Educationetcroissanceconomiqueau Maroc

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Education et croissance économique au Maroc Peut-on parler d'une relation


positive ?

Thesis · June 2021


DOI: 10.0621/M9784-1168

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1 author:

Ihssane El Omri
Université Clermont Auvergne
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Education et croissance
économique au Maroc
Peut-on parler d'une relation positive ?

Juin 2021

Elaboré par EL OMRI Ihssane, ihssane_elomri@um5.ac.ma


Sous la direction de M. OUAHID Driss, enseignant chercheur

Mémoire de fin d’études, licence des études fondamentales en sciences économiques à la faculté des
sciences juridiques, économiques et sociales – Université Mohammed V Rabat.
La Faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales d’Agdal relevant de l’Université Mohammed V -
Rabat, n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce mémoire de fin
d’études.

Les opinions figurant dans le cadre de ce travail sont propres à leur auteur.

Page 1
A tous les patriotes qui ont combattu
et milité, qui ont été torturés et
martyrisés, et qui sont aujourd’hui
sous les verrous pour défendre
ostensiblement un Maroc meilleur.

Page 2
Sommaire
SOMMAIRE ...........................................................................................................................................................3
LISTE DES ABREVIATIONS .............................................................................................................................4
RESUME ................................................................................................................................................................5
INTRODUCTION GENERALE ..........................................................................................................................6

CHAPITRE 1 : REVUE DE LA LITTERATURE ........................................................................................... 10


SECTION (1) : DU FACTEUR TRAVAIL AU CAPITAL HUMAIN : QU’EST-CE QUE NOUS ONT INCULQUE LES ECOLES
DE PENSEE ? ..................................................................................................................................................... 10
SECTION (2) : LES NOUVELLES THEORIES DE CROISSANCE, UNE ANALYSE EMPIRIQUE DE LA RELATION
EDUCATION-CROISSANCE.................................................................................................................................... 19

CHAPITRE (2) : LE SYSTEME EDUCATIF AU MAROC, UNE PRIORITE POUR L’ETAT ? ............. 24
SECTION (1) : L’EDUCATION ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI : QUELQUES REPERES HISTORIQUES. ................... 24
SECTION (2) : NOUVEAU REGNE, NOUVELLES REFORMES : EFFORTS DEPLOYES ET OBSTACLES. ..................... 29

CHAPITRE (3) : CROISSANCE ECONOMIQUE ET CAPITAL HUMAIN AU MAROC, QUELLE


RELATION ? ....................................................................................................................................................... 36
SECTION (1) : METHODOLOGIE DE TRAVAIL. ...................................................................................................... 36
SECTION (2) : ESTIMATION ET ANALYSE DES RESULTATS. .................................................................................. 37

CONCLUSION..................................................................................................................................................... 42
REFERENCES ET BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 43

Page 3
Liste des abréviations

ADF Augmented Dickey Fuller

AMDH: Association Marocaine des Droits de l’Homme

COSEF: Commission Spéciale Education-Formation

CSMD: Commission Spéciale du Modèle de Développement

HRW: Human Rights Watch

M20F: Mouvement du 20 Février

NEET: Not in Education, Employment or Training

NMD: Nouveau Modèle de développement

OCDE: Organisation de coopération et de développement économique

ODD: Objectifs de Développement Durable

PIRLS: Progress in International Reading Literacy Study

PISA: Programme for International Student Assessment.

TIMSS: Trends in International Mathematics and Science Study

VAR Vecteur Auto Régressif

Page 4
Résumé
Ce mémoire de fin d’études cherche à tester la relation qui existe entre croissance économique
et éducation dans le cas du Maroc, en se basant sur les différentes théories de croissance et du
capital humain ainsi sur quelques analyses empiriques. L’éducation représente un élément de
développement central pour chaque Etat, qui doit contribuer, à la fois, à une croissance
économique soutenue et durable, et à une amélioration des conditions de vie de la population
via l’augmentation de sa productivité et partant les revenus.
Dans le cas du Maroc, le secteur éducatif contribue très faiblement à la croissance
économique, chose qui revient à son rendement faible que ce soit de manière quantitative ou
qualitative ; alors que la croissance économique engendre le secteur (positivement et
négativement) sur le long terme. La fragilité du secteur de l’éducation-formation découle de la
finalité non réformatrice de l’ensemble des politiques de l’Etat qui ont ciblé le secteur à
travers l’histoire et de l’asphyxie qu’a connu le pays en termes de démocratie et de libertés
individuelles qui ont heurté le développement de ce secteur.
Mots-clés : croissance économique, éducation, capital humain, Maroc, politiques publiques.

Abstract
This thesis aims to test the relationship between economic growth and education in the case of
Morocco, based on the different theories of growth and human capital as well as some
empirical analyses. Education is a central element of development for each State, which must
contribute both to sustained and sustainable economic growth and to an improvement in the
living conditions of the population through increased productivity and hence income.
In the case of Morocco, the education sector contributes very little to economic growth, which
amounts to its poor performance either quantitatively or qualitatively; while economic growth
generates the sector (positively and negatively) over the long term. The fragility of the
education and training sector stems from the non-reform finality of all state policies that have
targeted the sector throughout history and the asphyxiation that the country has experienced in
terms of democracy and individual freedoms that have hampered the development of this
sector.
Keywords: economic growth, education, human capital, Morocco, public policies.

Page 5
Introduction Générale

«Il y a deux choses qu’on peut regarder comme


étant tout ensemble les plus importants et les plus
difficiles pour l’humanité : l’art de gouverner les
hommes, et celui de les élever ; et pourtant on
dispute encore sur ces idées.»
E. KANT

Depuis des lustres, l’éducation a constitué le cœur des préoccupations de chaque Etat et de
chaque nation et figure jusqu’aujourd’hui parmi les secteurs les plus sensibles, elle peut jouer
un rôle central dans la promotion du développement et de la croissance économique, ainsi que
dans l’amélioration des conditions de vie des populations, si elle émane d'une volonté
d’accroître la productivité et la performance du capital humain et d'accompagner les
mutations dans un monde où rien n’est immuable au milieu des changements; comme elle
peut être une bonne méthode de gouvernement qui cherche à renforcer l’emprise du pouvoir
politique sur la société en limitant son accès au savoir, et c'est généralement dans le cas des
pays qui ne cherche que la préservation d'un pouvoir absolu et l'accumulation infinie des
capitaux. En effet, la dernière décennie a été marquée par une croissance très faible des pays
de l’OCDE, avec une reculade très importante du niveau de vie de la population moyenne, un
ascenseur social en panne et une asphyxie des droits de l’Homme. A cet égard, la littérature
récente a mis en exergue l’effet positif et fort de la démocratie sur la croissance économique,
ACEMOGLU et al. (2014) stipulent que la démocratie entraîne jusqu’à 20% d’augmentation
du PIB sur le long terme en encourageant l’enseignement, l’investissement et l’introduction
des réformes au bon moment et de la bonne manière. L’enseignement dépend alors du régime
politique instauré, plus le pays est démocratique plus il investit davantage dans le secteur
éducatif pour affermir la place de ce dernier en tant qu’un levier central de développement,
via la formation de vrais patriotes prêts à vivre en société et capables de gérer le bien commun

Page 6
pour favoriser un développement durable; plus il est autoritaire et dictateur plus il essaye de
maintenir le secteur dans la fragilité et de proposer des formations à faibles rendements, dans
l’intention de tuer le sens de recherche et l’esprit critique chez le citoyen et partant dissimuler
les vérités.

L’éducation est un objectif commun autour duquel se rassemblent toutes les entités quel que
soit leur position dans la hiérarchie sociale, et donc ne peut être soumise ni à la loi de l’offre
et de la demande ni aux intérêts économiques et politiques.

Durant cette dernière décennie, le Maroc a connu une forte détérioration des libertés comme
le préconisent les rapports de l’AMDH, d’Amnesty International, de HRW ou autres, les
libertés individuelles se remettent en cause, la répression s’élargit, les restrictions qui touchent
à la liberté d’expression augmentent et le nombre des prisonniers politiques et d’expression
prend un trend haussier. Aziz GHALI, président de l’AMDH affirme que «nous continuons à
vivre avec une Constitution loin de la démocratie et des droits de l’homme, avec la
promulgation d’un ensemble de lois portant atteinte à ces droits, telle que les lois relatives au
droit à la terre et la Loi-cadre relative à l’éducation».1 En revanche, dans la série des ODD
dans lesquels le Maroc s’est engagé, le quatrième objectif consiste à généraliser une éducation
de qualité de façon équitable sans prendre en compte l’âge, le genre ou le statut social ;
néanmoins, en 2019, 66% des enfants âgés de 10 ans ne savent ni lire ni comprendre un
simple texte. Un an plus tard, la crise sanitaire due à la propagation du coronavirus, dont la
nocuité n’a épargné aucun pays, a levé le voile sur un secteur éducatif qui éprouve une
fragilité et une faiblesse chronique.

Nous allons tenter alors, dans cet essai, de déceler les failles du secteur de l’éducation qui a
fait l’objet d’une longue controverse, en scrutant l’histoire et la conjoncture pour établir les
états des lieux, le texte et le contexte.

Nous proposons tout d’abord une lecture dans la théorie et les travaux empiriques qui ont
traité la relation entre croissance-éducation ou croissance-capital humain; passant dans un
deuxième temps à fouiller dans les feuilles de l’histoire du pays pour déchiffrer la structure

1
Yabiladi, Droits de l’Homme au Maroc «la dégradation se poursuit» et «les restrictions persistent», 10
décembre 2019.

Page 7
politico-idéologique de l’Etat afin de comprendre la logique de l’établissement des politiques
publiques et l’engagement des réformes; pour arriver finalement à tester la positivité de la
relation entre la croissance économique et l’éducation dans le cas du Maroc via une
modélisation VAR sous E-VIEWS.

Pour pouvoir répondre à la problématique autour de laquelle s’articule cet essai : Dans quelle
mesure l’éducation peut-elle contribuer à la croissance économique ?

Page 8
«Il n’y a de richesses que d’Hommes»
Jean BODIN

Page 9
Chapitre 1 : Revue de la littérature
Au niveau de ce chapitre, nous allons puiser dans les différentes théories de la croissance
économique pour faire ressortir le rôle primordial du capital humain dans la production des
richesses, pour ensuite, étudier la relation qui pourrait exister entre l’éducation et la croissance
économique en se référant à quelques analyses empiriques.

Section (1) : Du facteur travail au capital humain : qu’est-ce que nous ont inculqué
les courants de pensée ?

Le capital humain peut être perçu comme étant l’ensemble des compétences et des
expériences accumulées en vue d’améliorer la productivité des salariés (J. STIGLITZ), il
s’agit alors d’un stock de connaissances techniques et de qualifications qui caractérisent la
force de travail d’une nation et qui n’est que le résultat d’un investissement en éducation et en
formation (P.A. SAMUELSON et W.D. NORDHAUS). Quant à l’OCDE, il définit le capital
humain comme l’ensemble « des connaissances, qualifications, compétences et autres qualités
possédées par un individu et intéressant l’activité économique.»

Gary BECKER (1930-2014) fût l’un des premiers, avec J. MINCER (1922-2006), à
s’intéresser à l’importance de la modélisation du capital humain, il constate alors que ce
dernier est « l’ensemble des capacités productives qu’un individu acquiert par accumulation
de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire …etc. »2, c’est un stock d’acquis et
de compétences qui augmente par des investissements et qui permet de générer un revenu, vu
qu’il s’agit d’un actif. En principe, le capital humain se différencie des autres genres de
capital par trois spécifités: la personnalisation qui rend ce capital une entité indissociable et
inséparable de son propriétaire; la limitation désignant les rendements marginaux décroissants
de l’investissement qui s’expliquent par la dépendance de l’accumulation du capital humain
aux capacités physiques et intellectuelles de la personne; et finalement l’opacité du capital

2
G. S. Becker, Human Capital, a Theoretical and Empirical Analysis, Columbia University Press for the National
Bureau of Economic Research, New York, 1964.

Page 10
humain provenant de l’obscurité qui dissimule les compétences et les aptitudes du travailleur
dès le premier pas dans le processus du recrutement face à l’employeur, dans ce cas-là seule la
compétence permet au travailleur de se distinguer des autres candidats et saisir les
opportunités propices pour un salaire plus élevé.

La notion du capital humain est ubiquiste, elle tire son essence des théories fondatrices de la
science économique. Dans son œuvre majeure Recherche sur la nature et les causes de la
richesse des nations, A. SMITH (1723-1790) parle des déterminants humains de la
croissance, pour lui les ressources économiques sont issues de la créativité et de l’innovation.
Il constate ainsi que les profils que nécessitent certains postes de travail demandent de
l’expérience et de l’expertise, des éléments qui ne s’acquièrent qu’en investissant dans la
formation et l’éducation. L’homme est appelé alors à développer ses compétences et à
chercher toujours des nouvelles connaissances,

un homme qui passe toute sa vie à remplir un petit nombre d'opérations simples, dont
les effets sont aussi peut-être toujours les mêmes ou très approchant les mêmes, n'a
pas lieu de développer son intelligence ni d'exercer son imagination à chercher des
expédients pour écarter des difficultés qui ne se rencontrent jamais; il perd donc
naturellement l'habitude de déployer ou d'exercer ces facultés et devient, en général,
aussi stupide et aussi ignorant qu'il soit possible à une créature humaine de le
devenir; l'engourdissement de ses facultés morales le rend non seulement incapable de
goûter aucune conversation raisonnable ni d'y prendre part, mais même d'éprouver
aucune affection noble, généreuse ou tendre et, par conséquent, de former aucun
jugement un peu juste sur la plupart des devoirs même les plus ordinaires de la vie
privée.3

En entamant la différence entre travail simple et travail complexe, K. MARX (1818-1883)


surligne la notion de qualification de la force de travail ; pour lui, le travail complexe ou
qualifié est plus coûteux que le travail simple qui est sans qualification et sans formation
spéciale. Développer une force de travail c’est lui faire acquérir aptitude, précision et célérité
et ce à travers l’éducation qui coûte une somme plus ou moins grande d’équivalents en

3
A. SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, W. STRAHAN and T. CADELL,
Londres, 1776.

Page 11
marchandises, cette somme dépend du caractère complexe de la force de travail et rend alors
la rémunération des travailleurs qualifiés plus chère.4

Les limites de la théorie de croissance exogène représentaient la feuille de route pour le


développement de la notion du capital humain dans les années 60, ces modèles d’orientation
néoclassique reposent sur l’exogénéité du taux de croissance sur le long terme, et stipule que
ce dernier corrèle avec le taux de croissance de la population active et les gains exogènes de
productivité, et ne dépend ni des comportements des agents ni de la fiscalité (P. ROMER
1987). En outre, le capital physique et le capital humain contribuent de la même mesure dans
le processus de production des richesses d’une manière quantitative, et représente alors le
facteur travail dans la fonction de production. Le travail et le capital sont donc substituables,
chose qu’on peut démontrer à travers une fonction de production Cobb-Douglas 5:

Prenons une fonction de production : 𝐘 = 𝐀𝐊 𝛂 𝐋𝟏−𝛂

L’élasticité de substitution entre les facteurs K et L est définie par :

K
d( )
L⁄
K K ∂Y ∂Y
( ) ∂ln ( ) Avec : FL = et FK =
σ= F
L
= L
FL ∂L ∂K
d( L ) ∂ln ( )
FK FK
⁄F
( L)
FK

L’élasticité de substitution de la fonction Cobb-Douglas serait alors :

K 𝐾
∂ln ( L ) 𝜕 ln( 𝐿 )
σCD = (1−α)AKα L−α = 1−𝛼 𝐾 =1
∂ln ( ) 𝜕ln ( 𝛼 × 𝐿 )
αAKα−1 Lα

Ceci dit qu’une diminution du capital de 1% doit être compensée par une augmentation de la
même proportion du travail afin de garder le même niveau de production, ce qui permet de
déduire que la production dépend essentiellement de l’accroissement de la population
(quantité du travail) alors que l’accroissement des connaissances (qualité du travail)

4
K. MARX, Le Capital, Livre 1, 1867.
5
C’est un modèle de fonction de production sous forme d’une moyenne géométrique proposé et testé par P.
DOUGLAS (1892-1976) et C.W. COBB (1875-1949) en 1928.

Page 12
n’influence la production que faiblement. Le modèle néoclassique de R. SOLOW inventé en
1956 avec la contribution de T. SWAN (1918-1989) constitue la base des modèles
contemporains de croissance. La croissance selon SOLOW, dépend dans un premier temps,
d’un facteur capital et un facteur travail qui n’est que la somme des heures de travail
effectuées, plus que cette somme a tendance à augmenter plus que l’investissement en
machines (en capital) augmente et entraîne par conséquent une forte croissance économique,
jusqu’à un certain temps où elle stagne. Cet état stationnaire de la croissance revient à deux
éléments principaux : l’obsolescence du stock de capital qui s’amortit d’une année à l’autre,
pour qu’il y ait croissance il faut que l’accumulation du capital couvre suffisamment la
détérioration du stock ; et l’accroissement de la population qui stimule la hausse des quantités
du facteur travail en dépassant le stock du capital, l’intensité capitalistique diminue et diminue
la production. SOLOW introduit ainsi un facteur résiduel pour remédier à cet état déterminé
par le progrès technique, les connaissances scientifiques, la capacité créative des
hommes...etc. des éléments magiques venant du ciel et permettant d’améliorer la productivité
des facteurs.

Le progrès technique s’accélère avec le développement rapide de la science et la célérité de la


mondialisation, et déclenche le besoin de travailleurs qualifiés. En effet, concevoir des
modèles qui réintègrent le progrès technique au cœur de la croissance économique devient
une nécessité à laquelle les économistes tels que P. ROMER, R. LUCAS ou encore R.
BARRO vont sacrifier leurs travaux de recherche. Ces modèles reposent sur le principe d’une
croissance qui s'autoentretient, qui procrée elle-même le progrès technique en accumulant les
différentes figures du capital. L’idée alors est que les dépenses en recherche & développement
effectuées engendreront des externalités6 positives qui permettent de stimuler la croissance sur
le long terme, elles accommodent équilibre concurrentiel et intervention de l’Etat.

6
Cette notion d’externalité peut être expliquée par le fameux exemple de l’apiculteur et de l’arboriculteur
déployé par James MEADE (1907-1995) : «L’apiculteur profite de la proximité de l'arboriculteur et obtient un
miel de meilleure qualité qu'il pourra vendre à meilleur prix et cela gratuitement. L'arboriculteur ne sera pas
payé pour le service indirect qu'il a rendu à l'apiculteur. Il s'agit dans ce cadre d’une externalité positive. Mais
l’arboriculteur profite aussi gratuitement de la pollinisation de ses arbres, ce qui améliore son rendement sans
avoir recours à de coûteuses méthodes manuelles, et la pollinisation aléatoire des abeilles enrichit ainsi la
diversité génétique qui permet aux plantations de mieux résister à d'autres affections ou maladies.»

Page 13
La base de ces modèles de croissance endogène qui affermissent la place de l’aspect qualitatif
du capital humain dans le processus de création de richesse, est l’équation de gains de J.
MINCER (1922-2006) ; cette fonction associe le nombre d’années d’études et le nombre
d’années d’expérience au salaire d’un individu. Par ailleurs, MINCER constate que le capital
humain ne se déprécie pas tout au long de sa durée d’utilisation vu qu’il n’y a ni oubli par
l’individu ni obsolescence de la technologie ; il part d’un certain nombre d’hypothèses pour
élaborer son modèle :

- Le capital humain est acquis exclusivement pendant le temps de scolarité formelle,


ceci dit que les coûts marginaux d’éducation sont composés de coûts d’opportunité.
- Puisque la relation entre le salaire et l’éducation est linéaire, alors les chocs de l’offre
et de la demande se répercuteront semblablement sur le taux de rendement.
- Le temps de rendement est le même pour tous les salariés et ce en raison de
l’homogénéité du temps scolaire, ce dernier fournit les mêmes fractions de
connaissances en quantité et en qualité.

L’équation initiale de MINCER est donnée comme suit :

ln 𝑌𝑠 = 𝑐 + 𝑟𝑆 + 𝑎𝐸 + 𝑏𝐸² + 𝑢

Avec : Y : Revenu individuel

c : Constante, salaire de base sans capital humain

S : Nombre d’années d’études

E : Expérience professionnelle, ayant des rendements décroissants

u : Terme stochastique qui représente les facteurs non observés affectant le revenu.

MINCER estime que la scolarisation et l’expérience expliquent le tiers de la variance des taux
de salaire dans les pays occidentaux ; or que ce modèle a dégagé plusieurs limites qui ont
permis à d’autres économistes de proposer quelques corrections, et d’introduire ainsi une
nouvelle variable explicative, le niveau d’éducation des parents et/ou leur activité
professionnelle, qui impacte positivement le processus cognitif de l’enfant. Pour BOWLES, le
revenu ne se détermine pas par la classe sociale et le niveau d’éducation, ces deux éléments ne
créent qu’une opportunité de choisir entre les offres d’emploi se distinguant entre elles par des

Page 14
critères monétaires ou non monétaires ; et donc le revenu n’est que le résultat d’un choix.
Quant à HECKMAN et al. , ils rejettent la troisième hypothèse du modèle et supposent par
ailleurs que le temps scolaire –le nombre d’années d’études- n’est pas homogène, l’efficacité
du processus d’apprentissage peut varier d’une année à l’autre.

La prise en compte de ses rectifications a permis d’étendre le modèle de MINCER en


introduisant un vecteur (X) de caractéristiques individuelles et parentales :7

ln 𝑌𝑠 = 𝑐 + 𝑟1 𝑆 + 𝑟2 𝑆² + 𝑎𝐸 + 𝑏𝐸² + 𝑑𝑋 + 𝑢
𝜕 ln 𝑌𝑠
Le taux de rendement marginal de l’éducation serait alors : = 𝑟1 + 2𝑟2 𝑆
𝜕𝑆

Contrairement aux modèles keynésien et néoclassique de croissance (notamment le modèle de


HARROD-DOMAR et SOLOW), T.W. SHULTZ (1902-1998) réfute la relation de
dépendance entre le taux de croissance et l’accumulation du capital physique, il préconise
qu’il y a peu de doute que l'investissement qui améliore les capacités des gens crée des
différences dans la croissance économique et dans la satisfaction vis-à-vis de la
consommation. Nous savons maintenant que l'oubli du capital humain biaise l'analyse de la
croissance économique.8 Il s’est intéressé à la sphère qualitative du facteur travail dans la
mesure du capital humain, c.à.d. tout ce qui est habilité, savoir, talents et aptitudes qui
augmentent la productivité. La mesure du capital humain en général, et l’évaluation du capital
physique en particulier, se fait à travers une étude des dépenses d’investissement en capital
humain. Cependant, la complexité pour SHULTZ provient de la confusion qui se fait entre ce
qui est issu des dépenses de consommation et ce qui émane des dépenses d’investissement. Il
énumère en plus 5 sources de production du capital humain :

1. Les infrastructures et services de santé qui affectent l'espérance de vie et la vitalité des
individus ;
2. La formation professionnelle (incluant l'apprentissage) organisée par les entreprises ;
3. Le système éducatif de l'école élémentaire au supérieur ;

7
F. ARESTOFF (2000), Taux de rendement de l’éducation sur le marché du travail d’un pays en développement
Un réexamen du modèle de gains de Mincer, DIAL, Université Paris IX-Dauphine.
8
T.W SHULTZ, Investment in human capital The American Economic Review, 1961.

Page 15
4. Les programmes d'études et de formation pour adulte non organisés par des
entreprises ;
5. La migration des individus et des familles pour saisir des opportunités d'emploi.

Si la formulation du concept du capital humain revient à SHULTZ, BECKER est considéré


comme le fondateur de la théorie et c’est à lui que revient alors la systématisation du concept
avec la parution de son ouvrage Human capital, A theoretical and empirical analysis with
special reference to education en 1964; il voit dans l’investissement en capital humain
l’élément central de la croissance dans la mesure où il sert à accroître la productivité des
salariés, et contribuer donc à une augmentation de la rentabilité des firmes. L’investissement
passe nécessairement par l’éducation et la formation, l’individu par sa nature rationnelle doit
investir davantage dans ces deux éléments afin de concevoir un capital à productivité
significative dont le stock augmente au même rythme que la hausse de la demande de
l’éducation; deux catégories de coûts à en tirer de cette accumulation du capital humain: les
coûts d’opportunité représentant le salaire et toute sorte de revenus du travail auxquels
l’individu peut revendiquer durant sa vie professionnelle et qui proviennent de
l’investissement effectué durant le parcours cognitif, et les coûts résultant des dépenses
d’éducation et des frais exigés pour la formation. La différence entre le niveau et flux du
salaire obtenu après l’investissement et le niveau et flux du salaire que l’individu n’aurait pu
obtenir s’il n’en avait pas investi, représente le taux de rendement de l’investissement en
capital humain, on dit que tel ou tel investissement est rentable lorsqu’il rend possible à
l’individu de percevoir un salaire plus élevé apte à rembourser les frais d’investissement
effectué.

La distinction faite par BECKER entre formation générale –schooling- et formation


spécifique –on the job training- a conduit vers l’établissement d’une séparation entre deux
modes d’accumulation du capital humain : une accumulation hors processus de production et
une accumulation de connaissances dans la production.

À l’instar des travaux de BECKER, R. LUCAS suppose que l’accumulation de formation et


de connaissances se fait hors processus de production, il préconise ainsi que cette
accumulation est une activité sociale, impliquant des groupes de personnes d’une manière qui

Page 16
n’a pas d’équivalent dans l’accumulation du capital physique,9 ceci dit qu’il s’agit d’une
volonté et d’un acte individuel lié à l’environnement social. Le modèle de LUCAS propose
trois facteurs de production : le capital physique à productivité décroissante, le travail ayant
un taux de croissance constant et le capital humain permettant de fortifier la productivité des
deux facteurs précédents. On considère Nt agents qui passent ut unités de temps à travailler et
(1-ut) unités de temps à s’éduquer, on peut constater conséquemment qu’il y a utNt agents
travaillant dans le processus de production et (1-ut)Nt agents en formation, le stock du capital
humain est donné par: ∆ℎ𝑡 = 𝐵(1 − 𝑢𝑡 )ℎ𝑡 , le stock global de capital humain dans le
(*)

processus de production est uthtNt (sous l’hypothèse d’un plein emploi: nombre de travailleurs
Lt = Nt) et la production (suivant une modélisation Cobb-Douglas) serait 𝑌𝑡 =
𝐴𝐾𝑡𝛼 (𝑢𝑡 ℎ𝑡 𝐿𝑡 )1−𝛼 . LUCAS assimile le système de formation au système éducatif (B dans
l’équation (*)) et partant il constate que ce dernier est moins efficace dans les pays pauvres que
riches, en revanche, un secteur éducatif n’existe pas, du fait qu’il n’y a pas une offre
d’éducation.

Si la formation acquise hors processus de production augmente la productivité de l’individu


de manière générale de sorte à ce qu’elle lui permet d’intégrer n’importe quelle entreprise
quel que soit son domaine d’activité, la formation dans la production améliore la productivité
du travailleur au sein de l’entreprise, en proposant un éventail de connaissances utiles pour se
spécialiser dans la tâche demandée ou le poste à occuper. A. SMITH, dans le premier chapitre
de la Richesse des Nations, et avec son exemple de la manufacture des épingles schématisant
sa théorie de la division du travail, fût le premier à mettre en exergue l’impact positif des
nouvelles acquisitions au sein de l’entreprise sur la base d’une démarche d’induction; par
suite, il en déduit que la puissance productive du travail –la productivité marginale- s’accroît
en augmentant la division de travail qui est à l’origine de l’amélioration des aptitudes et de
l’habilité du travailleur:

Dans une société avancée, les fonctions philosophiques ou spéculatives deviennent,


comme tout autre emploi, la principale ou la seule occupation d'une classe
particulière de citoyens. Cette occupation, comme toute autre, est aussi subdivisée en

9
R. LUCAS, 1993, «Making a Miracle», Econometrica, vol. 61, no. 2, March, p. 251-272.

Page 17
un grand nombre de branches différentes, chacune desquelles occupe une classe
particulière de savants, et cette subdivision du travail, dans les sciences comme en
toute autre chose, tend à accroître l'habileté et à épargner du temps. Chaque individu
acquiert beaucoup plus d'expérience et d'aptitude dans la branche particulière qu'il a
adoptée : il y a au total plus de travail accompli, et la somme des connaissances en est
considérablement augmentée.10

Les travaux inventés par ROMER (1986,1990) s’inscrivent dans la stricte ligne de la réflexion
smithienne qu’on a évoqué précédemment, il propose alors le premier modèle de croissance
endogène (le fameux modèle AK) en 1987, complété et amélioré par ROMER lui-même en
1990 et S. REBELO en 1991, dans lequel il associe la production à l’accumulation de
connaissances; il stipule entre autre que c’est la production qui contribue à cette accumulation
via ce qu’on appelle le Learning by doing, cette dernière notion déjà introduite par ARROW
(1962), USAWA (1965) et SHESHINSKI (1967) explique la relation associant la croissance
économique au capital humain. En effet, l’accumulation des connaissances a pour effet
l’accroissement du progrès technique, cet élément non rival, qui s’accumule avec une
tendance à l’infini et profite à tous, à caractère exclusif constitue un moteur d’une croissance
économique soutenue et auto-entretenue. Le rôle que joue le Learning by doing est
indispensable dans l’émergence des pays en développement qui tendent fortement à se
spécialiser dans les activités industrielles productives (YANG et BORLAND, 1991), du fait
de dédier une portion majeure du capital humain à la recherche.

L’externalité que génère la connaissance au niveau des modèles de croissance met l’accent sur
l’importance de l’adéquation entre le travailleur et sa machine et dans sa relation avec les
autres travailleurs ; il s’agit de l’effet externe que procure l’éducation, l’ensemble « des
facilités de transmission des connaissances et d’informations, et la conclusion de contrats
répondant à la complexité des emplois »11. A contrario de la logique de la théorie du capital
humain, certains économistes considèrent que la formation et les études ne sont que des outils
de détection des profils employables et non un investissement favorisant l’accumulation du

10
A. SMITH, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, W. STRAHAN and T. CADELL,
Londres, 1776.
11
E. MALINVAUD, 1993, - Education et développement économique - Colloque de l'AFSE, Dijon.

Page 18
capital humain. K. ARROW propose à cet égard une analyse de filtrage par l’enseignement
supérieur (1973), il fait avancer que la formation acquise au cours du parcours cognitif de
l’individu sert d’une carte d’identité lui donnant l’accès au marché du travail qui propose des
offres d’emploi hétéroclites, nécessitant un filtrage en fonction des qualités et des critères
recherchés. En définitive, la formation n’est qu’un filtre dont le rôle se limite à identifier les
individus sans augmenter leurs capacités productives. M. SPENCE adopte le même
raisonnement qu’ARROW et accorde à l’éducation un rôle de signal (1981), il voit que les
aptitudes et les talents du demandeur de travail sont opaques pour l’entreprise, le système
éducatif envoie alors un signal à celle-ci pour rendre la vision plus nette afin de simplifier le
processus de décision et de validation des choix.

Section (2) : Les nouvelles théories de croissance, une analyse empirique de la


relation croissance/éducation :

La théorie du libéral hétérodoxe J.A. SCHUMPETER (1883-1950) repose sur un élément


fondamental dans l’analyse des cycles économiques qui est l’innovation, cette dernière prend
cinq formes : un nouveau produit, un nouveau procédé de fabrication, un débouché nouveau,
la découverte d’une matière première ou la réalisation d’une nouvelle organisation.

La figure ci-dessous montre comment l’innovation affecte le cycle économique, la phase 2 et


3 illustre la fameuse destruction créatrice. SCHUMPETER met en exergue le rôle de
l’entrepreneur dans le processus de création des innovations, entre autres, il ne s’agit pas
forcément d’un gestionnaire ou exploitant, mais tout simplement d’un individu qui n’est pas
frileux et qui engage ses capitaux pour tenter d’innover ; sa finalité n’est pas nécessairement
lucrative mais émane d’une volonté de puissance et de fonder quelque chose de durable dans
l’intention de laisser son nom.

« Le charme est rompu et de nouvelles affaires se créent continuellement, appâtées par le


profit. Il se produit une réorganisation complète de l’industrie, avec hausse de la production,
concurrence acharnée, disparition des entreprises obsolètes, licenciements éventuels. »

J.A. SCHUMPETER

Page 19
Figure n°1: Business Cycle de Schumpeter

Les adeptes de SCHUMPETER, à l’instar de ses réflexions, ont conduit vers l’émergence des
théories, dites nouvelles, de la croissance économique. Pour P. AGHION (2002), les anciens
modèles de croissance reposant sur l’accumulation du capital ne peuvent pas expliquer, à la
fois, la croissance à long terme et la convergence des pays sans prendre en compte le sujet des
institutions.12 AGHION et P. HOWITT observent l’obsolescence des biens produits dans le
temps en raison du progrès technologique, ils préconisent que la croissance dépend de façon
directe du stock du capital humain qui influence l’aptitude d’innovation d’un pays et sa
capacité à accompagner la caravane de développement. P. HOWITT l’un des pionniers de
l’approche basée sur l’innovation souligne que cette approche vise à :

12
P. AGHION, (2002). Les défis d’une nouvelle théorie de la croissance. L'Actualité économique, 78(4), 459–
486.

Page 20
Faire ressortir la distinction entre le savoir technologique et le capital et elle analyse
le processus de l'innovation technologique comme une activité distincte de l'épargne.
Cette nouvelle théorie précise de façon explicite qui profite du progrès technologique,
qui perd, comment les gains et les pertes dépendent d'arrangements sociaux, et
comment de tels arrangements se répercutent sur la volonté et la capacité de la société
de créer et d'affronter le changement technologique.13

De leur part, AGHION et E. COHEN caractérisent les pays par leur niveau technologique
évalué par le degré de proximité ou de distance par rapport à la frontière technologique fixée
par le niveau des Etats-Unis, ils confirment de surcroît, à travers leurs travaux empiriques, que
les systèmes d’éducation se déterminent par le niveau technologique, c’est ainsi qu’un pays se
trouvant à proximité de la frontière technologique doit opter pour un système d’éducation
focalisé sur l’enseignement supérieur tout en encourageant l’innovation et la recherche pour
pouvoir réaliser un trend haussier et soutenu de la croissance économique.

A.SEN, récipiendaire du prix Nobel d’économie en 1998 grâce à sa théorie contributive à


l’économie du bien-être, s’oppose fortement à STIGLER et BUCHANAN en niant l’utilité de
l’hypothèse de l’homo œconomicus et adopte plutôt un raisonnement humaniste dans
l’explication et l’analyse du comportement individuel. Il stipule que le capital humain et la
capacité sont adjacents, sous prétexte que l’apport bénéfique de l’éducation ne se limite pas à
l’amélioration des capacités et l’augmentation de la productivité, mais constitue elle-même
(l’éducation) une capacité centrale en tant que cause principale de liberté réelle. La théorie de
la capacité de SEN s’adapte au mieux à l’économie de développement dans la mesure où elle
ne se focalise pas seulement sur l’investissement en capital humain, sur les mécanismes du
fonctionnement du marché de travail ou sur les systèmes éducatifs.

« En considérant l'éducation essentiellement à travers ses effets induits sur le revenu,


la théorie du capital humain ne retient en réalité que sa dimension productive. Elle
néglige ce faisant ses dimensions éthiques et sociales. Or, l'éducation n'est pas
seulement un moyen pour atteindre d'autres fins (le revenu, le plaisir, le bonheur)

13
Peter Howitt, (2004), Loc. Cit., p. 4.

Page 21
mais elle est d'abord une valeur désirable en soi. Elle est une capacité qui permet
l'exercice des libertés individuelles. »14
Pour SEN, la détérioration du rendement du capital humain provient principalement des
restrictions à la mobilité sociale et aux libertés qui freinent les capacités et les compétences de
l’individu qui ne sont en vrai que l’ensemble de ses libertés réelles qui lui permettent de créer
de la richesse, il s’agit d’une combinaison entre ce qu’une personne est apte à faire et à être.
Pour finaliser cette réflexion, il est indispensable d’introduire une nouvelle variable
explicative qui est la démocratie, cette avancée très significative qu’a connu le 3 ème millénaire
exerce une influence positive, certes, mais indirecte sur la croissance économique;
DOUCOULIAGOS et ULUBASOGLU (2008) ont rassemblé plus de 400 estimations sur la
base de 84 études pour montrer que la démocratie impacte positivement la croissance
économique via l’augmentation du niveau du revenu, du capital humain, de la liberté et de la
stabilité politique. Les travaux de TAVARES et WACZIANG (2001), sur un panel de 65 pays
industriels, impliquent que la démocratie stimule la croissance à travers l’allégement des
inégalités de revenus et la favorisation de l’accumulation du capital humain.

La littérature empirique cherche à valider l’hypothèse de la relation positive entre croissance


et éducation ; de ce fait, les travaux menés par AGHION et COHEN sur un panel de 20 pays
de l’OCDE ont permis de déduire, sur la base des estimations économétriques, ce qui suit :

- Plus un pays se rapproche de la frontière technologique plus le rendement marginal


d’une année d’éducation primaire ou secondaire diminue, alors que celui d’une année
d’éducation supérieure augmente.
- Les pays se trouvant en deçà du seuil de 24% sous la frontière (seuil qui dépend de la
nature du progrès technique) sont appelés à investir davantage dans l’enseignement
secondaire, néanmoins, ceux qui sont au-delà du seuil doivent investir dans
l’enseignement supérieur à longs cycles, de façon à ce qu’on garantit la stimulation de
la croissance.
- Il y a un impact direct de l’éducation sur la production moyenne de la population
active ainsi que sur la formation du progrès technique. Plus le pays tend vers la

14
L. Valérie, Du capital humain au droit à l’éducation : analyse théorique et empirique d'une capacité, Thèse
présentée à la faculté de sciences économiques et sociales de l'Université de Fribourg, 2007. p.30.

Page 22
frontière technologique, plus l’importance de l’enseignement supérieur croit par
rapport à celle de l’enseignement secondaire.

Page 23
« Pour nous l’éducation est une fonction sociale, c'est-à-dire un
facteur fondamental de notre entité collective et une
responsabilité que doivent remplir, à titre égal, l’Etat,
l’enseignant et l’enseigné. »

Lahbib BOURGUIBA

Chapitre 2 : Le système éducatif au Maroc, Une priorité pour l’Etat ?


Pour pouvoir comprendre la conjoncture et l’analyser de façon pertinente, il faut revenir à
l’histoire et l’observer avec un esprit critique et objectif. Ce deuxième chapitre représente «
une machine à voyager dans le temps » qui nous amènera de l’ère de colonisation, passant par
l’indépendance au Maroc de 2035 tel qu’il a été dessiné par la CSMD.

Section (1) : L’éducation entre hier et aujourd’hui : quelques repères historiques

Le système éducatif marocain n’est qu’une composante d’un système général d’éducation
islamique, qui n’a pas évolué durant le protectorat et même à l’ère du Maroc postcolonial
comme le préconise A. LAROUI ; l’élève marocain à la recherche de la science ou bien
comme on l’appelle Talib al-‘ilm, passe par trois phases marquant son parcours cognitif :

1) A l’âge de 5 ans généralement il entre au M’Sid, où il est éduqué par un Imam lui faisant
apprendre, en premier, le coran avant l’apprentissage de la lecture qui ne vient qu’en
deuxième lieu, et finalement l’écriture. La rémunération au niveau de cette étape est garantie
en espèces ou en nature par les parents et les Habous.

2) L’élève à l’âge de 10 ans – 14 ans est appelé à apprendre par cœur les manuels de base de
la grammaire et du droit, il n’a qu’à mémoriser ces ouvrages sans l’obligation de les
comprendre.

Page 24
3) Au niveau de cette étape, Talib al’ilm choisit le parcours et la direction qu’il veut suivre en
fonction de ses capacités intellectuelles et des aspirations de sa famille, soit il va rester dans la
même Zaouïa où il a commencé son parcours ou bien adhérer à une autre plus connue, soit il
va tenter sa chance à AL-QUARAOUIYINE, leader de l’enseignement traditionnel à l’époque
et bastion de maints grands penseurs musulmans tels que Ibn-Khaldoun, Averroès ou autres :

« Si les noms des universités de Bologne, Oxford, Cambridge, la Sorbonne, évoquent


les institutions universitaires les plus anciennes et les plus prestigieuses du monde, les
Français, découvrant le Maroc, lui reconnaîtront pourtant la paternité du joyau le
plus ancien du patrimoine universitaire mondial : AL-QUARAOUIYINE de Fès, créée
au IXe siècle et devançant ainsi de trois bons siècles sa cadette italienne de Bologne.
»15

R. LEVEAU dans son chef d’œuvre « Le Fellah Marocain défenseur du trône », parle de
l’influence qu’exerce l’éducation sur l’appartenance aux élites locales, et la considère comme
facteur de différenciation entre les divers types de ces élites. En effet, plus l’individu s’élève
dans l’échelle des connaissances techniques (enseignement secondaire ou supérieur de type
étranger) plus il trouve des difficultés de communication avec la masse analphabète de culture
traditionnelle. De même, la connaissance et la maîtrise des langues française et espagnole
permettaient, à l’époque, d’écouter les radios et de feuilleter les journaux étrangers, et donc de
bénéficier de l’exclusivité d’accès à l’information et partant bâtir des relations avec les
étrangers.

L’inscription à l’école française du protectorat était réservée à la population la plus jeune dont
la majorité ne dépassait pas l’enseignement primaire en le couronnant avec un certificat
d’études (Chahada), l’élève bénéficie des matières de base qui sont initiées en langue
française, en plus des cours de langue arabe et de religion.

La colonisation française a généralisé un modèle d’enseignement laïc visant à former des


cadres moyens, commis, interprètes, sous-officiers et petits employés qui seront à sa

15
Patrick CAVAGLIERI – Professeur au Lycée Lyautey.

Page 25
disposition,16 excepté une minorité des étudiants obtenant leur baccalauréat qui poursuit ses
études en France et qui appartient souvent à une élite fidèle à la colonisation.

En outre, le système éducatif avait un rôle politique très significatif se manifestant dans la
centralisation du pouvoir politique du Sultan en excluant une immense majorité du savoir, «
cette finalité de l'enseignement est renforcée par la diffusion du savoir à partir d'un centre : la
mosquée-université d’AL QUARAOUIYINE, remarquable centralisme, qui à tous les
niveaux, consacre et soutient le centralisme politique sultanien », explique A. LAROUI.

Après l’indépendance l’enseignement marocain était une transcription de l’enseignement


français, l’école publique marocaine a repris dans sa structure générale les structures
pédagogiques de l’enseignement français en l’adaptant.17 A cet égard, la réforme du secteur
éducatif devient une nécessité inéluctable pour moderniser l’Etat et le préparer à une nouvelle
ère, celle du Maroc postcolonial.

L’accès de Hassan 2 au trône l’a conduit vers la fixation de cinq composantes de l’identité
marocaine que chaque citoyen doit en s’inspirer : L’Islam, la monarchie constitutionnelle,
l’unité nationale, le rite Malékite et la langue arabe ; le déroulement de ce dispositif sera
garanti par l’enseignement, qui devient un levier majeur d’institutionnalisation des règlements
et des politiques ainsi que d’orientation voire de modification des idéologies.

La compréhension de la logique d’adoption des politiques et du déploiement des stratégies


demande un bon sens, de la réflexion et surtout une fouille minutieuse dans l’histoire qui
permet de décrypter la composition idéologique de l’Etat, de ce fait, le recours à certains
événements qui nous semblent importants est inévitable. Le discours du 23 mars 1965 suite
aux émeutes des étudiants, qui a été suivi par la promulgation de l’état d’exception deux mois
plus tard, a prévu à l’avance les politiques éducatives qui marqueraient le règne de Hassan 2 :
« Permettez-moi de vous dire qu’il n’y a pas de danger aussi grave pour l’État que celui
représenté par un prétendu intellectuel. Il aurait mieux valu que vous soyez des illettrés ». En
outre, vers la fin des années 60, lors d’une visite de Lahbib BOURGUIBA au Maroc, il
demanda au roi de faire comme lui, former et éduquer les gens ; ce dernier lui répondit : Il

16
R. LEVEAU, Le Fellah Marocain défenseur du trône, Références, Presse de la fondation nationale des sciences
politique, 1985.
17
Noureddine SAÏL.

Page 26
n’en est pas question. Ces deux faits nous permettent de constater d’ores et déjà l’échec de la
quasi-totalité des stratégies et des réformes qu’a connu le secteur de l’éducation, sans même
se référer aux statistiques et aux études élaborées.

Un an après la levée de l’état d’exception en juillet 1970, le Maroc se trouve sous le choc
suite aux deux tentatives de putsch de 1971 et 1972 représentants une forte menace pour le
régime de Hassan 2, ce qui lui a poussé à établir la fameuse politique de marocanisation dont
le but était de construire une base sociale moyenne à travers la récupération des capitaux des
mains des entrepreneurs étrangers, qui vont laisser la place par la suite à des marocains
proches du palais. Le roi a résumé cette politique en une seule phrase « Faites de l’argent et
éloignez-vous de la politique ». Pour assurer le fonctionnement de ce chantier, une autre
politique entre en vigueur, celle de l’arabisation. Cette dernière cherche à instaurer la langue
arabe comme étant la langue officielle du royaume, et ce en arabisant les programmes
scolaires (humanités, sciences, mathématiques et sciences sociales), l’administration, la
rédaction des textes législatifs ou réglementaires…etc., mais l’obstacle auquel s’est heurtée
cette stratégie était le grand manque en instituteurs arabes qui a été compensé par
l’importation d’un nombre d’enseignants égyptiens ou saoudiens maîtrisant la langue,

La grande difficulté pour l’arabisation du second degré est l’absence totale de


professeurs en langue arabe... Chaque année, de nombreux postes d’enseignement de
langue arabe restent vacants... Il sera impossible pendant de longues années de
trouver les cadres nationaux nécessaires pour enseigner les disciplines scientifiques
en arabe… Tout ceci conduit l’arabisation totale de l’enseignement primaire à une
impasse.18
en 1980 l’arabisation comptait entre 30% et 50% à l’enseignement secondaire.
Outre ces mesures d’arabisation qui ont touché profondément le secteur de l’éducation du
pays, une autre décision vient enterrer l’enseignement de la philosophie en la remplaçant par
la pensée islamique, le pouvoir politique a instauré les études islamiques comme discipline
obligatoire, et ce dans le cadre de sa politique de l’islamisation. K. MARX n’avait pas tort
lorsqu’il a considéré la religion comme l’opium du peuple. Ecarter la philosophie c’est donc
tuer l’esprit critique chez les étudiants.

18
Annuaire de l’Afrique du Nord, Ed. CNRS, 1966.

Page 27
« J’ai passé deux années merveilleuses comme enseignant de philosophie à Tétouan,
puis au lycée Mohammed V à Casablanca. Après la grève, le ministère de l’Intérieur
avait décidé l’arabisation. N’étant pas préparé à enseigner la pensée islamique, qui
faisait partie de la philosophie, je suis parti ».
« (…) C’était une décision politique et idéologique qui visait à empêcher les élèves
marocains d’avoir accès aux textes fondamentaux de Descartes, Nietzsche, Aristote ou
Socrate, qui semaient le doute dans les consciences des jeunes Marocains. »19
En mars 1999, le roi Hassan 2 lance un chantier de réforme du système d’éducation et de
formation et nomme, à cet égard, une commission spéciale chargée de développer et
d’appliquer ses instructions et orientations (COSEF), la commission proposera une charte qui
rétablit de nouvelles bases s’appuyant sur un certain nombre de fondements majeurs, parmi
lesquels 20:

- Etablir un contrat entre la nation et l’école fondé sur la modernité, l’anticipation et


l’adhésion aux principes universelles des droits de l’Homme, en inculquant les valeurs
religieuses, l’attachement à la monarchie constitutionnelle et en renforçant les principes de la
démocratie.

- Résorber les déficits majeurs par le biais de l’éradication de l’analphabétisme.

- Concevoir une école nouvelle de structures, programmes et orientations émanant d’une


politique linguistique cohérente qui alourdit le poids de la langue arabe dans l’enseignement.

- Garantir la performance des ressources à travers quatre actions-clés : décentralisation,


participation, motivation et optimisation.

- Motiver et valoriser les ressources humaines du pays.

19
Tahar BEN JELLOUN.
20
Abdelaziz Meziane BELFKIH, La charte nationale d’éducation-formation, Revue internationale d’éducation de
Sèvres, 2000.

Page 28
Section (2) : Nouveau régime, nouvelles réformes : efforts déployés et obstacles

«Nous voulons que nos établissements d'enseignement et


d'éducation soient efficients et en parfaite symbiose avec leur
environnement, ce qui implique la nécessité de généraliser la
scolarisation, d'en faciliter l'accès à toutes les couches,
particulièrement celles démunies ou se trouvant dans les régions
éloignées qui doivent bénéficier d'un traitement préférentiel, et
d'accorder un intérêt particulier aux cadres de l'enseignement
auxquels nous vouons bienveillance et considération et qui ont
tant besoin d'attention et de reconnaissance.»
Discours royal du 8 octobre 1999

Après avoir assuré son accession au trône, le nouveau monarque lève le voile sur un esprit
libéral et moderne avide de libertés et de démocratie, il cible une population pauvre et
précaire d’un côté, et d’un autre les femmes marginalisées et les victimes du régime de son
père (les détenus politiques, de Tazmamart, d’opinion …etc.) afin de concevoir une bonne
image de marque et gagner la confiance du peuple. Le roi des pauvres, de la veuve et de
l’orphelin propose de nouvelles réformes et amendements pour créer un Maroc moderne et
libéral qui s’adapte aux transformations et aux changements du monde, mais qui tire son
essence de son héritage culturel makhzénien, chose qui ne se réalise qu’avec un capital
humain qualifié, performant et productif. Il continue alors le projet de réforme de l’éducation
adopté par son père, et opérationnalise en 2002 la Charte nationale éducation formation, qui
prévoyait une refonte du programme éducatif, une restructuration de l’architecture de
l’enseignement secondaire, une consolidation de la place de l’élève dans le système éducatif,
l’introduction de l’enseignement de la langue Amazigh dès la première année de
l’enseignement primaire, la formation et la qualification des enseignants…etc.
Conséquemment, des bilans en vert étaient établis et des résultats positives ont été dégagés,
l’analphabétisme chez les jeunes a connu une reculade non négligeable passant de 2.213.464
analphabètes âgés entre 15 ans et 24 ans en 1994 à 299.990 en 2015, or que les inscriptions à
l’école, mesurées par les trois taux de scolarisation (primaire, secondaire et supérieur), ont
affiché des augmentations significatives comme on le voit dans les graphiques 1, 2 et 3.

Page 29
Graphique (1) : évolution du taux de scolarisation brut à l’enseignement primaire

140
120
100
80
60
40
20
0

2019
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
Données de la banque mondiale

Graphique (2) : évolution du taux de scolarisation brut à l’enseignement secondaire


90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019

Données de la banque mondiale

Graphique (3) : évolution du taux de scolarisation brut à l’enseignement supérieur

45
40
35
30
25
20
15
10
5
0

Page 30
En termes de dépenses publiques, l’Etat consacre aux environs de 22% de son budget à
l’éducation et à la formation, répartie, selon le ministère de l’Enseignement à raison de 89%
consacrée à la rémunération de la masse salariale et 11% dédiée à la gestion pédagogique. 21
Les ménages marocains remplissent 30% de l’assiette du financement du secteur, soit le
double de la moyenne OCDE, alors que l’Etat ne contribue que de 68% sachant que la
moyenne OCDE est de 83,5%.22

En 2011, le Maroc n’a pas échappé de la vague du printemps arabe, sa version était
représentée par le M20F, un mouvement hétéroclite rassemblant une élite de jeunes citoyens
de différentes origines et idéologies, unifiés par un sentiment d’humiliation généralisé. Les
revendications du mouvement se caractérisaient par la précision et la clarté, elles se fondaient
sur l’idée que le régime politique instauré est à l’origine de tous les problèmes (économiques,
sociaux, identitaires… etc.) : il s’agit d’une corruption structurelle et généralisée. La réforme
du secteur éducatif est au cœur de ces revendications. Les contestations de 2011 ont ouvert la
boite de pandore, 5 ans après, et dans le cadre des émeutes du Hirak d’Al Hoceima, les
citoyens présentent une liste revendicative rassemblant un nombre de demandes et
d’exigences légitimes réparties sur cinq niveaux: le politique, l’économie, le social, la culture
et l’administration; sur le plan social, les gens demandaient encore un élargissement du réseau
d’écoles, des collèges et des lycées, la construction d’une université pluridisciplinaire, la
création d’instituts de formation et l’ouverture de nouvelles sections techniques, scientifiques
et de classes préparatoires23… .Cependant, une répression a répondu à ces revendications, les
arrestations des militants ont débuté en mai 2017 et ont dépassé la barre de 300 détenus avec
des peines de prison atteignant les 20 ans; le roi s’adresse au peuple en octobre pour mettre en
exergue les principes de la responsabilité et de la reddition des comptes et limoger par suite
ministres, fonctionnaires et responsables politiques. Aucune solution n’est entrée en vigueur,
mais par contre un échec du modèle de développement du pays à tous les niveaux est
annoncé. Mohammed VI souligne, de ce fait, la nécessité de mettre les jalons d’une réforme
structurelle de l’éducation, qui n’a abouti qu’à la formation de chômeurs.

21
S. IBRIZ, Les Marocains assurent 30% du coût de l’éducation, le double de la moyenne OCD, Médias24, 7
décembre 2020.
22
Ibid.
23
TelQuel, Que revendiquent les militants du Hirak d’Al Hoceima, 28 mai 2017.

Page 31
Que peut-on en déduire de ce qui précède ?

Annoncer l’échec du modèle de développement consiste à remettre en cause la quasi-totalité


des stratégies et des politiques introduites tout au long de l’ère du nouveau règne, visant à
remédier aux dysfonctionnements économiques et sociaux, ceci nous poussera
automatiquement à poser la question : quel est l’obstacle qui empêche le fonctionnement de
ces mesures, et surtout sur le plan social ? La réponse à cette question nous a coûté à peu
près 4 ans, pour que la commission ad hoc chargée du nouveau modèle de développement et
mise en place par le roi en décembre 2019, présente son rapport en mai 2021 détectant les
failles et les limites et proposant la recette magique du développement.

Le rapport du NMD implique que les efforts déployés pour la promotion du secteur de
l’éducation-formation n’ont permis qu’une amélioration quantitative, qui apparaît dans la
généralisation de la scolarisation, et non pas qualitative, ceci dit que le secteur reste fragile à
des faibles rendements, chose que le professeur Feu Driss BENALI résumait en une
expression : « le secteur éducatif marocain est une faillite ». Le rapport a annoncé de surcroît
que les deux tiers des élèves en primaire ne maîtrisent pas la lecture, et au voisinage de
432.000 élèves ont abandonné leur parcours scolaire sans l’obtention de certification, en 2018
dont 78% au niveau de l’enseignement primaire et secondaire, ainsi que le taux des NEETs24
est autour de 30%, soit 4,3 millions de jeunes entre 15 ans et 24 ans dont 75,6% sont des
filles. En plus, la crise sanitaire récente a dévoilé la déficience du système de l’éducation –
formation et sa faible résilience face aux maintes percussions qui pourraient parvenir.

De facto, le NMD fixe les directives d’un plan d’action, à 15,5 MMDH/an de dépenses, qui
prétend d’appréhender « une renaissance éducative marocaine » dans l’intention d’améliorer
la productivité et la performance du capital humain qui est au cœur de ce nouveau modèle. Il
prévoit en outre, à l’horizon de 2035, amener la part des élèves finalisant le cycle primaire et
ayant les compétences basiques de lecture et de mathématiques de 30% à 90%, augmenter le
score national dans les classements des PISA, TIMSS et PIRLS de 370 à 450, lutter contre
l’abandon scolaire en assurant à plus de 90% contre 50% des élèves au début de leur cycle
primaire de le mettre au net en le couronnant d’un diplôme d’enseignement général ou

24
Jeunes ni en emploi, ni en éducation, ni en formation.

Page 32
professionnel, et imposer aux titulaires du baccalauréat d’avoir un niveau supérieur ou égal à
B2 (indépendant courant) dans une langue étrangère. Ces ambitions ne se réaliseront qu’à
travers la validation de trois conditions indispensables d’après la CSMD : veiller à l’assurance
de l’adéquation entre les objectifs fixés et les moyens à imputer (humains ou financiers),
fonder une gouvernance bien affermie et éveiller la conscience et le patriotisme chez les
parties prenantes et les différents acteurs du secteur. Également, dans le cadre des quatre axes
stratégiques de transformation proposés par la commission pour la réalisation des ambitions et
des objectifs du NMD, le deuxième axe est consacré à la favorisation d’un « capital humain
renforcé et mieux préparé pour l’avenir », à cet effet, la CSMD propose deux choix
stratégique au niveau de l’éducation – formation:

1) Une éducation de qualité pour tous, par le biais de l’investissement dans la


formation et la motivation des enseignants, la réorganisation du parcours scolaire et du
système d’évaluation, la rénovation des contenus et des méthodes pédagogiques et la
responsabilisation des établissements.

2) Un système d’enseignement universitaire, professionnel et de recherche axé sur la


performance et porté par une gouvernance autonome et responsabilisante en assurant
l’autonomisation des établissements d’enseignement supérieur, en faisant de l’étudiant
le centre de gravité du processus réformateur et en développant une recherche
scientifique universitaire d’excellence.

Le schéma suivant nous modélise les propositions stratégiques de la commission au niveau de


ce deuxième axe de transformation :

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Figure n°2 : Recommandations de la CSMD au niveau du 2ème axe de transformation

Source : Rapport général du NMD, Avril 2021

Page 34
L’enchaînement chronologique contenu dans ce chapitre nous permet de déduire que les
mêmes problèmes se répètent à travers l’histoire, et presque les mêmes solutions se proposent.
Le raisonnement qu’on peut construire in fine, est que le problème à la base n’émane pas de la
conception des solutions mais de la crédibilité dans la détection des failles, qui remet en cause
la vraie finalité des stratégies allouées au secteur de l’éducation et de la formation, et donc la
volonté de l’Etat d’établir le changement et d’améliorer la performance du secteur : il s’agit
alors d’une question de priorisation et de volonté. Pour J. WATERBURY il n’y a pas une
différence à entamer entre l’organisation politique de l’Etat Alaouite de 1912 et le système de
Moulay Ismail du 17e siècle, et ce parce que les préoccupations de l’Etat sont restées les
mêmes, focalisées sur l’assurance de la sécurité intérieure à travers la collection des impôts,
l’organisation de l’armée et la répression des émeutes tribales.25 Aujourd’hui, il faut oser de
dire que le raisonnement de WATERBURY est toujours valable et partant les priorités de
l’Etat demeurent les mêmes, tandis qu’on ne parle plus d’émeutes tribales mais d’opposants,
et de gens qui critiquent la politique du système.

Peut-on alors dire que l’éducation représente une priorité pour l’Etat marocain ? La réponse
est claire.

25
J. WATERBURY, Le Commandeur des Croyants la monarchie marocaine et son élite, Trad. et adapte de
l'anglais par C. AUBIN, Presses universitaires de France, 1975.

Page 35
Chapitre 3 : Croissance économique et capital humain au Maroc, quelle relation ?

Section (1) : Méthodologie de travail

Etudier la relation qui existe entre la croissance économique et l’éducation, c’est en d’autres
termes mesurer le degré de contribution de cette dernière à la croissance. Nous avons pris en
mesure d’une part le taux de croissance, et les trois taux de scolarisation : primaire, secondaire
et supérieur sur un intervalle de temps allant de 1971 jusqu’à 2019, sur la base des données de
la Banque Mondiale. De ce fait nous allons procéder à une modélisation VAR pour l’étude de
la relation, sous EVIEWS.

Introduit par C. A SIMS au début des années 1980, le VAR est un modèle économétrique non
structurel qui a pour but d’étudier la corrélation et les interactions entre plusieurs séries
temporelles, et ce généralement pour tenter d’analyser les effets générés par les politiques
économiques appliquées via la simulation de chocs aléatoires.

En principe, l’écriture générale d’un modèle VAR est la suivante :

(1) (𝑝) (1) (𝑝)


𝑌1𝑡 = 𝜗11 𝑌1,𝑡−1 + ⋯ + 𝜗11 𝑌1,𝑡−𝑝 + ⋯ + 𝜗1𝑛 𝑌𝑛,𝑡−1 + ⋯ + 𝜗1𝑛 𝑌𝑛,𝑡−𝑝 + 𝜀1𝑡


(1) (𝑝) (1) (𝑝)
𝑌𝑛𝑡 = 𝜗𝑛1 𝑌1,𝑡−1 + ⋯ + 𝜗𝑛𝑙 𝑌1,𝑡−𝑝 + ⋯ + 𝜗𝑛𝑛 𝑌𝑛,𝑡−1 + ⋯ + 𝜗𝑛𝑛 𝑌𝑛,𝑡−𝑝 + 𝜀𝑛𝑡

Avec
n: nombre de variables du modèle ;
p: nombre de retards ;
ϑij : coefficients des variables du modèle de la matrice polynomiale θ(p) dans
l’opérateur du retard ;
εt : processus bruit blanc
Cette écriture veut dire qu’un phénomène économique (Y1t) s’explique en fonction de ses
valeurs passées (Y1, t-1, …, Y1, t-p) et du passé d’autres variables (Y2, t-1, …, Yn, n-1; … ; Yn,t-p).

Page 36
Section (2) : Estimation et analyse des résultats

Sur la base des données du Maroc que nous avons présenté dans la section précédente nous
allons établir notre modèle VAR, à l’aide du logiciel statistique E-VIEWS. Il est
indispensable de rappeler que les taux de scolarisation ne sont pas le moyen efficace de
mesure de la performance du secteur de l’éducation-formation, il faut prendre en comptes les
investissements dans le secteur, les dépenses publiques, les dépenses des ménages ou autres
variables explicatives. Néanmoins, le manque très grave et l’insuffisance en termes de
données nous obligent à se limiter, dans ce modeste essai, aux taux de scolarisation.

De prime abord, nous allons élaborer le test de racine unitaire ADF, pour étudier la
stationnarité de chaque série temporelle (taux de croissance, taux de scolarisation primaire,
taux de scolarisation secondaire et le taux de scolarisation supérieur). Ce test à pour hypothèse
nulle (H0) l’existence d’une racine unitaire et donc la non stationnarité de la série, et pour
hypothèse alternative (H1) la stationnarité de la série ; on rejette H0 si et seulement si la
valeur de la plus-value est inférieur au seuil α de 5%.

La valeur du p est nulle (p<α), on


rejette H0 et on constate partant
que la série du taux de croissance
(G) et stationnaire.

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Sur la base de ces trois tables, on
peut voir que les valeurs que
prennent le p de chaque taux de
scolarisation (primaire : TSP,
secondaire : TSSE

Et supérieur : TSSUP) sont


supérieures au seuil α de 5%, elles
sont respectivement de 0.5723,
0.9889 et1.000. On accepte alors
H0 et on en déduit que les trois
séries sont non stationnaires.

Pour y remédier à ce problème de non stationnarité, on va appliquer, au niveau de la première


série (taux de scolarisation primaire: TSP), une différence d’ordre 1 sans inclure ni la
tendance ni l’interception; pour les deux séries qui restent (taux de scolarisation secondaire:
TSSE et taux de scolarisation supérieur: TSSU) nous allons employer une différence d’ordre 2
avec les même inclusions précédentes.

On trouvera alors:

Page 38
Les valeurs de p sont toutes inférieures à 0.05, on peut alors rejeter H0 et valider la
stationnarité des trois taux de scolarisation.

Après la vérification de la stationnarité de nos séries, on va passer à l’estimation de notre


modèle VAR à l’aide de E-VIEWS, ce dernier nous donnera les résultats suivants :

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Les trois graphiques ci-dessus montrent que, sur un long terme, le taux de croissance corrèle
dans le même sens que chaque taux de scolarisation, on peut dire alors que dans le sens
croissance éducation il y a une relation positive, et donc la croissance économique
contribue à l’amélioration quantitative du secteur de l’éducation marocain à travers
l’augmentation des nombres d’inscription aux écoles et aux universités.

Sur la base de ce graphique, on


constate que le taux de croissance et le
taux de scolarisation primaire ne varie
pas dans le même sens, et donc
l’augmentation des inscriptions à
l’école primaire ne contribue pas à une
croissance économique.

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Les variations des taux de scolarisation supérieur et de croissance n’ont pas le même trend.
Alors que le taux de scolarisation secondaire affecte le taux de croissance sur le long terme,
ainsi que les deux taux précédents n’exercent aucune manipulation. Chose qui est tout à fait
logique, et qui s’explique par l’éloignement du pays de la frontière technologique, il est donc
en deçà du seuil de 24% de la frontière et il doit investir davantage dans le secteur d’éducation
secondaire pour rattraper les pays en développement.

Page 41
Conclusion
Tout au long de son histoire, l’humanité a témoigné des phases de transition majeures
provoquées ou bien par des guerres ou bien par des pandémies ou des changements
climatiques. Cependant, ces crises ont donné naissance aux plus grandes révolutions
intellectuelles qu’a connues l’histoire et qui ont contribué à l’intégration des changements et
des réformes politiques, économiques ou sociales. La crise sanitaire récente qui ne s’est pas
encore agonisée a impliqué un retour nostalgique au protectionnisme, les frontières sont
fermées et chaque Etat cherche à assurer la sécurité intérieure et à faire sortir son peuple de la
crise. Seuls les pays à fort capital humain peuvent dépasser la crise, effectivement, les pays
qui n’investissent pas davantage dans l’éducation et la R&D vont se trouver incapables même
d’assurer leur sécurité alimentaire. Le capital humain d’un pays est son image de marque, un
peuple bien formé et bien éduqué est une arme en soi qui renforce et consolide la position de
chaque pays dans ses relations étrangères.

En ces derniers temps, le Maroc a connu quelques bisbilles au niveau de ses relations
diplomatique étrangères, notamment, le conflit avec le Polisario autour du Sahara auquel
s’ajoute la perturbation des relations avec son voisin ibérique et l’Allemagne. Or, la situation
intérieure lui impose d’être frileux et ombrageux ; une économie fragile qui ne crée que peu
d’emplois, des taux de croissance faibles d’une manière durable, une balance commerciale
chroniquement déficitaire et une productivité très faible avec un creusement des inégalités,
une dégradation du niveau de vie des individus et une chute de la démocratie. Le Maroc
aujourd’hui est au bord du gouffre, il est appelé à reclasser ses priorités pour s’asseoir sur des
bases solides et assurer sa pérennité; le point de départ alors est la qualification du capital
humain qui ne se réalisera que par le biais d’un régime politique démocratique favorisant
l’inclusion sociale et économique et protégeant les droits et libertés de ses citoyens, et d’une
vraie réforme éducative important des solutions logiques et adéquates et faisant du secteur le
centre de gravité des finalités ultimes et sacrées de l’Etat.

Page 42
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