Opération Torch
Opération Torch
Opération Torch
MONDIALE 5
Décembre 2012
Il y a 70 ans :
les premieres lueurs de
l’aube
en Afrique
ISSN 2260-197X
SOMMAIRE
Editorial - Par Daniel Laurent ................................................................ 3
Dossier : Opération Torch
Torch : enjeux stratégiques - Par Cedric Mas .............................................. 4
..
Editorial
Par Daniel LAURENT
Chères lectrices, chers lecteurs, Qu’ils soient tous remerciés de la confiance qu’ils ont
bien voulu nous témoigner.
C’est avec un grand plaisir que je vous présente le nu-
méro 5 de Dernière Guerre Mondiale. Ceux qui éprouveraient l’envie de discuter les points
de vue énoncés dans ce numéro de Dernière Guerre
Le magazine comporte un dossier spécial d’actualité,
Mondiale sont invités à venir s’exprimer à ce sujet
à savoir le 70e anniversaire de l’Opération Torch qui
sur le forum :http://www.lesherosoublies.com/f122-
marqua, entre autres, le début de la Libération de la
courrier-des-lecteurs
France et le retour au combat de l’Armée Française.
Nous pensons bien sûr déjà au prochain numéro en
Comme d’habitude, nous avons fait de notre mieux
vous assurant par avance que nous sortirons encore
pour aborder certains aspects dont on parle rarement.
des sentiers battus. Après les plages d’Afrique du
Germaine Stéphan a pris grand plaisir à corriger l’ar- Nord, nous vous emmènerons sur de sombres che-
ticle d’un nouveau venu sur notre magazine, je parle mins en Allemagne et autres dictatures.
de Philippe Massé, plus connu sous le pseudo d’Hila-
Une remarque ? Une critique ? Une demande ? Un pro-
rion, qui nous parle de l’invasion de la zone «libre» par
jet ? N’hésitez pas à nous contacter par email ou sur
les Allemands et du sabordage de la flotte française à
la rubrique concernée du forum Les héros oubliés.
Toulon, à la suite de l’opération Torch.
A bientôt !
Notre sommaire comporte 6 historiens professionnels,
ce dont évidemment nous sommes très fiers :
Cédric Mas nous livre une analyse de fond sur l’Opé-
ration Torch, Pierre Vennat nous permet d’être a bord
des unités de la Marine Canadienne en Méditerranée,
Colin Smith, un historien britannique totalement in-
connu en France à ce jour, nous parle de ce qu’il ap-
pelle la « guerre franco-anglaise » entre 1940 et 1942.
David Zambon aborde un aspect méconnu, le sort des
prisonniers italiens suite à Torch, et deux auteurs, Fré-
deric Smith et Robert Lymann, ont eu l’amabilité d’ac-
cepter d’être interviewés au sujet de leurs dernières
publications.
Donc des Canadiens, des Britanniques, des Français,
un Italien, votre magazine est décidément sans fron-
tières.
Bien sûr, des amateurs passionnés, dont votre servi-
teur, sont également au sommaire, notamment ceux
qui animent nos rubriques Marine (Francis Liesse), Mi-
litaria (Gaëtan Bray dans ce numéro) et Matériel (Nos
jeunes amis Antoine Merlin et Jeremy Delawarde, 35
ans a eux deux !). Citons aussi Thierry Decool et
Alexandre Prétot dont le discret travail en coulisse est
indispensable et essentiel.
Tant que les allumés qui gèrent Dernière Guerre
Mondiale continueront à rendre hommage à nos An-
ciens, ils ne seront pas tout à fait morts. Cette façon
de penser s’appelle le devoir de mémoire et nous nous
y employons. C’est Germaine Stéphan qui le fait dans
ce numéro en nous parlant de son frère fusillé au Mont
Valérien, de son autre frère déporté et de leurs cama-
rades de résistance dont de nombreux sont morts
pour la France.
Un scoop dans la rubrique « Coup d’œil sur un autre
conflit » : Un Spahi vétéran de la Division Daguet nous
a fait l’amitié de nous confier ses souvenirs de la pre-
mière guerre du Golfe. Antoine et Jeremy en ont pro-
fité pour nous présenter son blindé, pour une fois ils
parlent d’un engin en ayant eu la possibilité d’échan-
ger avec le chef de char !
3
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L
première fois, un débarquement est envisagé en
e débarquement allié en Afrique du Nord fran-
Afrique du Nord française, essentiellement pour em-
çaise le 9 novembre 1942 marque une étape
pêcher tout rétablissement en Tunisie des forces italo-
majeure dans le cours de la Seconde Guerre
allemandes boutées hors de Libye.
mondiale. Cette opération est la première offensive Al-
liée en Europe, et correspond à l’engagement des
forces armées américaines contre l’Allemagne nazie.
s’est montré très tôt attentif au devenir des posses- Ce projet, conçu en termes vagues, est à l’époque en-
sions françaises d’Afrique du Nord, et particulièrement visagé dans le cadre d’un basculement des forces vi-
de la façade Atlantique. Les bases conservées par chystes d’Afrique dans le camp allié1.
Vichy représentent en effet un enjeu majeur pour les
Américains, qui ne souhaitent pas voir les puissances Pourtant en décembre 1941, les forces britanniques
de l’Axe en position de menacer les routes maritimes en Cyrénaïque se heurtent à trois circonstances ad-
d’Atlantique. verses qui retardent toute velléité d’offensive vers
Cet échec pèsera d’ailleurs lourdement dans le refus Sirte : la résistance italo-allemande sur la frontière
de Roosevelt de prendre en considération la France égyptienne qui coupe la route côtière, l’offensive ja-
Libre et le général de Gaulle. ponaise en Asie qui détourne une partie des renforts
du Proche-Orient, et l’épuisement de troupes qui n’ont
La situation va donc se stabiliser de la manière sui- vaincu qu’après de coûteux combats.
vante :
Vichy garde le contrôle de l’Afrique du Nord et de Rommel profite du répit qu’il obtient pour lancer une
l’Afrique Occidentale française, sous la surveillance contre-attaque foudroyante, qui repousse les Alliés
plus ou moins étroite des Commissions d’armistice al- hors de la Cyrénaïque et oblige à abandonner tout
lemandes et italiennes ; plan futur vers l’Afrique du Nord.
La zone reste suivie avec intérêt par les Etats-Unis, L’entrée des Etats-Unis dans le conflit n’amène pas de
1: Certaines sources donnent à ce projet le nom de « Gymnast » cf. Playfair, opus cité en bibliographie, vol. 2, p. 110
4
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
modifications notables de la situation de Vichy en front que son impact sur les opérations en cours sera
Afrique, les relations diplomatiques n’étant pas rom- douteux ;
pues.
b) ce débarquement va mobiliser des forces navales
Pourtant, la conjonction d’une multitude de facteurs importantes qui vont manquer sur les autres théâtres
va progressivement placer l’Afrique du Nord française d’opération ;
parmi les premiers objectifs de la contre-offensive glo-
c) le succès de ce débarquement dépend de certaines
bale des Alliés en Europe.
conditions politiques en Afrique du Nord impossibles à
Les origines de « Torch » prévoir et dont l’évolution peut remettre en cause le
La genèse du débarquement du 9 novembre 1942 est succès de l’opération tout entière ;
intimement liée aux choix stratégiques effectués par
d) l’impact d’un succès en Afrique du Nord française
les Alliés, dans le cadre d’un arbitrage permanent
sur la situation du front russe sera probablement très
entre les positions américaines et celles des Britan-
limité.
niques.
C’est ainsi qu’une première étape est franchie en fai- Au-delà de ces arguments, les Américains refusent de
sant accepter par les Etats-Unis le principe d’un effort se laisser entraîner dans une opération soutenue par
exercé en priorité contre l’Allemagne, le célèbre prin- les Britanniques pour des mobiles qu’ils soupçonnent
cipe « Germany First », qui n’allait pas de soi au re- d’être liés à un renforcement de leur position en Mé-
gard des menaces que l’avance nippone dans le diterranée.
Pacifique faisaient peser. Si cette demande est logique
Pourtant, les Britanniques soutiennent très justement
de la part de Churchill, c’est tout à son honneur qu’il
que les effectifs disponibles rendent impossible l’ou-
ait réussi à convaincre le Président Roosevelt de la né-
verture d’un second front en Europe sur l’échelle dé-
cessité d’abattre d’abord l’hydre nazie, qui représen-
sirée. Ils pensent que ce ne sera qu’en 1943 qu’un tel
tait de facto le danger le plus grave.
débarquement sera envisageable. Et ce décalage rend
Ce choix est d’autant plus pertinent que dès le 7 juin possible une action en Afrique du Nord répondant au
1942, la flotte de porte-avions américaine porte un souhait de Roosevelt d’agir au plus tôt pour soulager
coup d’arrêt à l’expansion japonaise à Midway. Staline.
Le 19 juin, lors d’une réunion des chefs d’état-major C’est ainsi que progressivement, les Américains ac-
alliés à Washington portant sur les plans d’action pour ceptent d’étudier un plan de débarquement en Afrique
le second semestre 1942, le général Brooke écrit dans du Nord, afin de lancer des opérations offensives dès
son journal : « j’ai trouvé que nous étions dans les 1942, sans attendre que tout soit prêt pour l’assaut
grandes lignes d’accord sur les lignes générales ». Or, de l’Europe de l’Ouest. Habilement, les Britanniques
rien n’est moins exact, puisque si les deux alliés sont confient à Washington la préparation de « Super-Gym-
d’accord pour engager au plus tôt des opérations ac- nast »3.
tives à l’Ouest afin de soulager Staline, qui est la cible
Contrairement à
d’une nouvelle offensive de la Wehrmacht, les avis di-
ce que l’on peut
vergent sur l’endroit et l’ampleur de cet effort.
penser, l’offensive
Les Américains désirent ouvrir un second front au plus contre l’Afrique du
tôt en débarquant en France (opération « Round- Nord française
up »2). Les Britanniques veulent avant tout soulager n’est pas un pro-
leurs forces en Egypte, menacées par l’offensive de jet de Churchill,
Rommel qui va capturer Tobrouk le 21 juin, avant de mais de l’ensem-
s’arrêter début juillet à 80 kilomètres d’Alexandrie, de- ble des chefs mili-
vant la gare d’El Alamein. Et c’est en Afrique du Nord taires britanni-
française qu’ils pensent que cet effort sera le plus pro- ques, unanimes
fitable (opération devenue « Super-Gymnast » par pour une fois.
l’association de forces américaines à ce projet au dé-
Le débat avec les
part britannique).
Américains qui
Les Américains s’opposent à cette opération pour les sont partagés
raisons suivantes : entre un Président
Churchill et Roosevelt à Roosevelt réticent
a) ce débarquement va sérieusement obérer le ren- Washington : « Germany first »
à risquer trop vite
forcement des forces Alliées au Moyen-Orient, en dé-
ses forces en Europe et ses conseillers qui ne veulent
tournant des effectifs au moment où ils sont
pas être entraînés dans des directions divergentes par
nécessaires en Egypte, dans un secteur si éloigné du
leur allié, est donc inégal.
2: Il l’opération « Bolero » correspond à la phase de transfert des forces vers le Royaume-Uni en vue de débarquer en France ; c’est par
licence historique que ce nom est aussi donné à l’opération « Round-up » qui porte sur le débarquement lui-même, la suite logique de
« Bolero »
3: Les Britanniques gardent la main sur la préparation du débarquement en Europe occidentale, ce qui leur donne un avantage pour en
souligner les inconvénients
5
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
A la conférence de juin, les deux plans devaient être vice-amiral Sir Bertram Ramsay, responsable de l’éva-
étudiés simultanément. En juillet, Roosevelt envoie à cuation réussie de Dunkerque en mai 1940.
Londres une mission composée d’Harry Hopkins, du
Au niveau aérien, le commandement est séparé entre
général Marshall et de l’Amiral King pour arrêter défi-
les Américains, commandés par le général Doolittle,
nitivement une stratégie.
et l’Air-Marshall Sir William Welsh. Cette division des
La décision Alliée forces va peser sur les opérations, d’autant plus que
Les Américains proposent alors de ne lancer qu’un dé- ces deux officiers ont moins d’expérience dans les
barquement limité en France, à Cherbourg et dans la combats contre la Luftwaffe et la Regia Aeronautica
presqu’île du Cotentin. Avec des effectifs limités, il que les officiers engagés en Egypte avec la Desert Air
s’agit de soutenir les Soviétiques tout en ouvrant une Force.
brèche dans les défenses allemandes à l’Ouest.
Ce projet, appelé « Sledgehammer », est facilement
Le Plan de Torch
La Directive donnée à Eisenhower le 13 août est sim-
repoussé par les Britanniques. Outre les risques
ple : « Le Président et le Premier ministre ont décidé
d’échec d’un débarquement, même limité, en Europe
que les opérations militaires combinées soient dirigées
occidentale, qui sont très importants et dont les
contre l’Afrique dès que possible afin de conquérir, en
conséquences seraient dramatiques, les effectifs à en-
conjonction avec les forces alliées au Moyen-Orient, le
gager seraient tout de même considérables, obérant
contrôle complet de l’Afrique du Nord de l’Atlantique
les opérations pour 1943 et réduisant l’aide matérielle
à la Mer Rouge… ».
apportée aux Soviétiques.
La Directive poursuit en précisant que ces opérations
Grâce aux informations données par la Résistance, les seront réalisées en 3 étapes :
Alliés savent que les forces transférées à l’Ouest par
D’abord l’établissement de bases capables de se sou-
Hitler seraient suffisantes pour bloquer, et même re-
tenir mutuellement dans les zones de Casablanca -
pousser, un tel débarquement.
Oran – Alger – Tunis ;
L’impossibilité des chefs mili-
Ensuite en exploitant à partir de ces bases afin de
taires américains à convaincre
prendre le contrôle de toute l’Afrique du Nord française
leur allié anglais, tout comme
et si nécessaire du Maroc espagnol ;
les décideurs politiques, ne
laissent aux Alliés pas d’autre Enfin, en poussant vers l’Est pour prendre à revers les
solution que de trancher en fa- forces de l’Axe engagées en Libye et en Egypte et les
veur d’un débarquement en anéantir.
Afrique du Nord pour 1942.
Sur la base de ces instructions générales, Eisenhower
Le 6 août 1942, le général et ses hommes doivent concevoir en quelques mois un
Dwight D. Eisenhower est donc plan, avec tous ses détails, sachant qu’ils n’ont encore
Général Mark Clark nommé à la tête de la Force ex- aucune expérience d’opérations amphibies combi-
péditionnaire Alliée, chef de l’état-major combiné ap- nées5.
pelé « Allied Force Headquarters » (A.F.H.Q.) installé
Pour réaliser l’ampleur et la difficulté de la tâche, il
à Londres.
faut ajouter d’une part que la réaction des Français,
Son adjoint est le général Mark W. Clark, et son chef comme des Espagnols est totalement inconnue, et
d’état-major, le général Bedell Smith. Le chef des d’autre part que les moyens sont limités et surtout to-
forces britanniques devait être le général Alexander. talement inédits.
Sa nomination à la place d’Auchinleck au Middle-East
Les contraintes liées à la couverture aérienne des
Command début août oblige Londres à désigner Mont-
plages de débarquement imposent rapidement que les
gomery, qui est bientôt appelé à remplacer Gott à la
zones de débarquement initiales soient situées à
tête de la 8th Army. C’est finalement le général An-
l’Ouest de Bône, ce qui implique donc l’occupation de
derson qui prend le poste4.
la Tunisie par une avance ultérieure et non lors du pre-
Les forces navales concernées mier assaut.
par cette opération sont pla-
Toutefois, ce constat étant admis, la planification se
cées sous les ordres de l’Amiral
heurte aux conceptions opposées des deux nations :
Sir Andrew Cunningham, qui
assumera directement le com- Les Américains sont très prudents et insistent sur la
mandement de la flotte à nécessité d’assurer la conquête d’une tête de pont so-
l’Ouest de Gibraltar, tandis que lide ouverte sur l’Atlantique avant toute progression ;
l’Amiral Harwood commandera
Les Britanniques insistent eux sur la nécessité d’avan-
à l’Est. L’adjoint de Cunning-
cer le plus à l’est les points de débarquement afin de
ham pour la planification de Sir Andrew
Cunningham
s’assurer au plus tôt de la possession de Tunis.
« Torch » n’est autre que le
4: Au grand soulagement des Américains qui commençaient à s’inquiéter de ces multiples changements
5: La dernière attaque combinée amphibie menée par la Alliés fut le débarquement à Gallipoli en 1915
6
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
De plus, si les Américains ne pensent pas que la ré- tout le succès du débarquement, la planification est
sistance française sera importante, les Britanniques établie sur la plus mauvaise des hypothèses : une ré-
poussent très vite à ce que le débarquement soit sistance de l’armée française d’Afrique.
conçu comme une opération offensive menée de vive
Les Britanniques sont plus optimistes et préparent dès
force.
l’origine une occupation de la Tunisie, à la condition
Les discussions sont intenses, et menées sous la dou- expresse que les Français ne résistent pas.
ble contrainte du climat6 et des limitations en moyens
C’est ainsi que les ordres donnés aux troupes enga-
de débarquement7. Finalement, le 6 septembre 1942,
gées dans le secteur d’Alger sont les suivants :
un compromis est trouvé : les débarquements seront
simultanés à Casablanca8, Oran9 et Alger10. Si les Français résistent : assurer la sécurité de la tête
de pont et du port puis étendre la zone contrôlée ;
Les plans détaillés des débarquements sont arrêtés
dès le 20 septembre. Chaque Force doit débarquer sur Si les Français ne résistent pas : soutenir les forces
les plages à proximité de son objectif, qui sera pris ra- projetées au plus vite vers l’est.
pidement. Les unités au Maroc se réuniront ensuite
La 1st Parachutiste Brigade britannique du Brigadier
pour former la 5th US Army, prête à bloquer toute me-
Flavell, qui constitue à la fois la réserve stratégique
nace espagnole, tandis que les unités débarquées en
d’Eisenhower et celle d’Anderson reçoit ainsi les ordres
Algérie formeront la 5th UK Army, qui avancera vers
différents selon qu’il y aura ou non une résistance
la Tunisie.
française au débarquement allié : en cas de combats
« Torch » et la Tunisie avec les Français, ses bataillons seront parachutés à
Il a beaucoup été écrit sur « l’oubli » de la Tunisie par proximité d’Aérodromes algériens, tandis qu’en l’ab-
les Alliés. Or, cette position stratégique n’a pas été sence de combats, les bataillons devront directement
écartée. être largués au-dessus de Bizerte et d’El Aouina, à
En revanche, en l’absence de moyens de débarque- Tunis11.
ment suffisamment nombreux, l’occupation du protec-
Il ressort de l’étude des documents préparatoires à
torat tunisien suppose soit d’abandonner les
l’opération « Torch » que tout va dépendre de la pre-
débarquements sur la côte atlantique du Maroc, soit
mière réaction française.
de débarquer sur une zone bien trop étendue.
Dès lors que les troupes de Vichy vont se défendre et
Ces deux options n’étant pas acceptables, les Alliés
ouvrir le feu sur les Alliés, même pour une courte pé-
s’attendent donc à ce que l’Axe fasse irruption en Tu-
riode, les actions vont se dérouler conformément aux
nisie dès que les opérations seront lancées. Seule la
ordres. Les Britanniques vont engager leurs réserves
collaboration immédiate des troupes françaises per-
parachutistes pour assurer leurs possessions et laisser
mettraient d’empêcher une telle intervention ennemie.
le terrain libre en Tunisie aux troupes de l’Axe.
La question tunisienne est donc moins liée à un défaut
La responsabilité des chefs militaires français est donc
de planification qu’à l’inconnue française, qui devient
entière sur la suite d’une campagne coûteuse et diffi-
majeure.
cile qu’ils auraient du éviter avec un minimum de bon
Le premier souci d’Eisenhower étant d’assurer avant sens.
6: A partir d’octobre, le temps n’autorise des débarquements qu’un jour sur cinq sur la côte Atlantique marocaine
7: Au départ, deux points de débarquement étaient possibles, un troisième fut décidé en réduisant les moyens de ces deux endroits
8: Western assault Force de 25000 hommes sous les ordres de Patton
9: Central Task Force de 18000 hommes sous les ordres de Freddendall
10 : Eastern Task Force de 20000 hommes sous les ordres d’Anderson
11 : Voir le livre « Tunisan Tales », pp .68 et 78 ;
7
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’Axe face à « Torch »
Dès 1940, les puissances de l’Axe se sont inquiétées
d’éventuelles attaques britanniques en Afrique du
Nord. Si les Allemands ont été agréablement surpris
et rassérénés par la résistance à Dakar, les Italiens
vont se montrer très méfiants sur la sincérité des en-
gagements vichystes de défendre ses possessions
contre les anciens alliés de la France.
Pourtant, et dans une de ces contradictions typiques
de la politique Mussolinienne, les Italiens vont s’oppo-
ser avec une grande constance à tout renforcement
significatif des défenses françaises en Afrique du Nord,
et particulièrement en Tunisie, pays qui figure en tête Débarquement à Casablanca
de la liste de leurs buts de guerre. http://m.theatlantic.com
L’annonce des premiers débarquements à Oran, Ca-
sablanca et Alger prend d’autant plus par surprise
l’Axe que les convois alliés dans l’Atlantique n’ont pas
été repérés.
Dans le même temps, un dispositif de sous-marins ita- Pourtant, les colonnes du général Anderson réussiront
liens est déployé pour protéger les îles de Sardaigne à menacer sérieusement la tête de pont, arrivant à
et de Corse contre un éventuel débarquement. proximité de Tunis. Le chef des troupes italo-alle-
mandes en Tunisie, le général Nehring paniquera
A Berlin, l’agitation Alliée en Méditerranée occidentale
même et sera sur le point d’ordonner l’évacuation12.
est rapidement analysée comme annonçant un débar-
jk
quement soit sur les îles Corse ou Sarde, soit sur les
arrières de Rommel, alors en pleine retraite après El
Alamein. Goering puis Hitler téléphonent à Rome pour
annoncer un débarquement à Derna ou Tripoli.
8
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Conclusions La lourde responsabilité des troupes françaises : en
L’opération « Torch » se révèle avec le recul un grand résistant aux débarquements, même sur une durée
succès allié. Planifiée en trois mois, il s’agit du premier brève, elles déclenchent sans le savoir des options
débarquement combiné réussi, face, il est vrai, à un dans les plans alliés, qui vont empêcher toute
ennemi affaibli. exploitation vers l’est ; mais ceci aurait pu être « équi-
Toutefois, ce succès ne débouchera que sur une cam- libré » si les forces défendant la Tunisie s’étaient com-
pagne difficile, menée sur plus de 6 mois, pour portées de la même manière face aux appareils
l’anéantissement complet des dernières positions de allemands débarquant les premiers contingents. Or il
l’Axe en Afrique. n’en fut rien ! L’influence délétère de la propagande
Les raisons de cette absence de suite dans le succès vichyste sur les esprits n’a pas de meilleure preuve. Il
sont tirées de trois séries de facteurs : faudra six mois de dures campagnes et de nombreux
sacrifices de soldats pour racheter cette faute mani-
L’inexpérience des forces Alliées, formées pour la plu- feste des officiers supérieurs alors en poste.
part d’unités novices, équipées de matériels nou-
veaux : cette inexpérience explique le manque Bibliographie
d’ambition des plans, privilégiant la sécurisation des CHERRY, Tunisian Tales – The 1st Parachute Brigade
zones conquises sur l’avance en profondeur. Elle ex- in North Africa (1942-43), Helion and Company 2011
plique aussi le déroulement des premiers combats où
quelques sections de parachutistes allemands parvien- PLAYFAIR, The Mediterranean and Middle-east, vo-
nent à bloquer des colonnes blindées entières. lume IV : The destruction of the Axis Forces in Africa,
History of the Second World war, Naval & Military
La rapidité de réaction des Italo-allemands : pris com- Press, 2004
plètement par surprise par une opération qui se dé-
roule à la limite de leur portée, la réaction des chefs MONTANARI, Le Operazioni in Africa settentrionale vol
italiens et allemands le 9 novembre va, par son effi- IV – Enfidaville (novembre 1942 – maggio 1943)
cacité et son impact, marquer durablement la suite de USSME, Roma 1993
la campagne. Ce sera le signe de toutes les opérations ANDERSON, Algeria-French Marocco, The campaigns
en Méditerranée : si l’Axe est nettement dominé sur of World war II, CMH Pub 72-11
le plan stratégique par les Alliés, il va constamment
rattraper ses erreurs par une supériorité de manœu-
vre et de réaction du point de vue tactique, rallon-
geant d’autant les opérations.
9
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
La Phalange Africaine
Par Daniel LAURENT
1: R. Pellegrin, dans son «La Phalange Africaine« parle de 330 ; Henri Charbonneau dans «Les mémoires de Porthos« parle de 450.
10
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
tunisien. C’est pourquoi les membres de la mission Pour atteindre leurs objectifs, les officiers de la mis-
vont montrer une intense activité de propagande sion acceptent l’engagement de tous les candidats :
(radio, affiches…) pour tenter de convertir les « dissi- « On accepte tout le monde, ou presque, des jeunes,
dents », avec un maigre résultat. des vieux, des grognards et des blancs-becs qui n’ont
jamais tenu un fusil ». Les meilleurs éléments sont
La seule chose réalisable est donc la création d’une
déjà utilisés par les unités de tirailleurs de l’armée
Phalange africaine formée de volontaires locaux. Le
d’Afrique. La Phalange doit se contenter des moins
chef des forces de l’Axe, le général von Arnim, donne
aptes.
son approbation au recrutement le 1er janvier 1943.
La Mission ouvre son bureau à Tunis le jour même et La composition des recrues est peu connue. Si la moi-
commence sa campagne immédiatement. Pour contri- tié de l’effectif est composée d’indigènes, on peut
buer au succès du recrutement, le gouvernement aussi y trouver les représentants de toutes les classes
français et l’amiral Esteva lancent des appels à la po- sociales, y compris des élèves d’une classe de philo-
pulation tunisienne dont le plus connu est celui de ce sophie du lycée Carnot de Tunis. Grâce à l’activité du
dernier, le 26 février 1943. La mission compte sur l’en- capitaine Dupuis, la plupart sont des militants des par-
gagement des membres des différentes organisations tis collaborationnistes ou des membres des organisa-
gouvernementales et des partis de la collaboration tions de Vichy (surtout du SOL).
(SOL, PPF, Chantiers de la Jeunesse française, Com-
Environ 420 volontaires sont recrutés et instruits dans
pagnons de France). Les résultats, là encore, sont mo-
le camp de Bordj-Ceda, 300 Français et 120 Tunisiens2
destes. Les membres de ces organisations sont déjà
utilisés par les autorités locales pour participer au La Phalange comprend donc aussi bien des Français
maintien de l’ordre (garde des points de communica- de souche, pieds-noirs et cadres venant de la Métro-
tions, secours aux sinistrés, lutte contre le pillage, pole, beaucoup provenant de l’éphémère Légion Tri-
etc.) et ne sont plus disponibles pour d’autres mis- colore, que des volontaires musulmans. Ils vont
sions. constituer une compagnie de 212 hommes, 42 sous-
officiers et six officiers, soit seulement 258 hommes
sur les 450 (420 ?) volontaires d’origine. La raison de
la fonte de ces effectifs n’est pas claire mais il s’agit
peut-être de « l’écrémage » lié au tri et la dureté de
l’entraînement à l’allemande.
Le capitaine Dupuis
11
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
La compagnie est en-
voyée le 7 avril 1943
sur le front de la Med-
jerda au nord-ouest de
Medjez-El-Bab, dans le
secteur du II/754ème
GR.
Sous le commande-
ment du capitaine Du-
puis, capitaine de
réserve, combattant
des 2 guerres, cité 2
fois pendant la cam-
pagne de France et
ancien du 4ème
Zouaves, elle doit faire
face aux forces britan-
niques (78th Infantry Division « Battleaxe »). décorés par Pétain. À cette occasion, de Brinon, Mi-
nistre de la Défense de Vichy, dira : « Qui lutte contre
Sa conduite, notamment un coup de main audacieux les ploutocrates anglo-américains lutte contre le bol-
contre une unité britannique supérieure en nombre le chevisme ». La plupart d’entre eux continueront leur
16 avril, lui gagne les félicitations du Général Weber, combat au sein de la Milice, de la LVF ou de la Waf-
commandeur de la 334 PzG Division qui distribue plu- fen-SS.
sieurs Croix de Fer et conclut son discours par : « Je
les décerne au nom de notre Führer, rénovateur de Mais la plupart des volontaires, restés en Tunisie, sont
notre race blanche, aux plus braves soldats de la arrêtés par les troupes françaises qui entrent dans
Compagnie se battant pour un but commun 3 ». Sa- Tunis. Selon Paul Gaujac 4, 14 volontaires sont captu-
chant qu’une bonne centaine de ces « braves » sont rés et fusillés par les troupes françaises 5.
Tunisiens, il est possible de conclure que Weber avait
De manière surprenante, environ 40 survivants de la
une définition de la « race blanche » qui n’était pas
Phalange, qui ont eu la chance d’être faits prisonniers
tout à fait la même que celle de son Führer !
par des troupes de l’ex-armée d’Afrique, donc essen-
tiellement des pieds-noirs et des musulmans comme
eux, ont été incorporés dans l’armée française et se
sont bien battus jusqu’en l’Allemagne.
Rétroactivement, la Phalange Africaine est intégrée à
la LVF. Les survivants, les veuves et les familles sont
rattachés à l’association qui s’en occupe. (JO du 20-
05-43). C’est sans doute pour cela que la Phalange est
parfois appelée, à tort, «Légion des Volontaires Fran-
çais de Tunisie».
De nombreux membres de la Phalange africaine sont
jugés à Tunis de fin 1943 jusqu’à l’été 1944 : selon
madame Christine Levisse-Touze, Directeur du Mémo-
rial du maréchal Leclerc de Hauteclocque, quatre sont
condamnés à mort, deux aux travaux forcés à perpé-
Phalangistes - Notez le drapeau qui reprend
tuité et deux à dix ans de travaux forcés. Les procès
l’insigne de la Phalange
sont largement couverts par la presse d’Afrique du
Le 29 avril à l’aube, les forces alliées lancent une of- Nord, mais également par les journaux Vichystes et
fensive générale sur le secteur. Les positions de la Collaborationnistes qui appellent aux représailles.
Phalange sont détruites par l’artillerie et les chars. En
une heure, l’unité perd la moitié de ses hommes, Parmi ces ex-phalangistes, le capitaine Dupuis et le
morts, blessés ou disparus. Cependant, les survivants capitaine Peltier sont condamnés aux travaux forcés à
résistent et reculent dans l’ordre. C’est la fin de la ba- perpétuité et le lieutenant-colonel Cristofini, arrêté en
taille, les forces alliées sont aux portes de Tunis. octobre 43 en Corse, transféré à Alger, condamné à
mort en avril 44, est exécuté sur une civière le 3 mai
Les 150 survivants, réunis le 8 mai au quartier Fai- 1944 car il vient de tenter de se suicider.
dherbe, ont le choix entre «disparaître» ou se placer
sous la protection de l’Evêque de Tunis, Mgr Gounot, Le chef de bataillon Curnier, arrêté en Allemagne, en
que le lieutenant Charbonneau a convaincu d’intercé- attente de transfert pour Alger à Nice 6, se suicide
der en leur faveur. dans sa cellule le 29 septembre 1945 en se coupant
les veines.
Les officiers sont évacués avec les Allemands qui bat-
tent en retraite. Ils sont accueillis le 31 mai à Vichy et Quelques-uns réussirent à s’échapper : Guilbaud émi-
gre en Amérique du Sud, Sarton du Jonchay se réfugie
3: R. Pellegrin, op. cit.
4: Dans «L’armée de la victoire, le réarmement 1942 –43»
5: Que Dominique Venner, op. cit, appelle « troupes gaullistes »…
6: Ou à Villefranche-sur-Mer selon le New York Times du 1er octobre 1945
12
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
en Argentine, puis en Espagne, avant d’être gracié. refusé de se battre en France. A priori, ils se seraient
comportés en combattants réguliers quoique les dé-
L’amiral Derrien, accusé d’avoir livré le port de Bizerte
veloppements historiographiques récents introduisent
aux Allemands, est traduit devant le tribunal militaire
le doute 7.
d’Alger du 9 au 12 mai 1944. Il se défend en arguant
qu’il n’a fait qu’exécuter les ordres de Vichy. La peine Et, quelque part entre les deux, ces Phalangistes qui,
de mort est évitée pour sauver des résistants des certes, ne se sont battus que contre les Britanniques
Glières, dont le sort est soumis à la sentence contre mais auraient fort bien pu affronter une unité française
Derrien. Aussi, le « félon », bénéficiant des circons- si les hasards de la guerre l’avaient voulu.
tances atténuantes, s’en sort avec la réclusion crimi-
nelle à perpétuité. Il décèdera à la centrale de Pour finir cette triste page sur une note moins sombre,
Lambèse, située sur les hauts plateaux constantinois. il semblerait que la très célèbre photo d’un phalangiste
tunisien, qui figure parmi les illustrations de cette
Le 12 mars 1945 s’ouvre, devant la Haute Cour de jus- page et dont l’original se trouve à Londres, à «l’Impe-
tice à Paris, le procès de l’amiral Esteva. Il est reconnu rial War Museum», soit un faux. Une discussion sur un
coupable de trahison, au terme de l’article 75 du code forum spécialisé anglo-saxon8 tend à démontrer qu’en
pénal. Mais, ayant aidé la communauté juive de Tuni- fait, cette photo aurait été prise au Caire à la mi-44.
sie, fait libérer des patriotes avant l‘arrivée des Un soldat britannique aurait récupéré le typique
troupes de l’Axe et facilité le départ de fonctionnaires casque Allemand comme prise de guerre. Un corres-
compromis avec les Allemands, l’amiral sauve sa tête. pondant de presse britannique, fidèle en cela à la so-
Il est néanmoins condamné le 15 mars à la détention lide tradition des Tabloïds, l’aurait posé sur le crâne
perpétuelle. Libéré après 6 mois de prison, il décèdera d’un Egyptien soigneusement choisi pour son aspect
peu de temps après. très patibulaire, lui aurait demandé de prendre une at-
titude très agressive afin de prendre ce cliché qui a
Les archives de la Croix-Rouge Internationale contien-
fait les délices de la presse londonienne.
nent 2 dossiers sur les prisonniers de la Phalange,
sous la référence 301 G44/12 - 63.02
Le dossier, [Afrique du Nord : Phalange africaine] est
maintenu du 19.04.1944 au 27.02.1945, ce qui porte
à croire qu’il n’y avait plus de détenus phalangistes en
Tunisie à cette date. L’autre, [Correspondance géné-
rale concernant les otages et détenus politiques en
Afrique du Nord] s’étale du 01.06.1943 au
29.09.1948, ce qui peut laisser penser que, rapatriés
en France, les derniers détenus auraient été libérés fin
1948. Cela reste à confirmer cependant.
7: Voir a ce sujet le magazine Dernière Guerre Mondiale no. 4, Octobre 2012, La LVF, ses crimes et son impunité, Daniel Laurent, page 10
8: http://forum.axishistory.com
13
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L
a campagne de Tunisie a donné l’occasion à l’Ar- presque jamais, à notre connaissance, à l’œuvre d’his-
mée d’Afrique de reprendre le combat aux côtés toriens français (à l’exception de Jean-Louis Miège2).
des forces anglo-américaines. A la mi-mai 1943, Enfin, en dehors de témoignages ponctuels dans des
les troupes françaises ont capturé 37 500 soldats de récits de vétérans, quelques ouvrages se font remar-
l’Axe, la plupart dans les derniers jours de la cam- quer par la compilation de données intéressantes mais
pagne, lorsque les unités germano-italiennes privées exploitées dans une démarche parfois peu historienne
de vivres et de munitions jettent bas les armes. et sensiblement orientée. Ce qui ressort avant tout de
Lorsque le maréchal Giovanni Messe capitule le 13 mai la lecture des nombreux témoignages sur le moment
1943, il tient à s’assurer auprès du haut commande- de la capture, c’est une extrême violence physique et
ment allié que ses hommes ne seront pas livrés aux psychologique. Certes, nous savons pertinemment
Français, dont il craint la vindicte. A la lecture de cet qu’il s’agit là d’un traumatisme vécu par tous ceux qui
article, très synthétique, certains seront probablement ont accepté de s’en remettre à l’ennemi et que la sen-
choqués. Ne nous voilons point la face, car ces faits sibilité des hommes est exacerbée. Le soldat Delio Co-
appartiennent véritablement à notre histoire, même mucci nous en dit davantage : « (…) Moi qui faisais
s’ils ne nous honorent pas. partie du XXII bataillon du génie, j’étais parmi les
rares survivants d’une unité décimée par les combats
précédents (…). Privés de munitions et de vivres, nous
étions à la merci de l’ennemi. Un char arriva en effet,
immédiatement reconnu comme français en raison
d’une inscription sur sa caisse, « Nanette je t’aime ».
(…) Il en sortit une espèce de soldat (je dis cela parce
qu’il ne portait pas de véritable uniforme et qu’il était
impossible d’en distinguer le grade). C’était un « de-
gollista »3 qui maniait deux pistolets à la manière d’un
cow-boy (…). Tandis que d’autres de ses compagnons
d’armes s’approchaient le fusil levé, il cria avec arro-
gance : « Allez ! Allez ! Les Italiens ici et les Allemands
là-bas »4. (…) Un officier italien se présenta à cet in-
Prisonniers des forces de l’axe à la fin dividu pour lui dire quelque chose, mais ce dernier,
de la campagne de Tunisie sans même l’écouter, attrapa les jumelles que l’officier
portait autour du cou et les lui arracha de force, le
Le traumatisme de la capture à contraignant à s’incliner douloureusement. La vilenie
et la prépotence liées à ce geste étaient une démons-
travers quelques témoignages tration immédiate de l’attitude que certains Français
La bibliographie disponible sur le sujet est assez pau- auraient à notre égard et ce n’était que le début de la
vre. Les dizaines de milliers de prisonniers italiens razzia qui serait opérée sur nos maigres biens person-
éparpillés en Inde, au Canada, aux Etats-Unis, en nels (…) »5.
Afrique du Sud ou ailleurs dans le monde anglo-saxon Le major Giuseppe Terranova, du commandement du
ont parfois raconté leur périple. Il en va de même pour X Corpo d’Armata, raconte quant à lui qu’un « officier
ceux qui ont survécu aux camps soviétiques : la forte français se présenta de façon hautaine et demanda à
mortalité de prisonniers italiens en URSS est due au voir Messe. C’est la pire chose qui pouvait nous arri-
contexte de la capture, entre novembre 1942 et fé- ver : tomber aux mains des Français qui nous haïs-
vrier 1943, les conditions météorologiques (-42°C en saient. (…) Les plénipotentiaires revinrent avec un
moyenne) causant des ravages lors des marches for- major britannique qui se présenta au maréchal après
cées vers les zones de rassemblement. Par la suite, si avoir passablement éconduit le Français (…) »6. Les
l’on se fonde sur les témoignages italiens, les Russes remarques sur l’attitude arrogante et hautaine des
ont su faire preuve d’humanité, les ordres de Moscou Français sont récurrentes dans tous les témoignages,
s’agrégeant ici à leur traditionnelle générosité. non seulement des Italiens (et des Allemands) mais
Pour ce qui concerne le sort de ceux confiés « aux aussi des Britanniques et des Américains. Il est vrai
bons soins » des Français, il faut attendre les années que la situation française de l’époque, fort peu
1985-95 pour trouver des études plus poussées1,
1: Massimo Coltrinari et Sandro Rinauro, ce dernier plus récemment, dans La lunga liberazione sous la direction d’Erik Gobetti. .
2: Dans I prigionieri militari italiani durante la seconda guerra mondiale. Aspetti e problemi storici, sous la direction de Romain H. Rainero,
Marzorati, Milano, 1985..
3: Gaulliste, selon la terminologie italienne.
4: En français dans le texte.
5: D. Comucci dans A. Giannasi et alii, Nordafrica 1943. I militari italiani dei campi di prigionia francesi, Prospettiva ed., Roma, 2007.
Cit. pp. 30-32.
6: G. Terranova dans Fronte d’Africa, c’ero anch’io, G. Bedeschi, Mursia, Milano, 1988. Cit. p. 498.
14
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
sans exception. Nous remarquons aussi que ces
hommes ressentent comme une humiliation supplé-
mentaire le fait de se retrouver à la merci « d’indi-
gènes », même s’ils ne s’attendaient à aucune
mansuétude des Français (sous-entendu d’origine eu-
ropéenne).
15
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
entre crosse de fusil et nerf de bœuf. Selon certains affamés et usés, comme l’écrit Antonio Tomba :
témoignages, le ressentiment des indigènes (compo- « Souvent le dimanche, les habitants des lieux s’ap-
sant l’essentiel de la garde) à l’égard de leurs coloni- prochaient des barbelés, accompagnés de leur dame.
sateurs français se reporte de façon violente contre les Entre deux railleries, ils jetaient dans le camp des
Italiens, de « même race européenne »11. Depuis le morceaux de pain rassis et ils s’amusaient à nous voir
Constantinois, ceux qui sont destinés aux camps du courir pour tenter de les attraper dans la poussière.
Maroc prennent le train, dans les tristement célèbres Ils ricanaient, nous photographiaient et nous appe-
« Hommes 40, Chevaux 8 ». Dans ses souvenirs, Gio- laient « Mussolini ». Ainsi, outre nous affamer, ils nous
vanni Rogiani évoque ainsi cette via crucis : « (…) Nos humiliaient de toutes les façons possibles. (…) Ces
gardes ne se contentaient pas des sévices physiques populations se disaient françaises mais il s’agissait en
et pratiquaient aussi la cruauté psychologique ; à réalité d’un grand mélange de races. A cette époque
chaque étape, ils s’amusaient à nous faire espérer vivaient en Algérie, outre les Français, des Italiens,
qu’un train serait mis à notre disposition, pour ensuite des Russes, des Espagnols, des Allemands, des
systématiquement mettre fin à nos espoirs. (…) Les Arabes, des Mahométans, des Juifs. Je pense que le
officiers de la Légion Etrangère12 utilisaient le nerf de vrai Français ne se serait pas comporté ainsi à notre
bœuf contre nous. (…) Beaucoup d’entre nous ne pos- égard. »14 Cet extrait est symptomatique de la men-
sédaient même plus leur couverture ni leur toile de talité de l’époque, teintée des préjugés les plus divers,
tente, avec des conséquences facilement imaginables dans un sens comme dans l’autre. Cependant, les té-
puisque nous dormions à même la terre, dans les aires moignages qui font état de la générosité et de la com-
de rassemblement ceintes de barbelés, au terme de passion d'indigènes musulmans ou de pieds-noirs ne
chaque étape.(…) Je vous laisse imaginer dans quel sont pas rares. Dans les camps français, la mortalité
état nous sommes parvenus à Constantine après vingt des Italiens est importante et imputable aux condi-
jours de marche. »13 Peu de nourriture (« un croûton tions de travail (les pauvres hères sont corvéables à
de pain, deux tomates, un oignon, deux anchois salés merci) et aux mauvais traitements ainsi qu’à l’état
et un peu d’eau ; bien trop peu ») pour ceux qui pour- physique général des hommes, exténués par les
suivent leur périple vers le Maroc dans des wagons longues marches.
crasseux.
16
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
la France dans le dos. Le travail était très dur et la qu’à la condition que Rome se charge, à ses frais et
nourriture rare. En peu de temps nous sommes avec ses propres navires, de leur rapatriement tout en
devenus des squelettes ambulants. A toutes nos de- les remplaçant par un nombre équivalent de prison-
mandes [pour avoir des conditions de détention dé- niers allemands (ce qui prouve le besoin de main
centes ; N.D.A.] il nous était répondu que nous d’œuvre sur place). La marine marchande italienne
devrions déjà être bien contents d’être encore en vie. ayant quasiment disparu dans le tourbillon de la
Notre misérable pitance était préparée à base des guerre, de telles conditions témoignent d’une volonté
restes du mess des élèves officiers. (…) Noyaux de politique de freiner le plus longtemps possible le retour
dattes, feuilles de laitue, mégots de cigarettes, marc des Transalpins vers la mère patrie ; se séparer d’une
de café, croûtes de pain et bien d’autres cochonneries. main d’œuvre gratuite qui, comme les « zeks » de
(…) Et nous, la rage au cœur et les yeux Staline, ont travaillé à la bonification de régions iso-
larmoyants, nous devions ingurgiter cette chose qui lées, n’est pas raisonnable ! Il faut attendre décembre
nous écœurait. Les prisonniers mangent tout16, di- 1945 pour que le rapatriement, lentement, commence
saient-ils en riant. (…) Les choses ne s’améliorèrent enfin, après plus de trois ans de dure, voire très dure,
pas avec l’arrivée du commandant Santini, originaire captivité.
de Corse. Il se comportait comme le précédent. Avec
les élèves officiers, en revanche, c’était différent.
Beaucoup provenaient de la France libérée, ils étaient
plus gentils et éduqués. Ils nous regardaient avec un
œil moins mauvais. »17 Toutefois, la situation est très
inégale selon les camps et leur lieu d'implantation : à
Meknès par exemple, les prisonniers jouissent d’une
si grande liberté et sont si importants dans l’économie
locale (30% des effectifs de la ligne de chemins de fer
Tanger-Fès) qu’ils menacent même de faire grève en
janvier 1944 ; certains se font aussi remarquer par les
relations intimes qu’ils entretiennent avec les épouses
des colons qui les emploient. Mais cette exception ne
saurait masquer la réalité, constatée de visu par les
commissions de contrôle britannique et américaine :
les Français traitent très durement les prisonniers ita-
liens et certains camps n’ont rien à envier à ceux que
les nazis destinent aux soldats de l’Armée rouge.
L’heure du rapatriement. Après une captivité Au centre, Antonio Tomba, en 1944. Après les camps,
éprouvante, ces hommes vont revoir leur famille. il a pu trouver une place dans une exploitation. Lors
C’est l’appel sur un quai d’un port algérien, avant de son passage dans les camps de Carnot et
l’embarquement. (Tomba) Marengo, il était passé de 62 à 30 kg. Ce transfert
dans une ferme lui a permis de reprendre des forces
et de recouvrer un peu de santé, notamment grâce à
Epilogue la consommation de graines de caroubes ! (Tomba)
17
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L
nous étions incapables de quitter la plage, nous avons
orsque les historiens parlent de la participation couru nous abriter derrière des dunes de sable.
canadienne à la Deuxième Guerre mondiale, ils Heureusement, les Yankees ont vite repris le contrôle.
ont tendance à passer directement de la période À plusieurs reprises, les jours suivants, les matelots
d’entraînement à la tragédie de Hong Kong en et les soldats ont uni leurs efforts pour déloger les
décembre 1941, puis au raid sanglant de Dieppe tireurs embusqués. Une résistance, même
d’août 1942. négligeable, n’est pas sans danger ».
Puis, si l’on évoque le rôle de nos aviateurs, dont À une autre occasion, les marins ont dû se creuser des
plusieurs servaient dans des escadrilles de la RAF, tranchées et se faire fantassins. Sur l’une des plages,
notamment durant la Bataille d’Angleterre, puis au les ordres étaient de tenir coûte que coûte. Or, tous
sein de la Royal Navy et de la Marine canadienne, les soldats étaient partis pour poursuivre leur avance
notamment lors de la Bataille de l’Atlantique et pour lorsqu’on avertit les marins que des chars ennemis
la protection du Saint-Laurent, c’est surtout la avaient percé les barrages et seraient sur eux d’un
participation canadienne à la campagne d’Italie à instant à l’autre. Heureusement, les blindés furent
compter d’août et septembre 1943 que l’on souligne. arrêtés avant de gagner la plage où les pauvres
De notre concours à l’Opération Torch et la reconquête marins s’étaient enfouis dans le sable du mieux qu’ils
de l’Afrique du Nord à compter de novembre 1942, on pouvaient.
parle peu. Parce que, bien sûr, face aux efforts
américain, français et britannique, le rôle des Et Barclay de poursuivre : « Ceux d’entre nous qui
Canadiens peut paraître minime. Mais contribution de connaissent les façons de faire de l’armée s’en tirent
la marine canadienne, il y a bien eue. Qui s’explique mieux; non seulement nous les comprenons mieux,
en bonne partie parce quelques-unes des formations mais nous comprenons aussi une grande partie des
mises sur pied pour l’Opération Torch partirent du problèmes que les soldats affrontent. Dans notre seule
18
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
flottille, il y a deux autres Montréalais à part moi qui,
à un moment ou à un autre, ont fait de courts séjours
dans l’armée. Il est aussi surprenant de constater le
nombre de matelots qui ont fait partie de la Réserve
de l’armée. Quarante pour cent de mes hommes
d’équipage ont fait partie, à un moment ou un autre,
de la Réserve de l’armée canadienne. »
http://arzew.net/raconte-moi-operation-torch.php
Les Canadiens ne traînèrent pas longtemps en Afrique
du nord. Tous étaient de retour au Royaume-Uni le 18
décembre, à l’exception des pertes susmentionnées,
de quatorze hommes de tous grades retenus pour des
missions spéciales et d’un dernier hospitalisé à
Gibraltar.
Enfin, soulignons qu’une des corvettes canadiennes
engagées dans l’opération et portant un nom bien de
chez-nous, le NCSM Ville de Québec, accomplit peu
après un exploit qui fut qualifié d’historique par la
marine canadienne.
En effet, le 13 janvier 1943, en mission d’escorte de
convois entre Gibraltar et les ports d’escale africains,
le Ville de Québec fit face au sous-marin allemand
http://arzew.net/raconte-moi-operation-torch.php U224 à l’ouest d’Oran, près d’Alger. Il s’ensuivit un
combat acharné avec tirs de grenades sous-marines
et en surface, au terme duquel le Ville de Québec
Quels que soient leurs antécédents, les marins réussit à couler le U-Boot. Les avaries subies par la
canadiens peuvent être fiers de leur action. Sur une corvette canadienne étaient relativement minimes et
plage, un officier de la marine canadienne a il put terminer sa mission avant de revenir au Canada
commandé pendant plus de cinq jours tous les soldats pour réparations.
et organisé le rassemblement de tous les blindés et
jeeps. En bout de ligne, Barclay jugea que l’expérience
acquise valait le risque, jugement confirmé il est vrai
par le faible nombre de pertes chez les Canadiens. La
seule victime durant l’opération sera un matelot tué
pendant les débarquements à Bougie. Dix autres
périront lorsque les navires qui les ramenaient au
Royaume-Uni seront frappés par des torpilles.
19
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’AUTEUR
Né en Algérie peu avant la
guerre, Léon fait partie de
ces jeunes Juifs qui ont du
attendre la Libération et la
suppression des lois de
Vichy par Charles De Gaulle ,
pour retrouver sa nationalité
française et pouvoir fréquen-
ter l’école publique de la Ré-
publique. Il en a éprouvé un
légitime ressentiment qui
apparait clairement dans ses
Le régime de Vichy avait trouvé en Algérie un terrain
interventions sur de nom- favorable et une grande majorité de la population eu-
breux forums, ou il met en ropéenne était ardemment pétainiste. La Légion Fran-
lumière les errances antisémites du régime de Pétain çaise des Combattants y recrutait avec succès, et ses
membres étaient fiers d’arborer leur insigne (dite « la
Ces lignes ne sont que l’expression du regard d’un en- sépia » ou « le fer à repasser »), (photo) quant à la
fant sur les événements de novembre 42, sans préju- population musulmane que Vichy s’efforçait de flatter,
dice de considérations politiques, et de souvenirs que si elle était quelque peu travaillée par un courant na-
j’ai pu préciser grâce aux témoignages de proches et tionaliste, elle restera dans l’ensemble passive et at-
d’amis au fil de 70 années. tentiste pendant toute cette période.
Les prémices Dés la fin des hostilités l’Algérie était devenue une
terre d’accueil pour des refugiés, majoritairement du
Ces 8 mois de guerre, de septembre 1939 à juin 40, nord de la France et d’Alsace-Lorraine, ainsi qu’une
avaient été suivis avec inquiétude par la population où base de repli pour les militaires, venant surtout du Le-
chaque famille comptait un ou plusieurs de ses mem- vant après mai 41.
bres sous les drapeaux. Et l’on doit dire que l’annonce
de l’armistice, et surtout l’arrêt des combats, fut ac- Dans la vie courante, on commençait à sentir les effets
cueilli avec soulagement, d’autant que la France avait des restrictions dans tous les domaines, les denrées
maintenant à sa tête une figure historique unanime- de première nécessité commençaient à être ration-
ment respectée : le Maréchal Pétain. nées. Mais le marché parallèle1, les productions lo-
cales, l’ingéniosité et la débrouillardise aidant, on ne
La vie reprenait son cours, et j’ai le souvenir d’un été mourait pas de faim
40 radieux et de vacances mémorables, en famille, au
Somme toute, si l’on peut faire une comparaison,
bord d’une petite plage (Douaouda) de ce magnifique
jusqu’en novembre 42, la vie et la situation en Algérie
littoral algérois
étaient à peu près celles de la Zone libre en France…
En octobre « j’intègre » la communale en CP et la pro- avec la proximité des Allemands en moins !
pagande de Vichy commence à se faire lancinante :
salut au drapeau, portraits du maréchal omniprésents,
retransmissions de discours et matraquage des slo-
gans de la Révolution Nationale
Je dois avouer que - rétrospectivement à ma grande
honte - cette propagande avait fait de moi un ardent
admirateur du Maréchal. Je me souviens également
que pour prix de la plus belle lettre à icelui, lettre
naïve et d’une rare flagornerie, je recevais de notre
« grand père » une lettre de remerciements et un ma-
gnifique album à colorier, à sa gloire bien sûr !
L’atmosphère générale était à l’unisson, elle n’avait ja-
mais été aussi patriote que dans ces moments, avec
défilés militaires aux accents martiaux de la Marche
Lorraine et de Sambre et Meuse !
20
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Sur le plan personnel, dès octobre 40, avec l’abolition Le dimanche dés 7 heures du matin, des bruits de
du décret Crémieux2, notre communauté, déchue de combats aériens réveillent la ville. Une de nos voi-
la nationalité française avait été rejetée dans un indi- sines, pétainiste notoire, interpelle ma mère «Pourvu
génat de 2ème zone et les mesures antisémites de que ce soit les Allemands !«
tous ordres ne faisaient qu’attiser notre crainte du len-
demain. Dans la journée mon père va aux nouvelles avant de
nous transporter chez des amis à la campagne (ces
En décembre 41, votre serviteur et ses jeunes coreli- personnes, de fervents chrétiens et non moins fer-
gionnaires se voyaient exclus de l’école primaire, par vents pétainistes nous assurerons, tout au long de
la grâce de Weygand, pétainiste à tout crin, allant au cette période, de leur soutien). Entre temps les S.O.L3
delà même des mesures prises à Vichy. du coin s’en prennent aux Juifs qu’ils rencontrent et
s’évertuent à ameuter les Arabes. Sans succès : ces
Au fil des mois, la situation devenait plus critique pour
derniers ne broncheront pas et répondront au chef de
tous les supposés adversaires du régime de Pétain :
la Légion par la voix du notable Bencherchalli : «le sale
étrangers antifascistes, communistes, francs-maçons,
boulot, chargez vous-en, nous sommes en dehors de
sympathisants de l’ancien Front Populaire, et, bien sûr,
tout ça !
les Juifs. Dans notre communauté, de nombreuses ru-
meurs faisaient état de regroupements dans des Débarqués à Castiglione, à une trentaine de kilomè-
camps de concentration du sud algérien. tres de là, des éléments de la 11ème brigade d’infan-
terie britannique se rendront maîtres de l’importante
Fait révélé plus tard, le gouverneur Chatel, vraisem-
base aérienne de Blida Joinville dans la matinée.
blablement sur ordre de Vichy, avait passé commande
en septembre 42 aux Etablissements Altairac de mil- Monsabert, commandant d’armes à Blida, importante
liers de brassards estampillés « Juif »… Ils ne serviront ville de garnison, fut un des rares officiers de l’armée
heureusement pas, le débarquement Allié intervenant d’Afrique à prendre part au complot contre l’autorité
avant. de Vichy. Un tract circulera dans la journée à Blida,
que mon père conservera longtemps : « Le Général de
Monsabert nous a odieusement trompés. Tous contre
les agresseurs, aux ordres du Maréchal ! »
Il avait essayé, en vain, de convaincre le colonel Mon-
trelay - qui le menacera de mort - de le rallier. Ce
même Montrelay a fait décoller sept appareils pour
s’opposer à l’aviation anglaise (en fait, un groupe de
chasse néo-zélandais). Ils seront tous abattus.
2: Le décret Crémieux de 1870 avait accordé la nationalité française pleine et entière aux Juifs d’Algérie. En revanche, les « Musulmans »,
comme on appelle les Magrébins « de souche », sont toujours, à cette époque, régis par le statut particulier de l’indigénat.
3: Service d’Ordre Légionnaire du collaborateur Joseph Darnand. Voir le dossier « Collaboration » dans DGM n°4
21
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Vers 18 h les Anglais ont la situation en main. Leur Les lois raciales étaient abolies et je pouvais réintégrer
commandant a menacé le maire, Ricci, qui faisait la Communale. Tous les exclus de Vichy pouvaient re-
mine avec ses adjoints de résister: « Nous, seulement lever la tête, à commencer par les communistes, re-
un avion et trois tanks et vous, finis !» venus en grâce, qui pouvaient publier leurs journaux
et couvrir les murs de leurs slogans : « Pucheu au po-
En fin de soirée la ville pouvait s’endormir tranquille.
teau ! – Ouvrez le second front ! – Fusillez les traî-
Le 9 novembre, Anglais et Américains, superbement tres !» et c’était aux vichystes les plus compromis,
équipés, défilaient triomphalement le long du Boule- comme deux fascistes notoires de ma bonne ville, de
vard des Orangers. garnir les prisons.
22
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
pées réfugiées en Angleterre, tous combattant sous Quant à moi, je pouvais copiner allégrement avec ces
l’uniforme britannique avec l’indication de leur natio- garçons, en quête de souvenirs, timbres, insignes et
nalité cousue sur la manche gauche. même avec leurs homologues féminines, WACS ou
WAAF4. Ma bonne bouille m’avait fait adopter par un
Dans cet éventail de nationalités l’élément américain
groupe de ces charmantes troupières que j’avais invi-
était prédominant, en majorité des conscrits issus de
tées chez moi à la surprise amusée et intéressée de
tous les milieux et de toutes les classes sociales… avec
mon père et de ses amis, qui me virent débarquer à
les inévitables frictions dues à cette mixité forcée, le
l’heure de l’apéro avec sept de ces accortes jeunes
diplômé d’université y côtoyant l’ouvrier du Bronx ou
femmes !
le bûcheron de l’Arkansas. Bref, une majorité de
braves garçons et une petite minorité d’authentiques
voyous !
La fraternisation allait bon train : nombre de familles
accueillaient ces militaires pourvoyeurs en biens de
toutes sortes (ceci expliquant aussi cela…), denrées
issues de leur PX (économat), cigarettes, savon, den-
tifrice, café instantané, sucre, beurre salé, conserves
diverses, pain de mie, bref, des produits dont nous
étions sevrés depuis longtemps et… qui alimentaient,
pour certains, un fructueux marché noir !
L’Algérie découvrait les rythmes de musiques nou-
velles, d’outre-atlantique, dans les concerts qu’of-
fraient les « orchestras » militaires sur la place
publique, la jeunesse s’initiait au swing et au boogie
woogie grâce aux « V discs » qu’apportaient les Gi’s
dans les surprises parties où ils étaient conviés.
Dans un domaine, le « rank and file » (soldat) de nos
valeureux alliés ne faisait pas exception avec tous les
troufions de toutes les armées du monde : son intérêt «...les autorités avaient institué des
bals hebdomadaires...»
marqué pour les filles. Il les poursuivait, avec vulgarité
pour certains, mais le plus souvent par des compli- On en arrivait à oublier la guerre, pourtant bien pré-
ments appuyés et des invitations (et plus, si sente, avec un flot de militaires en partance, d’ordres
affinités !). de mobilisations de nouvelles classes et l’afflux de
Cet attrait pour le sexe (« jig, jig » disaient-ils, ono- blessés en provenance des champs de bataille de Tu-
matopée significative !) faisait l’affaire des « yaouleds nisie et, plus tard, d’Italie, que l’on installait dans des
» locaux, les cireurs de chaussures qui, après un écoles transformées en casernes ou en hôpitaux.
« shoe shine », s’entremettaient pour leur proposer Pour ce qui est des bombardements, dans ma bonne
les services de jeunes indigènes accueillantes. ville et contrairement à Alger, rien de bien méchant :
Nos jeunes filles, pour certaines, n’étaient pas insen- en tout 2 ou 3 alertes et quelques bombinettes lar-
sibles aux charmes de ces garçons de belle apparence, guées par l’aviation germano-italienne, sans dégâts ni
surtout s’ils étaient gradés. Cela les changeaient de victimes.
nos mornes grivetons de 39-40, à bandes molletières, Au fil des mois, nos « occupants » se firent moins
capote et calot à deux pointes ! nombreux, appelés ailleurs à un devoir moins paci-
Ces fréquentations se concluront par de nombreux fique.
mariages, souvent sources de désillusions à l’arrivée Après l’arrivée de De Gaulle, les victoires alliées en
aux USA. Ainsi une de mes cousines avait épousé un Europe, en Italie, en France et en Belgique préludant
fringant officier de marine, qui se révélera n’être dans à l’assaut final sur l’Allemagne nous faisaient entrevoir
le civil qu’un modeste garde forestier dans un bled de la fin prochaine des combats, le retour à une vie nor-
l’Oregon ! male et des lendemains qui chanteraient…. Mais ceci
Pour encourager cette fraternisation, les autorités al- est une autre histoire ! J’ai voulu donner là ma vision
liées avaient institué des bals hebdomadaires dans du 8 novembre 42 et de ses suites, sans bien sûr en-
leurs bases ou n’étaient conviées que les filles du coin trer dans le détail des opérations militaires et de leurs
- à l’exception donc des mâles autochtones - qui pou- conséquences politiques.
vaient ainsi, sans préjudice de la suite, se rassasier Bibliographie
aux copieux buffets offerts par l’US Army. Mes ouvrages de référence sur la vie à Alger 1942-
Cette fraternisation n’était pas vue d’un bon œil par 45 :
les parents, qui veillaient à la réputation et à la vertu - L’Aventure algérienne de Lucien Adès, Belfond, 1979
de leurs filles, comme le faisait mon père qui interdi- - La vie politique à Alger1940-1944 d’Y.M Danan,
sait formellement à ma sœur aînée, 16 ans et mi- LGDJ, 1963
gnonne, toute convivialité ou discussion avec ces - Expédients provisoires de Renée Pierre Gosset, Fas-
militaires, quelque alliés qu’ils soient ! quelle, 1945
- Alger et ses complots de M. Aboulker, Documents,
1945
4: Women’s Army Corps ou Women’s Auxiliary Air Force, personnel militaire féminin.
23
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
F
le plan politique, et ce bien que la neutralisation mo-
igurez-vous que, recherchant des éléments mentanée des autorités vichystes par les Résistants,
pour préparer une note sur le Putsch des Gé- suivie de leur capitulation, ait d’abord entrainé la créa-
néraux (1961), je viens de découvrir qu’il n’y a tion à Alger d’un nouveau pouvoir resté proche de
pas eu deux putschs à Alger, en mai 58 et avril 61, l’ancien régime. En effet, cette nouvelle autorité,
mais qu’il y en a eu un premier, le 8 novembre 1942, quoique soutenue par Roosevelt, sera ensuite
certainement le plus louable des trois. Il s’agissait contrainte à se démocratiser pour conduire l’effort de
pour la Résistance en Algérie de neutraliser les forces guerre contre l’Allemagne. Au point qu’après avoir fu-
civiles et militaires de Vichy afin de faciliter le débar- sionné, non sans peine, avec le Comité national fran-
quement des GI’s1 qui voulaient établir une tête de çais de Londres, elle passera en quelques mois sous
pont au Maghreb, base des campagnes de Lybie, d’Ita- l’autorité du général de Gaulle, devenu le seul diri-
lie et de France. geant du Comité Français de la Libération Nationale3.
Cette action contribua à la libération des trois premiers La prise d’Alger par les Résistants a donc été un véri-
départements français, deux ans avant ceux de la mé- table coup d’État, malgré ses résultats politiques dif-
tropole. Mais cette participation a été bien souvent oc- férés, et l’un des rares cas réussis de coup d’État de
cultée. civils contre des militaires. D’où son surnom local,
Le putsch du 8 novembre donné dans les mois suivants, de « Coup du 8 novem-
1942 à Alger bre ».
Après une longue préparation et en exécution d’ac- Cette neutralisation pendant 15 heures d’un corps
cords passés secrètement à la conférence de Cherchell d’armée par des civils a souvent été occultée par l’His-
le 23 octobre 1942 entre la Résistance algéroise et le toire. Mais, comme le note Christine Levisse-Touzé4,
commandement Allié, 400 Résistants français, dont elle a conditionné une des premières grandes victoires
les deux tiers étaient des Juifs, ont neutralisé le 8 no- Alliées sur le front occidental.
vembre 1942 les batteries côtières de Sidi-Ferruch et
le 19ème corps d’armée d’Alger pendant une quinzaine Les témoins militaires ont rarement parlé de cette
d’heures. L’action des résistants d’Alger fut baptisée opération, remportée par des civils mal armés sur des
quelques mois plus tard « putsch » par ses auteurs, généraux. Ceux-ci n’ont pu qu’en être humiliés, les
1: Rappelons qu’aux cotés des Américains figuraient aussi des Britanniques et des troupes du Commonwealth, dont des Canadiens, mais
pas à Alger..
2: Putsch de la Brasserie à Munich du 8 novembre 1923 qui échoua, couta la vie à 16 militants nazis, une blessure à Goering, et valut à Hitler
une peine de prison qu’il utilisa pour écrire Mein Kampf.
3: Voir dans ce numéro l’article Torch, mais ou est de Gaulle
4: L’Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945, Albin Michel, 1998.
24
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
uns pour s’être laissés arrêter à Alger, et les autres tout leur effort contre les forces Alliées et de les reje-
pour avoir tiré pendant trois jours sur les Alliés et livré ter à la mer. Mais c’est finalement l’inverse qui va ad-
sans combat la Tunisie aux Allemands, avant de se dé- venir, car sont les Résistants qui, pourvus des fameux
cider à reprendre la guerre contre l’Allemagne. brassards vont appliquer le plan MO à leur façon.
De leur côté, les diplomates et généraux américains En revanche, les armes promises à Cherchell (750 pis-
ont eu tendance à omettre ou à minorer le rôle de la tolets mitrailleurs Sten) seront attendues en vain sur
Résistance française dans leurs relations ultérieures les plages par suite d’une mauvaise indication des
de l’opération Torch. points de livraison
au commandant
L’organisation du putsch de la corvette bri-
À Alger, le 6 novembre 1942, les principaux chefs de
tannique chargée
groupe de la Résistance se rencontrent pour la pre-
de les débarquer.
mière fois au Q.G. de la conjuration chez le professeur
Les Résistants ne
Henri Aboulker, au 26 de la rue Michelet. Il s’agit de
vont donc dispo-
Jean Athias, André Morali-Daninos, Maurice Ayoun,
ser pour remplir
Paul Ruff, Raphaël Aboulker et du capitaine Pillafort.
leur mission que
Plusieurs se connaissent de longue date, mais ils igno-
de vieux fusils
rent leur apparte-
Lebel cachés aux
nance au même
commissions d’ar-
complot, tant le
mistice, obtenus
secret a été ri-
grâce au colonel
goureusement
Jousse.
respecté. José Henri d’Astier de la Vigerie
Aboulker les pré- Les chefs de (1897 - 1952)
sente alors à groupe repassent
Henri d’Astier de au QG le lendemain, 7 novembre, pour rendre compte
la Vigerie et au des premiers résultats de leur mobilisation. Ils sont
colonel Germain revus à la baisse en raison de l’absence des armes
Jousse qui leur américaines promises. On ne mise plus sur 800 volon-
exposent les buts taires, mais sur 600 seulement. Ces chefs de groupe
de la conjuration reçoivent leurs ordres de mission et les dernières ins-
et les invitent à tructions, prévoyant le rassemblement de leurs
José Aboulker (1920 - 2009) commencer la groupes dans la soirée en vue d’aller ensuite occuper
http://www.ordredelaliberation.fr
mobilisation de les points relevant de leurs différents secteurs et sous-
leurs hommes. secteurs. Les brassards officiels VP leur sont remis. Ils
La Résistance s’était engagée, à la conférence de vont les distribuer aux volontaires, avec les fusils,
Cherchell5, à neutraliser pendant au moins 2 heures dans les véhicules qui vont les transporter vers leurs
les éléments algérois du 19ème corps d’armée, soit objectifs.
quelques 12 000 hommes, dont 5 000 à Alger (et une
Des auteurs ont décrit la participation d’un « groupe
partie dans les garnisons de Blida et Koléa), sans par-
des cinq » (ou « comité des cinq ») à cette action de
ler de près de 2000 membres du Service d’Ordre Lé-
Résistance, dont Jacques Lemaigre-Dubreuil, Jean Ri-
gionnaire - mouvement paramilitaire créé par Joseph
gault, Jacques Tarbé de Saint-Hardouin, le colonel Van
Darnand - et du collaborationniste Parti Populaire
Heycke (nommé par Pétain à la tête des Chantiers de
Français de Jacques Doriot, directement armés par les
jeunesse en Afrique du Nord) et d’Henri d’Astier de la
commissions d’armistice de l’Axe. Simultanément de-
Vigerie. Mais seul ce dernier, parmi les « Cinq », a vé-
vaient être réduites au silence les batteries du fort de
ritablement unifié la Résistance en Afrique du nord,
Sidi-Ferruch, principal site prévu pour le débarque-
tandis que le putsch d’Alger a été dirigé par le jeune
ment.
José Aboulker et le colonel Germain Jousse.
Pour atteindre ces objectifs les Résistants allaient pou-
Le 8 novembre 1942 trois des « Cinq » étaient déjà
voir, grâce au colonel Jousse, major de garnison, re-
partis d’Alger tandis qu’un autre, Lemaigre-Dubreuil,
tourner contre les autorités de Vichy leur propre plan
allait attendre Giraud à Blida. Seul Astier de la Vigerie
« M.O. » (plan de maintien de l’ordre), destiné à re-
était à Alger le jour du putsch et a participé aux ar-
pousser toute intervention alliée : ce plan visait en
restations et occupations de points stratégiques effec-
effet à faire occuper en cas de débarquement diffé-
tuées par José Aboulker, Germain Jousse, Bernard
rents points stratégiques par les membres du SOL de
Karsenty et leurs 400 camarades. Par ailleurs, la par-
Darnand, porteurs de brassards spéciaux revêtus des
ticipation des Chantiers de jeunesse dans cette action
lettres VP (Volontaires de Place), de façon à permettre
se limite alors à la présence de huit de leurs membres
aux forces de Vichy, leurs arrières assurés, de porter
sur environ 400 Résistants.
5: Les 21 et 22 octobre 1942, la conférence de Cherchell est organisée en présence du général américain Clark et des responsables de la
résistance en Algérie pour préparer l’opération Torch.
25
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
La prise d’Alger par les dirigé par le commissaire Achiary s’est chargé de neu-
traliser les personnalités civiles collaborationnistes.
Résistants français
Finalement, seuls quelque 400 volontaires, dont les Dans le même temps, d’autres groupes de volontaires
deux tiers étaient Juifs6, se présentent aux points de vont arrêter ou encercler dans leurs résidences les gé-
rendez-vous. Leur effectif réduit ne va pas les empê- néraux de plus de « trois étoiles » (les généraux Juin,
cher d’occuper presque tous les points stratégiques Mendigal, Koeltz, ainsi que l’amiral Fenard). Ainsi es-
sans coup férir. Peu après 1 h 30 du matin ces Résis- pérait-on que le pouvoir militaire passe automatique-
tants, auxquels on a distribué comme prévu en cours ment au général Mast en attendant l’arrivée de
de route les brassards officiels destinés aux militants Giraud. Mais lorsque le sous-lieutenant Imbert et son
collaborationnistes, ont atteint, puis occupé leurs ob- groupe vont occuper l’état-major de division, ils n’y
jectifs : munis d’ordres de mission signés du général trouveront pas le général Mast.
Mast ou du colonel Jousse, leurs chefs de groupe ou
De son côté, vers 2 h du matin, le général de Montsa-
de secteurs, dans leurs uniformes d’officiers ou de
bert chef de la garnison de Blida, rallié par Mast à la
sous-officiers de réserve, ont relevé sans difficultés les
conspiration, intervient avec un détachement de ses
différents postes de garde vichystes et se sont instal-
tirailleurs algériens à l’aérodrome de Blida. Il importait
lés dans les casernes, à l’arsenal, dans les centraux
de neutraliser cet aérodrome stratégique où, de plus,
téléphoniques, dans les commissariats de police, au
devait atterrir le général Giraud. Mais le nom de Gi-
Gouvernement général, à la préfecture et à Radio
raud ne va produire aucun effet sur le colonel d’avia-
Alger.
tion Montrelay, qui refuse de laisser Montsabert
A la même heure,
occuper la base. C’est ainsi qu’un face-à-face mena-
le jeune José
çant s’établit pendant plusieurs heures à Blida entre
Aboulker (22
les soldats de l’armée de l’Air et les tirailleurs algériens
ans), accompa-
de Montsabert.
gné d’une ving-
taine de cama- À Sidi-Ferruch un autre des rares officiers d’active Ré-
rades, occupe le sistants, le colonel Baril, a réussi à faire occuper le fort
commissariat par l’une de ses compagnies et à en neutraliser les
central où s’est batteries contrôlant les plages.7
déjà installé un
L’opération sera un succès complet : les forces de dé-
nouveau commis-
barquement Alliées vont pouvoir y prendre pied sans
saire central nom-
aucune perte. Les autres points de débarquement se
mé par le général
situaient à la Pointe Pescade, à l’entrée ouest d’Alger
Mast en vertu de
et sur les plages du Cap Matifou, de l’autre côté de la
l’état de siège.
ville.
Aboulker, accueilli
par le nouveau Sources
Colonel Germain Jousse maître des lieux,
(1895 - 1988) Christine Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord dans la
le commissaire
http://www.ordredelaliberation.fr guerre 1939-1945, Albin Michel, 1998.
Esquerré, prend
immédiatement le contrôle du standard téléphonique Michel Ansky, Les Juifs d’Algérie du décret Crémieux
et y fait brancher la ligne officielle. De là un contact à la Libération, éditions du centre, 1950
suivi est établi dès 1h50 avec les différents chefs de
Collectif, La part de la Résistance Française dans les
groupes qui rendent compte, les uns après les autres,
événements d’Afrique du Nord (Rapports des chefs
de l’exécution de leurs missions.
des groupes de volontaires qui se sont emparés d’Al-
Seuls l’Amirauté et l’état-major de la Marine, à l’Hôtel ger le 8 novembre 1942), Les Cahiers Français, Com-
Saint-Georges, n’ont pu être pris en raison du manque missariat à l’Information du Comité national français,
d’effectifs. Néanmoins, les jeunes gens du lieutenant Londres, août 1943
Cohen, chargés d’occuper l’état-major de place, vont
Divers Internet et témoignages d’Anciens.
réussir à bloquer l’entrée de l’amirauté pendant toute
la nuit, tandis que le volontaire Rager, accompagné de
15 amis va faire de même avec les issues de l’état-
major de la Marine, où se trouve l’amiral Moreau.
6: Il faut souligner le courage de ces 320 jeunes Juifs (sur 400 membres du groupe Aboulker) quand on connaît les conditions qui prévalaient
dans l’Algérie vichyste et raciste de 1940-42 : nécessité du secret absolu, cloisonnement… La moindre indiscrétion et c’était l’éveil de Vichy
et la faillite de l’opération Torch. Et, probablement, une intervention préventive allemande.
7: Fait capital, c’est la neutralisation d’Alger et des militaires haut gradés, obligés de capituler, qui a évité des combats comme à Oran et au
Maroc. S’ils avaient eu lieu, avec une armée toute dévouée à Vichy qui souhaitait rejeter les Alliés à la mer (avec Juin et consorts…), les
forces de l’Axe seraient venues à la rescousse, en « bons camarades de combat », avec leur célérité habituelle, comme à Tunis.
26
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L
e débarquement anglo-américain en Afrique du
Nord constitua l’une des plus terribles épreuves
de la guerre pour la France Libre. En effet, la
prise de contrôle de l’Afrique française du Nord par les
Américains et les accords Clark-Darlan du 22 novem-
bre 1942 débouchèrent sur la formation d’un pouvoir
qui se posait en rival de celui du Général de Gaulle.
1: Jean-François Muracciole, DOSSIER OPÉRATION TORCH, L’Histoire n°379, aout 2012, page 46. Nous remercions l’auteur de son aimable
autorisation de publication.
2: Robert D. Murphy, diplomate Américain, assure l’intérim de W. C. Bullitt comme ambassadeur auprès de Vichy avant d’être nommé
représentant spécial de Roosevelt en AFN et conseiller politique du général Eisenhower, en charge des opérations militaires.
3: Pierre Billotte, Temps des Armes, Plon, 1972, p. 239 repris aussi par Marc Ferro, Pétain, Hachette, 2009, p. 429.
4: Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome II, L’Unité, Plon, 1956.
27
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
De même, une fois calmé, Charles de Gaulle écrivit un d’Anfa »), à laquelle ils convoquent Giraud et de
discours prononcé le soir même à la radio, qui ne lais- Gaulle. Le désaccord des deux généraux ne peut qu’y
sait percer aucune amertume mais, au contraire, par- être constaté, mais leurs revendications respectives
lait des Américains comme des alliés de la France et sont clairement mises en parallèle. 6
engageait les Français d’AFN à accueillir leurs troupes
et à se joindre à elles. Le chef de la France Libre avait
su oublier ses griefs pour ne penser qu’à la poursuite
de la guerre. En revanche, quand il apprit que les Al-
liés négociaient avec Darlan, il ne put se contenir et
demanda en des termes virulents, le 12, à l’amiral
Stark, représentant américain auprès du CNF, de faire
part de sa désapprobation à son gouvernement :
« Vous pouvez acheter les traîtres, mais pas avec
l’honneur de la France. » Stark jugea la note trop vio-
lente et ne la transmit pas, mais la presse en eut
connaissance et la publia, ce qui sans doute n’arran-
gea pas les affaires du Général auprès de Roosevelt et
de Hull. Dans la soirée du 16, le CNF fit savoir qu’il se
désolidarisait de l’accord Darlan. Cependant, encore
une fois mû par un désir d’apaisement et conscient Anfa, une autre histoire...
qu’il fallait ménager l’avenir, de Gaulle enverra un
message conciliant au président Roosevelt le jeudi 26
Ils vont constituer cependant en juin 1943 le Comité
novembre, jour de la fête de Thanksgiving, indiquant
Français de la Libération Nationale (CFLN). Le CFLN
qu’« il ne fallait pas confondre les différends venant
est l’organisme gouvernemental par lequel s’est effec-
des méthodes et de la stratégie, avec le but commun
tuée la fusion des deux autorités françaises participant
à la France et aux États-Unis » 5
à la guerre avec les Alliés : le Comité National Français
Le général de Gaulle de Londres, dirigé par le général de Gaulle, chef de la
arrive à Alger seule- France Libre, et le Commandement civil et militaire
ment le 30 mai 1943. d’Alger, dirigé par le général Giraud, afin d’unifier l’ef-
Il fallut tout ce temps fort de guerre français et de préparer la Libération. Le
pour qu’il soit autorisé CFLN laisse la place le 3 juin 1944 au Gouvernement
à y aller ! Il arrive Provisoire de la République Française (GPRF) et Giraud
dans le secret le plus sera effacé de tout rôle politique. Mais ceci est une
absolu, il n’est ac- autre histoire…
compagné que d’une
délégation réduite du
Comité National de
Londres. Il dispose
Roger Carcassonne cependant sur place
(1911 - 1991) d’un service de pro-
http://www.ordredelaliberation.fr
tection composé de
quelques Français Libres, anciens volontaires du 8 no-
vembre 1942. Il est dirigé par le capitaine Roger Car-
cassonne, ancien chef de la résistance à Oran et le
sous-lieutenant Bernard Karsenty, ancien adjoint de
José Aboulker lors du putsch du 8 novembre 1942.
28
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’AUTEUR doute était-il trop près, trop avancé dans le port pour
qu’il puisse être question d’autre chose? Mais une fois
Colin Smith, né en 1944, est qu’il fut assez proche pour que Laurin commence à
un historien militaire britan- discerner son profil bas, étranger, il décida de mettre
nique qui présente la parti- fin au black-out ordonné quelques minutes avant et
cularité d’être absolument demanda à l’équipage en charge des projecteurs sur
inconnu en France. De ses le pont de lui fournir une meilleure vue sur cet intrus.
nombreux livres, seule sa Il vit alors un petit vaisseau qui faisait environ la moi-
biographie du terroriste Car- tié de la taille de l’Épervier et dont la superstructure
los fut publiée en français en était endommagée et fumante. Il réalisa à ce moment
son temps. L’article au sujet que les canons de Laumone avaient probablement dé-
de Torch qu’il a eu l’amabi- truit ses moteurs. Le navire arborait un large drapeau
lité de nous envoyer est une américain qui surmontait une plus petite « white en-
sorte de synthèse de son sign » de la Royal Navy britannique. Il cria d’éteindre
dernier livre « England’s Last les lumières au moment même où l’intrus essayait de
War Against France - Fighting le faire pour eux à coup de longues rafales de tra-
Vichy 1940-42 » (La dernière çantes.
guerre de l’Angleterre contre la «Nous avons répliqué avec le Hotchkiss de tribord», a
France, combattre Vichy 1940- noté Laurin dans son journal de bord. Il ordonna en-
42). C’est donc la première fois suite d’ouvrir le feu avec les canons de 138mm – d’un
que ce livre est abordé en fran- calibre légèrement supérieur à ceux du Typhon -
çais, une exclusivité de votre «Mais nous manquions d’hommes d’équipage et l’or-
magazine. dre ne fut pas immédiatement exécuté. L’officier de
http://www.colin- navigation se précipita vers le petit canon de 37mm
smith.info/index.asp. et l’officier d’artillerie sur le 138mm. Il arma le canon
numéro 5 et tira sur le navire ennemi qui était main-
tenant à moins de 50 mètres de nous.»
Bien sûr, l’original de l’article nous est parvenu en an-
glais et nous remercions notre ami Eric Guigère de À la stupéfaction de Laurin, la riposte de l’ennemi ne
l’avoir traduit en québécois, non, pardon, en français. consistait qu’à des tirs imprécis d’armes légères et à
La Rédaction ce qu’il identifia plus tard comme étant des lance-gre-
nades. L’action se déroulait peu avant l’aube du di-
Le Capitaine de frégate Paul Laurin, commandant du manche 8 novembre 1942. La dernière fois que des
contre-torpilleur Épervier, était très perplexe. Il avait marins français et britanniques avaient échangé des
entendu le feu de l’artillerie lourde basée à Fort Lau- tirs aussi rapprochés remontait aux guerres napoléo-
mone, aussitôt appuyé par les canons du torpilleur niennes.
Typhon. Mais, bon sang, sur quelle cible s’achar- Car leur cible était bien le même vieil ennemi. Presque
naient-ils? Pour ajouter à la confusion, les sillons pa- côte à côte avec eux, le navire de Sa Majesté HMS
resseux des traçantes rouges tels que ceux produits Walney, qui appartenait à l’origine aux gardes-côtes
par les armes antiaériennes zébraient le ciel nocturne. américains et n’était destiné à rien d’autre qu’à inter-
cepter les Bootleggers sur les Grands Lacs, les contre-
bandiers trafiquants d’alcool du temps de la
Le contre-torpilleur Epervier
29
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Prohibition. Ensemble, avec son navire-jumeau, le estimant avoir une dette de sang envers la France. En
HMS Hartland, ils faisaient partie de l’aide américaine juillet 1940, dans le port de Mers el-Kebir avoisinant
accordée dans le cadre du prêt-bail par Roosevelt au celui d’Oran, quelques jours après l’armistice, la Royal
début de la bataille de l’Atlantique. À cette époque, la Navy avait en effet tué près de 1 300 marins pris au
Royal Navy acceptait n’importe quelle embarcation qui piège sur des navires de guerre français que Londres
pouvait lancer une charge de profondeur ou draguer redoutait de voir tomber aux mains des Allemands.
des mines. Plus récemment, il avait été réclamé une journée de
deuil national après qu’un bombardement de la RAF
sur l’usine Renault de Billancourt, qui fabriquait des
camions pour la Wehrmacht, eut tué 400 travailleurs
résidant dans les logements situés à proximité. « Nous
ne leur pardonnerons jamais », avait proclamé l’Amiral
François Darlan, héritier légitime de Pétain et Com-
mandant militaire suprême de Vichy, dans une note
écrite à la main à l’intention de l’Amiral Daniel Leahy,
Ambassadeur américain à Vichy, choisi en fonction de
Le torpilleur Typhon
la camaraderie censée lier les hommes de la marine.
Mais ce soir-là, la plupart des gens à bord du Walney Les Britanniques avaient convaincu les Américains
n’étaient pas Britanniques. L’équipage était largement qu’ils pourraient berner les Français d’une manière ou
dépassé en nombre par ses passagers américains, d’une autre, mais ils avaient commis une grave erreur.
tout comme sur son jumeau Hartland qui subissait le Parmi les morts sur le Walney, on comptait le lieute-
même feu nourri de la part du Typhon. Près de 400 nant Paul Duncan, un officier bilingue à demi Français
soldats casqués de l’infanterie américaine s’entas- de la Royal Naval Volunteer Reserve qui avait travaillé
saient sur le pont principal de ces deux garde-côtes. comme secrétaire de rédaction pour le Times. Duncan
Leur mission consistait à prévenir la destruction par mourut, un uniforme US sur le dos, en criant à l’aide
l’armée de Vichy des quais du port d’Oran en tenant d’un porte-voix dans ce qu’il espérait être interprété
cette position jusqu’à l’arrivée de forces plus impo- comme du français avec un accent américain : «Ne
santes, renforts qui devaient débarquer sur les plages tiray pas! Noo sarmes vos amis. Noo sarmes Ameri-
de chaque côté de la ville. caine. Ne tiray pas! Noo sarmes Americaine...»
Cinq cents kilomètres plus à l’est, une tentative sem- Mais si quiconque l’a entendu, personne ne l’a écouté.
blable était faite pour s’emparer des installations du
À l’automne 1942, dix mois après Pearl Harbour, les
port d’Alger. Cette fois, les GI’s les attendaient à bord
États-Unis avaient encore beaucoup à accomplir dans
de deux vieux destroyers britanniques, plus gros et
le conflit européen. La plus grande part du sang et de
mieux armés que les garde-côtes. Du ciment avait été
l’argent avait été dépensée dans le Pacifique où ses
coulé dans leur proue afin qu’ils puissent défoncer les
navires avaient remporté la bataille de Midway et, à
barrages flottants du port. Mais cela ne fit pas la moin-
Milne Bay en Nouvelle-Guinée, supporté les troupes
dre différence. Les batteries côtières françaises infli-
australiennes, infligeant sa première défaite décisive
gèrent tant de dommages à l’un d’eux qu’il dut
à l’Armée Impériale japonaise.
retraiter vers la flotte d’invasion principale au large.
Les coups au but à répétition sur le deuxième finirent La participation terrestre la plus significative des
par le couler. Quelques Américains réussirent à gagner États-Unis contre l’Allemagne nazie s’était limitée à
le rivage et tinrent la position pendant une paire l’envoi de 50 Rangers lors du désastreux raid de
d’heures. Les Français amenèrent des chars et les Dieppe au mois d’août, pour accompagner les Com-
Américains, dépourvus d’armes antichars, se rendi- mandos avec lesquels ils s’étaient entraînés en
rent. Écosse. Les Britanniques obtenaient de bien meilleurs
résultats sur la ligne défensive d’El Alamein dans le
Les deux tentatives pour capturer ces ports aboutirent
désert occidental d’Égypte, où Rommel épuisait une
à d’humiliants et coûteux échecs. À Oran, où les deux
douzaine de divisions allemandes et italiennes en es-
garde-côtes des Grands Lacs coulèrent en flammes, le
sayant de forcer le passage vers le canal de Suez afin
massacre causa des pertes - morts et blessés - repré-
d’en prendre le contrôle.
sentant environ 90 pour cent des forces engagées.
190 soldats américains furent tués et 157 autres fu- Mais le noyau de l’Armée allemande se trouvait alors
rent blessés. Plus de 100 marins britanniques trouvè- en Russie et les Soviétiques, qui semblaient proches
rent la mort, 82 d’entre eux uniquement sur le de la défaite, imploraient les Anglo-Américains d’ouvrir
Walney. Les pertes du côté de Vichy furent négligea- un second front afin de faire diminuer la pression qui
bles. Sur l’Épervier, Laurin déplora un tué et quatre pesait sur eux. L’endroit le plus évident pour une telle
blessés. intervention se situait là où l’expansion occidentale de
Hitler avait pris fin, le canal providentiel séparant l’An-
On avait cru que les Français seraient moins enclins à
gleterre du continent, et les Américains ne deman-
ouvrir le feu sur les Américains que sur les Britan-
daient pas mieux que d’offrir leurs services. Plus
niques, ces derniers, incluant les officiers supérieurs,
précisément, ils voulaient établir une tête de pont
30
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
dans un port français de la Manche baignant en eau temps soulevé l’ire de la presse américaine, dont les
profonde, pour en sortir en force au printemps sui- intervenants souhaitaient un appui de l’Amérique à de
vant. Gaulle. Maintenant, il semblait que l’obstination de
Roosevelt allait rapporter des dividendes. Pendant les
Un lobby s’organisait aussi en Grande-Bretagne pour
18 derniers mois, le diplomate Robert Murphy, repré-
sauver la Russie. « Un deuxième front maintenant! »
sentant spécial de Roosevelt en Afrique française du
répétaient à l’unisson les membres de plus en plus
Nord, travaillant à l’extérieur d’Alger, avait monté un
nombreux de la bande d’admirateurs de l’Armée
réseau impressionnant de sympathisants alliés. Cer-
Rouge, lors d’une manifestation sur Trafalgar Square.
tains étaient des officiers supérieurs en charge, d’au-
Mais, pour une fois, le toujours très téméraire Chur-
tres des civils influents, et avec eux s’ébauchait une
chill restait prudent, et le fiasco de Dieppe l’avait
sorte de cinquième colonne qui pouvait laisser espérer
conforté dans sa résolution de ne pas tenter d’ouvrir
qu’elle permettrait à l’opération Torch de se dérouler
une brèche dans le mur de l’Atlantique tant qu’ils ne
sans effusion de sang.
seraient pas mieux préparés. Son cabinet de guerre
l’approuvait. « Un front occidental prématuré ne pour- Mais les conspirateurs de Murphy, bien qu’unis par le
rait mener qu‘au désordre le plus effroyable » notait désir de libérer la France, formaient un groupe plutôt
dans son journal le Général Sir Alan Brooke, Chef hétéroclite. Plusieurs s’étaient convaincus eux-mêmes
d’état major général de l’Empire britannique. qu’ils suivaient le vrai credo pétainiste et qu’ils agis-
saient selon les désirs secrets du Maréchal. D’autres
étaient des royalistes qui rêvaient de remettre le
Comte de Paris sur son trône légitime, ou des Com-
munistes, en nombre croissant, inspirés par le prolé-
tariat soviétique invaincu. Par nécessité, ils étaient
presque tous plus ou moins en faveur des Américains,
mais une minorité d’entre eux seulement admettait
être Gaulliste.
31
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
timait l’ordre de se saborder ou de naviguer vers des
lieux où ils seraient hors de la portée des Allemands.
Cela avait été suivi de campagnes amères pour s’em-
parer des territoires sous contrôle de Vichy, au Liban,
en Syrie, et plus récemment à Madagascar.
32
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
voulait Giraud. Il partageait l’avis de tous les fidèles les Britanniques avaient creusé dans le Rocher de Gi-
Pétainistes qui imputaient la défaite de la France à l’in- braltar.
suffisant engagement militaire des Britanniques au-
24 heures auparavant, Giraud et quatre officiers, dont
près de leur allié, en même temps qu’ils blâmaient le
l’un était son propre fils, attendaient sur la Côte d’Azur
gouvernement impie du Front Populaire de Léon Blum
le sous-marin qui devait les embarquer. « Kingpin »
pour avoir contribué à la décadence morale, par son
avait insisté pour que ce soit un sous-marin américain
soutien à l’Espagne républicaine, la semaine de 40
et non un britannique. Comme il n’y avait aucun sub-
heures et les congés payés pour les travailleurs. Un
mersible américain dans la Méditerranée à cette date,
seul détail le distinguait de la majorité des officiers qui
on fit un compromis en confiant à un officier de la ma-
l’avaient accueilli à Vichy. Il avait la conviction iné-
rine américaine, qui ne connaissait rien aux sous-ma-
branlable que l’Allemagne perdrait la guerre et que la
rins, le commandement symbolique du HMS Seraph,
France devait pactiser avec les Américains afin de re-
dont l’équipage commençait à se spécialiser dans ce
prendre les hostilités.
genre de missions.
Washington eut tôt fait d’être mis au courant. Même
si l’Allemagne était en guerre avec les États-Unis de-
puis cinq mois, l’Ambassade de Leahy continuait son
travail à Vichy, quoique son départ soit imminent, la
mission devant ensuite incomber à un Consulat. Les
Américains jubilaient. C’était justement l’homme dont
ils avaient besoin pour rallier à leur cause toutes les
forces de Vichy en Algérie, au Maroc, et en Tunisie !
Ils lui donnèrent le nom de code « Kingpin ».
HMS Seraph
33
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
de la planification puisque les éléments de pointe de arrangé un rendez-vous risqué entre le sous-marin
notre armada se trouvaient déjà en mer». Seraph et un hydravion Catalina. « Kingpin » avait
théoriquement rejoint Gibraltar, aux bons soins de la
Environ 700 bateaux étaient sur le point de mettre à
RAF, ce dont il pouvait toujours se consoler en se di-
terre 70 000 hommes répartis en trois groupes d’in-
sant qu’au moins il avait volé sur des ailes de fabrica-
tervention (task forces) : occidentale, orientale et cen-
tion américaine. Il ne restait plus que huit heures
trale. Le groupe occidental, à qui on avait assigné trois
avant l’heure H de l’opération Torch. À ce moment, Gi-
lieux de débarquement sur la côte marocaine, dont
raud aurait dû être introduit secrètement à Alger afin
l’une près de Casablanca, était sous le commande-
d’être placé, au grand bonheur de tous, à la tête du
ment de l’Amiral américain Henry Kent Hewitt.
groupe de résistants de Mast, chef faisant figure de
Soixante-dix de ses cent deux vaisseaux étaient des
héros appelant à un retournement des armes contre
navires de guerre, incluant un porte-avion et le cui-
l’Allemagne. Ce serait la réplique idéale de Washington
rassé flambant neuf USS Massachusetts. Le reste
au controversé de Gaulle soutenu par Londres.
consistait en transports de troupes bondés sur les-
quels se trouvaient les éléments de deux divisions Au lieu de cela, l‘arrivée de Giraud allait devoir atten-
d’infanterie et une de blindés, soit près de 35 000 dre la capture d’un aérodrome. Un bataillon de para-
hommes au total. Leur commandant était un major- chutistes américains en provenance directe de
général dont le grossier langage cachait bien le cha- Cornouaille avait été spécialement affecté à cette mis-
risme et l’érudition. Les visiteurs qui se présentaient sion. Tout ce que le général pouvait faire en attendant
dans la cabine de George S. Patton Junior pouvaient se limiterait à la lecture d’un communiqué sur les
constater, si déjà ils y connaissaient quelque chose, ondes de la BBC de Londres, destiné aux émissions de
que parmi ses pistolets à manche d’ivoire et les thril- l’Afrique du Nord coloniale et exhortant les troupes
lers que lisaient la plupart des officiers se trouvait une française à coopérer avec les Alliés.
traduction anglaise du Coran.
Puisque le temps pressait, Eisenhower et Clark prirent
la liberté d‘écrire le texte à sa place. Il ne lui restait
plus qu’à le signer. Un interprète lui en lut la traduc-
tion. L’essentiel du message stipulait que les États-
Unis, dans le but de prévenir un plan d’invasion du
Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie par l’Axe, agissaient
les premiers et enjoignaient l’Armée d’Afrique du Nord
à combattre avec eux leur ennemi commun. De son
rôle dans l’affaire, « Kingpin » devait se borner à dire :
« Je reprends ma place de combat parmi vous ».
34
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
« Je crois qu’il y a un malentendu », murmura Ike. million d’hommes se préparait à mettre pied à terre.
Clark décrira alors comme « prudent » le ton qu’il em- « Selon les instructions reçues, j’exagérais leur nom-
ploya. bre et ne fit aucune mention des éléments britan-
niques ».
À Alger, Robert Murphy entendit la BBC française lui
dire exactement ce qu’il voulait entendre. La nouvelle « Mais vous m’aviez dit une semaine plus tôt que les
tomba tout juste après minuit parmi les «messages États-Unis ne nous attaqueraient pas », protesta Juin.
personnels» qui suivaient la programmation régulière,
« Nous sommes ici sur invitation ».
chacun d’eux répétés deux fois. «Allo Robert», dit Lon-
dres, «Franklin est arrivé». « De la part de qui? »
35
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
tanniques étaient stupides », annonça-t-il à Murphy, Algérie et au Maroc.
« Mais j’ai toujours cru que les Américains étaient plus
Néanmoins, dans l’ensemble, l’opération Torch fut un
intelligents. Apparemment, vous possédez le même
succès retentissant. L’opposition s’est avérée tout au
génie pour faire des bourdes monumentales ».
plus décousue et souvent, grâce aux conspirateurs de
Pour une rare fois, il ne portait pas de chapeau, alors Mast, inexistante. «Gentlemen, vous êtes en retard»,
qu’il détestait révéler sa calvitie. Tirant sur sa pipe, le s’exclama le Major Pierre Baril à l’intention des Amé-
petit homme faisait les cent pas sur le sol de marbre ricains de l’Iowa faisant partie du 168ème régiment
de la salle de réception principale du Général Juin. À quand ils arrivèrent sur la côte, à l’endroit même où
ses côtés, le grand Murphy, aux larges épaules, faisait les Français entreprirent leur conquête de l‘Algérie en
de son mieux pour rester à son niveau, en lui rappe- 1830. Plus de 60 000 hommes atteignirent le rivage
lant calmement comment il avait lui-même déclaré sur neuf plages distinctes, 35 000 autour d’Alger,
une fois à l’Ambassadeur Leahy que si jamais les Amé- quoique pas toujours à l’endroit où ils auraient dû se
ricains se présentaient avec des forces imposantes, il trouver. La Royal Navy avait déposé les unités qui de-
les accueillerait à bras ouverts. vaient rejoindre Murphy à quelques cinq miles (8 km)
de l’endroit prévu.
« Et maintenant ce moment est arrivé! » conclut Mur-
phy avec la ferveur d’un prédicateur charismatique. Le diplomate avait vécu une très longue journée.
Au moment même où il s’exprimait, un bref coup d’oeil Quelque part, un peloton de résistants aux ordres de
à sa montre lui indiqua qu’il était bien au-delà de Mast avait désarmé les gardes sénégalais et annoncé
2h30. Les troupes américaines auraient dut le rejoin- que Juin et Darlan étaient au nombre de leurs prison-
dre au moins une demi-heure plus tôt. Il se demanda niers. Puis, peu après l’aurore, ils furent à leur tour
alors s’il n’avait pas commis une horrible méprise sur chassés par une cinquantaine de Gardes Mobiles, po-
la date ou si quelque inimaginable calamité ne s’était lice paramilitaire bien armée menée par le Chef d’État-
pas abattue sur l’entreprise entière. Major indigné du Général Juin, le major Dorange.
Murphy et un assistant qui l’avait rejoint furent em-
Rien ne pouvait être plus près de la réalité. De fait, les
menés à la pointe du fusil dans la guérite de la villa,
tentatives pour s’emparer des ports d’Oran et Alger
mais on leur permit plus tard de revenir au salon. Dar-
avaient été repoussées de façon sanglante. Mais ce
lan et Juin se précipitèrent alors au quartier général
n’étaient que des opérations secondaires imaginées
de l’armée à Fort L’Empereur où l’ampleur du débar-
par les Anglais suite à des réflexions similaires avan-
quement leur fut confirmée.
cées pour la prise de Diego Suarez à Madagascar. Les
plans américains pour capturer des aérodromes en Aux environs de 15h00, Darlan retourna à la villa pour
employant 600 parachutistes répartis sur 39 avions dire à Murphy qu’il lui fournirait la voiture et le chauf-
différents à partir d’Angleterre, vers une zone de lar- feur du Général Juin afin de trouver le Major-Général
gage située 1 500 kilomètres plus loin, furent un dé- Charles Ryder, l’officier supérieur américain pour le
sastre bien plus grotesque, même si on ne déplora secteur d’Alger, et l’emmener à Fort L’Empereur pour
aucun mort. La plupart d’entre eux furent faits prison- discuter des termes d’un cessez-le-feu local. Ils
niers après avoir vu leurs appareils dispersés par des connaissaient le nom de Ryder grâce à la signature sur
vents violents, les forçant à atterrir un peu partout en les tracts que les pilotes de l’aéronavale britannique
avaient largués pour annoncer la venue des Améri-
cains. Ils croyaient pouvoir le trouver sur une plage
située à une dizaine de miles (16 km) à l’est de la ville.
36
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
ministre servant comme officier de renseignement Nord. Ces événements se passaient le 11 novembre,
dans une brigade commando, qui était probablement jour même du 24ème anniversaire de la capitulation
l’unité la plus anglo-américaine impliquée dans l’opé- allemande en 1918.
ration Torch. Murphy était ravi de découvrir qu’il
Darlan déclara promptement que Pétain devait main-
connaissait tout sur lui et Churchill le présenta à Ryder
tenant être considéré comme étant prisonnier. En tant
qui monta à bord de l’auto du Général Juin. Le cessez-
qu’adjoint, il était donc habilité à signer le cessez-le-
le-feu dans la ville d’Alger entra en vigueur à 20h00.
feu au nom du Maréchal, coupant court à toute possi-
Partout ailleurs les combats continuèrent sur terre, sur bilité pour Vichy de remettre en cause son autorité. «
mer, et dans les airs. L’un après l’autre, presque tous En fait, si l’Amiral Darlan devait tirer sur le Maréchal
les navires français qui restaient dans les ports nord- Pétain, il le ferait sans doute au nom du Maréchal Pé-
africains furent perdus quand on leur ordonna, en dés- tain », expliqua un Churchill réjoui à la Salle des Com-
espoir de cause, d’essayer de rejoindre la flotte de munes.
Vichy à Toulon. Au moins 500 marins français périrent
Malgré le profond dégoût qu’il inspira à de Gaulle, le
à Casablanca où les navires et les avions de l’Amiral
sophisme de Darlan sembla lui rapporter. Les Alliés lui
américain Hewitt les attaquèrent en toute impunité.
permirent de devenir le Haut Commissaire pour
l’Afrique occidentale et l’Afrique du Nord françaises, et
sous son autorité Giraud sentit qu’il pouvait mainte-
nant donner suite à la proposition américaine initiale
faisant de lui rien de moins que le commandant des
forces françaises. Mais la critique intérieure autant en
Grande-Bretagne qu’aux États-Unis, où Darlan avait si
longtemps été décrit comme un Collaborateur de pre-
mier plan, était féroce au point que Londres et Wash-
ington virent bientôt en lui un gênant problème
politique.
Eisenhower, Darlan et le général Clark De plus, il avait échoué sur deux dossiers importants.
Il ne réussit pas à persuader les troupes françaises de
Après un court engagement contre des croiseurs bri- Tunisie de bloquer le passage à la force expédition-
tanniques à la sortie d’Oran, Laurin échoua l’Épervier, naire allemande qui devait prolonger la campagne
avec à bord 21 membres d’équipage tués et 31 bles- nord-africaine jusqu’au mois de mai 1943. Pas plus
sés. qu’il ne fut en mesure, lui qui se voyait comme le fon-
dateur de la flotte française moderne, de convaincre
48 heures seulement furent nécessaires pour faire
les navires de guerre basés à Toulon de se joindre aux
plier Darlan sous la pression des Alliés et le convaincre
Alliés. Au lieu de cela, quand le 27 novembre les Alle-
d’étendre le cessez-le-feu local à toute l‘Afrique fran-
mands essayèrent de capturer ces navires, les équi-
çaise du Nord. Pendant que des hommes mouraient
pages les sabordèrent.
dans un conflit particulièrement inutile, l’amiral était
cloué sur place attendant que les Allemands, comme Moins d’un mois plus tard, la veille de Noël, il était
il le prévoyait, déchirent le traité d’Armistice de 1940 grièvement blessé dans son bureau par un dénommé
avant d’envahir la zone libre et descendre défendre la Bonnier de la Chapelle, jeune homme de vingt ans aux
côte contre cette nouvelle menace alliée en Afrique du convictions royalistes, qui avait utilisé une arme à feu
d’origine britannique. Ce dernier tombait à son tour
sous les balles d’un peloton d’exécution dans les 48
heures qui suivaient. « Le meurtre de Darlan », admit
Churchill, « libéra les Alliés de leur embarras à travail-
ler avec lui en leur laissant tous les avantages qu’il
avait pu leur fournir ».
37
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’ AUTEUR
1: La majorité étant à 21 ans à l’époque, Maurice est mineur et doit donc obtenir l’autorisation de son père pour s’engager (NDLR)
38
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
me permettant de la passer. C’était un départ à l’aven- J’ai été débarqué à Oran avec cinq ou six camarades
ture ! faits sur le bateau, affectés comme moi à Casablanca.
Nous avons pris le train, les fameux wagons à bestiaux
J’ai fait comme je l’avais prévu : à Dax, je pris la route
« 40 hommes, 8 chevaux (en long) ». Le voyage nous
vers Saint-Sever… sur laquelle je rencontre deux Alle-
a pris…8 jours !4 Roulement à 30 km/h durant
mands ! L’un avait un chien, l’autre un fusil. Ils me de-
quelques minutes, arrêt, redémarrage... Nous avions
mandent où je vais. Je leur réponds avec aplomb que
alors tout le temps d’aller cueillir des figues lors des
vais à Saint-Sever, dans la famille, pour faire les foins
arrêts. Arrivé à « Casa », j’ai été affecté au 1er ba-
pour nourrir les bêtes. Qu’ils m’aient cru ou pas, ils
taillon à Rabat, envoyé faire mes classes à Mazagan
m’ont laissé passer, sans même vérifier mes papiers.
durant environ six mois. J’ai ensuite fait le peloton de
Une fois hors de vue, j’ai couru de l’autre côté de la caporal, sans que je n’ai rien demandé. Là, on est
route, ai franchi les barbelés qui n’étaient pas très parti en manœuvres, pour une marche d’épreuve de
haut et me suis ainsi retrouvé en « Zone libre ». Casa vers Rabat.
Je me suis arrêté dans une gendarmerie, où j’ai de- Premier jour, 25 km, second jour, 50 km. Nous étions
mandé à m’engager dans l’armée. On m’a orienté vers à Rabat. Troisième jour, retour vers Mazagan…100
Pau, où je me suis rendu. J’avais dans cette ville un km ! Avec 17 kg d’équipement, fusil, sac à dos… ! A la
petit cousin, commandant de l’autre guerre, qui faisait suite de cette marche, j’ai été nommé caporal. Et nous
le « gratte-papier ». Je lui ai annoncé que j’avais dé- sommes allés fêter ça en ville… à pied ! Nous sommes
cidé de m’engager, mais que faute de place dans l’ar- rentrés vers 9h… et avons passé une bonne nuit de
mée d’Armistice j’avais choisi les Colonies, le RICM2. sommeil. Le lendemain, j’étais caporal, chef de cham-
« Tu vas être Marsouin ! »3 m’a-t-il dit, lui qui, à la dif- bre, avec 42 bonshommes. J’ai passé ensuite le stage
férence de moi, connaissait les traditions militaires. de caporal-chef et changé de section, avec 12 gars
sous mes ordres, toujours sans avoir rien demandé.
Je suis passé au conseil de révision, mais ils ont es- Puis on m’a fait faire le stage de sous-officier, six mois
timé que je ne pouvais être pris et que je devais subir à l’issue desquels j’ai été nommé sergent.
une petite intervention chirurgicale. Je suis allé à l’hô-
pital où j’ai expliqué que je devais être opéré pour Quelques jours après mon arrivée à Rabat, c’est le dé-
pouvoir entrer dans l’armée. On m’a accepté et opéré. barquement des Américains ! Nous avons pris le
Durant mon hospitalisation, des Allemands ont visité contrôle de la ville, notre 1er bataillon sous les ordres
l’établissement : la Commission d’Armistice ! Comme du colonel Magnan qui était pour les Américains, pour
j’avais franchi la Ligne de démarcation illégalement, reprendre la guerre contre les Allemands, alors même
les Sœurs qui tenaient la maison m’ont planqué dans qu’il y avait d’autres troupes sur place, une compagnie
le grenier, pour le cas où ils auraient recherché les de chars équipée de chars Renault et des tirailleurs sé-
gars comme moi. négalais. Nous attendions leur arrivée à Rabat-Salé.
Nous avions bloqués Noguès dans sa villa… mais ou-
blié de couper ses lignes téléphoniques !
Mais – erreur d’orientation ? – les Américains sont
allés à Fédala, où ils sont tombés sur le 3ème bataillon
qui, lui, a fait le coup de feu. Les officiers avaient fait
serment de fidélité à Pétain et ceux des 2ème et 3ème
bataillons ont malheureusement honoré leur parole…
A la suite de notre attitude, nous avons été envoyés à
Meknès afin de ne pas « contaminer » les autres
troupes restées fidèles à Vichy et éviter les bagarres.
Nous nous sommes bien entendus avec les légion-
Le paquebot La Martinière naires qui s’y trouvaient.
En janvier et février, nous sommes revenus à Casa-
Dès ma sortie de l’hôpital, je me suis présenté à la ca- blanca pour être réarmés et rééquipés en matériel
serne. On m’a dit « Mais vous en voulez, vous ! ». On américain. Le RICM a été alors dissous, ses membres
m’a affecté à Rabat, au RICM, avec passage à Mar- envoyés dans tous les corps pour en former les ca-
seille. J’ai pris le train, je suis passé au camp Sainte dres.5
Marthe où j’ai signé mon engagement. On m’a de-
On m’a versé dans l’artillerie de DCA, au 40ème groupe
mandé si je prenais 4 ou 5 ans. Je me suis dit, au train
d’artillerie antiaérienne, équipé de 40mm Bofors, moi
où vont les choses, il faudra bien 5 ans pour sortir les
le fantassin qui ne connaissait rien aux canons. Il m’a
Allemands ! J’ai signé pour 5 ans. J’ai passé quelques
fallu tout apprendre : manœuvre, entretien, étude des
jours à Marseille, où j’ai pu visiter la Canebière (que
silhouettes d’avions, cela a demandé pas mal de
j’ai trouvée fort différente des Champs Elysées…), le
temps. Nous sommes enfin partis de Casablanca pour
Vieux Port, avant de m’embarquer sur le La Martinière,
Oujda, traversée de l’Algérie pour franchir la frontière
qui avait été précédemment utilisée pour emmener les
tunisienne, tout en manoeuvrant, en s’entraînant. Ar-
forçats au bagne de Cayenne.
rivés à Bizerte, nous avons été embarqués.
2: Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc
3: Les soldats de l’infanterie colonial, devenue ensuite « infanterie de marine », sont traditionnellement surnommés « Marsouins »,
probablement parce qu’à l’origine leur corps était embarqué, suivant ainsi les navires comme ces animaux marins. Ceux de l’artillerie sont
appelés « Bigors »
4: La distance entre les deux villes n’est que de 700 km environ !
5: Le RICM sera reformé avec un personnel entièrement renouvelé et affecté à la 2ème DB du général Leclerc où il se couvrira de gloire.
39
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
TD : Quel matériel aviez-vous alors ? MN : A Venafro, au moment où nous prenions posi-
tion, un Spitfire nous a survolés, sans nous alarmer,
MN : Notre canon de 40mm Bofors, deux camions
bien sûr. Puis, sans raison apparente, il a mitraillé
GMC dont un avec une génératrice pour alimenter le
notre colonne. Mon mitrailleur a ouvert le feu et il est
système de visée électrique, un camion de munitions.
parti salement amoché. Nous avons su ensuite qu’il
L’un était équipé d’une mitrailleuse de 12,7 à refroi-
s’agissait d’un néo-zélandais, mais, sur le coup, nous
dissement à air, et nous avions une mitrailleuse à re-
soupçonnions qu’il pouvait s’agir d’un Allemand utili-
froidissement à eau pour la défense antiaérienne
sant un appareil de prise.
rapprochée.
A Sant’elio, nous avons été attaqués par un Potez 51
allemand, seul, de face. Nous l’avons touché de plein
fouet et abattu avec le canon!
Nous avons ensuite débordé Cassino et atteint Rome.
Nous avons du dégager la place pour les Anglais, à qui
le général Clark avait promis qu’ils seraient les pre-
miers dans la ville. C’était trop tard, nous l’avions déjà
prise, mais il a fallu leur laisser le passage ! Nous
sommes entrés dans Rome le lendemain. Nous avons
défilé devant Juin, Clark, Montgomery… et c’est là que
j’ai vu que les Italiennes pouvaient être blondes ! Je
les avais toujours imaginées brunes.. Elles nous ac-
clamaient, sans que l’on comprenne pourquoi : nous
ignorions qu’avec Badoglio ils avaient rejoint le camp
des Alliés. Lorsque des prisonniers italiens nous
criaient « Bravo ! Bravo ! », nous leur répondions
« Bande de c… ! », on les enguirlandait, faute de
connaître la raison de leur joie.
40
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
lés. Nous avons remonté la vallée du Rhône sans com- voyions. Impossible de tourner la pièce et de le viser :
battre, jusqu’à Lons-le-Saunier. Pour notre ravitaille- il était trop rapide. Le calculateur n’était d’aucune
ment, il n’y avait pas d’autre moyen de transport que aide.
les camions, les Allemands ayant détruit les lignes de
TD : Avez-vous été utilisé en tir direct ?
chemin de fer. Nous avions prêté un de nos deux ca-
mions pour former des compagnies de transport, MN : Nous l’avons été plus tard. Nos troupes étaient
comme toutes les unités. C’est à Lons-le-Saunier que alors bloquées sur le Rhin et des tirs de mitrailleuses,
nous l’avons récupéré, soulageant celui qui nous res- venus probablement d’un clocher qui leur faisait face,
tait d’une partie de tout ce que nous y avions entassé, les gênaient. Nous sommes intervenus. Un mignon
les pauvres gars voyageant jusque là en équilibre pré- clocher. Avec le 40 mm, nous l’avons pulvérisé. Le
caire sur notre tas de munitions, matériel et affaires canon avait un tir très tendu. Nous avons visé en re-
personnelles. Nous sommes partis vers Belfort, où gardant la cible à travers l’âme, remontant légèrement
nous avons été acclamés. Nous avons pris position pour tenir compte de la flèche des obus et tiré. A 120
près du Lion, un emplacement déjà occupé par une cps/mn, 15, 20 coups ont suffit à faire tomber le
batterie de DCA allemande abandonnée. J’en ai profité « chapeau » du clocher et, peut-être, le gars qui était
pour retaper un canon de 20 avec des pièces récupé- là.
rées (j’étais breveté mitrailleuse) et il a été offert au
Parc. Ça pouvait toujours servir. J’ai alors été envoyé à l’école pour un stage, puis on
m’a envoyé à Coetquidan (toujours sans que je n’ai
rien demandé), dont je suis sorti sous-lieutenant. Je
devais ensuite faire un stage de perfectionnement
dans l’artillerie d’un an. Mais la guerre était finie. Mon
contrat arrivait à terme. J’ai profité de la loi de déga-
gement des cadres de 1946 et réintégré la vie civile.
Après plusieurs emplois, je suis entré brièvement à la
Compagnie Générale des Eaux où j’ai rencontré ma
femme, ici présente. Elle était tellement jeune que ses
collègues l’avaient surnommée J3. Les tickets de ra-
tionnement dépendaient de l’âge et de l’état de la per-
sonne, J1, J2… et J3 pour les jeunes ! Nous sommes
toujours ensemble.
41
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
E
voquer l’opération TORCH sans parler de l’opé- dans des ports qui sont encore à déterminer, mais il
ration Lila et le sabordage de la Flotte le 27 no- s’agira vraisemblablement du port d’attache des dits
vembre 1942 nous semble du même ordre que bâtiments. Le désarmement va se faire sous contrôle
de nier que Mers el Kebir est l’une des conséquences de l’Allemagne et de l’Italie. Or, le 22 juin 1940, Cher-
de l’opération Catapult. Aujourd’hui encore, la situa- bourg, Brest et Lorient sont déjà occupés et aucun des
tion et le sort de la flotte française nous laissent tou- ports de l’Empire Français n’est capable d’assurer ni
jours dubitatif et nous posent toujours les mêmes le démantèlement, ni l’entretien lourd de la flotte.
questions, soixante-dix ans après, sur ces deux points Néanmoins, il est stipulé que le gouvernement français
que sont Mers el Kebir et le sabordage de la flotte de peut en utiliser une partie laissée à sa disposition pour
Toulon. Ces deux évènements sont toujours une plaie la sauvegarde des intérêts français dans l’empire co-
vive et ouverte chez les descendants des victimes du lonial. A mon sens, deux mots sont particulièrement
bombardement meurtrier du port algérien, tout importants dans le contexte : démobilisée et désar-
comme l’est ce sabordage. Pour essayer de compren- mée. Un créateur de quiz ne verrait pas cette finesse
dre ce drame du 27 novembre 1942, il va nous falloir de propos, mais si le sens du terme « démobilisée »
remonter deux ans en arrière, car le sort de la flotte est clair, le terme « désarmée » lui, présente une am-
s’est joué non pas le jour du sabordage, mais avec la biguïté. En effet, les opérations de désarmement per-
rédaction de l’article 8 de la Convention d’armistice. mettent aux bâtiments de conserver une capacité
Pour essayer de comprendre certains mécanismes, opérationnelle relative et d’être réarmés rapidement.
nous allons devoir prendre en considération les as- Par ailleurs, cet article ne règle pas sur le fond la si-
pects politique et militaire, ainsi que déterminer quels tuation définitive de la flotte qui devra être traitée lors
sont les enjeux de cette invasion de la zone libre pour de la négociation du futur traité de paix.
1: Sous-marin Ouessant à Brest
2: « La flotte de guerre française - à l’exception de la partie qui est laissée à la disposition du Gouvernement français pour la sauvegarde des
intérêts français dans son empire colonial - sera rassemblée dans des ports à déterminer et devra être démobilisée et désarmée sous le contrôle
de l’Allemagne ou respectivement de l’Italie. La désignation de ces ports sera faite d’après les ports d’attache des navires en temps de paix. Le
gouvernement allemand déclare solennellement au Gouvernement français qu’il n’a pas l’intention d’utiliser pendant la guerre, à ses propres
fins, la flotte de guerre française stationnée dans les ports sous contrôle allemand, sauf les unités nécessaires à la surveillance des côtes et au
dragage des mines. Il déclare, en outre, solennellement et formellement, qu’il n’a pas l’intention de formuler de revendications à l’égard de
la flotte de guerre française lors de la conclusion de la paix ; exception faite de la partie de la flotte de guerre française à déterminer qui sera
affectée à la sauvegarde des intérêts français dans l’empire colonial, toutes les unités de guerre se trouvant en dehors des eaux territoriales
françaises devront être rappelées en France »
42
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Le 19 juin 1940, à Bordeaux, l’amiral Darlan, ministre mais autant collaboré ensemble : fermeture des accès
de la marine et commandant en chef des forces na- de l’océan Atlantique lors de la chasse au Graff Spee,
vales depuis le 16 juin 1940, a donné au Premier Lord l’opération Dynamo, l’escorte de convois… La qua-
de l’amirauté Alexander et au Premier Lord de la Mer trième flotte du monde va
sa parole d’honneur3 que la flotte française ne tombe- être sacrifiée en ce début
rait pas en d’autres mains… Le 24 juin 1940 son mes- de juillet 1940 par divers
sage prévoit déjà, outre le fait de rallier les Etats Unis, évènements qui pèseront
les consignes d’auto destruction dans le cas où une lourds dans la balance des
menace n’aurait pas permis ce ralliement. 4 choix du mois de novem-
bre 1942. Ce début juillet
L’opération Dynamo, Mers el kebir, Dakar…
va voir la mise en place de
A ce niveau de la réflexion, nous ne ferons aucun pro-
l’opération Catapult dont
cès d’intention sur les choix politiques qui vont être
l’une des phases va entrai-
faits par le gouvernement de Winston Churchill et
ner la destruction de la
nous laisserons les historiens débattre sur les causes
flotte à Mers el Kebir9, l’in-
des batailles qui s’ensuivront. Mais, si l’on revient
ternement de la force X à
soixante-douze ans en arrière, nous constatons que la
Alexandrie et d’une partie
situation géopolitique internationale laisse la Grande propagande après
des bâtiments présents en
Bretagne seule à combattre le IIIème Reich. Elle est Mers el Kébir
Grande Bretagne.
dans une situation politique relativement instable du
fait des Appeasers5. L’armée anglaise doit se recons- L’émotion suscitée en France, tant dans la population
truire puisque la plupart de son armement est resté qu’aux niveaux politique et militaire, ne va pas œuvrer
sur les plages du nord de la France à l’issue de l’opé- pour un rapprochement des marines anglaise et fran-
ration Dynamo6. Churchill doit montrer au reste du çaise. Un autre évènement va modifier la donne poli-
monde, et notamment aux États-Unis, que la Grande tique avec la nomination de l’amiral Darlan au poste
Bretagne va se trouver être le dernier rempart du de président du Conseil de Vichy, puisque le 12 avril
monde libre face au IIIème Reich. Or, le ravitaillement 1941, il succède à Pierre-Etienne Flandin.
de la Grande-Bretagne est subordonné à la mise en
L’amiral Darlan, un piètre homme politique
place de convois. Les « loups »7 de l’amiral Doenitz
Bien qu’ayant fait des passages dans les cabinets po-
sont déjà en Atlantique et la quatrième flotte mondiale
litiques de Georges Leygues et d’Albert Sarraut, l’ami-
risque de passer sous contrôle étranger.
ral Darlan n’a pas l’aisance et la finesse d’esprit qu’a
pu avoir son père, avocat, lui-même Garde des sceaux
L’amiral Darlan vient de faire un choix politique qui lui
dans le gouvernement Meline. C’est d’ailleurs la pre-
met un doigt dans l’engrenage de la future politique
mière fois qu’un marin accède à cette fonction.
de collaboration. Ceci dit, et bien que l’anglophobie de
L’homme n’est pas un chef charismatique, nous pou-
l’Amiral Darlan soit réelle8, les deux marines n’ont ja-
3: « Quoi qu’il arrive et quelles que soient les circonstances, jamais nos bateaux de guerre ne seraient utilisés par d’autres que nous. Ils resteraient
français ou seraient détruits. »
4: à AL OUEST
AL SUD - AL AFRIQUE
FNEO - ANTILLES
3e Escadre
FORCE X - DNL
Marine TOULON
Marine BIZERTE
1245/24/6
chiffré secret
fil et radio.
N*** 5143 - 5144 - 5145 de Amirauté Fr.
Clauses armistice vous sont notifiées en clair par ailleurs - stop - Je profite dernières communications que je peux transmettre en chiffré
pour faire connaître ma pensée sur ce sujet :
PRIMO. - Les navires de guerre démobilisés doivent rester français avec pavillon français équipage réduit français séjournant port français
métropolitain ou colonial.
SECUNDO. - Précautions secrètes de auto-sabotage doivent être prises pour que ennemi ou étranger s’emparant d’un bâtiment par force
ne puisse s’en servir.
TERTIO. - Si commission armistice chargée interpréter texte décidait autrement que dans paragraphe PRIMO virgule au moment exécution
cette décision nouvelle navires de guerre seraient sans nouvel ordre soit conduits ÉTATS-UNIS soit sabordés virgule s’il ne pouvait être fait
autrement virgule pour les soustraire à ennemi - stop - En aucun cas ils ne devront être laissés intacts à ennemi.
QUARTO. - Navires ainsi réfugiés à l’étranger ne devront pas être utilisés à opérations guerre contre Allemagne ou Italie sans ordre du
C.E.C. EMF - stop - XAVIER 377.
5: Un groupe d’hommes politiques, dont le plus connu est sûrement Lord Halifax, qui se résoudraient à l’ouverture de négociations de paix
avec le Reich, vu la situation quasi désespérée d’Albion.
6: Le rembarquement des troupes Britanniques et Françaises encerclées à Dunkerque fin mai 40.
7: Surnom des sous-marins allemands, donné à cause de leur couleur grise et leur tactique de chasse en meute.
8: Anglophobie liée aux négociations d’entre-deux guerres, divergence sur l’emploi de la flotte pendant la drôle de guerre et surtout au
camouflet reçu lors de l’enterrement du roi Georges V, où le protocole a placé l’Amiral Darlan derrière des délégations comme celle du
Siam… c’est à la suite de cet évènement que l’on crée le titre d’Amiral de la flotte.
9: François Delpla - La bataille de Mers El Kebir
43
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
vons dire que sans le désastre de 1940, jamais il n’au- Certes, à cette date, l’opération ne se fonde pas sur
rait été nommé à ce poste. Mais, à cette époque, l’hypothèse de l’invasion de l’Afrique du Nord par les
l’amiral Darlan bénéficie d’un traitement de faveur de Alliés, mais à celle d’une réponse à une éventuelle ré-
la part des Allemands, puisqu’il est le seul à bénéficier volte des soldats français en Afrique du Nord (Algérie,
d’un Ausweis, un laissez-passer lui permettant de sé- Tunisie, Maroc) et en A.O.F. D’un point de vue tech-
journer en zone occupée. De plus, les Allemands ont nique, cette riposte allemande consiste en une rapide
été impressionnés par la résistance opposée par les occupation de la Zone libre. Cette directive règle aussi
troupes vichystes à Mers el Kébir et Dakar. Mais aussi le sort de la flotte française, puisque Adolf Hitler y
assurés de l’anglophobie de l’amiral, les Allemands ont montre une volonté de la sauvegarder en l’empêchant
décidé de jouer la carte Darlan. Tout au long de cette de prendre la mer avant de s’en emparer.
période, la politique conduite par l’amiral est catastro-
phique. La signature des Protocoles de Paris, l’accord Cette directive N°19 prévoit la neutralisation des aé-
militaire franco-nippon et le retour du Dunkerque à rodromes, le désarmement de l’Armée d’armistice,
Toulon sont autant de points qui le discréditent auprès l’occupation des ports. Il est rappelé que les prépara-
des Alliés. Les Américains et les Anglais redoutent en- tifs doivent être camouflés afin de ne pas alarmer les
core plus un emploi de la flotte française dans le cadre Français. Cette opération fera l’objet de plusieurs
des opérations futures. Ses actions l’ont aussi discré- mises au point, notamment lors des conférences na-
dité en Allemagne, du fait de son refus de s’engager vales des 8 et 9 janvier et du 4 février 1941. A la
dans une politique de collaboration dans laquelle la conférence du 29 décembre 1941, Hitler parait frappé
France n’obtiendrait aucune contrepartie. Le 18 avril du sentiment anti-anglais si heureusement existant
1942, le maréchal Pétain, sous la pression du vain- chez les marins.
queur, rappelle Pierre Laval aux affaires.
L’Histoire va décider autrement. Ce n’est pas dans le
cadre d’une révolte des territoires que le IIIème Reich
va déclencher l‘invasion de la Zone libre mais à la
suite de l’opération Torch. Cette opération est mal pré-
parée, puisque les renseignements fournis par l’amiral
Leahy, ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès du
gouvernement de Vichy, sur l’état d’esprit des Français
et ceux concernant l’Afrique du Nord recueillis par Ro-
bert Murphy, consul, sont erronés. Le débarquement
va mener à de violents combats sur terre et sur mer
qui vont peser sur la situation future de la flotte
Gouvernement à Vichy
(1er rang de gàd : Pétain, Darla, Laval)
44
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Roosevelt pour que cette dernière puisse voir le jour. depuis le 3 novembre13. L’amiral est l’espoir de tout
Au moment des préparatifs, la situation politique fran- l’état-major Allié qui est persuadé que s’il ordonne à
çaise est assez complexe car, si Laval est bien prési- la flotte de Toulon de les rallier, cette dernière s’exé-
dent du Conseil, Darlan est, lui, commandant en chef cutera. Par ailleurs, il est le dauphin désigné du ma-
des forces militaires sous les ordres directs du chef de réchal Pétain, ce que n’ignorent pas les Américains.
l’Etat. Lors du débarquement, l’amiral se trouve à Or la flotte est dans l’attente, l’amiral Marquis, préfet
Alger10. La Tunisie, exclue du périmètre des opérations maritime, demande des instructions et souhaite
initiales, sert de base aérienne au profit du IIIème connaitre l’attitude que va adopter l’amiral Darlan.
Reich. Elle ne sera libérée que plusieurs mois après le
La situation politique entre Alger et Vichy va offrir au
débarquement et au prix de pertes énormes.
monde entier un spectacle affligeant. Dans un premier
La situation de la marine entre le débarquement temps, l’amiral Darlan décide d’organiser la résistance
allié et le début de l’opération Attila aux anglo-américains. Mais très vite, il négocie en se-
Ces fautes des états-majors et des diplomates vont cret directement avec les Américains pour éviter
peser sur le sort de la flotte à Toulon puisque les na- d’avoir affaire aux Anglais et au général Giraud. Dès
vires français basés en Afrique du Nord vont riposter le 8 novembre il autorise le général Juin à signer un
aux Alliés11. Le bilan des pertes va être lourd, tant hu- cessez-le-feu à Alger avec le général Ryde.
main que matériel.12 Dès le 8 novembre, l’amiral de
Laval est convoqué par Adolf Hitler à Munich. Le Füh-
Laborde donne l’ordre d’allumer les feux de l’escadre
rer exige le libre accès aux aérodromes de Tunis et
et attend l’ordre de Vichy d’appareiller et de prendre
Constantine pour la Luftwaffe. Pendant son absence,
la direction de l’Afrique du nord, afin d’aller combattre
le général Weygand et l’amiral Auphan vont tenter
les anglo américains. Le 9 novembre, trois amiraux
d’obtenir du Maréchal qu’il s’engage avec les Alliés. Ti-
participent à une réunion à Vichy sous la présidence
raillé entre Weygand et Auphan d’un côté et des fi-
de l’Amiral Auphan. Puis, l’amiral Négadelle, comman-
dèles du président Laval (Rochat, Platon, Bridoux) de
dant l’escadre légère des forces de haute mer, appelle
l’autre, le Maréchal hésite14. Il parait sur le point de
l’amiral Marzin, sous-chef d’état-major de la marine,
reprendre le combat mais, au dernier moment, il
pour lui proposer une action des contre-torpilleurs au
maintient les ordres de résister aux Alliés, désavouant
large d’Alger.
de fait l’amiral Darlan.
45
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’amiral Darlan qui a signé un accord avec le général faire prêter serment aux commandants des bâtiments
Clark est désavoué par le maréchal Pétain. Les appels de ne pas chercher à appareiller. L’amiral n’aurait ja-
que lance l’amiral resteront lettres mortes. A l’occa- mais appareillé sans un ordre des autorités politique.
sion de son dernier message, il se verra opposé le Enfin, tous respectent profondément la devise de la
refus du commandant du Dumont d’Urville à Nouméa Marine Nationale « Honneur et Patrie, Valeur et Disci-
de rallier les FNFL. Le maréchal Pétain est très indécis. pline ». Même si le jour de l’invasion allemande de la
Plusieurs fois, il a eu l’occasion de donner cet ordre, Zone libre la flotte a allumé ses feux, les ordres du
mais il ne le fait pas, de peur, dit-il, de probables re- jour de l’amiral de Laborde16 sont sans équivoques, il
présailles de l’occupant allemand à l’encontre de la faut obéir au Maréchal et, dans tous les cas de figure,
France et de l’Etat français. Le président Laval est, lui, la flotte ne tombera pas aux mains de la Kriegsma-
un ferme partisan de la Collaboration et il est inenvi- rine.
sageable qu’il donne un tel ordre. L’amiral Auphan n’a
Si l’on prend l’hypothèse que la flotte puisse appareil-
pas les épaules pour le faire. Même s’il essaie de se
ler, il faut lui donner des directives. Trois sont possi-
faire nommer vice-amiral d’escadre, il va néanmoins
bles :
adresser un courrier à l’amiral Raeder15 pour tenter
sauver la flotte. Pour sa part, l’amiral de Laborde va
15 : Vichy, le 11 novembre 1942.
Le contre-amiral AUPHAN Secrétaire d’État à la Marine,
à Monsieur le Grand Amiral RAEDER.
Je n’ai pas l’honneur de vous connaître, mais nous sommes l’un et l’autre des militaires et des marins, ce qui est une introduction suf
fisante.
Vous êtes à la tête de la Marine allemande; comme moi maintenant à la tête de la Marine française, sous les ordres du Maréchal
chef de l’État, commandant en chef des forces militaires.
Patriotes, l’un et l’autre, vous comprendrez certainement comme moi l’émotion qui étreint la Marine française dans les circonstances
actuelles.
Fidèle aux engagements pris et à la parole donnée, la Marine française a combattu farouchement et sans la moindre défaillance ses
agresseurs qui étaient vos ennemis et contre lesquels - je parle des Américains - elle n’avait aucune haine.
Elle l’a fait dans le respect de l’armistice, pour l’honneur.
Depuis Mers-el-Kébir et Dakar, une cinquantaine de bâtiments de guerre coulés ou avariés et des milliers de morts ou de blessés
sont la rançon de cette fidélité.
Aujourd’hui, les fondements de l’armistice qui préservait l’indépendance de la Marine sont ébranlés.
Je vous demande instamment de tenir compte de notre passé depuis l’armistice pour que la Marine française soit respectée de même
que l’indépendance du Maréchal, pour lequel la Marine s’est battue.
Il y a des choses que nous ne pouvons pas faire. Mais nous pouvons nous rencontrer sur les chemins de l’honneur et de la fidélité à
nos patries respectives.
Je vous demande d’agréer, Monsieur le Grand Amiral, les assurances de ma haute considération.
Le contre-amiral AUPHAN, secrétaire d’État à la Marine, Chef d’état-major des Forces Maritimes.
Signé : AUPHAN.
46
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
- La première, rallier les Alliés. Cet acte politique au- gociations locales, s’efforcer d’arriver à un accord.
rait des conséquences importantes et signifierait que
- En cas d’impossibilité d’un tel accord, saborder les
la France rentre dans la guerre.
bâtiments.
- La seconde, rejoindre un port comme Dakar, en for-
Ce télégramme est lourd de conséquences, puisque
çant le barrage des navires alliés, engendrant un rude
l’amiral Guérin convoque à son bord l’ingénieur Rimat-
combat naval, la maitrise du ciel étant de leur côté.
tei et l’ingénieur du génie maritime Thivault, pour
- La troisième, l’internement de la flotte en Espagne. mettre en place le plan de sabordage préparé à la
Mais cela risque de poser un double problème politique suite des télégrammes de l’amiral Darlan de juin 1940
et militaire et risque de compromettre la neutralité es- à ce sujet.
pagnole.
A Vichy la matinée est très animée, le maréchal Pé-
Faire appareiller la flotte entre le 12 et le 25 novembre tain reste fidèle à sa ligne de conduite et préfère at-
1942 reste du domaine du possible, en sachant qu’il tendre le retour de Laval. Ce dernier arrive à 14h, la
faut au minimum quatre heures pour qu’un bâtiment réunion du conseil des ministres de 17h30 est hou-
puisse produire suffisamment de vapeur pour se mou- leuse. Le président Laval refuse le départ du Maréchal
voir, que le filet anti sous-marin soit retiré, et qu’on vers l’Afrique du Nord ainsi que la suspension des hos-
accepte des pertes du fait de la maitrise aérienne Al- tilités avec les Alliés. A l’inverse, la coopération mili-
lemande. N’oublions pas que la flotte française a failli taire avec l’Axe en Tunisie est confirmée. En
plusieurs fois aller attaquer une escadre Britannique métropole, les troupes françaises doivent rester dans
annoncée mais restée virtuelle. leurs casernes18. Ce Conseil marque aussi, d’une cer-
taine façon, la rupture politique entre les Français et
Le 11 novembre la zone libre est envahie
leurs instances dirigeantes19.
Deux heures du matin, une note germano-italienne
annonce à l’Amiral Rochat l’envoi d’une force de l’Axe Pendant ce temps, à Toulon, la flotte se met en ordre
en Tunisie. de bataille, on complète les approvisionnements en vi-
Deux heures plus tard, à Munich, Laval est réveillé par vres, les quais sont animés et, pour les équipages,
l’ambassadeur Abetz qui lui notifie la décision du Füh- l’appareillage est imminent. On prend connaissance du
rer d’envahir la zone occupée. second message de l’amiral Darlan mais, à 19 h, l’or-
dre est donné de mettre bas les feux. Sur plusieurs
A cinq heures trente du
bâtiments des équipages manifestent.
matin, un courrier d’Adolf
Hitler informe le maréchal Une grave crise poli-
Pétain de l’occupation par tique va secouer le gou-
la Wehrmacht de la zone vernement Laval durant
libre. la période qui précède
le sabordage. le 15 no-
Dès sept heures, Radio
vembre 1942, ce der-
Paris diffuse un message
nier entend obtenir de
du Führer qui annonce que
ses ministres leur ac-
l’armée allemande n’est
cord pour une déclara-
pas l’ennemie de la
tion de guerre à
France17 et qu’elle viole
l’Amérique. Auphan, Gi-
l’armistice de juin 1940 en
Amiral Gabriel Auphan brat, Barnaud démis-
(1894 - 1982) réponse à l’opération
sionnent. L’amiral
Torch.
Auphan est remplacé
A six heures du matin, l’Amiral Auphan adresse un té- par le héros de Dun- Amiral Abrial
légramme à l’amiral Marquis, préfet maritime, l’infor- kerque, l’amiral Abrial, (1879 - 1962)
mant des points suivants : le maréchal Pétain
transfert tous ses pouvoirs à Laval. 20
- S’opposer, sans effusion de sang, à l’entrée des
troupes étrangères dans les établissements, bases aé- Toulon, le camp retranché
riennes, ouvrages de la marine. Alors que la Wehrmacht se déploie en zone libre, Tou-
lon va devenir un camp retranché. Le 11 novembre
- S’opposer de même à l’entrée des troupes étran-
l’amiral Marquis est réveillé par le lieutenant de vais-
gères à bord des bâtiments de la flotte, et, par des né-
seau Von Ruault Frappart. Ce dernier lui présente le
17 : L’armée allemande ne vient pas en ennemie du peuple français ni en ennemie de ses soldats. Elle n’a qu’un seul but : repousser avec ses
alliés toute tentative de débarquement anglo-américain.
18 : Seul le général de Lattre de Tassigny n’obéira pas à cet ordre
19 : Intervention du général Weygand à Laval :
- Vous avez quatre-vingt-quinze pour cent des Français contre votre politique.
Laval, cynique et souriant, se contente de répondre :
- Vous pouvez même dire quatre-vingt-dix-huit pour cent... Mais je ferai leur bonheur malgré eux !
20 : Acte constitutionnel n°12 du 18 novembre 1942.
47
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
télégramme d’Adolf Hitler21 . lon, fait part de l’inquiétude régnant dans le camp re-
L’amiral Raeder a, par ailleurs, répondu à la lettre de tranché. Pendant ce temps, du côté allemand, l’amiral
l’Amiral Auphan22. Le général Weygand est arrêté le Raeder s’est rendu à Toulon. Environ cinq cents marins
12 novembre par les Allemands. de la Kriegsmarine auraient quitté le port de Brest en
route pour Toulon et les stocks de munitions, notam-
A Toulon, le commandement de l’amiral Marquis n’est
ment ceux de DCA, ont été augmentés. Le 25 novem-
que partiel. S’il commande l’arsenal, les écoles, les bâ-
bre, l’amirauté note la disparition de tous les officiers
timents dédiés à la défense de Toulon, les bâtiments
de liaison de la Kriegsmarine. Le même jour, la base
en garde d’armistice, l’autre autorité qui a la mainmise
aérienne de Palyvestre à Hyères est investie par les
sur le reste de la flotte est bien l’amiral Jean de La-
Allemands.
borde.
21 : « L’amiral Marquis a prononcé une déclaration de loyauté et a demandé de confier au haut commandement de la Flotte française la
défense de Toulon. Le Führer a donné suite à cette demande. Il doit être exigé du chef responsable du commandement de la flotte de
Toulon une déclaration sur l‘honneur de n’entreprendre aucune action dirigée contre les puissances de l’Axe, et de défendre de toutes ses
forces Toulon contre des Anglo-Saxons et des Français ennemis du gouvernement. » Télégramme du Führer, n° 771 O.K.W. West. N 00420
h. 42 11 novembre 1942.
22 : « D’après la volonté du Führer, les troupes allemandes qui ont été envoyées à la côte méditerranéenne doivent, avec l’armée française,
entreprendre la défense des frontières françaises contre les attaques ennemies. Jusqu’à présent, l’attitude de la marine française justifie
ma conviction qu’elle ne se dérobera pas à cette tâche. La conduite des chefs de la marine française à Toulon, l’amiral Marquis et l’amiral
de Laborde auxquels je vous prie de transmettre l’estime que je porte à leur déclaration, me confirme ainsi que votre lettre dans cette
opinion. » C’est pourquoi il était possible de confier la défense de Toulon exclusivement à la Marine française...
23 : Bord, « Strasbourg s, Toulon, le 12 novembre 1942.
FORCES DE HAUTE MER confiée à la Marine, sans aucune subordination à un commandement étranger.
ÉTAT-MAJOR
ORDRE DU JOUR
Le gouvernement allemand a accepté que la place forte de Toulon ne soit pas occupée et que sa défense soit confiée au haut comman-
dement de la Marine française. Il l’a fait sur la parole d’honneur donnée par l’amiral Marquis, préfet maritime, et par moi, en accord avec
le Maréchal, que les forces placées sous nos ordres n’entreprendront aucune action dirigée contre les puissances de l’Axe, et défendront
Toulon contre les Anglo-Saxons et les Français ennemis du gouvernement du Maréchal. Le territoire de la place forte de Toulon reste
donc entièrement français et libre. Sa défense reste entièrement française et aucun étranger ne paraîtra à bord des forces de haute mer.
L’amiral DE LABORDE, commandant en chef des F. H. M.
J. DE LABORDE
48
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
prenons les termes ici)24. Laval proteste et convoque nord, d’entrer dans Toulon en venant de l’est selon un
un conseil de cabinet restreint. horaire contraint.
D’un point de vue militaire, les forces de l’ Hausser, Le premier groupement (bataillons SS de la division
commandant la division SS Das Reich, stationnées Das Reich, régiment Langemark) doit occuper le PC de
dans la région d’Aix Gemenos sont en alerte depuis l’amiral Marquis, le capturer avec son état-major, iso-
quelques jours avec un préavis de mouvement à ler le fort Lamalgue et son système de transmissions
trente minutes. L’ordre du Führer est clair : s’emparer pour empêcher l’alerte. Un des éléments blindés va
de la flotte française de Toulon intacte. L’utilisation fu- pousser avec une batterie d’artillerie à la pointe sud
ture de cette flotte permettra aux Allemands de ter- de la pointe du Mourillon (pointe sud) pour bloquer de
miner victorieusement la guerre en quelques mois son feu la petite rade et la passe. Elle doit occuper l’ar-
senal du Mourillon en passant par la porte Nord, neu-
Le chef de l’opération, Hausser, et son état-major sont
traliser la station radio, s’emparer des sous-marins
réunis le 25 novembre à Aix en Provence au PC de la
amarrés.
division. Participent à la réunion le général Von Funck,
commandant la 7ème Panzerdivision de la Wehrmacht, Le second groupement (7ème et 10ème Panzerdivision)
le colonel Fick, commandant le bataillon SS motorisé. doit s’emparer de la presqu’ile de Saint-Mandrier via
La Kriegsmarine est représentée par l’amiral Wever Six-Fours. Il doit occuper la base aéronavale, y instal-
qui rentre d’un entretien avec Adolf Hitler. Le général ler une batterie d’artillerie pour fermer la passe et la
Sperrle, commandant la 3ème Luftflotte, représente la petite rade, s’emparer du PC du front de mer et occu-
Luftwaffe. per l’ensemble des ouvrages et des batteries. Au dé-
part d’Ollioules et de Sanary, deux autres colonnes
Le 26 novembre 1942, une nouvelle réunion se dé-
sont chargées de pénétrer dans l’arsenal principal par
roule à l’hôtel de Noailles à Marseille afin de régler les
la porte Castigneau et de déboucher aux apponte-
derniers détails techniques de l’opération.
ments Milhaud en venant de la pyrotechnie et de la
Le 27 novembre 1942, à une heure du matin, les co- porte du chemin de fer. Leur mission est de s’emparer
lonnes se mettent en route. L’opération s’articule en des bâtiments, au besoin par la force, et d’empêcher
deux phases avec un décalage de quarante-cinq mi- toute tentative de destruction.
nutes.
Du côté français tout est calme, l’amiral de Laborde
Les objectifs des deux groupements partis de la région rentre sur le Strasbourg vers 22h15, les amiraux Mar-
d’Aix vont être de déborder le camp retranché vers le quis et Dornon sont à leur PC, sur les bords, les équi-
49
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
pages sont aux postes de veille à quai, l’école des pu- est répercuté sur les autres croiseurs et sur la Mar-
pilles de la marine a été évacuée vers 18h00 en direc- seillaise. L’amiral Blehaut est déjà au courant de l’en-
tion de Cahors.
25 : Les croiseurs de 10.000 tonnes : l’Algérie (C.V.Malouzu), le Colbert (C.V. Kraft) et le Dupleix (C.V. Moreau).
26 : Les croiseurs de 7.600 tonnes- la Marseillaise (C.V. Montrelay) et le Jean-de-Vienne (C.V. Mailloux)
27 : Effectifs présents : Algérie, 550 hommes, Dupleix 500 hommes, Colbert 700 hommes.
28 : Marseillaise et Jean-de-Vienne la moitié des effectifs
29 : Chef de division Contre torpilleur Volta
30 : Dispositif de transmission en deux temps :
a) pour les ordres importants et urgents.
b) par pli, planton ou embarcation, partant du Volta, du Tartu et de l’Adroit vers chacun des autres bâtiments répartis en trois groupes à
l’avance, en tenant compte des postes de dispersion, pour que tous soient atteints au plus vite.
50
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Les sous-marins du Mourillon la division métropolitaine de police est prévenu à 4h50
Si tous les bâtiments des forces de haute mer ont pra- et il relaie l’alerte aussitôt.
tiquement donné l’alarme dans tout l’arsenal, les Al-
lemands vont résoudre eux-mêmes cette question L’occupation de la Presqu’île de Saint-Mandrier
pour le secteur du Mourillon, puisque le plan prévoit Le plan d’opérations prévoit la mise en place de bat-
une double action. Le commandant du groupement teries d’artillerie à la base aéronavale de Saint Man-
Est est chargé d’occuper le fort Lamalgue. Il doit aussi drier. L’objectif est de fermer la passe et la rade en
verrouiller par le sud le Mourillon en mettant en place conjonction avec les batteries du Mourillon. L’opération
une batterie et par le nord en occupant la darse où va se dérouler parfaitement, nonobstant un léger re-
sont mouillés les sous-marins, ainsi que l’arsenal les tard. Les Allemands vont trouver sur la presqu’ile des
entourant. A 4h50, les Allemands donnent l’assaut à moyens de défense appréciables en matériel et en
la porte nord. Le chef de poste alerte le commandant hommes (2 bataillons sous les ordres du capitaine de
du groupe des sous-marins, le capitaine de frégate vaisseau Potel et du capitaine de frégate Rageot). Mis-
Bary. Ce dernier donne l’alerte à coups de sifflet. Un sionnés par l’amiral Marquis pour lutter contre un dé-
fusil-mitrailleur contraint les Allemands à ralentir et barquement, ils ne s’opposeront pas aux forces
permet aux équipages de rallier leurs bâtiments. Les allemandes arrivant par la route. Au cap Cepet, les
commandants de sous-marins sont en train de lancer batteries vont être détruites de justesse. A Saint Man-
les machines et vont tenter de s’enfuir. L’Histoire re- drier, les tubes sont amenés à pied d’œuvre à 5h05.33
tiendra leurs noms : les sous-marins Casabianca, ca- Pendant ce temps la Luftwaffe s’assure de la maitrise
pitaine de corvette l’Herminier, le Marsouin, du ciel dès 4h30. Sa mission principale est d’éclairer
Lieutenant de vaisseau Mine, l’Iris du capitaine de cor- le ciel Toulonnais. On s’active aussi à la préfecture ma-
vette Collomb31 et le Glorieux du capitaine de corvette ritime de Toulon à détruire certains dossiers, dont no-
Meynier32. Les procédures d’appareillage sont simpli- tamment ceux des marins FNFL. L’amiral Marquis est
fiées au maximum. Le Casabianca ouvre le bal et ap- conduit à Ollioules avec son état-major.
pareille à 5h05.
Les dés sont jetés
La première partie de l’opération Lila peut être consi-
dérée comme un succès puisque les objectifs ont été
atteints dans les temps. Pour que celui-ci soit total, la
seconde partie du plan repose sur l’efficacité et la cé-
lérité de la deuxième colonne. Elle entre dans Toulon
par l’ouest à 5h15, celle partie de Sanary fonce en di-
Sous marin Le Glorieux
rection des appontements de Milhaud via la porte de
chemin de fer et la pyrotechnie. L’autre, partie d’Ol-
lioules, aborde l’arsenal par le nord (porte Castigneau,
La division des écoles
porte principale). A 5h20, les tanks sont en position
L’alerte est donnée dans toute la partie est du port. Le
devant les grilles. A bord du Strasbourg, l’amiral de
capitaine de vaisseau Deglo de Besse, commandant
Laborde donne l’ordre de prendre les dispositions fi-
du transport d’aéronefs Commandant Teste note les
nales, en commun accord avec l’amiral Dornon, après
mouvements de troupes allemandes à 4 h 45 et l’ap-
avoir appelé l’amiral Le Luc pour l’informer de sa dé-
pareillage des sous-marins. Sur le Provence, le bran-
cision. Les ordres sont de ne pas résister, mais de par-
lebas n’est donné que vers 5h15 lorsque le chef
lementer pour gagner du temps. En effet, saborder un
d’état-major, le C.V. Renon, va recevoir un coup de té-
bâtiment est une opération complexe qui demande du
léphone du capitaine de vaisseau Clatin commandant
temps. Les dispositions sont prévues par l’ordre du 24
de l’Océan. Ce dernier rend compte de l’arrivée des
juin 1940 et ont fait l’objet d’une codification (plan de
Allemands à Saint Mandrier.
l’ingénieur Rimattei). Les pièces visées par le sabor-
dage sont avant tout situées au sein de l’appareil pro-
La division métropolitaine de police et la 1ère flot-
pulsif, chaudière, réducteur, mais aussi au niveau de
tille de patrouille
l’artillerie : canons, direction de tir. A la demande de
Placés sous les ordres de l’amiral Marquis ces bâti-
l’amiral Abrial le sabordage s’effectuera sans chavi-
ments sont affectés à des missions de surveillance des
rage, l’objectif est de pouvoir rapidement renflouer les
côtes, de dragage, des missions de patrouille. Alerté
bâtiments après la guerre34. A cette heure, il reste à
dès 4h50 par l’appel du commandant Le Nabec, la
mettre en place les dispositions 2 et 3 du plan de sa-
transmission des messages se fera avec de grands dé-
bordage, à savoir la prise en compte des dispositions
calages puisque le commandant de la 145ème SD ne
finales et l’exécution du sabordage. A 5h 20 l’ordre est
sera prévenu que 1h45 après que les Allemands ont
donné de passer aux dispositions finales. Le personnel
envahi le fort Lamalgue. Ce dernier n’est pas concerné
est rapidement à poste et les premières destructions
par les dispositions de sabordage. Le commandant de
et démontages sont réalisés (destructions de collec-
31 : C’est l’officier en second le lieutenant de vaisseau Degé qui appareillera le commandant n’ayant pu rallier.
32 : Un cinquième sous-marin, le Vénus, lieutenant de vaisseau Crescant, appareille et se saborde dans la rade.
33 : 7 pièces de 77 mm, groupe de projecteurs et chars
34 : Ordre du 21 novembre 1942
51
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
teurs, démontage des coquilles de condenseurs..). Il Sur ce bâtiment, les chalumeaux des mécaniciens sont
faut environ quarante-cinq minutes pour terminer ces en œuvre depuis 5h05. A 5h45 les Allemands franchis-
opérations. Sur les bords, les réactions sont immé- sent le mur d’enceinte de Milhaud en enfonçant les
diates à la 1ère et à la 3ème division. Un des comman- grilles avec des chars. Le Strasbourg ouvre le feu de
dants fait quand même remarquer que l’ordre de la plage arrière, le commandant en second a donné
prendre les dispositions finales et l’ordre d’allumer les l’ordre de tirer aux mitrailleuses. L’amiral de Laborde
feux sont incompatibles et l’ordre d’éteindre les feux fait cesser le feu. Il faudra dix minutes pour voir les
est donné quelques minutes plus tard. Il y a en effet Allemands revenir sur le quai. Ce délai supplémentaire
urgence, il ne faut pas que les Allemands montent à et le doute dans leur esprit permettent aux croiseurs
bord avant que les opérations de sabordage soient amarrés aux appontements de Milhaud de rattraper le
réalisées. temps perdu et de compléter les opérations de sabor-
Pendant ce temps, à Vichy, un conseil restreint se dé- dage. A 6h00, le Strasbourg cesse d’émettre, l’équi-
roule sous la présidence de Laval. Cinq officiers géné- page sabordant les installations. Partout ou presque,
raux et plusieurs hauts fonctionnaires y participent35. c’est la désolation. A 6h10, le premier contact avec la
Laval brosse rapidement un tableau de la situation, Wehrmacht va se dérouler à bord du Provence. Les Al-
puis il demande à Rochat de lire la lettre du Führer. lemands demandent à être conduits auprès de l’amiral
L’arrivée de l’amiral Le Luc est l’occasion de faire un Jarry. Ils lui demandent de faire évacuer le bâtiment
point grâce aux éléments fournis par l’amiral Dornon. par l’équipage. Pendant ce temps, le commandant a
Laval semble vouloir négocier, l’Amiral Le Luc adresse donné l’ordre de terminer le sabordage. Les Allemands
un message téléphonique en ce sens à Toulon36. L’of- sont surpris. Au même moment, ils demandent à
ficier de garde de la Préfecture Maritime37 rend compte l’amiral de Laborde de faire évacuer les marins et de
que les bâtiments sont en train de se saborder. Entre laisser le bateau en état. Ce dernier répond que le ba-
5h30 et 6h20, heure à laquelle les communications de teau est coulé.
l’arsenal seront coupées, l’ordre de Laval va prêter à
La situation est plus délicate pour les submersibles en
confusion : le commandant Biseau transmet à l’amiral
gardiennage dans la darse des sous-marins de Mis-
Dornon les instructions de Laval. La question de savoir
siessy, les Caïman, Fresnel, Thétis, Naïade et Sirène
comment l’on peut éviter tout incident est réelle. Le
sont coulés sur place. L’Aurore et l’Achéron également,
commandant Biseau se fait confirmer l’ordre par l’ami-
mais quatre autres sont tombés intacts aux mains des
ral Le Luc à 5h40. La transmission au Strasbourg du
Allemands39. Au Mourillon, le sous-marin Diamant se
message ne sera jamais faite : l’amiral Dornon est ar-
saborde sur place. Si les Redoutable et Pascal se sa-
rêté. A Toulon, le sabordage est en train de s’accom-
bordent et coulent, le Poincaré, lui, est arrêté dans les
plir.
manœuvres de remplissage par les Allemands.
La Flotte se saborde
Sur le Dupleix, les Allemands, faisant preuve de plus
L’amiral de Laborde a donné l’ordre à la flotte de se
de zèle et d’efficacité dans l’action, arrêtent le noyage.
saborder à 5h30, après avoir été informé de l’entrée
des chars par la porte Castigneau. Le message est
lancé par l’émetteur OTC du Strasbourg et il est relayé
par la signalisation optique de tête de mât. L’état-
major de l’amiral de Laborde se hâte de sortir les or-
dres écrits pour qu’ils soient portés à tous les
commandants38. Les commandants des divisions de
croiseurs, les amiraux Lacroix, Blehaut, l’amiral Néga-
del sont alertés. Les bâtiments en gardiennage reçoi-
vent l’ordre à 5h35 seulement. Nous pouvons
considérer qu’à 5h40, la plupart des bâtiments ont
reçu l’ordre de sabordage, mais nous noterons un cer-
tain flottement : des transmissions contradictoires Mogador et Valmy coulés presque droit
collection Mauro Trevenzoli
entre le Strasbourg, la préfecture maritime, la 3ème
division de croiseurs font naître des hésitations. A la Les cinq contre-torpilleurs en gardiennage amarrés à
1ère division, l’amiral Lacroix décide de surseoir à Milhaud vont connaitre des destinées différentes. Le
l’exécution de l’ordre jusqu’à l’obtention d’un ordre Lion est à sec au bassin de Missiessy, le Mogador et le
écrit. Sur le Strasbourg, le commandant Seyeux est Valmy sont aux chantiers de la Seyne. Or, au lever du
allé, en personne, se le faire confirmer par le com- jour, deux superstructures sont toujours visibles, à
mandant en chef. flot, le Panthère et le Tigre. Le groupe des contre-tor-
pilleurs en gardiennage qui est commandé par le ca-
35 : Amiral Platon, amiral Abrial, Général Bridoux, général Jannekein, général Campet. Jardel du cabinet civil. Manquent l’amiral Le Luc, et
Guerard secrétaire général du gouvernement qui arriveront plus tard.
36 : Pour Al de Laborde ... Marquis de la part Pres. Laval -Éviter tout incident de la part Al. Abrial
« Évitez tout incident... Arrêtez les frais.»
37 : Enseigne de vaisseau Pieters
38 : Exécutez immédiatement sabordage de votre bâtiment Amiral de Laborde commandant en chef les F.H.M
39 : Les sous-marins Galaté, Eurydice, Espoir et Vengeur.
52
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
pitaine de vaisseau Braxmeyer est passé sous le com- Jarry sont présentés au général commandant l’opéra-
mandement par intérim du capitaine de Frégate Qua- tion. Ils rejoignent les amiraux Lacroix, Blehaut, avant
trefages, qui commande le 2ème sous-groupe. Le 1er l’arrivée de l’amiral Négadelle. Les Français sont sous
sous-groupe est commandé par le capitaine de cor- le choc et ont du mal à réaliser que les Allemands ont
vette Huet40, commandant le Tigre. Lui et son voisin, effectivement envahi le port de Toulon41. Les militaires
le capitaine de corvette Cumunel sur le Panthère ont allemands répondent qu’ils ont obéi aux ordres, que
cru jusqu’au dernier moment que l’agression de la l’occupation de Toulon est avant tout une décision po-
flotte était une attaque anglo-saxonne ! litique et qu’ils ne sont pas prisonniers mais seulement
en garde à vue, le temps que les gouvernements aient
réglés cette affaire.
Epave de l’Algérie
collection Mauro Trevenzoli
Torpilleurs Mameluck et Casque
Au petit jour, c’est un spectacle de désolation qui s’of- collection Francis Rocchi
53
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
ce qu’on va appeler « une sinistre plaisanterie ». Après affaire, laissant présager que l’amiral se fera « hara
la visite d’un second officier allemand, le capitaine de kiri » en se faisant sauter. Ce message est intercepté
vaisseau Montrelay explique la mission pour lequel il par le centre de transmissions de la préfecture mari-
est là, à savoir transmettre l’injonction du général al- time d’Alger. Il est transmis à l’amiral Moreau, préfet
lemand à l’amiral de quitter le bord. La réponse de ce maritime, qui le porte à l’amiral Darlan. Tous deux
dernier est claire : il veut qu’on lui donne une explica- s’interrogent sur le fond du message. Ils conviennent
tion satisfaisante sur ce qui est arrivé43 et la raison d’informer l’amiral anglais Cunningham : ils pensent
pour laquelle les allemands n’ont pas respecté leur pa- qu’une partie de la flotte a pu s’échapper. L’amiral an-
role. glais lance une reconnaissance aérienne sur Toulon et
Pendant ce temps, alors que sur les quais et sur les donne l’ordre à l’escadre navigant à l’ouest de la Sar-
appontements les bâtiments brûlent encore et que des daigne de faire route au nord. L’amiral Darlan envoie
explosions se succèdent, des bruits se propagent un message45 à la flotte de Toulon, mais, à ce moment
parmi les équipages qui attendent d’être conduits au là, la flotte n’est plus qu’un tas de ruines. La nouvelle
Vème dépôt, sur l’arrivée de trains en gare de Toulon du sabordage ne va toucher l’homme de la rue que
pour les conduire en Allemagne, sur les représailles dans la soirée par l’écoute des bulletins d’informations
des Allemands contre leurs familles. Les marins alsa- radiodiffusés. Mais si les alliés sont encore dans le flou
ciens, quant à eux, ont peur d’être intégrés de force de ce qui s’est réellement passé, le ministre des af-
dans l’armée allemande. Les hommes deviennent in- faires étrangères italien, le comte Ciano, ne l’appren-
dociles, ils trainent, ils suggèrent des itinéraires fan- dra qu’à midi à l’occasion d’une communication
taisistes. Beaucoup quittent les colonnes et s’enfuient téléphonique avec Cavallero. Il voit en ce sabordage
dans Toulon et sa région. En fait, les Allemands ne une puissance navale qui disparait de la Méditerranée
souhaitent pas les emprisonner et les fuyards finiront pour de nombreuses années, ce qui renforce la marine
par retourner au Vème dépôt pour être placés en per- italienne. Les Allemands ont en effet laissé de côté
missions ou démobilisés. Le départ des midships mar- leur allié italien lors de l’organisation de l’opération
quera la ville de Toulon, puisque les élèves vont quitter Lila. Mussolini n’est informé des décisions prises qu’au
le fort Lamalgue en voiture, les convois traversant une même moment que Laval. L’attitude de l’Allemagne
foule qui les applaudit, tout comme les marins prison- sur cette affaire envers son allié italien va générer une
niers suivant le même itinéraire. Ces derniers chantant attention passionnée dans toutes les chancelleries.
la Marseillaise et ponctuant chaque couplet par « Vive
Darlan ! ».
54
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’amiral de Laborde doute encore. Une heure encore Que s’est-il passé après le sabordage ?
et un colonel des transmissions vient tenter de rétablir Le 27 novembre, tout est terminé et le 28 le capitaine
la ligne téléphonique. Mais elle est coupée dans l’ar- de vaisseau Gumprich prend le commandement de
senal…. « Marine Toulon ». Le 14 décembre 1942, les troupes
de l ‘Obergruppenführer Hausser sont relevées par la
A 19h, nouvelle tentative, le commandant de Mau-
4ème armée Italienne du général Tabellin.
peou, chef du cabinet civil de l’amiral Marquis descend
Le 3 décembre 1942, les Allemands avisent l’amiral
d’une voiture. Il informe le têtu marin que l’amiral
Danbé, représentant de la marine à Toulon, que tous
Marquis est de retour à Toulon et que son attitude nuit
les navires sont saisis48. Le gouvernement proteste en
aux négociations. Il rappelle la teneur du message du
invoquant l’article 8 de la Convention d’Armistice.
Maréchal. L’amiral de Laborde ne s’en laisse pas conter
et conteste toujours la validité de l’ordre. Néanmoins, Sitôt la décision notifiée, les contre-torpilleurs Lion,
pour confirmer sa véracité, il envoie l’amiral Guerin à Panthère, Tigre, les torpilleurs Trombe et Bison, les
la préfecture maritime. Le téléphone est réparé vers sous-marins Espoir, Eurydice, Galatée et Vengeur sont
20h et l’amiral Marquis confirme le message avant le emmenés au port de la Spézia. Les Allemands, quant
retour de l’amiral Guerin. L’amiral de Laborde, enfin à eux ne récupèrent que les patrouilleurs.
convaincu, refuse tout de même de quitter le bord et
Les Italiens vont renflouer les épaves des
demande qu’un officier allemand vienne le chercher,
croiseurs Jean de Vienne et La Galissonnière. Ils sont
de peur d’être arrêté à l’extérieur. L’amiral Guerin re-
rebaptisés FR11 et FR12.
vient, confirmant à nouveau le message du maréchal
Pétain. A 20h, un groupe d’allemands monte à bord, Le 5 octobre 1944, les amiraux Abrial, Auphan, Blé-
armés jusqu’aux dents, l’amiral accepte de quitter le haut, de Laborde, le Luc et Marquis sont révoqués par
bord. Il va soigner sa sortie en quittant le bord en ve- le commissaire à la marine Louis Jacquinot. Il manque
dette. à cette liste trois amiraux, l’amiral Darlan, assassiné
à Alger le 24 décembre 1942, l’amiral Négadelle, tué
Le bilan du sabordage
à Brest le 25 août 1944 par un obus américain, l’ami-
235 028 tonnes sont sabordées et coulées. La liste ré-
ral Platon, fusillé par des maquisards de Dordogne.
digée par l’historien Jean jacques Antier offre la syn-
thèse suivante : En 1946, l’amiral Marquis est condamné à cinq ans de
3 cuirassés, 7 croiseurs, 15 contre-torpilleurs, 13 tor- prison et à l’indignité nationale. Il est gracié en 1950
pilleurs, 6 avisos, 12 sous-marins, 9 patrouilleurs et et amnistié en 1955. L’amiral Abrial est condamné à
dragueurs, 19 bâtiments de servitude, 1 bâtiment dix ans de travaux forcés. Il est gracié en 1950 et am-
école, 28 remorqueurs, 4 docks de levage. nistié en 1954. L’amiral Blehaut est condamné par
contumace à dix ans de prison, le jugement est révisé
Trente-neuf bâtiments ont été capturés à flot, la plu-
en 1955 et il est acquitté. L’amiral Auphan est
part sont des unités de petit tonnage plus ou moins
condamné par contumace à la réclusion perpétuelle
endommagés, voire désarmés et qui n’ont pu être sa-
aux travaux forcés, l’indignité nationale, la confisca-
bordés. Trois contre-torpilleurs : Lion, Panthère,
tion de ses biens. L’amiral le Luc reçoit la même peine
Tigre ; deux torpilleurs : Trombe et Bison ; les sous-
que l’amiral Blehaut. Elle est réduite à deux ans en
marins Espoir, Eurydice, Galatée et Vengeur, douze pa-
1950 et il est amnistié en 1951.
trouilleurs, trois pétroliers : Firuz, Garonne, Desprez,
six dragueurs, cinq navires auxiliaires et quelques bâ- Le 27 mars 1947 comparait devant la Cour l’amiral de
timents de servitude. Laborde : il est condamné à mort, à l’indignité natio-
nale, à la dégradation nationale à vie, à la confiscation
Le nombre des victimes est, quant à lui, réduit, si l’on
de ses biens. Il est grâcié par le président Auriol, sa
tient compte des effectifs en cause, 26 700 hommes.
peine de prison ramenée à quinze ans de prison. Il va
Dans son rapport, l’amiral Marquis signale six morts
effectuer six ans de détention à Clairvaux avant d’être
et vingt-six blessés légers47 auxquels il convient
amnistié en 1959.
d’ajouter six autres morts, deux à Malbousquet et
quatre à la batterie de DCA de la grande jetée. Ressources documentaires
Le rédacteur tient à préciser que l’ensemble des notes
L’amiral Marquis va demander à être relevé de son
de bas de page provient de :
commandement, l’amiral de Laborde se verra glorifié
La marine française et la guerre 1939-1945, Philippe
de deux satisfecit, l’un du maréchal Pétain et l’autre
Masson, Tallandier, 2000
de Mussolini, transmis par l’intermédiaire de l’amiral
Di Feo. La flotte se saborde Toulon 1942, Jean Jacques Antier,
Presse de la cité, 1992
Les pertes allemandes sont évaluées à un mort et
deux blessés. www.beaucoudray.free.fr/toulon.htm
47 : LV Dominique Fay Strasbourg, SM Godfrein DCA Fort Gambin, M Auffret Algerie, MLOT Bouchinot Provence, MLOT Jamet Front de mer,
apprenti mécanicien Laurent Provence.
48 : Le tonnage sabordé est évalué à 237 000 tonnes. Attribution à l’Italie 212 500t, Allemagne 24 500t
55
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L
e nom de la Confrérie Notre-Dame est bien
René ISTIN, 20 ans, étudiant
connu comme le tout premier réseau de résis-
tance à l’envahisseur pendant la guerre de Victor GOURMELON, 22 ans, employé commercial.
1939-1945. Mais en connaît-on l’origine ?
Quand les Allemands atteignirent Brest le 18 juin
1940, tout ce qui pouvait flotter appareilla (une
soixantaine de navires de guerre de toutes sortes et
autant de navires de commerce), emportant non seu-
lement les militaires français et britanniques, mais
aussi bon nombre de civils, parmi lesquels se trouvait
mon frère Louis Stéphan, âgé de 20 ans. Ils pensaient
rejoindre l’Angleterre, mais certains navires furent dé-
routés, pour des raisons de logistique, vers le Maroc.
Mon frère, embarqué sur le Marrakech, se retrouva,
avec des camarades, sur les quais de Casablanca. Là,
ils furent pris en charge par un groupe (sans doute
correspondants de Londres) qui leur proposa de ren-
trer en France et de contribuer à la formation d’un
mouvement de résistance à l’ennemi.
Mon frère et certains de ses camarades rejoignirent
Brest dans les jours suivants, et il fut embauché à la
Pyrotechnie de Saint-Nicolas près de Brest. Notre frère
Paul âgé de 16 ans, démobilisé de l’Armée de l’Air, le
suivit dans ce poste.
Naissance du réseau
En août 1940 Louis Elie, 35 ans, entrepreneur de
transports brestois, avait écouté un discours du Gé-
néral De Gaulle « …Il est nécessaire de grouper, par-
tout où cela se peut, une force française aussi grande
que possible… J’invite tous les Français qui veulent Louis Stephan
rester libres à m’écouter et à me suivre… ». Il prit aus-
sitôt la décision d’organiser un groupe. Il fut le pre- Louis Elie leur confia la mission de recruter, chacun de
mier, certainement à Brest, et dans tout le Finistère, son côté, des partisans sûrs. Ils firent tant et si bien
et peut-être dans toute la France. Il n’avait aucune qu’à la fin août, le mouvement comptait déjà un millier
formation dans le renseignement ni même dans l’or- de volontaires. Elie se rendait compte qu’il ne possé-
ganisation d’un mouvement quelconque, mais le sen- dait pas la formation nécessaire pour les instruire et
timent de révolte et le refus de la défaite l’incitaient à les encadrer. Après quelques déceptions, il trouva
l’action. René DROUIN, capitaine de réserve, chevalier de la
Il commença par recruter, parmi ses amis, des Légion d’Honneur, ingénieur de Travaux Publics, ses
hommes capables. Voici les noms de ces premières re- deux fils étaient déjà dans les Forces Françaises Li-
crues toutes brestoises : bres, et c’est avec enthousiasme qu’il accepta ce poste
56
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
de confiance. Deux caractères différents, complémen- moins dans les rues et deux mitraillettes en plus dans
taires, l’un fougueux, audacieux, l’autre calme, réflé- le stock. Les cadavres vont vite disparaître grâce à
chi. Henri Auffret, le fossoyeur, bien placé pour ce faire. Et
jour après jour, les mêmes résistants répèteront les
Organisation du réseau mêmes gestes, et au matin, les autorités allemandes
Louis Elie comprit vite qu’il fallait chercher un moyen ne pourront que constater la disparition de leurs
de contacter les membres du groupe pour organiser hommes.
des réunions.
Pendant ce temps, deux nouveaux venus avaient re-
Pas question d’aller chez l’un ou chez l’autre, trop dan-
joint le réseau, Joseph THORAVAL et Roger GROIZE-
gereux d’attirer l’attention. Par contre, leur présence
LEAU qui, après bien des péripéties avaient enfin
dans un café n’avait rien d’anormal, réunions ami-
retrouvé la liberté. En effet, au moment où ils s’em-
cales, préparations de rencontres sportives etc.… Pas
barquaient pour l’Angleterre, les Allemands prévenus
question non plus d’utiliser le café d’Henri Auffret, il
les arrêtèrent. Emprisonnés à Brest, ils patientent en
fallait chercher ailleurs. Le hasard lui fit rencontrer un
attendant leur sort, quand un matin de février, un gar-
ami qui le convia au « Café-Tabac de la Place », rue
dien les libèrent sans explication. Sans demander leur
Navarin, tenu par Madame Gauvard connue comme
reste, ils déguerpissent, et de fil en aiguille, grâce à
sympathisante. Il y avait aussi une petite salle discrète
des contacts, se retrouvent incorporés dans le Réseau
propice à des réunions. M. et Mme Gauvard furent
Elie. Ils sont vite nommés chefs de groupe en raison
emballés à l’idée d’aider les premiers résistants bres-
de leur courage et du patriotisme dont ils avaient fait
tois, et M. Georges Gauvard s’enrôla de suite dans le
preuve dans diverses circonstances.
groupe.
A la prison de Pontaniou se trouvent deux Canadiens,
Presque chaque soir, des réunions allaient se tenir
ainsi que des pêcheurs de Camaret coupables de
dans ce café. Les participants y apportaient les ren-
transferts vers l’Angleterre, et quelques jeunes gens
seignements sur l’occupant qu’ils avaient recueillis
de Lannion, accusés d’actes de terrorisme. Parmi eux,
dans la journée. Toute la marche du réseau était or-
deux sont condamnés à mort et attendent leur exécu-
ganisée et cela dès la mi-septembre 1940.
tion. Louis Elie décide de tenter une attaque de la pri-
Il fallait des armes. D’abord trouver un endroit pour son. Un commando composé des chefs de Groupe
les stocker. Louis Elie fit appel à son associée, Alice Joseph Thoraval, Joseph Prigent, Louis Stéphan,
Abarnou, qui possédait un garage privé. Elle aussi Georges Bernard, Jean Pronost, Lucien Gouez, Albert
s’était engagée dans ce combat. Pour se procurer des Muller, René Gourvennec, Roger Groizeleau, ainsi que
armes, les résistants eurent une idée ingénieuse : par cinq autres membres de l’organisation, Maurice Le
groupes de 4 ou 5, ils pénétraient dans des cafés, et Roux, François Pondaven, Jean Coatéval, Alice Abar-
accrochaient leur pardessus ou imper à un porte-man- nou et son frère Joseph forme le groupe d’attaque.
teau, où étaient déjà pendus les ceinturons des Louis Elie les dirigera et Pierre Calvez les transportera.
consommateurs allemands, désireux d’avoir leurs
Le 18 mars vers 21 heures, le groupe arrive devant
aises. En partant (un ou deux à la fois), ils décro-
la prison. Les abords sont déserts. Les prisonniers ont
chaient leur pardessus en emportant le ceinturon et le
été prévenus par un agent de liaison qu’ils vont être
revolver bien cachés à l’intérieur du vêtement. Cette
délivrés dans la soirée.
astuce fut payante, puisqu’en décembre, le garage
Abarnou en possédait environ 250. Les Allemands mi- Ils guettent avec espoir. Des signaux partent de la rue,
rent un certain moment à comprendre, et il devint les attaquants aperçoivent malgré l’obscurité des bras
dangereux de continuer. qui répondent à travers les barreaux plus ou moins
descellés. Trois cordes à nœuds sont lancées. Soudain
Il fallait aussi des explosifs. Un des chefs de groupe,
la rue est illuminée par les phares d’une voiture sta-
Louis Stéphan, avait été embauché à la Pyrotechnie
tionnée à une centaine de mètres. Il faut partir en vi-
de Saint-Nicolas dans les environs de Brest, le contrôle
tesse, le lendemain la ville apprendra que dans la nuit
s’était assoupli, mais il manquait d’aide. Il fit embau-
neuf prisonniers se sont évadés de Pontaniou.
cher son frère Paul, et pendant tout l’hiver 1940-1941
ils firent sortir de la Pyrotechnie un nombre très im- A l’Hôtel Continental, Place de Latour d’Auvergne,
portant de grenades, de cartouches et une grande siège des plus hautes autorités d’occupation, un
quantité d’explosifs et de poudre. Entreposé d’abord grand banquet est organisé le 4 avril dans la soirée,
dans la cave familiale, ce butin gagnait le garage Abar- en l’honneur d’une haute personnalité. Le nom d’Her-
nou, où il rejoignait le stock des armes et munitions mann Goëring circule. Des Français, rebut de la colla-
dérobées à l’arsenal. Le local devenant trop petit, il boration, y sont invités ainsi que des représentantes
fallut déménager une partie du stock vers le garage du « repos du guerrier ». Las, des trouble-fêtes ont
de Jean LE GALL, carrossier à Brest, et dans le moulin décidé d’animer la soirée à leur manière. Louis Elie et
de Jean TROMELIN, à Ponthours. une dizaine de ses meilleurs éléments attendent dans
l’obscurité que la fête commence. On perçoit les rires,
Quelques faits d’armes les cris, les chants avinés. 20 heures, il est temps
d’agir.
Le 1er janvier 1941, vingt heures, la sirène retentit une
fois de plus. La ville est déserte, cinq hommes circu- Un employé de l’hôtel, sympathisant, ouvre la porte
lent rue Kerfautras, ils ont tous un laissez-passer en de service à Louis Elie et à trois membres du com-
tant que membres de la Défense Passive. Ils sont mando qui descendent au sous-sol. Une forte charge
armés. d’explosifs est placée près de la chaudière. « Il nous
Une patrouille de deux Allemands armés de mitrail- restera trois minutes après l‘allumage du cordon » les
lettes les arrêtent et leur demandent leurs papiers. prévient Elie.
Tant pis. Deux du Groupe tirent, deux ennemis de
57
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Jean Pronost est chargé de bloquer l’ascenseur pour tout fait disparaître.
empêcher toute sortie. Tout le groupe ressort dans la
Mais ils savent qu’un autre dépôt se trouve rue Ra-
rue rejoindre les autres restés à faire le guet. Dans
cine. Ici, c’est la caverne d’Ali Baba : mitraillettes, re-
l’hôtel, la fête bat son plein si l’on en juge par le bruit
volvers, explosifs, émetteurs… Ils sont à la fête !
fait par les convives.
Les Allemands étaient tout de même bien renseignés.
20 h.13, une explosion sourde. Des flammes s’échap-
pent du sous-sol. Les noceurs affolés et hurlants se Le 16 mai, à 08 heures, ils sont chez Joseph Ollivier.
ruent en tous sens, la fumée les aveugle.
A 08 h.30, chez Auguste Bonino.
20 h.15, La ville est sous le coup d’une attaque aé-
rienne quasi quotidienne. Un avion, attiré probable- A 08 h.45, chez Jean Pouliquen.
ment par les lueurs de l’incendie débutant, lâche une Mais ils font chou blanc, leurs proies ne sont pas ren-
bombe incendiaire qui touche l’hôtel en plein milieu et trées du travail.
couronne l’œuvre des résistants. Il y aura peu de sur-
vivants. A 9 heures, Joseph Abarnou est embarqué.
« Des hommes sans cœur et sans patrie ! » juge un Petit aparté plein d’enseignements : « Allons chauf-
sympathisant nazi haut placé. feur, en route pour l’arsenal. Ou plutôt arrêtez-vous
un instant au coin, à l’intersection des rues Duret et
Le Général de Gaulle avait dit « L’honneur, le bon sens, Navarin. Nous avons là un café « à nous » et une ex-
l’intérêt supérieur de la Patrie commandent à tous les cellente amie. …. »
Français de continuer le combat, là où ils seront et
comme ils le pourront ». En fait, Joseph Thoraval, Louis Stéphan, Joseph Abar-
nou, Albert Muller et Roger Groizeleau avaient,
Les arrestations quelques jours auparavant, stoppé net, d’une rafale
Le 30 avril 1941, à 21 heures, François Quéméner, Al- de mitraillette, une scène jugée scandaleuse dans ce
bert Muller et Joseph Prigent guettent quatre Alle- bistrot, et la patronne le lendemain avait déclaré à qui
mands attablés dans un café. 21 h.15, la porte voulait l’entendre qu’elle se faisait fort de les faire ar-
s’ouvre, attaque extrêmement rapide et des plus vio- rêter. Elle sera introuvable à la Libération.
lentes. Les Allemands parviennent à s’enfuir, mais Al- Et les rafles continuent. Jean Coatéval, Auguste Bon-
bert Muller est atteint de six balles dans le ventre. Ses niou, Joseph Ollivier Jean Pouliquen et Georges Gau-
camarades le transportent chez un médecin qui ap- vard….
pelle l’ambulance municipale. Il est opéré le 1er mai.
Le 10 mai, il est jugé transportable et sur sa demande, Devant cette avalanche d’arrestations, les résistants
il est ramené chez lui. ont bien compris que les Allemands possèdent main-
Le 13 mai, vers 16 h.30, tandis qu’il est allongé sur tenant la liste complète des membres du réseau. Cer-
son lit, on tambourine à la porte et des Allemands en- tains vont trouver refuge chez des parents ou des
trent… Madame Muller, à son retour, ne retrouvera pas amis à la campagne.
son fils… Voici la liste des résistants arrêtés et emprisonnés au
19 heures, François Quéméner dîne. Il est seul. On Bouguen entre le 18 mai et le 26 mai :
frappe et on entre. Il n’y a pas à discuter… Yves Picard et son père, Hervé Roignant, René Gour-
Le 14 mai, un Allemand prévient Madame Prigent que vennec, François Pondaven, Maurice Le Roux, Alice
son mari, dès son retour, doit se présenter à certain Abarnou, Lucien et François Gouez, Robert Busillet,
bureau. A son arrivée, Prigent pense que c’est pour Louis Stéphan, Yves Féroc, René Istin, Jean Caroff, Ro-
son travail et s’y rend en toute confiance Il ne revien- bert Le Rest, Inizan, Hammonic, Lucien Grall, Georges
dra plus… Le Droff, Drapier, Corre, Tanguy, Madame Auffret,
épouse d’Henri.
Certains membres du réseau s’inquiètent et pensent
qu’il vaudrait mieux aller ailleurs. D’autres pensent Ensuite ce fut le tour de Roger Ogor, René Drouin et
qu’il ne faut pas bouger et attendre. Joseph Grannec.
58
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
lant aux ouvriers. Il fut arrêté et déporté en Alle- Le capitaine Drouin fut amené à rencontrer François
magne, attiré à la Gendarmerie où l’attendait la Ges- Broch-Florette et en février 1941, devint le responsa-
tapo, par un gendarme bien connu de toute la famille ble de la branche bretonne du Réseau du Colonel
et en qui il avait confiance. Il est mort de misère phy- Rémy auquel il fournit de précieux renseignements qui
sique quelques mois après son retour. furent transmis à Londres régulièrement.
Le premier réseau de résistance finistérien était dé- En septembre 1941, le Colonel Rémy décida de bapti-
truit Il avait tenu près de onze mois. ser le mouvement « Confrérie Notre-Dame (C.N.D.) –
Notre-Dame de Castille ». Il est difficile de concevoir
Jugement et condamnations qu’avec un tel nom, ce mouvement ait pu avoir
Le transfert à Fresnes se fit par chemin de fer. Les pri- quelques accointances avec les Francs-Tireurs et Par-
sonniers y séjournèrent dans des conditions qu’on tisans (F.T.P.) d’obédience communiste.
imagine aisément inacceptables et ont été décrites en
Je tiens à remercier ici mes camarades Daniel LAU-
détail par le Capitaine Drouin. (Lire « J’avais des ca-
RENT, Thierry DECOOL et Alexandre PRETOT qui par
marades » par Broch-Florette).
leurs conseils m’ont aidée à rédiger ce document.
Le 8 novembre 1941, les interrogatoires ont pris fin et
les jugements ne sont pas loin. Sources
Les accusés sont transportés jusqu’à l’Hôtel Continen- J’avais des camarades, François Broch-Florette, chef
tal (ironie du sort..) à Paris cette fois. départemental du mouvement de Libération Nationale
(Défense de la France), Editions le Télégramme –
Les procès vont durer quinze jours.
1949 – Souvenirs de quatre années de résistance dans
Elie, Grozeleau, Thora- le Finistère.
val, Prigent, Ogor, Gour-
Souvenirs personnels de l’auteur, sœur de Louis et
vennec, Muller,
Paul Stéphan.
Quemener, Stéphan,
Bernard, Busillet sont Mémoire de guerre, Charles de Gaulle, Plon, 1954.
condamnés à mort.
Drouin, Gauvard, Lucien
et François Gouez, Ca-
roff, Alice et Joseph
Abarnou, Olliver, Bon-
niou, Provost, Picart, Co-
atéval, Pouliquen, Le
Rest, Féroc, Inizan, Le
Roux, à des peines de ré-
clusion allant de 5 à 15
ans.
Les autres sont acquit-
tés.
Le 10 décembre 1941, le
gardien vient réveiller les
condamnés à mort et
leur apprend que leur re-
cours en grâce est rejeté La cloche du Mont Valérien portant les noms
et qu’ils vont être fusillés de 1008 fusillés
à 4 heures de l’après-
midi.
Puis, en route en camion
pour le Mont-Valérien, ils
refusent de se laisser
bander les yeux et tombent en criant « Vive la
France ! ».
Le nom du réseau
Louis Elie, 35 ans, entrepreneur de transports, de-
meurant à Brest, sans aucune formation pour créer un
réseau, sans contact aucun avec Londres, se mit en
tête de créer un réseau de résistants et il y réussit.
Pour le seconder, il fit appel au Capitaine Drouin, ex-
cellent organisateur, et à eux deux ils réussirent à
mettre sur pied un groupe de résistants qui prit le
nom de Groupe Elie. Un réseau de renseignements
parallèle au groupe d’action existant fut créé.
59
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
E
té 1990. Je suis un jeune Maréchal des Logis de
22 ans, affecté au 1er Régiment de Spahis à Va-
lence depuis un an. J’occupe le poste de chef
d’engin sur blindé AMX 10 RC en tant que subordonné
deux. Celui qui tient la place peu enviée de blindé de
tête du peloton ! Je n’ai encore jamais participé à une
mission extérieure quand la crise du Golfe éclate pen-
dant l’été et que mon escadron commence à se pré-
parer pour participer à la relève d’une unité de
chasseurs alpins à Naquoura, au Liban. Cet été aurait
dû être le plus beau de ma vie. Mon mariage est prévu Début juillet 1990, un grave contentieux oppose Ira-
pour le 8 septembre et Corinne attend notre premier kiens et Koweitiens. L’Irak réclame au Koweït 10 mil-
enfant pour le mois de décembre… liards de dollars, dont 2,4 milliards en compensation
du pétrole que Saddam Hussein estime se faire
« voler », depuis 1980, aux puits de Rumaylah (zone
pétrolifère irakienne jouxtant la frontière koweï-
tienne). L’Irak réclame aussi l’effacement de ses
dettes (environ 70 milliards de dollars), considérant
qu’il s’agit du prix du sang versé pour avoir défendu,
entre 1980 et 1988, les intérêts arabes contre l’expan-
sionnisme iranien. Le 17 juillet, Saddam Hussein
évoque la possibilité d’une intervention armée alors
que les Koweitiens font appel à la constitution d’une
commission arabe, puis à l’ONU, pour régler le pro-
AMX 10 RC blème des frontières. Bagdad accuse Koweït City de
refuser une solution purement arabe et de chercher à
La FAR1 est une mécanique bien huilée, le fer de lance préparer une intervention de forces militaires étran-
de notre Armée. Nous ne sommes jamais tout à fait gères dans le Golfe, en se présentant devant l’ONU
au repos et nous devons pouvoir être joints très rapi- pour régler son différend avec l’Irak. Après l’échec du
dement en cas de besoin. L’alerte Guépard, notam- sommet d’Alexandrie, le 24 juillet, l’Irak masse 30 000
1: Force d’Action Rapide regroupant des unités de soldats professionnels susceptibles d’être projetées très rapidement sur un théâtre
d’opération extérieur.
60
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
hommes à la frontière koweitienne. Il devient clair que
Saddam ne veut rien rabattre de ses prétentions. La
position des Etats Unis dans cette crise parait am-
bigüe. Par l’intermédiaire de leur ambassadrice, reçue
le 25 par le Raïs, ils cherchent à savoir pourquoi l’Irak
positionne ses troupes face à la frontière du Koweït.
Ils affirment ne pas avoir d’opinion sur le désaccord
entre les deux pays et ne pas avoir l’intention de dé-
clencher une guerre économique contre l’Irak. Ils pré-
cisent enfin qu’ils insistent pour que les deux nations
parviennent à régler leur contentieux de manière non
violente. Saddam Hussein occulte volontairement la
Bombardement iraquien
dernière partie du message et prépare son projet
d’annexion du Koweït, malgré les garanties qu’il ob- assorti d’un embargo contre les agresseurs. Mais le 03
tient sur des prêts et sur le prix du baril de pétrole lors août, des rapports font état d’incursions irakiennes
de la conférence de l’OPEP, tenue le 27 juillet. dans la zone neutre entre l’Arabie et l’Irak. A la de-
mande du roi Fahd, les Américains déclenchent l’opé-
ration Desert Shield et déploient des milliers
d’hommes en protection de l’Arabie. La France joue
d’abord la prudence et n’envoie que de faibles moyens
maritimes à l’entrée du Golfe d’Oman. Dans les jours
qui suivent, le porte-avions Clémenceau avec 900
hommes et des hélicoptères de la 4ème DAM sont posi-
tionnés à hauteur de Djibouti. Une mission d’assis-
tance est aussi dépêchée auprès des Emirats Arabes
Unis dès la fin du mois (Opération Busiris). Le com-
portement de Saddam Hussein va déstabiliser le
monde durant tout le mois. Il alterne propositions,
« Le 2 août 1990, Saddam Hussein
surprend le monde... » provocations et menaces. Il retient au Koweït et en
Irak des milliers d’occidentaux en otages. Il en fait
Le Jeudi 02 août 1990, Saddam surprend le monde
placer plusieurs centaines sur des sites stratégiques
entier en montrant une nouvelle fois le savoir-faire de
en boucliers humains. Le 14 septembre, il commet
son armée dans la conduite des offensives de nuit.
une grave erreur en autorisant le pillage de l’ambas-
350 chars irakiens franchissent la frontière du Koweït
sade de France au Koweït et en laissant enlever les di-
et foncent vers la capitale. Derrière eux, 100 000
plomates. La réaction du président François Mitterrand
hommes aguerris par 10 ans de conflit avec l’Iran par-
est immédiate. Il déclenche l’Opération Daguet qui va
tent à l’assaut. L’attaque est aussi massive que fou-
se révéler comme la plus importante depuis la fin de
droyante. En quatre heures, les soldats parviennent à
la guerre en AFN2. Confiée au Commandant de la FAR,
s’emparer de la capitale, Koweït-City. Devant cette at-
le général Roquejeoffre, elle repose sur une brigade
taque éclair, l’armée koweïtienne, surprise, n’oppose
aéroterrestre de 4 000 hommes, accompagnés de 1
qu’une résistance symbolique. Ses 20 000 soldats ne
000 véhicules, dont 210 blindés de la 6ème DLB, 48 hé-
peuvent endiguer la ruée d’un ennemi aussi puissant.
licoptères de combat et 30 avions de chasse. Le dis-
L’Emir du Koweït fuit à bord d’un hélicoptère américain
positif français dans le Golfe passe alors de 9 000 à
qui l’exfiltre vers l’Arabie. La communauté internatio-
13 000 hommes.
nale réagit immédiatement et l’ONU fait preuve de fer-
meté. Le conseil de sécurité vote la résolution 660 qui
demande le retrait des troupes irakiennes du Koweït,
Le général Roquejeoffre
2: Afrique Française du Nord. Ce que l’on nommera pudiquement « les évènements d’Algérie »
61
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Peloton de défense antiaérienne). Nous partons sans de l’armée de Terre fait distribuer des compléments
notre 1er Escadron, parti en mission pour 4 mois à de paquetage hiver et la nouvelle tenue camouflée
Mayotte. Nous embarquons à Toulon le 22 septembre « désert ».
et le 30, nous débarquons sous une chaleur d’enfer
(+40°C) dans le port saoudien de Yanbu. Après une
rapide acclimatation, nous entamons un périple de 1
100 kilomètres pour atteindre notre zone de déploie-
ment dans le Nord de la province orientale d’Ash Shar-
qiyah (région de l’Est). Notre mission reste assez
imprécise. Nous ne savons pas si les Irakiens attaque-
ront ou pas dans ce secteur considéré démilitarisé
selon les accords signé entre les deux pays. Notre lo-
gistique a du mal à suivre. Nous vivons en nomades,
dans nos blindés, sans le moindre bivouac, au milieu
d’un désert plat sur lequel règne une lumière aveu-
glante. A la mi-octobre, nous rejoignons le camp de
toile improvisé Arénas. Ma position se trouve à l’Ouest
du village d’As Sufayri. Nous laissons finalement notre Exercice en tenue S3P
secteur aux Egyptiens et aux Syriens pour nous rap-
procher du Camp du Roi Khaled (CRK). La vie sur la
Les résolutions de l’ONU se multiplient en vain et les
nouvelle position Miramar est rythmée par les travaux
tentatives de médiations diplomatiques des nations
d’aménagement (merlonage, positions de combat,
occidentales n’aboutissent pas. Il faudra recourir à la
chicanes), les missions de reconnaissance et de
force pour que Saddam Hussein évacue le Koweït. Des
contrôle de zone. Nous nous entrainons pendant de
renforts lourds arrivent (chars AMX30 B2 du 4ème Dra-
longues heures pour affûter nos réflexes de protection
gons, canons de 155MM TRF1 du 11ème RAMa, AMX 10
NBC (nucléaire, bactériologique et chimique). Nous
RC du RICM, infanterie du 3ème RIMa). Nos effectifs at-
portons les tenues de protection (S3P) et les masques
teignent 14 500 hommes. Au Spahis, nous avons ré-
à gaz (ANP51/53) dans des conditions particulière-
cupéré notre 1er escadron de retour de Mayotte. Entre
ment éprouvantes. Le commandement prend au sé-
les différentes missions, les entrainements et les
rieux le risque chimique car les Irakiens ont déjà fait
alertes missiles Scuds, je reçois un télégramme qui
usage de cette arme lors de la guerre contre l’Iran.
m’apprend que je suis papa d’un petit François depuis
le 10 décembre !
L’ultimatum qui intime à l’Irak l’ordre d’évacuer le Ko-
weit expire le 16 janvier sans que Saddam Hussein
n’ait bougé d’un pouce. Dans la nuit du 17, nous
sommes mis en alerte. Les premières frappes aé-
riennes massives au Koweït et en Irak débutent, nous
entrons dans l’opération « Desert Storm ». Nous éva-
cuons Miramar en pleine nuit et partons en formation
de combat vers le Nord-Est, en croyant que les com-
bats terrestres vont débuter aussitôt. La division par-
court 300 km puis s’installe en grand secret en base
d’assaut près de Rafah, face à la province irakienne
du Muthanna (camp Olive). Nous reprenons une vie
de nomades, dans des abris creusés dans le sable. Les
blindés sont embossés dans des fosses, prêts à faire
feu. La division est intégrée dans le dispositif du 18ème
Airborne Corps US du général Luke. Une longue at-
tente reprend, troublée toutefois par l’attaque surprise
des Irakiens contre la ville saoudienne de Khafji, dans
la nuit du 29 au 30 janvier. L’état d’alerte est à son
maximum mais Marines américains et soldats saou-
diens jugulent l’attaque en 30 heures, au prix de
Sur Miramar, nous bénéficions peu à peu d’un confort
pertes légères. Au soir du 23 février qui voit expirer
moins spartiate (électricité, toilettes chimiques,
le dernier ultimatum de George Bush à Saddam Hus-
douches). Une boulangerie de campagne a même été
sein, les forces irakiennes sont dans un état assez pi-
déployée pour nous fournir du pain ! Nous ne sommes
toyable. 94 000 missions aériennes (dont 1 200
pas totalement équipés pour lutter contre ce climat
missions françaises, sans aucune perte) ont eu lieu
saoudien si particulier. Vers décembre, on affronte
contre leurs positions au Koweït et en Irak. Le matra-
quelques tempêtes de sable, puis la pluie et le froid.
quage aérien dure depuis 37 jours et 55 000 tonnes
Il gèle même certaines nuits à -2°C. Le Commissariat
62
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
de bombes ont été larguées sur le potentiel militaro- Côté français nous entrons en territoire ennemi à la
économique de l’Irak. La coalition n’a perdu que 30 nuit tombée, le 23 février. Mon régiment franchit l’es-
appareils. La destruction des moyens logistiques ar- carpement « Nachez » à travers un champ de mines
rières irakiens est complète et prive les troupes de dans lequel Le Génie de la Légion a fait une brèche.
tout ravitaillement. L’efficacité de l’embargo a amoin- L’infiltration est délicate car le passage s’avère juste
dri sérieusement le potentiel irakien, mais Saddam assez large. Il est balisé par de petits cyalumes bleus.
Hussein n’entend toujours pas céder, malgré certaines Une roue à côté et c’est la catastrophe assurée ! Nous
concessions envisagées lors de l’ultime médiation avec passons la nuit d’attente la plus longue de notre vie
le Kremlin. en rongeant notre frein. Le 24 septembre à 05h30, la
division entame sa progression. La mission d’envelop-
pement par l’Ouest de l’Irak est confiée au 18ème Air-
borne Corps et à la division Daguet qui tient l’extrême
gauche du dispositif d’attaque, la destruction de la
garde au 7ème Corps US et la libération du Koweït à
deux divisions de l’US Marine Corps aidées des forces
arabes. Notre mission est de conquérir le nœud routier
d’Al Salman à 140 km de la frontière et de maintenir
ouvert, coûte que coûte, cet axe baptisé « Texas »,
vital pour la progression du 18ème Corps vers l’Eu-
phrate. Nous sommes en tête du dispositif allié avec
Les opérations commencent par une importante la 101ème Division d’assaut aéroportée « Screaming
offensive aérienne Eagles » à notre droite. Face à nous se trouve la 45ème
Division d’infanterie irakienne qui dispose en théorie
A la veille du « ground day », 43 divisions, dont des
de 11 000 hommes et s’articule autour de 9 bataillons,
divisions blindées mécanisées et la garde républicaine,
dont 3 ou 4 bataillons d’infanterie sont organisés en
sont déployées en position défensives au Koweït et
points d’appui. Elle dispose d’un bataillon d’au moins
dans le sud de l’Irak. En prévision d’un débarquement,
50 chars T-55 ou T-59 et de plus de 50 canons d’artil-
le commandement ennemi a mis au point une réplique
lerie d’origine soviétique et chinoise de 122 et
du mur de l’Atlantique le long de la côte Koweitienne.
132mm, ainsi que de nombreuses armes antiaé-
Il est composé d’obstacles, de fossés antichars et de
riennes (quadritubes ZPU 4, canons bitubes 23 m/m,
champs de mines, défendus par 20 divisions dont 8
Bofors de 40mm). Pour l’offensive, la division Daguet
élites de la Garde. Hussein dispose de 540 000
se retrouve scindée en task force :
hommes, 4 300 chars et 3 100 pièces d’artillerie, mais
il a perdu sa force de frappe missile dont la plupart - Groupement Ouest : le 1er Spahis, le 2ème REI (Régi-
des sites ont été repérés et détruits. Il ne peut plus ment étranger d’infanterie), le 1er REC (Régiment
compter sur l’aide de son aviation mise à l’abri hors étranger de cavalerie) le 11ème RAMa (Régiment d’ar-
de son territoire et confisquée par l’Iran. Face à lui, tillerie de Marine)
l’Armée de la coalition est prête, avec plus de 700 000
- Groupement Est : le 4ème RD (Régiment de Dragons),
hommes, 3 500 chars et une puissance maritime et
le 3ème RIMa (Régiment d’infanterie de Marine), le 6ème
aérienne terrifiante…
REG (Régiment étranger du génie).
63
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
souplesse de manœuvre et notre puissance de feu de- d’armement. Il a été détruit par un de nos hélicop-
vront faire la différence. Nous alignons 132 hélicop- tères. La progression ralentit, nous cherchons à
tères de l’ALAT dont 60 Gazelles HOT, 500 véhicules « tâter » le dispositif mis en place face à nous.
blindés dont 214 VAB (Véhicules de l’Avant Blindé), 96 Quelques pauses sont marquées pour permettre l’ali-
AMX-10 RC, 44 chars AMX-30, 13 ERC-90 Sagaie et gnement du dispositif. Le sous groupement Est a pris
18 canons tractés TRF1 de 155mm. du retard. De nombreux irakiens dans leur secteur se
rendent sans combattre. Notre premier objectif impor-
tant, le plateau « Valence », est atteint. Nos « Ga-
zelle » y ont essuyé des tirs d’infanterie. Les Bigors du
11° RAMa mettent en batterie leurs canons tractés
TRF1 avec une rapidité qui laisse pantois nos amis
américains. Ils déclenchent un feu d’enfer qui écrase
toutes les positions défensives et bunkers sur la zone.
Nous fonçons alors sur l’objectif, appuyant notre 1er
escadron. La position n’a pas été tenue, l’ennemi s’est
à nouveau dérobé. Il en est de même pour l’objectif
Castor. Nous stoppons notre progression sur la côte
286 sans avoir pu atteindre « Cajun » avant la tombée
Hélicoptère Gazelle de la nuit. Nous sommes frustrés d’avoir été « privés »
de combat. L’attaque reprend le 25 à 3 heures du
Le 24 février à 5h40, l’Escadron reçoit un nouvel iti-
matin et nous sommes gênés par la pluie. A partir de
néraire de reconnaissance. Nous prenons l’extrême
Cajun, nous devons fixer une compagnie d’infanterie
Ouest du dispositif allié ! Le terrain où nous progres-
repérée la veille. A 6 heures 30, je décèle un mouve-
sons est difficile. Les véhicules légers VLTT P4 subis-
ment ennemi en face de moi : quelques soldats qui
sent quelques crevaisons sur le sol rocailleux. Nous
s’agitent dans des trous de combat. J’effectue sur
menons une véritable charge de cavalerie où chaque
ordre des tirs de semonce sur leur position. Simulta-
seconde gagnée peut s’avérer cruciale. Nous fonçons
nément, au 3ème peloton, le lieutenant rend compte
pendant 5 heures sans rencontrer d’obstacles. Notre
qu’il est engagé à la Kalashnikov par des fantassins.
dispositif d’attaque n’a pas encore été décelé par l’en-
Il leur expédie un obus explosif tandis que je fais cra-
nemi, visiblement mal renseigné. Dans le secteur im-
cher la mitrailleuse coaxiale de mon blindé au ras des
parti à la Garde Républicaine Irakienne, la division
Tawakalna n’a reçu que tardivemen des informations
sur le mouvement allié. D’après ses rapports, cette di-
vision pense voir arriver face à elle la Division Daguet
et a déployé ses trois brigades lourdes au-delà de la
route du pipeline IPSA. Quand leurs services de ren-
seignement localisent enfin notre division, son com-
mandant découvre que nous avons déjà progressé de
75 kilomètres, assurant le flanc gauche de la
coalition ! Trompée, la Tawakalna se heurte dans la
nuit du 24 au 25 février au VIIème Corps US. La 3ème
Division Blindée US « Spearhead », renforcée par la
1ère Division d’Infanterie « Big Red One » l’encercle et Prisonniers irakiens
la réduit. Malgré une résistance farouche, elle est
anéantie en 48 heures.
trous. Les Irakiens n’insistent pas. Ils déposent les
armes et se rendent. Les cavaliers portés de l’es-
couade les fouillent et récupèrent leur armement.
Deux d’entre-eux semblent « secoués » nerveusement
et un autre est blessé. Ils ont l’air fatigués et sales et
il n’y a pas de gradés parmi eux. Nous confions les 8
hommes au TC2 qui les évacue vers le camp de transit
des prisonniers. Lors de la fouille, nous récupérons un
poste radio Thomson dont la fréquence de travail est
remise à notre officier de renseignements. L’escadron
poursuit vers l’objectif Paris, appliquant des feux sur
tout mouvement suspect identifié. En fin de matinée,
« La division Tawalkana est anéantie en 48h » nous surplombons une vallée où brûlent de nombreux
véhicules, camions et blindés d’infanterie. Malgré une
Le 24 vers 11 heures du matin, nous prenons enfin épaisse fumée, mon tireur détecte à plus de 1500 m
contact avec l’ennemi avec la découverte d’un cadavre deux soldats avançant désarmés vers nous, les bras
allongé à côté d’une carcasse d’un Nissan 4X4 chargé levés. J’envoie mon véhicule d’accompagnement en
64
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
maintenant la visée sur les deux soldats pendant leur Notre tir est trop court, il lève des geysers de pous-
déplacement. Ils tiennent dans leur main un tract de sière devant eux alors qu’ils se jettent à l’abri d’une
sauf conduit. Les Américains ont en largué des milliers dune. Je dois procéder à un tir de destruction pour
sur les positions irakiennes. Le plus âgé parait avoir empêcher l’utilisation du canon. La dune, télémétrée
au moins cinquante ans et l’autre boîte fortement. Son à plus de 650m de ma position, je pointe son côté
pied, presqu’arraché ne tient plus que par les liga- gauche, très proche de l’affût et donne l’ordre d’arro-
ments. Je me demande bien comment il a pu marcher ser le débouché dès que les soldats en surgiront. Trois
avec une telle blessure. L’attaque d’As Salman a lieu hommes bondissent alors que mon tireur déclenche
dans l’après-midi, menée par les marsouins du 3ème une longue rafale sur le point. Dans ma lunette je vois
RIMA. Notre mission est de nous emparer du dépôt lo- deux ombres fauchées, tournoyer sur elles-mêmes et
gistique jouxtant l’aéroport. L’endroit est tenu. L’esca- s’abattre. Une troisième parvient à rejoindre l’abri de
dron se déploie et détruit tout ce qu’il détecte comme la dune. J’envoie alors un obus explosif sur la pièce
dangereux (ZSU 23/4, positions d’artillerie, bâtiments qui saute en l’air. La pression dans ma tourelle est au
fortifiés). maximum, j’ai le sang qui bat aux tempes ! L’action
et les feux précis de l’escadron font fuir les derniers
Irakiens cachés dans notre secteur. Ils se jettent di-
rectement dans le dispositif des 2ème et 4ème Escadrons.
65
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
dat et en blesse 23 autres. Le sergent Schmitt et le
caporal-chef Cordier du 1er RPIMa seront les seules
victimes françaises de ces 3 jours de combat.
66
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’AMX 10 RC
Par Antoine MERLIN et Jérémy DELAWARDE
LES AUTEURS
1: Amour Piercing Fin Stabilized Discarding Sabot, appelé également obus flèche, perçant le blindage de la cible grâce à son importante
énergie cinétique. Il s’agit d’un obus composé d’un pénétrateur sous calibré, le faible diamètre améliorant la pénétration dans l’air, donc
diminuant la perte d’énergie en vol, stabilisé par un empennage. Un sabot qui se détache à la sortie du canon permet d’adapter le diamètre
de la munition au calibre plus élevé de l’âme.
67
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Déploiement et modernisation Ces modernisations permettront de maintenir la vie
Homologué par l’Armée française, la production de opérationnelle de l’AMX-10RC jusqu’à 2020-2025 en-
l’AMX-10RC débute en 1976 aux Ateliers de Roanne, viron.
les premières unités en étant dotées en 1979. 337 Le premier engagement de l’AMX-10RC se déroule au
exemplaires ont été livrés à l’Armée française à partir Tchad, en 1983-84, puis durant la Première Guerre du
de 1979, la production s’étalant jusqu’en 1994 et Golfe, en 1991. L’AMX-10RC a également servit durant
comprenant l’exportation de 108 exemplaires au les opérations de l’OTAN au Kosovo, ainsi que dans
Maroc, et 12 au Qatar. plusieurs déploiements en Afrique, notamment en
Aujourd’hui, 256 sont encore en dotation au sein de Côte d’Ivoire.
l’Armée française. Les années 2000 ont vu plusieurs
programmes de modernisation. Plusieurs véhicules fu- Grâce à un poids relativement restreint (15 tonnes),
rent modernisés en 2002, et le programme fut étendu l’AMX-10RC est transportable par air (C-130, IL-76,
au total à 256 blindés entre 2005 et 2012, d’où la ver- C-17 Spartan, ou encore Boeing 747).
sion « Rénovée » actuellement en service au sein de Données techniques
l’Armée de Terre. Cette modernisation comprend la Hauteur : 2.56 mètres
gestion automatique de la boîte de vitesse par un sys- Longueur : 6.24 mètres
tème électropneumatique de pilotage, un nouveau Largeur : 2.78 mètres
système électropneumatique de gestion de la suspen- Poids (au combat) : 17 tonnes
sion, de plaques de blindage supplémentaires, 4
lance-grenades fumigènes supplémentaires, et une Armement principal : canon GIAT BK MECA F2 de
amélioration de l’informatique embarquée, notam- 105mm, 38 obus (HE, AC, APFSDS, fumigène)
ment par l’ajout du Système Information Terminal Armement secondaire : 2 mitrailleuses AA-NF1 de
Version 1 (SIT V1). Avec le GPS, ce système entre 7.62mm (une coaxiale, une sur la tourelle), 4000 car-
dans le cadre de la « numérisation du champ de ba- touches
taille ». Des radios Thomson de type PR4G sont ins-
tallées, ainsi qu’une nouvelle imagerie thermique, et Conduite de tir COTAC à vision nocturne. Episcope ro-
un système de détection/protection amélioré. La tatif de type M389 (grossissements ×2 et ×8) pour le
consommation électrique accrue nécessite l’installa- chef de char, viseur M504 (grossissement x10) et té-
tion de deux batteries supplémentaires en tourelle, lémètre laser M550 pour le tireur.
tandis que la capacité de mouvement amphibie est 8 lance-grenades installés (fumigènes, anti-personnel,
supprimée, les deux hydrojets étant supprimés sur les leurres), équipement radio courte/moyenne portée,
versions rénovées de l’AMX-10RC. GPS, Terminal SIT-V1 sur les versions rénovées.
Le Terminal SIT V1 développé par Nexter (ex-GIAT) et Les données concernant le blindage sont encore inac-
EADS Defense Electronics Systems, permet une meil- cessibles, mais la plupart des sources s’accordent à
leure connectivité entre l’équipage et la chaîne de dire que le blindage frontal peut résister à des obus
commandement, via une numérisation des données. de 23mm (répandus dans les arsenaux d’origine so-
viétique) tirés à 300 mètres. Les améliorations du
Le système de protection « Galix », monté à bord des blindage visent à accroître cette protection, notam-
AMX-10RC rénovés, comprend 8 lance-grenades, pou- ment contre les éclats d’obus, les balles de calibre
vant tirer des fumigènes, des leurres, et des grenades moyen, et les roquettes antichars.
anti-personnel. Le système LIRE permet de détecter
et de brouiller les armes guidées au laser. La conduite Sources
de tir est également améliorée, notamment par l’ins- http://www.army-technology.com
tallation d’une caméra thermique DIVT-16 Castor de http://www.armyrecognition.com
Thalès, efficace jusqu’à 4000 mètres, remplaçant ka http://www.chars-francais.net
DIVT-13 des versions non-rénovées (efficace à
1300mètres).
68
DERNIERE GUERRE
MONDIALE
V
L’AUTEUR este américaine complètement montée d’ori-
gine, avec le patch de la 8ème Armée brodé et
Collectionneur canadien
grade de specialist Technician, 4th Classe, col-
depuis des années, Gaétan lard US Army et 1e ordonnance de Bataillon d’arme-
est l’un des animateurs du ment.
forum Les Héros Oubliés sous
Elle est faite de laine, période 2ème GM.
le pseudo de TheGate.
La 8th Army a combattu dans le Pacifique, Nouvelle
Guinée, Leyte, Luzon, Mindao.
69
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Les officiers portent l’écus-
son US aux deux extrémités
du col, et l’insigne de l’arme
aux revers.
Insigne de grade
70
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Guerre navale
Par Francis LIESSE
Les Anglais, compte tenu des premières escarmouches Les premiers convois vont s’articuler en colonnes, d’un
entre sous-marins et escorteurs, réalisèrent que
l’ASDIC1, instrument prometteur devant réduire à
néant les efforts des U-boote ne donnait pas entière
satisfaction.
Cela a aiguillonné le pragmatisme et la pugnacité des
responsables de la Royal Navy, surtout après qu‘un
convoi partant de Freetown vers la Grande-Bretagne
ai perdu 7 cargos sur 11, alors qu’il était escorté par
4 navires n’ayant jamais travaillé ensemble. Pendant
que 3 escorteurs sauvaient les naufragés, ils laissaient
ainsi le champ libre à 4 U-boote. Les Britanniques éta-
blirent alors des règles et mirent au point des mesures
qui allaient porter leurs fruits trois ans plus tard.
Ces règles peuvent être résumées en ces différents
points : Organisation, tactiques, renseignements,
maximum de 4 navires de front sur 10 en profondeur.
Compte tenu de l’écartement (de jour et de nuit) d’en-
viron 900 mètres, cela donnait une belle superficie en
km². Le commodore était toujours à l’avant du convoi
et les navires sensibles (pétroliers-munitions …) au
milieu. Il ne procédait pas à des zigzags.
Plus tard, avec le retour d’expérience, les concepteurs
des convois vont constater que ces derniers sont at-
taqués le plus souvent par les côtés. Ils vont donc
opter pour une formation de 10 navires de front sur 4
en profondeur, permettant ainsi aux escorteurs de
mieux assurer les flancs.
L’écartement peut paraître important mais il faut tenir
compte des conditions rencontrées par ces convois en
mer augmentant les risques d’abordage : brumes,
tempêtes, navigation de nuit sans feux de positions,
etc.
1: Acronyme de Anti-Submarine Detection Investigation Comittee, que les Américains vont nommer SONAR pour SOund Navigation And
Ranging, système de localisation de sous-marins en plongée par traitement d’échos sonores.
71
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Il partait en moyenne 1 convoi lent par semaine et 1 HMS Western Isles2, à Tobermory, sur l’île de Mull,
convoi rapide tous les 4 jours, dans les 2 sens, pour placée sous la direction du Commodore Gilbert Ste-
rallier la Grande-Bretagne au Canada. Pour le voyage phenson, connu sous le sobriquet de « Terreur de To-
aller il fallait 9 jours et demi, autant pour le retour et bermory ». Les nouveaux escorteurs et leurs
cela faisait entre 6 et 8 convois en permanence dans équipages y suivaient une formation intensive. Cette
l’Atlantique. école servira de modèle à de nombreuses formations
d’après-guerre.
L’escorte était composée de destroyers et d’escorteurs
(sloops, corvettes, chalutiers armés etc.) sous les or- Les formations de base étaient généralement de 2 à 3
dres d’un chef de flottille. Son rôle principal étant de semaines à l’issue desquelles les navires et leur équi-
mener le convoi à destination, puis, secondairement, page étaient jugés aptes et recevaient une affectation
de détruire les sous-marins ennemis rencontrés. ou redoublaient, les officiers jugés insuffisants perdant
leur poste. En octobre 1944, plus d’un millier de na-
Un convoi de 40 navires avait, quand les moyens
vires étaient passés par cette école.
étaient disponibles, 6 escorteurs.
Une école similaire fut créée fin 1942 à Londonderry
Afin d’optimiser la sécurité et les recherches sous-ma-
et une autre, en décembre 1943, à Stornoway. L’école
rines, l’escorteur naviguait presque toujours à pleine
de Londonderry était spécialisée dans la prise d’abor-
vitesse (pour, le cas échéant, arriver le plus vite pos-
dage des u-boote et les attaques de nuit avec le NEAT
sible sur sa proie, car un sous-marin plonge très vite)
– Night Escort Attack Teacher. A Liverpool fut créé
et effectuait des recherches à l’ASDIC sur de larges
le WATU – Western Approaches Training Unit
zones sur les côtés et à l’avant du convoi. Il croisait le
s’adressant plus spécialement aux commandants afin
long de celui-ci, en zigzag, balayant ainsi une plus
de les entraîner à réagir aux situations tactiques qu’ils
grande étendue.
étaient susceptibles de rencontrer (une sorte de
Le chef de Flottille, même d’un grade inférieur au Kriegspiel Naval).
Commodore, avait autorité sur celui-ci si le besoin s’en
L’efficacité du WACC sera augmentée par la présence
faisait sentir.
sur place du commandant du groupe 15 du Coastal
L’escorteur avait aussi pour tâche de ramener au sein Command, qui permettra une meilleure coordination
du convoi les égarés après une attaque ou une tem- des actions aériennes avec les actions navales.
pête.
C’est de ces écoles et des cogitations des intervenants
que naquit l’idée des porte-avions d’escorte et des
groupes de combats. Afin de pallier l’absence de
porte-avions, ils mirent au point les CAM – Catapult
Aircraft Merchant -, des navires marchands équipés
d’une catapulte permettant l’envol d’un avion devant
écarter le danger des bombardiers allemands. Pour cet
« usage unique » on utilisait des chasseurs démodés
- le plus souvent un Hurricane ou un Fulmar à bout de
souffle. Le pilote, une fois sa mission remplie, ralliait
le convoi et amerrissait, à ses risques et périls. En-
suite vinrent les MAC – Merchant Aircraft Carrier,
Les corvettes de classe Flower furent de tous des navires marchands équipés d’un pont d’envol et
les convois des premières années de guerre de plusieurs avions. Le cargo gardait ainsi sa pleine
capacité de transport et emportait quelques avions sur
Parallèlement, au niveau de l’organisation, l’Amirauté le pont – pas de hangar, les appareils décollaient et
mit en service une salle d’opérations centrale nommée appontaient après avoir rempli leurs missions, détruire
« WACC ». Ce quartier général des Western Ap- les sous-marins et défendre le convoi contre les bom-
proaches Command Center était situé à Plymouth. bardiers. L’arrivée de véritables porte-avions d’escorte
Rapidement, un 2ème centre fut créé à Liverpool. Ce permit de remplacer ces improvisations.
quartier général bénéficiait des informations de l’OIC
– Operational Intelligence Center, c’est-à-dire du
centre qui collationne et analyse tous les renseigne-
ments utiles à la Royal Navy. Son cœur était la salle
d’opération du WACC où, sur une immense carte de
l’Atlantique nord, chaque convoi, chaque groupe d’es-
corte (plus tard) avions, u-boote était représenté par
un marqueur dont des équipes de Wrens (auxiliaires
féminines) mettaient continuellement à jour la posi-
tion.
L’OIC, possèdait plusieurs branches qui lui fournis-
saient les informations nécessaires.
Au niveau de la tactique et des écoles, rien n’existait CAM HMS Empire Darin
à la déclaration de guerre, tout était à créer. On peut voir ce qui semble être un hurricane
sur sa catapulte
Dès juillet 1940, l’Amirauté décida d’ouvrir une école,
2: La Royal Navy donne à ses écoles, comme à ses bases à terre, des noms comme à des navires, qui deviennent ainsi HMS
(pour His/Her Majest
72
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Au fil des mois et du perfectionnement des navigants
Sarpedon, ce qui l’amène au grade de lieutenant de
(officiers et matelots) mais également grâce aux pro-
vaisseau en 1917 puis second du cuirassé HMS Va-
grès techniques (voir plus loin), les escorteurs ga-
liant à la fin du conflit.
gnaient en efficacité. L’amirauté créa des groupes
d’escorte, numérotés par une lettre et un chiffre, la Entre temps, il se marie. Son épouse lui donnera
lettre permettant d’identifier le groupe, le chiffre étant trois fils et une fille.
un numéro d’ordre : les Britanniques alignant les
groupes B1 à B7, les Canadiens C1 à C5 et les Amé- Durant l’entre deux-guerres il s’intéresse à un do-
ricains A1 à A5. A partir de 1943 s’y ajoutèrent des maine très peu recherché, « la lutte anti sous-ma-
groupes de soutien ponctuel, simplement numérotés rine » et il est nommé stagiaire à la nouvelle école
(comme par exemple le 2ème escort group du Cdt Wal- d’application, la HMS Osprey, créée en 1924. Il oc-
ker). L’avantage d’avoir des groupes d’escorte de com- cupe, sur différentes unités, un poste correspondant
position stable était que les navires acquéraient une à ses capacités.
habitude de travail en commun les rendant ainsi beau- En 1933, il est promu capitaine de frégate et reçoit
coup plus efficace. le commandement du destroyer HMS Shikari, puis
du sloop (navire vraiment spécialisé dans la lutte
ASM ayant le meilleur équipement) HMS Falmouth.
Il est ensuite nommé commandant en second de la
HMS Osprey (école d’application) en 1937.
Le 2ème conflit mondial lui donne l’occasion de faire
rebondir sa carrière. Affecté à l’Etat-major du Vice-
amiral Sir B. Ramsay en tant que chef du Personnel
Opération, il participe ainsi à l’évacuation de Dun-
kerque ce qui lui valu des félicitations.
En octobre 1941 il obtient son 1er commandement en
mer sur le sloop HMS Stork.
MAC HMS Empire MacKencrick
73
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
En juillet 1942 il reçoit une première barrette à sa A son retour, il est nommé capitaine de vaisseau par
D.S.O. (La D.S.O. ne se décerne qu’une fois, si un le Premier Lord de l’Amirauté, et reçoit une deuxième
récipiendaire mérite une seconde D.S.O. on lui remet barrette à sa D.S.O.
une barrette en or signifiant son double mérite).
En mars, il ajoute 2 nouveaux sous-marins à son pal-
Vers la fin de cette même année, Walker quitte son marès, ce qui porte le total à 19 sous-marins alle-
commandement du 36 ème groupe pour un poste à mands coulés, score inégalé, ni même approché.
terre, lui permettant ainsi de se refaire une santé
malmenée. En juin 1944, il est en charge de la protection ASM
du débarquement en Normandie.
En mai 1943 il reprend un commandement à la mer,
celui du 2ème groupe composé de 6 sloops, son pa- Au vu des brillants résultats et pour son travail il re-
villon flottant sur le HMS Starling. (Photo du Star- çoit une 3ème barrette à sa D.S.O le 13/6/1944. C’est
ling : U-boat.net) un cas extrêmement rare, puisque c’est comme s’il
l’avait reçue 4 fois ! Mais, ne s’imposant aucun répit,
il est foudroyé le 7/7/1944 par une attaque cérébrale
et meurt le surlendemain, à l’âge de 48 ans.
Ses cendres, selon son désir, sont dispersées en mer.
NdA : Il est intéressant de constater que son fils Ti-
mothy deviendra sous-marinier et que son petit-fils,
Johnnie, est également sous-marinier, commandant
la 1ère escadre de sous-marins Britanniques.
PETITE HISTOIRE
HMS Starling (classe Modified Black Swan) Ca… un porte-avions ? Hé oui
U-boat.net
L’année 1944 commence bien pour lui car, entre le Ces deux navires sont dépouillés de tout ce qui est de-
31 janvier et le 20 février, il coule pas moins de 6 venu inutile (accessoires de luxe, baignoires, cabines,
sous-marins ! salons etc.)
74
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
La propulsion (roues à aube et chaudière au charbon)
est conservée, ces deux navires atteignant les 18
Le coin des navires
L’amirauté Italienne comprit très vite quelle n’avait au-
nœuds. Ces travaux vont durer trois mois. Bien évi-
cune chance de concurrencer la Royal Navy. Elle se
demment, il n’a pas été question de les doter d’armes
fixa plutôt l’objectif d’avoir la maîtrise en Méditerranée
défensives, de hangars, d’ascenseurs, etc.
et de réaliser ainsi le vœu de Mussolini de faire de
cette mer « un lac italien ».
Dans les articles précédents, j’ai commencé à détailler
les cuirassés italiens ainsi que quelques destroyers.
Les plus anciens cuirassés Conte di Cavour et Giulio
Cesare furent entièrement modernisés entre octobre
1933 et juin 1937, de même que l’Andréa Doria et
le Caio Duilio le furent entre avril 1937 et octobre
1940.
Ceci pour vous préciser que l’Italie se focalisa sur son
éventuel adversaire, la Marine Française, car ces na-
vires viennent en réponse à la modernisation par
tranche des vieux cuirassés français.
Le SS Seeandbee...
75
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’Amirauté Italienne se fit un devoir de calquer la de 190 mm, de 6 canons de 37 mm, 12 canons de
construction de ses navires sur les Français. 20 mm et 14 mitrailleuses de 13,2 mm.
Historique :
Après ces travaux, il réintégra la Marine et fut dépêché
en Afrique du Nord pour améliorer la défense anti-aé-
rienne du port de Tobrouk, face aux Anglais.
Il y fut sabordé par petit fond pour servir de plate
forme de tir le 22/1/1941.
Il avait un sister ship, le San Marco, qui ne fut pas
modernisé et servit de central radio et de navire cible
en 1930.
Il fut retrouvé par les alliés, coulé dans le port de la
Spezia à la fin de la guerre.
San Giorgio
San Giorgio :
qui devint après travaux en 1937-1938 un navire
d’un tonnage de 11 700 tonnes, d’une longueur de
140,9 mètres, largueur de 21 mètres et un tirant
d’eau de 6,9 mètres. Les 8 chaudières au charbon
furent remplacées et donnèrent au navire une vi-
tesse maximum de 23 nœuds (42,596 km/h). Arme-
ment composé de 4 canons de 254 mm, de 8 canons SMS Strassburg
76
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Le Taranto subit de nombreuses modifications dans les FR11 et FR12 : (ex français :)
années 1936/1937, la principale fut le remplacement Deux croiseurs légers Français, sabordés à Toulon en
de toute son artillerie (12 canons de 105 mm et 2 ca- novembre 1942 furent donnés à la flotte Italienne, qui
nons de 50 mm) par 7 canons de 150 mm, 2 pièces les renfloua et commença les travaux afin de les in-
de 76 mm AA, 8 canons de 20 mm et 10 mitrailleuses corporer dans la marine Italienne. Il s’agit du « Jean
de 13,2 mm. Il garda ses 120 mines. Son équipage de Vienne » et de « La Galissonnière » qui furent re-
était de 18 officiers et 468 hommes. baptisés respectivement FR 11 et FR 12.
Son affectation devait être les colonies mais l’entrée Les travaux avancèrent lentement et, à la capitulation
en guerre l’empêcha et, ses transformations ache- Italienne, ils n’étaient pas encore terminés.
vées, il se saborda le 9/9/1943 à la Spezia. Les Alle-
mands le renflouèrent, mais il fut bombardé et coulé
par l’aviation alliée le 23/10/1943.
Les Allemands le renflouèrent à nouveau, pour être
définitivement coulé lors d’un raid de bombardiers al-
liés le 23/9/1944.
Le SMS Pillau
77
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’auteur
Frédéric Smith est historien et chargé de projets à la
Commission de la capitale nationale du Québec, où il
coordonne divers projets de commémoration, d’inter-
prétation et de mise en valeur de l’histoire et du pa-
trimoine de la ville
de Québec. Il a pu-
blié Domaine de
Maizerets (Éditions
de l’Homme, 2005),
Parc du Bois-de-
Coulonge (Fides,
2003) et Cataraqui :
histoire d’une villa
anglaise à Sillery
(Publications du
Québec, 2001).
Il est également co-
éditeur avec Sébas-
tien Vincent et
webmestre du blo-
gue d’histoire du
Frederic Smith Québec :
http://www.lequebecetlesguerres.org/
Le livre
Tiens, un Québécois qui s’intéresse à la France Libre ?
Oui, mais pas n’importe quelle France Libre, celle qui
agissait au Canada ! L’auteur nous met tout de suite velle crise agitera le mouvement de fin 1941 à l’au-
dans le Saint-Laurent, pardon, dans le bain avec en tomne 1942. La reconnaissance, enfin, ne prendra
introduction la liste des principaux protagonistes, ce place que durant l’été 1943.
qui a donné à votre serviteur l’occasion de découvrir
Mais je ne vous en dirai pas plus. Cette aventure est
qu’Elisabeth de Miribel est venue au Québec dès août
peu connue et, comme pour un bon film, il serait scé-
1940.
lérat de ma part de vous dévoiler les résultats.
Après une courte histoire de ce qui se passa en
France, mais aussi au Canada, jusqu’à juin 1940, nous Je ne peux que conseiller de lire ce livre qui, malgré
entrons de plain-pied dans l’histoire des FFL au Ca- le sérieux du sujet, se lit comme un roman policier !
nada et ça commence très mal.
Une remarque cependant : Les notes sont toutes en
Les Français ne comprennent rien aux mentalités ca- fin d’ouvrage, ce qui oblige à des acrobaties pour aller
nadiennes, qu’il s’agisse des francophones comme des les consulter sans perdre sa page en lecture. L’auteur
anglophones, et vice-versa ! Mauvais choix de repré- m’a expliqué que ceci était imposé par l’éditeur afin
sentants locaux de De Gaulle, bourdes d’Elisabeth de de ne pas effrayer le grand public par trop de notes
Miribel, rien n’est épargné, y compris d’ailleurs les ré-
en pied de page. Eh bien, l’éditeur a tort…
ticences du gouvernement canadien envers la France
Libre.
L’interview
Il faut également compter avec le respect et la sym- L’auteur a eu l’amabilité de bien vouloir répondre à nos
pathie dont bénéficie encore Pétain au Canada, tant questions :
du côté anglophone que francophone. Les vives cri-
tiques de Charles de Gaulle envers le Maréchal déplai- Daniel Laurent : Vous expliquez au début du livre la
sent à beaucoup. genèse de votre livre, mais il y manque le tout début
Cela se passe cependant moins mal à Québec qu’à : D’où vous vient, vous historien québécois, cet intérêt
Montréal, mais il faudra quand même le déplacement pour la France au point de vous lancer dans l’écriture
de Thierry d’Argenlieu pour que la situation s’améliore de ce livre?
durant le second semestre 1941. Cependant, une nou- Fréderic Smith : Il serait curieux pour un historien
québécois de ne pas être intéressé par la civilisation
78
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
qui a permis à ses ancêtres de s’installer en terre FS : Par les circonstances inattendues de sa brève car-
d’Amérique, entre la fondation de Québec par Samuel rière politique et par son désir de demeurer au Ca-
de Champlain en 1608 et la chute de la Nouvelle- nada.
France en 1763. L’histoire du Québec est à plusieurs
Née Marthe Caillaud en Algérie au début du siècle, de
égards celle de la survivance de la langue française
parents français, elle s’installe à Québec en 1932
sur le Nouveau Continent.
après son mariage en secondes noces avec le médecin
Encore 80 % des 8 millions de Québécois ont le fran- canadien-français André Simard. Rien ne la destine à
çais comme langue maternelle. Seule langue officielle la carrière politique. Elle s’occupe plutôt de sa fille, née
du Québec, elle est la langue normale des rapports so- de son premier mariage. Profondément choquée par
ciaux. La France, c’est encore la Mère Patrie pour une la défaite française, Marthe Simard répond spontané-
majorité de citoyens de cette province canadienne. Et ment à l’Appel du général de Gaulle et fonde un pre-
depuis trente ans, l’historiographie québécoise s’est mier comité France Libre au Canada. On dit même à
enrichie de plusieurs ouvrages consacrés aux relations l’époque, notamment chez les autorités du mouve-
France-Québec. ment à Londres, qu’il s’agit du premier comité de ce
type fondé à l’extérieur de l’Angleterre.
Cela dit, c’est le mariage de deux grandes passions —
l’histoire de la ville de Québec, ma ville natale, et l’his- En reconnaissance de son action, le général de Gaulle
toire politique et diplomatique de la Seconde Guerre et son Comité Français de la Libération Nationale la
mondiale — qui m’a mis sur la piste de cet ouvrage, nomment déléguée à l’Assemblée consultative provi-
de même que des rencontres marquantes. Notam- soire d’Alger, le 20 octobre 1943. Invitée à y repré-
ment avec l’historien suisse Claude Hauser qui m’ap- senter la résistance extra métropolitaine, elle devient
prenait, à l’automne 2000, que la France Libre était du coup la première femme française investie de pou-
agissante à Québec, par l’intermédiaire d’un comité voirs politiques.
fondé et présidé par une femme, Marthe Simard. Ce
Après la Libération, Marthe Simard suit l’assemblée à
fait était complètement absent des livres d’histoire.
Paris. Maintenant que le droit de vote et d’éligibilité a
Plus étonnant encore, Marthe Simard est devenue en
été octroyé à la femme française, elle refuse pourtant
1943 la première parlementaire de France, avant de
la carrière politique que lui propose le général de
retomber complètement dans l’oubli, tant en France
Gaulle après la guerre. Elle compte plutôt retourner
qu’au Québec.
auprès de sa famille au Canada. Âgée d’à peine 44
DL : Justement, votre ouvrage permet pour la pre- ans, elle est déjà grand-mère! Convaincue de n’avoir
mière fois d’en connaître davantage à propos de la accompli que son devoir de Française, elle retourne
Franco-canadienne Marthe Simard, dont on ne sait donc dans l’anonymat et meurt à Québec le 28 mars
rien en France malgré sa présence tout en haut des 1993, presque 50 ans après sa nomination à Alger. Il
listes de femmes parlementaires et la récente inaugu- n’est pas étonnant qu’on ait perdu sa trace entre-
ration d’une place Marthe-Simard dans le 14e arron- temps.
dissement, à Paris. Comment expliquez-vous cette
amnésie?
79
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
DL : Vers quelle direction s’orientent maintenant vos
recherches? Encore du français ou retour vers l’his- Fiche Technique
toire du Québec?
FS : La ville de Québec a été le théâtre de deux confé- La France appelle votre secours
rences interalliées pendant la Seconde Guerre mon- de Frédéric Smith
diale. La première, nommée QUADRANT, eut lieu en
Publication : Mars 2012
août 1943 entre Churchill et Roosevelt. Le premier mi-
nistre canadien William Lyon Mackenzie King en était Editeur : VLB EDITEUR
l’hôte. On affirme communément que c’est à l’occasion
de cette conférence que le débarquement de Norman- Collection : Études Québécoises
die aurait été planifié.
ISBN : 978-2-89649-326-5
Or, il n’existe à ma connaissance aucune synthèse his-
torique, tant en français qu’en anglais, consacrée ex- 296 pages - 29.95 $
clusivement à la première Conférence de Québec et à Présentation de l’éditeur
ses discussions. J’aimerais peut-être me lancer. En En juin 1940, la France capitule devant l’Allemagne
plus de préciser la portée réelle des discussions diplo-
nazie. Depuis Londres, la voix d’un général inconnu,
matiques et stratégiques, un tel exercice permettrait
de creuser quelques anecdotes savoureuses, comme Charles de Gaulle, s’élève pour inviter ses compa-
le vol supposé des plans du débarquement – objet triotes à poursuivre le combat. C’est la naissance de
d’une légende tenace à Québec – ou encore la présen- la France libre. Le 1er août, de Gaulle lance un appel
tation en marge de la conférence de l’étrange projet particulier au Canada français : « L’âme de la France
Habakkuk, destiné à la fabrication de porte-avions en cherche et appelle votre secours », dit-il alors, « parce
« pykrete », un mélange de glace et de copeaux de que le destin a fait du Canada la terre d’union de
bois! l’Ancien et du Nouveau Monde. »
Marthe Simard, une jeune Française établie à Qué-
bec, met sur pied un comité d’appui au mouvement
gaulliste. Avec l’aide de son mari canadien-français,
elle s’entoure de quelques journalistes, religieux et
intellectuels, dont le professeur franco-suisse Au-
guste Viatte. Dans la maison des Simard, au cœur du
Vieux-Québec, ils organisent l’aide aux soldats, par-
ticipent à la propagande gaulliste et anti-vichyste et
accueillent les représentants de la France libre de
passage au Canada. Remarquée grâce aux rapports
enthousiastes d’Élisabeth de Miribel, jeune envoyée
du général, Marthe Simard fera une brève carrière
politique à Alger puis à Paris. Les historiens perdront
ensuite la trace de celle qui fut pourtant la première
femme parlementaire de France.
À l’aide des archives personnelles de Marthe Simard
et de sources canadiennes, françaises et suisses, Fré-
déric Smith redonne la parole aux principaux anima-
teurs du Comité France libre de Québec. On découvre
ainsi un épisode étonnant des échanges diploma-
tiques et intellectuels entretenus entre une France
aux abois et un Québec en devenir.
80
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’auteur
Né en Nouvelle Zélande en 1963, Robert Lyman vit
en Grande-Bretagne et est un ancien officier de l’ar-
mée britannique.
Historien réputé spécialiste de l’histoire militaire et de
la Seconde Guerre mondiale, il est membre de la Royal
Historical Society.
Bibliographie (en anglais, certains de ses livres n’ont
pas encore été traduits en français) :
Into The Jaws of Death: The Gallant Six Hundred of
the St. Nazaire Raid, 28 March 1942, Quercus, 2013
Operation Suicide: The Re-
markable Story of the
Cockleshell Raid Quercus,
2012
Bill Slim, Osprey, 2011
Japan’s Last Bid for Victory:
The Invasion of India,
1944, Pen and Sword, Sep-
tember 2011
Kohima: The Battle That
Saved India, 1944 Osprey, Robert Lyman
2010
The Longest Siege: Tobruk and the Battle for Africa,
1941, Pan Macmillan, 2009.
The Generals: From Defeat to Victory Leadership in
Asia 1941-45, Constable and Robinson, 2008.
Iraq 1941: The Battles for Basra, Habbaniya, Fallujah
and Baghdad, Osprey Publishing, 2006.
First Victory, Britain’s Forgotten Struggle in the Middle
East, 1941 Constable and Robinson, 2006.
Robert LYMAN : J’ai obtenu une entrevue avec Nor-
Slim, Master of War, Constable and Robinson, 2004/5. man Colley, le ‘13ème Homme’ (i.e. la réserve), qui a
voyagé jusqu’à la Gironde sur le HMS Tuna mais qui
Le livre n’a pas participé au raid. C’était une histoire tellement
L’histoire d’un raid fort méconnu, et fort meurtrier, 8 extraordinaire que j’ai pensé qu’il fallait que j’écrive
des 10 commandos envoyés ne reviendront pas. Afin l’histoire complète, surtout depuis que le livre de CE
de contrer le trafic maritime qui à partir de Bordeaux Lucas Phillips des années 1950 (The Cockleshell He-
déjouait le blocus britannique, il fut décidé de miner roes) a été écrit sans l’accès aux dossiers secrets dans
un maximum de cargos. les Archives Nationales, la plupart n’ayant pas été ac-
Cela se lit comme un roman, avec du suspense, des cessibles avant les années 1970. De fait, un dossier
drames, de l’héroïsme et de très tristes moments. n’a pas été consultable avant 2011! Alors, j’ai visité
Le genre de livre d’histoire qui appelle au devoir de Norman et puis interviewé les familles des hommes,
mémoire. incluant Mme Bridget Hasler, et décidé d’écrire le livre.
Bref un ouvrage qui va plaire aux lecteurs de notre DL : Le titre, ainsi que la présentation de l’éditeur, li-
magazine. mite le livre à l‘histoire de ce raid, alors qu’en fait c’est
toute l’histoire des opérations secrètes en France qui
L’interview est proposée à vos lecteurs, en particulier dans la pre-
mière partie. Une raison particulière ?
L’auteur a eu l’amabilité de bien vouloir répondre à nos
questions : RL : Hé bien, c’est décevant. Le raid ne peut être com-
pris que dans le contexte de la situation militaire glo-
Daniel LAURENT : Opération Suicide, une tragédie bale en 1942, et surtout les circonstances à l’époque
quasiment inconnue, Qu’est-ce qui vous a mis sur la en France Occupée. Dans tous mes livres j’ai forte-
piste de ce raid ? ment essayé de m’assurer que le contexte du temps
81
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
est totalement développé, pour que les lecteurs com-
prennent pourquoi les opérations ont eu lieu, pas seu-
lement ce qui s’est passé. L’histoire de la résistance
dans la région est fascinante, et l’interaction entre les
Royal Marines et la population française en est une
très solide, parce qu’à travers celle-ci on peut voir
toute la douleur de l’occupation. J’ai découvert la com-
plexité de la situation du renseignement et de la ré-
sistance dans les régions de la Charente et de la
Gironde à travers des discussions avec les Dr. Maquis
à l’Université de Poitiers, Dr. Michael Cobb à l’Univer-
sité de Manchester et feu le Professeur MRD Foot.
82
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Crimée lorsque 600 hommes ont galopé vers une des-
truction certaine contre les canons russes. Le raid de
Saint-Nazaire était semblable en grande partie, où
621 commandos et marins ont navigué vers l’inconnu,
se faisant tirer dessus de la gauche et la droite, pour
attaquer le port et détruire la cale-sèche. C’est une
leçon d’humilité pour moi d’écouter les histoires de
ceux qui y étaient, et j’espère que ma façon de racon-
ter l’histoire leur rend justice.
Fiche Technique
Opération suicide, L’incoyable histoire
d’un des raids les plus audacieux de la
seconde guerre mondiale
de Robert Lyman,
Ixelles éditions
83
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
L’auteur
Plus connu sous le pseudo de 13emE DBLE sur les fo-
rums, Cédric est Avocat de formation au barreau de
Marseille, 39 ans, marié 3 enfants, passionné d'his-
toire militaire et politique, auteur de plusieurs articles
sur l'histoire militaire de la seconde guerre mondiale,
et plus particulièrement sur les opérations en Méditer-
ranée et en Afrique du Nord, qui ont été publies dans
de nombreux magazines en particulier au sujet de la
DAK et du Maréchal Rommel.
Le livre
Ce livre fera l’objet d’une présentation détaillée, avec
interview de l’auteur, dans notre prochain numéro.
Nous pouvons cependant noter que les illustrations,
pour la plupart issues de collections privées dont celle
de l’auteur, sont absolument exceptionnelles.
Signalons que les notes sont en pied de pages a la
grande joie de votre serviteur, facilement consultables,
et pas en fin de livre, obligeant le lecteur a des acro-
baties pour les consulter sans perdre sa page comme,
hélas, dans de nombreux pourtant excellents livres
dont nous avons déjà parlé.
84
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Fiche Technique
La bataille d’El Alamein
de Cédric Mas
Edité par Heimdal Editions
ISBN : 2840483416
EAN : 978-2840483410
36 euro
Présentation de l’éditeur
Ce nouvel ouvrage est publié à l’occasion du 70ème
anniversaire de la Bataille d’El Alamein. Parmi les
grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale,
celle-ci tient une place particulière ; elle est liée au
nom de deux grands chefs que l’on retrouvera plus
tard en Europe : Rommel et Montgomery. Nous sui-
vons l’échec de Rommel devant la ligne d’El Alamein
(1er juillet-2 septembre 1942) puis la contre-offensive
victorieuse de Montgomery (23 octobre-4 novembre
1942).
Riche iconographie (250 photos dont des pièces
d’uniformes en couleurs, une quinzaine de photos
d’époque en couleurs), relié 128 pages couleurs.
85
D ERNIERE GUERRE
MONDIALE
Annonce
L’ouvrage en souscription que nous vous présentons n’étant pas encore paru, il ne nous est pas
possible de vous le présenter en détail ni de vous donner notre avis définitif. Cependant, vu les
sujets qu’il présente et la façon dont il se propose de le faire, il convient de l’aborder avec prudence
car c’est explosif pour le moins dire.
86
D
ERNIERE GUERRE
MONDIALE
87
D
ERNIERE GUERRE
MONDIALE
88
Une réaction ?
Envie d’en apprendre plus ?