Introduction
Introduction
Introduction
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L’essentiel de la dogmatique, téléchargeable en ligne
Ce fichier est le poly du cours que j’ai donné au Grand Séminaire Brottier de Libreville en 2002-2004. Il n’a pas
prétention à la perfection, mais simplement à poser quelques bases introductives indispensables.
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I – ÊTRE ET DEVENIR .....................................................................................................................................30
II – L’ETRE EN PUISSANCE ............................................................................................................................31
III – L’ETRE EN ACTE ..................................................................................................................................32
IV – LES RAPPORTS DE L’ACTE ET DE LA PUISSANCE. ..............................................................................................32
II- THEOLOGIE NATURELLE : LES 5 VOIES DE THOMAS D'AQUIN............................. ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
1 BIS. THOMAS D’AQUIN ET L’EMERVEILLEMENT DEVANT L’ETRE (RESUME). ..........ERREUR ! SIGNET NON
DEFINI.
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IV – UNE REVOLUTION METAPHYSIQUE : LE PRIMAT DU SUJET SUR L’OBJET. LES PREMIERS PAS DE L’IDEALISMEERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
CONCLUSION : DESCARTES ET LE PREMIER APPEL A LA SUBJECTIVITE. .................................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
I –LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE : « QUE PUIS-JE SAVOIR ? ».........................................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
II - FONDEMENT DE LA METAPHYSIQUE DES MŒURS : « QUE DOIS-JE FAIRE ? » ........................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
III – LA CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE : « QU’AI-JE LE DROIT D’ESPERER ? » ......................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
CONCLUSION GENERALE ..........................................................................................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
I - L’ECLATEMENT DES LIMITES POSEES PAR KANT A LA RAISON : « TOUT EST RATIONNEL »..............ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
II - METHODE : L’ANALYSE DE L’HISTOIRE, SUCCESSION DE CONTRADICTIONS SURMONTEES. ...........ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
III - LA DIALECTIQUE : L’INTEGRATION DU PRINCIPE DE CONTRADICTION DANS LA LOGIQUE. ...........ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
CONCLUSION .......................................................................................................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
I - ÊTRE ET DEVENIR A LA LUMIERE DU DUALISME INTELLIGENCE ET INTUITION : ..........................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
II - ÊTRE ET DUREE ................................................................................................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
CONCLUSION ET CRITIQUE ........................................................................................ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
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PETITE BIBLIOGRAPHIE MINIMUM DE MÉTAPHYSIQUE ............................... ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
Hamlet, II.2
La métaphysique, comme son nom l’indique porte sur ce qui est au delà de la physique, de la Phusis
(nature), sur ce qui est surnaturel (en latin), invisible aux yeux, au delà de l’expérience sensible ou empirique.
Citons par exemple l’âme humaine, les essences, l’être [= esse ] en général (le fait qu’il y ait des étants [= ens]),
l’Etre subsistant en Soi que nous appelons Dieu, …
La question qu’il convient alors de se poser en entrant dans ce cours est la suivante : Peut-on avoir une
connaissance certaine en métaphysique ? Ma raison peut-elle atteindre des vérités métaphysiques ?
(Si je réponds non, alors je me situe dans la lignée protestante puis kantienne (et finalement moderne)
selon laquelle la raison a été pervertie par le péché de telle sorte que de telles vérités métaphysiques lui sont
définitivement inaccessible. La raison est la prostituée du diable, selon Luther.)
a- Aristote.
Le principe de non-contradiction fonde toute connaissance, et toute possibilité de connaissance humaine
s’énonce ainsi, dès Aristote : « Il est impossible que le même attribut appartienne et n’appartienne pas en même
temps, au même sujet, sous le même rapport »2.
Si S est P, alors S n’est pas non-P.
Contre ceux (sophistes, relativistes…) qui voudraient nier ce premier principe, le principe dit « de
rétorsion » les en empèche : Affirmer comme Protagoras la relativité de toutes les opinions et l’impossibilité de
toute connaissance vraie, c’est déjà poser cette relativité et cette impossibilités comme connues avec certitude, et
c’est donc se contredire en acte. On voit de la sorte qu’il y a des affirmations qui se détruisent d’elles-memes3,
parce qu’elles sont minées d’une contradiction interne, exercée. Celui qui affirme que le principe de non-
contradiction n’est pas valable applique en même temps le principe en question : il établit une contradiction
irréductible entre le principe et sa propre position qui le rejette, et il déclare que son rejet est valable alors que le
principe ne l’est pas. Il utilise donc le principe de non contradiction pour tenter de le nier. (comme on aurait besoin
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du ppe pour le nier, on ne peut le faire). Seul le silence absolu ne confirmerait pas le principe, mais si
l’objectant se tait définitivement, il ne peut être réfuté. Aristote dit qu’il est comme une plante, et « une buche ne
peut être réfutée ».
b - Augustin
« Pour partir d’une vérité claire, je te demanderai d’abord si toi-même tu existes. Mais peut-être crains-tu
de te tromper en cette question, quand tu ne pourrais certainement pas te tromper si tu n’existais pas ? » (De
libero arbitrio, II,III,7) « Celui qui n’est pas, ne peut pas non plus se tromper; c’est pourquoi si je me trompe, je
suis » (De Trinitate, XV, XII,21)
c – Thomas d’Aquin
« Personne ne peut penser qu’il n’existe pas, en donnant son adhésion à une telle proposition, en effet, du
fait même qu’il pense quelque chose, il perçoit qu’il existe » et dès lors, personne ne s’est jamais trompé en ceci
qu’il n’aurait pas constaté sa propre existence. (G.Isaye, citant De Veritate q.10 a.12, ad.7)
« Il existe de nombreuses propositions telles que le fait de les nier contraint à les affirmer. Par exemple,
nier que la vérité soit, c’est affirmer au contraire qu’elle existe ; on affirme au contraire que la vérité énoncée est
vraie » (C.Gentiles, 1.II, c.33, Amplius). C’est le ppe d’objectivité que ThA place logiquement avant la non-
contradiction : veritas est, il y a une vérité que l’on peut connaître ; Le nier revient à l’affirmer ; l’objection révèle
ainsi qu’au fond, en acte, l’objectant est d’accord avec le principe qu’il croit combattre : lui aussi affirme qu’il y a
bien quelquechose de vrai. Ainsi si l’on peut dire ce que l’on veut (« un cercle carré » par exemple), il n’est pas
toujours possible de le penser réellement et moins encore d’agir n’importe comment : les actes ont leur propre loi,
et ce sont eux qui jugent les paroles.
Le principe de rétorsion s’exprime ainsi chez ThA : « il en va de même de celui qui nierait le principe selon
lequel les deux termes d’une contradiction ne sont pas simultanément vrais. En effet, si on le nie, on dit que la
négation énoncée est vraie, tandis que l’affirmation contraire est fausse : par là même, on dit que l’un et l’autre ne
se vérifient pas au sujet du même ». (S.C.G. 1.II.c.33,Amplius).C’est à dire que deux propositions, dont l’une est
la négation pure et simple de l’autre , ne peuvent être vraies en même temps. La réalité demeure stable,
inchangée car elle ne dépend pas de notre bon plaisir. En tentant de nier le ppe de non-contradiction, l’adversaire
concède en fait, c’est à dire en acte, les premiers principes qu’il conteste en paroles.
(Cf G. ISAYE, L’affirmation de l’être et les sciences positives, textes présentés par M.Leclerc, Presse
universitaires de Namur, 1987)
2 – Ecriture et Magistère.
• De même, la Bible et la Tradition de l’Eglise affirment que la raison naturelle possède suffisament de
lumière pour atteindre en partie le mystère de l’être, et celui de Dieu.
• Le péché originel a certes affaibli les capacités humaines (dérèglement de l’harmonie corps & âme =
concupiscence) mais sans les corrompre
• Sans l’aide de l’ES, la raison humaine peut élaborer des sciences vraies et valides. Mais plus encore :
⇒ malgré les difficultés, l’homme peut connaître Dieu par lui-même, comme créateur du monde. Deux textes
notamment fondent cette position :
- Sagesse 13,1-5.9 (les hommes ont pris les éléments naturels pour dieux) :
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« Oui, vains par nature tous les hommes en qui se trouvait l'ignorance de Dieu, qui, en partant des biens visibles,
n'ont pas été capables de connaître Celui-qui-est, et qui, en considérant les oeuvres, n'ont pas reconnu l'Artisan. Mais c'est le
feu, ou le vent, ou l'air rapide, ou la voûte étoilée, ou l'eau impétueuse, ou les luminaires du ciel, qu'ils ont considérés comme
des dieux, gouverneurs du monde! Que si, charmés de leur beauté, ils les ont pris pour des dieux, qu'ils sachent combien leur
Maître est supérieur, car c'est la source même de la beauté qui les a créés. Et si c'est leur puissance et leur activité qui les ont
frappés, qu'ils en déduisent combien plus puissant est Celui qui les a formés, car la grandeur et la beauté des créatures font, par
analogie, contempler leur Auteur.s'ils ont été capables d'acquérir assez de science pour pouvoir scruter le monde, comment n'en
ont-ils pas plus tôt découvert le Maître! "
Romains 1, 18-23 (les hommes n’ont pas découvert Dieu malgré leur raison).
"En effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui tiennent la vérité
captive dans l'injustice; car ce qu'on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste: Dieu en effet le leur a manifesté. Ce qu'il a
d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à l'intelligence à travers ses oeuvres, son éternelle puissance et sa divinité,
en sorte qu'ils sont inexcusables; puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu gloire ou actions de
grâces, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements et leur cœur inintelligent s'est enténébré: dans leur prétention à la
sagesse, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image
d'hommes corruptibles, d'oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles."
Ccl : la simple raison, sans l’aide de l’ES, peut remonter jusqu’à l’existence de Dieu, comme
Cause et Finalité du monde, et même jusqu’à la Trinité en Dieu.
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nota : 4 questions annexes
1 – pourquoi, si l’existence de Dieu est démontrable par la raison humaine, certains hommes
continuent-ils à la nier ? il faut bien comprendre que l’acte de foi n’est pas seulement un acte d’adhésion
intellectuelle, mais qu’il est d’abord un engagement de notre libre volonté à croire que Dieu existe. Certains
peuvent, contre toute évidence intellectuelle (le monde qui existe a une cause évidente), nier et refuser l’existence
de Dieu. C’est de la mauvaise volonté.
L’acte de croire est un acte de l’intelligence qui accepte en toute liberté et confiance une réalité qui la
dépasse. La foi est donc une capacité habituelle de l’intelligence, qu’elle perfectionne.
La foi est donc une adhésion libre de notre intelligence, sous la motion de notre volonté, elle-même mue
par la grâce. Car les vérités de foi ne sont pas des évidences humaines, logiques.
3 – quels sont les deux écueils de la raison lorsqu’elle n’est plus guidée de l’extérieur par la
« stella rectrix » de la foi ?
• Le fidéisme :
- repose sur le présupposé que la raison est souillée par le péché et incapable d’arriver à la vérité
(protestantisme).
- je crois sans réfléchir. Risque : superstition, fanatisme…
- En fait, ma raison est toujours à l’œuvre dans l’accueil de la Révélation (ne serait-ce que dans son usage
du langage : je crois avec des mots, et Dieu s’est révélé en employant le langage rationnel des hommes.)
• Le rationalisme :
- la foi serait intégralement raisonnable (mystères y compris).
→ La position de Duns Scott répond à beaucoup de questions, par exemple à la position de St Augustin qui dit que l'homme a un désir naturel
de voir Dieu. Ceci dit, la position de Scott ne reste qu'une hypothèse spéculative…
L'incarnation a deux motifs, de facto : nous avons péché donc le Verbe s'est incarné pour nous sauver mais il y a aussi le fait que le Christ s'est
incarné pour nous glorifier comme il l'a fait déjà pour la Vierge Marie.
Le thomiste pur insiste sur le côté tragique de l'histoire du Salut. Il est quelque fois doloriste
Le scotiste pur insiste sur la grandeur de Dieu et la grandeur de la destinée humaine et sa glorification au risque d'être parfois un peu trop
optimiste et d'oublier la notion de péché.
→ On peut constater néanmoins que la présence scotiste est beaucoup plus prégnante dans l'Eglise depuis le Concile Vatican II.
L'impassibilité, l'immortalité et la préservation de la concupiscence….les trois sont très liés et sont un même don. A l'origine, l'homme maîtrisait
son corps. Qu'est-ce que la souffrance, sinon la révolte de l'âme contre le corps et la mort, sinon la séparation de l'âme et du corps?
Cet état était parfait et il a été librement cassé par l'homme, car l'homme a voulu se faire Dieu et décider lui-même de ce qui est bien et de ce
qui est mal. Le livre de la Genèse nous dit que l'homme fut en conséquence privé de l'amitié intime avec Dieu, quand il a été chassé du paradis.
D'où l'institution du baptême. Il a donc été aussi privé des aides surnaturelles qu'il connaissait avant. D'où la souffrance, la mort et le
dérèglement de la concupiscence. Mais Dieu ne s'est pas contenté de cette brisure et il a envoyé son Fils pour nous sauver (nous rétablir dans
l'amitié avec Dieu) et d'autre part pour nous diviniser et nous introduire par pure faveur dans la gloire et la vie de la trinité.
• La grâce est le don gratuit que fait Dieu de lui-même à l’homme. Par elle, il divinise l’homme.
• La nature est donc le sujet récepteur de la grâce. Elle est l’homme tel qu’il est avant de recevoir la grâce. L’homme est homme sans
le secours de la grâce. Il a une consistance naturelle. Il est un animal spirituel, ayant la capacité de connaître et d’aimer.
• La philosophie est rationnelle, et donc naturelle. Mais la foi est surnaturelle, et touche donc à la grâce. Le rapport de la philosophie à
la foi est donc lié à celui qui unit nature et grâce. Ma raison peut elle arriver jusqu’à démontrer la foi chrétienne ? la foi est-elle rationnelle et
donc universelle ?
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- lié à l’orgueil de la raison
La Métaphysique sollicite la capacité d’abstraction au plus haut niveau. Elle sollicite la capacité à voir au
delà de ce qui apparaît au premier abord. Elle est capacité de vision intellectuelle. Ce que la Métaphysique
essaye de voir, c’est l’ETRE.
Cette définition d’Aristote (reprise par Thomas d'Aquin) définit la métaphysique comme une science, mais
pas dans le sens où l’on entend aujourd’hui le mot science (science positive). Aujourd’hui, nous dirions plutôt
qu’elle est une sagesse.
Elle est donc la science de l’étant, la science de ce qui est, de ce qui existe. C’est à dire la science du
Tout. Rien n’échappe à la métaphysique, même pas les illusions ou les pensées. C’est la science de ce qui existe,
en tant que cela existe.
Ex : la feuille est un étant. Je peux l’étudier sur d’autres plans (pragmatique : elle me sert / sensible : elle
est blanche / quantitatif : elle fait 21 sur 29 cm / chimique : molécules…). Le premier plan est le plan
métaphysique, sans lequel les autres plans ne seraient pas.
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2 - L’être est l’horizon trans-objectif de la métaphysique.
Prenons l’image de l’horizon (métaphore). Il est ce sur quoi les choses se détachent quand nous les
contemplons, le fond sur lequel se dessinent les objets. Mais nous ne pouvons le circonscrire, le limiter. De même,
l’être est le fond illimité sur lequel se détachent toutes les choses. Il est infini, et sur lui se détachent les choses
finies (étoiles, lune, silhouettes…).
On peut mettre toutes les choses ensembles, on n’aura pas fait le tour de l’être. Il n’est pas la somme
arithmétique de tous les étants. Il est le fondement du possible (et le possible est infini, illimité). On peut
toujours imaginer des choses qui n’existeraient pas encore.
L’être est indéfiniment participable, mais sans être jamais épuisé. Un nombre illimité de choses peuvent
participer à l’être (ex : la suite des nombres est illimitée potentiellement, même si effectivement elle est finie : la
quantité de choses qui existent effectivement est finie, mais le nombre des choses qui pourraient exister est infini :
c’est un potentiel infini négatif, c’est une ouverture, car cet infini ne se réalise jamais. Personne dans ce monde ne
pourrait arriver au bout de l’être, ou dénombrer tous les nombres). L’être lui est positivement infini. Nous le
verrons.
Trans-objectif de l’être ? «objectif» est à comprendre dans le sens de Kant : ce qui peut être mesuré,
dominé, maîtrisé. Trans- signifie au-delà. L’être est trans-objectif signifie donc qu’il ne peut pas être mesuré,
délimité. Il est au-delà des objets. L’acte d’être de mon stylo ne peut être mesuré. C’est l’être qui nous maîtrise et
nous domine, et non le contraire ;
Maritain, reprenant la terminologie de G.Marcel, dit que « l’être n’est pas un problème mais un mystère »
(il n’est pas maîtrisable. On n’a jamais fini de le comprendre, de le méditer).
L’acte d’être est l’objet de la métaphysique. Mais ce sur quoi porte la métaphysique finalement est Dieu.
Nous le verrons. Le mot «être » est adéquat seulement pour Dieu.
(Ce cours prend la position du réalisme métaphysique, dans la tradition thomiste, rejeté depuis le XIV°5).
1 – rationnelle : c’est une discipline philosophique, donc rationnelle : sa réflexion se développe d’un effort
de la raison.
2 – universelle : Or la raison est universelle donc la métaphysique prétend à l’universalité.
3 – guidée (de l’extérieur) par la vérité de la foi : la raison est cependant entachée par le péché et a
besoin du secours de la grâce pour avancer sans s’égarer. Pour la métaphysique, ce secours de la grâce divine se
manifeste par le recours à la foi comme référent ou guide, comme « stella rectrix » (Léon XIII)
4 – philosophie première : comme « science des causes premières » (Aristote), ou comme « philosophie
de l’être en tant qu’être », c’est à dire de l’être en général, et donc de tous les étants, de tout ce qui existe, elle
est la philosophie première, à la source de toutes les autres philosophies.
5 – sagesse : elle est le premier des 3 niveaux de la sagesse (métaphysique, théologique, mystique)
6 – servante de la théologie.
7 – ordinatrice des savoirs: en tant que cœur de la philosophie ou tronc central, elle est celle à partir de
laquelle toutes les philosophies se déploient : en cela elle les ordonnent, les classes, délimitent leur champ
d’investigation. On parle de « science reine ».
5 Pour tous les représentants des nominalistes et positivistes, depuis, la métaphysique est aberrante car la connaissance humaine ne peut
dépasser ce qui va au-delà des phénomènes. La métaphysique a été aussi rejeté par un certain protestantisme pour des raisons théologiques
(la raison prostituée). Une certaine tradition a défendue la métaphysique mais en oubliant l’être (Descartes, Spinoza). Ils oublient que l’objet de
la métaphysique est non-maitrisable. Chez Descartes, l’objet de la métaphysique est le « moi, le monde et Dieu ». Chez Spinoza, son seul objet
est la Substance, à la manière géométrique. Chez Hegel, c’est l’Idée qui est le but de sa métaphysique, est l’idée est Dieu. Il y a une réduction
de Dieu à nos catégories. Comment ce rationalisme et cet idéalisme sont-ils une perversion pour la métaphysique ?
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8 – contemplative : en tant que sagesse, elle est inspirée par quelque chose qui dépasse l’homme :
le mystère de l’être. Elle ne s’ouvre à lui que dans une attitude d’accueil amoureux, c’est à dire de contemplation.
(méta – physique signifie sur-naturel)
9 – scientifique : (au sens qu’Aristote donnait à la science, c’est-à-dire un savoir véritablement
explicateur par les causes); comme la théologie.
Il y a donc des questions tellement profondes que tous les hommes se les posent sans exceptions : ces
questions sont d’ordre métaphysique.
Elle sont non pas de l’ordre du « comment » (c’est à dire du fonctionnement) mais de l’ordre du
« pourquoi » (c’est à dire du sens, comme signification et direction).
• Comment j’existe ? : la médecine ou la biologie répond à cette question.
/ Pourquoi j’existe ? : la métaphysique donne une réponse rationnelle à cette question
• Comment le monde existe ? : L’astrophysique, et la cosmologie répondent.
/ Pourquoi le monde existe ? : la métaphysique …
• Comment découvrir le Vrai, le Bien, le Beau?: l’épistémologie, la science, la morale, l’art répondent
/ Pourquoi les découvrir ? : la métaphysique répond.
Etc…
D’une façon générale, la métaphysique répond à des questions sur l’être qui sont tellement générales et
profondes qu’elles sont universelles et trans-historiques :
• « pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ? » (la question ontologique)
• qu’est-ce qu’être? Qu’est-ce que l’étant ou l’existant? Qu’est-ce qu’exister, pour la personne humaine que
nous sommes certes, mais aussi pour les cailloux du chemin, les arbres qui le bordent et les oiseaux qui chantent
sur leurs branches? (réincarnation, différence homme – bêtes…) ? En tous ces étants, le mystère de l’être ou de
l’existence est réalisé bien différemment, et pourtant c’est toujours ce mystère d’être ou d’exister qui est réalisé
sous tel ou tel mode.
• qu’est ce qui est commun à tous les êtres ? (si une science me dit ce qui est commun à tous les êtres,
elle va du même coup me permettre d’ordonner toutes les autres sciences, qui me donnent des vérités partielles
sur les êtres : leur vérité biologique (médecine), quantitative (mathématique), sociale (politique), chimiques
(physiques), etc…)
• le monde existe-t-il par lui même (né du hasard) ou bien doit-il avoir une cause extérieure à lui-même ?
Est-il nécessaire ou contingent ? S’il est contingent, comment définir cette cause extérieure ?
• Cette cause extérieure au monde matériel est donc spirituelle : qu’est ce qu’une nature spirituelle ?
• Si je suis capable de penser une nature spirituelle extérieure au monde, c’est qu’il y a en moi quelque
chose de spirituel également, autrement dit quelque chose qui dépasse la matière en moi : un esprit, une âme.
Cette âme n’a a priori pas de raison de disparaître quand la matière en moi disparaîtra ? Suis-je immortel ?
(question universelle…)
• Y a-t-il une vérité rationnelle immortelle ? le Bien, le Vrai, le Beau sont ils universels et immortels, ou
bien uniquement culturels et historiques ?
• les différents philosophes se contredisent très souvent entre eux : Si le Vrai est un, quelle est la part de
vérité dans chacune de ces philosophies humaines ? quels sont les critères pour délimiter cette part de vérité ?
quels sont les arguments pour dénoncer la part d’erreur ?
Toutes ces questions dépassent les sciences classiques (médecine, ethnologie, histoire, politique,
astrophysique, psychologie,…). Et pourtant elles traversent l’histoire…elles sont donc authentiques. Elles sont
inévitables.
La métaphysque donne donc des réponses rationnelles (convaincantes) à des questions que tout le
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monde se pose, à des questions universelles. (De là son pouvoir évangélisateur. Ex : les 5 preuves de
l’existence de Dieu.)
La métaphysique interroge l’étant en tant qu’étant, l’existant en tant qu’il existe, l’étant selon qu’il est,
qu’il exerce l’acte d’exister, en faisant abstraction de la matière. Comment se divise-t-elle ?
1. L’ontologie : partie consacrée à l’étude de l’étant fini (tel que nous pouvons l’appréhender dans le
champ de notre expérience extérieure ou intérieure) en tant qu’étant. C’est ce que l’on appelle l’ontologie (du grec
on, ontos, participe présent de einai (être), et logos (discours, science)). (on inclut parfois dans cette partie la
cosmologie, quand l’étant est le cosmos, la nature, ainsi que la psychologie quand l’étant étudié est l’âme).
2. la théologie rationnelle ou naturelle, ou ontothéologie : Par la médiation de l’étant fini ainsi
connu, la réflexion s’élève à sa Cause première qui est Dieu, et ce sera la partie de la métaphysique que l’on peut
appeler théologie rationnelle ou naturelle (pour la distinguer de la théologie surnaturelle élaborée dans la lumière
de la foi révélée). La théologie, qui signifie bien étymologiquement la science (logos) ayant pour objet Dieu
(theos), est la partie principale de la métaphysique. En effet, l’étude de l’étant fini ne s’achève que par l’étude de
l’Etre même subsistant, infini, qui est Dieu, la première étude étant entièrement finalisée par la seconde. Tout le
dynamisme de la réflexion métaphysique est tendu vers l’appréhension intellectuelle, théologique, de la Cause
première qui est Dieu. C’est ainsi que saint Thomas définit un tel savoir métaphysique ou philosophie première.
Celle-ci, dit-il, trouve toute sa raison d’être dans la connaissance de Dieu, comme en sa fin ultime, d’où son nom
de science divine . En ce sens, on peut dire que la métaphysique est une théo-onto-logie.
3. Enfin, il y a tout une part réflexive et critique de la démarche métaphysique, qui est la métaphysique
de la connaissance. Quand l’esprit humain est capable de reconnaître ce qui est réellement, il peut alors
s’interroger ensuite réflexivement sur la nature et la valeur de sa relation au réel : comment penser le réel ?
comment penser l’être ? comment les grands philosophes ont-ils pensé le réel ? L’objet de cette troisième partie
de la métaphysique est donc de s’interroger sur le mystère de la connaissance humaine et sur sa valeur réaliste.
C’est ici qu’interviennent les positions critiques modernes et contemporaines de la métaphysique : Descartes,
Kant, Hegel, Heidegger, Sartre, etc…
A cette question : qu’est ce que l’être ? la philosophie a tenter de répondre depuis le commencement, c’est
à dire depuis en Occident, les présocratiques. A l’origine de la philo : émerveillement [thaumazein] par rapport à
l’être, et question ontologique : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? et finalement qu’est ce qui est ?
Le constat du devenir du monde confronté à la soif d’éternité donne naissance à la métaphysique.
(• Qu’est ce que l’être ? comment le définir ? que diriez vous ? la matière (l’eau,… les atomes…), donc ce
qui ne serait pas matériel n’existerait pas… Dieu, donc ce qui n’est pas Dieu n’existe pas ? la Substance éternelle
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et immuable ?)
Nous avons déjà fait allusion à eux. Il ne faut pas les mépriser.
Ils sont les premières réponses à ces questions essentielles et inévitables que tout homme se pose.
Ex : la mythologie grecque : le monde naît de l’union de la déesse Gaïa et d’Ouranos. cf. Homère
Ex : les mythes chez Platon :
- le mythe de la Caverne pour expliquer qu’il existe une Vérité unique, malgré le fait que tous les
hommes ne sont pas d’accord sur l’unicité de la Vérité.
- le mythe d’Er, pour expliquer que tous les hommes ont en eux l’idée du Bien, et que l’âme
immortelle sera récompensée selon la justice (La République, L.X).
Ex : la mythologie orientale : Dans la Brahmanisme et l’Hindouisme, le Purusa est le géant primordial, le
Male cosmique, à 1000 têtes, yeux, pieds. De son dépècement naissent les 4 classes fonctionnelles indiennes :
(bouche : les brahmanes / bras : les guerriers / cuisses : les artisans / pieds : les serviteurs…).
Ex : les mythes gaulois, celtes, africains…
Ex : la Genèse. Mais attention, on ne parle pas de mythe à proprement parler, car c’est un récit inspiré
directement par l’Esprit Saint.
ces mythes sont la première métaphysique, première tentative de l’homme pour penser son origine sur-
naturelle. Il y a dans ces mythes des thèmes communs universels, qui prouvent une Vérité Une.
- ex : l’age d’or, ou age primordial, quand l’homme vivait en harmonie avec Dieu, avec la nature et avec
lui-même (dans l’hindouisme, le Krta Yuga. Aujourd’hui nous sommes dans le Kali yuga // Eden) (Cote d’Ivoire :
« Du temps où les animaux parlaient comme les hommes… »)
- ex : le couple fondateur.
Quand le mythe est dépassé par une pensée organisée et rationnelle, naît la philosophie, et c’est les
Grecs qui les premiers ont eu cette audace de dépasser le mythe par un discours rationnel et articulé6. Voyons à
proprement parler les tentatives philosophiques :
B - un première tentative de réponse : l’Ecole de Milet – Thalès (env. 625 av JC) - Démocrite
- pt de départ : le constat du changement. Tout change, tout évolue, et meurt, alors qu’est ce qui ne
meurt pas… ? la bûche qui se consume … le navire… l’homme…
- 1° question : « Qu’est ce qui demeure et persiste à travers tout le changement ?» première réponse :
la « sub – stance » de l’étant. il doit y avoir une substance qui demeure pour préserver l’identité. Si tout a changé
en moi, par exemple, je ne suis pas le même être que j’étais il y a 20 ans.
- 2° question : « Quelle est la nature de cette substance qui persiste à travers le changement ? ». les
choses changent, mais leur être demeure : rien ne disparaît dans le néant. Qu’est ce qui demeure ? la
substance qui est au fond de tout ce qui se transforme en toute chose, c’est l’eau. La substance de l’être est faite
d’eau. D’autres diront : le feu, l’air, l’infini… vision encore spatiale de l’être. Mais les premiers, ils s’interrogent sur
le Principe des choses.
Pour Démocrite, l’être est composé de petites particules de matières : les atomes. C’est l’atomisme, qui
demeure encore aujourd’hui dans les philosophies matérialistes comme le marxisme, ou le scientisme athée : le
spirituel (l’âme, Dieu, les anges…) n’existe pas. Tout est fait d’atome.
6 Le cadre de cet effort audacieux est la polis grecque, organisée, hiérarchisée. Elle est le lieu d’organisation du langage, du droit, du concept… L’agora.
- 12 -
C - Héraclite (550 – 480 av JC - École Ionienne) : être et devenir.
Qu’est ce qui demeure à travers le changement ? L’instabilité, le changement lui même est ce qui
demeure. Tout dans la nature est en mouvement, et rien n’existe en soi, il n’y a pas de substance sous le
changement. Pas d’identité. Le réel est toujours un combat entre des forces contraires qui s’opposent. « Le combat
est le père de toute chose ». A part le devenir, il n’y a rien. L’être est devenir. « Tout s’écoule… » « On ne se
baigne jamais deux fois dans le même fleuve »… Héraclite met donc l’accent sur les contraires, sur le changement,
sur le combat, sur l’écoulement. L’être est « feu », dans le sens que le feu consume tout, est insaisissable, principe
destructeur et vivifiant, à la fois guerre et raison harmonieuse... La seule substance pour lui est le changement lui
même, mais le changement est régulé par l’harmonie des contraires, qui s’équilibrent mutuellement. Il y a donc un
principe régulateur : le logos. (Retour cyclique de toute chose, sur 18 000 ans …) (Hegel – Nz)
Parménide prend lui la position inverse : « l’être est et le non-être n’est pas ». Le mouvement et le
changement sont illusoires, et Parménide insiste donc sur l’être au dépend du devenir. Ce qui est en vérité est ce
qui demeure. L’être est donc immuable et nécessaire. Il ne peut pas ne pas être. (De cette école, les paradoxes
de Zénon, pour montrer que le changement bien qu’apparemment évident est en réalité illusoire…). C’est un peu
Parménide qui commence le premier à considérer l’être pour lui-même : il n’élabore pas une science de l’être en
tant qu’être comme le fera Aristote, mais il nous donne déjà sous une forme poétique un véritable discours
philosophique sur l’être, unifié, transcendant la simple matière, éternel. «l’être est et il n’est pas possible qu’il ne
soit pas » (poème de Parménide, frag II dans l’édition PUF de J. Beaufret, p 78). Parménide découvre l’absolue
transcendance de l’être qui est au delà du devenir et de toute corruptibilité.
De cette affirmation : « le non-être n’est pas » naît la philosophie réaliste : il est inutile de penser ce qui
n’existe pas réellement, ie ce dont le réel ne donne aucun indice. « on ne peut saisir par l’esprit le Non-être,
puisqu’il est hors de notre portée ; on ne peut pas non plus l’exprimer par des paroles ; en effet, c’est la même
chose que penser et être». (Parménide, De la Nature).
Il est le Père de l’idée d’être.
Attention, ne nous méprenons pas sur ce que Parménide met derrière le mot être. L’être est pour lui
l’ensemble de ce qui est, et qui se suffit à soi même. L’être est selon lui quelque chose de profondément divin,
mais sans aucune personnification. L’idée d’un Dieu personnel, comme celle d’un Dieu créateur, lui était étrangère.
Caractéristique de l’être chez Parménide :
1. unique et universel
2. inengendré (du non-être rien ne naît) et incorruptible (car tout changement présuppose un manque)
3. homogène (sans division ni discontinuité)
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Ch I – L’entrée en Métaphysique
La métaphysique a donc pour objet même l’étant en tant qu’étant, et cela en vue de la connaissance de sa
Cause première. Il convient alors de voir comment le métaphysicien appréhende intellectuellement l’étant,
comment il entre en dialogue avec lui…C’est l’ontologie.
La métaphysique est donc une perception par notre intelligence de ce qui est en tant que cela est. Nous
verrons comment cela est possible.
La plupart de gens vivent dans le monde comme fasciné par lui, et sans prendre de recul face aux étants
dans leurs diversité pour se demander ce qui se cache derrière les étants, c’est à dire sans s’interroger sur le
mystère de l’être. il y a comme un myopie volontaire de l’intelligence qui voit le monde de près, mais pas de loin,
sans hauteur ni recul. Je me trouve comme embarqué dans l’existence, et mon rapport au monde est sur le mode
du faire, de l’avoir ou du pouvoir, mais pas de l’être. Or avant de faire ou d’avoir, je suis. Et il en est de même
pour tout objet. Tout objet, avant d’être tel ou tel, d’avoir tel usage, tel fonction, telle caractéristique : il existe. Il
est dans le monde, dans l’être.
Ex : telle plante. Avant d’être décorative, curative, transformable en parfum, etc…elle est.
Ex : mon crayon sur la table. Il est en bois, il est jaune, avec une pointe dorée, et il écrit noir. Ce crayon
est un étant, mais son être n’est pas en bois, ni jaune ou doré, et l’on ne peut se servir de son être pour écrire.
Son être est donc une de ses caractéristiques, mais comme au delà de tout ce que je peux en décrire de mon
crayon. Or, si j’enlève toutes les autres caractéristiques, il n’est plus. Il perd son être. L’être n’est pas « ce qui
reste ». Il disparaît lui même avec toutes les qualités sensibles et avec l’utilité du crayon, et pourtant il est
quelque chose d’autre que ces qualités et cette utilité. En ce sens, on peut dire que ses qualités et cette utilité
dissimulent son être. L’étant est à la fois la manifestation et l’écran de l’être. Heidegger l’a très bien compris.
La disposition de base de la réflexion métaphysique est donc cette disposition d’accueil de l’être. Elle se
traduisait chez les grecs par ce sentiment d’émerveillement dont nous avons parlé. Mais peu à peu cette capacité
d’accueil de l’être s’est émoussée, endormie. Heidegger au XX° incite à ce réveil de la réflexion métaphysique
originelle en se reposant la question ontologique : Pourquoi l’être ? il interroge notre Da Sein, notre être là, jeté
dans ce monde.
Encore une fois, ce mystère de l’être se contemple (comme tout mystère), se laisse accueillir, et nourrit
une sagesse, une hauteur de vue, qui recherche les causes premières. Cette disposition d’accueil est
consentement à l’être, silence actif et attentif de notre esprit.
Saisir l’étant en tant que telle se fait de façon intuitive (et non discursive), d’une façon immédiate,
antérieure à tout raisonnement. C’est de l’ordre de la vision, de l’appréhension directe. C’est le premier instant de
la réflexion métaphysique, comme avant de reconnaître telle ou telle personne ou objet, je l’aperçois. C’est le
moment zéro.
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Quand l’objet perçu est nous même, nous vivons une expérience métaphysique profonde : la prise de
conscience de notre existence dans le monde. Je suis, j’existe, j’ai été tiré du néant. Je suis là, dans ce monde,
dans cette réalité qui m’entoure. Avant même de me sentir vivre, respirer, je me sens exister. Je sens le poids, la
densité de mon être, de mon existence. Je suis plongé dans l’être, dans la réalité. Je possède l’être, je possède
une existence : je suis un existant. C’est la perception de la réalité du moi, expérience forte comme le décrit Jean
Paul Sartre dans La Nausée. (nb : ça n’est pas l’expérience psychologique que j’ai une identité propre, une
personnalité distincte, un caractère unique, une psychologie…expérience que l’enfant fait à l’adolescence. C’est une
expérience bien plus profonde et antérieure : avant d’avoir telle ou telle psychologie, j’ai l’être). « Tous les
hommes ont connu cet instant singulier où l’on se sent brusquement séparé du reste du monde par le fait qu’on
est soi-même et non ce qui nous entoure » (JP Richter). Chaque étant, chaque objet traduit ainsi une humble
victoire sur le néant, par le simple acte miraculeux d’exister. Chaque étant pourrait ne pas être et pourtant, par
miracle, il est , et il est réellement.
Je prends bien conscience que cet étant n’est pas l’existence même mais qu’il y participe. Il participe à un vaste
phénomène qui m’enveloppe également : il participe à l’être. il est embarqué dans la grande aventure du réel. ThA
dit que chaque étant est un «ayant l’être» (un habens esse). (Exclus des ayant l’être : tous ce qui est de l’ordre
du simple imaginaire, du fictif, etc…). Le jugement d’existence que je porte sur un arbre par exemple est donc
premier et bien plus profond que tous les autres jugements que je pouvais porter sur cet arbre : il est grand, vert,
en okoumé, etc… le jugement envisage l’étant sans aucune détermination individuelle, sensible ou même
quantitative, mais uniquement en tant qu’étant, dans toute son universalité.
Quand je pose une jugement, je compose un sujet et un attribut : S est A (l’arbre est vert)
Concrètement, nous voyons bien qu’il convient de distinguer :
1 – le jugement d’existence : l’arbre est.
2 – le jugement d’attribution : il est vert, grand, etc…
En posant un jugement d’existence sur un étant particulier, du même coup je constate que cet étant n’est
pas le seul existant mais qu’il participe à l’être en général. Il n’est pas l’être en général mais il y participe. Il
participe à l’existence, mais l’acte d’exister le dépasse. De ce point de vue, il est limité.
Et en même temps, le fait qu’il soit limité, qu’il ne fait que participer à l’acte d’être mais qu’il n’est pas
l’être en général, ce fait le particulariste et fait qu’il est ce qu’il est.
Ex : quand je dis « l’arbre est », je dis du même coup qu’il n’est pas autre chose que l’arbre : il n’est pas la
fleur, ni la voiture, ni la pierre. Il n’est pas l’être en général, l’ensemble de tous les étants. Et c’est pour ça qu’il est
ce qu’il est : un arbre. Sa limite, sa finitude le délimite, le particularise et finalement le définit (comme arbre).
Pour lui, être cet existant-ci, c’est nécessairement en même temps ne pas être cet existant là, et par
conséquent, ne pas être l’Existence pure (mon crayon n’est pas mon bic, ni tous les autres crayons, ni tous les
autres étants, ni donc l’Existence pure : il est mon crayon et il n’est que ça).
L’existant n’est nécessairement appréhendé que comme fini dans son acte d’existence même. ThA :
« L’étant se dit de ce qui participe à l’existence de manière finie ».
Cette intuition intellectuelle de l’être est le premier pas de la métaphysique.
- 15 -
III – Première approche métaphysique de l’étant :
Puisque l’étant en tant qu’étant est le premier objet de la métaphysique, essayons de le définir plus
clairement, d’abord de façon négative (ie ce qu’il n’est pas)
1. – L’étant métaphysique n’est pas synonyme de la matière, comme une espèce de matière brute et
indifférenciée, qui serait par la suite : bois, lourd, tiède, vert etc… il est au contraire ce dont l’acte est d’exister au
delà des conditions matérielles de l’existence sensible. Nous sommes en métaphysique et non en cosmologie
2. - L’étant métaphysique n’est pas non plus à confondre avec les étants de la logique, que l’on appelle des
« êtres de raison » (on dit qu’ils ont un être de raison, c’est à dire dans la raison, dans le raisonnement. Ils n’ont
pas un être réel.)
- les chiffres : 1,2,3…
- les symboles : A, B, C…
- les opérations : >, <, =>, +, -
(- certains prédicats : rouge, vert, jaune, chaud, froid, …)
etc…
ont un être mais c’est ce qu’on appelle un « être de raison », purement abstrait et intellectuel. Ils
ne sont pas des étants métaphysiques.
2. – conscience d’une soif d’infini et de transcendance en chaque homme, d’un désir métaphysique.
Ce savoir métaphysique est cependant caché dans le cœur des hommes puisqu’il en ressort par la
maïeutique (art d’accoucher dans les esprits les idées vraies dont ils sont porteurs7): la connaissance du Vrai
devient chemin de Vertu. (sagesse).
« Ma seule affaire, c’est d’aller par les rues pour vous persuader, jeunes et vieux, de ne vous
préoccuper ni de votre corps, ni de votre fortune aussi passionnément que de votre âme, pour la rendre aussi
bonne que possible »8 (Existence d’une âme, d’un Bien transcendant, etc…)
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Ch 2 – Métaphysique des causes.
Nb : Les causes matérielles et formelles sont intrinsèques à l’étant (agissent de l’intérieur), les causes
efficientes et finales lui sont extrinsèques.
Nb : tout étant a des causes, ce qui nous permet de remonter à une Cause efficiente première.
Nb : Dieu comme cause de l’être est cause de tout étant, mais cela n’exclut nullement l’action de causes
secondes (les créatures), tout aussi réelles.
Nb : l’effet préexiste dans la cause efficiente au moins en puissance, et celle-ci le transmet donc à l’effet.
(ex : la vie, la science, l’humanité)
Enfin, avec la modernité positiviste, la cause finale rejoint la cause formelle (le cosmos n’a pas de fin hors
de lui-même) et la cause matérielle se fond dans la cause efficiente (il a sa propre intelligibilité matérielle…). Dans
une pensée moderne très matérialiste et athée, toute causalité qui dépasse le strict champ de l’expérience est
mise en cause (forme (essence) des étants, efficience créatrice transcendante, finalité de l’univers…).
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III - Conséquences : Les 2 réductions modernes de la causalité.
1. La pensée moderne réduit le champ de la vérité à la simple vérité scientifique, expérimentable. Aussi, la
causalité principale reconnue par l’opinion moderne est la causalité efficiente immédiate. (ex : la cause de l’homme
= 2 cellules).
- ma cause matérielle : 2 cellules + la nourriture assimilée depuis ma conception…
- ma cause formelle : la vie, l’essence humaine.
- ma cause efficiente : mes parents, mais au delà, quelle est la cause de mon être ?
- ma cause finale : mon essence, ma nature pleinement actualisée.
On le voit, réduire la causalité de mon être à la simple causalité efficiente seconde, immédiate (mes
parents, 2 cellules…) est très simpliste. De même pour l’univers en général : l’astrophysique n’explique pas tout10.
2. La pensée moderne est également myope quant à la causalité première de l’être. Heidegger parle d’alétheia
pour revenir à ce dévoilement premier de l’être, à cette causalité première. Ainsi, par exemple, on entend
souvent : « les libertés humaines et divines s’opposent ». C’est simplement oublier que la liberté divine est cause
créatrice, efficiente et finale de la liberté humaine. Aussi, loin de s’opposer à la liberté humaine, elle la suscite au
contraire et la déploie. Comme le pianiste suscite la mélodie dans le piano. Ph 2,13 : « Dieu est là qui opère en
vous à la fois le vouloir et l’opération même au profit de ses bienveillants desseins ». Liberté divine et humaine ne
s’opposent pas, mais la première est cause de la seconde. De même, la grâce ne s’oppose pas à la nature, mais
l’accomplit. cf. GS 17 : « C’est librement que l’homme se tourne vers le Bien ». VS 40. Nous sommes causes
secondes de notre salut.
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Ch 3 – La Substance et les accidents, ou les genres suprêmes de l’étant.
La substance est donc ce qui me définit en soi, les accidents de cette substance sont des modes d’être
particuliers, des modalités d’existence qui viennent se rajouter à ma substance. Traditionnellement depuis Aristote,
la philosophie a retenu 9 modes spécialisés d’existence de l’étant, c’est à dire 9 manières d’être, 9 «catégories
accidentelles », ou « genres », ou « qualités », ou «prédicaments» : la quantité, la qualité, la position, le lieu, etc…
Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la substance et les accidents forment l’étant concret,
existant, mais pas de la même façon, pas à la même profondeur. La substance concerne son être même, son être
propre, alors que l’accident concerne son devenir. Ce qui change en moi (et dans tout étant en général), ce sont
les accidents, et pas la substance, qui elle est immuable. Voyons quelle définition donner de la substance d’abord.
La confusion classique en philosophie entre substance et accidents donne de fausses doctrines. Déjà du
temps des sophistes (V° av JC), on jouait sur ces confusions.
ex : • tout ce qui est rare est cher.
• Un cheval (substance) bon marché (acc) est rare,
• donc un cheval bon marché est cher !!
sol. le « tout » de la majeur se rapporte à une substance, pas à un accident.
I – La substance
A – définition de la substance.
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Dans notre vocabulaire courant, le terme « substance » nous sert le plus souvent à désigner des aliments,
ou des éléments chimiques. (ex: la substance de ce plat est à base de féculent…).
En métaphysique, la signification est ontologique : il désigne ce qui existe, en soi.
Aristote avait posé la question : «qu’est ce que l’être ?» ou plutôt « qu’est ce qui a l’être ? ». Il réponde
l’ousia (qui correspond en latin à essentia, substantif du verbe être, donc l’étant). La substance est l’être
singulier, qui a une existence distincte ou séparée, une existence autonome et propre. L’étant individuel existe en
soi : il n’est pas attribuable à autre chose mais est au contraire le sujet d’attribution irréductible des accidents ou
prédicats.
Thomas d’Aquin reprend cela pour dire que la substance est le sujet irréductible, individuel. Il n’y a rien de
plus à en dire que cela : elle est ce qui existe, ce qui sub-siste, sous les accidents. Seul existent les substances :
les accidents n’ont pas d’existence propre (l’homme en soi n’existe pas, ni le rouge en soi, ni le grand en soi,
etc…). Cependant en même temps, une substance n’existe que chargé de modalités accidentelles (Socrate
n’existe qu’avec une certaine taille, une certaine nationalité, une certain couleur…).
La substance est donc ce qui subsiste immuablement et individuellement comme sujet d’attribution des
accidents. On parle aussi d’essence (ie, ce qui est essentiel, c’est ce qui ne peut pas changer sous peine de d’être
autre).
Ex : Jean-Pierre, avant d’être séminariste, homme, congolais, rasé…il est un être personnel, unique,
singulier, un être en soi (différent de sa culture, de son état physique, de sa taille, de sa position, de sa
fonction…de tout ce que l’on peut dire de lui).
Ex : cette craie… je peux en dire beaucoup de choses différentes : elle est blanche, légère, ronde…mais
tout ce que j’en dis, je le dis de cette substance existante et individuelle, que je nomme « craie », toutes ces
caractéristiques, je les attribue à quelque chose : ce quelque chose, c’est le sujet substantiel qu’est la craie. Tout
accident ne peut exister que dans une substance.
1. – si on la considère en elle-même.
a- la substance est donc une essence à laquelle il convient d’exister en soi et par soi comme un
tout. Son acte d’exister est une subsistance.
b- elle est donc indivisible et immuable en tant que substance. Ce qui va changer, ce sont les accidents.
(si elle changeait en elle-même, ce serait cesser d’être, au profit d’une autre substance).
c- elle est intelligible par soi, et sensible par accident. C’est à dire que par elle-même, la substance
est inaccessible au sens, invisible, intouchable… elle ne peut être que conçue intellectuellement, saisie comme
concept abstrait. Ce que je vois et touche, ce sont les accidents : c’est du coloré, du tiède, du résistant,… non la
substance comme telle. La substance est pur objet d’intelligence, l’intelligence étant seule capable de saisir,
de concevoir l’étant en tant qu’étant.
Nb : on comprend que la substance de l’être, parce qu’elle n’est pas sensible, mais intelligible, n’est pas
facilement expérimentable, démontrable (ex : existe-t-elle sous les accidents ? suis-je ? …). Nous voyons là le rôle
bénéfique de la « stella rectrix » de la foi, qui me dit que j’existe en réalité, comme un être personnel, créé par
Dieu, dans un monde lui aussi fait d’étants réels, individuels et non illusoires… Non éclairée, la philosophie risque
de s’égarer sur des fausses routes : la sophistique, le nominalisme (Cf. la Querelle des Universaux), le solipsisme,
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l’empirisme, le matérialisme, et sur le plan idéologique, le nazisme et tout racisme qui nie l’égalité
substantielle entre les hommes au nom d’accidents différents (judéité, couleur de peau, etc…)
a- la substance est le substrat (le support, le sujet ultime) des accidents. C’est précisément pour
signifier qu’elle soutient dans l’être ces modalités d’être de surcroît que sont les accidents qu’on la dit sub-stance
(ie ce qui se tient en dessous). Elle est l’étant au sens premier et tout étant accidentel n’est étant qu’en
dépendance d’elle. (les accidents n’existe pas en soi, mais seulement rapporté à une substance qui les porte : le
rouge, la grandeur, la nationalité gabonaise…). Aristote écrit : « elle est ce qui n’est pas prédicat d’un sujet, mais
c’est d’elle au contraire que tout le reste est prédicat »11.
b- elle est le sujet, la source de toutes les opérations : c’est elle le sujet qui cause et qui agit. (« le
sujet premier à qui appartiennent tous les attributs » ibid)
On distingue la substance première ou concrète : le sujet concret dans sa nature individuelle, unique,
irremplaçable, qui existe en soi et par soi. Ex : Jean Pierre, Paul, cet oiseau-ci, cette craie là…Cette substance
première n’existe pas dans un autre sujet qu’elle même. Aristote parle d’ être au sens absolu, Thomas d’Aquin
d’esse, ou d’existence.
La substance seconde ou abstraite, désindividualisée, abstraite et universelle: c’est l’essence abstraite du
sujet. On parle également de « quiddité », ou d’essence. Ex : la substance humaine, l’espèce humaine. Dans ce
sens, la substance de Pierre est la même que la substance de Paul : deux substances premières différentes mais
une même essence, quiddité. Elle n’est plus individuelle et unique, mais universelle, générique. Elle est seconde
parce qu’elle peut être attribuée à un sujet autre qu’elle même, ie elle peut être l’accident d’une substance
première : Socrate (substance première) est un homme (substance seconde, «accident » de Socrate).
Thomas d’Aquin : « On appelle substance, en un premier sens, la quiddité de la chose que signifie la
définition, et c’est ainsi que nous disons que la définition désigne la substance de la chose, substance que les
laquelle ne figure pas cet être lui-même ». cf. aussi Z,6. 1032a
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Grecs appellent ‘ousia’ et que nous pouvons appeler ‘essence’. On appelle substance, en un autre sens, le
sujet ou le suppôt qui subsiste dans ce genre de la substance » (ST Ia, 23, 2).
Attention : la Substance seconde (quiddité) n’est pas un des 9 accidents, mais est l’une des 10 catégories
de l’être. A la différence de la substance première, elle est mentale seulement : elle a une existence conceptuelle,
de raison, mais pas réelle.
II – les accidents
Ce que me montre l’expérience, ça n’est ni la substance comme telle, ni les accidents comme tels, mais la
substance concrète avec les accidents. (je vois un arbre jaune, et non un arbre d’un coté et la couleur jaune de
l’autre coté.)
Mais ces deux réalités distinctes sont l’une et l’autre de l’étant : au sens fort ou premier, l’étant est avant
tout l’étant substantiel (l’arbre), mais cet étant substantiel reçoit des déterminations secondaires qui lui donnent
d’exister sous une certaine forme, sous certaines modalités. Cet être second et relatif, qui n’existe que comme
affectant ou modalisant l’étant substantiel, c’est l’étant accidentel, qui est un étant de surcroît.
A – La nature de l’accident.
A la différence de la substance, l’étant accidentel a besoin, pour exister, d’appartenir à un autre étant
(substantiel) déjà existant. Il constitue une détermination seconde qui se surajoute à ce que le sujet est
foncièrement, à son être substantiel. C’est de l’«étant de surcroît» qui fait exister la substance sous quelque
rapport nouveau ou sous quelque modalité secondaire.
L’accident est donc bien de l’étant mais il ne peut exister comme un étant seul, sans le support de la
substance, à raison de soi. Il est « l’étant d’un étant » (ens entis), une modalité d’être relative à l’étant substantiel
qui seul subsiste en soi et comme un tout.
Def : l’accident = une essence à laquelle il convient d’exister en un autre (dans une substance).
C’est un étant, mais un étant relatif, diminué, dépendant totalement d’une substance.
On distingue simplement les accidents nécessaires des contingents selon la profondeur du lien qui les unis
à la substance. L’accident nécessaire est ce mode d’être qui dérive de la substance d’une manière nécessaire,
obligatoire. Ils sont les propriétés de la substance, dont ils sont inséparables. (ex : l’intelligence et la volonté sont
les deux accidents nécessaires de la substance spirituelle, mais ils en sont deux facultés, distinctes).
L’accident contingent survient à la substance de l’extérieur, sans nécessité absolue. (ex : être joyeux ou
triste…)
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III – Approche historique : les dix catégories accidentelles selon Aristote
• « L’Être se prend en plusieurs acceptions, mais c’est toujours relativement à un terme unique, à une
seule nature déterminée. (…). En chaque acception, toute dénomination se fait par rapport à un principe unique.
Telles choses sont dites des êtres parce qu’elles sont des substances, telles autres parce qu’elles sont des
déterminations de la substance, telles autres parce qu’elles sont un cheminement vers la substance, ou au
contraire des corruptions de la substance, ou parce qu’elles sont des privations, ou des qualités de la substance… »
(ARISTOTE, La Métaphysique, Γ , 2 - 1003 a)
• «L’Être se dit de l’être par accident ou de l’être par essence » (ARISTOTE, La Métaphysique, ∆ , 7 .
1017a)
• cf. aussi ARISTOTE, La Métaphysique, Ε,2. 1026 ab
précision : En fait, il conviendrait de distinguer les 10 catégories, dont fait partie la substance,
des 9 accidents, qui l’excluent.
Conclusion :
Voilà donc ce que l’on peut dire sur la division de l’étant : il est essentiellement substance (première, sujet
individuel) sur lequel se décline une infinité de modalités d’être accidentelles, modalités qu’Aristote a classé en 10
catégories (dont la substance seconde, nature, ou essence).
Cette division de l’étant est analogique : cela signifie que chaque catégorie existe dans un certain rapport
à la substance : ce rapport est celui d’un mode spécial de réalisation de la substance. (Quand je dis : « je suis
séminariste », le caractère séminaristique n’existe qu’en un certain rapport avec ma propre existence
substantielle).
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Ch 4 – Essence et Existence
Au Ch 5, nous appelerons actualité première (acte premier) l’existence de l’étant. Un étant concret est en
acte premier ce qu’il est concrètement aujourd’hui, ce qu’il manifeste dans son existence. Cependant, ce qu’il est
n’épuise pas ce qu’il est appelé à être (en acte second). (la graine n’est pas appelé à être seulement graine).
Cette distinction entre essence et existence a déjà été aperçue dans le Ch 3 (Substance et Accidents), où
nous avons nommé Substance première l’existence (individuelle, unique, etc…), et Substance seconde l’essence
(universelle, abstraite, désindividualisée…). Creusons cette distinction.
Ex : je partage mon essence avec 6 milliards d’être humains, mais mon existence m’est unique. Il y a donc
en moi un principe qui me rend semblable aux autres (l’essence humaine, l’humanité) et un autre qui me distingue
et me singularise (mon existence). Un qui m’universalise, un qui me limite et me détermine.
I – L’existant déterminé.
A – l’essence elle-même.
• Déf. : l’essence est donc le principe par lequel un étant est ce qu’il est.
Ex : je vois en face de moi une petite forme blanche, allongée, légère, immobile : je porte le jugement suivant :
« c’est une craie ». je définis ainsi l’essence de l’objet.
Ex : je vois devant moi une forme animée, de ma taille, à ma ressemblance, etc… je dis « c’est un homme ». je
commence par appréhender une existence en face de moi, puis par mon intelligence, je reconnais son essence.
1. L’essence est nécessaire. C’est à dire qu’il est impossible que les essences soient autres qu’elles ne sont.
Sinon, l’étant est autre.
Ex : les propriétés d’un triangle sont d’avoir trois cotés. Sinon ça n’est pas un triangle.
Ex : l’essence d’ «humanité» exige absolument les propriétés de sensibilité et de rationalité. Sinon, on a
autre chose que l’humanité : l’animalité, par exemple.
(Nb : un dictionnaire ne fait que reprendre les différentes propriétés d’une essence. Ex : déf d’une table :
« surface plane horizontale, généralement sur pieds, sur laquelle on pose des objets ». Ex : déf d’homme : « être
animal doué de raison et de sensibilité ».)
2. l’essence est immuable. Si je rajoute quelque chose aux propriétés de l’essence, je change d’essence. ex : si je
rajoute la rationalité à l’essence animale, je ne parle plus de l’essence animale, mais de l’essence humaine, de
l’humanité. Si j’enlève la sensibilité (liée au corps) à l’essence humaine, me voilà en présence de l’essence
angélique.
3. l’essence est intelligible. Elle est pour moi le principe d’intelligibilité qui fait que je reconnais et que je
comprends ce qu’exprime telle ou telle existence. Nous pensons et jugeons le monde en terme d’essence.
ex : quand je pense l’homme comme « animal raisonnable », je comprends qu’il est à la fois corporel,
matériel, sensible, animé, vivant, mortel, etc…et en même temps qu’il y a en lui le principe de son immortalité (la
rationalité est une propriété de la nature spirituelle qui, par son immatérialité subsistante, n’est pas susceptible de
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décomposition ou de destruction).
(nb : plus je reconnais d’essence et de propriétés des essences, plus je suis « intelligent ». Le petit enfant
apprend à reconnaître les essences, par sa question préférée : « papa, c’est quoi, ça… ? » !)
4. l’essence est en acte au point de vue de la détermination, de la spécification, et elle est en puissance
par rapport à sa réalisation.
Nous l’avons déjà abordé.
Je suis homme et pourtant je ne suis pas pleinement achevé comme homme. (je le serai au ciel). Ma
détermination actuelle, ma spécification actuelle est l’humanité. On me définit comme un homme. Pourtant, j’ai a
réaliser pleinement mon humanité : elle est encore en puissance sous bien des aspects. Je suis encore un étant en
puissance, en devenir. Mon essence existe en moi et se réalise en moi, mais d’une façon encore incomplète,
imparfaite : elle est en moi à la fois en acte et en puissance. En acte du point de vue de ma spécification (ce qui
me spécifie : homme, chien, bouteille…), en puissance du point de vue de sa pleine réalisation. Temporel.
Nb : Vocabulaire on parle aussi de « quiddité » pour désigner l’essence. On parle aussi de
« nature » : la nature humaine, la nature de tel ou tel étant. (Si j’ôte l’une de ses propriétés, il est dit
« dénaturé » : ce vin est dénaturé, c’est du vinaigre. Le degré d’acidité essentiel au vin a disparu)
L’existence est donc l’acte réalisateur de l’essence, qui donne à l’essence son ultime perfection, non pas
encore une fois dans l’ordre de la détermination ou de la spécification (mon humanité est imparfaite), mais dans
l’ordre de la réalisation. (Thomas d’Aquin dit que l’acte d’être est « l’acte des actes, et la perfection des
perfections »).
Ainsi, l’existence actualise l’essence en la réalisant concrètement, en la rendant réelle, en la
tirant du néant, et l’essence actualise l’existence en la réalisant ontologiquement, en la parachevant.
Toute essence qui ne réalise pas complètement sa définition est en puissance dans la mesure où elle
ne la réalise pas, et en acte dans la mesure où elle la réalise.
• Conséquences :
1 – L’acte d’exister inclut toujours une essence. Il est impossible d’exister sans être quelque chose. L’acte
d’exister implique toujours, dans l’étant fini, une essence qui le reçoit en le limitant.
2 - De l’acte d’exister, l’essence reçoit la totalité de sa réalité et donc la totalité de sa valeur intelligible
réelle. L’existence n’est pas un accident de l’essence, comme la quantité ou la possession. Elle est la condition
même d’existence et de l’essence et de ses accidents. Elle est au cœur même de l’étant.
3 – Du point de vue de l’existence, tous les étants sont semblables, et ont la même dignité. Pas du point
de vue de l’essence.
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II – La composition réelle de l’essence et de l’acte d’être dans l’étant.
Le 17 novembre 1979, le pape Jean Paul II rappelait que « la philosophie de St Thomas est la philosophie
de l’être, c’est à dire de l’actus essendi dont la valeur transcendantale est la voie la plus directe pour s’élever à la
connaissance de l’Être subsistant et Acte pur qu’est Dieu… » et il concluait « Pas même la théologie, par
conséquent, ne pourra renoncer à la philosophie de saint Thomas ».
Saint Thomas (1225-1274, Italie) est docteur de l’Eglise. On le nomme le docteur angélique (// St Augustin, le docteur
maléfique). Dominicain, élève d’Albert le Grand, il construit sa pensée à partir d’abord de la Bible, et de la philosophie d’Aristote,
qu’il fait connaître. Son école de pensée est souvent opposée à celle de St Bonaventure (Franciscain).
Il a écrit énormément, notamment la Somme Théologique, et la Somme contre les Gentils. Dans la ST, on distingue 3
parties, dont la seconde est séparée en deux. Chaque partie est divisée en questions, chaque questions en articles, qui répondent
à des questions précises, selon le mode médiéval classique (4 temps: les objections trouvées à la Thèse (pro), la Thèse elle-
même formulée par l’Écriture ou un Père (le Sed Contra), le développement de cette thèse par Thomas (Respondeo), et la
réponse aux objections premières (ad 1 , ad 2, …)). Voici le plan de la Somme Théologique :
• la prima pars (ST, Ia) : La Première Partie, Prima Pars, consacrée à Dieu comporte trois sections.
- La première concerne le Dieu unique (questions 2-26): son existence (2),ce qu'il n'est pas (3-13), son activité (14-26).
- La deuxième section aborde les Trois qui sont le Dieu unique (27-43) : la procession des personnes divines (27), les
relations divines (28), les personnes divines avec 1. les Personnes en général (29-32) ; 2. les Personnes en particulier : la
Personne du Père (33), la Personne du Fils (34-35), la Personne du Saint Esprit (36-38) ; 3. les Personnes dans leurs relations
(39-43).
- La troisième partie traite du Dieu créateur (44-119), elle comprend trois sections : 1. La production des créatures (44-
46); 2. la distinction des créatures (47-102) dans une triple considération : l'ange (50-64), l'œuvre en six jours (65-74) et
l'homme (75-102) ; la section trois aborde le gouvernement divin (103-119) qui après avoir traité du gouvernement du monde
par Dieu (103-105) parle de l'action des anges (106-114), du destin (116) et de l'action de l'homme (117-119). Cette première
partie de la somme est précédée par une introduction consacrée à la Théologie (1).
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• la prima secundae (ST, IaIIae) : Le Premier volume de la seconde partie, Prima Secundae, comprend quatre
section.
- La Première traite de la béatitude (1-5).
- La Seconde parle des actes humains (6-89) : le volontaire et l'involontaire (6-17), la bonté et malice des actes
humains (18-21), les passions de l'âme en générale (22-25), l'amour (26-28), la haine (29), la convoitise (30), la délectation
(31-34), la douleur ou tristesse (35-39), l'espoir et le désespoir (40), la crainte (41-44), l'audace (45) la colère (46-48) les
habitus en général (49-54) les vertus en général (55-67), les dons (68-70), les vices et péchés (71-89).
- La Troisième section aborde la loi (90-108), sa nature (90-97), loi ancienne (98-105) et loi nouvelle (106-108).
- La Quatrième section parle de la grâce de Dieu (109-114), sa nécessité (109), son essence (110), les différentes
espèces (112) et ses effets (112-114).
• la secunda secundae (ST, IIaIIae) : Le Second volume de la seconde partie, Secunda Secundae, est en trois
sections :
- les vertus théologales (1-46) : la foi (1-16), l'espérance (17-22) et la charité (23-46) ;
- les vertus cardinales (47-170) : la prudence (47-56), la justice (57-122), la force (123-140), la tempérance (141-170)
;
- les charismes et les états de vie (171-189) : les charisme de prophétie (171-174), le ravissement (175), le charisme
des langues (176), le charisme de la parole de sagesse ou de science (177), le charisme des miracles (178), vie active et vie
contemplative (179-182), offices et états (183-189).
• la tertia pars (ST, IIIa) : La Troisième partie, Tertia Pars, parle dans une première section du sauveur (1-59).
Cette partie comprend son mystère d'incarnation (1-26), son entrée dans le monde (27-39), sa vie (40-45), sa sortie du monde
(46-52) et son exaltation (53-59). Une deuxième section aborde les sacrements (60-90) : les sacrements en général (60-65), le
baptême (66-71), la confirmation (72), l'eucharistie (73-83), la pénitence (84-90).
Thomas d'Aquin a commencé cette œuvre majeure en 1266 et l'a interrompue en décembre 1273, la laissant
inachevée.
(nb : Elle est citée de la façon suivante : ST, Ia, q51, a2 , qui correspond à la question «Les anges ont-ils un corps ? »)
Les quelques principes du thomisme s’articulent tous autour de l’idée d’être. La pensée humaine ne se
satisfait que lorsqu’elle s’empare d’une existence.
- En tant qu’un être ne se sépare pas de lui-même, il en un. Chaque essence ne peut se morceler sans
perdre du même coup simultanément son être et son unité.
- de là le fondement de la vérité que l’on peut affirmer : dire le vrai sera dire ce qui est, attribuer à
chaque chose l’être même qui la définit. C’est donc l’être de la chose qui définit la vérité de la chose, et c’est la
vérité de la chose qui fonde la vérité de la pensée. La vérité de notre connaissance se fonde sur l’accord entre
notre pensée et l’essence de la chose pensée14. De là sa définition de la vérité comme « adéquation de la chose et
de l’intellect » (veritas est adaequatio rei et intellectus).
- Si tout être est le fondement d’une vérité en tant qu’il est connaissable, il se définit aussi comme une
certaine quantité de perfection, et par conséquent, en tant qu’il est, il est désirable et s’offre à nous comme un
bien.
Ainsi, l’être même, sans que rien d’extérieur lui soit rajouté, se pose dans son unité, dans sa vérité,
dans sa bonté. (c’est donc toujours à l’être sous ses différents aspects, que notre pensée se réfère, pour l’établir
dans son accord avec lui-même)
Mais l’être lui-même n’est pas une notion dont le contenu puisse être défini une fois pour toute et posé a
priori. Il n’y a pas qu’une manière d’être. Etre se dit de façon équivoque (Dieu est (1), l’homme est (2), un
14 De même , l’accord intime qui subsiste entre l’essence de la chose et la pensée éternelle que Dieu en a fonde la vérité de la chose, en dehors de notre
pensée.
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concept est (3) ; etc, etc…). Ainsi, une créature est, et elle est identique à elle-même mais de façon
incomplète : tout se passe comme si elle avait à lutter pour établir ou maintenir les rapports transcendantaux qui
la font participer à l’être, au lieu d’en jouir paisiblement comme un bien donné. Une sorte de marge nous tient en
quelque sorte un peu en deça de notre propre définition. Nous avons à nous réaliser, à nous unifier, nous rendre
vrai et bon. Nous sommes en devenir.
La constatation de ce devenir universel trouve sa formule dans la distinction de la puissance et de l’acte,
qui régit tous les êtres donnés dans notre expérience et qui ne prétend pas à autre chose qu’à formuler cette
expérience même. Il s’agit là plus d’un constat, d’un postulat, que d’une démonstration. Toute essence qui ne
réalise pas complètement sa définition est en puissance dans la mesure où elle ne la réalise pas et en acte dans la
mesure où elle la réalise. En tant qu’elle est en acte, elle est le principe actif qui va déclencher le mouvement de
sa réalisation. C’est donc ce qu’il y a d’être dans les choses qui est la raison dernière de tous les processus
naturels que nous constatons. C’est l’être en tant que tel qui communique sa forme, sa cause efficiente, qui
produit le changement comme cause motrice et lui assigne une raison de se produire comme cause finale. Des
êtres qui se sauvent sans cesse par un besoin foncier de se sauver et de se compléter, voilà ce qui nous est donné.
Or nous ne pouvons réfléchir sur une telle expérience sans apercevoir qu’elle ne contient pas la raison
suffisante des faits qu’elle place sous notre regard. Ce monde du devenir qui s’agite pour se trouver, ces sphères
célestes qui se cherchent perpétuellement en chacun des points successifs de leurs orbites, ces âmes humaines qui
captent l’être et l’assimilent par leur intellect, ces formes substantielles qui quêtent sans cesse de nouvelles
matières où se réaliser, ne contiennent pas en eux-mêmes la raison de ce qu’ils sont. Si de tels êtres
s’expliquaient eux-mêmes, il ne leur manquerait rien. S’il ne leur manquait rien, ils cesseraient de se mouvoir pour
se trouver, ils se reposeraient dans l’intégrité de leur essence enfin réalisée, ils cesseraient d’être ce qu’ils sont.
C’est donc hors du monde de la puissance et de l’acte, au dessus du devenir et dans un être qui soit
totalement ce qu’il est, que nous devons chercher la raison suffisante de l’univers. Cet être conclu par la
pensée est manifestement d’une nature différente de l’être que nous constatons, et ne saurait jamais être déduit
ou inféré à partir de celui-ci. Et en effet jamais notre pensée ne suffirait à la conclure si la réalité dans laquelle
nous sommes engagés ne constituait par sa structure hiérarchique et analogique, une sorte d’échelle ascendante
qui nous conduit vers Dieu.
Dès lors le problème philosophique consiste à ordonnancer exactement cette hiérarchie des êtres. Le
principe d’ordonnancement est que le plus ou le moins ne peut s’évaluer et se classer que par rapport au
maximum ; le relatif que par rapport à l’absolu (principe de perfection). Et chaque bas degré supérieur (ex : les
anges) confine toujours au sommet du degré supérieur (les hommes). Le principe de continuité vient donc préciser
et déterminer le principe de perfection. Il n’y a d’être que l’être divin dont participent toutes les créatures, et les
créatures ne diffèrent les unes des autres que par la dignité plus ou moins éminente du degré de participation
qu’elles réalisent. Il faut donc nécessairement que leur perfection se mesure à la distance qui les sépare de Dieu et
qu’en se différenciant elles se hiérarchisent.
S’il en est ainsi, c’est l’analogie qui permettra seule à notre intelligence de conclure à un Dieu
transcendant à partir du sensible, et c’est elle aussi qui permettra seule d’expliquer que l’univers tienne son être
d’un principe transcendant sans se confondre avec lui ni s’y ajouter.
Ces deux principes d’analogie et de hiérarchie, qui permettent d’expliquer la créature par un créateur
pourtant transcendant, permettent aussi de les maintenir en rapport et de tendre des liens qui deviendront les
principes constitutifs des essences créées et les lois de leur explication. Si les créatures sont de par leur origine
radicale , des similitudes, il faut s’attendre que l’analogie explique la structure de l’univers comme elle en explique
la création. L’explication métaphysique d’un phénomène physique conduit toujours à assigner la place d’une
essence dans une hiérarchie.
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Au niveau de la connaissance, ThA s’éloigne du néo-platonisme en ce qu’elle n’est pas réminiscence
intuitive mais long cheminement discursif. Le platonisme situe la mystique dans le prolongement naturel de la
connaissance humaine ; dans le thomisme la mystique s’ajoute et se coordonne à la connaissance naturelle, mais
elle ne la continue pas. Tout ce que nous savons de Dieu tient dans ce que nous en apprend notre raison
réfléchissant sur les données des sens.
Connaître, c’est appréhender une essence. Or toute connaissance à proprement parler des degrés
supérieurs de la hiérarchie universelle nous est refusée. Nous ne disposons, pour ‘connaître’ les anges et Dieu que
d’un faisceau de négations et d’analogies…
Concernant le monde physique, seul appréhendable par notre intellect, l’homme tire de l’universel, grâce
à cette ressemblance divine qu’il porte naturellement empreinte comme la marque de son origine. L’homme est né
et fait pour l’universel. Et son objet par excellence reste l’inaccessible essence divine.
_____________________
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Ch 5 – Etre en Acte – Etre en Puissance
Nous avons abordé le débat entre les métaphysiciens privilégiant l’être au dépend du devenir (Parménide)
et ceux niant l’être pour le devenir (Héraclite).
Nous avons vu qu’il y a dans l’étant ce que nous avons appelé sa substance, qui ne change pas,
contrairement aux accidents contingents ; C’est la substance qui fonde l’unité, l’identité et la permanence d’un
étant. Le « principe d’identité » de l’étant est le principe selon lequel tout étant est ce qu’il est, et pas autre
chose. Il est identique à lui-même et pas à autre chose. (Parménide : l’être est et le non être n’est pas.). « Ce qui
est est un et le même, sous ses manières d’être multiples et transitoires ».
ex : cette craie est cette craie et demeure cette craie et pas une autre.
ex : je suis moi-même, et pas un autre. Je suis unique. Je demeure le même qu’hier et que demain, au
delà de ce qui est en devenir en moi. C’est «moi » qui devient. Il y a en moi un « moi » qui est le sujet du devenir
et qui demeure identique à lui-même conformément au « principe d’identité ».
Comment alors rendre compte des changements qui affectent les étants, sans les nier pour autant, et
donc sans nier la substance ?
Distinguons les changements affectant les étants matériels (ou corporels) et ceux qui affectent les étants
spirituels.
Concernant les étant corporels, il y a deux types de changements :
1 –les changements accidentels (qui affectent les accidents de l’étant). ex : je me déplace (lieu) , je
deviens joyeux (passion), je grossis (quantité)…
2 – les changements substantiels : (qui affectent la substance même).C’est donc un changement radical
cette fois. Ainsi, si je mange un fruit, il disparaît et se transforme en mon organisme. Sa « matière prime »
(chimique) demeure en moi, mais sa « forme substantielle » a disparue.
Si on rajoute les étants spirituels (mon âme, par exemple), la question est plus complexe : il n’y a pas de
matière prime qui demeure dans ce cas… Nous analyserons la question autours de 3 parties : 1 - Être et devenir,
2 – L’être en puissance , 3 – l’être en acte.
(nb : ce chapitre servira en théologie a éclairer la question de la grâce et de la nature, par exemple.)
I – Être et Devenir
Nous voyons bien que face à cette question s’opposent l’évidence sensible et l’évidence intellectuelle.
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1- L’évidence sensible nous montre du devenir dans le monde, un devenir réel. Certains étants accèdent à
l’existence, d’autres disparaissent, etc…
2- L’évidence intellectuelle repose elle sur ce qui demeure, au nom du principe d’identité. Selon ce
principe, rien ne peut être engendré, car …
2a/ soit cela viendrait du non-être, mais c’est impossible car du non-être, rien ne naît.
2b/ soit cela viendrait de l’être, c’est à dire d’un autre étant. Or cela voudrait dire que la substance
même d’un étant a évolué, or elle est immuable et indivisible. («principe d’identité»). Comment ma
substance évolue-t-elle malgré tout ? Cette évolution ne vient pas d’un autre étant mais de l’intérieur d’elle
même d’une certaine façon. Il faut introduire en son être même une distinction entre ce qu’elle est en acte
et ce qu’elle est en puissance.
L’étant qui change et évolue (mon âme par exemple) n’est pas encore actuellement, aujourd’hui ce qu’il en
vérité. Ma substance actuelle, par exemple, n’est pas totalement accomplie, d’une certaine manière. Autrement
dit, le changement implique que l’étant muable soit composé de ce qui fait qu’il est ce qu’il est (l’être en acte) et
de ce qui le rend capable d’être ce qu’il n’est pas encore (l’être en puissance). Nous concilions alors le « principe
d’identité » avec le fait incontestable du changement.
Ex : cette graine est en acte une graine, et elle est pourtant en puissance un arbre. C’est la même graine
et pas un autre étant qui devient l’arbre. Elle change mais son identité demeure : le sujet du changement est
toujours cette graine qui peu à peu devient arbre. Principe d’identité et reconnaissance du changement sont
respectés. Être et Devenir sont reconnus.
II – L’être en puissance
Ainsi, les étants ne sont pas limités à leur être actuel, ils ne sont pas figés, mais ils possèdent une aptitude
à être autres, à évoluer, à devenir. Aristote dit que ces notions ne peuvent se saisir surtout que par des exemples.
Ex :
- le bois destiné à une statue. En puissance, il est déjà statue (potentiellement) mais en acte, il est encore
tronc d’arbre. Son aptitude à devenir une statue est bien réelle. C’est une modalité de cet étant qu’est ce tronc de
bois. Le stylo ou l’oiseau par exemple n’ont pas cette modalité.
- cette graine de papaye est en puissance un papayer, pas un manguier. Pas une statue. Pas un enfant.
- nous sommes en puissance des saints (des prêtres, des vieillards,etc…). Mais nous ne le sommes pas
encore. Ce que nous sommes n’est pas entièrement révélé, dit St Paul : « tous nous serons transformés » (1 Co
15,51)
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Déf l’être en puissance est capacité ou aptitude pour l’étant à acquérir une actualité. Il
est un pouvoir être. Il est ce qui fait qu’un étant déterminé ne l’est pas totalement et reste de la sorte
ouvert à des déterminations ultérieures. L’étant est en puissance ce qu’il est appelé à devenir (par une
volonté, une loi ou une force… qui le dépasse : cette loi, on l’appelle «puissance active». C’est elle qui meut de
l’extérieur le changement, comme cause extrinsèque. Elle est donc de l’acte (sinon elle ne mouvrait rien) et on la
situe analogiquement en Dieu, qui est « Acte Pur », dit Aristote puis Thomas d’Aquin).
L’être en puissance était déterminable, imparfait, relatif, et l’être en acte est lui déterminé, parfait, achevé
ontologiquement.
On distingue l’acte premier qui concerne l’existence et l’acte second qui concerne l’essence.
Tout étant est en acte premier dans la mesure où simplement il existe. Ne sont en acte second que ceux
qui ont réalisé leur essence, leur détermination essentiel, ceux dont l’existence accomplit l’essence.
Ex : pour l’arbre, l’arbre adulte, tel qu’il est destiné à être.
Ex : pour moi, en acte premier, je suis Franck, adulte de 32 ans… en acte second, je serais saint.
(NB : on comprend ici que dans une philo athée, Dieu n’existe pas, et donc pas non plus les puissances
actives, et les essences. L’existence seule est. Elle précède l’essence. C’est le courant existentialiste…)
- 32 -
La puissance est ce qui permet donc l’accession à des perfections nouvelles. L’étant a besoin d’être en
acte quelque chose pour pouvoir être en puissance autre chose (sans la graine, pas de papayer…). La puissance se
définit donc par l’acte. C’est comme s’il y avait une intention secrète ou inclination secrète dans l’étant qui le fait
devenir ce qu’il est : c’est son être en puissance, caché dans son être en acte (le papayer adulte est caché dans la
graine). L’étant devient donc (en acte) ce qu’il est (en puissance). «Deviens ce que tu es» disait un Père de
l’Eglise (St Augustin ?).
B – conséquences.
C’est donc ce que je suis appelé à être une fois parfait ontologiquement qui guide, commande et ordonne
mon devenir. Ainsi, mon agir, par lequel s’opère mon devenir, témoigne de ce que je suis ontologiquement. C’est
donc selon l’agir que l’on peut classifier les étants. « tel on agit, tel on est ».
Ainsi, on hiérarchise les êtres selon leur agir :
- ceux qui n’évoluent pas du tout (la pierre, la matière….)
- ceux qui évoluent (les vivants, les plantes, les animaux…).
- ceux qui évoluent + se déplacent (les animaux)
- ceux qui évoluent, se déplacent, pense, prient, etc… (les hommes, chef d’œuvre de la création).
Il y a comme une proportion nécessaire entre être et agir.
C’est également parce que chaque étant est fini et perfectible, comme nous venons de le voir, qu’ils sont
tous différents entre eux. Il n’y a pas deux étants identiques. Les étants sont pluralisés par la potentialité qui les
affecte.
3. Le principe de finalité.
Si chaque étant possède en lui une puissance ou potentialité à s’accomplir, cela se traduit par l’existence
en lui d’une finalité, d’un achèvement, d’un bien vers lequel il tend. Le principe de finalité s’exprime de la façon
suivante : « tout étant, pour autant qu’il agit, agit pour une fin , et cette fin est un bien». Cette fin à réaliser est
toujours un bien à conserver, à acquérir ou à communiquer.
(nb : encore une fois, les courants existentialistes niait ce principe en conseillant des actions absurdes, puisqu’il
n’y a pas de bien ou d’essence que mon existence a à réaliser, selon eux. Ex :faire la queue et partir au dernier
moment. Aller à une conférence dans une langue inconnue, etc…Cf. Le mythe de Sisyphe, de Camus, et
finalement l’apologie du suicide…)
Ex : les animaux visent la conservation de leur être corporel. (principe de survie)
Ex : les hommes visent la conservation et l’augmentation de leur être, corporel (manger, jouir…),
intellectuel (apprendre, savoir…), social (pouvoir…), spirituel ultimement (aimer et connaître Dieu). La question est
dans la hiérarchie de ces fins entre elles. laquelle prime ? cf. « Les trois ordres » de B.Pascal15 (ordres des corps,
des esprits, de la charité. Pensée 53 lafuma)
« La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité ; car elle est surnaturelle.
Tout l’éclat des grandeurs n’a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l’esprit.
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le principe de finalité se réalise éminemment en Dieu, qui est Cause première de toute finalité dans les
étants finis et créés. Dieu agit librement et pour une fin qui est lui-même.
La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair.
La grandeur de la sagesse, qui est nulle sinon de Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d’esprit.
Ce sont trois ordres différents de genre.
Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire, leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles, où elles n’ont pas de rapport.
Ils sont vus non des yeux, mais des esprits ; c’est assez.
Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles (ie intellectuelles), où elles n’ont nul
rapport, car elles n’y ajoutent ni ôtent (rien). Il sont vus de Dieu et des anges, non des corps ni des esprits curieux : Dieu leur suffit. (…) »
- 34 -
Ch 6 – L’Etant en son analogie
Analogia désigne premièrement en grec ce que nous appelons une proportion, c’est à dire l’identité de
deux rapports, au sens strict d’une égalité quantitative (a/b = c/d), ou en un sens dérivé, lorsque nous disons par
exemple que l’écaille est au poisson ce que la plume est à l’oiseau.
Aristote avait envisagé d’utiliser cette notion pour résoudre un problème logique redoutable. Certains
concepts, et notamment l’être, l’un ou le bien ne peuvent être considérés comme univoques, c’est à dire utilisés
toujours avec la même signification (ex : papayer). Ainsi l’être s’attribue à tout, mais il ne peut être attribué dans
le même sens à la substance et à l’accident, à la réalité et à la fiction, etc… De même l’Un ne se dit pas dans le
même sens d’un individu ou d’une espèce, ni le bien de ce qui est une fin ou un moyen.
Le risque alors est que de tels termes n’aient pas plus d’unité logique que ceux que nous appelons
équivoques (par exemple, « Mars » désigne à la fois une planète, un mois, un dieu grec... Ex : «Son» est une
céréale, mais aussi un bruit. C’est un hasard du langage, une coïncidence, qui n’exprime aucun caractère commun
dans le réel).
Les mots étants des signes arbitraires, rien n’empêche qu’un terme reçoive de l’usage une signification
étrangère à celle qu’il avait d’abord (ex : café). Mais que le terme être soit alors purement équivoque et ne
recouvre aucune véritable notion, cela rendrait possibles dans le discours tous les glissements, logiques seulement
en apparence (ex : le sophiste Gorgias).
Il faut alors montrer qu’un concept (comme l’être par exemple) peut avoir une consistance logique sans
pour autant être ni univoque ni équivoque : il est alors analogique.
En métaphysique, l’emploi du mot être est donc analogique. Quand je dis « la table est », « je suis »,
« Dieu est », c’est le même mot, mais la réalité, la perfection qu’il exprime (l’existence) est en même temps réelle
et différente, commune mais proportionnelle. Ma participation à l’être n’est pas celle de la pierre, ni celle de Dieu.
Aristote écrit « L’être se prend en de multiples sens »16. Thomas d’Aquin dit «l’existence est diverse dans des
choses diverses ». Ces modes d’être ont-ils même valeur ?
II – L’Analogie de l’étant.
L’être se dit dans un sens analogique. Aristote ne s’est pas contenté de cette solution, qui lui paraissait
imparfaite. Appliquée par exemple au bien, elle pourrait se traduire par la proposition : « à chaque être son bien »,
ce qui n’est pas entièrement faux, mais peux verser dans le relativisme moral (comme Protagoras : le bien serait
pour chacun ce qui lui semble tel). De même, entre l’étant d’une pierre, de Socrate et de Dieu,… il y a une réelle
unité concevable, plus profonde qu’une simple ressemblance, mais qui n’est pas pure identité. Autrement dit,
l’analogie dans son sens premier (« ressemblance proportionnelle, fondée sur une similitude de rapports entre des
réalités différentes ») ne suffit pas toujours à supprimer l’équivocité d’un terme17.
- 35 -
Aussi Aristote définit-il une autre sorte d’unité dans la différence, que Thomas appelle aussi
« analogie ».
Un terme peut en effet avoir diverses significations, sans être pour autant équivoque, si elles se
rapportent toutes à une signification première (soit par attribution, soit par proportionnalité). Ainsi, l’adjectif
« sain » s’applique d’abord à un organisme vivant (un corps sain, un foie sain…), mais aussi à ce qui le cause (la
marche est saine, tel plat est sain…), tel climat est sain, tel propos est sain…
Il y a donc une référence première à l’analogie, quelle qu’elle soit (l’organisme pour la santé…), ce qui
offre la solution au problème d’Aristote. La notion de Bien par exemple, ni univoque, ni équivoque, est analogique
mais en référence à un Bien absolu qui permet de conserver l’unité du concept de bien, puisqu’il ordonne tous les
biens à lui (ex : manger est un bien en vue de la santé (2°bien) , en vue de la vie, en vue de la charité, Bien
ultime. « Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger » dit l’Avare de Molière). La notion d’être trouve
son unité quand on détermine le sens fondamental de l’être, c’est à dire l’être premier duquel tous les autres
dépendent en tant qu’êtres. Il ne suffit pas dire ‘l’être est analogique’, il faut trouver la référence première.
III - Conséquences
Conclusion
1. Les étants n’ont pas tous le même degré d’existence, de participation à l’Être en Soi, Infini, Nécessaire , qui est
Dieu. Nous ne sommes pas Dieu, L’ Ipsum Esse Subsistens. (L’Être subsistant en Soi)
2. Leur être est pourtant réel Nous ne sommes pas non plus des illusions.
il faut tenir à la fois la transcendantalité et l’analogicité de l’étant. Les étants existent réellement
mais sous des modes divers. Unité, Réalité mais Diversité et Proportionnalité de l’existence métaphysique des
étants.
17Ex : « mère » désigne à la fois ma maman et ma patrie. (L’Afrique est ma mère… ni univocité (une personne =/= une étendue géographique), ni équivocité
(perfection commune : les deux m’engendrent, m’éduquent, me nourrissent…). Mais l’Afrique et la femme qui m’a porté n’ont pas la même valeur de maternité.
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Ch 6bis – L’Etant en son analogie (reprise, plus creusée)
Nous avons définit l’étant comme tout ce qui possède l’être. Ce concept d’étant est donc le plus vaste, le
plus universel, le plus englobant. Tous les étants ont en commun d’exister, mais pas de la même façon : exister en
herbe, oiseau, homme… Le concept est à la fois universel et particulier.
L’étant est une réalité, un sujet :
- qui a une essence, c’est à dire une nature selon laquelle il est ce qu’il est (une rose, un serpent…)
- qui a un acte d’être ou d’exister, c’est à dire une énergie première selon laquelle il existe.
Chaque étant est alors universel dans son essence, et particulier dans son existence. Aristote déjà
constatait que en disant : « cette pierre est, Socrate est, Dieu est… », c’est le même verbe être qui est employé,
mais pas dans le même sens. On parle d’analogie de l’être, pour exprimer que dans chaque cas, il y a quelque
chose de commun et quelque chose de différent dans l’acte d’exister.
Dans le langage logique, un terme (ou un concept) peut être univoque, équivoque ou analogique :
1. – univoque : il désigne toujours la même chose.
Ex : le chien est un animal. Le poisson est un animal
Le mot «animal» est le même car il désigne un caractère commun à tous ces animaux (leur
sensibilité, leur mouvement) et les regroupe donc.
2. – équivoque : il désigne plusieurs choses différentes.
Ex : « Mars » désigne à la fois un mois, une planète, un Dieu grec. «Son» est une céréale, mais
aussi un bruit. C’est un hasard du langage, une coïncidence, qui n’exprime aucun caractère commun dans le réel.
3. - analogique : le terme est employé car il désigne à la fois un caractère, une perfection commune et
différente cependant, proportionnelle. (C’est donc entre l’univocité et l’équivocité). Les choses analogues sont
celles qui ont un même nom et dont la « perfection » désignée par ce nom est simplement diverse en elles
quoique semblable selon une certaine proportion. L’analogie est donc une « ressemblance proportionnelle,
fondée sur une similitude de rapports entre des réalités différentes ».
Ex : « mère » désigne à la fois ma maman et ma patrie. (L’Afrique est ma mère… ni univocité
(une personne =/= une étendue géographique), ni équivocité (perfection commune : les deux m’engendrent,
m’éduquent, me nourrissent…). Il y a proportionnalité.
En métaphysique, l’emploi du mot être est analogique. Quand je dis « la table est », « je suis », « Dieu
est », c’est le même mot, mais la réalité qu’il exprime (l’existence) est différente, proportionnelle. Ma participation
à l’être n’est pas celle de la pierre, ni celle de Dieu. Thomas d’Aquin dit «l’existence est diverse dans des choses
diverses ».
II – L’Analogie de l’étant.
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proportionnels. Le prédicat concerne réellement tous les sujets d’attributions, mais à des degrés différents.
(Dans le cas de l’analogie d’attribution, ils ne le concernaient pas réellement : ça n’était qu’un excès de langage.).
Ex : la vision est connaissante, l’intellection est connaissante. C’est vrai pour les deux, mais dans des proportions
différentes (alors que le plat n’est pas sain à proprement parler. Il n’est pas « en bonne santé ».)
Quand je dis « la table est (existante) » et « Dieu est (existant) » : le prédicat ‘existant’ se rapporte à
quel type d’analogie ? A une analogie de proportionnalité. Chacun existe réellement, mais dans des proportions
différentes. Plus précisément, concernant les étants (substance + accident) :
- la substance est existante, selon une analogie de proportionnalité. Chaque substance a un rapport
semblable mais proportionnel à l’acte d’exister.
- les accidents, selon une analogie d’attribution (le rouge n’existe pas en soi, mais par extension de
langage par rapport à ce en quoi il existe : le fruit, le sang…Le rouge est un étant comme la marche est saine, par
extension de langage).
Ainsi, la notion d’être trouve son sens premier dès lors qu’on pourra déterminer le sens fondamental de
l’être, c’est-à-dire le premier être duquel tous les autres dépendent en tant qu’êtres.
(nb : les deux types d’analogie doivent se conjuguer pour parler de Dieu, en soulignant à la fois la
similitude des rapports (analogie de proportionalité), et selon Latran IV, le différence infiniment plus grande encore
(analogie d’attribution))
DENZINGER 3604 - 4. L'être, qui est dénommé à partir de l'exister, n'est pas attribué à Dieu
et aux créatures de manière univoque, ni non plus de manière totalement équivoque, mais
de manière analogue, d'après l'analogie tantôt d'attribution, tantôt de proportionnalité.
Conséquences et Conclusion
1. les étants n’ont pas tous le même degré d’existence, de participation à l’Être en Soi, Infini, Nécessaire , qui est
Dieu. Nous ne sommes pas Dieu, L’ Ipsum Esse Subsistens.
2. Leur être est pourtant réel (pas uniquement d’attribution) Nous ne sommes pas non plus des illusions.
il faut tenir à la fois la transcendantalité et l’analogicité de l’étant. Les étants existent réellement
mais sous des modes divers. Unité, Réalité mais Diversité et Proportionnalité de l’existence métaphysique des
étants.
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Ch 7 – Les Transcendantaux.
• Récapitulatif :
Nous avons vu que le monde était constitué d’étants [ens], tous uniques, car composés de façon indivisible
d’une partie substantielle et d’une partie accidentelle.
Nous avons vu que cette substance regroupait en fait deux réalités liées mais différentes : leur
substance première (leur existence ; Pierre aujourd’hui) et leur substance seconde ou essence (Pierre
pleinement réalisé, qui n’a qu’une existence de raison, une existence pensée). Si du point de vue de l’être et
du point de vue de la pensée, l’acte est antérieur à la puissance (je peux déjà penser Pierre pleinement
réalisé : prêtre, pilote, docteur…), du point de vue chronologique, la substance première devient et
accomplit la seconde par actualisation de ce qui est en puissance en elle : l’essence est à l’existence ce que
la puissance est à l’acte. Pour cela, il faut l’écoulement du temps, et il faut aussi l’action de quelque chose
(un premier moteur) qui nous dépasse, nous attire comme un aimant, nous fait « ex-sistere » (se tenir hors
de, se tirer hors de): l’Être en soi, Acte Pur (ie, pleinement actualisé), au delà de toutes essences, et
existant en soi, et non pas en recevant son être d’un autre. (nb : A ce stade, la métaphysique ne permet pas
encore de dire que l’Être Subsistant en Soi (Ipsum Esse Subsistens) est une personne, un être personnel,
un dieu…).
Nous ne sommes donc pas l’Être Subsistant en Soi, mais nous existons par lui, nous recevons l’être
18
(L’être commun) de lui . Exister par lui signifie que nous recevons notre être de lui, nous ne sommes pas
lui, ni même une partie de lui19 mais nous participons de son être, selon l’être commun. De cette
participation vient l’analogie de l’ «être» entre nous et lui. Nous sommes nous temporellement,
contingentement, de manière finie et limitée ce que l’Être en Soi est lui éternellement, nécessairement, de
manière absolue et illimitée. Il est donc référence première de cette analogie.
Tout étant se définit, se comprend, existe par rapport à l’Être.
1. Ainsi, il y a des propriétés de chaque étant qui ne dépendent pas de l’étant mais lui sont
20
transcendantales : La Chose, l’Autre, l’Un, le Vrai, le Bon, (le Beau) . Ce sont des modalités de tout étant, c’est à
dire de tout ce qui possède l’être. Ces modalités transcendantes lui sont données avec l’être.
2. Un dans le sens d’unique, Vrai dans le sens de réel, bon dans le sens de désirable, beau dans le sens de
vrai et bon à la fois.
3. Chaque étant possède ces transcendantaux dans la mesure de son être, de la richesse ontologique de
son être. (l’Un d’un homme > l’Un d’une pierre, etc…).
4. Ces transcendantaux sont dit convertibles entre eux : il n’y a pas de distinction réelle entre eux,
seulement notionnelle ou de raison. Ce sont les différents visage de l’étant, selon l’angle sous lequel on le regarde.
L’étant est Un parce que Vrai, Bien, Beau. Il est Vrai parce que Un, Bien, Beau….etc…Tout lui vient de l’être.
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II – les différents transcendantaux
L’anthropologie classique définie trois partie en l’homme : corporelle (soma), psychologique (anima),
spirituelle (pneuma). (Cf. 1 Th 5,23). La partie psychologique comprend ce que l’on appelle les facultés dont les
deux plus grandes sont l’intelligence et la volonté, et d’autres moins importantes : mémoire, imagination,
affectivité,….
Or l’objet visé par l’intelligence est toujours le Vrai. Et l’objet de la volonté est toujours le Bien.
Ainsi, puisque tout étant à l’être, en pensant avec mon intelligence tel étant, en le comprenant, en
l’intellectualisant, je vais le saisir comme vrai, véritable. Et ma volonté va elle le saisir comme un bien. Tout étant
est être, et donc en même temps il est vrai et bon, selon que je l’appréhende avec les lunettes de mon intelligence
ou de ma volonté.
Ex : cette chaise est. Elle est une. Elle est vrai (pas fictive, pas imaginaire, etc…). Elle est bonne (pas au
sens moral où elle est neutre, mais au sens où je peux la désirer pour telle ou telle raison. Elle peut satisfaire ma
volonté comme elle satisfait mon intelligence).
A – L’Un
L’un ne signifie rien d’autre que l’être dont on affirme l’identité, l’harmonie interne, et la cohésion en niant
la division. L’un c’est l’être indivis. Tout étant est Un signifie qu’il est ce qu’il est, avec sa cohésion propre, sans
fusion ni confusion avec autre chose que ce qu’il est.
B – Le Vrai
Il convient de distinguer le vrai formel (ou logique) et le vrai ontologique (ou transcendantal).
• Le vrai ontologique, c’est la réalité elle-même. Un étant est vrai ontologiquement parce qu’il existe
réellement. (cette chaise est vrai, la licorne est fausse).
• Le vrai formel est l’adéquation entre le jugement intellectuel et la réalité (adequatio intellectus et rei). Un
étant est alors également vrai formellement si mon intelligence le perçoit tel qu’il est, dans sa vérité ontologique.
(je juge « cette table existe », « elle est en bois », etc…).
La Vérité se rencontre dans l’intelligence selon que celle-ci appréhende, saisit, perçoit une chose comme
elle est (vérité formelle ou logique). Et la Vérité se trouve aussi dans les choses selon que les choses peuvent
entrer en rapport de conformité avec une intelligence, c’est à dire se conformer avec une intelligence (vérité
ontologique ou transcendantale).
(Nb : sans vérité onto, pas non plus de vérité logique, car tout jugement sur quelque chose qui n’existe
pas réellement est faux (ex : l’actuel roi de France est chauve, la licorne vit 100 ans…)
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21
Def : le vrai est l’étant en tant que réel et donc qu’intelligible ou connaissable par l’intelligence .
Ex : cette craie est. Elle est vrai signifie d’abord qu’elle existe réellement, et ensuite qu’existant réellement
, mon intelligence peut la comprendre, en jugeant « c’est une craie », « cette craie est blanche » etc…. Or ce
jugement est vrai lui aussi, puisqu’il y a adéquation entre le jugement intellectuel et la réalité.
Ex : une licorne n’est pas. Elle n’est pas vrai ontologiquement, et tout jugement de mon intelligence sur
elle sera faux formellement lui-aussi.
C – Le Bien
Il ne s’agit pas d’abord du sens moral (tel acte est bon) mais plus dans le sens de bien (c’est un bien, une
richesse…).
Tout étant est un bien en cela qu’il est une valeur, soit pour lui-même, soit également pour les autres.
(L’eau est un bien pour elle-même, et pour la plante, la plante est un bien pour elle même....). Du simple fait qu’il
est, l’étant est un bien.
Est jugé un bien ce qui répond à un acte de volonté, un appétit. Tout étant à trois but, trois désirs,
trois tendances, trois appétits :
1 – soit conserver son être.
2 – soit l’augmenter, le parfaire.
3 – soit le communiquer à d’autres.
Ainsi, tout étant est un bien, parce que tout étant satisfait l’un ou l’autre de ces appétits. Il est un bien
pour lui-même (dans les cas 1 et 2), pour les autres (3). Tout ce qui existe, par le fait même qu’il existe, répond à
un désir, un besoin (dans le monde, la nature, ou la volonté humaine).
Le Bien pour l’étant est cet étant en tant qu’il convient pour tel appétit, telle volonté, tel besoin, en tant
qu’il répond à telle nécessité, et d’abord celle de survivre.
Ainsi, tout étant exprime une richesse, une valeur, une plénitude, un bien, qui suscite l’attachement et
le désir. Comme un aliment est bon pour moi (car il m’aide à m’accomplir), comme enfin un acte est bon pour moi
ou mauvais.
Le bien, c’est l’être comme désirable et aimable. « Le bien est ce que toute chose désire » disait Aristote.
(Conséquence : le mal n’existe pas ontologiquement, sinon comme un moindre-être, un manque d’un bien,
une privation).
Contraires Ontologiquement : Existent pour l’intelligence humaine sous
: ils n’existent pas la forme de :
• l’erreur (= non adéquation de ce que
VRAI le FAUX = non VRAI = non réel = non être. je pense et de ce qui est. Ex = 2+2=3).
ma Pensée =/= l’être.
• la faute (= non adéquation de mon
BIEN le MAL = non BIEN = une privation d’être. action avec ce qui actualise mon être).
mon action =/= l’être.
21 Dire que l’étant est vrai signifie ultimement dire qu’il est suspendu entre deux intelligences : l’Intelligence créatrice dont les choses tiennent leur existence et
leur intelligibilité comme leur Cause ultime, et l’intelligence créée dont les choses mesurent la vérité. Ultimement, nous sommes donc reportés à l’intelligibilité
même de Dieu en qui se réalise éminemment la proportion entre l’étant et l’esprit, proportion en laquelle réside la Vérité.
Dieu est Vérité, parce qu’el lui l’Être et l’Esprit s’identifient. En lui, Vérité Logique et Vérité Ontologique coïncident. C’est ce que nous voulons signifier en disant
que Dieu est Vérité première.
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D – Le Beau
Le Beau concerne l’intelligence (le petit enfant ne comprend pas la beauté d’un paysage, d’un tableau, d’un
visage, d’une équation22…) mais également la volonté, qu’il satisfait (je suis attiré par ce qui est beau) :
l’intelligence perçoit et la volonté se réjouit. Il répond donc à la volonté comme le Bien, et à l’intelligence, comme
le Vrai. Il est la splendeur du vrai , « ce qui plait à voir », « ce qu’il est agréable de comprendre (d’appréhender) »
dit ThA. Il rejoint aussi l’Un, l’harmonie. Le beau, c’est l’être comme délectant par sa seule vue un sujet de
nature raisonnable et intellectuelle.
La laideur existe uniquement pour nous dont les sens sont limités : tel son sera trop strident, tel couleur
trop vive, etc… mais pour Dieu, toute chose est belle. Ontologiquement, la laideur n’existe pas.
Nb - Conséquence générale :
• L’un, le vrai, le bon et le beau n’apparaissent que sous l’horizon de l’être. L’un, le vrai, le bon et le beau
manifestent la profonde convenance de l’être et l’esprit.
• Plus je suis en acte, donc plus mon existence actualise mon essence, plus je suis vrai, bon (ie désirable :
le bien est diffusible de soi , bonum diffusivum sui)
Si les résultats que nous obtenons en métaphysique sont vrais, il doivent être confirmés par la Révélation
biblique.
La métaphysique nous dit que l’Etre est soi accomplit parfaitement et infiniment chacun de ces
transcendantaux.
La Bible nous dit que l’Etre en soi n’est pas seulement un concept (premier Moteur, Référence première,
Cause première…) mais un Etre Personnel : Dieu.
• Dieu est l’Être par excellence : il se fait appelé « Je Suis » par Moïse23
• Dieu est l’Un par excellence : « Le Seigneur est Un » (Dt 6,4s) , infiniment simple, un, sans division
(=/= unicité, que traduit le monothéisme) …
• Dieu est Vrai par excellence : Il est Celui qui est, et peut dire « Je suis la Vérité » (Jn 14,6), pas dans
le sens seulement d’une doctrine…
• Dieu est le Bien par excellence : la richesse par excellence, celui qui satisfait totalement le cœur de
l’homme (« Mon âme a soif de toi » dit le Ps, St Aug : « Tu nous as fait pour toi… »…), celui aussi dont l’action par
excellence est bonne (« Dieu est Amour » 1Jn4,8 ;), celui dont le Bien se communique par excellence et
totalement : dans la Trinité même (chaque personne se donne totalement aux 2 autres) et dans l’Incarnation, la
Passion.
22 Euler tenait la formule « e i π + 1 = 0 » comme la plus belle du monde, liant les opérations arithmétiques élémentaires, les 2 nombres les
plus remarquables 0 et 1 et les nombres transcendantaux i et π.
23 Il dit à Ste Catherine de Sienne : « Je suis celui qui est, tu es celle qui n’est pas ».
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- Lm 3,25 : « Le Seigneur est bon pour qui se fie à Lui, pour l’âme qui le cherche »
- Lc 18,18 : « Dieu seul est Bon »
• Dieu est le Beau : Ct 1,16 : « Que tu es beau, mon Bien Aimé », Le « plus beau des enfants des
hommes » dit le Ps, la « source même de la Beauté » (Sg 13,3), d’où l’Art. C’est la notion biblique de « Gloire »,
beauté de Dieu. Cf. la théologie de H.U.V. Balthasar.
A – la métaphysique platonicienne
Platon divise la réalité en deux : le monde sensible (visible) et le monde intelligible. Le monde sensible se
divise entre le monde des images et représentations, et le monde réel. Et le monde intelligible se divise à son tour
entre le monde des idées mathématiques, et le monde des essences, que Platon appelle les Idées.
Ces Idées sont donc les essences parfaites, immatérielles, éternelles et immuables de tout ce qui existe
dans le monde visible. Ce sont les archétypes de la réalité, d’après lesquels sont formés les objets du monde
sensible.
Ce sont les formes intelligibles de toutes choses.
Ces essences sont donc comme extérieures au monde sensible, qui tire son être d’elles comme un pale
reflet.
La matière est dégradation de l’être. (Chez l’homme, le corps est mauvais : une prison pour l’âme).
Le sommet de toutes les Idées est l’Idée de Bien. Le Bien est le principe radical de toutes les Idées : il les
ordonnent, et donne son unité et son harmonie au cosmos. Platon le compare au soleil, qui éclaire toute chose et
fait vivre.
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Platon sépare le monde intelligible et le monde sensible, le monde des étants, des existences, et celui des
essences, Idées. Or l’intelligible se cache à l’intérieur même du monde sensible, et l’essence est ce qui anime de
l’intérieur l’existence dans son actualisation.
Le monde corporel n’est ni illusoire, ni dégradé par rapport à un monde intelligible qui lui serait supérieur.
Ces deux mondes ne sont qu’un, unis étroitement dans la composition intime de l’étant ; Cette composition intime
qui est celle de l’essence et de l’existence. Aristote, réaliste et non idéaliste comme Platon, l’a bien compris.
Concernant l’homme, le corps ne lui est pas une punition ou une prison. L’âme n’est pas extérieure à notre
être et ne transmigre pas après la mort.
______________________________________
© www.dogmatique.net
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Cours de Métaphysique
2 - Théologie Naturelle
© www.theologie.fr
Je n’ai fait ici, à l’époque, qu’une courte transition entre les parties 1 et 3 du cours,
reprenant le poly d’un cours reçu, et reprenant la Somme de Thomas d’Aquin.
Désolé…. !
Vous pouvez également vous reporter à la Thèse T3 sur « Foi et Raison ».
CRITIQUE DU REALISME :
Notre objet sera le même – l’être - mais nous allons considérer l’appréhension de l’être non
plus de lui-même mais de la part de l’homme lui-même, de celui qui appréhende.
1) LE REALISME est la philosophie selon laquelle l’être est le fondement de toute chose, la
première donnée évidente par soi à notre intelligence (l’être est). « C’est l’être de l’étant qui tombe
d’abord dans l’intellect » (Thomas d'Aquin). En même temps, nous y participons, nous avons
conscience d’être.
Il ne se donne jamais à moi en soi, mais toujours incarné dans tel ou tel étant, donc sous les
apparences sensibles. L’acte d’être est toujours l’acte d’être quelque chose: la feuille, le bic…et «il n’y
a rien dans l’intellect qui ne soit d’abord dans les sens» disait Aristote. C’est la raison pour laquelle
l’être ne se donne pas immédiatement à ma perception intellectuelle, mais par abstraction. J’abstrais à
l’étant son aspect sensible (couleur, forme…) et reste son être.
Quand je pense, je pense avec des mots, hors chaque mot est une abstraction qui renvoie à
l’être de ce que je nomme. Ex : cette craie est bleue…
L’être est la condition qui rend possible la connaissance humaine.
1. Je ne peux pas plus mettre entre parenthèse l’être de l’objet que mon être propre de sujet
pensant cet objet.
2. La connaissance humaine ne peut passer outre les phénomènes : l’être se donne à travers
l’étant, qui le révèlent mais ne même temps le voile. L’être ne se donne que de façon voilée, que limité
dans l’étant, mais je ne puis cependant opposer pour autant phénomène et noumène (Kant). Cette
condition est incontournable.
1
L’opposition entre l’objet en soi, et l’objet tel qu’il est connu par le sujet (moi) est donc
illusoire.
1°/ La connaissance du sens commun : fondée sur notre sensibilité, elle se définit comme
l’expérience quotidienne, non réfléchie, non critique, non scientifique. « Tout homme a deux bras.».
« C’est un homme », les ppes de non contradictions et d’identité… : elle peut être parfois trompeuse
(ex : le géocentrisme).
3°/ La connaissance intellectuelle des essences : C’est la premier degré d’abstraction selon
Aristote. Je fais abstraction des accidents pour connaître les essences. C’est la philosophie classique (
hormis la métaphysique) : l’anthropologie philosophique par exemple s’interroge sur la nature
humaine, au delà des simples apparences accidentelles de l’homme. A ce niveau, je peux aussi oublier
l’être , en réduisant l’être à l’essence, à n’être qu’une somme d’étants. On oublie alors que l’être est
au-dessus de tous les étants et qu’il n’est pas un super-étant, composé de modes d’être finis. Ce
courant donne l’essentialisme (rationalisme et idéalisme), réduisant l’être à une super-essence, à un
genre (le genre le plus commun des essences).
4°/ Les mathématiques : Elles s’attachent à la quantité seule des choses, considérant des
nombres et figures idéalisées. L’abstraction mathématique opère encore un degré supplémentaire dans
l’abstraction car elle se détache du réel, alors que les essences sont liées aux étants. Je peux en
mathématique concevoir des idées sans lien avec le réel (espace non euclidien,…).
2
3) L’être dans les étant en tant que donnée évidente par soi
L’être est donné de façon évidente à notre conscience, à notre intelligence. Il n’est pas le
résultat d’une projection subjective du «moi », car c’est lui-même qui se donne, qui est donné. Ce
n’est pas nous qui prenons l’initiative de ce don. L’être est indépendant de notre acte de penser, de
notre prise de conscience de lui. Il est antérieur à notre conscience, indépendant d’elle. Il est donné à
mon intellect patient (passif, sensibilité intelligente), et mon intellect agent le saisit, le pense (par
abstraction) : « cela, c’est l’être ». Abstraction, parce que l’être nous est donné dans la matière (cela),
et que notre intelligence, elle, est immatérielle (c’est l’être). Ce n’est que sur la passivité de l’intellect
patient fixé dans la sensibilité que l’intellect agent peut formuler ses concepts.
Face à la donation de l’être (sa bonté), la conscience ne peut rester éternellement passive, et
assume librement ce qui lui est donné en affirmant : l’être est, le non-être n’est pas.
Je peux cependant avec Descartes douter de cette donation de l’être.
Critique du Réalisme :
La sensibilité est directement en acte. Je perçois la sensation, sans effort de ma part. Et une
sensation qui n’est pas perçue n’est pas. Pour l’intellect, il en va autrement, il peut être en puissance
(intellect patient), et en acte (intellect agent). Ainsi, la sensibilité de l’être est d’emblée en acte mais
pas sa connaissabilité, son intelligibilité : elles sont en puissances et nécessitent l’intelligence pour être
en acte.
3
pensant ne peut se saisir dans une pure intuition intellectuelle. La conscience du moi ne se saisit pas
directement soi-même. La conscience est par nature intentionnelle, et ne se saisit soi-même que déjà
ouverte sur le monde qui l’entoure, déjà grosse des autres choses du monde et des autres êtres
humains. Je ne me vois jamais purement moi-même mais toujours comme quelqu’un-en-train-de-
regarder-le-monde .
Notre conscience est éveillée par le monde. Voilà ce qui fonde le réalisme : si l’être n’est pas
premier, ma conscience ne peut l’être. (Et si je me dis que tout ce qu’elle perçoit est illusion, cette
illusion est de l’être, selon un autre mode. Mais pas du non être.)
Il faut donc un « non-moi » pour éveiller notre conscience à passer de la puissance à l’acte.
Donc ça n’est pas ma conscience qui peut créer l’être du « non-moi » : il m’est donné passivement.
Ainsi, il y a une antériorité ontologique de la conscience du monde sur la conscience de soi,
mais dans les faits, il y a totale simultanéité.
Ainsi, pour le dire autrement, en tenant compte du double statut de l’intellect (patient et
agent), le monde est toujours à l’acte, et rend possible le passage de l’intelligence à l’acte. La
conscience au monde peut devenir intelligente, active, réfléchie (abstraction).
a) Husserl met entre parenthèse l’existence du non-moi : le monde est réduit au phénomène, à
ce qui est immédiatement évident pour les sens, au sensible.
Seule alors l’existence du moi résiste à toute entreprise de doute : l’évidence de premier ordre
est « l’ego transcendantal, le moi-rempli des phénomènes du monde ».
Critique En fait, cette sauvegarde du moi est arbitraire. La phénoménologie décrit les
différents états de conscience subjectifs du sujet, sans les analyser, mais en épargnant le moi. En fait
nous avons vu, et allons montrer que le non-moi résiste tout autant au doute que le moi (ainsi, la
saisie de notre corps n’est possible que sur la base d’une saisie du non-moi, compris comme
perception de notre corps en tant qu’objet sensible)
b) Sur le plan subjectif, de mon point de vue, je peux douter du monde, mais pas de moi (
Descartes ?). Subjectivement, la seule chose dont je puisse douter, c’est le non-moi, le monde. Mais
on ne peut pas lier la nécessité au seul fait subjectif comme le fait Husserl. Sur le plan objectif, est-ce
encore valable ?
4
l’être du moi conscient. Douter, c’est poser implicitement l’être. L’être du non-moi est donc
objectivement indubitable.
La mise entre parenthèse du monde s’annule donc d’elle-même.
Ainsi, l’acte de douter de l’être du moi est subjectivement et objectivement impossible
tandis que l’acte de douter de l’être du non-moi est subjectivement possible, mais objectivement
impossible.
f) Mais il y a plus: la conscience s'appréhende comme finie. Or l'abîme entre l'être et le non
être est une distance positivement infinie. Et, une cause finie ne peut pas être la cause proportionnée
d'un effet positivement infini. De plus, la conscience de l'homme ne peut franchir l'abîme entre l'être et
le non être. La conscience de l'homme n'est donc pas créatrice de l'être du monde.
CCL SUR LA PHENOMENOLOGIE : l’être du monde est indépendant du moi car une
cause finie, mon moi conscient, qui plus est qui ne se saisit que dans une réflexion seconde
par rapport à la saisie du monde, ne peut pas produire un effet infini.
5
- LES 5 PREUVES DE L’EXISTENCE DE DIEU -
Thomas d’Aquin, Somme Théologique . Ia question 2 article 3.
En sens contraire , Dieu lui-même dit ( Ex 3,14 ) : « Je suis Celui qui suis. »
• principe : Tout mouvement et toute transformation nécessite un moteur. Comme une série de
moteurs en mouvement ne peuvent remonter à l’infini - car sinon il n’y aurait pas de commencement
au mouvement - il doit y avoir un premier moteur qui ne se meut pas et qui est Dieu
• citation : « La première et la plus manifeste est celle qui se prend du mouvement. Il est évident,
nos sens nous l'attestent, que dans ce monde certaines choses se meuvent. Or, tout ce qui se meut
est mû par un autre. En effet, rien ne se meut qu'autant qu'il est en puissance par rapport au terme de
son mouvement, tandis qu'au contraire, ce qui meut le fait pour autant qu'il est en acte; car mouvoir,
c'est faire passer de la puissance à l'acte, et rien ne peut être amené à l'acte autrement que par un
être en acte, comme un corps chaud en acte, tel le feu, rend chaud en acte le bois qui était auparavant
chaud en puissance, et par là il le meut et l'altère. Or il n'est pas possible que le même être, envisagé
sous le même rapport, soit à la fois en acte et en puissance; il ne le peut que sous des rapports divers
; par exemple, ce qui est chaud en acte ne peut pas être en même temps chaud en puissance; mais il
est, en même temps, froid en puissance. Il est donc impossible que sous le même rapport et de la
même manière quelque chose soit à la fois mouvant et mû, c'est-à-dire qu'il se meuve lui-même. Il
faut donc que tout ce qui se meut soit mû par un autre. Donc, si la chose qui meut est mue elle-
même, il faut qu'elle aussi soit mue par une autre, et celle-ci par une autre encore. Or, on ne peut
ainsi continuer à l'infini, car dans ce cas il n'y aurait pas de moteur premier, et il s'ensuivrait qu'il n'y
aurait pas non plus d'autres moteurs, car les moteurs seconds ne meuvent que selon qu'ils sont mûs
par le moteur premier, comme le bâton ne meut que s'il est mû par la main. Donc il est nécessaire de
parvenir à un moteur premier qui ne soit lui-même mû par aucun autre, et un tel être, tout le monde
comprend que c'est Dieu. »
• le « résultat » auquel on aboutit : Un Premier Moteur immobile, source de tout mouvement.
6
• principe : Tout effet à une cause mais comme rien ne peut être la cause de soi-même ( car sinon
elle devrait se précéder elle-même ) et que la série des causes ne peut remonter à l’infini, il doit y
avoir une cause première incausée qui est Dieu.
• citation : « La seconde voie part de la notion de cause efficiente. Nous constatons, à observer les
choses sensibles, qu'il y a un ordre entre les causes efficientes; mais ce qui ne se trouve pas et qui
n'est pas possible, c'est qu'une chose soit la cause efficiente d'elle-même, ce qui la supposerait
antérieure à elle-même, chose impossible. Or, il n'est pas possible non plus qu'on remonte à l'infini
dans les causes efficientes; car, parmi toutes les causes efficientes ordonnées entre elles, la première
est cause des intermédiaires et les intermédiaires sont causes du dernier terme, que ces intermédiaires
soient nombreux ou qu'il n'y en ait qu'un seul. D'autre part, qu'un seul. D'autre part, supprimez la
cause, vous supprimez aussi l'effet. Donc, s'il n'y a pas de premier, dans l'ordre des causes efficientes,
il n'y aura ni dernier ni intermédiaire. Mais si l'on devait monter à l'infini dans la série des causes
efficientes, il n'y aurait pas de cause première ; en conséquence, il n'y aurait ni effet dernier, ni cause
efficiente intermédiaire, ce qui est évidemment faux. Il faut donc nécessairement affirmer qu'il existe
une cause efficiente première, que tous appellent Dieu. »
• le « résultat » auquel on aboutit : Une Cause Efficiente Première
• principe : Nous trouvent des choses qui pourraient être pu ne pas être. Si tout était ainsi, alors tout
pourrait aussi bien ne pas être, mais alors rien ne pourrait commencer à exister. Par conséquent, il y a
des choses qui sont nécessairement par elles-mêmes ou par autre chose. Comme la série des choses
qui existent grâce à une autre chose ne peut remonter à l’infini, il doit exister nécessairement une
chose première par soi-même :Dieu
• citation : « La troisième voie se prend du possible et du nécessaire, et la voici. Parmi les choses,
nous en trouvons qui peuvent être et ne pas être la preuve, c'est que certaines choses naissent et
disparaissent, et par conséquent ont la possibilité d'exister et de ne pas exister. Mais il est impossible
que tout ce qui est de telle nature existe toujours ; car ce qui peut ne pas exister n'existe pas à un
certain moment. Si donc tout peut ne pas exister, à un moment donné, rien n'a existé. Or, si c'était
vrai, maintenant encore rien n'existerait ; car ce qui n'existe pas ne commence à exister que par
quelque chose qui existe. Donc, s'il n'y a eu aucun être, il a été impossible que rien commençât
d'exister, et ainsi, aujourd'hui, il n'y aurait rien, ce qu'on voit être faux. Donc, tous les êtres ne sont
pas seulement possibles, et il y a du nécessaire dans les choses. Or, tout ce qui est nécessaire, ou bien
tire sa nécessité d'ailleurs, ou bien non. Et il n'est pas possible d'aller à l'infini dans la série des
nécessaires ayant une cause de leur nécessité, pas plus que pour les causes efficientes, comme on
vient de le prouver. On est donc contraint d'affirmer l'existence d'un Etre nécessaire par lui-même, qui
ne tire pas d'ailleurs sa nécessité, mais qui est cause de la nécessité que l'on trouve hors de lui, et que
tous appellent Dieu. »
7
• le « résultat » auquel on aboutit : un Premier Nécessaire, nécessaire par soi, et cause première
de la nécessité pour les autres étants nécessaires. En ce premier Nécessaire, l’être et la forme (
l’essence ) s’identifient. Il est donc Acte pur, absolument simple.
• principe : Dès qu’il y a une perfection transcendantale participée, il y a une perfection subsistante.
Or il y a une perfection participée ( ce que démontre l’existence de degrés) donc il y a une perfection
subsistante.
( Il y a en toute chose un plus ou un moins. Cela ne peut se dire que si il y a un étalon de mesure qui
possède la détermination de la perfection : Dieu )
• citation : « La quatrième voie procède des degrés que l'on trouve dans les choses. On voit en effet
dans les choses du plus ou moins bon, du plus ou moins vrai, du plus ou moins noble, etc. Or, une
qualité est attribuée en plus ou en moins à des choses diverses selon leur proximité différente à l'égard
de la chose en laquelle cette qualité est réalisée au suprême degré; par exemple, on dira plus chaud ce
qui se rapproche davantage de ce qui est superlativement chaud. Il y a donc quelque chose qui est
souverainement vrai, souverainement bon, souverainement noble, et par conséquent aussi
souverainement être, car, comme le fait voir Aristote dans la Métaphysique, le plus haut degré du vrai
coïncide avec le plus haut degré de l'être. D'autre part, ce qui est au sommet de la perfection dans un
genre donné, est cause de cette même perfection en tous ceux qui appartiennent à ce genre: ainsi le
feu, qui est superlativement chaud, est cause de la chaleur de tout ce qui est chaud, comme il est dit
au même livre. Il y a donc un être qui est, pour tous les êtres, cause d'être, de bonté et de toute
perfection. C'est lui que nous appelons Dieu. »
• le « résultat » auquel on aboutit : Un Modèle absolu , un maximum dans les différents ordres de
perfection transcendantale : il y a quelque chose qui est souverainement vrai , bon... Ces maxima
s’identifient ( compénetration des transcendantaux ), et ils s’identifient au maximum dans l’ordre de
l’être. « Il y a donc quelque chose qui est le plus vrai, le plus noble, le meilleur... »
• principe : Les choses dénuées de raison ont besoin, pour atteindre leur but, de quelque chose de
connaissant qui pose le but ( par exemple la flèche a besoin du tireur ). La direction orientée du monde
a donc besoin de Dieu en tant que conducteur suprême qui pose la cible.
• citation : « La cinquième voie est tirée du gouvernement des choses. Nous voyons que des êtres
privés de connaissance, comme les corps naturels, agissent en vue d'une fin, ce qui nous est manifesté
par le fait que, toujours ou le plus souvent, ils agissent de la même manière, de façon à réaliser le
meilleur ; il est donc clair que ce n'est pas par hasard, mais en vertu d'une intention qu'ils parviennent
à leur fin. Or, ce qui est privé de connaissance ne peut tendre à une fin que dirigé par un être
8
connaissant et intelligent, comme la flèche par l'archer. Il y a donc un être intelligent par lequel toutes
choses naturelles sont ordonnées à leur fin, et cet être, c'est lui que nous appelons Dieu. »
• le « résultat » auquel on aboutit : Ce résultat est beaucoup plus riche que les autres voies. Le
Dieu de la 5° voie est :
- un être intelligent. C’est un esprit.
- un unique, car l’univers est unique ( donc l’intelligence qui le pense est unique )
- créateur, origine de la création, principe interne de « programmation », de finalisation
- le Souverain Bien, c’est à dire la Fin dernière.
9
- Cours de Métaphysique -
3 - Critique de la Connaissance
© www.theologie.fr
NOTA : Ce cours de Métaphysique générale comprend les parties traditionnelles : Ontologie, Théologie naturelle et Critique de la connaissance. Il est
• Le cours d’Ontologie est fait à partir des polys de Yves Floucat (ICT Toulouse) et du cours de métaphysique de Th. Joachim ( UCAC de Yaoundé). Ce
dernier, de style plus oral est typographié en Arial bleu, et n’est pas dicté aux élèves, mais sert d’introduction orale, de transition ou de récapitulatif au corps du
cours d’ontologie.
• Le cours de Théologie naturelle ne fait que ficher les 5 voies de Thomas d’Aquin. ( Se reporter au De Deo Uno pour complements)
• Le cours de Critique de la Connaissance est tiré de différents ouvrages et cours, notamment l’excellent Foi et Philosophie de Mgr. André Léonard
P
PLLAANN
- 1 -
1 - NEGATION DE LA NOTION DE SUBSTANCE...............................................................................................................................................................26
2 - NEGATION DE LA NOTION DE CAUSALITE ........................................................................................................................................................... 28
CONCLUSION : ...................................................................................................................................................................................................... 28
CH 4 – LA SYNTHESE KANTIENNE................................................................................................................................................................ 29
I - L’ECLATEMENT DES LIMITES POSEES PAR KANT A LA RAISON : « TOUT EST RATIONNEL ». .................................................................................. 39
II - METHODE : L’ANALYSE DE L’HISTOIRE, SUCCESSION DE CONTRADICTIONS SURMONTEES. ................................................................................ 39
CH 7 - NIETZSCHE ET LE NIHILISME........................................................................................................................................................... 45
CH 8 - SARTRE ET L’EXISTENTIALISME..................................................................................................................................................... 48
____________________________________________
- 2 -
Introduction : le tournant idéaliste de la métaphysique
Nous abordons maintenant, après l’Ontologie et des rappels de Théologie Naturelle, la 3ème et dernière
partie de la Métaphysique : la Critique de la Connaissance. De quoi s’agit-il ?
Il faut bien comprendre le tournant qu’a pris la pensée avec ce que nous avons appelé la Modernité (Le
XVI°siècle, après la fin du Moyen Age). Des découvertes scientifiques (comme l’héliocentrisme, contredisant le
géocentrisme aristotélicien, que défendait l’Eglise) ont contredit certaines prises de position de l’Eglise, qui
extrapolaient le simple domaine de la foi, et du même coup ces contradiction ont jeté un discrédit sur l’ensemble
du discours de l’Eglise. (nb : dans ce contexte éclate la crise protestante) : « Si l’Eglise s’est trompé en défendant
la physique d’Aristote, elle s’est peut-être trompé aussi en défendant sa métaphysique », pense-t-on... C’est donc
toute la scolastique médiévale qui est remise en cause (Thomas d’Aquin,…), et par la suite toute la théologie
chrétienne.
Ainsi, la raison aspire à l’autonomie par rapport à la Révélation. La Stella Rectrix de la foi est niée.
L’intelligence n’est plus illuminée par le Verbe, source de tout savoir, mais la raison devient autonome. Face à la
déception héliocentriste, l’homme et sa raison s’instaurent comme le nouveau centre de l’univers, puisque la terre
ne l’est plus. L’homme croit redevenir «la mesure de toute chose» (Protagoras).
Les grandes étapes, puis égarements de la pensée moderne sont les suivants :
Nous ne reprendrons pas ces philosophies qui sont supposées connues, mais c’est dans la métaphysique
sous-jacente qu’elles présupposent que nous mettrons à la lumière.
On peut dire qu’avec la modernité, la métaphysique a pris un tournant idéaliste, s’opposant au réalisme
modéré d’Aristote et de Thomas d’Aquin.
(au sens courant, c’est l’attitude de celui qui tient compte de la réalité et sait l’apprécier avec justesse).
En métaphysique, c’est toute doctrine selon laquelle l’être a une existence indépendante de celui qui le conçoit ou
de toute représentation de l’esprit.
- 3 -
• Qu’est-ce que l’idéalisme ?
On le comprend bien, la question est celle de l’accès de notre raison à la vérité de l’être. Les vérités
auxquelles j’accède sont-elles objectives (réalisme) ou simplement subjectives (idéalisme).
- 4 -
Ch 1 - Thomas d’Aquin et l’émerveillement précritique devant
l’être.
I – L’Être et l’Étant
Ne fut-ce que lexicalement, l’être joue un grand rôle dans la métaphysique thomiste. Il y est constamment question de
l’étant, de l’essence, de l’être, de la perfection de l’être, de l’être commun, de l’être lui-même, de l’être subsistant par soi, etc.
Mais par le fond aussi, il s’agit bien du problème central de la métaphysique :
« Ce que l’intellect conçoit en premier lieu comme le plus connu et en quoi il résout toutes (les autres)
conceptions est l’étant » (De Ver I,1).
A noter que ThA parle ici de « l’étant ». Or l’étant est l’existant concret, l’union de l’être avec ce à quoi l’être échoit :
l’étant est ce qui a l’être, ce à quoi l’être appartient. Dans cette dualité entre l’être et l’étant, dans cette différence ontologique
pour parler comme Heidegger, apparaît l’un des problèmes centraux de la conception thomiste de l’être, à savoir le rapport de
l’être à son autre et , plus précisément, à son autre métaphysique (l’étant) à distinguer de son autre épistémologique
(l’intelligence) dont nous parlerons plus tard.
L’être dont il est question ici n’est ni Dieu ni les étants finis. ThA l’appelle « l’être commun » (esse commune) ou
« l’être lui-même» (ipsum esse). C’est le sens de cet « être commun » qu’il nous faut scruter tout d’abord. Nous verrons
comment se pose aussitôt à son propos la question de la différence ontologique entre l’être et l’étant.
Toute la métaphysique thomiste de l’être procède de cette intuition centrale que la richesse la plus profonde de tout ce
qui existe est justement son acte d’exister. ThA conçoit l’être essentiellement comme un acte et non comme une facticité brute.
Ainsi compris, l’être commun est une plénitude à tel point qu’il faut dire que « l’être n’est pas déterminé par autre chose
comme la puissance l’est par l’acte mais plutôt comme l’acte l’est par la puissance» et que «rien ne peut être ajouté à l’être qui
lui soit étranger » (ibid). Pour ThA, l’être commun est une plénitude suressentielle, c’est à dire une plénitude qui n’est pas
réductible à l’ordre des essences et que celui-ci , aussi large soit-il, ne peut jamais épuiser. « L’être lui-même , considéré
absolument, est infini car il peut être participé par des essences en nombre infini et en des manières infiniment diverses » (SG I,43)
. Aussi chaque étant accueille en lui, en tant qu’il est, en tant qu’il a part à la richesse plénière de l’être, un mystère insondable,
au point qu’ « aucun philosophe n’a jamais pu pénétrer parfaitement la nature d’une seule mouche » (In Symb. Apost., Prol.). Que dire
alors de cet abîme qu’est l’homme, lui qui est l’étant mondain unique en lequel l’être réfléchit comme esprit ?
- 5 -
ThA n’identifie jamais cet être commun avec Dieu, avec cet « être subsistant » (ipsum esse subsistens)
qu’est Dieu. Certains textes le montrent avec évidence. Le suivant par exemple :
« l’être commun n’est pas quelque chose en dehors de toutes les choses existantes, sinon dans l’intellect seul » (SG I,26) . Il
faut donc interpréter l’être commun à partir des choses existantes, des étants, et non l’identifier à Dieu. Notons que ce texte
implique conjointement que l’être commun n’est pas subsistant bien qu’il ne soit pas la somme des étants : il est une plénitude
que la somme des essences créées n’épuise pas, mais qui, cependant, ne subsiste que dans ces essences et non en elle-même.
L’être commun n’est pas non plus un englobant qui comprendrait aussi bien l’être incréé (Dieu) que l’être créé.
Certes, « l’être est dit de tout ce qui est » (SG II,15) et donc aussi de Dieu, mais cela n’implique pas que l’être soit un englobant au
sens d’une réalité générique dont les cas particuliers seraient Dieu et le monde. Il ne faut pas confondre le mode du sens (modus
significandi) et le mode de l’être (modus essendi). Cet être englobant est exclu par le refus thomiste d’interpréter le rapport
d’analogie entre Dieu et les êtres finis comme résultant d’un ordre par rapport à un tiers car alors « il faudrait poser quelque
chose d’antérieur à Dieu » (SG I,34). C’est donc Dieu lui-même qui est à la source de rapport d’analogie et l’être commun, loin de
surplomber à la fois Dieu et les étants, est lui-même subordonné à l’être subsistant de Dieu.
Les textes les plus éclairants sont ceux qui, considérant l’être commun comme être créé et, plus précisément, comme
une participation ou une similitude de l’être subsistant de Dieu, nous invitent à concevoir l’être commun comme une sorte
d’intermédiaire entre Dieu et l’étant. L’être commun apparaît alors comme l’effet propre de Dieu en toute chose. En effet,
• « l’être est une similitude de la bonté divine » (De Ver. 22,2) ,
• il est « l’effet propre de la cause suprême » (ST I-II, 66,5,4) et
• « Dieu est proprement la cause de l’être universel en toute chose » (ST I, 105,5).
1
ThA va jusqu’à dire que l’être commun est «la première des choses créées » (ST I, 45, a.4, ad.1) , expression ambiguë qui
suggère que l’être est lui-même un étant et que ThA , qui la reprend au Liber de causis corrige aussitôt en précisant que « quand
on dit que l’être est la première des choses créées, l’être ne désigne pas un sujet créé mais la formalité propre de l’objet de la
création » (Ibid) .
La comparaison de la lumière peut aider à se représenter les choses. En effet, « l’actualité d’une chose est comme sa
lumière » (In Lib de causis, I,6) . L’être commun n’est ni Dieu ni les étants ; il est une médiation entre les deux un peu comme la lumière
n’est ni le soleil ni les objets éclairés, mais plutôt une plénitude médiatrice entre les deux.
L’être commun n’est pas l’Etant suprême ( Dieu comme être subsistant en soi) ; il n’est pas non plus les étants créés
comme tels. Son autre métaphysique peut être considéré comme l’étant en général, l’étant en tant qu’étant. En quoi consiste
alors l’altérité ( la différence ) de cet autre qu’est l’étant en général ? il s’agit d’abord de la « subsistance », que possède l’étant
en lui-même, alors que l’être ne la possède pas.
B – l’être et la subsistance
• « l’être est signifié comme quelque chose d’abstrait… Mais ce qui est ou l’étant, bien qu’il soit le plus commun, est dit
cependant concrétivement et, pour cette raison, il participe à l’être non pas à la manière dont ce qui est davantage commun est
participé par ce qui l’est moins, mais il participe à l’être à la manière dont le concret participe à l’abstrait. C’est donc ce que dit
Boèce, à savoir que ce qui est, c’est-à-dire l’étant, peut participer à quelque chose tandis que l’être ne participe en aucune façon
à quelque chose ; et il le prouve par ce qui a été dit plus haut, à savoir que l’être n’est pas » (In Boeth. De Hebd.. lect. 2, n°24).
Ce premier texte montre que le propre de l’étant est d’être concret : il peut participer à autre chose ; il « est par
participation à …». Le second texte va dans le même sens :
1
ST I,45,1 : « il ne faut pas considérer seulement l'émanation d'un être particulier à partir d'un agent particulier, mais aussi l'émanation de tout
l'être à partir de la cause universelle, qui est Dieu ; et c'est cette émanation-là que nous désignons par le mot de création. »
- 6 -
• « l’être signifie quelque chose de plénier et de simple, mais de non subsistant ; la substance, par contre, signifie
quelque chose de subsistant, mais de sous-jacent à autre chose. Nous posons donc en Dieu la substance et l’être, mais la
substance en tant que subsistance et non en tant que sous-jacente, et l’être en tant que simplicité et plénitude et non en tant
qu’inhérence par laquelle il inhère à autre chose » (De Pot. 1,1).
Ce texte indique clairement un trait essentiel de l’être commun chez ThA : l’être commun est, certes, une plénitude sur
essentielle, une richesse infiniment simple, mais il est une plénitude non subsistante.
- « L’être de la chose créée n’est pas subsistant » (ST Ia, 45,4, obj 1).
- « On ne peut dire à proprement parler que l’être est » ( Div. Nom. 8,1)
- « l’être n’est pas signifié comme le sujet même de l’être…aussi pouvons-nous dire que l’être est » ( In Boeth. de Hebd.
lect . 2, n°23)
Nous pouvons ici reprendre l’analogie de la lumière : l’être, comme la lumière, est une plénitude non subsistante : on ne
la voit pas en tant que telle, en elle-même mais seulement projeté sur un objet qui, éclairé, l’arrête et la dévoile. Il ressort de ce
second texte que le propre de l’étant, que son altérité par rapport à l’être commun, est précisément la subsistance.
Nous avons donc deux caractéristiques de l’étant dans son altérité par rapport à l’être commun : sa concrétude et sa
subsistance. Examinons la deuxième caractéristique qui a le mérite de donner la raison profonde de ce que la concrétude
énonce seulement comme un fait.
En fait, il n’est pas facile de comprendre comment, pour ThA, la subsistance peut être, dans l’étant , l’autre de l’être.
Nous avons vu, en effet, que selon ThA, « rien ne peut être ajouté à l’être qui lui soit étranger » (De Pot. 7,2,9) , car « il n’y a rien en
dehors de lui sinon le néant » (ibid). En quel sens la subsistance peut elle alors être l’autre de l’être ? Cette question reste
largement impensée chez ThA, et nous n’aimerions pas non plus la discuter ici. Il s’agit de savoir comment ThA définit la
subsistance par laquelle l’étant se différencie de l’être commun.
A vrai dire, ThA n’approche guère la subsistance que de manière négative. Il la caractérise comme le fait de « se tenir
dans soi », « d’être en soi », « d’exister en soi » : « nous disons que subsistent ces choses qui existent en soi et non en autre
chose » (ST Ia, 29,2) . Mais qu’il s’agisse de Dieu ou des étants créés, ce « dans soi » ou cet « en soi » n’est pratiquement jamais
déterminé positivement. Il signifie toujours « non en ou dans un autre ».
Disons que la détermination de la subsistance des formes substantielles est négative chez ThA. La différence est pensée
de manière précritique parce que ThA ne s’interroge pas sur la question de savoir comment il peut y avoir un autre de l’être.
L’être est l’être du subsistant, il est son être. D’où la dualité, dans l’étant entre sujet (ce qui reçoit l’être comme sa forme,
individualité, esse) et essence (substance, nature, quiddité).
- « On appelle substance, en un premier sens, la quiddité de la chose que signifie la définition, et c’est ainsi que nous
disons que la définition désigne la substance de la chose, substance que les Grecs appellent ‘ousia’ et que nous pouvons appeler
‘essence’. On appelle substance, en un autre sens, le sujet ou le suppôt qui subsiste dans ce genre de la substance » (ST Ia, 23, 2).
- « Dans la notion de substance, on comprend qu’elle a une quiddité à laquelle il convient de n’être pas en autre chose »
(SG I, 25)
- « Toute chose a son être propre selon la mesure de son espèce ; en effet, les choses qui ont un degré d’être différent
sont aussi spécifiquement différentes » (SG II, 94).
L’être se rapporte au sujet comme son acte qui est médiatisé par l’essence. Il faut distinguer, dans un étant concret :
- ce qui est : sujet, suppôt, subsistance ( individualité).
- ce qu’il est : essence, forme, quiddité (nature)
- son acte d’être : l’être, principe de donation de forme, d’essence, de quiddité.
ThA ne répond pas à la question suivante : quel est le rapport du sujet et de l’essence à l’être ? Il affirme seulement que
l’être est l’actualité de la substance ou de l’essence; mais il ne montre pas comment s’engendrent, à l’intérieur de l’être, la
substance en tant que sujet et l’essence comme ce qui médiatise le sujet et l’être. Le déploiement de la différence ontologique
n’est pas pensé de manière critique.
- 7 -
II – L’être et l’intelligence (autre épistémologique )
Nous avons parlé métaphysiquement de l’être sans nous interroger sur son rapport épistémologique à l’homme.
L’homme est un tout complexe d’être substantiel ayant l’âme (substrat personnel), plusieurs facultés dont le plus haute est
l’intellect agent et capables de plusieurs acte
• L’intellect humain a un rapport avec la totalité de l’étant. Il ne connaît pas dans une pure activité et spontanéité
comme c’est le cas pour l’intellect divin. ThA reprend la distinction aristotélicienne entre l’intellect agent et l’intellect passif
ou possible.
L’intellect agent abstrait la forme intelligible de la matière, fait passer à l’acte les intelligibles en puissance et en montre
l’universalité.
L’intellect possible reçoit l’empreinte de la forme ainsi dégagée et s’incline devant le réel. Du rapport entre les deux
intellects résulte la connaissance qui consiste en ceci qu’une forme (quiddité, essence, prédicat) est affirmée d’un sujet (suppôt,
substrat, matière) et que cette affirmation est rapporté à la nature effective des choses, à leur acte d’être : par exemple,
« ceci » (suppôt) « est » (en acte) « un livre » (quiddité).
• Nous retrouvons ici, qu’au niveau épistémologique, le système ternaire ontologique : « substance (suppôt – sujet) –
essence (forme –quiddité) – être » , système qui, grâce à l’intellect agent et possible, n’est plus celui de l’étant, mais celui de la
conception intellectuelle de l’étant. L’étant est la chose la plus concevable qui soit, premier objet de l’intellect. De même que, au
niveau ontologique, l’être se présente comme un autre par rapport à l’essence et au sujet, de même ici, au niveau
épistémologique, l’être est un autre par rapport à la forme connue et au suppôt. Dans l’énoncé de la connaissance, c’est à dire
dans le jugement, l’être s’exprime dans la copule. Mais dans le processus épistémologique proprement dit, c’est à dire dans la
conception de l’être comme acte, il est plutôt cette lumière (lumen) qui est le lieu fonctionnel (le quo ) de la connaissance et non
son quod, son objet ; tout comme l’être, au niveau ontologique, est fonction de l’essence et du sujet ( leur quo et non le quod
même de l’étant comme tel).
- ThA présente le processus de la connaissance dans ces deux textes :
1. « L’opération intellectuelle humaine s’accomplit selon deux aspects, à savoir selon la lumière intelligible et selon les
espèces intelligibles, de telle manière cependant que selon les espèces se fait l’appréhension des choses et que selon la lumière
intelligible s’accomplit le jugement sur les choses appréhendées ». (De Malo 16,12)
2. « Deux choses sont requises pour la connaissance intellectuelle, à savoir l’intelligible lui-même et la lumière par
laquelle il est vu » (II Sent. 9,1,2,4)
La réflexion sur les transcendantaux ressort de la détermination ultérieure de l’étant : « il faut que toutes les autres
conceptions de l’intellect proviennent d’une addition de l’étant » ( De Ver. 1,1). Les transcendantaux ne sont pas une ajoute. Ils
expriment un mode de l’être qui n’est pas exprimé par le nom « être ». Ce sont des noms qui, au même titre que l’étant, ont
- 8 -
cependant une connotation différente et transcendent chaque étant déterminé. ThA cite ( in De Ver. 1,1) six transcendantaux :
étant, chose, quelque chose d’autre, un, bon, vrai ; qu’il divise en deux groupes :
- ceux qui se rapportent à l’étant pris en lui même ( chose, un )
- ceux qui le désignent dans son rapport à un autre ( quelque chose d’autre, bon, vrai ). Le plus souvent, il n’en retient
que trois : un (unum), bon (bonum), vrai (verum) que nous retenons pour notre examen. Nous examinerons aussi le beau
(pulchrum).
L’un est ce qui est indivis en soi de manière négative. Bonum Verum : rapport positif de convenance d’un étant avec un
autre. Cette convenance n’est pas possible si l’on n’admet pas qu’il y a quelque chose qui, par nature, convient avec tout étant :
ce quelque chose, c’est l’âme. La convenance universelle valable pour tous les étants repose sur l’universalité de l’âme et non sur
celle de l’être comme le fera Heidegger. ThA pense, ainsi dirait Heidegger, d’une manière trop ontique, en construisant les
transcendantaux sur la dualité de l’étant et de l’âme. l’âme a deux grandes facultés :
- la faculté cognitive (vrai comme accord entre l’étant et l’intelligence)
- la faculté appétitive ( bon comme accord entre l’étant et la volonté )
Les transcendantaux ( ou universaux ) sont convertibles. Tout ce qui est, en tant qu’il est, est un, vrai, bon. Tout ce qui
est vrai, en tan qu’il est vrai, est bon et un, etc… Les transcendantaux sont convertibles mais non synonymes. Ils ne diffèrent pas
quant à la chose, mais quand au sens. Par chose, ThA entend « sujet », « substance », « suppôt » : «le bon est identique à
l’étant quant au sujet » (ST Ia, 5,6,1) ; « le vrai … se convertit avec l’étant selon la substance » (ST Ia, 16,3,1). Ils diffèrent cependant
par leur sens. Si l’étant ou l’un, le vrai et le bon sont identiques quant au sujet, qu’est-ce qui correspond, dans l’étant lui-même,
à leur diversité de sens ? Pour ThA, l’étant est lui-même sujet, essence et acte. Il n’est déterminé par les transcendantaux que
dans son rapport à l’âme. Les transcendantaux expriment la richesse de l’être et sont garantis par le rapport de l’étant à
l’intelligence et à la volonté divines. L’erreur de ThA est de juxtaposer les termes et les plans différents (l’étant, l’âme et Dieu)
sans montrer suffisamment dans leurs rapports l’unité d’un même déploiement. C’est pourquoi il est nécessaire, sur le plan
herméneutique, de relever la diversité de sens à partir d’une affinité profonde entre la triade sujet-essence-acte et la triade un-
vrai-bon.
ThA affirme la convenance ou la coïncidence de vrai et du bon. Le vrai est ce vers quoi tend l’objet de l’intellect ; mais il
y a aussi la quiddité ou l’essence. Trois termes caractérisent le bon :
- la perfection
- l’acte
- l’être.
Texte : « Le sens du bon consiste en ce que quelque chose soit appétible ; dès lors est bon ce que toutes choses
appètent. Or il est manifeste que toute chose est appétible selon qu’elle est parfaite, car toute chose appète sa perfection propre.
Or toute chose est parfaite selon qu’elle est en acte. Dès lors il est manifeste que quelque chose est bon selon qu’il est étant ;
l’être, en effet, est l’actualité de toute chose » (ST Ia, 5,1).
En partant de ce texte et d’un autre passage de Quaestiones disputatae de Veritate ( De Ver 21,3), on peut tirer les
conséquences suivantes :
1.- il y a correspondance métaphysique d’une part entre le vrai et l’essence et d’autre part entre le bon et l’être. En tant
que vraie, une chose comble d’abord par son essence, et en tant que bonne, par son acte d’être.
2. – le vrai est situé dans le connaissant et le bon dans la chose : « De même que le bon désigne ce à quoi tend
l’appétit, ainsi le vrai désigne ce à quoi tend l’intellect… et ainsi, le terme de l’appétit, c’est à dire le bon, est dans la chose
appétible, mais le terme de la connaissance, c’est à dire le vrai, est dans l’intellect lui-même ». (ST Ia, 16,1).
3. – la vrai lacune de ThA ici est dans la vision trop ontique des transcendantaux. Il faut distinguer chez lui deux
niveaux :
• 1er niveau de réflexion : l’âme comprend l’étant comme le système du sujet, de l’essence et de l’acte d’être.
• 2ème niveau de réflexion : c’est dans le système des transcendantaux que se pose le problème du rapport de
l’étant ainsi structuré à l’âme cognitive. C’est à ce 2ème niveau qu’apparaît le double parallélisme du vrai et de l’essence d’une
part, du bien et de l’être d’autre part. Plus profonde serait cette correspondance si l’on y voyait l’expression de mouvement
même de l’être.
- 9 -
4. - ThA a dépassé son ontisme dans Summa contra Gentiles où l’on voit dans les transcendantaux le mouvement
même de l’être commun en tant qu’il se communique en émanant de sa structure divine et pose l’âme et l’étant comme les deux
moments de son déploiement proprement ontologique. L’être commun est ainsi lui-même, en fonction de son origine divine, le
système des transcendantaux (un – vrai – bon ) et c’est lui qui, en tant qu’il est la substance divine, se déploie en laissant aller
hors de lui comme ses deux moments le système de l’âme ( âme – intellect – volonté ) et le système de l’étant ( sujet – essence
– acte ).
DIEU
Être subsistant et personnel
( intelligence et volonté)
|
être commun
(Sein)
ESPRIT ETANT
(Système de l’âme) (Système de l’étant)
(Dasein)
Le Beau est présenté par ThA comme consonance ontologique ou comme proposition convenable. Métaphysiquement, le
beau unifie le vrai et le bon en les dépassant et les corrigeant l’un par l’autre. Le beau est bon en tant qu’il est vrai et il est vrai
en tant qu’il est bon. Il est l’unité de l’intelligence et de la volonté et ne peut être goûté que dans les mouvement respectueux de
l’amour. Il concerne aussi l’étant dans sa consonance totale. Le beau est consonance puisqu’il exprime la communion réussie de
l’être, de l’âme et de l’étant. Il est l’unité des transcendantaux parce qu’en lui s’exprime la concorde originaire de l’être. C’est
pourquoi il est une fête de l’esprit. C’est de St Thomas que part Hans Urs Von Balthasar pour développer sa théologie de la
« Herrlichkeit » (Gloire).
IV – L’être et Dieu.
Le chemin vers Dieu est, chez ThA, un chemin qui va des étants à l’être et de l’être à l’être subsistant de Dieu.
- 10 -
Il y a 5 voies ( ST Ia, 2,3) comme 5 désignations de l’être subsistant : premier moteur (Aristote), cause efficiente de
l’être, être nécessaire par soi, causes, en tous les étants de l’être, de la bonté et de toute perfection, principe intelligent
ordonnant à leur fin toutes les choses naturelles. ThA conclut à chaque fois : « c’est ce que tous entendent par Dieu ». Il y a ici
un saut énorme qui escamote le problème du passage de l’Ipsum Esse Subsistens (avec ses 5 noms) à ce mot « Dieu » véhiculé
par une tradition historique et religieuse.
Rapports entre Dieu et l’être : ThA donne 3 raisons pour lesquelles le nom « Celui qui est » ( le tétragramme) est le
nom le plus approprié de Dieu :
1. par sa signification : chaque chose est nommée par sa forme. Or l’étant ne désigne pas une forme quelconque,
mais l’être lui-même (la forme des formes) qui est identique à l’essence de Dieu (ce qui n’est pas en Dieu).
2. par son universalité : nous ne pouvons connaître Dieu en lui-même, mais plus un nom est universel, moins il
restreint l’essence divine et désigne adéquatement la plénitude infinie de la substance divine.
3. par ce qu’il co-signifie : à savoir l’être présent, par opposition au passé et au futur. Et c’est ce qui convient le
mieux à Dieu.
Précisions de ThA sur « Celui qui est » comme vrai nom de Dieu :
Texte : « Ce nom « celui qui est » est un nom divine plus propre que le nom « Dieu » quant à l’origine de son
imposition, à savoir l’être, et quant au mode de signification et de co-signification…. Mais quant au terme en vue duquel le nom
est imposé pour qu’il le signifie, le nom « Dieu » est plus propre, qui est imposé pour signifier la nature divine. Et le nom
« Yhvh » est encore plus propre, qui est imposé pour signifier la substance incommunicable et, pour ainsi dire, singulière de
Dieu » (ST Ia, 13,11,1).
Interprétation du texte : il y a convertibilité de l’être et de Dieu comme « noms ». Cette réciprocité repose sur la
révélation de soi, dans l’histoire, de l’être subsistant comme Dieu : l’être subsistant est celui qui s’est fait Dieu. Mais il y a une
différence entre les deux dénominations :
- le nom « celui qui est » désigne l’Absolu en tant qu’il est le terme de notre effort de nomination à l’intérieur
de notre quête de l’événement originaire de l’être.
- Dieu désigne, par contre, le nom propre de l’Absolu, sa nature la plus intime, sa nature divine qui nous
échappe toujours. « Yhvh » est le nom le plus propre, le plus singulier, de Dieu se révélant librement comme lui-même dans
l’histoire.
Conséquences : ThA aurait pu ici élargir le problème : au lieu de comparer les mérites respectifs de quelques noms
divins, il aurait pu poser le problème spéculatif du rapport entre métaphysique et histoire. Le nom « qui est » reste sur le plan
métaphysique, le nom le plus approprié de Dieu. Cette vérité sublime a été enseignée, sur le plan théologique, à Moïse. Ce nom
reste cependant indéterminé, et, s’il dit bien la totalité de l’être divin, il ne la dit que de façon confuse.
V – Analogie
Question : l’homme est fini et limité. Sa connaissance est toujours relative à une perspective d’approche.
Comment peut-il affirmer connaître le Dieu transcendant ou parler de lui ?
C’est en cherchant à répondre à cette question que ThA élabore sa théorie d’analogie que nous présentons en ces
quelques points : Dieu n’est pas extérieur à moi : sa présence créatrice est immédiate au centre de mon être. Je ne peux certes
atteindre cette source dont tout procède. Mais l’acte vital avec lequel je coïncide reflète réellement cette présence divine. C’est
pourquoi la réflexion métaphysique est coïncidence non seulement avec mon être, mais aussi avec l’être dans sa réalité absolue
et universelle. Il s’agit cependant d’une coïncidence imparfaite et limitée parce que l’acte de ma vie (l’élan vital) est celui par
lequel s’actuent les limites qui me distinguent de Dieu. Prendre conscience de mon imperfection et de mes limites, c’est participer
réellement au dynamisme avec lequel Dieu se connaît. Mais je ne connaîtrai jamais Dieu comme lui-même se connaît et je ne me
connaîtrai jamais comme Dieu me connaît en me créant. Prendre conscience de soi, c’est se poser comme distinct de Dieu et
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incapable de coïncider avec le Réel en tant que tel. La présence réelle de Dieu en moi est une présence d’un transcendant
qui, dans sa radicale proximité, est aussi infiniment distant de moi : il s’agit ici d’une « médiation infinie » ou d’une « totale
immédiateté ».
Ce que je dis de Dieu n’est donc pas totalement négatif parce qu’il est réellement présent en moi ; mais je dois nier,
sans pouvoir le dépasser, les limites inhérentes à ma réalité créée. Je ne peux et ne dois dire de Dieu que dans la fidélité au
mouvement de participation avec lequel il me constitue comme être dépendant de lui en tant qu’identité parfaite de conscience
et de réalité ( verum veritas sicut adaequatio rei et intellectus), identité parfaite de la réalité dans l’unité avec elle-même
(unum)
Conséquence :
Avec le problème de « parler de Dieu » se pose celui de la prédication analogique dans le discours sur Dieu. ThA dégage divers
moments ou niveaux de prédication analogique dans notre connaissance de Dieu. Il s’agit de ces trois voies de ThA :
L'analéctique (logique d'attribuer des termes positifs à Dieu par analogie) est le fait d'attribuer à Dieu des perfections
tout en niant le mode fini propre aux étants. Seul Dieu réalise éminemment le concept d'unité, ma notion d'unité est relative à
mon l'expérience et est donc imparfaite. Pour St Thomas, trois étapes dans la connaissance de Dieu:
- La voie affirmative: on ne peut nier que sur fond d'affirmation. Nous commençons par attribuer les perfections à Dieu.
- La voie négative: nous nions la finitude de ces perfections dans les étants finis de notre expérience.
- La voie d'éminence: elle réconcilie les deux. Nous affirmons que Dieu seul possède les perfections, au-delà de ce que
nous pouvons nous représenter clairement.
Le processus qui conduit la réflexion à l’affirmation de Dieu est fondé sur le rapport de causalité qui s’exprime dans la
via causalitatis : la réalité révèle son sens profond en renvoyant à un fondement ou à une cause. Dieu est indiqué ici sous la
forme d’une source première, d’une excès d’énergie, d’une origine généreuse et féconde.
Cette réflexion se fait dans la conscience, c’est à dire dans le langage. Dans ce sens, il n’y a pas de connaissance pour
l’homme, qui ne soit dite. Mais il y a l’indicible et l’inaccessible. Comment Dieu peut-il se dire dans le langage humain ? le
langage humain devient ainsi problématique. Nous atteignons le mouvement nécessaire de la négation par lequel la finitude de la
connaissance et du langage humain reconnaissent leur impuissance devant le mystère de Dieu.
Les représentations qu’évoque notre intellect, dans le langage, sont des déterminations finies de l’univers humain.
Dieu n’est pas à notre portée. Reconnaissons que tout commence avant nous et nous arrivons trop tard pour coïncider
avec la profondeur du mystère. La création est un geste qui nous précède et nous ne sommes que le point d’aboutissement et
non l’origine. Dieu nous connaît et nous crée parce que nous sommes une participation créée de sa Parole. L’être humain est
créé ; il est fini. Sa contingence ontologique renvoie à Dieu comme source ou origine absolue.
La philosophie contemporaine, à la suite de ThA et d’autres philosophes modernes (Kant, Hegel), en insistant sur la
finitude de l’homme, exige la négation et la mort inscrite dans tout acte spirituel.
L’être créé est plus qu’un concept explicatif mesuré à la raison qui traduit le mouvement de l’expérience humaine. Celle-
ci doit se vider d’elle-même pour découvrir en Dieu la source de toute plénitude. Lui est tout et nous ne sommes rien. Ma propre
certitude, je ne peux la posséder. Elle doit devenir sa certitude en moi, l’assurance qu’il m’offre. Au delà d’un savoir limité, nous
devons accepter un non-savoir. Abandonnons toute représentation, toute image, tout point d’appui humain : c’est cela l’œuvre
de la négation : installation dans le vide, dans le néant ( Kierkegaard, Heidegger). C’est pourquoi la philosophie aboutit à une
certaine indétermination. Quel contenu pourrait-elle donner aux concepts « créateur » et « créature » ? Ces concepts expriment
le geste essentiel par lequel l’existence contingente reconnaît la source qui n’est pas contingente. Mourir à soi-même, à sa propre
indépendance, à son être-pour-soi, à toute possession, c’est laisser se révéler le geste créateur qui procède de Dieu.
L’affirmation de Dieu coïncide donc avec l’acte spirituel dans sa passivité originelle qui renvoie à la source première de l’acte pur
dans lequel toutes les perfections transcendantales, qui expriment la vie spirituelle, sont réalisées dans leur plénitude.
- 12 -
3. la voie d’éminence ou d’excellence (via eminentiae)
ThA désigne par des comparatifs que les modes niés dans la via negationis ne le sont pas en raison d’un défaut de
réalité en Dieu, mais bien plutôt en raison de l’excès ou de l’excellence de sa réalité (ST Ia,12,12). En vertu de cette éminence, la
substance divine se retire, pour ainsi dire ,par delà tous nos concepts ; elle transcende infiniment toutes nos déterminations
conceptuelles. La question qui se pose alors est de savoir si ce retrait et cette transcendance ne débouchent pas sur une pure
indétermination : question posée explicitement par Hegel.
C’est la connaissance même de Dieu indicible qui exige sa proclamation dans le discours. La parole humaine,
s’enracinant dans le mystère de la vérité première, ne peut manquer de susciter tous les échos de la recherche, de la pensée et
de l’expression humaines. Dieu est présent : rien n’est sans lui. C’est lui qui se dit dans tout finalement, qui se révèle et se
manifeste. Le langage est comme porté vers cette ouverture à une révélation que ne peut jamais se réaliser avec l’unique
ressource de la raison humaine ( le dernier Heidegger développe ce point de vue de St Thomas dans le langage apophatique ).
Seule l’annonce, dans notre univers et dans nos traditions historiques, de la Parole éternelle pourra porter à sa plénitude l’effort
intellectuel accompli par tous les esprits créés : « Omne verum, a quocumque dicatur, a Spiritu Sancto est » ( Ambroise ). En
fonction de cette réalité première, l’expression de l’homme dans le monde prend une signification symbolique. Dieu doit refléter
sa présence dans le monde. Cette présence ne devient notre que comme présence découverte et accueillie dans le langage
humain qui connaît. Le même non-savoir se manifeste comme symbole d’un savoir qui s’auto-révèle et qu’il faut interpréter. On
retrouve, par là, la thèse classique de l’analogie : les propriétés transcendantes sont attribuées à Dieu formaliter eminenter, les
autres perfections lui sont attribuées symboliquement.
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ANNEXE :
« l’ é m e r v e i l l e m e n t t h o m i s t e d e v a n t l ’ a c t e d ’ ê t r e » .
Repris de Mgr. André LEONARD, Foi et Philosophie.
(EXCELLENT. Livre à acheter absolument)
La métaphysique commence par un émerveillement devant l’acte d’être. Le jeune enfant lui-même
interroge : « que fais-je ici, dans ce monde ? » et la réponse est dans le visage accueillant de la mère. (A
l’adolescence, il va comprendre que la générosité qui le fait être vient de plus loin que le cercle familiale, encore
qu’elle doit être de même nature). Nous sommes Je car Dieu nous tutoie. Tous les étants ne sont que participation
à l’être. L’être est ce par quoi tout existe, comme la lumière fait exister un paysage.
-Heidegger: l’être est l’événement même de la vérité, l’horizon de sens sur lequel se détache tout ce qui nous fait
signe.
-ThA : l’être est l’acte même d’exister ( actus essendi ). Forme de toutes les formes, acte de tous les actes,
perfection de toutes les perfections.
L’homme est alors le seul étant accordé à l’être, ouvert sur l’être, intéressé à l’être. Il est l’être-là, le là, le
lieu de l’être. Ouverture illimité de l’âme humaine, car « suressentialité » de l’acte d’être. La plénitude de l’être
dépasse la somme des étants et des essences, tout comme la lumière est infiniment plus que la somme des
objets éclairés. Tout étant est un mystère insondable du fait même de son élection par l’être, de son éclairage, de
son existence. Et combien plus l’homme, où l’être affleure à la conscience : la suressentialité de l’être est présente
à lui comme ouverture illimitée de l’esprit.
Dès lors, pourquoi les étants ? la lumière est indifférente aux objets éclairés. L’être étant suressentiel, ne
peut être tenu responsable de l’existence des essences déterminées ( ie des formes concrètes des étants ). Etant
d’un autre ordre ( > essences), elle y est indifférente. D’où l’étonnement indépassable de la raison humaine face
au rapport énigmatique liant être et étants. D’autant que l’être semble avoir besoin des étants pour s’exprimer,
comme la lumière a besoin des objets pour éclairer. Elle ne s’éclaire pas elle-même : humilité et discrétion de la
lumière et de l’être. Relativité. En ce sens, l’être n’est pas ! C’est une plénitude qui ne subsiste pas en elle-même.
indigence réciproque de l’être et des étants.
L’homme n’est que le berger de l’être et non son propriétaire. Il n’est que le gardien de son mystère, non
son Seigneur. Mais il est aussi le lieu de l’être, le lieu où le mystère devient transparent à soi. Paradoxe de la
supériorité alternée de l’être et de l’homme. ( De même que la lumière n’est perçue comme telle que dans et par
l’œil, qui, sans pouvoir la tarir, certes, voit cependant cette lumière qui ne se voit pas elle-même, et lui est ainsi
supérieure.
C’est pour surmonter ce paradoxe que de tout temps, la pensée métaphysique est allé au delà de la
simple différence ontologique entre l’être et l’étant et s’est élevé jusqu'à l’affirmation de Dieu. Dieu est
positivement requis par la présence au cœur des étants d’une plénitude qui les transcende, mais ne subsiste pas
en elle-même. affirmer Dieu en philosophie, c’est parvenir au delà de la différence ontologique (étant-être) à
- 14 -
une troisième différence métaphysique, la différence théologique entre l’être et Dieu. Au delà de la plénitude
non subsistante de l’être et de l’étant, il y a l’être subsistant et personnel de Dieu ( ipsum esse subsistens ).
La différence théologique éclaire la question de l’origine des essences, qui dérivait jusqu’alors de l’être lui-
même, ce qui contredit sa suressentialité. Maintenant, cette origine est à chercher dans l’intelligence divine. Les
essence ne sont pas contenues dans l’être ni dans la substance divine, mais sont le fruit de l’imagination créatrice
de Dieu, chacune correspondant à une pensée divine qui l’invente créativement et la pose généreusement dans
l’être. Il ne s’agit pas d’oublier l’être (Heidegger reproche cette « constitution ontothéologique de la
métaphysique).
Dieu est l’Etre subsistant. Il n’est pas un étant suprême s’additionnant aux étants finis, seulement Dieu
peut être dit étant en tant que subsistant, à la différence de l’être, et être en tant qu’il ne reçoit pas l’être comme
les étants mais est la plénitude subsistante de l’être lui-même. Etre donc différent des étants, Subsistant, donc
différent de l’être.
Ainsi, affirmer Dieu résout le paradoxe de la supériorité réciproque homme<>être. Ce qui est supérieur
aux étants, ça n’est pas l’être car il est non subsistant en soi, c’est Dieu, qui cumule la plénitude de l’être et la
subsistance des étants. Ce qui est supérieur à l’homme, ça ne peut être l’être car il est impersonnel, c’est Dieu,
plénitude de l’être et subsistance personnelle présente dans la conscience de l’homme. Dieu est le soleil, cumulant
la plénitude inépuisable de la lumière et la subsistance des objets. On remonte de l’acte d’être à Dieu comme de la
lumière au soleil.
3 différences métaphysiques :
- enfants
- 15 -
Peut-on se passer de l’intermédiaire de l’être ? La différence ontologique est-elle noyée par la différence
théologique ? Les objets ne peuvent être branchés directement sur le soleil, de peur d’être anéantis. Supprimer
l’être aboutit au panthéisme. (Dieu seul existerait et les étants seraient des aspects limités de son existence. Dieu
ne serait plus transcendant, et les étants ne serait que des accidents ou des modes des l’unique substance divine).
ThA : l’acte créateur de Dieu porte d’abord sur l’être lui-même. « l’être est la première des choses
créées ». Il n’est pas sujet créé mais corrélât adéquat de la plénitude de Dieu. « l’être est quelque chose de simple
et plénier mais non subsistant ». Emanant de Dieu, il est immédiatement absorbé par les étants selon les
essences ou formes pensées par Dieu. L’être, tout comme la lumière, est pure médiation. Il est signe de l’origine
divine de l’homme. La différence théologique présuppose et promeut la différence ontologique. Dieu est le
donateur de l’être et l’être est le don si entièrement donné qu’il ne subsiste pas en lui-même. Il est humble et
pauvre, et renvoie à Dieu et aux étants. Il est pure médiation référentielle. « l’être est une similitude de la bonté
divine », disponible sans réserve, oublieux de soi, générosité pure.
_________________________________________________
- 16 -
Annexe : Décret de la Sacrée Congrégation des études, 27 juillet 1914.
Thèses approuvées de philosophie thomiste
Dans le Denzinger, n° :
substance et, de plein droit, est un accident.
3601
1. La puissance et l'acte divisent l'être en sorte que tout ce 3611
qui est ou bien est acte pur, ou bien est composé 11. La matière considérée sous l'aspect de la quantité est le
nécessairement de puissance et d'acte comme de principes principe de l'individuation, c'est-à-dire de la distinction
premiers et intrinsèques. numérique d'un individu par rapport à un autre appartenant
à la même espèce, ce qui ne peut être le cas des créatures
3602 purement spirituelles.
2. L'acte, en tant que perfection, n'est limité que par la
puissance, qui est l'aptitude à la perfection. En 3612
conséquence, selon que l'acte est pur il n'existe qu'en tant 12. Il résulte du même attribut de la quantité qu'un corps
qu'illimité et unique ; mais lorsqu'il est fini et multiple, il est circonscrit en un lieu et qu'il est seulement en un seul
entre en composition véritable avec la puissance. lieu sous ce mode par quelque puissance que ce soit.
3603 3613
3. C'est pourquoi, pour la raison absolue de son être même 13. Il y a deux sortes de corps, les corps vivants et les
Dieu est un, l'un le plus simple ; tous les autres êtres qui corps inertes. Dans les corps vivants, étant donné que se
participent à l'être même ont une nature par laquelle l'être trouvent dans le même sujet la partie motrice et la partie
est limité, et sont composés d'essence et d'existence mue, la forme substantielle appelée du nom d'âme appelle
comme de deux principes réellement distincts. une disposition organique, c'est-à-dire des parties
distinctes.
3604
4. L'être, qui est dénommé à partir de l'exister, 3614
14. En aucune manière les âmes d'ordre végétatif et d'ordre
n'est pas attribué à Dieu et aux créatures de
sensible ne subsistent par elles-mêmes ni ne se produisent
manière univoque, ni non plus de manière elles-mêmes, mais elles existent seulement selon le principe
totalement équivoque, mais de manière par lequel le vivant existe et vit, et comme elles dépendent
analogue, d'après l'analogie tantôt entièrement de la matière, lorsque le composé périt, elles
d'attribution, tantôt de proportionnalité. périssent par là même par accident.
3605 3615
5. En outre il y a en toute créature une composition réelle 15. Au contraire, l'âme humaine subsiste par elle-même ;
du sujet subsistant et de formes ajoutées de façon seconde, elle est créée par Dieu pour être unie à un sujet
c'est-à-dire d'accidents : ceux-ci ne seraient pas intelligibles suffisamment préparé, et par nature elle est impérissable et
si l'être n'était pas reçu réellement dans une essence immortelle.
distincte.
3616
3606 16. Cette âme rationnelle est unie au corps de manière à en
6. Outre les accidents absolus il existe également un relatif, constituer la forme substantielle unique, et par elle l'homme
c'est-à-dire relatif à quelque chose. Bien que relatif à existe comme homme, comme animal, comme vivant,
quelque chose ne signifie pas qu'une chose est inhérente à comme substance et comme être. L'âme donne à l'homme
une autre selon sa raison propre, souvent cependant elle a toute sa perfection essentielle ; en outre elle communique
sa cause dans les choses, et c'est pourquoi elle a une entité au corps l'acte d'exister par lequel elle existe elle-même.
réelle distincte du sujet.
3617
3607 17. Deux ordres de facultés proviennent de l'âme humaine
7. La créature spirituelle est en son essence entièrement en vertu de sa nature, les premières qui ont rapport aux
simple. Mais il reste en elle une double composition sens ont pour sujet le composé, les secondes l'âme seule.
d'essence et d'existence, de substance et d'accidents. L'intellect est une faculté intrinsèquement indépendante
d'un organe.
3608
8. La créature corporelle est, sous le rapport de l'essence 3618
elle-même, composée d'acte et de puissance ; cette 18. L'intelligence suit nécessairement l'immatérialité, en
puissance et cet acte, dans l'ordre de l'essence, sont sorte que le degré d'intellectualité correspond au degré
désignés par les termes de matière et de forme. d'éloignement de la matière. L'objet adéquat de
l'intelligence est communément l'être lui-même ; le propre
3609 de l'intellect humain dans l'état présent de l'union est limité
9. Aucune de ces deux parties ne possède l'existence par à abstraire les quiddités de leurs conditions matérielles.
elle- même, ni ne peut se produire ou se détruire par elle-
même, ni être prise comme prédicament si ce n'est comme 3619
principe substantiel. 19. Nous puisons la connaissance dans les choses sensibles.
Mais comme le sensible n'est pas intelligible en acte, il faut
3610 admettre, en plus de l'intellect atteignant formellement (les
10. Même si l'étendue résulte de la nature corporelle dans intelligibles), l'existence dans l'âme d'une faculté active
ses parties intégrales, ce n'est cependant pas la même abstrayant les formes intelligibles des images.
chose pour un corps d'être une substance et d'être étendu.
La substance en tant que telle est indivisible non pas à la 3620
manière d'un point, mais à sa manière à elle qui n'est pas 20. Par ces formes intelligibles nous connaissons
de l'ordre de la dimension. La quantité en effet, qui donne à directement les formes universelles ; les êtres individus
la substance l'étendue, est réellement distincte de la nous les atteignons par les sens et par l'intellect faisant
- 17 -
retour aux images ; par analogie, nous accédons à la qui, parmi les perfections limitées de l'être, de la vie, de
connaissance des réalités spirituelles. l'intelligence ont plus ou moins l'être, la vie et l'intelligence,
à celui qui est au plus haut degré l'intelligence, la vie et
3621 l'être ; enfin de l'ordre de l'univers à une intelligence
21. La volonté suit l'intellect, elle ne le précède pas ; la séparée qui ordonne, dispose et dirige toute chose vers sa
volonté désire nécessairement ce qui lui est présenté fin.
comme le bien qui satisfait son appétit de toute manière,
mais parmi plusieurs biens qui lui sont présentés comme 3623
désirables, elle choisit librement par un acte de jugement 23. L'essence divine, parce que son être même est identifié
révocable. Ainsi le choix suit le dernier jugement pratique ; à l'acte en exercice, c'est-à-dire parce qu'elle est l'Etre
enfin la volonté exécute. même subsistant, se présente aussi à nous comme la raison
métaphysique du bien et, à cause de cela, nous dévoile la
3622 raison de son infinie perfection.
22. Nous n'atteignons pas dans une intuition directe
l'existence de Dieu ni ne pouvons la démontrer a priori, 3624
mais bien a posteriori, "à partir des choses créées Rm 1,20 24. En raison de la pureté de son être Dieu est séparé des
, par un raisonnement allant des effets à la cause ; c'est-à- choses limitées. D'où il suit premièrement que le monde ne
dire des choses qui se meuvent et ne peuvent avoir en peut procéder de Dieu sinon par création ; ensuite que
elles-mêmes le principe adéquat de leur mouvement au l'énergie créatrice par laquelle est formé d'abord en lui-
premier moteur non mû ; du déroulement des choses du même l'être en tant qu'être ne peut être communiquée
monde subordonnées entre elles à la première cause sans même pas par miracle à quelque nature finie ; enfin
cause ; des choses corruptibles qui pourraient aussi bien ne qu'aucun agent créé ne peut agir sur quelque être que ce
pas être qu'être à l'être absolument nécessaire ; des choses soit si ce n'est par une motion reçue de la Cause première.
- 18 -
Ch 1 bis. Thomas d’Aquin et l’émerveillement devant l’être
(résumé).
1. L’Être : C’est l’Être en Soi (en latin : Ipsum Esse par des essences en nombre infini et en des manières
infiniment diverses » ( SG I,43) . Il est sur-essentiel.
Subsistens), nom métaphysique de Dieu, qui désigne un
Être qui subsiste en soi, de façon nécessaire, et personnelle.
3 – il est abstrait, il n’a de réalité qu’intellectuelle (il
C’est l’Être comme Plénitude subsistante et Personnelle,
est non subsistant) : « l’être commun n’est pas quelque
dont l’intellect a créé les formes ( essences des étants ).
chose en dehors de toutes les choses existantes, sinon dans
2. L’être commun ( lat : esse commune ou ipsum esse,
l’intellect seul » (SG I,26) . Il faut donc interpréter l’être
l’être lui-même) : c’est le fait qu’il y ait des étants. Donc
commun à partir des choses existantes, des étants, et non
réalité intellectuelle. C’est une Plénitude non-subsistante
l’identifier à Dieu.
(car créée par Dieu), impersonnelle ( pas une personne ).
3. Les étants : subsistants (non plénitude, car finis)
4 - il est donc non-subsistant : « Il n’est pas subsistant
impersonnels ( sauf l’homme, seul subsistant personnel ).
mais inhérent » (De Pot 7,2,7) . « on ne peut dire à proprement
parler que l’être est » (Div.Nom 8,1) . « L’être est ce par quoi
La Métaphysique de Thomas analyse et décrit l’être
quelque chose est » (ST I,75,4) . Non subsistant signifie pour
commun (l’être). L’être commun est la « première des
l’être qu’il n’existe pas en lui-même mais en un autre, c’est
choses créées » par Dieu. Pourquoi cet intermédiaire ? Si on
à dire dans l’étant, dans les étants ( comme les accidents
le supprime, on aboutirai à un panthéisme, où les étants
sont eux aussi non subsistants) . L’ étants est lui subsistant,
seraient des parcelles de Dieu, l’Être en Soi. (Il s’agit de
car il existe en lui-même, et non en quelque chose d’autre.
penser l’acte de la Création en préservant ses deux aspects
que sont sa relation à Dieu et néanmoins sa séparation de
5 – il est intermédiaire entre Dieu et l’étant : l’effet
Dieu.) En effet, de quoi les étants tirent-ils leur être ? si
propre de Dieu en toute chose, plénitude médiatrice entre
c’est directement de Dieu, ils sont divinisés (donc
Dieu et les étants. Il est la « première des choses créées »
panthéisme. Dieu ne serait plus transcendant et les étants
(ST I,q45,a4,1) , dans la pensée de Dieu (mais pas un étant :
ne seraient que des accidents ou des modes de l’unique
«non pas un sujet créé, mais la formalité propre de l’objet
substance divine. // univocité de l’être). Sinon, il faut un
de la création » Ibid ).
intermédiaire, lui-même créé par Dieu, mais non subsistant,
un intermédiaire dont les étants participent. C’est l’être
Il faut donc comprendre l’être commun comme un être
commun. (Sans lui, équivocité de l’être). Émanent de Dieu,
créé, et plus précisément, comme une participation ou
il est immédiatement absorbé par les étants selon les
une similitude de l’être subsistant de Dieu. Il est
essences ou formes pensées par Dieu.
« similitude de la bonté divine » (De Ver. 22,2) ; « effet propre de
De plus, les étants présupposent une plénitude
la cause suprême » (ST I-II, 66,5,4) , et « Dieu est proprement la
subsistante au delà de l’être (non subsistant), car ils sont
cause de l’être universel en toutes choses » (ST I ,105,5).
eux même subsistants.
5 – Le rapport de l’être à l’étant est donc celui de l’abstrait
au concret, du non-subsistant au subsistant.
L’être commun comme acte simple et plénier de tous les
étants.
de tout ce qui existe est justement son acte d’exister Subsistens » « Ispum esse »
1 - Il est acte : « l’être est acte » (SG I,38), «l’actualité de Personnel impersonnel Impersonnel
(sauf l’homme)
tous les actes, la perfection de toutes les perfections » ( De
- 19 -
• L’être // la lumière plénitude qui n’a pas de subsistance
Concret Abstrait (intellectuel) concret propre, et qui n’existe qu’éclairant les objets. (In Lib de causis I,6 )
• L’Être en Soi // le soleil Plénitude subsistante, concrète, comme objet (= les étants et Dieu), mais comme sujet :
- 20 -
Ch 2 – Descartes, et le tournant de la Modernité.
I - le « tournant » de la Modernité
L’Antiquité grecque (présocratiques - Platon – Aristote) s’interrogeait sur le Cosmos, à la fois objet et
modèle de vérité ( lois du logos). Le Moyen Age place la Foi, et Dieu comme objet (théologie naturelle) et origine
de toute vérité. Mais sans remettre en cause pour autant les principes physiques et métaphysiques grecs. C’est au
XVI° siècle que ceux-ci seront profondément remis en cause avec la Modernité, et le primat du sujet.
La Modernité (XVI°) naît d’un essor scientifique, qui va détrôner les grandes cosmologies antiques. Ainsi, la
cosmologie d’Aristote (et de Ptolémée) défendait notamment :
1 – le géocentrisme.
2
2 – l’incorruptibilité du monde supra-lunaire…
Les théories de Copernic (début XV°), puis de Galilée (début XVI°) vont nier ces grandes cosmologies :
héliocentrisme, corruptibilité du soleil, etc… 3
Si bien que peu à peu c’est toute la pensée d’Aristote, puis la pensée médiévale qui est remise en cause. Et
si tout était faux ? cosmologie, métaphysique, théologie naturelle… La métaphysique fondait la physique, or la
physique se révèle en partie fausse. C’est une vraie révolution : durant 20 siècles, les grands penseurs se sont
complètement trompés sur le cosmos, les théories du mouvement, etc…
Cela ne serait pas grave si l’on avait clairement séparé les champs d’investigation de la physique et de la
métaphysique. La physique aurait pu alors s’écrouler (en partie) sans remettre en cause la métaphysique. Mais le
problème est que l’on considérait qu’il y avait une continuité du savoir entre les deux. C’est cette ingérence de la
physique dans la métaphysique qui va provoquer, à tort, la remise en cause de toute l’ontologie classique.
2. le constat cartésien
2
3
le monde des astres – l’éther – était parfaitement ordonné, éternel, sans corruption, sans changements, etc…
1610, Padoue : Galilée observe des « taches solaires », au moyen d’une lunette 200x… progrès de l’optique…
- 21 -
III – la méthode de Descartes (rappels)
Descartes n’est pas idéaliste car sa philosophie cherche à aboutir à des positions réalistes, mais il a semé
les germes dans sa méthode de ce qui allait devenir l’idéalisme. Pourquoi ?
• Deux livres principaux : le Discours de la Méthode, 1637 et les Méditations métaphysiques, 1641
• Un point de départ : les mathématiques, le type même de la science. Elles seules, par leur rigueur, peuvent
faire progresser la connaissance. Il faut donc fonder une nouvelle philosophie sur les principes des mathématiques.
• Quatre règles principales :
1. le doute méthodique ( et non le doute sceptique ) :
Il faut « rejeter comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute».
Les 3 caractéristiques du doute :
a - méthodique (c’est une méthode seulement et pas une fin en soi, comme pour les sceptiques.
Il est actif, volontaire, et non pas subi, angoissé)
b - universel ( hyperbolique) : il porte sur tout, même sur ma propre existence.
c - radical
Si bien que seules les idées qui résistent au doute rationnel sont retenues comme vraies.
2. Le principe d’évidence : N’admettre alors pour vrai que ce qui est évident rationnellement.
3. La simplification : découper les problèmes en autant de parties que possibles
( le but de ces 3 premières étapes est de dégager des vérités fondamentales simples, base de départ )
4. La déduction : comme en mathématiques, on procède ensuite par déduction, pour arriver à des vérités
plus complexes.
1. la conscience de soi : « je pense donc je suis » prouve l’existence du sujet pensant. Il y a une
évidence qui résisté absolument au doute, à savoir celle de l’existence de la pensée même qui doute. Car pour
douter, il faut penser, et pour penser, il faut être. La conscience de soi, comme chose pensante (res cogitans) est
donc le fondement de départ de la pensée cartésienne. Voilà le fondement que cherchait Descartes.
2. l’existence de Dieu : Descartes continue : du fait qu’il doute, le moi pensant se rend compte de son
imperfection. Mais d’où tient-il donc l’idée de perfection par rapport à laquelle il se déclare imparfait. Pas de lui
même, puisqu’il est imparfait et que ‘le plus ne peut sortir du moins’. Mais d’un être tout parfait qui a mis en lui
cette idée, c’est-à-dire Dieu. Autrement dit, je réalise que dans ma conscience fini se trouve une « idée innée » qui
la dépasse (l’idée d’infini) et qui donc lui vient d’un être infini : « (…) car, encore que l’idée de la substance soit en
moi de cela même que je suis une substance, je n’aurais pas néanmoins l’idée d’une substance infinie, moi qui
suis un être fini, si elle n’avait été mise en moi par quelque substance qui fut véritablement infinie ». Dieu est idea
innata à la conscience.
3. la véracité de Dieu ( le fait qu’il ne soit pas un « malin génie » trompeur ) : car le mensonge et la
tromperie provienne d’un manque, or Dieu est substance infinie. Perfection de Dieu Véracité de Dieu.
- 22 -
IV – une révolution métaphysique : le primat du sujet sur l’objet. Les
premiers pas de l’idéalisme
L’effondrement de la physique antique jette le doute sur toute la métaphysique. Dans la connaissance, on
ne s’intéresse plus à l’objet mais au sujet. On n’ose plus tenir un discours sur l’étant, sa structure, sa
substance, son être, etc… mais l’on s’interroge sur notre mode de penser, notre capacité à penser, à connaître,
etc…. Un peu comme si, suite à une illusion d’optique, je m’interrogeait sur la santé de mes yeux…
L’ontologie entière est suspecte (alors qu’il aurait fallut simplement l’épurer).
C’est donc à partir de la pensée qu’est fondée l’existence. Ce qui est premier logiquement et
chronologiquement est l’activité de la pensée. La pensée a maintenant pour objet l’existence ou la non-existence
en soi de l’être extra-mentale. Elle devient critique : c’est à partir d’une inspection de mon esprit que je déduis ou
non l’existence du monde. Or, dans la réalité, le monde existe en soi, que je le pense ou non.
- Exemple 1 : le premier résultat que Descartes obtient : le cogito. Mon existence est posée non pas
comme première, mais comme seconde par rapport à ma pensée. C’est parce que je me sens penser, que je me
sais exister. C’est parce que j’entends en moi une voie intérieure qui est le monologue de ma pensée, de ma
conscience que j’en déduis que j’existe. Mais le point de départ n’est pas Franck : le point de départ est la pensée
en Franck. Ce qui est vrai pour mon existence le sera pour tout autre objet : j’interroge la connaissance que j’en
ai, et non plus l’objet lui-même.
- Exemple 2 : De même donc l’existence de Dieu. Elle n’est pas posée en soi, mais elle est déduite de ma
pensée, où plus précisément de l’idée d’infini ( ou de perfection ) qui est une idée de ma pensée. « Tout ce qui
peut se savoir de Dieu peut être montré par des raisons qu’il n’est pas besoin de chercher ailleurs que dans nous
mêmes et que notre esprit seul est capable de nous fournir » ( Méditations Métaphysiques, Épître. §2)
Alors qu’avant, selon l’expérience commune, le monde est la chose la plus évidente, tandis que l’âme est
objet de doute et Dieu objet d’une difficile croyance, la démarche de Descartes est toute autre et inverse cet
ordre : la pensée sur l’âme nous fait remonter à l’existence de Dieu, qui nous fait redescendre à la réalité du
monde créé.
Descartes est donc le premier philosophe qui ait attribué au moi pensant de l’homme un rôle décisif et
fondateur dans l’édification du savoir. Pour la première fois dans l’histoire de la philosophie, le moi pensant est
posé au fondement du système de la science. Le critère de vérité est cherché non dans l’objet à connaître, mais
dans l’acte de l’esprit qui l’appréhende.
Les philosophies antiques élaboraient une théorie de l’univers, c’est à dire une « philosophie de l’objet »,
une « philosophie de l’étant ». (La philo ancienne est tournée vers les choses (objets) et s’applique à l’étude du
- 23 -
monde, parfois un peu naïvement : penser la terre comme immobile…). On s’applique à l’objet, à l’étant, à la
substance…
Avec la philosophie moderne, on substitue le point de vue du sujet, ( = de l’esprit humain) au point de
vue de l’objet. Il y a un primat du sujet. Ce qui est analysé est l’activité pensante, la perception. Désormais, la
philosophie ne consiste plus à connaître l’objet, mais à s’intéresser et à s’interroger sur la nature et le
fonctionnement de l’esprit du sujet qui connaît cet objet, c’est à dire sur la perception. L’explication de la
connaissance n’est plus opérée à partir de l’objet connu mais à partir du sujet connaissant. Le point de départ
change : c’est désormais le sujet pensant l’étant, et non plus l’étant lui-même. Tournée vers le sujet connaissant,
la philosophie moderne fait la critique du savoir, un critique de la connaissance. Comme si, suite à une grosse
illusion d’optique, on interrogeait désormais le mécanisme de la vision, et non plus l’objet vu.
La question n’est plus « Qu’est-ce que c’est ? », mais « Qu’est ce que je peux en connaître, en penser ? ».
Attention, il ne s’agit pas chez Descartes d’abord d’exalter la subjectivité de la conscience comme telle,
mais de fonder méthodiquement le savoir qui livre la nature à l’homme. Cependant, pour la première fois, un
système philosophique est construit sur la base de l’évidence à elle-même de la pensée humaine, et donc l’esprit
fini est placé au centre de l’édifice du savoir.
C’est le grand tournant de la métaphysique moderne. Cela annonce déjà ce que l’on appelle chez Kant la
révolution copernicienne, avec la question qui fonde toute la Critique de la Raison Pure : « Que puis-je
connaître ? ».
Le philosophe ne cherche plus à analyser l’objet mais critique son savoir, sa manière de connaître l’objet :
le sujet pensant et non plus l’objet pensé. La métaphysique devient une réflexion critique sur la conscience que
nous avons de notre propre pensée. L’être est relativisé et absorbé en quelque sorte dans la mesure où « la
certitude que j’ai de ma pensée, certitude atteinte dans la conscience de ma propre pensée est exaltée au
détriment de l’évidence de ce qui est, découverte dans le jugement d’existence ». L’être est médiatisé par le
cogito. L’être apparaît dans la pensée et il y apparaît toujours lié à mon existence. Le problème de l’être est
pratiquement le problème de mon être. Le « je suis » est saisi à partir du « cogito », et non plus à partir de l’être
en tant qu’être. Le « je suis » ne pose pas le problème de l’être en tant qu’être, mais plutôt de mon être. C’est
mon être qui importe plus que l’être.
Le but de la métaphysique devient alors de faire entendre quelles sont les choses que l’on peut concevoir
distinctement : un critique de la connaissance, une recherche de la certitude. En cela, Descartes est le
fondateur en quelques sortes de l’idéalisme, sans le vouloir. M.Leclerc l’explique très bien dans son chapitre
sur Descartes de La Destinée Humaine (p.54-55, cité en bibliographie) :
« Descartes recherche une certitude réaliste pour enraciner solidement les sciences et les techniques, et par là dominer
plus efficacement la nature, mais en prenant pour critère de vérité l’évidence, forcément subjective, il prépare à son insu la
dérive idéaliste de la philosophie moderne, de plus en plus centrée sur le moi pensant, jusqu’à pratiquement faire s’évanouir
toute réalité objective, ou à exiger des contorsions intellectuelles impraticables pour la retrouver. (…)
Il y a bien des certitudes indiscutables, et le cogito en est une ; mais c’est la nécessité réelle de ces intuitions qui en
détermine l’évidence, et non l’inverse. Il faut donc un critère objectif de cette nécessité. Ce critère est présent , implicitement,
dans le cogito cartésien, comme il l’était chez Augustin : pour objecter contre une intuition nécessaire, il faut encore l’utiliser, et
ainsi on la confirme en croyant la nier. C’est la méthode de la rétorsion.
Mais explicitement, Descartes, contrairement à Thomas ou Augustin, manque le nerf de l’argument : il n’en retient que
la conséquence subjective, l’évidence, en oubliant la réalité objective première, l’acte d’affirmer qui fonde la rétorsion. Il passe à
coté de l’essentiel…
Les conséquences en sont incalculables pour toute la pensée moderne et contemporaine, qui va dériver toujours
d’avantage vers une philosophie abstraite, « conceptualiste », uniquement focalisée sur les purs concepts, les essences, dans
l’oubli de plus en plus profond de l’acte d’être – l’existence réelle des choses, corrélat objectif nécessaire de l’acte d’affirmation.
De plus, on assiste, déjà chez Descartes, à une dérive vers une philosophie utilitaire, uniquement destinée à fonder la
- 24 -
science et la technique ; on en oublie la gratuité de l’être, et ainsi l’on passe à coté de l’essentiel – qui est toujours gratuit,
« inutile ». »
- 25 -
Ch 3 – L’Empirisme de Hume et la négation des fondements de
l’ontologie.
Au XVIII°, siècle des Lumières (de la raison), le discrédit de la métaphysique se poursuit et prend deux
aspects :
2. le développement d’un certain esprit scientiste : toute vérité et tout progrès ne peut venir que
des sciences, et la métaphysique est moquée (Voltaire…).
La raison n’est plus comme auparavant dans l’ontologie classique une faculté capable de nous donner
l’intuition de l’être, mais plutôt le moyen d’organiser nos expériences et nos pensées.
Le Siècle des Lumières est marqué philosophiquement par l’empirisme, qui cherche à détruire deux notions
fondamentales sur lesquelles repose l’ontologie classique:
1. la notion de substance
2. la notion de cause
Berkeley ruine la notion de substance matérielle, Hume celles de substance spirituelle et de causalité.
Comme le rationalisme cartésien, l’Empirisme fonde la connaissance sur le sujet (l’homme) : cependant il
ne s’agit plus du sujet rationnel comme chez Descartes, mais du sujet sensible. On franchit un pas de plus dans la
remise en cause de la connaissance. La raison elle –même est discréditée. ( // Réforme protestante )
Les grands empiristes ( principalement anglais ): Thomas HOBBES et John LOCKE au XVII°, George
BERKELEY et David HUME au XVIII°.
A - Substance matérielle.
Pour l’Empirisme en général, il n’y a pas de connaissance certaine possible au delà des perceptions
sensibles. Le seul objet immédiat de l’expérience sont nos contenus de conscience (ce qu’éprouve ma conscience),
nos perceptions (chaud, froid, vert, dur, aigus…sont autant d’«idées simples» de notre conscience, dit Hume).
Alors, « l’idée de substance n’est rien de plus qu’une collection d’idées simples unies par l’imagination,
collection à laquelle on a donné un nom particulier qui nous permet de nous rappeler cette collection, soit à nous-
- 26 -
mêmes, soit aux autres » 4 .
Ex : Quand ma conscience reçoit les perceptions jaune, rond, petit, amer, frais etc… je donne le nom
« citron » à cette collection de sensations, d’idées simples. Mais rien ne prouve l’existence en soi du citron : il n’y a
pas de substance de citron. Ce qui est avec certitude, ce sont les sensations que j’en perçois : le jaune, l’amer,
etc…Le mot « citron » ne correspond qu’à une exigence pratique. L’idée ou l’essence de citron est une idée
abusive, née de l’imagination Nominalisme pragmatique ( ie, on donne un nom à la collection de sensations
par esprit pratique). On ne saurait se prononcer avec certitude sur l’existence ni de la nature (substance 2nde) , ni
même de l’individualité (substance 1ère). La certitude ne porte que sur la perception des accidents. Le fondement
transcendantal de l’étant est remis en cause.
( Nb : Un peu avant Hume, Berkeley niait lui aussi l’existence réelle (c’est à dire hors de l’esprit) des substances matérielles 5 , des
natures des étants corporels (l’idée de table, de cheval, de rouge, etc…). Quand nous parlons de matière, nous ne saurions rien concevoir qui ne
soit sensation, perception, ou idée de l’esprit : les étants ne sont que des sensations de mon esprit, non des substances. Il n’y a pas d’idées
abstraites indépendantes d’une représentation de mon esprit. Seuls donc existent, comme substances, des esprits: l’existence du monde est celle
de leurs idées, conclut Berkeley. )
Revenons à Hume. Hume poursuit son raisonnement pour les substances spirituelles : quand je me
retourne vers moi-même, je n’aperçois qu’une série d’états (joie, peur, peine, attente, ennui, exultation, etc…) et
de perceptions successives (de sons, couleurs, etc…), et non ce moi, un et identique, ce moi substance, cette âme
que Descartes avait cru découvrir 6 . Chez Hume, la réalité du sujet n’est qu’une réalité logique, fonctionnelle, mais
pas ontologique : elle est principe de connexion et d’unification des impressions entre elles, en idées ( ex :
chaleur + lumière = feu ). Je suis en tant que je perçois des sensations, les reconnaît avec ma mémoire, les
unifie en idées avec mon imagination. Les impressions viennent des 5 sens, puis la mémoire et l’imagination les
ordonne en idées. L’esprit est donc cette fonction de perception puis d’ordonnancement des perceptions 7 . « Nous
devons considérer la mémoire (stock des sensations et perceptions passées) comme la source de notre identité
personnelle », et non une âme hypothétique ( alors qu’en fait, la mémoire n’est qu’une des facultés de notre
esprit, comme l’imagination, l’intelligence, la volonté, etc…).
Dieu ne saurait davantage être prouvé avec certitude. Voilà donc la métaphysique privée de ses objets : le
monde matériel des étants, l’âme humaine, Dieu.
4
David HUME (1711-1776), Enquête sur l’entendement humain, 1748
5
Berkeley est lui-même un métaphysicien. Il nous présente un univers composé d’âmes, âmes que Dieu affecte de ces sensations qui composent
pour nous le monde. Mais la méthode de Berkeley est empiriste et critique. Elle rejette avant tout les idées abstraites.
Berkeley remarque qu’aucune idée abstraite ne saurait se découvrir sans l’intuition de l’esprit. Peut-on se représenter une couleur qui ne serait
aucune couleur particulière, peut-on se représenter un cheval qui ne serait ni grand, ni petit, ni blanc, ni noir, ni brun ? L’être d’un objet est son
être perçu par les sens. Or une telle critique, appliquée à l’idée de matière, révèle en elle une absence totale de contenu
6
Confusion entre les états psychologiques affectifs et les perceptions sensibles et de l’autre coté le sujet de ces états qui est l’âme.
7
L’unité originairement sunthétique de la conscience est-elle ontologique ( unité d’une réalité ) ou logique ( unité d’une fonction) ? la
multiplicité successive et évanescente des percéptions doit-elle être ramenée à l’unité synthétique d’un « je pense » ( Descartes ) ou est-elle liées
par la simple imagination ( Hume ) ?
Hume : Les idées proviennent de l’expérience sensible ( ie des impressions) . Elles se lient, s’enchainent et s’organisent lorsque nous
pensons, et cela selon certains principes d’ordres : la ressemblance entre elles, la proximité dans l’espace et le temps (ex :feu – chaleur), la
causalité. Ces principes produisent donc l’association des percéptions entre elles ( au moyen de ma mémoire et de mon imagination). Le facteur
de cette association, de ce processus de synthèse, de simplification , d’unification des percéptions sensibles est ma pensée, mon identité
personnelle. « nous devons considérer la mémoire comme la source de notre identité personnelle ».
Ressemblance association passé-présent mémoire identité personnelle.
L’amnésique perd son identité, pas l’amputé ou l’aveugle. l’âme est donc semblable à un république qui change de peuple et de lois,
mais qui demeure unie par une causalité. L’identité n’est qu’une manière de se représenter la multiplicité. Elle est une fonction logique. L’âme
n’est qu’une corrélation, l’apparence d’un être continu là où il n’y a que continuité d’apparences, être de raison, être logique, illusion. Elle est
principe de connexion ( par ressemblance, contiguité, causalité) entre les idées ( fruits de l’imagination et de la mémoire des impressions, qui
elles viennent des sens). ( sens impressions & imagination mémoire idées )
- 27 -
2 - négation de la notion de causalité
Nous ne saurions non plus atteindre, au sens métaphysique, une cause (efficiente) 8 .
Nous voyons deux phénomènes se suivrent régulièrement, et nous déduisons de cette succession répétée
un lien de causalité ( ex : 100° - “entraîne” ébullition de l’eau ). Mais une telle déduction est abusive selon
Hume 9 : on ne peut pas inférer une loi générale à partir de faits particuliers, même s’ils se répètent infiniment. La
seule conclusion doit être de probabilité (nous avons confiance en l’apparition de l’effet (l’ébullition)…pas
connaissance). Ainsi, la constatation répétée de couples de faits développant l’habitude d’attendre l’un des termes
lorsque l’autre est donné, le sentiment que nous prenons de cette attente engendrent en nous l’idée de causalité
liant ces sensations entre elles : c’est dans cette impression de transition espérée et facile que réside tout ce qu’il
y a de positif dans l’idée de cause.
Ex : je constate le lien habituel entre la sensation A (lumière) et B (brûlure). Mon imagination en tant
qu’elle est nourrie par la mémoire de ces deux sensations les unifie en une idée : celle du feu et en tant qu’elle est
nourrie par la succession de ces deux sensations les lie en un lien de causalité : le feu brûle. Mais ni l’idée de feu,
ni sa causalité de brûlure ne sont réelles ou démontrables selon Hume. Elle sont le fruit de mon imagination et de
mon pragmatisme.
Conclusion :
Ainsi se trouve consommée la ruine de la métaphysique. Avec Hume, la structure du monde semble
reposer toute entière sur le sujet humain, et non plus soutenue par Dieu, origine des substances, et garant des lois
de l’univers ( comme la loi de causalité). C’est le scepticisme de la modernité, ne se fiant ni à l’objet et sa réalité,
ni à l’homme comme sujet rationnel, mais simplement à ses impressions sensibles. Est vrai et certain ce que je
ressens. Or ce sujet n’est pas encore, ce qu’il sera chez Kant, un sujet transcendantal. L’homme y est réduit à ses
simples sensations : les dimensions spirituelles, métaphysiques ou même rationnelles sont évacuées, au nom d’un
souci de certitudes. Mais au nom de quoi fonder la certitude sur les sens, eux aussi trompeurs ( cf. illusions
d’optique…) ?
Les théories empiristes furent peu suivies, trop réactives et excessives. Très vite, la métaphysique va se
reconstruire autours de Kant.
8
Analysant cette idée, Hume établit que nous ne trouvons jamais, dans l’antécédent, la raison du conséquent. Nous ne percevons pas non plus de
productivité, d’action passant du phénomène-cause au phénomène-effet. Seule nous est offerte une succession.
9
Ainsi, je constate que souvent les gens sortent avec des parapluies, et qu’après il pleut. Puis-je en tirer une causalité ?
- 28 -
Ch 4 – La synthèse Kantienne
L’Empirisme a aboutit a un certain scepticisme, l’homme ne sachant plus sur quoi fonder sa connaissance vrai. Contre
Hume qui nie la loi de causalité, fondement de la science, Kant (1724 – 1804) revient à l’universalité et à la nécessité des lois
scientifique. Car la science existe (Newton impressionne Kant), et la philosophie a à découvrir comment elle est possible, pour
s’en inspirer. Kant fonde alors une métaphysique critique. « Que puis-je savoir ? » est la première de ses questions. Il y répond
10
dans la Critique de la Raison Pure.
Kant veut lui aussi fonder sa métaphysique sur la science, qui arrive a des certitudes, comme le montre la
synthèse newtonienne. « Comment la métaphysique est-elle possible en tant que science?» 11
« S (sujet) est P (prédicat) » est le type même de proposition scientifique. (Ex : toute masse est
12
attractive ). Il s’agit toujours de jugements synthétiques a priori.
- analytique signifie que le prédicat n’ajoute rien au sujet, mais se contente de le décomposer, de
l’analyser 13 . ex : « un cercle est rond ». ( « être rond » est déjà contenu dans le cercle)
- synthétique signifie que le prédicat ajoute quelque chose au sujet et forme donc avec lui une synthèse.
Ex : «Ce triangle est équilatéral », « 7+5 = 12 ».
- a priori signifie antérieur à toute expérimentation 14
15
- a posteriori, ie nécessitant une expérience, une expérimentation (dans le temps et l’espace) .
La science énonce toujours des jugements synthétiques a priori, vrais au delà de toutes expériences,
anticipant toute expérience possible. (Ex : « la somme des angles d’un triangle est égale à 180° », « Tous les
évènements du monde sont liés entre eux par la loi de causalité »).
La métaphysique aussi énonce de tels jugements ( l’âme est immortelle, Dieu est juste, le monde est
temporel, etc…), synthétiques a priori pour la bonne et simple raison que Dieu, l’âme ou le monde ne sont pas des
réalités empiriquement constatables. Kant interroge alors : pourquoi des querelles métaphysiques ? Quelles sont
les conditions pour que des jugements synthétiques a priori soient possibles en métaphysique ? Établir si de tels
jugements sont possibles en métaphysique décidera donc de la capacité de cette dernière à devenir une science.
L’intuition géniale de Kant est de penser qu’il faut chercher, non dans les objets connus mais dans le
sujet connaissant lui-même, le fondement de la possibilité de tels jugements. Le fondement de la science, et
même de l’ordre du monde est placé dans l’esprit humain. (déjà chez Descartes).
10
Ce cours est tiré en grande partie de l’excellente synthèse de Mgr. André LEONARD, Foi et Philosophie, Coll. Culture et Vérité, Namur, 1991.
Chapitre sur Kant : pp. 131 à 146. Livre excellent, à avoir absolument.
11
La CRP, trad. Tremesaygues Pacaud, Paris, PUF, p 44.
12
Ex : Loi de Newton : « Les corps célestes (S) sont tels qu’ils s’attirent avec une force proportionnelle au produit de leur masse et inversement
proportionnelle au carré de leur distance (P) ».
13
il suffit d’analyser ce qui est déjà contenu dans le concept du sujet pour obtenir le prédicat.
14
La synthèse qu’il opère même si elle concerne l’expérience, dépasse absolument ce qui est donné dans l’expérience et jouit ainsi d’une
« priorité » par rapport à toute vérification expérimentale.
15
La plupart de nos jugements sont des jugements synthétiques a posteriori : le ciel est couvert, le chien du voisin est mort…
- 29 -
Comment montrer cela ? pour le faire, Kant entreprend une recherche qu’il appelle transcendantale
puisqu’il s’agit de « transcender », ou de dépasser le « fait » qu’il y a des jugements synthétiques a priori pour
s’interroger « en droit » sur leurs conditions de possibilité. Kant fonde donc une philosophie transcendantale, c’est
à dire fondée sur le sujet et sa capacité à poser des jugements synthétiques a priori : « J’appelle
transcendantale toute connaissance qui, en général, s’occupe moins des objets que de notre manière de
connaître les objets en tant que ce mode de connaissance doit être possible a priori. Un système de concepts de ce
genre s’appellerait philosophie transcendantale » 16 .
NB : Détail de la réflexion
16
La CRP, trad. Tremesaygues Pacaud, Paris, PUF, p 46
17
c’est pourquoi l’analytique tdale et la dialectique tdale forment ensemble la logique transcendantale.
18
RÉVOLUTION COPERNICIENNE ? : L’homme connaissant n’est pas seulement sensibilité, il est aussi entendement, ou pouvoir de penser
par concepts. Kant entend là renverser complètement la théorie classique de la connaissance. D’après celle-ci, c’est l’objet qui, dans le rapport du
sujet connaissant et de l’objet connu, joue le rôle central et déterminant. Conformément à la pente objectiviste ou cosmologique de la pensée
spontanée, l’objet est considéré comme central et le sujet est traité comme un simple satellite gravitant autour de lui : l’objet est là, avec sa
structure, sa forme et ses qualités propres, et nous, sujets, nous tournons autour de lui et nous efforçons de le décalquer fidèlement. C’est cette
conception traditionnelle que Kant veut bouleverser, en affirmant que c’est au contraire le sujet connaissant qui est déterminant tandis que les
objets nous obéissent : nous sommes le foyer intelligible de l’univers et les objets gravitent autour de nous.
Comment peut-on soutenir une thèse aussi déconcertante ? En fait, l’argumentation développée par Kant est, pour le fond, extrêmement
simple. Nous ne connaissons jamais, fait-il remarquer, les choses telles qu’elles sont en soi, mais seulement telles qu’elles sont pour nous. Qui
peut savoir ce qu’est la lune, abstraction faite du sujet connaissant humain ? Qu’est ce que la lune pour un ange, ou pour Dieu ? Que peuvent
signifier sa masse, sa forme, sa couleur, etc. pour un autre esprit que le notre ? Par définition, nous ne connaissons jamais les choses en soi, telles
qu’elles seraient si nous ne les connaissions pas ou telles qu’un entendement pur pourrait les connaître, puisque justement c’est nous qui les
connaissons. Bref nous ne connaissons que les phénomènes, jamais les noumènes.
- 30 -
La plupart des intuitions de la sensibilité sont des intuitions empiriques données a posteriori. Je ne puis anticiper
a priori les couleurs, les sons ou les formes qui me sont offerts dans l’expérience, je ne peux que les accueillir
passivement. Parmi les intuitions de la sensibilité, il en est cependant deux qui ont ceci d’original qu’elles ne sont pas
empiriques mais pures, c’est à dire, dans le langage de Kant, dégagées de toute expérience donnée, ou encore, présentes
a priori. Ces deux impressions pures, présentes a priori sont l’espace et le temps. Essayons par exemple, de faire, en
imagination, le vide de toutes nos intuitions empiriques externes. Nous pouvons très bien y réussir, mais une intuition
sensible demeurera invinciblement, celle de l’espace, car, même le néant de toute intuition, nous ne pouvons noue le
représenter que dans la forme pure de l’espace et de ses trois dimensions. Même chose pour le temps. Nous pouvons, en
imagination, faire le vide de toutes nos intuitions psychologiques internes (pensées, désirs, joies…) mais même ce vide
intérieur total, nous ne pourrons nous le représenter que dans le flux temporel avec ses trois moments : le présent, le
passé, le futur. Pourquoi ces deux intuitions sensibles, et elles seules, sont-elles de toute façon présentes, absolument et
a priori ? Réponse de Kant : parce qu’elles ne nous ont pas données de l’extérieur, mais sont deux formes ou structures
constitutives de notre sensibilité elle-même. Une comparaison banale peut nous aider à comprendre cela. Quand nous
contemplons un paysage, le spectacle qui nous est offert est certes déterminé par les objets que nous voyons, mais aussi
par notre vue elle-même. Si notre œil changeait, nous verrions le monde autrement, non pas en raison d’une modification
de l’objet vu, mais justement à cause d’un changement dans l’organe même de la vision. Eh, bien, selon Kant, il faut dire
analogiquement que les deux intuitions pures de l’espace et du temps appartiennent non pas à ce qui est intuitionné,
mais au sujet intuitionnant lui-même. Ce n’est pas nous qui sommes dans l’espace et le temps, mais c’est l’espace et le
temps qui sont en nous. Ils sont les formes mêmes de notre sensibilité, formes qui sont entièrement pures ou a priori
puisque nous les apportons pour ainsi dire, avec nous-mêmes , avant toute expérience. Les deux formes a priori de notre
sensibilité. (Dès lors, géométrie et arithmétiques, sciences de l’espace et du nombre, du temps sont d’emblée fondée
comme portant des jugements synthétiques a priori).
A partir de l’objet des douze formes classiques du jugement, Kant s’efforce de montrer que cette activité
structurante de l’entendement s’exerce à travers douze concepts, dont le plus important est celui de la causalité. Il ne
s’agit pas de concepts empiriques, comme ceux d’animal, de plante ou de table, mais de concepts purs ou a priori qui
structurent toujours déjà à l’avance notre expérience, puisqu’il n’y a pas d’expérience pour nous que celle qui passe à
travers leur moule intelligible. Ces douze concepts purs sont ce que Kant appelle les catégories de l’entendement.
D’après leur fonction, on distingue : 1) selon la quantité, les jugements singuliers ( Socrate est mortel), particuliers (
quelques hommes sont heureux) et universels ( tous les hommes sont mortels) 2 ) selon la qualité, les jugements
affirmatifs ( Socrate est grec ), négatifs ( Socrate n’est pas impie ), et in(dé)finis ( Socrate est non-gaulois ), selon la
relation, les jugements catégoriques ( Socrate est un animal raisonnable) , hypothétiques ( Si Socrate est un homme,
alors il est mortel ) et disjonctif ( Socrate est ou célibataire, ou marié ou veuf ) ; 4) selon la modalité, les jugements
assertotiques (Socrate est, de fait, mortel ) , problématiques ( Socrate est peut-être sage ) et apodictiques ( Socrate est
nécessairement mortel).
A ces douze forme logiques du jugement, Kant fait correspondre douze concepts purs de l’entendement, ou
catégories : 1) selon la quantité : unité, pluralité, totalité 2) selon la qualité : réalité, négation, limitation 3) selon la
relation : substance et accident, cause et effet, action réciproque. 4) selon la modalité : existence et non-existence,
possibilité et impossibilité, nécessité et contingence.
Sur cette base, Kant peut alors expliquer sans trop de peine la possibilité de nouveaux jugements synthétiques a
priori. En effet, dès lors que les phénomènes portent l’empreinte du pouvoir structurant de l’entendement, le monde
phénoménal possède une légalité qui est déterminable a priori puisqu’elle est celle de notre esprit lui-même. Une
physique pure, entièrement a priori, est donc possible, qui énonce les principes découlant de l’application des catégories
au divers sensible. Par exemple : tous les phénomènes du monde se succèdent dans le temps selon la loi de causalité. De
même, on peut comprendre les prétentions universelles des lois de la physique empirique, puisque l’universalité des
enchaînements phénoménaux est celle-là même que notre entendement imprime inévitablement aux objets de noter
expérience. La légalité de la nature n’est que le miroir de la légalité notre esprit. Les sciences physiques sont ainsi
transcendantalement justifiées : en épelant progressivement l’ordre intelligible du monde, la science ne fait que mettre en
évidence la cohérence et la légalité que l’esprit humain lui-même a activement introduites dans l’univers des phénomènes.
L’ordre que nous découvrons dans le monde est tout simplement l’ordre que nous y avons mis. Le garant de l’intelligibilité
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du monde n’est plus l’entendement divin créateur mais l’entendement structurant du sujet humain lui-même. Voilà ce qui
constitue un fameux bond en avant sur la voie anthropologique de la philosophie.
Certes le moi dont il est question ici n’est pas le moi empirique du sujet humain individuel. Le Cogito qui organise
a priori le monde de l’expérience n’est en aucune manière le « Je pense » de la conscience psychologique , mais le « Je
pense » du sujet transcendantal. Par « sujet transcendantal », il faut entendre l’acte premier du moi, le pouvoir
unifiant originaire de la pensée, acte et pouvoir qui, par définition, ne sont jamais empiriquement conscients, puisqu’ils
sont cela même qui rend possible toute expérience consciente. De même que l’œil qui voit n’est pas lui-même une chose
vue, ainsi le « Je pense » qui constitue l’objectivité de l’expérience n’est pas lui-même un objet d’expérience consciente.
Le moi psychologique est conscient parce qu’il n’est lui-même qu’un phénomène objectif ( du sens interne ) constitué,
comme tous les autres, par l’acte inobjectivable et métempirique du moi transcendantal. C’est celui-ci, et non le moi
empirique, qui est responsable de la légalité de l’expérience et se trouve ainsi au fondement de la science.
Récapitulons : la seule connaissance valable certaine est celle qui résulte de la conjonction de la
sensibilité et de l’entendement. Ce que l’homme peut effectivement connaître, ce sont des phénomènes sensibles
ordonnés par l’activité synthétique a priori de l’entendement. Il faut les deux. Il faut tout d’abord des intuitions
empiriques pouvant donner lieu à une expérience sensible. Ne seront donc connaissables que les objets
correspondant à une expérience possible. Mais contrairement à ce que dit Hume, les intuitions à elles seules ne
suffiraient pas pour une connaissance véritable : elles doivent encore être mises en ordre et légalisées par
l’activité structurante de l’entendement. En d’autres mots, la connaissance valable est celle qui organise par
l’entendement une expérience possible par la sensibilité. Les intuitions sensibles, sans les catégories, sont
aveugles. Et les catégories, sans les intuitions, sont vides, elles ne sont qu’une pure forme.
Kant étend le champ de la connaissance plus loin que Hume aux simples sensations, reconnaît par
exemple la loi de causalité, mais il l’étend moins loin que Descartes qui attribuait à l’homme la possibilité de
certitudes sur des Idées supra sensibles (âme, Dieu…). Kant fait donc une synthèse entre empirisme et
rationalisme, qui ne retenaient respectivement que les aspects matériels ou formels de la connaissance. L’aspect
matériel est constitué par la pure diversité des intuitions empiriques de la sensibilité. L’aspect formel est l’élément
organisateur et structurant qui, lui, vient de l’esprit humain et consiste, au niveau de la sensibilité, dans les deux
intuitions pures de l’espace et du temps, et au niveau de l’entendement, dans les douze concepts purs où
s’exprime l’activité synthétique a priori du Je transcendantal. En affirmant que c’est la conjonction de ces deux
aspects qui constitue une authentique connaissance, Kant opère la synthèse des deux grands courants qui le
précédaient : le rationalisme et l’empirisme. Issu de Descartes, le rationalisme sous-estime le recours à
l’expérience et ne fait guère confiance qu’aux déductions pures de l’entendement. L’empirisme lui se méfie au
contraire de l’a priori et estime que la seule connaissance accessible est celle qui induit prudemment à partir des
faits expérimentaux. Kant unifie en les dépassant ces deux courants opposés. Il dépasse l’empirisme dans la
mesure où il fonde la possibilité des jugements synthétiques a priori marqués par une universalité et une nécessité
qui, par définition, ne peuvent jamais être inférées à partir d’une expérience toujours limitée. Par ce biais, Kant
rejoint le rationalisme. Mais inversement, Kant limite les prétentions du rationalisme : de soi, l’activité synthétique
de l’entendement n’est qu’une forme vide et son usage n’est légitime et fécond que dans l’application des
catégories à un donné empirique. Ce faisant, Kant reconnaît donc sa part de vérité au respect de l’a posteriori
affiché par l’empirisme. La conjonction kantienne de l’entendement et de la sensibilité est ainsi, historiquement,
une tentative de réconciliation du rationalisme et de l’empirisme.
La 3° faculté est la raison pure, qui concerne plus directement la métaphysique. La raison pure est en
effet l’entendement en tant qu’il veut se dégager de toute référence à une expérience possible et donc connaître
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des objets supra sensibles ( 3 objets classiques : Dieu, l’âme, le monde) par ses seules ressources 19 . Elle
répond à une soif ou une tentation de l’entendement d’aller plus loin que la seule physique, expérimentable et
concrète, de vouloir dépasser dialectiquement l’usage empirique des catégories, pour chercher la condition d’un
conditionné dans un inconditionné. Ici, pas de connaissance certaine possible. Mais des jugements incertains sur
Dieu ( juste, juge…), l’âme ( immortelle, etc…), le monde en soi ( créé, temporel, infini…).
NB : Détail de la réflexion
L’homme connaissant n’est pas que sensibilité et entendement. Il est encore raison pure. L’étude de cette
troisième faculté est l’objet de la dialectique transcendantale. La raison pure, c’est l’entendement en tant qu’il veut se
dégager de toute référence à une expérience possible et prétend donc connaître par ses seules ressources, sans recourir à
la sensibilité, des objets suprasensibles. Ou encore, la raison pure, c’est l’entendement qui, insatisfait de ne connaître que
des phénomènes physiques conditionnés, part à la recherche de l’inconditionné, de l’absolu, en se laissant emporter sur
les ailes de la métaphysique. Dans un des rares passages poétiques de la CRP (p.36 op.cité), Kant compare le projet de la
métaphysique à l’élan d’une colombe. La colombe, dit-il, qui fend l’espace, mais sent l’air freiner le mouvement de ses
ailes, s’imagine qu’elle volerait bien mieux dans le vide. Seulement, l’air qui la freine est aussi l’air qui la porte. Dans le
vide, loin de pouvoir planer plus rapidement, elle piquerait du nez et s’écraserait au sol. Ainsi en va-t-il de l’entendement.
le pouvoir a priori de l’entendement est, dans son usage scientifiquement valide, strictement rapporté au champ d’une
expérience possible. C’est là, bien sûr une limitation. Seulement, cette humble liaison à l’ordre empirique est aussi la
garantie de l’efficacité et du sérieux de la connaissance. Néanmoins, par un instinct métaphysique indéracinable, et
constitutif de l’homme, l’entendement s’imagine qu’il pourrait connaître infiniment mieux et plus s’il se dégageait de cette
référence empirique pour se tourner librement, purement a priori, vers des objets métempiriques ou suprasensibles. En
tant qu’il succombe à cette tentation, l’entendement se transforme en raison pure, il tourne à vide, à titre de simple forme
a priori et , tout comme la colombe, au lieu d’atteindre son but grandiose, il sombre dans l’illusion, à savoir l’illusion
transcendantale de la métaphysique. Reprenant à son compte le sens péjoratif du mot « dialectique » qui désignait pour
Aristote, un raisonnement trompeur, Kant dénonce cette illusion métaphysique de la raison dans une « dialectique
transcendantale ».
Sur ces 3 objets de la raison, ces 3 « Idées transcendantales », les métaphysiciens se disputent
depuis des siècles, échec compréhensible du point de vue de Kant, puisque les jugements synthétiques a priori
émis par la raison pure ne jouissent pas de la double garantie des concepts purs de l’entendement et du donné
intuitif de la sensibilité. Ici, l’entendement s’emballe et travaille à vide puisqu’il ne veut connaître des objets
suprasensibles auxquels par définition, aucune expérience ne peut correspondre. En effet, quelle impression
sensible puis-je avoir de Dieu, de mon âme, du monde en soi ? la raison pure peut penser ces idées mais elle ne
peut pas les connaître, dit Kant. Le mystère de la liberté humaine et de Dieu ne peut s’enfermer dans
l’entendement, comme la physique, la biologie ou les maths.
(On a parlé d’agnosticisme kantien, mais il est positif, respectant la transcendance de Dieu et de l’âme :
« Je dus abolir (limiter) le savoir pour laisser une place pour la croyance » 20 ). Kant réfute alors les preuves de
l’existence de Dieu ( ontologique, cosmologique, et physico-théologique ), comme confondant les objets
nouménaux et phénoménaux.
19
C’est ainsi que, par delà tous les phénomènes psychiques du sens interne, la métaphysique entend parler de l’âme et affirmer à son sujet qu’elle
est libre, simple, immortelle, etc…Ou encore , par delà tous les phénomènes physiques du sens externe, la raison pure veut discourir à propos du
monde pris comme totalité, non pas donc du monde expérimentable, mais du monde considéré comme entité métaphysique, ainsi que c’est le cas
dans des jugements tels que : le monde est fini ( ou infini), le monde a été créé par Dieu, le monde a commencé ( ou n’a pas commencé) dans le
temps, etc. Les métaphysiciens se croient, enfin, autorisés à émettre des jugements sur Dieu comme origine ultime de l’âme et du monde : Dieu
existe, il est le créateur du monde, il est un juste juge des actions humaines,etc…
20
CRP, préf. 2° édition.
- 33 -
NB : Détail de la réflexion
Le thème de l’agnosticisme kantien : Ce thème a deux aspects, l’un négatif et l’autre positif. Négativement,
et c’est l’aspect le plus souvent souligné, l’agnosticisme kantien signifie que l’homme ne peut pas connaître l’absolu. Ses
facultés de connaissance ne sont pas destinées à faire de la métaphysique, mais plutôt à pratiquer les sciences
(mathématiques, physiques, chimie…). La patrie de l’intellect humain, c’est le monde de l’expérience sensible. Et ce
monde - Kant n’est pas un empiriste ! - l’entendement peut le connaître scientifiquement, c’est à dire en dépassant le
strict donné empirique dans la direction de jugements universels et nécessaires. Mais la connaissance de l’absolu dépasse
le pouvoir de la raison finie. Positivement, l’agnosticisme kantien a cependant une signification plus subtile et largement
méconnue. La conviction ultime de Kant est que l’absolu de la liberté humaine et de Dieu est trop grand pour être
« connu ». Connaître , c’est en quelque sorte dominer un objet en le construisant a priori. Soyons donc modestes et ne
prétendons pas enfermer le mystère de Dieu et de la liberté dans le filet de l’entendement. Le cœur de l’être échappe à la
spéculation, non pas d’abord parce que notre connaissance serait finie et déficiente, mais parce que le mystère
ontologique excède l’ordre même de la connaissance en général. Tel est le sens profond du mot de Kant : « je dus abolir
le savoir afin d’obtenir une place pour la croyance ». Kant a limité le savoir, il a montré que l’homme connaissant n’est
chez soi que dans les phénomènes, objets de la science moderne, mais ne s’est pas livré à ce travail critique dans l’unique
but d’humilier la raison pure, il a voulu surtout faire une place à la foi, c’est à dire, comme nous le verrons, réserver à
l’engagement éthique de la raison l’accès à l’absolu. Le premier résultat de la CRP , son résutlat le plus apparent est donc
bien la limitation du savoir humain et l’affirmation que l’âme, le monde et Dieu échappent à l’emprise de la connaissance
rationnelle. Mais si Kant tient fermement en mains les rênes de la raison pure, s’il lui impose une critique si rigoureuse,
c’est finalement pour préserver le champ propre de la raison pratique ou morale, seule habilité, selon Kant, à se frayer un
chemin jusqu’à l’être même. Voyons comment en III.
La raison pratique vient alors prendre ici le relais de la raison pure pour dire non ce qui est, mais ce qui
doit être : « Que dois-je faire ? ». A l’inverse de la raison pure, la raison pratique, qui me dicte mon éthique, doit
être pure de toute expérience, de toute contingence, de toute circonstance particulière : elle doit me dicter des
impératifs universels, impératifs catégoriques. La morale ne peut se circonstancier. On ne peut agir pour des
motifs empiriques ou sensibles, mais seulement guidé par une loi absolue ( ex : tu ne tueras pas). Je fais mon
devoir parce que c’est mon devoir et non par intérêt. Obéissance inconditionnée à la voix de ma conscience 21 .
De là le premier impératif catégorique : « agis de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton
action devienne une loi universelle ». Et le second : « agis de telle sorte que l’autre soit toujours une fin en soi et
jamais simplement un moyen ».
NB Détail de la réflexion :
La raison pratique ne s’intéresse pas à ce qui est, mais à ce qui doit être. La question n’est plus « Que puis-je
connaître ? », mais « Que dois-je faire ? ». Kant a développé ce thème dans son second grand ouvrage, la Critique de la
Raison Pratique. Par rapport à la première Critique, nous assistons à un total changement de décor. En effet, la conclusion
majeure de la Critique de la raison pure était que la raison n’est féconde que si elle renonce à sa pureté et se lie
modestement au champ de l’expérience. Dans le domaine éthique, par contre, le souci de Kant est de montrer que la
raison pratique n’est vraiment morale que si elle est pure, c’est à dire entièrement dégagée de l’expérience. Si donc la
raison pure devait être critiquée sur le plan théorique , sur le plan pratique, par contre c’est toute raison
pratique qui ne serait pas pure qui doit être sévèrement critiquée. Pourquoi ?
21
Ce que nous appelons familièrement la voix de la conscience n’est rien d’autre pour Kant que cet impératif de la raison pure s’adressant à
notre volonté empirique intéressée et lui enjoignant de soumettre ses mobiles égoïstes à l’universalité inconditionnée de la raison.
- 34 -
a- Le premier fondement du « purisme » éthique kantien est que la morale parle à l’impératif et non à l’indicatif.
Elle ne décrit pas ce qui est, mais prescrit ce qui doit être. Or une norme morale, une exigence éthique, ne sont jamais,
comme telles un fait donné a posteriori, mais un idéal s’imposant a priori. Une morale fondée sur l’expérience serait une
contradiction. Des faits ne fournissent jamais une règle éthique. Seule la raison pure, légiférant a priori, peut donc être
authentiquement pratique.
b- Le second fondement du purisme de Kant réside dans la rigueur de ses conceptions morales. Selon Kant, en
effet, dès qu’on agit par intérêt ou par souci d’efficacité, on est en dehors de l’ordre moral. Toute morale fondée
empiriquement serait donc non seulement contradictoire, mais encore immorale. Agit moralement celui-là seul qui agit
dans l’unique intérêt de la raison, sans aucun mobile sensible, rien que pour obéir à la raison pure.
D’ailleurs, le sentiment populaire ne rejoint-il pas la philosophie lorsqu’il estime que quelqu’un a agit bien si et
seulement si son action était mue par une bonne intention, c’est à dire par l’intention de faire son devoir uniquement
parce que c’est son devoir et non par intérêt ? Le commerçant qui ne trafique pas ses prix et ses balances afin de ne pas
perdre sa clientèle, n’agit pas moralement, il accomplis son devoir matériellement certes, mais non formellement ; il agit
conformément au devoir, mais pas par devoir. Il ne sera authentiquement honnête que s’il agit ainsi par pur respect de la
loi qui découle de la raison.
Quel peut bien être maintenant l’impératif moral issu de la raison pure ?
La raison pure, avons-nous vu, est la faculté de l’universalité absolue et inconditionnée, affirmée entièrement a
priori. Le seul ordre qui puisse en émaner sera donc d’agir de manière rationnelle, c’est à dire universelle. « Agis de telle
manière que tu puisses vouloir que la maxime de ton action devienne une loi universelle ». Telle est la formulation célèbre
de l’impératif catégorique ou inconditionné, issu de la raison pure. L’unique critère, entièrement formel, pour savoir si
j’agis bien en posant telle ou telle action est de me demander : puis-je vraiment vouloir sans contradiction que la ligne de
conduite que je vais adopter sois étendue à tous, et devienne ainsi une loi universelle ? telle est l’exigence éthique de la
raison pure.
Ce que nous appelons familièrement la voix de la conscience n’est rien d’autre pour Kant que cet impératif de la
raison pure s’adressant à notre volonté empirique intéressée, et lui enjoignant de soumettre ses mobiles égoïstes à
l’universalité inconditionnée de la raison. Ainsi donc, la raison pure, qui était impuissante à connaître sur le plan
scientifique, est, au contraire, la seule loi valable et efficace de l’action sur le plan éthique. Illusoire en métaphysique,
la raison est par contre l’unique fondement de la moralité.
Ce qui est décisif du point de vue qui nous occupe, c’est que, sur la base de cette loi pratique de la raison,
Kant va postuler trois grandes affirmations métaphysiques inséparablement liées à l’exigence éthique. Ce sont
les trois célèbres postulats de la raison pratique. Il s’agit de propositions théoriques indémontrables par la raison
spéculative, mais dont la vérité est requise par la raison pratique si l’impératif de cette dernière ne doit pas être
incohérent ( C.R.Pratique, trad. Picavet, Paris, PUF, 1943, p. 132, puis 142).
1. le premier postulat de la raison pratique est celui de la liberté. Sur le plan théorique, nous ne pouvons pas
prouver que nous sommes libres. Au contraire, chacune de nos actions est, au niveau phénoménal, à interpréter comme
un phénomène lié causalement à un autre phénomène. L’entendement scientifique n’atteint jamais que le déterminisme
strict des phénomènes, il ne peut qu’ignorer la liberté. Quant à la raison spéculative pure, elle peut bien « penser »
métaphysiquement que notre âme est douée de liberté, mais elle est incapable de le « connaître » démonstrativement.
Seulement la raison en nous n’est pas que théorique, elle est aussi pratique. Or, en tant que pratique, elle me commande
d’agir de manière purement rationnelle dans une complète indépendance à l’égard du monde des sens. Mais, agir d’une
telle manière, c’est justement être libre, c’est se déterminer par soi-même selon la raison. La voix pratique de la raison en
moi m’oblige donc à affirmer que je suis libre. A partir de l’évidence première du devoir moral, à partir de ce fait rationnel
primordial qu’est l’impératif catégorique, je dois ainsi postuler la liberté. Sinon la raison pratique m’imposerait un devoir
irréalisable, ce qui revient à dire que, se contredisant elle-même, elle serait irrationnelle. La cohérence de la raison avec
elle-même exige donc la réalité de ma liberté. « Tu dois fait ton devoir, or tu ne peux le faire que si tu es libre, tu
es donc autorisé par la raison à postuler pratiquement que tu es réellement libre ». C’est ainsi que la raison
pratique me révèle, par son exigence morale absolue, que je ne suis pas seulement un phénomène déterminé lié à
l’ensemble de la nature, mais une réalité métaphysique intelligible, un noumène qui, comme chose en soi , est doué de
liberté.
- 35 -
2. le deuxième postulat de la raison pratique est celui de l’immortalité de l’âme. La raison pratique en
effet, m’impose d’être saint, c’est à dire d’agir uniquement par devoir, dans une parfaite obéissance à la loi morale que la
liberté rationnelle se donne à elle-même. Or, dans la mesure où je suis ici-bas un être raisonnable immergé dans le
monde sensible, je suis incapable de me défaire entièrement des intérêts égoïstes de ma sensibilité pour agir par pur
respect de la loi. Et pourtant, la raison ne m’en commande pas moins impérieusement d’accomplir le devoir pour le
devoir, à l’écart de toute recherche d’une succès empirique. A moins que la raison elle-même ne soit déraisonnable - ce
qui est impossible - je dois donc postuler la possibilité d’un progrès à l’infini en direction de cette sainteté morale. Or ce
progrès indéfini n’est possible que si ma personnalité raisonnable persiste elle-même indéfiniment dans l’être par-delà la
mort qui affecte mon existence phénoménale. Bref, l’exigence morale de la raison m’impose de postuler pratiquement
l’immortalité de mon âme et ainsi la possibilité de me rapprocher indéfiniment de l’idéal moral.
3. le troisième postulat est celui de l’existence de Dieu. Sur ce point comme que celui de l’âme immortelle, la
raison théorique était incapable de me fournir la moindre connaissance. Mais la raison pratique a ses entrées là où la
spéculation s’avère impuissante. En effet, la raison elle-même - et non seulement l’égoïsme humain - considère qu’un être
raisonnable tel que l’homme a besoin du bonheur pour être pleinement lui-même et que justement il se rend digne de ce
bonheur par la vertu, c’est à dire par cette disposition à bien agir qui se moque du bonheur pour rechercher uniquement
le devoir en tant que tel. En d’autres mots, le vœu de la raison elle-même est la réalisation du souverain bien, lequel
consistera donc dans l’accord entre la vertu et le bonheur dont celle-ci se rend digne. Or, non seulement ce lien est
rarement donné de fait -que de justes sont malheureux, et d’impies prospères ! - , mais il n’est pas au pouvoir de
l’humanité de réaliser efficacement le souverain bien dès lors que le bonheur comme son nom l’indique, dépend de la
bonne fortune, c’est à dire en fin de compte d’un ordre naturel de soi indifférent à la moralité. C’est pourquoi, sous peine
de se contredire elle-même, la raison nous impose de postuler pratiquement l’existence d’un sage auteur de la nature
capable de réaliser le souverain bien, c’est à dire qu’elle nous impose moralement d’admettre l’existence de Dieu.
Seulement pour agir ainsi, j’ai besoin de trouver des motivations métaphysiques, un intérêt supérieur à
cette exigence éthique. Ce sont les 3 célèbres « postulats de la raison pratique », 3 propositions théoriques
indémontrables par la raison pure, mais don t la vérité est requise par la raison pratique si l’impératif de cette
dernière ne doit pas être incohérent :
1 - la liberté de l’homme, sinon la raison pratique m’imposerait un devoir irréalisable, car je serai
purement conditionné par mes sens et désirs. « Tu dois donc tu peux » dit Kant.
2 - l’immortalité de l’âme, car la raison pratique m’impose d’être saint, et j’ai donc besoin d’un temps
infini pour y parvenir pour me rapprocher indéfiniment de l’idéal moral.
3 - l’existence de Dieu , qui réalisera mon souverain bien, ma béatitude. Dieu est donc pour mon esprit
comme une nécessité de mon agir moral. Son existence est exigée pour que la raison humaine ne soit pas
incohérente dans son vœu raisonnable de bonheur. Il est celui qui garantit jusqu’au bout la consistance de la
liberté humaine. ( Kant arrive à Dieu à partir des besoins et désirs de l’homme : c’est une voie anthropologique ).
Dieu n’est pas le fruit d’une exigence de ma raison pure comme chez Descartes 22 , mais de mon agir, de ma raison
pratique. Ca n’est plus la morale qui est fondée sur la métaphysique mais la métaphysique qui est fondée sur la
morale : là aussi révolution copernicienne. Primat de l’orthopraxie (agir correctement) sur l’orthodoxie ( penser
droitement). Dieu est au terme d’une action morale cohérente et non plus d’une pensée métaphysique rigoureuse,
comme chez ThA ( les 5 voies), ou même Descartes.
22
Idée en moi de perfection, donc existence de Dieu.
- 36 -
Conclusion Générale
La pensée de Kant a exercé une influence incalculable sur notre époque. Nous avons déjà qu’elle
systématise la modernité : sa théorie de la connaissance donnant la primauté au sujet connaissant, et l’ordre de
la nature n’est qu’un miroir de la légalité de l’esprit humain. Cette tendance se confirme et se renforce dans
le couronnement éthique de l’œuvre critique.
La conception kantienne de la morale constitue tout d’abord une nouvelle révolution copernicienne.
Classiquement, en effet, la morale est fondée sur la métaphysique : l’homme agit bien s’il assume et promeut par
son comportement l’ordre du réel déchiffré par la métaphysique. Ici, par contre, la conscience morale de l’homme
ne repose que sur elle-même ; elle n’a pas à se soumettre à des lois extérieures métaphysiques; en obéissant à
l’impératif catégorique, elle n’obéit qu’à sa propre cohérence interne. Loin donc que la rationalité de l’action
dépende d’une métaphysique préalable, c’est la raison humaine qui est première et qui, par le biais des
postulats pratiques, ouvre le champ de la métaphysique. Ce n’est pas l’être qui détermine le sens de
l’homme, mais l’homme éthique qui décide du sens de l’être.
Cela est particulièrement manifeste en ce qui concerne le problème de Dieu. Chez Kant, Dieu est situé
dans le prolongement du dynamisme de l’être humain. Il est au terme des requêtes de l’esprit. Son existence est
exigée pour que la raison humaine ne soit pas incohérente dans son vœu raisonnable de bonheur. Tel est bien le
sens, décidément anthropologique, du troisième postulat de la raison pratique : Dieu est postulé comme celui
qui garanti jusqu’au bout la consistance de la liberté humaine. Ce thème fera fortune.
Il importe enfin de souligner le caractère essentiellement éthique de l’anthropocentrisme kantien
en matière métaphysique. L’affirmation de Dieu ne couronne pas l’élan scientifique de l’homme, mais son
effort moral. L’accès à Dieu est au terme non de notre cerveau mais de notre cœur. La position métaphysique de
l’Absolu n’est pas requise pour que la connaissance humaine s’achève - car la patrie du savoir, ce sont les
phénomènes conditionnés du monde - elle est bien plutôt exigée par l’action de l ‘homme, afin que celle-ci puisse
atteindre le souverain bien auquel elle est destinée, mais qui n’est pas en son pouvoir. La sainteté morale a son
unique mesure dans la raison humaine, mais l’homme a besoin de Dieu pour que la sainteté le rende heureux.
Nous pouvons reconnaître l’influence du kantisme chaque fois que, dans l’affirmation de Dieu, la
connaissance est dévalorisée par rapport à l’agir. ( Schleiermacher, le protestantisme libéral, …). Primat de
l’orthopraxie sur l’orthodoxie. La vertu est plus décisive que le savoir ( Rousseau ). Dieu serait au terme d’une
action morale cohérente et non d’une pensée métaphysique rigoureuse… c’est réducteur : Dieu est
au terme des deux. Comprendre l’existence de Dieu - et sa révélation dans le Christ - sou un angle uniquement
éthique, à titre de postulat requis pour l’heureux achèvement de la moralité humaine, correspond certes à un
aspect du réel, mais à un aspect seulement : en fait, on y néglige totalement de prendre en considération,
dans une pensée gratuitement docile à l’être, la réalité même de ce que Dieu est en soi et pour soi.
Bref, Kant aide la pensée philosophique et théologique à échapper à la réduction cosmologique
du sens de Dieu, en montrant que l’Absolu n’est pas à situer dans le prolongement de notre savoir
scientifique de l’univers physique : il relègue à une place subordonnée toute physico-théologie ( Cf. La Critique
de la Faculté de Juger, trad. A. Philonenko, Paris, Vrin, 1968, §91, pp. 285-286). Mais il y a un revers à la
médaille. Pour avoir indûment identifié le savoir humain au savoir scientifique en prenant comme modèle de la
connaissance les maths et la physique, Kant exclut toute connaissance spéculative de Dieu. Et ce avec les
meilleures intentions du monde : il refuse de soumettre l’absolu au schéma constructeur et dominateur de la
science moderne. Mais ce refus d’une approche spéculative de Dieu l’amène logiquement à ne trouver d’appui à
l’affirmation métaphysique que dans l’ordre moral et à réduire ainsi la théologie à une éthico-théologie. Kant
écarte le danger de la mainmise scientifique sur le concept de Dieu, mais il y substitue le péril plus subtil d’un
- 37 -
utilitarisme raffiné, celui d’un moralisme universel qui mesure le sens de l’être à son impact sur le
dynamisme éthique de l’homme et subordonne l’affirmation de Dieu à l’achèvement de la moralité.
En fait, seule la reconnaissance d’une réelle approche métaphysique de l’être et de Dieu donne à la pensée
une gratuité et une liberté capables d’éviter conjointement le double écueil de la réduction cosmologique et de la
réduction anthropologique.
__________________________________
- 38 -
Ch 5 - Hegel et la dialectisation absolue de la métaphysique
Kant soulignait la nécessité pour l’entendement de se fonder sur la sensibilité et ses intuitions. Une
intuition purement intellectuelle ( non fondée sur l’intuition sensible) ne peut que se perdre dans l’illusion, dans
l’imaginaire, et quitter la réalité. Hegel ne suit pas cette prudence et pense disposer d’intuitions purement
intellectuelle.
Alors que Kant limitait , « critiquait » le champ de la raison pure, Hegel au contraire transgresse ces limites
et prétend saisir une vérité quasi mystique, et pourtant rationnelle. La pensée de Hegel prétend englober tout le
réel. Selon lui, une pensée qui n’engloberait pas tout le réel ne saurait être vraie. Tout ce qui est rationnel est réel
et tout ce qui est réel est rationnel. C’est à dire qu’il pose l’identité totale du réel avec le rationnel. Seule une
pensée totalisante peut viser la vérité. Là où Kant abolissait (limitait) le savoir pour laisser une place à la foi, Hegel
prétend étendre le savoir à l’ensemble du réel. Du même coup, il abolirait la croyance.
Hegel bien sûr ne prouve pas sa pensée par une démonstration rationnelle comme Descartes. Reprenant
toute l’histoire de l’humanité, des cultures, des civilisations, il montre que le tout possède, malgré ses
contradictions, une logique, une conformité à la raison. On parle d’un système panlogique ( tout est logique ).
La paternité d’Héraclite est évidente : tout événement, toute contradiction trouve sa logique, sa place dans le
déploiement de l’histoire, de l’humanité.
Jusqu’ici, nous avons toujours considéré ce qui est contradictoire comme étant contraire au logique.
Lorsqu’ Héraclite se servait de la contradiction pour décrire la réalité comme étant le combat des contraires, il
s’opposait en quelque sort à la règle fondamentale de la logique - ce que Parménide n’a pas manqué de lui
objecter. Parménide disait : on ne peut pas dire en même temps « l’être est » et « le non être » est.
La contradiction est donc le contraire de la raison, du logos, de l’être même. Pour Hegel, au contraire, la
contradiction occupe une position centrale, et c’est grâce à cette contradiction centrale qu’il lui est possible de
maintenir son panlogisme, qui identifie le réel et le rationnel. Il est évident que cela n’est pensable qu’à travers un
processus, un développement, un devenir. A et non-A ne peuvent coexister dans le même temps, mais peuvent
s’impliquer l’un l’autre, se succéder pour se dépasser l’un l’autre dans une synthèse. C’est la dialectique
- 39 -
hégélienne : cette marche de la pensée, par contradictions surmontées, selon un rythme ternaire, où la thèse
(affirmation) appelle l’antithèse (négation), et toutes deux se dépassent et se conservent dans la synthèse.
Ainsi, la dialectique de Hegel est donc la succession de contradictions à l’œuvre dans le réel.
Comme Descartes, et Kant, Hegel interroge le fonctionnement de l’esprit ( idéalisme), mais ce qui lui
semble central et caractéristique pour l’esprit est cette faculté à nier sans cesse , ce travail de négation sans
cesse à l’œuvre, emmenant l’homme et l’humanité entière à un constant dépassement de soi-même.
Chez Héraclite, les contraires cohabitaient à travers un combat, c’est à dire encore un processus. Chez
Hegel, le processus, c’est l’Histoire. Elle est l’odyssée de l’Esprit, elle manifeste la Raison.
« La seule idée qu’apporte la philosophie est la simple idée de la Raison ( rationalité), l’idée que la Raison
gouverne le monde et que, par conséquent, l’histoire universelle s’est elle aussi déroulée rationnellement…La
Raison est la substance…Elle est l’infinie puissance…Elle est le contenu infini » ( Hegel, La Raison dans l’Histoire,
10/18-UGE, p.47-48) 23
Ce qui est vrai pour l’histoire de la religion l’est aussi pour d’autres figures de l’esprit : l’histoire de l’art,
de la politique 24 , du droit, de la science, de la philosophie… etc… On le voit donc, tout devient pensable, logique, et
plus rien n’échappe à la raison humaine 25 .
Conclusion
1. la philosophie de Hegel prétend donc découvrir le sens dernier de tout ce qui est. C’est bien une
métaphysique, qui n’est plus fondée sur la méthode mathématique, comme celle de Platon ou de Descartes, ni sur
la physique comme celle de Kant, mais sur la pensée de l’Histoire. Les grecs tiraient le logos de la nature cosmos
que régissaient ces lois du logos, Hegel tire quant à lui de l’Histoire ces lois, ces logiques, ce logos, qu’il appelle
Idée ou Concept, et qui se déploie à travers les siècles, et dont la vérité scientifique n’est qu’un aspect parmi
d’autres. Le déploiement de l’histoire n’est autre que celui de l’esprit. Se recueillant en lui-même et repensant
23
Comment l’histoire procède-t-elle, en pratique ? par ruse. Elle se sert des passions humaines pour se réaliser dans le monde. Elle ne peut
s’extérioriser dans les choses sans la médiation des individualités humaines, sans les grands hommes, qui actualisent, à leur insu, le nécessaire
de l’Histoire. Alexandre, César, Napoléon accomplissent-ils uniquement leurs projets ? ils sont, en réalité, les outils d’un processus qui les
dépasse, les chargés de mission de la Raison, forgeant l’universel à travers leurs buts particuliers. Ainsi, l’histoire universelle forme un Tout.
Nous parvenons à l’idée d’une histoire totale et unifiée, englobant les diverses formes historiques.
24
L’Etat réalisant la synthèse de l’individu et de l’universel, par la loi.
25
Le danger en sera que même les pires guerres ou les pires idéologies s’en trouvent justifiées au nom d’un dépassement futur.
- 40 -
l’histoire, l’esprit parviendra au savoir absolu, selon Hegel. L’absolu n’apparaît qu’à la fin. Ce n’est plus l’être
qui se révèle à l’esprit , comme dans le réalisme thomiste, par exemple, mais c’est l’esprit qui se révèle à lui-
même, dans l’Histoire, ce qu’il est , et ce qu’est l’être. Kant, en considérant que l’être n’est pas intelligible, qu’il
demeure en dehors de notre entendement, respecte encore l’être existant. Par contre Hegel, par sa dialectique,
rend l’être relatif au devenir, ou plus exactement relatif à l’activité propre de l’esprit.
La Métaphysique est donc synthèse de l’absolu. ( Hegel nous décrit la marche historique de l’Esprit. Dieu
n’est plus le juge transcendant les choses, une Essence distincte de l’univers, mais un dynamisme, une rationalité
se créant et s’actualisant dans l’histoire. Dieu est le parcours de l’Esprit, la marche d’un absolu qu’aucune intuition
ne saurait exprimer. Dieu est Résultat, point d’aboutissement, non point perfection située au-delà du monde.
S’élevant contre toutes les théologies traditionnelles, Hegel inaugure un point de vue nouveau, expression du
devenir permanent de l’univers).
2. Dans la lignée d’Héraclite, nous sommes dans une pensée du devenir, comme synthèse dialectique de
l’être et du non-être. Le principe de tout est l’Idée, la Raison. Elle est devenir, raisonnement, sans substrat.
Mouvement sans mobile. Déploiement du Concept.
3. nous sommes bien dans un idéalisme : Hegel interroge l’esprit dans sa dimension universelle.
- 41 -
Ch 6 - Auguste Comte et la réduction positiviste
Pour les grecs, le monde est un cosmos ordonné où la sagesse des dieux - le logos - est présente. Toute
transformation de cet ordre, même scientifique, est un sacrilège, une dégradation. Le sage contemple,
s’émerveille, mais ne touche pas. (Le modèle est l’astronome, qui contemple cet ordre dans les étoiles )
Pour les chrétiens, la Genèse (Gn 1,28) dit « soumettez et dominez la terre». La science et la technique
sont donc possibles, autorisés. Le XIX° siècle, avec son essor scientifique sans précédent, marque l’apogée du
scientisme, selon lequel la science peut répondre au question métaphysique, et du positivisme, selon lequel ces
questions sont de fausses questions.
Auguste Comte (1798-1857) explique que l’homme, l’humanité en générale, passe par 3 états (« loi des 3
états »):
1. l’état théologique ou fictif : l’homme explique les phénomènes du monde 26 par l’action d’êtres
surnaturels. C’est l’enfance de l’humanité. l’homme s’interroge sur le « pourquoi » (cause première), le « en vue
de quoi » ( cause finale)… 27
2. l’état métaphysique ou abstrait : c’est une théologie masquée. Les être surnaturels sont simplement
remplacés par des concepts, des « entités abstraites », des idées métaphysiques ( cf. Platon…). C’est
28
l’adolescence de l’humanité.
3. l’état scientifique ou positif : la recherche de la cause première est abandonnée, et la connaissance
se tourne vers les faits établis, les données de la physique. Toute métaphysique, tout ce qui n’est pas
expérimentable scientifiquement est évacuée. Le fondement de la vérité est uniquement l’observation et
l’expérimentation empirique qui permettent de dégager des lois positives (« positif » signifiant à la fois certain,
utile et constructif ), liant les phénomènes physiques entre eux. Interroger le « comment ». C’est l’age adulte,
selon Comte 29 .
3 Thèses du positivisme :
1. le positivisme prétend remplacer l’imagination par l’observation raisonnée et ainsi exclure toute forme de
rêverie métaphysique ou théologique. (Aux spéculations métaphysiques sur les causes des phénomènes, il faut
substituer la recherche rigoureuse des lois qui les relient. )Ne pas chercher les causes finales ou premières, mais
uniquement efficientes immédiates ( ou secondes).
2. le positivisme insiste ensuite sur la relativité de nos connaissances : « Tout est relatif, voilà la seule chose
absolue ». (relatif à notre sensorialité, notre raison, notre situation sociale…)
3. malgré ce relativisme, le positivisme est aussi opposé à l’empirisme 30 qu’au mysticisme métaphysique ou
théologique.
26
La foudre = la colère des dieux…
27
correspond politiquement à la Monarchie absolue, arbitraire…
28
correspond politiquement à la période des grandes Révolutions, avec leurs idéaux, leurs utopies… : Liberté, Egalité, Fraternité…
29
correspond politiquement à la sociologie, mot inventé par Comte pour désigner une conduite politique directement inspirée d’une science
positive de la société.
30
Qui ne fait que constater des faits sans les relier par des liens de causalité.
- 42 -
II - MONOD et le positivisme du XX°
Jacques Monod 31 (1910-1976) a écrit en 1970 un livre qui a eu un large retentissement : Le hasard et la
nécessité. La thèse en est la suivante : « Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la
nécessité ». il faut exclure radicalement de la biologie l’explication par la finalité, c’est à dire par des buts et
rendre raison de l’apparition de la vie, et de l’homme en particulier, par le simple jeu du hasard et de la nécessité.
L’homme n’est plus une merveille de la nature, répondant à une intention, une intelligibilité ( // 5° preuve) mais
un pur hasard, ayant survécu parce que mieux adapté. Monod dénonce l’illusion rétrospective qui consiste à voir
une finalité là où il n’y a que des successions de variations hasardeuses dont certains ratés plus adaptés seuls
perdurent et se multiplient pour envahir l’univers. (nb : Bergson avait déjà répondu dans L’Evolution Créatrice…).
Monod conclut son livre : « L’ancienne alliance est rompue : l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité
indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. A
lui de choisir entre le Royaume (de la science, de la connaissance) et les ténèbres ».
réponses :
• l’homme n’avait pas une chance sur des milliards de milliards d’apparaître alors. C’est le « principe
anthropique » : pourquoi les forces de la nature ont-elles été réglées précisément dès le big bang, de façon à
donner à un univers où l’homme puisse exister ? 32
• l’ordre ne naît pas du désordre, même en un temps infini. (en thermodynamique, c’est le « principe
d’entropie » 33 . La vie contredit ce principe d’entropie, allant vers une complexité et une organisation croissante 34 .
D’où le postulat d’une cause extérieure ordinatrice ( et bienveillante ) ).
• Où sont alors les restes des univers moins bien adaptés ?
Conclusion et Critique :
Sur le plan conceptuel, le positivisme aboutit certes à des lois générales universelles, scientifiques, fondant
ce que l’on appelle les « sciences exactes ». Cependant il réduit toute approche rationnelle du réel à la seule
démarche positive ou scientifique, en excluant les autres, ce qui est réducteur et ne tient pas. Sa condamnation de
la métaphysique ne tient pas debout. En effet, le positivisme est réducteur dans la mesure où il postule qu’il n’y a
pas d’autre vérité que celle qui est accessible par les sciences positives et ramène ainsi le champ du réel et du
savoir aux possibilités d’un seul langage, celui des sciences d’observation. Nier la possibilité de la métaphysique
est lui même un présupposé métaphysique, car aucune expérience empirique ne le fonde. C’est un choix arbitraire,
dogmatique. Le positivisme est donc lui-même fondé sur un présupposé métaphysique, présupposé selon lequel il
31
Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1965
32
Il suffirait en effet de changer d’une infinitésimale valeur un quelconque paramètre physique pour que l’Univers ait connu une histoire
profondément différente : Univers éphémère, implosant en un millième de seconde, Univers glacial et figé , Univers infini , éternel mais
totalement vide, ou trop petit, ou trop grand, trop chaud, trop dense, trop homogène…Que l’évolution cosmique, en quinze milliards d’années, ait
permis la naissance des galaxies, des étoiles, des planètes, de la vie, de la conscience, relève d’une succession de hasards prodigieux, sauf bien
sûr, à adopter une vision déterminisme du monde.
33
Entropie signifie, en thermodynamique, la quantité de désordre, de dégradation d’un système donné. L’entropie va toujours augmentant avec
le temps quand un système est livré à lui-même. exemple : si je verse un litre d’eau bouillante dans l’eau froide de ma baignoire, au bout d’un
certain temps la quantité de chaleur se sera répartie uniformément dans la baignoire et l’ensemble de l’eau aura tiédi ; le tout aura donc évolué
vers un état d’ordre moindre, vers une situation de plus grand désordre, de plus grand mélange, de plus grande homogénéité. L’entropie a grandi.
Je n’assisterai jamais au phénomène inverse, à savoir que l’eau tiède de ma baignoire se mette à refroidir d’un coté et à bouillir de l’autre, la
quantité totale de chaleur restant la même.
34
Même si à l’échelle de l’univers total, l’entropie demeure croissante et que les vivants se maintiennent et progressent en accélérant la
dégradation de leur environnement et le résultat de la facture est toujours un accroissement de l’entropie et du désordre dans l’univers pris en
totalité. Mais la question demeure : pourquoi cette ruse de la nature , préservant une « bulle de néguentropie » dans un univers entropique ?
Monod ne répond pas…
- 43 -
n’y aurait pas d’au delà de l’ordre des faits, pas de métaphysique. Dire que Dieu, la liberté, l’âme n’existent
pas est une affirmation dogmatique elle-même métaphysique, puisqu’une telle affirmation échappe à toute
expérimentation positive. Rien ne prouve que Dieu ou l’âme n’existent pas. D’une façon générale, l’athéisme est
bien plus dogmatique et arbitraire que la religion.…
(Sur le plan historique, le XX° siècle va dévoiler à l’homme les dangers d’une science sans âme, sans
conscience, et ramener le positivisme à plus de modestie.)
_________________________________
- 44 -
Ch 7 - Nietzsche et le nihilisme
1. En géométrie, il existe des points, des lignes, des surfaces et des corps. Or dans la nature, il n’existe
pas de points, donc pas de corps, pas de substance. La croyance au corps consiste à prendre des êtres de raison
pour des êtres réels. La physique est une hypostase de la géométrie, ie une réalité logique (un mot abstrait)
érigée en réalité ontologique. Cette erreur date du platonisme, selon Nz, qui le premier a commencé à hypostasier
des mots: la patrie, la justice… ( hypo-stase : mettre une substance en dessous, fonder sur une substance …).
C’est donc le langage qui créée cette illusion de la substance. Je vois un mot alors je pense une réalité ontologique
dessous.
2. De même, l’individu, l’identité personnelle n’est pas une réalité ontologique, mais seulement logique :
il est une somme de sensations conscientes, de jugements, de désirs, de pulsions…Il n’existe pas d’identité
personnelle. Or le concept illusoire du moi est à l’origine des illusions substantielles, car du moi naît la substance.
L’homme projette sur la réalité la grille même du langage, qui dissocie le sujet du verbe. Du coté du sujet,
c’est la substance, l’être qui demeure. Du coté du verbe, c’est le devenir. La catégorie de la substance n’est plus
première mais elle est le résultat tardif d’une projection du moi sur le monde. Illusion de croire que les mots
désignent des essences. De même, la notion de l’être est tout aussi peu originaire, le résultat d’une croyance, de
transfert, d’analogies. L’action seule existe, est originaire ( ie le devenir. Nous sommes dans la lignée d’Héraclite).
3. De même pour la causalité : elle n’est que la projection de notre volonté dans les choses. C’est de
l’animisme. L’homme irréfléchi pense que l’effet a une cause, qu’il existe une réalité agissante distincte derrière
l’action. Il transfère l’expérience de sa volonté comme paradigme de la réalité. De même que je me pense comme
cause de mon action, de même j’imagine des causes aux phénomènes que je constate. De la croyance à la volonté
découle la croyance à la causalité dans la nature. Je me projette sur le monde. Mais le moi n’existe pas, pas plus
ma volonté, ni donc la causalité dans la nature.
• L’homme ignore fondamentalement ce qui se passe en lui : il est un nœud de forces et de désirs, de
pulsions.
- 45 -
• tous ces désirs vont dans le sens d’une volonté de puissance
les valeurs traditionnelles ( le Bien, le juste, …) ne sont donc que des inventions des faibles 35 pour
canaliser la puissance des forts 36 pour assurer leur propre survie. Ces valeurs ont traversé les siècles. Ce sont des
ruses protégeant les faibles, en donnant mauvaise conscience à ceux qui ne les respecteraient pas. Ils
transforment une impuissance en une vertu. Il s’agit pour l’homme aujourd’hui de remonter Par delà le Bien et le
Mal ( sous titre : prélude à une philosophie de l’avenir. 1886 ). Retrouver un esprit d’indépendance face au
dogmatisme bi-millénaire de la philosophie. « J’appelle liberté de penser quelque chose de très précis : être cent
fois supérieur aux philosophes et autres adhérents de la vérité, par la fidélité avec soi-même… » 37 . Détruire tout
système 38 ( Hegel…), toute systématisation de la pensée, tout rationalisme, jusqu’aux mathématiques qui
imposent leurs schèmes à la pensée, jusqu’au statut de la démonstration, aux preuves (« l’empire des preuves et
des réfutations »…), au langage qui pèche par excès (« chaque mot est un préjugé »).
Il s’agit donc pour le philosophe à venir de créer de nouvelles valeurs, au service des forts :
« Qu’est-ce qui est bon ? tout ce qui élève le sentiment de puissance, la volonté de puissance, la
puissance elle-même en l’homme.
Qu’est-ce qui est mauvais ? Tout ce qui provient de la faiblesse.
Qu’est-ce que le bonheur ? le sentiment que la puissance croit. Non pas le contentement, mais plus
de puissance ; non pas la paix en général, mais la guerre. Non pas la vertu mais l’ardeur. »
Alors seront réunies les conditions d’émergence du « Surhumain » ( Ubermench) , un « césar avec l’âme
du Christ » 39 , un homme qui ne cesse de transcender sa réalité donnée en fait, et les limites qu’elle implique,
grâce à une force créatrice constamment renouvelée. Il s’invente lui-même par delà ce qu’il est.
35
LE FAIBLE = Celui qui emprunte un système de valeurs prédéterminé , une morale, une religion. Donc stérilité interprétative totale. Le faible
est le « croyant ». il fuit le monde, à cause de sa faiblesse.
36
LE FORT = l’interprète ( Nz est philologue). Celui qui possède le plus de force psychique, de capacité interprétative. Il ne condamne pas la
réalité, mais l’ accueille de capo, il ne s’enfuit pas du monde, il interprète. Seul il a la capacité d’assimiler la réalité, sans fuite. Le fort est
« l’artiste » car pour imposer une forme à la matière, il faut de la force. C’est « l’esprit libre », le « philosophe à venir », le « nouveau
législateur » qui déterminera les condition d’une interprétation en conformité avec les exigences profondes de la volonté de puissance.
( nb : PROUST : « Les durs sont des faibles dont on n’a pas voulu. Et les forts, se souciant peu que l’on veuille ou non d’eux, ont seuls cette
douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse »…)
37
OP, 22.24
38
machine à finaliser, à réconcilier les contraires, etc… ( PBM ).
39
César à cause de son aptitude au commandement, hierarchisation efficace d’un système pulsionnel simple, force de volonté
Christ = l’Amour, absence totale de tout « ressentiment ». (Nz respecte la figure du Christ. C’est le christianisme qu’il a en horreur, et
particulièrement St Paul, figure même du ressentiment selon lui, contre les non-chrétiens, juifs… et surtout fondateur d’une morale, donc d’une
axiologie visant à protéger les chrétiens, les faibles ( chrétiens minoritaires à l’époque, donc menacés), par un système de valeurs dressant
- 46 -
Tout est guidé par cette « volonté de puissance » qui selon Nz dirige l’homme, et même le constitue tout
entier. Le monde est vie, et la vie est d’abord une volonté de puissance ( instinct de survie, volonté
d’accroissement, etc…) Influencé par la biologie de son époque, il reconnaît que la volonté de conservation de soi
est une constante du comportement des hommes et le fil directeur de toute vie. La volonté de puissance est donc
cet instinct de survie, conservation de soi, l’augmentation du sentiment de la vie et de la capacité à vivre, le gain
de la force et de la puissance. L’interprétation scientifique du monde est réductible à l’hypothèse de volonté de
puissance : « Ce victorieux concept de force grâce auquel nos physiciens ont créés Dieu et le monde, il faut lui
attribuer une dimension intérieure que j’appellerai volonté du puissance, c’est à dire appétit insatiable de
démonstration de puissance » ( FP XI,36). « Ce monde, un monstre de force, sans début, sans fin, une grandeur
de force à la solidité d’airain. Ce monde est la volonté de puissance - et rien en dehors de cela ! » .
Il s’agit donc de faire de la philosophie à coup de marteau :
- le marteau destructeur d’idoles,
- puis celui du sondeur 40 ,
- enfin celui du sculpteur.
Le nihilisme est « l’abandon radical de toute valeur, du sens et du désirable ».
( Nb : en 1888, Nz rédige une série d’écrits aux accents pathétiques, parmi lesquels L’Antéchrist et Ecce
homo. Dans le premier, il fulmine contre le christianisme. Dans le second émerge au grand jour sa surestimation
de soi. Rétrospectivement, il explique Pourquoi je suis si malin, Pourquoi j’écris de si bon livre… En 1889, il sombre
dans l’aliénation mentale. )
L’on voit avec Nz le fruit ultime d’une pensée qui nie l’être au profit du devenir. Nietzsche a compris que
l’homme était un être en devenir, en puissance. Mais dans quel direction s’oriente ce devenir ? parce qu’il ne
trouve pas son origine et sa fin en un être en soi subsistant, ce devenir est pensé comme désorganisé, chaos, très
biologique, fondé sur le seul instinct de survie, de croissance, de domination. Appliqué à l’homme, celui-ci n’est
rien de plus qu’un nœud de désirs et de pulsions de puissances… ( la situation est parallèle chez Sartre : une
existence sans essence à réaliser et qui part dans le sens d’une responsabilisation gratuite, mais absurde). A
l’opposé, ThA pensait l’être comme premier, merveilleux, hiérarchisé, ordonné. L’homme était lui finalisé par le
bien, le don de soi, le sacrifice de soi, la charité (inverse de la volonté de puissance.).
Avec Nz comme avec Sartre, l’alternative est simple : soit l’homme accepte (humblement…) qu’il n’est pas
ni sa propre origine ni sa propre fin, qu’il se dépasse lui-même et s’accomplit dans un essence qui lui est donné
par un Être Subsistant en Soi. Se recevant, il s’accomplit alors dans le don de lui-même, qu’on appelle aussi le
Bien. Soit au contraire, il refuse de se recevoir d’un autre (« Dieu est mort, et c’est nous qui l’avons tué »), il clôt
toute métaphysique, se place lui même comme son origine et sa fin, la « mesure de toute chose », dans un
univers en devenir, mais sans signification ni direction, absurde, où l’étant livré à lui-même se dissout, et perd
toute signification, toute référence et toute valeur. Nous sommes revenu à Héraclite, mais sans l’émerveillement
devant l’être, qui suppose la sagesse ou l’humilité.
_________________________________
autours d’eux un rempart par le mécanisme de la mauvaise conscience. Le christianisme est pour lui une invention type des faibles, une apologie
de la lâcheté, de la défaite, de la souffrance, de la soumission - « Que ta volonté soit faite » - et de la mort ).
40
Le diapason du médecin, frappant le corps avec l’intention de lui faire rendre un son significatif quant à la santé du patient.
- 47 -
Ch 8 - Sartre et l’existentialisme
I - La pensée existentialiste
L’Être Subsistant ---(créé) les natures ou essences ---(dont) la nature humaine ---(donc) Réaliser sa
nature= le Bien
L’existentialisme nie toute la partie métaphysique. Ne reste que l’existence, absurde ( = sans sens, sans signification) et
la liberté comme « pure indétermination ».
La conscience est un pour-soi libre, radicalement opposé à l’en-soi des êtres naturels. L’en-soi désigne
donc la sphère de tout ce qui est platement identique à soi, de tout ce qui est bêtement là, collant à soi, dans la
massive opacité de ce qui coïncide avec soi, sans conscience ni réflexivité. Bref, « l’en soi est ce qu’il est ». Il s’agit
globalement du monde des choses. Au contraire, l’homme, en ce qu’il a de proprement humain, se caractérise par
la liberté du pour soi, qui se définit comme « étant ce qu’il n’est pas et n’étant pas ce qu’il est » (= en puissance et
pas seulement en acte). Mais une puissance sans essence prédéfinie. « Nous sommes condamnés à la liberté ».
J’ai une responsabilité : « Mon angoisse sera d’autant plus grande qu’en me choisissant, je choisis l’homme » (ie,
je définis ce qu’est la nature humaine…ma substance première définie ma substance seconde).
La conscience est liberté, elle, est à distance des choses qu’elle fuit toujours, elle est recul, refus, mobilité
insaisissable, perpétuelle non-coïncidence avec les choses et avec soi-même. La libre subjectivité du pour soi est
comme un trou, un vide, un rien, un néant dans la plénitude obscène de l’être, donnant la nausée à Roquentin. Le
monde est un désert de sens. Le pour soi est comme une décompression de l’en-soi.
La substance première demeure seule : le sujet individuel est là, mais sans nature propre, sans valeurs à
accomplir, sans actualisation. Seul avec sa liberté, qui en devient alors angoissante. Un être en acte qui ne sait pas
ce qu’il est en puissance. « L’existence précède l’essence » 41 . Elle la définit en avançant. « Nous sommes une
liberté qui choisit, mais nous ne choisissons pas d’être libres : nous sommes condamnés à la liberté » 42 . Le bien
et le mal n’existent pas en soi 43 , ni Dieu 44 : la liberté elle-même créée les valeurs en posant des choix libres. La
liberté est l’unique valeur objective.
L’homme de mauvaise foi nie ce vide et refuse l’angoisse de sa liberté en jouant un jeu, un rôle prédéfini,
41
« Que signifie l’existence précède l’essence ? cela signifie que l’homme commence par exister, se rencontre, surgit dans le monde et se définit
ensuite »
42
L’Être et le néant, Paris, Gallimard, 1943, pp.722
43
Is 5,20…
44
Si Dieu existe, l’homme n’est plus qu’un stylo perfectionné dont l’essence précède l’existence, selon Sartre. Cf. le cours sur la causalité, et la
liberté de l’homme comme cause efficiente seconde.
- 48 -
comme s’il avait une essence prédéterminée. Il prétend s’expliquer lui-même par une nécessité extérieure au
jeu de sa liberté.
• Positivement, c’est une philosophie qui responsabilise l’homme dans chacun de ses actes ( comme Kant,
Heidegger…).
• La conception de la liberté selon Sartre est cependant une liberté d’adolescent, en révolte. Elle se définit par sa
négativité. La subjectivité s’y affirme par le retranchement et la négation. Elle se pose en disant « non », et
refuse de se recevoir d’un autre : une liberté sans père. L’esprit s’y définit par la négation de la nature, l’en-soi
n’est que le repoussoir du pour-soi.
C’est donc l’autre en face de moi, tout homme, qui va définir ce qu’est l’homme ( et non plus Dieu) : la
subjectivité se définit par l’intersubjectivité : « Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par
l’autre. L’autre n’est indispensable à mon existence aussi bien qu’à la connaissance que j’ai de moi » 45 .
L’Existentialisme est un humanisme. Sartre a donc détrôné Dieu comme origine et cause première de ma
libération, et y met l’homme à la place. Mais il est bien forcé de constater que l’homme étant un être fini et limité,
ce changement devient rapidement une menace - un enfer - pour cette œuvre de libération, d’auto-définition
collective de l’essence humaine. Autrui, par son regard objectivant, tente toujours de figer ma liberté et de me
transformer en une chose. Il n’a pas la sagesse ni la bienveillance de Dieu…
En fait, la liberté humaine se reçoit elle-même d’autrui et s’enrichit de tout ce qu’elle n’est pas. L’homme
apparaît (humblement…) dans un monde dont il n’est pas l’origine. Il le reçoit et se reçoit lui-même en même
temps. La philosophie de Sartre ne peut être qu’un « moment » dans le cheminement de la pensée d’un homme
vers la vérité : elle a ce qui fait la beauté de l’adolescence qui découvre, exaltée, sa liberté, mais rapidement se
rend compte qu’elle a besoin de se recevoir d’un autre transcendant pour grandir et s’accomplir. D’où le succès de
l’existentialisme, mais aussi son caractère éphémère…
45
L’Existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1968, p83
- 49 -
Ch 9 - Bergson et la substantification du devenir.
La pensée de Bergson est une pensée très libre et très riche, et sous bien des aspects très prophétique.
Henri Bergson (1859-1941) a reçu une formation philosophique nettement marqué contre la positivisme et
l’ensemble de son œuvre peut être considéré comme une énergique réaction contre les tendances réductrices, anti
métaphysiques, de la pensée positiviste.
Une idée centrale de sa pensée est celle de durée. Au temps spatialisé, découpé en instants ( t0, t1, t2…)et
mesuré par les aiguilles des horloges , Bergson oppose la durée intérieure du vécu, le flux continu et irréversible
de la conscience intime. Quant à l’acte qui saisit cette durée, Bergson l’appelle l’intuition, et il oppose cette
intuition immédiate et unifiante à l’activité discursive et morcelante de l’intelligence 46 .
les uns aux autres. Par elle, notre logique et notre raison restent figées en des positions matérialistes : déterminisme,
atomisme, mécanisme ou finalisme...
Tournée vers l'action et l'utilité, elle paye cher son efficacité, puisqu'elle ne peut saisir l'univers comme durée
ou continuité, et à ce titre coïncider avec lui.
Heureusement, l'homme est douée d'une faculté complémentaire, que Bergson nomme intuition, "sympathie
par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique, et par conséquent,
d'inexprimable" 47 . Celle-ci est coïncidence, sympathie totale et consciente avec l'objet de son attention. Elle est
connaissance qui diffère à peine de l'objet connu, parce qu' elle l'éprouve sur un mode psychologique et interne, et non
plus mathématique et externe. A l'inverse de l'intelligence, elle offre une connaissance désintéressée. Tout écart est
alors supprimé entre le sujet et l'objet de l'intuition: le sujet, par cet effort soutenu, passe dans l'objet lui même,
délivrant par là la connaissance de tout parasitage dû à la subjectivité du sujet connaissant. Intimiste, elle saisit le réel
dans toute sa profondeur et sa continuité, dans sa durée même. L'artiste, par exemple, fait profession de cette capacité
d'intuition.
46
Plus tard, dans Matière et Mémoire ( 1896 ), il donnera à sa découverte une portée métaphysique, moins psychologique, en montrant
l’existence en l’homme d’une mémoire pure qui, à la différence de la mémoire mécanique de l’habitude, recueille les événements dans leur unité
et est relativement indépendante de l’ordre physiologique. Tandis que, par la perception pure, l’esprit est immergé dans la matérialité, la mémoire
pure témoigne d’un débordement de psychique sur le cérébral qui plaide en faveur de la liberté transcendante de l’esprit et de l’immortalité de
l’âme.
Dans l’Evolution Créatrice, la vie et même l’univers dans son ensemble sont durée, s’ils sont appréhendée par l’intuition philosophique et non
par une méthode scientifique.
- 50 -
" De loin en loin, par un accident heureux, des hommes surgissent dont le sens et la conscience sont moins
adhérent à la vie. La nature a oublié de relier leur faculté de percevoir à leur faculté d'agir." 48
L'artiste saisit donc un devenir, un rythme, une grâce, un mouvement, une ondulation dans l'objet qu'il perçoit,
et non une morphologie, une forme spatiale, ou une somme de parties juxtaposées, comme le scientifique.
Enfin, l'homme a besoin de ces deux facultés : de l'intelligence pour survivre, s'adapter et communiquer, de
l'intuition pour voir, sentir et créer;
"L'intelligence serait aveugle sans l'intuition, l'intuition serait muette sans l'intelligence, sans le langage, sans les
concepts." 49
Il fonde l’opposition entre être et devenir, opposition dont nous avons vu qu’elle était fondamentale et
métaphysique non pas sur l’étant, mais en l’homme sur l’opposition entre intuition (seule capable d’appréhender le
devenir dans sa réalité ontologique) et intelligence. L’intelligence, en construisant le devenir à partir de
l’immobilité, est vouée à le manquer toujours. Ce n’est pas le mobile qui n’atteint jamais son but, c’est
l’intelligence, qui, divisant le mouvement comme s’il était espace, ne rejoint jamais la réalité unitaire du devenir ;
L’intelligence est « incompréhension naturelle de la vie », du devenir. La vie est continuité et hétérogénéité 50 .
Il y a une incompatibilité insurmontable entre l’être et le devenir. Pas de genèse ontologique du devenir (
sauf chez Aristote, où le devenir est désir d’immobilité). La solution de Bergson est donc de partir du devenir et d’y
insérer des degrés ( tension - détente ). L’extériorité comme l’immuable sont préservés, et intégrés au devenir.
Bergson concilie un monisme ontologique du devenir avec la dualité phénoménale du réel, grâce à un
dédoublement (tension - détente) de devenir. Mouvement - immobilité, devenir - être ne sont plus des réalités
substantielles, mais des tendances, des directions au sein d’une unité plus originaire, à la tension ou détente,
chute ou remonté : la dualité ne compromet plus l’unité car elle est dualité de degré ( et non de nature ).
II - Être et durée
Si le temps est homogène et mesurable, la conscience se caractérise par son hétérogénéité qualitative, Au
temps abstrait, ne faut-il pas opposer la durée concrète du vécu et de la conscience ? le temps, conçu sous la
forme d’un milieu indéfini et homogène, n’est que le fantôme de l’espace. Or, c’est ce temps spatialisé que nous
projetons à l’intérieur même de notre vie psychique, dont nous faussons et déformons le sens et la nature réelle. Il
faut opposer, en profondeur, le temps des horloges et des physiciens et la durée pure de notre conscience, durée
qualitative, concrète et hétérogène, succession et non point séparation, fusion, organisation intime d’éléments,
flux ininterrompu. Nous dénaturons cette durée pure en confondant le temps et l’espace.
Dans l’Evolution Créatrice, la durée n’est plus seulement interne à la conscience de l’homme : la vie et
même l’univers dans son ensemble sont durée, s’ils sont appréhendée par l’intuition philosophique et non par une
méthode scientifique. « la conscience est coextensive à la vie ». Pour la vie, à l’image de la conscience toujours en
mouvement, devenir, c’est être. Mais être, c’est changer. La vie est d’abord tendance ( // « élan vital » ). Le
47
PM, p 181.
48
PM, p 152.
49
EC, p 240.
50
L’intelligence est cependant partie de la vie. Elle est le devenir, la vie se détournant d’elle-même. L’intelligence est la vie qui se manque elle-
même à proportion de son succès sur la matière, ie de sa vitalité. La vie a besoin pour s’accomplir comme vie de s’ignorer comme vie. Ce qu’elle
manque, l’instinct l’atteint.
- 51 -
devenir devient principiel chez Bergson. Pour Kant, « tout ce qui change demeure, et seul son état se
transforme ». Pour Bergson « l’état lui-même est du changement ».
L’être est donc ce qui dure, ce qui s’enrichit de la durée qu’il ramasse. Bergson substitue le devenir à
l’essence, et le devenir s’inscrit dans la durée. Le bergsonisme est moins une critique de la métaphysique qu’un
déplacement de sa topique. L’être n’a fait que changer de contenu. Chez Platon, l’être est l’essence. Chez
51
Bergson, l’être est la durée.
La substance est donc ce qui se modifie, s’exprime dans la durée. C’est la vie de l’absolu qui s’accomplit
dans le temps (// Hegel). L’éternité se diffracte , s’exprime en temporalité. Le devenir est la modification de
l’éternel. L’absolu est d’essence psychologique, tout être vivant est mémoire et tension. « Du bas en haut du
monde organisé, c’est toujours le même grand effort (…) Toute réalité dérive de la vie et de la conscience »
(L’Évolution Créatrice, p 249). Ce qui est originaire et principiel n’est pas le devenir, mais bien la dualité entre
effort et résistance, devenir et matière. La matière est ce relâchement de la volonté, de l’élan.
Conclusion et Critique
Malgré l’ampleur de ses vues, Bergson souffre des limites inévitables de son point de départ. En polémique
avec le positivisme et le scientisme, il reste déterminé par cela-même contre quoi il réagit. C’est ce qui donne à sa
pensée, malgré son spiritualisme profond, une allure quelque peu vitaliste et biologisante, trop marquée encore
par les sciences naturelles. C’est ce qui apparaît surtout dans sa saisie de la morale et de la religion, dans la
mesure où celles-ci , tout en transgressant l’ordre cosmique évolutif, sont néanmoins excessivement comprises
dans son prolongement et comme son relais. Or il y a une gratuité absolue dans la valeur morale ( cf. Kant ) et
une liberté souveraine de la révélation ( cf. le christianisme) qui échappent à tout évolutionnisme, aussi spiritualisé
soit-il.
Bref, la pensée de Bergson n’est pas « archéologique » puisque l’évolution cosmique, tout en y jouant un
rôle central, est comprise comme ayant son origine dans l’absolu et comme se transcendant dans la double sphère
de la morale et de la religion. Mais elle comporte cependant une tendance réductrice en ce sens qu’elle est portée
à ne voir dans ces hautes sphères de l’esprit que l’aboutissement de l’évolution universelle et de son élan créateur.
51
Cf. LEBRUN, George, La patience du concept. ?
- 52 -
Ch 10 - La Phénoménologie : Heidegger contre « l’oubli de
l’être ».
• La phénoménologie :
La phénoménologie est l'une des pensées majeures de la philosophie du XX° siècle 52 . Moins que l'unité
d'une doctrine, c'est le recours à une même démarche qui rassemblent les penseurs qui s'en réclament. ( C’est
une méthode et non un contenu de réflexions et de dogmes. Un peu comme la poésie…) Les phénoménologues
entendent traiter les problèmes philosophiques par la description des grands types d'expériences humaines.
L'idée majeure est la suivante Chacune de nos expériences a une forme spécifique qui lui est prescrite
par la chose à laquelle elle a affaire, si bien qu'en analysant la structure d'une telle expérience, je pourrais accéder
à un discours susceptible de répondre aux interrogations sur cette chose. elle ne se prononce pas sur l’existence
ou non du noumène, mais s’intéresse seulement au phénomène. C’est donc lui qu’elle interroge, posant le postulat
que la façon dont l’être de l’étant se donne ( apparaît) à quelque chose à dire sur l’être lui-même.
Elle est donc une méthode dont l’unique but est d’interroger le sens du sens. Elle fait en quelque sorte
53
l’archéologie de la pensée.
Ainsi, la phénoménologie oriente le questionnement philosophique vers la mise en lumière de l'apparaître
et de sa signification, en se détournant de toute prise de parti sur l'existence de ce qui apparaît, donc en
s'abstenant de toute thèse métaphysique sur la nature de ce qui existe ( idéalisme, réalisme, matérialisme,
spiritualisme...). ( A l'origine de la démarche Husserlienne, il y a le rejet de toute métaphysique, et plus
précisément de la philosophie comme " vision du monde" - Weltanschauung prônant des valeurs et produite par un
penseur singulier).
=> La description du vécu de quelque chose peut nous faire accéder au sens de cette chose. ( Tous les
problèmes philosophiques sont pensés à partir de l'examen des vécus où nous affrontons leur objet.) Il s'agit de
retracer les structures du vécu, d'expliciter les formes sous-jacentes de l'expérience par lesquelles un sens se
constitue.
52
La phénoménologie exprime l’exigence de s’abstenir en philosophie de toute interprétation trop rapide du monde, et de se tourner, en
abandonnant tout préjugé, vers l’analyse de ce qui apparaît à la conscience. Il s’agit de fonder la philosophie comme science rigoureuse. Toutes
les propositions doivent se fonder sur le caractère d’autodonation intuitive des phénomènes de la conscience.
Intentionnalité : (Brentano) la propriété spécifique qu’on les phénomènes psychiques, à la différence des phénomènes physiques, d’être dirigés
vers quelque chose, c’est à dire d’être toujours conscience de quelque chose. / (Husserl) la constante corrélation entre les actes de la conscience (
percevoir, se souvenir, aimer…) qui se rapportent à un objet ( acte de la visée : la noèse ), et l’objet tel qu’il apparaît dans ces actes ( l’objet
intentionnel : le noème ).
L’objet visé est le résultat d’une synthèse, dans laquelle des noèses diverses sont liées dans l’unité d’une conscience d’objet. Le noème n’est pas
l’objet dans son être réel en soi, mais l’objet tel qu’il est contenu intentionnellement dans la fonction donatrice de sens des actes de conscience.
53
La phénoménologie s'intéresse au sens, c'est à dire non pas au monde en soi ( noumène) mais au regard que ma csce porte sur le monde. ( NB :
la phénoménologie est à l'opposé de la métaphysique). (Cette conversion de l'attention, portée non plus sur l'objet mais sur le regard, c'est la
noèse). La phénoménologie vient me dire que ce regard a des choses à m'apprendre sur le monde. La structure même de l'expérience que je peux
avoir d'un objet a des choses à me dire sur l'objet. Elle veut divulguer le drame qui se joue dans les petits riens de la vie. Le phénomène (ou
noème) , c'est en déca du noumène, le monde regardé par moi. Le phénomène est donc porteur de sens, et il a des choses à me dire sur la réalité
du monde. Ce regard de la csce sur le monde , c'est l'intentionnalité. Au cœur de la csce , il y a le contact avec le monde ( le fou, incsct, n'a plus
de contact). la csce a un sens. La csce est intentionnelle, essentiellement. Et la connaissance que la csce - la subjectivité - a de l'objet ns renseigne
sur l'être de l'objet, sur son sens. "être, c'est être vécu, avoir un sens dans la vie" .
Cependant, le regard se portant sur une chose est aussi un regard qui est couvert par cette chose; l'objet devient une abstraction
aveuglante quand on le prend tout seul; il nous fait voir moins que ce qu'il montre en engendrant un discours ambigu. Il s'agit donc de se tourner
vers l'intentionnel pour découvrir la concrétude où l'objet abstrait se loge. Le risque est toujours de quitter le phénomène/noème pour le
noumène, le regard ( l'intention ) pour l'objet, plus séduisant. Le passage de l'objet à l'intention et de l'intention à tout ce que cette intention
comporte comme horizon de visée ( i.e. la mise en scène ) serait la vraie pensée ; Eviter à la vision d'être aveuglée par le vu => "la réduction
phénoménologique rend présent notre moi véritable, mais présent à une vue purement théorique et contemplative, qui considère la vie mais ne se
confond pas avec elle" ( NB noème: objet non dans son être en soi mais tel qu'il est contenu intentionnellement dans la fonction donatrice de
- 53 -
• Martin Heidegger ( 1889 - 1976 ) refonde l’ontologie du XX° siècle, notamment par son livre Être et Temps
(1927).
Il revient à une pensée de l’être en soi ( l’être commun de ThA), dans sa différence avec l’ étant, et donc
revient à la question ontologique des présocratiques, dénonçant son oubli depuis deux millénaires. Nous
sommes le plus souvent comparables à des promeneurs qui contempleraient un paysage riche en formes et en
couleurs sans jamais penser à la lumière en laquelle il baigne et qui permet pourtant l’éclosion de cette richesse.
L’étant est la manifestation et en même temps l’écran de l’être. Nous vivons dans un univers de choses
signifiantes, que nous tentons de cerner et d’exploiter, mais sans nous émerveiller de ce que, absolument parler il
y ait du sens en général, c’est à dire une cohérence du monde, une harmonie, une sagesse. C’est donc la quête
de l’originel (Ursprünglichkeit) qui fonde sa pensée. Il cherche l’être de l’étant, cet être que l’habitude de l’usage
des étants a fini par nous masquer. Le monde de la technique a fait que nous avons donné à chaque étant la
valeur d’un « outil »: son usage, son fonctionnement, son utilité, sa fonction ont occulté son être originel, son
origine métaphysique.
Or les étants se dévoilent, donnent leur sens. Par « être » , Hdg entend donc le dévoilement même de
l’étant, le fond de sens sur lequel se détache toute réalité signifiante particulière. L’être n’est donc pas l’étant, ni la
somme des étants, il est l’événement même de la vérité, comprise non comme adéquation réciproque de
l’intelligence et de la chose intelligée, mais comme « a-lètheia », « dévoilement ».
A la différence de Sartre pour lequel nous sommes dans un monde où il y a d’abord l’homme 54 , comem
fondateur de sens et même des valeurs, Hdg affirme résolument que, avec la pensée de l’être, nous sommes dans
un monde où il y a d’abord l’être 55 . Dès lors, l’homme ne se comprendra pas comme seigneur du sens et maître de
la vérité, mais plutôt pour reprendre l’admirable expression de Hdg, comme le « berger de l’être » 56 . Il est le
gardien, parce que l’être n’a du sens que pour lui seul. Il est l’étant unique en lequel s’éclaire spirituellement la
vérité de l’être et, en ce sens, c’est à lui qu’est confié la conduite de l’être, la garde et la compréhension de son
mystère. Non propriétaire souverain de l’être, « fondateur » des essences, mais à l’écoute de cet être dans lequel
il est « jeté », et de sa vérité.
Son point de départ est l’homme ( modernité) saisi conceptuellement comme être là : Dasein, parce que
son être, en se rapportant à l’être, est lui-même caractérisé par sa compréhension de l’être.
« Le Dasein est un étant qui ne se borne pas à apparaître au sein de l’étant. Pour cet étant, il y va en son
être de cet être. L’être lui-même par rapport auquel le Dasein peut se comporter et se comporte toujours d’une
sens des actes de csce) ( la phénoménologie ignore tte ontologie. Husserl :"la phénoménologie pure ne peut être qu'un étude de l'essence, et
absolument pas une étude de l'existence" phénoménologie, intuition des essences . la csce donne sens au monde.).
54
Sartre, l’existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1968, p. 36
55
HDG, Lettre sur l’humanisme, (Questions III),Paris, Gallimard, p106
- 54 -
manière ou d’une autre, nous l’appelons existence ». ek-sistere : surgir hors de … l’existence est d’abord un
arrachement . A quoi ? à cette relation d’utilité que nous entretenons avec le monde, considéré comme somme
d’outils. L’homme peut dépasser une relation seulement technique ou économique avec les étants, relation qui les
réduits à leur fonction, leur utilité.
L’existence ( l’être du Dasein ) est décidée par chaque Dasein dans le choix des possibilités qui lui sont
propres. Il peut s’y gagner ou s’y perdre, c’est à dire se tenir dans le mode d’être de l’authenticité, s’il se réalise
lui-même, ou dans celui de l’inauthenticité, s’il se laisse imposer son choix de l’extérieur. (// Sartre ).
Comprenons bien que cette authencité n’est pas seulement morale ( c’est à dire une cohérence entre mon agir et
mes valeurs), mais bien plus profondément, elle est d’ordre métaphysique ( cohérence entre mon agir et mon
statut métaphysique - un Dasein gardien de l’être, etc…). Ne pas se fuir dans l’anonymat du On. Le rôle de la mort
est alors essentiel pour Hdg : elle me met devant le fait qu’un jour je perdrai toute puissance devant ce monde,
que ma relation ne sera plus sous le mode de l’utilité mais sous celui de l’être. Elle me tire de l’inauthenticité, du
On ( C’est Je qui meurt ), m’oblige à revenir à l’être, à mon être. De là la nécessité de se penser comme un être-
57
pour-la-mort.
Comme dans l’existentialisme de Sartre, comme le Dasein se détermine à chaque fois à partir de la
possibilité qu’il est lui-même, la compréhension du Dasein doit commencer par son existence : il ne peut être
déduit d’une essence générale préalable.
58
III - Être et temps :
Comment Hdg relie-t-il ces deux termes ? pour lui, la discussion fondamentale du temps, c’est le futur.
Nous l’avons vu, l’être-pour-la-mort appartient à l’être du Dasein, et cette mort n’est possible, pensable, qu’au
futur. Hdg ajoute aussitôt : le futur ne désigne pas ici « un maintenant » qui n’est pas devenu encore « réel » et le
sera une fois, mais bien die Zukunftl, l’advenir, au sein duquel le Dasein vient en soi. Il est donc essentiel ici de
comprendre tout de suite que le temps ne représente nullement pour Heidegger une dimension extérieure dans
laquelle le Dasein se « développerait » en quelque manière et finalement « mourrait », mais une constitution
intérieure, une structure de l’être même du Dasein. C’est en « allant de l’avant » ( Vorlaufen ) en tant qu’être pour
la mort que le Dasein en tant qu’étant se trouve être en général dans son être futur.
Hdg opère de même pour le passé, qu’il appelle Gewesenheit et qui, en tant que tel, « naît de l’avenir » :
le Dasein assume en existant la situation d’être jeté, qui était déjà la sienne en tant qu’il était dans le monde, de
sorte que son Dasein futur ne peut être que « ce qu’il avait toujours été », donc son propre passé.
Reste le présent, la situation chaque fois particulière du Da : l’existence se saisit par l’action de ce qui
s’offre à elle dans le monde qui l’entoure. On voit, d’après ces exemples brefs et simplifiés, comment cette pensée
mêle la méthode phénoménologique et l’analyse existentielle. A travers l’existence, l’être et le temps se laissent
dériver l’un de l’autre, en même temps qu’ils s’animent réciproquement, et il en résulte une sorte d’ontologie
réflexive qui n’est pas un discours sur l’être, mais l’analyse d’un retour du Dasein à lui-même.
l’essentiel de l’être n’est plus ici, comme si souvent dans la tradition , l’éternité, mais c’est l’instant , la
dimension du temps où le présent devient actuellement présent à un existant. L’être et le temps apparaissent
imbriqués l’un dans l’autre. L’étant découvre le sens de son être en déployant l’unité de la structure du souci de la
temporalité - et inversement. Les représentations courantes de l’avenir, du présent et du passé se trouvent
rejetées en tant qu’elles appartiennent à une temporalité inauthentique. Elles ne sont admises dans la temporalité
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ibid, pp 101 à 119
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Hdg développe toute une réflexion celèbre sur la mort et son paradoxe qui consiste à me donner une lucidité unique sur mon être
et mon existence mais en me privant du même coup de toute capacité d’action ( puisque mon existence est achevée…).
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véritable qu’avec leur sens existentiel. La dimension originelle, c’est donc ici le futur, et celle-ci à cause de
l’être pour la mort, se trouve être, en tant que futur authentique, finie. On voudrait objecter peut-être à Hdg le
futur infini où quelque chose d’autre peut toujours encore se produire, et qui appartient à la temporalité continue,
inauthentique et sans fin. Mais la seconde ne peut être que dérivée de la première.
Hdg explique comme se constitue les concepts vulgaires et traditionnels : ils appartiennent au monde
impersonnel du « On », qui au fond n’est personne, et qui, pour cette raison, n’est pas « pour la mort ». C’est
pourquoi nous pouvons avoir une représentation du futur infini - inauthentique, anonyme. Les sciences exactes de
la nature utilisent précisément cette temporalité inauthentique. Ce faisant, elles dissimulent la vérité au lieu de la
dévoiler. Elles empêchent de poser la question de l’être de l’étant. Mais la philosophie est encore plus coupable à
ce sujet quand elle veut être scientifique dans le même sens de ce mot. Elle va jusqu’à étouffer le sens de la
question qui est à proprement parler la question humaine, celle que ne peut poser que le Dasein en tant
qu’existant.
La question fondamentale est donc celle de la Vérité.
Conclusion :
La pensée de Hdg a cet immense avantage qu’elle décentre l’homme de lui-même et le ramène
simplement à son humilité en lui rappelant qu’il n’est pas son origine, mais qu’il est jeté dans l’être par un au-delà
de sa simple subjectivité égocentrée. L’homme est jeté dans l’être, il est dasein, il est être-là , dans ce monde
qui le précède, jeté là sans savoir pourquoi. Mais il n’est pas comme les autres étants pour autant. Il a seul cette
capacité de se penser et de penser l’être. Cette dignité unique fait de lui le gardien de l’être, le berger de l’être,
dont il a à déchifrer le sens. Cette responsabilité métaphysique et les angoisses qui lui sont liées, il la fuira la
plupart du temps, préférant l’anonymat rassurant du On à une existence authentique chechant à se penser elle-
même. Mais parce qu’il est également un etre-pour-la-mort, cette vocation se rappellera naturellement à lui.
C’est la renaissance de la métaphysique, même si elle demeure limitée et timide.
Emmanuel Lévinas, phénoménologue juif postérieur à Hdg, va redéfinir la métaphysique comme Désir,
mesure de l’infini. Pour l’essentiel, sa recherche qui se déploie toute entière sous le signe du subjectif, vise à
éclairer le problème du contenu de la relation intersubjective. Il s’agit de comprendre à quelles conditions la
relation entre les consciences peut échapper à la fatalité de la lutte pour la reconnaissance hégélienne, ie une
violence présentée comme originaire, constitutive et structurelle.
Au cœur de la démarche de Lévinas, on trouve une critique radicale de l’idée de totalité comme clôture,
qui a évacuée « la merveille de l’extériorité ». En fait, une critique radicale de Hegel, le penseur emblématique de
la totalité, en tant qu’il est le point d’aboutissement logique d’une philosophie occidentale tournée, depuis toujours,
vers :
« une tentative de synthèse universelle, une réduction de toute l’expérience, de tout ce qui est sensé, à
une totalité où la conscience embrasse le monde, ne laisse rien d’autre hors d’elle, et devient ainsi pensée absolue.
La conscience de soi est en même temps conscience du tout ».
Totalité et Infini, Essai sur l’extériorité ( 1961 ), met en scène conceptuellement le réquisitoire passionné
de cette critique. L’aspiration à la totalité est comme une maladie, comme une perversion de la conscience qui
croit qu’elle n’a jamais rien à apprendre de l’extérieur, qui aussi, probablement, a peur de l’Autre et désire éviter la
blessure de l’extériorité perçue comme une menace parce qu’elle met le sujet en question. Elle conduit alors à une
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A partir de Jeanne Hersch , l’étonnement philosophique, folio, p. 419s
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inévitable réduction de l’ « Autre » au « Même », ie à un égocentrisme totalitaire, où le Moi engloutit tout, et
où le singulier n’est plus respecté dans son altérité, ni dans son originalité irréductible. Ainsi se révèlent les causes
de l’abandon de l’espace intersubjectif, de la relation à l’autre et donc de l’éthique.
L’idée de totalité se distingue de l’idée d’infini en ceci : que la première est purement théorique, tandis
que la seconde est strictement morale. La première exclut le subjectif, la seconde l’implique.
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CONCLUSION GÉNÉRALE
Émerveillés par l’être, harmonie du cosmos, les premiers grecs interrogent sa nature et sa stabilité dans un
monde en devenir. Découpant dans l’étant la substance, dépassant ses paradoxes en y réintroduisant le devenir,
poussant finalement ce devenir à la limite dans les transcendantaux d’un être analogique.
Le Moyen Age chrétien garde l’être pour objet, mais le reçoit, l’appréhende d’au-dessus en quelque sorte,
dans son rapport à l’Être Subsistant en Soi (Dieu), et non plus par le bas, dans son rapport à l’étant. Une
métaphysique descendante, en quelque sorte. La systématisation thomiste demeure centrale et définitive pour
cette ontologie.
Cependant, la Renaissance, et la Modernité, jettent le voile de la suspicion sur tout l’édifice métaphysique,
dont l’aile physique (d’Aristote) s’était révélée imprudente. L’objet métaphysique change alors, la topique se
déplaçant de l’être sur le sujet pensant cet être, ou pour le dire autrement, sur l’être comme connaissable et non
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plus l’être en soi . La voie anthropologique succède ainsi aux voies cosmologiques et théologiques, et la
métaphysique devient critique de la connaissance.
Dans cette quête de la certitude débute alors la danse des critères. Il est frappant de voir ainsi que chaque
métaphysicien va tenter de fonder sa pensée sur une science « établie »: Descartes sur les mathématiques (la
raison seule), Kant sur la physique (la raison appliquée à l’expérience sensible), Hegel sur l’Histoire (la raison telle
qu’elle s’est dialectisée dans le temps), Comte sur la statistique ( les faits bruts), Nietzsche et Bergson sur la
Biologie (notamment évolutionniste), etc…
C’est au terme de ce parcours qu’apparaît Heidegger, lui qui non sans ironie intitule l’un de ses livres
« Chemins qui ne mènent nulle part », pensant à ces voies que les forestiers taillaient dans la Foret noire
allemande qu’il connaissait bien, dans le but d’y couper puis d’en extraire tel grand arbre qu’ils y avaient repéré.
Après la coupe demeure seul le chemin, sans autre sens que le choix subjectif du forestier pour un arbre qui
n’existe plus.
Et l’on peut ainsi se demander si l’entreprise métaphysique toute entière depuis la Modernité ne serait rien
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d’autre que la réduction subjective de tous les domaines du réel à l’un seul d’entre eux ? mathématique,
biologique ou historique… Idolâtrie du concept combien réductrice, ratant toujours son objet par défaut, dans une
inflation et une démesure toujours croissante. En lisant le poème de Baudelaire cité en exergue, il est difficile de
ne pas penser à la fin de Nietzsche, sombrant dans la folie, après avoir voulu remonter par delà le Bien et le Mal,
contre les conseils bi-millénaires d’Isaïe 60 … ?
Désabusé, Heidegger repose ainsi laborieusement la question ontologique. Mais comment revenir à
l’émerveillement primordial, dans un monde depuis longtemps désenchanté. Seul un bibliste (comme l’était en son
temps Thomas d’Aquin) - Emmanuel Lévinas - ose encore redéfinir la Métaphysique comme Désir, dont
l’étymologie nous apprend qu’il est ce regard porté au delà des étoiles, « mesure » de l’infini qu’aucune
satisfaction n’arrête. Dé-sidéré, le métaphysicien serait alors porté salutairement aux sagesses supérieures de
Maritain - la théologie, la mystique - ou condamné au désespoir.
Quelle place alors s’il désire malgré tout continuer à cultiver le jardin métaphysique, malheureux royaume
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la fameuse Weltanschauung
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Is 5,20 : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal. »
61
DOSTOIEVSKY : les frères Karamazov. Christian BOBIN, Ressusciter.
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dont le roi est redevenu un enfant 62 , « roi d’un pays pluvieux, riche mais impuissant, jeune et pourtant très
vieux » - décrit Baudelaire dans un autre poème 63 - triste roi ne sachant « réchauffer son cadavre hébété, où
coule au lieu du sang l’eau verte du Léthé ». Léthé ou Aléthéia, oubli ou re-dévoilement de l’être ?
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Qohelet 10,16
63
« Spleen » ( LXXVI).
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PETITE BIBLIOGRAPHIE MINIMUM de MÉTAPHYSIQUE
• HERSCH Jeanne, L’étonnement philosophique, une histoire de la philosophie, Paris, Gallimard Folio
essais n°216, 1993. +++++
difficulté : livre d’entrée en matière, mais honorable (niveau bac, deug), reprenant l’histoire de la philo,
resituant l’intuition fondamentale de chaque philosophe. Écriture féminine fluide et claire. ( moins de 10 euros !)
• LEONARD Mgr André, Foi et Philosophie, guide pour un discernement chrétien, Coll. Culture et Vérité,
Namur, 1991 +++++
Livre extraordinaire faisant une synthèse chrétienne remarquable et limpide de la philosophie et de la théologie,
très clair bien que plus difficile (niveau deug licence philo et théo), autours des trois voies cosmologiques,
anthropologiques, et métaphysique. Indispensable. ( 20 euros ?). un peu difficile à trouver ( se commande. )
• LECLERC Marc s.j., La Destinée humaine, Coll. Culture et Vérité, Namur, 1994
Livre (cours ?) remarquable faisant une synthèse philosophique claire, aboutissant à Blondel. Clair, et
abordable. 160 p. – philosophes abordés : Aristote, Augustin, Thomas, Descartes, Pascal, Leibniz, Blondel.
• RUSS, Jacqueline, Panorama des idées philosophiques, Paris, Armand Colin, 2000.
idem, mais sans les résumés des œuvres. Clair ( 13 euros ).
( d’une façon générale, tous les livres de J. RUSS sont de bonnes références. )
• Coll. « Le Vocabulaire de… » ( St Thomas, Kant, Platon…), chez « Ellipses », dirigées par JP Zarader
petits lexiques très bien montés, pas chers ( 5 euros), abordant chaque terme en trois degrés de complexité
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Livre d’auteurs, pour commencer… :
• ARISTOTE, La Métaphysique
• DESCARTES, Méditations Métaphysiques
• KANT : La Critique de la Raison Pure , lire les Préfaces.
• KANT : plutôt que de se taper la CRP et autres, préférer l’excellente collection « Pour Connaître… » éditée
chez Bordas, qui présente la synthèse claire et très précise de la pensée des auteurs ( Pour Connaître Aristote,
Pour Connaître Kant, …Hegel, Bergson, Marx etc). Avec l’avantage de citer beaucoup de textes, ce qui permet de
rentrer vraiment dans un auteur ( niveau deug, licence)
• HEGEL, BERGSON, HEIDEGGER : idem Kant
• BERGSON : L’Évolution Créatrice, Paris, PUF, Quadrige.
• LEVINAS, Emmanuel : Ethique et Infini, Livre de Poche, Paris, puis le Temps et l’autre ( Quadrige PUF) ,
puis Totalité et Infini ( Livre de Poche )
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