09-Les Grandes Criminelles - Affaire Beverly Allitt

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cy Jay Winaxen aaa All Aa SIECLE if t = Le ROT Hane BEVERLY ALLITT 2 février 1991, 8 h 00 du matin. Les infirmiéres du service pédiatrique de Vhépital de Grantham, en Angleterre, voient arriver une jeune femme de 25 ans environ. Elle a les cheveux chatain foncé, elle est petite et boulotte. On ne peut pas dire quelle soit jolie, mais elle a un sourire éminemment sympathique. — Vous désirez, Madame ? Pour les visites, c’est l'aprés-midi. — Je ne viens pas voir un malade. J’ai appris que le service cherchait une infirmiére. — Cest exact. Si vous voulez bien attendre, le docteur ne va pas tarder. La jeune femme acquiesce et les infirmiéres la laissent 1a. Elles retournent 4 leur travail, les nourrissons et les enfants dont elles s’occupent ont besoin delles. Elles ne pensent plus a larrivante qui va passer son entretien d’embauche. Et pourquoi y penseraient-elles ? Comment se douteraient-elles que c'est la mort qui vient de se présenter en personne au service pédiatrique de Grantham ? Beverley Allitt, la jeune femme qui attend le médecin, vient tout juste de terminer ses études d’infirmiére. Enfin, « terminer » nest pas le mot exact : elle a échoué a son concours de sortie. Alors, elle a falsifié son dipléme, en espérant que cela ne se verrait pas. Le plus étonnant, c'est quelle ne se trouve pas ici pour la premiére fois. Elle est déja venue, mais en tant que malade, il y a bien longtemps, alors quelle était petite fille. Elle avait un probléme de santé aussi inquiétant quincompréhensible. Elle présentait des estafilades sur le tronc et les membres, ainsi que des bleus sur les pieds et les mains. Elle a fini par admettre qu'elle s’infligeait elle-méme ces sévices, 4 coups de couteau et de marteau, sans pouvoir dire pourquoi et les médecins nont pas trop su quoi faire devant cette situation. Ils ont eu également beaucoup de mal face 4 ses autres symptémes, méme s'il s’agissait 1a d’une maladie connue : la boulimie associée 4 anorexie. La jeune Beverley alternait les périodes d’obésité et de maigreur squelettique. Par moments, elle avalait d’énormes quantités de nourriture jusqu’a en avoir la nausée ; 4 d’autres, elle refusait de manger. Ce genre de comportement, qui reste mystérieux, est toujours difficile 4 soigner. Mais, avec le temps, tout s‘est plus ou moins arrangé, les mauvais traitements contre elle-méme ont cessé, seule la boulimie-anorexie a continué. Au moment ot nous sommes, elle est dans une période intermédiaire, elle nest ni obése ni squelettique, elle est rondouillarde... — Vous voulez bien me suivre, Mademoiselle ? Le médecin, un homme entre deux Ages, vient d’arriver. Il la conduit 4 pas pressés dans son bureau. — Je rai pas beaucoup de temps a vous accorder. Nous sommes débordés, ici! Il la fait asseoir et sempare de ses papiers, auxquels il jette un regard rapide. — Alors, vous voulez étre des nétres ? — Cest mon plus cher désir ! — Dans ce cas, vous commencerez demain soir, a la garde de nuit. II n'y a pas de temps a perdre. Le médecin lui tend la main. Beverley Allitt met sa main potelée dans la sienne et lui adresse son plus charmant sourire. II n’y a, effectivement, pas de temps a perdre et elle commencera demain soir ! Le 23 février 1991, 23 h. Il y a trois heures que Beverley Allitt a pris son service. Ses collégues lui ont souhaité la bienvenue et lui ont expliqué tout ce qui était indispensable 4 son travail : les enfants dont elle avait a soccuper, les traitements qu il fallait éventuellement leur donner, le réfrigérateur ot se trouvaient les produits pharmaceutiques, etc. Parmi les enfants relevant de sa garde, figure Liam Taylor, un nourrisson de 7 semaines, admis la veille en urgence pour une bronchite, une affection grave 4 son 4ge. Soigné énergiquement, il va aussi bien que possible. Il est sous respirateur artificiel et il dort paisiblement. Il devrait sen sortir sans probléme... Beverley Allitt a bien repéré lendroit ot se trouvait l’insuline dans le réfrigérateur. Elle s’approche avec une seringue et fait une piqdre dans le bras du bébé. Elle a procédé si doucement qu'il ne s'est pas réveillé. Maintenant, il faut attendre, non qu'il meure, elle risquerait sans quoi d’étre accusée de négligence, mais quil soit dans un état trop grave pour étre sauvé. Dix minutes plus tard, elle donne lalerte. — Le petit Liam, venez vite ! Ses collégues se précipitent, on envoie chercher le docteur. Pendant prés dune heure, tous les moyens de réanimation sont employés, mais il n'y a rien a faire. Au petit matin, la mort de lenfant est officiellement constatée. Le médecin conclut : — Mort subite du nouveau-né. Je ne my attendais pas dans son cas... Les parents sont prévenus. Ils arrivent, bouleversés. Beverley Allitt, qui a tenu 4 rester pour les attendre, leur adresse des mots de compassion. — On a fait tout ce quon a pu, vraiment tout ! La mére se jette dans ses bras et elles sétreignent longuement. De l’avis général, la nouvelle infirmiére mérite tous les éloges. En fait, l’araignée tueuse est au centre de sa toile et elle n’a plus qu’a choisir, parmi les petits innocents qui lui sont confiés, lequel sera sa prochaine victime... Le 5 mars 1991, Timothy Hardwick, 11 ans, est admis pour une crise d’épilepsie. Mais, dans les heures qui suivent, il devient tout bleu. Elle lui a fait une piqdre de sodium tout aussi indétectable sur la peau que celle d’insuline et, malgré les efforts du personnel, il meurt d’une crise cardiaque. Beverley Allitt semble particuli¢rement affectée. — Deux morts en si peu de temps, cest horrible ! Elle est si bouleversée que le médecin qui l’avait engagée lui propose de prendre quelques jours de repos. Mais elle refuse : elle tient 4 rester avec les autres... Le 8 mars, la petite Kayley Desmond, 15 mois, est hospitalisée pour une infection pulmonaire sans grande gravité. Et, effectivement, Yenfant se rétablit presque immédiatement. Elle babille sur son lit, joue avec ses jouets. Mais la nuit, Beverley Allitt, qui est de garde, la trouve toute bleuie et alerte ses collégues. C’est une crise cardiaque. Lenfant est réanimée et, pour des raisons purement techniques, parce que tous les postes de réanimation sont occupés a Grantham, elle est transférée a l’hdpital de Nottingham. La, elle est mise hors de danger, mais gardera des séquelles graves. A Nottingham, il se produit un événement quon n/apprendra que plus tard. Une radio révéle une bulle, indice d'une injection d’air par voie intraveineuse. C'est, de toute évidence, la cause de l’'arrét cardiaque. Mais les médecins de Nottingham ne préviennent ni la police, ni les parents. Il semble quils aient supposé une maladresse de leurs collégues de Grantham et naient pas voulu qu’ils soient inquiétés. La série tragique continue... Deux jours seulement plus tard, Paul Crampton, 5 mois, fait un arrét cardiaque alors qu'il était juste en observation 4 l’hépital de Grantham. II est ramené 4 la vie et, par chance pour lui, pour des raisons encore une fois purement techniques, il est transféré vers un autre hépital ou il guérit. Le 5 avril 1991, la petite Becky Philips, 9 semaines, est prise de convulsions. Léquipe la sauve, elle peut méme rentrer chez elle, mais prise de nouvelles convulsions, elle revient 4 ’hépital ot elle décéde brutalement. Le médecin conclut, faute de mieux : — Mort subite du nourrisson. Les parents sont effondrés. Heureusement pour eux, il y a Beverley Allitt. Elle est la, avec sa silhouette boulotte, ses allures maladroites et touchantes. Elle les prend dans ses bras, elle leur dit des mots simples, mais si réconfortants. C’est a un tel point que M. et Mme Philips l'invitent chez eux... Becky avait une jumelle, Katy, qui, heureusement, est en pleine santé. Elle gazouille dans son berceau. Beverley Allitt ne tarit pas de compliments sur elle et les Philips, pour lui exprimer leur reconnaissance, lui demandent : — Est-ce que vous voudriez étre sa marraine ? Beverley Allitt accepte de bon coeur, mais le mal dont souffrait sa jumelle affecte aussi Katy et elle est prise, 4 son tour, de convulsions. Elle est transportée 4 lhépital de Grantham ow elle fait, elle aussi, un arrét cardiaque. Elle est sauvée de justesse, mais restera handicapée 4 vie. Beverley Allitt, sa future marraine, exprime un chagrin qui va droit au coeur des parents. Beverley Allitt, qui a tenté de l’touffer avec son oreiller ! A Ph6pital, tout le monde est bouleversé. Les tragiques événements sont au coeur des conversations. Mais on ne soupgonne aucunement une action criminelle : une malédiction s'est abattue sur le service de pédiatrie, il faut espérer que cela s’arrétera 1a. Cela ne s’arréte pas... Deux semaines plus tard, le 22 avril, Claire Peck, 15 mois cesse brusquement de respirer. Les médecins et les infirmiéres parviennent a la faire revenir a elle, mais elle retombe dans le coma, et aprés une heure et demie de combat acharné, ils ne peuvent que constater le décés. On prévient les parents. Beverley Allitt accourt 4 leur rencontre. La mére dira plus tard : — Elle me regardait droit dans les yeux, avec un air d’absolue compassion. Ctait tout juste si elle ne pleurait pas. Et c’était elle qui venait de la tuer ! Jen suis encore glacée d’horreur ! Beverley Allitt venait en effet de lui faire une injection mortelle de potassium... Mais, cette fois, c’en est trop ! La direction de ’hépital regarde enfin les choses en face. On ne peut plus écarter lhypothése d’actes criminels commis par un membre du personnel. La police est prévenue. Début mai, elle arrive en force dans l’hépital de Grantham. Elle prend tout de suite les choses au sérieux et elle découvre quoutre ces décés ou incidents graves, plusieurs événements du méme genre, mais de moindre importance, ont eu lieu dans le service, de fin février a fin avril. Hung Chang, 2 ans, venu pour une fracture de la jambe, est tombé dans un état grave, dont il sest sorti. Michael Davidson, 7 ans, hospitalisé pour un accident domestique, a été victime d’une crise cardiaque, heureusement sans suite. En outre, trois nourrissons — Christopher King, 9 mois, Christopher Peagood, 9 mois, et Patrick Ealstone, 7 semaines — ont eu des malaises incompréhensibles, qui ont nécessité intervention d’urgence du personnel. Cette fois, il n'y a pas de doute : il y a un dangereux tueur dans le service pédiatrique de Grantham. D’autant que l’hépital de Nottingham se manifeste et fait savoir que c'est linjection d’une bulle d’air qui a causé la crise cardiaque de la petite Kayley Desmond. Les plannings sont examinés et il apparait que le seul membre du personnel qui était présent lors de chaque drame est Beverley Allitt. Elle est arrétée et questionnée sans relache. Elle nie farouchement, mais les investigations se poursuivent et de nouvelles charges s’accumulent contre elle. — D’aprés l’autopsie, Liam Taylor, votre premiére victime, est mort d’une injection d’insuline. Or, la veille, quand on vous a montré le réfrigérateur aux médicaments, vous vous étes particuliérement intéressée aux flacons dinsuline. — Je me suis intéressée 4 tout, pas spécialement a l’insuline. — Vous n’avez jamais été infirmiére. Vous avez falsifié votre dipléme. Pourquoi ? —Je voulais absolument soigner les gens. — Nous avons retrouvé votre dossier au service pédiatrique de Grantham quand vous étiez enfant. Pourquoi y étes-vous retournée ? Pour vous venger ou quelque chose comme cela ? — C’est une coincidence. — Avouez ! —Jamais ! Ce nest pas moi. Si, cest elle, ce ne peut étre quelle. Beverley Allitt est inculpée de quatre meurtres et neuf tentatives de meurtre. Pour ces crimes, elle a utilisé ses : ; . te ge . 2 propres mains, un oreiller, des piqdres d’insuline, de potassium ou d’air... LAngleterre est sous le choc. C’est la premiére tueuse en série dans ses annales et ses victimes sont des nourrissons ou de jeunes enfants : c'est Yhorreur absolue ! En prison, Beverley Allitt maigrit de plusieurs dizaines de kilos, devenue soudain anorexique. Mais ce jeu de montagnes russes avec les kilos est habituel chez elle et ne refléte pas d’angoisse particuliére. Elle se comporte, au contraire, avec beaucoup de calme. Elle recoit la visite de sa famille, elle écrit a ses amis. Elle parle de tout et de rien, de l'ambiance de la prison, dune liaison homosexuelle avec une détenue. Elle réclame a ses parents des nouveaux vétements « sympas ». Le 15 février 1993, son procés souvre devant le tribunal de Nottingham. Elle est trés décontractée. Avant d’entrer, elle fume sur un banc. Aprés quoi, elle pénétre avec beaucoup d’assurance dans la salle. Elle est vétue d’un jean et d'un chemisier a fleurs. Elle ne semble pas entendre les cris de fureur qui Vaccueillent : — Tu mérites d’tre pendue, salope ! — Elle doit braler en enfer ! Beverly Allitt prend place dans le box et plaide non-coupable des vingt- six chefs d’accusation... Le procés est trés long. A mi-chemin, elle tombe méme malade. Elle est transportée 4 ’h6pital psychiatrique de la prison, un endroit ot les meubles sont en carton et ot rien ne peut servir d’arme contre soi-méme ou les autres. Elle na toujours pas le moindre sentiment de culpabilité. Elle écrit 4 ses amis quelle a « hate de sortir d’ici pour retrouver [s]es copains. » Elle ne parle jamais du procés, comme s’il ne la concernait pas. Et pourtant, cest durant ces journées que se joue son sort. Bien qu'elle m’ait rien avoué, ses avocats ne cherchent pas a nier la réalité des meurtres, mais ils portent leurs efforts sur sa responsabilité. Beverley Allitt est déséquilibrée, cest une évidence : une petite fille qui se taillade les bras et le tronc avec un couteau, qui se donne des coups de marteau sur les mains et les pieds rest pas « normale ». Mais est-elle ou non responsable de ses actes ? C’est toute la question. La défense insiste sur le fait quelle est revenue dans le service ow elle avait été hospitalisée elle-méme. Contrairement a ce que dit Beverley, ce ne peut tre une coincidence. De la, les avocats forgent l’hypothése d’une forme trés rare et méme inédite du syndrome de Miinchhausen, qui consiste a passer des mutilations sur soi 4 l’agression contre les autres. Dans les deux cas, il s’'agirait d’actes échappant a tout contrdle du sujet. Le syndrome de Miinchhausen existe bien — et il en est question ailleurs dans cet ouvrage —, mais il ne se présente pas du tout de cette maniére et le ministére public, comme les parties civiles, ne se privent pas de le dire. Les uns et les autres rappellent, au contraire, les déclarations des psychiatres, qui ont jugé l’accusée responsable. Si elle est retournée 4 Grantham, ce nest pas poussée par une force irrésistible, c'est pour prendre une revanche. Avant, c%était elle la victime ; désormais, ce devait étre les autres ! Le 28 mai 1993, cest le verdict. Beverley Allitt est ramenée au tribunal, car la loi anglaise exige qu'elle soit présente pour entendre la sentence. Elle est reconnue coupable de toutes les charges et condamnée a treize peines de prison a vie... En droit frangais, le procés s’arréte la. Mais ce nest pas le cas en Angleterre ow le président peut prendre la parole pour conclure. Et il le fait de maniére particuliérement incisive : — Vous étes hypocrite et manipulatrice ! Vous n’avez montré aucun remords pour horrible ceuvre de destruction que vous laissez derriére vous. Vous venez d%étre condamnée a vie pour les crimes les plus horribles qui soient au monde. Je demande que vous ne soyez pas libérée avant quarante ans. Quarante ans, c'est tout de méme beaucoup, c’est sans exemple, en tout cas, dans la jurisprudence britannique. En 2007, Beverley Allitt fait appel devant la Haute-Cour pour avoir une possibilité de libération. Le 6 décembre, la Haute-Cour décide qu'elle devra purger au moins trente ans de prison avant détre libérable. Compte-tenu de la préventive quelle a effectuée, elle pourra demander une libération conditionnelle en 2022.

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