Docsi 492 0044

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PRATIQUES ET MÉTHODES DU KM

Pierre Prével, Éric Juin, Kelly Sellin, Véronique Remande, Louis-Pierre Guillaume,
Alain Quinqueneau, Éric Laurent, Béatrice Javary, Ziryeb Marouf, Sophie Delmas,
François Godlewski

A.D.B.S. | « Documentaliste-Sciences de l'Information »

2012/2 Vol. 49 | pages 44 à 61


ISSN 0012-4508
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-
information-2012-2-page-44.htm
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dossier Le knowledge management 02
[ p.44 ] Diversité et évolution des pratiques [ p.54 ] Comment apprendre vite entre « vidéos
[ p.46 ] La connaissance : un enjeu stratégique minute » et entretiens d’explicitations
[ p.48 ] Les cartographies de connaissances [ p.56 ] Développer le networking
pour une organisation 2.0 [ p.58 ] Le « mentorat 2.0 » ou l'intelligence « connective »
[ p.51 ] Les communautés de pratique (CoP) [ p.59 ] Le RSE, avatar ou support du KM ?
Exploiter l’intelligence collective [ p.60 ] Un parcours personnel vers la gestion
Les réseaux techniques au service de la transversalité des connaissances.
Les CoP pour l’échange des connaissances

Pratiques ET
méthodes DU KM
[ tendance ] Hier chargé de la gestion documentaire et de la conservation de la mémoire de
l’entreprise, le knowledge manager se préoccupe aujourd’hui de la transmission des
savoirs et de la gestion des flux interpersonnels. À travers l’animation de communautés
professionnelles, l’accompagnement du changement par la mise en œuvre de démarches
collaboratives, il est de plus en plus associé à la stratégie de l’entreprise.

Diversité et évolution des pratiques :

l
deux exemples récents
Lors d’un récent débat au sein de Cop-1, les know- développé ces deux dernières années une démarche collabora-
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ledge managers ont souligné l’évolution constante de tive associant quelques centaines ou milliers de responsables des

► passage d’une approche de gestion du stock (de


leurs pratiques et dégagé des tendances de fond : divers pays et métiers à la construction du plan stratégique.
L’objectif est double : développer l’engagement des managers et
connaissances), documentation et métadonnées à la avoir des remontées de la vision du terrain sur les divers sujets
collaboration et à la transmission, notamment via les les concernant.

► développement des actions d’accompagnement du


communautés et réseaux sociaux ; À partir d’un document élaboré au niveau du comité de
direction générale, un petit groupe chargé de l’animation de
changement. l’action (souvent sous forme de web conférences) expose les
La connaissance était jusqu’alors un actif qu’il fallait grandes lignes de son projet et des questions à traiter et invite
stocker et entretenir avec un cycle de métadonnées. les managers à participer en précisant les objectifs, formes et
Elle devient de plus en plus un ensemble de flux délais. Les travaux commencent dans des communautés fermées
interpersonnels qu’il faut animer et gérer. du réseau social de l’entreprise, animées par un des membres du
Deux exemples récents illustrent ces tendances. groupe d’animation. Les résultats sont analysés, des questions/
réponses sont lancées, puis une consolidation est effectuée pour
Le pilotage de l’élaboration d’un plan validation par le comité exécutif ou le comité de direction
stratégique en mode collaboratif générale. Un retour aux participants est effectué.
Beaucoup de grands groupes ont des marchés et Dans les deux cas auxquels j’ai participé, les résultats sont très
des métiers très divers, souvent dans l’ensemble du riches et comprennent des pistes opérationnelles d’action tant
monde. La définition du plan stratégique nécessite au niveau global qu’au niveau d’un métier ou d’un pays.
donc une vision globale et une possible déclinaison Cette démarche est complémentaire des approches EFQM1
locale (think global, act local). Plusieurs groupes ont ou Balanced Scorecard2.

44 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 2012, vol. 49, n°2


L’animation des RSE L'approche « communautés » est basée sur le mandat
Il existe divers types de réseau social, les uns sont que l’entreprise donne à des communautés désignées (proches
majoritairement centrés sur les personnes (profils du groupe de travail), avec des objectifs, des livrables, un
enrichis), d’autres sur les contenus, d’autres enfin sur reporting, etc.
la collaboration. Comme pour les réseaux sociaux • Objectifs : faire évoluer de façon coordonnée et partagée les
externes, l’orientation permet de qualifier l’objectif pratiques des métiers ; accompagner les évolutions stratégiques
majeur de l’entreprise : ou de marché ; faciliter le partage de bonnes pratiques ; capita-
- l’orientation « connais-toi toi-même ! » (profils liser sur les expériences d’un groupe ; augmenter la cohésion ;
enrichis) permet de mieux connaître ses collabora- réduire les conflits inter-fonctions ; diminuer les approches
teurs, leurs expériences et leurs compétences. Elle « essai /erreur » en évitant de tout réinventer ; améliorer
permet surtout aux collaborateurs de se connaître et la réactivité ; valoriser l’image des métiers ; rassurer les colla-
re-connaître entre eux, de savoir qui peut donner un borateurs face aux changements, etc. Exemples d’approche
renseignement, apporter de l’aide, collaborer, etc. « communautés » : Société Générale (réseau RH International),
Quand on travaille (ou qu’on a travaillé) sur le même BNPP (réseaux métiers : RH ; Communication).
sujet qu’un autre collègue du groupe, il est souvent Dans certains cas, les communautés se créent spontanément
profitable d’échanger ; autour d’un intérêt commun (professionnel, passion, humani-
- l’orientation « contenu » facilite la taire, développement durable, etc.), communautés que l’entre-
réutilisation et le partage des ressources prise cadre par quelques règles et interdictions (d’échanges sur
de toute nature (documents, vidéos, la politique, la religion, l’orientation sexuelle, etc.).
images, graphiques, etc.). C’est un fac-
teur de cohérence, d’enrichissement Pierre Prével
des productions et de productivité ;
jardindestalents@gmail.com
- l’orientation « collaboration »
permet de produire (avec des collègues
du même métier ou de métiers complémentaires) des • Objectifs : favoriser les échanges et le lien social, partager
livrables autour d’un projet ou d’un sujet d’intérêt du sens et des valeurs, lutter contre l’isolement, la routine et le
commun (par exemple, les bonnes pratiques d’un stress, valoriser l’image de marque employeur, développer le sen-
métier mondial). timent d’appartenance et la fierté d’appartenance (l’entreprise est
un acteur sociétal). Exemples : Humaneo (groupe Addéo) très
partiellement basé sur un RSE technique, Plazza (Orange-FT).
Les communautés peuvent être « ouvertes » (l’ensemble de
l’entreprise peut lire, écrire, commenter, tagguer, etc.), « semi-
ouvertes » (l’ensemble de l’entreprise peut lire tout ou partie des
publications mais l’écriture est limitée à un groupe de personnes,
le commentaire et le tag sont – ou non – autorisés et modérés ex
ante), ou « fermées» (souvent invisibles de l’extérieur)3. Exemples
: communautés ouvertes : boîte à idées Innovation continue ;
semi-ouvertes ou fermées : projets (qui publient régulièrement
sur l’avancée du projet) ; fermées : traitant de sujets confiden-
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tiels (R&D, évolution de la masse salariale, Comp&Ben4,
projets de fusion ou d’acquisition, préparation de plans ou
Les approches « individus » et « communautés » d’accords RH, groupe restreint d’élaboration du plan stratégique
sont complémentaires. en dehors des consultations de certains salariés).
L'approche « individus » est basée sur l’ouverture Une communauté en ligne est un excellent moyen d’amener
et la sérendipité (les échanges se font au hasard des des personnes à partager, alors qu’elles sont géographiquement
demandes ou suite aux préconisations du moteur). séparées (la distance importe assez peu ; il est aussi difficile de
• Objectifs : favoriser les échanges, le lien social et collaborer entre deux régions de France qu’entre deux pays - à la
le partage de bonnes pratiques ; réduire l’isolement différence linguistique et au décalage horaire près -).
d’un individu face à un problème ; diminuer les temps L’animation du réseau social est un facteur clef de succès. Le
de recherche et le stress qui y est lié ; améliorer la rôle du knowledge manager consiste souvent à accompagner les
réactivité ; valoriser l’image de marque employeur. pilotes du réseau social, à contribuer à la formation, voire à la
Le rôle du moteur de recherche et de préconisa- sélection des animateurs de communautés, et à conseiller les
tion (dans le réseau social) est très important, car il équipes pour la conduite du changement. •
permet de trouver une réponse à une requête ou de
se voir suggérer (en fonction de ses préoccupations 1 European Foundation for Quality Management (EFQM), http://www.efqm.org/en/tabid/
du moment, de ses activités et compétences déclarées) 169/default.aspx
des personnes, des documents, des ressources 2 Balanced Scorecard http://www.piloter.org/balanced-scorecard/balanced-scorecard-
performance.htm
pertinentes, selon une analyse multicritère et souvent 3 Z. Marouf. Les réseaux sociaux numériques d’entreprise. État des lieux et raisons d’agir.
sémantique. Exemples d’approche « individus » : L’Harmattan, 2011 - C. Laugier. Les réseaux professionnels féminins. L’Harmattan, juin 2012
Orange, Danone. 4 « Compensation and Benefits » : rémunérations et avantages sociaux

2012, vol. 49, n°2 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 45


dossier Le knowledge management 02 Pratiques
méthodes KM
ET
DU

e.juin@bouygues-construction.com
Après son diplôme Sup de Co Tours en 1986, Éric Juin
rejoint le groupe Bouygues, où il passe 10 ans comme
[ stratégie ] La connaissance collective représente un architecte logiciel dans différentes filiales. En 2000, après
capital immatériel primordial pour les entreprises sur une expérience dans une start-up, il crée la direction
laquelle elles peuvent s’appuyer pour affronter les e-Services pour promouvoir l'usage d'Internet et améliorer
l'efficacité opérationnelle des projets de Bouygues
nombreux enjeux de la mondialisation. À condition de
Construction. Depuis 2004, il est chargé d’animer la
développer leur capacité à l’exploiter et d’impulser une démarche de partage des connaissances.
culture du partage entre ses membres.

La connaissance : un enjeu stratégique

l
Les grandes entreprises ont considérablement évolué Savoir partager
ces dernières années. Des milliers de nouveaux
collaborateurs, le plus souvent issus de la génération Des savoirs explicites
clairement articulés dans un
Y, ont été embauchés. Ces nouveaux arrivants document écrit ou dans un
doivent connaître la culture de leur entreprise et système informatique : Et surtout des savoirs tacites
savoir appliquer ses procédures. Par ailleurs, les • procédures de management souvent relatifs au vécu personnel :
(corporate, projet) • des expériences vécues par
projets qu’elles conduisent sont de plus en plus les collaborateurs
• procédures d’exécution
complexes, et le temps s’est accéléré, obligeant à (méthodologies, sécurité, • des compétences
davantage de réactivité. qualité, innées ou acquises
Dans ce contexte, la connaissance collective, patri- environnement…) • des contacts et des
moine d’une entreprise, représente un capital imma- • données économiques réseaux nourris par
(offres, prix, contrats, chacun
tériel primordial. L’enrichir et la partager est un • et plus
ratios, …)
enjeu stratégique. En effet, il est contre-productif de • dossiers techniques généralement, tout
faire les mêmes choses plusieurs fois, en différents (synthèses, rapports, ce qui est dans la
endroits. Les expériences des uns doivent servir aux calculs, ratios, …) mémoire des gens et
• plans de construction non verbalisé ou
autres. Par ailleurs, il est évident que la pertinence formalisé …
• photos et vidéos
des réponses de ces entreprises aux nouveaux enjeux • dossiers de veille économique
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de la mondialisation ou du développement durable et technologique
repose aussi, en partie, sur leur capacité à partager • résultats de R&D
des connaissances et des expériences nouvelles.
Apprendre à partager est pourtant un vrai défi : au apprentissage. Ce contenu existe aujourd’hui sous deux formes
réflexe d'inventer une solution, il faut substituer (figure ci-dessus).
celui de trouver la solution là où elle existe. Conscient
que ce challenge, plus culturel que technologique, Comment entretenir un cercle vertueux
était au cœur de la productivité, de la compétitivité et du partage des savoirs
de l'innovation, de nombreuses entreprises se sont S’il est souhaitable, voire nécessaire, d’augmenter le patri-
dotées d’une organisation et d’une feuille de route moine de connaissances de l’entreprise (on parle souvent de
visant à créer et à développer cette culture du capitaliser l’expérience), il apparaît très vite que c’est une
partage. démarche délicate et sans fin. Il semble donc plus pertinent de
favoriser les flux de connaissances plutôt que d’accroître le stock,
La connaissance, de connecter plutôt que de collecter.
patrimoine de l’entreprise Au mythe de l’encyclopédie universelle ou Wikipédia de
Avant de s’intéresser au processus et aux outils mis l’entreprise, il faut substituer le concept d’« entreprise appre-
en œuvre dans les entreprises pour faciliter le partage nante », en permanence en mouvement, et s’appuyer d’abord
des connaissances, il est nécessaire de définir ce sur les hommes et sur l’organisation.
dont on parle, c'est-à-dire du contenu à partager. Pour amorcer ce cercle vertueux et lui permettre de s’élargir
Ces connaissances1 ou savoir-faire se sont transmis régulièrement au-delà des frontières des communautés ou des
depuis longtemps de façon orale : compagnonnage, organisations, quatre types d’actions sont donc à combiner.

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capitalisés sera réalisé.La projection d’une courte vidéo
Le cercle vertueux (3 à 4mn) décrivant le travail de la communauté et les

tacite ⇨ tacite explicite ⇨ tacite


1. Socialisation 4. Appropriation principaux acquis est souvent le meilleur moyen de se
faire comprendre par un public non initié (voir un
Convertir des savoirs Concrétiser le savoir explicite dans exemple de ce type de vidéo sur le partage des connais-
individuels en expérience l’action et la pratique. Les acteurs sances chez Bouygues Construction)2.
partagée au sein de adoptent de nouvelles pratiques et Un autre moyen, plus compliqué à mettre en œuvre,
communautés de modifient leurs habitudes. est la réalisation d’un seriousgame3 à partir des expériences
pratiques ou de réseaux
d’expertises. collectées. Il offre le grand intérêt de favoriser le travail
d’appropriation en permettant à de nouveaux membres
d’intégrer la communauté et d’acquérir des connaissances
nouvelles, favorisant ainsi la participation et l’essor de la
communauté.
L’intérêt de cette approche est son caractère fractal,
applicable tant à un groupe d’experts de dix personnes qu’à
une filière de plusieurs centaines de personnes, voire,
dans certains cas, à l’entreprise dans son ensemble.

tacite ⇨ explicite explicite ⇨ explicite


2. Capitalisation 3. Combinaison
« Savoir partager » et « savoir partagé »
Nous faisons souvent le constat qu’un processus et des
Identifier les expériences les plus Les connaissances explicites
significatives (les faits saillants), les sont recombinées, traitées et outils, même les plus adaptés possible (vive le numé-
analyser et les synthétiser en modélisées pour faciliter leur rique !), sont intéressants mais insuffisants pour progres-
précisant les éléments de contexte. compréhension et leur dissémination. ser véritablement… Il faut y ajouter sans cesse une forte
volonté politique, du temps et de la persévérance (à bas
le numérique!), des incitations multiples… bref du non
numérique !
Voici quelques exemples concrets de mise en œuvre C’est pourquoi une bonne démarche de partage des connais-
de cette démarche au sein d’une communauté de sances s’articule autour de deux orientations stratégiques indis-
pratique. sociables (figure ci-dessous)
En matière de socialisation, il est utile, voire
indispensable, de créer un évènement fondateur, par Savoir partager, savoir partagé
exemple une réunion de lancement, pour que chaque
membre soit en mesure de connaître les autres et
d’apprécier leurs compétences ou savoir-faire. Une Savoir partager savoir partagé
bonne pratique consiste ensuite à planifier toutes les
prochaines rencontres, qu’elles soient physiques ou
virtuelles (web conférence). On instaure ainsi le L’environnement humain nécessaire au Les besoins matériels pour un
rituel de la communauté succès de la démarche : patrimoine « savoir-faire » vivant et
• un annuaire performant des utile :
La capitalisation peut être mise en œuvre de façon organisations et des personnes • une infrastructure de gestion et de
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très simple. Un blog (ou journal de bord) de la • une incitation forte à créer des partage de la connaissance urbanisée et
communauté, reprenant tous les comptes rendus et communautés de pratique, mutualisée : portail, annuaire, gestion
présentations des différentes réunions, est un bon d’expertises… et des modes de électronique de documents, plates-
point de départ et demande peu d’énergie. L’objectif fonctionnement transverses formes collaboratives, bases de
• libérer la circulation de l’information, connaissance, moteur de recherche
est de garder des traces écrites, aussi succinctes soient sans fragiliser la sécurité, la hiérarchie, • conçue en associant étroitement les
elles : les sujets évoqués dans les réunions et la liste l’organisation, etc. utilisateurs aux phases de conception, de
des participants sont déjà un excellent moyen de • des procédures contraignantes mais paramétrage et d’amélioration
savoir « qui sait quoi » ou, à défaut, « qui sait qui… ». réalistes pour travailler efficacement • une offre de service adaptée : mise en
ensemble et enrichir utilement le service, formation, accompagnement du
De plus, la lecture fastidieuse d’un long rapport ne patrimoine changement, migration des données, …
remplacera jamais le plaisir d’une discussion avec
celui qui sait, d’où l’importance de pouvoir l’identifier
facilement. Le succès d’une telle démarche repose sur une bonne maîtrise
De temps à autre, ou en fonction d’un objectif du temps. Les projets de partage de connaissance sont plus proches
précis, comme par exemple une présentation des des projets de « navette spatiale » que des « jeux olympiques ».
travaux de la communauté à la direction générale, un La mise en œuvre des nouveaux outils doit donc se faire de
travail de combinaison ou de synthèse de ces éléments façon progressive, en procédant plus par incitation, sans effet big
bang. Il s’agit dans un premier temps de préparer les esprits, puis
1 Pour une définition des mots connaissance ou savoir, se référer à d’introduire de nouvelles pratiques ou de nouveaux outils et
http://fr.wikipedia.org/wiki/Connaissance ou http://fr.wikipedia.org/
wiki/Savoir enfin de se donner du temps pour l’appropriation.Un déploie-
2 http://jardindestalents. blogspot.fr. ment par touches, en créant l’envie de participer à ce mouvement,
3 http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeu_s%C3%A9rieux via des communautés motivées par exemple. •

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dossier Le knowledge management 02 Pratiques
méthodes KM
ET
DU

kelly.sellin@laposte.net
Kelly Sellin est docteur en gestion de l’École Centrale Paris.
Également titulaire d’une maîtrise en ingénierie
[ visualiser ] Un dessin vaut mieux qu’un long discours pédagogique et d’un master en psychologie cognitive de
et l’usage des cartographies pour accompagner les l’Université de Paris X, elle combine ces disciplines pour
transferts de connaissance présente, sans nul doute, un intervenir dans les champs du management des
connaissances et de la formation.
intérêt indéniable. Une expérience concrète, réalisée
dans le cadre d’une recherche-intervention, permet de faire
le point sur les apports d’un tel outil, mais aussi sur ses limites.

Les cartographies de connaissances


pour une organisation 2.0 : la démarche
de « Transfert de savoir-faire » de Total

d Depuis une quinzaine d’années, des démarches de


knowledge management sont mises en œuvre dans les
organisations pour optimiser l’utilisation et le
partage des connaissances entre les individus. D’une
logique essentiellement « outil », ces initiatives ont
progressivement évolué vers une logique ciblée sur
les interactions entre les individus et leurs connais-
sances : c’est l’organisation 2.0, dite « centrée connais-
sance » ou knowledge centric [6].
À travers la démarche de « Transfert de savoir-
faire » mise en œuvre chez Total, la recherche-inter-
vention présentée ici1 propose d’identifier les leviers
structurés pour assurer la production dans le respect de la ré-
glementation et pour répondre à la demande d’un marché. En
revanche, le décloisonnement de la connaissance apparaît comme
une nécessité afin d’en assurer le développement au même titre
que celui de l’entreprise.
La question du transfert de connaissances chez Total se pose
depuis de nombreuses années, se traduisant par une volonté de
formaliser puis de transmettre les éléments clés - ou critiques
- des cœurs de métier. Avec les départs massifs à la retraite, la
mobilité des individus et les changements d’organisation, le
besoin s’est élargi avec l’optique de développer une dynamique
globale de management des connaissances, impliquant
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de transformation des organisations centrées l’ensemble des acteurs de l’organisation. C’est dans cette
processus [7] - associant la notion de facteur humain perspective que s’inscrit la démarche de « Transfert de savoir-
[4] à celle de risque ou d’erreur humaine [10] - en faire » (TSF) déployée chez Total : à travers l’intégration d’une
organisations centrées connaissance, ces dernières méthode de cartographie impliquant différents acteurs, elle vise
étant considérées comme une opportunité de déve- à accroître la visibilité des processus, des risques et des indivi-
loppement. Cette recherche s’est ainsi intéressée au dus pour produire une connaissance créatrice de valeur.
modèle du knowledge centricity [9] qui, par une Cette démarche a pour but de faire cohabiter deux approches :
approche globale, intègre le management des connais- - une approche de court terme de gestion des hommes, de leurs
sances dans la performance et la stratégie des orga- connaissances et compétences ;
nisations et dont l’un des piliers est le transfert - une approche de plus long terme, d’« investissement », à
de connaissances. Sa force réside par conséquent travers la création d’une dynamique collective de transfert de
dans les réseaux d’acteurs assurant la diffusion et la connaissances.
fiabilité des informations en matière de décision et Pour répondre à ces besoins, la cartographie de connais-
d’action [1]. sances (figures 1 et 2) est apparue comme une méthode perti-
nente, permettant de considérer un individu dans son envi-
La nécessité d’un partage ronnement de travail (contexte, contraintes, réseaux d’acteurs).
des connaissances Elle constitue en effet au regard de la littérature :
Les contraintes spécifiques aux industries de - un outil de socialisation et de co-construction [3] ;
processus (productivité, sécurité, délais, contraintes - un outil de visualisation des ressources [5] ;
environnementales) sont une réalité à laquelle il est - un support aux processus cognitifs [11] ;
impossible de déroger : les processus doivent être - un outil d’aide à la décision « en situation » [8].

48 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 2012, vol. 49, n°2


qui constituent le poste d’un individu sous la forme d’une
Figure 1 - Carte de connaissances en étoile,
Logiciel Inspiration (profetic.org) arborescence de données contextualisées : les clients, les acti-
vités, les livrables, les savoirs clés et les ressources (outils,
contacts) (figure 3). Elle est réalisée en séance avec un logiciel
de cartographie (Mind Manager) pour une représentation des
connaissances sous forme de carte heuristique visant à favori-
ser l’explicitation [12]. Cet outil permet ainsi de placer l’indi-
vidu au cœur d’une démarche l’interrogeant sur ce qu’il sait
et fait dans un cadre précis, allant du général (par exemple,
mission : réaliser des audits) au particulier (qu’est-ce-que je fais
concrètement ? : évaluer le niveau de conformité d’un site en
fonction du référentiel X). Ce mode de construction encourage
l’interaction entre les participants (entrant, sortant, hiérarchie),
avec le support d’un accompagnateur méthodologique qui va
mener l’interview.

Figure 3 - Démarche de « Transfert de savoir-faire »


déployée chez Total

Figure 2 - Arbre de connaissances, Trivium

La démarche de « TSF » se traduit par un livrable opéra-


tionnel permettant de visualiser, via un code couleurs, les zones
critiques (figure 4). Accessible à l’ensemble des participants, ce
document intervient dans la définition du plan d’action ayant
pour finalité un transfert de connaissances soutenu par le
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management.
L’individu au centre de la démarche
La démarche déployée chez Total s’appuie sur une L’amorce d’une transformation
cartographie centrée sur l’individu et fait intervenir Au premier semestre 2010, plus de 150 projets de « TSF » ont
différents interlocuteurs : le collaborateur « sortant » été réalisés dans les différentes branches et métiers du groupe,
(celui qui quitte son poste), le collaborateur notamment dans les métiers de la production, de la recherche
« entrant » (celui qui prend le poste), le manage- & développement, de la qualité, ou encore des ressources
ment, les RH (Formation, Compétences). L’ensemble humaines.
de la démarche (entretien et validation) se déroule Ces réalisations ont confirmé l’intérêt de ce support qui
sur une journée et demie sous la forme d’un entretien propose un espace d’échange et de collaboration en réunissant
semi-directif, puis d’un entretien de validation avec divers acteurs. En outre, l’expérience de Total a permis de
la hiérarchie. cibler un acteur clé de la démarche : les RH/Formation et
Par une approche fonctionnelle, la cartographie Compétences, directement impliqués dans le développement
proposée structure en cinq points les éléments clés du capital humain et en lien avec le management et les métiers.
Enfin, sous l’impulsion des premiers projets, des équipes
1 K. Sellin. Des organisations centrées processus aux organisations dédiées se sont constituées, de nouveaux réseaux ont émergé et
centrées connaissances : les cartographies de connaissances comme de nouvelles « routines » ont intégré les modes de travail.
levier de transformation des organisations. Le cas de la démarche de Cette expérience a été l’occasion d’une analyse des interac-
« Transfert de savoir-faire » chez Total. Thèse de doctorat, 2011 ;
réalisée au Laboratoire Génie Industriel de l’École centrale Paris dans le tions entre ces acteurs dits « hétérogènes » [2] via l’introduc-
cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche tion de l’outil de cartographie comme système d’information.
(CIFRE) avec Total. Cette analyse s’appuie sur la théorie de l’acteur-réseau [ibid] ///////

2012, vol. 49, n°2 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 49


dossier Le knowledge management 02 Pratiques
méthodes KM
ET
DU

/////// pour identifier les leviers de transformation en Cette recherche met en avant les forces des cartographies
faveur d’une organisation centrée connaissance. Les comme outils d’accompagnement au transfert de connaissances
jeux d’acteurs, entre collaboration et opposition, par leur capacité :
contribuent à l’émulation : en introduisant un - à identifier et à valoriser un patrimoine de connaissances à
changement vers de nouvelles pratiques, c’est toute travers une approche centrée sur l’individu ;
une institution et les traditions qui y sont rattachées - à créer une dynamique collective de partage par l’ouverture
qui se retrouvent impactées dans un contexte sur un réseau d’acteurs (et de connaissances).
d’incertitude, où chacun doit trouver une voie Elles constituent un outil de management intervenant
d’adaptation. Des controverses émergent, des straté- notamment dans l’aide à la décision et la gestion des risques
gies se mettent en place, une dynamique est créée. (associés à un management des connaissances), et sont une
Celle-ci, maintenue par une problématique opportunité de dialogue entre les différents acteurs de
commune, devient génératrice de connaissance et l’organisation.
renforce le rôle des réseaux d’acteurs. Elle perturbe La cartographie apparaît alors comme un outil de socialisa-
ainsi le modèle organisationnel existant pour tion révélant les réseaux d’acteurs et les stratégies individuelles
peut-être, à terme, amorcer une transformation. en contexte changeant. Elle amène à une redéfinition des rôles
et des perceptions des acteurs susceptible de conduire à une
Le management des connaissances transformation des organisations. La combinaison de ces
dans l’organisation 2.0 résultats permet à cette recherche de contribuer aux travaux
Le management des connaissances ne se réduit menés sur le knowledge centricity, via l’introduction des
plus à un outil ou à des actes isolés : il est une cartographies de connaissances comme levier de transforma-
opportunité de faire émerger des dynamiques tion par la voie du transfert de connaissances. Mais cette
d’acteurs au profit du développement de l’entreprise recherche a également montré les limites de l’introduction de
et de positionner la connaissance comme un facteur ces cartographies dans des organisations centrées processus :
de progrès. une structure matricielle forte associée à des stratégies
d’acteurs en environne-
Figure 4 - Extrait d’une cartographie réalisée dans le cadre d’un « TSF » ment changeant sont
autant de freins au
développement d’une
démarche collective et
globale pouvant aboutir
à une organisation cen-
trée connaissance. •
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Bibliographie © A.D.B.S. | Téléchargé le 04/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 154.121.27.181)


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Knowledge Matters. Springer, 2003, chap. 62, p. 623 à 638. résolution. Paris : Technip, 2006
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(coll. Sciences de l’administration) XVII, p. 250 à 262
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sais-je ?) [11] C. Tricot. Cartographie sémantique, des connaissances à la carte. Thèse de
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Sciences. IEEE Computer Society Press, 2001

50 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 2012, vol. 49, n°2


À l’origine ingénieur agronome et chercheur en biotechnologie
végétale, Véronique Remande s’est par la suite spécialisée en Louis-Pierre Guillaume
veille et intelligence économique. Elle a louis-pierre.guillaume@schneider-electric.com
travaillé pour Sésame, réalisant des produits
de veille diffusables. D’abord knowledge
manager au sein d’une des filiales d’Egis,
Ingénieur thermique et énergétique, Alain Quinqueneau, chef de la
elle est aujourd’hui responsable du travail
en réseau pour l’ensemble du groupe Egis.
mission KM, veille et animation de l’expertise au au sein du Centre de
veronique.remande@egis.fr recherche et Innovation Gaz et énergie nouvelle (CRIGEN) de GDF
SUEZ, a mis en place et administré pendant près de dix ans une
plateforme de management de la connaissance sur les usages de
[ éclairages ] Les communautés de l’énergie dans l’industrie. Il est membre de la COP KM de GDF SUEZ.
pratique existent depuis plusieurs alain.quinqueneau@gdfsuez.com
années et jouent un rôle majeur dans
le partage, la création et le transfert de connaissances. Les trois témoignages qui
suivent montrent bien les facteurs clefs de succès : intérêt professionnel pour les
participants, mandat donné par le sponsor à la communauté, et qualité de l’animation.

Les communautés de pratique (CoP)

Exploiter l’intelligence collective

l
Les communautés de pratique apportent des
bénéfices quantifiables à l’entreprise et à ses salariés.
Ce sont des vecteurs de son intelligence collective et
de son changement vers une organisation totalement
collaborative.
habituels, accroissent leur réputation professionnelle, brisent
les silos organisationnels qui freinent le partage et développent
le sentiment d’appartenir à un environnement de travail
engageant.
Les communautés suivent un cycle de vie, depuis la
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En janvier 2011, Schneider Electric a décidé de définition des besoins jusqu’à leur clôture, en passant par des
lancer, dans le cadre de son programme d’entreprise phases de design, lancement et maturité. Une communauté n’est
tri-annuel, un programme d’animation de commu- ni une équipe projet ni une structure organisationnelle ; elle est
nautés pour partager l’intelligence collective de façon bien plus qu’un espace de travail dans un outil collaboratif.
collaborative, « réseauter » au travers des fonctions
et des activités commerciales, accélérer la mise en Quels bénéfices ?
œuvre de ses solutions innovantes chez ses clients On les trouvera à plusieurs niveaux dans l’organisation.
mais aussi pour se détendre, collaborer et partager la Au niveau stratégique, les communautés promeuvent
connaissance entre les entités. Ce programme l’innovation via le partage d’idées et accélèrent le changement
s’appuie sur une gouvernance, un processus, un cycle vers une culture de collaboration d’entreprise.
de vie des communautés et surtout sur ses animateurs. Au niveau organisationnel, elles facilitent le transfert de
connaissances et de compétences entre les membres de la
Les communautés en entreprise communauté.
Les communautés sont des groupes de personnes Au niveau opérationnel, elles accélèrent la résolution des
qui partagent un intérêt commun, un métier ou une problèmes, facilitent l’adoption de bonnes pratiques, renforcent
profession. Ses membres apprennent les uns des autres les relations transversales et maintiennent à jour la connaissance.
en partageant leurs expériences et leurs meilleures Elles apportent aussi des bénéfices importants pour leurs
pratiques, ce qui leur permet de s’enrichir à la fois membres : ils obtiennent rapidement des réponses à leurs ques-
sur le plan personnel et professionnel. Grace à ces tions et des solutions à leurs problèmes, améliorent leurs idées
communautés, les employés améliorent leurs en les partageant avec d’autres, pratiquent une culture collabo-
capacités de réseautage au-delà de leurs contacts rative qu’ils essaiment ensuite dans leur travail quotidien. ///////

2012, vol. 49, n°2 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 51


dossier Le knowledge management 02 Pratiques
méthodes KM
ET

e
DU

/////// Être en conformité Une communauté doit être, dans la


avec la stratégie de l’entreprise
Chaque communauté doit régulièrement
mesure du possible, ouverte pour assurer sa
croissance et sa durabilité et pour éviter de
Les réseaux
s’assurer que ses objectifs sont alignés avec devenir un silo de connaissance. De leur côté, Egis est un groupe marqué
les besoins de l’entreprise et donc les chaque membre doit maintenir son profil par la grande diversité de ses
réévaluer périodiquement. Cet ajustement, dans l’annuaire de l’entreprise, pour métiers et le haut niveau de
auxquels participent le sponsor et la charte permettre des mises en relation fondées sur technicité et d’expertise de
de la communauté, est indispensable lors l’expertise et les intérêts et pour rendre les ses collaborateurs. Groupe
de la création d’une nouvelle communauté, connexions plus personnelles. de conseil et d’ingénierie
mais aussi lors de revues périodiques des dans les domaines de la
communautés existantes. Les entreprises Lancer la communauté construction pour les trans-
les plus avancées mettent en place un Le processus de création d’une commu- ports, la ville, le bâtiment,
modèle de gouvernance composé, d’une nauté dure de deux à trois mois. L’équipe l’industrie, l’eau, l’environ-
part, d’un comité de pilotage au niveau centrale KM vérifie qu’elle est prête au lan- nement et l’énergie, Egis
du comité exécutif et, d’autre part, d’une cement en évaluant la qualité de la charte, intervient également dans
équipe centrale KM chargée de l’animation en s’assurant que du contenu attractif pour les métiers du montage de
des communautés ou de leur lancement, les membres, déjà identifiés, a été préparé, projets et de l’exploitation
de la formation et du coaching des anima- que l’animateur et son équipe ont l’énergie routière et aéroportuaire.
teurs, du support fonctionnel des outils requise et que le plan de communication est Dès les années 2000, Egis
informatiques utilisés et de la mesure de prêt. a mis en place des dispositifs
la valeur fournie par les communautés à La communauté tirera parti des outils de capitalisation et de par-
l’organisation. Ce modèle de gouvernance informatiques mis à disposition par l’entre- tage des connaissances dans
définit les rôles et responsabilités des prise, du type outils de collaboration ou l’objectif de faciliter le retour
parties prenantes – sponsor, animateur et réseau social d’entreprise. L’animateur doit d’expériences issu des pro-
membres – et décrit le cycle de vie des en maîtriser l’usage et s’assurer que les jets depuis les phases travaux
communautés. membres en comprennent l’utilisation vers les phases d’études de
Lorsque tout est prêt, la réunion de lance- conception. Des référentiels
Créer une communauté ment a lieu en présence du sponsor et peut par métier ont ensuite été
La communauté de pratique se crée en utilement être combinée avec un webinar1 constitués pour faciliter
général autour d’un thème ou d’un besoin sur un sujet intéressant la communauté, l’accès à une documentation
lié à l’activité de l’entreprise ou à une présenté par un des membres. métier validée et contribuer
certaine activité de l’entreprise. L’animateur à la qualité des prestations.
de la communauté – qui assume ce rôle Maintenir et faire évoluer la Des actions de recueil de
pendant 10-20 % de son temps de travail et communauté savoir-faire ont également été
son sponsor exécutif sont alors formés Les mécanismes qui encouragent l’enga- menées auprès d’experts
par l’équipe centrale KM aux principes gement et soutiennent la participation au avant leur départ à la retraite.
d’animation d’une communauté. L’animateur sein de la communauté sont le respect de la Le besoin de mise en place
invite ensuite des membres potentiels à charte, le leadership de l’animateur, la de communautés est apparu
l’aider à mettre en place le groupe. Ensemble, reconnaissance et la récompense de l’activité en 2006 lorsque les organi-
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ils clarifient le besoin, vérifient qu’aucune de l’animateur et des membres les plus sations avaient atteint un
communauté n’existe déjà dans le même actifs, la communication régulière de niveau de maturité en termes
domaine, développent une vision, rédigent nouvelles, les webinars ou conférences en d’échanges et de partage des
une charte, identifient le profil des membres, ligne, l’accueil et la formation des nouveaux connaissances.
obtiennent les ressources nécessaires, membres et la publication d’histoires
proposent des thèmes et des projets pour illustrant des succès à destination du Une organisation des
l’année, conçoivent un plan de conduite du sponsor et du management. réseaux par métier
changement et enfin, planifient le lancement Sans ces mécanismes, la communauté En 2007, à l’occasion de
de la communauté. risque de s’étioler et de se restreindre à une la mise en place d’une nou-
La rédaction de la charte est l’une des communauté d’intérêt où les participants velle organisation au sein du
activités la plus importante. Elle définit le échangent uniquement des informations. groupe, la Direction géné-
but de la communauté, le domaine de Une bonne pratique pour soutenir la passion rale a décidé de favoriser le
connaissance couvert, les bénéfices pour ses des animateurs de communauté consiste à travail en réseau sur des
membres et pour l’entreprise, les rôles et créer une communauté des animateurs, métiers/compétences qui res-
responsabilités de chacun, les ressources, les animée par le groupe central KM, qui per- taient répartis entre plusieurs
métriques, les facteurs critères de succès et mettra aux animateurs d’échanger des trucs filiales. Les objectifs visés
les barrières potentielles. La charte et les et astuces et de progresser dans leur rôle. • étaient alors de permettre
objectifs seront mis à jour chaque année en une meilleure connaissance
commun accord avec le sponsor et les L.-P. G. des savoirs et savoir-faire des
membres, en fonction des changements collaborateurs concernés et
internes et externes à la communauté. 1 Contraction de web et de seminar [ndlr] d’assurer une coordination

52 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 2012, vol. 49, n°2


techniques au service de la transversalité
sur des sujets d’intérêts communs (formation, R&D, soutien méthodologique et QUELQUES FACTEURS
etc.) dans un but de rationalisation et d’économie opérationnel dans l’anima-
d’investissement. Une trentaine de réseaux techniques tion et la réalisation de CLÉS DE SUCCÈS
transverses sont aujourd’hui actifs entre les profes- certaines actions. Elle assure • Définition d’un vocabulaire commun
sionnels d’un même métier et répartis au sein des enfin le suivi de l’efficacité du permettant une meilleure compréhen-
différentes sociétés du groupe. dispositif mis en place. sion du périmètre d’intervention de
chaque réseau et d’homogénéiser la
Un pilotage en lien avec la stratégie Un dispositif ouvert taxonomie d’accès aux connaissances.
Les réseaux sont pilotés par la Direction technique Chaque réseau dispose • Conduite d’actions de communica-
et de l’innovation, rattachée elle-même à la Direction d’un site collaboratif dont les tion aux différents niveaux de l’organi-
de la stratégie et du développement. Les réseaux ont fonctionnalités facilitent la sation avec des messages ciblés en
ainsi des objectifs très opérationnels, définis au regard diffusion de la doctrine Egis, fonction du public et des enjeux
de la stratégie de développement du groupe. Il leur les échanges de pratique, la associés (comité exécutif, comité de
est demandé de contribuer à la maîtrise technique en veille technique et règlemen- direction, entités, bureaux d’études,
étant les porteurs de la doctrine Egis, d’améliorer taire. Cet outil, fort apprécié équipes projet, collaborateurs).
l’efficacité des collaborateurs par la réutilisation de par ses utilisateurs, constitue • Intégration d’objectifs individuels
pratiques et l’échange d’expériences, de contribuer à également un système d’en- dans le cadre du dispositif annuel
l’interopérabilité entre les sites et les filiales et au traide par le biais d’un forum d’évaluation de la performance des
développement d’Egis à l’international. de discussion très actif. collaborateurs, en vue d’inciter et de
reconnaitre les participations au
Des actions en mode projet Une alchimie subtile système.
Chaque animateur de réseau, collaborateur ayant La dynamique créée est le • Organisation de conférences et
une forte légitimité métier, constitue avec les repré- résultat d’une démarche com- journées techniques permettant de
sentants nommés par chaque société un comité plexe menée en terme de découvrir de nouveaux métiers,
d’animation en charge du développement du métier au conduite du changement : un des projets, des outils : l’occasion de
sein du groupe. Ce comité, constitué d’une dizaine de mélange et des interactions faciliter les mises en relation et de
personnes en moyenne, établit annuellement son plan entre une vision claire, des créer la confiance ! •
d’action pour répondre aux objectifs suivants : échan- objectifs atteignables, des
ger/partager des connaissances métier, faciliter les processus et des méthodes
mises en relation entre les praticiens ; se concerter/ simples, un outil facile d’utilisation, de la communication ciblée,
coordonner sur des sujets d’intérêt commun (forma- un management convaincu, des valeurs partagées et une di-
tion, développement de compétences, R&D, etc.) ; mension humaine très forte. Le KM n’est pas que le produit d’un
produire les méthodologies et les standards sociétés ; outil spécifique, c’est aussi le fruit d’une culture d’entreprise.
mutualiser les actions de veille technique et régle-
mentaire ; explorer de nouveaux marchés qu’une Les perspectives…
société ne pourrait pas aborder seule. L’année à venir sera centrée sur la mise en place d’une
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Parmi les réalisations de ces réseaux, citons une nouvelle plateforme d’échanges commune orientée 2.0 au sein
cartographie des compétences, une plaquette du groupe, qui permettra d’accroître encore la transversalité et
commerciale, la mise au point d’un module de l’intégration des filiales internationales au dispositif. Le lance-
formation, le développement d’outils. ment de l’université Egis Campus, en novembre 2011, constitue
La Direction technique et de l’innovation assure le également un superbe levier pour développer encore davantage
travail d’architecture des réseaux (cartographie, la culture du partage et renforcer la création des conditions de

a
niveau de maturité et cycle de vie des réseaux) et succès des réseaux techniques transverses à l’échelle du groupe. •
définit leurs orientations. Elle apporte également un V. R.

Les CoP pour l’échange des connaissances


Avec des collaborateurs répartis dans près de 70 pays, vorise les interactions entre personnes, priorité est alors donnée
le groupe GDF SUEZ est confronté au problème de aux communautés de pratique (CoP) pour l’échange transver-
la dispersion et du cloisonnement des connaissances, sal des connaissances1.
expertises et savoir-faire de ses salariés. Convaincue Les CoP contribuent au développement d’un climat de
que la gestion des connaissances constitue un avan- confiance entre les membres, véritable moteur du management
tage concurrentiel, la direction entame alors en 2004 des connaissances, tout en produisant des résultats concrets. Elles
une démarche de KM, qui met l’accent sur l’approche offrent également un terrain d’apprentissage permettant à
collaborative. Pour répondre à cette stratégie qui fa- chacun de dépasser ses réflexes. ///////

2012, vol. 49, n°2 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 53


dossier Le knowledge management 02 Pratiques
méthodes KM
ET
DU

/////// Au sein de GDF SUEZ, les CoP doivent répondre personne haut placée dans la hiérarchie de l’entreprise
à des motivations « business ». Il serait illusoire de manifestant clairement un intérêt pour l’initiative est en effet
penser qu’il est facile de démarrer une CoP. Une indispensable.
préparation approfondie est nécessaire et l’amorce doit
être professionnelle. Sans un départ réussi, il y a peu Une formation dédiée pour la professionnaliser
de chance de transformer l’initiative en succès. La Animer une CoP performante n’est pas chose aisée lorsque nos
motivation des membres, le fonctionnement de la CoP, réflexes sont encore essentiellement teintés par la culture
la visibilité et sa place au sein de l’entreprise sont hiérarchique. Pour y remédier, une formation pour profes-
des facteurs clé de succès. Le rôle du coordinateur est sionnaliser « à grande échelle » le travail collaboratif a été mise
également primordial. au point. Cette formation « Réussir le management en réseau et
l’animation de communautés transversales » fait partie du
Une CoP KM pour soutenir cette démarche catalogue de l’université d’entreprise. L’approche pédagogique
Une CoP « Gestion des connaissances » (CoP développée, avec l’aide de l’université, par les membres de la
Knowledge Management) a été créée et intégrée aux CoP KM ayant une expérience avérée, y est particulière. Durant
activités de l’université d’entreprise. Elle pilote des plusieurs jours, les participants vont « vivre » les différentes
actions de professionnalisation, de sensibilisation au phases du cycle de vie d’une communauté de pratique. Ils
travail transverse, d’innovation, et tient chaque démarreront une CoP, seront confrontés aux problèmes récur-
année un atelier, réunissant environ 200 personnes, rents et partageront les moyens de les surmonter. La théorie n’est
pour démultiplier la démarche au sein du groupe. pas absente, mais elle sert uniquement à la compréhension des
La CoP KM est constituée de 250 membres dont concepts et des méthodes mis en œuvre. • A. Q.
une vingtaine jouent un rôle clé. Ils proviennent des
six branches de l’organisation et ont des profils Remerciements chaleureux à Monique Ribesse, Jean-Louis Janssens,
diversifiés. Un esprit de solidarité, une ouverture au Florence Blanco et tous les membres de la CoP KM qui ont développé la
partage et la persévérance caractérisent ces membres. démarche collaborative au sein de notre organisation depuis 2004.
Animée par un coordinateur, elle bénéficie du 1 À lire sur le partage des connaissances : Jean-Louis Janssens. « Investir dans les
soutien d’un membre du comité de direction. Une communautés de pratique ». RH Tribune, septembre 2010, n° 144

focus eric.laurent@laposte.fr
Autodidacte, Éric Laurent rejoint le siège
de l’Enseigne La Poste en 2009 après avoir
travaillé le KM en région sur la cible des
[ former ] S’appuyer sur le quotidien des opérationnels de conseillers bancaires de La Banque postale.
Il accompagne le déploiement du concept
terrain pour mettre au point des outils de transfert des connais- Espace Service Client en bureaux de poste,
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sances : une expérience convaincante au groupe La Poste. puis le lancement de l’offre de La Poste
Mobile. Il anime aujourd’hui un RSE pour le
projet fiduciaire de l’Enseigne La Poste.

Comment apprendre vite entre « vidéos


minute » et entretiens d’explicitations
ormer 1 000 collaborateurs en quatre Poste pour le lancement de l’offre La sances « visqueuses » (T. Davenport et
Fmois et leur assurer une montée en Poste Mobile le 23 mai 2011. À l’aide de L. Prusak)1, dans le cadre d’un proces-
compétence rapide dans un domaine quels concepts KM le réseau des bureaux sus de middle up down management
nouveau et très spécifique qu’est la de Poste a-t-il pu atteindre 200 % de son (I. Nonaka)2, tout en restant focalisée
téléphonie mobile, s’approprier les offres, objectif commercial l’année du lance- sur le quotidien des opérationnels du
la vente dans l’espace commercial, les ment de l’offre ? terrain. Cette recherche de « connais-
procédures de saisie des contrats, L’Enseigne La Poste s’est appuyée sance à valeur ajoutée » nous a natu-
maîtriser la portabilité du numéro, le sur la volonté d’apporter des connais- rellement amené à exploiter le levier des
SAV, etc., tel fut l’enjeu de l’Enseigne La sances à valeur ajoutée, des connais- entretiens d’explicitation, des retours
terrain, de la « vraie vie », de l’authen- « Qu’est ce que tu as répondu à ton client ces bonnes pratiques, tout en assurant la
ticité, plutôt que de nous conforter dans ? » avec l’idée de retrouver le film, les reconnaissance du « sachant » qui voit
des vérités indiscutables. Les vidéos, étapes et les tâches réalisées, en sa réputation se construire.
enregistrées sur le terrain, sont venues évitant l’écueil d’une approche réflexive
compléter cette approche pour enrichir de l’interviewé (« En fait, je pense que…, CONFIANCE ET LIENS FAIBLES,
le volet « peer to peer » en sollicitant les En général …, On devrait… »). Ce qui LE TERREAU D’UN
meilleurs « référents ». a été effectivement dit et fait constitue RÉSEAU SOCIAL
le cœur de l’entretien d’explicitation. Les équipes du Top 10 ont donc été
VISUALISER L’ouvrage de Henry Roux de Bézieux5 sollicitées dans leur bureau au travers
LES « COMMENT » décrit très justement la démarche de d’une rencontre d’une heure et demie
Passé le cap d’une formation théo- questionnement pour obtenir une à deux heures, la formalisation des
rique de cinq jours en salle, en amont mémoire concrète, faire décrire les « comment » sur la base d’entretiens
du lancement, nous nous sommes ainsi actions vécues et stimuler la mémoire d’explicitations se complétant de
fixés un premier objectif : nous appuyer des actions pré-réfléchies. « Knowledge plusieurs vidéos minute : 43 vidéos
sur ceux qui ont « fait » en profitant de cannot exist without human subjectivities minutes ont ainsi été enregistrées en
l’expérience des bureaux pilotes. Six de and the context that surround human beings cinq mois sur la cible du Top 10.
ces douze équipes de bureaux pilotes because « truth » differs according to who Une conduite du changement basée
ont donc été sollicitées pour expliquer we are and from where we view it »6. sur la reconnaissance des opérationnels,
tous les process, leur organisation, leurs génératrice de confiance et de création
adaptations locales et leurs astuces. UN LIVRABLE de liens faibles7, qui se veut aujourd’hui
Des vidéos de 1 à 3 minutes, concep- POUR DES OPÉRATIONNELS le terreau d’un véritable réseau social
tualisées sous la terminologie « Vidéos Mais comment assurer un livrable d’entreprise ! •
minute » pour conforter l’idée d’un qui soit accrocheur, lu, et dont l’objec-
accès rapide à la connaissance, ont été tif est la mise en pratique, en totalité
enregistrées avec un guichetier référent ou en partie, par le lecteur ? C’est là
qui explique, dans son contexte de que nous nous écartons des tradition-
travail, ses « comment », accompagnés nelles formalisations d’un entretien
d’anecdotes, indispensables marques d’explicitation.
d’authenticité3.
Trente-six vidéos minute ont ainsi
été réalisées avant le lancement de l’offre,
en privilégiant la rapidité de mise en EXPLOITER LE LEVIER DES ENTRETIENS,
ligne sur la plateforme collaborative DES RETOURS TERRAIN, DE LA « VRAIE VIE »,
Espace Service Client qui a servi de base
au déploiement du nouveau concept de DE L'AUTHENTICITÉ !
bureaux de poste (2 300 membres,
600 articles de blogs, 500 vidéos
minutes). Nous assurons la formalisation d’un
Un journal télévisé La Poste Mobile article sans dépasser une page A4, sur
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de 7 minutes reprenait tous les mois les la structure « Contexte », « Actions »
retours d’expériences les plus intéres- et « Leçons apprises ». En effet, si l’on
sants. Le succès de YouTube, le déve- se place du point de vue du lecteur - un 1 Thomas Davenport, Laurence Prusak. Working
loppement des smartphones, ne sont- opérationnel en bureau de poste -, il faut Knowledge: how Organizations Manage what they
Know, Harvard Business School Press, 1997
ils pas des leviers pour un accès simple rester concis et apporter du concret. Le 2 Ikujiro Nonaka et al. Managing Flow: A Process
et rapide à la connaissance ? « film » de l’entretien d’explicitation Theory of the Knowledge-Based Firm. Palgrave
sera donc coupé au montage pour McMillan, 2008
DES ENTRETIENS rester adapté à l’espace temps du 3 Gary Vaynerchuk. Crush It!: Why NOW Is the Time to
D’EXPLICITATIONS, lecteur. Cash In on Your Passion. HarperBusiness, 2009.
Édition française : Passion.web. Tirez profit de votre
CREUSETS D’INTERACTIONS Le résultat de l’action (commercial, passion et faites fortune sur internet grâce à vos
L’entretien d’explicitation, approche qualité ou lié à une bonne pratique), qui réseaux sociaux ! Crush it !. Un monde différent, 2011
développée par P. Vermersch4, se veut ermet d’assurer la légitimité de l’article, 4 Pierre Vermersch. L'entretien d'explicitation,
la description d’une action vécue, avec est identifié dans le « Contexte » et 7e édition. ESF Editeur; 2011
5 Henry Roux de Bézieux. L'Entretien d'explicitation
une chronologie précise et détaillée. rappelé en dernière ligne des « Leçons en entreprise : Savoir questionner pour manager et
Concrètement, l’interview du apprises ». On retrouve dans le former. Dunod, 1999
« sachant » doit commencer par les paragraphe « Actions » les étapes, les 6 I.Nonaka, op. cit. « La connaissance ne peut pas
questions « Où ? » et « Quand ? » de « comment » de celui qui a « fait ». exister sans subjectivité humaine et sans le contexte
manière à assurer à son interlocuteur Les interactions naissent alors de qui entoure l’individu parce que la vérité diffère selon
qui nous sommes et d'où nous la regardons »
« la verbalisation de son action ». Et puis l’exposition de ces « comment » et un 7 Yves Caseau. Processus et entreprise 2.0 - Innover
ensuite viennent les questions concrètes : effet de buzz, conforté par le middle par la collaboration et le Lean management. Dunod,
« Qu’est-ce que tu as fait ? » et précises : management, assure la pollinisation de 2011

2012, vol. 49, n°2 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 55


dossier Le knowledge management 02 Pratiques
méthodes KM
ET
DU

bjavary@atac.fr
Loin d’être digital native ou geek, Béatrice Javary a surfé
sur la vague Internet avec des réflexes de communicante.
[ s’exprimer ] La mise en place de communautés qui Diplômée de l’ISERP, elle est aujourd’hui directrice de la
donnent la parole aux collaborateurs s’apparente à la communication des supermarchés de Groupe Auchan
création d’un nouveau média à part entière, complé- (société Atac), après avoir occupé le poste de responsable
communication du réseau de franchise Fichet Bauche puis
tant, équilibrant les dispositifs de communication, les
de consultante en agence de relations publiques et presse.
amenant à évoluer et interrogeant en profondeur les Elle est aussi déléguée générale de la Fondation Simply
habitudes, particulièrement sur les problématiques de « Le goût du partage » depuis juin 2010.
ressources humaines et d’engagement des salariés.

Développer le Networking :
MySimplyMarket, un site de discussion
qui donne le goût du partage

l’ L’aventure commence en 2009, alors qu’on parlait


encore peu de réseau social d’entreprise mais que
déjà l’entreprise 2.0 faisait rêver dans les réunions
de prospective.
Chez Simply Market, on est alors plus occupé à
gérer un changement d’enseigne (Atac devient Simply
Market) qui bouleverse les habitudes des clients et
des collaborateurs qu’à innover sur Internet. Un vaste
plan de communication interne porté par le mana-
gement accompagne cette révolution. Au même
moment, la cellule innovation de Groupe Auchan
cherche une entité volontaire pour mener au sein de
surtout destinés aux équipes d’encadrement. Or, nous voulons
donner la parole aux employés : le site sera donc disponible
de n’importe quel appareil connecté à Internet. Porté par les
ressources humaines, le projet s’affranchit résolument des
systèmes informatiques en place.
S’appuyer sur les métiers : les forums sont dédiés aux rayons
présents dans les magasins : pain-viennoiserie, fruits et légumes,
boucherie, etc. Dans chaque espace, un expert peut répondre
et/ou apposer un label aux contributions du type « bravo » ou
« attention » quand la discussion contrevient aux politiques ou
procédures en vigueur. C’est parfois l’occasion de rappeler
quelques règles de sécurité alimentaire plus sûrement qu’un
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l’entreprise une expérience web 2.0. Les supermar- manuel de plusieurs centaines de pages !
chés saisissent cette opportunité pour inciter les Permettre l’expression sous pseudo : permettre aux
salariés à s’exprimer sur leur métier afin d’adapter le collaborateurs de s’exprimer sous pseudo avait plusieurs
nouveau concept aux différents environnements des avantages, confirmés dans la durée : les barrières s’effacent,
magasins. Cette décision illustre parfaitement la notamment hiérarchiques, et chacun est reconnu pour ce qu’il
volonté du nouveau directeur général de donner apporte à la communauté et non pour ce qu’il représente dans
largement la parole à tous les collaborateurs. La di- l’organisation. La dimension ludique du pseudo introduit une
mension conjoncturelle est présente : elle est indis- note d’humour (surtout quand il faut répondre à Dark Vador
pensable pour réussir le lancement d’un tel projet. ou Grosminet !). Il ne s’agit pas de prétendre que nous sommes
Le projet s’appuie aussi fortement sur une en dehors de toute règle : chacun comprend que si la parole est
dimension culturelle et sur les valeurs du Groupe libre, il convient de s’exprimer dans le respect des habitudes de
(confiance, partage, progrès). courtoisie et de convivialité en vigueur dans l’entreprise. La
En route pour le GIP virtuel ! Le site de discus- charte acceptée au démarrage ne précise d’ailleurs rien de plus
sion est donc lancé fin novembre 2009 avec des qu’une charte classique.
partis-pris forts et malgré quelques freins, surtout L’échange est forcément gratuit et ne vise pas à construire la
exprimés par ceux qui redoutent que les échanges réputation d’un salarié pour favoriser son parcours profession-
ne court-circuitent les organisations en place. nel. Pour autant, il ne s’agit pas d’anonymat. Les membres se
reconnaissent entre eux ! Chacun se construit une identité
Les principes de MySimplyMarket numérique, une personnalité aux contours propres et aux
Être accessible sur Internet : les postes infor- interactions nouvelles, avec pour seule référence au réel le site
matiques sont peu nombreux dans les magasins et de rattachement du « simplynaute » qui figure pour chaque

56 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 2012, vol. 49, n°2


contribution. Cette mention qui, tout comme sa
photo, permet souvent de l’identifier formellement, FICHE D’IDENTITÉ
fait apparaître le caractère totalement inédit de MySimplyMarket
certains échanges, entre employés peu mobiles, En ligne depuis 2009
échanges qui n’auraient jamais eu lieu dans la « vraie Plus de 2200 membres actifs – taux de participation 55 %
vie » pour de simples raisons géographiques ! Simply Market, supermarchés de Groupe Auchan
Se placer dans la continuité du réel : s’il 268 magasins
permet d’improbables rencontres - comme, par 14 500 collaborateurs •
exemple, la discussion sur un sujet stratégique, la
carte de fidélité, entre le directeur général et un
manager de Brive la Gaillarde qui n’a jamais eu
l’occasion de le côtoyer -, le site de discussion est tendus, vit cependant au rythme de l’entreprise et des événe-
aussi volontairement le prolongement d’échanges ments qui font le calendrier du commerce : Noël, foire aux vins,
réels qui ont notamment lieu dans les rayons-écoles Pâques, anniversaire, échéances de résultats et dates-clés de
de l’enseigne ; à l’issue de toutes les sessions où les l’actionnariat salarié, etc.
collaborateurs se forment aux politiques et procé- Chacun s’exprime spontanément sur ces thématiques dans
dures des différents rayons, chacun est invité à les espaces d’échange mais de nombreuses animations relan-
rejoindre en ligne la communauté pour continuer la cent aussi régulièrement l’intérêt des membres, sollicités alors
discussion. par mél pour participer à des « chat » avec des personnalités,
Responsabiliser tout en libérant la parole : les internes ou externes, à des quizz et jeux-concours, etc.
principes de départ sont restés inchangés : aucune Des services aux simplynautes. L’espace « petites annonces
modération a priori. Dès lors que le simplynaute a » a rejoint le site un an après son lancement. L’idée de départ était
cliqué sur « je contribue », sa participation est simple : puisque nous travaillons dans la même entreprise, nous
immédiatement en ligne et sans possibilité d’y pouvons sans doute nous faire davantage confiance pour vendre,
revenir pour en modifier les termes. Les sujets acheter, louer, prêter, donner, etc. Des échanges d’appartements
vraiment polémiques sont rares mais restent toujours pour les vacances, du prêt de matériel pour bébé, des meubles
accessibles sur le site, provoquant pour certains une à vendre ou de l’informatique, des voitures, motos, vélos
saine réaction de la communauté qui rend inutile d’occasion : tout est possible et l’on franchit là la frontière entre
toute intervention de l’entreprise. Et les questions intérêt professionnel et intérêt personnel, si tant est qu’elle
difficiles (salaires, temps de travail, sécurité, etc.) subsiste encore aujourd’hui. Le succès de l’espace est timide et
ne restent jamais en suspens, confirmant la volonté devra sans doute se confirmer avec le développement des usages
de transparence de l’entreprise. Une réponse appro- mixtes de ces plates-formes. Notre volonté est de conserver ces
priée est toujours apportée par les experts, de espaces personnels et axés sur l’entraide et le partage au-delà
manière ouverte pour permettre à la communauté des thématiques professionnelles.
de s’enrichir de tous les points de vue. Une animation très attentive mais discrète. Dès le lance-
ment du site, le community manager est présent et identifié sur
Trois espaces la plate-forme comme recours à toutes les questions que se
pour partager les bonnes pratiques posent les simplynautes. Il anime les conversations d’un
« Trucs et astuces » regroupe les idées pour smiley ou d’une anecdote, pour relancer un débat mais ne
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améliorer le quotidien, « À l’écoute du client » se fait propose jamais de discussion, un principe auquel nous n’avons
l’écho des remarques entendues en magasin et le pas dérogé, même lorsque les journées étaient creuses. Le
« forum » rassemble les sujets d’intérêt général, les community manager est aussi et surtout un animateur du réel,
questions diverses, et relaie les conversations d’ordre répondant au téléphone à toute question, imaginant des
plus personnel. animations, programmant des « chats », organisant les chal-
Des contenus variés. Les simplynautes sont avant lenges avant leur mise en ligne, etc. La communication et la
tout des employés et leur métier dans les magasins est formation des nouveaux arrivants font également partie de sa
à la fois visuel et par définition éphémère. Les sujets mission.
sur lesquels les collaborateurs aiment partager sont
liés aux animations commerciales. C’est donc tout Facteurs clés du succès
naturellement que les photos et les vidéos consti- Véritable photographie du climat de l’entreprise, le site de
tuent l’essentiel des contenus : ils sont facilement discussion offre une fenêtre sur sa culture à travers ce que se
postés dans les contributions et largement com- disent ses salariés. Argument de marque-employeur, vecteur
mentés. L’expression écrite n’est donc pas un frein à d’intégration, outil de partage des bonnes pratiques, moyen
la contribution, alors même que nous le redoutions d’animation et média des collaborateurs : le site de discussion
au départ. La question de l’orthographe, posée dans est tout cela en même temps mais ne vit et ne se développera que
les premières semaines, est aussitôt évacuée : tout le si le management s’y intéresse vraiment. Une sensibilisation
monde fait plus ou moins de fautes et personne ne s’en est pour cela indispensable, à renouveler sans cesse avec
offusque ! de nouveaux enjeux à imaginer : support de la démarche
Des animations régulières. La communauté, si innovation, co-construction, communautés privées et respon-
elle a sa vie propre et s’anime parfois de sujets inat- sabilisation de différents animateurs… •

2012, vol. 49, n°2 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 57


dossier Le knowledge management 02 Pratiques
méthodes KM
ET
DU

focus Diplômé de l’ESSEC et de Telecom Paritech,


Ziryeb MAROUF met en œuvre, au sein
[ concept ] Aborder le knowledge management au sens de la DRH Corporate du groupe France
« relationship management » conduit à aborder le mentorat 2.0, Telecom Orange, de nouveaux usages
« entreprise 2.0 » à l’échelle du groupe.
notion managériale au croisement d’une idée antique et du Auteur de nombreuses publications et
web 2.0. enseignant, il dirige l'Observatoire des
réseaux sociaux d'entreprise fondé par
Orange en partenariat avec BNP Paribas
Le « mentorat 2.0 » ziryeb.marouf@orange.com

ou l'intelligence « connective »
P artant faire la guerre à Troyes, Ulysse
confie à Mentor, son vieil ami en qui
il a toute confiance, l’éducation de son
et surtout leurs réseaux, ce qui consti-
tue un capital à part entière.

fils et la gestion de son patrimoine. Un RÉPONDRE AUX DÉPARTS


mentor est donc une personne expéri- DES ACTIFS Un Observatoire, conduit par des
mentée, volontaire et honnête, ne On pourrait penser que le mentorat entreprises, pour les entreprises !
profitant pas de son savoir pour mani- contribue à une politique élitiste, réser- Pour partager les meilleures pratiques,
puler autrui. Le « mentoré », lui, est en vée à quelques élus et à leurs apôtres nous avons choisi de nous associer au
quête d’une réalisation de soi, disponible mentorés. Or, la problématique majeure sein de l’Observatoire des réseaux
et ouvert. La relation mentorale repré- pour les dirigeants chargés de la straté- sociaux d’entreprises.
sente un lien privilégié entre deux gie des organisations est celle du vieillis- Des rencontres régulières, des retours
personnes, dans une dimension inter- sement des populations actives. À l’image d’expériences, un réseau de pairs,
générationnelle permettant la transmis- de la société civile, la pyramide des âges des ateliers et de nombreux pôles pour
sion des savoirs, et savoir être sur le long des grandes entreprises européennes et progresser ensemble.
terme. américaines est inversée : on y trouve
À l’instar d’Ulysse, l’entreprise confie plus de seniors que de juniors. Les Bureau : Ziryeb Marouf (président),
à ses mentors la formation et le compa- départs naturels, significatifs sur les cinq Sophie Delmas (secrétaire générale),
gnonnage de ses juniors. Elle devrait années à venir, peuvent perturber Jean Daries (trésorier) et Pierre Prével
leur confier également la gestion et la fondamentalement le développement et (SGA et responsable du pôle scienti-
transmission de son patrimoine et de son l’équilibre de ces entreprises. fique). observatoire@esnbp.fr ;
capital cognitif. www.obsdesrse.com ; www.esnbp.fr
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En appliquant la sociométrie (ana- LE RÔLE DES RÉSEAUX 2.0
lyse de la dynamique relationnelle au La transformation par la transmission
sein d’une communauté) à l’entreprise, en un temps record des savoirs mais sur- UN PROCESSUS EN CONSTRUCTION
les dirigeants ont pris conscience de la tout du patrimoine immatériel de l’orga- Plusieurs questions se posent,
nature des relations qui régissent leur nisation constitue le véritable enjeu du notamment sur la spontanéité : peut-on
organisation, c'est-à-dire de son socio- mentorat post-moderne. Dans ce mana- susciter le désir de partager ? Comment
gramme ou radiographie socio-relation- gement des connaissances relationnelles, faire pour y parvenir, en particulier dans
nelle, complétant la perception de la il s’agit d’identifier les savoirs mais aussi les sociétés où les seniors ne se sentent
nature « formelle » de cette organisation, et surtout les sachants. Nous entrons dans plus très utiles ? Comment penser le
en l’occurrence son organigramme. Les l’ère de l’intelligence « connective ». Dans rapport aux anciens ? Se posent égale-
entreprises intègrent progressivement cette optique, et non pour sacrifier à la ment des questions de réciprocité. Le
l’idée que leurs mentors constituent de mode « collaborative », de nombreuses mentorat est-il nécessairement un
véritables liaisons synaptiques qu’il est entreprises engagent des démarches 2.0 transfert de compétences entre un
absolument nécessaire de dupliquer et et mettent en place des réseaux sociaux ancien et un plus jeune ? Si le premier
de démultiplier. d’entreprise en lien avec la stratégie. Pour transmet des compétences stratégiques,
L’entreprise tente d’abord de fidéliser être fructueuse et toucher le plus grand le second ne peut-il pas transmettre des
ses mentors, si tant est qu’elle sache les nombre, la démarche doit être motivée, compétences numériques ?
identifier, puis leur confie le soin de créer outillée, ancrée dans le réel et démulti- La seule certitude est que la démarche
de nouvelles liaisons neuronales entre pliée. Générer et promouvoir les réseaux se planifie, s’organise, se manage. Les
les entités et de transmettre ainsi non de pairs facilite à coup sûr l’atteinte de community managers ont de beaux jours
seulement leurs compétences, mais aussi ces objectifs. devant eux ! •

58 IDocumentaliste - Sciences de l’information I 2012, vol. 49, n°2


focus
Ingénieur de formation, Sophie Delmas
a rejoint le groupe BNP Paribas en tant que
[ pratique ] Gérer des connaissances, c’est les créer ou les responsable logistique et communication,
identifier, les formaliser pour les rendre exploitables, et les puis responsable de projets Internet et des
premières créations de plates-formes
transmettre. On constate souvent que KM et réseau social collaboratives. Elle a depuis intégré la
d’entreprise (RSE) ont quelques caractéristiques en commun. direction des ressources humaines où
elle est chargée de la création et du
déploiement d'un réseau social pour la
Le RSE, filière RH. Elle est secrétaire générale
de l'Observatoire des réseaux sociaux
d'entreprise.
avatar ou support du KM ? delmas.sph@gmail.com

L orsque l’entreprise décide se doter


d’un réseau social d’entreprise
(RSE), il s’agit souvent de créer du
LES FACTEURS-CLÉS DE SUCCÈS
On peut évaluer l’appropriation
régulière du RSE en monitorant la
Les points-clés
de la réussite d’un RSE
lien pour partager des bonnes pratiques croissance de quelques indicateurs tels ► la libération de la parole, car :
et, plus rarement, pour favoriser que le trafic des collaborateurs : audience - on s’exprime plus facilement en externe
l’innovation. mensuelle, « taux de retour » indiquant qu’en interne,
la fidélisation des membres, etc. Mais il - on ne s’estime pas nécessairement
LES PRINCIPALES est difficile de parler de ROI1, car ce qui légitime pour aborder certains sujets,
FONCTIONNALITÉS est important dans le cadre d’un RSE - on craint le jugement de ses pairs ou de
DU RSE reste le volume d’informations générées son manager.
Dans un RSE, on trouve générale- et, surtout, la pertinence. Quant à la ré- Il est donc nécessaire de développer les
ment plusieurs fonctionnalités qui utilisation, elle reste difficile à évaluer. valeurs de confiance et de transparence,
permettent d’accélérer les processus et de faire sponsoriser le projet au plus

► le rôle-clé du community manager,


« d’identification, de création et mise COMMENT haut niveau.
à disposition de connaissances » : LES GRANDES ENTREPRISES
- le profil enrichi de chaque membre, S’APPROPRIENT-ELLES LES RSE ? qui va aider à « libérer la parole » :
auto-déclaratif : un RSE devient Le RSE se crée petit à petit et démarre - en fluidifiant la communication,
idéalement une « cartographie » des souvent par des communautés métiers - en relançant les échanges,
compétences/connaissances des ou de pratiques, avec des échanges - en challengeant les acteurs les plus
collaborateurs de l’entreprise ; virtuels via le réseau social qui complè- actifs (« ambassadeurs »),
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- les échanges, sous forme de questions- tent les réunions physiques. La généra- - en valorisant les membres de commu-
réponses (discussions, forums, espaces lisation d’un unique RSE à une grande nautés, les contenus (« storytelling »),
de co-construction ou d’entraide) ; majorité des collaborateurs de l’entre- - en formalisant les bonnes pratiques (dé-
- le partage de documents, de liens ou prise prend souvent quelques années, finition de « template », diffusion des pra-

► la valeur ajoutée du contenu :


autres contenus pour produire par quand elle réussit... tiques).
exemple un livrable commun dans le Le RSE, sponsorisé au plus haut
cadre d’un projet. niveau, doit valoriser le capital humain. -le RSE doit être un outil de travail
C’est peut-être cette dimension qui permettant de gagner en performance,
Ces expertises et informations permettra d’accélérer la construction du - les « bonnes pratiques » doivent être
peuvent être également évaluées via KM, en renforçant la dimension inter- suffisamment explicites pour en

► l’exploitabilité des informations :


les notations des pairs sur les profils nationale, inter-entités, inter-collabora- permettre la réutilisation rapide.
ou sur les contributions produites (ce teurs, permettant de « transgresser » la
système d’évaluations réciproques hiérarchie dans les structures pyrami- - l’information doit être compréhensible
ne doit pas dégénérer en autocongra- dales, et accélérant ainsi à la fois le (la langue peut-être un frein aux
tulations systématiques, car les nota- recueil d’information, la qualification et échanges), fiable, à jour, etc.
tions y perdraient de leur sens). la diffusion. • - un moteur de recherche efficace est in-
dispensable car l’expertise ou la « bonne
pratique » (personne et/ou contenu) doit
1 Return on investment (retour sur investissement) : mesure de performance et d'efficience d'un investissement
qui se calcule en actualisant l'ensemble des divers flux qu'il génère, selon la formule : pouvoir être rapidement retrouvée,
- la production de contenus doit pouvoir
ROI = (gains - coûts) de l'investissement
coûts de l'investissement être accélérée via du crowdsourcing.

2012, vol. 49, n°2 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 59


dossier Le knowledge management 02 Pratiques
méthodes KM
ET
DU

focus
François Godlewski, X64-Ponts,
ingénieur général des ponts, des eaux
et des forêts, est chargé de mission
« Technologies pour la connaissance »
[ découverte ] Parcours d’un ingénieur très curieux et plein à la Direction de la recherche et de
d’humour qui, de surprises en incertitudes, découvre d’abord l’innovation du Commissariat général au
développement durable. Il est membre du
avec bonheur une terra incognita : le monde de l’information- conseil d’administration de la Fondation
documentation comme matière à politique publique avant de UNIT (Université numérique Ingénierie et
se passionner pour les technologies de la connaissance. technologie).
godlewski.pilloy@wanadoo.fr
http://veille-e-formation-medad.blogspot.com

Un parcours personnel vers


la gestion des connaissances. institutionnels et relationnels conforte
De la réglementation comme mon intuition que le fonctionnement en
communautés et en réseaux n’est pas

liste de problèmes résolus moins naturel que le fonctionnement


pyramidal officiel.

J e me souviens encore de deux


documents rencontrés dès mon
arrivée en Moselle en 1969 pour
JE SUIS INGÉNIEUR
MAIS JE ME SOIGNE
Mes postes suivants s’éloignent des
UNE EXPÉRIENCE PRINCEPS :
UNE BASE DOCUMENTAIRE EN LIGNE
Dernier arrivé dans une petite agence,
prendre mon poste au service des sciences pour l’ingénieur pour m’en- je participe avec plaisir au club des
grands travaux : trainer vers d’autres cieux : aménage- directeurs d’agences d’urbanisme.
- un guide technique tout récent pour la ment régional, planification urbaine, Un souvenir très vivace qui date de
conception des voies rapides urbaines études sur les besoins en logements, sur 1981, bien avant minitels et PC : le
remis par mon prédécesseur ; les transports régionaux. leader du club nous initie à la recherche
- une « circulaire sur la diffusion des Je lis d’autres revues professionnelles : documentaire par modem RTC (un
circulaires ». Je me sens déjà moins à les auteurs sont autant de « sachants ». coffret sur lequel on pose le combiné
l’aise quand je découvre un plan de clas- D’où puisent-ils leurs savoirs pleins téléphonique) : il interroge la base
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sement des circulaires. Pensum étrange : d’assurance ? Je deviens friand de documentaire Urbamet, il trie les
chaque service reçoit le Journal Officiel rapports d’étude. Pour avoir des aperçus réponses. Il exige de ses chargés d’étude
que les cadres sont censés feuilleter. sur des sujets d’actualité, je fauche des d’en faire autant. Les ouvrages sont tous
Je me moule dans la manière dont exemplaires de rapports dans des sur support papier : le prêt inter-biblio-
mon service appelle des experts du cartons lorsque je passe dans les couloirs thèque fonctionne. Tout cela est mar-
Laboratoire régional des Ponts et du ministère, quai de Passy. quant. Je n’évoluerai que lentement vers
Chaussées à Nancy au sujet de glisse- En 1977 – 1979, je passe licence et cette pratique.
ments de terrains, de choix de formula- maîtrise de sociologie à Caen (je suis un Des incertitudes me taraudent : faire
tion de bétons, de contrôles sur éprou- soixante-huitard à mèche lente). Je sème des études, est-ce bien reprendre des
vettes, etc. sur le terreau fertile de ma formation schémas d’étude existants ? Sont-ils
Je vois passer une revue profession- initiale : latin, grec, bac philo, dynamique au point ? Sont-ils transférables ? Où
nelle hebdomadaire: Le Moniteur du des groupes, séminaire de sociologie est la connaissance dans ces rapports ?
BTP. Que d’informations pour suivre un post-68, stages Cuces1 en psycho- Suffit-il d’y « pomper » des idées ?
univers-métier ! Que faut-il retenir ? sociologie.
À la fin des grands ou des petits Lecture d’ouvrages-clef en sciences LA RÉGLEMENTATION :
chantiers, pas de formalisme de « retour sociales, plongées dans des analyses UNE SUITE DE PROBLÈMES
d’expérience » : ceux qui le souhaitent d’autres temps et d’autres lieux, cours de SOCIO-TECHNIQUES RÉSOLUS
écrivent un article pour la revue « sociologie de la connaissance » : cet Dans les bureaux parisiens des
Chantiers, mais ce n’est pas l’endroit entraînement progressif à la mise en ministères, je découvre le corpus
pour noter fidèlement ce qui n’a pas correspondance des discours (et des immense et toujours croissant des règles
fonctionné. connaissances) avec leurs contextes techniques (réglementations, normes

60 IDocumentaliste - Sciences de l’information I 2012, vol. 49, n°2


techniques Afnor) : il est bourré de industrielle stratégique particulièrement A la DDE des Yvelines en 1995, je
connaissances techniques soigneuse- avisée. Pour tout le milieu profession- découvre la géomatique (et donc les
ment organisées dans des ensembles nel, c’est aussi une entrée progressive métadonnées), l’ environnement, et les
cohérents par des experts métier de dans un environnement de connais- Gens du voyage… En 1998, je sponso-
tous bords. Les règles disent comment sances numériques. Pour moi, c’est rise la cellule informatique dans son
fixer tel curseur, quels niveaux de l’entrée dans le monde des projets et des projet de site intranet : ce sera le premier
qualité sont possibles, etc. Pour les solutions d’information professionnelle. en DDE2.
relations entre acteurs de la construc- Je m’attacherai à suivre les réalisations J’organise une documentation « Gens
tion, ce sont autant d’interfaces codifiées qui suivront : documentation technique du voyage » en ligne, accessible aux
et de problèmes résolus, capitalisés routière française, versions web, sites collègues des autres DDE. En externe,
dans des référentiels professionnels. métier. j’aide à la création du réseau Gens du
Je vois par quelles procédures Mon premier dossier en 1988 : un voyage par Idéal Connaissance, la
s’élabore une nouvelle réglementation rapport tout frais sur l’avenir de la base mutuelle des connaissances des collec-
thermique du bâtiment. Le service documentaire Pascal-BTP (CNRS- tivités territoriales, organisation très
commande des recherches et des études INIST), mal comprise par les profes- professionnelle de travail en réseaux,
pour acquérir les connaissances sur ce sionnels et mal utilisée. L’État veut que avec de bons outils de collaboration
qui est faisable (recherches du Centre les professionnels aient un accès de et de capitalisation : elle m’apprend
scientifique et technique du bâtiment qualité aux résultats scientifiques et tech- beaucoup sur le KM.
(CSTB), expérimentations du program- niques publics : c’est vital pour l’avenir
me incitatif de R&D « Plan Construction du pays. Je visite les professionnels de LES TECHNOLOGIES
et Architecture »). La concertation la documentation dans les centres de POUR LA CONNAISSANCE
débouche sur des règlements. Une fois recherche, je découvre leur expertise en Depuis fin 2003, je participe avec un
publiées, ces connaissances codifiées sciences et techniques de l’information : immense intérêt à la politique nationale
doivent être diffusées vers de très ingénierie de l’information, ingénierie des universités numériques. J’essaie de
nombreux professionnels : articles, linguistique, métadonnées et moteurs faire connaître ce sujet dans le ministère
publications, colloques, réunions de recherche, traitement sémantique de avec mon blog. Je crois que c’est le seul
d’information, stages, etc. l’information, etc. du ministère : c’est une expérience qui
Venant du terrain, je trouve cepen- Ce discours me convainc, je le porte- vaut le coup !
dant que toute cette connaissance reste rai. Désormais, j’explore la terra inco- Un consultant pollinisateur m‘oriente
mal diffusée ! gnita du monde de l’information- vers la communauté CoP-1. Je m’attri-
Je succède à un collègue pour ensei- documentation comme matière à poli- bue avec autorité le titre de « chargé de
gner le financement immobilier dans tique publique : j’aime cette mission mission Technologies pour la connais-
un institut du Cnam. Je sélectionne et d’agents publics relayant des connais- sance ». J’indique dans la signature
j’organise les connaissances pour faire sances vers la société civile. Je resterai de mes courriels « Shadow Chief
évoluer le cours. Plutôt que de s’inspi- un veilleur assidu sur le front très Knowledge Officer », sésame pour
rer d’un guide qui précise ce que les dynamique des articulations entre bidouiller : expériences de rich-media
apprenants doivent savoir, on commence connaissances et traitement numérique. avec Speechi3, mindmapping, outils-
à partir de ce que l’on sait. Grand chan- auteur, chaîne éditoriale, dossiers
gement lorsque j’aurai investi dans un ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR documentaires intranet aspirés sur des
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PC à domicile pour améliorer, année ET RECHERCHE PUBLIQUE clefs USB, etc.
après année, le polycopié avec Word. Ce métier d’administrateur de recher- Je m’immisce dans les lieux où ces
Je déposerai la dernière version dans che m’ouvre aussi sur les dispositifs sujets orphelins pourraient prospérer :
plusieurs centres de documentation. canoniques de l’univers de l’enseigne- schéma directeur des SI, projets straté-
ment supérieur et de la recherche. giques, espaces collaboratifs, journées
LA NUMÉRISATION PLEIN TEXTE Ses acteurs se sentent membres d’une d’étude, prospective des métiers, service
ENTRE EN SCÈNE communauté scientifique ; publier et être « modernisation ». Je suis devenu le
1986. Les règles de la construction visible est vital, les connaissances nais- promoteur d’un (hélas encore lointain)
s’accumulent, les professionnels sont sent et circulent dans des réseaux, des annuaire Pages Jaunes.
débordés. Une réponse technologique colloques, les parcours sont ponctués J’admire que, dans sa grande sagesse,
est mise en avant. d’étapes d’évaluation par les pairs, les l’État sache se payer des marginaux
Le CSTB a une activité historique choix sont éclairés par des exercices de sécants comme moi ! •
d’éditeur de la documentation profes- prospective, des comparaisons interna-
sionnelle pour toutes les règles de tionales, des outils de veille puissants
construction. Ses utilisateurs sont très analysent la littérature scientifique
variés, dans un tissu professionnel à base mondiale…
de PME. Son département informatique Le modèle est fascinant ; il naît avant
propose au programme de R&D du la formation des États modernes, il 1 CUCES : Centre Universitaire de Coopération
Economique et Sociale
ministère de le financer pour numériser résiste au passage des siècles et des 2 Direction départementale de l’Equipement
ce corpus et en faire un CD-ROM. Pour révolutions en suivant sa propre 3 Développement et intégration de solutions
l’entreprise CSTB, c’est une innovation dynamique. nomades pour l'enseignement et les entreprises

2012, vol. 49, n°2 IDocumentaliste - Sciences de l’informationI 61

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