Vepres Mémoire 2e Annee
Vepres Mémoire 2e Annee
Vepres Mémoire 2e Annee
Guy Caria
Sous la direction du professeur Jean-Luc Nardone
LES VÊPRES SICILIENNES - 2
À Anna,
Emmanuel,
Mathys.
Rermerciements
Merci à mon ami Fabrizio Siragusa, pour l’aide précieuse qu’il m’a apportée
depuis Palerme.
Introduction...........................................................................................................................................
1 Les vêpres dans leur contexte..................................................................................................
1.1 La guerre de vingt ans.................................................................................................... 20
1.2 Les puissances étrangères dans l’action.................................................................. 30
1.2.1 Les É tats du pape........................................................................................................ 30
1.2.2 La France........................................................................................................................ 33
1.2.3 L’Aragon......................................................................................................................... 34
1.2.4 L’Italie du nord............................................................................................................. 35
1.2.5 Constantinople............................................................................................................. 36
1.3 Le destin brisé des Anjou.............................................................................................. 38
1.4 Giovanni da Procida, diplomate ou conspirateur ?...............................................42
2 Les Vêpres dans les textes et dans les faits..........................................................................
2.1 Les Vêpres dans les textes (des origines au XVIII e siècle)..................................46
2.1.1 Les textes contemporains de l’insurrection.....................................................46
2.1.2 Les textes jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.............................................................50
2.2 Le souvenir des Vêpres dans les luttes..................................................................... 53
2.2.1 Les Vêpres, une référence permanente.............................................................53
2.2.2 Antudo, le mot d’ordre imaginaire des révoltes siciliennes.......................60
3 Les Vêpres, une référence historique dans les lettres (XIX e-XXe siècles)...................
3.1 Le Risorgimento au son des Vêpres........................................................................... 64
3.2 Les textes de 1900 à nos jours.................................................................................... 74
Conclusion............................................................................................................................................
Bibliographie......................................................................................................................................
Annexes.................................................................................................................................................
Traductions.......................................................................................................................................
Alors qu’à Palerme, en cette fin d’après-midi du lundi de Pâques 1282, les habi-
tants se dirigeaient vers l’église du Saint-Esprit, des soldats français en faction devant le
lieu de culte veillaient à l’ordre. L’un deux, le soldat Drouet, s’approcha d’une jeune
dame pour procéder à une fouille visant à rechercher d’éventuelles armes sous les vête-
ments. La dame s’évanouit, son époux prit la propre épée du soldat et le tua : c’était le
début de la révolte qui allait s’étendre à toute l’île faisant plusieurs milliers de victimes
françaises2.
Pour reconnaître les Français, une légende prétend qu’on faisait prononcer le
mot « ciciri » (pois chiche) aux individus soupçonnés. Seuls les Siciliens savaient
prononcer le mot. Les Français étaient réputés incapables d’articuler « ciciri »
correctement. La légende est très certainement tirée de la Bible3 :
1
Bartolomeo da NEOCASTRO, Historia Sicula, Bologna, Zanichelli, 1921, p 15. Bartolomeo da Neocastro,
contemporain des Vêpres, écrit au chapitre XIV: Incipit hic paesens guerra Siciliae contra regem
Carolum, et primo in Panormo. Anno quidem a Christo Domino nostro MCCLXXXII penultimo die
martii ...
Le pénultième jour de mars, c’est-à-dire, le 30 mars. Pour plus de commodité, nous adopterons cette date
dans ce document.
2
Steven RUNCIMAN, Les vêpres siciliennes : une histoire du monde méditerranéen à la fin du XIII e siècle,
Paris, Les belles Lettres, 2008, p. 205. À Palerme le nombre de morts se serait élevé au nombre de 2 000.
3
« Livre des Juges », dans La Bible, chapitre 12, 4-6.
Durant le XIIIe siècle, trois familles européennes ont régné sur la Sicile. Les
Hohenstaufen, dynastie germanique, qui succédèrent par voie héréditaire aux rois
normands sur le trône de Sicile en 1194. Les Angevins, qui s’emparèrent du pouvoir par
la force en 1266 et régnèrent avec une grande brutalité sur l’île. Enfin les Aragonais qui
siégèrent sur le trône sicilien que les Vêpres avaient rendu vacant à partir de 1282.
4
Charles d’Anjou ne se rendit jamais en voyage officiel en Sicile durant les seize ans de son règne sur
l’île. Il dut, par nécessité, y passer en 1270, de retour de Tunisie avec la dépouille de son frère, le roi de
France Louis IX. Les viscères de saint Louis furent à cette occasion transportés à Monreale, près de Pa-
lerme, où ils furent conservés jusqu’à l’arrivée de Garibaldi, six cents ans plus tard, puis remis à la
France.
Leur participation aux Vêpres semble donc logique et se confirme dans les
travaux de la chercheuse palermitaine Iris Mirazita11 :
5
« Lombardi di Sicilia » [en ligne], URL : https://it.wikipedia.org/wiki/Lombardi_di_Sicilia, consulté le
30 mars 2018. Selon l’article de Wikipedia, 200 000 Lombards au total sur la période auraient émigrés en
Sicile.
6
Fiorenzo TOSO, Le minoranze linguistiche in Italia, Bologna, Il Mulino, 2008, p. 137. Selon le linguiste
italien, les Lombards se sont installés en Sicile entre le XI e et le XIIIe siècles.
7
Henri BRESC, Geneviève BRESC-BAUTIER (éds.), Palerme 1070-1492 : mosaïque de peuples, nation re-
belle ; la naissance violente de l’identité sicilienne, Paris, Éd. Autrement, coll. « Série Mémoires » 21,
1993, p. 120.
8
Iris MIRAZITA, « I Lombardi di Corleone e Palermo : dal Vespro antiangioino al Vespro anticatalano
(1282-1348) », dans Corleone: l’identità ritrovata, Milano, F. Angeli, 2001.
9
Michele AMARI, La Guerra del Vespro Siciliano, Palermo, Flaccovio, 1969, chap. 3.
10
Leonardo SCIASCIA, La corda pazza, Scrittori e cose della Sicilia, Milano, Adelphi, 1970, p. 168.
11
Iris MIRAZITA, « I Lombardi di Corleone e Palermo : dal Vespro antiangioino al Vespro anticatalano
(1282-1348) », dans Corleone: l’identità ritrovata, op. cit., p. 26-37.
En revanche, les juifs, eux, prospérèrent encore quelques années. Arrivés dès le
Ier siècle, après la destruction de Jérusalem en 70 de notre ère, les juifs ont vu leur
nombre croître considérablement. Selon Erich Hausmann15, vers 1492, au moment de
leur expulsion massive de l’île, la Sicile comptait environ 100 000 juifs16. Le nombre de
juifs est donc important, rapporté au nombre total d’habitants dans l’île 17 et ils furent
mal acceptés à partir du règne de Frédéric II, qui les protégea néanmoins. Les juifs de
Sicile ont-ils participé au soulèvement de 1282 ? Aucun document n’en fait état à notre
connaissance. En revanche, les prêts d’argent importants aux rois de Sicile leur
assuraient une certaine protection de leurs débiteurs. Toutefois, leur situation s’est peu à
peu dégradée, port d’une rouelle rouge, ghettos, pogroms... jusqu’à leur expulsion en
12
Vincenzo D’ALESSANDRO, « Sicilia » [en ligne], 2005, URL :
http://www.treccani.it/enciclopedia/sicilia_(Federiciana)/, consulté le 20 juin 2019. « Nel 1224 trasferì a
Lucera un primo contingente di più di quindicimila musulmani, compresi donne e bambini, costretti ad
arrendersi per fame. » [En 1224 il déplaça à Lucera un premier contingent de plus de quinze mille musul-
mans, y compris femmes et enfants, obligés de se rendre à cause de la faim.
13
Michele AMARI, Storia dei Musulmani di Sicilia, vol. III, Firenze, Felice Le Monnier, 1858, p. 867.
14
Vincenzo D’ALESSANDRO, « Sicilia » [en ligne], op. cit. C’est en 1221 que commença la lutte contre les
paysans musulmans de Sicile. Pour Frédéric II, leur présence regni nostri tranquillitatem perturbat.
15
Erich A. HAUSMANN, « Les Juifs de Sicile ont dû partir aussi en 1492 » [en ligne], Hamoré, n° 139,
1993, URL : http://sefarim.fr/hamore/, consulté le 15 mai 2019.
16
Francesco RENDA, La fine del giudaismo siciliano : Ebrei marrani e Inquisizione spagnola prima
durante e dopo la cacciata del 1492, Palermo, Sellerio, 1993. Renda annonce un chiffre de seulement
35 000 juifs en Sicile. Pour arriver à ce résultat, il multiplie le nombre de foyers juifs (6 300) par 5,5 (un
père, une mère et 3 ou 4 enfants). Cela réduit la « masunata » aux parents et à leurs enfants. Qu’en est-il
des autres membres de la famille, grands-parents, collatéraux, etc. ?
17
Antonino MARRONE, « Sovvenzioni regie, riveli, demografa in Sicilia dal 1277 al 1398 » [en ligne],
Mediterranea ricerche storiche, n° 24, 2012, URL : http://www.storiamediterranea.it/portfolio/aprile-
2012/, consulté le 14 mars 2019. En 1286 la population totale de Sicile s’élevait à un peu moins de
550 000 habitants.
18
Le 31 mars 1492, le roi d’Aragon Ferdinand II et la reine de Castille, Isabelle I re, décrètent l’expulsion
des juifs d’Espagne, de Sicile, d’Italie du Sud et de Sardaigne.
19
Fiorenzo TOSO, Le minoranze linguistiche in Italia, op. cit., p. 135.
20
Le seul village à parler encore grec dans ses rites religieux était Rometta, dans la province de Messine.
21
Petite île au large de Naples.
22
Jacqueline MALHERBE-GALY, Jean-Luc NARDONE, Les vêpres siciliennes : le complot de Jean de Pro-
cida, Toulouse, Anacharsis, 2012. Giovanni da Procida a eu une action déterminante, si ce n’est lors des
Vêpres, du moins lors des événements qui ont précédé et suivi le soulèvement. La nouvelle traduction
d’un auteur anonyme du XIIIe siècle nous éclaire sur Le complot de Jean de Procida.
23
Giovanni da Procida, quand il entreprit ces grands voyages diplomatiques était âgé d’environ 70 ans, si
l’on se réfère à la date de naissance approximative donnée par la plupart des chercheurs. Ce devait être un
homme de grande résistance puisqu’au Moyen-Âge, en Europe, l’espérance de vie chez les grands sei-
gneurs était de vingt-cinq ans (seule catégorie où nous disposons de données fiables). H. J., « Mortalité
masculine dans les familles régnantes au Moyen Age », Population, n° 6, 1972.
C’est surtout au XIXe siècle que Giovanni da Procida et les Vêpres siciliennes
font leur entrée dans l’histoire nationale italienne, dans un but politique très précis :
galvaniser le peuple en vue de l’unification de l’Italie et contre l’occupation du trône de
Naples par les Bourbons d’Espagne. Il fallait donner aux Italiens un sentiment
d’appartenance nationale, en quelque sorte Faire une nation28. Ce siècle-là, le royaume
des Deux-Siciles allait d’émeutes en révolutions, jusqu’à l’arrivée de Garibaldi à
Marsala, en 1860. Quatre rois issus des Bourbons d’Espagne, la maison des Bourbon-
Siciles, se succédèrent de 1815 à 1861 : Ferdinand I, François I, Ferdinand II, François
II, qui tentèrent de conserver un pouvoir absolu et un régime quasi féodal dans les
campagnes malgré les tensions qui montaient partout en Europe et plus particulièrement
24
Jacqueline MALHERBE-GALY, Jean-Luc NARDONE, Les vêpres siciliennes : le complot de Jean de Pro-
cida, op. cit.
25
Francesco PETRARCA, Itinerarium Syriacum, Bâle, Heinrich Petri, 1554.
26
Giovanni BOCCACCIO, « De Carolo Siculorum rege », dans De casibus virorum illustrium, vol. 9, Paris,
Jean Petit, 1540.
27
Dante ALIGHIERI, La divine comédie. Paradis, Arles, Actes Sud, 2020, trad. de Danièle ROBERT,
chant VIII.
28
Elena MUSIANI, Faire une nation : les Italiens et l’unité, XIXe-XXIe siècle, Paris, Gallimard, coll. 270,
2018.
Les Vêpres ont été, durant tout le XIXe siècle, un substrat capable de stimuler les
peuples. Giuseppe La Mantia30, professeur à l’université de Palerme, s’émerveillait de
cette permanence des Vêpres au siècle du Risorgimento :
[...] è certamente mirabil cosa il vedere come nella rivoluzione
siciliana del 1820 [...] nelle sedizioni avvenute nel 1837 [...], indi
nel 1848 [...], ed infine nel 1860 [...], si trovi costantemente nei
Proclami ufficiali di Comitati et di Governi la menzione di
Giovanni da Procida come il più famoso cospiratore e fautore della
rivoluzione del 1282, poeticamente e volgarmente detta del Vespro
[…].iii
29
Pietro Aristeo ROMEO, Cenni biografici sopra Domenico Romeo, Torino, Stamperia della Gazzetta del
Popolo, 1856.
30
G LA MANTIA, « I ricordi di Giovanni da Procida e del Vespro nei proclami rivoluzionari dal 1820 al
1860 » [en ligne], dans Rassegna storica del Risorgimento, Roma, Istituto per la storia del Risorgimento
italiano, 1931, URL : http://www.risorgimento.it/rassegna/index.php?id=16984, consulté le 17 juin 2019.
Felicia Hemans33, de l’autre côté de la Manche, sans doute excitée par le succès
du Français, y alla de sa tragédie qu’elle intitula The Vespers of Palermo, sans toutefois
rencontrer le succès. Au contraire, sa pièce fut peu jouée. Felicia Hemans comptait sur
la notoriété des Vêpres pour attirer le public. Son drame, d’abord intitulée Procida, fut
renommé en Vêpres de Palerme, parce qu’on craignait que le nom de « Procida » ne fût
pas assez connu pour assurer le succès de la pièce !
Pour en revenir à l’Italie, c’est à Giambattista Niccolini 34 que l’on doit la pre-
mière œuvre sur le thème des Vêpres. Deux ans avant la représentation de Delavigne, il
avait écrit une pièce intitulée Giovanni da Procida, mais elle ne fut jouée qu’en 1830
avant d’être interdite.
Plus prudent, Giuseppe Verdi35, modifia sa version italienne des Vêpres
siciliennes en décembre 1855 : le titre de l’œuvre devint Giovanna di Guzman et
l’action se situait au Portugal sous domination espagnole. Le livret changea encore
avant 1861, puis prit sa forme définitive après l’unification italienne. Mais avant la
version italienne, Verdi composa pour la France Les Vêpres siciliennes, un opéra en
31
Claudio MANCUSO, « Il potere del passato e il suo utilizzo politico. Il caso del sesto centenario del
vespro siciliano » [en ligne], Mediterranea ricerche storiche, n° 25, 2012, URL :
http://www.storiamediterranea.it/portfolio/agosto-2012/, consulté le 20 février 2019.
32
Casimir DELAVIGNE, Les Vêpres sicilienne [en ligne], Paris, Baraba, Ladvocat, 1819, URL : https://me-
diterranees.net/moyen_age/sicile/delavigne1.html, consulté le 10 octobre 2018.
33
Felicia HEMANS, The Vespers of Palermo, Londres, John Murray, 1923.
34
Giovanni Battista NICCOLINI, Giovanni da Procida, Capolago, Tipografia Elvetica, 1831.
35
Bruno MAURY, « Verdi : Vêpres Siciliennes » [en ligne], classiquenews.com, 2017, URL : https://
www.classiquenews.com/compte-rendu-critique-opera-francfort-opera-le-9-decembre-2017-verdi-vepres-
siciliennes-stefan-soltesz-jens-daniel-herzog/, consulté le 24 avril 2020.
Pour rester dans le domaine de la musique, nous citerons également l’hymne na-
tional italien, Fratelli d’Italia, écrit en 1847 par Goffredo Mameli, dans lequel deux
vers font directement référence à la révolte Sicilienne :
Il suon d’ogni squilla
I Vespri suonòv
Ainsi même dans ce chant patriotique, référence est faite à la révolte des Vêpres,
incontournable au XIXe siècle.
Les arts graphiques, dans ce siècle des révolutions, ont aussi exploité le thème
des Vêpres (voir les annexes). Francesco Hayez et ses trois peintures des Vêpres sici-
liennes concentrent toute l’attention. Le style néoclassique fait penser à la peinture de
Jacques-Louis David, mais l’ensemble paraît figé, sans émotion. Si on peut rattacher les
toiles au romantisme, c’est seulement grâce au sujet traité. Dans le tableau de 1822, au
premier plan, le soldat Drouet git au sol, l’homme qui vient de le tuer est le frère de la
dame outragée, tandis qu’elle est soutenue par son mari. À l’arrière-plan, l’église Santo
Spirito ne ressemble aucunement à l’église réelle. Sur le parvis, l’émeute a commencé,
des Siciliens tuent les soldats français. La deuxième peinture de Hayez sur le sujet, exé-
cutée en 1826, n’offre pas beaucoup d’intérêt dans la mesure où, à quelques détails
près, c’est une copie de la première. Vingt ans plus tard, en 1846, pour sa troisième ver-
sion de l’épisode (voir Annexe page 94), Hayez se concentre davantage sur les person-
nages du premier plan. Ce qui se passe derrière est plus neutre. Visiblement le peintre
est ici influencé par l’opéra où les solistes sont devant et très expressifs, tandis que les
figurants sont à l’arrière de la scène, faisant masse. L’action, cette fois, se déroule à l’ar-
rière de l’église Santo Spirito, qui semble même un peu éloignée.
Dans les trois peintures de Hayez, comme dans toutes les représentations pictu-
rales des Vêpres, c’est toujours le moment où le soldat Drouet est tué qui est représenté.
C’est aussi le cas chez Andrea Gastaldi, Erulo Eruli, Giuseppe Carta et Giulio Piatti,
alors que Domenico Morelli se concentre sur la femme outragée accompagnée de deux
autres femmes qui s’enfuient apeurées, pendant que la révolte commence loin derrière, à
peine perceptible.
Tout d’abord, Eugène Scribe proposa plusieurs sujets à Giuseppe Verdi qui les
refusa les uns après les autres. Finalement, Scribe ressortit de ses cartons un vieux
livret, Le Duc d’Albe, proposé en 1836 à Halévy qui n’en voulut pas, puis à Donizetti
qui mourut avant d’en achever la musique. Restait à proposer le livret à Verdi, en
changeant les époques, les lieux et les personnages. Le Duc d’Albe mettait face à face
des Flamands et des Espagnols, c’est-à-dire des occupés et des occupants. Il suffisait de
déplacer la scène en Italie, à Naples ou à Palerme, d’y opposer des Italiens à leurs
occupants français, de nouer quelques intrigues privées et une destinée collective,
d’ajouter un ballet et un cinquième acte pour que Verdi entrevît le grand opéra qu’il
pourrait créer au cœur de la capitale française. Voilà comment, de modifications en
modifications, Le Duc d’Albe devint Les Vêpres siciliennes ! Ce glissement ne demanda
pas de gros effort d’imagination : Scribe avait beaucoup aimé le drame de Delavigne
joué en 1819 à l’Odéon et dont il avait écrit et fait jouer une parodie la même année40.
Le livret de Scribe ne réjouit pas Verdi qui accepta mal que Giovanni da Procida
fût réduit à un conspirateur dégainant un couteau comme un vulgaire assassin. Eugène
Scribe, mécontent des reproches qu’on lui faisait, écrit dans la préface de son livret41 :
Malgré les réticences de Verdi, l’opéra fut créé non pas à la fin de 1854 comme
prévu mais six mois plus tard, le 13 juin 1855. Le succès fut immense dès la première,
en présence de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie qui restèrent jusqu’au deuxième
bis. Le compositeur italien, dans la même année, fit traduire le livret pour que l’opéra
fût joué en décembre dans sa patrie et même dans son duché, Parme, occupé par les
Autrichiens. Mais la censure autrichienne veillait et dans le contexte bouillonnant du
Risorgimento, il n’était pas question que les Vêpres siciliennes et Giovanni da Procida
échauffassent encore plus les esprits. Qu’à cela ne tienne, sur les conseils de Scribe,
l’opéra changea de nom : il devint Giovanna de Guzman, et l’action fut déplacée au
XVIIIe siècle au Portugal occupé par les Espagnols.
Verdi, en dépit de ses colères contre son librettiste, ne s’était pas trompé en
faisant jouer cet opéra à l’esprit révolutionnaire. La libération de la Sicile du « giogo
francese »42 après le soulèvement des Vêpres, et les guerres entre grandes puissances
pour occuper la place dans ce XIIIe siècle qui marque la fin des croisades et une intense
activité spirituelle liée à saint François d’Assise, saint Thomas d’Aquin, saint Antoine
de Padoue, est restée dans la mémoire de l’Europe comme un événement majeur et
symbolique. L’Italie du XIXe revendiquait, bien entendu, la révolte sicilienne comme le
premier acte, ou en tout cas un acte inspirant, de l’unification de la péninsule. Le
Risorgimento puisa dans la révolte sicilienne du XIIIe siècle « un canovaccio ideale per
quei patrioti italiani che cercavano nel passato le radici dell’unità nazionale »43 [une
trame idéale pour ces patriotes italiens qui cherchaient dans le passé les racines de
l’unité nationale]. Mais il n’y eut pas que l’Italie à s’emparer des Vêpres. La France
post révolutionnaire et romantique s’en appropria ainsi que de son héros, Giovanni da
Procida. Au théâtre et en littérature, deux œuvres ont vu le jour presqu’au même
42
Michele AMARI, La Guerra del Vespro Siciliano, op. cit.
43
Sergio ROMANO, « I vespri dal risorgimento a oggi », Corriere della sera, 20 mars 2011.
Le vrai Giovanni da Procida, celui des premiers textes, celui des historiens, a
laissé dans la mémoire collective la place à son avatar des tréteaux, héros qui incarne le
soulèvement sicilien, qui libère le pays. C’est ce Procida-là dont avait besoin l’Italie du
Risorgimento, alors que la France de l’après-Révolution ne donnait pas une image
flatteuse de lui. Dans son texte, Delavigne le traite en anti-héros devant les ennemis
français. Mais le dramaturge fit bien attention de distinguer la bonne France de saint
Louis d’avec les mauvais Français du royaume de Sicile qui l’occupaient de manière
inique et barbare.
La peinture de Hayez est une autre démonstration qu’à travers les Vêpres, c’est
de la nouvelle nation dont il est question. Cette Sicilienne représentée dans le tableau de
1822, évanouie, le sein découvert, ce n’est plus la dame outragée par le soldat Drouet,
c’est l’Italie, mère au sein nourricier, agressée mais déjà vengée : le soldat étranger git à
terre, mortellement touché alors que le héros tient bravement l’épée ensanglantée.
L’allégorie est évidente, que le peintre reproduit à deux reprises encore, signe que le
thème connaît un grand succès.
Certes, Giovanni da Procida et les Vêpres ne furent pas seuls à galvaniser les
peuples d’Italie. Le Nabucco et l’Ernani46, de Verdi, avaient largement contribué à
44
Casimir DELAVIGNE, Les Vêpres sicilienne [en ligne], op. cit.
45
Etienne-Léon de LAMOTHE-LANGON, Jean de Procida, ou les Vêpres siciliennes, Paris, Chaumerot,
1821.
46
Pierre MILZA, Verdi et son temps, op. cit.
47
Luigi ORSINI, Giuseppe Verdi, Torino, SEI, 1965. Des graffiti ont également commencé à apparaître à
partir de 1849 sur les murs de grandes villes italiennes où l’on pouvait lire « Viva Verdi ». Mais le mot
Verdi n’aurait pas été, dans la plupart des cas, un acronyme de « Viva Vittorio Emanuele Re d’Italia ». Il
le fut à Rome, le 17 février 1859, lors de la représentation de Un ballo in maschera.
48
Le 30 mai 1860, la bataille de Palerme a pris fin avec la victoire de Garibaldi activement épaulé par la
population qui ne voulut pas d’un armistice mais au contraire répondit « guerra ! guerra ! » pour que les
Bourbon fussent chassés de Sicile. Claudio MANCUSO, « Il potere del passato e il suo utilizzo politico. Il
caso del sesto centenario del vespro siciliano » [en ligne], Mediterranea ricerche storiche, op. cit.
La révolte des Siciliens qui commença sur le parvis de l’église Santo Spirito, le
30 mars 1282, s’étendit très vite au reste de l’île et, dans le dernier bastion des
Angevins, Messine, le 28 avril 1282, le massacre des Français se poursuivit et fut plus
cruel encore selon une chronique florentine des XIIIe et XIVe siècles52, mais les
recherches contemporaines précisent que la plupart des Français, lors du soulèvement
des Messinois, avaient eu le temps de se réfugier dans le château de Mategriffon 53, et ce
fut uniquement la flotte angevine qui fut incendiée et détruite :
49
AA. VV., Les Princes angevins du XIIIe au XVe siècle ; un destin européen, Rennes, Presses Univ. de
Rennes, coll. « Collection « Histoire » », 2003.
50
Michele AMARI, Sulla origine della denominazione Vespro Siciliano [en ligne], Palermo, Tipografia
dello Statuto, 1882, URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k850173p/f1.image, consulté le 23 mars
2019, p. 11.
51
Date de la création du royaume des Deux-Siciles par les Bourbons-Sicile.
52
Ricordano MALISPINI, Giacotto MALISPINI, Giovanni MORELLI, Istoria fiorentina, Firenze, Stamperia
di S. A. R. Per Gio: Gaetano Tartini, e Santi Franchi, 1718, p. 194.
53
Steven RUNCIMAN, Les vêpres siciliennes : une histoire du monde méditerranéen à la fin du XIIIe
siècle, Paris, Les belles Lettres, 2008, p. 206-207.
Sire, nous vous faisons savoir que l’île de Sicile est révélée contre
nous ; laquelle chose nous pourrait tourner à grand dommage si
nous n’y mettions hâtif conseil : et pour cela, beau neveu, nous
avons très grand besoin d’avoir avec nous grande quantité de
bonnes gens d’armes [...].
Le but de Charles était de constituer une grande force afin de frapper de manière
décisive les rebelles siciliens. Cette constitution d’une armée du prince angevin peut
être considérée comme le premier acte d’une guerre de reconquête qui allait durer vingt
ans. À ce qu’il restait des navires appareillés pour une attaque contre Constantinople se
joignirent les forces des frères de Philippe III, Pierre d’Alençon et Robert d’Artois, avec
54
Marco VENDITTELLI, « Elite citadine : Rome aux XIIe-XIIIe siècles » [en ligne], dans Actes des
congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, présenté à Les élites
urbaines au Moyen Âge, Roma, Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public,
1996, URL : https://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1997_act_27_1_1698, consulté le 20 avril
2019. « Jusqu'en 1196, sauf exception, la Commune de Rome fut régulièrement gouvernée par un large
collège de sénateurs, puis on passa au gouvernement d'un sénateur unique, enfin à partir de 1238, la
charge fut assumée par deux magistrats. À la différence des podestats des Communes d'Italie centro-sep-
tentrionale, la charge de sénateur était réservée aux citoyens romains et le recours à un magistrat étranger
ne fut qu'exceptionnel. »
55
Lettre datée du 9 mai 1282 et conservée aux Archives nationales. Alexis Guignard (de) SAINT-PRIEST,
Histoire de la conquête de Naples par Charles d’Anjou, frère de saint Louis [en ligne], vol. 4, Paris,
Amyot, 1849, URL : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31284469j, consulté le 12 janvier 2020.
Ainsi donc, au sud de Messine, une grande partie de l’armée royale empêchait le
ravitaillement de la ville depuis Catane et Syracuse, et au nord, Milazzo était occupée
par les Français, de manière à former une tenaille destinée à faire tomber la ville. Enfin,
pour compléter le dispositif, sur les hauteurs à l’ouest, des catapultes étaient installées
pour la bombarder. Prendre Messine eut été chose aisée, mais Charles I er préféra la voie
56
Steven RUNCIMAN, Les vêpres siciliennes : une histoire du monde méditerranéen à la fin du XIIIe
siècle, op. cit.
57
L’abbaye de Roccamadore fut fondée par la famille normande De Luci (dont on trouve un site internet
qui lui est consacrée) au XIIe siècle. « Bartholomew [De Luci] founded the Cistercian Abbey of Santa
Maria di Roccamadore in Tremestieri near Messina, based on the French model of Saint Mary of Roca -
madour near Quercy. » [Bartholomew [De Luci] a fondé l'abbaye cistercienne de Santa Maria di Rocca-
madore à Tremestieri près de Messine, sur le modèle français de Sainte-Marie de Rocamadour près du
Quercy.]
Norman LUCEY, « The Lucey and Lucy family history web page » [en ligne], The Lucey and Lucy family
history web page, URL : https://www.rickmansworthherts.com/webpage56.htm, consulté le 17 mai 2020.
58
Alaimo da Lentini était un notable messinois. Il commence sa carrière politique en tant que conjuré
contre le roi souabe Manfred, en 1254. Exilé, il prend parti pour les Angevins et en 1268 il participe à la
répression contre les fidèles de Conradin (petit-fils de Frédéric II de Souabe). Jusqu’aux Vêpres sici-
liennes, il occupe différents postes proposés par le roi Charles d’Anjou. Mais à partir de sa nomination
par le peuple de Messine, en tant que capitaine de la ville, il organise la défense messinoise avec succès.
Pendant ce siège de Messine, Pierre d’Aragon, avec des forces bien inférieures à
celles des Français, rejoignait Palerme et ordonnait, comme première mesure, le
recrutement d’hommes dans toute la Sicile pour la défense de la capitale sicilienne.
59
Le roi français ne voulait pas s’enliser devant les murs de Messine pendant l’hiver, fondant ses espoirs
dans une reprise de l’île au printemps suivant.
60
Il s’agit des musulmans de Sicile déportés à Lucera dans les Pouilles par Frédéric II à partir de 1223
jusqu’en 1246.
61
Les Almogavres étaient des combattants irréguliers alliés des Aragonais durant la Guerre des Vêpres.
On les retrouva par la suite à la solde de Byzance contre les Turcs. Un rituel particulièrement bruyant
avant les combats terrorisait les ennemis. Ce fut le cas en 1300, dans la bataille de Gagliano en Sicile, où
trois cents Almogavres défirent la cavalerie française.
Charles, qui ne pouvait renoncer à ce titre de roi de Sicile 62 offert par le pape
près de vingt ans auparavant, organisait sa flotte avant d’envahir l’île. Cela était prévu
pour l’été 1283, profitant d’une absence de Pierre III, retourné dans son royaume
aragonais. Auparavant, le frère de saint Louis voulait traiter le problème de Malte qui
s’était elle aussi rebellée contre les Angevins au moment des Vêpres siciliennes. Une
garnison française était toujours assiégée par la population locale dans le Castrum
Maris, forteresse qui garde l’entrée du port de Malte (Grand Harbour). La petite île
méditerranéenne revêtait une importance stratégique puisqu’elle contrôlait la route
maritime entre la Sicile et l’Espagne. Se rendre maître de Malte pourrait gêner
considérablement les Aragonais.
62
Le trône de Sicile, depuis les rois normands, comprenait la Sicile et tout le sud de la péninsule italienne,
jusqu’aux Abruzzes avec Palerme comme capitale, puis Naples en 1266 avec l’arrivée des Anjou. Ce
n’est qu’après 1282 que le royaume de Sicile fut séparé en deux, partageant le plus souvent le même nom,
mais par commodité, la partie continentale fut appelée royaume de Naples. Lors de l’unification par les
Bourbons, on appela le territoire royaume des Deux-Siciles, de 1816 à 1861.
63
Ruggiero di Lauria, amiral d’origine italienne au service de Pierre III d’Aragon. Sa mère avait été la
nourrice de Constance de Souabe, petite-fille de l’empereur Frédéric II Hohenstaufen et reine d’Aragon.
Ruggiero di Lauria, né vers 1245, est mort en 1304 en Catalogne.
64
Filippo PAGANO, Istoria del regno di Napoli [en ligne], vol. 2, Palermo, Tipografia Stampinato, 1835,
URL : https://books.google.fr/books?
id=d205AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=it&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f
=false, consulté le 5 mars 2020.
Alors que sur le continent les préparatifs se poursuivaient, le 5 juin 1284, une
nouvelle attaque surprise de la flotte siculo-aragonaise avec à leur tête l’amiral Ruggiero
di Lauria, dans le golfe de Naples, mit à mal la flotte française. Pire, dans cette bataille
navale, le prince Charles, fils de Charles I er et futur Charles II, fut capturé, emmené à
Barcelone où il resta captif quatre ans. Son père, auquel il ne restait que six mois à
vivre, était furieux car cette capture n’était due qu’à l’imprudence du prince. Charles I er
maudit son fils et nomma quelques temps plus tard un régent, Robert, comte d’Artois,
chargé d’assurer l’interrègne à sa mort, en attendant que son fils fût libéré ou que son
petit-fils, Charles-Martel, atteignît l’âge requis pour monter sur le trône. Cette
disposition avait été validée par le pape qui devait en surveiller la bonne exécution.
Nous n’allons pas dans le détail aborder la suite des événements guerriers qui
durèrent jusqu’en 130266. Il nous a paru d’intérêt d’étudier de manière plus fine les deux
premières années de cette guerre car elles ont décidé de la suite du conflit. Malgré toutes
leurs tentatives, Charles Ier et ses successeurs ne purent revenir sur le trône de Sicile
insulaire. Le soutien de Rome, qui alla jusqu’à excommunier non seulement le roi
d’Aragon mais toute la population sicilienne, qui fournit l’argent de la guerre et qui
65
« Charles wrote to the seneschal of Provençe from Reggio in November 1282 and ordered him to as-
semble a fleet composed entirely of men and ships from southern France. In this letter, he orders twenty
well-armed galley and two thousand crossbowmen and spearmen to be assembled at Marseille ». [Charles
écrivit au sénéchal de Provence de Reggio en novembre 1282 et lui ordonna de constituer une flotte entiè-
rement composée d'hommes et de navires du sud de la France. Dans cette lettre, il ordonne de rassembler
à Marseille vingt galères bien armées et deux mille arbalétriers et lanciers].
Lawrence MOTT, « The battle of Malta, 1283 : prelude to a disaster » [en ligne], dans The Circle of War
in the Middle Ages: Essays on Medieval Military and Naval History, Woodbridge, The Boydell press,
1999, URL : https://books.google.fr/books?
id=twTwgmQgdywC&printsec=frontcover&hl=it&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q=b
attle%20of%20malta&f=false, consulté le 30 juin 2020.
Et Amatuccio, La Guerra dei vent’anni, op. cit., p. 34
66
Giovanni AMATUCCIO, La guerra dei vent’anni (1282-1302), gli eserciti, le flotte, le armi della Guerra
del Vespro, Salerno, Giovanni Amatuccio, 2017.
À l’aube de la quatrième année après les Vêpres, le 7 janvier 1285, dans son
dernier souffle, Charles fit une ultime prière à Dieu, Lui demandant de lui pardonner ses
péchés car il avait « pris le royaume de Sicile pour l’amour de la Sainte-Église et non
pour [son] propre profit ou bénéfice. » Cela reflétait la réalité puisque c’était sur
l’insistance des papes français Urbain IV et Clément IV que le plus jeune des enfants de
Blanche de Castille, destiné à la religion, et malgré la résistance de son frère Louis IX,
roi de France, accepta le trône de Sicile. C’était une manière de barrer la route au parti
gibelin et de mettre un terme à la domination de la maison impériale souabe sur une
partie de l’Italie.
Son ennemi, Pierre III d’Aragon ne lui survécut pas beaucoup : le 11 novembre
1285, il rendit l’âme, laissant l’Aragon à son fils aîné, Alphonse III, et la Sicile au cadet
Jacques II. À la suite de ces successions, deux grandes dates sont à retenir : le 20 juin
1295, avec le traité d’Anagni et le 31 août 1302 avec la paix de Caltabellotta qui mit fin
à la « Guerre des vingt ans ».
LE TRAITÉ D’ANAGNI
Le traité d’Anagni est une sorte de marché entre les grands royaumes en guerre
et la papauté aux dépens des Siciliens. Pour comprendre cela, il faut revenir au royaume
d’Aragon dont les successions sur le trône se précipitèrent. Peu après avoir succédé à
son père, Alphonse III disparaissait à son tour, en 1291, sans descendance, et c’est
naturellement son frère, celui-là même qui était le roi de Sicile, Jacques II, qui monta
sur le trône d’Aragon. Sans renoncer à Palerme, il nomma comme lieutenant de Sicile
son frère Frédéric. Mais, entre 1291 et 1295, Jacques II commença à changer de
politique. La guerre contre les Anjou et leurs alliés coûtait cher et le roi d’Aragon
cherchait une voie pacifique qui eut contenté tout le monde, sauf les Siciliens. Des
négociations furent menées entre les belligérants et le pape Boniface VIII. En substance,
Jacques II et Charles II remettaient entre les mains du pape le royaume de Sicile. En
LA PAIX DE CALTABELLOTTA
En 1302, vingt ans après les Vêpres siciliennes, la paix fut enfin signée, malgré
le pape qui jusqu’au bout alimenta en deniers la levée de nouvelles armées. Il
convainquit Charles de Valois, frère du roi de France Philippe le Bel, de mener une
expédition en Sicile. Fin mai 1302, avec une armée forte de près de trente mille
hommes, il débarqua près de Termini Imerese, à quarante kilomètres de Palerme. Cette
force aurait dû permettre de mettre à genou Frédéric III. Celui-ci observait l’ennemi
depuis Polizzi, sur les hauteurs du massif des Madonies. Il n’eut pas grand-chose à faire,
sinon à attendre que la chaleur estivale fît son œuvre sur l’armée française. Et, en effet,
des conflits entre soldats italiens et français qui composaient la troupe de Charles de
Valois firent de nombreux morts. Quelques vaines tentatives de faire tomber des villes
proches de Palerme ruinèrent un peu plus le moral des Français. Enfin des difficultés
d’approvisionnement, des épidémies et des événements en France finirent par
convaincre le frère du roi de France de mettre fin au conflit 68. Entre le 24 et le 31 août
67
Avec cette licentia invadendi, Boniface VIII, entendait mettre fin aux quatre Giudicati sardi, qui chacun
gouvernait une région de Sardaigne. La guerre se serait ainsi déplacée de Sicile vers les deux autres
grandes îles de la Méditerranée, la Sardaigne et la Corse. Toutefois, l’entreprise mit plusieurs dizaines
d’années avant que le nouveau royaume fût soumis.
68
Un autre élément à ne pas négliger dans ce renoncement à la guerre en Sicile tenait à la politique fran-
çaise. Le désaccord de Philippe le Bel avec le pape sur une question d’autorité (bulle Unam Sanctam) ren-
L’idée d’un duel entre les deux rois germa dans l’esprit de Charles I er dès la fin
de l’année 128270. La guerre qui ne faisait que commencer avait déjà provoqué de
grandes pertes sans pourtant donner un avantage à l’un ou l’autre camp. Charles ne
parvenait pas à reconquérir la Sicile et Pierre s’épuisait à défendre sa couronne. Le roi
angevin décida en conséquence d’envoyer un émissaire, un moine, Simon de Lentini,
proposer au roi d’Aragon, un combat facie ad faciem entre les deux souverains sur un
terrain neutre. Méfiant, Pierre III accepta tout en prévenant que la guerre se poursuivrait
jusqu’au jour du duel. La date fut fixée au 1er juin de l’année suivante à Bordeaux,
capitale du duché d’Aquitaine sous domination anglaise. Il était difficile pour les deux
belligérants de se soustraire à ce pacte qui confiait à l’autorité suprême, Dieu, le
jugement dans ce conflit. Un combat singulier, à armes égales devait forcément
déboucher sur une décision divine : le gagnant pouvait dès lors se revendiquer roi de
Sicile par la volonté divine. Les deux rois, très pieux, semblaient y croire bien qu’en
réalité le combat ne pouvait pas être équitable. Pierre d’Aragon était âgé d’un peu plus
de quarante ans, en pleine possession de ses moyens physiques, alors que Charles
dait difficile la présence de Charles de Valois en Sicile au nom même de ce pape. Par ailleurs, les difficul-
tés de la France en Flandres nécessitaient que Charles rejoignît son pays pour rétablir l’ordre.
69
Selon l’accord de paix de Caltabellotta, la création du royaume de Trinacrie comprend la Sicile et
toutes les petites îles qui l’entourent. Le royaume de Sicile est quant à lui réduit au sud de l’Italie conti-
nentale avec pour capitale Naples, mais par commodité, on dit le plus souvent royaume de Naples.
70
Charles estimait qu’il avait « gagné » le royaume de Sicile par la force et au nom du pape, et Pierre III
s’en estimait le légitime héritier (au nom de son épouse, descendante en ligne directe des rois souabes de
Sicile).
Toutefois, les deux rois firent mine de vouloir poursuivre le processus. Charles
remit à son fils la régence de ses terres italiennes et commença, très lentement, son
voyage vers Bordeaux. Il fit une visite de ses fiefs, un arrêt à Rome, un autre à Paris où
son neveu le roi de France l’accueillit en grandes pompes. De son côté, Pierre d’Aragon
pensait nécessaire de conforter sa situation militaire avant de se mettre en route et
investit Reggio de Calabre. Pour mettre en bon ordre ses affaires siciliennes, il nomma
son épouse, Constance, régente du royaume de Sicile, aidée par Alaimo de Lentini,
« grand justicier » (premier ministre), Giovanni da Procida, « grand chancelier »
(rédaction des documents), et Roger de Laurie, « grand amiral ». Après cela, il se mit en
chemin sans négliger de visiter la moindre de ses terres. Vers la fin mai il quitta Valence
en Espagne pour se présenter modestement sur le lieu du duel. Charles arriva également,
mais accompagné du roi de France et de nombreux chevaliers. Le 1 er juin approchait.
Un terrain fut trouvé, mais le roi d’Angleterre détourna le regard et ne délivra pas de
sauf-conduits aux protagonistes. Quand le jour du combat arriva, chacun alla sur le
terrain, mais comme judicieusement on avait oublié de fixer une heure précise pour la
rencontre, Pierre s’y rendit le matin, fit constater par sa délégation que son opposant n’y
était point et qu’en conséquence la victoire lui revenait. Charles, lui, s’y rendit l’après-
midi, et pareillement fit constater qu’il était vainqueur par abandon. Dieu n’ayant pu
désigner un vainqueur, il fallait bien que la guerre continue et le pape le premier s’y
employât.
71
Giovanni VILLANI, Nuova Cronica [en ligne], vol. 3, Fondazione Pietro Bembo, Parma, Ugo Guanda,
1991, URL : http://www.letteraturaitaliana.net/pdf/Volume_2/t48.pdf, consulté le 12 novembre 2018.
72
Vincenzo D’ALESSANDRO, Politica e società nella Sicilia aragonese, Palermo, U. Manfredi, 1963.
73
Giuseppe DEL RE, Cronisti e scrittori sincroni napoletani, vol. 2, Napoli, Stamperia dell’Iride, 1868.
La chronique de Bartolomeo da Neocastro, page 425, relatant l’exécution de Conradin, a des accents ex-
trêmement émouvants.
Ce fut une fin peu glorieuse pour ce pape que Dante rangea en Enfer parmi les
simoniaques. La France se prépara quelques semaines avant la mort de Boniface à
organiser un concile afin de le destituer pour l’assassinat de son prédécesseur, violation
du secret confessionnel, négation de l’immortalité de l’âme, simonie, hérésie,
sodomie… Tandis qu’à Rome, sa faiblesse le laissa aux mains des Colonna dont il fut le
captif violemment humilié durant ses derniers jours de vie.
Tout n’est certes pas conséquences des Vêpres siciliennes, mais celles-ci ont
contribué fortement à ce nouvel état dans lequel était plongé la papauté qui perdit pas
mal d’autorité sur les monarchies européennes après l’épuisante « Guerre des vingt
ans ». Runciman, dans la préface de son livre Les Vêpres siciliennes77, écrit :
Si, lors de la révolte des Siciliens, Charles était enclin à penser qu’il s’agissait-là
d’un mouvement local, Philippe III était persuadé, à juste titre, que dernière tout cela il
y avait l’Aragon. Une ambassade partie de Paris s’était rendue auprès de Pierre III
d’Aragon pour le prévenir qu’une action contre Naples déclencherait une guerre franco-
aragonaise. Cette guerre eut lieu, mais en 1284. La France la voulait et le pape Martin
IV la justifia : il déclara la guerre « sainte » (le roi d’Aragon était déjà excommunié
depuis 1282), retira sa couronne à Pierre III, son vassal, et la remit à Charles de Valois,
fils de Philippe III et d’Isabelle d’Aragon.
78
Des recherches récentes permettent de douter de cette version des faits, sans toutefois pouvoir les dé-
mentir. Charles LONGNON, « Charles d’Anjou et la croisade de Tunis », Journal des savants, 1974.
1.2.3 L’Aragon
Pierre III, mourut peu de temps après le roi français, le 11 novembre 1285. La
succession redistribua les cartes, mais pour quelques mois seulement. Cette année 1285
vit mourir les principaux acteurs du conflit sicilien : les rois Philippe III, Charles Ier,
Pierre III et le pape Martin IV.
Pour l’Aragon, l’entrée dans le jeu date d’avant la révolte de Palerme. Pierre III,
bien que feudataire du pape, n’était pas disposé à laisser la couronne de Sicile à Charles
d’Anjou, comme l’avait décidé son suzerain. Il avait de bonnes raisons à cela : son
épouse, la reine Constance était une Hohenstaufen, petite-fille de l’empereur Frédéric II,
donc, du point de vue aragonais, héritière du trône de Sicile. À la cour d’Aragon, dès
1269, au temps du règne de Jacques Ier, on cherchait des alliés du côté des gibelins de
Lombardie et de Toscane prétextant du droit de l’infant Pierre à la couronne de Sicile
qui ad se dicit pertinere pro uxore eius79.
Conscient des forces en présence, Pierre III n’était pas convaincu qu’une action
directe et franche fût d’une grande efficacité. Il agit donc secrètement. Certes, la
formation d’une gigantesque flotte ne pouvait passer inaperçue aux yeux des autres
monarques. Le roi d’Aragon jura, chaque fois que la question lui était posée, que cette
flotte était destinée à la guerre contre les Maures, en Afrique. Le pape restait méfiant et
le roi de France soupçonneux. Seul Charles d’Anjou, tout à ses préparatifs de guerre
contre Constantinople80, ne voyait pas le danger venir.
Les événements d’avril 1282 en Sicile surprirent toutefois les Aragonais. S’ils
comptaient sur la révolte des Siciliens pour agir (ce qui tend par ailleurs à prouver qu’un
complot, au moins au niveau diplomatique, avait été décidé), ils ne s’attendaient pas
79
Salvatore TRAMONTANA, Gli anni del Vespro : l’immaginario, la cronaca, la storia, Bari, Edizioni
Dedalo, coll. « Storia e civiltà » 25, 1989.
80
Aude RAPATOUT, « Charles Ier d’Anjou, roi d’Albanie. L’aventure balkanique des Angevins de Naples
au XIIIe siècle » [en ligne], Hypothèses, vol. 9, n° 1, 2006, URL : https://www.cairn.info/revue-hypo-
theses-2006-1-page-261.htm, consulté le 12 juin 2020.
L’Aragon resta du côté des Siciliens jusqu’en 1295. Elle eut à lutter non
seulement sur les terres du Mezzogiorno italien, mais également sur son sol contre
l’armée française à laquelle s’était allié le propre frère du roi aragonais, Jacques II, roi
de Majorque. Après 1295 et une nouvelle succession à Barcelone (en 1291), l’Aragon
passa dans le camp adverse et mena la guerre aux côtés des Anjou contre le roi que
s’étaient choisis les Siciliens, Frédéric III, frère du roi d’Aragon.
81
Avec « l’invention » du purgatoire, les indulgences deviennent plus nombreuses à partir du XIIIe siècle.
L’indulgence permettait d’éviter une pénitence terrestre après un péché, sans pour autant l’expier au pur-
gatoire. Cette assurance pour le paradis avait un coût dont les papes fixaient le montant à leur conve -
nance. Ce coût pouvait aller jusqu’à la mort au combat, mais au Moyen-Âge, la peur du purgatoire était
plus forte que la peur de la guerre.
Charles Marie de LA RONCIÈRE, « Les concessions pontificales d’indulgences d’Honorius IV à Urbain V
(1285-1370) : leur portée pastorale. Jalons pour une enquête » [en ligne], dans Religion et mentalités au
Moyen Âge : mélanges en l’honneur d’Hervé Martin, Rennes, Presses Universitaire de Rennes, 2015,
URL: https://books.openedition.org/pur/19837?lang=it, consulté le 15 avril 2020.
82
Michele AMARI, La Guerra del Vespro Siciliano, Palermo, Flaccovio, 1969, p. 151.
Les Vêpres siciliennes ne firent qu’empirer une situation que l’ensemble des
villes d’Italie connaissait depuis des décennies.
1.2.5 Constantinople
L’empire byzantin, bien malgré lui, fut contraint de participer à sa manière à la
révolte des vêpres. Victime depuis plus d’un siècle des attaques occidentales,
Constantinople était devenue une proie facile, et c’est cette faiblesse causée par
l’Europe qui signa la fin de l’empire romain d’orient en 1453 devant les Ottomans. Mais
au XIIIe siècle, le dernier grand empereur byzantin Michel VIII Paléologue avait repris
Constantinople aux Francs, défait l’éphémère Empire latin d’Orient (1204-1261) pour
reconstituer l’Empire romain d’Orient. Il s’était fait couronner empereur à Sainte-
Sophie. La capitale, après ces soixante ans de règne franc était en ruine, et avant même
de songer à renforcer ses frontières, Michel VIII procéda à la rénovation de la ville83.
83
Jacques HEERS, Chute et mort de Constantinople (1204-1453), Paris, Perrin, 2005.
84
Aude RAPATOUT, « Charles Ier d’Anjou, roi d’Albanie. L’aventure balkanique des Angevins de Naples
au XIIIe siècle » [en ligne], Hypothèses, op. cit.
85
Florence SAMPSONIS, « La place de la Morée franque dans la politique de Charles Ier d’Anjou (1267-
1285) », Revue des études byzantines, n° 69, 2011.
La conspiration du lundi de Pâques 1282 n’était pas que le fait des Siciliens.
Nous verrons plus loin le rôle qu’a pu y jouer Giovanni da Procida, qui traitait d’une
part avec l’Aragon pour une action militaire, mais aussi avec Constantinople qui fournit
les deniers de la révolte. Ce fut pour l’Empire d’Orient le moyen qu’il avait de
participer à ce conflit dont le but, pour lui, était d’affaiblir Charles I er et d’éviter ainsi
une guerre aux portes de Constantinople.
Le premier des Anjou, Charles, frère de saint Louis, était destiné à la religion.
Dernier né de la fratrie, son destin ecclésiastique s’évanouit après la mort de deux de ses
frères : il fallait bien répartir les domaines de la maison royale. Ainsi Louis devint roi de
France ; Robert prit l’Artois ; à Alphonse revint Poitiers, la Saintonge, l’Auvergne et
Toulouse ; enfin Charles réunit sous son autorité le Maine et l’Anjou, deux comtés qui
n’auraient pas permis d’envisager un destin européen, qu’il reçut en cadeau de noce lors
de son mariage avec Béatrice de Provence. Grâce à cette union, il put ajouter les
comtats de Provence, avec ses villes libres de Marseille, Arles, Avignon…, et de
Forcalquier. Ce comté de Provence était riche de promesses. Encore fallait-il mettre au
pas les grandes villes presque indépendantes. Charles avec persévérance mit en place
86
AA. VV., Les Princes angevins du XIIIe au XVe siècle ; un destin européen, op. cit.
87
Patrick GILLI, « L’intégration manquée des Angevins en Italie : le témoignage des historiens », dans
L’État angevin. Pouvoir, culture et société entre XIIIe et XIVe siècle, vol. 245, Roma, École Française de
Rome, 1995.
Après la Sicile, Charles tourna son regard vers l’Orient. Il se proclama roi de
l’Albanie qui était sur le chemin de Constantinople ; puis prince de Morée (ou Achaïe,
88
Dans son Purgatoire, Dante rencontre Manfred qui lui raconte comment, avec l’accord du pape,
l’évêque de Cosenza a violé son tombeau, s’est emparé de sa dépouille pour l’ensevelir hors du royaume,
dans un lieu toujours inconnu. Dante ALIGHIERI, La Divine Comédie. Purgatoire, Arles, Actes Sud, 2018,
bilingue, trad. de Danièle ROBERT, chant III, v. 103-145.
89
Steven RUNCIMAN, Les vêpres siciliennes : une histoire du monde méditerranéen à la fin du XIIIe
siècle, op. cit. page 118. Le traducteur de Runciman commet une erreur de date : Dante n’a pas écrit un
siècle plus tard son Purgatoire, mais en 1314, soit à peine quarante-six ans après l’exécution de Conradin.
L’auteur avait écrit : « To Dante, writing half a century later, Conradin was an innocent… »
90
Jules MICHELET, Histoire de France, vol. 3, Livre V, chapitre I, Paris, A. Lacroix & G, 1876.
91
Adam de la HALLE, « Le roi de Sicile » [en ligne], dans Œuvres complètes, Paris-Genève, E. De Cous-
semaker, 1872, URL : https://openmlol.it/media/adam-de-la-halle/oeuvres-complètes-poésies-et-musique-
reproduction-en-fac-similé-adam-de-la-halle-publ-par-e-de-coussemaker/1369422, consulté le 22 février
2018.
Petit à petit, toutes les charges du royaume furent occupées par des Français, ce
qui attisa plus encore la haine des insulaires envers leur occupant. Pendant ces seize
années de pouvoir français tout concourait à ce qu’une simple étincelle fît exploser le
chaudron sicilien.
100
Dans un échange épistolaire que nous avons eu avec l’historien sicilien Pasquale Hamel, celui-ci écri-
vit : « la congiura è indipendente da Pietro d’Aragona. Essa è ordita dai nobili [siciliani] e dai bizantini,
quest’ultimi vogliono evitare che Carlo prenda il mare per raggiungere Bisanzio. »
101
À la fin de sa vie, il aurait écrit un essai philosophique, le Liber philosophorum moralium antiquorum,
qui ne fait aucune référence aux Vêpres siciliennes. Traduit en français autour de 1400 par Guillaume de
TIGNONVILLE, Les dits moraux des philosophes [en ligne], URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/
btv1b90616700.image, consulté le 12 juin 2020. Texte manuscrit.
Il écrivit également des ouvrages de médecine, dont le Utilissima Practica Medica ; Salvatore DE RENZI,
Storia della medicina in Italia, vol. II, Napoli, Tipografia del Filiatre-Sebezio, 1845, p. 128.
102
Ermolao RUBIERI, Apologia di Giovanni di Procida, Firenze, Tipografia Barbera, Bianchi e C., 1856.
103
Ibid.
Ce que l’on sait de manière certaine, c’est que Procida rejoignit Palerme après
les Vêpres, au service de Pierre III. Celui-ci le nomma le 4 mai 1283 chancelier du
royaume de Sicile, et confirma cette nomination le 31 janvier 1284107 :
104
Salvatore FODALE, article « Giovanni da Procida » [en ligne], dans Treccani, coll. « Dizionario
Biografico degli Italiani », URL : http://www.treccani.it/enciclopedia/giovanni-da-procida_
%28Dizionario-Biografico%29/, consulté le 20 juin 2019.
105
C’est le cas de Niccolò Speciale, de Bartolomeo da Neocastro ou de Dante Alighieri. Salvatore
TRAMONTANA, Gli anni del Vespro : l’immaginario, la cronaca, la storia, op. cit.
106
Steven RUNCIMAN, Les vêpres siciliennes : une histoire du monde méditerranéen à la fin du XIIIe
siècle, op. cit. page 276.
107
Antonino MARRONE, « Repertorio degli atti della Cancelleria del Regno di Sicilia dal 1282 al 1390 »
[en ligne], Mediterranea ricerche storiche, Fonti e documenti, 2012, URL :
www.mediterranearicerchestoriche.it, consulté le 21 janvier 2019.
On mesure la perte pour les historiens car Naples concentrait une somme de
documents considérable venant de l’ensemble du royaume, Sicile comprise.
Heureusement, des historiens du XIXe siècle, dans leur appétit de revenir aux sources de
l’histoire des Vêpres, avaient pu documenter et reproduire un certain nombre de
documents. On sait que les périodes souabes puis angevines disposaient de greffes très
structurés109 qui avaient permis la collecte d’innombrable écrits administratifs 110.
Beaucoup, dont certains encore inexploités, auront été réduits en cendre pendant ces
bombardements de 1943.
109
Stefano PALMIERI, « La chancellerie angevine de Sicile au temps de Charles Ier », Rives nord- médi-
terranéennes, n° 28, 2007, trad. de Jean-Paul BOYER.
110
Andreas KIESEWETTER, « La cancelleria angioina », dans L’État angevin. Pouvoir, culture et société
entre XIIIe et XIVe siècle, vol. 245, Roma, Ecole française de Rome, 1995.
111
Michele AMARI, Sulla origine della denominazione Vespro Siciliano [en ligne], op. cit.
112
Jacqueline MALHERBE-GALY, Jean-Luc NARDONE, Les vêpres siciliennes : le complot de Jean de Pro-
cida, op. cit. Traduction en français enrichie de notes historiques. Selon les textes, on trouve l’ortho-
graphe Rubellamentu ou Rebellamentu.
Les fautes que relève Molinier se situent dans la partie du livre qui traite des
années cinquante du XIIIe siècle. Bartolomeo da Neocastro était un tout jeune enfant à
cette époque ; lorsqu’il écrit cette partie-là des années plus tard, ce n’est pas en tant que
témoin direct, d’où quelques erreurs de date ou de filiation chez Frédéric II
Hohenstaufen. Par ailleurs, bien que « gibelin violent », il a servi la maison angevine de
1266 à 1282, sans se compromettre, et continua sa charge officielle sous la dynastie
aragonaise.
113
Ibid. P 23. « S’agissant d’une copie de la fin du XIV e – voire pour certains du début du XVe –, le débat
qui occupe les philologues est de savoir si c’est une copie de l’original sicilien, ou une traduction en sici -
lien d’une autre version, par exemple en langue toscane : le vif débat entre guelfes et gibelins, on l’a vu, a
en effet donné lieu très vite à un texte en toscan. »
114
Ibid.
115
Ibid.
116
Auguste MOLINIER, « Bartholomeus de Neocastro, Historia Sicula », dans Les Sources de l’Histoire
de France : des origines aux guerres d’Italie, 1494. III. Les Capétiens, 1180-1328, vol. 3, Paris, Alphonse
Picard & Fils, 1903. Note 2776.
Pour ne s’en tenir qu’aux quatre chroniques de références, telles que les a
définies Pietro Colletta, enseignant à l’université de Palerme120, outre celle de
Bartolomeo da Neocastro, il faut citer comme sources fiables de l’époque : La Chronica
Sicilie (auteur anonyme), L’Historia Sicula de Nicolò Speciale et L’Historia Sicula de
117
Giuseppe DEL RE, Cronisti e scrittori sincroni napoletani, op. cit., p. 411.
118
Ibid. p. 429.
119
Francesco Paolo TOCCO, « Ideologia e propaganda nell’età del Vespro : lo scambio epistolare tra
Palermo e Messina secondo Bartolomeo di Neocastro », dans Comunicazione e propaganda nei secoli
XII-XIII, Messina, op. cit.
120
Pietro COLLETTA, « Sull’edizione della Cronica Sicilie di anonimo del trecento » [en ligne],
Mediterranea ricerche storiche, n° 5, 2005, URL : http://www.storiamediterranea.it/portfolio/n-5-
dicembre-2005/, consulté le 23 décembre 2019.
Au XIVe siècle, les « Tre Corone » italiens, Dante, Pétrarque et Boccace ont
également écrit sur les Vêpres. Dante avait dix-sept ans au moment de l’émeute
palermitaine. Dans La Divine comédie 124
, s’il décrit le mauvais gouvernement de
Charles Ier, jamais il ne cite Giovanni da Procida. Toute son attention est centrée sur le
roi angevin, sa malhonnêteté au combat125 ou sur sa cruauté126:
Vicina huic Prochita est, parva insula, sed unde super magnus
quidam vir surrexit, Iohannes ille qui formidatum Karoli diadema
non veritus, et gravis memor iniurie, et maiora, si licuisset, ausurus,
ultionis loco habuit regi Siciliam abstulisse.xix
121
Pietro COLLETTA, « Memoria di famiglia e storia del regno in un codice di casa Speciale conservato a
Besançon », Reti Medievali, n° 14-2, 2013. Dans une note de bas de page, Pietro Colletta précise :
Michele da Piazza, Cronaca 1336-1361, a cura di A. Giuffrida, Palermo 1980. Di recente Marcello
Moscone ha dimostrato che Michele da Piazza è in realtà solo il nome di uno dei copisti dell’opera,
mentre Laura Sciascia ha proposto con argomentazioni convincenti l’identificazione dell’autore con
Giacomo de Soris, abate del monastero benedettino di S. Nicola l’Arena: si vedano M. Moscone,
L’Historia Sicula del cosiddetto Michele da Piazza (1337-1361), tesi di dottorato di ricerca in Storia
medievale (coordinatore prof. Pietro Corrao), Università degli Studi di Palermo, XVII ciclo (2002-2005),
p. XXVII-XXXI; Acta Curie Felicis Urbis Panormi, 7 (1340-42/1347-48), a cura di L. Sciascia, Palermo
2007, p. XXVIII-XXIX.
122
Ibid.
123
Marcello MOSCONE, L’historia sicula del cosiddetto Michele da Piazza, Università degli Studi,
Palermo, 2005.
124
Dante ALIGHIERI, La Divine Comédie, op. cit.
125
Enfer, chant XXVIII, vv. 16-18
126
Purgatoire, chant XX, vv. 67-69
127
Francesco PETRARCA, Itinerarium Syriacum, op. cit.
128
Giovanni BOCCACCIO, « De Carolo Siculorum rege », dans De casibus virorum illustrium, vol. 9,
Paris, Jean Petit, avant 1540.
129
Ludovico ARIOSTO, Orlando furioso, Milano, Garzanti, 1994, chant XXXIII, strophe 20.
130
Nicolas MACHIAVEL, Istorie fiorentine, Firenze, Felice Le Monnier, 1843.
Avec beaucoup de parti pris, Voltaire131, plus de deux siècles après Machiavel,
dans Essai sur les Mœurs et l’esprit des nations, revient par le détail sur l’histoire du
royaume de Sicile du XIIIe. Il s’apitoie sur Conradin :
On peut dire que de toutes les guerres de ce siècle, la plus juste était
celle que faisait Conradin ; elle fut la plus infortunée.
Tout en faisant porter la faute de son exécution sur le pape, ce qui n’est pas
attesté et relève certainement de la légende :
131
VOLTAIRE, « Charles d’Anjou, Mainfroi et Conradin », dans Essais sur les Mœurs et l’esprit des na-
tions, vol. 2, Paris, Lefèvre, 1829.
À côté de cette littérature, des auteurs siciliens proposaient les premiers livres
d’histoire sur la Sicile. Le premier dans l’ordre chronologique est le De rebus siculis
decades duae, du dominicain Tommaso Fazello132, publié pour la première fois en 1558.
Cet ouvrage, a été commenté dans une note de lecture d’Henri Fauser 133, laquelle
précise que le livre est « un sec résumé, où ne manquent pas les erreurs sur tout ce qui
n’est pas sicilien. ». La note de lecture porte uniquement sur le tome X de la série. Dans
le chapitre sur les Vêpres, Fazello penche pour le complot de Procida, comme le précise
Amelia Crisantino dans un article paru dans La Repubblica134 :
132
Tommaso FAZELLO, De rebus siculis decades duae, Palermo, Maida, 1560.
133
Henri HAUSER, Les Sources de l’histoire de France - Seizième siècle (1494-1610), Paris, Picard et fils,
1906.
134
Amelia CRISANTINO, « L’eroe del Vespro che passò al nemico » [en ligne], La Repubblica, Palermo,
2007, URL : https://palermo.repubblica.it/dettaglio/leroe-del-vespro-che-passo-al-nemico/1374839/1,
consulté le 19 février 2019.
135
M. KOCH, Tableau des révolutions de l’Europe dans le Moyen Âge, vol. II, Paris, Onfroy, 1790.
136
Filadelfo MUGNOS, I raguagli historici del vespro siciliano, Palermo, Pietro Coppola, 1645.
137
Jacqueline MALHERBE-GALY, Jean-Luc NARDONE, Les vêpres siciliennes : le complot de Jean de Pro-
cida, op. cit.
138
Le titre complet : I Ragguagli historici del Vespro siciliano del Signor Don Filadelfo Mugnos nei qua-
li si mostrano i felici reggimenti c’han fatto i serenissimi e catolici regi aragonesi ed austriaci nel lor re -
gno fidelissimo di Sicilia, e ‘l mal governo di Carlo d’Angiò re primo di Napoli [Notices historiques des
Vêpres siciliennes de don Filadelfo Mugnos dans lesquelles on montre comment les très sérénissimes et
catholiques majestés aragonaises et autrichiennes ont heureusement régné sur leur très fidèle royaume de
Sicile ainsi que le mauvais gouvernement de Charles Ier d’Anjou, roi de Naples]
Il est vrai que lorsque l’on rencontre ce terme pour évoquer un événement
historique avant le XVIe siècle, c’est qu’il a été ajouté à une époque récente. Ainsi,
quand Antonino Marrone cite Salvatore Fodale, le mot de « Vêpres » (en tant que
métonymie) qu’emploie ce dernier est anachronique140 :
139
Michele AMARI, Sulla origine della denominazione Vespro Siciliano [en ligne], op. cit. Dans son
introduction, Amari déclare ce qui a motivé toute sa carrière d’historien, et son œuvre doit être lue à
l’aune de cette déclaration : «Le prose di Manzoni, d’Azeglio, Guerrazzi, facevan furore dalle Alpi al
Lilibeo, risvegliavano i sentimenti della patria e della libertà; onde a me parve che uno scritto simile di
argomento siciliano avrebbe potuto gittare un altro tizzone nell’Isola del foco. Mi provai e mi accorsi
subito che la natura non mi aveva destinato alle opere di immaginazione.» De son propre aveu, l’œuvre de
l’historien doit être analysée comme celle d’un patriote désireux de réveiller « les sentiments de la patrie
et de la liberté ».
140
Antonino MARRONE, « I Parlamenti siciliani dal 1282 al 1377 », Quaderni – Mediterranea. Ricerche
storiche, n° 17, Memoria, storia e identità. Scritti per Laura Sciascia, 2011.
Tout au long de l’histoire, jusqu’à nos jours, dans le monde entier, des
mouvements de révolte, des guerres, des actions politiques ont fait directement
référence à l’insurrection sicilienne. La liste est longue et nous prenons le parti de n’en
exposer que quelques-uns afin de montrer la variété des actions.
Le premier exemple que nous citons, dans l’ordre chronologique, fait une
analogie pour le moins saugrenue puisqu’est comparé un événement de l’Antiquité avec
les Vêpres médiévales, sans se soucier de l’anachronisme engendré. On doit ce parallèle
à Pierre Lévêque, historien spécialiste de la Grèce. Dans son livre Nous partons pour la
Grèce (chapitre sur Délos)142, il retrace la guerre de 88 av. J.-C. et d’une seule phrase il
réduit le massacre d’Italiens civils par une armée aux Vêpres siciliennes :
Autre époque, autre lieu, c’est en Bretagne qu’un mémorialiste, Jean Moreau, fit
une analogie entre révolte bretonne et insurrection sicilienne. Jean Moreau, chanoine de
la cathédrale de Quimper, écrivit ses mémoires au tout début du XVIIe siècle, dans
lesquelles il décrit la révolte bretonne de 1490. Philippe Hamon, dans un récent article 143
révèle l’opinion du chanoine, notamment sur la paysannerie en lutte :
141
Iris MIRAZITA, « I Lombardi di Corleone e Palermo : dal Vespro antiangioino al Vespro anticatalano
(1282-1348) », dans Corleone: l’identità ritrovata, op. cit.
142
Pierre LÉVÊQUE, Nous partons pour la Grèce, Paris, P.U.F., 1979.
143
Philippe HAMON, « Travailler la mémoire d’une révolte au XVIIe siècle : le chanoine Moreau
et le soulèvement bas-breton de 1490 », Dix-septième siècle, vol. 275, n° 2, 2017.
Trois cents ans plus tard, ce fut en Italie, à Vérone, que la référence aux
« Vêpres » fit sa réapparition. C’était le 17 avril 1797 quand la population se souleva
contre une garnison française à l’appel du Grand conseil de Venise. Quatre cents soldats
français furent massacrés et cet acte donna un prétexte à Bonaparte d’envahir la
Sérénissime. Ce jour resta dans la mémoire comme les « Pasque veronesi »145 bien
qu’on fût le lundi de Pâques. Les Véronais étaient tombés dans un piège tendu par les
Français, qui consistait à leur faire croire, par voie d’affichage que l’ordre de la révolte
leur était donné par le Grand conseil. Bonaparte qui n’avait jusqu’alors aucune raison
d’occuper Venise, république qui se tint à l’écart de tout conflit, prit comme prétexte
l’agression des Véronais pour envahir son territoire. Ce que ne savaient pas les
Vénitiens, c’est que dans cette affaire ils faisaient l’objet d’un marché entre la France et
l’Autriche. Napoléon donnerait la Vénétie aux Autrichiens, à condition que ceux-ci
reconnussent l’annexion par la France de la rive gauche du Rhin et de la Belgique. Ce
qui fut fait.
144
Ibid.
145
Francesco Mario AGNOLI, Le Pasque veronesi : quando Verona insorse contro Napoleone : 17-25
aprile 1797, Rimini, Il cerchio, coll. « Gli Archi », 1998.
146
Bruno ÉTIENNE, « La France et l’Émir Abdelkader, histoire d’un malentendu », dans Le choc colonial
et l’islam, Paris, La Découverte, coll. « TAP/HIST Contemporaine », 2006.
Vingt ans plus tard, c’est à Marseille que le terme fût employé pour désigner une
émeute. C’était en 1881 quand des Français pourchassèrent dans la ville des immigrés
italiens. La ville de Marseille comptait beaucoup d’Italiens puisqu’un habitant sur six
était d’origine transalpine, accentuant « mécaniquement » la xénophobie. Le 17 mai de
cette année-là, alors que la population de Marseille acclamait les soldats français
revenus victorieux de Tunisie, des Italiens furent accusés d’avoir sifflé ces soldats.
Immédiatement la foule prit en chasse les immigrés outre-alpins. Cela dura quatre jours.
La presse italienne qualifia l’événement de « Vêpres marseillaises », alors que dans le
même temps, en Sicile, des manifestants excités par les événements de Marseille
criaient « Vive les Vêpres Siciliennes »147.
147
Georges LIENS, « Les « Vêpres marseillaises » (juin 1881), ou la crise franco-italienne au lendemain
du traité du Bardo », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 14, 1967.
148
George STEINMETZ, « Le champ de l’État colonial. Le cas des colonies allemandes (Afrique du Sud-
Ouest, Qingdao, Samoa) », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 171-172, n° 1-2, Le Seuil,
2008.
149
Pierre-Frédéric CHARPENTIER, « Textes et Témoignages retrouvés » [en ligne], Aden, vol. 12, n° 1,
2013, URL : https://www.cairn.info/revue-aden-2013-1-page-103.htm, consulté le 12 juillet 2019.
Plus récemment, en Sicile, l’État italien avait organisé une opération contre la
mafia. Il s’agissait de l’opération « Vespri Siciliani », consécutive à l’assassinat des
deux juges palermitains, Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, en mai et juillet 1992.
Dès la fin des obsèques de Paolo Borsellino, le gouvernement italien riposta avec
150
Konrad HEIDEN, Les Vêpres hitlériennes, Paris, Sorlot, 1939.
151
Galeazzo CIANO, Journal, Toulouse, Presses universitaires de Toulouse, 2015.
152
Stein TØNNESSON, 1946 : déclenchement de la guerre d’Indochine : les vêpres tonkinoises du 19 dé-
cembre, Paris, L’Harmattan, coll. « Collection recherches asiatiques », 1987.
Pour clore cette section, il nous a paru digne d’intérêt de citer une expérience
algérienne, qui se servant des Vêpres comme d’une allégorie, voulut exorciser le passé
récent du pays. C’est à travers la bande dessinée que Nawel Louerrad tenta une
approche de la violence, celle de la Guerre d’indépendance et la tragédie des années
« quatre-vingt-dix ». Le titre de son album Les Vêpres algériennes nous montre, comme
nous l’avons vu dans d’autres exemples, à quel point le mot de « Vêpres » est
aujourd’hui galvaudé au point de devenir synonyme de n’importe quelle violence,
même si l’autrice s’en défend en déclarant que « Les vêpres algériennes, en référence
aux Vêpres siciliennes, évoque la révolte ou le refus, et ce, au sens le plus intime et le
moins guerrier du terme. »155
153
« Operazione “Vespri Siciliani” » [en ligne], Esercito Italiano, URL : http://www.esercito.difesa.it/
operazioni/operazioni_nazionali/Pagine/vespri-siciliani.aspx, consulté le 1 mai 2020.
154
Raffaele LAUDANI, « Une droite italienne respectable », Le Monde diplomatique - Manière de voir, n°
134, 2014.
155
« Les Vêpres algériennes » [en ligne], URL : https://www.theatre-contemporain.net/textes/Les-
Vepres-algeriennes-Collectif-20637/, consulté le 13 janvier 2019.
156
« Le courage est ton Seigneur », traduction de Régis Courtray, enseignant de latin à l’université de
Toulouse Jean-Jaurès (qui relève que le « Tuus » peut porter à confusion puisqu’il pourrait se rapporter
aussi bien à « courage » qu’à « seigneur »). Ce qui correspond à la traduction de Santi Correnti, historien
et latiniste sicilien, « il coraggio è il tuo Signore ».
Il est à noter que certains blogs sur internet font référence à une autre signification de Antudo. Le mot se-
rait dérivé du français « entendu ». Toutefois, en raison du manque de références historiques, nous nous
en tiendrons là.
157
Agata ADA MIDIRI, « L’ora dei Vespri, al grido ribelle di “Antudo” » [en ligne], Messina, 2017, URL :
https://www.youtube.com/watch?v=xauh3StDMZI, consulté le 23 mars 2019. Conférence-débat organi-
sée par l’Associazione Dirigenti Scolatici e Territorio le 10 novembre 2017.
158
Steven RUNCIMAN, Les vêpres siciliennes : une histoire du monde méditerranéen à la fin du XIIIe
siècle, op. cit.
159
Salvatore TRAMONTANA, Gli anni del Vespro : l’immaginario, la cronaca, la storia, op. cit.
160
Nous avons pu recenser une occurrence du mot Antudo dans I manoscritti datati del Fondo Conventi
soppressi della Biblioteca nazionale centrale di Firenze, Volume 5 di Manoscritti datati d'Italia, Florence,
SISMEL, 2002. Toutefois, n’ayant pu consulter l’ouvrage, il nous est impossible d’estimer la valeur de
l’information.
On trouve pour la première fois après les Vêpres le mot Antudo dans la révolte
de 1647, mais tous les textes que nous avons consultés manquent de références
bibliographiques. Dans l’introduction de sa thèse de doctorat, Antonello Battaglia, écrit
dès les premières lignes161 :
167
Nous n’avons pas pu accéder au texte du discours de Finocchiari Aprile afin de vérifier l’assertion de
Santi Correnti.
168
Francesco PATERNÒ CASTELLO, Il movimento per l’indipendenza della Sicilia : memorie, Palermo,
Flaccovio, 1977, p. 37.
169
« Amari politico, riuscì a prendere un periodo della storia siciliana per farne un libro di battaglia »
[« Amari politique réussit à prendre une période de l’histoire sicilienne pour en faire un livre de
bataille »] selon Francesco Giunta, rapporté par Pasquale HAMEL, « Amari... storico », La nuova Fenice,
2019.
170
Ermolao RUBIERI, Apologia di Giovanni di Procida, op. cit.
171
Atto VANNUCCI, Ricordi della vita e delle opere di G. B. Niccolini, Firenze, Felice Le Monnier, 1866,
p. 302.
C’est en 1842 qu’Amari édita son premier texte sur les Vêpres. De nombreux
textes avaient déjà été publiés en France et en Italie, très romancés pour la plupart, qui
durent inciter l’historien sicilien à proposer une étude sérieuse et très documentée sur la
période. Le titre, neutre et peu informatif, imposé par la censure, Un periodo delle
istorie siciliane del secolo XIII172 n’épargna pas à Amari l’exil en France. L’année
suivante, à Paris, une nouvelle édition de ce livre fut intitulée La guerra del Vespro
siciliano, sous-titrée o un periodo delle istorie siciliane del secolo XIII 173. L’auteur en
profita pour l’augmenter et présenter de nouveaux documents. Il revint à Palerme après
la révolution de 1848 où il fut élu député au parlement de Sicile, et ministre des
Finances, durant la brève période d’indépendance. Au retour des Bourbons, il repartit à
Paris jusqu’en 1860, puis devint sénateur du jeune royaume d’Italie, ministre de
l’Instruction et termina sa carrière comme professeur à l’Institut des Études supérieures
de Florence. Son activité éditoriale sur la Sicile se poursuivit en 1882 avec la
publication de Racconto popolare del Vespro siciliano174, qui se voulait une réponse à
ses détracteurs et une sorte de récit apaisé, pour un public plus large. En 1887, un
dernier ouvrage, Altre narrazioni del Vespro siciliano175, sortait de presse. Dans cet
ouvrage, publié en appendice de la neuvième édition du Vespro siciliano, l’auteur, qui
mourut seulement deux ans plus tard, le 16 juillet 1889 à Florence, fait une compilation
des différentes chroniques de la révolte, « scritte nel buon secolo della lingua ».
La thèse d’Amari, selon laquelle les Vêpres furent un bienfait pour la Sicile et
pour l’Italie toute entière, s’opposait à celle de Benedetto Croce176, pour qui
172
Michele AMARI, Un periodo delle istorie siciliane del secolo XIII, Palermo, Poligrafia Empedocle,
1842.
173
Michele AMARI, La guerra del Vespro Siciliano o Un periodo delle istorie siciliane del secolo XIII, 2
vol., Paris, Baudry, 1843.
174
Michele AMARI, Bruno CARUSO, Racconto popolare del Vespro siciliano, Palermo, Epos, coll. «
Talismani » 20, 2006.
175
Michele AMARI, Altre narrazioni del Vespro Siciliano, Milano, Ulrico Hoepli, 1887.
176
Benedetto CROCE, Storia del regno di Napoli, Bari, Laterza, 1953, p. 11.
Un débat qui semble bien futile, puisque personne ne peut imaginer ce que la
Sicile, l’Italie et même l’Europe seraient devenues si les Vêpres n’avaient pas sonné.
Mais au siècle du Risorgimento, il n’y eut pas que des études universitaires
autour de l’émeute sicilienne. Dans le premier quart du siècle, deux auteurs, Giovanni
Battista Niccolini179 et Casimir Delavigne180, écrivaient chacun une œuvre dramatique
pour le théâtre181. L’Italien en 1817, le Français en 1819. Niccolini et Delavigne
n’eurent pas la même fortune. Alors que l’auteur français connaissait un grand succès au
Second Théâtre français (Odéon) pour son inauguration, le 23 octobre 1819, Niccolini
en Italie dut attendre le 29 janvier 1830 pour une première représentation à Florence,
mais la tragédie fut censurée peu après. Ce n’est qu’en 1848 que la pièce fût reprise.
177
Elio VITTORINI, « Di Vandea in Vandea, il Vespro siciliano », Letteratura, n° 4, 1937.
178
Roberto ALAJMO, « Au comptoir de l’ailleurs », La pensée de midi, vol. 26, n° 4, 2008.
179
Giovanni Battista NICCOLINI, Giovanni da Procida, op. cit.
180
Casimir DELAVIGNE, Les Vêpres sicilienne [en ligne], op. cit.
181
Selon Walter Zidaric, enseignant : « À la base du succès de ce mythe qui s’impose au XIX e siècle est
l’Histoire des républiques italiennes du Moyen Âge (1809-1818) de Jean-Charles-Léonard Sismondi, tra-
duite en italien entre 1817 et 1819, et dont Hayez tire son inspiration pour le tableau qu’il expose à Brera
en 1822, le premier d’une série de tableaux sur le même sujet. » (Cours donné à l’université d’Aix-
Marseille, 2016-2017.)
Puis ajoutait, dans une lettre à l’actrice Maddalena Pelzet 183, prima donna, le 15
août 1830, après la représentation censurée :
En revanche, pour Delavigne, sa pièce eut un tel impact qu’un mois plus tard, le
17 novembre 1819, Eugène Scribe, son ami de lycée, faisait jouer une parodie en un
acte, au Théâtre du Vaudeville184. Ce même Eugène Scribe qui trente ans plus tard
commença l’écriture du livret des Vêpres Siciliennes 185 pour Verdi. Deux autres
parodies furent jouées à Paris : celle de Simonin et Armand d’Artois, Les vêpres
odéoniennes, aux Variétés, le 22 novembre 1819, puis celle de Dupin et Carmouche,
Cadet Roussel-Procida ou la Cloche du dîner, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, le 23
novembre.
Dans le drame de Delavigne, Giovanni da Procida est un noble sicilien qui, avec
des accents de colère, clame dès les premiers vers :
Procida dans l’œuvre de Delavigne est un conspirateur qui a passé deux ans à
intriguer auprès du pape pour obtenir la nomination d’un nouveau roi pour la Sicile,
auprès du roi « Pedre » d’Aragon auquel est destinée la couronne, et de l’empereur
d’Orient, prêt à payer pourvu qu’on affaiblît son ennemi, Charles d’Anjou. Le
182
Atto VANNUCCI, Ricordi della vita e delle opere di G. B. Niccolini, op. cit. p. 425.
183
Ibid, p. 142.
184
Eugène SCRIBES, MÉLESVILLE, Les Vêpres siciliennes [en ligne], op. cit.
185
Eugène SCRIBES, « Les Vêpres siciliennes », dans Œuvres complètes, op. cit.
186
Casimir DELAVIGNE, Les Vêpres sicilienne [en ligne], op. cit., acte I, scène I.
L’intrigue se joue entre un père, Giovanni da Procida, son fils, Loredan, ami de
l’ennemi Montfort, gouverneur de la Sicile, et la fiancée de Loredan, Amélie,
descendante souabe, et dont Montfort est également amoureux. L’acte II annonce la
réconciliation de Procida et de son fils afin de venger l’honneur bafoué. Tous les
Français et leurs alliés doivent périr :
Ô ma patrie ! ô France !
Fais que ces étrangers admirent ta vengeance !
Ne les imite pas ; il est plus glorieux
De tomber comme nous que de vaincre comme eux.
À fin de l’acte, plein de reproches pour son père, Loredan s’immole sur le corps
de son ami. Procida, pleure son fils, puis se reprend et demande aux conjurés de se
préparer « à combattre au retour de l’aurore. » On comprend le succès à l’Odéon de ce
drame où Procida, les conjurés et le peuple de Palerme vainquent sans honneur. Et c’est
le propre fils de Procida qui, mourant, réduit l’héroïsme du combat à un vulgaire
assassinat :
Niccolini, dont nous reviendrons sur son drame ci-après, avait une piètre opinion
des Vêpres de Delavigne. Il écrivit dans un courrier adressé à Salvatore Viale187, le 5
juillet 1828 :
Mais n’en déplaise à Niccolini, les auteurs français continuèrent dans cette
veine. Le livret de Scribe, Les Vêpres siciliennes, ne rendit pas son honneur à Procida.
Verdi s’en plaignit dans une lettre au directeur de l’Opéra de Paris188 :
187
Atto VANNUCCI, Ricordi della vita e delle opere di G. B. Niccolini, op. cit. p. 93.
188
Julian BUDDEN, Le opere di Verdi, Torino, EDT, 2013, p. 197.
189
Etienne-Léon de LAMOTHE-LANGON, Jean de Procida, ou les Vêpres siciliennes, op. cit.
190
Roger MUSNIK, « Étienne de Lamothe-Langon (1786-1864) » [en ligne], 2018, URL : https://galli-
ca.bnf.fr/blog/19052018/etienne-de-lamothe-langon-1786-1864?mode=desktop, consulté le 14 mai 2020.
Quoi ! pour satisfaire votre haine, faut-il faire disparaître toute une
nation ? N’est-il point d’innocent parmi les Français ? Oserez-vous
dire qu’ils sont tous coupables ? Les femmes, les enfans, ces tendres
victimes épargnées des peuples les plus féroces, vous allez
froidement les égorger !
Le roman se finit de manière pathétique : devant Procida, qui consent par son
silence au sacrifice de sa fille et se couvre les yeux de son manteau, la foule trucide
Eulalia et de Brienne.193
191
Etienne-Léon de LAMOTHE-LANGON, Jean de Procida, ou les Vêpres siciliennes, op. cit. p. 179.
192
Ibid.
193
Ibid. p. 190.
194
Lilla Maria CRISAFULLI, « Felicia Hemans’s History in Drama : Gender Subjectivities Revisited in
The Vespers of Palermo » [en ligne], SKENÈ Journal of Theatre and Drama Studies, 4:1, 2018, URL :
https://skenejournal.skeneproject.it/index.php/JTDS/article/view/148/136, consulté le 23 juin 2019,
p. 127.
195
Ibid. p. 126.
En Italie, en dehors de Michele Amari, qui dès le départ est considéré comme
« le » spécialiste incontournable de la Sicile du XIII e siècle, d’autres historiens ont
travaillé sur le sujet. Comme nous l’avons évoqué plus avant, il y a Rubieri, en 1856 199,
qui voulut insister sur les « qualche dubbio intorno alle cose ivi narrate del
196
Ibid. p. 123.
197
H. POSSIEN, Joseph CHANTREL, Les vêpres Siciliennes ou histoire de l’Italie au XIIIe, Paris, Debé-
court, 1845.
198
Ibib., p. 140.
199
Ermolao RUBIERI, Apologia di Giovanni di Procida, op. cit.
L’acte IV est consacré au plan des conjurés autour de Procida pour tuer les
Français. Mais à la scène VIII, Niccolini fait monter la tension par une révélation
extraordinaire : Tancredi, le mari d’Imelda dont elle a eu un enfant est en fait son demi-
frère. L’inceste s’ajoute au drame. Enfin, l’acte V efface le crime des époux incestueux :
Gualtiero transperce Tancredi et fait un mensonge public, pour sauver la face d’Imelda :
200
Giovanni Battista NICCOLINI, Giovanni da Procida, op. cit.
201
Ibid. p. 4.
Niccolini, s’étonna de cette dureté de la censure à son égard 202, « per altri
indulgentissima ed a me severa » [« pour les autres très indulgentes et pour moi
sévère »]. Son Procida est un appel à l’unité de l’Italie, ce qui devait être insupportable
à l’administration bourbon. Procida, dans l’œuvre de Niccolini, s’oppose aux Français
parce que ceux-ci, avec la complicité du pape, ont ruiné l’espoir des Souabes d’unifier
la péninsule. Et la main tendue au roi d’Aragon ne vise que cela : continuer l’œuvre
unificatrice des Hohenstaufen203.
Procida n’est pas le vulgaire assassin que lui ont assigné comme rôle Delavigne
et Scribe, mais un idéaliste qui, imaginant la révolution commencée en Sicile, l’étend à
l’Italie pour l’unir. Comme un avant-goût de l’expédition de Garibaldi.
202
Atto VANNUCCI, Ricordi della vita e delle opere di G. B. Niccolini, op. cit. p. 354.
203
Giovanni Battista NICCOLINI, Giovanni da Procida, op. cit., acte III, scène II.
204
Giuseppe PONIATOWSKI, Giovanni da Procida, dramma tragico, Firenze, Galetti, 1840.
Tramontana, en 1989, exploite et confronte toutes les sources afin d’en dégager
un récit le plus proche possible de la vérité historique. Henri Bresc lui reproche tout de
même deux erreurs207 : la première, d’avoir, dans une analyse gramscienne, fait
l’hypothèse d’une récupération baronniale du mouvement populaire ; la seconde, de
penser qu’il y a eu « catalanisation » de l’île lors de l’installation des Aragonais. Sur le
premier point, Bresc précise qu’avant les Vêpres les barons étaient français et qu’après,
il a fallu créer une nouvelle classe baronniale, il ne pouvait donc pas y avoir de
conjuration de barons siciliens, puisqu’ils avaient été sortis de la scène sicilienne. Sur le
deuxième point, l’historien français assure que les Aragonais se sont rapidement
« sicilianisés », et non l’inverse.
Dans son ouvrage, Tramontana donne beaucoup d’indications sur ses sources.
Les notes de bas de page sont extrêmement nombreuses comparées à celles du livre de
Steven Runciman qui les renvoie en fin de livre. Les styles entre les deux historiens
universitaires sont aussi très différents : Tramontana écrit dans un registre plutôt savant
et difficile, par thème, alors que Runciman s’efforce d’écrire pour un public plus large,
de manière chronologique et fluide. L’un s’apparente à un essai, l’autre à un récit
historique.
205
Salvatore TRAMONTANA, Gli anni del Vespro : l’immaginario, la cronaca, la storia, op. cit.
206
Steven RUNCIMAN, Les vêpres siciliennes : une histoire du monde méditerranéen à la fin du XIIIe
siècle, op. cit.
207
Henri BRESC, « Salvatore Tramontana, Gli anni del Vespro. L’immaginario, la cronica, la storia », An-
nales. Économies, sociétés, civilisations, n° 6, 1992.
Il est certain que des agents aragonais travaillèrent dans l’île. Il est
certain que des armes y furent introduites clandestinement. Il est
également certain que les conspirateurs furent en contact étroit avec
Constantinople, dont ils reçurent de l’argent et la promesse d’en
recevoir davantage si tout se passait selon le plan établi.
Le XXe siècle, comme par le passé, a aussi eu ses auteurs de romans historiques
qui ont trouvé dans les Vêpres un gisement facile. Dans le style « cape et épée », le
Sicilien Luigi Natoli213, auteur de nombreux romans de ce style, écrivit Il Vespro
siciliano, roman populaire mais qui n’eût pas l’énorme succès des Beati Paoli parus peu
auparavant. Le roman fut publié en feuilleton sous le pseudonyme de William Galt, en
1911, sur le Giornale di Sicilia, puis imprimé en 1915 par la maison d’édition La
208
Steven RUNCIMAN, Les vêpres siciliennes : une histoire du monde méditerranéen à la fin du XIIIe
siècle, op. cit. p. 200-201
209
Salvatore TRAMONTANA, Gli anni del Vespro : l’immaginario, la cronaca, la storia, op. cit. p. 118-
119
210
ANONYME, Il Vespro Siciliano : Cronaca siciliana anonima intitolata Lu Rebellamentu di Sichilia,
Catania, Giacomo Pastore, 1882, trad. de Pasquale CASTORINA.
211
Francesco PETRARCA, Itinerarium Syriacum, op. cit.
212
Giovanni BOCCACCIO, « De Carolo Siculorum rege », dans De casibus virorum illustrium, op. cit.
213
Luigi NATOLI, Il Vespro siciliano, Palermo, La Madonnina, 1951.
Natoli, dans ce roman d’aventure, marche sur les pas de Michele Amari :
Giovanni da Procida est écarté de la distribution. Le style narratif est vif : beaucoup de
dialogue, des paragraphes courts, de manière à maintenir une tension forte. Les
descriptions sont minutieuses sans être ennuyeuses : Natoli s’ingénie à revenir à
l’étymologie des noms de lieux, sans être professoral, si bien qu’on s’habitue à cette
Palerme de 1282 aux balate luisantes et glissantes.
L’autre écrivain qui reprend totalement la thèse d’Amari est Oreste Lo Valvo 216
qui publia en 1939 Il Vespro siciliano. Oresto Lo Valvo était un avocat palermitain, qui
ne cachait pas son patriotisme virulent que l’on retrouve dans le titre complet du livre de
1939 : Il vespro siciliano: guerra di redenzione contro l'aborrita dominazione francese,
narrata al popolo italiano [Les vêpres siciliennes : guerre de libération contre la
214
Interview de Salvatore FERLITA, « Natoli, uno scrittore prolifico e sconosciuto », La Repubblica, 2012.
215
Francesco GIUNTA, « Introduction », dans I Vespri Siciliani, Palermo, Flaccovio, 2010. Francesco
Giunta (1924-1994) était un historien sicilien spécialiste du Moyen Âge.
216
Oreste LO VALVO, Il vespro siciliano, Palermo, Industrie riunite editoriali siciliane, 1939.
Plus loin, dans une deuxième introduction intitulée « but du livre », Lo Valvo
précise qu’en temps de guerre, ceux qui n’ont plus l’âge de prendre les armes, doivent
spirituellement se mobiliser pour combattre, autrement dit, que les événements à venir
Pour le reste, son récit des Vêpres siciliennes est une copie de l’œuvre d’Amari,
dans un langage plus abordable et clair, à travers lequel il insiste sur « la mala
signoria ».
Mais cela n’était pas nouveau. Pour les empereurs allemands, et avant eux les
rois normands, la Sicile représentait cette terre à partir de laquelle tout pouvait se
conquérir. Y compris le reste de l’Italie. Débarquant à Palerme, Goethe affirmait que
l’île est « la chiave di ogni cose » [la clef de toute chose]217.
217
Giuseppe BARONE (éd.), Storia mondiale della Sicilia, Bari, Laterza, 2018, introduction de Giuseppe
Barone.
218
Leonardo SCIASCIA, Mots croisés, Paris, Fayard, 1985, p. 23. « […] parmi toutes les raisons qu'il
[Amari] produit pour repousser l'existence d'une conjuration […], la plus convaincante reste à mes yeux
celle qu’il donne en tant que Sicilien connaissant les Siciliens. C’est-à-dire que rien de préparé, rien qui
ne requière l’accord de plusieurs personnes, ne peut réussir en Sicile. »
Mais les Vêpres c’est aussi une certaine idée de la liberté. Quand les
Palermitains, et juste après les Corléonais se soulevèrent, ils n’étaient certainement pas
dans leur intention de fonder une grande nation italienne. L’idée même d’une Italie en
tant que pays n’avait aucun sens à ce moment-là.
La première intention qui leur vînt était de créer une commune libre. Ce qu’ils
firent. « Avec une vivacité et une violence qu’on ne revit jamais, ils tentèrent de
bouleverser leur destin, de se rendre leur dignité. »220 Et cela même fait douter qu’un
plan concerté au bénéfice du roi d’Aragon fût exécuté ce 30 mars 1282 à vêpres. Cette
commune libre de Palerme a existé. Elle s’est associée à la commune libre de Corleone,
et de cette union serait né le drapeau sicilien que nous connaissons aujourd’hui. Deux
triangles rouge et jaune, aux couleurs des deux villes, superposés de manière à former
un rectangle ; au centre la triscèle formée de trois jambes, et au milieu d’elle, la tête de
gorgone. Comme pour le mot « Antudo », les sources manquent, mais la légende est
belle qui offre à ce drapeau une date de naissance que ne confirme aucun chercheur
sérieux, mais que tout le monde reprend.
219
Leonardo SCIASCIA, Mots croisés, ibid., p. 23.
220
Ibid. p. 31.
221
Jean-Louis GAULIN (éd.), Villes d’Italie : Textes et documents des XIIe, XIIIe, XIVe siècles, Lyon,
Presses universitaire de Lyon, 2005.
La guerre que se firent les monarques pour reprendre la Sicile, les lourds
manteaux royaux qui couvrirent l’île de leur magnificence, occultèrent cette courte
période de liberté. Ce moment de folle liberté où les citadins des villes créèrent une
fédération, signaient devant notaire leurs engagements à s’entraider.
Par la suite, en 1647 puis en 1848, Palerme se libéra de ses tutelles et s’offrit
quelques temps de liberté. Ces révolutions n’eurent pas l’heur de la Révolution
française. Constamment, Palerme retombait sous une domination étrangère, plus ou
moins détestable.
Nous n’avons pas, dans ce mémoire, étudié cette période où Palerme s’est
constituée en commune libre. C’est une piste de recherche qui, en soi, mérite un travail
spécifique. Cette courte période va du lendemain de la révolte, dans les tout premiers
jours d’avril 1282, jusqu’à l’arrivée de Pierre d’Aragon le 30 août, qui met fin à
l’expérience républicaine. Cinq mois pendant lesquels les villes libres fédérées
voulurent, en vain, se mettre sous la protection du pape Martin IV. Lors de sa légation
en France, avant de monter sur le trône pontifical, le futur pape avait mené les
négociations pour donner la couronne de Sicile à Charles d’Anjou. Il n’allait pas,
maintenant qu’il était à la tête de la Chrétienté, reconnaître une république qui avait
refoulé son protégé. D’autant plus qu’il était assis sur le siège de saint Pierre grâce à un
Ces cinq mois perdus dans les limbes de l’histoire ont peu intéressé les
historiens. Probablement parce que peu de sources sont à notre disposition pour en
retracer les événements au quotidien. On connaît, à travers les chroniques des
contemporains, les faits les plus importants. En les analysant on pourra écrire l’histoire
de ces cinq mois de républiques fédérées autour de Palerme.
Le présent travail s’est surtout concentré sur les conséquences des Vêpres
siciliennes, à la fois politiques, littéraires et artistiques. Si dans l’introduction nous nous
sommes attachés à présenter la Sicile et ses composantes au XIII e siècle, le premier
chapitre nous a permis de mesurer l’impact de la « Guerre des Vêpres » sur l’Italie et les
États voisins, de constater qu’elles ont engendré l’effondrement d’une dynastie et
renforcé une autre.
L’étude des textes, depuis les contemporains des Vêpres jusqu’au XVIIIe siècle,
nous a montré cette permanence de l’événement dans l’histoire devenu une référence
pour de nombreuses luttes partout dans le monde. La lecture des sources a, par ailleurs,
permis de constater que, lors de la révolte des Vêpres, le mot « Antudo », semble
n’avoir jamais été prononcé. Il est pourtant beaucoup utilisé aujourd’hui par des
groupuscules indépendantistes ou autonomistes siciliens, il est le titre d’une pièce de
théâtre, un journal sur le web s’appelle Antudo, et même des travaux de chercheurs
parlent de son historicité, sans jamais, toutefois, donner de références.
La fin de notre travail a porté sur le siècle du Risorgimento où, avec force, en
Italie, les Vêpres siciliennes sont devenues une sorte d’étendard derrière lequel
marchaient toutes les forces qui combattaient pour la constitution de la nation italienne.
Nous avons ainsi vu comment l’historien Michele Amari a fait de l’émeute sicilienne
une arme de guerre pour les tenants d’une Italie unifiée. Les deux siècles derniers ont
transformé la révolution médiévale en un combat universel contre l’injustice et
l’absolutisme que résume parfaitement Luigi Natoli dans son roman de cape et d’épée
Les Vêpres siciliennes.
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222
Liste non exhaustive.
Cette gravure de B.
Console est tout en mou-
vement. Ce sont les
épées qui donnent la di-
rection et dessinent
comme une ligne d’hori-
zon qui descend sur le
soldat Drouet déjà à
terre. La jeune fille ou-
tragée est évanouie dans
les bras de son mari qui
tient l’épée vengeresse.
nues en 1837 […], puis en 1848 […] et enfin en 1860 […] se trouve constamment dans les proclamations officielles des
comités et des gouvernements la mention de Giovanni da Procida comme le plus fameux conspirateur et partisan de la
révolution de 1282, dite poétiquement et populairement révolution des Vêpres […].
iv
l’importance du sujet est ensuite prouvée par l’intérêt qu’il a suscité dans le champ artistique, et en particulier dans la
peinture et la musique.
v
Le son de chaque clochesonne les Vêpres
vi
Moi et mes compagnons sommes joyeux de combattre aux côtés des fils des Vêpres.
vii
Ils firent pire aux Français que les Palermitains, et les Français trouvèrent la mort en très grand nombre.
Mais avec les Vêpres, la question sicilienne devenait un problème international dont la résolution semblait subite-
viii
ment intéresser les États de tout l’Occident méditerranéen, directement ou indirectement remis en question par l’antago-
nisme arago-angevin.
Les champs étaient plein de morts et on combattait encore. Conradin était au premier rang : on aurait dit un archange
ix
qui foudroyait ses ennemis. Mais on ne percevait pas l’espoir d’une victoire, sauf en mourant ; et le jeune roi voulait
mourir.
x
C’est l’histoire du lent suicide de la plus grande idée du Moyen-Âge : la monarchie universelle de la papauté.
xi
S’y ajoute mille sarrasins de Lucera, avec fantassins et chevaux de Florence et d’autres cités guelfes de Lombardie et
de Toscane ; les Français, entre vassaux et engagés, furent le nerf de l’armée. Gênes et Pise envoyèrent des galées.
xii
Les origines des Vêpres, au moins pour ce qui est de ses motivations internes, […] doivent donc se situer plus avant
dans le temps : à l’époque de Frédéric II, dont l’inflexible lutte contre les abus bouleversa les pouvoirs déjà fortement
enracinés dans le royaume et, avec encore plus de bien-fondé, durant les années de Manfred, quand à un baronnage de
nouveau en expansion fut opposé l’avide politique ‘d’expropriation’ de la part des nobles ‘lombards’ (les Lancia et leurs
partisans), qui avec leur action éloignèrent les sympathies de Manfred, alors que dans un premier temps ils avaient mon-
tré leur classe nobiliaire régnicole à l’égard du jeune souabe.
En considération des grands mérites de Giovanni da Procida…, je le nomme Chancelier du royaume de Sicile, durant
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toute sa vie.
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[Les fonds de Naples] ont subi des pertes lors du dernier conflit mondial, dans des lieux et à des moments différents.
Au siège central, près du port, tombèrent des bombes et des engins incendiaires et même, après l’explosion d’un bateau
de munitions, des tôles enflammées, qui provoquèrent l’incendie et la totale destruction des dépôts du dernier étage
d’une aile du bâtiment. Le bombardement du 4 août 1943 détruisit à moitié l’édifice de Pizzofalcone et emporta dans ce
ravage toutes les écritures. Le dernier et plus grave désastre se produisit au dépôt de sécurité de la villa Montesano, dans
le Nolano, près de San Paolo Bel Sito, où avait été transportées les séries les plus précieuses, quand on ne supposait pas
que la guerre se serait transportée sur le territoire national : en septembre 1943 les troupes allemandes en retraite mirent
le feu qui détruisit l’édifice et son précieux contenu. Encore aujourd’hui il est impossible de faire un bilan précis des
pertes.
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Du reste le style est toujours ampoulé, prolixe, et à la fois obscure […] Toutefois, nonobstant ces défauts, il demeure
un des historiens les plus importants pour ce qui regarde les événements en Sicile durant la rébellion des fameuses
Vêpres.
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Un jeune homme s’appropria de l’épée de Drouet, le blesse aux flancs, et déjà les entrailles s’échappent. On ignore
vraiment qui fut l’auteur de l’homicide, qui fut l’agresseur ; les jeunes, les armes manquantes, se saisissent de pierres ;
le peuple gronde.
Encore à Cépéran, là où trahit / chaque Apulien, et près de Tagliacosse / où le vieil Erard sans armes vainquit. [Il
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s’agit des batailles de Bénévent et de Tagliacozza, après lesquelles les Français s’installèrent dans le sud de l’Italie.]
Charles en Italie vint et, pour réparer, / fit de Conradin sa victime ; et puis / renvoya au ciel Thomas, pour réparer.
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[Dante fait allusion à l’exécution de Conradin, puis à la rumeur de l’empoisonnement de saint Thomas d’Aquin par
Charles d’Anjou.]
Là tout près il y a Procida, une petite île, mais où naquit un grand homme, Jean qui sans craindre la couronne de
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Charles, et se souvenant des graves blessures, osa enlever la Sicile au roi et aurait fait plus s’il avait pu.
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[…] il arriva, suite à l’honneur bafoué de l’épouse de Giovanni da Procida, un aristocrate d’une rouerie extrême, que
celui-ci supporta si mal l’affaire qu’il tendit toutes les forces de sa volonté à nourrir un but commun. Courant çà et là
pendant deux ans, sans se faire connaître, en dépensant autant d’effort que de sagacité, il fit partager la même opinion à
tous les grands personnages de Sicile, à l’empereur de Constantinople, au roi Pierre d’Aragon et au pape Nicolas. Et
comme convenu, suite à une émeute soulevée le même jour à Palerme, toute l'île se révolta contre les Français et les
anéantit tous jusqu' au dernier pour [venger] un seul homme.
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« Celui-ci est Charles d’Anjou, que les sollicitations du Pape font entrer en Italie. Il y gagne deux batailles qui
coûtent la vie à deux Rois, la première à Mainfroi, & la seconde à Conradin : mais les peuples soumis ne pouvant plus
supporter la tyrannie de leurs Maîtres, se révoltent contre les François dispersés dans le pays, & le coup des Vêpres est
le signal dont ils conviennent pour les égorger tous en un même jour. » Roland Furieux, Poëme héroïque de l’Arioste,
Traduction nouvelle par M***, tome troisième, Paris, Barrois Libraire, 1758.
Lui succéda [le pape] Martin IV, lequel étant de nationalité française favorisa Charles d’Anjou, en faveur duquel,
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Charles envoya ses gens en Romagne, qui s’était rebellée ; et, se trouvant au camp de Forlì, Guido Bonatti, astrologue
ordonna qu’à un signal donné par lui, le peuple prenne d’assaut l’armée de Charles, de manière que tous les Français
furent pris et tués. Dans ces temps-là, entra en vigueur l’affaire du complot entre le pape Nicolas et Pierre, rois d’Ara-
gon ; par lequel les Siciliens massacrèrent tous les Français qui se trouvait dans cette île ; de laquelle Pierre se fit Sei-
gneur, disant qu’elle lui appartenait pour avoir épousé Constance, fille de Manfred. Mais Charles, en ordonnant à nou -
veau la guerre pour récupérer la Sicile, mourut, et lui succéda Charles II, lequel dans cette guerre était resté en prison en
Sicile, et pour être libre, il promit qu’il retournerait en prison si, dans les trois ans, il n’avait pas obtenu du pape que les
souverains d’Aragon fussent investis du règne de Sicile.
Des générations entières d’historiens se sont querellées pour établir si la guerre des Vêpres trouve son origine dans
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une conjuration ou dans un soulèvement populaire, et si ce fut un événement positif. Tomasso Fazello, qui au XVI e
siècle écrivit une monumentale Histoire de Sicile, choisit la conjuration ourdie par Giovanni da Procida.
Le nom de Vêpres siciliennes, […] ne se lit chez aucun des 18 auteurs contemporains, […] ne se lit pas chez les 20
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ou 21 qui répètent le fait au XIVe siècle ; même pas chez les quatre compilateurs d’histoire générale qui ont vécu dans la
première moitié du XVe. Dans la seconde moitié trois compilateurs ne connaissent toujours pas cette dénomination […].
Un quatrième, lequel semble avoir écrit dans les dernières années du XV e siècle […], nous donne chaque élément :
conjuration, jour et heure fixés du massacre, et l’heure c’est à vêpres ; « d’où elles s’appelèrent les Vêpres siciliennes et
sont devenues proverbe » ajouta-t-il.
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dans toute l’Italie on ne parlerait pas autant des Vêpres si la Sicile ne les avait pas recommencées en 48, recommen -
cées cette fois pures de toute tache, et si elle ne les avait pas répliquées, encore plus belles et plus glorieuses en 1860.
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Comme S. Fodale l'a souligné à juste titre, lors de l'assemblée parlementaire tenue le 11 novembre 1295 à Palerme
avec la participation des maires omnium terrarum et locorum Sicilie Frédéric d'Aragon, jusqu'alors lieutenant sur l'île de
son frère Giacomo, « mieux que ses droits de succession, s'opposaient plus efficacement la voluntas populi qui se mani-
festait et s'exprimait par le parlement et renvoyait aux Vêpres. »
Antudo ! criaient les révolutionnaires durant les journées convulsives du printemps 1282 […]. La devise [Antudo] et
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l’étendard furent levés aussi en mai 1647, durant l’insurrection armée […]. Environ cent soixante-dix ans après, en
1820, Antudo fut le cri des mouvements dirigé contre les Bourbons qui venaient à peine de proclamer la fin du Règne de
Sicile. Le 12 janvier 1848, la même devise était hurlée à Palerme […].
Cette entrée ou section sur l'histoire de l'Italie ne cite pas les sources nécessaires ou celles présentes sont insuffi-
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santes.
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L’existence historique de ce mot est donc indiscutable ; et il a été employé pour indiquer l’esprit de liberté des Sici-
liens, également en 1943, quand durant l’invasion anglo-américaine de l’île, comme en témoigne avec tant d’autorité
l’honorable professeur Andrea Finocchiaro Aprile, chef et fondateur du MIS (mouvement pour l’indépendance de la Si-
cile), dans son discours public à Partinico (Palerme) le 20 août 1944 ; comme en témoigne également le chercheur sici-
lien Francesco Paternò Castello, duc de Càrcaci (page 37 de son livre LE MIS, édité à Palerme en 1977), pour lequel
« les indépendantistes siciliens se présentaient aux avant-postes anglo-américains qui occupaient la Sicile en 1943, dé -
ployant le drapeau sicilien portant la fatidique devise des Vêpres ‘ANTUDO’ »
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enlève [à Procida] la gloire de la conjuration contre les Français, le couvre d’infamie d’avoir trahi les Siciliens, et lui
laisse seulement les cornes que lui a faites sa femme.
Les vêpres siciliennes, qui construisirent peu de politiques et que beaucoup de rhétoriciens glorifient encore comme
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un grand événement historique, alors qu’il fût le commencement de beaucoup de malheurs et d’aucune grandeur.
Les Vêpres comme réaction, les Vêpres qui ferment la porte à la France, pour l’ouvrir à l’Espagne, à l’Inquisition, à
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la superstition, au sanfédisme, à tout ce qui est obstacle, mort et putréfaction dans l’histoire européenne : les Vêpres ne
révolutionnent pas, mais sont juste le contraire de la révolution.
Je m’occupe de Giovanni da Procida ; mais il me conviendrait de le condamner aux ténèbres et au silence comme le
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Nabucco. Pourtant cela me console de me défouler en l’écrivant, et encourage mon âme au milieu de tant de lâcheté des
hommes et des temps.
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Quant au Jean de Procida, moi je n’ai jamais cru que j’aurais pu avoir l’autorisation de le faire jouer.
Si un Italien avait écrit cette tragédie il aurait été sifflé. Je cherche à venger la réputation de Procida tellement mal -
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vint à s’occuper de son théâtre. Ayant à présenter Les Vêpres de Palerme, il confirme son impression que sa poésie était
faible et excessivement féminine. Ces failles, croit-il, ont été la cause de l’échec de ses représentations quelques décen -
nies plus tôt.
Hemans et Landon [une autre dramaturge], bien sûr, ont payé un prix pour leur célébrité… Pour le public bour-
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geois des années 1820 et 1830, leurs noms étaient synonymes de la notion de poétesse, célébrant le foyer et la maison,
Dieu et la patrie dans des vers mélodieux qui savouraient le sentimental et qui taquinaient rarement quiconque en pen -
sée. Il existe d'autres souches plus sombres dans leur production volumineuse – un accent sur l'exil et l'échec, une célé-
bration du génie féminin frustré, une omniprésence obsédante de la mort – qui semblent subvertir le rôle qu'elles reven-
diquent et invitent à une reconsidération sophistiquée de leur travail.
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[sur] quelques doutes autour de choses, là [dans le livre d’Amari] narrées à propos de Procida.
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Il est inutile d’ajouter d’autres témoignages aux solennels et très sérieux de ces trois écrivains, le premier desquels vi -
vait dans le temps où est advenu le massacre des Français, et les deux autres qui naquirent peu de temps après ce fait
lointain.
Finit la gloire de mon sang, et je dois ou pleurer de honte ou accepter la mort de mes plus chers… […] Mais ce n’est
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pas le temps des affections privées. Que le père soit vaincu par le citoyen.
J’estime nécessaire un roi puissant : que son épée soit son sceptre et son heaume sa couronne. Qu’il ramène la
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concorde là où des volontés divisent ; qu’il soigne les blessures serviles de l’Italie et la recrée.
En fait, si les chroniques de Ramon Muntaner et de Bernat Desclos, qui reflètent l’attitude de la Couronne d’Aragon,
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ne citent pas, pour d’évidents motifs, Giovanni da Procida et sa conjuration, Guillaume de Nangis, dans la Vie de Phi-
lippe III, dit explicitement, même si c’est dans l’évident but de justifier l’intervention française contre les Catalans, que
[…] le roi Pierre était en continuels contacts avec les conjurés insulaires et que la révolte coïncidait avec le retour à Pa -
lerme des exilés qui avaient longtemps séjournés au palais royal de Barcelone.
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c’est certainement son ouvrage le plus important, qui avait plu à Sciascia. Un livre rigoureusement historique, duquel
jaillit le caractère passionnel. On ne peut parler ni de roman populaire, ni de roman historique. Il s’agit au contraire d’un
drame romantique des sens, dans lequel domine la révolte du peuple et sa prise de conscience, et duquel on peut voir la
nature de vrai républicain de Natoli.
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Donc, avec ce livre, tout en faisant trésor de l’œuvre d’Amari, on raconte au peuple, avec une simple et nue vérité, les
Vêpres siciliennes, desquelles les jeunes générations connaissent peu de choses, alors que les vieux, en tout cas les sur-
vivants, eurent une vive sensation du séculaire événement du 31 mars 1882, quand on en célébra, à Palerme, le XI e Cen-
tenaire.
ils réclament une efficace et active propagande qui tienne éveillés les esprits, qui dispose bien les âmes à l’obéis -
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sance, pas aveuglément, mais dans la pleine conscience des causes justes. […] À cette fin, avec ce livre, on veut faire
œuvre utile en divulguant l’Histoire des Vêpres siciliennes, qui, même si elle se réfèrent à un fait très ancien, sont d’une
surprenante actualité.
La France d’aujourd’hui qui, après environ sept siècles, conserve et adopte les mêmes systèmes d’oppression, d’ar -
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rogance et de cruauté dans le gouvernement des peuples sujets, avec une soif accrue d’argent, avec un plus furieux sens
de l’avarice, avec une absolue méconnaissance de tout sens de l’équité, d’humaine et civile justice sociale.