150-ans-memoire-collective-caledonienne

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Abréviations

MDVN : Musée de la Ville de Nouméa.


CAOM : Centre des Archives d’Outre-Mer.
ADCK : Agence de développement de la culture kanak.

© Musée de la Ville de Nouméa


BP K1 Nouméa cedex 98849
Nouvelle-Calédonie
2003

ISBN : 2-84170-102-6

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire


intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur.
150 ans
DE MÉMOIRE
collective
calédonienne
Musée de la Ville de Nouméa

exposition
septembre 2003
MÉMOIRE
ca l é d o n ie n n e

Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.


ia re Mémoire
collective, ciment
d'une société

umd Il est courant de penser que seuls les peuples riches de leur
Mot
passé envisagent ­l'avenir avec sérénité.
La mémoire collective est ici d'un enjeu considérable. Elle structure
la société, en lui donnant des repères communs, et lui confère une
pérennité. Elle véhicule l'histoire et transmet les valeurs d'une génération
à l'autre. Chacun de nous est ainsi tour à tour le bénéficiaire et le dépositaire
de cette mémoire.
Les anniversaires et les commémorations sont l'occasion de partager et faire
vivre ce patrimoine et nous permettent de nous ancrer dans une identité.
Aussi en ce 150 e anniversaire du rattachement de la Nouvelle-Calédonie
à la France, il est bon de relire ensemble les pages de notre histoire qui sont
le ciment de notre société.
De cette mémoire, faite de gloire et de quotidien, de mythe et de tabou, de
lutte et de pardon, émerge l'identité d'un pays, celui de la Nouvelle-
Calédonie.
Jean
Lèques
Sommaire

Et la Nouvelle-Calédonie Souvenirs d'émigrants, Antoine Soury-Lavergne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 9


devint française… L'empire colonial français en 1853
Jerry Delathière, historien auprès du gouvernement calédonien . . . . . . . . . . . . p. 10
Migrations océaniennes, Christophe Sand, docteur en archéologie . . . . . . . . . p. 16

Les maîtres Poème, Germain Mansion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 21


à penser Maîtres à penser : les missionnaires et les francs-maçons
Frédéric Angleviel, docteur en histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.22
Les protestants en Nouvelle-Calédonie, pasteur Béniéla Houmbouy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 28

Immigrations Vision d'insulaire, Nicolas Kurtovitch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 31


libres Les différentes vagues de colonisation libre
Christiane Terrier, docteur en histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 32
L'immigration en Nouvelle-Calédonie après 1945, Isabelle Amiot
Parcours d’une famille nordiste, Gabriel Valet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 40

Terre Simple contact, Raymond Lacroix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 45


de bagne Tabou d’un passé : le bagne
Cynthia Debien-Vanmai, professeur d'histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 46
Calédonien dans l’âme…, Max Shekleton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 52

Richesses Au travail, Jean Vanmaï . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 55


du Caillou Un Eldorado : le sous-sol calédonien
Yann Bencivengo, professeur d’histoire-géographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 56
Sagesse orientale et intégration, Marc Bouan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 60

Coutume Sur du blanc, Pierre Gope . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 63


et indigénat Fractures et culture métissée… 150 ans de vie commune
Claude Cornet, enseignante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 64
La lignée Zongo, Étienne Zongo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 70

6
Sommaire

Calédoniens Sans titre, Jean Mariotti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 75


et patriotes D'une guerre à l'autre
Sylvette Boyer, docteur en histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 76
Mythe américain, André Jacquier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 82

L’avènement Les cœurs barbelés, Claudine Jacques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 85


d’un TOM L'entrée des Mélanésiens dans la cité
Ismet Kurtovitch, docteur en histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 86
Originalité de la politique française dans les TOM : le FIDES, Bernard Brou . . . . . . . . . . . . . . . . p. 90

Recherche Partage des ignames, Jean-Marie Tjibaou, G. Dobbelaere . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 93


identitaire Émergence de l'identité kanak 1945-1988
Bernard Capecchi, docteur en géographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 94
Émergence de l'identité calédonienne, Jean-Claude Mermoud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 98

D’un accord Demande au vent du soir, Frédéric Ohlen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 101


à l’autre La force des Accords
Jacques Lafleur, député de Nouvelle-Calédonie, signataire des Accords . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 102
La dignité retrouvée, Léopold Jorédié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 106

Paroles Histoire d’un pays, Michel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 109


de jeunes Métissez votre avenir, Charline Cramet, Jennifer Kélétaona, Aurélie Eaténé . . . . p. 111

Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 113

7
L’amiral Fébvrier-Despointes,
commandant en chef de la station
du Pacifique basée à Valparaiso,
reçoit l’ordre, par une dépêche
chiffrée datée de Paris,
au 2 mai 1853,
de prendre possession
de la Nouvelle-Calédonie,
au nom de l’Empereur.
Pour plus de sécurité,
on a adressé, le 29 avril,
les mêmes ordres
à Tardy de Montravel,
commandant de la Constantine.

L’amiral Fébvrier-Despointes.
Gravure du comte de Macé,
P. A. de Salanis, Marins et Missionnaires, Paris, 1892. Coll.
J.C. Estival.
Et la Nouvelle-Calédonie
devint française…
Souvenirs d’émigrants
[…]
Nous voilà traversant la France,
Prenant le navire en partance
Et voguant vers un ciel lointain
Pour y fixer notre destin.

Quarante jours loin du rivage !


Qu’il était long ce beau voyage !
Avec un groupe d’émigrants
D’un noble but tous soupirants.

Suez, Colombo, l’Australie


Étonnaient tour à tour nos yeux,
Mais ce n’était pas la jolie
Terre française de nos vœux.

Enfin ce fut Calédonie,


Son beau ciel bleu, ses niaoulis
Et sa pittoresque harmonie.
Chacun nicha dans ses replis…

Antoine Soury-Lavergne,
Témoignage. Les morceaux calédoniens,
éditions Grain de Sable,
Nouméa, 1998.

9
L’empire colonial Aux côtés des grandes puissances

français en 1853 occidentales, la France s’est taillé


un vaste empire colonial.
par Jerry Delathière Qu’en est-il à l’aube
du 24 septembre 1853 ?

La rade de Balade,
dessin du comte de Macé,
tiré du livre de P. A. de Salanis,
Marins et Missionnaires, Paris, 1892. Coll. J.C. Estival.
MÉMOIRE
de navigateurs

Dès le XVe siècle, le centre d’intérêt des puissances euro- rope peut-il laisser des peuples moins influents conquérir
péennes se porte vers l’autre moitié du monde, jusqu’ici la planète, sans en prendre sa part ? Au regard de la
inconnue, mystérieuse. Le Portugal, l’Espagne, mais France, l’Espagne est pauvre, l’Angleterre et la Hollande
aussi la Hollande partent à la conquête des mers du Sud, sont plus petites. La pauvreté, le manque d’espace sont
à la recherche de terres inexplorées aux richesses déjà justement les principales raisons qui poussent à décou-
convoitées. L’Angleterre se lance très vite dans la bataille, vrir, à coloniser.
avec un appétit d’ogre. À ce jeu, les Français ne peuvent
être en reste. Comment le pays alors le plus dense d’Eu-
10
Constitution du premier empire
colonial français
Au XVIe siècle, plusieurs voix s’élèvent, en France,
en faveur de la conquête de nouveaux espaces : « Il
faut planter et provigner de nouvelles Frances », s’ex-
clame l’économiste Montchrestien. L’avocat Lescarbot
rétorque : « Rien ne sert de rechercher et découvrir des
pays nouveaux, si on ne tire fruit de tout cela. Il faut y
envoyer des colonies françaises. »
Tampon du Génie. Coll. MDVN.
Or, si la royauté en a conscience, l’affaire ne peut se
avec le Maroc, la Tunisie), l’Afrique
faire sans l’appui de l’Église, à l’exemple de ce que font
noire, avec au passage, Madagascar, l’île Bourbon, l’île
le Portugal et surtout l’Espagne. Il s’agit de « civiliser
Maurice abandonnée par les Hollandais, qui sont abor-
les peuples et de les rendre chrétiens ». La France, fille
dées, et intègrent le circuit colonial français.
aînée de l’Église, ne peut faire autrement. C’est d’ailleurs
Depuis Christophe Colomb, depuis Cortez, les Amériques
le meilleur moyen d’intéresser les Français à l’aventure,
sont chasses gardées des Espagnols et des Portugais.
en réveillant en eux l’esprit des Croisades : l’entreprise
Pourtant, les Anglais et les Hollandais ont réussi à s’y
coloniale doit avoir avant tout l’allure d’une offensive
infiltrer. Pourquoi pas les Français ? Deux groupements,
chrétienne vers des terres païennes.
La Compagnie de Saint-Christophe et La Compagnie
Autre aspect nécessaire à la réussite de cette aventure
des îles d’Amérique s’en occuperont. Elles s’établissent,
conquérante : il faut coloniser en utilisant les mêmes
à partir de 1626, sur les « îles d’Amérique non encore
méthodes que les Hollandais ou les Anglais et qui leur
christianisées » : la Martinique, la Guade­loupe et leurs
réussissent à merveille. C’est-à-dire coloniser en recou-
dépendances (les Saintes, la Désirade, Marie-Galante mais
rant aux compagnies. Naissent ainsi, fortement encou-
aussi Saint-Domingue, la Grenade, Tobago). Une poussière
ragées par le pouvoir royaliste, la Compagnie des îles,
d’îles qui reçoivent, chacune à tour de rôle, leur lot de
­celles des Cent Associés, de l’Orient, des Indes orientales
colons français, contribuant dès lors à élargir les frontières
et bien d’autres… Car c’est justement aux Indes et à
de la francophonie.
son commerce juteux que l’on pense prioritairement.
Le continent américain ne pouvait, lui non plus, être
Karikal, Yanaon, Mahé, Chandernagor, Pondichéry («
abandonné aux Espagnols et aux Anglais. En Amérique
la ville neuve ») seront les principaux comptoirs sur
du Sud, entre l’Orénoque et l’Amazone, une première
lesquels s’appuiera l’ambitieux Dupleix pour développer
tête de pont est créée : Cayenne. Plus au nord, c’est sur
l’influence française face à l’expansionnisme des Anglais
les traces de Jacques Cartier que l’on s’élance. Bientôt,
et des Hollandais (1690 à 1741).
malgré les embûches, l’épopée française au Canada
Malgré les rivalités, les rancunes et les coups bas,
commence avec la fondation, sous la houlette
­l’aventure coloniale française se poursuit coûte que
de Samuel de Champlain,
coûte. C’est bientôt l’Afrique du Nord (où l’on commerce

11
de Port-Royal en Acadie et de Québec Le second empire colonial français
sur le Saint-Laurent. Les explorateurs français Au lendemain des défaites napoléoniennes (tant
n’en restent pas là : le continent américain est exploré en 1815 qu’en 1870) et quels que soient, ensuite, les
tous azimuts. Le Normand Cavelier de la Salle remonte, gouvernements au pouvoir, l’expansion coloniale restera
en 1682, le Missouri et fonde Saint-Louis. La région l’une des priorités des gouvernants. La France, en se
est propice à la fondation d’une nouvelle colonie : la tournant vers l’outre-mer, en développant une nouvelle
Louisiane naît. politique coloniale, trouve là une compensation à l’idéal
Dès lors, il n’est que peu d’endroits, sur le globe, où de Grande Nation qui avait alors prévalu et surtout à ses
le drapeau français ne flotte, bien souvent au nez et à ambitions continentales si durement réprimées.
la barbe de l’Union Jack. Un premier empire colonial
français qui commencera à s’effriter aux premiers coups À partir de 1830, la « grosse affaire » dans cette
de boutoir de la Révolution. Il s’effondrera en 1814. Au reconstitution de l’Empire français reste, bien sûr, la
reste, les ambitions coloniales de Napoléon 1er étaient conquête et la colonisation de l’Algérie, premier pas
beaucoup plus continentales que tournées vers l’outre- vers l’accaparement de la totalité de l’Afrique du Nord.
mer. La cession, sans état d’âme, de la Louisiane aux En effet, dans le même temps, l’aventure coloniale
Américains (à la grande surprise de ceux-ci d’ailleurs, française se poursuit en Afrique noire avec l’occupation
et dans l’espoir de les brouiller avec les Anglais) en est la du Dahomey, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Gabon,
meilleure preuve. mais aussi en Indochine où les Français s’établissent dès
La débâcle napoléonienne consommée, par le 1863.
premier traité de Paris du 30 mai 1814, l’Angleterre
s’engagera, en son nom et en celui de ses alliés, à Toujours à compter de 1830 et jusqu’en 1870
restituer à la France, dans un délai n’excédant pas six – l’Algérie étant toujours au cœur de sa politique
mois, la plupart des « colonies, pêcheries, comptoirs et d’expansion coloniale – la France s’emploiera, pour des
établissements de tous genres » que celle-ci possédait raisons stratégiques mais aussi de politique intérieure,
au 1er janvier 1792. à élargir son domaine d’influence vers d’autres secteurs
Après Waterloo, le second traité de Paris (20 novembre géographiques : le sud-est de l’Asie, la côte occidentale
1815) confirmera cette rétrocession, l’Angleterre exigeant d’Afrique et surtout les archipels du Pacifique. C’est ainsi
alors de la France une abolition effective et totale de la que Tahiti et les îles Marquises sont acquises en 1843,
traite des Noirs. La monarchie restaurée œuvrera avec la Nouvelle-Calédonie, découverte près de quatre-vingts
obstination à ce que la France reprenne possession de ans plus tôt par Cook, est annexée le 24 février 1853 par
chaque particule de l’Empire qui ne lui avait pas été l’amiral Fébvrier-Despointes. En fait, la marine française
expressément enlevée par les traités. Ces possessions fait son retour dans le Grand Océan dès la Restauration,
sauvées ou récupérées in extremis constitueront la base du dans la droite ligne tracée par ses illustres navigateurs :
second empire colonial français, qui atteindra son apogée Lapérouse, Bougainville ou d’Entrecasteaux…
dans les années 1930, avec le centenaire de l’Algérie
française et l’exposition coloniale de 1931.

12
Arrivée
du drapeau
français à Puébo en 1854,
MÉMOIRE
tiré de L’Illustration. Coll. L. Bounet.
d’implantation

La Nouvelle-Calédonie de la Nouvelle-Calédonie étant prioritairement motivée


devient terre française par le souci du Second Empire de trouver une terre de
Cet intérêt pour les mers du Sud est toutefois tempéré bagne, au climat plus sain, pour remplacer la Guyane.
par le souci de ne pas déplaire aux Anglais ou, tout au Terre française depuis 1762, la colonie sud-américaine
moins, de ne pas créer de crise majeure avec ces derniers. confirmait, en effet, au fil des ans, du fait de son climat
L’annexion de Tahiti, suivie de l’expulsion du pasteur inhospitalier, sa réputation de véritable mouroir.
Pritchard, en 1843, aura cependant des répercussions sur C’est ainsi que l’amiral Fébvrier-Despointes, com-
les relations anglo-françaises et retardera l’annexion de mandant en chef de la station du Pacifique basée à
la Nouvelle-Calédonie. Valparaiso, reçoit l’ordre, par une dépêche chiffrée datée
L’archipel néo-calédonien voit, en effet, débarquer les de Paris, au 2 mai 1853, de prendre possession de la
premiers missionnaires français en 1843. Ceux-ci n’ont Nouvelle-Calédonie, au nom de l’Empereur. Pour plus
qu’une hâte : faire annexer l’île par la France. Ce n’est de sécurité, on a adressé, le 29 avril, les mêmes ordres
qu’après bien des atermoiements – le drapeau est arboré à Tardy de Montravel, commandant de la Constantine.
par les Maristes puis amené pour ne pas irriter les Anglais Mais celui-ci se trouve à Macao et la missive ne lui
– que l’île est annexée, au nom de l’Empereur français, parviendra qu’au 16 juillet. Parti sur la fré-
à Balade, le 24 septembre 1853. Cette prise de possession gate Forte, Fébvrier-Despointes change

13
MÉMOIRE
et commémoration

Le monument
de Balade.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

de navire à Papeete et c’est à bord de l’aviso Phoque qu’il Enfin, il pénètre dans l’actuelle baie de Nouméa. La
arrive, le premier, en baie de Balade. Il y trouve le père rade est grande, profonde et bien abritée. Le site est facile
Rougeyron et ses « collègues » missionnaires. Après s’être à défendre. Bien que dépourvu d’eau douce, il sera pour-
assuré que les Anglais n’occupent pas déjà l’archipel, il tant choisi, sur ces critères essentiellement militaires,
y plante, le 24 septembre, le drapeau tricolore. La même pour y implanter le chef-lieu de la nouvelle colonie,
cérémonie se répète cinq jours plus tard à l’île des Pins. baptisé Port-de-France, en juin 1854.
L’amiral français frôle l’incident diplomatique car les
Anglais sont présents. Le drapeau tricolore est pourtant L’empire colonial français se voit ainsi doté d’une
arboré en présence du grand chef Vandegou qui signe nouvelle possession. En 1853, le mouvement colonial
l’acte officiel de prise de possession. français, considéré dans son ensemble, n’est plus à son
Tardy de Montravel arrive le 5 janvier 1854, alors apogée mais il est encore loin du déclin. La France peut
que la Nouvelle-Calédonie est déjà française. Dédaignant alors, tout en préservant la susceptibilité de ses rivaux
les ordres qui lui enjoignent, en pareil cas, de repar- d’Outre-Manche, s’enorgueillir d’être présente sur les
tir immédiatement, il décide de longer la côte Est. cinq parties du monde, ses velléités de domination du
S’arrêtant en plusieurs points de la Grande Terre, il fait continent européen ayant trouvé leur exutoire dans
signer à plusieurs chefs kanak un acte de reconnaissance une politique d’expansion coloniale qui ne s’est jamais
de la souveraineté française sur l’île. démentie.

14
MÉMOIRE
inscrite

Registre de prise
de possession.
Coll. CAOM.

15
N AGE
O IG
Migrations
M

océaniennes en
Nouvelle-Calédonie
par Christophe Sand

La Nouvelle-Calédonie fut peuplée organisation sociale spécifique, tournée vers la découverte et


de migrations qui, les unes après les l’occupation permanente de tous les archipels accessibles. La
autres, composèrent la population présence de ces premiers groupes est attestée archéologique-
de l’archipel. Paysage humain en ment sur les sites de bord de mer par un type particulier de
cette année 1853… poterie décorée de motifs géométriques et anthropomorphes
pointillés, la poterie Lapita.
Le peuplement humain des îles de Pacifique a, jusqu’à ces
Au cours du premier millénaire de peuplement, les groupes
dernières décennies, été caractérisé avant tout par une
austronésiens répartis sur la Grande Terre et les îles Loyauté
dispersion maritime et la capacité à survivre dans des milieux
ont maintenu des contacts réguliers entre eux, certaines pote-
géographiques restreints. Comprendre les mouvements de
ries Lapita étant même échangées jusqu’au nord du Vanuatu.
populations au cours des temps précontemporains nécessite
Mais l’étendue de l’archipel, ainsi que, probablement, l’arrivée
donc de prendre en compte les évolutions des techniques de
régulière de nouvelles familles, entraînèrent progressivement
navigation ainsi que les développements progressifs de modes
des évolutions culturelles et linguistiques divergentes, aboutis-
de vie adaptés à des environnements complexes.
sant à la fabrication de poteries différentes entre le nord et le
Navigateurs et potiers : sud de la Grande Terre ainsi qu’à l’abandon de la production
premiers peuplements céramique aux Loyautés.
de la Nouvelle-Calédonie
Le premier peuplement humain de la Nouvelle-Calédonie
Sédentaires et cultivateurs :
date d’environ 3 000 ans, il a été réalisé par des groupes
création des sociétés traditionnelles kanakes
de navigateurs parlant des langues austronésiennes et ayant L’augmentation naturelle de la population et l’impact progres-
un bagage culturel néolithique, en partie d’origine asiatique. sif de l’homme sur son environnement aboutirent, à partir du
Transportant — sur leurs pirogues à balancier de forme simple début du premier millénaire après J.-C., à des crises sociales
— leurs familles ainsi que des tubercules et des animaux majeures. Confrontées à des tensions politiques et foncières,
domestiques, ces groupes d’horticulteurs se sont répandus en les différentes communautés de l’archipel se renfermèrent
quelques centaines d’années à travers le Pacifique sud-ouest, sur elles-mêmes. À Maré, l’édification — durant cette période
de l’archipel de Bismarck, au nord-ouest, jusqu’en Polynésie — de grandes fortifications mégalithiques, avec des murs
occidentale. La rapidité de ce peuplement d’îles éparpillées pouvant atteindre quatre mètres de haut, dix mètres de large
sur plus de 3 000 km à l’est des îles Salomon témoigne d’une et plusieurs centaines de mètres de long, témoigne d’un

16
Mdes
ÉM t e mOp sI R
a nE
ciens

Village sur les bords


de la Tontouta entre 1869
et 1871.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

système politique centralisé et de luttes de prestige et d’in- millénaire après J.-C., de multiples hameaux permanents, liés
fluence au sein de l’île. Les relations d’échanges entre les îles entre eux par des réseaux d’alliances formant des entités poli-
Loyauté et la Grande Terre furent alors presque entièrement tiques élargies en « pays », ainsi que le développement de tra-
interrompues, renforçant les particularismes phénotypiques ditions céramiques nouvelles qui vont perdurer jusqu’au XIXe
locaux, les divergences des langues ainsi que les spécificités siècle et la structuration de nouveaux axes d’échanges entre
d’organisation sociale. la Grande Terre et les îles Loyauté, marquent l’émergence de «
Confrontés à un appauvrissement des sols lié à une surexploi- l’ensemble culturel traditionnel kanak ». Les coutumes, rituels
tation du système des brûlis à long temps de jachère, certains et langues, étaient différents d’une région à une autre, mais
horticulteurs commencèrent – à la fin du premier millénaire se trouvaient tous liés par leur intégration dans un ensemble
après J.-C. – à expérimenter des techniques de cultures inten- de réseaux formalisés d’alliances et d’échanges, couvrant
sifiées, aboutissant à la création des billons surélevés pour l’ensemble de l’archipel et ayant des ramifications au-delà
les cultures d’ignames et à l’aménagement des ensembles de des Loyauté.
tarodières irriguées en terrasses.
L’intensification progressive des techniques horticoles sèches ●
et humides engendra une profonde redéfinition des traditions
sociales, politiques et culturelles, avec en particulier une forte
sédentarisation. L’apparition à partir du début du deuxième

17
MÉMOIRE
Intégration et déstructuration : d’argile
l’accueil de nouvelles populations
Favorisés par un nouveau dynamisme de la navigation
dans le Pacifique sud-ouest, probablement lié à la mise au
point de techniques de construction plus performantes, les
déplacements de pirogues à travers la région touchèrent
également durant ce dernier millénaire l’archipel calédonien.
Les traditions orales, corroborées par certaines données
archéologiques, confirment l’implantation régulière de groupes
étrangers, d’origine polynésienne ou du Vanuatu. Certains
de ces groupes ont fini au cours des siècles par se fondre
dans la population autochtone. D’autres ont préféré rester
en marge des systèmes politiques dominants : ceci a été par
exemple le cas des familles originaires de Samoa, Tonga et
Tesson Lapita.
Wallis, installées sur l’île d’Ouvéa-Iaai à partir des XIVe-XVe Photo Christophe Sand.
siècles. Un autre groupe, dit originaire d’Anatom au sud du
Vanuatu, semble avoir réussi à développer un réseau puissant
d’alliances, connu sous le nom de Xetiwa’an, qui lui permit d’épidémies entraîna des chutes massives de la population
d’accaparer la position dominante dans certaines chefferies à partir du début du XIXe siècle, engendrant la multiplication
de l’archipel au cours des derniers siècles avant le premier des conflits, l’émergence d’un cannibalisme inconnu jusque-là,
contact européen. la dispersion des groupes en multiples entités politiquement
éclatées, ainsi que l’effondrement d’une partie des anciens
Lors de la « découverte » de la Nouvelle-Calédonie par James systèmes politiques structurés. Ce sont ces groupes kanaks
Cook en 1774, les populations kanakes fonctionnaient donc en quête d’un nouvel équilibre social et politique qui virent
en systèmes souples, capables d’être aménagés suivant arriver les premiers missionnaires chrétiens, puis les militaires
les évolutions dynamiques internes. La première phase de français venus prendre possession de l’archipel.
contacts irréguliers avec les bateaux occidentaux, à partir de
la fin du XVIIIe siècle, déstructura ce système ancien, suite
à l’introduction de nouvelles maladies comme la grippe, la ●
tuberculose et la rougeole, contre lesquelles les Océaniens
n’étaient pas naturellement immunisés. La multiplication

18
MÉMOIRE
d’antan

Anciennes tarodières.
Photo Christophe Sand.
19
Les missionnaires catholiques,
venus aux antipodes pour s’occuper
des « païens », eurent aussi la charge
de la communauté cosmopolite,
majoritairement catholique, qui,
après 1853, s’installa progressivement
le long des côtes à partir de Nouméa.
Des pères maristes furent donc curés
des principaux centres européens
ou aumôniers de la transportation.
Plus d’une fois, ils jouèrent le rôle
de médiateurs entre les communautés :
entre les Kanaks et l’administration ;
entre les engagés asiatiques
et les engagistes ; entre les travailleurs
polynésiens et les Kanaks.

Monseigneur Chanrion.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.
Les maîtres
à penser

[…]

Lui, renonçant à tout, il a suivi le Maître,

Bien étonné qu’il eût jeté sur lui son choix.

Trop heureux et pressé de répondre à sa voix,

Il laisse croître en lui la soif qui le pénètre

D’abandonner sa vie à cet appel divin…

Germain Mansion,
Poèmes inédits (1971-1982),
in 40 ans de Poésie néo-calédonienne (1954-1994),
Club des Amis de la Poésie.
Nouméa, 1995.

21
Les missionnaires catholiques et

Maîtres à penser : protestants ainsi que les francs-maçons


furent les « grands maîtres à penser »

missionnaires du XIXe siècle. Ils eurent une réelle


influence sur le monde politique

et francs-maçons et sur le développement de la colonie.


Aujourd’hui encore, ils participent
par Frédéric Angleviel à la construction de la société
calédonienne.

Avant-hier, la réussite des missionnaires en terre calé- montrent que non seulement ils permirent aux objets
donienne était attribuée à Jéhovah ; hier, elle fut mise en métal ou en verre de se répandre dans les moindres
au compte du travail passionné des missionnaires ; vallées, mais qu’ils donnèrent aux premiers arrivants
aujourd’hui, on considère qu’elle est due en premier de très nombreux « secrets » tels que l’écriture, de nou-
lieu aux choix spirituels et matériels que firent les veaux médicaments ou encore de nouvelles manières
Mélanésiens, dénommés indifféremment Canaques ou de raisonner et de percevoir le monde extérieur. Par
Kanaks dans les correspondances de l’époque. ailleurs, les dieux ancestraux ne protégèrent point leurs
fidèles des épidémies amenées par les Blancs et plus tard
La double mission du clergé catholique ils ­s’avérèrent impuissants devant le front pionnier de la
La papauté ayant incité des congrégations à prendre colonisation foncière. Dès les années 1890, la nouvelle
en charge l’évangélisation de l’Océanie, les pères du religion suivant les chemins coutumiers, les deux tiers
Sacré-Cœur de Picpus arrivèrent à Hawaii en 1827 et les de la population kanake de la Grande Terre avaient pris
pères de la Société de Marie s’implantèrent à Wallis-et- la médaille, le tiers restant étant composé des ennemis
Futuna en 1837. Ces derniers ayant la charge de l’Océa- ancestraux des premiers.
nie centrale, ils débarquèrent à Balade en décembre 1843 Les missionnaires catholiques, venus aux antipodes
et, dès 1847, la Nouvelle-Calédonie (et ses dépendances) pour s’occuper des « païens », eurent aussi la charge
devinrent un Vicariat apostolique de plein exercice. de la communauté cosmopolite, majoritairement
Les pères maristes commencèrent par s’installer au catholique, qui, après 1853, s’installa progressivement
cœur des tribus et par apprendre les langues locales. le long des côtes à partir de Nouméa. Des pères maristes
Après des débuts très difficiles, ils obtinrent la conversion furent donc curés des principaux centres européens
de villages entiers, touchés par la foi mais aussi par ou aumôniers de la transportation. Plus d’une fois, ils
la révolution technologique que représentait l’arrivée jouèrent le rôle de médiateurs entre les communautés
des Occidentaux. Les lettres des premiers missionnaires : entre les Kanaks et l’administration ; entre les

22
MÉMOIRE
pieuse

Église
de Pouébo,1867.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

23
engagés asiatiques et les engagistes ; sa consœur protestante l’A.I.C.L.F., à l’origine de l’Union
entre les travailleurs polynésiens et les Kanaks. calédonienne. De plus, si les deux premiers prêtres
L’organisation pyramidale de cette Église et la présence kanaks ont seulement été ordonnés en 1946, l’Église a
d’un vicaire apostolique puis d’un archevêque à la tête joué un rôle très important dans la formation des ­élites :
du clergé calédonien lui ont permis d’influencer les Jean-Marie Tjibaou était un prêtre retourné à ­l’état laïc
décisions administratives. D’une part, l’Église dénonça ; de nombreux hommes politiques océaniens de toutes
les « ombres » de la colonisation : dénonciation au tendances ont été séminaristes.
ministère des interprétations erronées de la coutume
par le gouverneur Guillain ; refus de laisser le Lors des événements politiques des années 1980,­
gouverneur Feillet spolier les Mélanésiens lors du grand l’Église catholique a refusé de s’engager, prônant la
cantonnement. D’autre part, l’Église facilita l’accès de conciliation et la reconnaissance de l’Autre. Aujourd’hui,
ses fidèles aux « lumières » de cette même colonisation 60 % des Calédoniens et 40 % des Kanaks sont
: ouverture des écoles de mission dès les années 1840 ; statistiquement catholiques. Le nombre des pratiquants
création de stations se voulant des lieux de « transfert de s’avère plus faible mais leur foi est d’autant plus
compétences » par démonstration ; enfin, elle participa sincère. Le pèlerinage annuel de Téné (Bourail) se fait
à l’apprentissage politique des Mélanésiens en créant dès l’écho de la richesse de cette foi, qui repose sur un socle
1947 l’association catholique U.I.C.A.L.O., qui fut, avec pluricommunautaire.

Md eÉ vM
o cO
a t Ii oRn E Retraite
despèresdanslesannées 1950.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

24
Conférence
de 1916.
MÉMOIRE
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.
de nata
tiers de la population à Lifou et à Maré, un tiers à Ouvéa.
Une foi protestante portée par les îles Comme sur la Grande Terre, les Kanaks restés païens se
La London Missionary Society s’implante à Tahiti convertirent bientôt à l’autre confession chrétienne afin
en 1797. D’îles en îles, ses missionnaires progressent de garder leur autonomie par rapport à des voisins dont
de la Polynésie orientale vers la Mélanésie. Finalement, on redoutait la puissance ou qui n’étaient que des sujets.
c’est en 1840 que la L.M.S. dépose deux pasteurs polyné- Et de fait, lorsque l’administration française donne l’au-
siens – des teachers – à l’île des Pins. Après un premier torisation en 1899 aux protestants de venir s’établir sur
échec dans le sud de la Grande Terre (Touaourou) et la Grande Terre, du moment que la L.M.S. est remplacée
en pays Kunié, les protestants s’implantent aux îles par la Mission étrangère de Paris, les derniers Calédoniens
Loyauté (Maré en 1841, Lifou et Ouvéa en 1842). Pris tenants de la religion ancienne se convertissent.
malgré eux dans les conflits immémoriaux entre les En l’absence de toute colonisation européenne
grandes chefferies, ils obtiennent des conversions de dans les « Loyalty Islands », les missionnaires anglais
masse spectaculaires chaque fois que l’un des grands eurent au dix-neuvième siècle un rôle primordial dans
chefs embrasse la nouvelle foi. Longtemps, l’absence de ­l’apprentissage par les Mélanésiens du nouveau système
missionnaires européens fut un frein à l’évangélisation, économique auquel ils étaient confrontés. Ceci explique
les Lifou surnommant par exemple le navire de la L.M.S., du reste l’importance des mots d’origine
« sans missionnaire ». Dès que chaque île posséda un anglaise dans les langues loyaltiennes.
pasteur anglais, les conversions se multiplièrent : deux Sur la Grande Terre, l’arrivée du

25
pasteur Maurice Leenhardt en 1902 et Aujourd’hui, les deux Églises protestantes ont fait
son installation en 1903 à Houaïlou permirent la la « coutume » et elles sont conscientes de travailler de
mise en place d’une seconde école pastorale à Do Néva et manières différentes pour le même objectif spirituel.
l’ordination d’une seconde génération de pasteurs kanaks Depuis les années 1950, de nombreuses confes-
: les nata. Le plus célèbre d’entre eux reste Eurijisi Bwesou, sions chrétiennes minoritaires (adventistes, mormons,
surnommé aujourd’hui « le premier écrivain kanak », témoins de Jéhovah) se sont développées afin de répondre
qui décrivit dans de nombreux cahiers une civilisation à des aspirations religieuses particulières. Parallèlement,
qui avait déjà beaucoup changé (quasi-disparition de la il existe une petite communauté musulmane sur-
polygamie, abandon de l’anthropophagie) et qui était tout composée d’Indonésiens, une synagogue juive et
encore en pleine mutation (disparition progressive des quelques bouddhistes appartenant essentiellement aux
coutumes guerrières, abandon des grandes tarodières communautés vietnamienne et chinoise.
et de la poterie). Si l’on en croit le pasteur Raymond
Leenhardt, le succès de la mission protestante est dû au MÉMOIRE
fait qu’elle a fortement contribué à sauver la population d’entraide
autochtone « du désespoir et de l’alcoolisme en formant
et soutenant des pasteurs indigènes jusque dans les tribus
les plus reculées ».
La religion protestante ayant toujours eu à cœur de
valoriser la lecture familiale de la Bible, la réflexion de
groupe et une certaine démocratie au sein des élites pasto-
rales lors des synodes, son influence sur le plan politique
s’avère certaine. C’est ainsi que le pasteur Charlemagne
favorisa la création en 1947 de l’A.I.C.L.F., qui participa
pleinement au débat sur l’entrée des Mélanésiens dans la
vie politique calédonienne. Cette Église, de par sa struc-
ture même, s’avère sujette aux scissions. Aussi, lorsque
le pasteur Charlemagne fut rappelé en métropole en
cours de séjour en 1958, il quitta l’Église protestante offi-
cielle pour créer l’Église évangélique libre de Nouvelle-
Calédonie. En 1960, l’autre Église protestante devint à
son tour indépendante du siège parisien et prit le nom
d’Église évangélique autonome de Nouvelle-Calédonie.
Bannière
Lors des événements politiques, l’Église autonome se de la Fraternelle.
prononça en faveur de l’indépendance politique, ce qui Fond Porcheron, coll. MDVN.

créa des tensions dans la paroisse du vieux temple, où


vivaient des protestants de toutes origines.

26
Certificat
de franc-maçon
MÉMOIRE
de M. Célières. Coll. Georges Viale. de libre-penseur

La franc-maçonnerie, une réalité urbaine


Autant les religions ont eu à cœur de se répandre dans trophes naturelles), repris après guerre par les clubs de
toute la population, autant les tenants du mouvement service. Par ailleurs, elle eut un rôle politique direct lors de
de pensée qu’est la franc-maçonnerie se sont toujours la période Feillet (1894-1903), ce gouverneur s’appuyant
intéressés uniquement au milieu urbain, en raison de sur les idées républicaines et anticléricales de certains
leur organisation proche de celle des cercles de réflexion. francs-maçons qu’il porta à la tête du Conseil général
La première loge maçonnique ouvrit ses portes en 1868 pour mieux imposer son programme de colonisation libre.
sous l’appellation Union calédonienne. Fondée par des L’Union calédonienne ayant disparu en 1940, il fallut
Européens de toutes origines et de toutes obédiences, elle attendre 1960 pour qu’une nouvelle loge du G.O.D.F.
représentait bien la bourgeoisie nouméenne cosmopolite soit créée par André Surleau. Le temps passant, d’autres
de l’époque. Elle appartenait au Grand Orient de France, obédiences maçonniques furent fondées : Grande Loge
obédience républicaine qui allait bientôt marquer son de France, Droit humain, Grande Loge nationale fran-
progressisme par son abandon de la référence obligatoire çaise, Grande Loge féminine de France. Ces associations
à Dieu. Fermée par l’ordre moral en 1875 après l’évasion bénéficient d’un certain crédit moral dans la cité, ce
de Rochefort, que certains de ses membres avait facilitée, qui explique que la mission du dialogue envoyée par le
elle rouvre en 1878. L’Union calédonienne, association Premier ministre M. Rocard en mai 1988 comportait,
laïque et symbolique, recrutait ses membres par coopta- entre autres, le recteur de l’Institut catholique de Paris,
tion et prônait la discrétion, voire le « secret maçonnique le président de l’Église réformée de France et un ancien
». En plus de l’influence morale qu’elle put avoir sur ses grand maître du Grand Orient de France.
membres, cette loge jouait un rôle social (distribution de
prix scolaires, aides aux défavorisés, secours lors des catas-

27
AGE
GN
OI
ÉM
communauté chrétienne inaugure celui où les hommes de
T toutes les nations sont appelés à se découvrir – au-delà de
Les protestants leurs cultures propres, de leurs croyances et idéologies –
en Nouvelle-Calédonie frères les uns des autres.

par le pasteur Béniéla Houmbouy Première génération


de chrétiens en Océanie
Première à être évangélisée dans C’est cette découverte-là, cet impératif, qui va servir de cap
l’archipel, la communauté protestante à la communauté protestante dans ses efforts. La première
reste une composante essentielle de la vie génération des chrétiens a été si imprégnée par cet esprit
calédonienne. de fraternité qu’ils voient s’étendre au-delà de leurs îles que
certains n’ont pas hésité à quitter famille et biens pour partir,
Parler de l’impact de la communauté protestante sur le cours qui aux Nouvelles-Hébrides (Vanuatu), qui en Papouasie-
de l’histoire calédonienne, c’est rappeler la parole fondatrice Nouvelle-Guinée, qui dans l’une des trois îles Loyauté, ou
de sa mission en tant que communauté religieuse chrétienne encore dans l’une ou l’autre des régions de la Grande–Terre.
qui confesse Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur du monde. L’apprentissage de la fraternité ­— qui ne va pas de soi — va
entraîner d’autres apprentissages. Ceux de la liberté, de la
Message évangélique tolérance, du respect de la personne (en soi et en autrui)
L’évangéliste Matthieu la résume en ces quelques mots : « et du respect de l’intérêt général forgeront ainsi l’esprit pro-
Allez, de toutes les nations faites des disciples » (Matthieu. testant. Parmi les engagés volontaires dans les deux guerres
28/19). Adressée aux douze premiers qu’il a formés lui-même (14/18 et 39/45), un nombre non négligeable est d’origine
et qui sont devenus ses intimes, cette parole d’envoi de Jésus protestante. Il en est de même des volontaires à l’exposition
entend que des femmes et des hommes de toutes les nations nationale de 1931.
deviennent également ses amis, ni plus ni moins. Les témoignages, souvent succincts, relatifs à ces expériences
Cette mission est celle de tous les disciples de tous les pays plutôt douloureuses pour les intéressés, révèlent qu’ils ont
et de toutes les générations. Les consignes sont claires et appris à tolérer les bêtises et les erreurs des hommes mais
précises. Il ne s’agit pas de sélectionner les plus méritants également à refuser et à combattre les injustices.
parmi les hommes pour en faire une communauté d’élus. Il ne
s’agit pas de prendre le parti des pauvres contre les riches, Être protestant dans la société calédonienne
des femmes contre les hommes, des faibles contre les forts, Être une communauté des disciples du Christ, pour les
des Noirs contre les Blancs. protestants – c’est du moins l’essentiel de l’enseignement
Une ère nouvelle s’ouvre. « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni des missionnaires –, cela suppose une responsabilité quant
esclave ni libre, ni homme ni femme, car vous tous, vous au développement de l’homme et de son espace de vie. C’est
êtes un en Jésus-Christ » (Galates. 3/28). Le temps où les ainsi qu’avant la fréquentation des écoles de la République,
différences, les particularismes constituent l’essentiel des beaucoup de Mélanésiens savent lire et écrire dans au moins
inimitiés entre les hommes, est révolu. La mission de la

28
M ÉduMdimanche
de l’école OIRE

L'intérieur du temple
de la mission protestante
de Do-Néva après les travaux.
Ce bâtiment, construit au XIX° siècle, était le magasin du colon Girard à Houaïlou.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

quatre des trente langues parlées en Nouvelle-Calédonie.


Cet éloge, il faut le dire, n’exonère en rien la communauté
protestante des excès dont elle s’est rendue responsable.
Initiée à une certaine autonomie, les paroisses par exemple
sont des structures autonomes, la communauté protestante
a souvent pris une part active dans les mouvements contre
tout centralisme, d’où qu’il vienne. Quand elle a soutenu
la candidature de Maurice Lenormand, elle y voyait une
passerelle entre les Européens calédoniens et les Mélanésiens.
Quand elle s’est prononcée pour l’indépendance en 1979,
elle pensait qu’il revenait aux Calédoniens de gouverner le
territoire. Une option qui, pour elle, n’implique pas forcément
MÉMOIRE Coll. MDVN.
la séparation d’avec la France. de pierre
« Tout enfant a vocation à devenir une femme, un homme,
libre et responsable, pas à renier ses parents. »

29
Ils furent nombreux,
ces Nordistes, à reprendre le bateau.
D’autres, comme Albert Valet,
ont travaillé avec détermination.
Pensaient-ils vraiment
que la culture du coton
leur apporterait rapidement
la fortune promise ?
Ils n’ont certainement
pas fait fortune, simplement
une vie d’homme bien remplie.

Portrait d'Albert Valet


avec ses deux fils à Kataviti
près de Koné en 1934.
Coll. Gabriel Valet.
Immigrations
libres
Peuple d’ici
le courant familial
m’a déposé sur votre rivage
En retour de mes empreintes sur le sol
recevez ces mots écrits qui sont
mon visage et ma parole
Plus loin que le lagon et
plus loin que le soleil
c’est au champ à la case et aux gestes
que mon cœur et mon esprit
se sont ouverts
Je viens à vous découvert et
libre
Acceptez mon don qui est signe
de re-connaissance

Nicolas Kurtovitch,
Vision d’insulaire,
éditions Saint-Germain-des-Prés,
Paris, 1983.

31
Les différentes Vouée à devenir une colonie

vagues de la de peuplement, la Nouvelle-Calédonie


attire un grand nombre d’immigrants

colonisation à la recherche d’une vie meilleure.


La réalité se révéla souvent bien
libre différente des rêves et des promesses
de propagandes.
par Christiane Terrier
Il y a un siècle mourait, amer, déçu et seulement âgé marginale au peuplement européen de la Nouvelle-
de 42 ans, le gouverneur Paul Feillet, l’homme qui a le Calédonie.
plus incarné la colonisation libre en Nouvelle-Calédonie. Sa lente augmentation, dans le cadre d’une métro-
Cette mort signifiait la fin de l’expérience de relance de pole peu favorable à l’émigration, s’organise autour de
la colonisation libre qu’il avait entreprise avec beaucoup trois tendances : primauté de la grande colonisation et
de détermination et d’énergie depuis son arrivée. Encore du bagne jusque vers 1890 puis revendications de plus
convient-il de définir celle-ci par opposition à la coloni- en nombreuses en faveur de la fermeture de ce dernier,
sation pénale qui renvoie clairement à l’idée de peupler annoncée dès 1894 par le Gouverneur Feillet, qui lance
ce lointain archipel avec des colons « malgré eux », alors une opération de grande envergure pour faire venir
selon la belle expression créée par Isabelle Merle. Les des « libres » en Nouvelle-Calédonie. Le relatif échec de
colons libres sont donc des immigrants européens qui cette tentative, suivie de celle des « Nordistes » dans les
ont volontairement fait le choix de venir s’établir loin de années 1920, sonne le glas des espoirs, pendant l’entre-
leur pays natal. deux guerres, de faire de la Nouvelle-Calédonie une
Les raisons qui conduisent à la prise de possession en grande « France australe ».
1853 tiennent au fait que, si la Nouvelle-Calédonie est
un territoire favorable à l’établissement d’Européens, elle
représente surtout un lieu idéal pour une colonie péni- La colonisation libre pionnière
tentiaire. Cette double vocation, souvent conflictuelle, ou le temps des éleveurs (1853-1890)
explique que la colonisation libre se soit toujours située Après 1853, l’expansion de l’Europe outre-mer
en contrepoint du bagne, tant en ce qui concerne les s’intensifie, s’accélère et se diversifie dans le cadre de la
priorités foncières que budgétaires, entraînant certains compétition avec de nouvelles puissances impérialistes.
à considérer qu’elle n’a représenté qu’une contribution Les raisons de cette expansion sont, pour une part,

32
M É M O I R E d’une vie nouvelle

Colon Feillet
à Néaoua près de Houaïlou
en 1907. Coll. Maurice Afchain.

démographiques. La population de l’Europe a presque Les principales motivations sont avant tout
doublé au XIXe siècle, grâce aux progrès de la médecine stratégiques, politiques, psychologiques : les considéra-
et de l’hygiène et à l’élimination des risques de famine. tions de prestige, l’exaltation du sentiment national,
Plus d’un Européen sur dix quitte le Vieux Continent la conscience de la supériorité européenne et le désir
pour l’Amérique, l’Asie, l’Océanie. Il est vrai que cette de « répandre la civilisation » semblent bien tenir la
émigration croissante ne se dirige pas nécessairement première place. Cependant, pendant longtemps, les
vers les colonies des métropoles européennes : moyens manquent pour faire face à de telles ambitions
l’Afrique noire, à l’exception de l’Afrique australe, en Nouvelle-Calédonie.
reste relativement vide de colons. Les objectifs sont Les conditions dans lesquelles s’ouvre la colonisation
également économiques : il s’agit moins de rechercher sont loin d’être favorables. La nouvelle colonie est aux
des matières premières que de trouver de nouveaux antipodes de la métropole, dont la séparent plusieurs
débouchés, ou de développer de nouvelles régions du mois de mer. Aussi, les premiers immigrants sont-ils
monde, suscitant ainsi des exportations de capitaux et avant tout des Anglo-Saxons, qu’il s’agisse de
des investissements rentables. quelques marins, baleiniers, santaliers

33
part, d’anciens soldats démobilisés sur place. Cependant,
selon l’expression de A. Jeanneney en 1895, la Nouvelle-
Calédonie est toujours « une colonie sans colons »
en dehors des concessionnaires pénaux et des éleveurs
– ­l’élevage est rapidement considéré comme la seule res-
source agricole intéressante grâce aux contrats de viande
négociés avec la Pénitentiaire. – La plus grande partie du
peuplement européen (62 %) se concentre à Nouméa et à
ses abords immédiats. Face à une « brousse » vide, seuls
Païta et Bourail dépassent 300 habitants. Cependant, les
libres sont considérés comme les seuls vrais colons.
MÉMOIRE Autre spécificité : les hommes étant bien plus
d e ca m a r a d e r i e Société de tir en 1897.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie. nombreux que les femmes, Augustin Bernard, auteur
d’une thèse importante sur l’archipel, à la fin du siècle,
et autres beachcombers que de colons ; le premier d’entre constate que « les unions entre Blancs et Calédoniennes
eux est James Paddon, qui s’installe à l’île Nou peu sont fréquentes, presque tous les Européens ayant des
avant la prise de possession. Dans le cadre de la politique concubines indigènes mais les métis sont rares ». Si
d’attribution de grandes concessions, il est le seul à faire ces derniers paraissent peu nombreux, c’est qu’ils ne
venir une dizaine de familles d’Australie, dont certaines constituent pas un groupe séparé mais se retrouvent
d’origine allemande. intégrés de fait au groupe qui les prend en charge et
Le gouverneur Guillain (1862-1870), qui poursuit cette les élève. Concrètement, si le père assume sa paternité,
politique tout en installant l’administration pénitenti- légalement ou non d’ailleurs, l’enfant est assimilé au
aire, est à l’origine de l’immigration bourbonnaise (de monde européen. En l’absence du père, l’enfant est
l’ancien nom de la Réunion) qui permit l’installation de intégré au sein des généalogies maternelles kanak. La
colons venus pour la culture de la canne à sucre. Malgré surmasculinité européenne écrasante jusqu’en 1900 se
l’installation en 1873 de plusieurs familles d’Alsaciens- traduit donc par un métissage non assumé, phénomène
Lorrains à Moindou, la colonisation libre, essentiellement qui s’accentuera pendant la période suivante de 1900 à
cantonnée dans le sud-ouest de la Calédonie, ­progresse, 1945 avec le rééquilibrage du sex-ratio consécutif à la
peu affaiblie jusqu’au début du XXe siècle, par l’échec de relance de la colonisation libre.
la culture de la canne à sucre, les empiétements fonciers
résultant de la politique des permis d’occupation puis La « petite colonisation agricole » (1889-1903)
par les effets de la révolte de 1878 et surtout par la toute- Dans les années 1890, l’Europe toute entière semble
puissance du bagne qui domine la vie du pays. Toutefois, se mettre en marche pour la conquête du globe. Tout
chaque année, s’installent quelques nouveaux immi- comme l’Allemagne et l’Angleterre, la France crée une
grants dont certains, pourtant d’origine française, ont « Société française de colonisation » dont le but est de
transité par l’Australie et d’autres qui sont, pour la plu- recruter et d’encourager l’émigration des Français vers les

34
MÉMOIRE
de paddock

Station.
Coll. Service des Archives
de Nouvelle-Calédonie.

colonies en tentant d’y faire venir les émigrants tradition- la coexistence sur un même sol d’une dynamique de
nellement attirés par d’autres destinations. Une forte popu- peuplement pénal et de peuplement libre, l’une interdi-
lation française est nécessaire dans les pays d’outre-mer sant le développement de l’autre.
pour contrebalancer le courant d’immigration étranger et
pour équilibrer l’élément indigène. Il faut donc ­inciter les Le gouverneur Feillet va promouvoir en Nouvelle-
migrants à s’y rendre ; seule, pense-t-on, une petite colo- Calédonie une politique profondément différente de celle
nisation agricole à l’image de celle de la Nouvelle-Zélande, qui avait été conduite jusque-là. Ce que l’on appelle
est propice à cet objectif. aujourd’hui le système Feillet (bien que ce gouverneur se
soit borné à reprendre à son compte des idées déjà avan-
Outre la réorganisation d’un régime pénitentiaire cées par ses prédécesseurs et qu’il ait surtout eu le mérite
onéreux et peu performant, c’est cette politique que va de les appliquer) repose sur l’octroi de concessions gra-
tenter de mettre en place le dynamique secrétaire d’État tuites de dix à vingt-cinq hectares dont cinq devaient être
aux Colonies, Eugène Étienne, à partir de 1890. En aptes à la culture du café. Le 10 juillet 1895, la conces-
attendant la décision métropolitaine d’en finir avec le sion gratuite est rétablie et ouverte à tout enfant du pays
bagne en Nouvelle-Calédonie, c’est donc sous le signe et à tout immigrant muni d’un capital de 5 000 francs.
de la cohabitation des deux systèmes qu’il engage ce Sa superficie peut varier selon la qualité du terrain, mais
qu’il appelle « la colonisation mixte ». Les premières ne doit en aucun cas être inférieure à dix hectares, le
expérimentations de relance de la colonisation libre maximum étant de vingt-cinq hectares.
sont réalisées principalement à Koné et Voh mais ne se
traduisent que par une modeste réussite, témoin de la
quasi-impossibilité de la colonisation mixte, c’est-à-dire
35
Pour peupler les concessions, Feillet, désormais très marginal. Le contexte particulier consé-
qui annonce l’arrivée de 10 000 puis de 20 000 cutif à la Première Guerre mondiale va cependant se
nouveaux immigrants, procède à une active propagande traduire par l’arrivée, dans les années 1920, de quatre
relayée en France par les journaux mais surtout par des convois, organisés en coopératives, de colons nordistes
associations qui organisent des conférences-débats, qui venus planter du coton.
éditent des « guides de l’émigrant » ou des « notices
pratiques pour la culture du caféier », promettant un L’ultime tentative : l’épopée des Nordistes
enrichissement dans le nouvel Eldorado du café. Il veut ou le temps des planteurs de coton
(1925-1926)
d’abord des paysans. En fait, ceux-ci sont minoritaires.
On voit surtout affluer de nombreux citadins, fonction- Il s’agit, à l’origine, d’une immigration spontanée
naires, employés, jeunes bourgeois en rupture de société, qui prend au dépourvu l’administration locale. Elle fait
ainsi que l’inévitable vague de marginaux et de « ratés suite à une tournée de conférences du maire de Nouméa,
». D’où la compétence parfois discutable et l’imprépara- le vétérinaire Lang, dans le Nord de la France. Dans
tion technique de nombreux pionniers de cette nouvelle cette région particulièrement éprouvée par la Grande
colonisation, abandonnés en pleine brousse dans les Guerre, arrive à l’âge adulte une génération qui, entre
vingt-deux lotissements créés entre 1895 et 1900. 1914 et 1918, n’a pu bénéficier d’une scolarité normale
La « colonisation Feillet » s’achève pour beaucoup et qui éprouve des difficultés à trouver un emploi. D’où
dans les désillusions. Le café n’a pas tenu ses promesses : une certaine réceptivité à la propagande invitant à venir
aléas climatiques, sols moins riches qu’escompté, aggra- planter du coton en Calédonie. L’originalité de l’immi-
vés par l’effondrement des cours mondiaux et le renché- gration « nordiste » vient de ce que les candidats-colons
rissement de la main-d’œuvre, découragent nombre de se regroupent en coopératives avant leur départ. Quatre
planteurs. Dès 1900, de nombreuses plantations sont à convois s’ébranlent entre 1925 et 1926. La « Coopérative
vendre. Les départs se multiplient. Cependant, on estime mutuelle de colonisation calédonienne » arrive la pre-
qu’environ 1 500 immigrants ont débarqué entre 1895 mière ; ses membres doivent s’installer à Daouï mais sont
et 1902, représentant quelque 525 familles dont environ vivement déçus à la vue du terrain qui leur est destiné. Ils
la moitié occupent encore leurs concessions à la veille renoncent les uns après les autres.
de la Grande Guerre. C’est le plus grand mouvement Vient ensuite, en mars 1926, le « Comptoir cotonnier
d’immigration libre jamais dirigé vers l’île. 20 à 25 calédonien », qui doit s’établir à la Ouaménie sur 400
000 hectares de terre ont été ouverts à la colonisation hectares achetés depuis la France. Ici encore, la décep-
officielle, principalement sur la côte Est et dans le Nord, tion est grande. Sous l’effet de la désillusion, le groupe-
jusque-là peu touchés par la colonisation, renforçant la ment se désagrège avant d’avoir fonctionné.
présence française dans l’archipel, au prix, cependant, Le troisième groupement, la « Fraternelle coloniale
du cantonnement généralisé des Kanak. néo-calédonienne », a un destin plus lamentable encore.
Après cette expérience considérée comme un échec Suite à des discordes, le groupe éclate avant même d’ar-
par la métropole, l’archipel néo-calédonien devient un river. Tandis que le président est arrêté pour escroquerie,
véritable « Finistère de l’Empire ». Son intérêt paraît les adhérents se dispersent.

36
MÉMOIRE
d’un dimanche au bord de l’eau

Un 13 septembre 1896.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.
Membres
de la Coopérative mutuelle
de colonisation néo-calédonienne
arrivés en janvier 1926.
Ils sont photographiés au 21e km avec monsieur Guillemot, un envoyé du gouverneur MÉMOIRE
Guyon. Albert Valet est au centre, au dernier rang. Coll. Gabriel Valet. d’espoir

Enfin, en août 1926, arrive le dernier convoi, l’« tion ­d’origine européenne. L’impact de la colonisation
Union coopérative de colonisation calédonienne ». libre se traduit d’abord en termes démographiques.
Formé à Lille, c’est le moins improvisé de tous les grou- Pour Louis-José Barbançon, comme pour de nombreux
pements « nordistes ». observateurs, « la colonisation pénale demeure la prin-
Le « Domaine » leur offre alors des terres à Gouaro, cipale source de peuplement d’origine européenne de la
près de Bourail. Mais ce sont des individus (dix familles), Nouvelle-Calédonie ». Pourtant, suite aux travaux que
et non plus un groupement coopératif, qui s’y installent nous avons menés et contrairement à ce qu’on a long-
pour créer des caféières d’arabica sous couvert forestier, temps cru, la colonisation libre a eu un impact démogra-
et non pour cultiver du coton. On évalue à quelque 240 phique au moins identique, si ce n’est légèrement supé-
personnes, dont ­119 colons, le total de l’immigration rieur, à la colonisation pénale. De plus, les pénaux étant
nordiste. Sur ces 119 chefs de famille ou célibataires, dès dans l’ensemble déchus de leurs droits civiques, elle a été
1927, 36 avaient quitté la Nouvelle-Calédonie, 23 pour l’animatrice de la vie politique locale pendant la période
rentrer en France et 13 pour les Nouvelles-Hébrides. coloniale car l’essentiel des élus du Conseil général en
Cette expérience discrédite pour l’avenir les ten- étaient issus. Quant à sa fonction sociologique, elle est
tatives d’immigration spontanées. On en revient à la peut-être encore plus fondamentale. Autrefois considérée
colonisation officielle. Mais surtout, on commence à comme « l’honneur de la colonisation », ses valeurs
prendre conscience qu’il ne pourra plus y avoir d’afflux pionnières ont longtemps constitué pour les Calédoniens
important et les autorités, tant métropolitaines que d’origine européenne une incontournable référence,
locales, renoncent définitivement à toute politique de encore fondatrice de l’identité des descendants des «
colonisation basée sur l’implantation rurale de popula- libres », des « pénaux » ou des « engagés ».

38
L’immigration
en Nouvelle-Calédonie
après 1945 entre 1972 et 1975, encourage « l’immigration massive
des citoyens français métropolitains ou originaires des
par Isabelle Amiot
départements d’outre-mer » vers la Nouvelle-Calédonie.
Des milliers de personnes originaires de pays différents
s’installent alors en Nouvelle-Calédonie : des Français
L’image multiculturelle de la
de métropole, des rapatriés d’Algérie et du Maroc, des
Nouvelle-Calédonie s’est renforcée
Tahitiens, des Antillais, des Wallisiens et des Futuniens.
au cours de la seconde moitié du XXe
C’est, pour le Territoire, la dernière grande vague d’im-
siècle avec l’arrivée, pour des raisons
migration du XXe siècle.
variées, de plusieurs vagues d’immi-
Au début des années quatre-vingt, une vague de
grants venant d’horizons divers. Néo-Hébridais, fuyant leur pays devenant indépendant,
se réfugie en Nouvelle-Calédonie. Un certain nombre de
Après la Seconde Guerre mondiale, en 1946, la Nouvelle- travailleurs les avaient d'ailleurs précédés au moment du
Calédonie change de statut : de colonie, elle devient ter- boum. Une troisième vague d'immigrants du Vanuatu
ritoire d’outre-mer. Une série de grands travaux financés est de nouveau enregistrée au début des années quatre-
par le FIDES, Fonds d’investissement, de développement vingt-dix.
économique et social, est entreprise pour mettre en Une deuxième vague d’immigration de Wallisiens et
valeur le Territoire : infrastructures routières qui permet- Futuniens, après celle du boum, a lieu à la fin des années
tent de mieux relier Nouméa à la brousse, électrification quatre-vingt.
des tribus, barrage de Dumbéa puis de Yaté ( inauguré La population asiatique, principalement vietna-
en 1955 ), modernisation de l’aéroport de La Tontouta mienne (arrivée dans la seconde moitié du XIXe siècle,
en 1958. Un besoin très important de main-d’œuvre se pour, souvent, travailler dans les mines sous contrat),
fait alors sentir. On fait appel à des Européens, Italiens s’accroît, dans la décennie 1980-1990, grâce au système
et Yougoslaves par exemple, puis à des Polynésiens, du regroupement des familles. À la fin des années quatre-
Wallisiens et Tahitiens. Pendant ce temps, de nombreux vingt dix, des boat people chinois trouvent refuge en
Indonésiens et Vietnamiens retournent dans leurs pays Nouvelle-Calédonie.
devenus indépendants. Le prochain recensement organisé par l’ISEE
Deux facteurs vont ensuite entraîner l'arrivée de nou- (Institut de la statistique et des études économiques)
veaux immigrants : le boum du nickel, de 1969 à 1972, permettra de connaître les nouvelles migrations en
avec une forte hausse de la production de minerai brut Nouvelle-Calédonie en ce début de XXIe siècle.
et de la production métallurgique, et la politique démo-
graphique du Premier ministre Pierre Messmer, qui,

39
AG E
GN
OI

M
TÉ Parcours
d’une famille
moins le croyaient-ils ! Le voyage fut pénible à bord de ce
nordiste… vieux bateau, solide, mais d’une saleté indéfinissable et à
par Gabriel Valet la machine épuisée, qui filait péniblement 10 nœuds. Le 11
janvier 1926, ce fut l’arrivée à Nouméa et enfin le départ du
Dernière vague de la colonisation agricole groupe de la Coopérative mutuelle pour Moindou et le 21e
officielle, les Nordistes devaient s’installer kilomètre. Les quelques économies s’épuisaient rapidement
dans la région de Bourail. Vision des et les cultures démarraient difficilement. Les cerfs, nombreux,
différentes générations face à cette terre faisaient de terribles ravages la nuit, détruisant les jeunes
calédonienne. pousses de coton ou de maïs. Les colons étaient harcelés
par les moustiques, de jour comme de nuit, et, peu à peu, le
Albert Valet est né à Armentières le 1er avril 1896, fils de groupe s’amenuisa et se dispersa. La plupart des membres
Victor, cordonnier, et de Marie Peugniez, d’Arques (Pas-de- quittèrent le 21e kilomètre après avoir été ruinés.
Calais). Au cours de ses études secondaires, il avait obtenu Les Valet restèrent avec les Prévost et les Delcuignie. Leur
son Brevet supérieur. Au front lors de la Première Guerre fille Marthe vint au monde au dispensaire de Bourail. Pour
mondiale, il monta en première ligne et, fait prisonnier, il ne l’accouchement, Marie fit neuf km à pied depuis le 21e pour
fut rapatrié qu’en janvier 1919. L’année suivante, Albert Valet, rejoindre la route en bas du col de Boghen puis attendit
qui avait épousé Marie Meurillon, opta pour un emploi dans l’autocar pour la conduire à Bourail. Albert naquit deux ans
un comptoir d’import-export en soieries, nacres, café, etc. Il après. Finalement, ils abandonnèrent leurs terres.
entrait ainsi pour la première fois en relation avec les pays du Albert Valet fut alors embauché comme comptable aux
Moyen-Orient et de l’océan Indien. Charbonnages de Moindou puis à la Société Calédonia. En
janvier 1933, la famille Valet, avec ses trois enfants, s’installa
D’Armentières à Nouméa à Kataviti, au centre minier de la Société Le Nickel, à la sortie
Il envisageait déjà de partir outre-mer pour développer ses de Koné. Marie se rendit une dernière fois au dispensaire de
relations commerciales. Restant en rapport avec Alphonse Bourail pour donner naissance à Gabriel. Cette fois, le trajet
Prévost, c’est sans doute par lui qu’il apprit la constitution se fit en voiture plus confortable. En 1938, toute la famille se
de la Coopérative mutuelle en 1925, suite à la propagande rendit à Voh où Albert Valet occupa le poste de comptable
orchestrée par Marx Lang, vétérinaire et maire de Nouméa de du centre de la SLN jusqu’en 1943. Puis la famille rejoignit
novembre 1922 à mai 1925. Nouméa en bateau où Albert prit alors le poste de comptable
Albert, sa femme et leur jeune fils Lucien quittèrent Marseille au siège social de la SLN à Doniambo. Ardent patriote, Albert
en novembre 1925, à bord de l’El Kantara, abandonnant ainsi Valet voulut s’engager avec les volontaires du Bataillon du
des débuts prometteurs dans le commerce international. Ils Pacifique en 1941. On le lui refusa, il avait 45 ans et quatre
quittaient également des parents déjà âgés, qu’ils ne devaient enfants, mais il participa néanmoins à la milice civique de la
plus revoir, pour tenter la grande aventure calédonienne, du France libre.

40
MÉMOIRE
de perspective

Le premier
tracteur, dit-on,
fut introduit en Calédonie par
les Nordistes en 1926. Ils l'utilisèrent
au 21e kilomètre pour préparer les terrains recouverts de broussailles,
de goyaviers et de niaoulis. Coll. Gabriel Valet.

Des « ch’timis » aux Calédoniens


Mais qu’est-ce qui pouvait motiver un tel exode parmi ces Albert et Marie Valet eurent quatre enfants, Lucien, Marthe,
« ch’timis » ? Il y eut, à n’en pas douter, le mirage de Albert et Gabriel, puis dix petits-enfants, dix-huit arrière-
l’exotisme. Il est vrai que Marx Lang décrivait des sites petits-enfants et deux arrière-arrière-petits-enfants.
enchanteurs, des terres fertiles aux nombreux cours d’eau où Les enfants d’Albert et de Marie Valet ont profondément été
« tout y pousse, le coton, mais aussi la vigne, les oliviers et imprégnés par cette vie de « derniers pionniers » en terre
la main-d’œuvre est abondante et productive ». Il ne parlait calédonienne et dans la région de Koné-Voh, où ils ont vécu
pas des terres arides qu’il avait l’intention de leur vendre, ni au début de leur existence.
des moustiques. La Seconde Guerre mondiale avec la présence américaine a
Ils furent nombreux, ces Nordistes, à reprendre le bateau. complètement bouleversé la façon de voir des Calédoniens.
D’autres, comme Albert Valet, ont travaillé avec détermination. Cependant, l’attachement aux valeurs d’une certaine idée de
Pensaient-ils vraiment que la culture du coton leur apporterait
rapidement la fortune promise ? Ils n’ont certainement pas
fait fortune, simplement une vie d’homme bien remplie.

41
MÉMOIRE
pionnière

La famille Valet dans les années trente, à Kataviti.


Gabriel est dans les bras de sa mère. Coll. Valet.

la France et le souvenir de l’épopée nordiste ont toujours été Les dix petits-enfants qui sont de la génération des années
bien présents dans leur esprit. cinquante mais surtout des années soixante ne ressentent
Comme son père et sa mère, Lucien n’est jamais retourné en certes pas ce souvenir de l’épopée nordiste de leurs grands-
France, lui qui l’avait quittée à 11 mois. Marthe ne l’a visitée parents ou de leurs parents. Ils n’ont pas connu leur grand-
qu’une seule fois, préférant, comme beaucoup de Calédoniens, père Albert Valet, décédé le 21 février 1953.
se rendre régulièrement en Australie. Albert s’est rendu une
première fois à Marseille, pour effectuer des études à l’École Ils ont seulement le souvenir de leur grand-mère Valet et de
de Commerce et, par la suite, lors de congés réguliers. Gabriel, sa gentillesse légendaire, décédée en janvier 1981 dans sa
après des études de sciences à Montpellier, a poursuivi sa quatre-vingt-neuvième année. Ces jeunes Calédoniens ont été
carrière d’universitaire à Paris, au Cameroun et à Nouméa ; de marqués, eux comme beaucoup d’autres, par la période des
par sa profession, il a naturellement de nombreuses attaches Événements des années quatre-vingt et sont profondément
avec la métropole et, lui qui a voyagé sur tous les continents, attachés, comme leurs aînés, à cette terre calédonienne où ils
il n’est jamais allé dans le Nord de la France… vivent et où ils ont fondé une famille.

42
Descendants de Lucien Valet.
Coll. Marina Valet.
Les dix-huit arrière-petits-enfants, nés dans les années
soixante-dix mais surtout dans les années quatre-vingt et
quatre-vingt-dix, entendent rarement parler de l’épopée
des Nordistes. Comme la toute dernière génération de
Calédoniens, leur avenir semble assuré par ce qu’en ont fait
leurs grands aînés, décidés à vivre en bonne entente dans ce
territoire aux immenses possibilités économiques. Il faudra
qu’ils en prennent conscience et qu’ils contribuent, avec leur
volonté et leurs moyens, à son plein développement, à son
épanouissement, et alors le rêve de ces Nordistes, de leur
arrière-grand-père Albert Valet, comme de beaucoup d’autres,
avant et après lui, se réalisera, eux qui ont cru intensément à
l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

43
La transmission orale de ces souvenirs
anecdotiques représente une partie
de notre ascendance et permet, si nécessaire,
de nous situer dans l'une des strates constituant
le mille-feuille du peuple calédonien.
À vrai dire, la notion de descendant
de déporté ou de Communard n'intervient
ni n'interfère dans le quotidien.
Il s'agit d'une classification virtuelle
reconnue uniquement
par ceux qui partagent une même
ascendance ainsi
que par quelques familles
calédoniennes
de souche qui portent
un intérêt à l'histoire
de leur pays.
Henri Étienne Manjon.
Coll. Max Shekleton.
Terre
de bagne
Simple constat
Vivants : cinquante mille au terme des massacres !
Ils avaient vu l’horreur et connu l’injustice.
La Suisse ouvrit ses bras aux porteurs d’idéal
Et la grave Angleterre aux terrés des égouts.

Cinq mille, déportés dans une île outre-mer,


Forment à l’antipode un grand carré sans haine ;
Parias oubliés, ils subissent l’exil,
Où trois cents, loin des leurs, sont voilés pour toujours !

L’immanente amnistie a brisé tout espoir !


Devenus étrangers au paradis perdu,
Errants abandonnés, dans un Paris sans âme,
Ils raniment, le soir, la flamme d’anciens jours !

Mais le Temps des Cerises


N’est jamais revenu !

Raymond Lacroix,
SEHNC,
Bulletin n° 106,
Nouméa, 1996.

45
Pour faire face aux difficultés
de peuplement de la nouvelle colonie

Tabou d’un passé : et résorber les problèmes


de délinquance de la métropole,
le bagne la Nouvelle-Calédonie devient terre de
bagne. La présence de 20 000 bagnards
par Cynthia Debien-Vanmai s’avère féconde pour le développement
de l’île mais pèsera lourdement
Auguste a 17 ans, en février 1869, quand il est sur la mentalité calédonienne
condamné par la cour d’assises du Gard aux travaux jusqu’à de récentes années…
forcés à perpétuité pour homicide. Le 3 juin 1871,
il arrive à l’île Nou, ce n’est plus que le transporté
matricule n° 2978. MÉMOIRE
de chapeau de paille
Condamné… et colon
Les chaînes aux pieds, surveillé par l’administration
pénitentiaire, il est utilisé pendant quatorze ans aux tra-
vaux les plus pénibles de la colonisation et à tous travaux
d’utilité publique, comme le prévoit l’article premier de
la loi du 30 mars 1854 relative à l’exécution de la peine
des travaux forcés.
Sa bonne conduite lui vaut une remise de peine et
l’obtention d’une concession en 1883. Auguste reçoit Concession à Pouembout. Coll. du CAOM.
six hectares de terre sur le lot 73 de la rive gauche de
la rivière de Pouembout. Au début des années 1880, Concessionnaire… et oublié
la colonisation pénale prend son véritable essor et le
gouvernement français en fait sa priorité : la Nouvelle- Après quelques semaines occupées aux travaux d’in-
Calédonie devient avant tout une colonie pénitentiaire. térêt général, Auguste et ses compagnons commencent
L’administration pénitentiaire dispose alors de 100 000 à défricher leur concession. À l’issue de vingt mois
hectares répartis en plusieurs centres de concessionnaires d’installation, le concessionnaire doit avoir construit sa
sur la côte Ouest de la Nouvelle-Calédonie : Bourail, La case selon les plans définis par l’administration. Pendant
Foa-Fonwary, le Diahot et Pouembout, auxquels il faut cette période, le transporté reçoit une ration de vivres, des
ajouter les domaines de la ferme expérimentale de Koé à indemnités d’installation, un trousseau de vêtements, des
Dumbéa et celui de l’exploitation de Prony. outils aratoires, et les soins hospitaliers sont gratuits.

46
Brique de l’administration
pénitentiaire.
Coll. MDVN.

MÉMOIRE
Condamnés
au travail.

de corvée
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

47
Dans les textes, la mise en concession Auguste fait partie de ces concessionnaires qui ont
apparaît comme une opération bien gérée et bien relevé les défis de la réinsertion. Sur 365 bagnards mis en
organisée, mais, sur le terrain, c’est une autre réalité à concession à Pouembout, 115 sont sur leur terre en 1895,
laquelle sont confrontés les concessionnaires. Pouembout 83 présentent un bilan satisfaisant aux yeux de l’admi-
est complètement isolé, aucune route ne le relie à Bourail, nistration. Les 74 enfants qui peuplent le centre permet-
dernier centre de colonisation. Les échanges avec le reste tent d’envisager la pérennité du peuplement européen
de l’île se font par bateau et certains fonctionnaires dans cette région, même si la description donnée dans
dénoncent ces carences. Auguste parvient à surmonter leur roman par Marie et Jacques Nervat est évocatrice
ces difficultés. du regard porté sur ces colons par la société coloniale :
« C’est un des beaux produits de la sélection à rebours
Le 9 juin 1886, il se marie à Bourail avec Marie, des haras pénitenciers. Le père est alcoolique et désé-
condamnée n° 100. Elle et d’autres femmes ont quitté les quilibré, la mère est une hystérique, on les a mariés, ils
prisons centrales métropolitaines, elles sont recueillies firent des enfants, c’est logique, mais la nature aussi est
dans un couvent à Bourail parce qu’elles acceptent de se terriblement logique et ces enfants sont idiots, comme le
marier avec un concessionnaire. Son mariage a permis à dernier-né, ou épileptiques comme celui-là. » À Bourail
Marie de faire venir de France son fils âgé alors de 8 ans, et à la Foa, certains enfants sont retirés à leurs parents et
pour lequel Auguste engage une procédure de reconnais- élevés dans des institutions religieuses.
sance. Ces rapprochements familiaux sont encouragés
par le gouvernement qui paye les frais de transport et À la fin du XIXe siècle, l’administration décide « de
accorde des lots de terre supplémentaires. Cinq enfants fermer le robinet d’eau sale ». Un dernier convoi de
naissent de cette union, un meurt à la naissance. bagnards débarque à l’île Nou en 1897, les mises en
concession de condamnés font l’objet d’une législation
Producteur… mais banni plus restrictive et, en 1908, les pénitenciers de La Foa,
Sur un registre daté de 1895, établi pour chaque Bourail, Pouembout et Diahot sont supprimés pour
centre de colonisation pénale, l’administration péni- être transférés à l’administration générale de la colo-
tentiaire cherche à établir un bilan de la colonisation nisation libre.
pénale en dressant l’état de chaque concession accordée
aux transportés. Cependant, l’impact de la colonisation pénale en
Selon les informations portées, douze ans après son Nouvelle-Calédonie a été considérable. Les transportés
installation, Auguste et sa famille ont multiplié par cinq ont constitué jusqu’au début du XIXe siècle l’essentiel
la valeur de leur concession. La mise en valeur confère du peuplement européen dans l’île. Charles Lemire dans
à la famille une relative aisance financière. La maison son « tableau synoptique de la population européenne
donne une juste idée du niveau de vie de la famille. C’est de la colonie au 1er janvier 1877 » compte 2 752 colons
une case en torchis couverte en tôles de 7 mètres, elle libres : 841 enfants et 1 911 adultes. La majorité résidait
comprend deux pièces, une véranda en fait le tour. La à Nouméa. Pour établir la comparaison, les transportés
cuisine à l’extérieur est couverte en paille. sont 8 164 en 1880 selon la notice sur la transportation

48
Condamnés
du camp Brun
aux travaux de routes. Coll. du CAOM.

MÉMOIRE
d’horreur

1880-1881. La plupart des anciennes familles calédo- Amnésie… et reconnaissance


niennes ont un ancêtre bagnard. Les transportés ont ainsi
L’histoire de la colonisation pénale, trop facilement
constitué, avec les Kanak réquisitionnés dans le cadre des
assimilée à celle du bagne, plus évocatrice et médiatique,
prestations obligatoires, l’essentiel de la main-d’œuvre
est encore mal connue en Nouvelle-Calédonie, pas tant
utilisée pour les principaux travaux d’utilité générale.
parce qu’elle est peu étudiée - plusieurs travaux universi-
J. Y. Mollier montre par ailleurs que la transportation taires ont été produits ces dernières années -, mais plutôt
a « contribué à accumuler le capital primitif des sociétés parce que la mémoire collective, toujours sélective, rend
minières qui dominent la Grande Terre après 1880 » en difficile la restitution de la réalité historique… Ainsi, on
prêtant ses détenus aux grandes compagnies minières. peut distinguer plusieurs étapes dans l’élaboration de la
Des centaines de bagnards font ainsi l’objet de tractations mémoire de la transportation en Nouvelle-Calédonie.
commerciales entre l’administration et des entrepreneurs Du début de la colonisation jusqu’au début des
privés, en toute légalité. Des convois de deux cents à trois années 1980, l’oubli pèse lourdement sur ce
cents hommes sont échangés contre des domaines fon- passé. Il est d’abord organisé par le gouver-
ciers et cédés pour une durée de dix à douze ans. nement français : les transportés sont

49
MÉMOIRE
de concessionnaire

Bourail, centre
de l’établissement, 1871.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

exilés à vie, ils perdent rapidement les liens avec leurs tant les droits des autres communautés. Le concept de «
origines familiales. Un discours du gouverneur Pallu de victime de l’histoire » est avancé. La mémoire du bagne
la Barrière est éloquent à ce sujet : « J’irai jusqu’à facili- se reconstruit autour d’un mythe : le pauvre bagnard
ter les changements de noms pour tous les hommes qui condamné aux travaux forcés à perpétuité pour un mor-
voudront se faire oublier dans le coin de terre que je leur ceau de pain volé. On s’évertue alors à revendiquer la
aurais concédé. » Alors, pendant plusieurs générations, souffrance, elle devient un argument dans la recherche
on détruit les vestiges du bagne, on ne raconte rien, on d’une légitimité historique…
déforme, on va même jusqu’à se renier, telle cette jeune
mère qui préfère inscrire sur les actes de naissance de ses Après les bouleversements de la dernière révolte
enfants : « de mère inconnue », alors qu’elle ne les a kanak de 1984-1988, la mémoire s’est-elle pour autant
jamais abandonnés. éclaircie ? Un point positif, l’adaptation des programmes
Il faut attendre les années 1980, alors que des mou- scolaires étant inscrite dans les Accords de Matignon, à
vements politiques tentent de redéfinir les relations avec la demande des signataires, des manuels d’histoire ont
la France ou revendiquent l’indépendance, pour que les été produits par des équipes d’enseignants calédoniens :
Calédoniens cherchent à se réapproprier leur histoire. au-delà des tabous, l’histoire locale est aujourd’hui
Ainsi, les accords de Nainvilles-Les-Roches, en 1983, légi- enseignée jusqu’en première.
timent la revendication indépendantiste tout en respec-

50
MÉMOIRE
de forçats

Condamnés 51
réparant la conduite
d'eau à Pam.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.
A GE
GN
OI
M
TÉ Calédonien De 1872 à 2003, parcours d’une famille
dans l’âme de déportés de la Commune. Comment
par Max Shekleton on devient Calédonien dans l’âme…
3e Conseil de guerre
Séance du 24 novembre 1871
Première fiche
MÉMOIRE
familiale MANJON, Henri Étienne, âgé de 36 ans, né à
Sens (Yonne) le 7 février 1835, sous-brigadier de
l’octroi de Paris, lieutenant au bataillon formé
pour les employés de l’octroi, pour port d’armes
et d’uniforme apparent dans un mouvement
insurrectionnel et pour avoir fait usage de ses
armes, en commandant une bande d’insurgés, a
été reconnu coupable à l’unanimité et condamné
à la déportation dans une enceinte fortifiée et à
la dégradation civique. Il demeurait 79 rue de la
Tombe Issoire à Paris.

Exil à La Nouvelle
C’est donc bien involontairement que mon arrière-grand-père
arriva en Nouvelle-Calédonie avec le troisième convoi par La
Garonne le 5 novembre 1872, après quatre-vingt-huit jours de
mer. À l’époque, le gouvernement avait fort à faire avec les
Prussiens, les Kabyles et les Communards. Ayant conclu un
armistice avec les premiers, il fut décidé d’évacuer les deux
autres sujets de préoccupation en les expédiant à La Nouvelle,
au-delà des mers. Sur les quelque 4 300 Communards
déportés en Nouvelle-Calédonie, seuls une quarantaine choi-
sirent, après les armistices de 1878 et de 1879, de ne pas se
prévaloir du voyage de retour qui était mis à leur disposition.
Leur nombreuse descendance atteste de leur contribution à la
croissance démographique de la colonie.
À l’issue d’un bref séjour à l’île des Pins, la condamnation de
mon arrière-grand-père à la déportation en enceinte fortifiée
fut commuée en déportation simple avec autorisation de
s’installer à Nouméa et d’y exercer une activité. Mon arrière-
grand-mère rejoignit rapidement son mari, accompagnée

52 Octavie Manjon, épouse Joubert, et ses enfants,


Georgette (future Mme Shekleton) et Henri.
Coll. Max Shekleton.
de leurs jumeaux nés à Paris. Trois autres enfants, dont ma Mémoires et archives
grand-mère Octavie, naîtront à Nouméa. Sans vraiment en
La transmission orale de ces souvenirs anecdotiques repré-
avoir conscience, j’emmagasinai pendant mon enfance le
sente une partie de mon ascendance et permet, si nécessaire,
détail des conversations entre ma grand-mère et ma mère
de me situer dans l’une des strates constituant le mille-feuille
concernant leur propre enfance passée en compagnie de mes
du peuple calédonien. À vrai dire, la notion de descendant
arrière-grands-parents.
de déporté ou de Communard n’intervient ni n’interfère dans
Quotidien d’un déporté le quotidien. Il s’agit d’une classification virtuelle reconnue
uniquement par ceux qui partagent une même ascendance
Henri Étienne s’installa comme bottier d’abord rue Marengo au ainsi que par quelques familles calédoniennes de souche qui
Quartier Latin puis transféra son atelier au 27 avenue Wagram, portent un intérêt à l’histoire de leur pays.
à quelques pas de la place des Cocotiers. (Fortuitement, Il existe une Association Déportation à la Nouvelle-Calédonie,
mon agence de voyages est installée exactement à la même qui est propriétaire d’une exceptionnelle collection de docu-
adresse, soit au 27 bis avenue Foch !) Ma grand-mère était ments historiques relatifs à la Commune de Paris en général
fière de son père et de ses compétences professionnelles. et particulièrement sur la Déportation et l’exil en Nouvelle-
Avant son implication dans la Commune de Paris, il était Calédonie. Cette collection, d’une immense richesse histo-
bottier 4 rue de Rome à Paris. Elle aimait à dire que son père rique, placée en dépôt au Service des archives de la Nouvelle-
« chaussait toute la Haute Société de Nouméa ». Son carnet Calédonie, est à la disposition des chercheurs, historiens
de commandes était toujours bien rempli. Son succès lui permit et étudiants mais également consultable par le plus grand
d’investir et de se rendre acquéreur de son propre logement nombre sur simple demande.
et de son atelier et, plus tard, de plusieurs petites maisons Il y aurait matière à relater la saga des descendants de
coloniales situées dans la même rue. Il cessa pourtant son Henri Étienne Manjon : sa fille aînée fut assassinée par trois
activité artisanale pour devenir fonctionnaire du Trésor, poste Arabes à la Dumbéa, sa seconde fille vécut trente-cinq ans à
qu’il occupa jusqu’à sa retraite. Wallis, sa troisième fille quitta Nouméa pour vivre d’abord à
Ma grand-mère me racontait l’évasion d’Henri Rochefort, me Madagascar, puis en Argentine, et connut le tremblement de
parlait aussi de Louise Michel que mon arrière-grand-père terre de San Francisco avant de séjourner en Abyssinie. Elle
hébergea à sa libération de l’enceinte fortifiée de Ducos et s’installa enfin au Maroc où elle arriva avec Lyautey en 1911.
alors qu’elle avait créé une petite école pour enseigner le fran-
çais aux enfants les plus humbles. Les Communards installés Ce survol rapide d’une ascendance démontre la complexité du
dans la colonie gardaient le contact, surtout en fréquentant tissu calédonien. Quel que soit le parcours de mes aïeux, le
la Loge maçonnique située alors sur la colline surplombant la résultat du passage de plusieurs générations sur place, lié à la
cathédrale Saint-Joseph, à l’emplacement actuel de la F.O.L. tradition orale familiale, fait de moi un Calédonien dans l’âme.
En cette fin de xixe siècle, les francs-maçons étaient farou-
chement laïcs et anticléricaux. Ma grand-mère, petite fille, se ●
promenant place des Cocotiers avec ses parents, se souvenait
d’avoir été embarrassée quand son père, croisant un prêtre
en soutane, le saluait d’un tonitruant « Bonjour madame ! ».
Quand il apercevait les sœurs de Saint-Joseph-de-Cluny, il
disait « Tiens, voilà les corbeaux ! ».

53
La Nouvelle-Calédonie
n'est pas vraiment l'eldorado espéré !
C'est une terre de souffrances,
souffrances endurées d'ailleurs
par tous ses habitants,
quelle que soit l'ethnie ;
c'est également
une terre de courage,
et ceux qui s'y accrochaient
finissaient par l'aimer
viscéralement.

Séminam Karimdjo.
Coll. Marc Bouan.
Richesses
du Caillou
Au travail
— Allons, mettons-nous au travail. Nous avons tous besoin
de cet argent. Ne le perdons pas. En venant ici, nous nous
sommes promis de tout subir, de tout accepter, donc au
travail ! répéta-t-elle.
Ils furent conduits vers le dépôt de minerai situé à environ
cinq cents mètres du bord de mer. Ils découvrirent avec joie
d’autres compatriotes, le visage noirci par la poussière, occupés
à dégager le minerai tassé en une colline énorme. Ces hommes
contemplaient du coin de l’œil les nouveaux arrivants avec un
intérêt extrême, sans jamais cesser de travailler. Ils auraient aimé
pouvoir se reposer quelques minutes pour venir saluer, discuter,
s’enquérir des nouvelles du pays. Cela se lisait sur leur visage.
Ming s’approcha de l’un des hommes pour entamer une
conversation, mais la voix de Mainote résonna, menaçante :
— Il est formellement interdit de discuter pendant les heures
de travail !
Puis il s’en alla rejoindre d’autres contremaîtres, abrités sous un
baraquement en bois, pour mieux surveiller ces femmes et ces
hommes qui œuvraient en plein soleil. Les femmes avaient reçu
des pioches, les hommes maniaient de lourdes pelles, et les
nouveaux furent employés à pousser les wagons surchargés de
minerai jusqu’au port.

Jean Vanmai,
Chan Dang, les Tonkinois de la Calédonie
au temps colonial,
SEHNC, Nouméa, 1980.

55
Tel un Eldorado, cette terre attire bon
nombre de chercheurs d’or australiens,
Un Eldorado : de mineurs d’horizons divers,
de pauvres agriculteurs indonésiens…
le sous-sol sans compter les multiples migrations
engendrées par les booms du nickel.
calédonien Petite chronologie des mille
et une merveilles du sol
par Yann Bencivengo ou de l’économie calédonienne
qui suscitèrent bien des tentations.
La Nouvelle-Calédonie peut-elle être comparée à l’El- exploitations plus ou moins durables. Le nickel s’avère
dorado, cette contrée mythique d’Amérique du Sud, être la grande richesse du sous-sol calédonien et reste
supposée receler des richesses minières inépuisables et le seul minerai à être exploité sans interruption de 1873
objet d’une quête incessante, souvent vaine, de la part à nos jours. Afin de disposer des moyens de poursuivre
des conquistadores du XVI e siècle ? leurs recherches, la plupart des prospecteurs s’associent
avec des commerçants de Nouméa par des contrats par-
Fièvre minière fois léonins. En cas de succès, ils sont souvent contraints
Le premier point commun est l’or. Si le charbon a de céder leurs parts à plus puissants qu’eux. D’autres
été le premier recherché, c’est avec l’or que commence s’accrochent. Jules Garnier a fait le portrait saisissant
l’exploitation minière de la Grande Terre. La découverte d’un malheureux Breton, le seul à s’acharner encore
de paillettes près de Pouébo en 1863 fait chavirer les à trouver de l’or à Pouébo en février 1864. En pleine
esprits. La nouvelle, parvenue dans l’Australie voisine, débâcle du nickel en 1877-1878, Édouard Bridon refuse
attire plusieurs dizaines de mineurs anglo-saxons. Le de céder sa mine de Nakéty. Il ne renoncera qu’une fois
gouverneur Guillain rend visite aux prospecteurs et tombé gravement malade d’épuisement, puis se recon-
s’efforce d’encadrer le mouvement par la mise en place vertira dans le journalisme. Dans plusieurs de ses écrits,
d’une réglementation. Enfin, le gouvernement impérial Georges Baudoux raconte la dure existence des coba-
confie à un ingénieur des mines, Jules Garnier, la mis- leurs. Rares sont ceux à qui la mine sourit. La réussite
sion d’étudier les richesses géologiques et minières de la du libéré Bouteiller à Canala est une exception. Le colon
colonie. Fullet de Nakéty, qui exploite avec persévérance la mine
« Bienvenue », aura fort à faire avec la puissante société
Une fois la fièvre de l’or retombée, ce sont succes- Le Nickel.
sivement le cuivre, le nickel, le cobalt et le chrome qui Les grandes sociétés minières, faute de bras sur place,
provoquent de nouvelles espérances et suscitent des font appel à l’immigration. Les Néo-Hébridais sont les

56
Une carrière
à la Tipouet. Voh
Coll. MDVN. MÉMOIRE
de poussières
premiers à participer au mouvement. Mais le caractère venus participer au boom du nickel. L’attrait est tel que,
illusoire des gains promis (Nouméa no good, Nouméa faute de logements, des camps de toiles apparaissent à
no pay), le fort taux de mortalité sur mine et les abus Nouméa. Certains s’improvisent rouleurs et remboursent
des recruteurs assèchent rapidement cette source de en un temps record leur camion acheté à crédit. Mais la
main-d’œuvre. Pour les Javanais et les Indochinois, la crise des années soixante-dix met fin au boom et aux
Calédonie est un Eldorado qui leur permet d’obtenir, au possibilités qu’il offre.
prix de dures conditions de vie et de travail, des ressources
bien plus élevées que celles dont ils disposent dans leur Vers des richesses partagées
pays d’origine. C’est aussi le cas des Japonais, principale- La réussite financière et sociale n’a été une réalité
ment issus des classes pauvres du Kyushu, qui bénéficient que pour un petit nombre. John Higginson (1839-
de la protection de leur gouvernement. Après la Seconde 1904), homme de toutes les affaires de la colonie,
Guerre mondiale, Wallisiens et Tahitiens prennent le mène grand train de vie à Nouméa comme en
relais. La fin des années soixante voit fortement croître Europe. Son associé, Jean-Louis Hubert
le nombre d’immigrants (y compris des métropolitains) Hanckar (?-1890), se fait servir par

57
des domestiques en gants blancs dans sa La controverse née de l’attribution à Inco en juillet
luxueuse propriété de Canala. Lucien Bernheim 2002 du dernier grand gisement répertorié, celui de
(1856-1917) réunit une fortune suffisante pour offrir Prony, est peut-être, entre autres, le signe d’une rupture
et faire transporter à Nouméa l’un des pavillons de dans cet état d’esprit. Si l’importance de ce gisement en
l’exposition universelle de 1900, afin d’y installer une fait une sorte d’Eldorado, son attribution met en même
bibliothèque. Plus tard, c’est principalement grâce à ses temps fin à l’idée de l’existence d’une frontière que l’on
exploitations minières que Henri Lafleur (1902-1974) peut indéfiniment repousser.
fonde une dynastie économique et politique. Dernier Il en est peut-être de même pour la question de la
exemple : Georges Montagnat (1913-1995), alias le Boss, maîtrise de la ressource minière sur laquelle les indé-
qui, s’étant mis à son compte, crée ex nihilo le centre pendantistes de la province Nord bâtissent leur stratégie.
minier de Ouinné en 1969. Enfin, il ne faut pas oublier Les Kanaks, restés longtemps en marge du monde de la
les actionnaires européens pour qui cette île lointaine a mine, y sont entrés progressivement après la dernière
représenté un Eldorado sous forme de dividendes. guerre. Le transfert de la S.M.S.P. à la province Nord en
L’Eldorado suggère aussi l’idée du caractère 1989, l’affaire du préalable minier de 1998 et le pro-
inépuisable des richesses d’un pays frontière. La quête jet d’usine avec Falconbridge marquent une nouvelle
du prospecteur s’apparentait au coup de chasse ou étape de leur implication dans la mine. Mais la mise en
au coup de pêche qu’affectionnent les Calédoniens. valeur du sous-sol calédonien dépend d’un marché qui
Les ressources, apparemment sans limites, du sous-sol fonctionne à l’échelle mondiale et sur le long terme. La
offraient une occasion supplémentaire de faire un coup. ressource minière, qui n’est pas une richesse utilisable à
merci puisque son exploitation est soumise à des condi-
MÉMOIRE tions économiques extérieures à la Nouvelle-Calédonie,
de demain contraint ses habitants à regarder ailleurs.
L’Eldorado minier de la Nouvelle-Calédonie appar-
tient-il au passé parce qu’il est nié par la prise de
conscience de ses limites ? La richesse minière calédo-
nienne, qui présente un cas suffisamment original dans
le Pacifique Sud pour être soulignée, est réelle, mais
désormais envisagée de façon raisonnée, elle ne constitue
plus un mythe.
En revanche, l’Eldorado minier est un trait essentiel
de l’identité calédonienne. Le développement d’associa-
tions consacrées à retrouver et perpétuer le souvenir de
l’activité minière (musée de la Mine de Thio en 1992,
Association pour la sauvegarde du patrimoine minier et
historique du Nord calédonien en 1993, Association de
Usine de Goro.
Coll. Tokiko. Poro en 2002…) en fournit la preuve.

58
MÉMOIRE
de cliquetis

Roue-pelle à Thio.
Coll. Service des archives
de Nouvelle-Calédonie.

59
G E
NA
IG
M

O
Intégration Par un jour de septembre 1910, sur la mine de Béchade,
à Kopéto, dans la commune de Poya, s’active un groupe
et sagesse de travailleurs d’origine asiatique exécutant des tâches de

orientale manutention et de transport de minerai de nickel. Parmi eux,


le matricule 504, Bouan. Il s’agit d’engagés venant de l’Indo-
par Marc Bouan nésie, nommée alors les Indes néerlandaises, pour travailler
sous contrat en Nouvelle-Calédonie. On les nommait égale-
ment coolies javanais ou travailleurs exotiques ; cette der-
Venus vers une terre pleine de promesses, nière appellation désignait également les engagés tonkinois.
les Indonésiens connurent surtout une vie Présents sur l’île depuis le 16 février 1896, les engagés java-
de soumission. Parcours d’une famille nais étaient en proie à une grande pauvreté et à la famine qui
sévissait chez eux et avaient signé des contrats de cinq ans,
javanaise, composante avec promesse de retour, pour venir travailler en Nouvelle-
du melting-pot calédonien. Calédonie. Dans le territoire régnaient des besoins chroniques
de main-d’œuvre à bon marché, rendus encore plus aigus par
l’arrêt du bagne entraînant la fin du recours à la main-d’œuvre
MÉMOIRE pénitentiaire, et surtout par la mise en œuvre du grand projet
d’intégration de colonisation du gouverneur Feillet. En particulier, et en
vertu de l’arrêté du 10 janvier 1903, donnant satisfaction aux
interventions pressantes des exploitants miniers, Bouan fait
partie du premier contingent de travailleurs javanais pouvant
être affectés aux travaux sur mine. Auparavant, les engagés
javanais étaient employés essentiellement aux tâches agri-
coles et à la domesticité.

Grand-père Java
Bouan est relativement satisfait, malgré les dures conditions
quotidiennes de travail : la saison fraîche, qu’il redoute tant,
surtout qu’il dispose d’une dotation réduite en vêtements, est
passée. En effet, le climat est rigoureux sur les hauteurs des
massifs de la région ; ne dit-on pas que la surface de certaines
étendues d’eau s’y trouvant se fige quelquefois, à la limite du
Pierre Bouan gel ? Qu’il est loin de son pays natal, où la moindre baisse de
et sa femme, Séminam. température de la moiteur tropicale fait frissonner le natif qui
Coll. Marc Bouan.
se plaint en disant : « Adem » (il fait froid) ! Bouan est même
heureux, car il va bientôt bénéficier de trois jours de repos
officiel du nouvel an javanais, pendant lesquels il pourra mieux
s’occuper de son fils, Pierre Tareb, qu’il élève seul.

60
Non loin de là, dans les communes de Koné et de Pouembout, Être Indonésien calédonien
vivent Karimedjo matricule 200 et Djoeminem, matricule
Ce qu’il paraît opportun de retenir de ces itinéraires, comme
201-6592, mariés de façon javanaise. Lui travaille sur les
de ceux de beaucoup d’autres, c’est qu’il y a un passé, sou-
plantations de café ou de coton ; elle est affectée aux travaux
vent douloureux, à ne pas oublier, un présent à vivre et un
de domesticité auprès des familles de colons. Ils doivent se
futur à construire.
rendre régulièrement chez le syndic (le gendarme) pour faire
Partis de rien, par la force des choses, les anciens
remplir et viser leur livret d’engagé. Leur labeur est pénible
« Javanais » sont parvenus, malgré les épreuves, à édifier
et aléatoire, mais ils élèvent dignement leurs quatre enfants.
les fondements relativement stables de ce qui fait la commu-
En raison de la prise en charge d’une véritable famille et
nauté indonésienne d’aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie.
d’autres difficultés matérielles, leur rapatriement, prévu dans
Cette communauté, maintenue vivace par des activités
le contrat, ne peut être assuré ; la résidence libre sur le ter-
culturelles, récréatives et gastronomiques qu’elle fait parta-
ritoire, prévue par l’arrêté du 9 août 1898, leur est accordée.
ger, est fondée sur des valeurs profondes. Parmi celles-ci,
Ils s’adonnent alors au métayage préconisé pour la première
figure la concorde. Les Indonésiens savent vivre en paix non
fois par le gouverneur Guyon en 1925. Leur quatrième fille se
seulement entre eux, mais cohabitent en bonne entente avec
prénomme Séminam : son destin croisera celui des Bouan.
les membres d’autres groupes ethniques. Considérés généra-
lement comme travailleurs réguliers et consciencieux, leurs
Parcours de Pierre Bouan
relations sont empreintes de cordialité.
Bouan meurt brusquement, laissant orphelin son fils Pierre, âgé On ne déplore quasiment pas de délinquance parmi eux et
de neuf ans. Pierre est recueilli par une famille de colons et leur assimilation de la culture française est effective. Leur
doit travailler très tôt. La Nouvelle-Calédonie n’est pas vraiment intégration est très ouverte et débouche sur un taux élevé de
l’eldorado espéré ! C’est une terre de souffrances, souffrances mariages mixtes. Ils intègrent doucement toutes les couches
endurées d’ailleurs par tous ses habitants, quelle que soit de la société calédonienne. Ils peuvent apporter une contribu-
l’ethnie ; c’est également une terre de courage, et ceux qui tion appréciable à la vie en Nouvelle-Calédonie.
s’y accrochaient finissaient par l’aimer viscéralement ! Pierre On dit que le peuple indonésien, qui est issu d’un très grand
est ensuite employé par la société japonaise Tsutsui à Koné, où éventail d’ethnies existantes dans leur archipel, peut être
il apprend plusieurs métiers, dont celui de tailleur-coiffeur. Il caractérisé par le « tiga S » : S de sabar, pour patient, le
épouse par la suite Séminam et obtient en 1949 la nationalité deuxième S de senyum, c’est-à-dire sourire, et le troisième S
française. Pierre et Séminam s’établissent définitivement à de sopan qui veut dire courtois. Les Indonésiens sont ainsi un
Koné et ont cinq garçons et deux filles mais seuls trois enfants peuple patient, souriant et courtois. Dans notre vie moderne
survivent : une fille gravement handicapée, une autre qui se rapide, où dominent la compétition et quelquefois l’agressivité,
marie avec un métropolitain et part habiter en Normandie, et l’Indonésien peut se trouver un peu « décalé ». Il lui appar-
un garçon. Celui-ci obtient en 1964 le premier baccalauréat tient d’utiliser ses capacités d’adaptation afin qu’il puisse
technique (maths et techniques) préparé sur le territoire, garder l’harmonie en toutes circonstances.
grâce à la formation assurée conjointement, à cette occasion,
par le collège Lapérouse et le collège technique. Il épouse ●
une Calédonienne d’origine européenne et fait carrière dans
l’administration des Travaux Publics. Le premier de ses deux
enfants a obtenu sa maîtrise en mathématiques et informatique
et termine ses études d’ingénieur à Paris.

61
Comme nos aînés avant nous,
nous étions internes
et ne rentrions dans nos familles
que le 15 décembre,
fin de l’année scolaire.
Nous avions cinq jours de classe
(exepté le jeudi), à raison de trois
à quatre heures de cours par jour,
et trois heures à trois heures
et demie de travaux
dans les champs.
Vu l’absence de bourses,
nous étions obligés de planter
ce que nous mangions.

Étienne Zongo.
Coll. É. Zongo.
Coutume
et indigénat
Sur des cailloux blancs
Mes ancêtres ont gravé leurs noms
C’est sur des vêtements blancs
Que la Lumière est arrivée
C’est sur un bateau blanc
Qu’ils ont débarqué

Sur un système blanc


Que mon peuple se divise
Sur un mur blanc que brûlent
Les graffiti de la Révolution
Sur un papier blanc
Que tu as signé la paix

Noir sur blanc


Tu as combattu l’indifférence
Noir sur blanc
Le noir t’a trahi
C’est une assemblée de Blancs
Qui décide de ton avenir

Rien que sur du blanc


Repose ma vie
Ciel blanc
Pour mon drapeau de couleurs
Jour blanc
Pour ma souveraineté

Qu’elle vienne
Avant
Que dans un cercueil blanc
La Mort
Ne m’emporte
Vers un nouveau monde Sur du blanc
Pierre GOPE,
in S’ouvrir,
© édition L’Herbier de Feu,
Nouméa, 1999.

63
Fractures
Plusieurs révoltes kanak ont jalonné
l’histoire de la Nouvelle-Calédonie.

et culture
Pourtant, bien que le « vivre ensemble »
fut imposé aux Mélanésiens
et à bien des colons, une certaine osmose
métissée… s’est créée entre les deux populations.
Métissage pratique de la nourriture,
150 ans de vie commune métissage festif de cérémonies, métissage
par Claude Cornet de sang… Vision des heurts mais aussi
des petits bonheurs partagés
entre les ethnies.
L’histoire de tout pays est faite d’affrontements violents et Yenghébane. Neuf marins français, un pilote anglais et
de larges périodes de cohabitation heureuse, d’espérance un Canaque de Hienghène sont massacrés.
en un avenir meilleur. Les violences, les guerres, font Le 22 septembre 1853, lorsqu’il vient prendre pos-
toujours l’objet d’études approfondies, leurs causes sont session de la nouvelle colonie avec Le Phoque, c’est à
recherchées, analysées par les historiens. Par devoir de Balade que l’amiral Fébvrier-Despointes jette l’ancre,
mémoire, ces événements sont rappelés dans les manuels à l’endroit même où Cook a découvert « sa nouvelle
scolaires afin que les nouvelles générations sachent quels Calédonie », où d’Entrecasteaux a lui aussi mouillé. Là
drames ont vécu leurs ancêtres. La Nouvelle-Calédonie où le capitaine de corvette d’Harcourt, commandant de
n’échappe pas à cette règle, et, depuis un siècle et demi, L’Alcmène, a longtemps et vainement attendu le retour
les moments les plus graves de son histoire sont l’objet de de ses canotiers.
publications et d’analyses spécifiques.
La nouvelle possession se développe lentement, très
Installation coloniale lentement. Pendant la première décennie, les nouveaux
Il est utile de rappeler que, sur notre île, le pre- arrivants apportent, bien malgré eux, leur lot de bien-être
mier affrontement entre marins français et population et de malheurs : les vices que sont l’alcool et le tabac, s’ils
autochtone s’est produit avant la prise de possession de frappent l’ensemble de la population calédonienne, font
la Nouvelle-Calédonie, lorsqu’une partie de l’équipage surtout des victimes chez les Mélanésiens. Les maladies,
de la corvette L’Alcmène, qui était restée au mouillage à les épidémies, bénignes chez les Européens, font des
Balade, s’est fait massacrer. Le 2 décembre 1850, au lever ravages en tribu. Malgré les révoltes constantes et les
du jour, des canotiers, effectuant une reconnaissance rudes répressions, les contacts humains s’instaurent :
du Nord calédonien, tombent dans un guet-apens à les premiers colons, aventuriers, militaires congédiés,

64
MÉMOIRE
commencent à s’installer. Ils sont tout aussi pauvres
de chef
que leurs voisins des tribus et ont vite appris à partager
leurs langues, leurs coutumes, leur vie tout simplement.
Déjà, issues de ces contacts interethniques, entre 1862 et
1870, dans les régions de Wagap, Hienghène et Pouébo,
environ une trentaine de naissances d’enfants métis
sont officiellement déclarées. Sur l’acte, l’officier d’état
civil précise bien que leurs mères sont des « femmes
indigènes de la tribu » et qu’ils sont reconnus par leur
père, un soldat ou un colon.

De la violence…
Avec l’instauration du bagne, c’est l’arrivée d’une
importante population pénale qui va lentement détério-
rer les relations, déjà fragiles, entre les deux communau-
tés. Rien n’est fait pour valoriser le travail des transportés
aux yeux des indigènes : ils sont considérés avec mépris.
L’extension tentaculaire et les besoins de plus en plus
importants de l’administration pénitentiaire en terres
et en vivres, l’arrivée de 4 000 déportés de la Commune
installés dans le Sud vont incommoder de plus en plus Ataï, tiré de L’Illustration. Coll. L. Bounet.
les populations mélanésiennes.
Après la délimitation des terres autour du pénitencier En une fraction de seconde, un coup de hache sur un
de Uaraï, les Canaques voient leur espace traditionnel de libéré, les relations de bon voisinage se transforment en
plus en plus menacé. La cohabitation avec les conces- haine. À certains de leurs voisins, les indigènes avaient
sionnaires pénaux n’est toujours pas sereine et, à la fin coutumièrement offert des terres ; depuis une dizaine
de l’année 1877, une grande période de sécheresse a lieu. d’années, chacun avait initié l’autre à sa manière de
Les éleveurs installés dans le Sud et dans la région de vivre ; des hommes, des femmes offraient du chocolat
Poya possèdent d’énormes troupeaux de bovins destinés aux enfants, la pipe et le tabac bâton aux adultes. Que les
au ravitaillement des troupes et de la colonie péniten- échanges se soient faits le plus naturellement du monde,
tiaire. Ces troupeaux, déplacés par leurs propriétaires qu’on ait troqué un panier de fruits ou d’ignames contre
dans des zones naturellement irriguées par les rivières, du sucre, des étoffes ou des outils, tous ces rituels sont
à Boulouparis, La Foa, Moindou, mais non clôturées, instantanément oubliés.
vont alors saccager les cultures vivrières des indigènes. La révolte survient comme un coup de
Toutes les conditions vont ainsi se trouver réunies pour foudre : les 25 et 26 juin 1878, cent vingt-
que survienne la grande révolte de 1878. cinq personnes sont massacrées à la

65
Triste
MÉMOIRE

Massacres lors
de la révolte de 1878,
tiré de L’Illustration. Coll. L. Bounet.

Foa et Boulouparis - hommes, femmes et enfants, colons, de tout le pays. Les terres des Mélanésiens révoltés sont
militaires, transportés ou libérés qui ont eu la malchance confisquées, les survivants déportés à l’île des Pins et aux
de se trouver sur le chemin des insurgés. Le centre de la îles Bélep et ils ne pourront retrouver leurs racines que
côte Ouest s’embrase progressivement jusqu’à Poya. Les des années plus tard.
officiers français pensent maîtriser rapidement ce début
d’insurrection, mais leurs troupes sont peu nombreuses,
… à la cohabitation
et les Canaques connaissent parfaitement tous les sen- À la fin du XIXe siècle, la grande révolte de 1878
tiers, les grottes et les profondes vallées où ils disparais- reste ancrée dans les mémoires. Le régime de l’indigénat
sent en un clin d’œil. régule le monde mélanésien. Mais, avec le temps, les
C’est avec l’aide des chefs des tribus de Canala, qui douleurs s’estompent, la confiance reprend lentement,
seront longtemps considérés comme des traîtres par leurs en ville comme en brousse, surtout en brousse.
pairs, que l’armée française viendra à bout de la révolte, Alors on partage, chez certains, les « coups de fête »
à la fin du mois de février 1879. L’insurrection aura comme on partage les corvées : la rentrée et l’abattage du
duré huit mois, deux cents colons ont trouvé la mort, et bétail avec les Mélanésiens, la cueillette du café avec les
certainement plus de cinq cents insurgés. À ce triste bilan métayers javanais, moments de joies intenses et de tra-
humain, il faut ajouter la détresse des habitants, la ruine vail partagé. Après la partie de chasse, le colon apprend

66
M É M dOe Ic R
a mEp e m e n t

Pique nique. Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

Néaoua, 1907. Coll. Maurice Afchain.

MÉMOIRE
simple
67
MÉMOIRE
de jeux et de flonflons
Mariage
de Jules Debuire
MÉMOIRE
et Cécile Goisavost. Coll. Jerry Delathière.
de noces
à son voisin à saler le gibier, ce dernier lui montre com- Les indigènes qui travaillent dans la capitale n’ont pas
ment il fume son poisson pour le conserver. La cuisinière besoin de cette occasion pour se regrouper et organiser
européenne consomme le chou canaque, et les cœurs de des fêtes spontanées : ainsi, lors des pilou-pilou sur la
citrouille au lait de coco ; la Mélanésienne fait cuire du place, à l’occasion du 24 septembre ou du 14 juillet, la
riz ou des pommes de terre dans une marmite en fonte. fête tourne souvent à l’euphorie, le bidon sert de percus-
C’est tout un échange de cultures qui s’instaure. On sion, les esprits s’échauffent au rythme du sifflet et du
n’en a malheureusement pas fini avec les drames et les martèlement des pieds. Un peu à l’écart, au bord de la
affrontements. baie, les Loyaltiens interprètent leurs chants traditionnels
En 1917, alors que les tirailleurs sont partis se battre jusque tard dans la nuit.
pour la France, la révolte gronde dans le nord-est de la C’était il y a cinquante ans ! D’autres cassures se
Grande Terre. Le motif des mécontentements est le même sont produites, des accords ont été trouvés, et c’est dans
que quarante ans auparavant : la propriété des terres, les le calme et la sérénité que les Calédoniens ont franchi le
ravages causés par le bétail. cap de l’an 2000, en souhaitant que leurs descendants,
La Nouvelle-Calédonie célèbre ses cent ans dans de plus en plus métissés, soient tous fiers de
la liesse. À Nouméa, les fêtes du centenaire se veulent leurs origines et de leur pays.
grandioses et tous les habitants sont invités à y participer.

69
Jeu des fêtes du 14 juillet.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.
GN AGE
OI
ÉM
T Le lignage mier, issu de Ehu, n’avait eu qu’une fille Idroue ; le second,
prénommé Amabili, n’avait eu lui aussi qu’une fille Nenema.
Zongo En récompense des services rendus, Amabili, devenu âgé, a
par Étienne Zongo désigné Zongo, originaire de Ehu, qui habitait à Tanna avec ses
deux garçons, Etienne et Célestin, pour prendre sa succession
comme chef de Hneumete.
Retour sur la vie kanak entre coutume et
religion, entre indigénat et citoyenneté. Descendance des Zongo
Protestant, Zongo s’est converti au catholicisme en vue de
Fusion des savoirs… sa nouvelle responsabilité, mais surtout parce que la Grande
Chefferie avait adopté la religion catholique.
MÉMOIRE À cette époque, on était totalement influencé et soumis à la
de fidélité coutume, qui était très liée à la religion, puisque le Grand Chef
a été l’un des premiers à adhérer au catholicisme. Dieu et le
Grand Chef étaient d’ailleurs inséparables, voire confondus. Et
ainsi, bien souvent, le Grand Chef primait sur Dieu, car son
autorité vient de Dieu, il est même issu, voulu de Dieu.
À la même époque, en 1875, les frères maristes s’installent à
Nathalo – Lifou - et ouvrent une école avec quasiment rien,
mais dans la bonne humeur. Ils en repartent en 1898 faute
d’élèves. Pourtant, cette école a été une réussite, puisque
plusieurs anciens élèves arrivent à se débrouiller comme
moniteurs, commerçants, artisans, charpentiers… Même l’un
d’eux est devenu éditeur d’un petit journal local.
Prenant la suite de son père Zongo, Etienne, appelé en Drehu
Akaqane, est devenu chef de clan. Son fils, Pierre, planton de
gendarmerie à Chépénéhé, n’a eu aucune progéniture. Quant
à Célestin, dit Wanakahmie, ancien combattant de la Grande
Guerre, il a eu quatre garçons et deux filles.
50 ans
Pour ces générations, pas de toilette le matin, vu la pénurie
de mariage d’eau. Chaque jour, dans la mesure du possible, les enfants
de Paul Zongo. Coll. É. Zongo.
allaient à l’école, en passant d’abord par l’église pour assister
à la messe du matin. La messe terminée, les classes com-
Autant que je me souvienne, l’ancêtre de notre famille a été mençaient aussitôt, sans petit déjeuner, ni quoi que ce soit à
un certain Wazetra, le benjamin de la Grande Chefferie qui croquer, pour se terminer en milieu de matinée. À tour de rôle,
a été intronisé chez nous, à Hneumete. Il était donc chef de ceux qui étaient de corvée emmenaient les vaches paître sur
clan à Hneumete. Cela peut correspondre à 1853 ou avant. le plateau pour le reste de la journée. Les autres rejoignaient
Ont succédé à Wazetra deux chefs de Hneumete : le pre- leurs parents dans les champs et y demeuraient jusqu’au soir.

70
Ainsi n’avaient-ils par jour qu’un seul repas principal, celui de carême, le père Luneau envoyait habituellement ses caté-
midi, car le soir ils consommaient les restes du déjeuner de chistes, deux par deux, prêcher des retraites dans les missions
midi. Le régime des enfants était maigre et frugal. et les différentes paroisses du Territoire. Une ou deux fois,
Aller à l’école consistait surtout à apprendre par cœur ses Papa, accompagné d’un autre collègue, est venu à pied, de
prières du matin, du soir, et l’angélus, ainsi que son caté- Canala à Nouméa, en traversant la chaîne par Ouipoint et
chisme que l’on devait connaître sur le bout des doigts. On Coindé, pour prêcher la retraite pascale à la paroisse de Saint-
apprenait également à chanter des cantiques et le grégorien. Jean-Baptiste. À l’époque, que des laïcs mélanésiens prêchent
Puis étaient abordés des rudiments de lecture et de calcul. à des Européens, c’était inhabituel, voire impensable !
Pour son premier poste, de 1945 à 1950, Papa est nommé
Internat des frères maristes à Saint-Louis catéchiste des non-Européens de Nouméa. Basé à la paroisse
Les élèves qui avaient quelques prédispositions scolaires de Saint-Jean-Baptiste, il s’occupait indifféremment de tous,
étaient envoyés comme internes à Saint-Louis afin de pour- aussi bien des Mélanésiens des Iles que de la Grande Terre,
suivre leurs études. Dans la famille Zongo, seuls deux garçons, des Vietnamiens que des Indonésiens… Pour ces derniers,
Humuni Paul et Luatre Patrice, suivent cette voie. il travaillait avec le père Zimerman, aumônier en titre des
Ses études terminées, Humuni Paul rentre à Lifou et devient Javanais. Nous habitions alors dans le garage du curé de Saint-
d’abord vendeur-magasinier. Il s’occupe surtout de l’achat Jean-Baptiste, un petit réduit d’un seul tenant, servant aussi
du coprah. Suite à une mésentente avec son employeur, il bien de chambre à coucher que de salle de séjour, cuisine et
se sauve à Nouméa et trouve un emploi de manœuvre à la salle à manger. Et cela pour une famille de trois enfants ! Papa
société Le Froid. Puis, par je ne sais quel hasard, il se retrouve restait très rarement à la maison. Il rendait visite aux familles,
sacristain à la cathédrale, grâce au père de Mijola, ancien curé ainsi qu’aux malades à l’hôpital. Il s’occupait aussi beaucoup
de Dueulu, alors aumônier des scouts à la cathédrale. des couples en situation « irrégulière ». Papa était passionné,
préoccupé de ce qu’il faisait, tout entier à son travail, qu’il
Catéchiste aux îles comme à Nouméa : accomplissait rigoureusement, comme une mission.
le parcours de Paul En 1950, à la demande du père Plasman, Paul Zongo Humuni
devient moniteur et va le seconder pour la centralisation des
De 1898 à 1950, durant plus de cinquante ans, l’école de
écoles catholiques de Lifou à Nathalo. Toute la famille le suit.
la Mission de Lifou est en nette régression. Devant ce recul
En 1970, suite à de sérieux problèmes de santé, il éprouve
scolaire, à la demande du père Levavaseur, Humuni Paul
de plus en plus de difficultés à assurer son travail. Cela le
revient à Lifou en 1937 et devient moniteur des garçons à la
tracasse tellement qu’il n’en dort pas la nuit. Effectivement,
Mission d’Eacho, où il y avait également une école des filles
la réflexion pédagogique, la préparation des cours, la conduite
tenue par des Petites Filles de Marie. Sur les conseils et les
de la classe, avec les difficultés des élèves, tout cela cumulé
recommandations insistantes du curé et des religieuses, Paul
l’épuise réellement. Acculé en quelque sorte par la fatigue, il
se marie avec une fille de l’école, Eulalie Hatré Waheoneme.
demande alors à bénéficier de la retraite. Libéré des tâches
Sa famille va compter jusqu’à onze enfants, dont dix encore
de pédagogie scolaire, il s’adonne plus complètement et plus
vivants actuellement.
à fond à sa mission de catéchiste.
En 1940, le père Levavaseur suggère à Paul de devenir
catéchiste en allant suivre la formation dispensée par le père
Luneau à Canala. Il ira jusqu'en 1945. Lors de la période de

71
Membre fondateur de l’UICALO, il seconde Luc Wade. En matière de fournitures scolaires, à cette époque, à Nathalo,
Pourtant, Papa n’est jamais entré en politique. Avait-il une il n’y avait presque rien. Les premiers bureaux d’élèves étaient
ligne de conduite bien définie ? Je n’en doute pas ! Mais on faits de bric et de broc, et tous étaient de guinguois. Dans la
n’en a jamais parlé ensemble. classe, seul le maître disposait de livres. Les élèves, rien. Pour
écrire et faire leurs exercices, ils avaient un carré d’isorel de
De l’école des îles à la direction 40 cm x 40 cm en guise d’ardoise, sur lequel ils écrivaient à
de la DDEC : mon propre parcours la craie blanche.
En 1947, j’entre en CP à l’école mélanésienne de Sainte-Marie À Nathalo, pour cause de centralisation des trois écoles catho-
à Païta. L’école européenne, tenue par les frères maristes, liques de la mission de Lifou, tous les élèves de Dueulu et de
est celle du Sacré-Cœur à Nouméa. En 1949, après un long Muj (c’est-à-dire originaires de Eacho, Mucaweng, Hunete)
voyage en camion, j’intègre l’école Saint-Tarcisius à Canala et étaient internes. Ceux de Dueulu revoyaient leurs parents un
y reste jusqu’à fin 1950. En 1951, je suis scolarisé à Saint-Léon week-end tous les trois mois, lorsque le père Plasman s’y ren-
à Païta. Une pneumonie interrompt alors ma scolarité et, en dait avec le camion de la mission. Quant aux élèves-internes
1952, j’ai un an de convalescence à Nathalo. de Muj, ils revoyaient leurs parents un dimanche sur deux, à
À Païta, Canala, Azareu, la rentrée scolaire avait lieu le 1er Eacho, lorsque le curé se déplaçait en camion avec les enfants,
mars. Comme nos aînés avant nous, nous étions internes et ne à la fois pour la messe dominicale et pour, le soir, ramener les
rentrions dans nos familles que le 15 décembre, fin de l’année produits vivriers destinés à nourrir les internes, pour toute la
scolaire. Nous avions cinq jours de classe (exepté le jeudi), semaine. Étaient également internes toutes les filles et tous
à raison de trois à quatre heures de cours par jour, et trois les garçons de Nathalo, à partir du CM1. Les plus âgés avaient
heures à trois heures et demie de travaux dans les champs. dix-huit, dix-neuf voire vingt ans (aussi bien chez les filles que
Vu l’absence de bourses, nous étions obligés de planter ce que chez les garçons). Le père Plasman voulait les soustraire à
nous mangions. l’influence sociale néfaste des tribus de Lifou.

Frédéric et ses élèves à Belep.


Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

72
MÉMOIRE
d’écolière trouvant plongé dans mes exercices d’algèbre et de géométrie,
me proposa, si je le voulais, d’aller poursuivre mes études en
métropole. Ne mesurant pas trop les enjeux ni les difficultés
d’une telle entreprise, j’ai accepté. Et me voici, dès février
1958, en métropole, à Nantes précisément, à l’école Ozaman.
J’étais accompagné d’un collègue originaire de Bélep, Charles
Teamboueon. C’était un de mes anciens élèves d’Azareu.
Je ne sais toujours pas maintenant comment l’évêque s’est
débrouillé pour nous faire obtenir, à Charles et moi, une
bourse du territoire. Il est vrai qu’à ce moment-là, c’était la
période de la Loi-Cadre. Au gouvernement, nous avions des
ministres locaux. Je me souviens du ministre de l’Éducation,
M. Leborgne, auteur de la géographie de Nouvelle-Calédonie.
En tout cas, je suis resté quatre ans et demi en métropole
pour des études secondaires, car, à cette époque, les possi-
Le réfectoire bilités locales, pour nous, élèves mélanésiens, étaient nulles
et la cuisine de l'école
protestante des filles de Men'ko (Houaïlou),
sinon très limitées. N’ayant pas eu des bases solides dans les
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie. matières principales, j’ai échoué à ma première partie de Bac
moderne en juin 1962. Et je suis rentré au pays en octobre
En 1953, année du centenaire de la prise de possession fran- de la même année. Après deux à trois semaines de repos en
çaise de la Nouvelle-Calédonie, j’intègre l’École des moniteurs famille, dès novembre 1962, j’ai assuré, pendant un mois et
d’Azareu à Bourail et obtiens en 1954 mon Certificat d’études demi, la remise à niveau des élèves en difficulté de 6e et 5e,
primaires (CEP) à Houaïlou (centre d’examen). Fin 1955, je au Sacré-Cœur de Bourail. puis en 1963, j’ai eu en charge une
décroche le CAPEA, le Certificat d’aptitude pédagogique à classe de 6e à Azareu. Ensuite, en tant qu’instituteur, j’ai été
l’enseignement autochtone. Ce diplôme m’autorise désormais nommé à l’école catholique de Nathalo dont je suis devenu le
à enseigner seul. À la rentrée de 1956, j’hérite de toute la directeur en 1969…
responsabilité des CM1, CM2, FEP1 et FEP2. Durant les Ayant été un des membres initiateurs d’un enseignement du
années 1956 et 1957, j’ai travaillé le programme d’algèbre et second degré catholique à Nathalo dans les années 1978-1979,
de géométrie de 6e et de 5e. J’ai fait de même pour l’anglais j’ai été appelé pour des responsabilités plus administratives à
avec, ici, l’aide d’un « répétiteur » bénévole et volontaire, la DEC de Nouméa, dont je suis le directeur depuis quatorze
Monsieur Cadet. Pourquoi cela ? ans maintenant.
Il me semble qu’à l’époque, l’accès au collège pour des
Mélanésiens était interdit. Si ce n’était pas le cas, les ●
modestes moyens de nos parents nous l’interdisaient concrè-
tement. Donc, c’était du pareil au même !
Au cours de 1957, lors d’une visite épiscopale du nouvel
évêque, Monseigneur Pierre Martin, à Azareu, ce dernier me

73
Des Calédoniens répondent à l’appel
du 18 juin en créant des « comités de Gaulle »
en brousse à partir du 17 août.
Une milice civique, forte d’environ
2 000 gaullistes calédoniens, se forme.
Dès le 3 mai 1941,
sous le commandement
du lieutenant-colonel Félix Broche,
se rassemblent des Néo-Calédoniens
et des Néo-Hébridais
de tous statuts ainsi
que des Tahitiens,
Le 5 mai, 605 volontaires
quittent la Nouvelle-Calédonie.

Capitaine Georges Dubois.


Coll. A. Dubois.
Calédoniens
et patriotes
A u x r i v e s d u Te m p s
[…]
La guerre ne commence
que cent ans
après le dernier combat
Les peuples sont ruminants
à lente panse

Ils remâchent les siècles


et ne sentent bien
que le goût du passé
Le présent les occupe
les inquiète et les excite
Le présent
est dangereuse machine
à tout écarter

Le passé rassemble

Nous sommes
en instance

Jean Mariotti,
Sans titre,
édition Rougerie,
Mortemart, 1969.

75
D’une guerre Bien que la guerre s’impose à chaque

à l’autre… fois différemment aux Calédoniens,


Français des antipodes, ils répondent
par Sylvette Boyer d’un même élan à l’appel de la mère
patrie en danger.
MÉMOIRE
alliée
Conséquences en Nouvelle-Calédonie
des guerres mondiales
En 1914, La Nouvelle-Calédonie est entourée de pays
alliés : l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon. Vingt
ans plus tard, le Japon est dans le camp adverse. La mon-
dialisation de la guerre est à chaque fois plus précoce dans
la colonie qu’en métropole. Le Montcalm, navire-amiral
de la flotte française d’Extrême-Orient rejoint, dans le
Une cérémonie
port de Nouméa dès le 22 août 1914, l’escadre australa-
militaire avec les sienne, en partance pour la prise de possession des colo-
troupes alliées devant
le monument aux morts de Nouméa. nies allemandes d’Océanie. Durant quelques semaines,
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.
d’août à septembre 1914, la Nouvelle-Calédonie est le
La Nouvelle-Calédonie est souvent qualifiée de « terre centre opérationnel des marines inter-alliées et la France
violente ». Entre les révoltes indigènes et la participation joue un rôle non négligeable d’assistance à l’escadre
aux guerres mondiales et de décolonisation, ses popu- britannique pour s’emparer des colonies allemandes
lations, tout comme celles des contrées dites « civilisées océaniennes. Mais, dès la fin de la prise de possession de
», ont été en permanence confrontées aux départs de celles de Micronésie par le Japon, début janvier 1915, et
combattants, à la souffrance et à la mort. Depuis l’ins- la certitude qu’aucun corsaire allemand ne menace la
tallation d’Alsaciens-Lorrains exilés après la défaite de la sécurité de la colonie, celle-ci se replie sur elle-même,
France en 1871, ou de quelques Calédoniens enrôlés dans trop lointaine pour approvisionner la métropole en pro-
la guerre des Boers, l’engagement patriotique, parfois duits agricoles ou miniers.
plus ou moins volontaire, des habitants de la « France Lors de la Deuxième Guerre mondiale, la Nouvelle-
australe » n’a jamais fait défaut. Et par ailleurs, sans Calédonie devient une des principales bases militaires
équivalent est l’histoire du BMP, bataillon du Pacifique alliées du Pacifique Sud contre l’expansion japonaise en
de la Grande Guerre au bataillon d’infanterie de marine Asie du Sud-Est et dans le Pacifique. Dès mai 1941, les
et du Pacifique de 1940-1945. Australiens de la Robin Force installent les batteries du
76
Ouen Toro et débutent la construction de l’aérodrome de les membres d’un conseil d’administration dirigeant la
Tontouta. Ils établissent le contrôle des communications Nouvelle-Calédonie, composé uniquement d’Européens.
entre les États alliés à travers le Pacifique et vers l’Asie Il crée une milice civique forte d’environ 2 000 gaul-
du Sud-Est. Le 12 mars 1942, la Poppy Force (17 000 listes calédoniens. Le 5 novembre 1941 arrive l’amiral
Américains), commandée par le général Patch, débarque d’Argenlieu, haut-commissaire de la France libre dans
à Nouméa, elle deviendra l’United States Army Force in le Pacifique, envoyé par de Gaulle. Soutenu par Michel
New Caledonia. La Nouvelle-Calédonie est désormais le Vergès et ses amis, il s’oppose au gouverneur Sautot qu’il
centre des forces alliées du Pacifique, leur « porte-avions renvoie le 5 mai 1942. Il fait déporter à Walpole quatre
» dans la bataille de la mer de Corail et leur base de ravi- gaullistes, Pierre Bergès, Emile Mouledous, Raymond
taillement. De juillet 1942 à février 1943, la Grande Terre Pognon et Elie Solier. D’Argenlieu est désavoué par la
devient le point d’appui des forces américano-australa- population qui l’arrête à La Foa le 9 mai. Le général
siennes qui participent à la bataille de Guadalcanal puis Patch intervient alors dans la vie intérieure de la colonie,
à la reconquête des Salomon. Puis, de fin 1943 à 1945, libérant l’ensemble des prisonniers le 10 mai. L’arrivée
elle sert de base arrière dans la tactique de reconquête des du gouverneur Montchamp ramène un certain calme.
archipels océaniens par les alliés. Pour la première fois, la Nouvelle-Calédonie aura connu
une autonomie de gestion, épisode sans suite avant
D’un gouvernement autoritaire longtemps.
à une forme d’autonomie
La Grande Guerre ne modifie pas considérablement D’un monde colonial inchangé
la vie institutionnelle calédonienne, seules les élections vers la citoyenneté
prévues sont reportées à la fin de la guerre. Chef de la Lors de chacun des deux conflits mondiaux, les
colonie, en poste jusqu’après l’armistice, le gouverneur citoyens des puissances ennemies sont arrêtés et expul-
Repiquet obéit aux instructions en cas de guerre que sés, ainsi, de nombreux Allemands en 1915 et, en 1942,
chaque gouverneur a en sa possession depuis 1912. plus de mille Japonais, installés parfois depuis plusieurs
La Deuxième Guerre mondiale est au contraire le années et ayant fondé une famille. Colonie trop éloignée
moment où s’exacerbent les tensions entre Calédoniens, de la métropole pour subvenir, comme d’autres, à ses
accompagnant la « valse » de cinq gouverneurs en cinq besoins en matières premières ou en produits agricoles,
ans. La population est divisée entre les partisans de l’État la Nouvelle-Calédonie participe à l’effort de guerre par
national du maréchal Pétain et ceux qui soutiennent une participation accrue pour l’emprunt national puis
le général de Gaulle qui a appelé à continuer la lutte pour les collectes de fonds et les aides aux soldats au
depuis les colonies. Des Calédoniens répondent à l’ap- front. Au pays, les familles des combattants, malgré les
pel du 18 juin en créant des « comités de Gaulle » en aides, vivent souvent dans la misère et la souffrance.
brousse à partir du 17 août. Les gouverneurs Pélicier Isolés, tributaires des communications mari-times, les
et Denis, vichystes, sont suivis du gouverneur Sautot, Calédoniens se rapprochent de l’Australie. Les
nommé par le gouvernement de la France libre, qui Mélanésiens restent soumis au régime de
arrive à Nouméa le 19 septembre 1940. Sautot nomme l’indigénat.

77
MÉMOIRE
de guerre

Groupe
de tirailleurs.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.

78
MÉMOIRE
civique

Le gouverneur
Sautot et le capitaine
Dubois passant en revue la milice calédonienne.
Coll. André Dubois.

Mais, entre 1942 et 1946, employés par l’armée améri- : citoyens français, les 1 058 Calédoniens, créoles ou
caine aux mêmes conditions que les autres travailleurs, la métropolitains, en âge de partir, sont mobilisés comme
conscience politique kanak s’éveille. La charte du Conseil leurs compatriotes de métropole et contraints d’obéir à
de la Résistance (15 mars 1944) et celle des Nations Unies l’appel de la patrie, ce qui n’exclut pas 51 engagements
(26 juin 1945) seront à l’origine des principes repris dans volontaires, auxquels s’ajoutent ceux de plus d’une
la Constitution française de 1946, faisant disparaître l’as- centaine d’étrangers dans la Légion étrangère.
sujettissement des populations indigènes. Terre d’extractions minières nécessaire à la défense, la
Nouvelle-Calédonie compte aussi de nombreux mobilisés
Un engagement original des Calédoniens sur place, faisant naître parfois un sentiment d’injustice
dans la guerre parmi ceux qui sont contraints de partir. Faute de navires,
Les combattants calédoniens de chaque guerre se le départ du premier contingent n’a lieu qu’en avril
remarquent par la modicité de leur nombre. Mais 1915. Dispersés au sein de différents régiments coloniaux
leur participation est surtout l’objet d’un engagement d’artillerie ou d’infanterie, les Calédoniens sont heureux
original. Lors de la Grande Guerre, la levée des troupes est lorsqu’ils parviennent à se retrouver sur les
à l’origine du mythe d’un volontariat qui aurait embrasé fronts du nord-est de la France ou sur
toutes les populations. La réalité est plus pragmatique le front d’Orient. Mais, à partir de

79
Défilédesvolontaires MÉMOIRE
du Bataillon du Pacifique
sur les Champs-Élysées,
patriote
le 18 septembre 1945. Coll. Dorbritz.

1916, la France a besoin de tous les hommes disponibles, Rattaché à la Commission des ports à Marseille, il
en métropole ou dans la plus lointaine de ses colonies. l’est ensuite à la 72e Division d’infanterie sur le front
Après une campagne de recrutement parfois excessive, en de Champagne, d’août à octobre 1917. A partir de
partie à l’origine du déclenchement de la révolte de 1917, juin 1918, il entre, avec le 164e et le 365e Régiments
1 137 tirailleurs canaques contractent un engagement d’infanterie, dans la bataille du Matz. Rattaché au
volontaire. Ils ne forment pas d’unité constituée et 418e RI, depuis le début du mois d’août, il prend part
seront utilisés comme « troupes supplétives » au gré des à l’attaque du plateau de Paoly, puis aux actions en
besoins des forces armées. Le Bataillon des tirailleurs du direction de l’Ailette.
Pacifique, formé à Nouméa le 4 juin 1916, comprend En octobre, réuni pour la première fois au sein du
alors deux compagnies. Il rejoint Marseille à bord du 164 RI, avec la 72e DI, il est en première ligne pour
e

Gange. Des renforts quittent Nouméa le 3 décembre la prise de Vesles et Caumont et de la ferme du Petit
1916 puis le 10 novembre 1917. Devenu Bataillon mixte Caumont, ce qui vaudra au BMP une citation collective
du Pacifique (BMP) après adjonction d’une compagnie à l’ordre de l’armée. Le BMP est dissous le 10 mai
d’artillerie, il avait été surnommé bataillon canaque ou 1919. 193 Calédoniens d’origine européenne et 381
même bataillon de la roussette du nom de la chauve- tirailleurs canaques sont morts ou disparus. Avec plus
souris calédonienne, emblème figurant au centre du de 35 % des engagés morts au champ d’honneur, les
fanion du bataillon. Le Bataillon mixte du Pacifique, Mélanésiens sont, proportionnellement, au premier rang
bataillon d’étapes puis de marche, a rassemblé jusqu’à des populations indigènes ayant donné leur sang pour
quatre compagnies de tirailleurs canaques et tahitiens. la France.

80
En septembre 1939, la mobilisation sur place de 800 Les lieux de mémoire
Calédoniens fait entrer la Calédonie dans la « drôle
Symboles d’une histoire sensible, concrète, familière,
de guerre ». Après le Ralliement, le Bataillon des
partant de la mémoire collective, les monuments aux
Volontaires du Pacifique est recréé à Nouméa sur ordre
morts de chaque commune ou tribu, le cimetière
du général de Gaulle. Dès le 3 mai 1941, sous le com-
militaire néo-zélandais à Nessadiou, la croix de Lorraine
mandement du lieutenant-colonel Félix Broche, il ras-
à Nouméa, sont des lieux-carrefours de commémoration
semble des Néo-Calédoniens et des Néo-Hébridais de tous
montrant à tous la dualité terrible de la mort
statuts ainsi que des Tahitiens. Le 5 mai, 605 volontaires
et du courage qui ont aidé, dans les années
quittent Nouméa pour Sydney par le Zélandia pour
d’après-guerre, les survivants, les veuves et
s’instruire et s’entraîner. Le 29 juin 1941, le bataillon
les orphelins à se reconstruire.
embarque pour la Syrie. Il est alors réorganisé, pour for-
Le 11 novembre, le 8 mai, l’ANZAC Day,
mer, le 28 août, avec le bataillon de marche sénégalais,
font se croiser l’histoire nationale fran-
la 2e brigade de la 1re division légère qui deviendra la 1er
çaise ou mondiale avec l’histoire locale.
division française libre. Le 1er février 1942, le bataillon
Mémoire des guerres, mémoire
arrive en Tripolitaine où il participe à la bataille de Bir
de la mort afin que celle-ci
Hakeim, jusqu’au 11 juin 1942. Le 1er bataillon d’infan-
prenne un sens, mémoire
terie de marine et le bataillon du Pacifique fusionnent
de la patrie, perspective
pour former le BIMP à partir du 16 juin 1942. Suivront,
d’éducation ­civique, les
d’octobre 1942 à mai 1943, les campagnes d’Égypte et
morts au champ d’hon-
de Tunisie. Le 17 avril 1944, le BIMP embarque pour
neur ne sont pas morts pour
Naples et participe à la campagne d’Italie. Le 16 août,
rien. Monuments de ferveur
il débarque en baie de Cavalaire. Sur le sol de France, le
et de ­douleur, la commune,
bataillon prend part, successivement, à de nombreuses
comme à Voh, la paroisse,
opérations, en Provence, dans la région de Belfort puis
comme à Pouébo, ou l’ar-
en Alsace.
mée comme à Nouméa,
En avril 1945, il participe à la bataille de l’Authion
veillent sur eux.
dans les Alpes et pénètre en Italie. Après la capitulation
allemande, il stationne à l’est de Paris et participe, le
18 juin, à la commémoration de l’Appel du général de
Gaulle et défile à Paris. Les noms de 386 morts et 30 dis-
parus, Calédoniens de toutes origines qui s’étaient enga-
Tirailleur sculpté par Weiss.
gés volontairement pour défendre une certaine idée de Coll. Boyer.

la liberté, sont ajoutés sur les monuments aux morts de


la Grande Guerre. Les plaques de ces cénotaphes seront
complétées par les noms de ceux qui ont laissé leur vie
lors des guerres d’Indochine et d’Algérie.

81
GN AGE
OI
ÉM
T Mythe fut, après guerre, utilisé par l’ensemble des exploitants fores-
tiers locaux, et l’usage de la célébrissime Jeep est devenu le
américain privilège de tous les propriétaires terriens.
par André Jacquier
« New-Nouméa »
Attendus comme des sauveurs La zone urbaine de Nouméa était devenue pour un temps
lors de la guerre du Pacifique, un camp militaire très actif, dont divers quartiers ont laissé
les Américains se révélèrent les initiateurs leurs empreintes dans la toponymie comme le Receiving
d’un profond changement dans le mode station (garnison de l’US Navy) composé de 150 Quonset huts
de vie et les mentalités calédoniennes (habitations préfabriquées aussi appelées demi-lunes) dont un
spécimen est situé en face de l’hôpital. Ce quartier logeait 500
Dès 1940, la Nouvelle-Calédonie, ralliée à la France libre, entre officiers et 3 000 marins.
dans la résistance, face aux dictateurs ; elle se rapproche Au Motor pool (mécanique auto stationnaient près de 2 000
ainsi de ses voisins australien et néo-zélandais. véhicules de tous types ; de même le trou des Nurses (les
En 1942, elle participe à la guerre du Pacifique aux côtés des infirmières), à la Dumbéa, symbolise l’implantation de treize
États-Unis. Ainsi, le 12 mars 1942, la merveilleuse réalité hôpitaux dispersés sur la Grande Terre, ou le grand quartier
de l’arrivée des troupes américaines dans la colonie permet général baptisé alors Pentagone dont les deux ailes principales
aux Néo-Calédoniens de découvrir l’âge des équipements mesuraient 120 mètres de long. D’autre part, l’infrastructure
lourds et de la logistique, dans un regain d’activité. « Belle aérienne regroupait seize aérodromes bâtis avec des landing
endormie », notre île était presque oubliée dans le contexte mats (grilles américaines) qui clôturent aujourd’hui encore
de l’empire colonial français et cette présence des forces bon nombre de jardins calédoniens, tandis que la capitale
américaines incita les Calédoniens à entrer dans la moder- doublait sa zone portuaire avec la construction de nouveaux
nité économique. Entre 1942 et 1945, plus d’un million de quais, en particulier à l’emplacement du port SLN actuel ; l’un
G.I. transitèrent sur le Caillou. des éléments (finger pier) mesurait 186 mètres sur 23 m 50
et fut réalisé en un mois.
Époustouflante technologie
Cet afflux exceptionnel de militaires transforma notre île en Le rêve américain
base avancée principale, dans la reconquête du Pacifique. Les dollars circulaient à profusion, et de cette prospérité
Ainsi Nouméa devint temporairement le second port du Grand découlera le fameux dollar-touque, surnom donné aux touques
Océan, après San Francisco, avec une concentration de cent de pétrole utilisées en guise de coffres-forts.
vingt navires, mobilisés pour protéger notre zone. L’imposant Grâce à l’effort de guerre, une florissante animation régna sur
déploiement quotidien de matériel en tout genre révéla des l’île, qui se trouvait en retrait du front.
surprises, comme la découverte du Bulldozer et du Grader qui Divers commodités et loisirs furent mis à disposition des
permirent de grands aménagements de notre réseau routier hommes de troupe avec lesquels les Calédoniens seront vite
et dans la production agricole. L’incomparable 10 roues GMC familiers.

82
Place des Cocotiers
pendant la présence américaine. MÉMOIRE
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie. de l’oncle Sam

Parmi les biens de consommation et les divertissements


MÉMOIRE
nouveaux : les boissons gazeuses qui avaient pour nom de peep
Royal-Crown-Cola, Pepsi-Cola, Cleo-Cola et bien entendu…
Coca-Cola. De nouvelles appellations de commerce apparurent
avec les Snack bars (petits cafés) ou Shops (boutiques).
L’agglomération de Nouméa disposait de cinquante cinémas
en plein air, le prélude de nos drive-in. Les lieux de récréation
attiraient bon nombre de soldats, tels le célèbre Triangle
Garden au centre-ville, réputé pour ses combats de boxe de
bonne tenue, les dancings, la Red-Cross visitée par madame GI dans
Roosevelt ou encore le non moins fameux « Château Rose », des Jeep
à La Foa.
maison close de la vallée du Tir. En Nouvelle-Calédonie, les Coll. MDVN.
modes de vie et les mentalités vont être influencés par ces
bouleversements économiques, sociaux et culturels. Ils vont
permettre l’intégration de notre île, après guerre, à l’impor-
tante communauté du Pacifique. Ils expliquent aussi en partie
la revendication d’une certaine autonomie. De cette faste
période, les Néo-Calédoniens gardent de pieux souvenirs,
certains entretenant le mythe d’une Amérique glorieuse.

83
De 1945 jusqu’en 1953,
une nouvelle société
calédonienne apparaît
dans le cadre général
de l’Union française.
La colonie ségrégative et duale,
dominée par l’ethnie européenne,
laisse petit à petit la place
à un territoire d’outre-mer géré
au bénéfice de tous ses habitants,
à l’économie prospère,
mais progressivement
assistée par l’État.

Grand chef Bouquet.


Coll. Bernard Bouquet.
L’avènement
du TOM
Colon, propriétaire de droit sur terres déshéritées.
Colon debout de l’aube au couchant, et la nuit encore.
Colon attaché muet à la corde d’un passé oublieux.
Page d’histoire déchirée par l’ironie du sort.
Colon naturel, aux ancêtres bannis.
Colon, enfant aux souvenirs aloès : chemins de poussière, bos-
quets d’hibiscus, bruissement de palmes, rivière à anguilles,
crêtes découpées dans le ciel mauve, ligne d’horizon plus
éloignée que le rêve.
Colon ligneux aux racines nouvelles plantées drues au cœur d’une
terre en instance, en souffrance.
Colon farouche, chapeau de stock, fouet enroulé, chevaux soumis et
chiens en meute.
Seul sous le soleil. Colon exigu sans autre richesse que la main qui
travaille, que le corps qui peine.
Colon immense qui trace les routes au travers des cassis et des nids
de guêpes jaunes, construit son demain.
Colon à la pauvre masure (coloniale ?), demeure aux tôles lépreuses
de trop d’espoirs rouillés.
Bastion où poussent les lianes chouchoutes, les passiflores, le
manioc en fourrés et les citrons verts sous l’oriflamme d’un flam-
boyant ou d’un jacaranda.
Colon par terre nourricière qui partage ses dons.
Colon de région France si différent du monde blanc.
Colon métis sans le savoir.

Claudine Jacques,
Les Cœurs barbelés,
édition du Niaouli,
Nouméa, 1998.

85
Au lendemain de la Seconde Guerre

L’entrée
mondiale, la Nouvelle-Calédonie prend
un nouvel essor. De colonie,

des Mélanésiens elle devient territoire d’outre-mer.


C’est la mise en place d’une nouvelle

dans la Cité politique mais surtout un total


changement de société : tous, citoyens,
par Ismet Kurtovitch accèdent alors à la parole
et au pouvoir.
C’est après la Seconde Guerre mondiale que la Nouvelle-
Calédonie que nous connaissons aujourd’hui se
constitue, puisqu’à compter de l’année 1946, tous les
Calédoniens participent d’une seule et même Cité.

Fin du système colonial


Le Conseil général élu en janvier 1945 donne la
priorité aux réformes de la fiscalité et des structures
économiques. Néanmoins, la « question indigène »,
comme on disait à l’époque, est abordée à l’initiative
de deux volontaires du Bataillon du Pacifique membres
de ce conseil, Emile Limousin et Édouard Magnier. Ils
font adopter un vœu reconnaissant aux Mélanésiens la
qualité de Français, une première dans cette enceinte,
et demandent que ces derniers bénéficient eux aussi du MÉMOIRE
Carte UICALO. Coll. G. Viale. citoyenne
programme des grands travaux publics et sociaux en
préparation. De son côté, la population mélanésienne
s’organise pour et par elle-même, avec une parfaite Le représentant de l’État, quant à lui, promulgue
efficacité, afin de proposer et de défendre auprès des les premières mesures prises à Paris en application
autorités locales et métropolitaines un programme des recommandations de la conférence de Brazzaville,
d’émancipation politique, économique et sociale, du programme du Conseil national de la Résistance
qui s’imposera à tous. Deux organisations politiques et de la charte de San Francisco. En quelques mois,
(l’UICALO et l’AICLF), et un groupe plus réduit autour l’égalité en droit entre tous les ressortissants français
des grands chefs Vincent Bouquet et Henri Naisseline, de Nouvelle-Calédonie est officiellement proclamée. Les
sont à l’ouvrage jusqu’en 1956. Kanak acquièrent le 12 octobre 1946 la citoyenneté

86
MÉMOIRE
d ’ é mancipation

Femmes kanak
dans les années 1944-1946.
Coll. du Service des archives
de Nouvelle-Calédonie.

87
française — acquisition qui signifie dans renaissance démographique, il suffit de constater que la
ce contexte historique la jouissance des droits et population mélanésienne s’est plus accrue entre 1946 et
libertés garanties par le préambule de la Constitution 1952 qu’entre 1906 et 1946.
française, soit les droits sociaux et politiques universels L’entrée des Mélanésiens au Conseil général et dans
de l’homme et du citoyen —. Ils recouvrent la liberté les conseils municipaux pose problème parce que la
de résidence et celle de circuler dans tout le pays et le prépondérance démographique de la population kanak
droit de participer à la gestion des affaires de la Cité. et l’application stricte de la loi démocratique — un
Tous les textes qui organisaient le statut d’infériorité des homme, une voix — priveraient la population euro-
habitants des tribus sont rapportés, à savoir le régime péenne de la représentation de la Nouvelle-Calédonie au
de l’indigénat, des réquisitions et des prestations. De Parlement et lui feraient perdre la majorité au Conseil
surcroît, le statut coutumier des personnes et de la tenure général et dans la plupart des municipalités. Cette
foncière dans les districts est constitutionnellement éventualité n’étant souhaitée par aucun des partenaires
reconnu sans que cette reconnaissance puisse servir de de la négociation, plusieurs formes d’aménagement
prétexte pour limiter ou refuser les nouveaux droits. des principes démocratiques sont alors proposés pour
organiser le partage et l’exercice du pouvoir par et entre
Nouvelle donne politique les Mélanésiens et les Européens. Une première solution
Au plan économique et social, la création le 30 avril est retenue, soit un mélange de suffrage capacitaire, de
1946 d’un fonds d’État, FIDES (le Fonds d’investissement répartition des sièges à pourvoir non proportionnelle au
et de développement économique et social), permet aux nombre de votants par circonscription et de circonscrip-
pouvoirs publics d’impulser un vaste programme de tions électorales assises sur la tenure foncière. Il sera
rééquilibrage en faveur des districts et des tribus. Partout appliqué de 1951 à 1956 et permettra l’entrée de neuf
des chantiers sont ouverts. Les constructions d’écoles, Mélanésiens au Conseil général de la Nouvelle-Calédonie
de dispensaires et de maternités, l’ouverture des routes le 26 février 1953. Ce jour-là, Kowi Bouillant, président
et les aménagements des passes face aux tribus du bord de l’AICLF, au nom des nouveaux conseillers généraux,
de mer, notamment aux îles Loyauté, le creusement fait état de sa satisfaction en concluant son premier dis-
de puits, le captage de sources, la pose de citernes et cours par : « Vive la France du centenaire. » Le suffrage
de conduites d’eau sont entrepris méthodiquement. La universel sera instauré en 1957.
conséquence la plus importante de ces actions d’en-
vergure dans les tribus est immense par sa portée, il Au total, de 1945 jusqu’en 1953, une nouvelle société
s’agit du redressement démographique. La baisse de la calédonienne apparaît dans le cadre général de l’Union
mortalité infantile et l’augmentation des naissances française. La colonie ségrégative et duale, dominée
sont les causes principales de ce renouveau. Le cap des par l’ethnie européenne, laisse petit à petit la place à
1 000 naissances est franchi en 1949. Alors qu’avant un territoire d’outre-mer géré au bénéfice de tous ses
1946 le rythme de progression annuel de la population habitants, à l’économie prospère, mais progressivement
mélanésienne est de 0,3 %, il s’établit à 1,6 % entre 1947 assistée par l’État.
et 1956. Pour prendre la mesure de l’ampleur de cette

88
MÉMOIRE
citadine

Maison individuelle
à Montravel.
Coll. du Service des archives
de Nouvelle-Calédonie.

89
GN AGE
OI
ÉM
Originalité Dès 1946, consciente de l’heureux concours de l’Outre-mer
Tde la politique durant le conflit, elle amorce une gigantesque œuvre de
solidarité : le FIDES. Grâce à cette action courageuse, elle
française dans envoie outre-mer, jusqu’en Nouvelle-Calédonie : des crédits,

les TOM : le FIDES du ciment, du fer à béton et même des ingénieurs. J’ai été le
premier cadre technique à venir à Nouméa en 1950 !
par Bernard Brou
Les domaines d’action du FIDES
Regard sur la politique française Le FIDES comprenait deux parties : la section générale, qui
dans les TOM : volonté concernait les réalisations décidées par le gouvernement fran-
de désenclavement et d’équipement çais, et la section locale, qui regroupait les choix d’élus locaux.
pour favoriser l’essor économique Son but était principalement économique et social. Quelques
des populations. années après, on y ajoute un volet « culturel », bien qu’on ait
déjà entrepris quelques actions de cette nature. C’est qu’il y
Il est aujourd’hui très difficile d’apprécier l’importance réelle
a urgence, aussi bien à Nouméa pour son port, qu’en brousse
des interventions françaises dans la gestion de la Nouvelle-
auprès de nombreux habitants isolés. Puis il faudra des
Calédonie. Depuis les années 1950, un budget additionnel
dispensaires, des écoles, des internats, des réseaux d’eau…
spécial a été attribué au territoire pour l’équipement et la
Prenons un exemple : le 9e plan FIDES qui couvre de 1984 à
croissance : c’est le Fonds d’investissement et de développe-
1988. Sa section générale porte des crédits de 400 millions CFP
ment économique et social. Il est ­l’apport financier direct de
par an, soit un total de 2 milliards CFP.
la métropole dans ses territoires, dont la Nouvelle-Calédonie,
afin de permettre leur modernisation et leur équipement. C’est
La répartition est la suivante
une action politique particulièrement humanitaire.
Action culturelle Tourisme
Situation de la Nouvelle-Calédonie en 1950 Artisanat
1,6 %
1%

Malgré une certaine amélioration apportée par les Américains 5%


de 1942 à 1946, le petit archipel si éloigné souffre toujours Développemnt
Pêche 2 % rural
d’une sous-population qui empêche son développement : 60 7% Équipement
000 habitants. Son port vétuste et son industrie stagnante des communes
révèlent une situation de misère. Le réseau routier est périmé, Infrastructures
les automobiles sont rares, les avions ne font qu’une liaison 14,7 % 54 %
mensuelle. La construction est quasi inactive. Le ciment
manque : le pays stagne.
2,6 %
La France métropolitaine, qui se relève difficilement de l’ef- Étude
fondrement et des destructions liées à la guerre, entreprend
sa reconstruction dès 1945.

90
MÉMOIRE
désenclavée

sont réalisées, comme le dispensaire de Ouégoa, l’internat des


garçons à Koumac, les adductions d’eau de Koumac, Poum,
Ouégoa et surtout l’ouverture du col d’Arama.
Poindimié a son grand internat. De 1954 à 1958, de nom-
breuses routes de tribus sont ouvertes à la Tchamba,
Pombeye, Boréaré, Oukaya, Goa, Goyetta, Ouélis et de nom-
breuses adductions d’eau sont mises en service, notamment
à Poindimié et Hienghène. Un nouveau barrage de la Dumbéa
Travaux routiers.
Début du chantier du alimente Nouméa en eau en 1958.
franchissement de la falaise de Padawa.
Coll. Service des archives de Nouvelle-Calédonie.
Les années suivantes, de 1957 à 1959, le barrage hydroélec-
trique de Yaté pour l’usine du Nickel est mis en service. De
Un cas particulier : la création en 1956 1968 à 1973, les cinq grands ponts de la côte Est (Tiwaka,
des réseaux routiers en brousse 240 mètres ; Tchamba, 210 mètres ; Hienghène, 184 mètres ;
Le classement au Journal officiel de premiers réseaux commu- Amoa, 180 mètres ; Tipindjé, 120 mètres - soit un total de 934
naux d’infrastructures routières montre l’ouverture de « routes mètres) sont construits.
de tribu », de désenclavement : c’est un facteur social impor- Ajoutons aussi les grands aménagements à la SLN (amélio-
tant. A partir de 1954 et jusqu’en 1966, une quarantaine de ration et reconstitution) et rappelons qu’avant le FIDES, on
tribus ont été reliées : la route la plus courte étant sans doute comptait trente agglomérations européennes disséminées et
celle de Oukaya à Houaïlou, soit un kilomètre. La plus longue une centaine de tribus enclavées.
pourrait être celle de la Tchamba à Ponérihouen, soit dix-huit Jamais un type de budget n’a autant mis en valeur le «
kilomètres. Quel changement pour les habitants qui venaient rôle social des routes », ni réalisé avec autant de vigueur «
au village à pied ou à cheval (cinq heures environ) et qui ont l’équipement ». Jamais une volonté politique n’avait tant vanté
aussitôt acheté un vieux camion 4x4 américain pour livrer leur la nécessité du désenclavement des populations isolées : les
café aux commerçants de leur choix et remonter du ciment et premiers dispensaires éloignés, les écoles partout, les inter-
des tôles ! Ainsi, à partir de 1956, par un même arrêté, Houaïlou nats, les adductions d’eau dans les villages, bientôt les mairies
classe onze routes dont neuf de tribus, Poindimié huit dont cinq des centres éloignés. Le FIDES est à l’origine de l’équipement
de tribus et Hienghène quatre, toutes de tribus. moderne. Après la première intervention importante de la
France, le plan Guyon en 1930, il fut la grande action huma-
Des réalisations du FIDES nitaire systématique et de longue durée pour l’entrée de la
La majeure partie des réalisations FIDES avant 1958 concerne Nouvelle-Calédonie dans le monde d’aujourd’hui. Son action
la côte Est. En 1951-1952, une première bretelle routière se poursuit toujours.
Boui-Bondé désenclave Bondé. En 1952, on réalise la route de ●
Tiabet et une petite école primaire près de Koumac. En 1957,
le grand pont de Ponérihouen (181 mètres de portée) permet
de supprimer dix kilomètres de route. Diverses constructions

91
Avec le festival « Mélanésia 2000
», Jean-Marie Tjibaou affirme
l’identité kanak.
Dans son idée, ce festival doit
montrer la renaissance de l’iden-
tité kanak, il devra être suivi par
« Pacifica 2000 » pour favoriser
l’insertion du monde kanak dans la
sphère Pacifique et enfin « Calédonia
2000 » pour promouvoir l’intégration
de tous les habitants de la Nouvelle-
Calédonie dans l’entité océanienne libé-
rée de ses liens avec les anciennes métropoles
coloniales.

Photo Éric Dell’ Erba.


Recherche
identitaire
Partage des ignames
L’HOMME BLANC :
Selon l’usage antique, nous ne venons pas les mains vides. Les voiles
blanches qui jadis venaient du large repartaient chargées de butin.
Les voiles blanches aujourd’hui viennent vous apporter ce que pro-
duit notre pays.
KANAKÉ :
Voici donc votre apport dans le Boénando qui est échange
fraternel. C’est donc à nous maintenant d’offrir nos ignames à
la communauté ; et la première que nous préservons est celle
dont nous sommes le plus fiers !
C’est notre art éclatant au sommet de nos cases !
aux poings de nos chefs,
aux seuils de nos villages.
C’est notre poésie qui brille devant vous comme une rivière souter-
raine jaillissant au soleil.
Ce sont nos rites mêmes et jusqu’à nos festins dont la com-
munion de la chair partagée. Non pour satisfaire notre faim,
mais assumer pleinement notre condition d’homme et l’exalter
jusqu’aux limites du désespoir dans ce sacrifice sacré que
tous les cultes ont évoqué, mais que nous seuls avons osé
accomplir !
Et voici la seconde igname qui est la beauté de notre île. La
troisième igname était encore enfouie dans notre sol et c’est
vous qui l’avez déterrée. C’est le trésor de notre sol et c’est
vous qui l’avez déterrée. C’est le trésor de nos mines dont
nul ne peut encore calculer les richesses.

Jean-Marie Tjibaou et G. Dobbelaere,


Le Boénando, Mélanésia 2000,
festival mélanésien, 1975.

93
L’émergence Grâce à l’abolition de l’indigénat
identitaire kanak le 23 août 1946, les Kanak peuvent
désormais circuler librement
1945 – 1988 et retrouver ainsi les chemins
par Bernard Capecchi coutumiers dont la spoliation de leurs
terres les avait injustement privés.

C’est le début d’une reprise d’identité car la parole dirigées par le député Maurice Lenormand, élu en 1951,
et le geste coutumier vont circuler de nouveau avec regroupant les candidats issus de l’UICALO, de l’AICLF et
les rappels des mythes fondateurs et des généalogies. des petits colons européens.
Cette renaissance identitaire s’accompagne de premières La loi-cadre du 23 juin 1956 et surtout le décret du­
revendications foncières, non pas comme la volonté 26 juillet 1957 permettent l’accession de tous les Kanak
économique d’une réforme agraire, mais comme l’affir- à l’exercice du suffrage universel et la généralisation de
mation de l’attachement identitaire du Kanak à sa terre. l’obligation scolaire. La très grande autonomie du ter-
Se posent également pour les Kanak les problèmes liés ritoire permet à l’Assemblée territoriale de doter le pays
à l’exercice de leur citoyenneté française dans le cadre d’un gouvernement de huit ministres, tous issus de l’UC.
du TOM nouvellement créé (loi de 1946, proclamant
À partir de 1958, l’opposition gaulliste se dresse
citoyens tous les habitants des TOM) et de la coutume.
contre le gouvernement de l’UC. Reconduite au pouvoir,
l’UC se prononce pour le maintien du statut de TOM et
Apprentissage de la citoyenneté l’élargissement de l’autonomie interne face aux visées
La structuration de cette réflexion s’opère dans le indépendantistes des uns et à la solution départemen-
cadre des Églises, si bien que deux associations méla- taliste des autres. Une période de quinze années s’ouvre,
nésiennes se créent fin 1946 : l’UICALO regroupant les marquée par deux phénomènes, l’un politique, l’autre
catholiques (Union des indigènes calédoniens amis de économique. Paris limite considérablement l’autonomie
la liberté) et l’AICLF chez les protestants (Association des interne du pays en réduisant le gouvernement local
indigènes calédoniens et loyaltiens français). La reven- à cinq membres ne disposant plus que d’un pouvoir
dication du libre exercice de la citoyenneté s’opère dans consultatif (loi Jacquinot 1963).
une optique réformiste par défiance des religieux face Les Calédoniens se divisent mais ne se mobilisent pas
au communisme. Aux élections territoriales de 1953, pour autant car la Nouvelle-Calédonie se trouve plongée
cette revendication prend un aspect politique autour de dans la fièvre du « boom » du nickel, même si l’État
la création des premières listes d’Union calédonienne, reprend les compétences du territoire en matière minière

94
MÉMOIRE
militante

Les délégués
du premier congrès
de l’Union calédonienne en 1956.
Fonds Lenormand. Coll. Bibliothèque Bernheim.

(lois Billotte de 1969). Pour les Kanak, s’ouvre une de l’économie, c’est le temps du chômage et de l’er-
période d’interrogation : faut-il abandonner la coutume rance. Dès juillet 1969, les « Foulards rouges », associa-
au profit d’une intégration dans les circuits monétaires tion politique créée par Nidoish Hnaisseline contestent
de la vie moderne (salariat, société de consommation, le pouvoir métropolitain. L'UC se divise de plus en plus
etc.) générée par la folle croissance économique ? et voit la majorité de ses membres européens quitter ses
rangs pour rejoindre ceux de la mouvance gaulliste. En
Radicalisation 1972, l’UC perd la majorité à l’Assemblée territoriale. Les
des revendications Kanak se sentent alors marginalisés et de plus en plus
La fin des illusions du « boom » montre aux Kanak minoritaires dans leur propre pays suite à l’afflux de
qu’ils n’ont pas profité de la répartition des richesses main-d’œuvre polynésienne.
produites, d’autant plus que la surchauffe économique a Le modèle européen apparaît donc comme un échec.
entraîné une vague énorme de spéculations, de scandales La coutume reste le garant de la véritable iden-
financiers et de pollutions diverses. Pour les Kanak qui tité kanak. Un peu partout, des groupes
ont fait le pari de l’intégration dans les circuits modernes politiques se créent pour définir cette

95
MÉMOIRE
de dignité

Ouvertue
de Mélanésia 2000
par Jean-Marie Tjibaou.
Coll. ADCK.

nouvelle identité et lui donner un contenu politique. Vers un désir d'indépendance


Un Comité pour l’indépendance se crée en 1975 avec
L’affirmation culturelle de l’identité kanak renforce
l’UC, regroupant des organisations nouvelles comme le
et approfondit la traduction politique de cette identité.
PALIKA ou l’Union multiraciale. C’est l’occasion pour
Le congrès de Bourail de l’UC (1977) se prononce pour
Jean-Marie Tjibaou d’affirmer l’identité kanak par le
une indépendance à la fois kanak et socialiste (IKS) où
festival « Mélanésia 2000 ». Dans son idée, ce festival
les étrangers résidant en Nouvelle-Calédonie disposeront
doit montrer la renaissance de l’identité kanak, il devra
d’un statut défini par la coutume et seront invités au
être suivi par « Pacifica 2000 » pour favoriser l’insertion
partage économique coutumier (sens du mot socialiste).
du monde kanak dans la sphère Pacifique et enfin «
Au cours de ce même congrès, certains signes identi-
Calédonia 2000 » pour promouvoir l’intégration de tous
taires sont affirmés, dont l’orthographe invariable du
les habitants de la Nouvelle-Calédonie dans l’entité océa-
mot kanak, indiquant une indivisible et globale unité.
nienne libérée de ses liens avec les anciennes métropoles
La création du RPCR en 1978, affirmant de son côté la
coloniales.

96
légitimité de l’identité française de la majorité des Néo- kanak en 1985, etc.). Une ambiance de guerre civile
Calédoniens, conduit les divers partis kanak à fonder le se développe avec son lot d’actions et de répressions
Front indépendantiste (FI) qui réunit plus du tiers des (barrages, attentats, manifestations, état d’urgence,
électeurs sur le thème de l’IKS, ce qui en fait une mino- couvre-feu, etc.). L’échec du haut-commissaire Pisani
rité incontournable. proposant une indépendance-association et les inces-
L’arrivée au pouvoir de François Mitterand et l’as- sants découpages administratifs territoriaux ajoutent la
sassinat non élucidé de Pierre Declerq en 1981 plongent confusion au cortège de deuils (Y. Tual, Eloi Machoro, les
progressivement le pays dans la tourmente. Malgré la « Dix » de Hienghène, etc.), de haines et de destructions
constitution du gouvernement Tjibaou (FI – FNSC), (incendies). Les indépendantistes kanak tiennent le gou-
la conciliation de Nainville-les-Roches (1983) tourne vernement français en échec et, par suite de ses martyrs,
à l’échec bien que soient reconnus les droits des « vic- s’assurent du soutien de la communauté internationale
times de l’Histoire ». La chute du gouvernement Tjibaou dans le Pacifique. La tension est à son comble après
pousse les Kanak à se retirer des institutions et à fonder l’affaire d’Ouvéa (quatre gendarmes assassinés, dix-neuf
en 1984 le FLNKS (Front de libération kanak socialiste) combattants kanak éliminés, deux militaires tués). La
qui fixe l’IKS comme seul but de son action (boycott Nouvelle-Calédonie se trouve dans une impasse totale
actif des élections, création des EPK ou écoles populaires avec l’affrontement de deux légitimités.

MÉMOIRE
de violence

Barrage.
Les Nouvelles calédoniennes
du 21 novembre 1984.
97
GN AGE
OI
ÉM
T
Émergence
mode de vie d’une communauté qui inclut petit à petit la
de l’identité majorité des habitants de l’île, quelle que soit leur origine.
calédonienne Les Caldoches se retrouvent aussi dans la foire de Bourail, les
fêtes de Koumac, de Paita…, les marchés de Farino, du mont
Par Jean-Claude Mermoud Mou, de Tomo…, les spectacles de Tiébaghi, de Téremba…
Les chants, les sketches, la poésie, les nouvelles, quelques
Les Événements ont représenté romans ainsi que la publicité ont de plus en plus souvent pour
une fracture dans le monde calédonien. thème cette culture océanienne française.
Pourtant, de ces années troublées,
surgira à son tour une quête identitaire Dix ans après la dérision à travers la B.D., le regard porté par
de la société caldoche. les Caldoches sur leur culture se veut plus scientifique et des
analyses sont éditées : Être Caldoche aujourd’hui en 1994 et Mode
Calédonia 2000 promettait d’être une magnifique manifes- de vie et culture caldoches en 1998. De même, la participation
tation culturelle dans laquelle chaque habitant de l’île devait de cette importante communauté aux Villages calédoniens
être fier d’être calédonien au sens large, c’est-à-dire que sans de Dumbéa, du Mont-Dore et à la fête des communautés de
renier ses origines (mélanésienne, européenne, asiatique…), Nouméa est systématique. La culture caldoche est présente
il devait trouver dans l’espace les traces de son passé mais dans le tome 10 du Mémorial calédonien et le terme même
aussi sa place actuelle dans cette société métisse originale de « Caldoche », péjoratif il est vrai au départ, est de plus
des années 1970. Une culture calédonienne se construisait. en plus admis par les nouvelles générations en quête de leur
Malheureusement, 150 ans de vie commune vers un destin propre identité.
commun étaient remis en question par la revendication
d’indépendance d’une fraction des Mélanésiens, les Kanak, au Pour un avenir commun
cours des Événements. Par un vœu commun en 1998, l’Accord de Nouméa prévoyait
Mais, forts de leur enracinement sur le Caillou et de leur atta- au terme d’une vingtaine d’années la construction d’une
chement à la mère Patrie, la France, les Loyalistes résistèrent identité commune. Pour favoriser l’évolution des mentalités
à toutes les violences des insurgés kanak et aux manœuvres dans ce sens, il est indispensable que les politiques prennent
politiciennes. Les Caldoches, comme on les nommait doréna- conscience qu’il est temps de privilégier ce qui rassemble les
vant, étaient dans la rue. Ces derniers n’eurent de cesse de communautés plutôt que de conforter chaque ethnie dans son
faire valoir leur légitimité en cherchant à se faire connaître, repli sur elle-même. Ainsi l’interculturalité comme objectif de
faute d’être encore reconnus. la direction territoriale de l’Enseignement doit conduire les
enseignants et les élèves à mieux comprendre l’autre.
Vous avez dit « Caldoche » En 1997, la démarche remarquable de Bernard Berger, auteur
Dès 1984, le ton était donné : vous avez dit « Caldoche ». de La brousse en folie, de mettre à profit sa notoriété avec
Tonton Marcel de la B.D. de Bernard Berger dans La brousse cette série pour en consacrer une autre aux mythes kanak (Le
en folie, illustre par une caricature plus vraie que nature le sentier des hommes), est fort louable et se doit d’être soutenue.

98
En effet, si les Kanak doivent admettre l’enracinement des naître mutuellement et ainsi de s’accepter afin de construire
autres communautés, ces dernières doivent découvrir le ensemble cette identité calédonienne commune.
symbolisme des mythes mélanésiens, fondement d’une culture Insistons sur le fait qu’il faut miser sur une démarche résolu-
totalement à l’opposé de la culture occidentale, ce qui est à ment engagée qui doit lutter contre le clientélisme des partis
l’origine du profond fossé qui sépare depuis 150 ans les deux politiques qui conforte chaque ethnie dans sa particularité et
principales communautés de l’île. constitue un frein à la construction de cette identité commune.
Il est donc grand temps de susciter, d’organiser, d’inciter des Il est nécessaire aussi de veiller à ne plus culpabiliser les
activités culturelles dans le but de se connaître, de se recon- « non-Kanak » afin de faire disparaître le complexe qu’ils
ont développé. Ce complexe les empêche d’affirmer leur
propre culture, étape pourtant indispen-
sable avant de fusionner avec celle des
autres qu’ils ont rejetée jusqu’à présent
par instinct de conservation.
Gageons pour conclure que, dans quelques
décennies, la majorité des habitants du
Caillou se reconnaîtra dans une culture
calédonienne, riche de toutes ses origines
et enfin reconnue.

MÉMOIRE
fin valab

Planche de La brousse en folie. Coll. B. Berger.

99
Et, pour nous, le devoir de mémoire,
c’est précisément le rappel de ces temps qui auront marqué
le chemin parcouru depuis les Accords de Matignon.
C’est Jean-Marie Tjibaou qui, au lendemain de leur signature,
disait avec simplicité mais avec justesse :
« Voilà un moment historique
et c’est une victoire
pour la Calédonie. »
C’est vrai :
quand on fait la guerre,
c’est pour gagner
la paix parce qu’un conflit,
un tel conflit,
se solde naturellement
par un accord
sur le partage,
sur la tolérance,
en l’occurrence
sur la construction
d’un destin commun.

Jacques Lafleur
et Jean-Marie Tjibaou.
Coll. Ville de Nouméa.
D’un accord
à l’autre
Demande au vent du soir
Saurons-nous abraser l’espace qui nous lie

les griefs géants


les souffrances laissées toutes à rouille-serrure
les mêmes mots toujours coléreux impuissants

Il faudrait conjurer le ventre creux l’espace


les silences qui nouent la force de nos gestes

nous défaire des plombs noirs du mépris


nous déprendre des peurs qui nous lient le cœur

Il faudrait habiter les alliances qui tintent


les tocsins souterrains
toutes les mues candides

Combien plus vraie l’aurore


quand les frères se trouvèrent

Frédéric Ohlen,
in La peau qui marche,
© éditions L’Herbier de Feu,
Nouméa, 1999.

101
N AGE
O IG

M

Dans le cadre de la commémoration du 150e anniversaire de la Ville de

La force
Nouméa, son maire actuel, Jean Lèques, m’a demandé d’apporter mon
témoignage sur les Accords de Matignon et de Nouméa.
J’ai déjà écrit dans un livre, L’Assiégé, ma version de l’histoire contempo-

des Accords raine calédonienne. Il m’est donc difficile de condenser tant d’événements
en peu de lignes. J’ai choisi de retenir quelques extraits de ce livre, les
plus marquants mais aussi les plus explicatifs, depuis Nainville-les-Roches
par Jacques Lafleur jusqu’à l’Accord de Nouméa en passant par ce qui me paraît être l’acte fon-
dateur de la Calédonie nouvelle : les Accords de Matignon.

« Depuis 1981, la situation se dégradait, les incidents se le jour même. Il a insisté pour que nous restions - sa carrière
multipliaient, faisaient monter les tensions. En novembre était en jeu -, j’ai accepté. Un jour, en pleine réunion, Eloi
1984, les événements se sont aggravés, à l’occasion des Machoro s’est levé, brusquement, avec dans la main une
élections issues du nouveau statut d’autonomie interne. » lettre signée, en 1980, par François Mitterrand, alors premier
secrétaire du parti socialiste. Ce document expliquait que, si
MÉMOIRE François Mitterrand était élu président de la République, il
consensuelle donnerait son indépendance à la Nouvelle-Calédonie. Machoro
a froissé cette lettre puis l’a jetée en direction de Lemoine en
disant : « Et cela, c’est de la merde ? Partons ! Nous devons
faire comme le RPCR car tout ceci est une comédie et les
socialistes nous prennent pour des cons ! »
Fin de Nainville-les-Roches. Pour nous, ce nouveau statut
d’autonomie inventé par Georges Lemoine n’apportait rien
si ce n’est des termes inédits dans sa rédaction et dans le
langage officiel. Ainsi apparurent des pays et des aires cou-
tumières baptisés de noms kanaks, il y eut « le droit inné et
actif des Kanaks à l’indépendance », il y eut les « victimes de
Les signataires l’Histoire » - dont on voulait que je sois -, ce que j’ai refusé
des Accords d’Oudinot.
Coll. Province Sud.
d’être. En fait, les interlocuteurs socialistes que nous avions
étaient persuadés que seuls nos intérêts économiques et
Nainville-les-Roches financiers nous incitaient à agir. Ainsi s’écoulèrent l’année
C’est Georges Lemoine, en charge de l’Outre-mer, qui avait 1983 et les premiers mois de 1984. Beaucoup de présence
imaginé ce statut. Il avait, pour le faire aboutir, invité les délé- partout, beaucoup de heurts, peu de moments d’accalmie. En
gations politiques des différents partis de Nouvelle-Calédonie permanence la tension était grande.
à Nainville-les-Roches, en juillet 1983. Au premier jour des
discussions, nous avons compris que nous étions en présence Les premiers drames
d’une sorte de complot. Nous, parti majoritaire, n’étions que La Nouvelle-Calédonie connut alors ses premiers drames. Les
six, et nous nous sommes retrouvés face à une cinquantaine élections ont eu lieu, le 18 novembre 1984. Nous avons tout
de personnes. J’ai dit à Georges Lemoine que nous ne signe- gagné et pour cause ! Les indépendantistes avaient boycotté
rions aucun document et que nous allions quitter la réunion le scrutin. Ces élections ont vu Eloi Machoro briser une urne
102
à coups de hache. Il menaçait de représailles sanglantes qu’il avait eu, avant sa venue en Nouvelle-Calédonie, une
ceux qui transgresseraient les consignes de boycott données conversation avec François Mitterrand qui lui avait dit : «
aux électeurs indépendantistes. Ces élections gagnées, nous Décolonisez ! ». Edgar Pisani voulait aller plus loin. Il avait
avons composé un gouvernement dont Dick Ukeiwé était le traduit « décolonisation » par « indépendance ». Nous avons
président. Nous avions du mal à dissiper les inquiétudes des décidé de rompre avec Pisani. À tous ses interlocuteurs, Pisani
populations face à une insécurité croissante. Quotidiennement, expliquait encore que je n’étais pas un homme politique car,
Dick Ukeiwé faisait une déclaration à la télévision. De jour en selon lui, je ne raisonnais pas et agissais d’instinct, en n’ac-
jour, il s’améliorait pour mieux toucher la cible : Pisani, arrivé ceptant pas son plan. Ce plan faisait de Nouméa une sorte de
en Calédonie début décembre. Je n’ai pu éviter cette haine principauté française dorée, riche et peuplée. Ainsi, le reste
raciale qui s’était emparée des Kanaks indépendantistes et de la Nouvelle-Calédonie pourrait-il être indépendant sans que
des Calédoniens blancs qui voulaient régler leur problème les Calédoniens anti-indépendantistes de toutes races ne s’en
avec leurs fusils. Il faut dire aussi que les Kanaks non indépen- inquiètent.
dantistes étaient considérés par les Kanaks indépendantistes Avec les Mélanésiens anti-indépendantistes, Pisani avait
comme des traîtres, et que le pouvoir socialiste du moment essayé une autre méthode. Il leur avait dit que les Kanaks
n’aimait ou ne tolérait que ceux qui haïssaient la France indépendantistes régleraient leur compte à ceux qui se sen-
et l’affichaient. C’est toujours un peu le cas ! C’est cela le taient français, et qu’ils le feraient dans le sang si il le fallait.
progressisme à la française. Des drames, il y en eut dans l’ex- La confusion était grande dans presque tous les esprits. Il était
trême nord du territoire où des vieillards isolés furent tués ou difficile de trouver la voie qui conciliait les antagonismes. Et
torturés. Durant la même période, au lieu-dit Témala, il y eut pourtant, il fallait bien trouver cette voie de la paix et de la
sans doute un millier de coups de feu tirés à la tombée de la justice. Jean-Marie Tjibaou éprouvait encore plus de mal que
nuit. Sur l’ensemble du territoire, les incidents se multipliaient. moi à faire passer ce message dans son camp. La révolte
Les actions violentes avaient pris un tour plus précis, plus sys- des Kanaks indépendantistes était en fait basée sur de vraies
tématique. C’est ainsi que se produisit le drame de Hienghène questions. Celle de leur identité, de leur culture, celle des
où des métis - qu’un œil non averti n’aurait pu différencier humiliations qu’ils avaient subies dans le passé et de l’attitude
des Mélanésiens qui, la veille, incendiaient la station d’un non- de ceux qui ne leur reconnaissaient aucun droit, hormis ceux
Kanak - se retrouvèrent désignés, par les indépendantistes, qu’ils avaient déjà. C’était une vraie révolte, et j’ose le dire,
comme les prochaines victimes. Certains d’entre eux l’avaient légitime. L’écho de cette révolte était porté par les petites
compris. Ils organisèrent une embuscade qui se termina par îles du Pacifique qui avaient obtenu leur indépendance. Il
un épouvantable massacre, la tuerie de Hienghène. était amplifié par les Australiens francophobes, hystériques
à cette époque. Le problème était aggravé aussi par l’action
Edgar Pisani de professionnels de l’agitation, financés dans ces temps-là
C’est dans ce contexte qu’Edgar Pisani débarqua en Nouvelle- par la Libye, l’Union soviétique, et un peu par l’Australie et la
Calédonie. Edgar Pisani nous arrivait après une succession Nouvelle-Zélande.
de délégués du gouvernement tels que Nucci et Roynette. Ils Ceux que certains appelaient les « Caldoches » ne voyaient
avaient été nommés, après des échecs électoraux, directeurs qu’une seule chose : on voulait les chasser de chez eux.
d’établissement puis préfets. Edgar Pisani arrivait précédé C’est tout ! Leurs craintes et réactions étaient-elles illégi-
d’une gloire gaulliste qui nous avait un peu rassurés. Christian times quand, dans le même temps, la pression
Blanc faisait partie de l’équipe du haut-commissaire. Edgar d’un racisme en force organisée se ­faisait
Pisani s’installa. Nous nous sommes aperçus très rapidement de plus en plus grande ? En janvier

103
1985, François Mitterrand vint à Nouméa. accompagné. Ensemble, jour après jour, ils avaient négocié,
Parlementaires et autres élus, nous allâmes l’ac- des heures durant, la libération des otages. Ils refaisaient
cueillir, écharpe tricolore au vent. On l’avait prévenu, bien sûr, surface et revenaient à la base arrière, hélas, chaque fois por-
que cinquante mille personnes étaient dans les rues, peintes teurs du refus catégorique des preneurs d’otages. Cependant,
ou habillées en bleu blanc rouge, une foule aux couleurs de le magistrat et le capitaine avaient en tête la configuration
la France. exacte de la grotte, de ses extérieurs, de ses accès et des
Quelque temps après, nous avons appris que Pisani rentrerait ­postes de défense, gardés et occupés, de jour comme de nuit,
à Paris pour y être nommé ministre de la Nouvelle-Calédonie. par des hommes en armes. Le substitut du procureur et le
En mai 1985, il fut remplacé, comme délégué du gouverne- capitaine rendaient compte fidèlement et très intelligemment
ment, par Fernand Wibaux. après chacune de leurs missions. Les informations qu’ils
rapportaient étaient disséquées, et les conseils du capitaine
Le drame d’Ouvéa Legorjus très écoutés. Un petit doute subsistait cependant à
Après les élections de 1986 et la victoire de la majorité UDF, son égard, car tout cela se déroulait au moment où se jouait
RPR et divers droite, une nouvelle organisation fut mise la bataille pour la présidence de la République, et il semblait
en place en Nouvelle-Calédonie. Le nouveau gouvernement que les rapports du capitaine de gendarmerie étaient plus
imposa la paix, mais ce n’était pas une vraie paix, pas celle fréquents avec le général Jérôme, qui était là pour informer
des cœurs. Nous étions donc engagés dans une nouvelle voie. François Mitterrand, qu’avec Bernard Pons. Mais Legorjus
Le taux d’assassinats et d’incendies avait considérablement avait l’occasion d’informer directement le ministre lors de
diminué. Bernard Pons, désigné comme ministre des Dom- réunions avec le général Vidal et ses officiers.
Tom, avait engagé une action de relance économique en À mesure que le temps s’écoulait, il était clair pour moi – qui
injectant cinq cents millions de francs français, pour que la vie ne savais pas tout - qu’une opération militaire se préparait. Il
redémarre, que la population souffle et, petit à petit, reprenne n’y avait plus d’autre choix et chacun se sentait poussé dans
espoir. C’est alors que se produisit le drame d’Ouvéa. le dos et conditionné par la date du second tour des élections
Quand l’attaque de la gendarmerie de Fayaoué se produisit, présidentielles. L’opération Victor a été enclenchée le 5 mai
si subitement, si soudainement, si violemment aussi, il était 1988 au matin. Elle a permis la libération de vingt-quatre
clair que tout avait été programmé, prévu par les assaillants, otages sains et saufs. Dix-neuf de leurs ravisseurs ont été
et rien par les gendarmes mobiles. Ils furent capturés, blessés tués, deux militaires ont trouvé la mort pendant l’assaut.
ou tués à l’arme blanche et par balle. Les otages furent dirigés
sans ménagement vers cette extraordinaire grotte souterraine Les Accords de Matignon
inconnue, et retenus prisonniers sous la menace des armes. C’est dans ce contexte qu’une mission du dialogue fut envoyée
L’émotion fut énorme en Nouvelle-Calédonie et en métropole. en Nouvelle-Calédonie. Le nouveau gouvernement était installé
Bernard Pons demanda à Jacques Chirac l’autorisation de avec Michel Rocard pour Premier ministre. Il fut décidé d’en-
gérer cette situation. La réponse fut positive. Par écrit, il voyer en Nouvelle-Calédonie une « mission du dialogue », qui
demanda à François Mitterrand la même autorisation, qu’il arriva le 20 mai 1988. Elle était présidée par le préfet Christian
obtint. Blanc et composée de Roger Leray, ancien grand maître du
Je suppose que toutes les solutions furent envisagées. Le Grand Orient de France, du sous-préfet Pierre Steinmetz,
capitaine Legorjus, patron du GIGN, avait réussi à négocier, du conseiller d’État et ancien directeur de la gendarmerie
sous certaines conditions, sa venue dans la grotte. Jean- Jean-Claude Perrier, du pasteur Jacques Stewart, président
François Bianconi, courageux substitut du procureur, l’avait de la Fédération protestante de France, et du chanoine Paul

104
MÉMOIRE
de reconnaissance

Signataires
de l’Accord de Nouméa.
Coll. Province Sud.

Guiberteau, recteur de l’Institut catholique de Paris. trahi personne, que ces accords étaient plutôt miraculeux
Peu de temps après cette mission, il fut décidé que Jean- car ils mettaient fin à la guerre civile et nous permettraient
Marie Tjibaou et moi nous nous rendrions en métropole pour rapidement sans doute, grâce à la France, de comprendre
rencontrer le Premier ministre, Michel Rocard. Ces négocia- ce ­qu’était notre propre territoire. Cela obligerait aussi ceux
tions allaient aboutir aux Accords de Matignon. La première qui revendiquaient pour eux seuls la pleine propriété de la
rencontre eut lieu le 15 juin 1988. La méthode était toujours Nouvelle-Calédonie à y renoncer, car nous-mêmes ne tran-
la même : Jean-Marie Tjibaou et moi ensemble ; puis Jean- sigerions pas sur ces principes. Je leur ai dit aussi que les
Marie Tjibaou avec Rocard et moi-même avec un collaborateur lois de notre vieille République seraient toujours appliquées
du Premier ministre. À Matignon, Jean-Marie Tjibaou jouissait par ceux qui la représentaient et que cela permettrait à la
d’une grande estime ; je ne peux pas en dire autant pour moi, Nouvelle-Calédonie de revenir aux principes sacrés énoncés
bien au contraire ! L’atmosphère était lourde, et je sentais bien dans la Déclaration des Droits de l’Homme.
qu’on ne me supportait que parce qu’il n’y avait pas d’autre Le référendum qui a suivi le vote de la loi au Parlement, le­
choix. Je savais qu’ils rêvaient tous à l’indépendance et qu’ils 6 novembre 1988, a démontré qu’en Nouvelle-Calédonie, il y
essayaient de la bâtir avec ma complicité. avait davantage de sceptiques que de partisans, car le vote
Les jours passèrent et mes interlocuteurs considérèrent que a été négatif dans la région Sud et le « oui » n’a atteint que
c’était le moment de faire venir nos délégations respectives. 57 % sur l’ensemble du territoire. En métropole, le vote a été
L’administration avait commencé à rédiger un texte, et la dis- positif, mais il y eut une très forte abstention. Les Français
cussion, point par point, était minutieuse et délicate dès qu’il étaient favorables au maintien de la Calédonie dans la France,
s’agissait d’accepter, sans retour, un article précis. Un texte mais estimaient qu’il y avait d’autres problèmes à régler. Les
fut définitivement adopté. Un sentiment humain envahissait Accords de Matignon se sont appliqués avec, au préalable, une
ceux qui étaient présents, une formule m’est venue : « Il faut année d’administration directe.
savoir donner et pardonner .» Il s’agissait maintenant, pour Il y eut alors le drame du 4 mai 1989. Ce soir-là, alors que
Jean-Marie Tjibaou et moi, de repartir devant nos instances et je me trouvais dans le nord du territoire, Bernard Grasset
de voir comment les Calédoniens réagiraient face aux Accords. m’a téléphoné pour m’annoncer que Jean-Marie Tjibaou et
J’ai expliqué, avec patience et passion, que la Nouvelle- Yeiwené Yeiweiné venaient d’être victimes d’un attentat.
Calédonie ne pourrait jamais plus vivre normalement si ses Ils avaient été assassinés par Djubelli Wéa, lors de
habitants refusaient de se reconnaître malgré leurs diffé- la cérémonie de levée de deuil des Kanaks
rences d’identité et de couleur. Je leur ai dit que je n’avais tués, un an plus tôt, lors de l’opération

105
Victor, pour la libération des gendarmes rete- la population totale de la Nouvelle-Calédonie, recevrait 50 %
nus en otages dans la grotte de Gossanah. des revenus disponibles après dotation des budgets du terri-
Moins d’un an après la mort de Jean-Marie Tjibaou, et toire et des communes, la province Nord recevrait 32 %, et la
pour tenir une promesse que je lui avais faite, j’ai cédé aux province des Iles 18 %. Ce n’est sans doute pas la meilleure
Mélanésiens la SMSP. Ce geste m’a valu beaucoup de suspi- façon de gérer, avec un souci d’économie, les deniers publics,
cion, de critiques, d’attaques et d’interrogations de la part de mais je crois qu’il était absolument nécessaire de reconnaître
beaucoup de personnes. Qui peut croire il est vrai à un geste aux élus une part de souveraineté, et de n’écarter personne
gratuit et désintéressé de 1,8 milliard ? Pourtant, pour s’en des ­centres de décision et de gestion. Plus tard, dans l’Accord
rendre compte, il aurait juste suffi de regarder les comptes de Nouméa, on appellera cela la « souveraineté partagée ».
de la société. Mais, personne n’a hélas voulu le faire. On a Les Accords de Matignon avaient prévu un système qui
alors dit à cette occasion tout et le contraire de tout, même durerait dix ans et qui serait, à son terme, sanctionné par un
que Michel Rocard m’avait en quelque sorte « acheté » en référendum d’autodétermination en 1998.
rachetant cette société. On aurait dû être prudent en avançant Les Calédoniens se demandaient vraiment ce qu’ils devien-
ce genre de choses. Je sais que Michel Rocard n’a pas hésité draient après 1998. Quels que soient les arguments employés,
à faire courir le bruit que le rachat de la SMSP avait servi à rien ne parvenait à apaiser cette inquiétude sourde alimentée
me dédommager. Cela augmentait son prestige (en effaçant le par un travail de sape. Les indépendantistes ne perdaient pas
mien) à un moment où il était contesté par le parti socialiste, une occasion de soutenir que la Nouvelle-Calédonie devien-
et en extrême délicatesse avec François Mitterrand. Aussi, drait indépendante dès 1998, et que les terres et le reste leur
faire courir cette rumeur lui permettait de me discréditer aux reviendraient de plein droit.
yeux de mes ennemis mais surtout de mes « amis » politiques
qui trouvaient là une bonne raison pour refuser les Accords de L’Accord de Nouméa
Matignon. Il me faut rétablir la vérité des choses. La cession Face à l’inquiétude qui renaissait, j’ai expliqué, au cours d’un
de la SMSP devait permettre aux Mélanésiens d’accéder au comité directeur de notre mouvement - une grande réunion,
secteur de l’économie et d’entrer de plain-pied dans une à laquelle assistaient cinq mille personnes - que la haine
activité minière opérationnelle. Il était clair pour Jean-Marie féroce qui existait pendant les événements avait pratiquement
Tjibaou comme pour moi, que les bénéfices que générerait disparu de tous les esprits et que nous pourrions envisager
cette société devraient être utilisés en faveur du rééquilibrage. de proposer une solution meilleure que celle qui était prévue
En réalité, je crois que personne ne souhaitait reconnaître par les Accords de Matignon et la loi référendaire de 1988 qui
que, dans un élan sincère, je faisais un geste important qui en était issue. J’affirmais que nous devions tout faire pour
allait permettre d’éviter une revendication générale sur les éviter le « référendum-couperet » de 1998 qui consistait à
­richesses naturelles du territoire. dire « oui » ou « non » à l’indépendance. J’ai expliqué que ce
Les indépendantistes « nouveaux », ceux qui avaient été élus référendum, nous étions certains de le gagner, et que chacun
en 1989, après l’année d’administration directe, étaient en le savait ici comme en métropole. Ainsi la Nouvelle-Calédonie
place. Ils géraient deux provinces sur trois, le Nord et les Iles, resterait dans la France mais ce ne serait qu’une victoire à
nous, nous gérions la province Sud et le congrès du territoire. la Pyrrhus. Notre victoire laisserait sur le bord du chemin une
Les maîtres mots étaient « partage » et « rééquilibrage ». minorité indépendantiste kanake vaincue, et il était certain
Cela se traduisait notamment dans la péréquation inégalitaire qu’à terme, cette minorité, écartée du pouvoir après y avoir
qui existait, dans le budget, pour la répartition des revenus du été associée par les Accords de Matignon, se rassemblerait
territoire. La province Sud, qui représentait environ 75 % de autour d’un racisme qui se durcirait avec le temps.

106
En 1995, Jacques Chirac, candidat du RPR a été élu pré- lonisée à compter de la signature de l’Accord et constatait que
sident de la République, Président de tous les Français. personne ne portait vraiment de responsabilité dans la coloni-
Auparavant, nous avions vécu une phase de cohabitation, sation. Dans ce texte, nous reconnaissions, ensemble, État et
François Mitterrand à l’Élysée avec Édouard Balladur comme négociateurs, que la colonisation avait apporté beaucoup de
Premier ministre. Les indépendantistes imposèrent alors leur lumière sur la Nouvelle-Calédonie, tout en reconnaissant que
préalable minier à toute négociation. La Nouvelle-Calédonie cette période avait aussi ses ombres. Cette conclusion, même
fut confrontée au problème de cession d’actifs miniers, alors imparfaite, a été acceptée par tous.
que se négociaient l’Accord de Nouméa. En effet, d’avril 1996 Je crois qu’il faut se rappeler que parmi les premiers arrivants
à février 1998, les discussions sur la recherche de la solution en Nouvelle-Calédonie, au tout début de la colonisation, il y
consensuelle furent interrompues par le « préalable minier », avait de très nombreux héros. Ils avaient quitté la France pour
posé par le FLNKS qui revendiquait le domaine minier de la une aventure sans espoir de retour, parce qu’on les avait
Tiébaghi, appartenant à la SLN, pour construire une usine de forcés ou parce qu’ils n’avaient pas voulu devenir allemands
traitement de minerai dans le Nord. Ce sera l’occasion d’un en 1870. C’est ainsi que beaucoup partirent en direction du
bras de fer entre Eramet et les autorités de l’État. L’affaire se Canada, de l’Algérie ou de la Nouvelle-Calédonie. Un voyage
réglera par l’échange, entre la SMSP et la SLN, des massifs de dix-huit mille kilomètres, sur des navires à voile, pendant
de Poum et de Koniambo. six mois… On devrait y penser et être généreux avec eux.
Après qu’il eut été nommé à Matignon, nous avons décidé On peut, si on le veut, condamner l’esprit colonial de la
avec Lionel Jospin qu’il fallait conclure ces négociations. France, mais on ne peut les accuser, eux, contraints de partir
Les représentants du gouvernement vinrent en Nouvelle- et de quitter leurs terres, d’avoir été des colonialistes. Quand
Calédonie, avec, pour objectif, de signer cet accord à la j’essaie d’imaginer leur existence, je pense à ce merveilleux
mi-mai. À la tête de la délégation de l’État se trouvait Alain film néo-zélandais, La Leçon de piano, à cette étonnante photo
Christnacht. Grâce à son talent, et à sa patience ainsi qu’ à la d’une femme restée seule sur la plage balayée par le vent et
volonté du Rassemblement, mais aussi à la grande hauteur de les vagues, à côté de son piano. On comprend, par cette seule
vue de Paul Néaoutyine, nous sommes parvenus à un accord image, le malheur, l’abandon, la solitude. Ce sont les mêmes
final. L’Accord de Nouméa a été signé dans la soirée du 21 qui sont partis installer le monde tel qu’il est aujourd’hui.
avril 1998 au haut-commissariat avant d’être ratifié quelques Quel courage il leur a fallu pour maîtriser la nature, survivre,
jours plus tard, le 5 mai, en présence du Premier ministre. Cet s’installer et durer ! Le président de la République approuva
accord n’était certainement pas totalement satisfaisant pour cet accord et lui apporta son soutien.
tous. Des points de désaccord, peu nombreux, demeuraient, En conclusion, je veux aussi dire toute l’importance et la
mais ensemble, nous avons décidé d’en reporter l’examen à portée de deux textes : le discours prononcé par Dick Ukeiwé
une date ultérieure comprise entre une semaine et … 20 ans, devant le Sénat le 24 janvier 1985 et le préambule de l’Accord
date du prochain référendum d’autodétermination. Je crois à de Nouméa. Ils se répondent et s’inscrivent dans la droite
ce sujet que le problème qui s’était posé pour le référendum ligne de la Charte du Rassemblement rédigée à sa création en
prévu par les Accords de Matignon et qui devait avoir lieu en 1977. Ces deux documents sont en effet les pierres d’un même
1998, se reposera pour celui prévu dans l’Accord de Nouméa cheminement. Ils traduisent et résument les sentiments, les
et que la Nouvelle-Calédonie aura de nouveau besoin d’une positions, les aspirations, les volontés qui ont été les nôtres
solution consensuelle. Nous avons signé le texte final. Il était et qui nous ont guidés depuis vingt-cinq ans pour,
précédé d’un préambule d’une grande qualité rédactionnelle petit à petit, concilier les antagonismes et
et historique. Il affirmait que la Nouvelle-Calédonie était déco- construire la paix en Nouvelle-Calédonie.

107
N AGE
O IG

M La dignité

Reconnaître le passé…
retrouvée Deux conceptions, sinon contraires, en tout cas différentes,
par Léopold Jorédié peuvent en fait, sinon justifier, du moins expliquer cette notion
de l’espace foncier : celle des premiers occupants et celle des
colonisateurs. On pourrait, d’ailleurs, en l’occurrence, parler de
« peuple souverain » et de « peuple conquérant ». Cela dit,
MÉMOIRE
océanienne les faits marquants, quel qu’en soit l’impact, se trouvent peu
à peu pérennisés au travers d’un devoir de mémoire… même
si ce seul rappel s’avère susceptible de provoquer un profond
sentiment de malaise. La saine pédagogie est bien de lier la
lecture des Événements à une compréhension de l’Histoire
telle qu’elle a été vécue de part et d’autre.
Les moments difficiles passés, des mots ont été prononcés
avec beaucoup d’émotion à l’heure de la signature des
Accords de Matignon en 1988. Des mots qui ont nom
« pardon », « partage », « amnistie des crimes de
sang », « rééquilibrage ». De telles paroles ont alors traduit
un changement de comportement entre antagonistes d’hier et
partenaires d’aujourd’hui permettant de relever un nouveau
défi : celui d’un mutuel pari sur l’intelligence. Et, dix ans plus
Centre culturel
Tjibaou.
tard, en 1998, les Accords de Nouméa ont relevé ce défi à
Photo Éric Dell’Erba. travers la reconnaissance de la terre coutumière, le statut civil
coutumier ou l’enseignement des langues régionales kanak.
La communauté kanak a en grande partie retrouvé sa terre
Impact au quotidien de l' Accord d’origine et c’est bien le fait le plus remarquable depuis les
de Nouméa : apprendre à vivre ensemble. événements de 1984-1988. Sans doute, l’importance même de
ce phénomène politique passe-t-elle relativement inaperçue
Tout conflit entre peuples puise son ferment dans la conquête dans l’exacte mesure où le Kanak estime qu’après tout il
ou le peuplement d’un espace vital sur lequel s’exerce, s’agit là d’une simple restitution, logique, naturelle, de son
logiquement et historiquement, une souveraineté légitime. bien. Mais il se doit de le reconnaître tout au fond de son être
Et, comme partout ailleurs, l’histoire de notre pays aura été : le seul fait que l’État français ait pris la responsabilité de
jalonnée d’événements douloureux, d’affrontements cruels, de mettre en œuvre les conditions indispensables pour réaliser
manifestations d’intolérance, de marques de mépris ou même cette opération de restituer des terres aux Kanak constitue
parfois, hélas, de gestes de haine. en soi un acte majeur et en fait le geste de reconnaissance
d’une identité culturelle permettant aujourd’hui à chacun de

108
Drapeaux kanak
et français devant la mairie
MÉMOIRE
de Gomen. Coll. L. Bounet.
conjuguée
retrouver ses marques… et de se sentir comme soulagé Marie Tjibaou et Jacques Lafleur après la longue période
de pouvoir ainsi afficher sa fierté et sa dignité après cent d’incertitude douloureuse d’une histoire commune.
cinquante ans d’histoire. Mais cette Histoire, elle est écrite par Pour véhiculer cette culture tant affirmée par les Kanak et
des hommes dans des contextes divers évoluant avec le temps pour la préserver, deux outils importants sont aujourd’hui
au sein d’un monde en perpétuelle mutation. entre leurs mains : le Centre culturel Tjibaou et Radio
Djido. Deux collectivités provinciales sont également gérées
Regarder l’avenir… politiquement par les Kanak leur permettant de se doter des
la Nouvelle-Calédonie a déjà acquis une partie de sa moyens techniques et financiers susceptibles de promouvoir
souveraineté avec les transferts de compétence : elle écrit et de faire partager ce qui, désormais, leur appartient. Enfin,
donc aujourd’hui une nouvelle et grande page de son histoire. les Conseils d’aires et le Sénat coutumier institutionnalisent le
Mais l’Histoire continue, coule, avance et il faut laisser le droit et la représentativité de la communauté kanak au sein
temps au temps… tout en réalisant cependant que ce temps des nouvelles institutions calédoniennes.
n’épargne pas les décisions que l’on prend sans lui. Et, pour
nous, le devoir de mémoire, c’est précisément le rappel de Voilà bien, reconnaissons-le, le chemin de la dignité
ces temps qui auront marqué le chemin parcouru depuis retrouvée…
les Accords de Matignon. C’est Jean-Marie Tjibaou qui, au
lendemain de leur signature, disait avec simplicité mais avec ●
justesse : « Voilà un moment historique et c’est une victoire
pour la Calédonie. » C’est vrai : quand on fait la guerre, c’est
pour gagner la paix parce qu’un conflit, un tel conflit se solde
naturellement par un accord sur le partage, sur la tolérance,
en l’occurrence sur la construction d’un destin commun.
C’est bien le sens profond de la poignée de main entre Jean-

109
Coll. Christiane Terrier.

Paroles Histoire d’un pays,


Celui de la Nouvelle-Calédonie,

de jeunes Bercé par les vagues de la vie.


Ton capitaine de vaisseau qu’est Paris,
T’entretient au mieux à l’aide de son équipage,
Un équipage aux mille visages,
Un équipage venu de tant de rivages,
Qui a su s’aimer et s’entremêler,
Mais, hélas, qui n’a pu résister,
Et entre eux, ils se sont déchirés.
Ô pays loin de toute guerre internationale,
Tu as su en ton sein te faire un rival,
Celui de la non tolérance,
Celui de la violence.
Mais tu as traversé tant d’ouragans,
Si bien qu’un jour, il ne coulera plus de sang,
Ô capitaine, fais que ton navire soit fort,
Afin que ton équipage ait un meilleur sort.

Michel
110
Métissez
Texte à trois voix pour regarder l’ave-
nir…

votre avenir
Vue par les yeux de l’une, la Calédonie de
demain serait un pays jeune, formé. La jeunesse
qui chercherait à découvrir la vie dans ce qu’elle
a de plus intense en retirerait plaisir et enseigne-
ment.
Vue par le cœur d’une autre, la Calédonie de
MÉMOIRE demain serait la fin d’une ère de révolte, la fin
de demain de la recherche d’une identité. On parle d’une
culture, partiellement volée ou détruite, réclamée
aujourd’hui par un peuple orphelin, comme
né de nulle part, tombé du ciel. À la recherche
de ses ancêtres, il attend une réminiscence, des
réponses, peut-être simplement des excuses. Le
futur guérisseur pansera les plaies de ce peuple
originel et ses descendants s’épanouiront sur les
chemins de la sérénité, de l’harmonie et de la
connaissance d’eux-mêmes et des autres.
Vue par mon âme, cette terre de bagne devien-
drait, pour la femme et pour tous, un vrai pays de
liberté. La vie n’est pas une succession d’instants.
C’est un cheminement personnel et communau-
taire. Peu importe nos croyances, nous avons
comme devoir de donner le meilleur de nous
pendant notre vie terrestre. Afin de faire évoluer
notre société, il faut offrir et s’offrir sans compter,
avoir foi et confiance en l’homme, bousculer,
bouleverser les dogmes en place, confronter nos
idées, associer nos envies et métisser notre avenir.
La Calédonie du futur sera juste, basée sur
l’égalité entre tous, sans a priori sur le sexe,
l’âge, la culture ou la couleur de la peau. Liberté-
Égalité-Fraternité n’y seront pas de vaines paroles
ni une devise utopique gravée sur la personnifi-
cation du monde matériel mais notre réalité,
notre vérité.

Charline Cramet, Jennifer Kélétaona,


Aurélie Eaténé
1re L au lycée Lapérouse.
Devant 111
la fontaine Celeste en 2002.
Photo Marc Le Chelard.
M gÉé M
n é aOl oIgRi qEu e

FamilleMitride.
Coll. Jerry Delathière.
Chronologie
Cette chronologie est loin d’être exhaustive.
Elle se veut, comme la mémoire, faite de flash liés
à l’histoire, au politique, aux loisirs et au quotidien…

113
1853 L'amiral Fébvrier-Despointes « prend possession » de la Nouvelle-Calédonie à Balade devant les
missionnaires et cent cinquante Kanak. Par la suite, d'autres tribus signent des actes de reconnais-
sance de souveraineté française.
1854 Tardy de Montravel fonde la base militaire de Port-de-France.
1855 Arrivée des premiers commerçants et colons français à Port-de-France.
1856 Attaques à Saint-Louis, à la vallée des Colons… suivies de représailles : cases brûlées...
1857 Soumission du grand chef Kuindo, au grand dam de ses sujets qui considèrent
cet acte comme une trahison.
1858 Le grand chef Bouarate est exilé à Tahiti. Les Hienghène réagissent en envoyant un défi à l'autorité
: « 10 000 guerriers attendent les Blancs. » Le gouverneur organise la répression, détruit la «
Kalagoné » et interdit la côte aux caboteurs.
1859 Création du service postal Port-de-France - Napoléon-ville (Canala) – Mise en service de la pre-
mière planche de timbres et du premier numéro du Moniteur Impérial de Nouvelle-Calédonie.
1860 Tandis qu'un décret impérial détache la Nouvelle-Calédonie des Établissements français de l'Océa-
nie et lui donne un gouvernement particulier, on recense quatre cent trente-deux civils ­d'origine
européenne en Nouvelle-Calédonie, la plupart Irlandais, Allemands, Australiens.
1861 Théodore Cheval acquiert une concession de 1500 hectares à Tontouta.
1862 Arrivée du gouverneur Guillain, premier gouverneur en titre de la Nouvelle-Calédonie.
1863 Première immigration de coolies indiens de la Réunion : les Malabars.
1864 Arrivée des premiers transportés par l'Iphigénie. La Calédonie devient terre de bagne.
1865 L'île d’Ouvéa devient française et est divisée en trois districts.
1866 Port-de-France devient Nouméa.
1867 Arrivée des cent cinquante premiers Arabes déportés à l'île Nou. Ils fondent plus tard Nessadiou.
1868 Constitution de la propriété territoriale indigène improprement nommée « réserve ».
1869 À Maré, le grand chef Naisseline fait arborer le drapeau français... pour mieux pouvoir détruire les
villages catholiques et les missions de Awi, Pénélo et La Roche. 900 Maréens s'exilent à l'île des
Pins entre 1869 et 1875.
1870 La « Fête de la Nouvelle-Calédonie » est commémorée le 24 septembre et non le jour de la fête
de l'Empereur.
1871 Inauguration de l’usine à sucre de Dumbéa, après celle de Ouaménie.
1872 Arrivée du premier convoi de déportés de la Commune de Paris.
1873 Après avoir ouvert la mine d'or de Ouégoa, Higginson ouvre la mine de cuivre de Balade.
1874 Évasion de Rochefort et rappel en France du gouverneur de la Richerie.
1875 Jules Garnier découvre les silicates de nickel, dont la « garniérite ».

114
1877 Pour faire face à une grande sécheresse, le gouverneur de Pritzbuer accorde temporairement un
droit de pacage sur les réserves pénitentiaires laissées aux Kanak : ravage des plantations d'ignames,
taros et bananiers.
1878 Révolte kanak derrière le grand chef Ataï.
1879 Rivière écrit : « le Gouverneur voulait que les Canaques à qui l'on faisait grâce de la vie sauve aban-
donnassent l'arrondissement et fussent transportés soit à l'île des Pins, soit aux îles Bélep. Non seule-
ment cela supprimait les indigènes, mais nous donnait une quantité considérable de terres fertiles. »
1880 Création de la société de tir, la Néo-Calédonienne.
1881 Lutte contre les sauterelles dont l’invasion fait suite aux trois violents cyclones de l'année précédente.
1882 Tandis que de nombreuses forces de la transportation sont dirigées sur la construction des routes,
Devambez crée le Tour de Côtes, avec deux bateaux à vapeur : le Nouméa et le Calédonien.
1883 Installation de la maison Ballande qui approvisionne la Nouvelle-Calédonie depuis 1863.
1884 Ouverture de la route Païta-Boulouparis et des pistes Bourail-Houaïlou et Canala-Pam.
1885 Décret instituant la relégation en Nouvelle-Calédonie.
1886 Création de l'usine de conserves de viande de Ouaco.
1887 Décret créant le statut de l'Indigénat, pour dix ans. Il est prorogé jusqu'en 1946. Par ce régime, les
Kanak sont placés hors du droit commun.
1889 Premier numéro de La France australe.
1890 Arrêté créant les premières léproseries au Pic des Morts (Canala) et à l'Ile aux Chèvres (Nouméa).
1891 La Société des missions évangéliques de Paris prend le relais de la London Missionnaire Society.
Le jeune pasteur Lengereau s'installe à Maré comme directeur des écoles indigènes des Loyauté.
1892 Fondation du centre de Voh.
1893 500 travailleurs japonais sous contrat viennent travailler dans les mines de la S.L.N. à Thio.
1894 Arrivée du gouverneur Feillet. Il aura à cœur de développer la colonisation libre.
1895 Sur proposition du gouverneur Feillet, le Conseil général vote la création de l'impôt de capitation.
1896 Le Saint-Louis amène les premiers Javanais venus travailler sous contrat.
1897 Arrivée du dernier convoi de condamnés.
1898 Cyclone.
1899 Henri Legras fonde Le Bulletin du Commerce, de la Nouvelle-Calédonie et des Nouvelles-Hébrides.
1900 Exposition coloniale à Paris. Le pavillon de la Nouvelle-Calédonie est remonté à Nouméa pour abri-
ter la bibliothèque-musée conçue avec les fonds de Lucien Bernheim.
1901 Révolte de la tribu des Poyes menée par le grand chef Amane dans la région de Touho.
1902 Arrivée du pasteur Maurice Leenhardt à Maré. Il est nommé, l'année suivante, à Houaïlou et y
fonde l'école pastorale de Do Neva.

115
1903 Fête du cinquantenaire de la prise de possession.
1904 Inauguration de la voie ferrée, section Nouméa-Dumbéa.
1905 Conscription obligatoire pour tous les citoyens français de Nouvelle-Calédonie.
1906 Une nouvelle épidémie de peste bubonique s'abat sur l'île.
1907 Naissance de La Terpsichore, une « société pour s'amuser », à l'initiative de Louis Spingler, Henri
Bedford, Jean-Baptiste Marillier et Bob Metzger.
1908 Le coton calédonien est présenté à Paris.
1909 Arrêté fixant les conditions de résidence libre pour les immigrés asiatiques (Indochinois, Javanais,
Indiens) : huit ans de résidence et renoncement au rapatriement.
1910 Inauguration de l'usine de Doniambo, propriété Ballande. La S.L.N. inaugure l'usine de Thio-
Mission.
1911 Création du « Service médical de colonisation et d'assistance indigène » : onze médecins, dont un
à Lifou.
1912 T.W. Hickson inaugure son « Grand Cinéma calédonien » à Nouméa, rue de la Somme.
1913 Édification du premier monument officiel à Balade, à l'occasion du 60e anniversaire de la prise de
possession.
1914 Arrêté rendant obligatoire l'enseignement primaire aux enfants résidant à moins de quatre kilo­mètres
des écoles publiques.
1915 Départ du premier contingent de 713 soldats pour la guerre.
1916 Deux départs du Bataillon mixte du Pacifique. Et un troisième en 1917. Plus de 2 000 hommes
partiront à la guerre ; 581 mourront au champ d'honneur.
1917 Une révolte, menée au départ par le petit chef Noël, éclate dans le nord de la Grande Terre.
1918 Le Bataillon mixte du Pacifique est cité pour sa tenue au combat à Vesles et Caumont.
1919 Ouverture du procès des insurgés de 1917.
1920 Première exploitation des charbons de Moindou.
1921 25 000 cartouches sont distribuées pour les battues organisées contre les cerfs.
1922 Arrêté sur les prestations indigènes pour les travaux d'utilité publique.
1923 Premier avion dans le ciel calédonien.
1924 Inauguration du monument « Aux morts de la Grande Guerre, originaires de Nouvelle-Calédonie et
des Nouvelles-Hébrides ».
1925 Arrivée du gouverneur Guyon qui veut mettre en place un programme de grands travaux d'infras-
tructures et de santé.
1926 Suite à la propagande du maire de Nouméa, Marx Lang, des immigrants arrivent du Nord de la
France pour fonder la Coopérative mutuelle de colonisation néo-calédonienne.
1927 Le père Niel bénit solennellement l'usine électrométallurgique de Yaté.

116
1928 Numa Daly crée la Fédération calédonienne de football.
1929 Inauguration du pont de Houaïlou.
1930 Pour résorber le chômage, le Conseil général propose d'ouvrir de grands chantiers (remblais de
la baie de la Moselle…).
1931 À l'occasion de l'Exposition coloniale à Paris, cent quatorze indigènes partent. Ils seront exposés
comme cannibales. Maurice Leenhardt dénonce le scandale.
1932 Arrivée du Biarritz à Tontouta, premier avion à effectuer la liaison Paris-Nouméa : il mit vingt-cinq
jours.
1933 Première émission radiophonique avec Jean-Charles Cayrol et Ernest Olliveau.
1934 Le capitaine Meunier part après avoir mis en place la NPI (Nouvelle Politique Indigène en matière
d’enseignement, d’hygiène et de travail).
1935 Mise en place de l'état civil officiel pour les Kanak.
1936 Il y a 679 autos en Nouvelle-Calédonie.
1937 La S.L.N. absorbe Calédonickel et fusionne avec Calédonia. Tout un programme de modernisation et
d'intensification de la prospection est mis en place.
1938 Maurice Leenhardt fonde la Société des études mélanésiennes.
1939 Ouverture d’un séminaire à Canala. Il est ensuite transféré en 1946 à Païta.
1940 Sautot, venu des Nouvelles-Hébrides, est envoyé par le général de Gaulle comme gouverneur de la
France libre en Nouvelle-Calédonie. Il est accueilli par les Calédoniens en liesse.
1941 Départ des 685 volontaires du Bataillon du Pacifique. Dans la colonie, une milice civique se crée.
Au lendemain de l'attaque de Pearl Harbour, Sautot fait arrêter 1 116 Japonais.
1942 Débarquement américain et établissement à Nouméa du quartier général de l'armée US dans le
Pacifique. On estime que plus d'un million de soldats passeront en Nouvelle-Calédonie.
1943 Premiers panneaux routiers " Stop " en ville.
1944 21 coups de canon sont tirés à Nouméa pour fêter la libération de Paris. Les Conseil général et
Conseil privé sont rétablis.
1945 À l'occasion d'une dévaluation du franc, le gouvernement français crée le franc C.F.P. (« colonies
françaises du Pacifique » puis « change franc pacifique »).
1946 Les Kanak obtiennent la liberté de résidence et de travail : c'est la suppression du régime de l'Indi-
génat. La loi proclame citoyens français tous les ressortissants des territoires d'outre-mer.
1947 Fondation de l’UICALO et de l’AICLF.
1948 Cyclone.
1949 Mise en place du FIDES.
1950 Drame de Barhein.
1951 Jean Mariotti rédige Le Livre du centenaire.

117
1952 Pour la première fois, le régime électoral du statut négocié entre Mélanésiens et Européens est
adopté par l’Assemblée nationale.
1953 Disparition de la Monique.
1954 Premier numéro de L'Avenir calédonien, hebdomadaire de l'UC, créé l'année précédente autour
de deux mots d'ordre : « Colons et autochtones, unissez-vous » et « L'année du centenaire sera
l'année de la libération ».
1955 Inauguration du barrage de Yaté.
1956 Début de l'immigration wallisienne et futunienne pour les grands travaux : barrages de la Dumbéa
et de Yaté .
1956 De Gaulle remporte un grand succès populaire lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie.
1957 Suite à la loi-cadre, un conseil de gouvernement est mis en place avec huit ministres calédoniens.
1958 Création du Rassemblement calédonien par Henri Lafleur.
1959 Match de boxe : Doudi remporte la ceinture des Mers du Sud.
1960 Création de l'Église évangélique autonome de Nouvelle-Calédonie. En 1958, le pasteur Charlemagne
avait fondé l'Église évangélique libre de Nouvelle-Calédonie.
1961 Promulgation du statut des municipalités, le territoire est divisé en trente communes ; tribus et
villages sont représentés dans les conseils municipaux.
1962 Explosion à l’Assemblée territoriale.
1963 UTA crée sa ligne autour du monde avec escale à Nouméa.
1964 Dernier départ des travailleurs vietnamiens : 5 398 ont quitté la Nouvelle-Calédonie.
1965 Première émission de télévision pour 1200 postes vendus.
1966 Deuxièmes Jeux du Pacifique à Nouméa.
1967 Premier Tour cycliste de Nouvelle-Calédonie (La Grande Épreuve fait place au Tour de Calédonie).
1968 Début du boom du nickel.
1969 Le cyclone Collen s'abat sur la Nouvelle-Calédonie.
1970 Immigration importante : 4 800 Européens et 2 200 Wallisiens/Futuniens.
1971 Inauguration de Népoui, dont le nouveau transporteur de minerai bat le record du monde de trans-
port à bande continue.
1972 Le France croise dans les eaux calédoniennes.
1973 Jean-Jacques Cousteau vient en Nouvelle-Calédonie et projette son film sur les fonds sous-marins du
lagon calédonien, objet d’une vaste polémique.
1974 Création du « Groupe 1878 » mouvement d’opposition proche de l'UJC et des « Foulards rouges ».
1975 Festival Mélanésia 2000 avec le soutien de l'UICALO et de I'AICLF.
1976 Premier congrès du Palika (Parti de libération kanak).

118
1977 Jacques Lafleur crée le RPC lors d'un grand meeting au stade Brunelet. Il fusionne l'année suivante
avec le MLC pour devenir le RPCR.
1978 Rambaud, P-DG de la SLN, annonce à Nouméa qu'il faut diminuer les salaires de 12 % ou licencier
450 travailleurs sur 3 800. Des grèves s'ensuivent pendant cinquante et un jours.
1979 Visite du président Giscard d'Estaing dans une atmosphère troublée (nombreuses manifestations).
1980 Première foire de Bourail, bien que le paysage social soit en ébullition.
1981 Assassinat de Pierre Declercq, secrétaire général de l'UC. Pendant plus d'un mois, manifestations et
barrages dans toute la Calédonie.
1982 Démission et réélection de Jacques Lafleur.
1983 Table ronde de Nainville-les-Roches.
1984 La FI devient le FLNKS qui crée un gouvernement provisoire et conduit le boycott actif lors des
élections territoriales.
1985 Morts d’Yves Tual et d'Eloi Machoro.
1986 Inauguration du musée de Bourail.
1987 Accueil des huitièmes Jeux du Pacifique à Nouméa.
1988 Accords de Matignon-Oudinot.
1989 Morts de Jean-Marie Tjibaou et de Yéwéné Yéwéné.
1990 Jacques Iékawé est nommé préfet délégué au développement de la Nouvelle-Calédonie.
1991 Le projet de Renzo Piano est retenu pour la construction du Centre culturel Tjibaou. Ce dernier
ouvrira en 1998.
1992 Sortie du premier manuel d’histoire de la Nouvelle-Calédonie conçu par un collectif de professeurs
calédoniens : les élèves connaîtront désormais l’histoire de leur pays.
1993 Mise en place du programme « 400 cadres ».
1994 Karembeu intègre l'équipe de France.
1995 Grande sécheresse.
1996 Invitation en Algérie de Calédoniens descendants d'Algériens.
1997 Décision de création d'une université à Nouméa, qui ouvrira en mars 1998 avec les filières droit
et sciences.
1998 Accord de Nouméa.
1999 Mise en place du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, présidé par Jean Lèques.
2000 La Nouvelle-Calédonie organise le Festival des Arts du Pacifique.
2001 Feu vert d'Inco pour la construction de l'usine de nickel à Goro. Falconbridge choisit le site de
Vavouto pour établir l'usine du projet du Koniambo.
2002 Championnat du monde de hobie-cat à la Côte blanche.
2003 Commémoration des 150 ans de « destinée partagée ».

119
Remerciements

Auteurs
Jerry Delathière, Christophe Sand, Frédéric Angleviel, Beniéla
Houmbouy, Christiane Terrier, Isabelle Amiot, Gabriel Valet,
Cynthia Debien-Vanmai, Max Shekleton, Yann Bencivengo,
Marc Bouan, Claude Cornet, Étienne Zongo, Sylvette Boyer,
André Jacquier, Ismet Kurtovitch, Bernard Brou, Bernard
Capecchi, Jean-Claude Mermoud, Jacques Lafleur, Léopold
Jorédié, Charline Cramet, Jennifer Kélétaona, Aurélie Eaténé,
Nicolas Kurtovitch, Raymond Lacroix, Jean Vanmai, Pierre
Gope, Claudine Jacques, Germain Mansion, Frédéric Ohlen.

Pour leur aide et prêts Conception muséographique : Véronique Defrance et Hugues Delorme.
Service des Archives de Nouvelle-Calédonie
Service de la culture et des fêtes de la Ville de Nouméa Suivi scientifique : Jerry Delathière, Sylvette Boyer, Ismet Kurtovitch.
Direction des systèmes d’informations Suivi éditorial : Véronique Defrance, Gaël Yanno , Frédéric Ohlen.
Bibliothèque Bernheim
Centre des archives d'Outre-mer Secrétariat : Syndie Bealo, Delphine Iwan, Chantal Loueckhote, Ghyslaine Moea,
Tilou et Sylviane Viale, Maurice Afchain, Bernard Berger, Lou Bounet, Jasmine Teanyouen, Stella Waka.
André Dubois, Jean-Claude Estival, M. Dorbritz, Félix Vautrin, Coecilia Brun, Henri
Daly, Cynthia Ligeard, Karine Dervieux, Dominique Dumas.

Réalisation muséographique
Myriel Petit, Bruno Miloud, Dominique Morel, Hugues et Christophe Delorme,
Claudine Massard, Franck Esnault et Eric Dell’ Erba et leurs élèves en option
audio-visuel du lycée Lapérouse, Aline Mori et ses élèves en option arts
plastiques.

Les films sont extraits des collections


Philippe Cassier, Christophe Gallipaud, M. Ollivaud, Jean-Pierre Veillon,
Jean-Claude Mermoud, Georges Viale, ADCK, TVE, RFO.

Les photographies du Service des archives


Réalisation
de Nouvelle-Calédonie sont extraites Grain de Sable atelier de création - Nouméa
des albums suivants Conception graphique et PAO : Laurence Viallard & Blandine Buchy
Archevêché : pp. 24, 72, 78
Suivi éditorial : Florence Klein
Haut-Commissariat : pp. 89, 91
Maurice et Raymond. Leenhardt : pp. 17, 25 Relecture : Nelly Bozzolla
Maxime Meyer : pp. 34, 37, 57, 67a, 68
Nething : pp. 4, 35, 59
Eugénie Peter : pp. 73, 76 Impression : Image Centre LTD - Auckland - Nouvelle-Zélande
Robin-de Greslan : pp. 23, 50
Max Shekleton : pp. 47, 51
De la Vaissière : p. 14 Dépôt légal : septembre 2003
Elmer J. Williams : pp. 83a, 87 N° d’éditeur : 2-84170

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