions au sein des courriers de lecteurs sont légitimées uniquement
en cas de violation de la Déclaration des devoirs et des droits du/de la
journaliste. Si la notion d’UGC n’est pas abordée de manière explicite,
le conseil prend en compte la dimension numérique de l’information,
en modifiant certaines de ses directives, notamment l’art. 7 et les directives 7.1 ; 7.3 ; 7.8 (Dubied, 2022). Pour Dubied, la prise en compte
des supports numériques est actée dans la notion de « domaine public »
(Dubied, 2022).
En Italie, le Testo Unico dei Doveri del Giornalista est moins
exhaustif : il rappelle, dans son art. 9, que, sauf exception liée à l’anonymat, les sources doivent toujours être bien indiquées, que le matériel
provienne d’autres médias, d’agences ou de réseaux sociaux (Ordine
dei Giornalisti, 2019). La norme est également succincte en France,
où le CDJM se base sur la Charte d’éthique mondiale de la Fédération
Internationale des Journalistes (FIJ), qui se limite à indiquer un devoir
de prudence « dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les
médias sociaux » (FIJ, 2019). Au Portugal, en revanche, aucune norme
du code d’éthique ne fait référence à l’UGC, de près ou de loin.
De cette analyse, nous pouvons tirer deux constats. Tout d’abord,
les questions relatives aux sources en ligne et à l’UGC sont abordées
sous l’angle du devoir de vérification des sources et de prudence. À
cela s’ajoutent un devoir de transparence par rapport aux sources dans
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
213
les codes suisse et italien ; un devoir de transparence dans la séparation
entre contenu éditorial et non éditorial en Finlande ; un devoir de modération étendue comme activité journalistique en Belgique francophone,
et, en partie, en Finlande. Au Québec, l’UGC est également abordé sous
l’angle de la diversité des opinions. Dans un seul cas, celui d’Impress,
nous sommes à la marge entre la liberté principale et la liberté interstitielle, pour utiliser les mots de Michel Mathien (cité dans Grevisse,
2016, p. 30) : rappelant aux journalistes et aux éditeurs qu’une utilisation inappropriée de l’UGC pourrait entraîner la violation du code
déontologique et de la loi, Impress délimite les limites posées par la loi
et, par ricochet, délimite la marge qui reste aux rédactions.
Ensuite, en ce qui concerne le lien entre ces normes et la responsabilité du journaliste, si Internet semble « pulvériser » l’attribution
des responsabilités en multipliant les acteurs (Cornu, 2009, p. 205),
les conseils de presse veulent, eux, renforcer le lien entre journalistes
et publics. Cette intention nous paraît claire dans le renforcement de
normes visant à protéger les publics de contenus nuisibles et dans le
rappel du devoir de vérification. On y perçoit la volonté de restaurer
un lien de confiance avec les publics. La digitalisation semble alors
remettre le public au sein de la réflexion éthique, dans une démarche
où, au contraire de ce qui arrive pour l’instant, la déontologie serait
moins réactive et plus proactive, pour utiliser les mots de Salaverría
(2021, p. 321). Les mesures analysées dans ce paragraphe semblent en
effet constituer un rempart à l’égard de défis éthiques posés par l’immédiateté et l’hybridation des tâches au sein des rédactions. Elles visent à
contrer la tendance croissante à mettre en œuvre une éthique réactive,
plutôt que proactive (Salaverría, 2021, p. 321).
2.2.
Réglementer l’Intelligence Artificielle (IA)
Un autre aspect émerge dans les textes de référence de la déontologie : l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et des algorithmes. Si
les défis éthiques posés par ces outils sont nombreux5, peu de conseils
de presse ont pris les devants jusqu’à présent.
En 2019, le CMM finlandais a adopté un statement qui renforce
la responsabilité de l’ensemble de la rédaction : « The editorial staff
– ultimately the chief editor – bears the responsibility for the effects
of algorithms on journalistic content » (CMM, 2019). Ainsi, le CMM
5 Une analyse approfondie est menée par Salaverría, 2021.
214
LAVINIA ROTILI
considère que l’automatisation de l’information implique des choix
éditoriaux et que l’entreprise de presse se doit d’être transparente en
matière de personnalisation des contenus, de collecte des données et
de production automatique d’informations. Très pragmatiquement, il
fournit une formule que les médias doivent reprendre sur leurs sites.
L’autre conseil de presse qui prête attention à la question de l’IA
est Impress, qui propose des lignes de conduite dans les sections Accuracy et Transparency. L’IA étant considérée comme un outil pour disséminer du false content, le code recommande la prudence, en incitant
les rédactions à éditorialiser et vérifier les contenus produits par l’IA
(Impress, 2022b, p. 13). Dans la section consacrée à la transparence,
la clause 10.5 fait correspondre le devoir de transparence en matière
d’IA avec un contrat de lecture clair pour le public. Ainsi, comme pour
le CMM : « Les éditeurs doivent étiqueter de manière bien visible tout
le contenu qui a été généré entièrement ou partiellement par l’IA, afin
que leurs lecteurs sachent que c’est le cas. » (Impress, 2022b, p. 52)
Ce devoir s’accompagne de la possibilité pour le public d’introduire
une plainte par rapport au contenu produit par l’IA, ce qui met sur un
plan d’égalité le contenu IA et le contenu produit par les humains. Par
ailleurs, la responsabilité des éditeurs est engagée pour les contenus
produits par l’IA.
En comparant les normes, il ressort que la responsabilité journalistique est fortement sollicitée dans la sélection et la diffusion de
contenu : l’IA est conçue comme une manière de véhiculer l’information derrière laquelle doit s’exercer un contrôle éditorial. La responsabilité des éditeurs et des rédactions est renforcée par les normes, tout
comme la transparence : en Finlande, cette transparence vise à protéger
les publics et ses données, alors qu’Impress met l’accent sur la transparence dans le processus éditorial et de diffusion. La thèse de la transparence est par ailleurs abordée également par Juntunen (2022). La seule
différence entre les deux pays est qu’Impress met davantage l’accent
sur l’accuracy que son homologue finlandais : nous émettons l’hypothèse que le haut niveau de confiance en la presse en Finlande pourrait
expliquer l’absence d’un tel rappel dans ses normes déontologiques.
3.
Genre et diversité : approches comparées
La dernière partie de cet article aborde les dispositions prises par
l’autorégulation à l’égard des questions de diversité dans le traitement
médiatique. L’enjeu n’est pas anodin : la littérature démontre un lien
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
215
entre la représentation de la diversité et la confiance attribuée aux
médias (Fletcher, 2021). Nous allons d’abord survoler les normes générales sur la discrimination pour ensuite analyser les normes spécifiques.
3.1.
Les normes
Tous les codes analysés comprennent des mesures portant sur la
discrimination. Tous, à l’exception de l’Italie, présentent un article
explicitement consacré à la discrimination basée sur le genre, la langue,
l’orientation sexuelle, le handicap, l’origine, la religion ou l’état de
santé mentale. Le Testo Unico italien, lui, n’a pas un article précis sur
la discrimination, mais il aborde la question au travers de deux articles
sur les violences de genre et le traitement médiatique des étrangers.
Pour ce qui est des autres pays, l’analyse de ces dispositions
est relativement simple : en France, la discrimination est abordée au
point 9 de la Charte d’éthique de la FIJ (FIJ, 2019). En Finlande, le
même principe est affirmé au point 26 et dans l’annexe de 2011 sur
l’incitation à la haine en ligne (CMM, 2014). En Suisse, c’est le chiffre6
8 qui régit le traitement de la discrimination. À la différence des autres
codes, cet article évoque clairement le respect de la dignité humaine,
qu’on cherche à atteindre en évitant les discriminations. Le volet des
discriminations en ligne est également abordé en prônant la modération
de commentaires a priori (Conseil suisse de la presse, s. d.-a ; Conseil
suisse de la presse, s. d.-b).
Au Québec, la discrimination est abordée à l’art. 19 (CPQ, 2015,
p. 27). Il affirme que les caractéristiques relevant de « la race, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap ou d’autres caractéristiques
personnelles » (CPQ, 2015, p. 27) ne doivent être mentionnées que
lorsqu’elles sont nécessaires. Le mot « genre » n’apparaît nulle part.
En revanche, le CPQ s’est impliqué dans la couverture des homicides
intrafamiliaux en commandant une étude : celle-ci met l’accent sur la
contextualisation des faits et le respect des victimes afin d’éviter le sensationnalisme (Léveillée et al., 2015). Ces principes sont les mêmes
que ceux qui sont évoqués dans les cas du traitement médiatique des
violences faites aux femmes au sein des autres pays.
6 En Suisse, le mot « chiffre » est synonyme du mot « article » dans le cadre de la
nomenclature des normes des conseils de presse.
216
LAVINIA ROTILI
Dans d’autres pays, en revanche, les normes concernant les discriminations sont plus approfondies. C’est le cas pour la Belgique francophone et germanophone, le Royaume-Uni, le Portugal et l’Italie.
En Belgique francophone et germanophone, des recommandations
ont été adoptées pour le traitement de la diversité d’origine et le traitement des violences faites aux femmes. La première, adoptée en 2016
et basée sur une recommandation de 1994, est accompagnée d’un glossaire. Le CDJ a mis à jour cette recommandation suite « au nombre
croissant de plaintes qui portaient sur l’application de l’article 28 du
Code de déontologie journalistique » (CDJ, 2016, p. 3). Cette recommandation aborde la nécessité d’éviter les stéréotypes et les amalgames, de respecter la diversité de la société et d’appliquer un devoir de
modération sur les réseaux sociaux. La recommandation sur les violences faites aux femmes est plus récente. Il est très probable que le
CDJ ait opté pour une recommandation plutôt que pour une révision du
code pour des raisons pratiques (Juntunen, 2022, p. 7-8). Cette recommandation (CDJ, 2021) est complémentaire à celle fournie par l’Association des Journalistes Professionnels (AJP) (Impe, 2021) : l’articulation entre les deux révèle une approche corporatiste de la profession
dans la mesure où l’association professionnelle s’empare également du
sujet qui, en principe, devrait relever uniquement de la compétence de
l’organe déontologique.
Dans son texte, le CDJ fait explicitement référence à
l’hétérorégulation et à l’art. 378bis du Code pénal sur l’interdiction de
divulguer l’identité de la victime sauf accord de celle-ci. La norme est
citée pour rappel, mais surtout pour déterminer son lien avec l’autorégulation. La dérogation pour les journalistes est admise uniquement
dans des cas bien précis :
Du point de vue déontologique, seul l’intérêt général peut
justifier, dans des circonstances exceptionnelles, de déroger à cette disposition pénale. […] les journalistes et les
rédactions n’identifient que les personnes qui ont donné
pour cela leur accord explicite ou implicite, et à défaut
d’un tel accord, leur identification n’est permise que lorsqu’une autorité publique a communiqué au préalable son
identité, lorsqu’il s’agit d’une personnalité publique, ou
lorsqu’elle relève de l’intérêt général. (CDJ, 2021, p. 2)
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
217
Comme ce sera le cas pour le Royaume-Uni et l’Italie, le CDJ rappelle qu’il ne faut pas banaliser les actes ni culpabiliser les victimes. Il
est également fait mention de la nécessaire prudence dont il faut faire
preuve vis-à-vis de l’accusé. Le trait qui distingue l’approche belge est
qu’elle cherche notamment à « sortir » les violences faites aux femmes
de la rubrique des faits divers pour lui donner un traitement médiatique
plus approfondi (Impe, 2021).
Au Royaume-Uni, les nouvelles normes d’Impress mettent l’accent sur les risques de discrimination et sur l’incitation à la haine, en
élargissant la norme aux papiers d’opinion. Les critères de discrimination
ont également été complétés par une prise en compte des femmes, de
la nationalité et de l’ethnie. En ajoutant des exemples sur la discrimination en ligne, Impress affirme que la norme s’étend désormais à tout
type de média (images, animations, audio et vidéo). Une attention particulière est liée à la religion, pour ne pas confondre pratiques religieuses
et culturelles7 (Impress, 2022a, p. 12).
Pour ce qui est du traitement des violences faites aux femmes,
Impress aborde la question dans la section consacrée à la discrimination, mais aussi à la justice. Dans cette section, la norme porte particulièrement sur la non-identification dans les médias des victimes d’abus
sexuels. Quand bien même la victime donne son consentement pour diffuser son nom, le média doit s’assurer que ce consentement soit éclairé.
Sur son site, Impress renvoie également à des guidelines très précises,
rédigées par une association féministe8. Elles portent sur la manière de
parler des féminicides. Pour finir, le conseil invite à ne pas culpabiliser
la victime (Impress, 2022b, p. 35).
Les normes sont presque identiques du côté d’IPSO (IPSO, 2021).
La seule différence est qu’IPSO dispose de deux ressources supplémentaires, l’une ayant trait au traitement des violences sexuelles, l’autre
au traitement journalistique de la transidentité. Dans l’un comme dans
l’autre cas, ces guidances (IPSO, s. d.-b ; IPSO, 2016) exposent les
principes déontologiques mobilisés, contiennent des ressources ou
checklists pour les journalistes, et dressent une courte revue de littérature de la jurisprudence.
Les normes sur les femmes, qui datent de 2019, sont le fruit d’un
lobbying (Frank & Toms, 2021, p. 231), alors qu’il s’agit d’une préoc-
7 Voir Harb (2022) dans ce numéro de revue.
8 Accessibles à l’adresse : https://www.welevelup.org/media-guidelines
218
LAVINIA ROTILI
cupation ancienne, déjà pointée par la Leveson Inquiry en 2012 (Franks
& Toms, 2021, p. 229).
Quant aux normes sur la diversité d’origine, IPSO mène un monitoring constant et transparent de la Clause 12 (qui aborde les discriminations). Cette volonté de transparence survient après des discussions
sur la manière dont le conseil appliquait la norme (IPSO, s. d.-a). Cette
transparence, qui caractérise d’autres aspects de la déontologie à l’ère
actuelle (Juntunen, 2022), semble émerger ici comme solution pour
recréer un lien avec le public.
Au Portugal et en Italie, les codes réfutent les discriminations et
invitent à ne pas identifier les victimes de crimes sexuels, tout en respectant les victimes et leurs proches dans la narration (Sindicato dos
Jornalistas, 2017 ; Ordine dei Giornalisti, 2020). Cependant, la norme
portugaise est plus ancienne que la norme italienne, bien que le phénomène des féminicides ne date pas d’hier dans la Péninsule. De même,
dans le Code portugais, l’article relatif au traitement médiatique des
violences à l’égard des crimes sexuels (art. 8) précède celui sur la
discrimination (art. 9) et mentionne la présomption d’innocence pour
l’agresseur présumé avant de se pencher sur les droits de la victime
(Sindicato dos Jornalistas, 2017).
Le Testo Unico italien aborde la question du « Respect des
différences de genre » dans un nouvel article, approuvé en 2020, le
5bis, qui explicite les cas visés : « [Ceux de] féminicide, violence,
harcèlement, discriminations et faits divers qui concernent des aspects
liés à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre ». L’art 5bis invite
le journaliste à « éviter les stéréotypes » et à ne pas « banaliser ou
minimiser la gravité des faits ». La norme est également moins précise
par rapport à celle d’autres pays, mais intègre la notion de fait divers.
La non-identification des personnes concernées par des crimes sexuels
est, elle, abordée par l’art. 3 sur le droit à l’oubli. La présomption d’innocence est explicitement abordée à l’art. 8, dans la section consacrée
à la « chronique judiciaire et procès à la télé » (Ordine dei Giornalisti,
2019).
L’art. 7, en revanche, se penche sur les « Devoirs à l’égard des
étrangers » (Ordine dei Giornalisti, 2019). Cet article est plus concis
que les recommandations belges sur le même thème. Il aborde notamment la préservation de l’image et de l’identité des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile. Comme le CDJ, l’Ordre inclut un glos-
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
219
saire9 pour éviter « la diffusion d’informations imprécises, sommaires
ou déformées » à cet égard (Ordine dei Giornalisti, 2019). Si la crise
migratoire en Italie peut avoir joué un rôle, l’analyse d’Ugolini et Ciofalo (2022) dans ce numéro de revue situe les origines de ces normes
contre la discrimination dans le journalisme sportif.
Conclusions
Cette analyse permet de pointer plusieurs tendances : face à la digitalisation, à l’éclatement de l’espace public et à la multiplication des
acteurs, les conseils de presse ont élargi la portée de leurs normes. La
prise en compte des nouveaux canaux de communication et des nouveaux acteurs met en avant une vieille interrogation en journalisme :
qui est journaliste ? (Cornu, 2013). L’élargissement du champ d’application des normes déontologiques cherche à répondre à cette question
en renforçant la responsabilité sociale du journalisme, l’intérêt général et le respect des personnes. Or en renforçant la responsabilité des
journalistes, l’autorégulation cherche à faire passer, à notre sens, un
message plus profond : celui que la liberté du journaliste et sa liberté
d’expression ne sont pas absolues. Elles se situent toujours en lien
avec le public, en équilibre entre l’intérêt général et le respect de l’individu. Rappeler le principe d’une liberté d’expression qui n’est pas
absolue semble d’autant plus important à l’ère du web et des réseaux
sociaux, où les moyens techniques donnent l’impression d’être dans un
espace public « illimité », où la liberté d’expression est donnée à tout
le monde et à tout moment. C’est d’ailleurs au départ de l’ancrage dans
ces valeurs que semble pouvoir se redessiner une identité journalistique
davantage tournée vers le public. Plus que jamais, ce sont les valeurs
défendues et les intentions communicationnelles qui configurent la profession. À travers la responsabilité sociale et le respect de la vie privée,
l’éthique journalistique semble glisser vers une éthique de l’information soucieuse de prendre en compte « les domaines de la diffusion et
de la réception » (Cornu, 2009, pp. 16-17). Nous pouvons espérer que
cela permette le passage d’une déontologie protectionniste et réactive à
une déontologie proactive (Salaverría, 2021, p. 321).
Sur le plan pratique, certains conseils décident de ne pas alourdir
leur appareil normatif, laissant une place à la réflexion du journaliste
9 Disponible
ma/24291
à
l’adresse
:
https://www.odg.it/allegato-3-glossario-carta-di-ro-
220
LAVINIA ROTILI
en matière de numérique et, donc, à sa responsabilisation (Juntunen,
2022). En ce sens, les pays qui correspondent au modèle méditerranéen
de Hallin et Mancini (2004) tels que l’Italie, le Portugal et la France
semblent disposer des normes les moins étayées, même si la récente
création du conseil de presse français (2019) peut expliquer l’état moins
abouti de ses normes. Toutefois, il ne faut pas oublier les forts liens
entre ces systèmes médiatiques et les pouvoirs politiques, qui, avec
des degrés de professionnalisation moins forts, peuvent expliquer les
développements de la déontologie en Italie et au Portugal (Hallin &
Mancini, 2004).
En revanche, plus on avance vers des modèles corporatistes, plus
la déontologie paraît établie (Hallin & Mancini, 2004). Cela se reflète
dans une autorégulation forte et des normes poussées : c’est le cas pour
la Belgique (plus proche du modèle méditerranéen) et la Suisse, dotée
de normes plus ou moins récentes en matière de numérique. La Finlande, quant à elle, est le pays européen le plus avancé en matière de
règlementation numérique parmi ceux qui sont ici analysés, notamment
en raison de normes sur l’IA plutôt inédites.
Pour finir, les pays du modèle libéral, tels que le Royaume-Uni
ou le Canada, présentent des caractéristiques qui ne sont pas toujours
similaires. Le Royaume-Uni, avec sa répartition entre Impress, IPSO
et Ofcom, court le danger d’éparpiller les approches déontologiques.
Pourtant, les régulateurs de la presse écrite montrent une volonté d’aller
de l’avant, dont témoigne le renouvellement du code d’Impress, finalisé
pendant l’été 2022. Toujours au Royaume-Uni, les normes montrent
une prise en compte croissante des enjeux de la digitalisation, comme
le prouvent les normes sur l’UGC et l’IA. Au Québec, en revanche, la
remise en question de l’autorité du CPQ risque de mettre en danger son
activité. Mais cela n’a pas empêché l’adoption de normes assez avancées (même si pas très récentes), comme en matière d’UGC. Pour ce qui
est des autres aspects liés à la digitalisation, le Québec présente plus de
similitudes avec les pays du modèle corporatiste.
À côté du renforcement des valeurs traditionnelles du journalisme,
de nouvelles valeurs se frayent leur chemin dans l’éthique de l’information. Ces valeurs, telles que la tolérance, le respect et la diversité se
reflètent dans une attention accrue aux questions de genre et de diversité. Au-delà de balises générales en termes de discrimination, plusieurs
conseils de presse renforcent les normes en matière de diversité, notamment en Belgique, en Italie et au Royaume-Uni. Il est intéressant de
constater que chacun de ces pays appartient à un système médiatique
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
221
différent selon la catégorisation de Hallin et Mancini (2004). À bien
regarder les contextes sociaux et politiques où émergent ces normes,
celles-ci semblent davantage liées à des faits d’actualité (féminicides et
migration accrues en Belgique et en Italie ; sensationnalisme et migration au Royaume-Uni), plutôt qu’à des cultures politiques particulières.
Cette hypothèse mériterait toutefois d’être approfondie par une analyse
comprenant davantage de pays.
Si ce bilan permet d’amorcer certaines pistes d’interprétation,
d’autres mériteraient d’être explorées de la même manière : les effets
de la pandémie de Covid-19, le développement d’une conscience écologique en lien avec un probable essor du journalisme scientifique, ou
encore l’analyse des évolutions de la règlementation sur les réseaux
sociaux constituent les exemples les plus emblématiques de ces champs
à observer.
Références
AIPCE (2020, septembre 29). Comparative Data on Media Councils. Alliance of Independent Press Councils of Europe (AIPCE). https://www.presscouncils.eu/Comparative-data-on-media-councils
AIPCE (2021). Compare Press Councils. Alliance of Independent Press Councils of
Europe (AIPCE). https://presscouncils.eu/Council-Comparison
CCPJ (s. d.). Definição legal. Commissão da Carteira Profissional de Jornalista - CCPJ
- Português. Consulté 28 juin 2022, à l’adresse : https://www.ccpj.pt/pt/jornalista/
definicao-legal/
CDJ (s. d.). Définition & Champ d’action du CDJ. Consulté 28 juin 2022, à l’adresse :
https://www.lecdj.be/fr/deontologie/definition-champ-daction-du-cdj/
CDJ (2010). Avis du Conseil de déontologie journalistique du 13 octobre 2010 sur
l’application de la déontologie journalistique aux réseaux sociaux. https://www.
lecdj.be/wp-content/uploads/10-10-13-Avis-sur-la-deontologie-et-les-reseaux-sociaux.pdf
CDJ (2011). Les forums ouverts sur les sites des médias – Recommandation, Les carnets de la déontologie. https://www.lecdj.be/wp-content/uploads/Carnet_Forums.
pdf
CDJ (2012). Les journalistes et leurs sources – Guide de bonnes pratiques, Les carnets
de la déontologie. https://www.lecdj.be/wp-content/uploads/guide_des_bonnes_
pratiques.pdf
CDJ (2016). Recommandation pour l’information relative aux personnes étrangères
ou d’origine étrangère et aux thèmes assimilés. Disponible à : https://www.lecdj.be/
wp-content/uploads/carnet-9-Recomm-personnes-etrangeres-avec-lexique-PQ-2.
pdf
CDJ (2021). Recommandation sur le traitement journalistique des violences de
genre adoptée par le Conseil de déontologie journalistique le 9 juin 2021. Dis-
222
LAVINIA ROTILI
ponible à :https://www.lecdj.be/wp-content/uploads/CDJ-Recommandation-violences-de-genre-9juin2021-final.pdf
CDJM (s. d.). Règlement intérieur. CDJM. Consulté 28 juin 2022, à l’adresse https://
cdjm.org/reglement-interieur/
CMM (2014). Guidelines for journalists and an annex. https://www.jsn.fi/en/guidelines_for_journalists/
CMM (2019). Statement on Marking News Automation and Personalization. Council for Mass Media in Finland. https://www.jsn.fi/en/lausumat/statement-on-marking-news-automation-and-personalization/
Conseil suisse de la presse (s. d.-a). Directives relatives à la « Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste ». https://presserat.ch/fr/code-de-deontologie-des-journalistes/richtlinien/
Conseil suisse de la presse (s. d.-b). La Déclaration des devoirs et des droits du/de la
journaliste. https://presserat.ch/fr/code-de-deontologie-des-journalistes/erklaerungen/
Cornu, D. (2009). Journalisme et vérité. L’éthique de l’information au défi du changement médiatique. Coll. Le champ éthique. Genève : Labor et Fides.
Cornu, D. (2013). Journalisme en ligne et éthique participative. Éthique publique.
Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, 15(1), Article 1. Doi :
https://doi.org/10.4000/ethiquepublique.1073
CPQ (2015). Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Disponible à : https://conseildepresse.qc.ca/wp-content/uploads/2017/12/
Guide-de-deontologie-journalistique_CPQ.pdf
Dubied, A. (2022). Le conseil suisse de la presse, état des lieux. Recherches en Communication, 54.
Fielden, L. (2012). Regulating the Press: A Comparative Study of International Press
Councils (p. 124). Reuters Institute for the Study of Journalism. Disponible à :
https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2017-11/Regulating%20
the%20Press.pdf
FIJ (2019). Charte d’éthique mondiale des journalistes. https://cdjm.org/les-chartes/
Fletcher, R. (2021). Perceptions of Fair News Coverage among Different Groups. In
Reuters Institute Digital News Report 2021 (Reuters Institute for the Study of Journalism, p. 33-37). Disponible à : https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2021-06/Digital_News_Report_2021_FINAL.pdf
Franks, S. & Toms, K. (2021). Representing Women. Challenges for the UK media and
beyond. In The Routledge Companion to Journalism Ethics (p. 227-234). London:
Routledge.
Grevisse, B. (2016). Déontologie du journalisme. Enjeux éthiques et identifiés professionnelles. Bruxelles : De Boeck Supérieur.
Hallin, D. C. & Mancini, P. (2004). Comparing Media Systems. Three Models of Media
and Politics. Cambridge: Cambridge University Press; Cambridge Core. https://doi.
org/10.1017/CBO9780511790867
Harb, Z. (2022). Ethics in British Journalism: A Reflective Overview. Recherches en
Communication, 54.
Harder, R. (2021). Media Councils in the Digital Age. An Inquiry into the Practices of
Media self-regulatory Bodies (p. 26) [Media Councils in the Digital Age. An inquiry into the practices of media self-regulatory bodies]. Disponible à : https://www.
L’ÉTHIQUE JOURNALISTIQUE
223
presscouncils.eu/userfiles/files/Media%20Councils%20in%20the%20Digital%20
Age.pdf
Impe, A.-M. (2021). Comment informer sur les violences contre les femmes ? 10 recommandations à l’usage des journalistes. AJP. Disponible à : https://www.ajp.be/
wp-content/uploads/2021/11/2021_AJP_Guide_PratiqueWeb-SD-2211-1.pdf
Impress (2022a). Code consultation paper. Disponible à :https://www.impress.press/
downloads/file/code-consultation-document.pdf
Impress (2022b). The Impress Standards Code and Guidance. Impress: The independent monitor for the press. Disponible à :https://www.impress.press/downloads/file/
standards-code-and-guidance.pdf
IPSO (s. d.-a). Clause 12 monitoring. Consulté 28 juin 2022, à l’adresse : https://www.
ipso.co.uk/monitoring/clause-12-monitoring/
IPSO (s. d.-b). Guidance on reporting sexual offences. Consulté 21 juin 2022, à
l’adresse : https://www.ipso.co.uk/media/1723/sex-off-journo_v4.pdf
IPSO (s. d.-c). Journalism and the use of information from social media. Consulté 28
juin 2022, à l’adresse : https://www.ipso.co.uk/media/1517/social-media-public_
v4.pdf
IPSO (2016). Guidance on Researching and Reporting Stories Involving Transgender
Individuals. Disponible à : https://www.ipso.co.uk/media/1275/guidance_transgender-reporting.pdf
IPSO (2021). Editors’ Code of Practice. IPSO. Disponible à :https://www.ipso.co.uk/
media/2032/ecop-2021-ipso-version-pdf.pdf
IPSO (2022). Social Media Guidance. Disponible à :https://www.ipso.co.uk/media/2173/ipso-social-media-guidance-final.pdf
Juntunen, L. (2022). Digital Challenges to Ethical Standards of Journalism. Responses
and needs of European Media Councils. Council for Mass Media in Finland. Disponible à :https://presscouncils.eu/userfiles/files/JSN_Digital%20Challenges_96ppi.
pdf
Léveillée, S., Tousignant, M., Laforest, J. & Maurice, P. (2015). La couverture médiatique des homicides intrafamiliaux. Mieux en comprendre les effets. Conseil
de Presse du Québec. Disponible à :https://conseildepresse.qc.ca/wp-content/
uploads/2019/11/HIRapport-final-fe%CC%81vrier-2015_web.pdf
Newman, N., Fletcher, R., Robertson, C. T., Eddy, K. & Nielsen, R. K. (2022). Reuters
Institute Digital News Report 2022. 164.
Newman, N., Fletcher, R., Schulz, A., Andī, S., Robertson, C. T. & Nielsen, R. K.
(2021). The Reuters Institute Digital News Report. Reuters Institute. Disponible à :
https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/sites/default/files/2021-06/Digital_News_
Report_2021_FINAL.pdf
Ordine dei Giornalisti (2019). Testo Unico dei Doveri del giornalista. https://www.odg.
it/testo-unico-dei-doveri-del-giornalista
Ordine dei Giornalisti (2020). Modifiche al testo unico dei doveri del giornalista. Disponible à : https://www.odg.it/wp-content/uploads/2020/11/Modifiche-al-TU-giornalisti_19_11_20-.pdf
Ruellan, D. (1993). Le professionnalisme du flou. Réseaux. Communication - Technologie - Société, 51, 25-37. Doi : https://doi.org/10.3406/reso.1992.1922
Salaverría, R. (2021). Journalists’ Use of UGC and Automated Ccontent. Ethical Issues. In The Routledge Companion to Journalism Ethics (pp. 319-327). London:
224
LAVINIA ROTILI
Routledge. https://web.s.ebscohost.com/ehost/detail/detail?vid=0&sid=521d40af
-d905-4096-817d-9f665b18554c%40redis&bdata=Jmxhbmc9ZnImc2l0ZT1laG9zdC1saXZlJnNjb3BlPXNpdGU%3d#AN=2914559&db=nlebk
Sindicato dos Jornalistas (2017). Novo Código Deontológico. https://jornalistas.eu/novo-codigo-deontologico/
Ugolini, L. & Ciofalo, G. (2022). Paradoxes et difficultés de l’Ordine dei Giornalisti.
Recherches en Communication, 54.
Urwin, C. (2017, juillet 14). IPSO Blog: What should journalists think about when
using information taken from social media? https://www.ipso.co.uk/news-press-releases/blog/ipso-blog-what-should-journalists-think-about-when-using-information-taken-from-social-media/
Väliverronen, J. (2022). Finland: Prepared For Challenges Ahead. Recherches en Communication, 54.
Publié sous la licence Creative Common
«Attibution – pas d’utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0. International»
(CC BY-NC-ND)