Esteren Livre 1 Univers
Esteren Livre 1 Univers
Esteren Livre 1 Univers
Les Ombres d'Esteren est un jeu de rôle imaginé et conçu par le collectif
Forgesonges, sur une idée originale de Dragon-Étoile, Laurent "Nico du dème
de Naxos" Duquesne, Nelyhann et Frédéric "Tchernopuss'" Hubleur.
Internet
Vous trouverez sur internet beaucoup de contenu additionnel enrichissant l'univers de jeu des Ombres d'Esteren. Nous vous
en proposons ici un rapide tour d'horizon :
- Des aventures dont vous êtes le héros, vous proposant de faire connaissance en douceur avec l'univers des Ombres
d'Estren. Vous y retrouverez Yldiane, l'héroïne du jeu vidéo.
- Des nouvelles qui vous plongeront dans l'ambiance d'Esteren
- Enfin, du matériel de jeu gratuit (feuille de personnage, scénarios, aides de jeu…) sera peu à peu mis à votre dis-
position afin de vous permettre d'exploiter plus largement les ouvrages de la gamme.
Alors n'hésitez plus à vous rendre sur le site officiel (www.esteren.org) pour poursuivre votre exploration d'Esteren.
Les inspirations
De très nombreuses sources d'inspirations ont alimenté l'univers d'Esteren.
Il serait difficile de toutes les répertorier mais en voici une petite sélection :
Sur le plan cinématographique, Braveheart de Mel Gibson pour ses paysages, sa rudesse et son romantisme ; Sleepy Hollow 9
de Tim Burton ainsi que Dracula de Francis Ford Coppola qui ont largement inspiré la dimension victorienne et gothique ;
Shining de Stanley Kubrick qui est une inspiration majeure pour le traitement de l'horrifique : un glissement progressif vers
l'horreur, où la folie et le surnaturel prennent une place toujours plus importante.
Au niveau littéraire : Mary Shelley et son œuvre " Frankenstein ou Le Prométhée moderne ", Howard Phillips Lovecraft et le
mythe de Cthulhu, Graham Masterton et Stephen King sont les sources principales d'inspiration.
oern se retourna au moment où il entendit les " Merci mon bon Doern. Toujours à prendre soin de son
premiers échos des pas en provenance du large vieux maître.
corridor dallé de marbre. La crainte au cœur, il
guetta attentivement la silhouette indécise qui - Mais vous êtes encore jeune, ne put s'empêcher de lui
progressait dans les lumières tremblantes projetées par les répondre celui-ci.
flambeaux. Il découvrit sans surprise le visage fatigué et
creusé de rides de son seigneur. - Quel vil flatteur tu fais. Tu sais bien que c'est faux. Ma
Wylard n'avait pourtant pas toujours été comme ça. Bien au vitalité s'épuise plus vite que celle des autres hommes. Je ne
contraire même : sa prestance et son charisme naturels lui tarderai pas à rejoindre mon père dans sa tombe.
avaient permis de prendre la succession de son père sans
opposition des autres seigneurs et avec la bénédiction des - Ne dites pas ça, seigneur Mac Readan. Vous avez encore
gens liés à sa famille. C'était un homme respecté, soucieux de longs jours devant vous. "
de chacun, juste dans ses décisions, et de plus, bon gestion-
naire. Une rareté dans le paysage tourmenté des luttes de Wylard éclata d'un rire léger qui traduisait toute l'étendue de
pouvoir qui déchiraient nombre de ses pairs. sa dérision. Il sourit à Doern.
Mais tout avait basculé le jour où la charmante Edel, son
épouse, et ses deux beaux enfants avaient été massacrés par " M'as-tu apporté ce que je t'ai demandé ?
les feondas. Ils étaient partis rendre une visite de courtoisie - Oui seigneur. Vos documents sont là." Il désigna une
au père d'Edel, un vieil homme robuste, veuf depuis épaisse liasse de parchemins pris entre deux couvertures de
10 quelques années, et n'étaient jamais revenus. On avait cuir.
retrouvé leurs corps horriblement mutilés, gisant sur le bas-
côté de la route, les visages tordus sous l'effet de la souf- Aussi loin que Doern s'en souvenait, son maître avait tou-
france, les yeux crispés sur une dernière vision d'épouvante. jours collectionné toutes sortes de documents, manuscrits et
Afin d'épargner à Wylard une telle atrocité, on avait enterré croquis, souvent achetés à prix d'or ou que quelques bardes
les dépouilles sans lui laisser la possibilité de les voir. de passage lui avaient offerts. Ils traitaient de sujets variés,
L'esprit embrumé par la douleur, le corps pris d'une des différentes régions de la péninsule mais aussi du com-
immense faiblesse, il n'avait pas insisté… merce ou de l'artisanat. à ces documents se mêlaient
Mais, deux soirs après l'inhumation, pris d'un soudain accès quelques lettres que lui avaient envoyées de lointains mem-
de folie, il avait déterré à mains nues les corps de sa chère bres de sa famille.
épouse, de son fils et de sa fille. Il avait lu l'horreur dans Pendant de nombreux mois après la disparition funeste de sa
leurs yeux et dans les blessures atroces portées par leur femme et de sa descendance, Wylard avait délaissé complè-
chair. Il avait longuement regardé ce spectacle effroyable, tement sa collection. Mais, depuis quelques temps, il sem-
comme hypnotisé, avant que ses serviteurs ne le retrouvent blait se passionner comme jamais pour ses vieux manuscrits
à l'aube, allongé à même le sol glacial du caveau, serrant et concentrait ses recherches sur l'acquisition de documents
affectueusement les corps meurtris contre lui. relatifs aux feondas. Régulièrement, il les relisait intégrale-
Depuis ce jour funeste, Wylard n'était plus que l'ombre de ment, prenant fiévreusement des notes et les comparant sans
lui-même. Certes sa folie ne s'exprimait pas en permanence cesse.
et il conservait la plupart du temps sa lucidité. Mais ses yeux Wylard tendit la main et Doern lui apporta la liasse. Le
hantés, son teint pâle, son visage dévasté par le chagrin fai- vieux seigneur dénoua les lacets qui maintenaient serrées les
saient froid dans le dos, et malgré tout l'amour que ses gens couvertures de cuir et prit le premier parchemin. Ses yeux se
lui portaient, ils trouvaient de plus en plus difficile d'obéir à lancèrent à l'assaut des lignes tracées dans une encre rouge
ses ordres. qu'il connaissait par cœur…
Doern fixa longuement son seigneur, qui s'était arrêté au Une nouvelle fois, il lut jusqu'à l'aube avant de sombrer dans
seuil de la grande salle, les yeux perdus dans les ombres qui un sommeil peuplé de cauchemars. Puis il reprit sa lecture,
noyaient les hautes voûtes. Il attendit que Wylard se libère prenant à peine le temps de boire quelques gorgées de l'eau-
des chimères abritées par les ténèbres pour lui approcher un de-vie que Doern lui avait apporté.
siège.
Lorsqu'il eut terminé la totalité des parchemins, tard dans la pause, fixant intensément les parchemins avant de reprendre :
nuit, Wylard soupira longuement. Il avait dépensé une petite les feondas n'ont rien de commun avec nous. Sans doute
fortune pour obtenir de nouveaux documents brossant un peuvent-ils prendre notre apparence ou nous ressembler
panorama à peu près complet de l'histoire de Tri-Kazel et de physiquement, mais ils ne pensent pas comme nous, ils sui-
son état actuel. Les tensions entre Taol-Kaer, Gwidre et vent des buts que nous ignorons et ne pouvons sans doute
Reizh, les royaumes fondés il y avait près de mille ans par même pas imaginer. Ils peuvent frapper à tout moment, sans
trois frères désireux de fédérer les clans belliqueux qui aucune raison à nos yeux, semant la mort et la destruction
occupaient à cette époque tout son territoire, étaient nette- dans nos familles comme ça, simplement comme ça…
ment visibles. comme on jette un regard à quelqu'un.
Si Taol-Kaer restait attaché aux antiques traditions demor-
thèn, Reizh avait au moins en partie adopté les idées dites Mais pour dangereux qu'ils soient, je suis certain que nous
progressistes des magientistes, ces inventeurs bizarres pouvons les combattre. Je ne vais pas continuer à vivre plus
venus du Continent, tandis que Gwidre avait installé le longtemps dans le souvenir d'un massacre et de mon impuis-
dogme du Dieu Unique comme foi officielle. Ce qui était à sance à l'empêcher. Il est temps que j'agisse et tu vas m'ai-
l'origine de la triste guerre du Temple, dont les séquelles se der Doern.
faisaient encore vivement sentir aujourd'hui. Gwidre s'était
cru investi de la sainte mission d'imposer la religion de - Mais… Comment pourrais-je vous aider seigneur. Vous
Soustraine à l'ensemble de Tri-Kazel et il s'en était fallu de savez bien que je ne suis qu'un piètre combattant.
peu que l'alliance de Taol-Kaer et Reizh ne parvienne à l'en
empêcher. Aujourd'hui, le paysage comme les mentalités - Il ne s'agit pas de cela. J'ai passé des jours entiers à tenter
des gens portaient les stigmates de ce conflit. d'extraire des informations utiles de ces manuscrits et j'ai de
Mais bien plus intéressant que ce panorama détaillé de la plus en plus de mal à me concentrer. Je vais avoir besoin de
péninsule, de nombreux passages traitaient des feondas. Ces ton esprit agile pour m'aider. Tu vas lire à ton tour ces pré-
créatures terrifiantes qui avaient détruit sa vie et celles de cieux écrits et analyser avec la plus grande attention tous les
milliers d'hommes et de femmes, étaient en effet largement passages qui traitent de près ou de loin des feondas. Il y a
présentes dans les différents textes. Et des détails inconnus certainement des indices que j'ai manqués. Wylard poussa
lui étaient apparus, qu'il avait soulignés d'un trait de plume un soupir las. Mon esprit se met parfois à vagabonder et je
hâtif sous l'empire de l'excitation. Des détails qui allaient perds le sens des mots.
peut-être lui permettre d'exercer sa vengeance…
Wylard émit un rire sinistre, imaginant déjà les premières Ne néglige pas pour autant les autres sujets Doern, car ils
étapes de son plan. t'apprendront beaucoup sur notre péninsule. Les connais-
sances qu'ils recèlent te permettront d'appréhender à leur 11
" Doern, appela-t-il soudain, sa voix produisant des échos juste valeur certains indices à première vue anodins.
étrangement déformés contre la voûte plongée dans l'obscurité. Comme tu le sais, j'ai passé un grand nombre d'années à réu-
- Seigneur ? répondit une voix ensommeillée à quelque distance. nir ces documents et certains sont d'une valeur inestimable.
J'ai également conservé quelques lettres personnelles qui
- Approche. pourront t'aider.
Le serviteur s'exécuta aussitôt, la démarche malhabile et les Doern ne répondit rien. Il baissa les yeux, et contempla les
yeux alourdis par une mauvaise nuit. documents éparpillés sur la table. Son regard s'alluma d'une
flamme neuve et il tendit la main pour saisir l'un des parche-
- Doern, j'ai lu tous ces textes avec beaucoup d'intérêt. Je mins, sur lequel on distinguait encore la présence d'un
sais très bien qu'ils ne reflètent chacun qu'une partie de la cachet de cire depuis longtemps brisé.
vérité. Ils ne traduisent pas des faits, mais bien des opinions
et des connaissances parfois imparfaites. D'un autre côté, ils - Je suis épuisé Doern, murmura Wylard d'une voix lasse.
donnent à voir notre péninsule telle qu'elle est dans le cœur L'énergie qui lui était venue à la lecture des documents
de ses habitants. Chacun défend son lopin de certitudes et de s'amenuisait. Le visage du seigneur était creusé de nom-
croyances presque aussi farouchement qu'un loup son territoire. breuses rides et ses yeux semblaient s'être enfoncés dans les
ombres profondes des orbites.
Peut-être sommes-nous tous des morts en sursis ? Peut-être
survivons-nous comme nous pouvons, le cœur broyé de cha- - Je vais demander à ce qu'on vous mène dans votre cham-
grin, l'esprit frappé de folie, la peur au ventre ? La peur de bre. " Doern claqua dans ses mains et aussitôt résonnèrent
voir les monstres qui ont assassiné les nôtres surgir des des pas rapides. Quelques instants après surgirent deux
ombres et nous dévorer vivants… jeunes femmes, la mine inquiète. Doern leur donna briève-
ment ses instructions et elles aidèrent Wylard à se lever en dou-
Mais vois-tu Doern, je sens enfin se dessiner une solution. ceur.
Elle est là, dans toutes ces phrases que j'ai lues et relues
attentivement. Il me sera bientôt possible d'agir et de m'af- Bientôt, les trois silhouettes s'estompèrent dans les ombres
franchir de cette longue inaction qui me ronge. vacillantes du corridor.
- Seigneur… auriez-vous enfin trouvé ce que vous cherchiez ? Doern se laissa tomber sur une chaise et commença
La voix de Doern était emplie de crainte. sans plus attendre la lecture
- Pas encore Doern ! Mais cela ne saurait tarder. Il fit une des parchemins.
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e moindre bruit résonnait dans le vaste corridor. Les flambeaux crépitaient sur leurs
appliques rouillées et des craquements intermittents provenaient des hauts-plafonds
où pullulait la vermine.
Mais rien de tout cela ne perturbait Doern. Il était absorbé dans la contemplation des
parchemins, si précieux aux yeux de son maître. Les premiers feuillets étaient des lettres envoyées par
la nièce de Wylard, Céliane, fille de son frère Baorìg. Doern les avait rencontrés une fois, à l'occasion
de la naissance du fils de Wylard. C'était il y a plusieurs années, et Céliane était encore une enfant.
Doern retourna avec précaution plusieurs feuilles où étaient tracés des dessins et des notes prises par
Wylard. Il s'arrêta sur un ensemble de manuscrits dont l'écriture particulière attira son attention. Il
s'agissait d'un récit signé de la main du barde Jos Mac Peran, un artiste d'exception à qui l'on prêtait
des talents incroyables. à première vue, il narrait le dernier conseil royal de Taol-Kaer. La manière
dont Wylard avait acquis cet exemplaire unique demeurait un mystère pour Doern. Mais une chose
était sûre, il tenait le précieux manuscrit entre ses mains.
On racontait bien des choses à propos des écrits des bardes, et en particulier ceux de Jos Mac Peran.
Le lecteur, tellement absorbé par leur contenu, finissait par avoir l'illusion de revivre les événements
narrés. D'autres pensaient que l'on pouvait se perdre à jamais dans les œuvres de cet artiste. Doern
avait beau se répéter que tout ceci n'était que des mythes, ils entretenaient chez lui une certaine fas-
cination mêlée de crainte envers les bardes.
Le document suivant était une longue lettre traitant des feondas, qui avait été envoyée à Wylard par
un varigal du nom de Dalaigh. Au château, on était certain de voir réapparaître sa silhouette efflan-
quée une fois par an, au début de l'été. Wylard offrait l'hospitalité au varigal pendant une semaine,
parfois un peu plus ; en échange, celui-ci lui contait ses voyages et lui donnait des nouvelles de tout
le royaume, et parfois même au-delà.
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Doern passa rapidement en revue la suite ; un compte-rendu d'une assemblée du Concile de Baldh-
Ruoch, des lettres d'une universitaire reihzite nommée Maeve Oan, d'autres récits de varigaux,
comme celui d'Osvan Tadd à propos du peuple Tarish, des documents traitant des royaumes voisins
de Reizh et Gwidre, et même du mystérieux Continent.…
Il s'arrêta net lorsqu'il reconnut le sceau de la famille des Mac Iseanor, des amis proches
des Mac Readan, et en particulier de la défunte épouse de Wylard, Edel. Doern
soupira alors que des images du passé lui revenaient en mémoire, largement
antérieures à l'événement funeste qui avait bouleversé leur vie. Il chassa
la tristesse qui s'insinuait en lui, remit la liasse de parchemins en
bon ordre et commença la lecture des premières pages…
Chapitre 1
Tri-Kazel
utour de Céliane, les enfants s'étaient rassemblés. La jeune
femme les regardait avec tendresse : ils jouaient et riaient de
bon cœur. Âgés de six à dix ans, ils faisaient partie du second
cercle d'âge. Ils étaient l'avenir de Fearìl. Depuis qu'elle était
toute petite, Céliane savait qu'elle voulait devenir dàmàthair,
préceptrice des enfants de son village, comme sa défunte mère
avant elle. Céliane aimait les enfants, leur vitalité, leur spontanéité. Elle en dési-
rait et attendait avec impatience son mariage avec Eoghan, qui aurait lieu au
printemps prochain. Depuis quelque temps, une appréhension la tenaillait, un
pressentiment diffus et désagréable. Était-ce à cause de l'approche d'un nouvel
hiver ? Ou de la mine soucieuse de Baorìg, son père, qu'elle avait aperçue l'au-
tre soir ? En tant que demorthèn, il était le guide spirituel de la communauté,
l'une de ses figures les plus importantes.
14 Paysages de la péninsule
C éliane sortit de sa rêverie alors que les enfants avaient fait silence et la
regardaient. Elle leur sourit :
- Nous allons reprendre où nous en étions la dernière fois. Bientôt, cer-
tains d'entre vous entreront dans le troisième cercle d'âge et il est important que
vous connaissiez notre péninsule. Notre petite communauté de Fearìl est située
au nord du plus grand des trois royaumes, Taol-Kaer, et les terres qui nous entou-
rent sont vastes.
- Il y a les montagnes ! dit l'un des plus jeunes.
- Oui c'est vrai Teren, ce sont les Mòr Roimh, ce qui signifie " Hautes
Terres " dans notre ancienne langue, et c'est encore de cette manière que nous les
appelons aujourd'hui. Notre vallée est située au cœur de ces montagnes, qui tra-
versent notre péninsule sur toute sa longueur et en occupent la plus grande sur-
face.
- Et la Cordillère ?
- Les Asgeamar, d'après nos ancêtres. Ses montagnes sont encore plus
massives que les Mòr Roimh et séparent notre péninsule du Continent, à l'ex-
trême nord du royaume de Reizh. Si les Mòr Roimh restent un obstacle mortel
pour les voyageurs mal préparés, la cordillère des Asgeamar est réputée infran-
chissable et nul ne connaît sa véritable étendue.
Céliane fit une pause. La simple évocation du Continent, cette terre mystérieuse
et lointaine, laissait les enfants rêveurs.
- Mais revenons à Tri-Kazel. De chaque côté des Mòr Roimh s'étendent
des collines, des plateaux et quelques plaines côtières. Un peu plus de mille deux
cents kilomètres séparent les contreforts des monts Asgeamar de la pointe de
Hòb, située à l'extrémité sud-ouest de la péninsule. D'après vous, combien de
journées de voyage sont nécessaires pour faire ce parcours ?
Après un moment d'hésitation, le plus grand osa une réponse :
- L'été dernier, un varigal de passage au village m'a dit qu'il fallait au
moins soixante-dix jours !
- Oui c'est vrai, en comptant quelques journées de repos, c'est ce qu'il faut.
Les montagnes
A
- présent, je vais vous parler un peu plus en détail de notre région. Notre val est situé dans le duché de Tulg, dans la
partie occidentale des Mòr Roimh. Plus à l'ouest, aux pieds des montagnes, s'étend la forêt des Soupirs.
- Et il y a des feuillus, des chênes !
- Oui Lena, tu as raison. Mais dès que l'on monte un peu en altitude, le terrain devient accidenté et escarpé, et les
feuillus laissent rapidement leur place aux résineux. Plus en hauteur, les neiges sont éternelles et même dans notre val, elles
subsistent jusqu'au milieu du printemps.
- Dàmàthair, quand est-ce que l'on pourra sortir du village et aller dans la montagne ?
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- Bientôt, au prochain cercle d'âge… vous êtes encore des enfants et vous devez savoir que la beauté des paysages
qui nous entourent cache de nombreux dangers. Certains chemins courent le long de falaises abruptes et la neige peut cacher
des précipices. Notre val est assez bien loti car il est traversé par une des routes principales du duché. Elle est large et permet
aux montures et aux caravanes de passer. Mais cela n'empêche pas que toute sortie dans la montagne doit être minutieusement
préparée, sous peine de risquer la mort. De plus, les cavernes et les gouffres des Mòr Roimh recèlent de sombres secrets que
bien peu de gens ont le courage d'affronter. Les grognements et grondements que l'on entend ne proviennent pas uniquement
des torrents rapides, les profondeurs des ombres sont habitées, notamment par les feondas. Ces créatures s'en prennent aux
voyageurs égarés comme aux convois lourdement défendus, au hasard des rencontres. La menace d'une attaque peut devenir
pesante, et épuiser les voyageurs et les bêtes, quand bien même rien ne se produit.
Céliane savait qu'il était important que les enfants comprennent bien les dangers de la région, quitte à leur faire un peu peur.
Hélas, ses propos n'étaient pas exagérés car les montagnes cachaient bel et bien de nombreux pièges mortels…
-Tri-Kazel-
mouches entre les troupes des deux royaumes.
Fleuves et mers - C'est à cause de la guerre du Temple ? demanda
une petite fille.
"
A llez les enfants, il est l'heure de rentrer ! " Céliane
tapa dans ses mains et le petit groupe qui jouait et se
chamaillait aux abords de la maison des dàmàthairs
se rassembla autour d'elle. En ce début d'après-midi, la
- Oui. Avez-vous entendu l'histoire racontée par le
barde qui est passé au village cet été ? Deux amis d'enfance,
vivant dans le hameau de Telh, non loin d'ici, qui ont été
séparés à cause de cette guerre. Cette histoire résume bien le
brume persistait dans le val de Dearg et donnait au village désastre que fut cette période pour nous tous ; un combat
une allure fantomatique. acharné entres deux royaumes qui furent jadis frères.
- Entrez ! Nous allons poursuivre notre leçon de la Heureusement, les choses se sont quelque peu apaisées… Je
dernière fois sur la péninsule. Aujourd'hui, je vous propose terminerai à propos des fleuves en vous parlant du
de vous parler des fleuves et des mers. Tri-Kazel compte de Pezhdour, plus au nord, qui est la principale source d'irriga-
nombreux cours d'eau, en particulier dans sa moitié orien- tion de la grande plaine de Gwidre. Des canaux ont été creu-
tale. On trouve d'ailleurs dans cette région trois fleuves se sés de main d'homme pour amener son eau jusqu'aux cul-
jetant dans l'océan : le Donir, qui coule près de la capitale de tures, parfois très loin de son cours et souvent au prix d'un
Reizh, le Tealderoth, qui constitue une frontière naturelle grand nombre de vies humaines. Ces constructions, souvent
entre Reizh et notre royaume, et enfin la Klaedhin, qui endommagées, sont pourtant essentielles pour assurer les
arrose notre capitale Osta-Baille et termine sa course à cultures nécessaires à la survie des communautés.
Tuaille, la cité-pilotis. Deux autres fleuves au faible débit, Les enfants étaient particulièrement studieux aujourd'hui, ils
issus de petites rivières montagnardes, irriguent Gwidre. écoutaient avec attention. Céliane sourit intérieurement.
Vous connaissez tous le Kreizhdour, qui coule de l'autre côté - Parlons à présent des mers et des océans. Les
de notre val et marque la frontière entre notre royaume et côtes occidentales de la péninsule font face à l'Océan
celui de Gwidre. Il est peu fréquenté par les marchands car, Furieux. Ses eaux déchaînées n'ont jamais permis aux Tri-
malheureusement, ses berges sont parfois le théâtre d'escar- Kazeliens de devenir un peuple de navigateurs.
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Dès que l'on s'éloigne de quelques encablures des côtes, les courants deviennent extrêmement violents, drossant les embarca-
tions vers les hauts-fonds, avec de terribles vents qui déchirent les voiles, et des vagues pouvant submerger les imprudents.
Les rares bateaux tri-kazeliens sont de petits caboteurs de pêche, qui restent au plus près des côtes, comme ceux de Tulg
Naomh… De l'autre côté, sur la façade orientale, s'étend une mer intérieure que les marins nomment " Mer des Linceuls ".
Tout comme celles de l'Océan Furieux, ses eaux sont traîtresses et très peu de bateaux s'aventurent loin des rivages. De ce fait,
les nombreuses îles qui entourent la péninsule demeurent le plus souvent inexplorées même si nous savons que certaines sont
habitées. Ceci explique que, de tout temps, les îles ont été sources de légendes pour les habitants de Tri-Kazel. Peut-être avez-
vous entendu parler des Tri-Sweszörs, les Trois Sœurs, situées dans le golfe de Reizh. Elles abriteraient des communautés res-
tées fidèles aux traditions demorthèn, qui vénèrent les esprits des eaux.
-Tri-Kazel-
Climat
L'archipel des Trois Soeurs
C
e matin-là, Céliane était accompagnée de son
père. Il n'était pas rare que les demorthèn par-
ticipent à l'éducation des enfants de la commu-
S
ur les îles des Tri-Sweszörs, comme les nommaient nauté. Baorìg n'avait que quarante printemps, mais sa
nos ancêtres, on raconte que les demorthèn feraient peau usée trahissait les nombreuses années qu'il avait
régulièrement des sacrifices pour apaiser l'esprit passées en pleine nature.
coléreux des océans, Loch. En haut des falaises au - Asseyez-vous les enfants, ce matin je vais
pied desquelles s'écrasent des vagues immenses, des caer- vous parler du climat de notre péninsule. L'homme se
nides seraient projetés dans le vide et disparaîtraient dans racla la gorge. Depuis quelques jours, sa mine était
l'écume. De même, on tuerait des hommes en les attachant soucieuse et cela n'avait pas échappé aux enfants qui
à des rochers dans l'attente de la marée. On parle aussi de le regardaient dans le silence le plus complet.
bardes envoûteurs au visage peint, nommés céilli. Ces his- - Les saisons dans notre région montagnarde
toires font partie du folklore de la région du Croissant sont rudes, en comparaison de ce qu'elles peuvent être
d'Émeraude mais bien peu de péninsulaires ont osé dans certaines régions plus côtières. Ici, à Fearìl, nous
s'aventurer dans ces îles sauvages pour aller avons depuis toujours fait avec, et cela sans nous
les vérifier… plaindre. Mais si les côtes bénéficient d'un temps
moins froid, leurs cieux sont souvent alourdis de
nuages venant de l'océan et provoquant des pluies
violentes. J'ai eu l'occasion de me rendre dans la région de Louarn, près des grands marécages du Ponant. La terre y est si
humide qu'un cheval et son cavalier pourraient s'y enfoncer.
Les demorthèn voyageaient souvent loin, et c'était l'une des raisons pour lesquelles on leur vouait respect et admiration.
- D'une manière générale, le sud est bien plus humide que le nord de la péninsule. En effet, les vents nordiques sont
plus secs, plus arides, plus violents aussi. L'Ast en est l'exemple le plus flagrant : ce vent sec du littoral gwidrite a causé de
nombreux incendies mortels. Pour nous autres demorthèn, Ast est un esprit naturel agité que seuls des rituels appropriés
seraient à même de calmer. Dans ces régions dominées par la religion du Temple, ces pratiques sont malheureusement tom-
bées en désuétude et Ast souffle de plus belle. Ce n'est pas pour autant que les collines, les plaines et les plateaux de Gwidre
sont désertiques ; ils sont même intensément cultivés par endroits, et connaissent leur lot d'orages, même s'ils sont moins fré-
quents que dans le sud-ouest de Taol-Kaer. Dans les plaines, l'été offre parfois un peu de douceur mais dès les premiers jours
de l'automne, le temps se rafraîchit, et il n'est pas rare que tombent les premiers flocons. Les chutes de neige peuvent couper
du monde un village pendant des semaines entières et les vents violents se transforment en véritables blizzards. Ce phéno-
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mène ne touche pas seulement les communautés d'altitude ; il arrive que, certains hivers, la péninsule tout entière soit cou-
verte d'un épais manteau neigeux. Les fleuves gèlent, la nature se tait et le voyageur assez fou pour sortir peut alors marcher
des semaines durant sans rencontrer âme qui vive.
Le tugarch’
T
rès cher Wylard,
Aujourd'hui, j'ai parlé aux enfants du tugarch'. Peut-être avez-vous
entendu de nombreuses fois parler de ce métal légendaire qui nous
vient des mythes et histoires de l'Aergewin ? Quelques représentations d'armes forgées par
les artisans de cette époque lointaine nous sont parvenues. Pour ce que l'on en sait, seules
les armes réalisées en tugarch' étaient capables de terrasser les immenses feondas qui
arpentaient notre monde à cette époque. Mais le savoir s'est perdu, et plus personne ne sait
forger ce métal. On dit que mal travaillé, le tugarch' se brise en mille morceaux au moin-
dre choc. Mais pire que cela, j'ai entendu dire par un varigal que les mines de tugarch'
connues semblent être épuisées et toutes les recherches entreprises pour en trouver de nou-
velles se sont révélées infructueuses. Quoi qu'il en soit, ceci semble une bonne piste pour
lutter contre ces feondas monstrueux qui continuent à infester nos régions.
Ici, à Fearìl, l'automne est bien installé et les neiges sont précoces. Mon père m'a fait part
de ses inquiétudes ; il pressent un hiver difficile pour notre communauté. Depuis
quelques semaines, de grands vols de corbeaux passent au-dessus du village ; espé-
rons que ce n'est pas un mauvais présage !
Céliane
Votre nièce dévouée,
-Tri-Kazel-
Les habitants de la péninsule Osag
A Tarish
- présent, je vais vous parler des habitants de la
péninsule. Nous sommes tous descendants des
clans qui vivent sur ces terres depuis des millé-
naires. Ainsi, notre val a d'abord été habité par le clan
des Mac Govrian, avant que les deux villages de
Fearìl et Dearg se développent. Les Tri-Kazeliens
ont survécu à l'Aergewin, aux feondas et à une
nature hostile ; cela a fait de nous un peuple
résistant et uni dans l'adversité. Hélas, sur ce
dernier point, les choses ont quelque peu
changé avec le temps. Nous avons déjà évo-
qué la guerre du Temple qui a plongé les
trois royaumes dans le chaos et a laissé
de fortes rancœurs.
Certaines communautés s'attachent à se
préserver des idées venues des villes,
qu'elles considèrent comme une per-
version. Ainsi sont les Osags, de fiers
guerriers soucieux de vivre selon les
traditions. Ils font remonter leurs
lignées jusqu'aux plus anciens clans
Continentale
connus.
On sait aussi que, voici très long-
Tri-Kazelienne
temps, les rescapés d'un peuple
menacé venu de la mer ont débarqué
à la pointe sud-ouest de Tri-Kazel.
Les Tarish, comme on les appelle, se
sont pour la plupart mêlés aux Tri-
Kazeliens. De nos jours, il ne reste
18 parait-il que quelques groupes de
nomades qui affirment descendre de
ces réfugiés.
- Moi je connais une Tarish !
à son grand sourire, on pouvait se
douter que la petite Lena était ravie
de partager cette connaissance si par-
ticulière avec le reste du groupe.
- Ah oui, Lena ! Raconte-
nous ça si tu veux bien.
- Elle s'appelle Mirna et elle vit
à Dearg, elle est venue à Fearìl, une fois.
- En effet, c'est une Tarish, mais de ce que j'en sais,
seulement un de ses parents serait originaire de ce peuple.
Enfin, c'est un bon exemple. Vous aurez plus de chances de Populations
rencontrer des métis que de véritables Tarishs, mais vous
L
pourrez tout de même les reconnaître à leurs pommettes es registres du Temple indiquent que Gwidre
hautes et leur nez aquilin. Pour finir, je me dois de vous parler doit compter environ six cent mille habitants.
des Continentaux. Il y a deux siècles maintenant, quelques Reizh en abriterait un peu moins et Taol-Kaer
groupes de gens du Continent sont venus s'installer sur nos au moins deux fois plus. Presque la moitié de cette
terres. Certains ont apporté leur science nouvelle, la population a moins de vingt ans et seulement une per-
magience… on ne la connaît que peu ici, mais certaines villes sonne sur dix habiterait en ville. Dans bien des régions,
l'ont ouvertement adoptée. D'autres Continentaux, les adeptes il est possible de voyager des jours durant sans croiser
du Temple, sont arrivés avec leur religion prônant l'existence âme qui vive. Certaines terres plus clémentes accueillent
d'un dieu unique. Les Continentaux ont une allure particulière nombre de villages et de communautés. Mais Tri-Kazel
à ce qu'on m'a dit, mais je n'en ai jamais rencontré. Ils n'ont abrite plus de cités qu'on pourrait le croire à première
jamais été très nombreux que je sache. Il parait cependant vue. Les plus connues sont les capitales des trois
qu'on peut aisément reconnaître ceux qui ont du sang du royaumes mais d'autres villes forment des carrefours
Continent dans leur lignée, par leur grande taille et leur stature d'échanges intellectuels et commerciaux notables.
élancée. Cependant, de manière générale, la présence de l'homme
sur la péninsule reste anecdotique, si on la compare aux
grands espaces et aux terres sauvages qui l'entourent.
-Tri-Kazel-
Les héritiers des clans
M on fils, si tu veux comprendre nos terres et nos communautés, tu dois connaître nos clans. Il y a bien long-
temps, avant l'unification des royaumes par les trois frères, la population de Tri-Kazel se répartissait en clans
plus ou moins sédentaires. Même si notre monde a beaucoup changé, ces clans existent toujours dans cer-
taines régions reculées. Dans notre royaume, les Osags habitant les Terres de Dèas sont sans doute les plus fiers représen-
tants de ces traditions. Comptant de trente à deux cents individus environ, leurs clans disposent d'une grande indépendance,
car ils ne sont pas inféodés au pouvoir royal et continuent à vivre selon les us et coutumes ancestraux. Par exemple,
lorsqu'un conflit naît entre deux clans, il se règle rapidement par un combat singulier entre deux combattants représentant
19
les rivaux. Il n'est pas rare que ce soient les ansailéirs, les chefs des communautés, qui s'affrontent en personne. Parfois, un
plus grand nombre de guerriers se donne rendez-vous à une date convenue pour en découdre.
Cela ne les empêche en rien d'organiser une fête commune au solstice suivant !
Les angardes
L
es angardes sont installées dans des endroits souvent éloignés de la civilisa-
tion. Ces bastions servent à surveiller des endroits stratégiques, comme cer-
tains cols de montagne, ainsi qu'à repérer d'éventuels mouvements de hordes
feondes. La solde est souvent conséquente, poussant des guerriers chevron-
nés à s'engager quelques années, mais une partie assez importante des
effectifs est constituée de soldats faisant l'objet de mesures discipli-
naires, de jeunes gens accomplissant leur service d'ost et de brigands
condamnés à de lourdes peines. La vie dans ces bastions est très dif-
ficile, car les ravitaillements ne sont pas toujours assurés et les rap-
ports humains très tendus. De plus, les soldats sont soumis à une
discipline de fer ; quelques histoires d'angardes tombées sous
le coup d'une mutinerie poussent les dirigeants actuels
à la plus grande fermeté.
-Tri-Kazel-
Flore des Trois Royaumes
es fleurs jouent un rôle non négligeable dans la conception de pigments colorés, comme la fameuse gwylmith, dont
L le jaune est utilisé en peinture et en teinturerie. Cette petite plante pousse dans les plaines, donnant en été des fleurs
d'une magnifique couleur dorée, qui laissent des marques luminescentes sur les doigts quand on en presse un peu
les pétales. Pour le néophyte, une journée de cueillette peut s'achever par une fin tragique, car certaines plantes sont
toxiques et d'autres dissimulent leur véritable nature. Certains feondas de forme végétale attaquent ainsi ceux qui osent
s'approcher de trop près.
O ù qu'il se rende sur la péninsule, un Tri-Kazelien saura toujours se faire comprendre d'autrui. Il sera cependant assez facile
de dire de quelle région il provient. Les particularismes locaux sont nombreux et les accents ont évolué dans diverses
directions. Mais il reste que sur tout Tri-Kazel, on ne parle globalement qu'une seule langue nommée le tri-kazelien.
La langue ancienne
J
'ai poussé mes recherches plus loin sur ce sujet, car beaucoup de termes de tous les jours proviennent d'une langue
ancienne que très peu de péninsulaires utilisent encore. Par exemple, " feond ", qui signifie " ennemi ", ou " daedemor-
thys ", qui évoque le peu de respect envers la nature des magientistes, ou encore " demorthèn ", qui veut simplement dire
" guide ". Il ne s'agit là que de quelques exemples. On sait que les demorthèn ont gardé un assez grand nombre de ces
termes antiques, en particulier dans leur nomenclature des plantes. Les Osags ont quant à eux conservé en partie l'usage quo-
tidien de cette langue.
Beaucoup se demandent pourquoi la langue ancienne est tombée en désuétude. Certains y voient des influences continen-
tales, et prétendent qu'elles seraient plus anciennes qu'on ne le pense. Cela expliquerait pourquoi les Continentaux utilisent
une langue dont la racine est assez proche de la nôtre. Cette théorie est loin d'être partagée par tous car les monts Asgeamar
demeurent une barrière naturelle pratiquement infranchissable. Pour certains, seuls les missionnaires du Temple guidés par
Jamian ainsi que la troupe du magientiste Goran Aznor seraient parvenus jusqu'à Tri-Kazel.
D'autres évoquent le fait que certains mots de la langue antique pourraient receler un terrible pouvoir, expliquant ainsi que
son usage se soit lentement érodé. Des théories farfelues s'affrontent à ce sujet mais la plupart des gens n'en ont cure et la
seule certitude qui demeure est que la langue ancienne tombe lentement mais inexorablement dans l'oubli.
C L
ette langue possèderait quelques similitudes avec le a majorité des livres sont écrits à la main et restent
tri-kazelien. De ce que mon père m'en a dit, elle rares et précieux. Les adeptes du Temple et les
serait très peu utilisée sur notre péninsule, en dehors magientistes venus du Continent connaissaient
de quelques loges magientistes du royaume de Reizh. l'imprimerie et ont permis une diffusion plus large de 21
l'écrit. En Gwidre, j'ai entendu dire qu'on imprimerait sur-
tout des ouvrages religieux, alors que Reizh bénéficierait
Le tarish d'une littérature plus variée. Les écoles et universités,
financées par les tenants des idéaux du Continent, ensei-
gnent l'écriture à leurs élèves, mais contribuent aussi à
I
l est évident que les Tarishs disposent de leur propre lan- répandre les opinions des magientistes et des adeptes de
gage qui n'a aucune parenté avec notre langue actuelle, l'Unique. Chez nous, en dehors de la capitale Osta-Baille,
ni même avec ce que l'on connaît encore de la langue les livres restent rares et sont presque toujours aux mains
antique. Les sonorités sont réellement étranges, et per- des notables. Néanmoins, les varigaux s'efforcent aussi de
sonne ne semble en avoir encore percé les secrets. susciter une certaine curiosité pour
Beaucoup s'interrogent sur l'origine de ces personnes. Il est l'écriture avec leurs almanachs
difficile d'en savoir plus à ce sujet car les Tarishs restent illustrés, qui incluent pro-
très discrets sur leur histoire et leur culture. verbes et maximes agricoles.
Lecture et écriture
E
n Tri-Kazel, la tradition orale demeure la norme. Dans les communautés de la
péninsule, tout se transmet de vive voix comme au temps des clans ; le fait
que seule une faible proportion de la population sache lire et écrire y
est pour beaucoup. Dans les villes, on peut cependant noter un essor
important de l'écriture. Le développement des bibliothèques et
des universités a contribué à répandre l'alphabétisation.
Malgré cette tendance, celles et ceux qui savent lire et
écrire restent une minorité au regard de la population
totale. Sans l'enseignement prodigué par ma mère, qui a elle-
même étudié la lecture et l'écriture à Tulg Naomh, je n'aurais sans
doute jamais eu l'occasion d'apprendre à tracer et à lire les lettres.
-Tri-Kazel-
Cartographie
de Tri-Kazel
M on cher neveu,
Je te sais hanté par les
livres et les contes,
aspirant à une impossible évasion
alors que tu demeures cloué dans ce
lit, que jamais ta maladie ne te per-
mettra de quitter. L'inconnu a sa part
de mystère enivrant, d'autant plus
quand on sait qu'il est inaccessible. Et
j'ai si peu de temps à te consacrer,
tant mes devoirs sont pesants.
Tout ce que je peux t'offrir, ce sont
ces quelques fragments épars de
connaissances et de rumeurs, sur ces
lieux aux noms souvent étranges et
évocateurs que tu ne cesses de mur-
murer, quand tes yeux s'usent sur la
vieille carte que tu chéris tant. Je te
sais déjà bien informé des bourgades
et lieux-dits de notre bon royaume de
Taol-Kaer, alors je te parlerais de ce
qui concerne nos voisins du Reizh et
du Gwidre. Si proches et pourtant si
lointains, pour toi.
J'ai l'espoir que tu trouveras là
quelque diversion à ton calvaire quo-
22 tidien. Si cela te plait, je m'efforcerai
de trouver plus d'informations sur ces
endroits, et d'autres encore. Les voya-
geurs ne sont guère nombreux dans
notre petit domaine mais je connais
bien un ou deux varigaux, qui sauront
étayer ces quelques lignes de nou-
veaux enchantements.
Pardonne les lacunes de ces pages, je
ne suis, tu le sais, qu'un seigneur
campagnard frustre et inculte. Ma
plus grande joie est d'avoir appris à
lire et je sais qu'en cela, nous nous
ressemblons.
Avec tout mon amour,
Ton oncle
-Tri-Kazel-
23
Légende de la carte de Tri-Kazel
7- Crail :
les artisans de ce village ont acquis une certaine réputation
auprès des chefs de village des vallées voisines, qui paient
fort cher les bibelots sculptés dans les bois aux tons riches
1- L'Adret des Gisants : de Mòr Forsair. Mais je n'ai jamais pu voir un de ces objets
le chemin pour atteindre cet endroit fait, parait-il, de nom- par moi-même.
breuses victimes. En fait, nul n'a vraiment intérêt à risquer
sa vie dans une telle ascension. Cependant, un montagnard 8- Expiation :
est parfois saisi par l'envie de la faire, sans qu'on sache vrai- il y a vingt ans à peine, les sigires du Temple s'abattirent sur
ment pourquoi. Certains reprennent leurs esprits et redes- la ville de Rocheclaire et arrêtèrent plusieurs centaines de
cendent pour raconter qu'il n'y a rien là-haut, si ce n'est les personnes accusées d'hérésie. à ce qu'il paraît, les héré-
ossements de leurs prédécesseurs qui gisent sous le soleil. tiques étaient menés par un moine défroqué, et tout ce petit
Comme s'ils s'étaient allongés là et avaient tranquillement monde fut traîné jusqu'aux bûchers. La ville a été rebaptisée
attendu de mourir. et son nom actuel en dit long sur l'état d'esprit de ses habi-
tants. Il parait que les fidèles du Temple sont de plus en plus
2- L'Arbre de l'Automne : nombreux à s'y rendre en pèlerinage, pour se purifier de
on a nommé ainsi ce vieil orme solitaire car son feuillage leurs fautes en accomplissant des actes de contrition et
nait vert chaque matin pour rougir jusqu'au crépuscule et autres pénitences, ce que j'ai du mal à comprendre.
former une parure automnale sans pareille. Le jour de l'équi- J'imagine que pour un gwidrite, Expiation doit être un lieu
noxe, des demorthèn reizhites se rassemblent là pour se des plus saints. Et pourtant, je connais des soustrainiens qui
livrer à des rites dédiés au puissant Roimh, l'esprit de la n'apprécieraient guère une ville aussi sinistre.
terre.
9- Les Épavières :
3- Archipel des Cendres : d'après le cousin Albrech, qui vit à Smaràg, les marins ont
on a recensé trois volcans actifs dans ce groupe d'îles de coutume de dire qu'en cas de naufrage, il vaut mieux mou-
roche grise et noire, qui n'abrite personne. De temps en rir noyé que de se retrouver isolé sur ces îlots battus par les
temps, le royaume de Gwidre y enverrait une expédition vents et les embruns. La mer y est si déchaînée que l'on a
afin de collecter d'énormes quantités de cendres volca- jamais pu parvenir à y installer un phare. Mais crois-moi,
niques, pour fertiliser les terres du nord du royaume. J'ai du Albrech n'est pas toujours un homme fiable, surtout quand
mal à croire cela, tant les résultats doivent être décevants, au il veut impressionner une jolie fille.
regard des efforts consentis.
24 10- Fairean Ear :
4- Boischandelles : je regrette de n'avoir jamais pu contempler le fameux "bel-
un varigal m'a dit qu'autrefois, à la faveur de la nuit, les védère de l'est", un promontoire qui s'avance vers la mer,
bucherons des environs pouvaient y apercevoir de nom- avec à son extrémité une magnifique roche plate veinée de
breux feux follets. Si les adeptes de la magience n'y voient mica et de quartz, qui sert d'autel naturel. Autrefois, les
parait-il qu'un phénomène naturel, les demorthèn, qui consi- demorthèn y venaient en grand nombre pour leur Tsioghair,
dèrent ces bosquets comme sacrés, racontent que ces lueurs se tenant face aux eaux et accueillant le soleil lorsqu'il appa-
sont des C'maogh, les esprits de la nature venus se rassem- raissait au-dessus de l'horizon et que ses rayons faisaient
bler là. Ces dernières décennies, les feux follets se sont faits luire les cristaux de la vieille roche. On y rendait aussi des
de plus en plus rares tandis que les arbres sont devenus hommages réguliers à l'esprit des eaux Usgardh. Fairean Ear
racornis et maladifs. Personne ne sait pourquoi mais beau- accueillerait encore les demorthèn du Reizh et certains de
coup pensent que les feondas qui se multiplient depuis lors leurs confrères venus de notre royaume, mais les plus
dans les environs y sont pour quelque chose. farouches partisans des traditions semblent l'avoir déserté.
On raconte qu'ils se rassemblent désormais dans l'archipel
5- Calvaire : des Trois Sœurs, à l'écart des autres hommes.
une grande île habitable sur laquelle le Temple aurait ins-
tallé plusieurs monastères. Une sinistre prison destinée à 11- Falaises sans retour :
accueillir certains ennemis de la couronne de Gwidre y les rares individus qui sont parvenus à revenir de ce littoral
serait également entretenue, mais nul ne sait ce qui s'y passe l'ont décrit comme une immense muraille minérale, hostile
vraiment. et infranchissable. Si quelqu'un est parvenu un jour à décou-
vrir un chemin vers le cœur des montagnes du Continent,
6- Col de Gaos-Bodhar : nul ne l'a jamais su. Et de toute manière, qu'aurait-il pu
il marque la limite officielle du Reizh et des territoires de la espérer y trouver ?
péninsule. Il s'agirait de la seule voie terrestre permettant de
rejoindre le cœur des monts Asgeamar mais la route n'est 12- Fionnfuar :
pas entretenue et le voyage périlleux, dans un sens comme il y a deux siècles, il ne s'agissait que d'un village de
dans l'autre. Il faudrait ensuite des semaines pour traverser pécheurs. C'est là que Jamian fit ses premiers convertis,
les montagnes jusqu'aux terres du Simahir, des étendues d'après le Temple. Depuis lors, l'agglomération s'est consi-
marécageuses sans doute très dangereuses. On raconte dérablement agrandie et a pris son nom actuel, " froid sacré "
cependant que des communautés ou des tribus vivent là-bas, dans l'ancienne langue. On y trouverait la sépulture du mis-
et certains prétendent même que leurs ancêtres étaient origi- sionnaire et l'endroit est sans doute le lieu le plus saint de
naires du Simahir. Gwidre, après sa grande cathédrale à Ard-Amrach. Le prê-
-Tri-Kazel-
tre Andrev, recteur de l'église de Fionnfuar, siège au Grand navale orchestrée par la lointaine Théocratie pour aider le
Cénacle de la capitale. Gwidre. L'ennemi redouté ne s'est jamais manifesté, ce qui
ne m'étonne guère. On a abandonné l'île après la fin des hos-
13- Forêt des Murmures : tilités. Il ne doit y rester que quelques ruines et un ou deux
les vents océaniques qui s'enfoncent très loin à l'intérieur quais de bois pourri.
des terres soufflent souvent parmi les arbres et font bruisser
ces bois de sons inquiétants. Parfois, les voyageurs seraient 18- Pic de l'Aigle :
frappés de folie en entendant ces bruits. Les esprits sont sans le plus haut sommet des montagnes du Reizh, qu'on peut
doute peu enclins à accepter les humains au cœur de ces apercevoir à de grandes distances à ce qu'il parait. On m'a
bois. La forêt des soupirs toute proche est parait-il encore dit que des aigles d'une taille incroyable, plus grands qu'un
plus sinistre. D'après ce que j'en sais, cela n'aurait pas empê- homme, y auraient leur nid. Mais je ne connais personne
ché gwidrites et talkérides de s'y entretuer durant la guerre. qui ait vu l'un de ces oiseaux fabuleux, si tant est qu'ils exis-
Mais peut-être que l'évanescent Adhar, le seigneur des airs, tent.
aime à jouer ici aux dépens des hommes et de leur esprit ?
19- Pic des Corbeaux :
14- Gouffre Carmin : il y aurait de plus en plus des noirs volatiles près de ce som-
nul ne sait pourquoi la végétation dans ce gouffre est d'un met, au flanc duquel un vieux château a été restauré par les
bel écarlate vif. Herbe, fleurs et feuillages ont tous cette Nevermore, une famille de Continentaux qui se sont instal-
étrange couleur qui évoque irrésistiblement le sang frais. Un lés là au siècle dernier. Leur blason montre également un
vieux conte populaire dit qu'un groupe d'émigrés continen- corbeau mais nul ne sait s'ils l'ont adopté en arrivant ici ou
taux aurait été massacré là, il y a bien longtemps. Beaucoup si leurs armes étaient déjà ainsi auparavant.
pensent plutôt que les esprits furent offensés par un acte ter-
rible et sacrilège commis en cet endroit. Les quelques 20- Pierres Brisées :
demorthèn que je connais ont des opinions contradictoires à autrefois, les demorthèn du nord de la péninsule s'y rassem-
ce sujet. blaient pour le Tsioghair. Les autorités du Temple y ont
combattu les partisans des traditions ancestrales il y a plu-
15- Ile aux Cairns : sieurs décennies, le pouvoir du Dieu Unique s'opposant aux
Albrech raconte qu'on peut y trouver d'étranges empile- ogham des adeptes d'Arbre-Vie. Après la défaite des demor-
ments de pierres disposés en alignements. Ils sont dispersés thèn, on abattit les pierres levées, avant de construire une
un peu partout sur l'île, tous identiques les uns aux autres si église pour consacrer définitivement ce site au dieu de
l'on excepte l'effet du temps sur les cairns. On n'a jamais pu Soustraine. Il parait que le prêtre disparut sans laisser de
déterminer qui a bien pu élever ces pierres. L'île a mauvaise traces, ainsi que son remplaçant. L'église a fini par être 25
réputation mais, d'après notre cousin, les eaux voisines sont abandonnée. Je pense, et je doute être le seul, que les fidèles
particulièrement poissonneuses. Personne n'y demeure en du Temple ne peuvent rien contre la colère des esprits de la
permanence, cependant, car chaque année on déplore plu- nature offensés par ce massacre.
sieurs disparitions. Et ce, malgré le fait que les pécheurs qui
s'installent là pour la belle saison ne s'éloignent jamais de 21- Plateau de Norgord :
leurs bateaux. on y trouve une immense carrière utilisée depuis des siècles
pour l'exceptionnelle blancheur de son marbre. La route qui
16- Leacach : mène au Plateau résulte de l'essor du Temple en Gwidre, les
les manteaux et tuniques de laine de Leacach sont réputés adeptes du Dieu Unique en faisant un grand usage pour leurs
pour leur qualité dans toute la péninsule, en particulier ses églises. En Taol-Kaer, le marbre de Norgord est également
régions les plus fraiches. Ta couverture rouge aussi provient réputé, mais ça n'est pas demain la veille que toi ou moi en
de là, et tu sais à quel point elle tient chaud. Pour l'instant, verrons chez nous.
les maîtres-tisserands refusent encore d'employer les
métiers à tisser des magientistes, mais l'un d'eux finira bien 22- Pont de l'Alliance :
par s'y mettre un jour, ce qui ne manquera pas d'occasionner aussi loin qu'on se souvienne, il y a toujours eu un pont à cet
de nombreux problèmes. Je ne saurais dire si la qualité de endroit. Il a été reconstruit pour la dernière fois peu après la
leur travail restera la même, mais je sais que certains refu- guerre du Temple et on lui a donné son nom actuel, pour
seront d'acheter des produits réalisés avec le concours de la rappeler les nouveaux liens tissés entre Reizh et Taol-Kaer
magience. De toi à moi, je me pose souvent la question de durant ce conflit. Et c'est une vision qui réchauffe le cœur,
savoir si un objet fabriqué par ces procédés magientistes est tu peux m'en croire.
vraiment maudit, comme quelques-uns le croient.
23- Source aux Fols :
17- Mornegivre : les pêcheurs que connaît Albrech prétendent que boire son
le nom de cette île parle pour lui-même. Le navire du mis- eau provoque d'horribles cauchemars, dont la plupart des
sionnaire Jamian y aurait fait escale et quelques autres gens ne sortent jamais. Les rares qui se réveillent ont inva-
venus du Continent après lui. On m'a dit que durant la riablement perdu la raison et certains doivent même être
guerre du Temple, le Reizh aurait tenté d'y installer un port enfermés pour leur propre bien.
militaire, dans l'idée de parer à une éventuelle campagne
-Tri-Kazel-
Chapitre 1
Histoire
ans la vaste salle du conseil royal du châ-
teau d'Osta-Baille, sages et érudits s'en-
tretenaient autour de nombreux parche-
mins déroulés. À la manière des écrits
perdus de la barde Arenthel, le roi de Taol-Kaer avait décidé
de compiler l'histoire de la péninsule. Le monde changeait
et il était important de ne pas voir sombrer dans l'oubli les
événements et les traditions qui avaient forgé les trois
royaumes de Tri-Kazel. Une imposante double porte en
chêne s'ouvrit et le roi de Taol-Kaer, Erald Mac Anweald, fit
son entrée. À sa suite vinrent sa femme, la reine Edena Mac
Des croyances
Lichorl, accompagnée de son plus fidèle conseiller, le différentes
demorthèn Algwich Dert. Les monarques prirent place à la
table du conseil, Dert demeurant en recul dans l'ombre des
colonnes. L'un des érudits se leva avec précaution, fit une
révérence et prit la parole :
- Majesté, nous sommes honorés par votre invitation et par
D e nos jours, la péninsule de Tri-Kazel
est composée de trois royaumes dont
les croyances divergent. Seul Taol-
Kaer est resté fidèle aux croyances tradition-
l'importante responsabilité que vous nous avez confiée. Si nelles demorthèn, qui vouent un culte aux
26 vous le voulez bien, laissez-moi vous présenter notre travail. forces de la nature. Le royaume de Gwidre a
pour sa part adopté la religion du Dieu Unique,
un divin créateur qui serait à l'origine du monde
Les Temps Anciens et aurait inventé la vie. Le troisième royaume,
celui de Reizh, s'est davantage tourné vers les
- Nous débuterons là où tout a commencé, à la création du théories de la magience qui affirment que le
monde. Tout comme le reste d'Esteren, notre péninsule a été monde tel qu'on le connaît serait le résultat d'in-
façonnée par les éléments. Terres, mers et êtres vivants sont teractions chimiques entre des énergies qu'ils
l'œuvre des esprits de la nature, à l'instar du peuple osag nomment Flux. Ces trois dogmes aboutissent à
dont tous les Tri-Kazeliens descendent. Ceci représente bien des versions très différentes de la création du
entendu notre vision traditionnelle des choses. Mais d'autres monde.
croyances venues du Continent existent.
L'Aergewin
- Les Temps anciens, pendant lesquels notre péninsule était
Les sanctuaires
encore appelée Creag, ont été marqués par les horreurs de de l'Aergewin
l'Aergewin. Nombreux sont les contes et légendes qui par-
D
lent de ces temps cataclysmiques durant lesquels les peuples es légendes racontent que les demor-
ont été confrontés à des entités monstrueuses. De cette thèn auraient créé des sanctuaires
époque obscure nous vient le terme " feond " qui, dans la souterrains au cœur desquels ils
langue ancienne, signifie " ennemi ". C'est ainsi que les auraient mis à l'abri les secrets de leurs plus
humains nommaient leurs adversaires. L'érudit déroula un puissants rituels. Ces lieux abriteraient égale-
épais tissu d'où il sortit un vase de terre cuite fissuré qu'il ment les tombeaux scellés des créatures de
montra à l'assistance. Sur l'une des faces usées, on pouvait l'Aergewin. Certaines pierres levées, gravées
distinguer les silhouettes d'hommes rassemblés autour de de symboles cryptiques, seraient des indices
pierres levées, gravées de runes. Face à eux se tenait une permettant à qui saurait les déchiffrer de
étrange créature d'assez grande taille, dont les formes n'évo- retrouver ces sanctuaires antiques.
quaient aucun animal connu.
- Il est avéré que ce sont les demorthèn qui ont repoussé les
bêtes de l'Aergewin en utilisant des invocations oghamiques
aujourd'hui oubliées.
Les menaces Fondation de Tri-Kazel
dans les Temps anciens Un assistant déroula une grande carte sur la table du conseil.
Elle était jaunie et déchirée par endroits. On pouvait y voir
- Les derniers feondas prirent la fuite et se terrèrent dans les
la péninsule partagée en une multitude de petits territoires.
profondeurs de la terre. L'humanité mit du temps à se remet-
Chacun portait le nom d'un clan ou d'un village.
tre de ces événements. Mais bientôt, les créatures refirent
- À l'époque, la péninsule ne connaissait aucune unité poli-
surface et commencèrent à harceler les communautés iso-
tique. Les chefs de clans osags isolationnistes, concentrés
lées, de manière plus pernicieuse et plus subtile que pendant
dans le sud de la région, se battaient continuellement entre
les temps de l'Aergewin. Elles obligèrent les populations
eux ou contre les seigneurs de guerre installés plus au nord.
osags à se rassembler dans des villages fortifiés. Les
Trois frères, héritiers du clan de Klardel, entamèrent une
attaques des feondas ont varié en intensité au cours des siè-
campagne de conquêtes et d'expansion qui allait entrer dans
cles, mais cette menace n'a jamais cessé et nous la subissons
la légende. À force de victoires militaires et de succès diplo-
encore de nos jours. Par ailleurs, en ces temps reculés, les
matiques, Taol-Kaer, Reizh, et Gwidre annexèrent les
marées étaient bien plus fortes et bon nombre de vallées
régions les unes après les autres. Les trois frères étaient
étaient régulièrement envahies par les eaux. Ajoutées à la
accompagnés de la barde Arenthel, leur fidèle amie et
menace feonde, ces conditions désastreuses incitèrent les
conseillère, qui endossa un rôle majeur dans les négocia-
peuples à s'installer sur les hauteurs.
tions avec les chefs de clans. Au bout de presque trente ans
de campagnes, les trois frères prononcèrent le Serment, édit
Naissance du Temple qui partagea les terres de la péninsule en trois royaumes
indépendants, mais alliés. Un calendrier commun aux trois
royaumes fut inauguré et la date de promulgation du
Un autre sage prit la parole.
Serment devint l'an 0. La péninsule fut renommée Tri-
- Sa Majesté a demandé que ces chroniques soient exhaus-
Kazel, " les Trois Royaumes " dans la langue ancienne et il
tives. J'ai été mandé pour vous relater ce qui a trait au
fut donné aux trois pays les noms des fondateurs : Taol-
Temple, religion officielle de notre voisin, le royaume de
Kaer, Reizh et Gwidre. C'est également à cette époque que
Gwidre. Ce culte est originaire du Continent, plus particu-
fut instaurée la guilde des varigaux, sous la tutelle de la
lièrement de la région de Chaïna où le prophète Soustraine
barde Arenthel. Ces hommes et ces femmes avaient l'im-
aurait reçu du Créateur ses premières révélations. Dans le
mense responsabilité d'être les messagers entre les
calendrier péninsulaire, ces événements ont eu lieu en 503
royaumes. Avec le calendrier et la monnaie commune insti-
avant le Serment, date de fondation de Tri-Kazel. Depuis
tués, ils étaient l'un des gages de la stabilité sur la péninsule.
cette époque, Soustraine et ses héritiers ont prêché sur les
Dernier pilier devant assurer la pérennité du Serment, les
27
terres continentales, portant le message du Dieu Unique.
rois désignèrent le centre de Tri-Kazel, lieu où se croisent
symboliquement les frontières des trois pays. La citadelle
d'Aelwyd Saogh, le " cœur des royaumes ", y fut bâtie en
Les Fondations (an 0-160) moins de quinze années afin d'y accueillir une fois tous les
dix ans une rencontre entre les trois souverains.
- La période des Fondations commence en l'an 0 et se ter-
mine vers l'an 160. Elle pose les bases politiques et cultu-
relles de la péninsule, partagée en trois royaumes que nous
connaissons bien aujourd'hui.
Les guerres Osags
Malgré la fondation de Tri-Kazel, certaines régions demeurèrent de tout temps dissidentes et sources de conflits. À partir de
l'an 130, la situation s'envenima dans le sud de Tri-Kazel lorsque le royaume de Taol-Kaer sombra dans la guerre. Les clans
rebelles, refusant l'autorité royale, s'allièrent et pillèrent les régions du sud jusqu'à arriver aux portes de Tuaille, capitale de
Taol-Kaer. En l'an 158, ils furent finalement repoussés. C'est à ce moment-là que les trois rois descendants des frères fonda-
teurs purent prétendre régner sur toute la péninsule. Peu de traces sur les incursions des feondas nous sont parvenues de cette
époque, mais il est probable que les communautés isolées durent faire face à des agressions répétées. Ainsi s'acheva la période
des Fondations.
28
Le savant salua le roi avec cérémonie avant de s'asseoir. Erald
Le dernier combat Mac Anweald se tourna légèrement vers son conseiller, le
demorthèn Algwich Dert. Celui-ci n'avait pas bougé d'un
du roi barbare pouce, mais l'éclat de son regard traduisait son profond inté-
rêt pour tout ce qui se disait.
A
près près de trente années de guerre - Très bien ! Continuons, je vous prie ! Le roi claqua dans ses
et de pillages, les armées royales de mains avant de s'enfoncer confortablement dans son siège en
Taol-Kaer repoussèrent définitive- chêne admirablement sculpté.
ment les hordes rebelles. Cette victoire fut Avec une appréhension visible, un jeune érudit, dont le port et
possible grâce à l'appui inconditionnel des la physionomie trahissaient son origine reizhite, se leva.
seigneurs frontaliers de Gwidre et de Reizh,
qui envoyèrent les armées nécessaires à la
levée du siège de Tuaille. La fin de la guerre
fut symboliquement marquée par le combat
au corps-à-corps qui opposa le roi Eblenn, dit
Les Grands Siècles
le Jeune, cinquième souverain du royaume et (160 - 360)
héritier du légendaire fondateur Taol-Kaer, au
roi osag Barabal le Colosse, qui avait fédéré - Sire, laissez-moi vous conter la période la plus faste qu'ait
les clans du sud. Au cours de ce duel connue Tri-Kazel. Après la défaite des rois barbares, les trois
mythique, Eblenn vainquit son terrible adver- royaumes connurent deux siècles de paix, propices à l'essor
saire. La hache du roi barbare, avec laquelle il du commerce et de nouvelles techniques. Avec le développe-
aurait tranché les têtes de plus de mille soldats ment de l'agriculture, les villages se multiplièrent et prospérè-
ennemis, fut perdue au cours de cette bataille. rent. En ces temps glorieux, les traditions demorthèn domi-
On raconte qu'elle était habitée par les esprits naient toute la péninsule, les rois et les princes s'entourant de
et, de nos jours, des gens cherchent encore nombreux conseillers choisis parmi les représentants du culte
cette arme antique dans la région des terres de des esprits de la nature. Les varigaux tenaient aussi une place
Déas. de premier choix. L'œuvre des trois frères avait porté ses
fruits. Malgré quelques frictions frontalières et quelques
remous des clans osags au sud, les trois royaumes vivaient
dans une entente qui faisait honneur au Serment.
-Histoire-
Ce n'est qu'en l'an 440 que le climat connut un réchauffe-
Naissance de la magience ment significatif. La fonte des glaciers entraîna de nouvelles
tragédies : inondations et avalanches engloutirent des com-
- Comme vous le savez, cela ne fait que quelques décennies munautés entières. Les trois royaumes sortirent exsangues
que nous avons des contacts avec le Continent, ces terres de de cette période glaciale et les routes à nouveau praticables
mystère au-delà des infranchissables montagnes Asgeamar. permirent de redécouvrir des paysages oubliés. Il est possi-
Nous avons cependant pu établir que les bases de la ble que plus de la moitié de la population humaine ait dis-
magience furent posées à cette époque, vers l'an 200 de paru pendant ces quatre-vingts années d'épouvante.
notre calendrier. Il semblerait que les technologies qui en - Sage, reprit le souverain, parle-nous des incidences poli-
découlèrent s'imposèrent très rapidement sur les terres tiques concernant cette époque de grands froids, cela m'in-
continentales, au travers de l'ordre des magientistes, avant téresse.
d'atteindre la péninsule plusieurs siècles plus tard. - L'ère de Glace eut pour première conséquence de couper
les routes entre les différents royaumes, Majesté. De par le
Serment, les trois rois se retrouvaient tous les dix ans afin de
réitérer leur alliance et de s'entretenir à propos de la situa-
tion de Tri-Kazel. Malheureusement, la rencontre décennale
L'ère de Glace (360-450) prévue en 360, qui aurait dû avoir lieu comme à l'accoutu-
mée à la citadelle d'Aelwyd Saogh, fut marquée par la mort
- Vers les années 360, les températures sur la péninsule chu- du roi Maelvon de Taol-Kaer. Le convoi royal disparut dans
tèrent drastiquement en quelques années. D'après les infor- les neiges avant d'atteindre la citadelle et ne fut jamais
mations que nous avons récoltées, ce changement de climat retrouvé. À partir de ce jour, ces rencontres n'eurent plus
toucha également le Continent. Les hivers rallongèrent, le jamais lieu et la citadelle fut laissée à l'abandon. Ce drame
manteau neigeux des montagnes s'épaissit et demeura même résume ce qui advint pendant près d'un siècle. Les trois
au cœur de l'été. Des régions entières furent longuement royaumes eurent les plus grandes peines à entretenir
coupées du reste du monde. Bon nombre de plateaux culti- quelques contacts et chacun s'enferma dans l'isolement, le
vables ne purent alors être exploités. En quelques saisons, souci de maintenir l'unité de la péninsule ayant cédé sa place
les conséquences dramatiques de ce refroidissement se au problème plus immédiat de la survie. Les varigaux perdi-
firent ressentir. Une grande partie des peuples de la pénin- rent beaucoup de leur influence et c'est à cette époque qu'ils
sule connut une famine sans précédent. De nombreux vil- devinrent les messagers populaires que l'on connaît
lages disparurent, leurs habitants sombrant parfois dans les aujourd'hui, voyageant de vallée en vallée afin de porter les
pires atrocités pour tenter de survivre. La Famine Blanche nouvelles, quémandant ici et là le gîte et le couvert. À la
dura de longues années et décima les populations. Si l'on suite d'un interminable hiver de près d'un siècle, les trois
ajoute à cela la recrudescence des attaques des feondas,
29
royaumes n'avaient plus le même visage et les mentalités
cette époque fut réellement terrible pour les habitants de la avaient bien changé.
péninsule.
Le Renouveau (450-700) Evolution des cités
- De 450 jusqu'au début du huitième siècle, les trois pays et des peuples
purent à nouveau se développer. Cette période de renais-
sance après l'ère de Glace fut marquée par l'affermissement - Si Ard-Amrach fut la cité la plus imposante à l'époque du
de l'identité de chaque royaume. Renouveau, les autres villes de la péninsule se développè-
rent également. L'agglomération de Klardel en Taol-Kaer,
qui avait accueilli de nombreux réfugiés pendant l'ère de
Grands rois et politique Glace, fut agrandie et devint Osta-Baille, une cité mar-
chande prospère. En aval, la capitale Tuaille prit de l'impor-
- En Taol-Kaer, les souverains les plus prestigieux du tance à mesure que ses pilotis gagnaient du terrain sur les
Renouveau sont sans conteste le roi Hild, qui mena un com- marais. C'est également à cette époque que fut bâtie la
bat acharné contre la menace feonde, ainsi que son frère, fameuse cité-escalier de Tulg Naomh, au nord-ouest du
Gairn, qui lui succéda et qui fonda l'ordre des chevaliers hil- royaume de Taol-Kaer. La capitale de Reizh, Baldh-Ruoch,
derins. En Reizh, le roi Firgon le Téméraire marqua son prit, elle aussi, de l'am-
temps en consacrant son règne à organiser de nombreuses pleur lorsque
expéditions à travers les monts Asgeamar, tentant ce que nul les rois du
n'avait osé faire avant lui : explorer ce qui se trouvait au- Renouveau
delà et que nous appelons maintenant le Continent. Bien peu agrandirent
d'émissaires de la couronne revinrent, et aucun d'entre eux la citadelle
ne découvrit autre chose que des régions sauvages et inhos- royale domi-
pitalières. En Gwidre, le roi Argaën le Bâtisseur se distingua nant la ville,
par les travaux colossaux qu'il fit réaliser dans la capitale pour en faire le
Ard-Amrach. Pendant plusieurs décennies, la cité fut trans- plus beau palais
formée par des milliers d'ouvriers, élevant des murailles et de la péninsule.
agrandissant les quartiers habitables.
Le Premier Fléau
30
P endant le Renouveau, la cité talkéride d'Osta-Baille connut un essor impressionnant. Officiellement reconnue comme
l'une des grandes cités de Taol-Kaer, elle vit s'installer les guildes importantes, qui en firent une place marchande
incontournable pour ceux qui allaient en direction de la capitale Tuaille. Les étrangers affluaient, principalement en
provenance de Reizh, la ville grandissait, mais elle n'était pas prévue pour tant de monde. Les conditions de vie déjà pénibles
devinrent catastrophiques. Mal conçue, Osta-Baille avait grandi trop vite. Elle devint le terrain de miasmes et de maladies.
Les infections se multiplièrent et se répandirent à la vitesse d'un caernide lancé au galop. En deux mois à peine, en plein cœur
de l'été 492, la moitié de la population succomba à ce qui fut nommé la Peste mauve. La ville basse, bâtie dans l'urgence au
pied des plateaux, quand les montagnards s'étaient installés à Osta-Baille, s'était transformée en un immense charnier. Les
corps marqués par la peste pourrissaient dans les rues et l'odeur infecte qui s'en dégageait remontait jusqu'aux plateaux. Le roi
Néahart fut lent à réagir, mais il se décida finalement à intervenir. Il envoya un important contingent composé d'érudits, de
médecins et de soldats, qui enraya l'épidémie en peu de temps. Pendant quatre semaines, un brasier consuma les corps des vic-
times, répandant une odeur écœurante de chair humaine grillée sur la ville. Avec l'aide des hommes du roi, la cité fut sauvée,
et des travaux commencèrent afin de la moderniser. À cette époque fut construit le premier aqueduc de la ville, réalisé suivant
les plans d'un érudit de Taol-Kaer. Une partie des eaux de la chute de Deoïr fut ainsi détournée pour permettre aux habitants
de chaque quartier de la cité d'Osta-Baille de recevoir le précieux liquide.
Les Décennies continentales contre avec la culture continentale avant l'an 702. Nous
(700-720) vivions seuls alors, sans aucune connaissance de ce qui se
tramait au-delà des immenses montagnes Asgeamar, hormis
- Majesté, abordons maintenant cette période de grands bou- quelques récits sur les terres du Simahir. Cependant, au
leversements pour nos terres. Vous entendrez peut-être cer- début de l'an 702, des habitants de la région de Gleb, au nord
tains historiens prétendre que notre péninsule aurait connu de Reizh, virent arriver dans le ciel trois étranges navires
dans son histoire trois vagues successives d'immigration de volants. Nous savons maintenant qu'il s'agissait d'artefacts
continentaux et que la plus ancienne remonterait à plus de magientistes ; ils avaient été fortement endommagés pen-
trois siècles avant le Serment. Rien ne prouve de telles affir- dant la traversée des montagnes et surpris par un voyage
mations ; il est probable que les migrants en question soient plus long que prévu. Des dizaines de personnes sortirent de
en fait des montagnards des Asgeamar fuyant la canicule, ces énormes carlingues abîmées. Le groupe de téméraires
probablement originaires pour certains de la région conti- voyageurs était mené par le fameux magientiste Goran
nentale voisine du Simahir, située derrière les contreforts Aznor. C'est ainsi qu'eut lieu le premier véritable contact
des Asgeamar. Mais il nous paraît abusif de parler de ren- entre le Continent et Tri-Kazel.
-Histoire-
survécurent et parvinrent à préserver leurs croyances et à
Arrivée de la magience faire de nouveaux adeptes.
en Tri-Kazel
D'un geste élégant, la reine Edena Mac Lichorl fit signe au
L'Ère de la Maturité
sage de continuer. Il s'exécuta : (de 720 à aujourd'hui)
- C'est donc par Reizh que la magience mit le pied sur la
péninsule. Les hommes de cette expédition se firent rapide- - Environ deux décennies après l'arrivée des premiers conti-
ment connaître grâce à leurs nombreuses inventions et à nentaux sur la péninsule, leur influence commença à se faire
leurs artefacts capables d'améliorer les conditions de vie de sentir et à transformer les trois royaumes. Les décennies qui
bien des gens. Mais ils devinrent aussi la cible de rumeurs suivirent s'accompagnèrent de changements profonds et
remettant en cause leur honnêteté ; les demorthèn assuraient souvent inattendus.
que ces inventions allaient à l'encontre des lois de la nature
et que la récupération du Flux nécessaire à leur fonctionne-
ment était une abomination. Finalement, les prodiges des Reizh, royaume magienstiste
magientistes n'eurent que peu d'échos dans le reste de Tri-
Kazel et ils ne purent s'installer qu'en Reizh, lieu de leur - Le roi Ierónim donna à Goran Aznor le droit d'accomplir
arrivée. des recherches en Reizh, en échange de la diffusion des
secrets de sa technologie. Le roi, entouré des magientistes
qui le conseillaient en toutes choses, mit en chantier la capi-
Les missionnaires du Temple tale Baldh-Ruoch. Dans les plus grandes cités du royaume
furent installés des nébulaires, ainsi que d'autres appareil-
Mais les continentaux n'en restèrent pas là et, à l'aube de l'an lages améliorant la vie des citadins. Quelques graves acci-
713, un nouveau groupe arriva. Cette expédition menée par dents eurent lieu, comme lorsqu'un prototype d'aéronef
le missionnaire Jamian, parvint à franchir les océans tumul- s'écrasa au cœur de Baldh-Ruoch et provoqua un immense
tueux protégeant notre péninsule et à rejoindre les côtes incendie. À partir de ce jour de l'an 792, les engins volants
gwidrites. Très différents des magientistes, ces colons furent interdits par décret. Les campagnes virent pousser des
étaient des adeptes de la religion du Temple qui, comme moulins à l'architecture étrange permettant de moudre le
vous le savez, cherchent à étendre leur foi sur le monde. Les grain plus rapidement que les bâtisses traditionnelles. Les
étrangers entamèrent un long voyage, traversant vallées et premières universités magientistes furent édifiées et
cols enneigés, ne s'arrêtant que quelques jours dans chaque ouvertes. La population, tour à tour méfiante puis charmée
communauté. Cette première expédition fut souvent mal par ces avancées techniques, vit le royaume évoluer rapide- 31
accueillie et les conditions de voyage extrêmement difficiles ment. Les voisins de Reizh commencèrent eux aussi à mon-
coûtèrent la vie à nombre de ses membres. Mais certains trer de l'intérêt pour ces innovations.
B
ravant l'Océan Furieux, bon nombre de missionnaires du Temple périrent en tentant de suivre la voie ouverte par
Jamian. De nombreux tri-kazeliens tentèrent le voyage inverse pour rejoindre le Continent mais aujourd'hui, plus
personne, si ce n'est quelques illuminés, ne tente ce périple. Les chemins à travers les monts Asgeamar sont tout aussi
mortels, et deux siècles après les premiers contacts avec le Continent, la péninsule reste très isolée. De nos jours, des
rumeurs de navires naufragés remplis de trésors provenant du Continent continuent à créer des vocations de chasseurs de
trésors. Ces gens, parfois rassemblés en petites guildes, plongent dans les eaux agitées du large, mettant leur vie en péril, à
la recherche de richesses dont on ne sait rien, pas même si elles ont un jour existé.
Le Temple en Gwidre
- En l'an 725, une horde de feondas parvint à s'introduire dans la capitale de Gwidre et à massacrer des milliers de personnes.
Le chaos dura des semaines et fit pressentir aux Gwidrites un nouvel Aergewin. Cette page sombre de l'histoire semble a pos-
teriori avoir été écrite à l'intention des émissaires du Temple, menés par Jamian, qui ne tardèrent pas à se présenter aux portes
de la cité durement éprouvée. Le roi de Gwidre, Eothèn, dit le Magnanime, reçut Jamian avec ses missionnaires et les écouta
attentivement. Il fut témoin, d'après ses propres mots, de " plusieurs miracles authentiques " qui lui redonnèrent espoir, alors
que Jamian lui présentait une sainte relique, récemment découverte sur les terres gwidrites. Après deux décennies de collabo-
rations fructueuses, le roi finit par accéder à la requête de Jamian, devenu un ami, et c'est ainsi qu'en 747 fut édifiée la pre-
mière église en Tri-Kazel. Nul ne songea à contester cette décision, tant Eothèn, descendant direct de Gwidre, avait su réta-
blir la paix et la sécurité sur ses terres avec l'aide des missionnaires. Moins de trente ans plus tard, en l'an 775, le Temple devint
la religion officielle du royaume. Suivant l'exemple des habitants de la capitale Ard-Amrach, de nombreux Gwidrites, se
convertirent en quelques années à la religion révélée par Soustraine. En un peu moins d'un siècle, le Temple prit l'ascendant
sur les anciennes traditions en Gwidre.
- Récit intéressant, cher ami, mais vous oubliez de préciser les méthodes du Temple pour s'imposer sur les terres de Gwidre.
Appuyé sur un bâton noueux, le demorthèn Algwich Dert était sorti de l'ombre et se tenait à la droite du roi.
- Les fidèles du Temple ont saccagé les sanctuaires sacrés des demorthèn et n'ont pas hésité à renverser les mégalithes qui ont
traversé l'histoire de notre péninsule. De plus, la conversion d'Eothèn reste suspecte et il ne paraît pas abusif de penser que les
envoyés du Temple ont manipulé le souverain de Gwidre.
Les paroles engagées de Dert semèrent le trouble dans l'assemblée qui fut parcourue d'un murmure. Mais le demorthèn leur
fit signe de continuer et les érudits reprirent la parole.
32
Taol-Kaer, entre
traditions et modernité
- Le début de la période dite de l'ère de la Maturité est marqué par une catastrophe qui eut de graves conséquences pour Taol-
Kaer. En l'an 748, le nord de notre royaume fut touché par des pluies diluviennes qui provoquèrent de terribles inondations.
Les chutes de Deoïr vomirent des eaux en furie sur la cité d'Osta-Baille, qui fut engloutie par des torrents de boue, de branches
et de roches arrachées à la montagne. L'aqueduc de Drachnar céda rapidement et les eaux envahirent avec violence les rues
de la cité, dévastant les maisons et décimant la population. Nul ne pouvait prévenir les secours, car les routes étaient inondées
et les ponts brisés. Peu à peu, la fureur du fleuve cessa, et l'eau se retira de la ville basse, laissant les cadavres dans la boue
au milieu des débris. Ce fut un drame aussi marquant que la Peste mauve de l'an 492 et il fut très vite nommé le Second Fléau.
Hélas, ce n'était pas la fin du calvaire des Ostiens. Après les pluies torrentielles, l'été revint et un soleil de plomb s'abattit sur
la cité. Maladies et épidémies frappèrent, engendrées par la décomposition des corps et la mauvaise évacuation des eaux stag-
nantes. Les habitants sinistrés vivaient dans une situation précaire et seul l'héroïsme du célèbre Fùlgyar, fils de l'ansailéir
Merkyon, seigneur de la cité, permit d'échapper au pire.
-Histoire-
Au milieu de l'été 748, Fùlgyar partit seul chercher de l'aide, de la guerre fratricide qui opposa Gwidre à ses voisins Reizh
mais il ne trouva personne qui fut disposé ou en position de et Taol-Kaer ?
l'aider. Il apprit de la bouche de montagnards que Kailleach, L'érudit déroula une carte de la péninsule qui montrait l'état
le roi de Taol-Kaer, s'en retournait chez lui suite à un voyage actuel des frontières.
en Reizh. Le héros saisit cette opportunité et se mit en quête - Il n'est pas présomptueux de penser que ce sont les cham-
du roi, espérant croiser sa route. Bien sûr, les chances de boulements apportés par les continentaux qui provoquèrent
réussite étaient faibles, mais la destinée dut y mettre du sien, cette guerre ; volonté expansionniste du Temple, expé-
car le jeune homme trouva le convoi du souverain. Fùlgyar riences magientistes sur des terres hors de Reizh, etc. En
expliqua la situation désastreuse dans laquelle la ville se Gwidre, les magientistes furent chassés violemment et seuls
trouvait, et devant l'urgence et le désespoir du jeune homme, quelques-uns continuèrent à mener leurs expériences dans
Kailleach accepta de se rendre à Osta-Baille. Quel souverain des régions reculées ou inaccessibles. Les tensions entre
d'exception, pour oser ainsi risquer sa vie dans une région Gwidre et son voisin Reizh ne cessèrent de s'amplifier
frappée de maladies afin de soutenir son peuple ! Le roi était jusqu'en 857, quand le roi Kaergän, après avoir pris conseil
revenu de Reizh avec un étrange personnage, un certain auprès du Hiérophante Tomar, déclara la guerre à Reizh ; le
Athaontú, un magientiste de haut rang, détenteur des plus but était officiellement de mettre fin aux incursions répétées
grands secrets de cette science. L'érudit parcourut deux des magientistes à la recherche de Flux sur le territoire gwi-
jours durant Osta-Baille, inspectant les lieux pour rendre un drite. Est-ce là l'unique raison qui a poussé le roi Kaergän à
rapport complet au roi. Une semaine plus tard, celui-ci fit suivre les conseils de Tomar ? Hélas, Majesté, nous ne
une déclaration publique, près du cromlech sous lequel la sommes pas en mesure de vous apporter de réponse tran-
légende prétend que Taol-Kaer serait enterré. Il annonça que chée à cette question.
la cité allait être rebâtie, suivant des principes architecturaux - Ne t'en inquiète pas, jeune savant, il est parfois préférable
nouveaux et sous la direction d'Athaontú. que certaines énigmes demeurent. Le roi acheva sa phrase
Le roi, qui écoutait studieusement les érudits, fit un signe par un sourire plein de mystère. L'érudit garda le silence
avant de prendre la parole : quelques instants avant de poursuivre :
- Mon aïeul Kailleach fut un roi connu pour être proche de - Très rapidement, Taol-Kaer s'allia à Reizh pour contrer
nos traditions dans sa vie quotidienne et respectueux des l'offensive gwidrite et empêcher la victoire du Temple. Au
esprits de la nature. Lorsqu'il alla en Reizh pour renouveler terme de six années de combats acharnés, la triste guerre du
l'amitié entre les deux royaumes, il découvrit les merveilles Temple s'acheva par la lourde défaite de Gwidre. On aurait
importées du Continent et se dit qu'il serait bon de les inté- pu penser que tous les morts tombés sur les champs de
grer à son royaume, tout en conservant ce lien ancestral à la bataille, en plus de la ruine presque totale du royaume
nature. Il réussit à convaincre son homologue d'échanger vaincu, auraient attiré les foudres du peuple sur le Temple.
leurs connaissances. Kailleach confia à son chevalier Tearg Or, il n'en fut rien, la tragédie soudant encore plus des gwi- 33
le soin d'apprendre certaines techniques de l'art de la guerre drites déjà solidaires.
aux officiers de la garde royale de Reizh ; en échange
Athaontú enseignerait les rudiments de la magience au roi
de Taol-Kaer. Mon aïeul ne pouvait se douter des dérives De nos jours (864-907)
que provoquerait la magience sur nos terres, mais je ne peux
que saluer sa décision d'avoir fait rebâtir Osta-Baille, ainsi - À la suite de la guerre du Temple, le royaume de Taol-
que le talent de cet Athaontú. On ne peut que s'émerveiller Kaer, se tint à distance prudente des idées continentales et
devant la magnificence de cette cité qui est incontestable- préserva les traditions demorthèn. Si Reizh demeure attaché
ment l'un des joyaux de notre péninsule ! Je comprends qu'à aux progrès de la magience, ses campagnes sont quant à
sa vue, mon aïeul ait décidé d'en faire la nouvelle capitale du elles toujours restées proches de ces mêmes traditions. Seul
royaume ! Gwidre a vu le Temple s'imposer partout, des grandes cités
- En effet, Majesté, le roi Kailleach revint dix ans plus tard aux petits villages et c'est un royaume où la magience est
dans Osta-Baille et il découvrit l'œuvre d'Athaontú. C'est sévèrement réglementée. La guerre a laissé des cicatrices et
ainsi qu'en 758, Osta-Baille fut déclarée capitale du de vives tensions subsistent aux frontières. Taol-Kaer et
royaume et la famille royale s'y installa. Il va sans dire que Reizh se sont rapprochés, signant une alliance visant à
les gens de Tuaille furent grandement offensés par cette contrer d'éventuelles velléités de conquête de la part de
décision. En dehors de cette cité, l'influence des magien- Gwidre. En plus de cette situation assez confuse, il me sem-
tistes resta très modérée en Taol-Kaer, qui demeura le plus ble également important de souligner que les feondas se
traditionnel des trois royaumes de la péninsule. On peut sont montrés de plus en plus agressifs et entreprenants ces
cependant penser que si la guerre du Temple n'avait pas eu dernières générations. L'attaque de la capitale du Gwidre en
lieu quelques années plus tard, la magience aurait fini par se 725 par une véritable horde peut être perçue comme un
répandre progressivement en Taol-Kaer, voire à s'y installer signe majeur de la recrudescence des assauts des monstres
de manière durable comme en Reizh. de l'Aergewin. Durant ces dernières décennies, les rapports
parlant de l'agitation des feondas dans les tréfonds des forêts
et des gorges de nos montagnes, ainsi que de leurs assauts
contre les villages et les voyageurs, n'ont cessé de se multi-
La guerre du Temple plier. À l'aube de l'an 908, que nous fêterons prochainement,
toutes ces difficultés conjuguées pèsent sur Tri-Kazel et de
- Nous en venons à une période bien sombre de notre his- nombreuses tensions sont palpables. Majesté, c'est ainsi que
toire et qui a marqué bon nombre de familles des trois se conclut notre travail, j'espère qu'il pourra vous être utile
royaumes. Qui d'entre nous n'a pas un grand-père mort lors dans la rédaction de vos chroniques !
-Histoire-
Chapitre 1
Feondas
C her Wylard,
Voici enfin le rapport que vous m'avez demandé sur les feon-
das. Comme vous le savez, en tant que varigal, j'ai parcouru Tri-Kazel pendant de
longues années et chaque route de la péninsule a connu le rythme de mes foulées. Suite à
votre demande, j'ai spécialement consigné lors de mes derniers voyages tout ce que j'ai pu
trouver au sujet de ces terribles créatures. Certaines des informations contenues dans ce
document vous sont probablement déjà connues. J'espère que d'autres le seront moins, et
que vous en apprendrez davantage en parcourant ces lignes. Je pense avoir effectué ici une
courte synthèse des connaissances de notre peuple concernant ce vaste sujet ; et je crois
que cela pourra vous aider à mieux défendre votre domaine contre ce fléau. Ce document
n'est bien entendu pas exhaustif, et nous en découvrirons probablement davantage sur les
feondas dans les temps à venir. Nous devons apprendre à nous défendre au mieux, et peut-
être un jour trouverons-nous un moyen d'éradiquer cette menace pour vivre en paix.
34
L
Certains auraient l'apparence d'énormes loups, d'autres es passages permettant aux convois de tra-
seraient des sangliers enragés à la carrure colossale. Des verser la chaîne des Mòr Roimh sont rares.
varigaux m'ont parlé d'arbres dont l'écorce se contracterait L'un d'eux, situé au sud des Terres de Dèas,
parfois en un visage monstrueux et dont les branches grif- permettait jadis aux voyageurs désireux de traver-
fues pourraient écarteler un homme. Mais la plupart sont de ser la péninsule d'est en ouest, de gagner plusieurs
forme humanoïde, et même, dans de rares cas, trop ressem- jours, leur évitant le détour jusqu'à la Pointe de
blants à nous autres humains à mon goût. Leur corps est Hòb. Il n'est plus emprunté depuis plusieurs géné-
cependant très souvent déformé, adoptant des poses qui rations. Les Osags nomment ce passage " Sianail " ;
feraient souffrir le plus souple des athlètes. De tailles et de pour des raisons inexpliquées, ce lieu serait
carrures très variées, ils sont recouverts de mousse, de devenu un nid de feondas. Les bruits qui réson-
roche, de bois. Certaines études sur des cadavres prouvent nent dans ces gorges ne sont pas seulement dus
d'ailleurs qu'ils en sont en partie constitués. D'après les aux vents violents mais bien aux
témoignages que j'ai entendus, ainsi que de ma propre expé- créatures qui grouillent dans
rience, sous ces excroissances diverses la carnation de leur l'obscurité…
chair est étrange, allant d'un gris minéral au vert des plus
C her ami,
Depuis très longtemps, les hommes s'interrogent sur l'origine des feondas et
leurs motivations profondes. Selon les croyances, les explications varient grandement. Mais qui peut affir-
mer avoir raison ? Au cours de mes voyages, j'ai récolté bon nombre de témoignages ; en voici quelques-uns.
Ce premier récit me provient d'un ami demorthèn. Cette année-là, le rassemblement annuel du Tsioghair
auquel il participa avait été presque entièrement consacré aux feondas. Ce sujet pouvait créer la discorde
parmi les demorthèn, car leurs convictions divergent à ce propos. Sellog, un vieux demorthèn osag, y fit une
intervention remarquée en appelant à multiplier les sacrifices humains afin de calmer les esprits naturels.
Comme lui, certains demorthèn conservateurs pensent que les feondas, au même titre que les autres espèces,
sont des êtres vivants ayant un rôle dans les cycles. Sníomh et Aingeal, deux esprits de la nature belliqueux,
seraient à l'origine de la prolifération catastrophique de ces créatures, dont le point culminant fut l'Aergewin.
Le problème ne serait pas tant les feondas, mais plutôt leur nombre qui peut menacer l'équilibre du monde.
Pour Sellog, la recrudescence des attaques feondas traduit la colère des esprits qui doit être calmée par des
sacrifices. Ces demorthèn pensent également qu'il est crucial de lutter contre la magience, car la science des
daedemorthys va à l'encontre des principes de respect et d'humilité envers les forces naturelles et attise la
colère des esprits.
Mais ce point de vue n'est pas partagé par l'ensemble de la communauté demorthèn. Pour certains, Sníomh
et Aingeal ne sont pas seulement des esprits chaotiques ; ils sont malfaisants. L'Aergewin aurait été provo-
qué par leurs intentions maléfiques. Sans les pouvoirs conférés aux demorthèn par les autres esprits, le monde
aurait sombré dans un chaos total. Pourtant, en ces époques reculées, les humains vouaient un culte respec-
tueux aux esprits, les sacrifices étaient nombreux et la magience n'existait pas. Pour ces demorthèn, ni les
offrandes, ni l'éradication des magientistes, ne changeront quoi que ce soit : Sníomh et Aingeal sont des
esprits mauvais et leurs engeances doivent être combattues. Certes, ces esprits ont un rôle dans les cycles
naturels en incarnant la destruction et la mort, mais la création des feondas est un abus qui traduit leur volonté
de détruire notre monde. Ces bêtes ne participent pas de l'équilibre, mais sont plutôt un danger le menaçant.
Les adeptes de la religion du Dieu Unique ont une tout autre vision des feondas. Pour eux, ces êtres sont des
démons dont la seule raison d'être est de corrompre l'humanité. Ils sont attirés par les émotions trop fortes et
35
par les vices, profitant de la faiblesse des hommes pour s'infiltrer et semer le chaos. C'est pourquoi l'une des
ordonnances du prophète Soustraine préconise l'ascétisme et la modération en toute chose. Si une attaque vise
une communauté pieuse, c'est que certains en son sein nourrissent des pensées impures. Pour vaincre la
menace feonde, il faudrait d'abord vaincre ses démons intérieurs. Ayant comme toi une éducation demorthèn
traditionnelle, ces croyances m'ont toujours paru étranges.
Pourtant, pendant mes voyages, j'ai été témoin de quelques scènes qui ont troublé mon esprit. Un jour, dans
une communauté gwidrite, une horde de feondas renversa les palissades de rondins et se répandit dans le vil-
lage, proférant des hurlements inhumains. Le prêtre nous cria de nous rassembler dans l'église pendant que
les soldats s'employaient à ralentir les bêtes. Après quelques moments de panique, la communauté parvint à
se réfugier à l'intérieur de l'édifice sacré. Crois-moi si tu le veux, mais nul feond n'entra malgré la vétusté des
portes de l'église, qui n'auraient pas résisté à la charge d'un seul caernide ! D'autres événements de ce type
auraient tendance à montrer que les feondas craignent les lieux saints dédiés au Dieu Unique. Troublant,
n'est-ce pas ?
Les magientistes, que j'ai pu rencontrer en Reizh, fustigent autant les croyances des demorthèn que celles des
prêtres du Temple. Comme tu le sais, ces hommes de science ont développé une théorie autour du Flux, éner-
gie dont seraient composés chaque être et chaque chose. De leur point de vue, le phénomène feond résulte-
rait d'une "entropie énergétique", un phénomène obscur aboutissant à ces êtres vivants. En effet, les
magientistes ont constaté que tous les feondas sont des mutations grotesques d'espèces déjà exis-
tantes. Ce sont donc des créatures nuisibles à éliminer. Cependant, j'ai noté que leurs théories font
peu de cas des pouvoirs possédés par les demorthèn et des prodiges accomplis par les prêtres
du Temple. Il est temps d'achever cette lettre en espérant que tu parviendras à te faire ta
propre opinion sur cette plaie qu'est la menace feonde.
-Feondas-
Comportement
S i le comportement des feondas semble au premier regard extrêmement primaire, voire anarchique, une observation plus
approfondie permet de constater que ce n'est pas toujours le cas. Il n'est pas rare de voir des feondas plus ou moins
organisés attaquer ensemble des positions fortifiées et bien défendues. Parfois, on peut même déceler des ébauches de
stratégie dans certains de leurs mouvements. Récemment, j'ai entendu dire qu'une angarde talkéride a été prise d'assaut et
entièrement ravagée. L'offensive a été lancée sur différents fronts en même temps et au cours de celle-ci les monstres ont
même creusé pour saper les murailles. Les rares survivants ont pu observer, durant ces phases plus concertées et réfléchies,
des feondas qui semblaient être des chefs de meute, ayant l'air de diriger les opérations par des grognements ou de simples
signes. Ces feondas possèdent généralement des corps humanoïdes et arborent le plus souvent d'étranges masques ornés de
reliefs décoratifs. Nos guerriers les nomment " drèin ", ce qui signifie " visage " dans l'ancienne langue.
Edgar de Jaffren,
primus magientiste de Kell
-Feondas-
L'humanité face
aux feondas
37
D
e mémoire d'homme, nous avons
toujours combattu les feondas.
Aucun texte, aucune tradition,
aucune légende ne peuvent remonter à un
temps où ils n'étaient pas connus et craints.
L'Aergewin a été l'époque où les feondas se sont
montrés les plus nombreux et les plus violents. En ces
temps obscurs, des feondas de taille immense parcou-
raient le monde et semaient la mort et la destruction.
Sans les demorthèn, l'humanité se serait sans doute
éteinte. Fort heureusement, les plus gros des feondas
ont disparu, mais les autres ont survécu et continuent
de harceler l'humanité. Tels des insectes cachés dans
les égouts de nos cités, ils pullulent et attaquent
régulièrement nos communautés. L'histoire nous
montre que les feondas n'agissent pas de manière
continue et prévisible mais semblent traverser
des périodes d'agressivité plus intense, s'éten-
dant parfois durant plusieurs générations.
Hélas, notre époque est marquée par un
accroissement notable de leurs attaques.
Comme vous le savez certainement, la quan-
tité d'attaques varie également au cours des
saisons, l'automne et l'hiver étant particulière-
ment dangereux. Ces créatures semblent pré-
férer le froid… à moins qu'elles ne comptent
sur les nuits plus longues et la peur ances-
trale de l'obscurité ancrée en chaque être
humain pour nous terroriser.
-Feondas-
forêts profondes, dans des gorges raides, au fond de
Un ennemi omniprésent cavernes humides ou encore aux sources inaccessibles des
rivières. Il s'agit toujours d'endroits inhospitaliers que
N ous savons tous qu'un feond constitue généralement un redoutable adversaire, même pour un combattant entraîné.
Leur corps est très résistant et leur force est généralement supérieure à celle de n'importe quel homme. Mais bien plus
que cela, ce sont leurs capacités et leurs pouvoirs très particuliers qui les rendent vraiment dangereux.
Des feondas appartenant aux trois règnes peuvent produire du poison. Un examen visuel ne permettra pas de déterminer quels
spécimens sont venimeux. De nombreux demorthèn ont donc étudié le sujet et ont développé des antidotes dont l'efficacité
reste malheureusement aléatoire devant la diversité des substances nocives collectées. Ainsi, on a pu voir de fiers guerriers
qui, plusieurs heures après avoir terrassé un feond, ont été pris de violents tremblements, de nausées, de convulsions, entraî-
nant parfois une mort lente et douloureuse, ou laissant seulement une ombre de vie dans un corps définitivement diminué.
D'autres encore ont dû être amputés d'un membre atteint par une griffure profonde, pour éviter que la gangrène ne se répande
dans tout leur corps. Plus étonnant encore, et j'ai pu l'observer de mes propres yeux seigneur Wylard, certaines de ces subs-
tances attaquent l'esprit, avec des effets semblables aux plus puissantes plantes hallucinogènes que l'on connaisse. Il ne s'agit
38 là que d'exemples marquants, un petit aperçu d'une longue liste d'effets recensés par mes soins dans un autre document, que
je vous transmettrai plus tard. Ils sont cependant assez représentatifs de la dangerosité de ces monstres. Face à un feond, un
guerrier devrait toujours porter une armure empêchant griffes, crocs ou lianes empoisonnées d'atteindre la chair ou, mieux
encore, faire en sorte de ne jamais être blessé ! Si une blessure légère peut n'occasionner qu'une légère douleur, ses consé-
quences peuvent être terribles. Parmi les autres capacités étranges dont disposent les feondas, j'ai entendu dire que certains
d'entre eux peuvent employer une forme d'hypnose. On m'a conté l'histoire d'un chevalier hilderin qui, après avoir été mis à
terre par un feond, avait été obligé de soutenir son regard pendant quelques secondes. Il prétendait avoir oublié les trois jours
qui suivirent cette rencontre, mais des témoignages relatent qu'il aurait attaqué et massacré de nombreuses personnes, sans
dire mot, se contentant de grogner, comme si quelque chose avait pris possession de son corps. Je ne sais quel crédit porter
à de tels récits, mais il vaut mieux se préparer au pire.
-Feondas-
Les Enfants de Neven
I l y a bien des siècles, lors d'une période d'activité particulièrement agressive des feondas, une guerrière nom-
mée Neven fit de la lutte contre ces créatures le but de sa vie. Les monstres avaient décimé sa famille et plutôt
que de rester terrée derrière les palissades de son village natal, elle décida de les traquer sans relâche. Neven
quitta son village et s'en alla de par les routes de la péninsule. Des années durant, elle frappa les feondas, les pistant
jusque dans leurs tanières au fin fond des forêts les plus denses et dans l'obscurité des plus abruptes gorges monta-
gneuses. Sa légende est connue de tous en Tri-Kazel, et de nombreuses peintures et sculptures ornent nos communautés,
la représentant au sommet d'un monticule de monstres terrassés. Ses hauts faits sont souvent chantés par les bardes. Tout
le monde a entendu parler de la manière dont Neven a sauvé le village de Kafhgan en effectuant seule une sortie, traver-
sant les rangs de feondas enragés, s'ouvrant une voie au tranchant de son épée, avant d'atteindre le chef de la troupe
monstrueuse et de le décapiter tandis qu'autour d'elle le chaos se déchaînait et que les griffes et les crocs tombaient sur
son corps robuste. C'est ainsi qu'elle mourut, sous les coups de toute une horde sauvage qui, désorganisée après la mort
de son chef, échoua à prendre Kafhgan. Neven vit encore dans les mémoires et il est un groupe qui tient en particulier à
son souvenir. Les Enfants de Neven n'ont aucun lien de parenté avec la grande héroïne, mais ils se réclament de son héri-
tage. Cette troupe d'une cinquantaine de guerriers à l'entraînement poussé arpente les routes de la péninsule et va déter-
rer les feondas directement dans leurs tanières, là où personne n'ose mettre les pieds. Le taux de mortalité parmi
les Enfants de Neven est extrêmement élevé, mais nombre de jeunes gens fougueux se proposent pour rejoin-
dre leurs rangs. Ils sont à la fois adulés pour leur courage et leur ténacité, et craints, car certains pré-
tendent qu'ils exacerbent la férocité des feondas quand ils passent dans une région.
39
Cercles protecteurs
I l semblerait que les anciens demorthèn, du temps de l'Aergewin, disposaient de pouvoirs nettement plus impor-
tants que nos contemporains. Ils ont désormais perdu, entre autres, la connaissance des cercles protecteurs ;
mais certains de ces sites sont toujours en activité. Il est des lieux en Tri-Kazel, entourés de pierres levées gra-
vées de nombreuses runes, dans lesquels les feondas ne peuvent pénétrer. Mais tous les cercles de pierre n'offrent
pas un tel refuge, et le voyageur ne devra se fier qu'à ceux dont il est certain de la puissance protectrice.
F inissons cet exposé par un petit rappel d'informations essentielles qui vous
seront des plus utiles : les points faibles des feondas. Hélas, organiser une
défense fiable et systématique relève de la gageure, puisque tout dépend de
l'adversaire. Ces créatures étant de formes, de statures, mais aussi de compositions
variées, il n'y a pas de règle générale. Ainsi, une créature à la peau rocailleuse sera plus
sensible aux armes lourdes et contondantes qu'une autre à la peau en écorce qui craindra
essentiellement le feu et les armes tranchantes. Contre certains d'entre eux, les techniques
de combat souples et rapides sont les plus adaptées, tandis que face à d'autres, rien ne
remplacera un chevalier et sa lourde armure. Lorsque le moment sera venu, vous pourrez
agir efficacement, en observant votre adversaire et en choisissant ceux de vos hommes
qui seront les plus aptes à le combattre.
Dalaigh
Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bon courage,
Chapitre 1
Peuples
et
Mentalités
L
e professeur Mac Endgad frappa vigoureusement son visées de ce cours. Le progrès dont jouit le royaume de
bureau de sa longue canne à tête de faucon. Derrière Reizh depuis plusieurs décennies ne peut être considéré
lui était suspendue une immense carte calligraphiée comme unique étalon pour mesurer l'éclat ou le déclin d'une
représentant Tri-Kazel. civilisation. Prenez ceci pour acquis et revenons à notre
- Silence ! sujet, à savoir les peuplades de Tri-Kazel.
Le bourdonnement qui commençait à enfler dans l'amphi- Le professeur Mac Endgad se retourna vers la carte et dési-
théâtre bondé d'étudiants reizhites se dissipa immédiate- gna le sud de Taol-Kaer.
ment. Un élève se leva avec empressement. - Il est fort probable que le berceau de notre civilisation tri-
- Professeur ! Comment pouvez-vous affirmer que les habi- kazelienne se situe dans cette région de Taol-Kaer actuelle-
tants de Taol-Kaer et de Gwidre soient pareils que nous ? Ils ment partagée entre les duchés de Salann Tir et de Dèas. Les
sont clairement en retard de plusieurs siècles par rapport aux peuples de Tri-Kazel auraient tous un lien avec le peuple
avancées qu'a connues notre royaume ! primitif osag, originaire de cette région. Pour votre édifica-
L'élève paraissait visiblement offusqué par les derniers pro- tion, le mot "osag" désigne le vent dans l'ancienne langue.
pos de son enseignant. Quelques clameurs d'encouragement La différence de morphologie entre les Osags et le reste des
s'élevèrent et lui donnèrent la force de continuer. Tri-Kazeliens laisse à supposer que la péninsule aurait
- Là où Reizh tente d'instaurer un système politique plus connu une ou plusieurs vagues de colonisation en des temps
juste et plus équilibré, Taol-Kaer stagne dans une féodalité extrêmement reculés, bien avant la formation des Trois
barbare et indécente. Le duché de Gorm en est le sinistre Royaumes. Les Osags ont des traditions exogamiques, qui
exemple. Sans mentionner leur refus des progrès de la leur interdisent de se marier au sein d'un même clan.
médecine, qui condamne inutilement bon nombre d'habi- Cependant, il est extrêmement rare qu'une femme osag se
tants sur l'autel de croyances absurdes ! Et que dire du marie avec un homme qui ne serait pas issu de son peuple.
royaume de Gwidre dont les armées du Temple sont de plus Cette tradition explique sans doute la faible dilution de leur
en plus menaçantes, comme en témoignent les exactions culture.
S eigneur Wylard,
Vous m'avez demandé un rapport sur ces peuples primitifs ; en voici les prémices. Forgés par
les terres venteuses de leur pays, les Osags sont généralement de forte stature et se reconnaissent facilement
par la forme carrée et massive de leur visage. J'ai rencontré des guerriers de ces clans dont la peau a pratique-
ment l'épaisseur du cuir. Ces caractéristiques physiques typiques semblent provenir de leurs conditions de vie
très difficiles N'importe quelle personne passant quelques années dans le sud de Dèas s'endurcira ou mourra,
ces terres étant encore plus rudes que tout ce que nous connaissons dans nos contrées.
Les hommes, tout autant que leurs compagnes, arborent souvent des cheveux longs, tressés et attachés. Les
femmes sont toujours très actives, à la fois chasseresses, guerrières et nourrices. Il semblerait que la coutume
des dàmàthairs, les secondes mères prenant en charge les enfants de la communauté, ait pour origine ces peu-
plades reculées. Tous les Osags ont les yeux légèrement en amande, ce qui n'est pas les cas des Tri-Kazeliens
des autres contrées. Si le visage des hommes possède souvent une certaine rudesse, les femmes osags quant à
elles peuvent être de véritables beautés.
Demain, je dois assister à un affrontement entre deux chefs de clans. Les duels sont monnaie courante parmi
les Osags et opposent même parfois des femmes. Ils servent à régler toutes sortes de problèmes : conflits entre
clans, litiges personnels ou même choix entre deux prétendants. Les Osags délaissent les épées et
leur préfèrent les haches. Leur sens de la justice est décidément très loin de celui des
cours reizhites !
Maeve Oan
Votre dévouée,
Nous évoquerons en quelques mots les Tri-Kazéliens, c'est légèrement mate. Il existe encore une poignée de clans
à dire nous-mêmes, la population métisse qui constitue la tarishs qui arpentent la péninsule et dont le sang ne s'est pas
quasi-totalité des habitants de Tri-Kazel. Notre stature est en mélangé avec celui des Tri-Kazeliens. Vous devez savoir
général plus solide que celle des gens du Continent. Avec le que ces clans jouent un rôle plus important qu'on ne le croit
temps et la vie plus facile dans les cités que dans les mon- dans la politique des royaumes. Au-delà de l'image folklo- 41
tagnes, certains ont perdu cette résistance si caractéristique, rique des bateleurs et saltimbanques apportant un peu de
mais nous restons de fidèles descendants de nos fiers ancê- joie aux villages coupés du reste du monde, les Tarishs sont
tres. Au cœur des terres les plus rudes de notre péninsule aussi de très bons forgerons dont les services sont payés très
vivent encore les Osags, solides guerriers restant attachés cher par certains seigneurs, qui atten-
aux traditions claniques et peu enclins à supporter l'autorité dent avec impatience leur visite
royale. annuelle.
Il est avéré que certains d'en-
Parlons maintenant des Continentaux, et souvenez-vous tout tre eux sont également des
d'abord que les personnes originaires du Continent restent espions à la solde de cer-
très rares. Même si les Reizhites de la capitale semblent tains potentats, ou encore
fiers d'arborer la carrure chétive des gens du Continent, très deviennent des vari-
peu ont véritablement un ancêtre de ces terres lointaines gaux… Le cours
dans leur famille. Cette physionomie est seulement due au d'aujourd'hui
mode de vie sédentaire des gens de la capitale. En plus d'être touche à sa fin, je
souvent plus minces et plus élancés que les natifs de Tri- vous remercie pour
Kazel, les hommes et les femmes du Continent ont un votre attention.
visage plus fin, sans toutefois être forcément plus harmo- Le professeur Mac
nieux. En dehors de ces quelques caractéristiques physiques Endgad embrassa
communes de portée limitée, il est par ailleurs bien difficile l'amphithéâtre du
de définir avec précision le type morphologique des per- regard alors qu'un
sonnes originaires de ces terres lointaines et mal connues. murmure commen-
çait à s'élever et que
La dernière population qui doit attirer notre attention est les premiers élèves
celle des Tarishs. Si la date et le lieu de leur arrivée sur la quittaient déjà
péninsule sont connus, leur véritable origine reste un mys- leur place.
tère qu'eux-mêmes ne semblent pas être en mesure de résou-
dre. Également nommés " peuple de l'Ouest " ou plus sim-
plement " voyageurs ", les Tarishs possèdent des caractéris-
tiques physiques prononcées. Ils ont les pommettes hautes,
les yeux souvent clairs, le nez plutôt aquilin et une peau
-Peuples et Mentalités-
C
et hiver-là, les Tarishs m'avaient offert une place dans leur caravane. C'était une aubaine, car je
n'aurais jamais pu traverser seul les cols enneigés des Mòr Roimh. Passée l'appréhension des
premiers moments, je découvris une communauté étonnante. Derrière leurs apparats aux tons
mordorés, les Tarishs me donnèrent l'impression de gens tristes, absorbés dans leurs pensées. Entre
deux fêtes dans les villages où résonnaient leurs rires sonores, le voyage se déroulait dans un silence
qui donnait à la caravane une allure de convoi mortuaire. Parfois, la voix cristalline d'une jeune femme
s'élevait, accompagnée de quelques flûtes mélancoliques qui rompaient le silence pesant.
Bien que les Tarishs soient des gens peu bavards, je me suis rapidement rendu compte qu'ils maîtri-
saient plusieurs langues. Celle qu'ils utilisaient le plus fréquemment était un dialecte où l'on pouvait
reconnaître certains mots tri-kazéliens mélangés à des sonorités beaucoup plus exotiques. Je retiendrai
surtout ce que me dit l'un d'eux à ce propos. Selon lui, l'appauvrissement de leur langue natale illus-
trait le déclin de leur communauté dont la taille diminuait inexorablement. Les jeunes hommes aban-
donnaient fréquemment la rude vie du voyage pour s'installer dans l'une ou l'autre des cités des Trois
Royaumes, tandis que les jeunes filles préféraient de plus en plus souvent se laisser courtiser par des
étrangers. D'après cet homme, un jour viendrait où il n'y aurait plus personne pour poursuivre les
voyages initiés par ceux qui jadis arrivèrent à la pointe de Hòb. Le mystère des origines des Tarishs
sombrerait alors définitivement avec la disparition de leur culture.
C'est à partir de ce jour que je me suis demandé, moi le varigal, ce qui me poussait à parcourir le
Osvan Tadd
monde.
Les autres êtres vivants s'adapter à ces lois, pas le contraire. Il se peut que les esprits
42
-
M aître, les feondas sont-ils un peuple ?
Edward, le jeune ionnthèn, dévisageait son
vieux mentor en quête de réponses. Comme
chaque matin, il venait retrouver le vénérable Aenor afin de
naturels soient en colère pour une raison qui nous échappe
et que leurs plus sauvages manifestations se déchaînent sans
que nous puissions en saisir la raison. Comme confrontés à
une violente tempête, nous devons attendre que le calme
parfaire l'enseignement qui devrait faire de lui un demor- revienne. Il serait vain d'essayer de tout comprendre ou de
thèn, gardien de la nature et des traditions péninsulaires. tout contrôler. L'être humain doit accepter ses limites et
- En réfléchissant en termes de peuples, tu regardes le reconnaître sa place dans les cycles de vie.
monde du point de vue des humains. Or la Triade n'a pas - Est-ce que ce sont les hommes qui ont déclenché cette
façonné le monde selon ces critères. L'humanité s'est déve- colère ?
loppée en civilisations, se rassemblant autour de traditions - Tu n'es pas sans savoir que depuis plusieurs générations
et de codes culturels. Tel n'est pas le cas de toutes les formes maintenant, certains habitants de Tri-Kazel ont décidé
de vie, mais ce n'est pas sur ce critère qu'il faut les juger. d'abandonner les traditions demorthèn pour se vouer à la
Aux yeux d'un demorthèn, il ne devrait pas y avoir d'échelle science et plus particulièrement à la magience. Ils pensent
de valeurs entre les différentes formes de vie, toutes sont à que la terre est une réserve de matières premières leur appar-
respecter, car toutes ont un rôle. Chacune porte en son sein tenant et dans laquelle ils peuvent puiser sans retenue. Ils
la même énergie essentielle, le Rindath. C'est quelque chose défrichent les forêts, assèchent les marécages et étendent
que l'on oublie trop souvent de nos jours. toujours plus loin les terres cultivables au fur et à mesure
- Mais… pourquoi ces créatures venues de la forêt atta- que les villes grandissent. À cet égard, nous pouvons penser
quent-elles nos villages ? Quel est leur rôle, à part tout mas- que les humains attisent la colère des forces naturelles. Sans
sacrer sur leur passage ? relâche, tu devras raisonner tes pairs afin qu'ils demeurent
Le silence se fit dans le cercle de mégalithes où se tenaient humbles et respectueux envers l'environnement qui leur
Aenor et son jeune élève. On entendait le clapotis d'une donne chaque jour la vie. Tel était l'état d'esprit de nos ancê-
rivière tranquille qui s'écoulait un peu plus loin et le chant tres, qui se perd aujourd'hui jusqu'au cœur de certaines cam-
de quelques oiseaux revenus avec les premiers bourgeons. pagnes reculées de la péninsule.
C'était une journée claire et froide du début du printemps, la Le demorthèn s'arrêta un instant de parler, perdu dans ses
lumière perçait au travers des branches épineuses des sapins pensées.
avoisinants et éclairait faiblement les sous-bois. Après - Mais ne te laisse pas piéger par des explications trop sim-
quelques instants, le demorthèn reprit la parole : plistes. Depuis la nuit des temps, bien avant les abus de la
magience, l'humanité a dû survivre face aux assauts répétés
- Les paysages sculptés par les esprits de la nature t'empli- des feondas. Garde à l'esprit cette image de tempête qui fait
ront souvent d'émerveillement, mais les principes qui régis- rage. L'homme n'en est pas forcément responsable, mais il
sent les lois naturelles te sembleront parfois injustes ou doit attendre que les esprits du vent se calment. Aller en
cruels. C'est ainsi, jeune ionnthén. C'est aux hommes de pleine nature sans en tenir compte serait pure folie.
-Peuples et Mentalités-
Une philosophie du progrès
Concile de Baldh-Ruoch. Royaume de Reizh, année 906.
L a magister Alana Naïghan, membre du Concile Magientiste de Baldh-Ruoch, présentait aux conseillers du roi son pro-
jet de construction d'un grand hospice, qui permettrait à tous, sans considération de rang social, d'accéder aux soins
médicaux de base.
- Illustres conseillers, je suis fière de vous présenter l'hospice royal qui devrait répondre aux tragiques problèmes de santé
publique dont souffre notre capitale. Comme vous le savez, les plus démunis ne peuvent faire appel aux médecins ou aux gué-
risseurs. Il est du devoir de notre bon roi de prémunir les plus misérables contre les maladies bénignes, depuis longtemps soi-
gnées par les techniques magientistes, mais qui continuent à décimer les populations des quartiers populaires. À l'ouverture
de l'hospice devra s'adjoindre l'édification d'une nouvelle raffinerie de Flux dans le nord de Baldh-Ruoch afin d'alimenter les
installations curatives.
Le magister déroula un plan de la capitale et de sa région, où l'on pouvait distinguer l'emplacement du futur hospice et de la
nouvelle raffinerie située aux abords de la forêt de Taelwald. On apercevait également l'usine située dans les faubourgs, ins-
tallée cinq ans plus tôt, qui donnait aujourd'hui du travail à plusieurs centaines de personnes. Dans l'hémicycle, une voix tonna.
C'était Ronan Kaereg, ardent opposant à la plupart des projets magientistes :
- C'est un scandale ! C'est votre maudite usine en plein centre de Baldh-Ruoch qui a provoqué toutes sortes de nouvelles mala-
dies ; et maintenant, vous voulez ouvrir une nouvelle raffinerie ? Votre hospice n'est qu'un prétexte pour extraire encore plus
de Flux, ce qui ne fera qu'aggraver la pollution engendrée par vos installations puantes ! Vous n'avez que faire du peuple de
Baldh-Ruoch, et si vous voulez le soigner, fermez donc sur-le-champ cette usine de malheur !
Un brouhaha s'empara presque immédiatement de l'assemblée, rendant incompréhensibles les échanges vigoureux entre les
divers intervenants. La magister parvint à reprendre la parole :
- Alors que proposez-vous, mon cher Ronan ? Faire appel aux demorthèn pour qu'ils viennent soigner le peuple de Baldh-
Ruoch avec leurs mélanges herbeux qui empoisonneraient un boernac ?
Il y eut quelques rires dans l'assemblée puis le magister continua de plus belle :
- Vous mentez en accusant l'usine du quartier des armateurs d'être à l'origine du
mal. Notre capitale souffre de surpopulation et les ruelles étroites et malodorantes
propagent les maladies. Au lieu de faire le fanfaron et de vous opposer systéma-
Usine tiquement à tout ce que nous proposons, prenez donc exemple sur Osta-
de Baldh-Ruoch Baille qui, depuis sa réfection par les magientistes, est une ville sûre et 43
agréable ! Vous ne pourrez pas refuser le progrès toute votre vie ; à cause
C et édifice est unique sur la de gens comme vous, Baldh-Ruoch risque de devenir une cité insalu-
péninsule. Sa base bre et dangereuse ! Votre aveuglement et votre obstination sont
immense est surplombée dignes des plus arriérés des Talkérides !
par trois colossales cheminées recra- Cette fois, le chaos s'empara de l'assemblée et le maître du
chant une épaisse fumée blanche. conseil royal dût suspendre la séance avant qu'elle ne se
Cette usine est dédiée à l'extraction transforme en un immense pugilat.
et au raffinement du Flux. Elle ali-
menterait une bonne partie des ins-
tallations magientistes de la cité et
donnerait du travail à plusieurs cen-
taines de personnes. Son accès est
strictement réglementé et ses entrées
protégées par une milice équipée
d'armes fonctionnant au Flux.
L'usine appartient à la couronne de
Reizh et les conflits dans l'ombre
font rage pour en obtenir le contrôle.
Le roi nomme en effet
l'Administrateur de l'usine, chargé
de constituer un conseil qui gérera
au mieux ses différentes activités.
Les richesses engrangées seraient
énormes et les soupçons de détour-
nement, de corruption et de finance-
ments de projets occultes pèsent
lourd sur les conseils successifs.
Actuellement, c'est la magister
Urielle Erzhine qui remplit les fonc-
tions d'Administrateur.
de négligée, même pour un montagnard. L'autre devait donc
Mentalités être le mari de la femme, et le chef de famille. Ils étaient
dans la force de l'âge, plus jeunes que lui de près de dix ans,
L
e varigal leva son verre en regardant tour à tour les et la présence dans la pièce d'un berceau de bois indiquait
deux hommes et la femme qui lui avaient ouvert leur qu'ils avaient probablement déjà essayé d'avoir des enfants.
maison et leur dernière cuvée de gnôle, puis but une - La vie est rude ici, vous êtes livrés à vous-même au moins
courte gorgée du liquide sombre au goût brûlant. La femme la moitié de l'année, alors que dans la vallée, et plus encore
se leva, son tabouret raclant sur les planches de bois qui dans les villes, la vie est moins difficile. Les citadins ne pen-
couvraient le sol alors qu'elle quittait la grande pièce de la sent pas à leur survie, ils n'ont qu'une seule préoccupation :
maison, pour revenir quelques instants plus tard, portant une devenir plus riche que leurs voisins. Un varigal n'apporte
belle miche de pain noir, du fromage de chèvre et un vieux pas de richesses, juste des informations ; alors, on vous hèle,
couteau. on vous accoste, on vous pose des tas de questions sans
L'un des hôtes rompit le pain tandis que l'autre coupait et jamais attendre la réponse, parfois on vous offre un verre à
distribuait à chacun de fines tranches de fromage, non sans la taverne, mais jamais on ne vous propose le gîte ou le cou-
montrer quelque peine à accomplir cette tâche. Ils mangè- vert. Les choses n'ont pas toujours été comme ça. Depuis
rent en silence pendant quelques minutes, mastiquant lon- dix-neuf ans que je voyage dans les Trois Royaumes, je
guement chaque bouchée, puis une nouvelle dose d'alcool peux vous dire que les gens ont bien changé, il n'y a guère
fut servie dans chaque verre. plus que dans les petits villages reculés comme celui-ci que
- Il a beaucoup plu dans la vallée ces dernières semaines et l'on trouve encore l'hospitalité, un verre d'alcool au coin du
avec le froid qui arrive, je me suis dit que si je ne me ren- feu, et une paillasse confortable pour la nuit… Les citadins
dais pas dans la montagne rapidement, le sentier deviendrait ont oublié tout ça !
bientôt impraticable à cause de la neige. Maintenant que je - Vous avez dû en voir des gens avec tous ces voyages, et du
suis là, je vous remercie de m'avoir invité. beau monde aussi.
- Quand la montagne est blanche, les montagnards sont - J'en ai vu beaucoup en effet, bien plus que je ne pourrais
seuls face aux dangers du monde, dit la femme. jamais compter. Et je ne conserve aucun souvenir de la
- Tu es sûrement le dernier étranger que nous verrons avant majeure partie d'entre eux. Les gens sont tous différents,
six bons mois, reprit l'un des hommes, si encore l'hiver n'est mais au sein de chaque royaume, on retrouve les mêmes
pas pire que l'an dernier. Alors, c'est bien normal de t'ac- castes sociales. Vous vous situez à un endroit bien particu-
cueillir, sinon qui nous donnera des nouvelles de la vallée ? lier sur la carte de Tri-Kazel, près du point où se rejoignent
- Et pourquoi donc qu'ils te rincent pas à la ville ? Ils en veu- les trois frontières. Loin du cœur de chacun des royaumes,
lent pas des nouvelles de nous autres ? vous n'êtes influencés par aucun d'eux !
Le varigal lissa sa fine moustache, il commençait à mettre - Les gens d'ici, c'est des petites gens, on vit grâce à la terre
44 en place les pièces du puzzle. et à nos bêtes, moi j'aimerais bien savoir comment qu'ils
Apparemment, les deux hommes sont les autres gens…
étaient frères, et le dernier à avoir - Croyez-moi, vous ne perdez rien à l'ignorer, vous
pris la parole était arriéré, ce ne comprendriez pas leurs préoccupations.
qui expliquait ses difficultés Mais si vous le souhaitez, je vais
à couper le fromage, son vous en raconter davantage
perpétuel hochement de à leur propos. Si
tête, ses mouvements vous avez la
approximatifs et sa
tenue générale
qu'on pouvait
facilement
qualifier
gentillesse de me laisser à nouveau m'humecter le gosier On n'entend pas de rires dans les tavernes ou dans les rues,
avec votre cruchon. même les enfants semblent tristes, ils prient en attendant la
- Va donc chercher quelques feuilles de tabac dans la remise, mort comme un sauvetage, et tentent de vous convaincre
Darek. Je vais préparer une pipe pour notre invité, dit qu'ils détiennent la seule vérité, et qu'il vous faut rejoindre
l'homme à son frère en remplissant le verre du varigal. leurs rangs… Quant aux Reizhites, à force d'encaisser les
Le tabac fut haché à même la table, deux grandes feuilles en attaques du Temple et les incursions sauvages des chevaliers
tout, et réparti en trois petits tas ; trois pipes furent curetées hilderins, ils sont devenus méfiants envers leurs propres
et copieusement bourrées et l'on amena des braises dans un frères de Tri-Kazel et jamais un étranger n'est le bienvenu
pot de terre cuite. Darek fut le seul à ne pas fumer, il épous- parmi eux, fût-il varigal et porteur de bonnes nouvelles. Ils
seta la table de sa main pour récupérer les miettes de tabac ne vous invitent pas dans leur maison, mais craignent dans
et les prisa bruyamment. Bientôt une fumée âcre s'éleva le même temps que vous restiez au-dehors. Ils sont devenus
dans la pièce. tellement jaloux de la science de leurs magientistes qu'ils
- En Gwidre, malgré tous les malheurs que subit la popula- croient que vous n'êtes là que pour leur voler leurs précieux
tion, personne ne semble s'inquiéter tant ils s'embourbent artefacts. Pour eux, vivre sans la science paraît maintenant
tous dans les mirages du Dieu Unique et de la rédemption impossible, comme si l'on ne pouvait se passer de leurs
promise. Ils acceptent sans broncher les épidémies, les nébulaires dans la nuit, ou de leur système porteur d'eau qui
famines, les attaques des feondas, et même de voir mourir fait couler jusque dans les maisons un liquide saumâtre au
leurs enfants. goût métallique. Pourtant bien peu profitent en fait de ce
Alors qu'il prononçait ces derniers mots, il observa discrète- qu'ils appellent le progrès scientifique, car seuls les quar-
ment la réaction du couple ; elle baissa les yeux avec tris- tiers les plus cossus possèdent réellement des installations
tesse, semblant tout à coup très lasse, tandis que son homme fonctionnelles, les autres sont soit sous-équipés, soit le sont
s'abandonna dans la contemplation des braises, le regard au détriment de la plus élémentaire sécurité. Il n'est pas
fixe et le corps immobile. Le varigal se sentit cruel, rare en effet dans les rues crasseuses des faubourgs, de
mais sut qu'il avait vu juste, ils avaient perdu au voir les traces noires et les larges fissures laissées par
moins un enfant. Les montagnards parlaient peu l'explosion d'un nébulaire mal entretenu… Bien sûr ce
de leur intimité en général, il avait donc ne sont là que des généralités sur les citadins, car plus
appris à lire chacun de leurs gestes, cha- l'on s'éloigne des centres urbanisés, moins l'on res-
cune de leurs expressions comme sent la pression qu'exercent les puissants sur les
d'autres lisaient des livres. classes plus modestes.
- Ils sont totalement - Vous avez omis de nous parler des Talkérides
apathiques, poursuivit-il, me semble-t-il, dit le mari en tirant une longue
et ne s'éveillent bouffée de sa pipe. 45
que pour défendre - En effet, vous faites bien de me le faire
leur Temple et remarquer…
ses reliques Le varigal vida le fond de son verre, prit
sacrées. une braise avec la pince métallique, la
plaça sur le tabac et tira sur sa pipe par
petites bouffées, jusqu'à ce que le
foyer devint rouge et brillant.
- Taol-Kaer est le berceau de notre
civilisation, tout a commencé ici
et chacun sur la péninsule
devrait s'en souvenir… C'est
avec ces mots qu'ils accueil-
lent les étrangers dans la
capitale ; les Talkérides
savent tout, ils ont déjà
tout entendu, ils ont un
avis sur tout et vous en
font part, comme si
vous étiez incapable
de comprendre les
choses aussi bien
qu'eux. Ils se
prennent pour
les derniers
héritiers des
trois frères
qui fondè-
rent Tri-
Kazel, les
d e u x
autres royaumes ayant sombré selon eux sous la mauvaise influence des Continentaux. Du coup, ils se croient mandatés pour
jouer les arbitres dans tous les conflits, avec les dérives que l'on sait de la part des chevaliers hilderins, qui sont autant de pil-
lards à la petite semaine. Je ne les porte pas dans mon cœur, ils sont hautains et dédaigneux, ils se croient supérieurs à leurs
voisins et je ne vous parle même pas des plaisanteries scabreuses ou des termes insultants dont ils usent pour parler de tous
ceux qui ne sont pas de leur petit monde. J'évite dorénavant de m'aventurer trop loin dans l'intérieur de Taol-Kaer.
De toute façon, on y récolte bien peu de choses intéressantes et l'accueil est loin d'être aussi bon qu'ici…
Il termina sa phrase sur un long bâillement, qui fut repris de plus belle par le frère simple d'esprit. Il était tard, et la journée
du lendemain s'annonçait froide et venteuse ; il fallait se reposer pour être d'aplomb. Le couple prit congé et quitta la pièce.
Le varigal s'enroula dans sa cape et s'allongea sur la paillasse confortable qui avait été dressée pour lui dans un coin de la salle.
Il ne s'endormit pas tout de suite malgré la fatigue, car dans la lueur du feu, il voyait l'ombre de Darek, animée d'un perpétuel
mouvement de va-et-vient, qui balançait le berceau en fredonnant à voix basse les paroles d'une berceuse…
La notion de royaume
Extrait de " Peuples, populations et périples " d'Aeldred Firdh
A près des siècles, il faut admettre qu'elle relève encore davantage de la théorie que du fait éta-
bli, dès que l'on quitte les cités et les grands axes commerciaux. La majorité des Tri-Kazeliens
vivent comme leurs ancêtres, dans des villages qui ne sont pas toujours très accessibles. Si le sys-
tème féodal a officiellement mis un terme aux anciennes loyautés claniques, elles persistent souvent par le sim-
ple fait que bon nombre de seigneurs ruraux descendent justement des lignées de chefs de clans. Par ailleurs, pour
les montagnards les plus isolés, le voyageur qui vient de la capitale n'est guère moins exotique que celui qui arrive de
l'autre bout de la péninsule. Les anciennes coutumes préservent le sens de l'hospitalité des villageois, mais il est prudent
et parfois même emprunt de méfiance. Souvent, les voyageurs sont les bienvenus, tant qu'ils se mêlent de leurs affaires
et ne s'attardent pas plus que nécessaire. Les choses changent lentement, alors que les daols remplacent le troc et que la
langue commune se substitue insidieusement aux patois locaux. Mais il est aussi des endroits où l'on persiste à employer
le parler local lorsque des étrangers sont dans les environs. Même dans les cités les plus fréquentées, les tavernes et mar-
chés regorgent d'habitués qui échangent des potins dans le dialecte du coin, simplement pour pouvoir affirmer leur iden-
tité et leurs racines.
46
Frontière entre Taol-Kaer et Reizh
Année 905
S
ur les flancs des collines du val de Talamh, les étendards du seigneur Dagon claquaient au vent. Plusieurs
centaines d'hommes et de femmes s'étaient rassemblés et formaient un bataillon bigarré. La plupart portaient
des vêtements épais et des plastrons de cuir bouilli. Ils possédaient comme seules armes leurs outils agri-
coles, fourches et haches. Quelques soldats revêtus de gambisons et de cottes de mailles arboraient les armoiries
du val de Talamh sur des tabards aux couleurs défraîchies. Les seuls cavaliers étaient une dizaine de chevaliers en 47
armure, compagnons d'armes du seigneur Dagon qui exhortait le bataillon :
" Nous nous sommes rassemblés aujourd'hui pour faire respecter nos terres et défendre les valeurs de notre pays !
Les magientistes de Reizh se croient tout permis en s'immisçant sur notre territoire, en retournant nos terres et en
empoisonnant nos récoltes avec leurs engins de malheur ! Par leur faute, notre communauté a perdu bon nombre
de ses membres ! Les Reizhites ont bien vite oublié l'aide que nous leur avons apportée contre les félons de Gwidre
et ont eux aussi succombé aux folles chimères venues du Continent ! Nous leur ferons entendre raison par les armes ! "
Une clameur s'éleva parmi les paysans formant cette armée d'un jour.
" À mort les magientistes ! À mort les traîtres de Reizh ! " reprenaient-ils avec hargne.
Au loin, sur la crête opposée des collines de Talamh, commençaient à paraître les premiers drapeaux aux couleurs
du duché reizhite voisin. Précédant cette petite armée, trois cavaliers portant des drapeaux blancs s'avançaient.
Deux émissaires du seigneur talkéride allèrent à leur rencontre.
- Le prince de Reizh demande à votre seigneurie de retirer ses armées et de laisser nos magientistes exécuter leurs
travaux de recherche dans votre domaine. Au nom des alliances entre notre royaume et celui de Taol-Kaer, votre
roi nous en a donné l'autorisation par édit. En tant que vassal de celui-ci, le sire Dagon a le devoir de se conformer
à cet édit et de se retirer sur-le-champ.
Le cavalier reizhite avait déroulé le parchemin frappé du sceau royal de Taol-Kaer, qui autorisait la présence des
magientistes dans le val de Talamh. L'un des émissaires du seigneur Dagon releva la visière de son heaume et
découvrit un visage balafré. Il pointa le cavalier de Reizh de sa main gantée de fer et dit d'une voix forte :
- Le roi de Taol-Kaer n'est pas là pour constater le poison que vos maudits magientistes déversent sur leur passage !
Dès qu'il le saura, il enverra ici même les chevaliers hilderins pour vous faire entendre raison ! Retirez-vous sur-
le-champ et ne revenez jamais dans cette vallée ou celle-ci deviendra votre cimetière !
Dans les rangs talkérides, les soldats et les paysans virent revenir au galop les deux chevaliers de leur
seigneur. Il y avait peu de doute sur l'issue des négociations, la bataille allait sûrement avoir lieu. On
attendrait encore quelques moments, pour voir si les reizhites décidaient de se retirer, avant de son-
ner la charge.
-Peuples et Mentalités-
Chapitre 1
Taol-
Kaer
T rès cher père,
48
Les revers de
l'indépendance
S ire,
Aenor Iben,
Votre dévoué, nance des entrepôts voisins. Afin d'éviter les traîtres courants et les
monstres hantant les eaux, j'avais opté pour ce moyen de transport. De
patriarche du conseil toute façon, les bateaux étaient rares, comme en témoignait le port
presque désert et mal fréquenté.
Le char à bord duquel j'embarquai était rapide et de petite
taille. Sans fret et avec peu de passagers, il allait me transpor- Le duché de Gorm
ter aisément. Je me suis donc trouvée roulant à vive allure sur
les Gaineamh, les Grandes Plages bordant le sud de Seòl. Je
savais la taille de notre duché modeste, ses frontières n'englo-
bant que la cité et ses proches environs ; mais je fus surprise
lorsque le conducteur m'annonça avant la fin de la journée que
S ur ma droite, les montagnes rocail-
leuses et abruptes laissèrent la place à
des pentes plus douces, couvertes de
végétation. J'entrevoyais les premiers bos-
nous nous trouvions déjà dans le duché de Gorm. Il n'y a guère quets de Mòr Forsair, la grande forêt qui
de surveillance aux frontières des seigneuries du royaume, sauf recouvre près d'un tiers du royaume. Nous
peut-être en cas de rivalité comme entre Tuaille et Osta-Baille. passions en trombe sur la route des sables, le
long des grandes plages en bord de mer, mais
mon esprit prenait le temps de vagabonder
autour de toutes les légendes courant sur
Une rancune de longue date l'étendue verdoyante ; on en dit le meilleur
comme le pire, mais je crois que personne ne
peut se targuer d'en connaître tous les secrets.
S ire,
Comme vous me l'aviez demandé, je me suis rendu à la cour de Tuaille afin d'y mener une enquête en totale
discrétion. J'ai pu entendre ce qui se disait dans l'ombre des coursives. Les nobles de Tuaille n'ont toujours pas par-
donné à votre aïeul, le roi Kailleach, d'avoir privé leur cité du statut de capitale du royaume, il y a maintenant près
de cent cinquante ans. La population entretient elle aussi le souvenir de ce qu'elle considère comme une humilia-
tion. Voilà pourquoi votre
autorité a perdu de son éclat
en ces terres. Passer la fron-
tière de ce duché en portant
vos couleurs revient à subir
les pires tracas, et tout est
fait ici pour compliquer la
vie de vos fidèles serviteurs.
Je ne pense pas qu'il y ait de
véritable révolte qui se 49
fomente, mais il serait bon
de remettre de l'ordre dans
cette région.
, Forsair
Mor
I mmense forêt dense et légendaire, constituée de feuillus et d'épineux en altitude, Mòr Forsair couvre une large partie du
royaume de Taol-Kaer. Elle est traversée par une rivière, un affluent du fleuve Tealderoth. Bien peu osent s'y aventurer
profondément, à part nous autres demorthèn qui ne craignons pas les nombreux esprits de la nature qui y vivent. Ici l'être
humain peut retourner au plus près de ses racines, de la nature qui le fait vivre. Bien sûr, il n'y a pas que les esprits qui habi-
tent la grande forêt et ses profondeurs recèlent bien des dangers, parmi lesquels de terribles feondas.
Flux Émeraude
O
" ui étranger, le Flux est l'énergie que les magientistes tirent de la nature, une infamie en soi. Dans les arbres cente-
naires de cette forêt antique coule une sève cristalline aux teintes olive. Il est intolérable que le seigneur Blonag lui
fasse autant de mal avec l'exploitation intensive de ses scieries. Ses sujets taillent dans les zones boisées à un rythme
effrayant, et la nature répondra probablement de manière violente à leurs agressions. Pour ce que j'en sais, Blonag, tout res-
pectueux des traditions qu'il semble paraître, commerce avec les daedemorthys et leur vend ces arbres séculaires, qui sem-
blent riches d'un Flux très apprécié de ces monstres. Un commerce sordide a lieu avec les marchands peu scrupuleux de
Reizh. Chaque matin, on peut voir dériver sur les flots de la mer d'immenses troncs, vidés de leur sève et vulgairement jetés
par manque de place pour les entreposer ! Cette ignominie ne peut durer, les demorthèn de la région doivent s'unir ! "
-Taol-Kaer-
Après quatre jours de voyage, on m'annonça que nous
allions faire une halte de deux jours à Smaràg, la capitale
du duché de Gorm. Je me réjouis à la perspective de dor-
mir dans un lit pour soulager mon corps pétri de courba-
tures, les chars à voile étant aussi rapides qu'inconforta-
bles.
J'ai profité de cette pause pour visiter Smaràg, qui pourrait
être une bien belle ville surplombée de pentes vert-éme-
raude, si le vent de mer qui souffle dès les premières
lueurs de l'aube ne faisait remonter dans toutes les rues les
effluves nauséabondes du port et des égouts. Pire encore
est la morosité de ceux qui ploient sous le joug du seigneur
Blonag. Ici, on le nomme à voix basse " le porc " et on le
dit aussi hideux que dépravé. Il a encouragé l'esclava-
gisme, enrôlé une milice cruelle qui commet les pires
exactions et force les habitants à travailler sans relâche,
jusqu'à épuisement.
Gorm est notre voisin, j'informerai personnellement le roi
de ce qui s'y passe, mais j'ai entendu dire que Blonag paye
suffisamment d'impôts au trône pour être laissé en paix.
Ce seigneur redouté a déjà survécu à deux tentatives d'as-
sassinat ; j'espère secrètement que la prochaine sera la
bonne…
Je ne fus finalement pas mécontente au moment de partir,
de retrouver l'inconfort du char et l'odeur des embruns.
50 Le duché d'Osta-Baille
Koskan, une ville corrompue
Q
uelque temps après, je suis arrivée dans le duché
d'Osta-Baille, qui abrite la capitale de notre
royaume et dont la frontière se trouve à la fin des
Grandes Plages. Les côtes rocheuses et marécageuses rem-
placent les longues étendues de sable. à cet endroit se
dresse Koskan, une ville qui ne vit que du passage des
chars à voile, des voyageurs et du fret en transit. Je ne
comptais y faire qu'une rapide halte, le temps de trouver
une caravane en partance pour la capitale ou un varigal
prêt à me guider. Mais cela fait maintenant trois semaines
que j'y suis et c'est de là que je vous écris. La ville regorge
de malandrins en tous genres, profitant du passage et du
va-et-vient permanent pour accomplir des forfaits divers et
variés. Je m'en suis rendu compte lorsque j'ai été attaquée,
ma faible escorte mise à mal, et toutes mes possessions
dérobées. Croyant en l'autorité royale dans le duché même
de la capitale de notre nation, je suis allée voir la garde. Et
j'ai découvert avec dégoût qu'ici, tout le monde est cor-
rompu. C'est moi qui fus considérée comme une fauteuse
de troubles et jetée dans une cellule ! Lorsque l'on a dai-
gné enfin me libérer, j'ai préféré ne pas faire de vagues,
mais il est clair que cette situation parviendra aux oreilles
de qui de droit. La fille du seigneur de Seòl n'a pas à être
traitée de la sorte ! Reste que je suis maintenant sans le
sou. J'ai réussi à trouver de quoi me nourrir un peu et vous
écrire cette missive, en espérant que vous pourrez me faire
parvenir une aide quelconque.
-Taol-Kaer-
Une entrevue royale
T rès cher père,
Je ne saurais vous remercier assez pour les quelques soldats et les daols envoyés à Koskan. Grâce à eux, j'ai
51
pu quitter cette ville ; une descente en règle des chevaliers hilderins y remettrait bien de l'ordre, mais même eux sem-
blent avoir perdu de leur superbe dans cette région minée par les vices ! J'ai donc voyagé ensuite vers le nord-ouest,
en direction de la capitale Osta-Baille. Quel bonheur de découvrir cette cité enchanteresse, dont j'ai tant entendu par-
ler. Malgré tout le mal que l'on peut dire d'eux, les magientistes sont capables de véritables miracles ; l'architecture de
cette cité en est la plus belle preuve.
J'ai donc eu la chance d'être reçue, deux jours seulement après mon arrivée, par le roi Erald Mac Anweald,
descendant en droite ligne de Taol-Kaer lui-même, l'un des trois frères fondateurs des royaumes de la péninsule. Quelle
émotion ! L'homme est grand, dans la force de l'âge. Dans ses veines coule l'héritage de générations de souverains res-
pectés. J'étais très impressionnée mais sa gentillesse me rassura.
J'ai pu me rendre compte que notre royaume est entre de bonnes mains, bien qu'il me soit arrivé d'en douter
quelque peu durant mon voyage. Si les membres du conseil de notre duché pouvaient rencontrer notre roi, peut-être
que leurs velléités d'indépendance s'apaiseraient. Notre souverain reste très attaché aux traditions qui l'ont mis sur le
trône à la suite de ses aïeux. Il sait parler aux gens et attirer la sympathie. J'ai pu m'en rendre compte lors de notre
courte entrevue au cours de laquelle j'ai transmis vos mots de loyauté ; mais aussi vos demandes de quelques libertés
supplémentaires. Cher père, je dois vous avouer que notre roi, malgré sa bonté manifeste, voit d'un très mauvais œil
ces volontés d'autonomie. D'ailleurs, il se dit que dans certaines communautés des vallées reculées, les armoiries
royales sont foulées aux pieds. Le roi a évoqué avec colère cette injure et a proclamé en ma présence que ce genre
d'affront serait lavé dans le sang. Notre conseil devrait donc modérer ses ardeurs d'indépendance.
De ce fait, j'ignore si vos doléances concernant la levée des impôts seront acceptées. Je dois dès demain me
présenter devant le conseil royal qui me transmettra la réponse ; le roi lui-même est très occupé et ne pourra sans doute
pas me recevoir à nouveau. Par conséquent, je terminerai cette lettre après cette nouvelle entrevue, afin de vous tenir
au courant des suites données à vos demandes.
-Taol-Kaer-
Le conseil royal
J
e ne peux ici que confirmer ce que vous m'aviez laissé
entendre : s'il est une chose certaine, c'est que le roi est
bien entouré. Il a la sagesse de ne pas se croire omnis-
cient et d'entretenir un conseil pour l'aider dans ses
De l'influence
décisions difficiles. La cour d'Osta-Baille se compose de du Temple dans
nombreux princes et représentants des différents duchés. La
plupart d'entre eux arrivent pendant l'été et ne repartent
notre royaume
qu'au printemps suivant, laissant passer les hivers rigoureux
de notre péninsule avant de s'en retourner chez eux ; d'autres
prennent alors le relais afin que les premiers passent du
temps auprès des leurs.
S ire,
Vous aviez demandé plus d'informations sur
l'importance que le Temple a pris dans notre
société. Hélas, il faut reconnaître que nous ne pou-
Le conseil royal est constitué de dix personnes, dont le roi
vons compter sans eux dans notre bon royaume.
et la reine ainsi que les personnalités les plus éminentes du
J'ai bien peur que leur influence ne cesse de gran-
royaume. Vous m'aviez parlé du plus important de ces
dir au détriment de nos traditions demorthèn.
conseillers, évidemment un demorthèn, représentant des tra-
Cependant, nos coutumes ont encore de beaux
ditions séculaires de notre péninsule. Algwich Dert est tou-
jours devant elles au cœur des régions rurales. Les
jours cet homme que vous m'aviez décrit, d'une cinquan-
gens du Temple y sont généralement très mal reçus
taine d'années mais au physique encore très bien entretenu.
et remettre en cause les croyances populaires
On raconte qu'il se rend régulièrement seul dans la forêt
ancestrales suscite l'hostilité. On a vu des mission-
pour y rencontrer les esprits de la nature ; sa voix est posée
naires du Temple chassés à coups de pierres et
et son calme est reconnu. J'ai également aperçu la reine
même tués.
Edena Mac Lichorl, une femme grande et charismatique qui
à l'inverse, là où les gens écoutent plus volontiers
inspire un profond respect. Le conseil se compose égale-
les nouvelles idées, comme dans nos cités par
ment du frère cadet du roi, Gustin Mac Anweald, chef de
exemple, le Temple prend plus aisément ses quar-
guerre dont la réputation dépasse les frontières du royaume.
tiers. Sa promesse d'une vie meilleure après la mort
Cet homme a la responsabilité de diriger les armées du
donne un espoir à ceux qui n'apprécient pas d'ima-
duché d'Osta-Baille et les chevaliers hilderins sont sous ses
giner leur être se disperser et rejoindre les esprits
ordres. Il est aussi bon combattant que stratège, mais égale-
de la nature. Il est sage de votre part d'avoir invité
ment un personnage jovial, au franc-parler surprenant pour
52 quelqu'un appartenant à une si noble lignée. Les autres
un représentant du Temple, car leur expansion est
indéniable et il est logique que cette religion soit
membres du conseil royal sont des membres de la famille du
représentée à votre cour. Cependant, vous avez
roi et quelques-uns des plus grands aristocrates et érudits de
également raison d'y voir quelque chose qui pour-
la capitale. Le souverain est respectueux de nos traditions,
rait diminuer votre autorité ; regardez ce qui se
mais il ne doit oublier aucun pouvoir de la péninsule. La
passe chez nos voisins de Gwidre où le roi est
cour et même le conseil royal accueillent parfois des invités
devenu un simple pantin. Je ne puis que
venant de Gwidre et de Reizh. Vous n'êtes pas sans savoir
vous encourager à rester sur vos gardes.
que depuis le roi Kailleach, l'un des sièges du conseil était
Axel Cairnbi
Votre fidèle,
occupé par un magientiste. Cette habitude a été abandonnée
par notre bon roi qui désire renouer davantage avec les tra-
ditions de Taol-Kaer. Les magientistes ne sont cependant
pas totalement exclus de la cour, comme en témoigne la pré-
sence d'Emalie Simil. Cette invitée de marque que l'on dit
originaire du Continent, est l'hôte de sa majesté depuis
presque deux ans. Son air mystérieux est accentué par un
visage pâle souligné de mékônes mauves ondulant sous sa En définitive, le conseil royal a accepté vos demandes qui
peau. Je ne comprends toujours pas comment les magien- permettront de gérer plus librement la levée des impôts dans
tistes peuvent ainsi faire couler du Flux sous la peau, ceci notre duché. Ceci augure de bonnes choses pour le com-
paraît-il au prix de douleurs terribles. Afin de satisfaire tout merce de notre cité ! Comme je vous l'ai dit, sa majesté
le monde, le roi a même récemment invité à plusieurs porte un œil suspicieux sur ceux qui manifestent de trop
reprises un représentant du Temple à son conseil, Miryan grandes velléités indépendantistes. En échange de ce décret
Deckhir, un prêtre renommé pour son ouverture d'esprit. en faveur de notre duché, il compte donc sur notre famille
Miryan sait dans quelle situation difficile le Temple se pour défendre les couleurs royales. En signe de bonne
trouve dans notre royaume et, malgré les pressions de cer- volonté, et en attendant que vous signiez l'accord de votre
tains hauts dignitaires gwidrites, il tente d'apaiser la situa- main, je dois accompagner une expédition diplomatique
tion tendue à la frontière entre Gwidre et Taol-Kaer. Au jusque dans le duché de Tulg afin de rencontrer les princes
milieu de cette cour cosmopolite et variée, j'ai pu remarquer de cette région éloignée. Voici donc ma dernière lettre
une jeune femme d'à peine vingt ans dont vous ne m'aviez d'Osta-Baille. Je vais me mettre en route dans quelques
jamais parlé, et qui serait la barde du roi. Elle se tient à jours pour le nord, mais j'espère vous revoir au plus vite, car
l'écart, ses yeux entourés d'un étrange loup ouvragé, portant notre contrée me manque cruellement.
sur tout le monde un regard d'une profondeur incroyable.
-Taol-Kaer-
Une mission d'alliance
S ire,
à la suite de la discussion que nous avons eue avec vous dans la soirée d'hier,
nous avons accepté les demandes du duché de Seòl. Cette petite bande de terre ne vit
que de commerce et n'empiète guère sur nos prérogatives. Si soulèvement il devait y
avoir, les Seòliens seraient trop peu nombreux pour constituer une quelconque menace.
Nous avons cependant jugé utile de solliciter la fille du Duc pour qu'elle se joigne à la
mission de Tulg. Comme vous l'avez remarqué, elle dispose d'un charme naturel et
d'une certaine habileté pour la diplomatie qui sauront sans doute aider nos émissaires.
De plus, elle sera la preuve qu'il est possible d'obtenir une certaine marge d'in-
dépendance tout en respectant votre pouvoir. J'espère que son exemple influencera les
seigneurs de ce duché.
Duchés de l'ouest du seul sang non mêlé de tout Tri-Kazel, et ils défendent
farouchement cette croyance. Je te conseille de prendre bien
M
on très cher frère, garde à tes paroles si tu te rends là-bas. Évite aussi d'évo-
J'espère que cette missive jointe au parche- quer ton attachement à l'autorité royale, très mal perçue en
min pour notre père te parviendra. En effet, ces régions. Sur les Terres de Dèas, une assemblée de chefs
j'ai récolté en Osta-Baille les quelques informations que tu de clans prend les décisions. Le conseil des demorthèn est
désirais en vue de ton grand voyage sur les côtes de l'ouest. toujours demandé et ceux-ci sont portés en très haute
Ce que j'ai appris ne fait que me confirmer que tu y trouve- estime. Cette assemblée élit parmi ses membres un diri-
ras ton compte, toi l'amateur de grandes étendues et de terres geant, qui devient le représentant du duché auprès des étran-
laissées à la nature. Comme tu le sais, le grand ouest du gers ; il s'agit actuellement du chef du clan Isean, un guer-
royaume comprend deux duchés. rier connu pour son mysticisme et que tous respectent.
Ces peuplades traditionnelles ne sont pas regroupées dans
de grandes villes et continuent à vivre dispersées sur toute la
Les Terres de Dèas région. Il parait que l'on peut passer des jours entiers à voya-
ger sans rencontrer personne ; ce qui ne veut pas dire que
L
es Terres de Dèas forment la pointe sud-ouest de l'on n'a pas été repéré par les Osags.
Taol-Kaer à l'extrémité de la péninsule. C'est une C'est sans doute parce que les traditions demorthèn sont si
région difficile d'accès, tout comme le cœur de ses fortes ici que l'on y trouve le grand Còmhlan, le plus impor-
habitants. Le terrain est rocailleux, escarpé et les paysages tant des cercles de pierres dressées de toute la péninsule ; on
sont restés sauvages. Le climat y est tourmenté et les terres dit que des centaines de pierres gravées de runes y sont dis-
balayées aussi bien par les vents du sud que ceux du nord. posées en cercles concentriques et que des demorthèn de
On m'a parlé des habitants de Dèas comme de rustres aux- tout Tri-Kazel s'y rendent pour des raisons connues d'eux
quels la civilisation ferait le plus grand bien. Mais après une seuls. Toujours dans la même région, je te conseille de te
rencontre avec un groupe d'émissaires, je ne crois plus à ces rendre à la Pointe de Hòb, l'ultime extrémité de la péninsule
ragots. Ces gens, regroupés en clans guerriers, se font appe- où auraient accosté les anciens Tarishs il y a plusieurs siè-
ler les Osags et prétendent descendre directement des plus cles. J'ignore s'il est encore possible d'y trouver des vestiges
anciens habitants de la péninsule. Ils affirment être porteurs de leur arrivée.
-Taol-Kaer-
Le duché de Salann Tir
La ville de Tuaille
J
uste au nord de Dèas se trouve le duché de Salann
Tìr, le pays des terres salées, face à l'océan. Ici,
les terres comme les hommes sont un peu moins
rudes qu'en Dèas, bien que les deux duchés se res-
semblent fortement. Contrairement à Dèas, le pouvoir
royal a pu davantage s'établir dans cette région. Un
N
" otre cité a peut-être été abandonnée par la cour
royale, mais nous pouvons toujours en être
fiers. D'un simple village de pêcheurs installé
dans l'estuaire de la Klaedhin, nos ancêtres en ont fait
gouverneur nommé par le roi en personne tente de l'un des plus grands ports de pêche de Tri-Kazel, grâce
maintenir l'unité des clans sous la bannière d'Osta- entre autres aux eaux plus calmes dans la baie formée
Baille ; il habite dans le château surplombant un petit par le delta. à nos portes s'étendent les Amhan Glas,
village face à la mer qui abrite une garnison de che- les marécages gris, qui forment une défense naturelle
valiers hilderins. On m'a dit que tu pourrais y décou- très efficace. Il y a bien une route pavée qui longe la
vrir d'immenses marais salants faisant la richesse de Klaedhin jusqu'à Osta-Baille, mais elle est déjà très
quelques exploitants. Mais, plus généralement, encombrée de caravanes et de voyageurs. Nous atta-
Salann Tir est un duché assez pauvre. quer en force et par surprise est donc impossible. Il
J'ai appris des autres membres de notre délégation faudra bien du courage aux maudits chevaliers hilde-
que l'actuel gouverneur est un théoricien formé à la rins pour venir imposer leur ordre royal dans notre
capitale, très intelligent mais encore peu expérimenté. région !
Si nul ne remet en cause sa bonne volonté, beaucoup
le trouvent incompétent et il est accusé d'être à l'ori- Tuaille est une merveille architecturale. Au fil des siè-
gine de la dernière famine à cause d'une mauvaise cles, notre peuple a gagné du terrain sur les marais en
gestion des ressources. construisant de nombreuses bâtisses sur pilotis. Les
Je ne peux que te conseiller de visiter les alignements vieux quartiers, correspondant à l'ancien village de
de Tùrsal, de longues files de pierres levées et mar- pêcheurs, sont construits en hauteur alors que les quar-
quées de runes. Il s'agit parait-il d'un endroit mys- tiers plus récents sont traversés par des canaux permet-
tique, vénéré et protégé par les clans voisins. On tant d'accéder en barque aux demeures et aux échoppes.
raconte à son sujet de nombreuses légendes, comme
celle qui prétend que les pierres levées seraient en Il nous faut rappeler au roi d'où il vient, d'où son pou-
fait une immense armée, qui aurait été pétri- voir est parti. Notre action va aller en s'amplifiant.
fiée par des créatures monstrueuses Tuaille redeviendra la capitale de Taol-Kaer, ou sera
54 lors de l'Aergewin. celle d'un nouveau royaume ! "
Au coeur du royaume
C her père, je suis heureuse de pouvoir enfin vous
écrire, afin de vous conter ce qui m'est arrivé au
cours de ce voyage si étrange. J'ai découvert des
endroits dont je ne soupçonnais même pas l'existence.
D'Osta-Baille, nous nous sommes enfoncés dans les mon-
tagnes. De parois escarpées en vallées encaissées, j'ai réalisé
à quel point la réputation de ceux qui bâtissent nos ponts
était légitime. Leurs constructions sont omniprésentes et
non seulement elles facilitent les voyages, mais plus fonda-
mentalement, elles les rendent tout simplement possibles.
Nous avons voyagé à dos de caernide. Notre groupe comp-
tait suffisamment d'hommes en armes pour maintenir
à l'écart la plupart des brigands.
En discutant avec les nobles émissaires du roi
que j'accompagnais, j'ai cru comprendre que
leur rôle était d'apaiser la situation dans le
duché dissident de Tulg. Afin de limiter les
risques, le varigal qui nous guidait s'est
arrangé pour que nous passions la plupart de
nos nuits dans des endroits habités. C'est
ainsi que nous avons dormi dans des vil-
lages reculés, entourés de simples palis-
sades, ou bien à l'abri de forteresses par-
fois accrochées de manière époustou-
flante à des parois presque verticales.
55
Le duché de Dulan
,
-Taol-Kaer-
Le duché de Tulg
L
orsque nous avons passé le col de Siagal, le relief des montagnes s'est adoucit, disparaissant au loin dans les forêts pro-
fondes et laissant entrevoir les tons de l'océan. Au nord, le cours du Kreizhdour forme un serpent azuré, marquant la
frontière avec Gwidre. C'est là que nous sommes entrés dans le duché de Tulg. Depuis le col, on pouvait parfaitement
comprendre, à travers le paysage et sa multitude de vallées difficilement accessibles, la mentalité des habitants de ce territoire.
Chaque communauté vit en effet à son rythme et à sa manière, cherchant à préserver son indépendance et à accroître son autar-
cie. Il y a bien sûr quelques exceptions, comme ce village nommé Fearìl où nous avons passé la nuit. La famille Mac Govrian
y a été totalement décimée et des chevaliers hilderins de la capitale ont repris leurs prérogatives. Plus loin, le long du fleuve
et de la frontière avec Gwidre, s'étendent les terres des tribus de Mac Eald.
Je tiens à m'étendre un peu sur un endroit qui m'a marquée lors de notre voyage, une usine magientiste abandonnée que nous
avons aperçue de loin. Il y avait là une poignée de grands entrepôts couverts de plaques métalliques servant de toiture, ainsi
que plusieurs grands silos. Par endroits, des tiges métalliques surgissaient de la terre, et l'on pouvait apercevoir de larges pou-
trelles et des mécanismes rouillés jonchant le sol. Cela fait dix ans que plus personne n'y vient, l'endroit est réputé hanté par
de terribles esprits malveillants et, au vu de ce dont les magientistes sont capables, je veux bien le croire.
Notre descente jusqu'à la capitale du duché dura quelques jours. Tulg Naomh est bâtie sur les contreforts des montagnes, face
à la mer et aux forêts en contrebas. Construite avec la roche des falaises de la région, on l'appelle la cité-escalier ; c'est d'elle
que vient en fait l'origine du nom du duché, qui signifie " roche " dans l'ancienne langue. La ville est en effet composée de
nombreux paliers, construits au cours des siècles de main d’homme. Au-delà de ses murs, d'autres terrasses s'étalent, couvertes
de cultures permettant de nourrir en grande partie les habitants. Nous avons été reçus par la princesse Cortessa Mac Lichorl,
duchesse de Tulg, sœur de la reine de Taol-Kaer, et j'ai rapidement compris à quel point sa tâche en ces terres était complexe ;
quel dirigeant arriverait à unir ces communautés de manière durable ? Les représentants des différentes régions du duché for-
ment une assemblée bigarrée et étonnante. J'ai cru comprendre que les complots et les trahisons étaient monnaie courante et
que la princesse avait déjà échappé à plusieurs tentatives d'empoisonnement. Je ne vais pas m'étendre davantage sur les dis-
cussions entre notre délégation et la princesse, certains secrets n'ont rien à faire dans une lettre.
Mais la situation ici reste très tendue.
56
Ruines magientistes
V
otre altesse,
J'ai mené mon enquête sur cette ruine d'usine magientiste que cer-
tains disent hantée. J'ai pu constater de mes propres yeux qu'à la
faveur de la nuit, des gens se rassemblent dans cette ruine. Affublés de cos-
tumes qui masquent leur identité, ils entonnent des chants morbides autour
de cercles ésotériques. Il s'agit sans doute d'une secte de sorciers et nous
trouvons ici la réponse aux lueurs étranges et aux nombreuses dispari-
tions rapportées par les habitants des vaux voisins. C'est peut-être
pour vous, votre excellence, l'occasion de mettre à l'épreuve les
bonnes intentions du vecteur Saerën récemment arrivé
à Tulg Naomh. En Gwidre, les religieux du Temple
traquent sans relâche ce genre de sectateurs ;
je suis certain que Saerën serait ravi
de débarrasser notre duché d'une
C
e détour en Tulg, accompli dans l'intérêt de nos bonnes relations
avec le trône, s'étant bien passé, il me faut désormais organiser
mon voyage de retour. Il semblerait que le chemin le plus
direct passe par le duché de Kel Loar et ses collines venteuses
exposées aux courants du littoral. Je me réjouis de quitter les
régions plus brutes et primitives que j'ai traversées et de
retrouver des provinces civilisées. Je pense m'arrêter à la
capitale ducale, qui lui a donné son nom, pour faire une visite
à sa fameuse bibliothèque. L'ouverture d'esprit et la culture
du duc de Kel Loar sont réputées dans toute la péninsule. On
dit d'ailleurs que cette bibliothèque est gigantesque. Les nom-
breux intellectuels qui ont décidé de s'établir dans cette cité
sont la preuve d'une tradition de l'esprit.
C
her ami,
Je voulais vous annoncer que nous avons enfin pratiquement achevé la
restauration de notre cité. Cela fait maintenant vingt ans que la ville a été rava-
gée par un raid feond d'une violence inouïe. Les feondas étaient tellement nombreux que la vallée entière grouillait,
comme envahie par des vers. Perpétré par plusieurs de ces porteurs de masques effrayants, le carnage fut des plus atroces.
Les récits des survivants racontent que les feondas avaient des formes et des dimensions variées, toutes aussi mons-
trueuses les unes que les autres. Les murailles n'ont pas résisté, les bâtiments ont été renversés, piétinés, incendiés. Les
habitants ont été massacrés sans aucune distinction. Je venais de succéder à mon père à la tête du duché et après cette
catastrophe, j'étais désemparé, convaincu de ne jamais pouvoir relever la ville.
Puis, les magientistes sont revenus afin de nous aider. Avant le drame, déjà, ils nous faisaient profiter de leurs bienfaits,
en dépit des controverses que cela soulevait ailleurs dans le royaume. Ils ont planifié la reconstruction des infrastructures
essentielles, usant de leur science et de leurs techniques pour que la ville puisse renaître de ses cendres dans un délai rai-
57
sonnable. Ces vingt dernières années ont été longues, mais nous touchons au but, et Kel Loar est encore plus belle qu'au-
paravant. Notre population peut être fière d'elle, ses efforts n'ont pas été vains.
Tu viendras un jour visiter notre ville, pour y voir les bâtiments qui ont survécu, comme notre bibliothèque ou le palais.
Mais aussi les traces encore visibles des ravages causés par les feondas, comme le moulin de Jeath. Il n'est plus
aujourd'hui qu'une ruine étrange, un assemblage de tiges et de poutres d'acier au sein duquel s'entrelace une végétation
luxuriante. C'est regrettable car les mécanismes magientistes qu'il abritait faisaient des merveilles.
Je me réjouis de pouvoir donc t'inviter à nouveau et de te faire visiter notre nouvelle cité.
Edgar Corann
Ton ami,
,
C
on ne peut l'atteindre qu'à marée basse, quand un petit chemin de ela fait six mois que j'ai reçu
pierres assemblées par d'anciens habitants apparaît. Le reste du temps, cette dernière lettre, et ma fille
Eschen est coupé du monde par un bras de mer dans lequel personne Aoda n'a toujours pas donné
n'oserait naviguer, car les parages sont presque toujours recouverts signe de vie. Les hommes que j'ai pu
d'une épaisse brume blanche, qu'aucun regard ne peut percer. dépêcher ont perdu sa trace au cœur des
Je voudrais vraiment aller voir le cercle de pierres qui se trouve sur montagnes, près d'un petit village
cet îlot. On m'a raconté que les demorthèn y tiendraient un culte tra- nommé Terkhên. Depuis, plus rien. Je
ditionnel, s'accompagnant de sanglants sacrifices en l'honneur d'es- suis au désespoir. Son escorte ainsi que
prits de la nature sauvages. On m'a également dit que les feondas n'ont le varigal qui l'accompagnait ont dis-
jamais posé le pied sur Eschen et que les seules personnes à avoir paru eux aussi. Mes craintes sont au
voulu s'y établir ont disparu, laissant derrière elles leur petite demeure plus haut. Mais même si elle est morte,
vide moins d'une année après leur arrivée. je veux savoir. Rien n'est pire que l'in-
Cependant, père, je ne m'attarderais guère durant mon voyage de certitude. Quelle idée ai-je eu de l'en-
retour et je me réjouis de vous revoir. Ceci est ma dernière lettre. Je voyer ainsi en mission… ? Je vous le
vous conterai encore de nombreuses choses de vive voix. Somme demande, dame Edel, aidez-moi à
-Taol-Kaer-
Cartographie de Taol-Kaer
C her frère,
Voici une copie de la carte que j'ai utilisée pendant mon voyage. Elle est assez utile, quoique incomplète. J'y ai rajouté
plusieurs annotations, grâce à de nombreuses discussions à la capitale et sur la route, à propos d'endroits que je n'ai pu voir
de mes propres yeux, où dont je n'ai pas parlé de manière plus détaillée. Hélas, je n'ai pas trouvé de cartes plus précises des
duchés de l'ouest et du sud qui t'intéressent tant.
‘
Aisir Ceomhor (le passage des brumes) : Collines Tristes (Buidh Cuideamm) :
les voyageurs progressent à flanc de falaise en suivant une si l'on en croit les contes, les villages et bourgs des Buidh
longue chaine de bronze corrodé reliant des bornes de Cuideamm furent quasiment dépeuplés durant l'ère de Glace.
pierres qui semblent remonter à la plus haute antiquité. Les survivants furent exterminés par les feondas ou une épi-
Chaque borne est gravée de runes glorifiant l'esprit aérien démie, on ne sait trop. On trouve encore des prospecteurs
Adhar, qui semble pourtant peu enclin à dissiper les brumes aventureux qui viennent de Koskan et cherchent les
des environs. Celles-ci sont si épaisses qu'il est souvent anciennes mines de fer et de cuivre. Quant à savoir si leurs
impossible d'apercevoir sa propre main en tendant le bras. efforts sont couronnés de succès, c'est une autre affaire.
Brégan : Deanaidh :
58 bien que son seigneur porte le titre de Duc, tout le monde la seule véritable ville des Terres de Déas, Deanaidh est un
sait que Brégan n'est qu'un bourg parmi d'autres. Cependant, lieu neutre où se réunissent les clans Osags lorsqu'ils com-
depuis un siècle environ, nombre de souffleurs de verre s'y mercent et que leurs chefs nouent de nouvelles alliances.
sont installés. Ils préfèrent en effet ce village accueillant à la Quelques négociants venus du reste du royaume s'y rendent
cité corrompue de Koskan, et je comprends tout à fait leur également.
point de vue, tu peux m'en croire. Leur présence a fait mer-
veille sur les caisses du Duc et celui-ci se montre davantage Faol Rod ‘ (la Brèche du Loup) :
que ses prédécesseurs à la cour royale. un conte osag dit que tous les vingt ans, un guerrier vertueux
doit combattre dans cet étroit défilé un immense loup cou-
Caiginn : vert d'épines et de barbelures. Les Osags racontent qu'aucun
ce village frontalier a été attaqué, pris et repris pas moins de héros n'a survécu à ce combat, mais que leur sacrifice per-
six fois durant la guerre du Temple. Au final, les feondas ont met d'écarter le monstre des voyageurs qui se rendent à
massacré les derniers soldats qui se trouvaient là. Personne Deanaidh depuis les duchés de l'est.
ne se rappelle si ces pauvres hères portaient les couleurs de
Gwidre ou de Taol-Kaer. Le village a été rebâti et fortifié en ‘ :
Fearil
raison de sa position stratégique mais les feondas s'en pren- un petit village de bûcherons dominé par la forteresse de
nent encore souvent à son mur d'enceinte. Smiorail, qui garde une des principales voies entre Taol-
Kaer et Gwidre.
Carrefour de Ruel :
nommé en mémoire d'un demorthèn qui périt ici dans l'anti- Forêt Engloutie :
quité, se sacrifiant pour arrêter un immense feond " plus bordée par le grand marais, elle est connue pour ses arbres
haut que la cime des arbres ". Une pierre dressée marque aux racines tortueuses et au feuillage malsain. Ainsi que
l'endroit où le courageux demorthèn serait tombé. pour les nombreux feondas qui s'y dissimulent.
-Taol-Kaer-
Llewellen : Terkhên :
cette bourgade de pêcheurs et de paludiers est la capitale de un village fortifié d'importance stratégique, puisque pas
Salann Tir, un duché assez pauvre. On dit ses habitants moins de quatre routes y mènent. Certainement l'agglomé-
sobres, sérieux et dignes de confiance. Le château ducal est ration la plus essentielle du Duché de Tulg après sa capitale.
une vieille forteresse trônant sur une falaise proche, qui
domine toute la baie. Tilliarch :
leurs pommiers ne sont pas les plus beaux, loin s'en faut,
mais on se transmet de père en fils les antiques secrets qui
font des cuvées du cidre de Tilliarch un véritable délice.
59
-Taol-Kaer-
Chapitre 1
Osta-
Baille
C her frère,
Tu trouveras dans ce pli tous les documents que j'ai pu rassembler à propos d'Osta-Baille. J'espère
qu'ils te seront utiles dans les préparatifs de ton voyage. Comme tu t'en doutes, personne ici à Gouvran n'a vu cette
cité de ses propres yeux et seuls quelques varigaux nous ont parfois rapporté des nouvelles de cette région loin-
taine. Je t'ai d'ailleurs retranscrit l'histoire racontée par l'un d'eux, qui prétendait avoir rencontré un certain Edwïck,
barde réputé d'Osta-Baille. En tant qu'intendant de la petite bibliothèque de notre ville, j'ai pu compulser l'ensemble
des archives et découvrir quelques documents intéressants. J'ai également appris qu'il y a presque vingt ans, un mem-
bre de la famille Maorl de Gouvran, Ugaïd Maorl, a réalisé ce voyage vers Osta-Baille. C'est son vieux père qui me
l'a raconté. Leur fils est devenu varigal ; il avait à peine seize ans lorsqu'il a quitté notre communauté gwidrite pour
se lancer dans un incroyable périple. Afin de ne pas avoir à traverser les dangereuses montagnes des Mòr Roimh, il
60 avait prévu de suivre le littoral jusqu'à la pointe de Hòb pour ensuite rejoindre la cité talkéride de Tuaille. De là, il
aurait remonté un fleuve pour arriver aux pieds de la fameuse capitale de Taol-Kaer. Son voyage aurait duré plus de
quatre mois. Hélas, après sa dernière lettre envoyée d'Osta-Baille que tu trouveras ci-jointe, il n'a plus jamais donné
signe de vie.
J'ai également pu me procurer une autre lettre, anonyme celle-ci. Rien ne permet d'authentifier la véracité de ces pro-
Preden
pos. Sois prudent et souviens-toi de la destinée d'Ugaïd ! Prends soin de toi mon frère.
Que le Créateur te protège,
A
pprochez s'il vous plaît, hardis voyageurs venus des quatre coins de Tri-
Kazel, approchez ! Je me nomme Edwïck et je serai votre guide en Osta-
Baille, approchez !
Avant de vous emmener au travers des rues en pente de la cité, je me dois de vous
parler de son origine, afin que vous perceviez au mieux l'importance de la capitale
de Taol-Kaer.
La naissance
Gwidre et Taol-Kaer. Vous connaissez tous cette histoire
A
i-je toute votre attention ? Bien ! Alors commen- n'est-ce pas ? Qui peut ignorer l'épopée de ces héros qui par-
çons par le début, la naissance d'Osta-Baille. C'était tirent fonder les Trois Royaumes ?
il y a fort longtemps, une époque que les hommes Notre roi, Taol-Kaer, passa sa vie au service de cette grande
de notre royaume continuent à chanter et à célébrer. Des œuvre, mais il garda au fond de son cœur le village qui
clans éparpillés vivaient dans ces montagnes. L'un d'entre l'avait vu naître. C'est ainsi qu'il revint y finir ses jours,
eux allait prendre une importance cruciale, il vivait dans le après avoir abdiqué en faveur de son fils qui régnait depuis
petit village de Klardel. À l'abri sur un haut plateau, la com- la cité de Tuaille. Quelques proches le suivirent dans son
munauté prospérait, loin de la menace des créatures qui dernier grand périple et ensemble ils étendirent la taille de
rôdaient dans les montagnes. Puis vint le jour où trois frères Klardel en y supervisant des travaux monumentaux, comme
naquirent, fils du chef du clan. Ils s'appelaient Reizh, la construction des premiers ponts surplombant les abîmes.
fois grandie. L'époque la plus Quartier
Osta-Baille
de la ville basse
marquante est sans doute celle
où le magister Athaontú entre-
L
es années passant, la population de Klardel augmen- prit des travaux colossaux,
tait et les plateaux devenaient étroits, même si l'on qui firent de notre ville l'une
avait eu recours à des constructions en hauteur. En des plus belles de tout Tri-
245, un hiver particulièrement glacial s'abattit sur cette Kazel. Quelques années
région de Taol-Kaer. Un grand nombre de montagnards des plus tard, en l'an 758,
environs, victimes du froid, vinrent se réfugier à Klardel, le roi Kailleach dési-
mieux équipée pour survivre aux rigueurs de l'hiver. Un gna Osta-Baille
nouveau quartier, fruit des efforts collectifs pour accueillir comme capitale
les gens des montagnes, vit rapidement le jour ; il émergea de Taol-Kaer.
au pied du haut plateau portant le village originel, sur les
bords du lac que la Klaedhin forme à cet endroit. Ses nou-
veaux habitants le nommèrent Osta-Bailla Guerdie qui
signifie, dans la langue ancienne, " Au pied de la cité qui
regarde le monde ".
L'ansailéir de l'époque trouvait que ce nom sonnait bien, et
que dans le fond, il serait approprié à une nouvelle agglomé-
ration, plus importante que l'ancienne Klardel. Après
moult débats houleux, la ville fut rebaptisée Osta-
Baille. L'accroissement de la population rendit
nécessaire l'agrandissement de la ville ;
tous, klardelites comme montagnards,
mirent du cœur à l'ouvrage et abatti-
rent un grand nombre d'arbres
pour construire des maisons,
mais aussi pour le chauffage.
Au cours des siècles, attaques
et fléaux se succédèrent
mais la cité en ressortit à
chaque
61
Lár an Baille
857 fut une année tragique pour Tri-Kazel car les trois royaumes entrèrent en guerre.
L'année suivante, disciplinées et plus nombreuses que prévues, les armées gwidrites
envahirent Taol-Kaer et parvinrent jusqu'à Osta-Baille. La capitale fut assiégée
durant plusieurs semaines par les armées des fidèles du Dieu Unique, mais sans grand succès ; les
assaillants étaient parvenus au port, au pied des plateaux, mais ne pouvaient pénétrer dans les hau-
teurs. La capitale se suffisait à elle-même, possédant eau et nourriture en abondance dans des
réserves souterraines. Elle résista aux hommes du Temple, et après un siège qui causa de lourdes
pertes, ses habitants repoussèrent l'ennemi.
Il y eut de nombreux hauts faits durant la guerre du Temple, dans lesquels de valeureux ostiens
et ostiennes s'illustrèrent face aux armées de Gwidre. Ils sont contés dans les "Làr an Baille", les
chants que les bardes ostiens ont créés pour perpétuer ces légendes. Le peuple tient en haute
estime ces guerriers qui firent preuve de courage, de ruse et de force face à l'adversité de la
guerre.
L'Ansailéir
O sta-Baille est dirigée par un ansailéir, garant de la prospérité de la ville. Ce titre provient de
la langue ancienne que parlaient nos ancêtres et signifie " gardien ". Dans la tradition, les
ansailéir étaient les chefs de clans et siégeaient au conseil d'une communauté. Ce titre est
encore porté au sein des clans osags et la majorité des villages l'utilisent encore. Dans les cités
importantes, ce titre est décerné par le roi à la personne qui aura la charge d'administrer la ville.
Angwulf Eober est l'actuel ansailéir de la capitale.
62
C hers parents,
Me voici arrivé à destination. Le voyage qui m'a conduit jusqu'à Osta-Baille fut long et je l'avoue pénible ;
pendant ces quatre mois, les difficultés des routes m'ont fatigué. Mais mon moral est vite remonté en voyant les
grandes portes du port lacustre. Je suis véritablement impressionné par cette cité dont on m'a tant parlé, et où je
n'avais jamais posé les pieds auparavant. Comme je sais que vous n'avez jamais eu la chance de contempler Osta-Baille
de vos yeux, voici mes premières observations sur la cité. Évidemment, il me reste encore beaucoup à découvrir.
Le port
J'appris très vite que la famille Arweal contrôlait les docks
-Osta-Baille-
La Compagnie de Bân Note de Preden :
V oici ce que j'ai trouvé à propos de la famille Arweal, mentionnée par Ugaïd. Je ne sais pas si ces infor-
mations sont encore valables de nos jours. Fais-en bon usage :
Issue de la grande bourgeoisie et dirigeant la Compagnie de Bân, la famille Arweal est à la tête d'une
des guildes les plus puissantes d'Osta-Baille et possède la plus grande flotte de bateaux marchands.
Actuellement dirigée par son patriarche Erman Arweal, un homme robuste aux cheveux grisonnants, la
Compagnie semble diversifier ses activités. On la dit en contact avec diverses organisations comme l'église du
Temple ou les magientistes de Reizh. Rumeurs colportées par ses adversaires ou réalité ? Nul ne peut l'affirmer
tant la famille Arweal garde jalousement ses secrets. L'autre personnalité marquante de cette famille est sans
doute la fille d'Erman, Milena Arweal. Cette jeune femme élancée est une navigatrice hors pair et on la dit pas-
sionnée par l'aventure et la découverte de trésors perdus au fond des eaux ; les méthodes qu'elle emploie pour
y accéder restent d'ailleurs le sujet de nombreuses rumeurs et certains racontent qu'elle userait de la magience.
La famille Arweal a la confiance du roi et assure la sécurité en contrôlant les arrivées des navires et des voya-
geurs. Cette autorité et sa suprématie sont enviées et contestées par nombre de guildes rivales. On peut
citer par exemple la guilde de la famille Mac Niadan, puissant armateur spécialisé dans l'escorte de
bateaux transportant des voyageurs ou du fret.
63
La ils exploi-
ville tent les vastes
champs, de l'autre
basse côté de la grande route,
qui fournissent les hauts quar-
-Osta-Baille-
..
Les élévateurs de Diol
L
'architecture des bâtisses et l'agencement même des
rues sont différents suivant les quartiers de la ville et
correspondent aux diverses phases d'urbanisation. Le
développement des habitations sur les deux plateaux s'est c'est un lieu de prédilection pour les voyageurs de passage à
fait en hauteur par manque de surface et les maisons ont Osta-Baille. J'ai également vu quelques bâtisses à l'architec-
ainsi progressivement gagné des étages. Des ponts ont été ture intéressante, comme ce que les ostiens appellent un
construits pour relier certaines d'entres elles et des rues en amphithéâtre : une scène en demi-cercle située en contrebas
viaduc sont finalement apparues. Tout cela donne une d'escaliers appelés " gradins " qui accueillent le public. Les
impression de bric-à-brac et l'ensemble semble tenir par on meilleurs bardes s'y produisent et j'y ai déjà passé quelques
ne sait quel miracle. Mais rassurez-vous, mes chers parents, soirées très agréables.
on a rarement vu un édifice s'effondrer, en tout cas naturel- J'ai eu l'occasion de traverser bon nombre de cités depuis
lement. que je suis parti de Gouvran et je dois dire que j'ai rarement
Dïol, c'est le quartier incontournable, celui où les étrangers vu une ville aussi sûre qu'Osta-Baille. Entre les milices et
se mêlent à la population. C'est le quartier des voyageurs et les chevaliers hilderins, les malandrins se font très discrets.
des festivités. Là où l'on rit et où l'on pleure, là où l'alcool Cependant, j'ai remarqué une certaine nervosité au sein de la
enivre les ostiens les longs soirs de fête. On trouve ici moult soldatesque, qui s'expliquerait par des rumeurs de créatures
tavernes dont les patrons et les serveuses sont ravis d'ac- difformes et de feondas, rôdant la nuit et émergeant des
cueillir aussi bien les ostiens que les étrangers. C'est d'ail- égouts. Personne n'est vraiment capable de confirmer ces
leurs le seul quartier dans lequel ces derniers ont le droit de racontars, mais l'inquiétude est, elle, bien réelle. Il m'a été
rester pour y dormir et festoyer. Je me dois ici de vous par- formellement déconseillé de sortir lorsque la nuit est tombée
ler de la fameuse place des Architectes. On raconte qu'à sur la ville et j'ai pu remarquer que les fenêtres de nom-
l'époque des travaux entrepris par Athaontú, les ouvriers et breuses maisons portent des barreaux au premier étage.
contremaîtres venaient se retrouver sur cette place, où sont
établies de nombreuses gargotes et auberges. Aujourd'hui,
-Osta-Baille
L'Osta-Baille moderne
R econstruite après le Second Fléau, l'Osta-Baille moderne a été conçue à l'époque par le visionnaire
Athaontú. Résolument contemporaine, les moyens employés pour sa réfection ont été les plus importants
de l'histoire de Taol-Kaer. Osta-Baille emprunte aux cités de Reizh une modernité magientiste. Elle fourmille
de petites révolutions qui facilitent la vie des ostiens. Égouts, élévateurs, viaducs, nébulaires, tant d'innovations que l'on
trouve par ailleurs en nombre très restreint en Taol-Kaer. La plus belle de ces réalisations est certainement celle que l'on ne
voit pas : le système d'acheminement de l'eau. Athaontú a mis en place un système utilisant des tuyaux cachés à la vue, pui-
sant au cœur des chutes de Deoïr l'eau nécessaire pour approvisionner la ville.
Depuis le sacre du roi Mac Anweald et sa politique résolue de retour aux traditions, les magientistes ont beaucoup perdu
de leur prestige. Bien que tout un chacun apprécie les progrès qu'ils ont amenés, beaucoup évoquent leur dédain des
croyances ancestrales de la péninsule et des traditions. Leur présence officielle étant réduite, les magientistes se font très
discrets et il est rare d'en croiser portant leurs habits distinctifs dans les rues de la capitale.
-Osta-Baille
..
Les Fleurs de Deoir
C
'est sans doute l'herboristerie la plus connue
d'Osta-Baille. Pied-à-terre des Horticulteurs,
une fameuse guilde d'herboristes, ce magasin
recèle des trésors venant de tout Tri-Kazel. L'enseigne
possède plusieurs serres attenantes où des jardiniers
entretiennent les plantes rares. Le reste de l'échoppe est
une vaste bibliothèque où les livres côtoient de nombreux
bocaux aux formes biscornues. L'amoncellement des
fioles et le peu de lumière nécessaire à la protection des
pétales les plus fragiles donnent à ce lieu une atmosphère
inimitable. L'herboristerie est tenue par le professeur
Tallafor, un petit homme souriant et portant de petites
lunettes grossissantes.
L'épée de tugarch'
Antiquités de Trádáil
-Osta-Baille--
L'université d'Athaontu‘
O fferte par le roi Kailleach à Athaontú pour le remercier de la reconstruction d'Osta-Baille, l'université fut bâtie
selon les principes architecturaux de la magience. Il y a maintenant douze années, le roi Erald Mac Anweald
fit fermer ce symbole de l'incursion de la magience sur les terres antiques de la péninsule. Cette fermeture fit
suite à un grave accident dans l'université. Une expérience tourna mal et provoqua une explosion dans un laboratoire
qui fut suivie d'une fumée âcre et verdâtre se répandant dans les rues environnantes. Cette émanation contamina une
partie du quartier de Saoithín et coûta la vie à un grand nombre de personnes. Malgré cette fermeture, des rumeurs
veulent que l'édifice soit encore utilisé et ce malgré la vigilance des soldats patrouillant dans ce quartier.
Trafiquants, courtisans et magientistes sont tour à tour accusés d'y accéder la nuit venue pour
se livrer en secret à des rencontres aux motifs sibyllins.
S
aoithín abrite aussi la grande bibliothèque de Taol-Kaer, où des livres à la valeur inestimable sont lus et relus par des
dizaines de curieux, d'hommes et de femmes avides de connaître les tenants et les aboutissants des mystères de notre
monde. J'y ai passé quelques heures et c'est un lieu d'échanges entre les divers courants de pensées et croyances, où
l'on peut même voir des magientistes fraterniser avec des fidèles du Temple. La grande bibliothèque est sans doute le lieu
le plus important de Saoithín. Pour finir, laissez-moi vous parler de Ríochas, qui surplombe Osta-Baille et domine la
cité de son imposante stature. Le château du roi est creusé au cœur de la montagne.
Seules les grandes murailles en sont visibles avec leurs larges portes tenues symboliquement ouvertes depuis la fin de la
grande guerre contre Gwidre.
Père, mère, je vous enverrai une nouvelle lettre bientôt. Je compte rester encore une semaine à Osta-Baille et je devrais
ensuite repartir. Embrassez Deartháir et Iníon, que je ne verrai pas grandir.
O sta-Baille est gérée par l'ansailéir Eober, aidé dans cette tâche par des gouverneurs qui sont au nom-
bre de cinq, un pour chaque quartier. Ríochas est dirigé par le mestre Gréldir sous l'égide du roi Erald
Mac Anweald. Chaque gouverneur choisit trois personnes qui séjournent à l'année dans le quartier
dont ils ont la gérance ; ils portent le titre d'administrateurs. Une fois par semaine, l'ansailéir réunit les cinq
gouverneurs et leurs assistants pour s'occuper des affaires de la ville. Lorsqu'une décision importante intervient, 67
un vote peut permettre de trancher entre des opinions discordantes. Les administrateurs apportent une voix cha-
cun, chaque gouverneur vote comme s'il comptait pour trois et l'ansailéir cinq.
Ne viens pas ! La face lépreuse
Je refuse de te saluer, de t'encourager par quelque douceur
que ce soit à croire que tu seras bienvenue ici ! Mille fois je
d'Osta-Baille
V
préfèrerais te blesser que de te voir arriver dans cette cité, oici le texte anonyme sur Osta-Baille
séduite par ses atours qui ne sont que des mensonges fac- dont je te parlais au début de ma lettre. Il
tices ! Si tu avais vu ce que j'ai vu ! Mais je ne veux pas que semble avoir été écrit par un homme y
tu puisses être exposée à ces horreurs. ayant travaillé de nuit. Si nombreux sont ceux qui
narrent la splendeur d'Osta-Baille, alors que les
Alors, lis-moi bien, ne crois pas que je dresse une image ombres dans cette ville semblent abriter les pires
atroce de la cité par une quelconque jouissance morbide. abominations.
Sois prudent,Preden
Tout ce que je vais te dire est l'exacte vérité et j'espère que
cela te suffira pour ne pas quitter notre foyer.
-Osta-Baille--
gés par telle ou telle famille via les égouts qui, du coup, sont On trouve de tout, dans les égouts, pas seulement des vic-
assez animés. Dans toute la ville le réseau d'égouts peut être times d'agression. Quand quelqu'un ne veut pas d'un enfant,
parcouru, mais ici le système a été poussé au maximum. le nouveau-né y est tout simplement déposé, abandonné aux
Servantes, soubrettes, cuisiniers, précepteurs, artisans pour rats et à une mort cruelle dans les ténèbres, l'horreur et le
diverses réparations ou commis réapprovisionnant les désespoir. Et ce n'est pas exceptionnel, crois-moi, j'ai
réserves… Tout ce petit monde connaît de près les secrets ramassé de nombreux petits corps inertes…
du grand monde. Il n'est pas rare que des prostituées soient
discrètement amenées, parfois de très jeunes filles tout droit De jour prospèrent surtout les voleurs à la tire, affiliés à telle
venues de leur campagne natale… ou telle bande pour leur " protection ". La nuit, la plus
inquiétante des faunes considère que toutes les rues plon-
Pour travailler, il faut avoir une lettre de mission marquée gées dans la pénombre forment son domaine. Souvent, ils
du sceau d'un chef de famille pour ne pas être expulsé bru- viennent des quartiers du port où la prostitution et la contre-
talement. Attention, je ne veux pas dire qu'on te met juste à bande nourrissent les plus puissants d'entre eux.
la porte, mais bel et bien du fait que les gardes en faction se
croient tout permis. Certains n'hésitent pas à te dépouiller de D'autres se terrent dans les égouts pour être à l'abri des
ta monnaie, les femmes doivent acheter la bienveillance des hivers rigoureux. La ville dépend de son alimentation en eau
soldats en nature, et à l'occasion ils trouvent une sale tête à toute l'année, il est donc essentiel qu'elle reste à l'état liquide
un type et le massacrent, juste comme ça, pour " s'amuser "… quel que soit le temps à l'extérieur. Les égouts ont donc été
conçus pour maintenir une température fraîche mais
constante. Les plus pauvres en profitent pour s'abriter mal-
gré les rats, la puanteur et le fait que l'on découvre parfois
des cadavres littéralement déchiquetés.
P
arfois, j'entends des voyageurs dire qu'ils se sentent fit que les récoltes soient mauvaises, tu verras les prix du
" en sécurité dans cette magnifique cité "… À pain s'envoler, les files d'attente devant les boulangeries, les
chaque fois ça me donne envie de vomir. La jour- émeutes des affamés capables de lyncher ceux qui s'oppo-
née, on peut encore croire que la sécurité est garantie. Mais sent à leur colère ! Les disettes ne sont pas exceptionnelles,
dès qu'on a vécu quelques temps ici, on sait qu'il ne faut pas au mieux une tous les dix ans parait-il.
sortir la nuit à moins d'avoir une très bonne raison, une arme
affûtée et si possible un compagnon d'armes. Passé le cou- La faim est toujours la compagne de la haine et de la mala-
cher du soleil, tu peux te méfier de toutes les personnes que die. En hiver on meurt surtout d'infections pulmonaires, en
tu croises, et ça vaut aussi pour les gardes. Les ombres sont été, c'est la saison des fièvres ; les rats, les puces et les poux
celles de mendiants armés, de bandes d'enfants perdus qui se multiplient. Depuis toujours, on craint terriblement l'em-
n'hésitent pas à battre à mort des ivrognes pour les piécettes poisonnement des fontaines, et les étrangers seraient certai-
qu'ils portent… Les bandits sont à l'affût et pour eux un bon nement les premiers accusés dans ce cas.
témoin est un témoin mort, seul moyen d'éviter de finir au
bout d'une potence pour roberie. La loi refuse de laisser en Cette ville accueille les voyageurs, mais au moindre souci,
vie des gens qui font profession du crime, mais précisément, chômage, disette ou maladie, les étrangers sont de trop.
la corde qui les menace les pousse à une plus grande vio- Osta-Baille ne sera jamais un foyer pour nous.
lence encore, pour être sûrs de ne pas être reconnus. Ils jet- Je repartirai dès que j'aurais pu mettre un peu d'argent
tent les corps de leurs victimes dans les égouts. Tous ne sont de côté.
pas morts au moment d'être abandonnés, mais les rats et
d'autres choses se chargent de les achever. Les courants éloi- Encore une fois, je te le dis :
gnent le cadavre des lieux du crime pour le ramener en bas, ne viens pas ici.
vers le lac de Bân, et les rats rendent l'identification diffi-
cile… En fait, les enquêtes sur les crimes de rues sont prati-
quement impossibles à mener et l'impunité des meurtriers est
généralisée.
Chapitre 1
Gwidre
l est temps maintenant, jeune fille, que je vous
parle du royaume natal de votre père. Il court en
Taol-Kaer de nombreuses rumeurs injustes et
infondées au sujet de Gwidre, pour la plupart liées
à l'animosité que les Talkérides vouent aux repré-
sentants du Temple. Heureusement pour vous, votre
mère est plus éclairée que nombre de ses nobles pairs.
Malgré ma mauvaise réputation, entretenue par des esprits étroits,
elle a décidé de m'engager pour parfaire votre éducation. J'espère être à la hauteur de ma fonction de précepteur
et réussir à vous inculquer quelques vérités fondamentales au sujet de notre péninsule bien-aimée. Bien que n'étant pas
Gwidrite moi-même, je les ai suffisamment fréquentés pour pouvoir dire que je les connais bien.
L 'avènement du Temple en Gwidre eut de nombreuses répercussions sur la vie des habitants et, l'on
peut s'en douter, tout particulièrement sur leur vie spirituelle. L'une des conséquences les plus
visibles de la montée en puissance de la nouvelle religion fut la destruction quasi-systématique
des cercles de pierres, pour la plupart hérités du lointain Aergewin. Les mégalithes, après avoir été
entourés de cordes, furent arrachés de terre par la traction de bœufs ou de boernacs. Certains furent trans-
formés en matériaux de construction, mais le plus souvent, sans doute par l'effet d'une atavique crainte
superstitieuse, on les précipita dans les rivières, le fleuve Pezdhour ou l'océan.
Évidemment, demorthèn et fidèles des anciennes traditions s'opposèrent violemment à la destruction de
leurs lieux de culte. Du sang fut versé, des vies brisées, mais au bout du compte, le Temple poursuivit
sans relâche son œuvre de "libération", jusqu'à pratiquement rayer des plaines fertiles de l'ouest toute
trace des pierres dressées. Les demorthèn et certains de leurs fidèles les plus zélés s’enfuirent dans les
Mòr Roimh, où ils élevèrent avec détermination de nouveaux cercles de pierres dressées dans des
endroits hostiles et reculés.
On raconte que parfois, lors de nuits particulièrement sombres, des silhouettes blafardes semblent glis-
ser au-dessus du sol, des larmes de sang coulant lentement de leurs yeux éteints, les mains tendues
devant elles comme des griffes vengeresses. Elles murmurent les noms de ceux qui autrefois mirent à
bas les pierres dressées et, au matin, les malheureux ainsi appelés sont retrouvés morts dans leurs lits,
les yeux agrandis d'effroi, des sillons de sang perlant à leurs commissures...
Récits de Tri-Kazel, volume I,
par Kathryn Kalbeth.
-Gwidre-
monnaie courante et les températures atteignent des valeurs
proches des vingt degrés négatifs, pour les endroits les plus
Une nouvelle foi exposés. La verdoyante moitié ouest de Gwidre est connue
sous le nom d'Abondance. Elle comporte de nombreuses
73
La guilde de Báncloch
L 'albanite est une roche d'une blancheur immaculée, très dense et extrêmement résistante. Elle ne se trouve
qu'en un unique point de la péninsule, les carrières d'Arden, situé à quelques kilomètres de la capitale de
Gwidre. Ses habitants sont pour la plupart persuadés qu'il s'agit d'une faveur divine, bien que la découverte
de l'albanite soit très largement antérieure à la venue des premiers émissaires du Temple en Tri-Kazel. Mais ils pré-
tendent justement que cette offrande sacrée était un signe annonçant l'élection de Gwidre par le Dieu Unique. Quoi
qu'il en soit, l'albanite est exploitée depuis toujours par la guilde de Báncloch, organisation aussi puissante qu'est
élevé le cours de la pierre. Les trois-quarts des pierres extraites dans les carrières sont réservées par décret royal à
un usage national et ne peuvent être vendues aux autres royaumes. Néanmoins, le quart restant s'achète à des prix
faramineux et seuls les rois et les plus riches des seigneurs de Taol-Kaer et Reizh peuvent s'en procurer.
La guilde de Báncloch, propriétaire des carrières d'Arden, est immensément riche. À sa tête se trouve le patriarche
de la famille Mac Mannàn, Priadn, un homme rusé et prudent, qui ne se sépare jamais de ses deux gardes du corps,
Bor et Karadnen, des colosses qui ont envoyé dans la tombe plus d'un voleur ou d'un mauvais payeur. Des rumeurs
prétendent que depuis la mystérieuse disparition de sa femme il y a trois ans, Priadn fréquenterait Brume l'étrange
maîtresse de la guilde rivale du Poing d'Each. Mais personne n'a jamais pu prouver ces dires.
Des deux fils de Priadn, un seul joue un rôle dans l'entreprise familiale depuis que l'aîné a perdu l'esprit dans des
circonstances mystérieuses. Draydn, le fils cadet, supervise directement l'extraction de l'albanite, et ne se sépare
jamais de la dizaine d'hommes d'armes chargés d'assurer sa sécurité. Les carrières d'Arden ne sont en effet pas si
sûres pour la famille Mac Mannàn. Très mal payés, les ouvriers y travaillent dans des conditions particulièrement
pénibles, avec à peine une pause le midi pour se restaurer. Plusieurs émeutes ont eu lieu dans la dernière décen-
nie, au cours desquelles des dizaines d'ouvriers ont trouvé la mort des mains des soldats à la solde de la
famille Mac Mannàn. Une violente haine couve dans le cœur de nombre d'ouvriers et certains réfléchis-
sent à un plan pour attirer Draydn dans un guet-apens mortel.
-Gwidre-
et battus par de féroces rafales de vent. Seul un fou se ris-
Les Montagnes querait alors à voyager dans les montagnes.
La précarité installée par les conditions de vie difficiles n'a
L
a moitié orientale de Gwidre est entièrement recou- fait que renforcer la solidarité et l'abnégation des habitants,
verte par la chaîne géante des Mòr Roimh, dont le qui trouvent un grand réconfort dans les cérémonies hebdo-
plus haut pic est l'Ordachaï. Peu de Gwidrites y madaires célébrées par les représentants du Temple. La foi
demeurent, même si, en comparaison de Taol-Kaer et Reizh, des montagnards, constamment mise à l'épreuve, est encore
ils sont beaucoup plus nombreux à avoir choisi de vivre plus profondément enracinée dans les cœurs et les âmes que
dans des conditions éprouvantes. Les villages se tiennent celle des Gwidrites occidentaux. Au prix d'un dur et
dans des vallées de moyenne altitude, mais il n'est pas rare constant labeur, les habitants ont su faire de leurs petites
de trouver des chapelles et des oratoires du Temple au som- agglomérations des havres de paix et de sécurité au sein
met des montagnes. Des ermites et quelques prêtres prônant d'une nature hostile.
un ascétisme dur résident dans ces lieux de foi perdus au Gwidre a installé des angardes le long du fleuve Krezhdour,
milieu de nulle part. Et il n'est malheureusement pas rare ainsi que sur les routes qui traversent les montagnes et
également qu'ils soient détruits par les raids feondas. mènent en Taol-Kaer et Reizh. Les soldats y servent trois
Certains Gwidrites ont découvert d'anciennes cités creusées années de suite avant de laisser la place à leurs cadets. Tous
dans les parois rocheuses, laissées à l'abandon, et ont décidé les hommes en âge de tenir une arme - à savoir dès seize ans -
de s'y installer. Restaurées, ces cités de pierre accueillent sont tenus de remplir leur devoir d'ost. Tirés au sort,
jusqu'à trois mille individus, leur fournissant des les soldats désignés pour
commodités pour s'approvisionner en eau et parer protéger
aux attaques des feondas. Il existe paraît-il une
demi-douzaine de ces cités troglodytes, mais je n'en
ai vu pour ma part qu'une seule.
L'hiver, les passes et les sen-
tiers sont obstrués par une
neige épaisse
74
L'abbaye de Corvus les frontières en altitude disposent d'un mois de liberté avant
de gagner l'un des nombreux avant-postes, dans lesquels ils
-Gwidre-
La Capitale
S
i les autres royaumes peuvent se vanter de disposer de leur devoir spirituel avant d'aller se coucher.
de plusieurs grandes cités, ce n'est pas le cas de C'est aussi le cas des aubergistes qui accueillent les étran-
Gwidre. Tout le pouvoir est condensé en un unique gers. Les bourgeois et les notables, ainsi que les membres du
point, sa capitale, Ard-Amrach. Peuplée par près de cin- Temple peuvent accéder à la Noble Marche par des escaliers
quante mille habitants, Ard-Amrach est une cité imposante ou des rampes à la forte inclinaison. Situés près de cin-
qui peut être vue à plusieurs jours de marche. Bâties en alba- quante mètres au-dessus des faubourgs, les beaux quartiers
nite, trois imposantes enceintes protègent les habitants. d'Ard-Amrach offrent à la vue de larges avenues rectilignes,
Elles s'élèvent respectivement à huit, douze et plus de vingt des bâtisses sobres, mais élégantes, de petits parcs et des
mètres de haut. Les enceintes furent ainsi construites afin kiosques appuyés sur de massifs piliers hexagonaux. Pour
que si l'une d'elles était prise, les défenseurs de la suivante profiter de ces lieux pittoresques et étonnants pour un peu-
puissent aisément tirer des projectiles sur les assaillants en ple peu porté sur la décoration, il est nécessaire de posséder
contrebas. Mais, à l'exception de la terrible attaque de 725, les autorisations nécessaires. La milice refoule impitoyable-
la première enceinte - et à plus forte raison les deux autres - ment tous ceux qui ne sont pas en possession des documents
ne fut jamais prise. Les feondas ne se sont d'ailleurs jamais prouvant leur légitimité à accéder à la Noble Marche.
risqués à proximité de la ville depuis cette attaque, comme Au-delà, une centaine de mètres plus haut, le Temple occupe
s'ils étaient repoussés par un charme mystérieux... Les trois la Sainte Marche avec un vaste complexe architectural sobre
enceintes concentriques défendent Ard-Amrach au sud, au et massif qui rayonne à partir de la Prime Cathèdre, une
nord ainsi qu'à l'ouest, tandis qu'à l'est les ports militaires et gigantesque église bâtie en 747.
fluviaux sont protégés par de lourdes chaines fixées à de En son sein officient le Hiérophante Anthénor, conseiller
massives tours fortifiées intégrées aux murailles. De petites personnel du roi, et les nombreux prêtres sous son autorité.
portes sont percées dans les murs orientaux pour faciliter le Chaque jour, des centaines de pèlerins - encadrés par la
transport des marchandises depuis les quais. milice royale - se rendent à la Prime Cathèdre pour prier,
Une série de trois grandes portes à double battant perce les ainsi que dans les multiples chapelles attenantes. Un colos-
murailles occidentales et constitue l'unique voie d'accès ter- sal dispensaire, situé sur la partie sud de la Sainte Marche,
restre à Ard-Amrach. Une large allée pavée de piérazule accueille les malades les plus graves, ainsi que des infirmes
permet d'accéder aux faubourgs, sous la surveillance sévère ou des handicapés lourds. Des guérisons miraculeuses y
de la milice royale qui veille depuis le couvert des archières sont opérées, mais le Temple doit chaque jour refuser de
et le chemin de ronde. Sous le nom de faubourgs se cachent nouveaux patients. Un calme profond règne sur toute la
les quartiers commerçants et populaires de la capitale. Ils se Sainte Marche, créant une atmosphère presque surnaturelle
tiennent au pied de la gigantesque colline qui supporte la qui exalte dans les cœurs la ferveur et le mysticisme néces- 75
Noble Marche (les beaux quartiers d'Ard-Amrach), la Sainte saires aux actes de foi. Dominant le complexe spirituel, les
Marche (réservée aux représentants du Temple), ainsi que jardins royaux forment une foisonnante tapisserie mono-
les jardins privés du roi. À son sommet se tient l'Iradion, le chrome, vision terrestre du paradis de glace promis aux
splendide palais royal qui dresse fièrement son haut donjon hommes lorsque leur esprit aura gagné le monde spirituel.
d'albanite vers le ciel. Le visiteur qui pénètre dans Ard- Une centaine de jardiniers paysagistes y travaillent toute
Amrach découvre ainsi une ville bruyante, agitée par les l'année pour en faire l'une des merveilles visuelles de notre
allées et venues incessantes des pèlerins, marchands, porte- péninsule. Ce lieu est unique dans le royaume qui, par ail-
faix, miliciens et représentants de l'administration et du leurs, se distingue par l'austérité des ses aménagements. On
Temple. Les trois quarts des habitants de la cité résident y trouve des plantes venues du Continent, d'après ce que l'on
dans les faubourgs. Ils travaillent du lever au coucher du en dit, et des quatre coins de la péninsule, toutes dans des
soleil, moment auquel ils cessent toute activité pour se teintes blanches et lumineuses.
consacrer pendant une heure à la prière, que ce soit sur leur De la moindre composition florale aux complexes laby-
lieu de travail, chez eux ou dans une des nombreuses cha- rinthes symboliques, tout est fait pour inviter l'esprit à la
pelles bâties à cet usage. réflexion et à l'émerveillement, et l'âme au délassement.
Les étrangers sont invités à ne pas faire de bruit pendant
toute la durée de la prière. En règle générale, ils en profitent
pour se restaurer dans le calme des auberges
et tavernes qui restent spécialement
ouvertes pour eux. Les contrevenants
sont avertis verbalement une première
fois et en cas de trouble réitéré à l'ordre
public pendant l'heure sainte, priés de
venir passer la nuit au poste de garde le
plus proche ; pour ceux qui n'auraient
toujours pas compris la leçon, les
geôles ne manquent pas dans la capi-
tale… Seuls les miliciens et les mem-
bres des gardes privées ne prient pas
pendant l'heure sainte, pour des raisons
de sécurité évidentes ; ils s'acquittent
-Gwidre-
Des belvédères soudain révélés au-delà d'une arche végétale offrent d'étonnants points de vue sur le fleuve, la cité, ou les
plaines d'Abondance et leur fin maillage de canaux argentés.
Trônant majestueusement au sommet de la colline, le palais royal est défendu par une enceinte circulaire de trois mètres de
haut patrouillée sans relâche par les membres les plus vigilants de la garde royale, ainsi que des Lames du Temple. La Tour
carrée, ou Tour de l'ordre, qui s'élance au-dessus de la partie centrale du palais, abrite les appartements royaux, qui restent
d'une étonnante sobriété en comparaison de ceux des rois de Taol-Kaer et de Reizh. Massive construction de pierre fortifiée,
la tour mesure près de trente mètres de haut, et son sommet se tient à plus de trois cents mètres du niveau du Pezhdour.
Tel un géant minéral assoupi, sa forme imposante n'est percée que de quelques fenêtres hautes et étroites, qui évo-
quent des yeux mi-clos perdus dans un songe apaisant.
Les audiences privées se tiennent dans l'aile sud du palais, tandis qu'une fois par mois le tout-venant vient
exposer ses doléances dans le Hall des écoutes, longue salle rectangulaire aux étonnantes propriétés
acoustiques, flanquée sur ses côtés d'une dizaine d'alcôves abritant les bustes des précédents
monarques ayant régné depuis l'installation du Temple. Occupant une grande partie du bâti-
ment central, le Hall est une construction qui remonte aux temps anciens et qui a été inté-
grée au palais actuel par les architectes royaux en vertu de son remarquable état de
conservation. On y accède par la cour royale, qui est flanquée sur son côté gauche
des écuries royales, une longue bâtisse en T construite en bois imputrescible,
abritant les quarante chevaux de Sa Majesté ; les magnifiques équidés por-
tent uniquement le roi et ses proches, ainsi que les courriers qu'il dépêche
aux quatre coins de Gwidre.
L'aile nord accueille les réunions du roi et de ses conseillers, ainsi que les
salles de banquet, les cuisines et la Bibliothèque des lois, dont les rayons
croulent sous des monceaux de codex et de volumes traitant des diverses
formes du droit. La grande bibliothèque occupe à l'ouest un bâtiment hémi-
sphérique, relié au palais par une galerie couverte surélevée d'où l'on peut
admirer le lit scintillant du Pezdhour : on y trouve les chroniques officielles
du royaume, les livres de comptes, les comptes-rendus des réunions, mais
aussi des textes moins formels comme des traités scientifiques ou histo-
riques. Les textes religieux sont conservés par le Temple dans la
Hiérarchothèque, attenante à la Prime Cathèdre.
76
Les dessous d'Ard-Amrach
Rapport confidentiel adressé à son éminence le seigneur Rokr'an Firdh.
L 'on serait tenté de croire que la gent criminelle n'est pas en mesure d'exercer ses douteuses
activités dans une cité comme Ard-Amrach. Mais un tel jugement se fonderait sur les évi-
dences d'une façade rassurante maintenue par le pouvoir en place. Jamais le roi, ses conseillers, ou les hauts
dignitaires du Temple n'avoueraient que des actes délictueux sont chaque jour commis dans les faubourgs et de
manière exceptionnelle dans les quartiers supérieurs. Telle est pourtant la réalité qui se cache derrière le miroitement
des murailles immaculées de la capitale de Gwidre.
Si les Gwidrites sont pour la plupart respectueux des lois - et plus exactement pour une partie d'entre eux conscients de la
sévérité de la justice - une certaine frange de la population, certes minoritaire, entend mener ses affaires comme elle l'en-
tend. Cette minorité se compose pour une partie d'opposants au Temple, pour une autre partie de criminels convaincus.
Les premiers tentent par tous les moyens de mettre des bâtons dans les roues du pouvoir afin de restaurer les anciennes
traditions. Ils disposent d'un réseau d'influence conséquent dont les figures les plus importantes sont des proches mêmes
du roi. Des espions de Taol-Kaer et de Reizh les ont infiltrés et leur fournissent de l'aide, tout en bénéficiant de leurs infor-
mations. Le roi est au courant de l'existence de ces " contestataires ", mais il semble ignorer qu'ils disposent d'appuis dans
les plus hautes sphères du pouvoir.
L'exercice de la criminalité proprement dite a été mis en coupe réglée par deux organisations. La première, constituée his-
toriquement peu après la fondation d'Ard-Amrach, a su maintenir son autorité tout au long des siècles en veillant à l'obéis-
sance de ses membres par l'application immédiate de sentences expéditives. Surnommée le Poing d'Each', cette guilde de
malfaiteurs s'est fait une spécialité du détroussement des étrangers, de l'extorsion de fonds, du cambriolage et de la pro-
duction de faux documents officiels.
Récemment, une nouvelle organisation s'est formée et remplit ses caisses en empiétant sur les activités du Poing
d'Each'. Parfaitement disciplinés, ses membres s'arrangent toujours pour disparaître sans laisser de trace ou faire
tomber les sbires du Poing dans des embuscades. La rumeur prétend qu'une femme d'une grande beauté, au
teint d'une pâleur extrême, se déplace de nuit dans les faubourgs et que le toucher de ses doigts glacials fige
à jamais les battements du cœur de ses malheureuses victimes. Surnommée Brume, il semblerait que ce
soit elle qui dirige l'organisation criminelle rivale du Poing d'Each'…
-Gwidre-
Système judiciaire et Tribunaux religieux
L e système judiciaire en Gwidre est basé sur les écrits de Soustraine, et ce depuis que la religion du Temple
est devenue le culte officiel dans ce royaume. Chaque personne apte à rendre la justice doit se référer aux
textes saints pour émettre son jugement, à la seule exception du roi qui a gardé une souveraineté totale en la
matière. Les Tribunaux religieux sont des instances spécifiques au Temple et ne règlent que les affaires internes au
culte. Essentiellement, ils jugent les membres de l'église qui s'écartent du chemin édicté par Soustraine, en enfrei-
gnant notamment les Ordonnances.
Dans les affaires religieuses impliquant des gens du peuple, comme les
hérésies ou les violences faites à des ecclésiastiques, il est possible,
avec l'accord des autorités royales, que les suspects soient présentés
devant un tribunal religieux.
Un pouvoir centralisé
L
e roi actuel, Dalenverch IV, est un homme relativement
jeune, qui du haut de ses trente printemps, gouverne Gwidre
d'une main de fer dans un gant de velours. Son visage
arbore parfois des traits d'une bonhomie trompeuse - vous pouvez
me croire mademoiselle - sous des cheveux poivre et sel coupés
court (compromis entre l'ancienne mode clanique et l'austérité des
crânes rasés des prêtres). Plus encore que ses prédécesseurs, il
concentre entre ses mains un pouvoir presque total, dont
seuls bénéficient ceux qui parviennent à entrer dans
ses bonnes grâces. Le Hiérophante Anthénor,
grand chancelier, chef suprême du Temple dans
la péninsule, et conseiller spécial de Dalenverch 77
serait, d'après la rumeur, le seul à disposer d'une
quelconque influence sur le roi. Dernier repré-
sentant en date d'une longue lignée de guides spi-
rituels, Anthénor doit savoir que le roi actuel, pour
favorable qu'il soit aux intérêts de sa religion, est beau-
coup moins facile à manœuvrer que les précédents
monarques. Il tenterait donc par tous les moyens de faire avan-
cer sa cause, n'hésitant pas à distribuer daols sonnants et trébu-
chants ou présents luxueux à ceux dont il requiert les services.
Certains prétendent qu'il puiserait à sa guise dans l'abondant tré-
sor amassé par le Temple au fil des siècles… Les nombreux sei-
gneurs d'Abondance ruminent souvent contre le roi, qui les
prive selon eux de leurs prérogatives naturelles. La gestion des
ressources mises à leur disposition par la Couronne est scru-
puleusement contrôlée et il n'est pas rare qu'Ard-Amrach
s'immisce dans leurs comptes privés. Les crimes qui dépas-
sent la juridiction seigneuriale locale - ce dont Dalenverch peut
décider à loisir - sont jugés à la capitale. La Couronne récupère ainsi
des sommes ou des biens conséquents en rendant elle-même la justice
dans des affaires d'expropriation ou d'héritage. Quand aux crimes reli-
gieux, ils tombent sous la juridiction exclusive du Temple. Les quelques
seigneurs des montagnes ne ressentent que dans une certaine mesure l'in-
fluence d'Ard-Amrach sur leurs affaires, malgré le zèle que les émissaires
royaux mettent à s'acquitter de leur mission. Les vaux escarpés, proches des
frontières talkérides et reizhites, sont très difficiles d'accès et les protègent
efficacement de l'influence royale. L'autorité de Dalenverch n'y est qu'un
lointain fantôme tout juste bon à effrayer les enfants.
-Gwidre-
La Cabale de Diinthër
78
Voilà mademoiselle,
la leçon est terminée. J'espère que ce que je vous ai appris aujourd'hui
vous incitera à considérer Gwidre d'un œil nouveau. Et maintenant
si vous le voulez bien, je vais me retirer dans mes appartements.
Je vous souhaite une belle journée.
À demain.
-Gwidre-
Chapitre 1
Reizh
on très cher oncle,
Echos du passé 79
D écouragé par mes échecs successifs pour engager la conversation, je m'assis sur la margelle d'un puits, à l'ombre d'un
grand pin. J'avais soif et je voulus tirer de l'eau à l'aide d'un seau accroché à une corde. Mais une main ferme se posa
sur mon avant-bras pour me dissuader de poursuivre. Levant les yeux, je découvris un homme âgé d'une bonne tren-
taine d'années, le visage mangé par une barbe épaisse. Sous ses sourcils broussailleux, ses iris anthracite brillaient d'un éclat
déterminé. De nombreuses rides creusaient son front et ses joues traversés de balafres. Ses bras laissés nus étaient couverts de
cicatrices. Sans aucun doute un vétéran de l'armée reizhite.
L'homme me servit un grand bol d'eau et se mit à me parler, d'une voix où perçaient les accents de la lassitude et parfois de
la colère. Il se nommait Deomaith et avait pris part à de nombreuses batailles. Il déplorait les fréquentes incursions des che-
valiers hilderins dans cette région frontalière et les baptisait dédaigneusement hildeux, tout en reconnaissant leur valeur
martiale et leur farouche détermination. Il m'expliqua que les gens du sud ne parvenaient pas à se défendre efficacement,
car le roi Bronchaerd, embourbé jusqu'au cou dans des luttes de pouvoir internes contre les grands seigneurs du royaume,
n'envoyait plus de soldats patrouiller à la frontière.
Pour Deomaith, Bronchaerd n'était qu'un fantoche incapable de diriger correctement le royaume, contrairement à son
père, mort depuis dix ans déjà. Les soldats de Reizh, privés d'une autorité centrale, étaient devenus des mercenaires
qui se vendaient au plus offrant, n'hésitant pas à trahir le seigneur qu'ils avaient juré de servir contre une bonne poi-
gnée de daols de givre, ou encore des courtisans, qui cherchaient avant tout à plaire à leur maître plutôt qu'à lutter
pour leurs terres. De ce fait, la plupart des routes étaient peu sûres : malandrins, accidents et feondas n'épargnaient
pas grand monde.
Et la situation était encore pire, me confia-t-il, dans la région prospère du Croissant d'Émeraude, située plus au
nord le long de la côte orientale de Reizh. Les troupes inoccupées des seigneurs de la région s'y livraient au
brigandage, voire au pillage et au viol, en mettant la plupart de leurs exactions sur le dos de ban-
dits ou de quelque horde de feondas. En vérité, le climat d'incertitude était volontairement ins-
tauré par certains seigneurs désireux de déstabiliser Bronchaerd. Ils laissaient leurs hommes
martyriser habitants et voyageurs afin de créer l'exaspération au sein du peuple. Et si
Bronchaerd continuait à se montrer aussi mou dans ses interventions, nul doute que des
révoltes ponctuelles éclateraient, puis une révolution, soutenue par la bourse des sei-
gneurs rebelles et les paroles mielleuses des magientistes. Un nouveau régime se
mettrait en place et les idées pernicieuses venues du Continent triompheraient
ainsi que ceux qui avaient contribué à les propager. C'était, d'après Deomaith,
80 le scénario le plus probable si le roi ne se montrait pas plus autoritaire.
De curieuses idées
-Reizh-
Kalvernach
N
ous passâmes la nuit dans la Maison d'Hospitalité, une courte bâtisse qui, comme le veut cette coutume reizhite, est
destinée à abriter les rares voyageurs de passage sans qu'il leur en coûte rien. Elle n'offrait aucun confort et nous
dormîmes à même la terre dure, près d'un âtre frileux qui s'éteignit au moment où les premières étoiles s'allumaient
dans les cieux. Tôt le lendemain, nous quittâmes le village par la porte nord. Une petite route cahoteuse serpentait tant bien
que mal à travers les reliefs accidentés, semés d'une forêt ancestrale. Mal entretenue, car peu fréquentée et éloignée des cen-
tres du pouvoir, ses bords plongeaient dangereusement dans les combes obscures et les ravins aux pentes escarpées.
Notre voyage dura sept jours qui me parurent une éternité. Nous ne croisâmes au cours de celui-ci qu'un groupe de voyageurs,
qui nous salua brièvement avant de reprendre son chemin vers le sud. Enfin, après toute une série de désagréments mineurs,
nous parvînmes en vue de la Cité aux Cent Terrasses.
81
Les derniers rayons du soleil jetaient leur lumière paisible fleuri qui s'avéra être une vaste auberge, haute de plafond, et
sur Kalvernach lorsque je la découvris. La ville s'étendait du parfaitement éclairée par deux sphères translucides d'où
pied des collines de Femfrath, parsemées d'arbres aux émanait une douce lueur. L'œuvre de magientistes, assuré-
essences incroyablement variées, jusqu'au plateau rocail- ment.
leux du Tulach. Des frondaisons majestueuses des arbres La grande salle était à moitié pleine : des étudiants fêtaient
jusqu'aux façades gris-bleu de la ville troglodyte, leurs diplômes de fin d'année avec de la bière et des galettes
Kalvernach n'était qu'une symphonie de couleurs. Les ter- au miel tandis qu'un groupe de travailleurs, sans doute des
rasses, qui s'élevaient progressivement jusqu'aux habitations cultivateurs, jouaient aux dés. Un individu encapuchonné,
creusées dans le socle du plateau du Tulach, brillaient des drapé dans une houppelande brun-vert en bon drap d'Osta-
feux verts et bleus de leurs nébulaires, ces curieuses struc- Baille était assis seul à une table. Je préférais profiter du
tures pourvoyeuses de lumière conçues par les magientistes. spectacle offert par une troupe de bateleurs en tenues bario-
Les eaux canalisées de la rivière Seleane dessinaient des lées plutôt que de me soucier du solitaire. Je poussais un
courbes scintillantes le long des jardins fleuris et des mai- long soupir de soulagement en m'asseyant à une table ronde
sons aux murs bleus ou verts. placée juste devant les artistes.
Après avoir franchi la muraille par une porte basse et voû- Ils étaient quatre. Un vieux filidh, poète aux dons de divina-
tée gardée par une dizaine de soldats, Deomaith me guida le tion, assis sur un tabouret à trois pieds, les yeux aveugles
long des rampes droites et des escaliers aux larges marches regardant dans le vide, attendait le moment où il entonnerait
qui gravissaient les terrasses. L'ascension fut rude en raison le gwerz. Deux hommes d'âge mûr, les yeux brillants de
de la forte inclinaison des pentes, mais nous prîmes notre joie, tissaient de leurs doigts habiles une allègre mélodie sur
temps afin de ménager nos jambes et notre souffle. les cordes d'une lyre et sur le long corps d'ivoire d'une flûte
Deomaith me mena jusqu'à un imposant bâtiment au toit à bec. Juste derrière eux se tenait une jeune femme aux
-Reizh-
82
longs cheveux fauves qui, de sa bouche délicate, déclamait Je payai notre repas et pris une chambre à l'écart, afin de me
des vers anciens contant l'histoire d'un prince envoûté par la reposer convenablement. Je fis un étrange cauchemar cette
nuit et les étoiles. Ses iris d'un vert étincelant, son nez aqui- nuit-là, avant de me réveiller en sursaut, le front baigné
lin et ses hautes pommettes saillantes trahissaient son appar- d'une sueur glacée. Au pied de ma couche douillette m'atten-
tenance au peuple tarish qui avait abordé Tri-Kazel, plus de dait une belle tunique brodée ainsi qu'une cape de laine
mille ans auparavant, pour se mélanger à nos ancêtres. Je fus bleu-nuit. Je m'habillai et me rendis dans la grande salle.
aussitôt envoûté par sa beauté et je passais la soirée comme Deomaith était attablé dans un coin avec l'individu au visage
dans un rêve, rythmé par sa voix tantôt suave, tantôt triste et dissimulé que j'avais aperçu la veille. Il s'agissait d'une
fragile. Les trilles aigus de la flûte se mêlaient aux femme d'une trentaine d'années, aux cheveux blonds soyeux
ondoyantes sonorités de la lyre, dispensant leurs charmes dont les tresses étaient coiffées en un chignon compliqué.
apaisants à mon esprit et mon corps. Ses yeux sombres dardaient sur moi leur éclat mystérieux et
je me mis soudain à frissonner, comme si je venais de pas-
Je m'étais presque assoupi lorsque la voix profonde et grave ser sous une chute d'eau glacée.
du filidh me sortit de ma torpeur. Libérée de la présence des
harmonies musicales, elle s'élevait, solennelle, telle une pro- Deomaith me fit signe de m'asseoir à son côté, face à son
phétie sur le point de s'accomplir. Le gwerz avait pour sujet interlocutrice. Il me la présenta comme étant une amie. Elle
ce soir-là les hauts faits de Culowd Mac Namuidh, qui défit s'appelait Ealaidha et, si je n'y voyais pas d'inconvénient,
cent hommes à l'aide de sa seule astuce et conquit l'inviola- elle nous accompagnerait jusqu'à Baldh-Ruoch, où elle était
ble citadelle de Kermordhran en une nuit, déguisé en mar- attendue. Je donnai mon assentiment, non sans une certaine
chand. Alors que les dernières notes de la complainte s'étei- méfiance à l'égard de la nouvelle venue.
gnaient, je sentis le regard laiteux du filidh se poser sur mon
front. Il me sembla que des mots résonnaient sous mon
crâne, mais ce n'était sans doute rien d'autre qu'un tour joué
par mon esprit fatigué.
-Reizh-
sement des premiers nébulaires. Je l'avais manqué la veille
La cité troglodyte et je n'aurais malheureusement pas le loisir de le contempler
ce soir. Il me fallait quitter Kalvernach dès aujourd'hui si je
A
vant de partir pour la capitale, j'insistai pour visiter voulais parvenir dans les temps à la capitale pour obtenir
la ville troglodyte. Il ne restait que peu d'habita- enfin cette lettre de change que Jerryl avait promis de me
tions primitives encore complètes, car la plupart remettre depuis plusieurs mois.
étaient devenues l'entrée d'un des nombreux tunnels qui
conduisaient au vaste réseau minier creusé sous le plateau
du Tulach. On y trouvait du sel gemme et de l'argent en
abondance, qui assuraient depuis plusieurs siècles la La magience
richesse de Kalvernach. Nombre des tunnels avaient cepen- et les habitants
dant été bouchés récemment, en réaction à un raid feond
particulièrement meurtrier. Six mois auparavant, ces der- du Reizh
niers avaient jailli des cavernes et s'étaient répandus dans la Extrait de " Peuples, populations et périples "
cité en pleine journée. Des dizaines d'habitants avaient d'Aeldred Firdh
trouvé la mort avant que la milice du seigneur Kellemnir, ontrairement à ce que l'on affirme souvent, les
aidée par les daedemorthys et leurs armes étranges, ne par-
vienne à les repousser.
Ce grave incident avait marqué les esprits et de nombreux
gardes étaient affectés de jour comme de nuit à la surveil-
C reizhites ne sont pas tous férus de la science des
magientistes, ni obsédés par l'acquisition de
quelque merveilleuse machine. Reizh n'est pas dépourvu
de contrastes, et les communautés qui vivent comme
lance des tunnels restés ouverts. celles des autres royaumes sont encore les plus nom-
La plupart des demeures troglodytes intactes abritaient des breuses. Si l'on excepte les bienfaits de l'eau courante et de
magientistes. Ces derniers, heureux d'avoir enfin toute la l'éclairage public par les nébulaires, il y a en réalité relati-
place nécessaire pour leurs expérimentations, n'avaient pas vement peu de miracles magientistes dont les reizhites
hésité à investir ces nids venteux, les rachetant à la puissante peuvent constater la présence au quotidien. Ils ne pénè-
guilde de l'Halite qui exerçait d'une main de fer son mono- trent pas tous dans les ateliers des tisserands, par exemple,
pole sur le commerce du sel. même s'ils achètent leurs produits. La science magientiste
Des sons et des lumières étranges provenaient d'entre les se répand indéniablement de plus en plus, mais elle est
volets clos ou de derrière les portes de leurs habitations. encore loin d'être omniprésente. On peut trouver des appa-
J'aurais bien aimé me glisser à l'intérieur pour pouvoir reils magientistes et des cartouches du fameux Flux plus
observer leurs travaux, mais un profane comme moi n'avait aisément en Reizh qu'ailleurs, mais n'en déplaise à certains
aucune chance d'y être autorisé. Les daedemorthys entrete- demorthèn hystériques, les reizhites ne se promènent pas
naient un savant mystère autour de leurs activités et ils écon- tous avec un nébulaire à la main. La majorité s'éclaire
83
duisaient les curieux avec une science consommée. Je encore avec une chandelle, comme en Gwidre ou en Taol-
renonçai à ce vain projet pour poursuivre ma visite des Kaer. Les reizhites qui en ont les moyens s'intéressent aux
lieux. artefacts magientistes qui leur semblent utiles, mais en
Je m'aperçus bientôt que la paroi rocheuse dans laquelle dehors de quelques excentriques, ils ne passent pas leur
étaient sculptées les façades des demeures troglodytes lui- temps à collectionner des objets bizarres, ou à faire sauter
sait d'une lueur bleutée. Deomaith m'expliqua que cette par- le toit de leur maison en allumant des appareils étranges.
ticularité n'était visible qu'après le moment où le soleil Au contraire, il y a même des gens dont les discours hos-
amorçait sa descente vers l'horizon. Peu avant la nuit, la tiles à la magience ne diffèrent guère de ceux que j'ai pu
falaise tout entière paraissait couverte d'un givre scintillant. entendre dans les Terres de Dèas.
Mais ce spectacle était éphémère et s'estompait dès l'embra-
Baldh-Ruoch
N
ous voyageâmes pendant huit jours avant d'atteindre la capitale du plus petit des trois royaumes par la Route Royale,
seule voie de communication à peu près sûre de la région ; large et pavée, elle conduisait jusqu'à l'extrême nord du
Croissant d'Émeraude. Nous croisâmes toutes sortes de gens, marchands, soldats, paysans, voyageurs, artisans,
nobles et même un groupe de prêtres du Temple, avançant sans mot dire, le visage dépourvu de toute trace d'émotion. Le relief
se composait majoritairement de collines boisées plus ou moins clairsemées, au milieu desquelles la route serpentait pares-
seusement. Nous passâmes nos nuits dans des relais confortables, déboursant quelques daols d'azur pour nous assurer un som-
meil réparateur. En cette fin d'automne, il faisait encore bon, mais quelques pointes de froid étaient sensibles avant le crépus-
cule, tandis que nous progressions toujours plus vers le nord. Le soir du septième jour, j'aperçus les lumières de Baldh-Ruoch,
qui semblaient suspendues sur la toile obscure de l'horizon. Les magientistes avaient installé leurs nébulaires depuis la pre-
mière des Portes du Grand-Esprit jusqu'au sommet du palais de Bronchaerd, coiffant quelques mille mètres plus haut le Roc
du Levant. Le spectacle était aussi improbable que magnifique et je demeurai longtemps immobile, plongé dans une extase
presque mystique, m'interrogeant sur les forces qui avaient façonné Esteren.
Il nous fallut encore une journée et demie de marche pour
atteindre la cité royale. Nous franchîmes les eaux tumul-
Note de Wylard tueuses du fleuve Donir par le gigantesque pont de Brian'ch,
D'après l'étymologie populaire, Baldh-Ruoch signifie- dont les piles massives soutenaient le tablier long de plus de
rait " roc chanté ", mais certains érudits penchaient trois cents mètres. Cet ouvrage, m'expliqua Deomaith, était le
pour d'autres interprétations, comme " roc élevé " ou " fruit de la collaboration des architectes reizhites et des
montagne dressée ". Je n'avais pas d'opinion particu- magientistes, et n'existait que depuis un siècle. Autrefois, il
lière sur le sujet, mais j'avais noté avec intérêt que les fallait faire un long détour par l'ouest pour pouvoir traverser le
différents avis laissaient deviner une influence exté- fleuve en bac. Même en y étant préparé, la vision de Baldh-
rieure à celle de la nature dans l'existence du site Ruoch offrait à l'esprit une telle source d'émerveillement qu'il
exceptionnel sur lequel se tenait la capitale de me fût impossible d'en détacher les yeux avant un long
Reizh. Les demorthèn en savaient sans doute moment. Deux gigantesques blocs rocheux s'élevaient l'un à
plus long que quiconque là-dessus… côté de l'autre sur près de cinq cents mètres. Semblables à
deux sentinelles titanesques et hiératiques abandonnées là à
l'aube des temps, ils se tenaient devant les mon-
tagnes. Entre eux jaillissaient les eaux puissantes de
84 la rivière Oëss, expulsées violemment d'entre les
flancs du Mont Ar'Jael. Elles cascadaient bruyam-
ment contre les affleurements granitiques en de ver-
tigineuses chutes, qui s'achevaient en une nuée
d'embruns dans un bassin artificiel, avant de
contourner le Roc du Couchant par le nord. Distants
d'une centaine de mètres, les deux rocs étaient
reliés par d'innombrables ponts de pierre. De ces
solides constructions, arrosées en continu par le
bouillonnement des chutes, on ne distinguait que
des silhouettes confuses, noyées dans un brouillard
perpétuel. Leurs tabliers, très glissants, avaient été
protégés par de hauts garde-fous destinés à éviter
les accidents. D'après Deomaith, il n'était pourtant
pas rare qu'un malheureux bascule dans le vide,
certaines organisations en délicatesse avec la jus-
tice utilisant les ponts pour régler leurs comptes.
Bien sûr, les gardes royaux patrouillaient souvent
ces zones, mais ils ne pouvaient pas tout voir…
Le soleil d'or uni aux étoiles d'argent, pour terni
que fût ce symbole de l'autorité royale, était par-
tout : sur les oriflammes et les larges bannières
déployées par la troupe en faction devant l'entrée
de Baldh-Ruoch, sur leurs tabards flambant neufs,
brodé sur les drapeaux qui virevoltaient au sommet
des plus hautes tours du palais de Bronchaerd… De
chaque côté de la large voie pavée qui conduisait au
seuil de la capitale, s'alignaient les statues des
anciens rois de Reizh. Leur air sévère et leur pose
affectée parvenaient malgré tout à donner un air de
solennité au dernier kilomètre qui séparait les voya-
geurs de la cité royale.
-Reizh-
Portes du Grand-Esprit
N
ous mîmes un quart d'heure pour parvenir au pied un patio fleuri au milieu duquel deux couches sommaires
d'un imposant dispositif à double battant, encastré avaient été installées. Il y faisait étonnamment bon et je dor-
dans la haute muraille qui s'étendait entre les bases mis d'un sommeil profond, bercé par la musique lointaine
des deux rocs. C'était le premier d'une série de trois et d'une harpe.
Deomaith m'expliqua que les reizhites les surnommaient Le lendemain, je fus réveillé par le chant d'un oiseau à l'au-
Portes du Grand-Esprit en référence à une ancienne légende rore. Une lumière artificielle imitant le soleil levant s'éten-
aujourd'hui oubliée. Une vingtaine de soldats aux visages dait en un doux frémissement rosâtre sur le haut des murs de
inexpressifs en protégeaient l'accès. Nous dûmes patienter la cour. Ealaidha ayant disparu, je vins trouver Deomaith
durant près d'une demi-heure, le temps que les hommes pour l'informer de mon intention de me rendre à la Maison
d'armes s'occupent de la foule d'individus qui nous précé- des Monnaies pour y rencontrer un nobliau talkéride. Il
dait. accepta de m'y conduire, tout en me prévenant que son der-
De nous trois, je fus le seul à être soumis à une fouille en nier séjour à la capitale était vieux de dix ans.
règle. Mon poignard de botte me fut confisqué pour la durée
de mon séjour en ville. Je m'acquittai de la taxe dite " d'en- De nombreux nébulaires continuaient de dispenser leur éclat
tretien de la cité ", deux daols de braise tout de même, avant aux zones plongées dans l'ombre du Roc du Levant.
de progresser entre les masses formidables des deux rocs. Progressant autour de l'énorme piton rocheux, nous sortîmes
Tout en avançant dans leurs ombres épaisses, je craignais d'une rue faiblement éclairée par la science des magientistes
d'être écrasé par un bloc détaché des hauteurs. Deomaith me pour nous retrouver l'instant d'après éblouis par les feux
rassura en me disant que je ne courais aucun risque. Il étincelants du soleil. La transition brutale entre les deux
balaya d'un geste le vaste espace dans lequel nous nous trou- sources de lumière me causa un malaise indéfinissable ;
vions : ni rocher ni pierre n'étaient visibles sur le pavage de quelque chose ne tournait pas rond, mais je n'arrivais pas à
dalles peintes en bleu, qui par endroits composait des motifs mettre le doigt dessus.
aquatiques.
Après avoir franchi, sous la surveillance rigoureuse des
gardes, deux autres portes colossales, nous nous enga-
geâmes sur un escalier aux marches étroites, creusé dans le
roc du Couchant. Nous devions sans cesse nous serrer pour
laisser passer les individus venant en sens inverse. Leurs
vêtements très sobres étaient taillés près du corps, sans
doute pour éviter qu'ils ne s'accrochent ou se salissent aux
85
nombreuses aspérités de la paroi rocheuse. Je remarquai que
les femmes portaient beaucoup d'anneaux de nez, de bou-
cles d'oreilles, de colliers ou de bracelets, cherchant ainsi à
faire oublier l'austérité de leur tenue.
Comme je m'essoufflais assez rapidement, nous fîmes des
haltes répétées aux bancs aménagés dans les renfoncements
pratiqués le long des escaliers. La ville proprement dite était
constituée de plusieurs étages qui s'enroulaient telles des
spires autour de la coquille d'un escargot. Larges d'une cin-
quantaine de mètres, ce n'étaient que ruelles droites délimi-
tant des demeures construites les unes sur les autres, à peine
aérées par endroits par de petites places ou des terrasses. Je
profitai de l'opportunité offerte par un belvédère, situé à
l'extrémité d'un surplomb rocheux, pour me désaltérer d'un
peu d'eau et admirer le paysage vallonné qui s'étendait plu-
sieurs centaines de mètres en contrebas.
La nuit était tombée et, sans la lumière des nébulaires, nous
n'aurions pas pu continuer notre ascension. Parvenus à mi-
hauteur du roc, Ealaidha nous invita à la suivre dans une
longue avenue mal éclairée. Elle nous fit tourner dans un
dédale de venelles avant de frapper le heurtoir d'une porte
défraîchie. Un rai de lumière se dessina rapidement tandis
qu'on nous ouvrait de l'intérieur. Une femme entre deux
âges vêtue d'un tablier et portant une chandelle nous fit
signe de la suivre dès qu'elle eut reconnu le visage
d'Ealaidha.
Deomaith et moi dûmes attendre dans une petite pièce sans
confort, assis à même le sol. La femme au tablier nous ser-
vit une légère collation sans prononcer le moindre mot.
Ealaidha revint au bout d'une heure et nous conduisit dans
-Reizh-
La Maison des Monnaies
A près avoir erré d'étage en étage, en suivant tant bien que mal les indications des habitants
de la capitale, nous gagnâmes une large place circulaire. Une gigantesque mosaïque poly-
chrome reflétait sous nos pieds la lumière du soleil et l'opulence des mécènes qui avaient
versé les fonds pour sa construction. Un grand bâtiment à la façade austère flanquait le côté nord de
la place. De nombreux commis s'entretenaient sur le parvis avec de riches marchands ou des bour-
geois vêtus de pourpoints de soie. Ils parlaient avec entrain, à grand renfort de gestes, devant
des tables montées sur tréteaux où des changeurs au front barré par la concentration véri-
fiaient scrupuleusement la valeur de montagnes de pièces à l'aide de balances, de poids et
de jetons à compter. Assis à leur côté, des premiers commis ratifiaient des transactions
de leur plus belle plume, qui traçait élégamment le contenu de futures lettres de
change. Il ne faisait aucun doute que nous avions trouvé la Maison des
Monnaies. Je traversai le vaste hall du bâtiment dans l'indifférence générale
et me dirigeai aussitôt vers un comptoir libre, derrière lequel un indi-
vidu chauve et efflanqué déchiffrait difficilement les pattes de
mouche d'un document officiel. À quelques pas de moi, un éche-
vin faisait des difficultés à un représentant de la noble institu-
tion, estimant que l'intérêt qu'on lui garantissait pour son
dépôt était vraiment trop faible. Sans me laisser
déconcentrer par cette altercation, je demandai à
voir le chevalier Jerryl Eskayl. Ce dernier était
malheureusement déjà parti en laissant un
mot à mon intention. Je pus lire qu'une
affaire urgente le contraignait à se ren-
dre dans un village montagnard
situé à l'ouest du cirque
d'Argoneskan, non loin de la
frontière qui séparait Reizh
de Gwidre. Pestant contre
86 mon infortune, je déci-
dai de poursuivre
mon chemin vers
le nord.
L
es sous-sols de Tri-kazel sont pauvres en sel gemme et la mer, ainsi
que les Marais du Ponant, constituent les principales sources d'ap-
provisionnement en sel. Le duché de Salann Tir dépend d'ailleurs
beaucoup de cette ressource. Denrée connue depuis l'antiquité, le sel fut
probablement utilisé comme monnaie d'échange bien avant que les Trois
Royaumes instaurent l'usage des daols. S'il a beaucoup perdu de sa valeur,
il génère encore des revenus importants par le biais des taxes, ce qui en fait
également une importante denrée de contrebande. Varigaux et caravaniers
gardent souvent un bloc de sel gemme ou un sachet de sel sur eux, qu'ils
proposent en partage lorsqu'ils sont contraints de passer la nuit en compa-
gnie d'étrangers, ou qu'ils offrent aux villageois en témoignage de considé-
ration, afin d'entretenir de bons rapports.
Le départ
Les insoumis
U n varigal m'entretint longuement de
quelques clans montagnards reizhites,
qui refusaient avec obstination de se
plier au joug du roi Bronchaerd depuis qu'ils
avaient eu connaissance de son faible carac-
tère. Habitués à une vie dure, ils n'éprou-
vaient que mépris pour la complaisance
manifeste avec laquelle le roi se laissait
manœuvrer par les magientistes, qu'ils dési-
gnaient sous le nom d'étrangers. Ils refusaient 87
de répondre aux invitations de la cour et
s'étaient choisis une autorité, sous la forme
d'un conseil formé de deux demorthèn et
d'une femme mystérieuse appelée La
Scatach. Farouches et déterminés, ils avaient
massacré à plusieurs reprises les troupes
envoyées par Bronchaerd pour les faire ren-
trer dans le rang. Depuis, ils menaient leur vie
à l'écart des turbulences du pouvoir, sans pour
autant négliger la surveillance de la frontière
avec Gwidre, leur ennemi juré depuis la terri-
ble guerre du Temple, ni la lutte contre les
feondas, qui pouvaient surgir à tout moment
de la moindre faille… Peut-être que ces gens
en savaient plus sur ces créatures ?
Wylard
M on voyage n'est pas encore terminé ; je repars dès demain matin. Je ne manquerai pas de vous écrire à
nouveau. J'espère, mon oncle, ne pas vous avoir trop ennuyé avec mon long récit. Je vous souhaite une
excellente santé et de bonnes nuits de sommeil.
Maethen de Briscaith
-Reizh-
Chapitre 1
Le Continent
Lettre d'Eolas Lehaban, scribe, à l'attention de
Son Altesse, le seigneur de Farl
S ire,
Comme vous l'avez demandé, je vous prie de trouver ici tous les documents que j'ai pu
conserver au sujet du départ pour le Continent de messire Télan, capitaine de la garde et héros de la ville. Vous
n'êtes pas sans savoir que nous étions amis et qu'il s'adressa ainsi à moi, pour l'aider à rassembler des informa-
tions en vue de préparer son voyage. Par ailleurs, vous aviez demandé que soient versées aux archives de la
ville les différentes pièces concernant son projet.
Vous trouverez quelques annotations de ma main, là où il m'a semblé nécessaire d'apporter des précisions. Cela
fait un an déjà que Télan et sa famille ont quitté Farl. J'avais en vain tenté de le convaincre de ne pas emmener
sa femme et son fils dans cette folie, mais ils n'auraient pu supporter d'être séparés les uns des autres.
Nous n'avons jamais eu la moindre nouvelle de leur part ; notre ville n'est pourtant pas loin des mon-
tagnes qui forment la plus sûre des frontières entre Reizh et le Continent. J'ose encore croire que notre ami
est en bonne santé, et que sa fille, qui était promise à votre fils, est en voie de guérison.
88
C her maître,
Vous connaissez bien la situation actuelle de ma famille, et la crise que nous traversons. Nous
venons de prendre, avec mon mari, la difficile décision de tenter le tout pour le tout afin de soigner notre fille Alyna.
Vous, ainsi que nombre d'autres, avez déployé à son chevet toute l'étendue de votre savoir, hélas sans résultats. Mais
vous tous avez convenu qu'avec la science ou le pouvoir des gens du Continent, une guérison serait possible… C'est
notre dernier espoir pour qu'elle redevienne la jeune femme pleine de vie qu'elle était avant sa rencontre avec les
immondes feondas.
Télan doit rencontrer prochainement des descendants d'immigrés continentaux, et déjà nous avons trouvé un mon-
tagnard qui a accepté de nous faire traverser les monts Asgeamar.
Chaque renseignement que vous pourrez nous apporter sur ces contrées inconnues sera précieux, tout particulière-
ment sur vos confrères magientistes, car c'est bien entendu vers eux que tous nos espoirs se tournent.
J'ai conscience de vous demander beaucoup, à vous qui avez déjà tellement fait pour nous, et de ne rien vous appor-
ter en échange. Mais sans votre aide, le long chemin que nous avons choisi de suivre sera bien plus dur encore.
Vous comprendrez naturellement que cette lettre est aussi l'annonce de ma démission. J'ai pourtant eu grand plaisir
à travailler au sein des cuisines de l'école, et les éloges dont vous m'avez vous-même gratifiées m'ont honorée au
delà de ce que j'aurais cru possible. Je garderai nos longues conversations comme autant de bons souvenirs ancrés
dans ma mémoire.
Je termine cette lettre en espérant qu'à mon retour, j'aurai l'immense joie de retrouver tous ceux que je laisse
aujourd'hui avec tant de tristesse dans le cœur, pour forcer le destin à me rendre mon enfant.
C apitaine,
Votre message a trouvé en notre petit village une réponse favorable ; vous
et votre escorte serez mes hôtes pour une huitaine, afin de vous préparer
pour la suite de votre voyage.
Dirich le Gris est notre meilleur guide, il a accepté votre offre généreuse
et vous conduira vous, votre épouse ainsi que vos deux enfants, du Pic de
l'Aigle jusqu'au col Gaos-Bodhar, à l'extrême limite du royaume. Il vous
indiquera ensuite de ce point panoramique la meilleure route à suivre pour
gagner les premières plaines du Continent, et vous proposera, comme il
est de coutume, de vous en retourner avec lui. Cette première partie de
votre périple durera près de quatre semaines, et il vous faudra encore six
semaines de plus pour atteindre la base des montagnes, et la grande plaine
inondée du Simahir.
C hère amie,
-Le Continent-
comestibles ; des barges volantes qui traversent le pays de cité-usine en cité-
usine pour acheminer les matières premières, et de monstrueux engins capa-
bles de créer ou d'avaler presque n'importe quel relief. Mais les plus beaux
miracles de la science ne sont pas d'immenses machines. Les gens vers les-
quels je vous envoie sont passés maîtres dans l'art d'utiliser les mékônes,
ces petits serpents à l'aspect métallique qui courent sous la peau des magien-
tistes, notamment pour pallier aux faiblesses humaines. Et je caresse l'espoir
que les troubles qui affectent la belle Alyna seront vite oubliés grâce à des tech-
niques encore plus avancées. Ainsi, à votre retour, elle n'aura plus en tête que de
concrétiser son mariage avec notre jeune prince, comme cela était prévu avant
ce tragique incident. Sachez, chère amie, que toutes mes pensées vous
Nagguérand de Vertbois
accompagneront dans les épreuves qui vous attendent.
La Grande Théocratie
-Le Continent-
ennemis héréditaires depuis leur origine. Aujourd'hui nous autant de denrées vitales que possible à disposition. Il est
autres de Tri-Kazel sommes heureusement bien moins caté- admis que même en cas d'invasion ou de désastre majeur, ni 91
goriques ; s'il n'en a pas toujours été ainsi, nous vivons la population ni l'armée ne manqueraient de vivres et de
maintenant et j'espère pour longtemps, dans la paix retrouvée. matières premières pendant au moins deux ans. Cette
Cette évocation me fit repenser à la Guerre du Temple qui volonté prend sa source dans une double perspective.
avait mis la péninsule à feu et à sang des années auparavant, Il y a tout d'abord l'effort de guerre, mais aussi le fait qu'un
marquant à jamais l'Histoire. Les armées du Dieu Unique, estomac bien plein, un corps en bonne santé, et la promesse
très disciplinées, avaient envahi Reizh et assiégé les cités. d'un ailleurs meilleur sont les piliers de la quiétude et du
Les renforts et le ravitaillement arrivant régulièrement des bonheur de chacun. C'est aussi pourquoi, lors des fêtes reli-
arrière-lignes auraient pu leur permettre de tenir les sièges gieuses, la nourriture est servie à profusion…
indéfiniment. Sans l'intervention des armées de Taol-Kaer, - Je comprends fort bien. Les théocrates prennent soin des
Reizh aurait sombré en quelques mois. Je le laissais poursui- ventres de leurs sujets comme de leurs âmes. Ils font en
vre sans relever. sorte que rien ne vienne les troubler sur le chemin de la
- Tous ceux qui administrent la Théocratie sont en étroite sagesse.
collaboration les uns avec les autres, et poursuivent un seul - C'est tout à fait cela, me répondit-il avec le plus grand sérieux.
et même objectif, celui de se tenir toujours prêts et d'avoir
V
otre Altesse, voici l'un des témoignages consignés à l'époque par mes soins. Nous avions, avec votre bénédiction,
organisé une vaste campagne afin d'en recueillir le plus possible et j'en tiens bien d'autres à votre disposition.
Cependant, celui-là m'a semblé le plus instructif .
Il convient par ailleurs de préciser certaines choses quant à ceux qui se présentèrent à nous comme des émigrés du Continent.
Si l'on exclut les trois grandes vagues d'immigrations sur lesquelles les thèses des historiens s'accordent (plus de deux siècles
avant le Serment puis vers l'an 220 et enfin vers l'an 660, chacune de ces périodes ayant été le point culminant d'une longue
période de canicule), on constate qu'il n'y a quasiment aucun acte officiel d'arrivée de continentaux dans tout le royaume de
Reizh. Il est donc presque impossible de vérifier la véracité des déclarations et l'identité réelle des personnes ayant répondu à
notre appel. D'ailleurs, des enquêtes systématiques dans l'entourage de nos interlocuteurs potentiels ont permis de mettre en
évidence bien des récits inventés de toutes pièces. Les menteurs ont été punis comme il se doit.
-Le Continent-
Les cycles climatiques
I l semblerait qu'Esteren soit soumis à un cycle climatique d'un peu plus de quatre siècles. à l'apogée de
chaque demi-période (tous les 220 ans environ) correspondent à tour de rôle une période de grand froid, ou
de canicule. Ainsi l'année la plus froide eut lieu au cours du quatrième siècle, dans les années 430 ; deux siè-
cles auparavant, dans les années 220, ou après, à l'aube des années 660, eurent lieu des périodes de cani-
cule qui firent fondre les neiges éternelles, provoquant sécheresses en plaine et inondations aux pieds
des montagnes, condamnant des milliers de gens à l'exode. De nos jours, Esteren ressort
progressivement d'une période de grand froid mais les hivers restent
rigoureux et les étés courts.
C e témoignage fut recueilli dans un village voisin de notre cité. L'homme était grand et avait le visage fin, le temps
avait laissé bien des marques sur sa peau parcheminée. Il a refusé tout net le paiement de la récompense promise
à ceux qui donneraient des informations sur le Continent, et personne dans son entourage
n'a semblé mettre en doute sa sincérité. Il parlait de plus avec
un fort accent qui n'est caractéristique d'aucune région
de la péninsule.
92
-Le Continent-
y voir toutes les nuances du vert, entre les digues, les étangs, les eaux stagnantes et les marais cultivés balayés par des vents
incessants qui font ondoyer les couleurs du paysage. D'ailleurs, dans la langue de la plaine, il n'existe pas moins de quatorze
mots pour désigner la couleur verte, chacun possédant ses nuances et ses déclinaisons. Le climat est à ce que l'on raconte le
plus humide de tout le Continent, le sol est toujours détrempé et les pluies ne cessent presque jamais. Le ciel est perpétuelle-
ment encombré de nuages que les vents agglutinent sur les montagnes dont les sommets restent le plus souvent invisibles.
Dans cette région, mon peuple vit regroupé en petites communautés.
Autrefois, nous habitions à même la plaine gorgée d'eau, dans des maisons montées sur pilotis, mais les machines miracu-
leuses des magientistes nous ont créé des collines artificielles, sur lesquelles toute la communauté a pu s'installer tout en gar-
dant l'œil sur ses cultures. Le poisson abonde dans le lit des fleuves et dans les innombrables étangs et lacs ; il est avec le riz
que nous produisons la base de l'alimentation des nôtres, mais aussi une manne providentielle pour les habitants du Continent
qui vivent dans des régions moins fertiles. Nous cultivons aussi le chanvre et le roseau, qui sont les principales matières pre-
mières de notre artisanat. Le Simahir a de tout temps été courtisé par les puissances qui guerroient pour gagner de l'influence.
La Confédération magientiste nous a offert les collines artificielles et les réseaux d'irrigation. De son côté, la Grande
Théocratie nous a apporté son soutien lorsque tout allait mal et nous a donné de précieux conseils d'organisation et de gestion,
qui nous ont permis d'améliorer grandement notre qualité de vie. Aujourd'hui encore, chaque communauté de la plaine est
indépendante et propose ses excédents de nourriture à qui bon lui semble, en fonction des services rendus et des relations tis-
sées avec ses voisins…
Intriguant, n'est-ce pas, Sire ? Ce récit particulier conclut ma lettre. J'espère que les souvenirs de Télan et des siens qu'elle
évoquera pour vous seront agréables. J'ose espérer que nous aurons bientôt des nouvelles, de bonnes nouvelles même, de notre
cher capitaine et de sa famille. Si votre curiosité à l'égard du Continent a été éveillée par ces quelques documents, sachez que,
bien évidemment, je demeure à votre service.
-Le Continent-
94
oern assistait impuissant à la destruction de la ferme. Des créatures sans visage, aux proportions
grotesques, filaient dans la brume. Des cris résonnaient avant de s'éteindre dans des gargouillis
sinistres. Doern cherchait en lui-même l'énergie suffisante pour se déplacer. Mais rien n'y fai-
sait. Il restait là, immobile, comme prisonnier d'un mauvais charme. Soudain, une bête surgit du
brouillard et s'approcha de lui… elle émit des sons étranges, qui se transformèrent en des mots articulés.
Avec horreur, Il reconnut la voix de son maître Wylard. Doern se réveilla en sursaut.
" Alors mon bon Doern, je vois que tu t'es endormi. "
Wylard se tenait au-dessus de lui, un sourire donnant à son visage un air bienveillant, et ce malgré les lourds
cernes sous ses yeux qui trahissaient une fatigue extrême. Son serviteur tenait contre lui les précieux parchemins.
Le feu de cheminée, encore rougeoyant de braises, mourait lentement.
" Tu as bien avancé. Tu arrives à une partie que j'aime particulièrement.
J'ai rassemblé là toutes sortes de documents sur notre société,
notre art et nos artisanats. Tu te rendras compte à quel point, malgré
l'adversité, notre peuple est capable
de grandes et belles choses. "
95
Chapitre 2
Us et coutumes
J 'écris ces quelques pages alors que je sens déjà le souffle de la mort s'approcher.
Bientôt, il ne restera de moi qu'un cairn dans le champ des ancêtres, symbole
muet d'une vie retournée à la terre. En ces instants d'urgence, je me rends
compte qu'il existe peu d'écrits évoquant la vie quotidienne et les coutumes de
notre peuple, en raison bien sûr de notre tradition de transmission orale de la cul-
ture, mais aussi de la rareté du parchemin. Ma transcription sera-t-elle utile ?
Pourquoi les gens iraient-ils lire ce qu'ils vivent au quotidien ? Certes, les biblio-
thèques d'Osta-Baille prennent soin de rassembler maints écrits de diverses ori-
gines, mais ces textes sont peu accessibles et très souvent assez approximatifs.
Hélas, nos récits oraux ont tendance à se perdre ou se déformer au fur et à mesure
des nouvelles générations et leur contenu varie énormément d'un endroit à l'autre de
la péninsule. En ces temps troublés où les adeptes de la magience et les fidèles du
96 Temple ne cessent de croître, il me semble primordial d'inscrire sur ces quelques
feuilles ce que je sais de notre culture.
J
e suis né à Tilliarch', dans cette même maison
où je me trouve aujourd'hui. Tilliarch' est un Ce terme invariable ne désigne pas un rang, mais
village de moyenne importance situé dans la indique l'office d'une fonction et d'un savoir ances-
partie méridionale de Taol-Kaer. tral. Le demorthèn est un sage et il est le lien entre
Il est construit sur un plateau surplombant une val- les esprits de la nature et l'homme. C'est aussi la
lée encaissée et relativement inaccessible. La seule mémoire du village, celui qui sait et celui qui guide,
route qui s'en éloigne grimpe le long du flanc de la le gardien du savoir et de la tradition.
montagne, jusqu'à se perdre au-delà du col de l'Artz,
situé à quelques lieues au nord. On y trouve une Dàmàthair :
centaine de foyers entourés d'un faible rempart fait Littéralement, la " seconde mère ".
de terre compactée et d'une palissade en bois. Ces personnes sont entièrement dévouées à l'édu-
Autour du bourg s'étendent des champs de cultures cation des jeunes, aux accouchements et
diverses, offrant du village une vue dégagée sur la siègent au conseil de la communauté.
forêt.
Bien sûr ici, tout le monde se connait. Tilliarch' est
une communauté et toutes les grandes tâches sont
menées conjointement : qu'il s'agisse de réparer
l'enceinte, d'aider à construire une maison, de parti-
ciper à la sécurité publique, etc.
Naissance
L
e vieux demorthèn était là, ainsi que Kynan, la dàmàthair
d'alors. Pendant qu'elle s'affairait à soulager ma mère, en
attendant le moment opportun pour me mettre au monde,
le demorthèn s'entretenait avec mon père. Comme de juste,
j'ignore bien évidemment quelles furent les paroles exactes
qu'ils échangèrent, mais l'usage n'a pas changé depuis lors, et
pour avoir vécu semblable situation des dizaines de fois, je
peux m'imaginer la scène. Le demorthèn a pour devoir d'assis-
ter à toute naissance. Par sa présence, il consacre en quelque
sorte l'apparition d'une nouvelle vie. Le père lui révèle alors
le premier nom de l'enfant. Le demorthèn est donc le
témoin et scelle le mystère de la vie en acceptant ce nom.
Les dàmàthair
97
Q uand le nourrisson et sa mère épuisée
prennent leur premier repos ensemble,
le demorthèn et la dàmàthair sortent
annoncer la bonne nouvelle. Désignée quelques
mois plus tôt par les parents, la dàmàthair se trouve être
la première personne à toucher l'enfant et c'est elle qui s'oc-
cupera de son éducation. La mienne s'appelait Erein. Elle avait
choisi sa condition de mère commune dès la fin de son enfance.
Aimant les enfants et n'appréciant guère de partir avec les autres à la
cueillette ou aux champs, elle préféra se consacrer à l'affection et à l'ap-
prentissage. Mais il ne fallait pas se fier à son air jovial, car c'était une femme
de caractère, maniant les armes avec une grande dextérité. Les dàmàthairs ont aussi
le rôle de défendre les enfants et les personnes vulnérables en cas d'attaque ; elles reçoi-
vent donc un enseignement martial complet. Erein donna naissance à deux enfants et en éleva
six ; j'étais pour ma part le deuxième à profiter de ses attentions. Mes premiers souvenirs, fragmen-
taires, remontent au temps où j'allais régulièrement jouer avec les enfants de mon âge. Et je crois qu'au-
jourd'hui les choses n'ont pas vraiment changé.
-Us et coutumes-
À chaque cercle correspondent cinq années de la vie de l'enfant. Des
concours particuliers ont lieu à chaque passage où, sous la surveillance
de quelques dàmàthairs, les enfants confrontent leur force, adresse et
ruse dans les champs environnant le village. Dans une lice délimitée
par quelques pieux, ils vont ainsi s'affronter en plusieurs jeux allant de
la lutte à la course d'obstacles. Le demorthèn passe quelquefois voir où
en est leur développement, ou les rassemble afin de leur narrer la
beauté du monde et les mettre en garde contre ses dangers.
À seize ans, les enfants deviennent adultes. Ce palier important se
concrétise lors de l'Earrach Feis, la fête de l'équinoxe du printemps.
Après une période plus ou moins longue d'un apprentissage obliga-
toire au sein de la milice, ils sont libres de se tourner vers la voie
qu'ils ont choisie lors de leur passage à l'âge adulte. C'est égale-
ment à ce moment qu'ils peuvent envisager de se marier et de fon-
der leur propre foyer. Dans bon nombre de familles paysannes, les
enfants demeurent dans leur maison natale pour aider leurs parents
et prendre plus tard leur suite. Certains choisissent de devenir
apprentis auprès d'un artisan et d'autres, plus rares, abandonnent le
village et se rendent en ville, pour y étudier ou y tenter leur chance.
En effet, les routes sont longues et ardues, et les dangers y sont
nombreux. Chaque année, on compte beaucoup de disparitions
sur les chemins.
Le service d'ost et
l'apprentissage des armes
98
F ormés au maniement des armes durant leur éduca-
tion et en pleine possession de leur vigueur, les
jeunes gens n'en demeurent pas moins des novices.
A la fin du troisième cercle, on les confie à un vétéran qui
doit compléter leur éducation martiale et surtout les mettre
face à des situations réelles.
Peur, froid, inquiétude et fatigue, voilà ce que j'ai le plus
retenu de cette sombre période. Il fallait bien sûr participer
à la veille et au guet, de jour comme de nuit, mais aussi
prendre part à la surveillance des environs. Enfant, je n'ai
que rarement franchi l'enceinte et jamais la première cein-
ture de champs cultivés qui enserrait le village. Je ne
savais donc rien de la forêt, jusqu'à ce que l'on me force à
y pénétrer. En vérité, elle ne gagne pas vraiment à être
connue… Un sombre lieu où l'on a l'impression constante
d'être observé, où les chemins sont rares et tortueux, sur-
tout quand ils grimpent à flanc de coteau. Ces sorties nous
étaient imposées pour nous préparer à une éventuelle éva-
cuation et permettaient de bien connaître les environs, mais
au fond de moi, elles me terrifiaient profondément.
Cependant, je ne me plaignais pas car certains étaient
envoyés dans de lointaines forteresses, défendre des zones
dangereuses.
Un choix de vie
-Us et coutumes-
Assez rapidement, Kergelan se prit d'affection pour moi. À vai Kergelan avec un plaisir manifeste, sa simplicité et sa
vrai dire, il s'entendait déjà bien avec ma dàmàthair et il sagesse m'ayant beaucoup manqué en ville.
venait régulièrement nous rendre visite le soir. Erein prépa- Là-bas, on rencontre certes beaucoup de gens intelligents et
rait alors un souper plantureux. À Tilliarch', comme dans la lettrés, mais leurs aspirations et leurs buts diffèrent notable-
plupart des communautés restées attachées aux traditions, il ment des nôtres.
est d'usage que chaque foyer invite au moins une ou deux Je demeurais avec Kergelan afin qu'il finisse de m'initier à
fois par an le demorthèn à souper. Sinon par réelle amitié, au d'autres cérémonies ou coutumes, et qu'il me transmette les
moins pour renforcer les liens du village duquel le demor- récits et légendes qu'il n'avait pas l'habitude de raconter au
thèn est considéré comme le moyeu. tout-venant. Ce fut à cette époque que je fis la connaissance
Ce fut l'occasion de passer maintes soirées à pouvoir discu- d'Yledre. Elle était la fille du tavernier et passait la majeure
ter sans ambages avec Kergelan. Ayant acquitté avec peine partie de son temps à aider son père dans cette fastidieuse
mon temps obligatoire de milicien, je choisis, avec la béné- tâche qu'est de tenir ouvert, propre et toujours accueillant,
diction de Kergelan, de me consacrer à l'étude du monde et l'un des lieux les plus importants dans la vie des villageois.
des gens. D'aucuns voyaient cette décision d'un œil assez
sombre. De nombreux bras étaient nécessaires au bon fonc-
tionnement de la vie collective et à la défense du village.
L
'un des récits de Kergelan évoquait un personnage
Néanmoins, n'ayant pas vraiment su me faire accepter à sans doute historique, Gaelde, une dàmàthair qui avait
cause de mon incapacité notoire en matière de joutes ou élevé treize enfants et avait enseigné à chacun d'eux
d'adresse, les gens s'accordèrent pour accepter mon départ l'usage d'une arme différente. Lorsque son village, Eachad,
imminent. Je voyageai ainsi pendant plusieurs semaines, fut attaqué par les feondas, elle cacha ses six enfants les plus
avec pour but les quartiers universitaires d'Osta-Baille. jeunes et vint au combat accompagnée des sept aînés. Ils
L'expérience de la grande cité me déplut quelque peu et je livrèrent une farouche bataille et au cours de celle-ci,
revins avec joie à Tilliarch' et sa vie en harmonie avec la Gaelde tua treize feondas avec treize armes diffé-
nature environnante. Ici, chaque période a sa propre impor- rentes sans qu'aucun de ses enfants ne périsse.
tance et sa signification. Que ce soient les semailles, les pre-
mières pluies du printemps, les récoltes de fruits ou de
fèves, chacun de ces jalons assure une harmonie qui n'existe
plus guère à Osta-Baille. La vie là-bas est réglée sur l'acti-
vité de l'homme. Les habitants ne comprennent pas l'im-
portance des cycles naturels ou de l'alternance des sai-
sons ; et même si l'on y retrouve la plupart des
fêtes, elles paraissent plus affectées et le 99
divertissement y est plus considéré que
leur symbolique. Je retrou-
La taverne
C 'est le lieu de détente et de divertissement du village. Les gens aiment y venir après leur journée de labeur pour discu-
ter de tout et de rien, boire une liqueur ou simplement passer un peu de temps à l'écart des soucis quotidiens. D'un éta-
blissement gai et animé en été, elle devient le réel centre du village en hiver. L'hiver et ses longues nuits froides, l'hi-
ver où inconsciemment la crainte se faufile au cœur de chacun. Alors, tous les habitants viennent partager la petite part d'es-
poir et de courage qui leur reste. Traditionnellement, c'est un endroit assez bas de plafond où la lumière reste tamisée afin de
ne point blesser le regard. Ici, tout est fait pour ragaillardir nos sens fatigués. Les odeurs de viande de boernac qui grésille
dans l'âtre central en pierre se mélangent à la senteur unique d'huile de fougère des torches. Les éclats lumineux des flammes
dansent sur les murs de chaux. Le babil incessant des habitués du lieu échangeant nouvelles et ragots, tristes complaintes ou
fanfaronnades, emplit l'espace d'une vie foisonnante.
Je me souviens qu'au milieu de ce spectacle revigorant œuvrait Yledre, distribuant
S
itué dans le sud de chopes d'ale bien fraîche ou plateaux de charcuterie. Elle s'arrêtait pour deviser
Reizh, l'Arbre penché quelques minutes avec tous, virevoltant avec grâce autour des tables de bois
est une auberge sombre. Souvent, vers la fermeture, je pris l'habitude de lui parler, l'aidant
construite dans le tronc d'un des vaguement dans quelques petites tâches. Je passe sur nombre de petits
rares séquoias géants de Tri- détails qui alourdiraient ce récit, mais quoi qu'il en soit nous
Kazel. Suite à un glissement de nous rapprochâmes jusqu'à notre pro-
terrain, l'arbre s'affaissa jusqu'à messe d'union.
poser son faîte sur un grand roc.
On accède à l'établissement
creusé dans le tronc colossal par
une échelle de corde. La salle
principale, tout en pente, est
adoucie par des paliers succes-
sifs. L'aubergiste n'y sert pas
plus d'un verre d'alcool,
quelques clients éméchés ayant
payé d'une lourde chute
leur plaisir d'un soir…
100
Q
uand un jeune couple emménage
dans sa nouvelle demeure, il procède
à une cérémonie de bénédiction du
foyer. Celle-ci consiste à nommer tous les élé-
ments qui composent la maison (cloisons, toit,
porte, sol…) et à attirer sur eux la faveur des
esprits afin que l'habitation résiste aux
catastrophes naturelles. Certaines
rumeurs font ainsi état de maisons
miraculeusement épargnées par
les forces de la nature.
Amour et relations
A Tilliarch', nous n'avons guère, au bout du compte, sur bien des points, je correspondais quand même régulière-
de temps à passer en de longues courtisaneries. Les ment avec un homme pour lequel j'avais une certaine
rapports entre les villageois sont plutôt simples. estime.
Très tôt, les enfants sont mélangés selon leur classe d'âge,
indépendamment de leur sexe. Enfants, filles et garçons se
considèrent exactement de la même manière. Tous se voient Le foyer
intégrés dans les mêmes activités, y compris le maniement
des armes. Ce n'est vraiment qu'au cours du troisième cercle
d'éducation que les différences se créent et que certaines
attirances naturelles commencent à se développer.
L'éducation sexuelle dispensée à ce moment-là par les
M on père était mort l'année précédente dans un
éboulement de terrain, alors qu'il extrayait
des pierres de la carrière. Nous emména-
geâmes alors avec Yledre dans la maison de ma mère. Sans
dàmàthairs est simple, mais pousse les jeunes gens à com- cela, nous aurions dû participer à la croissance du village en
prendre l'importance de la procréation dans un contexte où construisant notre propre foyer.
la mortalité infantile est assez présente et où la main-d'œu- Quand une nouvelle demeure devait être bâtie, l'emplace-
vre est précieuse. Les parents naturels se mêlent rarement du ment était choisi afin de participer à la défense de Tilliarch'
comportement de leurs enfants et les laissent libres de choi- en cas d'urgence. Le plus souvent, les maisons étaient dispo-
sir leur compagnon ou futur époux, hormis dans certaines sées en petits groupes autour de placettes, sur lesquelles
familles qui n'acceptent pas le fait de confier leurs descen- donnaient l'entrée et les fenêtres principales. À l'opposé du
dants à une dàmàthair. centre, les fenêtres étaient proscrites, hormis de minuscules
La situation est quelque peu différente dans les villes où, ouvertures étroites que l'on pouvait utiliser pour voir sans
malgré l'importance de la population, les familles sont plus être vu ou tirer sans trop de danger. Ainsi, en cas d'attaque,
renfermées. Les jeunes se mélangent donc moins entre eux, chaque place jouait le rôle d'une cour de défense.
restant la plupart du temps au sein de leur famille. Le regard
protecteur des parents et leurs décisions y sont donc plus
importants. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir le choix des
parents l'emporter sur celui des enfants en ce qui concerne La mort
leurs fréquentations et surtout leurs unions. À l'encontre de
cette rigidité apparente en matière de mœurs, on peut trou-
ver dans ces mêmes villes des lieux très différents, appelés
maisons des plaisirs ou toil-taigh.
Q uelques années plus tard mourut Kergelan, semble-
t-il d'une faiblesse au cœur. Je fus bien sûr très
affecté et je passais de longues heures à pleurer en
silence cet admirable personnage qui avait été un second
101
L
'union de deux êtres est prétexte à une fête commu-
nautaire, à laquelle tout le village participe. Un jour avait traditionnellement été recouvert d'un masque de
spécifique de l'année lui a toujours été dévolu, à l'ex- cordes tressées. Nous le transportâmes alors sur le haut pla-
clusion de tout autre. Il en est d'ailleurs de même pour nom- teau qui surplombait Tilliarch', jusqu'au champ des ancêtres.
bre d'autres événements, qui sont autant d'occasions de ras- Il fut inhumé avec son bâton, symbole de sa sagesse, ses
sembler la communauté dans son ensemble. Chacun est pieds tournés vers le village et l'horizon. Une fois les
alors libre de participer, sans risque de vexer qui que ce soit. lourdes pierres déposées sur sa dernière demeure, je me ren-
Ainsi, toutes les promesses de mariage accordées durant dis seul au fond du champ, vers le versant opposé et je plan-
l'année passée se concrétisent le jour du solstice d'été. tai un petit chêne à l'orée du bois sacré. Sacré non pas par la
L'année de mon mariage, nous étions huit couples sur le présence improbable de quelques esprits, mais simplement
départ d'une nouvelle vie. Kergelan présidait la cérémonie par le souvenir de tous nos frères, parents et ancêtres dispa-
qui eut lieu sur le cercle des rencontres, au centre du village. rus. Chacun avait son arbre grandissant lentement alors que
Yledre était ceinte d'une couronne de fleurs et moi j'arborais leurs dépouilles n'étaient plus depuis longtemps. Des frênes
un bonheur palpable. Nous nous tenions pieds nus sur les et des ormes côtoyaient quelques bouleaux. Ici un noble if
berges de la rivière, à l'endroit où l'eau et la terre se mêlent. dressait sa cime vers les cieux, là un auguste chêne témoi-
À Tilliarch', le demorthèn invoquait la bénédiction des gnait de la sagesse d'un ancien. Peu avant sa mort, sentant la
esprits primordiaux de la nature. Ces pratiques sont, je crois, fin approcher, Kergelan m'avait initié à certains
de moins en moins répandues. Selon une lettre qu'un de mes secrets demorthèn. Après une longue retraite en
amis d'Osta-Baille m'avait envoyée : " l'union d'un homme solitaire dans la forêt, où je pus méditer sur
et d'une femme consacrée par de la boue est une idée gro- mon nouveau statut, je revins au village et
tesque et éculée. On ne peut décemment pas croire que des pris définitivement la place de Kergelan
esprits peuplent chaque caillou et goutte d'eau de la créa- dans le cœur et l'esprit des gens.
tion… " Bien que nous ne fussions pas vraiment d'accord
-Us et coutumes-
L'aothbàs
L
ors de la cérémonie d'inhumation, on creuse une fosse oblongue de
cinq pieds de profondeur minimum. Le fond est recouvert d'une
couche de sable ou de roche pilée afin d'isoler la chair de la terre. La
chair se décomposant ne doit pas se mélanger directement au sol fertile,
mais être filtrée par ce substrat minéral. Ceci, dit-on, assure à l'énergie
essentielle que chaque être porte en lui de ne pas être aspirée direc-
tement dans les tréfonds du monde. De même, on dispose de
lourdes dalles de granit sur la tombe pour protéger la dépouille
du mort. Ces dalles, par les nuits de forte lune, semblent vibrer
d'une lumière diffuse. Ce phénomène, plus courant en
hiver, est appelé l'aothbàs, la lumière des
morts.
Des rêves
D
ans Tri-Kazel les rêves ont tou-
jours eu une influence impor-
tante dans la tradition populaire.
Le rêve s'apparente souvent à une prémoni-
tion. Quand un songe est suffisamment clair pour être
102 rationnel, on dit alors qu'il peut se réaliser, particuliè-
rement quand il est répété la nuit suivante. Des potions Traditions et fêtes
préparées par les demorthèn permettent de plonger les
T
gens dans un profond sommeil sans rêves, lorsqu'il rès cher ami,
existe un risque que leurs songes soient dangereux. Te sachant friand d'histoires et de curiosités, j'ai
Il existe une affliction curieuse appelée maladie du décidé de te relater quelques fragments de mon
sommeil. La personne atteinte semble dormir paisible- récent voyage dans le sud de Taol-Kaer. Il est vrai que j'ai
ment au début, mais il est totalement impossible de la peu l'occasion de sortir de notre belle cité gwidrite d'Ard-
réveiller. Généralement, ce mal dure entre deux à trois Amrach et qu'il en faut peu pour me ravir. Mais lis donc ce
jours. Quand enfin le patient se réveille, il n'a plus qui suit.
aucun souvenir de ses songes. Quelque temps après, on Éreinté et quelque peu perdu, je dois l'avouer, j'arrivai ino-
constate parfois une légère morosité et une tendance de pinément à la veille du jour saint d'Earrach dans un village
la part du dormeur à se renfermer sur lui-même. talkéride typique. Je pris alors une chambre à l'unique
D'après certains, les prêtres du Temple feraient des auberge du lieu, et me couchai prestement. Le lendemain,
rêves sacrés dans lesquels ils recevraient la vision de ragaillardi par cette bonne nuit de sommeil et une solide col-
ce qu'ils doivent accomplir afin de contenter la lation de choux et de chèvre grillée, j'allai me promener en
volonté du Dieu Unique. ville, voir un peu comment, en ce lieu reculé, les traditions
Des chercheurs auraient entrepris sur le Continent étaient célébrées. Quelle ne fut pas ma surprise de constater
d'étudier les rêves. On les appelle occultistes, et l'on l'absence de la décoration rituelle qui orne d'habitude les
dit qu'ils chercheraient à interpréter les songes afin rues de notre cité ! Les habitants étaient tout de même vêtus
de mieux cerner le fonctionnement de l'esprit de leurs meilleurs atours et se pressaient au centre du village
humain. On raconte même que certains seraient où le demorthèn, en longue robe flottante, se tenait sous un
capables d'envoûter une personne et de la chêne majestueux. Derrière eux, je distinguai une ligne de
contraindre à exécuter leur volonté. jeunes gens, de même âge à ce que je pouvais en juger,
écoutant gravement le fervent discours du sage.
Questionnant des personnes alentour, j'appris qu'il s'agissait
d'une sorte de rite de passage de l'état d'enfant à celui
d'adulte. Apparemment ils nomment cette fête le
Renouvellement, et c'est pour eux une faste période de cinq
ou six jours, selon les années, qui correspond à notre
Tiraine.
-Us et coutumes-
L'Earrach Feis
C
'est la célébration de la fin de la
suprématie de l'obscurité sur la
lumière. L'équinoxe de printemps
marque la renaissance de toute chose, le
renouveau du cycle de la vie et de la
nature. À sa suite, les nuits raccourcissent
et la sensation de menace commune aux
courtes journées d'hiver s'apaise.
Symboliquement, ce jour est donc une fête
marquée par les réjouissances. On y orga-
nise d'ailleurs la cérémonie de passage de
l'état d'enfant à celui d'adulte. L'Earrach
Feis est très suivie dans les villages, moins
dans les villes. En Gwidre, lorsque le
Temple devint religion officielle, certains L'Agaceann
noms de fêtes traditionnelles furent chan-
O
gés, pour réduire l'influence des demorthèn utre cette célébration joyeuse, la deuxième cérémonie la
dans les coutumes populaires. Ainsi, plus importante du folklore local se nomme Agaceann. Elle
l'Earrach Feis devint Tiraine, fête solen- a lieu à l'équinoxe d'automne et serait à ce que j'ai cru com-
nelle marquant le début d'année. prendre le pendant de l'Earrach Feis. Ce n'est pas réellement une fête,
car l'Agaceann marque le début de la phase descendante du cycle sai-
sonnier, durant laquelle la nature entre progressivement en sommeil.
L'Agaceann est l'objet d'une sorte de recueillement collectif par
lequel on honore la mémoire des morts, et à la suite duquel on réitère
les mises en garde contre le danger qui guette aux alentours. Cette célébration a, paraît-il, une forte importance pour les com-
battants de métier. En effet, à cette occasion ont lieu des épreuves de force et de courage, à l'issue desquelles sont désignés ou
confortés les grades. Cette cérémonie a lieu chaque année, dans l'idée que le chef doit être plus fort, plus courageux et plus
intelligent que ses hommes. En tant qu'étranger, je fus bien accueilli, en partie grâce au fait que je restais évasif quant à mon
origine. Il est malheureusement une chose certaine, c'est qu'être natif de Gwidre n'engendre pas la bonne opinion des gens. Je 103
tentai d'expliquer à certains, qui avaient l'air plus ouverts, quelques-unes de nos traditions, mais je me heurtai bien vite à un
scepticisme qui n'était pas loin de se muer en hostilité. Aussi m'empressai-je de détourner leur attention et m'intéressai-je alors
à leur calendrier, leurs diverses fêtes et traditions, afin de voir s'il s'agissait des mêmes que les nôtres.
Le calendrier
vent que l'eau ! Beaucoup d'événements, en particulier ceux
L
es années du calendrier tri-kazelien sont donc comp-
tées, comme tu le sais, à partir de la création des liés aux offrandes à la nature, sont prétextes à des libations.
Trois Royaumes. Pourquoi régler l'horloge de la vie À ces occasions, si des villages sont voisins, ils font alors
sur un acte aussi trivial ? Cela me dépasse. Pour le reste, leur foire commune et installent des établis de victuailles et de
calendrier est le même que le nôtre ; il court sur douze mois boissons non loin du centre de l'un d'eux. C'est dans la
parfaitement égaux, de trente jours chacun, précédés des taverne que se passe la majeure partie des fêtes hivernales,
cinq jours épagomènes où se déroule l'Earrach Feis, la fête ou parfois dans une vaste maison commune quand le bourg
du renouvellement qui lie les années entre elles. De nom- est suffisamment grand pour en posséder une. Je repars
breuses petites fêtes locales ont lieu entre le printemps et donc demain et termine de boire ma pinte à ta santé.
Asnardh.
l'automne, à croire que l'ale et la liqueur se boivent plus sou- Ton fidèle ami,
Chapitre 2
Artisanat
on fils, si tu lis ces lignes, c'est que tu as atteint tes seize ans. C'est aussi parce que je suis
mort. Peu importe quand exactement, je suis parti rejoindre nos ancêtres et t'ai laissé seul
avec ta pauvre mère, sans avoir pu moi-même t'enseigner un véritable métier.
Heureusement, si tout s'est déroulé selon mes souhaits, la guilde a pourvu à vos besoins et t'a fourni une
éducation convenable. L'an prochain, il te faudra choisir ton apprentissage et rejoindre un de leurs maî-
tres-artisans. Elle vous a protégés, toi et ta mère ; à toi désormais de t'offrir à elle en retour, c'est ton
devoir et ton honneur. Tu n'ignores pas que j'en étais moi-même l'un des grands maîtres, aussi laisse-moi
donc te présenter ce que désigne ce terme unique et pourtant si vaste : l'artisanat.
Des bases
C omme tu le sais, en résumé, l'artisanat désigne en fait une technique de production manuelle, d'enver-
gure modeste. L'artisan exerce donc une technique traditionnelle à son propre compte, souvent aidé
par sa propre famille ou par un apprenti qu'il prend à sa charge et forme pour en faire son compagnon.
C'est ce qu'a prévu pour toi la guilde. Chez les artisans, il existe une certaine hiérarchie : l'apprenti devient
104 compagnon au bout de quelques années. S'il réussit à créer un chef-d'œuvre approuvé par son maître et la
guilde, il peut prétendre au titre d'artisan et à l'indépendance. Le titre de neach-torgaìl, qui signifie " maître-
artisan ", n'est réservé qu'aux meilleurs. Pour chaque corps de métier, ils se comptent sur les doigts d'une
main dans chaque région. La qualité de leurs œuvres fait la fierté de chaque artisan et de son corps de métier
tout entier. Cependant, en Tri-Kazel, tu découvriras que la qualité est davantage assimilée à la solidité et à la
fiabilité qu'à l'esthétisme en lui-même. Nous sommes un peuple pratique, nos œuvres doivent défier le temps
et nous apporter du crédit. Leur agrément n'est qu'une valeur ajoutée, appréciable certes, mais finalement
secondaire, si ce n'est peut-être pour ces corps d'artisans très proches de l'art pur, comme les orfèvres, pour
lesquels le faste reste prépondérant. Enfin, en haut de la hiérarchie siège le mercanthas, le maître de guilde.
C her patriarche, voilà longtemps que j'ai quitté votre giron pour me mettre au service de la garde de Seòl.
Le rapport que vous m'avez demandé pourrait me valoir de graves ennuis au sein de ma hiérarchie, aussi
je vous demanderais de le garder pour vous. J'ai mené cette enquête seul, hors des prérogatives de ma
charge, et uniquement parce que je suis votre débiteur.
Ce que j'ai pu découvrir m'a effrayé : je croyais la garde de notre seigneur maîtresse de la ville, mais les guildes
constituent un véritable contre-pouvoir à Seòl. Peu à peu, notre seigneur se voit dépossédé de son héritage et de
son pouvoir.
Le marchand devient parfois plus puissant que le noble. Qu'il soit artisan ou commerçant, il est graduellement
devenu un financier. Les plus influents vivent en ville, là où les guildes sont les plus puissantes et où ils profitent
des privilèges de la cité : élus, taxes, chartes et même tribunal et soldatesque, sur lesquels leur prise se resserre de
plus en plus grâce au pouvoir corrupteur de leur argent.
Au-delà de la naissance, la position dans la hiérarchie sociale se définit de plus en plus dans les grandes villes, et
Seòl plus que toute autre, par la place dans le réseau commercial. Les marchands prospères s'assurent une plus
grande force en rejoignant la guilde qui constitue un véritable espoir d'ascension sociale. Plus la guilde est puis-
sante, plus ceux qui la composent le seront également...
Véritable sanctuaire où marchands et artisans peuvent partager le gîte, le couvert et échanger discrètement de pré-
cieuses informations, la guilde leur sert de couverture pour des accords illicites sur les tarifs, allant parfois jusqu'à
organiser sciemment des pénuries pour s'enrichir encore davantage.
Les guildes constituent le premier cadre de coordination entre marchands. Elles profitent à plein des échanges per-
mis par les foires et les marchés pour constituer une force financière dépassant parfois celles des plus puissants
seigneurs. Ce sont des organisations coopératives et hiérarchisées regroupant des gens d'un même corps de métier.
Elles obéissent à des statuts ou chartes, édictant les règles de l'organisation tout en affichant leurs ambitions. Les
affiliés décident des conditions d'accès de nouveaux membres et désignent leurs représentants pour défendre âpre-
ment leurs intérêts auprès des autorités ou des guildes adverses. Ces représentants sont investis d'un grand pouvoir
et ne réfèrent qu'aux seuls mercanthas, les maîtres de guilde. Malgré tout, les luttes internes sont vives et donnent 105
parfois lieu à des revirements d'alliance ou des disparitions suspectes de certains membres influents.
Une guilde fraîchement constituée cherchera avant tout à obtenir un privilège de la part de son seigneur ou du roi,
et c'est ce privilège, l'exclusivité de pratiquer un métier dans l'enceinte de la cité, qui assoira son statut. Une fois
acquis, il ne lui restera plus qu'à éviter la concurrence et s'enrichir allègrement tout en consolidant ses positions.
En effet, libre à la guilde d'organiser alors le contrôle des prix et des quantités. Et c'est sans doute là que notre sei-
gneur s'est montré trop dispendieux, affaiblissant peu à peu son propre pouvoir en échange de subsides, qui ont
certes enrichi la cité, mais l'ont peu à peu départi d'une autorité forte et unique. Ceci peut avoir des conséquences
tragiques : on a vu récemment des guildes puissantes de Seòl mener de véritables expéditions punitives à l'encon-
tre des petits artisans concurrents des villages voisins, détruisant impunément réserves et matériels au prétexte de
leurs fameux privilèges.
Les guildes facilitent les échanges pour leurs membres, grâce à un savant système de passe-droit et d'entraide, par-
fois sur un principe assez comparable aux loges magientistes qu'on trouve en Reizh. Dans le même temps, elles
compliquent la vie de leurs potentiels concurrents et freinent tout échange commercial qui ne tombe pas sous leur
égide, à moins qu'elles ne perçoivent une taxe, véritable pot-de-vin, pour valider la transaction.
La garde peut difficilement agir contre ces pratiques à Seòl, le recours juridique étant très complexe et certaines
guildes achetant la justice ou entretenant elles-mêmes leurs propres avoués. Nous-mêmes, simples soldats, sommes
parfois mis à leur disposition, quand les guildes ne disposent de leurs propres milices ! En leur sein, leur justice
est expéditive : qu'un membre trahisse les règles de la guilde et il encourra la colère de tous les autres, se faisant
exclure et disparaissant parfois mystérieusement quelque temps plus tard. Les plus grandes guildes partagent les
risques entre leurs affiliés, compensant ainsi les possibles difficultés financières.
Mais il y a pire que la corruption de la justice : que le seigneur ne cède pas à leurs caprices et n'assure pas leur pro-
tection, et c'est la guilde entière qui bloquera volontairement le marché du souverain. Finalement, je pense qu'à
moins d'un coup de force de celui-ci pour reprendre les rênes de sa ville, il est malheureusement condamné à deve-
nir l'otage de la toile économique que les mercanthas, qu'on soupçonne d'agir de concert au sein de réunions
secrètes, ont tissé autour de lui.
Guedüren Fiannaës.
Respectueusement,
Le travail du métal
Il est sans doute aussi fondamental que celui
du bois pour notre protection. Notre peuple
compte d'excellents métallurgistes, capables
de créer rapidement des armes et armures suf-
fisamment solides pour contrer la menace
feonde... ou toute autre d'ailleurs. Les tech-
niques sont diverses et varient beaucoup entre
un bronzier, un forgeron et un monnayeur, du
moulage au martelage, en passant par le matri-
çage et la gravure, mais tu apprendras cela en
temps voulu si tu empruntes cette voie.
Concentrons-nous sur l'essentiel : les artisans du
métal sont tenus en haute estime par les chefs de
guerre, dès lors qu'ils savent façonner casques,
boucliers, et armes efficaces. Mais le forgeron ne se
contente pas de cela, il est aussi à l'origine de la
fabrication d'ustensiles indispensables à la vie quo-
tidienne, et surtout aux autres artisans : les outils.
Qu'il s'agisse des forces pour la tonte, des pinces et
tenailles, des burins, des scies ou que sais-je encore,
son rôle est primordial. Le monnayeur, sous l'égide du
roi, frappe la monnaie et préside ainsi à sa mise en cir-
culation. Enfin, les artisans du métal entrent également
pour une bonne part dans l'élaboration des bijoux.
Ce sont alors des orfèvres, un métier à la croisée de
plusieurs artisanats et qui mérite une place
à part. L'orfèvrerie
Elle est aussi bien liée à la tabletterie, au tra-
106 vail du bois et du métal, qu'à celui de la
pierre et du verre. Sans être toujours très
élaborés, les bijoux sont nombreux, même
dans les villages les plus reculés. Leur
usage est mixte. On trouve ainsi des
fibules et des torques hérités de nos tradi-
tions, mais aussi des colliers et des
bagues ouvragées, parfois serties de
pierres précieuses. La plupart des perles
ornant les colliers sont en bois, en corne
ou en métal, plus rarement en verre
coloré ou en ambre. On les enfile sou-
vent sur un simple cordon en fibre
végétale. Bracelets et bagues sont
généralement faits de métal ou de
corne. C'est cependant sur les boucles
d'oreilles et les bagues qu'on trouve le
plus de pierres précieuses. La bour-
geoisie et la noblesse du royaume de
Reizh raffolent de bijoux et l'orfèvre-
rie est un art en développement
constant dans cette région.
-Artisanat-
Le travail de la pierre
Il s'agit d'une tradition qui existe depuis toujours en Tri-Kazel. Même si
certains de nos bâtiments peuvent paraître grossiers par rapport à ce que
l'on dit de ceux du Continent, il n'en va pas de même de leur solidité, nos
ouvrages étant construits pour traverser les âges et résister à tous les
périls naturels de notre implacable péninsule. Peu de nos édifices sont
encore entièrement bâtis de matière végétale. Le bois reste important, mais
il est rare que les murs ne soient pas au moins consolidés par de la pierre.
Les fondations sont très profondes pour les protéger du gel et du dégel.
Seuls les toits sont dénués de pierre car on continue d'y préférer le chaume.
Pourtant, à la suite des grandes villes, les tuiles commencent à faire leur appa-
rition sur les bâtisses de certains des plus riches habitants. Les maçons de nos
trois royaumes sont renommés pour leur mortier de chaux, de sable et de tuileau
pilé. Ils travaillent aussi la pierre de manière traditionnelle, en la taillant à la façon de
nos ancêtres, continuant à orner fidèlement les routes de la péninsule de stèles. C'est le
cas de la grande route reliant Osta-Baille à Tuaille, qui est pavée de bout en bout et entretenue
par la fameuse guilde des Paveurs. Depuis peu, ceux-ci assurent également l'escorte des convois ;
adresse-toi à eux si tu viens à voyager dans cette région. Les pierres levées sont un cas particulier ; elles relèvent du sacré et
sont l'apanage des demorthèn. Il en existent toujours et de nouvelles sont dressées vers le ciel, même si leurs proportions ont
diminué. Les demorthèn y exercent leur art ancestral de la gravure en traçant des motifs oghamiques dont ils ont le secret.
Le travail du verre
Voilà un artisanat encore rare dans notre péninsule, car nous manquons de matière première. Même si nous savons le travail-
ler correctement, il reste précieux pour nous, ce qui explique qu'on en use aussi en orfèvrerie finalement. On l'utilise surtout
sous forme de pâte et il faut avouer que nous ne sommes pas encore experts dans la technique du soufflage. On trouve peu de
vitres en dehors des villes, la plupart des demeures villageoises n'en possédant pas. Finalement, le verre n'est quasiment tra-
vaillé que sur commande, ou importé du royaume de Reizh où les techniques héritées de la magience permettent de le fabri-
quer plus facilement. Là-bas, les bijoux de verre et les miroirs sont très prisés par les femmes. Ce sont souvent de simples
disques de métal munis d'un manche et dont une face a été soigneusement polie avant d'être recouverte d'une pièce de verre. 107
Le travail de la terre
Il trouve son aboutissement dans la poterie et le travail - plus rare - de l'émail. Cette rareté découle en fait de la relative inex-
périence des Tri-Kazeliens dans le traitement du sable des Grandes Plages de Taol-Kaer, peu exploitées jusqu'alors. L'émail
arbore le plus souvent des teintes rouges ou orangées, car la pâte de verre utilisée dans sa création est associée à de l'ambre
ou de la poudre de cuivre, matières disponibles en grande quantité en Tri-Kazel. La poterie permet la confection de vases,
assiettes et amphores de toutes sortes. On y transporte généralement huiles, liqueurs, et sels. Cependant, les ateliers
des artisans ne réalisent qu'une partie de ces produits, car les récipients d'usage courant sont directement et gros-
sièrement façonnés par les familles les plus modestes. Les maîtres-potiers produisent également une céra-
mique de luxe destinée aux puissants des trois royaumes, et qui se paye une petite fortune. Enfin, le tra-
vail de la terre ne se borne pas à la création de simples contenants : les artisans produisent également
quelques figurines de terre cuite et surtout ces tuiles que j'évoquais il y a peu et qui commencent à
couvrir les toits des riches demeures.
Le travail du textile
Voilà également un domaine faste pour l'artisan, même s'il entre là encore en compétition avec
les confections proprement familiales. Laine, lin et chanvre sont les
matières les plus utilisées. Il faut plusieurs artisans pour maîtriser toutes
les étapes du processus de travail de l'étoffe : filage, tissage, foulage,
cardage et teinte. Puis viennent les tailleurs qui confectionnent les
vêtements de la coupe aux finitions. J'ai entendu dire que les
daedemorthys de Reizh tentent de mettre au point de grandes
machines capables de créer en grande quantité des tissus
de toutes sortes. Ne crois pas à ces racontars mon fils,
l'art du textile est difficile et requiert une très grande
dextérité que seules les mains de l'homme peu-
vent posséder.
-Artisanat-
Le travail du cuir La vannerie
Tout commence par le tannage des peaux, préparées dans des Le vannier entre, lui aussi, en compétition avec une
fosses à l'aide de poudre d'écorce de chêne qu'on appelle tanin. pratique purement domestique, mais il possède sou-
Le cuir est très utilisé pour concevoir des objets domestiques - les vent un savoir-faire bien supérieur et confectionne des
selles des chevaux et des caernides, le harnachement des ani- pièces bien plus importantes et d'une qualité incompara-
maux de trait, les poignées des armes et de certains outils - mais ble. La vannerie sert généralement à renforcer des pote-
aussi pour finir un vêtement ou confectionner des chausses plus ries ou à concevoir des paniers, mais on y fait également
souples que les sabots. appel dans la confection de petites barques et de certains
Dans un tout autre domaine, certains artisans devien- chars, voire des auvents de hutte. Ses avantages sont
nent de véritables artistes de la peau et s'occupent multiples : étanchéité, solidité et légèreté. Tous les végé-
parfois également des peintures de guerre des taux robustes peuvent être utilisés, même si l'osier est le
membres éminents de leur village et des matériau privilégié. Dans les régions lacustres cepen-
tatouages les plus élaborés. dant, roseaux et joncs obtiennent les faveurs des villa-
geois, qui les utilisent énormément. Les artisans de
ces régions vont même jusqu'à en faire des armures
tressées, d'une solidité relative, mais extrêmement
légères et permettant une grande liberté de mouve-
ment à leurs guerriers. Ces armures souvent
considérées comme de second ordre connais-
sent néanmoins une certaine renommée et nom-
bre de Tri-Kazeliens les apprécient.
Voilà mon panorama presque achevé, mais garde
bien à l'esprit que tous ces domaines, très larges,
comprennent une multitude de métiers différents et
s'interpénètrent. Des réalisations complexes néces-
sitent de mêler divers artisanats et ce n'est pas tou-
jours évident. Dans les contrées reculées et tradition-
nelles, tout se fait en bonne entente. Mais dans les
villes, la primauté des guildes se fait sentir et il
devient très difficile de passer de l'une à l'autre ou
108 d'effectuer des travaux sans faire partie du corps de
métier concerné.
De l'ornementation
Laisse-moi maintenant te parler de quelques principes
esthétiques fondamentaux qu'on retrouve chez la plupart de nos artisans. Tout d'abord, la trinité historique de Tri-Kazel est
profondément ancrée dans les mœurs et transparaît jusque dans les motifs choisis par tous les artisans, de l'ébéniste au
tatoueur. On trouve ainsi très peu de figurisme sur leurs œuvres et, lorsque c'est le cas, ce sont souvent des symboles anima-
liers, généralement liés au caernide. Finalement, les motifs associés par simple juxtaposition, pour donner un enchevêtrement
continu de formes, sont privilégiés et se déploient souvent par trois, comme sur nos pièces de monnaie. La schématisation est
importante et, figurisme ou non, tout est représenté de manière simple, symétrie et géométrie des symboles jouant un grand
rôle en plus de la récurrence quasi-systématique de la trinité. On trouvera parfois des comètes à trois queues ou des caernides
mythiques à trois cornes, mais plus souvent des entrelacs se déployant en tracés végétaux liés et déliés à l'infini. Nombre de
ces motifs sont d'ailleurs consignés dans le célèbre livre de Kell-Taer. Mais, si nos artisans s'en inspirent, ils en inventent éga-
lement quotidiennement et leurs œuvres inédites peuvent devenir la marque personnelle ou familiale de leur talent. Les demor-
thèn utilisent également ce type de symboles entremêlés dans l'écriture des ogham, leur permettant d'entrer en contact avec
les esprits de la nature. Ces symboles abstraits sont plus qu'un art ornemental ; ils forment un véritable langage nommé la Sigil
Rann. Les signatures sont très rares sur les œuvres péninsulaires et seuls les plus grands maîtres s'autorisent à en faire usage.
Traditions et modernité
Mon fils, tu vas être amené à vivre dans un monde en perpétuel changement. De nos jours, on distingue les objets manufac-
turés, parfois produits en séries et venant de certaines grandes villes, des objets uniques, créés par les artisans. Les premiers
sont nécessaires, parfois mieux façonnés, et souvent moins coûteux, mais aucun propriétaire des seconds ne leur accordera la
même valeur qu'à ces objets uniques issus du savoir-faire artisanal. Pourtant, il faut reconnaître que nos grandes cités talké-
rides commencent à adopter ces modes de fabrication qui viendraient du Continent. Accepte-le et ne peste pas, car les artisans
conservent une grande place en Tri-Kazel et le développement des ateliers magientistes dans les villes reizhites ne doit pas
t'inquiéter. Le bon artisan est, avant tout, celui qui respecte toute forme de création et qui sait que derrière un simple objet brut
peuvent se dissimuler des forces pour le moins mystérieuses.
-Artisanat-
Objets de pouvoir
P our finir, je te parlerai de ce que nos traditions nomment " Objets de pouvoirs ". Tu auras sans doute entendu parler de
ces œuvres, tellement investies par leur créateur ou leur propriétaire qu'elles ont développé un pouvoir mystique sur
leur environnement. Ce pouvoir découle sans doute d'un gain de confiance en soi et d'un attachement exceptionnel à
ce qui peut être parfois un simple outil. Certains y voient une simple superstition mais celle-ci a la dent dure et les artisans
respectent ces " Objets de pouvoir ", comme s'ils étaient véritablement investis de l'énergie essentielle du monde. Le chef-
d'œuvre qui permet à un artisan d'obtenir son titre détient parfois ces étranges capacités. On raconte aussi que d'autres " Objets
de pouvoir " sont créés par des sentiments violents ou des drames sinistres, qui atténuent la frontière entre la matière brute et
le vivant et les confondent un temps pour conférer d'extraordinaires propriétés à des objets d'apparence somme toute commune.
Le plus simple serait de te donner un exemple en te racontant l'histoire de Kareal le sculpteur. À la fin de sa vie, celui-ci se
décida à faire une dernière statue qui serait le chef-d'œuvre de son existence, le parangon à l'aune duquel tout son art serait
jugé. Il ne prit pas de modèle et se contenta de sculpter le dur marbre selon le souvenir des courbes de sa femme, disparue
depuis bien des années. Il y mit tant de temps, d'énergie et de souffrance que son corps même s'asséchait à mesure que la sculp-
ture prenait forme. Les jours se firent des semaines et les semaines des mois avant que Kareal soit enfin satisfait de sa statue.
Durant tout ce temps, il ne sortait plus : ceux qui lui apportaient à manger dirent qu'il ne parlait plus que de sa statue, puis
qu'il ne s'entretenait plus qu'avec elle. La folie semblait l'avoir gagné, mais la sculpture était parfaite, plus belle et plus vivante
d'apparence que les plus fraîches jouvencelles du village. Certains ne pouvaient en détacher le regard qu'avec peine, suscitant
au passage la jalousie de Kareal qui, bientôt, interdit à quiconque l'accès de son atelier. On ne le retrouva gisant dans son sang
qu'après plusieurs jours passés : la statue avait basculé, alors qu'il l'enlaçait sans doute, pour venir le broyer au sol sous son
poids. Ceux qui la déplacèrent pour dégager le corps murmurent avoir cru voir cette nudité vierge s'animer comme pour rete-
nir son amant créateur dans une étreinte de chair et de pierre. Malgré la défiance de certains, la statue fut rapidement vendue
à un seigneur éconduit par sa dame et qu'on disait inconsolable. À son contact, l'homme retrouva force, vigueur et ambition :
il ne posa plus jamais son regard sur aucune autre femme, comme s'il avait soudain était rassasié de l'amour passé de Kareal
pour sa femme. C'est exactement de ce lien dont je veux parler, et que tu es susceptible de ressentir pour un objet.
T
rès cher Wylard, voici les informations que vous
avez demandées à propos de Faëris Mac Connen. Ce
géant à la barbe rousse s'était confectionné sa propre mas-
sue à partir d'une souche que les esprits lui avaient, d'après lui, indi-
quée. Armé de celle-ci, il semblait invincible, et les encoches qu'il tra-
çait sur elle à chaque victoire s'accumulaient. Personne n'osait plus
l'affronter et il défendait son village des attaques des feondas et autres
créatures de l'ombre. Un jour pourtant, son " Objet de pouvoir " lui fut
dérobé juste avant qu'il ne parte accompagner une caravane. Celle-ci
fut attaquée par un unique feond. Faëris, dépourvu de sa masse fétiche,
voulut protéger ses compagnons à l'aide d'une arme classique. Je ne
sais s'il avait totalement perdu confiance en ses talents ou s'il ne pou-
vait plus combattre sans sa propre massue, toujours est-il qu'il périt
rapidement sous les griffes d'une créature qu'il aurait en temps normal
certainement vaincu. Ses compagnons purent s'enfuir mais eurent tôt
fait d'assimiler la défaite de Faëris à la disparition mystérieuse de
la masse qui l'avait si longtemps fait paraître invincible.
Je te laisse désormais, mon fils. Choisis ta voie, montre-toi digne de ton nom et de ton héritage,
prends soin de ta mère et rends-moi fier de toi au-delà de la mort. Que mes pensées et mon
savoir-faire t'accompagnent sur la route que tu sauras, j'en suis sûr, te tracer...
-Artisanat-
Chapitre 2
Nourriture
C
her ami,
J'espère que toi et ta famille vous portez bien. Ici, dans le Sud de Reizh, le temps est
mauvais. Je continue mes recherches, mais elles ne donnent malheureusement rien
pour l'instant. Pour te distraire, je te fais parvenir un fabliau de la fameuse barde Alwen Mac
Uvelan. Il traite de l'art culinaire, ce qui devrait intéresser un grand cuisinier comme toi. à ma
Alan
connaissance, ce texte était tombé dans l'oubli jusqu'à ce que je découvre un vieux parchemin
chez un brocanteur de Kalvernach.
J'espère vous rendre visite bientôt. Ton ami,
" lutôt manger l'avoine de mon cheval que le plat ne vient le relever. Choucroute, saucisses et pommes de
que tu viens de me servir, cuisinier ! " Voilà par terre que ne parfume pas même cette bière qu'on dirait sor-
quelles paroles l'un des premiers commandeurs tie de votre derrière ! Mes reproches sont-ils désormais
continentaux à poser le pied en Tri-Kazel accueillit le plat assez bien tournés pour qu'enfin vous me serviez un plat
servi par celui qui passait pour être, à l'époque, l'un des digne d'un cuisinier ? ".
meilleurs chefs de la péninsule. Autant dire que la rencontre Ce dernier, qu'on disait rimailleur à ses heures, se sentit dou-
entre les deux hommes était mal engagée... blement insulté et s'en retourna en cuisine avec un sinistre
" Sachez, monsieur du Continent, qu'ici, en Tri-Kazel, mes projet. Il prépara un plat qu'on dit digne d'un roi et le mit à
110 plats passent pour des poèmes et que, considérant ce qu'of- cuire aux fourneaux avant de s'en retourner auprès de son
fre notre terre, il n'est pas meilleur mets que ce que vous bourreau. Voilà ce qu'il lui dit :
avez ! Et puis-je vous demander, monsieur, ce qu'ici vous " Laissons-là les bons mots, monsieur du Continent. Vous
déplaît dans ce plat, afin qu'en cuisine je puisse l'y retourner ? " semblez ignorant des usages et des gens de notre péninsule.
Fort contrit d'une réponse si faussement policée, le com- Écoutez maintenant, sans le moindre scrupule, comment,
mandeur n'en répliqua pas moins : sur nos terres, on agrémente fécules et tubercules ".
" Vous maniez la langue bien mieux que les fourneaux, ce " Eh bien faites, gargotier, qu'on m'explique pourquoi vos
me semble ! Ce plat est si fade que tout mon corps en trem- grands plats n'ont pas plus de goût qu'un simple ragoût de rats ! "
ble. Les denrées qui le composent sont d'une telle pauvreté Le chef ne se laissa pas perturber et commença son exposé.
que c'est à peine si j'ose encore y mettre le nez. Nulle épice
A pprenez donc, monsieur, que notre pays enclavé ne nous donne pas toute liberté. Notre sol est souvent dur et le cli-
mat peu sûr : vent et pluie, neige et froidure... Rares sont les saisons favorables au marmiton : chacun se contente
d'un maigre menu, vous voilà donc prévenu. Ainsi choux, pommes de terre et cochonnailles sont nos principales vic-
tuailles. à cela s'ajoutent les chèvres et les boernacs qu'on assaisonne souvent d'oignons et exceptionnellement de la chair du
mouton, créature souvent préservée pour la laine dont on fait nos saillons.
qui restent rares mais font notre fierté. Enfin, vous compre-
Les condiments nez sur quelle indigence repose notre cuisine et combien
votre peu de clémence ne peut être badine. Cela ne m'empê-
L
es seuls agréments viennent des graisses des boer- chera pas de vous servir un plat de tout premier choix.
nacs, du saindoux et de rares crèmes gardées pour les Attendez-moi ici ; du fond de mes cuisines, je m'en vais
fêtes ou comme aphrodisiaques. Ceci semble mono- vous chercher une assiette que nul ne trouve anodine ".
tone ? Exact, mais parfois, avant l'automne, on trouve des
baies sucrées et colorées qui confèrent aux plats un aspect
bien plus gai. Or, vous n'êtes pas de saison, et les seuls fruits Quelques anecdotes en
disponibles sont, en hiver, des pommes juteuses servies en
agrément, en compote ou entières et pures. On fait égale- guise de dessert
ment un alcool crémant des pommes les plus mûres. Enfin,
L
le sel ne vient jamais à nous manquer de par nos monta- e chef s'absenta pour revenir presque aussitôt face à
gneuses contrées et, pour obéir à vos arrêts, le repas que je un commandeur qui continuait à le prendre de haut :
vous ai concocté sera bien davantage relevé... " Ce n'est pas trop tôt, monsieur du cuisinier, mon
estomac est un gouffre que plus rien ne peut combler et mon
palais n'en peut plus d'enfin goûter une chose qui le satis-
fasse et que vous accompagnerez, j'espère, de votre meilleur
La mer et les denrées schnaps ! ".
Le cuisinier ne répondit pas, il se contenta de servir les plats
côtières et d'observer son convive les engouffrer sans la moindre
invective. Une fois le repas avancé, il reprit la parole pour
J
e vous ai dit ce que nous avions, voici tout ce dont
nous manquons et qui rend notre cuisine, à votre plat fut salé, mais il aura un coût car
palais, aussi peu fine. Boernacs et chèvres nous don- aujourd'hui c'est votre mort qui vous
nent du lait, certes, mais en bien maigre quantité. fut servie. Le poison dans vos veines
Ainsi les crèmes sont rares, tout comme les fromages achève son effet. Votre voix si hau-
dont on prend grand soin au long de l'affinage. Dans nos taine meurt devant ce banquet ! "
contrées, on trouve peu d'abeilles, et de ce fait il n'y a Ainsi s'achève l'histoire du
que peu de miel. Pire : sucre, poivre, épices, ail, herbes, poète-cuisinier et du fier com-
huiles et ce que vous appelez tomates manquent chez mandeur. Elle vous fut contée
nous, tout comme d'autres aromates. Il n'y a que la mou- par un simple jongleur mais
tarde et le sel pour garnir les plats en Tri-Kazel. Pas de faites tinter la monnaie car,
cucurbitacées, quelques fruits, mais veuillez m'en tout comme les cuisiniers,
croire, ni pastèques, ni agrumes, ni cerises, ni même la les conteurs eux aussi
moindre poire ! Nous n'avons pas de vin, n'ayant pas de possèdent leur fierté !
vignes, mais nos bières et nos cidres sont tout aussi
dignes, sans parler du schnaps et des alcools liquoreux
-Nourriture-
Famines
C
e fabliau vous a-t-il
amusé messire ? Je sais
que mon intervention
vous paraîtra outrecuidante, mais
j'espère que vous entendrez ma
prière : ne négligez pas l'impor-
tance de la nourriture pour le peu-
ple de Tri-Kazel et la stabilité
politique de votre royaume. Un
vieil adage de nos contrées clame
bien que ceux dont le ventre crie
famine ne peuvent converser avec
ceux qui sont repus !
C'est un problème que nous avons toujours connu dans nos contrées montagneuses et parfois trop isolées. Et nous n'y
apportons que peu de solutions, n'y remédiant que lorsqu'il se présente, quand nous devrions tout mettre en œuvre pour
l'anticiper. Ainsi, des villages enclavés disparaissent parfois sans que nous ayons même eu le temps de pouvoir inter-
venir. Pourtant, nous connaissons bien les ravages de la famine, nous en avons parfois nous-mêmes fait une arme pour
obtenir la reddition d'une cité dissidente, sans même avoir à combattre. Et, si nous n'avons encore jamais eu à l'utili-
112 ser, vous savez que la famine peut aussi devenir défense face à une armée d'invasion, en détruisant ou en brûlant tout
derrière notre retraite, afin d'ôter à l'ennemi tout moyen de se ravitailler. Nous la connaissons donc bien, sachant la
provoquer, et pourtant rien n'est plus dur que de l'enrayer lorsque nous devons y faire face.
C'est notamment la période de soudure, qui fait la transition entre les stocks de l'ancienne récolte et la nouvelle, qui
est la plus dangereuse pour notre peuple, qui essaye de cultiver une terre déjà difficile en elle-même. La famine rend
rapidement les corps faibles et malades, prêts à succomber aux épidémies qui se répandent d'autant plus vite dans ces
conditions, jusqu'à aboutir à de véritables hécatombes au cours desquelles des populations entières disparaissent dans
de terribles souffrances. Que la guerre s'en mêle et tout ceci prendra des airs de chaos généralisé, faisant passer aux
yeux de notre peuple les pires fléaux pour de simples nuages dans leur existence, comparés aux maelströms de la
famine.
La faim ou l'ingestion de nourritures avariées entraînent des fièvres aiguës, des lésions dans la gorge et des diarrhées
incontrôlables. On fait également cas de démangeaisons pestilentes, de taches abdominales et d'hébétudes qui condui-
sent fatalement à la mort. On meurt de faim, certes, mais surtout des épidémies qui s'engouffrent dans ce terreau extrê-
mement favorable et déciment rapidement les plus faibles, notamment les enfants. Inutile de choisir entre la peste et
le choléra, vous devrez souvent faire face aux deux à la fois en de telles périodes, et au sens propre, malheureusement.
Sans compter les ravages que provoqueront les diverses émeutes, qui sont bien compréhensibles dans ces conditions,
mais s'avèrent alors d'une violence proprement inouïe, poussant certains, on l'a vu, à des actes cannibales.
Souvenez-vous donc de la Famine Blanche qui ravagea notre péninsule il y quelques siècles, mais dont le peuple garde
la hantise. à cause d'une chute de température drastique vers l'an 360, l'hiver se prolongea jusqu'à l'été. Des régions
entières se retrouvèrent isolées du reste de la péninsule, soumise à une autarcie plus grande encore qu'à l'accoutumée.
Elle s'avéra catastrophique quand de nombreux plateaux cultivables se révélèrent inexploitables, du fait du gel et de
la neige. La famine d'alors fut sans précédent, elle annihila des villages entiers dont on a oublié jusqu'au nom
aujourd'hui, poussant les plus fous et les plus désespérés à des comportements barbares et inhumains. Les feondas
s'en donnèrent à cœur joie à cette époque et balayèrent ceux que la famine n'avait pas naturellement emportés.
Une telle catastrophe peut se reproduire, messire, et, malgré vos gardes qui approchent pour me faire taire et punir
mon insolence, j'ose vous demander grâce et réclamer la création urgente d'une délégation capable de travailler effi-
cacement aux moyens de prévenir les famines et d'en éloigner le spectre qui nous toise encore de son ombre, à mesure
que l'hiver se fait plus froid.
-Nourriture-
Chapitre 2
Architecture
Lettre adressée à Drulaan Gralec par Kelvorch Lochaed, étudiant à l'Académie des sciences,
techniques et ouvrages appliqués d'Osta-Baille.
her professeur,
Je dois vous avouer que me résoudre à coucher sur parchemin le court essai qui suit ne fut guère facile. Vous
m'avez longuement expliqué à quel point il était nécessaire que je mène ma propre réflexion sur les raisons qui font
de l'architecture une science nécessaire au bon fonctionnement de la civilisation. Vous m'avez demandé de passer en
revue tous les bâtiments et constructions, depuis le simple appentis destiné à abriter les outils de l'artisan jusqu'aux
vertigineuses envolées des édifices magientistes. Au début de mes travaux, certaines choses m'apparurent
futiles et une perte de temps. Mais je me suis finalement résolu à étudier le plus grand nombre des
ouvrages que l'homme a érigé en Tri-Kazel, afin d'affiner ma connaissance de la science que
je m'apprête à mettre en œuvre.
113
B
ois, briques et pierres sont les matériaux les plus couramment utilisés pour la construction des habitations et
bâtiments. Le pin est particulièrement prisé, car il pousse vite et se trouve en grandes quantités, mais on uti-
lise aussi beaucoup l'épicéa et le chêne. Le cèdre est réservé à la confection du mobilier intérieur, de même
que le noisetier. Quand cela est possible, les briques sont séchées au soleil mais elles sont le plus souvent cuites. Pour
les pierres, le grès et le granite sont d'excellents choix, d'autant que ce dernier affleure en abondance le long des reliefs
montagneux, omniprésents en Tri-Kazel.
Le bronze et le fer servent essentiellement pour les serrures, les clefs, les outils agricoles ainsi que ceux des artisans.
Ils sont aussi utilisés pour renforcer les bâtis de ponts, fabriquer des grilles, et être forgés en chaînes pour baliser cer-
taines voies, ou pour barrer l'entrée des ports.
De l'architecture rurale
J
'évoquerai pour commencer les plus petites agglomérations rurales, essentiellement des fermes fortifiées. Les mieux loties
jouissent d'un triple dispositif de protection : un talus d'un bon mètre de hauteur précède un profond fossé dominé par une
palissade de pieux acérés. Un unique accès est aménagé sous la forme d'un pont de planches qui surplombe le fossé et mène
jusqu'à une solide porte à double battant. Ce passage est juste assez large pour laisser passer une charrue attelée de deux
boernacs.
Le corps de logis est construit au centre des fortifications, près du puits d'eau potable et d'un petit verger ou potager destiné à
assurer l'alimentation des habitants. Les étables et granges sont situées de part et d'autre, secondes lignes de défense dérisoires.
Enfin, une petite tour de bois, suffisamment haute pour pouvoir surveiller toutes les directions, est installée sur une élévation
artificielle non loin de la palissade. Des guetteurs s'y relaient en permanence, de jour comme de nuit.
Les villages constituent la forme d'agglomération rurale la plus courante et comptent une vingtaine à une centaine d'habita-
tions pour les plus grands d'entre eux. Ils se sont développés autour de lieux stratégiques, le long d'une voie d'eau (fleuve,
rivière, torrent), au sommet d'une butte escarpée, près d'un
oratoire demorthèn élevé sur une colline aux flancs fertiles
ou au bord d'un lac. Nul plan d'urbanisme n'a présidé à leur
croissance, qui s'est effectuée en suivant la liberté qu'on sup-
pose à la nature. Cependant, on y retrouve un certain nombre
de caractéristiques communes, qui permettent d'oser des De l'architecture
comparaisons entre toutes ces agglomérations rurales. Une
ou plusieurs places de forme essentiellement circulaire (sans
considérée comme
doute un rappel inconscient des nombreux cercles de pierres une haute science
dressées qui parsèment la péninsule) offrent un espace
J
dégagé où les habitants peuvent se réunir pour discuter. Un usqu'à ce point de mon étude, l'architecture n'a
grand arbre y prodigue souvent son ombre, ainsi qu'un puits été considérée que comme une science appor-
d'où l'on peut tirer une eau qui reste fraîche même en plein tant des réponses aux nécessités de l'homme.
cœur de l'été. C'est là la raison première de son existence.
Mais nous allons voir qu'elle existe aujourd'hui
Les habitations sont le plus souvent pourvues d'une solide d'une toute autre manière. Les nombreuses tech-
114 porte, de fenêtres étroites, et entourées d'un mur bas. La cour niques sur lesquelles elle se fonde ne sont plus seu-
délimitée par le mur est souvent aménagée en jardin potager lement au service de l'utilité commune, mais égale-
et plus rarement en parterres fleuris. Des sculptures évoquant ment de la créativité et de l'expressivité de l'archi-
les esprits de la nature ou plus rarement un glorieux ancêtre tecte.
peuvent agrémenter les lieux, mais les villageois se conten-
tent habituellement de simples décorations florales. Nous savons tous que les autochtones de Tri-Kazel
vécurent de façon fruste dans les premiers siècles
Les toitures sont inclinées à cause des fortes chutes de neige de notre histoire. Leur souci premier à l'époque de
et recouvertes de chaume ou d'écorce et de terre mélangée à l'Aergewin était de survivre aux colossales créa-
de la paille. Les toits pentus des maisons plus riches adoptent tures qui sillonnaient le territoire péninsulaire. Ils
des revêtements de bardeaux, d'ardoises et très rarement de devaient également trouver des refuges pour échap-
tuiles en terre cuite. En plus de la cheminée, on aperçoit par- per aux montées des eaux et se protéger des intem-
fois à leur faîte une girouette fatiguée, une statue ou un péries violentes qui balayaient Tri-Kazel en ces
pignon décoré. temps anciens.
Du fait de la recrudescence des raids feondas ces dernières Lorsque ces menaces s'apaisèrent, les hommes
années, de nombreux villages se sont dotés de fortifications purent exercer leur réflexion sur de nombreux
plus ou moins élaborées afin de pouvoir se défendre. Des sujets : la construction de bâtiments fut l'un de ceux
palissades de pieux, de rondins ou de planches renforcées de qui bénéficia le plus vivement de leurs richesses
fossés et talus constituent le cœur de ce type de dispositif qui intellectuelles. C'est ainsi que naquit véritablement
imite imparfaitement les ouvrages militaires. Celui-ci est l'architecture, qui ne tarda pas à acquérir le statut de
parfois complété d'une ou plusieurs tourelles et, dans le meil- haute science qui lui est aujourd'hui unanimement
leur des cas, par un chemin de ronde sommaire situé sur le reconnu.
bord le plus exposé de la palissade. Des dispositifs d'alerte
tels que des sémaphores grossiers, des gongs ou des tocsins
permettent d'avertir rapidement tous les habitants en cas de
menace imminente. Certains villages situés dans les zones
sensibles ont même creusé des souterrains, parfois reliés aux
caves ou aux réseaux miniers existants.
-Architecture-
Des ponts
pour passer au-dessus du vide échouèrent dans des effondre-
L
e pont est l'ouvrage qui caractérise par excellence Tri- ments meurtriers. Beaucoup de ponts furent bâtis en bois et
Kazel. Que l'on se trouve en Taol-Kaer, Reizh ou en briques, mais leur solidité laissait à désirer. Aujourd'hui,
Gwidre, ses piles sévères et ses arches monumentales les ponts qui relient les grands axes commerciaux et les cen-
sont un passage obligé pour le développement de la civilisa- tres du pouvoir sont en belle pierre des montagnes et
tion. Les plus grandes cités, telle Osta-Baille, ne seraient quelques-uns sont même édifiés dans un mélange de terre
rien sans les longs tabliers de pierre qui les relient au reste volcanique et de chaux, auquel on a incorporé des morceaux
du monde. de tuiles brisées. Grâce à ces robustes constructions, une
Les avancées en matière de construction permirent de fina- vingtaine d'hommes à cheval peuvent franchir à leur aise
liser la mise en œuvre de réseaux de communication, restés des précipices baignés de brumes et un convoi de marchan-
jusqu'alors inachevés par méconnaissance des techniques dises s'enhardir à traverser mille pieds au-dessus d'une
adéquates. Dans un territoire au relief aussi accentué, il fal- gorge noyée dans les ombres. Des trajets qui prenaient des
lait impérativement pouvoir enjamber des crevasses et des semaines s'effectuent aujourd'hui en quelques jours et c'est
à-pics vertigineux : ce qui devint possible avec le pont. Sans ainsi que les hommes se rapprochent les uns des autres, en
les secrets des piliers et des arches, les premières tentatives tout cas lorsque les feondas leur en laissent la possibilité…
N otre fuite nous avait entraînés bien plus loin que nous ne
l'avions imaginé. La créature était sur nos traces, nous sentions sa présence autour de nous, semblable à l'en-
têtante fragrance d'un encens de mauvaise qualité ; mais elle demeurait invisible, attendant le moment où nous
serions trop épuisés pour fondre sur ses proies et les dévorer. Les brumes tissaient leur impénétrable écheveau autour
de notre misérable convoi, dirigé par un homme qui avait perdu toute raison. En tant que conseiller du seigneur Maorich,
j'avais pris le relais et je tentais tant bien que mal de nous orienter dans le lacis sinueux des sentes montagneuses. Mais 115
j'avais de plus en plus de difficultés à apaiser les tensions entre les soldats, les artisans, et la femme de Maorich. Le vari-
gal qui nous accompagnait ignorait tout de cette région hostile et aride, perdue à la pointe sud-ouest de la péninsule, et
il ne trouvait aucun signe du passage de ses confrères. Nous commencions à manquer d'eau et de vivres ; l'espoir de
nous en sortir s'amenuisait autant que la lumière, captive du brouillard.
Le soir du dix-neuvième jour, nous sentîmes que la créature monstrueuse se rapprochait. Son souffle rauque résonnait
à mes oreilles et son odeur détestable me mettait le cœur au bord des lèvres. Nous avancions aussi vite que nous le pou-
vions, au milieu des épaisses volutes de brume qui nous masquaient toute visibilité. Deux hommes s'abîmèrent dans le
ravin le long duquel nous progressions. Les échos de leurs cris refusèrent de mourir et dansèrent longuement dans ma
tête comme la promesse de ma disparition prochaine. Tout était fini, je le savais. Mes dernières forces me quittaient. La
créature s'apprêtait à se jeter sur moi et à me déchiqueter comme un vulgaire morceau de viande.
Et puis, soudain, je vis les brumes s'ouvrir et dévoiler une gigantesque crevasse aux profondeurs impénétrables. Un pont
titanesque l'enjambait, du moins jusqu'au seuil d'une étrange nappe de brouillard tourbillonnante qui occultait ma vision.
Je n'avais jamais de ma vie contemplé un tel ouvrage : il scintillait légèrement, sa surface lisse et uniforme pareille à un
somptueux pavement de marbre. Ses arches puissantes bondissaient au-dessus du précipice, tels des fauves en chasse,
s'appuyant sur des piles colossales dont je n'apercevais que le sommet. Il émanait de la construction une telle solennité
que je me mis à pleurer comme un enfant. J'eus l'impression que des visages étaient sculptés le long de la ligne élégante
des arches, mais je ne pus m'en assurer. Un hurlement déchira l'air derrière moi. Je ne pris pas la peine de me retourner
et m'élançai sur le pont. Je manquai m'étaler de tout mon long sur le tablier brillant tant celui-ci était glissant. Me réta-
blissant juste à temps pour maintenir mon équilibre, je décidai de poursuivre sans ralentir mon allure.
Non sans une rapide hésitation, je plongeai dans le rideau de brume ondoyant. Je n'eus pas le temps d'avoir peur que
déjà j'émergeais du linceul virevoltant en courant. Pendant quelques secondes, je m'étais retrouvé comme au milieu de
riches tentures en velours moiré, brûlantes ou glacées, tandis que des voix m'appelaient par mon nom, me murmurant
d'incompréhensibles paroles. Mais, les pieds dérapant sur la surface lisse du pont, filant à toute allure le plus loin pos-
sible du monstre qui me traquait, j'étais certain d'avoir été victime d'une hallucination.
Parvenu de l'autre côté du gigantesque ouvrage, je m'arrêtai un instant pour reprendre mon souffle. Quelle ne fut pas ma
stupeur quand je constatai que mes mains portaient toutes deux des marques azur et carmin, pareilles aux traînées lais-
sées par le contact d'une aile de papillon. Des marques aux couleurs identiques à celles des tentures que j'avais écartées
pour m'extraire de la brume…
Personne d'autre ne semblait m'avoir suivi, j'avais perdu l'expédition et la créature, à ce qu'il me semblait.
Rapport de Kelt'hian de Lorch au sujet de la disparition du seigneur Maorich.
Du paysage urbain
C
ertains de mes pairs voient les villes comme des cœurs irrigués par le va-et-vient incessant de la populace qui emprunte
ses ponts. Je suis entièrement d'accord avec eux, car ces centres populeux sont des bouillonnements de vie, des effu-
sions constantes de pensées et d'actions.
Je crois pouvoir dire que les architectes de Tri-Kazel ont été avant tout des hommes pragmatiques, certes non dénués d'une cer-
taine sensibilité esthétique, qui ont privilégié l'efficacité et la longévité à d'accessoires enjolivements. Mais, pour autant, notre
science affiche une solidité et une grandeur desquelles nos compatriotes tirent leur force et pour lesquelles ils éprouvent crainte
et respect. Les fiers palais aux tours larges, aux enceintes hautes et menaçantes, les demeures de pierre aux silhouettes mas-
sives participent d'une union presque naturelle entre des considérations techniques, pratiques, politiques et pourtant artistiques.
Je viens d'évoquer ces généralités d'importance, mais il me semble bon de préciser que quelques splendeurs héritées de l'ancien
temps ou issues de l'esprit curieux d'un architecte avide d'expériences nouvelles, révèlent des formes anguleuses, des arêtes
vives, des pans de murs en biseaux, ou des flèches élancées tendues bizarrement vers le ciel. à la vue du Castel d'Aodreth, ce
nid d'aigle imprenable, ma pensée et mon cœur s'émerveillent, mais je reste sceptique quant à la fonctionnalité d'un tel mons-
tre, tout entier dédié dans ses innombrables aspérités aux tortueux méandres d'un esprit fou ou rêveur épris d'absolu.
Le Castel
d'Aodreth
P ouvait-on concevoir plus extraordi- Nos villes sont conçues pour être des entités " vivantes ".
naire vision que celle de cette gigantesque Bien que divisées en quartiers, on peut les comparer à un
citadelle dressée au sommet du col d'Oerdh ? corps humain, avec son cœur, son cerveau, son tronc et ses
Pour ainsi dire suspendue dans le ciel, la phénoménale membres.
construction aux tours arachnéennes ressemblait à un Les actions futures s'élaborent dans les centres du pouvoir,
oiseau mythique hésitant à prendre son envol. politiques et intellectuels, qui sont souvent indissociables.
116 Sculptées de balcons curieusement inclinés, de gale- Les décisions prises par les puissants sont guidées par les
ries aux fines colonnades invitant le froid noroît et la intuitions de nos plus brillants érudits et savants, qui ont suivi
glaciale septentrine à s'y engouffrer, les hautes flèches les enseignements de maîtres prestigieux dans les académies
en pierre blanche perçaient farouchement les nuages, ou les guildes. Ainsi les hauts murs des castels des seigneurs
telles des plumes aussi acérées que des lames de côtoient les façades austères des centres du savoir. Les mar-
Tugarch'. Un frisson mystique, comme celui qui chés s'installent naturellement sur les grandes places circu-
accompagne une révélation, me parcourut l'échine. laires, privilégiant la formation en arc de cercle qui laisse
Qui pouvait avoir construit un tel édifice ? Et pourquoi libre le centre de l'espace où tout un chacun peut déambuler
dans un lieu aussi inaccessible ? Était-ce pour y garder à loisir, et converser librement sans être gêné par le bourdon-
un trésor ? Y enfermer une bête légendaire de nement de la foule. Des fontaines et des puits disséminés aux
l'Aergewin ? Ou bien se retirer d'un monde qui ne vous quatre coins de la ville facilitent l'alimentation en eau pota-
a apporté que des soucis, s'oublier en un lieu à la trou- ble en cas de siège, ou son transport lors d'un incendie.
blante altérité, reflet réel d'un songe ou d'un cauche- Il va de soi que nos villes sont bâties sur des sites qui répon-
mar ? J'étais pour lors bien incapable de le dire. Mais dent à deux exigences fondamentales : la présence d'eau et de
je comptais le découvrir tôt ou tard. défenses naturelles. De nombreuses rivières souterraines
Les Chroniques d'Arenthel - Livre III coulent au sein de nos montagnes, invisibles. Ingénieurs et
magientistes ont conçu des mécanismes subtils pour canali-
ser l'eau et la faire circuler là où les citadins en ont besoin.
Quantité de moulins hydrauliques ou éoliens utilisent les énergies élémentaires pour fonctionner, et il n'est pas rare d'enten-
dre tourner leurs roues ruisselantes et de voir leurs ailes fendre les airs quand on arpente les routes qui mènent aux grandes
cités reizhites.
J'ai entendu dire, sans avoir eu l'opportunité de le vérifier, que les daedemorthys avaient bâti d'étranges complexes architec-
turaux fonctionnant sur le même principe que les moulins, mais alimentés par la combustion de matières organiques ou miné-
rales. Je ne sais s'il s'agit ou non de racontars, mais il est certain que la plupart de leurs constructions sont étonnantes, telle-
ment éloignées des canons qui gouvernent notre science qu'on peut s'interroger sur les réflexions qui les ont conduits à
emprunter ces directions pour le moins surprenantes…
Une ville est divisée en quartiers, eux-mêmes quadrillés par un maillage d'allées, de rues, de ruelles et de venelles, aérées par
des places et des esplanades sur lesquelles viennent se produire artistes, écrivains publics et orateurs, ou encore flâner les
enfants de la bourgeoisie marchande. Les ateliers des artisans jouxtent les étroites maisons des roturiers et les hautes proprié-
tés des notables sans que cela ne suscite trop de gêne. Nos citadins savent bon gré mal gré se conformer aux lois édictées par
les seigneurs mais cela n'empêche pas un grand nombre de quartiers de devenir des coupe-gorges sordides.
-Architecture-
Osta-Baille : Villes et nature
une référence pour
Q
ue seraient nos villes sans les arbres et la végéta-
des villes plus sures
^ tion ? Des endroits tristes et inquiétants. C'est en
tout cas ce que je pense. L'aménagement de parcs
publics et de jardins privés répond sans doute à l'aspiration
J
'ai ouï dire que de nombreux ansailéir ont essayé de lut-
ter contre l'étroitesse des vieux quartiers qui favorise la inconsciente de retrouver la proximité d'un habitat naturel
violence, les maladies et les accidents en tout genre. réconfortant et la présence d'une certaine spiritualité. Les
Combien d'incendies dramatiques auraient pu être évités demorthèn, principales figures des cultes traditionnels,
si les maisons n'étaient pas ainsi serrées à se toucher ? Dans dédaignent les villes, et ils sont très peu nombreux à s'y ins-
Osta-Baille, les choses sont heureusement bien différentes. taller.
Le crime continue à se terrer dans les impasses ou les col-
lecteurs d'eaux usées, mais son habitat se réduit chaque jour La plupart des jardins laissent l'harmonie naturelle prévaloir
un peu plus. L'ansailéir Eober poursuit l'œuvre de ses prédé- sur l'illusoire perfection à laquelle s'essaye la main de
cesseurs ; les bâtisses les plus vétustes sont abattues pour l'homme. Des pierres, des feuilles et des aiguilles jonchent
laisser respirer des zones autrefois étranglées. La lumière se le sol dans un fouillis apparent ; une tonnelle fleurie abrite
répand enfin sur les façades aveugles des bicoques trem- la représentation d'un esprit de la forêt ; un monolithe gravé
blantes. d'arabesques végétales, de créatures étranges ou de signes
En sécurité derrière les murailles de leur cité, les habitants inconnus se dresse au beau milieu du chemin, ou au centre
mènent une vie à peu près paisible. Les milices ostiennes d'un cercle gazonné.
patrouillent avec vigilance, sans troubler les conversations,
mais agissant avec promptitude au moindre incident. La présence des rites demorthèn s'y devine en filigrane. Les
Le plus grand risque reste celui d'une épidémie, mais, là jardins sont tout entier imprégnés de l'essence sacrée de ces
encore, les architectes s'emploient à réduire le danger. à mystères, tirant leur vitalité de la ronde sempiternelle des
l'exception des places ou des larges voies principales, les saisons et des énergies telluriques, qui tissent leur trame
rues pavées sont légèrement en pente, de sorte que les juste au-delà de la perception profane.
rigoles centrales charrient sans difficulté leurs ordures
jusqu'à des conduits qui débouchent dans le vide, à plusieurs Je suis cependant intrigué par cet étrange art topiaire, qui
centaines de pas au-dessus du sol ou dans des cloaques creu- prend comme postulat l'axiome inverse de celui de l'archi-
sés sous la ville. L'inclinaison est suffisamment faible pour tecture : tailler les arbres et les arbustes en s'inspirant des
ne pas gêner l'avancée des véhicules à roues et ne pas épui- monuments et non concevoir les édifices en puisant dans la
ser les vieilles gens, du moins dans les axes principaux. Il richesse et la diversité de la nature. J'ai eu la chance d'admi-
117
existe cependant des cités aux rues fortement pentues, toutes rer des dessins représentant Ard-Amrach, la capitale de
en terrasses et en balcons, comme Kalvernach. Et l'on s'y Gwidre. Ils montraient de vastes jardins dont l'agencement
déplace moins aisément, bien que des rampes et des esca- était similaire à celui d'une ville, avec de larges allées fai-
liers aient été aménagés un peu partout. Des ingénieurs et sant le tour de parterres fleuris et de massifs arborés, bordés
magientistes y ont développé certaines de leurs inventions de buis coupés à la ressemblance de murailles et de longs et
les plus curieuses, comme cet élévateur à poulies qui permet étroits bassins de pierre où murmurait une eau fraîche semée
de franchir d'imposants obstacles verti- de lentilles. Les arbres et arbustes étaient taillés au cordeau,
caux en quelques instants. parfaitement ordonnés en rangées figurant des habitations ;
les fleurs formaient d'impeccables alignements de couleurs
étagées en bandes. D'improbables bataillons végétaux prêts
à défendre bec et ongles leur territoire !
Temple, magientistes et architecture
I
l me faut, non pas pour être exhaustif - car ma courte étude ne saurait y prétendre - mais bien pour évo-
quer un sujet touchant également à la spiritualité, parler quelque peu du Temple. La nouvelle religion
s'étend chaque jour un peu plus en Gwidre et même par-delà ses frontières. Les idées fortes qu'elle véhi-
cule sont relayées par des bâtisses hautes et hiératiques, sculptées sur leur façade de piliers imposants et des
visages sévères des plus grands de leurs hiérophantes passés. En leur sein, on se sent oppressé par des voûtes
colossales et par le peu de lumière, qui ne filtre que chichement depuis de petites ouvertures percées au niveau
des chapiteaux. Sans l'avoir vérifié par moi-même, j'ai ouï dire que le Temple avait repris à son compte le
modèle symbolique du labyrinthe, qu'il a adapté aux exigences de ses dogmes ; ainsi le novice peut s'initier, au
sein de dédales de cloisons étroites, au message ésotérique de cette nouvelle religion.
Quant aux fantaisies architecturales des magientistes, parfois d'une beauté foudroyante, souvent d'une franche
laideur, elles sont, comme je l'ai déjà mentionné, si complètement étrangères aux fondements de notre science,
qu'il me serait vain d'essayer de disserter à leur sujet. Tout au plus dois-je admettre que certaines de leurs réa-
lisations conjuguent l'élégance à l'efficience, quand les autres demeurent d'incompréhensibles chimères.
Voilà, j'espère que ce rapide essai aura su répondre à vos exigences et vous aura
assuré de ma bonne connaissance de l'état actuel de l'architecture et
de l'urbanisme sur notre péninsule.
Kelvorch Lochaed
-Architecture-
Chapitre 2
D
ans la salle du conseil seigneurial, le
vieux demorthèn Galenor méditait.
Devant lui, plusieurs morceaux de terre
Sociétés
cuite peints étaient posés sur la table. Ils avaient
été apportés la veille par un groupe de paysans qui
les avaient découverts près d'un cadavre, dans un terrain à la sortie du village de Louarn. Le malheureux avait sans
doute mis au jour l'antiquité en creusant une fosse dans son champ. Les assassins avaient laissé tous les morceaux
sur place ainsi que les quelques daols que la victime possédait. L'affaire restait mystérieuse mais tout portait à
croire qu'il s'agissait d'un vulgaire règlement de compte.
Les mains jointes, le demorthèn contemplait les morceaux de terre cuite représentant le combat de ses ancêtres contre
les feondas de l'Aergewin. L'humanité était née
dans les ténèbres et avait connu bien des atrocités
depuis son éveil. Il y a quelques siècles, les Trois
Frères avaient esquissé les bases d'un avenir flo-
rissant où l'humanité aurait pu continuer à se
développer, tout en vivant en harmonie avec les
esprits de la nature. Mais les colons du Continent
étaient arrivés. Leur science et leur Dieu avaient
définitivement enterré le rêve de trois royaumes
unis autour de la culture traditionnelle demorthèn.
Depuis longtemps, les horreurs de l'Aergewin
avaient été remplacées par des luttes futiles et
meurtrières.
- Galenor, vous semblez pensif. La voix fluette de
la jeune Maela Mac Loarans s'éleva dans la salle
du conseil. Elle prit place au côté du demorthèn.
Plus loin, le trône de son père restait vide. Maela
avait un joli visage, encore juvénile. Elle venait
d'avoir seize ans et était déjà appelée à succéder à
son père mort un an plus tôt. Le demorthèn
esquissa un sourire mais rien ne pouvait dissiper
la gravité inscrite dans chacune des ridules de son
visage. La jeune fille continua :
- Les érudits m'ont longuement entretenu sur l'his-
toire de notre Péninsule. Selon eux, mon ensei-
gnement ne saurait être complet sans un traité sur
la société de Tri-Kazel.
- Oui, Maela Mac Loarans. C'est le vœu de votre
défunt père et j'assurerai personnellement cette
dernière partie. Ma régence touchera bientôt à sa
fin et vous allez devoir prendre vos responsabili-
tés. Comment pourriez-vous régner sur cette
région sans connaître l'organisation sociale de
notre péninsule ?
Louarn était un petit domaine talkéride du duché
de Salann Tir, perdu derrière les Mòr Roimh. Dans
cette région sauvage où la capitale Osta-Baille
était une légende lointaine, la famille Mac
Loarans était connue pour être fidèle au roi de
Taol-Kaer. Le demorthèn poursuivit :
- Comme vous le savez, du fait de l'influence
outrancière des daedemorthys et des prêtres du
Temple, notre société a connu des évolutions dras-
tiques. Il nous faudrait plutôt parler de trois socié-
tés distinctes, tant les royaumes de Gwidre et de
Reizh se différencient un peu plus chaque jour de
notre bon royaume de Taol-Kaer.
La société Tri-Kazelienne
A
vant d'en venir aux spécificités induites par le Temple et les magientistes, laissez-moi vous faire une présentation
- générale de la société péninsulaire. L'organisation sociale clanique traditionnelle et le système féodal cohabitent tant
bien que mal dans notre Péninsule. Cette société mixte est constituée de plusieurs castes sociales qui se retrouvent
dans les trois royaumes. Chaque caste se distingue par des privilèges, des droits et des devoirs.
La société féodale
- La féodalité fut instaurée par les Trois Frères en même
La société clanique temps qu'ils prononcèrent le Serment, il y a presque mille
ans. Leur but était d'unir la Péninsule autour d'un pouvoir
Les clans osags n'ont jamais vraiment accepté l'autorité des central solide, afin de favoriser l'essor des peuples tri-kaze-
Trois Frères. Leurs communautés sont régies par les cou- liens dans le respect des cultes demorthèn traditionnels.
tumes claniques telles qu'elles existaient dans les temps L'avènement du système féodal vint consolider les trois
anciens. Certains d'entre eux continuent même à utiliser la royaumes naissants. En cette époque incertaine, les Trois
langue ancienne. Le droit y est coutumier, sa transmission Frères s'entourèrent d'hommes forts et de chefs de clans qui
orale et les demorthèn sont écoutés avec respect. Il ne reste leur prêtèrent serment d'allégeance. Les rois déléguèrent à
que peu de ces clans mais les villages et les communautés ces premiers nobles une partie de leur pouvoir afin que
rurales ont conservé en partie leurs traditions. ceux-ci fassent respecter l'autorité royale. Chaque suzerain
- Mon père m'a parlé de cela. Il m'a dit aussi que ces cou- pouvait recourir à l'appui financier et militaire de ses vas-
tumes et ces lois varient d'un clan et d'une vallée à l'autre. saux, en contrepartie de quoi il s'engageait à les protéger
Ne pensez-vous pas, Galenor, que tous devraient respecter avec son armée. Il fallut plus d'un siècle et de nombreuses
les textes promulgués et consignés dans les livres de lois guerres contre les clans récalcitrants pour asseoir ce sys-
d'Osta-Baille ? Nous le faisons bien, ici à Louarn. Pourquoi tème.
pas eux ? Galenor fit une pause. Maela était concentrée. Il reprit :
- Maela, sachez que j'œuvre chaque jour pour que le peuple - La véritable noblesse est originaire de ces guerriers qui ont
respecte l'autorité du roi de Taol-Kaer. Les Osags, au-delà juré fidélité aux rois de Tri-Kazel. Vous descendez de ces
de leur caractère rebelle, sont porteurs de nos traditions les illustres seigneurs, Maela. Depuis les temps du Serment, la
120 plus ancestrales. Notre roi, dans sa sagesse et sa clair- famille Mac Loarans sert la couronne et votre aïeul
voyance, a toujours fait preuve de mansuétude à leur égard, Cadwalader Loarans a combattu aux côtés de Taol-Kaer lui-
ce qui favorise le maintien de ces traditions. Le risque que même. Cette noblesse d'épée n'a rien à voir avec celle des
l'ensemble de Tri-Kazel ne sombre dans les croyances cités reihzites qui est devenue une noblesse de cour. Ce phé-
futiles venues du Continent est toujours vivace. C'est un nomène s'est amplifié depuis que Bronchaerd, roi de Reizh,
problème compliqué et un équilibre doit être maintenu entre a permis que l'on achète ces titres. Mais revenons à notre
ces diverses exigences. sujet… Cette aristocratie n'est qu'une petite minorité ; le
reste de la population forme la roture. Lorsque le système
féodal est bien implanté, les roturiers sont libres de travail-
ler la terre, d'utiliser les moulins, les fours et les infrastruc-
tures mis à leur disposition. En échange, ils reversent une
part de leur production au seigneur local et doivent s'acquit-
ter d'un certain nombre de corvées telles que l'entretien des
palissades et des murailles, le labour des terres seigneuriales
et les tours de garde. Certains, suite à des endettements ou
après avoir été faits prisonniers lors d'une guerre, sont deve-
nus les possessions d'un seigneur. Ils forment une dernière
caste sans droit ni liberté : les serfs. Néanmoins, le système
féodal est loin d'être appliqué partout. La plupart du temps,
le droit coutumier règne dans les communautés rurales. Il
privilégie la participation de chacun à la vie de la commu-
nauté et nul ne perçoit de taxes sur l'exploitation de la terre.
Je comprends la volonté de notre roi d'imposer la loi féodale
d'Osta-Baille dans toutes les régions afin de fortifier le
royaume. Mais, appliquée sans discernement, celle-ci a ten-
dance à pervertir insidieusement les mentalités. Des popula-
tions en viennent à se battre pour la propriété d'une parcelle
de terre, comme c'est le cas aux frontières des trois
royaumes. La terre n'appartient à personne ; elle nous per-
met de vivre mais nul ne devrait prétendre la posséder.
-Sociétés-
Société talkéride
L
a société de Taol-Kaer est un mélange entre traditions claniques et organisation féodale. Seules les grandes
cités et les communautés proches des seigneurs les plus fidèles à la couronne appliquent la loi féodale
d'Osta-Baille à la lettre. Dans la majorité des communautés, et en particulier dans les petits villages, le droit
coutumier et les traditions communautaires prévalent.
121
-Sociétés-
‘
Les alignements de Tursal
-Sociétés-
gneuriales selon le degré de vassalité. La justice se règle le
La justice plus souvent au bon désir du seigneur ou de la personne qu'il
a déléguée à cette tâche. On y traite des affaires qui n'ont pu
L
es dangers permanents qui règnent dans la péninsule être réglées par la communauté, ou des atteintes au seigneur
ne permettent pas que l'ordre civil établi soit mal- lui-même ou à ses institutions.
mené. Le plus souvent, la justice tri-kazelienne est
froide et directe. Elle ne cherche pas à effrayer mais agit
pour sauvegarder la communauté. La peine capitale par pen- Justice religieuse
daison est le plus souvent prononcée pour les crimes et les Gwidre a connu une évolution drastique de son système
trahisons. Ceux qui ne peuvent payer les amendes sont judiciaire depuis l'avènement du Temple en l'an 775. Le
envoyés aux travaux forcés ou deviennent serfs pour rem- clergé détient seul le pouvoir de faire appliquer la loi selon
bourser leur dette. La maintenance des ponts et des routes le droit canonique. Ce droit est basé sur les Écrits de
dans les régions les plus sauvages est souvent réalisée par Soustraine et s'inspire des six Ordonnances. Seule la capi-
ces prisonniers. D'autres sont envoyés protéger les angardes tale a gardé une cour royale présidée par le roi Dalenverch.
et les postes avancés les plus exposés. Les prisons et geôles
n'existent pratiquement pas car elles sont si coûteuses
qu'elles priveraient les royaumes d'une main d'œuvre cor-
véable à merci. Le bannissement, peine traditionnelle dans
les régions sauvages, est prononcé lorsque la culpabilité - Ce matin le conseil de Louarn a débattu de cette sinis-
d'une personne est incertaine. Le condamné est livré tre affaire. à présent, suivez-moi Maela Mac Loarans,
presque nu aux forces naturelles. car en ce quatrième jour de votre enseignement, vous
Dans les faits, les peines sont variables selon les régions et allez devoir assumer vos prérogatives. Selon notre tradi-
elles vont des amendes aux punitions corporelles les plus tion, c'est à vous que revient la tâche d'annoncer la déci-
sévères. Par endroits, et en particulier dans les villes, la jus- sion du conseil aux habitants de Louarn.
tice est devenue plus cruelle. Il arrive parfois que l'on laisse Maela avait le ventre noué. Elle avait écouté pendant des
le condamné à la merci de la vindicte populaire (lapidation, heures le conseil débattre du sort d'Aodren et, comme
bastonnade à mort, etc.). Afin de marquer les esprits, son père en son temps, elle avait présidé à cette réunion.
quelques seigneurs emploient des bourreaux qui redoublent La culpabilité du jeune homme était incertaine et c'est
d'inventivité lorsqu'il s'agit de trouver un moyen de mettre pourquoi le conseil s'était exprimé en faveur de l'exil.
fin aux jours des suppliciés (pendaison, écartèlement, déca- Prise au dépourvue et impressionnée, elle n'avait pu que
pitation, etc.). timidement hocher de la tête lorsque les sages lui avaient
La justice en Taol-Kaer est la plus disparate et celle où le demandé son aval.
124 droit coutumier se fait le plus sentir. En Reizh, on peut La jeune femme et le demorthèn sortirent et traversèrent
constater un droit relativement uniformisé et le livre de loi le village. Il pleuvait et les rues de Louarn étaient deve-
de Baldh-Ruoch y est largement diffusé et respecté. En nues boueuses et difficilement praticables. Au loin, des
Gwidre, la loi religieuse du Temple s'est quasiment substi- clameurs s'élevaient.
tuée aux anciennes règles. - Votre visage est pâle, Maela. Je comprends votre appré-
hension mais ne vous inquiétez pas, le conseil est là pour
vous soutenir dans cette épreuve. Vous êtes une descen-
Justice populaire et droit coutumier dante d'un compagnon d'armes du roi Taol-Kaer lui-
Dans les clans traditionnels, comme par exemple dans les même et en cela vous avez le pouvoir de rendre la justice
terres de Dèas au sud de Taol-Kaer, les lois peuvent grande- au nom de notre souverain, Erald Mac Anweald.
ment varier d'une communauté à l'autre. C'est également le Ils arrivèrent sur la place où s'élevait un chêne cente-
cas des petits villages reculés, éloignés de tout pouvoir naire. Une estrade avait été montée, sur laquelle se tenait
royal, où le droit coutumier dépend des mœurs locales. La un jeune homme au regard pétrifié de terreur. On distin-
justice populaire est parfois rendue par le traditionnel guait également l'ansailéir et trois dàmàthairs. Devant
conseil du village, constitué du chef de la communauté, du l'estrade s'agitaient et hurlaient de nombreux villageois.
demorthèn, d'une dàmàthair et d'un barde. Dans les régions Maela se sentit défaillir et se retourna vers Galenor,
où les traditions sont fortes mais où la féodalité s'est tout de blanche comme un linge. Le visage du vieux demorthèn
même instaurée, la cour seigneuriale est formée du conseil demeura impassible, son regard dur lui intimant l'ordre
du village, présidé par le seigneur. de monter à son tour sur l'estrade. Une clameur accueil-
lit la jeune femme qui allait annoncer son premier juge-
Cour royale et cour seigneuriale ment. Galenor fit un geste puis prit la parole lorsque le
silence se fit :
Le système féodal donne au roi le pouvoir de rendre la jus- - Le conseil a scrupuleusement étudié cette affaire et a
tice. Chaque capitale des trois royaumes possède une cour rendu son avis ! Comme son défunt père, Maela Mac
royale qui traite des affaires les plus graves. Elle peut être Loarans va vous annoncer le verdict.
présidée par le roi en personne, mais c'est bien souvent un Les villageois hurlaient de plus belle, la plupart d'entre
de ses conseillers qui s'occupe des affaires ne concernant eux réclamant la condamnation du présumé meurtrier.
pas directement le royaume ou la famille royale. Le roi Aodren, à peine vingt ans, suppliait Maela du regard. Les
délègue ce pouvoir à ses vassaux, qui doivent faire régner en membres du conseil la dévisageaient. La jeune femme
son nom la loi dans tout le royaume. Les seigneurs ont donc sentait ses jambes se dérober et son cœur battre dans ses
le devoir de rendre la justice. Il existe diverses cours sei- tempes. Mais elle allait devoir s'exprimer.
-Sociétés-
. d'influences contraires
Une mosaique
Extrait de " Peuples, populations et périples " d'Aeldred Firdh
R
étrospectivement, il apparaît que les neuf siècles qui se sont écoulés depuis les Fondations n'ont été
qu'une succession d'antagonismes plus ou moins reconnus comme tels. L'essor du système féodal et la
volonté d'assimilation des premiers souverains se sont heurtés comme on le sait aux traditions locales et
aux allégeances claniques. Si la noblesse actuelle est pour bonne part issue des anciennes lignées, sa situation est
loin d'être monolithique. Il existe encore de nombreuses vallées dans lesquelles, malgré son titre, le noble local
n'est aux yeux de ses sujets qu'un chef de clan. La notion d'identité s'affirme alors comme par le passé et l'étran-
ger, surtout celui qui souhaite s'installer de manière permanente, n'est guère apprécié. Par contraste, la noblesse
citadine est bien évidemment plus cosmopolite et possède une toute autre perspective, mais en rester à ces géné-
ralités s'avère trompeur. En effet, on ne compte plus les seigneurs ruraux qui s'enorgueillissent des exploits guer-
riers de leurs ancêtres au service du roi. Et à l'inverse, certains nobles des grandes agglomérations ne sont rien de
plus que des bourgeois qui ont acheté un titre et des prérogatives, mais qui ne s'embarrassent pas de patriotisme,
ni même d'attachement aux traditions.
Les siècles ont aussi vu certains groupes sociaux évoluer dans la manière dont le reste de la communauté les
considère. S'il faut en croire les sources dont nous disposons, les demorthèn, mais aussi les bardes, les varigaux
et les dàmàthairs jouissaient autrefois en de nombreux lieux d'un statut particulier. Ce statut n'avait rien de for-
mel, contrairement aux privilèges de la noblesse, mais les populations leur témoignaient un respect indéniable,
qui s'accompagnait d'un certain nombre de faveurs, voire de passe-droits avérés. La société féodale, même en
Taol-Kaer, qui reste des trois royaumes le plus attaché aux anciennes coutumes, a mis progressivement un terme
à cette situation. Si les demorthèn sont encore considérés comme des gens à part dans de nombreux endroits, le
rôle des varigaux et celui des bardes en sont souvent venus à se confondre avec ceux des colporteurs, ménestrels,
messagers et vagabonds en tous genres. En particulier, les citadins n'accordent plus à ces gens, pas plus qu'aux
dàmàthairs, le respect dont leurs prédécesseurs pouvaient jouir. Principalement parce qu'ils ne sont pas autant
dépendants d'eux que les ruraux.
Les contacts avec le Continent ont également favorisé l'essor de nouveaux groupes sociaux. L'apparition d'un 125
clergé officiel en Gwidre, pays ou les religieux jouissent d'ailleurs de prérogatives inscrites dans la loi, est l'exem-
ple le plus évident et le plus souvent cité par les profanes de transformation sociale. L'usage de la monnaie avait
déjà permis l'émergence d'une classe roturière aisée, mais les progrès technologiques inspirés directement ou non
par les magientistes ont accru sa puissance. Légalement parlant, un négociant, un artisan ou même un magientiste
d'origine roturière ne jouissent d'aucune considération spéciale, même en Reizh et contrairement à ce qu'affirment
certains individus partisans. Mais le contrôle des richesses financières, ou du savoir technologique, amène ces
individus à devenir presque par la force des choses des notables, dont on recherche les avis, voire les faveurs. Si
certains roturiers ont pu acquérir des titres nobles, ils l'ont pour la plupart fait dans la perspective de gagner du
prestige, ou des privilèges. Mais l'influence sur une communauté d'un érudit ou d'un négociant, bien qu'officieuse,
n'est pas à sous-estimer.
Si le clergé du Temple en Gwidre s'est totalement substitué aux demorthèn, parfois par la force, les magientistes
se sont dans l'ensemble montrés plus circonspects et n'ont officiellement aucun pouvoir politique reconnu par la
loi. Cependant, l'ouverture d'établissements d'enseignements religieux ou scientifique a favorisé l'émergence
d'une minorité érudite, le plus souvent d'ascendance bourgeoise, alors que dans les campagnes, bon nombre de
seigneurs savent à peine écrire. Le savoir, sous toutes ses formes, recèle lui aussi les germes de nombreuses ambi-
tions, qui dépassent le carcan traditionnel dans lequel évoluent les individus.
Dans l'ensemble, on peut donc constater l'effritement de certains groupes sociaux au profit de nouveaux, qui s'ef-
forcent de manière plus ou moins consciente d'occuper l'espace libéré par les premiers. Ils doivent tenir compte
du pouvoir officiel, qui tente lui aussi de renforcer ou préserver son influence. Aux rivalités nationales, claniques
et plus récemment religieuses se sont ajoutés de manière plus discrète des antagonismes économiques et des ambi-
tions sociales, alors que l'argent et le savoir circulent de plus en plus, bien que péniblement, dans les royaumes.
Si les tribus osags des Terres de Dèas semblent vivre comme leurs ancêtres d'avant les Fondations, il faut admet-
tre que nous n'avons en fait aucune certitude à ce sujet. Il est peu vraisemblable que les siècles se soient écoulés
sans que les influences extérieures, ou le désir de nouveauté, n'aient discrètement remodelé des pans de la culture
osag. Mais nous en sommes réduits à conjecturer. Par contre, les Tarishs semblent avoir été épargnés par tous les
changements et continuent à voyager comme ils l'ont toujours fait, aussi discrets et énigmatiques que par le passé.
Chapitre 2
Monnaie & Commerce
on voyage m'avait mené aux abords du village de Kaer Daegis. Je rencontrai là bas un
étrange personnage nommé Aeldred, aussi laid que déformé, se disant ratier de profes-
sion. Il s'employait à servir aux quelques personnes attablées devant sa cabane un
ragoût au fumet malodorant. L'homme était très bavard et, alors que nous devisions à
propos du commerce et de la récente agression d'un convoi marchand, il commença à me ser-
vir une gamelle tout en me tendant un parchemin taché de sang qu'il m'invita à lire à haute voix.
Je déroulai le document et y découvris une écriture régulière et consciencieuse…
Rapport d'Ailill Mac Naris dans le cadre de recherches sur le système commercial et monétaire de Tri-Kazel
B ien que d'origine modeste, je suis devenu un homme d'influence dans nombre de villages et de petites cités, me faisant
remarquer jusqu'à la grande Osta-Baille. Mon expérience du terrain m'a donné une solide connaissance des usages com-
merciaux à l'œuvre en Tri-Kazel. Fort de ce savoir, d'une vaste documentation et des conseils de certains érudits d'Osta-
Baille, j'ai pu rédiger ces quelques notes à l'usage de qui souhaiterait se lancer dans le commerce.
Système monétaire
126 C ommençons par un panorama numismatique de la péninsule. Il me paraît en effet nécessaire d'aborder en premier lieu
les différents moyens d'échanges que nous utilisons, notamment le système monétaire qui prévaut généralement dans
les contrées civilisées.
Néanmoins, ne vous leurrez pas, la monnaie ne dirige pas la majeure partie des transactions tri-kazeliennes : le troc a bien
davantage les faveurs du peuple, surtout lorsqu'on s'éloigne
des grandes cités. Si j'ose dire, dans les campagnes, les daols
ne sont pas monnaie courante et restent rares. La plupart du
temps, cette devise est acceptée en échange de tout bien ou
La composition des daols
service, mais, dans certaines contrées soumises à des condi-
E
videmment, ces noms allégoriques relèvent
tions particulières telles qu'un début de famine, personne ne
de l'usage populaire, mais ils sont passés dans
devrait s'étonner de voir ses daols refusés. Il arrivera ainsi,
les mœurs et ont été officialisés. Initialement,
hors des villes, que vous ayez à troquer un service ou un objet
les daols étaient nommés en mentionnant pragmati-
contre ce dont vous avez besoin. Gardez toujours à l'esprit que
quement le matériau dont ils étaient faits : en premier
le troc est encore la plus courante des activités commerciales
lieu, le daol de trekann, le plus cher, sa valeur dépas-
dans la péninsule et que c'est toujours la demande qui définira
sant même celle de l'or. Le trekann est un alliage com-
la valeur d'échange, quel que soit le produit. Rien n'est fixé et
plexe, de composition secrète, dont le minerai princi-
elle peut donc varier énormément d'un lieu ou d'un moment à
pal serait extrait des profondeurs de la terre. Il ne
l'autre. Cette évidence signalée, nous pouvons nous intéresser
s'oxyde absolument pas, mais est assez difficile à tra-
à la monnaie utilisée dans les trois royaumes : à leur image,
vailler. Vient ensuite le daol d'aelethal, alliage de trois
elle représente le symbole de l'unité d'un peuple pourtant
parts d'argent pour une part d'or, revêtant une teinte
composite. C'est la spécificité de Tri-Kazel : trois royaumes à
bleutée lorsqu'il est travaillé. Enfin le daol d'orekal,
l'origine fraternelle, des tribus multiples s'identifiant pourtant
mélange naturel de cuivre et d'or qu'on appelle abusi-
à une même terre, et une même monnaie au-delà de légères
vement l'or des montagnes. Vous noterez aussi que
différences esthétiques. Le daol est donc la monnaie souve-
nous n'utilisons ni or ni argent purs pour la confection
raine de Tri-Kazel. Théoriquement reconnue et acceptée par
de la monnaie. Ceci s'explique de plusieurs manières :
tous, elle est un signe tangible de l'origine commune des trois
notre tendance naturelle à considérer les alliages,
royaumes et facilite leurs échanges. Le daol se décline en trois
matériaux composites, comme le reflet de notre mul-
unités de grandeur décroissante selon une échelle de un pour
tiplicité péninsulaire, mais aussi la volonté de réserver
dix, baptisées selon leur apparence. Ainsi, le daol de givre
l'or, l'argent et les autres métaux plus communs à l'art
(gris-blanc) vaut dix daols d'azur (gris-bleu) et chaque daol
et l'artisanat. La fabrication de la monnaie tri-kaze-
d'azur équivaut lui même à dix daols de braise à la teinte légè-
lienne est donc tout à fait atypique par rapport au
rement dorée, rappelant le cuivre. Il faut donc cent daols de
reste de la société car l'usage des alliages
braise pour obtenir un seul daol de givre.
auxquels elle recourt lui est réservé.
Au niveau esthétique, et au-delà des différences de couleurs déjà signalées, le daol présente quelques
singularités intéressantes : triangulaire, comme la trinité de royaumes qu'il symbolise, il est sur-
tout percé en son centre. Cet orifice trouve son explication dans la coutume tri-kazelienne
d'enfiler les pièces sur une corde plutôt que de recourir aux bourses de cuir. La
corde ainsi garnie de pièces est utilisée comme collier, comme ceinture ou
encore roulée en de multiples tours et accrochée sur le côté au niveau du bas-
sin. Ce curieux système a tendance à décourager les voleurs : couper une bourse pour se l'approprier est aisé mais sectionner
une telle corde est l'assurance d'un concert de piécettes anéantissant toute la discrétion du vol. Néanmoins, pour éviter toute
dangereuse ostentation, il est d'usage de dissimuler cette enfilade de pièces sous sa tunique ou son saillon, voire, s'il est atta-
ché sur le côté, sous une longue ceinture de laine qu'on nomme taillole.
Le daol est le résultat du travail du monnayeur, généralement un simple forgeron détenteur d'un droit de frapper la monnaie,
régulé par la Maison des Monnaies de chaque royaume, et qui ne peut officier que dans ces véritables forteresses financières.
Le principe est simple : on utilise des " coins ", deux matrices triangulaires de métal gravées de motifs que l'on place de chaque
côté de la future pièce alors seulement désignée sous le nom de " flan ". Ce flan, pastille de l'alliage utilisé pour forger le daol,
est placé à chaud entre le coin dormant, fixé dans un billot de bois, et le coin mobile, tenu à la pince et recevant le coup de
maillet. La frappe permet à la fois de donner au flan sa forme définitive de daol et d'imprimer dans le métal les motifs des
coins. La forme triangulaire et l'orifice de la pièce sont ensuite affinés tant que le métal reste malléable. On trouvait aupara-
vant nombre de motifs différents, essentiellement guerriers ou animaliers, mais les dénominations courantes des daols ont
poussé les rois à fixer une norme : le côté pile de chaque pièce est donc désormais frappé à l'identique dans les trois royaumes.
Le daol de givre arbore ainsi trois flocons stylisés, un sur chaque angle. Celui d'azur compte trois volutes s'élevant en tour-
billon, comme de petites tornades en formation. Enfin, le daol de braise se voit orné de trois flammes stylisées. Les motifs
figurant sur l'autre face de la pièce sont quant à eux laissés à la discrétion de chaque royaume, voire parfois du monnayeur
lui-même. Si l'on peut donc trouver divers motifs sur les daols, on a longtemps constaté que perdurait souvent la représenta-
tion symbolique d'un enchevêtrement de bois de caernides reliant les trois angles de la pièce. Avec le temps, d'autres symboles
moins traditionnels sont apparus sur la face des daols, notamment en Gwidre où les représentations liées au Temple gagnent
du terrain...
127
Fausse monnaie
L
a contrefaçon existe et utilise les mêmes procédés artisanaux. On appelle populairement ces pièces contrefaites des
" friponnes ", et les autorités ont du mal à endiguer ce problème. Certains forgerons officiels des Maisons des
Monnaies s'y essaient mais ils sont punis de mort s'ils sont découverts... comme leurs compatriotes officieux d'ail-
leurs. Seule différence : ils seront soupçonnés les premiers puisqu'ils disposent du matériel officiel adéquat. La méthode
la plus commune est de rogner sur la vraie monnaie afin de se fabriquer ses propres pièces grâce à la réserve ainsi détour-
née. à ceci s'ajoute la corruption des alliages nécessaires à la fabrication des daols en y ajoutant des métaux moins
nobles. Ne reste plus ensuite qu'à écouler la fausse monnaie…
T
outes ces remarques
numismatiques ne doivent
pas occulter le rôle premier
de l'argent : faciliter et assurer les
échanges commerciaux. Les
daols sont utilisés dans la plu-
part des transactions quotidiennes,
mais les plus grosses transactions
nécessitent parfois le recours à des
sommes trop importantes : c'est là
qu'interviennent les paiements par
pierres précieuses ou lettres de
change. Les pierres précieuses sont
nombreuses dans les montagnes et les
mines de Tri-Kazel, mais leur extraction
reste difficile et périlleuse.
Les caravanes
Les Arts
Conférence du professeur Morch Mac Maduidh à l'Académie des Arts et des Lettres d'Osta-Baille
L
'amphithéâtre bruissait des rumeurs des conversations estudiantines. On le sait, les étudiants sont
une population dissipée, qui ne sait se tenir qu'en présence du professeur. Quand le visage jovial
d'un petit homme s'encadra entre les montants de la grande arche, le silence se fit instantanément.
132
U n dicton fameux prétend qu'en Tri-Kazel, grands
sont les hommes de guerre et petits les hommes
d'art. Rien n'est plus faux et pourtant, je sais ce point
de vue largement partagé. Permettez qu'aujourd'hui je
L
e professeur marqua une pause et leva ses yeux de
glace sur un groupe d'étudiants occupés à bavarder.
Tous les regards convergèrent vers les fauteurs de
troubles qui, s'apercevant subitement de la situation, se
redonne aux arts le visage qui est le leur, celui d'un séma- turent, le visage rouge de honte. Morch soupira perceptible-
phore dont les lumières scintillent dans la nuit et redonnent ment avant de reprendre la parole :
de l'espoir à l'humanité. " D'un point de vue historique, l'artisanat a précédé l'art. Il
Le feu de la création jaillit au cœur des ténèbres, pour mieux est né en tant que tel avant de lui servir de support. Le par-
les bannir loin de nos foyers. C'est dans la douleur et la souf- chemin a accueilli les mots de nos chroniqueurs ; la toile, les
france que sont nées les plus belles réalisations des hommes, pigments de nos peintres ; le métal, les entrelacs savants de
pour mieux les exorciser. nos damasquineurs. Les ustensiles sont devenus des instru-
Les artistes travaillent avec leur cœur et leurs tripes ; ils ments de musique, les pierres des statues ou des frises. Peu
livrent à leur façon une farouche bataille contre la mort et à peu, le soleil de l'art s'est emparé de la matière brute pour
l'anéantissement. La civilisation est l'inverse du néant, une lui façonner un corps idéal.
réalité que les forces déchaînées de l'entropie essayent sans Ainsi la frontière entre l'art et l'artisanat est-elle parfois
cesse de jeter à bas. Les feondas tuent nos amis, nos pères et indistincte. Le second est censé produire quelque chose
nos mères, nos frères et nos sœurs. Partout règne l'insécu- d'utile pour la société, tandis que le premier nous amène à la
rité, et les monstres nous menacent. Mais nous autres Tri- considérer différemment, que ce soit en l'embellissant ou en
Kazeliens, refusons de perdre espoir, de nous soumettre à la nous en offrant une perception décalée.
fatalité. Toujours nous repoussons les vagues de l'adversité : Nos chefs de guerre ne se trompent pas lorsqu'ils emportent
pendant que les soldats s'efforcent de refouler les hordes avec eux une arme de parade, qu'ils sauront brandir le
bestiales loin de nos villes, les artistes tentent d'égayer la vie moment opportun pour raffermir l'ardeur de leurs hommes.
de leurs semblables. Ils bâtissent des rêves, leur donnent vie. Nos seigneurs savent que leur gloire et leur puissance res-
Sculpteurs, peintres, écrivains, musiciens mais aussi archi- plendissent depuis leur mobilier jusqu'aux sculptures qui
tectes, tailleurs, orfèvres, joailliers, tous allument les feux ornent le fronton de leur demeure. Nos maîtres-artisans sont
de l'intelligence et du savoir, de la beauté et de la joie de fiers de vendre des vases décorés de rinceaux, des fourreaux
vivre, au milieu des ombres qui nous guettent. damasquinés ou des boucles de ceinture ouvragées. Pour
Il est vrai que les arts ne sont pas des armes que nous pou- parvenir à ce résultat, ils ont longuement travaillé ; et un
vons brandir contre nos ennemis. Mais ils sont les déposi- jour ils ont enfin réalisé leur chef-d'œuvre, l'objet qui unit
taires de ce que nous sommes, les gardiens de notre harmonieusement leurs maîtrises de l'artisanat et de l'art,
mémoire, les fidèles confesseurs de nos pensées les plus devant lequel nous ne pouvons demeurer indifférents.
intimes. Inutiles mais nécessaires, tels sont les arts, qui ne Il existe cependant des arts qui n'entretiennent pas de rap-
nous protègent de rien mais conservent ce que nous avons port direct avec l'artisanat, comme la danse, l'art dramatique
de plus précieux : nos rêves et notre humanité. " ou la jonglerie. Privés de support pérenne, leur caractère
éphémère ne rend leur beauté que plus envoûtante. "
Artistes et société
L
" e statut des artistes est ambigu. D'un côté la société ne saurait se passer
de leurs réalisations et de leurs prestations ; de l'autre, elle les considère
comme des individus qui perdent leur temps en futilités alors que
l'essentiel est ailleurs. Il n'est pas facile d'être un artiste en Tri-Kazel.
Les mauvais sont conspués voire pourchassés, les médiocres raillés,
les modestes ignorés, les bons simples objets de curiosité et seuls
les plus talentueux sont accueillis par nos seigneurs ou des indivi-
dus fortunés, pour les divertir ou élever leur esprit.
-Les Arts-
Des arts mélodiques De l'art dramatique
et de la danse
P as d'art ici sans artisanat : un artiste privé de son ins-
trument est comme un soldat désarmé, voué à
C
omédiens et danseurs offrent à leurs contemporains
l'échec. Luths, rebecs, tambourins, cors, trompettes,
une autre forme d'art. Un art vivant, en mouvement,
cornemuses, lyres, petites harpes ou flûtes sont les compa-
qui dessine des formes sans cesse nouvelles et nous
gnons habituels des musiciens. Aisément transportables, ces
donne à voir la variété de nos émotions dans un miroir de
instruments sont conçus pour pouvoir être joués en toutes
chair.
circonstances. Les tambourins accompagnent de leurs sons
rythmés la marche de nos soldats, la trompette exalte la
Les contes les plus anciens nous apprennent que l'art drama-
puissance et la gloire des rois et des seigneurs. Les sons
tique naquit dans des circonstances bien particulières.
mélancoliques de la cornemuse saluent la mémoire de nos
Désireux d'apaiser les esprits, les hommes se mirent à imi-
ancêtres, tandis que le luth ou le rebec rehaussent les péri-
ter la nature par leurs gestes et mouvements, et mirent au
ples de nos héros légendaires. La harpe et la lyre accompa-
point les premières danses. Ces rituels évoluèrent en se
gnent souvent les représentations théâtrales, souli-
complexifiant pour donner naissance à des cérémonies des-
gnant les émotions des comédiens. La
tinées à s'attirer la faveur des esprits. Les célébrants incar-
flûte égaye les foules lors des fêtes,
nèrent peu à peu des rôles qui les différenciaient les uns des
tandis que le cor donne le
autres, dans un double souci de clarifier les rapports hiérar-
signal de la chasse ou de
chiques et d'humaniser les rituels. D'autres contes évoquent
l'alerte.
à ce propos le port de masques décorés qui, par leurs attri-
buts, indiquaient la fonction de leur porteur ; ce serait l'ori-
Les musiciens sont
gine des masques utilisés pendant nos fêtes…
des artistes essen-
tiellement cita-
De nos jours, les comédiens nous proposent, outre les repré-
dins, mais cer-
sentations issues des traditions demorthèn, des spectacles
tains d'entre eux
variés : satires qui livrent une critique astucieuse de nos diri-
aiment voyager
geants, comédies et tragédies qui jouent avec la corde de nos
de village en
émotions les plus sensibles ou bien les fameuses épopées
village, pour
guerrières tant prisées par la foule, qui aime les récits de
faire profiter les
sang et de victoire.
gens des cam-
134 pagnes de leurs
La plupart des spectacles se tiennent en extérieur, le plus
harmonies
souvent sur les places des villes et villages, et quelquefois
mélodiques... À
dans des jardins. Il n'est donc pas rare qu'il vente ou qu'il
leurs risques et
pleuve pendant les représentations, mais les comédiens ont
périls. La plupart
appris à s'adapter au climat maussade de Tri-Kazel. Ils por-
d'entre eux sont des
tent le plus souvent des costumes sans recherche, leur rôle
interprètes, qui pui-
étant indiqué soit par un accessoire (chapeau, canne, épée,
sent dans un vaste
besicles…), soit par une marque peinte sur leur visage. Les
répertoire traditionnel de
beaux costumes sont réservés aux spectacles donnés pour
mélodies afin d'égayer les
les nobles et aux jours festifs.
réceptions de la noblesse et de la
Bien que le discours officiel veuille que les comédiens et les
bourgeoisie, les fêtes populaires ou
danseurs soient à peine plus estimables que les musiciens, je
les tavernes les moins fréquentables. Les
pense au contraire qu'ils jouissent d'une grande sympathie
compositeurs sont bien moins nombreux : ils travaillent
dans le secret des cœurs. "
encore aujourd'hui sur la base du rythme ternaire cher aux
Tri-Kazeliens, mais certains d'entre eux en expérimentent de
nouveaux, délaissant la tradition pour la modernité.
La plupart des habitants de la péninsule apprécient la Une légende raconte que le héros Leog fut le seul
musique, mais ils la considèrent comme un art mineur. Elle rescapé d'un massacre perpétré par une horde de
sait les divertir, particulièrement lors des fêtes. Mais son sta- feondas. Lorsqu'on le retrouva dans les ruines du vil-
tut d'art profane, qui s'est écarté peu à peu des traditions, lage de Deux-Étoiles, il dansait. Malgré tous les
dessert ceux qui la pratiquent. efforts pour lui parler, Leog continua de danser pen-
Pour autant, jongleurs et ménestrels sont plutôt bien accueil- dant encore une nuit et une journée avant de tomber
lis par les gens, grâce à leurs talents acrobatiques ou poé- littéralement de sommeil. Les demorthèn qui l'exa-
tiques qui les différencient grandement des " simples " minèrent constatèrent que sa peau arborait une teinte
musiciens. vert-brun et que ses cheveux étaient devenus cas-
sants comme des brindilles…
-Les Arts-
Des arts plastiques
et picturaux
L
" es sculpteurs sont sans aucun doute les artistes les plus appréciés de la péninsule. Ne serait-ce que pour les fondements
de leur discipline, solidement enracinés dans les traditions demorthèn. Les pierres dressées, si chères au cœur des
Tri-Kazeliens, décorées depuis l'Aergewin de motifs végétaux et animaliers, sont l'exemple même de cette
union de l'art et du sacré. Peu à peu, alors que l'art plastique se développait, rinceaux et arabesques déployèrent
les courbes fascinantes de leur géométrie complexe sur la surface rugueuse des monolithes, les transformant
pour toujours en gardiens de notre civilisation. Des rumeurs prétendent que l'initié peut lire dans les méan-
dres de ces dessins élégants bien plus que la stylisation de la nature ; ainsi des yeux avertis pourraient-ils
y décrypter le nom et l'humeur des C'maoghs, les esprits de la nature locaux, tout comme les pièges
dressés dans les environs par la nature ou la localisation des communautés humaines voisines…
135
Outre ces réalisations typiques, les sculpteurs font jaillir de la pierre, du bois
ou de l'argile, des guerriers farouches, des demoiselles altières au regard de feu ou des animaux figés dans de curieuses posi-
tions. Ils ornent les demeures des nobles et des bourgeois d'élégantes caryatides musclées, de colonnes aux chapiteaux déli-
catement ciselés de scènes de guerre ou de chasse, transforment les parvis en féerie visuelle, décorent les pignons et les cor-
beaux de visages souriants ou grimaçants, détourent les façades de frises en piérazule ou invitent leurs fresques en ronde-bosse
sur les murs laissés nus…
Les œuvres des sculpteurs nous exhortent à les toucher, d'abord prudemment, puis à les caresser plus longuement, nos yeux
seuls ne parvenant pas à saisir leur mystère charnel, afin de contenter le désir puissant qu'elles ont fait naître en nous.
Les peintres collaborent peu avec leurs confrères sculpteurs, le goût esthétique de la péninsule voulant que statues et sculp-
tures demeurent vierges de tout chromatisme ; d'où le terme de virginalisme appliqué aux arts plastiques par les quelques
Continentaux ayant visité nos cités. Les artistes picturaux réalisent des fresques à même les murs ou jettent leurs pigments sur
du parchemin, du bois, voire des toiles enduites de colle, recouvertes d'un apprêt et tendues sur un châssis. Bien qu'ils
emploient une vaste palette de couleurs, les tons trinaires - vert, ocre et gris - sont ceux qu'ils utilisent le plus : ces trois tons
reflètent l'influence majeure des forêts, des montagnes et du ciel pluvieux sur leur travail. Les quelques Continentaux instal-
lés sur Tri-Kazel les raillent souvent à ce sujet et considèrent que leur art est aussi limité que la superficie de leur péninsule ;
nos peintres leur rétorquent poliment qu'ils respectent le " juste ordonnancement " du monde, évitant de " s'éparpiller ".
À la différence des sculpteurs, les peintres sont peu nombreux et ne jouissent que d'une estime assez limitée dans les couches
populaires et la noblesse, la bourgeoisie seule paraissant apprécier réellement leur talent.
-Les Arts-
Des nobles arts Les Chroniques d'Arenthel sont sans conteste les plus
célèbres. Rédigées à l'époque de la fondation de Tri-
Le trine
136
L
e trine est la forme la plus courante de poème en
Tri-Kazel : il se compose de trois strophes, chacune
comportant trois vers. L'existence du trine est attestée
bien avant la fondation des Trois Royaumes et trouve vraisem-
blablement son origine dans l'alternance entre le jour et la nuit.
L'aube ou le crépuscule constituent la troisième période, celle
où lumière et obscurité se mêlent temporairement. Ainsi le
premier trine était une ode célébrant la naissance du jour dans
sa première strophe, évoquant le mariage de l'ombre et des
feux solaires dans la seconde, pour s'achever par une sup-
plique appelant la fin des ténèbres dans la dernière. De nos
jours, la métrique traditionnelle du trine chante l'union entre
les royaumes de Taol-Kaer, Gwidre et Reizh.
-Les Arts-
Des bardes
B eaucoup d'entre vous se demandent pourquoi je n'ai la preuve de son talent et de sa détermination à poursuivre
pas encore abordé le sujet des bardes. Tout simple- ses études. Cette épreuve dure toute une journée et le poids
ment, me semble-t-il, car ces derniers sont certaine- des désillusions est souvent très lourd à porter ; beaucoup de
ment des artistes accomplis, mais pour qui l'art est un moyen ménestrels cachent ainsi un fond de mélancolie relatif à leur
plus qu'une fin. échec à devenir barde.
Je m'explique. Le plus célèbre des bardes était une femme, Pour l'impétrant commencent alors de longues années
Arenthel, qui accompagna les trois frères dans leurs d'études intensives auprès d'un maître. Contrairement à ce
voyages. Elle les conseilla, les aida dans les négociations qui se pratique dans les autres corporations, c'est le jeune
qu'ils menèrent auprès des chefs de clans et coucha par écrit barde qui choisit son maître, lors de la cérémonie qui suit
les récits de la fondation de Tri-Kazel. Et certes, ses dons de son acceptation, dans les rangs de ses pairs. Le maître est un
musicienne et de danseuse, sa verve acérée et son sens à nul barde qui exerce depuis au moins cinq ans ; s'il possède déjà
autre pareil de la prosodie lui furent de précieux atouts dans trois élèves, il est en droit de refuser le nouvel arrivant qui
le rôle déterminant qu'elle joua pour l'avenir de notre pénin- doit alors faire un autre choix.
sule. Mais, aussi curieux que cela puisse paraître chez une si
talentueuse artiste, Arenthel considéra toujours l'art sous un Chaque maître a ses méthodes bien particulières et il n'est
angle pragmatique. pas difficile pour un connaisseur de savoir avec qui un barde
a étudié, simplement en l'écoutant s'exprimer ou en lisant
Elle était en cela la digne héritière de ces jeunes gens fou- une de ses œuvres. Il n'y a pas de maître meilleur qu'un
gueux aux paroles quasi sacrées, qui conseillaient les chefs autre, mais il importe de le choisir judicieusement, sous
de clans depuis l'Aergewin. En revanche, sa renommée peine de s'exposer à un apprentissage long et fastidieux. En
ouvrit les portes de cette profession aux femmes, qui ont règle générale, l'élève choisit le maître en fonction de la
depuis prouvé qu'elles étaient, sinon prédisposées, du compatibilité de leurs caractères. S'il se trompe, il devra
moins aussi douées que les hommes à tenir ce rôle. attendre un an et aura alors l'opportunité de choisir un autre
Les bardes sont la preuve vivante que l'art peut être une maître et ainsi de suite. L'élève qui ne cesse d'aller d'un maî-
arme aussi efficace que la hache la mieux affûtée. Ils tre à l'autre fait figure d'exception et constitue l'objet de rail-
ont accès à un savoir interdit aux profanes, qu'ils se leries des autres bardes. Il acquiert un savoir parcellaire et
transmettent oralement, ainsi qu'à des connais- fera par la suite un fort médiocre conseiller pour le seigneur
sances qu'ils puisent dans les chroniques écrites par qui aura eu le tort de le prendre sous son aile.
leurs pairs ou certains nobles lettrés. Aujourd'hui
137
encore, ils sont le plus souvent attachés à un sei- Bien souvent au centre des jeux de pouvoir dont ils tentent
gneur, qu'ils distraient, émeuvent et conseillent. Ils d'être les arbitres, les bardes entretiennent d'étroites rela-
jouent également le rôle de précepteur pour les tions avec les demorthèn. Les gardiens de la tradition pénin-
enfants de celui-ci, leur prodiguant un enseignement sulaire ont de tout temps représenté un pilier sur lequel s'ap-
complet et souvent bien moins consensuel que celui puyer pour obtenir la stabilité. Traditionnellement, un barde
transmis dans les académies. fait partie du conseil d'une communauté, composé de l'an-
sailéir, du demorthèn et des dàmàthairs. Même si, de nos
Lorsqu'il convient de mener des actions diplomatiques, les jours, l'influence grandissante des magientistes et des mem-
bardes sont les individus les plus à mêmes de représenter bres du Temple diminue leur influence, il n'en reste pas
leur seigneur. Leur éloquence naturelle se met au service de moins qu'ils demeurent de précieux alliés pour les bardes.
leur grand savoir et il arrive fréquemment que les affaires De même en est-il pour les varigaux, guilde qui fut fondée,
des seigneurs se transforment en joutes oratoires entre deux faut-il le rappeler, par Arenthel elle-même. Ces derniers pro-
bardes. Néanmoins, les bardes portent toujours la parole du curent souvent de l'aide aux bardes qui, pour quelque raison
seigneur qu'ils représentent et, s'ils se permettent quelques que ce soit, sont amenés à voyager.
libertés, ne visent qu'une seule chose : atteindre les objectifs
qui leur ont été fixés. Coutumiers du double langage et des subtilités de l'éti-
quette, les bardes savent autant se faire apprécier de leurs
Jadis, on devenait barde de génération en génération et amis que détester de leurs ennemis. Il n'est malheureuse-
jamais autrement. Aujourd'hui, tout individu avec un don ment pas rare qu'ils connaissent une fin tragique, poussés du
pour l'apprentissage et les arts en général peut briguer le haut d'une tour, enfermés dans une oubliette ou brisés par
titre de barde. Le postulant se présente devant une amante traîtresse, pour qui le pouvoir aura eu meilleur
un jury composé de neuf bardes en exercice goût que l'amour. J'aurais bien d'autres choses à vous dire
depuis au moins neuf années et doit faire sur le compte de ces individus, mais, hélas, l'heure est déjà
venue de nous quitter. "
-Les Arts-
oern ne savait pas s'il devait s'en réjouir ou s'en plaindre. Depuis quelques semaines, son maître, Wylard
Mac Readan, connaissait un regain exceptionnel de vitalité. Avec une impétuosité que son entourage
n'avait pas vu depuis des années, il organisait une grande expédition qui devait, selon ses dires, " purger
le monde de la peste féonde ". Doern avait timidement acquiescé quand son maître lui avait demandé s'il
désirait l'accompagner dans ce périple. Le seigneur lui avait alors demandé, une fois de plus, de relire l'ensemble de
ses notes. " J'ai fait des rêves prémonitoires, Doern ! Rien ne doit nous échapper car la moindre erreur pourra nous
condamner, je le sens ! " Wylard fixait alors Doern d'un regard si déterminé, si exalté, que son serviteur était tout autant
impressionné que saisi par la peur.
Après bien des efforts pénibles, Wylard était parvenu à rassembler en un même lieu une délégation de demorthèn, de
magientistes et d'ecclésiastiques du Temple. Dans le grand corridor du château des Mac Readan, Doern pouvait enten-
dre des éclats de voix. Son maître pensait que l'alliance entre ces factions pourrait apporter une solution efficace au
problème feond. Mais était-ce seulement imaginable ? Comment des gens aux croyances si fondamentalement diffé-
rentes pourraient réussir à travailler ensemble ? Le rêve des Trois Frères d'un Tri-Kazel à jamais
unifié semblait bien loin à présent…
138
139
Chapitre 3
Demorthèn
Des retrouvailles
E
h bien, maître Jánn… à partir du
jour où tu disparus soudainement,
les gens se sentirent trahis et per-
dus. Tout allait bien pourtant. Le printemps
s'éveillait, on ne comptait aucune dispari-
tion depuis bien longtemps, la milice veil-
lait mais n'avait rien observé d'anormal
depuis des semaines, et pourtant, la peur
s'était installée un moment au village. Ils
avaient l'impression d'avoir perdu à la fois
leur confident, leur guérisseur et leur guide.
Même notre chef, l'ansailéir Eoben, sem-
blait désorienté. Ils me connaissaient tous
bien sûr, et savaient que j'étais ton élève
depuis un long moment, mais ils ne me fai-
saient pas confiance, je crois, pas au début.
Tu m'avais appris à rassurer et à chercher
en chacun ce qui est bon pour la commu-
nauté. Mais entre observer son maître et
agir, il y avait tout un monde.
Heureusement, c'est grâce à mes compé-
tences acquises à tes côtés que j'ai gagné la
confiance de chacun. Un jour, la petite fille
de Karl, le bûcheron, tomba malade. La dàmà-
thair Dyánnair connaissait quelque peu ce mal
mais elle ne pouvait rien faire. J'ai pu faire tomber 141
cette fièvre brûlante qui s'était emparée de la fillette
en préparant une potion avec certaines herbes et plantes que je ne pouvais me procurer qu'au cœur de la forêt. Une fois que
les villageois purent établir que j'étais capable de réaliser ce qu'ils attendaient de toi auparavant, les choses allèrent bien mieux.
T
ous les ans à la même période, vers la fin du " Il y a dix années que je suis parti pour la cérémonie du
mois d'Og-mhios, lorsque les nuits sont les Tsioghair, dans le grand cercle de pierres du nord. Comme
plus courtes, des rassemblements de demor- tu le sais, ionnthén, c'est un des rassemblements demorthèn
thèn d'une même région ont lieu dans de vastes cercles les plus importants. Là-bas, je fis un songe terrible qui
de pierres situés à quatre endroits sur la péninsule. Ces m'amena à me rendre dans le sud de la péninsule, dans les
lieux spéciaux, nommés liagcal, sont si anciens que, de terres sauvages de Déas. Arrivé dans cette région venteuse
mémoire d'homme, ils ont toujours été là. Les demorthèn après avoir traversé tout Tri-Kazel, je rencontrai des
viennent ici pour échanger nouvelles et informations. demorthèn du peuple Osag, et j'obtins d'eux un plus grand
C'est également le lieu où se règlent les conflits et où savoir. Pendant toutes ces années, j'ai pu approfondir les
sont jugés les demorthèn ayant failli à l'éthique. Le subtilités de l'art ancestral du Liadh. Cette technique nous
Tsioghair est aussi l'occasion d'autres assemblées paral- permet de communiquer avec les esprits de la nature, elle
lèles, plus réduites et plus secrètes… est la quintessence de nos arts traditionnels. Voilà pourquoi
je n'ai pas pu rester à tes côtés. Je pensais que tu étais prêt.
-Demorthèn-
Oui tu l'étais… presque. Je ne suis pas revenu par hasard, ni pour badiner, ni discutailler en vain. J'ai sûrement été négligeant
ou distrait. Tu étais un bon ionnthén et je pense que tu l'es toujours aujourd'hui ! Te rappelles-tu les récits anciens dont je
t'abreuvais, dans lesquels il était question des temps de l'Aergewin où les demorthèn s'unirent, repoussant des feondas tita-
nesques ? Sans eux nous aurions certainement connus Saoghal-Dheir, la fin du monde. Te souviens-tu quand, plus jeune, je
t'emmenais au cœur de la forêt de Croach, là où personne au village n'a jamais mis les pieds, là où les arbres sont si denses
que la lumière n'atteint pas le sol ? As-tu oublié que je t'avais interdit d'y aller seul, sans quoi tu risquais de ne pas revenir ?
Il existe des forces insoupçonnables au fond de ces bois, des forces auxquelles manifestement tu n'as pas pu croire, si
anciennes qu'elles ne sont plus aujourd'hui qu'un mythe auquel presque personne ne prête une sincère conviction."
Sa voix claqua sèchement lorsqu'il prononça la dernière syllabe.
V
oici le récit des légendes à la base des croyances demorthèn. Elles sont nommées dans la tradition
" Lan-an-Saol " :
Au commencement étaient quatre esprits primordiaux, créateurs. Roimh, habitant la terre et entité créatrice
par excellence, Adhar, l'évanescent esprit de l'air, Usgardh, le nourricier qui abreuve le monde de son eau et
Aingeal, l'esprit du feu, imprévisible et violent. Les trois premiers forment ce que l'on appelle la Triade et sont
constitués de l'énergie essentielle, le Rindath. à eux trois, ils engendrèrent Corahn-Rin, l'Arbre-vie. On raconte
que le monde, tel qu'on se le figure aujourd'hui, tourne inlassablement autour de Corahn-Rin, l'axe éternel. Il est à
la fois celui qui alimente le monde, son centre, son cœur et son ciel. Il plonge ses racines loin au cœur de la terre
et ses branches caressent la voute étoilée. Le quatrième esprit, Aingeal, n'a jamais intégré la Triade. Il incarne la
destruction et la mort. Il fait partie des cycles et assure leur perpétuation. Ces cycles rythment la vie et les saisons
sur la base du renouvellement perpétuel : l'hiver succédant à l'été, la mort à la vie.
Les quatre esprits primordiaux enfantèrent des esprits mineurs qui gouvernent des aspects spécifiques du monde
et dont la puissance varie selon les cycles des saisons : les esprits de la pierre Ursan et Clachan, dont l'influence
est prépondérante en hiver, Saog, un esprit du feu s'exprimant en été et Clábar, un esprit des marais qui règne
en automne…
Les esprits de la nature ne se montrent jamais directement mais manifestent parfois leur puissance
142 en apparaissant aux yeux des mortels sous la forme de C'maoghs, des feux-follets constitués de
l'énergie pure de Corahn-Rin.
-Demorthèn-
Les pouvoirs des demorthèn
P
“ eut-être, cher ionnthén, continua Jànn d'une voix teintée de mépris, que tes méditations manquent de vigueur
pour invoquer les bontés d'Adhar ou de Roimh. Peut-être aussi, et plus probablement, n'as-tu pas su écouter et
comprendre mes enseignements lorsque j'ai véritablement voulu t'initier.
- Cela fait déjà longtemps que tu m'as mené dans ce que tu appelles un sanctuaire. J'étais jeune et sans doute beau-
coup plus impressionnable que je ne le suis aujourd'hui. Ma mémoire ne me révèle rien de plus qu'une vaste
clairière bordée de quelques pierres. Je m'étais allongé au pied d'un de ces rochers et une grande sérénité
m'avait alors étreint. Mais quoi de plus ?
- Quoi de plus ! explosa Jánn. Es-tu donc si insensible que tu ne sais reconnaître ces lieux
de pouvoirs que sont les cinthareïd ? Il arrive en effet, lors de l'initiation, qu'il ne
se passe rien.
Mais tes paroles, à l'époque, n'étaient pas les mêmes ! Reconnais-tu m'avoir menti ?
Inquiété par l'attitude de Jánn, Keogh répondit prudemment :
" j'ai dit ce que tu voulais entendre à ce qu'il me semble. "
Le visage du vieux demorthèn se déforma sous la colère. Il se leva et
arpenta furieusement le cercle, grognant des phrases à l'adresse de
Keogh.
" La Triade et les esprits élémentaires mineurs sont consti-
tués d'une énergie fondamentale, tu le sais, mais elle est
invisible et leur esprit est insondable. Pour commu-
niquer avec nous, ils ont enfanté des avatars.
Bien qu'ils soient eux aussi constitués de pur
Rindath, nous pouvons voir ces êtres,
presque les toucher.
Bien sûr ils se cachent, ils sont
secrets et méfiants, certains ont
même appris à se défier
de l'homme, peut-être
à juste titre. "
143
C'Maoghs
" On les nomme C'maoghs et ce sont les incarnations des esprits de la nature. C'est pour cela qu'ils peuvent prendre des formes
différentes, selon qu'ils représentent Roimh, Adhar ou Usgardh, ou même certains des esprits mineurs. Tantôt ils semblent être
constitués de vapeur tremblotante ou d'eau pure, tantôt ils peuvent apparaître simplement comme un gaz lumineux qui flotte
dans les airs. Tu aurais dû les voir la première fois que je t'ai mené au sanctuaire. Ils se pressaient autour de toi, à ma demande
et ils désiraient te connaître et se révéler à toi. Mais apparemment tu es demeuré insensible à leur présence, bien qu'à l'époque
j'ai cru le contraire. " Une tension palpable s'installait entre le maître et son élève et, alors que la voix du sage s'enflait, Keogh
144 commençait à ressentir de la peur. Les yeux fous, sa main
gauche triturant sa fine barbe grise, Jánn déambulait rageuse-
ment, parlant en regardant le ciel, comme s'il était seul. Voyant
la mauvaise tournure que prenait la situation, Keogh demanda L'Aergewin
humblement comment il pouvait communiquer avec ces ava-
tars. Pour les demorthèn, l'Aergewin serait la consé-
quence de la colère incontrôlable de deux esprits
naturels : Aingeal, l'esprit du feu et Sníomh, rejeton
Oghams et langage magique d'Adhar, l'esprit de l'air. Pendant l'Aergewin, la
Jánn sembla se calmer quelque peu. fureur des deux esprits se traduisit par la naissance
" Les C'maoghs ne réagissent pas ou peu à la parole. Ils sont d'innombrables hordes de feondas enragés qui se
détachés de notre mode de vie. En tant qu'initié à l'art du Liadh, répandirent sur le monde en détruisant tout sur leur
j'arrive à me faire comprendre d'eux. Comment, je ne le sais passage. Sentant l'équilibre d'Esteren menacé, les
pas vraiment. Mais par le lien qui nous unit, ils peuvent sonder autres esprits naturels vinrent en aide à l'humanité
mon esprit. Il existe également un autre moyen. " en leur conférant une partie de leurs pouvoirs. C'est
Jánn mit la main dans son ample vêtement et en retira un petit ainsi que les demorthèn devinrent les protecteurs de
sac de cuir. Il l'ouvrit et fit glisser dans sa main ouverte de l'Arbre-Vie, Corahn-Rin.
petits cailloux polis et gravés." Je te les avais déjà montrés,
voici les ogham de pouvoir. Il reste peu de demorthèn Saoghal-Dheir
aujourd'hui qui peuvent s'enorgueillir de connaître l'art ancien
de cette écriture. Leur origine est mystérieuse. Certains disent C'est le nom que l'on donne à l'événement mythique
que c'est Roimh lui-même qui créa un langage permettant de qui verra la fin du monde, lorsque par la faute de la
lier le pouvoir des éléments à une forme physique ; mais il ne colère des esprits Aingeal et Sníomh, le monde arrê-
s'agit là que de rumeurs. Regarde, chaque symbole représente tera de tourner autour de Corahn-Rin. Alors, l'équi-
un aspect unique d'une force naturelle. Seules, elles ne servent libre sera rompu et la vie elle-même perdra son sens.
à rien, ce n'est qu'en les combinant avec un ancien savoir que Esteren deviendra Saoghal Glas, une terre cen-
l'on peut obtenir un réel pouvoir. C'est l'art de la Sigil Rann. Je dreuse balayée par un vent éternel. D'après les
tiens celles-ci de mon maître, qui me les légua avant de mou- demorthèn, si certains esprits n'avaient pas aidé les
rir. Quoiqu'il en soit, elles renferment en elles une parcelle du humains durant l'Aergewin, les dévastations causées
pouvoir des C'maoghs. " par les monstres antiques auraient certainement
mené à ce cataclysme.
Soudain, Jánn se redressa. " Assez de palabres maintenant ! Suis-moi Keogh, que je puisse te montrer tout ceci. " Ils se mirent
en route d'un pas rapide en direction des bois voisins. à quelque distance du village, à l'orée de la forêt, Jánn s'arrêta un ins-
tant, découvrant avec effarement une large zone déboisée semée de souches inertes et de piles de rondins. Les yeux écarquil-
lés de rage, il demanda à Keogh la raison de tout ceci. Ce dernier invoqua la nécessité de renforcer les faibles fortifications
du village, plaidant l'importance de la sécurité pour les villageois. Jánn serra les dents et poussa Keogh devant lui. Ils péné-
trèrent sous les épaisses frondaisons de la forêt, suivant un maigre sentier parsemé d'aiguilles de pin et de rocaille. De part et
d'autre d'eux s'élevaient des arbres de plus en plus grands. Ils s'enfoncèrent ainsi dans une sorte de tunnel de verdure, sombre
et oppressant. Le soleil n'atteignait pratiquement plus le sol, les fougères laissaient entr'apercevoir quelques mares saumâtres
et des champignons aux formes extravagantes. Soudain, Jánn s'immobilisa, comme s'il avait senti quelque chose de particu-
lier. Il ferma les yeux et se concentra quelques instants. " Nous voici sur l'une des voies sacrées dont l'accès est défendu par
de féroces esprits. J'ai pu communiquer avec eux pour pouvoir pénétrer dans ce cinthareïd. Ne t'inquiètes plus, aucun danger
ne pourra désormais nous menacer. "
I ls arrivèrent alors à l'orée d'une clairière naturelle, au sol rocheux irrégulier. Des pierres dressées étaient disposées en demi-
cercle autour d'un rocher plat, érodé par le temps. Un gigantesque chêne leur faisait face. C'était en ce lieu qu'ils étaient
venus quelques dix années auparavant. Le silence était oppressant. On ne pouvait entendre ni chants d'oiseaux, ni aucun
des autres bruits familiers qui peuplaient d'ordinaire les bois. Keogh s'approcha d'une des pierres, à moitié couverte de mousse,
et y distingua des symboles oghamiques.
" Ce sont des pierres de pouvoir, lui dit Jánn. Voici un des lieux où naissent les C'maoghs, où je suis à même de communi-
quer avec eux. Installe-toi sur cette pierre centrale, nous allons révéler ta véritable nature, ionnthén ou… autre chose "
Avec l'aide de Jánn, Keogh sombra dans une stase profonde. De longues heures plus tard, quand il émergea, frissonnant, Jánn
lui demanda de raconter ce qu'il avait vu.
" Une sérénité intense commença par m'envahir. Une odeur de
Des menhirs pin, puis un voile de couleur douce s'infusèrent lentement en
moi. Je me concentrais sur l'aura extraordinaire de ce chêne
O
utre les cercles de pierres, il existe de nom- quand tout à coup la peur m'étreignit. Un sombre néant s'em-
breux menhirs isolés sur toute l'étendue de para de toutes mes sensations puis… plus rien. "
la péninsule. Réputés magiques, ils sont Jánn se redressa alors, sa silhouette semblant grandir. Sa voix
souvent prétextes à des légendes de guérisons tonna :
miraculeuses ou de voyageurs sauvés en se réfu- " Nos discussions me l'avaient fait craindre et l'atroce vision de 145
giant dans leur ombre. ce cimetière d'arbres me l'a confirmé. Tu n'es pas des nôtres !
Traître à ton savoir, renégat ! "
Enflammé d'une haine sans mesure, les traits convulsés de
rage, Jánn sortit de sa tunique un petit galet gravé d'un ogham
et prononça quelques mots. Un vent violent souffla alors, faisant tournoyer les feuilles jonchant le sol. Hagard, Keogh se leva
et s'enfuit devant la colère irrationnelle de son maître. Des craquements sourds se firent entendre au sein de l'océan d'arbres
entourant le sanctuaire, tandis que l'ancien ionnthén disparaissait dans l'ombre. Un cri déchirant résonna dans l'épaisse forêt
de Croach et on ne revit jamais Keogh après ce jour.
-Demorthèn-
Evolution du rôle des demorthèn Extrait d'une recherche universitaire sur les demorthèn
-Demorthèn-
Des croyances populaires
Les nombreux maux qui ont frappé Tri-Kazel, comme la rigueur du climat, les épidémies récurrentes ou les attaques répétées
des feondas, ont parfois privé certaines zones reculées de leurs demorthèn. En Gwidre, lors de la grande expurgation en 782,
de nombreux demorthèn ont préféré fuir loin des zones urbanisées ou ont été exécutés en secret par les sigires et les cheva-
liers lames, les mortels spadassins du Temple. Dans ces territoires privés des principaux tenants des traditions péninsulaires,
ce furent les bardes et les varigaux qui prirent le relais. Mais, dans certaines régions, du fait des profondes transformations
sociales, politiques ou religieuses, le savoir devint légende et l’enseignement des demorthèn fut parfois traduit en contes popu-
laires. Ainsi les esprits primordiaux du Lan-an-Saol, qui conte la création du monde connu, furent peu à peu remplacés par de
nouvelles entités inspirées des créatures peuplant la terre et les cieux. Ces déviances ne concordent pas toujours mais, au fil
des ans, de véritables cultes se sont propagés et ont réussi à perdurer autour des figures les plus charismatiques.
Symbolisme animal
De tous les êtres peuplant les épaisses forêts, le plus respecté est le Grand-
Cerf. De nature prudente, il est très ardu à débusquer malgré sa taille
Nimheil
imposante. Sa ramure magistrale, sa noblesse, et son habileté ont figé dans Ce mot, qui signifie poison, est utilisé
l'inconscient collectif l'image d'un souverain dont la sagesse et l'intelli- en Tri-Kazel pour désigner une subs-
gence sont les principaux attributs. Il est appelé Fiadha en Taol-Kaer, tance liquide ambrée, dont la densité
Fiedh en Gwidre et à l'orée de Reizh. On constate également dans des peut varier. On la retrouve dans le fol-
régions plus montagneuses la prédominance d'Arthadh, ours conquérant et klore tri-kazelien, attribuée à une
vorace qui évoque la force et le courage, et Gobhar, caernide doté d'un maladie de Corahn-Rin ou à l'action
torse humain, ayant pour qualité l'adresse et la ruse… corruptrice de certains esprits de la
nature. En fait, ce mot provient direc-
tement des cultes demorthèn où il
désigne une substance dont l'effet dis-
tinctif, en dehors d'être un poison
mortel, est de faire fuir les C'maoghs.
147
Morcail
‘
L'éthique demorthèn L'oradh
L
a philosophie demorthèn impose des règles implicites Initié, dit-on, par le funeste Argmald, l'oradh est considéré
mais essentielles. Le maintien de l'équilibre et des comme une infamie aux yeux des demorthèn. Utilisant les
cycles naturels, tout comme le culte des esprits, en principes altérés des trois arts ancestraux, il permet aux
sont les bases. C'est le respect de ces préceptes qui font de morcaìls de tromper et de manipuler les C'maoghs, source
ces hommes les détenteurs d'un pouvoir et d'un lien particu- primale du pouvoir accordé aux demorthèn. Les plus auda-
lier avec la nature. L'utilisation de leur savoir au service de cieux n'hésitent pas à user de cet art interdit pour séduire les
leurs ambitions personnelles, par goût du pouvoir ou jalou- plus dangereux esprits de la nature, tels que Sníomh et
sie, ou encore pour assouvir une vengeance personnelle, va Aingeal.
à l'encontre des principes ancestraux. C'est généralement
lors des Tsioghairs que sont rapportés et jugés les déviances
de certains. Le demorthèn incriminé parait alors devant le Contes et légendes
conseil afin de se justifier. S'il est reconnu coupable, il
encourt une confiscation de ses pierres oghamiques pour un L'enseignement demorthèn est parfois constitué d'allégories
temps, déterminé selon sa faute. Dans des cas extrêmes, éducatives servant à démontrer la dangerosité des actes de
lorsqu'un demorthèn enfreint non seulement l'éthique mais ces renégats. Si ces récits partent souvent de faits réels, la
détourne ou dévoie également son pouvoir, la sanction peut légende et l'emphase les ont transformés en fables, narrées
aller jusqu'au bannissement ou même la mort. Ces derniers par les bardes ou certains varigaux au bénéfice de l'amuse-
sont alors appelés morcaìls, signifiant " corrompu " dans ment populaire. L'un des plus fameux est le Lan-an-Avel,
l'ancienne langue. Souvent conscients des risques qu'ils tiré de l'histoire véritable d'Avel, une demorthèn traîtresse à
prennent, il est rare qu'ils se présentent d'eux-mêmes au son rang. Il raconte comment cette simple disciple de la
conseil et sont alors impitoyablement pourchassés. Certains nature s'est écartée de la philosophie première afin d'accéder
demorthèn, souvent des nomades d'origine osags, ont fait de aux plus hautes instances du royaume de Reizh, il y a de
ces chasses leur charge première, presque une raison d'être cela plusieurs générations. On dit qu'elle aurait dévoyé l'art
pour les plus fanatiques. des ogham, tentant un mélange contre-nature avec la
magience, et aurait même frayé avec certaines assemblées
de daedemorthys.
-Demorthèn-
Chapitre 3
Temple
rès cher oncle,
Calendrier du Temple
P
ar commodité, j'utiliserai les dates traditionnelles du calendrier tri-kazelien. Cependant, les pays où
le Temple a montré sa toute-puissance ont adopté le calendrier religieux, basé sur l'année de la révé-
lation de Soustraine, à savoir l'an 503 avant le Serment. Quand vous aurez des contacts avec des
fidèles du Temple, prenez ceci en compte. N'oubliez pas non plus que, bien que ces derniers utilisent le
même nombre de mois que nous, ils ne les nomment pas de la même manière.
La révélation de Soustraine
E
n premier lieu, laissez-moi vous rappeler comment est née l'église du Temple. Tout le monde a entendu parler de
Soustraine le Pur, mais bien peu connaissent sa véritable histoire. Le prophète est donc né dans un village du nord du
Continent en l'an -522 selon notre calendrier tri-kazelien. Il vécut une enfance paisible et se révéla plus calme et
mâture que les autres enfants de son âge. Il commença à apprendre le métier de tisserand de son père, dans lequel il montra
très vite de grandes dispositions. Lorsqu'il eut terminé son apprentissage, il partit sur les routes, afin de trouver le meilleur
endroit pour installer son atelier. Ses jeunes années furent exemptes des vices et de toutes les roublardises auxquels ceux de
son âge se livrent généralement. Soustraine aimait marcher seul et méditer, se ressourçant loin de l'agitation des foules.
En l'an -503, il eut soudain une révélation qui le bouleversa. Alors qu'il méditait, des voix divines lui révélèrent les attentes
du bienfaisant Créateur à son égard, tout en lui dévoilant le passé et la création du monde, ainsi que l'avenir de l'humanité.
Soustraine continua à aller de villages en cités, de forteresses en hameaux, mais il faisait désormais profession de foi de ce
qui lui avait été annoncé.
L'Unique dota Soustraine de pouvoirs fantastiques. Plus il priait, plus il devenait capable de prodiges et de miracles. Ainsi 149
Soustraine montrait la puissance du Créateur dans les villages qu'il traversait. Il accomplit nombre de guérisons miraculeuses,
repoussa les pillards et pétrifia dans la glace ces démons de feondas. Partout où il passait, Soustraine faisait des adeptes. Ses
discours pouvaient convertir des foules entières, fascinées par la découverte du Dieu Unique et de ses bienfaits.
Lorsqu'il devint vieux, Soustraine s'établit finalement. Il choisit pour cela la ville de Chaïna où se dressait la plus grande église
édifiée par ses disciples au nom du Dieu Unique, et beaucoup firent de longs trajets pour venir le voir en ce lieu sanctifié.
Jusqu'au dernier jour, Soustraine aida ceux qui en avaient besoin ; puis il disparut sans laisser de trace, à l'aube de son cen-
tième anniversaire.
Lem Deon
octroient. " seront engloutis dans les Limbes et souffriront pour toujours.
Ainsi, pour s'assurer la félicité après la mort, chacun se doit de
suivre les commandements du Dieu Unique.
-Temple-
Les Écrits et les Ordonnances Les Miracles
Soustraine a passé beaucoup de temps à retranscrire sur par- Peut-être que notre religion n'aurait pas obtenu l'influence qui
chemin sa révélation. Il a ainsi écrit un ouvrage de quelque est la sienne si le Créateur ne prouvait quotidiennement son
six cents pages dont le contenu est très varié : poèmes, existence au travers des miracles qu'il accorde à ses fidèles.
psaumes, histoires, paraboles, dessins, le tout formant un Ainsi, les communautés acquises à notre foi peuvent voir
ensemble complexe et parfois cryptique. Tous les adeptes leurs malades guérir et leurs églises repousser les hordes de
passent un grand nombre d'heures à apprendre les Écrits. Les feondas.
six Ordonnances en forment le pivot central, six commande- Nous autres, adeptes, ne sommes pas encore suffisamment
ments que le Créateur a dictés à Soustraine et qui constituent proches du Dieu Unique pour oser lui faire de telles
le cœur de notre religion : demandes. Seuls les plus saints et les plus dévoués des fidèles
Tu suivras la seule voie du Dieu Unique. de chaque ordre peuvent obtenir les faveurs divines : ils sont
Tu écouteras les paroles sacrées du Créateur. les Élus.
Tu transmettras la Vérité à toute personne croisant ton chemin. La prière permet à leur esprit de s'élever et d'envoyer une
Tu maîtriseras tes passions et seras modéré en toute chose. demande au Créateur qui va intercéder. Les Hiérophantes
Tu seras humble et remercieras le Créateur pour les dons qui sont très proches du Dieu Unique et les miracles dont ils sont
te sont conférés. capables dépassent l'imagination.
Tu feras acte de prière et de recueillement pour la gloire du Comme Soustraine en son temps, il est dit qu'il serait possi-
Dieu Unique. ble pour eux de ressusciter un mort ou encore de purifier les
infidèles par des tempêtes de glace.
Les prières
À l'origine, et dans le respect de la sixième Ordonnance, une Foi et croyances paiennes
journée d'un fidèle du Temple est rythmée par six temps de
prières durant chacun une demi-heure. De l'aube au crépus- Mon oncle, je me dois d'insister sur un point très important
cule, ces temps sont rappelés aux fidèles par les carillons des qui menace notre bon royaume. Le peuple talkéride doit se
églises. Les croyants doivent alors abandonner dans l'instant détourner au plus vite de ses rapports avec les esprits de la
leurs activités et se mettre à genoux afin de prier le Dieu nature et se consacrer à la prière et au respect des
Unique. Les premiers Hiérophantes réalisèrent rapidement Ordonnances. En dehors du Créateur, nul ne saurait dominer
que la majorité des fidèles ne pouvait suivre avec rigueur un la nature et les demorthèn sont coupables d'orgueil en s'éri-
150 tel commandement sans que cela ait des conséquences dra- geant comme gardiens du monde.
matiques pour le commerce et la survie même des commu- L'Unique aurait permis à ses Élus de communiquer avec ces
nautés. C'est ainsi que le clergé se posa en représentant de esprits naturels si tel était son vœu. Il ne l'a pas fait et les
tous les fidèles, qui purent lui déléguer une partie de leurs demorthèn outrepassent leur condition d'homme en dominant
obligations religieuses. Les prêtres prient pour le salut des ces esprits par la sorcellerie. Ils sont aveuglés par un pouvoir
croyants, en échange de quoi ceux-ci veillent à assurer leur qui n'est pas fait pour les hommes et doivent être ramenés
subsistance et la bonne marche de la société humaine. Par ail- dans le droit chemin.
leurs, les fidèles peuvent faire des offrandes aux prêtres, qui D'autre part, les demorthèn affirment que l'âme n'existe pas et
rappelleront alors au Créateur leur piété et intercéderont en la que les morts retournent à la nature.
faveur des donateurs dans leurs prières. Certaines mauvaises C'est pur mensonge car cela va à l'encontre de ce que
langues prétendent qu'ainsi les riches ont plus de chances le Créateur a révélé à Soustraine : l'âme est éternelle.
d'obtenir le salut, mais ceci est faux car le Créateur est bon et Avant cette révélation, les hommes et les femmes étaient pri-
sage. Il juge chacun selon la sincérité de ses actes et non sur sonniers du doute quant à savoir ce qui se cachait par-delà la
la forme qu'ils prennent. mort. Les mythes demorthèn égarent les talké-
rides et les privent de l'accès au Royaume
divin. Il ne leur reste qu'une errance éter-
De la place de l'Homme nelle dans les terres cendreuses du
Royaume des morts ou une souffrance
L'Unique a créé le monde et tout ce qui vit à sa surface. Il est sans fin dans les tréfonds des
à la source de tout, et l'Homme lui doit donc respect et défé- Limbes.
rence. Les fidèles sont ainsi humbles et discrets, conscients Mais l'Unique sait accepter la
de leur insignifiance et de ce qu'ils doivent au Créateur. Nous repentance et il n'est jamais
ne pouvons donc soutenir la pensée orgueilleuse des magien- trop tard pour abjurer ces
tistes, qui prônent la supériorité de l'Homme sur toute chose croyances païennes.
et qui vont à l'encontre de notre cinquième Ordonnance.
Comme tout ce qui nous entoure, animaux, plantes, océans,
terres, nous sommes une création divine ni plus ni moins
importante que les autres. Tout est Un car tout participe de
l'Unique. L'Homme a simplement reçu le don de conscience,
qui lui permet de percevoir la volonté du Créateur et ainsi de
guider son existence sur le chemin de la Vérité.
-Temple-
Les réprouvés
L
“ es adeptes du Temple se targuent de juger tout un chacun avec impartialité, mais ils font peu de cas de ceux
qu'ils nomment les " réprouvés ". À leurs yeux, ceux qui sont atteints de folies très graves ou de malforma-
tions spectaculaires sont en effet suspectés d'être possédés. Pour nous autres demorthèn, cette façon de penser
est étrange ; les fous sont bien souvent les porteurs des messages des esprits de la nature que nous savons décrypter ;
quant aux difformités, elles traduisent simplement la bizarrerie dont peut parfois faire preuve la nature. Mais force est de
constater que des parents, soutenus par certains de nos frères, abandonnent depuis toujours leurs enfants contrefaits à la
nature, par peur d'affaiblir leur lignée. Si on en revient aux dogmes du Temple, la difformité ou la folie témoigneraient de
l'influence des démons des Limbes, essayant de corrompre l'humanité. Ces êtres seraient à l'origine des feondas, et certains
fidèles du Temple prétendent que ces monstres furent autrefois des réprouvés, de pauvres victimes des démons. Je dois
reconnaître que la plupart des fidèles du Temple essayent, avec bonne volonté, d'aider ces malheureux. Mais dans certaines
régions gwidrites, où le dogme est appliqué de manière stricte, ils sont condamnés à vivre dans la misère, mendiant la cha-
rité des passants. J'ai également entendu parler de monastères où l'on rassemble ces réprouvés pour leur faire subir des
" purifications " du corps et de l'âme qui ressemblent trop à mon goût à des sévices.
Le culte du froid
E n terres gwidrites, la neige est plus qu'ailleurs encore considérée comme signe de pureté. J'ai entendu dire que
les grands Hiérophantes décédés reposaient dans des cercueils de glace sanctifiés, installés dans les profondeurs
des grandes cathédrales. D'une manière générale, le froid est sacré dans la foi du Temple, alors que la chaleur
est considérée avec ambivalence. Elle est synonyme de vie, mais aussi de confort, donc pour certains de négligence ou
d'excès. Ceux qui veulent prouver leur piété n'hésitent pas à accomplir leurs dévotions dans le froid ou à peine vêtus.
Dans certaines maisons, il existe une petite pièce dédiée à la prière, sobre, dotée d'un autel avec un symbole du
Temple ou une statuette représentant le prophète Soustraine. En hiver, cette pièce est toujours gardée à une tempé-
rature très froide, des fenêtres très fines ressemblant à des meurtrières laissant entrer le vent glacé. Les plus
dévots clament que le feu ne doit jamais être allumé quand il n'est pas absolument indispensable, car c'est
un don du Créateur dont on abuse trop souvent. Soucieux de demeurer purs, ils vivent d'une
151
Lem Deon
manière très stricte que beaucoup considèrent comme excessive. "
Les églises
Dans tout lieu où le Temple s'établit, ses fidèles construisent le voyageur égaré dans les régions sauvages. Enfin, il existe-
une église dédiée à la prière du Dieu Unique. Les plus rait des lieux de culte secrets, déguisés aux yeux des obscu-
grandes cathédrales s'élèvent très haut dans le ciel, héber- rantistes intransigeants qui refusent la Vérité.
geant jusqu'à plusieurs dizaines de prêtres et d'adeptes. En Toutes les églises, des plus modestes aux grandes cathédrales,
Tri-Kazel, on compte ces grandes constructions sur les doigts sont bâties selon des principes communs, appliquant la règle
d'une main, et celle d'Ard-Amrach, capitale de Gwidre, est la sacrée du chiffre six. Les fidèles entrent par une large porte à
plus belle. Dans ce royaume, tous les villages ou presque dis- double battant dans la nef du bâtiment principal. Celle-ci se
posent d'au moins une petite église. La situation est différente présente sous la forme d'une salle allongée à six côtés, une de
en Taol-Kaer ou en Reizh, car le Temple n'y est pas la religion ses extrémités accueillant l'entrée des fidèles et l'autre menant
officielle. Les grandes villes de ces deux royaumes disposent au secteur réservé aux prêtres. Ce dernier est une enceinte de
le plus souvent d'une église, de taille modeste. Plusieurs vil- forme hexagonale, le plus souvent divisée en différentes
lages, particulièrement le long de notre frontière, abritent pièces variant selon l'importance de l'église et le nombre de
quant à eux de petites chapelles. Dans les campagnes, il sera religieux qui y habitent: salle de repos, cuisine, latrines, dortoir,
possible de trouver un monastère ou un couvent, refuge pour etc.
-Temple-
Les villes-monastères
J
e ne vais guère m'attarder sur ce sujet, mon oncle, car je n'en
ai jamais visité. Cependant, la rectrice de mon couvent m'en a
conté les merveilles. D'après elle, la ville tout entière s'élève-
rait sur plusieurs paliers de forme hexagonale, protégés par
des murailles solides, et se dressant de plus en plus haut au fur et
à mesure que l'on va vers le centre. Dans ces cités seraient bâties
les plus belles et plus grandes cathédrales en l'honneur du Dieu
Unique. Les plus précieuses Reliques y sont rassemblées et créent
un lien tangible entre le Créateur et les hommes. Les fidèles qui
y vivent vouent leur vie entière, plus encore que les autres, au ser-
vice du Temple. Chaïna, la capitale de la Grande Théocratie, est
bien évidemment la plus belle, la plus grande, la plus riche et la
plus fervente des villes-monastères. J'en profite pour vous faire
part d'une histoire que j'ai entendue à plusieurs reprises. Certains
de mes camarades adeptes m'ont raconté que lorsqu'un prêtre du
Continent accédait à la plus grande sainteté, il était convié à se ren-
dre dans un fantastique labyrinthe souterrain construit dans les pro-
fondeurs de la terre, sous chaque ville-monastère. En déambulant
dans cet endroit tortueux, il perdrait petit à petit la notion du réel
jusqu'à parvenir à entrer en communion avec le Créateur.
Les Reliques
Dans ses Écrits, Soustraine relate la mission sacrée qui lui a été dictée : " Afin de se protéger des ténèbres, les hommes devront
retrouver les Fragments de lumière. Ils ont été laissés à notre intention afin que nous puisions être en contact avec l'Unique. "
Je n'en ai jamais vu mais ces fragments sont décrits par le Prophète comme des cristaux d'une pureté absolue, irradiant la
152 lumière du Créateur. Les théologiens du Temple débattent souvent au sujet de la nature exacte de ces saintes reliques mais les
Écrits laissent fortement à penser qu'elles sont des fragments pétrifiés d'Envoyés Divins ayant, en des temps très reculés que
les païens nomment " Aergewin ", combattu contre les feondas, les serviteurs des Limbes.
Nombreux sont ceux qui sont allés jusqu'à piller et revendre ces précieuses reliques. En particulier aux magientistes qui s'en
serviraient pour abreuver leurs machineries contre-nature. Rien n'arrête ces incroyants dans leur quête effrénée de pouvoir et
de puissance. Par leur faute, l'humanité entière pourrait être engloutie. C'est ainsi que, dans ses Écrits, Soustraine parle des
grands cataclysmes : " Lorsque l'orgueil de l'homme aura atteint son apogée, lorsque la fierté et le pouvoir seront devenus
leurs idoles, un grand désastre aura lieu et la pestilence s'abattra sur le monde. Les hordes surgiront des Limbes pour englou-
tir les incroyants et les fidèles devront livrer leur dernière bataille pour le triomphe de l'Unique Lumière. " Mon oncle, nous
devons prier pour que les reizhites abandonnent leur folie et qu'ils rejoignent le chemin de sagesse que Soustraine nous
indique.
Enfin, il faut savoir que le prophète reçut également la mission de retrouver et d'enfermer les Pierres maudites, carica-
tures impies des Fragments sacrés. Ces abominations ressemblent aux saintes Reliques et sont l'œuvre des diables des
Limbes qui s'efforcent d'asservir l'Homme en le tentant avec des pouvoirs parodiant ceux de l'Unique. Les purs sau-
ront reconnaître la malfaisance de ces pierres factices mais l'infidèle ou l'orgueilleux pourra se laisser tenter.
L
e Temple est multiple, bien moins monolithique que nos adversaires ne veulent le faire croire. Et contraire-
ment à ce que peuvent penser certains, les hommes et les femmes ont un statut égal aux yeux du Créateur ;
elles peuvent ainsi accéder aux plus hautes responsabilités des six ordres qui constituent le Temple.
Mais avant de rejoindre un ordre, il faut tout d'abord y être initié. Ainsi, j'occupe actuellement le rang d'adepte et
l'on attend de moi pour l'instant que je passe l'essentiel de mon temps en études et prières, qui constituent le cœur de
ma formation. La vie d'adepte inclut également un grand nombre de menues tâches, qui nous sont imposées à la fois
pour permettre aux lieux de culte de fonctionner correctement, mais également afin de juger de la force de notre foi.
Il n'est en effet jamais agréable de nettoyer des latrines ou de panser les plaies des chevaliers de l'ordre des Lames, mais
ces tâches doivent être effectuées, et l'Unique saura reconnaître la valeur et l'engagement de chacun. La formation complète
d'adepte dure six ans, au terme desquels je pourrai rejoindre l'un des six ordres. Comme vous le savez, j'ai déjà fait mon choix,
et j'espère entrer dans l'ordre des moines dont dépend mon couvent.
-Temple-
" Chaque ordre du Temple possède sa propre hiérarchie interne, plus ou moins absconse aux yeux des gens de l'exté-
rieur. Les hiérophantes sont tout en haut de cette hiérarchie et les adeptes tout en bas. Les prêtres ou moines promus
à la direction d'une église ou d'un monastère sont appelés " recteurs ", et forment des cénacles lorsque l'édifice à diri-
ger comporte de nombreux fidèles. Les plus honorables des sigires portent le titre de " gardien de la foi " alors que les
Lames sont organisés comme un ordre de chevalerie avec, à leur tête, les " grands commandeurs ". Il ne s'agit là que
Lem Deon
d'exemples, mais ils donnent un aperçu de la complexité des différents ordres."
Prêtres
Les prêtres forment l'ordre largement majoritaire au sein du clergé du
Les félons
Temple. Ils sont les administrateurs de la plupart des communautés de la Rose Blanche
rurales et citadines, qu'ils guident vers le Dieu Unique. On les croise
tous les jours dans les églises, qu'ils dirigent parfois seuls, parfois en
cénacle. Les prêtres mènent les offices, répondent aux questions
métaphysiques des fidèles, et cherchent à amener sur le chemin de la
Vérité tous ceux qui ne le suivent pas encore. Selon leur ancienneté,
J e ne peux m'empêcher de rajouter ici
cette note en marge, sur l'ordre de la
Rose Blanche. Sous ce nom pompeux
se cache un groupe d'anciens cheva-
ils n'ont pas tous le même pouvoir ni la même influence. liers lames rebelles déclarant porter le
véritable message du Créateur. Ces héré-
tiques sont pourchassés par les Lames et
les sigires et doivent être combattus par
les authentiques fidèles du Dieu Unique.
Sigires
Redoutés, les sigires sont nommés par le
153
Grand Cénacle d'Ard-Amrach. Leur
tâche est double : lutter contres les héré-
tiques et autres sorciers utilisant des arts
occultes et s'assurer du bon respect des
Ordonnances au sein du Temple. Un
sigire mandaté pour une mission parti-
culière peut accéder à tous les lieux du
Temple sans qu'aucun prêtre ni même
un Hiérophante n'ait à lui demander la
moindre justification. On raconte
qu'ils dissimulent souvent leur statut
pour enquêter afin de constater de
visu les problèmes et manquements au
dogme. Les vrais fidèles n'ont rien à
craindre des sigires, mais ils restent
redoutés car leurs méthodes sont répu-
tées implacables.
Lames
Cet ordre de chevalerie protège le
Temple, ses guerriers prompts à réagir
contre les attaques que nous pourrions
subir de la part de ceux qui n'acceptent pas
la Vérité. Aussi connus sous le nom de che-
valiers lames, ces combattants bien entraînés
sont généralement armés d'une épée et proté-
gés par des mailles et un bouclier.
-Temple-
Vecteurs Clercs
Les vecteurs sont des missionnaires parcourant le monde Les clercs sont les érudits du Temple. Enseignants, scribes, ils
pour montrer aux infidèles le chemin de la Lumière. contribuent à former les adeptes, tiennent les archives des
Courageux voyageurs, parfois escortés de quelques cheva- grandes paroisses, assurent la gestion des finances des églises
liers lames, ils se rendent sans crainte dans les régions où le et conseillent les prêtres et Hiérophantes. De nombreux
Temple n'est pas encore reconnu et révèlent aux païens la clercs, les théologiens, se sont spécialisés dans l'étude des
bienfaisance du Dieu Unique. énigmes de l'Unique et les réflexions autour de la foi. Ils sont
partie prenante des séminaires et synodes qui rassemblent les
membres du Temple.
Moines
Installés dans des monastères retirés du monde, les moines se
consacrent à la prière et aux artisanats. Cet ordre se compose
de plusieurs groupes distincts, de moines ou de nonnes,
comme par exemple les frères corvusiens de l'abbaye de
Corvus. Certains de ces ordres sont célèbres pour leurs calli-
graphies, d'autres pour leurs soins. Ils accueillent les voya-
De l'importance
geurs et sont souvent très proches de la nature. Certains du chiffre 6
moines parcourent le monde, se rendant d'églises en monas-
tères, accumulant et échangeant savoirs et techniques. "
P ourquoi ce " 6 " que l'on voit partout dans
les rites du Temple ? Leurs églises en forme
d'hexagones, les six membres du Grand
Cénacle, les six temps de prières, les six comman-
dements donnés par Soustraine après sa vision, les
six statuts des membres du Temple, les six strophes
de leurs prières et psaumes… Personne ne sait d'où
cela vient exactement, mais il est clair que ce chif-
fre a une signification importante dans la religion
Lem Deon
du Temple. "
154
Les Hiérophantes
-Temple-
Discours d'une lingère du quartier de Trádáil à son apprentie.
"
M a fille, comprend que nos clients dans cette église sont très attachés à la propreté.
La pureté, comme ils disent, doit être spirituelle autant que matérielle. Mais ne t'inquiètes pas,
ils ne sont pas si terribles et on raconte beaucoup d'âneries à leur propos. Cela fait des années
que je viens prendre leur linge et il ne m'est rien arrivé ! Traite chacun de ces vêtements comme s'il s'agis-
sait de la parure de Soustraine lui-même, et tout ira pour le mieux. Sache que chaque ordre religieux a sa
propre couleur. Les adeptes qui ne sont pas encore ordonnés sont vêtus de gris clair et portent sur les
manches et au col des parements de couleur indiquant l'ordre auxquels on les destine. Quand ils y sont accep-
tés, on les habille de blanc, marié à parité avec la couleur de leur ordre. Mais celle-ci est de moins en moins
présente au fur et à mesure qu'on s'élève dans la hiérarchie.
Il paraît d'ailleurs que la vêture du Hiérophante à Ard-Amrach est absolument immaculée. Il y a deux moines
ici, qui préfèrent se salir les mains et nettoyer leur linge eux-mêmes. Ils se vêtent de brun, couleur banale et
humble s'il en est. Les chevaliers lames portent du rouge, car il leur incombe de tuer pour défendre le
Temple. Mais tu n'en verras guère à Osta-baille. Les vecteurs arborent l'azur, couleur du ciel sous lequel ils
marchent pour répandre la foi partout dans le monde. Tous les prêtres portent du vert. D'après les sermons
que j'ai entendus, cela évoque je crois leur tâche de jardiniers du Créateur, qui veillent sur les fidèles et nour-
rissent leur âme dans la maison de l'Unique. Ou quelque chose de ce genre…
Les clercs qui s'occupent de toute la paperasse aiment le pourpre. C'est une couleur difficile à obtenir, et ils
s'en servent pour leurs enluminures avec l'or fin. Enfin, si jamais un religieux qui porte du noir t'aborde, tu
auras affaire à un sigire et il vaudrait mieux que cela n'ait jamais lieu…
Pardon ? Ah, oui. Il leur arrive d'oublier des trucs divers dans leurs poches.
Tu vois cet objet, il leur sert de symbole sacré. Ils appellent ça un hexcelsis. À cause des six branches qui
correspondent aux six ordonnances du prophète, je crois.
Fais attention à ne pas le salir ou l'abimer, ça ne leur plait pas du tout. Les simples fidèles portent sou-
vent un hexcelsis de bois verni. Les religieux ont droit au fer, ou au cuivre quand ils commencent à
grimper dans la hiérarchie. Seuls les plus hauts dirigeants portent un hexcelsis d'argent. Mais quelle
que soit leur vêture, même si tu ne vois que des novices en gris, soit toujours polie avec eux. Les
choses se passent bien dans notre ville et après toutes ces années, personne n'a envie que cela
change. Et une jeunette comme toi se tiendra sur ses gardes.
Tous purs qu'ils soient, ce sont encore des hommes. "
155
A vant d'achever cette lettre, laissez-moi vous dire quelques mots à propos du couvent dans lequel je vis.
Je fais donc partie du saint ordre des moines. Les couvents n'accueillent que les nonnes ; la mixité est
souvent source de distraction et la vie monastique requiert l'ascèse et la sérénité la plus absolue pour
espérer atteindre l'illumination. Les six prières, les repas et nos travaux de calligraphie rythment la journée.
Nous devons également entretenir nos jardins qui nous donnent des légumes en abondance. On raconte que
notre couvent fut bâti à l'endroit même où la sainte Darenne aurait entendu les paroles du Créateur. Il est donc
un lieu de pèlerinage qui reçoit nos frères et sœurs croyants venant de toute la péninsule.
C
omme vous le savez mon oncle, le Temple a eu de la peine à s'imposer dans notre péninsule, et cela reste encore vrai
de nos jours. C'est un combat de tous les instants que de tenter de convaincre les infidèles. En Gwidre, le Temple est
devenu la religion officielle depuis que le roi s'y est converti. Les gens prient le Créateur pour se détourner des aber-
rations magientistes et des artifices des C'maoghs. Comme dans la Grande Théocratie, le peuple travaille dur pour libérer le
clergé des tâches quotidiennes, afin qu'il puisse en échange prier pour le salut de chacun. Malheureusement, nos cousins du
Reizh sont trop obsédés par les pouvoirs impies que leur offrent les magientistes. La Vérité est mieux accueillie chez vous, en
Taol-Kaer, mais les magientistes y sont de plus en plus nombreux et les demorthèn farouchement attachés au pouvoir qu'ils
détiennent sur les ignorants.
Je prie pour que nos frères talkérides et reizhites prennent conscience de leur erreur avant qu'il ne soit trop tard. Les démons
que les païens nomment feondas rôdent et se multiplient dans l'ombre, notre foi doit se raffermir afin de les repousser.
Vona
Très cher oncle, embrassez toute la famille de ma part,
Que l'Unique protège vos âmes,
-Temple-
Chapitre 3
Magience
ans la taverne où étaient attablés Khalmen et son vieux
mentor Mordan, il n'y avait presque personne. Les
gens d'Osta-Baille craignaient la nuit et peu d'entre
eux osaient s'aventurer dehors après le crépuscule.
Khalmen écoutait son maître attentivement. Bientôt son enseigne-
ment prendrait fin et il deviendrait un varigal. Le vieil homme - dont
la peau tannée trahissait les longues années de voyage - savait nar-
rer avec une ardeur peu commune les périples de sa jeunesse,
comme s'il revivait lui-même chaque instant passé pour la première
fois. Mordan s'humecta les lèvres et but une nouvelle gorgée de
liqueur avant de reprendre la parole :
- Khalmen, tu connais beaucoup de choses, la
nature n'a plus de secrets pour toi, tu ne te perdras
plus sur nos terres de Tri-Kazel, tu sais mater les
bêtes sauvages et éviter les terribles feondas, tu
peux survivre dans les terres hostiles, tu feras un
grand varigal. Mais tu ne peux t'aventurer seul sur
les routes de notre péninsule sans en apprendre
davantage sur les magientistes et leurs mystères. Je
156 vais t'entretenir de ce que je sais à leur sujet…
Petit historique
L
e terme de " magientiste " est originaire du Continent et les gens de Tri-Kazel ont
avec plus ou moins de succès.
vite appelé les adeptes de cette science " daedemorthys ". Ce mot traduit une cer-
Nous reviendrons plus tard sur
taine méfiance envers leurs pratiques fort curieuses, et surtout en opposition avec
l'accueil qui leur a été fait car
les traditions locales liées aux esprits de la nature. En étudiant la langue ancienne de Tri-
j'aimerais en finir avec la partie
Kazel, on peut découvrir que " daedemorthys " signifie l'irrespect envers les esprits, une
historique du sujet.
chose hautement mésestimée sur notre péninsule.
Extrait de Langue du Tri-Kazel antique, de la barde Liyien Mac Seinn.
Osta-Baille
U
n grand événement, déterminant pour l'implantation des magientistes en Tri-Kazel, eut lieu en
748, lorsque le roi de Taol-Kaer, Kailleach, demanda au magister Athaontù de recons-
truire notre capitale, selon des principes de modernité encore jamais aussi large-
ment appliqués sur ces terres. Athaontù obtint ainsi un prestigieux rôle de conseiller
du souverain. Bien que Taol-Kaer soit le royaume de la péninsule qui reste encore le
plus attaché aux traditions antiques, les daedemorthys ont acquis depuis ce jour-là
une emprise non négligeable. D'ailleurs, en bien des endroits, cette situation est
devenue un reproche adressé au trône. Cependant, depuis l'an 895, qui fut mar-
qué par la fermeture de l'université magientiste de la capitale, il semblerait
que le roi Mac Anweald revienne nettement vers les traditions.
J
e vais maintenant t'expliquer ce que je sais du fonction-
ses deux voisins. La source du conflit fut justement nement de leur science. Bien sûr, je ne prétends pas être
la magience. Le Temple, implanté en Gwidre, ne pouvait un maître en ce domaine, mais des années de voyages
admettre une influence si forte des daedemorthys sur la divers m'ont permis d'en apprendre suffisamment. Un
péninsule. Les rumeurs veulent d'ailleurs que ces deux fac- magientiste passe une bonne partie de son temps à réfléchir
tions se livrent une guerre quasi permanente sur le à des techniques pour améliorer nos conditions de vie. Il va
Continent. tenter de contourner certaines lois naturelles afin d'obtenir
Cette année-là, donc, les dirigeants de Gwidre, alliés du des effets étonnants allant au-delà de ce que la nature per-
Temple, déclarèrent la guerre à Reizh, auquel Taol-Kaer met. Je t'ai déjà entretenu à propos de leurs moulins, mais tu
apporta rapidement son aide. Vois-tu, Khalmen, la fureur as probablement aussi entendu parler de ces nouveaux
des combats qui eurent lieu alors nous rappelle que l'huma- métiers à tisser, d'une précision telle que les doigts humains
nité n'a nul besoin des feondas pour se détruire. En Taol- ne pourraient effectuer de tels maillages. Il y a également
Kaer, ce conflit créa un fossé entre le trône et les magien- ces fameuses armes capables de propulser des projectiles si
tistes, en raison de leur implication dans son déclenchement. rapides qu'aucun arc ne saurait rivaliser avec elles. Et bien 157
Ils perdirent ainsi leurs postes auprès du roi, bien qu'on les entendu il y aussi leurs nébulaires, ces lampes qui permet-
accepte toujours dans le royaume. Mais de son côté, Reizh tent aux beaux quartiers de certaines de nos villes de dispo-
demeure un fidèle défenseur de la modernité du Continent, ser d'un éclairage nocturne de qualité, sans prendre le risque
et ce sous bien des aspects. de tout enflammer, comme ce serait le cas avec un grand
nombre de flambeaux. Une chose est certaine, leurs inven-
tions ne sont pas inutiles… du moins pas toutes.
Situation actuelle Un magientiste est donc avant tout un lettré versé dans les
sciences que certains péninsulaires connaissent déjà : alchi-
mie, physique, etc. Mais ce qui le caractérise, c'est l'utilisa-
D
epuis environ un siècle, la recrudescence des tion d'une source d'énergie étrange, le Flux, qui lui permet
attaques feondes a donné l'occasion aux magien- d'alimenter des machineries impossibles à faire fonctionner
tistes d'étendre leur influence. Ils essayent de mettre par des moyens usuels, ou de réaliser des édifices qui
leurs armes et leurs technologies défensives au service de la demeurent au-delà des capacités de nos meilleurs architectes.
population. La méfiance reste cependant de mise, surtout là
où demeurent présents les pratiquants des cultes dédiés aux
esprits de la nature. Parfois, le peuple accepte avec enthou-
siasme des avancées techniques qui lui permettent d'amélio-
rer ses conditions de vie. Tu auras sans doute l'occasion de
Le Flux
M
voir fonctionner certains moulins reizhites dans la région du es observations m'ont amené à constater que
Croissant d'émeraude ; ils sont capables de moudre deux le Flux se présente toujours sous une forme
fois plus de grain en une journée que les moulins tradition- liquide mais peut être de quatre couleurs dif-
nels. Bien entendu, quand on parle de magience, et bien que férentes : bleu, vert, rouge ou d'un jaune ambré. De fait, il
tout le monde ne comprenne pas les principes mis en œuvre, peut être difficile pour le profane de reconnaître un liquide
on reste d'après ses partisans dans un domaine plus fiable d'une de ces couleurs comme étant ou non du Flux.
que celui des tractations avec des esprits naturels mysté- Cependant, les daedemorthys semblent capables de s'en
rieux et versatiles. Mais ne sois pas dupe, cette façon de assurer en un clin d'œil.
penser est une manière habile pour les daedemorthys de
dénigrer nos croyances ancestrales.
-Magience-
Les cartouches de Flux
L e Flux est conditionné et vendu sous forme de cartouches de différentes tailles. Les conditions de vente et leur dis-
ponibilité varient très fortement d'une région à l'autre. En Reizh, la vente est libre et chacun peut se procurer des car-
touches. En Taol-Kaer, la vente est autorisée mais le pouvoir royal demande à ce que l'acheteur prouve qu'il est le
détenteur d'un artefact dument enregistré ou possède une patente pour exercer comme magientiste. Certains duchés sont
moins contraignants, d'autres bien plus stricts.
En Gwidre, la vente de Flux est rigoureusement contrôlée et réservée à quelques magientistes assermentés. Certains servi-
teurs de l'état ou du Temple peuvent être autorisés à employer des artefacts spécifiques et on leur distribue des quantités
fixes de Flux dans cette perspective. D'une manière générale, les cartouches de Flux sont plutôt disponibles dans les grandes
villes ; les campagnes et les zones reculées en sont le plus souvent privées et les prix peuvent donc très fortement augmen-
ter (Cf. p. 226). En dehors du Reizh, il est possible de trouver des cartouches de Flux au marché noir mais c'est une opéra-
tion risquée, tout particulièrement en Gwidre.
" Mais comment obtiennent-ils ce Flux ? " me demanderas- bonne part de la méfiance à l'égard des magientistes. Bien
tu. Excellente question, Khalmen. Évidemment, je ne peux que l'ordre soit prêt à expliquer beaucoup des concepts qui
parler que de ce que mes pérégrinations de varigal averti sous-tendent leurs créations - ou plutôt leurs artefacts
m'ont permis de découvrir. Le Flux semble provenir essen- comme ils disent - ils ne communiquent guère sur le Flux,
tiellement de plantes et de roches, mais aussi parfois d'ani- et se gardent bien d'expliquer en détail comment ils l'obtien-
maux. Chaque substance, chaque être n'en contient appa- nent. Comme tu l'imagines, cela heurte les traditions de Tri-
remment pas la même quantité, et le processus d'extraction Kazel et le culte de la nature mené par les demorthèn. Ceux-
et de raffinement pour obtenir le Flux lui-même est long et ci n'apprécient guère que l'on puisse ainsi puiser à même les
complexe. C'est ce mystérieux procédé qui permet, à partir éléments naturels une énergie que l'homme peut alors
de matière inanimée ou des êtres vivants qui nous entourent, manier au gré de ses caprices. Sans compter que l'être vivant
d'obtenir cette substance unique qui est à la source d'une dans lequel on puise le Flux décède systématiquement
durant le processus. En Reizh, les voisins de l'usine magien-
tiste de Baldh-Ruoch parlent d'exhalaisons mauvaises, voire
158 toxiques, et de rejets qui empoisonnent la terre.
Mais tu sais déjà que ces deux visions du
monde sont en conflit, et je ne t'apprends rien
de nouveau. Dans la vie, il te faudra bien évi-
demment choisir ta voie car il serait vain de
vouloir concilier les deux tant elles sont anta-
gonistes.
Magientistes et demorthèn
M essire,
-Magience-
Organisation de l'ordre Les scientörs
Cette catégorie regroupe en fait la majorité de ceux que l'on
A
llez Khalmen, va me faire remplir un verre de cette appelle " magientistes ". Les scientörs sont les chercheurs,
liqueur ostienne, parler me donne soif… les érudits, les concepteurs et les ingénieurs qui oeuvrent
Voyons maintenant comment sont structurés les dans les usines et les laboratoires. Ce sont également eux
magientistes. Leur ordre est agencé de manière stricte et qui mènent les recherches et expériences réalisées sur le ter-
selon une hiérarchie bien précise. Le concile de Baldh- rain, manipulant ainsi le Flux et l'extrayant.
Ruoch est à la tête de l'ordre de la magience sur Tri-Kazel et
définit les grandes lignes de l'action des différentes univer-
sités et écoles. Pour exercer, chacun doit posséder un Les inceptus
diplôme obtenu dans une université accréditée par le
Les inceptus sont les nouveaux arrivants dans l'ordre, les
Concile et respecter certains principes. Un magientiste qui
novices et les apprentis. Seuls les meilleurs peuvent espérer
ne respecte pas son devoir de compétence ou de moralité
achever le cycle de sept années d'étude qui leur donnera le
comparait devant ses pairs dans un tribunal particulier
statut de scientör. Beaucoup d'inceptus interrompent leurs
nommé " Chambre disciplinaire ". La pratique illégale de la
études pour devenir de simples assistants. Malgré la
magience est très fortement réprimée, notamment ici à Taol-
méfiance que les magientistes font naître, de plus en plus de
Kaer et encore plus chez nos voisins de Gwidre.
jeunes de nos villes pensent trouver dans cette carrière un
futur à la hauteur de leurs espérances, persuadés de percer
Les magisters un jour tous les secrets de l'univers.
V
oilà, demain c'est le grand jour, je vais me rendre à quer lors de la guerre du Temple.
Farl pour entrer à l'école magientiste. Le primus
Nagguérand de Vertbois doit me recevoir en privé
afin de confirmer mon acceptation. Mon père, alchimiste de Autres corps de métiers
renom en Reizh, a fait des pieds et des mains afin de m'ame-
L
ner là, et ma fierté est réelle. Je vais faire tout mon possible es magientistes emploient également des gens qui ne
pour arriver au bout de ma formation. En revanche, je ne sont pas daedemorthys. L'ordre paye bien, et plus
sais pas si je vais arriver à dormir cette nuit. d'une personne a quitté son village pour travailler
dans une école magientiste. En particulier, deux catégories
d'emplois sont destinées à ceux qui ne sont pas membres de
l'ordre. Les premiers peuvent ainsi espérer devenir ouvriers,
Les primus en charge de la manutention, de l'entretien et du transport.
Les primus sont placés à la tête de chaque établissement Ces manutentionnaires reçoivent une formation courte,
magientiste, à l'exception de quelques petits laboratoires généralement sur le terrain, qui leur enseigne les rudiments
reculés. On en trouve donc un dans chaque école, usine ou de la magience. Ceux qui possèdent quelque talent aux
université. Ce sont également eux qui sont à la tête de cer- armes peuvent quant à eux s'engager comme mercenaires.
taines congrégations. Ils sont arrivés à leur grade en grim- Les dangers des voyages en Tri-Kazel et les nombreux
pant les échelons de la hiérarchie mais ne sont sans doute ennemis des magientistes font qu'ils ne manqueront pas
pas au fait des grands secrets de l'ordre. Leurs responsabili- d'occasions de mériter leur salaire.
tés sont de nature bien plus terre-à-terre que celles des
magisters.
-Magience-
Journal
de Simus,
Céitean de l'an 905
-Magience-
Les mékônes
L
aisse-moi maintenant aborder un sujet plutôt délicat,
Khalmen. Les hélites sont souvent assez excessifs et
extrémistes dans leur pratique de la magience. Afin
d'améliorer leur contrôle de la nature et de leurs artefacts, ils
glissent sous leur peau ce que l'on appelle des mékônes. Il
s'agit de Flux circulant à la manière du sang sous la peau.
Pour avoir déjà croisé quelques-uns d'entre eux, je peux te
dire que cette vision est très dérangeante. Imagine de fines
tubulures sur le visage et les membres, dans lesquelles on
voit en transparence circuler un liquide parfois ambré, ver-
dâtre, bleuté ou encore rouge vif ; le tout semble circuler par
à-coups, comme pulsé par une pompe. Il semblerait que cela
leur permette une manipulation particulièrement aisée de
leurs artefacts. Ils peuvent ainsi directement alimenter cer-
tains d'entre eux en Flux pour une utilisation optimale.
Mais cette amélioration - selon leurs termes - a un prix.
La circulation du Flux dans le corps causerait de terribles
douleurs au magientiste. Pour apaiser ses souffrances, il
serait donc obligé de prendre quotidiennement une drogue
calmante. Celle-ci affecterait son humeur, le rendant plus
distant et insensible, l'éloignant ainsi des autres humains.
N
ous quittons bientôt la vallée car il s’avère que
les feondas n’étaient pour rien dans les meurtres,
pas plus que le magientiste Druihn, en dépit des
soupçons pesant sur lui. Je dois dire que cette affaire me
laisse une impression bizarre. Le coupable est un homme
exilé près de vingt ans auparavant, qui a fait ces der-
niers mois une douzaine de victimes de tous âges par
désir de vengeance. S’arranger pour qu’on
retrouve certains corps atrocement mutilés et lais-
ser croire que le magientiste Druihn pourrait être le
coupable dénote une certaine ruse, et même de la per-
versité. Et pourtant, cet homme ne brillait pas par
son intelligence et m’a même semblé
plutôt fruste.
Le Flux fossile
C
onvoitée par les magientistes, cette substance rare se présente sous forme de petits gisements de liquide ambré
plus ou moins pâteux, souvent entouré d'une gangue cristalline. Le Flux fossile raffiné prend une couleur jaune
et une texture huileuse. Malgré des siècles de recherche par les Minéralistes sur cette substance aux propriétés
énergétiques remarquables, sa nature exacte reste inconnue. Cependant, en Tri-kazel, les demorthèn les plus sages la
connaissent pour ses propriétés toxiques, qui dérangent même les C'maoghs, et la nomment Nimheil, " poison " dans l'an-
cienne langue.
Architecture
Universités
Tu es bien sûr passé de nom-
breuses fois au pied de l'univer-
sité magientiste d'Osta-Baille,
dans le quartier de Saoithín.
Bien que fermé depuis plus
de dix années, cet édifice
162 représente bien la philoso-
phie des magientistes. Ils
essayent de se dresser
au-dessus de la masse,
de la dominer.
-Magience-
Ces constructions occupent une large surface au sol et leurs murs
s'élèvent au-dessus des rues de nos cités, écrasant les bâtiments Journal de Simus
qui les entourent ; bien peu de nos ingénieurs seraient capables de Sulthainn de l'an 905
construire de tels édifices, surtout en aussi peu de temps. Il y a peu
de fenêtres, car l'intérieur est abondamment éclairé par la techno-
logie magientiste. L'accès est difficile pour les étrangers, gardé
par de solides portes que surveillent leurs mercenaires. Les murs
de ces édifices sont souvent lisses et difficiles à escalader. Peu de
cambrioleurs tentent leur chance, surtout s'ils connaissent les
J e reviens aujourd'hui de ma première
grande excursion hors des murs de
l'université. La scientör Clapsine m'a
amené au laboratoire situé près du vil-
rumeurs parlant de pièges et mécanismes magientistes. lage de Melwan, sur les contreforts des
Il existe des écoles de plus petite envergure. Elles forment les montagnes, pour y rencontrer le magien-
inceptus et on trouve ces bâtisses dans chaque grande ville de tiste Talacien. Ce fut un très long voyage,
Taol-Kaer, comme à Seòl, Tuaille ou encore Kel Loar. En Reizh, éprouvant, mais riche d'enseignements. Les
de nombreux bourgs importants en abritent également. À l'in- travaux de Talacien sur de nouvelles
verse, les magientistes n'ont pu officiellement s'installer en sources de Flux l'avaient mené ici, loin de
Gwidre en raison de l'opposition très ferme des hauts responsa- ses collègues. Nous n'avons même pas tra-
bles du Temple. On parle cependant d'écoles clandestines, illégales. versé le village, nous contentant de monter
Ces lieux sont ouverts aux plus prometteurs des jeunes gens de la la falaise qui le domine jusqu'à l'ancien
péninsule ; je ne sais pas encore ce que cela signifie pour notre manoir réhabilité par Talacien et quelques
avenir, mais j'ai bien peur que les générations futures ne se assistants. Quel étrange résultat que ce
détournent de nos valeurs ancestrales. Ces jeunes gens quittent mélange entre architecture traditionnelle
rarement les murs de leurs écoles durant leur formation. Les datant de l'époque clanique de la péninsule
études durent généralement sept années et sont sanctionnées par et installations magientistes. Ce laboratoire
l'obtention d'un diplôme permettant d'exercer et d'avoir le titre de de terrain m'a conquis ; moi aussi je veux
magientiste. Il m'est arrivé d'en escorter quelques-uns, envoyés aller de par le monde pour comprendre le
effectuer des recherches sur le terrain dans des lieux reculés. Je fonctionnement de la nature et permettre à
peux te dire que leur isolement fait d'eux des individus particuliè- l'homme d'améliorer ses conditions de vie !
rement inadaptés aux réalités de l'existence. Ces écoles sont des
lieux d'enseignement auxquels sont rattachés des laboratoires de
recherche. On y mène donc d'étranges expériences selon des théo-
ries pour le moins étonnantes.
163
Nod
‘ et usines
I l n'existe qu'un seul véritable nòd magientiste dans tout Tri-Kazel et il
se situe dans la capitale reizhite. Cette cité-usine produit les artefacts
magientistes les plus répandus et ceux qui y travaillent y sont aussi sou-
vent hébergés. Tous ne sont pas magientistes ; une bonne part d'entre
eux ne sont que des ouvriers assemblant des morceaux de métal et
de bois selon les ordres qui leur sont donnés. Dans les bas quar-
tiers des cités concernées, tu trouveras beaucoup de gens qui y
sont employés. Le travail à l'usine est rude, avec de très
longues journées de travail, mais le salaire offert permet
d'obtenir des conditions de vie meilleures. D'autres grandes
cités ont bien des bâtiments sombres pourvus de grandes
cheminées mais ce sont des bâtisses ridicules comparées
au nòd de Baldh-Ruoch, qui emploie des centaines de
personnes.
Les usines magientistes génèrent une pollution qui
indispose largement le voisinage. Les
seigneurs de Reizh et d'Osta-Baille
reçoivent souvent des doléances à
propos du bruit mais aussi des
vapeurs délétères et
des fumées malodo-
rantes que produi-
sent ces édifices.
Laboratoires
Les laboratoires sont généralement installés dans des lieux reculés. Leur activité mêle les recherches universitaires et les
constructions de nouveaux engins. Il semblerait que ces bâtiments soient souvent proches de lieux riches en Flux. Ne me
demande pas comment ils peuvent déterminer cela car je l'ignore. La plupart du temps, les magientistes utilisent un bâtiment
existant qu'ils modifient à leur guise avant d'y installer une petite équipe. J'ai pu voir quelques-uns de ces laboratoires. Sur la
structure de base de l'un d'eux, des tuyaux étranges avaient été montés, le toit avait été remplacé par une coupole de métal poli
et brillant. Une cheminée, d'où sortait une étrange fumée verdâtre, avait poussé sur le corps de logis, et les portes et fenêtres
avaient été renforcées par de curieux appareillages métalliques. Lorsqu'aucun bâtiment ne peut les accueillir, les magientistes
construisent un laboratoire à partir de rien, avec des matériaux parfois amenés directement de leurs usines. Un jour, tu pour-
ras peut-être apercevoir un magientiste portant l'un de leurs " extracteurs de Flux mobile " ; un ensemble d'outillages bizarres
avec lesquels ils font toutes sortes de manipulations. Mais si la plupart des laboratoires sont autarciques et installés à l'écart
des centres de population, on en connaît plusieurs qui sont situés dans ou près des agglomérations. Les magientistes ont alors
quelques contacts avec le voisinage et réalisent diverses expériences et installations visant à populariser leurs artefacts, avec
des résultats très variables.
S i tu as déjà certainement aperçu certains artefacts d'usage courant, il en est bien d'autres qui sont moins répandus et que
tu pourras peut-être rencontrer au cours de tes pérégrinations. J'ai par ailleurs déjà vu des objets dont on ne parle jamais
mais que j'évoquerai pour ton édification. Sache également qu'il faut distinguer les artefacts des autres inventions
magientistes. Les artefacts fonctionnent tous au Flux alors que les autres machines et installations magientistes n'en ont pas besoin.
Les nébulaires
Les nébulaires sont sans doute parmi leurs inventions les plus
connues et les plus appréciées.
Tu en trouveras dans toutes les grandes villes de la pénin-
sule. Dans les quartiers suffisamment riches donc, tu pour-
ras contempler ces pylônes supportant de petites sphères
164 vitreuses et opaques. À la tombée de la nuit, la sphère
du nébulaire se met à luire, projetant une lueur claire
dans les abords de la colonne. Ce miracle est rendu
possible par l'usage du Flux, stocké dans la base
métallique de chaque nébulaire, dont la machinerie
est protégée par une serrure très complexe. Des
ouvriers viennent régulièrement renouveler la
réserve de Flux de chaque nébulaire et assurer
son entretien. Il semble que l'origine du Flux
détermine la couleur de la lumière produite,
bleue, verte ou rougeâtre. Il faut voir les nuits
d'Osta-Baille ou de Baldh-Ruoch pour apprécier
le confort et la beauté que les nébulaires nous
donnent.
Les moulins
De tout temps, les vents et les rapides cours d'eau
de notre péninsule ont joué un rôle essentiel dans
notre civilisation. On admet couramment que nos
moulins ont grandement bénéficié des techniques
magientistes. Les daedemorthys se sont intéres-
sés à la machinerie interne, aux enchaînements
de poulies et aux systèmes d'entraînement. Avec
l'utilisation de la vapeur et du Flux, ils ont ainsi
pu multiplier par deux le rendement des moulins
de taille moyenne. Cependant, certains préten-
dent que le grain moulu avec ces appareils donne-
rait au pain que l'on en tire un goût particulier, assez
désagréable. Cela a sans doute freiné la généralisation
de cette amélioration magientiste pourtant notable.
-Magience-
Les fusils de Fervhen D'étranges expériences
Prends bien garde de ne pas irriter les milices magientistes.
I
l me reste à parler avec toi de certaines craintes répan-
Certaines seraient équipées de ces armes particulièrement dues, qui constituent le principal obstacle à la générali-
redoutables. Ces fusils, du nom du magister qui les a sation des merveilles magientistes. Bien sûr, ils disent
conçus, ressemblent à des fûts d'arbalète sans arc, surmon- que leur science permet d'accomplir des miracles sans
tés d'un tube de métal pouvant projeter des billes de métal. recourir à des esprits de la nature imprévisibles, comme le
Par je ne sais quel miracle, qui implique en tout cas le Flux, font les demorthèn. Ils prônent l'affranchissement de
elles sont propulsées à une vitesse terrifiante sur la cible l'homme de toute dépendance mystique, qu'elle soit demor-
visée. J'ai vu cette arme à l'œuvre une fois seulement. La thèn ou véhiculée par le Temple. Bien sûr, ils tentent d'amé-
bille a traversé la cotte de mailles d'un brigand qui attaquait liorer la qualité de vie de tout un chacun et leurs potions,
le groupe de voyageurs que je guidais ; l'homme est mort sur ainsi que leur science médicale, ont sauvé la vie de plus d'un
le coup. Les fervhens seraient difficiles à entretenir et très habitant de Tri-Kazel. Reste que la populace se méfie de
gourmands en Flux, me suis-je laissé dire. cette science dont les adeptes se cachent derrière les infran-
chissables murs de leurs écoles. Les gens préfèrent bien sou-
vent la compagnie d'un demorthèn, présent depuis toujours
Les métiers à tisser sur la péninsule. Les daedemorthys font peur, ils sont dis-
Comme les moulins, les métiers de nos artisans ont énormé- tants, froids, parfois très condescendants envers ceux qui
ment bénéficié du savoir des magientistes. Bien que massifs n'ont pas leur savoir. Il faut cependant préciser que tous les
et pourvus d'une machinerie conséquente, le métier magien- magientistes ne se comportent pas ainsi et qu'il en est même
tiste, fonctionnant au Flux, est beaucoup plus précis et de très bonne compagnie.
rapide que nos métiers manuels. Une sorte de guide méca- Mais surtout, ce sont des rumeurs vraiment inquiétantes qui
nique permet de tisser à grande vitesse sans aucun risque sont à la source de la méfiance et de la peur des habitants de
d'erreur. Une fois que le tisserand a choisi son fil et a placé la péninsule. Tout d'abord, tu entendras souvent parler de la
la bobine correctement, le travail peut commencer, et l'arti- pollution produite par leur fameux Flux. Il serait la cause de
san n'a plus qu'à arrêter l'appareil lorsqu'il doit remplacer maladies et provoquerait même la mort. D'autres rumeurs
une bobine terminée ou désire changer de couleur. Cette parlent d'expériences abjectes. Une femme m'a raconté que
machine requiert cependant des compétences et des tech- près de trois mois après la disparition de son mari, on avait
niques spécifiques ; de nombreux accidents sont hélas à retrouvé son cadavre au pied d'une falaise, les os brisés et le
déplorer. corps marqué de nombreux trous. Malgré la conviction de
son entourage qu'il avait été victime de feondas, elle m'a
affirmé que les daedemorthys l'avaient enlevé. D'autres per-
165
Les lunettes de vision sonnes encore, qui habitent à proximité d'universités
magientistes, prétendent avoir entendu des cris, humains ou
Tu as sûrement déjà observé un magientiste se penchant sur de nature plus inquiétante, ainsi que d'étranges craquements.
une petite plante ou un élément minuscule. Tu as dû remar- De leur côté, les demorthèn ne cachent pas leur colère et
quer l'étrange appareillage qu'il place devant ses yeux. Bien vitupèrent à loisir. Ils dénoncent la volonté des magientistes
plus qu'une simple loupe, il s'agit là d'un artefact d'une haute de soumettre l'ensemble de la nature à leur volonté. Nos tra-
complexité. Agencement de lentilles de ditions ne parlent-elles pas des esprits de la nature et de la
verre que le magientiste peut faire cou- nécessité de les respecter ? Ces C'maoghs avec lesquels
lisser sur une série de minces tubes, afin nous pouvons communiquer et qu'il nous faut nous concilier ?
de les rapprocher les unes des autres, ce J'ai ma propre opinion à ce sujet bien évidemment, mais
mécanisme lui permet de voir d'infimes c'est à toi de te forger la tienne. Avec tout ce que je t'ai
détails. Plus étonnant encore, cet arte- raconté aujourd'hui, mais surtout au fil des rencontres que tu
fact permettrait de voir la nuit ! feras…
L'ensemble est généralement monté sur
un bandeau ceint autour de la tête
renforcé par une
armature métallique.
Journal de Simus,
Og-mhios de l'an 906
C
ela fait quelques semaines maintenant que j'ai déménagé dans l'aile
des inceptus de deuxième année. Tout devrait aller pour le mieux
car j'ai passé avec succès les différents examens, et je progresse
bien selon mes professeurs. Mais depuis mon déménagement, j'ai beau-
coup de peine à dormir. J'entends des bruits inquiétants provenir des sous-
sols de notre aile. J'en ai parlé autour de moi mais personne n'a rien remar-
qué d'anormal. Suis-je le seul à les entendre ?
-Magience-
Chapitre 3
Varigaux
Rapport confidentiel du conseiller Collean Plyfth, adressé à sa
gracieuse seigneurie le duc Alanforth de Brégan, année 907
eigneur,
Sachez qu'il m'a été pour le moins difficile de réunir les informations qui suivent.
Aussi puis-je espérer qu'elles sauront vous contenter.
Les varigaux sont, comme tout un chacun le sait, des messagers qui vont de villages en vil-
lages pour porter les dernières nouvelles et vendre leurs almanachs. En échange d'une bonne histoire ou
d'une piquante anecdote, ils reçoivent le gîte et le couvert dans les auberges, ou sont accueillis chez les
habitants.
Alors que la plupart des gens craignent de s'aventurer sur les chemins et les routes, et à plus forte raison
dans les contrées sauvages, ces valeureux individus n'hésitent pas à faire des dizaines de lieues en soli-
taire. Ils préfèrent souvent aller à pied, ce qui les rend plus discrets. Parfois, ils montent un caernide ou
un cheval pour rallier leur destination, mais seulement si une affaire de la plus haute importance les y
appelle.
166
Des hommes de terrain
L
eur solide connaissance des lieux leur permet sou-
vent de voyager plus vite à pied que monté. En effet,
les reliefs accidentés de Tri-Kazel obligent sans cesse
les voyageurs à faire maints détours, mais les varigaux
empruntent des chemins de traverse connus d'eux seuls, qui
leur font gagner un temps considérable. Bien évidemment,
seuls des individus au pied sûr et capables de s'orienter
convenablement peuvent négocier les passages délicats
dans lesquels ils s'enfoncent. Mais je sais de source sûre
que les varigaux reçoivent un enseignement complet
avant de pouvoir faire leur " première sortie ".
On leur apprend à reconnaître d'un simple coup d'œil les
changements de temps, les traces laissées par les
hommes, les animaux ou les feondas, la nature de cer-
taines herbes et plantes, à distinguer une source d'eau
potable et à s'orienter en fonction de la position du soleil
et des étoiles. On leur enseigne également la maîtrise des
signes-repères. Ces symboles propres aux varigaux ne res-
semblent à rien d'autre et ont été probablement inventés par
les fondateurs de ce groupe. Ils indiquent la présence de
feondas ou de brigands, la découverte d'un nouveau chemin
de traverse, la localisation d'un refuge à proximité, ou d'une
cache de vivres, le changement d'attitude du chef du village à manier principalement pour se défendre en cas de mau-
le plus proche et bien d'autres choses encore. vaise rencontre. Ils s'habillent de vêtements aux couleurs
Les varigaux pratiquent également d'éprouvants exercices ternes, le plus souvent imperméabilisés, faciles à enfiler ou
physiques destinés à développer leur souffle et leur endu- à ôter, qui entravent le moins possible leurs mouvements. Ils
rance, ainsi que leur capacité à se déplacer dans les diffé- ont également pour habitude de se chausser de solides bottes
rents terrains qu'ils seront amenés à traverser ; beaucoup ont de cuir munies de gaines à poignards. Contrairement aux
d'ailleurs appris à nager. La plupart des varigaux voyagent rumeurs qui courent sur eux, ils ne portent aucun signe dis-
avec leur carath, un lourd bâton de marche qu'ils ont appris tinctif prouvant leur appartenance à un quelconque groupe.
Varigaux et " Varigaux "
L a guilde des varigaux fut créée par Arenthel peu après l'an 0. Ses membres étaient alors des messagers royaux,
porteurs du blanc-seing gage de leur complète neutralité. Respectés par tous, ils avaient pour rôle d'assurer la
transmission des informations officielles entre les trois royaumes, contribuant ainsi à maintenir la paix récemment
obtenue. Mais peu à peu, tandis que les relations devenaient moins cordiales, les varigaux s'affranchirent de l'autorité
royale et devinrent une organisation publique. Ils perdirent certes leur blanc-seing et donc la protection qui allait de pair,
mais découvrirent ainsi une liberté dans l'exercice de leurs fonctions qu'ils ne soupçonnaient pas. Ils se mirent au service
de tous, portant les nouvelles du grand monde partout où ils le pouvaient, et cessant d'emprunter uniquement les voies
principales, apprirent à connaître le relief et le climat de la péninsule dans ses moindres détails. Peu à peu, l'organisation
adopta des mesures de plus en plus drastiques pour assurer la sécurité de ses membres. Ce qui aboutit à la draper dans
l'aura de mystère qui l'entoure aujourd'hui et à réduire le nombre des nouvelles recrues.
En vérité, peu de varigaux font aujourd'hui partie de l'organisation héritière de la guilde créée par Arenthel. La plupart
des individus qui se prétendent varigaux, ne sont rien d'autres que des loups solitaires, voyageurs et messagers ayant
décidé de mener une vie nomade. Ils ont pour la plupart une bonne connaissance de la région dans laquelle ils travaillent,
mais ne savent rien en revanche des voies de traverse et des signes-repères connus des véritables varigaux. Cette situa-
tion contribue à entretenir la confusion au sujet de l'organisation, notamment en ce qui concerne le nombre de ses mem-
bres, beaucoup moins élevé qu'on ne le croit.
Organisation
et recrutement bien, mais ils ont choisi de vivre ainsi et sont bien moins
sujets à la peur que les individus ordinaires.
C
omment, me direz-vous, les varigaux parviennent-ils Ils entretiennent d'étroits rapports avec les demorthèn, aux-
à recruter de nouveaux membres alors qu'ils sont si quels ils vont souvent rendre visite. Ils méditent également
discrets ? à cela, je puis maintenant vous répondre, avec une belle régularité dans les sanctuaires ou auprès des
seigneur, qu'ils délèguent à certains membres de leur groupe cercles de pierres dressées. Les varigaux sont particulière-
la tâche de repérer toute nouvelle recrue potentielle. Ces ment attachés aux traditions ancestrales de Tri-Kazel et
varigaux sont appelés les Observateurs et ainsi que leur nom considèrent rarement d'un bon œil les nouveautés venues du
le laisse entendre, ils se fondent dans la masse pour espérer Continent. Les esprits de la nature sont pour eux une réalité 167
découvrir la perle rare. Une fois qu'un Observateur a jeté qu'il convient de respecter, de même que la mémoire des
son dévolu sur un individu, il se concentre sur lui pendant disparus, qu'ils honorent longtemps après leur trépas. J'ai vu
plusieurs mois avant de rendre compte à ses supérieurs de ce un jour une varigale se mettre dans une terrible colère après
qu'il a vu. Décision est alors prise de mettre au courant la que j'aie eu le malheur de plaisanter au sujet d'une ancienne
personne des intentions des varigaux à son endroit. Un refus tombe saccagée par des brigands. Depuis, j'évite prudem-
est évidemment possible, mais il est rare que les ment le sujet.
Observateurs en essuient, car ils ne tentent en général leur Les varigaux meurent souvent dans l'indifférence la plus
chance qu'auprès d'individus attirés par le charme d'une vie totale, loin de toute zone habitée. Mais cela ne leur pose
nomade. semble-t-il pas de problème particulier, depuis qu'ils ont
Curieusement, ils approchent autant de femmes que passé un accord avec les demorthèn. Ces derniers se char-
d'hommes. J'aurais pensé que la gent féminine aurait été gent, quand cela est possible, de convoyer le cadavre dans
moins attirée et moins apte à mener la vie d'un varigal, mais un lieu consacré, où ils lui prodiguent les rituels adéquats
je dois bien admettre que je m'étais trompé. J'ai d'ailleurs été afin que son esprit puisse partir sereinement. Ils recouvrent
fort surpris de l'efficacité d'une certaine jeune damoiselle de ensuite le visage d'un masque de cordes tressées avant d'en-
bonne famille que j'ai eu la chance de rencontrer avant sa terrer le corps. En échange de ces précieux services, les vari-
disparition. L'acuité de ses sens et sa vivacité m'ont sauvé la gaux informent les demorthèn de tous les changements
vie. Sans sa main ferme, j'aurais dégringolé au fond d'un importants en Tri-Kazel.
ravin et adieu ce bon vieux Collean ! Tout ça pour vous dire, Je terminerai mon rapport en insistant sur l'extrême loyauté
seigneur, que les varigales sont aussi nombreuses que leurs des varigaux les uns envers les autres. Ils ne révèlent jamais
homologues masculins et tout aussi capables. d'informations à propos de leur organisation, quoi qu'il
Les varigaux n'ont pas de vie de famille ; en tout cas, je n'en doive leur en coûter. De même qu'ils ne trahissent jamais
ai jamais vu en couple ou avec des enfants. Leur existence leurs amis, dans les cas très rares où ils se sont liés avec des
itinérante les prédispose à des amourettes de passage et j'ai non-varigaux.
entendu dire qu'ils ne dédaignaient pas la visite de certains Voilà seigneur, vous vous demandez certainement ce que
lieux à la fréquentation douteuse ! Ah, les joies du liberti- cache l'extrême discrétion des varigaux ? Je puis enfin vous
nage ! D'un autre côté, la liberté dont ils jouissent n'est que avouer que, contrairement aux rumeurs, il semble que seules
la contrepartie des risques importants auxquels ils s'expo- des intentions honorables les animent et qu'ils n'intriguent
sent quotidiennement. En dépit de leur remarquable condi- en aucune façon pour gagner de l'influence ou du pouvoir.
tion physique et de toutes leurs connaissances, la mort peut Votre conseiller dévoué,
Collean Plyfth
s'abattre sur eux à tout moment. Les varigaux le savent très
-Varigaux-
Chapitre 3
Hilderins
rès chère mère,
L
ors de mon introduction
la chasse. à la mort de son père, il accéda au pouvoir, laissant de côté ses officielle en tant que brei-
armes pour se consacrer à la couronne. Il devint un bon gestionnaire du than, j'ai reçu une dague,
royaume jusqu'à la terrible recrudescence d'attaque de feondas de 466. un arc court, de solides bottes,
Jusqu'alors ces agressions se cantonnaient à l'arrière-pays. Mais cette année une paire de braies de lin sombre
là, les incursions se multiplièrent, visant les points névralgiques des Trois et une lourde cape de fourrure.
Royaumes. Ce fut une année de souffrance et de peur, les premiers raids En accédant par la suite au rang
furent dévastateurs et laissèrent nombre de villages exsangues et ruinés, voire d'osfei, je pus porter une broigne
parfois totalement vidés de toute trace de vie. Les fortifications et les milices de cuir aux écailles ajustées. Ce
locales ne purent résister à la vivacité et à la sauvagerie des assauts. Le roi n'est qu'une fois fait chevalier
Hild profita de cet état de guerre pour reprendre les armes, afin de repous- que j'ai obtenu le droit de porter
ser et traquer ces êtres vils. Empli de fougue et de bravoure, il mena son une lourde cotte de mailles des-
ost de fidèles, parcourant Taol-Kaer d'Osta-Baille à Seòl. Alors qu'il cendant aux genoux et renforcée
combattait près d'Ostreach, il fut désarçonné et blessé à mort par une de de plaques de métal, le tradition-
ces créatures qu'il abhorrait. Ses compagnons réussirent à forcer les nel casque conique hilderin et
monstres à se retirer dans les épaisses forêts mais ils ne purent rien faire mon épée : une large lame à la
pour sauver le roi. Lentement rongé de l'intérieur par un mystérieux poi- garde droite avec une poignée à
son, il mourut peu de temps après. Son jeune frère, Gairn, qui était pré- deux mains, munie d'un pom-
sent, ceignit alors la couronne et son premier édit royal fut de procla- meau rond où est simplement
mer la naissance de l'Ordre, lui accordant de larges crédits afin d'endi- gravé un H surmonté d'une cou-
guer la menace feonde. La maison-mère fut édifiée non loin d'Osta- ronne. Inutile de dire qu'il m'a
Baille, sur un promontoire rocheux dominant la route sud. Quelques fallu beaucoup d'entraînement
années plus tard, le nouveau commandeur, qui avait une volonté d'ex- pour pouvoir me mouvoir et sur-
pansion, créa deux chapitres supplémentaires, un à Ostreach, haut lieu tout combattre avec quelque peu
symbolique, et un autre dans le nord de Taol-Kaer, non loin de la fron- d'aisance doté de cet équipement.
tière avec Gwidre. On dit d'ailleurs que ce com-
mandeur aurait eu des ambitions cachées qui
auraient pu le mener très loin sans son mystérieux
décès.
Le noviciat
Breithan
A u sein du noviciat on distingue deux rangs : les breithans et les osfeis.
Osfei
Ah ! Comme j'étais fier lors de ma cérémonie d'intronisation. Chacun d'entre nous se vit affecté au service plus ou moins
C'était pour moi le véritable moment où ma vie débutait. En personnel d'un chevalier accompli. Ce dernier, en acceptant le
acceptant de brûler les vêtements que je portais, je pus deve- Pacte, devient osfer et accepte la tutelle de son élève. Dans le
nir un breithan. Outre quelques cours de théorie militaire et cadre de ce Pacte, son devoir principal envers l'osfei dont il a
une première approche sur le terrain, j'eus surtout à subir la charge est de veiller en partie à sa formation, le reste se fai-
beaucoup de corvées, dites d'intérêt général. Cette première sant en commun au sein du chapitre. Mon osfer s'appelait
phase dure plusieurs années et ce n'est que par la concertation Yvann, chevalier depuis trois ans. De nature raisonnable, il ne
des responsables du fort que l'on peut passer au rang supé- m'accablait pas de tâches assommantes. Mes principales obli-
rieur après une cérémonie officielle. gations envers lui étaient de prendre soin de son équipement
et de m'occuper de son cheval.
De la cavalerie L'anro‘
L D
e titre de chevalier a toujours fait l'orgueil de urant ma dernière année au sein du noviciat, Yvann
l'ordre. Les chevaux sont prestigieux, et don- devint mon guide et se chargea de me tester afin que je
nent à leur cavalier une grande supériorité puisse devenir son égal. Ce fut la période la plus exci-
martiale. Après l'anró, chaque chevalier reçoit sa mon- tante de mon apprentissage. J'étais autorisé à l'accompagner dans
ture. L'ordre a également à disposition de nombreux toutes ses missions, avec ou sans ses pairs. Quand nous pouvions
caernides, moins adaptés au combat mais plutôt utili- nous attendre au danger, nous avions pour rôle de former l'ar-
sés pour des missions de reconnaissance légère ; ils ne rière-garde ou les lignes de renfort mais le cas échéant, nous
supportent guère le poids d'un chevalier en armure étions censés combattre comme n'importe quel Hilderin. Lors
C
eux qui reviennent de l'épreuve de l'anró deviennent chevaliers aspirants, mais doivent encore faire leurs preuves pour
mériter leurs titres, puis ils deviennent osfer, des chevaliers accomplis pouvant transmettre leur savoir à autrui. Au-
dessus d'eux se trouvent les Tòrr Ceann, littéralement les " Maîtres de Tours ". Ils ont œuvré pendant au moins une
décade avant de pouvoir parvenir à ce rang. Ils supervisent et encadrent les autres Hilderins au sein des chapitres de l'ordre.
Ceux-ci sont dirigés par des Commandeurs qui répondent au plus haut responsable, Gustin Mac Anweald, le Commandeur
Suprême, le propre frère du roi. Je ne pense pas avoir déshonoré le nom de notre famille comme le disait père, bien au
contraire. J'espère que vous pourrez comprendre ma position et sachez que si ma vie a croisé si inexorablement le chemin des
Erwan
armes, mon respect et mon amour vous seront toujours liés.
Chapitre 3
Rumeurs
en Tri-Kazel
Les Rusemorts Les occultistes en Tri-Kazel
L
a maison d'Éliane Rosàg était un véri-
E
n Tri-Kazel, les demorthèn s'occupent traditionnellement
table cabinet de curiosités où des sta- du monde des esprits et de ses manifestations. La profes-
tuettes aux formes étranges et primi- sion d'occultiste s'est développée avec l'essor des idées
tives côtoyaient des outillages magientistes continentales. Elle rassemble quelques passionnés d'ésotérisme,
compliqués. Des piles de vieux livres garnis venus pour la plupart des grandes villes où le peuple s'est détourné
de nombreux marque-pages s'entassaient dans des anciennes traditions. Cette discipline repose sur le postulat qui
un coin. Un crâne et les ossements d'un homi- affirme que le monde sensible cache d'autres plans d'existence. Les
nien difficilement identifiable jouxtaient une occultistes concentrent leurs travaux sur les phénomènes liés aux
main momifiée montée sur un socle de bois fantômes et aux lieux dits hantés. Ils sont également très intéressés
sculpté. Dans une vitrine adjacente, on décou- par l'étude des rêves et ont développé des techniques abouties en
vrait un jeu de cartes à jouer en ivoire et des matière d'hypnose. D'une manière générale, cette profession est
billes métalliques où s'entrelaçaient des lignes dénigrée par ceux ne partageant par leurs croyances, en particulier
rappelant vaguement des rinceaux. Les occul- par les magientistes qui y voient du charlatanisme pur et simple.
tistes étaient de bien curieux personnages !
170
Visiblement gêné, le visiteur restait debout au milieu de ce capharnaüm et faisait face à un grand bureau de chêne lui-même
passablement encombré. Malgré son épaisse carrure, il avait des cernes et la peau blafarde.
- Je vous en prie, asseyez-vous. Excusez-moi pour ce désordre mais je prépare mon déménagement. Rassurez-vous, mon
bureau n'est pas toujours dans cet état !
L'occultiste termina sa phrase sur un ravissant sourire. Elle devait avoir à peine une trentaine d'années et s'habillait élégam-
ment à la mode de la capitale reizhite.
Après quelques banalités, Mog en vint à la raison de sa visite :
- L'année dernière, le toit de ma grange s'est en partie effondré sur moi et m'a écrasé la tête.
Mog se pencha en avant et révéla une horrible cicatrice épuisé, comme si j'avais réellement parcouru toutes ces
zébrant le haut de son crâne dégarni. étendues de poussière. Depuis que je suis sorti de mon
- Je suis resté plongé dans un état comateux pendant plu- coma, je fais ce cauchemar pratiquement chaque nuit.
sieurs semaines, et un jour je suis revenu à moi. Depuis, je - Il est important que vous puissiez vous souvenir de ce
dors mal, je fais beaucoup de mauvais rêves et je me réveille mystérieux personnage. Revenez demain, nous procéderons
continuellement. J'ai été voir la demorthèn qui m'a donné à une hypnose afin de faciliter votre capacité de remémora-
des plantes, mais rien n'y fait. J'ai besoin de regagner toutes tion.
mes forces pour nourrir ma famille, mes enfants sont encore Mog quitta la maison, aussi inquiet pour son avenir que par
trop jeunes pour me remplacer ! la séance d'hypnose du lendemain. Le déménagement
- Pouvez-vous me raconter ces cauchemars ? L'occultiste d'Éliane venait de tourner court. Elle s'était pourtant décidée
faisait jouer entre ses doigts délicats une sorte de chapelet. à quitter cette communauté rurale où rien de significatif
- C'est toujours la même chose. Le regard de l'homme sem- n'était survenu depuis son arrivée l'année dernière. Elle ne
bla se perdre à la recherche des souvenirs épars des cauche- cessait de penser au récit de Mog. Sans le savoir, l'homme
mars qui l'épuisaient. Je marche dans une vallée désertique. traversait peut-être chaque nuit ces terres maudites dont trai-
Je ne vois pas de soleil mais la lumière y est aveuglante. Les tent les livres d'arts occultes. Mog serait-il un Rusemort, l'un
rocailles sont grises et le sol est poussiéreux, comme de la de ces voyageurs qui arpentent dans leurs rêves ces contrées
cendre dans laquelle je m'enfonce parfois jusqu'aux genoux. et parviennent à revenir dans le monde des vivants ?
Je marche longtemps ainsi jusqu'au moment où je le rencontre. Pensive, Éliane s'enfonça dans son vieux fauteuil et s'em-
- Qui rencontrez-vous ? para de l'un de ses ouvrages préférés, écrit par le célèbre
Le visage de Mog se contracta. occultiste Goran Franz : Les Territoires.
- C'est étrange car je ne me souviens jamais de son appa-
rence mais il y a quelqu'un. Je me réveille toujours à ce
moment-là, le plus souvent en sueur. à chaque fois, je suis
L e roi de Taol-Kaer mourut en l'an 360 alors qu'il devait se rendre à la citadelle d'Aelwyd Saogh pour y rencontrer ses
homologues de Gwidre et de Reizh. Son convoi lourdement armé, composé de deux cents des meilleurs chevaliers tal-
kérides, disparut sans laisser de traces dans la région du col de Brorann. Il est dit que la troupe royale fut emportée par
une avalanche et enfermée dans un cercueil de glace pour l'éternité. La couronne de Taol-Kaer portée par Maelvon fut perdue 171
lors de cette catastrophe. Depuis, les nombreuses expéditions lancées par ses successeurs n'ont jamais rien donné. Les contes
populaires racontent que les esprits du roi et de ses deux cents chevaliers hantent la vallée et le col de Brorann en murmurant
des secrets anciens, fatals aux oreilles des imprudents.
Magie noire
“O ui ma fille, les démons que certains nomment feon-
das sont loin d'être la seule affliction qui touche
notre bon royaume de Gwidre. Tu connais bien les
- Oui j'en ai entendu parler. On les nomme sorciers, mages
gris, ou encore envoûteurs. Est-ce vrai qu'ils peuvent pren-
dre possession de l'esprit grâce à leurs incantations ?
abus de certains adeptes de la magience, qui ne reculent - C'est malheureusement vrai. Ils utilisent une magie noire
devant rien quand il s'agit de trouver un nouveau gisement que les demorthèn nomment oradh. Ils prétendent que les
de Flux. Ou encore ces demorthèn qui continuent à prêcher corrompus, les morcaìls dans leur jargon, sont des demor-
le culte païen des esprits, semant le trouble parmi la popula- thèn déchus qui usent de leurs pouvoirs pour satisfaire leurs
tion et la détournant de la vraie foi. Mais nous autres fidèles désirs égoïstes. Hélas, ils se trompent lourdement sur la
du Temple devons faire face à une menace plus insidieuse véritable origine de ces pouvoirs. Ils les attribuent à des
encore. Je fais bien sûr référence à ces hommes et ces esprits de la nature sous l'emprise des morcaìls mais il n'en
femmes qui n'hésitent pas à se livrer à d'obscènes rituels afin est rien : ils proviennent directement des Limbes.
d'obtenir des pouvoirs tirés du démon.” - Mon père, que puis-je faire si je rencontre un tel sorcier ?
Gaëlle acquiesça. Elle était habituée aux sermons de son - Prier ma fille. Et le pourfendre avant qu'il ne finisse son
vieux mentor. S'il avait tendance à souvent exagérer quant incantation. Les chevaliers-lames sont là pour nous proté-
aux intentions " diaboliques " des magientistes et des ger. Lorsque tu intégreras l'ordre des vecteurs et que tu
demorthèn, il faisait ici référence à des personnes que même débuteras tes voyages, tu devras être très vigilante. Si tu
les sigires redoutaient. Cette crainte était due à la nature très croises la route d'un de ces sorciers, il ne faudra pas hésiter
spécifique des pouvoirs qu'on leur attribuait : ils seraient à demander l'aide de notre sainte église. Sache également
capables de s'insinuer dans l'esprit des autres hommes et de que les sigires n'hésitent pas à se déplacer si les suspicions
faire plier leur volonté. Quoi de plus horrible pour une per- d'un tel culte sont suffisamment solides. Ne tente rien seule
sonne vouée à la foi que de tomber sous l'influence d'une ma fille, tu risquerais d'y perdre ton âme.
telle force ?
-Rumeurs en Tri-Kazel-
Le Ventripaille
L
e vieux soldat était clairement imbibé d'alcool mais comme si une centaine de
les gens du village étaient catégoriques. Il était le charognes se décomposaient
seul à connaître quelque chose à propos des " ventri- tout près de nous. Mes gars et
pailles " : moi, on s'est couvert le nez avec
" T'es vraiment sûr de vouloir le savoir, hein ! Alors je vais des vieux bouts de tissu et on a pour-
te le dire, je vais te raconter comment tous mes hommes suivi notre descente. Mais l'odeur est
sont morts. C'était il y a dix ans, par une paisible journée devenue plus forte, un mélange de pourriture, de
d'automne. Le genre de journée que jamais tu ne t'attendrais vomi et d'excréments nous a assailli les narines mal-
à voir se transformer en un maudit cauchemar ! gré le tissu. Les feuilles se sont mises à voler dans les
Pour une fois, j'étais pas méfiant. J'avais laissé ma vigilance airs et une rafale de vent puant nous a cinglé le visage.
en sommeil. On marchait dans la forêt, lentement, tellement On a rebroussé chemin et on s'est mis à remonter la côte
crevés que certains de mes gars faisaient des plaisanteries comme on pouvait. Et puis, soudain, j'ai vu un de mes gars
consternantes. Deux mois qu'on sillonnait la grande forêt de s'arrêter et se prendre la gorge à deux mains en hurlant, les
Mòr Forsair, à se prendre les gifles du vent et les eaux gla- yeux révulsés, une écume blanchâtre lui dégoulinant sur le
cées du ciel sur la tête, à jouer maladroitement de l'acier menton. Il est tombé à genoux, agité de spasmes violents,
pour crever ces saloperies de feondas et nettoyer les lieux de les yeux fous ruisselants de larmes, le visage contracté en un
la présence des brigands. Deux mois qu'on baguenaudait effroyable masque de douleur. Et il a vomi ; enfin, j'ai cru
avec la mort, la peur et la faim au ventre, et tout ça pour un qu'il vomissait, mais au lieu du maigre repas avalé, on pou-
peu de tranquillité et un salaire de misère ! vait voir ses tripes lui jaillir de la bouche. Un amas de vis-
Mon seigneur n'appréciait pas ma franchise ; c'est pour ça cères sanguinolent qui lui pendait du bec, pareil à un énorme
qu'il m'avait envoyé loin du castel tout en m'assurant qu'il ver se tortillant.
m'avait choisi pour cette mission d'importance en raison de Je me suis détourné et j'ai couru aussi vite que possible, le
mes remarquables qualités ! Le saligaud ; avec un peu de cœur au bord des lèvres. Des cris résonnaient derrière moi,
chance, il m'expédiait agoniser au milieu de nulle part tout mais je ne me suis pas retourné. L'un après l'autre, mes
en se donnant le beau rôle. On peut dire que ses lieutenants hommes sont tombés et ils ont dégobillé leurs intestins dans
puant la trouille et la jalousie l'avaient bien conseillé ! des bruits de gargouillis immondes. Une irrépressible envie
Grâce à ces individus aussi lâches que serviles, mon maître de vomir me tenaillait tandis que je respirais à pleins pou-
nous avait condamnés, moi et mes hommes, à ne pas passer mons cette odeur ignoble. Par un incroyable effort de
l'année. J'aurais dû y rester et aujourd'hui encore je sais pas volonté, j'ai réussi à m'empêcher de cracher mes tripes. Le
172 pourquoi je suis le seul à avoir réchappé au carnage. On sui- vent est retombé, l'odeur a disparu comme par magie et je
vait la pente d'une petite combe couverte d'un épais tapis de me suis écroulé à terre, épuisé.
feuilles, de brindilles et d'aiguilles, conservant tant bien que Voilà l'ami, comment sont morts tous mes hommes ! "
mal notre équilibre, quand on a senti une odeur atroce,
La piérazule
L a piérazule est une pierre de construction de couleur légèrement bleutée, qui est plus rare que le grès mais
tout aussi solide que lui. Elle reste une roche relativement courante sur nos terres mais que l'on dit extrême-
ment rare sur le Continent. L'arrivée des gens du Temple et des magientistes nous l'a faite redécouvrir, et lui
a donné ses lettres de noblesse. En effet, les exilés du Continent voient en la piérazule un symbole de richesse et
de prestige, normalement réservé à une élite. En Tri-Kazel, ils en profitent avec abondance et l'utilisent dans beau-
coup de leurs constructions. Il est dit que certains marchands reizhites auraient tenté d'organiser un commerce de
piérazule entre la péninsule et le Continent, n'hésitant pas à braver les dangers des océans et mêmes les cols des
monts Asgeamar. Il est même évoqué que certains auraient financé la construction d'aéronefs, ce qui est illégal
depuis le décret de l'an 792. De ces marchands voulant faire fortune en exportant de la piérazule, aucun n'est revenu
en Tri-kazel. Sont-ils tous morts ou profitent-ils d'une richesse nouvelle ?
Le doute qui plane à ce sujet est suffisant pour motiver de nouveaux volontaires à tenter le voyage.
-Architecure
-Rumeurs enet
Tri-Kazel-
urbanisme-
l se tenait seul sous la clarté diffuse d'une lune voilée par quelques nuages. Transi dans ses vêtements lacérés, affamé,
il ne s'était pourtant jamais senti aussi sûr de lui. Tous les hommes qui l'avaient accompagné étaient morts, aussi bien
ses proches serviteurs que les mercenaires recrutés pour l'occasion. Pas un n'avait réchappé au danger et lui-même ne
devait sa survie qu'à une incroyable chance. Les manuscrits l'avaient étrangement guidé dans sa quête vengeresse, lui
faisant emprunter maints détours, le laissant s'égarer dans des voies de traverse avant de lui apporter d'étonnantes révélations
quand il se croyait au fond d'une impasse. En cherchant un moyen d'éliminer efficacement la peste féonde, Wylard avait com-
mencé à se rendre compte de l'étendue de son ignorance. Il pensait bien connaître ce monde, mais force lui était de constater
combien il s'était trompé. Derrière les mythes et légendes de Tri-Kazel se cachait une sinistre réalité qu'il commençait à peine
à entrevoir. Le vieux seigneur s'était assis sous un vénérable séquoia, au sommet d'une éminence rocheuse, dissimulé à la vue
d'éventuels ennemis par un imposant menhir. Sur la surface de l'antique roc, des dessins à moitié effacés par le vent et la pluie
apparaissaient fugacement à la lumière lunaire, avant de s'estomper dès que l'astre nocturne se couvrait de nuages.
Wylard identifia certaines des silhouettes comme étant des hommes et d'autres comme celles de créatures gigantesques, aussi
hautes qu'une tour. Il y avait aussi des symboles qui ressemblaient à s'y méprendre à de l'écriture, mais Wylard ne savait les
déchiffrer. Il se leva, ouvrit son carnet de cuir, tâché de sang, et, sur une nouvelle feuille, commença à recopier ces inscrip-
tions mystérieuses. Qui sait, peut-être le guideraient-elles vers de nouveaux indices ?
173
Avant de partir à la découverte des terres de Tri-Kazel, les joueurs vont devoir prendre connaissance du système
de jeu et créer leur Personnage. Le système de jeu a pour but de donner aux joueurs et aux meneurs de jeu des
outils simples, mais suffisamment complets pour simuler les capacités des différents protagonistes et l'issue de
leurs actions. Chaque joueur devra compléter une Feuille de Personnage qui rassemblera les différentes informa-
tions utiles au jeu et dont une version vierge peut être trouvée à la fin de l'ouvrage ou en libre téléchargement sur
le site www.esteren.org. Pour vous aider à compléter cette feuille, celle-ci est reproduite ci-après, accompagnée
174 de plusieurs annotations. Prenez-en connaissance afin de vous familiariser avec les termes propres au système de jeu.
Intentions initiales
Le système des Ombres d'Esteren a été conçu
pour être au service de l'ambiance et ne pas
entraver l'action par l'utilisation d'une tech-
nique trop présente. Gardez un principe simple à
l'esprit : si un jet de dé risque de briser le rythme
d'une séquence, de diminuer l'intensité drama-
tique ou de réduire la charge émotionnelle d'une
scène, ne le faites pas.
Encourager l'interprétation
Habituellement désignée par le terme " roleplay ", l'interprétation du Personnage par son joueur est un élément important des
Ombres d'Esteren. L'ensemble du système a été conçu dans cette optique, afin de donner des outils aux joueurs pour faciliter
cette interprétation. Mais le système n'est pas là pour remplacer l'implication directe des joueurs dans le jeu. Avant de deman-
der un quelconque jet de dé, le meneur devrait encourager chaque joueur à décrire ce que leur Personnage ressent, la manière
dont il s'y prend pour résoudre un problème.
-Système de jeu-
De la manière d'utiliser les jets de compétence
Sur cette question, il sera notamment utile de se référer aux travaux de Matthew J. Finch. Cet auteur distingue deux
styles : " moderne " et " traditionnel ". Le premier repose davantage sur les capacités et compétences du Personnage
(et donc les jets de dé), le second sur l'ingéniosité et l'improvisation du joueur (donc sur son implication directe dans
le jeu). Selon la façon dont il sera utilisé, un même système pourra aboutir à des ambiances très différentes.
Exemple. Le Domaine de Perception permet à un Personnage de remarquer les choses anormales, de s'orienter, d'être
vigilant, etc. Imaginons une scène où un Personnage est dans une pièce et mène une enquête à propos d'un crime.
Alors que le Personnage entre dans la pièce, le joueur indique qu'il observe attentivement. Le meneur lui demande de
tirer un jet de Perception. Le joueur obtient un très bon score et le meneur lui indique qu'il remarque une petite trace
de sang séché, un précieux indice…
Alors que le Personnage entre dans la pièce, le joueur indique qu'il observe attentivement. Le meneur lui demande
de préciser. Le joueur va alors expliquer qu'il cherche des indices sur les murs, retourne les objets au sol, regarde
sous le lit. Le meneur indique qu'il ne trouve rien, mais qu'il fait sombre et qu'il n'y voit pas très clair. Le PJ allume
une torche et continue à chercher. Le meneur explique alors au joueur que son Personnage remarque une tache sombre
sur le sol…
Un jet de dé peut devenir superflu si le joueur prend la peine de décrire correctement au meneur la manière dont il s'y
prend pour trouver cet indice. L'utilisation des jets de compétences ne devrait pas court-circuiter les énigmes et embûches
mises sur le chemin des Personnages par le meneur ; les joueurs devraient réussir à les résoudre par eux-mêmes. Cela les
poussera à s'impliquer davantage dans leur Personnage, à favoriser l'ambiance en mettant le système au second plan.
Selon ce qu'il a prévu, le meneur laissera plus ou moins d'autonomie aux joueurs dans la création de leur PJ. Cette section pro-
pose quelques conseils aux joueurs, notamment novices, afin de faciliter cette étape. Si le meneur ne propose pas un
Personnage entièrement construit par ses soins, chaque joueur pourra en concevoir un en s'inspirant des métiers existants dans
les règles (Cf. les " métiers " proposés pages 203-206), ou des six archétypes proposés page 182. Il peut aussi essayer de bâtir
lui-même un concept de personnage.
La seule véritable distinction en termes de règles entre les archétypes proposés, en dehors des compétences relatives à leurs
vocations, est que certains ont accès à des pouvoirs spécifiques dès la création. En dehors de cette spécificité, sur laquelle nous
allons revenir, chaque joueur devrait être libre de concevoir ce qui lui plait, du moment que le Personnage a sa place dans le
contexte du jeu.
-Système de jeu-
Stéréotypes et singularités
Une fois l'idée de départ arrêtée, il peut être utile de rappeler que psychologiquement, les mem-
bres d'une même faction (bardes, varigaux, demorthèn, magientistes…) sont très différents les uns
des autres, même s'ils partagent une certaine idéologie ou jouent le même rôle dans la société de
Tri-Kazel. Ils sont avant tout des individus et cela est tout aussi vrai pour les PJ que pour les autres
personnages qu'ils rencontreront. Si, dans une certaine mesure, le stéréotype peut correspondre à
la réalité, il reste tout de même un stéréotype. Rien n'oblige donc à jouer un magientiste sceptique,
un barde charmeur, un apprenti demorthèn pontifiant ou un chevalier-lame fanatisé, même si dans
un premier temps, c'est ainsi qu'ils semblent les plus vraisemblables.
Portrait général
Il est souvent difficile de brosser d'entrée de jeu le portrait fouillé d'un PJ que l'on n'a pas encore
interprété. Avant toute chose, chaque joueur devrait prendre le temps de bien assimiler ce que peut
représenter l'appartenance à telle culture, royaume ou faction. Il s'assurera aussi que le caractère et
les capacités de son Personnage sont compatibles avec les aventures qui l'attendent, dans la mesure
où le meneur lui fournira des indications à ce sujet. Un barde ou un diplomate seront plus à leur
place qu'un guerrier brutal et intolérant dans une suite de scénarios tournant autour de délicates
négociations ou d'une longue enquête nécessitant un certain doigté. À l'inverse, un varigal, un mer-
cenaire ou un demorthèn seront plus appropriés qu'un scribe reclus ou un magientiste sédentaire dans une suite d'aventures à
travers les montagnes, et tous les dangers que cela implique. En résumé, créer son Personnage implique de ne pas seulement
se concentrer sur cette création proprement dite, mais aussi de prendre en compte le plaisir et l'intérêt que l'on peut avoir à
jouer cet alter ego sur le long terme. Certains meneurs fonctionnent surtout à l'improvisation et n'ont qu'un vague fil directeur,
qu'ils adaptent aux actions des joueurs. D'autres savent déjà par le menu en quoi consisteront la plupart des péripéties qu'ils
vont leur proposer. Si c'est le cas, alors il est d'autant plus important que les joueurs s'assurent durant la création du PJ qu'il
aura bien sa place dans ce contexte. Dans le doute, mieux vaut un Personnage qui semble moyennement convaincant au départ,
mais qui sera facile et plaisant à jouer qu'un alter ego bien détaillé, inspirant, mais qui restera en carafe la moitié du temps,
car trop en décalage par rapport au contexte et au reste des joueurs. Le meilleur moyen pour éviter ces écueils est que les
joueurs et le meneur en parlent ensemble.
Les motivations
en service commandé. Chaque joueur pourra voir avec le
Durant le jeu, un PJ va rapidement laisser derrière lui une meneur ce que sa hiérarchie attend de lui. Et décider dans
vie normale pour se mettre à parcourir le monde avec ceux quelle mesure le PJ accepte cela de bon gré, ou le subit
des autres joueurs. Il est utile de savoir pourquoi il se lance parce qu'il n'a pas vraiment le choix. Toutes ces questions
dans l'aventure. Il peut y avoir été contraint par les circons- n'ont pas forcément à être résolues de manière détaillée dès
tances, par exemple en souhaitant se venger de brigands ou la première séance de jeu, mais chaque joueur devra discu-
de feondas qui ont anéanti son village natal. À moins qu'il ter avec le meneur pour bâtir au moins une ligne directrice
ne soit avide de connaissances antiques, ou désire obtenir la générale de son Personnage. Selon son style, chaque meneur
gloire et la richesse en louant son épée. Certains types de proposera ou pas au joueur une explication précise des cir-
Personnages sont naturellement plus enclins que d'autres à constances qui l'ont poussé sur les routes, ou qui l'amènent
mener une existence vagabonde ou aventureuse : les vari- à côtoyer les Personnages interprétés par les autres joueurs.
gaux, les bardes, les mercenaires, les criminels… mais pour- Cependant, même si de telles explications sont données,
quoi se sont-ils orientés vers une carrière de ce genre et pas cela ne devrait pas empêcher le joueur d'approfondir lui-
une autre ? De même, si un Personnage est membre d'une même les espoirs et les attentes de son PJ. Il aura d'autant
organisation comme le Temple ou l'ordre des chevaliers hil- plus de plaisir à l'interpréter qu'il pourra moduler ses réac-
derins, il est certainement mandaté par ses supérieurs et agit tions, ses opinions et ses initiatives en fonction de ses motivations.
-Système de jeu-
Le système de création va aider chaque joueur à définir étape par étape les grandes lignes de la personnalité de son Personnage,
notamment via le système des Voies. Avoir une forte Combativité, cela peut signifier être agressif, pugnace, ou impulsif, voire sim-
plement totalement dépourvu de patience. Avoir une forte Raison implique d'être un cérébral, qui peut être distant, rêveur, ou au
contraire froid et ironique. Les Voies ne sont pas seulement des aptitudes à résoudre certains types d'action, mais également une
manière d'agir et de réagir. Elles influent donc, de manière sous-jacente, sur les choix du PJ et sur son développement.
Des Voies fortes, ou faibles, représentent autant d'attitudes et d'habitudes mentales que de réactions dont le Personnage aura de
grandes difficultés à se départir. En privilégiant une Voie, qu'il s'agisse de lui donner un score élevé ou au contraire un score plus
faible (un Personnage avec une Raison faible pourrait être très spontané par exemple), on influe sur les capacités du PJ, mais aussi
sur ses réactions et ses attitudes. Dans le même temps, les Voies ne sont pas que des contraintes ou des valeurs numériques abso-
lues, mais aussi des balises, des outils pour garder une certaine cohérence dans la manière dont un joueur interprétera son
Personnage. Chaque Voie propose dans sa description plusieurs pistes pour interpréter un score élevé ou faible.
À chaque joueur de choisir celles avec lesquelles il se sentira
le plus à l'aise. En fin de compte, la valeur d'un score n'a
d'importance que par rapport à certains jets de dés. C'est le Jouer son Personnage
contenu qu'on lui donne qui importe.
Cet encart s'adresse plus particulièrement aux joueurs
novices, qui n'ont jamais fait de jeu de rôle jusqu'à présent.
Bien que cela puisse vous sembler difficile, une chose très
simple peut vous aider énormément à vous sentir rapide-
ment à l'aise avec votre personnage : parler de lui comme si
vous parliez de vous-même.
Si un joueur crée un Personnage qui n'est pas formé dès sa Ainsi, lorsque le meneur vous demande "que fais-tu ?", la
création à la magience, aux secrets des demorthèn ou initié réponse évidente sera "je fais…" et non "mon personnage
aux miracles du Temple, cela ne veut pas dire qu'il ne pourra fait…". De même, lorsque vous serez amené à dialoguer
jamais y avoir accès. avec d'autres personnages, ou des figurants interprétés par
Cela impliquera évidemment d'acquérir les compétences le meneur de jeu, pensez à parler aux autres protagonistes
appropriées durant le jeu, mais surtout, ce personnage devra comme si vous étiez le personnage et non en utilisant des
avoir fait la preuve qu'on peut lui confier ces connaissances. tournures comme "je lui dis que". Dites-le vous-même,
Magientistes, demorthèn ou adeptes du Temple sont assez avec vos mots. N'ayez pas peur, nous sommes dans une par-
tie de jeu de rôle, pas dans un concours d'éloquence. Oui,
178 sélectifs dans la manière dont ils accueillent en leur sein
certains joueurs ont un sens du théâtre et un vocabulaire qui
ceux qui n'ont pas été élevés ou éduqués selon leurs pré-
ceptes et leur philosophie. Tous les gens qui considèrent leur donnent un avantage lorsqu'ils s'expriment ainsi. Rien
favorablement l'une de ces idéologies ne sont pas forcément ne vous oblige à faire comme eux. D'ailleurs, il y a fort à
formés à l'usage des pouvoirs qu'elles contrôlent. Y accéder, parier qu'ils n'ont pas toujours été aussi à l'aise…
c'est faire partie d'une sorte d'élite, quelle que soit la Les autres joueurs ne sont pas vos ennemis, ou vos concur-
manière dont elle est constituée. rents. Il n'y a pas de première et de dernière place dans le
En termes de règles, rien n'empêche d'apprendre une, voire jeu de rôle. Au contraire, la plupart seront ravis de vous
plusieurs compétences liées à des pouvoirs spéciaux. aider à mieux interpréter votre PJ. Les Ombres d'Esteren
Cependant, c'est le meneur qui décidera en fin de compte si dépeint un univers sans formalisme pointilleux ou excessif.
l'interprétation qu'un joueur fait du Personnage est compati- Il ne demande pas de connaissance historique ou linguis-
ble ou pas avec de telles possibilités. Surtout, c'est lui qui tique particulière. Si vous n'avez jamais fait de jeu de rôle,
décidera si des conditions particulières (retraite spirituelle il est normal que vous ressentiez une certaine appréhension,
de longue durée, épreuves initiatiques, dons financiers surtout si vous ne connaissez pas, ou à peine, les autres per-
conséquents, études prolongées…) sont indispensables à sonnes autour de la table. Le trac est tout aussi présent que
l'obtention d'un tel savoir. Les règles d'expérience en pages si vous deviez jouer un rôle sur une scène de théâtre.
228-230 détaillent la manière dont il est possible d'appren- Cependant, vous avez deux avantages que les acteurs n'ont
dre certains savoirs spéciaux. Il est ainsi possible, avec l'ac- pas : tout d'abord, vous écrivez vous-même votre rôle et
cord du meneur, qu'un Personnage soit durant le jeu initié à n'avez pas à restituer des dialogues et attitudes imposés.
l'un de ces savoirs particuliers. Cependant, ils divergent suf- Ensuite et surtout, les autres joueurs sont votre public tout
fisamment sur le plan idéologique pour qu'il soit très peu comme vous êtes le leur. N'hésitez pas à demander une
vraisemblable qu'un seul PJ parvienne à en acquérir plu- brève pause hors-jeu, pour faire le point sur la manière dont
sieurs. Et ce, même si le joueur prétend que son PJ a "vu la votre Personnage pourrait ou devrait agir à un moment pré-
lumière" et qu'il a soi-disant renoncé à la magience pour cis. Assez rapidement, vous prendrez confiance en vous et
devenir demorthèn, par exemple. À priori, cela devrait être ce besoin s'atténuera. Ne vous braquez pas trop sur l'inter-
un cas de figure plutôt exceptionnel. Cependant, si un prétation de votre Personnage dans un premier temps.
joueur parvient à interpréter un Personnage reflétant ces Personne ne vous oblige à un résultat optimal du premier
changements de convictions et surtout parvenant à concilier coup. L'essentiel est qu'au fur et à mesure des séances, ce
ce qui les oppose, le meneur restera seul juge en la matière PJ vous devienne familier et de plus en plus maniable.
et pourra autoriser une telle reconversion. Jusqu'au moment où vous pourrez "enfiler votre costume"
sans difficulté le temps du jeu, et le ranger ensuite jusqu'à
la partie suivante.
-Système de jeu-
figurants de ce genre. Quel intérêt, alors, d'interpréter d'au-
tres bigots confits dans leurs propres certitudes ? Dans le
cinéma, la littérature ou le jeu de rôle, ce sont souvent les
Les Ombres d'Esteren fait la part belle aux menaces tapies divergences exploitées à bon escient (à travers l'ironie, les
dans l'ombre, ainsi qu'aux rivalités entre factions et rivalités amicales et bien d'autres choses) qui donnent aux
royaumes. Ces problématiques ont toute leur place dans les Personnages, ensemble et individuellement, tout leur inté-
croyances et les antagonismes des Personnages. Mais dans rêt. On peut avoir des convictions et être curieux, ouvert
le même temps, elles ne doivent pas servir de tremplin à des d'esprit… ou avoir des doutes. Un Personnage aux convic-
antagonismes entre les joueurs. Être intransigeant n'apporte tions bien affirmées n'a pas besoin d'être systématiquement
rien en fin de compte. Cela ne veut pas dire que les agressif, méprisant, pontifiant ou provocateur. Il est pour-
Personnages doivent être des modèles de tolérance ou d'ou- tant possible d'interpréter un PJ ayant l'un de ces traits ; le
verture d'esprit. La difficulté est de faire d'eux des gens qui joueur pensera alors à modérer la véhémence de celui-ci
peuvent embrasser certaines croyances, ou les rejeter farou- afin de ne pas gâter l'expérience de jeu des autres.
chement, sans pour autant devenir un poids mort pour le Si un joueur prend un certain ascendant sur les autres mem-
reste des participants. bres du groupe, parce qu'il a plus de charisme, ou qu'il a
L'exemple le plus parlant serait un groupe rassemblant un souvent de bonnes idées, il ne devrait pas non plus oublier
adepte de la magience, un dévot du Dieu Unique et un indi- de laisser les autres respirer. Ils ne sont pas là pour le suivre
vidu attaché aux traditions demorthèn. Un tel groupe est comme des figurants, même si ce Personnage devient le lea-
constitué de membres qui ont a priori toutes les raisons de der de sa petite équipe. Ils sont là pour passer un bon
nourrir une certaine animosité mutuelle. Mais est-ce une moment, avec lui. Ces joueurs charismatiques devraient
fatalité ? encourager les autres à intervenir, à prendre parti, à donner
Il est courant de penser qu'avoir des convictions revient for- leur opinion, à parler par eux-mêmes. Cela rendra les parties
cément à être un fanatique, ou un prosélyte plutôt barbant. d'autant plus intéressantes pour tout le monde, et ce type de
Les PJ auront d'ailleurs bien des occasions de rencontrer des Personnage y gagnera également en densité.
Menaces et enjeux
Le système de règles ainsi que les secrets du jeu - qui seront détaillés dans un prochain ouvrage - sont là pour instituer une
certaine ambiance, qui laisse de côté l'aspect "épique" présent dans d'autres univers. Il n'est pas possible de devenir un sur-
homme invincible dans les Ombres d'Esteren. Mais cela ne veut pas dire que les Personnages devront se cantonner à résoudre
des problèmes mineurs. Au contraire, il y a des choses d'une portée insoupçonnable sur lesquelles ils peuvent peser. Mais si
c'est le cas, cela relèvera bien plus de leurs choix et de l'interprétation des joueurs que des caractéristiques de leur PJ ou des 179
résultats de certains jets de dés.
Dans le même temps, ce jeu ne fait pas des Personnages des héros sur lesquels une bonne étoile veille en permanence. Ils ne
sont pas plus résistants, chanceux, bénis ou élus que la multitude d'autres individus qui peuplent le monde autour d'eux. S'ils
se jettent tête baissée dans un piège ou un combat inégal, le résultat sera prévisible, parce qu'il n'est écrit nulle part que leur
survie est obligatoire. Par conséquent, lorsque les Personnages accompliront quelque chose de significatif, cela ne sera pas non
plus parce que le meneur voulait absolument qu'ils y parviennent, envers et contre tout. Mais plutôt parce qu'ils auront pris les
bonnes décisions, et limité les risques autant que cela leur était possible.
Peur…
Les Ombres d'Esteren n'est pas dépourvu d'inquiétude, de danger, voire d'horreur. Mais à l'encontre d'autres univers de jeu, les
joueurs ne seront pas systématiquement confrontés à chaque séance à des monstres inhumains et cruels. Les feondas, aussi
dangereux et inquiétants soient-ils, ne sont pas le seul axe sur lequel repose le jeu. En effet, les rivalités politiques, les diver-
gences idéologiques, l'érosion de valeurs traditionnelles au profit de sciences et croyances porteuses de changements profonds,
constituent autant de ressorts dramatiques et d'éléments contextuels à exploiter par le meneur. La folie humaine, elle aussi, a
une certaine importance puisqu'elle peut concerner au premier chef les PJ, tout en jouant un rôle dans les décisions de certains
protagonistes qu'ils seront amenés à côtoyer.
Esteren n'a rien de bucolique. Les problèmes liés à la simple survie, les menaces horribles plus ou moins connues et tous les
méfaits que peut commettre l'homme pèsent sur le quotidien et altèrent souvent de manière radicale le comportement des indi-
vidus. La sécurité, la paix et le bonheur ne sont pas impossibles, mais tout simplement précaires. Et les Personnages, par leurs
choix et leurs interventions, ressentiront cette précarité bien plus souvent que la moyenne.
...et espoir
Au final, Esteren est certes un univers sombre, mais qui n'a pas un caractère irréductiblement désespéré. Au contraire, l'espoir
est une des thématiques sous-jacentes les plus importantes du jeu. Durant certaines parties, la survie physique et la santé men-
tale des Personnages seront en jeu. À d'autres moments, ce sont des choix idéologiques, ou des tractations assez matérialistes,
qui mobiliseront leurs capacités. En conclusion, Les Ombres d'Esteren est un univers conçu pour faire peser sur les épaules
des PJ une certaine pression. Pour susciter la tension, l'inquiétude, la peur et l'expectative. Pas pour dépeindre un cadre dans
lequel sera infligée aux Personnages une série de revers et d'épreuves destinés à les anéantir sans qu'ils puissent espérer autre
chose qu'un sursis. La survie, et surtout le succès des Personnages, dépendent donc avant tout des décisions des joueurs, ainsi
que de la manière dont ils parviendront à aller de l'avant.
-Système de jeu-
Cette section pose certaines problématiques centrales du jeu et donne plusieurs pistes pour constituer un groupe de
Personnages dans les Ombres d'Esteren.
Les PJ nouvellement créés ne seront pas des héros épiques, mais des gens relativement ordinaires. Il n'y aura pas de destin
particulier qui les attende, ni de prophétie annonçant leur venue. Un PJ accomplira sans doute de grandes choses et marquera
peut-être son époque. Mais ses accomplissements seront véritablement siens, parce que le monde n'attend rien de spécial de
lui en particulier.
En ce sens, les PJ sont véritablement des héros, au sens dramatique du terme. C'est-à-dire des gens qui font la différence parce
qu'ils agissent, ou qui connaissent un destin funeste parce qu'ils ont commis une erreur. Bien que leur existence ait été jusque-
là semblable à celle de la majorité des gens qui peuplent le monde autour d'eux, cela ne durera pas.
Au début, les enjeux seront assez limités, voire de nature personnelle. Par exemple, si les joueurs créent un groupe natif d'un
village de montagne, les premières séances seront liées aux problématiques locales et feront intervenir les gens influents des
environs, ou les proches des PJ.
Progressivement, des enjeux qui impliquent une échelle plus vaste feront leur apparition, tandis que les PJ se verront interpel-
lés par certains mystères. En cherchant à comprendre certaines choses, ou à peser sur des événements précis, ils découvriront
des vérités dérangeantes et courront des risques élevés. Surtout, les horreurs, qui se cachent dans les sombres forêts et d'au-
tres endroits plus inattendus, ne seront plus pour eux une menace diffuse ou une catastrophe exceptionnelle. Ils y seront
confrontés de manière plus directe et fréquente que le reste de la population, qui estime que la vie est déjà bien assez dure
comme cela.
La péninsule de Tri-Kazel traverse des problèmes de diverses sortes, dont certains dissimulent quelques surprises assez cho-
quantes ou sinistres. S'ils veulent vraiment changer certaines choses ou peser sur l'avenir, les PJ vont devoir accepter les
risques physiques et mentaux que cela implique. Rien ne leur sera jamais acquis parce qu'ils sont "les héros de l'histoire". Ce
sont leurs décisions, et leurs sacrifices, qui feront la différence.
180
Étant donné qu'ils peuvent avoir des origines très diverses, rents outils ont été mis en œuvre pour les archétypes propo-
le principal point visant à les rassembler est de savoir où ils sés aux pages 182.
commencent ensemble, et ce qu'ils font là.
Un groupe urbain
Un groupe rural L'avantage essentiel d'une cité est d'être un carrefour cosmo-
La plupart des communautés rurales vivent de manière rela- polite, surtout si elle est frontalière ou connue comme un
tivement fermée, recevant peu de voyageurs si elles ne sont lieu d'échanges culturels et commerciaux majeur. Chaque PJ
pas situées sur une route majeure. Un groupe de PJ d'origine peut donc avoir une petite affaire à y mener, qui servira en
rurale a donc toutes les chances de se connaître depuis l'en- fait à le faire venir s'il n'habite pas sur place. Un groupe
fance. On peut ainsi trouver par exemple : urbain peut donc compter des citadins et des ruraux. S'ils ne
- l'apprenti du demorthèn local, partagent pas une activité commune (élèves d'un même maî-
- le fils du principal artisan, revenu de la ville après avoir tre d'armes par exemple), il est plus probable que ce soit un
terminé ses études magientistes, PnJ qui les ait rassemblés. Un mécène, en quête d'employés
- la fille d'un notable, dont la famille pratique la religion du disposant de divers talents, ou ayant des raisons de prêter
Temple, leurs compétences dans une situation précise. Un varigal et
- le rejeton du seigneur local ayant reçu une formation mar- un magientiste peuvent être utiles à un érudit qui veut entre-
tiale poussée, prendre une expédition archéologique par exemple. Et il
- une jeune varigale qui passe régulièrement par ce village, etc. peut avoir un jeune prêtre comme confesseur s'il pratique la
Malgré certains antagonismes, surtout liés aux choix paren- religion du Dieu Unique. Ce genre de configuration permet
taux et à de vieilles histoires, nos PJ ont toutes les chances de placer ensemble des individus d'origines disparates, qui
d'avoir été placés chez la même dàmàthair et d'entretenir ont des comptes à rendre à un PnJ leur fournissant un objec-
une certaine camaraderie, voire d'être devenus "rivaux" dans tif initial.
l'affection d'une jolie fille. Certains peuvent être revenus
récemment, après plusieurs années d'absence. Peut-être Un groupe de voyageurs
parce qu'ils n'avaient plus d'argent pour payer leurs coûteu- Se rencontrer sur la route est encore la manière la plus évi-
ses études universitaires, ou qu'ils ont appris un drame fami- dente de faire connaissance avec des inconnus, mais cela ne
lial. Il faudra broder une courte description de la commu- garantit rien au-delà de quelques échanges assez limités. À
nauté et de ses principaux membres, à commencer par leurs moins qu'on ne doive faire front ensemble à un problème
familles. Puis, décider ensemble quels liens ils ont, voire commun. Comme trouver un chemin après que le seul pont
d'inventer une ou deux anecdotes de leur enfance. Ces diffé- du voisinage se soit effondré. Ou résister les armes à la main
face à des brigands. La plupart des voyageurs ne se dépla- dre sa défense, malgré ses croyances absurdes ? Cet exem-
cent pas seuls, mais prennent place dans une caravane, ce ple est presque caricatural, mais permet de jeter les bases
qui les amène donc à côtoyer des gens qu'ils ne souhaitaient d'une relation amusante, mêlant une certaine attirance ina-
pas forcément fréquenter. Un tel groupe peut inclure une vouée et des tentatives plus ou moins convaincantes de per-
quantité appréciable de figurants, qui permettront d'aider à suader l'autre d'adopter sa vision du monde. Les joueurs et
le souder. le MJ devraient se souvenir que les convictions d'un
Personnage ne font pas forcément son caractère. Il y a des
magientistes compatissants, des demorthèn pleins d'humour
et des suivants de Soustraine tolérants. Ils sont même bien
Au-delà de la première séance, ou du premier scénario, les
plus intéressants à jouer, y compris face à ceux qui partagent
PJ doivent avoir des raisons de rester ensemble. Même s'il
leurs croyances, que des curés fanatiques, des savants fous
n'est pas toujours perceptible, il doit bel et bien y avoir un
et des ermites incultes.
axe, qui aidera les joueurs à faire que leurs PJ acceptent,
voire souhaitent, collaborer. Si la première idée du meneur
Une menace commune
Il est possible de souder le groupe à travers une menace
était de les amener jusqu'à des ruines antiques, ils peuvent y
commune, s'appuyant sur le passé des PJ et ouvrant la voie
avoir trouvé des inscriptions mystérieuses. Leur employeur
vers une trame à plus long terme. Par exemple, la jolie
aura besoin de leur aide alors qu'il cherche quelqu'un sus-
magientiste et un demorthèn bourru sont accusés d'un crime
ceptible de les déchiffrer. Et puis, un des PJ peut trouver ces
qu'ils n'ont pas commis. Mais le vrai coupable pourrait être
inscriptions... familières ?
un ancien soupirant de la magientiste, désireux de se venger.
De même, si les joueurs ont combattu des bandits, ils ont
Ou un demorthèn fanatique, qui trouve que son confrère est
peut-être découvert qu'ils étaient les comparses d'un filou
trop laxiste et mérite une bonne leçon. L'un comme l'autre
plus retors, qui a volé une partie de leurs possessions pen-
pourraient par ailleurs faire partie d'un groupe assez radical...
dant qu'ils affrontaient ses complices. À moins que ces cri-
minels ne semblent être au service du seigneur voisin, qui Une interprétation souple
menace la vallée natale des PJ ? Ce sont des ressorts scéna- Surtout, rien n'oblige un joueur à figer dès le départ son
ristiques très simples, mais aussi très pratiques. PJ dans une certaine façon de penser ou d'agir. Ses Voies
(qui déterminent les grands axes de sa personnalité) donnent
des orientations, qu'il peut interpréter de plusieurs manières
sans qu'elles aient besoin de changer en termes numériques.
Il n'est pas forcément utile de définir dès la première partie
La société de Tri-Kazel regorge de factions antagonistes :
un caractère affirmé. La caricature, l'archétype, sont utiles
magientistes, prêtres du Temple et demorthèn ont des
pour que le joueur se nourrisse d'eux, pas pour qu'ils l'empê-
visions du monde si différentes que l'on pourrait se deman-
der comment un groupe formé de ces différents individus
chent de jouer ce qui est avant tout son personnage. De 181
même, les Voies peuvent avoir des côtés contraignants, mais
pourrait coexister. elles ne sont que des guides et ne forcent pas le joueur à un
Jouer sur les contradictions type unique d'interprétation, bien au contraire.
Le meneur pourra s'appuyer sur les choix des joueurs
pour lier les PJ entre eux. Par exemple, le jeune adepte du De l'antagonisme
Temple est ému par la mignonne apprentie magientiste et ne à la complémentarité
sait plus trop s'il est attiré par elle ou souhaite sauver son En fin de compte, les haines, les rivalités et les préjugés sont
âme de pécheresse. Rien ne vaut un bigot de passage, miso- autant d'obstacles qui sont là précisément pour être surmon-
gyne de surcroît, pour que le jeune adepte se demande si sa tés. C'est en cela, aussi, que les décisions des joueurs peu-
conscience accepte l'idée d'enfermer la pauvre fille dans un vent faire toute la différence, à bien des niveaux. Autant
couvent, ou de la traîner jusqu'au bûcher... et la jeune pour le jeu lui-même que pour le plaisir des participants,
demoiselle, sans doute pleine de commisération pour "ce l'esprit de groupe est quelque chose de primordial. Esteren
naïf ", restera-t-elle insensible au fait qu'il ait tenté de pren- est un univers qui a été créé dans cette perspective.
Les archétypes
Compétences : Le score indiqué pour chaque compé-
Le chapitre suivant propose six archétypes prêts à jouer. Ils tence est l'addition entre le niveau dans le Domaine et la
constituent autant d'exemples concrets de PJ pouvant être Voie ; en cas de jet de Résolution, ce score sera directement
créés par des joueurs. Ces personnages sont conçus de ajouté au résultat d'1D10 et comparé au Seuil de difficulté
manière détaillée, avec leur historique personnel, leur équi- déterminé par le meneur. Les éventuels bonus indiqués entre
pement et leur psychologie. Ils sont tous liés au val de parenthèse ne sont pas inclus dans ce total et devront être
Dearg, une région au nord de Taol-Kaer englobant les vaux ajoutés si le PJ peut tirer parti de son avantage pour ce jet de
de Melwan et de Loch Varn. Résolution.
Les caractéristiques techniques de chaque archétype intè- Combat : Les scores indiqués concernent une Attitude de
grent quelques particularités afin de rendre les phases de jeu combat standard. Pour déterminer les scores des autres
plus fluides : Attitudes, il faudra utiliser le score de Potentiel.
Ces archétypes peuvent être téléchargés sur le site
www.esteren.org.
-Système de jeu-
Voies : Combativité : 4. Créativité : 2. Empathie : 5. Idéal : 3. Raison : 1.
Compétences : Artisanat : 4. Combat au contact : 9. Discrétion : 7. Érudition : 3. Milieu naturel : 9. Perception : 3.
Prouesses : 7. Relation : 7. Tir et lancer : 5. Voyage : 10.
Avantage : Instinct de survie.
Désavantage : Trauma, Addiction tabac.
Revers : Amour tragique.
Santé mentale : Résistance mentale : 8. Orientation : Instinctive. Trauma : 3.
Combat : Attaque : 9 (Dégâts carath : 2. Dégâts épée longue : 3). Tir et lancer : 5 (Dégâts arc : 2).
Défense : 11 (Protection : 3). Rapidité : 9. Potentiel : 2.
Vigueur : 9.
Points de Survie : 4
Sìd est né à Louarn, dans l'ouest de Taol-Kaer, une région humide proche des marais du Ponant. Il se destinait à devenir pay-
san comme les autres membres de sa famille quand un événement bouleversa sa vie. Anaelle, la jeune femme qu'il allait épou-
ser, ainsi que l'ensemble de sa famille, furent retrouvés morts, sauvagement assassinés. Des traces de lutte étaient clairement
visibles sur les lieux du crime et, non loin des dépouilles, fut découverte une dague dont le pommeau sculpté évoquait une
tête d'oiseau. Sìd, avide de vengeance, récupéra l'arme et se jura de retrouver son propriétaire.
Très rapidement, sa quête devint une obsession et l'amena à quitter son village natal. Après la rencontre d'adeptes du Temple,
il se convertit à cette religion, adhérant à la foi en l'éternité de l'âme qui lui assurait de pouvoir un jour retrouver Anaelle. Ses
premiers voyages furent difficiles et il faillit trépasser de nombreuses fois. Parcourant Taol-Kaer, il questionna les sages,
fouilla les bas-fonds des cités, visita de nombreuses bibliothèques,
obsédé par l'énigme que pouvait représenter cette mystérieuse tête d'oi-
seau. Plusieurs fois, il dut recourir à la violence, que ce soit pour survi-
vre ou arriver à ses fins.
Un jour, il fut approché par un homme qui lui proposa d'intégrer la
182 guilde des varigaux, ce que Sìd accepta. C'était l'occasion de poursui-
vre sans relâche son enquête tout en gagnant sa vie : récolter et propa-
ger les nouvelles importantes, porter des colis à l'autre bout de la pénin-
sule. Après plusieurs saisons sur les routes, son désir de vengeance
n'était plus aussi cuisant, mais demeurait vivace, prêt à reprendre le
dessus dès qu'un nouvel indice se dessinait.
Il y a quelques semaines, Sìd fut retrouvé près de Dearg, plus mort que
vif. Cette fois, le couperet n'était pas passé loin et il eut besoin d'une
longue convalescence pour se remettre d'aplomb. L'hiver approchant,
Sìd se résolut à rester au village quelque temps avant de reprendre la
route. De sa mésaventure, il ne garde aucun souvenir même s'il a l'in-
tuition qu'elle pourrait avoir un lien avec sa quête…
Personnalité
Traits de caractère : Pugnace, Buté.
Désordre latent : Obsession.
La plus grande qualité de Sìd est également son plus grand défaut : c'est un homme combatif, déterminé, mais qui pourra appa-
raître buté lorsqu'il a pris une décision. Néanmoins, Sìd est intuitif et sensible, attentif aux gens qui l'entourent, mais ne laisse
que très rarement paraître ses sentiments. Depuis la mort violente d'Anaelle, son caractère s'est durci ; sa quête vengeresse
guide ses principes moraux et il ne recule devant rien pour parvenir à ses fins. Il garde cependant un certain sens de la justice
et répugne à faire du mal aux innocents. Au fil des ans, il est devenu taciturne, aimant à se retrouver seul. Chaque jour, Sìd
fait une prière pour Anaelle, de peur que son âme ne disparaisse. Il mettra tout en œuvre pour accomplir ce rituel, sous peine
de se sentir angoissé, absorbé par des questions métaphysiques sur la mort et la permanence de l'âme. Dans Dearg, Sìd a rapi-
dement su trouver sa place, se sentant redevable auprès de la communauté qui lui a sauvé la vie, en particulier vis-à-vis
d'Eoghan et ses compagnons d'armes qui le retrouvèrent inconscient non loin du village.
Équipement
Sìd possède un important matériel, notamment : une corde et un grappin, une toile de tente, des pitons d'escalade, une cou-
verture, un briquet à silex, plusieurs torches, un carnet et de l'encre, de la craie, du matériel de premiers secours, des cartes de
Tri-Kazel, des petits outils de mesure, un rouleau de cuir contenant du matériel pour crocheter les serrures ainsi qu'un pied de
biche. Il possède 18 daols d'azur, une épée longue, un carath (bâton ferré de varigal), un arc court, des flèches, un carquois et
plusieurs couteaux. Il détient également la fameuse dague au pommeau sculpté d'une tête d'oiseau, retrouvée près du corps de
sa compagne. Il porte une armure de cuir cloutée ainsi qu'un bouclier.
-Système de jeu-
183
Voies : Combativité : 5. Créativité : 2. Empathie : 3. Idéal : 4. Raison : 1.
Compétences : Artisanat : 3. Combat au contact : 10 (Discipline : Hache : 11, Bonus +1). Erudition : 2. Milieu naturel : 6.
Mystères demorthèn : 4. Perception : 2. Prouesses : 10 (Bonus +1). Relation : 6. Tir et lancer : 7 (Bonus +1).
Voyage : 4.
Avantage : Fort.
Santé mentale : Résistance mentale : 9. Orientation : Instinctive. Trauma : 2.
Combat : Attaque : 11 (Hache : 12. Dégâts hache : 3. Dégâts épée courte : 2). Tir et lancer : 8 (Dégâts arc : 2).
Défense : 9 (Protection : 3). Rapidité : 8. Potentiel : 2.
Vigueur : 10.
Points de Survie : 3
Eoghan est le fils aîné de l'ansailéir de Dearg, Maorn. Sa famille descend du clan qui s'installa dans cette vallée, il y a de cela
bien longtemps. Contrairement aux autres enfants confiés aux dàmàthairs, son père se chargea lui-même de son éducation et
se montra très dur, poussant son fils à développer son instinct de guerrier en attisant sa colère et sa rage.
En marge de ces entraînements martiaux éreintants, Eoghan se lia d'amitié avec Mael Mac Govrian, l'un des derniers descen-
dants de la famille noble régnant sur la région. Les deux garçons étaient également rivaux, car amoureux de la même jeune
fille, Céliane, fille du demorthèn de Fearìl. Cette rivalité les poussait à se surpasser physiquement, donnant à Eoghan une éner-
gie toujours renouvelée. C'était à celui qui serait le plus habile et le plus endurant. Mais peu à peu, Céliane manifesta sa pré-
férence pour Mael qui se destinait à devenir un grand guerrier tout en étant doté d'une sensibilité singulière, s'exprimant
notamment au travers de la musique. Si elle appréciait beaucoup Eoghan, elle craignait la violence qu'il portait en lui, issue
de l'éducation impitoyable dispensée par Maorn. Eoghan supporta très mal cette évolution, dévoré par la jalousie et la rage.
Mais la concurrence entre les deux garçons s'acheva brutalement
lorsque Mael mourut dans un incendie près de Fearìl. On aurait pu
croire qu'Eoghan se réjouirait de cette disparition - une rumeur a pen-
dant un temps prétendu qu'il était lié à l'événement - mais, s'il n'a
jamais rien dit de ses sentiments, il en fut beaucoup affecté et en
184 garde un souvenir douloureux. Suite à cette tragédie, Céliane et
Eoghan se rapprochèrent pour finalement promettre de se marier.
Eoghan poursuivit son entraînement avec son père avant d'être
envoyé dans un poste frontalier pour y accomplir son devoir d'ost. À
son retour, il découvrit un val régenté par les chevaliers hilderins,
envoyés par la couronne de Taol-Kaer pour remédier à l'absence de
noblesse, depuis la disparition des Mac Govrian. Dans Dearg, le nom
d'Eoghan est parfois évoqué, mais celui-ci n'y prête guère attention :
au printemps prochain, il doit se marier avec Céliane et cette pers-
pective occupe toutes ses pensées. Il y a quelques semaines, au cours
d'une patrouille ordinaire, Eoghan et ses compagnons d'armes trou-
vèrent sur le bas-côté un homme gravement blessé. Il s'agissait du
varigal Sìd, qu'ils ramenèrent au village où il fut soigné par le demorthèn.
Personnalité
Traits de caractère : Droit, Impulsif.
Désordre latent : Frénésie.
Eoghan a été élevé dans les traditions péninsulaires ; il écoute avec respect les conseils des demorthèn et craint les esprits de
la nature. L'éducation dispensée par son père lui a laissé un caractère impulsif, s'exprimant parfois sans qu'on s'y attende. Ses
émotions sont violentes, bouillonnantes, à commencer par son amour pour Céliane. Elles donnent à Eoghan les atouts pour
devenir un grand guerrier, mais pourraient également se révéler un défaut fatal. Celui-ci en a conscience et a appris à se conte-
nir et à obéir, relâchant toute sa hargne dans le cœur de l'action.
Cette formation lui a également inculqué le courage et la loyauté. Après avoir vu bien des horreurs pendant son service d'ost,
Eoghan cessa de haïr son père, comprenant que son entraînement visait à le préparer à survivre dans un monde brutal où un
seul instant de faiblesse pouvait se révéler fatal.
Équipement
Eoghan est équipé d'une épaisse armure de cuir cloutée, d'une hache d'armes que lui a donnée son père, d'une épée courte
et d'un grand bouclier rond portant le symbole du clan des Mac Govrian. Lorsqu'il part en expédition, il prend avec lui un sac
de cuir contenant quelques torches, une corde, une tente et une couverture. Il prend également un arc court, des flèches et plu-
sieurs couteaux. Il possède 15 daols d'azur ainsi qu'une longue cape cousue de fourrure de loup et héritée de son grand-père.
-Système de jeu-
185
Voies : Combativité : 1. Créativité : 4. Empathie : 5. Idéal : 3. Raison : 2.
Compétences : Artisanat : 5. Combat au contact : 4. Érudition : 6. Milieu naturel : 9. Mystères demorthèn : 10 (Bonus +1).
Perception : 4. Relation : 7 (Bonus +1). Voyage : 9 (Bonus +1).
Avantage : Intuitive.
Désavantage : Trauma, Séquelles (- 1 en Vigueur, - 1 en État de Santé).
Santé mentale : Résistance mentale : 8. Orientation : Instinctive. Trauma : 1.
Combat : Attaque : 4 (Dégâts bâton : 2.). Défense : 12 (Protection : 0). Rapidité : 6. Potentiel : 2.
Vigueur : 9.
Rindath : 15.
Points de Survie : 3
Adeliane est originaire du val de Melwan, voisin de Dearg. Elle est la petite-fille de la demorthèn locale, Wailen, et la grande
sœur de la varigale Yldiane. Éduquée par sa grand-mère, la petite fille s'est toujours sentie attirée par la nature sauvage, pas-
sionnée par les mythes demorthèn et avide de pouvoir ressentir cette communion avec les C'maoghs, les esprits naturels.
Encouragée par Wailen, cette fascination déboucha sur un événement inattendu. Un jour, alors qu'elle avait seulement sept
ans, et malgré la formelle interdiction pour les enfants de sortir de l'enceinte du village, Adeliane emmena trois d'entre eux
sur les bords de la rivière voisine afin d'y observer les " lumières dansantes ". Nul ne sait ce qu'il s'est passé alors, mais l'un
des enfants disparut dans le brouillard pour ne jamais revenir. De retour au village, Adeliane fut violemment prise à parti et
seule l'intervention de sa grand-mère Wailen empêcha un nouveau drame.
Rejetée, crainte, parfois menacée, la petite Adeliane n'était plus la bienvenue dans Melwan et cristallisait la tension entre la
demorthèn Wailen et les Mac Lyr, la famille seigneuriale locale. Sous
la pression, Wailen fut contrainte de confier Adeliane à son ami Loeg,
demorthèn de Dearg. Ce dernier accepta de la prendre sous sa protec-
tion et d'en faire sa seconde ionnthèn, aux côtés de Finn.
Bien que très différents, les deux élèves devinrent proches, Adeliane
trouvant en Finn une compagnie bienveillante alors que les habitants
186 de Dearg rechignaient à l'intégrer à la communauté. Un jour, Finn
décida de tout quitter pour aller en Reizh et Adeliane se retrouva iso-
lée, souffrant beaucoup de la solitude. À l'âge de treize ans, elle fut
frappée par une terrible maladie ; son maître Loeg l'emmena près de
la rivière où elle avait vu des feux-follets, il y a plusieurs années de
cela, et la ionnthèn guérit. Si cet épisode lui a laissé des séquelles et
une santé fragile, il a aussi concrétisé son lien avec les forces natu-
relles. Dans son village d'adoption, Adeliane a fini par trouver une
place qui demeure marquée par des sentiments partagés entre crainte
et respect. Ses deux seules véritables amies sont les musiciennes
Mirna et Aïnlis.
Personnalité
Traits de caractère : Sensible, Distraite.
Désordre latent : Hallucination
Adeliane est dotée d'une grande sensibilité. Elle est devenue une jeune femme calme, réservée ; certains pourraient la trouver
timide mais il n'en est rien, elle est juste rêveuse, ce qui lui donne parfois un air distant. Il n'est pas rare qu'elle soit perdue
dans ses pensées, se laissant aller à ses émotions. Elle apprécie la méditation et les balades en pleine nature, s'étant habituée
à une solitude jadis pénible. Elle garde un souvenir flou et douloureux de cette fameuse escapade sur les rivages de la rivière
de Melwan, se sentant coupable de la disparition de l'enfant. Elle pense parfois à revenir dans sa communauté natale mais est
finalement très attachée à Dearg, ses deux amies Mirna et Aïnlis ainsi que son mentor, Loeg.
Équipement
Adeliane a peu de possessions matérielles. Sa sacoche contient des herbes diverses, des ustensiles de premiers secours,
quelques rations séchées, un couteau ainsi qu'une dizaine de daols d'azur. Elle possède un grand bâton dont elle peut se ser-
vir pour se défendre. Elle possède les pierres oghamiques suivantes : Eau Calme, Pistage, Lumière, Calyre, Soin.
-Système de jeu-
187
Voies : Combativité : 3. Créativité : 2. Empathie : 1. Idéal : 5. Raison : 4.
Compétences : Artisanat : 3. Combat au contact : 6. Érudition : 9 (Bonus +1). Milieu naturel : 3. Occultisme : 5.
Perception : 7. Prière : 10. Relation : 4. Sciences : 6. Voyage : 5.
Avantage : Lettré.
Désavantage : Mauvaise santé (opposé Santé de fer).
Santé mentale : Résistance mentale : 10. Orientation : Rationnelle. Trauma : 4.
Combat : Attaque : 6 (Dégâts épée longue : 3.). Défense : 10 (Protection : 1). Rapidité : 4. Potentiel : 2.
Vigueur : 10 (malus de -2 sur les jets contre les maladies et les poisons.)
Exaltation : 15
Points de Survie : 3
À Dearg, tout le monde connaît l'histoire de Joris. Ce garçon a été adopté par le moine Firmin, qui vit dans un monastère à
quelques kilomètres du village.
Une nuit, Firmin fut réveillé en sursaut par la cloche située à l'entrée du monastère. Il trouva sur le pas de la porte un homme
en armure, mortellement blessé. Il s'agissait de Teorg, le père de Joris, chevalier gwidrite de l'ordre des lames, tenant dans les
bras son fils alors âgé d'à peine d'un an. Miraculeusement, le père et son enfant étaient parvenus à survivre à une attaque
feonde et à rejoindre le monastère de Firmin. Dans un dernier souffle, Teorg confia son enfant au moine qui jura de l'élever
comme son propre fils.
Les années passèrent et Firmin éduqua Joris dans le respect des préceptes du Temple. Le plus souvent seul dans les grandes
salles voûtées du monastère, l'enfant trouva compagnie parmi les livres. Fasciné par les gravures et les quelques vitraux
contant la vie et la mort du prophète, il ne tarissait pas de questions
à ce sujet. Plutôt timide lorsque son père l'emmenait avec lui au vil-
lage, Joris prit peu à peu de l'assurance en grandissant. Toujours prêt
à rendre service, il sut rapidement se faire apprécier des villageois. Il
se prit d'affection pour la vieille brocanteuse Zaig et son petit-fils
Ronan, convertis au Temple. La vieille femme fit régulièrement pro-
fiter Joris de ses trouvailles en matière de livres et parchemins, amas-
188 sés au fil des saisons dans sa boutique. Au monastère, il reçoit régu-
lièrement la visite de la jeune Masha, une musicienne se destinant à
devenir barde.
Depuis quelques mois, Joris prépare son voyage en Gwidre afin d'in-
tégrer officiellement l'ordre des clercs, espérant ensuite être reconnu
parmi les théologiens.
Personnalité
Traits de caractère : Réfléchi, Ascétique.
Désordre latent : Mysticisme
Joris est un jeune homme studieux, qui pourra paraître timide et
réservé. Pieux, il a été élevé dans le respect des enseignements de
Soustraine et s'attache à ne jamais s'en écarter. Les sentiments ambigus qu'il éprouve pour la jeune Masha lui causent des tour-
ments au regard des Ordonnances exigeant de lui retenue et modération.
Il a très vite été intéressé par les livres et les énigmes posées par la théologie. Au fil des ans, cet intérêt n'a fait que croître, au
point de devenir une véritable passion. Joris peut rester des heures plongé dans les livres, coupé du monde, à lire et relire cer-
tains passages afin d'en saisir l'essence. En marge de ce caractère mystique, Joris sait être un garçon volontaire et courageux,
qualités qui lui ont valu le respect des habitants de Dearg. Même s'il rechigne à utiliser la violence, l'apprentissage intellec-
tuel ne lui a pas fait négliger l'entraînement martial.
Équipement
Joris porte une armure de cuir souple sous sa tenue d'adepte. Il est équipé d'une épée longue ayant appartenu à son père.
Sa sacoche contient notamment un livre de prières rassemblant les Écrits du prophète Soustraine, du matériel de premiers
secours, quelques rations séchées et une gourde d'eau. Il possède une quinzaine de daols d'azur.
-Système de jeu-
189
Voies : Combativité : 3. Créativité : 4. Empathie : 1. Idéal : 2. Raison : 5.
Compétences : Artisanat : 5. Combat au contact : 4. Érudition : 10. Magience : 10 (Discipline : Utilisation des artefacts : 11.
Bonus : +1). Milieu naturel : 3. Mystères demorthèn : 3. Occultisme : 7 (Bonus +1). Perception : 7.
Relation : 4. Sciences : 8 (Bonus +1). Voyage : 4.
Avantage : Vif d'esprit.
Désavantage : Trauma x 2, Phobie des insectes.
Revers : Adversaire.
Santé mentale : Résistance mentale : 7. Orientation : Rationnelle. Trauma : 3.
Combat : Attaque : 4 (Dégâts dague : 1.). Défense : 11 (Protection : 0). Rapidité : 4. Potentiel : 2.
Vigueur : 10.
Points de Survie : 3
Finn est un orphelin originaire de Dearg. Il fut adopté par le demorthèn Loeg qui en fit son élève. À partir de l'âge de neuf
ans, il partagea ce statut de ionnthèn avec la jeune Adeliane, venue du val voisin de Melwan. Élève appliqué, il avait égale-
ment la fâcheuse tendance à n'en faire qu'à sa tête, impatient de franchir les étapes qui feraient de lui un demorthèn.
Tout bascula le jour où la petite sœur de Finn, Ionna, contracta une maladie que la médecine traditionnelle de Loeg se révéla
impuissante à soigner. Ionna mourut et ce fut un traumatisme terrible pour Finn qui perdit toute confiance dans les techniques
et pouvoirs supposés des demorthèn. Il renia son engagement et, suite à sa rencontre avec un varigal de passage lui ayant
compté les prodiges dont était capable la magience, quitta le pays pour aller étudier la magience en Reizh. En effet, Finn avait
acquis la certitude qu'un magientiste aurait pu sauver sa petite sœur.
Après de longues et difficiles années d'études au cœur d'une grande
cité reizhite, il réussit à obtenir un diplôme de magientiste vitaliste,
dans le but d'exercer en tant que médecin. Finn découvrit l'esprit de
concurrence animant l'ordre des magientistes et apprit à se méfier.
Après quelques amères trahisons, il se jura de ne plus jamais accor-
der sa confiance à qui que ce soit. Et ce ne fut pas la seule difficulté
190 qu'il rencontra : tout d'abord, il dut apprendre une nouvelle façon de
penser mettant en avant la rationalité et la logique. De plus, les
expériences diverses auxquelles il participa lui laissèrent quelques
traumatismes et une phobie sévère pour les insectes. Enfin, son
caractère rebelle lui valut un solide ennemi parmi ses professeurs et
il dut quitter la cité avant que cela ne dégénère.
Après quelques mois de voyage, il décida de rentrer dans son pays
natal avec le désir de faire profiter le peuple de Dearg de ses décou-
vertes.
Personnalité
Traits de caractère : Ingénieux, Rebelle.
Désordre latent : Paranoïa
Finn est un garçon vif d'esprit, curieux du monde qui l'entoure. Libre et très créatif, ses mentors ont toujours eu le plus grand
mal à canaliser son énergie.
Ses sentiments envers Loeg, son père adoptif, sont ambivalents ; Finn le respecte, mais ne peut s'empêcher de penser que c'est
un vieux sot prônant l'obscurantisme. Revoir Adeliane ne le laissa pas indifférent même s'il n'en montra rien.
Si Finn peut apparaître hautain et froid dans un premier temps, son apprentissage de la magience a une visée fondamentale-
ment humaniste et sa vocation médicale est authentique. Il perçoit la magience comme le moyen d'améliorer le quotidien des
hommes et sait se montrer généreux et dévoué dans la pratique de son métier.
Équipement
Finn possède une mallette contenant des petites pinces, des fioles, du matériel de soin, une loupe, des substances chi-
miques telles qu'acides et alcools. Sa sacoche de cuir contient du matériel de voyage, des rations et réserves d'eau, deux livres
traitant de la magience ainsi que 20 daols d'azur. Finn possède des Lunettes de vision (un artefact, Cf. p. 268), cinq cartouches
standards de Flux organiques et deux doses de Tonifiant. Il est armé de plusieurs dagues.
-Système de jeu-
191
Voies : Combativité : 3. Créativité : 5. Empathie : 4. Idéal : 1. Raison : 2.
Compétences : Artisanat : 7. Combat au contact : 5. Discrétion : 6. Erudition : 3. Milieu naturel : 7. Perception : 4.
Représentation : 10 (Bonus +1). Relation : 9 (Bonus +1). Tir et lancer : 4. Voyage : 6.
Avantage : Belle.
Santé mentale : Résistance mentale : 6. Orientation : Instinctive. Trauma : 5.
Combat : Attaque 5 (Dégâts épée courte : 2, Dégâts dague : 1). Défense : 11 (Protection : 1). Rapidité : 7. Potentiel : 3.
Vigueur : 10
Points de Survie : 3
Masha et sa sœur jumelle Mirna sont tarish du côté de leur père, leur mère est originaire de Dearg. Les deux jeunes femmes
n'ont jamais connu leur père car celui-ci ne resta que quelques mois au village, alors que leur clan, piégé par un hiver diffi-
cile, fut contraint de rester sur place. Le Tarish vécut une aventure passionnée avec une habitante de Dearg mais repartit le
printemps suivant, laissant celle-ci enceinte des jumelles.
Bientôt, les gens de Dearg se doutèrent de l'origine des fillettes et le demorthèn Loeg dut intervenir pour protéger les enfants
et leur mère qui risquaient d'être victimes de la vindicte populaire. Même si la mère était veuve depuis longtemps, il lui fut
amèrement reproché de s'être acoquinée avec un Tarish au lieu de s'unir avec un homme de la région.
Vers l'âge de cinq ans, Masha et Mirna reçurent chacune de leur mère un instrument de musique qui aurait appartenu à leur
père. Les deux sœurs se passionnèrent pour la musique et révélèrent un beau talent en la matière, quoique dans un style dif-
férent. Masha apprit à jouer du luth dans un style plutôt calme et mélancolique. Si sa sœur jumelle parvint à s'intégrer peu à
peu en participant activement à la vie du village, ce fut plus difficile pour Masha. Pensive, parfois tourmentée, elle ne trou-
vait un réel apaisement que dans la musique et rechignait à partici-
per aux tâches communautaires.
Âgée de dix-sept ans, elle est devenue une jolie métisse courtisée
par les garçons du val mais ne trouve guère d'intérêt en leur com-
pagnie. Le seul qui capte son attention est Joris, le jeune adepte du
Temple vivant dans le monastère non loin de Dearg. Masha appré-
192 cie la discrétion du jeune homme et trouve sa présence apaisante.
Au fond d'elle, Masha rêve de pouvoir partir explorer le monde et
s'est mise en tête d'entrer un jour dans le cercle prestigieux des
bardes de Tri-Kazel.
Personnalité
Traits de caractère : Poète, Doute.
Désordre latent : Mélancolie
Masha est une jeune femme songeuse, très différente de sa sœur,
vive et excentrique. Dotée d'une véritable sensibilité artistique,
Masha passe beaucoup de temps à jouer de son luth qu'elle accom-
pagne parfois de sa voix cristalline, empreinte de mélancolie. Au-
delà de son côté contemplatif, c'est une jeune femme débrouillarde
et inventive.
Si elle apprécie la compagnie de Joris qu'elle trouve différent des autres garçons du val, elle ne se sent pas attirée par cette
religion, pas plus que par le culte des esprits de la nature. En fait, Masha a du mal à croire en quelque chose et peine à don-
ner un sens à sa vie. Ses origines tarish la questionnent beaucoup et elle aimerait en apprendre plus à ce sujet, espérant que
ses voyages la mettront sur le chemin de son père. Sa sœur jumelle ne comprend pas son insistance à en apprendre plus sur
une culture qui n'a rien à voir avec leur vie à Dearg et l'a plus d'une fois exhortée à passer à autre chose, en vain.
Équipement
Masha possède un luth tarish au son caractéristique et auquel elle tient énormément.
Elle est équipée d'une armure de cuir légère, d'une épée courte et de deux dagues.
Sa sacoche contient notamment un carnet de papier et de l'encre, un petit miroir,
quelques partitions de musiques et une petite bourse contenant 10 daols d'azur.
-Système de jeu-
193
Voies : Combativité : 4. Créativité : 5. Empathie : 2. Idéal : 1. Raison : 3.
Compétences : Artisanat : 7. Combat au contact : 8. Discrétion : 4. Érudition : 4. Milieu naturel : 4. Perception : 6.
Occultisme : 4. Représentation : 9 (Bonus +1). Relation : 6 (Bonus +1). Tir et lancer : 5. Voyage : 3.
Avantage : Belle.
Santé mentale : Résistance mentale : 6. Orientation : Instinctive. Trauma : 5.
Combat : Attaque 8 (Dégâts épée longue : 3, Dégâts dague : 1). Défense : 10 (Protection : 1). Rapidité : 7. Potentiel : 3.
Vigueur : 10
Points de Survie : 3
Tout comme sa sœur jumelle Masha, Mirna est une jolie métisse, née de l'union d'une veuve de Dearg et d'un musicien d'un
clan tarish de passage durant l'hiver. Lorsque les villageois découvrirent la vérité, le mépris et le rejet s'abattirent sur la femme
enceinte des jumelles, jusqu'à ce que le demorthèn Loeg intervienne et calme les esprits. Mais on ne lui pardonna jamais vrai-
ment cette aventure avec un nomade.
Alors qu'elles n'étaient âgées que de quelques années, leur mère offrit à chaque jumelle un instrument de musique qui aurait
appartenu à leur père. Mirna reçut une flûte et, comme sa sœur, se passionna pour la musique.
Contrairement à Masha, qui eut les plus grandes peines pour s'intégrer à la communauté, Mirna démontra un caractère socia-
ble et comprit très vite que son charme pouvait l'aider à gagner les faveurs des membres de la communauté - et la jalousie des
autres filles de Dearg. Bien décidée à apprendre à se débrouiller seule et à se défendre, elle demanda à faire son service d'ost
dans la forteresse de Smioraìl, où elle fit la rencontre des chevaliers Argan et Roderic. Elle fut séduite par les deux hommes
; le premier pour son charisme et son regard noir indéchiffrable, le second pour ses idéaux et ses récits d'Osta-Baille.
Si les deux sœurs ont un caractère bien différent, elles aspirent
toutes deux à voyager. Là où Masha se questionne sur ses origines
tarish et espère secrètement retrouver son père, Mirna pense pou-
voir se faire un nom dans une grande cité et accéder à une vie meil-
leure, bien loin du quotidien misérable de Dearg. Malgré ses airs
affables, Mirna garde une rancœur contre les habitants de son vil-
192 lage natal qui l'ont longtemps rejetée. La question de ses origines
tarishs l'indiffère, au moins en apparence : pourquoi s'encombrer
l'esprit avec un homme qui n'a jamais cherché à s'intéresser à elle ?
Personnalité
Traits de caractère : Libre, fière
Désordre latent : Exaltation
Là où Masha est songeuse, douce et parfois mélancolique, Mirna
est enjouée, séductrice et pleine d'énergie. Son caractère bien
trempé ajouté à ses compétences martiales lui valent le respect des
habitants de Dearg. Son chien-loup, Cobalt, inséparable compa-
gnon qui la suit depuis presque cinq ans, contribue à lui assurer une
certaine sécurité.
La personnalité de Mirna se retrouve dans ses compositions musicales entraînantes et passionnées. Si elle joue très correcte-
ment de la flûte, sa préférence va au chant. Sa voix s'élève alors, puissante et sensuelle. Mais quoi qu'elle en dise, Mirna n'est
pas si différente de sa jumelle : son entrain qui peut parfois se muer en exaltation cache une blessure profonde, une mélanco-
lie qui n'attend que le moment propice pour éclore. Il arrive parfois à Mirna de réfréner ces moments de tristesse, ce " bour-
don " comme elle l'appelle. Dans ces moments de solitude, elle s'en veut de faiblir et de ressembler à sa sœur. Et très vite,
aidée par la présence rassurante de son fidèle chien-loup, son appétit de vivre et ses ambitions reprennent le dessus : elle s'ima-
gine déjà à Osta-Baille, courtisée par la noblesse et la bourgeoisie, se pavanant dans l'une des riches demeures d'Uasal que lui
a tant de fois décrites Roderic.
Équipement
Mirna est protégée par une armure de cuir et possède une épée longue ainsi qu'un poignard
dont elle ne se sépare jamais. Sa sacoche contient tout ce qu'il faut pour écrire, un petit livre où
elle inscrit ses compositions, sa flûte tarish ainsi qu'une vingtaine de daols d'azur.
Cobalt, chien-loup
Attaque : 10 Défense : 10 Rapidité : 8 Potentiel : 2 Dégâts : 2 Points de Santé : 15
-Système de jeu-
193
L
es Compétences représentent tout ce
que le Personnage sait faire, ce qu'il a
Compétences
appris pour exercer son métier ou en
suivant ses passions.
La création du Personnage faisant appel à ce
système de Compétences, il est donc néces-
saire d'expliquer leur rôle exact. Ainsi, il faut
distinguer ce qui relève de la formation et de
l'expérience du Personnage (Compétences) et
ses potentiels liés à sa personnalité (les
Voies), qui seront abordés plus tard dans le
chapitre " Création de Personnage ".
Généralités
Le système de Compétences des Ombres d'Esteren est structuré en arborescence : le socle général est divisé en seize
Domaines généralistes, rassemblant un large éventail de connaissances et de savoir-faire, qui se prolongent en plusieurs
Disciplines, des spécialisations dans un champ plus pointu de chaque Domaine. Le terme de " Compétence " désigne donc un
Domaine qui se décline en plusieurs Disciplines.
Un niveau dans un Domaine peut atteindre un maxi- Enfin, chaque Domaine est lié par défaut à une Voie.
mum de 5 (correspondant aux cinq cases en dessous de Par exemple, l'Artisanat est lié à la Créativité alors que
chaque Domaine sur la Feuille de Personnage). Lorsque ce le Combat au Contact est lié à la Combativité. Les Voies
niveau est atteint, le Personnage pourra continuer à progres- sont des caractéristiques et traits qui sont développés dans le
ser, mais devra acquérir une ou plusieurs Disciplines parti- chapitre " Création de Personnage ".
culières, dépendant du Domaine concerné et représentant
une spécialisation dans celui-ci. Une Discipline est notée de
6 à 15. Il n'y pas de limite au nombre de Disciplines qu'un
Personnage peut apprendre mais il ne peut dépasser le
niveau 15 dans une Discipline donnée.
194
-Compétences-
Disciplines communes à plusieurs Domaines
Certaines Disciplines sont accessibles par plusieurs Domaines. Par exemple, les Domaines du Milieu Naturel, du Voyage et
de la Perception permettent tous trois d'avoir une spécialisation en Orientation. Il existe aussi des Disciplines très proches,
portant des noms différents en fonction du Domaine dont elles sont issues, mais permettant toutefois le même type d'action.
Par exemple, Connaissance des troubles mentaux en Sciences tout comme Phénomènes Mentaux en Occultisme représentent
toutes deux la capacité du Personnage à diagnostiquer les troubles psychiques, mais l'approche utilisée par un scientifique ou
un occultiste sera différente. Il n'y a donc pas de distinction en termes de règles si on utilise l'une ou l'autre des Disciplines ;
elles ont juste un parfum différent.
Le Domaine de l'Artisanat rassemble la connaissance des techniques traditionnelles et le savoir-faire dans les travaux manuels.
Il concerne également les différents arts plastiques.
- La Discipline Outil magientiste permet d'utiliser un artefact, un appareil ou un outil fonctionnant au Flux. La Discipline
Machinerie magientiste concerne les plus gros des artefacts. Dans tous les cas, pour pouvoir accéder à ces Disciplines liées à
la magience, l'utilisateur devra également avoir un niveau minimal de 1 dans le Domaine Magience. (Cf. " Artefacts et disci-
plines associées ", p.265).
Disciplines : Bijouterie, Confection (couture, tissage, etc.), Cuisine, Distillation, Extraction minière (exploitation de
gisements de minerais), Forge, Machinerie magientiste (magience), Maroquinerie, Menuiserie, Outil magientiste
(magience), Peinture, Poterie, Sculpture, Serrurerie (inclut le crochetage de serrures).
Ce Domaine rassemble toutes les techniques de combat au Domaine de la furtivité et du camouflage, permettant
corps à corps. d'échapper à la détection et demeurer dissimulé. La plupart
- Maîtriser une Discipline permet de manier toutes les armes des Disciplines découlant de ce Domaine sont utilisables
196 contenues dans celle-ci. Par exemple, la Discipline Armes seulement par des Personnages sans armure, ou portant une
contondantes permet de se battre avec un bâton, un marteau, armure légère (en cuir léger ou tressée).
un fléau, etc.
- À partir du niveau 10 dans une Discipline (Expert), le Disciplines : Camouflage (dissimuler un abri, un
Personnage doit choisir une seule arme avec laquelle il objet sur soi ou dans un contenant, se cacher dans l'om-
excelle. Il est possible de devenir expert dans plusieurs bre), Furtivité (évoluer en silence et filature), Mimétisme
armes d'une même Discipline en utilisant les points d'expé- (inclut le déguisement et l'imitation gestuelle), Vol à la tire.
rience nécessaires.
- Avoir un score de 5 en Combat au contact permet d'accé-
der aux Arts de combat (p. 238).
- Pour accéder à la Discipline Artefact de combat, il est
nécessaire d'avoir au moins 1 niveau en
Magience. Cette Discipline permet l'ap-
prentissage d'un artefact pouvant être
utilisé au corps à corps.
(Cf. " Artefacts et disciplines
associées ", p.265).
Disciplines :
Artefact de combat
(magience),
Armes contondantes,
Armes d'hast, Combat à
mains nues (inclut la
lutte et l'utilisation de
gantelets), Combat
aveugle, Épées,
Haches,
Lames courtes.
L'Érudition concerne la culture générale.
- Avoir un niveau de 0 en Érudition signifie qu'un Personnage est complètement analpha-
bète. Généralement, un niveau de 1 signifie qu'il peut seulement déchiffrer avec peine
quelques mots jusqu'au niveau de 5 où l'on estime qu'il sait lire et écrire avec aisance.
Selon l'enfance du Personnage, il est possible qu'il soit très érudit, mais n'ait jamais eu
accès à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.
- Ce Domaine inclut également tous les savoirs qui ne sont pas abordés par les autres
Domaines. Acquérir la Discipline Principes magientistes ne permet pas d'utiliser les
artefacts, mais donne des connaissances théoriques sur cette science.
Ce Domaine regroupe les connaissances et les savoir-faire En dehors des demorthèn, seuls les ionnthèn (leurs appren-
liés à cette science continentale. Il faut normalement suivre tis) ou des alliés de longue date peuvent avoir accès à ce
l'enseignement des universités magientistes pour avoir accès Domaine. Celui-ci donne notamment accès aux techniques
aux Disciplines de ce Domaine. Certaines Disciplines se tra- et savoirs permettant d'utiliser la Sigil Rann, l'un des Arts
duisent par l'obtention d'un diplôme qui permet au ancestraux demorthèn (p. 245).
Personnage d'exercer. Dans tous les cas, obtenir un niveau
dans le Domaine Magience doit se justifier (mentor, étude, Disciplines : Herboristerie, Savoirs demorthèn
ressources bibliothécaires importantes, etc.). Par exemple, (connaissance des cérémonies ancestrales, des réunions
les ouvriers travaillant dans les laboratoires magientistes et demorthèn, des mythes fondateurs et des lieux chargés de
certains artisans bricoleurs peuvent acquérir des niveaux pouvoir), Concentration (permet de mettre en œuvre ou
dans ce Domaine. Plus d'informations sont données sur ce maintenir un Art ancestral demorthèn malgré les perturba-
Domaine et ses Disciplines pages 265-266. tions extérieures), Méditation (récupérer du Rindath et des
traumatismes), Langue ancienne, Médecine traditionnelle,
Disciplines : Connaissance des Flux (savoir où Sigil Rann, Spiritualité (cette Discipline peut aider
trouver du Flux, les différents types de Flux et leurs quelqu'un souffrant de troubles psychiques (p. 279).
propriétés), Extraction de Flux (p. 262), Raffinage de Flux
(p. 264), Réparation d'artefacts (p. 266), Utilisation des arte-
facts (cette Discipline permet de se servir indifféremment de
tous les artefacts, armes, outils, etc. ; voir p. 265), Médecine.
-Compétences-
L'occultisme est une discipline continentale peu connue en Cette compétence permet de se dépasser physiquement,
Tri-Kazel, très marginale en Reizh et pratiquement inexis- d'accomplir des actions physiques exceptionnelles. On
tante ailleurs. estime qu'un Personnage ayant un score de 2 en Prouesses
- Ce Domaine rassemble tout un corpus de croyances et de connaît les bases de la natation.
théories parfois fantaisistes sur la magie et les créatures fan-
tasmagoriques. Il concerne également l'étude de la santé Disciplines : Acrobaties (inclut le saut et l'équili-
mentale ainsi que le traitement de ces troubles via l'hypnose. brisme), Course, Endurance, Escalade, Évasion,
Le MJ ne devrait autoriser un PJ à prendre des niveaux dans Natation.
ce Domaine que si cela se justifie dans son histoire : appren-
tissage de la Discipline dans une université, mentor spécia-
lisé dans ce domaine, etc.
- Si le PJ n'a aucun niveau en Occultisme, il ne pourra pas
l'utiliser en cours de jeu. Pour accéder aux Disciplines liées
à la magience dans l'Occultisme, il est nécessaire d'avoir
également un niveau dans le domaine Magience. Ce Domaine regroupe des connaissances et des techniques
rhétoriques. Il concerne également les manières ayant trait à
Disciplines : Artefact de Combat (magience), Éso- la vie en société et l'éducation.
térisme (connaissance des écrits ésotériques, des tech-
niques de spiritisme), Hypnose, Interprétation des rêves, Disciplines : Baratin, Charme, Commandement,
Outil magientiste (magience), Phénomènes Mentaux. Connaissance d'une faction (préciser laquelle),
Diplomatie, Étiquette (préciser le milieu social),
Intimidation, Persuasion.
Disciplines : Connaissance du
Temple, Concentration (permet d'invo-
quer un miracle même en étant soumis à des
perturbations), Miracles, Recueillement,
Spiritualité (cette Discipline peut aider quelqu'un
souffrant de troubles psychiques
(p. 279).
-Compétences-
Ce Domaine rassemble des connaissances et des procédés pointus, qui sont pour la plupart traditionnels.
- La connaissance de la magience est un Domaine particulier et ne fait pas partie de celui-ci.
Un Personnage ayant un bon score en Sciences mais 0 en Magience n'aura donc aucune connaissance
des principes magientistes et ne pourra apprendre les Disciplines
Artefact de combat, Réparation d'artefacts, Outil magientiste ou
Machinerie magientiste. Voir le paragraphe " Artefacts et dis-
ciplines associées ", p.265.
Disciplines :
Attelage,
Cartographie,
Chemins de traverse
(Discipline réservée
aux varigaux leur per-
mettant de trouver des rac-
courcis), Signes (Discipline
réservée aux varigaux leur per-
mettant de repérer et compren-
dre les signes laissés dans la
nature par leurs pairs : marque
annonçant un danger, la présence
de feondas, un point d'eau proche, etc.),
Équitation, Navigation, Orientation.
-Compétences-
Création
de Personnage
A
près avoir pris connaissance du système de
Compétences, chaque joueur pourra entamer la créa-
tion du Personnage. Au départ, les PJ ont un score de 0
dans tous les Domaines de Compétences. Ces scores évolue-
ront tout au long de la création. Celle-ci se déroule dans l'or-
dre des étapes suivantes :
Peuple (p.202)
200 Métier, Lieu de naissance
et Classe sociale (p.203)
Traits de caractère,
Santé Mentale et Personnalité (p.210)
Les dix étapes sont détaillées dans ce chapitre. Il est possible pour un joueur de réaliser
seul la création de son PJ, mais il peut être plus intéressant d'en discuter avec le meneur et
les autres joueurs, afin de mixer les compétences au sein du groupe ou de justifier la col-
laboration des PJ.
Règle optionnelle :
Ordre de création alternatif
Le meneur peut changer l'ordre de création en faisant passer la répartition des scores de Voies, les Traits de
personnalité et l'historique du Personnage (étapes 4, 5 et 6) avant le choix du métier et du lieu de naissance
(étapes 2 et 3). Ainsi, les joueurs seront d'abord amenés à déterminer un concept général pour leur personnage en
commençant par lui élaborer une personnalité pour seulement ensuite choisir le métier.
Règle optionnelle :
Étape préliminaire : des motivations communes
Cette règle optionnelle a pour but de faciliter le déroulement des parties et d'optimiser le plaisir de jouer ensemble
en consolidant l'esprit de groupe qui lie les PJ.
Les joueurs vont créer un groupe de PJ qui seront amenés à vivre de nombreuses aventures ensemble. Il est tout à
fait possible d'imaginer un groupe rassemblant un magientiste, un demorthèn et un prêtre du Temple, mais les joueurs
et/ou le meneur devront imaginer ensemble la raison de cette alliance improbable.
Cette règle optionnelle propose une étape préliminaire à la Création de Personnage qui demandera aux joueurs de
définir un but commun à leurs PJ afin de faciliter la cohésion du groupe. Cela peut être : vivre une vie d'aventures et
quitter une communauté rurale sans avenir, faire partie de la même famille ou être des amis d'enfance, être les élèves
du même mentor ou les sujets d'un même seigneur, leur donnant une quête de longue haleine à accomplir, avoir un
ennemi commun ayant causé du tort à la communauté d'origine ou à la famille des PJ, etc. Les joueurs pourront s'ai-
der du texte " Groupe de Personnages dans Esteren " pour échafauder ce but commun. 201
Avec un peu d'imagination, il ne devrait pas y avoir de combinaison de PJ impossible. Chaque joueur devrait être
libre d'incarner le PJ qu'il désire, même si le meneur peut imposer certaines restrictions pour le bien du jeu, comme
par exemple le lieu de départ de l'aventure.
-Création de personnage-
Peuple
Il faudra tout d'abord choisir le peuple dont le PJ est issu. Chaque PJ parle le tri-kazelien (la langue commune de la péninsule)
et une deuxième langue typique de son origine (ce n'est parfois qu'un dialecte régional).
-Création de personnage-
Métier, Lieu de naissance et Classe sociale
Après avoir choisi le peuple du PJ, il faudra lui donner un métier. Il peut s'agir de son activité principale ou du domaine dans
lequel il a été essentiellement formé pendant sa jeunesse (de gré ou de force, au joueur de le définir). Quel que soit son métier,
le PJ commence avec un statut social d'apprenti ou de novice.
C'est au meneur, en concertation avec les joueurs, de décider si les PJ ont déjà obtenu leur statut ou sont encore des appren-
tis : un écuyer rêvant de devenir chevalier, un jeune ionnthèn promis à devenir demorthèn, un inceptus terminant ses études
de magience ou encore un jeune adepte du Dieu Unique cheminant vers son intronisation. Il est possible que les PJ débutent
avec leur statut de demorthèn, de chevalier ou de scientör pour les magientistes.
Dans ces cas-là, ils seront novices. Ainsi, un PJ demorthèn viendra juste d'acquérir son statut et ses tout premiers pouvoirs ;
un chevalier ne sera pas le dirigeant d'une forteresse mais plutôt un combattant défendant celle-ci ; etc.
Le choix d'un métier donne directement un niveau de 5 dans un Domaine de compétence (Domaine Primaire) et de
3 dans un autre (Domaine Secondaire). Le joueur cochera le nombre de cases correspondant pour chaque Domaine
concerné sur la Feuille de Personnage. Au cours de la création, les niveaux dans certains Domaines augmenteront
jusqu'à 5, ce qui permet d'obtenir des Disciplines, mais celles-ci seront obligatoirement allouées dans les Domaines
Primaire et Secondaire définis par le choix du métier.
Règle optionnelle :
Nouveaux métiers et métiers croisés
Les joueurs trouveront ci-dessous une liste de métiers, mais elle n'a rien d'exhaustive. Il est tout à fait possible que le meneur
et un joueur se mettent d'accord pour créer une nouvelle profession ; il faudra dans ce cas déterminer quels sont les Domaines
Primaire et Secondaire de ce métier.
Il est également possible qu'un PJ possède une " double formation ". Ceci doit pouvoir s'expliquer de par son passé. Si le
meneur l'accepte, le PJ pourra choisir son Domaine Primaire parmi l'un des métiers et son Domaine Secondaire dans un autre. 203
Quel que soit le choix, les niveaux à la création dans ces deux Domaines seront de 5 et 3.
Artisan :
Quel que soit son domaine, l'artisan est un manuel qualifié. Forgeron, cuisinier, architecte, cordonnier, bûcheron, sculp-
teur, joaillier ; les artisans couvrent un grand nombre de spécialités. Dans les cités où est implantée la magience, on trouve
aussi des réparateurs d'artefacts et des ouvriers spécialisés travaillant dans les usines.
Domaine Primaire : Artisanat
Domaine Secondaire : Relation ou Sciences
Barde :
Le statut de barde est hautement honorifique et les plus puissants monarques s'entourent de ces artistes qui ont de vérita-
bles rôles d'éminence grise. Artiste, acrobate, musicien, bouffon, le barde peut revêtir différents rôles. Il peut également être
connu sous d'autres noms, comme les poètes aveugles filidh ou les étranges céilli de l'archipel des Tri-Sweszörs.
Domaine Primaire : Représentation
Domaine Secondaire : Relation ou Voyage
Chasseur :
Il nourrit la communauté du produit de ses longues expéditions, qui durent parfois plusieurs jours. L'expansion des villes
a vu l'apparition de chasseurs d'un genre nouveau comme les ratiers. D'autres, comme les Enfants de Neven, dédient leur exis-
tence à la traque de feondas.
Domaine Primaire : Milieu Naturel
Domaine Secondaire : Combat au contact ou Tir et Lancer
-Création de personnage-
Chevalier :
Ces hommes et ces femmes font partie de la noblesse et appartiennent le
plus souvent à un ordre de chevalerie comme les Hilderins ou les Ronces.
Certains sont des chevaliers errants, derniers héritiers d'une famille noble, d'au-
tres les vassaux d'un puissant seigneur.
Domaine Primaire : Combat au Contact
Domaine Secondaire : Voyage ou Relation
Combattant :
Il peut être soldat ou mercenaire, champion de justice, bagarreur de tavernes
ou détrousseur des rues sombres, etc. Les archers peuvent prendre Tir et Lancer
en Domaine Primaire.
Domaine Primaire : Combat au Contact
Domaine Secondaire : Tir et Lancer ou Prouesses
Commerçant :
Marchand ambulant ou tenancier d'une échoppe bien acha-
landée, le commerçant peut négocier bien des marchandises.
Domaine Primaire : Relation
Domaine Secondaire : Érudition ou Artisanat
Demorthèn :
Représentant de la nature, il peut entrer en contact avec les
esprits et leur demander d'accomplir des tâches particulières. Il
est le gardien des anciennes traditions péninsulaires et il est sou-
vent considéré avec respect. Les apprentis demorthèn sont appe-
lés ionnthèn.
Domaine Primaire : Mystères demorthèn
Domaine Secondaire : Érudition ou Milieu Naturel
Érudit :
204 Passionnés par le savoir, les
recherches, les érudits sont souvent
employés comme scribes, profes-
seur ou bibliothécaires.
Généralement, un érudit possède
un domaine de connaissance de
prédilection : théologie,
magience, science, etc.
Domaine Primaire :
Érudition
Domaine Secondaire :
Science ou Occultisme
Espion :
N'importe qui, qu'il soit un conseiller haut placé ou un simple men-
diant, peut jouer un double rôle, amassant des informations pour le compte
d'un commanditaire. Le Domaine Secondaire peut être librement choisi
pour coller à la fausse identité de l'espion.
Domaine Primaire : Perception
Domaine Secondaire : Au choix
Explorateur :
Aventurier et casse-cou, l'explorateur est passionné par le
voyage, fuyant souvent la pauvreté ou la monotonie de son lieu de
naissance.
Domaine Primaire : Prouesses
Domaine Secondaire : Milieu Naturel ou Voyage
-Création de personnage-
Investigateur :
Habitant généralement dans les grandes villes, les investigateurs proposent leurs
services pour mener l'enquête. Chaque investigateur a son style : certains sont ver-
sés dans l'occultisme, d'autres dans la science, la magience, ou encore la médecine.
De ce fait, le choix du Domaine Secondaire et libre.
Domaine Primaire : Perception
Domaine Secondaire : Au choix
Magientiste :
En Tri-Kazel, on les nomme souvent par le terme dédaigneux de " daedemor-
thys ". Malgré cette mauvaise réputation, leur science a pour but général l'amélioration
des conditions de vie de l'humanité. Un magientiste diplômé est un scientör alors qu'un
élève en cours de formation est un inceptus.
Domaine Primaire : Magience Domaine Secondaire : Sciences ou Érudition
Malandrin :
Voleur, cambrioleur, tire-laine ; les
moyens illégaux pour gagner sa vie sont
assez nombreux pour attirer du monde,
et ce malgré les risques...
Domaine Primaire : Discrétion
Domaine Secondaire : Prouesses
ou Représentation
Médecin :
Il est des endroits où le demor-
thèn local n'est pas le meilleur gué-
risseur. De nouvelles techniques tout à fait efficaces proviennent désormais des uni-
versités des grandes villes. Certains médecins, les aliénistes, s'attachent à soigner les
troubles psychiques, en se référant aux travaux du professeur continental Ernst
Zigger, d'autres, comme les apothicaires, sont spécialisés dans l'herboristerie.
Domaine Primaire : Sciences 205
Domaine Secondaire : Érudition ou Relation
Occultiste :
Passionnés d'ésotérisme, les occultistes sont souvent des universitaires ayant un
grand intérêt pour ce domaine dénigré par les autres branches de la science.
Domaine Primaire : Occultisme
Domaine Secondaire : Érudition ou Sciences
Paysan :
Qu'il cultive la terre ou élève des animaux, il participe à la vie de la communauté
en la nourrissant.
Domaine Primaire : Milieu Naturel Domaine Secondaire : Artisanat ou Prouesses
Religieux du Temple :
Simple adepte (fidèle en formation) ou membre de l'un des six ordres du
Temple, ces personnes prêchent en faveur de l'avènement du Créateur.
Domaine Primaire : Prière
Le Domaine Secondaire dépend de l'ordre auquel appartient le religieux ; Artisanat
(moines), Érudition (prêtres, moines et clercs), Relation (prêtres et vecteurs), Combat au
contact (sigires et lames) ou Voyage (vecteur).
Varigal :
Voyageur, messager, porteur de nouvelles mais aussi de colis, le varigal est un lien entre les communautés éparses de
Tri-Kazel. Passant l'essentiel de sa vie sur les chemins, il est généralement bien accueilli quand il arrive dans un village.
Proches de la nature, les varigaux sont souvent les alliés des demorthèn.
Domaine Primaire : Voyage Domaine Secondaire : Prouesses ou Milieu Naturel
-Création de personnage-
Un Personnage n'est pas compétent que dans son Il est temps de déterminer dans quelle classe sociale le PJ est
métier, il a en général d'autres activités, compé- né et a vécu ses premières années. On peut être roturier,
tences, etc. En dehors de ses Domaines Primaire et noble ou appartenir au clergé. Gardez une certaine logique
Secondaire, chaque PJ a droit à deux autres Domaines de dans tout cela : il y a bien peu de représentants de la haute
Compétences au niveau 2, puis encore deux autres noblesse au fin fond des vallées reculées de Taol-Kaer, et les
Domaines différents au niveau 1. agriculteurs ne sont pas nombreux au cœur d'Osta-Baille.
En termes de jeu, choisir son origine donnera des points
dans certaines compétences.
- Roture :
La roture forme l'essentiel de la population. Pour les pay-
sans et les ruraux (ainsi que les demorthèn même si ceux-ci
n'appartiennent à aucune classe sociale), le PJ obtient +1
niveau dans deux Domaines parmi Milieu Naturel,
Perception, Prouesses et Voyage. Pour les artisans et les
ouvriers, le PJ obtient +1 dans deux Domaines parmi
Artisanat, Érudition, Sciences et Relation. S'il est bour-
Il est important de déterminer pour chaque PJ s'il a grandi geois, le PJ obtient +1 dans deux Domaines parmi Artisanat,
dans un lieu plutôt rural ou dans une ville. Quel que soit son Érudition, Représentation et Relation.
lieu de naissance, un service d'ost d'une année est obliga-
toire en Tri-Kazel. Chaque habitant, homme ou femme, est - Clergé :
amené à participer à la défense de la communauté et se Les membres du Temple font partie du clergé. Un PJ de
retrouve initié aux rudiments du combat. cette classe obtient +1 dans deux Domaines parmi Prière,
Tout PJ obtient un bonus de +1 niveau dans le Érudition, Relation et Voyage.
Domaine Combat au Contact.
Il est cependant possible qu'un PJ soit exempté de - Noblesse :
ce service ou qu'il y ait échappé pour une raison ou Les nobles peuvent être d'origine citadine ou rurale ; ils
une autre. Si cette raison se justifie, du fait de son histoire obtiennent +1 dans deux Domaines parmi Combat au
ou de son origine sociale, le joueur peut affecter le niveau de Contact, Érudition, Sciences et Relation.
206 bonus normalement attribué au Combat au Contact à un
autre Domaine. Un PJ combattant aura probablement déjà 5
en Combat au Contact dû à son métier, dans ce cas ce niveau
de bonus permet d'ouvrir la première Discipline du PJ.
- Un PJ ayant vécu son enfance en milieu rural
ajoutera 1 niveau en Milieu Naturel.
- Un PJ ayant vécu son enfance en milieu urbain
ajoutera 1 niveau en Relation.
À la création, le nombre de Disciplines est limité à 2 et leur niveau est limité à 6. De plus, les
Disciplines seront obligatoirement allouées dans les Domaines Primaire ou Secondaire définis par le
choix du métier.
Si un PJ en arrive à dépasser 5 dans un Domaine ni Primaire ni Secondaire, il pourra ajouter les points en trop
à un autre Domaine au choix du joueur, mais sans dépasser 5. Il en va de même si un PJ obtient un nouveau
niveau qui aurait dû lui faire dépasser le niveau maximal à la création dans une Discipline.
-Création de personnage-
- Voie de la Raison :
La rationalisation, l'intellect, mais aussi la recherche et la
Les Voies réflexion. Elle traduit la capacité d'apprentissage d'un per-
sonnage, sa curiosité, etc.
- Voie de l'Idéal :
Généralement, un humain se raccroche à un idéal ou des
Les cinq Voies sont des caractéristiques mentales qui déter- convictions qui guident sa vie. Certains se tournent vers la
minent les traits majeurs de la personnalité du Personnage, religion, d'autres vers des préceptes de chevalerie, d'autres
sa façon de voir le monde et d'agir. Les Voies vont lui servir encore suivent un code personnel.
dans son quotidien. Par exemple, la Combativité sera mise à
contribution dans tous les moments où une forte pugnacité Chaque Personnage aura un score dans chacune de
sera nécessaire pour surmonter une épreuve. Voici la des- ces Voies, compris entre 1 et 5 et qui sera qualifié
cription de chacune des cinq Voies : de score majeur (4 et 5), score mineur (1 et 2) ou
- Voie de la Combativité : neutre (3).
Cette Voie traduit la pugnacité, l'énergie qui pousse à agir, la Posséder un score élevé dans une Voie n'est pas mieux en soi
rage de vivre. que d'avoir un score bas. À chaque type de score correspon-
- Voie de la Créativité : dent des qualités et des défauts. Là où un haut score de Voie
La capacité à imaginer, à donner à sa vie un sens original, apportera certaines facilités dans les Domaines et
l'inventivité, la débrouillardise. Disciplines, il deviendra un désavantage lorsque le
- Voie de l'Empathie : Personnage sera confronté à ses Travers (Cf. p.234). Ainsi,
Le lien qui relie un être humain à son environnement. Par un Personnage ayant un score majeur en Combativité sera
exemple, les demorthèn se servent de leur Empathie pour certes plus énergique en combat mais aura aussi tendance à
communiquer avec la nature. Au niveau relationnel, être plus impulsif. Posséder un score mineur dans cette Voie
l'Empathie désigne la faculté de ressentir les émotions d'une traduit quelqu'un de calme, mais qui pourra parfois faire
autre personne. montre d'une certaine mollesse.
Voies et Vocations
Chaque être humain est animé par une voie spirituelle particulière. L'un choisira la Combativité pour affronter l'existence, l'au-
tre la Créativité, l'autre encore la Raison, etc. D'une manière générale, chaque grand courant idéologique ou philosophique
favorise de manière plus ou moins évidente une Voie par rapport aux autres.
Ainsi, à travers leurs recherches d'harmonie entre les besoins de l'homme et ceux de la nature, les demorthèn privilégient de
fait la voie de l'Empathie. De leur côté, les magientistes favorisent l'intellectualisation et la réflexion qui devraient guider
l'homme vers des choix pondérés et pertinents. Ils mettent en avant la Voie de la Raison.
Pour les adeptes du Temple, la force de la foi permet à l'homme de se prémunir contre le mal : la Voie de l'Idéal est prépon-
dérante par rapport aux autres.
Les bardes pensent que l'espoir d'un monde meilleur repose dans la faculté de l'homme à imaginer et se renouveler. Ce qui
correspond à la voie de la Créativité.
Enfin, pour bon nombre d'habitants de Tri-Kazel, seule la Voie de la Combativité permet d'offrir l'énergie suffisante pour sur-
vivre.
Ces différents exemples ne sont en rien restrictifs ; un magientiste peut avoir un goût certain pour les inventions (Voie de la
Créativité) ou éprouver une foi profonde dans l'idée que la magience est la solution pour sauver l'humanité (Voie de l'Idéal).
Chaque joueur devrait ainsi prendre le temps de se demander comment son PJ se positionne par rapport à ces grands principes
du monde qui l'entoure ; cela l'aidera à choisir des scores de Voies cohérents avec la personnalité de son PJ.
-Création de personnage-
Scores de Voies d'un Personnage Règle optionnelle :
autre répartition des scores
Il s'agit maintenant de déterminer les scores des cinq Voies de Voies
du PJ. Le joueur répartit à sa guise au sein des cinq voies les
scores de 1, 2, 3, 4 et 5, ce qui fait que chacune aura un score Avec cette règle optionnelle, les joueurs répartissent comme ils
différent. le souhaitent un total de 15 points dans leurs cinq Voies.
Néanmoins, il est conseillé au meneur d'appliquer la restriction
suivante : le Personnage devra avoir au moins une Voie avec
un score de 5 ou un score de 1. Par exemple : 5, 3, 3, 2, 2 ou
4, 4, 3, 3, 1. Cette restriction est préférable pour éviter des
Personnages sans aspérités et trop lisses. L'un des intérêts
majeurs du système des Voies est de pousser le joueur à inter-
préter un PJ vivant, avec des qualités et des défauts. Des scores
Voies, Domaines et Disciplines de Voies trop médians risquent d'aller à l'encontre de cette idée.
À la création, un PJ sera au moins âgé de 16 ans. Cela signifie qu'il a été formé à un métier et qu'il a accompli le service d'ost
208 (en dehors de cas exceptionnels, comme un enfant des rues devenu malandrin et qui aura toujours vécu en marge de la société
par exemple). Il ne pourra pas avoir plus de 35 ans, car un âge plus avancé serait peu vraisemblable au regard de l'expérience
qui lui est octroyée à la création. Ceci peut bien entendu être adapté par le meneur, s'il décide de faire jouer des enfants ou
des gens plus âgés, voire des vieillards.
Âge et expérience
On peut facilement s'étonner qu'un PJ de 16 ans, dès sa création, puisse commencer avec deux Disciplines et qu'au bout de
quelques mois d'aventures, grâce au système d'Expérience, il devienne plus compétent qu'un soldat d'une quarantaine d'an-
nées défendant son village depuis plus de vingt ans. Ceci traduit le parti pris des Ombres d'Esteren où les joueurs vont incar-
ner des gens normaux, mais qui seront amenés à vivre des aventures inhabituelles. Là où notre valeureux soldat n'aura vu
qu'une seule fois des feondas pendant toute sa carrière et ne sera jamais sorti de sa vallée, les PJ vont sans doute voyager à
travers tout Tri-Kazel, découvrir certains secrets du monde d'Esteren et rencontrer des créatures et des êtres d'exception. Il
apparaît alors légitime qu'un PJ d'à peine 18 ans puisse être quelqu'un possédant des capacités et des connaissances excep-
tionnelles pour son âge. Ceci justifie également qu'un joueur désirant incarner un vieillard n'aura que peu de compétences en
plus par rapport à un joueur choisissant un PJ juvénile. On estime qu'un PJ âgé a vécu une vie relativement paisible ou banale
dans l'univers d'Esteren et que cela va changer à partir du moment où le joueur va commencer à l'incarner.
Le joueur choisit l'âge de son PJ. Plus un PJ sera âgé, plus il aura appris des choses et plus il sera marqué par la dureté de la
vie péninsulaire, ce qui se traduira par un ou plusieurs Revers qui l'auront affecté :
-Création de personnage-
Par exemple, un PJ de 30 ans aura +1 dans deux Domaines différents et deux Revers.
Si votre PJ a des Revers, tirez autant de fois 1D10 dans la table ci-dessous.
1. Poisse :
La vie du PJ a été particulièrement rude… tirez deux fois dans cette table et ignorez tout nouveau résultat de 1.
2. Séquelle :
Une blessure marque le PJ. Au choix du joueur, une balafre zèbre une partie de son corps
(membre, torse ou tête), une blessure à la jambe le fait boiter, etc. Le score de Vigueur
du PJ subit une pénalité d'un point. Définissez les événements qui ont occasionné cette
séquelle.
3. Adversaire :
Suite à un événement particulier à déterminer, le PJ s'est attiré un ennemi. Si ce n'est pas
un ennemi mortel, celui-ci éprouve du ressentiment envers le PJ. Par exemple, cet
ennemi pourra faire partie d'une faction (magientiste, demorthèn, etc.) ou encore être un
seigneur jaloux d'une province lointaine.
4. Rumeur :
Une obscure rumeur (peut-être véridique) flotte autour du PJ :
crime, sacrilège, trahison… À déterminer par le joueur en concer-
tation avec le meneur.
5. Amour tragique :
Le PJ a vécu une histoire d'amour qui s'est très mal terminée. Ce
souvenir douloureux (occulté ou pas) lui vaut un point de Trauma
définitif qui sera reporté sur sa jauge de Santé Mentale.
6. Maladie :
Le PJ a été gravement malade mais il a survécu. La maladie est au
choix du joueur. Le score de Vigueur du PJ diminue d'un point.
7. Violence :
Le PJ a enduré des moments rudes qui lui valent un point de
Trauma définitif à reporter sur la jauge de Santé Mentale.
Déterminez la nature de ces événements. Il peut s'agir d'une ren-
contre horrifique avec des feondas, la participation à une cam-
209
pagne militaire, une enfance plongée dans la violence familiale
etc.
8. Seul :
Tous ceux auxquels le PJ accordait de l'importance (parents et/ou amis) sont morts dans des conditions violentes ou étranges…
9. Pauvre :
Suite à un vol, une saisie, un sinistre, le PJ est ruiné. Aucun autre événement ou Avantage ne pourra y changer quoi que ce
soit. Le PJ possède seulement une arme ou un outil de mauvaise facture ainsi que quelques affaires personnelles.
10. Chanceux :
Le PJ est passé à côté d'une catastrophe ! Déterminez de quel événement il s'agit avec un nouveau jet sur cette table et la
manière dont le PJ s'est tiré d'affaire. Le joueur ignore tout nouveau résultat de 10.
Il est temps de résumer le passé du PJ en retraçant son enfance, les faits marquants de sa vie et ses ambitions. Le joueur pourra
utiliser l'espace dévolu à cet effet sur la Feuille de Personnage. Il ne s'agit pas d'entrer dans le détail (bien qu'un joueur puisse
le faire s'il est inspiré) mais de définir le socle historique du PJ que le joueur pourra étoffer plus tard pendant le jeu. Ce socle
devrait pouvoir aider à interpréter le Personnage.
Voici quelques points que le joueur pourra aborder : enfance et histoire familiale, relations sociales et sentimentales mar-
quantes, événements ayant forgé son caractère, premières armes dans le métier, faits étranges ou mystérieux, ambitions, buts
et motivations, etc.
-Création de personnage-
Traits de caractère, Santé mentale et Personnalité
Le joueur va déterminer deux Traits de caractère pour son PJ. L'un de ces traits sera une qualité, l'autre un défaut, et ils seront
choisis dans la liste ci-dessous. Ils sont déterminés selon les scores de Voies choisis précédemment : 5 ou 4 dans une Voie
donne accès aux qualités et défauts d'un score majeur dans cette Voie ; 1 ou 2 à ceux d'un score mineur. Toutes les combinai-
sons sont possibles : le défaut et la qualité peuvent être sélectionnés dans la même Voie ou des Voies différentes, être issus de
deux scores majeurs ou mineurs, ou bien un majeur et un mineur. Même si le joueur a réparti ses scores de Voies de manière
à avoir plus de deux scores majeurs ou mineurs (par exemple : 5, 5, 2, 2, 1), il ne choisit que deux Traits de caractère, donc
une qualité et un défaut. Cette liste n'a rien d'exhaustif et a pour unique but d'aider le joueur à interpréter son PJ et à prendre
du plaisir en le jouant. Pour cela, il est invité à choisir des qualités et défauts qui l'inspirent le plus. Avec l'accord du meneur,
et si cela est pertinent dans le fil des aventures vécues par le PJ, les Traits pourront évoluer et changer.
210
-Création de personnage-
La santé mentale dans les Ombres d'Esteren
Avant d'entamer cette étape de création, le meneur et les joueurs sont fortement invités à lire le chapitre consacré à la ges-
tion et l'utilisation de la Santé Mentale (p.269). L'utilisation de ces règles est réservée à des joueurs avertis et expérimentés.
Si vous décidez de ne pas les utiliser, passez directement à l'étape 9 de la création de Personnage.
-Création de personnage-
Le joueur devrait maintenant prendre le temps d'écrire quelques lignes résumant la personnalité de son PJ. Il peut pour cela
utiliser l'espace prévu à cet effet sur le verso de la Feuille de Personnage. Le joueur pourrait essayer de faire ressortir un but
ou une motivation majeure de son PJ, cela l'aidera à l'incarner et pourra être utilisé par le meneur dans la construction de ses
scénarios. Il est également invité à donner un sens aux scores de Voies qu'il aura choisis, en s'inspirant par exemple des Traits
de personnalité.
Chaque Personnage dispose de 100 points d'Expérience lui permettant d'améliorer certaines compétences et/ou d'ac-
quérir des Avantages. Ils représentent son vécu jusqu'à ce jour, indépendamment des aspects déjà traités (comme le
métier ou l'origine sociale) ou des caractéristiques innées.
Les PJ pourront augmenter ce nombre de points en prenant des Désavantages, mais cela n'est pas obligatoire. Le nombre de
points pouvant être accumulés par ce biais est limité à 80.
Les points non utilisés à la création du PJ seront reportés sur le verso de la Feuille de Personnage à l'en-
droit où sont indiqués les points d'Expérience ; ils pourront être utilisés ultérieurement.
-Création de personnage-
d'azur (10PX), 50 daols d'azur (20PX), 10 daols de givre Mentale. Si le PJ prend une seconde fois cet Avantage, sa
(30PX), 50 daols de givre (40PX), 100 daols de givre (50PX). personnalité est un véritable Roc mental et son bonus double.
- Avantage physique ou mental - Fort (40 points) : Le PJ bénéficie d'un bonus de
- +1 dans les Domaines Prouesses, Combat au Contact et Tir
(cout variable) : et Lancer (sauf pour les arbalètes ou certains Artefacts
le PJ peut être Fort, Vif d'esprit, etc. Avec l'accord du magientistes utilisant la force mécanique) et dans les situa-
meneur, l'un des Avantages choisi peut être pris une seconde tions où la force constitue un facteur déterminant. Si le PJ
fois pour en augmenter les effets : le PJ pourra ainsi être un prend une seconde fois cet Avantage, il devient un Colosse.
Colosse ou être Brillant. Un tel renforcement coûte la moi- Le bonus s'élève alors à +2 pour les Domaines cités.
tié du nombre de points d'Expérience nécessaire pour obte-
nir l'Avantage de base. Par exemple, Fort coûte 40 points ;
- Intuitif (40 points) : Le PJ a un don qui lui per-
devenir un Colosse coûtera 20 points de plus, soit un total met de ressentir avec acuité son environnement. Il obtient
de 60 points pour cet Avantage renforcé. Cependant, ces un bonus de +1 lorsqu'il utilise les Domaines Mystère
Avantages renforcés sont plus rares et un PJ ne peut en choi- demorthèn, Voyage et Relation. En doublant cet Avantage, il
sir qu'un seul à sa création. est doté d'un Sixième sens et double ses bonus.
-Création de personnage-
- Chanceux (30 points) :
Le PJ a de la chance. Il ajoute un bonus de +1 à ses jets de Chance. S'il cumule cet Avantage, il a une Bonne étoile et bénéfi-
cie d'un bonus de +2 à ses jets de Chance.
- Instinct de Survie (30 points) :
Il permet au PJ d'obtenir un point de Survie en plus sur son score initial. On peut renforcer cet Avantage et devenir un
Survivant pour doubler ce bonus.
- Lettré (20 points) : - Arts de Combat (20 points) : Tout
Le PJ a suivi avec assiduité des cours universitaires, a passé Personnage a des Aptitudes de combat dites " de base ". Un
de longues heures à étudier seul, ou a bénéficié des ensei- PJ ayant un score minimum de 5 en Combat au Contact
gnements d'un précepteur. Quel que soit son score en Érudi- pourra apprendre des techniques particuliers : Attaque sour-
tion, le PJ sait lire et écrire avec aisance. De plus, le noise, Combat à deux armes, Parade, Cavalerie et Archerie.
Personnage obtient un bonus de +1 lorsqu'il se sert de l'un Apprendre un Art de combat est possible plus tard dans le
de ces Domaines, au choix du joueur : Érudition, Magience, jeu (Cf. Chapitre Expérience et progression).
Sciences ou Occultisme.
Le nombre entre parenthèses représente ici le nombre de points d'Expérience gagnés en prenant les Désavantages, dans la
limite de 80 points.
- Dépendance (20 points) :
Le PJ est dépendant à une substance, au tabac, à l'alcool ou à une autre drogue. S'il n'a pas régulièrement sa dose, il va en
souffrir (p. 243). De plus, le PJ souffre de la perte d'1 point de Vigueur.
-Création de personnage-
Potentiel, Défense, Rapidité et Vigueur
Le Potentiel est un score qui sera utilisé pendant les phases Dans un monde rude comme celui d'Esteren, il est souvent
de combat. Il représente la capacité d'investissement d'un important d'être le plus rapide. Le score de Rapidité sera uti-
personnage dans une Attitude de Combat particulière lisé lors du combat et dans toutes les situations faisant appel
(p. 216). Le score de Créativité d'un PJ permet de connaître à la vivacité du Personnage. Il dépend de sa réactivité et sa
capacité à pressentir ce qui va arriver. L'expérience, un
la valeur de son Potentiel :
Avantage ou un Désavantage, peuvent modifier ce score.
· À 1, le Personnage a 1 point de Potentiel
· De 2 à 4, le Personnage a 2 points de Potentiel Pour connaître le score de Rapidité initial d'un
Personnage, il faut réaliser l'addition suivante :
· À 5, le Personnage a 3 points de Potentiel
Combativité + Empathie.
215
En combat, tout le monde a la capacité de se défendre,
autant au corps à corps qu'au combat à distance. Le score de Tous les PJ ont un score de base de 10 en Vigueur.
Défense fait appel à plusieurs qualités : la capacité du com- Ce score représente la santé générale du
battant à analyser la situation, un certain degré de prudence Personnage, sa capacité à résister aux maladies, à
ainsi que son talent pour anticiper les actions de son adver- récupérer de ses blessures, etc. Un Avantage ou un
saire. Désavantage choisi précédemment par le joueur peut ajuster
Ce score est utilisé comme Seuil de Difficulté pour détermi- ce score. Des événements au cours des aventures vécues par
ner si une attaque réussit. le PJ pourront également le faire varier.
Le score de Défense pourra être ajusté par un Avantage ou
un Désavantage spécifique. L'expérience a également un
rôle et le score de Défense pourra être augmenté à mesure
que le Personnage devient plus aguerri (Cf. Expérience et
progression).
Chaque Personnage possède à la base cinq Attitudes de combat différentes : standard, offensive, défensive, attaque rapide et
mouvement. Ces différentes Attitudes traduisent les postures que le Personnage peut prendre pendant un combat. Notez qu'un
combat se divise en Passes d'armes durant quelques secondes chacune.
Chaque Attitude de combat modifie de façon significative les scores d'Attaque, de Défense et de Rapidité.
Afin de rendre les phases de combat du jeu plus fluides, les effets de chaque Attitude vont être déterminés au préa-
lable et indiqués sur la Feuille de Personnage (deuxième page, en haut). Pour ce faire, le joueur a besoin de son score
de Potentiel, de ses scores d'Attaque, de Défense et de Rapidité.
- Attitude standard :
Ni spécialement porté sur la défense ou sur l'attaque, le PJ
se comporte de manière assez équilibrée. Le Potentiel n'est pas
utilisé ; les scores d'Attaque, de Défense et de Rapidité sont
indiqués tels quels.
- Attitude offensive :
En misant sur l'attaque, le PJ aura tendance à prendre plus
de risques. Le Potentiel est ajouté à l'Attaque et retranché à
la Défense.
-Création de personnage-
- Attitude défensive :
Le PJ se concentre sur sa défense, essaie
d'éviter ou de parer les coups. Le Potentiel
s'ajoute à la Défense et se retranche à
l'Attaque.
- Attaque rapide :
Le PJ mise tout sur le fait d'agir en premier,
quitte à prendre des risques. Le Potentiel s'ajoute
à la Rapidité et se retranche à la Défense.
Attention, car l'utilisation de cette Attitude n'assure
pas au PJ d'avoir l'initiative ; il se peut que son
adversaire conserve une meilleure Rapidité que lui.
- Mouvement :
Pendant un combat, il est possible de se déplacer de quelques
pas, mais parfois un Personnage désirera consacrer entièrement son
action au déplacement. En utilisant cette Attitude pendant une Passe
d'armes, un Personnage peut se déplacer d'une dizaine de mètres, voire du
double s'il peut courir.
Il est possible d'utiliser le Domaine Prouesse pour accomplir des mouvements spéciaux. Le Potentiel s'ajoute au score de
Défense mais aucune Attaque ne peut être portée. Si le Personnage était lui-même engagé dans un combat au corps à corps,
il peut utiliser cette Attitude de Combat pour s'en dégager. Quitter un combat n'est jamais anodin et peut avoir des consé-
quences néfastes (page 238 pour savoir comment procéder).
217
Chaque PJ est doté de points de Survie représentés sur la Feuille de Personnage par des cases vides qui seront cochées au fur
et à mesure que ces points seront utilisés. Ces points représentent l'adrénaline, l'énergie du désespoir dans les moments cri-
tiques où le PJ se sent en danger.
Le nombre initial de points de Survie est de 3 mais peut être ajusté par des Avantages ou des Désavantages.
Dans un moment critique, un joueur peut décider d'utiliser un ou plusieurs points de Survie. Le PJ peut alors se dépas-
ser, ignorer la douleur, ou accomplir un acte insensé en faisant appel à son courage ou sa volonté la plus profonde.
Ces actions ne sont pas forcément physiques ; les points de Survie peuvent être utilisés pour tout type d'action pourvu qu'elle
ait un caractère d'urgence.
Pour chaque point de Survie utilisé, le PJ subit un point de Trauma temporaire qui traduit l'épuisement psychique consé-
cutif à une scène durant laquelle il a été très éprouvé ou effrayé. Ces points seront affectés à sa jauge de Santé Mentale
et pourront amener à une dégradation temporaire de sa santé psychique.
Les points de Survie utilisés le sont définitivement. Chaque joueur devrait donc bien réfléchir au moment le plus oppor-
tun pour s'en servir. Cependant, il est possible d'en acquérir de nouveaux en dépensant des points d'Expérience.
-Création de personnage-
Voici les différentes façons dont les points de Survie peuvent être utilisés :
- Relancer un dé :
En utilisant un point de Survie, le joueur peut retenter un Jet de Résolution manqué, mais
le résultat du second jet devra être accepté, même s’il est moins bon que le premier.
Il n’est pas possible d’utiliser un nouveau point de Survie pour la même action.
- Ignorer la douleur :
Pendant une Passe d’armes, un point de Survie permet d’éviter les malus dus à un état de santé
dégradé. Si le PJ est dans un état d’agonie et qu’il est encore en vie, il peut utiliser deux
points de Survie pour décocher cette case (il est donc dans un état Critique) et se relever.
Pendant la première Passe d’armes, il bénéficie également du bonus « ignorer la dou-
leur ». Attention, car les points de Survie seront inefficaces si le PJ est décédé et ne
pourront pas lui permettre d’échapper à la mort.
Le Rindath est l'énergie vitale présente en toute chose selon les demorthèn.
Il sert principalement à mettre en oeuvre leurs Arts ancestraux.
On détermine ce niveau par la formule suivante, puis on l'inscrit au verso
de la feuille, dans l'encadré " Rindath "
Voie de l'Idéal x 3.
218
Description et équipement
Le joueur pourra prendre le temps de décrire son PJ dans Les possessions matérielles du PJ sont définies selon l’une
l'espace dévolu sur la Feuille de Personnage. Il pourra indi- de ces deux méthodes :
quer succinctement son apparence physique et ce qui la - À la création, chaque PJ aura à sa disposition un pécule
caractérise, comme son visage et la façon dont il se tient, sa équivalent à 30 journées de salaire. Les salaires journaliers
taille et sa corpulence, etc. pour chaque profession sont indiqués à la page suivante.
Avec le montant ainsi calculé, chaque joueur pourra acheter
ce qu'il souhaite (que ce soit des armes, armures, équipe-
ment divers ou services) en se référant aux pages suivantes.
- Si joueurs et meneurs ne désirent pas passer trop de temps
à déterminer l'équipement de base de chaque Personnage,
on estime qu'il sera doté de l'équipement minimal nécessaire
à sa profession. En outre, il possédera 2d10 daols d'azur
d'économie (daols de braise s'il a été frappé du désavantage
Pauvre).
Si un PJ est noble ou issu de la bourgeoisie, il ne sera pas
forcément plus riche au départ : sa famille peut être appau-
vrie, il peut être d'origine noble mais n'ayant pas d'héritage,
avoir des parents aisés mais pingres, etc. Il est possible de
commencer avec un PJ plus riche en ayant précédemment
pris l'Avantage Aisance financière.
Prix et
C e chapitre rassemble
diverses informations
sur le coût de l'équipe-
ment, sa disponibilité, les
Equipement
salaires moyens, etc.
Disponibilité de l'équipement
Fréquent (FR) :
à peu près partout, à la vente ou en troc, sauf circonstances particulières
Commun (CO) :
dans toute agglomération, sauf les plus isolées et les plus petites
Rare (RA) :
uniquement dans les grandes villes ou sur certains sites qui en produisent, en font le commerce ou en achètent pour
une utilisation locale.
Exceptionnel (EX) :
pas de réseau de distribution, demande très réduite ou au contraire largement au-delà des capacités du marché.
Difficilement trouvable, même dans les grandes villes. 219
Les articles qui ne possèdent pas d'attribut Disponibilité sont par défaut considérés comme Fréquents,
ou Communs dans le pire des cas.
Les denrées sans unité de mesure ou indication s'entendent pour nourrir correctement une personne ou sa monture pendant
une journée. Les carences alimentaires sont fréquentes, pour des raisons financières, des difficultés d'approvisionnement ainsi
que par ignorance des principes alimentaires.
-Prix et Equipement-
Articles Vestimentaires Prix Dispo
et cosmétiques
Tunique de chanvre 3dB FR Robe de lin 6dB FR
Tunique de lin 4dB FR Jupon 3dB FR
Tunique de laine 6dB FR Tablier 2dB FR
Cape en lin 4dB FR Tablier de cuir 7dB FR
Cape en laine 6dB FR Calot ou bonnet 1dB FR
Manteau de fourrure 1dA CO Chapeau de peau 2dB FR
Sabots 1dB FR Chapeau fourré 3dB FR
Sandales de corde 1dB FR Gants de cuir 4dB FR
Sandales de cuir 3dB FR Gants de peau 3dB FR
Galoches (souliers de cuir Gilet de laine 5dB FR
avec semelle de bois) 5dB FR Gilet de fourrure 8dB FR
Bottes de marche 8dB FR Gilet de cuir 6dB FR
Bottes de cavalier 8dB CO Fond de teint, fard 3dB CO
Bottes hautes, cuissardes 1dA CO Teinture pour cheveux 2dB RA
Ceinture de lin 3dB FR Perruque 1dA RA
Ceinture de cuir 4dB FR Parfum 6dB CO
Braies de lin 3dB FR Gant de crin 1dB FR
Braies de laine 5dB FR Pain de savon 1dB CO
Kilt 4dB CO Miroir, cuivre brossé 6dA CO
Chasuble 9dB CO Miroir, argent poli 1dG RA
Chemise de lin 3dB FR Miroir, sur pied, argent
Corset 6dB CO poli et verre 4dG EX
Écharpe de laine 3dB FR Brosse à cheveux 1dB FR
Robe de chanvre 4dB FR 221
Mobilier Prix
Table de cuisine 4dA Matelas de paille ou de son 3dB
Chaise en osier 1dA Oreiller de plume 4dB
Grand fauteuil 3dA Oreiller de paille 1dB
Étagère 6dB Drap de lin 5dB
Râtelier 5dB Couverture en laine 1dA
Armoire ou commode 1dA Poêle à charbon 1dA
Matelas de plume 6dB Four à bois 2dA
-Prix et Equipement-
Loyers, au mois Prix
Chambre, masure 7dA Maison particulière (deux étages) 4dG
Chaumière, petit appartement 1dG Maison aisée (avec cour ou jardin) 8dG
Grand appartement 2dG Ferme (avec appentis, cour, écurie) 8dG
Un appartement ou une chaumière ne comportent en général qu'une pièce commune servant également de cuisine et une cham-
bre modeste. Les familles qui ne peuvent s'offrir mieux vivent sans réelle intimité. Les commodités des chambres ou des
appartements les plus modestes, quand il y en a, sont souvent partagées avec les voisins de palier.
Les grands appartements et maisons particulières ont une vraie cuisine, un salon et une à trois pièces servant de chambres,
bureau ou bibliothèque. Les hôtels particuliers et appartements de grand luxe comptent davantage de pièces, souvent de belle
taille, mais leur prix est en moyenne de cinq à six fois celui indiqué, voire bien plus. Ils permettent également d'héberger la
domesticité sans qu'elle gène ses employeurs.
Le loyer d'une ferme s'entend pour le bâtiment lui-même, pas les terrains alentours. Leur loyer est généralement fixé par le
propriétaire en fonction de leur productivité potentielle. Il se paye en fait sur le produit du travail du fermier la plupart du
temps. Les habitations n'ont pas d'eau courante, en dehors des quartiers aisés de certaines grandes villes, principalement dans
le Reizh, et de quelques particuliers fortunés. Le chauffage est normalement assuré par un âtre ou un foyer et les pièces qui
n'en sont pas équipés sont souvent glaciales. On s'éclaire également à la bougie et la plupart des gens ne lisant pas ou à peine,
on en fait une consommation aussi réduite que possible.
L'achat d'une demeure ou d'un lieu de vie représente en moyenne l'équivalent de 100 à 120 mois de loyer.
-Prix et Equipement-
Écriture, peinture, dessin Prix Dispo
Plume 1dB FR Papier, à la feuille 2dB CO
Pinceau 4dB FR Carnet vierge (env. 50 pages) 1dG RA
Fusain 2dB FR Grimoire vierge
Craie 1dB FR (reliure simple, environ 300 pages) 5dG RA
Encre noire, flacon 4dB FR Règle et compas 8dB CO
Encre de couleur, flacon 8dB CO Ardoise personnelle 2dB CO
Encre d'enluminure, flacon 1dA CO Tableau d'ardoise 6dB CO
Parchemin, à la feuille 1dB CO Loupe à main 3dA RA
La location s'entend à la journée. Les conducteurs d'attelage, Certains négociants organisent des caravanes tirées par des
porteurs, bateleurs ou marins ne sont pas compris et doivent animaux de bât et peuvent accepter un passager à des prix
être rémunérés en sus (voir "Salaires" en début de chapitre). souvent abusifs. Les marcheurs progresseront plus vite,
Les bateaux restent aussi près de la côte que possible. mais useront également leurs chaussures.
Personne ou presque ne tente de véritable traversée et il
n'existe pas de prix moyen pour de telles prestations (et peu Les trajets des diligences et des bateaux sont fixes et il faut
de capitaines tentés par l'affaire de toute manière). envisager l'achat d'un moyen de transport (et les frais du
personnel de bord) si l'on souhaite s'aventurer à l'écart des
Les billets de bateau ou de diligence incluent le souper et le lignes commerciales existantes. Le versement de primes de
coucher. Des prestations plus onéreuses peuvent être négo- risques conséquentes est indispensable, si l'on veut éviter les
ciées par les voyageurs demandant un certain confort, s'il est mauvaises surprises… Par ailleurs, aucun propriétaire sensé
disponible… Les prix sont forfaitaires et les voyageurs res- n'acceptera de louer un moyen de transport à des gens se
tent à la merci du vent, de l'état des routes et de celui de la mer. rendant dans un endroit à mauvaise réputation ou décidés à
braver des dangers certains.
Peu de diligences sont en mesure d'accéder aux aggloméra-
tions des montagnes. Au cœur de la péninsule, le voyageur
fera de sensibles économies mais devra faire preuve d'endu-
rance et de patience s'il ne possède pas sa propre monture.
-Prix et Equipement-
Matières premières, Prix Dispo
matériels divers
Charbon de bois 4dB FR Ardoise, mètre carré 5dB CO
Bois de chauffe 3dB FR Paille, une botte 1dB CO
Bois de menuiserie, commun 4dB FR Vitre (pour lucarne ou fenestron…) 1dA RA
Bois de menuiserie, réputé 8dB CO Vitre (pour fenêtre double) 4dA EX
Rondin, à l'unité 1dA FR Lingot de bronze (500 g) 2dA CO
Lin 3dB FR Lingot de fer (500 g) 3dA CO
Laine 2dB FR Lingot d'acier (500 g) 5dA CO
Teinture, commune Lingot de cuivre ou d'étain (500 g) 2dA CO
(rouge, bleu, vert, noir, jaune…) 2dB CO Lingot d'argent (500 g) 1dG RA
Teinture, rare (pourpre, or, argent) 1dA RA Lingot d'or (500 g) 2dG RA
Mortier 1dB FR Cornue ou bouteille de verre 1dA RA
Moellon taillé, mètre cube Acide acétique ou chlorhydrique 8dB CO
(grès ou granit) 6dB FR Cinabre (sulfure de mercure) 2dA CO
Briques, mètre cube 5dB FR Soufre 3dA RA
Tuiles, mètre carré 2dB CO Salpêtre 2dA CO
-Prix et Equipement-
226
Les prix au marché noir du Flux (en Taol-Kaer et surtout en Gwidre) tournent aux alentours de trois à cinq fois le prix moyen.
Les cartouches " medium " (3 charges) coûtent trois fois le prix d'une cartouche simple.
Les bonbonnes de Flux (30 charges) sont généralement vendues avec une remise et coûtent l'équivalent de 25 à 28 charges/car-
touches simples. Leur disponibilité est toujours d'un cran inférieur à celle des cartouches (une bonbonne de Flux fossile est
donc de disponibilité Exceptionnelle en Reizh et quasiment introuvable ailleurs).
Nombre d'articles peuvent être d'excellente qualité. Vêtements, armes, mobilier, objets manufacturés entrent dans ces catégo-
ries. De même, certaines cuvées de cidre ou de bière ont une réputation qui n'est plus à faire. Le prix est à l'entière discrétion
du meneur de jeu. Un article Fréquent de qualité exceptionnelle peut valoir jusqu'à dix fois son prix moyen, voire même
davantage…
-Prix et Equipement-
Ces armes et armures sont toujours d'une rareté point, voire même de 2 points. A priori, nul ne songerait à
Exceptionnelle et leur valeur peut atteindre dix fois celle s'en séparer quel que soit le prix offert…
d'une arme ordinaire, voire même bien davantage. Leur
score de Dégâts ou de Protection augmente de 1 point. D'autres objets, comme les outils, artefacts magientistes ou
Certaines armes et armures véritablement légendaires, sou- instruments de musique par exemple, peuvent eux aussi
vent portées par des héros et que certains nomment, voient donner des bonus de +1 à +3 selon leur qualité.
leur score de Dégâts ou de Protection majoré d'1 nouveau
Si un PJ portant une armure ou un bouclier encaisse un coup critique, il doit tirer 1D10. Un 1 naturel signifie que la Protection
est brisée. Un bouclier l'est toujours en premier avant une armure.
Chaque mois d'utilisation intensive sans entretien d'un équipement impose une pénalité de
1 point lorsque l'on s'en sert. Arrivé à -3, l'équipement devient fragile et se brise sur un 1
naturel lors d'une utilisation.
Dans le cas d'une protection mal entretenue, celle-ci voit ses chances d'être détruite
par un coup critique augmenter de 1 point par mois sans entretien (jusqu'à
atteindre 4 chances sur 10 après trois mois de négligence).
-Prix et Equipement-
Expérience L
es Ombres d'Esteren est un jeu où les
Personnages vont pouvoir largement
progresser dans leurs techniques et
compétences. Les PJ vont gagner en expé-
et progression
rience au fur et à mesure de leurs aventures,
ce qui sera symbolisé par des points
d'Expérience (PX) que le MJ attribuera aux
joueurs. Ces PX leur permettront d'accroître
leurs compétences ainsi que d'autres caracté-
ristiques secondaires.
Les Ombres d'Esteren ne manquent pas de moments où les Il est tout à fait possible qu'un Personnage n'ait
228 joueurs devront faire preuve de courage ou de subtilité pour participé à aucun combat, mais qu'il ait résolu une
arriver à leurs fins. Ils pourront également être confrontés à énigme pendant le scénario. Si ses compagnons
des défis techniques ou à la résolution d'une énigme. Ce fac- obtiennent 3 PX pour ce facteur du fait des com-
teur devrait récompenser ces diverses qualités, selon les spé- bats, il devrait également obtenir des points pour avoir
cialités de chacun. Le meneur pourra s'appuyer sur la bonne résolu cette confrontation intellectuelle. Ainsi, chaque PJ
utilisation des Domaines de compétences pour résoudre une devrait pouvoir avoir accès aux points d'Expérience de ce
confrontation (que ce soit Combat au contact, Prouesses, facteur, quel que soit son métier. Plus les confrontations
Relation, Sciences, Milieu naturel etc.). Toutes les compé- seront difficiles, plus le MJ devra accorder de PX pour ce
tences peuvent, à un moment ou un autre, servir à résoudre facteur.
une confrontation. De manière schématique, on peut distin-
guer les quatre confrontations suivantes :
- Combat :
les Personnages ont vaincu un adversaire, par la force ou la à chaque fin de scénario, le MJ évalue la façon dont les
ruse. Ou encore, ils ont surmonté une épreuve physique joueurs ont fait avancer la résolution de l'intrigue. Ont-ils
avec courage et ont démontré pugnacité et persévérance découvert les bons indices ? Ont-ils correctement accompli
dans l'adversité. ce que leurs PJ devaient faire (protéger une personne ou un
- Négociations : convoi, retrouver un objet, etc.) ?
par la force de la persuasion, les Personnages ont accompli
un fait décisif dans le scénario. Il peut s'agir d'âpres négo-
ciations avec un seigneur revêche couronnées de succès, de
la présentation d'un projet devant une assemblée et de son
acceptation, d'éviter une guerre ou encore de convaincre son Les Ombres d'Esteren est un jeu d'ambiance et le MJ devrait
adversaire de renoncer à ses folles ambitions. gratifier les joueurs faisant l'effort de correctement interpré-
- Énigmes : ter leur PJ. Ils contribuent en effet à renforcer l'ambiance. Le
parfois, une confrontation s'incarnera sous la forme d'une MJ devrait toutefois être vigilant à ne pas sanctionner les
résolution d'énigme, d'une enquête à mener à bien, d'utiliser joueurs qui par nature sont timides et réservés.
des compétences intellectuelles pour résoudre un problème. L'expérience pour interprétation correspond à la bonne
La découverte de secrets bien gardés devrait également interprétation des Voies et des Traits de personnalité du
ouvrir à des PX pour les Personnages. Personnage.
- Techniques :
les défis techniques demandent aux PJ de faire preuve d'ingé-
niosité et de savoir-faire pour résoudre un problème : réparer
un objet essentiel à la bonne suite du scénario, mener le groupe
à bon port en s'orientant correctement en pleine nature, etc.
Règle optionnelle : Dépasser les barèmes
En cas d'actes particulièrement marquants, malins ou braves, ou pour marquer un moment crucial, le MJ pourra attribuer plus
de 5 PX dans l'un ou tous les facteurs d'expérience. Au fil du jeu, après plusieurs scénarios, le meneur pourra ajuster à la hausse
ou la baisse le nombre de points donnés, si la progression lui semble trop lente ou au contraire trop rapide. Initialement, les
Ombres d'Esteren est un jeu qui a été pensé pour permettre une grande marge de progression pour les PJ, tout en postulant
que cette évolution serait longue et méritée. Mais bien évidemment, le meneur est libre d'ajuster ce système d'expérience pour
qu'il convienne à son style de jeu. Pour un mode de jeu plus " héroïque ", le meneur pourra monter le gain de PX à 30 par scénario.
Règle optionnelle :
se maintenir à niveau
Être un expert ou un maître (score de 10 et plus) dans une
Généralement, un PJ apprend seul, du fait de son expé- compétence n'est pas donné à tout le monde et requiert un
rience, mais il est intéressant de justifier pourquoi il pourrait entretien constant de ce niveau. Cette règle optionnelle
développer une compétence. Ainsi les joueurs sont invités à rend cet aspect du jeu plus réaliste. Le meneur est libre de
dépenser leurs PX dans une compétence qui aura été sollici- l'adopter ou pas selon l'ambiance qu'il désire donner à ses
tée au cours du scénario, ou pour laquelle le PJ aura montré parties. à chaque fois que le joueur dépense des points
un intérêt. Un PJ peut également progresser dans une com- d'Expérience pour augmenter une autre compétence que
pétence qu'il n'utilise jamais. Il devra alors faire appel à un son expertise, il doit payer un tribut supplémentaire pour
mentor, ou consacrer du temps à s'entraîner seul. Faire appel chacune de ses compétences dépassant 10 :
à un mentor rend l'apprentissage plus facile pour les
Disciplines et fait baisser le coût de PX de 25 à 20 points.
L'enseignement durera une semaine pour augmenter d'un
point, le double si le PJ est seul.
à partir du niveau 11, l'entraînement auprès d'un mentor
(possédant un score au moins supérieur d'un niveau) pourra
faire décroître le nombre de points d'Expérience normale-
ment requis de 40 à 30 points. Ceci est une source de scéna-
rios pour le meneur ; ce sera l'occasion de proposer des
quêtes initiatiques aux Personnages. Cependant, il est possi-
ble d'atteindre seul l'excellence ; cela est plus long et plus
exigeant. L'entraînement durera un mois (moitié moins avec Ces tributs sont cumulatifs dans le cas de plusieurs exper-
un mentor) et l'augmentation d'une Discipline d'un point tises et représentent l'énergie nécessaire pour maintenir un
coûtera 40 points. niveau d'excellence tout en apprenant une autre Discipline.
-Expérience et progression-
Au lieu de se spécialiser dans une catégorie d'armes, un PJ Au fil des scénarios, un PJ pourra améliorer sa Défense et sa
peut apprendre une technique de combat (Cf. description Rapidité. à chaque fois qu'il améliore l'une de ces caracté-
des Arts, p. 238). Apprendre un Art de combat coûte 20 PX ristiques de 1 point, il coche une case dans la ligne corres-
et requiert un mois d'entraînement intensif. Normalement, pondante de sa Feuille de Personnage ; un PJ ne peut pas
un Art s'apprend auprès d'un mentor le maîtrisant ; il est augmenter de plus de 5 points sa Rapidité et de plus de 10
cependant possible de l'apprendre seul en dépensant le dou- points sa Défense. à partir du cinquième point de bonus,
ble de PX et en y consacrant le double de temps. tout point supplémentaire coûte 30 PX.
Augmenter l'Exaltation
Le niveau d'Exaltation traduit la ferveur des adeptes pour le Créateur. à chaque fois
qu'un adepte du Temple augmente la Discipline Miracles, il gagne un certain nombre de
points d'Exaltation qui accroissent d'autant son niveau maximal :
Tout comme pour le Rindath des demorthèn, les gains d'Exaltation sont cumulatifs.
-Expérience et progression-
L
orsqu'une action particulière est tentée
Système de
ou que les connaissances du PJ sont
sollicitées, le MJ peut demander au
joueur de tirer un jet de Résolution pour savoir
si l'action entreprise est réussie ou pas. Le
résolution
joueur lance un dé à dix faces (1D10) et addi-
tionne le résultat au score du Domaine (ou de
la Discipline) concerné par l'action ainsi qu'à
la Voie associée. Pour réussir, le joueur doit
faire un score supérieur ou égal à un Seuil de
Difficulté défini par le MJ. Le système de réso-
lution est donc le suivant :
1D10 + Domaine (ou Discipline) + Voie doit être supérieur ou égal au Seuil de Difficulté
Le MJ devrait faire appel aux jets de Résolution seulement lorsque cela est vraiment nécessaire, par exemple lors
d'une action importante pour la suite d'une aventure. Attention, un tel jet de Résolution ne devrait pas se substituer
aux descriptions que le joueur va faire de son action (voir le paragraphe " De l'utilisation du système ", pages 175-176).
Pour déterminer les actions faisant appel à la force physique, l'agilité (le PJ veut enfoncer une porte, sauter d'un toit à un autre,
etc.), on utilisera par défaut le Domaine Prouesses associé à la Voie de la Combativité. Lorsque le PJ essaye de convaincre,
marchander, ou de manière générale tente d'être persuasif, le MJ demandera un jet de Relation associé à la Voie de l'Empathie,
etc. Par défaut, une Voie est associée à chaque Domaine. Son score sera donc utilisé pour chaque jet de Résolution concernant
ce champ de compétence.
Niveau 0 dans un Domaine. Si le PJ a un niveau de 0 dans un Domaine, il peut tout de même tenter l'action en uti-
lisant simplement le score de Voie associé au Domaine et son jet de dé.
Autres types de jets de Résolution. Le système de résolution va se décliner sous différentes formes, car il peut
être employé dans diverses circonstances impliquant le PJ. à la place du score d'un Domaine ajouté au score d'une Voie,
le joueur pourra par exemple utiliser d'autres attributs, comme les scores de Vigueur (pour tester la résistance physique), de
Résistance Mentale ou même directement de Voie. Quelques-uns de ces cas particuliers sont décrits dans les chapitres idoines 231
du système, mais utilisent la même mécanique : le résultat du D10 ajouté au score impliqué doit dépasser le Seuil de Difficulté
annoncé par le meneur.
Domaines par défaut. Dans les ouvrages des Ombres d'Esteren, lorsqu'un jet de Résolution est requis, il est généra-
lement indiqué par défaut le Domaine nécessaire. Si un PJ possède une Discipline adéquate dans le Domaine en question,
il pourra bien sûr l'utiliser (par exemple, une scène demande à un PJ se retrouvant à l'eau un jet de Prouesses pour échapper
au courant ; un PJ possédant la Discipline Natation pourra bien sûr l'utiliser).
Lorsque la Discipline est directement mentionnée, cela signifie qu'elle est nécessaire pour ce type d'action (par exemple, obte-
nir des bonus pour résister à une maladie grâce à la Discipline Médecine). Sauf cas particulier, il sera néanmoins possible de
tenter de résoudre l'action en utilisant le score du Domaine associé, à défaut de Discipline.
Il se peut également qu'une action soit clairement hors de portée du PJ, soit parce que le Seuil à atteindre est trop haut pour
lui, soit que l'action entreprise est fantaisiste ou dépasse les possibilités humaines. S'il est possible de se surpasser, nul ne peut
franchir les limites du corps ou de l'esprit humain sans une aide extérieure, qu'elle soit mystique ou technique. Le MJ indi-
232 quera à un joueur si l'action qu'il tente d'entreprendre est impossible. Essayer quand même aboutira obligatoirement à un
échec.
-Système de résolution-
Réussite critique
Si le Personnage réussit une action en obtenant un 10 naturel, il devra retirer
1D10. S'il obtient de nouveau un 10, il réalise une réussite critique. Tout autre
résultat sur ce second jet n'aura aucun effet particulier. Une telle réussite peut
être traitée de deux manières différentes. Tout d'abord, elle peut apporter un
bonus de 5 points ou un autre effet concret (voir plus bas). Attention, ces
bonus ne s'appliquent pas aux actions réussies par ce biais alors qu'elles étaient
hors de portée (voir paragraphe précédent).Voici quelques exemples :
Combat :
un coup critique aggrave les dommages occasionnés de 5 points.
Soin :
le patient guérit immédiatement de 5 points de dommage.
Persuasion :
en plus d'avoir convaincu son interlocuteur, le PJ l'a sans
doute charmé. Il bénéficie d'un bonus de +5 temporaire avec cet
interlocuteur.
Règle optionnelle :
L'autre manière de traiter une réussite critique est
de laisser son effet à l'entière discrétion du
meneur, afin qu'il puisse l'adapter à la scène
concernée. Le but est de renforcer l'impact drama-
tique d'une telle réussite, afin d'accentuer l'am-
biance et de rendre ce moment inoubliable. Une
autre possibilité, réservée à des joueurs expérimen-
tés, est de laisser au joueur qui a accompli la réus- 233
site critique le soin de décrire l'effet produit.
Échec critique
Rater une action en faisant un 1 naturel sur le lancer de dé (face Règle optionnelle :
" 1 " du dé) implique que le joueur devra tirer à nouveau 1D10. Dépasser les limites
Sur un nouveau résultat de 1, il obtient un échec critique. Tout
autre résultat sur ce second jet n'aura aucun effet particulier. En Avec cette règle optionnelle, un 10 naturel pourra per-
plus de rater lamentablement, l'action entreprise par le mettre au Personnage de se dépasser en réussissant une
Personnage aura des effets négatifs. Par exemple, un action d'un Seuil de Difficulté normalement inaccessible
Personnage tente de convaincre un auditoire : un échec critique, pour lui. Ce dépassement des limites ne pourra concer-
en plus de ne convaincre personne, déclenchera une violente ner que le seuil directement supérieur à celui constituant
émeute dans l'assemblée. Généralement, un échec critique pro- normalement sa limite.
voque une pénalité de 5 points ou un effet néfaste concret, qui
peut être improvisé par le meneur pour correspondre à la scène.
Voici quelques exemples :
Prouesses
le PJ se blessera à hauteur de 5 points de dommage.
Artisanat :
l'échec brisera les outils utilisés et entraînera éventuelle-
ment 5 points de dommage si des produits dangereux sont utilisés
Soin :
l'état du blessé s'aggrave à hauteur de 5 points de dommage. Le choix d'adopter cette règle optionnelle donnera à
Combat : votre jeu un style plus héroïque, où les personnages
le combattant brise son arme. auront plus de chances de se dépasser dans les moments
cruciaux.
-Système de résolution-
Actions en opposition
Quand deux Personnages effectuent des actions qui s'opposent l'une à l'autre, chacun effectue un Jet de Résolution classique.
Celui qui fait le plus haut score remporte l'opposition. à nouveau, on peut utiliser une marge de réussite afin d'estimer le degré
du succès obtenu ; il s'agira ici de la différence entre les deux scores. Une égalité résulte en un statu quo entre les deux adver-
saires. La persuasion est un cas particulier : le Personnage qui subit la persuasion (Domaine Relation) peut, s'il le désire, uti-
liser son score de Résistance Mentale ou sa voie de l'Empathie à la place de son score dans le Domaine Relation.
Il n'aura sans doute pas échappé aux joueurs que de hauts scores de Voies apportent des bénéfices dans l'utilisation des
Domaines et des Disciplines. Ainsi, un personnage ayant 5 en Créativité pourra user de son inspiration et de sa débrouillar-
dise à chaque fois qu'il fabriquera quelque chose (Domaine Artisanat), tout comme son talent d'improvisation pourra lui ser-
vir pendant les combats (la Créativité étant prise en compte dans le calcul du score de Potentiel). Mais ces hauts scores de
Voies pourront devenir de sérieux handicaps dans certaines situations - nommées Mise à l'épreuve - où il sera préférable
d'avoir le score le plus bas possible… Ainsi, une haute Combativité est beaucoup plus susceptible d'inciter à la violence, tout
comme une haute Créativité pourra favoriser des actes de rébellion. Chaque Voie cache un Travers qui pourra se manifester à
des moments critiques.
La Mise à l'épreuve est un jet de Résolution très particulier, impliquant directement les Voies. Pour réussir une Mise à
l'épreuve, le joueur tire 1D10 et le résultat doit dépasser un Seuil de Difficulté, incarné ici par le score de la Voie concernée.
Selon l'intensité de l'événement ou du contexte, le meneur pourra majorer le Seuil de 1 à 3 points.
1D10 doit être supérieur au Seuil de Difficulté (score de Voie + ajustement)
S'il réussit, le Personnage surpasse temporairement son Travers, mais de nouvelles sollicitations peuvent impliquer une autre
Mise à l'épreuve. S'il échoue, il tombe sous le coup du Travers pendant 1D10 minutes. Un 1 naturel est toujours considéré
comme un échec. Le joueur est alors invité à interpréter ou décrire du mieux qu'il le peut le Travers qui assaille son
Personnage. Si le joueur ne trouve pas d'idée, le meneur pourra raconter à sa place la manière dont se comporte son
Personnage.
-Système de résolution-
Ces jets de Résolution spécifiques ont été conçus pour souligner un moment particulièrement important de l'histoire, où le PJ
se retrouve dans une situation critique. Ils devraient rester rares et le meneur pourra se passer de demander un tel jet si les
joueurs interprètent d'eux-mêmes correctement leur Personnage.
Jet de Chance
Il arrive parfois que le hasard puisse déterminer en grande
partie la tournure que pourrait prendre un événement. Par
exemple, le PJ est poursuivi et se retrouve dans un cul-de-
sac : y trouvera-t-il une échelle ou une plaque d'égout pour
se sortir d'affaire ? Il désire confectionner un antidote et a
besoin d'un ingrédient particulier : peut-on le trouver dans
l'unique boutique de ce village isolé ? Le MJ peut bien sûr
décider arbitrairement, mais il peut aussi s'en remettre à un
Jet de Chance que le joueur tirera. Le MJ détermine un
Seuil de Difficulté compris entre 2 (très probable) et 9
(improbable). Le joueur tirera alors 1D10 et devra atteindre
ou dépasser le Seuil pour être chanceux, son jet pouvant
être modifié par un Avantage ou un Désavantage. Un score
de 1 traduit toujours une malchance malvenue et 10 une
chance inespérée.
-Système de résolution-
Système de U
n combat se déroule en Passes
d'armes où chaque protagoniste
combat
choisit une Attitude de combat. Les
affrontements sont violents et rapides ; il
est souvent préférable d'éviter la confronta-
tion ou d'être sûr de vaincre rapidement son
adversaire.
La Passe d'armes
Pendant une Passe d'armes, chaque protagoniste attaque, se
défend, bouge, etc. Une Passe d'armes dure environ six
secondes et un combat ne durera généralement lui-même
que quelques Passes d'armes. Une Passe d'armes se décom-
pose en plusieurs phases dont l'ordre doit toujours être respecté :
Chaque combattant lance alors son Jet de Résolution selon
son ordre d'action. On utilisera le score d'Attaque auquel
s'ajoute le résultat d'1D10. Le Seuil de Difficulté à battre est
ici le score de Défense de l'adversaire. Si le résultat de ce jet
dépasse le score de Défense de l'adversaire, il est touché.
Les scores d'Attaque et de Défense peuvent être ajustés
selon l'Attitude choisie ; ils sont indiqués sur la Feuille de
Personnage pour l'arme de prédilection afin de ne pas perdre
Pour déterminer l'ordre d'action, il existe deux manières de de temps à les calculer en plein combat.
procéder :
1. Comparer le score de Rapidité. C'est la méthode la plus
simple et la plus dynamique.
236 2. Chaque protagoniste tire 1D10 auquel il ajoute son score
de Rapidité. Cette méthode ralentit un peu le déroulement
du combat mais offre plus de suspens.
Celui qui obtient le plus haut score a l'initiative et se Un jet d'Attaque réussi implique qu'au moins un coup ait
retrouve premier dans l'ordre d'action. Si plusieurs protago- porté au cours de la Passe d'armes. Si tel est le cas, le joueur
nistes sont engagés dans une même mêlée, on établit ainsi va ajouter les dégâts de son arme à son jet d'Attaque. La
l'ordre de chaque protagoniste. Seule l'Attitude d'Attaque Défense de l'adversaire sera soustraite à ce score total ce qui
rapide peut être annoncée à ce moment, ce qui a pour effet donnera la marge de réussite de l'attaque. Enfin, le niveau de
d'améliorer le score total. Cette Attitude doit être annoncée Protection de l'adversaire sera retranché à cette marge de
très rapidement par chaque protagoniste, sans quoi on passe réussite (ces points soustraits représentent les dommages
à la phase suivante du combat. absorbés par l'armure du défenseur) afin de connaître les
points de dommages infligés.
Combat à plusieurs
La plupart des combats à plusieurs peuvent
se résumer en une série d'affrontements simul-
tanés à un contre un. C'est le cas qui peut être
rencontré par un groupe de quatre PJ affrontant
cinq adversaires. Chacun affrontera un adver-
saire, sauf un PJ qui en affrontera deux.
La Passe d'armes se déroule normalement et le
PJ isolé devra annoncer quel adversaire il
attaque. Au corps à corps, un Personnage peut
être attaqué au maximum par quatre adversaires (un
par direction). Un combattant attaquant son adver-
saire par-derrière obtient dans cette situation un bonus
de +2 sur son jet d'Attaque.
-Système de combat-
Quitter un combat Combat monté
Pour quitter un combat, le Personnage devra au préala- Un Personnage possédant la Discipline Équitation peut
ble choisir l'Attitude Mouvement. Le Personnage lance un se battre en étant sur le dos d'une monture entraînée pour le
jet de Prouesses (ou Acrobaties) en opposition avec un jet de combat et bénéficie d'un bonus de 2 points à ses jets
Combat au Contact de son adversaire. Une réussite indique d'Attaque.
que le Personnage a réussi à se dégager du combat. Un Cependant, en cas de blessure, il devra réussir un Jet d'Équi-
échec signifie que son ou ses adversaires l'ont bloqué. tation difficile (17), sous peine d'être désarçonné et de subir
Pendant cette Passe d'armes, les adversaires peuvent atta- 2 points de dommages supplémentaires. Face à des adver-
quer s'ils ne l'ont pas déjà fait. Un combattant qui parvient à saires à pied, le cavalier peut quitter le combat à tout
se dégager n'est pas hors de danger. L'adversaire peut tenter moment, sans avoir besoin de réussir un Mouvement préa-
de le poursuivre, ce qui se règlera par des jets de Prouesses lable ; cela prend tout de même une Passe d'armes mais la
en opposition. S'il est rattrapé, un nouveau combat a lieu réussite est automatique.
entre lui et son poursuivant. Il est également possible de
tourner les talons et de s'enfuir. L'Attitude de combat du Boucliers
fuyard est considérée comme standard. Pendant cette Passe Tant qu'un personnage peut l'interposer entre lui et une
d'armes où un personnage fuit, il ne peut attaquer son adver- attaque, un bouclier lui accorde son score de Protection
saire, ne bénéficie pas de son bouclier ni de bonus à sa comme le ferait une armure. Aucun jet n'est nécessaire.
Défense du fait d'une grande agilité ou autre Avantage. Son
adversaire peut l'attaquer avec un bonus de +2 sur son jet
d'Attaque, quel que soit l'ordre d'action. Une poursuite peut
ensuite s'engager et se réglera comme décrit précédemment.
Arts de combat
En plus de se spécialiser dans une catégorie d'armes, un Personnage ayant un score de 5 dans le Domaine Combat au Contact
(ou une autre Discipline dans les cas particuliers) peut apprendre des techniques spécifiques de combat. Ces Arts ne sont ni
des Disciplines (dans le sens où on les apprend une fois et qu'elles n'augmentent pas), ni des Attitudes (un Art particulier peut
cependant imposer l'utilisation d'une Attitude spécifique ; cf. ci-dessous). Il est possible d'apprendre ces techniques au moment
de la création de Personnage ou plus tard dans le jeu (Cf. chapitre sur l'Expérience).
Attaque sournoise
238 Cet art consiste à prendre son ennemi par surprise ou à le frapper dans le dos pour en tirer le plus grand bénéfice.
L'assaillant utilisant cette technique doit respecter en tous points les contraintes d'une embuscade (voir plus haut). De plus, il
ne pourra utiliser qu'une arme courte (couteau, dague, épée courte). Si l'attaque de la Passe d'armes gratuite touche, l'assail-
lant ajoutera 5 points supplémentaires aux points de dommages occasionnés, ce qui traduit la précision et l'efficacité de son coup.
Combat à deux armes
Pour user de cet Art, le combattant doit avoir les deux mains libres (il ne peut user de bouclier) et l'arme secondaire doit
être facilement maniable (arme courte ou de petite taille, telle que dague, épée courte, hachette, etc.). Grâce à cette technique,
le Personnage obtient un bonus de +2 qui accentuera l'Attitude choisie ; c'est-à-dire qu'il sera ajouté au score d'Attaque en cas
d'Attitude offensive, ou sera ajouté au score de Défense en cas d'Attitude défensive. Si une Attitude standard est choisie, le
Personnage choisit l'attribution du bonus. Les dégâts les plus élevés entre les deux armes sont utilisés pour calculer le score
d'Attaque. En aucun cas les dégâts des deux armes ne se cumulent.
Parade
Cet Art s'utilise forcément avec une Attitude standard, défensive ou rapide. Il est nécessaire d'avoir l'initiative
pour user de cette technique. Le jet d'Attaque du Personnage tentant de parer le coup est utilisé non
pas pour atteindre l'adversaire, mais en opposition au jet d'Attaque de celui-ci. Si le défenseur
remporte l'opposition, il pare l'attaque. Sinon, celle-ci est résolue normalement.
Archerie
Cet Art n'est accessible que pour les Personnages ayant un niveau minimum de 5 en
Tir et lancer. Le PJ prend le temps de viser sa cible, ce qui le force à agir en
dernier durant cette passe d'armes. Il augmente sa compétence de Tir et
lancer de 2 points pour cette Passe d'armes tout en annulant toute péna-
lité due à une cible en mouvement.
L'archerie peut être utilisée avec une arbalète.
Cavalerie
Un Personnage possédant la Discipline Équitation peut apprendre cet
Art. Seule une attaque provoquant 5 points de dégâts ou plus peut avoir
une chance de désarçonner le cavalier ; celui-ci devra réussir un jet d'Équi-
tation Difficile (17) sous peine de chuter et d'encaisser 2 points de dom-
mages supplémentaires. Elle donne également au cavalier la possibilité de
charger pour sa première attaque dans un combat, ce qui lui confère un
bonus de +3 aux dommages pour cette Passe d'armes (+4 si une lance est uti-
lisée). Une charge est obligatoirement accomplie en Attitude offensive avec
un destrier au galop.
L
a santé physique des PJ sera mise à l'épreuve dans le
monde d'Esteren. Les blessures occasionnées lors
des combats sont loin d'être les seuls dangers.
Maladies, poisons, chutes… Ce chapitre décrit les différentes
manières de se blesser, de mourir mais aussi de se soigner.
Santé
Tableau de Santé et Score
de Vigueur
La Feuille de Personnage contient un encart " État de santé", spécifiquement réservé à la gestion de l'état physique du PJ. Cet
encart se compose de 19 cases et s'échelonne de l'état " bon " à " agonie ".
Le score de Vigueur indique lui la constitution générale d'un PJ. Ce score est utilisé lors des jets de Résolution concernant la
santé (Vigueur + 1D10), en particulier pour tester la résistance aux maladies, poisons, etc. Le score de Vigueur est aussi uti-
lisé lorsque le PJ tente une apnée ou est confronté à des températures extrêmes.
239
Lorsque la case Agonie est cochée, le
Personnage s'écroule, incapable d'entrepren-
dre la moindre action. Si personne n'inter-
vient dans un délai de 1D10 minutes, le
Personnage meurt. Un jet de Premiers soins
ou de Médecine difficile (17) est nécessaire
pour arrêter ce processus. En cas de succès,
le personnage reprend connaissance au bout
d'1D10 heures. Il est alors en État Critique
(le joueur décoche la case " Agonie "), ne
pourra pas marcher sans aide et devra se
reposer. Passer une journée dans un état
Critique sans soins nécessite un jet de Vigueur
compliqué (14). L'échec du jet signifie que le
Personnage meurt des suites de ses blessures.
-Santé-
Des maladies en Esteren
Le système de gestion des Maladies n'a pas l'ambition de simuler une quelconque réalité historique ou médicale. En effet,
les maladies sévissant dans l'univers d'Esteren sont librement inspirées de la réalité et les règles présentées ici n'ont qu'un
seul but : aider joueurs et meneurs à simuler simplement les effets des maladies dans le jeu.
Les infections
Au cours de ses périples, un Personnage pourra être
confronté à une situation où il risque de tomber malade. Un Personnage blessé qui ne reçoit aucun soin peut déve-
Quand cela se produit, le meneur devra estimer le niveau de lopper une maladie. La blessure deviendra purulente et
Virulence de la maladie en se référant au contexte dans pourra même mettre en danger le Personnage. Plus les bles-
lequel le Personnage se trouve. Voici quelques exemples sures sont graves, et plus elles risqueront de s'infecter sans
typiques : soins adéquats. L'environnement peut également très forte-
ment aggraver une situation : crapahuter dans un marécage
après avoir été blessé risque de provoquer une maladie à la
Les conditions météorologiques Virulence bien plus sévère que si le Personnage reste au
chaud, dans un endroit relativement propre et sec.
Tri-Kazel est une péninsule au climat souvent rude. Si le
Personnage se retrouve à voyager dans un froid glacial, avec Les contaminations
un équipement chaud mais peu suffisant, il risque bien d'at-
traper un mauvais coup de froid. Le meneur pourra estimer Evoluer dans un environnement où les autres personnes
qu'il s'agit d'une maladie bénigne : le Personnage aura de la sont malades fait courir le risque d'une contamination. Ici,
fièvre, de la toux, etc. Si en plus, le Personnage se retrouve tout dépend de la Virulence de la maladie qui touche la
trempé à cause de la pluie par exemple, il risque d'attraper population. Par exemple, il est déconseillé de se balader
une maladie plus grave, voire de mourir rapidement dans Tuaille lorsque celle-ci doit subir les assauts d'insectes
(Virulence mortelle). venus des marais et répandant ce que les natifs nomment la
" Fièvre jaune "…
Durée :
Généralement, une maladie dure cinq journées, pendant les-
quelles le Personnage encaisse un certain nombre de points
de Maladie quotidiens (1 point si la maladie est faible, 2 si
elle est bénigne, 3 si elle est maligne et 4 si elle est mor-
telle). Dans le cas de maladie de Virulence maligne ou mor- Diagnostic :
telle provoquant la mort, le décès survient à la fin de ces Diagnostiquer un mal demande un jet de Médecine standard
cinq jours. Certaines maladies peuvent évoluer de manière (11). Un 1 naturel sur ce jet signifie un mauvais diagnostic
plus rapide ou lente que la moyenne ; le meneur divise le alors qu'un simple échec empêche simplement le
nombre de points de Maladie par le nombre de jours que Personnage d'identifier la maladie. Une réussite permet de
dure le mal. Ainsi, une maladie maligne durant seulement 3 connaître la Virulence du mal et d'envisager des soins adé-
jours infligera 5 points de Maladie par jour, par exemple. quats (voir plus bas).
-Santé-
Repos et récupération :
Le repos peut souvent permettre à un Personnage de se remettre d'une maladie, même dangereuse. Il faut qu'il reste tranquille
tant qu'elle fait effet et il subira les points de Maladie appropriés à sa Virulence. Mais il récupérera la totalité de ces points dès
le lendemain du jour ou sa maladie prendra fin. Si un Personnage ne se repose pas, la maladie risque de continuer au-delà de
sa durée normale de cinq jours ; le sixième jour, le malade devra tirer un jet de Vigueur, selon la Virulence. Un échec signi-
fie que le mal persiste et inflige à nouveau le nombre de points de Maladie journaliers (un nouveau jet de Vigueur sera tiré le
lendemain) ; un échec critique conduit à la mort. Une réussite signifie une rémission et une récupération de tous les points de
Maladie. Lorsqu'un Personnage est malade et qu'il est blessé, il ne pourra pas récupérer les points de dommages dus aux bles-
sures en se reposant. Seuls des soins pourront le permettre mais au rythme d'un point de Santé récupéré par jour, au lieu de
deux en temps normal.
Traitement et guérison : Remèdes magientistes :
Si un médecin ou un Personnage compétent s'occupe quoti- Ils se présentent sous la forme de cartouches de Flux sur les-
diennement d'un malade, en plus d'éviter les risques décrits quelles sont montées des seringues. Ces remèdes sont sou-
au paragraphe précédent, celui-ci a de bonnes chances de vent très chers et chacun correspond à une maladie particu-
mieux supporter la maladie. Le malade doit rester au calme, lière. Les magientistes sont loin d'avoir découvert des
si possible alité. Le guérisseur devra connaître le mal qui remèdes pour toutes les maladies mais leurs recherches pro-
ronge son patient puis tirer chaque jour un jet de Médecine gressent. Pour être efficace, le médecin doit d'abord diag-
compliqué (14) ; une réussite réduit de 1 le nombre de points nostiquer la maladie (voir plus haut) et injecter les dosages
de Maladie que le malade devait encaisser par jour. Pour un corrects selon la corpulence du patient, son âge, etc. Cette
mal classique de faible Virulence durant cinq jours, un prescription demande un jet de Magience ou de Sciences
Personnage n'encaissera donc aucun point ; et seulement 3 compliqué (14).
par jour s'il s'agit d'une Virulence mortelle. Un échec simple Si un malade bénéficie d'un traitement de ce type pendant
n'a aucun effet mais les échecs et réussites critiques seront une maladie, il devra tirer un jet de Vigueur compliqué (14).
pris en compte normalement. Les mêmes effets peuvent être En cas de réussite, il encaissera un point de Maladie en
obtenus en consommant des remèdes à base de plantes moins par jour ; ce bonus pouvant se cumuler avec d'autres
médicinales sans que des jets de Médecine ne soient requis. soins. En cas de maladie de Virulence maligne ou mortelle
Si un PJ n'observe pas le repos, la maladie peut se poursui- provoquant une mort assurée, le patient encaissera à la place
vre au-delà de sa durée normale, comme décrit précédem- les points de Maladie adéquats et aura une chance de survie.
ment. En ce qui concerne les maladies provoquant la mort,
le médecin n'a le droit qu'à un seul et unique jet de
Médecine difficile (17) pour sauver le malade.
242
-Santé-
Poisons
Il existe deux types d'empoisonnement : direct et progressif.
Empoisonnement direct
Les poisons immédiats et autres venins inoculés fonctionnent de la même manière que les maladies. Le meneur estime le
niveau de Virulence, ce qui détermine le Seuil de Difficulté pour échapper aux effets de la substance et détermine le nombre
de points de Poison que le Personnage va encaisser. Comme les maladies, les effets d'un poison peuvent mettre un certain
temps à se déclarer, allant de quelques heures à plusieurs semaines. En revanche, les effets d'un poison se déploient en une
seule journée en moyenne (contre cinq pour les maladies). Ainsi, un poison mortel va infliger 20 points de Poison à un
Personnage en une seule journée alors qu'on poison de Virulence légère ne lui infligera que 5 points. De plus, certains anti-
dotes (qu'ils soient d'origine magientiste ou autre) permettent d'annuler totalement les effets d'un poison. Ces poisons peuvent
avoir diverses origines et des Virulences très variées : venin animal ou végétal, substance chimique, nourriture avariée, etc.
Empoisonnement progressif
Il existe un autre type d'empoisonnement, sur le long terme, qui va miner la santé d'un Personnage. Il peut s'agir d'une expo-
sition à une pollution, à un toxique comme par exemple des vapeurs de teintures. Chaque année d'exposition entraîne un jet
de Vigueur compliqué (14) ; un échec occasionne la perte d'un point définitif de Vigueur et l'éventuelle contraction d'une mala-
die associée.
Drogues
Certains produits peuvent causer une forte accoutumance chez celui qui les consomme. Il en existe de toutes sortes et aux
effets très variés. Le terme de drogues sera utilisé ici à des fins de simplification. Leur impact est lié à plusieurs facteurs : la
rapidité d'accoutumance, les effets sur la santé et le degré de dépendance induit.
Devenir dépendant d'1D10 mois permettra de relancer ses jets sans les pénalités
Toutes les drogues n'ont pas la même virulence : certaines dues à la poursuite de la consommation. Il existe trois
provoquent très rapidement un phénomène d'accoutumance degrés d'accoutumance :
alors que d'autres mettront plus de temps. à chaque fois Lente : les effets ne se font sentir qu'au bout d'un mois
qu'un Personnage consomme suffisamment longtemps pour de prise régulière, à raison de 2 à 3 prises par semaine.
risquer une accoutumance, il tire un jet de Résistance Modérée : les effets peuvent se faire sentir au bout de
Mentale standard (11). Un jet réussi signifie que le deux semaines de prise régulière, à raison de 2 à 3 prises par
Personnage n'est pas devenu dépendant mais chaque semaine. 243
consommation ultérieure demandera un nouveau jet avec Rapide : chaque prise peut déclencher une accoutu-
une pénalité cumulative d'un point. Seule une abstinence mance.
Dépendance faible : s'il n'a pas son produit à dispo- Dépendance forte : le Personnage développe des
sition, le Personnage va tenter de s'en procurer. Il se sent de symptômes divers, dépendant de la drogue (maux de têtes,
mauvaise humeur, irritable et aura des difficultés à dormir. insomnies, tremblements, nausées, etc.). Il devient agressif
Il souffre d'un malus de -2 sur toutes ses actions pendant et prêt à dépenser de très fortes sommes d'argent ou à com-
tout le temps du sevrage. mettre des crimes pour obtenir sa drogue favorite. Il sera
focalisé sur l'obtention de sa dose, abandonnant tout autre
projet. Toute autre action que celles concernant l'acquisition
de drogue subit un malus de -4.
-Santé-
Se désintoxiquer
Au bout d'1D10 mois de sevrage, un Personnage intoxiqué et dépendant ne le sera plus. S'il consomme pen-
dant ce laps de temps, il tire immédiatement un jet de Résistance Mentale standard (11) sous peine de rede-
venir dépendant, quel que soit le degré de dépendance du produit. Chaque nouvelle prise implique un jet avec
des pénalités cumulatives comme indiqué dans le paragraphe " devenir dépendant ".
Drogues de Tri-Kazel
L'alcool est sans doute la drogue la plus largement consom- L'opallion se présente sous la forme d'une poudre noire
mée dans tout Tri-Kazel et ses abus font des ravages : vio- légèrement scintillante et son nom évoque tout simplement
lence, maladie, etc. Un arrêt brutal d'une consommation l'opale noire. C'est une puissante drogue hallucinogène, très
régulière peut provoquer des tremblements, anxiété et état chère, que l'on trouve dans les grandes cités. Elle serait syn-
de tristesse. Être sous alcool permet de moins ressentir la thétisée dans des laboratoires reizhites par des magientistes
douleur, d'être plus entreprenant et téméraire mais fait per- peu scrupuleux. L'opallion décuple la créativité ; elle
dre en équilibre, en précision et en capacité de concentra- confère un bonus de +1 à la Voie de la Créativité pendant
tion. De ce fait, malus et bonus se compensent et il n'y pas 1D10 heures après une prise. Le manque est caractérisé par
d'ajustement particulier. un teint livide, des nausées et des douleurs physiques
aiguës.
Vieillesse
L'existence est rude dans le monde d'Esteren et la durée de vie souvent courte. à partir de quarante ans, un PJ tire un jet de
Vigueur standard (11) par an. Un échec signifie qu'il perd définitivement un point de Vigueur. Dans ce cas précis, un résultat
de 1 sur le D10 de ce jet de Résolution est toujours considéré comme un échec. Tous les ans, un nouveau jet est tiré jusqu'à
ce que la Vigueur tombe à zéro, ce qui indique la mort du Personnage.
à partir de cinquante ans, un Personnage subit un malus de -2 à toutes les actions physiques. Un nouveau malus de 2 points
vient s'ajouter par tranche de 10 ans : -4 à partir de soixante ans, -6 à partir de soixante-dix ans, -8 à partir de quatre-vingts
ans, etc.
-Santé-
P endant son enseignement, le
demorthèn sera initié à un art
Art
ancestral nommé " Sigil Rann ",
basé sur l'utilisation de pierres gravées
de symboles mystiques, les ogham. demorthèn
Art ancestral et Discipline : fonctionnement de la magie
La magie demorthèn repose sur l'art ancestral de la Sigil Rann. La connaissance des ogham (Sigil Rann) est une Discipline
du Domaine Mystères demorthèn. Globalement, la magie fonctionne selon les mêmes règles que les autres compétences
décrites pages 194 à 199 ; elle est basée sur la réussite de jets de Résolution et de Seuils de Difficulté. Cependant, les effets
et les modalités de progression de ces Disciplines sont spécifiques et décrits tout au long de ce chapitre.
Pour utiliser le pouvoir des ogham, le demorthèn puise dans le Rindath des esprits de la nature qui l'entourent.
Comme toute chose et tout être, le demorthèn possède lui-même une quantité de Rindath qui sera également en
partie utilisée lors de ce processus. L'art oghamique est épuisant et demande au demorthèn une grande empathie 245
avec la nature. Pour tenter de l'utiliser, le demorthèn doit posséder la Discipline de la Sigil Rann (un niveau de 6 suffit).
Les pouvoirs liés à la Sigil Rann puisent dans le Cercle de puissance et facteurs
Rindath, l'énergie vitale. Cette partie détaille les
246 façons de dépenser et gagner des points d'énergie. Lorsqu'il décide d'invoquer un pouvoir (sous réserve que le
Rappel : la quantité d'énergie naturelle d'un Personnage à sa demorthèn possède la pierre oghamique adéquate), le
création est égale à l'addition suivante : demorthèn détermine librement son intensité et choisit le
Voie de l'Empathie + Voie de la Combativité Cercle de puissance. Le meneur ou le joueur qui désire
+ Voie de la Créativité. connaître les effets d'un pouvoir à un Cercle donné se
reporte à ce tableau :
Pour plus de fluidité pendant le jeu, il est vivement recommandé que chaque joueur incarnant un demorthèn possède une
copie du tableau d'invocation qu'il pourra consulter en partie. Il est possible d'en trouver un exemplaire téléchargeable sur le
site Internet du jeu (www.esteren.org).
-Art demorthèn-
Voici une définition de chaque terme du tableau d'invocation :
Cercle :
dans les traditions demorthèn, il existe six Cercles de puissance, qui correspondent aux paliers d'intensité croissante de
chaque pouvoir. Le sixième Cercle conserve un caractère exceptionnel même pour les demorthèn maîtrisant parfaitement la
Sigil Rann.
Seuil de difficulté :
pour invoquer un pouvoir du premier au cinquième Cercle, un demorthèn doit posséder au minimum un niveau de 6 en
Sigil Rann et la pierre oghamique correspondante. En revanche, pour invoquer des pouvoirs du sixième Cercle, il faudra pos-
séder un niveau de 15 en Sigil Rann. Les invocations les plus puissantes sont détaillées plus bas et ne peuvent donc être réa-
lisées que par des demorthèn connaissant parfaitement cet art ancestral.
D'autre part, une invocation n'est pas systématiquement couronnée de succès. à chaque fois que le demorthèn fait appel aux
ogham, il devra réussir un Jet de Résolution basé sur son score de Sigil Rann ajouté à la Voie de l'Empathie et franchir un
Seuil de Difficulté proportionnel à l'intensité de son pouvoir.
Facteurs :
un pouvoir est déterminé par 5 facteurs principaux. Ces facteurs permettent aux joueurs et au meneur de se représenter
clairement les effets concrets d'un pouvoir à un Cercle donné. Lorsqu'il invoque un pouvoir, le demorthèn est libre de choisir
l'intensité, dans la limite de son niveau de Sigil Rann. Plus l'intensité sera importante, plus le coût en énergie Rindath sera
élevé. Il est également possible de mélanger des facteurs de différents Cercles ; ce sera toujours le facteur le plus élevé qui
déterminera le niveau du Cercle d'un pouvoir. Par exemple, qu'un pouvoir fasse appel à un seul Facteur du troisième Cercle
ou aux cinq Facteurs de ce Cercle ne change rien : il sera considéré comme un pouvoir du troisième Cercle.
247
Voici une description plus précise des facteurs, de leurs interactions et des cas dans lesquels ils devraient être ou non utilisés.
Dans tous les cas, c'est au meneur que revient la charge de valider les effets de chaque facteur pour un pouvoir.
Cible :
ce facteur définit le nombre de Cibles touchées par le pouvoir. Par cible, on entend un Personnage ou une créature vivante.
Dans le cas de certains pouvoirs, il pourra également s'agir d'un objet ou d'une chose. Pour chaque Cercle, une cible sera
concernée. Attention, car les cibles choisies doivent se trouver dans un périmètre équivalent à l'Envergure autorisée par le
Cercle concerné. Cela signifie que l'Envergure est un facteur limitant pour le nombre de cibles.
Dans le cas, comme ci-dessus, où l'Envergure n'inclut pas toutes les cibles, le demorthèn a le choix entre augmenter le niveau
du Cercle pour obtenir une Envergure suffisante ou limiter le nombre de cibles à celles incluses dans l'Envergure correspon-
dant au Cercle choisi. Si les cibles sont hors de vue du demorthèn, celui-ci doit se faire une représentation mentale du lieu et
de la cible. Certains pouvoirs, comme Séisme, peuvent atteindre un très grand nombre de cibles sans que ce facteur n'influe
sur le Cercle de puissance.
Envergure :
ce facteur concerne la portée, la zone d'effet et le volume. La portée d'un pouvoir détermine la distance maximale entre le
demorthèn et l'endroit où le pouvoir se manifeste. La zone d'effet s'entend toujours comme le diamètre d'un cercle et rayonne
autour de l'endroit où se manifeste un pouvoir. Ainsi, un pouvoir du troisième Cercle peut intervenir à une portée maximale
de 50m et dans un diamètre de 50m. Certains pouvoirs nécessiteront d'interpréter le facteur Envergure pour qu'ils restent cohé-
rents : par exemple, un pouvoir de Foudre, quel que soit son Cercle de puissance, restera une manifestation brève et d'une zone
d'effet très limitée. En revanche, l'Envergure pourra servir à déterminer à quel endroit frappe la foudre ; si plusieurs cibles sont
touchées, on estimera alors que plusieurs éclairs s'abattent dans la zone d'effet définie par l'Envergure. En revanche, un même
pouvoir ne pourra pas s'abattre plusieurs fois sur la même cible sous prétexte qu'il est d'un Cercle suffisant pour atteindre plu-
sieurs cibles. Le meneur devrait utiliser son bon sens pour valider ou pas les interprétations du facteur Envergure. Enfin, ce
facteur permet de déterminer le volume atteint par un pouvoir. Le premier Cercle équivaut à 1 kilogramme ou 1 litre ; le
second à 5kg / litres ; le troisième à 50kg / litres ; le quatrième à 100kg / litres et enfin le cinquième à 1 tonne ou 1000 litres.
-Art demorthèn-
Persistance : Dommages :
certains pouvoirs ont un effet instantané et permanent tous les pouvoirs cherchant à infliger des blessures ou à tuer
comme les pouvoirs de soins ou de guérison. C'est aussi le sont concernés. Il peut s'agir d'une Flèche de pierre, d'un
cas de nombreux pouvoirs offensifs qui ne durent qu'un ins- ogham de Chaleur, d'un pouvoir d'Étouffement, d'Air
tant : Foudre, etc. Pour ces pouvoirs, le facteur Persistance empoisonné ou encore de Poison. Les dégâts infligés dépen-
n'est pas pris en compte. Les bonus et malus sont un autre dent du Cercle et servent à quantifier le nombre de points de
cas particulier décrit plus bas. Pour tout autre pouvoir, ce dommages infligés. Quelle que soit la durée maximale auto-
facteur déterminera sa durée. Notez qu'une minute compte risée par le Cercle, un pouvoir offensif n'inflige qu'une seule
dix Passes d'armes. fois des points de dommages et ne durera généralement que
quelques instants. Ainsi, une tempête de glace utilisée pour
Bonus / malus : causer des blessures pourra durer plusieurs Passes d'armes
un Domaine ou une Discipline, le score d'Attaque, la mais n'infligera qu'un nombre de dommages correspondant
Défense, la Rapidité, la Santé, etc. Par exemple, un pouvoir à son Cercle. Il peut bien sûr exister d'autres cas de figure
de Cuirasse ou de Peau d'écorce pourra avoir des effets sur mais le meneur et les joueurs devraient garder en tête cette
la Protection de la cible. Si la pierre oghamique le permet, règle. Ce facteur sert également à déterminer les effets d'un
des malus pourront être infligés aux cibles du demorthèn. La pouvoir de soin.
persistance des bonus et malus est particulière ; plus un
bonus ou un malus est puissant, plus il aura tendance à se
dissiper rapidement. Un bonus de +5 ou de +3 ne peut durer
qu'une seule Passe d'armes ou une seule action ; un bonus de
+2 durera deux Passes d'armes et un bonus de +1 pourra
durer jusqu'à trois Passes d'armes.
^ en Rindath
Cout
l'invocation d'un pouvoir est coûteuse en énergie
vitale. Cette colonne indique le nombre de points de Rindath
que le joueur devra retrancher à chaque utilisation. Lorsque
le score de Rindath arrive à 0, le demorthèn se sent exténué
248
et ne peut plus invoquer de pouvoirs. Un demorthèn ne peut Estimer l'intensité d'un facteur
pas invoquer un pouvoir s'il n'a pas le nombre suffisant de
points de Rindath à disposition, sauf si la règle optionnelle Les ogham peuvent produire des effets très
" puiser dans l'énergie vitale " est utilisée (voir plus loin). variés et il est impossible de tous les réper-
torier dans un tableau. Par exemple, dans le
cas de l'utilisation d'un pouvoir créant de la
Temps d'invocation lumière, l'Envergure permet de savoir dans quelle
les pouvoirs de la Sigil Rann sont redoutés car leur zone celle-ci se répand mais le meneur devra en esti-
exécution est très rapide. Un demorthèn n'a besoin de se mer la puissance. Créer la lueur d'une bougie pourra
concentrer que quelques instants, une pierre oghamique être estimé comme étant du premier Cercle alors que
dans la main, pour déclencher son pouvoir. Cependant, plus créer une lumière aussi vive que celle du soleil serait
un pouvoir est puissant, plus il demandera une concentration du sixième.
forte. Ce facteur indique la pénalité appliquée au score de Pour se repérer, le meneur utilisera l'échelle des
Rapidité du demorthèn pour déterminer son ordre d'action et Seuils de Difficulté. Plus le phénomène sera puis-
le moment précis où le pouvoir s'active. Un demorthèn ne sant, plus le Cercle requis sera élevé. Par exemple,
devra pas être dérangé avant de finir son incantation au un demorthèn utilisant un ogham d'Eau calme essaye
risque de voir son pouvoir échouer (voir plus loin). d'apaiser une pluie violente. Le vent est puissant, la
pluie tombe sans discontinuer ; le meneur estime
qu'il s'agit d'une action très difficile ; le pouvoir sera
donc du quatrième Cercle. S'il ne s'agissait que d'une
pluie fine, le meneur aurait pu estimer qu'il s'agissait
seulement d'un pouvoir du premier Cercle.
-Art demorthèn-
Le sixième Cercle de puissance
Ce Cercle est considéré comme mythique chez les demorthèn et seuls les plus sages et les plus expérimentés sau-
raient comment concentrer suffisamment d'énergie pour déclencher des pouvoirs de cette intensité. Voici le tableau
qui détaille les effets des pouvoirs invoqués au sixième Cercle :
-Art demorthèn-
Invoquer un pouvoir
Comme cela a été dit précédemment, réussir à invoquer un pouvoir n'est pas forcément automatique. à chaque fois
que le demorthèn fait appel aux ogham, il devra réussir un jet de Résolution basé sur son score de Sigil Rann ajouté à la Voie
de l'Empathie, tout en franchissant un Seuil de Difficulté dépendant du niveau de Cercle de son pouvoir.
- Si le jet de Résolution est réussi, le pouvoir est invoqué et Être dérangé pendant une invocation
le demorthèn retranche le coût du pouvoir utilisé de sa quan-
tité de Rindath. Entamer sa réserve d'énergie provoque chez Si le demorthèn est brutalement dérangé pendant son invo-
le demorthèn une sensation de fatigue, qui croît au fur et à cation (en particulier s'il reçoit un coup ou est poussé), le
mesure que sa réserve de Rindath s'épuise. Il est possible pouvoir ne sera pas déclenché. Dans ce cas, le demorthèn ne
qu'un haut score en Sigil Rann assure la réussite automa- perd aucun point de Rindath mais doit recommencer l'invo-
tique de pouvoirs d'un certain Cercle. Dans ces cas-là, le jet cation depuis le début.
de Résolution n'est pas nécessaire, mais le demorthèn S'il possède la Discipline Concentration, il pourra tenter de
consacre toujours autant de temps à invoquer et consomme passer au-delà de la perturbation pour réussir à invoquer son
toujours son Rindath. pouvoir. Pour ce faire, il devra réussir un jet de Résolution
impliquant cette Discipline dont le Seuil de Difficulté sera
- Si un 10 naturel est obtenu sur ce jet, l'invocation est plus proportionnel à la perturbation. S'il est poussé ou encaisse
puissante que prévue. Le demorthèn augmente un facteur au de 1 à 4 points de dommages, il devra réussir un jet difficile
choix d'un Cercle mais le coût en énergie Rindath reste (17). De 5 à 8 points de dommages, le jet sera très difficile
inchangé. (20) et deviendra exceptionnel (25) pour une blessure de 9
points ou plus.
- Si le Jet de Résolution échoue, le pouvoir ne se déclenche
pas mais cet échec n'entame pas la réserve de Rindath du
demorthèn. Il devra reprendre son invocation depuis le début.
250
Règle optionnelle : puiser dans l'énergie vitale
En utilisant cette règle optionnelle, le MJ permet à un demorthèn de faire appel à un pouvoir oghamique même lorsque
son score d'énergie est insuffisant ou a atteint 0. Utiliser ses réserves d'énergie vitale va provoquer un épuisement total
et peut même aboutir à la mort du demorthèn.
Lorsque le demorthèn désire utiliser un pouvoir qui ferait tomber son score de Rindath en négatif, il doit tirer un jet de
Vigueur (score de Vigueur + 1D10).
Le Seuil de Difficulté de ce jet est lié au score négatif que le demorthèn va atteindre :
de - 1 à - 3 : standard (11)
de - 4 à - 6 : compliqué (14)
de - 7 à - 10 : difficile (17)
Si le jet de Vigueur est réussi, le demorthèn parvient à invoquer le pouvoir désiré et reste conscient. Il ne pourra plus
invoquer de pouvoir tant qu'il n'aura pas recouvré ses forces (en revenant à un score positif par les moyens normaux
de récupération, voir plus bas). Il sera exténué et aura un malus égal à son niveau actuel en Rindath sur tout type d'ac-
tion pendant toute la période où son score de Rindath restera négatif. Un 10 naturel sur le jet de Vigueur n'a ici aucun
effet particulier.
Si le jet de Vigueur est raté, le demorthèn déclenche le pouvoir (qui fera effet normalement) mais tombe dans l'incons-
cience pour un nombre d'heures équivalent au score négatif auquel l'a mené l'utilisation de son pouvoir. Au réveil, il
est exténué et souffre d'un malus égal à son niveau actuel en Rindath sur tout type d'action, jusqu'à récupération nor-
male de son énergie Rindath. Si le demorthèn obtient un 1 naturel sur son jet de Vigueur, il subit également un nom-
bre de points de blessure égal au score de Rindath négatif atteint. Un échec critique entraîne la mort.
-Art demorthèn-
Résister à un pouvoir Résistance physique :
lorsque la résistance physique est impliquée (encaisser une
Un être vivant peut tenter de résister aux effets Flèche de pierre, s'extraire d'une zone rendue marécageuse),
d'un pouvoir, aussi bien au niveau physique que la cible a le droit à un jet de Vigueur pour diviser les effets
mental. Plus un pouvoir sera de forte intensité, par deux. Les dommages encaissés seront réduits de moitié,
plus il sera difficile d'en éviter les effets. Un 10 arrondis au chiffre supérieur. Un pouvoir provoquant l'im-
naturel est toujours considéré comme un succès même si le mobilité ne fera aucun effet si la cible réussit un jet de
Seuil de Difficulté était hors de portée de la cible ; de même Vigueur. Une cible immobilisée a le droit à un nouveau jet
un 1 naturel signifie toujours que le jet est raté même si la de Vigueur par Passe d'armes pour essayer de se dégager. Il
réussite pouvait être automatique. Selon les cas, différentes en va de même pour les ogham provoquant le sommeil. Être
compétences ou caractéristiques peuvent être impliquées paralysé devant son adversaire peut être fatal : la cible
(voir plus bas). encaissera les coups sans pouvoir riposter, avec un malus de
5 points à sa Défense, l'annulation de tout bonus lié à l'agi-
lité ainsi qu'à un éventuel bouclier. Un pouvoir utilisé pour
ralentir provoquera des malus qui seront divisés par deux
(arrondis au chiffre supérieur) si le jet est réussi.
Résistance mentale :
certains pouvoirs s'attaquent à l'esprit de la cible ou essayent
de leurrer ses sens. C'est par exemple le cas du Camouflage.
Dans ces cas-là, la cible a le droit à un jet de Résistance
Mentale pour éviter totalement les effets. Les malus impo-
sés à une cible par un pouvoir donnent également lieu à un
jet de Résistance Mentale : une réussite réduit le malus de
moitié, toujours arrondi au chiffre supérieur.
Récupération de Rindath :
Méditer :
au terme d'au moins une heure de méditation, le
demorthèn lance un jet de Méditation (ou utilise
le Domaine Mystères demorthèn s'il ne possède
pas cette Discipline). Le Seuil de Difficulté
dépend du lieu :
Dans un lieu sacré demorthèn,
jet standard (11)
En forêt ou dans un lieu naturel,
jet compliqué (14)
Dans un village,
une maison de campagne, jet difficile (17)
Dans une cité, une usine magientiste,
jet très difficile (20)
Chaque heure de méditation octroie un point de Rindath. Le
jet de Résolution est tiré à la fin de la période de méditation. Un
demorthèn peut obtenir par ce biais au maximum 5 points par jour. S'il
obtient un 10 naturel sur son jet, il double le nombre de points qu'il aurait
dû récupérer.
Se reposer :
une nuit de sommeil complète permet de récupérer deux points de Rindath.
-Art demorthèn-
L'éthique demorthèn
Dans les traditions demorthèn, les Trois Arts devraient toujours être utilisés afin de faire respecter l'ordre natu-
rel et l'équilibre de l'environnement. Un demorthèn utilisant ces pouvoirs au service d'ambitions personnelles, par
goût du pouvoir ou jalousie, ou encore pour assouvir une vengeance personnelle, va à l'encontre des principes
ancestraux. Il est possible que les autres demorthèn, lors d'un Tsioghair, le jugent indigne de son rang et lui reti-
rent ses ogham, de manière définitive ou non, en fonction de la faute commise et de son comportement a poste-
riori.
‘
L'oradh et les morcail
Les Trois Arts demandent patience et pondération de la part d'un demorthèn. Il doit se montrer humble et respec-
tueux envers la nature et ses esprits, les C'maogh, qui lui octroient une grande part de l'énergie nécessaire aux
invocations. On parle cependant de demorthèn déchus qui utilisent leurs pouvoirs au service de leurs ambitions.
Certains pensent qu'ils parviennent à tromper, intimider ou même corrompre les C'maogh, afin d'obtenir plus de
Rindath et d'employer les arts oghamiques à des fins néfastes. Ces utilisateurs dévoyés des arts ancestraux sont
nommés " morcaìl " et sont pourchassés par les autres demorthèn. Certains de ces morcaìl se seraient rassemblés
en cabales afin de pratiquer et de promouvoir leur art de l'ombre, l'oradh.
Cette partie s'attache à définir les effets de plusieurs pou- Création ex nihilo
voirs tout en donnant un certain nombre d'exemples de
pierres oghamiques. Il n'y a aucune création ex nihilo. La nature forme un tout et
même s'il ne le voit pas lui-même, le demorthèn sait qu'il ne
crée rien mais emprunte à la nature ce qu'il utilise, avec
l'aide des C'maogh. Lorsque le demorthèn invoque Source
Nature des pouvoirs d'eau par exemple, le liquide sera prélevé dans un autre
Sur chaque pierre oghamique est gravée un ogham endroit, généralement assez proche. De ce fait, les demor-
252 mineur, déclinaison de l'un des sept ogham majeurs. thèn sont vigilants à ne pas modifier l'équilibre d'un lieu en
S'il existe une infinité de pouvoirs, c'est que la abusant de leur pouvoir.
nature peut s'exprimer sous une multitude de formes.
Cependant, les pouvoirs doivent s'inspirer de faits naturels.
Ainsi, un pouvoir de Foudre provoquera des éclairs et des
grondements dans les cieux qui finiront par s'abattre sur la Il est possible de créer des enchaînements d'effets. Par
cible du demorthèn. Il n'est pas possible pour le demorthèn exemple, un premier pouvoir va créer de la rosée sur un per-
de faire partir la foudre de ses mains. Par extension, ce pou- sonnage, et un second va givrer cette rosée, emprisonnant la
voir ne peut pas être invoqué en intérieur tout comme il cible dans un carcan de glace, en la menaçant d'étouffement
risque de n'avoir aucun effet si le temps est radieux et qu'au- ou de mourir de froid.
cun nuage n'est à l'horizon. Il en va de même pour un pou-
voir comme Pluie, entre autres.
Pierres oghamiques
Voici plusieurs exemples de pierres oghamiques.
Effet d'un pouvoir Cette liste n'est en rien exhaustive ; le nombre de
Comme cela a été décrit précédemment, c'est aux joueurs de pierres oghamiques est potentiellement infini.
définir les effets d'une pierre oghamique, dans la limite de Chaque meneur est libre de décider si un ogham existe ou
son champ d'action. Plusieurs exemples de pierres ogha- pas ; il peut décider de ne pas utiliser certains ogham pour
miques ci-dessous définissent des champs d'action. Les limiter l'influence de la magie dans ses parties et préserver
joueurs demorthèn sont invités à décrire le plus précisément une ambiance où le fantastique est plus discret. La descrip-
possible leur pouvoir et ce qu'ils désirent exactement obte- tion de chaque pierre permet de donner un aperçu, non
nir. Par exemple, lors d'une invocation de Source d'eau, le exhaustif, de son champ d'action. Certains ogham sont
joueur peut expliquer qu'il invoque l'esprit de la source qui réversibles ; si tel est le cas, cela est indiqué dans leur des-
coule sous le chemin pour faire jaillir du sol une petite fon- cription. Ainsi, un ogham d'Humidité peut devenir un
taine d'eau pure. Plus la description sera précise et plus le ogham d'Assèchement, etc.
demorthèn obtiendra l'effet désiré. Plus la description est
vague, plus l'effet risque d'être surprenant et le MJ doit se
sentir libre d'interpréter le pouvoir comme il le désire.
-Art demorthèn-
Pierres oghamiques de l'Eau
Eau pure : Glace :
permet de purifier un liquide d'un poison ou d'un polluant. transforme l'eau en glace et inversement, peut geler et
La version réversible rend l'eau empoisonnée et elle est sus- refroidir des objets mais ne permet pas de créer de chaleur.
ceptible d'infliger des dommages, voire de tuer ceux qui la Cet ogham peut tuer, immobiliser ou ralentir des êtres
boivent. vivants.
Brume : Eau calme :
permet de faire naître un nuage de brouillard, de transfor- cet ogham permet de faire cesser la pluie, d'apaiser une
mer de l'eau en vapeur et inversement. rivière en crue ou encore de calmer des vagues.
Pluie : Appel de créatures aquatiques :
permet d'invoquer la pluie. un demorthèn pourra convoquer des animaux aquatiques
Vague : afin qu'ils lui viennent en aide. Il ne les contrôlera jamais
cet ogham agite l'eau, accélère le courant et peut même totalement ; les animaux répondent à son appel et, suivant
créer de véritables lames de fond, provoquant des dom- son comportement et ce qu'il demande, accepteront éven-
mages à partir du sixième Cercle. tuellement de lui apporter leur aide, mais il n'y a pas de phé-
Humidité : nomène de domination. En particulier, les animaux ne se
humidifie une zone, crée de la rosée. Assèchement, son effet sacrifieront pas pour le demorthèn, sauf si celui-ci a déve-
inverse, inflige des dommages et peut être fatal pour les loppé des liens très forts et réciproques avec ceux-ci. Pour
êtres vivants. connaître le nombre de créatures appelées, utilisez le facteur
Source d'eau : Cibles. La nature exacte des créatures convoquées dépend
permet de faire apparaître de l'eau. Généralement, celle-ci des animaux présents dans la zone d'action du pouvoir
jaillira du sol. Utilisé au sixième Cercle de puissance, cet (Envergure).
ogham peut devenir très dangereux en créant des colonnes d'eau.
-Art demorthèn-
Transmutation, Paralysie et Ralentissement
Certains ogham offensifs peuvent être utilisés de plusieurs façons. L'ogham de Glace par exemple, peut être utilisé
pour transformer la cible en glace, la paralyser ou encore la ralentir. Le demorthèn doit choisir parmi l'une de ces trois
utilisations mais ne peut en cumuler les effets. La cible à une chance de réduire ou d'échapper aux effets comme expli-
qué page 251.
Transmutation :
Certains ogham mineurs du type Glace ou Pétrification ont la capacité de transmuter un être vivant en glace, en pierre, etc.
Utilisé de manière inversée, l'ogham Humidité peut aussi provoquer des effets similaires en asséchant totalement un être
contenant de l'eau. Ce genre de pouvoir infligera normalement des dommages selon son Cercle de puissance. Pour que l'ef-
fet désiré ait réellement lieu, le demorthèn doit infliger un nombre de dommages suffisant pour que cela provoque la mort.
Si tel est le cas, la cible trépasse et la transmutation est définitive. Si le nombre de blessures est insuffisant, la cible sera tout
de même blessée (elle sera frigorifiée, ressentira des douleurs atroces du fait de crampes dans ses membres, etc.) mais ne
subira pas d'autres effets du pouvoir. Le facteur Persistance n'a pas d'incidence ici.
Paralysie :
un ogham de Croissance végétale pourra être utilisé pour enchevêtrer un adversaire et le paralyser. Un ogham de Glace ou
de Pétrification peut être utilisé dans cette optique : la cible sera empêtrée dans la glace ou la pierre jusqu'à ne plus pouvoir
bouger mais pourra essayer de se dégager comme expliqué page 251.
Ralentissement :
le ralentissement se traduit en malus sur la Rapidité, la Défense, les jets de Prouesses, de Combat au contact et globalement,
toutes les actions physiques. Les malus dépendent du Cercle de puissance.
-Art demorthèn-
Miracles
du Temple C
ertains émissaires du Temple sont
capables d'accomplir de véritables
miracles. Nul ne peut affirmer si ce
don est inné ou provient d'une pratique rigou-
reuse des ordonnances et des prières quoti-
diennes. On nomme ces personnes particu-
lières les Élus. Ce chapitre s'attache à décrire le
fonctionnement de la magie cléricale et à défi-
nir ses principaux pouvoirs.
257
Réaliser un Miracle
Réaliser un Miracle n'est pas automatique. Toutefois, posséder un score minimal de 6 dans la Discipline Miracles
suffit pour tenter d'en réaliser. Pour cela, il faudra que le prêtre se soit éveillé à un ou plusieurs Miracles (Cf. chapi-
tre Expérience). à chaque fois qu'un Élu fera appel aux pouvoirs divins, il devra réussir un jet de Résolution basé
sur la Discipline Miracles ; le Seuil de Difficulté dépend de la puissance du Miracle invoqué. Réaliser un Miracle
répond exactement aux mêmes règles que celles décrites au paragraphe " Invoquer un pouvoir " page 250. Les conséquences
d'un jet de Résolution réussi ou raté décrites dans ce paragraphe s'appliquent également aux Miracles. Voici les autres aspects
à prendre en compte :
Résister à un Miracle :
le paragraphe " Résister à un pouvoir " page 251 décrit les modalités pour une cible de résister aux effets d'un Miracle.
-Miracles du Temple-
Récupérer et augmenter son Exaltation
Si l'Exaltation d'un Élu arrive à 0, il ne pourra pas réaliser de Miracles
tant qu'il n'aura pas récupéré de points d'Exaltation. Notez que si ce
score est insuffisant pour réaliser un Miracle d'une certaine intensité,
l'Élu ne pourra pas le déclencher. Un Élu ne peut en aucun cas avoir
un score négatif d'Exaltation. Il y a plusieurs possibilités pour un Élu
de récupérer ses points dépensés lors de la réalisation de Miracles ou
d'augmenter son score maximal d'Exaltation.
La prière :
les Élus suivent le même principe de fonctionnement que les demor-
thèn avec le Rindath pour récupérer ou gagner des points d'Exaltation
(Cf. chapitre Expérience). Les seules différences sont qu'ils utilisent
la Discipline Recueillement au lieu de celle de Méditation, et que les
Seuils de Difficulté dépendent de la sainteté du lieu plutôt que de son
rapport à la nature. D'autre part, prier dans un lieu renfermant une
Relique triple la récupération de points par heure avec un maximum
de 15 points par jour. Enfin, une nuit de sommeil n'apporte aucun
point d'Exaltation ; seule la prière le peut.
La ferveur :
promouvoir la foi dans le Dieu Unique et accomplir des actes en
faveur du Temple augmenteront l'Exaltation de l'Élu. Voici des exem-
ples d'actions : suivre les préceptes de l'ordre auquel appartient l'Élu
de manière exemplaire, convertir les populations, faire construire un
nouveau lieu de prière, retrouver des reliques sacrées, protéger les
intérêts du Temple, etc. L'action sera mineure, significative ou
majeure selon son ampleur et la ferveur de l'Élu pour l'accomplir.
Convertir un petit groupe de personnes sera une action mineure,
convertir un village sera une action significative, convertir une cité
258 sera un acte majeur. Parvenir à accomplir des actions considérées
comme significatives et majeures devrait rester exceptionnel.
Respecter la foi
Un Élu devra se montrer exemplaire dans le respect des préceptes du
Temple, notamment en appliquant rigoureusement les six
Ordonnances.
Enfreindre les préceptes de sa foi, réaliser des Miracles pour
servir ses ambitions personnelles ou tout autre acte sacrilège
pourra mener le prêtre devant un Tribunal religieux gwi-
drite. Ces actes pourront également lui faire perdre des
points d'Exaltation, de manière temporaire ou définitive. Il est possi-
ble que l'Élu perde sa capacité à réaliser des Miracles jusqu'à ce qu'il
fasse pénitence. La pénitence dépendra de l'ampleur des fautes com-
mises. Elle pourra se traduire sous la forme d’un pèlerinage, d'actes
de contrition ou de châtiments corporels (cilice, knout, etc.). En plus
d'être considérés comme des fautes graves, certains actes aboutiront à
la révocation de l'ordre et seront passibles de la peine de mort (meur-
tre, etc.). Voici les peines généralement appliquées en fonction des
fautes commises :
-Miracles du Temple-
Faute mineure :
perte de 5 points d'Exaltation. Ceux-ci pourront être récupérés nor-
malement. Exemples : manquer volontairement une prière (si le
personnage est malade ou en situation de danger - en voyage ou en
mission par exemple - il ne sera pas sanctionné), commettre un
manquement mineur aux Ordonnances, etc.
Faute significative :
perte de 10 points d'Exaltation (qui pourront être récupérés) et
diminution du score maximal d'Exaltation d'un point, impossibilité
de réaliser des Miracles pendant un mois ou jusqu'à pénitence
imposée par un supérieur. Exemples : boire jusqu'à l'ivresse, se
laisser aller aux plaisirs de la chair de manière provocante, com-
mettre un manquement significatif aux Ordonnances, être insolent
ou irrespectueux envers un supérieur hiérarchique, etc.
Faute grave :
perte de 30 points d'Exaltation (qui pourront être récupérés) et
diminution du score maximal d'Exaltation de trois points, impossi-
bilité de réaliser des Miracles jusqu'à pénitence. Exemples :
bafouer lourdement et volontairement les Ordonnances, utiliser les
Miracles pour sa gloire personnelle au mépris du Créateur, com-
mettre un meurtre gratuit ou agresser un membre du Temple, etc.
Chaque Miracle couvre un champ d'action précis décrit ci-dessous. Sauf mention contraire, les pouvoirs ne sont pas réversibles.
Guérison miraculeuse
Ce Miracle permet de guérir les blessures, arrêter les hémorragies, réparer les os brisés, etc. Le nombre de points de dom-
mages guéris est lié au facteur Dommages. Aucune cicatrice ni séquelle ne sera visible. à partir de la cinquième Stance, ce 259
Miracle permet de régénérer les membres mutilés. Il permet également de guérir toutes sortes de maladies, de neutraliser les
effets des poisons naturels ou artificiels. L'intensité nécessaire ne sera pas la même pour une maladie ou un poison bénin que
pour une affliction particulièrement mortelle ; le Seuil de difficulté imposé par la Virulence détermine la Stance minimale
requise (Cf. le chapitre Santé). En aucun cas ce Miracle ne peut ramener un mort à la vie.
Résurrection Cantique
Ce Miracle permet de ramener un mort à la vie. Le facteur Grâce à ses chants, l'Élu peut instiller la ferveur lors d'une
de Persistance indique le temps maximal depuis le décès célébration ou durant le combat. Aux heures des saintes
dont le prêtre dispose pour réaliser ce Miracle. Par exemple, prières, les cantiques résonnent dans les cathédrales
à la troisième Stance, l'Élu dispose d'une minute (10 Passes dévouées au Dieu Unique. Utilisé en combat, le cantique
d'armes) depuis la mort de la personne visée pour accomplir protège l'Élu et ceux qu'il désigne en améliorant leur score
le Miracle. Ce Facteur ne peut en aucun cas être supérieur à de Défense.
20 jours. Le miraculé devra réussir un jet de Vigueur com-
pliqué (14) pour revenir parmi les vivants. Une réussite
signifie qu'il revient à la vie dans un État de Santé Critique
mais cette opération lui fait perdre définitivement un point Cercle de protection
de Vigueur. Un échec sur le jet de Vigueur indique que son
âme est devenue errante dans le royaume des morts ; sa mort Les ennemis de l'Élu subissent un malus à toutes leurs
est définitive et plus aucun Miracle de Résurrection ne actions (Attaque et compétences) entreprises contre le prê-
pourra être tenté. Un 10 naturel sur ce jet signifie que le tre et ses alliés. à la cinquième Stance, le Cercle devient
miraculé ne perd aucun point de Vigueur et qu'il revient à la infranchissable pour les ennemis de l'Élu. Si un adversaire
vie dans un état de santé bon (aucune case cochée dans le se trouve dans la zone au moment de l'invocation, il devra la
tableau d'État de Santé). Dans tous les cas, revenir d'entre quitter. Le prêtre peut user de ce pouvoir pour faire reculer
les morts inflige un point de Trauma permanent. Si le score un adversaire de sa foi en brandissant son symbole sacré. Si
de Vigueur de la cible tombe à 0, la mort est définitive. Il est l'adversaire se retrouve acculé et que le prêtre continue à
impossible d'utiliser ce Miracle pour ressusciter quelqu'un avancer, son pouvoir se disperse. Coincé, l'adversaire pourra
mort de vieillesse. Si le corps du miraculé est dans un très également tenter de traverser une partie du Cercle pour
mauvais état, il devra d'abord bénéficier d'un Miracle de s'échapper, mais jamais pour attaquer.
Guérison Miraculeuse afin de réparer les organes vitaux
détruits.
-Miracles du Temple-
Purification Froid divin
Grâce à ce Miracle, l'Élu peut purifier des objets, des zones Ce Miracle peut transformer l'eau en glace, refroidir un
ou des personnes. Une purification réussie est définitive objet et même le geler, déclencher des tempêtes de neige,
mais ne préjuge pas d'une future profanation. Ce pouvoir congeler les adversaires du prêtre, etc.
permet de rendre l'eau croupie claire, la nourriture avariée Cette dernière utilisation est vue comme une purification de
comestible, un arbre pourrissant sain, etc. Ce pouvoir est l'ennemi, afin qu'il rencontre dans la mort la pureté du Dieu
également utilisé pour exorciser des personnes possédées ou créateur.
des lieux hantés par des esprits malins. Reportez-vous page 254, au paragraphe " Transmutation,
Il permet également de sanctifier les zones pourrissantes Paralysie et Ralentissement ", pour connaître les modalités
d'où émergent les feondas. En réussissant un tel Miracle, d'utilisation de ce Miracle.
l'Élu bannit les esprits corrompus d'un lieu et empêche tout Pour les autres types d'utilisation, la Stance dépend de l'in-
nouveau feond d'en sortir. Dans tous les cas, le niveau de la tensité du Miracle voulue par le prêtre.
Stance est déterminé par l'intensité de la corruption présente
et reste à l'entière discrétion du meneur.
260
-Miracles du Temple-
Vision des Limbes
Ce puissant Miracle induit une vision de l'enfer qui attend la
ou les cibles du prêtre lorsqu'elles mourront. Toutes les fautes
commises par la cible lui sont reprochées ; un terrible senti-
ment de culpabilité l'envahit ainsi que la terreur indicible de
croupir pour l'éternité dans les profondeurs des Limbes. Plus
la Stance sera importante, plus il sera difficile d'échapper aux
effets de la Vision des Limbes. Un échec sur le jet de
Résistance Mentale inflige un nombre de points de Trauma
équivalents au bonus qu'aurait conféré ce Miracle selon la
Stance choisie. De plus, la cible, dont l'esprit est envahi par la
peur, subit un malus à tous ses jets d'Attaque contre le prêtre
pendant toute la durée du Miracle. Si le jet de Résistance
Mentale donne un 1 naturel, les points de Trauma sont défini-
tifs et la ou les cibles fuient.
Châtiment
Le Châtiment peut causer de grandes douleurs pouvant
conduire à la mort. Le corps des victimes sera meurtri comme
si des knouts s'abattaient sur leur chair nue et des cilices enser-
raient leurs membres. Les dommages, le nombre de cibles et
tous les autres facteurs sont déterminés normalement selon la
Stance.
Sainte vigueur
Ce Miracle permet d'ignorer la fatigue, d'avoir un sommeil
réparateur (4 heures suffisent alors pour être en pleine forme), 261
d'ignorer la douleur ainsi que d'obtenir un bonus à tous les jets
de Vigueur et de compétence impliquant l'endurance. Ignorer
la douleur permet de réduire les malus dus à un état de santé
dégradé d'un nombre de points équivalent au bonus octroyé
par le Miracle. à partir de la cinquième Stance, ce Miracle
permet d'ignorer la mort pendant quelques instants. Si le béné-
ficiaire reçoit une blessure mortelle, il pourra tenir encore
1d10 minutes ou jusqu'à ce que sa dernière action soit accom-
plie (achever un combat, porter une relique en lieu sûr) ; le
bénéficiaire succombe alors à ses blessures mortelles. Il n'est
pas possible de soigner naturellement les blessures mortelles
pendant le temps d'effet de ce Miracle ; seul une Guérison
miraculeuse ou autre pouvoir magique peut sauver le bénéficiaire.
-Miracles du Temple-
Magience P our la plupart des gens, la magience
demeure une discipline mystérieuse.
Pourtant, c'est une science répondant à
des principes précis. Elle repose sur l'utilisation
du Flux qui permet d'alimenter différentes machi-
neries et d'obtenir des effets dépassant bien sou-
vent les capacités humaines.
La matière première
Pour réaliser une opération d'extraction, le magientiste doit être en possession de
matière première. Chaque matière animale, végétale ou minérale possède une concentration spécifique en Flux. Le tableau
suivant indique quelques exemples de propriétés du Flux selon sa source ainsi que la quantité de matière première nécessaire
pour obtenir une dose standard de Flux prêt à être raffiné.
262
Sacs de
50kg
100kg 200kg
L'extraction Le Flux fossile brut n'a pas besoin d'être extrait, il se récolte tel quel dans la
nature. C'est un liquide dont la densité peut grandement varier (Cf. lexique).
Avant de réaliser une extraction, il est
nécessaire de prendre en compte 5
facteurs : le temps passé pour l'extrac-
tion, les doses de Flux brut que le
magientiste souhaite extraire pour
cette période, la qualité des installa-
tions techniques et du matériel utilisé,
la qualité de la matière première ainsi
que le type de matière première qui
définira le type de Flux raffiné.
Lorsque le magientiste aura déter-
miné les différents facteurs, il devra
réussir un jet d'Extraction de Flux
brut très difficile (20) en prenant en compte les ajustements du tableau suivant. Les malus et bonus sont cumulatifs et un
magientiste débutant aura tout intérêt à prendre son temps et utiliser un bon outillage. En effet, chaque facteur peut rendre plus
facile ou plus compliqué le processus d'extraction :
Une dose de Flux brut pèse 500 grammes. Pour le Flux fossile brut, directement récolté dans la nature sous forme
liquide, une dose correspond à 50 centilitres..
Un résultat entre 2 et 10 dans la table ci-dessus implique que les installations tombent en panne. Un technicien possédant la
Discipline de réparation adéquate doit intervenir pendant un nombre d'heures égal au résultat pour les remettre en route.
-Magience-
Le Flux brut ne peut pas être utilisé tel quel. Une fois
extrait, il doit être raffiné, distillé et subir toutes sortes
d'opérations pour devenir un matériau utilisable sous
sa forme de carburant. Seuls les magientistes formés à
la Discipline Raffinage de Flux peuvent tenter d'exé-
cuter cette opération complexe. Pour réussir correcte-
ment un raffinage, il faut réussir un jet de Raffinage de
Flux très difficile (20) basé sur cette Discipline en pre-
nant en compte les ajustements du tableau suivant :
264
Tout comme pour l'extraction, les modificateurs sont cumulatifs. En cas d'échec, tout le Flux brut engagé est irrémédiable-
ment perdu. En cas de 1 naturel, reportez-vous au tableau du paragraphe précédent " Échec des opérations d'extractions ".
Flux raffiné
Il se présente sous une forme liquide, d'une couleur vive qui varie selon l'origine (bleuté pour le minéral, pour-
pre pour l'organique, verdâtre pour le végétal et ambré pour le fossile). Une dose de Flux raffiné équivaut environ à 10
centilitres, soit une centaine de grammes.
-Magience-
- Discipline Artefact de combat :
cette Discipline permet à des non-magientistes d'apprendre
à se servir d'un artefact conçu pour le combat.
- Discipline Outil magientiste :
Le terme d'artefact désigne un mécanisme ou appareil cette Discipline concerne tous les artefacts portatifs tels que
employant le Flux. Cette dernière partie du chapitre vise à la Scie mécanique ou les Lunettes de vision.
préciser qui peut se servir d'un artefact et comment. Une - Discipline Machinerie magientiste :
définition de chaque Discipline liée aux artefacts ainsi que cette Discipline concerne l'utilisation de plus gros artefacts
plusieurs exemples de ces machines seront également proposés. comme les monte-charges, métiers à tisser et autres moteurs.
Ce sont généralement des artefacts de grande taille, fixes.
Artefacts et disciplines associées - Discipline Réparation d'artefacts :
Les magientistes demeurent les plus à même de correcte-
Certains artefacts sont très complexes, d'autres ont été ment réparer un artefact. Cependant, grâce à la Discipline
conçus pour être utilisés par le plus grand nombre. Voici les Réparation d'artefacts du Domaine Sciences, certains tech-
grands principes permettant au MJ et aux joueurs de savoir niciens peuvent apprendre à se servir et à réparer ces
ce que leur PJ peut faire en présence d'un artefact. machines ; c'est le cas de nombre de réparateurs ayant
- Complet néophyte pignon sur rue dans les grandes cités. Contrairement aux
Avoir un niveau de 0 en Magience signifie que le autres Disciplines, celle-ci permet de réparer tous les artefacts.
Personnage ignore tout de cette science. Il ne sait que très
vaguement ce qu'est le Flux, n'a sans doute jamais vu d'arte- - Magientistes et Discipline
fact et serait bien ennuyé pour l'allumer et encore plus pour Utilisation des artefacts
le faire fonctionner. Dans beaucoup d'endroits isolés ou hos-
tiles aux magientistes, nul ne pourrait se servir du plus sim- Cette Discipline, réservée aux seuls magientistes
ple artefact sans assistance. et seulement accessible par le Domaine Magience,
- Artefacts populaires leur confère un énorme avantage. Grâce à elle, ils
Se servir des artefacts de la vie courante, comme par exem- peuvent se servir de tous les artefacts qu'ils rencontreront,
ple éteindre ou allumer un nébulaire, ne demande pas de que ce soient des outils, armes, etc. Cependant, à partir du
savoir-faire particulier ; ils sont même spécialement étudiés niveau 10 (expert), le magientiste devra choisir un seul et
pour avoir une ergonomie optimale et être utilisés par le unique artefact dans lequel il deviendra expert. Par la suite,
peuple. Même quelqu'un ayant un niveau de 0 en Magience il lui sera possible de devenir expert dans plusieurs artefacts
peut l'allumer et s'en servir, sous réserve qu'il sache au s'il dépense les points d'expérience nécessaires.
moins ce qu'est un artefact.
- Novice
Un Personnage qui n'est pas magientiste mais ayant au 265
moins un niveau de 1 en Magience, a déjà entendu parler
des artefacts et en comprend le principe dans les très
grandes lignes : ces engins fonctionnent au Flux, ils doivent
être allumés avant d'être utilisés, nécessitent des cartouches,
etc. Un tel Personnage pourra accéder à des Disciplines particu-
lières, spécialement dédiées aux non-magientistes, et liées aux
Domaines Artisanat (Outil magientiste et Machinerie magien-
tiste), Sciences (Artefact de combat, Réparation d'artefacts,
Outil magientiste et Machinerie magientiste), Combat au
contact (Artefact de combat), Occultisme (Outil magientiste et Se servir correctement d'un artefact implique deux choses :
Artefact de combat) et Tir et lancer (Artefact de combat). S'il ne le mettre en route et s'en servir. Il est également possible de
possède aucune de ces Disciplines particulières, il fera appel à le réparer en cas de dommages.
son niveau dans le Domaine lié.
-Magience-
- Complet néophyte : Utilisation d'un artefact
si un Personnage ne possède aucun point en Magience, il lui
sera impossible de mettre en route l'artefact seul. Après avoir mis en route l'artefact, il est possible de s'en ser-
Si un personnage a accès à une notice d'explication qu'il étu- vir. La Discipline appropriée sera utilisée. En cas d'échec
die avec soin, ou que quelqu'un de compétent lui explique avec un 1 naturel, l'artefact risque d'être abîmé. Il est égale-
comment faire, un jet d'Allumage compliqué (14) lui permet ment possible pour un novice de se servir d'un artefact, sans
de l'activer. Discipline appropriée ; le Domaine adéquat sera alors utilisé
mais les risques d'accident sont très fortement accrus. (Cf.
- Novice : plus bas, paragraphe " jet de Résistance ").
face à un nouvel artefact, un Personnage ayant au moins 1
en Magience peut tenter de le mettre en route en une Passe
d'armes en utilisant le niveau du Domaine approprié.
Attention, car tout échec demande un jet de Résistance
immédiat (Cf. plus bas, paragraphe " jet de Résistance ").
Une notice ou une aide extérieure fait baisser le jet Les artefacts qui n'ont pas besoin de jet d'Utilisation une fois
d'Allumage à 8. activés portent la mention "auto" dans la rubrique
Ergonomie.
Le Flux est souvent conditionné sous forme de cartouches à l'enveloppe métallique très fine.
Une cartouche standard contient une unique charge de Flux (environ 10 centilitres
de Flux raffiné). Il existe des cartouches "medium", tenant dans la main et
renfermant 3 charges (environ 30 centilitres). Enfin, on trouve aussi des gallons
de Flux, des bonbonnes blindées renfermant 30 charges chacune et pesant plu-
sieurs kilogrammes. Sauf indication contraire, une cartouche d'un type de Flux
(minéral, végétal…) est universelle et permet d'alimenter tous les artefacts uti-
lisant ce type de Flux.
Le Flux fossile
Aussi rare que précieux, le Flux fossile possède trois qualités essentielles :
- Il n'a pas besoin d'être extrait et peut être directement raffiné.
- Il est plus riche en énergie que les autres Flux.
- à de rares exceptions près, il fonctionne avec tous les artefacts quel
que soit le Flux qu'ils emploient normalement.
-Magience-
Caractéristiques techniques des artefacts - Jet de Résistance :
il se calcule en additionnant le résultat d'1D10 au score de
Chaque artefact est défini par les caractéristiques techniques Résistance de l'artefact. Pour obtenir un succès, le porteur
suivantes : de l'artefact devra réussir un jet standard (11). En cas de
- Type de Flux : réussite, l'artefact fonctionne normalement mais sa
chaque artefact fonctionne avec un type de Flux spécifique. Résistance diminue tout de même de 1 point. Si c'est un
Employer un autre type de Flux peut provoquer une panne, échec, il tombe également en panne et doit être réparé pour
voire une explosion. pouvoir fonctionner à nouveau. Il est possible d'utiliser la
- Consommation : Discipline Réparation d'Artefacts pour le remettre en route
la quantité de flux utilisée quand l'artefact fonctionne. en urgence ; un jet difficile (17) est nécessaire et cette opé-
- Réservoir : ration prend une Passe d'armes. Une réussite signifie que
on peut alimenter un artefact en le branchant directement à l'artefact repart ; un échec inflige de nouveaux dommages et
une cartouche ou à une bonbonne de Flux. Certains dispo- la Résistance baisse d'un point. Un artefact alimenté avec le
sent également d'un réservoir interne. Il faut une Passe mauvais type de Flux tombe obligatoirement en panne ; le
d'armes pour changer une cartouche, brancher une bon- jet de Résistance est inutile. Sur un résultat de 1 au jet de
bonne ou verser dans un réservoir l'équivalent de deux Résistance ou si le niveau de Résistance atteint 0, le méca-
charges de Flux. Les artefacts avec un réservoir sont géné- nisme d'alimentation en Flux subit un court-circuit ou
ralement plus volumineux et sont plus susceptibles d'explo- devient instable : l'artefact explose et provoque 1D10 points
ser si on les endommage. de dommages dans un rayon de 3 mètres, 2d10 s'il contient
- Résistance : plus de six charges de Flux.
les artefacts sont susceptibles de tomber en panne ou d'être - Vulnérabilité :
endommagés par un mauvais usage. Un jet de Résistance est un artefact peut être vulnérable à une ou plusieurs conditions
demandé dans les cas suivants : comme l'humidité, la chaleur, le froid, les chocs, la foudre,
- un magientiste ou tout Personnage se servant d'un etc. à chaque fois qu'il est exposé à une Vulnérabilité sans
artefact avec la Discipline appropriée obtenant un protection adéquate (à la discrétion du MJ), l'artefact doit
échec avec un 1 naturel en essayant d'employer effectuer un Jet de Résistance. Une Vulnérabilité aux chocs
l'artefact. implique un jet de Résistance immédiat si le porteur encaisse
- un Personnage ne possédant aucune Discipline 5 points de Dommages ou plus.
adéquate obtenant un échec en se servant d'un - Ergonomie :
artefact. des bonus ou malus à l'ergonomie se traduisent par des ajus-
- l'artefact est exposé à une de ses Vulnérabilités tements lorsque l'on essaye de se servir de l'artefact. Une
(voir ci-dessous). arme fonctionnant au Flux peut donc donner des bonus ou 267
- on alimente l'artefact avec le mauvais type de Flux. malus à chaque jet d'Attaque. Le bonus à l'ergonomie est au
maximum de 3 points ; le malus peut monter jusqu'à 6 points.
Voici les caractéristiques d'artefacts typiques ou plus curieux. Certains artefacts offensifs sont considérés comme des armes et
doivent toucher leur cible en utilisant la Discipline appropriée comme décrit dans les paragraphes précédents. Les dommages
sont calculés normalement en ajoutant les dégâts de l'arme à la marge obtenue.
Les " artefacts populaires " qui ne nécessitent pas de connaissances particulières pour être mis en route et utilisés, sont indi-
qués par le symbole
végétal aucun
1 charge / 2 heures aucune
1 charge aucun
2 3
humidité, foudre chocs, feu, foudre
auto 0
Un lourd briquet à flamme verte, bien plus efficace et rapide Il n'est pas toujours possible d'employer une des énormes
que les modèles à silex. La durée de vie d'une charge, utili- machineries d'extraction ou de raffinage, surtout en pleine
sée de manière modérée (trois ou quatre utilisations de 5 nature. L'extracteur de Flux mobile est donc particulière-
secondes à chaque fois), est d'environ 3 mois. Utilisée en ment apprécié par les magientistes de Tri-Kazel.
continu, une charge se consomme en 2 heures. Activé par une manivelle, il tire son énergie du processus
même d'extraction, miracle magientiste s'il en est. Cet
appareillage complexe est généralement désassemblé et
organique
entassé dans une malle. Il pèse une vingtaine de kilo-
1 charge / 2 heures
grammes. Seuls les magientistes possédant les Disciplines
10 charges
Extraction et Raffinage de Flux peuvent s'en servir.
7
L'extracteur mobile est considéré comme un matériel de
humidité, foudre
qualité moyenne et peut extraire ou raffiner une dose de
-1
Flux brut par jour.
Malgré un bruit infernal, son épaisse mèche d'acier martèle
la roche et permet de creuser à même le granit.
-Magience-
végétal végétal chocs,
1 charge / décharge 1 charge / 2 h humidité, feu
1 charge 10 charges 0
3 4 4
chocs, feu, foudre Très prisée par les bûcherons, bien qu'elle soit encombrante
0 et que ses lames nécessitent beaucoup d'entretien. Elle peut
2 être utilisée en combat et inflige 4 points de dégâts.
Cette invention extravagante se présente sous la forme d'un
gantelet relié à une cartouche de Flux médium sur l'avant-
bras ou une bonbonne dans le dos. Il provoque 2 points de
dégâts par décharge d'énergie, les armures et boucliers n'of- organique 7
frant aucune protection. 1 charge +3
1 charge
Le Tonifiant est contenu dans une seringue spéciale. Aucun
jet de mise en route n'est nécessaire.
variable En se l'injectant, le bénéficiaire guérit de 1D10 points de
1 charge / 12 heures blessures précédemment encaissées.
1 charge Si le Jet d'Utilisation est raté (Seuil de Difficulté standard
2 (11) dans un environnement serein, plus élevé en cas de tur-
chocs, feu bulences ou conditions difficiles), le procédé d'injection
auto échoue, la cartouche est gâchée, aucune blessure ne guérit et
Cet artefact rappelle fortement une lanterne. Il dégage une il encaisse un point de dommages. Utiliser de manière régu-
belle lueur dans un rayon de 3 mètres. Il en existe différentes lière ou trop souvent le Tonifiant peut créer une accoutu-
variétés mais celle alimentée au Flux minéral est la plus mance (Cf. chapitre Santé).
populaire : ses cartouches sont les moins onéreuses et sa Cet artefact utilise des cartouches de Flux organique spé-
lueur bleutée n'est pas trop dérangeante. ciales, avec des additifs secrets.
Il existe d'autres types de médicaments aux effets divers qui
se présentent sous cette même forme de seringue à usage
minéral unique, notamment des remèdes permettant d'aider à contrer
1 charge / 2 heures certaines maladies ou des Tonifiants spéciaux utilisés dans
268 10 charges le traitement des folies.
7
eau, chaleur
+3 (0 en combat) organique 2
3 spéciale chocs, feu
Cet appareil encombrant (près de 20 kilos) est généralement 1 charge +2
employé par les mineurs. Il se présente comme un harnache-
ment autour du dos et des bras de l'utilisateur. Ces pinces Un étrange assemblage de lentilles autour d'une monture
peuvent êtres utilisées en combat. frontale, qui permet de déceler des détails microscopiques et
de voir dans la nuit.
La vision nocturne a une portée d'une quinzaine de mètres et
montre un paysage en tons grisâtres.
minéral La vision microscopique consomme une charge par heure
1 charge / 2 heures d'utilisation, alors que la vision nocturne consomme une
1 charge charge par tranche de dix minutes.
4 Passer d'un mode à l'autre nécessite la réussite d'un jet
chocs, humidité, feu, foudre d'Utilisation d'artefact standard (11).
+1
Mécanisme ingénieux, de plus en plus utilisé
par les mineurs et bâtisseurs.
Permet de tracter jusqu'à
100 kg sans le moindre
effort.
-Magience-
Santé
D ans les Ombres d'Esteren, les PJ vont être
amenés à vivre des événements exception-
nels qui pourront avoir une incidence sur leur
personnalité. Cette partie du système sert à simuler
l'évolution de leur santé mentale.
mentale
Préambule
Bien que fortement inspiré par la psychopathologie, le système de santé mentale présenté dans cet ouvrage a été avant tout
pensé pour s'intégrer à l'univers des Ombres d'Esteren, et n'a pas l'ambition d'être réaliste ni exhaustif.
Son existence n'a d'autre but que de donner aux meneurs et aux joueurs des outils sim-
ples pour optimiser l'ambiance du jeu.
Cependant, l'utilisation de ces règles n'est pas obligatoire pour pouvoir jouer aux
Ombres d'Esteren. Joueurs et meneurs devront en discuter afin de savoir s'ils veulent
introduire cette dimension dans leurs parties. Plus généralement, l'utilisation de
ces règles est réservée à des joueurs expérimentés et matures.
La personnalité d'un Personnage est définie par ses scores de Voies. Il en résulte des Aspects (Conscience, Instinct et Trauma),
une Orientation (rationnelle ou instinctive) et des Traits de caractère. Tous ces éléments sont déterminés à la création de
chaque Personnage. Chaque PJ possède également deux jauges graduées pouvant témoigner à tout moment de sa santé psy-
chique. L'une de ces jauges comptabilise les points de Trauma et l'autre les points d'Endurcissement. Le meneur possède lui
aussi une feuille avec une jauge pour chacun des PJ, qu'il complètera au fur et à mesure du jeu.
Les jauges de Santé Mentale joueurs. à certains moments du jeu, les joueurs auront peut-
être l'occasion de connaître exactement l'état de Santé
Par défaut, c'est au meneur que revient le rôle de Mentale de leur Personnage et de mettre à jour leur propre
gérer l'évolution de la Santé Mentale des PJ. Ceci jauge (voir plus bas).
sera un très bon outil d'ambiance : les joueurs n'au-
ront qu'une idée floue de l'état psychique de leur alter ego. Toutefois, le meneur peut décider de se simplifier la tâche
Ainsi, quand un PJ aura un début d'hallucination, le joueur en confiant aux joueurs le soin de suivre l'évolution de la
ne saura pas vraiment si ces visions sont réelles ou pas… le Santé Mentale de leur PJ directement sur leur Feuille de
meneur trouvera ci-contre la feuille lui permettant de gérer Personnage, surtout dans les premières parties. Il sera tou-
cette évolution. Pendant les parties, il gardera cette feuille jours possible pour le meneur d'intégrer plus tard ce suivi
cachée et la complètera sans en révéler le contenu aux dans sa maîtrise, lorsqu'il sera complètement à l'aise dans
les Ombres d'Esteren.
270
Une séquelle survient à chaque fois que le joueur obtient un 1 sur le D10 d'un
jet de Résistance Mentale. Si le personnage souffre d'un état de santé mentale
dégradé (Syndrome ou Folie), la séquelle peut venir se cumuler à une Crise. Il
est possible de cumuler plusieurs séquelles à la suite de plusieurs tirages de 1
naturels. Chaque séquelle est déterminée en lançant 1D10 sur la table suivante :
Cauchemar :
à partir de la nuit suivant la scène traumatique, le PJ fera un
horrible cauchemar. Ses nuits seront entrecoupées de scènes Cri :
horrifiques durant lesquelles il revivra les événements trau- surpris et horrifié, le PJ hurle. Il est désorienté pendant
matiques. La fatigue induite par ces cauchemars récurrents 1D10 minutes, tremblant, sanglotant ou simplement médusé 271
provoque un malus de -1 sur toutes ses actions. Au bout par la scène. Il est incapable d'entreprendre une action mais
d'une semaine, le PJ tire à nouveau un jet de Résistance se défendra s'il est attaqué.
Mentale (avec le même Seuil de Difficulté que la scène
ayant provoqué les cauchemars). En cas de réussite, les cau- Nausée :
chemars cessent ; en cas d'échec, ils continueront pendant la scène rend le PJ malade, il se sentira nauséeux pendant
une semaine supplémentaire au terme de laquelle un nou- 1D10 heures. Pendant toute cette période, il subira un malus
veau jet sera tiré. Chaque semaine de cauchemar augmente de -1 sur toutes ses actions.
cumulativement de -1 le malus aux actions, jusqu'à un maxi-
mum de -5. Les cauchemars peuvent perdurer indéfiniment Fuite :
tant que le jet de Résistance Mentale hebdomadaire est un le PJ lâche immédiatement ce qu'il a dans les mains et fuit
échec. Le malus n'est pas pris en compte pour le jet hebdo- dans la direction opposée à la source de sa frayeur. Il courra
madaire de Résistance Mentale. pendant 1D10 minutes sans que rien ne puisse l'arrêter si ce
n'est une contention physique ou un obstacle infranchissa-
Phobie : ble. Un Personnage ainsi épouvanté pourra prendre des
très rapidement après la scène traumatique, le PJ va se ren- risques inconsidérés pour franchir un gouffre béant ou esca-
dre compte qu'il a développé une phobie : que ce soit le lieu lader un obstacle très difficile.
ou/et le type de créature impliquée, le PJ fera tout pour se
tenir éloigné de la source de son angoisse. S'il y est Stupeur :
confronté à nouveau, il devra réaliser un nouveau jet de le PJ reste tétanisé par la scène qu'il vient de voir. Il ne bou-
Résistance Mentale dont le Seuil de Difficulté sera égal à gera pas et n'essaiera pas de se défendre pendant 1D10
celui ayant provoqué son trouble. Au bout d'un mois, le PJ minutes. Seul un coup violent, une claque ou de l'eau glacée
lance à nouveau un jet de Résistance Mentale (avec là pourront lui faire regagner ses esprits.
encore le même Seuil de Difficulté que celui de l'événement
traumatique). En cas de réussite, la phobie disparaît ; en cas Évanouissement :
d'échec, elle persistera pendant un mois supplémentaire au le PJ s'écroule au sol, inconscient, et ne reprendra pas ses
terme duquel un nouveau jet sera tenté. esprits avant 1D10 minutes à moins qu'on ne le secoue ou
l'asperge d'eau.
Se cacher :
épouvanté, le PJ fera tout ce qui est en son pouvoir pour se
cacher. Il ne bougera pas de sa cachette pendant au moins
1D10 minutes.
-Santé Mentale-
Angoisse : Obsession :
petit à petit, le PJ va devenir angoissé, sans qu'il puisse réel- à l'inverse de la phobie, le PJ va développer une fascination
lement dire d'où provient cette angoisse. Il subira un malus morbide pour ce qui a provoqué le trauma. Il cherchera à en
de -1 à toutes ses actions traduisant son état général. Au bout savoir plus, pensera uniquement à ça, etc. Au bout d'une
d'une semaine, le PJ fait à nouveau un jet de Résistance semaine, le PJ tire à nouveau un jet de Résistance Mentale.
Mentale. En cas de réussite, les angoisses cessent ; en cas En cas de réussite, l'obsession disparaît peu à peu ; en cas
d'échec, elles continueront pendant une semaine supplémen- d'échec, elle continuera pendant une semaine supplémen-
taire (avec un malus cumulatif de -1 à -5 au maximum) au taire au terme de laquelle un nouveau jet sera tiré, etc.
terme de laquelle un nouveau jet sera tiré, et ainsi de suite
de semaine en semaine. Le malus est ignoré pour ce jet heb-
domadaire.
Le système de Santé Mentale propose douze désordres mentaux qui sont l'exacerbation de traits de caractère classiques. Dix
d'entre eux sont directement associées aux Voies.
- Dès la création, le joueur, en accord avec le meneur, pourra choisir le désordre susceptible d'affecter son Personnage.
- Le désordre sera obligatoirement choisi dans une Voie dotée d'un score majeur (4 ou 5) ou mineur (1 ou 2). Seule la phobie
peut être choisie indifféremment par tous.
- La forteresse vide n'est pas un désordre qui peut être choisi ; il peut affecter chaque PJ, quel que soit son désordre initial, et
traduit un excès dans la jauge d'Endurcissement.
- L'Orientation de la personnalité du PJ et les Traits de caractère pourront aider à choisir un désordre pertinent. Chaque dés-
ordre présente des Symptômes, des Syndromes, des états de Folie et des Crises particulières.
Voici un tableau récapitulant les troubles pour chaque Voie :
273
-Santé Mentale-
Ces désordres traduisent une forte domination de la Raison
ou de l'Idéal ou encore un grave déficit de l'une des Voies
instinctuelles.
Ce désordre est typiquement associé à un score mineur en Combativité. Abattu, manquant d'énergie, le sujet est assailli par le
pessimisme, la tristesse et une sensation de fatalité qui pourront le mettre en danger. Ce désordre peut également être choisi
par un PJ ayant un score majeur en Idéal : il sera tiraillé par ses idéaux qu'il ne parvient pas à accomplir, sombrant dans une
auto-dépréciation féroce et le sentiment coupable de ne pas être à la hauteur.
Symptôme de déprime :
le sujet se sent fatigué, il manque de motivation.
Syndrome dépressif :
le sujet est triste, sans énergie, il pourra même avoir du mal à se lever. Il parle peu ou au contraire se plaint en permanence.
Une Crise se traduit par des insomnies et par des crises de larmes sans raison apparente. Aptitude spéciale : le sujet a moins
peur de la mort, il bénéficie d'un bonus de +2 à ses jets de Résistance Mentale lorsqu'il se trouve lui-même en danger.
Mélancolie :
le sujet devient désespéré et développe une très mauvaise image de lui-même. Il peut devenir prostré et sans réaction. La Crise
274 mélancolique aboutit généralement à une tentative de suicide. Aptitude spéciale : le sujet n'a peur de rien et surtout pas de
mourir. Il réussit automatiquement tout jet de Résistance Mentale en lien avec un danger le concernant. à contrario, son ins-
tinct de survie est complètement étouffé et il pourra même se laisser mourir dans certaines situations. L'Accentuation porte
sur la Voie de l'Idéal alors que l'Affaiblissement porte sur la Voie de la Combativité. Le mélancolique deviendra de plus en
plus dur vis-à-vis de lui-même, son Idéal se retournant contre lui et l'accablant de tous les maux. En parallèle, il sera marqué
par une perte d'énergie et de motivation.
-Santé Mentale-
fixe, ce qui peut l'entraver dans ses autres activités. Il pourra
devenir inquiet s'il n'a pas l'occasion de respecter les actions
Ce désordre est typiquement associé à un score mineur en appropriées (rituel religieux, vérification, etc.). L'obsession
Créativité. Le sujet aura tendance à prendre exemple sur des peut avoir une connotation phobique ; il a tout le temps peur
personnes influentes ou charismatiques jusqu'au point de d'avoir une maladie, peur de rencontrer telle ou telle créa-
complètement les copier et de devenir incapable de prendre ture partout où il va. Il aura tendance à être prudent et méti-
une initiative ou d'imaginer quelque chose de nouveau. culeux à l'excès, ce qui lui fera perdre du temps.
Symptôme de référence : Syndrome obsessionnel :
généralement peu spontané dans ses actes et pensées, le en plus de penser tout le temps à son thème de prédilection,
sujet aura un groupe de personnes lui servant de référence et le sujet aura tendance à se sentir angoissé. Il développe de
auquel il aura tendance à toujours demander conseil : l'ar- nouveaux rituels, qu'il devra exécuter sous peine de se sen-
mée, les prêtres, les universitaires, etc. Lorsque sa capacité tir envahi par l'angoisse (par exemple : vérifier son équipe-
à prendre une décision sera sollicitée, il sera perdu dans le ment en sortant d'un lieu, faire une prière après une certaine
doute, trouvant difficilement par lui-même le choix à faire. action, compter ses daols, etc.). En cas de Crise, il se sentira
Syndrome mimétique : violemment oppressé et accomplira le même rituel à plu-
très dépendant de l'avis des autres et surtout du groupe de sieurs reprises, en lien avec son sujet de prédilection.
référence, le sujet élira une personne en particulier qui Aptitude spéciale : à force de faire tourner son esprit et de
deviendra son " modèle ". Systématiquement, l'exemple réfléchir sans cesse, le sujet bénéficie d'un bonus de +2 à
choisi aura une ressemblance physique ou psychique forte tous ses jets concernant son obsession.
avec le sujet. Le sujet cherchera à copier ce que fait la per- Ritualisations :
sonne, idéalisant ses actes et paroles et éprouvant à son sujet chaque action ou pensée du sujet est contaminée par son
une grande fascination. Ce modèle peut être vivant ou mort, obsession. Une culpabilité diffuse et écrasante l'envahit s'il
voire même un personnage fictif. En situation de Crise, le ne se consacre pas totalement à son thème privilégié.
sujet ressentira une curiosité frénétique à son propos, cher- Menacé par l'angoisse, il peut connaître de graves moments
chant à en savoir toujours plus quels que soient les moyens de déprime. En cas de Crise, il sera complètement absorbé
utilisés : s'endetter lourdement pour obtenir des informa- par son obsession et usera de tous les moyens pour arriver à
tions, l'espionner pour connaître sa vie privée, etc. Une ses fins, ayant même recours à la violence si nécessaire.
Crise peut aussi provoquer une impossibilité à prendre une Aptitude spéciale : le sujet obtient un nouveau bonus de +2
décision sans l'avis de son modèle. Le sujet se retrouve para- à tous ses jets concernant son obsession.
lysé, incapable de réagir et de penser par lui-même. L'Accentuation porte sur la Voie de la Raison : le sujet aura
Aptitude spéciale : le sujet obtient un bonus de +2 à chaque tendance à s'empêtrer de plus en plus dans ses obsessions.
jet de compétence impliquant l'imitation ou le leurre : imi- L'Affaiblissement concerne la Créativité qui, à mesure 275
tation vocale, déguisement, ventriloquie, etc. qu'elle s'effrite, le prive du ressort nécessaire pour sortir de
Identification : ses pensées tourbillonnantes.
le sujet en arrive à se croire lié à son idole et imagine être
son fils ou sa fille caché, son frère jumeau oublié ou tout
autre lien " vraisemblable ". Ses croyances délirantes pour-
ront en arriver à lui faire croire qu'il est peut-être lui-même Ce désordre est typiquement associé à un score majeur en
son modèle et que celui-ci n'est qu'un sosie, ayant usurpé sa Idéal (par exemple chez les fidèles du Temple) mais peut
vie. En effet, en cas de Crise, le sujet est persuadé d’être vic- aussi l'être avec un score majeur en Empathie. Les
time d'une machination dans laquelle son modèle serait un croyances, qui peuvent être de toute nature, risquent de
sosie lui ayant volé sa place. Le sujet nie sa propre histoire prendre une place de plus en plus importante dans sa vie au
et son nom, assurant à l'appui de nombreux détails être la point de le faire sombrer dans des délires mystiques.
personne qu'il vénérait auparavant. Dans ces moments de Symptôme de mysticisme :
Crise, il fera tout pour " reprendre sa place auprès des siens ", sur un premier versant, les convictions du sujet se durcissent
en allant jusqu'à assassiner celui qu'il pense être son double. au point qu'il devient obsédé par la bonne observance des
Aptitude spéciale : le sujet obtient un nouveau bonus de +2 rites propres à ses croyances. Sur un autre versant, il appa-
à chaque jet de compétence impliquant l'imitation. raîtra continuellement à l'écoute des " signes " de son envi-
L'Accentuation porte sur l'Empathie à mesure que le sujet ronnement, plongé dans un état méditatif. Il pourra apparaî-
devient de plus en plus sensible à son " modèle ". tre comme un mystique, voire un marginal aux yeux des
L'Affaiblissement concerne la Créativité qui prive le sujet autres. Ce regard dépend grandement du contexte social et
de toute spontanéité et de capacité d'initiative. des croyances du PJ : un prêtre du Temple passant son temps
seul à prier ne sera pas vu comme " bizarre " dans une cité
où cette religion est dominante. Il en va différemment pour
quelqu'un ayant des croyances plus ésotériques…
Syndrome de fanatisme :
Ce désordre est typiquement associé à un score majeur en
le discours et les pensées du sujet seront principalement
Raison ou mineur en Créativité. Le sujet pense trop et ses
tournés vers ses croyances. Il supporte de moins en moins
réflexions peuvent s'enliser rapidement et tourner à l'obses-
les remises en question de ses convictions et réagira de
sion. Il manque de plus en plus de créativité à mesure que
manière imprévisible par rapport à ceux qui ne les partagent
son champ de pensée se focalise sur son obsession.
pas. Une Crise provoquera un moment mystique pendant
Symptôme d'idée obsédante : lequel le sujet semblera tantôt coupé du reste du monde,
le sujet aura tendance à se focaliser sur un thème ou une idée
-Santé Mentale-
absorbé dans ses pensées, tantôt exalté au point que cela devienne gênant pour ses voisins. Il pourra également avoir des mou-
vements agressifs et incontrôlés. Aptitude spéciale : le sujet obtient un bonus de +5 à son score maximal d'Exaltation ou de
Rindath.
Délire mystique :
le sujet se pense en contact direct avec des entités supérieures ou est persuadé d'être investi d'une mission spéciale qu'il devra
accomplir coûte que coûte. Ses convictions deviennent pratiquement impossibles à remettre en question. Une Crise se traduira
par des moments intenses d'exaltation ; il pourra abandonner ce qu'il est en train de faire, persuadé d'être témoin d'un " signe ".
Il pourra prendre des risques inconsidérés, devenir violent ou encore entamer un voyage dangereux dans un but mystique
improbable.
Aptitude spéciale : le sujet obtient 10 points supplémentaires à son score d'Exaltation ou de Rindath.
L'Accentuation porte sur la Voie de l'Idéal ou sur celle de l'Empathie. Les croyances du sujet deviennent de plus en plus enva-
hissantes jusqu'à ce qu'il devienne imperméable aux remises en question. L'Affaiblissement concerne la Raison qui traduit une
perte de rationalité et d'accrochage à la réalité.
-Santé Mentale-
univers intérieur étrange et fantasmagorique.
Symptôme d'étourderie :
Ce désordre est typiquement associé à un score majeur en le sujet est atteint de troubles de l'attention. Il aura tendance
Empathie. Plutôt désinhibé et à l'aise en société, le sujet hys- à avoir du mal à rester concentré, oubliera souvent ce qu'on
térique sera très expressif et très sensible à l'attention qu'on lui a dit plus tôt et pourra montrer des troubles du sommeil.
lui porte. La part de séduction dans ses relations quoti- Il se montrera lunatique, tantôt méditatif, tantôt très expansif.
diennes est forte. D'une nature plutôt capricieuse et d'hu- Syndrome confusionnel :
meur changeante, passant rapidement du rire aux larmes, en plus de montrer des signes de plus en plus inquiétants
l'hystérique se démarque par son immaturité et sa tendance d'inattention, de troubles de la mémoire et du sommeil (qui
à dramatiser. aggravent son état d'inattention en journée et le rendent
Symptôme d'agitation : somnolent), le sujet subira une désorientation spatio-tempo-
le sujet est très sensible, pouvant passer d'une émotion à relle doublée d'une désorganisation de la pensée pouvant se
l'autre en quelques instants. Ses caprices s'accentuent autant traduire par des propos incompréhensibles. S'il est artiste ou
que sa propension à dramatiser et à théâtraliser le moindre de nature créative, il apparaîtra excentrique et doté d'une
événement de la vie quotidienne, ce qui le rend très diffici- imagination débordante. En état de Crise, le sujet semble
lement supportable. incapable de suivre ce qui se passe autour de lui, confus et
Syndrome hystérique : absorbé dans un monde onirique. Il pourra se montrer pros-
le sujet vit dans une agitation émotionnelle pratiquement tré ou au contraire exalté, étrange, obnubilé par un monde
permanente, sensible à tout ce qui peut se dérouler autour de interne fantasmagorique. Aptitude spéciale : le sujet n'a
lui et réagissant toujours à l'excès. En cas de Crise, cette agi- besoin que de dormir six heures par nuit et bénéficie d'un
tation se transforme en crise de nerfs violente. Une Crise bonus de +2 à toute compétence artistique.
peut également déboucher sur une phase dépressive. Dans Etat crépusculaire :
les cas les plus rares et les plus intenses, la Crise se traduira le plus souvent perdu dans un syndrome confusionnel grave,
par un déchaînement épileptique aussi violent que soudain. le sujet finira par sombrer dans un état où ses troubles de la
Aptitude spéciale : le sujet aura une capacité accrue à pensée vont provoquer des mauvaises interprétations de la
séduire ses interlocuteurs. En cas de réussite sur un jet de réalité. De plus, il aura tendance à vivre la nuit. Une Crise
Relation, le résultat sera toujours meilleur que ce qu'il aurait se traduira par un " délire du rêve " : cet état se traduit par
dû être : des soldats bourrus deviendront aimables, un la production d'images visuelles parfois effrayantes qui sur-
convive aimable sera charmé, etc. gissent dans la conscience du sujet alors que celui-ci appa-
Erotomanie : raît somnolent et incapable de penser dans la réalité. La
en phase terminale, le trouble hystérique peut se construire Crise pourra entraîner des passages à l'acte somnambulique
sur un mode paranoïaque où l'hystérique sera follement et se finir par une amnésie totale de l'épisode. Aptitude spé- 277
amoureux d'une personne et persuadé d'être aimé en retour ciale : le sujet ne dort que trois heures par nuit et obtient un
en secret (le plus souvent, une personne très influente ou nouveau bonus de +2 à toute compétence artistique, puisant
charismatique). Cet amour délirant à sens unique peut l'inspiration dans ses visions.
déboucher sur des actes fous tel que le harcèlement conti- L'Accentuation porte sur la Voie de la Créativité : la confu-
nuel, la séduction outrancière, l'intrusion progressive dans la sion apportera son lot d'images incohérentes et chaotiques et
vie privée et le cercle d'amis de l'objet aimé. Lorsque le sujet l'aggravation de l'état se traduira par une intensification de
hystérique se rend compte que ses tentatives sont vaines, il la production imaginaire perturbant la concentration, le
pourra vivre de grands moments de tristesse pouvant aller sommeil, etc. D'un autre côté, cette Accentuation offrira au
jusqu'au suicide. Plus rarement, cette tristesse se retournera sujet une inspiration artistique accrue. L'Affaiblissement
en haine contre l'objet aimé et pourra aller jusqu'au meurtre concerne la Raison qui traduit l'altération de plus en plus
et à la destruction de son entourage. Aptitude spéciale : le grave des capacités de concentration, de réflexion et de
sujet aura une capacité à littéralement ensorceler ses interlo- repérage dans le temps et l'espace.
cuteurs sur un jet de Relation réussi. Charmées, les cibles
auront tendance à tout faire pour être aimable, aider, etc. En
revanche, un échec sur un jet de Relation aura des effets
Ce désordre est typiquement associé à un score mineur en
dévastateurs : les interlocuteurs trouveront le sujet insuppor-
Idéal ou à un score majeur en Combativité. Désinhibé, le
table et auront tendance à éprouver de l'agressivité à son
sujet se sent en pleine forme, capable de tout, et exprime ses
égard. Notez qu'un interlocuteur précédemment charmé
idées de grandeur sans aucune retenue. Il pourra devenir
peut voir son humeur se renverser et inversement.
impulsif et irritable tout en se dispersant dans ses projets.
L'Accentuation porte sur la Voie de l'Empathie alors que
Symptôme du trouble de l'humeur :
l'Affaiblissement porte sur la Voie de l'Idéal traduisant la
le sujet se montre avenant et désinhibé, il est excité, parle
baisse de l'inhibition progressive amenant à des comporte-
vite et fait preuve d'un enthousiasme pouvant paraître exa-
ments de plus en plus extravagants.
géré. Un rien pourra le contrarier, l'irriter, voire le mettre en
colère.
Syndrome d'exaltation :
perdant la notion des convenances sociales, l'exalté se mon-
Ce désordre est typiquement associé à un score mineur en
trera très extraverti, négligeant son langage et sa tenue dans
Raison. Il peut être lié à un haut score de Créativité. Ce trou-
des circonstances inadaptées. Un langage très familier avec
ble perturbe gravement les fonctions mentales et enraye le
un haut dignitaire mettra sans doute tout le monde mal à
travail de la pensée à mesure que le sujet s'enfonce dans un
-Santé Mentale-
l'aise… Hyperactif, le sujet aura aussi toutes sortes de projets et d'idées. Il changera souvent d'avis, se montrant impatient et
irritable. Lors d'une Crise, il pourra se mettre en danger en concrétisant l'un de ses projets de manière impulsive et irraison-
née. Une Crise peut également provoquer une violente colère si un tiers, ami ou inconnu, entrave le sujet ou le contrarie.
Aptitude spéciale : le sujet obtient un bonus de +2 à chaque jet de Prouesses.
Délire mégalomaniaque :
le sujet se pense réellement capable de tout. Il fait de grands projets qui sembleront irréalistes ou délirants à ses compagnons :
il désirera entrer au conseil du roi afin de le prévenir de la menace planant sur son royaume ou encore pour redresser l'écono-
mie qu'il juge vacillante ; il exigera de rencontrer un haut émissaire du Temple, pensant avoir découvert la piste d'une sainte
relique ; etc. Passant d'une familiarité exubérante avec un étranger à une colère injustifiée, l'humeur du sujet posera de gros
problèmes au quotidien. Il aura également tendance à réaliser des achats compulsifs, dépensant tout ses daols et pouvant même
lourdement s'endetter.
Une Crise se traduira par une mise en acte de l'un des projets délirants ou par une colère pouvant devenir violente et meur-
trière. Sur un 1 naturel lors d'un jet de Résistance Mentale, l'humeur de l'exalté s'inverse complètement. En l'espace de
quelques heures, il sombre dans une profonde mélancolie qui aura toutes les chances d'aboutir à une tentative de suicide en
cas de nouvelle Crise. Un 10 naturel sur un jet de Résistance Mentale retourne à nouveau l'humeur de l'exalté qui redevien-
dra exubérant et désinhibé. Aptitude spéciale : le sujet obtient un nouveau bonus de +2 à chaque jet de Prouesses.
L'Accentuation porte sur la Voie de la Combativité. Le sujet deviendra de plus en plus entreprenant et désinhibé à mesure que
son trouble s'aggrave. L'Affaiblissement concerne l'Idéal, en particulier l'aspect de cette Voie qui porte les valeurs morales et
la capacité à se conformer à la norme tout en exerçant sur soi une capacité de contrôle.
-Santé Mentale-
Délire phobique :
le sujet est envahi par ses angoisses. Il se montre anxieux et apeuré en permanence, craignant d'être piégé dans une situation
où sa phobie le terrasserait. En cas de Crise, le sujet vivra de véritables hallucinations au cours desquelles il sera aux prises
avec sa némésis : par exemple, face à des images irréelles montrant ses compagnons prenant une apparence monstrueuse, le
sujet fera tout pour s'échapper et survivre, n'hésitant pas à recourir à la violence. Aptitude spéciale : le sujet est un expert au
sujet de sa némésis. Il obtient un bonus supplémentaire de +2 à tout jet de compétence impliquant les connaissances la concer-
nant ou les actions pour s'en éloigner.
L'Accentuation concerne la Voie de la Raison et traduit le fait que l'objet phobique prend de plus en plus de place dans la vie
psychique du sujet jusqu'à accaparer complètement toutes ses pensées. L'Affaiblissement porte sur la Voie de la Combativité
à mesure que le sujet se sent écrasé par l'angoisse et la menace que représente l'objet phobique, sans espoir de pouvoir résister.
Ce désordre particulier est associé à la jauge influences sociales, il bénéficie d'un bonus de +3 pour résis-
d'Endurcissement. à force d'affronter l'horreur et les trau- ter à toute tentative de charme, persuasion, etc. Le sujet
matismes, l'esprit se replie et se rigidifie, pouvant aller obtient un nouveau bonus de +3 à tous ses jets de Santé
jusqu'à se couper complètement du monde extérieur. Mais Mentale.
derrière cette forteresse, se cache bien souvent un esprit Forteresse vide :
dévasté qui n'est plus qu'une coquille vide. le sujet ne montre plus aucune émotion. De plus en plus apa-
Symptôme d'émoussement : thique, il ne fait preuve ni de motivation ni d'enthousiasme,
le sujet aura des phases de démotivation pendant lesquelles sans pour autant paraître triste à son entourage. Sa créativité
il ressentira une grande fatigue, aussi bien intellectuelle que est fortement émoussée. Passif, il aura tendance à suivre les
physique. à d'autres moments, il apparaîtra sur le plan émo- autres. Une Crise se traduira par une prostration totale pen-
tionnel peu réactif par rapport à ce qui se déroule autour de dant laquelle son esprit et son corps seront complètement
lui, même lorsque cela aurait dû déclencher des émotions fermés à toute sollicitation extérieure, même s'il est attaqué.
chez un sujet équilibré. Aptitude spéciale : le sujet obtient Le sujet ne garde aucun souvenir de ces épisodes de repli.
un bonus de +3 à tous ses jets de Santé Mentale. Aptitude spéciale : fermé, l'esprit du malade ne peut être
Syndrome apathique : possédé ni touché par la manipulation, les charmes, les
décrit comme froid et distant, le sujet devient de moins en envoûtements, etc. le sujet obtient un troisième bonus de +3
moins sensible aux émotions. En cas de crise, il sera prostré, à tous ses jets de Santé Mentale.
insensible aux sollicitations extérieures et presqu'incapable L'Accentuation porte sur la Raison et traduit le manque de
de mouvement (mais pourra se défendre s'il est attaqué). Sur spontanéité du discours et de la pensée à mesure que
un autre versant, il niera complètement les traumas qu'il a l'émoussement affectif progresse. Le Personnage aura de 279
subis ou ce qu'il a vu, prétendant que cela n'a jamais existé. plus en plus tendance à rationaliser froidement ce qu'il vit.
Aptitude spéciale : le sujet est beaucoup moins sensible aux L'Affaiblissement porte sur la Voie de la Créativité.
Si de nombreux événements ou situations peuvent endommager la psyché des PJ, il existe plusieurs moyens pour guérir de ces blessures.
Le diagnostic
La Discipline Connaissance des troubles mentaux et Phénomènes mentaux, disponible à partir des Domaines Sciences ou
Occultisme, permet d'analyser l'état mental d'un Personnage en se référant aux travaux d'Ernst Zigger. Un Personnage ne peut
en aucun cas utiliser cette Discipline sur lui-même. Le diagnostic peut avoir plusieurs visées et se déroule en trois étapes.
Chaque étape réclame un jet de Connaissance des troubles mentaux. Un résultat de 10 sur le D10 de ce jet permet au prati-
cien d'obtenir un diagnostic complet (général, d'état et complémentaire) d'un seul coup.
- Diagnostic général :
un entretien d'une demi-heure permet de déterminer le désordre mental dont souffre un patient. Le jet de Résolution est com-
pliqué (14). Si le jet est réussi, le praticien détermine quel désordre affecte le Personnage.
- Diagnostic d'état :
on ne peut entreprendre cette tentative de diagnostic qu'avec un Diagnostic général préalablement réussi ou des informations
provenant d'un tiers. Un jet de Résolution difficile (17) permet de déterminer si le Personnage ausculté est dans un état d'Équi-
libre, de Symptôme, de Syndrome ou de Folie.
- Diagnostic complémentaire : Le MJ devrait faire tirer ces jets en secret, sans
si le praticien a réussi préalablement les deux premiers diag- que le joueur qui les tente ne puisse savoir s'il a
nostics ou possède des informations suffisantes sur son réussi ou pas. Un échec simple sur un jet de
patient, il peut tenter un diagnostic complémentaire. Résolution se traduit par le fait que le praticien doute sur le
Il se réalise par un jet de Résolution très difficile (20) et per- diagnostic à porter. Un échec obtenu avec un 1 naturel
met d'affiner le diagnostic de l'état du Personnage. Par ce aboutit à une erreur de diagnostic. Plus les symptômes d'un
moyen, un joueur peut apprendre précisément le niveau de la sujet sont marqués, plus il est aisé de réussir, ce qui se tra-
jauge de Santé Mentale de son PJ. Le meneur pourra alors duit par un bonus aux jets de diagnostic général et d'état :
indiquer le nombre exact de cases de Trauma cochées ou noir- Symptôme (+2), Syndrome (+4), Folie (+6).
cies et le joueur pourra mettre à jour sa Feuille de Personnage.
-Santé Mentale-
Rétablissement naturel
Dans une situation de calme, les points de Trauma temporaires se résorbent au bout d'une semaine. Se reposer dans
une auberge, être revenu au pays ou se sentir protégé par ses amis dans un lieu à l'abri de tout danger sont autant de
situations permettant un bon rétablissement. Ce type de rétablissement n'est d'aucun effet contre les points de Trauma
permanents.
-Santé Mentale-
-Lexique-
La prononciation la plus répandue de certains mots est indiquée en italique et entre parenthèses. Il y a cependant suffisam-
ment d'accents toniques locaux pour que d'autres prononciations soient possibles.
depte : personne suivant une formation de six Anro : ‘ rite de passage permettant à un osfei de devenir
années en vue d'intégrer l'un des six ordres du chevalier hilderin et de recevoir sa monture. Au cours d'une
Temple. patrouille ou mission de routine, il est abandonné par son
mentor dans une zone dangereuse et doit en revenir vivant.
Adhar : l'esprit primordial de l'air dans le Lan-an-Saol, (169)
le mythe central des demorthèn. Membre de la Triade créa-
trice d'Arbre-Vie. (25, 58, 142) Ansailéir (an-saï-lé-ir) : " gardien " dans l'ancienne
langue de Tri-Kazel. Titre porté par les chefs des clans
Aelethal : alliage de trois parts d'argent pour une part osags. Avec le temps, il en est venu à désigner les chefs de
d'or, de teinte bleutée. Il sert exclusivement à fabriquer les village et ceux qui sont nommés par un roi à la tête d'une
daols d'azur. (126) ville. (19, 62, 67)
Aergewin (a-air-gé-ouine) : époque mythique durant Aothbàs (a-o-té-basse) : la " lumière des morts ", une
laquelle les hommes affrontèrent des feondas sans nombre, faible luminescence vibrante que l'on peut parfois observer
dont certains particulièrement gigantesques. Pour les au-dessus des cairns, tumulus et tombeaux les nuits de
demorthèn, l'Aergewin résulte de la colère de l'esprit pri- pleine lune. (102)
mordial Aingeal, ainsi que de celle de Sníomh, rejeton
d'Adhar, et aurait pu se conclure par Saoghal-Dheir, la fin du Arbre-vie : arbre mythique des croyances demorthèn,
monde. (20, 26, 35, 37, 142) nommé Corahn-Rin dans l'ancienne langue. Créé par les
esprits de la Triade, il recouvre le monde d'Esteren et repré-
Agaceann (aga-cé-ane) : célébration de l'équinoxe sente l'ensemble des phénomènes de la nature. Dans ses
d'automne dans les traditions demorthèn. On s'y recueille en branches et son feuillage coulent le Rindath, la sève primor-
284 souvenir des morts et les soldats de métier se livrent sou- diale de l'existence. (25, 142)
vent à diverses compétitions d'adresse et de courage. (103)
Arenthel (a-renne-thèle) : barde renommée, fonda-
Aingeal (a-ine-gé-al) : l'esprit primordial du feu des trice des Varigaux, elle aurait accompagné et aidé les Trois
mythes demorthèn. Contrairement à ses frères des autres Frères. (26, 27, 136, 137)
éléments, il n'a pas participé à la création d'Arbre-vie et
incarne les forces de la mort et de la destruction. (35, 142) Artefact : appareil ou machine magientiste, qui fonc-
tionne grâce à l'énergie du Flux. (158, 165)
Albanite : roche dense et dure d'un blanc remarqua-
ble, qu'on ne trouve que dans les carrières d'Arden, en Ast : esprit aérien des mythes demorthèn, qui donne son
Gwidre. Le Temple y voit un signe de faveur divine et fait nom à un vent d'est sec, responsable de nombreux incendies
grand usage de ce minéral pour bâtir ses églises. (73, 75) en Gwidre. (17)
reithan (bré-i-tane) : novice dans l'ordre des Boernac : grand animal de bât, apparenté à la vache,
chevaliers hilderins. Bénéficie d'une formation de massif et particulièrement lent. (20, 43, 100)
base et doit accomplir les corvées avant d'être
confirmé au rang d'osfei. (170) Botaniste : l'une des trois écoles de pensée magien-
tiste, spécialisée dans le Flux d'origine végétale. (160)
aedemorthys (da-é-dé-mor-tisse) : terme tri- Daol : unité monétaire commune aux royaumes de Tri-
kazelien désignant les magientistes, en mettant Kazel. Il existe trois types de daols qui se présentent sous la
l'accent sur leur irrespect des forces de la nature. forme de pièces triangulaires réalisées avec des alliages spé-
(21, 80, 156) cifiques. Un daol de givre (en trekann) vaut dix daols d'azur
(en aelethal), chacun de ces daols d'azur valant quant à lui 285
Dàmàthair (da-ma-ta-ire) : " seconde mère " dans dix daols de braise (en orekal). (126, 127)
la langue antique. Personne, le plus souvent une femme,
chargée d'instruire et protéger un groupe d'enfants, libérant Demorthèn (dé-mor-taine) : "guide" dans la langue
ainsi leurs parents pour qu'ils contribuent à la survie de la ancienne. Gardien des traditions sacrées en Tri-Kazel, inter-
communauté. (14, 97, 123) cesseur entre les hommes et les forces de la nature. (26, 32,
35, 42, 52, 53, 57, 71, 72, 97, 98, 107, 117, 140)
arrach Feis (é-a-rac fé-isse) : fête de l'équi- Esprits Primordiaux : les êtres élémentaires
noxe de printemps dans les traditions demorthèn. qui seraient à l'origine d'Esteren d'après les demorthèn.
On y accueille dans l'âge adulte les jeunes âgés de Adhar, Roimh et Usgardh (qui forment la Triade), ainsi que
seize ans. Elle marque la nouvelle année et dure l'esprit Aingeal. (142)
cinq à six jours. Voir aussi " Tiraine ". (98, 102, 103)
Exaltation : l'énergie de la foi, utilisée par les Elus
Elu : religieux du Temple qui a reçu de l'Unique le don du Temple. (256)
de faire des miracles. (150)
amine Blanche : période de souffrances Filidh : poètes aveugles qui chantent leurs œuvres en
durant l'Age de Glace (360-450), ainsi surnommée solitaires ou accompagnés de musiciens. On leur prête cou-
car le froid provoqua la décimation de nombreuses ramment des talents divinatoires. Filidhi au pluriel. (81, 82, 133)
communautés isolées par la neige. (29, 82).
Flux : source d'énergie des artefacts magientistes. Le
Feond (fé-onde) : créature hostile à l'humanité Flux est principalement extrait à partir de la matière vivante
(feondas au pluriel) dont le nom signifie " ennemi " dans ou morte, puis raffiné pour prendre sa forme définitive. Il en
l'ancienne langue. De formes variées, les feondas peuvent existe quatre sortes : minéral (de couleur bleue), végétal
être animaux, végétaux, voire un mélange improbable de (vert), organique (rouge) et fossile (jaune ambré). Il est
plusieurs règnes naturels. Certains seraient même capables commercialisé sous forme de cartouches et bonbonnes : 1
de posséder des cadavres ou des gens vivants. (20, 26, 32, charge pour les cartouches standards (10 centilitres), 3
34, 35, 42, 57, 69, 74, 75, 83, 115, 151) charges pour les cartouches médiums (30 centilitres) et 30
charges pour les gallons (3 litres). (35, 43, 49, 52, 157)
-Lexique-
Flux fossile : substance ambrée toxique, de Fondations : période durant laquelle les Trois
densité variable sous sa forme brute : liquide la plupart Frères unirent les tribus de la péninsule de Creag et fon-
du temps, mais aussi épaisse et visqueuse. Souvent dèrent les trois royaumes. L'an zéro du calendrier tri-
contenue dans une coquille cristalline. Raffinée, elle kazélien marque le Serment et officialise cet évène-
devient un liquide jaune vif, à la consistance huileuse. ment. (27)
Rare mais extrêmement riche en énergie, ce Flux est très
prisé des magientistes. Les demorthèn désignent cette
substance sous le nom de Nimheil. (159, 162)
rande Théocratie : nation continen- Gwylmith (gu-hile-misse) : fleur dont les pétales
tale fondée autour de la foi du Temple. (90, 152) dorés donnent un magnifique jaune, utilisé par les peintres
et les teinturiers. (20)
Gwerz (gu-herze) : complainte a capella
interprétée en solo par un filidh. Relate des évènements légen-
daires ou historiques sur deux modes, l'un tragique, l'autre
héroïque. (81, 82)
élite : magientiste membre d'un réseau d'in- Hiérophante : haut dignitaire du clergé du Temple.
tellectuels chargés de réfléchir sur les grandes Une assemblée d'Hiérophantes, le Grand Cénacle, dirige le
orientations de l'Ordre Magientiste. La plupart clergé dans la Grande Théocratie, alors qu'un unique
sont des Magisters ou des Primus. (159) Hiérophante est responsable de l'église de Tri-Kazel. (154)
Hexcelsis : symbole à six branches de la religion du Hilderin : voir Chevaliers hilderins. (168)
Temple, symbolisant un flocon ainsi que les six
Ordonnances révélées à Soustraine. (155)
286
nceptus : élève magientiste, qui suit un cycle de Ionnthén (ionne-taine) : apprenti demorthèn. (42, 140)
formation de sept ans. (159)
ages gris : pratiquant des arts impies, Magientiste : personne formée aux secrets de la
voir Sorcier. (171) magience. Les magientistes sont organisés en écoles
(Botanistes, Minéralistes et Vitalistes) et grades distincts :
Magience : science venue du Inceptus, Scientör, Primus et Magister. (30, 31, 33, 36, 43,
Continent, qui repose sur l'utilisation de l'énergie du Flux 52, 57, 84, 158)
afin d'alimenter des appareils, les Artefacts. (29, 30, 35, 43,
156) Magister : haut responsable magientiste, supervisant
plusieurs Primus et de nombreux Scientör. (158)
-Lexique-
Mékônes : réseau de veines artificielles alimentées en Minéraliste : l'une des trois écoles de pensée magien-
Flux, implanté dans le corps de certains magientistes pour tiste, spécialisée dans le Flux d'origine minérale. (160)
accroître leurs capacités. (52, 90, 161)
Morcail (mor-quaille) : demorthèn renégat (" cor-
Merchantas (mer-kan-tasse) : maître-artisan à la rompu " dans‘ la langue ancienne) qui utilise l'oradh à des
tête d'une guilde, dont il assure la direction. (104) fins néfastes. (171, 252).
Nébulaire : artefact, lampe ou lampadaire fonction- ‘ : Complexe magientiste de grande taille. Le seul nòd
Nod
nant au Flux. (45, 81, 157, 164) de Tri-Kazel se trouve à Baldh-Ruoch. Sur le Continent, les
nòd seraient de véritables cités industrielles. (89, 163)
este mauve : une des maladies les plus Pierres maudites : restes cristallins de démons
redoutées. Son épidémie la plus remarquable antiques, dans le dogme du Temple, qu'il faut récupérer et
remonte à l'année 492, lorsqu'elle tua en deux enfermer. (172)
mois la moitié des habitants d'Osta-Baille. (30, 32)
Primus : responsable d'un établissement ou d'un site
Piérazule : minéral bleuté rencontré dans les gisements magientiste. (159)
de marbre de Tri-Kazel. La piérazule est recherchée, surtout
depuis que l'on sait qu'elle est très rare sur le Continent. (172)
Rindath (rine-dasse) : l'énergie primordiale selon les Rusemort : selon les théories des occultistes, per-
sonne qui voyage en rêve dans des territoires maudits et
demorthèn, substance des Esprits Primordiaux et sève de
méconnus. (171)
-Lexique-
Scientör : titre accordé aux Inceptus ayant terminé Six Ordres : les branches du clergé du Temple. Ce
avec succès leur formation et obtenu leur diplôme de sont les vecteurs (missionnaires), les prêtres (en charge des
magientiste. (159) églises), les chevaliers lames (soldats du Temple), les clercs
(érudits et administrateurs), les moines et enfin les sigires
Sigil Rann : le principal art demorthèn, qui permet (qui traquent les hérétiques). (152, 153, 154)
d'obtenir l'aide des C'maogh par l'intermédiaire d'ogham
spécifiques aux effets qu'ils souhaitent invoquer. (144) Sorcier : dans le dogme du Temple, un pratiquant
d'arts magiques enseignés par les démons. (171).
Sigire : membre d'un des six ordres du clergé du Temple.
Les sigires sont chargés de surveiller les fidèles et de lutter Soustraine : prophète antique né sur le Continent. Il
contre l'hérésie et le blasphème. (153) a répandu la foi de l'Unique, donnant naissance à la religion
du Temple. (27, 149)
Simahir : la région du Continent située de l'autre côté
des monts Asgeamar. Elle est décrite comme une grande Soustrainien : terme dépréciateur, assez peu
plaine marécageuse fertile et pluvieuse, peuplée de tribus répandu, désignant en Tri-Kazel ceux qui croient au mes-
diverses. On pense que de nombreux migrants du Simahir se sage du prophète Soustraine et en l'Unique. (25)
sont mélangés aux osags au cours des âges. (89, 92)
arish : peuple nomade d'origine mysté- Trekann : alliage inoxydable de composition secrète,
rieuse, surnommé " le peuple de l'ouest " car on de couleur gris-blanc. Il n'est employé que pour fabriquer
pense qu'il arriva sur la péninsule par l'Océan les daols de givre. (126)
Furieux. (41, 42, 202)
Triade : Adhar, Roimh et Usgardh, les trois esprits pri-
Temple : religion monothéiste originaire du mordiaux qui ont, d'après les croyances demorthèn, donné
Continent, fondée par le prophète Soustraine. Le Temple est naissance à l'Arbre-vie et au monde d'Esteren. (24, 142)
organisé en Six Ordres et rayonne depuis la Grande
Théocratie, sur le Continent. (25, 148) Tri-Kazel : les "trois royaumes" dans la langue
antique. Dénomination officielle de la péninsule depuis
Tiraine : fête du nouvel an dans la tradition de l'église l'époque des Trois Frères. Auparavant, les osags la nom-
288 du Temple. Elle correspond à l'équinoxe de printemps et à la maient " Creag ". (26)
fête d'Earrach Feis des demorthèn. (103)
Trois Frères : trois jeunes guerriers qui unifièrent
Toil-taigh (toile-tague) : littéralement " maisons de la péninsule et fondèrent les royaumes de Tri-Kazel aux-
plaisir ". Etablissements urbains qui permettent aux particu- quels ils donnèrent leurs noms : Gwidre, Reizh et Taol-Kaer.
liers de trouver, en échange de quelques daols, plaisante (19, 27, 60, 120, 137)
compagnie et distractions. (101)
Tsioghair (tsio-ga-ire) : assemblées des demorthèn,
Torr
‘ Ceann (tore-cé-anne) : " maître des tours ", se tenant chaque année à la fin du mois d'Og-mhios dans des
gradé de l'ordre des hilderins, encadrant les chevaliers du lieux sacrés, les liagcal. (24, 25, 35, 122, 141)
rang. (169)
Tugarch' : métal légendaire, qui serait seul capable de
Toscaire : guide citadin de la ville d'Osta-baille, terrasser les plus puissants feondas. (17, 66)
recruté pour prendre en charge les visiteurs. (60)
nique : le seul véritable dieu dans la religion du Usgardh (uzgarde) : l'esprit primordial de l'eau des
Temple. Il a donné naissance au monde d'Esteren mythes demorthèn. Membre de la Triade et co-créateur
d'après le prophète Soustraine. On l'appelle aussi d'Arbre-Vie. (24, 142)
le Créateur, ou le Dieu Unique. (26, 27, 149)
arigal : messager, guide, arpentant les che- Vecteur : missionnaire, membre d'un des six ordres du
mins de la péninsule et assurant le lien entre les clergé du Temple, chargé de répandre la foi en l'Unique. (154)
communautés les plus isolées. Au pluriel : vari-
gaux. (44, 45, 166) Vitaliste : l'une des trois écoles de pensée magien-
tiste, spécialisée dans le Flux d'origine organique. Les meil-
leurs médecins et chirurgiens magientistes ont reçu cet
enseignement. (161)
-Lexique-
-Index technique-
A J Q
Action en opposition....... 234 Désordre instinctuel….... 276 Jauge (santé mentale) ….....211 Quitter un combat…….. 238
Action hors de portée......232 Désordre mental ……..... 211 Jet de Chance…….......... 235
Âge…….......................... 208 Désordre mental (soigner).279 Jet de Mise à l'épreuve... 234
R
Raffinage (du flux brut)..... 264
Agonie…….....................239 Désordre rationnel…….. 274 Jet de Résolution…….... 231
Raison……..................... 207
Apnée…...............…....... 239 Domaine…….................. 195 L
Rapidité…….................. 215
Archerie…...........…........238 Domaine (par défaut) ..... 231 Lieu de naissance……... 206
Relation……...................198
Artefact……....................265 Dommages (combat)...... 236
M Représentation……........ 198
Artefact (réparation)….......265 Dommages (Miracle) …. 257
Magience……................ 197
Résistance mentale……..211
Artefact (utilisation)….......265 Dommages (Sigil Rann). 248
Maladies…….................. 240
Résister à un pouvoir...... 251
Art de combat……..........238 Discipline….................... 195
Maladie (contracter une) ... 241
Réussite automatique...... 232
Artisanat…….................. 196 Discrétion……............... 196
Maladie (points de) …...... 241
Réussite critique……..... 233
Attaque…............….........211 Drogues……................... 243
Marge……...................... 232
Revers……..................... 209
Attaque sournoise............238 E Métier…….................... 203
Rindath (récupérer du) ….. 251
Attitude de combat…......216 Échec automatique…..... 232 Métier (croisé) ……......... 203
Rindath (score)................. 218
Avantage……..................212 Échec critique……..........233 Métier (nouveau)……....... 203
Aveuglement……............240 Effet d'un pouvoir …...... 252
S
Milieu naturel……..........197
Santé mentale…….......... 211
B Embuscade…….............. 237 Miracle…….................... 256
Sciences…….................. 199
Bonus (Miracle, Sigil Rann).248 Empathie……................. 207 Mise à l'épreuve……...... 234
Séquelles mentales.......... 271
Bouclier……................... 238 Enchaînement de pouvoirs. 252 Mort……........................ 239
Seuil de Difficulté…….. 232
289
C Endurcissement mental... 271 Mystères demorthèn…....197
Soins et repos ……......... 240
Cartouche de Flux…....... 266 Envergure……................ 247 O Stances…….....................257
Cavalerie……..................238 Érudition……................. 197 Occultisme…….............. 198
Symptôme……............... 272
Cercle de puissance.........246 État de Santé……........... 239 Ogham (majeur) ……....... 246
Syndrome……................ 272
Cercle (sixième) ……........249 Expérience…….............. 228 Ogham (mineur) ……...... 245
Chute……........................240 Exaltation (récupérer)........ 258 Ordre d'action……......... 236
T
Exaltation (score)............. 218 Temps d'invocation…..... 248
Cible (Miracle, Sigil Rann).. 247 Orientation
(de la personnalité) ……..... 211 Tir et lancer……............. 199
Classe sociale ……......... 206 Extraction……............... 262
Combat à deux armes ......238 Extraction (échec) ……. 263 P Traits de caractère……... 210
Parade……..................... 238 Trauma (score)..................211
Combat à distance........... 237 F
Passe d'armes…….......... 236 Travers…….................... 234
Combat à plusieurs .........237 Facteurs……................... 247
Flux……......................... 262 Perception……............... 198
Combat au contact ......... 196
Persistance (Miracle) ….... 257
V
Combat monté................. 238 Flux (brut)…….................262
Vieillesse……................ 244
Flux (fossile) ……............ 266 Persistance (Sigil Rann) .... 248
Combativité….....…........207 Vigueur……................... 215
Folie……........................ 272 Peuple……..................... 202
Conscience ..................... 211 Virulence……................ 240
Pierre oghamique…….... 245
Créativité……................. 207 I Voie……......................... 207
Points de Survie.............. 217
Crise…….........................272 Idéal……........................ 207 Voie (altération de) …….... 273
Poison……..................... 242
D Instinct…….................... 211 Voyage…….................... 199
Potentiel ……................. 215
Défense……....................215 Intensité
(Miracles, Sigil Rann) …..... 248 Prière……....................... 198
Dépasser ses limites........ 233
Interprétation (folie)…..... 273 Prouesses……................ 198
Désavantage….....…....... 214
Invoquer un pouvoir…... 250