052 059 ARCH596 Lovo
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Lovo À LA RECHERCHE
DU ROYAUME DE KONGO
À la différence des arts rupestres du Sahara ou d’Afrique australe, Vue générale du massif
de Lovo avec son paysage
richement documentés, ceux d’Afrique centrale restent souvent mal karstique typique.
© Florent de La Tullaye
connus et peu étudiés. Situé sur le territoire de l’ancien royaume
de Kongo, dont l’apogée se situe aux XVIe et XVIIe siècles, le massif
de Lovo abrite l’une des plus importantes concentrations de sites
rupestres (une centaine). Leur étude récente a permis l’inventaire de Peintures géométriques
leur richesse et, pour certaines d’entre elles, une précieuse datation. rouges de M’Bubulu. Ces
peintures, réalisées avec des
Par Geoffroy Heimlich, Institut des mondes africains (IMAf, UMR 8171), et tracés digités, sont situées
à plus de 5 m au-dessus
coresponsable de la mission archéologique « Lovo » du sol.
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Lézard gravé sur le site de Fwakumbi. Le lézard
est l’animal le plus fréquemment représenté
dans l’art rupestre du massif de Lovo.
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Le massif de Lovo
Des milliers
d’images rupestres
Sur ce massif d’environ 430 km2 se dressent GABON
des centaines de promontoires calcaires au
relief spectaculaire, percés de nombreuses
grottes et abris sous roche. Avec 117 cavi- RÉPUBLIQUE
DU CONGO
tés inventoriées (dont 20 grottes ornées),
il préserve la plus importante concentra-
tion de sites de toute la région. Au cours
de missions de terrain menées de 2007 à LOANGO
MAYOMBE
RÉPUBLIQUE
2019, 73 ont pu être examinés, dont 66 qui NSUNDI
VILI DÉMOCRATIQUE
n’avaient jamais été répertoriés, soit plus de CABINDA YOMBE DU CONGO
MAYOMBE
5 700 images rupestres. Ces dernières se (ANGOLA) NSUNDI
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Le massif de Lovo
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Une symbolique complexe
Chez les anciens Kongo, la croix est aussi un
symbole de prestige et de valeur lié au pou-
voir, à la royauté. Elle orne bon nombre de
regalia et contribue à renforcer les liens avec
les forces surnaturelles, dont elle symbolise
la présence. On retrouve ce motif dans les
églises, où la noblesse kongo était enter-
rée à l’époque du royaume. Dans l’ancienne
église de Ngongo Mbata, des fouilles ont
révélé des crucifix et pierres tombales ornés
de croix, comme celles des grottes de Lovo.
Ces vestiges témoignent de la rencontre
entre les pensées religieuses chrétiennes et
kongo et suggèrent la croyance d’un pas-
sage entre la mort et la vie. Tout comme les
églises, plusieurs grottes ornées ont servi de
cimetière – ce qui pose la question de leur
possible fonction funéraire.
La croix apparaît dans d’autres contextes
liés à des rituels de chasse, ce qui est spé-
cifique à la religion traditionnelle kongo.
Six sites du massif ont ainsi révélé près de
700 images rupestres, majoritairement
des peintures rouges, représentant pour
la plupart des figures humaines adoptant
une posture caractéristique de l’art kongo :
main gauche posée sur la hanche et bras
droit brandissant une arme à feu. À plu-
sieurs reprises, on observe des scènes mon-
trant ces mêmes figures, accompagnées de
chiens et faisant face à des animaux (sou-
vent des antilopes), interprétées comme
des scènes de chasse. On y trouve aussi
des croix peintes et gravées, comparables à
celles utilisées lors du santu, rituel observé à
la fin du XIXe siècle qui consistait à se pros-
terner sur la tombe d’un chasseur défunt
pour obtenir sa bénédiction.
Ces observations montrent que l’art rupestre
joue un rôle essentiel dans la culture kongo
et constitue une partie importante des ves-
tiges de l’ancien royaume. Des signes très
simples, comme la croix, peuvent être tout
à fait signifiants, à condition de pouvoir les
dater et de les situer dans un contexte cultu-
rel précis. Véritables documents historiques,
ces traces contribuent à écrire la longue his-
toire du peuplement africain.
DE HAUT EN BAS
Croix coupées à quatre branches égales dessinées
dans la grotte ornée de Tovo.
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de Nkula SNEL, Bernard Divangambuta
estime d’ailleurs que 12 simbi sont figu-
rés à Fwakumbi et perpétue lui-même ce
rituel, comme ses ancêtres, pour obtenir
leur bénédiction avant d’accéder à ces
sites. Ces gravures résultent donc proba-
blement d’une remotivation, c’est-à-dire
d’un art ancien intégré à des pratiques
actuelles, ce qui est fréquent en Afrique.
Sites d’art rupestre ou métallurgiques,
anciens villages et leur cimetière, sen-
tiers, points signifiants peuplés par des
êtres mythiques, espaces faisant encore
aujourd’hui l’objet de cérémonies : tout un
paysage culturel, mythologique et rituel se
révèle ainsi à Lovo, au fil des investigations.
L’art du mythe
Ces images sont aussi étroitement liées
aux traditions orales recueillies dans le
massif de Lovo et racontant une double
création, celle, en premier lieu, de petits
êtres difformes qui ont gravé les rochers
avant de disparaître. Parmi eux, les
mafulamengo furent les premiers à déte-
nir le prestigieux secret de la forge et du
travail du fer. Les différents clans kongo
s’installèrent ensuite sur les terres de
ces êtres mythiques disparus. Avec les
mafulamengo et les mbwidi mbodila,
les esprits locaux simbi, sont considé-
rés comme les auteurs des gravures de
Fwakumbi et Ngembo. Chef du village
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Le massif de Lovo
L’EXPOSITION EN LIGNE
Le grand public peut découvrir ce patri-
moine largement méconnu grâce à une
exposition itinérante conçue par la mis-
sion archéologique franco- congolaise,
l’Institut des musées nationaux du Congo,
avec le concours de la Mission pour le
patrimoine mondial et le Centre national
de préhistoire du ministère de la Culture. ➟ POUR ALLER PLUS LOIN
HEIMLICH G., 2010, Un archéologue au Congo, webdocumentaire coproduit par Le Monde.
Présentant les recherches sur le mas- fr et Arte Radio, disponible en ligne : https://www.lemonde.fr/afrique/visuel/2010/07/08/
sif de Lovo, elle rayonnera dans toute la un-archeologue-au-congo_1384916_3212.html
République démocratique du Congo et
HEIMLICH G., 2017, Le massif de Lovo, sur les traces du royaume de Kongo, Oxford, Archaeopress,
est programmée en 2021 dans plusieurs disponible en ligne : http://www.archaeopress.com/ArchaeopressShop/Public/download.
musées en France. Elle est d’ores et déjà asp?id={0D455D03-47F3-4E6D-BC5F-EDA7E6731271}
accessible en ligne. G. H. HEIMLICH G., 2020, « Le massif de Lovo », Grands sites archéologiques – Collection de référence du
ministère de la Culture : https://archeologie.culture.fr/fr/a-propos/massif-lovo
www.exposition-lovo.com
COLLECTIF, 2021, Art rupestre et patrimoine mondial en Afrique subsaharienne, Paris, Hémisphères
éditions – Maisonneuve & Larose.
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