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Histoires Vraies
Les plus grands criminels
qui ont marqué la France
Phe ne
Soléne Haddad
fotsyEmile Louis
14 décembre 1983. Cour d’appel de Paris. Les jurés se retirent pour
délibérer. L’accusé, Emile Louis, un peu bonhomme, la cinquantaine tassée,
a le regard flou. Dans la salle d’audience, quelques badauds sont venus
soutenir le bon vieil Emile, conseiller municipal dans la petite ville de
Scignelay et mis en examen pour attouchements sexuels sur mineurs, les
fillettes de la DDASS gardées par sa compagne, mais également pour le
meurtre de sa maitresse, Sylvaine Lesage, elle aussi pupille de la nation et
élevée par son amie, Pour ceux qui le connaissent, le chauffeur de car pour
la société Les Rapides de Bourgogne est si patient avec les jeunes filles
handicapées qu’il conduit tous les matins du domicile de leur famille
d'accueil & Vinstitut médico-éducatif d’Auxerre, qu’il est impensable de
Vimaginer faire du mal & des petites.
Tout au plus a-t-il pu avoir quelques gestes déplacés. D’ailleurs, méme
la directrice de "IME a défendu avec véhémence le prévenu. Munie de sa
plus belle plume, Nicole Charrier a transmis au dossier d’instruction une
lettre plus qu’élogieuse au sujet d’Emile Louis, Elle a vanté ses qualités
humaines, sa prévenance avec ses jeunes passageres, sa grande jovialité,
son sens de I’humour. Une perle.
Sur le dernier banc, un homme trépigne. Il s’agit de Christian Jambert,
maréchal des logis-chef, mais, surtout, c’est celui qui a mené l’enquéte sur
la mort de la jeune Sylvaine. C’est lui qui a découvert le cadavre sous un tas
de fumier, un foulard coincé dans la gorge, lui qui a fait le lien avec son
amant.
C’est également lui qui a insisté auprés du juge pour inculper Emile
Louis, lui encore qui a recueilli le témoignage des jeunes filles vivant sous
le méme toit que cet homme et qui se plaignent d’attouchements, de
« droles de jeux ». Pour lui, enfin, il ne fait aucun doute que derriére la
bonhomie du personnage se cache un dangereux criminel.a)
La cour ne sera pas de son avis et, pour attentat la pudeur aggravée,
condamnera le chauffeur de bus a cing années de prison, peine qui sera
réduite 4 quatre ans lors de son procés en appel. Au fil de la procédure, les
faits ont été requalifiés. Un an plus tard, au mois de mai 1984, Emile Louis
sera libéré suite 4 l’obtention d’un non-lieu.
Quelques mois plus tard, il est également acquitté pour le meurtre de
Sylvaine Lesage. Aprés quelques mois passés chez sa sceur a Draguignan,
Emile Louis s’installe dans le Var, oi il trouve un nouvel emploi, dans une
entreprise de pompes funébres.
Enfermé dans son bureau enfumé, les sourcils froncés au-dessus d’une
pile de dossiers, Christian Jambert ne décolére pas. Minuticusement, il
reprend une a une toutes les piéces du dossier. Car, malgré la décision de
justice, son intime conviction reste inchangée : le tribunal a laissé filer le
coupable. Le gendarme a eu beau faire tout ce qui était en son pouvoir pour
alerter les différents services judiciaires, il n’a pas été entendu.
A force de persévérance et d’achamement, le gendarme voit pourtant les
charges contre Emile Louis s’amonceler sur son bureau. Mais, surtout, en
fouillant les archives de l’APAJH, I’Association pour l’aide aux adultes et
aux jeunes handicapés qui gare huit centres d’accueil dans I’ Yonne, Jambert
fait d’étonnantes découvertes.
Convaincu d’avoir affaire A un redoutable pervers, capable des pires
horreurs, l’officier de la gendarmerie élargit ses recherches. Si le dossier sur
la jeune Sylvaine Lesage ne suffit pas a prouver la culpabilité d’Emile
Louis, alors peut-étre trouvera-t-il d’autres obscures affaires dans lesquelles
il serait impliqué, notamment avec ces jeunes femmes handicapées qu’il
conduit matin et soir, et avec qui il aurait une relation si « proche ». Son
intuition le pousse a éplucher les registres de IME d’Auxerre, au cas of
quelque irrégularité serait mentionnée. Ce que l’officier de gendarmerie
découvre dans les archives dépasse largement ses craintes et révéle le peude cas dont bénéficient ces jeunes femmes, qui, comme lui, sont des enfants
de la DDASS.
Entre 1977 et 1979, sept jeunes femmes ont disparu. Envolées. A cété de
leur nom, cette bien maigre mention : fugue. Aucune plainte des familles
accueil, ni de IME, aucun signalement a la gendarmerie.
Lorsqu’il n’y a pas de parents pour s’inquiéter, pour faire bouger les
lignes, il semblerait que des orphelines atteintes de déficience mentale
puissent s’évaporer dans la nature sans que cela ne géne personne.
Peu convaincu par l’épidémie de fugues qui aurait subitement gagné le
centre d’accueil, Christian Jambert, plus déterminé que jamais, poursuit son
enquéte. Révolté par cette indifférence générale autant que par l’impunité
dont bénéficierait Emile Louis, le gendarme travaille sans relache sur
Vaffaire des « disparues de I’Yonne », affaire qu’il a sortie de l’ombre et
qu’il compte bien résoudre. Jambert met ainsi en lumiére la relation de
confiance que les jeunes filles avaient avec le chauffeur de car, mais aussi
qu’elles l’avaient toutes vu avant de disparaitre.
Fort de ses investigations, le gendarme transmet un rapport au parquet
d’Auxerre. Interrogé, Emile Louis niera fermement toute implication dans
ces disparitions et, comme s’il s’agissait d’une preuve de son innocence, il
obtiendra, une fois de plus, un non-lieu.
Marqué par ces incroyables décisions judiciaires, qui mettent 4 mal tout
le travail effectué, mais surtout qui offrent 4 Emile Louis une nouvelle
chance de passer entre les mailles du filet, Christian Jambert ne s’avoue pas
vaincu pour autant et continue, malgré les embiiches, de chercher a faire
éclater la vérité. Le moral en berne, anéanti par son combat qui semble vain,
le gendarme travaille des années durant sur le dossier des « disparues de
l’Yonne ».
Sa mutation dans la Niévre en 1989 le plonge dans une profonde
depression, mais n’atteint pas sa détermination. La méme année, Emile
Louis retourne derriére les barreaux, pour attentat 4 la pudeur, et y restera
trois ans. Aucun lien avec les « disparues de l’Yonne ».
Lorsqu’en 1995, Christian Jambert tente de mettre fin 4 ses jours,
désespéré de crier dans le vide depuis si longtemps, sa hiérarchie décide
d’anticiper sa retraite, le laissant seul avec ses doutes et ses regrets jusqu’au
mois d’aoat 1997, oi le dossier est officiellement rouvert.
Jambert doit enfin étre écouté par le juge Lewandoski, mais il n’en aura
pas le temps, car, le 4 aofit 1997, l’opiniatre gendarme est retrouvé tué de
deux balles dans le crane dans son pavillon d’ Auxerre.Lenquéte conclut au suicide. Pour la famille du gendarme, qui refuse
cette thése, Jambert a été assassiné A cause de son acharnement & faire
tomber Emile Louis. Il faudra attendre 2004 pour que la famille du
gendarme obtienne son exhumation et de nouvelles expertises. Certaines
affirmeront que les deux balles étaient directement mortelles, d’autres,
Pinverse. La mort de Christian Jambert reste une énigme de plus dans cette
terrible affaire.
Christian Jambert n’assistera donc pas au procés d’Emile Louis, qui,
malgré la prescription des faits et la lenteur de l’administration judiciaire,
aura finalement lieu en 2004, presque 30 ans aprés les faits. Grace &
Vacharnement d’une association de défense des jeunes filles handicapées de
L’Yonne, qui a poursuivi le combat mené par le gendarme en révélant des
scandales au sein de lAPAJH, le dossier des « disparues de I’Yonne » prend
une autre dimension.
Une émission de télévision, Perdu de vue, permettra d’obtenir, en plus
de la médiatisation de ’affaire, de précieux témoignages. Notamment, un
chauffeur de car a la retraite, collégue d’Emile Louis, qui affirme l’avoir vu
creuser un trou de la taille d’un corps peu aprés la disparition de Sylvaine
Lesage. Une information judiciaire est rouverte malgré la prescription, et,
aprés de vaines fouilles, Emile Louis est de nouveau interrogé. Il avoue ses
crimes qu’il croit prescrits, et deux corps seront retrouvés.
En 2004, aprés une premiére condamnation 4 20 ans de réclusion pour
viols et actes de torture avec barbarie sur son épouse et sa belle-fille qui ont
porté plainte contre lui, il écope de la réclusion criminelle a perpétuité pour
le viol et Passassinat des 7 « disparues de l’Yonne ». En 2006, la peine sera
confirmée en appel.
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