FONDAMENTALITE

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La fondamentalité dans la Constitution congolaise et l'exigence d'une


protection juridique spéciale

L'introduction

En droit positif, la Constitution d’un État est une loi fondamentale du fait qu’elle ne
résulte d’aucune norme, mais que toutes les règles en découlent et doivent lui être
conformes. Sur cette base, toutes les dispositions constitutionnelles sont fondamentales.
Néanmoins, on trouve dans la Constitution congolaise (ci-après : la Constitution) des
expressions telles que « principes fondamentaux1 », « droits fondamentaux2 » et
« libertés fondamentales 3 », voire garanties fondamentales 4. Ces expressions suggèrent
l'existence d'une fondamentalité différente de celle que confère la simple appartenance
au texte constitutionnel. Cette fondamentalité peut fonder une certaine hiérarchie
normative interne la Constitution et requérir une protection juridique spéciale. L’étude
de cette problématique exige d’abord de définir la notion même de fondamentalité et
d'en déterminer les critères.

I. La notion de fondamentalité

La fondamentalité est la propriété de ce qui est fondamental. Est fondamental ce qui est
à la base, aux fondements d’un système juridique. C'est son socle, ce sans quoi, il ne

1
Art. 47 al. 2; 61.
2
Art. 150 .
3
Titre II .
4
Art. 122, ch. 1. À noter que les garanties fondamentales qui ne sont pas définies par la Constitution peuvent être
entendues comme des dispositions que doivent prendre les organes étatiques pour permettre aux citoyens d’exercer leurs
libertés publiques. En vertu du mandat accordé au législateur, ces garanties doivent être prévues dans une loi. Elles ne
concernent pas notre propos ici.
2

tiendrait pas5. C'est pourquoi, le fondamental est également primordial


chronologiquement et axiologiquement. Ainsi compris, le fondamental peut être
considéré comme d'origine fictivement présociale et méta-sociétale, c’est-à-dire non
octroyé, mais reconnu par la société. C'est donc l’interprétation des normes qui permet
d'établir la fondamentalité. Celle-ci peut être perçue sous l’angle formel ou matériel.

1. La fondamentalité formelle

La fondamentalité formelle est la caractéristique des dispositions constitutionnelles ou


internationales. Elle implique à leur bénéfice une certaine permanence qui n’est pas
variable en fonction des gouvernements. En effet, il est procéduralement plus compliqué
de réviser légitimement une Constitution ou de revenir sur un traité que de modifier une
loi.

La fondamentalité formelle équivaut donc à la "constitutionnalité" et à


l’"internationalité" 6. Aussi, les droits, les libertés et les principes fondamentaux sont-ils
ceux qui figurent dans la Constitution ou dans un traité international, et non dans un acte
inférieur, fût-il législatif7.

Toutefois, certaines dispositions constitutionnelles ont un contenu normatif pouvant être


considéré comme jouissant d'une autre fondamentalité.

2. La fondamentalité matérielle

La fondamentalité matérielle ou substantielle résulte du contenu d’une disposition


indépendamment de sa forme. Les normes fondamentales peuvent être dans la
Constitution, dans la loi ou dans un traité international. Dans la Constitution, en effet,
pour ne parler que d'elle, il existe des normes qui ont une portée plus large que d’autres
et/ou dont la généralité et l’abstraction sont telles qu’elles ne sont applicables que par le

5
Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 9e éd., Quadrige, Paris 2011, verbo "fondamental".
6
Denis ALLAND / Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Quadrige / Lamy-PUF, Paris 2003, verbo
"fondamentalité".
7
Xavier BIOY, Droits fondamentaux et des libertés publiques, Montchrestien, Lextenso éditions, Paris 2011,
p. 101-102. Sur la critique de la thèse formelle, p. 102-103.
3

biais d’autres normes qui les concrétisent et/ou les précisent. Ces normes, à la différence
des autres normes, sont substantiellement fondamentales 8.

La fondamentalité substantielle couvre donc l'idée de priorité au sens chronologique


(antériorité) et au sens hiérarchique (supériorité). Le droit positif lui reconnaît une
valeur prééminente, en vertu de la substance et de la portée propres des droits et des
principes qu'elle caractérise. Les droits et les principes substantiellement fondamentaux
sont des droits et des principes primaires qui ne dérivent pas d'autres droits, mais qui
constituent les fondements et les conditions d’existence de tous les autres droits et
principes.

Les droits substantiellement fondamentaux, en tant que prérogatives reconnues et


protégées par le droit, sont inhérents à l'humanité même de leur titulaire, à l'existence de
la personne humaine, indépendamment de son appartenance sociale. Ainsi, le droit à la
vie de l'article 16, alinéa 2, de la Constitution. Les principes fondamentaux, en tant que
règles ou maximes les plus importantes, sont, eux, des piliers du système d'un État à la
différence d'autres principes qui peuvent en découler. Ils sont essentiels à l'ordre
juridique qui les porte. Ces principes figurent dans le Préambule et/ou pas dans les
règles constitutionnelles. Ils sont aux fondements du système étatique congolais. On
pourrait citer notamment la liberté, la fraternité, la solidarité, l'État de droit, démocratie,
la forme républicaine (Préambule et article premier Cst), la sacralité de la personne
humaine (art. 16 Cst) et la garantie de la liberté individuelle (art. 17 Cst) qui sont à la
base d'autres droits et principes 9.

La fondamentalité matérielle, en tant que "priorité substantielle, est à la base d'une


certaine hiérarchie entre les normes constitutionnelles. En effet, une norme concrétisée
8
Andreas AUER / Giorgio MALINVERNI / Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, Volume II: Les droits
fondamentaux, 2e éd., Stämpfli, Berne 2006 (cité: AUER II), p. 8; BIOY, p. 103. Sur la critique de la thèse matérielle,
ibidem.
9
Parlant des droits fondamentaux en droit suisse, la doctrine précise que ceux-ci sont fondamentaux non pas
seulement parce qu'ils sont garantis par la constitution, "mais aussi parce qu'ils concernent, de par leur contenu,
une finalité essentielle de l'État: la liberté, l'État de droit, l'État social, la démocratie. Ils atteignent "le seuil
qualitatif qui fait que la question de leur respect et de leur violation sort du contexte du droit ordinaire pour
concerner les fondements mêmes de l'État et de sa constitution" (AUER II , p. 8).
4

est supérieure à une norme concrétisante; un droit et un principe générateurs sont


supérieurs aux droits et principes générés. Dès lors la question se pose des critères de
détermination de la fondamentalité dans la Constitution.

II. Les critères possibles de détermination de la fondamentalité dans la


Constitution

Dans la Constitution, on pourrait retenir quatre critères de détermination de la


fondamentalité matérielle. Il s'agit de la structure même de la Constitution, du
qualificatif "fondamental", du caractère inné et de l'intangibilité.

1. La structure de la Constitution

La Constitution offre une structure qui révèle une certaine hiérarchie entre ses normes.
Elle définit d’abord l’État et ses attributs de souveraineté. Viennent ensuite la garantie et
la reconnaissance des droits et des libertés auxquels sont ajoutés des devoirs. Enfin, on a
la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs à travers la répartition des compétences
entre diverses institutions nationales et provinciales.

Cette structure suggère que le but de l’État est de protéger les droits et les libertés des
personnes, en vue du mieux vivre ensemble. Ces personnes ont, en retour, des devoirs
vis-à-vis de l’État. Pour arriver, d’une part, à la réalisation du but de l’État et, d’autre
part, à l’accomplissement des devoirs des particuliers à l’égard de l’État, est opérée une
répartition du pouvoir étatique entre différents organes avec une détermination des
compétences respectives. La continuité des services publics et la sécurité juridique
justifient la présence des dispositions transitoires dans la Constitution.

Il résulte de cette structure que sont fondamentaux le principe de séparation des


pouvoirs ainsi que les droits et libertés.
5

2. L'utilisation du qualificatif "fondamental" dans la Constitution

Le Titre II de la Constitution est intitulé: "Des droits humains, des libertés


fondamentales". Ce titre pourrait faire penser que seules les libertés sont fondamentales.
Pourtant, on trouve aussi des "droits à des libertés", tels que les droits aux libertés de
pensée, de conscience, de religion et d'expression (art. 22 et 23). De plus, à l'article 150,
alinéa premier, il est fait mention des libertés individuelles et droits fondamentaux. Il y
a donc des droits fondamentaux et des libertés fondamentales dans la Constitution.

L'utilisation des expressions "droits" et "libertés" acculent à préciser le distinguo entre


les deux notions. Pour Xavier Bioy, trois critères permettent de les distinguer : la portée,
le droit subjectif et la créance. Selon le critère de la portée des prérogatives octroyées au
sujet, le mot liberté conviendrait aux hypothèses où le spectre des possibilités serait
large, contrairement au droit n’offrant qu’une possibilité d’agir. Mais une fois que l’on a
choisi, la liberté devient le droit. D’après le critère du droit subjectif, le droit est
l’exigence en justice de ce que la norme permet et la liberté la spontanéité de faire ce
que le droit objectif n’interdit pas. Enfin, au regard du critère de la créance, les libertés
impliquent l’abstention de l’État et les droits-créances exigent l’action10.

Il en résulte que la liberté est une faculté d'adopter un comportement. Cette faculté est
fondée sur un droit. Ainsi, par exemple, la liberté des réunions pacifiques, garantie par
l’article 25, est fondée sur "le droit d’expression collective des idées et des opinions"11.

La liberté s’exerce par un comportement et selon le bon vouloir du titulaire. Le droit


impose un comportement à autrui. En être titulaire ne dépend pas du bon vouloir de la
personne; c'est plutôt son exercice 12. Aussi, le droit qui sous-tend une liberté s'exerce à

10
BIOY, p. 107.
11
C'est la trouvaille du Conseil constitutionnel français (CC 18 janvier 1995, décis. n°94-352 DC). On rencontre
également l'idée, non pas l'expression, chez AUER II, p. 323-324; BIOY, p. 689 et Frédéric SUDRE, Droit
européen et international des droits de l'homme, 10e éd. refondue, PUF, Paris 2011, p. 609 ss.
12
BIOY, p. 191.
6

travers cette dernière et la liberté s'exerce à travers un comportement adopté par son
titulaire13.

À noter, cependant, que le chapitre 1er a pour titre "des droits civils et politiques". Sous
ce titre, on a des libertés: liberté individuelle (art. 17); liberté de presse, liberté
d'information et d'émission par la radio et la télévision (art. 24). C'est comme s'il y avait
une équivalence entre droit et liberté. Mais, la question suivante n'est pas dirimée: le
qualificatif "fondamental" suffit-il comme critère de détermination de la fondamentalité
d'un droit, d'une liberté ou d'un principe? Il ne faut pas le penser, car il existe, entre
autres, des droits non qualifiés de fondamentaux mais qui ne le sont pas moins, à l'instar
des droits innés.

3. Le caractère inné des droits

L'article 11 de la Constitution dispose: "Tous les êtres humains naissent libres et égaux
en dignité et en droits. Toutefois, la jouissance des droits politiques est reconnue aux
seuls Congolais, sauf exceptions établies par la loi."

D'après cette disposition, la liberté et l'égalité en dignité et en droits sont essentiellement


liées à la nature humaine. Ce sont des principes de liberté et d'égalité, mais également
des droits innés à la liberté et à l'égalité. On est ici en face d'une fiction selon laquelle
ces droits préexistent à la réalité sociale et on sort du sein maternel en en ayant la
jouissance et non l'exercice direct. Ainsi, aucun être humain ne peut être arbitrairement
discriminé, ni rendu servile 14.

Puisque consubstantiels à l’essence et à l’existence de leurs titulaires, les droits innés


jouissent de la fondamentalité substantielle, car ils sont une condition d'existence

13
Cette conception française reprise dans la Constitution est différente de la conception suisse d'après laquelle
les libertés sont des droits civils et politiques opposables principalement à l'État (AUER II , p. 8, 12, 71).
14
Une discrimination peut, cependant, être envisagée. Ainsi, la Constitution elle-même prévoit une
discrimination entre nationaux et étrangers à propos des droits politiques qu'elle octroie aux seuls congolais,
sous réserve des « exceptions établies par la loi ». On comprend dès lors que les droits politiques ne sont pas
innés; ils sont accordés, et non reconnus, par la société.
7

d'autres droits qui en résultent et dont ils sont matériellement supérieurs. Ils partagent
l'intangibilité avec d'autres principes.

4. L'intangibilité

L'article 220 de la Constitution prévoit des principes et des prérogatives insusceptibles


d’être l’objet de révision constitutionnelle et sont, donc, intangibles. Il s'agit de la forme
républicaine de l'État, du suffrage universel, de la forme représentative du
Gouvernement, du nombre et de la durée des mandats du Président de la République, de
l'indépendance du pouvoir judiciaire, du pluralisme politique et syndical, de
l'irréductibilité des droits et libertés de la personne et de celle des prérogatives des
provinces et des entités territoriales décentralisées.

Certes, cette disposition ne prévoit pas sa propre irrévisabilité ; mais en réviser le


contenu aurait pour effet de porter atteinte à l'intangibilité qu'elle prévoit. En
conséquence, l'interprétation téléologique permet d'affirmer qu'elle est aussi
matériellement intangible, sauf à procéder à son abrogation par celle de toute la
Constitution. Car cette dernière n'envisage que la possibilité d'une révision partielle et
exclut toute révision des principes et prérogatives énumérés par l'article 220 15.

L’intangibilité est un critère déterminant pour établir la fondamentalité dans la


Constitution. Les principes et les prérogatives qui en sont bénéficiaires ne peuvent pas
être révisés sans porter atteinte à l’essence-même de l’État congolais qui est une
République et non pas une monarchie ou une oligarchie. Une République qui se veut
respectueuse du droit et des droits et des libertés, et dont l’architecture institutionnelle
se veut unitaire et fortement décentralisée.

Comme on peut le constater, le caractère inné des droits et l’intangibilité fondée sur
l'irrévisabilité constituent deux critères relevants de détermination de la fondamentalité

15
Cf. Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE, "L'inconstitutionnalité substantielle de la révision des dispositions
constitutionnelles relatives au Pouvoir judiciaire et aux institutions provinciales", http://www.droitcongolais.info/etudes-
_particulières.html; IDEM, "La révision constitutionnelle dans la Constitution congolaise du 18 février 2006",
http://www.droitcongolais.info/etudes_particulières.html.
8

dans la Constitution. Les deux autres critères, à savoir la structure de la Constitution et


l'utilisation du qualificatif "fondamental" ne sont que subsidiaires.

La détermination de la fondamentalité dans la Constitution n'a pas d'intérêt pour le


juriste, si elle ne bénéficie pas d'une protection juridique.

III. L'exigence d'une protection juridique spéciale de la fondamentalité

En dehors de la protection ordinaire des normes constitutionnelles contre les actes


législatifs, il n'existe pas de sanctions que peut subir une norme constitutionnelle ou une
révision constitutionnelle contraires aux normes fondamentales. C'est une lacune à
combler, en accordant expressément une protection juridictionnelle à la fondamentalité.

1. La sanction constitutionnelle ordinaire

L'article 168 dispose, en son deuxième alinéa, que "tout acte déclaré non conforme à la
Constitution est nul de plein droit".

La sanction ordinaire est la nullité de tout acte déclaré contraire à la Constitution. Sous
le mot "acte", il faut mettre "lois et actes ayant force de loi", conformément au premier
alinéa de l'article 160. Il n'existe pas de sanction à l'encontre d'une règle formellement
fondamentale qui serait contraire aux normes matériellement fondamentales. Cette
absence pourrait trouver sa justification dans la conception purement formelle de la
Constitution qui exclut toute hiérarchie entre ses normes et, donc, un contrôle de
constitutionnalité des normes constitutionnelles. Or, en tenant compte du contenu
normatif, on peut envisager une protection renforcée pour des normes substantiellement
fondamentales.

2. Pour une protection renforcée de la fondamentalité matérielle

En dehors de l'article 220 prévoyant l'irrévisabilité des droits et principes en raison de


leur fondamentalité matérielle, il n'existe pas de protection spéciale de ces droits et
principes. Pourtant, on peut envisager une interprétation conforme des normes
9

constitutionnelles, un contrôle de constitutionnalité de la révision constitutionnelle et


l'auto-saisine du Parquet près la Cour constitutionnelle.

2.1. L'interprétation des normes constitutionnelles

L'interprétation est une opération qui consiste à discerner abstraitement le véritable sens
d'un texte obscur16; c'est un procédé intellectuel qui consiste à rechercher le sens d'une
norme applicable à un cas donné 17. Lorsque l’application de cette norme risque
d'aboutir à un résultat contraire à une norme fondamentale, il vaudrait mieux se
conformer à cette dernière; c'est-à-dire, en attendant de la réviser, il faut l’interpréter
conformément à la norme fondamentale. Il faudrait prévoir qu'une norme
constitutionnelle révisée par la voie législative puisse être attaquée pour contrariété à la
norme fondamentale. Celle révisée, en revanche, par la voie référendaire ne peut qu'être
interprétée conformément à la norme fondamentale à laquelle elle est contraire, par
respect pour le souverain, l'unique détenteur du pouvoir constituant.

2.2. Le contrôle de constitutionnalité de la révision constitutionnelle

La Constitution peut être révisée selon une procédure qu'elle-même prévoit aux articles
218 à 220. Mais, en vertu de l'article 220, certaines dispositions ne peuvent faire l'objet
d'aucune révision. Elles sont relatives aux droits de la personne humaine et aux
fondements de la République Démocratique du Congo, en tant qu’État unitaire et
fortement décentralisé. De ce fait, elles sont matériellement fondamentales. C’est
pourquoi, elles bénéficient de l’irrévisabilité, à la différence d'autres dispositions
constitutionnelles qui restent révisables, sous réserve du respect de la procédure prévue
à cet effet.

Aussi, une révision constitutionnelle qui ne respecterait pas le prescrit de l’article 220
devrait être sanctionnée de nullité, conformément à l'article (art. 168 al. 2), même si la
16
CORNU, verbo "interprétation"; Pierre AVRIL / Jean GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, 3e éd., PUF,
Paris 2012, verbo "interprétation".
17
Yves LE ROY / Marie-Bernadette SCHŒNENBERGER, Introduction générale au droit suisse, 3e éd. entièrement
refondue, L.G.D.J / Schultess, Paris/Genève. Zurich. Bâle 2011, p. 432.
10

Constitution ne parle que des actes législatifs ou réglementaires et non constitutionnels


(art. 160 al. 1, 162 al. 2). Néanmoins, d'après la jurisprudence de la Cour suprême de
justice, le critère déterminant pour définir l'acte législatif est l'organe qui a émis l'acte18.
Une loi constitutionnelle est, de ce point de vue, un acte législatif qui doit se conformer
à la Constitution sous peine de nullité. Fort malheureusement, tel ne semble pas encore
être le cas. C'est ainsi que l'on a assisté à une révision constitutionnelle portant atteinte à
l'article 220 de la Constitution, du fait d'avoir touché à l'indépendance organique du
pouvoir judiciaire en en détachant le Parquet, le privant ainsi formellement du statut
constitutionnel. En effet, l'ancien article 149 conférait le pouvoir judicaire aussi bien
aux cours et tribunaux qu'aux parquets rattachés à ces juridictions. La loi
constitutionnelle du 20 janvier 2011 a amendé cette disposition en supprimant le
Parquet parmi les titulaires du pouvoir judiciaire.

Il est regrettable que le Constituant n'a pas prévu l'intervention du juge constitutionnel
dans la procédure de révision de la Constitution, laissant au seul Parlement la
compétence d'examiner le bien-fondé de la pétition, du projet et de la proposition de
révision constitutionnelle (art. 219, al. 2).

L'examen du bien-fondé d'une suggestion de révision constitutionnelle est une tâche


technique qui ne doit pas être laissée aux seuls députés et sénateurs. L'exigence de la
majorité absolue pour la validité de la décision n'est pas de nature à régler la question. Il
est judicieux de prévoir un contrôle juridictionnel a priori ou a posteriori de la révision
constitutionnelle. Car, de toutes les manières, les dispositions de l'article 220 doivent
impérativement être respectées.

La contrôle a posteriori ne peut concerner qu'une révision obtenue par la voie


législative, à l'exclusion de celle adoptée par la voie référendaire qui est l'acte du corps

18
Cour suprême de justice, Arrêt n° R. Const. 51/TSR du 31 juillet 2007, requête en inconstitutionnalité de la décision de
l'Assemblée provinciale du Kasaï Occidental du 07 juin 2007 portant motion de défiance contre le gouverneur Trésor
Kapuku Ngoy, sous "De la recevabilité".
11

électoral, et donc non justiciable 19. À propos du contrôle a priori, on pourrait ainsi
envisager de soumettre au juge constitutionnel toute loi constitutionnelle pour examen
de sa conformité à la Constitution, à l'instar des lois organiques (art. 160 al.2), et toute
pétition, projet ou proposition de révision avant la convocation du référendum. Aussi,
une loi constitutionnelle déclarée non conforme à la Constitution serait nulle 20. De
même, toute suggestion de révision déclarée matériellement contraire à la Constitution
ne devrait pas être soumise au référendum, car après celui-ci le juge devient
incompétent pour contrôler l'acte du souverain21.

2.3. L'auto-saisine du Parquet près la Cour constitutionnelle

La distinction entre fondamentalité formelle et fondamentalité matérielle permet


d’accorder plus de protection juridictionnelle aux droits et principes dont la
fondamentalité est aussi bien formelle que matérielle, notamment par une auto-saisine
du Parquet auprès du juge constitutionnel, en cas de leur violation, fût-il par une
révision législative de la Constitution. La violation notoire d'une norme
constitutionnelle par une autorité publique ne peut laisser indifférent le Parquet près la
Cour constitutionnelle, car l'affaire relève de l'intérêt public. Ce Parquet devrait

19
Voir Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE, "L'inconstitutionnalité substantielle de la révision des
dispositions constitutionnelles relatives au Pouvoir judiciaire et aux institutions provinciales",
http://droitcongolais.info/files/loi_constitutionnelle_et_constitution.pdf
20
À noter que le Conseil constitutionnel français, après quelques hésitations, a exclu les lois constitutionnelles
du domaine du contrôle de constitutionnalité par sa décision du 26 mars 2003 (CC 2003-469 DC du 26 mars
2003, R. p. 293). En France, la question reste débattue en doctrine: Certains considèrent que le Constituant
dérivé ayant pour mission de modifier la constitution ne doit pas être soumis à la constitution; d'autres estiment
que l'acte du pouvoir législatif, fût-il la révision constitutionnelle doit être soumis à la constitution. (Dominique
ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, 9e éd., Montchrestien / Lextenso, Paris 2012, p. 220-223). ).
Pour moi, il s'agit d'une lacune qui doit être comblée par une révision constitutionnelle. Cette lacune aurait été
reprise par la Constitution congolaise. Le constitutionnalisme congolais exige que l'activité politique, en
l'occurrence celle du législateur, soit encadrée par la Constitution et contrôlée par le juge constitutionnel.
21
Dans ce sens, la décision du Conseil constitutionnel français qui, en 1962, s'était déclaré incompétent pour se
prononcer sur l'inconstitutionnalité d'une loi référendaire adoptée par les électeurs à une forte majorité et non
encore promulguée, car elle était l'expression directe de la souveraineté nationale (CC 6 nov. 1962, Rec. 27).
Cette position a été réaffirmée en 1992 (Décis. n° 92-313 DC du 23 sept. 1992, RDP 1992. 1618).
12

défendre non pas les intérêts du pouvoir politique, mais les intérêts et les buts de la
Constitution22.

Conclusion

La fondamentalité dans la Constitution se réduit à la fondamentalité matérielle. Ainsi


donc, sont supérieures aux autres dans la Constitution, les normes matériellement
fondamentales, dont le contenu est intangible et/ou composé des droits innés. Ces
normes devraient constituer des critères de validité d'autres normes, nonobstant leur
égalité formelle.

La fondamentalité matérielle établit une certaine hiérarchie normative qui doit être
protégée juridictionnellement, en plus de la protection garantie à toutes les normes
constitutionnelles. Concrètement, il faudrait prévoir qu'une norme constitutionnelle
contraire aux normes matériellement fondamentales doive faire l'objet d'une auto-saisine
du Parquet près la juridiction constitutionnelle et être considérée comme nulle, après la
déclaration de cette contrariété par le juge constitutionnel.

Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE

Dr iur

22
Voir Nicolo ZANIN, "Le parquet dans le système institutionnel italien", in Bertrand M ATHIEU et Michel
VERPEAUX (dir.), Le statut constitutionnel du parquet, Dalloz, Paris 2012, p. 29.

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