A Vila Dos Mistérios de Pompeia
A Vila Dos Mistérios de Pompeia
A Vila Dos Mistérios de Pompeia
Graham CUVELIER
Rappel : domus, villa et villa urbana
Villa : à l’origine, villa désigne le bâtiment principal d’une exploitation agricole qui se trouve
dans la pars urbana [>< pars rustica : ensemble des territoires cultivables formant ce
domaine agricole]
La villa constitue donc le centre administratif de ce domaine et devient ainsi le lieu de
résidence du propriétaire foncier et de sa maisonnée
Par la suite, ce complexe perd son aspect agricole pour devenir une résidence secondaire
On parle alors de villa urbana (« suburbs ») ou encore de villa périurbaine lorsqu’elle
se trouve directement à la sortie d’une ville
Pierre GROS, L’architecture romaine du début du IIIe siècle av. J.-C. à la fin du Haut-Empire,
vol. 2, Maisons, palais, villas et tombeaux, Paris 2001.
Alexander MCKAY, Houses, Villas and Palaces in the Roman World, New York 1975.
(plus particulièrement pp. 100 sqq. pour les villas).
Anthony RICH, Dictionnaire des antiquités romaines et grecques, Paris 2004.
La « suburb »
de Porta Ercolano
Bref historique de l’activité archéologique
1947 : Amedeo Maiuri publie La Villa dei Misteri, la référence fondamentale concernant ce site
1969, 1973-1974, 1976 : nouvelles campagnes de restauration des structures et des fresques
Phase I : première moitié du IIe siècle A.C.N., avant que Pompéi ne devienne une colonie
=> occupants samnites et construction du noyau central de l’édifice
Phase II : en 80 A.C.N., sous Sylla, Pompéi accède au statut de colonie
=> occupants romains et légers réaménagements de la structure initiale
Phase III : série d’agrandissements autour du milieu du Ie siècle A.C.N.
réalisation des décors selon le IIe style (ca 60-40 A.C.N.)
La statue en marbre du péristyle est identifiée comme Livia (58 A.C.N. - 29 P.C.N.)
Livia est envisagée comme potentielle propriétaire de la Villa (vers 30 A.C.N.)
Quelques pièces (dont le tablinum) sont décorées selon le IIIe style (ca 20 A.C.N. - 40 P.C.N.)
Dans ses derniers temps, elle (re)devient une exploitation agricole (présence d’un torcularium)
=> (re)devient une villa au sens propre et le bâtiment en constitue la pars urbana
Le tremblement de terre de 62 P.C.N. provoque quelques dégâts dans la Villa qui donnent lieu à
de légers réaménagements (essentiellement du cloisonnage)
Un sceau au nom de Lucius Istacidius Zosimus date de l’ultime période d’activité de la Villa
Le 24 août (ou octobre) 79 P.C.N., les rejets volcaniques du Vésuve recouvrent la Villa
Reconstitution de la Villa pour les phases I et II
(d’après Amedeo Maiuri)
Statue romaine en marbre identifiée comme Livia,
dernier tiers du Ie siècle A.C.N.,
Naples, Museo Nazionale Archeologico, 4400
Le torcularium et son torculum,
pressoir à huile d’olives
dont le fonctionnement est exposé
par Vitruve, de Architectura, VI, 6, 3
Relevé du sceau en bronze (6 x 2,5 cm)
au nom de Lucius Istacidius Zosimus (L· ISTACIDI ZOSIMI)
troisième quart du Ie siècle P.C.N. (entre 62 et 79 P.C.N. ?)
La Gens Istacidia est une importante famille pompéienne issue d’un affranchi
Ce sceau est peut-être celui de l’ultime propriétaire de la Villa
ou celui du procurator (surperviseur) des derniers aménagements effectués après 62 P.C.N.
1929-1937
1969
1973-1974
1976
Restauration et couverture
du péristyle en 1973
Rappel : le IIe style apparaît à Rome vers 120-100 A.C.N. mais n’arrive à Pompéi
qu’aux environs de 80 A.C.N., lorsqu’elle devient colonie romaine
=> Pompéi « rattrape » un style à la mode à Rome depuis la fin du IIe siècle A.C.N.
La fin du IIe style et la transition avec le IIIe style (ca 40-20 A.C.N.)
Les compositions scénographiques tendent à disparaître, tout comme les éléments
architecturaux qui deviennent toujours plus abstraits
Les surfaces se couvrent de grands pans monochromes qui annoncent le IIIe style
Ces pans monochromes sont rythmés par des atlantes ou des caryatides peints
La partie supérieure de la composition abrite de scénettes mythologiques
Le IIe style se démode progressivement durant le principat d’Auguste et laisse place
au IIIe style aux environs de 20 A.C.N.
Maison d’Auguste (Palatin), salle dite des Masques, ca 40-30 A.C.N.
Maison du Cryptoportique (Pompéi), dernier tiers du Ie siècle A.C.N.
Maison de la Farnesine (Rome), dernier tiers du Ie siècle A.C.N.
Le IIIe style pompéien - « der Ornamentstil »
Ce style apparaît avec le principat d’Auguste (ca 30 A.C.N.) mais arrive à Pompéi
une dizaine d’années plus tard (ca 20-15 A.C.N.)
Disparition des architectures complexes et fin des effets de profondeur
Disparition des mégalographies et abstraction des éléments architecturaux figurés
=> retour à la bidimensionnalité sur de grands pans de mur monochromes
Miniaturisme et prolifération de motifs décoratifs en marge du panneau central
Apparition de motifs égyptisants (retour d’une mode égyptisante après Actium)
Le IIIe style prend fin aux environs de 40 P.C.N.
Villa des Mystères (Pompéi), tablinum (2)
Villa des Mystères (Pompéi), tablinum (2)
Villa des Mystères (Pompéi),
corridor F (vers l’atrium)
L’un des principes fondamentaux de la religion antique est la constante relation entre le mythe et le rituel
Le rituel replace la communauté dans l’univers du mythe / le mythe contient des évocation d’éléments rituels
Le rite initiatique est ainsi une mise en scène du mythe, sa reproduction, son « reenactment »
On parle alors de drames liturgiques (la Grèce est le berceau du théâtre dont Dionysos est d’ailleurs le dieu)
Dans le cas des rites dionysiaques, il semblerait que la cérémonie tourne autour de l’initiation d’un enfant
Au moyen de cette scénographie, le sort de l’enfant est mis en parallèle avec celui de Dionysos
En assistant à ces évènements et en les éprouvant, les autres initiés font l’expérience du divin
Attention ! Le fait que les mystères dionysiaques sont très diffusés, aussi bien dans l’espace que
dans le temps, implique une grande variabilité du rituel et de ses formes. En cela, ils diffèrent des
autres cultes mystériques plus « dogmatiques » tels que ceux des Deux Déesses d’Eleusis.
« La paire d’yeux typique desdites coupes à yeux attiques
pourrait, à l’origine, évoquer la vision des mystères.
Elle apparaît pour la première fois, semble-t-il, sur la coupe
Munich 8729 attribuée à Exékias.
Le tondo illustre le mythe qui nous est connu grâce à
l’Hymne homérique à Dionysos. La vision/révélation du
dieu dans le fond de la coupe, une fois le vin consommé, est
annoncée par le regard qui fixe le buveur quand il porte la
coupe à ses lèvres. »
Cornelia ISLER-KÉRENYI
Tandis qu’un Eros l’assiste, une ornatrix prépare la coiffure à six tresses qu’on faisait aux romaines à
l’occasion de leur mariage. Un autre Eros, l’arc à la main, observe et attend de décocher sa flèche
La mater, la prêtresse qui célébrait les mystères dionysiaques, était considérée comme l’épouse de Zeus
Parcours 1, scène D. La grossesse de Sémélé
Sémélé enceinte s’est réfugiées sur les genoux d’une nourrice (ou d’une Ilithye)
alors que Némésis aux ailes noires, fille et daimôn de Zeus, s’apprête à la fouetter
Parcours 1, scène E-2. La naissance de Dionysos
Une femme coiffée d’un rameau d’olivier et tenant le même végétal (référence à Athéna ?) apporte un plateau
Une autre femme (la mater/domina ?), également coiffée d’un rameau d’olivier (autre référence à Athéna ?)
procède, aidée d’une assistante, à la lustration d’un objet indéterminé qu’elle va disposer dans le liknon voilé
que lui présente une autre assistante toujours coiffée d’un rameau d’olivier
=> préparation du liknon rituel mis en parallèle avec celui qui accueille la dépouille de Dionysos
Parcours 2, scène H-1. La renaissance de Dionysos à Delphes
Un silène « apollinien » (coiffé de laurier et muni d’une cithare) => évoque Apollon et donc Delphes
s’appuie sur un monument (un naiskos ?) => le tombeau/cénotaphe de Dionysos
Un paniskos joue du syrinx et qu’un paniska allaite un chevreau => le mont Parnasse surplombant Delphes
Dionysos à Delphes
« Au cours de l’étude des cultes à mystères et des images qu’ils nous ont laissées, on s’est très peu intéressé à
l’implication émotionnelle de l’initiation. Or c’est pourtant la clef de la compréhension de ces images car
elles permettaient plus que certainement à ceux qui les voyaient de se remémorer leur expérience initiatique.
En ce qui concerne cette expérience, on a trop souvent eu le tort d’en situer le point d’orgue dans le fait
d’établir un sentiment de proximité avec le divin à travers une épiphanie de cette divinité.
Cependant, la manière dont cette proximité était envisagée et établie différait d’un culte à l’autre.
Elle résidait avant tout dans la mise en condition de l’initié. L’une des manières d’y parvenir était de mêler,
dans l’image, des éléments du mythe avec des éléments de la réalité. Ainsi, des détails anecdotiques situent
l’action dans la réalité et crée une mise en abyme de l’initiation dans le mythe. En voyant ces images,
les initiés avaient l’impression que la divinité participait avec eux à la cérémonie tandis qu’eux-mêmes
revivaient la geste mythique du dieu. Les images sont ainsi plus que de simples illustrations du mythe ou du
rituel.
Leur but est de susciter à nouveau l’émotion éprouvée par l’initié. Lorsqu’il voit ces images, il revit aussi
bien le rituel que le mythe et réitère ainsi son expérience de proximité avec le divin. L’aspect visuel n’est
donc pas tant lié à une épiphanie divine mais bien à la disposition d’esprit qu’elle permet à l’initié
d’éprouver à nouveau. L’optique de l’iconographie mystérique n’est donc pas de conserver un moment précis
de la cérémonie d’initiation ou de lui servir de cadre mais plutôt de ranimer une émotion ressentie lors de
cette même cérémonie ».
Lucinda DIRVEN
Quelques références bibliographiques
August MAU, Geschichte der dekorativen Wandmalerei in Pompeji, Berlin 1882.
- pp. 124-284 pour le IIe style (mais à Pompéi seulement).
Amedeo MAIURI, La Villa dei Misteri, Roma 1947.
Alix BARBET, La peinture murale romaine. Les styles décoratifs pompéiens, Paris 1985.
- pp. 36-96 pour le IIe style ;
- pp. 59-60 pour les peintures de la Villa des Mystères.
Walter BURKERT, Homo Necans. Rites sacrificiels et mythes de la Grèce ancienne, Paris 2005² (1972).
Walter BURKERT, La religion grecque à l’époque archaïque et classique, Paris 2011² (1977).
- pp. 383-390 pour les mystères dionysiaques
Walter BURKERT, Les cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris 2003² (1987).
Martin L. WEST, The Orphic Poems, Oxford 1983.
Gilles SAURON, La grande fresque de la Villa des Mystères à Pompéi. Mémoire d’une dévote de
Dionysos, Paris 1998.
Merci de votre attention
graham.cuvelier@doct.ulg.ac.be