3
Ironmongers Daily News, 3rd December, 1912.
Scholar School - lesson 1
L’Holmésologie, c’est quoi ? Définition
par Benoit Guilielmo, Quincaillier.
es holmésiens se sont
toujours montrés réservés en matière de discours critique sur leur propre
pratique. Ils préfèrent donner
la preuve par l’exemple en étudiant minutieusement le corpus des aventures de Sherlock
Holmes. Car il s’agit avant tout
de ne pas trahir le jeu de fairesemblant et de ne pas désavouer
ce même jeu partagé par toute
une communauté.
Faire de l’holmésologie, c’est
feindre, c’est prétendre. Mais
prétendre quoi ? Quels sont les
types de questions que les holmésiens posent aux textes de
Conan Doyle ? Quels sont leurs
présupposés et leurs méthodes
dans l’étude de ces textes ?
Quels sont les principaux problèmes abordés dans leurs
études savantes ?
Avec cette nouvelle rubrique,
notre objectif sera de donner
aux lecteurs de l’IDN un bref
aperçu critique de l’entreprise
holmésologique telle qu’elle
s’exerce depuis plus d’un siècle.
Nous examinerons ainsi :
1) les présupposés constitutifs
de l’activité ludique des savants
holmésiens avant de considérer ;
2) les méthodes et les différents
problèmes étudiés par ceux-ci.
Nous conclurons par :
3) quelques remarques générales sur l’histoire de l’Holmésologie et sur ce qu’elle peut
peut-être encore accomplir.
L
h
I
Qu’est-ce que
l’Holmésologie ?
Une tentative de définition
On regroupe sous le terme
« holmésologie », l’ensemble des
recherches savantes et inutiles
consacrées aux soixante récits
de Sir Arthur Conan Doyle rapportant les aventures de Sherlock Holmes. Le noyau dur de
l’holmésologie étant constitué
par la théorie loufoque selon
laquelle Sherlock Holmes n’est
pas un personnage fictionnel
mais un être ayant réellement
existé, ainsi que tout son uni-
« Comme on peut le vérifier empiriquement, les personnages de fiction
ne se trouvent pas dans les endroits où les œuvres littéraires les situent.
Quiconque s’attendrait à trouver Sherlock Holmes au 221B Baker Street
ou quelque part ailleurs dans le continuum spatio-temporel, commettrait une erreur très naïve. Plus précisément, en tenant Holmes pour une
entité spatio-temporelle (peut-être un homme réel) plutôt qu’un personnage fictionnel, celui-là commettrait une erreur de catégorie. »
Amie Thomasson, Fiction et Métaphysique, 1999 [trad. 2011], p. 51.
vers. Les récits du docteur Watson sont lus, considérés et interprétés comme des récits factuels
dont il est l’auteur.
Un des principes de la critique holmésienne est donc le
suivant : on considèrera l’ensemble des aventures de Sherlock Holmes comme un texte
historique et fragmentaire (il
est incomplet – nous ne savons
pas tout).
À partir de là, on va se demander : que peut-on inférer à son
sujet ? Que peut-on connaître de
cet univers et de ses acteurs à partir des indices livrés par le récit ?
Le jeu pratiqué par les holmésologues consiste à s’installer à
l’intérieur du contexte fictionnel et à parler de ce qui est vrai
d’après l’histoire. Il s’agit de
faire semblant de croire que
ce que dit l’histoire est vrai. Ils
admettent ainsi que l’histoire
ne décrit pas simplement des
personnages de fiction mais
des personnages bien réels que
nous pouvons admirer, critiquer
ou même psychanalyser.
L’holmésien pourra ainsi inscrire sur la page de garde de
chacun de ses volumes : les
personnages de ce roman étant
réels, toute ressemblance avec
des individus imaginaires serait
fortuite (si vous ne l’avez pas encore fait, il est encore temps !).
Comme l’écrivait Sir Sydney
Roberts, un pionnier et un des
géants de la discipline : « Les personnalités de Holmes et de Watson
ont une telle emprise universelle sur
les cœurs et l’imagination des lecteurs que leur vie, leurs habitudes,
leurs caractéristiques, sont devenues
un objet de plus grand intérêt que
les aventures qu’ils ont partagées. »
Le principe méthodologique,
allant de pair avec ce type d’enquête littéraire sur la Saga de
Holmes, est bien sûr d’y appliquer les méthodes de Sherlock
Holmes lui-même : l’observation des détails énoncés au sein
des récits et l’inférence à partir
de ceux-ci. Les holmésologues
pratiquent ainsi des recherches
systématiques et argumentées
qui se veulent claires, précises
et minutieuses. Ils appliquent la
rigueur de l’érudition critique
dans leurs enquêtes sur l’ensemble de l’univers holmésien.
Ces études biographiques, chronologiques,
topographiques,
allient généralement l’humour
au sérieux, car elles partent
toutes d’un postulat pour le
moins inattendu.
L’existence de Holmes ne préoccupe pas les holmésologues.
Ce qui les chagrinent, c’est plutôt l’existence véritable de Moriarty et de son gang, la chronologie interne des récits et tout ce
qu’ils ne nous disent pas, d’où
les « silly questions », les spéculations et les hypothèses affutées
pour rendre compte des multiples silences, contradictions
et invraisemblances rencontrés
dans les soixante récits.
L’holmésologie, telle qu’elle se
pratique depuis ses débuts, est
aussi une culture de la dispute,
de l’objection, de la description,
des commentaires burlesques,
des interprétations et des contreinterprétations, et même de la
construction théorique, remettant ainsi partiellement ou totalement en cause la véracité de
tels épisodes de la Saga.
Tout cela avec de solides arguments, ou alors avec un tas d’hypothèses incroyablement farfelues. La caractéristique commune
à tous les holmésologues restant
toutefois – depuis les débuts de
la discipline – leur désaccord
constant les uns avec les autres sur
à peu près toutes les questions soulevées par leurs recherches.
Vous trouverez ci-après, à titre
d’exemple, une liste de dix
questions controversées qui ont
agité le monde des fanatiques
de Sherlock Holmes depuis
des décennies*. Ces questions
célèbres ont donné lieu à des
dizaines d’études (pseudo-)savantes, toutes plus audacieuses
les unes que les autres quant
aux solutions proposées :
10. Combien d’épouses a eu ce
bon docteur ?
9. Y avait-il un troisième frère
Holmes ?
8. Est-ce que Holmes était
amoureux d’Irene Adler ?
7. Après qu’il soit question de
serpents qui entendent, boivent
et escaladent, de babouins qui
ressemblent à des enfants, d’une
cyanea capillata meurtrière (aussi connue sous le nom de méduse), d’un lévrier qui se tortille,
d’un molosse cannibale « noir
comme du charbon, un molosse
comme jamais n’en avait vu des
yeux de mortel », d’un rat géant
de Sumatra et d’une espèce de
vers inconnue de la science,
sommes-nous supposés croire
que cette agence de détective « a
les pieds sur terre » (SUSS) ?
6. Qu’est-ce qu’un « bull-pup »
(STUD) ?
5. Quelle type d’« expérience »
Watson a-t-il eu avec des femmes
« de nombreuses nations et de trois
différents continents » (SIGN) ?
4. Est-ce que Moriarty a existé ou
est-il une invention de Holmes ?
3. Quels étaient les principes
éthiques de Sherlock Holmes ?
2. Jusqu’à quel point Watson
était-il intelligent ?
1. Pour l’amour du ciel, où était
vraiment située la blessure de
Watson ?
On pourra bien sûr en ajouter bien d’autres qui vous sont
déjà bien connues. Vous pouvez d’ores et déjà dresser votre
propre liste est nous en faire
part sur le For Holmes ou par
email (IDN@sshf.com).
Lecture plus que recommandée : L’Holmésologie et le concept de
la plaisanterie totale par Bernard
Oudin (cliquer ici pour lire).
À suivre dans une prochaine
édition de l’IDN :
II. Silly Questions et Vérificationisme
* Ces dix questions sont issues d’un texte de
Miss Roylott intitulé Top Ten Canon Controversies (cliquer ici pour lire l’original).