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République démocratique du Congo l 41

courbe contradictoire a accéléré le déclin du système éducatif


congolais : la hausse de la démographie et la baisse du budget
de l’éducation. Quant à la répartition des dépenses d’éducation
selon les niveaux scolaires, 36% vont au primaire (soit moins de
3 dollars par élève et par an), 32% au secondaire, 1% à l’adminis-
tration et 31% au supérieur.

Budget de l’éducation en RDC

Année 1980 1983 1986 2000 2002


Part du budget 24% 17% 7% 8% 6%
Dépenses réelles primaire et secondaire 512 170 71 42 18
(en millions USD)

Source : Banque
mondiale, 2005

Taux brut de scolarisation en RDC

Année 60-61 66-67 71-72 76-77 82-83 86-87 89-90 94-95 99-00 01-02
Primaire 70% 74% 92% 88% 86% 73% 55% 73% 49% 64%
Secondaire 2% 6% 11% 18% 22% 20% 18% 22% 19% 23%

Source : Banque
mondiale, 2005
Le taux de scolarisation n’a évidemment pas pu évoluer positi-
vement dans de telles conditions. Le taux brut de scolarisation
primaire est passé de 86% en 1982-1983 à 55% en 1989-1990, puis
à 49% en 1999-2000, pour atteindre 64% selon les dernières sta-
tistiques disponibles (pour un taux net de 51%). Pour le secon-
daire, le taux brut de scolarisation stagne autour de 20% depuis
la fin des années 1970.
42 l

Analyse contextuelle

La République démocratique du Congo est un pays dont la


population est jeune (48% de la population a moins de 15 ans et
67% a moins de 25 ans) et dont près du tiers vit dans les zones
urbaines 4.
Le système éducatif congolais se divise en trois cycles, en plus
4/. Sauf avis
contraire, les
du cycle préscolaire qui existe en théorie mais qui n’est réservé
statistiques de cette

qu’à une minorité d’enfants des zones urbaines. Le cycle pri-


section sont tirées

maire dure six années, divisées en trois degrés de deux ans cha-
de Banque mondiale,
Le renouveau du

cun, et est ponctué d’un certificat d’études primaires sur base


système éducatif de

des résultats en classe et d’un test national. Le cycle secondaire


la République
démocratique du
Congo : Priorités et
dure six années, divisée en un tronc commun de deux ans et en
un second degré de quatre ans qui introduit une distinction
alternatives, janvier

entre trois sections (général, pédagogique ou technique). Il est


2005.

également possible de suivre un cycle court de quatre ans d’en-


seignement professionnel après le cycle primaire. Enfin, les
détenteurs du diplôme d’État d’études secondaires du cycle
long, obtenu sur base du contrôle continu et d’un examen natio-
nal, ont accès au cycle supérieur, divisé en un premier cycle de
trois ans (graduat) et un second de deux ans (licence).
Malgré les années de guerre, le nombre des étudiants, des ensei-
gnants et des établissements scolaires a continué d’augmenter et
les ménages ont assumé financièrement le désinvestissement de
l’État, ce qui démontre l’intérêt des populations congolaises
pour l’éducation. Mais ces éléments positifs ne peuvent masquer
la situation catastrophique qui caractérise le système éducatif
congolais :
Ü Il existe d’importantes inégalités dans l’accès au primaire
– aussi bien entre les provinces, entre les sexes et entre les reve-
nus des parents – et le taux d’abandon dans le primaire et de
redoublement à tous les niveaux est très élevé ;
Ü La rémunération faible et incertaine des enseignants a de gra-
ves retombées sur leur niveau de motivation et de compétence,
tandis que le système de rémunération des enseignants par les
parents produit des effets pervers à différents niveaux ;
Ü Le manque de manuels scolaires et de matériels pédagogiques
est généralisé et une partie importante des infrastructures est
détériorée.
République démocratique du Congo l 43

Taux de scolarisation et de réussite

Si le nombre d’étudiants et d’établissements scolaires a aug-


menté de manière globale, cette réalité masque des nuances
importantes. D’une part, l’augmentation des effectifs scolaires
constatée entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990 a
fait suite à une décélération durant les dix années précédentes,
marquées par la crise économique et l’ajustement structurel, tan-
dis que la période 1995-2002 a été marquée par un ralentisse-
ment de cette augmentation dans le secondaire et par un recul
dans le primaire. D’autre part, une part de l’accroissement des
établissements s’explique par la généralisation du système de
double vacation (une partie des étudiants suivent les cours le
matin, l’autre l’après-midi) qui, lorsqu’il est appliqué dans un
même bâtiment, implique que ce dernier est comptabilisé deux
fois dans les statistiques.
Source : Banque
mondiale (2005)

Taux bruts de scolarisation par provinces et genres

Provinces Primaire Secondaire

Garçons Filles Total Garçons Filles Total


Kinshasa 57% 58% 58% 42% 40% 41%
Bas-Congo 81% 68% 74% 39% 24% 32%
Bandundu 85% 71% 78% 53% 30% 42%
Équateur 52% 40% 46% 17% 7% 12%
Kasaï oriental 87% 63% 75% 27% 8% 18%
Kasaï occidental 59% 39% 49% 22% 7% 14%
Katanga 46% 34% 40% 16% 8% 12%
Province orientale 64% 49% 57% 14% 7% 11%
Maniema 5
Nord-Kivu 94% 66% 80% 28% 14% 21%
Sud-Kivu

Total 72% 56% 64% 29% 17% 23%

5/. Les chiffres sont


publiés globalement
Le taux d’accès à l’éducation reste en outre faible, puisque le
pour les provinces

taux net de scolarisation primaire est de 51% et le taux brut de


du Nord-Kivu, du

64% – pour 23% dans le secondaire. Ces chiffres globaux mas-


Sud-Kivu et du
Maniema.
44 l Analyse contextuelle

quent en outre d’importantes inégalités entre les provinces, les


sexes et les revenus des parents.
Pour le primaire, le taux global de scolarisation est plus élevé
dans les deux Kivus, le Maniema, le Bandundu, le Kasaï orien-
tal et le Bas-Congo que dans le Katanga, l’Équateur, le Kasaï
occidental, la Province orientale et Kinshasa. Mais ces comparai-
sons ne sont pas obligatoirement transposables au secondaire,
où le taux de scolarisation à Kinshasa est par exemple bien plus
élevé qu’au Kasaï oriental et dans les deux Kivus. Cette réalité
doit en outre être couplée à la discrimination de genre, très pro-
noncée à l’intérieur du pays, contrairement à Kinshasa où le fai-
ble taux de scolarisation global n’est pas dû à l’inégalité entre les
sexes.
Par ailleurs, il existe une différence significative du taux de sco-
larisation primaire entre les riches et les pauvres, notamment du
fait que les frais scolaires sont majoritairement pris en charge
par les parents d’élèves. Les enfants pauvres sont en outre sco-
larisés tardivement et ont tendance à abandonner. De nombreu-
ses scènes montrent des élèves contraints de rester en dehors de
l’école ou d’attendre dans une salle annexe parce que leurs
parents n’ont pas payé le droit d’inscription. Mais si les enfants
riches ont tendance à s’inscrire à l’âge prévu, ils ont également
tendance à redoubler et à rester plus longtemps à l’école, ce qui
fait que près du tiers des enfants qui ont dépassé l’âge officiel en
fin de cycle primaire font partie du quintile le plus riche. Globa-
lement, l’inégalité d’accès entre les riches et les pauvres se situe
principalement entre les 40% les plus riches et les 60% les plus
pauvres, ce qui correspond partiellement au clivage villes/cam-
pagnes.
Mais le faible taux de scolarisation n’est pas tout. Le taux de
réussite est lui-même dramatiquement faible. Pour le primaire,
les données 2000-2001 montrent un taux de redoublement allant
de 11 à 17% selon les années et un taux d’abandon allant de 9 à
20%. Au final, le taux d’achèvement du primaire n’est que de
29%, tandis que seulement 14% des élèves qui entrent en pri-
maire obtiennent le certificat de fin d’études primaires sans
redoubler. Pour le secondaire, seulement la moitié des élèves
atteignent la dernière année sans redoubler, mais si on prend en
compte les élèves qui obtiennent le diplôme d’État, le taux
d’achèvement n’est que de 13%. Pis, les entretiens que nous
avons eus avec les coordinateurs nationaux des réseaux scolai-
res indiquent que les taux d’échec officiels sont sous-évalués, car
République démocratique du Congo l 45

les délibérations permettent de faire passer juste au-dessus des


50% des élèves qui ont en réalité échoué.
Enfin, au niveau supérieur, seulement 28% des étudiants obtien-
nent une licence, dont 18% sans redoublement. Le taux d’aban-
don est très élevé, surtout dans les deux premières années,
puisqu’il atteignait en 2000 à l’université de Kinshasa, qui
accueille à elle seule les deux tiers des étudiants congolais du
supérieur, 50% la première année et 35% la deuxième.

Taux bruts et nets de scolarisation primaire par indices de richesse

Indices de richesse Taux bruts Taux nets

Quintile I (20% les plus pauvres) 80% 39%


Quintile II 80% 39%
Quintile III 86% 45%
Quintile IV 104% 57%
Quintile V (20% les plus riches) 127% 81%

Taux de redoublement et d’abandon au primaire

1ère 2e 3e 4e 5e 6e
1978-79
Taux de redoublement 21% 20% 21% 19% 18% 15%
Taux d’abandon 20% 4% 10% 8% 5% -
1986-87
Taux de redoublement 19% 18% 22% 19% 17% 13%
Taux d’abandon 18% 6% 8% 9% 9% -
2000-01
Taux de redoublement 17% 16% 16% 15% 14% 11%
Taux d’abandon 19% 9% 12% 12% 11% 20%

Source : Banque
mondiale (2005)
46 l Analyse contextuelle

Condition des enseignants


et qualité de l’enseignement

Le salaire des enseignants est un problème majeur du système


éducatif congolais. Si on ne prend en compte que la partie du
salaire pris en compte pour le calcul de la retraite, l’enseignant
du primaire le moins gradé 6 touche moins de 5 dollars par mois
et un licencié moins de 10 dollars. À ces salaires de base s’ajoute
6/. Les enseignants
sont payés sur base

à Kinshasa une prime de logement (de 2 500 francs congolais,


d’une hiérarchie

soit 5,55 dollars) et de transport (de 9 202 francs congolais, soit


salariale allant
de 1 à 10.
20,40 dollars). Cette rémunération est complétée par les contri-
butions des familles, qui dépendent d’une école à l’autre. Globa-
lement et en moyenne, les rémunérations globales restent très
modestes et s’élèvent à 25 dollars par mois dans le primaire et à
50 dollars dans le secondaire. Dans le supérieur, le salaire men-
suel payé par l’État ne s’élève qu’aux alentours de 60 dollars,
mais s’y ajoute une prime mensuelle (payée pendant dix mois)
allant de 240 à 300 dollars, ce qui fait que les rémunérations
s’étalent au total entre 200 et 450 dollars par mois. 7
Ces montants moyens masquent d’importantes inégalités entre
7/. Chiffres fournis
par les syndicats

les villes et les campagnes et, surtout, entre Kinshasa et l’inté-


d’enseignants.

rieur du pays, du fait de la prime de transport qui équivaut au


double du salaire de base de la majorité des enseignants de l’in-
térieur du pays. Les enseignants des zones rurales n’ont en effet
aucune prime de logement et une prime forfaitaire de 1 000
francs congolais (2,22 dollars) pour le transport. En moyenne, les
enseignants hors de Kinshasa touchent un salaire qui équivaut
au tiers de celui versé à Kinshasa et qui représente généralement
moins de 10 dollars par mois.
Mais ces montants, aussi faibles soient-ils, sont eux-mêmes théo-
riques, car leur paiement est depuis de longues années irrégu-
lier. En moyenne, seulement 65% des salaires dus ont effective-
ment été payés aux enseignants en 2002. Il en a résulté une série
de grèves en janvier 2004, en février 2005 et en septembre 2005.
Un début de solution a été trouvé pour les questions administra-
tives, puisqu’un arrêt ministériel a titularisé les enseignants du
primaire et du secondaire de Kinshasa qui n’étaient jusque là
que des agents temporaires. Les questions salariales ont reçu
moins d’écho, même si une prime de 30 000 francs congolais a
été accordée aux enseignants de Kinshasa. Les organisations
syndicales, qui revendiquent au minimum 20% du budget de
l’État consacré à l’éducation alors qu’il plafonne à 7,5% en 2005,
République démocratique du Congo l 47

annoncent de nouvelles actions dans le futur.


La situation est en effet d’autant plus grave que depuis près de
vingt ans, ce sont les parents d’élèves qui paient la plus grande
part des dépenses des écoles, aussi bien publiques que privées.
Les frais scolaires à payer par les familles dépendent des écoles
et des provinces. Les frais sont deux à trois fois plus élevés dans
le secondaire que dans le primaire et les frais supportés par les
parents sont deux à trois fois plus élevés que les dépenses de
l’État dans le primaire et trois à dix fois supérieures dans le
secondaire. Dans les grandes écoles du réseau catholique
conventionné, qui représente 45% du secteur, les frais scolaires
peuvent atteindre 150 à 250 dollars par an, ce qui est très élevé
si on se réfère au salaire des enseignants ou au PIB par habitant.
L’Église est elle-même très divisée sur la question, tant beau-
coup se sont habitués à toucher cette « rente scolaire » à laquelle
ils sont désormais attachés.
Sur 100 francs de frais scolaires assumés par les parents, 80
francs sont affectés au paiement des salaires des enseignants, ce
qui fait du paiement des salaires par l’État un défi majeur du
système éducatif congolais. En moyenne, les salaires payés par
l’État ne représentent qu’un tiers de la rémunération totale des
enseignants du primaire et un cinquième de celle des ensei-
gnants du secondaire. Par exemple, un enseignant du primaire
qui touche de l’État 17 dollars par mois à Kinshasa recevra une
prime de motivation des parents de 30 dollars, pour atteindre un
salaire total de 47 dollars. Hors de Kinshasa, la prime payée par
les parents varie entre 5 et 18 dollars pour un salaire total allant
de 12 à 20 dollars. Au niveau supérieur, les familles paient entre
70 et 85% du coût de fonctionnement des établissements. 8
Cette réalité provoque évidemment de nombreux effets pervers.
8/. Banque mondiale,
Le renouveau du
Le taux de scolarisation est la première victime de ce système,
système éducatif de

puisqu’un enfant dont les parents n’ont pas les moyens de payer
la République

les frais scolaires dus ne sera pas autorisé à suivre les cours. Le
démocratique du
Congo : Priorités et

fait que ces primes de motivation, à l’image du salaire payé par


alternatives, janvier

l’État, ne soient pas payées régulièrement a évidemment de


2005, pp. 84-86.

lourdes conséquences sur la motivation des enseignants, surtout


dans les régions pauvres où les familles sont totalement dému-
nies. Par ailleurs, les enseignants, dont le maigre salaire n’est
payé qu’irrégulièrement, ont tendance à privilégier les enfants
dont les parents paient régulièrement la prime de motivation.
En outre, le corps enseignants est assez vieux : près de 30% des
enseignants ont plus de 50 ans et 23% d’entre eux ont dépassé
48 l Analyse contextuelle

l’âge de la retraite, du fait que l’État n’est pas en mesure de


payer les indemnités prévues.
Ces effets pervers ont évidemment de lourdes conséquences sur
la qualité de l’enseignement, surtout qu’il n’existe pas de sys-
tème de formation continue des enseignants et que le manque
de matériels pédagogiques est généralisé. Il n’est pas rare de
voir en milieu rural une classe de primaire où les cours sont don-
nés par un enseignant doté du seul diplôme de primaire. En ce
qui concerne le niveau supérieur, alors que seuls les professeurs
détenteurs d’un doctorat sont habilités à enseigner en dernière
9/. Banque mondiale,

année, ils ne représentent que 17% du corps professoral. 9


op. cit., pp. 104 et
124-125.

Matériels et infrastructures scolaires

Alors qu’il a été prouvé que le taux de réussite des élèves est for-
tement tributaire de l’existence d’au moins un manuel scolaire
par élève, la majorité des élèves du primaire en est démunie.
Dans certaines régions, les élèves n’ont jamais vu un manuel
scolaire ! La coopération belge a tenté de répondre partiellement
à ce problème, en distribuant des manuels de français et de
mathématiques, mais l’accompagnement pédagogique a en par-
tie fait défaut et l’accès à certaines régions, du fait de l’absence
de routes, est très difficile et donc très coûteux. L’Unicef a égale-
ment produit des modules et des manuels scolaires, mais sans
que ces actions limitées aient été relayées par l’État congolais.
Les programmes (il en existe huit) sont dépassés et sont tous à
réécrire. Par ailleurs, la direction des programmes forme des ins-
pecteurs censés former les enseignants, mais leur nombre est
trop réduit pour assurer un effet multiplicateur, surtout dans les
régions les plus pauvres. Enfin, les programmes du supérieur
sont pour la plupart devenus obsolètes, puisque la dernière révi-
sion date de 1981.
Les infrastructures scolaires sont également en mauvais état.
Selon les provinces, entre un tiers et un cinquième des écoles pri-
maires sont en mauvais état et la plupart des écoles dans certai-
nes provinces (Équateur, Kasaï oriental, Kasaï occidental) sont
totalement dépourvues d’un accès à l’eau. Dans le secondaire,
moins des deux tiers des écoles ont des classes en bon état, un
tiers seulement des écoles dispose de toilettes opérationnelles et
un quart n’a pas d’accès à l’eau, ce qui a évidement un impact
tout particulier sur la scolarisation des filles. En définitive, la
République démocratique du Congo l 49

plupart des établissements doivent être réhabilités et une bonne


partie des nouvelles classes construites ces dernières années
l’ont été en matériels non durables.
Le nombre d’élèves par classe est inégal selon les régions, mais
la norme fixée par l’État pour le primaire (entre 26 et 50 élèves
par classe) n’est pas respectée. Bien que la taille moyenne des
classes de première année primaire est de 40 élèves, 19% des éco-
les ont moins de 26 élèves par classe et 25% ont plus de 50 élè-
ves. Globalement, 40% des élèves du primaire vivent dans des
classes en sureffectif. Cette réalité n’est pas de mise pour le
secondaire, où les classes comprennent entre 15 et 28 élèves, du
fait du faible taux de scolarisation. Mais dans le supérieur, les
effectifs dépassent dans la plupart des établissements les capaci-
10/. Banque

tés théoriques d’accueil. 10


mondiale, op. cit.,
pp. 75-78 et 105-108.

État d’avancement relatif


aux Objectifs du millénaire

Il est évident que l’objectif de scolarisation universelle à l’hori-


zon 2015 relève de l’utopie pure en République démocratique
du Congo. Le taux net de scolarisation n’est que de 51% et cette
moyenne masque une inégalité d’accès significative entre les
garçons et les filles dans les zones rurales. Pis, la proportion des
enfants qui entrent à l’école primaire à l’âge légal (6 ans) est pas-
sée de 22,5 à 13,9% entre 1995 et 2001. Le taux d’achèvement en
primaire est également très faible (29%) et le taux d’alphabétisa-
tion est très inégal entre les filles et les garçons (65,3% au total,
dont 79,8% pour les hommes et 51,9% pour les femmes). Le pire
est qu’il n’existe pas de plan pour l’éducation au sein du gouver-
nement de transition, qui a connu pas moins de quatre ministres
de l’éducation différents en moins de trois ans, ce qui ne permet
évidemment pas de politique stable en la matière.
50 l

Analyse systémique

La situation catastrophique du système éducatif congolais a des


raisons historiques, politiques et financières évidentes. Mais on
ne peut prendre toute la mesure de ces causes sans analyser les
interactions qui existent avec d’autres problématiques, comme
la question du genre, de l’accès aux soins de santé ou de la
condition des enfants.

La dimension genre

Si le Congo-Zaïre n’a jamais atteint la scolarisation primaire uni-


verselle, cela est dû au fait que le taux de scolarisation des filles
a toujours été faible. Le taux brut de scolarisation primaire des
garçons a longtemps dépassé les 100%, puisqu’il était déjà de
102% en 1960, était passé à 116% en 1970 et atteignait encore
104% en 1983. Le taux des filles a dans un premier temps pro-
gressé lentement mais sûrement, passant de 39% en 1960 à 72%
en 1978, mais il s’est ensuite dégradé pour n’atteindre que 56%
au début des années 2000.
Dans le secondaire, le taux de scolarisation des garçons est passé
de 3 à 35% entre 1960 et 1978, puis s’est stabilisé autour de 30%
jusqu’à aujourd’hui. Les filles ont quant à elles vu leur taux passer
de 1 à 13% entre 1960 et 1980, taux qui a stagné durant les années
1980 et n’a que très légèrement augmenté durant les années 1990
pour atteindre 17% selon les dernières statistiques disponibles.

Taux brut de scolarisation primaire par genres

Année 60-61 70-71 73-74 76-77 82-83 86-87 89-90 95-96 99-00 01-02
Garçons 102% 116% 110% 106% 104% 82% 64% 97% 49% 72%
Filles 39% 67% 71% 71% 68% 64% 45% 59% 49% 56%

Source : Banque
mondiale (2005)

Les causes avancées pour expliquer cette réalité sont de deux


ordres : culturelles et économiques. Dans les campagnes, les fil-
les doivent rester près du domicile familial pour assurer le tra-
vail domestique (on parle de « filles cadenas »), comme la corvée
République démocratique du Congo l 51

d’eau, de bois ou la garde des enfants. Cette situation est exacer-


bée par le fait que la majorité des villages n’ont pas d’école,
puisqu’il existe à peu près une école primaire pour cinq villages,
soit en moyenne une école pour 120 km2. Lorsqu’il existe une
école, elle n’est que rarement dotée d’infrastructures sanitaires
adéquates pour les filles.
En outre, les filles se fiancent très tôt, dès l’âge du début du
secondaire, afin de percevoir une dote, et il reste certains préju-
gés selon lesquels si les filles étudient, elles ne respecteront pas
leur mari. Mais ce type d’explication culturelle est secondaire,
car il n’est plus de mise dans les villes, surtout à Kinshasa, et
reste limité aux régions les plus pauvres et les plus retirées des
zones rurales.
C’est dès lors l’explication économique qui prévaut, tant le dés-
investissement de l’État a incité les familles à faire des choix
dans la scolarisation de leurs enfants. Il existe d’ailleurs dans
certaines régions des cas où ce sont les filles qui sont privilégiées
par leur famille pour aller à l’école, comme à Mbuji Mayi où cer-
taines familles préfèrent envoyer les garçons à la recherche de
diamants. Il n’empêche que la discrimination de genre reste un

Source : Banque
mondiale (2005)

Représentation des filles à l’école primaire et secondaire en pour cent


des inscriptions de 1ère année (2001-2002)

Provinces 1ère primaire 1ère secondaire

Kinshasa 50% 55%


Bas-Congo 47% 39%
Bandundu 47% 42%
Équateur 46% 45%
Kasaï oriental 45% 37%
Kasaï occidental 44% 29%
Katanga 45% 33%
Maniema 44% 32%
Nord-Kivu 43% 36%
Province orientale 46% 42%
Sud-Kivu 43% 32%
Total 46% 39%
52 l Analyse systémique

fléau des plus répandus en-dehors de Kinshasa, et cette réalité a


notamment un impact majeur sur le taux de scolarisation des
populations congolaises.

L’accès aux soins de santé

L’accès à la santé est un autre obstacle pour le système éducatif


congolais. Le fait que la majorité des écoles congolaises ne sont
pas dotées d’accès à l’eau potable ou de latrines hygiéniques
expose les enfants (surtout les filles) à des infections diverses. Le
taux de mortalité, qu’il soit maternel ou infantile, est très élevé,
du fait du mauvais état des infrastructures sanitaires et du non
accès aux soins de santé.
Il existe un système limité de mutuelle de santé pour les ensei-
gnants, soutenu par le programme STEP (stratégies et techni-
ques contre l’exclusion sociale et la pauvreté) du BIT, à partir
d’un premier noyau formé par le réseau des écoles catholiques.
La cotisation s’élève à 3 dollars par mois, mais seuls 5% des
bénéficiaires potentiels participent, essentiellement les ensei-
gnants des écoles dont le droit d’inscription des parents est le
plus élevé. Le problème est donc clairement économique, puis-
que même les salariés ont du mal à cotiser.
Source : PNUD
(2005)

Indicateurs de santé en République démocratique du Congo

Dépenses publiques en santé (en pourcent du PIB) Ü 1,2


Probabilité à la naissance de ne pas survivre jusqu’à 40 ans
(en pourcent de la cohorte) Ü 45,4
Population privée d’accès à un point d’eau aménagé (en pourcent) Ü 54
Accouchements assistés par un personnel de santé qualifié (en pourcent) Ü 61
Nombre de médecins pour 100 000 habitants Ü 7
Population disposant d’installations sanitaires de qualité (en pourcent) Ü 29
Personnes souffrant de malnutrition (en pourcent) Ü 71
Espérance de vie à la naissance (en années) Ü 43,1
Taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans 205
(pour 1000 naissances vivantes) Ü
Taux de mortalité maternelle (pour 100 000 naissances vivantes) Ü 990
Taux de prévalence du VIH (pourcentage des 15-24 ans) Ü 4,2
République démocratique du Congo l 53

Le Sida est un autre fléau important. Le taux de prévalence en


RDC est, selon le PNLS (Programme national de lutte contre le
Sida), de 4,5%, avec des différences entre les provinces, par
exemple entre Kinshasa, où le taux est relativement faible, et le
Sud-Kivu, où le taux est plus élevé du fait de la guerre et des
déplacements de populations. Le Sida provoque notamment des
pertes dans le corps enseignant, ce qui provoque des perturba-
tions dans les classes et implique des remplacements en catas-
trophe. Les nombreux cas de jeunes étudiants contaminés
lorsqu’ils arrivent en fin d’étude ont en outre un impact sur le
nombre des diplômés.
Pis, la situation économique exacerbe le fléau, car des étudian-
tes sont contraintes de se prostituer pour avoir les moyens de se
payer leurs études, ce qui peut ensuite aboutir à la contamina-
tion de leur conjoint. Mais le plus grave est sans doute l’exis-
tence dans le supérieur d’un système de « points sexuellement
transmissibles » et de la règle tacite « 12 avec, 16 sans » : les étu-
diantes « monnayent » ainsi leurs résultats avec les professeurs
qui octroient une cote de 12 sur 20 si l’acte sexuel se produit
avec préservatif et une cote de 16 sur 20 s’il se produit sans pro-
tection !
L’accès à la trithérapie est évidemment un enjeu majeur pour
les personnes contaminées, mais elle n’est pas accessible à tout
le monde, notamment du fait de son prix. L’objectif du PNLS est
d’aboutir à un prix de 29 dollars, alors que l’on vient d’un prix
de 100 dollars par mois à Kinshasa, mais on n’y est pas encore.
Le prix a déjà commencé à baisser grâce à des subventions ver-
sées par la Banque mondiale et des pays comme le Canada et le
Japon, mais les prix varient d’une province à l’autre, notam-
ment du fait que dans les régions frontalières à d’autres pays,
les personnes peuvent aller se fournir à l’étranger. Mais en
général, la situation en milieu rural est catastrophique en
matière d’infrastructures, d’accès aux médicaments et de for-
mation – par exemple, certaines communautés traditionnelles
en milieu rural sont encore persuadées que le Sida provient de
la sorcellerie. Les problèmes de rupture de stock de molécules
sont en outre fréquents, alors qu’il ne faut pas d’arrêt lorsque
l’on suit une trithérapie.
54 l Analyse systémique

La condition des enfants

Enfants des rues, enfants soldats, orphelins, enfants travail-


leurs… On ne peut évoquer la problématique de l’éducation en
République démocratique du Congo sans parler des 30 000
enfants soldats émanant des deux guerres, des 15 000 enfants
des rues qui représentent de véritables « bombes sociales à retar-
dement » et provoquent l’insécurité dans les villes, des dizaines
de milliers d’orphelins et d’enfants sans parents biologique
« confiés » à une autre famille – l’UNICEF estime que 3,1% des
enfants de 0 à 14 ans sont des orphelins et 9% des enfants
« confiés » 11. Il faut ajouter à ce panorama les nombreux enfants,
en majorité des filles, qui sont contraints pour des raisons écono-
11/. UNICEF, MICS,
2001.

miques de manquer l’école pour remplir des travaux divers


pour le compte de leur famille.
Réinsérer ces enfants dans l’école est un défi aussi fondamental
que périlleux. Des initiatives existent, mais leur ampleur est
limitée. Les Affaires sociales et l’UNICEF ont mis sur pied un
programme de trois ans pour permettre aux enfants des rues de
rattraper leur retard dans les six années du primaire, mais l’ex-
périence qui est concluante n’a pas été développée outre mesure
par l’État congolais. Des modules existent également pour
redonner confiance aux enfants soldats, mais eux aussi ne sont
en rien suffisamment développés. Ces modules ont pour but de
redonner confiance à ces enfants qui, ayant abandonné leur
habit militaire, se sentent faibles et perdent confiance en eux.
Encore plus graves sont les cas des filles qui ont suivi des soldats
adultes et qui leur ont servi d’esclaves sexuelles. Ces filles, qui
ont parfois à peine 12 ou 13 ans, sont rejetées par les gens et cer-
taines ne parlent plus et se lavent toute la journée parce qu’elles
se sentent « sales ».
République démocratique du Congo l 55

Conclusion

Les besoins en matière d’éducation sont gigantesques en Répu-


blique démocratique du Congo, à la fois en termes financiers,
humains et matériels. Mais au-delà de ces moyens, il y a égale-
ment un urgent besoin de gouvernance, c’est-à-dire d’une vision
politique insufflée par un gouvernement qui mobilise dans la
durée et de manière cohérente les moyens nécessaires à ses
ambitions.
La priorité absolue est évidemment que l’État congolais prenne
en charge dans des proportions suffisantes le coût de l’éduca-
tion. Les corollaires de cette mesure sont que la prise en charge
par les parents des frais scolaires soit abolie et que les salaires
des enseignants soient revalorisés et payés régulièrement. Évi-
demment, les recettes de l’État congolais sont actuellement telles
que cela nécessitera la mobilisation d’une importante aide exté-
rieure.
Dans son étude sur le renouveau de l’éducation en République
démocratique du Congo 12, la Banque mondiale définit quatre
scénarios, du plus ambitieux au plus réaliste, afin que le pays
12/. Banque
mondiale, Le
atteigne l’éducation primaire universelle en 2015, comme le
renouveau du

demandent les Objectifs du millénaire. Selon les différents scé-


système éducatif de

narios, le budget de l’État affecté à l’éducation s’élève de 19% à


la République
démocratique du

35% et l’aide extérieure affectée au secteur de 2,7 à 4,9 milliards


Congo. Priorités et

de dollars. Même pour le scénario 4, jugé par la Banque le seul


alternatives, 2005.

« raisonnable », 80% de l’aide extérieure seraient destinés à


l’éducation primaire pour financer les constructions et réhabili-
tations des infrastructures, les systèmes de formation des ensei-
gnants, les manuels scolaires, les investissements immatériels et
l’aide alimentaire pour les cantines scolaires.
La formation continue des enseignants et le soutien pédagogi-
que est une autre priorité. Les programmes de formation des
inspecteurs et des enseignants doivent être développés, afin
qu’il puissent s’étendre sur tout le territoire à destination de tout
le corps enseignant. Les ISP (Instituts supérieurs pédagogiques)
pourraient par ailleurs être transformés en écoles normales afin
de former des enseignants en suffisance.
Par ailleurs, des programmes d’envergure doivent être dévelop-
pés à destination des enfants en profond « décrochage », comme
les enfants des rues et les enfants soldats, mais aussi ceux qui ont
abandonné l’école de manière précoce, afin de les réinsérer dans
56 l Conclusion

l’école. Un plan doit également viser la scolarisation des filles à


l’intérieur du pays, notamment via des programmes pédagogi-
ques cassant les préjugés sexistes qui subsistent dans certaines
régions. L’accès aux soins de santé et aux infrastructures sanitai-
res de base, à l’intérieur et en dehors des écoles, doit également
être développé.
Les besoins en termes d’infrastructures et de manuels scolaires
sont également importants. Un programme de construction/
réhabilitation des établissements scolaires sur tout le territoire
est nécessaire, non seulement pour garantir des établissements
de qualité suffisante, mais aussi pour accentuer les possibilités
d’accès dans les zones rurales, où les établissements sont rares et
donc parfois très éloignés des villages. Les besoins sont égale-
ment importants en matière de production de manuels scolaires
(réécriture, impression et distribution sur tout le territoire) et de
matériels pédagogiques.
En définitive, comme le dénonce notamment Martin Ekwa,
ancien président du Bureau de l’enseignement catholique (BEC)
du Congo, la principale cause du système éducatif du pays est
« le manque de gestion de la res publica dans laquelle l’école se
situe » 13. Il est symptomatique de constater qu’il n’existe actuel-
lement pas de véritable plan gouvernemental pour l’éducation
13/. Martin Ekwa, op.
cit., p. 11.
en République démocratique du Congo, dont l’histoire récente a
été pour le moins agitée. Cela devra être une des priorités du
gouvernement démocratique qui émanera de la période de tran-
sition « inclusive » qui a occupée le pays depuis le 30 juin 2003.
L’éducation
au Rwanda
LAC
EDOUARD

OUGANDA

RÉPUBLIQUE
DÉMOCRATIQUE
DU CONGO
●Gisenyi RWANDA
LAC
LAC Kigali●
VICTORIA
KIVU

Butare●

BURUNDI

TANZANIE

LAC
TANGANYIKA
Échelle 200 km
Rwanda l 59

Analyse historique

L’histoire particulière du Rwanda, marquée par le génocide de


1994 et la reconstruction du pays, a évidemment façonné l’évo-
lution du système éducatif. Le nouveau pouvoir rwandais a fait
de la scolarisation primaire universelle un objectif prioritaire et
s’est lancé dans un vaste plan d’investissements et de réforme
des programmes scolaires, adaptés à la nouvelle vision qu’il est
décidé à insuffler au pays. Soucieux de reconstituer les cadres
du pays, le gouvernement a cependant opté pour une distribu-
tion élitiste des ressources, faisant la part belle au cycle supé-
rieur et provoquant des déficiences budgétaires dans le primaire
et le secondaire.

Histoire sociopolitique

D’abord colonie allemande, le Rwanda, qui formait depuis 1898


avec le Burundi actuel le Ruanda-Urundi, se retrouve sous
administration belge à la fin de la première guerre mondiale.
L’administrateur belge, qui avait introduit en 1931 un livret
d’identité mentionnant l’appartenance à l’ethnie hutu, tutsi ou
twa, avait appuyé sa politique de colonisation sur l’élite tutsi,
avant que cette dernière ne se révèle trop anti-coloniale à ses
yeux et ne soit remplacée, lors de la « révolution sociale » de
1959, par une élite hutu, ce qui provoqua l’exil de milliers de
réfugiés tutsi.
Après s’être séparé du Burundi en 1961, le Rwanda accède à l’in-
dépendance en 1962 et est dirigé sans partage par un régime
hutu jusqu’en 1994. D’abord par Grégoire Kayibanda, qui
accède en 1962 à la présidence du Rwanda indépendant, sur
fond de massacres de milliers de Tutsi. Ensuite par l’ancien
major Juvénal Habyarimana, après son coup d’État de 1973, sur
fond d’affrontements ethniques et d’exode important de popu-
lations tutsi.
Ainsi, le clivage artificiel entre hutu et tutsi continuera de mar-
quer l’histoire du Rwanda post-colonial. Elle sera exploitée par
les régimes successifs de Kayibanda et d’Habyarimana, soute-
nus par leurs parrains français et belge et par l’Église catholique,
pour asseoir leur pouvoir sur la hantise du retour de la minorité
tutsi. Cette image fut renforcée par le régime d’Habyarimana
60 l Analyse historique

après que le FPR, composé de réfugiés tutsi en Ouganda et


dirigé par Paul Kagame, ait attaqué le Rwanda depuis l’Ou-
ganda, en octobre 1990, et ait été repoussé par l’armée rwandaise
épaulée par les troupes françaises et le Zaïre de Mobutu.
La base économique du pays est essentiellement rurale (90%),
occupée d’abord à une agriculture de subsistance, et la densité
de population, la plus forte d’Afrique, a créé une forte pression
sur les terres cultivables et engendré d’inévitables tensions. Dès
le début des années 1980, le Rwanda s’est spécialisé dans l’ex-
portation du thé et du café. Le modèle, financé par les prêts des
institutions financières internationales, a fait illusion quelques
années, jusqu’à ce que les cours du café et du thé s’effondrent.
Quelques semaines avant le début de la guerre de 1990, le
Rwanda a lancé un programme d’ajustement structurel avec le
FMI et la Banque mondiale et a dévalué sa monnaie de 67%,
licencié dans la fonction publique, réduit les soutiens aux pay-
sans et gelé le prix d’achat du café aux producteurs locaux, dont
des centaines de milliers se sont retrouvés ruinés.
Les comités Interahamwe, qui rassemblent des extrémistes hutu,
se mettent en place en 1992 et le projet des massacres arrive à
maturité, après qu’une série de tueries sélectives ait été consta-
tée au Rwanda en janvier 1991 et mars 1992. L’attentat du 6 avril
1994 contre l’avion d’Habyarimana déclenche ensuite le géno-
cide, qui prend fin le 4 juillet 1994 par la prise de Kigali par les
troupes du FPR et par la mise sur pied, le 19 juillet, d’un nou-
veau gouvernement dirigé par le président hutu Pasteur Bizi-
mungu et le vice-président Paul Kagame.
Après une première crise gouvernementale, qui débouche le 25
août 1995 sur la démission puis l’exil du Premier ministre Faus-
tin Twagiramungu, le Rwanda s’allie à l’Alliance des forces
démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) pour
démanteler les camps de réfugiés hutu qui menacent ses frontiè-
res depuis l’est du Zaïre, et faire tomber au passage la dictature
de Mobutu en mai 1997. Arguant de son « droit de poursuite »
des génocidaires rwandais qui continuent de menacer ses fron-
tières à l’est du Congo, le Rwanda soutient un mouvement
rebelle, le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie),
et provoque une seconde guerre en territoire congolais à partir
d’août 1998, opérant au passage de multiples pillages des res-
sources locales et allant jusqu’à affronter son allié ougandais à
plusieurs reprises à Kisangani (1999 et 2000) pour le contrôle des
richesses diamantifères.
Rwanda l 61

Après l’organisation des premières élections locales en mars


1999, la transition est prolongée de quatre ans. Une seconde crise
gouvernementale, marquée par les démissions successives du
président de l’Assemblée nationale transitoire Joseph Sebarenzi
(7 janvier 2000), du Premier ministre Pierre Célestin Rwigema
(28 février 2000) et du président Pasteur Bizimungu (23 mars
2000), débouche le 22 avril 2000 sur l’accession à la présidence
de Paul Kagame jusqu’à la fin de la transition prévue en 2003.
Après que le bannissement du MDR (le Mouvement démocrati-
que rwandais, principal parti d’opposition dont faisaient notam-
ment partie Joseph Sebarenzi, Célestin Rwigema et Faustin Twa-
giramungu) ait été décrété coupable de « divisionnisme »
(19 mai 2003) et que la nouvelle Constitution ait été adoptée par
référendum le 26 mai 2003, Paul Kagame est élu pour sept ans
président du Rwanda le 25 août 2003. Le FPR remporte ensuite
73% des voix lors des élections législatives du 2 octobre 2003.
Le Rwanda s’est lancé depuis quelques années dans un ambi-
tieux programme national de réduction de la pauvreté qui vise
à impliquer directement les collectivités locales par la voie de la
décentralisation, comme le préconisent les institutions financiè-
res internationales. Évoquer le clivage entre hutu et tutsi est dés-
ormais passible d’astreinte en justice pour « divisionnisme » et
tout le monde est censé s’aligner derrière le nouveau « consen-
sus » forgé par le FPR. Pour ses défenseurs, le FPR est devenu un
grand mouvement rassembleur dont le pays a besoin ; pour ses
détracteurs, cet « État FPR » n’a pour vocation que de faire dis-
paraître toute réelle opposition.
Quoi qu’il en soit, dans un pays marqué par un important
clivage social entre Kigali et les campagnes, les politiques sont
désormais marquées par un volontarisme insufflé par le sommet
d’un État omniprésent et totalement refaçonné, ce y compris en
terme de découpage territorial, puisque les provinces sont
appelées à disparaître au profit de cinq régions et trente districts.

Histoire du système éducatif

Durant la période coloniale, le système éducatif rwandais était


géré par des missionnaires et focalisé sur l’évangélisation et la
formation d’administrateurs au pouvoir colonial. Il était caracté-
risé par la discrimination ethnique. À l’indépendance, des struc-
tures administratives nationales chargées de l’éducation, dont le
62 l Analyse historique

ministère de l’éducation, furent mises en place. Mais à partir du


début des années 1980, le secteur de l’éducation fut mis à mal
par la diminution des dépenses imposée par les politiques
d’ajustement structurel.
En 1987, le parti unique (MRND) décréta un équilibre ethnique
et géographique dans le système éducatif, mais cet objectif fut
rapidement détourné de son sens lors de sa mise en application,
puique caractérisé par la favorisation systématique des proches
des gestionnaires, notamment à Kigali et surtout à Giseny, pré-
fecture du président de la République de l’époque.
En 1992, le système connut finalement une ouverture et plus de
transparence, avec la publication officielle de tous les résultats
de l’examen national à la fin de chaque cycle scolaire. Com-
mença alors une dépolitisation de l’enseignement, promue par
le ministre Agathe Uwilingiyimana, qui deviendra ensuite Pre-
mier ministre, avant d’être assassinée au début du génocide.
Depuis la seconde partie des années 1990, le secteur de l'éduca-
tion au Rwanda a évolué rapidement dans le cadre de la recons-
truction économique, sociale et politique du pays. Après le
génocide, le gouvernement a fait de l’éducation une des priori-
tés de la politique de développement dans un contexte socioéco-
nomique complètement dévasté où tout était à refaire. La prio-
rité a été mise sur la reconstruction des écoles, la réhabilitation
des infrastructures scolaires et la promotion de l'accès universel
au cycle primaire. L’effectif d’enseignants devait également être
reconstitué, ainsi qu’un capital humain hautement qualifié. Ces
axes prioritaires se sont concrétisés en 1998, lors de l’adoption
de la politique sectorielle sur l’éducation, inscrite dans le cadre
de la « vision 2020 » du gouvernement, qui inclut notamment
l’Éducation primaire universelle (EPU) vers les années 2010,
l’Éducation de base pour tous (EPT) vers 2015 et la promotion
des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Cette politique s’est ainsi dotée d’un plan stratégique du secteur
de l’éducation de 2005 à 2010.
En terme de financement, les dépenses publiques, accompa-
gnées d’une importante dose d'aide internationale, ont permis
au Rwanda de redresser en quelques années la situation catas-
trophique d'après génocide. Entre 1996 et 2001, les dépenses
consacrées à l'éducation ont considérablement augmenté,
jusqu’à représenter la moitié des revenus publics du pays. Mais
ces chiffres sont à prendre avec précaution, car il s’agit des reve-
nus nets de l’aide extérieure. Or le gros du budget du Rwanda,
Rwanda l 63

surtout pendant cette période, provient de l’aide extérieure. Elle


constitue encore actuellement environ 60% du budget total. Le
financement de la politique d’éducation est dès lors fortement
tributaire des orientations de l’aide internationale. Sur un total
d’environ 2 milliards de dollars d’aide en 2004, plus d’un quart
(575,70 millions) a été consacré à l’administration publique, le
deuxième poste le plus financé étant l’enseignement (255,57 mil-
lions), suivi de la protection sociale (177,81 millions), de l’agri-
culture (173,29 millions), de l’habitat (171,09 millions) et de la
santé (165,51 millions). 1 1/. PNUD, 2004.

Évolution des dépenses publiques en éducation

Année 1984 1985 1987 1996 1999 2000 2001


% PIB 3,3 3,1 3,5 3,2 4,3 4,0 5,5
% dépenses globales 22,1 18,9 16,1 14,5 21,9 21,0 25,6
% revenus publics 2 36,8 31,2 30,5 35 43,8 40,3 50,2

Source : Banque
mondiale (2003)

L’un des principaux problèmes de l’éducation au Rwanda est


l’insuffisance, et surtout, la mauvaise répartition de ressources
2/. Revenus nets de

financières. Le système éducatif rwandais se compte parmi les


dons et d’aide
internationale.

plus inéquitables des pays en développement. Ainsi, en 2000, le


secteur public rwandais a dépensé 15% du budget total en édu-
cation pour les 20% les plus pauvres, alors qu’il a consacré 28%
des ressources disponibles aux 20% les plus riches 3. Depuis la
fin des années 1990, le gouvernement a également fortement
3/. Banque mondiale,
op. cit., p. 88.

investi dans le cycle supérieur, mais cela s’est fait au détriment


du primaire et du secondaire.
Selon les statistiques officielles, plus de 40% des dépenses tota-
les en éducation sont consacrées aux études supérieures, alors
qu’elles ne couvrent qu’environ 2% de la population. En termes
absolus, en 2004, l’enseignement primaire a reçu 30 milliards de
FRW contre 4 milliards pour le secondaire et 13 milliards pour le
supérieur 4. Selon la Banque mondiale, le cycle supérieur absor-
bait globalement en 1999 environ septante-cinq fois plus de res-
4/. Entretien UNICEF.

sources publiques par étudiant que le cycle primaire. Le secon-


daire, quant à lui, dépensait environ cinq fois plus par étudiant.
Cette tendance ne cesse de s’accentuer et les derniers chiffres
montrent que les dépenses publiques au supérieur sont plus de
64 l Analyse historique

nonante-cinq fois celles du primaire, voire deux cent septante-


cinq fois plus lorsqu’on tient compte des bourses à l’étranger 5 !
Afin de réduire les dépenses dans l’enseignement supérieur, le
5/. Banque mondiale,
op. cit., p. 69.
gouvernement a mis fin au programme des bourses pour le rem-
placer par un système de prêts individuels octroyés aux étu-
diants. Mais sans ce système de bourses, les étudiants sans
moyens financiers peuvent se retrouver exclus du supérieur,
renforçant encore l’inégalité qui caractérise le système éducatif
actuel.
Source : Banque
mondiale (2003)

Évolution des dépenses publiques en pour cent des dépenses courantes totales

Année 1982 1985 1988 1996 1999 2001


Primaire 62,7 59,5 59 70,1 47,7 45,2
Secondaire 24 27,2 25,5 15,2 18,5 17,6
Supérieur 13,2 13,3 15,4 14,7 33,8 37,3

Évolution de quelques indicateurs de qualité d’enseignement en primaire, en pour cent

Année 97/98 98/99 99/00 00/01 01/02 02/03 03/04 04/05


Scolarisation nette - 69,9 72,2 73,3 74,5 91,2 93,0 93,5
Achèvement - - 21,8 24,2 29 ,6 38,1 44,9 -
Transition primaire
/secondaire 21 38 42 37 43 45 - -
Redoublement 32,1 38,1 37,6 31,8 17,2 20,6 19,2 -
Abandon 11,7 11,4 12,6 14,2 16,6 15,2 14 -

Source : Mineduc
(2005)

La politique éducative du gouvernement a permis une évolution


considérable du taux de scolarisation et de rendement scolaire.
Le taux net de scolarisation primaire est passé de 69,9% à 93,5%
entre 1999 et 2005, le taux d’achèvement de 21,8% à 44,9% entre
2000 et 2004 et le taux de redoublement de 38,1% à 19,2% entre
1999 et 2004. Mais le taux d’abandon reste élevé (14% en 2004) et
l’impressionnante augmentation du taux de scolarisation ne doit
pas masquer le fait que plus de la moitié des élèves n’achèvent
toujours pas le cycle primaire.
Rwanda l 65

Analyse contextuelle

La politique éducative au Rwanda est entièrement alignée sur


les objectifs de développement et de lutte contre la pauvreté
adoptés au niveau international. L'amélioration de l'éducation
figure parmi les objectifs prioritaires du dernier Document stra-
tégique de réduction de la pauvreté (DSRP). La politique natio-
nale de lutte contre la pauvreté s'inspire largement de la Décla-
ration du millénaire et des Objectifs du millénaire pour le déve-
loppement. Le pays a en outre intégré dans sa politique le pro-
gramme international de l'éducation pour tous (EPT) et est sur
le point d’être élu pour l’initiative Fast Track.
Depuis la fin du génocide, des efforts importants ont été
déployés dans le but d'atteindre la scolarisation primaire univer-
selle, tout en atteignant un niveau de parité de genre exception-
nellement élevé par rapport au reste de l'Afrique. Ainsi, le
Rwanda avait déjà atteint en 2000 la parité filles/garçons dans le
cycle primaire, tandis que son taux net de scolarisation primaire
atteint 93,5% en 2005.
Mais des disparités importantes persistent entre les régions et le
rendement scolaire est déficitaire en termes de taux d'achève-
ment, de redoublement et d’abandon scolaire. On observe dès
lors d’importantes performances quantitatives, mais de grandes
faiblesses qualitatives, renforcées par la faiblesse des salaires des
enseignants et les besoins en matière d’infrastructures et de
manuels scolaires.

Taux de scolarisation et de réussite

Depuis 1992, le système éducatif est divisé en quatre cycles : six


années d'enseignement primaire, trois années de secondaire
inférieur appelées « tronc commun », trois années de secondaire
supérieur et quatre années d'enseignement supérieur. Avant la
réforme de 1992, le cycle d'éducation primaire durait huit
années. Le gouvernement prévoit une nouvelle restructuration
qui fusionnerait le cycle primaire actuel au tronc commun, don-
nant lieu à un cycle de base d’une durée de neuf ans.
Le poids du secteur public est largement prépondérant par rap-
port au secteur privé, principalement au niveau primaire, où
presque la totalité des établissements scolaires sont publics. Mais
66 l Analyse contextuelle

la gestion privée dans l’enseignement est une priorité clairement


affichée par le gouvernement et la moitié des écoles secondaires
du pays sont privées. Il existe un troisième type d'écoles appelées
« libres subsidiées » et qui sont généralement gérées par des
organisations religieuses. Dans l'enseignement supérieur, le sec-
teur privé s'est fortement développé dès les années 1980 et le
pays compte six institutions publiques et huit privées 6.
6/. Chiffres pour
l’année 2003.

Répartition des écoles par type de gestion en primaire et secondaire

Gestion Publique Libre subsidiée Privée


Écoles primaires 27% 71% 2%
Écoles secondaires 19% 30% 51%

Scolarisation primaire et secondaire par zone géographique

TBS TNS Taux survie TBS TBS


primaire primaire 6e primaire secondaire supérieur
Urbaine 124% 93% 91% 29,9% 8,3%
Rurale 105,3% 87% 70% 5,5% 0,5%

Différences en scolarisation et de survie scolaire selon le niveau de revenus

Taux de scolarisation Taux de survie


primaire en 6e primaire
20% les plus riches 95% 93%
40% moyen 89% 68%
40% les plus pauvres 83% 64%

Source : Banque
mondiale (2003)

Avec une moyenne de 335 habitants par km2, la densité de popu-


lation du Rwanda se trouve parmi les plus fortes du continent
africain. Plus de 80% de la population habite dans des zones
rurales, même si la population urbaine a connu une forte crois-
7/. PNUD, Indicateurs sance (passant de 5,5% en 1991 à 16,9 en 2002), notamment dans
la ville de Kigali (avec 1.924 habitants par km2), à Gitarama et à
de développement

Butare 7.
du Rwanda, 2004,

Le taux de scolarisation primaire a fortement augmenté ces der-


p. 195.
Rwanda l 67

nières années, aussi bien pour les filles que pour les garçons.
Mais il existe des disparités très importantes au niveau de la sco-
larisation entre les villes et les zones rurales.
Une des causes de cette discrimination est l’accessibilité : dans le
primaire, 83% des écoles urbaines sont à moins de 30 minutes de
distance des habitations des élèves, pour seulement 51% en
milieu rural. Mais surtout, l’obstacle à l’éducation que repré-
sente l’inégalité des revenus est d’autant plus flagrant qu’on
avance dans le niveau d’enseignement : en cycle primaire, pour
10 enfants scolarisés issus des familles les plus riches, seulement
8 enfants scolarisés sont issus des familles les plus pauvres. Au
niveau du cycle secondaire, le rapport est de 1 à 10. La différence
devient beaucoup plus importante dans l’enseignement supé-
rieur, où le rapport est de 3 à 100 8. Or le système de financement
de l’éducation demeure, comme on l’a vu, inéquitable.
8/. MINEDUC, 2005.

Même si la politique du gouvernement vise la gratuité de l’en-


seignement primaire 9, les ménages doivent assumer une partie
importante des frais scolaires, ce qui pose des sérieuses difficul-
9/. Les subsides au
minerval en primaire
tés, car le Rwanda connaît un taux de pauvreté d’environ 60%,
sont passés de

ce qui le situe parmi les vingt pays les plus pauvres de la pla-
300FRw en 2004 à

nète. Tenant compte de la composition moyenne des ménages


1 000FRw en 2005.

(4,5 enfants), les frais de scolarisation deviennent un poids bud-


gétaire très important pour les familles.
Le niveau des dépenses pour les familles augmente au fur et à
mesure qu’augmente le niveau d’études. On passe ainsi d’envi-
ron 5 dollars par enfant et par an en primaire à près de 320 dol-
lars au niveau supérieur. Au total, les dépenses en éducation
supportées annuellement par les ménages représentent environ
41% des dépenses publiques annuelles en éducation 10. Le gros
de ces dépenses est consacré au minerval, aux livres et au maté-
10/. Banque
mondiale, op. cit.,
riel scolaire de base, aux uniformes et au transport. Compte tenu
p. 59.

de cette réalité, la scolarisation, mais aussi le taux de survie sco-


laire et de transition vers le secondaire, dépendent en grande
mesure du niveau des revenus des ménages.

Afin d’atteindre l’objectif de la finalisation du cycle primaire,


dans le cadre des Objectifs du millénaire, le gouvernement tente
par tous les moyens de faire reculer le taux de redoublement.
L’objectif est de réduire ce taux au niveau de 10% pour les
années à venir, alors qu’il atteignait encore 19,2% en 2004. On
assiste ainsi à la mise en œuvre de toute une série de mécanis-
68 l Analyse contextuelle

Proportion de frais scolaires supportés par les familles annuellement

Primaire Secondaire Supérieur

Gestion Public Privé Public Privé


Pourcentage d’étudiants payant
une partie de leur scolarité 97,9 99,5 97,4 97,2 93,8
Pourcentage du PIB per capita 2,2 12,7 46,6 69,2 151,5
Coût par étudiant en FRw 1 807 10 370 38 173 56 644 124 002

Source : Banque
mondiale (2003)

mes pour maximiser la survie scolaire. Il existe depuis peu des


examens de repêchage qui donnent plus de chances de réussite
aux étudiants. Plus largement, consigne est donnée aux ensei-
gnants d’éviter les redoublements jusqu’à la fin du primaire,
voire du tronc commun secondaire.
En ce qui concerne les abandons, l’une des raisons principales
est d’ordre économique car, on l’a vu, les familles doivent assu-
mer une partie importante des frais de scolarisation, notamment
le minerval. Il devient alors de plus en plus courant de permet-
tre aux élèves de continuer à assister aux cours même s’ils n’ont
pas payé leur minerval. Autant de mesures, officielles ou offi-
cieuses, qui visent à freiner et à faire régresser ces indicateurs
contraires aux objectifs fixés en matière d’éducation. Le taux de
redoublement en primaire se situait en 2000 parmi les plus hauts
du monde, constituant par la suite un frein majeur pour tous les
autres niveaux d'enseignement. Mais c’est là aussi le reflet d’une
qualité défaillante de l’enseignement.

Condition des enseignants


et qualité de l’enseignement

Le fait que les salaires des enseignants absorbent près des trois
quarts du budget affecté au primaire (pour environ le tiers au
secondaire) n’empêche pas le niveau des salaires d’être très peu
élevé.
Les inégalités salariales sont fort présentes, non seulement entre
le niveau primaire/secondaire d’un coté et supérieur de l’autre,
mais aussi entre les enseignants du secteur public et ceux du sec-
teur privé. Dans le secteur public, un enseignant de primaire fai-
Rwanda l 69

Salaires des enseignants par cycle d’études

Primaire Tronc commun Sec. Supérieur


Nombre d’enseignants 24 982 1 907 1 350
Salaire moyen/an en FRw 308 500 11 443 200 12 526 200 13

Source : Banque
mondiale (2003)

blement qualifié (certificat « senior ») gagne mensuellement


environ 24 000Frw par mois (36,90 euros), alors qu’un ensei-
11/. 474 euros.
12/. 681 euros.
gnant diplômé gagne environ 33 000Frw (50,70 euros). Dans le 13/. 809 euros.

secondaire, il gagne environ 47 000Frw (72,30 euros), y compris


les primes de transport et de logement. Dans le privé, les salai-
res peuvent être plus élevés, pouvant dépasser les 300 dollars
par mois, voire plus dans l’enseignement supérieur.
La précarité salariale de la plupart des enseignants les a menés
à s’organiser en coopératives ou en tontines au niveau de cha-
que école, afin d’avoir accès au crédit et d’améliorer quelque
peu leur faible situation financière. Le gouvernement prépare la
mise sur pied d’un programme national obligatoire de coopéra-
tives pour les enseignants dans le but d’améliorer leur niveau de
revenus. Le programme disposera d’un capital initial de 2,2 mil-
liards Frw déboursés par l’État. À partir de 2006, dès sa mise en
œuvre, les enseignants seront obligés de cotiser 1 000Frw par
mois et devenir ainsi membres de cette coopérative. Ce pro-
gramme est a priori vu positivement par les syndicats d’ensei-
gnants, bien que son financement reste incertain. Mais cette nou-
velle cotisation obligatoire ajoutera un poids à la situation finan-
cière déjà très précaire des enseignants et nécessitera l’abandon
des systèmes existants.
Le gouvernement a également annoncé pour 2006 une augmen-
tation salariale de 12% pour tous les enseignants. Il s’agit, certes,
d’un geste positif mais qui ne représente pas grand chose en ter-
mes réels (2 000 Frw en plus par mois, soit 3 euros), étant donné
le faible niveau salarial de base.

Il existe au Rwanda une pénurie d'enseignants, surtout au


niveau primaire, ce qui les contraint à assumer un système de
double vacation (une classe le matin, une autre l’après-midi). La
proportion varie selon les régions et la pénurie se fait sentir sur-
tout dans les zones rurales. La moyenne nationale est de 64 élè-
ves par enseignant, avec des proportions allant de 48 élèves par
70 l Analyse contextuelle

enseignant à Kigali à 75,1 dans la province de Kibungo. L’objec-


tif que s’est fixé le gouvernement est de diminuer ce ratio à
45 élèves par enseignant en 2015 et de diminuer le système de
double vacation à 15%, ce qui nécessiterait une augmentation de
3 000 nouveaux enseignants par an jusqu’en 2011 et la réhabili-
tation de 1 100 nouvelles classes par an jusqu’en 2015 14. Au
niveau du secondaire, le ratio diminue énormément et on
14/. Ministère
d’éducation, de la

retrouve une moyenne de 26,3 élèves par enseignant, dont 23,7


science, de la

à Kigali, 28 à Kibungou et 30,6 à Gikongoro, ce qui témoigne du


technologie et de la

faible taux de transition entre le primaire et le secondaire.


recherche
scientifique, Mapping

Par ailleurs, les enseignants sont souvent sous qualifiés. Dans


ways forward :

l’enseignement primaire, 22,5% des enseignants ne disposent


Planning for 9 year
basic education in
Rwanda, 2005.
que d’un certificat d’aptitude obtenu après l’ancien cycle d’en-
seignement de base (huit ans) et plus de 20% n’ont pas achevé le
cycle secondaire supérieur. On constate cependant une évolu-
tion positive dans la qualification des enseignants du primaire,
avec une parité hommes/femmes. Mais il n’en est pas de même
pour le secondaire, où le niveau général de qualification est plus
bas et où les disparités de genre sont très contrastées, surtout
entre les villes et les zones rurales.

Les enseignants du secteur public doivent aussi faire face à un


haut degré de mobilité et d’instabilité, qui va souvent de paire
avec un manque de reconnaissance de leur travail. Dans la plu-
part des cas, les enseignants du secondaire ne restent pas plus
d’un an dans la même école, provoquant une forte instabilité qui
débouche, à son tour, sur un manque de motivation et finalement
sur la recherche d’un travail en dehors du secteur de l’éducation.
L’enseignement est donné dans les trois langues officielles du
pays : le kinyarwanda, le français et l’anglais. Les trois premiè-
res années du cycle primaire sont données en kinyarwanda, avec
l’anglais et le français comme langues étrangères. À partir de la
quatrième année du primaire, l’enseignement est donné en fran-
çais avec l’anglais comme deuxième langue. Au niveau secon-
daire, on retrouve principalement des écoles francophones, mais
de plus en plus d’anglophones. Le Swahili pourrait aussi être
intégré prochainement dans l’enseignement scolaire. Ce système
rencontre d’importantes difficultés, car souvent les enseignants
du primaire doivent donner les cours en français ou en anglais,
alors qu’ils ne maîtrisent pas eux-mêmes la langue. Les enfants
qui ne connaissent que le kinyarwanda ont également des diffi-
cultés à achever le cycle primaire.
Rwanda l 71

Évolution de la proportion des enseignants qualifiés en primaire

Année 1998/1999 1999/2000 2000/2001 2001/2002 2002/2003


Hommes 52,9% 55% 62,1% 80,8% 84,4%
Femmes 46,2% 54,3% 63,3% 81,6% 85,9%
Total 49,2% 54,7% 62,7% 81,2% 85,1%

Source : MINEDUC,
2005.

Tous ces aspects jouent énormément sur la faible qualité de l’en-


seignement au Rwanda. Durant les années 1980, la situation
était plus stable du fait, entre autres, que les enseignants
logeaient dans les écoles. Aujourd’hui, pour faire face à la pénu-
rie d’établissements et afin de promouvoir un maximum la sco-
larisation universelle, les écoles ont été réaménagées pour
accueillir le plus grand nombre d’élèves possible. Ainsi, les
2 295 écoles primaires accueillent en moyenne 800 élèves par
école et les 5 553 écoles secondaires accueillent près de 400 élè-
ves par école 15.
15/. MINEDUC, 2005.

Matériels et infrastructures scolaires

Un aspect déterminant dans la qualité de l’enseignement est


l’existence d’un programme scolaire actualisé, accompagné de
manuels et du matériel pédagogique approprié. Dans ce sens, la
volonté affichée par le gouvernement est d’actualiser le pro-
gramme éducatif à l’image de la nouvelle vision qu’il est décidé
à insuffler à l’échelle du pays. Le programme scolaire a été
modifié une première fois en 1996. Il avait été conçu selon un
double modèle : un francophone et un anglophone. Moins de
dix ans plus tard, le ministère de l’éducation a déjà modifié le
programme en primaire et est occupé à réviser le programme du
secondaire. Le programme d’histoire est évidement visé, ainsi
que le nouveau modèle linguistique et le programme de géogra-
phie, avec entre autres la nouvelle disposition géographique du
pays en cinq régions (Kigali, le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest).
Le manque de matériel scolaire est l’un des principaux obstacles
au développement du système éducatif rwandais. Le manque de
matériel et de livres est plus important dans les écoles rurales
16/. Banque

(92%) que dans les écoles urbaines (83%) 16. Dans le cycle pri-
mondiale, op. cit.,

maire, il y a en moyenne un manuel scolaire pour trois enfants,


p. 96.
72 l Analyse contextuelle

mais en secondaire il n’en existe quasi pas. Il s’agit par ailleurs,


comme on l’a vu, d’une dépense largement supportée par les
familles. Le matériel scolaire ne représente qu’environ 3% des
dépenses publiques en primaire, l’essentiel étant destiné au
paiement des salaires des enseignants. Au niveau secondaire, les
dépenses publiques en matériel atteignent environ 25%, mais
restent encore très insuffisantes.
Au niveau des infrastructures scolaires, il reste encore beaucoup
à faire, surtout dans les zones rurales. C’est notamment dans la
région du Nord-Ouest et de l’Est du pays que l’on retrouve les
situations les plus précaires. Selon le ministère de l’Éducation, le
nombre d’écoles a augmenté d’une trentaine par an en
moyenne, pour atteindre le chiffre d’environ 2 300 établisse-
ments au total. La création des nouvelles écoles a eu lieu princi-
palement dans la région de Butare et dans la ville de Kigali.
Cependant, plus de mille salles (1 226) fonctionnent encore sous
des bâches, sous les arbres ou sans local. C’est le cas principale-
ment dans les régions de Nord-Ouest et de l’Est, où la situation
s’est fort dégradée. Par ailleurs, pour fonctionner, certaines éco-
les doivent emprunter des locaux « hors école », par exemple des
églises, des mairies, des maisons particulières ou même des han-
gars. Les Provinces concernées sont en particulier Gisenyi,
Ruhengeri et Kibungo. Concernant l’état des locaux, sur les
28 806 salles déclarées, la moitié est construite en dur et plus de
41% en semi-dur, mais il existe encore 1 120 salles construites en
bois. Plus de 4 000 écoles, environ 17%, sont à reconstruire.
Le gouvernement veut également promouvoir les nouvelles
technologiques et a signé un partenariat avec le secteur privé
(dont Microsoft, HP, Oracle et Cisco) dans le cadre du NEPAD 17.
L’informatique devrait ainsi devenir un cours généralisé dans
17/. Nouveau
partenariat

les écoles secondaires. Le gouvernement a distribué 4 000 ordi-


économique pour le

nateurs dans une série d’écoles secondaires et primaires. Mais


développement
africain.
les besoins sont énormes et le gouvernement risque de rencon-
trer des difficultés, car seulement une minorité d’écoles dispose
d’installations et de raccordements nécessaires pour l’utilisation
des ordinateurs et de l’Internet.
Rwanda l 73

État d’avancement relatif


aux Objectifs du millénaire

Selon les Nations unies, le Rwanda compte aujourd'hui plus de


2 000 écoles primaires qui accueillent plus de 1,5 millions d'en-
fants. Le taux net de scolarisation primaire a sensiblement aug-
menté ces dernières années. À ce rythme-là, le pays devrait
atteindre le premier indicateur de l’Objectif 2, à savoir la scolari-
sation universelle en première année primaire. En effet, le taux
net de scolarisation a atteint 93,5% en 2005 18. Mais cet indicateur
seul ne donne pas une bonne indication de l'accomplissement de
18/. MINEDUC, 2005.

cet Objectif 2, car il montre uniquement la proportion d’enfants


qui entrent en première année par rapport à la population totale
en âge d’être scolarisée. Il faut tenir compte également des deux
autres indicateurs de l’Objectif 2, à savoir la proportion d'élèves
achevant à la cinquième année du primaire et le taux d'alphabé-
tisation des jeunes entre 15 et 24 ans. Or la réalité se montre à ce
niveau bien moins réjouissante, puisque plus de la moitié des
élèves du primaire n’achèvent pas le cycle et risque donc de
retomber dans l’analphabétisme à l’âge adulte. L’Objectif 3 est
quant à lui atteint en ce qui concerne la parité d’accès en pri-
maire, mais cette performance ne doit pas masquer le fait que ce
n’est pas le cas au secondaire et au supérieur et que le taux de
survie des filles reste problématique.
74 l

Analyse systémique

Si le Rwanda atteint la parité de genre en matière d’accès à


l’école primaire, le taux d’achèvement continue de poser pro-
blème et les filles restent sous représentées dans le secteur public
et dans les cycles secondaire et supérieur. Les problèmes d’accès
aux soins de santé et le manque d’infrastructures sanitaires sont
par ailleurs des obstacles qui touchent particulièrement les filles.
Conséquence du génocide, le pays est par ailleurs détenteur du
triste record de la proportion d’enfants orphelins devenus chefs
de ménages, ce qui n’est évidemment pas sans peser sur le sys-
tème éducatif.

La dimension genre

La structure démographique du Rwanda, héritage du génocide,


comprend une proportion particulièrement élevée de veuves et
d’orphelins. Cette réalité démographique constitue une préoc-
cupation centrale du gouvernement rwandais et a donné lieu à
une politique fortement axée sur la promotion de la parité de
genre. On peut donc affirmer, au sens large, que la politique
rwandaise est fort sensible à la problématique du genre aux dif-
férents niveaux. C’est ainsi que sa nouvelle Constitution prévoit
une représentation parlementaire des femmes d’au moins 30%
des sièges. Le Rwanda affiche depuis lors un taux de représen-
tation féminin au parlement de 47,5%, ce qui lui vaut, d’après les
Nations unies, la première position au niveau mondial. Le
ministère du genre est chargé de l’élaboration d’un profil genre
au niveau du pays et par provinces, afin d’analyser avec une
« perspective genre » la structure économique, administrative,
sociale et politique du pays. Ce profil doit ainsi s’intégrer trans-
versalement dans toute politique du gouvernement. Cette
préoccupation sexo-spécifique a dès lors été intégrée dans la
politique éducative du pays. La forte promotion de la scolarisa-
tion des filles en primaire a donné des résultats quantitatifs posi-
tifs, faisant qu’aujourd’hui il y a légèrement plus de filles que de
garçons dans les écoles.

En secondaire, le taux brut de scolarisation des filles est d’envi-


ron 17,9%. On constate une différence sensible entre les villes et
Rwanda l 75

Évolution de la parité des sexes en primaire en pour cent

Année 97/98 98/99 99/00 00/01 01/02 02/03 03/04 2005


Garçons 50 50 50,4 50 49,8 49,5 49,2 49,1
Filles 50 50 49,6 50 50,2 50,5 50,8 50,9

Source : Mineduc
(2005)
les zones rurales. Mais on constate surtout un fossé important
entre filles et garçons au niveau de la survie scolaire. Le taux de
redoublement chez les filles est également supérieur à celui des
garçons.
Les raisons de cette discrimination de genre sont diverses. Avec
un taux moyen de pauvreté d'environ 70% dans les zones rura-
les et un taux de fécondité parmi le plus élevés d'Afrique subsa-
harienne (près de 6 enfants par femme 19 en 2000), les filles doi-
vent souvent assumer des tâches domestiques (chercher de
19/. Banque
mondiale, op. cit.,
l'eau, garder les enfants, aider la mère dans la vente, etc.) au
p.21.

détriment de leur scolarisation. Lorsqu’il y a plusieurs enfants


en âge de scolarisation au sein d’un ménage, mais que les
parents ne peuvent pas assumer la totalité des frais, ce sont
généralement les garçons qui sont favorisés. Après le génocide,
beaucoup de jeunes filles se sont retrouvées chef de ménage,
réduisant à néant toute possibilité de scolarisation ou de pour-
suite scolaire. L’éloignement des écoles et l’impossibilité d’hé-
bergement dans les écoles figurent parmi d’autres facteurs
déterminants. Dans les zones rurales, des facteurs d’ordre cultu-
rel sont assez courants, comme le mariage précoce des filles. Le
taux élevé d’analphabétisme des femmes en milieu rural (44%)
est aussi un obstacle 20.
Mais ce sont le plus souvent les raisons économiques qui consti-
20/. Ministère du
genre et de la

tuent le frein majeur à la scolarisation et à la poursuite scolaire


promotion familiale,

des filles. Il s'agit aussi de l'absence d'un environnement favora-


Le profil du genre au
Rwanda. Synthèse
ble aux filles au sein de l'école : absence d'infrastructures sanitai- nationale, 2005,

res séparées, absence d'eau pour l’hygiène intime, etc. Ainsi, au


p. 26.

niveau secondaire, les filles s’absentent de l’école pendant leur


période de menstruation, ce qui à la fin de l’année suppose une
perte considérable d’heures d’école qui se répercute sur le
niveau de résultats et sur un taux plus important de redouble-
ment et d’abandon que chez les garçons. Enfin, des phénomènes
de violence sexuelle envers les filles au sein des écoles font aussi
partie de la réalité, même si cette question n’a pas fait l’objet
76 l Analyse systémique

d’une attention particulière de la part des instances officielles.


Cette discrimination relève également d’un manque de sensibi-
lisation des enseignants aux conditions spécifiques des filles, qui
entraîne la perpétuation de stéréotypes sexistes par les ensei-
gnants et dans le matériel pédagogique.
En outre, alors que le secteur public est caractérisé par une sous
représentation des filles (37,2% des effectifs en moyenne), l’en-
seignement privé accueille le plus grand pourcentage de filles
(54,5%), et cela dans quasi toutes les régions. Le secteur public
reste donc largement plus accessible aux garçons, ce qui oblige
les filles à aller dans le secteur privé, malgré le coût supérieur et
souvent la moindre qualité, comme en témoigne la proportion
plus élevée de redoublements par rapport au public 21. Afin
d’endiguer cette discrimination, le gouvernement a mis sur pied
21/. Source : Mineduc
(2005)
un programme de subvention d’écoles de filles, mais qui reste
embryonnaire.
Pour toutes ces raisons, les filles affichent un taux de perfor-
mance beaucoup plus bas que les garçons, comme le montre le
tableau suivant, à l’exception du niveau supérieur où le taux est
pratiquement le même.
Source : Banque
mondiale (2003)

Taux de réussite par niveau d’études et par sexe en pour cent

Filles Garçons
Primaire 17,8% 28,5%
Tronc commun 29,3% 55,6%
Secondaire supérieur 62,8% 76%
UNR 22 3,5% 3,7%

22/. Université
Nationale du
Rwanda.
Accès aux soins de santé

Le VIH SIDA constitue la deuxième cause de mortalité après la


malaria. Si les causes de ces maladies sont complexes et extrême-
ment liées à la pauvreté, l’éducation constitue clairement un élé-
ment clé en termes de prévention, de détection et du suivi appro-
prié de la maladie. Les femmes sont particulièrement vulnérables
et touchées, comme l’indique le ministère du genre, car le viol a
été très utilisé comme arme de guerre pendant le génocide, mais
aussi plus récemment. Selon la Commission nationale de lutte
Rwanda l 77

Indicateurs de santé au Rwanda

Dépenses publiques en santé (en pourcent du PIB) Ü 3,1


Probabilité à la naissance de ne pas survivre jusqu’à 40 ans
(en pourcent de la cohorte) Ü 45,5
Population privée d’accès à un point d’eau aménagé (en pourcent) Ü 27
Accouchements assistés par un personnel de santé qualifié (enpourcent) Ü 31
Nombre de médecins pour 100 000 habitants Ü 2
Population disposant d’installations sanitaires de qualité (en pourcent) Ü 41
Personnes souffrant de malnutrition (en pourcent) Ü 37
Espérance de vie à la naissance (en années) Ü 43,6
Taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans
(pour 1000 naissances vivantes) Ü 203
Taux de mortalité maternelle (pour 100 000 naissances vivantes) Ü 1 400
Taux de prévalence du VIH (pourcentage des 15-24 ans) Ü 5,1

Sources : PNUD,
2005

contre la Sida (CNLS), le taux de prévalence en 2005 est de 3%,


dont 3,6% pour les femmes et 2,3% pour les hommes. Les zones
urbaines connaissent un taux de 7,3% et les zones rurales de
2,3% 23. C’est la ville de Kigali qui est la plus touchée, avec un taux
de 5,6%, environ deux fois le taux constaté dans les provinces.
23/. CNLS, Rwanda,
enquête
En ce qui concerne l’accès aux médicaments, toujours selon la
démographique et de

CNLS, 1 700 personnes sont actuellement traitées par rapport à


santé 2005,

800 deux ans plus tôt. L’État subventionne une partie importante
Résultats
préliminaires de la

du coût des médicaments, l’autre partie étant à charge du


séroprévalence du

patient selon son niveau de revenus. Mais en réalité, vu la diffi-


HIV.

culté de contrôler le niveau de revenus, personne ne paie et le


système devient de facto gratuit.
Un arrêté ministériel oblige le pays à accepter uniquement
l’achat et la prescription du médicament le moins cher, sauf
exceptions de patients ne tolérant pas ce médicament. Le finan-
cement des médicaments provient notamment du « Global
Fund » et d’autres bailleurs internationaux. Mais le principal
problème est la non prévisibilité de ces fonds qui met sérieuse-
ment en danger la durabilité du système. Jusqu’à présent, il exis-
tait dans chaque école un système de sensibilisation propre à
chaque enseignant, ce qui donnait d’importantes divergences
entre les différentes écoles, notamment dans le secteur libre sub-
sidié composé principalement par des écoles confessionnelles.
Le gouvernement vise désormais à homogénéiser le système de
78 l Analyse systémique

sensibilisation avec des critères généraux, basés notamment sur


la non stigmatisation de la maladie et des malades. L’objectif est
d’intégrer un cours obligatoire dans les programmes scolaires.
Plus globalement, les indicateurs sanitaires du pays sont faibles
et le nombre de médecins extrêmement rare (moins de 200 à
l’échelle du pays). Par exemple, le taux de mortalité infantile de
203 pour 1000 24 reste très élevé par rapport au reste du continent
africain.
24/. PNUD, 2005.

Condition des enfants

Le génocide a laissé dans le pays une énorme quantité d'enfants


orphelins, que ce soit du père, de la mère ou des deux parents.
Ces enfants se sont, du jour au lendemain, retrouvés chefs de
famille à un âge très précoce. Selon l’UNICEF, il y aurait
aujourd’hui plus de 100 000 enfants à la tête de quelque 42 000
foyers, ce qui est le plus grand nombre d’enfants chefs de
ménage au monde. En effet, le Rwanda affiche un nombre
exceptionnellement élevé d'orphelins par rapport au reste des
pays africains, avec un taux de 44,7% pour les enfants âgés entre
13 et 14 ans et de près de 30% pour tous les enfants entre 0 et
14 ans 25. L’UNICEF estime à un million le nombre d’orphelins et
autres enfants vulnérables, dont environ 7 000 enfants des rues.
25/. Banque
mondiale, op. cit.,

Pis, au lieu de diminuer au fil du temps, le problème des orphe-


p. 23. Chiffres pour

lins s'est perpétué en raison du nombre d'adultes touchés par la


l’année 2000.

pandémie du Sida. Cette réalité, accompagnée du très bas


niveau de revenus par habitant du pays, qui est passé de 321
dollars en 1980 à 242 dollars en 2000 26, constitue l’une des rai-
sons principales du faible taux de survie scolaire affiché par le
26/. Banque
mondiale, op. cit.,

pays.
p. 29.

Le phénomène des enfants soldats est aussi une réalité bien pré-
sente. Dans le cadre des accords de paix d’Arusha de 1993, le
gouvernement a mis sur pied en 1996 la Commission de démo-
bilisation et de réintégration, chargée de la mise en œuvre d’un
programme adressé aux enfants ex-combattants à travers
notamment l’éducation formelle, la formation professionnelle et
l’apprentissage d’activités génératrices de revenus. Des pro-
grammes de rattrapage scolaire spécifiques pour les enfants sol-
dats ont aussi été développés, mais ils se sont arrêtés en 1997, et
ils ont été intégrés dans le programme éducatif général à cause
du manque d’enseignants qualifiés et de matériel didactique
Rwanda l 79

adapté pour ce type d’enseignement spécialisé. Malgré ces ini-


tiatives, le problème des enfants ex-combattants reste donc
encore très important, car ces programmes ont une couverture
insuffisante et ils ne s’adressent pas à toutes les dimensions du
problème, comme les séquelles psychologiques. Il reste encore à
démobiliser plusieurs centaines d’enfants qui ont combattu en
République démocratique du Congo.
En 1998, le gouvernement à mis sur pied un Fonds national pour
l'assistance aux rescapés du génocide et des massacres au
Rwanda (FARG). Ce fonds, alimenté par une taxe, vise à pro-
mouvoir la scolarisation des enfants orphelins du génocide,
mais uniquement au bénéfice des enfants scolarisés au cycle
secondaire, alors que 74,3% des enfants scolarisés en primaire
étaient à l’époque orphelins d'au moins un parent 27.
Tous ces phénomènes ont évidemment un impact sur le système
27/. Banque
mondiale, op. cit.,
éducatif et on constate des niveaux de performance scolaire net-
p. 80.

tement plus bas chez les enfants les plus vulnérables (orphelins,
ex-enfants soldats, etc.).
80 l Chapitre

Conclusion

Après le génocide, le nouveau pouvoir rwandais s’est appliqué


à reconstruire le pays et a fait de la scolarisation primaire univer-
selle un de ses objectifs prioritaires. Il en a résulté une augmen-
tation importante de l’accès des enfants rwandais à l’école pri-
maire, avec une parité de genre remarquable.
Cette performance quantitative ne doit cependant pas masquer
les lacunes qui subsistent en terme d’achèvement du cycle pri-
maire, puisque plus de la moitié des élèves qui entrent en pre-
mière primaire n’achève pas le cycle, surtout les filles, dont le
taux de scolarisation est par ailleurs d’autant moins élevé que
l’on avance dans les cycles scolaires. L’accès au secondaire est
très faible et le système de financement public, qui donne une
place importante au cycle supérieur, se révèle un des plus inéga-
litaires au monde.
La pauvreté généralisée en milieu rural est un facteur majeur de
non scolarisation dans le secondaire et le supérieur. Les familles
doivent en effet supporter une part significative des frais scolai-
res. Les revenus des enseignants, dont les classes sont surchar-
gées, sont faibles et les besoins en termes d’infrastructures et de
manuels scolaires importants. Enfin, conséquence du génocide,
le Rwanda compte un nombre record d’orphelins et est le pays
qui abrite le plus d’enfants chefs de ménage au monde.
Il en résulte que malgré les progrès quantitatifs enregistrés en
primaire au cours de ces dernières années, les défis restent
importants en termes de qualité de l’enseignement, d’accès au
cycle secondaire, d’investissement en infrastructures et maté-
riels scolaires, de promotion de la scolarisation des filles dans le
secteur public, d’amélioration de la condition des enseignants,
de prise en charge des enfants vulnérables et, plus globalement,
de meilleure distribution des ressources disponibles.

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