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CHRISTOPHE
HONDELATTE
ae vit?DIDIER GENTIL
(PAS TRES SYMPA)
UN COUPABLE IDEAL
Cette douloureuse histoire commence le mardi 26 juillet 1988, 4 La
Motte-du-Caire, dans les Alpes-de-Haute-Provence. C’est un joli petit
village de quatre cents mes, cerné par les montagnes. Dans le centre du
village il y a un café, le Café de la Poste. Tout le monde connait le
patron, Gilbert Jourdan, et sa fille Céline, gée de sept ans. Céline ne vit
pas avec son pére, mais elle est venue passer les vacances avec lui. A
Vheure du diner, Gilbert sort du café pour appeler Céline, mais la petite
ne répond pas. Un peu inquiet, il fait le tour du village : « Vous n’auriez
pas vu ma fille ? Vous ne savez pas oi est Céline ? » Personne ne I’a vue.
Maintenant, Gilbert est fou d’inqui¢tude. Il alerte les gendarmes, qui
mobilisent immédiatement les habitants et quelques vacanciers pour
fouiller le village. Parmi les volontaires qui arpentent les rues et les
recoins a la recherche de la petite fille, il y en a un qu’on ne peut pas
louper. Un homme tatoué qui s’est installé ici depuis peu. Il s’appelle
Didier Gentil. I] vient trés régulitrement boire des biéres au café et jouer
4 quelques parties de flipper. Il connait bien la petite Céline, il la fait
souvent sauter sur ses genoux. C’est donc tout naturellement qu’il
participe aux recherches. Mais plusieurs habitants diront qu’ils ont
trouvé bizarre, pendant la battue, agité et désordonné. Ajoutez a cela ses
tatouages et son c6té marginal, et vous comprendrez vite pourquoi on I’a
rapidement soupgonné. La nuit tombe sur le village et Céline demeure
introuvable.Le lendemain, des journalistes débarquent 4 La Motte-du-Caire. Une
petite fille qui disparait en plein mois de juillet, c’est toujours une bonne
histoire. sont fraichement accueillis au village, od l’atmosphére est
pesante. Céline a disparu depuis bientét 24 heures et I’on commence a
craindre le pire. Sa grand-mére, notamment, accepte de s’adresser aux
médias pour faire part de son inquiétude : « Elle a disparu en l’espace
d'un quart d’heure. Elle était avec nous dans le bar. Il y avait des clients,
personne ne |’a vue partir, personne n’a rien vu. Je ne pense pas que ce
soit un accident. Je penserais plutét au crime. » Et elle a bien raison
d’envisager le pire car, en début d’aprés-midi, on retrouve le corps de
Céline dans un taillis au bord d’un torrent asséché, 4 environ un
kilométre du Café de la Poste. C’est un drame. On la trouve 4 moitié nue,
visiblement violée et torturée, la téte fracassée par une pierre. Tout le
village est sous le choc. Céline était assez réservée, personne ne
Vimagine suivre un étranger. Personne ne croit & un accident. On
commence a parler de communautés marginales, de sectes implantées
dans la région, que les gendarmes s’empressent d’interroger, sans
résultat. C’est 4 ce moment-la qu’on en revient 4 Didier Gentil. Une
vieille dame dit l’avoir vu la veille, aux alentours de 20 heures, marcher
main dans la main avec Céline en direction du camping. Gentil est
immédiatement interpellé et placé en garde a vue. On interpelle
également un autre marginal du village, qui hébergeait Didier Gentil :
Richard Roman, surnommé I’Indien. C’est un original, un Parisien d'une
trentaine d’années, qui se balade pieds nus méme en hiver, toujours sale
comme un peigne. II posséde une bergerie dans les hauteurs du village,
od il éléve trente chvres et od il produit un fromage de qualité moyenne,
d’aprés ce qui se dit.
Voila les deux suspects en garde A vue a la gendarmerie. Aprés une
perquisition dans la maison en ruine oi ils vivaient, le colonel de
gendarmerie déclare : « L’autopsie du corps de l’enfant est en cours. Une
procédure a été établie pour infraction a la législation sur les stupéfiants &
Vencontre des deux personnes gardées a vue. Cette garde A vue se
poursuit, ainsi que les auditions. L’enquéte évolue de facon positive. »
Au village, c’est la consternation. Les habitants ont tiré leurs rideaux en
signe de solidarité avec la famille de Céline, et les voisins avouent
volontiers qu’ils trouvaient ces deux hommes bizarres.A la gendarmerie, Didier Gentil est interrogé par le brigadier Ramette.
Lors de la perquisition, on a retrouvé une tache de sang sur un de ses
sous-vétements. L’homme passe assez vite aux aveux. Il reconnait le viol
de la petite Céline, en revanche il nie fermement |’avoir tuée. Il accuse
alors Richard Roman, I’Indien, qui est interrogé au méme moment. Lui
aussi commence par nier, avant d’avouer 2 son tour. Les gendarmes
tiennent leurs aveux, ca n’a pas duré longtemps ! Une reconstitution est
tout de suite organisée. Et leurs gestes ressemblent bien a des aveux.
Didier Gentil, le tatoué, mime sans difficultés la scéne du viol. L’Indien,
quant a lui, va une heure plus tard jouer le réle du meurtrier. Une
tentative d’étranglement, les coups et enfin la pierre qui va tuer Céline.
La reconstitution est pénible, presque insoutenable. Les inculpations ne
devraient pas tarder 4 tomber.
Quand le jeune juge d’instruction récupére le dossier, il inculpe les
deux hommes. Le dossier est plutdt bien ficelé, et il n’y a pas mieux que
des aveux. Mais, en se penchant d’un peu plus prés sur les procts-
verbaux, et tout particuligrement celui de Richard Roman, il se rend
compte qu’ils sont trés décousus. Lorsque les gendarmes lui demandent,
par exemple, ce qu’il a bu au bar, celui-ci répond : « J’ai bu au moins un
café. » avant d’ajouter, sans question apparente du gendarme : « Je
demande pardon a Céline, A ses parents et & Dieu, au nom de ma mére
Vai tué, j’ai tué et j’ai violé Céline, et je n’ai rien A ajouter. » C’est tout
de méme bizarre. On l’interroge sur ce qu’il a bu la veille et on se
retrouve avec des aveux complets, visiblement spontanés. Le juge fronce
les sourcils. Il comprend rapidement qu’il a sous les yeux ce qu’on
appelle une « synth8se » : le procés-verbal présente toutes les réponses de
Roman, mais i] manque des questions des gendarmes. Ft ga, c’est une
machine a fantasmes, car on peut alors imaginer que les questions ont été
orientées. Le dossier est bien plus bancal qu’il n’en a l’air et ¢a, le juge
d’instruction va trés vite s’en rendre compte.
Quand Richard Roman pénétre dans son bureau, le juge d’instruction
n’a pas le droit de lui poser de questions, c’est la régle. Il lui demande
simplement s’il a quelque chose a déclarer. Et la réponse ne va pas le
décevoir ! Oui, Richard Roman a quelque chose & déclarer. Il a menti auxgendarmes, il n’a ni violé, ni tué Céline Jourdan, il est innocent. « Mais
alors, pourquoi est-ce que vous avez avoué ? lui demande le juge,
interloqué.
— Ils ne m’ont pas vraiment laissé le choix. »
Tl dit que la pression que les gendarmes ont exercée sur lui était
insoutenable. Mais dans |’immédiat, ce retournement de veste importe
peu : Roman et Gentil sont tous les deux inculpés du viol et du meurtre
de la petite Céline, avant d’étre écroués a la prison des Baumettes, a
Marseille.
Dans la foulée, c’est la curée. La presse dégaine les portraits des deux
monstres. Tous les éléments sont 1a : un tatoué, un éleveur de chévres
marginal et fantasque, qui vivaient ensemble dans une maison délabrée...
Deux marginaux, deux coupables, et peu importe la rétractation de
Richard Roman. Le 7 aofit, le matin, une centaine de personnes se
rassemble devant les Baumettes, réclamant la peine de mort pour les
assassins de Céline. En téte de file, il y a Gilbert Jourdan, le pére de la
petite. Dans la foulée, a Nice, plusieurs centaines de personnes défilent
dans les rues. Le maire de I’époque, Jacques Médecin, est au premier
rang. Bt eux aussi, aprés sept ans d’abolition, réclament le rétablissement
de la peine de mort. Pendant ce temps, du fin fond de sa cellule, Richard
Roman continue de clamer son innocence, méme si personne ne |’écoute.
Mais de fait, Richard Roman a une famille, et cela va jouer dans I’ affaire.
Didier Gentil est un enfant de la DDASS, abandonné A |’Age de cing ans,
il n’a personne sur qui compter. Roman, lui, vient d’une famille de
militaires et, surtout, son frére Joél est rédacteur en chef de la revue
Esprit. C’est un intellectuel de gauche trés connu, qui posséde une
certaine influence. Si Richard Roman a menti aux enquéteurs, s’il est
réellement innocent, il peut se défendre. Il commence par enréler un
ténor du barreau de Paris pour le défendre, M° Henri Leclerc, futur
président de la Ligue des droits de l'homme dont il est déja membre. Si
Leclerc accepte de le défendre, c’est parce qu’il a lu le fameux procés-
verbal et qu’il a lui aussi été interpellé par plusieurs choses. Il note par
exemple que Roman ne parle jamais spontanément des détails du crime,
il ne fait que confirmer ce que lui disent les gendarmes. Par exemple, il
ne dit pas : « J’ai ramassé cette pierre et je m’en suis servi pour tuerCéline », mais : « La pierre que vous me présentez est bien celle dont je
me suis servi pour tuer Céline. » Ca peut paraitre anodin, mais c’est
essentiel : il ne révéle rien du crime qui ne soit déja connu des
gendarmes.
Cing mois aprés l’assassinat de Céline, l’affaire connait un premier
rebondissement. Le juge regoit les résultats des premigres analyses
génétiques effectuées sur le corps de la petite. On y avait trouvé deux
ADN : le premier est inexploitable, le second appartient 4 Didier Gentil.
En revanche, aucune trace de 1’ADN de Richard Roman. Par ailleurs,
Gentil avait accusé Richard Roman d’avoir sodomisé la petite. Mais les
analyses révélent formellement que c’est en réalité lui qui I’a fait. Et s'il
a menti sur ce point, peut-étre a-t-il menti aussi sur d’autres sujets ?
Fort de cette premiére victoire, M* Henri Leclerc demande la libération
de Richard Roman. Nice Matin, dans un exercice assez éloigné du
joumalisme, titre : « On a osé demander la libération d’un des
meurtriers ! » Peu importe, la demande est rejetée et Roman reste aux
Baumettes. Passons sur les nombreux changements de juges d’instruction
pendant l’enquéte, trois juges en un an ! De toute maniére, dans cette
affaire, ce n’est pas un juge qui va faire avancer l’enquéte mais un
joumaliste, ce qui est suffisamment rare pour étre souligné. Il s’appelle
Lionel Duroy et il est reporter A L’Evénement du jeudi, \’ancétre du
magazine Marianne. Ce qui Vincite & se lancer lui-méme dans cette
enquéte, c’est une incohérence dans les aveux de Roman. Avant de se
rétracter, il a dit avoir violé Céline aux alentours de 21 h 30. Or, les
médecins légistes ont situé l’heure de la mort de l’enfant entre 21 heures
et 21 h 15. Ainsi, elle était déja morte quand il dit l’avoir violée ! C’est
sur la base de cette incohérence que Lionel Duroy convainc son rédacteur
en chef de l’envoyer 4 La Motte-du-Caire. On ne lui demande pas
d’envoyer un papier en deux jours, comme on le ferait aujourd’hui. Non,
il a tout son temps pour enquéter.
Il décide de réinterroger tous les témoins, bien évidemment sans leur
faire part de ses propres doutes. Il est surtout intéressé par ceux qui disent
avoir vu Roman partir a telle heure dans telle direction, ceux qui étaient
au café et ceux qui ne vivent pas trés loin de chez Roman. Ensuite, dans
sa voiture, Lionel Duroy refait le trajet qu’on lui a indiqué, aller-retour,en se chronométrant. Il bute alors sur une incohérence totale. A I’heure
du crime, entre 20 h 50 et 21 h 15, Richard Roman arrive au village,
s’installe au bar, prend un café, s’achéte des cigarettes avant de repartir
dans la direction opposée au lieu du crime. Tl ne pouvait pas étre au
méme moment en train de tuer Céline avec Dider Gentil ! C’est tout
bonnement impossible. Tl écrit tout cela dans son article pour
L’Evénement du jeudi. ll y a surtout eu des gens pour dire qu’un
« journaliste gauchiste vole au secours du frére d’un intellectuel de
gauche ». En revanche, l’incohérence horaire, personne ne la retient.
Lorsque Lionel Duroy va interroger le brigadier Ramette a la
gendarmerie, il en prend pour son grade : « Non mais qu’est-ce qu’il y
connait aux interrogatoires, celui-la ? Vous croyez que c’est facile de
faire avouer ses crimes & quelqu’un ? Ca a pris du temps ! Roman
résistait ! Mais il a toujours résisté 4 l’ordre ici, de toute maniére. Il
roulait n’importe comment, sans carte grise, sans chaussures,
sans rien ! »
Pourtant, Lionel Duroy a eu raison.
Onze mois aprés le meurtre de Céline, le juge organise une seconde
reconstitution a La Motte-du-Caire. Et il a df lire Varticle de
L'Evénement du jeudi parce que son intérét principal, pendant cette
reconstitution, ce sont les horaires et les différents itinéraires empruntés
par Gentil et Roman le soir du 26 juillet. L’opération va virer au pugilat :
craignant un lynchage, le juge refuse que les deux suspects participent
physiquement a la reconstitution. Lorsque les habitants du village
comprennent que Didier Gentil est maintenu a I’écart de la scéne, ils sont
pris de rage. La foule hurle & la mascarade et des bagarres éclatent,
notamment dans le café des Jourdan. Le pére de Céline est plaqué au sol
et son grand-pére, tremblant de colére, s’exprime en ces termes : « On
nous a présenté un gendarme avec un mannequin. Quand je me suis
apercu qu’on me prenait pour un con, j’ai dit que c’était fini. C’est une
mascarade, ga n’a rien 4 voir avec une reconstitution ! » Le juge explique
qu’il n’a pas voulu prendre de risques. Mais sous les insultes de la foule,
il suspend la reconstitution.
Peu de temps apres, il est remplacé par un nouveau juge d’ instruction.
Lenquéte continue de piétiner, on perd un temps fou. Mais, deux ansplus tard, le nouveau juge est lui aussi interpellé par les incompatibilités
horaires. Tout comme le journaliste Lionel Duroy avant lui, il en arrive &
la conclusion que Richard Roman ne pouvait pas étre physiquement
présent sur les lieux a I’heure du crime. Et comme les traces de sperme
retrouvées sur le corps de Céline n’appartiennent qu’a Didier Gentil, plus
rien ne justifie que I’on garde Richard Roman en prison, rien ! Par
diplomatie, i] avertit la famille de Céline, puis il signe une ordonnance de
non-lieu pour Roman. Aprés vingt-sept mois de détention, il quitte la
prison des Baumettes. Autant vous dire que cette libération est un
véritable tollé dans la presse et dans la rue. On parle de justice 4 deux
vitesses, on dit qu’on a innocenté un bourgeois parisien, frére d’un
intellectuel de gauche, défendu par un avocat de gauche, qui plus est
membre de la Ligue de protection des droits de ’homme. La fureur
populaire est telle que le juge est obligé de venir s’expliquer devant les
joumalistes : « J’estime qu'il n’existe pas de charges suffisantes pour
inculper Richard Roman. C’est en pleine conscience et en pleine liberté
que jai pris ma décision. Ceux qui ont dit que j’ai cédé & des pressions
ont le devoir de le prouver ou celui de s’excuser. »
On pourrait en rester 1a, mais non : trois semaines plus tard, la chambre
daccusation annule Vordonnance de non-lieu. Les juges qui la
composent pensent qu’entre le début de l’agression et la mort de Céline,
Richard Roman aurait eu le temps de se rendre deux fois au village pour
s’y faire voir. Le 26 avril 1991, Richard Roman retourne en prison. Il
sera jugé aux cétés de Didier Gentil.
Leur procés pour le viol et le meurtre de la petite Céline Jourdan
s’ouvre le 30 novembre 1992 devant la cour d’assises de Grenoble. Les
voila donc tous les deux assis cote A céte sur le banc des accusés.
L'Indien chevelu et le baroudeur tatoué.
Didier Gentil qui a avoué et ne s’est pas rétracté ne peut plus se
défiler : son ADN retrouvé sur le corps de Ja petite ne saurait mentir. Les
témoins qui défilent 4 la barre le décrivent comme immature, instable,
inculte, affabulateur et influengable. C’est un paumé abandonné par sa
mére, ballotté toute sa vie de foyers en familles d’accueil, un menteur, un
voleur. Sa rencontre avec Richard Roman a changé sa vie : tout de suite,
il a 66 subjugué et I’a considéré comme un maitre 2 penser. LorsqueDidier Gentil parle, aucune émotion ne transparait. Seul son bégaiement
rend ses propos difficiles A comprendre et son discours haché. Il est
pourtant loin d’étre béte, et il va le prouver pendant le procés : il élude
facilement les questions qui l’embarrassent, notamment sur ses rapports
avec Roman et sur les femmes. II insiste sur son immaturité : « J’ai
Vesprit d’un gosse de dix ans, je ne suis jamais devenu adulte », dit-il
Lorsque sa mére elle-méme vient témoigner 4 la barre, Didier Gentil
reste de marbre, malgré cette phrase terrible : « Ce qu'il a fait est atroce.
Didier n’est plus mon fils, je me l’enléve. »
Au procés, on s’arréte bien sdr longtemps sur la question des horaires.
Se pose surtout cette question cruciale : Richard Roman pouvait-il oui ou
non étre physiquement sur les lieux du crime au moment od il a eu lieu ?
Le dossier d’enquéte suggére que non. La plupart des témoins avaient
assuré qu’ils l’avaient vu au café entre 21 heures et 21 h 30. Seulement
voila, quatre ans apres les faits, ils ont tous retourné leur veste comme un
seul homme. Désormais, ils assurent tous l’avoir vu 20 h 30, ce qui lui
laissait largement le temps d’aller rejoindre Didier Gentil et d’assassiner
Céline. Le président s’étonne de leur revirement et le souligne. Tous
bafouillent un peu mais ne reviennent pas sur cette nouvelle version.
Pourtant, ils avaient juré de dire la vérité, toute la vérité |! Les premiers
jours du procés sont de mauvais augure pour Richard Roman... Jusqu’a
Varrivée d’un témoin imprévu.
Lhomme s’appelle Christian Célérier et ce n’est pas un habitant de La
Motte-du-Caire. Il était en vacances a I’hétel avec sa femme au moment
du meurtre. Vers 21 h 30, le couple buvait un verre en terrasse et, Célérier
est formel, l’Indien, Richard Roman, était 1a. Il raconte ensuite une
anecdote stupéfiante : quelques jours aprés le drame, les gendarmes I’ont
fait revenir pour témoigner. Ils ont tenté de lui faire croire qu’il était
impossible qu’il ait vu Richard Roman a 21 h 30, que ga ne collait pas.
Ils lui ont demandé de changer son témoignage, de dire qu’il l’avait vu a
20 h 30. Au début, il a refusé, mais les gendarmes ont insisté en disant
que c’était rendre service & ce salaud que de maintenir sa premiére
version. Alors, Christian Célérier a cédé et a accepté de changer son
témoignage. Au moment du procés, il a compris tous les enjeux de ce
changement et regrette de s’étre laissé influencer. II exprime ces regrets
devant la cour, et cela jette comme un froid. Dans I’audience, un
murmure s’éléve. Méme I’avocat général a l’air secoué.Le lendemain, alors que son avocat est absent, Didier Gentil craque. II
dit qu’il ne sait plus si Richard Roman était vraiment 1a le soir du crime,
qu’il a peut-étre inventé cette histoire. Il demande a étre soigné et
demande pardon 4 Richard Roman. Incroyable retournement de
situation ! La salle est stupéfaite. La famille Jourdan comprend que
Roman, qu’ils considérent et considéraient depuis toujours comme
V’assassin de Céline, risque de s’en sortir. Is ne peuvent pas l’accepter !
Depuis quatre ans, toute leur haine, toute leur rancoeur est tournée vers
cet homme. Le coup de grace va venir de l’avocat général : « Je vous
demande I’acquittement de Richard Roman. » La famille Jourdan quitte
la salle. A l’extérieur, la mére de Céline s’évanouit, son grand-pére se
met a hurler tandis que Gilbert Jourdan, livide, s’exprime auprés des
journalistes : « Je ne dirai qu’une chose, c’est que maintenant le juge et
Vavocat général peuvent se promener main dans la main et peuvent étre
baptisés les faux-culs de l’affaire Céline. » Sur le bane des accusés,
Richard Roman n’a quant a lui pas réagi a cette annonce.
Le 17 décembre 1992, a midi, les jurés se retirent pour délibérer. Cela
va durer plus de cing heures, a issue desquelles le verdict tombe. Didier
Gentil est condamné a la réclusion criminelle 4 perpétuité pour le meurtre
et le viol de Céline Jourdan. Richard Roman quant a lui est acquitté. A
l'annonce de ce verdict, un hurlement déchire le silence dans la salle.
C’est la mére de Céline. La famille Jourdan se précipite a l’extérieur de
la salle, en pleurs. Dehors, la famille hurle sa douleur, sa colére et son
désespoir. Dans un geste de rage, ils brillent leurs papiers d’identité et
clament leur honte d’étre frangais. Le procés a été une épreuve terrible,
ils sont brisés émotionnellement, terrassés par ce verdict.
Lorsque Richard Roman sort de la vieille maison d’arrét de Varce, prés
de Grenoble, les médias sont 14 pour l’accueillir. Tl s’exprime en ces
termes : « C’est la fin d’un désastre judiciaire. Je remercie surtout toutes
les personnes qui m’ont aidé. A la famille de Céline, je dirais seulement
qu’il faut qu’ils soient courageux, qu’ils entendent la vérité. Et & vous, la
presse, maintenant que vous connaissez tous les éléments du dossier,
c’est & vous de discuter chaque point et de faire en sorte que la vérité
éclate aux yeux de tous. »
Et ce n’est pas gagné. Beaucoup lisent le verdict avec scepticisme, on
crie au complot. D’ailleurs, il n’y a pas que des journalistes quiaccueillent Richard Roman 8 sa sortie de prison, mais aussi une foule
haineuse. Les policiers sont obligés de faire partir des voitures-leurres
pour évacuer Richard Roman en détournant l’attention de ceux qui
voudraient le lyncher. A La Motte-du-Caire, la pilule est amére. Depuis
le réquisitoire de l’avocat général, ils s’attendaient a un tel verdict, mais
la libération de Richard Roman les dégoit beaucoup.
Roman est libre. Mais, maintenant qu’il est sorti de prison, ses
problémes psychiatriques le rattrapent. Avant V’affaire Céline, il avait
déja fait deux séjours en hépital psychiatrique. Le meurtre de la petite
n’ayant pas aidé, il est & nouveau interné. Quand il sort, il part vivre a
Annecy, chez sa mére, oi il se fait appeler Joseph, son deuxiéme prénom.
Il est déclaré adulte handicapé et percoit une pension. Mais il se soigne
mal et ne retrouvera jamais I’équilibre. Vingt ans aprés le drame, le
23 juin 2008, il est retrouvé mort 4 son domicile de Clarafond, en Haute-
Savoie. Il s’est suicidé en avalant un mélange de médicaments et de
stupéfiants.