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1

Le spectre de Galilée

Dominique Tassot

Présentation : Sur bien des sujets, mais tout spécialement sur les
chronologies et datations, les théologiens se montrent souvent réticents, dès
lors qu’il est question de confronter les données bibliques avec les chiffres
établis par les historiens. La sortie habituelle consiste à déclasser le texte
biblique en allégorie, en conte pédagogique voire en poésie. Il faudrait éviter
tout conflit avec la science, par principe. Cette attitude irrationnelle a
cependant sa raison d’être : la crainte d’une nouvelle « affaire Galilée », mais
une crainte réflexe, mue par le cerveau limbique, et que la véritable histoire de
Galilée ne justifie pas. C’était son adversaire, le cardinal Bellarmin, qui avait
adopté la véritable démarche épistémologique : exiger des preuves de la
nouvelle thèse affirmée. Aujourd’hui, où la certitude monolithique de la
Physique s’est évaporée, notamment de par la théorie de la Relativité, il
importe que l’Église se ressaisisse, reprenne confiance en l’autorité
intellectuelle de la Révélation et rende à l’humanité le service de replacer la
science à sa noble mais juste place au sein de la vision chrétienne du monde.

Lorsqu'on veut savoir, au-delà des institutions, qui a


réellement du poids dans un pays, il existe un critère simple et
commode. Il suffit de poser la question : de qui est-il dangereux de
dire du mal ? De manière analogue, en examinant certaines
anomalies des discours théologiques, on en vient à se demander si
une influence externe n'est pas venue perturber – ou plutôt dévier –
les pensées, les faire sortir de la droite ligne du raisonnement,
donner un crédit indu à une autorité intellectuelle étrangère à la
Révélation.
Un exemple significatif nous est donné dans le Manuel
d'Écriture Sainte du chanoine Verdunoy, en usage dans les
séminaires de la première moitié du siècle dernier. Ce manuel
s'ouvre par une Table chronologique mettant en parallèle, sur
plusieurs colonnes, les dates admises pour l'histoire de l'Égypte, de
la Palestine, ou de l'Asie Mineure, dates imprimées de diverses
manières selon leur degré de certitude : certaine, probable,
résultant d'une donnée chronologique traditionnelle, proposée
hypothétiquement par les chronologistes, inconnue.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


2

Ce tableau est « destiné à interpréter, en fonction des


connaissances historiques actuelles, les données chronologiques
contenues dans la Genèse et dans l'Exode »1.

Il s'agit donc de situer dans le temps l’histoire des


patriarches puis celle du peuple hébreu. Or la généalogie des
patriarches est donnée, avec leur âge à la naissance de leur
premier-né, dans le texte même de la Genèse. C'est le procédé en
usage dans l'Antiquité pour marquer les temps : on compte en
années de règne du souverain et, par addition, en découle une
durée pour chaque dynastie. Notre manière actuelle de situer les
événements sur un axe universel, les datant en années avant ou
après Jésus-Christ, est une invention tardive, marquant
l’avènement d’une chrétienté universelle. Comment se fait-il alors
que le Manuel déclare d'emblée : « Il n'y a pas de chronologie
biblique »2 et n’introduise la lignée des patriarches dans son
tableau qu'à partir de Tharé, père d'Abraham, quittant Ur en
Chaldée et s'installant à Haran en Mésopotamie « vers 2150 ? »3.
Quant aux grands événements antérieurs (création du monde,
création de l'homme, Déluge et dispersion des descendants de
Noé), ils sont simplement signalés hors tableau avec la mention « à
date inconnue4 ».
Ainsi les historiens profanes auraient-ils établi une
chronologie de l'Antiquité, certes avec bien des désaccords et des
degrés de certitude très variables, tandis que l'historien sacré,
certes avec des variantes entre traducteurs et interprètes et donc
avec des degrés de certitudes très divers, aurait été incapable de
fonder une chronologie de l’humanité. Pourquoi interpréter les
dates de la Genèse en fonction des tables profanes, et non
l'inverse ?

1
Ch. VERDUNOY, Manuel d’Écriture Sainte, Dijon, Publications
« Lumières », 1925, p. 12, souligné par nous.
2
Ibid., p. 9.
3
Ibid., p. 10.
4
Id.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


3

Pour s’en justifier et bien montrer la dispersion des


computs bibliques, le manuel signale : « déjà en 1738 un
chronologiste notait, pour l'intervalle entre la Création du monde
et Jésus-Christ, plus de 200 calculs différents, allant de 3483 à
6984, par conséquent avec une différence de 35 siècles5. »
Outre que le rôle des historiens devrait être précisément
d'étudier attentivement tous les calculs, afin de réduire les écarts et
– si possible – de les éliminer, il n'est pas interdit de remarquer que
cet écart de 35 siècles est précisément celui que l'on retrouve entre
les diverses chronologies de la seule Égypte6.
Le manuel de Verdunoy ne fait ici que reprendre une
tradition faisant autorité, puisque le grand Dictionnaire de la Bible
dirigé par Fulcran Vigouroux, à l’article « Chronologie biblique »
(donc en 1899), adoptait déjà cette approche :
« On ne trouve pas dans la Bible une chronologie toute faite ni une
ère ou époque fixe à laquelle commence la numération des années,
et dans ce sens on peut dire, en répétant la parole qu'on attribue à
Sylvestre de Sacy : “Il n'y a point de chronologie biblique” » (col.
718).
« I. DATE DE LA CRÉATION DU MONDE. – La Bible ne la fixe
pas ; elle dit seulement que Dieu créa le ciel et la terre “au
commencement”, sans préciser l'époque de ce commencement »
(col. 719).
« II. DATE DE LA CRÉATION D'ADAM. – Les temps bibliques ne
peuvent se mesurer qu'après l'apparition de l'homme sur la terre.
Toutefois le texte sacré ne détermine pas chronologiquement
l'origine de l'homme d'une manière formelle et précise ; nulle part
il ne dit : Adam a été créé à telle date » (col. 720).

5
Ibid., p. 9 (Il s’agit ici d’une citation implicite du Dictionnaire de la Bible).
6
Pour donner une idée des incertitudes admises concernant l’histoire
égyptienne, il suffira de citer le « Que sais-je ?, 247 » sur L’Égypte ancienne
par Jean Vercoutter (PUF, 12e édit. mise à jour 1987) : « Les XIIIe et XIVe
dynasties ne sont connues que par les noms de leurs pharaons » (p. 70).
« Après avoir eu tendance à croire très longue la deuxième période
intermédiaire (1 583 ans si l’on additionne les chiffres donnés par Manéthon
de la XIIIe à la XVIIe dynastie), on admet généralement aujourd’hui qu’elle ne
dura pas plus de 200 ans et une théorie toute récente réduit encore ce
chiffre » (p. 69).

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4

En 1945 encore, la 5e édition du Manuel d’Ecriture Sainte


de Renié affirme clairement : « La date de la création du Monde
est une question qui relève de la science » (p. 460).

On voit donc se profiler une dissymétrie entre sciences


profanes et sciences sacrées : au savant profane l'autorité pour
établir le cadre chronologique dans lequel le bibliste va s'insérer.
En dehors de ce cadre, vers les débuts de l'humanité, là où
l'historien profane se tait, le bibliste, pourtant le seul à disposer de
données chronologiques, rentre dans sa coquille et ne laisse à la
vue qu'un écriteau « date inconnue » !
Certes, les durées servant aux computs profanes sont
gravées sur des tablettes et des stèles, tandis que les durées
bibliques ne furent gravées que dans la mémoire du peuple
hébreu7. Mais dans les civilisations de tradition orale, les récits
sont composés et mémorisés selon des procédés assurant tant la
transmission fidèle que la compréhension du message transmis,
tandis que notre déchiffrage des stèles et tablettes est loin d'être
parfait : nul besoin d’étudier longtemps l’épigraphie pour s’en
convaincre ! Cette volonté d'aligner l'exégèse – interprétation de la
Bible – sur les sciences profanes, ce que Houtin nommait le
« concessionnisme », est donc l’adaptation perpétuelle à un donné
extérieur auquel, n'ayant aucune prise sur lui, on ne peut que se
plier.
Tout se passe comme si l'ecclésiastique érudit était ipso
facto placé sous tutelle par la science universitaire, sans que cette
dernière eût à justifier son privilège. La légitime autonomie
intellectuelle de chaque science ne vaudrait, au fond, que pour le
savant qui opère hors de l'Église, le seul assuré de son autorité.
C'est ainsi que l'Académie pontificale des Sciences, pour acheter
son crédit au sein du monde savant, recrute les deux tiers voire les
trois quarts de ses membres parmi les athées ou les agnostiques.

7
Il existe cependant des indices stylistiques montrant que les récits des
patriarches antédiluviens ont été conservés sur des tablettes. Cf. Claude EON,
« La structure de la Genèse », in Le Cep n° 39, p. 65.

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5

Un cas emblématique fut celui de Stephen Hawking, athée


militant dont le dernier livre s'intitule : Y a-t-il un grand architecte
dans l’Univers ? 8
Dans une Église en ordre, recruter une majorité
d'académiciens athées serait perçu comme absurde, ou encore
comme la preuve que la foi nuit à la science, l'aveu honteux qu'il
ne serait pas possible, même à l'échelle mondiale, de trouver une
trentaine de scientifiques catholiques reconnus ! Telle n'est pas, à
l'évidence, la véritable explication. Autre exemple : le Ratzinger
Schulerkreis de 2006. Chaque année, le cardinal Ratzinger avait
coutume de réunir ses anciens doctorants pour une session d'études
de trois jours portant sur un thème précis. La réunion se poursuivit
après son élection pontificale et, en 2006, le sujet retenu fut
l'évolution. Un biologiste catholique de talent, titulaire de deux
doctorats et chercheur à la Smithsonian Institution, à Washington,
avait été pressenti pour intervenir et avait préparé sa
communication. Mais elle ne fut pas même distribuée aux
participants9, le seul scientifique admis dans le cercle fut le
professeur Schuster, biochimiste, président de l'Académie
autrichienne des sciences et connu comme athée et évolutionniste.
Il existerait donc les « vrais » scientifiques – athées ou
agnostiques – et les autres, toujours suspectés d'un biais religieux.
Dans le même ordre d’idées, notons que le Vatican avait confié les
relations avec la communauté scientifique au Conseil pontifical
pour le dialogue avec les non-croyants10.
Il n'est pas difficile de remonter à la source de ce
complexe d'infériorité collectif : l'affaire Galilée, le premier cas –
mais emblématique – de « repentance »11.

8
Se reporter aux commentaires de Wolfgang SMITH dans Le Cep n° 82 :
« L’intrusion de l’idéologie en cosmologie » (p. 11).
9
On en trouvera la traduction française dans : Richard Von STERNBERG,
« Pourquoi les catholiques ne doivent pas transiger avec la prétendue nature
scientifique de la théorie de Darwin », in Le Cep n° 41, novembre 2007, p. 24.
10
Fondé en 1965, ce Conseil a fusionné en 1993 avec le Conseil pontifical
pour la Culture.
11
Repentance : concept étranger à la civilisation chrétienne, fondée sur la
responsabilité personnelle tant civile que morale, puisqu’il consiste à battre la
coulpe des absents pour se ménager les faveurs de l’adversaire présent. On en
chercherait en vain un exemple dans les évangiles.

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6

Le document conciliaire Gaudium et Spes, au numéro 36,


énonce en effet : « Qu'on nous permette de déplorer certaines
attitudes qui ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes,
insuffisamment avertis de la légitime autonomie de la science [ob
non satis perspectam legitimam scientiae autonomiam].
Sources de tensions et de conflits, elles ont conduit
beaucoup d'esprits jusqu'à penser que science et foi
s'opposaient 12. » Une note de bas de page fait ici référence
explicite à la vie et l’œuvre de Galilée : « Cf. PIUS PASCHINI, Vita
e opere di Galileo Galilei, 2 vol., Vatic., 1964. »

Or, si le souverain bien consiste à éviter les conflits, la


seule manière d'y parvenir a priori consiste à donner d'avance
raison à l'adversaire, avant même qu'il n'ait eu à exposer ses
arguments. On sait qu'à l'époque du procès de Galilée, ses juges
avaient poussé l'impudence jusqu'à exiger du savant qu'il prouvât
ce qu’il affirmait : le mouvement absolu de la terre. Il en était bien
incapable, et la question n’a donc jamais porté sur l'autonomie,
légitime ou non, de la science. Bellarmin, qui avait lui-même
enseigné l'astronomie, était parfaitement conscient qu'un modèle
héliocentrique pouvait valablement concurrencer les épicycles de
Ptolémée. Il écrivait au P. Foscarini, le 12 avril 1615 : « Dire qu'en
supposant le mouvement de la terre et la stabilité du soleil toutes
les apparences célestes s’expliquent mieux que par la théorie des
excentriques et des épicycles, c'est parler avec un excellent bon
sens, et sans courir aucun risque. Cette manière de parler est
suffisante pour un mathématicien. Mais vouloir affirmer
absolument que le soleil est au centre de l'univers et tourne
seulement sur son axe sans se déplacer de l'Est à l'Ouest, c’est une
très dangereuse attitude qui est destinée non seulement à
contrarier les philosophes scolastiques et les théologiens, mais
aussi à porter atteinte à la sainte foi, en contredisant
l'Écriture.13. »

12
Concile œcuménique Vatican II, Constitutions, décrets, déclarations,
messages, Paris, éd. du Centurion, 1967, p. 253.
13
GALILÉE, Le opere di Galileo Galilei, Ed. Nazionale, t. XII, 1902, p. 171-
172 (Trad. fr. reprise dans Giorgio de SANTILLANA, Le Procès de Galilée,
Paris, 1955, p. 120).

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7

Ce n'était donc pas le modèle héliocentrique14 en tant que


théorie mathématique, qui gênait saint Robert Bellarmin – un des
rares « docteurs de l'Église » de l'époque moderne15 – mais la
prétention d'un savant isolé, au nom d'une thèse qu’il ne savait pas
prouver16, d’obliger l'Église à reconsidérer l'interprétation
traditionnelle de l'Écriture. Aucun conflit, donc, entre l'Église et la
science, mais conflit provoqué par un mathématicien
« véhément »17, inconscient des limites de la science et attribuant à
tort au système copernicien une qualité de certitude qui n'a cours
qu'en mathématiques pures, jamais en physique et moins encore en
astrophysique.
Ce ne sont pas les consulteurs du procès de 1616 qui
opposent la théologie à la science, mais Galilée lui-même qui croit
pouvoir distinguer entre les doctrines simplement « opinables » (la
théologie, objet de débats et controverses) et les doctrines
« démonstratives » (l'astronomie, découlant immédiatement des
faits par des raisonnements certains). Il écrit dans sa fameuse lettre
à la grande-duchesse Christine de Lorraine :
« Je voudrais prier ces Pères très prudents de bien vouloir
considérer avec diligence la différence qui existe entre les
doctrines opinables et les doctrines démonstratives 18; pour cela,
se représentant bien avec quelle force nous pressent les déductions
nécessaires, ils se trouveraient plus à même de reconnaître
pourquoi il n'est pas au pouvoir des professeurs de science
démonstrative de changer les opinions à leur gré, présentant tantôt
l'une tantôt l'autre ; il faut bien apercevoir toute la différence qui
14
Modèle, au demeurant, que nul ne songerait à soutenir aujourd’hui.
15
Il est curieux qu’il soit fêté le 13 mai, jour ouvrant le cycle des apparitions
de Fatima, lesquelles devaient se clore avec la « danse du Soleil », 153 jours
plus tard (153 étant notamment le triangulaire de 17 et le nombre des poissons
de la pêche miraculeuse en Jn 21, 11).
16
Cf. J. de PONCHARRA, « Ptolémée, Oresme, Copernic, Brahe, Galilée,
Kepler », in Le Cep n°56, p.21.
17
L’ambassadeur de Toscane à Rome, qui héberge et seconde Galilée dans ses
démarches, Pierre Guicciardini, écrit au Grand-duc le 4 mars 1616 (en plein
procès) : « Il est véhément et passionné dans son idée fixe, au point qu’il est
difficile de lui échapper quand on le laisse approcher […] Il est évident qu’il
est sous l’influence de la passion et qu’il ne peut, dans sa propre cause, juger
sainement ce qu’il conviendrait de faire » (Pierre AUBANEL, Galilée et
l’Église, Avignon, Aubanel, 1910, p. 67).
18
Souligné par nous.

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8

existe entre commander à un mathématicien ou à un philosophe, et


donner des instructions à un marchand ou à un légiste. On ne peut
changer les conclusions démontrées, concernant les choses de la
nature et du ciel, avec la même facilité que les opinions relatives à
ce qui est permis ou non dans un contrat, dans l'évaluation fiscale
de la valeur d'un bien ou dans une opération de change19. »

Galilée va donc beaucoup plus loin que de défendre


l'autonomie de la science, fondée sur un objet et une méthode
propre. Il revendique l'indépendance absolue de ses conclusions ; il
en nie la part d'interprétation ; il n'en soupçonne pas le caractère
hypothético-déductif ; il ne songe pas à dissocier le fait
d'observation et la théorie explicative. Et, fort de ces lacunes, il
prétend renverser l'équilibre dans lequel se tenait le savant chrétien
ayant devant lui les deux livres : le « grand livre de la nature » et la
Bible.

19
François RUSSO, Galilée, aspects de sa vie, etc., Paris, 1968, p. 343.

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9

À l'exégète les incertitudes et approximations propres aux


doctrines « opinables » ; au savant physicien la rigueur
démonstrative et la certitude. Galilée revendiquait donc pour la
seule science mathématisée une indépendance qu'il entendait
refuser aux autres activités intellectuelles. C'était renverser la
hiérarchie des savoirs, par méconnaissance d'imperfections et
d'erreurs dans toute science humaine : « […] Les effets naturels et
l'expérience des sens que nous avons devant les yeux, ainsi que les
démonstrations nécessaires que nous en concluons, ne doivent
d'aucune manière être révoqués en doute ni a fortiori condamnés
au nom des passages de l'Écriture, quand bien même le sens
littéral semblerait les contredire. Car les paroles de l'Écriture ne
sont pas astreintes à des obligations aussi sévères20 que les effets
de la nature et Dieu ne se révèle pas moins excellemment dans les
effets de la nature que dans les écritures sacrées21. »

En d'autres termes, l'autorité de la science l'emporte sur


celle de l'Écriture, car l'Écriture est, au fond, moins divine que la
nature.
Ainsi la science finit par être plus divine que la théologie :
elle nous fait accéder à Dieu directement, par une connaissance
certaine de Ses œuvres, tandis que Sa parole, soumise à l'à-peu-
près de la connaissance discursive, parfois mal interprétée par des
commentateurs « plus attachés à leurs propres opinions qu'à la
vérité »22 ne nous fait connaître, par elle-même, que des
affirmations probables. Sous l'angle de la certitude, Galilée met
ainsi la science au-dessus de la Bible. Il conserve l'argument
d'autorité, en fait même un usage constant, mais il le confisque au
profit de la science. Tel est le grand renversement qui justifie cette
vénération dont les modernes ont toujours entouré Galilée.

20
Les divers travaux sur le « codage biblique » donnent un démenti flagrant à
Galilée, car ils forment une vérification littérale – c’est le cas de le dire – à
cette parole : « Jusqu’à ce que passent le ciel et la terre, pas un iota, pas un
seul trait de la Loi ne passera que tout ne soit accompli » (Mt 5, 18).
21
RUSSO, op. cit., p. 337.
22
Ibid., p. 332.

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10

Le drame est que l'Église, à reculons d'abord, puis


désormais sans réticence, a fait siennes les prétentions de Galilée,
abdiquant son autorité intellectuelle au profit de la « communauté
scientifique », cette étrange fabrication médiatique qui a pour effet
– sinon pour objectif – de permettre à un petit nombre de savants
labellisés de parler au nom de la science et d'exercer ainsi le
magistère socio-politique dont l'Église s'est dessaisie. « Ne pas
contredire la science » est désormais, depuis plus d'un siècle23, le
leitmotiv quotidien, paralysant et écartant de tout poste
d'enseignement ceux qui, ayant conservé une once d'esprit critique,
entendent remettre cette forme de connaissance à sa noble mais
juste place au sein de la vision chrétienne du monde. Jusques à
quand ?

* *

23
On pourrait dire 111 ans. Dans le décret Lamentabili du 3 juillet 1907,
PIE X condamnait encore solennellement l’erreur suivante : « Le dépôt de la
foi ne concernant que des vérités révélées, il n’appartient sous aucun rapport
à l’Église de porter un jugement sur les assertions des sciences humaines »
(§5) (souligné par nous). A contrario, il en résulte que l’Église en général et
les théologiens en particulier, peuvent avoir leur mot à dire, un mot spécifique
compte tenu des lumières qui leur sont propres, sur les méthodes ou sur les
conclusions de diverses disciplines scientifiques. Nous pensons forcément aux
théories sur l’origine de l’homme et de l’univers, mais il en va de même dans
bien d’autres domaines. Que l’on mesure par exemple la pauvreté de la
psychologie universitaire, dressant le tableau d’un homme animalisé dans ses
facultés inférieures et mutilé dans toutes ses facultés supérieures, face à
l’anthropologie fine et subtile qui ressort de la Bible, des Pères et des
Docteurs de l’Église.

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11

SCIENCE ET TECHNIQUE
« Les rationalistes fuient le mystère
pour se précipiter dans l’incohérence. »
(Bossuet)

Science, scientisme et cosmologie christologique1

Wolfgang Smith

Présentation : Le mathématicien, physicien et philosophe Wolfgang Smith, bien


connu de nos lecteurs, eut l’occasion de rencontrer puis d’échanger avec le
P. Malachi Martin (sur ce dernier, voir le dossier publié dans Le Cep n° 74) une
dense correspondance aujourd’hui publiée. L’éditeur canadien, Bernard Janzen,
eut la bonne idée d’interroger W. Smith à ce sujet. Les extraits ci-après
concernent principalement les limites de la vision scientiste (et non
véritablement scientifique) du monde qui a cours aujourd’hui, le drame du
teilhardisme devenu religion de l’Évolution et dont l’influence intellectuelle ne
s’est malheureusement pas réduite du simple fait que les nouvelles générations
ignorent jusqu’au nom de Teilhard, et la nécessité de réinventer une cosmologie
cohérente tant avec notre science qu’avec les données pérennes de la
philosophie, avec les dimensions qualitatives de la vie et avec les aspirations
supérieures de l’âme humaine.

Question : Vous avez publié un livre, In Quest of Catholicity2, à


propos de Malachi Martin. Pourriez-vous nous parler de ce livre,
pourquoi l’avoir fait publier ?
Ce livre, tout d’abord, n’était pas prévu. J’avais écrit à
Malachi Martin comme à un conseiller, pour avoir son avis sur
quelques conclusions philosophiques et théologiques auxquelles
j’étais parvenu. Je dois dire que ces conclusions étaient fondées
sur la découverte d’une sagesse préchrétienne, généralement non
reconnue par les théologiens, mais totalement acceptée par
Malachi Martin.

1
Repris de Dr Wolfgang SMITH, Unmasking the Faces of Antichrist (Entretiens
avec Bernard Janzen), Triumph Communications, 2017, p. 16-31, aimablement
traduit par Claude Eon (triumphcommunications.net).
2
In Quest of Catholicity : Malachi Martin Responds to Wolfgang Smith, Triumph
Communications

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12

Tôt dans sa vie, lorsqu’il décodait des fragments


paléographiques antérieurs à l’ère chrétienne, il prit conscience
qu’il existe ce qu’il appelle « un savoir christologique
préchrétien ». Il réalisa aussi que des aspects de cette sagesse
surnaturelle pouvaient être retrouvés dans certaines des
principales traditions préchrétiennes répandues sur le globe. Il
s’avéra ainsi, pour ma plus grande joie, que Malachi Martin était,
dans l’ensemble, d’accord avec les conclusions philosophiques et
théologiques que j’avais exprimées.
En relisant ma correspondance avec le P. Martin, dix-sept
ans plus tard, j’ai été frappé tout d’abord par sa remarquable
cohérence : bien qu’elle couvre un large spectre de sujets, elle
paraît cohérente et semblait déjà, en elle-même, constituer un
livre. Vous demandez pourquoi j’ai publié ce livre : c’était parce
que je trouvais que son message central était on ne peut plus
opportun. Ce n’est pas qu’il aborde la crise actuelle de l’Église
catholique et de la civilisation occidentale en général, mais qu’il le
fait d’un point de vue qui s’élève au-dessus de la division
actuelle : dans les mots de M. Martin, il ouvre « l’impasse dans
laquelle l’intellectualisme catholique romain a été bloqué ces
nombreuses années ».
Ce que le livre met surtout en relief – son message
central, si vous voulez – est que nous avons un besoin urgent de ce
« savoir christologique préchrétien » auquel Malachi Martin fait
allusion, cette sagesse depuis longtemps oubliée, dont il retrouva
les traces dans ses enquêtes paléographiques. C’est précisément la
reconnaissance de cette sagesse qui « débloque l’impasse » en
ouvrant la porte à un vaste domaine de connaissance, lequel a été,
pendant une très longue période, soit ignoré, soit relégué par
ignorance dans le royaume des « superstitions païennes ».
La question demeure de savoir ce qui précisément rend impératif
de nos jours ce « savoir christologique préchrétien ». Et la réponse
est simple : ce savoir depuis longtemps oublié est d’un genre où
théologie et cosmologie se rencontrent.
Et laissez-moi ajouter sans attendre, que ceci ne constitue
nullement un retour au panthéisme, mais plutôt son exact opposé :
ce que cette vénérable sagesse offre – et ce dont nous avons
désespérément besoin –, c’est une cosmologie christologique
authentique.

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13

Pourriez-vous nous dire pourquoi, à votre avis, une telle


rencontre de la théologie et de la cosmologie est nécessaire pour
« débloquer » l’impasse contemporaine ?
La raison n’est pas difficile à comprendre. Il est
parfaitement clair, après tout, que depuis les prétendues Lumières,
l’Église catholique a toujours été sur la défensive vis-à-vis du
progrès de la science. L’argument « Vous vous occupez du
cosmos, nous du surnaturel » s’avère être invalide et, à long terme,
ne sert qu’à ébranler la foi religieuse. Chacun comprend qu’il s’est
produit un déclin accéléré de la foi au surnaturel, et que le
matraquage scientifique a eu un profond effet sur l’Église
catholique : n’était-ce pas, en vérité, dans une large mesure,
l’objet de la révolution de Vatican II ? Il faut seulement se
rappeler l’adulation délirante accordée à Teilhard de Chardin pour
comprendre que sa synthèse proposée de la science et de la
théologie fut, pour le moins, une force majeure dans la débâcle du
catholicisme traditionnel. Le fait est que, au nom de ce qui fut
finalement tenu pour de la science-fiction théologique3, des pans
entiers de l’Église catholique – jusqu’aux échelons les plus élevés
– ont déraillé.
Il faut admettre qu’une théologie ne peut pas subsister
seule, qu’à long terme elle demande une cosmologie
concomitante. Et ceci est quelque chose que l’Église
préconciliaire ne possédait pas : pour cela nous devons remonter
tout le chemin jusqu’à ce que Malachi Martin appelle « le savoir
christologique préchrétien ».

Vous mentionnez Teilhard de Chardin. Pensez-vous que Teilhard


de Chardin soit un personnage marquant dans l'histoire de
l'Église ?
Je crois que c'est bien pire : je considère Teilhard de
Chardin comme le théologien dominant du XXe siècle, celui qui a
inspiré les partisans et les aficionados de la nouvelle théologie :
c'est lui qui, au fond, a triomphé en ce fatidique Concile qui a
radicalement transformé l'Église.

3
Ndlr. Le mot est de Gilson qui parlait, à propos de Teilhard, de « théologie-
fiction ».

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14

Qu'est-ce donc qui rend sa pensée si puissante, si


immensément attirante pour les intellectuels catholiques de nos
jours ? C'est, tout d'abord, le fait qu'il parle au nom sacré de la
science : sa théologie est soi-disant fondée non pas sur la foi ou
sur le raisonnement métaphysique, mais sur les faits solides de la
découverte scientifique. Et que sont exactement ces faits ? Au
fond, il n'y en a qu'un : c'est l'Évolution. C'est sûr, Teilhard
accepte la théorie de Darwin en bloc ; mais il élargit
immensément le concept : il conçoit l'évolution comme un
principe universel agissant partout et constituant la base de tout ce
qui existe. En fait, à proprement parler les choses n'existent pas ;
comme Teilhard l'a dit avec une clarté choquante : « Quand tout
est dit, l'Évolution est la première, la dernière, la seule chose en
laquelle je crois. »
D'autres ont étendu la notion de la biologie à d'autres
domaines tels que le social ou l'intellectuel, mais Teilhard seul a
franchi l'ultime pas : il a en réalité déifié le concept. L'Évolution
est devenue de facto son Dieu. Une telle affirmation ne peut être
que l'une de deux choses : c'est soit un cas de pure folie ou
vraiment de prophétie ; et je trouve malheureux que les
intellectuels catholiques aient, dans une énorme proportion, opté
pour le second terme de l’alternative. L'Évolution avec un É
majuscule est en fait devenue le leitmotiv de virtuellement toute la
théologie moderne ; comme le bourdon de fond dans la musique
indienne, elle est toujours présente, que nous l'entendions ou pas.
Remarquons, en outre, que ce que Teilhard offre à un
monde catholique étonné et assoiffé est vraiment une cosmologie
christologique : c'est précisément ce que sa théologie
« scientifique » prétend être. C'est d'ailleurs la seule chose qu'une
théologie puisse être, puisqu'elle est « scientifique ». Mais comme
cela devrait apparaître de jure à toute personne scientifiquement
cultivée, elle ne l'est pas : si même le darwinisme classique s'avère
indéfendable sur le plan scientifique, alors l'est d'autant plus
l'extrapolation teilhardienne, dont les termes clés n'ont, en fait,
aucun sens scientifique. Je trouve vraiment surprenant que des
théologiens haut-de-gamme de l'Église catholique aient si
facilement succombé à ce qui est littéralement une science-fiction
théologique.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


15

Il y a tellement à dire sur ce (pour moi) fascinant sujet –


comme vous le savez, j'ai écrit un livre entier sur Teilhard de
Chardin – que je dois m'arrêter de casser le ton de
« conversation » de cet entretien. Un point encore, cependant, que
je ne dois pas négliger de signaler : il y a dans le cas de Teilhard
de Chardin une connexion démoniaque démontrable remontant à
une sorte « d'expérience mystique » à laquelle Teilhard fait
allusion dans un écrit précoce publié en 1919. Il parle en termes
dramatiques d'une rencontre avec un être décrit comme
« équivoque, turbide, l'essence combinée du mal total et du bien
total » qui s'attacha à lui : « Et maintenant je suis établi en vous
pour la vie ou pour la mort » déclara la Chose. Je regrette
beaucoup de n'avoir jamais pensé à demander à Malachi Martin ce
qu'il pensait de cet épisode remarquable et presque
universellement méconnu. Tout ce que je puis dire est que, pour
moi, il a l'odeur de la possession démoniaque. Sans aucun doute,
cela expliquerait largement l'énormité de l'influence teilhardienne,
son impact décisif sur la scène catholique au moment précis où les
Papes régnants accomplirent leur acte de désobéissance à la Mère
de Dieu4. Est-ce alors par la voie de Teilhard de Chardin que
« Rome » est devenue l'habitat de l'Antéchrist ? Dans une certaine
mesure je crois que oui.

La question se pose, évidemment : Comment la cosmologie


authentiquement christologique cadre-t-elle avec les découvertes
scientifiques contemporaines ? Pouvez-vous dire quelques mots à
ce sujet ?
En réalité la cosmologie christologique « cadre » avec les
découvertes scientifiques contemporaines, dans la mesure où nous
distinguons nettement entre le fait scientifique et la fiction
scientifique, une différence rarement observée.
Laissez-moi montrer, d'abord, qu'à proprement parler, la science
moderne n'a produit aucune cosmologie, qu'elle est incapable en
fait de le faire, en raison même de sa méthodologie. À l'insu de la
plupart des scientifiques, cependant, elle compense cette déficience
en avançant diverses affirmations cosmologiques comme si elles
étaient scientifiquement admises.

4
Ndlr. Allusion au « troisième secret » de Fatima, dont la publication avait été
demandée pour 1960.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


16

Prenez le cas de la physique, la science fondamentale : les


physiciens se sont convaincus eux-mêmes, ainsi que le public en
général, que l'univers est constitué simplement de particules
fondamentales. Mais, croyez-moi : il n'y a jamais eu, et il ne peut
pas y avoir de preuve scientifique de ce soi-disant fait. Tout au
contraire : il y a des raisons rigoureusement valides pour conclure
que les objets perceptibles (des gros rochers aux instruments
scientifiques) ne se réduisent pas à un ensemble de particules
quantiques. Comme je l'ai montré dans une monographie, ce qu'on
appelle le problème de la mesure, qui a bloqué les physiciens
depuis 1925 environ, ne demande pas moins.
Si la science contemporaine n'a pas produit de cosmologie
fiable, elle a imposé une sorte de pseudo-cosmologie, déguisée en
science pour un public sans méfiance, basée sur l'affirmation déjà
énoncée que l'univers, et tout ce qu'il contient, est « fait » de
particules quantiques et rien de plus. Le conglomérat de notions
pseudo-scientifiques qui en a résulté, claironné sous la bannière de
la science, a, avec le temps, brouillé l'esprit du public en général, et
a en plus influencé un grand nombre de nos ecclésiastiques au
point de les conduire littéralement aux portes de l'apostasie.
Maintenant, de même que seule la vérité remédie à l'erreur, de
même une cosmologie authentique constitue le seul et unique
antidote efficace à la peste actuelle des croyances scientistes. Voilà
pourquoi aujourd'hui nous avons besoin, un besoin désespéré,
d'une cosmologie authentiquement christologique.
Un point encore doit être fait pour compléter ce tableau :
non seulement cette authentique cosmologie neutralise et chasse
les illusions scientifiques de notre temps, mais elle remplit une
seconde fonction vitale ; car il se trouve que sur la base de la
cosmologie vraiment christologique on peut comprendre les vraies
découvertes de la science, de la physique quantique par exemple,
ontologiquement, en les intégrant dans le tableau plus large de
cette doctrine pérenne ne provenant pas simplement de
l'imagination ou du génie humain, mais en vérité du Christ Lui-
même.

Le problème fondamental de l'homme moderne est-il qu'il a


accepté une vision scientifique ne permettant pas une croyance en
une religion surnaturelle ?

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


17

Tout d'abord, permettez-moi de souligner que l'homme


moderne n'a pas, en fait, accepté une vision le moins du monde
« scientifique ». Sa vision est en réalité scientiste, ce qui veut dire
qu'elle se veut scientifique, basée sur de solides preuves
scientifiques, alors qu'en réalité elle ne l'est pas. C'est un sujet que
j'ai traité très longuement et avec grande précision ; bien qu'il soit
presque universellement méconnu aujourd'hui, c'est un fait qu'au
nom de la science l'homme moderne a été profondément, et
dangereusement, trompé.
Vous avez certainement raison de penser que cette vision
scientiste exclut la foi en une religion surnaturelle. En réalité,
cependant, elle exclut non seulement le surnaturel, mais aussi –
très littéralement – la meilleure moitié du naturel. L'explication de
ce fait assez surprenant dépend de la distinction catégorique – une
des plus profondes, je crois, de toute la philosophie – entre les
quantités et les qualités, le problème étant que la vision scientiste
a « catégoriquement » exclu ces dernières de son champ. Et ceci
entraîne un second fait, peut-être encore plus surprenant que le
premier : il se trouve que personne ne croit effectivement à la
vision soi-disant scientifique et, qu'en fait, même le plus grand
savant n'y croit pas dans sa vie quotidienne. Je veux dire que
normalement nous disons que l'herbe est verte, bien que, dans nos
moments « scientifiques » nous maintenons mordicus qu'elle ne
l'est pas. Le fait presque universellement méconnu est que nous,
habitants de l'âge moderne, avons été plongés involontairement
dans un état de schizophrénie collective, situation difficilement
compatible avec la bonne santé.
Il y a encore davantage : car il se trouve que qualités et
quantités ne sont pas sur le même niveau : métaphysiquement
parlant, les qualités viennent « d'en haut » alors que les quantités
viennent de ce qu'on pourrait appeler le nadir du cosmos intégral.
Évidemment, ce fait est devenu incompréhensible à l'humanité
modernisée ; avec le concept de qualité nous avons perdu l'idée de
verticalité : dans le cosmos scientiste il n'y a plus « d'en haut » et
en l'occurrence plus « d'en bas » non plus. Il est amusant qu'une
civilisation qui méprise la notion d'une « terre plate » soit devenue
la proie de l'illusion beaucoup plus grande d'un « cosmos plat ».

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


18

Pour revenir à votre question, oui la vision soi-disant


« scientifique » exclut bel et bien le surnaturel, ainsi que le chant
des oiseaux, le mugissement des vagues et, en fait, tout ce qui
constitue l'essence même de ce monde, sans parler de ce qui
évoque pour nous les royaumes « d'en haut » (p. 16-21).
_________________
Je souhaite aborder un des sujets intellectuels dont vous avez
discuté avec Malachi Martin. Vous avez eu un échange de lettres
à propos du Dr Catherine Pickstock, qui a parlé lors d'une
conférence organisée par le mouvement catholique traditionnel.
Quelle est l'importance du travail du Dr Pickstock ?
C'est Malachi Martin qui a attiré mon attention sur les
travaux de Catherine Pickstock. Il était en train de lire son livre, sa
dissertation doctorale de Cambridge, qui venait juste d'être publiée
sous ce titre surprenant : Après l'écrit sur l'achèvement liturgique
de la philosophie.5 Que puis-je dire ? Le livre est un chef-d'œuvre,
une trouvaille sans précédent dans l'histoire récente. Après sa
déconstruction du postmodernisme de Jacques Derrida (1930-
2004), au point qu'il n'en reste virtuellement rien, elle se lance
dans une analyse à vous couper le souffle du Phèdre de Platon et
elle poursuit en scrutant l'évolution de la pensée occidentale de
son point de vue très personnel. Même son utilisation de la langue
est proprement inimitable et érudite au point que Malachi Martin
lui-même, ce maître de la langue anglaise, était obligé, assez
souvent, de consulter un dictionnaire.
Ce qui nous importe surtout est évidemment la profondeur
de compréhension que Catherine Pickstock transmet ; et c'est dans
ce domaine qu'elle montre un degré de maîtrise que nous n'avons
pas vu dans le milieu académique depuis très longtemps. Elle jette
un jour nouveau sur tout ce qu'elle regarde ; de même que son
langage est inimitable, sa pensée l'est aussi. Qu'elle parle de Duns
Scot ou de Martin Heidegger, son discours immanquablement
ouvre de nouvelles voies et atteint des profondeurs jusqu'alors
insoupçonnées. Ce qui m'a le plus fasciné, cependant, c'est son
regard sur la liturgie et ce qu'on pourrait appeler « la dimension
liturgique » de la culture humaine.

5
Publié, en français, par les Ed. Ad Solem en 2013.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


19

Avant tout, sur ce sujet, je dois faire référence à son long


commentaire sur le rite Tridentin de la messe, qu'elle nous
apprend à voir avec, littéralement, des yeux nouveaux, nous
faisant comprendre – comme le sous-titre de son livre nous
l'apprend – que là, précisément, la philosophie comme telle atteint
son apogée !
Il ne doit pas nous étonner que cette révolution
philosophique touche profondément en particulier notre
compréhension du thomisme, la doctrine authentique du Docteur
angélique lui-même : à cet égard Catherine Pickstock a ouvert de
nouvelles voies. On pourrait dire qu'elle a en fait
« désaristotélisé » cette philosophie en déterrant ses racines
platoniciennes. Elle le fait en réfléchissant profondément sur la
dichotomie esse/essentia pour démontrer la primauté catégorique
de l'esse : de l'être comme inséparable de Dieu.
Le fait est que cette reconnaissance absolument
fondamentale jette tout dans une nouvelle lumière, « trouble les
anciennes catégories » comme elle dit assez modestement, et
révèle une métaphysique dépassant de beaucoup celle que nous
croyons être thomiste. Pour ma part, je conjecture que Catherine
Pickstock a réussi à mettre en lumière, après peut-être quelque
sept siècles d'oubli virtuel, ce que l'on pourrait appeler le « noyau
ésotérique » de la philosophie thomiste. Je ne puis m'empêcher de
voir ceci comme pas moins qu'un événement providentiel pointant
vers une renaissance de l'Église catholique, ce que Malachi Martin
appelle sa Résurrection (p. 24-26).
______________________

Vous avez fait allusion au début à votre déception, comme


étudiant, avec la philosophie à l'université Cornell : vous avez
conclu selon vos propres mots que « la philosophie est morte ». Et
maintenant vous portez aux nues une philosophe académique de
notre temps ! Pourriez-vous résoudre cette contradiction
apparente ?
Pour commencer laissez-moi dire quelques mots sur mon
expérience à Cornell.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


20

Au moment où j'y entrais comme bizuth, j'avais assez lu et


pensé pour comprendre que la philosophie représente de jure une
recherche sacrée, qui comme telle ne doit pas engager seulement
l'intellect rationnel mais l'homme dans sa totalité. Je ne sais pas
exactement comment j'en étais arrivé à cette vue, mais je suppose
qu'elle ne venait pas d'une source externe.
Je pense que chaque être humain apporte beaucoup avec
lui à sa naissance : nous n'arrivons pas dans ce monde comme une
tabula rasa. En tout cas, ma conception de la philosophie comme
une « recherche sacrée » n'était manifestement pas partagée par le
corps enseignant de Cornell. Dans sa grande majorité il semblait
croire que la philosophie a plus à voir, finalement, avec le langage
qu'avec la réalité.
Je ne suis guère enclin à rapporter des anecdotes
biographiques, mais laissez-moi partager avec vous un incident
qui se rapporte à notre sujet. Ayant accepté une bourse
d'enseignement dans le Département de Philosophie de Cornell, je
me présentai en bonne et due forme pour commencer les études
pour mon PhD. Un de nos devoirs du premier semestre était de
lire de A à Z la Critique de la raison pure de Kant, ainsi que le
commentaire de Norman Kemp Smith, qui était presque aussi
volumineux. Méditant sur cette littérature, il ne me fallut pas
longtemps pour conclure que ces ratiocinations kantiennes, aussi
brillantes qu'elles fussent, ont peu de chose à voir avec cette
Sophia – cette Sagesse plus qu'humaine – dont la philosophie
authentique, par sa désignation même, est littéralement l'amour.
Alors, au bout de trois semaines je résiliai ma bourse et quittai
Cornell.
J'avais toujours été attiré par la nature, spécialement ses
forêts et ses montagnes. Je décidai alors de poursuivre vers le
grand Nord-Ouest et de gagner ma vie désormais comme
bûcheron. Sans aucun doute j'avais une conception irréaliste et très
romantique de ce que cela impliquait ; mais, en tout cas, à ce
moment-là le destin intervint brusquement. J'avais fait part de mes
intentions à mon frère, qui, à l'époque, étudiait l'ingénierie
chimique à l'université Purdue. Il alla tout de suite voir le patron du
département de physique pour lui parler de mon cas, allant jusqu'à
lui mettre ma lettre dans les mains. Le verdict fut instantané :
« Dites à votre frère de se présenter à mon bureau lundi matin pour
remplir les fonctions de professeur assistant. »

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


21

Il semble que la voix de la Providence avait parlé : malgré


mes sentiments mitigés concernant le monde académique
contemporain, j'étais destiné à passer la plus grande partie de ma
vie professionnelle dans son antre, mais pas dans les départements
de philosophie !
En attendant, je n'ai trouvé aucune raison de changer mon
opinion sur l'état de cette discipline : je considère que la
philosophie académique aujourd'hui est tout aussi « morte »
qu'elle l'était lors de mon exode de Cornell il y a un demi-siècle.
Le cas de Catherine Pickstock me frappe comme
l'exception qui confirme la règle ; sa philosophie – qui répond aux
normes les plus élevées et me laisse sans voix – doit être vue, je
suppose, comme « la tache blanche » emblématique dans le
champ noir. Je devrais ajouter que son guide à l'université de
Cambridge, le professeur John Milbank, est le fondateur d'un
mouvement appelé « radicale orthodoxie », lequel brise également
les limites de la tradition philosophique contemporaine. Il se peut,
Deo volente, que nous assistions à la fin prochaine de l'âge
inauguré par les Lumières : la percée décisive annonçant une
renaissance de la philosophie authentique. On peut certainement
espérer que c'est bien le cas, mais on ne peut pas encore en être
certain. Je suis personnellement enclin à penser que cette
renaissance se produira plus ou moins au moment de l'histoire où
la Bienheureuse Vierge interviendra pour mettre un terme à la
« désorientation satanique » affligeant actuellement l'Église
catholique : lorsqu'Elle « écrasera la tête du serpent ». Mais le
temps le dira.

Vous avez parlé précédemment de la différence entre « fait


scientifique » et « fiction scientifique ». Pourriez-vous nous dire
dans quelle mesure il existe une conscience de cette différence –
cette périlleuse tromperie – dans le personnel académique ?
Il faut d'abord distinguer entre les divers domaines
scientifiques. Lorsqu'il s'agit de la science fondamentale, la
physique, on peut dire sans crainte que la distinction entre le fait et
la fiction, à laquelle je me réfère, n'est discernée nulle part : la
reconnaissance qu'une distinction fondamentale doit être faite entre
l'univers physique – l'univers conçu par le physicien – et le
« corporel », que nous percevons par nos sens, n'a aucun cours
dans les facultés de physique de tout le monde occidental.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


22

Bien que, dans une monographie sur le sujet, j'aie


rigoureusement prouvé que cette distinction ontologique entre le
physique et le corporel n'est pas seulement cohérente avec ce que
la physique par son modus operandi même est capable d'établir,
mais qu'elle résout en fait les paradoxes apparents de la théorie
quantique, rien n'a encore changé.
Les professeurs de physique dans leur ensemble
continuent d'épouser les prémisses philosophiques discréditées
depuis longtemps, tout en se regardant eux-mêmes comme des
« empiristes réalistes ». C'est presque comme si la précision
troublante illustrée dans leur recherche scientifique était
compensée par un amateurisme naïf lorsqu'il s'agit du domaine
philosophique.
Revenons à la question de la « science-fiction » : lorsqu'il
s'agit des sciences biologiques – pour ne pas parler des sciences
psychologiques qui ne sont sans doute pas des sciences du tout –
le cas n'est pas tranché. Ce qui est principalement en cause c'est la
théorie darwinienne de l'évolution : la question est de savoir si
cette doctrine constitue réellement un fait scientifique. Ici, il
apparaît que les opinions professionnelles sont aujourd'hui
divisées : pas à 50 / 50 certes, mais néanmoins dans une
proportion significative. Depuis en gros le milieu du XXe siècle, un
nombre croissant de scientifiques ont déserté la position officielle.
Le bruit court qu'il n'y a pas de preuve scientifique certaine pour
confirmer la conjecture de Darwin, et qu'en fait, avec le progrès
des sciences biologiques, au niveau moléculaire en particulier, les
preuves contraires se sont accumulées.
Il semble ainsi, contrairement à la thèse officielle, que la
théorie darwinienne est réellement soutenue pour des raisons
idéologiques a priori. En plus, cette fatale hypothèse est
agressivement imposée, au nom de la science, d'abord à la
communauté scientifique elle-même puis à la société et à
l'ensemble de la civilisation. Laissez-moi souligner que le savant
individuel n'est aucunement libre de penser et de publier comme il
l'entend. Cependant, malgré l'impératif de soutenir ce qui est, sans
aucun doute, le dogme central du statu quo régnant – sous peine
d'ostracisme ou de renvoi –, des défections de savants se
produisent et les rangs des contestataires commencent en fait à
grossir.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


23

Il n'est pas entièrement inconcevable qu'un changement


de paradigme puisse s'imposer tôt ou tard à une communauté
scientifique catégoriquement récalcitrante.
Ce qu'il faut bien comprendre est que l'œuvre scientifique
contemporaine n'est aucunement la recherche « désintéressée » de
la vérité qu'elle est censée être, mais qu'elle est en réalité motivée
par des engagements profondément enracinés d'un genre
idéologique : le matérialisme et le relativisme moral qui « s'en
dégage » pour ainsi dire, sont en réalité ce qui a fait marcher
l'entreprise scientifique moderne, virtuellement depuis son origine.
Le public en général admire évidemment avec soumission les
merveilles de la technologie qui nous entourent de tous côtés – les
véritables « signes et prodiges qui pourraient tromper les élus
eux-mêmes » – mais qui cependant, ne corroborent pas, même au
moindre degré, les thèses scientistes prises par erreur presque
universellement pour la vérité scientifique.
Alors que nos Universités devraient par nature être à la
tête de la détection de l'erreur scientiste, elles servent au contraire
à perpétuer cette vision renversée et à brouiller d'autant plus
l'esprit du public. Il existe, certes, des contre-courants, comme
nous l'avons noté, à commencer par des biologistes honnêtes
risquant l'expulsion ; pourtant, les partisans du statu quo
demeurent à ce jour solidement aux commandes du monde
académique (p. 27-31).

* *

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


24

Les prélèvements forcés d’organes en Chine29

Grace Yin & David Li

Présentation : Il est souvent difficile d’obtenir des organes à greffer. Dans


nos pays, le receveur doit parfois attendre des années avant qu’un donneur
adéquat se présente. Le Parti communiste chinois a résolu rationnellement le
problème. Dès l’arrestation, les prisonniers font l’objet d’une étude médicale
et biologique poussée, permettant de les répertorier en vue d’une éventuelle
greffe. De la sorte, à l’arrivée du receveur, un « donneur » compatible peut
être appréhendé pour subir le prélèvement souhaité. Outre les minorités
ethniques (Ouïgours, notamment) et religieuses (chrétiens en particulier) il
existe en Chine une population privilégiée car elle est nombreuse et en bonne
santé et comporte hommes, femmes et enfants. Il s’agit des adeptes du Falun
Gong, une pratique immémoriale comportant des exercices physiques et
psychiques recherchant l’harmonie en soi-même avec les autres et avec le
cosmos. Dans un premier temps, le Parti en avait fait un élément de
propagande, la preuve que la sagesse populaire pratique l’emportait sur la
science médicale occidentale (l’anesthésie par acupuncture a aussi joué ce
rôle). Mais les adhérents du Falun Gong se sont bientôt comptés par dizaines
de millions et se rassemblaient pour pratiquer leurs exercices dans les parcs
publics. Ils étaient devenus plus nombreux que les membres du Parti ! De là
une violente persécution qui se poursuit mais, on le verra, une persécution
éminemment rentable.

Lorsque nous pensons à la Chine, nous avons en tête son


incroyable croissance économique et son statut de superpuissance
émergente. Ce pays joue effectivement un rôle de plus en plus
grand dans le commerce international et la géopolitique mondiale,
attirant de grands investisseurs étrangers dans ses marchés
lucratifs.

29
Source : China Organ Research Center. Organisme à but non lucratif dont
l'objet est d'effectuer et de présenter des recherches objectives sur les
prélèvements d’organes non consentis en Chine. Les études menées depuis
plus de 10 ans permettent d’affirmer qu’il s’agit d’une pratique courante
favorisée et même organisée par le gouvernement. Le travail du CORC a servi
de base à des enquêtes indépendantes qui ont été citées par CNN, le New York
Times, PBS, le Globe and Mail et le Times of London. En 2013, 1,5 million de
personnes dans plus de 50 pays et régions ont signé une pétition destinée aux
Nations Unies afin de réclamer l’arrêt du meurtre de ces gens pour leurs
organes, en Chine.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


25

Mais la Chine possède un autre visage – un visage caché dont


nombre d’observateurs occidentaux hésitent à traiter depuis le
massacre de la place Tiananmen en 1989.
Nous faisons référence au rôle de la Chine dans l’une des
pires violations des droits de l’homme au monde. Le Parti
communiste a utilisé chaque aspect de la société pour mener sa
politique répressive et se maintenir au pouvoir, utilisant
fréquemment des moyens violents. Le domaine médical ne fait pas
exception. Le premier cas de médecins prélevant de force les
organes d’un prisonnier d’opinion a été enregistré dans les années
1970, quand une femme fut exécutée et ses reins transplantés au
profit du fils d’un cadre supérieur du Parti. Les Ouïghours ont été
soumis à ce genre d’abus dans les années 1990. La liste des groupes
désignés comme « ennemis de l’État » a continué de s’allonger. Sous
la doctrine du Parti, on pouvait s’attendre à ce que ces populations
soient utilisées comme « ressources » par l’État. À cette fin, ils
étaient systématiquement diabolisés et déshumanisés aux yeux de la
population chinoise.
Aucun groupe n’a plus souffert aux mains du Parti
communiste chinois que les pratiquants de Falun Gong, une pratique
spirituelle de méditation et de développement personnel basée sur
les principes d’Authenticité, Bienveillance, Tolérance. La pratique a
attiré plus de 70 millions de personnes en Chine. Cette popularité a
débouché sur une persécution à l’échelle nationale qui a débuté en
1999 et sous laquelle de nombreux pratiquants de Falun Gong ont
disparu sans laisser de traces. Après 1999, l’industrie des greffes
d’organes en Chine s’est accrue de manière exponentielle. En
quelques années seulement, plus de mille hôpitaux réalisaient des
dizaines de milliers de transplantations par année. Des preuves,
apparues dans la dernière décennie, indiquent que l’État n’aurait pas
seulement tué des condamnés à mort et prélevé leurs organes afin de
répondre à la demande croissante d’organes, mais qu’il aurait
également ciblé des prisonniers d’opinion.

Contexte
Durant la dernière décennie, des rapports ont démontré que le
gouvernement chinois tue des prisonniers d’opinion pour alimenter
son immense et lucrative industrie de greffes d’organes.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


26

Les enquêteurs ont découvert, à travers diverses sources, de


nouvelles preuves et des chiffres qui révèlent la véritable nature ainsi
que l’étendue de ces abus.
Le 22 juin 2016, trois enquêteurs indépendants — l’ancien
secrétaire d’État canadien pour l’Asie-Pacifique David Kilgour,
l’avocat canadien spécialiste des droits de l’homme David Matas et
le journaliste d’enquête basé à Londres Ethan Gutmann — ont
publié conjointement Bloody Harvest/The Slaughter: An Update, un
rapport de 680 pages dénonçant une industrie menée par le Parti
communiste chinois dans laquelle on transplante bien plus d’organes
— en nombre — que ce qui peut être imputable aux sources
d’organes officiellement reconnues qui, selon la Chine, se limitent
aux prisonniers condamnés à mort et aux donneurs volontaires. Le
nouveau rapport conclut, en se basant sur les exigences minimales
de capacité imposées par le gouvernement, que les 169 hôpitaux
autorisés à réaliser des transplantations pourraient avoir fait de
60 000 à 100 000 greffes par année, nombre contrastant avec les
10 000 greffes officiellement reconnues par an. Ces hôpitaux avaient
la capacité de réaliser plus d’un million de transplantations depuis
2000. En 2007, plus de 1 000 hôpitaux ont sollicité des permis afin
de continuer à réaliser des greffes.
Ce nombre considérable d’organes provient essentiellement
des pratiquants de Falun Gong, mais également des Ouïghours, des
Tibétains et des chrétiens membres des « églises de maison »
chinoises. Le pillage d’organes en Chine est un crime dirigé par le
Parti communiste et perpétré par les militaires, les institutions
gouvernementales, les hôpitaux et les professionnels des greffes30.
Freedom House a publié en 2017 un rapport citant ses propres
observations de « preuves crédibles suggérant que […] les
prisonniers pratiquant le Falun Gong sont tués à grande échelle
pour leurs organes ». Le rapport ajoute que « la disparition à
grande échelle de jeunes hommes ouïghours, les comptes rendus de
tests sanguins réguliers sur les prisonniers d’opinion ouïghours et
des rapports de mort mystérieuse de Tibétains et de Ouïghours en
détention, devraient sonner l’alarme sur le fait que ces populations
seraient aussi probablement victimes de ces prélèvements d’organes
forcés ».

30
Voir sur EndOrganPillaging.org le rapport complet.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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L’histoire de la Chine tuant pour des organes a commencé à


attirer l’attention des médias dans le monde entier : « La pratique
inhumaine et macabre du régime [communiste], qui consiste à voler
la liberté aux individus, les jetant dans des camps de travail ou des
prisons, pour ensuite les exécuter et prélever leurs organes pour les
transplanter, dépasse de très loin tout ce qu’on peut concevoir et
nous devons universellement nous y opposer pour que cela cesse
sans conditions. »

Une décennie d’investigations


Le problème a été soulevé pour la première fois en mars
2006, lorsqu’une femme a affirmé qu’au moins 4 000 pratiquants de
Falun Gong avaient été tués pour leurs organes dans l’hôpital où elle
travaillait. Son mari, un chirurgien du même hôpital, situé à
l’extérieur de la ville de Shenyang dans le nord-est de la Chine, lui
avait révélé qu’il avait prélevé les cornées sur les corps vivants de
plus de 2 000 pratiquants de Falun Gong entre 2000 et 2001.

Le 20 avril 2006, cette femme a témoigné devant un rassemblement


en face de la Maison Blanche et fait une déclaration publique
dénonçant les prélèvements d’organes forcés en Chine.

À la suite de cette déclaration, David Kilgour et David Matas


ont démarré une enquête indépendante. Après des mois de
recherche, dont des entrevues réalisées sous l’anonymat auprès de
médecins de 12 provinces chinoises différentes, ils sont arrivés à « la
triste conclusion que ces allégations étaient véridiques ».

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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MM. Kilgour et Matas ont par la suite compilé leurs résultats


dans le livre Bloody Harvest.
À peu près à la même époque, le journaliste d’enquête Ethan
Gutmann a lancé ses propres recherches qui allaient durer sept ans. Il
est parvenu à des conclusions similaires dans son livre The
Slaughter: Mass Killings, Organ Harvesting, and China's Secret
Solution to Its Dissident Problem.
Ces trois enquêteurs ont été signalés pour le prix Nobel de la Paix
pour leur travail dont le résumé suit.
Pendant la dernière décennie, nous avons enquêté sur des
centaines de cas de transplantation dans des hôpitaux en Chine et
avons découvert et synthétisé une énorme quantité d’informations
ainsi que les directives politiques pertinentes ayant une influence sur
la croissance de l’industrie de la transplantation en Chine. En nous
basant sur les comptes rendus des médias, les politiques officielles et
les communiqués, les revues médicales, les sites internet des
hôpitaux et les archives d’internet, nous avons constaté qu’en très
peu d’années, malgré le manque d’organisation systématique pour
les dons d’organes, l’industrie de la transplantation en Chine était
devenue la plus prolifique au monde. Elle a continué sa croissance
après le moment où les prélèvements d’organes forcés ont gagné
l’attention internationale, en 2006. En outre, nous avons examiné les
politiques de l’État et celles du Parti qui ont engendré les exécutions
extrajudiciaires de prisonniers d’opinion et nous avons aussi analysé
comment les institutions militaires et civiles ont été mobilisées pour
conduire les prélèvements d’organes sur ces « donneurs » non
consentants.

« À travers la Chine, un commerce révoltant d’organes humains


s’est développé à grande échelle. Comme dans un film d’horreur,
des foies, des reins, des cœurs, des poumons et des cornées sont
prélevés sur des prisonniers d’opinion alors qu’ils sont encore en
vie. S’il existe dans ce monde quelque chose qui serait le modèle de
l’expression “crime contre l’humanité”, c’est bien cette pratique
macabre et sanglante. » (Benedict Rogers, Vice-président de la
Commission des droits de l’homme du Parti conservateur du
Royaume-Uni)

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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En juin 2016, David Kilgour, David Matas et Ethan Gutmann ont


publié un nouveau rapport sur la persistance et l’étendue des
prélèvements d’organes forcés en Chine.

Le système de greffes d’organes sur demande de la Chine

L’ESSOR SPECTACULAIRE DE L’INDUSTRIE DE


TRANSPLANTATION D’ORGANES EN CHINE DEPUIS l’AN
2000
La Chine a commencé ses recherches et expérimentations
cliniques dans le domaine des greffes d’organes dans les années
1960. Il a fallu attendre 2000 pour que cette industrie entre dans une
période de croissance considérable.
Avant 1999, il y avait déjà 150 institutions de transplantation
en Chine continentale. En 2007, plus de 1 000 hôpitaux ont demandé
des permis au ministère de la Santé pour pouvoir continuer à
pratiquer des greffes d’organes. La forte augmentation des greffes,
destinées dans un premier temps à répondre aux besoins de la
population chinoise, a rapidement entraîné une forte expansion du
tourisme de transplantation en provenance d’autres pays, faisant de
la Chine un centre mondial pour ceux qui ont besoin de nouveaux
organes vitaux.
L’année 2000 a été décisive pour l’industrie des greffes en
Chine. Les transplantations de foie ont décuplé entre 1999 et 2000,
puis encore triplé entre 2000 et 2005.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


30

Le développement explosif de l’industrie chinoise des greffes


d’organes après 1999

En janvier 2015, le haut fonctionnaire en charge des transplantations


d’organes en Chine, Huang Jiefu, a déclaré à CCTV : « Je voudrais
citer les propos de l’Organisation mondiale de la santé qui dit que
la Chine a réalisé tout cela en six ou sept ans, alors que ça a pris
des dizaines d’années à d’autres pays développés pour construire
leur système de dons d’organes ainsi que les infrastructures pour les
transplantations »

COURTS DÉLAIS D’ATTENTE


Dans d’autres pays disposant de meilleures pratiques en
matière de soins de santé ainsi que d’un système de dons et de
répartition d’organes bien organisé, la majorité des patients doit
attendre des années pour une transplantation. En Chine, le temps
d’attente pour une greffe de rein ou de foie se compte généralement
en semaines.
Le registre chinois des greffes de foie indique que plus de
25 % des cas traités, en 2005 et 2006, étaient des transplantations
d’urgence, pour lesquelles les organes ont été trouvés en l’espace de
quelques jours, voire en quelques heures seulement.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


31

D’ABONDANTES RÉSERVES D’ORGANES


Un hôpital annonçait « des donneurs cherchant des
bénéficiaires compatibles » et promettait « en cas d’échec, nous
continuons à réaliser des greffes jusqu’au succès ».
Il y a des cas documentés de médecins excisant plusieurs
organes (dans un certain cas, huit paires de reins) pour un seul
patient, jusqu’à ce qu’il y ait compatibilité. Certains patients ont reçu
une seconde, troisième ou même quatrième greffe.
De nombreux rapports indiquent que les équipes chirurgicales
pratiquent des transplantations 24 heures sur 24 et que des hôpitaux
réalisent 10, 20 ou même encore plus de transplantations en une
seule journée, parfois plusieurs simultanément.
De longues listes de différents types de transplantation et leur
prix étaient ouvertement affichés sur les sites internet des hôpitaux.
« Voici la preuve crédible que les prisonniers d’opinion chinois
sont tués sur demande pour leurs organes, avec un processus de
compatibilité inversé qui n’est pratiqué nulle part ailleurs sur la
terre. Dans la majorité des pays disposant de programmes bien
réglementés de dons d’organes provenant de personnes décédées,
les organes procurés légalement et éthiquement sur des personnes
mourantes sont offerts aux receveurs de la liste d’attente ayant la
meilleure compatibilité avec les organes disponibles. En Chine, le
processus est inversé. De riches receveurs sont comparés avec un
grand bassin de prisonniers, et une exécution est programmée avec
le prisonnier le plus compatible, selon ce qui convient le mieux au
chirurgien et au receveur. » (Wendy Rogers, professeur d’éthique
clinique et directrice adjointe du Centre de recherche des
programmes de valeur et d’éthique de l’Université Macquarie)

Une très grande quantité de greffes

UN ESSOR CONTINU MÊME APRÈS L’ATTENTION


INTERNATIONALE EN 2006
À partir du moment où les prélèvements d’organes forcés en
Chine sur des prisonniers non consentants ont attiré l’attention
internationale en 2006, le ministère de la Santé a mis en place un
nouveau système d’approbation pour les hôpitaux spécialisés en
transplantation.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


32

Parmi les 1 000 hôpitaux qui en ont fait la demande, 169


d’entre eux ont finalement reçu des permis pour continuer à
pratiquer des greffes d’organes.
Notre recherche a permis de constater qu’alors que certaines
petites institutions non autorisées ont réduit ou arrêté leurs
opérations de transplantation, d’autres qui pouvaient encore obtenir
des organes ont continué à opérer. Les grandes institutions autorisées
ont, quant à elles, connu une croissance, profitant de la baisse de
concurrence. Par conséquent, l’industrie dans son ensemble a
continué à croître de manière régulière après 2006. Les hôpitaux ont
ajouté des lits et ouvert de nouveaux départements pour les
transplantations, ils ont aussi déménagé dans des immeubles neufs.
Depuis 2015, à différentes occasions, Huang Jiefu, le ministre-
adjoint de la Santé, a annoncé ses plans pour augmenter le nombre
d’hôpitaux qualifiés pour la transplantation de 169 à 300, même
jusqu’à 500 au cours des prochaines années.
« Le marché des transplantations de foie dans notre pays est
entré dans une période de développement stable. Les affaires sont
florissantes dans le domaine des greffes de foie au premier hôpital
affilié de l’Université de Zhejiang. L’hôpital a été transféré dans un
édifice neuf en 2007. Les transplantations de foie y sont devenues
plus systématiques, professionnelles et à plus grande échelle. »
(Site internet du Centre de transplantation du foie du Premier
hôpital affilié de l’Université de Zhejiang)

VOLUME ACTUEL : DES CHIFFRES LARGEMENT


SUPÉRIEURS AUX CHIFFRES OFFICIELS
Les enquêteurs ont découvert que la Chine pratiquait plus de
greffes d’organes que n’importe quel autre pays dans le monde.
Depuis l’an 2000, les États-Unis ont réalisé une moyenne de 6 000
transplantations de foie par année. En Chine, ce nombre a été atteint
avec le travail de quelques hôpitaux seulement.
Par exemple, le seul Centre oriental de transplantation
d’organes de Tianjin, qui se spécialise principalement dans les
greffes de foie, dispose de plus de 500 lits réservés aux
transplantations. Cela correspond à une capacité de 6 000 à 8 000
greffes par année.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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En nous basant sur les exigences gouvernementales


minimales de capacité pour les centres de transplantation, et sur
d’autres données, nous avons déterminé que les 169 hôpitaux de
greffes d’organes approuvés par le Ministère pourraient avoir
effectué entre 60 000 et 100 000 transplantations par an. Par
conséquent, ces 169 hôpitaux autorisés ont pu pratiquer un total de
plus d’un million de greffes depuis 2000.
Les données officielles de la Chine qui font état de 10 000
greffes par année sont dépassées par seulement quelques-uns de ses
hôpitaux. Toutefois, en 2007, plus de 1 000 hôpitaux ont fait une
demande de permis afin de continuer à pratiquer des
transplantations. Ceci suggère qu’ils ont aussi répondu aux
exigences minimales de capacité du gouvernement pour les centres
de transplantation d’organes. De plus beaucoup d’entre eux ont
continué à pratiquer des greffes d’organes, même s’ils n’avaient pas
reçu de permis. Par conséquent, le nombre de greffes d’organes
réalisées véritablement chaque année en Chine pourrait être
beaucoup plus important que les chiffres officiels.

Cet immeuble de transplantation d’organes de 17 étages, abritant le


Centre oriental de greffes d’organes du Premier hôpital Central de
Tianjin, a ouvert ses portes en 2006 avec 500 lits dédiés à la
transplantation.

Des organes de provenance non identifiée


Selon les coutumes chinoises, les corps doivent être conservés
intacts après la mort.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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La Chine n’a commencé à piloter un système de dons


d’organes qu’en 2010, et aucun système national n’a été implanté
avant la fin 2013. Quoi qu’il en soit, en 2015 ce système n’avait
toujours pas produit de dons à une échelle significative.
La communauté internationale croit généralement que le nombre
total d’exécutions en Chine a diminué depuis l’an 2000, époque où
ce nombre était estimé aux environs de 10 000. De plus, Huang
Jiefu, ministre-adjoint de la Santé en Chine, a annoncé que la Chine
avait arrêté d’utiliser les organes provenant des prisonniers
condamnés à mort depuis 2015.
Depuis l’an 2000, époque où le système de greffes d’organes
chinois a commencé son essor, les sources d’organes identifiées par
le gouvernement – les donneurs volontaires et les prisonniers
condamnés à mort exécutés – n'ont donc pu compter que pour une
petite fraction de toutes les greffes pratiquées.
« Nous pratiquons les greffes de reins à partir de sources vivantes.
C’est totalement différent des greffes de reins provenant de
cadavres… » (Page archivée du site internet du Centre d’assistance
du Réseau International de greffes d’organes de Chine)

Des pratiquants de Falun Gong déploient des banderoles sur la


place Tiananmen pour protester contre la persécution. Il est écrit
sur les banderoles : « Authenticité, Bienveillance, Tolérance ».

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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Les victimes
Les enquêteurs ont pu observer un développement
spectaculaire de l’industrie chinoise des greffes d’organes après
1999. Cette croissance concorde avec la campagne du Parti
communiste chinois pour éradiquer le Falun Gong.
Le Falun Gong est une pratique de méditation basée sur des
traditions anciennes chinoises de santé et de développement
personnel ainsi que sur les principes d’Authenticité, Bienveillance et
Tolérance. À la fin des années 1990, le gouvernement estimait à plus
de 70 millions le nombre de personnes pratiquant le Falun Gong, un
chiffre cité par plusieurs médias d’information occidentaux.

Des pratiquants de Falun Gong méditent à Muxidi (Pékin), avant le


début de la persécution en 1999.

L’ancien dirigeant du Parti communiste, Jiang Zemin, a vu la


popularité du groupe et la renaissance des valeurs traditionnelles
comme une menace pour son régime, et a démarré une campagne
violente pour « ruiner leur réputation, les conduire à la faillite et les
détruire physiquement ».
Des millions de pratiquants de Falun Gong de toute la Chine
ont voyagé jusqu’à Pékin pour faire appel auprès du gouvernement
central, mais ils ont été arrêtés et torturés.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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Alors que beaucoup d’entre eux refusaient de divulguer leur


identité afin de protéger leurs familles et amis, ils se sont retrouvés
parmi un très grand groupe de gens anonymes gardés en captivité
par l’État. Un grand nombre de pratiquants ont été arrêtés partout en
Chine. Ceux qui refusaient de renoncer à leur croyance ont
commencé à disparaître sans laisser de traces.

Un crime orchestré par l’État


Depuis l’an 2000, le régime chinois a donné priorité aux
greffes d’organes dans sa stratégie nationale et en tant que future
industrie émergente. Les ministères de la Santé, de la Science et de
la Technologie et celui de l’Éducation, tout autant que les militaires,
ont investi massivement dans la recherche et le développement des
techniques de transplantation, dans la formation du personnel et dans
l’industrialisation. La plupart des centres de greffes autorisés ont
reçu un financement considérable venant de tous les niveaux du
gouvernement. Le développement de nouvelles compétences et
techniques a permis à la transplantation en Chine de devenir une
grande opération industrielle en quelques années seulement.
Le ministère de la santé et son successeur, la Commission nationale
pour la planification familiale et la santé, ont été totalement
responsables de toute la planification, de la formulation de
politiques, des lois et de la gestion de l’industrie chinoise des greffes
d’organes ainsi que des dons d’organes et du système d’attribution.
Plus de 765 hôpitaux civils ont été impliqués dans les greffes
d’organes.
L’ancien chef du Parti communiste, Jiang Zemin, a autorisé le
Département de logistique générale de l’Armée de libération du
peuple à devenir l’unité centrale qui devait diriger tous les effectifs
militaires pour éradiquer la pratique du Falun Gong. Les militaires
recevaient le pouvoir de diriger des centres de détention secrets et le
processus complet des prélèvements d’organes forcés sur des
personnes vivantes. Plus de 100 hôpitaux militaires et de la police
armée ont été impliqués dans les greffes d’organes. Ils ont résolu de
nombreux problèmes techniques cruciaux et ont fourni des organes
frais sur demande aux hôpitaux civils.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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Avant que la campagne officielle contre le Falun Gong ne


commence, le 10 juin 1999, la direction centrale du Parti
communiste avait créé le « Bureau 610 », une agence ad hoc
directement sous le contrôle du Comité central, avec une structure
s’étendant de haut en bas à travers le Parti, le gouvernement et les
militaires. Elle a été dotée de pouvoirs extrajudiciaires extrêmement
vastes pour éradiquer systématiquement le Falun Gong. Le Parti a
mobilisé tout l’appareil d’État pour mener à bien sa campagne, ce
qui comprend les prélèvements d’organes forcés.
Depuis que la persécution a commencé, en juillet 1999, la
propagande anti-Falun Gong a été diffusée à travers toute la Chine et
propagée mondialement par les médias du Parti à l’étranger ainsi que
dans les consulats. La diabolisation et l’incitation à la haine à
l’encontre du Falun Gong ont fourni une base sur laquelle les crimes
contre les pratiquants pouvaient être justifiés.
« La diabolisation par le Parti communiste et les actes brutaux sur
le Falun Gong ainsi que l’insatiable demande du système de santé
pour des organes ont formé une symbiose, l’un nourrissant l’autre,
et cette combinaison est devenue une catastrophe humaine sans
précédent à peine concevable. » (David Kilgour, David Matas et
Ethan Gutmann, Les rôles du Parti communiste et des agences
gouvernementales dans les prélèvements d’organes forcés)

Chronologie
Les années 1960
La Chine effectue sa première grève d'organes humains. La
commission militaire centrale du parti communiste dispose de
documentation depuis 1962. Jusqu'à aujourd'hui : tous les
condamnés à mort et les criminels notoires peuvent être traités selon
les besoins du développement national et socialiste, et leurs cas
peuvent être traités selon le « protocole révolutionnaire ».

Les années 1970


Les greffes d'organes cliniques commencent en Chine. Le premier
cas de prélèvement de force sur un prisonnier d'opinion est
enregistré en octobre 1978.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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Planche ci-dessous : l’implication des divers échelons de l’État.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


39

Les années 1980


Le gouvernement chinois promulgue des lois autorisant l'utilisation
des corps et les organes des prisonniers décédés, sous certaines
conditions.

Les années 1990


Les prisonniers politiques ouïgours commencent à être ciblés pour
leurs organes.

Juillet 1999
Le Parti communiste commence sa persécution du Falun Gong.

2000
Le nombre de greffes et de centres de transplantations s'accroît de
manière exponentielle.

2002-2003
Les premiers examens médicaux « uniquement pour les organes »,
réalisés sur des chrétiens des églises de maison chinoises ainsi que
sur des Tibétains, sont signalés

2005
En juillet, le ministre adjoint de la santé, Huang Jiefu, reconnaît pour
la première fois que la majorité des organes transplantés provient de
prisonniers condamnés à mort.

2006
Des enquêtes indépendantes arrivent à la conclusion que les organes
sont prélevés de force sur les pratiquants de Falun Gong, et ce, à
grande échelle. Les hauts responsables chinois nient obtenir des
organes de prisonniers condamnés à mort.

2007
Afin de « renouveler la certification et de réglementer » le marché,
le ministère de la Santé commence à délivrer des permis pour les
centres de transplantation. Par conséquent, les hôpitaux sans permis
ne sont plus autorisés à réaliser des greffes d'organes après le 1er
juillet 2007.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


40

Avant 1999, il y avait 150 institutions de greffes d'organes en


Chine continentale. En 2007, plus de 1 000 hôpitaux ont fait une
demande de permis afin de continuer à pratiquer des
transplantations. 169 d'entre eux l'ont reçu.
À partir de janvier 2007, le ministre adjoint de la Santé Huang
Jiefu a régulièrement déclaré que les organes provenaient de
prisonniers exécutés.

Mars 2010
La Chine commence à piloter un système de dons d'organes à
Shanghai, Tianjin, Liaoning, Shandong, Zhejiang, Guangdong,
Jiangxi, Fujian, Xiamen, Nanjing, Wuhan et, ultérieurement, dans 19
provinces et villes.

Août 2013
Un « système chinois de distribution et de partage d'organes »
devient obligatoire. Dans les centres autorisés, il est demandé aux
patients sur la liste d'attente de s'enregistrer dans cette base de
données nationale, et les dons d'organes doivent passer par ce
système centralisé de distribution d'organes.

Novembre 2013
Huang Jiefu annonce la « résolution de Hangzhou ». Parmi les 169
hôpitaux de transplantations autorisés, 38 ont signé la résolution
promettant d'arrêter d'utiliser les organes provenant de prisonniers
condamnés à mort à partir de juin 2014.

Décembre 2014
Huang Jiefu annonce que la Chine arrêtera d'utiliser les organes
provenant de prisonniers exécutés en janvier 2015.

2015
La Chine annonce qu'elle a cessé d'utiliser les organes provenant de
prisonniers exécutés. Pourtant, de nouvelles recherches démontrent
que les prélèvements d'organes sur les prisonniers d'opinion se
poursuivent.
En mars, Huang Jiefu déclare : « Nous allons régler ce problème en
incluant les dons d'organes volontaires des prisonniers condamnés à
mort dans notre système national public de dons d'organes.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


41

Une fois qu'ils seront entrés dans notre système unifié


d'attribution, ils seront comptés en tant que dons volontaires de
citoyens. Les prétendus dons d'organes de prisonniers condamnés à
mort n'existeront donc plus. »

Juin 2016
Trois enquêteurs indépendants publient conjointement un rapport
mis à jour comptant 680 pages sur la nature et l'envergure des
greffes d'organes en Chine. Ils arrivent à la conclusion que le
nombre de transplantations excède de loin les affirmations officielles
de la Chine.

Mythes et réalités

Mythe : "La majorité des organes provient de prisonniers


condamnés à mort"
Réalité : En Chine, le nombre de greffes d’organes a
considérablement augmenté depuis l’an 2000 : entre 1999 et 2005
seulement, il a été multiplié par 30. En se fondant sur les données du
gouvernement qui impose des exigences minimales de capacité, les
169 hôpitaux autorisés à faire des transplantations ont la capacité de
réaliser entre 60 000 et 100 000 greffes par année. En comparaison,
de nombreuses sources estiment que le nombre de prisonniers
condamnés à mort est de l’ordre de quelques milliers chaque année,
un nombre qui diminue depuis 2000. De plus, Huang Jiefu a
annoncé que la Chine avait arrêté d’utiliser des organes provenant de
prisonniers condamnés à mort à partir de 2015. En tenant compte du
fait que le nombre de donneurs volontaires est resté faible et stable,
le fossé croissant entre le nombre de greffes et celui des exécutions à
mort ne peut pas être expliqué par le nombre d’organes provenant de
sources reconnues officiellement.
Même si la Chine a cessé d’utiliser les organes des
prisonniers condamnés à mort, comme elle le prétend, elle n’a
jamais reconnu publiquement ses exécutions extrajudiciaires de
prisonniers d’opinion pour leurs organes, et continue à les réaliser à
une échelle bien plus importante. Malheureusement, la campagne de
relations publiques de la Chine en ce qui concerne les prisonniers
condamnés à mort a détourné l’attention mondiale des meurtres de
personnes innocentes pour leurs organes, un véritable crime contre
l’humanité.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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MM. Kilgour, Matas et Gutmann ont conclu dans leur rapport


de 2016, que le nombre considérable d’organes provient
principalement de pratiquants de Falun Gong ainsi que des
Ouïghours, des Tibétains et des chrétiens membres des églises de
maison chinoises.

Mythe : "Les dons d’organes volontaires sont la plus grande


source d’organes pour les transplantations"
Réalité : Les greffes d’organes en Chine ont commencé dans les
années 1970, mais le nombre de dons volontaires est resté nul
jusqu’en 2003. Il n’y avait aucun système de dons d’organes en
Chine avant 2010, et le système national de dons d’organes n’a
commencé à opérer qu’en 2014. À partir de la fin 2015, les
tentatives de la Chine pour se doter d’un système de dons et
d’attribution d’organes n’avaient toujours pas donné de résultats
significatifs.
En 2013, Huang Jiefu a déclaré qu’il avait réalisé plus de 500
greffes de foie pendant l’année 2012, l’une d’entre elles provenait du
« premier don d’un citoyen volontaire qui respectait les normes
chinoises ». À Shanghai, une ville comptant 11 centres de greffes
d’organes autorisés par le ministère de la Santé, le premier don
d’organe provenant d’un donneur décédé a été fait en août 2013.

Mythe : "L’utilisation des immunosuppresseurs en Chine


dans 10 000 cas de greffes par année seulement"
Réalité : Le gouvernement chinois compte la recherche et le
développement sur les immunosuppresseurs comme un facteur clé
pour les projets de recherche scientifique nationaux. De nombreuses
institutions reliées au domaine des transplantations se sont
impliquées dès le départ dans la recherche et le développement.
Dès 2004, les fabricants de médicaments immuno-
suppresseurs du pays avaient conquis près de la moitié des parts de
marché intérieur auparavant détenu en totalité par des sociétés
pharmaceutiques étrangères et sociétés par actions. En 2006, ce
marché avait une valeur de près de 10 milliards de RMB31, il y avait
plus de 100 fabricants produisant près de 30 médicaments.

31
Ndlr. Le yuan chinois a pour nom officiel Ren Min Bi (la « monnaie du
peuple »). Il vaut aujourd’hui 0,13 €. Le seul marché chinois représenterait donc
1,3 milliards d’euros.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


43

Les hôpitaux de transplantation en Chine utilisent


habituellement des produits nationaux plutôt que ceux qui sont
importés. En prenant en compte un coût moyen en médicaments de
30 000 RMB par patient et par année, le marché aurait pu subvenir
aux besoins de plus de 300 000 patients, une moyenne entre 50 000
et 60 000 personnes par an depuis 2000. Ces chiffres dépassent de
loin les chiffres officiels faisant état de 10 000 transplantations par
année.
Notre recherche indique que l’industrie chinoise des greffes
d’organes a continué à connaître un développement important après
les premières révélations de 2006 sur les prélèvements d’organes
forcés en Chine. Son marché pharmaceutique d’immuno-
suppresseurs aurait par conséquent connu une croissance bien plus
grande que le chiffre de 10 milliards de RMB de 2006. Les ventes
internationales de médicaments, comme indiquées dans les données
sur la santé de l’IMS Health Data, ne reflètent qu'un petit
pourcentage du marché pharmaceutique de la Chine.

Comment peut-on forcer des médecins à extraire des organes de


personnes vivantes ?
La Chine a commencé dans les années 1970 à pratiquer des greffes
d’organes en utilisant à petite échelle des organes prélevés sur des
prisonniers exécutés. Dans les années qui ont suivi, les organes
provenant de prisonniers d’opinion emprisonnés ont été utilisés –
Ouïghours, Tibétains et chrétiens des églises de maison.
Aujourd’hui, les organes continuent d’être prélevés sur les
prisonniers d’opinion, en particulier les pratiquants de Falun Gong.
Sous la doctrine du Parti communiste, de tels prisonniers sont
identifiés en tant qu’«ennemis de l’État» et systématiquement
déshumanisés, afin d’être utilisés comme «ressource» par l’État. Une
loi supplémentaire a été adoptée en 1984, autorisant l’utilisation des
corps et des organes des prisonniers sous certaines conditions.
Pendant la persécution des pratiquants de Falun Gong, une
lacune dans cette loi a servi à se procurer des organes de pratiquants
de Falun Gong sans leur consentement, qu’ils aient été condamnés à
mort ou pas. Même si Huang Jiefu a annoncé que la Chine avait
cessé d’utiliser les organes provenant de prisonniers condamnés à
mort en 2015, les règlements provisoires de 1984 demeurent
applicables.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


44

« Tous les diplômés de leur système ont le même état d’esprit;


Ils sont un produit du Parti communiste chinois. Notre idéologie, à
l’époque, était que le fait de pouvoir participer à l’éradication des
ennemis du pays était un acte glorieux et nous croyions même
sincèrement que nous le faisions pour une bonne cause »
(Enver Tohti, un ancien chirurgien ouïghour à qui l’on avait ordonné
de prélever les organes d’un prisonnier vivant en 1995).

* *

Nos membres publient


Les Blasphèmes de Vienne-Hetzendorf, par Hans BAUM
Au Colloque de novembre 2016, à Orsay, David Penot nous
avait donné une conférence sur les trois tapisseries blasphématoires
qu’expose l’église du Très-Saint-Rosaire à Hetzendorf (AU,
Vienne)1. Il s’agit d’une « œuvre » réalisée de 1958 à 1960 par
Ernst Fuchs (peintre manifestement « haut-initié »), et qui est
donnée par la documentation touristique de la paroisse comme
représentant les mystères du rosaire. Figuratives, chargées de
symboles maçonniques, les trois tapisseries représentent en réalité
la victoire de Satan sur le Crucifié. Dès ses 18 ans, les dessins
d’Ernst Fuchs (juif viennois présenté comme converti au
christianisme mais en réalité un mage de l’église « catholique-
gnostique ») manifestent « une science et une initiation gnostique
qu’un jeune de cet âge est incapable d’acquérir par des moyens
conventionnels » (p. 45).

1
Le sacrilège dévastateur (Mt 24, 15) est-t-il à Vienne ? Ce que recèle une
œuvre d’art moderne.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


45

Seul le style surréaliste de ces tableaux réalisés sur peaux de


chèvre permet à la paroisse de les présenter comme chrétiens,
malgré l’invraisemblance de cette lecture plus que partielle vu
l’omniprésence des symboles gnostiques ou maçonniques. Il revint
au philosophe allemand Hans Baum (1905-1980), profond
connaisseur des infiltrations maçonniques dans l’Église
d’Allemagne – et dont David Penot cherche à faire connaître la
pensée2 et les œuvres3 –, de dénoncer en 1976 ce triptyque
blasphématoire dans un fascicule si convaincant que, peu après, un
jeune exalté (ou convaincu) entra dans l’église pour lacérer
« l’œuvre » suspendue derrière l’autel, œuvre qui avait reçu en
1970 un prix à la Xe Biennale d’Art contemporain de São Paulo.
On jugera de l’importance attachée par le diocèse de Vienne à ces
tapisseries, par le fait qu’elles furent restaurées à grands frais
(62 000 €) par un couple d’artistes américains – l’opération dura
vingt ans ! – puis réinstallées en 1999.
Traduit en français par David Penot, annoté et muni d’une
introduction historique, l’opuscule écrit par Hans Baum est
désormais disponible en une petite plaquette (76 p.) décrivant et
décryptant, bien sûr, « l’œuvre », mais donnant aussi une
biographie des trois personnages impliqués dans le blasphème ainsi
que des considérations plus générales sur ce qu’impliquent de tels
faits quant à la gouvernance de l’Église (et pas seulement outre-
Rhin).
(À commander chez le traducteur : 2 rue Fabre d’Églantine, Bât.
8B, 78 460 Chevreuse, 10€ franco)

* *

2
Se reporter à la conférence donnée en 2013 au Colloque de Nevers :
L’Apocalypse, clé de l’Histoire.
3
Lire sur ce point son article « “Lumières ” sur la théologie allemande », in
Le Cep n° 76, septembre 2016, p. 43.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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HISTOIRE « Si l'homme est libre de choisir ses idées,


il n'est pas libre d'échapper aux conséquences des idées qu'il a choisies »
(Marcel François).

Les origines religieuses de l’humanité1

Hilaire de Barenton2

Présentation : On croit souvent (c’est même enseigné dans certains


catéchismes !) qu’Abraham aurait « inventé » le monothéisme, après une longue
sorte de préhistoire polythéiste, les hommes y adorant des idoles et des forces de
la nature. Ce n’est point ainsi que la Bible rapporte les origines religieuses de
l’humanité, ni dans la Genèse ni en particulier dans le Livre de la Sagesse,
souvent réduit à la qualité de « livre sapientiel » alors qu’il comporte, on va le
voir, de multiples indications historiques d’un grand intérêt.

Les origines religieuses de l’humanité sont racontées, en


détail, en deux livres de l’Ancien Testament, la Genèse et la
Sagesse. Le premier expose comment la foi a été fondée dans le
monde, au jour même de la création de l’homme, et comment elle
s’est transmise à travers les siècles. Le second s’attache plus
spécialement à flétrir les erreurs qui, après beaucoup de siècles,
vinrent entacher cette foi, et il dévoile, en particulier, les origines
de l’idolâtrie.
Nous allons brièvement faire entendre ces témoignages des
Écritures. Mais, pour plus de clarté, nous prendrons, comme point
de départ, le fait de l’idolâtrie, qui régnait sur terre, en des formes
multiples, au temps où fut composé le livre de la Sagesse, que
plusieurs attribuent à Salomon, et que d’autres retardent au IIe
siècle avant notre ère.

1
Hilaire de BARENTON, La Bible et les origines de l’Humanité (Extrait de la
Revue du Monde Catholique, 1924), Paris, Arthur Savaète, 1924, p. 77-82
(réédition photographique en 2017 par les Éd. Saint-Sébastien).
2
Hilaire de Barenton (né à Barenton, le 28 février 1864, mort à Paris, le 24
février 1946), de son vrai nom Étienne-Marie Boulé, est un capucin, historien
des langues du Moyen-Orient. Sa remarquable Petite Histoire du Monde
ancien (2 tomes) vient d’être rééditée (Éd. Saint-Libère). C’est l’un des rares
savants du XXe siècle qui ait défendu la rigoureuse historicité de la Bible.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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Nous établirons ensuite, toujours d’après l’Écriture, les


causes qui introduisirent, dans le monde, les erreurs contre la foi,
puis nous dirons à quelle date s’infiltra le chancre de l’idolâtrie.
1. L’IDOLATRIE ETAIT PARTOUT AU TEMPS DE L’AUTEUR
C’est au chapitre XIII et XIV que la Sagesse raconte, avec le
plus de détails, les ravages causés, à travers le monde, par la plaie
de l’ignorance religieuse et spécialement par l’idolâtrie. Elle
montre : 1° les grandes forces de la nature divinisées ; 2° les
images devenues des idoles ; 3° les morts adorés comme des
dieux.

a) Les grandes forces de la nature divinisées.

13, 1. Ils sont vains, ces hommes, qui n'ont point les sciences de
Dieu, et qui, au spectacle de ses bienfaits, n’ont pu découvrir
celui qui est, ou qui, en présence de ses œuvres, n’ont pu
reconnaître quel était l’artisan.

13, 2. Mais placés en face du feu, de l’air, du vent violent, du


cycle des astres, des grandes eaux, du soleil et de la lune, ils les
ont estimés comme des dieux, et les maîtres de ce monde.
b) Les images et œuvres d'art devenues des idoles.

13, 10. Ils sont vraiment misérables et ils ont mis leurs
espérances dans la mort, ceux qui appellent dieux les ouvrages
sortis de la main des hommes, l’or, l'argent, les inventions de
l’art, les images d’animaux ou une pierre vaine, travaillée par
la main des Anciens ;

13, 11. Ou une statue fabriquée par un artiste avec un bois coupé
dans la forêt.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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c) Les morts et les rois honorés comme des dieux.

13, 15. Tourmenté d’une inguérissable douleur, à cause de la


mort de son fils trop tôt ravi, un malheureux père fit faire son
image ; et celui qui venait de mourir, parce qu'il n’était qu’un
homme, il se mit à l’honorer comme un Dieu ; et il établit, en son
honneur, au milieu de sa maison, un service religieux et des
sacrifices.

14, 16. Ensuite, avec le temps, cet usage pernicieux s’affermit et


cette erreur s'établit en loi ; et, par ordre des tyrans, il fallut
adorer ces idoles.

14, 17. De plus, quand ils voulaient honorer des hommes, et


qu’ils ne le pouvaient parce qu’ils en étaient trop éloignés, ils
s’en firent apporter une image, et ils sculptèrent la statue du roi
qu’ils désiraient honorer, afin de rendre à sa ressemblance les
mêmes hommages qu’ils auraient voulu rendre à sa personne, si
elle eût été présente.

14, 18. Pour développer ce culte chez les ignorants, l’artiste lui-
même contribua beaucoup avec son art.

14, 19. Car pour plaire à celui qui l’employait, il s’ingéniait à


produire une image de plus en plus belle.

14, 20. Et il advint que la foule des hommes, trompée et séduite


par la beauté de l’œuvre, se mit à regarder comme un Dieu celui
que peu auparavant elle avait honoré comme un homme.

14, 21. Et telle fut l’erreur où se laissa choir la faiblesse


humaine ; trompés par leur amour ou désireux de plaire
aux rois, les hommes donnèrent à des pierres et à des bois
le Nom incommunicable [de la Divinité].
2. LES CAUSES DE L’IGNORANCE RELIGIEUSE ET DE
L’IDOLÂTRIE
Dans le dernier verset que nous venons de citer, nous avons
entendu l’écrivain sacré indiquer deux causes de l’idolâtrie :
l'amour excessif d’un père pour son fils trop tôt ravi à son
affection, et le désir de plaire aux rois et de les flatter.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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Au chapitre précédent, le saint roi en avait indiqué deux


autres : l'admiration déréglée en face des grandes forces de la
nature, estimées à tort comme des dieux, et l’attachement
déraisonnable aux œuvres d’art. Telles sont, à ses yeux, les
quatre grandes causes de l’idolâtrie.

Et qu’on remarque bien ceci : ce n’est point le culte des morts,


ni le respect envers l’autorité instituée, ni l’admiration de la
nature, ni l’amour des œuvres d’art qui sont donnés ici comme
les causes de l’idolâtrie, mais bien l'abus qui en fut fait par les
hommes ignorants et passionnés. L’idolâtrie, en effet, et la
superstition sont des péchés, par excès et abus des choses les
meilleures et les plus saintes. Aussi l’Écriture ne blâme-t-elle pas
le culte des morts, ni les honneurs décernés aux rois, ni
l’admiration pour les grandes forces de la nature, ni l’attachement
pour les œuvres d’art, quand ces pratiques sont raisonnables et
modérées ; mais elle en condamne l’excès, qui consiste à leur
décerner les honneurs divins réservés au Créateur.

3° LES DEBUTS DE L’IDOLÂTRIE

L’Écriture semble fixer au temps d’Abraham, c’est-à-dire vers


le XXe siècle qui précéda notre ère, les origines de l’impiété, ou
du moins sa grande diffusion à travers les nations. Hœc et in
consensu nequitiæ cum se nationes contulissent, scivit justum et
conservavit sine querela Deo (Sg 10, 5) : « Alors que les nations,
d’un commun accord, se portaient vers la perversité, la Sagesse
discerna le juste [Abraham] et le conserva irréprochable devant
Dieu. »
Mais cette perversité, dont il est question ici, ne semble point
avoir été encore le polythéisme. Les rois de Chanaan et d’Égypte,
en effet, avec qui les saints Patriarches se trouvèrent en relation,
se montrent manifestement monothéistes.
Quand Abimélech, roi de Gérare, qui semble bien avoir
professé la même religion coushite que les pharaons3, parle à
Abraham (Gn 21, 22), pour déférer le serment, il lui dit, en

3
Voir Abraham en Égypte, du même auteur.

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présence de Phicol, le chef de son armée : « Dieu est avec toi, en


tout ce que tu fais ; jure donc, par Dieu, que tu ne me nuiras ni à
moi ni à ma prospérité. »

Le sacrifice qu’offrit Melchisédech, en action de grâces pour la


victoire d’Abraham, non seulement était la vraie foi, mais, tous
les jours à la messe, le prêtre proteste qu’il offre le sien, avec la
foi d’Abel, d’Abraham et de Melchisédech.
Laban et sa famille adorent le même Dieu qu’Abraham, au jour
où Eliézer se présente chez eux et demande pour Isaac la main de
Rébecca (Gn 24).
Les Héthéens d’Hébron, quand Abraham leur réclame une
place pour ensevelir Sara, tiennent un langage qui témoigne de la
pureté de leurs croyances (Gn 23).
Plus tard encore, au temps de Jacob, dans l’affaire du rapt de
Dina, quand les Sichèmites décident de s’unir, par le mariage, aux
enfants d’Israël, ils déclarent qu’entre ceux-ci et eux, il n’y a
d’autre différence que le rite de la circoncision (Gn 34).
L’Égypte, au temps de Joseph, continuait de connaître le vrai
Dieu : « Le Seigneur était avec Joseph, écrit la Genèse (39, 2)...
et son maître Putiphar savait très bien que Jéhovah était avec lui
et conduisait toutes ses actions... Et Jéhovah bénit la maison de
l’Égyptien. » Le pharaon parle également comme quelqu’un qui
connaît le vrai Dieu. Après que Joseph lui eut expliqué ses
songes, il s’écria : « Où pourrons-nous trouver un homme qui soit
rempli de l’Esprit d’Élohim comme lui ? » Et il dit à Joseph : «
parce qu’Élohim t’a montré tout ce que tu m’as dit, est-ce que je
pourrai trouver quelqu’un plus sage ou aussi sage que toi ? Tu
commanderas à ma maison » (Gn 41, 38).
Descendons plus bas, au temps de Moïse. Nous trouvons en
Arabie la grande figure de Job. Lui, sa femme et ses amis
professent la même foi au vrai Dieu et Job se montre un modèle
de la plus grande foi et des plus héroïques vertus.
Les sages-femmes qui soignèrent les jeunes mères des Hébreux
refusèrent d’obéir aux ordres du pharaon, parce qu’elles
craignaient Dieu : timuerunt autem obstetrices Deum (Ex 1, 17).

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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Pharaon lui-même, s’il déclare ignorer Jéhovah, semble bien


reconnaître, lui aussi, le vrai Dieu, ainsi que ses devins et
magiciens. Ceux-ci en effet, quand ils se sentirent vaincus par la
puissance d’Aaron, s’écrièrent, en face de leur maître : « Digitus
Dei est hic, le doigt de Dieu est là » (Ex 8, 10).
Parmi les idolâtres, l’Écriture place au premier rang les peuples
maudits de Chanaan. Or, cette même Écriture, si elle leur
reproche bien leur idolâtrie, déclare aussi qu’ils s’en corrigèrent
plusieurs fois, quand ils se sentaient châtiés par Dieu. C’est à
cause de cette pénitence que Dieu différa si longtemps de les
dépouiller de leur terre, en faveur de son peuple, et qu’il les laissa
subsister, en partie, parmi Israël. Écoutons la Sagesse au chapitre
douzième :
1. Qu’il est bon et doux, Seigneur, votre jugement en toutes
choses !
2. C’est pour cela, que vous châtiez par parties
(progressivement), ceux qui s'égarent. Au milieu de leurs péchés,
vous les reprenez et les exhortez, afin qu’abandonnant le mal, ils
croient en vous, Seigneur.
3. Car ces anciens habitants de votre Terre Sainte, que
vous avez eus en horreur.
4. Parce qu’ils faisaient des œuvres odieuses à vos yeux,
par des enchantements et des sacrifices impies.
5. Parce qu’ils tuaient, sans pitié, leurs propres enfants,
qu’ils mangeaient les entrailles des hommes et dévoraient leur
sang, au milieu de votre sacrement.
6. Et parce qu’ils étaient tout ensemble les pères et les
meurtriers des âmes sans défense, vous les avez voulu perdre par
la main de nos pères...
8. Et cependant, vous les avez épargnés, comme étant des
hommes ; et vous avez envoyé comme des avant-coureurs de vos
armées, les guêpes, afin qu’elles les exterminassent peu à peu.
9. Non que vous fussiez impuissant à assujettir, en bataille
rangée, les impies aux justes, ou à les faire périr par des bêtes
cruelles ou par votre seule parole.
10. Mais, en les châtiant progressivement, vous donniez
occasion, au repentir, dabas locum pœnitentiae, n’ignorant pas
que leur nation était méchante.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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11. Car leur race était maudite, dès le commencement. Mais


ne craignant personne, vous accordiez le pardon à leurs péchés,
veniam dabas peccatis illorum...
20. Si donc ces ennemis de vos serviteurs, qui étaient voués
à la mort, vous les avez punis avec tant de précautions, leur
donnant le temps et l'occasion de se convertir.
21. Avec combien plus de circonspection, n’avez-vous pas
jugé vos enfants... (Et, au sujet des Égyptiens, le Livre ajoute):
28. Et ceux qui n’ont pas été corrigés par les railleries et par
les réprimandes [les plaies d'Égypte] ont ensuite éprouvé un
châtiment digne de Dieu.
27. Car, au milieu des maux qu'ils souffraient, voyant qu'ils
étaient exterminés par les choses mêmes qu’ils prenaient pour
des Dieux, ils reconnurent le Dieu véritable, qu’ils avaient
d’abord rejeté. Et, à cause de cela, ce fut, pour eux, la fin de la
condamnation.

Au temps de Moïse, le peuple de Chanaan et d'Égypte oscillait


donc encore entre le culte du vrai Dieu et celui des fausses
divinités. On remarquera même que le reproche contre Chanaan
ne porte pas contre le crime de l’idolâtrie, mais plutôt contre la
cruauté des sacrifices en usage. Ces sacrifices sont même
représentés devant Dieu comme ses sacrements (mystatheias sou,
tes mystères divins) ; ils n’étaient donc pas adressés aux faux
dieux. Ils étaient réprouvés uniquement à cause de leur barbarie.
Cet état d’oscillation entre l’idolâtrie et le culte du vrai Dieu
semble avoir persisté assez longtemps encore. On peut même dire
que si, de bonne heure, l’idolâtrie prévalut dans la populace
ignorante et superstitieuse, la notion du Dieu unique et véritable
persista longtemps encore, en toute nation, chez l’élite par
l’intelligence et surtout par la vertu. C’est la superstition, les
vaines observances, la cruauté et l’obscénité des rites, qui
dépravèrent tout d’abord, surtout chez certaines races, la pureté
de l’ancien culte.
*

* *

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


53

Vers un nouveau cycle…

Louis Pupulin

Présentation : Sous le nom de plume de Sancho Pança, notre défunt ami (cf.
Le Cep n° 84, p. 84) avait publié une Lettre ouverte à tous les chevaliers
errants donneurs de leçons et moralisateurs, devenue De la Noosphère à
l’Apostasie dans la dernière version éditée. On retrouvera ici, dans cette
rétrospective sur le demi-siècle qui a suivi la Dernière Guerre mondiale, sa
verve et son style alerte mais lourd de pensées longuement méditées.

Au début du XXe siècle, un économiste soviétique, Nikolaï


Kondradieff (1892 / 1938) avait observé que les économies
capitalistes connaissaient des périodes de croissance, suivies de
périodes de dépression. Selon lui, cette succession de périodes
positives et négatives constituait un « cycle » économique
reproductible dans le temps.
Ses observations, strictement rationnelles et réalisées sous
forme de constats chiffrés sans explications, indiquaient une durée
globale cumulée d’environ 55 à 60 ans. Une succession de cycles
constituait ainsi, pour le théoricien communiste, la suite logique de
l’Histoire.
Il ne serait pas pensable aujourd’hui de se contenter de ce
point de vue arithmétique, sans y apporter la critique élémentaire
qu’un examen attentif de notre passé permet de mesurer. Ne serait-
ce que pour y distinguer le climat politique et les circonstances
humaines qui encadrent ces changements de cycles, pour en faire
le véritable déroulement de l’histoire.
Les lunettes progressistes du professeur Einstein et les
verres grossissants du père Teilhard de Chardin permettent peut-
être de mieux appréhender ces circonstances.

De 1945 à 1955, les séquelles de la guerre, les injustices,


les rancœurs d’une épuration arbitraire et l’horreur absolue de la
Shoah ont produit les pires effets. L’omniprésence de la relativité
dans les débats philosophiques et l’abomination de la bombe
atomique ont perturbé profondément la culture politique et la
conscience citoyenne.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


54

En mars 1948, Max Born écrivait à son ami Einstein :


« Nous sommes engagés dans une sale affaire... Nous avons
concocté le meilleur moyen de quitter rapidement cette terre !»,
pour se corriger aussitôt après : « j’ignorais encore que c’était
Einstein lui-même qui avait donné le signal avec sa lettre à
Roosevelt » (Correspondance 1916/1955, Paris, Seuil, p. 176).
Les années de guerre ont tout bonnement sinistré la
civilisation d’avant-guerre ; «à quoi bon ?» la faire renaître,
pensent nos grands hommes. Laborieusement retrouvée, la paix
exige une profonde volonté de dépassement, l’effacement de ces
années de malheur et un espoir opiniâtre de renouveau pour le
peuple… « le fait objectif me paraît là : 1°) Pas de morale
internationale possible sans agrément préalable qu’il y a une Terre
à construire par-dessus les États ; 2°) et cette construction une fois
décidée, tout doit plier ; et comme tous les groupes ethniques n’ont
pas la même valeur, il faut les dominer » ( P. Teilhard de Chardin,
Lettre à Léontine Zanta).
À la recherche d’une autre vision, 25 gouvernements se
succèdent en France en dix ans.
En réponse, la noosphère teilhardienne englobe
maintenant la Terre d’une strate anthropologique savante et
magnifiquement visionnaire, à ensemencer sous la forme de
nouveaux savoirs établis. Dans les écoles, l’évolution doit faire
foisonner la matière grise des meilleurs élèves. Par une volonté
délibérée chez l’élite, la religion cosmique einsteinienne doit
supplanter l’espérance des anciens. L’imagination, totalement
libérée, doit faire la courte échelle à toutes les ambitions, à tous les
arrivismes aussi.
Auguste Comte avait ainsi résumé la clef de
compréhension de sa philosophie, le positivisme : « Chacun de
nous, en contemplant sa propre histoire, ne se souvient-il pas qu’il
a été successivement, quant à ses notions les plus importantes,
théologien dans son enfance, métaphysicien dans sa jeunesse et
physicien dans sa virilité. » Dix ans après la guerre, la société
française vient de sortir de l’enfance et de l’adolescence décrites
par Auguste Comte, elle atteint enfin l’âge adulte de la maturité
accomplie... la science !
Pétrole et technologie devraient combler les besoins
matériels, l’intendance devrait suivre, la raison cartésienne devrait
enfin occuper la place.

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Le langage s’y prête, juste issues des traités, la politique,


l’économie et la morale universelle devraient enfin éclore et
conquérir les consciences. Une période nouvelle devrait s’ouvrir
sur ce vecteur maintenant établi de l’évolution porteuse de progrès.
Battu à Diên Biên Phu, l’Empire se fissurait ! Dans le Sud
algérien un couple d’enseignants était assassiné ; la France était
rejetée d’Afrique et l’islam cimentait la révolte... En janvier 1955,
le ministre François Mitterrand y envoie l’armée. La jeunesse
ouvrière, mobilisée, doit quitter l’atelier, l’usine ou le chantier,
abandonner tout projet et embarquer à Marseille, aller à la guerre,
abasourdie. On parle des premiers morts qui sont émasculés... À
peine rétabli, le sol se dérobe en France…
Le 10 avril suivant, mourait Pierre Teilhard de Chardin ;
c’était le jour de Pâques pour les chrétiens, mémoire de la
résurrection vers le ciel. L’âme du chevalier errant qui avait hanté
les strates du sol, de Piltdown à Pékin, allait, à l’opposé, les visiter
une dernière fois pour son dernier voyage. Einstein mourait huit
jours après, le 18 avril, jour de Pessah, la Pâque juive, mémoire du
passage de l'Ange exterminateur par-dessus les portes marquées du
sang de l'agneau. Avant d’atteindre l’autre rive, Don Quichotte
sombrait.
Le passage de la mer Rouge et la Résurrection du Christ,
ces deux événements fondateurs de notre épopée hébréo-
chrétienne, marquent opportunément de leur anniversaire ces deux
disparitions...
Un rêve s’achève. Antoine Blondin peut en conclure :
« C’est la nuit maintenant, manteau des déracinés… et moi,
j’attends que les communications soient rétablies entre les êtres.
Un jour, peut-être, nous abattrons les cloisons de notre prison ;
nous parlerons à des gens qui nous répondront ; le malentendu se
dissipera entre les vivants ; les morts n’auront plus de secrets pour
nous... » (L’humeur vagabonde, Éd. La table ronde, 1955, p. 245).
Cet épisode était imprévu. Il faut maintenant corriger la
perturbation produite et poursuivre le mouvement déjà amorcé…
Sous l’impulsion d’Alcide De Gasperi, l’Italie avait instauré, juste
après-guerre, la démocratie chrétienne. En 1950, Robert Schuman
s’était emparé de cette idée pour l’étendre et construire une Europe
homogène.
En 1957, le traité de Rome appelle cette Europe à l’union
et ouvre de réelles perspectives pour les trente glorieuses.

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La mort de Pie XII, en octobre 1958, va précipiter le


mouvement : Jean XXIII lui succède. Le chanoine Georges
Lemaître, ex participant au congrès Solvay de Bruxelles, révèle
sous l’apparence d’une découverte une ultime hypothèse, le Big-
Bang ! Il sera nommé président de l’Académie Pontificale des
Sciences. C’est le moment choisi par la France, en octobre 1958
aussi, pour enterrer l’âme chrétienne sous une strate administrative
et politique solide, et y fonder sa nouvelle Constitution : « l’égalité
de toutes les croyances » ! (article 1).
L’Europe chrétienne ne se fera pas ! De 1955 à 1962, la
France est enfin parvenue à clore cette suite de soubresauts, mais,
surtout, ces quelques années laborieuses marquent la fin d’une
période beaucoup plus longue. Une période commencée avec
l’Exposition universelle de 1900 et le très long débat sur la laïcité
sanctionné par la Loi de 1905. Une période au cours de laquelle la
science avait permis l’illusion d’un progrès humain permanent. Les
Lumières avaient permis d’abolir des siècles d’obscurantisme et de
bâtir une société rationnelle. Triste revers de la médaille, cette
période aura vu aussi en politique un affadissement considérable
de la pensée française, confrontée au redoutable moteur mental du
verbe germanique, devenu pionnier véritable de la science et de la
conquête, et automatique instrument de supériorité. « La société
allemande a, de plus, totalement intériorisé son rôle d’avant-poste
du monde occidental » (D. Cohn-Bendit, Le Grand Bazar, Éd.
Belfond, p. 168).

Après un demi-siècle de prospective scientifique et deux


conflits planétaires meurtriers, en 1962, il est temps pour le
christianisme de faire le point de la situation sur le globe. Vatican
II s’ouvre à la modernité et à l’humanisme, et renvoie la Tradition
au musée. En pionnier, la France doit honorer ses positions prises,
donner l’exemple et établir une nouvelle façon de penser. Par les
accords d'Évian, elle lègue un dernier territoire, une économie et
une infrastructure au F.L.N. érigé en nouvel État.
Enfin, peut s’ouvrir un nouveau cycle. Dans ses nouveaux
programmes, l’école prépare 1968. Les générations nouvelles
votent pour l’amour libre et les petites fleurs, les divertissements et
les loisirs.

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Une technique récemment utilisée, la crémation, va


banaliser la fin de vie et créer un oubli indolore, vieillards et
avortons confondus, effacer le trépas, la mort, et tout son folklore.
Les funérailles d’antan, la ballade des cimetières, deviendront des
chansons... « Les héritiers marchant dans le crottin » c’est du
passé. Pauvre Martin ! Pauvre misère ! chantera Brassens… Dans
la dérision, une page se tourne. Place enfin à l’humanisme !
La dernière guerre a empilé des millions de cadavres et
recouvert de croix la prairie normande ; de Saïgon à Alger
l’Empire français s’est achevé mettant fin à cette extraordinaire
aventure et à l’expansion de la civilisation qui l’avait portée. Le
général De Gaulle est mort, Pompidou meurt à son tour, une
France s’éteint ; reste un peuple adulte, politiquement mature, mais
vieillissant et en recherche hagarde de ce qui lui manque. Giscard
l’a ressenti, en humaniste bien éduqué, en ingénieur, il souhaite
créer une dynamique intellectuelle raisonnée, il va publier
Démocratie française, un ouvrage rationnel qui explique le
pourquoi et le comment. Peu après, une Loi formalise l’avortement
et prépare la dénatalité; une autre prépare le regroupement familial
et l’immigration. En 1981 Giscard est battu.
Une nouvelle majorité, la famille de gauche recomposée,
exige un véritable renfort à son élection pour devenir une majorité
durable, au moment précis où la Méditerranée doit nécessairement
s’ouvrir à cette jeunesse du Maghreb, décuplée en vingt ans, et en
quête d’espace, d’oxygène et d’avenir... Après le 10 mai, François
Mitterrand, élu Président, peut enfin ouvrir en grand le port de
Marseille et les bras de la France à cette jeunesse, et à l’islam.
(Aucun politicien n’a lu sérieusement les 114 sourates du Coran).
Le nouveau Catéchisme de l’Église catholique de 1992
devra unifier les sensibilités disparates qui la composent et
amoindrir les différences trop profondes au sein du Pays. Son
langage doit à présent se dépouiller d’illustrations, de
sentimentalité et d’affect en devenant officiel ; dans un univers de
règles, dans un contexte de lois multiples, le texte doit être serré,
codifié, formaté et délimité dans le juridisme ambiant. Il doit aussi
faire des concessions, contribuer à une nouvelle harmonie sociale,
partager son histoire avec une origine commune à tous, loin dans le
temps : Ibrahim…

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


58

En effaçant toute trace de la Genèse, il ouvre aussi


l’antiquité à l’évolutionnisme. Dans la version pour enfants, les
pierres vivantes, deviennent millions d’années...
Les nouvelles générations adopteront tout cela sans aucun
état d’âme, puisque la science le dit ! Repoussée à la limite
extrême de ce généreux éventail humaniste, la fille aînée de
l’Église rejoint désormais l’espace laïc très limité qui sera le sien,
pour devenir en 2015 et au terme d’un cycle parfaitement
donquichottesque, une « vieille femme stérile » sur la langue effilée
d’un jésuite...
Médiatiquement, politiquement, dé-mo-cra-ti-que-ment, depuis 60
ans, ce cycle est « bouclé » !
*

* *

À noter sur vos agendas :


le 16 mars 2019, Journée du CEP à Paris
(Issy-les-Moulineaux)

Thème : De l’homme-machine à l’homme-insecte,


la déconstruction de l’Imago Dei

Conférences de :
Stéphane B. : Les dérives du « net » : du réseau au filet.

Éric Lemaître : Le transhumanisme : homme augmenté ou


homme déchu ?

Dr François Plantey : Vers l’homme-insecte

Valérie Bugault : L’homme est-il une marchandise ?


(Renseignements et inscriptions auprès de secrétariat ou sur le site
le-cep.org)

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


59

SOCIÉTÉ
« Il a plu à Dieu qu'on ne pût faire aucun bien aux hommes
qu'en les aimant » (P. Léon Le Prévost).

Les écrans, source de problèmes mentaux et sociaux


chez les adolescents ?1

Résumé : L’arrivée des téléphones intelligents ou ordiphones (smartphones),


véritables ordinateurs de poche, puis leur diffusion parmi les adolescents, a
profondément et brusquement modifié les comportements. Il s’agit donc d’une
nouvelle génération (nommée iGen par la psychologue Jean M. Twenge),
marquée de surcroît par les réseaux sociaux. Le rapport aux autres, le rapport
au monde, l’emploi du temps, les comportements en sont clairement modifiés
(sorties avec des amis, taux de suicide, etc.). Est-ce pour le mieux ? On peut
en douter, quand on voit les dirigeants des grandes sociétés de l’ère
numérique, tels Bill Gates ou Steve Jobs, prendre soin de limiter l’usage de
ces petites merveilles chez leurs propres enfants.

Le magazine américain The Atlantic titrait récemment :


« Les téléphones intelligents ont-ils détruit une génération ? »2
La question est posée par Jean M. Twenge, docteur en
psychologie. Elle analyse les spécificités de la génération Z, celle
des individus nés après 1995, qu’elle baptise « iGen ». Selon
l’auteur, l’usage que font ces jeunes Américains de leur cellulaire
conduit à un repli de la sphère sociale pouvant mener jusqu’à la
dépression.
L’analyse est clinique, et certains témoignages font froid
dans le dos : « Je pense qu’on apprécie plus nos téléphones que les
vraies gens », explique une jeune fille de 13 ans à Jean
M. Twenge. L’auteur de l’article, qui avait étudié la génération
précédente, les milléniaux (les 18-35 ans), dans un livre intitulé
Génération Moi, dit n’avoir « jamais rien vu de tel » en 25 ans de
travail sur les différences entre générations. « J’ai noté des
changements brutaux dans les comportements et les états
émotionnels des adolescents », précise-t-elle.

1
Source : site « Pour une école libre au Québec », billet du jeudi 7/09/17.
http://pouruneécolelibre.com/2017/09/les-ecrans-source-de-problemes-
mentaux.html
2
theatlantic.com/magazine/archive/2017/09/

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


60

En se fondant sur une série de sondages et d’études


réalisés à l’échelle nationale, elle en vient à la conclusion que :
« Les ados d’aujourd’hui sont différents des milléniaux pas
seulement dans leurs valeurs, mais aussi dans la façon dont ils
occupent leur temps. Leur expérience du quotidien est
radicalement différente de celle de la génération qui vient
d’atteindre la majorité. »
« Cette génération est façonnée par le téléphone intelligent
(ordiphone) et l’avènement concomitant des réseaux sociaux. »

Jean Twenge a trouvé le coupable : le téléphone


intelligent : « Cette génération est façonnée par l’ordiphone et
l’avènement concomitant des réseaux sociaux ». Les représentants
les plus âgés de cette fameuse « iGen » étaient à peine adolescents
quand l’iPhone est apparu en 2007 ; 10 ans plus tard, trois jeunes
Américains sur quatre possèdent un iPhone.

Fragilité psychologique
Au-delà des troubles de l’attention et de la concentration,
identifiés depuis un moment, l’auteur affirme que « l’avènement du
téléphone intelligent a radicalement modifié tous les aspects de la
vie des adolescents, de la nature de leurs interactions sociales à

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


61

leur santé mentale ». Selon elle, ces changements s’observent sur


tout le territoire et dans toutes les catégories de la population.
Quelles sont les caractéristiques de ces ados nés après
1995 ? Ils sortent moins, et ont donc moins d’attrait pour l’alcool
que leurs prédécesseurs, ce qui a pour conséquence de diminuer le
nombre d’accidents de la route dans lesquels ils sont impliqués.
En revanche, ils sont beaucoup plus fragiles
psychologiquement que leurs aînés de la génération Y : les cas de
dépression augmentent en flèche, ainsi que leur corollaire
dramatique, le taux de suicide.

Le taux de suicide des 15-19 ans aux États-Unis depuis 1975


(l’iPhone a été mis sur le marché en 2007)

Pour l’auteur, aucun doute : « Il n’est pas exagéré de


décrire cette génération comme étant au bord de la pire crise dans
le domaine de la santé mentale depuis des décennies. Et la majeure
partie de cette dégradation peut être imputée à leur téléphone ».
Pour elle, l’année fatidique est 2007, date à laquelle l’iPhone a été
mis sur le marché.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


62

Moins de rendez-vous amoureux


Autres changements repérés par Jean Twenge, les
adolescents d’aujourd’hui ne cherchent plus à tout prix à devenir
indépendants. Et ils sont moins enclins à sortir en jeunes amoureux
(les fameux rencards). Là encore, les chiffres mis en avant sont
éloquents : en 2015, 56 % des lycéens disaient avoir eu des
« rendez-vous » [dates en anglais dans le texte], contre 85 % en
moyenne pour les générations précédentes.
Conséquence : l’activité sexuelle des ados décline, et cela
se traduit par une baisse radicale du nombre de grossesses
adolescentes. En 2016, ce dernier a atteint son niveau le plus bas.

La baisse des grossesses adolescentes est radicale depuis 2007

Les membres de la iGen passent également leur permis


plus tard que leurs aînés et travaillent également beaucoup moins
pour se faire de l’argent de poche : deux éléments fondamentaux
du modèle américain glorifiant l’autonomie des jeunes générations
prennent ainsi du plomb dans l’aile.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


63

Solitude à plusieurs

Si les jeunes adolescents disposent de beaucoup de temps


libre, ils ont tendance à le passer en solitaire : « Le nombre
d’adolescents qui se réunissent avec leurs amis presque tous les
jours a chuté de plus de 40 % entre 2000 et 2015 », précise encore
l’auteur. Les activités extérieures sont remplacées par l’échange
par ordinateurs ou applications mobiles.

De moins en moins de sorties avec des copains


(en ordonnées le nombre de sorties hebdomadaires sans les
parents)

Mais ces nouvelles formes de communication ne rendent


pas forcément ces jeunes Américains heureux. Citant plusieurs
études, Jean M. Twenge parvient à la conclusion que « les activités
impliquant un écran sont corrélées à un sentiment de bonheur
moins élevé ».

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


64

Évidemment, la technologie est loin d’être le seul facteur


de l’augmentation constatée du taux de suicide chez les jeunes
Américains, et l’auteur le précise à plusieurs reprises. On peut
aussi relever que 2007 n’est pas seulement l’année où l’iPhone a
conquis les foyers, mais aussi celle du début de la plus importante
crise économique et financière des dernières années.
Les conclusions de cette analyse plutôt alarmiste sont
donc, comme souvent lorsqu’on cherche à établir les traits
caractéristiques de l’ensemble d’une génération, à prendre avec des
pincettes.
Mais on peut parier que l’ouvrage de Jean M. Twenge
consacré à cette génération intitulé Pourquoi les ados super-
connectés d’aujourd’hui sont moins rebelles, plus tolérants, moins
heureux (et très mal préparés à l’âge adulte) ; et ce que cela
signifie pour nous, paru à la fin du mois d’août, sera un succès de
librairie.

Avis de Linda Pagani

Sans aller aussi loin que Jean Twenge dans The Atlantic,
les scientifiques semblent d’accord pour dire que l’exposition aux
écrans en bas âge peut être néfaste pour le développement du
cerveau. La diminution des interactions avec l’environnement et
les gens serait au cœur du problème, explique la chercheuse Linda
Pagani. Mme Pagani est professeur en psychoéducation à
l’université de Montréal et chercheuse au Groupe de recherche sur
les environnements scolaires.
Quand on devient aussi dépendant de cette forme
d’interaction [celle avec les écrans], on commence à avantager
certains comportements qui se rapprochent de l’autisme, c’est-à-
dire qu’on coupe nos interactions sociales.
D’après la chercheuse, cet isolement nuirait au bon
développement du cerveau en n’encourageant pas les enfants et les
adolescents à découvrir toutes les nuances présentes dans le monde
qui les entoure. En ajoutant à cela d’autres problèmes qu’on
associe aux écrans (comme le manque de sommeil), la plus jeune
génération serait plus à risque de développer des problèmes de
santé mentale.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


65

« Il ne faut pas sous-estimer que notre cerveau, ce n’est


pas une unité centrale qu’on peut faire réparer au magasin,
illustre le professeur Pagani. C’est un organe : il faut lui prêter
attention, il faut lui faire faire un certain nombre de minutes
d’exercice par jour. Il faut qu’il ait un certain nombre
d’interactions. Quand on parle de santé cérébrale, c’est une
équation extrêmement importante. »
______________________________

Annexe. Bill Gates : l'informatique peu utilisée à la maison1

Fondateur de l’une des plus grandes entreprises


d’informatique au monde, Bill Gates ne semble pas souhaiter voir
ses enfants utiliser ces technologies. En effet, il semblerait que le
milliardaire ait inculqué des règles très strictes à son domicile
concernant l’utilisation des objets connectés.

Bill Gates et Jennifer Gates, sa fille de 15 ans

1
http://www.pouruneécolelibre.com/2018/01/bill-gates-linformatique-peu-
utilisee.html

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


66

L’homme semble plutôt mitigé quant aux nouvelles


technologies. « Elles peuvent être utilisées d’une manière
formidable — pour ses devoirs ou rester en contact avec des amis
— mais il arrive qu’il y ait aussi de l’excès », avait-il déclaré en
avril dernier au Mirror.

Au sein du domicile des Gates, les cellulaires sont interdits


avant l’âge de 14 ans et leur utilisation est également prohibée à
table, lors du dîner et au moment du coucher. Ses enfants,
aujourd’hui âgés de 15, 18 et 21 ans, possèdent tous un cellulaire.
Pour le fondateur de Microsoft, il est important de cadrer
l’utilisation des technologiques des plus jeunes. Il avait précisé au
Today Show qu’il n’ira pas jusqu’à contrôler les comptes Facebook
de sa progéniture, mais la sécurité en ligne est « un problème très
difficile pour les parents d’aujourd’hui ».
Il faut dire que plusieurs études ont déjà démontré l’aspect
néfaste d’une surutilisation des cellulaires et autres technologies,
notamment sur la concentration, mais aussi sur les relations
sociales. C’est une véritable dépendance qui se construit par ce
moyen de communication qui prend toujours plus de place dans
nos vies, surtout chez les adolescents. Une préoccupation de plus
en plus inquiétante pour les parents, mais aussi pour les chercheurs
en psychologie de la Silicon Valley.
On pourrait penser que Bill Gates soit de la vieille école,
mais Steve Jobs semblait partager également son raisonnement. Le
PDG d’Apple ne laissait pas ses enfants utiliser ses propres
produits à la maison.

* *

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


67

Lettre ouverte sur le cannabis

Christian Duchesne

Présentation : Le Canada vient de légaliser le cannabis : l’effet immédiat a


été une augmentation de la consommation. Le Président russe, Vladimir
Poutine, est d’ailleurs intervenu auprès de son homologue, Justin Trudeau, car
il craint que soient ainsi facilitées des exportations vers son pays. La présente
« lettre ouverte » tentait d’attirer l’attention des responsables politiques sur les
conséquences réelles du cannabis sur ses victimes.

Québec, le 20 août 2018


Madame la députée, Eva Nassif,
Cordial bonjour,
J'ai une formation comme intervenant en toxicomanie
depuis 1994. Je suis aussi ex-enseignant au secondaire et au
professionnel (en électronique professionnelle et en sciences et
technologies). J’ai 52 ans.
J'ai ouvert un site Internet en juin 2013 pour aider les
éducateurs et les élus à bien comprendre les enjeux reliés à la
consommation de cannabis et autres drogues. Beaucoup de jeunes,
de parents et d’éducateurs ont été positivement sensibilisés par ce
site.
À travers ce site, vous aurez le privilège de découvrir une
découverte majeure1 en lien avec le cannabis qui, vous le savez,
n'est manifestement plus celui des années 60. Mais plus important
encore, vous y découvrirez que le cannabis n’est plus considéré par
la science comme une drogue douce, et cela depuis des années. Et
l’une des raisons principales est la multiplication des psychoses
toxiques instantanées. Vous y découvrirez, entre autres, que
l'expérience du cannabis par les Pays-Bas depuis deux décennies
est un échec.

1
Découverte d’une amie médecin américaine, dont j’ai obtenu la permission
de dévoiler une partie des résultats avant publication.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


68

Cela avait même eu pour effet, en 2012, de faire voter une


loi interdisant aux touristes d’en consommer…
(//fr.wikipedia.org/wiki/Cannabis_aux_Pays-Bas).
(Note : contrairement à la croyance répandue, le cannabis n’est
toujours pas légal aux Pays-Bas, il est seulement toléré depuis
1976… Mais, au fait, pourquoi donc ce pays n’a-t-il pas légalisé
cette drogue depuis 1976 ?).
L’une des raisons de cet arrêté de 2012 est que la vente de
cette drogue aux touristes n’est pas rentable à maints égards. Mais
surtout, cet échec est devenu de plus en plus évident depuis la
montée spectaculaire des taux de THC2. Montée qui a occasionné
une hausse importante des traitements médicaux, des accidents et
des invalidités partielles ou totales. Des vies et des carrières
professionnelles ont été perdues, et principalement celles de jeunes
talentueux, en raison des terribles psychoses toxiques. (Je connais
personnellement trois jeunes dans mon entourage qui ont fait une
psychose toxique en consommant un seul joint).
De ce fait, il y a un fort signal d’alarme tiré par les
médecins de ce pays (et d’autres pays) depuis 10 ans, qui voient les
maladies mentales graves se développer rapidement en lien avec la
consommation de cannabis et d’autres drogues (source : revue
Science et Vie, février 2013). La science a en effet démontré que
les impacts négatifs de la consommation de cannabis sont présents
pour la vie entière (baisse de QI, retards, diverses psychopathies,
etc.), principalement lorsqu’une maladie mentale se déclare (et
lorsque cela ne conduit pas à un tragique suicide).

2
Ndlr. Le THC (Δ9 – tétrahydrocannabinol) est la principale substance
responsable des effets pharmacologiques du cannabis chez l’homme. C'est le
principe actif contenu dans le cannabis et ses différents composés. Il existe
deux variétés de chanvre, se différenciant l'une de l'autre par le taux de THC
qu'elles contiennent: Le chanvre textile (cannabis sativa), cultivé sous nos
latitudes depuis des siècles, ne contient que des taux insignifiants de THC. Le
chanvre indien (cannabis indica), qui poussait à l'origine sur les versants de
l'Himalaya, sécrète lui beaucoup plus de résine pour se protéger de la
sécheresse, résine recelant le THC. C'est cette variété qui a été sélectionnée et
manipulée génétiquement pour obtenir des produits avec des taux élevés de
substance psychotrope. (Source : stop-cannabis.ch).

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


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Les Pays-Bas préconisent maintenant la baisse des taux de


THC dans les produits vendus dans leurs commerces :
//lefigaro.fr/flash-actu/2011/10/07/97001-
20111007FILWWW00579-pb-le-cannabis-fort-interdit.php
C’était inévitable, les gens et les jeunes habitués à des
doses plus fortes cherchent le cannabis (THC) à effets plus élevés,
ramenant ainsi le problème des groupes criminalisés, de la
production et de l’importation illégale dans ce pays (le cannabis
plus fort en THC est évidemment plus rentable, autant pour les
producteurs que pour les consommateurs). Et puisque le
gouvernement ne peut vendre du cannabis fortement psychoactif –
c’est une question de prudence élémentaire et de responsabilité
civile –, l’État est ainsi pris dans son propre piège.
Mais ce qui est plus alarmant, c’est l’effet d’entraînement
et la banalisation qui apparaissent de plus en plus dans toutes les
couches de la société, surtout chez les jeunes. C’est ce que
l’expérience sur le terrain nous montre. Il est notoire que la
consommation d’un tel produit est communicative, pour ne pas
dire contagieuse. Sans compter que le corps et l’esprit demandent
des doses de plus en plus grandes car, comme tous le savent, il y a
accoutumance (comme c’est le cas avec les médicaments). Et de la
même manière, s’il est vrai que les consommateurs de cannabis ne
sont pas tous tombés dans les drogues plus dures ; il est encore
plus vrai – et les enquêtes nous le montrent – que pratiquement
tous les consommateurs de drogues dures ont préalablement passé
par le cannabis. Ce fait est indéniable.
Actuellement, la banalisation du cannabis a mené
beaucoup de gens vers les drogues de synthèse, dont des jeunes
qui, maintenant, en raison du réductionnisme scientifique des
adultes, placent le cannabis sur un même pied d’égalité que
l’alcool. En effet, actuellement, des jeunes de plus en plus
nombreux se haranguent allègrement entre eux : « Finalement, le
pot, c’est comme l’alcool, on peut en prendre avant 18 ans »… Et
ce fameux « avant 18 ans » que nous entendons signifie dans la
réalité 14 ou 15 ans, voire même avant. Étant donné la haute
toxicité du cannabis, cette situation, vous l’avouerez, est terrifiante
pour des parents dignes de ce nom !

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


70

Et j’insiste à nouveau, c’est l’expérience sur le terrain


qui nous montre ces faits.
Mais il y a encore un écueil de taille, que les politiques et
maints médias évitent curieusement : les sciences de la
psychologie ont montré que lorsque l’on ouvre une telle fenêtre
permissive, consécutivement, ce sont les portes qui s'ouvrent. Puis,
par un effet domino, ce sont les murs qui se font défoncer…
Tous ces faits statistiques prouvés sont alarmants, non
seulement en raison des hauts taux de THC dans l’actuel cannabis
et ses dérivés (que les gens vont lentement et sûrement préférer
aux produits étatiques qui, en passant, pourront toujours être
modifiés par de petits futés afin d’augmenter l’effet addictif), mais
aussi en raison des drogues de synthèse qui prolifèrent et sont plus
« performantes », moins voyantes et odorantes et surtout moins
dispendieuses que le cannabis. Les multiples inconvénients du
cannabis vont indubitablement amener cette nouvelle génération
d’esclaves vers d’autres drogues (légales ou non).
À ce sujet, les expériences de Stanley Milgram montrent
que si une autorité supérieure approuve un tel changement radical,
la société abaissera ses défenses morales, tout en augmentant la
dépendance aux faux paradis et en augmentant sa psychopathie.
Mais pire encore, en banalisant l’usage du cannabis, nous
précipitons les jeunesses entre les mains des pushers qui, eux,
n’ont aucune limite dans ce qu’ils peuvent et veulent vendre aux
jeunes (principalement les drogues de synthèse). En somme, un
véritable cercle vicieux se construit sous nos yeux, un cercle dont
nous ne pourrons que difficilement nous sortir.
De plus – et dernier point d’importance –, il faut savoir
qu’au Colorado toutes les associations de professeurs au
secondaire et au primaire voient leur jeunesse se corrompre à une
vitesse inquiétante, ce qui laisse d’ailleurs les spécialistes confus.
Selon mes sources, toutes les associations de professeurs de l’État
demandent à revenir en arrière d’urgence avant qu’il ne soit trop
tard. En effet, les coûts sociaux et médicaux à moyen et long terme
(que ce soit aux Pays-Bas ou au Colorado) dépassent maintenant
les revenus associés à la vente de cette drogue toxique.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


71

D’ailleurs, le même phénomène tragique se produit en


Nouvelle-Zélande (voir mon site dans l’onglet « Témoignages »)
et, cela, dans le silence le plus assourdissant de nos politiques et
médias…
Pourquoi personne ne parle de ces expériences négatives
dans ces pays ou ces États ? Madame Nassif, si vous avez une
intelligence ouverte et curieuse, voilà un mystère que je vous invite
à approfondir dès maintenant...
Voici les liens-onglets pour consulter mon site sans but lucratif :
Page d’accueil :
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues
En version anglaise (page d’accueil seulement) :
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues/english-
version
Questions été réponses :
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues/questions-
et-reponses
Les drogues de synthèse :
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues/les-
drogues-de-synthese
Témoignages :
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues/temoignage
s
Cannabis : les effets…
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues/cannabiseff
ets
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues/cannabiseff
ets/psychosetoxique
Cannabis : synthèse
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues/synthese-
cannabis

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


72

Aspect politique :
//anticorruptiontranquille.ca/index.php/lesdrogues/aspectpoliti
que

En conclusion, ma longue expérience dans ce domaine,


surtout auprès des jeunes, m’a commandé de produire il y a 5 ans
ce site essentiel. Et, maintenant, une plus grande expérience me
commande de vous écrire pour vous affirmer, sans l’ombre d’un
seul doute, que le Canada y perdra économiquement, moralement,
socialement et humainement, avec cette promotion irresponsable
d’un produit toxique hautement psychoactif.
En effet, les actuelles campagnes de sensibilisation (qui ne
sont pas proactives, mais plutôt réductionnistes, pour ne pas dire
négationnistes de la réalité psychologique) sont une farce
monumentale et ne préviendront aucune psychose ou autre
dangereuse psychopathie. Au contraire, selon l’écrasante majorité
des spécialistes, dont des neuropsychiatres et urgentologues, les
désordres mentaux augmentent sans cesse depuis que la seule
promotion de ce produit polluant est dans l’air, sans vouloir faire
un vilain jeu de mots.
Je vous demande humblement de ne plus appuyer le projet
de loi de votre parti et je demande une réponse à la présente dans
les plus brefs délais. Et, S.V.P., après avoir lu mon site, je vous
demande de ne surtout pas me répondre par les mêmes arguments
que ceux qui ont été jovialement allongés par le sénateur Pratte…
arguments sophistes, réductionnistes et scientifiquement dépassés.
Je vous prie d'accepter, Madame Nassif, l'hommage de mon plus
grand respect.
Signé : Christian Duchesne

______________________

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


73

Annexe. Cette saloperie de cannabis3


Loïc Tassé

Bientôt, le cannabis deviendra légal. Tant pis pour les ravages


que cause cette drogue. Un discours complaisant se répand
partout.
Le plus curieux est que les personnes qui défendent la
consommation de cannabis dénoncent les dangers du tabagisme.
Tout le monde connaît les méfaits de la fumée de tabacs primaire,
secondaire ou tertiaire. Mais entendez-vous parler des dangers de
la fumée de cannabis primaire, secondaire ou tertiaire ? Non.
Serait-ce qu’il n’y aurait pas d’études sur le sujet ? Le cannabis ne
serait pas plus nocif que l’alcool. Allons donc ! Je propose une
expérience simple. Pour commencer, posez un verre de vin sur une
table à côté d’un enfant. Au bout d’une demi-heure qu’observez-
vous ? Rien. Refaites la même expérience en laissant brûler un
joint dans un cendrier à côté du même enfant. Quel sera le résultat
selon vous ?

Absence de vraie campagne de publicité contre le cannabis


Ceux qui s’imaginent que la consommation de cannabis va
diminuer grâce à la nouvelle législation se bercent d’illusions.
Plusieurs compagnies de production de cannabis appartiennent à
des petits amis des Libéraux d’Ottawa. Ces compagnies vont-t-
elles accepter que leurs profits stagnent ou diminuent ? Jamais !
Au contraire, elles vont faire mousser la vente de leur produit.
D’ailleurs, il n’y a pas vraiment de campagne publicitaire pour
avertir le public des méfaits du cannabis.

3
Cf. journaldequebec.com/auteur/loic-tasse mercredi, 20 juin 2018 07:41
MISE à JOUR mercredi, 20 juin 2018 07:53.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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En plus, si le cannabis renfloue les coffres du


gouvernement, ce dernier deviendra lui aussi un accro à cette
drogue.

Trudeau un consommateur ?
Peu importe que le cannabis fasse baisser
substantiellement le quotient intellectuel, qu’il risque de provoquer
des maladies mentales graves, qu’il entrave le développement
intellectuel, qu’il provoque des accidents de la route, etc., Justin
Trudeau a décidé de légaliser cette drogue. Probablement parce
qu’il en consomme lui-même.
Puanteur de mouffette
Il faudra donc s’habituer à respirer à plein nez la puanteur
de mouffette du cannabis, dans les rues, dans les parcs, dans sa
cour. Tant pis pour ses effets sur les enfants ou sur la santé. Tant
pis aussi pour les coûts sociaux engendrés par cette saloperie.
Rendre docile
Bravo Justin ! Après tout, le cannabis rend docile. Rendre
le peuple docile, n’est-ce pas le rêve des mauvais dirigeants ?
//journaldequebec.com/2018/06/20/cette-saloperie-de-cannabis

* *

Le Cep n°85. 4e trimestre 2017


75

REGARD SUR LA CRÉATION


« Car, depuis la création du monde, les perfections invisibles de Dieu,
sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l'œil nu
quand on Le considère dans ses ouvrages » (Rm 1, 20).

Le rat de Gambie : un démineur hors-pair

Bruno Primavère

Résumé : Bien des animaux se mettent au service de l’homme. Les rats


démineurs en donnent un bel exemple. C’est un jeune ingénieur belge,
passionné par les rongeurs et par l’Afrique, qui devina que leur odorat pourrait
servir à détecter l’explosif contenu dans les mines anti personnel, le
trinitrotoluène (TNT). Ces mines enfouies lors des différentes guerres qui
ravagent le Continent noir sont une plaie constamment rouverte dans les
villages et le déminage par les détecteurs de métaux est long, coûteux et
faillible. Les rats, dressés en moins d’un an, font en 20 minutes le travail d’un
détecteur en une journée. Ces merveilleux animaux opèrent désormais au
Cambodge et en Thaïlande. Ils ont aussi une autre mission : détecter les
crachats tuberculeux. Là aussi coût et efficacité sont sans comparaison avec la
méthode classique par microscopie.

Présentation : un « rat » qui n’est pas un Rattus.

Bien qu'appelé « rat de Gambie », le cricétome des


savanes ne doit toutefois pas être confondu avec les espèces
communément appelées « rat » : le Rattus norvegicus (rat brun
d'où sont issus nos rats domestiques) ou le Rattus rattus (rat noir
sauvage). En effet, le cricétome ne fait pas partie du genre Rattus,
mais du genre Cricetomys et malgré son appellation, n'est donc pas
un « rat » sur le plan biologique.

Son espérance de vie peut être de 7 ans. La femelle pèse


en moyenne 1,5 kg, le mâle 2 kg. Une portée se compose de deux à
trois petits ; cet animal est donc bien moins prolifique que le rat
commun, mais il peut avoir quatre portées par an.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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Noter la longue queue avec


l’extrémité blanche

Glabre et aveugle à la
naissance. Il voit à 20-23
jours et son pelage se forme
entre le 5e et le 14e jour.

La coloration sauvage est unique pour toute l'espèce qui n'a pas été
soumise à des sélections. La robe est brun « agouti », plus claire
sur le ventre et l'extrémité des pattes ; une partie de la queue est
claire, souvent sur le dernier tiers. C'est un animal principalement
granivore et frugivore,
mais il peut également se
montrer opportuniste et à
l’occasion devient
omnivore. Son mode de
vie permet de contrôler
les populations d’insectes
mais aussi de disperser
les graines des plantes
dont il mange les fruits.

Cette espèce comporte la particularité de posséder, à l'instar


des hamsters, des abajoues pour stocker et déplacer de grandes
quantités de nourriture : jusqu’à 100 ml !

Habitat

Bien qu'appelé cricétome des savanes, cette espèce a


comme habitat, outre les savanes (arbustives comprises), le milieu
forestier et les zones agricoles, voire urbaines. En cela, cette
espèce est plus ubiquiste que l'espèce voisine, Cricetomys emini
qui est inféodée au milieu forestier et aux montagnes. Il y a donc
superposition géographique des deux espèces en milieu forestier.
Animal nocturne, il fuit la chaleur et niche dans des tunnels ou des
arbres creux.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


77

Utilisations

Production de viande

Le principal objectif de la cricétomiculture est la


production de viande. La chair du cricétome est estimée dans son
aire d'élevage. Les consommateurs vantent ses qualités gustatives
si bien, qu'à l'état sauvage, il est l'animal le plus chassé d'Afrique
de l'Ouest. Cette surchasse liée à la forte croissance
démographique des pays où il est présent a conduit à sa raréfaction
dans les zones à forte densité humaine. L'élevage permet ainsi de
sécuriser l'approvisionnement en viande de cricétome tout en
générant des revenus pour les populations. La cricétomiculture est
un mode d'élevage en pleine expansion. En Afrique subsaharienne
le cricétome a la même fonction alimentaire que le lapin
(cuniculture) en Occident et le cochon d'Inde (caviculture) en
Amérique du Sud. Son élevage est facile à mettre en œuvre et
permet une forte productivité en viande de qualité à peu de frais.

Utilisation comme animal de compagnie

Peu farouche et d'une locomotion lente, il se laisse


facilement attraper à la main, surtout de nuit lorsqu'il est ébloui par
une lampe torche. Il n'est pas de nature agressive mais peut mordre
lors de la capture. Très vite, il s'habitue à la captivité et se laisse
alors manipuler en douceur par son maître. Depuis quelques
années, les amateurs de rats domestiques s'intéressent au cricétome
des savanes, que son surnom « rat géant » ou « rat de Gambie » a
pu faire passer pour une version géante du rat domestique, avec
une espérance de vie supérieure. Le cricétome est toutefois
totalement différent du rat domestique ; il a un comportement, un
langage et des besoins différents. La force de sa mâchoire plus
importante et son potentiel de dégradation nécessitent de le
maintenir avec davantage de précautions.

Le rat détecteur de mines

APOPO, pour « Anti-Persoonsmijnen Ontmijnende


Product Ontwikkeling » (en français : Développement d'un produit

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


78

de détection anti-mines terrestres) est une organisation non


gouvernementale belge qui forme des rats, plus précisément des
cricétomes des savanes (Ccricetomys gambianus), pour leur
apprendre à détecter des mines terrestres ou la tuberculose. La
mission d'APOPO a été de mettre au point une méthode de
détection à l'aide de rats, afin de résoudre un problème majeur dans
certains pays. APOPO travaille surtout en Afrique (Angola,
Mozambique, Tanzanie) et en Asie (Thaïlande et Cambodge).

Historique

Bart Weetjens, le fondateur d'APOPO, possédait déjà des


rats domestiqués quand il était enfant et a naturellement établi un
lien particulier avec ces rongeurs. Quelques années plus tard, il
s’est passionné pour
l'Afrique, où il a
voyagé à plusieurs
reprises alors qu'il
était étudiant.
Songeant aux
agriculteurs
travaillant dans les
zones touchées par
les guerres civiles, il
eut l'idée d'utiliser des
rongeurs pour détecter des mines antipersonnel. La Direction
générale de la coopération internationale (DGIS) de Belgique lui a
fourni un premier appui financier en 1997. Dès 1998, APOPO fut
enregistrée comme organisation à but non lucratif en Belgique.

En 2003, APOPO a entamé ses opérations au Mozambique,


ses premiers rats démineurs obtenant une accréditation officielle en
2004 selon les Normes internationales de l’action contre les mines
(NILAM)3.

1. Détecter les mines grâce à l'odorat


Poser une mine revient à 2 €, mais il en coûte 700 € en
moyenne pour en détecter une dans un champ de mine déjà repéré,
c’est-à-dire, le plus souvent, là où un habitant a perdu une jambe.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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Un mutilé tient celui qui aurait pu le sauver.

Avantages du rat de Gambie

Dans le contexte de ces guerres africaines, nul ne relève


sur une carte l’emplacement précis des mines posées. De plus les
détecteurs de métaux ont la manie de sonner à chaque morceau de
ferraille enterré, ce qui augmente le travail postérieur pour le
déminage proprement dit. La supériorité du rat sur l’outil humain
est donc flagrante et
présente plusieurs
avantages. Ces rats sont
autochtones en Afrique
subsaharienne où on les met
au travail et, de ce fait,
résistent bien au climat et
aux maladies endémiques de
cette région. En outre, on les
trouve aisément, car ils sont
nombreux et faciles à
acquérir.

Un HeroRAT à la recherche
d'une mine sur le terrain
d'entraînement de
Morogoro, en Tanzanie.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


80

Peu de
ressources sont
nécessaires
pour élever un
rat jusqu'à l'âge
adulte et les
cricétomes des
savanes ont une
espérance de vie plutôt longue, de six à huit ans. En outre, les rats
ne se lient pas à un formateur en particulier, leur motivation au
travail étant la nourriture. Il est ainsi très facile de faire passer les
rats d'un formateur à l'autre. Le dressage d’un rat prend de 6 à 8
mois et demande une grande familiarité avec l’animal.

Les rats sont trop légers pour faire détoner les charges
explosives sur les terrains minés. De par leur petite taille, ils sont
faciles à transporter d'un site à l'autre. Ce travail ne pourrait pas
être exécuté par des chiens qui sauteraient sur des mines, ont
l’odorat moins fin et dont le dressage serait nettement plus
coûteux.

Détection directe

Mine Detection Rat (MDR), ou « rat démineur », ou


encore HeroRAT (« rat héros », vu son activité à risques) est le
nom donné aux rats utilisés par APOPO pour travailler à la
détection directe de mines antipersonnel grâce à leur flair
exceptionnel.

Ces rats de Gambie ont un odorat 300 fois supérieur à


celui de l’homme ; ils sont capables de renifler des produits
chimiques explosifs comme le TNT contenu dans les mines
terrestres. Cela les rend extrêmement efficaces : un rat démineur
peut inspecter jusqu’à à 200 mètres carrés en 20 minutes ; cela
prendrait entre un à quatre jours pour un technicien avec un
détecteur de métal en fonction des niveaux de contamination de la

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


81

ferraille. Une fois formés et accrédités, les HeroRAT soutiennent


les opérations de déminage traditionnel.

Mines antipersonnel dont le rat doit apprendre à reconnaître


l’odeur caractéristique.

Sur le terrain,
les rats démineurs
portent des harnais
rattachés à une corde
suspendue entre deux
agents humains. Les
rats balayent
systématiquement une
bande de terrain et
grattent la terre dès
qu'ils ont repéré l'odeur
de l'explosif. Leur
faible poids ne fait pas
détoner la mine ainsi
détectée. Chaque zone
suspecte est inspectée
par deux rats.

Le rat au travail.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


82

Les endroits indiqués par les rats sont alors marqués. Une
équipe de démineurs viendra ensuite déterrer la mine
manuellement, afin de la détruire.

Former les rats détecteurs

Il faut compter en moyenne neuf mois pour former un rat


démineur selon les principes du conditionnement opérant44.
Animal nocturne, il faut
d’abord l’habituer et à vivre le
jour et à supporter l’intense
chaleur solaire.

Un HeroRAT cherche une


mine sur le terrain
d'entraînement de Morogoro,
en Tanzanie, lors d’une
détection directe.

Un rat détecteur reçoit sa récompense.

44
Développé par Thorndyke puis Skinner. On trouvera la description d’une
« boîte de Skinner » dans Le Cep n° 76, p.2.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


83

Lorsqu'ils commencent leur formation proprement dite, les


rats apprennent à associer le son d'un clic à une récompense
alimentaire (bananes, cacahuètes). Dès qu'ils ont appris à associer
le son du clic à une satisfaction d'ordre alimentaire, on leur
apprend à cibler une odeur. Les rats démineurs comprennent que
chaque fois qu'ils signalent la présence de trinitrotoluène (TNT,
l'explosif présent dans la plupart des mines), ils entendront un clic
et recevront une récompense alimentaire.

Cette formation est ensuite suivie d'une série de tests


d'accréditation. Ensuite, les rats apprennent à devenir sociables. Au
terme de plusieurs étapes d'apprentissage, au cours desquelles les
compétences se développent progressivement, le rat sera prêt à
aller sur le terrain, soit pour la détection de mines, soit – comme
nous le verrons – dans des laboratoires de recherche sur la
tuberculose où il travaillera à la détection olfactive à distance
(Remote scent tracing, RST).

Une équipe prête à partir au déminage.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


84

Angola

En Angola, APOPO collabore avec une ONG


norvégienne, Norwegian People’s Aid (NPA), afin de déminer ce
pays, le troisième le plus miné après l'Afghanistan et le Cambodge.

NPA est présente dans les provinces de Malanje, Kwansa


Norte, Uíge et Zaïre et utilise dorénavant les rats d'APOPO.

Mozambique

L’action d’APOPO a permis au Mozambique de respecter


les objectifs fixés pour 2014 dans la Convention sur l'interdiction
des mines antipersonnel (aussi appelée Convention d’Ottawa ou
Traité d'Ottawa).

Les opérations au Mozambique ont commencé en 2003


avec un premier groupe de onze rats démineurs passant leur
examen d'accréditation en 2004. Les opérations de déminage
pleinement intégrées, comprenant des appareils pour la préparation
du terrain, des rats et des démineurs manuels ont démarré en 2006.
APOPO avait terminé son premier projet en 2012, un an plus tôt
que prévu, et a déminé les provinces de Manica, de Sofala et de
Tete.

Le dortoir des rats à Mpelane (Mozambique).

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


85

Depuis le début des opérations, les équipes de déminage


d'APOPO au Mozambique ont permis de récupérer 6 millions de
mètres carrés de terres pour un usage civil. Les terres sont ainsi
redevenues accessibles pour l'agriculture et l'élevage. Plus de
2 400 mines antipersonnel ont été découvertes et détruites. Le
Mozambique est désormais considéré comme déminé.

Tanzanie

C'est à Morogoro que les cricétomes des savanes sont formés au


déminage, à l’université d’agriculture de Sokoine. Ils sont ensuite
envoyés dans des zones pacifiées, en vue du déminage.

Cambodge

La région la plus fortement contaminée par les mines anti-


personnel se situe à proximité de la frontière avec la Thaïlande.
Ces mines ont été implantées par le gouvernement cambodgien
dans le milieu des années 1980, afin de bloquer le passage
d'insurgés. Selon une étude du Landmine Impact Survey (LIS) de
2002, la survie de près de la moitié des communautés du pays était
entravée par l'omniprésence de mines, les empêchant d'accéder à la
terre, aux routes et à l'eau. Le Cambodge est l'un des pays ayant le
nombre de décès, dus aux mines antipersonnel, le plus élevé.

Mine émergeant du sol.

En 2012,
APOPO a noué un
partenariat avec le
Cambodian Mine Action
Center (CMAC) afin
d'entamer le déminage
du pays et ainsi favoriser
sa reconstruction et son
développement.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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Les rats de détection de mines ont voyagé en dehors du


continent africain pour la première fois en avril 2015 et opèrent
maintenant au Cambodge pour les mêmes opérations de détection
des mines terrestres.

Complicité entre le rat et son maître.

À ce jour, le projet a restitué 1 372 hectares de terres aux


communautés locales et détruit plus de 4 500 mines et plus de
36 000 bombes, grenades et balles. Le travail au Cambodge est
rendu possible grâce à un partenariat avec le Cambodian Mine
Action Centre (CMAC).

Le terrain est
quadrillé en
vue d’un
marquage
précis.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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Thaïlande

En 2010, le Centre de déminage de la Thaïlande (TMAC) a


soutenu la proposition d'APOPO d'effectuer une étude de toutes les
zones présumées minées dans les provinces de Trat et de
Chanthaburi, le long de la frontière avec le Cambodge. Depuis,
APOPO mène ce projet en collaboration avec une ONG locale,
Peace Road Organization, dans le but de déterminer avec précision
combien de zones considérées comme dangereuses sont
effectivement minées.

2. Détecter la tuberculose par l'odorat

Mais le déminage n’est pas le seul champ d’action des rats de


Gambie. Etonnamment, la tuberculose est aussi un domaine où les
services rendus sont majeurs. La tuberculose est l'une des maladies
entraînant le plus de morts au monde, surtout dans les pays
pauvres. Elle a, par exemple, causé 1,5 million de morts en 2013.
Le dépistage de cette maladie à l'aide de rats permet d'établir un
diagnostic parmi les populations pauvres, ce qui contribue au
travail réalisé dans le cadre de la stratégie DOTS recommandée par
l'OMS.

En 2003, APOPO avait remporté le concours mondial


Development Marketplace de la Banque mondiale, ce qui lui a
permis d'obtenir un premier financement pour explorer une autre
application du flair étonnant des rats, à savoir la détection de la
tuberculose. Pour cela, il a fallu dresser des rats spécialisés et, en
2008, la preuve fut apportée que ces rats étaient capables de
détecter la tuberculose dans des échantillons de crachats humains.
En 2010, APOPO a lancé un plan de recherche sur trois ans afin
d'examiner de près l'efficacité de la détection de la tuberculose par
des rats, en comparant cette méthode à d'autres méthodes
diagnostiques et en se concentrant sur de futurs modèles
d'application de cette technologie.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


88

Les rats qui sont en formation pour déceler la tuberculose


travaillent de la même manière que les rats démineurs, mais en
laboratoire et à l'aide d'échantillons positifs au bacille de Koch,
Mycobacterium tuberculosis, présent dans des échantillons de
crachats humains (seuls sont contagieux les « tuberculeux actifs »,
évolutifs, excrétant des bacilles dans leurs expectorations).

Dans les laboratoires d'APOPO en Tanzanie, les rats reniflent


une série de dix orifices alignés sur le fond d'une cage, chaque trou
contenant un crachat à évaluer. Lorsqu'un rat reconnaît l'odeur
caractéristique de la tuberculose, il l'indique en maintenant son
museau contre l'orifice et en grattant le sol de sa cage.

Un HeroRAT reniflant un crachat pour détecter la tuberculose.

Les
échantillons
sont placés
dans un
tiroir sous
le plancher
de la cage
vitrée où
circule le rat. Le laborantin marque les échantillons positifs et dès
que le rat a parcouru toute la cage, le tiroir est remplacé.

Recouverts par
une languette
escamotable, les
trous
surplombants les
échantillons sont
testés l’un après
l’autre.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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Avec le dépistage de la tuberculose, on recense chaque


année près de 8,5 millions de nouveaux cas de tuberculose et 1,3
million de décès. Selon les estimations, à peine la moitié des
patients infectés par la tuberculose sont diagnostiqués dans la
plupart des pays de l’Afrique sub-saharienne. Or un tuberculeux
non soigné peut contaminer 10 à 15 autres personnes chaque
année.

L'avantage des rats sur la microscopie

À l'heure actuelle, la tuberculose est dépistée à l'aide


d'examens au microscope, une méthode inchangée depuis au moins
un siècle. Les rats d'APOPO travaillent dans des centres de
dépistage à Dar es-Salaam et à Morogoro, en Tanzanie. Depuis
2010, cette collaboration a permis d'augmenter de 43 % l’efficacité
du dépistage de patients souffrant de tuberculose.

Les « HeroRATs » détectent rapidement le bacille de la


tuberculose dans des échantillons de crachats humains, avec une
incroyable précision. Un seul rat peut analyser une centaine
d’échantillons en moins de 20 minutes, alors qu’un technicien de
laboratoire examinant l’échantillon au microscope ne peut en
traiter que 40 par jour. Le nombre de patients diagnostiqués
positifs pour la tuberculose a augmenté de plus de 45 % dans les
cliniques où APOPO intervient. On peut espérer qu'à l'avenir, les
rats détecteurs deviendront un instrument essentiel dans la lutte
contre la tuberculose dans le monde. Ces rats sont rapides, précis,
peu onéreux et permettent d'effectuer des dépistages sur
d'importants groupes de populations à risque.

Conclusion

La Genèse nous apprend que Dieu a créé des animaux


spécifiquement domestiques (1, 25) : le chien, la vache et le cheval
en sont de magnifiques exemples45 .

45
Le chat doit être mis à part : il vit volontiers avec l’homme, mais reste son
propre maître ; il est apprivoisé, non domestiqué.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


90

Le rat commun, bien que son biotope recouvre celui de


l’homme (y compris sur les navires !), n’a guère la réputation d’un
être utile : on le connaît surtout par les dégâts commis ! Mais le rat
de Gambie nous fait comprendre qu’avant la Chute, même le
Rattus norvegicus a pu vivre en harmonie avec l’homme. Certes
notre rat démineur est laborieux à domestiquer, puisqu’il faut lui
faire quitter ses habitudes nocturnes, l’accoutumer au grand soleil
et le plier à une activité artificielle, mais le jeu en vaut bien la
chandelle puisqu’il met à notre service son odorat hors-pair. Quelle
magnifique illustration de la préscience divine qui, pour Sa gloire,
a tout ordonné dans la Création à cet être ingrat – l’homme – qui
devait résumer en lui-même l’univers, tel un vivant microcosme,
mais qui oublie si souvent de rendre grâce pour les merveilleuses
qualités de ses propres compagnons terrestres.

_____________________________

Prix et distinctions obtenus par APOPO

-Bourse (fellowship) Ashoka accordée en 2006 à Bart Weetjens,


fondateur d'APOPO ;
-Prix Skoll d'entreprenariat social (Skoll Award for Social
Entrepreneurship), attribué en 2009 par la Fondation Skoll ;
-La bourse (fellowship) de la Fondation Schwab pour
l'entreprenariat social, attribuée à Bart Weetjens, fondateur
d'APOPO.
______________________________
Sources :
-Wikipedia : art. “Cricetomys gambianus”, “Apopo” ;
-Alan POLING, Bart J. WEETJENS, Christophe COX et Georgies
MGODE, « Using Giant African Pouched Rats to Detect
Tuberculosis in Human Sputum Samples: 2009 Findings », The
American Journal of Tropical Medicine and Hygiene, vol. 83, no 6,
6 décembre 2010, p. 1 308–1 310 ;
- animaldiversity.org/accounts/Cricetomys_gambianus/

*****************************

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


91

COURRIER DES LECTEURS

De M. B. P. (Champagne)
Dans Le Cep n° 70, Mgr Le Roy montre combien les
historiens des religions, influencés par l’évolutionnisme, attribuent
à tort aux « sauvages » des notions religieuses « primitives »,
purement intéressées. Je lis dans la biographie du P. Eugène de
Villeurbanne écrite par Yves Chiron (Veilleur avant l’aube, Éd.
Clovis, 1997, p. 235) un passage confirmant pleinement ce fait :
« Le père Eugène dira à plusieurs reprises que les populations
d’Oubangui-Chari, telles qu’il les connut dans ses différents postes
missionnaires, lui avaient paru parmi “ les plus arriérées ”. Mais il
notait aussi que, par cela même, elles pouvaient être plus sensibles
à une notion exacte de Dieu perçu comme Dieu unique et créateur.
Elles n’étaient pas soumises à un polythéisme compliqué. Certes,
elles croyaient en l’existence de divinités de la nature mais elles
plaçaient au-dessus d’elles un dieu supérieur (Mzapa ou Nzapa).
Le père Eugène voyait dans ce fait la contradiction des thèses
sociologiques communément admises sur la religion primitive :
“Quelquefois on dit que la prière a commencé chez les peuples
sauvages par la divinisation des forces de la nature dont ils avaient
peur. Ils auraient prié ces forces pour se les concilier... C’est une
grosse bêtise. Les peuples les plus élémentaires sont les peuples
qui ont la prière la plus pure. ” »

__________________________

De M. X. B. (Indes)
À propos de l'article sur « la liberté des communistes »,
pages 42 à 59 du Cep n° 83. Cet article est plein d'informations
très intéressantes sur la nature essentiellement diabolique de cette
idéologie, mais il y a un point qui me gêne : c'est toujours cette
comparaison entre fascisme et communisme au détriment du
premier. Ce sont les communistes qui ont mis le fascisme et surtout
le nazisme au sommet de la pyramide du mal, bien évidemment
pour escamoter leurs propres crimes qui : 1/ ont fait beaucoup
plus de victimes ; 2/ ont duré beaucoup plus longtemps.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


92

Un grand nombre de naïfs se laissent prendre au piège.


Notamment ceux qui continuent d'accorder un brevet de résistance
aux communistes pendant la Seconde Guerre mondiale, pour lutter
contre le mal absolu. Ah ! C'était le bon temps, au coude à coude
contre l'hydre fasciste… Cette partition est reprise à tout bout de
champ depuis 73 ans et a permis au communisme de s'installer et
de se maintenir dans des pays qu'il n'aurait jamais dû conquérir
sans l'insondable aveuglement de nos « élites » à l'Ouest. Deux
exemples dans l'article :
1. Page 52 (sur le caractère élastique du concept de
« fasciste »). Oui, les communistes ont tendance à traiter les anti-
communistes de « fascistes » pour les discréditer, mais c'est parce
que l'imposture a pris racine! Quand j'étais plus jeune, les
gauchistes et communistes traitaient leurs adversaires libéraux de
« bourgeois » et dès que l'anticommunisme remontait aux causes
pour devenir efficace, le libéral-bourgeois était alors étiqueté
« fasciste », ce qui équivalait – et équivaut toujours – à un
bannissement social. Mais pourquoi écrire : « nous ne nous
attendrissons pas sur le sort des vrais fascistes, délinquants de
guerre et leurs partisans. » En écrivant cela, les auteurs justifient
l'épuration et – probablement sans le vouloir – tombent
exactement dans la dialectique imposée par les communistes. Je
les renvoie aux écrits de Maurice Bardèche1.
2. Page 54: « s'opposer au totalitarisme rouge avec la
même force avec laquelle ils se sont opposés à la puissance du
fascisme et du nazisme ». Alors, seuls les antifascistes de l'époque
seraient appelés à la croisade anticommuniste ? Or, qui avait
raison entre les deux guerres : le communisme n'était-il pas dès le
début bien plus dangereux que le régime de Mussolini ? Je cite
souvent Bernard Antony : « Le communisme tuait avant que le
nazisme tue, il a tué pendant que le nazisme tuait et il a continué à
tuer après que le nazisme a disparu. » Alors, qui est le plus
meurtrier et le plus dangereux des deux ?
1
Ndlr. Ce livre avait été publié à Rome en 1945, et sans doute écrit bien
avant. Les auteurs, socialistes de bonne volonté, n’avaient pas notre recul sur
l’après-guerre. Sans doute auraient-ils alors perdu certaines de leurs illusions.
Même bien plus tard, on a vu des dissidents soviétiques s’imaginer que
l’Occident serait à leurs côtés, pour ne pas même parler des Hongrois
(insurrection de Budapest, 1956) ou des Tchécoslovaques (printemps de
Prague, 1968).

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


93

Pour ma part, je suis prêt à reconnaître qu'entre deux


maux qui vous menacent en même temps, il faut choisir de
combattre celui qu'on pense être le pire et, une fois que l'un des
deux a disparu, se mobiliser contre l'autre. Mais ne pas jeter
l'opprobre sur ceux qui ont fait un autre choix. Comme l'écrivait
Jean Madiran à ceux qui pensaient qu'il fallait donner priorité à la
lutte contre le nazisme à l'époque mais qui se sont retrouvés
ensuite avec l'armée soviétique en plein cœur de l'Europe : même
si vous avez pensé à l'époque qu'il fallait lutter contre le nazisme,
« un chien vivant est plus dangereux qu'un lion mort ».
L'imposture communiste est encore très présente dans
les têtes. L'effondrement du régime soviétique en 1990 n'a pas du
tout été suivi d'un procès du communisme avec accusés à la barre
et défilé de témoins ayant souffert de ce système tyrannique et
mensonger (il n'en aurait pas manqué !). Bernard Antony
proposait un tribunal de Nuremberg du communisme. Bref, une
« décommunisation » du même type que la « dénazification » en
Allemagne après la victoire des Alliés en 1945. Je comprends bien
l'idée, mais la comparaison me gêne car ce tribunal de Nuremberg
fut une farce juridique où les parties étaient aussi des juges et où
l'on a fait jouer un principe de rétroactivité qui permettait de
condamner un accusé pour un délit qui n'était pas reconnu pour tel
à l'époque des faits. Deux anomalies juridiques qu'un étudiant en
première année de droit devrait balayer en une minute. Bardèche,
encore lui, a parfaitement démonté les mécanismes de l'imposture
et annoncé le système d'épuration permanente que ce procès allait
imposer. Nous y sommes en plein et pas prêts d'en sortir à vue
humaine.
Quand je pense qu'il est interdit, encore aujourd'hui, de
contester les conclusions de ce procès, alors qu'il est plein
d'erreurs et de mensonges flagrants ! Un exemple : on a mis à
l'époque le crime de Katyn sur le dos des Allemands alors que
c'était l'Armée rouge. Les Russes l'ont eux-mêmes reconnu 45 ans
après. Et il y eut des gens lucides et courageux qu'on a
emprisonnés pour l'avoir proclamé à l'époque2.

2
Ndlr. Ce fut le cas d’André Grelin, l’inventeur de la « grelinette » (outil de
jardinage permettant de travailler le sol sans le retourner). Il fut emprisonné à
Marseille, en 1945, pour avoir dit dans un bistrot que Katyn était le fait des
soviets.

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


94

De toute façon, ce procès du communisme ne s'est pas fait, et pour


cause : il y avait trop de connivences et de complicités entre l'Est
et l'Ouest. Regardez comme ces ex-communistes se sont facilement
recyclés dans le business ou des partis politiques moins marqués
sans que personne ne leur demandât jamais le moindre compte.
Voyez aussi combien il a été difficile d'organiser le jugement des
anciens dirigeants Khmers rouges du Cambodge. Tous ceux qui se
sont intéressés au dossier ont noté comment les complices avoués
ou cachés ont retardé les procédures, découragé les acteurs :
avocats des parties plaignantes, témoins, etc., tenté d'étouffer la
diffusion, et j'en passe. À la fin, on a certes emprisonné un certain
nombre de tortionnaires locaux, mais ce n'est pas l'idéologie dont
ils se réclamaient qui a été jugée et condamnée !
__________________________

De M. I. M. (Ardennes).
Dans Le Cep n° 84, p. 71, le cannibalisme est pris comme
exemple de la manière dont la « fenêtre d’Overton » peut rendre
progressivement acceptable ce qui serait aujourd’hui rejeté
d’emblée par la société. Cet exemple n’est peut-être pas
entièrement fictif : il existe à Los Angeles, un restaurant élitiste
nommé Cannibal Club (http://cannibalclub.org/faq.html) dont le
site vante les qualités gustatives et la sûreté (garantie sans
prions !) de cette viande. Outre les legs mortuaires ( !) dont le site
fait état, il nous semble que l’approvisionnement régulier pourrait
venir de Chine. En effet les transplantations d’organes y sont
pratiquées à l’échelle industrielle, grâce aux donneurs
involontaires qu’y constituent les prisonniers. Or, une fois prélevés
les organes à greffer, il reste des tissus musculaires à bien
valoriser. Se rapporter aussi à https://numidia-
liberum.blogspot.com/2018/06/usa-un-restaurant-cannibale-pour-
lelite.html.
_____________________________

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


95

Comme les autres… Quelconque…

Michel Vienne
Deux bêtes calamiteuses évoluent
Dans le marigot du jargon humaniste.

« Comme les autres » la première nommée


D’apparence avenante, ravit les foules,
Son verbe chatoyant flatte les instincts,
L'homme, un animal... comme les autres
La terre, une planète... comme les autres
Le catholicisme, une religion... comme les autres
La France, une nation … comme les autres…
Se sentir « comme les autres » pérennise
Le remugle d’illusions du quotidien.

Bientôt sur les traces de « comme les autres »


« Quelconque » la deuxième bête surgit.

Elle ne séduit pas tant que la première,


Seul l'humaniste élitiste la fréquente
Dans d’obscurs aphorismes alluvionnaires,
L'homme est un animal … quelconque
La terre une planète... quelconque
Le catholicisme, une religion … quelconque
La France, une nation... quelconque…
Il accorde un large mépris aux quelconques
Gavés de deux siècles de ses propres mythes.

Gare ! Son rejeton, le transhumaniste


Commence à lui trouver un air de quelconque.

(Le Touquet, 4 août 2018)

* *

Le Cep n°85. 4e trimestre 2018


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