L a référence aux représentations mentales joue un rôle central dans notre vision du monde. Non s... more L a référence aux représentations mentales joue un rôle central dans notre vision du monde. Non seulement leur existence semble indéniable, mais elles permettent d'expliquer un grand nombre de phénomènes : la conscience, la perception, les opérations cognitives, le langage, les réalités sym-boliques, les conduites individuelles et collectives. Aussi sont-elles étudiées par les psychologues, les sociologues, les anthropologues, les linguistes, les neu-roscientifiques, etc. Cette puissance explicative paraît résulter du fait que le caractère représentionnel des représentations incarnées, corporelles, obser-vables, dériverait d'une capacité représentationnelle primordiale de l'esprit. Il est pourtant notoirement difficile de concevoir comment les représenta-tions mentales pourraient jouer ce rôle, et cela pour plusieurs raisons. 1° Leur caractère mental rend plus mystérieuse encore la relation représentationnelle, puisque, celle-ci devant relier des esprits d'un côté, et des corps de l'autre, cette relation serait ontologiquement hétérogène. 2° Si la relation de représenta-tion s'explique par des représentations mentales, le caractère représentation-nel d'une représentation mentale devrait également s'expliquer par une autre représentation mentale, et ainsi de suite, si bien qu'on voit mal comment une relation quelconque pourrait être instaurée. 3° Les représentations mentales ne sont directement accessibles que par introspection : admettre dans les expli-cations scientifiques des faits directement connus par une seule personne, ne serait-ce pas ouvrir la voie à toutes les dérives ? 4° Tous les scientifiques ne s'accordent pas sur la nature ou le format des représentations mentales : sont-elles des images ? Des propositions ? Des intentionnalités sui generis ?… Le constat nous met devant une alternative : soit nous parvenons à conce-voir les représentations mentales, soit nous devons apprendre à nous en pas-ser. Ce sont chacune de ces deux voies qu'explore cet ouvrage. La philosophe Natalie Depraz est professeure à l'Université de Rouen Normandie et membre des Archives-Husserl (ENS Paris-CNRS). Le philosophe raphaël KüNstler est PRAG à l'Université de Toulouse-Jean Jaurès.
Présentation du dossier CLAUDIA SERBAN et DOMINIQUE PRADELLE L'histoire de la phénoménologie au X... more Présentation du dossier CLAUDIA SERBAN et DOMINIQUE PRADELLE L'histoire de la phénoménologie au XX e siècle donne à voir une mouvance complexe, une genèse stratifiée et ramifiée qui la fait échapper à la catégorisation géographique ou à ce que Levinas appelait les « différences du terroir ». S'intéresser à cette dynamique de transferts intellectuels reflétée non seulement dans la circulation des idées et les métamorphoses des concepts, mais aussi dans les traductions et l'histoire des institutions, rend attentif, lorsqu'il s'agit du mouvement phénoménologique, à un fait remarquable : c'est à la médiation décisive de certains acteurs, qui ont parfois été injustement oubliés et qui étaient souvent des étrangers, que la phénoménologie allemande doit en grande partie son introduction en France, ainsi que, plus largement, sa diffusion précoce en Europe et aux États-Unis. Si le rôle d'Emmanuel Levinas, juif lituanien de culture russe, formé à Strasbourg et naturalisé français au début des années 30, est largement reconnu à ce jour, l'apport de certaines figures plus discrètes, comme l'alsacien Jean Hering (auquel ce dossier est consacré), ou encore le roumain Walter Biemel (à qui l'on doit non seulement l'édition de certains des textes les plus importants de Husserl, mais aussi quelques-unes des premières traductions de Heidegger en français) n'a pas été pourrait par exemple attribuer à Jean-Luc Marion -qui figurait bien évidemment parmi les auteurs visés dans la dénonciation par Dominique Janicaud d'un « tournant théologique » de la phénoménologie française -: Si on objecte au phénoménologue que certaines données religieuses ne sont pas objet d'Expérience mais de Révélation, il répondra que le sens intrinsèque d'une ''Révélation'' implique le dévoilement d'une donnée devant ou pour la Conscience ; par conséquent la donnée et la manière de son apparition seront susceptibles de description, ainsi que le genre particulier de certitude qui l'accompagne. 13 À rebours, donc, de l'hypothèse d'un tournant théologique tardif de la phénoménologie française, le cas de Jean Hering montre, comme l'indique Benoît Thirion, que « dès son point de départ historique, la phénoménologie se dirige vers la description d'actes visant ce qui ne tombe pas sous les sens et vers celle d'entités d'ordre divin et transcendantes. […] La philosophie religieuse de Jean Hering, avec tout ce qu'elle comporte de programmaticité, est un exemple net de ce que la phénoménologie rend possible » 14 . Il faut cependant reconnaître que, même si des études récentes montrent que Husserl n'était pas entièrement étranger, dans sa pratique philosophique, à la question de Dieu et de l'expérience religieuse 15 , il n'a jamais cautionné le projet de son disciple alsacien. L'auteur des Méditations cartésiennes écrit ainsi dans une lettre de 1933 : « On peut parler d'une philosophie religieuse chez Scheler […] ou chez J. Hering […]
Résumé : Cet ouvrage issu de notre travail de thèse propose de caractériser le projet philosophiq... more Résumé : Cet ouvrage issu de notre travail de thèse propose de caractériser le projet philosophique de Husserl et de Heidegger comme une phénoménologie de la possibilité. De ce « benjamin des grands concepts » qu’est le possible, la phénoménologie n’a eu de cesse de faire usage, jusqu’à susciter la méfiance de ceux qui déplorent son ambiguïté extrême ou y voient l’outil d’une subversion. Néanmoins, trop rarement a été posée la question de savoir ce que la phénoménologie entend au juste par possibilité. Le concept de possibilité dont use la phénoménologie est-il le concept philosophique traditionnel, qui repose le plus souvent sur l’identification du possible au concevable, ou bien y a-t-il quelque chose comme un concept phénoménologique de possibilité qui ne se confond ni avec le concept métaphysique ni avec le concept modal ? Notre objectif a été de tenter de reconstruire ce concept en partant de Husserl et de Heidegger pour faire apparaître la manière dont la phénoménologie a renouvelé la compréhension du possible : non seulement elle renverse le primat traditionnel de l’effectif sur le possible, mais elle accomplit, plus loin encore, le dépassement de leur opposition statique pour mettre au jour leur co-appartenance dynamique. Si donc, pour la phénoménologie (selon le mot célèbre de Heidegger), « plus haut que l’effectivité se tient la possibilité », c’est pour autant qu’elle découvre l’entrelacement de l’effectif et du possible dans le réel. Ainsi, loin d’avoir entériné la pensée métaphysique de la possibilité, la phénoménologie, telle qu’elle a été mise en place par Husserl et continuée par Heidegger, a profondément modifié la compréhension traditionnelle du possible.
En parlant d’une pensée phénoménologique de la possibilité, nous ne nous contentons cependant pas d’affirmer qu’il existe un concept phénoménologique de possibilité, qui ne se confond ni avec le concept métaphysique, ni avec le concept modal. En effet, à notre tâche première de mettre au jour la pensée phénoménologique de la possibilité avec Husserl et Heidegger s’ajoute une tâche d’un autre ordre, consistant, non plus à montrer que le concept de possibilité a reçu, de la part de la phénoménologie, un traitement particulier, voire insigne, mais à prouver que la phénoménologie s’est elle-même jouée, pour une grande partie et en ses moments décisifs, dans l’infléchissement de la pensée de la possibilité. Notre deuxième objectif général dans cet ouvrage est donc de montrer que, avec Husserl et Heidegger, la phénoménologie a pris d’emblée le visage d’une phénoménologie de la possibilité, c’est-à-dire d’une phénoménologie qui atteste la phénoménalité du possible en l’inscrivant au cœur de l’expérience et de l’existence.
Résumé : Issu d’un colloque pluridisciplinaire organisé dans le cadre du projet ANR Emphiline en ... more Résumé : Issu d’un colloque pluridisciplinaire organisé dans le cadre du projet ANR Emphiline en mars 2014, le présent ouvrage réunit des contributions venant pour l’essentiel de deux champs disciplinaires : la philosophie et la linguistique anglaise, et abordant depuis leurs horizons respectifs les questions suivantes : comment se dit la surprise, et de quelle manière son expression varie-t-elle d’une langue à l’autre ? Comment s’articule et agit le dire de la surprise ? Ces interrogations ont conduit à réfléchir tant au lexique de la surprise qu’aux formes d’expression au moyen desquelles la surprise peut être, non seulement exprimée, mais aussi décrite, racontée, ou bien encore rationalisée, dans la langue courante, dans les discours formels comme dans la littérature. Notre objectif a été ainsi de contrebalancer la tendance habituelle à ranger l’expérience de la surprise du côté de l’indicible : au lieu de faire signe vers les limites du langage ou des différentes langues naturelles, la surprise ne ferait-elle pas plutôt ressortir la richesse de ses ressources et la plasticité de son fonctionnement ?
This paper inquires into the specificity of Kant’s transcendentalism, understood as an investigat... more This paper inquires into the specificity of Kant’s transcendentalism, understood as an investigation of the “conditions of possibility” of objects of experience, through the lens of his new comprehension of real (objective) possibility. Firstly, an analysis of Critique of Judgement, Section 76, allows for radicalization of the thesis of the first postulate of empirical thought: possibility implies a reference to subjectivity and to the subject’s faculties. This fundamental point proves that Kant cannot rightly be seen as an heir of the thinkers of the univocity of being, and lays the groundwork for a confrontation with scholastic (i.e., non-idealist) transcendentalism. A comparison with Wolff’s view of philosophy as a science of the possible brings a further confirmation of our hypotheses and conclusions.
« La vie ne s’actualise jamais, n’entre jamais dans le lieu fini de la lumière », écrit Michel He... more « La vie ne s’actualise jamais, n’entre jamais dans le lieu fini de la lumière », écrit Michel Henry dans Généalogie de la psychanalyse, exprimant ainsi son souci de réserver à la vie le régime, résolument obscur, de l’immanence radicale. Ce rejet de l’idée d’une actualisation de la vie est avant tout motivé par le refus de concevoir sa manifestation de soi comme une extériorisation, comme une objectivation. Si, selon la thèse attribuée à Hegel dans l’Appendice à L’essence de la manifestation..
Thanks to its dual filiation, Husserlian and Diltheyan, the Heideggerian project of a phenomenolo... more Thanks to its dual filiation, Husserlian and Diltheyan, the Heideggerian project of a phenomenology of religious life proves itself to be rich of a genuine methodological renewal. The attention to the historical dimension is accompanied by a reassessment of the phenomena in the light of their accomplishment (Vollzug), as lived experiences, beyond their objectivized expressions. However, Heidegger’s position towards the Philosophy of Religion is marked by several tensions, amongst which the one between his self-characterization as a Christian “theologian” and his plea in favor of a methodological atheism. This tension leads to the statement of a heterogeneity between Theology and Philosophy, following the division between the ontic and the ontological. Heidegger’s Correspondence with the protestant theologian Rudolf Bultmann hints nevertheless at the reasons for which such a diagnosis cannot be maintained.
From Kant’s transcendental idealism to Husserl’s transcendental phenomenology, how was the relati... more From Kant’s transcendental idealism to Husserl’s transcendental phenomenology, how was the relationship between the transcendental I and empirical subjectivity (considered in its dual, psychological, and anthropological dimension) determined, and how has it evolved? It is this crucial and complex question that my contribution intends to address. This endeavor will require a special focus on the nature and content of internal experience, as well as a thorough consideration of what the “outer man” is with respect to transcendental subjectivity. Furthermore, from an epistemological point of view, it is the scientific status of psychology and anthropology that will thus be subject to clarification.
From Kant’s transcendental idealism to Husserl’s transcendental phenomenology, how was the relati... more From Kant’s transcendental idealism to Husserl’s transcendental phenomenology, how was the relationship between the transcendental I and empirical subjectivity (considered in its dual, psychological, and anthropological dimension) determined, and how has it evolved? It is this crucial and complex question that my contribution intends to address. This endeavor will require a special focus on the nature and content of internal experience, as well as a thorough consideration of what the “outer man” is with respect to transcendental subjectivity. Furthermore, from an epistemological point of view, it is the scientific status of psychology and anthropology that will thus be subject to clarification.
Husserl, Kant and Transcendental Phenomenology, 2020
From Kantian criticism to Husserlian phenomenology, transcendental philosophy has proven to be un... more From Kantian criticism to Husserlian phenomenology, transcendental philosophy has proven to be undeniably resilient and, at the same time, has seen a controversial reception. The aim of this volume is to inquire into the profound meaning of this motif by contrasting the Kantian and phenomenological versions of transcendental philosophy on several crucial points. Far from being unanimously accepted by his students and contemporary philosophers of different orientations, the transcendental turn in Husserl’s phenomenology has always been a source of divided interpretations among scholars. Thus, the deep significance and necessity of this turn have been continually interrogated: what is the precise content and nature of the transcendental, and what does it mean vis-à-vis Husserl’s relationship to Kant? To what extent does phenomenology square with idealism, insofar as it redefines transcendental subjectivity and uncovers the realm of intersubjectivity? How does it reshape the project of a transcendental aesthetic or logic, as well as the foundation of the sciences or ethics? In short, what is it that distinguishes the “baroque” (Moran 2002, p. 51) form of transcendental philosophy advocated by Husserl from the Kantian one?
Selon le texte célèbre d'une note de travail de mai 1960 portant le titre « Chair du monde-Chair ... more Selon le texte célèbre d'une note de travail de mai 1960 portant le titre « Chair du monde-Chair du corps-Être » : « La chair du monde, c'est de l'Être vu, i.e. c'est un Être qui est éminemment percipi, et c'est par elle qu'on peut comprendre le percipere » (Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l'invisible suivi de notes de travail, Paris, Gallimard, 1964, p. 304, souligné par l'auteur). 4 « La chair du monde n'est pas se sentir comme ma chair-Elle est sensible et non sentant-Je l'appelle néanmoins chair [...] pour dire qu'elle est prégnance de possibles, Weltmöglichkeit » (id., souligné par l'auteur). Pour une étude comparée de l'auto-affection chez les deux phénoménologues français, nous renvoyons à l'article de Renaud Barbaras, « Le sens de l'auto-affection chez Michel Henry et Merleau-Ponty » (Épokhè, N o 5, 1995, pp. 91-111), antérieur toutefois à la parution d'Incarnation.
L a référence aux représentations mentales joue un rôle central dans notre vision du monde. Non s... more L a référence aux représentations mentales joue un rôle central dans notre vision du monde. Non seulement leur existence semble indéniable, mais elles permettent d'expliquer un grand nombre de phénomènes : la conscience, la perception, les opérations cognitives, le langage, les réalités sym-boliques, les conduites individuelles et collectives. Aussi sont-elles étudiées par les psychologues, les sociologues, les anthropologues, les linguistes, les neu-roscientifiques, etc. Cette puissance explicative paraît résulter du fait que le caractère représentionnel des représentations incarnées, corporelles, obser-vables, dériverait d'une capacité représentationnelle primordiale de l'esprit. Il est pourtant notoirement difficile de concevoir comment les représenta-tions mentales pourraient jouer ce rôle, et cela pour plusieurs raisons. 1° Leur caractère mental rend plus mystérieuse encore la relation représentationnelle, puisque, celle-ci devant relier des esprits d'un côté, et des corps de l'autre, cette relation serait ontologiquement hétérogène. 2° Si la relation de représenta-tion s'explique par des représentations mentales, le caractère représentation-nel d'une représentation mentale devrait également s'expliquer par une autre représentation mentale, et ainsi de suite, si bien qu'on voit mal comment une relation quelconque pourrait être instaurée. 3° Les représentations mentales ne sont directement accessibles que par introspection : admettre dans les expli-cations scientifiques des faits directement connus par une seule personne, ne serait-ce pas ouvrir la voie à toutes les dérives ? 4° Tous les scientifiques ne s'accordent pas sur la nature ou le format des représentations mentales : sont-elles des images ? Des propositions ? Des intentionnalités sui generis ?… Le constat nous met devant une alternative : soit nous parvenons à conce-voir les représentations mentales, soit nous devons apprendre à nous en pas-ser. Ce sont chacune de ces deux voies qu'explore cet ouvrage. La philosophe Natalie Depraz est professeure à l'Université de Rouen Normandie et membre des Archives-Husserl (ENS Paris-CNRS). Le philosophe raphaël KüNstler est PRAG à l'Université de Toulouse-Jean Jaurès.
Présentation du dossier CLAUDIA SERBAN et DOMINIQUE PRADELLE L'histoire de la phénoménologie au X... more Présentation du dossier CLAUDIA SERBAN et DOMINIQUE PRADELLE L'histoire de la phénoménologie au XX e siècle donne à voir une mouvance complexe, une genèse stratifiée et ramifiée qui la fait échapper à la catégorisation géographique ou à ce que Levinas appelait les « différences du terroir ». S'intéresser à cette dynamique de transferts intellectuels reflétée non seulement dans la circulation des idées et les métamorphoses des concepts, mais aussi dans les traductions et l'histoire des institutions, rend attentif, lorsqu'il s'agit du mouvement phénoménologique, à un fait remarquable : c'est à la médiation décisive de certains acteurs, qui ont parfois été injustement oubliés et qui étaient souvent des étrangers, que la phénoménologie allemande doit en grande partie son introduction en France, ainsi que, plus largement, sa diffusion précoce en Europe et aux États-Unis. Si le rôle d'Emmanuel Levinas, juif lituanien de culture russe, formé à Strasbourg et naturalisé français au début des années 30, est largement reconnu à ce jour, l'apport de certaines figures plus discrètes, comme l'alsacien Jean Hering (auquel ce dossier est consacré), ou encore le roumain Walter Biemel (à qui l'on doit non seulement l'édition de certains des textes les plus importants de Husserl, mais aussi quelques-unes des premières traductions de Heidegger en français) n'a pas été pourrait par exemple attribuer à Jean-Luc Marion -qui figurait bien évidemment parmi les auteurs visés dans la dénonciation par Dominique Janicaud d'un « tournant théologique » de la phénoménologie française -: Si on objecte au phénoménologue que certaines données religieuses ne sont pas objet d'Expérience mais de Révélation, il répondra que le sens intrinsèque d'une ''Révélation'' implique le dévoilement d'une donnée devant ou pour la Conscience ; par conséquent la donnée et la manière de son apparition seront susceptibles de description, ainsi que le genre particulier de certitude qui l'accompagne. 13 À rebours, donc, de l'hypothèse d'un tournant théologique tardif de la phénoménologie française, le cas de Jean Hering montre, comme l'indique Benoît Thirion, que « dès son point de départ historique, la phénoménologie se dirige vers la description d'actes visant ce qui ne tombe pas sous les sens et vers celle d'entités d'ordre divin et transcendantes. […] La philosophie religieuse de Jean Hering, avec tout ce qu'elle comporte de programmaticité, est un exemple net de ce que la phénoménologie rend possible » 14 . Il faut cependant reconnaître que, même si des études récentes montrent que Husserl n'était pas entièrement étranger, dans sa pratique philosophique, à la question de Dieu et de l'expérience religieuse 15 , il n'a jamais cautionné le projet de son disciple alsacien. L'auteur des Méditations cartésiennes écrit ainsi dans une lettre de 1933 : « On peut parler d'une philosophie religieuse chez Scheler […] ou chez J. Hering […]
Résumé : Cet ouvrage issu de notre travail de thèse propose de caractériser le projet philosophiq... more Résumé : Cet ouvrage issu de notre travail de thèse propose de caractériser le projet philosophique de Husserl et de Heidegger comme une phénoménologie de la possibilité. De ce « benjamin des grands concepts » qu’est le possible, la phénoménologie n’a eu de cesse de faire usage, jusqu’à susciter la méfiance de ceux qui déplorent son ambiguïté extrême ou y voient l’outil d’une subversion. Néanmoins, trop rarement a été posée la question de savoir ce que la phénoménologie entend au juste par possibilité. Le concept de possibilité dont use la phénoménologie est-il le concept philosophique traditionnel, qui repose le plus souvent sur l’identification du possible au concevable, ou bien y a-t-il quelque chose comme un concept phénoménologique de possibilité qui ne se confond ni avec le concept métaphysique ni avec le concept modal ? Notre objectif a été de tenter de reconstruire ce concept en partant de Husserl et de Heidegger pour faire apparaître la manière dont la phénoménologie a renouvelé la compréhension du possible : non seulement elle renverse le primat traditionnel de l’effectif sur le possible, mais elle accomplit, plus loin encore, le dépassement de leur opposition statique pour mettre au jour leur co-appartenance dynamique. Si donc, pour la phénoménologie (selon le mot célèbre de Heidegger), « plus haut que l’effectivité se tient la possibilité », c’est pour autant qu’elle découvre l’entrelacement de l’effectif et du possible dans le réel. Ainsi, loin d’avoir entériné la pensée métaphysique de la possibilité, la phénoménologie, telle qu’elle a été mise en place par Husserl et continuée par Heidegger, a profondément modifié la compréhension traditionnelle du possible.
En parlant d’une pensée phénoménologique de la possibilité, nous ne nous contentons cependant pas d’affirmer qu’il existe un concept phénoménologique de possibilité, qui ne se confond ni avec le concept métaphysique, ni avec le concept modal. En effet, à notre tâche première de mettre au jour la pensée phénoménologique de la possibilité avec Husserl et Heidegger s’ajoute une tâche d’un autre ordre, consistant, non plus à montrer que le concept de possibilité a reçu, de la part de la phénoménologie, un traitement particulier, voire insigne, mais à prouver que la phénoménologie s’est elle-même jouée, pour une grande partie et en ses moments décisifs, dans l’infléchissement de la pensée de la possibilité. Notre deuxième objectif général dans cet ouvrage est donc de montrer que, avec Husserl et Heidegger, la phénoménologie a pris d’emblée le visage d’une phénoménologie de la possibilité, c’est-à-dire d’une phénoménologie qui atteste la phénoménalité du possible en l’inscrivant au cœur de l’expérience et de l’existence.
Résumé : Issu d’un colloque pluridisciplinaire organisé dans le cadre du projet ANR Emphiline en ... more Résumé : Issu d’un colloque pluridisciplinaire organisé dans le cadre du projet ANR Emphiline en mars 2014, le présent ouvrage réunit des contributions venant pour l’essentiel de deux champs disciplinaires : la philosophie et la linguistique anglaise, et abordant depuis leurs horizons respectifs les questions suivantes : comment se dit la surprise, et de quelle manière son expression varie-t-elle d’une langue à l’autre ? Comment s’articule et agit le dire de la surprise ? Ces interrogations ont conduit à réfléchir tant au lexique de la surprise qu’aux formes d’expression au moyen desquelles la surprise peut être, non seulement exprimée, mais aussi décrite, racontée, ou bien encore rationalisée, dans la langue courante, dans les discours formels comme dans la littérature. Notre objectif a été ainsi de contrebalancer la tendance habituelle à ranger l’expérience de la surprise du côté de l’indicible : au lieu de faire signe vers les limites du langage ou des différentes langues naturelles, la surprise ne ferait-elle pas plutôt ressortir la richesse de ses ressources et la plasticité de son fonctionnement ?
This paper inquires into the specificity of Kant’s transcendentalism, understood as an investigat... more This paper inquires into the specificity of Kant’s transcendentalism, understood as an investigation of the “conditions of possibility” of objects of experience, through the lens of his new comprehension of real (objective) possibility. Firstly, an analysis of Critique of Judgement, Section 76, allows for radicalization of the thesis of the first postulate of empirical thought: possibility implies a reference to subjectivity and to the subject’s faculties. This fundamental point proves that Kant cannot rightly be seen as an heir of the thinkers of the univocity of being, and lays the groundwork for a confrontation with scholastic (i.e., non-idealist) transcendentalism. A comparison with Wolff’s view of philosophy as a science of the possible brings a further confirmation of our hypotheses and conclusions.
« La vie ne s’actualise jamais, n’entre jamais dans le lieu fini de la lumière », écrit Michel He... more « La vie ne s’actualise jamais, n’entre jamais dans le lieu fini de la lumière », écrit Michel Henry dans Généalogie de la psychanalyse, exprimant ainsi son souci de réserver à la vie le régime, résolument obscur, de l’immanence radicale. Ce rejet de l’idée d’une actualisation de la vie est avant tout motivé par le refus de concevoir sa manifestation de soi comme une extériorisation, comme une objectivation. Si, selon la thèse attribuée à Hegel dans l’Appendice à L’essence de la manifestation..
Thanks to its dual filiation, Husserlian and Diltheyan, the Heideggerian project of a phenomenolo... more Thanks to its dual filiation, Husserlian and Diltheyan, the Heideggerian project of a phenomenology of religious life proves itself to be rich of a genuine methodological renewal. The attention to the historical dimension is accompanied by a reassessment of the phenomena in the light of their accomplishment (Vollzug), as lived experiences, beyond their objectivized expressions. However, Heidegger’s position towards the Philosophy of Religion is marked by several tensions, amongst which the one between his self-characterization as a Christian “theologian” and his plea in favor of a methodological atheism. This tension leads to the statement of a heterogeneity between Theology and Philosophy, following the division between the ontic and the ontological. Heidegger’s Correspondence with the protestant theologian Rudolf Bultmann hints nevertheless at the reasons for which such a diagnosis cannot be maintained.
From Kant’s transcendental idealism to Husserl’s transcendental phenomenology, how was the relati... more From Kant’s transcendental idealism to Husserl’s transcendental phenomenology, how was the relationship between the transcendental I and empirical subjectivity (considered in its dual, psychological, and anthropological dimension) determined, and how has it evolved? It is this crucial and complex question that my contribution intends to address. This endeavor will require a special focus on the nature and content of internal experience, as well as a thorough consideration of what the “outer man” is with respect to transcendental subjectivity. Furthermore, from an epistemological point of view, it is the scientific status of psychology and anthropology that will thus be subject to clarification.
From Kant’s transcendental idealism to Husserl’s transcendental phenomenology, how was the relati... more From Kant’s transcendental idealism to Husserl’s transcendental phenomenology, how was the relationship between the transcendental I and empirical subjectivity (considered in its dual, psychological, and anthropological dimension) determined, and how has it evolved? It is this crucial and complex question that my contribution intends to address. This endeavor will require a special focus on the nature and content of internal experience, as well as a thorough consideration of what the “outer man” is with respect to transcendental subjectivity. Furthermore, from an epistemological point of view, it is the scientific status of psychology and anthropology that will thus be subject to clarification.
Husserl, Kant and Transcendental Phenomenology, 2020
From Kantian criticism to Husserlian phenomenology, transcendental philosophy has proven to be un... more From Kantian criticism to Husserlian phenomenology, transcendental philosophy has proven to be undeniably resilient and, at the same time, has seen a controversial reception. The aim of this volume is to inquire into the profound meaning of this motif by contrasting the Kantian and phenomenological versions of transcendental philosophy on several crucial points. Far from being unanimously accepted by his students and contemporary philosophers of different orientations, the transcendental turn in Husserl’s phenomenology has always been a source of divided interpretations among scholars. Thus, the deep significance and necessity of this turn have been continually interrogated: what is the precise content and nature of the transcendental, and what does it mean vis-à-vis Husserl’s relationship to Kant? To what extent does phenomenology square with idealism, insofar as it redefines transcendental subjectivity and uncovers the realm of intersubjectivity? How does it reshape the project of a transcendental aesthetic or logic, as well as the foundation of the sciences or ethics? In short, what is it that distinguishes the “baroque” (Moran 2002, p. 51) form of transcendental philosophy advocated by Husserl from the Kantian one?
Selon le texte célèbre d'une note de travail de mai 1960 portant le titre « Chair du monde-Chair ... more Selon le texte célèbre d'une note de travail de mai 1960 portant le titre « Chair du monde-Chair du corps-Être » : « La chair du monde, c'est de l'Être vu, i.e. c'est un Être qui est éminemment percipi, et c'est par elle qu'on peut comprendre le percipere » (Maurice Merleau-Ponty, Le visible et l'invisible suivi de notes de travail, Paris, Gallimard, 1964, p. 304, souligné par l'auteur). 4 « La chair du monde n'est pas se sentir comme ma chair-Elle est sensible et non sentant-Je l'appelle néanmoins chair [...] pour dire qu'elle est prégnance de possibles, Weltmöglichkeit » (id., souligné par l'auteur). Pour une étude comparée de l'auto-affection chez les deux phénoménologues français, nous renvoyons à l'article de Renaud Barbaras, « Le sens de l'auto-affection chez Michel Henry et Merleau-Ponty » (Épokhè, N o 5, 1995, pp. 91-111), antérieur toutefois à la parution d'Incarnation.
Notre etude examine la maniere dont les principales injonctions de la methode phenomenologique, t... more Notre etude examine la maniere dont les principales injonctions de la methode phenomenologique, telle qu’elle a ete mise en place par Husserl et remaniee par Heidegger, sont reprises ou critiquees par la phenomenologie francaise contemporaine au tournant du xxie siecle. En un premier temps, c’est le role qu’assume la reduction au sein de la phenomenologie de la donation elaboree par Jean-Luc Marion qui est analyse, ainsi que les consequences methodologiques de sa comprehension du phenomene et, tout particulierement, la neutralisation du recours a l’hermeneutique qui en decoule. Nous faisons voir l’importance de la refutation de l’hypothese d’une non-donation par la phenomenologie de la saturation et le poids croissant qu’y gagne le concept d’evenement. Cette derniere consideration nous conduit a une confrontation avec l’hermeneutique evenementiale proposee par Claude Romano qui, tout en avancant une des plus radicales critiques de la reduction phenomenologique, plaide pour une phenomenologie hermeneutique d’un type nouveau, attentive a l’autonomie et a la specificite de la perception.
Ever since The Essence of Manifestation (1963), Michel Henry’s phenomenology developed in a close... more Ever since The Essence of Manifestation (1963), Michel Henry’s phenomenology developed in a close dialogue with Husserl. This confrontation led Henry, in 1995, to formulate the project of a “non-intentional phenomenology,” which would find its point of departure in a quite simple question: is intentionality—the key feature of consciousness and of lived experience as such in Husserl’s perspective—able to ground itself? Does it provide its own foundation? If not, in what could its possibility-condition be found? Henry’s gesture invites us not to a purely descriptive attitude toward such intentional acts, but rather to an inquiry into their origin and their inner ground, to submit them to a transcendental interrogation in order to discover “what ultimately makes them possible."
Intitulé Lectures de Jean-Luc Marion et composé d’une vingtaine d’articles, le volume assume l’éq... more Intitulé Lectures de Jean-Luc Marion et composé d’une vingtaine d’articles, le volume assume l’équivocité d’une mise en abîme : lire Marion dans sa propre lecture de la philosophie. Montrer à l’œuvre le dialogue du philosophe avec l’histoire de la philosophie constitue en effet le pari de ce livre, pari qui fait fond sur l’idée que tel est le chemin même de la philosophie et que ceci est en outre l’accès le plus respectueux que nous pouvons avoir à une œuvre s’accomplissant sous nos yeux. De Grégoire de Nysse et Denys l’Aréopagite à Derrida, en passant par Descartes, Kant, Nietzsche, Husserl et Heidegger, la pensée de Marion embrasse, approfondit, reprend et réfute les thèmes fondateurs de la métaphysique et de la phénoménologie. L’œuvre entière de Marion est traversée par sa lecture personnelle et novatrice de la philosophie. Elle se construit en dialogue avec les textes classiques et rend en même temps compte des grands débats théoriques de l’époque qu’elle traverse. Le dialogue est d’ailleurs privilégié aussi dans ce volume, Jean-Luc Marion répondant aux auteurs des études qui lui sont consacrées.
ANCA VASILIU est directrice de recherches au CNRS/Université Paris-Sorbonne. Elle a publié sa thèse dirigée par Jean-Luc Marion : Du Diaphane. Image, milieu, lumière dans la pensée antique et médiévale (1997). Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont récemment Divines techniques. Arts et langage homérique à la fin de l’Antiquité (2016). CRISTIAN CIOCAN, Docteur de l’Université de Bucarest et de l’Université de Paris IV Sorbonne. Il enseigne au Centre d’excellence dans l’étude de l’image (CESI) de l’Université de Bucarest. Président de la Société Roumaine de Phénoménologie et rédacteur en chef de la revue Studia Phaenomenologica, il est notamment l’auteur de Heidegger et le problème de la mort : existentialité, authenticité, temporalité (2014). Ont également participé à cet ouvrage : Dan ARBIB, Élodie BOUBLIL, Olivier BOULNOIS, Florin CRISMAREANU, Natalie DEPRAZ, Alberto FRIGO, Georgiana HUIAN, Paul MARINESCU, Bogdan MINCA, Christophe PERRIN, Ovidiu Sorin PODAR, Calin Cristian POP, Delia POPA, Tinca PRUNEA-BRETONNET, Claudia SERBAN, Ovidiu STANCIU, Émilie TARDIVEL, Marilena VLAD.
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Books by Claudia SERBAN
En parlant d’une pensée phénoménologique de la possibilité, nous ne nous contentons cependant pas d’affirmer qu’il existe un concept phénoménologique de possibilité, qui ne se confond ni avec le concept métaphysique, ni avec le concept modal. En effet, à notre tâche première de mettre au jour la pensée phénoménologique de la possibilité avec Husserl et Heidegger s’ajoute une tâche d’un autre ordre, consistant, non plus à montrer que le concept de possibilité a reçu, de la part de la phénoménologie, un traitement particulier, voire insigne, mais à prouver que la phénoménologie s’est elle-même jouée, pour une grande partie et en ses moments décisifs, dans l’infléchissement de la pensée de la possibilité. Notre deuxième objectif général dans cet ouvrage est donc de montrer que, avec Husserl et Heidegger, la phénoménologie a pris d’emblée le visage d’une phénoménologie de la possibilité, c’est-à-dire d’une phénoménologie qui atteste la phénoménalité du possible en l’inscrivant au cœur de l’expérience et de l’existence.
Papers by Claudia SERBAN
En parlant d’une pensée phénoménologique de la possibilité, nous ne nous contentons cependant pas d’affirmer qu’il existe un concept phénoménologique de possibilité, qui ne se confond ni avec le concept métaphysique, ni avec le concept modal. En effet, à notre tâche première de mettre au jour la pensée phénoménologique de la possibilité avec Husserl et Heidegger s’ajoute une tâche d’un autre ordre, consistant, non plus à montrer que le concept de possibilité a reçu, de la part de la phénoménologie, un traitement particulier, voire insigne, mais à prouver que la phénoménologie s’est elle-même jouée, pour une grande partie et en ses moments décisifs, dans l’infléchissement de la pensée de la possibilité. Notre deuxième objectif général dans cet ouvrage est donc de montrer que, avec Husserl et Heidegger, la phénoménologie a pris d’emblée le visage d’une phénoménologie de la possibilité, c’est-à-dire d’une phénoménologie qui atteste la phénoménalité du possible en l’inscrivant au cœur de l’expérience et de l’existence.
De Grégoire de Nysse et Denys l’Aréopagite à Derrida, en passant par Descartes, Kant, Nietzsche, Husserl et Heidegger, la pensée de Marion embrasse, approfondit, reprend et réfute les thèmes fondateurs de la métaphysique et de la phénoménologie. L’œuvre entière de Marion est traversée par sa lecture personnelle et novatrice de la philosophie. Elle se construit en dialogue avec les textes classiques et rend en même temps compte des grands débats théoriques de l’époque qu’elle traverse. Le dialogue est d’ailleurs privilégié aussi dans ce volume, Jean-Luc Marion répondant aux auteurs des études qui lui sont consacrées.
ANCA VASILIU est directrice de recherches au CNRS/Université Paris-Sorbonne. Elle a publié sa thèse dirigée par Jean-Luc Marion : Du Diaphane. Image, milieu, lumière dans la pensée antique et médiévale (1997). Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont récemment Divines techniques. Arts et langage homérique à la fin de l’Antiquité (2016).
CRISTIAN CIOCAN, Docteur de l’Université de Bucarest et de l’Université de Paris IV Sorbonne. Il enseigne au Centre d’excellence dans l’étude de l’image (CESI) de l’Université de Bucarest. Président de la Société Roumaine de Phénoménologie et rédacteur en chef de la revue Studia Phaenomenologica, il est notamment l’auteur de Heidegger et le problème de la mort : existentialité, authenticité, temporalité (2014).
Ont également participé à cet ouvrage : Dan ARBIB, Élodie BOUBLIL, Olivier BOULNOIS, Florin CRISMAREANU, Natalie DEPRAZ, Alberto FRIGO, Georgiana HUIAN, Paul MARINESCU, Bogdan MINCA, Christophe PERRIN, Ovidiu Sorin PODAR, Calin Cristian POP, Delia POPA, Tinca PRUNEA-BRETONNET, Claudia SERBAN, Ovidiu STANCIU, Émilie TARDIVEL, Marilena VLAD.