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Études internationales

Déplacés et réfugiés : droit humanitaire et action


internationale
Onnig Beylerian

Volume 31, numéro 1, 2000

URI : https://id.erudit.org/iderudit/704131ar
DOI : https://doi.org/10.7202/704131ar

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Éditeur(s)
Institut québécois des hautes études internationales

ISSN
0014-2123 (imprimé)
1703-7891 (numérique)

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Citer ce document
Beylerian, O. (2000). Déplacés et réfugiés : droit humanitaire et action
internationale. Études internationales, 31(1), 165–185.
https://doi.org/10.7202/704131ar

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LIVRES

1. Étude bibliographique

Déplacés et réfugiés :
droit humanitaire et action
internationale*
OnmgBEYLERIAN**

Les mouvements migratoires sont désormais sensiblement influencés par


les effets de la mondialisation 1 , mais aussi par les guerres civiles et les
violations des droits de la personne. En fait, les mouvements migratoires
paraissent être un mélange de migrants économiques et de demandeurs
d'asile. D'une part, plusieurs États et sociétés éprouvent des difficultés à
s'adapter aux effets de la mondialisation, produisant ainsi des couches sociales
démunies qui hier encore étaient convaincues que l'amélioration de leurs
conditions de vie étaient à la portée de leur labeur. Aujourd'hui ces mêmes
personnes cherchent à quitter leur pays pour améliorer leur sort ailleurs, de
préférence dans les pays riches du Nord. D'autre part, les guerres civiles
accompagnées par le dysfonctionnement des États et des sociétés civiles
demeurent toujours des situations qui engendrent des réfugiés débordant les
frontières et demandant l'asile dans des pays distants. À ces deux grandes

* LASSAILLY-JACOB, Véronique, Jean-Yves MARCHAL et André QUESNEL (dir.), Déplacés et réfugiés :


La mobilité sous contrainte, Paris, Éditions de I'IRD (Institut de recherche pour le développe-
ment), 1999, 504 p.
GARDAM, Judith (dir.), Humanitarian Law, Ashgate/Darmouth Publishing Company, Aldershot
(England UK), 1999, 570 p.
BEIGBEDER, Yves, Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Paris, Presses
universitaires de France, Coll. Que sais-je? n° 3489, 1999, 127 p.
** Professeur au Département de science politique de l'Université du Québec à Montréal, Canada.
1. Sarah COLLINSON, Globalisation and the Dynamics ofInternational Migration : Implications for the
Refugee Régime, UNHCR, Working Paper n° 1, May 1999, http://www.unhcr.ch/refworld/pub/
wpapers/wpnol .htm.
Revue Études internationales, volume xxxi, n° 1, mars 2000

165
166 Onnig BEYLERIAN

sources de migration viennent s'ajouter de nouveaux phénomènes migra-


toires, tels que l'émergence de nouvelles diasporas issues des premiers départs
d'émigrés installés dans les pays d'accueil2 ou le phénomène de l'immigration
illégale rendue possible par des mouvements internationaux organisés de
criminels qui recourent à des méthodes et des procédés de plus en plus
sophistiqués. Le problème des mouvements et des flux de réfugiés évolue
rapidement et prend de plus en plus des nouvelles dimensions; il nécessite
qu'on lui trouve de nouvelles approches. Sans aucun doute, les flux de
réfugiés et les mouvements migratoires occupent désormais une place de
premier choix à l'ordre du jour international.
Les ouvrages que nous examinons ici jettent justement un éclairage
détaillé'et presque complet sur les phénomènes des migrations forcées, les
flux de réfugiés, le droit humanitaire dans la plupart de ses composantes et
l'action humanitaire du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfu-
giés (HCR) chargé de répondre aux urgences humanitaires et de surveiller le
régime international de la protection des réfugiés.

I - L'ampleur du phénomène
Pour pouvoir appréhender la complexité de ce phénomène global, le
premier ouvrage, qui rassemble les contributions d'une majorité de géogra-
phes 3 , s'attache à typologiser la diversité des cas impliquant les déplacements
forcés de populations, surtout dans le contexte africain4 et à illustrer la
complexité extrême des migrations forcées dans des situations les plus diver-
ses5. Quatre questions apparaissent au centre des préoccupations des interve-
nants. La plus importante est sans aucun doute la multiplicité des causes des
migrations forcées ; l'intégration dans les lieux d'accueil, comme aussi bien les
effets des déplacements forcés sur l'environnement d'accueil ; et le retour et les
rapatriements.

A — La multiplicité des causes


Gomment saisir la complexité d'un phénomène dont les causes sont
multiples et hautement enchevêtrées les unes avec les autres? Lasailly-Jacob

2. Jeff CRISP, Policy Challenges oj the New Diasporas : Migrant Networks and their Impact on Asylum
Flows and Régimes, UNHCR, Working Paper n° 7, May 1999, http://www.unhcr.ch/refworld/
pub/wpapers/wpno7.htm.
3. Mais aussi des ethnologues, des anthropologues, un sociologue, un juriste, un médecin et un
agronome. Tous les contributeurs possèdent une expérience pratique tangible et dans une
large mesure leur contribution individuelle se lit comme un rapport de leur recherche-action
sur le terrain.
4. Ainsi, sur quatorze chapitres qui concernent spécifiquement des études de cas de régions ou
de pays, onze portent sur l'Afrique et trois sont consacrés respectivement à l'Indonésie, au
Vietnam et au Chili. •• .
5. Illustrer est le verbe le plus approprié, vu l'abondance de cartes et de figures conçues,
dessinées et présentées d'une manière remarquable.
DEPLACES ET REFUGIES : DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 167

propose un classement en quatre catégories6 : violences et persécutions, dégra-


dations et destructions de l'environnement, politiques d'aménagement du
territoire, interventions d'ordre politique et stratégique. Sa classification ne
prétend pas embrasser le phénomène des migrations en général, mais une
classe particulière de migrations : celle de la migration forcée. À la limite, on
peut réduire les causes des migrations forcées - comme le fait F. Grunewald
plus loin dans l'ouvrage - à trois causes principales: crise économique et
extrême pauvreté; guerres et insécurités; famines et disettes suite à des
conflits ou à des catastrophes naturelles7. Mais cette classification doit inclure
également les mécanismes produisant les migrations forcées. Les conditions
sociales, économiques, voire environnementales, atteignent une détérioration
si avancée que des communautés entières se voient contraintes de quitter en
masse graduellement ou soudainement leur foyer. Certaines le font à cause des
effets directs ou indirects des politiques socio-économiques de l'État, ou parce
qu'elles sont placées devant la nécessité absolue de fuir la répression et la
persécution massives perpétrées par l'État ou par des groupements sur les-
quels l'État ne paraît pas avoir une emprise. Cette distinction entre les condi-
tions structurelles ou objectives et le rôle de l'État n'est pas vaine, car il existe
bel et bien une différence entre les migrants économiques qui cherchent à
améliorer leurs conditions de vie et les réfugiés qui doivent quitter leur
résidence habituelle afin de sauver leur vie ou leur dignité entamée lourde-
ment par la violation des droits de la personne telle que pratiquée par leur
État.
Le problème de classification est que souvent les deux sont intimement
imbriqués et il est très malaisé de départager les sources ou les causes
multiples des départs. Cela s'avère parfois très complexe surtout lorsque les
crises économiques donnent lieu à des conflits inter-ethniques. D'ailleurs la
plupart de ces derniers ont des soubassements économiques, liés plus exacte-
ment au droit de propriété, qu'on ignore trop souvent au profit d'observables
que sont les mémoires collectives, les attachements identitaires et les haines
mutuelles. Ainsi, certaines communautés quittent leur foyer car il leur est
insupportable de demeurer dans un pays dont l'économie est en chute libre et
paraît mener tout droit vers une confrontation violente entre les différents
groupes sociaux et ethniques. C'est aussi certainement le cas d'États dont les
fondations politiques demeurent encore faibles, ou dans le cas des États qui
sont près de l'effondrement ou qui se sont effondrés et qui ont du mal à se
rétablir. L'absence d'un État fonctionnel rend encore plus problématique tout
espoir de redressement économique et social et semble être liée aux causes de
la production de réfugiés et de migrants. En Afrique, plus qu'en d'autres
continents, on trouve des déplacements aux causes multiples. Très souvent les
trois causes principales sont présentes simultanément. Il est rare que des

6. Véronique LASAILLY-JACOB, « Migrants malgré eux : une proposition de typologie », in Déplacés


et réfugiés...,op. cit., pp. 27-48.
7. Voir François GRUNEWALD, « Retour, réconciliation, réhabilitation, reconstruction : les quatre R »,
in idem, p. 411.
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conflits en Afrique ne soient pas accompagnés par des disettes, voire des
véritables famines. En outre, la plupart des États africains sont faibles au point
de vue de la légitimité ou de leur pouvoir d'allégeance, mais possèdent des
capacités suffisantes pour créer des régimes répressifs qui s'adonnent à l'abus
systématique ou occasionnel des libertés individuelles8.
La classification adoptée par cet ouvrage penche sensiblement vers la
thèse que tout migrant qui se voit forcé de quitter son foyer est un réfugié. Or,
si l'on se fie à la Convention relative au Statut des réfugiés (1951) et de son
Protocole (1967), cette thèse élargit considérablement le champ d'application
de la notion de réfugié. Selon la Convention, un réfugié est un déplacé
transfrontalier qui ne peut pas ou ne veut pas retourner dans son lieu d'origine
du fait qu'il craint pour sa vie ou pour la perte de ses droits fondamentaux.
Chercher un pays pour améliorer son sort est différent du cas où l'on cherche
avant tout un refuge. Le régime international de protection des réfugiés fait
une distinction claire entre le migrant qui quitte son pays de son gré, car il
aspire à améliorer ses conditions de vie et le réfugié qui le fuit par crainte de la
persécution. Le migrant économique ne risque pas la persécution systémati-
que: il est confronté à la disette, à la pauvreté extrême ou aux mauvaises
conditions économiques.
Certains chapitres illustrent bien le caractère enchevêtré des causes de la
migration forcée et tendent de faire valoir l'élargissement du concept de la
migration forcée. Comme le rapporte J. Boutrais, la notion de réfugié chez les
Peuls a une connotation variée exprimée dans trois expressions qui représen-
teraient la migration forcée : dogga veut dire fuite face à une menace ; meeda
désigne une décision anti-pastorale, prise sous le couvert de l'intérêt public
pour le développement ; fera veut dire le caractère éperdu du sauve-qui-peut
lorsqu'une guerre éclate9. Toutes les trois paraissent renvoyer à la réalité
qu'ont vécue les Peuls contraints à prendre le chemin de l'exil, soit à cause des
conflits, soit à cause de l'impossibilité de mener leur vie d'éleveurs. Similaire -
ment dans le cas des Touaregs10 de la région sahélo-saharienne, les différentes
migrations pastorales ont été causées par des décisions administratives des
autorités coloniales, l'implantation d'industries minières et pétrolières du
Nord ou des calamités naturelles. Mais depuis 1990 jusqu'à 1995, les Touaregs
ont été aussi exposés aux conflits armés et ont connu des exodes ; des fuites
tous azimuts qui se sont soldés dans la diasporisation des communautés
touaregs.
8. Ce n'est pas par hasard que les États africains ont donné à la notion de réfugié une dimension
plus élargie que celle contenue dans la Convention relative au Statut des réfugiés (1951). Ainsi
dans la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique
(1969), le terme réfugié s'applique «à toute personne qui, du fait d'une agression, d'une
occupation, d'une domination étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre public
dans une partie ou dans la totalité de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité,
est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à
l'extérieur de son pays d'origine ou du pays dont elle a la nationalité ». (Art. 1).
9. Cf. J. BOUTRAIS, « Les éleveurs, une catégorie oubliée de migrants forcés», in V. LASSAILLY-
JACOB, et al, op. cit., pp. 161-192.
10. Edmond BERNUS, « Exodes tous azimuts en zone sahélo-saharienne », in idem, pp. 195-208.
DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS: DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 169

Un autre exemple est celui des mouvements migratoires de la région des


Grands Lacs. Durant la période de la colonisation, les mobilités forcées
dérivaient d'une multiplicité de causes aggravées par une stratification de
problèmes non résolus au fil des décennies datant de l'époque coloniale11 :
expansion démographique transfrontalière, émergence d'un salariat, expatria-
tion volontaire suite à des protestations politiques. Cette mobilité forcée de
l'époque coloniale aura contribué à l'impossibilité de construire durablement
une économie régionale intégrée. Et depuis les indépendances, cette impossi-
bilité s'est renforcée par la fragmentation de l'espace géo-économique des
Grands Lacs laquelle combinée avec l'accroissement substantielle de la popu-
lation, accompagné souvent par des déplacements dans les différentes régions
du Rwanda, du Burundi et du Congo oriental, ont mené directement aux
désastres humanitaires et aux actes génocidaires de la dernière décennie du
siècle12.
Un exemple similaire concerne un conflit inter-ethnique 13 avec pour
origine des conflits fonciers, l'aggravation de la sécheresse, l'aménagement de
la vallée du fleuve Sénégal entamé sans la prise en compte de la disposition
historique des territoires transversaux au fleuve14. Ni le Sénégal ni la Maurita-
nie ne paraissaient s'intéresser à coordonner l'aménagement des territoires au
long des deux rives du fleuve. Le conflit a donné lieu à un échange de
populations, mais l'installation des réfugiés de part et d'autre n'a pas été
ponctuée par des tensions graves avec les populations des pays d'accueil vu les
liens historiques qui lient les différentes ethnies. Bien qu'un retour ait été
effectué depuis la fin des confrontations, les rapatriés se heurtent cette fois-ci
aux problèmes de réintégration qui sont loin d'être résolus.
Deux études de cas s'efforcent de montrer d'autres formes de migration
forcée. Ici, il s'agit du rôle primordial que l'État joue dans le déplacement forcé
de communautés entières et de couches sociales. Au Vietnam, le gouverne-
ment a décidé de déplacer des personnes afin de développer la production de
la soie sur les hauts plateaux15. Ce déplacement a été considéré indissociable
de la politique de création de nouvelles zones économiques qui suppose la
redistribution de la population. Alors qu'en Indonésie, le gouvernement a
recouru à un programme de colonisation de territoires à la fois volontaire et

11. Voir également sur la mobilité forcée durant les différentes périodes de la colonisation
française en Afrique occidentale, Jean-Yves MARCHAL, « Frontières et réfugiés en Afrique
occidentale française (1900-1950) », in idem, pp. 209-225.
12. André GUICHAOUA, « Mobilité forcée dans la région des Grands Lacs », in idem, pp. 303-340.
13. Olivier LESERVOISIER, « Les réfugiés « négro-mauritaniens » de la vallée du Sénégal », in idem,
pp. 283-301.
14. Leservoisier relève justement, (en se référant à Igor KOPYTOFF, The African Frontier: The
Reproduction of Traditional African Societies, Bloomington, Indiana University Press, 1987)
que la frontière africaine ne s'est jamais caractérisée comme une frontière linéaire mais
consistait en des espaces ouverts des sociétés organisées, in idem, p. 291.
15. Françoise CLAVAIROLLE, «Migration dirigée et développement séricicole au Vietnam», in
idem, pp. 251-282.
170 Onnig BEYLERIAN

forcé selon les couches sociales participant à cette colonisation intérieure16.


Malgré la présence de procédés coercitifs, les migrations en raison de l'aména-
gement du territoire ne nous paraissent pas relever de la logique des situations
propres à la production d'authentiques réfugiés. Dans la plupart des cas, il
s'agit d'ingénierie démographique où l'État répartit la population selon des
objectifs de développement préalablement fixés, souvent selon des critères
politiques en faveur de telle ou telle autre communauté et presque toujours en
fonction du renforcement du pouvoir central ou de l'uniformisation identitaire.

B — Les lieux d'accueil


Le problème de l'intégration. En premier lieu, l'arrivée massive de person-
nes dans une zone d'accueil implique leur intégration à leur environnement
naturel et social. Deux contributions traitent exclusivement du processus
d'installation ou d'intégration dans les nouveaux lieux. Vu que l'insertion des
nouveaux arrivants se fait dans des milieux ruraux, les contributions exami-
nent dans quelle mesure ils ont affecté l'environnement 17 et noué des rapports
avec les populations locales. Plus spécifiquement, elles montrent comment les
nouveaux arrivants ont pu très souvent grâce à l'assistance humanitaire,
comme le HCR, aménager l'environnement et assurer leur survie. L'afflux des
réfugiés dans une région forestière a exercé un impact notoire sur l'environne-
ment. Les institutions locales ont été amenées à gérer des conflits potentiels
causés par la dégradation de l'environnement. La réussite ou l'échec relatif de
l'installation des réfugiés libériens et de Sierra Leone en Guinée semblent être
dépendants de certains facteurs importants 18 : liens ethniques transfrontaliers,
homogénéité ethnique des réfugiés, la première vague détient plus de chances
d'intégration que les vagues successives qui doivent nécessairement lutter
pour avoir accès à des ressources qui deviennent plus rares, le système d'aide
internationale qui semble favoriser plus les réfugiés des premières vagues que
les secondes.
La reconstruction identitaire. Parfois le déplacement fait partie de l'identité
sociale d'une communauté. Dans le cas nubien 19 , il s'agit d'un cas classique de
migrants qui émigrent pour assurer leur gagne-pain ainsi que celui de leurs
proches demeurés au pays. La migration des travailleurs nubiens en Egypte
date depuis les temps immémoriaux, prit une ampleur plus prononcée lors de
l'époque coloniale et continue jusqu'à présent. À l'instar des peuples dont la
migration fait partie de leur culture et tradition, les Nubiens valorisent leur
migration vers le Nord, de même que les Égyptiens en général, et constitue

16. Patrice LEVANG, « Des migrants forcés dans le cadre de la Transmigration en Indonésie », in
idem, pp. 227-249.
17. Richard BLACK, «Les réfugiés dégradent-ils l'environnement?», in idem, pp. 383-408.
18. W. Van DAMME, «Les réfugiés du Libéria et de Sierra Leone en Guinée forestière (1990-
1996) », in idem, pp. 343-381.
19. Frédérique FOGEL, «Transfert contre migration? Une analyse des pratiques migratoires en
Nubie égyptienne », in idem, pp. 137-159.
DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS: DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 171

chez eux un élément identitaire véritable. Les mouvements migratoires nu-


biens sont rarement forcés, sauf dans le cas des déplacements de 1963 que des
communautés entières de Nubiens ont dû subir pour faire place au barrage
d'Assouan.
Mais dans le cas des Soudanais méridionaux 20 , nous sommes en présence
d'ethnies nomades et sédentaires qui ont été brutalement déracinées par la
guerre contre le gouvernement central de Khartoum. Aujourd'hui plus de la
moitié de la population du Sud-Soudan a été déplacée en grande partie à
Khartoum où elle a été forcée de s'adapter aux affres de l'exil et de l'accultura-
tion. L'auteur se demande si ce déplacement massif des Soudanais méridio-
naux dans les milieux urbains et semi-urbains du Nord finira par brasser les
identités fragmentées pour donner lieu à la construction d'une nouvelle
identité soudanaise ; une perspective qui demeure encore lointaine eu égard à
la nature du régime soudanais et à la lutte que mènent les Soudanais du Sud
en faveur de leur émancipation.
Les camps de réfugiés. Il n'est pas surprenant de rencontrer dans un
ouvrage de géographes des contributions à la cartographie ; celle-ci regarde
principalement la représentation graphique de la dynamique de la création et
du maintien des camps de réfugiés. Deux types de défis y sont rattachés : la
logistique, à savoir l'acheminement des matériaux nécessaires pour l'installa-
tion des camps ; l'aménagement rapide des camps pour accueillir des flux de
réfugiés soudains et massifs, l'approvisionnement de l'eau, le contrôle des
épidémies, et l'établissement du pipeline alimentaire (food pipeline)21.
Une fois ces défis relevés, la gouvernabilité des camps devient le premier
point à l'ordre du jour. Jadis les camps de réfugiés étaient une affaire qui
relevait de la juridiction de l'État et de ses forces armées, mais aujourd'hui ce
sont les ONG qui assurent les tâches de gouvernance. Outre les problèmes
d'instauration de l'ordre interne du camp et de sécurité contre des attaques de
forces hostiles, les ONG rencontrent également un autre problème de gouvernance
non moins imposant : celui de coordonner leurs propres activités, ce qui en-
traîne immanquablement des coûts de transaction communicationnelle impor-
tants. Sans parler des relations avec les populations d'accueil, car la parution
des camps donne lieu à une économie étrangère et les habitants locaux le
ressentent durement. Souvent le but des organismes humanitaires n'est pas de
donner du travail à des entreprises implantées de longue date et agissent en
fonction de stratégies dictées de l'étranger.
Devrait-il exister une discipline d'études et de recherches de l'emplace-
ment et de la construction des camps de réfugiés ? Jusqu'à maintenant le HCR
paraît avoir porté peu d'intérêt à la dimension spatiale des problèmes auxquels

20. Marc LAVERGNE, « De la cuvette du Haut-Nil aux faubourgs de Khartoum : les déplacés du
Sud-Soudan», in idem, pp. 109-133.
21. Roland POURTIER, « Les camps de Kivu ou la gestion de l'éphémère », in idem, pp. 451-477.
172 Onnig BEYLERIAN

il se trouve confronté22. Mais les effets néfastes des déplacements humains et


l'installation de plusieurs centaines de milliers de réfugiés sur des territoires
restreints, souvent près de parcs nationaux, ont causé des dommages
environnementaux considérables. Aussi, le développement de la cartographie
des camps est-il nécessaire afin de mieux comprendre la dynamique de la
survie des réfugiés en détresse et d'élaborer des programmes plus adaptés aux
besoins des réfugiés.

C — Le retour des réfugiés


Le retour est à plusieurs égards la récupération du droit de vivre dans son
pays. Toutefois, plus le temps de l'exil passe, plus l'exilé s'adapte à la société
d'accueil. Le retour devient alors un drame puisque l'exilé est pris entre le
retour et le séjour indéfini dans le pays d'accueil, dépendant du degré de son
intégration dans celui-ci. Dans le cas de familles chiliennes exilées en France
depuis le renversement du gouvernement Allende, le retour a été très prompt
même s'il a eu lieu longtemps après leur intégration en France. L'aspect le plus
significatif de ce retour réside dans le fait qu'elles effacèrent entièrement de
leur mémoire le souvenir de leur séjour en France. Seule l'idéologie paraît être
le facteur primordial qui explique cette ferveur23. Mais le phénomène de
retour d'exilés intégrés dans les pays d'accueil demeure largement incompris.
Ainsi plusieurs rescapés du génocide arménien, ayant trouvé refuge dans les
pays arabes, étaient prêts à retourner en Arménie après la Seconde Guerre
mondiale, en 1946-47, même lorsqu'ils savaient parfaitement que leur retour
représentait des dangers de persécution graves dus aux caprices idéologiques
du régime stalinien. Est-ce la ferveur idéologique qui expliquerait ce cas? Ou
doit-on plutôt chercher les causes du retour dans d'autres types de ferveurs ?
Le retour des réfugiés dans leur foyer n'est pas aisé24, en fait il est difficile
sinon même impossible selon le degré de destruction de leur habitat, la
transformation de leur environnement et la mesure à laquelle leurs voisins
sont prêts à coexister malgré la distance supérieure qui peut les séparer du
temps de la cohabitation. Un retour réussi suppose que l'on connaît bien les
raisons et les circonstances tragiques du départ. Si la justice et la condamna-
tion des crimes commis de part et d'autre sont des conditions nécessaires à
l'instauration d'un climat propice à la cicatrisation, ce n'est pas certes suffi-
sant. «... .à justice et condamnation doivent nécessairement faire écho pardon
et réconciliation25 ». Est-il possible de réconcilier des peuples qui se sont haïs
pendant des siècles, une haine mutuelle devenue un aspect identitaire essen-
tiel chez les uns et les autres ? Il faut croire qu'avec les avancées technologi-

22. L. CAMBRÉZY, « Pour une géographie des populations réfugiées », in idem, pp. 431-449.
23. Anne-Marie GAILLARD, « La dimension idéologique dans le retour d'exil : Les Chiliens réfugiés
en France », in idem, pp. 89-107.
24. François GRUNEWALD, op. cit., pp. 409-429.
25. Ibid., p. 417;
DEPLACES ET REFUGIES : DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 173

ques spectaculaires et l'impact imposant de la mondialisation, l'être humain


pourrait encore surprendre par une avancée aux plans moral et spirituel. À cet
égard, il faudra sans doute mettre à profit les processus de réconciliation
reconnus pour avoir réussi à réconcilier des peuples ennemis.

II - Le droit international humanitaire


Étroitement lié aux personnes déplacées par la force et la contrainte, le
droit humanitaire vise à protéger les civils des affres de la guerre. Dans une
large mesure, le droit humanitaire se situe à l'aval du droit des réfugiés26. Tel
qu'il existe dans les quatre Conventions de Genève de 1949 et de ses deux
Protocoles Additionnels de 1977, il consiste en un corpus de droit qui
concerne les situations de conflits entre les États. Quoique traités adéquatement
dans le Protocole n, les guerres civiles et les conflits armés non internationaux
demeurent largement un terrain à explorer spécialement à la lumière de
l'évolution fulgurante de ces guerres et des proportions qu'elles ont atteintes
dans la destruction et dans les atrocités perpétrées chez les civils depuis le
début des années 90. Malgré les lacunes criantes, le droit international huma-
nitaire (DIH) a quand même enregistré des progrès tangibles à plusieurs
niveaux; par exemple, l'établissement des tribunaux pénaux pour l'ex-You-
goslavie (TPIY) et pour le Rwanda (TPIR) OU celui de la Cour pénale internatio-
nale et les conclusions des Conventions sur l'interdiction des mines
antipersonnel et du Protocole iv de la Convention sur l'interdiction ou la
limitation de certaines armes classiques (en l'occurrence les armes à laser
aveuglantes).
L'anthologie de vingt et un textes assemblés par Judith Gardam s'efforce
précisément de cerner les questions essentielles et centrales du droit internatio-
nal humanitaire ; objectif ardu si l'on tient compte des nouvelles catastrophes
humanitaires qui ne cessent d'être signalées, mais aussi du développement
ininterrompu que cette branche du droit international a subi ces derniers
temps27. L'éditrice ne réclame pas que son anthologie est exhaustive ; elle ne vise
qu'à montrer ses composantes et les relations que le droit international humani-
taire entretient avec d'autres parties du droit international. Mais on peut soule-
ver des questions sur ses critères de sélection. Si certains textes manifestent une
pertinence et une utilité du point de vue pédagogique, d'autres auraient pu
laisser la place à certains autres qui nous paraissent essentiels28.

26. Voir en particulier la contribution de Sophie Albert dans l'ouvrage précédent sur le régime
de protection du droit humanitaire des personnes déplacées ; « Réfugiés de l'intérieur » :
droits, protection et assistance aux personnes déplacées, in LASSAILLY-JACOB, op. cit., pp. 49-
69. Le droit international des réfugiés ne s'applique pas à ces personnes aussi longtemps
qu'elles n'ont pas franchi les frontières internationales, en outre elles doivent entretenir une
crainte bien fondée de la persécution à laquelle elles peuvent être soumises dans leur pays
d'origine.
27. Voir par exemple le nouvel annuaire qui passe en revue les avancées dans la matière ; T.M.C.
ASSER INSTITUUT (éd.), Yearbook ojInternational Humanitarian Law, vol. 1, T.M.C. Asser Press,
The Hague, 1998.
28. On peut également se plaindre de la présentation matérielle de l'anthologie qui laisse
beaucoup à désirer. La présence d'abrégés de chaque chapitre aurait pu être également utile.
174 Onnig BEYLERIAN

Quoi qu'il en soit on peut classifier les textes en quatre thèmes princi-
paux. Sans conteste, la plus grande partie des textes essaient de montrer les
rapports entre le droit de la guerre (ou le droit des conflits armés) et le droit
international humanitaire. Le deuxième intéresse les relations entre le droit
international humanitaire et les droits de la personne, alors que le troisième
fait état des récentes percées juridiques sur le front de la criminalisation de la
violence interne, en particulier des crimes contre la paix et l'humanité commis
dans les contextes de conflits armés internes. Enfin, l'anthologie de textes
comporte un quatrième thème qui porte plus précisément sur des domaines
précis : la protection des femmes et des enfants en temps de guerre ainsi que
celle de l'environnement et du personnel humanitaire.
Mais avant de procéder à la présentation des thèmes, il importe de
préciser que le droit humanitaire est un ensemble de principes et de règles qui
visent à protéger les victimes de la guerre et des conflits armés et à limiter
l'emploi de la violence en temps de guerre29. Les sources principales du droit
humanitaire sont les quatre conventions de Genève de 1949, les Protocoles i et
II de 1977, la Convention des Nations Unies sur l'interdiction et les restric-
tions de l'emploi de certaines armes conventionnelles (1980), auxquelles il
faudra ajouter la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la
production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction
(1997). Le DIH protège les non-combattants, les combattants blessés, les
prisonniers de guerre et la population civile essentiellement en période de
conflits internationaux et non internationaux. De plus, par le fait même que
ces instruments jouissent d'un très large appui de la communauté des États,
plusieurs aspects du droit international humanitaire sont réputés relever du
droit coutumier30.

A — Droit de la guerre et droit humanitaire


Pour bien comprendre les origines du DIH, il faut voir la manière dont il
s'est développé à partir de deux branches du droit international liées à la
guerre ou aux conflits armés : le ius ad bellum et le lus in bello31. Le lus ad bellum
concerne le droit du recours à la force. Par exemple, la Charte des Nations
Unies interdit tout recours à la force (Art. 2, par. 4) contre tout État, sauf dans
les cas de légitime défense (Art. 51) et dans les cas d'une action collective pour
renverser l'agression d'un État contre un autre32. La Charte ne s'applique pas

29. Cette définition peut être contestée par ceux qui voient le droit humanitaire comme droit de
l'intervention humanitaire (ou droit d'ingérence) ; les Conventions de Genève et leurs
Protocoles ne constituant que le droit des conflits armés.
30. Theodor MERON (1987), «The Geneva Conventions as Customary Law», in J. GARDAM,
Humanitarian Law, op. cit., pp. 131-153.
31. Un des textes traite effectivement de la distinction entre elles: Christopher GREENWOOD
(1983), « The Relationship between lus ad Bellum and lus in Bello », in idem, pp. 49-62.
32. Un exemple plus ancien est le Pacte Kellogg-Briand (1928) puisqu'il condamne l'usage de la
force en tant qu'instrument de politique nationale ; voir à cet effet Chris af JOCHNICK et Roger
NORMAND (1994), « The Légitimation of Violence : A Critical History of the Laws of Wars », in
idem, pp. 386-387.
DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS: DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 175

aux conflits armés internes ; elle est un instrument westphalien et demeure


toujours aveugle face à la nouvelle génération de conflits internes qui consti-
tuent d'ores et déjà la menace principale à la paix et à la sécurité internationa-
les. Le ius in bello regarde les principes et les règles de la conduite guerrière.
Cette dernière branche est à son tour divisée d'une part dans le droit de La Haye
(ou droit de la guerre) qui cherche à restreindre la liberté des belligérants en
leur interdisant des méthodes de guerre indiscriminées susceptibles de causer
des souffrances inutiles et superflues chez l'ennemi et de les conduire à se
limiter aux attaques contre des objectifs militaires, et d'autre part, dans le droit
de Genève (ou droit humanitaire) qui vise à assurer que les personnes qui ont
été mises hors de combat soient traitées humainement et à protéger des
personnes civiles en temps de guerre.
Ces premières clarifications nous aident à mieux préciser deux argu-
ments qui résument en quelque sorte les textes choisis sur ce thème. Le
premier concerne la relation entre les ius ad bellum et in bello tandis que le
second porte sur les rapports entre les droits de La Haye et de Genève. Si les
deux ius demeurent séparés par la logique même des réalités auxquelles ils se
rapportent, ils demeurent toujours complémentaires et maintiennent ainsi des
rapports horizontaux. Par exemple, une attaque menée contre des cibles
réputées légitimes du point de vue des buts militaires de la guerre, et qui par
ce fait même ne seraient pas interdits par le ius in bello, peut par contre violer
le droit international, si elle ne peut se justifier par le principe d'auto-défense
du ius ad bellum inscrit dans la Charte. Inversement, la sélection des cibles
peut parfaitement respecter le principe inscrit dans le ius ad bellum mais peut
par contre violer les principes humanitaires inscrits dans le ius in bello.
Pendant longtemps, le droit de la guerre pouvait compter sur son autono-
mie ; le principe de proportionnalité de l'application de la force découlait de la
logique de la stratégie militaire. Le respect des principes humanitaires durant
le déroulement de la guerre lui était entièrement subordonné. Mais l'avène-
ment des armes de destruction de plus en plus massive et non discriminatoire
susceptibles de tenter les États d'y recourir afin de parvenir à leurs fins
rapidement et de façon décisive causèrent chez les populations civiles des
souffrances si horribles que les mêmes États ont été amenés à légiférer sur les
limites des effets de la guerre sur les civils. Ce n'est qu'à partir des Conven-
tions de 1949 que le droit humanitaire commença à influencer le droit de la
guerre. Le Protocole Additionnel I de 1977 combine certains aspects des deux
droits ; par exemple, avec ses dispositions touchant la protection des popula-
tions civiles contre les effets directs et indiscriminés des bombardements
aériens33, le Protocole I affecte directement le droit de la guerre puisqu'il
oblige les planificateurs militaires à mettre au point des stratégies de bombar-
dements discriminés et ponctuels destinés à atteindre seulement des objectifs
militaires34. D'ailleurs on peut nettement remarquer l'évolution récente du DIH

33. Hans BLIX (1978), « Area Bombardment : Rules and Reasons », in]. GARDAM, op. cit., pp. 181-
219.
34. Voir par exemple les articles 48 et 52 (5)(b).
176 Onnig BEYLERIAN

dans la fusion des deux branches juridiques par la subordination du premier


corpus de droit au second35.

B — Droits humains et droit humanitaire


Leurs origines sont nettement différentes36. Alors que les États complé-
taient l'élaboration des Conventions de Genève, les Nations Unies avaient déjà
adopté en 1948 la Déclaration universelle des droits de l'homme. Dans la
Déclaration il y a peu de références à la protection des droits des personnes en
temps de guerre. De son côté, la Convention de Genève ne mentionne aucune-
ment des principes relevant des droits humains. À la fin des années quarante,
ces deux branches du droit international paraissaient bel et bien distinctes
l'une de l'autre37. Ce n'est qu'en 1968 que les corpus de droit allaient faire
jonction à la Conférence de Téhéran. En effet, les Nations Unies pour la
première fois considéraient l'application des droits de la personne dans les
situations de conflit armé. Neuf ans plus tard, les protocoles additionnels aux
Conventions de Genève allaient intégrer dans leurs dispositions des expres-
sions directement inspirées des instruments internationaux des droits hu-
mains38.
Cette jonction n'a pas fait bien entendu disparaître les différences notoi-
res qui séparent les deux corpus de droit. Les droits de la personne touchent
les droits civiques et politiques, économiques, sociaux et culturels de l'indi-
vidu en temps de paix. Dans une très large mesure, les droits de la personne
constituent une branche juridique éminemment plus détaillée que le droit
humanitaire puisqu'il couvre une constellation d'aspects de la vie humaine en
temps de paix. Le droit humanitaire ne concerne d'abord qu'une classe
d'individus frappés par la guerre et la destruction, quoique ce cercle peut
s'élargir en temps d'occupation. Alors que les droits humains ne peuvent
souffrir les manquements au respect des droits individuels, sauf en temps de
situations d'urgence où effectivement certains droits peuvent être abrogés
temporairement, le DIH doit considérer les conflits armés comme une donnée
en soi qu'il ne peut réfuter. En fait, si les droits de la personne protègent le
droit à la vie, le DIH reconnaît le droit de tirer sur les combattants. Le DIH ne
condamne pas la guerre ou le recours à la force : il la déplore et s'efforce
d'alléger les peines et misères. Son but ultime est de conserver un minimum

35. On peut déceler cette tendance dans le développement des armes non létales qui humanise-
rait davantage les conflits armés en évitant la destruction de vies humaines, de l'environne-
ment naturel et des habitats humains, et qui permettrait aux stratèges d'atteindre, du moins
théoriquement, des objectifs recherchés. Voir à cet égard le rapport d'un groupe d'experts
américains publié par le Council on Foreign Relations (New York) ; Independent Task Force
Report, Nonlethal Technologies : Progress and Prospects, Richard L. GARWIN and W. MONTAGUE
WINFIELD, (1999).
36. Louise DOSWALD-BECK et Sylvain VITE (1993), « Origin and Nature of Human Rights Law and
Humanitarian Law», inJ. GARDAM, op. cit., pp. 459-483.
37. Voir aussi Robert KOLB, « Relations entre le droit international humanitaire et les droits de
l'homme », Revue internationale de la Croix-Rouge, n°831 (septembre 1998), pp. 437-447.
38. Particulièrement l'article 75 du Protocole i et les articles 4, 5, et 6 du Protocole IL
DEPLACES ET REFUGIES : DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 177

d'humanité dans un temps où les êtres humains paraissent avoir suspendu


leur sens de compassion les uns envers les autres. Les droits humains visent
essentiellement à faire respecter par les États les diverses dispositions ; le DIH
oblige à la fois les États et les individus des deux camps d'une manière égale, y
compris les groupements armés impliqués dans les conflits.

C — Criminalisation internationale des crimes internes contre l'humanité


Mais les droits de la personne et le DIH maintiennent toujours des écarts
qui apparaissent encore infranchissables. Un endroit où les deux corpus de
droits paraissent le plus éloigné l'un de l'autre concerne la responsabilité des
infractions graves aux lois et aux coutumes de guerre et les sanctions pénales
devant être prises contre ceux qui les commettent. Les violations des droits de
la personne sont punies selon les lois nationales prévues à cet égard. L'opinion
majoritaire des juristes des droits humains penche en faveur d'un système
pénal assuré principalement par l'État. Les sanctions prévues par le droit
humanitaire suivent une autre logique. Si la responsabilité de l'État peut être
évaluée selon les principes du ius in bello39, il en va autrement pour la
responsabilité individuelle des infractions graves au droit des conflits armés.
Quoique les quatre conventions humanitaires prévoient un système juridique
universel pour punir les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, elles
ne s'appliquaient effectivement que dans les cas des conflits armés internatio-
naux jusqu'à l'établissement des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda
qui étendirent leur juridiction aux infractions graves commises contre des
populations et des personnes dans des situations de guerre civile ou de
conflits non internationaux 40 .
Ces tribunaux ad hoc jouissent-ils alors d'une légalité internationale?
Dans l'affaire Tadic41, face à la proposition selon laquelle le TPIY n'était pas
compétent pour poursuivre des personnes ayant commis des infractions gra-
ves aux Conventions de 1949, des violations des lois et de coutumes de guerre
et des crimes contre l'humanité vu que les actes allégués n'étaient pas commis
en temps de conflit international, le Procureur a proposé que le conflit soit
considéré international d'autant plus que le Conseil de sécurité lui avait donné
ce statut. Allant au-delà de la requête du Procureur, la Chambre d'Appel du
TPIY a affirmé que le Statut du TPIY lui permettait de juger les violations
sérieuses du droit et des coutumes de la guerre en affirmant que le statut

39. Frits KALSHOVEN (1991), «State Responsibility for Warlike Acts of the Armed Forces», in
J. GARDAM, op. cit., pp. 267-298.
40. Tandis que le Statut du TPIY traite les conflits en ex-Yougoslavie comme un ensemble de
conflits internationaux, celui du Rwanda considère qu'il s'agit d'un conflit armé non interna-
tional ; voir Theodor MERON, « International Criminalization of Internai Atrocities », in idem,
pp. 299-322 ; James C. O'BRIEN, « The International Tribunal for Violations of International
Humanitarian Law in the Former Yugoslavia », in idem, pp. 323-343.
41. Christopher GREENWOOD, «International Humanitarian Law and the Tadic Case», in idem,
pp. 345-363.
178 Onnig BEYLERIAN

s'appliquait aux conflits armés tant internes qu'internationaux. Désormais les


crimes contre l'humanité n'avaient plus besoin d'être mis en contexte afin
d'être jugés selon les principes du droit international coutumier.

D — Les femmes, les enfants en temps de guerre, la protection


de l'environnement et du personnel humanitaire
L'une des caractéristiques les plus distinctives des conflits armés internes
que le monde a connus au cours de ces dernières années est l'utilisation du
viol et des abus sexuels comme instrument de guerre particulièrement dans les
campagnes de nettoyage ethnique. Pratiquement toutes les conventions inter-
nationales dans le domaine de la protection des droits des femmes ont été
inopérantes de même que les dispositions du DM qui pourtant contiennent
plusieurs références à cet égard. La plupart des dispositions du DIH, écrites
essentiellement par des hommes, considèrent le viol et les abus sexuels en
temps de guerre en tant qu'atteinte à l'honneur et condamnable en tant que tel
par le droit humanitaire. Mais comme Gardam et Chinkin le démontrent
parfaitement, les femmes perçoivent le viol avant tout comme une forme de
torture physique et mentale avec des conséquences durables et doit être traité
en tant que tel42. Elles estiment à juste raison que le droit des conflits armés
passe sous silence ces problèmes et très souvent ces actes criminels ont été
déconsidérés par les tribunaux ou intégrés dans des accusations de portée plus
générale. Un véritable système pénal contre ce genre de crimes inclurait non
seulement l'inculpation des coupables et leur punition mais encore le redres-
sement mental et physique des victimes43.
Une autre caractéristique des conflits des dernières vingt-cinq années a
été certainement l'étendue des victimes d'enfants en bas âge dans les conflits
armés, mais surtout l'apparition d'enfants-soldats. Désormais ils représentent
l'une des dimensions importantes de la stratégie militaire des conflits civils à
cause de leur compétence guerrière44. En effet, les enfants-soldats de 14 à
18 ans possèdent des capacités physiques supérieures à leurs parents à cet âge.
Ils sont faciles à recruter, leur entraînement de combat coûte moins cher
comparé aux résultats militaires qu'ils peuvent produire sur le terrain, ils sont
plus agiles mais surtout plus impitoyables que leurs aînés sur le champ de
bataille qui peuvent du reste contester les commandements. En fait un bon
nombre d'atrocités ont été commises par eux. Deux questions touchent parti-
culièrement le statut des enfants et les conflits : s'ils doivent être recrutés par
les forces armées et participer aux combats. Les conventions humanitaires
sont silencieuses sur ce phénomène. Aux négociations relatives à l'élaboration
de la Convention des droits de l'enfant, les États ont buté sur des résistances

42. Judith GARDAM, « W o m e n and the Law of Armed Conflict: Why the Silence?», in iâem,
pp. 431-456 ; Christine CHINKIN (1994), « Râpe and Sexual Abuse of Women in Internatio-
nal Law », in idem, pp. 365-380.
43. Idem, pp. 376-378.
44. Géraldine Van BUEREN, « The International Protection of Children in Armed Conflicts », in J.
GARDAM, op. cit., pp. 485-502.
DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS : DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 179

significatives pour limiter l'âge du recrutement à 18 ans minimum. L'article 38


place l'âge minimum à 15, les plus vieux pouvant être recrutés entre 15 et
18 ans. Les États affrontent également des obstacles majeurs au chapitre de la
participation des enfants aux combats. Le Protocole i a refusé d'insérer l'inter-
diction de la participation directe et indirecte dans les combats. Mais le
Protocole n accepta de reconnaître que les enfants de moins de 15 ans ne
peuvent participer directement ou indirectement dans les conflits armés non
internationaux: est-ce à dire que la participation indirecte dans les conflits
internationaux est moins dangereuse que la participation directe dans les
conflits non internationaux 45 ?
L'image apocalyptique causée par la destruction des puits de pétrole vers
la fin de la guerre du Golfe nous a montré que l'environnement est lui aussi
devenu un instrument de guerre. Deux corpus de droits existent qui permet-
tent la protection de l'environnement en temps de conflit armé: le droit
international environnemental et le droit des conflits armés. À part les dispo-
sitions qui touchent la protection de l'environnement, le dernier comporte
aussi des conventions qui portent spécifiquement sur la protection de l'envi-
ronnement en temps de guerre : la Convention sur l'interdiction d'utiliser des
techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes
autres fins hostiles (MODEN), le Protocole i des Conventions de Genève et le
Protocole m à la Convention sur les armes conventionnelles. Quoique l'am-
pleur de la destruction massive et les dommages durables que peuvent causer
les conflits modernes sur l'environnement pourraient justifier la formation
d'un corpus de droit spécifique à cette réalité, l'auteure pense toutefois que les
instruments actuels suffisent pour dissuader et pénaliser les acteurs qui en-
dommagent l'environnement pour atteindre leurs buts militaires. Seules les
règles actuelles doivent être modifiées et renforcées afin de fournir une plus
grande protection de l'environnement en temps de guerre. La Commission du
droit international accepte le principe que les dommages causés à l'environne-
ment naturel, non justifiés par la nécessité militaire, constituent des crimes de
guerre même s'ils sont commis dans des conflits non internationaux. Elle
soutient que les protections les plus solides se trouvent dans les dispositions
non environnementales du droit des conflits armés, le plus grand défi résidant
dans l'application des différentes dispositions spécifiquement environne-
mentales du droit des conflits armés46.

Avec les opérations d'interventions humanitaires de plus en plus fré-


quentes, les pertes en vies humaines encourues par les organismes humanitai-
res interpellent la nécessité d'un régime de protection adéquat des travailleurs
humanitaires. Depuis 1994, il existe une Convention sur la sécurité du
personnel des Nations Unies et du personnel associé47. Essentiellement, elle

45. Le Protocole iv à la Convention des droits de l'enfant fixerait à 18 ans l'âge minimum pour le
recrutement et serait applicable dans tous les types de conflits.
46. Betsy BAKER, «Légal Protections for the Environment in Times of Armed Conflict», in
J. GARDAM, op. cit., pp. 503-535.
47. M.-Christiane BOURLOYANNIS-VRAILAS, «The Convention on the Safety of United Nations and
Associated Personnel », in idem, pp. 537-567.
180 Onnig BEYLERIAN

comporte les droits et les obligations du personnel; ce dernier a le droit à


l'auto-défense ainsi qu'à des immunités et privilèges, mais aussi à des obliga-
tions à l'égard des populations avec et dans lesquelles il est appelé à servir. La
Convention couvre également la responsabilité criminelle individuelle qui
entraîne la responsabilité des autorités compétentes à trouver les coupables
des actes criminels contre le personnel humanitaire et de les poursuivre
devant des tribunaux compétents ou de les extrader (aut dedere aut iudicare).
Mais la Convention demeure vague quant à la proportionnalité et aux abus
attribués aux personnels civils et militaires. La Convention a par ailleurs peu
de valeur dissuasive en l'absence de règles précises concernant des situations
où les autorités compétentes sont introuvables lorsque la violence est perpé-
trée contre le personnel humanitaire, une des cibles préférées de groupements
débridés.

E — Trajectoires de l'évolution du DIH


Dans l'ouvrage, la plupart des textes qui sont considérés comme faisant état
de l'évolution rapide du DIH sont ceux qui touchent la protection des femmes et
des enfants dans les conflits armés ainsi que celle de l'environnement et du
personnel humanitaire. Pourtant il existe un ensemble tangible de problèmes
auxquels sont confrontés les juristes et les praticiens du droit humanitaire.
Gardam cependant donne quelques indications sur la direction que doit adopter
le droit humanitaire s'il veut éviter de tomber dans la non pertinence face aux
nouvelles situations qui se manifesteront immanquablement. Le premier obsta-
cle qu'il doit soulever réside dans le développement du droit dans les conflits
armés non internationaux. Or c'est une problématique substantielle, car les
États sont toujours réticents à renoncer à une quelconque partie de leur souve-
raineté même s'ils sont aux prises avec des conflits internes susceptibles d'en-
gendrer des crimes haineux et de là affaiblir les assises de l'État48.
Le deuxième obstacle tient à la difficulté de développer des principes et
des règles qui relèvent non seulement du processus des conflits armés mais
aussi de ses résultats comme les exodes massifs, les déplacements forcés et la
création de réfugiés, malgré que la Convention de 1949 traite des règles
devant régir la conduite de la puissance occupante des territoires qu'elle
occupe. Gardam estime qu'il est difficile de continuer à compartimenter le
droit d'asile, les droits de la personne et le droit international humanitaire vu
justement la complexité de la situation de violence et de conflit sur le terrain.
Ces différents aspects juridiques sont du ressort de plusieurs corpus de droit.
D'où la nécessité de considérer une approche plus holistique dont l'objectif est
de répondre aux effets du conflit armé sur la population civile49.

48. Marie-José DOMESTICI-MET, «Cent ans après La Haye, cinquante après Genève: le droit
international humanitaire au temps de guerre civile », Revue internationale de la Croix-Rouge,
n°834 (juin 1999), pp. 277-301.
49. Pour une esquisse de la fusion des droits de l'homme, du droit des conflits armés, du droit des
réfugiés et du droit humanitaire, voir Tom HADDEN et Colin HARVEY, « The Law of Internai
Crisis and Conflict », Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 833 (mars 1999), pp. 119-133.
DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS : DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 181

Enfin, il existe d'autres situations que le DIH n'a jusqu'à maintenant


qu'effleurées bien que les praticiens humanitaires aient déjà amorcé un travail
tangible concernant les souffrances que les sanctions économiques de longue
durée peuvent faire subir à la population civile, comme dans le cas de l'Irak
actuel.

III - Les organisations internationales humanitaires


Si les États, et plus particulièrement les puissances majeures, sont inter-
venus dans les conflits armés internes et dans d'autres catastrophes humani-
taires par une intervention militaire, les organisations humanitaires se sont
efforcées d'alléger les peines et les dommages subis par les populations en
détresse et ont mobilisé des ressources considérables en vue de leur redresse-
ment. Dans les ripostes aux cataclysmes humanitaires que le monde a connus
depuis la fin de la guerre froide, deux organisations internationales se sont
signalées comme les principales actrices aptes à répondre à ces désastres sur
une grande échelle : le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR)50. Mais elles ne sont
pas les seules intervenantes. En fait, elles sont devenues le centre d'un vaste
réseau mondial d'organisations non gouvernementales qui ont désormais
acquis une notoriété (comme dans le cas de Médecins sans frontières qui vient
de remporter le Prix Nobel pour la paix) par leur vaste expérience découlant
de situations de secours les plus diverses.
Faisant partie du système des Nations Unies, le HCR remplit deux mis-
sions principales. La première est de nature normative : le HCR doit assurer la
protection juridique des réfugiés, des apatrides, des rapatriés ainsi que d'autres
personnes relevant de sa compétence. Il doit également promouvoir le droit
international des réfugiés par la diffusion, la surveillance et la mise en œuvre
de ses principes et règles. La seconde est de nature opérationnelle : mener des
opérations humanitaires en secourant des populations forcées de quitter leur
foyer et veiller à leur installation temporaire dans des lieux sûrs. Il doit aussi
rechercher des solutions pour faciliter le rapatriement volontaire des réfugiés
ou leur assimilation dans de nouvelles communautés nationales.
Créé en 1951 par l'Assemblée générale51, les fondateurs espéraient que le
HCR se bornerait à sa fonction de protection juridique et ne serait pas amené à
assumer des responsabilités importantes et coûteuses d'assistance financière et
matérielle des réfugiés52. Mais avec la multiplication des conflits liés à la
décolonisation durant la guerre froide et l'apparition d'une nouvelle généra-

50. Si les États ont confié au HCR la garde de la Convention de 1951 et de son Protocole de 1967,
la garde des Conventions de Genève ainsi que de ses Protocoles Additionnels a été confiée au
CICR.
51. Le HCR actuel n'est que le descendant du HCR originel fondé par la Société des Nations en
1921 et qui fut dirigé par Fridtjof Nansen (1921-1930).
52. Yves BEIGBEDER, Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, op. cit., p. 73.
182 Onnig BEYLERIAN

tion de conflits civils marqués par des dys.fonctionnalités de l'État, le HCR


s'avère une organisation absolument nécessaire. Le HCR est dirigé par le Haut
Commissaire élu par l'Assemblée générale sur recommandation du Secrétaire
général. Mais elle doit mener les travaux de l'organisation avec le Comité
exécutif qui n'est pas un organe directeur et a une double fonction de conseil
et d'habilitation. Le financement du HCR provient du budget des Nations
Unies ; les pays donateurs cependant constituent les sources de financement
principales dont la plupart sont des pays développés et de surcroît récipien-
daires de réfugiés.

A — La protection juridique des réfugiés


Les personnes qui se présentent aux points d'entrée et qui réclament le
statut de réfugié doivent remplir quatre conditions : 1) elles doivent entretenir
une crainte fondée sur la persécution; une crainte doit être confrontée à la
situation régnant dans le pays d'origine et doit nécessairement être crédible ;
2) la persécution doit impliquer une menace à la vie ou aux libertés fonda-
mentales de la personne; 3) en raison de sa race, de sa nationalité, de sa
religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe
social. La persécution doit être causée par les organismes de l'État ou par des
groupements sociopolitiques sur lesquels manifestement il n'a pas d'emprise
ou il est simplement de connivence avec eux. Normalement une personne est
considérée comme réfugiée en raison de l'incapacité de l'État de lui fournir
une protection adéquate contre la persécution ; 4) enfin, la personne doit se
trouver à l'extérieur de son pays d'origine. Mais la Convention n'exclut pas
que la persécution soit subie sur le territoire du pays d'origine ; la crainte de
persécution peut survenir chez la personne après son départ du pays53.
La protection juridique comprend également qu'aucun État ne doit re-
fouler les demandeurs d'asile ou les réfugiés vers leurs pays d'origine du
moment où ils se présentent à leurs frontières et requièrent l'asile. Cela
implique que les États doivent leur fournir une protection temporaire en
attendant que la situation qui a provoqué leur déplacement transfrontalier
disparaisse. Le HCR a développé trois types de solutions : l'intégration dans le
pays d'accueil, le rapatriement librement consenti, la réinstallation dans les
pays tiers. Mais à cause des difficultés rencontrées aux chapitres de l'intégra-
tion et la réinstallation, la plus grande partie des efforts du HCR ont été
consacrés au rapatriement volontaire. Seule une minorité de demandeurs
d'asile parviennent à se présenter aux points d'entrée des pays riches de plus

53. Chaque État a établi ses critères et procédures pour la détermination du statut des réfugiés
qui se présentent à eux conformément aux stipulations de la Convention sur le Statut des
réfugiés de 1951. Dans le cas canadien, voir La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens
de la Convention, Services juridiques, Commission de l'immigration et du statut de réfugié,
1996 ; voir aussi Canada, Légal Services, Immigration and Refugee Board of Canada, A Guide
toAsylum Law and Practice, présenté à la Conférence de l'Association internationale des juges
du droit des réfugiés, 1998, http://www.irb.gc.ca/iarlj/delegates/canada/index_e.stm.
DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS: DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 183

en plus réticents à ouvrir leurs frontières à des déplacés pouvant bénéficier de


la protection au sens de la Convention de 1951.
Face à l'accroissement des demandes d'asile, la plupart des pays indus-
trialisés ont recouru à une série de mesures unilatérales et multilatérales pour
dissuader les demandes d'asile frauduleuses54. En France, mais aussi dans
plusieurs pays de I'OCDE, les procédures restrictives ont produit des effets
pervers55. Conçues pour repousser l'accès aux migrants économiques, ces
procédures sont maintenant contournées par des mouvements migratoires
dont certains sont animés par des organisations clandestines frisant souvent la
criminalité56. Certaines de ces filières sont organisées par les réfugiés ou les
déplacés des conflits non internationaux : par exemple, des organismes politi-
ques tels que le PKK kurde et le LTTE tamoul ont organisé des agences de voyage
assurant le déplacement de leurs membres vers les pays post-industriels. Mais
d'autres déplacés ou déracinés se voient forcés de remettre leur sort entre les
mains de filières criminelles clandestines qui disposent de moyens de rensei-
gnements, de communication et de transport substantiels capables de con-
tourner la vigilance administrative et juridique des États. La manipulation des
mouvements migratoires à buts politiques ne relève plus certes de la science
fiction mais d'une réalité tangible.

B — Les missions humanitaires du HCR


Dans ses multiples interventions humanitaires auprès des déplacés et des
réfugiés, le HCR a adopté une triple stratégie : la prévention, la capacité d'inter-
vention, la recherche de solutions57. En premier lieu, n'étant muni d'aucun
mandat politique, le HCR ne peut prétendre résoudre les conflits dans lesquels
il doit opérer, ni par ailleurs offrir ses services de médiation aux parties en
cause. Mais il peut contribuer à renforcer la volonté des gouvernements de
supprimer les raisons qui contraignent leurs citoyens à fuir. Quoique plus
difficile, il peut également convaincre les déplacés de demeurer dans leur pays
parce que les raisons économiques ne les qualifieraient pas pour le statut de
réfugié.
En deuxième lieu, le HCR détient des capacités d'intervention considéra-
bles en vertu de ses ressources humaines, matérielles et financières. Par
exemple, les situations d'urgence sont coordonnées par une équipe qui dans
un délai rapide peut déployer sur le terrain des détachements de secouristes
provenant de plusieurs organismes volontaires nationaux et internationaux.

54. Emily A. COPELAND, « Reshaping the International Refugee Régime : Industrialized States'
Response to Post-Cold War Refugee Flows», International Relations, vol. xiv, n° 5, 1999,
pp. 425-445.
55. Luc LEGOUX, «La remise en cause du droit d'asile en France», dans Déplacés et réfugiés,
op. cit., pp. 70-88.
56. Voir par exemple, Bimal GHOSH, Huddled Masses and Uncertain Shores : Insights into Irregular
Migration, The Hague, Kluwer Law International, 1998.
57. Y. BEIGBEDER, op. cit., p. 74.
184 Onnig BEYLERIAN

Le HCR possède également un stock polyvalent de matériel de secours réparti


dans plusieurs régions internationales afin d'augmenter la capacité logistique
de son intervention humanitaire.
En troisième lieu, le HCR développe des solutions les plus diverses pour
traiter les problèmes principaux générés par les déplacements forcés. Il aide à
l'installation sur place des réfugiés et assure leur intégration dans les pays
d'asile. Il peut également développer des programmes de rapatriement volon-
taire des réfugiés par des « projets à impact rapide, [et] des projets commu-
nautaires de faible ampleur 58 ». Le retour étant souvent douloureux et com-
plexe, le HCR a mis sur pied des micro financements pour assurer la réussite de
la réintégration des réfugiés dans leur foyer retrouvé.
Ces missions sont épaulées par d'autres programmes continus qui impli-
quent les femmes et les enfants, mais aussi la protection de l'environnement
que doivent respecter les missions humanitaires du HCR et enfin le développe-
ment auquel elles doivent également contribuer.

C — Le HCR et les ONG humanitaires


Dans l'exercice de ses mandats et par souci d'atteindre ses objectifs
humanitaires, le HCR maintient des relations coopératives et de coordination
avec une multitude d'organisations internationales. Il transige tout d'abord
avec les institutions des Nations Unies qui œuvrent conjointement avec le HCR
dans les situations d'urgence et dans le traitement des flux de réfugiés59. Il
coordonne également ses activités avec des organisations intergouvernemen-
tales fonctionnelles (ex. l'Organisation internationale pour les migrations, OIM)
et régionales (OSCE, OTAN, OUA, OEA). Plus que toute autre organisation interna-
tionale, le HCR coordonne ses opérations avec le CICR. Comme les deux organi-
sations sont présentes dans les mêmes situations d'urgence, elles se sont
partagé les responsabilités60. Ainsi, là où il s'agit de porter secours aux person-
nes déplacées en raison d'un conflit à l'intérieur d'un pays, excepté dans les
cas où les Nations Unies accordent un mandat spécifique, la compétence
relève du CICR. Quand il s'agit de protéger les réfugiés dans un premier pays
d'accueil, la compétence relève alors du HCR. Les deux ont des responsabilités
concurrentes ou complémentaires quand il s'agit de protéger ou d'assister des
réfugiés dans les zones frontalières exposées aux attaques.

58. Idem, p. 77.


59. Telles que le Programme alimentaire mondial (WFP) ; le Fonds des Nations Unies pour
l'enfance (UNICEF) ; le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ; l'Orga-
nisation des Nations Unies pour l'alimentation (FAO) ; l'Organisation mondiale de la Santé
(OMS) ; le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) ; l'Organisation internationale
du Travail (OIT) ; l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture
(UNESCO) ; le Fonds international de développement agricole (FIDA) ; la Banque internationale
pour la reconstruction et le développement (BIRD).
60. Y. BEIGBEDER, op. cit., p. 110.
DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS : DROIT HUMANITAIRE ET ACTION INTERNATIONALE 185

Mais pour atteindre ses objectifs opérationnels, le HCR est sensiblement


dépendant de centaines d'ONG humanitaires. En fait ce sont elles qui sont les
yeux, les antennes, les oreilles, les bras et les pieds de l'organisation61. La
raison est évidente : les ONG n'ont pas les mêmes lourdeurs que la bureaucratie
onusienne, ne représentent pas des gouvernements, font preuve dans plu-
sieurs cas de zèle qui s'apparente à la sainteté; elles peuvent intervenir
rapidement sur les lieux, elles couvrent la quasi-totalité des spécialisations
fonctionnelles rattachées aux déplacements forcés et les mouvements de réfu-
giés transfrontaliers. Le HCR sélectionne ses liens avec les ONG selon des critères
fondés sur leur légalité nationale, leur capacité opérationnelle et leur solvabi-
lité financière62. La collaboration HCR-ONG n'a pas évolué sans se heurter à des
obstacles majeurs. Les ONG ont été souvent critiquées pour leur manque de
professionnalisme ; on leur reproche aussi de gaspiller les ressources rares, de
recourir à des tactiques médiatiques souvent insidieuses, d'être trop sponta-
nées dans l'action humanitaire, de formuler des critiques sans fondement à
l'endroit des organisations humanitaires établies et même de s'adonner à la
concurrence effrénée avec d'autres ONG internationales et locales. À leur tour,
les ONG n'ont pas manqué de critiquer le HCR pour sa lourdeur bureaucratique,
pour sa bienveillance occasionnelle à l'égard d'acteurs ayant causé les déplace-
ments forcés et l'ont même accusé de trahison envers les principes de la
protection des réfugiés. Afin de pallier à ce type de désaccords, le HCR a estimé
nécessaire de s'entendre avec elles et d'établir un processus (pARinAC, partena-
riat en action) de consultations qui a abouti à la rédaction d'une Code de
conduite en 1994 favorablement accueillie par la communauté humanitaire
mondiale.

61. Pour l'année budgétaire 1993, le HCR aura fait affaire avec 300 ONG et dépensé plus de
300 millions de dollars us.
62. Y. BEIGBEDER, op. cit., p. 113.

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