Esprit Et Matière Cours 2020

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 5

Cours esprit et matière 2018

Notions : conscience, inconscient, interprétation, liberté, vérité scientifique ;


distinction expliquer et comprendre

Introduction

Communément, à la question de savoir de quoi est composé l’homme, on répondra par ce que l’on appelle
depuis Descartes le « dualisme » : nous sommes constitués de deux réalités différentes, mais en interaction
constante. D’un côté, nous avons en effet un esprit, de l’autre, un corps, constitué de matière. Nous attribuons à
l’un et à l’autre des caractéristiques et des pouvoirs différents. Ainsi l’esprit est ce qui en moi ressent, sent,
pense (c’est ce que l’on appelle les états mentaux et conscients, qui sont invisibles). Le corps quant à lui
s’apparente à quelque chose de visible, qui obéit à des lois physico-chimiques, et qui surtout n’a pas d’états
conscients. C’est « moi », grâce à mon esprit, qui pense et sens le monde.

Les définitions des termes centraux semblent confirmer ce dualisme populaire et spontané. En effet l’esprit vient
du latin « spiritus », qui veut dire « souffler », et a donné le verbe « inspirer ». Il est aussi souvent synonyme du
mot d’ « âme », qui lui vient du latin anima : animer, mettre en mouvement. C’est comme s’il s’agissait
d’insuffler la vie à un corps qui, sans âme ou esprit, est inerte et informe. La matière, qui constitue le corps, est
quant à elle définie comme ce qui occupe de l’espace, est mesurable, divisible à l’infini, etc. La matière est du
côté de l’objet, l’esprit, du sujet.

PB : avons-nous raison d’opposer esprit et matière, comme s’ils étaient de nature radicalement différente ?
L’esprit existe-t-il vraiment indépendamment de la matière, comme s’il était « hors-nature » ? Ou bien n’est-il
qu’une illusion, de l’ordre du désir humain de se situer au-delà de la nature ? Et si tout n’était que matière ?

Plan

I- L’homme et la science : le matérialisme scientifique

A- L’adolescence expliquée par la science

1) Comment explique-t-on l’état d’esprit des adolescents dans les sciences cognitives ?

2) C’est une explication matérialiste de l’homme/ de l’esprit

B- Pourquoi ce réductionnisme ?

1) Raisons historiques : émergence de la neuropsychologie

2) Raisons logiques ou philosophiques :les problèmes soulevés par le dualisme cartésien

a) esprit es-tu là ?

b) l’interaction, un miracle ?

II- Critique du matérialisme : l’esprit est-il vraiment réductible à la matière ?

A- Bergson et la distinction cause et condition

B- Expérience de pensée : « la chambre de Marie »

1) L’argument de la connaissance de Jackson

2) La chambre de Marie
I- L’homme et la science : le matérialisme scientifique

A- L’adolescence expliquée par la science

Nouvel Observateur, 15-21 septembre 2005 (Sur les travaux du neurologue Giedd)
Pourquoi les adolescents ne raisonnent-ils pas comme les adultes, s’ils ont les mêmes cellules grises ? Pourquoi passent-ils leur temps à se mettre
en danger, à changer de personnalité, à s’identifier à des desperados ou à écouter les Spice Girls ? Bref, comment expliquer qu’un cerveau mature
produise une conduite immature ? Longtemps, la science a recouvert cette question d’un voile pudique. Faute de pouvoir ouvrir la boïte noire du
cerveau adolescent, on se rabattait sur les explications psychologiques. On imaginait que la situation particulière du jeune, à la fois sur les plans
physiologique, mental et social, l’empêchait d’avoir l’attitude raisonnable que ses neurones auraient dû lui dicter. On sait désormais qu’il n’en est
rien : le cerveau des adolescents n’est pas plus achevé que leur corps ! Et son développement incomplet aide à comprendre bien des aspects du
comportement et de l’état d’esprit propres à cet âge charnière.
(…) au cours de l’enfance et l’adolescence, la densité de matière grise varie de manière importante, commençant par augmenter pour ensuite
diminuer progressivement. (…) Le développement du cerveau obéit à deux principes antagonistes : « le premier est la surproduction. Le cerveau
produit plus de cellules et de connexions qu’il ne peut en survivre, grâce à une abondance de nutriments, de facteurs de croissance et d’espace
disponible dans le crâne. Cette surproduction est suivie d’une élimination par la compétition féroce à laquelle se livrent les cellules et les
connexions. Seul un petit pourcentage d’entre elles vont survivre et gagner ».
(…) le lobe frontal, que l’on considère souvent comme le « centre de décision » du cerveau (…) est impliqué dans la planification, la stratégie,
l’organisation, la mobilisation de l’attention, la concentration. « En gros, c’est la partie du cerveau qui nous distingue le plus de la bête, dit
Giedd. C’est celle qui a changé le plus au cours de l’évolution humaine, qui nous permet de faire de la philosophie, de penser sur la pensée ou de
nous interroger sur notre place dans l’univers… Pendant l’adolescence, cette partie n’est pas terminée. Ce n’est pas que les ados soient stupides
ou incapables. Mais il est en quelque sorte injuste d’attendre d’eux qu’ils aient des niveaux adultes d’organisation ou de prise de décision avant
que leur cerveau soit achevé ».

Courrier International, n° 717, 29 juillet au 18 août 2004 (idem)


La dernière zone cérébrale à subir l’élagage neuronal et à trouver sa forme et ses dimensions adultes est le cortex préfrontal, siège de ce qu’on
appelle les fonctions exécutives –prévoir, se fixer des priorités, organiser ses pensées, réprimer ses pulsions, peser les conséquences de ses actes.
En d’autres termes, la dernière partie du cerveau à se développer est celle qui est capable de prendre une décision de ce type : « je finis mes
devoirs, je descends la poubelle et ensuite j’enverrai un texto à mes copains pour aller au cinéma ». (…) « à partir du moment où nous avons
commencé à savoir très précisément où et quand les modifications cérébrales se produisaient, nous avons pu élucider le mystère : le problème est
simplement que la partie du cerveau qui responsabilise les ados n’n’a pas encore fini de se développer ».

1) Comment explique-t-on l’état d’esprit des adolescents dans les sciences cognitives ?

Définition des sciences cognitives : ces sciences ont pour but d’appliquer à l’esprit les méthodes d’investigation
des sciences de la nature (il s’agit donc de naturaliser l’esprit). Synonyme : neuropsychologie

On explique l’adolescence et sa psychologie par une explication physique ou matérielle : le cerveau n’est pas
fini ; le lobe frontal, partie du cerveau qui permet d’avoir des comportements rationnels, est en cours
d’élaboration.

2) C’est une explication matérialiste de l’homme/ de l’esprit

Définitions du matérialisme :

a) tout ce qui existe est constitué de matière (pour des détails, cf. les définitions du matérialisme dans la fiche
bac)

b) l’esprit est matériel, et se réduit au cerveau (les phénomènes de conscience, les pensées, etc. sont le résultat de
processus cérébraux)

Conséquence : l’esprit n’est qu’une illusion.


B- Pourquoi ce réductionnisme ?

1) Raisons historiques : émergence de la neuropsychologie

- Gall, père de la phrénologie, a localisé les facultés mentales : pour lui, chaque fonction mettait en jeu une
structure cérébrale spécifique, dont le volume était d’autant plus important que la faculté correspondante était
développée. D’où sa théorie des bosses du crâne, mais aussi son principal apport : l’idée de la localisation des
facultés mentales
- Le cas Phinéas Gage : naissance de cette nouvelle science

P. Gage était un ouvrier en bâtiment ; en 1848, lors d’une explosion, une barre de métal d’un diamètre de plus de
2,5 cm traversa sa boîte crânienne, détruisant les aires d’association de ses lobes frontaux. Avant cet accident, il
était connu comme un homme décent et consciencieux ; après, il fut décrit comme infantile et irrévérencieux. Il
était incapable de contrôler ses impulsions et se livrait constamment à des planifications qu’il abandonnait
ensuite.
Cas qui montre bien l’impact des lésions du lobe frontal et temporal sur la personnalité (lésions qui entraînent
des changements de comportement constituant la personnalité des individus- la personnalité renvoyant à la fois à
ce qui fait la réputation d’une personne, la façon qu’on a de la percevoir, et aux attributs psychologiques
durables qui créent cette réputation).
Damasio en a déduit que le cortex joue le rôle d’inhibiteur des émotions. C’est lui qui nous évite d’être l’esclave
perpétuel de nos pulsions et impulsions. Lobe frontal = lieu de contrôle de soi.
Si un cerveau lésé peut créer une âme lésée, alors c’est que nous n’en sommes pas responsables ! La personnalité
réside dans le cerveau, pas dans l’âme ! Une part de la personnalité serait innée et certaines personnes sont nées
avec des tendances à se comporter de manière antisociale ou indifférente envers autrui.

2) Raisons d’ordre logique ou philosophique : les problèmes soulevés par le dualisme cartésien

a) Esprit es-tu là ?

Esprit et matière, deux réalités différentes, aux caractéristiques radicalement opposées :

Corps, matière Esprit


- Portion de matière, étendue en mouvement - spiritus : siège des états mentaux d’un sujet ; principe de nos pensées ;
- susceptible de division, de mesure, d’observation - n’occupe aucun lieu, n’est pas observable, mesurable
- obéit au principe de causalité (déterminisme - intériorité, conscience du monde et de soi : les évènements mentaux ont une
naturel) qualité subjective qui leur est associée Les philosophes appellent qualia ces
- pas d’intériorité, de conscience de soi ou du aspects subjectifs de l’esprit. Ces qualia semblent particulièrement difficiles
monde à ramener à quoi que ce soit de physique.

Conséquence : l’esprit est quelque chose d’inexplicable scientifiquement ! C’est quelque chose de surnaturel. On
ne peut l’expliquer scientifiquement, par les méthodes des sciences de la nature.

b) L’interaction esprit et corps, un miracle ?

Nous venons de voir que l’esprit et le corps/matière sont irréductibles ; pourtant, on remarque communément des
relations entre eux. Mais comment expliquer ces relations ?

 Exemples de relations :
- un événement corporel (se piquer) a pour effet un événement mental (ressentir une douleur).
- un événement mental (penser : « c’est l’heure de se lever ») est la cause d’un événement corporel (se lever)

 Comment expliquer l’interaction des deux substances ? Comment expliquer que deux réalités
sans commune mesure puissent s’influencer l’une l’autre ?

Comment mes volontés, processus immatériels, pourraient-ils se traduire en gestes, ie, en mécanismes, en
réalités matérielles et spatiales ? Comment expliquer également les émotions (passions de l’âme) ie, que l’âme
subisse les effets du corps ? Comment se peut-il que l'expérience consciente puisse mettre en mouvement un
corps, i.e. un objet matériel doté de propriétés physico-chimiques ? Comment peut-on vouloir être la cause du
fonctionnement de nos neurones et de la contraction de nos muscles, de sorte qu'ils réalisent ce que nous nous
proposons de faire ?

Réponse de Descartes : Dans le Traité des passions de l’âme, il dit que l'union se situe dans la glande pinéale,
au centre du cerveau. Sorte de carrefour où se rencontrent les deux ordres de réalité, par lequel les esprits
animaux (minuscules corpuscules circulant dans le sang) arrivent au cerveau, puis repartent dans le corps. La
causalité esprit/corps est donc possible : elle s'effectue dans la glande pinéale.

 Cela ne fait que déplacer le problème : si la glande est corporelle, comment l’esprit, qui est
immatériel, peut-il agir sur elle ?

Si âme et corps sont deux réalités distinctes, ayant des caractères bien spécifiques et complètement différents,
alors, on ne voit pas comment il peut y avoir interaction; cela reste quand même un mystère. Comment peut-on
affirmer sans absurdité que quelque chose d'immatériel puisse avoir un effet matériel; et vice-versa? Ainsi, pour
Descartes, quand je veux lever la main, ce qui cause le mouvement du corps, ce n'est pas vraiment quelque chose
de corporel ou d'inscrit dans le fonctionnement corporel; mais c'est un acte de la volonté qui cause ce
mouvement, c’est-à-dire, quelque chose qui n'est qu'une propriété de la substance mentale immatérielle que je
suis (c’est-à-dire, de l'esprit). Cela revient à introduire une rupture dans le processus causal, à faire intervenir
quelque chose de mystérieux, dont on ne sait pas comment il peut bien avoir quelque efficace dans monde
physique (car : il va de soi que seules des entités physiques peuvent normalement entrer en interaction)

Conclusion I : l’esprit ne serait-il pas après tout qu’une illusion ? ne serait-il pas qu’une manière commode de
parler, due à l’ignorance où nous sommes des véritables causes ?

II- Critique du matérialisme : l’esprit est-il vraiment réductible à la matière ?

A- Bergson et la distinction cause et condition

Que nous dit (…) l’expérience ? Elle nous montre que la vie de l’âme ou, si vous aimez mieux, la vie de la conscience, est
liée à la vie du corps, qu’il y a solidarité entre elles, rien de plus. Mais ce point n’a jamais été contesté par personne, et il y a
loin de là à soutenir que le cérébral est l’équivalent du mental, qu’on pourrait lire dans un cerveau tout ce qui se passe dans
la conscience correspondante. / Un vêtement est solidaire du clou auquel il est accroché ; il tombe si l’on arrache le clou ; il
oscille si le clou remue ; il se troue, il se déchire si la tête du clou est trop pointue ; il ne s’ensuit pas que chaque détail du
clou corresponde à un détail du vêtement, ni que le clou soit l’équivalent du vêtement ; encore moins s’ensuit-il que le clou
et le vêtement soient la même chose. / Ainsi, la conscience est incontestablement accrochée à un cerveau mais il ne résulte
nullement de là que le cerveau dessine tout le détail de la conscience, ni que la conscience soit une fonction du cerveau.
Tout ce que l’observation, l’expérience, et par conséquent la science nous permettent d’affirmer, c’est l’existence d’une
certaine relation entre le cerveau et la conscience.

H. Bergson, L’Energie spirituelle (1919), Puf Quadrige, 1999, pp. 36-37

On peut faire ici la distinction cause et condition :

- Exemple du texte : le clou est la condition sans laquelle le manteau ne peut ne peut rester accroché ; mais il
n’est pas la cause du manteau, de son existence, de sa matière, etc.

- Autre exemple : par exemple, le piano produit de la musique : dira-t-on alors que le piano est la cause et la
musique l’effet ? Le piano est un moyen, ce sans quoi quelque chose (la musique) ne peut être réalisé
(condition) La cause c’est ce qui produit l’existence et qui rend raison. La cause de la musique (par exemple
du 21ème concerto de Mozart) c’est sa pensée, son génie.

De même, le corps, ou le cerveau, est la condition de l’esprit, mais n’en saurait être la cause (et donc, que
l’esprit, s’il doit avoir une assise corporelle, n’y est pas réductible).

La vie de l’esprit « déborde » la vie cérébrale…

Cf. techniques d’imagerie cérébrale (tomographie à émission de positrons) : elles peuvent nous faire voir (donc
localiser) la zone du cerveau mise en branle quand nous pensons, faisons des calculs logiques, jouons d’un
instrument de musique, etc. Mais pas ce à quoi nous pensons, et surtout, ce qu’est la pensée (comment elle naît,
etc.)

B- Expérience de pensée : « la chambre de Marie »

Expérience de pensée contemporaine destinée à illustrer l’argument de la connaissance de Jackson.

1) L’argument de la connaissance de Jackson

Cet argument de la connaissance est une objection contre la thèse matérialiste qui soutient que l'univers peut être
entièrement expliqué par les processus physiques que les sciences de la nature étudient, et que ce genre
d'explications s'étend à tout ce que l'on désigne par le terme de « mental » (conscience, volonté, sentiments, etc.).

2) La « chambre de Marie »

« Marie est une brillante scientifique qui est forcée, peu importe pour quelle raison, d'étudier le monde depuis une chambre noire et
blanche par le moyen d'un écran de télévision en noir et blanc. Elle se spécialise dans la neurophysiologie de la vision et nous supposerons
qu'elle acquiert toutes les informations physiques qu'il y a à recueillir sur ce qui se passe quand on voit des tomates mûres ou le ciel, et
quand nous utilisons des termes comme « rouge », « bleu », etc.

Par exemple, elle découvre quelle combinaison de longueurs d'onde provenant du ciel stimule la rétine, et comment exactement cela
produit, via le système nerveux central, la contraction des cordes vocales et l'expulsion d'air des poumons qui aboutissent à la
prononciation de la phrase : « Le ciel est bleu ». [...] Que se produira-t-il quand Marie sortira de sa chambre noire et blanche ou si on lui
donne un écran de télévision couleur ? Apprendra-t-elle quelque chose, ou non ? »

En d'autres termes : nous imaginons une scientifique qui connait tout ce qu'il y a à savoir sur la science des
couleurs, mais qui n'a jamais eu l'expérience de la couleur. La question de Jackson est : quand elle fait
l'expérience de la couleur, apprend-t-elle quelque chose de nouveau ?

Vous aimerez peut-être aussi