Octave Mirbeau, La Police Et La Presse
Octave Mirbeau, La Police Et La Presse
Octave Mirbeau, La Police Et La Presse
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Voyez ce qui se passe aujourd’hui dans les journaux. Le spectacle en est simplement
hideux, et il soulève le cœur de dégoût. Sous prétexte d’information, la presse est devenue
quelque chose comme la succursale de la préfecture de police et l’antichambre du cabinet du
juge d’instruction. Je ne veux citer aucun journal en particulier, je ne veux même pas faire une
exception en faveur du Gaulois, lequel, si réservé d’ordinaire, subit comme les autres les
désordres de cette contagion. Il n'est pas de jour où la presse ne dénonce quelqu'un. Et aussitôt
elle instruit son procès, juge et condamne . Au point que M. M., interrogé par un reporter sur
l’un des accusés, répond, non sans ironie : « Mais je ne sais de l’affaire que ce qu’en dit la
presse. » Abandonnant sa mission, reniant son caractère, qui est de défendre les droits de la
liberté humaine contre les abus de l'autorité , elle se fait l'instrument des plus basses délations,
et, ce qui est pire, le réceptacle des insinuations les plus perfides. Sans contrôle, sans raisons,
pour le plaisir, elle déshonore. Elle transforme en infamies les actes les plus permis, elle
embrouille inextricablement les affaires les plus simples. Et si par hasard quelques-uns des
accusés prouvent à la Justice qu'elle s'est trompée, la tare que leur aura faite le journal n'en
demeurerait pas moins, sur eux, éternellement
Dans ces tempêtes de justice que les gouvernements déchaînent parfois sur notre pays,
pour que les cris des autres victimes ne soient pas entendus, il y a pourtant des choses
douloureuses. Il y a des femmes innocentes et des enfants qui pleurent l’absence du père, sur
qui s’est appesantie la main du gendarme. Ces êtres devraient être sacrés. On devrait faire
autour de leur douleur un silence respectueux.. Eh bien ! non. C’est sur eux, c’est sur leur
faiblesse, leur martyre, qu’on s’acharne. Leur demeure est cernée par un double cordon de
policiers et de journalistes. À l’envi, c’est à qui tâchera d’arracher à ces tristes êtres, un aveu
qui peut être terrible, c’est à qui s’ingéniera à les compromettre par des questions insidieuses
et lâches. On fait mieux. On fouille la vie du prisonnier, on recherche ses relations anciennes,
ses amitiés ; on va déterrer de vieux passés morts ou oubliés ; on fait parler des cadavres. Et
nous avons vu cette chose sinistre : un reporter osant interviewer un fils sur les amours de sa
mère, et tâchant de lui arracher le récit du déshonneur !
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