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La limite du réel

14#06#04& & 1& La&limite&du&réel1& & ! Deux séries ont laissé une trace dans l’imaginaire des téléspectateurs et l’histoire de la télévision : au tournant des années 1960, les séries The Twilight Zone et The Outer Limits marquent l’arrivée d’un genre nouveau à la télévision, le fantastique destiné à un public adulte. Le sujet de mon intervention pourrait se résumer à une question que soulève l’arrivée de ces séries à la télévision : qu’est-ce que ces émissions avec leurs génériques si particuliers racontent sur l’histoire de la télévision nordaméricaine entre 1959 et 1963? Sous-jacente à cette question qui guide mon analyse, il y a celle des changements survenus dans la perception du dispositif télévisuel lorsque la télévision sort de son âge d’or et prend son autonomie par rapport au modèle radiophonique qui a façonné ses premières années. J’insiste ici sur les termes « changements dans la perception du dispositif télévisuel » : il s’agit de mettre de l’avant ce que les séries The Twilight Zone et The Outer Limits apportent à la perception de la télévision au tournant des années 1960 avec leurs réalisations et leurs genres qui se démarquaient avec la fiction télévisuelle à l’époque. L’hypothèse qui guide mon analyse pourrait se lire ainsi : les variations dans les génériques de The Twilight Zone entre 1957 et 1961 et celui si caractéristique de la série The Outer Limits entre 1961 et 1963 traduisent une nouvelle « seconde naissance » (Gaudreault et Marion, 2000) de la télévision qui émerge de son âge d’or et marque les premiers pas de la télévision moderne. Dans son développement comme média autonome, cette télévision moderne émerge au tournant des années 1960 comme un média qui a pris son autonomie des modèles hérités de la radio, notamment avec son théâtre et ses variétés, et du cinéma avec ses téléfilms pour mettre en place des pratiques narratives audiovisuelles qui lui sont propres. La télévision développe alors une expérience de la fiction distincte de celles adaptées de la radio et de celles du cinéma adapté au petit écran que reproduit une série comme Alfred Hitchcock presents (1955-1962). À son registre de communication audiovisuelle qui s’adresse à son téléspectateur comme la radio avec ses vaudevilles et ses variétés et à son registre de narration audiovisuelle qui reproduit l’expérience cinématographique sur le petit écran, la télévision ajoute au tournant des années 1960 un nouveau registre dans lequel communication et narration audiovisuelle s’entremêlent et se nourrissent pour créer un régime fictionnel propre à la télévision qui rompt avec ses modèles de l’âge d’or. Les séries The Twilight Zone et The Outer Limits racontent ce moment où la télévision développe une expérience de la fiction qui n’est pas celle des téléfilms ni celle de la captation des comédies de situation de son âge d’or, mais un régime fictionnel hybride spécifique à la télévision qui marque l’entrée dans une certaine modernité. Nourries du cinéma de fiction et du régime télévisuel qui autorise l’adresse au spectateur et implique des conventions liées au budget et aux contraintes techniques et de la nécessité de se distinguer parmi d’autres émissions et d’autres genres, les séries The Twilight Zone et The Outer Limits annoncent une expérience de la fiction qui affiche un caractère perméable entre fiction et communication et qui deviendra un modèle de tout un courant des séries de fiction au tournant des années 1960. &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 1&Article tiré de ma conférence présentée au colloque La Télévison des premiers temps, organisée par le CRILCQ et le GRAFICS en mars 2013, à la Cinémathèque québécoise à Montréal.& 14#06#04& & 2& PARTIE 1-La télévision au temps de l’âge d’or & I Love Lucy (1951) illustre bien la mise en scène des premières comédies de situation qui ont nourri la popularité de la télévision pendant son âge d’or. Filmée devant une audience qui réagit au spectacle filmé de la représentation, la mise en scène de l’émission place le téléspectateur devant une représentation jouée sur scène, avec des conventions empruntées au théâtre de vaudeville, qui serait filmée « live ». La télévision reproduit la capture d’une représentation filmée devant une audience qui réagit par ses rires et ses applaudissements. La télévision permet alors à son téléspectateur d’assister depuis son salon à la représentation comme s’il était présent sur place au milieu de la foule qui assiste à une performance qui est aussi filmée : I would like to argue that early domestic comedies both developed (and borrowed from other media) modes of representation, or what I will call "theatrical" modes of representation, which produced the simulation of live theater. (…) Theatricality fulfilled the utopian promise that television would present an illusion so compelling that it would be identical to a live performance. (Spigel, 1988) p.24 La comédie de situation est alors mise en scène, entendre mis sur la scène pour la caméra, de façon à reproduire et souligner l’expérience du spectateur qui assiste en studio à la représentation. Filmée comme si nous assistions à une performance devant une audience parmi laquelle se glissent des caméras, la mise en scène théâtralise l’expérience spectatorielle. Comme dans un vaudeville, sans coupure entre la scène et une audience qui fait partie du spectacle, sinon une frontière perméable qui permet de voir et d’interpeller le spectateur depuis l’espace de la fiction, la prise en compte du téléspectateur n’est pas selon Lynn Spigel un frein à l’expérience de la fiction, mais a contrario un instrument pour créer le sentiment d’appartenance à l’audience qui assiste à la représentation filmée2. Dit autrement, le regard caméra, le clin d’œil, le jeu des comédiens en fonction de l’audience, les rires et réactions des spectateurs présents au moment où l’on filme participent de ce mode de représentation qui I Love Lucy, Jess Oppenheimer, Madelyn consiste à reproduire une performance sur scène Pugh et Bob Carroll, 1951 livrée devant une audience qui réagit au spectacle 3 qu’on lui offre . &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 2 Selon Spigel, « there is no attempt to sustain the illusion that it is a real space at all. Instead, it is the stage space which is represented through realist conventions. The spatial and temporal unities of the stage space are kept intact, and the actions on the stage always appear to unfold in real time-that is, in the time that it takes the home audience to watch the program. Thus, the stage appears more real than the domestic space, and the home audience is given the sense of watching a live play in the theater. » Spigel, «Installing the Television Set: Popular Discourses on Television and Domestic Space, 1948-1955» , p.25.& 3 On trouve le détail de ces emprunts de la télévision à son modèle initial qu’est la radio dans Patnode, Going Places: Mobility, Domesticity, and the Portrayal of Television in New Yorker Cartoons, 1945-1959 .& 14#06#04& & 3& La référence à la radio et la théâtralité de la mise en scène, soulignée par la présence des rires de la foule en studio, participent alors à donner au téléspectateur le sentiment qu’il s’agit d’une capture qui a lieu live. Nonobstant les impératifs techniques de la capture, telle l’étape du kinescope qui permet d’enregistrer sur support film la capture de l’émission en studio et d’adapter sa diffusion à plusieurs fuseaux horaires et ses reprises, la mise en scène crée chez le téléspectateur le sentiment d’une diffusion qui se joue en direct. Comme si la mise en scène d’une représentation filmée live devant une audience nourrit chez le téléspectateur le sentiment d’une diffusion qui se fait en direct. La télévision reprend alors dans sa facture et ses références le message de la radio à l’effet que l’émission de variétés, le journal télévisé ou la comédie de situation sont diffusées en direct au moment au moment même de leur capture. La publicité qui vend le téléviseur Saturday Evening Post, 1950 Saturday Evening Post, 1952 Un détour par la publicité imprimée qui annonce les téléviseurs pendant les années 1950 nous enseigne sur l’image qu’avait le dispositif télévisuel dans l’imaginaire collectif. Au moment où la télévision travaille à s’imposer comme média dans les foyers et que les banlieues se peuplent de bungalows, de nombreuses publicités mettent en scène la télévision comme une fenêtre qui s’ouvre sur le monde que l’on regarde en famille, réunie autour du poste, Cette télévision se présente comme un dispositif que le téléspectateur ouvre pour assister à la captation en direct du match de sport, de la comédie de situation, du spectacle de variétés ou du talk-show comme s’il y était4. A contrario de cette idée d’une télévision qui isole un peu plus les nouveaux habitants des banlieues dans leur bungalow, cette télévision sort les téléspectateurs de leur sentiment d’isolement en leur apportant la possibilité de participer depuis leur salon à l’expérience collective de la représentation filmée5. &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 4 On retrouve cette idée de la télévision qui permet de se déplacer en restant dans son salon dans Hutchinson, Here is Television your Window on the World .& 5 Lynn Spigel explique ce sentiment d’inclusion : « It wasn't simply the image of the stage on the TV screen which gave the illusion of being at the live theater-rather, it was the alternation between the stage space and the domestic space which gave a sense of "being there." Through this alternation, viewers experienced a kind of layered realism in which the stage appeared to contain the domestic space, and thus, the stage appeared spatially closer - or more real - than the domestic space. This heightened sense of realism on the stage space was further suggested by the shifting forms of address as the program moved from the stage to the domestic 14#06#04& & 4& L’expérience promise par ces publicités n’est alors pas celle de la fiction comme au cinéma, mais celle de faire voyager le spectateur depuis son salon pour assister à la captation de la représentation en temps réel. Dans ces publicités, le meilleur téléviseur est celui qui fait oublier sa matérialité et crée l’illusion d’être dans le studio avec la foule, dans la salle de spectacle, au stade de sport, où l’on filme pour la télévision. Sous l’œil du téléspectateur, entre le montré et sa diffusion, il y a toujours le moment de la représentation filmée qui s’interpose. New York Times Magazine, 1943 New York Times 1952 Life, n.34, 27 avril 1953 Time, novembre 1953 La télé-vision, dans son sens étymologique premier, est alors le dispositif qui permet de voir à distance et en direct la représentation qui est filmée live. Cette télévision s’inspire de la radio qui lui tient lieu de modèle et se traduit par autant de références qui nourrissent la perception&et& l’interprétation&des&téléspectateurs&qui&se&familiarisent&avec&le&nouveau&médium.&& & Le visionnement au singulier Au courant des années 1950, on observe des changements dans l’objet « télévision » lui-même. On passe de la télévision comme meuble et destinée à être vue en famille, à une télévision qui peut suivre le téléspectateur partout dans la maison. La télévision retrouve l’omniprésence de la radio avec la multiplication des appareils plus petits, que l’on déplace ou qu’on installe dans toutes les pièces de la maison. Cette télévision qui avait migré de l’espace social – qui se regarde en groupe, avec les invités, au restaurant du coin ou au bar entre amis — à l’espace familial du salon, se glisse dans l’espace individuel. Le bureau, la salle de jeu, la chambre à coucher et la cuisine reçoivent des appareils plus petits destinés à une écoute qui se singularise et exclut. Le téléviseur qu’il soit meuble de salon ou le poste petit et mobile, devient pendant ces années un dispositif qui peut être présent dans tous les espaces et qui peut se regarder tantôt en groupe, le temps d’un match de sport ou d’un spectacle de variétés tantôt de façon individuelle, pour suivre une dramatique, une série ou un téléfilm. &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& space. » Spigel, «Installing the Television Set: Popular Discourses on Television and Domestic Space, 19481955» , p.25. & 14#06#04& & 5& & Feuillet&de&promotion,&1954& & & & Time, 8 septembre 1958 The Saturday(Evening(Post,&1959 Avec ces téléviseurs plus petits destinés à un individu se développe la possibilité de donner au téléspectateur le contrôle sur le téléviseur. La télécommande, vendue à part du téléviseur, ajoute au confort du téléspectateur individuel qui n’a plus à se lever pour contrôler le volume ou choisir une autre chaîne6. Les publicités annoncent des téléviseurs portatifs qui peuvent être regardés avec des écouteurs. La spectature individuelle, isolée par la taille de l’appareil, qui se regarde à l’abri du regard et de l’écoute des autres spectateurs, devient possible. La télévision ajoute alors à son registre de communication de groupe, social ou familial, une communication qui se conjugue sur le mode du spectateur individuel, isolé par le dispositif. Les publicités des téléviseurs délaissent l’image d’une télévision qui se regarde en famille ou avec les amis et promettent une expérience de la télévision singulière que rien ne viendra déranger. &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 6&Jacquelyn&Laura&Simmons&propose&une&analyse&détaillée&des&publicités&autour&des&premières& télécommandes&et&de&la&clientèle&visée&par&ces&publicités.&{Simmons,&2011&#420}& 14#06#04& & 6& Être vu à la télévision En parallèle de ce portrait nouveau de la spectature télévisuelle, la télévision pour enfants expérimente avec les limites et les usages du dispositif télévisuel. L’émission pour enfants Winky Dink and you (Prichett, Sr. et Ed Wyckoff, CBS, 1953-1957) met en scène un enfant spectateur que l’animateur interpelle et dont il dirige les dessins à la maison. À chaque épisode, l’animateur annonce une visite dans la maison d’un jeune. À chaque épisode, le montage nous entraîne dans la demeure d’un jeune qui couvre le téléviseur d’une pellicule plastique en suivant les instructions que l’animateur lui donne depuis le téléviseur comme s’il voyait le jeune à la maison. Pendant l’émission, l’animateur dessine des formes sur une vitre devant la caméra que reproduit le jeune sur le plastique qu’il a collé plus tôt sur le téléviseur. Pour inventive et fictive qu’elle soit, l’émission pour enfant Winky Dink and you reflète un changement dans la perception du dispositif télévisuel dans le courant des années 1950 : le dispositif qui était initialement présenté – dans les publicités des téléviseurs notamment — comme une fenêtre sur le monde par laquelle le spectateur pouvait voir sans être vu devient un dispositif qui a le potentiel d’être réversible. Dans l’intimité même de l’espace domestique, le téléspectateur s’expose à la possibilité d’être vu par un dispositif qui se révèle plus complexe que la fenêtre sur le monde et du même coup plus difficile à maîtriser. Winky&Dink&and&you,"Prichett"et"Wyckoff," 195331957" & Cette aura de réversibilité qui exposerait le spectateur à être vu par le dispositif télévisuel, s’il n’est pas justifié sur le plan technique, se retrouve mis en scène dans des caricatures qui apparaissent fin des années 1950 et dans des chroniques dans les revues et journaux de l’époque qui recommandent une tenue vestimentaire et des comportements appropriés lorsque on se retrouve devant son le téléviseur7. À l’époque de la guerre froide, où des « communistes » ont réussi à mettre en orbite le premier Sputnik (4 octobre 1957), où la science-fiction annonce l’avènement de Big Brother (1984 de George Orwell a été publié en 1949), la technologie nouvelle qui avait d’abord séduit soulève des questions et inquiète. Le téléviseur n’est plus l’interface qui met à l’abri le téléspectateur de ce qu’il voit, mais un fragment d’un dispositif complexe que le téléspectateur ne maîtrise pas, sinon pas tout à fait. Dans l’espace domestique de la fin des années 1950, le téléviseur ouvre une brèche potentielle entre le monde extérieur et l’espace de visionnement. &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 7 Lynn Spigel analyse le discours dans les magazines féminins qui prône un comportement et un usage de la télévision dans l’espace domestique. On verra,&Spigel, Make Room for TV: Television and the Family Ideal in Postwar America . On trouvera une analyse très détaillée des enjeux qui se glissent dans la représentation de la télévision dans les médias écrits dans Patnode, Going Places: Mobility, Domesticity, and the Portrayal of Television in New Yorker Cartoons, 1945-1959 .& 14#06#04& & 7& Si le dispositif télévisuel est orienté par sa technologie et son geste d’interpellation depuis l’espace producteur de contenu vers celui du téléspectateur8, la mise en scène de la représentation captée par la caméra qui fonde la télévision à son âge d’or limite le geste d’interpellation à l’espace de cette captation : l’animateur s’adresse à une audience en studio qui tient lieu d’ersatz du téléspectateur comme s’il participait de cette foule en studio. Or, ce geste d’interpeller le téléspectateur comme s’il était présent en studio, repose sur le fait que le dispositif télévisuel à son âge d’or se présente au téléspectateur comme une fenêtre qu’il luiThe suffit d’ouvrir accéder1959, au monde New Yorker,pour 31 janvier p.33 où a lieu cette captation. Le « voir comme si on y était » que racontent les publicités des premiers téléviseurs — qui reflète le pacte que cherchait à établir cette première télévision avec son téléspectateur — est transformé à la fin des années 1950 lorsque la télévision ajoute à sa palette de possibles un nouvel usage du dispositif : le moment de captation s’évanouit de la mise en scène et plus rien, dans cette mise en scène, ne s’interpose entre le filmé et le téléspectateur devant son téléviseur. En marge du spectacle de la captation filmée « comme si on y était », la télévision ajoute alors la possibilité d’une expérience de la fiction qui reprend au cinéma la transparence du dispositif qu’elle adapte dans un registre télévisuel qui ouvre l’accès à l’espace domestique. Là où le dispositif télévisuel se présente au début des années 1950 comme une fenêtre sur la représentation filmée, c’est-à-dire une fenêtre qui s’interpose entre le téléspectateur et le spectacle des variétés, le talk-show ou la comédie de situation, le dispositif télévisuel au tournant des années 1960 se présente comme une interface qui relie directement l’espace domestique à l’univers télévisuel filmé. Parce qu’il n’y a plus la référence obligée à la représentation filmée qui s’interpose entre le téléspectateur et la fiction, la télévision ouvre une brèche dans l’espace domestique par où s’engouffrent des séries comme The Twilight Zone The Outer Limits qui apportent au téléspectateur une expérience jusqu’alors inédite de la fiction à la télévision. et L’arrivée de séries comme The Twilight Zone et The Outer Limits Après le succès des premières séries de science-fiction pour enfants populaires entre 1949 et 1954 (The Adventures of Superman, The Atom Squad, Buck Rogers, Captain Midnight (alias Jet Jackson), Captain Video, Commando Cody, Flash Gordon, Lights Out, Operation Neptune, Out There, Phantom Empire. Quiet Please, Rod Brown of the Rocket Rangers, Science Fiction Theatre, Space Patrol, Tom Corbett) 9 The Twilight Zone introduit le fantastique destiné à un public adulte qui &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 8 Comme le rappelle Gilles Delavaud, « c’est le spectateur qui reçoit. D’où ce reproche de Thévenot à certains responsables d’émission : «La télévision dépayse les entrepreneurs de spectacle. La plus fréquente erreur de ses producteurs est peut-être de faire comme si nous allions chez eux alors qu’ils viennent chez nous » (Jean Thévenot dans Jean Quéval et Jean Thévenot, TV, Gallimard, 1957, p.379). C’est dire que l’adresse (adresse par le regard ou image adressée) doit être comprise comme étant toujours, plus ou moins, de l’ordre de l’intrusion. » Delavaud, Au source des la création télévisuelle. La télévision comme dispositif d'adresse (p.64).& 9&On&trouvera&une&analyse&de&la&production&des&genres&fantastique&et&de&science#fiction&à&la&télévision&& dans&Siegel,&«Science#fiction&Characterization&and&TV's&Battle&for&the&Stars»&.& 14#06#04& & 8& découvre le genre le vendredi soir à 22 h. The$Twilight$Zone$ Entre 1959 et 1963, la série The Twilight Zone présente quatre génériques distincts propres à chacune des années de sa diffusion. Le discours en voix over qui ouvre les épisodes de la première saison en 1959-1960 décrit le genre et l’univers de la série The Twilight Zone : « There is a fifth dimension, beyond that which is known to man. It is a dimension as vast as space and as timeless as infinity. It is the middle ground between light and shadow, between science and superstition, and it lies between the pit of man's fears and the summit of his knowledge. This is the dimension of imagination. It is an area which we call The Twilight Zone. » The Twilight Zone. « Time Enough at Last », 20 novembre 1959 Le texte du présentateur décrit l’univers fictionnel à la limite du fantastique dans lequel le téléspectateur est invité à plonger. Sur le texte du narrateur, la série présente dans son générique, des images d’un tissu de brume, de nuages épars dans le ciel, de terre désertique, d’une grotte dans une plaine et de l’espace étoilée sur laquelle apparaît le titre de la série. Arrimées au descriptif du présentateur, les images illustrent l’espace, l’infini, le mélange d’ombre et de lumière évoqués dans le discours. Le générique se présente comme une explication sur l’univers de la fiction et ce genre jusqu’alors inédit en télévision. Au terme du générique, le téléspectateur s’est vu donner le cadre de référence avec lequel il peut interpréter l’univers fictionnel de l’épisode. En 1960-1961, le texte du présentateur qui ouvre les épisodes de The Twilight Zone change de registre : « You're traveling through another dimension, a dimension not only of sight and sound but of mind; a journey into a wondrous land whose boundaries are that of imagination. That's the signpost up ahead - your next stop, The Twilight Zone. » & & & & The Twilight Zone. « Will The Real Martian Please, Stand Up », 26 mai 1961 Ici, le discours du présentateur interpelle directement le téléspectateur et dicte un parcours pour entrer dans l’univers de la fiction. Le discours qui présentait dans la première saison l’univers fictionnel fantastique décrit dans la seconde saison une étape dans un parcours qui conduit à l’univers fantastique. Le discours du présentateur se situe au moment où la frontière entre la fiction fantastique et la réalité se dessine et annonce un prochain arrêt dans cet univers fantastique. Le visuel illustre le parcours en nous faisant traverser étape par étape un tissu de brume qui ouvre cette fois 14#06#04& & 9& sur un cercle lumineux qui descend sous un trait qui dessine une ligne d’horizon d’où émerge l’espace étoilé sur lequel apparaît par un raccord de focus le titre de la série. En ouverture de l’épisode de la seconde saison, images et texte traduisent de façon métaphorique le processus d’entrée du téléspectateur dans l’univers de la fiction fantastique. Au terme du générique, le téléspectateur a fait le parcours qui le conduit à l’orée de l’expérience de cette fiction fantastique. En 1961-1962, le texte du présentateur décrit de façon plus elliptique le parcours pour entrer dans l’univers de la série The Twilight Zone : « You're traveling through another dimension, a dimension not only of sight and sound but of mind; a journey into a wondrous land whose boundaries are that of imagination. Your next stop… The Twilight Zone. » &&&&& &&& & & & The Twilight Zone. «One More Pallbearer », 1962 Cette présentation a lieu dans la troisième saison sur une spirale hypnotique qui disparaît dans le flou de l’image sur laquelle apparaît le titre de la série sur le fond de l’espace étoilé. Avec son motif visuel et le présentateur qui dicte un parcours, le générique d’ouverture reproduit un processus hypnotique qui annonce au téléspectateur qu’il franchit la frontière de la fiction fantastique. Du présentateur qui annonce une prochaine étape dans « la quatrième dimension » dans la saison 19601961, on est passé à un présentateur qui dicte un trajet où le téléspectateur perd le contrôle sous l’emprise de la voix et de la spirale hypnotique. De l’annonce, « vous êtes sur le point d’entrer dans le monde fantastique », on est passé au constat, « vous avez déjà franchi l’entrée dans l’espace de la fiction fantastique ». Au terme du générique, le téléspectateur découvre qu’il a été entraîné dans l’univers de la fiction fantastique et qu’il est sur le point de découvrir au prochain arrêt, avec l’épisode qui commence à la fin du générique. En 1962-1963, le texte du présentateur décrit les étapes que parcourt le téléspectateur pour entrer dans l’univers fantastique de The Twilight Zone : « You unlock this door with the key of imagination. Beyond it is another dimension: a dimension of sound, a dimension of sight, a dimension of mind. You're moving into a land of both shadow and substance, of things and ideas; you've just crossed over into the Twilight Zone ».& The Twilight Zone. « In His image », 1963 14#06#04& & 10& Dans ce générique, au fil de l’énumération, chaque étape du parcours pour entrer dans l’univers est illustrée par un motif correspondant : sur un fond d’espace étoilé, une porte tourne et flotte avant de se poser; la porte s’ouvre; une fenêtre qui donne sur un jardin éclate avec fracas; un oeil qui s’ouvre et l’équation E=MC2 traversent l’écran; un mannequin de dessin semble « voler » dans le vide spatial; une horloge tourne en accéléré; toujours sur le fond d’espace étoilé, le titre The Twilight Zone apparaît. The Twilight Zone, « Stopover In A Dans ce générique, le présentateur et le visuel tracent parcours accompli par l’imagination du Quiet le Town », 1964 téléspectateur pour accéder à l’univers fantastique. Ce présentateur qui annonçait l’univers fantastique comme une prochaine étape dans les saisons précédentes, souligne au téléspectateur qu’il accomplit tout le parcours qui le séparait de la fiction pendant le générique et, à la fin de ce générique qu’il est entré dans le monde l’imagination. Au terme du générique, le téléspectateur découvre avoir parcouru la distance qui le séparait du monde fantastique et être plongé dans cet univers étrange qui fonde son expérience de la série The Twilight Zone. La voix qui dicte l’entrée dans la fiction Entre 1959 et 1963, ces changements dans les génériques racontent une possibilité nouvelle pour la télévision : après avoir offert au téléspectateur de son âge d’or de voir l’espace de la représentation qui est filmée et l’expérience du cinéma sur petit écran au milieu des années 1950, le générique de The Twilight Zone annonce au téléspectateur la possibilité de convoquer un modèle de représentation fictionnelle propre à cette télévision qui puise dans le cinéma de fiction et dans la communication télévisuelle. The Twilight Zone propose alors un modèle fictionnel dans lequel le présentateur interpelle, depuis l’espace de la fiction, le téléspectateur à la maison et lui propose l’expérience d’un univers fantastique. Entre 1959 et 1963, cette adresse s’affirme, le texte du présentateur passant du mode descriptif au mode interpellation et dessine un parcours et un régime fictionnel de plus en plus balisés pour le téléspectateur. Dans ce régime fictionnel, l’adresse au téléspectateur et le regard caméra ne font pas rupture10, mais participent d’un régime fictionnel qui porte une composante de communication propre au médium &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 10 Gilles Delavaud souligne : « L’adresse directe par le regard qu’on peut considérer comme le code fondamental de la communication télévisuelle. À quoi tient l’efficacité de l’adresse par le regard ? Premièrement au fait que le regard à la caméra donne le sentiment (ou l’illusion) que s’établit, comme dit Jean Thévenot, un « contact personnel » : un « contact d’homme à homme, direct, instantané, visuel et auditif » (Jean Quéval et Jean Thévenot, TV, Gallimard, 1957, p.276). Autrement dit, l’adresse par le regard est perçue comme une adresse personnalisée. Deuxièmement cette rencontre personnalisée a lieu au domicile du spectateur » Delavaud, Au source des la création télévisuelle. La télévision comme dispositif d'adresse , p.62-63. & 14#06#04& & 11& télévisuel, dans lequel le présentateur est le guide du téléspectateur au sein d’un univers fictionnel fantastique. À cheval entre communication et fiction, le présentateur interpelle le téléspectateur dans le générique et apparaît sous les traits de Rod Serling comme un personnage de la diégèse qui invite le téléspectateur à vivre la dimension fantastique de l’histoire présentée. En marge de la représentation filmée, avec ou sans audience, et du cinéma reproduit sur le petit écran, The Twilight Zone apporte un autre régime fictionnel à la télévision, dans lequel le geste d’interpeller le téléspectateur devient un instrument de fictionalisation. Comme le bonimenteur pouvait nourrir l’expérience du spectacle cinématographique dans les premières années du cinéma, le générique de l’émission The Twilight Zone avec son présentateur qui dicte le parcours pour entrer dans l’univers du fantastique nourrit un régime fictionnel qui inclut le geste de communication avec le téléspectateur. Une parenthèse. Lorsqu’on compare l’ouverture de The Twilight Zone avec Alfred Hitchcock presents, l’ouverture des deux séries laisse paraître des écarts symptomatiques de leurs références mutuelles. Là où Hitchcock interpellait le téléspectateur tel l’animateur des variétés et annonçait le sujet du téléfilm pour de s’éclipser devant son générique, la série The Twilight Zone affiche un générique dans lequel l’interpellation du téléspectateur et le dicta de son expérience fictionnelle participent de la fiction qu’ils construisent. Là où l’ouverture de Alfred Hitchcock presents constitue un univers distinct, coupé du film et de sa fiction, le générique et le présentateur de The Twilight Zone n’établissent pas de coupure entre fiction et communication, mais créent une zone perméable où les deux registres se confondent et alimentent un régime fictionnel propre à la télévision. The$Outer$Limits$ À l’ouverture du générique de la série The Outer Limits, l’image du titre s’embrouille telle une mauvaise réception. La « control voice » annonce : « There is nothing wrong with your television set. Do not attempt to adjust the picture. We are controlling transmission. If we wish to make it louder, we will bring up the volume. If we wish to make it softer, we will tune it to a whisper. We will control the horizontal. We will control the vertical. We can roll the image; make it flutter. We can change the focus to a soft blur or sharpen it to crystal clarity. For the next hour, sit quietly and we will control all that you see and bear. We repeat: there is nothing wrong with your television set. You are about to participate in a great adventure. You are about to experience the awe and mystery which reaches from the inner mind to the outer limits. » The Outer Limits, « The Galaxy Being », 1961 Sur l’image réduite à un simple point lumineux, on entend les variations de volume annoncées par cette voix. Comme si l’image était dictée par la « control voice », le point lumineux se déploie sous forme d’une ligne horizontale, puis verticale. Les images d’une mire de télévision défilent de façon confuse. L’image floue de la lune s’éclaircit. Le point lumineux revient pour devenir le signal d’une onde dont la fréquence varie et à travers laquelle réapparaît le titre de la série au moment où la « control voice » annonce au téléspectateur qu’il entre dans l’expérience de l’émerveillement et du mystère qui l’amènera au-delà du réel. 14#06#04& & 12& Le générique de la série The Outer Limits ne donne pas au téléspectateur un cadre de référence comme le faisait The Twilight Zone, mais annonce que le dispositif télévisuel dans son salon lui échappe. Mot à mot, image après image, la « control voice » fait la démonstration de sa capacité à prendre le contrôle du dispositif télévisuel depuis sa transmission jusqu’à l’appareil situé dans l’espace du téléspectateur. Au terme du générique, le téléspectateur de la série The Outer Limits découvre qu’il a été entraîné dans un régime fictionnel qui inclut le dispositif télévisuel. Là où le générique de la série The Twilight Zone annonçait au téléspectateur un parcours depuis la réalité spectatorielle vers la fiction fantastique, le générique de la série The Outer Limits annonce que la fiction fantastique a fait le parcours jusqu’au téléspectateur, jusqu’à prendre le contrôle du téléviseur qu’il regarde. Le générique de The Outer Limits annonce que la brèche dans l’espace télévisuel domestique s’ouvre plus avant : la fiction rejoint la portion du dispositif que le spectateur regarde dans son salon. La frontière qui sépare l’univers de la fiction de sa représentation, mise en scène dans le geste d’une captation devant une audience qui rit ou applaudit, ou sous forme d’introduction au téléfilm, s’évanouit. La capacité d’interpeller le téléspectateur devant son téléviseur depuis la fiction, mise en scène dans The Twilight Zone, s’incarne dans The Outer Limits sous forme d’une intervention sur le téléviseur dans l’espace domestique. Le téléspectateur de ces séries n’est plus le témoin d’une captation diffusée à la télévision, mais un interlocuteur visé par leurs adresses qui fait l’expérience d’une fiction qui porte une dimension de communication liée au dispositif télévisuel. C’est ce passage d’un régime fictionnel cloisonné dans l’espace de la représentation filmée à un régime fictionnel qui inclut la dimension communication du dispositif télévisuel que racontent les génériques de The Twilight Zone et celui de The Outer Limits : on propose alors au téléspectateur une expérience de la fiction qui s’avance jusqu’à l’espace de visionnement pour l’interpeller depuis la fiction. Dans cette expérience de la télévision, le téléviseur ne s’interpose plus entre l’espace domestique de visionnement et l’espace de la fiction, mais devient une zone perméable par où la fiction se teinte de la communication pour émerger dans l’espace spectatoriel. Sans coupure, le régime fictionnel télévisuel s’appuie alors sur l’adresse au téléspectateur pour nourrir son expérience de la fiction. Ce n’est pas un hasard, les publicités qui vendent les téléviseurs au début des années 1960 changent radicalement leurs arguments publicitaires. La publicité qui, au début des années 1950, promettait au téléspectateur un appareil qui donne l’illusion d’être au match de sport ou d’assister à la captation de la comédie de situation promet au téléspectateur au tournant des années 1960 un appareil qui apporte ce match ou cette fiction jusqu’à l’espace domestique de visionnement. La captation de la représentation mise à l’écart, plus rien alors ne s’interpose entre le téléspectateur et son expérience d’une fiction qui implique une dimension de communication à la télévision. 14#06#04& 1964 & 13& Saturday Evening Post, 16 Novembre, 1963 Naissance d’un régime fictionnel Le régime fictionnel de la représentation filmée devant une audience n’est pas disparu avec les séries The Twilight Zone et The Outer Limits. La comédie de situation en particulier a maintenu jusqu’à ce jour un régime fictionnel qui se présente comme une captation devant une audience réelle ou suggérée par des rires et des applaudissements à l’instar de l’émission de variétés. Les séries The Twilight Zone et The Outer Limits ajoutent aux pratiques télévisuelles qui ont fait l’âge d’or de la télévision un nouveau régime narratif, spécifique à la télévision, dans lequel communication et fiction sont des dimensions perméables, sans frontière définie, qui nourrissent l’expérience de la fiction. Dans ce régime narratif, le téléspectateur ne voit plus une représentation filmée devant une audience : devant la caméra, il n’y a plus qu’une fiction à la frontière poreuse qui permet d’interpeller le téléspectateur depuis la fiction. Passé le moment où des téléspectateurs sont médusés de se voir interpellés par des personnages depuis la fiction ou de découvrir qu’on prend le contrôle de leur téléviseur, les séries The Twilight Zone et The Outer Limits incarnent l’émergence de ce régime fictionnel où fiction et communication sont devenues non plus des étapes ou des alternatives, mais des dimensions du processus narratif qui nourrissent l’expérience de la fiction dans l’espace de visionnement du téléspectateur. La télévision ajoute alors à ses formes narratives adaptées de la radio, des variétés, du music-hall qui ont fait son âge d’or et au cinéma de série B qui s’impose au petit écran dans le courant des années 1950, une forme narrative caractéristique de la télévision « moderne » qui offre une expérience singulière de la fiction qui s’adresse directement à un spectateur individuel dans son espace domestique. Le regard et l’adresse lancés par le personnage à l’écran ne visent plus une audience plurielle en studio, ersatz des téléspectateurs à la maison, mais un téléspectateur qui vit son expérience de la fiction télévisuelle de façon singulière: le temps de ces émissions, la télévision se regarde par un téléspectateur qui est seul – dans son espace de visionnement sinon dans son expérience de téléspectateur - devant un des téléviseurs installés dans le salon, la salle de jeu ou la chambre à coucher. Cette forme de récit télévisuel commenté par un personnage qui s’adresse au téléspectateur participe à l’émergence d’une télévision moderne qui ajoute à sa programmation des émissions destinées à un téléspectateur qui recherche une expérience individuelle de la fiction. Au fil des années et des genres, 14#06#04& & 14& cette forme de récit qui combine fiction et communication s’est déclinée dans des formes et des registres des plus divers, depuis la mise en contexte de l’univers fictif, à la Star Treck (Gene Roddenberry, 1966-1969), jusqu’au personnage qui commente en voix off ce qu’il vit dans Greys’s Anatomy (Shonda Rhimes, 2005-2011) ou directement à la caméra le temps d’un commentaire dans House of Cards (Beau Willimon, 2013). Or, si la part de communication et de fiction varie et emprunte des modes d’expression des plus divers, depuis la voix over qui présente le sujet de l’émission jusqu’au personnage qui adresse un regard caméra au téléspectateur, la combinaison fiction et communication s’est imposée comme un des registres narratifs de fiction qui façonne encore aujourd’hui l’écriture télévisuelle. Renaissances de la télévision L’émergence de ce régime narratif qui ouvre la télévision à une certaine modernité au tournant des années 1960 soulève des réflexions sur le développement de la télévision comme institution. Dans leurs travaux sur le développement du cinéma comme institution médiatique qui a ses règles et ses usages, André Gaudreault et Philippe Marion soulignent qu’une institution médiatique se construit en trois étapes depuis l’apparition d'un procédé technologique qui devient à l’usage un dispositif qui a ses règles et ses procédures qui prend son indépendance des médias qui lui ont servi de modèles et de références. Alors et seulement alors, le média qui se développe connaît une « seconde naissance » où il devient une institution médiatique autonome11. Or, un regard sur le développement de la télévision comme institution médiatique autonome à la lumière du développement de ce récit audiovisuel qui ouvre la télévision à une certaine modernité questionne la place du processus de « seconde naissance » dans le développement de l’institution médiatique télévisuelle. Pour rendre compte de cette entrée de la télévision dans la modernité, avec l’avènement de formes narratives qui interpellent un spectateur singulier, isolé devant son téléviseur, on peut penser que la « seconde naissance » d’un média pourrait être un phénomène non pas unique et ponctuel mais plutôt un processus continu d’assimilation de formes expressives nouvelles qui renouvelle un média et participe à son histoire. Dans le cadre de la télévision, après avoir pris ses distances avec les modèles de la radio et des variétés et avoir connu une première « seconde naissance » qui a donné la télévision de l’âge d’or et introduit le cinéma de série B au petit écran au milieu des années cinquante, l’institution télévisuelle &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 11 Dans le détail, Gaudreault et Marion formulent le processus de naissance d’une institution médiatique en trois étapes : « Une fois opérée l'apparition des machines à vues, l'activité cinématographique finirait donc par se spécifier en tant que pratique, ce qui permettrait de passer, dans un second temps, à l’émergence des vues animées, première culture «de cinéma», encore faiblement institutionnalisée. Cette culture, nécessairement intermédiale, est marquée par une institutionnalisation in progress, c'est-a-dire par un bric-à-brac d'institutions, forme des institutions environnantes et par définition non identitaires « du cinéma ». Ce serait à la faveur de cette culture instable que le cinématographe aurait initié son autonomisation comme mode d'expression, ce qui nous mènerait ensuite à l'avènement «du cinéma», qui s'imposerait alors comme institution singulière, permettant ainsi à la cinématographie d'accéder a sa deuxième culture, une culture, cette fois, véritablement « médiacentrée ». Dans le territoire compris entre ces deux cultures frontalières, trois étapes programment ainsi la quête institutionnelle du cinéma. D’abord, la subordination aux institutions environnantes, suivie d'un mouvement vers le détachement, puis d’une période d’insubordination, condition nécessaire a l’institutionnalisation du cinéma. » Gaudreault et Marion, «Un Média nait toujours deux fois» p. 52.& 14#06#04& & 15& aurait connu une « seconde seconde naissance » en ajoutant parmi ses options un régime narratif qui combine fiction et communication qui a ouvert la télévision à une certaine modernité. De fait, une « seconde naissance » se reproduirait lorsque la télévision est transformée par l’avènement de formes nouvelles qui élargissent plus avant ses possibles discursifs et expressifs jusqu’à changer l’image que l’on se fait de l’institution télévisuelle. Pour ne citer que quelques exemples parlant, les séries télévisuelles apparues dans la mouvance de Six Feet Under (Alan Ball, 2001-2005) ont apporté des références scénaristiques et esthétiques nouvelles aux séries télévisuelles qui ont transformé nos attentes de téléspectateur à l’endroit de l’institution télévisuelle. Plus récemment encore, la congruence télévision, internet, sites, et réseaux sociaux a apporté de nouvelles possibilités de diffusion et d’interaction qui transforment notre image de l’institution télévisuelle et du même coup nos attentes comme téléspectateurs12. Ainsi la « seconde naissance » traduirait une capacité d’un média à intégrer de nouvelles influences puisées dans le dialogue avec les autres médias et à renouveler ses formes expressives, narratives et esthétiques sur la base de ce dialogue. Le développement de la télévision comme institution médiatique serait de la sorte nourri de « secondes naissances » qui renouvellent l’image que les téléspectateurs se font de la télévision et, ce faisant, de leurs attentes. L’impact à la fois critique et populaire qu’ont eu les séries The Twilight Zone et The Outer Limits à l’époque pourrait en partie s’expliquer par le fait qu’elles ont participé à une « seconde naissance » de la télévision en ajoutant aux possibilités narratives et expressives du récit audiovisuel pour la télévision une forme narrative qui combine fiction et communication13. Le succès de The Twilight Zone et The Outer Limits traduiraient ainsi des années de mouvance dans l’institution médiatique télévisuelle qui ont permis l’émergence d’une télévision qui ajoute à la représentation filmée qui a fait l’âge d’or de la télévision un récit audiovisuel qui convoque une communication explicite et directe avec le téléspectateur individuel. Ce serait cette capacité d’une institution médiatique à élargir ses possibilités narratives, expressives et esthétiques que nous raconte le choc qu’ont produit The Twilight Zone et The Outer Limits à leur première diffusion : les téléspectateurs découvraient une télévision engagée dans le processus de la mouvance qui allait devenir une histoire qui s’écrit toujours. Jean Châteauvert Université du Québec à Chicoutimi &&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&&& 12 On verra sur le sujet Châteauvert, Les séries web de fiction. Interpeller & 13 On trouvera des échos de l’impact qu’ont eu ces séries dans Garcia, «Outer Limits. Testing the limits: finding new ways to revive a much-loved series from the Sixties.» Zigree, The Twilight Zone Companion raconte en détails l’importance de la série sur la perception de la télévision tant du point de vue de ses créateurs que de ses téléspectateurs.& 14#06#04& & 16& Bibliographie ( Châteauvert,(Jean((2012).(Les(séries(web(de(fiction.(Interpeller.(Nouvelles(Vues.(13(En(ligne.( <http://www.nouvellesvues.ulaval.ca/futurLnumero/numeroL13LhiverLprintempsL 2012/leLcinemaLquebecoisLetLlesLautresLartsLdirigeLparLelspethLtulloch/articles/lesL seriesLwebLdeLfictionLinterpellerLparLjeanLchateauvert/)>.((( ( Delavaud,(Gilles.(2009.(«Au(source(des(la(création(télévisuelle.(La(télévision(comme(dispositif( d'adresse».(In(Penser(la(création((audiovisuelle.(Cinéma,(télévision,(multimédia,( Emmanuelle(André,(François(Jost,(JeanLLuc(Lioult(et(Guillaume(Soulez,(p.(61L72.(Aix(en( Provence:(Publications(de(l'Université(de(Provence.((( ( Garcia,(Frank.(1998.(«Outer(Limits.(Testing(the(limits:(finding(new(ways(to(revive(a(muchLloved( series(from(the(Sixties.».(Cinefantastique,((vol.(30,(no(5/6,(p.(75L79.(((( ( Gaudreault,(André,(et(Philippe(Marion.(2000.(«Un(Média(nait(toujours(deux(fois».(Sociétés(et( représentations,((vol.(CREDHESS,(no(n.9,(p.(15.(((( ( Hutchinson,(Thomas(1959.(Here(is(Television(your(Window(on(the(World.(New(York:(Hasting( House(p.(((( ( Patnode,(Randall((2011).(Going(Places:(Mobility,(Domesticity,(and(the(Portrayal(of(Television(in( New(Yorker(Cartoons,(1945L1959.(Media(History(Monographs.(13(En(ligne.( <http://facstaff.elon.edu/dcopeland/mhm/mhmjour13L1.pdf>.((( ( Siegel,(Mark.(1980.(«ScienceLfiction(Characterization(and(TV's(Battle(for(the(Stars».(Science( Fiction(Studies,((vol.(7,(p.(270L277.(((( ( Spigel,(Lynn.(1988.(«Installing(the(Television(Set:(Popular(Discourses(on(Television(and(Domestic( Space,(1948L1955».(Camera(Obscura,(no(16,(p.(11L47.(((( ( LLLLLLLL.(1992.(Make(Room(for(TV:(Television(and(the(Family(Ideal(in(Postwar(America.(Chicago:( University(of(Chicago(Press(p.(((( ( (