Le Dernier Jour D'un Condamné by Hugo, Victor, 1802-1885
Le Dernier Jour D'un Condamné by Hugo, Victor, 1802-1885
Le Dernier Jour D'un Condamné by Hugo, Victor, 1802-1885
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Edition: 10
Language: French
*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LE DERNIER JOUR D'UN CONDAMN� ***
OEUVRES COMPL�TES
DE
VICTOR HUGO
XIX
ROMAN II
Pr�face de 1832
Toutefois, cela ne suffit pas. Se laver les mains est bien, emp�cher
le sang de couler serait mieux.
Nous venons de dire que l'�chafaud est le seul �difice que les
r�volutions ne d�molissent pas. Il est rare, en effet, que les
r�volutions soient sobres de sang humain, et, venues qu'elles sont
pour �monder, pour �brancher, pour �t�ter la soci�t�, la peine de mort
est une des serpes dont elles se dessaisissent le plus malais�ment.
Oui et non.
Voici le fait�:
Bah�! c'est bien de cela qu'il s'agit�! Ce n'est pas � cause de vous,
peuple, que nous abolissons la peine de mort, mais � cause de nous,
d�put�s qui pouvons �tre ministres. Nous ne voulons pas que la
m�canique de Guillotin morde les hautes classes. Nous la brisons. Tant
mieux si cela arrange tout le monde, mais nous n'avons song� qu'�
nous. Ucal�gon br�le. �teignons le feu. Vite, supprimons le bourreau,
biffons le code.
Certes, il n'est pas besoin que nous le d�clarions ici, nous ne sommes
pas de ceux qui r�clamaient les t�tes des quatre ministres. Une fois
ces infortun�s arr�t�s, la col�re indign�e que nous avait inspir�e
leur attentat s'est chang�e, chez nous comme chez tout le monde, en
une profonde piti�. Nous avons song� aux pr�jug�s d'�ducation de
quelques-uns d'entre eux, au cerveau peu d�velopp� de leur chef,
relaps fanatique et obstin� des conspirations de 1804, blanchi avant
l'�ge sous l'ombre humide des prisons d'�tat, aux n�cessit�s fatales
de leur position commune, � l'impossibilit� d'enrayer sur cette pente
rapide o� la monarchie s'�tait lanc�e elle-m�me � toute bride le 8
ao�t 1829, � l'influence trop peu calcul�e par nous jusqu'alors de la
personne royale, surtout � la dignit� que l'un d'entre eux r�pandait
comme un manteau de pourpre sur leur malheur. Nous sommes de ceux qui
leur souhaitaient bien sinc�rement la vie sauve, et qui �taient pr�ts
� se d�vouer pour cela. Si jamais, par impossible, leur �chafaud e�t
�t� dress� un jour en Gr�ve, nous ne doutons pas, et si c'est une
illusion nous voulons la conserver, nous ne doutons pas qu'il n'y e�t
eu une �meute pour le renverser, et celui qui �crit ces lignes e�t �t�
de cette sainte �meute. Car, il faut bien le dire aussi, dans les
crises sociales, de tous les �chafauds, l'�chafaud politique est le
plus abominable, le plus funeste, le plus v�n�neux, le plus n�cessaire
� extirper. Cette esp�ce de guillotine-l� prend racine dans le pav�,
et en peu de temps repousse de bouture sur tous les points du sol.
Tandis que vous n'avez pas m�me fait une oeuvre politique en essayant
de l'abolir, non pour l'abolir, mais pour sauver quatre malheureux
ministres pris la main dans le sac des coups d'�tat�!
Le proc�s des ministres fut men� � fin. Je ne sais quel arr�t fut
rendu. Les quatre vies furent �pargn�es. Ham fut choisi comme juste
milieu entre la mort et la libert�. Ces divers arrangements une
fois faits, toute peur s'�vanouit dans l'esprit des hommes d'�tat
dirigeants, et, avec la peur, l'humanit� s'en alla. Il ne fut plus
question d'abolir le supplice capital�; et une fois qu'on n'eut plus
besoin d'elle, l'utopie redevint utopie, la th�orie, th�orie, la
po�sie, po�sie�!
Il y avait pourtant toujours dans les prisons quelques malheureux
condamn�s vulgaires qui se promenaient dans les pr�aux depuis cinq ou
six mois, respirant l'air, tranquilles d�sormais, s�rs de vivre,
prenant leur sursis pour leur gr�ce. Mais attendez.
Et le juge n'a pas �t� mis en jugement�! et le bourreau n'a pas �t�
mis en jugement�! Et aucun tribunal ne s'est enquis de cette
monstrueuse extermination de toutes les lois sur la personne sacr�e
d'une cr�ature de Dieu�!
C'est donc une chose bien redoutable qu'un condamn� � mort, pour que
la soci�t� le prenne en tra�tre de cette fa�on�!
Soyons juste pourtant, l'ex�cution n'a pas �t� tout � fait secr�te. Le
matin on a cri� et vendu comme de coutume l'arr�t de mort dans les
carrefours de Paris. Il para�t qu'il y a des gens qui vivent de cette
vente. Vous entendez�? du crime d'un infortun�, de son ch�timent, de
ses tortures, de son agonie, on fait une denr�e, un papier qu'on vend
un sou. Concevez-vous rien de plus hideux que ce sou, vert de gris� dans
le sang�? Qui est-ce donc qui le ramasse�?
Voil� assez de faits. En voil� trop. Est-ce que tout cela n'est pas
horrible�?
Qu'avez-vous � all�guer pour la peine de mort�?
Ce n'est pas � eux que nous nous adressons, mais aux hommes de loi
proprement dits, aux dialecticiens, aux raisonneurs, � ceux qui aiment
la peine de mort pour la peine de mort, pour sa beaut�, pour sa bont�,
pour sa gr�ce.
Mais vous, est-ce bien s�rieusement que vous croyez faire un exemple
quand vous �gorgillez mis�rablement un pauvre homme dans le recoin le
plus d�sert des boulevards ext�rieurs�? En Gr�ve, en plein jour, passe
encore�; mais � la barri�re Saint-Jacques�! mais � huit heures du
matin�! Qui est-ce qui passe l�? Qui est-ce qui va l�? Qui est-ce
qui sait que vous tuez un homme l�? Qui est-ce qui se doute que vous
faites un exemple l�? Un exemple pour qui�? Pour les arbres du
boulevard, apparemment.
Que les gens du roi ne viennent donc plus nous demander des t�tes, �
nous jur�s, � nous hommes, en nous adjurant d'une voix caressante au
nom de la soci�t� � prot�ger, de la vindicte publique � assurer, des
exemples � faire. Rh�torique, ampoule, et n�ant que tout cela�! un
coup d'�pingle dans ces hyperboles, et vous les d�senflez. Au fond de
ce doucereux verbiage, vous ne trouvez que duret� de coeur, cruaut�,
barbarie, envie de prouver son z�le, n�cessit� de gagner ses
honoraires. Taisez-vous, mandarins�! Sous la patte de velours du juge
on sent les ongles du bourreau.
Du reste, dans la vie priv�e, cet homme du roi peut �tre un honn�te
homme, bon p�re, bon fils, bon mari, bon ami, comme disent toutes les
�pitaphes du P�re-Lachaise.
Ou l'homme que vous frappez est sans famille, sans parents, sans
adh�rents dans ce monde. Et dans ce cas, il n'a re�u ni �ducation, ni
instruction, ni soins pour son esprit, ni soins pour son coeur�; et
alors de quel droit tuez-vous ce mis�rable orphelin�? Vous le punissez
de ce que son enfance a ramp� sur le sol sans tige et sans tuteur�!
Vous lui imputez � forfait l'isolement o� vous l'avez laiss�! De son
malheur vous faites son crime�! Personne ne lui a appris � savoir ce
qu'il faisait. Cet homme ignore. Sa faute est � sa destin�e, non �
lui. Vous frappez un innocent.
La raison est pour nous, le sentiment est pour nous, l'exp�rience est
aussi pour nous. Dans les �tats mod�les, o� la peine de mort est
abolie, la masse des crimes capitaux suit d'ann�e en ann�e une baisse
progressive. Pesez ceci.
� l'heure qu'il est, la peine de mort est d�j� hors de Paris. Or,
disons-le bien ici, sortir de Paris c'est sortir de la civilisation.
Tous les sympt�mes sont pour nous. Il semble aussi qu'elle se rebute
et qu'elle rechigne, cette hideuse machine, ou plut�t ce monstre fait
de bois et de fer qui est � Guillotin ce que Galat�e est � Pygmalion.
Vues d'un certain c�t�, les effroyables ex�cutions que nous avons
d�taill�es plus haut sont d'excellents signes. La guillotine
h�site. Elle en est � manquer son coup. Tout le vieil �chafaudage de
la peine de mort se d�traque.
� ceux qui ont regrett� les dieux, on a pu dire�: Dieu reste. � ceux
qui regrettent les rois, on peut dire�: la patrie reste. � ceux
qui regretteraient le bourreau, on n'a rien � dire.
15 mars 1832.
UNE COM�DIE A PROPOS D'UNE TRAG�DIE
PERSONNAGES�:
MADAME DE BLINVAL.
LE CHEVALIER.
ERGASTE.
UN PO�TE �L�GIAQUE.
UN PHILOSOPHE.
UN GROS MONSIEUR.
UN MONSIEUR MAIGRE.
DES FEMMES.
UN LAQUAIS.
Un salon.
[...]
Le lendemain, des pas traversaient la for�t,
Un chien le long du fleuve en aboyant errait�;
Et quand la bachelette en larmes
Revint s'asseoir, le coeur rempli d'alarmes,
Sur la tant vieille tour de l'antique ch�tel,
Elle entendit les flots g�mir, la triste Isaure,
Mais plus n'entendit la mandore Du gentil m�nestrel�!
TOUT L'AUDITOIRE.
MADAME DE BLINVAL.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
LE CHEVALIER.
Voil� la vraie po�sie�! L'Art d'Aimer qui soupe samedi chez l'Art de
Plaire�! � la bonne heure�! Mais aujourd'hui c'est la mandore, le
m�nestrel. On ne fait plus de po�sies fugitives. Si j'�tais po�te, je
ferais des po�sies fugitives�: mais je ne suis pas po�te, moi.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
LE CHEVALIER.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
LE QUELQU'UN.
LES DAMES.
Quel roman�?
LE PO�TE �L�GIAQUE.
Le Dernier Jour...
UN GROS MONSIEUR.
MADAME DE BLINVAL.
LES DAMES.
Voyons, voyons.
QUELQU'UN, lisant.
LE GROS MONSIEUR.
Gr�ce, madame�!
MADAME DE BLINVAL.
Il faut convenir que les moeurs vont se d�pravant de jour en jour. Mon
Dieu, l'horrible id�e�! d�velopper, creuser, analyser, l'une apr�s
l'autre et sans en passer une seule, toutes les souffrances
physiques, toutes les tortures morales que doit �prouver un homme
condamn� � mort, le jour de l'ex�cution�! Cela n'est-il pas atroce�?
Comprenez-vous, mesdames, qu'il se soit trouv� un �crivain pour cette
id�e, et un public pour cet �crivain�?
LE CHEVALIER.
MADAME DE BLINVAL.
LE GROS MONSIEUR.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
C'est le m�me qui a d�j� fait deux autres romans... ma foi, j'ai
oubli� les titres. Le premier commence � la Morgue et finit � la
Gr�ve. � chaque chapitre, il y a un ogre qui mange un enfant.
LE GROS MONSIEUR.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
LE GROS MONSIEUR.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
LE CHEVALIER, riant.
Corbleu�! cela doit faire un furieux vers.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
QUELQU'UN
Ah, ce vers�!
LE PO�TE �L�GIAQUE.
Il rit. On rit.
LE CHEVALIER.
LE GROS MONSIEUR.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
Il rit.
MADAME DE BLINVAL.
LE GROS MONSIEUR.
Un abominable homme.
LE GROS MONSIEUR.
LA JEUNE FEMME.
Oui, et qui dit que c'est un homme doux, simple, qui vit dans la
retraite et passe ses journ�es � jouer avec ses petits enfants.
LE PO�TE.
MADAME DE BLINVAL.
LE GROS MONSIEUR.
QUELQU'UN.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
UN PHILOSOPHE.
LE GROS MONSIEUR.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
UN MONSIEUR MAIGRE.
LE GROS MONSIEUR.
LE PHILOSOPHE.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
LE GROS MONSIEUR.
LE PHILOSOPHE.
LE PO�TE.
Un livre�!... un livre�!...
LE PHILOSOPHE.
LE PO�TE.
LE PHILOSOPHE.
LE PO�TE.
MADAME DE BLINVAL.
Ah�! Ah�!
LE PHILOSOPHE.
LE PO�TE.
Eh bien�! mieux encore�; pourquoi n'avoir pas choisi pour h�ros, par
exemple... Malesherbes, le vertueux Malesherbes�? son dernier jour,
son supplice�? Oh�! alors, beau et noble spectacle�! J'eusse pleur�,
j'eusse fr�mi, j'eusse voulu monter sur l'�chafaud avec lui.
LE PHILOSOPHE.
Pas moi.
LE CHEVALIER.
LE PHILOSOPHE.
L'�chafaud de Malesherbes ne prouve rien contre la peine de mort en
g�n�ral.
LE GROS MONSIEUR.
MADAME DE BLINVAL.
LE GROS MONSIEUR.
Il nous force � regarder dans les prisons, dans les bagnes, dans
Bic�tre. C'est fort d�sagr�able. On sait bien que ce sont des
cloaques. Mais qu'importe � la soci�t�?
MADAME DE BLINVAL.
Ceux qui ont fait les lois n'�taient pas des enfants.
LE PHILOSOPHE.
LE MONSIEUR MAIGRE.
LE PHILOSOPHE.
Permettez...
LE MONSIEUR MAIGRE.
LE CHEVALIER.
LE GROS MONSIEUR.
LE MONSIEUR MAIGRE.
ERGASTE.
MADAME DE BLINVAL.
Ah�! les livres�! les livres�! Qui e�t dit cela d'un roman�?
LE PO�TE.
Il est certain que les livres sont bien souvent un poison subversif de
l'ordre social.
LE MONSIEUR MAIGRE.
LE PO�TE.
Distinguons, monsieur�; il y a romantiques et romantiques.
LE MONSIEUR MAIGRE.
ERGASTE.
LE MONSIEUR MAIGRE.
Ils disent l� des choses qu'on ne dit m�me plus rue Mouffetard.
ERGASTE.
MADAME DE BLINVAL.
LE CHEVALIER.
MADAME DE BLINVAL.
LE CHEVALIER.
LE PO�TE �L�GIAQUE.
LE MONSIEUR MAIGRE.
LE GROS MONSIEUR.
LE MONSIEUR MAIGRE.
UN LAQUAIS, entrant.
Pr�face de 1829
Bic�tre
Condamn� � mort�!
Voil� cinq semaines que j'habite avec cette pens�e, toujours seul avec
elle, toujours glac� de sa pr�sence, toujours courb� sous son poids�!
Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon
esprit est en prison dans une id�e. Une horrible, une sanglante, une
implacable id�e�! Je n'ai plus qu'une pens�e, qu'une conviction,
qu'une certitude�: condamn� � mort�!
Quoi que je fasse, elle est toujours l�, cette pens�e infernale, comme
un spectre de plomb � mes c�t�s, seule et jalouse, chassant toute
distraction, face � face avec moi mis�rable, et me secouant de ses
deux mains de glace quand je veux d�tourner la t�te ou fermer les
yeux. Elle se glisse sous toutes les formes o� mon esprit voudrait la
fuir, se m�le comme un refrain horrible � toutes les paroles qu'on
m'adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot�;
m'obs�de �veill�, �pie mon sommeil convulsif, et repara�t dans mes
r�ves sous la forme d'un couteau.
Il y avait trois jours que mon proc�s �tait entam�; trois jours que
mon nom et mon crime ralliaient chaque matin une nu�e de spectateurs,
qui venaient s'abattre sur les bancs de la salle d'audience comme des
corbeaux autour d'un cadavre�; trois jours que toute cette
fantasmagorie des juges, des t�moins, des avocats, des procureurs du
roi, passait et repassait devant moi, tant�t grotesque, tant�t
sanglante, toujours sombre et fatale. Les deux premi�res nuits,
d'inqui�tude et de terreur, je n'en avais pu dormir�; la troisi�me,
j'en avais dormi d'ennui et de fatigue. � minuit, j'avais laiss� les
jur�s d�lib�rant. On m'avait ramen� sur la paille de mon cachot, et
j'�tais tomb� sur-le-champ dans un sommeil profond, dans un sommeil
d'oubli. C'�taient les premi�res heures de repos depuis bien des
jours.
-- C'est possible.
-- J'esp�re, me dit-il.
J'aurais eu, moi, tout � dire, mais rien ne me vint. Ma langue resta
coll�e � mon palais.
Le d�fenseur se leva.
III
Condamn� � mort�!
Depuis l'heure o� mon arr�t m'a �t� prononc�, combien sont morts qui
s'arrangeaient pour une longue vie�! Combien m'ont devanc� qui,
jeunes, libres et sains, comptaient bien aller voir tel jour tomber ma
t�te en place de Gr�ve�! Combien d'ici l� peut-�tre qui marchent et
respirent au grand air, entrent et sortent � leur gr�, et qui me
devanceront encore�!
IV
Les premiers jours on me traita avec une douceur qui m'�tait horrible.
Les �gards d'un guichetier sentent l'�chafaud. Par bonheur, au bout de
peu de jours, l'habitude reprit le dessus�; ils me confondirent avec
les autres prisonniers dans une commune brutalit�, et n'eurent plus de
ces distinctions inaccoutum�es de politesse qui me remettaient sans
cesse le bourreau sous les yeux. Ce ne fut pas la seule am�lioration.
Ma jeunesse, ma docilit�, les soins de l'aum�nier de la prison, et
surtout quelques mots en latin que j'adressai au concierge, qui ne les
comprit pas, m'ouvrirent la promenade une fois par semaine avec les
autres d�tenus, et firent dispara�tre la camisole o� j'�tais paralys�.
Apr�s bien des h�sitations, on m'a aussi donn� de l'encre, du papier,
des plumes, et une lampe de nuit.
Du moins ces hommes-l� me plaignent, ils sont les seuls. Les ge�liers,
les guichetiers, les porte-clefs, -- je ne leur en veux pas --
causent et rient, et parlent de moi, devant moi, comme d'une chose.
VI
Je me suis dit�:
VII
Que ce que j'�cris ici puisse �tre un jour utile � d'autres, que cela
arr�te le juge pr�t � juger, que cela sauve des malheureux, innocents
ou coupables, de l'agonie � laquelle je suis condamn�, pourquoi�? �
quoi bon�? qu'importe�? Quand ma t�te aura �t� coup�e, qu'est-ce que
cela me fait qu'on en coupe d'autres�? Est-ce que vraiment j'ai pu
penser ces folies�? Jeter bas l'�chafaud apr�s que j'y aurai mont�!
je vous demande un peu ce qui m'en reviendra.
Ah�! c'est moi qu'il faudrait sauver�! -- Est-il bien vrai que cela ne
se peut, qu'il faudra mourir demain, aujourd'hui peut-�tre, que cela
est ainsi�? � Dieu�! l'horrible id�e � se briser la t�te au mur de son
cachot�!
VIII
Or, voil� cinq semaines au moins, six peut-�tre, je n'ose compter, que
je suis dans ce cabanon de Bic�tre, et il me semble qu'il y a trois
jours, c'�tait jeudi.
IX
� quoi bon�? Je suis condamn� aux frais, et tout ce que j'ai y suffira
� peine. La guillotine, c'est fort cher.
Une petite fille de trois ans, douce, rose, fr�le, avec de grands yeux
noirs et de longs cheveux ch�tains.
Elle avait deux ans et un mois quand je l'ai vue pour la derni�re
fois.
Ainsi, apr�s ma mort, trois femmes sans fils, sans mari, sans p�re�;
trois orphelines de diff�rente esp�ce�; trois veuves du fait de la
loi.
Ma femme ne m'inqui�te pas non plus�; elle est d�j� d'une mauvaise
sant� et d'un esprit faible, elle mourra aussi.
� moins qu'elle ne devienne folle. On dit que cela fait vivre�; mais
du moins, l'intelligence ne souffre pas�; elle dort, elle est comme
morte.
Mais ma fille, mon enfant, ma pauvre petite Marie, qui rit, qui joue,
qui chante � cette heure, et ne pense � rien, c'est celle-l� qui me
fait mal�!
Ces cachots sont tout ce qui reste de l'ancien ch�teau de Bic�tre tel
qu'il fut b�ti, dans le quinzi�me si�cle, par le cardinal de
Winchester, le m�me qui fit br�ler Jeanne d'Arc. J'ai entendu dire
cela � des curieux qui sont venus me voir l'autre jour dans ma loge,
et qui me regardaient � distance comme une b�te de la m�nagerie. Le
guichetier a eu cent sous.
XI
� c�t�, une esp�ce de chapeau � trois cornes avec une petite figure
grossi�rement dessin�e au-dessus, et ces mots�: Vive l'empereur�!
J'ai ferm� les yeux avec horreur, alors j'ai tout vu plus distinctement.
XIII
Moi, seul muet dans ce vacarme, seul immobile dans ce tumulte, �tonn�
et attentif, j'�coutais.
Un ge�lier passa.
Quand ils eurent rev�tu les habits de route, on les mena par bandes de
vingt ou trente � l'autre coin du pr�au, o� les cordons allong�s �
terre les attendaient. Ces cordons sont de longues et fortes cha�nes
coup�es transversalement de deux en deux pieds par d'autres cha�nes
plus courtes, � l'extr�mit� desquelles se rattache un carcan carr�,
qui s'ouvre au moyen d'une charni�re pratiqu�e � l'un des angles et se
ferme � l'angle oppos� par un boulon de fer, riv� pour tout le voyage
sur le cou du gal�rien. Quand ces cordons sont d�velopp�s � terre, ils
figurent assez bien la grande ar�te d'un poisson.
On fit asseoir les gal�riens dans la boue, sur les pav�s inond�s�; on
leur essaya les colliers�; puis deux forgerons de la chiourme, arm�s
d'enclumes portatives, les leur riv�rent � froid � grands coups de
masses de fer. C'est un moment affreux, o� les plus hardis p�lissent.
Chaque coup de marteau, ass�n� sur l'enclume appuy�e � leur dos, fait
rebondir le menton du patient�; le moindre mouvement d'avant en
arri�re lui ferait sauter le cr�ne comme une coquille de noix.
Un rayon de soleil reparut. On e�t dit qu'il mettait le feu � tous ces
cerveaux. Les for�ats se lev�rent � la fois, comme par un mouvement
convulsif. Les cinq cordons se rattach�rent par les mains, et tout �
coup se form�rent en ronde immense autour de la branche de la
lanterne. Ils tournaient � fatiguer les yeux. Ils chantaient une
chanson du bagne, une romance d'argot, sur un air tant�t plaintif,
tant�t furieux et gai�; on entendait par intervalles des cris gr�les,
des �clats de rire d�chir�s et haletants se m�ler aux myst�rieuses
paroles�; puis des acclamations furibondes�; et les cha�nes qui
s'entre-choquaient en cadence servaient d'orchestre � ce chant plus
rauque que leur bruit. Si je cherchais une image du sabbat, je ne la
voudrais ni meilleure ni pire.
Puis, ayant mang�, ils jet�rent sur le pav� ce qui restait de leur
soupe et de leur pain bis, et se remirent � danser et � chanter. Il
para�t qu'on leur laisse cette libert� le jour du ferrage et la nuit
qui le suit.
Je restai p�trifi�.
XIV
Que me disait-il donc, l'avocat�? Les gal�res�! Ah�! oui, plut�t mille
fois la mort, plut�t l'�chafaud que le bagne, plut�t le n�ant que
l'enfer�; plut�t livrer mon cou au couteau de Guillotin qu'au carcan
de la chiourme�! Les gal�res, juste ciel�!
XV
Plus de chance maintenant�! Mon pourvoi sera rejet�, parce que tout
est en r�gle�; les t�moins ont bien t�moign�, les plaideurs ont bien
plaid�, les juges ont bien jug�. Je n'y compte pas, � moins que...
Non, folie�! plus d'esp�rance�! Le pourvoi, c'est une corde qui vous
tient suspendu au-dessus de l'ab�me, et qu'on entend craquer � chaque
instant, jusqu'� ce qu'elle se casse. C'est comme si le couteau de la
guillotine mettait six semaines � tomber.
XVI
J'�tais l�, ma t�te pesante et embrass�e dans mes deux mains, qui en
avaient plus qu'elles n'en pouvaient porter, mes coudes sur mes
genoux, les pieds sur les barreaux de ma chaise�; car l'abattement
fait que je me courbe et me replie sur moi-m�me comme si je n'avais
plus ni os dans les membres ni muscles dans la chair.
Un peigre du quartier
Malur�. -- Va-t'en dire � ma largue,
Lirlonfa malurette,
Que je suis enfourraill�,
Lirlonfa malur�. Ma largue tout en col�re,
Lirlonfa malurette,
XVII
Ah�! malheureux r�veur, brise donc d'abord le mur �pais de trois pieds
qui t'emprisonne�! La mort�! la mort�!
Quand je pense que je suis venu tout enfant, ici, � Bic�tre, voir le
grand puits et les fous�!
XVIII
Pendant que j'�crivais tout ceci, ma lampe a p�li, le jour est venu,
l'horloge de la chapelle a sonn� six heures. --
XIX
XX
Ce bon ge�lier, avec son sourire b�nin, ses paroles caressantes, son
oeil qui flatte et qui espionne, ses grosses et larges mains, c'est la
prison incarn�e, c'est Bic�tre qui s'est fait homme. Tout est prison
autour de moi�; je retrouve la prison sous toutes les formes, sous la
forme humaine comme sous la forme de grille ou de verrou. Ce mur,
c'est de la prison en pierre�; cette porte, c'est de la prison en
bois�; ces guichetiers, c'est de la prison en chair et en os. La prison
est une esp�ce d'�tre horrible, complet, indivisible, moiti� maison,
moiti� homme. Je suis sa proie�; elle me couve, elle m'enlace de tous
ses replis. Elle m'enferme dans ses murailles de granit, me cadenasse
sous ses serrures de fer, et me surveille avec ses yeux de ge�lier.
XXI
Je suis calme maintenant. Tout est fini, bien fini. Je suis sorti de
l'horrible anxi�t� o� m'avait jet� la visite du directeur. Car, je
l'avoue, j'esp�rais encore. --�Maintenant, Dieu merci, je n'esp�re
plus.
Cependant ma vue s'est troubl�e, une sueur glac�e est sortie � la fois
de tous mes membres, j'ai senti mes tempes se gonfler, et j'avais les
oreilles pleines de bourdonnements.
La porte s'est rouverte une seconde fois. Le bruit des verrous nous a
arrach�s, moi � ma stupeur, lui � son discours. Une esp�ce de
monsieur, en habit noir, accompagn� du directeur de la prison, s'est
pr�sent�, et m'a salu� profond�ment. Cet homme avait sur le visage
quelque chose de la tristesse officielle des employ�s des pompes
fun�bres. Il tenait un rouleau de papier � la main.
-- Lisez, monsieur�!
De la Conciergerie.
Je me suis lev�, j'ai fait un pas�; il m'a sembl� que je n'en pourrais
faire un second, tant ma t�te �tait lourde et mes jambes faibles.
Cependant je me suis remis et j'ai continu� d'une allure assez
ferme. Avant de sortir du cabanon, j'y ai promen� un dernier coup
d'oeil. -- Je l'aimais, mon cachot. -- Puis, je l'ai laiss� vide et
ouvert�; ce qui donne � un cachot un air singulier.
Nous sommes arriv�s dans la cour. J'ai respir�; cela m'a fait du bien.
Pendant que je montais, il y avait une vieille aux yeux gris qui
disait�: -- J'aime encore mieux cela que la cha�ne.
-- Je crois la savoir.
Je l'ai interrompu.
-- Ah�! c'est cela�! a-t-il r�pliqu�. Allons, vous �tes trop triste�!
M. Castaing causait.
-- Jeune homme�! lui ai-je dit, je suis plus vieux que vous�; chaque
quart d'heure qui s'�coule me vieillit d'une ann�e.
-- Allons, vous voulez rire, plus vieux que moi�! je serais votre
grand-p�re.
Il a ouvert sa tabati�re.
-- Plus que moi�! cela est facile � dire. Pas de tabac jusqu'� Paris�!
c'est terrible�!
XXIII
Tant que j'ai march� dans les galeries publiques du Palais de Justice,
je me suis senti presque libre et � l'aise�; mais toute ma r�solution
m'a abandonn� quand on a ouvert devant moi des portes basses, des
escaliers secrets, des couloirs int�rieurs, de longs corridors
�touff�s et sourds, o� il n'entre que ceux qui condamnent ou ceux qui
sont condamn�s.
-- Cela veut dire, s'est-il �cri� au milieu d'un �clat de rire, que le
taule jouera au panier avec ma sorbonne dans six semaines, comme il va
faire avec ta tronche dans six heures. -- Ha�! ha�! il para�t que tu
comprends maintenant.
Il a continu�:
-- Que veux-tu�? voil� mon histoire � moi. Je suis fils d'un bon
peigre�; c'est dommage que Charlot [Note�: Le bourreau.] ait pris la
peine un jour de lui attacher sa cravate. C'�tait quand r�gnait la
potence, par la gr�ce de Dieu. � six ans, je n'avais plus ni p�re ni
m�re�; l'�t�, je faisais la roue dans la poussi�re au bord des routes,
pour qu'on me jet�t un sou par la porti�re des chaises de poste�;
l'hiver, j'allais pieds nus dans la boue en soufflant dans mes doigts
tout rouges�; on voyait mes cuisses � travers mon pantalon. � neuf
ans, j'ai commenc� � me servir de mes louches [Note�: Mes mains.], de
temps en temps je vidais une fouillouse [Note�: une poche.], je filais
une pelure [Note�: Je volais un manteau.]�; � dix ans, j'�tais un
marlou [Note�: Un filou.]. Puis j'ai fait des connaissances�; �
dix-sept, j'�tais un grinche [Note�: Un voleur.]. Je for�ais une
boutanche, je faussais une tournante. [Note�: Je for�ais une boutique,
je faussais une clef.] On m'a pris. J'avais l'�ge, on m'a envoy� ramer
dans la petite marine [Note�: Les gal�res.].�Le bagne, c'est dur�;
coucher sur une planche, boire de l'eau claire, manger du pain noir,
tra�ner un imb�cile de boulet qui ne sert � rien�; des coups de b�ton
et des coups de soleil. Avec cela on est tondu, et moi qui avais de
beaux cheveux ch�tains�!... N'importe�! j'ai fait mon temps. Quinze
ans, cela s'arrache�! J'avais trente-deux ans. Un beau matin on me
donna une feuille de route et soixante-six francs que je m'�tais
amass�s dans mes quinze ans de gal�res, en travaillant seize heures
par jour, trente jours par mois, et douze mois par ann�e. C'est �gal,
je voulais �tre honn�te homme avec mes soixante-six francs, et j'avais
de plus beaux sentiments sous mes guenilles qu'il n'y en a sous une
serpilli�re de ratichon [Notes�: Une soutane d'abb�.]. Mais que les
diables soient avec le passeport�! Il �tait jaune, et on avait �crit
dessus for�at lib�r�. Il fallait montrer cela partout o� je passais et
le pr�senter tous les huit jours au maire du village o� l'on me
for�ait de tapiquer [Note�: Habiter.]. La belle recommandation�! un
gal�rien�! Je faisais peur, et les petits enfants se sauvaient, et
l'on fermait les portes. Personne ne voulait me donner d'ouvrage. Je
mangeai mes soixante-six francs. Et puis il fallut vivre. Je montrai
mes bras bons au travail, on ferma les portes. J'offris ma journ�e
pour quinze sous, pour dix sous, pour cinq sous. Point. Que faire�? Un
jour, j'avais faim, je donnai un coup de coude dans le carreau d'un
boulanger�; j'empoignai un pain, et le boulanger m'empoigna�; je ne
mangeai pas le pain, et j'eus les gal�res � perp�tuit�, avec trois
lettres de feu sur l'�paule. -- Je te montrerai, si tu veux. -- On
appelle cette justice-l� la r�cidive. Me voil� donc cheval de retour
[Note�: Ramen� au bagne.]. On me remit � Toulon�; cette fois avec les
bonnets verts [Note�: Les condamn�s � perp�tuit�.]. Il fallait
m'�vader. Pour cela, je n'avais que trois murs � percer, deux cha�nes
� couper, et j'avais un clou. Je m'�vadai. On tira le canon d'alerte�;
car, nous autres, nous sommes comme les cardinaux de Rome, habill�s de
rouge, et on tire le canon quand nous partons. Leur poudre alla aux
moineaux. Cette fois, pas de passeport jaune, mais pas d'argent non
plus. Je rencontrai des camarades qui avaient aussi fait leur temps ou
cass� leur ficelle. Leur coire [Note�: Leur chef.] me proposa d'�tre
des leurs�; on faisait la grande so�lasse sur le trimar [Note�: On
assassinait sur les grands chemins.]. J'acceptai, et je me mis � tuer
pour vivre. C'�tait tant�t une diligence, tant�t une chaise de poste,
tant�t un marchand de boeufs � cheval. On prenait l'argent, on
laissait aller au hasard la b�te ou la voiture, et l'on enterrait
l'homme sous un arbre, en ayant soin que les pieds ne sortissent pas�;
et puis on dansait sur la fosse, pour que la terre ne par�t pas
fra�chement remu�e. J'ai vieilli comme cela, g�tant dans les
broussailles, dormant aux belles �toiles, traqu� de bois en bois, mais
du moins libre et � moi. Tout a une fin, et autant celle-l� qu'une
autre. Les marchands de lacets [Note�: Les gendarmes.], une belle
nuit, nous ont pris au collet. Mes fanandels [Note�: Camarades.] se
sont sauv�s�; mais moi, le plus vieux, je suis rest� sous la griffe de
ces chats � chapeaux galonn�s. On m'a amen� ici. J'avais d�j� pass�
par tous les �chelons de l'�chelle, except� un. Avoir vol� un mouchoir
ou tu� un homme, c'�tait tout un pour moi d�sormais�; il y avait
encore une r�cidive � m'appliquer. Je n'avais plus qu'� passer par le
faucheur [Note�: Le bourreau.]. Mon affaire a �t� courte. Ma foi, je
commen�ais � vieillir et � n'�tre plus bon � rien. Mon p�re a �pous�
la veuve [Note�: A �t� pendu.], moi je me retire � l'abbaye de
Mont'-�-Regret [Note�: La guillotine.]. -- Voil�, camarade.
Je l'ai interrompu�:
-- Les poches sont toutes neuves�! le collet n'est pas us�! J'en
aurai au moins quinze francs. Quel bonheur�! du tabac pour mes six
semaines�!
La porte s'est rouverte. On venait nous chercher tous deux�; moi, pour
me conduire � la chambre o� les condamn�s attendent l'heure�; lui,
pour le mener � Bic�tre. Il s'est plac� en riant au milieu du piquet
qui devait l'emmener, et il disait aux gendarmes�:
XXIV
XXV
Ils m'ont amen� dans une cellule o� il n'y a que les quatre murs, avec
beaucoup de barreaux � la fen�tre et beaucoup de verrous � la porte,
cela va sans dire.
J'ai demand� une table, une chaise, et ce qu'il faut pour �crire. On
m'a apport� tout cela.
Cependant ils ont dress� un lit de sangle dans le coin. Mais en m�me
temps un gendarme est venu s'installer dans ce qu'ils appellent ma
chambre. Est-ce qu'ils ont peur que je ne m'�trangle avec le matelas�?
XXVI
Il est dix heures.
Voil� ce qu'ils vont faire de ton p�re, ces hommes dont aucun ne me
hait, qui tous me plaignent et tous pourraient me sauver. Ils vont me
tuer. Comprends-tu cela, Marie�? Me tuer de sang-froid, en c�r�monie,
pour le bien de la chose�! Ah�! grand Dieu�!
Pauvre petite�! ton p�re, qui t'aimait tant, ton p�re qui baisait ton
petit cou blanc et parfum�, qui passait la main sans cesse dans les
boucles de tes cheveux comme sur de la soie, qui prenait ton joli
visage rond dans sa main, qui te faisait sauter sur ses genoux, et le
soir joignait tes deux petites mains pour prier Dieu�!
Qui est-ce qui te fera tout cela maintenant�? Qui est-ce qui
t'aimera�? Tous les enfants de ton �ge auront des p�res, except�
toi. Comment te d�shabitueras-tu, mon enfant, du Jour de l'An, des
�trennes, des beaux joujoux, des bonbons et des baisers�? -- Comment
te d�shabitueras-tu, malheureuse orpheline, de boire et de manger�?
Oh�! si ces jur�s l'avaient vue, au moins, ma jolie petite Marie, ils
auraient compris qu'il ne faut pas tuer le p�re d'un enfant de trois
ans.
Oh�! est-il bien vrai que je vais mourir avant la fin du jour�? Est-il
bien vrai que c'est moi�? Ce bruit sourd de cris que j'entends au
dehors, ce flot de peuple joyeux qui d�j� se h�te sur les quais, ces
gendarmes qui s'appr�tent dans leurs casernes, ce pr�tre en robe
noire, cet autre homme aux mains rouges, c'est pour moi�! c'est moi
qui vais mourir�! moi, le m�me qui est ici, qui vit, qui se meut, qui
respire, qui est assis � cette table, laquelle ressemble � une autre
table, et pourrait aussi bien �tre ailleurs�; moi, enfin, ce moi que
je touche et que je sens, et dont le v�tement fait les plis que
voil�!
XXVII
XXVIII
XXIX
XXX
Cependant, quand il est rentr� tout � l'heure pr�s de moi, sa vue m'a
fait du bien. C'est parmi tous ces hommes le seul qui soit encore
homme pour moi, me suis-je dit. Et il m'a pris une ardente soif de
bonnes et consolantes paroles.
Nous nous sommes assis, lui sur la chaise, moi sur le lit. Il m'a
dit�: -- Mon fils... Ce mot m'a ouvert le coeur. Il a continu�:
-- Eh bien�?
Il m'a demand�:
-- Quand reviendrai-je�?
-- Un impie�!
Non, si bas que je sois tomb�, je ne suis pas un impie, et Dieu m'est
t�moin que je crois en lui. Mais que m'a-t-il dit, ce vieillard�? rien
de senti, rien d'attendri, rien de pleur�, rien d'arrach� de l'�me,
rien qui v�nt de son coeur pour aller au mien, rien qui f�t de lui �
moi. Au contraire, je ne sais quoi de vague, d'inaccentu�,
d'applicable � tout et � tous�; emphatique o� il e�t �t� besoin de
profondeur, plat o� il e�t fallu �tre simple�; une esp�ce de sermon
sentimental et d'�l�gie th�ologique. �a et l�, une citation latine en
latin. Saint Augustin, Saint Gr�goire, que sais-je�? Et puis, il avait
l'air de r�citer une le�on d�j� vingt fois r�cit�e, de repasser un
th�me, oblit�r� dans sa m�moire � force d'�tre su. Pas un regard dans
l'oeil, pas un accent dans la voix, pas un geste dans les mains.
Mais, ce bon vieillard, qu'est-il pour moi�? que suis-je pour lui�? Un
individu de l'esp�ce malheureuse, une ombre comme il en a d�j� tant
vu, une unit� � ajouter au chiffre des ex�cutions.
J'ai peut-�tre tort de le repousser ainsi�; c'est lui qui est bon et
moi qui suis mauvais. H�las�! ce n'est pas ma faute. C'est mon souffle
de condamn� qui g�te et fl�trit tout.
XXXI
J'ai demand� au gendarme qui c'�tait. Il para�t que c'est une esp�ce
de sous-architecte employ� � la prison.
-- Mon bon ami, dans six mois cette prison sera beaucoup mieux.
XXXII
On est venu relever mon bon vieux gendarme, auquel, ingrat �go�ste que
je suis, je n'ai seulement pas serr� la main. Un autre l'a remplac�,
homme � front d�prim�, des yeux de boeuf, une figure inepte.
Un l�ger coup, frapp� sur mon �paule, m'a fait tourner la t�te.
C'�tait le nouveau gendarme, avec qui j'�tais seul.
-- Oui, criminel, oui bonheur, oui fortune. Tout cela me sera venu de
vous. Voici. Je suis un pauvre gendarme. Le service est lourd, la paye
est l�g�re�; mon cheval est � moi et me ruine. Or, je mets � la loterie
pour contre-balancer. Il faut bien avoir une industrie. Jusqu'ici il
ne m'a manqu� pour gagner que d'avoir de bons num�ros. J'en cherche
partout de s�rs�; je tombe toujours � c�t�. Je mets le 76�; il sort le
77. J'ai beau les nourrir, ils ne viennent pas...
-- Or, voici une belle occasion pour moi. Il para�t, pardon, criminel,
que vous passez aujourd'hui. Il est certain que les morts qu'on fait
p�rir comme cela voient la loterie d'avance. Promettez-moi de venir
demain soir, qu'est-ce que cela vous fait�? me donner trois num�ros,
trois bons. Hein�? -- Je n'ai pas peur des revenants, soyez
tranquille. -- Voici mon adresse�: Caserne Popincourt, escalier�A,
n�26, au fond du corridor. Vous me reconna�trez bien, n'est-ce pas�?
-- Venez m�me ce soir, si cela vous est plus commode.
J'ai compris que tout �tait perdu. Cependant j'ai tent� un dernier
effort, bien inutile et bien insens�!
XXXIII
J'ai ferm� les yeux, et j'ai mis les mains dessus, et j'ai t�ch�
d'oublier, d'oublier le pr�sent dans le pass�. Tandis que je r�ve, les
souvenirs de mon enfance et de ma jeunesse me reviennent un � un,
doux, calmes, riants, comme des �les de fleurs sur ce gouffre de
pens�es noires et confuses qui tourbillonnent dans mon cerveau.
Et puis, quatre ans plus tard, m'y voil� encore, toujours enfant, mais
d�j� r�veur et passionn�. Il y a une jeune fille dans le solitaire
jardin.
Nos m�res nous ont dit d'aller courir ensemble�: nous sommes venus
nous promener.
Maintenant elle s'appuie sur mon bras et je suis tout fier et tout
�mu. Nous marchons lentement, nous parlons bas. Elle laisse tomber son
mouchoir�; je le lui ramasse. Nos mains tremblent en se touchant. Elle
me parle des petits oiseaux, de l'�toile qu'on voit l�-bas, du
couchant vermeil derri�re les arbres, ou bien de ses amies de pension,
de sa robe et de ses rubans. Nous disons des choses innocentes, et
nous rougissons tous deux. La petite fille est devenue jeune fille.
Et elle se mit � courir devant moi avec sa taille fine comme le corset
d'une abeille et ses petits pieds qui relevaient sa robe jusqu'�
mi-jambe. Je la poursuivis, elle fuyait�; le vent de sa course
soulevait par moments sa p�lerine noire, et me laissait voir son dos
brun et frais.
Toute ma vie�!
XXXIV
Quand j'ai r�v� une minute � ce qu'il y a de pass� dans ma vie, et que
j'en reviens au coup de hache qui doit la terminer tout � l'heure, je
frissonne comme d'une chose nouvelle. Ma belle enfance�! ma belle
jeunesse�! �toffe dor�e dont l'extr�mit� est sanglante. Entre alors et
� pr�sent il y a une rivi�re de sang�; le sang de l'autre et le mien.
XXXV
XXXVI
XXXVII
Avec son toit aigu et roide, son clocheton bizarre, son grand cadran
blanc, ses �tages � petites colonnes, ses mille crois�es, ses
escaliers us�s par les pas, ses deux arches � droite et � gauche, il
est l�, de plain-pied avec la Gr�ve�; sombre, lugubre, la face toute
rong�e de vieillesse, et si noir qu'il est noir au soleil.
XXXVIII
XXXIX
Ils disent que ce n'est rien, qu'on ne souffre pas, que c'est une fin
douce, que la mort de cette fa�on est bien simplifi�e.
Y a-t-il des morts de leur fa�on qui soient venus les remercier et
leur dire�: C'est bien invent�. Tenez-vous-en l�. La m�canique est
bonne.
Non, rien�! moins qu'une minute, moins qu'une seconde, et la chose est
faite. -- Se sont-ils jamais mis, seulement en pens�e, � la place de
celui qui est l�, au moment o� le lourd tranchant qui tombe mord la
chair, rompt les nerfs, brise les vert�bres... Mais quoi�! une
demi-seconde�! la douleur est escamot�e...
Horreur�!
XL
Il est singulier que je pense sans cesse au roi. J'ai beau faire, beau
secouer la t�te, j'ai une voix dans l'oreille qui me dit toujours�:
-- Il y a dans cette m�me ville, � cette m�me heure, et pas bien loin
d'ici, dans un autre palais, un homme qui a aussi des gardes � toutes
ses portes, un homme unique comme toi dans le peuple, avec cette
diff�rence qu'il est aussi haut que tu es bas. Sa vie enti�re, minute
par minute, n'est que gloire, grandeur, d�lices, enivrement. Tout est
autour de lui amour, respect, v�n�ration. Les voix les plus hautes
deviennent basses en lui parlant et les fronts les plus fiers
ploient. Il n'a que de la soie et de l'or sous les yeux. � cette
heure, il tient quelque conseil de ministres o� tous sont de son avis,
ou bien songe � la chasse de demain, au bal de ce soir, s�r que la
f�te viendra � l'heure, et laissant � d'autres le travail de ses
plaisirs. Eh bien�! cet homme est de chair et d'os comme toi�!
XLI
Eh bien donc�! ayons courage avec la mort, prenons cette horrible id�e
� deux mains, et consid�rons-la en face. Demandons-lui compte de ce
qu'elle est, sachons ce qu'elle nous veut, retournons-la en tous sens,
�pelons l'�nigme, et regardons d'avance dans le tombeau.
Il me semble que, d�s que mes yeux seront ferm�s, je verrai une grande
clart� et des ab�mes de lumi�re o� mon esprit roulera sans fin. Il me
semble que le ciel sera lumineux de sa propre essence, que les astres
y feront des taches obscures, et qu'au lieu d'�tre comme pour les yeux
vivants des paillettes d'or sur du velours noir, ils sembleront des
points noirs sur du drap d'or.
Il est probable que cela est ainsi. Mais si ces morts-l� reviennent,
sous quelle forme reviennent-ils�? Que gardent-ils de leur corps
incomplet et mutil�? Que choisissent-ils�? Est-ce la t�te ou le tronc
qui est spectre�?
H�las�! qu'est-ce que la mort fait avec notre �me�? quelle nature lui
laisse-t-elle�? qu'a-t-elle � lui prendre ou � lui donner�? o� la
met-elle�? lui pr�te-t-elle quelquefois des yeux de chair pour regarder
sur la terre et pleurer�?
XLII
J'ai r�v� que c'�tait la nuit. Il me semblait que j'�tais dans mon
cabinet avec deux ou trois de mes amis, je ne sais plus lesquels.
Nous parlions � voix basse, mes amis et moi, et ce que nous disions
nous effrayait.
Mes amis avaient entendu comme moi. Nous �cout�mes�; c'�tait comme une
serrure qu'on ouvre sourdement, comme un verrou qu'on scie � petit
bruit.
Il y avait quelque chose qui nous gla�ait�; nous avions peur. Nous
pens�mes que peut-�tre c'�taient des voleurs qui s'�taient introduits
chez moi, � cette heure si avanc�e de la nuit.
Je demandai � la vieille�:
Je lui demandai�:
-- Qui �tes-vous�?
Elle est tomb�e tout d'une pi�ce, comme un morceau de bois, comme une
chose morte.
-- Pour le coup, c'est trop fort, ont dit les autres. Encore la
bougie�! encore�! il faudra bien qu'elle parle.
Alors, elle a ouvert ses deux yeux lentement, nous a regard�s tous les
uns apr�s les autres, puis, se baissant brusquement, a souffl� la
bougie avec un souffle glac�. Au m�me moment j'ai senti trois dents
aigu�s s'imprimer sur ma main dans les t�n�bres.
Le bon aum�nier �tait assis au pied de mon lit, et lisait des pri�res.
-- Mon fils, m'a-t-il dit, vous avez dormi une heure. On vous a amen�
votre enfant. Elle est l� dans la pi�ce voisine qui vous attend. Je
n'ai pas voulu qu'on vous �veill�t.
XLIII
Elle est fra�che, elle est rose, elle a de grands yeux, elle est
belle�!
Je l'ai prise, je l'ai enlev�e dans mes bras, je l'ai assise sur mes
genoux, je l'ai bais�e sur ses cheveux.
-- �coute, Marie, lui ai-je dit en joignant ses deux petites mains
dans les miennes, est-ce que tu ne me connais point�?
-- Ah bien non�!
H�las�! n'aimer ardemment qu'un seul �tre au monde, l'aimer avec tout
son amour, et l'avoir devant soi, qui vous voit et vous regarde, vous
parle et vous r�pond et ne vous conna�t pas�! Ne vouloir de
consolation que de lui, et qu'il soit le seul qui ne sache pas qu'il
vous en faut parce que vous allez mourir�!
-- Eh bien, o� est-il�?
Elle a lev� ses grands yeux �tonn�s.
-- Je prie le bon Dieu pour lui matin et soir sur les genoux de maman.
-- Oui, a-t-elle r�pondu. Je sais bien lire. Maman me fait lire mes
lettres.
-- Voyons, lis un peu, lui ai-je dit en lui montrant un papier qu'elle
tenait chiffonn� dans une de ses petites mains.
-- Emportez-la.
XLIV
Le pr�tre est bon, le ge�lier aussi. Je crois qu'ils ont vers� une
larme quand j'ai dit qu'on m'emport�t mon enfant.
Je crois que j'ai encore une heure pour m'habituer � tout cela.
XLV
Tout ce peuple rira, battra des mains, applaudira. Et parmi tous ces
hommes, libres et inconnus des ge�liers, qui courent pleins de joie �
une ex�cution, dans cette foule de t�tes qui couvrira la place, il y
aura plus d'une t�te pr�destin�e qui suivra la mienne t�t ou tard dans
le panier rouge. Plus d'un qui y vient pour moi y viendra pour soi.
XLVI
Oui, il faut qu'elle sache par moi mon histoire, et pourquoi le nom
que je lui laisse est sanglant.
XLVII
MON HISTOIRE.
XLVIII
Voici.
Trois heures sonnaient, on est venu m'avertir qu'il �tait temps. J'ai
trembl�, comme si j'eusse pens� � autre chose depuis six heures,
depuis six semaines, depuis six mois. Cela m'a fait l'effet de quelque
chose d'inattendu.
� peine assis, les deux autres se sont approch�s de moi, par derri�re,
comme des chats�; puis tout � coup j'ai senti un froid d'acier dans
mes cheveux, et les ciseaux ont grinc� � mes oreilles.
Mes cheveux, coup�s au hasard, tombaient par m�ches sur mes �paules,
et l'homme au chapeau � trois cornes les �poussetait doucement avec sa
grosse main.
Tout � coup l'un des valets m'a enlev� ma veste, et l'autre a pris mes
deux mains qui pendaient, les a ramen�es derri�re mon dos, et j'ai
senti les noeuds d'une corde se rouler lentement autour de mes
poignets rapproch�s. En m�me temps, l'autre d�tachait ma cravate. Ma
chemise de batiste, seul lambeau qui me rest�t du moi d'autrefois, l'a
fait en quelque sorte h�siter un moment�; puis il s'est mis � en couper
le col.
Ces bourreaux sont des hommes tr�s doux. La foule hurlait plus haut au
dehors. Le gros homme au visage bourgeonn� m'a offert � respirer un
mouchoir imbib� de vinaigre.
-- Merci, lui ai-je dit de la voix la plus forte que j'ai pu, c'est
inutile�; je me trouve bien.
Alors l'un d'eux s'est baiss� et m'a li� les deux pieds, au moyen
d'une corde fine et l�che, qui ne me laissait � faire que de petits
pas. Cette corde est venue se rattacher � celle de mes mains.
Puis le gros homme a jet� la veste sur mon dos, et a nou� les manches
ensemble sous mon menton. Ce qu'il y avait � faire l� �tait fait.
Les valets m'ont pris sous les aisselles. Je me suis lev�, j'ai
march�. Mes pas �taient mous et fl�chissaient comme si j'avais eu deux
genoux � chaque jambe.
C'est pour ce moment redout� que j'avais gard� mon courage. J'ai fait
trois pas, et j'ai paru sur le seuil du guichet.
Et les plus pr�s de moi battaient des mains. Si fort qu'on aime un
roi, ce serait moins de f�te.
Cet atroce �loge m'a donn� du courage. Le pr�tre est venu se placer
aupr�s de moi. On m'avait assis sur la banquette de derri�re, le dos
tourn� au cheval. J'ai fr�mi de cette derni�re attention.
On allait au pas.
Une rage m'a pris contre ce peuple. J'ai eu envie de leur crier�:
Tout � coup la s�rie des boutiques qui occupait mes yeux s'est coup�e
� l'angle d'une place�; la voix de la foule est devenue plus vaste,
plus glapissante, plus joyeuse encore�; la charrette s'est arr�t�e
subitement, et j'ai failli tomber la face sur les planches. Le pr�tre
m'a soutenu. -- Courage�! a-t-il murmur�. Alors on a apport� une
�chelle � l'arri�re de la charrette�; il m'a donn� le bras, je suis
descendu, puis j'ai fait un pas, puis je me suis retourn� pour en
faire un autre, et je n'ai pu. Entre les deux lanternes du quai
j'avais vu une chose sinistre.
J'ai demand� qu'on me laiss�t �crire mes derni�res volont�s. Ils m'ont
d�li� les mains, mais la corde est ici, toute pr�te, et le reste est
en bas.
XLIX
Qui sait�? elle viendra peut-�tre�! Cela est si horrible, � mon �ge,
de mourir ainsi�! Des gr�ces qui arrivent au dernier moment, on l'a vu
souvent. Et � qui fera-t-on gr�ce, monsieur, si ce n'est � moi�?
Cet ex�crable bourreau�! il s'est approch� du juge pour lui dire que
l'ex�cution devait �tre faite � une certaine heure, que cette heure
approchait, qu'il �tait responsable, que d'ailleurs il pleut et que
cela risque de se rouiller.
QUATRE HEURES.
NOTES
1829
1881
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and editing by those who wish to do so.
http://www.ibiblio.org/gutenberg/etext04 or
ftp://ftp.ibiblio.org/pub/docs/books/gutenberg/etext04
Or /etext03, 02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90
Just search by the first five letters of the filename you want,
as it appears in our Newsletters.
We produce about two million dollars for each hour we work. The
time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours
to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright
searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our
projected audience is one hundred million readers. If the value
per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2
million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text
files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+
We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002
If they reach just 1-2% of the world's population then the total
will reach over half a trillion eBooks given away by year's end.
1 1971 July
10 1991 January
100 1994 January
1000 1997 August
1500 1998 October
2000 1999 December
2500 2000 December
3000 2001 November
4000 2001 October/November
6000 2002 December*
9000 2003 November*
10000 2004 January*
We have filed in all 50 states now, but these are the only ones
that have responded.
As the requirements for other states are met, additions to this list
will be made and fund raising will begin in the additional states.
Please feel free to ask to check the status of your state.
http://www.gutenberg.net/donation.html
***
(Three Pages)
INDEMNITY
You will indemnify and hold Michael Hart, the Foundation,
and its trustees and agents, and any volunteers associated
with the production and distribution of Project Gutenberg-tm
texts harmless, from all liability, cost and expense, including
legal fees, that arise directly or indirectly from any of the
following that you do or cause: [1] distribution of this eBook,
[2] alteration, modification, or addition to the eBook,
or [3] any Defect.
[1] Only give exact copies of it. Among other things, this
requires that you do not remove, alter or modify the
eBook or this "small print!" statement. You may however,
if you wish, distribute this eBook in machine readable
binary, compressed, mark-up, or proprietary form,
including any form resulting from conversion by word
processing or hypertext software, but only so long as
*EITHER*:
WHAT IF YOU *WANT* TO SEND MONEY EVEN IF YOU DON'T HAVE TO?
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in machine readable form.