TEXTES PHILOSOPHIQUES SUR LE BONHEUR (6 Pages - 111 Ko)
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©
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mais
chacun
de
ces
individus,
s’il
se
transforme
de
la
sorte,
aspire-‐t-‐il
au
bonheur
?
–
Cependant
toute
tendance
à
s’étendre,
toute
incorporation,
toute
croissance,
est
une
lutte
contre
quelque
chose
qui
est
accompagnée
de
sensations
de
déplaisir
:
ce
qui
est
ici
le
motif
agissant
veut
certainement
autre
chose
en
voulant
le
déplaisir
et
en
le
recherchant
sans
cesse.
–
Pourquoi
les
arbres
d’une
forêt
vierge
luttent-‐ils
entre
eux
?
Pour
le
«
bonheur
»
?
–
Pour
la
puissance
!…
L’homme
devenu
maître
des
forces
de
la
nature,
l’homme
devenu
maître
de
sa
propre
sauvagerie
et
de
ses
instincts
déchaînés
(les
désirs
ont
appris
à
obéir,
à
être
utiles)
–
l’homme
comparé
à
un
pré-‐homme
représente
une
énorme
quantité
de
puissance
–
et
non
pas
une
augmentation
de
«
bonheur
».
Comment
peut-‐on
prétendre
qu’il
a
aspiré
au
bonheur
?…
Nietzsche,
La
Volonté
de
puissance,
§
305
Nous
ne
savons
pas
ce
qui
est
bon
pour
nous
:
Le
concept
du
bonheur
est
un
concept
si
indéterminé,
que,
malgré
le
désir
qu’a
tout
homme
d’arriver
à
être
heureux,
personne
ne
peut
jamais
dire
en
termes
précis
et
cohérents
ce
que
véritablement
il
désire
et
il
veut.
[…]
Pour
l’idée
du
bonheur
un
tout
absolu,
un
maximum
de
bien-‐être
dans
mon
état
présent
et
dans
toute
ma
condition
future,
est
nécessaire.
Or
il
est
impossible
qu’un
être
fini,
si
perspicace
et
en
même
temps
si
puissant
qu’on
le
suppose,
se
fasse
un
concept
déterminé
de
ce
qu’il
veut
ici
véritablement.
Veut-‐il
la
richesse
?
Que
de
soucis,
que
d’envie,
que
de
pièces
ne
peut-‐il
pas
par
là
attirer
sur
sa
tête
!
Veut-‐il
beaucoup
de
connaissance
et
de
lumières
?
Peut-‐
être
cela
ne
fera-‐t-‐il
que
lui
donner
un
regard
plus
pénétrant
pour
lui
représenter
d’une
manière
d’autant
plus
terrible
les
maux
qui
jusqu’à
présent
se
dérobent
encore
à
sa
vue.
[…]
Bref,
il
est
incapable
de
déterminer
avec
une
entière
certitude
d’après
quelque
principe
ce
qui
le
rendrait
véritablement
heureux
:
pour
cela
il
lui
faudrait
l’omniscience.
[…]
Le
problème
qui
consiste
à
déterminer
d’une
façon
sûre
et
générale
quelle
action
peut
favoriser
le
bonheur
d’un
être
raisonnable
est
un
problème
tout
à
fait
insoluble.
Emmanuel
Kant,
Fondements
de
la
métaphysique
des
mœurs
Le
bonheur,
c’est
obtenir
ce
qu’on
désire
:
Un
succès
constant
dans
l’obtention
de
ces
choses
que,
de
temps
en
temps,
l’on
désire,
autrement
dit
une
constante
prospérité,
est
appelé
félicité.
J’entends
la
félicité
en
cette
vie.
Car
il
n’y
a
rien
qui
ressemble
à
la
béatitude
perpétuelle
de
l’esprit,
tant
que
nous
vivons
ici,
parce
que
la
vie
n’est
elle-‐même
que
le
mouvement
et
ne
peut
être
ni
sans
désir,
ni
sans
crainte.
Hobbes,
Léviathan,
I,
6
Le
tonneau
des
Danaïdes
:
Socrate
:
Considère
si
tu
ne
pourrais
pas
assimiler
chacune
des
deux
vies,
la
tempérante
et
l’incontinente,
au
cas
de
deux
hommes,
dont
chacun
posséderait
de
nombreux
tonneaux,
l’un
des
tonneaux
en
bon
état
et
remplis,
celui-‐ci
de
vin,
celui-‐là
de
miel,
un
troisième
de
lait
et
beaucoup
d’autres
remplis
d’autres
liqueurs,
toutes
rares
et
coûteuses
et
acquises
au
prix
de
mille
peines
et
de
difficultés
;
mais
une
fois
ses
tonneaux
remplis,
notre
homme
n’y
verserait
plus
rien,
ne
s’en
inquiéterait
plus
et
serait
©
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tranquille
à
cet
égard.
L’autre
aurait,
comme
le
premier,
des
liqueurs
qu’il
pourrait
se
procurer,
quoique
avec
peine,
mais
n’ayant
que
des
tonneaux
percés
et
fêlés,
il
serait
forcé
de
les
remplir
jour
et
nuit
sans
relâche,
sous
peine
des
plus
grands
ennuis.
Si
tu
admets
que
les
deux
vies
sont
pareilles
au
cas
de
ces
deux
hommes,
est-‐ce
que
tu
soutiendras
que
la
vie
de
l’homme
déréglé
est
plus
heureuse
que
celle
de
l’homme
réglé
?
Mon
allégorie
t’amène-‐t-‐elle
à
reconnaître
que
la
vie
réglée
vaut
mieux
que
la
vie
déréglée,
ou
n’es-‐tu
pas
convaincu
?
Calliclès
:
Je
ne
le
suis
pas,
Socrate.
L’homme
aux
tonneaux
pleins
n’a
plus
aucun
plaisir,
et
c’est
cela
que
j’appelais
tout
à
l’heure
vivre
à
la
façon
d’une
pierre,
puisque,
quand
il
les
a
remplis,
il
n’a
plus
ni
plaisir
ni
peine
;
mais
ce
qui
fait
l’agrément
de
la
vie,
c’est
d’y
verser
le
plus
qu’on
peut.
[…]
Mais
voici
ce
qui
est
beau
et
juste
suivant
la
nature,
je
te
le
dis
en
toute
franchise
:
pour
bien
vivre,
il
faut
entretenir
en
soi-‐même
les
plus
fortes
passions
au
lieu
de
les
réprimer,
et,
quand
elles
ont
atteint
toute
leur
force,
il
faut
être
capable
de
leur
donner
satisfaction
par
son
courage
et
son
intelligence
et
de
remplir
tous
ses
désirs
à
mesure
qu’ils
éclosent.
[…]
[L]e
luxe,
l’intempérance
et
la
liberté,
quand
ils
sont
soutenus
par
la
force,
constituent
la
vertu
et
le
bonheur.
Platon,
Gorgias
Le
désir
est
souffrance
:
Tout
vouloir
procède
d’un
besoin,
c’est-‐à-‐dire
d’une
privation,
c’est-‐à-‐dire
d’une
souffrance.
La
satisfaction
y
met
fin
;
mais
pour
un
désir
qui
est
satisfait,
dix
au
moins
sont
contrariés
;
de
plus,
le
désir
est
long,
et
ses
exigences
tendent
à
l’infini
;
la
satisfaction
est
courte,
et
elle
est
parcimonieusement
mesurée.
Mais
ce
contentement
suprême
n’est
lui-‐même
qu’apparent
;
le
désir
satisfait
fait
place
aussitôt
à
un
nouveau
désir
;
le
premier
est
une
déception
reconnue,
le
second
est
une
déception
non
encore
reconnue.
La
satisfaction
d’aucun
souhait
ne
peut
procurer
de
contentement
durable
et
inaltérable.
C’est
comme
l’aumône
qu’on
jette
à
un
mendiant
:
elle
lui
sauve
aujourd’hui
la
vie
pour
prolonger
sa
misère
jusqu’à
demain.
–
Tant
que
notre
conscience
est
remplie
par
notre
volonté,
tant
que
nous
sommes
asservis
à
l’impulsion
du
désir,
aux
espérances
et
aux
craintes
continuelles
qu’il
fait
naître,
tant
que
nous
sommes
sujets
du
vouloir,
il
n’y
a
pour
nous
ni
bonheur
durable,
ni
repos.
Poursuivre
ou
fuir,
craindre
le
malheur
ou
chercher
la
jouissance,
c’est
en
réalité
tout
un
;
l’inquiétude
d’une
volonté
toujours
exigeante,
sous
quelque
forme
qu’elle
se
manifeste,
emplit
et
trouble
sans
cesse
la
conscience
;
or
sans
repos
le
véritable
bonheur
est
impossible.
Ainsi
le
sujet
du
vouloir
ressemble
à
Ixion
attaché
sur
une
roue
qui
ne
cesse
de
tourner,
aux
Danaïdes
qui
puisent
toujours
pour
emplir
leur
tonneau,
à
Tantale
éternellement
altéré.
Schopenhauer,
Le
Monde
comme
volonté
et
comme
représentation
Ce
qui
dépend
de
nous
et
ce
qui
n’en
dépend
pas
:
Souviens-‐toi
donc
de
ceci
:
si
tu
crois
soumis
à
ta
volonté
ce
qui
est,
par
nature,
esclave
d’autrui,
si
tu
crois
que
dépende
de
toi
ce
qui
dépend
d’un
autre,
tu
te
sentiras
entravé,
tu
gémiras,
tu
auras
l’âme
inquiète,
tu
t’en
prendras
aux
dieux
et
aux
hommes.
Mais
si
tu
penses
que
seul
dépend
de
toi
ce
qui
dépend
de
doit,
que
dépend
d’autrui
ce
qui
réellement
dépend
d’autrui,
tu
ne
te
sentiras
jamais
contraint
à
agir,
jamais
entravé
dans
ton
action,
tu
ne
t’en
prendras
à
personne,
tu
n’accuseras
personne,
tu
ne
feras
aucun
©
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acte
qui
ne
soit
volontaire
;
nul
ne
pourra
te
léser,
nul
ne
sera
ton
ennemi,
car
aucun
malheur
ne
pourra
t’atteindre.
Epictète,
Manuel
Accepter
la
nécessité
:
Ne
cherche
pas
à
ce
que
les
événements
arrivent
comme
tu
veux,
mais
veuille
que
les
événements
arrivent
comme
ils
arrivent,
et
tu
seras
heureux.
Epictète,
Manuel
Les
biens
extérieurs
sont
la
condition
du
bonheur
:
Cependant
il
apparaît
nettement
qu’on
doit
faire
aussi
entrer
en
ligne
de
compte
les
biens
extérieurs,
ainsi
que
nous
l’avons
dit,
car
il
est
impossible,
ou
du
moins
malaisé,
d’accomplir
les
bonnes
actions
quand
on
est
dépourvu
de
ressources
pour
y
faire
face.
En
effet,
dans
un
grand
nombre
de
nos
actions,
nous
faisons
intervenir
à
titre
d’instruments
les
amis
ou
la
richesse,
ou
l’influence
politique
;
et,
d’autre
part,
l’absence
de
certains
avantages
gâte
la
félicité
:
c’est
le
cas,
par
exemple,
pour
la
noblesse
de
race,
une
heureuse
progéniture,
la
beauté
physique.
On
n’est
pas,
en
effet,
complètement
heureux
si
on
a
un
aspect
disgracieux,
si
on
est
d’une
basse
extraction
ou
si
on
vit
seul
et
sans
enfants
;
et,
pis
encore
sans
doute,
si
on
a
des
enfants
ou
des
amis
perdus
de
vices,
ou
si
enfin,
alors
qu’ils
étaient
vertueux,
la
mort
nous
les
a
enlevés.
Ainsi
donc
que
nous
l’avons
dit,
il
semble
que
le
bonheur
ait
besoin,
comme
condition
supplémentaire,
d’une
prospérité
de
ce
genre
;
de
là
vient
que
certains
mettent
au
même
rang
que
le
bonheur,
la
fortune
favorable,
alors
que
d’autres
l’identifient
à
la
vertu.
Aristote,
Ethique
à
Nicomaque,
I,
9
Mais
il
suffit
de
peu
:
Mais
le
sage
aura
aussi
besoin
de
la
prospérité
extérieure,
puisqu’il
est
un
homme
:
car
la
nature
humaine
ne
se
suffit
pas
pleinement
à
elle-‐même
pour
l’exercice
de
la
contemplation,
mais
il
faut
aussi
que
le
corps
soit
en
bonne
santé,
qu’il
reçoive
de
la
nourriture
et
tous
autres
soins.
Cependant,
s’il
n’est
pas
possible
sans
l’aide
de
biens
extérieurs
d’être
parfaitement
heureux,
on
ne
doit
pas
s’imaginer
pour
autant
que
l’homme
aura
besoin
de
choses
nombreuses
et
importantes
pour
être
heureux
:
ce
n’est
pas,
en
effet,
dans
un
excès
d’abondance
que
résident
la
pleine
suffisance
et
l’action,
et
on
peut,
sans
posséder
l’empire
de
la
terre
et
de
la
mer,
accomplir
de
nobles
actions,
car
même
avec
des
moyens
médiocres
on
sera
capable
d’agir
selon
la
vertu.
Aristote,
Ethique
à
Nicomaque,
X,
9
La
chance
n’existe
que
pour
qui
sait
la
saisir
:
Je
conclus
donc
que,
la
fortune
étant
variable
et
les
hommes
obstinés
dans
leurs
façons,
ils
sont
heureux
tant
qu’ils
s’accordent
ensemble
et,
dès
qu’ils
discordent,
malheureux.
Je
juge
certes
ceci
:
qu’il
est
meilleur
d’être
impétueux
que
circonspect,
car
la
fortune
est
femme,
et
il
est
nécessaire,
à
qui
veut
la
soumettre,
de
la
battre
et
la
rudoyer.
Et
l’on
voit
©
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qu’elle
se
laisse
plutôt
vaincre
par
ceux-‐là
que
par
ceux
qui
procèdent
avec
froideur.
Et
c’est
pourquoi
toujours,
en
tant
que
femme,
elle
est
amie
des
jeunes,
parce
qu’ils
sont
moins
circonspects,
plus
hardis,
et
avec
plus
d’audace
la
commandent.
Machiavel,
Le
Prince,
trad.
Yves
Lévy,
chap.
XXV
Bonheur
et
présent
:
Nous
ne
nous
tenons
jamais
au
temps
présent.
Nous
anticipons
l’avenir
comme
trop
lent
à
venir,
comme
pour
hâter
son
cours
;
ou
nous
rappelons
le
passé
pour
l’arrêter
comme
trop
prompt
:
si
imprudents,
que
nous
errons
dans
les
temps
qui
ne
sont
pas
nôtres,
et
ne
pensons
point
au
seul
qui
nous
appartient
;
et
si
vains,
que
nous
songeons
à
ceux
qui
ne
sont
plus
rien,
et
échappons
sans
réflexion
le
seul
qui
subsiste.
C’est
que
le
présent,
d’ordinaire,
nous
blesse.
Nous
le
cachons
à
notre
vue,
parce
qu’il
nous
afflige
;
et
s’il
nous
est
agréable,
nous
regrettons
de
le
voir
échapper.
Nous
tâchons
de
le
soutenir
par
l’avenir,
et
pensons
à
disposer
les
choses
qui
ne
sont
pas
en
notre
puissance,
pour
un
temps
où
nous
n’avons
aucune
assurance
d’arriver.
Que
chacun
examine
ses
pensées,
il
les
trouvera
toutes
occupées
au
passé
et
à
l’avenir.
Nous
ne
pensons
presque
point
au
présent
;
et,
si
nous
y
pensons,
ce
n’est
que
pour
en
prendre
la
lumière
pour
disposer
de
l’avenir.
Le
présent
n’est
jamais
notre
fin
:
le
passé
et
le
présent
sont
nos
moyens
;
le
seul
avenir
est
notre
fin.
Ainsi
nous
ne
vivons
jamais,
mais
nous
espérons
de
vivre
;
et,
nous
disposant
toujours
à
être
heureux,
il
est
inévitable
que
nous
ne
le
soyons
jamais.
Blaise
Pascal,
Pensées
Une
hirondelle
ne
fait
pas
le
printemps
:
[L]e
bien
pour
l’homme
consiste
dans
une
activité
de
l’âme
en
accord
avec
la
vertu,
et,
au
cas
de
pluralité
de
vertus,
en
accord
avec
la
plus
excellente
et
la
plus
parfaite
d’entre
elles.
Mais
il
faut
ajouter
:
«
et
cela
dans
une
vie
accomplie
jusqu’à
son
terme
»,
car
une
hirondelle
ne
fait
pas
le
printemps,
ni
non
plus
un
seul
:
et
ainsi
la
félicité
et
le
bonheur
ne
sont
pas
davantage
l’œuvre
d’une
seule
journée,
ni
d’un
bref
espace
de
temps.
Aristote,
Ethique
à
Nicomaque,
I,
6
L’homme
a
le
droit
au
bonheur
:
Nous
tenons
pour
évidentes
par
elles-‐mêmes
les
vérités
suivantes
:
tous
les
hommes
sont
créés
égaux
;
ils
sont
doués
par
le
Créateur
de
certains
droits
inaliénables
;
parmi
ces
droits
se
trouvent
la
vie,
la
liberté
et
la
recherche
du
bonheur.
Les
gouvernements
sont
établis
parmi
les
hommes
pour
garantir
ces
droits,
et
leur
juste
pouvoir
émane
du
consentement
des
gouvernés.
Toutes
les
fois
qu’une
forme
de
gouvernement
devient
destructive
de
ce
but,
le
peuple
a
le
droit
de
la
changer
ou
de
l’abolir
et
d’établir
un
nouveau
gouvernement,
en
le
fondant
sur
les
principes
et
en
l’organisant
en
la
forme
qui
lui
paraîtront
les
plus
propres
à
lui
donner
la
sûreté
et
le
bonheur.
Déclaration
d’indépendance
des
États-‐Unis
d’Amérique,
1776
©
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Antigone
:
le
bonheur
n’est
pas
la
seule
valeur
:
Antigone,
doucement
:
–
Quel
sera-‐t-‐il,
mon
bonheur
?
Quelle
femme
heureuse
deviendra-‐t-‐elle,
la
petite
Antigone
?
Quelles
pauvretés
faudra-‐t-‐il
qu’elle
fasse
elle
aussi,
jour
par
jour,
pour
arracher
avec
ses
dents
sont
petit
lambeau
de
bonheur
?
Dites,
à
qui
devra-‐t-‐elle
mentir,
à
qui
sourire,
à
qui
se
vendre
?
Qui
devra-‐t-‐elle
laisser
mourir
en
détournant
le
regard
?
Créon
hausse
les
épaules
:
–
Tu
es
folle,
tais-‐toi.
Antigone
:
–
Non,
je
ne
me
tairai
pas.
Je
veux
savoir
comment
je
m’y
prendrai,
moi
aussi,
pour
être
heureuse.
Tout
de
suite,
puisque
c’est
tout
de
suite
qu’il
faut
choisir.
Vous
dites
que
c’est
si
beau
la
vie.
Je
veux
savoir
comment
je
m’y
prendrai
pour
vivre.
Créon
:
–
Tu
aimes
Hémon
?
Antigone
:
–
Oui,
j’aime
Hémon.
J’aime
un
Hémon
dur
et
jeune
;
un
Hémon
exigeant
et
fidèle,
comme
moi.
Mais
[…]
s’il
doit
devenir
près
de
moi
le
monsieur
Hémon,
s’il
doit
apprendre
à
dire
«
oui
»,
lui
aussi,
je
n’aime
plus
Hémon
!
Créon
:
–
Tu
ne
sais
plus
ce
que
tu
dis.
Tais-‐toi.
Antigone
:
–
Si,
je
sais
ce
que
je
dis,
mais
c’est
vous
qui
ne
m’entendez
plus.
Je
vous
parle
de
trop
loin
maintenant,
d’un
royaume
où
vous
ne
pouvez
plus
entrer
avec
vos
rides,
votre
sagesse,
votre
ventre.
(Elle
rit.)
Ah
!
je
ris,
Créon,
je
ris
parce
que
je
te
vois
à
quinze
ans,
tout
d’un
coup
!
C’est
le
même
air
d’impuissance
et
de
croire
qu’on
peut
tout.
La
vie
t’a
seulement
ajouté
tous
ces
petits
plis
sur
le
visage
et
cette
graisse
autour
de
toi.
Créon
la
secoue
:
–
Te
tairas-‐tu,
enfin
?
Antigone
:
–
Pourquoi
veux-‐tu
me
faire
taire
?
Parce
que
je
sais
que
j’ai
raison
?
Tu
crois
que
je
ne
lis
pas
dans
tes
yeux
que
tu
le
sais
?
Tu
sais
que
j’ai
raison,
mais
tu
ne
l’avoueras
jamais
parce
que
tu
es
en
train
de
défendre
ton
bonheur
en
ce
moment
comme
un
os.
Créon
:
–
Le
tien
et
le
mien,
oui,
imbécile
!
Antigone
:
–
Vous
me
dégoûtez
tous
avec
votre
bonheur
!
Avec
votre
vie
qu’il
faut
aimer
coûte
que
coûte.
On
dirait
des
chiens
qui
lèchent
tout
ce
qu’ils
trouvent.
Jean
Anouilh,
Antigone,
1944
Vaut-‐il
mieux
être
un
imbécile
heureux
ou
un
sage
malheureux
?
Incontestablement,
l’être
dont
les
facultés
de
jouissance
sont
d’ordre
inférieur
a
les
plus
grandes
chances
de
les
voir
pleinement
satisfaites
;
tandis
qu’un
être
d’aspirations
élevées
sentira
toujours
que
le
bonheur
qu’il
peut
viser,
quel
qu’il
soit
–
le
monde
étant
fait
comme
il
est
–
est
un
bonheur
imparfait.
Mais
il
peut
apprendre
à
supporter
ce
qu’il
y
a
d’imperfections
dans
ce
bonheur,
pour
peu
que
celles-‐ci
soient
supportables
;
et
elles
ne
le
rendront
pas
jaloux
d’un
être
qui,
à
la
vérité,
ignore
ces
imperfections,
mais
ne
les
ignore
que
parce
qu’il
ne
soupçonne
aucunement
le
bien
auquel
ces
imperfections
sont
attachées.
Il
vaut
mieux
être
Socrate
insatisfait
qu’un
imbécile
satisfait.
Et
si
l’imbécile
ou
le
porc
sont
d’un
avis
différent,
c’est
qu’ils
ne
connaissent
qu’un
côté
de
la
question
:
le
leur.
L’autre
partie,
pour
faire
la
comparaison,
connaît
les
deux
côtés.
John
Stuart
Mill,
L’Utilitarisme
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