FONDAMENTALITE
FONDAMENTALITE
FONDAMENTALITE
L'introduction
En droit positif, la Constitution d’un État est une loi fondamentale du fait qu’elle ne
résulte d’aucune norme, mais que toutes les règles en découlent et doivent lui être
conformes. Sur cette base, toutes les dispositions constitutionnelles sont fondamentales.
Néanmoins, on trouve dans la Constitution congolaise (ci-après : la Constitution) des
expressions telles que « principes fondamentaux1 », « droits fondamentaux2 » et
« libertés fondamentales 3 », voire garanties fondamentales 4. Ces expressions suggèrent
l'existence d'une fondamentalité différente de celle que confère la simple appartenance
au texte constitutionnel. Cette fondamentalité peut fonder une certaine hiérarchie
normative interne la Constitution et requérir une protection juridique spéciale. L’étude
de cette problématique exige d’abord de définir la notion même de fondamentalité et
d'en déterminer les critères.
I. La notion de fondamentalité
La fondamentalité est la propriété de ce qui est fondamental. Est fondamental ce qui est
à la base, aux fondements d’un système juridique. C'est son socle, ce sans quoi, il ne
1
Art. 47 al. 2; 61.
2
Art. 150 .
3
Titre II .
4
Art. 122, ch. 1. À noter que les garanties fondamentales qui ne sont pas définies par la Constitution peuvent être
entendues comme des dispositions que doivent prendre les organes étatiques pour permettre aux citoyens d’exercer leurs
libertés publiques. En vertu du mandat accordé au législateur, ces garanties doivent être prévues dans une loi. Elles ne
concernent pas notre propos ici.
2
1. La fondamentalité formelle
2. La fondamentalité matérielle
5
Gérard CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 9e éd., Quadrige, Paris 2011, verbo "fondamental".
6
Denis ALLAND / Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Quadrige / Lamy-PUF, Paris 2003, verbo
"fondamentalité".
7
Xavier BIOY, Droits fondamentaux et des libertés publiques, Montchrestien, Lextenso éditions, Paris 2011,
p. 101-102. Sur la critique de la thèse formelle, p. 102-103.
3
biais d’autres normes qui les concrétisent et/ou les précisent. Ces normes, à la différence
des autres normes, sont substantiellement fondamentales 8.
1. La structure de la Constitution
La Constitution offre une structure qui révèle une certaine hiérarchie entre ses normes.
Elle définit d’abord l’État et ses attributs de souveraineté. Viennent ensuite la garantie et
la reconnaissance des droits et des libertés auxquels sont ajoutés des devoirs. Enfin, on a
la mise en œuvre de la séparation des pouvoirs à travers la répartition des compétences
entre diverses institutions nationales et provinciales.
Cette structure suggère que le but de l’État est de protéger les droits et les libertés des
personnes, en vue du mieux vivre ensemble. Ces personnes ont, en retour, des devoirs
vis-à-vis de l’État. Pour arriver, d’une part, à la réalisation du but de l’État et, d’autre
part, à l’accomplissement des devoirs des particuliers à l’égard de l’État, est opérée une
répartition du pouvoir étatique entre différents organes avec une détermination des
compétences respectives. La continuité des services publics et la sécurité juridique
justifient la présence des dispositions transitoires dans la Constitution.
Il en résulte que la liberté est une faculté d'adopter un comportement. Cette faculté est
fondée sur un droit. Ainsi, par exemple, la liberté des réunions pacifiques, garantie par
l’article 25, est fondée sur "le droit d’expression collective des idées et des opinions"11.
10
BIOY, p. 107.
11
C'est la trouvaille du Conseil constitutionnel français (CC 18 janvier 1995, décis. n°94-352 DC). On rencontre
également l'idée, non pas l'expression, chez AUER II, p. 323-324; BIOY, p. 689 et Frédéric SUDRE, Droit
européen et international des droits de l'homme, 10e éd. refondue, PUF, Paris 2011, p. 609 ss.
12
BIOY, p. 191.
6
travers cette dernière et la liberté s'exerce à travers un comportement adopté par son
titulaire13.
À noter, cependant, que le chapitre 1er a pour titre "des droits civils et politiques". Sous
ce titre, on a des libertés: liberté individuelle (art. 17); liberté de presse, liberté
d'information et d'émission par la radio et la télévision (art. 24). C'est comme s'il y avait
une équivalence entre droit et liberté. Mais, la question suivante n'est pas dirimée: le
qualificatif "fondamental" suffit-il comme critère de détermination de la fondamentalité
d'un droit, d'une liberté ou d'un principe? Il ne faut pas le penser, car il existe, entre
autres, des droits non qualifiés de fondamentaux mais qui ne le sont pas moins, à l'instar
des droits innés.
L'article 11 de la Constitution dispose: "Tous les êtres humains naissent libres et égaux
en dignité et en droits. Toutefois, la jouissance des droits politiques est reconnue aux
seuls Congolais, sauf exceptions établies par la loi."
13
Cette conception française reprise dans la Constitution est différente de la conception suisse d'après laquelle
les libertés sont des droits civils et politiques opposables principalement à l'État (AUER II , p. 8, 12, 71).
14
Une discrimination peut, cependant, être envisagée. Ainsi, la Constitution elle-même prévoit une
discrimination entre nationaux et étrangers à propos des droits politiques qu'elle octroie aux seuls congolais,
sous réserve des « exceptions établies par la loi ». On comprend dès lors que les droits politiques ne sont pas
innés; ils sont accordés, et non reconnus, par la société.
7
d'autres droits qui en résultent et dont ils sont matériellement supérieurs. Ils partagent
l'intangibilité avec d'autres principes.
4. L'intangibilité
Comme on peut le constater, le caractère inné des droits et l’intangibilité fondée sur
l'irrévisabilité constituent deux critères relevants de détermination de la fondamentalité
15
Cf. Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE, "L'inconstitutionnalité substantielle de la révision des dispositions
constitutionnelles relatives au Pouvoir judiciaire et aux institutions provinciales", http://www.droitcongolais.info/etudes-
_particulières.html; IDEM, "La révision constitutionnelle dans la Constitution congolaise du 18 février 2006",
http://www.droitcongolais.info/etudes_particulières.html.
8
L'article 168 dispose, en son deuxième alinéa, que "tout acte déclaré non conforme à la
Constitution est nul de plein droit".
La sanction ordinaire est la nullité de tout acte déclaré contraire à la Constitution. Sous
le mot "acte", il faut mettre "lois et actes ayant force de loi", conformément au premier
alinéa de l'article 160. Il n'existe pas de sanction à l'encontre d'une règle formellement
fondamentale qui serait contraire aux normes matériellement fondamentales. Cette
absence pourrait trouver sa justification dans la conception purement formelle de la
Constitution qui exclut toute hiérarchie entre ses normes et, donc, un contrôle de
constitutionnalité des normes constitutionnelles. Or, en tenant compte du contenu
normatif, on peut envisager une protection renforcée pour des normes substantiellement
fondamentales.
L'interprétation est une opération qui consiste à discerner abstraitement le véritable sens
d'un texte obscur16; c'est un procédé intellectuel qui consiste à rechercher le sens d'une
norme applicable à un cas donné 17. Lorsque l’application de cette norme risque
d'aboutir à un résultat contraire à une norme fondamentale, il vaudrait mieux se
conformer à cette dernière; c'est-à-dire, en attendant de la réviser, il faut l’interpréter
conformément à la norme fondamentale. Il faudrait prévoir qu'une norme
constitutionnelle révisée par la voie législative puisse être attaquée pour contrariété à la
norme fondamentale. Celle révisée, en revanche, par la voie référendaire ne peut qu'être
interprétée conformément à la norme fondamentale à laquelle elle est contraire, par
respect pour le souverain, l'unique détenteur du pouvoir constituant.
La Constitution peut être révisée selon une procédure qu'elle-même prévoit aux articles
218 à 220. Mais, en vertu de l'article 220, certaines dispositions ne peuvent faire l'objet
d'aucune révision. Elles sont relatives aux droits de la personne humaine et aux
fondements de la République Démocratique du Congo, en tant qu’État unitaire et
fortement décentralisé. De ce fait, elles sont matériellement fondamentales. C’est
pourquoi, elles bénéficient de l’irrévisabilité, à la différence d'autres dispositions
constitutionnelles qui restent révisables, sous réserve du respect de la procédure prévue
à cet effet.
Aussi, une révision constitutionnelle qui ne respecterait pas le prescrit de l’article 220
devrait être sanctionnée de nullité, conformément à l'article (art. 168 al. 2), même si la
16
CORNU, verbo "interprétation"; Pierre AVRIL / Jean GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, 3e éd., PUF,
Paris 2012, verbo "interprétation".
17
Yves LE ROY / Marie-Bernadette SCHŒNENBERGER, Introduction générale au droit suisse, 3e éd. entièrement
refondue, L.G.D.J / Schultess, Paris/Genève. Zurich. Bâle 2011, p. 432.
10
Il est regrettable que le Constituant n'a pas prévu l'intervention du juge constitutionnel
dans la procédure de révision de la Constitution, laissant au seul Parlement la
compétence d'examiner le bien-fondé de la pétition, du projet et de la proposition de
révision constitutionnelle (art. 219, al. 2).
18
Cour suprême de justice, Arrêt n° R. Const. 51/TSR du 31 juillet 2007, requête en inconstitutionnalité de la décision de
l'Assemblée provinciale du Kasaï Occidental du 07 juin 2007 portant motion de défiance contre le gouverneur Trésor
Kapuku Ngoy, sous "De la recevabilité".
11
électoral, et donc non justiciable 19. À propos du contrôle a priori, on pourrait ainsi
envisager de soumettre au juge constitutionnel toute loi constitutionnelle pour examen
de sa conformité à la Constitution, à l'instar des lois organiques (art. 160 al.2), et toute
pétition, projet ou proposition de révision avant la convocation du référendum. Aussi,
une loi constitutionnelle déclarée non conforme à la Constitution serait nulle 20. De
même, toute suggestion de révision déclarée matériellement contraire à la Constitution
ne devrait pas être soumise au référendum, car après celui-ci le juge devient
incompétent pour contrôler l'acte du souverain21.
19
Voir Constantin YATALA NSOMWE NTAMBWE, "L'inconstitutionnalité substantielle de la révision des
dispositions constitutionnelles relatives au Pouvoir judiciaire et aux institutions provinciales",
http://droitcongolais.info/files/loi_constitutionnelle_et_constitution.pdf
20
À noter que le Conseil constitutionnel français, après quelques hésitations, a exclu les lois constitutionnelles
du domaine du contrôle de constitutionnalité par sa décision du 26 mars 2003 (CC 2003-469 DC du 26 mars
2003, R. p. 293). En France, la question reste débattue en doctrine: Certains considèrent que le Constituant
dérivé ayant pour mission de modifier la constitution ne doit pas être soumis à la constitution; d'autres estiment
que l'acte du pouvoir législatif, fût-il la révision constitutionnelle doit être soumis à la constitution. (Dominique
ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel, 9e éd., Montchrestien / Lextenso, Paris 2012, p. 220-223). ).
Pour moi, il s'agit d'une lacune qui doit être comblée par une révision constitutionnelle. Cette lacune aurait été
reprise par la Constitution congolaise. Le constitutionnalisme congolais exige que l'activité politique, en
l'occurrence celle du législateur, soit encadrée par la Constitution et contrôlée par le juge constitutionnel.
21
Dans ce sens, la décision du Conseil constitutionnel français qui, en 1962, s'était déclaré incompétent pour se
prononcer sur l'inconstitutionnalité d'une loi référendaire adoptée par les électeurs à une forte majorité et non
encore promulguée, car elle était l'expression directe de la souveraineté nationale (CC 6 nov. 1962, Rec. 27).
Cette position a été réaffirmée en 1992 (Décis. n° 92-313 DC du 23 sept. 1992, RDP 1992. 1618).
12
défendre non pas les intérêts du pouvoir politique, mais les intérêts et les buts de la
Constitution22.
Conclusion
La fondamentalité matérielle établit une certaine hiérarchie normative qui doit être
protégée juridictionnellement, en plus de la protection garantie à toutes les normes
constitutionnelles. Concrètement, il faudrait prévoir qu'une norme constitutionnelle
contraire aux normes matériellement fondamentales doive faire l'objet d'une auto-saisine
du Parquet près la juridiction constitutionnelle et être considérée comme nulle, après la
déclaration de cette contrariété par le juge constitutionnel.
Dr iur
22
Voir Nicolo ZANIN, "Le parquet dans le système institutionnel italien", in Bertrand M ATHIEU et Michel
VERPEAUX (dir.), Le statut constitutionnel du parquet, Dalloz, Paris 2012, p. 29.