Invitation Au Voyage Séance 1

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INVITATION AU VOYAGE

Séance 1: Le voyage comme liberté réalisée

Synthèse (40 points)

Vous réaliserez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents


suivants:
Document 1: Arthur Rimbaud, “Ma Bohême” (1870)
Document 2: Jacques Lacarrière, Chemin faisant (1977)
Document 3: Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable (1988)
Document 4: Sophie Calle, Où pourriez-vous m’emmener? (2014)

Écriture personnelle (20 points)

Notre liberté réside-t-elle essentiellement dans le fait de partir?


Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant
sur les documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances
personnelles.
Arthur Rimbaud, “Ma Bohême” (1870)

MA BOHÊME
(Fantaisie.)

Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;


Mon paletot aussi devenait idéal ;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Mon unique culotte avait un large trou.


— Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse ;
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,


Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,


Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Jacques Lacarrière, Chemin faisant (1977)

Autrefois, dans les villages, il y avait toujours de quoi loger les errants:
voyageurs, marchands, colporteurs, vagabonds. Les termes ne manquaient pas
pour désigner ceux qui - pour des motifs avouables ou non avouables - se
déplaçaient sans cesse sur les chemins. [...] Nomades et sédentaires. Une grande
part de l’histoire du monde tient à elle seule dans ces deux mots. Comme si, telles
ces étoiles doubles, ces systèmes astraux comportant deux soleils gravitant l’un
autour de l’autre, ils étaient voués tour à tour à s’opposer ou à se compléter. Le
nomade a toujours composer la part la plus archaïque de nous-mêmes.

L’histoire fondamentale des rapports très complexes entretenus entre les


sédentaires et les nomades, cette histoire reste encore à faire. On l’a entrepris pour
des époques et des lieux limités mais jamais dans une perspective d’ensemble qui
en dégagerait les axes, les courants, les jalons. Car tour à tour chassé, repoussé,
excommunié, ou, au contraire fêté, recherché, imploré, l’Errant apportait avec lui,
selon les mentalités, les besoins des différentes communautés, un monde de
damnation ou un monde de salut. Les routes, les chemins, les sentiers parcourant la
France ont ouvert les portes de l’Enfer ou celles du Paradis. Ils furent sur notre terre
comme les infrastructures de l’amour ou de la haine, les voies qui amenaient le frère
ou l’ennemi. Et aujourd’hui rien de cela n’est mort. Notre société hyperurbanisée
semble consacrer à jamais la victoire des sédentaires. Elle recèle pourtant plus que
jamais ces ferments qui nous portent à bouger, à partir, à nous jeter avec fureur vers
les loisirs, organisés ou non. Peu importent les motivations. On ne part plus sur les
routes pour prêcher ni faire son salut, pour conquérir quelque Graal1 au cœur des
châteaux forts. Mais l’image n’est pas morte - bien qu’elle soit caricaturale
aujourd’hui - des paradis promis et trouvés par le départ et par l’errance. Cette quête
fiévreuse du Loisir - Graal de notre époque - a pris fatalement des formes
organisées - et moins chevaleresques qu’autrefois -, des formes saisonnières aussi
retrouvant par moments l’ampleur des vieilles migrations. C’est pourquoi on accepte
très bien les vacanciers, les campeurs voire les randonneurs, moins bien le
vagabond, le solitaire marchant pour son plaisir en dehors des sentiers battus. Le
plus révélateur pour moi, dans ce voyage de quelques mois, fut justement
l’étonnement, l’incertitude, et surtout la méfiance que je lisais sur les visages. De
plus en plus, ceux qui réclament autre chose que le visage artificiel des villes, les
rapports routiniers, conventionnels de nos cités, iront chercher sur les routes ce qui
leur manque ailleurs.

1
Le Graal est un objet légendaire recherché avec obstination par les chevaliers de la Table ronde
dans les récits du Moyen Age.
Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable (1988)

Un droit que bien peu d’intellectuels se soucient de revendiquer, c’est le droit


à l’errance, au vagabondage.
Et pourtant, le vagabondage, c’est l’affranchissement, et la vie le long des
routes, c’est la liberté.
Rompre un jour bravement toutes les entraves dont la vie moderne et la
faiblesse de notre cœur, sous prétexte de liberté, ont chargé notre geste, s’armer du
bâton et de la besace symboliques, et s’en aller !
Pour qui connaît la valeur et la délectable saveur de la solitaire liberté (car on
n’est libre que tant qu’on est seul), l’acte de s’en aller est le plus courageux et le plus
beau.
Égoïste bonheur, peut-être. Mais c’est le bonheur, pour qui sait le goûter.
Être seul, être pauvre de besoins, être ignoré, étranger et chez soi partout, et
marcher, solitaire et grand à la conquête du monde.
Le chemineau solide, assis sur le bord de la route, et qui contemple l’horizon
libre, ouvert devant lui, n’est-il pas le maître absolu des terres, des eaux et même
des cieux?
Quel châtelain peut rivaliser avec lui en puissance et en opulence?
Son fief n’a pas de limites, et son empire pas de loi.
Aucun servage n’avilit son allure, aucun labeur ne courbe son échine vers la
terre qu’il possède et qui se donne à lui, toute, en bonté et en beauté.

Le paria, dans notre société moderne, c’est le nomade, le vagabond, “sans


domicile ni résidence connus”.
En ajoutant ces quelques mots au nom d’un irrégulier quelconque, les
hommes d’ordre et de lois croient le flétrir à jamais.
Avoir un domicile, une famille, une propriété ou une fonction publique, des
moyens d’existence définis, être enfin un rouage appréciable de la machine sociale,
autant de choses qui semblent nécessaires, indispensable presque à l’immense
majorité des hommes, même aux intellectuels, même à ceux qui se croient le plus
affranchis.
Cependant, tout cela n’est que la forme variée de l’esclavage auquel nous
astreint le contact avec nos semblables, surtout un contact réglé et continuel.
J’ai toujours écouté avec admiration, sans envie, les récits de braves gens
ayant vécu des vingt et trente ans dans le même quartier, voire dans la même
maison, qui n’ont jamais quitté leur ville natale.

Ne pas éprouver le torturant besoin de savoir et de voir ce qu’il y a là-bas,


au-delà de la mystérieuse muraille bleue de l’horizon… Ne pas sentir l’oppression
déprimante de la monotonie des décors… Regarder la route qui s’en va toute
blanche, vers les lointains inconnus, sans ressentir l’impérieux besoin de se donner
à elle, de la suivre docilement, à travers les monts et les vallées, tout ce besoin
peureux d’immobilité ressemble à la résignation inconsciente de la bête, que la
servitude abrutit, et qui tend le cou vers le harnais.
Sophie Calle, Où pourriez-vous m’emmener?, photographie d’une installation
pour l’exposition “S’il y a lieu, je pars avec vous”, organisée par le BAL en
2014

Sur cette photographie de Sophie Calle, artiste française née en 1953, le panneau
d’autoroute convoque l’imaginaire du départ. A la place des annonces habituelles,
une question personnalisée, dont l’origine est mystérieuse, nous interpelle.

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