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* * *
Quelques instants plus tard, Andy entra dans la cuisine, un sourire aux
lèvres, suivi par Rafe Carter — qui lui ne souriait pas.
Le regard de Sophie s’attarda sur le nouvel arrivant. Rien n’était plus
malpoli que de dévisager les gens, elle le savait pourtant, ses parents le lui
avaient suffisamment répété. Hélas, elle n’arrivait pas à s’en empêcher. De près,
elle le trouvait encore plus beau, plus séduisant. Les traits masculins de son
visage étaient réguliers, absolument parfaits. Et puis, il se dégageait de Rafe
Carter un charisme fou, une aura irrésistible.
Était-il conscient de l’effet qu’il avait sur les femmes ? Se rendait-il compte
qu’il attirait ainsi son regard, que sa bouche était aussi sèche que la poussière du
désert australien ? Et puis, comment parvenait-il à avoir l’air aussi détendu dans
un costume, alors qu’il faisait si chaud ?
Comme s’il lisait ses pensées, il retira sa veste. Ses muscles se dessinaient
parfaitement sous sa très ajustée chemise immaculée. Sophie songea qu’il devait
faire beaucoup de sport. De nouvelles gouttes de sueur glissèrent dans son cou.
Elle les essuya, puis releva les yeux. Elle croisa alors le regard couleur acier de
son patron.
Celui-ci la dévisagea, la jaugea. Pourquoi la regardait-il ainsi ? s’étonna-t-
elle. En général, les hommes ne la regardaient pas de la sorte. En fait, personne
ne la regardait aussi franchement. Rafe Carter par contre ne semblait pas
intimidé. Au contraire, il l’observait comme s’il avait tous les droits sur elle. La
nervosité de Sophie augmenta encore. Pouvait-il lire en elle ? Devinait-il qu’elle
le trouvait beau ? Sans doute… La voix d’Andy la sortit de ses rêveries :
— Rafe, je te présente Sophie, la jeune femme dont je t’ai parlé. Cela fait
près de six mois maintenant qu’elle travaille pour nous comme cuisinière.
— Sophie… ?
Elle frissonna. La voix de Carter était rauque et douce à la fois, sexy et
ténébreuse. Tétanisée, sous le charme de son interlocuteur, Sophie était
incapable de répondre. Elle esquissa un semblant de sourire, puis se força à se
reprendre.
— Doukas. Sophie Doukas.
Ce n’était pas un mensonge, il s’agissait du nom de jeune fille de sa grand-
mère grecque. Elle n’avait montré ses papiers à personne depuis qu’elle était
arrivée ici. À cette idée, la culpabilité la gagna. Sans raison : elle n’avait pas
montré ses papiers car personne ne les lui avait demandés.
— C’est un nom peu fréquent.
Le regard couleur acier de Rafe se fit plus perçant. Il fallait à tout prix
qu’elle change de sujet ! Rassemblant son courage, elle se racla la gorge.
— C’est vrai. Puis-je vous proposer un thé, monsieur Carter ?
— Appelez-moi Rafe. Et, oui, je veux bien un thé. Je pensais que vous
n’alliez jamais me le proposer.
Elle avait intérêt à être gentille et obéissante avec lui, il était le patron, elle
ne devait pas l’oublier.
— Très bien… Rafe. Je vais m’en occuper tout de suite. Andy, veux-tu
également un thé ?
— Non, merci, répondit Andy, avant de se tourner vers leur employeur :
Retrouve-moi dehors tout à l’heure et nous ferons un tour rapide de la ferme.
Sur ces mots le contremaître sortit, la laissant seule avec Rafe Carter.
Seigneur…
* * *
La fébrilité de Sophie avait augmenté d’un cran. Elle avait du mal à respirer.
Pourquoi se mettait-elle dans cet état ? Ce n’était pas la première fois qu’elle
préparait du thé, elle en faisait dix fois par jour.
Elle attrapa la théière. Pourquoi Rafe suivait-il tous ses mouvements ?
Pourquoi était-il ici, d’ailleurs ? Andy lui avait pourtant affirmé qu’il ne
l’attendait pas dans l’Outback avant le printemps ; à ce moment-là, elle aurait
quitté l’Australie depuis longtemps.
Plus que quelques semaines avant Noël… Entre le soleil, la chaleur quasi
tropicale et tous ces oiseaux colorés qu’elle n’avait jusqu’à présent vus que dans
des documentaires, elle n’y avait même pas pensé. À la demande des ouvriers
agricoles, elle avait néanmoins décoré la ferme avec quelques guirlandes. Elle
avait même acheté un petit sapin dans la supérette du village. Tout cela était un
peu dérisoire, mais cela la changeait des fêtes de Noël d’Isolaverde.
Des images de son passé envahirent son esprit. Elle repensa aux Noëls
traditionnels, dans son île natale. Elle n’avait même pas besoin de fermer les
yeux pour revoir les guirlandes dorées, les bonbonnes de biscuits, l’énorme sapin
éclairé par de vraies bougies installé dans la salle du trône. En dessous du sapin,
une impressionnante pile de cadeaux attendait d’être distribués aux enfants de
l’île par Sophie et son frère.
Une vague de solitude l’assaillit. Tout à coup, elle se sentait fragile,
vulnérable. Il serait tellement facile de tout abandonner et de rentrer à la maison.
Le problème était qu’elle n’en avait pas envie. Elle devait d’abord décider quelle
vie elle voulait mener.
La bouilloire se mit à siffler. Si seulement Rafe Carter pouvait aller boire son
thé dehors, ou dans ses appartements ! N’importe où mais loin d’elle.
Il s’appuya contre le bord de la fenêtre et la dévisagea. Il semblait n’avoir
aucune envie de partir ; ni, contrairement à la plupart des gens, être gêné par le
silence. Ne voyait-il pas qu’en la fixant ainsi, il la mettait mal à l’aise ? Il fallait
à tout prix qu’elle se reprenne, qu’elle parle, qu’elle fasse quelque chose.
Pourquoi ne parvenait-elle pas à se comporter comme s’il s’agissait d’un simple
inconnu avec lequel elle devait juste échanger quelques mots polis ?
— Vous arrivez directement d’Angleterre ?
Elle sortit une bouteille de lait du réfrigérateur.
— Non, répliqua-t-il, le visage était fermé, et la voix sévère. J’étais en
voyage d’affaires au Moyen-Orient. Je suis arrivé à Brisbane hier et je me suis
dit que ce serait dommage de ne pas venir jusqu’à la ferme, j’étais si près. À titre
d’information, sachez que je ne vis pas en Angleterre.
Son regard gris était aussi acéré qu’une tranchante lame d’acier.
— Je croyais…
— … Que mon accent était anglais ? acheva-t-il à la place de Sophie. Il l’est.
Il paraît qu’on ne perd jamais l’accent du pays dans lequel on est né, mais cela
fait longtemps que je n’ai pas séjourné en Angleterre. À propos d’accents, je
n’arrive pas à reconnaître le vôtre. Je ne crois pas en avoir jamais entendu un
similaire. Êtes-vous grecque ?
— Du sucre ? Du lait ? bafouilla-t-elle, désireuse de changer de sujet.
— Ni l’un ni l’autre. Je bois mon thé nature.
Elle lui tendit une tasse. Si seulement il pouvait bouger un peu, se dit
Sophie. Adossé ainsi, les jambes tendues, son pantalon moulait un peu trop les
muscles puissants de ses jambes. Elle n’avait pourtant pas l’habitude de regarder
les hommes. D’ailleurs, si jamais elle avait voulu se rincer l’œil, son
comportement aurait été repéré par les prunelles de Rafe, qui suivaient chacun
de ses mouvements comme des caméras de surveillance. Même l’homme qui
avait été choisi pour elle, réputé être l’un des plus beaux célibataires du monde,
n’avait jamais fait battre son cœur de cette façon.
Pour se donner une contenance, elle fit mine d’enlever des miettes sur la
table.
— Où vivez-vous ? demanda-t-elle.
— Principalement à New York, même si j’ai passé beaucoup de temps ici
lorsque j’ai acheté la ferme. En fait, je voyage beaucoup. Je suis en quelque sorte
un nomade des temps modernes. Quant à vous, vous n’avez toujours pas répondu
à ma question.
Il but une gorgée de thé et la regarda avec un sourire malicieux.
— Que vouliez-vous savoir, au juste ?
À vrai dire, Sophie n’avait pas oublié sa question. Elle espérait juste que lui
l’avait oubliée.
— Je vous ai demandé si vous étiez grecque.
Devait-elle mentir ? Non, elle n’en avait pas envie. Mais dire la vérité serait
comme dégoupiller une grenade, qui risquerait ensuite d’exploser à tout moment.
Son anonymat serait découvert, sa cachette serait révélée et tout le monde lui
poserait des questions. Que pouvait-elle dire alors ? Qu’elle était une princesse
qui en avait assez d’être une princesse ? Qu’elle était une femme qui avait grandi
dans un immense palais, isolée du monde réel ? Qu’elle était une femme qui
avait été blessée, humiliée, et qui était venue à l’autre bout du monde pour
découvrir si elle était ou non capable de s’en sortir seule ?
Elle croisa le regard insistant de Rafe.
— Ma grand-mère était grecque. Le grec est ma langue maternelle.
— Vous parlez d’autres langues ?
— L’anglais.
— Évidemment. Et ?
Gênée, elle se mordilla la lèvre.
— Je me débrouille aussi en italien et en français.
— Dites donc, vous êtes une tête ! Vous avez de nombreuses qualifications,
pour une femme qui vient de passer les derniers mois à préparer des sandwichs
pour des ouvriers agricoles.
— J’ignorais que mes compétences linguistiques étaient un handicap pour
travailler comme cuisinière dans une ferme, monsieur Carter.
* * *
* * *
Sophie attrapa le fouet et mélangea avec toute son énergie la pâte à gâteaux.
Par la fenêtre, elle vit Rafe traverser la cour. Savoir que son patron traînait dans
les environs plus longtemps que prévu était une véritable torture. Il lui avait
affirmé ne faire que passer à Poonbarra, alors pourquoi était-il encore ici ? Un
directeur de multinationale n’avait-il rien de mieux à faire que de s’éterniser au
milieu de l’Outback australien ? Un tel homme avait sans doute mieux à faire
qu’aider ses ouvriers à réparer de vieilles barrières. Et pourquoi diable était-il
obligé d’arpenter les lieux en ressemblant à une gravure de mode ?
Il approcha de la maison principale, et le rythme cardiaque de Sophie
s’emballa. Rafe avait depuis longtemps remisé le costume sur mesure qu’il
portait le jour de son arrivée. Il était aujourd’hui vêtu d’un jean usé si moulant
qu’il semblait avoir été cousu directement sur sa peau. Quant à son T-shirt noir,
il soulignait des abdominaux parfaitement ciselés.
Plus le temps passait, plus sa gêne augmentait. À chaque fois qu’elle
apercevait le bel Anglais dans son champ de vision, son corps prenait le pouvoir
sur sa raison et des réactions inédites l’envahissaient. Des réactions concentrées
dans la région de ses seins et de son entrejambe, des réactions qu’elle n’avait
jamais connues jusqu’à présent. Elle se répétait qu’elle réagissait ainsi seulement
parce qu’elle était au milieu de nulle part, à des milliers de kilomètres du
luxueux palais dans lequel elle avait grandi. C’était pour cette raison qu’elle
éprouvait ce sentiment de perte de contrôle, uniquement pour cette raison, n’est-
ce pas ?
Elle faisait son possible pour éviter son patron, s’éloignant à chaque fois
qu’elle le voyait. En vain. Une force mystérieuse semblait lui avoir jeté un sort.
Impossible de ne pas penser à Rafe Carter, impossible de maîtriser ses réactions,
impossible de l’éviter.
Il poussa la porte et entra dans la cuisine. Ses cheveux noir corbeau
encadraient son visage sévère de boucles souples qui l’adoucissaient.
Sophie reposa son saladier et leva les yeux vers son visiteur. Instantanément,
un frisson glissa le long de son dos. Elle réprima un soupir. Pourquoi ne pouvait-
elle pas regarder ce visage parfait sans se demander ce qu’elle ressentirait si ses
lèvres sensuelles l’embrassaient ? Elle était vraiment pathétique.
— Puis-je faire quelque chose pour vous ? demanda-t-elle.
— Vous voulez dire : à part espérer que je parte vite et loin ?
— Je vous l’ai déjà dit, je deviens mal à l’aise dès que les gens me regardent
travailler.
— En effet, vous l’avez dit. Soyez rassurée, vous n’aurez pas à supporter ma
présence bien longtemps. Je quitte la ferme demain à la première heure.
— Oh ! Vraiment ?
Elle se força à museler la stupide déception qu’elle ressentait soudain.
— Oui, vraiment. Vous serez enfin débarrassée de moi et…
Il s’interrompit et lui décocha un sourire craquant, avant de reprendre d’un
ton plus enjoué :
— Je pensais que vous pourriez préparer un dîner spécial pour les gars ce
soir, une sorte de repas de Noël en avance. Ce serait une façon pour moi de les
remercier pour tout le travail effectué pendant l’année. Nous pourrions
déboucher quelques bonnes bouteilles de vin, et ensuite aller jusqu’à Corksville
pour un dernier verre. Pensez-vous pouvoir vous en occuper ?
Sophie demeura immobile. Quand Rafe la regardait ainsi, toute volonté la
désertait, toute force l’abandonnait. Elle se liquéfiait sur place.
— Bien sûr, finit-elle par marmonner en baissant la tête.
* * *
* * *
Sophie était en train de finir de mettre le couvert lorsqu’elle aperçut Rafe sur
le pas de la porte. Depuis combien de temps l’observait-il ? Il portait un pantalon
noir et une chemise de soie dont il avait ouvert le premier bouton. Toute trace de
poussière ou de sueur avait disparu de son visage — sans doute sortait-il de la
douche. Son regard était si pénétrant qu’il faisait battre son cœur à un rythme
effréné. S’il continuait, il n’allait pas tarder à exploser.
Tâchant de l’ignorer, elle continua à poser les serviettes sur les assiettes.
— Tiens, tiens, tiens… Mlle Sophie Doukas a bien changé.
— De quoi parlez-vous ? répliqua-t-elle, même si elle savait parfaitement à
quoi il faisait référence.
— La jolie robe, les cheveux détachés, le maquillage…
— Cela vous dérange ?
Il lui sourit. Un sourire de prédateur, séduisant et dangereux en même temps.
— N’espérez pas de compliments de ma part, Sophie. Je suis persuadé que
vous êtes tout à fait consciente de votre beauté. Quant à votre robe, elle est…
étonnante.
Sophie plia une nouvelle serviette et se détourna.
— Merci, lâcha-t-elle d’un ton sec.
* * *
* * *
Le cœur battant, Sophie se dirigea vers la chaise que Rafe lui avait indiquée.
Se détendre ? La bonne blague ! Elle se sentait aussi détendue qu’une souris
devant un chat.
Rafe lui servit un verre de vin et le lui tendit.
— Merci. Il est excellent, ajouta-t-elle après avoir bu une gorgée.
— En plus de posséder une nature d’une beauté à couper le souffle,
l’Australie produit quelques-uns des meilleurs vins du monde.
Elle fit tourner le vin dans son verre avant de relever les yeux vers lui.
— On dirait que vous l’aimez, ce pays.
— C’est le cas. J’ai toujours aimé l’Australie.
— Est-ce pour cette raison que vous avez acheté une ferme ici, si loin de
l’Angleterre ?
Rafe soupira. Cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas posé la question. Au
fil des années, cette ferme était devenue l’un de ses endroits favoris. Il se sentait
bien dans les conditions extrêmes de l’Outback. Quand il atterrissait ici, ce qui
avait été rare ces derniers temps, il avait immédiatement l’impression d’être en
paix. Au départ, il avait acheté cette ferme parce qu’il cherchait un repaire
secret, un lieu loin de tout où il pourrait échapper au monde brutal des affaires.
Du travail physique, au soleil, dans la poussière, voilà ce dont il avait eu besoin
pour réparer son cœur brisé et ses bleus à l’âme.
Cette ferme n’était qu’une de ses nombreuses propriétés, mais il n’en
considérait aucune comme son chez-lui. Il était bel et bien un nomade des temps
modernes, comme il se plaisait à le répéter. D’habitude, cette définition plaisait
aux femmes. Avait-elle séduit Sophie ? Était-ce pour cette raison qu’elle le
dévorait de ses grands yeux bleus qui brillaient à la lueur de la bougie, les lèvres
entrouvertes comme si elle n’attendait qu’un baiser ? Le désirait-elle ?
— C’est moi qui suis censé vous poser des questions, pas l’inverse, rétorqua-
t-il enfin.
Elle reposa son verre et le fusilla du regard.
— C’est un entretien d’embauche ? Je pensais avoir déjà obtenu le poste.
— C’est le cas, vous avez le poste. Je suis juste curieux.
Il marqua une pause et observa la jeune femme quelques secondes avant de
poursuivre :
— Quand j’ai interrogé Andy concernant vos expériences passées, il n’a pas
pu me répondre. Il ne savait rien de vous. Après avoir passé plusieurs jours en
votre compagnie, je suis exactement dans le même cas. Vous êtes une femme
mystérieuse, Sophie.
— Je pensais que mon rôle ici était de faire à manger aux ouvriers, pas de les
distraire en leur racontant ma vie.
— C’est le cas. Quand vous êtes arrivée, il me semble pourtant que vous
ignoriez la différence entre une casserole et une poêle.
— J’ai très vite appris.
— Vous ne saviez pas non plus comment remplir le lave-vaisselle.
— C’est un lave-vaisselle industriel !
— Et vous regardiez l’ouvre-boîte comme s’il s’agissait d’un outil venu
d’une autre planète.
— Dites donc, s’offusqua-t-elle, combien de temps avez-vous passé à
discuter de mon cas avec Andy ?
— Assez longtemps, concéda Rafe.
— Et… ?
Il allongea les jambes avant de répondre.
— Et j’en ai conclu que vous êtes une femme qui n’avait jamais travaillé
avant d’arriver ici, et que vous avez dû mener une vie de privilégiée.
* * *
Sophie se raidit, inquiète. Son bel employeur était bien trop perspicace à son
goût. Ce qu’elle craignait depuis le départ allait-il se réaliser ? Rafe Carter allait-
il la reconnaître, et ensuite la forcer à prendre les décisions qu’elle repoussait
depuis des mois ?
Ne panique pas ! s’ordonna-t-elle. Prends une profonde respiration, puis
réponds comme si de rien n’était. Ensuite, tout ira bien.
— Mes questions vous dérangent-elles, Sophie ?
— Elles ne me dérangent pas du tout. Par contre, elles m’ennuient. Si je me
souviens bien, vous m’avez expliqué lorsque vous êtes arrivé que vous préfériez
que je garde mes distances. Vous m’avez même demandé de ne pas vous parler
de la pluie et du beau temps.
— Peut-être ai-je changé d’avis. Peut-être que je me demande ce que fait une
jolie jeune femme comme vous seule au milieu de l’Outback, sans lien avec
personne.
Sophie déglutit péniblement, de plus en plus mal à l’aise.
— De… De quoi parlez-vous ?
— Andy m’a avoué que vous n’utilisiez pas de téléphone portable, que vous
n’aviez jamais reçu de courrier et que vous ne vous connectiez à Internet que très
rarement.
— J’ignorais que j’étais sans cesse surveillée. De toute façon, ma vie privée
ne vous regarde pas !
— Je suis d’accord. Néanmoins, les gens secrets m’intriguent toujours.
Sophie n’était pas surprise : Rafe était si beau et si riche que les gens
devaient sans cesse lui raconter leur vie, sans se demander si cela l’intéressait.
Comment réagirait-il si elle lui révélait la vérité, si elle lui annonçait qui elle
était ? L’idée la tentait, tout à coup…
Non. Elle ne pouvait pas prendre ce risque, impossible ! Même si Rafe
réagissait de façon normale, leur relation changerait à coup sûr. Il pourrait lui en
vouloir de ne pas lui avoir tout révélé dès le début, la chasser… Et que se
passerait-il s’il en parlait à l’un de ses amis, qui en parlait à quelqu’un d’autre, et
que finalement l’information arrivait à l’oreille d’un journaliste ? Ce serait un
désastre, un cauchemar.
Elle avait une autre raison de garder le secret : elle n’avait pas envie de
briser la bulle de normalité et de paix dans laquelle elle vivait en ce moment.
C’était si agréable d’avoir l’impression d’être une femme comme les autres !
— Bon, d’accord, dit-elle en soupirant, consciente qu’elle devait lâcher un
peu de lest pour avoir la paix. Que voulez-vous savoir ?
* * *
* * *
* * *
Rafe prit Sophie dans ses bras et sortit de la piscine. Il la posa sur le dallage
et lui écarta une mèche de cheveux humides collée sur son front.
— Rentrons.
Rentrer ? S’ils quittaient la piscine et le clair de lune, le charme ne risquait-il
pas d’être rompu ? Peut-être valait-il mieux rester ici.
— Rien ne nous oblige à rentrer.
— Au risque de passer pour un type vieux jeu, je préfère que notre première
fois se déroule dans un lieu intime, à l’abri des regards.
Il lâcha un petit rire sensuel qui fit frissonner Sophie, puis lui effleura la
bouche de la sienne.
— Ne t’inquiète pas, reprit-il, même à l’intérieur, ta nuit sera mémorable !
J’ai une autre raison de vouloir rentrer, je n’ai pas pris de préservatifs quand je
suis sorti. Cela aurait été un peu présomptueux de ma part, tu ne trouves pas ?
Sophie ne répondit pas. Elle le laissa la prendre par la main et, en silence, le
suivit vers ses quartiers privés, cette partie de la maison qu’elle n’avait jamais
visitée.
Éblouie, elle admira le décor luxueux. Elle traversa la bibliothèque aux murs
recouverts de livres anciens, le grand salon orné de peintures représentant ce
pays que Rafe aimait tant. Ils s’arrêtèrent enfin dans la salle de bains, aussi
grande et luxueuse que la sienne, à Isolaverde. Sophie avait l’impression de
s’être endormie et de se réveiller soudain dans un autre pays. Ils se trouvaient
pourtant bel et bien dans une ferme, au milieu de l’Outback australien.
— Impressionnant ! lança-t-elle.
Rafe était en train de faire glisser une bretelle de son soutien-gorge sur son
épaule.
— J’imagine que tu parlais de la taille de la salle de bains, pas de celle de
mon érection, fit-il d’un ton taquin.
Gênée, Sophie baissa la tête. Pourvu qu’il ne perçoive pas son malaise ! Elle
ne savait pas flirter, tout cela était nouveau pour elle.
— Je… Je parlais de la salle de bains, en effet, bafouilla-t-elle.
— Tu veux dire que tu n’es pas venue espionner les lieux, avant que
j’arrive ? demanda-t-il en s’occupant de la seconde bretelle.
— Non, je… Je ne suis jamais venue dans cette partie de la maison, réussit-
elle à articuler, haletante.
Rafe referma sa bouche sur la pointe de son sein droit, puis passa à l’autre. Il
la mordilla. Les sens de Sophie s’enflammèrent instantanément. Tremblante, elle
baissa les yeux vers la chevelure noire de son amant, qui contrastait avec sa peau
pâle. Des vagues de plaisir commencèrent à se lever en elle, annihilant peu à peu
sa raison. S’abandonnant, elle bascula la tête en arrière et enfouit les doigts dans
les boucles souples de Rafe.
Il finit de la débarrasser de son maillot de bain, retira le sien et, avant même
qu’elle ait le temps de s’apercevoir qu’ils étaient tous les deux nus, il la prit dans
ses bras et la porta jusqu’à un immense lit.
* * *
Tout à coup, Sophie avait un peu peur. Elle se sentait timide. Une partie
d’elle avait l’impression d’être une bête sur le point d’être sacrifiée sur un autel
un soir de pleine lune. Mais son appétit de sensualité était si fort, si puissant
qu’elle oublia peu à peu toute retenue, toute réserve. La tentation était bien trop
grande. Rafe était fort, athlétique, viril ; tellement beau avec ses longues jambes,
ses hanches étroites et ses fesses musclées.
Elle n’avait jamais vu d’homme nu, à l’exception des célèbres statues qui
décoraient le palais royal et attiraient de nombreux visiteurs pendant l’hiver. Une
feuille de vigne masquait la virilité de ces mâles de marbre. Rafe, lui, aurait
besoin de plusieurs feuilles pour masquer la sienne ! Sans doute aurait-elle dû
être effrayée par son impressionnante érection, mais elle était juste… impatiente.
Et curieuse, aussi.
D’un doigt malicieux, il traça un chemin depuis son cou jusqu’à son
nombril.
— Que tu es belle…
— C’est vrai ?
— Tu sais bien que c’est le cas : des centaines d’hommes ont déjà dû te le
dire.
Des centaines d’hommes ? La réalité lui revint en pleine face tel un
boomerang. Elle se força à la refouler. Ce n’était pas le moment d’y penser. À
cet instant, elle n’avait qu’une envie : vivre, vibrer et profiter des sensations
inédites qu’elle découvrait. Elle mourait d’envie de sentir les doigts de Rafe sur
sa peau, de connaître intimement cet homme qui la désirait non pas pour son
statut, mais en raison de l’alchimie qui régnait entre eux.
Décidée, Sophie referma les bras autour du cou de son bel Anglais et leva les
yeux vers lui.
— Je n’ai pas envie de penser aux autres hommes pour le moment.
— Moi non plus.
Alors, le regard arrogant, presque autoritaire, il se mit à danser contre ses
hanches pour qu’elle perçoive son érection. Sans jamais la quitter des yeux, il
explora ensuite du bout des doigts chaque centimètre carré de sa peau. Sophie
retint son souffle lorsqu’il effleura les pointes de ses seins. Ces caresses étaient
agréables, douces, mais elle en voulait plus, beaucoup plus. Chacune l’envoûtait
un peu plus, l’entraînait vers un monde de plaisirs nouveaux.
Incapable de se retenir, elle prononça dans un halètement le prénom de son
amant. Elle l’entendit alors laisser échapper un petit rire. Se moquait-il ? Peu lui
importait, de toute façon. Elle n’avait pas honte. Son sang rugissait dans ses
veines comme un torrent impossible à canaliser. Son corps ne lui obéissait plus.
Mue par un désir inouï, elle se mit à se tortiller contre lui. Il lui en fallait plus,
tout de suite. Elle était en feu.
Rafe avait forcément perçu son impatience. Pourtant, il prenait son temps. Il
semblait même prendre un malin plaisir à la torturer, à lui faire perdre la tête.
Malgré son appétit sensuel, Sophie se sentait timide. Elle avait un peu peur de
toucher son partenaire, de faire quelque chose de mal. Que se passerait-il si elle
avait un geste déplacé et qu’il s’arrêtait ?
Refoulant ses inquiétudes, elle se redressa à la recherche des lèvres de Rafe.
Celui-ci tendit le bras et attrapa un préservatif dans le tiroir de sa table de nuit.
Un frisson d’anticipation traversa Sophie. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle
allait enfin faire l’amour, pour la première fois…
Après des années d’attente, à protéger sa virginité pour un homme choisi par
ses parents, elle était sur le point de la perdre au milieu de l’Outback australien
entre les bras d’un homme qu’elle connaissait à peine, son employeur, qui lui
avait promis que leur relation ne durerait que l’espace d’une nuit et refusait tout
sentiment.
Elle ferma les yeux. Tout à coup, elle avait l’impression d’avoir vécu dans
une cave sombre et d’en sortir enfin pour découvrir quelque chose de beau, de
magnifique, de brillant. Ensuite, sa vie serait différente, elle en était persuadée.
La gorge serrée par l’émotion, elle regarda Rafe dérouler le préservatif sur
son sexe impressionnant. Serait-il choqué s’il savait qu’elle n’avait jamais vu
une érection avant ce soir ? Serait-il déçu lorsqu’il découvrirait la vérité ? Peut-
être devrait-elle lui avouer la vérité tout de suite…
Non, ce n’était pas une bonne idée. Et puis cela n’avait aucune importance.
Il s’agissait juste d’un rite de passage, une étape imposée qu’elle devait franchir
pour quitter le monde de l’innocence et rejoindre celui de la féminité. Rien de
plus. Voilà ce que faisaient les couples normaux, les couples modernes : ils se
rencontraient, ils étaient attirés l’un par l’autre puis ils faisaient l’amour.
Pourquoi gâcher le moment en révélant son passé à Rafe, et en risquant de
mettre son anonymat en danger par la même occasion ?
Il s’allongea sur elle et positionna son sexe tendu à l’orée de son intimité. Un
nouveau sentiment de peur l’envahit.
D’un coup de reins précis, Rafe la pénétra. Sophie se força à ne pas se raidir,
à ne pas crier. C’était difficile. Impossible, même. À contrecœur, elle laissa
échapper un cri de douleur.
Rafe s’arrêta net et la regarda droit dans les yeux.
— Tu…
Il semblait incrédule.
— Oui.
Elle n’en dit pas plus — à quoi bon… ? Elle bascula les hanches pour
l’inviter plus profondément en elle.
— Ne t’arrête pas, s’il te plaît, gémit-elle.
* * *
* * *
Mal à l’aise, Sophie se figea. Comment répondre ? Que dirait Rafe s’il
comprenait qu’elle ne lui révélait pas toute la vérité ?
Elle garda les yeux fermés. Elle n’avait pas le courage de les ouvrir, elle
avait peur d’en révéler trop. Elle se sentait… comblée ? Oui. Satisfaite ? Aussi.
Elle se sentait également soulagée car elle l’avait fait, enfin. Elle avait fait
l’amour et connu l’orgasme. Même si elle avait grandi isolée dans un palais, elle
n’était pas différente des autres femmes. Quel soulagement de découvrir cet
univers de sensualité ! Pour la première fois de sa vie, elle se sentait forte,
confiante, un peu comme si elle avait la preuve qu’elle était capable d’atteindre
les objectifs qu’elle se fixait.
Rafe l’avait caressée comme elle rêvait de l’être. Il ne l’avait pas traitée
comme si elle était en porcelaine, ou comme si elle était une princesse. Non, il
l’avait traitée comme n’importe quelle femme. Avant de lui faire l’amour, il
l’avait serrée dans ses bras puissants. Il l’avait tenue contre lui, contre son torse
musclé. Cette expérience l’avait presque autant émue que le sexe lui-même, car
elle n’avait pas l’habitude des contacts physiques. Ses parents n’avaient jamais
été très démonstratifs avec elle. En fait, elle avait été davantage touchée et
caressée ce soir que pendant toute sa vie.
Elle sourit en remontant le drap contre elle. Avait-elle envie de savourer ses
souvenirs sensuels ou bien de sortir du lit et de danser pour célébrer
l’événement ? Ni l’un ni l’autre, songea-t-elle. Ce qu’elle désirait plus que tout,
c’était promener ses doigts sur la peau dorée de Rafe, l’embrasser encore et
encore. Elle avait envie de faire disparaître ce regard suspicieux de son beau
visage.
Après tout, qu’elle ait été vierge n’avait aucune importante, si ? Comment
les couples classiques réagissaient-ils en pareille circonstance ? Elle, qui était
une experte en étiquette, n’en avait pourtant pas la moindre idée. Elle se sentait
complètement perdue.
Elle n’allait pas jouer les lâches pour autant, ce n’était pas son genre. De
plus, elle n’avait aucun regret. Peut-être devait-elle simplement faire savoir à son
merveilleux amant combien elle avait apprécié l’expérience, et combien elle
avait envie de recommencer…
Elle rouvrit les yeux. Aussitôt, le vertige la saisit. Rafe n’avait pas changé, et
pourtant elle le trouvait différent. Elle laissa le regard glisser sur son torse
imberbe, sur ses abdominaux puissants. Après l’expérience qu’ils venaient de
partager, elle avait bien le droit de l’étudier du regard, non ?
Sous le charme, son cœur s’emballa. Comment était-il possible qu’elle le
désire à nouveau, aussi vite ? En avait-il envie, lui aussi ?
— C’était…
— Stop ! la coupa-t-il d’un ton cynique. Tu voulais dire que c’était
fantastique ? Magnifique ? Les femmes me disent souvent qu’il s’agit de la
meilleure expérience sexuelle de leur vie. Dans ton cas, j’imagine qu’il est
difficile de juger puisque tu n’avais jamais fait l’amour avant.
Sophie se raidit. Il blaguait. Il blaguait forcément, n’est-ce pas ? Même si
c’était de très mauvais goût… Quel homme parlait de ses maîtresses passées de
cette façon ?
Elle le dévisagea. Non, apparemment, il ne blaguait pas. Il semblait au
contraire fâché. La déception la gagna. Elle se força néanmoins à la masquer. Ce
n’était pas difficile, elle était très douée pour cacher ses sentiments.
— Le fait que j’ai été vierge te dérange ?
— Cela me dérange autant que si j’étais monté dans une voiture conduite par
quelqu’un qui m’aurait caché qu’il n’avait pas encore le permis.
— Merci pour la comparaison !
— Comment est-il possible que tu n’aies jamais fait l’amour avant ? Tu es
jeune, tu es belle, tu n’es pas coincée. Nous vivons au XXIe siècle, il me semble.
Désorientée, Sophie grimaça. Que faire ? Si elle lui avouait la vérité, il ne la
croirait jamais. Lui vivait peut-être au XXIe siècle, mais pas elle ; parce qu’elle
était née princesse, qu’elle était censée épouser un des hommes les plus courtisés
du monde, et que l’accord signé entre les deux familles lui avait imposé d’être
vierge le jour du mariage.
Elle refoula une subite envie de pleurer. Son rêve venait de se transformer en
cauchemar ! Une fois qu’elle aurait convaincu Rafe qu’elle n’était pas une
mythomane, elle serait obligée de replonger dans ce passé qu’elle tentait
pourtant de fuir de toutes ses forces. Elle serait obligée de révéler une vérité
qu’elle n’avait pas envie d’affronter.
Que se passerait-il s’il devenait soudain intéressé ? Il n’avait pas l’air d’être
ce genre d’homme, mais comment en être certaine ? Son statut de princesse
d’Isolaverde attirait beaucoup de gens peu scrupuleux.
Elle se dit que le mieux était de répondre à Rafe sur le même ton, avec la
même arrogance, pour le déstabiliser à son tour.
— Peut-être que j’attendais simplement de rencontrer l’homme adéquat.
Il s’assit en cachant sa virilité sous le drap, mais pas assez vite pour qu’elle
ignore son érection. Un sentiment de triomphe la gagna aussitôt.
— Je crois qu’il faut que nous mettions quelque chose au clair, Sophie. Faire
l’amour avec toi était incroyable, plus qu’incroyable même, d’autant plus qu’il
s’agissait de ta première fois. Tu n’as pas assez d’expérience pour le savoir, mais
je peux t’assurer que c’est vrai.
Il s’arrêta, comme s’il avait besoin de temps pour choisir avec précaution ses
mots.
— Le fait est que je ne cherche pas une relation sérieuse, continua-t-il. Je ne
suis pas le genre d’homme à être ému par ta virginité. Cela ne veut rien dire pour
moi, et tu ne représentes rien à mes yeux. Je suis désolé d’être aussi franc, mais
je veux éviter tout quiproquo. Je ne cherche pas une partenaire, et même si
c’était le cas, tu ne serais pas cette femme. Je t’ai dit que je croyais à la sincérité
et je suis sincère avec toi. Nous menons des vies différentes. Tu es une cuisinière
débutante en voyage à l’autre bout du monde tandis que je suis un homme
d’affaires toujours entre deux avions. Cela ne pourrait jamais fonctionner entre
nous.
Sophie s’étranglait de rage. Elle faillit le gifler. Quel homme méprisant ! Elle
se retint cependant. Autant garder un peu de dignité. Le point positif, c’était que
l’attitude détestable de Rafe lui simplifiait la tâche. Elle ne lui ferait aucune
confidence, elle ne lui révélerait pas la moindre chose sur elle. Pourquoi le
ferait-elle puisqu’il semblait n’avoir qu’un désir : la fuir le plus rapidement
possible ?
Des restes de son éducation princière lui revinrent. Elle sortit du lit, attrapa
la serviette qui traînait au sol et s’enroula dedans. Puis elle riva le regard à celui
du mufle assis dans le lit.
— Je crois que tu te flattes. Je suis d’accord avec chaque mot que tu viens de
prononcer. Entre nous, il ne s’agissait de rien d’autre qu’une initiation sexuelle,
une initiation particulièrement réussie. Alors je te remercie pour l’expérience,
mais sois rassuré, je ne cherche pas de relation non plus. Peut-être aurais-je dû
t’avouer que j’étais vierge, mais je ne voulais pas rompre le charme de l’instant.
Maintenant, puisque tu quittes l’Australie demain, je vais te laisser dormir.
Bonne nuit, fais de beaux rêves.
Rafe semblait incrédule, choqué par ses paroles. Voilà qui était parfait pour
lui remonter le moral ! Sans attendre sa réaction, elle sortit de la chambre.
4.
* * *
Sophie planta son regard dans celui, sombre et perçant, de Rafe. Si elle ne se
trompait pas sur ce qu’elle y lisait, la fin de sa cavale était proche… À moins
que ce ne soit sa mauvaise conscience qui lui donnait l’impression qu’il avait
découvert son identité. Car c’était impossible, ce n’était pas parce qu’il lui avait
fait l’amour hier soir qu’il était maintenant capable de lire en elle, si ? Il n’avait
aucun moyen de connaître son identité.
— À quoi penses-tu précisément ? demanda-t-elle, d’une voix aussi assurée
que possible.
Il fit un pas dans sa direction.
— Pourquoi les femmes sont-elles incapables de répondre de façon directe ?
Pourquoi pensent-elles d’abord à mentir ? Je t’ai donné la possibilité de me dire
la vérité, mais tu ne l’as pas saisie. Je pense au fait que tu es la princesse
d’Isolaverde, et que la presse sait où tu te trouves !
Sous le choc, Sophie posa la main sur sa bouche pour retenir un cri.
— Non…, bredouilla-t-elle, les yeux écarquillés.
— Eh si.
— La presse ne peut pas savoir, c’est impossible ! affirma-t-elle en secouant
la tête, incrédule. Cela fait des mois que je suis ici, tranquille. Comment…
Comment l’auraient-ils découvert ?
— La gérante de la supérette de Corksville t’a reconnue.
Consternée, Sophie lâcha un long soupir. Comment avait-elle pu être aussi
stupide ? Pourquoi ne s’était-elle pas conduite comme d’habitude ? Pourquoi
n’avait-elle pas gardé ses vêtements usés, et ses cheveux cachés sous un grand
chapeau de soleil ? Mais Rafe Carter avait fait son apparition à la ferme et sa
coquetterie avait pris le dessus. Incapable de résister à la tentation, elle avait
choisi de mettre une robe, de se maquiller et de relâcher ses cheveux. À cause de
sa vanité, elle avait tout perdu. Elle avait retiré son déguisement et elle avait été
reconnue.
Tout était de sa faute…
— Je suis désolée.
— Il est un peu tard pour t’excuser.
Elle recula, perdue, incapable de réfléchir posément.
— Je… Si tu veux bien m’excuser, je dois…
Rafe l’interrompit en lui attrapant le poignet. Aussitôt, elle frissonna. Même
au milieu du chaos, de la peur, des regrets, il suffisait que cet homme l’effleure
pour que ses sens s’enflamment. Tout à coup, elle mourait d’envie de sentir son
corps divin contre le sien ; elle mourait d’envie de l’embrasser, de glisser la
langue dans sa bouche, de sentir sa virilité en elle.
— Ce que je n’ai toujours pas compris, c’est comment tu es arrivée ici.
Comment la princesse d’Isolaverde a-t-elle réussi à atteindre incognito le centre
de l’Australie ?
Elle se dégagea et baissa les yeux vers son poignet. Il l’avait serré si fort
qu’on voyait la marque de ses doigts. Son voyage lui semblait très loin, tout à
coup, comme sorti d’un film d’aventures. Et si elle lui racontait tout ? Ainsi,
Rafe comprendrait qu’elle avait été brave et courageuse. Et elle pouvait tout à
fait l’être encore une fois, si elle le décidait.
— L’homme que je devais épouser a mis enceinte une autre femme.
— C’est ce que m’a dit mon assistant.
Sophie se demanda comment son assistant pouvait savoir. Elle soupira et
haussa les épaules. Qu’importait après tout. Et puis ce n’était pas la première
fois que circulaient des rumeurs à son sujet.
— Tout le monde ne parlait que de cela, de mon humiliation. Je n’en pouvais
plus. Il fallait que je parte, que je m’échappe quelque part où je n’aurais ni
gardes du corps ni femme de chambre. Pour la première fois de ma vie, j’avais
envie d’être seule, vraiment seule, pour guérir et décider ce que je voulais faire
de ma vie. Mais plus que tout, je rêvais de pouvoir vivre comme une femme
normale, d’oublier mon statut royal et de me débrouiller seule.
— La psychologie de comptoir ne m’intéresse pas, la rabroua Rafe d’un ton
sec. Je veux les faits.
— Mon frère était parti en voyage, j’en ai profité pour fuir. Je lui ai juste
laissé un mot pour lui dire que je partais et qu’il ne devait pas essayer de me
retrouver. Ensuite, j’ai persuadé l’un des pilotes du palais de m’emmener sur la
côte ouest des États-Unis.
— Comment as-tu réussi ce coup de force ?
— Je te laisse deviner. En tout cas, il n’a pas regretté.
— J’imagine que tu l’as payé très cher, car ce voyage a sans doute signé la
fin de sa carrière de pilote officiel de la famille royale.
— Je ne l’ai pas forcé. Il était heureux de m’aider.
— Que s’est-il passé ensuite ?
— Il m’a conduite dans un petit port de Californie et m’a présenté à un de
ses amis, un homme du nom de Travis Matthews, qui possédait un bateau
suffisamment grand pour traverser le Pacifique. Et c’est ce que j’ai fait.
Rafe écarquilla les yeux, visiblement incrédule.
— Tu as traversé le Pacifique en bateau ?
— Ne sois pas étonné. Je sais naviguer, j’aime beaucoup la mer et les
bateaux. En plus, il y avait un équipage de six personnes, je n’étais pas seule. La
traversée nous a pris plusieurs semaines, c’était…
Elle s’interrompit net, happée par ses souvenirs.
— C’était… ? l’encouragea Rafe.
Cette partie du voyage avait remis toute sa vie en perspective. La joie d’être
au milieu de nulle part, sur l’eau, le plaisir de la solitude, la beauté des couleurs
changeantes de l’océan et des étoiles dans le ciel, l’incroyable sensation de
liberté, comme elle n’en avait jamais connu jusqu’alors… Jamais elle
n’oublierait cette expérience.
Sur le visage fermé de Rafe, Sophie ne lisait que de la colère — quel
contraste avec le désir qui brûlait dans ses prunelles quelques heures plus tôt !
Pourquoi lui raconter son secret si plus elle en disait, plus il se renfrognait ?
— C’était une expérience intéressante, conclut-elle d’une voix neutre.
— Que s’est-il passé quand tu es arrivée en Australie ?
— Nous avons accosté à Cairns, où Travis avait un ami. Il m’a conduite dans
la direction de l’Outback. En route, je me suis arrêtée dans un magasin pour
m’acheter une nouvelle garde-robe.
Rafe posa un regard méprisant sur sa tenue.
— Dans une friperie, on dirait…
— Exactement ! Je ne voulais rien qui ne permette à qui que ce soit de me
reconnaître. Et tu sais quoi ? C’était une véritable libération. En m’habillant
ainsi, j’ai eu l’impression d’être comme toutes les autres femmes, pour la
première fois de ma vie.
— Sauf que la plupart des femmes ne possèdent pas des comptes en banque
remplis de milliards de dollars !
* * *
* * *
Sophie serra les dents. Que de méchanceté dans la voix de Rafe ! Et quel
changement depuis la nuit précédente…
Entre ses bras, elle s’était sentie en sécurité, protégée. Elle avait eu
l’impression d’être capable d’atteindre tous ses objectifs. Pendant des heures,
elle avait frissonné de plaisir tandis qu’il explorait chaque centimètre carré de sa
peau, avec ses doigts experts, avec sa bouche magique, avec sa langue
coquine… À chaque caresse, elle avait découvert de nouveau sommets de
plaisirs.
Rafe Carter s’était révélé l’amant parfait ; et maintenant, il la regardait
comme s’il la méprisait, comme si elle n’était qu’un vulgaire insecte qu’il avait
envie d’écraser avec la semelle de sa chaussure.
— Crois-tu qu’il soit juste de me critiquer simplement parce que je suis née
dans une famille royale ? Je ne suis pas responsable de ma naissance.
— Tu préférerais que je te critique à cause de tes mensonges répétés ?
— Je ne pouvais pas te révéler ma véritable identité. Je ne pouvais pas en
parler à qui que ce soit, sinon je n’aurais pas pu rester ici. Tu devrais pouvoir le
comprendre.
— Si tu me l’avais avoué, et si tu m’avais avoué être vierge, j’aurais eu le
choix de décider si je voulais ou non être utilisé comme amant dans ta petite
aventure autour du monde, la taquina-t-il, malicieux soudain.
— Il ne s’agit pas de cela.
— Ah non ? Tu m’as choisi parce que nous avons noué un lien profond en
l’espace de moins d’une semaine ? ironisa Rafe.
— À vrai dire, je n’ai pas tenté d’analyser les faits, je me suis juste laissé
porter. Et puis tu oublies que nous étions deux à décider. À moins que tu ne
préfères nier ton rôle dans l’histoire ?
— J’ai juste envie de comprendre. Est-ce que j’ai coché toutes les bonnes
cases ? Riche, célibataire et séduisant, j’avais toutes les caractéristiques pour être
l’amant parfait capable d’offrir à la princesse délaissée sa première expérience
sexuelle ?
— Espèce de salaud !
Sophie lança une ceinture sur la pile de T-shirts. Le détachement cynique et
la mauvaise foi de Rafe la mettaient hors d’elle. Elle en avait assez de cacher sa
colère. De toute façon, la colère était préférable à la vulnérabilité qu’elle sentait
monter en elle.
Le téléphone de Rafe vibra. Il le sortit pour prendre l’appel, sans jamais
cesser de la fixer. Elle continua à emballer ses affaires.
— Où as-tu l’intention de partir ? lui demanda-t-il après avoir raccroché.
Elle ne leva pas la tête. Tout à coup, elle avait peur de ne pas être capable de
cacher sa fragilité.
— Je n’ai pas encore réfléchi à la question.
* * *
* * *
Lasse, Sophie soupira. Elle se trouvait à dix mille mètres au-dessus de la mer
de Chine, à des heures encore de l’arrivée en Angleterre, et elle s’ennuyait. Que
pourrait-elle bien faire pour rompre son ennui ?
Et s’ils discutaient ? Elle se tourna vers l’homme au visage sévère, assis en
face d’elle.
— Je suis surprise que tu n’aies pas de gardes du corps, hasarda-t-elle.
Rafe baissa le journal qu’il était en train de lire et lui adressa un regard noir.
Apparemment, il n’était pas heureux d’avoir été interrompu.
— Pourquoi diable aurais-je des gardes du corps ?
La réponse était pourtant évidente, il suffisait de regarder le luxe du jet.
— Tu voyages comme un prince, tu es riche comme Crésus. Tu n’as pas
peur que quelqu’un te kidnappe ?
— Je suis ceinture noire de karaté. Je suis tout à fait capable de me défendre
tout seul.
Il reprit son journal, mettant un terme à la conversation. Sophie replongea
dans ses réflexions. Pourquoi lui en voulait-il ? Elle n’avait rien fait de mal. En
plus, sa question n’était pas idiote. Leur voyage depuis Poonbarra avait en effet
pris des allures de convoi princier.
Elle avait été triste de quitter la ferme et ses ouvriers, qui l’avaient acceptée
comme si elle était l’une des leurs. Pour eux, elle n’était qu’une femme ordinaire
qui avait appris à cuisiner, à nettoyer les sols et à utiliser un lave-vaisselle.
Avant de partir, la perspective de révéler son identité à Andy et aux autres
l’avait beaucoup angoissée. Elle avait eu peur que leur regard sur elle ne change.
Finalement, elle avait eu tort de s’inquiéter : ils avaient réagi comme si son statut
n’avait aucune importance pour eux. Ils avaient juste regretté sa décision de
partir.
À vrai dire, elle aussi. Elle avait même eu les larmes aux yeux lorsque la
voiture avait quitté la ferme. Sans doute ne reviendrait-elle jamais à Poonbarra,
dans ce havre de paix où elle avait découvert la liberté, où elle s’était découverte.
Avant d’embarquer dans le jet privé de Rafe, celui-ci l’avait obligée à
appeler son frère pour l’informer qu’elle prenait le chemin de l’Europe. D’abord
en colère, Myron s’était radouci lorsqu’il avait compris qu’elle était entre de
bonnes mains.
Et maintenant, ils volaient vers l’Angleterre, où elle allait rencontrer la
famille d’un homme qui visiblement ne la supportait pas. Était-ce un rêve ? Non,
plutôt un cauchemar. Son cœur se serra.
Tout allait bien avant que Rafe ne fasse son apparition à Poonbarra. Sa vie
était parfaite, Sophie mûrissait, elle grandissait, et elle pensait disposer de
plusieurs mois encore avant de prendre les nécessaires décisions concernant son
avenir. Malheureusement, l’arrivée de son patron avait modifié tous ses plans.
Et si elle lui demandait des informations sur les vols vers Isolaverde, pour
pouvoir repartir sitôt le baptême terminé ? Elle le dévisagea, s’attarda sur ses
traits sévères. Non, mieux valait attendre, se concentrer d’abord sur la première
étape du voyage.
Elle se racla la gorge pour se donner du courage.
— Peux-tu me parler de ta famille ?
Il se tourna vers elle. Son visage était davantage hostile qu’amical.
— Que veux-tu savoir ?
— J’aimerais juste en savoir un peu plus ; qui sera présent à ce baptême, par
exemple.
* * *
Rafe réprima un soupir. Il n’était pas d’humeur à discuter avec Sophie. Il lui
en voulait toujours. Elle l’avait trompé en ne lui révélant pas qui elle était, puis
en le séduisant sans lui avouer qu’elle était vierge. Elle l’avait déçu.
Hélas, si sa raison était en colère contre elle, son corps, par contre, ne
semblait pas du même avis et n’avait qu’une envie : faire l’amour avec la
superbe princesse. Il n’avait même pas besoin de fermer les yeux pour
l’imaginer s’arc-bouter sous ses coups de reins, ses longues jambes de nouées
autour de ses hanches. À cette idée, sa température interne grimpa en flèche.
Il voyageait rarement avec ses maîtresses. La perspective de passer de
longues heures avec elles dans un espace clos le rebutait. Cette fois cependant, il
n’avait pas eu le choix.
Son regard glissa vers Sophie. Après tout, il pouvait bien lui répondre, ses
questions étaient légitimes.
— Il s’agit du baptême de mon neveu.
— Le fils de ta sœur ou de ton frère ?
— Le fils d’un de mes demi-frères.
— Combien en as-tu ?
— J’en ai trois, ainsi qu’une demi-sœur, Amber.
Il lâcha un soupir de frustration et posa son stylo avant de poursuivre :
— Enfin… à ma connaissance.
— Tu n’en es pas sûr ? s’étonna Sophie.
Il n’y avait pourtant rien de surprenant connaissant son père. Mais Sophie ne
venait pas du même monde que lui, il ne devait pas l’oublier. La vie privilégiée
qu’elle avait toujours menée l’avait protégée des relations chaotiques, des
aventures extraconjugales et des enfants nés hors mariage.
— Mon père aimait les femmes. Ambrose Carter était un séducteur,
autrefois. C’est sans doute pour cette raison qu’il s’est marié quatre fois et que
j’ai autant de frères et sœurs. Il y a Amber, Chase, Gianluca et Nick, le père du
bébé.
— Vont-ils tous être présents ?
— Tous sauf Chase. Il se trouve en ce moment au fin fond de l’Amazonie.
Les parents de Molly, la femme de Nick, sont décédés tous les deux, mais sa
sœur jumelle sera présente. Comme je te l’ai déjà dit, c’est un peu compliqué.
— Ton père s’entend-il bien avec tous ses enfants ?
Rafe esquissa un sourire désabusé.
— Dans la mesure où les différentes mères le permettent, oui. Le bonheur
d’un enfant dépend d’abord de sa mère. Malheureusement, les femmes qui
choisissent un homme en fonction de sa fortune ne sont pas forcément celles qui
font passer le bien-être de leurs enfants avant tout.
— Ta mère était ce genre de femme ?
— On peut le dire ainsi, lâcha-t-il dans un rire amer. Je crois même que le
terme de croqueuse de diamants a été inventé pour elle.
— Je suis désolée.
— Il n’y a aucune raison de l’être. Ma famille est ainsi, j’ai grandi dans ce
monde, dans ces conditions. Je n’ai jamais rien connu d’autre.
— En as-tu souffert ?
Rafe leva les yeux au ciel. Les questions de Sophie commençaient à
l’exaspérer. Il avait digéré son passé depuis bien longtemps. Il avait tourné la
page, il n’avait plus envie de revenir dessus.
— Je n’étais pas sa priorité, alors j’ai passé beaucoup de temps tout seul. À
quoi bon en dire plus ? continua-t-il en haussant les épaules. Tu ne peux sans
doute pas comprendre. Tu as vécu loin de certaines réalités.
— Si tu penses que, parce que je suis princesse, j’ai grandi dans de la soie,
alors tu te trompes !
— Et toi, si tu essayes de me faire pleurer, tu perds ton temps.
— Rassure-toi, ce n’est pas ce que j’essayais de faire. Je sais bien que tu ne
possèdes pas une once d’empathie ! Les gens imaginent que c’est facile d’être
une princesse, qu’on passe ses journées assise sur un trône, une couronne sur la
tête…
— Ma pauvre ! coupa Rafe, de nouveau cynique.
* * *
* * *
* * *
Lorsque Rafe ouvrit les yeux, il lui fallut quelques secondes pour se rappeler
où il était. Il n’était pas le seul des globe-trotters à connaître ce problème. Mais
contrairement à la plupart des gens, qui craignaient ce sentiment d’inconnu, il
appréciait les changements.
Il ne connaissait même que le changement.
Hier, il avait avoué à Sophie que sa mère n’avait été qu’une croqueuse de
diamants. C’était la vérité, et au fil des années il l’avait acceptée, sans en
souffrir. Pourquoi aurait-il souffert, d’ailleurs ? Puisqu’il n’avait rien connu
d’autre, il ne disposait d’aucun élément de comparaison. Ses parents l’avaient
régulièrement repoussé pour se consacrer à leur nouveau partenaire. C’était la
vie. Sa vie. Petit, il avait appris à passer de longs moments seul dans des
chambres d’hôtel anonymes, en attendant le retour de sa mère partie s’amuser. Il
avait appris à appeler le service de chambre pour ne pas mourir de faim, et à se
coucher seul à la fin des dessins animés. Il avait appris à jouer avec les cartes
qu’il avait eues en main et il y était parvenu, en construisant un mur de défense
autour de son cœur.
Au départ, les fondations de ce mur étaient fragiles. Que savait un petit
garçon des moyens de se protéger et de grandir seul ? Ce n’était pas dans l’ordre
naturel des choses. Petit à petit, il s’était cependant endurci, et aujourd’hui plus
rien ne le touchait. Plus rien du tout.
Aujourd’hui, il possédait un cœur de pierre.
Un sentiment de plénitude le gagna, comme après chaque nuit torride qu’il
passait. Rêveur, il tourna la tête. Il constata que Sophie n’était pas là : le lit était
vide à côté de lui.
Il s’étira et tendit l’oreille. Se trouvait-elle à la salle de bains ? Était-elle en
train de se préparer avant de revenir pour l’embrasser ? Non, il n’entendait aucun
bruit.
L’absence de Sophie était une bonne nouvelle. Il n’avait pas envie qu’elle se
love contre lui et lui caresse le torse comme les autres femmes, lui demandant
d’une voix mielleuse ce qui faisait battre son cœur ou à quoi il pensait.
Quelques heures plus tôt, leurs deux corps à moitié endormis s’étaient
trouvés, puis unis le plus naturellement du monde, comme s’ils avaient été
programmés pour le faire. Les yeux encore fermés, Rafe s’était enivré de la peau
de Sophie, aussi douce que la soie, de son corps chaud, puis il lui avait fait
l’amour avec langueur et passion à la fois.
Lorsque Sophie avait joui, elle avait prononcé quelques mots en grec. Sans
doute des mots doux. Même s’il ne les avait pas compris, ils l’avaient mis mal à
l’aise et avaient mis en alerte tous ses sens. Quand une femme commençait à
parler sur ce ton, les problèmes n’étaient jamais bien loin… Il ne lui restait plus
qu’à espérer qu’elle ne s’attachait à lui que parce qu’il était son premier amant,
et qu’elle confondait orgasmes et sentiments. Avec un peu de chance, il ne serait
pas obligé de lui rappeler qu’il serait vain pour elle de tomber amoureuse de lui.
D’un geste brusque, il repoussa la couette et sortit du lit. Il se dirigea vers la
fenêtre et contempla le décor. Il passait tellement peu de temps en Angleterre,
depuis quelques années, qu’il avait oublié combien la campagne pouvait y être
belle.
Il avait dû beaucoup neiger pendant la nuit : l’allée menant à la maison avait
disparu sous un épais tapis blanc. Et il neigeait toujours — ce n’était vraiment
pas le jour idéal pour un baptême.
Sophie n’était toujours pas de retour, lorsqu’il sortit de la douche. Tant pis. Il
s’habilla et descendit le grand escalier.
* * *
Rafe suivit les voix qui provenaient de la salle à manger. Sur le seuil, il
s’arrêta net, abasourdi, incrédule.
Sophie était au centre de la scène qui se jouait devant lui, mais pas parce
qu’elle se comportait comme une princesse. Elle était assise en tailleur sur le
tapis, devant un immense sapin de Noël, et était en train de jouer avec son neveu.
Elle souleva le bébé dans les airs avant de lui chatouiller le ventre jusqu’à ce que
le petit garçon éclate de rire. À côté d’elle, sur le canapé, se trouvait Molly, la
mère d’Oliver. Elle admirait le spectacle avec un regard empli de fierté
maternelle.
Tout à coup, son cœur lui faisait mal, un peu comme s’il venait d’être
poignardé avec un pic à glace. Bizarre…
Soupira-t-il ? Bougea-t-il ? Fit-il du bruit ? En tout cas, les deux femmes se
tournèrent en même temps vers lui. Sophie tenait toujours Oliver contre son
épaule. Il la dévisagea et remarqua des traces d’inquiétude dans son regard. Ces
lueurs disparurent aussi rapidement qu’elles étaient apparues, et elle
recommença à jouer avec le bébé comme si de rien n’était.
Molly se leva et s’approcha de lui, les bras grands ouverts et un large sourire
aux lèvres.
— Rafe ! Tu es enfin réveillé ! Je suis heureuse de te voir. Regarde, Oliver a
déjà réussi à séduire Sophie. Petit cachottier, reprit-elle avec un clin d’œil
malicieux, pourquoi ne pas nous avoir annoncé avec qui tu venais ?
Il se força à sourire puis embrassa sa belle-sœur.
— Sophie préfère voyager incognito. De toute façon, je vois qu’elle se sent
déjà chez elle. Elle sait très bien s’acclimater aux nouveaux environnements,
n’est-ce pas Sophie ? Où est Nick ?
— Il est allé rendre visite au prêtre qui doit célébrer le baptême. La plupart
des invités arrivent en fin de matinée.
Sa belle-sœur s’interrompit et reprit le bébé des bras de Sophie.
— Je vais l’emmener faire une petite sieste avant le début des festivités. Tu
as été géniale avec lui, Sophie, merci beaucoup.
— C’était un plaisir. C’est un bébé magnifique.
— Je sais ! Mais comme je suis sa mère, je ne suis pas objective. Pour être
honnête, je suis heureuse de faire enfin la connaissance d’une des petites amies
de Rafe. D’habitude, j’apprends seulement leur existence en lisant les journaux à
scandale.
Molly sortit de la pièce avec le bébé, et le silence s’installa.
* * *
* * *
Le lit avait été fait, le bouquet avait été changé et des branches de houx
disposées sur l’appui de fenêtre. À l’extérieur, tout était calme, en contraste total
avec ce que Sophie ressentait.
Elle entendit Rafe fermer la porte derrière lui mais elle ne se retourna pas.
Elle s’assit devant la coiffeuse et commença à défaire son chignon. Elle jeta un
coup d’œil à son amant dans le miroir. Il fronçait les sourcils, visiblement
mécontent. Tant pis pour lui !
Sans un mot, il traversa la pièce, lui posa les mains sur les épaules et
commença à les caresser, avec tant de douceur que Sophie fondit aussitôt. Elle se
força alors à se dégager de son étreinte. Hors de question de céder !
— Arrête.
— Tu veux vraiment que j’arrête ?
Il était surpris ? Encore une preuve de l’incroyable arrogance dont il faisait
preuve.
— Oui, arrête, s’il te plaît.
Elle commença à démêler ses cheveux.
— Tu t’es déjà lassée du sexe ? s’enquit-il.
Elle leva les yeux au ciel et lâcha un petit rire désabusé. Il ne manquait
vraiment pas de toupet !
— Ne fais pas semblant d’être naïf. Je sais que toutes les femmes sur Terre
tombent sous ton charme d’un claquement de doigt, mais laisse-moi te dire qu’il
ne suffit pas d’appuyer sur un interrupteur pour allumer les émotions. Ça ne
marche pas de cette façon.
— Qui parle d’émotions ?
Elle reposa sa brosse à cheveux et se retourna vers lui.
— Si le mot « émotion » te gêne, parlons simplement de respect et de bonnes
manières. Tu étais froid avec moi en bas, tu m’as accusée d’avoir comploté
derrière ton dos, tu m’as foudroyée du regard et, à la minute où nous nous
retrouvons dans cette chambre, je suis censée tomber dans tes bras ?
Rafe fit un pas en arrière. Sophie bichait de voir que sa franchise l’avait
déstabilisé.
— J’ai eu l’impression que tu te sentais très à l’aise avec ma famille.
— Et alors ? Tu aurais préféré que je sois distante ? Tu ne te rends donc pas
compte que c’est justement ce comportement que les gens attendent de moi ?
J’ai passé un bon moment avec des gens qui m’ont traitée comme si j’étais une
femme normale, des gens qui semblaient se moquer de mon statut de princesse.
Si cela te pose un problème, j’aimerais bien savoir lequel !
— Je n’ai pas envie qu’ils se fassent des idées au sujet de notre relation.
Elle lâcha un petit rire désabusé.
— Si j’étais toi, je ne me ferais pas de souci. Je suis certaine que la manière
dont tu te comportes avec moi suffira à les convaincre que notre relation est sans
avenir. Je regrette juste qu’en me traitant ainsi, tu gâches le présent.
L’espace d’un instant, il demeura immobile, le regard noir. Avait-elle marqué
un point ?
— C’est ce que je fais ? finit-il par demander.
— Oui. Et explique-moi quelque chose, poursuivit-elle, galvanisée par sa
propre audace, que se passe-t-il entre Sharla et toi ? Quelle est l’histoire entre
vous ?
— Qu’est-ce qui te fait croire qu’il y a eu une histoire ?
— C’est une simple question.
* * *
* * *
Après avoir repris son souffle, Rafe tourna la tête. Sophie était alanguie sur
l’oreiller, les yeux fermés, un sourire rêveur aux lèvres.
— Tu as joui ?
— Oui, répondit-elle en ouvrant les yeux. Tu ne l’as pas remarqué ?
Il fixa le plafond. À vrai dire, il avait perdu toute notion de la réalité pendant
que leurs corps fusionnaient. Un cambrioleur aurait pu entrer dans la pièce, il ne
l’aurait même pas remarqué. C’était fou… Comment Sophie Doukas, cette jeune
femme qui découvrait à peine l’amour physique, pouvait-elle l’envoûter de cette
façon ?
Il se redressa sur un coude et se força à jeter un coup d’œil sur sa montre
pour ignorer la nouvelle vague de désir qui était en train de l’envahir.
— Il faudrait que je descende pour aider mon frère à déneiger l’allée.
— Je peux vous aider, si tu veux.
— Toi ?
— Pourquoi es-tu surpris ? Ma proposition n’a rien d’extraordinaire. Tu ne
crois pas une princesse capable de travail physique ? J’ai traversé l’océan
Pacifique ce n’est pas un peu de neige qui va m’effrayer.
8.
* * *
Son neveu gigota dans ses bras, et le cœur de Rafe se serra. Des gouttes de
sueur perlèrent à son front. Si seulement il avait pu fuir… Le petit Oliver était
adorable, certes, malheureusement ses fossettes et ses petites boucles blondes ne
suffisaient pas à lui faire oublier la tristesse et la culpabilité qui rugissaient en
lui.
Voilà pourquoi il ne tenait jamais de bébé dans ses bras : cela le faisait
souffrir en réveillant des souvenirs douloureux. À quoi ressemblerait sa vie, si…
Non, il ne devait pas y penser. Pas maintenant. Oliver ressentait-il la tension qui
empêchait son oncle de respirer ? Peut-être car le bébé se mit à grimacer, comme
s’il était sur le point de pleurer.
— Berce-le un peu, lui conseilla Ambrose.
Rafe fusilla son père du regard par-dessus les petites boucles fines de son
neveu. Il essaya d’agir comme Sophie lorsqu’elle avait joué avec Oliver, le matin
même.
— Que connais-tu des bébés ? Tu n’étais pas très présent, lorsque tes enfants
étaient petits. Chase, ton propre fils, a même cru que tu étais le facteur un jour
où tu étais arrivé sans prévenir. Tu t’en souviens ?
— Je sais, je sais. J’admets que j’ai été un mauvais père, dit Ambrose en
soupirant. Je me suis marié trop jeune et trop souvent. Toi, au moins, tu as pris
ton temps avant de choisir une femme, ce qui veut dire que tu as sans doute eu
plus de chance que moi. En plus, elle est très belle, conclut-il après une légère
pause.
— Tu parles de Sharla ? demanda Rafe en fronçant les sourcils
La sœur de Molly venait de revenir dans le salon.
— Non. Sharla est comme une de ces belles plantes que tu vois dans la
vitrine du fleuriste, une plante qui exige beaucoup d’entretien mais qui, même si
tu t’en occupes bien, demeure imprévisible. Je parle de ta jolie princesse aux
yeux bleus, qui, malgré ses origines sociales, a l’air tout à fait normale, elle.
Rafe se dit qu’il fallait à tout prix qu’il informe son père que Sophie n’était
pas sa petite amie, et encore moins sa future femme. Il ouvrit la bouche… puis la
referma. Il ne savait plus quoi dire.
En plus, il devait bien s’avouer qu’il était un peu d’accord avec Ambrose.
Sophie était surprenante, et pas seulement parce qu’elle ne mettait pas son statut
en avant ou parce qu’elle les avait tous étonnés en déneigeant l’allée, vêtue
d’une ancienne tenue de ski de Molly et d’un bonnet peu flatteur. Elle lui avait
prouvé être une des maîtresses les plus enthousiastes qu’il avait rencontrées,
prête à tout, y compris à partager de nouvelles expériences et quelques
acrobaties sous la douche. En dépit de son manque d’expérience, cette jeune
femme n’avait pas été rebutée par son cynisme habituel et avait réveillé son
appétit sexuel — qui avant elle semblait pourtant sur le point de s’éteindre.
Oliver recommença à gigoter dans ses bras. Rafe le leva dans les airs et le
bébé éclata de rire. Aussitôt, une vague de sentiments inédits l’étreignit et lui
réchauffa le cœur.
— Tu n’as jamais voulu avoir des enfants ? demanda soudain Ambrose.
— Non, répondit-il, sans parvenir à quitter le bébé du regard.
— Dans ce cas-là, as-tu pensé à qui tu légueras ta fortune ?
Rafe retint un ricanement amer. À quoi bon être nostalgique et avoir des
regrets ? Cela ne l’avancerait à rien.
— Je suis persuadé que de nombreuses associations caritatives sauront faire
bon usage de mon argent.
— Ce n’est pas la même chose. Crois-moi quand je te dis que la seule chose
qui compte, c’est ton sang et ta chair. Rien d’autre n’a de valeur.
Surpris, il se tourna vers son père. Qu’arrivait-il à celui-ci ? Était-il en train
de faire le bilan de sa vie ?
* * *
Pendant le repas, Rafe repensa aux mots de son père. Jusqu’à présent, le fait
de ne pas avoir de descendance ne l’avait pas dérangé, mais soudain il avait
l’impression que quelque chose lui manquait. Deviendrait-il un vieil homme
solitaire, sans personne à qui léguer sa fortune ? Et en avait-il envie ?
De retour au salon, il tenta de respirer calmement. En vain. L’air lui
manquait tout à coup, comme si les murs de la pièce se rapprochaient et
l’étouffaient. Sans réfléchir, il traversa la pièce et se dirigea vers Sophie. Elle
était en train de discuter avec une des marraines d’Oliver. Il lui passa un bras
autour de la taille et l’entraîna à l’écart. Il était soudain impatient d’oublier ses
questions et ses démons grâce au corps de déesse de sa maîtresse.
— Viens dans la chambre, lui murmura-t-il dans le creux de l’oreille.
* * *
Sophie recula pour fixer Rafe droit dans les yeux, surprise.
— Les invités risquent de s’apercevoir de ton absence.
— Peu importe.
Elle hésita. Rafe était un peu trop autoritaire à son goût. Se comportait-il
toujours ainsi ? Et parvenait-il toujours à ses fins ? D’un autre côté, pourquoi
refuser de l’accompagner ? Elle commençait à en avoir assez des coups d’œil
réguliers de Sharla dans sa direction, même si elle ne pouvait rien lui reprocher.
La jeune femme s’était comportée de façon tout à fait correcte avec elle depuis
qu’elle avait fait sa connaissance.
Elle accepta de le suivre.
Elle demeura silencieuse jusqu’à ce qu’il referme la porte de leur chambre
derrière eux. Elle retira alors l’étole de pashmina qu’elle avait mise sur ses
épaules et la posa dans le fauteuil.
— Pourquoi m’avoir obligée à te suivre jusqu’ici ? La fête n’est pas encore
terminée. Est-ce un petit jeu à destination de Sharla ?
— De quoi parles-tu ?
Sophie se tourna vers la fenêtre et, songeuse, fixa l’horizon. L’allée déneigée
lui faisait penser à un serpent noir, au milieu du paysage uniformément
immaculé.
— Je n’ai pas d’expérience, je n’ai aucun amant caché dans un placard. Je
sais cependant faire une chose : observer les gens.
Elle se retourna, toisa Rafe et prit une grande inspiration pour se donner du
courage avant de poursuivre :
— Pour un couple qui a rompu il y a dix ans, je trouve que votre relation est
loin d’être apaisée. Que t’a-t-elle dit, en bas ?
— Cela ne te regarde pas.
— Je pensais bien que tu allais me répondre cela. Que se passe-t-il ? Es-tu
toujours amoureux d’elle ?
— Amoureux de Sharla ! s’écria-t-il en serrant les poings. Tu as perdu la
tête !
— Alors de quoi s’agit-il ? Je vois bien qu’il se passe quelque chose entre
vous.
— Quelque chose… Oui, on pourrait dire cela.
Il se tut et fit un pas vers elle. Puis il se passa une main lasse sur le visage.
— Tu veux vraiment savoir ce qu’elle m’a dit ? reprit-il d’une voix traînante.
Te sentirais-tu mieux si je t’avouais qu’elle m’a dit qu’elle serait très heureuse de
partager à nouveau mon lit ?
Le cœur de Sophie se serra dans sa poitrine, mais elle ignora sa douleur. Sa
curiosité n’était toujours pas comblée.
— C’est tout ?
* * *
* * *
Elle serra les poings pour ne pas s’effondrer. Elle avait si mal pour lui
qu’elle avait envie de le prendre dans ses bras, de le serrer fort, de caresser son
visage ravagé par la douleur, de lui offrir toute la tendresse qu’elle possédait en
elle pour lui faire oublier sa souffrance.
Elle se retint cependant. Son instinct lui soufflait que ce n’était pas la
solution avec cet homme abîmé par la vie. Il s’était confié, il lui avait livré le
secret qui le hantait toujours ; le comprendre suffisait sans doute. Pour l’instant.
— Je suis désolée.
— Oui, moi aussi. Je l’aurais soutenue, je lui aurais donné de l’argent. Je
l’aurais même épousée, si l’avait fallu. J’aurais fait tout ce qu’elle désirait.
Malheureusement, elle ne m’en a pas laissé la possibilité.
— Tu n’aurais rien pu faire, elle ne voulait pas que tu sois au courant. Tu as
répondu à ses questions avec sincérité parce que tu ignorais pourquoi elle te les
posait.
— J’aurais peut-être pu deviner…
— Non, pas avec le genre de rapports que vous partagiez. Est-ce à cette
époque que tu as quitté l’Angleterre ?
Il approuva d’un geste de la tête.
— Je n’ai pas eu d’autre choix que de fuir et de laisser ma vie passée
derrière moi. Je suis partie pour l’Australie, où j’ai commencé une nouvelle vie.
J’ai ouvert des bureaux à Brisbane et j’ai acheté la ferme. Je me suis trouvé au
bon endroit au bon moment, le pays découvrait juste les nouvelles technologies.
J’ai commencé à gagner énormément d’argent et je me suis concentré sur le
travail pour oublier. Tout mon temps libre, je le passais à Poonbarra, à travailler
la terre.
Il avait fui la réalité. Il s’était créé une nouvelle vie, loin de la douleur
causée par l’ancienne. Exactement comme elle… Sans doute était-ce pour cette
raison qu’il rentrait rarement en Angleterre et qu’il avait aussi peu vu sa famille
ces dernières années : la perspective de croiser la sœur jumelle de Molly devait
le paniquer.
Elle repensa aux récits qu’il lui avait faits. Plusieurs femmes l’avaient
blessé. Pas étonnant alors qu’il fuie tout engagement désormais et ne s’intéresse
qu’au sexe. Or aujourd’hui il avait regardé en face son sombre passé. Cela
voulait-il dire qu’il pouvait enfin avancer ?
— Rafe…
— Non, coupa-t-il, glacial. Je n’ai plus envie d’en parler. Tu comprends ?
Oui, elle comprenait parfaitement. Elle se contenta d’un simple geste de la
tête tandis qu’il s’approchait d’elle. Il lui suffisait d’observer son regard noir et
sa démarche animale pour deviner qu’il avait l’intention d’oublier sa colère et sa
frustration entre ses bras. Se servait-il d’elle ? L’utilisait-il pour oublier la
douleur causée par une autre femme ? Devait-elle refuser ?
Non.
Au moment où Rafe referma ses bras puissants autour d’elle et l’embrassa,
Sophie oublia ses doutes et ses questions. Quel était le problème si la passion
était la solution à la colère ?
Le baiser de Rafe fut brutal, vorace. Mais, lorsqu’il lui prit le visage en
coupe, le baiser devint instantanément plus doux, plus tendre.
Il fit glisser la fermeture Éclair de sa robe tandis qu’elle défaisait sa ceinture.
Elle était pressée de le déshabiller, mais pas seulement. Son cœur battait plus
fort, tout à coup. Une partie d’elle-même avait soudain envie d’autre chose
qu’une satisfaction physique.
Le tapis devant la cheminée n’était pas spécialement doux, mais peu lui
importait. Tout ce qu’elle ressentait, c’était la chaleur des flammes qui
réchauffait sa peau nue pendant que leurs deux corps s’emboîtaient à la
perfection. Rafe était allongé sur le dos et Sophie le chevauchait — elle s’était
laissée glisser avec bonheur sur son impressionnante virilité. Ils n’avaient jamais
fait l’amour dans cette position. Malgré sa timidité initiale, elle oublia tout en
lisant le plaisir sur les traits si séduisants de son compagnon.
Il posa les mains sur ses seins tendus et joua avec leurs tétons tandis qu’elle
ondulait sur lui sans la moindre retenue. Lorsque les signes avant-coureurs de
l’orgasme la saisirent, Rafe agrippa ses hanches pour aller plus profondément en
elle, jusqu’à ce qu’elle exprime sa jouissance dans un long cri, suivi de quelques
mots en grec.
* * *
Elle avait dû s’endormir car quand elle ouvrit les yeux, Sophie constata que
Rafe les avait enveloppés dans une couverture. Son corps était plaqué contre son
dos. Elle les referma et savoura l’instant, la sensation exquise de sa peau
brûlante contre la sienne, la façon dont il avait posé le bras sur ses hanches
comme pour la garder près de lui, ses doigts caressant doucement le triangle
bouclé de sa toison.
Les souvenirs de l’aveu qu’il lui avait fait un peu plus tôt remontèrent à sa
mémoire. À sa grande surprise, il s’était libéré, lui avait ouvert son cœur. Sa
confidence avait-elle un sens ? Se trompait-elle en y lisant un signe ? Peu
importait, de toute façon, le futur pouvait bien attendre. Être allongée contre le
fabuleux Rafe Carter suffisait pour le moment à son bonheur.
Elle sursauta soudain en entendant frapper à la porte.
— Rafe ? lança la voix de Nick.
— Pas maintenant, bougonna-t-il, son souffle chaud contre le cou de Sophie.
— Je dois te parler. C’est urgent.
Rafe poussa un juron, puis se leva et se glissa dans son jean avant d’ouvrir la
porte. Il n’invita pas son frère à entrer, aussi Sophie ne pouvait-elle pas entendre
la conversation, juste distinguer quelques murmures.
Quelques instants plus tard, Rafe referma la porte et revint vers le lit. Elle
leva les yeux vers lui. Si elle pensait pouvoir lire en lui parce qu’il s’était confié
un peu plus tôt, alors elle s’était bien trompée ! Son visage était encore plus
sévère qu’avant, son regard encore plus noir.
— Il y a un problème ?
— On pourrait dire ça, oui. Mon frère vient d’avoir un coup de fil du patron
du pub du village. Un couple a pris une chambre, il pense qu’il s’agit de
journalistes.
Sophie se redressa, abasourdie.
— Comment… ?
— Je pense que Sharla les a informés de ta présence ici. Peu importe que ce
soit volontaire de sa part ou non, la question est : que devons-nous faire,
maintenant ?
Elle resserra un peu plus la couverture autour de son corps ; elle avait froid,
tout à coup.
— Il n’y a qu’une solution. Je crois que le temps est venu pour moi d’arrêter
de fuir. Peut-être devrais-je faire comprendre à Myron que je suis adulte et
capable de décider toute seule de mon avenir.
— Et de quoi sera fait cet avenir ?
— Aucune idée. J’espérais… Je ne sais pas, poursuivit-elle en haussant les
épaules. J’espérais pouvoir faire un retour chez moi un peu plus maîtrisé.
— C’est toujours possible.
Sophie secoua la tête, interdite.
— Je ne comprends pas…
— Pourquoi rentrer chez toi plus tôt que prévu, juste parce que des
paparazzis te poursuivent ?
— Parce que je n’ai pas d’autre solution ! Je ne peux pas rester ici. Et je n’ai
pas le courage d’aller me cacher ailleurs.
— Et si tu venais avec moi à New York ?
Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle le força néanmoins à se calmer.
— Je… J’imagine que tu as déjà des projets pour les fêtes.
— Aucun projet auquel je ne puisse échapper, à part mon séjour dans le
Vermont, pour skier, à partir du 26 décembre. En attendant, New York est la ville
idéale pour se cacher et vivre dans l’anonymat. Là-bas, personne ne te
dérangera.
— Je ne sais pas…
C’était un mensonge : elle savait exactement ce qu’elle avait envie de faire
et avait plutôt du mal à masquer son excitation.
— La ville est très belle, pendant les fêtes. Et nous devons encore faire
l’amour avant que je te laisse partir. Je ne t’offre pas un foyer, Sophie. Du
moment que tu comprends qu’il ne s’agit que d’un abri temporaire, tout ira bien.
Malgré la franchise de ses explications, qui ne laissaient aucun doute à
Sophie sur les sentiments que Rafe éprouvait à son endroit, elle ne réprima pas
son sourire. Impossible. En plus, elle ne pouvait pas lui reprocher d’être aussi
direct. Au moins, elle savait à quoi s’attendre. Et il lui offrait une solution.
Passer les fêtes dans une ville qu’elle ne connaissait pas était bien plus tentant
que de rentrer chez elle.
— J’accepte. Avec plaisir.
— Parfait. Dans ce cas, je vais appeler mon pilote pour qu’il prépare le jet.
En attendant, pourquoi ne laisserais-tu pas tomber la couverture… ?
9.
* * *
Le jour de Noël, Sophie se réveilla en premier. Elle se glissa hors du lit et,
sur la pointe des pieds, alla s’habiller avant de rejoindre la cuisine. Un sourire de
fierté aux lèvres, elle cassa des œufs dans un saladier. Six mois plus tôt, elle
ignorait la différence entre une poêle et une casserole. Aujourd’hui, elle était
capable de préparer la meilleure omelette de Manhattan, en tout cas selon Rafe.
Elle était en train de chanter toute seule lorsqu’il sortit de la chambre, vêtu
d’un simple caleçon, les cheveux encore en désordre.
Il la regarda de la tête aux pieds, l’air surpris.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il.
Sophie fit un tour sur elle-même pour lui faire admirer sa tenue.
— Tu n’aimes pas ?
Un frisson de désir intense traversa Rafe et éveilla sa virilité. Était-il en train
de rêver debout ? Sophie portait une adorable nuisette en soie rouge et aux bords
soulignés de fourrure blanche. Dessous, il apercevait une culotte de la même
couleur. Sur les cheveux, elle avait posé un chapeau rouge de Père Noël.
— Viens donc par ici, jolie Mère Noël.
Elle s’approcha et noua les bras autour de sa nuque.
— C’est mon cadeau de Noël pour toi. Je ne savais pas quoi t’offrir, tu as
déjà tout !
— Merci. C’est le plus beau cadeau que j’aie jamais reçu. Et j’ai bien
l’intention de l’ouvrir sans attendre !
Les œufs étaient froids lorsqu’ils les mangèrent enfin…
Après le déjeuner, ils allèrent se promener dans Central Park. Lorsqu’ils
rentrèrent, les joues rougies par le froid, ils dînèrent à côté du petit sapin qu’ils
avaient acheté et décoré la veille.
Après le dessert, Rafe lui tendit un petit paquet enrobé de papier coloré.
— Joyeux Noël, Sophie.
Les doigts tremblant, elle ouvrit le présent. Jamais elle n’avait reçu un
cadeau aussi peu cher, mais jamais non plus un cadeau ne lui avait fait autant
plaisir. Il s’agissait d’une petite boule à neige recelant une version miniature du
sapin de Noël du Rockefeller Center qu’il l’avait emmenée voir sitôt qu’ils
avaient atterri à New York. Elle le secoua et des milliers de paillettes se mirent à
tourbillonner.
Elle eut du mal à parler, tellement elle était émue.
— Rafe… C’est… C’est magnifique. Merci.
— Ainsi, tu te souviendras de New York, quand tu seras rentrée à Isolaverde.
— Quand je serai rentrée…
Une chape de tristesse s’abattit sur elle. Aujourd’hui, retrouver sa vie de
princesse ne l’inquiétait plus. Par contre, la perspective de ne plus voir Rafe tous
les jours l’angoissait. Que ressentirait-elle lorsqu’elle se réveillerait, le matin, et
qu’il ne serait plus à ses côtés ? Ces quelques semaines avec lui avaient vraiment
été les meilleures de toute sa vie.
— As-tu réfléchi à ce que tu vas faire ?
Elle sursauta en entendant cette question, à laquelle elle ne s’attendait pas.
— Vas-tu te satisfaire d’une vie passée à enchaîner les inaugurations, les
commémorations et autres cérémonies officielles ? reprit Rafe.
Sa vie au palais lui semblait si loin, tout à coup…
— Non. Je crois d’ailleurs qu’il va falloir que je prenne quelques décisions.
Je n’ai plus envie de me comporter comme une princesse qui n’a pas le droit de
parler, juste celui de sourire. Je veux travailler et jouer un véritable rôle dans mes
associations caritatives
— Et qu’en est-il de ta vie personnelle ?
— De quoi parles-tu ?
— L’histoire avec Luc t’a-t-elle refroidie ou as-tu envie de rencontrer
quelqu’un, de te marier, d’avoir des enfants ?
Mal à l’aise, Sophie bougea un peu sur le canapé pour tenter de maîtriser sa
gêne. Personne ne lui avait jamais posé une question personnelle de façon aussi
franche, aussi directe. Personne n’avait jamais osé.
— J’en ai envie, oui, comme la plupart des femmes je suppose. Je doute
cependant que cela arrive un jour : les obstacles sont très nombreux.
Le problème, c’était qu’elle ne désirait cette vie qu’avec un seul homme,
celui assis à côté d’elle…
— Quels obstacles ?
Elle réfléchit aux mots qu’elle allait utiliser. Il fallait qu’elle fasse attention.
Elle se tourna vers la fenêtre, regarda la neige tomber et réprima un soupir.
— Rencontrer l’homme idéal est plus difficile pour une princesse que pour
n’importe quelle autre femme. Comment savoir si l’on est aimée pour soi ou
pour son prestige ? Enfin, tout cela, c’est le futur, et il ne commencera que
demain, lorsque je m’envolerai vers Isolaverde et que tu partiras skier dans le
Vermont. Tu n’as pas oublié, tout de même ?
— Non, je n’ai pas oublié. D’ailleurs, pour être honnête, j’ai moins envie de
skier que de t’emmener au lit et de te faire l’amour, encore et encore.
— Tu veux profiter des dernières heures qui nous restent ?
— Pas seulement.
Pas seulement ? Elle le dévisagea, circonspecte. De quoi parlait-il ?
— Tu veux bien être plus précis ?
* * *
Un peu mal à l’aise, Rafe se passa une main dans les cheveux. Il avait essayé
de parler de façon détendue, comme si rien n’avait d’importance. Hélas, plus les
heures passaient, plus il se rendait compte que ce nouveau désir qu’il ressentait
en lui importait. Ce qui voulait dire qu’il devait agir, tout de suite, sans attendre,
et arrêter de tergiverser. Il se racla la gorge et rassembla son courage.
— Que dirais-tu si je te faisais une proposition alternative ? Une solution qui
ne t’obligerait pas à retrouver ta vie d’avant. Une solution qui pourrait satisfaire
nos… besoins respectifs.
Sophie secoua la tête. Elle semblait complètement perdue.
— Je ne comprends pas.
— Alors écoute-moi, dit-il en lui prenant la main. J’ai beaucoup réfléchi à
des mots que mon père a prononcés lors du baptême.
Il vit la curiosité se refléter dans les prunelles azur de sa maîtresse. Une
curiosité légitime : il était en effet sur le point de lui faire une proposition
étonnante. « Aurais-tu perdu la tête ? » le houspilla une petite voix intérieure. Il
s’était pourtant juré de ne jamais prononcer certains mots ! Il se força à ignorer
cette petite voix et se concentra sur ses souvenirs. Celui de la sensation ressentie
lorsqu’il avait tenu son neveu dans ses bras, de la chaleur du petit corps, de son
parfum sucré, de ses petites boucles qui lui avaient chatouillé le cou, et surtout le
souvenir de la vague d’émotions qui l’avait envahi lorsqu’il avait compris que
les blessures du passé ne cicatriseraient que lorsqu’il aurait un enfant.
— Mon père m’a demandé à qui je léguerai ma fortune lorsque je mourrai, et
je lui ai répondu que je la donnerai à une association caritative. C’est à ce
moment-là que j’ai compris que je désirais ce que je n’avais jamais eu.
— Je ne comprends toujours pas, Rafe…, murmura Sophie.
Il hocha lentement la tête, l’estomac noué. Une fois qu’il aurait parlé, il ne
pourrait plus jamais faire marche arrière. Ce serait trop tard.
— Je parle d’une famille. Une véritable famille.
Elle se pencha vers lui et noua les doigts aux siens.
— Dis-moi tout.
Soudain, il n’avait plus besoin d’encouragement. Il ne pouvait plus retenir
les mots.
— Même si je viens d’une grande famille, j’ai grandi sans connaître mes
frères ni ma sœur. Mon père a mis ma mère à la porte à cause de son
comportement ; par conséquent, nous sommes restés à l’écart du reste du clan
Carter pendant des années.
— À cause de son comportement ?
— Ma mère aimait les hommes. Elle les aimait beaucoup. Elle aimait même
les hommes plus qu’elle ne m’aimait moi.
— Oh ! Rafe, c’est…
Il leva une main pour l’interrompre.
— Après son divorce, elle n’a pas cherché un nouveau mari. Elle n’en avait
pas besoin, le juge lui avait offert une importante compensation financière. Ce
dont elle avait envie à ce moment-là, c’était de profiter de sa liberté dans les bras
d’amants plus jeunes.
— Et toi, dans tout ça ?
— C’est simple, je passais mon temps seul, expliqua-t-il, désabusé. Je la
regardais mettre les robes les plus moulantes qu’elle trouvait et se pavaner
devant moi, un verre de Martini à la main. Parfois, elle rentrait pendant la nuit,
mais souvent elle ne réapparaissait pas avant le petit matin. La plupart des
enfants détestent être envoyés en pension, mais tu sais quoi ? J’adorais la
pension car je m’y sentais en sécurité. C’était plutôt les vacances que je
redoutais.
— Pourquoi me racontes-tu tout cela ?
— Parce que quand j’ai tenu le petit garçon de Molly et Nick entre mes bras,
j’ai compris ce qui manquait à mon bonheur. J’ai compris que je désirais ce que
je n’avais jamais eu, c’est-à-dire une famille à moi. Je pense que je pourrais en
avoir une avec toi, conclut-il d’une voix soudain plus rauque en regardant
Sophie droit dans les yeux.
* * *
Sophie inspira longuement, les yeux fermés, faisant appel à tout son courage.
Puis elle les rouvrit et avança dans la salle du trône du palais royal d’Isolaverde,
escortée par un majordome et Rafe. Ses talons aiguilles claquaient sur le sol de
marbre. Elle leva les yeux vers les tableaux représentant ses ancêtres. Cela faisait
une éternité qu’elle n’était pas venue dans cette pièce. Quelques années plus tôt,
c’était ici que son frère avait été couronné, après la mort soudaine de leur père.
Les lourdes portes de bois sculpté se refermèrent derrière eux. Sa vie avait
bien changé depuis la dernière fois qu’elle avait vu son frère. Elle aussi avait
bien changé. Elle avait découvert la Californie, elle avait traversé le Pacifique en
bateau, elle s’était aventurée dans la chaleur étouffante de l’Outback australien,
puis dans la campagne anglaise enneigée, elle avait arpenté New York, la ville
qui ne dort jamais.
Et aujourd’hui elle était de retour dans son île natale.
Elle aurait dû se sentir chez elle, à l’aise, mais avait plutôt l’impression
d’être une étrangère dans son propre pays. Sans doute parce qu’elle était
accompagnée d’un homme qui s’apprêtait à demander sa main au roi.
À quoi pensait Rafe, debout à côté d’elle ? Était-il impressionné par les deux
trônes devant eux ? Des trônes décorés de diamants, de rubis et d’émeraudes
aussi gros que des balles de ping-pong. L’un d’eux était vide cependant, son
frère n’ayant toujours pas trouvé l’épouse idéale — ce qui ne l’empêchait pas
d’accumuler les aventures d’un soir. L’égalité entre hommes et femmes se faisait
encore attendre, à Isolaverde : Myron avait le droit de coucher avec autant de
femmes qu’il le désirait alors qu’elle avait été forcée de rester vierge jusqu’à sa
nuit de noces.
Elle s’attarda sur les traits de son frère : visage autoritaire, regard noir…
Contrairement à elle, il était né pour régner.
Sur un signe du majordome, ils s’arrêtèrent à quelques pas de Myron.
— Si j’ai bien compris, lança celui-ci à Rafe sans s’embarrasser des règles
élémentaires de politesse, vous avez offert l’asile à ma sœur, vous lui avez assuré
une protection efficace. Je vous en suis très reconnaissant. La princesse Sophie
s’est conduite d’une façon inappropriée. Tout est heureusement rentré dans
l’ordre aujourd’hui. Pour vous remercier, je souhaiterais vous récompenser. Des
terres, de l’argent… Je suis prêt à vous offrir ce que vous désirez, Carter. Dans
les limites du raisonnable, évidemment.
— Je vous remercie de votre offre, Altesse. Il était tout à fait normal pour
moi de protéger votre sœur. Sachez cependant que durant de longs mois elle s’est
débrouillée toute seule. Selon mes ouvriers, elle est la meilleure des cuisinières
qu’ait connues la ferme.
Le regard de son frère se fit plus sombre. Apparemment, l’idée qu’elle ait pu
travailler lui déplaisait.
— Je refuse d’imaginer la princesse dans une position de servitude, mais
oublions ces bêtises et discutons plutôt de votre récompense.
— Une récompense est inutile, Altesse. Je n’ai fait que mon devoir.
Nerveuse, Sophie serra les poings pour s’empêcher d’intervenir. Rafe ne se
rendait-il pas compte que refuser l’offre de Myron était une erreur ? Ici, jamais
personne ne refusait une proposition du roi…
Les deux hommes restèrent silencieux, les yeux dans les yeux, comme s’ils
jaugeaient leurs forces respectives. Myron semblait avoir de plus en plus de mal
à cacher son impatience et son énervement.
— Comme vous voudrez. Concernant votre intention d’épouser ma sœur, je
suis désolé mais, pour des raisons que je n’ai pas à vous énoncer, ce n’est pas
possible.
Sans un mot, Rafe serra la main de Sophie dans la sienne. Agissait-il ainsi
pour que Myron ne voie pas à quel point ses doigts tremblaient ? Si oui, c’était
une bonne idée.
— Je comprends très bien vos réserves, Altesse. Sophie est votre sœur, vous
l’aimez, vous êtes attentif à son bien-être. Je comprends également que je ne suis
pas l’époux que vous imaginiez pour elle. Cependant, même si je suis un
roturier, je suis très riche. J’ai donc les moyens de la protéger. Vous n’avez
aucun souci à vous faire concernant son avenir.
— Ce n’est pas la question, jeta Myron, tranchant. J’ai fait quelques
recherches sur vous. La réputation de votre famille est… nuancée, et c’est le
moins que je puisse dire.
— Je ne nie pas l’histoire mouvementée de ma famille. Sachez cependant
que jamais je ne ferai de mal à votre sœur. Et rien de ce que vous pourriez dire
ne vaincra ma détermination. J’ai bien l’intention d’épouser Sophie, avec ou
sans votre permission ; même si je préfère évidemment recevoir votre
approbation. Avant de quitter New York, je lui ai juré que je lui serais fidèle. Je
répète ce vœu aujourd’hui, en votre présence. Je jure d’être le meilleur époux
possible.
Tenaillée par l’angoisse, Sophie ferma les yeux. Tout à coup, elle n’avait
plus aucune force. Elle était prête à s’évanouir. La tension qui régnait dans la
pièce l’épuisait, l’étouffait. Personne ne parlait jamais à Myron de cette façon. Et
personne ne l’interrompait non plus.
Seigneur, toute cette histoire allait très mal finir…
* * *
Sophie rouvrit les yeux. Son frère ne semblait pas en colère. En fait, il avait
surtout l’air désabusé.
— Vous êtes un homme fort, Carter. Et une femme a besoin d’un homme
fort. Alors je vous accorde la main de ma sœur, ainsi qu’une importante dot.
— Non, répliqua Rafe d’une voix ferme. Je refuse la dot. Sophie n’apportera
à notre union que ce qu’elle souhaite y apporter. Elle peut venir avec des bibelots
de famille si elle le souhaite, mais rien de plus.
Elle faillit s’étrangler. Des bibelots de famille ? D’où Rafe sortait-il cette
idée ? Pour la première fois depuis qu’elle avait accepté sa proposition, un
frisson de crainte glissa le long de son dos. Tremblante, elle regarda Myron
descendre de son trône et serrer la main de Rafe, un peu comme s’ils scellaient
un contrat commercial. Était-ce ce qu’ils faisaient ? Non, évidemment que non.
Pourtant…
Un nouveau frisson la traversa. En fait, elle venait d’assister à une bataille
d’ego entre deux hommes puissants qui avaient l’habitude d’obtenir tout ce
qu’ils désiraient. Si Rafe avait reculé, s’il s’était incliné devant le pouvoir de son
frère, ou s’il avait accepté la récompense, leur mariage n’aurait pas eu lieu.
D’une façon ou d’une autre, Myron l’aurait empêché. Mais Rafe n’avait pas
faibli. Il avait montré qu’il était un homme puissant qui n’avait peur de rien. Il
n’avait pas baissé les yeux devant Myron, et il l’avait gagnée, exactement
comme il aurait pu empocher le gros lot au casino.
Sophie serra les poings, si fort que ses ongles griffèrent ses paumes. Il fallait
à tout prix qu’elle arrête de se faire des illusions, d’espérer l’impossible. À quoi
bon gâcher l’avenir ? Mieux valait profiter du présent. En plus, elle allait obtenir
ce qu’elle désirait. Et ce qu’elle désirait, c’était Rafe, un homme qui la faisait
vibrer, allumait ses sens, lui donnait l’impression d’être vivante et de pouvoir
escalader des montagnes. Ne lui avait-il pas dit à New York qu’elle était capable
d’atteindre tous les buts qu’elle se fixait ? Il ne lui avait jamais promis un conte
de fées, ne lui avait jamais menti, n’avait jamais fait semblant de connaître des
sentiments qui lui étaient inconnus. Et de cela elle devait lui être reconnaissante.
Elle ravala l’amertume qui lui montait dans la gorge. Myron l’avait autorisée
à se marier, et pourtant elle ne ressentait aucune joie…
— Merci, bredouilla-t-elle.
Sa voix manquait d’enthousiasme. Honteuse, elle baissa les yeux. Tout à
coup, elle ne ressentait rien, à part de la lassitude.
— J’ai fait installer Rafe dans la suite de l’Ambassadeur, annonça son frère.
Peu importe si vous avez vécu ensemble à New York : ici, vous êtes dans le
palais royal, il est important de respecter certaines règles de bienséance. Il est
préférable que vous ne partagiez pas votre chambre avant d’être mariés.
Respectons un peu la tradition.
Sophie leva les yeux vers Rafe. Sans doute allait-il protester ? Un homme
avec un appétit sexuel tel que le sien allait trouver le fait de faire chambre à part
rétrograde et hypocrite.
— C’est parfait, dit-il, à sa grande surprise.
— Très bien, approuva Myron. Je serais honoré si vous acceptiez d’être mon
invité d’honneur au bal de la Saint-Sylvestre que nous organisons chaque année
au palais. Ce sera l’occasion rêvée de vous présenter au peuple d’Isolaverde.
J’annoncerai vos fiançailles le lendemain. Si vous êtes d’accord, bien sûr.
— Ce sera un honneur pour moi, Altesse, affirma Rafe.
* * *
* * *
* * *
Sophie plissa le front. Une production à gros budget ? Que voulait-il dire par
là ? Elle ne parvenait pas à lire en lui. Son visage était fermé. En fait, depuis le
fiasco de la veille, leur relation était tendue ; Rafe ne l’avait même pas touchée.
Le point positif, c’était que cette distance physique avait libéré Sophie de sa
crainte d’un nouvel échec.
Refoulant ses questions dans un coin de son esprit, elle se laissa guider
parmi les autres danseurs.
De nombreuses raisons pouvaient expliquer la distance qui était apparue
entre eux. Peut-être Rafe avait-il changé d’avis et renoncé à l’épouser en la
voyant évoluer dans l’environnement empesé du palais. Le temps était sans
doute venu d’avoir une conversation sérieuse avec lui. Sophie décida d’être
courageuse et prit le taureau par les cornes :
— Tu es toujours d’accord pour annoncer le mariage demain ?
— Je ne reviens jamais sur ma parole.
Sophie tiqua. Cette réponse ne la rassurait pas beaucoup, manquait un peu
trop d’enthousiasme et de conviction à son goût.
Le morceau se termina et un aristocrate en vue d’Isolaverde, qu’elle
connaissait depuis sa plus tendre enfance, vint lui demander une danse. Elle
refusa au prétexte qu’elle avait envie d’un verre. C’était une excuse, elle avait
encore moins envie de boire que de danser. Elle cherchait surtout une distraction,
de manière à pouvoir observer discrètement Rafe, qui venait d’inviter une beauté
locale à danser.
Son cœur se serra. Pourtant, Sophie ne pouvait pas en vouloir à la
sculpturale créature. Quelle femme refuserait de passer un moment entre les bras
de Rafe ? Certes, il était roturier, mais il était d’abord l’homme le plus séduisant
de la soirée.
Le couple virevoltait sur la piste. Se faisait-elle des idées ou avait-il
vraiment l’air plus détendu que lorsqu’il était avec elle ? À la décharge de son
fiancé, il n’avait pas dû éprouver un grand plaisir à danser avec une femme aussi
chaleureuse qu’un iceberg…
Elle tenta de demeurer impassible, mais impossible de refouler la jalousie
qui montait en elle. C’était stupide, Rafe ne faisait que danser de façon tout à fait
innocente. Elle le croyait lorsqu’il affirmait qu’il lui serait fidèle, tout comme
elle le croyait lorsqu’il lui affirmait qu’il n’était pas le genre d’homme à revenir
sur sa parole. Tout cela, c’était avant, cependant, avant qu’elle reste de marbre
entre ses bras, avant qu’il découvre à quoi ressemblait la vie dans le palais royal
d’Isolaverde.
Elle ferma les yeux. L’air lui manquait, tout à coup. Nerveuse, elle se réfugia
derrière un grand pilier de marbre et s’adossa contre le mur pour tenter de se
reprendre. Pourquoi se mettait-elle dans cet état ? Rien n’avait changé. Elle avait
lié son avenir à celui d’un homme qui lui promettait la sécurité du mariage, mais
aucun sentiment.
Exactement comme Luc autrefois…
Sophie comprit qu’elle était de nouveau tombée dans un piège. Sauf que,
cette fois-ci, le piège était pire. Bien pire.
Elle connaissait Rafe plus intimement qu’elle n’avait jamais connu personne.
Elle avait été sa maîtresse, avait partagé son lit. Elle lui avait préparé à manger.
Il l’avait invitée à des soirées, à des spectacles. Ils avaient fait du shopping
ensemble, avaient arpenté les rues enneigées de New York. Et, au fil des jours,
elle était tombée amoureuse de lui. Oui, le piège était mortel pour elle…
La musique changea soudain et l’orchestre se lança dans un fox-trot. Elle
n’avait aucune raison de paniquer. Demain, Rafe glisserait sur son doigt une
bague ornée d’un gros diamant. Le peuple d’Isolaverde serait ravi d’apprendre
que la princesse allait enfin vivre son conte de fées.
Sauf qu’il ne s’agissait pas d’un conte de fées.
Elle était toujours la même princesse docile, incapable d’exister sans l’aide
d’un homme puissant. En fait, elle n’avait pas grand-chose à envier aux
princesses du Moyen Âge dont les tableaux ornaient le hall d’entrée du palais !
Comment pourrait-elle s’engager dans une relation à sens unique en sachant
qu’elle souffrirait à coup sûr ? Comment pouvait-elle obliger Rafe à l’épouser
alors qu’elle n’était pas en mesure de respecter le contrat qu’ils avaient conclu,
stipulant que l’amour ne rentrerait jamais en ligne de compte ?
De nouvelles pensées négatives l’envahirent. Elle les refoula, continuant à
sourire comme si de rien n’était. Elle dansa avec le Premier ministre, puis avec
diverses personnalités. Elle dansa même à nouveau avec Rafe, et se força à ne
pas l’interroger sur les femmes avec lesquelles il avait dansé.
Voilà à quoi ressemblerait sa vie avec un homme qui ne pouvait pas l’aimer.
Un homme que toutes les femmes désireraient tandis qu’elle serait obligée de
taire ses sentiments pour lui.
Il promena une main douce dans son dos tout en la guidant avec assurance
sur la piste.
— Détends-toi.
— J’essaye.
— Alors essaye plus. Bientôt, tout sera terminé.
En effet, tout serait bientôt terminé. Il avait bien choisi ses mots ! Elle ne
pouvait plus se voiler la face, elle le savait désormais. Tôt ou tard, elle devrait
affronter la vérité. Elle ne pouvait accepter ce mariage. Pour leur bien à tous les
deux, elle devait mettre un terme à cette mascarade. Seigneur, comme c’était
difficile…
— Rafe, il faut que je te parle.
— Je t’écoute.
— Non, pas ici. Il y a trop de monde. Pouvons-nous aller dans un lieu un peu
plus privé ? S’il te plaît, c’est important.
Il riva le regard au sien.
— Le bal n’est pas encore terminé.
Il lui faisait la leçon sur le protocole ? Voilà qui était ironique, songea
Sophie.
— Après le feu d’artifice, et après le départ de mon frère, retrouve-moi dans
le cabinet rouge. Tu sais où il se trouve ?
— Oui.
Tant bien que mal, Sophie parvint à survivre à la soirée. À minuit, les baies
vitrées donnant sur le jardin furent ouvertes. Les invités se dirigèrent vers les
terrasses, tandis que toutes les cloches de l’île sonnaient pour célébrer l’arrivée
de la nouvelle année. Les larmes commencèrent à lui piquer les yeux. Les
spectateurs applaudissaient le feu d’artifice. Elle ne pouvait pas se réjouir. Elle
était bien trop nerveuse.
La soirée s’étira encore de longues minutes, durant lesquelles elle se
contenta de guetter l’heure. Son cœur battait fort dans sa poitrine lorsqu’elle prit
enfin le chemin du cabinet rouge.
* * *
Il avait tout ce qu’il pouvait désirer. Tout. Alors pourquoi cette impression
tenace que quelque chose manquait à son bonheur ?
Nerveux, Rafe arpentait le salon de son appartement new-yorkais. Il agissait
comme si tout allait bien : il concluait des contrats, travaillait, fréquentait des
soirées. Bref, sa vie continuait. La preuve, il avait même invité une femme au
théâtre, la nuit précédente.
Il arrêta de marcher, se frotta nerveusement la joue, lâcha un long soupir.
Cette femme avait dû être déçue. Elle avait sous-entendu qu’elle était prête à
partager son lit, mais sa proposition l’avait laissé de marbre. Pire même : à la
simple idée de toucher cette femme, la nausée l’avait gagné. Il ne désirait
toucher aucune femme. À l’exception d’une seule.
Sophie.
Satanée Sophie !
Il recommença à faire les cent pas. Pourquoi diable ne parvenait-il pas à
oublier cette femme ? Leur séparation était la meilleure des solutions, il le
savait ; il ne pouvait pas lui offrir ce qu’elle désirait.
Des images de sa princesse s’insinuèrent dans son esprit. Il revoyait son
regard d’un bleu aussi pur que le ciel du Queensland, ses cheveux en cascade sur
ses frêles épaules, le sourire distant qu’elle lui avait adressé lorsqu’il avait quitté
l’île d’Isolaverde. Il ne parvenait pas à oublier ce regard. Il y pensait sans cesse
depuis son retour à New York.
Que faire ?
Il serra les poings. Il avait un problème, et il était temps qu’il trouve une
solution.
* * *
Sophie terminait son petit déjeuner, dans la salle à manger baignée de soleil
du palais d’Isolaverde, lorsque Myron la rejoignit.
— Je me demandais si tu accepterais de m’accompagner jusqu’à la plage
d’Assimenios, aujourd’hui, proposa-t-il.
Elle repoussa son assiette de fruits et se força à sourire. Elle avait du mal,
mais heureusement son frère n’était pas le genre d’homme à savoir analyser le
visage des femmes — encore moins leurs états d’âme.
— Tu veux que je t’accompagne pour une raison particulière ?
— Je pense construire une maison là-bas et j’aimerais avoir ton avis.
— Mon avis t’intéresse ?
— Bien sûr. Pourquoi cet air étonné ?
Elle ouvrit la bouche, puis la referma. Myron cherchait à l’impliquer
davantage, ce qu’elle lui avait demandé avant de fuir en Australie, alors elle ne
pouvait pas refuser.
Résolue à faire bonne figure, elle regagna sa chambre, cacha ses cheveux
sous un chapeau de paille, puis fixa son reflet dans le miroir. Elle avait maigri,
ses traits étaient tirés, ses yeux cernés. Il fallait à tout prix qu’elle se reprenne.
Comment ? Elle ne pouvait même pas en vouloir à Rafe, il avait toujours été
honnête avec elle. Si elle devait blâmer quelqu’un, c’était elle. Elle qui n’avait
pas été capable de se contenter de ce qu’il lui offrait. Dès le départ, il avait été
clair, il avait exclu tout sentiment. Malgré tout, elle lui avait demandé de
l’amour. Quelle idiote !
Elle avait changé depuis le départ de Rafe. Chaque jour, elle devenait plus
forte. Parfois, elle arrivait même à passer quinze minutes sans que le beau visage
de son ancien amant n’envahisse son esprit ; elle se rappelait alors tout ce qu’elle
avait perdu…
En fait, non, elle n’avait rien perdu. Rien du tout. Elle avait juste mis un
terme à une relation qui aurait forcément fini par la faire souffrir ; elle avait juste
évité un mariage à sens unique avec un homme incapable de l’aimer. Elle avait
été forte, et non faible.
Un jour, elle serait capable de se féliciter d’avoir fait preuve d’autant de
force de caractère. Un jour, mais pas aujourd’hui ; pas encore.
Myron avait accepté de lui donner davantage de responsabilités. Il avait
également accepté de la laisser partir à Paris suivre des cours de cuisine. Il avait
accepté toutes ses demandes sans qu’elle ait besoin de se battre ou d’insister.
Finalement, être indépendante était moins difficile qu’elle le pensait.
Elle s’installa derrière le volant de sa voiture. Tout ce dont elle avait besoin,
c’était d’affirmer haut et fort ce qu’elle désirait. Son problème avant de
rencontrer Rafe, c’était qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’elle désirait. Et
aujourd’hui que leur relation était terminée, elle allait être obligée de s’inventer
de nouveaux désirs, des désirs qui n’auraient rien à voir avec lui.
Elle prit la route côtière en direction de la partie orientale de l’île. Le ciel
était uniformément bleu, d’un bleu clair qui contrastait avec le bleu sombre et
profond de la mer qui étincelait quelques mètres plus bas.
Assimenios était le lieu le plus pittoresque de l’île, qui comprenait une plage
privée de sable blanc réservée à la famille royale et à ses invités.
Sophie gara sa voiture et descendit sur la plage déserte. Elle avait de
nombreux souvenirs, ici. Enfant, elle venait souvent avec Myron et Mary-Belle.
Elle fit quelques pas sur le sable. Non loin, un yacht était au mouillage. Son
regard s’attarda sur les lignes arrondies du bateau, puis revint sur la plage. À
présent, un homme se tenait debout face à l’horizon.
Et pas n’importe quel homme…
Rafe !
Sophie fit taire la part d’elle-même qui ruisselait de joie. Leur relation était
terminée. Dans ce cas-là, pourquoi était-il ici ? Pourquoi venait-il la voir ? Pour
la tenter ?
Elle serra les poings. La colère était en train de la gagner. Tant mieux, car sa
saine colère allait lui permettre de ne pas céder à une quelconque tentation.
« Tout est fini », se répéta-t-elle plusieurs fois.
Malgré tout, elle était curieuse. D’autant que son cœur battait si fort qu’il lui
faisait mal. Un instant, elle fut tentée de faire demi-tour, de reprendre sa voiture
et de rentrer à toute allure au palais. Mais ce serait fuir, et elle en avait assez de
fuir.
Alors, pieds nus, elle se dirigea vers Rafe, le pouls de plus en plus affolé à
mesure qu’elle s’approchait.
— Rafe.
— Sophie.
Elle s’arrêta en face de lui sans le regarder. Elle fixait la surface de la mer,
comme si elle préférait admirer son yacht plutôt que lui.
— À qui est ce bateau ?
— Je l’ai acheté pour toi.
Sophie ne put retenir un ricanement.
— Tu m’as acheté un bateau ? C’est l’équivalent du classique bouquet de
fleurs, chez les millionnaires ? lança-t-elle, ironique et cinglante.
— D’une certaine façon. En fait, je l’ai surtout acheté parce que je le
trouvais superbe, et j’imaginais qu’une navigatrice de ton calibre aimerait
naviguer dessus. Je me suis mis d’accord avec ton frère…
— Je peux prendre mes décisions toute seule ! s’emporta-t-elle, les poings
serrés. Et ce que pense mon frère m’importe peu. Dis-moi plutôt ce que tu fais
ici. Tu apparais comme si de rien n’était, sur une plage privée, sans prévenir…
* * *
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