Du Cinéma: Cahiers
Du Cinéma: Cahiers
Du Cinéma: Cahiers
DU CINÉMA
SOMMAI RE
Yves Kovacs ................... Entretien avec Robert Bresson ............... 4
14-18 d e J e a n A u re l ( Z O D I A C ) .
André S. Labarthe ......... Rencontre avec Arthur Penn ............... 28
Jean Douchet et André
S. Labarthe ............... Tours 1962 ................................................. 34
Les Films
1
M ichel Delahaye. — I. H atari, Splendor in the Grass, V ivre sa vie ; 4. L e Fleuve sauvage,
V a n in a V anini, V iridiana ; 7, Jules et Jim, Le Signe d u L ion ; 9. A travers le miroir, Miracle
en A lab am a.
Jctcçf.xes D e m y . — (En désordre) Splendor in th e Grass ; L e Signe d u Lion ; V ivre sa vie ;
Cléo de cinq à s e p t ; Jules e t Jim ; V iridiana ; H atari ; W e s t Side Story ; U ne grosse tête ;
Le Procès,
Jean D om archi. — I, Le Fleuve sauvage ; 2. Les M araudeurs attaqu en t ; 3. T h e L ad ies’
M an, T h e R om an S pring of Mrs Stone, T e m p ê te à W ash ing ton ; 6. V a n in a V anin i ; 7-
Breakfast at T iffa n y ’s ; 8. Coups de feu dans la Sierra ; 9. D oux oiseau de jeunesse ; 10, Les
Q uatre Cavaliers d e l ’Apocalypse.
Jacques D oniol-Valcroze. — 1. V iridiana ; 2. Le Fleuve sauvage ; 3. Boccace 70 (Vis-
conii) ; 4. H atari ; 5. Jules et Jim, V ivre sa vie ; 7. A travers le m iroir ; 8. L 'A rn a q u e u r ;
9. L ’Eclipse ; 10. T h e M ançhurian Candidate.
B ernard Dort, — I. V iridiana ; 2. A travers le m iroir ; 3. Cléo de cinq à sept, P rim ary ;
5. L e Procès ; 6. L a Main dans le piège ; 7. Jules et Jim , L e C om bat dans l’île ; 9. Divorce
à l ’italienne ; 10. U ne fille a parlé.
Claude de Gioray. — (Par ordre alphabétique). C oups d e feu dans la Sierra ; Le Fleuve
sauvage ; H atari ; Jules et jim ; Miracle en A la b am a ; L e Procès ; L e Signe du L ion ;
S plendor in the Grass ; V iridiana j V ivre sa vie.
Fereydoun H ooeyda. — (Par^ ordre alphabétique) A n n ées de feu ; Education sentim entale ;
Eva L e Fleuve sauvage ; L'Invisible Docteur M abuse ; Jules et Jim ; Le Procès ; L es
Q u atre Cavaliers de l'A pocaîypse ; Le Signe d u L ion ; V ivre sa vie.
Pierre K<ist^ — I. Jules et Jim, A travers le miroir, V irid ian a ; 4. V ivre sa vie, Le F leuve
sauvage L ’Eclipse, Boccace 70 (Vîsconti), L*Am our à v in g t ans (Truffaut); 9. L a Main
dans le piège ; 10. Le Rendez-vous de m inuit.
A n d r é S . Labarthe. — I. V iridiana, V ivre sa vie ; 3. Le C aporal épinglé ; 4. T h e L ad ie s’
M an, Le Procès, Le Signe d u Lion ; 7. L ’H o m m e qu i tua Liberty Valance, Miracle en
A labam a ; 9. Coups de feu dans la Sierra, H atari.
Pierre Marcabru. — (Par ordre alphabétique) : A d o ra b le m enteuse ; A travers le m iroir ;
Cléo de cinq à sept ; Coups d e feu dans la Sierra ; E ducation sentim entale ; Le Fleuve s a u
vage ; T h e Ladies' M an • Le Signe d u L ion ; T o o L ate Blues ; V ivre sa vie.
2
Luc M oullet. — I. A dorable m enteuse ; 2. L a F ille _à la valise ; 3. Les H onneurs d e la
guerre ; 4. Hercule à la conquête de l'A tla n tid e ; 5. V ivre sa vie ; 6. Le Fleuve sauvage ;
7. A nnées de feu ; 8. Le Signe d u L ion ; 9. Cléo de cinq à sept ; 10, Education sentim entale.
Claude-Jean P hilippe. — 1. Hatari ; 2. V ivre sa vie ; 3. Miracle en A labam a ; 4. L ’H om m e
qui tua Liberty V alance ; 5. Le Rendez-vous d e m inuit ; 6. V îridiana ; 7. T em p ê te à
W ashington ; 8. Splendor in the Grass ; 9. Education sentim entale ; 10. Eva.
A la in Resnais. — (Par ordre alphabétique) Cléo de cinq à sept ; Coups de feu dans^ la
S ierra ; L a Dénonciation ; L ’Eclipse ; Les H onneurs de la guerre ; Jules et Jim ; Le Procès ;
La R um eur ; V ie privée ; V ivre sa vie.
Jacques R ivetie. — (Par ordre alphabétique) : A n n ées d e feu ; A travers le m iroir ;
L ’Eclipse ; Jules et Jim ; Miracle en A labam a ; Splendor in th e G rass ; T o o L ate Blues ;
V a n in a V a n in i ; V iridiana ; V ivre sa vie.
Eric R ohm er, — î. 'Le Caporal épinglé ; 2. H atari ; 3. V ivre sa vie ; 4. Boccace 70 (Vis-
conti), E ducation sentim entale ; 6. Jules et Jim ; 7. Cléo de cinq à sept ; 8. Le Rendez-vous
de m in u it ; 9. Breakfast at T iffa n y ’s ; 10, L A m o u r à vingt ans (w ajd a).
Jacques Rozier. — '(Par ordre alphabétique) L ’A rn a q u e u r ; L ’Eclipse ; Les H onneurs de
ja guerre -, J u le s ' e t Jim. * T h e Laaies’ 'Man ; T e m p ê te à W ashington ; T o o L ate Blues ;
V iridiana ; V ivre sa vie ; W est Side Story.
Georges Sadoul, — (Sans ordre préférentiel et p a r pays), E spagne : V îridiana, ; Grèce :
Electra ; Italie : L ’Eclipse Pologne : U n e fille a parlé • Suède : A travers le m iroir ;
U .R .S .S . : Ciel pur ; U .S .A . : P rim ary ; M ultinational : L e Procès ; France.{ex aequo) : Cléo
d e cinq à sept. V ivre sa vie.
Jacques Siclier. —: T. H atari ; 2. V ivre sa vie ; 3. E ducation sentim entale ; 4. V iridiana ;
5, T h e L adies’ M an ; 6. A travers le m iroir ; 7. Boccace 70 (Visconti) ; 8. Le Signe du Lion ;
9. Les H onneurs de la guerre ; 10, Hercule à la conquête de l'A tlantide.
Bertrand TaVernier, — 1. L 'H o m m e qui tua L ib e rty V alance ; 2. Le Fleuve sauvage, T h e
L adies’ M an ; 4, A nnées de feu ; 5. D oux oiseau d e jeunesse ; 6. H atari ; 7. E ducation senti
m entale ; 8. Hercule à la conquête de l ’A tlan tid e ; 9. L es T ita n s ; 10. W est Side Stoiy.
François IVeyergans. — I. H atari : 2. V ivre sa vie ; 3. Jules et Jim ; 4. L e Procès ;
5. V an in a V anini ; 6. Splendor in the Grass ; 7. A travers le m iroir ; 8. Cléo d e cinq à sept ;
9. L e Signe d u Lion ; 10. V iridiana.
Le choix a porté sur les jilm s sortis à Paris en 1962. O n t été exclus les com plém ents
de program m e, c ’est-à-dire grosso m odo tous les courts métrages. E xception a été faite
p ou r les jilm s de brève durée qui, groupés, constituaient la partie essentielle d ’u n spec
tacle, E xe m p le : les œ uvres d e Drew-Leacocl^, de R uspoli, o"j les sketches, considérés
isolém ent, de Boccace 70, d es Sept P échés capitaux, de L ’A m our à vingt ans, etc. Dans
ce dernier cas, nous avons fa it sutore le titre d u lo n g m étrage d u nom de l’auteur du
sfcetch élu.
Nous invitons nos lecteurs à nous adresser, avan t le 15 février, leurs propres listes,
afin J e nous permettre d'établir 'un palm arès que nous serons heu reu x de confronter avec
celui des CAHIERS. J V o u s espérons qu ’ils voudront bien se plier à la règle indiquée cî-des-
siis, m ê m e si , d u fa it de leur situation en province ou à l ’étranger, ils o n t p u voir des
film s q u i ne furen t pas projetés Van dernier dans les salles d ’exclusivité parisiennes.
P o u r éviter toute erreur, ils voudront bien se reporter a u x listes que nous publions cha
que mois. JI conüienda, toutefois, d ’exclure de celles-ci les diverses « reprises » qui ont
eu lieu e n 62.
N ous avons désigné les film s par leur titre français, sauf lorsqu'il s’écarte trop de
l ’original ou; que celui-ci l’a supplanté dans l ’usage.
3
ENTRETIEN
AVEC
ROBERT
BRE SSON
J'ai fait Procès de Jeanne d'Arc avec beaucoup d'amour, un grand respect
pour Jeanne d'Arc, une grande circonspection. Comjne d'habitude, je ne me suis
pas servi d'acteurs professionnels. Il n'y a pas de mimique, pas de mise en scène.
C'est d'une très grande simplicité. J'aimerais surtout que mon film donne un
portrait ressemblant de la surprenante jeune fille.
— Comment avez-vous eu i'idée de tourner cette nouvelle Jeanne d'Azc ?
— J'avais relu, par hasard, les minutes du Procès de Condamnation. Comme
vous le savez, une copie nous en a été conservée. Elle se trouve à la Bibliothèque
de la Chambre. Quicherat, puis Champion, l'ont publiée. J'ai tout de suite eu
envie et résolu de faire un film qui, j'insiste là-dessus, serait composé unique
ment des questions et des réponses authentiques contenues dans ces minutes.
4
— Le regard de Jeanne, par sa pureté extraordinaire,1 et son éclat, possède
à la fois une intensité fascinante et une émouvante grandeur. Voulez-vous expri
mer par le constant duel de regards entre Jeanne et l'évêgue Cauchon ïe combat
sans merci du Bien et du Mal, Je visage de C-auchon étant une incarnation parti-
culièrement inattendue du M al?
5
dit de sa sainteté. Te la vois comme un être supérieur. Elle nous convainc, mieux
que les miracles, de ce inonde où elle pénétrait avec une prodigieuse facilité.
— Votre Jeanne d'Arc donne ïimpression de dominer ses juges ef Je fribunaJ,
et même, au début du procès, de les mépriser. Maïs en même temps, elle ne peut
dissimuler sa faiblesse et sa peur. Etait-elle vraiment aussi humaine ?
—- II semble qu'elle ait toujours cru qu'elle serait délivrée. Ses voix le lui
avaient promis. Mais cette délivrance prendra un autre sens, sera d'une autre
sotte, à la lin, soit par un miracle, soit par la victoire de ses partisans. Le der
nier matin, l'annonce de scr mort la stupéfie, la rend folle. Il semble aussi qu'elle
ait été terrorisée, à la pensée d'être mise en cendres.
— Est-ce délibérément que vous avez établi le destin de Jeanne parallèle à la
Passion du Christ ?
— Vous savez que l'analogie de sa passion avec la Passion du Christ a
été remarquée depuis longtemps. Certaines paroles de Jeanne font ainsi penser
à l'Evangile : « Je le dis, afin que, le moment venu, on se souvienne que je
l'ai dit' », « Au nom de la Voix vient la Clarté », etc.
— Mais est-ce que J’crftifude du père dominicain, gui vient dans Ja cellule
pour dire or Jeanne de se soumettre, ne peut pas, sinon être assimilée à ceJie de
I'évêgue Cauchon, du moins être considérée comme une des formes complémen
taires du mal, de sa forme la plus insinuante ?
— Il lui demande seulement de se soumettre au Pape et au Concile. Il
voudrait la sauver, mais il en est incapable lui-même.
— L'envol des colombes, lors de la mort de Jeanne, n'est-il pas pour vous,
un symbole ?
— Les pigeons qui se posent sur le vélum de la tribune pendant qu'on brûle
Jeanne, puis qui s'envolent, figurent simplement la vie, parmi des spectateurs
figés. De même, l'horloge de l'église voisine tinte comme d'habitude. De même,
le chien qui circule. Dans les villes, pendant les cérémonies publiques, il y a
souvent un chien qui traverse. Les animaux ont conscience qu'il se passe quelque
chose d'insolite, Je n'aime pas créer des symboles. Je les évite autant qu'il m'est
possible. Mais le public en découvre toujours à profusion.
— Après avoir vu votre Procès de Jeanne d'Arc, on peut se demander si Je
tilm de Dreyer n'est pas avant tout un îilm d'esthètet aux cadrages figés et aux
images très symboliques. Vous avez dit récemment que le jeu des acteurs de ce
film vous paraissait grimaçant. Ce qui me semble expressionniste, dans La Passion,
de Jeanne d'Arc, ce n'est pas Je jeu de Falconefti, mais Je jeu des juges et surtout
Ja mise en scène de Dreyer. Qu'en pensez-vous ?
— Dreyer, en intériorisant les personnages de ses films, a particulièrement
bien servi le cinématographe. Sa Passion de Jeanne d'Arc a d'immenses mérites,
surtout si on songe à l'époque où le film fut tourné. Ce film touche encore une
grande partie du public. C'est très remarquable, même s'il le touche avec des
moyens qui ne sont pas toujours cinématographiques. L'ensemble, bien qu'il me
paraisse (à moi) assez théâtral (décors, gestes, mines) exerce encore une séduction
incontestable, que je suis incapable d'expliquer. Le geste de Jeanne' qui ramasse
la corde et la tend au bourreau est théâtral et beau...
— Quelle est pour vous l'actualité de ce Procès de Jeanne d'Arc ?
6
Procès de Jeanne d ’A rc.
— Tous les procès de tous les temps se ressemblent, quand ce ne serait que
parce qu'il y a toujours un accusé et des juges.
— Le sujet des Anges du péché était spécifiquement chrétien. Vous aviez
Je projet, par la suite, d'un iilm sur Saint Ignace de Loyola, qui n'a pas abouti,
Plus tard, après le Journal d'un curé de campagne et Un condamné à mort s'est
échappé, vos deux autres projets, Je premier sur « La Princesse de Clèves », Je
second sur « LanceJof du Lac », n'ont pas abouti non plus. Ne tentiez-vous pas là,
de même qu'avec Pickpocket, d' « élargir » votre univers ? Est-ce que le retour
à un sujet d'inspiration chrétienne correspond pour vous à une évolution prémé
ditée ?
— le pense que, pour moi, tout l'univers est chrétien. Je ne vois pas un sujet
qui paraisse moins chrétien qu'un autre.
— Mais le fait même de choisir des sujets suscepfibies d'une audience plus
large, par exemple le Condamné à mort, n'étaït-ce pas pour vous Je désir de tou
che r un nouveau pubjic ?
— La notion de public m 'a été pendant longtemps tout à fait inconnue. Il
est probable que plus on travaille pour soi, plus on touche un large public, contrai
rement à ce que pensent la plupart des producteurs.
— Pourguoi Je thème de la prison est-il presque constant dans vos films ?
— Je ne m'en étais pas aperçu. Peut-être parce que nous sommes tous des
prisonniers.
7
— Toutes les oeuvres des grands chrétiens contemporains, je pense à Claudel,
à Mauriac, à Bernanos, mais aussi, bien sûr, à des cinéastes comme EosseUini
ef cr Dreyer, sont des œuvres profondément incarnées. Je veux dire quelles s'ins
crivent dans un milieu extrêmement précis. Pourtant, votre univers tend de plus
en plus à s'épurer. Ne pensez-vous pas que Je public soif davantage sensible à
une réalité, disons « saignante », de la vie, et qu'ij accède ainsi plus facilement
à un univers spirituel ?
— Hoffmann disait de l'un de ses Contes : « Le théâtre des opérations a été
transporté à l'intérieur des personnages ». L'important, ce qu'il faut attraper, ce
n'est pas l'extérieur, c'est l'intérieur. D'ailleurs, il n'y a pas d'extérieur. Ou plutôt,
il y a, autant d'extérieurs qu'il y a de paires d'yeux dans le inonde pour le regar
der. La croyance qu'il n'existe qu'une seule et unique vision des choses est
absurde. Les méthodes actuelles de films à la chaîne encouragent ‘cette absurdité.
Il faudrait qu'il y ait de moins en moins de metteurs en scène, et de plus en
plus d'auteurs de filins. Il y en a parmi les jeunes. C’est sur eux qu'il faut miser.
Je crois à l'avenir des films faits en dehors de la production officielle, avec des
appareils (caméra et magnétophone) peu coûteux, loin des studios terriblement
contagieux.
— Pensez-vous, comme Mallarmé, que le fait d'incarner des personnages
signifie obligatoirement Jes déprécier?
— J'en ai très peur. J'ai dit un jour que le cinématographe était l'art de ne
rien montrer. C'est affaire de lumière et d'ombre. Il faut beaucoup d'ombre...
— Quelle est votre conception de l'émotion au cinéma ?
— Procès de Jeanne d'Arc m'a enseigné, ou plutôt m 'a fait mieux comprendre
que l'émotion du public, et aussi l’émotion que nous ressentons nous-même, est
signe de Vérité. Dans les films historiques, où tant de choses sont incertaines,
l'émotion devrait être notre seul guide. Il n'est pas si étrange que, dans nos films,
plus nous éloignons les personnages historiques de leur époque, plus nous les
rapprochons de nous, et plus ils sont vrais. Le cinématographe attrape ce qui
est au moment même. Il serait ridicule de prétendre que j’ai placé m a caméra
cinq siècles en arrière.
— Votre écriture cinématographique est de plus en plus simplifiée. Vous
faites de pJus en plus appel au montage, alors que Je cinéma moderne, en prin
cipe, s'exprime surtout par Je plan-séquence, qui cherche à épouser tous les gestes
des personnages. Est-ce, de voire part, une volonté de réaction contre cette ten
dance, ou pensez-vous que Je montage garde encore foute sa force ?
— Je ne peux pas tout vous expliquer. Je sors peu, et vais rarement au
cinéma, comme on dit. Je ne connais pas bien les tendances. En gros, il ne s'agit
pas, pour moi, de faire jouer des acteurs (professionnels ou non-professionnels)
et de les photographier, mais de prendre, aux êtres et aux choses, des morceaux
de réel, de les isoler, de les rendre indépendants, et de leur donner un autre
ordre, une autre dépendance. L'importance du « montage » est évidente, puisque
c'est seulement au moment où images et sons entrent en contact, prennent chacun
leur place, que le film naît. C'est le film qui, en naissant, donne vie aux person
nages, et non les personnages qui donnent vie au film.
— C'est donc pratiquement tout Je cinéma que vous récusez?
— Je ne récuse rien. Je prends plaisir à toutes sortes de films.
8
Procès de Jeanne d'A rc.
— N'est-il pas possible d'arriver à saisir une vérité profonde des êtres, grâce
à des techniques modernes , celle, par exemple, de la caméra Coûtant ? Dans Vivre
sa vie, Jean-Luc Godard, cherche à saisir 2a vérité des êtres , non pas par l’inté
rieur, comme vous le laites vous-même, mais par ïextérieur des personnages , seion
sou expression. Qu'en pensez-vous ?
— Je ne crois pas beaucoup à ce procédé, bien qu'on puisse atteindre, par
moments, mais pas d'une façon régulière, à quelque chose de surprenant. Mais
je crois qu'il faudrait retrouver dans les films ce qu'il y a d'automatisme dans la
vie, par opposition au théâtre, où chaque geste est surveillé, où chaque parole
est pensée. Pour moi, dans mes films, gestes et paroles servent surtout à provo
quer ces choses ou cette chose qui est l'essence du film. Mieux que le roman,
le cinématographe peut être un moyen de découverte. '
— Aimez-vous Jes films de Mizoguchi ?
— le n'en ai vu qu'un, dont je ne me rappelle pas le titre. Je l'ai aimé. Ce
Japonais avait un certain sens du cinématographe, indéfinissable, rare, que pos
sède un Cocteau, ou, dans un autre ordre de films, un Godard, un Truffaut, un
Louis Malle, les jeunes dont je vous parlais tout à l'heure, en dehors de toute
fabrication et de toute convention.
— 11 y a un détail biographique assez confroversé. On a dit que vous aviez
commencé votre carrière comme assistant de René Clair. Est-ce vrai ?
9
— ï'ignore qui a inventé celcr N'importe qui peut dire n'importe quoi de
n'importe qui... Il semble que plus rien n'ait d'importance.
— Vous avez été peinfrc avant d'être cinéaste ?
— C'est-à-dire que je suis peintre. On ne peut pas avoir été peintre et ne
plus l'être.
— De quels peintres vous sentez-vous le plus proche maintenant ?
— De tous ceux qui n'ont pas suivi ou ne suivent pas une mode. Te crois
que j'aime tous les grands peintres. Je n'ai pas de préférence. J'aime la peinture-
peinture. La peinture abstraite est trop souvent décorative. Mais je ne connais
rien de plus abstrait que Vermeer. Toute peinture (comme tout film) est forcément
abstraite..
— QueJ est le film que vous préparez actuellement ? Vous m'crvez dit tout
à l'heure que vous prépariez un film ?
— Dois-je vous le dire ? Non, je ne crois pas. le ne peux pas le dire, parce
que c'est quelque chose de très difficile. Il est possible que je n'y arrive pas.
Et j'aurais l'air vraiment bête, si je parlais de quelque chose que je ne ferai pas.
10
L ’E X P É R I E N C E LEACOCK
Si l'on met de- côté cette sorte de « degré zéro » de l'écriture ciném atographique q u e
représente la leductio a d a b su td u m de V A n n é e dernière à Marienbctd, la tend ance du ciném a
moderne, depuis 1945, aura: consisté à p ou sser toujours un p eu plus loin la q uête d e réalism e.
A la vraisem blance du ciném a d'avant-guerre, s'o p p o sa le néo-ré alism e des Italiens, étiquette
assez g é n éra le pour recouvrir des personnalités très diverses, mais assez précise p our indiquer
qu'il s'agisscât d 'u n retour a u réel où des décors et p a rle rs naturels, des acteu rs non profes
sionnels, le refus de la dram aturgie habituelle, renouvelaient le stock de conventions à la
disposition du m etteur en scène. L'expérience ten tée p a r Hichard Leacock et ses collaborateurs
d e l'équ ipe Drew Associates pour définir u n ciném a encore plus urgent, plus étroitement r a tta c h é .
a u réelr c e q u e Robert Drew a p p elle du » journalism e filmé i et Leacock du « ciné-reportage »,
recule les limites du réalism e a u ciném a et devrait, d a n s un av enir proche, ouvrir u n cham p
tout neuf d'investigation a u ciném a rom anesque, dom aine q u e notre * Nouvelle V ague » vient
à peine d e commencer à explorer.
&&
Richard Leacock a exprim é ï d m êm e (C ahiers du C iném a, avril 1959) l'enthousiasm e q u 'a v ait
suscité en lui u n e nouvelle cam éra inventée p a r le m etteur en scène du PeJif Fugitif J Morris
En gel, pour tourner avec une plus g ra n d e liberté son troisièm e film W edding a nd Babies :
« J'a i aliaire à un gran d film rom anesque film é sur pellicule 35 m m ordinaire, a v ec son en
direct, sa ns truquage. Le dialogue a éïé enregisfré da n s un tas d ’endroits diiîérents, notam m ent
da n s les rues de N ew York à l'occasion d “«ne fê te italienne ; et san s entraver de façon sensible
le déroulem ent de la vie habituelle de ce quartier, » Leacock n 'av ait p a s été le dernier à
céléb rer la petite révolution introduite d a n s les m éthodes de tournage p a r le néo-réalism e (il
adm irait particulièrem ent Deux sous cf espoirj ; * Cela perm ettait de tourner n!importe où, sa n s
être esclave d e s encom brantes cam éras sonores ou dérangé par les « bruits indésirables
Mais c était une spontanéité créée p a r l'habile application de ce que je ne puis a p p ele r au trem ent
qu'une technique agonisante. *■ Ces deux extraits m ontrent bien que, pour lui, le problèm e du son
était prim ordial : il y avait un étroit rapport entre le son et l'im age qu'on n e pouvait qu'artificiel
lem ent recréer en. studio.
Jean Rouch, à p eu p rè s à l a même époque, entreprenait La Pyramide hum aine et s'a rrac h a it
les cheveux, calé sur le siège arrière d 'un e voiture à A bidjan, de ne pouvoir enregistrer en
direct synchro la discussion très vive qui s e poursuivait à l'a v a n t entre N adine et u n de se s
c hev aliers servants. Rouch n e visait p a s et n 'a jam ais visé les mêmes buts qu e Leacock, il
n 'y a p a s, comme le croient les nigauds, u n p arad is, ou un enfer du * cinéma-vérité * où Rouch,
Ruspoli, Leacock et q uelques autres, dan seraient une sa ra b a n d e effrénée pour enterrer le bon
vieux ciném a d es familles. 11 y a a u départ, chez Rouch comme chez Leacock, le sentim ent très
vif q u e certaines conventions dans le récit, le jeu des acteurs, sont périm ées, et que la suppres-
11
Football, production Drew Associates, tournée et montée en grande partie par Claude
Fournier, transfuge de l’Office National du Film, pousse jusqu’à l’absurde l’expérience
Leacock par une fragmentation extrême du récit, et surtout l’utilisation de bribes de dia
logue intensément vécu, A un tel degré de vérité, on attend le film romanesque, le dépas
sement de ce super-réalisme pour la création de personnages.
sion d e c es conventions exige d e nouvelles techniques. M ais, ces données communes établies,
la dém archa d es deux cinéastes se différencie nettem ent, le s buts poursuivis divergent a u ta n t
qu e faire s© peut.
Pour Houch le ciném a est un instrum ent de communication, communication, entre le m etteur
en scène et se s interprètes, enlro les protagonistes eux-mêm es, entre l a salle et l'écran. 11 s'a g it
d'ouvrir le plus d'yeux possibles sur u n e ré alité q u e nous m asq uent les préjugés individuels,
la routine, les conventions sociales d u moment. L eacock n e v a p a s p lu s loin, il vise clairem ent
ai Heurs, et ce texte de lui, ciîé p a r Film Culture d a n s son num éro de printem ps 1962, d e rrière
la simplicité a p p a re n te des propositions, aftirm e u n e conception révolutionnaire du ciném a, à m on
gré du moins, c a r tout le talent de l'au te u r e t le perfectionnem ent technique n'auront pour b u t
q u e de ré a lise r ce propos, comme j'essa ie rai d e l'ex pliquer en détail p a r l a suite : c Tolstoï se
représentait Je cinéaste comme un observateur et peut-être comme un participant qui capfure
l'essence de ce qui se p asse autour de lui, choisissant, a rra n g e a n t, m ais ne contrôlant jam a is
^'événement, II devenait possiM e à la signification d e l'év é n em en t de l'em porter su r les
conceptions du cinéaste, p a rce que, essentiellem ent, il ob serve cet ultime m ystère, la réalité.
De nom breux cinéastes ont Je sentiment que le b u t de la m ise en scène est de tout contrôler.
La conception de l'événem ent est alors lim itée à la conception du cinéaste. Nous n e voulons
pas im poser cette limitation à l'actualité. Ce qui se produit, l’actualité, ne connaît p a s de limite,
et ignore s a signification. Le problèm e du cinéaste est d a v a n ta g e un problèm e de communication,
Comment com m uniquer le sentiment qu'on était là ? »
On re m a rq u era bien, chez Leacock, l'a b s e n c e d e toute prétention à ren d re a u tre chose
q u e la vérité. L'accent est certes placé su r la comm unication, comme chez Rouch, m ais communi
cation a u sen s de reproduction la plus ju ste possible d 'u n e ré alité d é jà découverte p a r le m etteur
en scène. Cette réalité, il n e l'ap prête pas, il n e l a provoque p a s, il n e crée p a s des situations :
il s e contente d e s ’intégrer à u n milieu donné, d e vivre s a n s s e faire rem arquer a v ec son ou
ses personnaqes, en quête de cette petite étincelle grâce à laqu elle se révèle u n cara ctè re.
O n voit tout de suite, dans le principe mêm e, ce qui s é p a re cette façon d 'abo rder la réalité d e
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celle du Zavattini d es g ran d s jours, toute question d'enregistrem ent du so n en direct m ise à part :
Zavattini croit q u e l'insignifiant, le b a n al, l'inintéressant, a aussi son im portance, q u e l'ennui
d 'un e vie doit aussi ê tre l'ennui de l'écran. lea c o ck , anglais d'origine, mais tran splan té aux
Etats-Unis depuis longtem ps, n 'a q u 'à ouvrir l'œ il autour de lui pour saisir une vie en perpétuel
m ouvement. U n A m éricain, diiait-on, vit continuellement à h a u te tension. On n ’a u ra q u 'à choisir,
parm i tous c es tem ps forts, les plus révélateurs.
Qu'on ne s'im agine p a s, pourtant, qu'il s'agit de créer d u frisson à l a un e, de- faire se n sa
tionnel à tout prix. Des discussions avec Leacock lui-même o u avec ses amis et proches colla
borateurs, m'ont convaincu q u e le but visé était de retrouver l'essentiel d 'u n être, ces moments
d 'a b an d o n où l'individu, trop fatigué ou très détendu, n 'a cure de se protéger a u re g ard d'autrui.
Le m etteur en scène ne cherche nullem ent à racler le fond des consciences, m ais à m ettre à nu
les motivations secrètes q u i poussent l'homme am éricain à s'e n g a g e r dans telle ou telle
direction. Chacun a se s raisons, aim e à répéter Jean Henoir, et ce sont ces raisons qu'il importe
de révéler p a r l'observation attentive du comportement individuel. Mais Leacock n 'a u ra jam ais
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le détachem ent du sociologue : plus encore q u e des raisons, c'est des émotions qu'il veu t cap ter,
le mouvement même de la vie.
Pour Leacock et Drew , le synchronisme sonore n'est p as seulem ent u n truc technique, m ais
u n e exigence fondam entale. D ans Êddie, u n e tribune s'écroule a u moment du d é p art, exactem ent
comme dans l a réalité, m ais le m ontage ne nous rend p a s la chose assez perceptible. Mrs. Sachs
pousse des cris a u milieu d e la course, à l'instant exact du cara m b o la g e où son m ari serait
éventuellem ent en d an g er. Cette continuité d a n s l'esp ace qui préoccupait tant Bazin devient
sim ultanéité dans le temps, sa n s qu'on puisse dire que les auteurs ont véritab lem en t résolu le
problème. Le cri de Mrs. Sachs est inimitable, il ne sau rait se produire en conjonction absolue
avec l'im age de l'accident su r l'écran. Il y a u ra toujours un décalage. Inévitablem ent, au
Mr. Levine, d’Albert et David Maysles, Portrait du dernier mogul à la mode, sorti des
slums de Boston pour parvenir au faîte de la gloire hollywoodienne. Le nouveau Samuel
Goldwyn du cinéma américain, suivi dans ses multiples activités : au cours d’une inter
view télévisée, au Festival de Cannes, lors de la signature d’un eontrat ou d’une party
organisée en l’honneur de sa vedette, Sophia Loren (ci-dessous), évoquant des souvenirs
d’enfance avec sès anciens compagnons de misère, dans son foyer.
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S u n d a y , d e D a n ie l R r a s in , d é c rit lin e m a n ife sta tio n d 'arm ateu rs de m u siq u ë fo lk lo riq u e à
W a s h in g to n S q u a re . L a police in te rv ie n t, s a n s c o n n a îtr e les ra is o n s d e so n actio n . A
gauch e, le m e tte u r e n sc è n e e t so n A rriflex ; le son e s t e n re g istré s u r u n m a g n é to p h o n e
p o rta tif.
m ontage, on retrouve les Irucs et ficelles du ciném a traditionnel. On bute sur u n e limitation
inhérente a u g en re qu'il faut accep îer et dont on peut esp érer seulem ent atténuer les effets
fâcheux p a r u n effoit d'intégrité.
Ce sentim ent que Leacock et s e s amis nous présentent la réalité d e certains êtres comme
jam ais au p aravan t, et q u e pourtant q u e lq u e chose fait défaut, je crois qu'il faut l'attribuer aux
insuffisances réelles du systèm e, insuffisances qui ne doivent p a s en m asq u er p a r ailleurs
l'apport décisif. Au cours de l'interview reproduite plus loin, Hobert Drew insiste su r son
intention d e réduire a u m aximum le comm entaire. M alheureusem ent, dans les films q u e son
équipe a tournés p a r la suite et q u e j'a i pu voir à New York, on est frappé p a r l'envahissem ent
de plus en plus g ran d de ce dernier, soit pour p allier certaines insuffisances de tournage, soit
pour donner une orientation plus précise à l'action. Pete a n d John nie, p a r exemple, décrit les
activités d'un chef d e g a n g portoricain à Harlem , Johnnie, que prend en charge le social w orker
noir, Pete. Richard Leacock a filmé une bonne partie du matériel, scènes de rues, réunion du
gang, veillée funèbre autour du c a d a v re d*une jeu ne victime d e la guerre des g angs. De temps
à autre, on aperçoit le dénomm é Pete, bo n Noir gran d i lui-même dans les sium s, qui a voué
s a vie à libérer ses cam arad es d e s conséquences de la misère. Pete a p p artien t à la catégorie
des réform istes; si johnnie fait d es b lag u e s, c'est qu'il n 'a p a s encore trouvé u n e âm e soeur.
A la fin du film, comme dans l a réalité, johnnie v a à l'hôpital voir s a petite am ie qui vient de
lui donner un enfant et qu'il épousera. Le m alheur veut q u e tout le film soit centré sur le point
d e vue du sociai worker. Or, la violence d es im ages v a contre les bons sentim ents du réfor
m ateur : nous comprenons qu'on a truqué pour faire exem plaire, je dois dire q u e j'ai vu bien pire.
L'ancien opérateu r de F lah erty est le prem ier conscient du c ara ctè re dérisoire de ces p a n ac ée s
qui n 'e n sont p a s, le prem ier à critiquer sévèrem ent certains lilms du collectif D rew Associates,
comme D avv, su r u n jeu n e drogué qui subit u n e cu re d e désintoxication dans u n centre spécial
a u b ord d e la mer. Ici encore, on re lè v era q uelques p lan s très beaux, on cherchera vainem ent
u n e structure, un re g ard e n profondeur. A u moment où j'écris ces lignes l'expérience de Drew
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Associates n 'est peut-être plus q u 'u n souvenir, si Time Inc., le bailleu r de fonds, a coupé les
vivres. Ce serait reg rettab le, m ais il y a visiblem ent u n e lacune, u n e dichotomie entre l'intensité
qu'on doit a tten d re à la prise d e v u e s de ch aq u e technicien et le c aractère collectif du travail.
La m éthode Leacock-Drew p o se comme prém isses u n e recherche forcenée d e la vérité, la volonté
en q u e lq u e sorte de débusquer, loin d e tout sensationnalism e, ]e m ouvem ent secret des êtres.
V u l a m ultiplicité des collaborations, on a u r a forcém ent u n e multiplicité d e points de v u e q u 'o n
s'efforcera de ra m e n er à l'unité p a r le m ontage. C haq ue p la n ou fragm ent d e séquence ou plan-
séqu en ce réu ssi nous donne u n e sensation de vie, d e présen ce a u réel, comme rarem ent le
ciném a nous en a fourni. Mais si, p our une m ême séquence, nous avons ainsi trois fragm ents
intensém ent vus, mais p a r trois cam eram en différents, un lég e r d é c a la g e su b sistera a u montage.
Si l'u n des o p érateu rs e st m édiocre ou m aladroit, ur\ trou a p p a ra îtra q u 'o n de v ra bien combler.
Q u elqu e chose était faux d a n s le principe, indépendam m ent d e l a ten d an ce d e plus en p lu s
m arqu ee à boucher les trous p a r du commentaire, c'est-à-dire à forcer les conclusions.
Pourquoi alors tant s'attard er sur u n e expérience qui se solde en partie p a r u n échec ?
P arc e q u e Richard Leacock, et lui d'abord, a bisn vu qu'il fallait a ller ailleurs, q u e le ciném a
devait faire p e a u n eu v e sous peine de mourir, q u e l a technique ciném atographique offrait
aujourd'hui de nouvelles possibilités, de nouvelles exigences. De s a collaboration avec Robert
Flaherty, il a visiblem ent g a rd é l a n a u sé e de tout ce qui est artifice, convention, ap prêt holly
woodien : sta rs sur-m aquillées, décors babyloniens, é cla ira g es célestes, vedettes faisant leur
num éro. Un homme v éritable ne vit pas, n 'ag it pas, comm e un acteur d a n s u n film d'HoIIywood.
Et le fait est q u 'a p rè s av o ir vu Primary, Eddie, K enya, u n récent et en partie rem arq u able film
sur le Pandit Nehru, il est plus difficile d'accepter les conventions d e jeu habituelles du ciném a
californien. L 'idéal q u e nous proposait Max Ophuls de ce com édien am éricain qu'on mettait sur
les rails et qui filcât droit son bonhomme de chem in s a n s d év ier d'un iota, n e p araît plus
a ujourd'hui aussi satisfaisant que, p a r exemple, il y a vingt ans. En nous rapprochant des êtres,
en saisissant p resq u e leu r respiration et en ne les coupant p a s d e leu r décor ou cad re naturel,
Leacock m ène u n sta d e plus loin la révolution du néo-réalism e italien. L'homme, acteur ou p as,
fait partie d 'u n e totalité. Le cinéaste a l'obligation de ren dre cette totalité.
< t e ciném a est un arf terriblement difficile », aim e à' rép éter Richard Leacock, Certes, le
ciném a perm et d e jeter sur le mandef u n reg ard comme à c e jour aucun a u tre mode d'expression
n 'e n av ait été c ap a b le. Mais, ce faisant, il pose a u c réa te u r des exigences p resqu e impossibles
à soutenir, à comm encer p a r le refus de jongler arbitrairem ent a v ec u n e réalité qui existe a v an t
q u e nous songions à l a regarder. A u contraire d e la m usique, qui n 'a u r a jam ais d'existence
concrète, d e l a peinture qui décrit le m onde immobilisé, de l a littérature qui est d 'a b o rd
projection hors du présent, retour sur le p a ssé ou anticipation, le ciném a tire s a su b stance du
réel im m édiatem ent vécu. Son b u t est donc d e restituer le déroulem ent de ce réel d a n s toutes
se s dimensions, m ais en évitant d e confondre ciném a et réalité. Le Ciném a, l'art du mouvement,
a u ra pour but prem ier d e retrouver le m ouvem ent intérieur à trav e rs le mouvement extérieur, en
respectan t le n atu rel d e la vie et des êtres (le côté R ousseau d e F lah erty et d e ses disciples).
Techniquem ent, au x jours d& gran d e réussite, comme Leacock l'a v o u e lui-même, le cinéaste
film era pour ainsi dire en continuité u n e action q u 'il a u r a réussi à transcrire * saig n an te » su r
l a pellicule. Le m ontage se ra le tournage, m ême si l'on, n e doit p a s p a rle r de cam éra-stylo, ce q ui
sup p ose toujours le recours à la littérature el à so n cant. A v a n t d 'é crire ,de cogiter, de faire
d es discours, l'hom m e vit, a u jour le jour. Une séq u en ce d u film tourné p a r Leacock et deux
a ssistan ts au x Indes, l'a n dernier, illustre adm irablem ent ce propos. Leacock, cam éra en m ain,
suit M. N ehru a u cours d'une tournée électorale d a n s u n v illage, grim pe a v ec lui su r l'e s tra d e :
d es micros b ie n p lac é s créent l'am b iance sonore et restituent les discours du Pandit.
D ans u n tel ciném a, tout est grâce ; l a cam éra d ev ait être là, s'infléchir légèrem ent à g a u ch e
à tel moment, ou vers le h au t à tel au tre, saisir l'étroite com m unication qui se produit entre
le demi-dieu et ses ouailles. En une dizaine d e m inutés, N ehru la vieillard, N ehru le dém agogue,
N ehru le bouddha, nous sont révélés. Une vision ém erg e d 'u n p a u v re homme voué corps et â m e
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à scm mythe. C'est bien u n Nehru très intime q u e nous découvrons, m ais un. Nehru en action,
dont nous saisissons parfaitem ent le caractère, sa n s q u 'à u n seul m oment il y ait identification
du c in éaste a v ec l'idéologie d e son sujet. Ce ciném a, je crois, est le plus p arfait équivalent de
ce q u e Brecht a v a it tenté a u théâtre, en tenant compte d© la distance q u i s é p a re les deux modes
d'expression. Richard Leacock, à tort, refuse le film de fiction. Mais je suis convaincu que, bientôt,
quiconque v o u d ra fcdie jouer des acteurs de v ra plus ou moins partir, pour les diriger, d e petits
films tém oins d an s l'esprit Leacock, a v ec des comédiens se projetant totalem ent, et très p hysi
quem ent, d a n s leurs person n ages (1).
Le b u t de l a m éthode Leacock, dans ses moments de> réussite esî de restituer a u réel filmé
s a vitalité, s a vérité, s a n s jam ais prétend re juger. Elle exclut l'intervention du cinéaste d a n s la
vie du sujet observé, l ’arrangem ent des faits, lc.: contrainte d'un e signification abusive. Politique
ment, le bref portrait du colon du X enya qui p a ra îtra infâm e aux uns, ém ouvant aux autres,
selon que vous p enserez blanc ou noir, définit a u plus juste le propos d e c e « journalism e filmé »,
Mais la séq u en ce N ehru m entionnée plus h a u t pose des am bitions plus élevées, véritablem ent
tolsioïennes r tous les jugem ents deviennent possibles face à ce vieillard d'un e prodigieuse
vitalité, comm e rév élé a u plus secret d e ses ambitions. CeUe » possession » du sujet p a r le
m etteur en scène, cette osm ose entre le réel et le film, nous propose u n nouveau m ode de
connaissance, incom patible a v ec tout autre. Elle relèv e clairem ent des catégories d e la poésie.
Louis MARCORELLES.
(1 ) Dans son a ttic le des Cahiers s.ur Morris Engel, Richard Leacock écrivait déjà ; « J'avais Je senifme/it
que la caméra pouvait so i/re toutes les subtilités de jeu qui d'ordinaire se perdent dans les conditions normales
de tournage, »
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ENTRETIEN
AVE C
ROBERT DREW
ET
RICHARD
LEACOCK
AU DEVANT DE L'EVENEMENT
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— AL Drew, comment avez-vous rencontré M, Leacock ?
Drew. — En 1954, il était impossible de sortir dans la rue et de filmer la vie réelle
avec image et son synchrones. Le fait que Leacock ait pu en partie atteindre ce résultat
était une chose fantastique, car il utilisait des caméras aussi grosses que les vôtres. Même
plus grosse ■ C ’est alors que Time Inc., propriétaire de Life Aîagazine, a bien voulu nous
permettre de faire construire un équipement spécial, de le mettre au point et de le rendre
utilisable aux fins que nous souhaitions. Nous avions trouvé quelqu’un qui voulait bien
avancer l ’argent !
— Qui est responsable du choix des sujets et quel est votre rôle respectif ? Vous inspi
Time M agazine?
rez-vous de
Drew. ~ D’abord nous décidons, Ricky et moi, ce que nous voulons faire. T ime Maga
zine ne nous donne aucune consigne, et, de toute façon, nos sujets sont fondamentalement
différents. T ime traitera plutôt l ’aspect politique ou économique d ’une question ; nous, son
côlé humain. Ricky, ou moi, ou quelqu’un de notre groupe, a une idée et nous y travaillons
ensemble. Je suis responsable en dernier ressort, mais je ne prends jamais l ’ultime décision
sans l ’accord étroit de Leacock.
Leacock. — Parfois, nous commettons des erreurs. Nous croyons tenir un bon sujet et,
au bout de quelques jours, nous nous apercevons que rien ne va se produire. Nous changeons
aussitôt de sujet.
— La répartition du travail entre producteur, scénariste et metteur en scène est-elle la
même que dans le cinéma normal ?
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afin que je juge instantanément de son importance. Vous vous doutez q u ’alors les distinc
tions entre m etteur en scène, scénariste...
Nous allons même plus loin. C ette même équipe, de deux, quatre ou six personnes,
qui participe à ces décisions instantanées, doit aussi participer au montage. Nous étions là,
nous savons ce qui s ’est produit ; nous sentons intim em ent la réalité de l ’événem ent. A nous
de restituer par le montage le sentim ent de cette réalité.
Drew. — Notre effort a consisté à réunir ces diverses fonctions — producteur, metteur
en scène, scénariste, opérateur, etc. — en deux personnes seulem ent, pour les raisons indi
quées par M. Leacock : un journaliste de profession, plus ou moins dans mon genre, et
un photographe-cinéaste, plus ou moins dans le genre de Leacock. Nous avons une
attitude très agressive dans ce domaine. Nous voudrions supprim er les m etteurs en scène,
les éclairages, les équipes techniques habituelles, et tout ce qui risque d ’oblitérer la réalité
que nous voulons filmer.
P rim a ry ,
Leacock. — Pour nous c ’est capital, et j ’en parle par expérience. Vous partez tourner
un docum entaire à un endroit donné, avec les m eilleures intentions du monde, vous allez
cueillir l ’événem ent sur place. Vous déballez vos projecteurs, vos trépieds, vos câbles, et
vous dites aux gens de rester calmes. Comment voulez-vous q u ’ils restent calmes, une fois
que vous avez installé cette magnifique cham bre de torture !
Aussi, pour nous introduire auprès d’eux, n ’insistons-nous pas sur l ’aspect technique
du reportage. Je serais ravî de pouvoir le réaliser sans cam éra ou magnétophone. Le plus
important dans tout cela, c ’est que nous sommes des êtres humains, et que nous rencontrons
d ’autres êtres hum ains qui sont nos frères et non pas nos inférieurs,
— Qnei est donc votre travail d'approche ? Avec Kennedy, comment avez-vous pro
cédé ?
■ Drew . — C ’est moi qui ai eu l ’idée de départ et qui en ai parlé à M, Leacock. Elle
lui a plu, et nous avons décidé de tourner ce sujet. Ricky et moi sommes allés à Détroit
rencontrer le Sénateur Kennedy qui venait tout juste d ’entam er sa campagne électorale.
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Nous l’avons suivi dans son avion à Washington et, le jour suivant, nous avons passé une
heure avec lui dans son salon, essayant de le persuader de se prêter à cette technique
nouvelle et de nous perm ettre d'aller partout avec lui au cours de sa campagne électorale.
Cela devint, au sens vrai du mot, un travail de persuasion d’homme à homme entre
M. Leacock eî M. Kennedy.
Drew. — Parce que nous étions convaincus de la justesse de notre cause. Nous nous
fîmes persuasifs et gagnâmes la partie quand Ricky, regardant Kennedy droit dans les yeux,
lui déclara : « Peu. importe les détails. Vessentiel, c ’est que vous croyiez en noire honnê
teté. » Kennedy resta songeur un bon moment et nous répondit : « D'accord. »
P r im a r y
Leacock. — J ’ai été énormément impressionné par le fait q u ’il ne demanda conseil
à personne. 11 réfléchit plusieurs minutes et nous dit que, si nous n ’entendions plus parler
de rien, d’ici le tournage, nous pouvions considérer l ’affaire comme conclue.
Drew. — C ’était là la seconde étape. La troisième fut le tournage. J ’arrivai sur les
lieux deux jours à l ’avance, je calculai la durée des prises de vues, j ’établis un plan de
travail, pour savoir qui serait là et quand. Ricky ne vint qu’au dernier moment : il manœu
vrait la caméra, je m ’occupais du son et des microphones. Nous travaillions en équipe.
Leacock. — Parfois même, j’étais seul. P ar exemple, lorsque j’ai filmé M. Humphrey
dans sa voiture : il n ’y avait pas de place pour une autre personne. J ’ai donc fixé le micro
derrière son siège et je me suis servi d ’une minuscule cam éra 16 d ’amateur. Je ne pense
pas que ce jour-là M. Humphrey m ’ait reconnu. Il a dû croire que j’étais un. ami de son
entourage gouvernemental.
La même chose s ’est produite, avec Kennedy, dans le bureau à la fin. P our réduire
notre présence à néant, je restai seul avec lui, sans lum ières, sans câbles, sans trépieds.
Rien. D ’où, une fois encore, l ’importance des rapports de personne à personne dans cette
pièce, des rapports d ’amitié avec les gens qui se trouvaient dans la pièce, du fait q u ’on ne
domine pas, q u ’on n ’essaie pas...
Je suis sû r qu’il avait complètement oublié notre présence.
21
— Où cachiez-vous le microphone ?
■— Dans un cendrier. J ’avais rem arqué q u ’il s ’asseyait toujours à la même place.
D r e w , — Ricky avait deux micros lui offrant une double perspective sonore. U n petit
magnétophone était placé sur la table, relié au micro du cendrier, et, à la cam éra, était
fixé un second système sonore, également très léger.
Leacock. — A cette époque, nous étions cependant obligés d’utiliser un fil pour relier
la caméra au système sonore, ce qui posait de terribles problèmes quand vous devez
travailler au milieu d ’une foule, parmi des gens qui bougent de tous côtés. Notre idéal,
notre rêve, était d’avoir # caméras, six caméras, peu importe le nombre, et autant de
systèmes sonores, sans fil pour les relier, et le tout toujours parfaitement synchrone.
F oo tb a ll,
22
— Vous u tilis e z s o u v e n t le g r a n d a n g u la ire ?
Eddie.
Drew. —• Oui. Oui. Eddie est un drame. Eddîe est en train de vivre un tournant
décisif de son existence. Nous le suivons à travers ce tournant, comme déjà Kennedy dans
Primary. Mais nous le faisons plus intensément, plus intimement, d ’une manière plus
dramatique.
23
D E C O U V R IR 'UNE H IST O IR E
— Vous considérez que vos film s ne sont pas des documentaires au sens classique ?
Drew. — Non, ils ne sont pas des documentaires dans la tradition classique, En
Amérique du moins, le journalisme télévisé est ennuyeux. On ne fait que parler. Les
Kenya,
— Mais dans ce cas là, vous êtes conduits à introduire un élément romanesque, un
élément dramatiquet à raconter une histoire, une fiction.
Drew. —• Oui et non. Nous n ’introduisons pas cet élément, nous le découvrons. La
vie réelle est plus intéressante, plus dramatique, que celle que nous révèle le journalisme
télévisé actuel. Nous voulons rendre sa force dramatique, sa charge d ’émotion.
Nous avons un point de référence en Amérique : le journalisme télévisé ne paie pas.
Les compagnies de télévision n ’ont pas les moyens de financer des films, des documen
taires. Nous travaillons à contre-courant. La seule façon d ’imposer le reportage télévisé est
de tourner des films suffisamment intéressants pour attirer un large public et rembourse!
ainsi leur coût. Pour cela nous devons éviter le commentaire, ne faire parler que les images,
— Quand vous traitez ces sujets vécus, l ’ élection de Kennedy, Eddie, avez-vous le
sentiment de découvrir toute la vérité ?
24
Leacock. — Pas toute la vérité, mais... Le choix joue un rôle considérable, surtoul
dans le montage. 11 m e semble toujours, au cours du tournage, avoir filmé la réalité dans
sa totalité. C ’est évidemment impossible. Et au montage, comme Pabst l ’a si bien montré,
le problème consiste à révéler la ligne générale d ’une histoire, tout en restant entièrement
fidèle à la réalité. Mais ce ne sera jamais toute la réalité.
D r e w . — Je crois que le journalisme télévisé actuel essaie de révéler une sorte de
vérité intellectuelle, tandis que nous nous attachons à révéler une sorte de vérité émotive :
en quoi consiste ta vie à un endroit donné avec une personne donnée. C ’est une nouvelle
sorte de vérité.
L ea cock . " C ’est fantastique quand quelque chose se produit ! Non pas n ’importe
quoi, mais quelque chose qui est dramatique.
D r e w . — L ’important, c ’est de bien raconter votre histoire. Nous racontons une his
toire. Chaque choix que nous effectuons; au niveau du sujet, en cours de 'tournage, au
montage, est lié à cette nécessité de raconter une histoire. Nous consacrons 75 ou 80 %
Kenya.
de notre temps, de nos efforts, de notre intelligence, à découvrir après le tournage, dans
le matériel filmé à notre disposition, en quoi consiste l ’histoire, et comment la révéler
au montage.
— Dans le choix qui intervient au moment du. montage, i l y a une possibilité de
tricherie. Dans le film sur Eddie, lorsque vous montrez dans un montage parallèle la femme
d'Eddie et Eddie lui-même, vous êtes obligé de faire confiance au public, qui vous croira
ou ne vous croira pas.
L e a c o c k . — Bob prit un pari avant la seconde course, se doutant que quelque chose
allait se passer avec îa femme d ’Eddie. Une caméra ne fit rien d ’autre que la photographier
durant toute la course, chaque fois q u ’elle bougeait. Nous ignorions que cinq voitures
allaient se tamponner.
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ROUCH ET N OUS
Leacock. — Mais je crois q u ’il y a une réelle différence. Chez Rouch (j’ai vu de
lui Chronique d'un été et Les Maîtres /ous), m e semble-t-il, quel que soit le grand intérêt
de ses films, la chose la plus importante qui soit arrivée aux gens q u ’il a choisi de filmer,
est q u ’on les ait filmés. Tandis q u ’à mon avis, pour Eddie et sa femme, la chose la
moins importante qui leur soit arrivée est d ’avoir été filmés. Je ne pense pas que Mme Sachs
ait eu une seconde conscience que nous la filmions.
— C'est-à-dire que votre but est de faire oublier entièrement la caméra, la technique,
aux gens que vous filmez ?
Leacock. ■— En révélant une histoire, une situation, qui sont plus importants que
notre présence.
— Mais chez Rouch, il nJy a jamais montage entre des rushes d’origine différente.
JLa dramatisation, chez Eddie, naît souvent du montage entre ce que la première et la
seconde caméra ont pris , et ce qu'ont enregistré la troisième et la quatrième, c’est-à-dire
entre les plans sur la femme d'Eddie et les plans sur Eddie lui-même. Par le montage de
ces deux sortes de rushes, i l se crée artificiellement une sorte de suspense.
Leacock. — Non, nous ne trichons pas. Au début de la dernière course, on voit u n e
tribune s'effondrer. C ’est très rapide. Cela s ’est réellement produit, et à ce moment-là.
H uit personnes ont été tuées. Mais le public n ’y a pas prêté attention. La course s ’est pour
suivie, les gens ont continué à regarder la course. On aurait pu centrer tout le film sur cet
incident.
— Votre troisième film , Kenya, traite un sujet, disons, plus didactique , Est-ce que,
pour vous, cela pose des problèmes, puisqu'en principe vous refusez le documentaire ?
Drew. — Nous avons expérimenté plusieurs fois le genre documentaire. Kenya est
une de nos tentatives dans ce domaine. Mais nous avons trouvé ce genre d’histoire moins
satisfaisant q u ’un drame à une personne.
Leacock. -— Si nous devions retourner au Kenya, nous procéderions d’une autre
manière.
D rew . — Laissez-moi vous donner quelques précisions. Kenya exigeait dix m inutes
de commentaire par un narrateur qui n ’était pas dans le film. Eddie, qui est deux fois plus
long, n ’exige que trois minutes de commentaire. De ce seul point de vue, Kenya est infé
rieur à Eddie.
26
Drew . — Notre but est de réussir à toucher une quinzaine de millions de téléspecta
teurs par film, et de jeter les bases économiques d ’un nouveau journalisme à la télévision
américaine.
L’EXEMPLE DE RENOIR
— Vous avez vu ce matin un film de Ruspolî qui a été tourné dans un. asile d'aliénés.
Si vous aviez eu à faire ce film , l'auriez-vous fait de la même façon ?
Drew. — C ’est un film remarquable, qui emploie plusieurs des techniques que nous
employons. Avec une différence capitale : le film est très habilement filmé, conçu, monté
A'Iais il ne se passe rien de dramatique. En gros, on n ’a que des interviews, très révélatrices
certes ; mais, pour l ’essentiel, la logique verbale, l’interview, ne suffisent pas. Il y a les
mêmes limitations que dans notre film sur le Kenya,
— Jean Renoir, i l y a quelques années, avait déclaré dans une interview ; « Je voudrais,
grâce à plusieurs caméras, saisir un même personnage sous tous les angles, dans sa conti
nuité dramatique. » Vous vous souvenez ?
Leacock. — Je me rappelle très bien cet article. Un de ses aspects les plus intéres
sants, c ’est que Renoir, qui est essentiellement un homme de cinéma, disait q u ’il était las
du cinéma contrôlé tel que nous le connaissons, las des petites histoires vécues par de
petites gens. Il ne croyait plus à ce qu’il voyait. Alors que la plupart des gens, surtout les
intellectuels, n ’ont que mépris pour la télévision, je me rappelle Renoir expliquant q u ’il
avait vu le reportage en direct, à la télévision américaine, d ’un procès entre, je crois,
McCarthy et Stevenson. Cela l ’avait en quelque sorte électrifié, incité à réfléchir dans
une direction voisine de la nôtre, ramené à une perception plus directe de la réalité. Pour
lui, c ’était plus intéressant que tout ce q u ’un scénariste, un metteur en scène ou un acteur
pouvaient faire. Je sais que cet article m ’a influencé.
(Propos recueillii au magnétophone. Cotte interview a été réalisée en collaboration avec le Service de la
Recherche R.T.FJ
27
RENCONTRE
AVEC
ARTHUR
PENN
Jamais, depuis Kazan, la frêle barrière qui sépare, à Broadway, le théâtre du cinéma,
n ’a été franchie avec autant de bonheur que par A rth u r Penn, l'auteur du G aucher et de ce
Miracle en Alabama dont une sortie précipitée a récemment compromis le succès. Claude-
Jean Philippe détaille plus bas ( 1) les mérites principaux du film , à commencer par la terrible
habileté de son auteur à mettre à profit son expérience d'homme de théâtre, et il ajoute :
« Tout cela est théâtral et se ressent,,, etc. » Pour ma part, loin, des réserves que j'avais
cru devoir faire lors de la présentation du film à Saint-Sébastien (2), c’ est à l ’actif de Vœuvre
que je mettrais aujourd’ hui ce recours à l'appareil théâtral dans ce q u 'il recèle (en effet)
de plus artificiel. Et, autant qu’ à la caractérisation des seconds rôles, je pense à cette mise
en œuvre des moyens propres au cinéma par lesquels le réalisme du cinéma accuse le
28
réalisme théâtral pour définir une dramaturgie originale sans laquelle, simplement, le film
n'existerait pas. De plus en plus, le cinéma semble appelé à faire feu de tout bois, accen
tuant la diversité des œuvres et répondant par là de moins en moins aux cadres restreints
dans }esquels nous avons pensé parfois pouvoir le maintenir.
Le court entretien qui suit a été réalisé à SaintSébastien, au mois de juin dernier, en
présence de deux ou trois confrères espagnols. Nous avons attendu, pour le publier, qu'un
grand nombre de nos lecteurs aient pu voir Miracle en Alabama. Ce qui n ’est pas le cas,
hélas, puisque le film n'a tenu Vaffiche qu'une semaine au Publicis, et n'a été projeté, à
notre connaissance, nulle part ailleurs, à Paris on en province. Espérons q u 'il connaîtra une
seconde et plus large diffusion et que le public, meilleur juge que la critique. îüi fera l ’accueil
q u 'il mérite .
— Il existait une pièce de télévision s u r Billy the Kid, une pièce de Gore Vidal que
Mulligan avait mise en scène. Mais Le Gaucher n ’a que peu de rapports avec elle. Leslie
Stevens er moi-même sommes partis d ’une idée tout à lait différente : tourner un film non
pas sur l’Ouest, mais sur un Ouest, tenter de faire œ uvre originale en dépit de la modestie
de nos moyens. C ar Le Gaucher est un film très bon marché. Nous nous sommes toujours
servis de matériel existant. Le village mexicain existait sur le terrain du studio, il avait
été construit vingt ans auparavant pour Juarez et tombait en morceaux. Nous avons dû
d ’ailleurs masquer les ravages du temps avec des morceaux de carton et je pense que, le
lendemain du jour où nous avons fini de tourner, il a dû s ’effondrer. Ainsi chaque décor du
film était un vieux décor, mais je dois dire que je fus très content du résultat final, grâce,
justem ent, à cette qualité des choses déjà usées. J ’étais ravi d ’utiliser ces vieilles choses.
— Jl y a une chose que nous aimons beaucoup dans Le Gaucher, c ’est sa terrible
violence.
— N ous avons essayé de tenir compte du mythe de la mort facile, tel qu ’il existait dans
l’Ouest, de montrer comment un homme appuyait sur la gâchette de son pistolet, tuait un
autre homme et s ’en allait. Il n ’y avait pas à éponger le sang, ni à ram asser les morceaux.
Nous nous sommes demandés si nous allions parler de la vie et de la mort, mais de ces
aspects de la mort qui ne sont pas toujours très beaux. La plupart de ces gens qui tuaient
étaient vraiment corrompus, vraiment méchants.
— Comment voyez-vous tes rapports de caractères dans Le Gaucher ? Notre inter
prétation de B illy the K id en fait un personnage plus ou moins homosexuel.
— C ’était là une de m es idées. Nous avons commencé à travailler avec des choses
séparées. 11 y avait donc cette idée du mythe. Nous avons pensé que ce dut être une
période très complexe, quand les gens com mencèrent à se croire différents de ce q u ’ils
étaient. Et ce qui nous a surpris fut de voir que, du vivant même de Billy the Kid, on
commençait à publier des « comics » sur lui à New York, Il était un héros de comics ! Cette
idée nous séduisit, de compter avec ces gens qui écrivent sur vous sans vous connaître le
moins du monde.
Voici donc un jeune homme qui est profondément troublé par le m eurtre du vieil homme
qui était pour lui comme un père. Quel q u ’ait été cet homme, cela n ’avait pas d ’importance.
C e qui compte, c ’est que Billy fut lié à lui, au point de prendre sur lui de venger sa mort.
N ous nous sommes alors attachés à bâtir une histoire, en liant ces deux idées du mythe et
de l’homosexualité latente. Vous voyez : une sorte de prince des tueurs arrive dans une
cour de prison, chantant une chanson d ’amour, les bras chargés de cadeaux, etc... Le
problème était de construire une histoire jusqu’à cette scène — la plus importante du film
de c e point de vue (malheureusement elle n ’est pas dans le film) — où cet homme vient au
29
bar et trahit comme un amoureux trahit. C ’était une très belle scène. Il se tient au bar
et dit : « Il ne doit pas continuer à tuer comme ça, on doit l ’en empêcher, on doit l ’en
em pêcher », ce qui signifie en réalité : « Il ne peut pas m ’ignorer plus longtemps. » La
trahison de Hatfieîd n ’a été q u ’en partie retenue dans la version américaine et européenne
du film. Dans sa majeure partie, elle a été coupée par la Warner. C ’était une scène très
émouvante et très bizarre.
— A Paris, vous avez saisi immédiatement le sens profond du film, Lorsque J’ai
lu les premières critiques françaises, je n ’ai pu en croire mes yeux, car, en Amérique,
personne n ’a consacré plus de trois lignes au film et personne n ’est allé le voir. C ’est
alors que j ’ai pensé que je ne pourrais plus travailler à Hollywood, que je ne pouvais plus
tenir le coup. Je suis alors retourné à New York et h mes travaux de théâtre. Ce n ’est
d’ailleurs que trois ans plus tard que l ’assistant de mon frère m ’envoyait les critiques de
différents journaux européens. Us avaient vu le film et ils l ’avaient compris. C 'était un
miracle. Ici, en Amérique, nous n ’avons pas de critique, de véritable critique. Nous m an
quons de bons critiques. Nous en avions un, si, James Agee, mais c ’est tout. Il aime le
cinéma, lui, ce qui n ’est pas le cas de la plupart des autres. En Europe, si la critique est
aussi intelligente, c ’est parce q u ’elle est faite par des gens qui aiment le cinéma.
— Quel fut le budget de The Miracle W orker ?
— 1 1 250 000 dollars. Mais, lorsque les Artistes Associés achetèrent les droits de la
pièce, ils payèrent 400 000 dollars, plus 150 000 pour le scénario et les dialogues, ce qui
réduit le budget du film proprem ent dit à 700 000 dollars, j'ajo u te que c’est très bon
marché pour un film réalisé à New York.
~ Bien sûr. Les lettres sont brillantes. Vous savez» Annie Sullîvan était incapable de
lire et d’écrire, quatre ans avant le début de l ’histoire. C ’est à elle que nous décidâmes
de nous intéresser avant tout Bien plus q u ’à la famille d ’Helen, bien plus qu’à son entou
rage. Anne serait le personnage le plus fouillé, plus q u ’Helen. Nous nous sommes mis à
étudier son caractère. Nous avons voulu m ontrer comment la mort de son frère l ’avait
conduite à sentir q u ’elle devait une résurrection à Dieu, q u ’elle lui devait une nouvelle vie,
parce q u ’elle se sentait coupable envers son frère. C ’est l ’histoire d ’une femme qui a
besoin d ’une résurrection.
— N euf minutes. C ’est très long, mais il n ’a pas été tourné en un seul plan. J ’avais
simplement trois caméras et j'en aurais voulu bien plus. Mais 51 y a une autre scène tournée,
elle, en un seul plan de sept minutes, quand Helen est dans la maison avec l ’enfant noir
qui essaie de la rendre jalouse.
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P a u l N e w rn a n d a n s T h e L eft H a u d e d G u n (.Le G a u c h e r).
Ici nous avons l ’évolution inverse. Nous avons voulu rendre clair le passage à la normalité.
Et comme il fallait faire dramatique, nous avons eu recours à la lutte physique entre les deux
filles. Malgré les réserves que j ’ai faites, je suis content de l ’expérience. J ’ai travaillé
dix mois au film, à tous les stades, tandis que, pour Le Gaucher, j ’avais perdu assez tôt
le contrôle du film.
— Que pensez-vous des jeunes cinéastes américains qui signent des contrats de longue
durée à Hollywood ?
— Même les contrats à court term e sont mauvais à Hollywood. Hollywood n ’est pas
vraie. Celui qui passe, par exemple, directement du théâtre au cinéma pour réaliser une
grosse production est perdu. Il n ’a pas le temps d ’acquérir la moindre expérience. Il doit
donc faire le film le plus conventionnel possible, se contentant d’écouter ce que lui disent
tous les techniciens d'Hollywood. Mais je crois qu’Hollywood se m eurt et q u ’on n ’y fera plus
que des superproductions ou bien des bandes destinées à la télévision. C ’est tout. On n ’y fait
plus de films. Les grosses compagnies qui tournaient quarante ou cinquante films dans
Vannée n ’en font plus que quatre ou cinq. La politique même de ces compagnies s ’est
modifiée. Maintenant, on se contente de donner de l ’argent pour q u ’on fasse des films, n ’im
porte où. On ne sait ni ce que sera le film, ni même souvent quels en seront les interprètes.
31
Et puis, vous savez, d ’un point de vue politique, nous avons eu une période très difficile en
Amérique, la période maccarthysme. Tout cela est maintenant terminé, mais on commence
seulement à revenir aux films à sujets sociaux et à écrire des pièces à contenu social. Ce
fut pour l ’Amérique une période malheureuse, à la fois pour les idées et pour les films.
Les grandes compagnies prirent peur, firent des films déments, perdant tout contact avec la
vie réelle, avec le peuple. Indirectement, ce fut la m ort du grand studio. C 'e st pourquoi
nous assistons maintenant à un cinéma de plus grande intimité, à un cinéma plus libre peut-
être.
— Et Kazan ?
—. C ’est un cas particulier. Kazan vient de New York. C ’est un metteur en scène de
théâtre. Il a fait un certain nombre de films depuis des années, mais ce n ’est pas d ’abord
un m etteur en scène de cinéma. Il a beaucoup de talent, mais je crois q u ’il n ’utilise pas le
cinéma de la bonne manière. Nous avons une expérience commune : A Tree Grows in
B rooklyn, avant d ’être un film, était une pièce q u ’il avait m ontée à Broadway. Or, quand
on a monté une pièce au théâtre, ce n ’est pas très intéressant de faire ensuite un film de
cette pièce. Je crois qu’à cause de ça The Miracle W orker n ’est pas dans la meilleure voie
du cinéma. Quand on a travaillé deux ans sur u n e pièce, on a perdu un peu l ’excitation
initiale. Je crois que c’est vrai aussi pour Kazan. P a r contre, Sea of Grass était bon,
East of Eden très bon, très vrai. On the Waterfront entre les deux. Quant à A Face in ths
Crowd, je pense que c ’était une très bonne idée de film, mais q u ’il n 'e n a pas tiré le maxi
mum.' Il n ’est pas allé jusqu’au bout. Je crois q u ’il a eu peur.
— Cnkor, M in nelli ?
— Cukor et Minnelli sont des produits typiques d'Hollywood, mais, en dépit de ça, ils
possèdent un certain style, une certaine manière de faire des films qui, m ême si elle n ’est
pas très importante, ne manque pas d ’une certaine tenue. Tous deux viennent du théâtre
new-yorkais et tous deux ont en commun quelque chose d ’indéfinissable, un goût qui ressem
ble fort à et la mode de Paris ». Ils n ’ont pas un talent sérieux, mais un talent de petits
maîtres, une sorte d ’air à la mode. Mais je ne crois pas que ce soit de grands cinéastes.
P renez le cas de Minnelli. Il a adapté un livre de William Gibson, The Cobiveb. C ’est le
seul exemple que je connaisse d ’un film aussi pauvre obtenu d ’un matériau aussi original.
Quand il fait des comédies musicales, il arrive à trouver un air de gaîté qui est merveilleux.
La même chose se passe avec Cukor. Lorsqu’il travaillait dans une tradition profondément
romantique, il représentait la quintessence des cinéastes romantiques.
— Ne trouvez-vous pas, cependant, qu'il possède un don réel pour camper les personna
ges féminins ?
— Je ne sais pas. Je veux dire que ce serait une pauvre chose à dire de quelqu’un,
même si c’est vrai. Mais je ne crois pas que ce soit vrai. Les caractéristiques romantiques
sont chez lui ce qui domine. C ’est très gentil de dîre ça de lui. Tout le monde est si beau
dans ses films...
'— Ce n ’est pas sérieux. Le seul cinéma nouveau que j ’adm ire beaucoup est celui de
Truffaut et de Godard. Resnais aussi m ’intéresse beaucoup, mais je n ’ai pas très bien
compris Marienbad.
— Deux films qui en sont au stade de la préparation. iLe prem ier est une sorte de
et caprice », une comédie sauvage pour laquelle j’utiliserai toutes les techniques possibles. II
s ’agit de m ontrer le caractère capricieux de la vie moderne. C ’est le problème d ’un homme
qui vit à l ’écart de la ville, loin du téléphone, loin des fusées. Il n ’y a pas d ’histoire du
32
Patty Duke et Anne Bancroft, dans The Miracle Worker {Miracle en Alabama).
tout : arrivera ce qui arrivera. Les acteurs n e sauront pas à quel moment iis seront filmés
ni quand ils cesseront de l ’être.
Mon second projet concerne le « mob ». Le « mob », comme vous savez, ce sont
les gangsters qui « achètent » un jeune chanteur ou u n jeune comédien, le soutiennent
dans sa carrière et le portent au succès. Et à ce moment-là il doit payer. The Mob sera donc
l ’histoire d ’un comédien qui pense avoir une dette, mais qui ignore à qui il doit payer. Ce
sera une sérieuse histoire comique qui tournera autour de l ’idée que chacun a une dette
sans savoir laquelle, ou à qui, ou comment il doit s ’en acquitter.
33
TOURS 1962
Mammifères , de R o m an Polanski.
Douze films, san s compter l'animation, m'cnt créent u n rythm e qui bientôt se suffit à lui-
p a ru dignes d'intérêt. Les voici, dans leur m êm e et ■ sacrifient le sujet proposé.
ordre d e p a ssa g e sur l'écran.
De conception entièrement opposée, L 'H yp
Campo Santo, d e W alter Jacob et Bernard nose, de Joseph Z achar (Tchécoslovaquie) a le
Dorries (R.F.A.), renouvelle u n p eu le film mérite d e la totale simplicité. On expose u n
d'< art ». Les auteurs s e sont prom enés dan s phénom ène et on nous ap p ren d le maximum
les cimetières du su d d e l'Italie et y ont filmé sur lui. Du bon ciném a didactique.
les statues fin d e siècle, d 'un baro q u e dégé
Prison, du peintre Pierre Lapoujade, re p ré
néré, qui bornent les tombes. Mais, a u lieu de
sentait l'extrêm e pointe de la nouvelle avant-
s e m oquer, ils ont préféré jouer le jeu. Leur
garde. Cette expérience a le mérite d e prouver
film évoque toutes les attitudes p o ssib le s. de
l'impossibilité de l'abstraction picturale a u
va n t la mort : d e la véritable angoisse à
ciném a. Notre essayiste est finalement obligé
l a certitude confortable d e la bourgeoisie,
de raconter u n b a n a l fait divers pour soutenir
voire à la sensualité débridée et la nécrophilie.
son propos. Qu'il p la q u e ses im ages en surim
Un excellent m ontage d e p la n s fixes (enfin
pression, les fasse surgir puis disparaître, les
des p la n s fixes d a n s u n film d'art !} fait d e ce
projette a u ralenti, ou à l'accéléré, les re p ren n e
court m étrage l'un des meilleurs, à mon. avis,
plusieurs fois, la tentative dem eure toujours
d u festival.
aussi vaine. On la recommence depuis q u a
L'Argentin Nestor Patem ostro présentait ra n te an s, et jam ais encore cette façon d e pro
Fours à Jbnque. Un documentaire sur u n e fa jeter le m onde m ental n 'a convaincu. Un Res-
brication a rch a ïq u e se p a re d'une recherche nais, peut-être, tirera profit d e cet essai, plus
formelle très, trop savante, o ù im ages et sons réussi q u e d 'a u tre s d a n s son genre.
34
Une nouvelle drolatique de S erge Korber, pa th ie mitigée. Mais ici, la façon dont nous
De/phica, fut u n b ain de fraîcheur d a n s ce est présenté u n jeu n e homme quelconque
fesüval préientieux. C'est habile, très forcé, et prom u a u ra n g d'idole, encensé p a r d es im pré
l'histoire — celle d 'un petit fonctionnaire mi sarios et des directeurs cupides, livré à l'ad o
teux qui écrit un e nouvelle sur ses am ours ration de jeunes filles pâm ées ou hystériques,
im aginaires — quoique connue, am use à p re d é p asse d e b e aucoup son sujet. C 'est toute
m ière vision. un e société qui est mise im pitoyablement en
cause. Pourtant, la réflexion, su r l a donnée
Litho, de l'Américain Cliff Roberts, suite
n 'e st p a s introduite p a r les auteurs. Ils s e con
d 'im ages e n couleuis, sa n s commentaire, sur
tentent d'a lig n e r u n e suite d e constats bruts.
les différentes étapes d e la lithographie, n 'a
La cam éra devient u n témoin immédiat. C'est
q u 'u n défaut : il est tellement bien fait, telle
la projection m êm e du film ainsi obtenu qui
ment intéressant à regarder, q u e l'on regrette
crée la distanciation nécessaire et permet a u
de ne p a s mieux com prendre la fabrication de
spectateu r d e juger, tout en éprou vant la
la litho. A partir d 'u n certain moment, les pro
sensation prem ière. Le « cinéma-vérité », qui
cédés, leur pourquoi et leur comment nous
est avant tout un e technique nouvelle, atteint
échappent. Le film p e id son intérêt documen
ici son but.
taire, pour ne conserver qu e son pouvoir d e
séduction. Des trois cou rts-métrage s présentés p a r
G eorges Dumoulin, Le N oble Jeu d e I'Oie est
C'est au contraire sur le document p ur q u e
incontestablem ent le meilleur. Dumoulin est
portent tous les efforts de Kurt G oldeberger
jeune. Il ressent le m alaise de sa génération.
(Tchécoslovaquie) dans La V ie a u Ralenti. S ans
truquer, il filme un e petite m alade qu e l'on Il le dit et le montre. Sur des sujets a n o
doit opérer du cœur, la suit à l a table d'opé dins en ap p are n ce , comme le d ressag e des
ration qu'il nous montre ju sq u 'à la fin. C'est chiens p a r les gendarm es (Am odia) et le jeu
absolum ent sans art, m ais didactique comme de l'oie, ou s u r la p ro p a g an d e hitlérienne
u n e bonne émission de T.V. Pour tous les docu- (L'Art et îa manière), le cinéaste attaq ue tou
m entaristes, le dilemme est identique : à tes les forces coercitïves et m alfaisantes. II
vouloir faire de l'art, ils oublient leur sujet, les a ttaq ue a v e c une a p p are n te objectivité
ou, s'ils le traitent, ils oublient l'art. Rares sont (Ainodio), av ec une ironie frondeuse et une
ceux qui servent le document p a r l'art et l'art vivacité d a n s l a démystification (Le Noble
p a r le document. Privilège, il est vrai, des Jeu de l'Oie), a v e c un e logique froide et colé
seuls grands cinéastes. reuse (L'Art et la manière), m ais toujours
avec simplicité, intelligence et invention. Ce
Les Mammifères, de Roman Polanski (Po qui, chez Herm an, g rand prix d e Tours 1960
logne), a obtenu, on le sait, le g ra n d prix de avec Acfua-filf, n'était dit qu'av ec des trucs,
ce festival. A juste litre. Dans son genre, le p rend chez lui un e force singulière.
film est fort bon : il se présente comme u n
M ack Sennett revu p a r Sam Beckett, u n bon Sincérité aussi, mais m aladresse et naïveté
num éro ciném atographique de c ab aret du type en plus, dans Les Filles de la route d 'un jeune
Rose Rouge. On y retrouve le thèm e q u e Po cinéaste lillois, Louis Terme. L'auteur évoque
lanski a vait d é jà traité d'une m anière bur le problèm e des jeunes ouvrières des usines
lesq ue d an s ses précédents courts m étrages, textiles, contraintes d e faire chaque jour cin
Deux hommes ef une armoire et Le Gros et le qu an te kilomètres et plus, en autocar, pour
m aigre, ainsi q u e d'une façon mi-dramatique, aller à leur travail : comment la vie privée
mi-ironique d an s son prem ier g ra n d film Sii- d ’un être hum ain est complètement perturbée,
Jage, vu dernièrem ent à Venise : deux hommes totalement d é p en d a n te de ses conditions de
s'exploitent et s'envient réciproquement. Ici, travail. L'extrême dépouillement du récit, qui
l'a u te u r nous conte les aventures d e deux confine p re sq u e à la pauvreté, d é g ag e une
m iséreux qui sem blent sortis d'un e toile de poésie qui n 'e st peut-être sensible qu'aux
Breughel, perdus d a n s l'immensité neigeuse gens originaires de cette riche et sinistre plaine
d 'u n e p laine polonaise, et qui s e disputent l a du nord,
p lac e sur leu r traîneau. U ne construction René Allio, décorateur attitré de Planchon
solide, un enchaînem ent d e gags d'une extrême a u th éâtre de Villeurbanne, se lance à son
rigueur, un e invention constante et heureuse tour d a n s la m ise en scène. La Meule est un
d a n s les moindres détails, un e bonne direc épisode de l'Occupation. Deux trafiquants
tion d'acteurs, contribuent grandem ent à la seront, m algré eux, m êlés à un e affaire de
réussite de l'ouvrage. résistance et tu és p a r des miliciens. De bon
Mais j'avoue avoir préféré Lonely Boy, film nes photos soignées, une direction d 'acteu rs
can a d ien de Wolf Koenig et Rom an Kroitor sur consciencieuse, u n e mise en scène classique
le phénom ène Paul Anka. II s'agit pourtant et appliquée.
d'un m orceau de « cinéma-vérité », genre pour
lequel je n 'éprouve en g énéral qu 'u n e sym Jean DOUCHET.
35
L ’A N I M A T I O N
Lés notes qui suivent concernent uniquem ent d'avoir écarté l'insupportable commentaire d e
les quelques films dignes d'intérêt projetés à Ionesco qui écrasait le film à _Annecy. D essin
Tours, à l'exclusion d e ceux qui l'avalent é té et anim ation d a n s la tradition d e l'U.P.A. Dé
à Annecy. Une seule exception : La Chanson cors soignés, belles matières.
du jardiniez fou.
La M auvaise herbe, — Autre exem ple —
LabirynL — Film polonais d e Jan Lenica plu s convaincant en définitive — d e sym bo
qu'il n 'a u ra it p a s été excessif d e voir cou lisme g ra p h iq u e ; u n e ville est progressivem ent
ronné p a r la critique p résente à Tours (qui lui envahie p a r u ne m auv aise herbe qui finit p a r
p ré fé ra sentlm en lalement L a Fille d e la roule). l'étouffer. Eem arquctbles décors en p a p ie rs
Film plastiquem ent très proche d e Monsieur découpés d e W olfgang. Réalisation u n p e u
Tête, m ais dram atiquem ent plus soutenu, Des* em pesée d e Borris Borresholm (Allemagne).
sin solide. Excellente anim ation d e papiers
découpés. B ib -bü et Le CoyofJe. — Bib-bib le d y n a m i
teur et Le Coyotte cosmonaute. Autrement d ît :
La Chanson du jardinier fou. — A d a p té d e Mirai et Bugs Bunny. Deux films d e Chuck
Lewis Caroll p a r Michèle Sallard, Françoise Jones réalisés d a n s le style frénétique ' h a b i
Lecat et Jacques E spagne. Retient essentielle tuel des W arn e r Bros Cartoons Inc.
ment p a r l a qualité du graphism e et d e la cou
leu r et l a force non-sensique des couplets de V O rateur, Grand-m ère cybernétique. —
Caroïl. Une ou deux faiblesses d an s le traite Deux films de m arionnettes réalisés p a r îe s
m ent — un temps mort a u milieu du film — deux m aîtres du genre, respectivem ent : Bre-
n'enlèv en t rien à la spontanéité d 'u n film qu i tislav P ojar et Jiri Tmka. Le premier : u n p o r
m arq u e très heureusem ent le renou veau d e trait satirique d e l'O rateur, croqué av ec u n e
l'anim ation française. v erv e intarissab le et u n e étourdissante inven
tion d a n s l'exploitation des gags. Le second :
Maître. — Réalisé p a r M anuel Otero et u n conte élé g iaq u e proche (par le ton) d e s
Jacques Leroux avec u n sens plutôt sym pa m eilleures histoires d'A ndersen. Les m aiîo-
thique du symbole — u n e b a rre au-dessus de nelîistes tchèques sont décidément les p lu s
s a tête sym bolisant l'aliénation de leur p e r forts. Ce q u e n o us connaissions moins, c'est
sonnage. Félicitons a u moins le s au teurs cette diversité d'inspiration qui fait d e P o jar et
d e T m k a les chefs d e file de deux sty les o p p o
sés, presque de deux écoles. En dénom inateur
commun : un e incom parable technique d a n s
l'anim ation proprem ent dite.
36
LONDRES aim é q u e l ’on massacrât un p e u la m usique
de Bizet, q u ’un D u k e Ellington, un Gil Evans
l’arrangeât, l ’adaptât, la réécrivît ; quelques
Voici la seule ville q u e je connaisse où la plans du b atteur (Art Blakey ?), dont le jeu
vision des films se double presque obligatoi est inaudible dans la bande son, perm ettent
rement d ’un exercice sportif ; en effet d'entrevoir ce q u ’aurait p u être m usicalem ent
W h a t ’s O n , la S emajne d e P a r is londonienne, Carmen Jones, O u il fallait respecter Bizet, ou
ne m entionne pas les adresses des cinémas — lui être délibérém ent infidèle, et les habiles
qui ne figurent pas toujours dans l ’annuaire arrangem ents de H erschell Burke Gilbert res
— d ’oïi des courses insensées pour repérer tent à m i-chem in d e l’u n e et l’a u tie solution.
un T ourn eur, u n Dw an, program m és dans
d ’hypothétiques salles visiblem ent inconnues M usic M on, d e Morton D a Costa, confirme
de la gent anglaise. Profitons de cette digres définitivem ent la personnalité d u m ystérieux
sion pour saluer la qualité extrêm e de la pro auteur de M a tante. D ans cette adaptation
jection qui, dans la m oindre bourgade péri d ’une comédie m usicale de M eredith wilson,
phérique, ridiculiserait n om b re d e nos palaces q u ’il dirigea sans do ute à Broadway, on re
champs-élyséens. (11 faudra u n jour dénoncer trouve toutes les qualités de son prem ier film :
ce scandale d es m auvaises projections, scan m ise en scène à la théâtralité exacerbée, sou
dale q u e le C entre tolère honteusem ent.) vent d ’une grande som ptuosité visuelle, pas
sion pour les décors et les costumes « old
A tout seigneur tout h o n n e u r : grâce à Jac
fashionned », prédilection pour les héros non
ques D em y et à sa productrice, îl m e fut conformistes, véritables cataclysmes vivants.
ossible de voir, dans la superb e salle de la R obert P ieston pourrait être le frère de Ma
ox, C arm en Jones dont les C àHIERS parlè
tanteJ tant il dépense d ’énergie, d e verve pour
rent trop p eu. Supérieur à P orgy a n d Bess, convaincre les habitants d e petites villes am é
ce film dépoussière littéralem ent l ’opéra, en
ridiculise les conventions et parvient à redon ricaines de fonder des orchestres enfantins ;
lui-même ignore tout d e la m usique, mais,
ner une vie nouvelle à u n arsenal de clichés. Elm er G antry du cornet à piston. L onesom e
Grâce à u n e direction d 'acteurs q u ’îl faut bien Rhodes du trom bone à coulisse, il en profite
qualifier d e géniale, Prem în ger nous passionne
avec u n livret m édiocre et nous bouleverse pour dépouiller quelque p eu les parents et
iour s’éclipser ensuite. Aussi dém esuré dans
dans les scènes chantées, en les recréant de
l’intérieur. O n nous m ontre des chanteurs
fe com ique destructeurf le m eilleur ballet nous
décrit la m ise à sac d ’u ne bibliothèque p ar un
comme nous n ’en avons jam ais rencontré, et Robert Preston survolté et don t la perform ance
tout m etteur en scène d ’opéra devrait aller
voir C arm en Jones pour p rendre conscience est extraordinaire), que dans le sentim enta
lisme, M usic M an bénéficie d ’u n e charm ante
de son impuissance : les gestes de Dorothy
D andridge d a n s la jeep, les cinq dernières m i m usique, de ravissantes chansons, m ais souf
nutes, ce sublim e « m eurtre musical a, la lec fre égalem ent d e défauts typiquem ent dacos-
ture de la lettre p ar Bellafonte, autant de m o taniens, un goût pour un e vulgarité racoleuse,
ments d ’une liberté totale qui peuv en t riva sensible dans cette obsession q u ’a le cinéaste
liser avec B onjour tristesse ou i?«>er o f No d e faire se trém ousser quelques énorm es bon
R eta m . nes fem m es, un sens trop poussé de l’effet.
37
le décor toujours fascinant des prisons am éri Pearl o f South Pacific o u S ilv e r L ode, se p la
caines et la présence d 'acteurs sym pathiques ce parm i les iceuvres m ajeures d e ce cinéaste
(V incent Price, Broderick Crawford) relèvent trop peu connu, tandis qu e Marines Let*s Go
un peu i ’intérêt. Toutefois la m ise en scène m ’a Jaissé froid, et cela m algré u n sujet typi
achoppe sur le point essentiel, la durée : l ’ac quem ent w alshien : le repos des guerriers.
tion s’étale su r de nom breuses années, mais En effet, on ne parle de la guerre q u 'a u début
on ne p arv ient jamais à nous ren dre présente et à !a fin d u film d o n t la m ajeure partie
cette notion capitale du tem ps qui s’écoule nous décrit m inutieusem ent les quelques jours
et u n grand sujet se transform e p e u à peu de permission d ’u n g T o u p e d e m arines aù Ja
en film d e série. pon, avec tout ce que cela p e u t com porter
d e plaisanteries gaillardes (ah, l ’extraordinaire
Q uant à B lazing F or est, sa vision contribue histoire que raconte le sergent en im itant C h u r
à dém ystifier un p e u plus E dw ard L udw ig, chill !), d e bagarres, d e quiproquos, de m ysti
idole, en France, d e trois farfelus. Dans ce fications. M alheureusem ent, com m e dans la
m élodram e forestier, à la tram e banale rele plupart des films Fox de cet auteur, la mise
vée p ar quelques astuces d e dialogues de en scène enlève tout tim ing à bon nom bre
Lewis R. Foster et W inston Miller, les trois d ’idées savoureuses. N éanm oins tel flash back,
premiers plans p euv en t faire croire à l ’exis sur une jeune C oréenne lisant u n e lettre de
tence d ’un m etteur en scène, m édiocre du son am ant, telle confession d ’un e fem m e m eur
reste. L a suite gom m e rap idem ent cette es trie par la vie atteignent à un tragique dont
quisse, selon les principes chers à H a n n a et l ’auteur de PursuecJ se m ontrait autrefois m oins
Barbera, et la seule com pensation nous est parcim onieux.
fournie par la beauté naturelle d u technicolor,
Ludwig a d û réussir de bons films, L e Rêtfeil L ’ceuvre d ’A llan D w an, m oins lucide et
de la sorcière rouge m ’avait paru excellent et plus tendre que celle de W alsh, m oins am ple
Jiûaro, L a V ille sous le joug sem blent pro et plus secrète, brille surtout p ar la noblesse
m etteurs. Mais Lewis Foster, John A u er, sans et la générosité ; à l ’acuité du regard de n o
parler de G ordon Douglas et John Farrow ont tre célèbre borgne, D w an oppose une douceur
certainem ent plus de réussites à îeur actif que raffinée : cf. l'ad m irab le sé quence d u M a
l’obscur E dw ard ; je soupçonne d ’ailleurs ses riage est poinr dem ain où John P ay ne et R o
adm irateurs d e n e l ’avoir élu que parce que nald R eagan, traqués p ar u ne m eu te de lvn-
se? œ uv res sont introuvables. cheurs, perdent d e précieuses m inutes à aller
saluer R ho nda Flem ing.
Passons sur plusieurs nom s encore moins Ces qualités, précieuses entre toutes se re
connus, T h o r Broofcs, cinéaste suédois eï pro trouvent dans R iv e r E d g e : un bandit (Ray
lifique (il m onta des pièces de théâtre en M üland) oblige un cow-boy (A nthony Q uinn)
E urope) dont Légion oj th e D oam ed bat tous à le guider ju sq u ’à la frontière, à travers u n e
les records de nullité, Franck McDonald et sa étendue désertique. Les d e u x hom m es sont
m inable Underwater City, pour nous attarder accom pagnés par la fem m e de Q uin n (Debra
sur Roger K ay à qui l’on doit le rem ake de Paget) qui a ab an d o n n é son m ari pour Mil-
Caligari, beaucoup m oins ennuyeux et sinis land. D urant le voyage, les deux adversaires
tre que l’original : le responsable en est sur auront tour à tour le dessus, m ais finalem ent
tout R o bert Bloch, qui en a profité pour re le criminel se tuera et le cow-boy regagnera
faire P sycho, en transform ant le thèm e de l’am our d e sa fem m e. A priori, toutes les
W ie n e en un e m éditation psychanalytique. Les cartes sont connues et la partie jouée d ’a v an
sym boles a b ond en t et, des deux lignes de ce. D w an la gagne cep end an t, en refusant de
force freu dien ne sur lesquelles repose le scé truquer fe jeu et d e se livrer à des tours d e
nario, l’une est ridicule et a téléphonée », passe-passe intellectuels ou esthétiques.
m ais l ’autre constitue une surprise agréable.
L e travail d e K ay, toujours prévisible, témoi M êm e honnêteté, encore, dans la direction
gne d ’une certaine am bition qui quatre fois des acteurs, d ’u n e exem plaire sim plicité : A n
sur cinq échoue, et cet échec s'aggrave d ’une thony Q uin n est tout sim p lem en t prodigieux
irrém édiable laideur plastique, point commun de sobriété et R a y M illand, d ’ordinaire bien
à tous les film s Fox. actuellem ent d u moins. déplaisant, révèle des possibilités inattendues.
— B. T . Q uan t à D ebra P aget, il faut l ’avoir vue d a n s
les prem ières séquences d u film , tandis q u ’elle
se débat avec un m atériel culinaire des plus
rudim entaires, ou à la fin, lorsqu’elle se fait
DW A N opérer p ar son m ari qui a fait bouillir l ’eau
avec les billets de b a n q u e volés par R ay
A près cette brillante épopée _londonienne, M illand.
u ne offensive foudroyante en territoire flam and M êm e ho nnêteté, enfin, d a n s la m ise en
nous perm it d e d énicher, dans un obscur vil scène, d ’inspiration essentiellem ent m orale, qui,
lage proche de la frontière hollandaise, un comme dans Silver L o d e ou T enessee's Part
double p ro gram m e que bien des ciné-clubs ner, préfère exajter les m om ents d e repos,
pourraient envier : Marines L e t’s Go, d e Raoul d ’apaisem ent, plutôt q u e se consacrer à l ’étu
W alsh, couplé avec R ioer E d g e, d e Dwan. de de la violence.
D e cette confrontation passionnante., Allan
sort victorieux, b attant son adversaire de par Certaines m inutes de tendresse ne sont po int
le score de trois étoiles et dem ie à deux. Il indignes des élans lyriques d e G riffith et
fa u t dire q u e R iv e r E dge (Le V oyage halluci De Mille. D w an se refuse à c o ndam n er un
nant) sans égaler tout à fait Tenessee s Partner, personnage et m êm e à le juger ; lcr, par
38
Eleonora Rossi-Drago et A nnetïe Stroyberg dans Anima Nera de Roberto Rossellini.
exem ple, la description des m eurtres commis raison, surtout, que la m ajeure partie de l’h is
par Ray Milland évite toute complaisance, et toire se déroule dans et sur un lit, ou à côté
l ’on sent que le cinéaste est plus intéressé par de lui. L ’auteur qualifie volontiers cette œuvre
les m om ents de sincérité, a e générosité, du de a tentative » dans un e direction nouvelle
hors-la-loi que p a r ses actions criminelles ; pour lui. C ’est l’adaptation d ’un e effroyable
d ’ailleurs, on ne p e u t q u 'être frappé par la pièce de Patroni-Griffî, réalisateur de II Mare
sym pathie q u ’il éprouve p o u r les gens que dont Jean Douchet vous a dit, à V enise, tout
la société a rejetés (prostituées, gangsters) ou le m al q u ’il fallait penser. L ’âm e noire est
essaye d e rejeter. celle d ’un arriviste romain, bel hom m e et sans
scrupules, dont la jeune épouse (Annette
Saluons enfin le merveilleux m om ent du ré Stroyberg) découvre inopiném ent le passé.
veil, où les am ants blessés découvrent que tout Pour cet univers d ’insatisfaits, le lit constitue
au tour d ’eux la rivière, les arbres, les rochers l ’illusion d ’une comm unication, parfois d ’un e
sont couverts de billets d e b a n q u e et refusent virginité nouvelle de la conscience. L a cam éra
d e ramasser cet argent qui avait failli briser de Rossellini transforme les données b o u r
leur amour, — B. T . geoises de l’oeuvre en un docum ent sur quatre
visages, quatre m odes différents d ’exister par
rapport aux autres. La mobilité d e la caméra,
les déplacem ents incessants des personnages,
A N IM A NERA l ’invention perpétuelle dans les gestes et les
regards, et, par dessus tout, la m anière d e
ousser chacun ju sq u ’à la crise de nerfs et
R o m e , noOembre 1962. — 11 faut s’aventurer F hystérie, finissent par créer une impression
dans les arcanes des ciném as à strip-tease de vérité, dans l ’am our com m e dans la haine.
pour découvrir le dernier film d e Rossellini, Le m oindre m érite du film n ’est pas d ’avoir
A n im a nera. A près une exclusivité-éclair, il a fait donner le m eilleur d ’eux-mêmes — donner
échoué dans ce genre de circuit, sur la foi eux-mêmes, pourrait-on dire — à des acteurs
d ’une scène de boîte de nuit où Vittorio aussi superficiels, d ’habitude, que Vittorio
Gassm an, 1* « âm e noire » d u film , assiste Gassm an, A n n e tte Stroyberg,_ N adja Tàller,
à un strip-tease bien innocent, et pour la Eléonora Rossi-Drago et Y vonne Sanson.
A n im a nera confirme ainsi l ’évolution d e m ontraient (qui sait pourquoi?) q u ’un plan
Rossellini vers".des films plus ouverts, et sa fixe de l'oeil pétrifié dans la mort.
voIonté~de s'attacher à des personnages plus O n appréciera en outre tout l'h u m o u r q u i
q u ’à u n sujefcou à un m ilieu. — J. J. peut résulter de l ’italien approxim atif qu e jar-
gonnent, lors d u repas m ondain a u déb ut, les
invités « européens » des G érard — contras
tan t avec celui, sans fard, des quartiers
ROSSELLINI INTEGRAL ouvriers. L ’emploi d e l'anglais ou d u français
trahissait, à cet égard, considérablem ent l ’esprit
Surprise et ém erveillem ent ce dim anche d e de l’œ uvre, d e la m êm e m anière si l’on veu t
novem bre à la C iném athèque où, sans tam que les horribles « babélianism es » des v e r
bour ni trom pette, est projetée, pour la p re sions doublées de Pa'isa. — C. B.
m ière fois en France (et non la dernière,
espérons-le), la version intégrale italienne
d 'Europe 51. C’est peu de dire qu e notre SCOPITONES
vénération, vieille de deux lustTes, se trouve,
si possible, renforcée; l’on m esure, surtout,
quel tréfonds de sottise peuvent déchoir Le 23 décem bre I960, dans un café p a ri
d ’infâm es cisaîlleurs de pellicule, tran chant sien, une prem ière pièce d e cent francs d é
— osons dire : dans Je vif d 'u n ensem ble clenchait Salade: de fruits chanté et joué p ar
adm irablem ent structuré. O nze ans plus tard, A n n ie Cordy, prem ier film présenté sur un
la chose, on le sait, se renouvellera avec scopitone. Le scopitone, si vous l’ignorez, est
V anina : est-ce le sort de R. R. que d ’être u n composé de juke-box et de télévision en
ainsi périodiquem ent déchiqueté? couleurs coffre éléphantesque surm onté d ’un
écran dfe cinquante-quatre centim ètres. A u
A l ’intention des fanatiques {qui sont encore jourd ’hu i les scopitones ont envahi les bars
assez nom breux, merci), je signale quelques parisiens, provinciaux, étrangers. Chacjue a p
pièces maîtresses de cette carte d ’Europe ainsi pareil propose u n choix entre trente-six b a n
ressoudée. D ’abord, bien sûr, ce qui avait été des de trois m inutes chacune j la durée d ’uno
sup prim é de la version anglaise et qu e la chanson. A u total, cent-trente sujets sont in s
v.f, •— préférable pour une fois — restituait crits au répertoire, et le stock augm ente d e
à peu près : tout le rôle de Giulietta M asina, quatre nouveautés mensuelles.
la douche des gosses, le dialogue avec Irène ...Voici donc un appareil s’adressant a p n o ri
qui, lui ayant trouvé une place à l ’usine, est à la m oins exigeante des clientèles : passants
contrainte de la rem placer; le prem ier contact vidant un verre en vitesse à un com ptoir...
d ’Ingrid avec la m isère faubourienne (plus un La place d u scopitone est entre l’appareil à
plan, dans l'au tobu s, avec G iannini, souvent sous et la piste d e dés, comme celle d u ciné
coupé) et la chanson du guitariste; au d é b u t m a naissant se situait entre la baraque d e la
de la séquence de l ’usine, Te lent panoram ique fem m e à ba rb e et celle de l’avaleur de feu.
sur les turbines, tronqué égalem ent... Mais Voici d ’autre p a rt u n engin qui porte, d a n s
cela, des recoupem ents antérieurs nous le but m êm e q u ’il s ’impose, la tentation d e Ja
avaient perm is, tant bien que m al, de le plus naturelle des solutions de facilité. Q u e
reconstituer. d e m and e le public ? U n e vedette c h an tant
Ce qui, en revanche, est absolum ent inédit un e chanson. A lors, il suffirait de p rendre en
(et sublim e, il va sans dire), c’est, p eu avant gros plans Georges Ulmer Juliette Greco,
l’agonie de la prostituée,"1la course é p erdu e V ince T aylor, M ariano, de les laisser à leurs
d ’Ingrid à travers la ville' endormie à 'la couplets et la mission serait accomplie. O r,
recherche d ’un m édecin, assez sem blable à sa ce qui frappe pour tout scopitonien im partial,
déam bulation solitaire dans le labyrinthe d e c’est q u'il n ’est, p o u r ainsi dire, pas u n seul
Strom boli : rapp elant l’enfant d e l ’île assis de ces petits films qui ne soit m arqué au
sur des m arches, ici l ’on voit surgir uh in te r coin de la recherche, d u raffinem ent, d e la
m édiaire à m in e douteuse qui entraîne Irène difficulté. Le jeune scopitone ne connaît pas
dans l ’antre d ’un pharm acien de nuit, lequel la honte des « repas de b ébé a et « sorties
la décourage en lui déclarant q u ’elle ne tro u d 'u sin e C am eca J>.
vera personne à pareille h eu re; c’est alors u n Elle peu t ne durer q u 'u n instant, m ais il y
appel téléphonique angoissé, puis à nouveau a toujours une trouvaille ; d ’ailleurs, contrai
la rue, le m édecin mal réveillé, l ’escalier et rem ent aux L um ière, les réalisateurs tie sont
l’anticham bre sordide de la fille... Pas très pas n ’im porte qui : A lexandre T arta , subtil
loin de là, un flash de journal italien, sui et fin, est un des m eilleurs metteurs en scène
vant un plan de kiosque au petit m atin, d e la Télévision, et Claude Lelouch, plus in
annonce à p e u près : a Une fem m e d u m o n d e ventif, m ais plus vulgaire (dans son « L e jo u r
fait évader an assassin. O n jbense qu’il était le plus long » — qui a le m érite de ne d u re r
son am ant ». E nfin, le plan le plus déchirant que deux m inutes quarante secondes ! — il
peut-être, où la cam éra rosselîinienne s’ap- il y un plan de D alida en héroïne de guerre,
roche de si près de la source de vie que
F émotion ressentie est à la limite d u tolé
surgissant du ch am p de bataille au m ilieu des
obus, auquel m êm e l ’hom m e au cigare n ’a
rab le : glissant de l ’œ il de la prostituée q u e pas osé penser), est un honorable « nouvelle
la m ort vient de saisir, un souple travelling à vague y>.
fleur de peau vient cueillir l’ultime pulsation
sur_ l’artère frém issante d u cou... Pour m é Mises en scène, donc, souvent brillantes :
moire, rappelons que les autres versions n e Lelouch joue b eaucoup des extérieurs, va to ur
40
Le « scopitone )j sera-t-il le neuvième art ?
ner à H onfleur « La rigolade » au Mont V en- porté trop de mélancolie à « Prem ier bal »,
toux a L e voyageur sans étoiles a ou à son à Marie-Hélène un e certaine préciosité pour
cher jardin d'acclim atation « Locomotion », ne a La cage », A q u and un scopitone d ’art et
dédaigne p as d ’introduire dans et Le jour le d essai com m e il y a des salles de répertoire ?
plus Tong » des fragm ents d e bandes d ’ac
tualités et, avec « Zizi la twisteuse » se d é Je crois à l ’avenir du scopitone, parce que
lecte de virtuosité d e m ontage. T arta ébauche son jeune passé fuit au m axim um les conces
des esquisses de scénario avec et Babylone sions que son objectif m êm e im pose. A vec ce
21-29 » ou « L ’h om m e du b a r », évite la neuvièm e art-pygm ée, bien des initiatives pour
répétition d ’un rock à un autre rock, en va raient être permises : on p e u t en faire des
riant les am biances et les angles de vue, se choses en trois m inutes I P ourquoi pas des
perm et m êm e, avec « Bons baisers, à bien sketches, des num éros de cirque, des extraits
tôt y>, u ne rem arq u ab le astuce inédite sur de rencontres sportives, des condensés d 'é v é
l’éternel thèm e d es sosies : les deux sœ urs nem ents politiques, voire de short-short-stories
Kessler évoluent d e concert, e n tous points équivalentes au x nouvelles en vingt lignes ?
identiques, ju sq u 'à ce qu e nous réalisions que Et pourquoi des aspirants cinéastes ne pour
nous n ’avons affaire q u 'à l ’u n e d ’elles, placée raient-ils pas utiliser ce trem plin com m e banc
devant un miroir. E t aussi excellent choix et d ’essai ? Il est déshonorant a ’être forcé de se
direction d ’acteurs : m alm ené p ar le cinéma, faire les griffes sur un scénario de série B
H enri Salvador se déchaîne et joue tous les avec u n budget dérisoire ; m ais chacun de
rôles de a T w ist S .N .C .F . » ; insignifiante nous a a sa » chanson q u ’il rêve d ’illustrer
sur scène, Colette D eréal trouve la cadence selon son cœur.
am éricaine po u r an im e r <c T u m e feras d a n
ser », et il suffit de deux fois trois m inutes Rêves ? Oui-, Maïs dès l’înstant ou l ’on peut
(« M adeleine » e t surtout <r R osa ») p o u r que dire « Pourquoi pas n à propos d ’un e inven
Jacques Brel, précis, viril, efficace, s’impose tion nouvelle, c’est bon signe. E n attendant,
a notre approbation sans réserve. délectez-vous à « Q uando -quan do a (les soeurs
Kessler). a Rosa » (Brel), « Est-ce q u e tu le
Les scopitones o n t dé jà — n ’est-ce pas bon sais » (Sylvie V artan), « A h , si j ’étais resté
signe d ’am bition ? — leurs films m audits. Le célibataire » (Verchuren). « Bal perdu » (Gré-
gros public a reproché à Jacques Chazot de co) ou k L aisse les filles » (Johnny Halli-
m ontrer un ballet, à C laude G oaty d'avoir ap day)... — F. M.
PRIX Après l’aïmistice, je jouai les a cascadeurs
volants » dans u n film m uet. Ce fut m on p re
m ier contact avec ce nouveau genre d e diver
P ou r la qu atrièm e fois, le prix de la N o u tissement et, im m édiatem ent, je sus que le
velle Critique a été d écerné cette année. Une cinéma allait devenir m a nouvelle carrière.
légère m odification est intervenue : les m e n Cette décision, je n e l ’ai jam ais regrettée un e
tions de film surfait — devant l ’impossibilité m inute, par la suite.
de s’entendre sur la notion m êm e a e « sur
fait » —• ont été rem placées p a r u n nouveau A vant la guerre, j ’étais un im portant des
prix attribué à la m eilleure reprise de l ’année. sinateur publicitaire en Californie. A- peine
C ’est E ducation sentim entale d ’Alexandre eus-je goûté de l’art ciném atograp hiqu e, q ue
A stiu c qui l ’a em porté p o u r le ciném a fran- j ’abandonnai sur-le-cham p l’art g rap hiq ue. Je
ais, devant Vitire sa üie, C léo de 5 à 7 et commençai p ar écrire d es scénarios, Mack
u/es et Jim , L e C om bat dans Vile ayant, lui Sennett m e fit entrer dans son équipe : je
aussi, obtenu quelques voix. Le jury a voulu, m 'occupais des intertitres, trouvais des gags,
plutôt q u ’un e œ uvre à la gloire consacrée, cou et préparais les scénarios de ces m erveilleuses
ronner u n film injustem ent dédaigné p ar la comédies, improvisées selon Jes circonstances
presse, le public et les organism es officiels. extérieures.
En 1929, j ’eus la chance extraordinaire de
Plus curieux p e u t sem bler le prix du « m eil rencontrer le grand Cecil B, D e Mille, à qui
leur film étranger », attribué à Ladies' M an de je dois pratiquem ent tout ce q u e j ’ai appris.
Jerry Lewis, p ar sept voix contre six à Too Il me donna m on prem ier film à réaliser ; je
Lates B/ues, a u septièm e tour de scrutin. le mis en scène d 'a p rès u n scénario que j avais
Mais le film de Lew is m éritait d ’être rem arqué. écrit moi-m ême, ce qui1 était un progrès consi
E t com m e les grands ténors de cette année dérable sur les étonnantes et naïves produc
(Hawks, P rem inger, Rossellini. Fuller. Min tions de Mack Sennett, dont la plupart sont
nelli, Ford, V isconti, K azan, "Welles, Brooks) m aintenant des classiques.
partageaient trop le jury, noua avons opté
pour un cinéaste encore trop m éprisé par Ja Mes neuf prem ières réalisations avec P athé-
critique. De Mille furent basées sur des sujets origi
naux, J’étais à l’ép oqu e scénariste, producteur
E n revanche, c’est au prem ier tour et à et réalisateur, Puis, je m e tournai vers u n e
l'unanim ité q ue L e M écano de la Générale série de films m aritim es. E n 1935, j’achetai
a obtenu le prix de la m eilleure reprise. Juste un b ateau à voiles de 107 pieds, Y Â tk è n e , et
hom m age à l’un des grands génies du ciné je décidai de faire u ne croisière autour du
m a. — J. Dt. m onde. D urant une a n n ée entière, je sillonnai
les m ers de l’E q uateur à la Norvège, film ant
et photographiant tout ce q u e je rencontrais
d ’insolite. J’utilîsai ce m atériel dans l’u n e de
mes réalisations dont le scénario m 'av a it été
TAY CARNETT inspiré p ar cette croisière, Trade VKinds avec
Fredric Marcb, Joan B ennett, R a lp h Bellamy
s T aY G aRNETT : né à Los Angeles. E tu et A nn Sothern. Slaüe S h ip , d o nt vous m e
des : Institut d e Technologie du Massachus- parlez, fut l ’un des titres d e cette série. C ’était
sett. Marié à l ’actrice M ari A ldon. A n cienne un film sim ple, sur les b ateaux et les h o m
m ent m arié à P atsy R u th Miller et à Helga mes q u i en com posaient les équipages.
Moray, Taille ; 6 pieds 1 pouce. Poids : 170 Parm i les films q u e je préfère, je dois m en
livres. Cheveux gris ; yeux bleus. Profession : tionner tout d ’abord H er M an. L e m élan ge du
dessinateur publicitaire, aviateur, écrivain, ci comique et d u tragique y était, je crois, p a r
néaste. Signes fxrrfi eu fiers ; a visité plus de ticulièrement réussi, et. à Paris, l’exclusivité
pays que n ’en peu vent m entionner les agences dura plus d ’un an au M oulin-Rouge, ce dont
de tourisme, Sportif accom pli, nageur émérite, je suis particulièrem ent fier, je dois dire.
autorité culinaire pour les nourritures d e tous
ie3 pays. » J’aim e aussi V oyage sans retour. China
Seas, avec Clark G able, Jean Harlow , W allace
/Itns! com m ence la biographie de T ay Gar- Beery, R oy Russell et R o b e rt Benchley, était
neti, ÿ ’j e nous devons à l'obligeance de ce un rem arquable film d ’action. Loüe Is Netûs
<Jerrn‘er. Les quelques renseignem ents supplé {L’A m o u r en prem ière page) est une œ uvre
mentaires qu'il nous donne feront patienter, en très personnelle d o n t je contrôlai tous les élé
attendant un entretien plus consistant et p&'-tt- ments, m ontage inclus,
être un h o m m a g e à la C iném athèque, les ad*
mirateurs du stibïtme Son hom m e, de Seven Cross o f Lorrainet su r la France occupée,
Sinners, des Corsaires de la terre et de la ra pend an t la seconde guerre m ondiale, est l’une
vissante com édie L ’A m ou r en prem ière page, de m es réalisations qui m e tien nen t le p lu s à
présentée par le N ickel O deon. cœur. Il y avait Jean-Pierre A um o nt, G ene
K elly, P eter Lorre, H u m e Cronyn et S ir Ce-
a Je suis en tré d a n s le ciném a p ar hasard, dric H ardwicke.
presque involontairem ent. D urant la prem ière
uerre m ondiale, je servais com m e instructeur Je citerai aussi Bataan, q u i peignait l’une
ans l'aviation à Pensacola, en Floride, et plus des plus som bres et des p lu s héroïques heures
tard à San Diego. D eux terribles accidents, de l ’histoire am éricaine, avec R ob ert T aylor,
les avions d ’alors étaient très primitifs, m 'e m Desi A rnaz, R ob ert W a lk e r, T h o m a s Mitchell,
pêchèrent d ’aller m e b attre outre-mer. Lloyd Nolan et Barry N elson ; Mrs Parl^ington,
42
Loretta Young et Tyrone Power dans Love Is News de Tay Garnett.
(1) Voilà qui réjouira les supporters de Fais ta prière Tom Dooley et du court métrage de Post qui
passait avec Les Soucoupes volantes attaquent.
Im ages : Jean Bourgoin. scènes, celle dont une photographie figurait
M usique : Paul Misraki. en couverture de notre précédent num éro.
Décors : Gil Parrondo, José Luis Pérez John W a y n e allait chercher dans sa cham bre
Esc ïinosa, et Francisco Prosper. Eisa Martinelli, pour Ja m ener fêter la fin de
M ontage : A ntonio Martinez, l’expédition. Il la trouve en pleurs. Elle lui
Interprétation ; A kim Tam iroff, Patricia dit q u’un e épine, dans son dos, lui fait m al.
M edïna, Jack W atling, Orson W elles, Mischa P e u versé dans la psychologie fém inine, il
A uer, P e ter V a n Eyck, Michael Redgrave, accepte cette _ explication et extrait l’épine.
A m p a ro Rivelles, Irene Lopez de Heredia, Mais, à la crise d e larmes, succède la crise
Paola Mori, M ark Shape, Gustavo Re, Manuel d e nerfs. W ay n e ne com prend pas q u ’il s'agit
R equena, Emilia Ruiz, Jacinto S an Emeterio, d ’une déclaration d ’am our. U part en cla
Gary Land, et la collaboration spéciale d e quant la porte, laissant Eisa seule au ranch,
A ntonita Moreno qui interprète une chanson. qui s’enfuit au petit m atin. — J. Dt.
Production : Filmorsa-Cervantes Films, M a
drid. 1954. FREE CINEMA
Deux versions, c ’est peut-être beaucoup dire,
mais du moins u n e comparaison des deux C hangem ent de program m e sym bolique à
génériques (notam m ent dans l’interprétation) l ’O deon d e Leicester Square, la principale
permet-elle de faire état d ’u n certain nom bre salle d'exclusivité londonienne : Law rence à f
de différences qui doivent se traduire, à A rabia , de David L ean, cède la place aù
l’écran, par un certain nom bre de plans prem ier g ran d film d e L indsay A n derson,
de rem placem ent (les plans où apparaît T h is S porting L i f e . La génération de Breüè
Suzanne Flon étant remplacés, dans la renconfre passe le flam beau à celle d u Free
version espagnole, p ar des plans avec A m paro Ciném a. O n ne pouvait imaginer relève plus
Rivelles, les plans avec K atina ■ Paxinou par éclatante.
des plans avec Irene Lopez d e H eredia, etc.). Il y avait déjà eu, certes, Sam edi soir,
Il serait intéressant de savoir si, au-delà d e dim anche m atin, de K arel Reisz. Reisz, q ui
cette substitution, qui ne ch ange vraisembla- a égalem ent produit le film de L indsay A n
m e n t rien au sens d u film (surtout d ’un film derson, décrivait la révolte d ’un individualiste
comme A rfo d in ), le m ontage ne comporte pas contre les tabous sociaux régnants. Ce q u ’on
de variantes. L a présence d ’un m onteur dif pouvait reprocher à son film, c’est d ’être trop
férent dans chacune des versions ne pouvant tim ide, trop sage, m algré l ’audace réelle du
en l ’occurrence être tenue pour décisive, sujet. F ra n k M achin, joueur professionnel de
comme en tém oignent les deux « versions » rugby dans une petite ville d e province, héros
d u Procès. — A .-S. L. de T h is Sporting L ife, est en u n sens le cousin
germ ain d ’A rth u r Seaton. Mais sa révolte
inarticulée est d ’abord vécue de l’intérieur,
SIGNAL com m e impossibilité à établir une véritable
com m unication avec la femm e qui est d eve
A vec Kozaja, c ’est une heureuse surprise nu e le témoin de sa réussite, et q u ’il adm ire :
qui nous vient de Yougoslavie. O n y trouve sa logeuse, u n e veuve, m ère de deux enfants,
uelques-unes des plus belles scènes de guerre perdue dans le souvenir et d ’étranges pudeurs.
u ciném a, u n sens constant du décor qui Le conflit de ces deux personnalités,
finit par participer au_ dram e. L'histoire est paroxystique dans le dernier tiers du film,
celle ae trois mille partisans de T ito, encerclés s'achève en tragédie. Mais Lindsay A nderson
sur une m o ntagne (Kozara) par les troupes ne prouve rien, sa u f peut-être q u ’if est norm al
allem andes. Q uelques scènes intimes viennent, ue deux êtres doués de caractère, lui force
m alencontreusem ent à m on sens, couper le e la nature, elle sensibilité écorchée vive,
rythm e épique d u récit. Mais le souffle d u échouent parfois à s’ajuster. Jam ais des acteurs
cinéaste finit par l ’em porter sur les m ala anglais n ’ont joué dans un film anglais avec
dresses et les naïvetés d u scénario. Son nom : l'intensité déchirante et la passion qui sont
V eljko Bulajic, — F. H. celles d e R ichard Harris et Rachel Roberts
dans T h is Sporting L ife. — L . Ms.
HATA RI
ERRATUM
Hatari fut présenté, les prem iers jours, dans
les salles d ’exclusivité parisiennes, coupé au Dans m a note sur Kïiler s K iss (N° 135,
b eau milieu p ar un entracte de dix m i p . 62) j ’ai confondu F rank Silvera (Vincent
nutes. Cette pratiq ue est courante en Italie, Rapallo, le gangster) avec Jam ie Sm ith (Davy
il serait dom m age q u ’elle se répande en F ran G ordon, le boxeur) et celui-ci avec Irene rCane
ce. Des protestations énergiques ont eu, cette {Gloria Price, l’entraîneuse). Q u ’on veuille
fois-ci, raison d ’elle. bien m ’excuser et considérer com m e nulles et
no n avenues les prem ières lignes d u . d ernier
Ce n ’est pas le plus grave. Ces dix m inutes, parag rap h e sur la ressem blance d u prem ier
consacrées à la confiserie, ont été prélevées avec Jean-Pierre A u m o n t _et la poitrine d u
sur le film lui-m êm e et n ’ont pas été rétablies. second « q u 'o n souhaiterait, disais-je, décou
C ’est ainsi q u e m an q u e Tune des plus belles vrir m ieux », — C. B.
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LA PH O TO DU MOIS
Le déclin d ’une société condam née par l ’histoire, l ’incapacité d ’un e classe sociale à s’a d ap
ter à un m onde nouveau, le jeu de l’apparence et de la réalité dans une Sicile hors d u tem ps
où les m odifications superficielles ne m ettent que m ieux en relief u n anachronism e fondam en
tal : Visconti retrouve dans le rom an de T om asi di' L am pedusa la thém atique de l ’Ancien et
du Nouveau, sous-jacente à chacun de ses films. Le G uépard sera-t-il pour lui ce film d e syn
thèse, cette réflexion sur lui-m ême, la société où il vit et le m o nde d ’aujourd’hui, à laquelle
l’âge et le sujet traité le prédisposent ? O ui, sans au cun doute, mais en m êm e tem ps le cinéaste
ne cache pas son désir d ’échapper à toute form ule, d e renouveler ses m éthodes de tournage,
ainsi- q u ’il com pte le faire ensuite avec l ’adaptation de L ’Etranger. M alheureusem ent, il n ’a jju,
cette fois-ci, faire aboutir son projet initial d ’employer des com édiens n on professionnels.
J'a i vu tourner en Sicile quelques extérieurs et la séquence d u bal, qui m ’ont confirm é dans
l ’im pression q u ’il s’agirait bien là d ’une d e ces œuvres de la m aturité où le cinéaste tire la
leçon de sa vie et se p e n ch e sur l ’idée de bonheur. Com m e dans Senso, R occo ou Boccace, c’est
d ’une étude m inutieuse d u m ilieu qu e naît le jugem ent sur ce m ilieu. C ’est donc avec la m inutie
de l'historien qu e V isconti a choisi les intérieurs baroques des palais et des églises d e Sicile, ou
fait reco n stitu e r la façade d u palais de Donnafugata. Les acteurs eux-m êm es — A lain Delon,
C laudia C ardinale et Burt L ancaster — sont traités com m e d e m agnifiques objets. Dans la salle de
bal, tapissée de satin jaune, cam éra et personnages obéissent a u x lois d ’un e chorégraphie
complexe où couleurs et formes, m ouvem ents et regards se répon dent. L e G uépard sera donc
l ’histoire d ’u n m o n d e qu i s ’abolit sous nos yeux, m êm e s ’il brille de ses plus beaux feux :
Visconti, seul, p e u t réussir ce prodige de donner à voir, au m êm e m om ent, la pom m e et le ver
qui e st à l'intérieu r. — J.J.
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COTATIONS
t I n u t i l e d e se d é r a n g e r
$ à v o ir à l a r i g u e u r
LE CONSEIL DES DIX à voir
à v o ir a b s o l u m e n t
* * * * c h e f - d ’œ u v re
H a t a r i ! (H . H a w k s ) ........................................ ★ ★ ★ ★ ★ |* * * ★ * * * * * ★ * * ★ * * ★ * ★ ★ ★ * *
1 V i n t i (M . Antonioni) ............................... ★ * ★ ★ * ★ ★ ★ ★ * , • j* * ★ ★ ★ ★ ★
• ★ ★ • * k • Ô ★ ★
/ L e Corbeau et fe R e n a r d (B r o m b e r g e r ) ★ ★ • * • • • ★ •
O [
-* \ Le L i è v r e e t la T o r t u e (A. B l a s e t t i ) . • • • • • • • • •
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détail original, pour renouveler un plans de coupe dont les mouvements
genre, masquent bien souvent des dé vont a contrario de la ligne générale.
fauts de construction (ainsi la fausse Tant- et si bien que la conclusion nous
truculence de Glenn Ford qui escamote éloigne absolument des prémisses. Le
les véritables lignes de force de sa ren Bien n ’est que respect de soi et rigo
contre avec Jack Lemmon dans le mé risme ; le Malin, saveur et ironie. En
diocre Cow-Boy de Daves)... Que, par supprimant Dieu, on ne supprime pas
la suite, la pureté des paysages, la con la Morale, on la libère... Témoin la
cision des événements et des dialogues séquence des « gifles » qui se situe au
aient prouvé l’inanité de cette réfé moment où Gll (R. Scott) ayant compris
rence, ne rassurait pas pour autant : le que Steve (J. McCrea) n ’accepterait
ton franc et naïf du voyage pouvait pas de voler l’or de la Banque, décide
nous ramener à la tradition épique de le partager avec Heck (R. Starr).
avec, pour seul atout, une photo plus
belle que d© coutume. 1. — Le vol du magot. Gil et Heck
vont s’enfuir avec l'or. Le même plan,
Pourquoi alors ? Pourquoi cette fas par un panoramique pieds à pieds, nous
cination, ce besoin de revoir le film à fait comprendre qu'ils sont surpris.
une fréquence élevée aux dépens de, Mais la remontée d’appareil sur Steve
par exemple, l’excellent Liberty Va- est interrompue au niveau du revolver
lance ? La raison n'en est pas simple ; par un plan de coupe : Gil et Heck
ce sont les éléments synthétisés de mon abandonnent le magot. La thèse est
raisonnement qui formeront ma démar donc : les méchants sont pris. Et l’anti
che critique. thèse : il ne suffit pas au Bien de
Comme pour la plupart des grandes triompher, il faut aussi qu’il punisse...
œuvres instinctives, la mise en scène Imaginons le montage suivant : la
crée, détruit et reconstruit la substance remontée d’appareil va jusqu’au visage
au niveau du plan, sans pour autant furieux de Steve ; ensuite seulement
briser la continuité des résultantes. Je Gil jette le sac. L’incident paraît clos,
m'explique : à chaque proposition est la séquence n’a pas à se poursuivre.
opposé son contraire, mais le résultat En revanche, le montage choisi par
n'est jamais nul, ni neutre ; Il se déve Peckinpah nous suggère la deuxième
loppe, plan par plan, séquence par partie.
séquence, selon une ligne de force admi Ce n ’est pas tout. Dans ce fameux
rablement soutenue. Pour entrer plus plan de coupe, Gil et Heck sont filmés
avant dans ce schéma, il va me falloir en ,plàn d’ensemble, sur le même
passer par l’analyse scolaire des situa « pied x En rapprochant ceci de la
tions. confession de Steve, il apparaît claire
Après de longues années, de très vieux m ent que Heck et Gil vivent, en cet
amis, le Malin (E. Scott) et le Bien instant, ce passage difficile que Steve
(J. Me Créa) se retrouvent également a vécu... à l’âge de Heck ! Il est normal,
dépouillés. Le premier se joint au se dès lors, que Steve soit prêt à pardonner
cond pour une périlleuse et lucrative au jeune homme et qu’il en veuille à
descente aux Enfers ; il projette de Gil de n ’avoir pas su trouver plus tôt
s’approprier tout ou partie de l’âme de son accomplissement.
leur jeune compagnon (R. Starr), ainsi Le plan suivant, Gil est montré seul
que du magot qu’ils devraient ramener en plan américain. Désormais, Heck
à la Banque... Surgit la Princesse qu’un sera spectateur passif ; de cette con
père abusif, mais pieux, fait s’enfuir frontation, il tirera un enseignement.
jusqu'aux Enfers où elle épouse le
monstre à cinq corps. A l’or, notre jeune 2. — Les gifles. Pour apaiser son ami,
héros, moderne Télémaque, préfère la Gil tente une justification que Steve
femme grâce à laquelle il triomphe de refuse et considère même comme une
la Tentation et choisit l’Ordre. Après insulte personnelle. Il va vers Gil. Celui-
l'extermination du Démon et le sacri ci s’écrie « Qu’est-cè que tu vas faire ? »
fice de Mentor, le Malin repenti re Ce n ’est pas une menace, c’est déjà une
joindra l'Ecuyer fait homme et la Prin plainte ; la première des trois suppli
cesse dans le Droit Chemin. ques de Gil, la deuxième se situant au
début du combat avec les frères Ham-
Tel est, du moins, le premier degré mond et la dernière avant son évasion
du film. Et c’est précisément cette (« Je ne dors plus aussi bien qu’avant »).
apparence liée à ridée de Dieu que la Steve fonce sur Gil immobile. Le tra
mise en scène détruit par un système de velling avant subjectif est interrompu
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par un plan de coupe ; avancée gauche- l’Ordre, la Connaissance auxquels s’op
droite d’Eisa (Mariette Hartley, su posent les habitants -de l’Ombre, le
blime), c’est-à-dire en opposition au monde de l’irrésolu, de l’impalpable.
mouvement de Steve. Thèse : ce félon Face à ce sur-univers de la Connais
n ’a que ce qu'il mérite. Antithèse : sance, intransigeant et sec, celui de
attention, dit Eisa, vous allez trop loin... l’impalpable, souple, inconscient, pa
Et nous sommes préparés à la troisième raît dès l'abord plus agréable. Ici, qui
partie de la scène. verrait des méchants ? C’est en riant
3. — L’étonnement de Gil. Steve gifle que les indigènes jettent leur eau sale
deux, fois R. Scott puis se recule. « Fitis- sous les sabots des chevaux ; c’est dans
Que tu te flattes d’être plus rapide que la dignité et l’honneur que vivent les
moi, etc... », Thèse : Gil n’osera pas chevaleresques fils Hammond, émana
défier le droit. Antithèse : plan de tions breughéliennes et pentatomiques
coupe sur Heck, spectateur passif ; d’un même individu... Personne n'est
il ne- se passera rien. antipathique, parce que les sentiments
n'ont plus de forme. Us sont errodés
Gil jette son ceinturon. Son étonne par Falcool, vidés de leur substance
m ent vient de ce qu’il voit encore vi par la satisfaction des désirs immé
vant l’homme qui l'a giflé ; il comprend diats. A peine cet univers se fige-t-ii
alors confusément que son amitié pour le temps d'un acte officiel, lointain
Steve sera la plus forte. écho, bafoué, d’un autre monde {mais
L’antithèse a rejoint la thèse en fin alors il se déguise) et aussitôt il re
de séquence. Conclusion : la véritable prend sa fluidité et ses oripeaux
amitié demande une indulgence que ne (« Allez vous changer, mesdames... »).
possède pas Steve. Les défaillances Etonnante séquence du mariage d’Ei
sont humaines ; Gil, lui, s'il préfère sa avec les cinq frères, digne à la fois
une certaine1 indépendance ' à l ’égard de Maupassant et de Goya...
du droit, est prêt à la sacrifier sCü nom Là encore, tout n ’est que signes. Si
de l'amitié. La mise en scène n ’a fait Dieu est mort, la m ort Qui Le con
que « montrer » les événements, mais, tient, juge à, Sa place. C’est pour
par la dynamique interne de sa cons quoi, dans ce film, le regard des mou
truction, elle a jugé tous les person rants revêt une importance aussi
nages. Inhabituelle. Je pense à ces deux plans
L’opposition entre le récit « objec (un des plus beaux moments) raccor
tif » e t le jugement du réalisateur dés âans le mouvement sur la mort
s’étend à la thématique et trouve son de Sylvus Hammond (L.-Q. Jones).
prolongement jusqu’aux toutes derniè Touché par Heck, il se laisse glisser
res images de ce film admirable et te long de la roche ; il regarde alors,
secret. Veut-on un autre exemple ? Le hébété, l’homme qui l’a tué et qui,
premier degré de Guns in the Afternoon maintenant, lui tourne tranquillement
étaât le point de vue de Knudsen, père le dos. Dans le plan suivant, Sylvus
d’Eisa (R.G. Armstrong). On va voir est mort... Il roule sur lui-même et
comment Peckinpah détruit cette idée l’appareil qui le recadre, découvre son
puis la reconstruit selon son optique. cheval à la fin du plan : le cheval
« Le Filon d’or, c’est VEnfer dit resservira. Et_ les symboles se multi
Knudsen aux mercenaires. L'Enfer, plient...
n ’est-ce pas précisément ce que l’on Aux pieds de Knudsen assassiné près
connaît le moins ?... Le Paradis est à de la tombe de sa femme dont on nous
la portée de toutes les consciences ; il laisse ainsi supposer le martyre, le
n'est jamais que la somme de tous les corbeau de Jimmy Hammond (John
bonheurs possibles. Mais l’Enfer ? Lors Davis Chandeler) est chassé par les
que l’on sait qu’une douleur chasse poules. Plus tard, irrité d'avoir m an
l’autre, comment en avoir une con qué Gil (Scott), Jimmy tire sur les
ception propre ? Pour tout chrétien volailles, mais son corbeau le met en
convaincu même, l'Enfer commence garde. Jimmy retourne sa colère con
où finit la Codification, c'est-à-dire la tre lui et, juste avant le combat final,
Connaissance, Ainsi voyons-nous appa la bête, effrayée, s’enfuit par la fe
raître, pour la première fois, cette no nêtre de la grange. Enfin, la mise en
tion d’univers différents qui est à la scène condamne les trois frères res
base de l’œuvre. La sagesse de Steve tants, avant qu’ils ne soient tués.
fait de lui le seul interlocuteur de Tandis que la caméra tient dans le
Knudsen.A eux deux, ils représentent même cadre Gil et Steve avançant
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en contre-plongée sur fond de ciel, son laissez-faire ironique (seule m a
les Hammond sont montrés séparé nière de penser, sinon de vivre !) par
ment et leur inquiétude est rendue des haussements d’épaules, des sar
plus sensible face à la tranquille as casmes et un humour tantôt tendre,
surance des « vénérables vieillards ». tantôt cinglant Après les gifles, il
Entre ces deux entités du « Bien » retrouve le sourire résigné, mais af
et du « Mal », ou de la « Connais fectueux du grand frère qui veille sur
sance » et de « l’impalpable », fluc les incartades de son puîné. Car, tout
tue l’Humanité Souffrante (Gil, Heck, à coup, c’est Steve, le grand, le pur,
Eisa) en pleine gestation. La jeune l’invincible, qui est en défaut et se
fille, soumise à la jalousie morbide laisse prendre au piège des frères.
de son père, est innocente, mais lu Aussi l’incertitude l’étreint-elle au
cide et volontaire. Chez les deux hom
mes, la réflexion est progressive, et moment où, vêtu « des seules frusques
il faut admirer la façon dont le script de son orgueil », seul pour l’avoir
nous propose leurs évolutions anti- voulu, il vient chercher, semble-t-il,
parallèles, conditionnées par les p a derrière la caméra, ce « secret perdu »
roles et les actes de Steve, jusqu’à la que toute une vie de bien n 'a pu lui
séquence-pivot des gifles. Heck, plus offrir.
respectueux que craintif, voit son
trouble aller croissant ; Gil exprime Paul VECCHIALI.
Dès les premières minutes, une suite une confondante richesse d’invention
de gestes et de cris, d'une implacable qu’à une appréhension géniale de la
netteté, donnent le tempo de l’œuvre. simultanéité des émotions et de leur
Les doigts de la mère claquent au- retentissement organique. Peu importe
dessus du berceau, elle hurle, le père leur causalité réciproque, affaire de
secoue le berceau avec une violence psychologue : en préservant le mystère
démente. Helen, l’enfant arrachée à la de ces échanges, Arthur Penn m et leur
mort, est condamnée à demeurer aveu réalité à nu. C’est la source de son
gle, sourde et muette. Ira nuit vibre lyrisme. Billy the Kid s’écroule devant
d’une épouvante sans nom. La maison le cadavre de son bienfaiteur, les
est perdue, cernée et envahie par la genoux rivés au sol, sa tête s’ébranle
nuit. alors d’avant en arrière et de droite à
gauche entraînant tout le corps dans
Nous voilà revenus à un niveau très un mouvement qui évoque les gestes
pur de l’émotion dramatique. Horreur de lamentation des hommes primitifs.
et pitié. Pleur et révolte élémentaire Arthur Penn affronte la réalité hu
des personnages face au malheur. The maine en son état premier. L’esprit
Miracle Worker éclaire en cela Le de Billy the Kid, celui d’Helen, n ’ont
Gaucher : Arthur Penn est bien le reçu l’empreinte d’aucune forme. L’un
cinéaste des mouvements élémentaires et l’autre sont bien près de l'anim al
du corps et de l’âme. On comprend dans l’habileté même de leurs ruses et
m aintenant pourquoi il nous avait la sûreté de leurs instincts. Quelque
montré en Billy the Kid un homme chose d’essentiel les en distingue pour
dont la pensée était demeurée à l’état tant, l’irrépressible besoin de la parole.
sauvage dans un corps de félin. Et Billy the Kid, au feu de camp, est
la beauté du Gaucher tient moins à fasciné par le livre que lit Tunstall.
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A n n e B a n c ro ft e t P a t ty Dulce d a n s M iracte e n A la b a m a , d ’A r t h u r P e n n .
Et il est naturel que c e . livre soit la Ann puise une bonne partie de ses
Bible. Helen tord ses lèvres où sont- forces dans la lecture de la Bible. L'in
inscrites les deux premières lettres térêt du film n'est cependant pas là,
d’un mot dont le sens doit la délivrer pas plus qu’il ne .tient au sentiment
à jamais de la solitude. Il est naturel d’une faute ancienne commise par la
que ce soit le mot « Eau î . A ce mo jeune fille sur la personne de son
ment, l’enfant a les mains plongées jeune frère, sentiment qui détermine
dans le flot d’une fontaine. rait sa conduite présente. La hantise
Il est difficile d’éluder la signifi profonde qui nourrit l’inspiration d'Ar
cation chrétienne de The Miracle thur Penn et la porte à son plus haut
Worker : Comment définir les rapports degré de création est celle du langage,
d’Ann et d'Helen, sinon à. la lumière considéré comme le vrai miracle des
de l'espérance et de la charité la plus relations d’humain à humain. « Parler,
exigeante ? C'est d’ailleurs explicite. dit Brlce Parain dans Vivre sa Vie,
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c'est presque une résurrection par rap l'éducation des sourds-muets. N’est-
port à la vie, en ce sens que, quand elle pas « réaliste » cette scène à ras
on parle, c’est une autre vie que quand de terre où Ann reconquiert physique
on ne parle pas... Et alors, pour vivre ment Helen en excitant sa jalousie ?
en parlant, ü faut avoir passé par la On y sent le poids de la nuit au
mort de la vie sans parler. » Helen est dehors, le poids des objets, des meubles,
bien passée par cette « mort de la vie et le poids du sommeil sur les paupières
sans parler » qui est aussi, selon Brice du petit nègre.
Parain, celle de la vie sans amour. Finalement, l’important ce n ’est
Arthur Fenn fonde un optimisme sans doute pas l'équilibre entre le docu
simple, concret,' évident, qui fait appa mentaire et le spectacle, mais leur
raître ce qu'il y a de théorique et de fusion à un certain degré de générosité
complaisant dans le pessimisme mo créatrice. Dans The Miracle Worker,
derne de la « non-communication ». ce niveau est atteint et nous contraint
Dès lors, le m etteur en scène trouve à une adhésion globale. On ne peut
son ton propre et se meut libre à l’in sans doute aimer le film sans en avoir
térieur de cet univers en feu où va subi les pulsations lyriques, les sauts
germer le Verbe. Les moyens employés dans l’inconnu (1), l’éclat visionnaire.
sont ceux du théâtre, je le reconnais Penn triomphe dans l’accélération fié
volontiers. La construction des scènes, vreuse des scènes de combat entre Ann
leur progression vers un paroxysme et Helen, où un espace halluciné
dramatique, la stylisation du jeu, la s’ouvre et se referme sur sa proie
manière dont les personnages du dans les spasmes d’une durée portée
second plan (la mère, le père, le frère) jusqu’à son point extrême de tension.
sont typés et simplifiés à l'extrême Mais en dehors des temps forts, le
pour faire ressortir les affrontements pur lyrisme d’Arthur Penn trouve
d'Ann et d'Helen, tout cela est théâtral encore sa voie. Je pense au long plan
et se ressent même d'une mise en fixe, presque une photo, représentant
scène à Broadway, antérieure au décou Ann veillant auprès d'Helen et à la
page du film. Je ne vois pas, pour chanson qui s’élève alors. C’est très
ma part, que le reproche soit si grave. beau, très simple. Je pense aussi à
Là, je m'appuierai sur ce que dit cette simple touche d’humour tendre
Godard de l'équilibre, sans doute où l’institutrice, au cours d'une
essentiel à toute création cinématogra leçon, doit suivre Helen qui s'est assise
phique, entre le document et le spec tout habillée dans le ruisseau et, pour
tacle : « A force d'être réaliste on une fois, l’imiter.
découvre le théâtre, et à force d’être Arthur Penn est un poète.
théâtral... ». A force d’être théâtral,
Arthur Penn redécouvre le réalisme et
va jusqu’à filmer un documentaire sur Claude-Jean PHILIPPE.
RÉTROSPECTIVE
Où finit le th éâtre...
THE PHILADELPHIA STORY (INDISCRETIONS), film américain de G e o r g e
Cukor.Scénario: Donald Ogden Stewart, d’après la pièce de Philip Barry. Images:
Joseph Ruttenberg. Musique : Frank Waxman. Interprétation : Cary Grant,
Katharine Hepburn, James Stewart, Ruth Hussey, John Howard, Roland Young,
52
K a th e r in e H e p b u rn et J o h n H o w a r d d;iois T h e P h ila d e p h ia S tory,
d e G e o rg e C u k o r.
John Holliday, Mary Nash, Virgina Weidler, Henry Daniell, Lionel Page, Rex
Lavans. Production : Joseph L. Mankiewicz (M. G. M.), 1940.
53
seconde vie, plus ambiguë : ce qui a sophistication (Katharine Hepburn),
déjà été ne peut-il être, à nouveau ? donnent d’eux-mêmes une représenta
Le bonheur, la recherche du bonheur, tion, « La différence entre le théâtre et
voilà peut-être, justement, ce qui per le cinéma, dit Cari Dreyer (Ecrits II,
C a h i e r s , n° 127) est donnée par la dif
met de jeter un pont entre les œuvres férence entre représenter et être. » Ce
dramatiques de Cukor et ses comédies. n’est pas le théâtre que nous propose
Telle est la quête qui donne à ses h é Cukor dans des œuvres semblables,
roïnes de si doux et frémissants vi c’est son essence: des êtres n'existent
sages, de si touchants regards : déchi qu’en ta n t qu’ils peuvent donner leur
rants (Judy G-arland), candides (Judy
Holliday), effrontés (Kay Kendall), être en représentation. Le cinéma re
joueurs (Sophia Loren), enfantins (Ma- prend ses droits quand le mensonge
rilyn Monroe), etc. Un bonheur qu’il de l’apparence, peu à peu, cède la
ne faut pas confondre avec un quel place à la vérité. Toute la dynamique
conque hédonisme, mais qui est accord, de Phïladélphia Story naît du passage
harmonie profonde entre les apparences de l’un à l'autre de ces modes d’exis
et l’être, beauté, équilibre qui triom tence.
phe de menaces toujours présentes, En effet, dans la famille où s’est
alors même qu’on les croit estompées. introduit le trio d'indiscrets, chacun se
Car, s’il suffit d’un rien pour que le dévoile par la manière particulière qu’il
drame s'évapore en comédie, il suffit a, disons le mot, de se mettre en scène;
d’un rien aussi pour que la comédie de l'extraordinaire petite cabotine à la
se détériore en drame. Fragilité, m al mère éternellement distraite et dis
léabilité de l’instant vécu qui font du tinguée, en passant par l’éblouissante
monde du spectacle, pour Cukor, un Katharine Hepburn (toujours définie
monde privilégié : c’est dans ce monde par les autres comme une déesse et
que l ’on vit le plus intensément, parce une vieille fille, ce qui est curieux dans
que l'on .y passe le plus facilement ce film produit par Mankiewicz : elle
d’un état à l'autre. répondra fidèlement à ce portrait-, quel
Ce qui explique que, de même qu'hier que vingt ans plus tard, et dirigée
celle de Lubitsch, ou qu’aujourd’hui, par lui cette fois dans Soudain, l’été
pour une grande part, celle de Godard, dernier...) Les hommes, l’oncle efc le
l’œuvre de Cukor soit une réponse père, bien que visiblement moins doués
— ou une question parallèle — à la pour ce genre d’exhibition participent
question célèbre de la Camilla de aussi, bon gré mal gré, de la comédie
Renoir. générale.
C’est ici qu’apparaît le talent p arti
Les imbrications du théâtre et de la culier de Cukor : pour se donner en
vie, du jeu et de la vérité, du drame spectacle, il faut que nos aimables mil
et de la comédie y tissent de subtils liardaires puissent organiser leur m en
réseaux, des pièges et des abris où les songe en fonction de spectateurs. Dès
apparences, tour à tour, se laissent qu’ils sont seuls (c’est vrai surtout du
prendre ou se réfugient. Encore s’agit- personnage de Katharine Hepburn) ou
il de s'entendre sur le théâtre, dont face à une seule personne, ils abandon
la fascination, éprouvée à son égard nent insensiblement leur théâtralité
par Cukor, ne limite pas son exis pour dévoiler leur intimité : ainsi, lors
tence à sa présence visible, comme que Katharine Hepburn rencontre J a
dans Une étoile est née, Les Girls, Là mes Stewart à la bibliothèque, mais le
Diablesse en collant rose, Le Mil scénario a l’habileté de ménager des
liardaire... Car il vit aussi, d’une vie rencontres deux à deux entre chacun
plus secrète, au second degré, dans des différents personnages, ce qui nous
des films où un regard superficiel vaut une admirable construction par
n’irait pas le dénicher : dans les co alternance d’affrontements et de révé
médies avec Judy Holliday, ou dans ce lations.
Phïladélphia Story.
Et la volonté première de critique
Ce qui semble intéresser Cukor, ici, sociale, au lieu de tendre vers les facili
ce ne sont plus les jeux miroitants du tés de la dérision ou de la cruauté, se
spectacle en ta n t que spectacle, mais, métamorphose en révélateur de poésie,
plus précieusement, l’idée de la th éâ ainsi qu’en témoigne la scène d’ivresse
tralité pure : une théâtralité intime, où la statue devient femme, pour notre
celle d’êtres qui, soit par excès de natu enchantement. Il est à noter, d’ailleurs,
rel (Judy Holliday) soit par excès de que Cukor chérit les scènes d’ivresse
54
féminine (Kay Kendall dans Les Girls, Le réalisme de Cukor oscille entre ces
Ava Gardner dans Bhowani Junction, pôles : si le rire de Katharine Hepburn
etc.). Mais plutôt que de céder à l’exi est souvent un faux rire, ses larmes
gence réaliste, en rendant ces scènes sont bien de vraies larmes, et le passage
sordides, il fait en sorte que la grâce, à la gravité n’est pas rupture, mais
loin d’y perdre ses droits, y accroisse ses glissement imperceptible, sous la lu
pouvoirs. En devenant « Miss Pommery mière de diamant de Joseph Rutten-
1926 », Katharine Hepburn oublie assez berg qui pare d’un halo d’étincelante
le théâtre pour être naturelle, pas assez futilité les choses les plus sérieuses.
cependant pour que ce naturel, se dé
lestant de sa poésie, puisse devenir
odieux. Jean-André FIESCHL
55
vait se prêter à tous les grimes (il qualités qu'on recommande au bon
contrefit longtemps Chariot) et dut jeune homme pour réussir dans la vie :
par conséquent s'imposer la nécessité Intelligence, Décision, Débrouillardise
du choix. et même Flegme, et même Humour.
Donc, voici Harold Lloyd, type même La quasi-totalité de ses films se ter
de l’homme heureux selon l'optique m inent par des happy-ends.
U.S.A, Nul doute qu'il n'ait au j our- «L'homme qui ne rit jam ais...A lo rs
d'hul ses trois télévisions, ses douze la question se pose : Qu’est-ce qui fait
voitures et son Frigidaire perfectionné que Buster ne rie pas ?... Parce que sa
bondé de Coca-cola... Il est sain, détresse est tout intérieure, donc irré
jeune, vigoureux, persuadé que tout médiable. Homme préhistorique, opé
cireur de chaussures plein de bonne rateur, marin, conducteur de locomo
volonté finira Président de la Répu tive, en route pour la Lune, ses avatars
blique. demeurent étrangers à sa désespé
rance. Il agit, vainc ses ennemis, con
Aux antipodes, Buster Keaton ; mal quiert les jeunes filles, se fait accla
heureux, écrasé, englouti par ses re mer parce que, au fond, faire ça ou
foulements et ses complexes. Nul doute autre chose... Ou peut-être cherche-
qu'il n'ait la hantise aujourd’hui t-il, par acquit de conscience, une
des guerres nucléaires, ne soit terrifié réponse à une question impossible qu’il
par le bolchevisme et la menace rouge sait et espère secrètement ne jamais
ou terrorisé par son épouse et les trouver... C’est là où les films de Kea
multiples ligues de moralité dont elle ton, pour la grande joie du public,
est présidente, et qu’il passe sa vie en portent à faux. Ils sont à la fois objec
séances sans espoir de psychanalyse. tifs et subjectifs : un metteur en scène
Les deux héros — les deux portraits- impartial démontrerait à Keaton
charge —>une fois mis au point il ne qu’avec ses hauts et ses bas sa vie
reste plus qu’à les placer dans leur mérite d’être vécue. «Je sais bien»,
cadre adéquat. L'évolution logique de répondrait Keaton, « mais à quoi
Buster Keaton le mènerait tout droit bon » ? Que lui importe de conquérir
à l'enfer de « Maâ » ou des dessins de l'Univers, 11 a perdu son âme.
•Chas Addams. Quant au souriant Ha
rold Lloyd, il déboucherait très vite
dans les miniatures sucrées et fadasses
des Sïlly Symphonies,
Les héros de Strangers on a Train
échangeaient leurs crimes... Nous En revanche, il n ’est pires cadres de
avons l'impression que magistralement, cauchemar que ceux où évolue Harold
et sans s'en rendre compte, Buster et Lloyd, Plus question cette fois de nous
Harold échangent leurs univers : Bus montrer un monde aux couleurs plutôt
ter Keaton, homme torturé par excel roses ou simplement sans parti pris.
lence, devrait par principe affronter N'importe quel homme, placé dans
une série de tournants à la Kafka. Il les conditions d'existence d’Harold
n'en est rien. Qu’il s’agisse de « mé Lloyd, devient fou et se suicide au bout
cano » ou de n'importe lequel de ses de dix minutes. Or, Harold s’obstine
anciens films, Buster n'est pas une à rayonner d'enthousiasme. Les rares
victime, Buster n'est pas un martyr. instants où il abandonne son air béat
Il est infiniment moins handicapé sont ceux où il croit bon de présenter
qu'un Langdon, que Chaplin lui-même. à autrui des excuses pour les malheurs
Simplement ses aventures sont en dont il est la première victime. Par
dents de scie. Mais les chances heu vient-il enfin après mille périls à
reuses contrebalancent les catastro échapper au building de la mort et
phes : le remède est toujours à côté à retrouver la terre ferme, son premier
du mal — s’il ne surgit pas de ce mal geste n'est pas pour s'éponger le front
lui-même. Le Mécano de la Générale dans un effroi rétrospectif, mais pour
est avant tout le récit d’un exploit, tâter le sol avec enchantement et
d'une victoire. Keaton n’est jamais adresser un bon sourire aux badauds
abattu ; bien souvent il prend l’initia rassemblés. Je ne connais dlailleurs
tive, sinon l'offensive. Effacez son rien de plus effroyable que cette célè
visage : ce corps souple, adroit, tou bre séquence de Monte là-dessus, ver
jours en alerte, pourrait être celui de sion parlante, si ce n'est la même en
Picratt, roi du rail, il a toutes les muet. Tentée par Keaton, elle n'eut
56
Le Monde comique d’Haroïd Lloyd.
été qu'une entreprise hérissée de dif se contente d'avoir une conduite arbi
ficultés, certes, mais toutes brillam traire en opposition à un Univers qui
m ent vaincues dans une progression a le tort d’être également arbitraire,
constante. Et Keaton serait parvenu dans l’autre sens... Sans Keaton, on
au sommet, triomphant et toujours peut croire au raid de la «Générale»;
aussi impassiblement triste. Avec Lloyd, sans Lloyd, il est difficile d’admettre
il s'agit d’un thème qui doit ravir tous la série d'incroyables malchances dont
les amoureux de Science-Fiction : la sa vie est truffée.
haine des objets contre l’homme. Et N’importe. Il n’y a pas si longtemps,
je parle, naturellement, d'objets intel Buster Keaton se trouvait partenaire
ligents, qui raisonnent, tendent des de Chaplin. Quel curieux film pour
pièges (le tuyau, le store), se servent rait donner encore une rencontre de
d'individus dociles pour arriver à leurs Buster et de Harold, de ce masochiste
fins. Et d'ailleurs, en fin de compte, obsédé et de ce Candide à jamais
ils remportent. Lloyd finit par ouvrir convaincu par Pangloss, se complétant
les mains et à lâcher prise... Qu’im aussi bien que les deux figurines op
porte que ce soit à dix centimètres du posées et obligatoirement réunies qui,
sol... dans le baromètre détraqué, voient,
La supériorité de Keaton sur Lloyd l’une tout en noir, même si le ciel
vient de ceci : le dépaysement, chez brille, l:autre tout en rose au milieu
le premier, nait de ce que son person des orages.
nage est illogique dans un monde logi
que. Moins subtilement Harold Lloyd François MARS.
57
NOT E S SUR D ’A U T R E S FILMS
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ou métaphysique, le même accent de pes contraire un court-circuit perpétuel entre
simisme et de désespérance émane donc de le contexte et le propos présumé des au
l’analyse. — M. M. teurs — au point qu’on finit par se deman
der quel fut au juste ce propos (2).
Mais il y a plus grave et nous touchons
ici un point de morale esthétique commun
Mythe de l’objectivité à tout film de montage, je veux parler de
la critique des documents. L’un des char
mes du film de montage, on le sait, réside
liA MEMOIRE COURTE, film français dans l’écart qu’il accuse entre les événe
de montage de H e n r i T o r r e n t et F rancine ments tels qu’ils nous sont montrés et les
P k em y sler. faits tels que le recul historique nous a
permis de les comprendre. Si donc les
actualités de la période 1940-1945 qu’on a
Il ne se passe guère de mois sans que eu l’heureuse idée d’exhumer ont aujour
l’actualité cinématographique ne nous pro- d’hui valeur de documents, c’est moins,
pose quelqu’une de ces bandes pathétiques, comme le donnent à croire H. Torrent et
drôles, et généralement empreintes de nos F. Premysler, parce qu’elles sont de l’his
talgie, que sont les filins de montage. Ré toire en conserve que parce qu’elles témoi
ponse littérale au besoin d ’un public de gnent de l’état d'esprit qui a commandé
plus en plus avide de documents, le film leur enregistrement : derrière la caméra
de montage offre en outre aux producteurs se tient toujours un homme, derrière cet
l’illusion d’un genre bon marché auquel homme d’autres hommes, derrière ceux-ci
il peut même arriver de concurrencer sé enfin un état d’esprit ou, comme ici, un
rieusement le cinéma de fiction (cf. Mein Etat tout court (3). Bref, il est proprement
Kampf). Rien en effet de plus excitant, et impossible de faire un film à l’aide de
a priori de plus facile, que ces assemblages documents sans faire du même coup de ces
de documents d ’archives qui s’achètent au documents }a matière même du film. S’y
mètre comme le ruban chez la mercière, refuser, c’est ne retenir que la fonction
rien donc qui ne saurait solliciter davan mystifiante de l’image cinématographique,
tage la vigilance du critique, car — on va aller dans le sens des intentions qui ont
le voir au sujet de La Mémoire courte — présidé à la prise de vues sans les dévoiler,
rien, en fait, de plus dangereux à mani consolider enfin le mythe tenace de l’objec
puler. tivité auquel viennent chaque semaine se
laisser prendre quelques milliers de specta
Cependant le premier grief que je ferai teurs d’actualités. Ce qui ne tire pas à
à cette seconde entreprise de Henri Torrent conséquence lorsqu’il s’agit de la toute
(secondé, cette fois, par Francine Fremys- petite histoire — celle, disons, des Années
ler) sera relativement bénin. Il concerne Folles — peut parfois, comme ici, conduire
l’étendue et la définition de son propos. à d’assez regrettables équivoques. — A. S. L.
D’une parole célèbre du maréchal Pétain,
nos auteurs ont déduit un film anthologi-
que qui résume la période entre toutes trou
blée qui va de l’armistice de 1940 à la
bombe d ’Hiroshima en 1945. L’entreprise L’a n ti-g ra v ité
est si gigantesque et l'es événements évo
qués sont si considérables (historique
ment et sentimentalement) qu’on ne peut ANYTHING FOR LAUGHS (TARTES
s’empêcher de relever des lacunes (peut- A LA CREME), montage p ar George
être volontaires, mais au nom de quoi ?> O’Hanlon de cinq Mack S ennett : Anything
telles que le procès de Riom ou la tenta for Laugh, Just for Fun, Flap Happy, Hit'
tive de putsch de Delattre en zone non Him Again, Stop Look and Laugh.
occupée. On dira que le parti adopté par Musique ; David Forrest et Howard
les auteurs est moins ambitieux : prendre Jackson. Distribution : Warner Bros.
l’histoire à son étiage, au niveau même
où la vivaient les Français d'alors. Mais
peut-on dire que le survol auquel ils s’en Enfant, les Actualités Eclair-Journal
sont finalement tenus corresponde vraiment m’apportaient une hebdomadaire et tou
à l’expérience vécue d'une nation qui ne jours également amère déception : les
connut qu’après coup la portée du bombar titres des séquences s’illustraient de gros
dement de Pearl Harbour et ignora long sières caricatures, qui, toutes primitives
temps l’ampleur des mesures prises à ren qu’elles étaient, promettaient une intrusion
contre des Juifs ? (1) Il s’établit au dans le monde magique des dessins animés,
(1) Mais pouvait-on même rendre globalement compte de l'expérience d’une nation
divisée dont chaque part (Vichy, Bordeaux ou Paris) avait sa physionomie propre ?
(2) Il ne reste au spectateur déçu qu’à se reporter à l’excellent ouvrage de Henri
A m o u ro m : publié chez Fayard : La Vie des Français sous l’Occupatîon.
(3) D’ailleurs ces bandes, plus ou moins cocasses, qui évoquent le gazogène, la carte
d’alimentation et le couvre-feu. ne sont-elles pas pour la plupart des scènes reconstituées,
parfois même en studio, avec des acteurs dont certains ont, depuis, fait du chemin ?
59
mais n ’apparaissaient sur l’écran que des tenant si bien chaque élément, en nous
individus pesamment de chair et 'd’os, émerveillant de la précision avec laquelle
généralement solennels et guindés. chacun dessine son personnage et tient
Les temps ont bien changé : Tartes à la son emploi. (Vous ai-je bien reconnus au
crème s’accompagne d ’un festival de « car- vol, cher Jam es Finlayson, compagnon
toous » Warner. Exceptons le Coyotte habituel de Laurel et Hardy, chère Mar-
cosmonaute qui reprend poétiquement le garet Dumont, partenaire fidèle des Marx
gag de l’aimant attaché à un personnage brothers ?) Mais surtout, contrastant avec
et attirant sur lui un déluge d’objets la routine lasse des dessins animés, une
métalliques, y compris Tour Eiffel et des éclatante vitalité à jouer à l’impossible ;
troyer. Mais pour les autres, la fantaisie Ben Turpin, gonflé d'oxygène, flotte
légère, immatérielle, s’est évaporée. On a comme un ballon ; à porter des fusées à
pris soin de bâtir des histoires-prétextes, sa ceinture, on devient fusée soi-même ;
avec exposition et dénouement à « chute », des familles entières sortent des malles ;
on a engagé des vedettes aussi consacrées les barques progressent en terre ferme ;
que les stars humaines : Bugs Bunny de les mannequins deviennent plus vivants
vient aussi cabot que Brando et exige son que le vivant lui-même qui prétend se
nom en lettres monumentales au géné figer dans leur immobilité... .
rique... on va même jusqu’à introduire des Certaines salles réservent bien des
mouvements de caméra classique dans le séances spéciales de films burlesques aux
déroulement de l’action. Plus une goutte enfants. Je propose qu’on consacre une
de folie et plus un brin de rêve... projection privée de Tartes à la crème
Et voici, avec Tartes à, la crème, le aux héros de dessins animés 1963. Droopy
monde où tout est permis, où les lois ter y perdrait peut-être son flegme, Magoo
restres n ’existent pas. où lte mouvement se empoignerait des jumelles marines pour
déchaîne à l’état pur, où l’instant fait loi. discerner quelque chose, Jerry s’installerait
Pas de liaisons entre les bandes qui n ’ont sur les genoux de Tom, et Gerald Mac
elles-mêmes qu’un minimum de cohésion Boing Boing resterait muet d’admiration.
interne. Pas de commentaires doctoral à la Tous, de toute façon, auraient appris aue le
René Clair ou pseudo-humoristique à, la rire est, avant tout, fonction d ’enthou
Pierre Destailles : un sous-titre par-ci. siasme, et que nul n’en posséda sans doute
par-là. Pas de grands premiers rôles, mais davantage, de toute l’histoire du cinéma,
cette équipe dont nous connaissons main que Mack Sennett et sa troupe. — F. M.
8 FtLMS FRANÇAIS
L e Couteau dans la plaie, film d ’A natole Litvak, avec Sophia Loren, A n th o n y Perkins, Gig
Young, Jean-Pierre A um ont. — Film de suspense et de psychologie, sans suspense ni psycholo
gie. Se déroule dans u n P aris prétendu m en t réaliste, en réalité conform e à l’idée q ue pouvait
s’en faire, il y a trente ans, u n fermier du Middle W est.
Un clair de lune à Maubetxge, film de Jean C hérasse, avec Pierre P errin, So phie H ardy,
C laude Brasseur, Bernadette Lafont. — Fidèle à la chanson.
L es Culoites rouges, film d ’A lex Joffé, avec Bourvil, L aurent T erzieff, E tienne Bierry. —
Sans doute le m eilleur film de Joffé, dans la m esure où i’on y se n t m oins les lim itations de
Fauteur qui a d o n né libre cours à u ne verve souvent sinistre, toujours efficace. L ’atm osphère des
cam ps de prisonniers est rend ue avec u n très grand réalism e qui n ’é v ite p as toujours les pièges
de là complaisance ou de la convention, m ais celles-ci sont racnetées p ar les audaces d ’interpré
tation {Joffé a su pousser à fond l ’affrontem ent m onstrueux de Bourvil et T erzieff) aussi bien que
de scénario î le final d u film ouvre celui-ci sur l ’atroce.
Mandrin, film en Scope et en couleurs de Jean-Pauî Le Chanois, avec G eorges Rivière,
Jeann e V alérie, Sylvia M ontfort, D any Robin, Georges W ilson, A rm a n d M estral. — D ans la
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lignée d e Cartouche, mais en moins roublard. U ne certaine verve, quelques idées. U n anarchism e
prim aire, m ais sym pathique.
L a M émoire courte. — V oir note d ’A n d ré S. L abarthe, dans ce num éro, page 59.
N ous irons à Deaaoille film d e Francis R igaud, avec Michel Serrault, Michel G alabru,
Béatrice A ltariba, Louis de Funès, C laude Brasseur. — A force de se creuser la tête pour rem
plir les trous d u scénario (si l ’on peut dire), n'im porte com m ent et avec n ’im porte quoi, les
auteurs finissent p ar nous faire presque rire.
Le Procès. — Voir critique dans notre prochain num éro.
L es Quatre vérités, film à sketches de Luis G . Berlanga, Hervé Brom berger, Alessandro
Bîasetti, R ené Clair. — Deux m auvais sketches : le Berlanga et le Blasetti (sur le principe, res
pectivem ent, de L a Mort et le t â c h e r o n et L e Lièüre e t la Tortu,e). Deux passables : L e Cor
beau et le R enard (le seul qu i joue le jeu q u a n t à l’illustration de la fable), grâce à la présence
d ’A n n a K arina et au num éro d e Poiret et Serrault, et L e s D e u x Pigeons, d e R ené Clair, qui
bénéficie d ’une jolie situation d e départ (exactem ent le contraire de celle de L a Fontaine),
m alheureusem ent atomisée par lé m ode d e narration d e l ’auteur.
6 FILMS AMERICAINS
A n y th in g for Laughs (Tartes à la crèm e). — V oir note de François Mars, dans ce num éro,
page 59.
F .B .l. Code 98 {Opération F.B.I. à Cap Canaveral), film de Leslie H. Martinson, avec
Jack Kelly, R ay Danton, A n d re w D ugan, P h ilip Carey. — Sur le thèm e : une bom be dans une
valise, le petit film d e série, sans prétentions, sans effets, bien monté» bien joué. D u genre
irréalisable en France.
T h e Great Sioux Uprising [L’A v e n tu re e st à VOuest), film en couleurs de Lloyd Bacon, avec
Jeff C handler, Faith D om ergue, Lyle Bettger, P e ter W hitney . — De m échants Blancs, voleurs de
chevaux, cherchent à provoquer la guerre avec les braves Indiens. Il souffle, dans ce film sym pa
thique, un peu de 1*esprit du sérial.
Hatari J — P o ur ce ch eï-d’œ uv re de H aw k s, victime des ciseaux de la distribution et des
oeillères de la critique patentée, vous vous reporterez (après avoir m édité sur la photo de cou
verture) au com m entaire (de Hawks) et à la critique (de Jean Douchet) dans notre num éro 139.
M utiny on the ic B ounty » (/es R évoltés du « B ounty »), film en 70 m m et en couleurs de
Lewis Milestone, avec M arlon Brando, T revor H ow ard, R ichard Harris, H ug h Griffith, T arita.
— Travail consciencieux, académ ique (avec quelques trouvailles) sur un beau bateau et une
belle île m alheureusem ent sous-utilisés. Brando, lui (qui se p rend successivement pour de Gaulle,
Napoléon et le penseur de Rodîn) a pris à cœ ur sa mission, quitte à jouer les em m erdeurs et
à scandaliser les fonctionnaires de la M étro, Mais Brando a-t-il un m essage à délivrer au
m onde ? Ses idées en tout cas sont ou m auvaises, ou confuses, ou mal exploitées, et il a tort
de m épriser com m e il le fait la vérité historique.
Taras Bulba, film en Scope et en couleurs, de J, Lee T hom pson, avec T o n y Curtis, Yul
Brynner, Christine K au fm an n , S am W an a m ak e r. — O n a quelquefois vu aussi, mais jam ais
plus hideux.
4 FILMS ITALIENS
// colpo segreto di d ’A rtagnan {Le Secret d e 'd ’A rtagnan), film en Scope et en couleurs d e
Siro Marcellini, avec Georges N ader, Magali Noël, Georges M archai, Massimo Serato, — N ou
velle variation sur le nom bre des m ousquetaires, cette fois réduits à deux. C’est tout le secret
de ce scénario.
Il gladiaiore R o m a {Le Gladiateur de Rom e), film en Scope et en couleurs, de Mario
Costa, avec Gordon Scott, W andisa G uida, R oberto Risso. —- Costa fabrique les péplu m s en
série. Celui-ci n ’est ni m eilleur ni pire q u e les autres.
T fiarus figlio di A ttila (Thortrs, fils d M ttfla ), film en Scope et en couleurs, d e R oberto
Bianchi Montero, avec Jerom e Courtland, L isa Gastoni, M im m o Palm ara, Livio Lorenzon. —
L à ou passe Attila, hélas poussent ses fils.
1 FILM TCHEQUE
L a Création du inonde, film d ’anim ation d ’E d ouard H offm ann, d ’après les dessins d e Jean
E ffeî. — U n dessin d ’Effel, ça peu t am user. U n album , ça devient vite fastidieux, mais c ’est
a u cinéma que p rennent leurs vraies dim ensions la laideur et fausse naïveté d ’Effel.
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CHRONIQUE DE LA T. V.
CROQUIS DE LONDRES
La chronique que nous inaugurons ne prétend pas à être exhaustive.
J e s u i s h e u r e u x que, les h a s a r d s Elle ne s'attachera qu'aux émissions de la T.V. (française, sauf excep
de la p ro g ra m m a tio n fo u rn isse n t tion) qui ont su le mieux éveiller notre curiosité, ou susciter des
à c e t t e r u b r i q u e l ’o c c a s io n d e d é réflexions qui recoupent, d'une manière ou d'une autre, celles que
b u t e r p a r u n f i l m d e J e a n -C la u d e nous inspirent, ailleurs, le cinéma.
B r ln g u ie r , à q u i n o u s a v io n s o u
v e r t n o s c o lo n n e s d a n s n o t r e n u
m é r o 118, C r o q u is de L o n d r e s
(d iff u s é le 25 d é c e m b r e ) n ’e s t e n
e f f e t e n r i e n I n f é r i e u r a u x p ré c é e s t b ie n u n e s o r t e d e r e p o r ta g e ■ J ’a i p ris c e t ex em p le, j ’a u r a i s
d a n t s C r o q u is e t p r é s e n t e u n cas s u r L o n d re s à l ’é p o q u e d e X m a s . p u e n p r e n d r e d ’a u t r e s : le c é ré
s u f f i s a m m e n t p r o b a n t d e ce q u e O n n o u s m o n t r e L o n d re s , ses m o n ia l d u t h é e t ses v a r i a n t e s ,
p o u r r a i t ê tr e u n e té lé v is io n d ’a u ru e s , ses m a is o n s m a l c h a u f f é e s , l’in te r v ie w d e s d'eux j e u n e s lo rd s,
t e u r , p o u r q u ’il v a ille l a p e in e ses lo rd s, se s b o b b ie s , s o n a rm é e c e lu i d e ces em p lo y ées d e g r a n d
q u e n o u s n o u s y a r r ê tio n s . d u s a l u t.., o n p o u r r a i t p r e s q u e m a g a s in s u r p r is e s e n ro b e d e b a l
d ir e : s e s clich és.' T o u t c e à q u o i e t à q u i o n pose l a q u e s t i o n s a u
C e tte n o t i o n d ’a u t e u r , d é j à f o r t n o u s n o u s a t t e n d i o n s e s t là, m a ïs g r e n u e d e le u r n iv e a u d e vie —
i n s t a b l e e n ce q u i c o n c e r n e le ja m a i s d e la f a ç o n d o n t n o u s l ’a t to u te s séquences re m a rq u a b le s
c i n é m a p r o p r e m e n t d i t , se v o i t te n d io n s . J e n e v e u x p a s d ir e p a r l a lo g iq u e d u t r a i t e m e n t , e t
e n c o r e p l u s m e n a c é e à l a télé v i se u le m e n t q u e p a r so n h u m o u r l a se n s ib ilité avec l a q u e l l e ces
s io n d u f a i t d u j e u p a r t i c u l i e r d is c re t, r e s p e c tu e u x , le c o m m e n im a g e s n o u s s o n t t r a n s m i s e s .
d e s p a r t i c i p a t i o n s (1). L 'a u t e u r t a i r e f r e i n e l ’é la n d u s p e c t a t e u r M ais j e t i e n s p o u r m a p a r t q u e
d ’u n e é m is s io n e s t le p l u s s o u to u jo u rs tro p p r o m p t à fo n d re la ré u ss ite de B rin g u ie r e t K n a p p
v e n t le p r o d u c t e u r (c e q u i a p p a s u r le s im a g e s . J e v e u x p a r l e r d e ré sid e m o in s d a n s c e t t e s e n s i b i l i t é
r a î t n e t t e m e n t d a n s les « P o r l a m a n iè r e m ê m e d o n t ces c lic h é s q u e d a n s l ’in te llig e n c e av ec la q u e l
t r a i t s » l i t t é r a i r e s d e R o g e r S té n o u s s o n t m o n tr é s . le ils o n t s u u t i l i s e r l a t e c h n i q u e
p h a n e e t le « T h é â t r e p o u r là
j ’o u v re u n e p a r e n t h è s e p o u r r e l a t i v e m e n t r é c e n te d e l ’i n t e r
J e u n e s s e » d e C la u d e S a n te lli
r a p p e le r q u e j u s q u ’ic i d e u x p a r v iew d a n s le s e n s d e s a p l u s g r a n
p o u r c i t e r d e u x e x e m p le s p a r m i d e n o u v e a u té : n o n p a s com m e
les p l u s r e p r é s e n t a t i f s ) , t r è s s o u ti s s ’o f f r a i e n t a u d o c u m e n t a l i s t e
e n p r é s e n c e d u « c lic h é » : o u u n m o y e n d ’a ccroître l ’i n f o r m a
v e n t le s c é n a r is te , r a r e m e n t le
b i e n l ’a c c e p te r , c ’e s t-à - d ire a c c e p t io n , m a is, a u se n s f o r t , d e l a
m e t t e u r e n sc è n e (2). L es p e t i t s m e t t r e en q u e s tio n . A p o s te rio r i,
f i lm s d e B r in g u ie r e t K n a p p s ’im t e r q u ’il I m p o se s a lo i p r o p r e a u
film , o u b i e n l'a c c u e i l l ir p o u r e n o n com p ren d u n p e u m ie u x q u e
p o s e n t , eu x, à t o u s le s n iv e a u x ,
s u i t e en m ie u x b r i s e r l a c a r a p a c e c e tte te c h n iq u e — a b s e n te , e t
p a r u n e s a v e u r, u n e f r a î c h e u r de p o u r ca u se , d es fo rm e s t r a d i t i o n
to n , b r e f u n a ir d e lib e r té q u ’il ( g é n é r a le m e n t à l'a id e d 'u n c o m
m e n ta ire ), Le p re m ie r p a r ti r e n e lle s d u d o c u m e n ta ir e — a i t
s e r a i t v a in d e c h e r c h e r a ille u r s .
p r é s e n te l a c o n v e n t i o n p a r ex cel c o n s t it u é le p r e m ie r a p p o r t d e la
L a f o r m u l e de ces C r o q u is e s t len ce, le se c o n d 1, a u c o n tr a ir e , té lé v is io n a u c in é m a ( e t p a s s e u
s im p le — ce q u i, s o it d i t e n p a s o u v r i t a u c in é m a l a v oie fé c o n d e l e m e n t au, c in é m a d o c u m e n t a i r e ) .
s a n t , n ’e n r e n d l ’a n a ly s e q u e p lu s d u d o c u m e n t a i r e ic o n o c la s te o ù C 'e s t q u ’elle e s t la p lu s r é c e n t e
d iffic ile . A u s u r p l u s , d 'u n f ilm à s 'i l l u s t r è r e n t n o t a m m e n t F r a n j u , c o n q u ê t e d u ré a lism e c i n é m a t o
l ’a u t r e , elle se m o d ifie in s e n s ib le K a s t e t A g n ès V a r d a . L ’o r ig in a g r a p h iq u e .
m e n t , r e j e t a n t p e u à p e u ces lité d e B rin g u ie r e t K n a p p e s t
to u r s t r o p e n c o m b r a n t s p a r l e s - ’ d ’en a v o ir c h o is i u n tr o is iè m e : A n d ré £>. LA BA R T H E .
q u e ls les a u t e u r s a v o u a i e n t l e u r ils n o u s p r o p o s e n t le c lic h é e n
g ê n e à l ’e n d r o i t d e l e u r s s u j e ts : t r a i n d e n a îtr e , le c a p t a n t p o u r
B r l n g u i e r s ’e s t f o r t b i e n e x p liq u é a in s i d i r e à s a s o u rc e , j u s t e a v a n t
là -d e s s u s , ici m ê m e . C o m m e n t q u ’il n e s e f ig e d a n s l a s t é r é o - (1) Je ne parle pas de (a p ré te n d u e
d o n c d é f i n i r ces C ro q u is ? C e n e ty p ie q u i le d é f i n i t . L e p o r t r a i t n a tu re du spectacle télévise qui s e ra it
s o n t n i d e sé v ère s d o ss ie rs d e d o q u ’ils n o u s f o n t d u to b T jy e s t à de n 'ê tre présente q u 'u n e seule fo is
c u m e n t s d u t y p e C in q c o lo n n e s c e t é g a r d s i g n i f i c a t i f . D ’a b o r d pour re to urn e r ensuite au n é a n t.
à la u n e o u L 'A v e n ir e s t à v o u s t l ’in te rv ie w , e n s u i t e l a s i l h o u e t t e . O u tre la d is p a ritio n progressive des
n i d e p l a i s a n t s c a r n e t s d ’im p r e s D ’a b o r d l'h o m m e - flic , e n s u i t e le émissions en d ire ct, un c e rta in n o m
bre d e techniques de co n se rva tio n
s i o n s — e n c o re q u e l ’h u m e u r d e s f lic -flic , avec, à la f i n s e u l e m e n t , de l'im a g e s o nt d'ores e t déjà a u
a u te u r s n e s o it ja m a is to ta le m e n t u n p l a n (g é n é r a l) q u i r e s t i t u e p o in t p ou r en prolonger l'e xiste n ce.
n é g lig e a b le e t a i t é té m ê m e p r é l 'h o m m e a u c lic h é e n n o u s le Quoi q u 'il en so it, les film s q ui nous
p o n d é r a n te d a n s le u r L e ttr e de m o n tr a n t d a n s l a r u e e n c h a în é o ccup e n t ne courent, de ce p o in t de
S è t e t o u t e n tiè r e f o n d é e s u r l a à s a f o n c t i o n . L ’o r d r e d u m o n vue, ûucun danger : ils o n t é té e nre
s u b je c tiv ité d u n a r ra te u r. Ils n e t a g e e s t ic i c a p i t a l : il e s t ex ac gistrés su r pellicule, com m e n 'im p o rte
q ue lle ban d e d e 8 rcunborger.
re lè v e n t p a s d a v a n ta g e d u re p o r t e m e n t in v e r s e d e l ’a t t i t u d e d é
t a g e te l q u e l ’a g é n é r a lis é la p r a m y s tif i c a t r i c e q u i p a r t d u c lic h é (2) Cas unique d 'u n a c te u r-a u te u r:
t i q u e d e l a té lé v is io n e n d ir e c t p o u r le f a i r e v o le r e n é c l a t s (cf. J e a n -M a rc Te n nb crg , q ui réussissait
p a r sa seule présence (e t un m é tie r
( e t d o n t l'in te r v ie w e s t l a fo rm e H ô te l d e s In v a lid e s , L e s C h a r m e s trè s sûr) à créer la v é rita b le mise
la p l u s a c h e v é e ), e t p o u r t a n t , à d e Ve x is te n c e . D u c ô té d e la en scène des poèmes q u 'il v e n a it
p r e m i è r e v u e, C r o q u is d e L o n d re s c ô te ). r é c ite r à l'a n te n n e .
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movi e
... Une nouvelle revue, M O VIE, d o n t le monde a ng lo -sa x o n a v a it bien besoin. A n im é e
p a r u ne équipe de jeunes cinéphiles anglais, h itch co cko -h aw ksien s, c e tte revue a to u te chance
de d evenir ra p id e m e n t la seule sérieuse de G ra n d e -B re ta g ne , du C om m o n w e a lth e t des U.S.A.
réunis. Le p rem ie r num éro a la te n u e de son e xcellen te p rése n ta tio n . — CAHIERS DU C IN E M A
(No 135).
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63
PUBLICATIONS FROM
m o t i o n
1 .NOUVELLE VAGUE: THE FIRST DECADE.
by R aym ond D u rg n a t. A n a lp h a be tic a l study o f th e New W a ve film s fro m À (A lbico ccof
to Z (Z a p h ira to s ), a nd ta k in g in Chabrol, Franju, Resnais, T r u ff a u t , V a d im , V a rd a , and
ail th e oth e rs en ro ute. Over 100 pages. 7'* X 9 " p ap e rb ack. 5s.6d. "T h e essence, în d iv i-
d u a lity and independence o f film- as an a rt fo rm is c o n s ta n tly a n d b r illia n tly conve ye d ; fo r
those w illin g to lea rn , o r those h a ffw a y fh e re, a drp in fo th is b o o k c a n n o t faiJ to be
illu m in a tin g /” (CLARE MARKE1 REVIEW.)
2 INCM AR BERGMAN
by Peter Cowie. 3 s .l0 d . *...a w o rk of dévo tio n by a ded ica te d B e rgm a n a d m ire r...”
(SIG HT A N D SOUND.)
3 MOTION
52 pages. 2s.10d. p er copy, 6 issue subscription (approx. 1 ye a r) 17s.0d.
CAHIER S DU C I N E M A
Revue mensuelle de cinéma
Rédacteurs en Chef : JACQUES DONIOL-VALCROZE et ERIC ROHMER
•
Tous droits réservés
Copyright by « Les Editions de l’Etoile »
146, Champs-Elysées - PARIS (88)
R.C. Seine 57 B 19373
Les articles n’engagent que leurs auteurs. Les manuscrits ne sont pas rendus.
L e G é r a n t : J a c q u e s D o n t ol-V al cro ze
I m p r i m e r i e C e n tr a le d u C r o is s a n t, P a r is — D é p ô t lé g a l 1er t r i m e s t r e 1963.
1819-1963
à partir du 20 février'
L’HOMME DE LA PLAINE
d ’Anthony Mann
à partir du 27 fevrier
DESTINATION GOBI
de Robert Wise
à partir du 6 mars
L’OR ET L’AMOUR
de Jacques T ou rn e u r
à partir du 13 mars