L'impact de La Colère Et de La Joie
L'impact de La Colère Et de La Joie
L'impact de La Colère Et de La Joie
ED 625 MAGIIE
Mondes Anglophones, Germanophones, Iraniens, Indiens et Études
Européennes
EA 4398 - PRISMES
Langues, Textes, Arts et Cultures du Monde Anglophone
Marie-Claire LEMARCHAND-CHAUVIN
Jury :
Mme Françoise Berdal-Masuy : Premier maître de langues – Université catholique de
Louvain, Belgique (Experte)
M. Simon Coffey: Professeur – King’s College, Londres, Angleterre (Rapporteur)
Mme Aliyah Morgenstern : Professeure – Université Sorbonne Nouvelle (Présidente)
M Christian Plantin : Professeur émérite – Université Lyon 2 (Expert)
M Bertrand Richet : Inspecteur Général – Ministère de l’Éducation Nationale et de la
Recherche (Rapporteur)
Mme Claire Tardieu : Professeure – Université Sorbonne Nouvelle (Directrice)
Résumé
L’impact de la colère et de la joie sur le discours des enseignants d’anglais novices : une
étude longitudinale dans l’académie de Créteil à partir de questionnaires, journaux de bord,
captations vidéo et entretiens d’autoconfrontation
2
Abstract
The impact of anger and joy on the discourse of novice teachers of English: a longitudinal
study in the Créteil academy based on questionnaires, logbooks, video recordings and self-
confrontation interviews
The year of initial training is often reported as painful and emotional by pre-service teachers
(PS) of English because their professional gestures are still under construction. One might
expect teachers' emotions to evolve with experience. Through the analysis of a large corpus
of questionnaires completed by English teachers from the Académie de Créteil academy at
different stages of their career, as well as through a triangulation conducted outside of Ile de
France, we were able to observe that anger and joy punctuated the daily lives of all teachers.
These two emotions can be triggered by the students (inappropriate behavior or investment),
the institution (work overload or help and support) or the teacher himself (doubts and
questioning or "good lesson"). Four case studies were conducted with novice English teachers
(2 PS, 1 PS then Year 1 teacher and 1 PS then Year 1 and year 2 teacher), the aim being to
observe the emotions linked to the construction of professional gestures through the analysis
of logbooks, video recordings of lessons and self-confrontation interviews. This corpus
allowed us to understand how these emotions are constructed and to discover that they emerge
when there is a discrepancy or an adequacy between the teacher's mental representation or
"prototypical script" of a situation and its actual realization. It also revealed that anger and joy
have an impact on teachers' discourse on different levels: linguistic, pragmatic and didactic.
The results of this research offer areas of work for both initial and continuing education.
3
À ma famille
4
Remerciements
Mes remerciements vont tout d’abord à Claire Tardieu pour son accompagnement
bienveillant, son soutien permanent et ses encouragements tout au long de ces cinq années.
Les connaissances qu’elles m’a transmises ont été pour moi une source d’inspiration. Les
approches, les outils, les méthodes de travail que j’ai découverts à ses côtés m’ont fait
progresser.
Merci à celles et ceux qui à l’occasion de colloques ont nourri ma réflexion et m’ont
permis de progresser : Françoise Berdal-Masuy, Cristelle Cavalla, Christian Plantin.
Bien sûr un grand merci à tous les enseignants de l’académie de Créteil qui ont
participé à cette grande aventure, et tout particulièrement à Cécilia, Dorine, Marie et Antoine.
Vous êtes formidables !
INTRODUCTION ............................................................................................................. 13
Une thèse en didactique de l’anglais avec une entrée par les émotions .................................. 17
6
Synthèse intermédiaire : choix de la terminologie utilisée ............................................................. 48
2.5. Étude des interactions: caractéristiques du discours des enseignants d’anglais ................ 62
Préambule ....................................................................................................................................... 62
Caractéristiques des interactions du cours d’anglais ...................................................................... 66
L’organisation de l’espace et son influence sur le discours des enseignants d’anglais .................. 69
Le discours des enseignants d’anglais novices: maîtrise de la langue ............................................ 72
7
Sentiment...................................................................................................................................... 103
Sentiment de – .............................................................................................................................. 105
Humeur ......................................................................................................................................... 106
Tempérament ............................................................................................................................... 107
Affect ............................................................................................................................................ 107
Passion .......................................................................................................................................... 109
Pathos ........................................................................................................................................... 109
Conclusion..................................................................................................................................... 110
8
4.3. La joie ............................................................................................................................ 182
Introduction .................................................................................................................................. 182
Définir la joie ................................................................................................................................. 183
Autres regards sur la joie .............................................................................................................. 187
Le lexique de la joie....................................................................................................................... 189
Les scripts cognitifs de la joie : le modèle de Plantin .................................................................... 204
Joie et enseignement : état de l’art .............................................................................................. 204
Vers une typologie des déclencheurs de la joie ? ......................................................................... 209
10
7.5. Conclusion ..................................................................................................................... 362
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................576
11
Listes des abréviations et sigles
12
INTRODUCTION
Mon intérêt pour la didactique et pour la formation des professeurs stagiaires d’anglais
(désormais PS) vient de mon parcours d’enseignante du secondaire, de mes missions de tutrice
et de ma fonction de formatrice d’anglais à l’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation
(ESPE)1 de l’académie de Créteil depuis 2012. En tant que formatrice, j’ai constaté que
l’année de formation initiale était souvent mal vécue par les PS qui la disent riche en émotions
et souvent douloureuse. Ce constat a tout d’abord orienté le choix du sujet de mon mémoire
de Master qui portait sur l’accompagnement des PS sur le terrain. Une des hypothèses de ce
mémoire était que la dimension relationnelle-émotionnelle n’était pas suffisamment prise en
compte dans le cadre du tutorat. Les résultats obtenus ont validé cette hypothèse et montré
que le volet professionnel-didactique et la dimension relationnelle-émotionnelle étaient
indissociables. Ils ont aussi mis en avant qu’une des causes de la souffrance des PS provenait
de la situation d’entre-deux très inconfortable dans laquelle ils se trouvaient, à la fois étudiants
et enseignants. Ces premiers résultats ont suscité en moi le désir d’en découvrir davantage sur
un pan de la recherche encore assez peu exploré. En effet, si les émotions des élèves et de
leurs enseignants suscitent l’intérêt depuis la fin des années 1990 (Nias, 1996; Hargreaves
1998, 2000, 2002 ; Sutton & Wheatley, 2003), peu de travaux sont consacrés aux émotions
des enseignants stagiaires, et encore moins à celles des enseignants stagiaires d’anglais.
Dans le cadre de mes recherches doctorales, j’ai souhaité poursuivre le travail amorcé en
élargissant mon public au continuum des premières années d’enseignement, public que
j’appellerai désormais « enseignants novices », et qui englobe les professeurs stagiaires
(désormais PS), les enseignants néotitulaires (désormais T1) et titulaires depuis deux ans
(désormais T2). J’ai choisi de m’intéresser aux enseignants novices pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, parce qu’au moment où les PS sont titularisés, leurs gestes professionnels sont
1
L’ESPE est devenu l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation (INSPE) à la rentrée
universitaire 2020. https://www.devenirenseignant.gouv.fr/pid33962/les-inspe-pour-former-les-futurs-
enseignants.html
13
généralement encore en construction, ce qui signifie qu’ils entrent à plein temps et en
autonomie dans le métier avec des problématiques similaires à celles que j’ai pu observer en
allant effectuer les visites-conseils sur le terrain. Par ailleurs, certains changent de cycle (ils
peuvent avoir été formés au lycée et être affectés au collège, ce qui est souvent le cas) ou sont
affectés dans des établissements bien plus difficiles que ceux dans lesquels ils ont suivi leur
stage. Très investie dans la formation continue de mon académie, j’ai constaté qu’il n’existait
pas de réelle formation continuée conséquente destinée au public des enseignants dans les
premières années de leur titularisation. Certains des stagiaires m’ont fait part, quelques années
plus tard, du grand vide qu’ils éprouvaient et du sentiment d’avoir été abandonnés par
l’institution et de ne pas être épaulés par leurs collègues. Ils m’ont dit être frappés par
l’absence de partage, l’omerta et le déni autour des difficultés inhérentes au quotidien, le huis-
clos des classes résolument bien fermées pour éviter regard et jugement, et l’absence de
concertation et de travail collectif. Ceci a fait écho en moi qui avais enseigné dans le
secondaire pendant près de vingt ans et m’a rappelé l’excellent article d’Anne Barrère (2002)
intitulé « pourquoi les enseignants ne travaillent-ils pas en équipe ? » que j’avais lu pour mon
mémoire. J’ai alors observé avec attention les salles des professeurs durant mes visites et ai
été touchée par la violence et la souffrance qui s’y expriment – je me rappelle avoir vu pleurer
des enseignants en fin de carrière – en contraste avec la superficialité des échanges entre
collègues soucieux de préserver leur face (Goffman, 1973).
En tant que chercheuse, plusieurs questions ont alors émergé :
Quelles émotions les enseignants d’anglais disent-ils ressentir au quotidien et quels en sont
les déclencheurs ? Les épisodes émotionnels vécus sont-ils partagés (Rimé, 2005) ?
Les émotions des enseignants évoluent-elles dans le temps avec l’expérience ?
Mon positionnement
Pour entreprendre ces recherches j’ai dû changer mon positionnement. En effet, il m’a
fallu passer de la formatrice connue de tous, qui prodigue des conseils et évalue, à la
chercheuse qui observe sans a priori et sans jugement.
2
IA-IPR : Les inspecteurs d'académie - inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR) sont des cadres supérieurs
de l’Éducation nationale. Ils exercent leurs fonctions dans le cadre du programme de travail académique, en
responsabilité, seuls ou à plusieurs. https://www.education.gouv.fr/etre-inspecteur-d-academie-ia-et-etre-
inspecteur-pedagogique-regional-ipr-3179
15
• Être chercheuse avant tout
En tant que chercheuse j’ai dû construire un cadre éthique et déontologique clair (cf.
5.3) et rigoureux. Tout d’abord, j’ai cloisonné mes deux statuts de façon hermétique. Dans le
cadre de mes fonctions de formatrice je n’ai pas fait allusion à mon statut de chercheuse ni à
mes expérimentations et vice versa, que ce soit auprès de mes étudiants ou de mes collègues.
J’ai également opté pour deux noms différents, en utilisant mon nom d’usage « Chauvin » en
formation et mon patronyme « Lemarchand » dans le cadre de mes recherches. Ainsi mes
courriels, les questionnaires que j’ai adressés et les documents que j’ai fait signer portaient
mon patronyme et étaient estampillés du logo de l’école doctorale de la Sorbonne-Nouvelle
et non de celui de l’Université Paris-Est Créteil (UPEC) dans laquelle je travaille. Afin de
renforcer cette rigueur et l’indépendance de ma recherche, j’ai choisi pour les études de cas
deux enseignants, Marie3 et Antoine, que je n’avais jamais rencontrés durant leur année de
stage, ainsi que deux PS, Cécilia et Dorine que je n’ai pas évaluées dans le cadre de leur
formation initiale.
Le cadre éthique de ma recherche a été rappelé à toutes les étapes, au début des questionnaires,
avant la tenue des journaux de bord, de l’organisation des captations vidéo et des EAC. Il a
été présenté tout d’abord aux IA-IPR pour les informer de mon protocole et obtenir leur
soutien. Il a ensuite été soumis aux chefs d’établissement pour l’autorisation de filmer les
enseignants, ainsi qu’aux familles concernées (le détail du cadre éthique figure en 5.3). Pour
finir, l’enseignant participant a été informé du protocole, de son droit à quitter
l’expérimentation à tout moment et a signé divers documents de consentement éclairés.
Dans le cadre de cette recherche, je me suis positionnée dans une didactique de terrain en lien
avec l’institution. Il s’agit d’une recherche-action participative selon les critères établis par
Demaizière et Narcy-Combes (2007) pour qui le “positionnement [du chercheur] ne peut être
indépendant de l'environnement social et de ses pressions” :
La recherche-action se positionne souvent en contraste à la recherche expérimentale, il
serait plus juste, selon Juan, de dire qu'elle relève de l'expérimentation, mais d'un point
de vue compréhensif (Juan, 1999, p.13). Son approche est qualitative plus que
quantitative. Le chercheur est partie prenante de l'action et non "simple" observateur
3
J’ai rencontré Marie pour la première fois à la fin de son année de stage à l’occasion de son entretien
d’autoconfrontation. Elle avait elle-même organisé la captation de son cours.
16
extérieur. Il ne s'agit pas toujours de valider une hypothèse mais plutôt de tenter de
répondre à certaines questions de recherche liées étroitement à une pratique
pédagogique. Le praticien-chercheur de la recherche-action met en place un certain type
d'environnement d'apprentissage ou de tâches ou activités. Il définit précisément en quoi
et pourquoi ses choix devraient avoir un effet positif.
Une thèse en didactique de l’anglais avec une entrée par les émotions
Bien que les émotions soient au cœur de ce travail, ce n’est pas une thèse en
psychologie et je ne prétends pas avoir les connaissances d’une spécialiste de ce domaine. Il
s’agit résolument d’une recherche en didactique de l’anglais car je m’intéresse aux
enseignants d’anglais novices et à leurs gestes professionnels en classe dans le cadre du
polylogue institutionnel4 (Bouchard, 1986). Les émotions sont pour moi une porte d’entrée
dans leur discours. La didactique a pour tradition de faire appel à des disciplines contributoires
(Reuters et al., 2013) telles que la psychologie, les sciences de l’éducation, la sociologie qui
concourent aux différents processus de recherche mis en œuvre. Je m’inscris résolument dans
la définition que Bailly (1997, p.5) donne de la didactique comme « praxéologie »,
combinaison de didactique institutionnelle et de didactique de recherche. « Le va et vient entre
les réalités du terrain pédagogique (la classe de langue) et les apports de la réflexion
théorique » (p. 31) justifie le recours aux sciences contributoires nommées précédemment, qui
ont été fondamentales pour la constitution de mon cadre théorique.
Questions de recherche
Dans le cadre de cette recherche, mon questionnement est le suivant :
Quelles sont les émotions les plus saillantes chez les enseignants novices ? Partagent-ils ces
émotions, et si oui, avec qui ? Y-a-t-il une évolution des émotions et de leur partage durant la
carrière des enseignants ?
Quelles sont les causes/déclencheurs des émotions les plus saillantes et comment ces émotions
impactent-elles le discours des professeurs novices en classe d’anglais ?
4
Bouchard (1986, 2005) qualifie les interactions entre le professeur et ses élèves de polylogue car tous les élèves
sont des participants ratifiés. Le but de l’enseignant est de faire progresser tous les élèves qu’ils soient interrogés
ou non. Les interactions correspondent à un polylogue institutionnel car elles sont régies par des règles, des
échanges spécifiques au cours duquel les participants qui interagissent ont un rôle précis.
17
Ces émotions entrainent-elles des modifications du discours ? Si oui, de quelle nature sont ces
modifications ?
Ce questionnement a nourri ma réflexion et m’a permis d’émettre des hypothèses. Ces
dernières ont pu être complétées à l’occasion d’une rencontre fondamentale que j’ai faite
durant le colloque international ICODOC5 « Émotions, empathie, affectivité : les sujets et leur
subjectivité à travers les pratiques langagières et éducatives », organisé par les doctorants et
jeunes docteurs du laboratoire ICAR6 (Interactions, Corpus, Apprentissages, Représentations,
UMP 5191) à l’ENS de Lyon en octobre 2019. Christian Plantin, ancien directeur de recherche
au CNRS, laboratoire ICAR, y était conférencier invité. Au cours de sa communication
intitulée « langage et discours de l’émotion », puis à l’occasion d’échanges que j’ai eus avec
lui, j’ai découvert une autre lecture du déclenchement des émotions liée à la notion de
scénario/script, que Tcherkassof (2008) décrit comme « un ensemble de représentations
mentales complexes ». Ceci a été un point d’ancrage fort pour la thèse. Selon Plantin (2011),
et j’y reviendrai plus en détails, une émotion n’est pas la réponse simple à un stimulus. Elle a
besoin d’un contexte pour se construire et apparaît comme « la résultante d’un script
émotionnel, où entrent d’autres émotions » (Plantin, 2011). Les émotions des enseignants
seraient-elles liées à des représentations mentales idéales du cours, à des scripts stéréotypés ?
Quel serait alors le lien entre scripts et émotions, et quelle serait l’étincelle qui les déclenche ?
Un décalage entre la représentation mentale ou script d’une partie du cours et sa réalisation
effective en classe contribue-t-il à déclencher une émotion ? Ceci impacte-t-il le discours de
l’enseignant ? Si oui, de quelle nature est cet impact ?
Cette thèse conjugue une dimension compréhensive (Juan, 1999 ; Altet, 2003) et
interventionniste (Narcy-Combes, 2005). Son objectif est, dans un premier temps, de faire un
état des lieux des émotions que les enseignants disent ressentir tout au long de leur carrière,
5
ICODOC : Icar COlloque DOCtorants/DOCTeurs
https://aslan.universite-lyon.fr/actualites/colloque-international-icodoc-2019-63891.kjsp
6
« L’UMR ICAR est rattachée à l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS (Langues, langage,
discours). Elle est sous la triple tutelle du CNRS, de l’Université Lumière Lyon 2 et de l’ENS de Lyon qui
héberge le laboratoire dans son bâtiment Recherche ». http://icar.cnrs.fr
18
puis d’observer l’impact des émotions les plus saillantes sur le discours en classe de quatre
enseignants d’anglais novices – deux professeurs stagiaires (PS), une PS puis néotitulaire
(T1), et enfin un PS, qui devient un enseignant titulaire T1 et T2.
Plan de la thèse
Cette thèse est composée de trois parties. La partie I pose le cadre théorique et
conceptuel de la recherche. Elle est composée de quatre chapitres. Le chapitre 1 fournit des
repères sur la formation initiale et continuée des enseignants et fait un rapide état des lieux de
la prise en compte des émotions des enseignants par l’institution. Le chapitre 2 définit la prise
de parole des enseignants. Il apporte un éclairage théorique sur les notions d’interaction, de
discours et de scénario/script. Le chapitre 3 explique ce que les émotions ne sont pas et
présente des définitions et des listes d’émotions élaborées par des chercheurs ou des écoles de
pensée. Il propose également un état de l’art international sur les émotions des enseignants.
Le chapitre 4 est dédié à la colère et à la joie. Il en fournit des définitions données par divers
dictionnaires puis par des chercheurs. Il tente ensuite de proposer un panorama sur les
émotions parentes de la colère et de la joie en s’intéressant aux listes de mots et expressions
définis comme synonymes par les dictionnaires, et à celles élaborées par différents chercheurs.
Chacun de ces chapitres se terminent par une synthèse et l’annonce de l’ancrage retenu.
7
Professeurs du secondaire qui enseignent depuis plus de cinq ans.
19
La partie II, composée de deux chapitres, est dédiée à la description du cadre
méthodologique. Le chapitre 5 présente les différentes phases de la recherche, décrit le cadre
éthique et déontologique dans lequel ce travail s’est inscrit, puis définit le profil des différents
types de participants aux expérimentations, des cohortes entières d’enseignants aux quatre
novices des études de cas. Le chapitre 6 présente les différentes méthodes qui ont permis de
produire des données et de les exploiter. Il s’intéresse donc aux outils générateurs de données
que sont les questionnaires, les journaux de bord, les captations vidéo et les entretiens
d’autoconfrontation (EAC) (Clot, 1999), et explicite leur conception/préparation en amont des
expérimentations. Un point est également fourni sur les outils utilisés (logiciel Tropes et
scénario EMOTAIX) ou créés (typologies, modèles) pour analyser les données. La troisième
et dernière partie est consacrée à la présentation des résultats et à la discussion. Le chapitre
7 se focalise sur à l’analyse des données produites par l’envoi de questionnaires pendant quatre
années consécutives à des enseignants de l’académie de Créteil et ce à différents stades de
leur carrière. Il donne les résultats d’une triangulation menée avec deux cohortes
d’enseignants de 21 académies françaises hors Ile de France à deux périodes de l’année 2019.
Pour finir, le chapitre 8 analyse l’impact que l’émergence de la colère et de la joie a sur le
discours des enseignants d’anglais novices. Il présente les résultats de quatre études de cas
s’appuyant sur des enregistrements vidéo de séances de cours et d’entretiens
d’autoconfrontation concernant deux PS, Cécilia et Dorine, une PS puis néotitulaire (T1),
Marie, et un PS, qui devient un enseignant titulaire T1 et T2, Antoine.
Comme dans toute recherche en didactique, je terminerai cette thèse en proposant des pistes
pour améliorer la formation.
20
Partie I : CADRE THÉORIQUE ET ÉTAT DE L’ART
Cette première partie a pour objectif de définir les concepts qui seront ensuite utilisés,
et de poser un ancrage théorique nécessaire pour procéder aux quatre études de cas de la partie
III. Une importante revue de littérature internationale sur les émotions dans l’enseignement
sera également effectuée.
Chacun de ces chapitres se termine par une synthèse et l’annonce de l’ancrage que je
retiens pour cette thèse.
Le résumé de la première partie propose une reformulation de la question de recherche et des
hypothèses.
21
Chapitre 1. Contexte de la recherche
Ce chapitre fournit des repères sur la formation initiale et continuée des enseignants.
Il offre un rapide panorama sur la prise en compte des émotions des enseignants par
l’institution.
Plan du chapitre :
22
1.1. Introduction
La présente recherche s’intéresse aux enseignants novices d’anglais, soit les
professeurs stagiaires (PS) et les enseignants fraîchement titularisés – les néo-titulaires (T1)
et les titulaires pour la deuxième année (T2). Les PS suivent une formation initiale en
alternance qui leur permet d’engager la construction de leurs gestes professionnels. Les T1 et
T2 s’inscrivent dans la formation « tout au long de la vie »8, et plus particulièrement dans ce
que l’institution nomme la « formation continuée », court espace charnière entre la formation
initiale et la formation continue (figure 1). Durant ces trois premières années d’exercice, les
enseignants PS, T1, T2 sont donc dans un processus de formation que l’on peut qualifier de
« continuum de formation ».
8
https://www.devenirenseignant.gouv.fr/cid99169/se-former-tout-long-vie.html
23
1.2. La formation initiale des enseignants: quelques repères
Si la littérature actuelle sur l’histoire de la formation des enseignants du premier degré
(Condette, 2007 ; Prost, 2014 ; Obin, 1998, 2014) est très riche, il n’en est pas de même pour
celle des enseignants du second degré. En effet, la formation de ces derniers, longtemps
inexistante, est beaucoup plus récente. Commençons par un rapide aperçu historique sur la
question.
Après avoir créé l’université impériale en 1806, Napoléon s’est consacré au recrutement des
enseignants des lycées qu’il avait fondés quelques années auparavant. Deux voies de
recrutement sont créées en 1808 : l’École Normale Supérieure et le concours de l’agrégation.
Ce dernier étant la voie la plus empruntée par les futurs enseignants, des « conférences de
préparation au concours de l’agrégation » sont créées dès 1839, qu’Obin (1998 ; 2014)
qualifie de « première ébauche de formation initiale ». Aucun accompagnement officiel n’est
cependant proposé sur le terrain pour apprendre à enseigner car la primauté va aux savoirs
(Obin, 2014, Condette, 2007, Prost, 2014). L’enseignant est « l’homme cultivé » (Bourdoncle,
1990), il est un puits de savoirs académiques qu’il dispense de manière magistrale à ses élèves.
Si la pédagogie est bonne pour le maître dont le savoir n’est pas très étendu, elle est « du temps
perdu » (Durkheim, 1905 dans Condette, 2007) pour le professeur agrégé dont les
connaissances académiques suffisent pour être performant. L’innéisme de la capacité à
enseigner est incontesté. Quelques velléités d’instaurer des périodes de stages sont déboutées
alors qu’à l’étranger, notamment en Allemagne, une formation des enseignants est mise en
place (Condette, 2007). La grande réforme de l’enseignement secondaire de 1902 qui apporte
des modifications au concours de l’agrégation, prévoit un stage pratique obligatoire pour les
futurs agrégés qui ne parviendra à être mis en place que quatre ans plus tard, en 1906 :
Le titre d’agrégé sera conféré comme il se fait déjà pour l’agrégation d’histoire,
d’après les résultats de deux catégories d’épreuves : des épreuves scientifiques subies
devant les facultés et l’École normale, des épreuves professionnelles subies devant des
jurys nommés par le ministre. Les candidats feront un stage dans un lycée.9
9
Décret du Sénat du 10 juillet 1902 cité dans Condette (2007).
24
Les candidats à l’agrégation doivent désormais suivre des conférences théoriques dans les
universités et doivent effectuer un stage dans un établissement scolaire qui correspondrait à
ce qu’on appelle aujourd’hui un stage d’observation et de pratique accompagnée. Les recteurs
ont la charge de nommer les professeurs tuteurs.
Le Certificat d’Aptitude à l’Enseignement dans les Collèges (CAEC), créé en 1941 par le
régime de Vichy pour assurer le recrutement des enseignants de collège, est remplacé en 1950
par le Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré (CAPES) afin
de répondre aux mutations rapides de la société post Libération (Obin, 2014, Condette, 2007).
Il est alors nécessaire de recruter de nouveaux enseignants pour faire face à la massification
de l’enseignement secondaire. Ce nouveau concours, moins élitiste que l’agrégation, permet
de créer un nouveau corps d’enseignants : les professeurs certifiés. La première version du
CAPES mise en place en 1950 attribue une place importante au stage de terrain. En effet, pour
se présenter à la première partie du concours – la partie pratique, la partie théorique ne venant
que dans un deuxième temps – le futur candidat doit avoir effectué au moins deux ans de stage
dans un établissement scolaire auprès d’un conseiller pédagogique. La nécessité d’être formé,
et donc d’être un bon pédagogue pour enseigner, est de ce fait reconnue, ce qui ne fait pas
l’unanimité chez les universitaires et les partisans de l’agrégation qui estiment les savoirs
disciplinaires bafoués (Lelièvre, 1990). Le CAPES est donc réformé en 1952 et sa nouvelle
version sera fortement inspirée par le format de l’agrégation. Des épreuves théoriques
viendront en première partie, puis viendra la partie pratique pour laquelle les candidats seront
formés dans les Centres Pédagogiques Régionaux. L’arrêté du 22 janvier 1952 fixe les
conditions du stage pratique. « Les candidats admis dans les centres pédagogiques régionaux
sont, pendant une année, confiés à des conseillers pédagogiques, en vue d’une initiation aux
fonctions d’enseignement »10 (cité dans Condette, 2007, p.252). Le conseiller pédagogique
doit être « en principe, un professeur agrégé », ou un professeur certifié ou licencié « ayant
exercé pendant huit ans au moins » en tant que professeur titulaire. « Les conseillers
pédagogiques sont désignés pour une année scolaire par le Ministre, sur proposition des
recteurs et de l’inspection générale. ». Leur mission, proche du tutorat tel qu’on le définit
10
Journal Officiel de la République française, arrêté du 22 janvier 1952 concernant le CAPES, pp.1047-1050,
cité dans Condette (2007, p. 252)
25
aujourd’hui, est ainsi résumée : ils « guident les candidats des centres pédagogiques régionaux
dans tous les exercices relatifs à leur formation. Ils établissent, à la fin de la période d’initiation
aux fonctions d’enseignement, un rapport qui est obligatoirement consulté par le jury ». Quant
à la formation des candidats dans les CPR, elle prend la forme de « conférences pédagogiques,
journées d’études, exercices destinés à faciliter leur préparation et à les initier à la marche
générale des établissements et à l’administration de l’éducation nationale, etc. ». On notera
que les agrégés sont dispensés du stage en CPR, ce qui laisse entendre que la formation
professionnelle n’est bonne que pour les enseignants dont les connaissances académiques sont
moins étendues. La formation à l’époque des CPR est proche du compagnonnage (de Castéra,
2012) puisque l’enseignant novice intervient dans les classes de son conseiller pédagogique.
Le PS fait alors trois stages de neuf semaines : le premier est un stage d’observation, les
suivants sont de la pratique accompagnée. Une circulaire de 1958 réduit la période
d’observation afin que le PS commence la pratique le plus rapidement possible. La formation
des PS reste relativement inchangée entre 1952 et 1980 (Condette, 2007 ; Prost, 2012).
1980 voit apparaître des modifications dans la formation des PS certifiés, la plus importante
étant l’instauration du stage en responsabilité sur le terrain. Désormais les PS auront la
responsabilité trois à quatre heures par semaine d’une ou deux classes de leur conseiller
pédagogique durant la totalité de l’année scolaire. Ce temps se verra allongé les années
suivantes jusqu’à 9 heures, soit la moitié d’un service. Des stages en situation (observation et
pratique accompagnée) sont également organisés dans les classes du conseiller pédagogique.
Le BO du 23 mai 1985 apporte quelques modifications aux stages. Les stages en situation
durent désormais seize semaines durant lesquelles observation et prise en charge des classes
alternent. La durée hebdomadaire du stage en responsabilité est réduite, et oscille dorénavant
entre quatre et six heures. Un professeur conseiller-tuteur, nommé idéalement dans le même
établissement, accompagne le PS durant toute l’année de stage. On voit ici l’évolution de
l’accompagnement et du statut du professeur accompagnateur évoquée par Pelpel (1996,
2003). Parallèlement, le temps de formation dans les CPR est augmenté. Il passe de vingt à
trente jours durant lesquels les PS étudient la pédagogie et la didactique, la gestion de classe
et suivent des conférences sur le système éducatif. Ces formations sont rapidement jugées trop
lourdes et inappropriées par les PS.
La loi d’orientation sur l’Education du 10 juillet 1989, unifie le niveau de recrutement de la
majorité des enseignants à la licence – exceptée l’agrégation qui requiert un diplôme de
26
maîtrise – et harmonise les dispositifs de formations. C’est la fin des écoles normales et des
CPR, il n’y a plus désormais qu’un lieu unique de formation, les Instituts Universitaires de
Formation des Maîtres (IUFM) mis en place en septembre 1991 (Obin, 2014 ; Condette,
2007 ; Prost, 2012). De nouvelles missions sont confiées aux enseignants afin de répondre à
la massification du système scolaire - il s’agit maintenant d’amener 80% d’une classe d’âge
au baccalauréat. L’enseignant est à la fois « instructeur, éducateur », « pompier social », et
« modèle citoyen » (Condette, 2007, p.280) ce qui nécessite une formation
« professionnalisante ». Le Rapport Bancel (1989) fait état des compétences désormais
attendues d’un enseignant en formation. L’accent est mis davantage sur « les didactiques et la
pratique professionnelle » (Condette, 2007, p.296) que sur les savoirs disciplinaires que le PS
est censé déjà posséder. Les nouvelles épreuves orales du CAPES attestent de cette volonté et
les candidats ont désormais une épreuve professionnelle11. Les PS, certifiés et agrégés, sont
formés sur le principe de l’alternance, entre l’IUFM et le terrain, afin d’articuler le plus
étroitement possible la théorie et la pratique. Ils exercent en responsabilité quatre à six heures
par semaine dans une ou plusieurs classes avec l’aide d’un conseiller pédagogique-tuteur et
reçoivent les visites-conseil de formateurs de l’IUFM. Ils suivent également un stage
d’observation et de pratique accompagnée dans le cycle dans lequel ils ne sont pas en
responsabilité12. Le lien entre la formation à l’IUFM et le terrain doit les amener à devenir
des praticiens réflexifs (Schön, 1987). Cette capacité réflexive est testée lors de la rédaction
de leur mémoire professionnel.
En 2008, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et dans le contexte du
non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux lors de son départ à la retraite, le ministre
Xavier Darcos modifie le dispositif de formation des PS. La rentrée 2010 voit l’aboutissement
du Processus de Bologne13, dont les objectifs étaient de construire un « espace européen de
l’enseignement supérieur, d’harmoniser les systèmes d’enseignement supérieur en proposant
11
BO EN n°33 26 septembre 1991.
Les candidats ont le choix de travailler sur un dossier fourni par le jury ou sur un dossier professionnel de leur
propre composition. En 1994 ce choix est supprimé pour une question d’équité. Le gouvernement propose alors
un épreuve pré-professionnelle sur dossier pour tous les candidats.
12
Un PS en responsabilité dans un lycée fait un stage d’observation et pratique accompagnée en collège, et vice-
versa.
13
Processus de Bologne : http://www.mesr.public.lu/enssup/dossiers/bologne/processus_bologne.pdf
27
les mêmes diplômes partout en Europe [et] d’augmenter la mobilité internationale des
étudiants en facilitant le passage d’une université à l’autre [...] » (Processus de Bologne, 2004,
p. 5). Une nouvelle architecture des études supérieures, fondée sur trois grades, est mise en
place : Licence ou Bachelor, Master et Doctorat. Un système européen de crédits – « European
Credit Transfer system » ou système européen de transfert de crédits » (p. 5) – est mis en
place, permettant la reconnaissance et l’équivalence des diplômes dans l’espace européen,
ainsi que la prise en compte de semestres validés dans un autre pays de l’UE. C’est dans ce
contexte que le « Master Enseignement14 » est créé, l’objectif avancé étant de valoriser les
deux années d’IUFM par l’obtention d’un diplôme. On parle alors de « mastérisation de la
formation des maîtres ». Il devient obligatoire de posséder un diplôme de Master pour devenir
enseignant fonctionnaire de l’Éducation Nationale, si l’on a réussi le CAPES. Cependant,
aucune mention n’est faite de la discipline dans laquelle le Master doit avoir été obtenu et il
est fréquent de rencontrer des PS de langue – et notamment d’anglais –n’ayant pas suivi un
cursus spécialisé dans la discipline enseignée mais ayant acquis des compétences en
compréhension et expression dans un autre contexte, personnel ou professionnel. La situation
des PS se précarise. Ils sont désormais affectés à plein temps, sans formation préalable, dans
les établissements scolaires au sein desquels ils bénéficient d’un accompagnement léger de
type « compagnonnage », et les deux années d’IUFM sont transformées en master
universitaire. Parallèlement à leur temps de service en établissement, les PS suivent une
formation filée correspondant à un tiers temps. Durant ces moments de regroupement, ils
survolent rapidement quelques principes de pédagogie disciplinaire et travaillent sur la
thématique de la gestion de classe. Les épreuves du CAPES sont également revues et deux
épreuves orales supposées évaluer les compétences pédagogiques des candidats sont
introduites :
1° Leçon portant sur les programmes des classes de collège et de lycée :
[…] L'épreuve comporte deux parties :
― une première partie en langue étrangère consistant en la présentation, l'étude et, le
cas échéant, la mise en relation des documents, suivie d'un entretien en langue
étrangère ;
― une seconde partie en français, consistant en la proposition de pistes d'exploitation
didactiques et pédagogiques de ces documents, en fonction des compétences
14
Les « Master Enseignement » ont été en place de 2010 à 2013, jusqu’à l’avènement des Masters « Métier de
l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation » (MEEF)
28
linguistiques (lexicales, grammaticales, phonologiques) qu'ils mobilisent et des
activités langagières qu'ils permettent de mettre en pratique, suivie d'un entretien en
français au cours duquel le candidat est amené à justifier ses choix. […]
2° Épreuve sur dossier comportant deux parties : […]
Première partie : étude de dossier. […]
Seconde partie : interrogation, en français, portant sur la compétence Agir en
fonctionnaire de l'Etat et de façon éthique et responsable. […] (Extrait de la partie
« épreuves d’admission » de la section « langue vivante étrangère », Arrêté du 28
décembre 200915)
En 2012, face aux très nombreuses critiques des syndicats enseignants et des formateurs
relayées par les médias, le nouveau gouvernement réagit, critiquant ses prédécesseurs d’avoir
mis à mal la formation des enseignants. Selon la Cour des comptes, 70 % des nouveaux
enseignants se retrouvaient à plein temps devant leurs classes sans véritable formation
pédagogique et sans avoir jamais été en situation pratique devant des élèves. En attendant la
refonte d’une véritable formation initiale professionnalisante, il est décidé à la rentrée 2012
de mettre en place un dispositif transitoire d’accueil, d’accompagnement et de formation des
enseignants et des Conseillers Principaux d’Éducation PS afin de leur permettre une entrée
progressive dans le métier. Les PS sont alors placés en stage en responsabilité à deux-tiers
temps et la part de la formation universitaire est augmentée : « ces décharges permettront de
garantir l’équivalent de six heures de formation par semaine sur toute l’année scolaire »16.
La rentrée 2013 voit la création des École Supérieure du Professorat et de l’Éducation (ESPÉ)
et de la première année des master Métier de l’Enseignement, de l’Éducation et de la
Formation (MEEF), ainsi que la rénovation des épreuves de CAPES placées à la fin du Master
1. La deuxième année de Master est créée en septembre 2014. Les PS sont placés en alternance
– entre huit et onze heures pour un certifié et sept et huit heures pour un agrégé – dans un
établissement scolaire et suivent leur formation en Master 2 le reste du temps. Ils bénéficient
du tutorat mixte et sont ainsi suivis conjointement par un « tuteur terrain » dans leur
établissement et un « tuteur ESPE » qui assure leur suivi et effectue des visites conseils. La
charge de travail du PS qui est aussi un étudiant, est très importante. Le PS doit valider son
15
Arrêté du 28 décembre 2009 fixant les sections et les modalités d'organisation des concours du certificat
d'aptitude au professorat du second degré (abrogé au 1 septembre 2013)
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=C31C8D012D2F35A685691498BF468978.tplgfr33s
_1?cidTexte=JORFTEXT000021625818&dateTexte=29990101
16
Circulaire n°2012-104 du 3-7-2012
29
année de master 2, comprenant notamment la rédaction d’un mémoire de recherche à
orientation professionnelle, afin de voir son dossier examiné par le jury de titularisation.
Au 1er septembre 2019, les Masters MEEF et donc la formation initiale sont entrés dans une
nouvelle phase de réforme. Les ESPÉ sont devenues INSPÉ (Institut supérieur du professorat
et de l’éducation) et les nouvelles maquettes MEEF sont en construction. Les concours sont
en cours de refonte et la formation initiale des professeurs stagiaires, alternant entre le terrain
et l’université, est à redéfinir.
Selon Bossard et Blanchard-Laville, la formation initiale peut être alors associée à un temps
de crise identitaire rappelant celles que les adolescents traversent :
[…] comme des adolescents devant tout à coup faire face à l’inconnu de leur corps transformé,
les professeurs stagiaires sont confrontés à une situation d’« inquiétante étrangeté ». Ils ne
peuvent plus se définir et sont à la recherche d’éléments leur permettant, au plan psychique,
de ne pas se sentir happés par le vide. Dans une situation « d’entre-deux » analogue à celle de
l’adolescence, ils sont amenés à vivre une véritable crise identitaire au plan professionnel liée
à un temps qui génère une grande angoisse existentielle. C’est pourquoi, avec Claudine
Blanchard-Laville, nous avons appelé́ ce temps : un temps « d’adolescence professionnelle »
(Bossard, 2009, p. 68)
30
Synthèse
Dès lors que les PS entrent en formation initiale, à moitié sur le terrain et à moitié à
l’université, ils entament un processus de construction identitaire et traversent une période
chrysalidaire. Dans la mesure où les deux premières années de titularisation s’inscrivent dans
le continuum de formation PS, T1, T2, on peut s’interroger sur la durée de la période
chrysalidaire. Se termine-t-elle avec l’obtention de la titularisation ou se poursuit-elle au-
delà ?
Les PS sont titularisés dès lors que les avis des trois évaluateurs (INSPÉ, Chef
d’établissement et rectorat) sont positifs. Lorsqu’un avis (ou plus) est négatif, les PS passent
devant un jury de titularisation dont la décision est souveraine. Ils sont par la suite affectés en
tant qu’enseignants titulaires dans un établissement scolaire du second degré. Dès lors, ils
peuvent continuer à se former, mais cette fois sur la base du volontariat, en suivant des stages
au Plan Académique de Formation (PAF) au même titre que tous les autres enseignants, quel
que soit leur stade dans leur carrière. Selon le site Éduscol, le PAF a pour vocation
de « répondre de manière très concrète aux besoins et réalités que les personnels rencontrent
au quotidien dans l'exercice de leur métier. Il leur permet de s'adapter aux nouvelles exigences
31
de leur profession ainsi que d'actualiser leurs connaissances tout au long de la carrière17 ». On
peut alors se demander si les besoins des néotitulaires – dont le niveau d’acquisition des
compétences professionnelles18 est très variable – sont les mêmes que ceux des enseignants
en poste depuis plusieurs années, et s’il ne serait pas judicieux d’assurer une phase de
transition dans leur formation spécifiquement dédiée à la consolidation de leur formation
initiale, une véritable formation « continuée ». Selon les académies et les disciplines, des
stages spécifiques sont destinés aux néotitulaires et aux néo-arrivants. C’est le cas dans
l’académie de Créteil pour les T1 d’Arts Plastiques, Mathématiques, Physique-Chimie, et les
néotitulaires Conseillers Principaux d’Éducation (CPE). Malheureusement, ces formations ne
sont ouvertes qu’à des groupes d’un maximum de 20 personnes, ce qui correspond à un très
faible pourcentage d’enseignants néotitulaires. Les T1 des autres disciplines n’ont pas de prise
en charge spécifique et intègrent les stages du Plan Académique de Formation au côté de leurs
pairs plus ou moins expérimentés. Cet accompagnement suffit-il pour consolider les gestes
professionnels en cours d’acquisition en fin d’année de stage et pour sortir de la période
chrysalidaire ?
En janvier 2020, une évolution est clairement mentionnée dans la lettre annuelle de cadrage19
la Délégation Académique à la Formation DAFOR de Créteil. Il y apparaît que « les
formations pour les professeurs néo-titulaires s'inscrivent dans un continuum de formation
visant à poursuivre le développement des compétences en cours d’acquisition à la fin de
l’année de stage » (p.6). Cette même volonté est inscrite sur une page20 du site du rectorat de
Créteil dédiée aux PS et aux T1 néo-arrivants dans l’académie. On y trouve un lien, intitulé
« formation pour les néotitulaires », renvoyant vers deux formations interdisciplinaires
inscrites au PAF. La première, de 15 heures et ouverte à un maximum de 20 enseignants, vise
à donner une suite au mémoire de master après la titularisation. La deuxième, de 12 heures,
ouverte à un maximum de 15 enseignants est consacrée aux outils et ressources à connaître
pour bien démarrer dans l’académie. Par conséquent un nombre très restreint de T1 peut
17
https://eduscol.education.fr/cid46777/carte-des-plans-academiques-de-formation.html#lien0
18
Référentiel de compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation. Arrêté du 1-7-2013-
J.O. du 18-7-2013
https://www.education.gouv.fr/bo/13/Hebdo30/MENE1315928A.htm
19
https://dafor.ac-creteil.fr/appeldoffres/Lettre_Cadrage_PAF2020-2021.pdf
20
http://www.ac-creteil.fr/pid32928/personnel-stagiaire-du-2nd-degre.html
32
bénéficier de ces dispositifs. Plus loin dans la partie dédiée aux « intentions des chapitres pour
2020-2021 », il est annoncé, suite à des « remontées de terrain » (p.13) émanant des T1
d’anglais et de leurs chefs d’établissement, qu’un accompagnement de six heures intitulé
« poursuivre sa formation initiale » (p.15) allait être mis en place à destination des T1
d’anglais. Même si cette initiative est louable et encourageante, on peut s’interroger sur la
plus-value éventuelle d’une formation continuée aussi courte.
21
Guide « une école bienveillante face aux situations de mal-être des élèves » édité par le ministère de Vincent
Peillon https://eduscol.education.fr/cid78875/guide-une-ecole-bienveillante-face-aux-situations-de-mal-etre-
des-eleves.html
33
être dispensée comme une compétence chez les enseignants »22. La bienveillance fait
également partie des préoccupations ministérielles comme en atteste la publication en
novembre 2013 du guide « une école bienveillante face aux situations de mal-être des élèves
».
Si ces concepts sont au cœur des préoccupations de l’éducation nationale, on peut en déduire
qu’ils sont fondamentaux pour faciliter les apprentissages des élèves et qu’on ne peut donc en
faire l’économie. Selon Krashen (1985), il importe que le filtre affectif (« affective filter ») de
l’élève soit au plus bas pour que celui-ci puisse se sentir rassuré et qu’il puisse apprendre dans
les meilleures conditions. Un cadre bienveillant est donc indispensable.
Si empathie et bienveillance font défaut dans les salles de classe, qu’en est-il de leur place
dans la formation ?
22
https://www.reseau-canope.fr/climatscolaire/agir/ressource/ressourceId/lempathie-le-role-de-lenseignant.html
23
Pour une étude des textes officiels des années antérieures, voir mon mémoire de Master (2016).
24
https://www.education.gouv.fr/bo/19/Hebdo16/MENF1908346C.htm?cid_bo=140871
34
Les stagiaires inscrits en M2 MEEF bénéficient par ailleurs d'un tuteur désigné par
l'établissement d'enseignement supérieur pour les accompagner dans leur cursus
universitaire.
On peut alors s’interroger sur la raison de l’absence de la prise en charge émotionnelle. S’agit-
il d’une simple omission, la prise en compte de cette dimension étant une évidence ? Ou, au
contraire, est-ce délibéré, ce domaine ne faisant pas partie de l’encadrement professionnel ?
L’analyse des vademecum de cinq académies, – Orléans-Tours, la Guadeloupe, Bordeaux,
Lyon et Créteil – montre que le discours institutionnel est de nature prescriptive et que ces
documents mettent uniquement en avant la dimension professionnelle/didactique de
l’accompagnement tuteur-stagiaire, excluant ainsi totalement la dimension
relationnelle/émotionnelle (Lemarchand-Chauvin, 2016). En 2016, seul le vademecum de
Créteil souligne quelques points – le « besoin d’être rassuré », la nécessité pour le tuteur de
se montrer disponible et souple et de prendre en compte la fatigue du PS en fin de premier
trimestre – relevant de la dimension relationnelle mais reliés directement à la dimension
professionnelle. L’empathie et la bienveillance sont implicitement évoquées à l’égard des
nombreux PS de province affectés dans l’académie déficitaire de Créteil. L’empathie et la
bienveillance seraient-elles l’apanage des académies déficitaires ? Depuis 2016, comme
mentionné plus haut, empathie et bienveillance ont fait leur chemin dans le vocable
institutionnel. Ceci est incontestablement dû aux travaux de recherche sur l’empathie en lien
avec la réussite scolaire (Aden, 2011, 2014, 2017; Berthoz & Jorland, 2004 ; Zanna ; 2008,
2010, 2015), et aux colloques internationaux « Eduquer à l’empathie : où en sommes-
nous ?25 » (Université du Maine, mai 2017) et « Empathie et bienveillance au cœur des
apprentissages26 » (Université Paris Est Créteil, octobre 2019) auxquels les rectorats ont été
associés, permettant à de nombreux enseignants de l’enseignement secondaire d’être conviés.
Ces termes font parallèlement une entrée timide dans les derniers vademecum en date des
académies de Paris27 (2017-18, p23) et de Créteil28 (2017-18, p.5) avec dans les deux cas
25
http://perso.univ-lemans.fr/~mmansa/Colloque_empathie/PROGRAMME.pdf
26
https://educ-
empathie94.sciencesconf.org/data/pages/Programme_Colloque_Empathie_et_bienveillance_web.pdf
27
Livret du tuteur Paris, 2017-18 https://www.ac-paris.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-
09/livret_du_tuteur_2017-2018_-_academie_de_paris._2017-09-14_20-48-35_639.pdf
28
Livret du tuteur 2017-18 (document pdf non publié en ligne)
35
« mettre à l’aise, faire preuve d’empathie, de bienveillance » ; « écouter avec bienveillance »,
signes d’une vraisemblable harmonisation entre les deux académies29. Il ne s’agit cependant
pas d’une harmonisation inter-académique entre les académies de Paris, Créteil et de
Versailles, cette dernière ne faisant aucune référence à la dimension émotionnelle-
relationnelle.
La formation initiale des PS inscrits en deuxième année de Master MEEF est dispensée en
partie dans les INSPÉ et dans les universités et suit la maquette votée par les instances
décisionnelles. Ces maquettes diffèrent d’un INSPÉ à l’autre, mais contiennent la même
trame : un bloc d’unités d’enseignement (UE) disciplinaires, des UE transversales de
découverte du métier (tronc commun), des UE professionnelles et des UE liées à la recherche
en lien avec le terrain. Les PS de l’INSPÉ de Créteil peuvent choisir d’assister à une formation
« corps et voix » de 12 heures dans un catalogue de 40 modules dans le cadre du tronc commun
interdisciplinaire, et les PS en difficulté peuvent suivre un module d’aide « corps et voix » ou
« pratiques théâtrales » de 12 heures, limité à 15 participants. Aucune des maquettes
consultées en ligne ne comprend d’UE liées à la prise en compte des émotions. On constate
que, même si des efforts sont notables, notamment dans des INSPÉ comme celle de Créteil,
la prise en compte des émotions des PS durant leur formation initiale demeure très limitée
voire inexistante. Cette situation verra peut-être une évolution avec la réforme en cours de la
formation initiale.
Dans la formation continu(é)e
Constat général
On voit actuellement apparaître dans les PAF des différentes académies françaises30
des formations en lien avec le bien-être des enseignants. Si on tient compte du nombre de
formations qu’elles proposent sur ces thématiques, Versailles (15), Créteil (12) et Besançon
(12), sont les académies qui y sont le plus sensibles. La prise en compte et l’affichage officiel
de l’enseignant en tant que personne pouvant souffrir au travail sont les signes de l’amorce
d’un changement de mentalité. Des académies, à l’instar de Toulouse, Paris et Versailles,
29
. https://euler.ac-versailles.fr/IMG/pdf/livret_tuteurs_2017-2.pdf
30
Lien vers la carte des PAF de France : https://eduscol.education.fr/cid46777/carte-des-plans-academiques-de-
formation.html
36
proposent le recours à la sophrologie, d’autres (Poitiers, Versailles) à la méditation comme
outil dans la classe. Plusieurs académies (c’est le cas de Toulouse, Versailles, Créteil, Paris,)
offrent des formations contenant le nom « stress » associé au verbe « gérer » ou à son dérivé
« gestion », et Besançon propose de les « apprivoiser ». Les formations sur la prévention
vocale – notamment organisée par la MGEN31 – ou sur l’usage professionnel de la voix sont
présentes dans la majorité des académies, et on trouve de nombreux stages « corps et voix »
et sur la « communication non verbale ». Le nom « émotion » apparaît timidement dans
quelques formations, notamment à Toulouse, Créteil et Versailles. On constate que toutes ces
formations sont interdisciplinaires. On peut alors s’interroger : ne serait-il pas judicieux
d’apprendre à protéger sa voix mais aussi à gérer son stress et à « faire une force de ses
émotions32 », en langue vivante étrangère et notamment en anglais ? Quid de la
communication non-verbale ? Au-delà de ce constat, on notera que ces stages restent
marginaux dans la formation des enseignants car ils ne sont accessibles qu’à un nombre très
limité d’enseignants (en moyenne 15 participants admis par session) et que le nombre d’heures
alloué (de 3 à 12h, voire 18 heures dans de rares cas) relève plus de l’information ou de
l’initiation que de la formation.
Par ailleurs, aucun de ces stages ne fait partie du continuum de formation destiné
spécifiquement aux enseignants novices (T1, T2).
31
Mutuelle Général de l’Éducation Nationale
32
Intitulé d’une formation au PAF de l’académie de Versailles.
37
1.5. Conclusion
La formation des enseignants du second degré est relativement récente et a donné lieu
à de fréquentes réformes. Longtemps mal considérée par les élites, la pédagogie a fait une
entrée tardive dans la formation des enseignants avec la mise en place de stages de pratique
accompagnée puis de stages de pratique en responsabilité dans le cadre de la formation initiale.
La politique de masterisation rend aujourd’hui obligatoire l’obtention d’un master pour
devenir enseignant. Ainsi, les PS inscrits en master MEEF suivent une formation initiale en
alternance. Ils sont la moitié du temps étudiants et l’autre moitié enseignants. Ce statut « entre-
deux », ni tout à fait étudiant, ni tout à fait enseignant, peut engendrer une crise identitaire que
Bossard et Blanchard-Laville (2000) comparent à une crise d’adolescence professionnelle. En
effet, le passage et les transformations nécessaires pour devenir et se sentir enseignant, ce que
nous appelons la période chrysalidaire, peuvent être chargés d’émotions douloureuses. Selon
Erb (2002, cité dans Sutton et Wheatley 2003, p. 347), les enseignants débutants sont pris dans
un véritable tourbillon émotionnel :
From one experience to another, the world of the beginning teacher is never still.
Although the direction of the whirlpool may be predictable, the degree of activity is
less predictable. Opposing currents may create small or large whirlpools. Objects may
stay afloat in gentle currents, or get sucked underneath the waters’ surface by the
overwhelming intensity of the force.
Ces émotions peuvent être d’autant plus douloureuses qu’elles sont très peu – voire pas du
tout – prises en compte dans la formation initiale. La formation continuée a pour vocation
d’aider les enseignants novices à poursuivre et approfondir le travail entamé, et à les
accompagner dans la construction de leur identité professionnelle. Or, si les DAFOR ont
intégré la nécessité de mettre en place le continuum de formation, celui-ci n’est pas encore
opérationnel, vraisemblablement faute de moyens. On peut alors se demander si cette
interruption de formation ralentit la sortie de la période chrysalidaire et si elle génère des
émotions douloureuses perceptibles dans la prise de parole des enseignants d’anglais novices.
38
Le chapitre 1 en bref
39
La prise de parole des enseignants
Plan du chapitre
2.1. Introduction
2.2. Définir la prise de parole
2.3. Étude des interactions : les différentes approches
2.4. Étude des interactions : les sept pôles
2.5. Le discours des enseignants d’anglais : caractéristiques
2.5. Les interactions pédagogiques du cours d’anglais
2.6. La notion de scénario/script
2.7. Synthèse
Le chapitre 2 en bref
40
2.1. Introduction
S’intéresser à l’impact qu’ont les émotions sur la prise de parole en classe des
enseignants d’anglais novices nécessite de définir préalablement un certain nombre de
concepts. Tout d’abord, comment qualifier la prise de parole des enseignants, le langage
verbal33 permettant d’échanger avec les élèves en classe ? Quelles sont ses fonctions ? Cette
prise de parole en anglais répond-elle à un niveau d’exigence défini par l’institution ? Dans
quelle mesure le français a-t-il sa place ?
Après avoir défini les termes « discours », « conversation », « dialogue » et « interaction » et
opté pour le vocable le plus approprié dans le cadre de cette recherche, nous nous intéresserons
aux approches interactionnistes, aux interactions pédagogiques, notamment dans le cadre du
cours d’anglais.
33
Nous étudierons la dimension non verbale de la prise de parole des enseignants seulement de manière
périphérique.
41
p. 45) définit le discours comme un usage restreint de « la langue définie comme système
partagé par les membres d’une communauté linguistique ». Il peut s’agir :
a) d’un positionnement dans un champ discursif (« le discours communiste », « le
discours surréaliste » …), b) d’un type de discours plus ou moins large (« le
discours journalistique », « le discours administratif », « le discours romanesque »
…) ; c) de productions d’une catégorie de locuteurs (« le discours des
infirmières », « le discours des mères de famille » ; d) d’une fonction ou d’un
registre du langage (« le discours polémique », « le discours prescriptif » …)
Dans les années 1980, sous l’influence de courants pragmatiques, le terme discours est de plus
en plus utilisé. Il apparaît notamment dans l’expression « linguistique du discours », avec de
nouvelles idées : le discours suppose une organisation particulière (genres de discours) ; il est
orienté et se développe dans le temps ; il est une forme d’action (actes de langage) ; il est
interactif (cas de la conversation mais aussi de toute énonciation car elle suppose toujours la
présence d’un destinataire) ; il est contextualisé ; il est régi par divers ordres de normes ; il est
pris dans un interdiscours (Maingueneau, 2009, p. 46-47).
Selon Guespin, (1976, cité dans Longhi & Sarfati, 2011, p. 47), dans l’analyse de discours, le
discours est l’énoncé considéré du point de vue du mécanisme discursif qui le conditionne :
un regard jeté sur un texte du point de vue de sa structuration en langue en fait un énoncé ;
une étude de linguistique des conditions de production de ce texte en fera un discours ». La
définition du discours est également rendue possible au regard des notions de genre de
discours, et de texte.
Bakhtine (1979/1984, p. 265) définit ainsi la problématique des genres discursifs :
L’utilisation de la langue s’effectue sous forme d’énoncés concrets, uniques (oraux
ou écrits) qui émanent des représentations de tel ou tel domaine de l’activité humaine.
[…] tout énoncé pris isolément est, bien entendu, individuel, mais chaque sphère
d’utilisation de la langue élabore ces types relativement stables d’énoncés, et c’est ce
que nous appelons les genres discursifs. La richesse et la variété des genres discursifs
sont infinies car la variété virtuelle de l’activité humaine est inépuisable et chaque
sphère de cette activité comporte un répertoire des genres du discours qui va se
différenciant et s’amplifiant au fur et à mesure que se développe et se complexifie la
sphère donnée.
J.-C. Beacco (2004) montre qu’il est possible de considérer « le genre discursif comme forme
de l’expérience ordinaire de la communication », en avançant, en s’appuyant sur Bakhtine,
que le locuteur expérimente le langage à travers les genres verbaux. Les genres de discours
sont ainsi considérés comme des représentations métalinguistiques ordinaires, ils « constituent
la forme immédiate sous laquelle la langue donne prise aux locuteurs […]. Cette capacité des
42
locuteurs à catégoriser le discours procède d’une élaboration métalinguistique ordinaire, dont
les seuls éléments émergents sont les noms des genres » (p.110).
43
trilogues, de nouvelles perspectives se sont ouvertes. Bouchard (1998, p.2) s’intéresse à
d'autres type de « dialogues impliquant un plus grand nombre de participants » qu’il nomme
polylogues.
Il considère la classe comme un « espace polylogal » (Bouchard, 2005), « un exemple stable
de polylogue praxéologique » (Bouchard, 1998). Pour Bouchard, le polylogue pédagogique
est inégal et ritualisé (1999, 2009), nous y reviendrons. Il « peut être ramené à un trilogue
constitué – dans le domaine des interactions didactiques par exemple (Schubauer-Léoni, 1997)
– d’un dilogue enseignant – apprenant (interrogé), augmenté d’un troisième participant
collectif, le reste de la classe » (2005, p.2). Pour fonctionner efficacement dans le cadre
institutionnel, ce polylogue ne peut être spontané et nécessite d’être organisé :
Toute interaction mettant en jeu plus de deux participants est relativement instable : la règle de
l’alternance des tours de parole entre deux interlocuteurs ne peut plus fonctionner. Cette
instabilité apparaît dès le trilogue (Caplow, 1971). Elle est donc constitutive du polylogue et
nécessite pour les polylogues institutionnels une organisation réglée, spécifique des échanges
qui le constituent et une distribution précise des rôles des participants. (Bouchard, 2005, p.4)
Conversation
Selon Levinson (1983), la conversation est la forme la plus commune que peut prendre
un échange verbal : « conversation is clearly the prototypical kind of language use » (p. 284).
Dans un usage commun, le terme conversation correspond à une interlocution verbale au
cours de laquelle les échanges, sans finalité ou contrainte particulière, coupés « de tout but
instrumental » (Goffman, 1974) sont menés dans une certaine convivialité par des participants
au nombre de deux ou plus. Suivant la pratique de la sociolinguistique :
« Conversation » sera utilisé ici de façon non rigoureuse, comme équivalent de parole
échangée, de rencontre où l’on parle. On néglige ce faisant le sens particulier dans
lequel ce terme tend à s’utiliser dans la vie quotidienne, usage qui justifie peut-être
une définition étroite, plus limitée. On définirait alors la conversation comme la parole
qui se manifeste quand un petit nombre de participants se rassemblent et s’installent
dans ce qu’ils perçoivent comme étant une courte période coupée des (ou parallèle
aux) tâches matérielles ; un moment de loisir ressenti comme une fin en soi, durant
lequel chacun se voit accorder le droit de parler aussi bien que d’écouter, sans
programme déterminé. (Goffman, 1987, p. 20)
La conversation n’a pas de « but avoué autre que celui de converser » (André-Larochebouvy,
1984a, p. 18), elle est en quelque sorte gratuite, faite pour maintenir les liens sociaux et son
déroulement est le plus souvent improvisé. Le caractère informel des propos (Traverso, 2013,
44
p. 5) fait qu’on ne pourra pas qualifier un débat ou un interrogatoire de conversation
(Maingueneau, 2009, p. 37). Pour Kerbrat-Orecchioni (1990) les conversations familières sont
les interactions les plus difficiles à analyser, raison pour laquelle la recherche se tourne
davantage vers d’autres types de discours moins insaisissables, à l’instar des interactions
didactiques ou des entretiens.
Faisant suite aux travaux d’Alber et Py (1986) définissant comme « exolingues » les
conversations au cours desquelles les niveaux de compétences des interlocuteurs sont très
hétérogènes, Kerbrat-Orecchioni (1990) avance que toute conversation est « peu ou prou
exolingue ». Ceci est le cas, que les interlocuteurs soient pour l’un natif et pour l’autre non-
natif, ou tous les deux natifs, comme dans les situations de conversations adulte/enfant,
spécialiste/novice, enseignant/élève, médecin/patient, entendant/malentendant, etc.
Dans un sens large, conversation fait référence à tout type d’échange verbal ou de situation
d’interlocution (Maingueneau, 2009, p. 36-37, Traverso, 2013, p. 5). Ainsi on parlera d’une
conversation téléphonique pour évoquer un échange dont le ton et les propos auront pu être
tout à fait formels. Conversation prend alors un sens générique proche de communication.
C’est dans ce sens qu’il est employé dans l’expression « analyse des conversations »
(Traverso, 2013, p. 5). Pour contourner l’ambiguïté liée à la polysémie du terme conversation,
Traverso (2013) opte pour interaction dès lors qu’elle fait référence au sens générique.
Interaction
Selon Plantin (2016, p. 322), « on peut ne pas dialoguer, mais on ne peut pas ne pas
interagir ». Nous nous contenterons ici de donner quelques définitions proposées par divers
chercheurs, la partie suivante étant dédiée à l’étude des interactions.
Il est nécessaire, tout d’abord, de faire la distinction entre interaction et interaction verbale
puisque toute interaction n’est pas forcément verbale (Maingueneau, 2009, p.75). Selon
Goffman (1973a, p.23) :
Par interaction (c’est-à-dire l’interaction de face à face) on entend à peu près
l’influence réciproque que les participants exercent sur leurs actions respectives
lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres ; par une interaction,
on entend l’ensemble de l’interaction qui se produit en une occasion quelconque quand
les membres d’un ensemble donné se trouvent en présence continue les uns des autres,
le terme « rencontre » pouvant aussi convenir.
La « présence physique immédiate » n’est plus aujourd’hui obligatoire pour interagir « face à
face ». Les TIC offrent maintenant la possibilité d’interagir à distance, via les conversations
45
vidéo dans la sphère privée, ou via les visioconférences et l’enseignement « en ligne »
(Guichon, 2017) dans le cadre professionnel.
Vion (1992) définit le terme interaction comme « toute action conjointe, conflictuelle et/ou
coopérative, mettant en présence deux ou plus de deux acteurs. À ce titre, il couvre aussi bien
les échanges conversationnels que les transactions financières, les jeux amoureux que les
matches de boxe. » (p.17). On comprend ainsi que n’importe quelle situation dans laquelle
deux personnes ou plus procèdent à des actions qui les influencent mutuellement est une
situation d’interaction. Il ajoute qu’il s’agit de « l’ensemble de ce qui se produit entre deux ou
plusieurs personnes de l’instant de leur rencontre à celui de leur séparation » (p. 148).
Scherer (1984, p. 73-74) introduit l’idée d’une communication multimodale, « multicanale ».
Pour lui, l’interaction est « un processus par lequel deux ou plusieurs acteurs co-orientés,
suivant des séquences de comportement orienté vers un but, se transmettent l’information
d’une manière mutuellement contingente, grâce à des configurations de signes multicanales ».
La communication a recours à un matériel comportemental fait de mots, mais aussi de regards,
de gestes, de mimiques, ce que reprend également Young (2011). Pour reprendre les propos
d’Abercrombie (1997, p. 64, cité dans Kerbrat Orecchioni, 1986) « nous parlons avec nos
organes vocaux, mais c’est avec tout le corps que nous conversons ».
Dans le cadre de l’interaction verbale, le terme interaction désigne « l’unité la plus élevée
d’une conversation, l’ensemble des échanges effectués par des participants dans un contexte
donné » (Maingueneau, 2009, p. 76).
Widdowson introduit dès 1978 la notion d’interaction conversationnelle en faisant la
distinction entre « usage » et « emploi » de la langue. Il remet alors en question le schéma des
four skills – parler, comprendre le discours oral, lire et écrire (Widdowson, 1978 / 1991, p.
69) – de l’approche communicative. Pour établir cette distinction, il s’appuie sur l’ambiguïté
des termes speaking, reading et writing :
Si par exemple, je fais une remarque telle que « he speaks clearly » […] ou « she
speaks slowly and distinctly » […], je n’utilise pas le verbe speak (parler) dans le
même sens que lorsque je fais des remarques telles que « he speaks persuasively about
the need to economize » […] ou « she speaks frankly about her marital difficulties »
[…]. Dans les deux premiers exemples, j’utilise ce terme pour décrire la façon dont la
langue se manifeste et dans les deux derniers, je l’emploie pour décrire la façon dont
la langue est actualisée en communication. Il y a en effet deux verbes « speak (parler) :
un verbe d’usage et un verbe d’emploi qui sont différents grammaticalement. (p. 70).
Tardieu (2008, p. 22) synthétise cette distinction : « ‘parler’ [qui] correspondrait à l’usage de
‘converser’ qui correspondrait à l’emploi (prise en compte de l’interlocuteur, etc.) et
46
‘entendre’ (usage) de ‘écouter » (emploi). (Widdowson, 1978/1991, p. 73) ». Selon
Widdowson ceci s’applique tout aussi bien aux savoir-faire de l’écrit :
Si nous considérons le mode, la façon dont le système de la langue est actualisé en
emploi dans les actes de communication, nous pouvons distinguer un mode écrit dans
lequel l’interprétation s’exprime en production – c’est écrire –, ou est menée du point
de vue de la réception – c’est lire – et un mode oral avec actualisation en production –
dire – et en réception – écouter. (1991[1978], p. 78)
Nous terminerons par la citation de Bakhtine (1929/1977, p. 136) reprise par la plupart des
analystes du discours : « l’interaction verbale constitue la réalité fondamentale de la langue ».
Conversation vs interaction
Comme toutes les interactions verbales, la conversation implique une situation de
communication orale, généralement en face à face (physique ou virtuel) au cours de laquelle
deux, voire plusieurs personnes échangent des propos. Cependant, toutes les interactions
verbales – i.e : rendez-vous médicaux, échanges professeurs/élèves en classe, transactions
commerciales, entretien d’embauche, oral d’examen – ne sont pas des conversations. Pour
qu’une interaction verbale soit qualifiée de conversation, elle doit répondre à un certain
nombre de critères : un nombre limité de participants ayant une relation d’égalité, spatialement
ou psychologiquement proche et disposant de temps. La conversation est un type particulier
d’interaction verbale, « le prototype de toute interaction verbale » (Kerbrat-Orecchioni, 1990,
p. 115).
• De l’analyse conversationnelle au discours-en-interaction
On remarque l’utilisation de plusieurs termes pour désigner l’interaction orale.
Schegloff était en faveur de l’usage « extensif » de « conversation », et d’en faire
« l’archilexème recouvrant toute la gamme des échanges verbaux ». (1968, cité dans Kerbrat-
Orecchioni, 1990, p. 113).
« I use "conversation" in an inclusive way. I do not intend to restrict its reference to
the "civilized art of talk" or to "cultured interchange" (...), to insist on its casual
character thereby excluding service contact (...) or to require that it be sociable, joint
action, identity related (...). "Dialogue" while being a kind of conversation, has special
implications derived from its use in Plato, psychiatric theorizing, Buber, and others,
which limits its usefulness as a general term. I mean to include chats as well as service
contacts, therapy session as well as asking for and getting the time of day, press
conferences as well as exchanged whispers of "sweet nothings". I have used
"conversation" with this general reference in mind » (1968, p. 1076 dans Traverso,
20013, p. 6).
47
Le fait que l’analyse de discours ait en linguistique une orientation monologale peut avoir
conduit les interactionnistes, s’intéressant aux tours de parole, à qualifier différemment la
nature de leurs travaux. Pour Traverso (2003, p. 5), l’usage du mot conversation dans
« analyse conversationnelle » (“conversation analysis”) est « aujourd'hui remplacé par “talk-
in-interaction”, même s'il s'est maintenu dans le nom du courant analytique lui-même ».
“Talk-in-interaction” renvoie à “the basic form of speech-exchange systems” (Sacks,
Schegloff, & Jefferson 1978, p. 47), soit une forme prototypique de l’interaction. Kerbrat-
Orecchioni (1990, 1992, 1994) a tout d’abord opté pour interaction verbale dans les années
1990. Elle ne s’inscrit volontairement pas dans un courant particulier et s’annonce en faveur
d’une approche éclectique de l’interaction (Orlacher, 2007, p. 97) qui s’appuie sur un panel
d’outils qu’elle juge appropriés à ses objectifs :
Ces outils peuvent relever de l'analyse du discours ("école de Birmingham" et "école
de Genève" principalement), de la pragmatique (Grice, théorie des actes de langage,
pragmatique contrastive), et bien sûr des différents courants interactionnistes : analyse
conversationnelle mais aussi ethnographie des communications (Hymes), sociologie
interactionnelle (Gumperz), microsociologie (Goffman) et ses prolongements dans la
théorie de la politesse linguistique (Brown & Levinson), etc. (Kerbrat-Orecchioni,
2005, p. 23).
48
partagé par les membres d’une communauté linguistique », en l’occurrence ici les membres
de la communauté scolaire (enseignants, élèves et autres représentants de l’institution).
J’étudierai le discours des enseignants novices dans le cadre particulier du polylogue
pédagogique institutionnel (Bouchard, 2005) que constituent les interactions de classe.
L’approche pragmatique
L’histoire de la pragmatique remonte à l’antiquité grecque et trouve sa source dans la
rhétorique, « la plus ancienne discipline de l’usage discursif du langage » (Ricœur, 1986, p.
144). Plusieurs critères décrivent la rhétorique. Tout d’abord, les situations typiques qui
définissent les genres du discours. Aristote en distingue trois : le discours judiciaire – pour
accuser et défendre –, le discours délibératif – pour persuader et dissuader –, et le discours
démonstratif ou épidictique, dont la fonction est de louer, de séduire et de blâmer (Ricœur,
1986, p. 144). Dans son traité La Rhétorique, Aristote conçoit cette technique oratoire comme
un outil ambivalent, pouvant aussi bien être utilisé à bon qu’à mauvais escient. Pour Platon,
dans Le Gorgias, la rhétorique est l’art de la manipulation et du mensonge. Il dénonce le rôle
joué par les Sophistes – qui l’utilisent pour leur intérêt personnel et sans aucune considération
éthique – auxquels il oppose la recherche de la vérité, dans le respect des règles de l’éthique.
De fait, la maïeutique socratique pourrait être interprétée comme une sorte de rhétorique
manipulatoire, mais son objet est de faire émerger la vérité dans l’esprit même de
l’interlocuteur, ce qui relève de l’évidence, de la preuve. Selon Ricœur, le deuxième critère
est :
Le rôle joué par l'argumentation, c'est-à-dire par un mode de raisonnement situé à mi-
chemin de la contrainte du nécessaire et de l'arbitraire du contingent. Entre la preuve
et le sophisme règne le raisonnement probable, dont Aristote a inscrit la théorie dans
la dialectique, faisant ainsi de la rhétorique « l’antistrophe », c’est-à-dire la réplique
de la dialectique (p. 145).
Ce trait est partagé par Kerbrat-Orecchioni (2008/2016) qui écrit : « d’Aristote à Perelman, la
rhétorique se définit comme l’étude de l’art de persuader par le discours » (p. 5).
L’intérêt pour ce qu’on appelle aujourd’hui la dimension pragmatique du langage
jaillit au début du siècle dernier dans des champs de recherche ayant à voir avec les sciences
du langage : la rhétorique, la stylistique, la sémiotique, la sociologie du langage, et la
philosophie du langage (Kerbrat-Orecchioni, 2008/2016, p. 32). La pragmatique ne constitue
donc pas un champ théorique homogène et relève plutôt d’un continuum de théories. On
distingue deux principaux courants : la pragmatique philosophique et la pragmatique
linguistique. Sarfati et Longhi (2011, p. 126) décrivent cette dernière comme « l’ensemble des
théories élaborées dans le cadre de la linguistique, à partir de l’intégration des concepts et
perspectives de travail de la philosophie du langage ordinaire » et utilisent l’expression
« pragmatique du langage » pour désigner « l’ensemble des modèles de type pragmatique
ayant pour objet l’étude de différents aspects du langage ». Selon Maingueneau (2009, p. 101),
le terme pragmatique désigne une branche de la linguistique ainsi qu’un mode d’appréhension
du langage. La pragmatique linguistique « étudie un ensemble de phénomènes, regroupés dans
un composant dit précisément pragmatique, à côté des composants phonétique, sémantique et
syntaxique ». Ce composant pragmatique est issu du découpage de Morris (1938) qui a
distingué « trois domaines dans l’appréhension de tout langage, formel ou naturel : 1) la
syntaxe, qui concerne les relations des signes aux autres signes ; 2) la sémantique, qui traite
de leurs relations avec la réalité ; 3) la pragmatique qui s’intéresse aux relations des signes
avec leurs utilisateurs, à leur emploi et à leurs effets » (Maingueneau, 2009, p. 101). La
définition de Morris permet à la notion de contexte de faire son retour en linguistique. On
étudie alors des énoncés dans des situations communicatives particulières. Pour citer
Moeschler et Reboul, (1994, p. 17), la pragmatique linguistique est définie « comme l’étude
de l’usage du langage, par opposition à l’étude du système linguistique ». Ceci englobe donc
des phénomènes comme la modalisation, l’implicite, les actes de langage, les tropes, …
Pour Kerbrat-Orecchioni (2008/2016, p. 1-2), la pragmatique est une approche des sciences
du langage, définie comme « l’étude du langage en acte ». Il s’agit de l’étude du « langage
envisagé comme un moyen d’agir sur un contexte interlocutif, et permettant
l’accomplissement d’un certain nombre d’actes spécifiques dits en anglais speech acts », soit
50
tout acte réalisé au moyen du langage. Le langage est certes un moyen d’action, mais c’est
surtout un moyen pour les individus d’interagir et d’exercer ainsi leur influence les uns sur les
autres, de « changer en échangeant » (Kerbrat-Orecchioni, 2008/2016, p. 2). On peut alors
parler de « pragmatique interactionniste ».
34
Titre traduit en français en 1970 par Quand dire, c’est faire, Paris : éditions de Seuil.
51
3) l’acte perlocutoire qui, en plus de faire tout ce qu’il fait en tant qu’il est aussi une locution
(i.e. en tant qu’il dit quelque chose), produit quelque chose « PAR le fait » de dire (d’où le
préfixe per) Ce qui est produit n’est pas alors cela même qu’on dit qu’on produit. (« je
t’avertis », par exemple, est une perlocution si celui à qui je parle est effrayé – et non
simplement averti – par mes paroles.) ».
Searle rend populaire l’expression « speech acts » avec la parution de son ouvrage éponyme35
publié en1969. Il s’appuie sur les travaux d’Austin, les systématise et introduit la notion
d’exprimabilité, qui est le « principe selon lequel tout ce que l’on peut vouloir signifier peut
être dit » (Searle, 1972, p. 55). Il fait l’inventaire et la classification des actes pouvant être
accomplis par des moyens langagiers et met en avant cinq catégories d’actes : les assertifs, les
directifs, les promissifs, les expressifs et les déclaratifs et décrit pour chaque catégorie d’actes
– indirects, conventionnels ou non, etc. – leur réalisation linguistique ainsi que les conditions
de réussite auxquelles ils sont soumis. Il introduit et définit la notion d’acte de langage
indirect, « expression elliptique pour un acte de langage formulé indirectement, sous couvert
d’un autre acte de langage » (Kerbrat-Orecchioni, 2008/2016, p. 52). Le locuteur peut
s’exprimer de manière indirecte : « quand dire, c’est faire plusieurs choses à la fois (informer
d’un fait, et susciter une conduite) ; quand dire c’est faire une chose sous les apparences d’une
autre » (Kerbrat-Orecchioni, 2008/2016, p. 33). Une même structure linguistique peut révéler
des valeurs illocutoires différentes : un acte de langage comme l’ordre par exemple, peut avoir
l’apparence d’un autre acte de langage. C’est le cas avec l’exemple « tu peux me passer le
sel ? » (Kerbrat-Orecchioni, 2008/2016, p. 39), qui est un ordre sous la forme d’une question.
Searle distingue également les réalisations indirectes conventionnelles et non
conventionnelles. Quand la valeur dérivée se substitue à la valeur littérale, on parle alors de
trope illocutoire. C’est le cas de l’énoncé « on étouffe ici ! » qui signale à l’interlocuteur qu’on
veut qu’il ouvre la fenêtre. La pluralité illocutoire conduit souvent à des négociations voire à
des malentendus (sous-interprétation, interprétation erronée) entre les interlocuteurs (Kerbrat-
Orecchioni, 2008/2016, p .42-49).
35
Titre traduit en français en 1972 par Les actes de langages, Paris : Hermann.
52
Utilité de la notion d’acte de langage en didactique des langues
La notion d’acte de langage est utile aux chercheurs traitant d’objets langagiers à
l’instar des chercheurs en sciences du langage, mais aussi, et plus particulièrement, en analyse
du discours ou en didactique des langues. Selon Kerbrat-Orecchioni (2008/2016, p. 161-164),
« avec l’introduction, dans les années 70, de l’approche ‘ communicative’ ou
‘fonctionnelle’(cf. 2.6.1) en didactique des langues étrangères, les actes de langage font une
entrée en force dans les manuels et autres méthodes de français langue étrangère. ». En 1976,
la troisième section du volume collectif Un niveau-seuil : systèmes d’apprentissages des
langues vivantes, publiée par le Conseil de l’Europe, est consacrée aux actes de parole. Dans
la présentation générale on peut lire :
Le langage ne sert pas seulement à raconter et à décrire, même si ces opérations sont
de celles qu’un locuteur peut faire quand il prend la parole. Il sert aussi à faire des
demandes, à donner des ordres, à démontrer, à porter un jugement, à féliciter
quelqu’un, etc. Toutes ces opérations peuvent être appelés actes de parole. Pour les
effectuer, le locuteur a recours au langage mais, ce faisant, il s’agit moins pour lui de
parler ou d’écrire que de réaliser un acte de précis (annoncer un fait, prendre congé,
refuser une permission) en parlant et en écrivant.
Même si la catégorisation et le classement des actes de parole présentent bien des
difficultés, il paraît intéressant, dans la perspective qui est la nôtre, de faire appel à ce
concept pour rendre compte de l’utilisation d’une langue par les locuteurs et pour
caractériser des objectifs d’apprentissage, si on fixe à ce dernier des finalités
fonctionnelles. L’important pour l’apprenant est d’être apte à effectuer dans la langue
étrangère un certain nombre d’opérations qu’il est à même de réaliser dans sa langue
maternelle en présence d’autres interlocuteurs. À cet égard, les formes linguistiques
valent moins en elles-mêmes que par rapport aux actes de parole qu’elles permettent
d’accomplir. (Coste et al., 1975, p.18-19, cités dans Kerbrat-Orecchioni (2008/2016,
p. 161).
Ces recommandations sont alors intégrées par les didacticiens dans les manuels, notamment
ceux conçus durant l’approche communicative.
Les actes dans les manuels scolaires d’anglais
La majorité des manuels sont découpés en unités dites « actes de langage », « actes de
parole », « actes de communication », « savoir-faire » ou « fonctions langagières », tels que :
se présenter, saluer et prendre congé, demander/donner des renseignements, exprimer
un désir ou un besoin, accepter et refuser, donner un ordre, faire une offre, souhaiter
quelque chose à quelqu’un, inviter et répondre à une invitation, s’excuser et exprimer
des regrets, etc. Ces différents actes sont envisagés dans le cadre de situations
communicatives plus ou moins stéréotypées, leurs différences de réalisation
linguistique étant mises en relation avec les particularités du contexte et la nature des
rôles sociaux tenus par les locuteurs en présence (Kerbrat-Orecchioni, 2008/2016, p.
161).
53
Bien que ce découpage ait été critiqué par les détracteurs de l’approche communicative, on le
retrouve aujourd’hui dans l’approche actionnelle sous l’étiquette de la compétence
pragmatique.
Bakhtine et le dialogisme
Longtemps restée dans l’ombre faute d’avoir été traduite, l’œuvre de Bakhtine (1895-
1975) occupe depuis les années 1960 une place majeure, tant dans le domaine de la littérature
(Calabrese-Steimberg, 2010) que dans celui de la linguistique (Bres, 1999) – et notamment
dans la pragmatique (Ducrot, 1984). Bakhtine est à l’origine du concept de polyphonie –
développé dans Problèmes de la poétique de Dostoïevski (1929) et associé à la construction
romanesque pour décrire l’œuvre de Dostoïevski (Calabrese-Steimberg, 2010, p. 1) – et du
dialogisme, introduit dans Esthétique et théorie du roman (1934/1978) et Esthétique de la
création verbale (1979/1984). C’est ce deuxième concept qui retient notre attention.
Selon Bakhtine (1979/1984, p. 299) un énoncé est toujours une réponse. Son
expression « manifeste non seulement son propre rapport à l’objet de l’énoncé, mais aussi le
54
rapport du locuteur aux énoncés d’autrui. Les formes de réactions-réponses qui remplissent
un énoncé sont extraordinairement variées et, jusqu’à présent, elles n’ont jamais été étudiées »
Bres et Nowakowska (2010), définissent le dialogisme comme :
l’orientation constitutive de tout discours vers d’autres discours. Cette orientation se
manifeste sous la forme d’une triple interaction dialogique : interdiscursive (le
locuteur, dans sa saisie d'un objet, rencontre les discours précédemment tenus par
d'autres sur ce même objet, discours avec lesquels il ne peut manquer d'entrer en
interaction) ; interlocutive (le locuteur s'adresse à un interlocuteur sur la
compréhension-réponse duquel il ne cesse d'anticiper) ; et autodialogique (le locuteur
est son premier interlocuteur dans le processus de l’auto-réception) ; et se réalise sous
la forme de nombreux marqueurs.
On comprend ici que le discours des enseignants d’anglais novices rencontre les discours
antérieurs produits sur les sujets abordés, car ces locuteurs ne sont « qu’une instance du
discours qui s’est déjà tenu ailleurs » (Plantin, 2016, p. 323). Ainsi on retrouve dans leur
discours celui de l’institution, mais aussi celui d’anciens professeurs auxquels ils se réfèrent
le temps de se forger leur propre identité professionnelle. Selon Plantin (2016, p. 323) « dans
la théorie de la polyphonie, le « for intérieur » est vu comme un espace dialogique, où une
proposition est attribuée à une « voix », par rapport à laquelle le locuteur se situe ». L’identité
professionnelle des enseignants stagiaires étant en cours de construction (Lemarchand-
Chauvin, 2018), on peut imaginer que les voix de l’enseignant et celle de l’étudiant vont être
perceptibles dans leur discours.
55
Les approches du champ de la psychologie et de la psychiatrie
Dans les années 1950, l’école de Palo Alto aux Etats-Unis (Kerbrat-Orecchioni, 1990,
p.58) développe le concept de la « causalité circulaire » dans un objectif thérapeutique. Ils
considèrent qu’il n’est possible d’agir sur les troubles du comportement d’un individu – dont
environnement ou système lui-même dysfonctionne – qu’en intervenant sur son
environnement. Ceci les amène à élaborer une théorie de la communication (Traverso,
1999/2013, p. 8) basée sur l’importance de la multicanalité, la notion de double bind (« double
contrainte ») et la distinction entre « contenu » et « relation ». Ces notions, ont toutes
aujourd’hui une importance pour l’analyse des interactions.
• L’ethnographie de la communication
L’ethnographie de la communication a été fondée par Hymes en réaction à la
conception du langage de Chomsky (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 59), et oppose donc
compétence linguistique et compétence communicative : parler une langue n’est pas
uniquement en connaître le système, mais c’est également en maîtriser les usages en fonction
du contexte. Pour Hymes, – suivi par un ensemble de chercheurs parmi lesquels on retrouve
Gumperz et Goffman, – l’ethnologie de la communication est « caractérisée par l’application
des méthodes de l’ethnographie à l’étude de l’interaction communicationnelle » (Longhi &
Sarfati, 2011, p. 58), elle est donc ancrée autant dans l’anthropologie que dans la linguistique.
Son but est de décrire l’utilisation du langage dans la vie sociale, d’étudier les comportements
communicatifs, ainsi que le fonctionnement du langage en situation (Traverso, 2013, p. 9-10).
En 1962, Hymes propose le premier modèle de description des situations de communication,
appelé SPEAKING, qui influence encore les modèles actuels. Ce modèle montre les
nombreux paramètres du contexte qui entrent dans la co-construction des interactions :
Setting : le cadre spatio-temporel et/ou psychologique de l’interaction
Participants : les participants présents prenant part ou non aux échanges
Ends : les objectifs, le but et le résultat
Acts : les actes de langage. Les thèmes et la forme
Key : la tonalité́ ou le genre du discours
Instrumentalities : les canaux de la communication et les codes associés
Norms : les normes d’interaction et d’interprétation
56
Genres : les genres
57
outils communs, comme l’énonciation36, le principe de coopération de Grice37 et les actes de
langage (Traverso, 1999/2013, p. 11).
Conclusion intermédiaire
Toutes ces approches s’entendent sur un certain nombre de points. Elles conçoivent le
langage comme une pratique sociale, régie par des codes et partent du postulat que
l’interaction verbale relève d’une co-construction, qu’elle est multicanale (canal verbal,
paraverbal, non verbal) et qu’à chacun de ses canaux correspond un code social. Les
chercheurs s’inscrivant dans ces approches se rejoignent également dans leur utilisation d’un
corpus constitué d’un matériel authentique oral (enregistrements audio ou vidéo). Ces
éléments seront pris en compte pour cette recherche.
36
« Selon Benveniste, l’énonciation est l’élément historique par le fait qu’un énoncé a été produit, c’est-à-dire
qu’une phrase a été réalisée. L’énonciation, qui est l’acte même de produire un énoncé, accomplit ce que
Benveniste qualifie de « conversion du langage en discours » (1966, P. 254) » (Longhi & Sarfati, 2011, p. 56-
57).
37
« Le principe de Grice permet d’expliquer le fonctionnement des implicites conversationnels, qui s’ajoutent,
dans les échanges, aux présupposés linguistiques » (Traverso, 1999/2004, p. 13)
58
Le cadre spatio-temporel
Le cadre spatio-temporel joue un rôle fondamental. Le lieu – public ou privé, ouvert
ou fermé, institutionnel ou informel, voire différent comme lors d’une conversation
téléphonique – exerce une influence sur l’interaction. L’agencement et l’organisation de
l’espace qui déterminent la disposition des personnes (face à face, autour d’une table ronde,
derrière un guichet…) ont également un rôle. Quant au moment et à la durée, ils peuvent être
libres (possibilité de prendre son temps) ou contraints (nécessité de tronquer l’interaction),
choisis ou imposés, habituels ou exceptionnels (Bigot, 2018, p. 9 ; Traverso, 1999/2013, p.
18-19).
On voit ici l’influence que le cadre institutionnel de la salle de classe a sur le discours des
enseignants novices d’anglais. Le discours peut varier selon la disposition de la salle.
Les participants
Le nombre de participants intervenant dans l’interaction influe sur son déroulement et
notamment sur la circulation de la parole. Lorsque les participants sont nombreux (cérémonie,
réception), il n’est pas simple de trouver sa place ni/ou d’attendre son tour de parole. Il peut
alors se créer des conversations parallèles. Les rôles des participants dans l’interaction peuvent
être symétriques ou complémentaires (cas des interview) ou asymétriques. On différencie les
participants ratifiés (ratified) des participants non ratifiés (bystanders). Parmi les premiers, les
participants directs (addressed recipients) sont actifs et d’autres plus passifs ou indirects
(unaddressed). Ces rôles sont amenés à changer au cours de l’interaction. La deuxième
catégorie comprend des spectateurs (overhearers), voire des auditeurs intrus, épieurs
(eavesdroppers) (d’après un schéma de Goffman repris et commenté par Kerbrat-Orecchioni,
1990, p. 86-88). Il arrive qu’un participant s’adresse à une personne pour faire passer un
message à une autre, « que le destinataire qui en vertu des indices d’allocution fait en principe
figure de destinataire direct, ne constitue en fait qu’un destinataire secondaire, cependant que
le véritable allocutaire, c’est en réalité celui qui a en apparence statut de destinataire indirect »
(p. 92) – ex : cas d’un parent qui parle à son enfant et dont les propos sont à l’intention de
l’autre parent). Ce procédé est appelé « trope communicationnel » (Kerbrat-Orecchioni, 1990,
p.92- 94).
Deux axes régissent l’interaction. Le premier, horizontal, est appelé « axe de la
proximité/distance dont une extrémité est la rencontre entre anonymes et l’autre la relation
entre intimes » (Traverso, 1999/2013), p. 18). Kerbrat-Orecchioni (1990, p. 125) parle de
59
« relation ‘cognitivo-affective’ » entre les participants qui selon leur degré de proximité
peuvent recourir à des implicites (signes de connaissances partagées), à un jargon spécifique
(appartenance à la même communauté) et/ou à certaines postures mimo-gestuelles. Le
deuxième axe est vertical, c’est « [l’] axe de pouvoir, qui concerne la dominance entre les
participants, leur relation pouvant être plus ou moins égalitaire ou hiérarchisée » (Traverso,
1999/2013, p. 18). Kerbrat-Orecchioni (2008/2016, p. 69-71) nomme « taxèmes » ou « taxème
de position haute » les comportements verbaux, para-verbaux et non-verbaux qui dénotent
d’une position hiérarchique. Le statut, c’est-à-dire les caractéristiques stables des participants
(le genre, la profession, l’âge, la situation familiale, etc.), a aussi son importance dans les
échanges et une caractéristique pourra être mise en avant selon la nature de l’interaction.
Dans le cadre de la classe d’anglais, les participants sont nombreux et doivent donc attendre
leur tour de parole car il s’agit d’un polylogue institutionnel, et donc de niveau inégal, soumis
à des règles et des échanges spécifiques au cours duquel les différents participants ont un rôle
précis (Bouchard, 1998, 1999, 2005). L’attente peut engendrer des conversations parallèles –
bavardages – et amener les élèves à ne plus être concentrés. Tous les élèves sont des
participants ratifiés, directs et indirects à tour de rôle. La relation « cognitivo-affective » entre
enseignant et élèves est bonne tout en n’étant pas familière. Au fur et à mesure de l’année,
enseignant et élèves se créent une culture de classe et peuvent ainsi recourir à des implicites.
Parallèlement, un jargon (verbal, non verbal, mimo-gestuel) se met en place. Cependant la
situation n’est pas égalitaire sur l’axe du pouvoir et l’enseignant a une posture d’autorité,
comme en atteste les « taxèmes de position haute » : enseignant vs élèves, adulte vs enfants,
debout vs assis, etc.
Le degré de formalité
Le degré de formalité varie en fonction des circonstances. Selon Bigot (2018), certains
critères permettent de l’évaluer : « la présence plus ou moins forte de rituels, les registres de
60
langue attendus, les contraintes qui s’exercent ou non sur l’occupation de l'espace, le caractère
plus ou moins réglé de la circulation de la parole, du développement des thèmes, de l'ouverture
et de la clôture de l'échange, de manière générale le caractère plus ou moins préparé, planifié
de l’interaction » (p. 12-13). Certaines interactions peuvent combiner des aspects formels et
informels, un ton familier. Le ton, qui correspond au K (KEY) du modèle SPEAKING de
Hymes, est pour Kerbrat-Orecchioni un critère lié mais distinct de l’axe de la formalité, auquel
elle inclut le « caractère plus ou moins ludique ou sérieux de l’interaction et le caractère
consensuel vs conflictuel de l’échange », que Bigot et Vion considèrent comme un paramètre
à part (Bigot, 2018, p. 12).
Le cours d’anglais est régi par des rituels (Bouchard, 1998, 1999, 2005, 2009), un registre de
langue attendu. Les interactions sont orientées par les objectifs linguistiques, pragmatiques et
sociolinguistiques des enseignants. Le ton varie en fonction de l’ambiance de classe (présence
ou absence de conflits) et des thématiques abordées et des objectifs socioculturels visés.
L’axe consensus-conflit
Bigot (2018) introduit l’idée d’un axe reliant deux pôles opposés, le consensus et le
conflit, l’un et l’autre à éviter au risque de mettre fin à la discussion. Elle précise qu’« un
dissensus minimal est nécessaire pour justifier l’échange. Si l’on est d’accord sur tout, et que
l’on sait exactement les mêmes choses, pourquoi communiquer ? » (p. 13).
Durant le cours d’anglais, l’enseignant veille à conserver le « dissensus minimal » permettant
aux élèves d’interagir. Donner son opinion, argumenter, fait partie des compétences
pragmatiques que l’enseignant doit amener les élèves à développer.
61
Le matériau sémiotique et les langues de l'échange
Le ressources sémiotiques, verbales, para-verbales et non-verbales sont essentielles
pour caractériser les échanges. La gestualité, les mimiques, la prosodie sont autant d’atout
pour l’analyse des interactions. L’émetteur s’adresse au récepteur verbalement en orientant
son corps et son regard vers lui. Le récepteur lui envoie à son tour des « signaux d’écoute »,
des « feed-back » (Cosnier, 1994/ 2006). Ces signaux régulateurs se réalisent de façons
diverses qui peuvent être non verbales (hochement de tête, regard, sourire, froncement des
sourcils, changement de position), vocales (ex : « mhm »), ou verbales (exclamation ou
approbation – « oui », « okay », « ouais », « d’accord », « super » –, qui peuvent être reprises
avec ou sans reformulation, par un autre locuteur). Selon Cosnier (1994/ 2006), les régulateurs
verbaux sont généralement associés à un signe non verbal. La production par les interactants
de régulateurs et de phatiques est un signe d’approbation mutuelle.
Bigot (2018) s’interroge également sur « la place qu’occupe la langue de l’échange dans les
répertoires des participants (L1, L2, L3 ?) et le degré de sécurité ou d’insécurité linguistique
des participants dans cette langue ou variété de langue » (p. 14).
On comprend ici l’importance des ressources sémiotiques, verbales, para-verbales et non-
verbales pour les enseignants novices d’anglais qui peuvent les utiliser pour dynamiser leur
cours, pour faciliter l’accès à la compréhension (Tellier, 2006) et à la mémorisation de leurs
élèves, mais aussi pour faire passer des consignes et gérer la classe. La langue des échanges,
et donc l’alternance codique, sera abordée dans la partie 2.6.
62
didactique, sont régies par un contrat didactique38 (Py, 1991). On retrouve dans ces
interactions les sept pôles développés par Bigot (2018). Chaque séance de cours, dont le
découpage temporel est « dicté par l’horloge » (Bigot, 2018, p. 27), s’inscrit dans une
séquence d’enseignement, c’est-à-dire dans une « série » qui constitue une « histoire
interactionnelle » (p. 28). Les enseignants du second degré39 dispensent des cours d’une durée
de 55 minutes, voire de 90 minutes dans certains établissements, à des classes dont les effectifs
peuvent monter jusqu’à 35 élèves. On notera dès maintenant qu’il existe deux sortes
d’approches : une approche classique, héritage des méthodes d’enseignement des décennies
antérieures dans laquelle le cours repose sur la position haute de l’enseignant, et une autre,
plus présente chez les enseignants de langue, qui reconsidère la répartition des rôles entre
élèves et professeurs et qui en modifie la distribution au profit des « objectifs de
développement de la compétence à communiquer en L240 » (Bigot, 2018, p. 47). Cette
dernière fera plus particulièrement l’objet des deux paragraphes suivants.
Les cours suivent habituellement le schéma organisationnel ou « déroulement ritualisé »
(Cicurel, 2011, p. 26) suivant41 : entrée des élèves avec accueil ritualisé, annonce des objectifs
de la séance, rappel du cours précédent et contrôle des connaissances, activité du jour
généralement adossée à un support écrit, audio ou vidéo, régulation de la prise de parole par
un système d’alternance des tours de parole, trace écrite du cours, dictée des devoirs à faire à
la maison, et clôture du cours. Dans un schéma d’intervention classique l’enseignant ouvre et
clôt la séance, restructure et reformule les échanges, il crée donc ainsi des « contraintes
locutoires, illocutoires, référentielles et thématiques » (Bouchard, 1999, p. 13). Le discours
enseignant est produit par le professeur-locuteur à destination d’élèves-participants ratifiés,
« même si un interlocuteur peut-être plus ‘visé’ à certains moments que les autres, avec les
tropes communicationnels envisageables » (Bouchard, 2005, p.2). Le but de l’enseignant,
« vecteur d’information », « meneur de jeu » et « évaluateur » Dabène, 1984b), est de faire
38
« Accepter de part et d’autre de se plier à certaines activités langagières dans un but d’appropriation des
savoirs » (Cicurel, 2011, p. 24).
39
On peut ici exclure le cas des enseignants d’EPS dont les séances peuvent être plus longues afin de pouvoir se
rendre sur les installations sportives.
40
Acronyme de Langue Vivante 2. Dans le cadre de cette recherche, il s’agit de l’anglais.
41
Ce schéma n’est pas valable pour l’EPS. Les cours des disciplines artistiques peuvent aussi avoir une structure
différente.
63
progresser tous les élèves, qui sont « en situation d’action conjointe sinon de co-action » (p.2),
qu’ils soient interrogés ou non.
Pour Cicurel (2011, p. 28) le terme « rôle » renvoie au fait de se « conformer à un certain
nombre de comportements langagiers mis en œuvre de façon relativement ritualisée dans la
relation avec un autre participant dans une situation donnée ». Le statut de l’élève peut être
apparenté à un statut professionnel (Bigot, 2018, p. 29), ce qui amène Perrenoud (1994) à
parler de « métier d’élève ». Le groupe classe est un groupe d’« adolescents-élèves-
apprenants » (Bouchard, 1999, p. 12), un public « captif » qui n’a « pas volontairement choisi
de participer à l’interaction » (Bouchard, 1998, p. 3). Ces interactions sont exogènes, inégales
(François,1990), dans la mesure où l’enseignant est un professionnel formé, qui connaît les
réponses à ses « questions pédagogiques » (Bouchard, 1998, p.11) – aussi appelées display
questions (Bigot, 2018, P. 31) – ainsi que leur finalité, face à un groupe d’élèves en formation
avec des rôles langagiers attribués par le professeur. L’enseignant occupe la « position haute »
(Kerbrat-Orecchioni, 2010, p. 69-71) « par son âge, son statut, sa détention de savoirs devient
(entre autres fonctions) le maître de cérémonie indispensable du polylogue pédagogique »
(Bouchard, 2005, p. 3). Il accomplit des actes langagiers de position haute comme les actes
de sollicitation – il demande de dire, – et les injonctions – il demande de faire (Cicurel, 2011,
p. 29). Selon Bouchard (1999, p.12), Le professeur endosse alors les rôles d’adulte,
d’éducateur et d’enseignant face à ses élèves.
Il régule en conséquence les échanges en fonction de ces trois points de vue. L’adulte
respecte intuitivement les règles et valeurs communicatives du groupe humain dont il
est un représentant (diversité des distributions des droits à la parole et au … silence).
L’éducateur sélectionne dans ces comportements communicatifs ceux qui lui semblent
les plus compatibles avec l’institution qui lui délègue pour une part une fonction de
formation globale des sujets qui lui sont confiés. […] L’enseignant enfin dans le cadre
de sa discipline et des « moments de la classe », didactiquement repérés, va favoriser
tel ou tel comportement communicatif adaptés techniquement à la progression de
l’évènement communicatif spécialisé qu’il a appris explicitement à gérer.
L’interaction pédagogique est donc bien de ce fait un polylogue, inégal, ritualisé.
Le rôle de l’enseignant, est d’autant plus perceptible qu’il occupe un espace particulier,
détaché de celui des élèves, renforcé par la présence d’un bureau, voire d’une estrade (Cicurel,
2011, p. 28). À la mise en œuvre et l’animation des situations d’enseignement et
64
d’apprentissage42, – temps durant lesquels l’enseignant va être un véritable chef d’orchestre,
dirigeant et facilitant les échanges, régulant les prises de paroles, introduisant les nouveautés,
favorisant les médiations, évaluant les progrès et acquisitions et apportant des corrections, –
s’entremêlent des moments où l’enseignant recadre les élèves dont les comportements
dérogent à la règle. Le « discours constitutif » est donc ponctué de « discours régulatif »
(Kramsch, 1994). En effet, l’enseignant peut être amené à intercaler, au sein d’une même prise
de parole, des interventions visant des élèves précis qu’il interpelle alors individuellement
pour faire des rappels « disciplinaires » des « droits et devoirs de parole (et donc de silence) »
(Bouchard (2005, p. 6). Bouchard qualifie ces interventions de « métonymie
conversationnelles » car, même si elles sont dirigées vers des élèves précis, « ce qui est adressé
à une partie de l’assistance vaut aussi pour la totalité de cette assistance » (p. 7).
Le discours pédagogique laisse peu de place à l’oralité (Bouchard, 1999, p. 3). Il est
« oralographique » (p. 2-3) car il prend ancrage dans l’écrit – préparation de classe écrite,
trame du déroulement prévue à l’avance (Bigot, 2018, p. 28), tirée de lectures et d’extraits de
manuels ; mise en œuvre en classe prenant appui sur des documents écrits ou iconographiques
et adossée aux notes de cours qui la programment – et se termine par de l’écrit (prise de notes
du cours). Cette particularité est d’autant plus flagrante chez les enseignants novices qui ne
parviennent pas encore à se détacher de leurs fiches de préparation.
Pour structurer au mieux son cours, l’enseignant utilise divers outils discursifs, des procédés
énonciatifs, faisant partie de la « tradition orale » (Bouchard, 2005, p. 18) de sa langue
d’enseignant. Parmi ceux-ci, on trouve des « marqueurs de structuration conversationnelle,
comme les ‘alors’ » des « évaluations » à l’instar de « bien », « très bien », « excellent », ainsi
qu’un certain nombre de mots « brefs, saillants, toniques » (p. 19) ou de formes grammaticales
morphologiques ou syntaxiques (p. 21) régulièrement répétés et accentués. Ces procédés
visent à fournir aux élèves un guidage clair et à faciliter leur accès aux informations les plus
importantes. La prosodie joue donc une part essentielle dans la compréhension, nous y
42
Compétence P3 du référentiel de compétences enseignants.
BO du 25 juillet 2013 : http://www.education.gouv.fr/cid73215/le-referentiel-de-competences-des-enseignants-
au-bo-du-25-juillet-2013.html
65
reviendrons en 2.5.2.1. Ils peuvent également servir d’« appui du discours » au locuteur qui
peut avoir besoin de structurer sa pensée et de s’assurer de la présence d’un fil conducteur
facilement perceptible – ceci peut être fréquent chez les enseignants novices manquant
d’assurance. Le discours enseignant suit un schéma ternaire (Sinclair & Coulthard, 1975 cités
dans Bouchard, 2005 et dans Bigot, 2018). Une question pédagogique polylogale initie
l’interaction afin que les élèves puissent montrer qu’ils connaissent la réponse. Elle est
généralement suivie d’un adressage dilogal, puis d’un feedback qui l’évalue (Bouchard, 2005,
p. 6, Bigot, 2018, p. 31).
Guimbretière (p.27) précise que « selon les activités auxquelles l’enseignant se livre et le type
de discours qu’il produit, il se doit de varier son style de parole, en exagérant dans des
proportions bien supérieures à celles qui existent pour toute transmission de savoir en situation
endolingue ».
Lorsque la compréhension des élèves est compromise et que décélération du rythme,
accentuation expressive, différence de ton et gestuelle ne peuvent aider, l’enseignant peut
alors changer de code (cf. 2.6.3 sur l’alternance codique) et choisir de s’adresser aux élèves
dans la langue de l’institution, – en l’occurrence en français. Ce changement de langue n’est
pas toujours sans incidence sur la voix de l’enseignant. Pillot-Loiseau (dans Tellier et Cadet,
2014, p. 51-66) signale que le passage d’une langue à l’autre en classe n’est pas un acte simple,
même si l’enseignant maîtrise à un haut niveau la langue qu’il enseigne et précise qu’« il existe
67
bien une composante spécifique de la voix propre aux enseignants de langues, liée à
l’utilisation simultanée d’aux moins deux langues dans le quotidien de ces sujets ».
Il semble intéressant également de noter que de très nombreux enseignants d’anglais, même
natifs, tendent à utiliser un anglais non authentique avec leurs élèves. Ils ralentissent leur débit,
articulent davantage, évitent les contractions et les liaisons, privilégient les formes fortes au
formes faibles, etc. dans l’objectif de faciliter l’accès à la compréhension. On aboutit donc à
ce qu’on pourrait appeler un « anglais de classe », un « état de système transitoire de langue
dans l’apprentissage » (Py, 1991, p. 150). On pourrait qualifier ce système linguistique
transitionnel (Corder, 1967 ; 1981) à part d’« interlangue professorale ».
Si les enseignants chevronnés maîtrisent ces divers procédés prosodiques et parviennent à
repérer les moments où les élèves ont besoin que le professeur intervienne en français, ce n’est
pas encore le cas chez les enseignants novices dont les gestes professionnels sont en cours
d’acquisition. Par peur de ne pas être compris et ne recourant pas encore suffisamment aux
aides prosodiques et gestuelles, les enseignants novices ont tendance à changer de code
fréquemment. Ceci peut affecter la qualité de leur cours et l’efficacité de leur gestion de classe.
On voit alors changer leur « format interlocutif » signe de l’« accroissement de l’instabilité du
polylogue » (Bouchard, 2005, p.6).
Elle résume les différences entre les deux cadres articulatoires de la façon suivante :
English French
Jaws Loosely closed (not clenched) Slightly open
Lips Neutral; moderately active Rounded; vigorously active in
spreading and rounding
State of oral cavity Relaxed Cheeks contracted
Main consonant articulation Tip - alveolar Blade - dental
Tongue:
- Anchorage To roof laterally To floor centrally
- Tip Tapered Untapered
- Body Slightly concave to roof Convex to roof
- Underside Concave to roof Neutral
Tableau 2.1. D’après Honikman dans Abercrombie, Fry, MacCarthy, Scott & Trim, 1964, p. 81
43
Organisation classique dans tables en rangées
69
élèves à se tourner le dos et n’est donc pas propice aux échanges. Les élèves, faisant face au
tableau, ont tous le regard fixé sur le professeur et celui-ci, d’autant plus s’il est novice, tend
alors à adopter une approche frontale et un discours magistral.
Ceci l’amène à davantage parler, voire à monopoliser la parole (monologue) au détriment des
élèves, et à gérer seul de façon automatique toutes les demandes de prise de parole (Bigot,
2018, p. 46). Selon Castellotti et de Carlo (1995/2001, p. 70) l’agencement architectural des
classes et des établissements conduit les enseignants à « se retrancher derrière une pédagogie
peu active », ce qui les amènent à « renforcer un enseignement des langues plus « formel44 »
que « naturel45».C’est particulièrement visible chez les enseignants novices qui, par peur de
ne pas être compris ainsi que par crainte du silence qui peut s’ensuivre, reformulent plusieurs
fois leurs propos. Les enseignants de langue optent plus volontiers pour une disposition des
bureaux des élèves favorisant l’interaction. Une salle dite « en U », comme dans un banquet,
permet aux élèves de se voir pour interagir en groupe classe. L’enseignant occupe alors une
place centrale prédisposant à une approche médiatrice qui facilite les interactions entre élèves,
ce qui le conduit à réduire son temps de parole.
44
Axé sur la forme (Castellotti & de Carlo, 1995/2001, p.64)
45
La langue est un outil à s’approprier (Castellotti & de Carlo, 1995/2001, p.64)
70
Figure 2.2. Organisation d’une salle en U ou double U
Lorsque les tables sont disposées en îlots, l’enseignant a la possibilité de se mettre en retrait
tout en étant à la disposition de chaque îlot pour pratiquer un étayage (Bruner, 1983/2004)
individuel ou d’équipe.
Ces organisations de l’espace permettent aux rôles d’être revus. Le professeur peut davantage
s’effacer et confier aux élèves des prérogatives interactionnelles qui lui incombent
traditionnellement : ouvrir et clore la séance, faire l’appel, distribuer la parole, récapituler,
poser des questions, modérer des interactions, etc. le tout en L2 – et en l’occurrence en anglais.
Ceci permet aux élèves de pratiquer une interaction entre pairs dont ils ont pu être jusque-là
privés (Bigot, 2018, p.47-49) et de progresser plus facilement, leurs faces n’étant pas exposées
(Manoïlov, 2017)46. L’enseignant peut alors sortir de l’échange ternaire, ce qui permet aux
46
Manoilov a montré dans sa thèse de doctorat (2017) que les interactions entre élèves étaient plus fluides
qu’entre professeur-élèves, et que les élèves parvenaient à s’entraider.
71
élèves de prendre des initiatives, et de ne plus se limiter à des actes de paroles réactifs
intervenant entre les questions et les évaluations de l’enseignant (p. 63). Kramsch (1994, p.
60) propose que la classe offre « l’occasion de conversations privées dans la langue étrangère,
où les interlocuteurs n’ont pas à se soucier des réactions d’un auditoire devant lequel ils
doivent faire acte de représentation ».
On voit ici que la disposition de la salle, qui est en adéquation avec l’approche adoptée par le
professeur (cf. 2.6.1), a une influence sur la quantité de tours de parole et sur le type de
discours de l’enseignant. Ceci est le cas pour un enseignant expérimenté mais tend à l’être
beaucoup moins pour les enseignants novices qui ressentent le besoin de beaucoup verbaliser
par peur de ne pas savoir gérer le discours plus autonome des élèves. Par ailleurs, les
enseignants novices d’anglais tendent à éviter la disposition en U ou en ilots par peur que cela
engendre des bavardages qu’ils ne sont pas toujours en mesure de contrôler. C’est pour cela
que nombre d’entre eux privilégient l’organisation en autobus. La distribution des rôles reste
donc inchangée et l’enseignement demeure frontal.
Ceci nous amène à nous interroger sur les attendus de l’institution sur le niveau d’anglais
requis pour enseigner cette langue. On fait alors le constat suivant : il n’existe pas de texte
officiel ni de référentiel définissant les compétences langagières qu’un enseignant d’anglais
doit maîtriser. Le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l'éducation de
72
201347 définit 14 compétences professionnelles communes à tous les enseignants et
personnels d’éducation, et 5 compétences en direction des enseignants exclusivement. Ces
compétences sont interdisciplinaires et la seule mention à la discipline enseignée se trouve
dans la compétence P1 « Maîtriser les savoirs disciplinaires et leur didactique » où il est
précisé la nécessité de « Connaître de manière approfondie sa discipline ou ses domaines
d'enseignement ». Mais qu’est-ce que connaître l’anglais de manière approfondie ?
Étonnamment, aucun certificat en langue n’est exigé des futurs enseignants d’anglais. De plus,
aucun niveau de compétences défini par le Cadre Européen de Référence Commune pour les
Langues (Conseil de l’Europe, 2005) n’est précisé pour décrire les niveaux de compréhension
et d’expression attendus. On peut en déduire qu’il s’agit de C1 voire C2 – les plus hauts
niveaux attribués à l’utilisateur expérimenté – dans les cinq activités langagières, mais aucun
référentiel, aucune typologie n’existe pour définir une norme attendue pour un professeur
d’anglais. Ce manque explique les grandes disparités qui peuvent être rencontrées sur le
terrain en termes de maîtrise de la langue.
Les concours de recrutement fixent donc en quelque sorte un niveau d’exigence à atteindre
pour obtenir une certification délivrée par l’État. Les épreuves proposées aux concours nous
indiquent les domaines que les enseignants d’anglais doivent maîtriser : culture des pays
anglophones, problématisation d’un sujet, traduction (thème et version), connaissance du
fonctionnement de la langue et de son enseignement, et maîtrise de l’anglais oral. Les rapports
de jury peuvent servir d’indicateurs du niveau d’exigence attendu. Dans ceux du CAPES
externe de 201848, il est noté que « la connaissance de la langue et la capacité à mobiliser ses
connaissances universitaires pour expliquer son fonctionnement sont autant de
caractéristiques attendues chez un enseignant » (p.4), et que « les candidats doivent garder à
l’esprit que le concours recrute de futurs enseignants qui se doivent d’incarner des qualités
linguistiques pouvant servir de modèle à leurs élèves » (p.65). Ceci reste donc assez flou, tout
comme cette citation extraite des rapports de jury du CAPES externe 2019 (p. 64) : « Il va sans
47
BO du 25 juillet 2013 : http://www.education.gouv.fr/cid73215/le-referentiel-de-competences-des-
enseignants-au-bo-du-25-juillet-2013.html
48
Voir les rapports de jury du CAPES externe d’anglais 2018 :
http://saesfrance.org/wp-content/uploads/2018/08/rapport-capes-anglais-2018.pdf
73
dire qu’il est attendu du candidat une excellente maîtrise de la langue anglaise, tant à l'oral
qu'à l'écrit, ceci même s'il n'est pas natif lui-même ». On peut également aisément imaginer
qu’il existe des différences flagrantes en termes de maîtrise de la langue anglaise entre le
premier et le dernier quart des 1418 admis au CAPES d’anglais en 2019.
Selon Capliez (2011), les enseignants ont des connaissances limitées, voire pour certains
inexistantes, en phonétique ou phonologie de l’anglais. Ce constat est particulièrement
problématique car ils doivent recourir à la phonétique en classe, notamment pour aider les
élèves à faire le lien entre la graphie et la phonie. Cette carence devrait être amenée à
progressivement disparaître chez les futurs enseignants. En effet, avec la mise en place au
Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement du Second degré (CAPES) d’une
épreuve d’admissibilité testant leurs connaissances en phonétique et phonologie de l’anglais
à compter de la session 2022, ceux-ci vont désormais devoir se former.
Les erreurs
Si de nombreux ouvrages (Quivy & Tardieu, 2002 ; Tardieu, 2008, Tardieu, 2014) et
textes institutionnels à l’instar du CECRL (Conseil de l’Europe, 2005) s’intéressent aux
erreurs linguistiques des élèves et des apprenants en général, peu sont consacrés aux erreurs
faites par les enseignants, notamment dans le cadre de leur production orale. Quivy et Tardieu
(2002, p. 138-139) présentent plusieurs typologies des erreurs (Coudurier, 1987 ; Schanen &
Confais, 1986 ; Larson Freeman & Long, 1991 ; Huart, 2002) faites par les élèves.
74
Auteurs Champs d’erreurs Précisions
Coudurier (1987) Erreur par rapport au sujet parlant Décalage entre les registres
socioculturels ou intellectuels, niveau de
langues, etc.)
Erreur par rapport à l’extralinguistique Erreurs de référence, calques hâtifs, etc.
Erreur par rapport au message Méconnaissance des techniques
d’expression, de fonction de la langue,
etc.
Erreur par rapport au raisonnement Agencements, enchaînements logiques
Erreur par rapport à la cohérence de la Tout ce qui enfreint la convention du
langue code linguistique
Schanen & Confais Erreur par rapport à la langue-code
(1986) Erreur par rapport aux aptitudes
d’énonciation de l’« encodage » et du
« décodage »
Erreur par rapport à la situation
d’énonciation
Larson Freeman & Erreurs linguistiques De type calque
Long (1991) Interlinguistique Liées à la généralisation d’une règle
Extralinguistique Liées à la situation de communication
Huart (2002) Phonologie articulatoire Réalisation des segments
Suprasegmental Accents, rythme
Prise en charge des énoncés Intonation, jeu des accents en discours
Tableau 2.2. Typologies d’erreurs selon Coudurier (1987), Schanen & Confais (1986), Larson Freeman &
Long (1991) et Huart (2002)
Quivy et Tardieu (2002) proposent de retenir « une typologie simple » prenant appui sur celle
de Larson Freeman et Long : les erreurs interlinguistiques de type calque, les erreurs
intralinguistiques liées à la généralisation d’une règle et les erreurs extralinguistiques liées à
la situation de communication (en gras dans le tableau 2).
75
Selon les rapports de jury 2019, les erreurs les plus récurrentes à l’oral sont « des déplacements
d'accents lexicaux ou de mauvaises réalisations de phonèmes » (p. 68), et le « rythme » (p.
67) de la chaine parlée est une difficulté majeure pour de nombreux candidats :
L'un des plus gros problèmes des francophones avec l'anglais oral est le rythme, qui
est très différent de celui du français, puisqu'il est formé par l'alternance entre des
syllabes accentuées (accents lexicaux) et des syllabes inaccentuées, entraînant bien
souvent des réductions vocaliques. Les locuteurs natifs ont de fait davantage de
difficultés à comprendre un discours où l'accentuation n'est pas suffisamment
authentique, trop monocorde, qu'un discours où les consonnes ou voyelles sont moins
bien réalisées. Il existe un nombre important de règles (et exceptions), dont beaucoup
fondées sur l'identification des terminaisons ou suffixes des mots, que les (futurs)
professeurs d'anglais devraient connaître.
• Quelle typologie retenir pour les erreurs des enseignants d’anglais novices ?
Les erreurs faites par les candidats durant les épreuves du concours émanent de leurs
fragilités linguistiques mais peuvent également être déclenchées par les émotions fortes et
contrastées qu’ils ressentent à cette occasion. On peut imaginer que certaines situations qu’ils
vivent en classe, notamment lorsqu’ils ne parviennent pas à gérer l’imprévu, déclenchent des
émotions vives les amenant à faire des erreurs de nature similaires à celles recensées les
membres des jurys. Pour cette recherche, une typologie issue de la combinaison des erreurs
recensées dans les rapports de jury 2018 et de la typologie de Larson Freeman et Long (1991),
sera utilisée :
76
Erreurs linguistiques Calque lexical / grammatical / syntaxique / phonologique
(Lexique /grammaire / syntaxe/ (notamment intonatif)
prononciation/ phonologie)
Erreurs lexicales Confusions effet/cause
Confusion lexicale
Erreurs de grammaire /syntaxe Syntaxe des interrogatives directes
Aspects utilisés à mauvais escient
Détermination fautive
« -s » parasites ou absents
Syntaxe : place des adverbes ; non maîtrise de l’ordre des
compléments
Calques syntaxiques
Prépositions
Relatifs
Déterminants possessifs, pronoms réfléchis
Prononciation /phonologie Déplacements d’accents
Réalisation erronée de certains phonèmes
Erreur prosodique (accentuation de mots grammaticaux ; intonation
montante en fin de phrase)
Erreurs Interlinguistiques Liées au calque avec le français
Erreurs extralinguistiques Liées à la situation de communication
Tableau 2.4. Typologie des erreurs présentes dans le discours des enseignants d’anglais novices
Figure 2.4. Méthodes et approches de l'enseignement de l'anglais (d’après Tardieu, 2008, 2014)
77
Selon Tardieu (p. 13) :
Ces changements de textes officiels semblent imprimer un mouvement de balancier
entre des approches directes, centrées essentiellement sur l’objectif pratique
(méthodes directe, audiovisuelle et dans une certaine mesure, actionnelle) et des
approches indirectes qui, sans abandonner l’objectif pratique, visent également la
formation culturelle et intellectuelle de l’apprenant « (méthode active, approche
communicative.)
79
Adaptation des formes linguistiques à la situation de
communication et à l’intention de communication (ou
fonction langagière)
Approche cognitiviste mais persistance de
l’apprentissage behavioriste (pédagogie dite de
l’encouragement).
Statut de la langue :
Instrument de communication, d’interaction sociale.
Ensemble de notions et de fonctions, moyen de
communication authentique, outil à maîtriser
Outils :
Utilisation de documents authentiques préconisée
Activités privilégiées :
Jeux de rôles, simulations, résolution de problèmes,
etc.
Interactions élèves ó élèves
Travail en dyades, triades, petits groupes, etc.
Tableau 2.5. Caractéristiques des cinq dernières méthodes et approches de l’enseignement de l’anglais et
impact sur le positionnement et le discours de l’enseignant (d’après Tardieu (2014, 2008), Quivy &
Tardieu (2002) ; Puren & Galisson (1988) ; Germain (1993).
80
Étonnamment, même si le français n’est plus banni des cours d’anglais depuis l’avènement de
l’approche communicative, les enseignants confirmés et novices tentent de l’exclure et se
sentent coupables dès lors qu’ils l’utilisent. Pour Tardieu (2014, p. 13), il s’agit « d’éléments
de méthodes qui persistent alors qu’ils sont censés avoir disparu ». Elle évoque alors un
phénomène de « rémanence ».
49
https://www.education.gouv.fr/bo/15/Special11/MENE1526483A.htm?cid_bo=94717
50
https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages
51
https://rm.coe.int/cecr-volume-complementaire-avec-de-nouveaux-descripteurs/16807875d5
82
Instructions Tolèrent « ponctuellement l’utilisation du français pour donner des explications
Officielles de 1996 d’ordre grammatical ou pour s’assurer d’une conceptualisation profitable »
(IO citées par Castellotti, 2001, p.15)
Pour s’assurer de la compréhension de tous lors de l’explication de concepts
BO n° 11 du 26 Cycle 3 : Les activités langagières en langue vivante étrangère et régionale sont
novembre 2015 l'occasion de poursuivre le travail de comparaison du fonctionnement de la langue
cible avec le français, entamé au cycle 2
Cycle 4 : les élèves sont invités à « mettre en relation » les deux langues qu’ils
apprennent au collège, ou à les confronter au français, afin comparer leur
fonctionnement, les convergences ou différences des démarches, les transferts de
stratégie.
BO n°1 du 22 janvier Classe de 2nde et cycle terminal
2019 L’élève est conduit à mobiliser ses connaissances de la langue française et des
autres langues qu’il connaît afin de mieux saisir la différence ou la proximité́ avec la
langue étudiée. La comparaison entre les langues et leurs systèmes respectifs favorise
une approche plurilingue de l’apprentissage.
La L1 peut servir de point d’appui pour comparer des notions : « trouver en L2 le bon
équivalent d’une catégorie notionnelle en L1 » (p.104) et des phonèmes (p.104 -105)
§6.4.1 p.110-111
On attend des apprenants qu’ils acquièrent /apprennent une L2 selon l’une des
modalités suivantes :
f. par une combinaison de présentations, d’explications, d’exercices (mécaniques) et
d’activités d’exploitation, le tout conduit en L2
g. mais en utilisant la L1 pour l’organisation de la classe, les explications, etc. […]
mais en réduisant progressivement l’usage de la L1, en proposant plus de tâches et
de textes authentiques oraux et écrits et en augmentant la part d’étude individuelle.
83
Note : Dans le cas d’une médiation en plusieurs langues, les utilisateurs peuvent
souhaiter compléter le descripteur en spécifiant les langues concernées (p118)
Traduire à l’oral un texte écrit est une activité́ complètement informelle qui n’a rien
d’inhabituelle dans la vie personnelle et professionnelle de tout un chacun. Il s’agit
de traduire oralement, de façon spontanée, un texte écrit, souvent un message, une
lettre, un courriel ou toute autre communication (p.117)
Prise en compte du plurilinguisme
L1 pour comparer les systèmes
Pour faciliter l’accès à la compréhension
Pour gérer la classe
Tableau 2.6. Place du français dans les I.O. de 1996, 2015, 2019 et dans le volume complémentaire du
CECRL (2018)
84
consécutive, d’une phrase à l’autre, d’une partie du discours à une autre ou dans l’alternance
des tours de parole, en respectant les règles linguistiques de chacune des langues. L’alternance
intraphrastique, intrasententielle ou intraphrase correspond à l’introduction d’un mot ou un
groupe de mots d’une langue différente de celle de la phrase dans laquelle il est inséré. Kathi
(1992) nomme alternance intralexicale l’usage conjoint de morphèmes issus de deux langues
différentes à l’intérieur d’un même élément lexical, (Anciaux, 2003, p. 30). Dans le cas de
l’alternance extraphrastique – aussi appelée « alternance emblématique » par Khati (1992) –
des segments correspondant à des proverbes ou des expressions idiomatiques dans une autre
langue sont intégrés dans une phrase, ou d’une phrase à une autre (Anciaux, 2003, p. 30).
L’AC peut être le fait d’un locuteur en particulier – “Code-switching is generally thought of
as the use of more than one linguistic variety, by a single speaker in the course of a single
conversation” (Heller & Pfaff, 1996, p. 595) – ou peut intervenir entre plusieurs interlocuteurs,
à tout moment d’une conversation (Myers-Scotton, 1992). Les locuteurs vont utiliser deux
codes indépendants l’un de l’autre, sans en avoir forcément conscience, dans un seul et même
discours, à l’intérieur d’un tour de parole (Clyne, 1987 ; Gearon, 2006). Anciaux précise que
l’AC peut être définie en fonction des locuteurs :
Lorsqu’un même locuteur utilise de manière conjointe deux ou plusieurs variétés
linguistiques dans un même énoncé, on peut définir ce phénomène d’alternance
intralocuteur ou intra-intervention, à la différence de l’alternance interlocuteur ou
inter-intervention, qui s’applique lorsqu’un individu parle dans une langue et qu’un
autre lui répond dans une autre langue, « quand la rupture de langue se situe au moment
où la parole passe à l’autre » (Ehrhart, 2002, p. 1414). On parle également pour
l’alternance interlocuteur de changement de langue quand il y a « adoption dans une
interaction verbale et lors d’un nouveau tour de parole, d’une variété linguistique
différente de celle de son interlocuteur. (Ntahonkiriye, 1999, p. 90).
Selon Gumperz (1989, p. 77-78), dans un objectif de clarté, certains locuteurs peuvent être
amenés à répéter dans une langue un énoncé produit dans une autre. Ceci sert à « amplifier ou
à faire ressortir » le message de départ. Ceci est particulièrement pertinent dans le cas des
enseignants d’anglais novices qui tendent à traduire leurs propos sans même que les élèves
aient manifesté des signes d’incompréhension.
L’AC peut également intervenir à l’écrit, et de l’écrit vers l’oral ou vice versa. On peut tout à
fait imaginer un enseignant écrivant une phrase en anglais au tableau et la commentant en
français, par exemple.
Le tableau suivant compile les différents types d’AC exposés précédemment et présente les
nomenclatures retenues pour cette recherche :
85
Nomenclatures retenues Description
AC interphrastique Changement de code consécutif, d’une phrase à l’autre, d’une partie du
discours à une autre ou dans l’alternance des tours de parole
AC intraphrastique Introduction d’un mot ou un groupe de mots d’une langue différente de
celle de la phrase dans laquelle il est inséré
L’AC extraphrastique Introduction de proverbes ou expressions idiomatiques d’une autre langue
dans une phrase, ou d’une phrase à une autre
AC intralocuteur ou intra- Un même locuteur utilise de manière conjointe deux ou plusieurs variétés
intervention linguistiques dans un même énoncé
AC interlocuteur ou inter- Un individu parle dans une langue et un autre répond dans une autre langue
intervention
AC traductive Répétition d’un énoncé dans une autre langue dans un but de clarté,
d’amplification
AC écrit / oral Changement de code entre l’écrit et l’oral
Tableau 2.7. Récapitulatif des types d’alternances codiques et des nomenclatures retenues.
Lorsqu’on observe des cours d’anglais, on s’aperçoit que le recours à l’AC est extrêmement
fréquent chez les enseignants, quel que soit leur niveau de maîtrise de l’anglais et quelle que
soit leur méthodologie d’enseignement. On peut alors s’interroger sur la raison d’être de l’AC
dans les cours d’anglais dont l’objectif annoncé est de communiquer dans cette langue cible
(Castellotti, dans Castellotti (dir.), 2001).
86
l’utilisateur « actif » qui l’utilise de sa propre initiative ou en réponse aux élèves s’adressant
à lui dans cette langue. On peut faire l’hypothèse que les enseignants novices d’anglais, dont
les gestes professionnels sont en cours d’acquisition, pourront être des utilisateurs actifs.
On trouve en classe les différents types d’AC : l’AC de type intraphrastique avec insertion de
quelques mots isolés, voire un véritable panachage au sein de la même phrase (Ehrhart, 2002),
l’AC interphrastique avec l’ajout de phrases complètes en français faisant suite à des
explications en anglais (L2), ainsi que des cas d’AC extraphrastique avec introduction
d’expressions figées idiomatiques. Ceci peut paraître surprenant car le recours au français a
longtemps été considéré comme « les indices d’un déficit, d’un manque, d’une incapacité, tant
des élèves, du point de vue de leurs compétences, que de l’enseignant, du point de vue de son
aptitude à assurer et à maintenir un mode de communication et de régulation monolingue »
(Castellotti p. 18 dans Castellotti (dir.), 2001). On peut alors s’interroger sur les raisons qui
amènent les enseignants à y recourir et si ce recours disparaît lorsque le niveau de maîtrise
des élèves augmente. La dimension artificielle du cours de langue (Castellotti, 2001 ;
Castellotti & De Carlo,1995/2001) dans lequel la « langue officielle » (Pochard, 1997) devient
la L2 peut favoriser l’AC. Enseignants et élèves vont jouer à utiliser la L2 mais les intentions
de communication prennent parfois spontanément forme en français surtout en début
d’apprentissage (Castellotti, dans Castellotti (dir.), 2001). Causa (1997) souligne que l’AC
n’est pas l’apanage des cours de débutants et que les enseignants la pratiquent également avec
des apprenants de niveau « moyen-avancé », mais de façon différente : « sa récurrence se fait
plus rare », « son flux discursif change », et le recours aux « reformulations » ou au « parler
bilingue » (cf. ci-dessous) prennent fin.
La recherche en didactique des langues montre que les enseignants changent de code en classe
selon la situation et pour des raisons diverses. Le recours à l’AC varie en fonction du degré
87
de compétence des apprenants, de la nature des activités (Castellotti, 1997 ; 2001), du profil
pédagogique (Garabédian & Lerasle, 1997 ; Castellotti, 2001), de la méthodologie de
l’enseignant (Pochard, 1997) et du contexte d’apprentissage (Castellotti, 2001). Pour Causa
(1996, p. 12), les enseignants recourent à l’AC pour répondre à trois besoins : « pallier un
obstacle d’apprentissage », « répondre à un besoin d’ordre essentiellement interactionnel » et
pour « exprimer [leur] volonté de s’intégrer », créer une culture commune enseignant-élèves,
des moments de connivence. D’autres chercheurs, à l’instar de Kramsch (1984), Castellotti
(2001) Anciaux (2003), ou Ehrhart (2002) voient en ce recours plusieurs fonctions : didactique
ou « tremplin » (Moore, 1996 ; 2001), communicative ou « relais » (Moore, 1996 ; 2001),
« régulative » (Kramsch, 1984), et psychologique que j’appellerai « relationnelle-
émotionnelle ».
88
Dans ce cas, l’AC est en relation avec les savoirs visés et elle peut alors faire l’objet d’un
« contrat didactique » entre l’enseignant et ses élèves (Anciaux, 2003, p. 44).
Pour Causa (1996, p. 3), les enseignants changent de code dans un but « contrastif », pour
comparer les langues et leurs systèmes. La stratégie contrastive est la « mise en relation
explicite des systèmes linguistiques en présence pour en relever les points communs et les
différences ». L’un est déjà intériorisé car il s’agit de celui de la L1. On trouve deux
caractéristiques dans la stratégie contrastive : les alternances sont marquées par des phrases
ou mots introductifs (« en français on dit … » ; « à la différence du français …» ; « c’est-à-
dire … »)52 et cela concerne le métalangage « aussi bien au niveau lexical qu’aux niveaux
syntaxique et morphologique » (Causa, 1996, p. 3). Pour résumer, la comparaison
interlinguale ou stratégie contrastive permet à l’enseignant de pallier un obstacle
d’apprentissage, de s’assurer que les élèves ont compris le sens d’un énoncé en leur demandant
de le traduire, ou d’expliquer des structures morphosyntaxiques en passant lui-même par la
traduction.
• Répondre à un besoin d’ordre interactionnel : la fonction communicative
Selon Causa (1997, p. 458), les enseignants peuvent recourir à l’AC de façon involontaire. Ce
changement de code prend alors « une valeur sémantique importante au niveau discursif et au
niveau conversationnel ». Elle nomme « stratégie d’appui » cette utilisation de la L1 par
l’enseignant. Moore (1996 ; 2001) parle d’« alternances relais » servant à faciliter la
progression de la communication et qui sont « davantage centrées sur la construction du sens »
(Moore, 1996, p. 115-116). La stratégie d’appui décrite par Causa (1996, 1997) se différencie
de la stratégie discursive car « les passages d’une langue à l’autre ne sont pas marqués mais
dynamiques (Lüdi & Py, 1986), et en outre, ils ne relèvent pas uniquement de la langue à
apprendre mais aussi du discours « naturel » tel qu’on le retrouve dans les interactions
ordinaires » (Causa, 1996, p. 4). En employant la L1, code commun à tous les élèves,
l’enseignant facilite l’accès à la L2 et s’assure ainsi que tous comprennent, sans avoir à passer
par « une réduction » ni par une « amplification » en L2, ce que reprend également Castellotti
(dans Castellotti (dir.), 2001, p15-16). Pour cette dernière, « l’artificialité de la situation
52
Extraits du corpus de Causa (1996)
89
scolaire d’enseignement/apprentissage » fait qu’il n’est pas étonnant que « certaines au moins
des intentions de communication des élèves, mais aussi parfois des enseignants, prennent
forme dans la langue première ». En effet, le fait que la L1 soit la langue de l’institution,
commune et maîtrisée de tous, « encourage ‘naturellement’ son utilisation » (p. 15-16).
La stratégie d’appui est généralement utilisée lorsque le vocabulaire fait défaut dans la L2,
pour ne pas interrompre la communication, ce que Moore (1996) qualifie de « bouée
transcodique ». Causa (1996, p. 6) distingue trois formes de stratégie d’appui : les activités de
reprise – parmi lesquelles on compte les répétitions et les reformulations , les achèvements et
le « parler bilingue » – recours aux exclamations, aux incises et à l’alternance codique pure :
Les reprises sont les plus fréquemment utilisées. L’enseignant répète ou reformule alors en
L1 ce qu’il a dit en L2. Selon Vion (1992, p. 215, cité par Causa, 1996, p. 6), une répétition
est la reprise de la même séquence « sans qu’aucune modification linguistique n’affecte le
verbal ». Les traductions « mot à mot » d’un item lexical ou d’une phrase minimale sont donc
considérées comme des répétitions. Lorsqu’elles surviennent de la L2 vers la L1 elles facilitent
la mémorisation, et dans le cas inverse, elles permettent d’assurer la compréhension et l’input
(Causa, 1996, p. 6). Les répétitions peuvent avoir une forme et un objectif différents (p.7).
Dans le cas d’une auto-répétition auto-déclenchée, l’enseignant répète ce qu’il vient de dire
dans l’autre langue dans le but d’être certain que tous les élèves ont compris, dans un objectif
de contrôle (Castellotti, p.20, dans Castellotti (dir.), 2001). Il peut aussi répéter ce qu’il a dit
en réaction à l’intervention ou au silence d’un élève, il s’agit alors d’une auto-répétition
hétéro-déclenchée. Il arrive que l’enseignant répète ce qu’un élève vient de dire. Le but de
90
cette hétéro-répétition est de valider la production de l’élève, de la légitimer aux yeux du
groupe classe. Ceci permet à l’enseignant de reprendre sa position haute (Kerbrat-Orecchioni,
1990, cf. 2.5.1).
La reformulation est une activité de reprise « avec modification(s) de propos antérieurement
tenus » (Vion, 1992, p. 219, cité dans Causa, 1996, p. 8). On retrouve ici une typologie
similaire à celle des répétitions, avec des auto-reformulations et des hétéro-reformulations. Le
recours à cette alternance survient quand l’enseignant veut s’assurer qu’il est compris de tous.
Dans le cadre d’une hétéro-reformulation, tout comme pour la répétition, cela permet d’aller
droit au but et donc de gagner du temps (principe d’économie).
Lorsqu’un enseignant ne parvient pas à terminer un énoncé et ne trouve pas de stratégie de
substitution (montrer une image, faire une mimique ou un geste), il peut alors terminer sa
phrase en L1 pour ne pas interrompre son activité. Causa nomme cette stratégie d’appui
« achèvement ». Les achèvements sont beaucoup moins fréquents que les reprises (répétitions
et reformulations).
La dernière stratégie d’appui définie par Causa (1996, 1997) est le « parler bilingue ». L’AC
s’effectue dans ce cas de façon « fluide », le flux discursif n’est pas interrompu car les
changements de codes ne reprennent pas ce qui a été énoncé précédemment (1997, p. 460).
Pekarek (1999) considère que ce recours à l’AC a une « fonction compensatoire », ce qui
corrobore la thèse de Lüdi (1999, p. 41, cité dans Duarte, 2010, p. 70) pour qui « plus
l’engagement personnel de l’apprenant est grand, plus il exploite ses ressources
communicatives jusqu’à la limite, plus il utilise de formulations transcodiques et plus il
apprend ». Le « parler bilingue » intègre les exclamations et les régulateurs d’interaction
(Kerbrat-Orecchioni, 1990, p. 188), les incises, et l’AC « pure » (1996, p. 10- 12). Les
exclamations et les régulateurs d’interaction ont souvent une « fonction d’évaluation positive
[…] ou bien d’ouverture/clôture d’une séquence thématique ». Ils permettent également de
« partager, exprimer un état d’âme vis-à-vis du quotidien de l’interlocuteur ». Les incises,
caractérisées par une intonation descendante et une accélération du débit – processus
prosodique aussi appelé parenthétisation par Guimbretière, (p. 26, dans Tellier & Cadet, 2014)
– peuvent correspondre à des commentaires de nature métalinguistique. Lors de l’AC « pure »,
l’enseignant passe d’une langue à l’autre sans changer d’intonation ou de débit dans le cadre
d’une interaction ordinaire. Le parler bilingue fait également partie de la dimension
relationnelle-émotionnelle de l’AC dont nous parlerons plus bas.
91
Pour conclure, les recours à l’AC ont :
Généralement un rôle de vérification et/ou de conformation de la compréhension en
anticipant le plus souvent d’éventuels appels à l’aide des apprenants. Ces marques se
combinent aux différents procédés constitutifs des discours de la classe de langue
(reprises, rappels, reformulations, appréciation, …) ; ces dispositifs se complètent
pour faire acquérir plus de poids à certains segments ou à certaines formulations.
(Castellotti, p.20, dans Castellotti (dir.), 2001).
Le tableau suivant résume les différentes stratégies d’appui de Causa (1996), énoncées
précédemment :
Types de Formes Natures Descriptions Objectifs
stratégies
d’appui
Auto- Auto L’enseignant répète ce S’assurer d’être compris
répétition déclenchée qu’il a dit
Hétéro- L’enseignant répète en S’assurer d’être compris
déclenchée réaction à l’intervention ou
Répétition
au silence d’un élève
Hétéro- Auto- L’enseignant répète et Légitimer la parole de
répétition déclenchée donc confirme ce que l’élève. Parole d’autorité,
l’élève a dit position haute
Auto- Auto- L’enseignant répète ce S’assurer d’être compris
refomulation déclenchée qu’il a dit
Hétéro- L’enseignant répète en S’assurer d’être compris
déclenchée réaction à l’intervention ou
Reformulation
le silence d’un élève
Hétéro- Auto- L’enseignant répète et Légitimer la parole de
reformulation déclenchée donc confirme ce que l’élève. Parole d’autorité,
l’élève a dit position haute
Auto- Auto- Après une pause hésitation, Pour ne pas interrompre
Achèvement achèvement déclenchée l’enseignant auto-achève l’activité en cours
son énoncé en L1
Exclamation / Très bien ! Bravo ! Évaluer positivement ;
Régulateur / Bon … ; Ben …, Alors …, Ouvrir/clore une
d’interaction Voilà ! séquence thématique
Incise / Intonation descendante,Commentaire
Parler bilingue accélération du débit
métalinguistique,
(parenthèse orale) interaction plus naturelle
avec registre différent
AC « pure » / Degré de contrôle minimal Métalangage
Interactions ordinaires
Tableau 2.8. Types, descriptions et objectifs des stratégies d’appui (d’après Causa, 1996, p. 8-9)
• La fonction régulative
Selon Castellotti (2001) les enseignants de langue étrangère (L2) utilisent l’AC et parlent
français en cours pour faire de la gestion de classe, c’est-à-dire recadrer l’attention ou le
comportement des élèves lorsque celui-ci déroge à la règle (prise de parole intempestive,
bavardages, insolences, etc.). Le « maintien de la discipline » fait partie de la « fonction
régulative », qui, pour Kramsch (1984, p. 74), devrait être « prise en charge le plus tôt possible
92
par la langue étrangère grâce à un apprentissage systématique des formes linguistiques et des
comportement requis [...] ». Cependant, on constate que les enseignants de L2 tendent à
recourir davantage à la L1 pour faire de la gestion de classe (Anciaux, 2003, p. 21). Anciaux
(2003, p. 51) fait remarquer que « l’emploi de deux ou plusieurs langues, et de leur variété,
de manière alternée ou mélangée peut servir, d’un côté, de leviers à l’apprentissage de
nouveaux savoirs (Causa, 2007), et d’un autre côté, d’aide à la gestion de la communication
et du déroulement de la séance en classe ». On comprend ici que l’interruption de l’anglais et
le changement de code – vraisemblablement accompagné d’une modification du registre tonal,
est un atout car il signifie aux élèves que le message est important. On sort alors de
« l’artificialité » du cours de langue (Castellotti, 2001) pour faire des « parenthèses
temporelles » (Cicurel, 2011, p. 89) : les élèves doivent réagir aux injonctions de l’enseignant
pour que le cours puisse reprendre. Ces interventions en français sont généralement des
injonctions. Les incises sont l’occasion pour l’enseignant de faire passer un message à un
élève ou au groupe classe, et ainsi de se repositionner en tant que parole d’autorité. Ces
taxèmes de position haute, « donneurs de place » (Kerbrat-Orecchioni, 1990) renforcent la
hiérarchie des rapports enseignants-élèves.
93
“comic relief53” au théâtre. On sort alors du discours prescriptif et des taxèmes de positions
hautes. On trouve dans ces moments des incises, et des « interactions ordinaires » ou
« alternances codiques pures » (Causa, 1996) dans lesquelles intervient un changement de
registre (relâché, humoristique…). Les exclamations permettent de partager et « d’exprimer
un état d’âme vis-à-vis du quotidien de l’interlocuteur » (Causa, 1996, p. 10).
Ci-dessous un tableau récapitulatif fait la synthèse des différentes fonctions de l’AC ainsi que
de la nomenclature qui sera retenue :
53
Comic relief is a literary device used in plays and novels to introduce light entertainment between tragic scenes.
It is often used in the shape of a humorous incident, a funny incident, a tricky remark or a laughing commentary.
It is deliberately inserted to make the audiences feel relief. https://literarydevices.net/comic-relief/
94
• Le cas des enseignants d’anglais novices
Les enseignants d’anglais novices, à l’instar de leurs collègues plus expérimentés, recourent
à l’AC. Ils le font pour les raisons précédemment mentionnées, mais aussi car ils ne maîtrisent
pas encore suffisamment les gestes professionnels inhérents à leur discipline. Il est par
exemple plus simple de traduire un concept que de trouver une stratégie de contournement
pour que les élèves en déduisent le sens par inférence. Pour Wantz-Bauer (dans Castellotti,
2001, p. 48), l’usage de l’AC chez les apprenants peut être un « indice de
dysfonctionnement ». Soucieux de ne pas rompre la chaîne parlée, ils vont insérer un mot en
français dans leur production. Les PS étant des enseignants apprenants, on peut alors se
demander si leur recours fréquent à l’AC n’est pas un indice de
dysfonctionnement psycholinguistique (Gauthier, 1987), notamment lorsqu’ils ne parviennent
pas à gérer les situations imprévues tant aux niveaux didactique, pédagogique, qu’émotionnel.
On comprend ici que le translanguaging est une philosophie politique du plurilinguisme qui
ne correspond pas vraiment aux textes officiels régissant l’enseignement des langues en
95
France. Si les enseignants de L2 s’appuient sur le répertoire linguistique de leurs élèves, ce
n’est aujourd’hui que dans un objectif contrastif, pour comparer des systèmes. Il s’agit alors
d’AC.
Définition de scénario
Les dictionnaires donnent des définitions variées du terme « scénario ». Tous
soulignent son lien avec les domaines artistiques – notamment cinématographique –, les
domaines de la gestion, de l’informatique et de l’ergonomie (scénario de navigation). Ils
s’accordent également sur son aspect de « plan d’action » que l’on retrouve dans cette
définition du CNRTL54 : « Déroulement concerté, préétabli, d’une action, d’un événement,
d’un projet, etc.». Son utilisation dans le domaine de l’enseignement est plus récente, et est
marqué par l’arrivée du CECRL et de l’approche actionnelle au début des années 2000. On le
trouve alors, en didactique des langues, associé à des termes liés à l’enseignement comme
dans les expressions « scénario pédagogique », « scénario d’apprentissage ».
« Scénario » est également utilisé dans les domaines de la linguistique pragmatique et de la
psychologie, nous y reviendrons en 3.6.
En psychologie
La recherche en psychologie utilise indifféremment les termes « scénario » et
« script » (De Bonis, 1996, p. 178 ; Cosnier, 1994, p. 162). Pour De Bonis (1996, p. 178), les
scénarios ou scripts « sont des enchaînements de séquences stéréotypées de la vie quotidienne.
Ils contiennent un petit nombre d’informations, nombre cependant suffisant pour prédire ou
expliquer un comportement émotionnel ». Cosnier (1994, p. 162) définit script comme
54
https://www.cnrtl.fr/lexicographie/scénario
96
« (synonyme : schème, scénario) « modèle séquentiel de comportements correspondant à des
situations sociales à finalité précise (« site »), intériorisé par l’individu qui y fait appel
quotidiennement pour organiser ses conduites. Ex : le script du client de restaurant, le script
de l’agent de police, le script de l’usager de métro, etc. »
Ces définitions sont pertinentes pour cette recherche car les enseignants d’anglais novices ont
intégré un certain nombre de représentations stéréotypées en lien avec leur prise de fonction,
à l’instar du script du professeur d’anglais stagiaire, script du professeur d’anglais néotitulaire,
script de l’entrée en cours d’anglais, script du bon élève, etc. Ces scripts prototypiques qu’ils
ont intériorisés sont présents dans leur discours.
97
Enfin, elle est reliée à un « domaine » (« grands secteurs de la vie sociale ») qui
permet de définir l’arrière-plan thématique et culturel du scénario.
Mangenot (2008) en donne la définition suivante, qu’il lie à l’utilisation des nouvelles
technologies (TICE) :
Dans le domaine de la formation en ligne (quelle que soit la discipline), on appelle
scénario une planification la plus précise du déroulement d’un cours ou d’une partie
de cours ; la métaphore est alors celle du cinéma. On est très proche du sens de
« tâche » : on aura noté qu’Ellis parle de « plan de travail ». Étant donné qu’une
formation en ligne, dans un idéal socioconstructiviste, doit donner lieu à des
interactions et que celles-ci doivent être planifiées, on pourrait considérer que le
scénario pédagogique équivaut à une tâche à laquelle s’ajoute un scénario de
communication […]
En pédagogie des langues, on entend souvent par « scénario » une simulation du
monde réel. Un des atouts d’Internet est d’amener le monde réel dans la classe […]
Il propose également une définition dans laquelle scénario est « un synonyme de « jeu
de rôle ». Tandis que dans la simulation, on tient son propre rôle dans une situation
imaginée d’après la vie réelle, dans le jeu de rôle, on endosse un rôle fictif dans une
situation fictive, celles-ci pouvant être proche ou non de la vie réelle.
Pour Paquette (2007), le concept de scénario est « un ensemble ordonné d’activités, régies par
des acteurs qui utilisent et produisent des ressources ».
Le versant TICE du terme « scénario » ne sera pas abordé dans cette recherche.
2.8. Conclusion
Le discours (Maingueneau, 2009, p. 45) des enseignants d’anglais novices, au cœur du
polylogue institutionnel (Bouchard, 2005, p. 3) enseignant-élèves, s’inscrit dans le respect des
textes, instructions officielles et méthodes/approches du moment. Si ces textes, instructions et
méthodes/approches définissent des contenus didactiques et pédagogiques attendus, ils ne font
étrangement pas référence à un niveau de compétences requis en anglais pour enseigner. La
98
réussite au concours fait alors office de validation d’un niveau de maîtrise, mais les rapports
de jurys signalent que les erreurs persistent. Chaque enseignant possède donc sa propre norme
langagière, utilisée dans le discours-en-interaction (Kerbrat-Orecchioni, 2005) qu’il a avec ses
élèves, participants ratifiés (ratified). Ceux-ci, qu’on peut qualifier d’interactants, prennent la
parole à tour de rôle selon des règles établies. Les sept pôles définis par Bigot (2018), d’après
le modèle SPEAKING de Hymes (1962), permettent d’analyser les interactions enseignant-
élèves. Ainsi l’agencement de la salle de classe, le nombre d’élèves et la relation que
l’enseignant entretient avec eux (position haute ou basse), le degré de formalité, la nature et
le but des échanges, mais aussi la méthode ou l’approche pédagogique adoptée, influencent le
discours de l’enseignant et les interactions. Si tous les enseignants doivent apprendre à utiliser
leur voix professionnelle, et notamment différents procédés rhétoriques à l’instar du bon usage
de la prosodie, les enseignants d’anglais novices sont confrontés à une difficulté
supplémentaire : ils doivent apprendre à le faire en français (L1) et en anglais (L2) et parvenir
à passer d’une langue à l’autre, ce qui n’est pas sans engendrer de difficulté vocale
(Guimbretière, 2014). Pour « faciliter » l’accès à la compréhension des élèves, certains
n’hésitent pas à recourir à une interlangue professorale, sorte d’anglais de classe non
authentique. Pour faciliter la compréhension – lexique, grammaire, phonologie, fait
culturel,etc. – les enseignants d’anglais recourent à l’alternance codique. Ce changement de
code est toléré et inscrit dans les textes officiels depuis l’avènement de l’approche
communicative, mais tend à être pratiqué « clandestinement » par les enseignants qui estiment
toujours être sous le joug du « no French », survivance de l’approche audiovisuelle (Tardieu,
2014). La notion de script prototypique est particulièrement intéressante pour cette recherche
car elle laisse entendre que le discours des enseignants est le fruit d’un script préalablement
élaboré, notamment par la prescription institutionnelle (ex : le tout anglais) à laquelle les
enseignants en formation initiale sont, ou pensent être, confrontés.
99
Le chapitre 2 en bref
*Le discours (Maingueneau, 2009) des enseignants respecte les textes officiels et les
méthodes/approches du moment.
*Le niveau du CECRL requis pour enseigner l’anglais n’est pas précisé.
*La réussite au concours sert de garant du niveau de maîtrise, mais grande disparité entre
les premiers et les derniers lauréats => erreurs récurrentes au concours.
*Le cours d’anglais est un polylogue institutionnel (Bouchard, 2005). Les élèves (public
captif) sont tous des participants ratifiés et prennent la parole selon des règles établies.
*Les enseignants novices doivent utiliser leur voix professionnelle (présence vocale,
prosodie) en français et en anglais.
*Survivance du tout-anglais mais omniprésence de l’alternance codique.
* Scénario pédagogique : plan d’action élaboré par les enseignants.
* Script prototypique : représentations mentales stéréotypées intériorisées par l’individu.
Le discours des enseignants est le fruit d’un script préalablement élaboré.
100
Les émotions
Ce chapitre définit les différents termes en lien avec les affects (sentiments, humeur,
tempérament et affects) et fournit des définitions du terme « émotion » élaborées par les
dictionnaires et par les chercheurs au fil du temps et des théories. Un éclairage est apporté sur
la théorie multidimensionnelle de Plutchik (1980), ainsi que sur les notions de granularité
émotionnelle et de valence. La notion de script prototypique, déjà abordée au chapitre 2, est
mise en relation avec les émotions, et notamment celles des enseignants d’anglais novices.
Plan du chapitre
101
3.1. De la difficulté de définir les émotions
La problématique des émotions connaît aujourd’hui un regain d’intérêt tant au sein du
grand public, avec la volonté de promouvoir le développement personnel, que dans la sphère
de la recherche. Pourtant, comme le note Tcherkassof (2008, p. 11) « les difficultés
conceptuelles restent la pierre d’achoppement sur laquelle butent ceux qui s’intéressent à
l’émotion ». En effet, le terme émotion serait difficile à définir scientifiquement comme en
atteste la centaine de définitions (Belzung, 2007, p.14) que l’on en trouve. Tcherkassof (2008,
p. 11) cite deux raisons faisant obstacle à l’élaboration d’une définition. Tout d’abord cela
« tient au fait, comme l’annonce Frijda dès l’introduction de The Emotions (1986, p. 1) qu’une
définition scientifique conceptuelle et opératoire ne peut être que le produit d’une théorie ».
Or, il existe un grand nombre de théories sur les émotions, et par conséquent tout autant de
définitions. La deuxième raison vient du fait que « tout un chacun (l’homme de la rue – le
profane – comme le scientifique) pense avoir une idée relativement précise de ce que sont les
émotions à partir de sa propre expérience quotidienne » (Tcherkassof, 2008, p. 11). Chacun
parvient à déceler chez ses pairs la surprise, la colère, la tristesse, et fait généralement
référence à sa propre expérience pour décrire une émotion, ce qui n’est pas uniquement
l’apanage des profanes. Cosnier (1994, p. 12) fait le constat que « les savants ou les
philosophes » en font tout autant lorsqu’ils parlent d’émotion, « ils n’hésitent pas à les mettre
en scène, phénomène exceptionnel dans des textes scientifiques où le souci d’objectivité et
d’impartialité est de rigueur ». Parler des émotions équivaudrait donc souvent à parler de soi-
même, ce qui explique la grande variété des propos qui s’y rapportent. Selon Cosnier (1994,
p. 15) ce « postulat empathique » est inhérent à toute tentative d’étudier des « phénomènes
affectifs ». Ce « savoir profane » est alors source d’ambiguïté pour le discours scientifique car
la même terminologie, issue du « langage populaire » (Belzung, 2007, p. 14), est utilisée dans
les deux cas. Tcherkassof (2008, p.12) y voit deux risques : « le premier piège est celui de la
confusion provoquée par l’usage indifférent des termes émotions, sentiments, états affectifs,
etc., ces termes étant indistinctement employés les uns pour les autres ». Cosnier (2015, p. 6)
précise que « l’usage populaire du terme "Émotion" sert couramment d’étiquette recouvrant
tous les phénomènes affectifs comme au temps de Descartes on utilisait le terme de
"Passions". » Le deuxième piège est « lié au système de représentations véhiculé par le
langage courant » (p. 13) qui, selon Scherer (2005), crée des construits sémantiques rendant
difficile une description scientifique exacte : “one of the major drawback of social science
102
research is the need to resort to everyday language concepts in both theory and empirical
investigation ” (Scherer, 2005, p. 696).
Dans ce chapitre, afin de mieux tenter de comprendre ce que couvre la notion d’émotion, nous
commencerons par définir le lexique de l’affect et apporterons un éclairage sur les termes
sentiments, humeur, tempérament, affects, passion et pathos. Nous donnerons ensuite des
définitions des émotions en commençant par celles des dictionnaires, puis celles des divers
courants et théories. Dans un dernier temps, nous présenterons différentes listes et modèles et
nous nous intéresserons plus particulièrement à la théorie multidimensionnelle développée par
Plutchik (1980).
Sentiment
Comme le précise Plantin (2011, p. 8), « les dictionnaires multiplient les distinctions
sous l’entrée sentiment ». Ce mot serait tout d’abord « lié à l’intuition, à la capacité de
percevoir des réalités de tous ordre ». Pour Le Larousse en ligne55 et Le Petit Robert (1981),
il s’agit d’une « connaissance plus ou moins claire » donnée d'une manière immédiate,
comportant des éléments affectifs et intuitifs, synonyme d’impression. C’est également, pour
Le Petit Robert, une « opinion, un avis que l'on a sur quelque chose », mais aussi un « état
affectif complexe et durable lié à certaines émotions ou représentations ». À ce titre, Le Petit
Robert propose « émotion » et « passion » comme termes équivalents. Le Littré56 définit le
terme « sentiment » comme une « faculté de sentir », « la conscience que l'on a de la réalité
d'une chose », la « faculté́ de comprendre, d'apprécier certaines choses ». Il est ajouté qu’il «
se dit des affections, des mouvements de l'âme, des passions. »
55
Larousse.fr : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sentiment/72138?q=sentiment#71335
56
https://www.littre.org/definition/sentiment
103
Selon le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)57, « sentiment »
relève du domaine des sens, ainsi que de l’intellect et de l’intuition, ce qui le distingue des
émotions. Il se réfère également au domaine de l’affectivité : « État affectif complexe, assez
stable et durable, composé d’éléments intellectuels, émotifs ou moraux, et qui concerne soit
le « moi » (orgueil, jalousie...) soit autrui (amour, envie, haine, ...) ».
Le sentiment serait une composante subjective et ressentie de l’émotion. Si l’émotion se situe
au niveau physiologique, le sentiment se situerait au niveau de la pensée comme le précise
Belzung (2007, p. 15) :
Le sentiment se distingue de l’émotion dans le sens qu’il désigne plus particulièrement
la composante subjective, ressentie, de l’émotion et ne concerne pas les composantes
comportementales et physiologiques. (...) Pour certains auteurs comme par exemple le
neurologue A. Damasio, un sentiment est « la perception d’un état du corps ainsi que
celle d’un certain mode de pensée et de pensées ayant certains thèmes ». Il souligne
ici l’inscription corporelle et cognitive des sentiments, ce qui les différencie des
émotions de base.
Selon Cosnier (1994) il est possible de différencier les sentiments, tels l’amour, la haine,
l’angoisse, des émotions « par leurs causes plus complexes, par leur durée plus longue
("tonique"), et leur intensité généralement plus modérée. Bien que souvent construits sur une
fixation affective à des objets précis ils persistent et sont vécus même en l’absence de ces
objets. » Il définit les « passions » comme « des sentiments excessifs, apparentés aux états de
dépendance affective qui caractérisent les addictions. ». Selon Cosnier, la différence entre
émotion et sentiment est celle que nous faisons communément lorsque nous distinguons « être
émotif » et « être sentimental ». Pour Pagès (1986, p. 70-71, cité dans Cosnier, 2015, p. 3)
« sentiment », est associé à « un discours intérieur qui nomme et l'objet et la nature de la
relation [...] le sentiment se construit dans la durée et lie les personnes ». Pour Plantin (2011,
p. 8), « à la différence de l’émotion ou de la passion, le sentiment peut servir de norme, c’est-
à-dire qu’il peut fonder un jugement recevable », ce qui n’est pas le cas de l’émotion.
57
https://www.cnrtl.fr/definition/sentiment
104
Sentiment de –
Plantin (2011, p. 130) s’intéresse au syntagme « un sentiment de –». Dans ce contexte,
« sentiment », peut avoir une valeur de « conscience de », comme dans « un sentiment
d’incompétence ». Par ailleurs, ce syntagme est parfois utilisé comme un « support quelque
peu redondant à la désignation d’une émotion : un sentiment de désespoir n’est pas différent
du désespoir, peut-être un peu modalisé ». Mais « sentiment » peut aussi être « considéré
comme un substantif support dans un syntagme désignant une émotion qui peut n’avoir pas
d’autre nom : c’est le cas de un sentiment de vide, de déjà vu » (Plantin, 2011, p. 130). Dans
ce cas, ce syntagme est particulièrement intéressant car il permet de générer des noms
d’émotions et ainsi de combler des manques lexicaux. Si la fatigue n’est pas une émotion, le
syntagme « un sentiment de fatigue » en exprime une.
Selon Saric (2015, p. 15), la recherche sur les émotions dans l'enseignement est caractérisée
par la grande variété du vocabulaire émotionnel utilisé. La citation ci-dessous montre son
éclectisme et rappelle le caractère cacophonique du domaine des émotions souligné par
Cosnier (1994):
Coleman (1994) […] speaks of an emotional state of “being a teacher”, which includes
positive experiences emerging from a smooth-running class. […] Hargreaves (1998)
[…] includes diverse terms in the emotion category, such as love, fatigue, frustration,
liking kids, care, pride, mutual respect, worry, anxiety, excitement, a feeling of
freedom and passion.
Si certains termes cités font partie des émotions citées dans les listes ou dans les modèles de
hiérarchisation (frustration, love, pride, anxiety, excitement), « being a teacher », « liking
kids », « mutual respect », « fatigue », « feeling of freedom and passion » ne sont pas
considérés comme des émotions et ne font pas partie des listes. Cependant, ces concepts
correspondent à des ressentis que les enseignants perçoivent comme des émotions mais qu’ils
ne peuvent qualifier comme telles, faute de vocable adéquat. En ajoutant « un sentiment de
– » ou « a feeling of –» on pourra créer « un syntagme désignant une émotion qui peut n’avoir
pas d’autre nom ». Ainsi, « un sentiment d’être professeur », « un sentiment de fatigue », « un
sentiment de respect mutuel », etc., peuvent faire partie du vocabulaire émotionnel. Le recours
à ce « substantif support » (Plantin, 2011) pourra aider à pallier le manque de granularité
émotionnelle de certains participants à cette recherche.
105
Humeur
Le Dictionnaire de Psychologie (Doron et Parot, 1991, p ; 350) décrit l’humeur en se
référant à la définition qu’en donne Delay (1946) dans son ouvrage Dérèglement de l’humeur.
Cette définition est également reprise dans l’ouvrage de référence de Bourgeois (2006, p. 7) :
Cette disposition affective fondamentale, riche de toutes les instances émotionnelles
et instinctives, qui donnent à chacun de nos état d’âme une tonalité agréable ou
désagréable, oscillant entre les deux pôles extrêmes du plaisir et de la douleur.
L’heumeur est à la sphère thymique qui englobe toutes les affections ce qu’est la
conscience à la sphère noétique qui englobe toutes les représentations, elle en est à la
fois la manifestation la plus élémentaire et la plus générale. La base de la vie affective
est faite d’une échelle d’humeur comme la base de la vie représentative d’une échelle
de consciences.
Cette définition recouvre les critères sur lesquels les chercheurs se rejoignent.
Pour Cosnier (1994, p. 162 ; 2015, p. 7), l’humeur est une disposition, une « attitude
affective » « un arrière-plan plus ou moins durable ». Plantin (2011, p. 6) la définit comme
« un état stable (thymique) », une toile de fond. Ces « états affectifs » peuvent être plus ou
moins longs et « s’étendre sur des périodes de quelques minutes à quelques semaines » (Rimé,
2005, p. 50-51). Tcherkassof (2008, p. 16) souligne qu’il s’agit d’un « phénomène chronique,
diffus et global, d’intensité modérée – bien que ressenti de façon assez nette par celui qui
l’éprouve ». On dit souvent de personnes qu’elles sont de bonne ou de mauvaise humeur,
qu’elles ont des états d’âme douloureux. La notion de polarité « agréable ou désagréable »,
allant « du plaisir à la douleur » est une caractéristique de l’humeur, que Cosnier (1994, p.162)
reprend sous les termes d’« axe évaluatif bon/mauvais, euphorique/dysphorique ». Selon
Rimé (2005, p. 59-51), « deux facteurs rendent compte de l’essentiel des variations de
l’humeur et on les a désignés respectivement comme ‘affect positif’ et ‘affect négatif’ ». On
peut alors se demander ce qui déclenche ou modifie les humeurs. Pour Rimé, « si l’expérience
de l’humeur est le plus souvent éprouvée de manière claire, ses moments d’initiation et
d’extinction ne sont pas toujours distincts, ni nécessairement liés à des causes définies ».
Pour finir, la toile de fond ou « ambiance thymique » (Cosnier, 1994, p 79) que constitue
l’humeur prédisposerait à l’apparition d’émotions, qui sont phasiques (cf. 3.3.4.3). Plantin
(2011, p. 6) ajoute que « cette distinction est indispensable pour l’analyse des émotions ».
Selon Tcherkassof (2018, p. 16), l’humeur « prédispose l’individu à réagir plus fortement à
certains objets et […] abaisse le seuil de déclenchement de certaines émotions congruentes
(qui sont alors susceptibles de se déclencher plus facilement) ». Ainsi, quelqu’un de bonne
humeur tend à « rire plus facilement et/ou à ressentir une joie plus intense », tandis qu’une
106
personne de mauvaise humeur « se met plus aisément en colère et /ou éprouve une colère plus
vive ». Les humeurs orientent de façon positive ou négative notre quotidien (Cosnier, 2015,
p. 7). Si les humeurs prédisposent aux émotions, elles déterminent également les
tempéraments.
Tempérament
Lorsqu’on observe les définitions du terme « tempérament », on constate que la
stabilité est une caractéristique. Le Dictionnaire de psychologie (Doron et Parot, 1991, p. 711)
décrit le tempérament comme « la contrainte biologique, variable constitutionnelle, constante
et immuable en amont des influences de l’environnement. Les traits de tempérament se
révèlent dans des différences de comportement relativement stables, présentes dès la première
enfance ». Il s’agit donc de « tendances stables de la personnalité » (Plantin, 2011, p. 6). On
peut donc évoquer, à l’instar de Cosnier (2015, p. 43), des tempéraments de base : « ‘anxieux’,
‘agressifs’, ‘pacifiques’, ‘chaleureux’, ‘distants’ … » qui « modaliseront les liens sociaux ».
Pour Tcherkassof (2008, p. 17-18), « l’humeur se différencie du « tempérament » en ce sens
que ce dernier relève de dispositions affectives stables, de tendances comportementales
caractéristiques d’une personne donnée (nerveuse, morose, envieuse…) ». Rimé (2005, p. 51)
précise que le terme « tempérament renvoie à des traits affectifs très stables qui accompagnent
généralement l’individu tout au long de son existence ».
Affect
Dans le langage courant, le mot « affect » a un sens générique, « couvrant les émotions
tendres de faible intensité » (Plantin, 2011, p. 9). On se dit « affecté » par une douleur morale,
on parle d’une personne débordant d’« affection ». Ceci montre que les affects ont une double
polarité, positive et négative. Si le sentiment se construit dans la durée et lie les personnes,
l'affect est vécu de façon ponctuelle dans l'instant (Pagès, 1986, p. 70-71, cité dans Cosnier,
2015, p. 3).
Le Petit Robert (1981) et le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL)
58
décrivent l’affect comme un état, une disposition affective élémentaire – par opposition à
58
https://www.cnrtl.fr/definition/affect
107
intellect – que l’on peut décrire par l’observation du comportement mais qui ne peut pas être
analysée. Selon le CNRTL, le mot « affect » existait déjà en moyen français et renvoyait alors
au sens de « sentiment, passion ». L'utilisation du mot « affect » varie considérablement selon
les écoles. Il aurait ensuite été repris par la psychanalyse dès 1908 avec le substantif
« Affekt ».
Psychologie et affect
Dans le cadre de la recherche sur les émotions, et notamment en psychologie, la plupart
des chercheurs utilisent « affect » ou « vie affective » pour désigner l'ensemble des signaux
relevant de la sensibilité de la personne, qui s'imposent à elle tout au long de son interaction
avec le milieu. Une série de registres compose cet ensemble : les sentiments ou préférences,
les variations de l'humeur, les variations du tempérament, les troubles affectifs ou troubles de
l'émotion (les nombreuses manifestations de l'anxiété, les troubles maniaco-dépressifs, la
paranoïa, la psychopathie, notamment), et finalement, les émotions proprement dites (Rimé,
2005, p. 71-75). Selon Cosnier (1994, p. 14-15), « les « affects », qu’il nomme également
«éprouvés affectifs », sont le vécu de tout état émotionnel positif ou négatif. Ce sont donc les
faces subjectives des émotions et des sentiments. Certains affects caractérisent les émotions
basales et leurs dérivées, certains autres sont durables et accompagnent ce que nous avons
défini comme sentiments (par exemple la sympathie que l’on porte à un ami, les affects de
108
haine, de jalousie, d’amour...). Cosnier oppose les affects quotidiens aux grandes émotions de
base. Nous y reviendrons en 3.3.4.
Passion
Passion vient du latin passio qui signifie « souffrance ». Le CNRTL59 en donne
plusieurs définitions. La première, « [Avec une idée de durée de la souffrance ou de succession
de souffrances] Action de souffrir, résultat de cette action », est liée à l’histoire religieuse
chrétienne. La « passion du Christ » renvoie aux « souffrances, supplices qui précédèrent et
accompagnèrent la mort de Jésus-Christ ». Dans la même idée, la littérature utilise « passion »
avec une majuscule dans un contexte métaphorique, dans le sens de « ce qui est subi, supporté
de très pénible ; grande souffrance (généralement corporelle), tourment ». Dans le domaine
de la pathologie, « passion » correspond au nom de plusieurs maladies graves et douloureuses.
Le deuxième sens de « passion » s’inscrit dans l’histoire philosophique et physiologique et
renvoie à deux époques. Tout d’abord, « chez Aristote, celle des dix catégories (gr. pathos)
qui désigne l’accident consistant à subir une action ». Chez les cartésiens, passion est
synonyme d’émotion, version elliptique de l’expression « passions de l'âme ». Descartes, dans
son Traité des passions cite six passions primitives, qui sont l'admiration, l'amour, la haine, le
désir, la joie et la tristesse.
Plantin (2011, p. 8) rapporte que dans le langage courant, le sens prédominant de « passion »
est « vive affection que l’on a pour quelque chose ». Cosnier (2015, p. 7) précise que les
« passions » sont des sentiments excessifs, apparentés aux états de dépendance affective qui
caractérisent les addictions. La passion est donc excessive et à connotation négative, comme
en attestent les adjectifs « débordante », « dévorante », « exacerbée », « immodérée »,
« inextinguible », qui lui sont associés en collocation60.
Pathos
Le mot « pathos » trouve son origine à la fois dans le grec ancien et dans le latin. Il
serait « le calque d’un nom grec signifiant « ce qu’on éprouve, par opposition à ce que l’on
fait » (Bailly, 1901, Art. Pathos) » (Plantin, 2016, p. 435). En latin, le mot « pathos » peut être
59
https://www.cnrtl.fr/definition/passion
60
Le Robert Combinaisons de mots (2007), p. 742.
109
traduit par « dolor ». Le CNRTL en donne deux définitions. La première est issue des
dictionnaires du XIXe et du XXe siècle : « Partie de la rhétorique qui traite des moyens
propres à émouvoir l’auditeur, par oppositions à « ithos » (qui traite de l’impression morale
que doit produire l’orateur sur l’auditeur) ». La deuxième définition renvoie au caractère
« pathétique », et à son sens péjoratif de « déplacé », « affecté ».
Selon la définition du dictionnaire illustré latin-français de Gaffiot (cité par Plantin, 2016, p.
435) « pathos » a « pour sens premier ‘douleur’ mais Cicéron l’utilise pour désigner la classe
des émotions qui constitue le pathos et l’éloquence pathémique. (Gaffiot (1934), art Dolor) ».
En rhétorique classique, le pathos est un « type de preuve61 rhétorique, complémentaire des
preuves tirées du logos et de l’ethos ». Il couvre « un ensemble d’émotions socio-langagières
que l’orateur exploite pour orienter son auditoire vers les conclusions et l’action qu’il
préconise » (Plantin, 2016, p. 436).
Conclusion
Concluons avec cette citation de Plantin (2011, p. 10) :
Chacun de ces termes supporte le poids de son passé, qui l’oriente vers un champ ou
un genre. L’époque des passions est l’époque classique ; celle du sentiment, le XVIIIe
siècle et l’époque romantique ; celle des émotions, la période actuelle. Du point de vue
des champs, passion renvoie à la philosophie, la religion, la morale ; affect et émotion
à la psychanalyse et à la psychologie ; pathos aux rhétoriques de l’art ; sentiment, vers
certaines écoles philosophiques, humeur vers la médecine. En linguistique française,
on parle de termes d’émotion et de grammaire des sentiments. […]
Suivant la proposition de Cosnier (1994, p. 14), on pourrait généraliser l’usage d’affect
et d’éprouvé, ces termes auraient même l’avantage d’une certaine neutralité historique.
Affect, éprouvé, ressenti, engagent moins dans une théorie des émotions types, et de
ce fait sont plus ouverts sur une conception moins segmentée de la vie psychique.
Suivant cette citation de Plantin, les enseignants novices partie prenante dans cette recherche
seront vraisemblablement plus à l’aise avec le terme émotions qu’avec affect ou éprouvé. En
effet, émotions fait partie du langage courant de la période actuelle, présent tant dans les
médias que dans la sphère privée.
61
« Preuve » signifie ici moyen de persuasion, d’emprise sur l’auditoire (Plantin, 2016, p. 436)
110
3.3. À la recherche d’une définition
Après avoir proposé plusieurs définitions des dictionnaires et encyclopédies, nous
nous intéresserons à celles des théories sur les émotions de la Grèce Antique à nos jours. Nous
nous attarderons sur les listes d’émotions primaires produites par les chercheurs, ainsi que sur
les notions de grandes émotions et d’affects quotidiens. Un point sera également fait sur la
notion de granularité émotionnelle.
62
https://www.cnrtl.fr/definition/émotion
111
1. [La cause de l'émotion est extérieure au sujet]. Plaisir / douleur
Bouleversement, secousse, saisissement qui rompent la Trouble
tranquillité, se manifestent par des modifications Cause plus ou moins
physiologiques violentes, parfois explosives ou paralysantes. extérieure
[…]
2. [La cause de l'émotion n'est pas seulement extérieure]
a) [Elle est alimentée par les différents niveaux de la
sensibilité, du sentiment et des passions propres à la
personnalité du sujet]. L’émotion de l’inquiétude et de la
joie. […]
b) [L'émotion est d'orig. esthétique, spirituelle, mystique]
Émotion mystérieuse, rare.
C.− Qualité chaleureuse, lyrique de la sensibilité ; cœur, Positive
ardeur. Avoir de l’émotion, de la chaleur.
Dictionnaire de la État affectif violent qui trouble physiologiquement Physiologique et
formation et du (tremblement, pâleur, crispation …) et intellectuellement intellectuelle
développement (confusion des idées, perte du sens critique …) Violence, trouble
personnel Sur un autre plan, l’émotion est plutôt considérée comme un Un sentiment
(Bellenger & sentiment (joie, tristesse, espérance …) ; Comparé au plaisir et à la
Piagallet, 1996) [c’]est un état affectif riche, complexe et plus nuancé que le passion
plaisir, tout en étant moins durable que la passion Complexe ; Passager
L’émotion naitrait donc d’un décalage entre les possibilités Cognitive
de réponse d’un sujet et les exigences de la situation Émerge quand le scénario
de la situation est
interrompu / détourné
Dictionnaire de État particulier survenant dans des situations bien définies Liées à des situations
psychologie (une situation dite émotionnelle) accompagné d’une définies
(Doron et Parot, expérience subjective et de manifestations somatiques et Expérience subjective
1991) viscérales Manifestations viscérales
et somatiques
Les théories cognitives insistent sur la façon dont Liées au plan d’action et à
l’information est traitée est dont les plans d’action sont leur mise en œuvre
élaborés et mis en œuvre
Larousse.fr Trouble subit, agitation passagère causés par un sentiment vifMouvement
de peur, de surprise, de joie, etc. Trouble, passager
Sentiment de
Une réaction affective transitoire d’assez grande intensité, Passager
habituellement provoquée par une stimulation venue de Très intense
l’environnement Extérieure
Sous l'Ancien Régime, révolte populaire non organisée et Émeute
généralement de courte durée Passager
Le Nouveau Petit État de conscience complexe, généralement brusque et Complexe
Robert momentané, accompagné de troubles physiologiques (pâleur, Violent
(Rey-Debove & rougissement, palpitation, accélération du pouls, etc.) Passager
Rey, 2000) Troubles physiologiques
Tableau 3.1. Définitions et caractéristiques des émotions tirées des dictionnaires et encyclopédies
112
particulièrement intéressantes car elles renvoient à la notion de script prototypique63 (cf 2.7.2
et 3.6.). Dans le premier dictionnaire, l’allusion à « un décalage » laisse entendre que
l’émotion émergerait lorsque le script prototypique situationnel qu’une personne a intégré ne
correspondrait pas à la réalité vécue. Dans le Dictionnaire de psychologie (Doron et Parot,
1991p. 250), Dantzer et Le Moal précisent que les théories cognitives « insistent sur la façon
dont l’information est traitée et dont les plans d’action sont élaborés et mis en œuvre ». On
retrouve dans « plans d’action » la notion de script prototypique précédemment mentionnée.
Le Larousse64 introduit l’expression « un sentiment de » (cf. 3.2.2) suivie des émotions peur,
surprise et joie.
Étonnamment, ni le Dictionnaire actuel de l’éducation (Legendre, 1988) ni le Dictionnaire
encyclopédique de l’éducation et de la formation (Champy & Etévé, 2005) ne donnent de
définition de l’émotion, comme si le domaine émotionnel n’avait pas sa place au sein des
classes.
Définitions à partir des différentes théories
Si l’étude psychologique des affects remonte à la fin du XIXe siècle, les émotions et
leur place dans la réflexion des hommes est bien antérieure. Il existe différentes théories des
émotions, – celles des philosophes, des psychologues, des biologistes – et par conséquent,
autant de définitions. On retrouve dans les théories psychologiques actuelles, de nombreuses
idées déjà formulées dans la Grèce antique (Tcherkassof, 2008, p. 31).
Aristote, le précurseur
Aristote serait le premier à s’être penché sur la question des émotions car il considérait
que leur connaissance pouvait être un atout majeur pour l’orateur. « Si celui-ci sait comment
émouvoir son auditoire, disait Aristote, il sera en possession d’outils oratoires puissants »
(Rimé, 2005, p. 46). À cette fin, Aristote a consacré un livre entier de la Rhétorique à l’analyse
des « raisons pour lesquelles les gens se retrouvent dans ces « états d’esprit » particuliers que
les Grecs désignaient comme les passions : colère, crainte, honte, etc. ». Étonnamment, ce qui
63
Rappel : Cosnier (1994, p. 162) en donne la définition suivante : « modèle séquentiel de comportements
correspondant à des situations sociales à finalité précise (« site »), intériorisé par l’individu qui y fait appel
quotidiennement pour organiser ses conduites. Ex : le script du client de restaurant, le script de l’agent de police,
le script de l’usager du métro, etc. »
64
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/émotion/28829
113
provoquait les « passions » à l’époque d’Aristote est toujours d’actualité aujourd’hui (cf.
4.2.2.2). Selon Elster (1999, cité dans Tcherkassof, 2008, p. 31), Aristote décrivait déjà les
émotions en leur attribuant des caractéristiques que la psychologie utilise aujourd’hui, à
l’instar de « l’activation et l’expression physiologique, les antécédents cognitifs, les tendances
à l’action, les objets intentionnels et la valence ». Pour Aristote, « les émotions sont tous ces
sentiments qui changent l’homme de façon à affecter son jugement et qui sont accompagnés
par la souffrance ou le plaisir » (Rhétorique II, Chapitre 1).
114
ces émotions en s’appuyant, non seulement sur leur fonction communicative, mais aussi sur
leurs fonctions adaptatives, c’est à dire leur évolution avec l’environnement. Il en retire des
thèses majeures qui tomberont dans l’oubli.
Cette théorie, connue sous le nom de « théorie James-Lange », a été remise en question par
Walter Cannon qui met en avant le caractère psychophysiologique des émotions. Il part du
principe que des émotions différentes peuvent être produites par des signes physiologiques
différents, ce qui lui permet de réfuter le postulat que l’expérience émotionnelle soit la
conséquence d’une interprétation des événements somato-viscéraux (Belzung, 2007, p. 73).
Ses arguments ont longtemps évincé la théorie de James/Lange. Aujourd’hui, ces débats
anciens « connaissent un regain d’intérêt ces dernières années avec l’observation des effets de
115
certaines atteintes neurologiques affectant l’une ou l’autre de ces composantes » (Belzung,
2007, p. 95)
Les progrès de l’imagerie médicale ont permis d’observer la place importante du corps dans
la perception des émotions et ont ainsi contribué à relancer les débats et l’intérêt autour de la
théorie « James/Lange ».
Watson et le behaviorisme
John Broadus Watson (1878-1958), psychologue américain et père du béhaviorisme,
était désireux de faire de la psychologie une science dure. Considérant que seul le
comportement observable doit être pris en compte, Watson fait des émotions une réponse
simple à un stimulus en les réduisant à « des structures de réactions physiologiques d’origine
héréditaire dépourvues de tout pouvoir d’adaptation » (Rimé, 2005, p. 21). Il ne veut pas
s’intéresser aux états psychologiques internes, aux états subjectifs, mais uniquement aux
aspects comportementaux et physiologiques (Belzung, 2007, p. 74). Pour la théorie
behavioriste les émotions sont néfastes, « des phénomènes parasitaires qui plongent
l’organisme dans un état chaotique » (Rimé, 2005, p. 21), et on tirerait profit à s’en
débarrasser. Selon Rimé (p. 21), ces positions behavioristes auraient contribué à bloquer la
recherche sur les émotions pendant de nombreuses années.
116
les réponses faciales, musculaires et viscérales sont amplifiées. Tomkins définit neuf émotions
qui correspondent chacune à une expression faciale différente.
La théorie psycho-évolutive de Plutchik et son modèle circomplexe seront détaillés dans la
partie 3.4.
Les théories cognitivistes
Les théories cognitivistes représentent le cadre le plus répandu aujourd’hui. Elles considèrent
les émotions comme le résultat d’une évaluation cognitive qui, selon Belzung (p. 80), « porte
sur la situation et/ou sur l’élaboration des plans d’action pour réagir à la situation ». Ces
théories sont portées par différents chercheurs et comprennent des nuances. On y trouve la
théorie cognitivo-physiologique de Schachter-Singer (1962) – qui annonce le début d’une
approche proprement physiologique des émotions (Rimé, 2005, p. 27) – et la théorie de
l’évaluation ou appraisal (Arnold, 1960), marquant un tournant décisif. Frijda (1986), Lazarus
(1991) et Scherer (1984) ont par la suite continué à développer cette théorie. Le modèle
d’évaluation des émotions décrit par Lazarus (1991) est particulièrement intéressant. Il
propose une théorie relationnelle, motivationnelle et cognitive des émotions qui implique une
évaluation (appraisal) de la situation vécue selon trois types de modalités : l’évaluation
primaire (appréciation des conséquences plaisantes ou déplaisantes de l’événement pour
l’individu), l’évaluation secondaire (appréciation des possibilités d’agir) et ré-évaluation de
l’ensemble et ajustement éventuel (Belzung, 2007, p. 83) :
évaluation
évaluation
secondaire des analyse du
stimulus primaire de la émotions
possibilités résultat
situation
d'agir
Figure 3.2. Théorie des émotions de Lazarus. D'après le schéma de Belzung (2007, p. 83)
Ceci laisse à penser que les enseignants novices, encore en phase d’apprentissage des gestes
professionnels, pourraient ressentir de la frustration dans le cadre de leur profession. La
frustration pourrait naître, lors de l’évaluation secondaire, de la prise de conscience qu’ils
n’ont pas encore à ce stade de leur carrière les moyens, didactiques ou pédagogiques, d’agir.
Si la frustration est grande, on peut imaginer qu’elle puisse être remplacée par de la colère. À
l’inverse, en prenant conscience qu’une possibilité d’agir est en leur possession, la satisfaction
–voire la joie – pourrait émerger.
117
Les théories constructivistes
Pour Averill (1985), les émotions n’existent pas. Ce sont des constructions sociales,
issues des normes et des règles propres à une société et à sa culture, que l’on intègre par
l’apprentissage. La neuroscientifique Lisa Feldman-Barret (2017) va encore plus loin et
avancent que les émotions ne sont pas universelles, mais un construit social (a social
construct) produit de nos expériences émotionnelles passées (Feldman-Barret, 2017, p. 31) :
In every walking moment, your brain uses past experience, organized as concepts, to guide
your actions and give your sensations meaning. When the concepts involved are emotion
concepts, your brain constructs instances of emotion.
Synthèse
Terminons cette partie avec ce tableau récapitulatif en guise de synthèse :
Type de théories Chercheurs Description des émotions
Périphéraliste James-Lange Les émotions viennent de la perception que le sujet a des
modifications physiologiques présentes dans son corps
Psycho-évolutive Darwin, Ekman, Les émotions sont décrites dans le cadre de leur fonction
Izard, Tomkins, adaptative
Plutchik
Comportementaliste Watson Les émotions ne sont qu’une simple réponse à un stimulus
Cognitiviste Arnold, Lazarus,
Les émotions sont vues comme le résultat d’une évaluation
Scherer cognitive.
Constructiviste Averill Les émotions ne sont rien d’autre qu’une construction sociale
et n’existent pas dans la réalité
Tableau 3.2. Théories et émotions et leurs descriptions associées (d’après Belzung, 2007, p. 112)
65
Ma traduction pour « fingerprint »
118
Quelques définitions récentes issues de la recherche
Parvenir à définir ce qu’est une émotion demeure une tâche ardue pour les chercheurs
et pour certains, à l’instar de Scherer (2005, p. 697), il est urgent de trouver un consensus : “it
becomes imperative to generate a minimal consensus about the defining features of the
different types of affective phenomena”. Ces dernières décennies, différents chercheurs ont
fourni des définitions assez proches qui combinent les théories déjà existantes et font appel
aux dimensions comportementale, physiologique et cognitive. En voici quelques exemples.
Belzung (2007, p. 15) reprend la définition de Kleinginna & Kleinginna (1981) qui évoque
les « trois composantes fondamentales : la composante comportementale, la composante
physiologique et la composante cognitive/subjective » :
Les émotions sont le résultat de l’interaction de facteurs subjectifs et objectifs, réalisés
par des systèmes neuronaux ou endocriniens, qui peuvent : a) induire des expériences
telles que des sentiments d’éveil, de plaisir ou de déplaisir ; b) générer des processus
cognitifs tels que des réorientations pertinentes sur le plan perceptif, des évaluations,
des étiquetages ; c) activer des ajustements physiologiques globaux ; d) induire des
comportements qui sont, le plus souvent, expressifs, dirigés vers un but et adaptatifs.
La définition que Rimé donne revêt la forme d’une liste combinant divers paramètres. Pour
lui, (2005, p. 54), les émotions :
Font partie des manifestations affectives qui s’imposent de manière automatique dans
le cours de l’adaptation et qui suscitent l’expérience du plaisir ou de la peine ;
Leur marque la plus distinctive est la rupture de continuité dans le rapport individu-
milieu, qu’on perçoit tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’individu ;
Elles représentent comme des constellations de réponses, qui impliquent à la fois les
niveaux motivationnel-comportemental, facial-expressif, subjectif-phénoménal,
attentionnel-cognitif, et physiologique-végétatif du fonctionnement de l’individu ;
Plus différenciées que les autres manifestations affectives, elles varient d’une part sur
les dimensions d’intensité et de valence et d’autre part quant au type de constellation
mise en place ;
À ces éléments, il convient encore d’ajouter la brièveté d’installation et la courte durée,
qui distinguent l’émotion des autres manifestations affectives.
Cosnier (1994), distingue les émotions et les épisodes émotionnels et en donne les définitions
suivantes :
119
- les "émotions", stricto sensu, désignent uniquement les émotions dites "basales" ou
"primaires" ou "modales", telles la peur, la surprise, la colère, la joie, la tristesse, le
dégoût et quelques autres, au nombre d'une demi-douzaine à une dizaine, et leurs
dérivées, émotions "mixtes", résultantes de mélanges des émotions basales. Leurs
caractéristiques sont d’être des processus dynamiques qui ont un début et une fin, et
une durée relativement brève. Ces phénomènes "phasiques" sont causés par des
événements précis et généralement inattendus ou improbables.
- les "épisodes émotionnels" sont des émotions rémanentes : ils ont des durées plus
longues, un exemple caractéristique est celui du deuil, mais aussi de multiples
circonstances de participation à des événements ou à des manifestations sociales :
mariages, carnavals, fêtes et commémorations, compétitions sportives, etc… L’état
émotionnel commence souvent dans l’anticipation de l’événement, subit son apogée
durant l’événement et persiste un temps plus ou moins long selon la nature de ce
dernier.
Les émotions trouvent donc leur origine dans une « rupture de continuité ». Elles surgissent
lorsque des personnes font face à des situations imprévues, dont elles n’ont pas de
représentations connues (Dumont & Mias, 2010). Il s’agit d’une réponse adaptative à des
événements externes – des éléments de l’environnement – qui présente des modifications
physiologiques, comportementales et une expérience subjective. D’un point de vue
physiologique, on peut observer les expressions faciales ou vocales, la modification du rythme
cardiaque et de la fréquence respiratoire, la pilo-érection, le rougissement, la « boule dans la
gorge ». (Dantzer, 1988 ; Belzung, 2007). Sur le plan comportemental, on peut noter des
sursauts, des immobilisations ou des réactions agressives. La composante subjective
comprend des éprouvés spécifiques, appelés aussi « affects ».
Pour Plantin (2015, 2016) l’émotion est un syndrome, dans le sens médical du terme. Elle est
« une synthèse temporaire d’états de divers ordres » (Plantin, 2016, p. 225) : un état de
conscience, un état neuro-physiologique, un état mimo-posturo-gestuel et un état cognitif
(Plantin, 2016, p. 225). Dans le cadre des interactions, un épisode émotionnel se repère car il
présente les caractéristiques suivantes : présence de manifestations corporelles, d’un contexte
justifiant l’émotion, d’un « mode consécutif d’interaction et d’action », et de « dires
interactionnels » – descriptions de l’éthos et des états internes de l’expérienceur, mention ou
répétition des éléments du contexte de l’émotion, et de la gestion de l’émotion (Plantin, 2015,
p.11).
Émotions primaires et affects quotidiens
Certains auteurs, se situant dans la lignée de Darwin et de sa théorie de l’évolution,
soulignent la notion d’adaptation des émotions. Selon eux, il existe un nombre limité
d’émotions fondamentales, évolutives et universelles, connues sous le nom d’« émotions de
120
base », ou « primaires », « fondamentales » voire « discrètes » – c’est-à-dire différenciées les
unes des autres – (Izard, 1977 ; Ekman, 1992 ; Tomkins, 1980). Selon Cosnier (2015, p.17),
« elles sont caractérisées par des vécus, des comportements et des manifestations
physiologiques spécifiques ».
121
Le tableau suivant recense les listes des émotions de base les plus fréquemment citées. Les
émotions en gras font consensus et sont communes à toutes les listes. C’est donc sur celles-ci
que je m’appuierai lors des expérimentations que je mènerai avec les enseignants novices.
Les émotions plus complexes proviendraient d’un mélange des émotions de base (Plutchik,
1980 ; Ortony & Tuner, 1990).
Plantin (2011, p. 130) définit les émotions en lien avec les listes existantes :
La première façon de définir ce qu’est une émotion consiste simplement à énumérer
ce qu’on compte comme émotions. Par extension, est émotion tout ce qui a un air de
famille avec une quelconque de ces émotions, au moins avec les éléments centraux de
cette collection ; ou, sur le plan langagier, tout ce qui se définit à l’aide d’une de ces
émotions centrales.
Si les grandes émotions sont rares et réservées à des moments exceptionnels, le quotidien est
teinté de micro-émotions, de « petites joies » et de « petites peines » (Cosnier, 1994, p. 15)
qui s’enchaînent notamment durant la conversation. Pour Cosnier, « les interactions
quotidiennes banales sont à l’évidence sous-tendues par une chaîne affective quasi-
122
permanente qui contribue à créer et à entretenir une "ambiance thymique" décisive pour la
qualité de la vie ». Plantin (2015, p. 14-15) définit les « micro-émotions » comme suit :
(i) L’émotion est de faible intensité.
(ii) L’événement associé est ordinaire, mineur, peu disruptif […].
(iii) L’émotion n’est pas thématisée.
(iv) Elle n’est pas mémorisée.
(v) Elle n’est ni socialisée ni racontée.
(vi) La période est strictement locale ; elle est courte, effectuée en continu, intégrée au
cours de l’action ou de l’interaction où elle est apparue, en quelques tours de parole.
(vii) Le niveau thymique est récupéré.
Ces affects habituels, parmi lesquels on retrouve « la joie, la tristesse, la surprise, la colère,
le dégoût ... de même que l'amour et l'amitié́ » seraient « des "micro-émotions" que l'on
pourrait qualifier de "subliminaires" dans la mesure où elles ne laisseraient pas de traces
mnésiques à moyen ou à long terme » (Cosnier, 2015, p. 59). Ce point est particulièrement
intéressant dans le cadre de cette recherche. En effet, les émotions évoquées par les
enseignants novices ne pourront qu’être de grandes émotions et non des micro-émotions
subliminaires qui ne laisseraient pas de trace.
Le thymique et le phasique
Nous avons déjà évoqué la notion de « thymie » à l’occasion de la définition du terme
« humeur ». Nous y revenons ici afin de mettre en relation « thymique » et « phasique », qui
caractérise l’émotion.
L’adjectif « thymique » vient du nom « thymie » qui signifie « humeur ; tonalité affective de
base oscillant, chez tout individu, entre la position pessimiste (abattement, dépression,
tristesse, désespoir) et la position optimiste (enthousiasme, euphorie) » (CNRTL66)
Selon Plantin (2011, p. 121) :
Dans le cadre de la vie psychique le thymique est de l’ordre de la permanence, de
l’état. C’est le fond, l’assiette psychologique, la tonalité psychique de base de la
personne dans sa culture, la contenance que la honte, peut-être la tristesse, font perdre.
C’est ce que Wierzbicka appelle le « normal state of composure » (s.d., p. 10), et qui
est perturbé par l’émotion.
66
https://www.cnrtl.fr/definition/thymie
123
Le thymique est « le niveau zéro de l’émotion ». Il correspond à l’humeur stable d’une
personne dans le temps.
À l’inverse, si l’humeur est thymique, l’émotion est phasique. Plantin (2011, p.122) définit le
phasique comme étant « de l’ordre de l’évènement, de la perturbation, de ce qui fait saillie
dans la vie psychique ». Il décrit « le développement temporel des émotions sous la forme
d’une courbe en “cloche” (courbe de Gauss) où l’on distingue trois moments : l’événement
inducteur 1) vient perturber un état psychique de base ; 2) provoque chez un sujet une
excitation ; 3) elle-même suivie d’une retombée et d’un retour à la normale. »
Figure 3.3. Courbe avec modification de l'état de fond (Plantin, 2001, p. 124)
Le cas de la surprise
La surprise se retrouve dans toutes les listes d’émotions de base précédemment citées.
Elle est habituellement considérée comme une émotion de courte durée de tonalité neutre, et
dans certain cas on lui attribue une valence positive (bonne surprise) ou négative (mauvaise
surprise). Selon Plantin (2016, p. 129), la surprise est la composante de toute émotion : « dans
la mesure où elle correspond à la courbe gauche rapidement ascendante de la ‘cloche
émotionnelle’ ».
124
Figure 3.4. Place de la surprise dans l'épisode émotionnel (Plantin, 2015, p. 9)
Elle est généralement suivie d’autres émotions, selon la valence de l’expérience (Ekman &
Friesen, 1975 ; Scherer, 1984) et ce sont les émotions suivant son émergence qui donnent à la
surprise sa coloration positive ou négative (Ekman & Friesen, 1975). Les théories de Plutchik
(1980 ; 1991) (cf. 3.4.2) sont donc pertinentes à cet égard car ce dernier s’intéresse aux
émotions secondaires, issues du mélange d’émotions primaires. Ainsi la surprise suivie de la
colère crée l’indignation, et la colère suivie de la tristesse engendre la déception. Ce point est
à retenir dans le cadre de cette recherche lorsque les enseignants novices évoqueront la
surprise. Il sera alors nécessaire de rechercher dans l’amont et l’aval de leur discours
l’événement déclencheur de la surprise afin de déceler l’émotion qui la suit immédiatement.
Ceci sera notamment le cas lorsque les novices ne mentionneront que la surprise pour décrire
leur ressenti, signe probable d’une granularité émotionnelle peu développée.
125
A skilled designer can look at five shades of blue and distinguish azure, cobalt,
ultramarine, royal blue, and cyan. My husband, on the other hand, would call them all
blue. My students and I discovered a similar phenomenon for emotions, which I
described as emotional granularity.
Here’s where the classical view of emotion entered the picture. Emotional granularity,
in terms of this view, must be about accurately reading your internal emotional states.
Someone who distinguished among the different feeling words like “joy”, “sadness”,
“fear”, “disgust”, “excitement”, and “awe” must be detecting physical cues or
reactions for each emotion and interpreting them correctly. A person exhibiting lower
emotional granularity, who uses words like “anxious” and “depressed”
interchangeably”, must be failing to detect these cues”.
La prise de conscience de la difficulté que rencontrent certaines personnes pour nommer leurs
émotions et notamment pour les graduer et les placer sur une échelle d’intensité – et par
anticipation les difficultés que rencontreront les enseignants d’anglais novices qui ne
dérogeront vraisemblablement pas à la règle – m’a amenée à me tourner vers l’approche
multidimensionnelle des émotions de Plutchik, ainsi que vers les modèles de hiérarchisation
des émotions sur lesquelles nous reviendrons en 3.4. Ceux-ci proposent des palettes de
nuances qui pourront aider les enseignants novices à nommer leurs ressentis.
126
une notion différente de valeur » et a donné naissance à l’adjectif « polyvalent ». Aucune
notion de polarité n’y est intégrée à l’origine (Colombetti, 2005). Depuis le XIXe siècle,
« valence » est un terme de chimie. Ainsi, en français, tout comme dans d’autres langues à
l’instar de l’anglais ou de l’italien, on fait référence aux électrons de valence et à la charge
positive et négative des électrons.
Le CNRTL67 en donne cinq définitions différentes. Après avoir tout d’abord mentionné son
appartenance au domaine de la chimie, il termine par cette définition : « PSYCHOL. Puissance
d’attraction (valence positive) ou de répulsion (valence négative) qu’un individu éprouve à
l’égard d’un objet ou d’une situation. Valence et valeur de satisfaction sont étroitement liées. »
Le Dictionnaire de psychologie (Doron et Parot, 1991, p. 743), reprend les concepts de force
d’attraction (valence positive) ou de répulsion (valence négative) et ajoute qu’il s’agit de la
« valeur subjective (positive ou négative) de tout objet présent dans l’environnement ».
« Valence » a été introduit dans le domaine de la psychologie par Tolman (1932) pour traduire
le terme allemand Aufforderungscharakter utilisé par Lewin. Ce dernier écrit en 1935 qu’il
n’existe pas de traduction satisfaisante de ce terme en anglais. Colombetti (2005, p. 105)
precise:
What is interesting, ultimately, is that ‘valence’ entered anglophone psychology via a
questionable translation, and initially referred to affordance-characters rather than
emotions. The use of ‘valence’, however, was not unambiguous and it contained the
seeds of subsequent uses of the term, including its relation to emotion.
Charland (2005, cité dans Colombetti, 2005, p. 105) fait la différence entre emotion valence
et affect valence :
‘emotion valence’ refers to the positive and negative character of an emotion tout court
(the positive or negative character of fear, anger, joy, etc.), whereas ‘affect valence’
refers to the positive and negative character of an emotion experience (how good or
bad an emotion feels).
On comprend, comme l’écrit Frijda (dans Rimé & Scherer, 1989, p. 40), que « c’est la
présence du plaisir et de la douleur, ou l’expérience « hédonique » comme on l’appelle, qui
donne à l’expérience émotionnelle son caractère spécifique ». Plutchik (1991, p. 51-52)
67
https://www.cnrtl.fr/definition/valence/1
127
n’emploie pas le terme de valence, mais fait référence à la polarité des émotions : “emotions
may be meaningfully conceived in terms of bipolar opposites” (p. 52). Après avoir analysé
différentes théories des émotions, il ajoute : “it becomes evident that a pleasure-pain factor
appears in all the different approaches […] and an intensity factor as well”, ce qui l’amène à
opter pour une approche multidimensionnelle.
Feldman-Barrett et Russell (1999, p. 10) associent la notion de plaisir/déplaisir à la valence,
sous-entendant sa nature soit positive soit négative.
Coppin et Sander (2010, p. 18) reprennent l’ensemble des points cités précédemment et
soulignent l’intérêt des approches dimensionnelles pour la notion de valence :
Dimension clé de l’émotion (voir par exemple Titchener, 1909), déjà mise en avant
par des philosophes tels qu’Aristote, se référant à l’hédonicité, c’est-à-dire au caractère
agréable versus désagréable d’un événement ou d’une situation. Les termes
d’agrément versus de désagrément recouvrent également cette notion. La valence est
avancée comme une des dimensions élémentaires de l’expérience émotionnelle par la
quasi-totalité des théories dimensionnelles de l’émotion. Dans les théories de
l’évaluation cognitive, l’on distingue volontiers deux formes de valences pour un
événement donné : (i) l’agrément intrinsèque (agréable ou désagréable) de
l’événement lui-même et (ii) la congruence (facilitation ou entrave) de cet événement
avec les buts de l’individu.
Dans cette recherche, le choix est fait d’utiliser « valence positive » et « valence négative »
pour qualifier les émotions en fonction de l’expérience dite hédonique des enseignants
novices, opposant le plaisir au déplaisir.
Dans son ouvrage de 1980, puis lors de la conférence “The nature and function of emotion ”
organisée en 1981 par Scherer et Ekman, Plutchik fournit une version plus aboutie de sa
définition initiale d’« émotion ». Celle-ci s’inscrit totalement dans une approche
psychoévolutive:
An emotion is an inferred complex sequence of reactions to a stimulus, and includes
cognitive evaluations, subjective changes, automatic and neural arousal, impulses to
action, and behavior designed to have an effect upon the stimulus that initiated the
complex sequence. These complex reaction sequences may suffer various vicissitudes,
which affect the probability of appearance of each link in the chain. These complex
reactions are adaptive in the struggle in which all organisms engage for survival. At
128
higher phylogenetic levels, the patterns of expression associated with each chain of
emotional reactions serve to signal motivation or intent from one member of a social
group to another. Finally, there are eight basic reaction patterns that are systematically
related to one another and that are the prototype sources for all the mixed emotions
and other derivative states that may be observed in animals and humans. (Plutchik,
1982, p. 551)
Les émotions sont donc, pour Plutchik (1980, 1982, 1991), dérivées des fonctions adaptatives
qui les préfigurent. Il définit huit émotions primaires qu’il regroupe par paires opposées : joie-
tristesse, acceptation-dégoût, peur-colère, surprise et anticipation. Après avoir analysé le
lexique des émotions, il est parvenu à agencer les émotions entre elles en tenant compte de
leurs différences et de leurs similitudes. Il a ainsi pu les représenter sous la forme d’un modèle
multidimensionnel (figure 3.5.) reposant sur trois notions : l’aspect dimensionnel, la notion
de persistance et la notion de pureté.
Selon Plutchik, les émotions varient en intensité sur un axe vertical, à l’instar de la colère pour
laquelle l’irritation et l’agacement sont des variantes moins intenses, et la rage ou la fureur
des versions plus fortes. Les émotions les plus intenses se trouvent au sommet, sur la coupe
129
horizontale. Plutchik considère également qu’il existe des degrés de similarité entre certaines
émotions, d’où leur proximité sur le cône. Ainsi la peur est plus proche de la surprise que de
la colère. On note également que plus on descend dans le cône et plus les nuances entre les
émotions sont subtiles.
Each slice of the emotion solid, which bears certain interesting relation to the color
solid, represents a different primary emotion, with the vertical dimensions implying
an intensity or arousal variable. The terms at the top represent maximal levels of
arousal of each basic emotion dimension. The shape of the model implies that the
emotions become less distinguishable at lower intensities. If we imagine taking
successive cross sections, we keep duplicating the emotion circle with progressively
milder versions of each primaries. Emotions placed near one another are more similar
than are those which are further apart or opposite.
La notion de persistance
Plutchik considère que certaines émotions durent plus que d’autres. Certaines sont
aigües, et d’autres davantage chroniques: “laboratory studies usually deal with transient
emotions while clinical investigations deal with patients’ suffering emotions over long periods
of time” (Plutchik, 1982, p. 531).
La notion de pureté
Selon Plutchik, les émotions sont rarement pures et sont généralement issues de
mélanges.
[…] emotions are typically experienced as mixed, and [that] pure emotions are rarely,
if ever, encountered. (Plutchik, 1982, p. 531)
In the clinical situation, many patients have conflicts about expressing their emotions,
and, in addition, usually experience several at the same time. Sadness may be
accompanied by anxiety, resentment and hopelessness. (Plutchik, 1991, p. 17)
Plutchik définit des règles précises, pour former des émotions mixtes. Pour cela, il s’est
appuyé sur les résultats d’expériences empiriques durant lesquelles des sujets ont été amenés
à choisir des émotions parmi des listes qui leur ont été proposées. Les résultats obtenus lui ont
permis de déterminer des dyades d’émotions primaires (mélange de deux émotions adjacentes,
ex : la peur et la surprise créent l’alerte), secondaires (émotions formées par des portions non
adjacentes mais séparées par une portion correspondant à une émotion primaire, ex : la peur
et la tristesse créent le désespoir) et tertiaires (séparées par des portions correspondant à deux
émotions primaires, ex : la peur et le dégoût engendrent la honte) selon leur proximité ou leur
éloignement dans le modèle. En combinant deux émotions ou plus issues de différents niveaux
d’intensité, on parvient à définir de nombreuses émotions (figures 3.6. et 3.7.).
130
Figure 3.6. Dyades primaires formées à partir de la combinaison de paires adjacentes d'émotions
primaires (Plutchik, 1982, p. 540)
Plutchik (1980, p. 161) représente également la combinaison des émotions sous la forme d’une
roue colorée : “on the basis of three primary colours plus variation in degree of brightness, all
the colors observed in nature can be duplicated. A similar idea applies to emotions”. Les
émotions primaires, situées au deuxième niveau de la roue, correspondent aux couleurs
primaires. Les émotions secondaires résultent de la combinaison de deux émotions primaires.
Figure 3.7. Le modèle de circomplexe en 2 dimensions (roue des émotions) de Plutchik (1980)
131
Cette roue est particulièrement intéressante pour les personnes dont la granularité
émotionnelle est peu développée, et donc pour les enseignants d’anglais novices. En effet, le
dégradé de couleurs rend plus accessible la notion d’intensité (le plus foncé correspond à
l’intensité la plus forte, et inversement). La variation des couleurs permet de mieux
comprendre l’origine des émotions. La roue des émotions de Plutchik constitue un modèle de
hiérarchisation des émotions simple à interpréter. Une version traduite en français pourra être
communiquée aux enseignants d’anglais novices en cas de besoin, afin de leur permettre
d’exprimer leur ressenti plus facilement.
132
Figure 3.8. Le domaine conceptuel des émotions de Shaver et al. (1987 : 1067) repris et traduit par De
Bonis (1996, p. 26)
Les chiffres qui apparaissent en bas des branches correspondent au nombre de mots non
indiqués ici, mais répertoriés dans chaque sous-catégorie par Shaver et al.
Fournir un tel modèle de hiérarchisation des émotions à des néophytes interrogés sur leurs
états émotionnels ne serait pas pertinent, le modèle étant trop complexe. En revanche, il peut
s’avérer un outil précieux pouvant servir de typologie des émotions de la joie et de la colère,
utile à mon analyse. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant.
Mandler (1984) considère qu’il existe deux types de situations conduisant à l’émotion :
« quand quelque chose qu’on n’attendait pas se produit, ou quand quelque chose qu’on
attendait ne se produit pas » (Mandler, 1984, p. 188 cité dans Rimé, 2005, p. 83). L’émotion
qui émerge varie donc selon l’écart existant entre la réalisation et les moyens/ressources dont
une personne dispose pour y répondre (Rimé, 2005).
134
Si on suit cette théorie, les émotions des enseignants d’anglais novices naîtraient du décalage
entre le script prototypique – souvent prescrit – initialement intégré par l’enseignant et sa
réalisation effective. Les causes d’un tel décalage peuvent être multiples, à l’instar des
difficultés didactiques (notamment dans la préparation) et pédagogiques (la mise en œuvre)
que rencontrent les enseignants en début de carrière. Les émotions déclenchées en raison de
ce décalage pourraient avoir des conséquences sur le discours des enseignants.
1) 2) 3) 4)
script prototypique réalisation déclenchement impact sur le
(prescrit ou non) décalée de l'émotion discours
AMONT AVAL
Figure 3.9. Décalage de script initial/réalisation et impact de l'émotion sur le discours
3.7. Conclusion
Le champ des émotions est complexe de par le grand nombre d’approches et, au sein
de chacune, l’existence de définitions variées. Si ce domaine est « cacophonique » (Cosnier,
1994, p. 10) dans le milieu de la recherche, il l’est encore plus pour le grand public qui s’en
est emparé et qui peine à nommer ce qu’il éprouve au-delà des émotions primaires. Le public-
cible de cette étude, comme la plupart des non-experts du domaine des émotions, a une
« granularité émotionnelle » (Feldman-Barret, 2017) généralement peu développée. Il
s’avèrera donc nécessaire de les accompagner dans l’expression de leurs émotions en mettant
à leur disposition des outils facilitateurs. L’aspect multidimensionnel du modèle de Plutchik
propose un ancrage particulièrement intéressant. La roue colorée qu’il propose peut servir de
repère ou de guide, tel un nuancier des émotions. Elle permet de repérer les variations
d’intensité, les similitudes, les paires opposées, ainsi que la composition des émotions mixtes.
La notion de valence, inhérente au modèle dimensionnel, avec les références au plaisir
(valence positive) et au déplaisir (valence négative), sera aussi utilisée dans le cadre de cette
recherche. Les travaux de Cosnier (1994 ; 2015), et notamment les notions de grandes
émotions et d’émotions subliminaires, sont également pertinents pour cette recherche. Si les
grandes émotions sont rares au quotidien, elles peuvent être fréquentes lorsqu’un enseignant
apprenant ne parvient pas à mener à bien ce qu’il avait prévu, lorsqu’il y a un décalage entre
le script prototypique, représentation mentale du déroulement du cours, et sa réalisation
effective décalée (Mandler, 1984 ; Rimé, 2005 ; Plantin, 2011).
135
Le chapitre 3 en bref
*Domaine très en vogue dans le grand public qui met l’étiquette « émotions » sur tous les
éprouvés (Cosnier, 1994). Granularité émotionnelle limitée.
* Cacophonies dans le monde la recherche : de nombreuses théories mais absence de
consensus sur une définition scientifique
*Existence de listes d’émotions primaires émanant principalement des théoriciens psycho-
évolutionnistes. Des émotions semblent faire consensus : joie, colère, peur, tristesse,
surprise
*Peu de grandes émotions au quotidien, mais une multitude de petites/micro-émotions
*Les grandes émotions sont partagées (Rimé, 2005)
*L’humeur (le thymique) est le niveau zéro de l’émotion. Les émotions sont phasiques.
* Plantin : une émotion n’est pas la réponse simple à un stimulus. Elle est la résultante du
décalage entre un script prototypique (représentation mentale) et la réalisation effective.
136
La colère et la joie
Ce chapitre est divisé en deux parties, organisées de façon similaire. La première est
consacrée à la colère et la seconde à la joie, émotions les plus fréquemment ressenties au
quotidien par les enseignants selon la revue de littérature internationale menée et présentée
dans ce chapitre.
Dans chacune des parties, nous commencerons par des définitions, puis nous recenserons le
lexique en lien avec l’émotion dans le but de constituer une vaste typologie en français et en
anglais. Cette dernière servira de référence pour rechercher puis analyser les traces et impacts
de ces émotions dans les écrits (réponses aux questionnaires, journaux de bord) et dans le
discours oral des enseignants d’anglais novices. Pour finir, nous présenterons les résultats de
l’état de l’art mené sur les émotions des enseignants. Ceci permettra d’avoir un premier aperçu
sur les déclencheurs de la colère et de la joie en classe.
Plan du chapitre
137
4.1. Quelques considérations générales sur la colère et la joie
La colère et la joie font partie des émotions primaires que l’on trouve, depuis la Grèce
antique, référencées dans les listes évoquées précédemment. Tout comme la peur et la
tristesse, ce sont de « grandes émotions » (Cosnier, 1994) au sens où elles sont en lien avec
les grands événements de la vie mais elles font également partie des « micro-émotions »
(Cosnier, 1994, p. 15) ou « petites émotions » (Bouchard, 2000, dans Plantin, Doury &
Traverso, 2000, p. 223) du quotidien. On parle souvent des « petites joies » (Cosnier, 1994, p.
15) qui ponctuent la vie, et constituent un fond thymique positif. En revanche, on ne parle pas
de « petites colères », même si celles-ci existent et sont généralement marquées par des
« petits mots » (Bouchard, 2000, dans Plantin, Doury & Traverso, 2000, p. 223) – « bon, mais,
alors, enfin » – ou l’éclat d’un juron – « ah, merde ! » – (Plantin, 2015).
Le quotidien n’est pas toujours ponctué de petites « joies » ou de moments de « colère », mais
plutôt d’une de leurs déclinaisons parentes, d’intensité variée. Pour nommer ses émotions, il
peut alors être utile de recourir au cône multi-dimensionnel et la roue colorée de Plutchik, ou
au modèle de hiérarchisation des émotions de Shaver et al. (1987) comme on le ferait avec un
nuancier de couleurs. Ils seront autant d’outils précieux pour trouver la bonne nuance, le bon
mélange, la bonne intensité, selon la valence choisie.
La joie a généralement une valence positive et la colère une valence négative. Cependant, ces
valences peuvent parfois être nuancées, voire inversées, lorsque joie et colère sont associées
en collocation à des adjectifs porteurs d’une valence opposée. Certains évoquent avoir ressenti
une « joie morbide », une « joie amère », voire une « joie malsaine »68 (Bazin, cité dans
définition CNRTL) ou parlent de « joie féroce » ou de « joie mauvaise »69. Le marquis du
roman André (1851) de George Sand est pris d’une « juste colère »70, tandis que le narrateur
du Lys dans la vallée (1836) d’Honoré de Balzac mentionne sa « sainte colère »71. Plantin
(2016, p. 230) qualifie l’indignation de « saine colère ».
68
https://www.cnrtl.fr/definition/joie
69
Exemples extraits de https://www.cordial.fr/dictionnaire/definition/joie.php
70
Citation extraite de https://www.cordial.fr/dictionnaire/definition/colère.php
71
Citation extraite de https://www.cordial.fr/dictionnaire/definition/colère.php
138
L’objectif de ce chapitre est de faire un état des lieux de la colère puis de la joie, tant à travers
les définitions qu’en donnent les dictionnaires. Nous organiserons une étude du lexique de la
colère et de la joie et constituerons une vaste typologie qui servira de référence pour rechercher
puis analyser les traces de ces émotions dans les écrits (réponses aux questionnaires, journaux
de bord) et dans le discours des enseignants d’anglais novices. Dans la mesure où ces
enseignants peuvent exprimer leur colère ou leur joie en classe dans la langue qu’ils
enseignent, les termes « anger » et « joy », – considérés ici comme équivalents de « colère »
et « joie », – seront également définis et une recherche lexicale leur sera consacrée.
4.2. La colère
Introduction
La colère jouit d’une mauvaise réputation. La doxa dit qu’elle nous aveugle, qu’il faut
s’en écarter, qu’elle est mauvaise conseillère, qu’elle est synonyme de perte de contrôle et de
violence. Les croyances actuelles relayées dans les médias incitent à la maîtriser pour rester
« zen », d’où l’engouement actuel pour le yoga et la méditation. Cependant, en dépit de cette
mauvaise réputation, elle est pour certains nécessaire et valorisée. Elle reste d’actualité dans
la société qui la manifeste régulièrement dans la rue, ainsi que dans les débats des
personnalités politiques.
Qu’on la prête aux dieux ou au commun des mortels, la colère intéresse les philosophes depuis
l’Antiquité, comme en attestent les nombreux écrits d’Aristote. Si certains, à l’instar de Platon
ou plus tard de Kant, considèrent les passions comme une maladie de l’âme qu’il faut
contrôler, nous verrons que Descartes est moins catégorique à l’égard de la colère. Passées les
Lumières, on retrouve la colère dans les listes d’émotions notamment issues de la théorie
évolutionniste de Darwin puis de celles de Tomkins, Ekman et Plutchik. La colère continue à
susciter l’intérêt des linguistes, interactionnistes et philosophes contemporains, à l’instar de
Plantin (2011, 2015, 2016) ou de Erman (2018).
Après avoir étudié son étymologie et les définitions que les dictionnaires en donnent, nous
nous intéresserons aux écrits majeurs sur la colère à travers l’étude de passages de la
Rhétorique d’Aristote et des Passions de l’âme de Descartes. Nous verrons ensuite comment
la colère est décrite par les théoriciens de l’évolution, et notamment dans les travaux de
Plutchik dans lesquels sont ancrés cette recherche. Des travaux plus contemporains
s’intéressant à la colère seront également évoqués.
139
Définir la colère
Définitions des dictionnaires
Selon le Dictionnaire étymologique de la langue française (Bloch & von Wartburg,
2012, p. 141), le mot colère viendrait « du latin cholera, proprement « choléra », qui a pris le
sens de « maladie bilieuse », d’où « bile », par confusion avec le grec kholé « bile ». Le
Littré72 précise que colère « n’est entré qu’assez tard dans la langue ; le mot habituel dans les
âges anciens étant ire ; puis est venu chole, bile ; chaude chole, pour dire emportement, a été
longtemps usité ».
Les dictionnaires sont unanimes quant au caractère violent de la colère et sur son lien avec
l’agressivité. Le Littré précise qu’elle est une réaction à une blessure, ce qui sous-entend la
présence de douleur dans la colère. Le substantif « colère » peut être associé à une personne,
un animal ou un être inanimé, notamment pour faire référence aux éléments ou à la nature
dans le cadre de l’expression poétique. L’orage personnifié peut alors gronder et se mettre en
colère. Dans le domaine de la religion, la colère, qui est l’un des sept péchés capitaux, est la
« manifestation violente de la justice divine pour châtier l'homme pécheur » (Trésor de la
langue française73).
La colère est noire, terrible, dévastatrice et surgit telle l’éruption d’un volcan, mais elle peut
être juste ou sainte, telle la colère divine lors du jugement dernier.
Le tableau suivant reprend les principales définitions de dictionnaires français et
anglophones :
Dictionnaire Définitions
Larousse en État affectif violent et passager, résultant du sentiment d'une agression, d'un désagrément,
ligne traduisant un vif mécontentement et accompagné de réactions brutales : Se mettre en colère.
Manifestation de cet état, accès d’irritation : piquer une colère
Le Robert en Définition du 17è siècle :
ligne Emotion de l'ame, fougue, impétuosité des animaux, qui les fait agir & s'emporter contre ce
qui les offence. C'est une vertu aux hommes de savoir arrester les transports de
leur colere. C’est la brutalité des animaux qui les fait suivre les mouvements de leur colere.
Adj. m. & f. Qui est bilieux, fougueux, emporté, esmeu de passion contre ce qui le choque.
Les gens coleres sont en danger de s'attirer de meschantes affaires. (sic)
Définition actuelle :
72
https://www.littre.org/definition/colère
73
https://www.le-tresor-de-la-langue.fr/definition/colere#top
140
Violent mécontentement accompagné d'agressivité.
➙ courroux, emportement, fureur, irritation, rage ;
FAMILIER rogne.
Une colère noire, terrible. – Être en colère. ➙ furieux, hors de soi.
Accès, crise de colère. – FAMILIER Faire une colère.
Cordial. fr Mécontentement violent.
Accès de passion, d'énervement, se traduisant par une grande agressivité.
(Langage soutenu) Le déchaînement des éléments.
Trésor de la [En parlant d'une pers.] Vive émotion de l'âme se traduisant par une violente réaction physique
langue et psychique. Une grande, grosse, juste, sainte, terrible, violente colère.
française 2. RELIGION
informatisé et a) Un des sept péchés capitaux.
CNRTL b) Manifestation violente de la justice divine pour châtier l'homme pécheur.
− Le jour de colère. Le jugement dernier où se manifestera la colère divine.
B.− Par analogie
1. [En parlant d'un animal]
2. Poét. [En parlant des éléments ou des choses de la nature, considérée comme un animé]
3. [En parlant d'un inanimé]
Le Littré en Sentiment d’irritation contre ce qui nous blesse
ligne
Anger
Merriam- An intense emotional state of displeasure with someone or something
Webster
Collins Anger is the strong emotion that you feel when you think that someone has behaved in an
unfair, cruel, or unacceptable way.
A feeling of extreme annoyance or displeasure
Cambridge A strong feeling that makes you want to hurt someone or be unpleasant because of something
unfair or unkind has happened
Longman A strong feeling of wanting to hurt or to criticize someone because they have done something
bad to you or been unkind to you
La colère décrite dans les définitions françaises est résolument noire, violente et négative. En
revanche, les définitions de anger décrivent une émotion forte (strong), avec un désir d’en
découdre avec quelqu’un dont les agissements ont été injustes/mauvais. Il y a donc une nuance
entre le français et l’anglais dans la définition de cette émotion, ce qui peut expliquer la
difficulté de trouver des traductions fidèles entre les deux langues des émotions parentes de la
colère.
Voyons maintenant comment la colère est dépeinte par les philosophes et théoriciens des
émotions.
Aristote et la colère
La colère fait partie des émotions de base, ou passions, citées par Aristote. Pour le
philosophe grec, il n’est pas possible d’arriver à une définition unique de la colère et celle-ci
diffère donc en fonction du statut de celui qui la donne :
141
Le physicien et le dialecticien définiraient ainsi différemment chacune de ces
affections, ce qu’est, par exemple, la colère : pour le dernier, c’est le désir de rendre
offense pour offense, ou quelque chose de ce genre ; pour le premier, c’est l’ébullition
du sang qui entoure le cœur, ou bien l’ébullition du chaud. L’un met au jour la matière,
et l’autre la forme de la matière (403 a 29 et suivant, cité dans Aubenque, 1957, p.
301)
La définition dialectique, utilisant les mots, correspond à ce que tout un chacun entend en
utilisant le mot « colère » (Aubenque 1957, p. 302), et la référence à « ou quelque chose de ce
genre » entérine le fait qu’il existe une culture commune facilitant l’accès au sens de ce terme.
C’est en dialecticien qu’Aristote, au chapitre II du livre II de la Rhétorique, donne une
première partie de sa définition de la colère. Il la décrit alors comme : « le désir douloureux
de se venger publiquement d’un mépris manifesté publiquement à notre endroit ou à l’égard
des nôtres, ce mépris n’étant pas justifié » (Rhet. II, 2, 1378 a 30, trad. Dufour, 1938, cité dans
Aubenque, 1957, p. 305). La colère n’est pas gratuite, elle se définit en lien avec ce qui la
déclenche, avec sa cause. L’événement ou l’acte commis – ou sur le point d’être commis –
par une personne précise apparaît injuste, dépréciatif à l’égard de celui qui le subit. Celui-ci
en souffre d’autant plus que l’affront – voire l’humiliation – a été public. La colère engendrée
semble alors légitime, tout comme le désir de vengeance qui en découle. On est donc en
présence du quatuor : mépris, colère, douleur et vengeance. Le plaisir, « beaucoup plus doux,
disait Homère, que le miel distillé goutte à goutte » (II, 2, 1378 b 6, cité par Aubenque, 1957,
p. 210), se substitue à la douleur dès lors qu’un plan est échafaudé pour parvenir à se venger.
Ce passage de la Rhétorique cité par Plantin (2011, p. 159) en fait la description :
Définissons la colère (orgè) comme l’appétit (orexis) accompagné de souffrance
(lupè) de ce qui apparaît comme une vengeance à cause de ce qui apparaît comme un
acte de dépréciation (oligôria) atteignant nous-mêmes ou nos proches, quand cette
dépréciation n’est pas justifiée. Si c’est bien cela la colère, il s’ensuit nécessairement:
que l’homme en colère le soit toujours contre un individu particulier, Cléon par
exemple, et non contre l’homme en général ; que, d’autre part, cette personne ait fait
ou se soit apprêtée à faire quelque chose à soi ou à l’un des siens ; que toute colère soit
suivie d’un certain plaisir inspiré par l’espoir de la vengeance. (Rhét. 1378a31-b1 ;
trad. Chiron, p. 264-265. Voir aussi Greimas 1983, p. 229).
Douleur &
Acte déclencheur: Retour au
Colère désir de Plaisir
mépris, affront calme
vengeance
142
Aristote fournit une longue description des événements et situations qui déclenchent la colère
(Plantin, 2016, p. 437) et force est de constater que ce qui engendrait la colère durant
l’Antiquité correspond parfaitement à ce qui la provoque aujourd’hui (Rimé, 2005, p. 45-47).
Les raisons de la colère seraient donc intemporelles, comme en atteste cet extrait de la
Rhétorique :
[...] Nous nous mettons toujours en colère contre ceux qui se prennent à rire en notre
présence, ou qui se moquent de nous ouvertement, ou bien qui nous attaquent avec des
railleries piquantes ; […] contre les personnes qui parlent mal de nous, ou qui nous
méprisent dans les choses dont nous faisons de notre occupation principale ; [...] contre
ceux qui, après avoir reçu quelques plaisirs, sont assez ingrats pour nous abandonner
dans l’occasion, ou qui ne font pas autant pour nous que nous avons fait pour eux ; [...]
contre tous ceux qui ont des desseins contraires aux nôtres ; [...] contre nos amis
lorsqu’ils ne disent pas du bien de nous ou qu’ils n’ont pas soin de nous obliger, mais
bien plus incomparablement lorsqu’ils font tout le contraire ou qu’ils ne s’aperçoivent
pas de notre besoin ; [...] contre les personnes qui se réjouissent de nos disgrâces, et
généralement contre tous ceux qui ne sont point touchés des malheurs qui nous
arrivent, [...] contre ceux qui ne se soucient pas de nous fâcher, et c’est pour cela que
le message des personnes qui apportent des mauvaises nouvelles est toujours si mal
reçu ; [...] contre ceux qui écoutent le mal qu’on dit de nous, ou qui sont attentifs à
regarder celui qui nous est arrivé ; [...] Contre ceux qui offensent [...] nos pères et
mères, nos enfants, nos femmes, nos domestiques et tous ceux qui dépendent de nous ;
[...] Contre ceux qui sont insensibles à nos bienfaits et qui ne nous en savent pas gré ;
[...] contre ceux qu’on aperçoît se moquer dans le temps qu’on pense traiter
sérieusement avec eux, [...] contre les personnes qui se montrent obligeantes et font du
bien à tous les autres, excepté à nous [...]. (Rhétorique, traduction de Cassandre, 1733,
cité dans Rimé, 2005, p. 46-47)
La colère est définie par Aristote en lien avec celui qui la déclenche, « un individu déterminé,
par exemple Cléon ». Si cet individu est un proche, la colère sera d’autant plus forte car
l’affront sera ressenti plus violemment : « nous nous irritons plus contre ceux qui nous sont
chers que contre ceux qui ne le sont pas » (1379a 19-25, cité par Aubenque, 1957, p. 308). La
colère peut être vécue plus ou moins douloureusement si la valeur de la personne est remise
en question : « notre colère est bien plus vive si nous soupçonnons que nous ne possédons pas
du tout ces avantages (qu’on nous conteste), ou seulement à un faible degré, ou que nous ne
paraissons pas les posséder ; croit-on, en effet, avoir grande supériorité en l’objet de la
raillerie, celle-ci nous laisse froids » (1379a 39, cité par Aubenque, 1957, p. 308).
Tout au long de son exposé sur la colère, Aristote la compare avec ce qu’elle n’est pas, et
notamment avec la haine ou la crainte. Pour Aubenque (1957, p. 314), la définition
aristotélicienne de la colère n’est pas scientifique, « nous voyons Aristote professer tout un
cours – exotérique il est vrai – sur la colère, sans se soucier le moins du monde de son substrat
corporel. N’y a-t-il pas là un paradoxe ou une contradiction ? Peut-on parler de la colère
143
comme le mathématicien parle de la ligne et de la surface ? ». Plusieurs siècles plus tard,
Descartes prend le contrepied.
Descartes et la colère
Dans les Passions de l’âme (1649), René Descartes rompt avec Aristote, et explique
que son « dessein n'a pas été d'expliquer les passions en orateur, ni même en philosophe moral,
mais seulement en physicien » (XI p. 326). Il dédie quatre articles – l’article 199 « De la
colère », l’article 200 « Pourquoi ceux qu’elle fait rougir sont moins à craindre que ceux
qu’elle fait pâlir », l’article 201 « Qu’il y a deux sortes de colère, et que ceux qui ont le plus
de bonté sont les plus sujets à la première » et l’article 202 « Que ce sont les âmes faibles et
basses qui se laissent le plus emporter par l’autre » – de la troisième partie de son ouvrage,
intitulée « des passions particulières » à la colère :
L’article 199 présente et définit la colère en comparaison avec la haine, tant sur le plan
psychologique que sur les effets physiologiques que chacune de ces passions engendrent. Tout
comme Aristote, il évoque autrui et ses agissements nuisibles à notre égard comme
déclencheur de la colère, puis mentionne le désir de vengeance.
La colère est aussi une espèce de haine ou d'aversion que nous avons contre ceux qui
ont fait quelque mal, ou qui ont tâché de nuire, non pas indifféremment à qui que ce
soit, mais particulièrement à nous. Ainsi elle contient tout le même que l'indignation,
et cela de plus qu'elle est fondée sur une action qui nous touche et dont nous avons
désir de nous venger. Car ce désir l'accompagne presque toujours ; et elle est
directement opposée à la reconnaissance, comme l'indignation à la faveur. Mais elle
est incomparablement plus violente que ces trois autres passions, à cause que le désir
de repousser les choses nuisibles et de se venger est le plus pressant de tous. C'est le
désir joint à l'amour qu'on a pour soi-même qui fournit à la colère toute l'agitation du
sang que le courage et la hardiesse peuvent causer. Et la haine fait que c'est
principalement le sang bilieux qui vient de la rate et des petites veines du foie qui
reçoit cette agitation et entre dans le cœur, où, à cause de son abondance et de la nature
de la bile dont il est mêlé, il excite une chaleur plus âpre et plus ardente que n'est celle
qui peut y être excitée par l'amour ou par la joie.
L’épisode de colère suit la même évolution chez Descartes que chez Aristote. Seule la
référence aux manifestations physiologiques fait la différence.
144
Ce continuum pourra être utilisé, en complément d’autres outils pour observer et analyser
certaines situations de classe.
Si pour Platon et Kant les passions sont des maladies de l’âme, elles sont au contraire,
« presque toutes bonnes » pour Descartes. La colère fait partie de l’exception, et il vaut mieux
lui substituer l’indignation, moins violente et signe d’une certaine prise de recul, d’une hauteur
de l’esprit :
Au reste, il me semble que vous inférez, de ce que j’ai étudié les passions, que je n’en
dois plus avoir aucune ; mais je vous dirai que, tout au contraire, en les examinant, je
les ai trouvées presque toutes bonnes, et tellement utiles à cette vie, que notre âme
n’aurait pas sujet de vouloir demeurer jointe à son corps un seul moment, si elle ne les
pouvait ressentir. Il est vrai que la colère est une de celles dont j’estime qu’il faut se
garder, en tant qu’elle a pour objet une offense reçue ; et pour cela nous devons tâcher
d’élever si haut notre esprit, que les offenses que les autres peuvent nous faire, ne
parviennent jamais jusqu’ à nous. Mais je crois qu’au lieu de la colère, il est juste
d’avoir de l’indignation, et j’avoue que j’en ai souvent contre l’ignorance de ceux qui
veulent être pris pour doctes, lorsque je la vois jointe à la malice. (a 211 )
La colère n’est donc pas mauvaise en soi, et il s’agit de la contrôler pour en faire bon usage.
On comprend que dans le cadre de la classe, la colère ne sera pas forcément négative et à
combattre.
Darwin et la colère
Darwin s’inscrit dans une approche évolutionniste des expressions émotionnelles entre
les différentes espèces animales. Il s’intéresse aux expressions émotionnelles au cours de
l’évolution et à leur caractère adaptatif à l’environnement et montre que leur apparition
augmenterait les chances de survie lorsqu’un danger apparaît. On comprend ici l’importance
que l’expression de colère, émotion fulgurante et violente, peut avoir sur celui qui y fait face.
Une de ses fonctions va être d’effrayer l’adversaire. Dans son ouvrage de 1872, The
expression of the emotions in man and animals, Darwin, décrit avec précision les différents
traits et caractéristiques qui apparaissent, notamment au niveau du visage, lors des épisodes
émotionnels, tant chez l’animal que chez l’humain. Il décrit ainsi les effets de la colère :« sous
l'empire d'une colère médiocrement intense, l'action du cœur se surexcite légèrement, le visage
se colore et les yeux brillent. Dans une vive colère, les yeux sont farouches, les sourcils sont
abaissés et énergiquement froncés, les lèvres sont serrées » (1872, chapitre X, p. 263). Ces
éléments de descriptions pourront faire partie d’une typologie des émotions à mettre en place
pour faciliter la reconnaissance ou confirmer la présence de la colère dans le cadre de la classe.
145
Tomkims et la colère
Les travaux de Tomkins (1962, 1963) se situent dans la continuité de ceux de Darwin
et s’inscrivent dans l’approche bio-psychologique. Selon Tomkins, « pour survivre,
l’organisme doit disposer d’un système d’amplification de messages qui demandent un
passage à l’action. C’est le rôle que jouent les émotions ou affects » (Rimé, 2005, p. 38). Les
émotions seraient donc des signaux adaptatifs puissants prenant la forme de réponses
physiologiques (musculaires, vasculaires, glandulaires), perçues comme agréables ou
désagréables. Tomkins distingue alors neuf programmes d’affects différents, tous innés.
Lorsqu’ils sont activés, la réponse est observable sur le visage. La prise de conscience des
modifications des expressions faciales est le signe de l’expérience subjective de l’émotion
(Rimé, 2005, p. 38). Le neuvième programme d’affects est celui de la colère ou rage. Selon
Tomkins, la colère ou la rage se manifestent par le froncement des sourcils, la contraction des
mâchoires et par des rougeurs faciales (Rimé, 2005, p. 39). Ces caractéristiques pourront être
ajoutées à celles déterminées par Darwin.
Ekman et la colère
Ekman s’appuie sur les travaux de Darwin, et s’inscrit dans le prolongement des thèses
de Tomkins, Il montre que dans le cas de la colère, le flux sanguin est plus important au niveau
des mains, ce qui anticipe le combat. Des expérimentations, menées à partir de clichés en
Papouasie-Nouvelle-Guinée et en Europe, ont permis à Ekman et Friesen (1969) de conclure
que chaque émotion est associée à des traits et expressions faciales particulières, communes
et reconnaissables de tous. La thèse de l’universalité des émotions a été depuis remise en
question, notamment par Izard dès 1971, lorsqu’il constate que les habitants de Nouvelle-
Guinée ne parviennent pas dans 50% des cas à différencier la tristesse de la peur sur des
visages occidentaux74.
Plutchik et la colère
Pour Plutchik (1991), la colère, ainsi que ses dérivés, est avec la peur l’émotion sur
laquelle il existerait le plus d’écrits scientifiques. Dans la revue de littérature qu’il présente
74
Voir Belzung, 2007, p. 21-24.
146
(1991, p. 78-84), la colère, dans sa dimension psychanalytique, est associée à l’agression. Elle
engendre des pulsions destructrices. Plutchik cite deux définitions qu’il dit correspondre le
mieux à la pensée générale, et donc à la sienne. Tout d’abord celle de Valentine (1941, cité
par Plutchik, 1991, p. 79) pour qui la colère survient lorsqu’un individu se retrouve bloqué
dans son entreprise, et qui se caractérise par des comportements tels que donner des coups de
pieds, taper du pied, frapper, crier, etc. Puis Iverson (1955, cité par Plutchik, 1991, p. 79) :
“anger is most likely to occur in connection with descriptions of situations which contain
insurmountable barriers to the reaching of goals, and least likely to arise in connection with
references to sensory or physiological stimulation”. Plutchik s’appuie également sur Darwin
(1872), puis sur Arnold (1960, Vol. 2) pour citer les effets physiologiques engendrés par la
colère, à l’instar de la hausse de la tension artérielle, la sécrétion d’adrénaline et la
vasodilatation. D’autres études auxquelles il se réfère mentionnent des tensions corporelles,
des tremblements ou pincements des lèvres, des cris forts et aigus, etc. Il termine sa revue de
littérature par une présentation du lexique75 associé à la colère. Il cite des expressions
populaires montrant que cette émotion est généralement associée à un changement de couleur
et de chaleur du corps ainsi qu’à une modification comportementale (Plutchik, 1991, p. 83-
84), puis il donne une liste de proverbes incluant une référence à la colère.
Plutchik (1982, p. 534), associe aux émotions trois types de langages :
[…] we may identify emotions in terms of the common subjective language which
includes words like happy, sad, angry and disgusted. Or, we may describe emotions in
behavioral terms as the comparative psychologist or ethologists do. This language
would include such expressions as: hitting, biting, running away, growling, crying and
vomiting. Still another way to describe emotions in terms of the effects of the
emotional reaction on the environment, that is, in terms of function. […] The effect of
anger is to destroy a barrier to the satisfaction of a need.
Pour résumer, le premier langage est subjectif et correspond au nom qu’on attribue aux
émotions, le deuxième est comportemental et sert à énumérer les manifestations
comportementales de ces émotions, et le troisième est « fonctionnel, lui-même composé de
huit fonctions adaptatives prototypiques relatives aux huit émotions de base : protection,
destruction, reproduction, réintégration, affiliation, rejet, exploration et orientation »
75
Nous y reviendrons en 4.2.4.3.
147
(Christophe, 1998, p. 64). Plutchik présente sous forme d’un tableau chacune des huit
émotions de sa liste, associée à une émotion plus intense, puis cite son expression via les
langages comportementaux et fonctionnels. La colère est présentée comme suit :
Puis il ajoute sa réflexion sur les éléments déclencheurs des émotions et leur évaluation
cognitive :
Stimulus Inferred Cognition Feeling Behavior Effect
Event
Obstacle « Enemy » Anger, rage Biting, hitting Destruction
Tableau 4.3. Extrait du tableau « Different languages for the description of emotion » (Plutchik, 1982, p.
547)
Dans le cas des enseignants d’anglais novices, on peut imaginer que la colère – voire la rage
– surgisse lorsqu’ils rencontrent un obstacle en classe, tel que le comportement inapproprié
d’un élève ou la non-réactivité du groupe classe. Face à cette situation, l’enseignant peut être
amené à manifester un « comportement d’attaque », et réagir en s’en prenant verbalement à
un élève, en jetant un objet, en tapant du poing sur son bureau, etc., par exemple. La colère
pourra alors avoir un effet négatif ou un effet positif. Si l’enseignant ne contrôle pas sa colère,
il peut être amené à tenir des propos inappropriés ou à prendre des décisions impulsives
injustes – punition collective, « contrôle surprise » – qui vont détruire la confiance que les
élèves ont en lui. Dans le cas d’une colère bien gérée, l’effet sera au contraire constructif.
L’objectif sera atteint.
Pour conclure, il est possible de dresser une typologie de la colère chez Plutchik en
combinant les caractéristiques dimensionnelles de la colère fournies par le cône et la roue (cf.
3.4.1.3) l’analyse du langage comportemental et du langage fonctionnel, en incluant les
éléments déclencheurs et de leur évaluation cognitive, et l’étude de son lexique. C’est ce que
nous tenterons de faire plus bas (cf. 4.2.4.3).
148
partir de 1963 – les émotions sont « un trouble de l’expression des conduites » (Fraisse, 1968,
cité dans Belzung, 2007, p. 16). La colère, à l’instar de la peur, de la douleur et de l’excès de
joie, correspond à la « baisse de niveau de l’adaptation qui se manifeste quand la motivation
est trop forte par rapport aux possibilités actuelles du sujet » (Fraisse, dans Nutin, Fraisse,
Meili & Roubertoux, 1963/1975, p. 112). Elle a un schéma prototypique :
On se met en colère quand on substitue paroles et gestes violents aux efforts pour
trouver une solution aux difficultés qui se présentent (résoudre un conflit, tourner un
obstacle). Mais une réaction émotive comme la colère a une organisation et des traits
communs que l’on retrouve de colère en colère. Elle est aussi une réponse adaptée à
la situation (frapper sur un objet ou une personne qui vous résiste), mais le niveau de
cette réponse est inférieur à ce qu’il devrait être, compte tenu des normes d’une culture
donnée. (Fraisse, dans Nutin, Fraisse, Meili et Roubertoux, 1963/1975, p. 113).
La colère, tout comme l’irritation et l’agressivité sont bien souvent déclenchées par la
frustration (Fraisse, dans Nutin, Fraisse, Meili & Roubertoux, 1963/1975, p. 127). Si chez le
petit enfant les colères sont explosives et sans direction, elles sont, chez l’adulte qui ne les
maîtrise pas, orientées vers la personne qui en est la cause. Fraisse précise que dans de tels
cas, le but est de « tirer une utilité sociale d’un désordre de la conduite » (Fraisse, dans Nutin,
Fraisse, Meili & Roubertoux, 1963/1975, p. 115). Progressivement, lorsque les « situations
émouvantes » se reproduisent, l’adulte va soit réagir et se constituer un système de défense,
soit s’adapter, au point de ne plus ressentir de réactions émotives. On peut imaginer que les
enseignants novices font des colères orientées vers les personnes – en l’occurrence les élèves
– qui en sont la cause, et qu’à l’inverse les enseignants chevronnés ont une meilleure maîtrise
des « situations émouvantes ».
Plantin analyse la façon dont le discours qui mène à l’émotion se construit. Pour cela, il juge
plus pertinent de recourir à des prédicats plutôt qu’à des substantifs (ex : parler de « mettre en
colère » plutôt que de « colère ») :
Il ne s’agit pas de dire ce que sont la colère ou le calme, mais de voir comment on
construit un discours susceptible de mettre en colère ou de calmer. C’est pourquoi le
point de vue rhétorique impose d’utiliser non pas des substantifs, […] mais des
prédicats d’action pour parler des émotions dans une perspective discursive. (2011, p.
25)
Il définit en cinq points la façon dont l’émotion est « signifiée » et reconstruite dans le
discours (Plantin dans André et al, à paraître) :
L’émotion est … Exemples
1 Signifiée directement par un terme d’émotion ou par un terme Être en colère / être en rogne
synonyme
2 Dérivée d’une situation interprétée En situation de face à face
3 Signifiée indirectement par une description des transformations Les yeux lui sortaient de la tête.
physiques de l’expérienceur
4 Signifiée indirectement par les modalités des actions accomplies Il est parti en claquant la porte.
par l’expérienceur
5 Signifiée indirectement par le type d’action de l’expérienceur : Pierre a porté plainte contre Paul.
Tableau 4.4. Construction et interprétation de la colère dans la parole d’après Plantin (dans André et al.,
à paraître).
150
de haine, qui est un vice. Le formatage discursif joue un rôle essentiel dans ces oppositions. »
Il justifie « le passage à /l’indignation/ et à la /colère/ par l’existence d’agents responsables
incarnant des contre-valeurs, par la similarité des faits avec d’autres faits ayant provoqué
l’horreur et l’indignation » (Plantin, 2011, p. 224). Nous étudierons plus en détail la
construction des scripts cognitifs de la colère en 4.2.5.
Kövecses prolonge ces travaux en 2000 en faisant une étude comparative entre les métaphores
anglaises et celles présentes en hongrois, chinois et japonais, ce qui l’amène à conclure qu’il
existerait une structure commune de la colère dans les quatre cultures. Dans les quatre cas, la
colère apparaît comme un liquide ou un gaz enfermé dans un contenant, le corps humain :
All four cultures seem to conceptualize human beings as containers, and anger and its
counterparts as some kind of substance (a fluid or gas) inside the container. This
conceptualization can be captured in terms of the metaphor that “the body is the
container for the emotions” and that anger is a substance (fluid / gas) in the container”
(Kövecses, 2000, p. 160)
Ceci viendrait du fait que le ressenti physiologique est le même quelle que soit la culture
(Kövecses, 2000, p. 169). Suite à un événement (la cause), le liquide ou le gaz (la colère) est
sous pression dans le contenant (le corps), et lorsque la pression est trop forte (force), le
contenant, tel une cocotte-minute, explose (perte de contrôle) et le liquide/gaz sort (expression
de la colère). La métaphore du liquide chaud dans un contenant permet à Kövecses de dégager
un modèle de la colère commun aux quatre cultures :
151
existence of anger,
or its counterpart
cause attempt at control loss of control expression
(in the form of a
force)
Figure 4.3. Continuum des 5 étapes de la colère d'après Kövecses (2000, p. 161)
Si ce modèle en cinq étapes entérine une vision négative de la colère déjà bien installée dans
les cultures occidentales actuelles, Kövecses montre que cette émotion peut aussi être perçue
positivement. C’est le cas de la culture zoulou dans laquelle la colère a une bonne réputation
car elle est synonyme d’activité intense :
In Zulu culture, an active person is more highly valued than a person who is inert or
phlegmatic. This gives the angry person a more positive evaluation as well, something
that he does not have, or has to a smaller degree, in English-speaking countries.
(Kövecses, 2000, p. 168).
Il montre également, en s’appuyant sur l’expression « channel your anger into something more
constructive » que la force et l’énergie générées par la colère peuvent être utilisées à d’autres
fins qu’à celle de la vengeance. La colère peut alors servir des causes positives, même si ce
n’est pas le schéma prototypique habituel aujourd’hui. Ce schéma correspond davantage à
celui de l’époque victorienne décrit par Stearns :
“Adherence to the ideal of channeled anger showed in at least two settings”, one being
its use by male politicians and the other by reformers and businessmen (P. 84). A major
goal of Victorian emotionology “was to teach controlled use, so that properly
socialized adults would be masters of a fund of anger, with the experience to target it
appropriately” (p. 31). Anger had to be controlled, just like today, but there was a
major prototypical alternative to control: “channeled anger”. In other words, what was
one of the prototypes of anger in the Victorian period in America became clearly a
nonprototypical one in more recent times. (Kövecses, 2000, p. 168).
À l’époque victorienne, il est courant pour les hommes de faire usage de la colère dans le
cadre de leur profession, en politique ou dans les activités qui engendrent la compétition.
L’émotion est alors considérée comme saine et elle est donc positive. En revanche, elle ne
doit pas être présente au sein du foyer où le calme doit régner (Kövecses, 2000, p. 169, citant
Stearns, 1994).
Dans le cadre de cette recherche, la colère sera donc vue tant sous un angle négatif que positif
car elle pourra être destructive mais également saine et constructive.
152
Le modèle d’évaluation de la colère de Lazarus
Lazarus (1991, p. 222) décrit la colère comme “a demeaning offense against me and
mine”. Selon sa théorie, lorsqu’une personne subit un affront, elle se sent humiliée, son ego
est atteint et elle souffre, ce qui engendre la colère :
An offense that is deemed arbitrary, inconsiderate, or malevolent contributes to the
impression that we have been demeaned; the angry person has suffered what is taken
to be damage or threat to ego-identity, whether this is recognized consciously and
admitted or not. In effect, the word offense refers not merely to the frustration of a
goal, though frustration certainly has emotional significance, but it carries a special
significance – namely a slight or injury to one’s identity. This is how I believe adult
anger arises. Even a mere frustration may carry with the implication that we are less
significant or worthy of esteem than we would claim or wish.
Pour distinguer la colère des autre émotions négatives, il s’appuie sur ce qu’il appelle un
« arbre de décision » ou « decision tree » (p. 222) en suivant une logique d’analyse sous la
forme « si-alors » (if-then). Ceci lui permet de faire la distinction entre les émotions positives
et négatives et de différencier ce qui engendre la colère de ce qui déclenche les autres émotions
négatives. Son analyse comprend deux phases, « primary appraisal » puis « secondary
appraisal », qui ont chacune des ramifications (cf. figure 4.4.). Ce modèle d’évaluation est
particulièrement intéressant car, à la différence des approches exposées précédemment, une
des étapes est de rechercher la chose ou la personne responsable de la colère. Ce qui a blessé
ou humilié n’est alors pas nécessairement le fait d’autrui et une personne peut être responsable
de sa propre colère et être en colère contre elle-même. Dans ce cas, la colère peut aboutir, se
combiner ou se substituer à de la culpabilité ou de la honte. La recherche de responsabilité
(blame) est une étape cruciale de la colère.
A key secondary appraisal component is blame, which depends on who, if anyone, is
taken to be accountable for the damage or threat to our identity. If the accountability
is internal – that is, if we hold ourselves responsible – we experience either anger at
ourselves, guilt or shame. If none is accountable, sadness rather than anger is a
candidate. Anger at another person or object occurs only if the direction of
accountability is external. Even this, however, is not sufficient to predict anger,
because external accountability also occurs in fright-anxiety, envy-jealousy, and
disgust. Ultimately, imputed control is also crucial for anger in contradistinction to all
other negative emotions by providing for blame. (p. 223)
153
Figure 4.4. Arbre de décision de la colère d'après Lazarus (1991, p. 222-226)
Ces schémas sont pertinents pour comprendre le mécanisme de la colère des enseignants
novices, et notamment de la colère qu’ils peuvent ressentir contre eux-mêmes dans certaines
situations.
154
There is no difference between anger and fear, because there’s no single “Anger” and
no single “Fear”. (Feldman-Barret, 2017, p. 35)
Certains des enseignants d’anglais novices de cette étude sont issus de cultures différentes de
celles des élèves, et peuvent donc avoir des représentations différentes des émotions et de
leurs expressions. Ceci pourra avoir un impact sur leurs relations avec les élèves.
Le lexique de la colère/anger
Les enseignants novices sur lesquels cette recherche prend appui sont francophones et
enseignent l’anglais. Ils pourront donc être amenés à exprimer leurs émotions, dont la colère
fait partie, dans les deux langues pendant les cours, mais le français sera cependant la langue
des entretiens ainsi que celle des questionnaires et journaux de bord (cf. Partie II). Ils
exprimeront leur colère verbalement de façon variée, à l’aide de noms, adjectifs, verbes,
expressions idiomatiques, métaphores, interjections. Ils auront aussi recours à des
intensifieurs (ex : très fâché) et à des formes négatives (ex : pas content), etc. Leur niveau de
langue pourra être plus ou moins soutenu. Les différents outils et listes dont nous disposons –
à l’instar du cône et de la roue des émotions de Plutchik (cf. 3.4.1.3) et l’arbre de Shaver et al.
(cf. 3.4.3) – pourront être utilisés dans le cadre de cette recherche. La roue aidera les
enseignants à identifier et situer leur émotion, et notamment à en définir l’intensité grâce au
dégradé de couleur. En revanche, ces outils sont trop limités pour servir de
typologie/référentiel pour l’analyse des données et permettre de déterminer si une émotion
citée fait partie de la famille de la colère. À cela plusieurs raisons. Tout d’abord, ces outils
offrent un éventail d’émotions assez restreint, et surtout ils proposent uniquement des noms
d’émotions. Les enseignants novices pourront être amenés à évoquer leurs ressentis en
recourant à des verbes (ex : j’enrage, je ne décolère pas, je bous) des adjectifs (furieux,
remonté) ou des expressions (j’ai vu rouge). Il est donc important pour cette recherche de
construire un cadre, dans les deux langues, qui servira de référence et permettra de déterminer
si l’émotion exprimée relève de la colère. Se pose aussi la question de la traduction car les
émotions ne sont pas des concepts totalement identiques d’une langue à une autre. On peut le
constater en observant les difficultés que rencontrent les chercheurs à traduire les modèles de
Plutchik et de Shaver et al. Belzung (2017) n’a pas traduit l’ensemble des émotions du cône
de Plutchik avec les mêmes mots que De Bonis (1996). On retrouve cette caractéristique dans
la traduction du modèle de Shaver et al. par Cosnier (1994) et De Bonis (1996).
155
L’objet de ce paragraphe est tout d’abord de faire un état des lieux du lexique de la
colère/anger à l’aide des dictionnaires (recherche des synonymes de ces noms, des verbes et
adjectifs qui leur sont associés, des expressions idiomatiques), mais aussi de la recherche
(travaux sur les interjections, terminologies utilisées dans les modèles/outils établis et leurs
traductions). Cette revue lexicale nous permettra de constituer notre propre typologie de la
colère/anger. Pour rechercher les noms, les verbes, les adjectifs ainsi que les expressions
idiomatiques, nous aurons recours aux dictionnaires en ligne de langue française (Cordial76,
Larousse77, Le Robert78, CNRTL79, le Littré80, Dictionnaire Électronique des Synonymes
élaboré par le laboratoire CRISCO de l’université de Caen Normandie 81) et des dictionnaires
de langue anglaise (Thesaurus82, Merriam-Webster83, Collins84, Roget’s Thesausus85). Nous
nous appuierons également sur les travaux en langue française analysant les interactions dans
des situations de colère (Plantin, 2015 ; Bouchard, dans Plantin, Doury & Traverso, 2000) et
nous nous intéresserons au lexique de la colère recensé dans les modèles hiérarchisés de
Plutchik et de Shaver et al. traduits par Cosnier (1994) et De Bonis (1996). Le lexique issu de
ces travaux permettra de proposer une typologie de la colère (cf. 4.2.4.5).
76
www.cordial.fr/dictionnaire/definition/colère
77
www.larousse.fr/dictionnaires/francais/colère
78
www.dictionnaire.lerobert.com/definition/colere
79
www.cnrtl.fr/definition/colère
80
www.littre.org/definition/colère
81
Crisco2.unicaen.fr :
Le CRISCO (Centre de Recherches Inter-langues sur la Signification en Contexte) est une équipe de recherche
de l’université de Caen Normandie spécialisée dans l’analyse de l’articulation entre syntaxe et sémantique. Ils
sont à l’origine du Dictionnaire Électronique des Synonymes (DES)
82
https://www.thesaurus.com/browse/anger
83
www.merriam-webster.com/dictionary/anger
84
www.collinsdictionary.com/dictionary/english-thesaurus/anger
85
www.roget.org/scripts/qq.php
156
• Les noms
Lorsque les enseignants novices évoqueront leurs émotions, ils pourront utiliser le
syntagme « je ressens/j’ai ressenti » suivi d’un nom (ex : « j’ai ressenti de la colère/de
l’exaspération »). Recenser les noms en lien avec la colère/anger permettra d’élargir la liste
dans nous disposons déjà grâce aux outils de Plutchik et de Shaver et al. et d’obtenir ainsi une
liste qui sera utile lors de l’analyse du corpus écrit et oral. Si le nom auquel les enseignants
novices ont recours est dans la liste, leur émotion pourra être considérée comme parente de la
colère. Il faudra veiller à disposer de noms de tous niveaux de langue car les enseignants
pourront s’exprimer avec un vocabulaire plus ou moins relâché durant les entretiens.
Les termes français soulignés figurent dans une des traductions publiées du cône ou de la roue
de Plutchik86, et ceux en caractères gras sont présents dans les traductions publiées du modèle
de Shaver et al.87. En italiques, les noms cités comme synonymes de colère faisant consensus
dans au moins trois des cinq dictionnaires.
86
Traductions trouvées dans Belzung, 2017, p. 19 et 20 ; De Bonis, 1996, p. 16 ; Nélis, p.46, dans Mikolajczak
et al., 2014)
87
Traductions trouvées dans Tcherkassof, 2009, p. 51 ; De Bonis, 1996, p. 26 ; Cosnier, 1994, p44-45
157
Irritation Ire Irritation
Rage Irritabilité Mécontentement
Ressentiment Irritation Rage
Révolte Mécontentement Ressentiment
Rogne Rage Rogne
Surexcitation Ressentiment Surexcitation
Susceptibilité Rogne Tempête
Violence Surexcitation Vengeance
Susceptibilité Violence
Tempête
Vengeance
Violence
Tableau 4.5. Synonymes du substantif colère dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le Robert,
CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes
En consultant ces listes on peut faire deux constats. On remarque tout d’abord que les noms
d’émotions figurant dans les outils fournis par Plutchik ou Shaver et al. ne figurent pas
toujours dans les listes de synonymes donnés par les dictionnaires, ce qui peut paraître
surprenant. On note également que le registre est plutôt soutenu et que certains termes relèvent
davantage de l’écrit littéraire que de l’écrit attendu dans un journal de bord ou du niveau de
langue orale d’un entretien informel.
158
• Les verbes/syntagmes verbaux
Nous recenserons ici tout d’abord les verbes ou syntagmes verbaux synonymes de
« être en colère ». On pourra trouver ces verbes dans les réponses libres aux questionnaires,
dans les journaux de bord ou dans les entretiens, et ils pourront être utilisés en anglais durant
les cours. Les verbes faisant partie d’expressions (ex : avoir les nerfs en boule) ne seront pas
inclus dans ce tableaux mais dans celui des expressions, un peu plus bas.
Les verbes présents dans trois listes seront en italiques.
159
Burn Seethe Hassle Exasperate
Chafe Storm Infuriate Fulminate
Flare (up) Irritate Fume
Fume Lose it (informal) Go beserk
Get mad Offend Rant
Rage Outrage Rave
Rant Pique Seethe
Seethe Rave Storm
Storm Vex
Seethe
Tableau 4.8. Synonymes des verbes liés à anger dans les dictionnaires en ligne Thesaurus, Merriam-
Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus
En observant les deux tableaux, on constate que plusieurs verbes évoquent la colère par le
biais de la métaphore, à l’instar de « bouillir »/“boil (over)”, de « fumer »/“fume”, d’«éclater »
ou d’ « exploser »/“blow (up)”. La chaleur est présente dans les verbes « bouillir »/“boil”,
“burn (up)”, et « fumer »/“fume”. Certains verbes évoquent le liquide ou le gaz contenu dans
le corps-récipient sous pression qui ne parvient plus à être contrôlé. C’est le cas de
« déborde », « éclate » ou « explose », “blow up”, “crack up” qui évoque la violence. La
colère sort du corps dans un mouvement vif vers l’extérieur, comme dans « bondir » ou « hors
de soi ». On retrouve ces images avec la présence de “out” ou “over” dans les verbes “blow
up” et “ boil over”. La folie est également présente : “get mad”, “be maddened”, “infuriate”,
“craze”.
• Les adjectifs exprimant la colère
Nous nous intéresserons dans un premier temps aux adjectifs français synonymes de
« mécontent », puis dans un second temps aux synonymes de “angry”. Les adjectifs que nous
visons doivent décrire un état et pouvoir être employés avec « je me sens… » ou « je suis… »
/ “I am/ feel”. La liste du « lexique associé aux émotions de base » fourni par Mikolajczak et
al. (2014, p. 107) sera consultée au même titre que les dictionnaires. Ces auteurs précisent que
leur liste « permet d’élargir son vocabulaire émotionnel ». En effet, « avoir un lexique plus
étendu aide à préciser sa pensée et à trouver les mots qui correspondent le mieux à l’expérience
vécue » (p. 106). Les adjectifs présents dans au moins trois listes seront signalés en italiques.
160
Furibond Mécontent Irrité Embêté Exaspéré Écœuré
Furieux Mécontent Enervé Furieux En colère
Indigné Ennuyé Hargneux Énervé
Irrité Excédé Impatient Enragé
Mécontent Excité Irascible Exaspéré
Piqué Fâché Irritable Excédé
Révolté Froissé Monté Fâché
Vexé Furieux Râleur Frustré
Impatient Rouspéteur Furieux
Insatisfait Tempêteur Haineux
Irrité Tempétueux Irrité
Maussade Violent Mécontent
Offusqué Nerveux
Piqué Remonté
Ulcéré
Vexé
Tableau 4.9. Liste des adjectifs liés à colère dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le Robert,
CNRTL, le Littré, Dictionnaire Électronique des Synonymes et lexique associé aux émotions de base
Les adjectifs du tableau ci-dessous sont référencés commes des synonymes de “angry”
Thesaurus Merriam-Webster Collins Roget’s thesaurus
Annoyed Angered Annoyed Annoyed
Bitter Enraged Choked Bitter
Enraged Fuming Cross Cross
Exasperated Furious Displeased Displeased
Furious Hot Enraged Enraged
Heated Incensed Exasperated Exacerbated
Empassioned Inflamed Furious Ferocious
Indignant Infuriated Hacked (off) (US, slang) Fierce
Irritable Mad Heated Fuming
Offended Outraged Hot Furious
Outraged Rankled Ill-tempered Hateful
Resentful Steaming Incensed Heated
Uptight Indignant Hot
Infuriated Ill-tempered
Irascible Incensed
Irate Indignant
Irritable Inflamed
Irritated Infuriated
Mad (informal) Irascible
Outraged Irritable
Passionate Maddened
Piqued Offended
Pissed (off)(slang) Outraged
Provoked Piqued
Raging Provoked
Ranting Raging
Raving Resentful
Resentful Storming
Snappy Uptight
Tumultuous Vexed
Uptight
Tableau 4.10. Liste des adjectif synonyme de « angry » dans les dictionnaires en ligne Thesaurus, Merriam-
Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus
161
Parmi les adjectifs en langue française, on remarque la présence d’«excédé ». Le CNRTL en
donne la défintion suivante : « très fatigué et/ou extremement irrité ». Si « irrité » fait partie
des listes, on peut s’étonner de l’absence de « fatigué (de) », et par extension de « las (de) ».
On les ajoutera à la typologie finale, ainsi que les noms « fatigue » et « lassitude » et dans la
catégorie verbe on notera « être fatigué de » et « être las de ».
• Les expressions
Exprimer un ressenti émotionnel passe souvent par des syntagmes figés, expressions
idiomatiques dont certaines contiennent des métaphores. J’ajouterai à la liste des dictionnaires
utilisée jusque-là, le dictionnaire en ligne Reverso88 dont la page sur la colère est intéressante
car elle fournit des expressions familières qu’on ne trouve pas sur les autres sites, mais qui
pourront faire partie du vocabulaire des enseignants novices.
88
https://mobile-dictionary.reverso.net/fr/francais-synonymes/en+colère
162
Les foudres de la colère
Mouvement d'humeur
N’être plus maître de soi
S’abandonner à sa colère
Pâle de colère
Pourpre de colère
Rouge de colère
Sortir de ses gonds
Tableau 4.11. Liste des expressions en lien avec la colère dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse,
Le Robert, CNRTL, le Littré , le Dictionnaire Électronique des Synonymes et Reverso
Certaines des expressions citées dans les dictionnaires de langue française ou anglaise
expriment la violence de la colère (« crises de colère », « explosion de colère », « déchaîner
sa colère », « les foudres de la colère »), son explosion (« péter les plombs », « péter un
cable », « être en pétard »/“blow a fuse”), sa chaleur (« ardent de colère », « bouillant de
colère »/“let off steam”, “breathe fire”), ainsi que le mouvement (« mouvement de colère »,
« être hors de soi », « sortir de ses gonds », « être emporté ou être transporté par la colère » /
163
“throw a fit”, “fly off the handle”). On trouve également des références au corps (« la rage au
cœur ou au ventre », « épancher sa bile », « être en boule », « être pâle », « être pourpre/rouge
de colère », «tremblant ou frémissant de colère »/ “foam at the mouth”, “get on one’s nerves”)
et à l’absence de contrôle et à la folie (« n’être plus maître de soi », « être en proie à sa colère »,
« être fou de rage »/“be beside oneself”, “get mad ”/“lose one’s temper”). Plus les
expressions sont imagées, plus elles sont violentes et semblent difficiles à contrôler.
Si l’ensemble de ces mots et expressions peut être utilisé par les enseignants novices durant
les entretiens et dans leurs écrits (questionnaires, journaux de bord) pour faire part a posteriori
de leur ressenti, la colère en classe peut être exprimée par un autre vocable, dont les « petits
mots » à l’instar des interjections font partie.
Les micro-émotions, dont la colère fait partie, ponctuent le quotidien et donc les interactions.
Selon Goffman, l’émotion est omniprésente dans le discours ordinaire : “[…] it is impossible
to utter a sentence without coloring the utterance with some kind of perceivable affect – even
if (in special cases) only the emotionally distinctive aura of affectlessness” (Goffman, 1981,
cité par Plantin, 2015, p. 12). Ces « petites émotions » sont relayées par des « petits mots »
(Bouchard, p. 223-238, dans Plantin, Doury & Traverso, 2000), et notamment par des
interjections, comme le précise Jacobson : “the purely emotive stratum in language is
presented by the interjections” (1987, cité par Plantin, 2015, p. 11-12). Richet (2001, p.1)
considère les interjections comme un « fait saillant linguistique, ne serait-ce qu’en raison de
[leur] fréquence dans le discours écrit comme oral ». Il précise qu’on en trouve au moins une
164
par page dans les dialogues de romans ou pièces de théâtre du British National Corpus et
signale « Oh » comme l’interjection la plus fréquente de la composante orale du même corpus
(cf. infra).
Selon Ameka (1992), on trouve deux types d’interjections. Tout d’abord, les interjections
primaires qui peuvent prendre la forme d’onomatopées : “primary interjections are little words
or non-words which in term of their distribution can constitute an utterance by themselves and
do not normally enter into construction with other word classes, for example, Ouch!, Wow!,
Gee!, Oho!, Oops, etc.” (Ameka, 1992, p. 105). Si on les associe parfois aux connecteurs car
elles ont des fonctions de marqueurs de discours, les interjections peuvent s’employer seules,
ce qui n’est pas le cas des connecteurs – sauf dans le cadre d’un emploi elliptique (Ameka,
1992, p. 105). Certaines interjections sont des « non-mots » dans le sens où elles ne
contiennent pas de voyelles : « psst ! sh ! » et d’autres peuvent être des formes verbales figées
comme « tiens ! » ou “look !” (Ameka, 1992, p. 106).
Les interjections secondaires, dans un deuxième temps, correspondent, selon Ameka, à des
mots isolés avec une valeur sémantique indépendante. Les cris d’alarme, les injures et les
jurons (Richet, 2001, p.3) en font partie :
those words which have an independent semantic value, but which can be used
conventionally as utterances by themselves to express a mental attitude or state. They
thus refer to mental acts too. Under secondary interjections fall such alarm calls and
attention getters as Help! Fire!, Careful!, and swear and taboo words such as damn!,
hell!, heavens!, Christ!, and other emotively used words such as Shame!, Bother!,
Drats!, etc.
Selon Plantin (2015, p. 12), elles correspondent à « l’usage exclamatif d’un mot (merde !) ou
d’une expression (putain de merde !) », ainsi qu’à la combinaison des deux : « ah merde ! ».
Dans le cas d’expressions ou de combinaisons, Ameka cite les exemples de “ Goddammit!,
Bloody hell!, Dear me!, My Goodness!, Thank God !” et mentionne également les expressions
figées françaises « oh là là » et « he là ! ».
Les interjections, notamment celles définies comme secondaires, sont « très liées à la culture
d’un pays » (Richet, 2001, p.3). Elles peuvent être définies sur le plan syntaxique comme des
expressions idiomatiques équivalentes à des phrases (Cuenca, 2006, cité dans Plantin, 2015,
p. 12), ce que Bouchard appelle « unité linguistique lexicalisée », des « phrasillons »
(Bouchard, 2000, p. 231, dans Plantin, Doury & Traverso, 2000). On les considère comme
des marqueurs de discours, que Bouchard (p. 231) nomme « marqueurs de structuration ». Ces
« phrasillons » correspondent en français à « bon, mais, alors, donc, enfin, en fait, … », et en
165
anglais ces “ discourse markers” peuvent être “oh, well, and, but, or, so, because, now, then,
and y’know” (Schiffrin, 1987, cité par Plantin, 2015, p. 12). Les interjections (« ah, oh, ah
oui ? ah bon ? ») peuvent indiquer la surprise, et donc être la première étape de l’émotion, en
l’occurrence dans notre cas, de la colère (cf. 3.3.4.4). Bouchard précise que ces interjections
sont « à la limite du paraverbal » car elles sont liées à des manifestations telles que les
inspirations ou expirations fortes et sont également accompagnées d’une intonation
spécifique, et éventuellement de mimiques, de gestes voire de rires (Bouchard dans Plantin,
Doury & Traverso, 2000, p. 230). Ces phrasillons, « en dehors de tout contexte verbal à droite
comme à gauche » expriment une « petite émotion » du quotidien (p. 223). À ce stade, on peut
se demander ce qu’il advient dans le discours des enseignants d’anglais novices sous l’impact
de la colère et s’ils ont recours à des interjections et à ce type de phrasillons.
À quoi servent ces phrasillons ? Pour Bouchard, utilisés dans le contexte du travail, ils peuvent
servir à évacuer une « sur-tension locale ». Ils signalent alors la disruption, l’interruption du
script prototypique89 (cf. 3.6.). Les phrasillons peuvent aussi « donner un point de départ (anti
ou co-orientation, …) aux inférences de l’énonciataire » (dans Plantin, Doury & Traverso,
2000, p. 230, p. 236), c’est-à-dire jouer « un rôle d’agrippage du discours sur une réalité
ressentie comme insatisfaisante » (p. 233). Ils peuvent être des « appuis du discours » lorsque
le locuteur n’est pas sûr de lui, est stressé. Le locuteur peut penser qu’ils sont des atouts lui
permettant de rebondir, mais ils peuvent s’avérer des entraves à la clarté de son discours si au
contraire ils deviennent trop nombreux. Ils seront alors pour l’auditoire des indices de l’état
émotif du locuteur (p.231-232). On peut imaginer que les enseignants novices d’anglais auront
recours à ces appuis pour tenter d’organiser leur discours.
L’intonation est un paramètre important de l’émotion, qu’elle soit associée à une interjection
ou à un mot ou syntagme à valeur évaluative (Plantin, 2015, p. 15-16).
Ameka (1992, p. 113-114) propose une typologie des interjections sur la base de leur
fonction : conative, phatique, expressive90. Il divise les interjections expressives en deux
groupes : les interjections en lien avec les émotions et celles en lien avec la cognition. Dans
les exemples qu’il donne, la colère n’est pas incluse. En recourant aux dictionnaires en ligne
89
Voir l’exemple « ah merde, ya rien pour maman » de Plantin (2015)
90
Ceci fait référence aux fonctions décrites par Jakobson (1960) dans son schéma de la communication.
166
Macmillan91 et The Free Dictionary92, on peut compléter la liste des interjections avec
“Argh!”, “Grr!” et “Oh !” qui expriment la colère.
On aboutit alors à l’organisation suivante :
Conative interjections Phatic interjections Expressive interjections
Getting someone’s attention Establishment and
Vocal gestures symptoms of the speaker’s mental state
or demand action/ response maintenance of
Emotive Cognitive
communicative contact Emotions and sensations Knowledge and thoughts
Sh ! (= I want silence) Mhm, uh-huh, yeah. Yuk! (= I feel disgust) Aha! (= I now know this)
Eh ? (= I want to know Ugh! (= I feel disgust)
something) Wow! (= I am surprised)
Hey! (=I want to draw Ouch! (= I feel pain)
somebody’s attention. Argh! (=I feel anger)
Grr ! (=I feel anger)
Oh! (=I feel anger)
Tableau 4.13. Classification des interjections d’après Ameka, 1992, p. 113-114
Selon Richet (2001, p.1), l’interjection Oh représente 10% de la composante orale du British
National Corpus contenant dix millions de mots. On peut donc s’attendre à trouver de
nombreuses occurrences de cette interjection dans notre corpus.
Pour terminer, voici une compilation des « petits mots » de la colère trouvés dans les travaux
de Bouchard, Plantin & Ameka, cités précédemment :
Interjections primaires Interjections secondaires
(monomorphiques)
Onomatopées Usage exclamatif d’un mot Expression Cumul des deux
Oh ! Ah ! Merde ! Putain de merde ! Ah merde !
Tiens ! Oh là là !
Argh! Damn! Hell! Heavens! Christ! Goddammit!
Grr! Shame! Bother! Drats! Bloody hell!
Oh! Dear me!
My goodness! Thank
God!
Tableau 4.14. « Petits mots de la colère » d’après Bouchard (2000), Plantin (2015) et Ameka (1992)
Le recensement de ces « petits mots » permettra d’enrichir la typologie de la colère qui servira
à analyser le discours émotionné des enseignants novices.
91
https://www.macmillandictionary.com/thesaurus-category/british/interjections-of-surprise-and-shock
92
https://www.thefreedictionary.com/Interjections.htm
167
Le lexique de la colère selon le modèle dimensionnel de Plutchik
Afin d’organiser les émotions sur le cône multidimensionnel, Plutchik (1991, p. 113-
115) a mené une expérimentation. Il a tout d’abord constitué une liste de synonymes des
émotions en les recherchant dans un dictionnaire et dans le Roget’s Thesaurus, puis il a
présenté la liste obtenue à un groupe d’étudiants afin qu’ils attribuent aux noms d’émotion
une valeur d’intensité sur une échelle de 1 à 11.
Using these intensity judgements as a basis, it is possible to obtain groupings of
emotion terms representing the primary dimensions at nearly equal intensity levels.
For example, rage, ecstasy, astonishment, panic, grief, and loathing all represent
emotions judged to indicate intensity levels approximately between 9 and 10 on an 11-
point scale. Anger, joy, surprise, fear, sorrow, disgust, and anticipation al represent
medium levels of intensity somewhere between 7 and 8. The emotions of annoyance,
pleasure, acceptance, timidity, pensiveness, boredom and heedfulness represent low
intensity levels of the primary dimensions, at about 4 to 5 on the 11-point scale.
Ceci a permis d’obtenir les trois niveaux d’intensité suivants pour la colère : annoyance (qui
a obtenu la valeur de 5 sur l’échelle allant de 1 à 11), anger (8.4), rage (9.9). Une fois ce
système appliqué à toutes les émotions, ces dernières ont été placées selon leur intensité dans
les modèles multidimensionnels (cf. figures 3.5 et 3.7). Il a ensuite été possible de déterminer
de nouvelles émotions à partir de la combinaison de paires adjacentes d’émotions primaires.
A mixture of any two primaries may be called a dyad, any three primaries a triad. But
these dyads and triads may be formed in different ways. If two adjacent primaries are
mixed, the resulting combination may be called a primary dyad, mixtures of two
primary emotions which are once removed on the circle may be called secondary
dyads, while mixtures of two primaries which are twice removed on the circle may be
called tertiary dyads. The same general method of designation would apply to triads
as well. (Plutchik, 1991, p. 117)
Voici les émotions obtenues par Plutchik (1991) en mélangeant la colère à une autre émotion,
et que nous pourrons considérer comme faisant partie des émotions « parentes » ou « de la
famille » de la colère :
Primary dyads expectancy + anger Aggression, revenge, stubbornness
Secondary dyads anger + acceptance Dominance
Disgust + anger Scorn (or contempt), loathing, indignation,
contempt, hate, resentment (or outrage), hostility
Tertiary dyads Anger + surprise Outrage, resentment, hate
Sorrow + anger Envy, sullenness (or envy)
Tableau 4.15. Émotions obtenues à partir du mélange de la colère et d’une autre émotion, d’après
Plutchik, 1991, p. 118.
Dans la mesure où ces émotions seront utilisées en français par les enseignants novices
lorsqu’ils feront part de leur ressenti sur leur journal de bord ou durant les entretiens, j’en
propose la traduction suivante qui pourra être intégrée à notre typologie des émotions :
168
Dyades primaires Expectative + colère Aggression, vengeance, obstination
Dyades secondaires Colère + acceptation Domination
Dégoût + colère Mépris (ou dédain), répugnance, indignation,
dédain, haine, rancœur (ou affront), hostilité
Dyades tertiaires Colère + surprise Affront, rancoeur, haine
chagrin + colère Envie, morosité (ou envie)
Tableau 4.16. Émotions obtenues à partir du mélange de la colère et d’une autre émotion, d’après
Plutchik, 1991, p. 118 (ma traduction)
Le figure 4.6 reprend les émotions citées dans le tableau ci-dessus en les organisant sous la
forme d’un arbre afin d’en faciliter la lecture.
Figure 4.6. Branche et ramifications (dyades primaires, secondaires, tertiaires) de la colère chez Plutchik
(mon schéma)
169
Figure 4.7. Analyse de l'émotion colère, extrait tiré de Shaver et al. (1987)
Ce modèle a été traduit par Cosnier (1994, p. 44-45). Nous ne reproduisons ci-dessous que la
branche de la colère :
170
Figure 4.8. Branche et ramification de la colère d'après Shaver et al. (1987) traduction française de
Cosnier (1994, p. 45)
Dans cette partie nous avons fait un inventaire des définitions que les dictionnaires et les
chercheurs ont données de la colère. Nous avons procédé à un recensement du lexique en lien
avec la colère en français et en anglais (substantifs, verbes, adjectifs, expressions,
interjections) à partir des dictionnaires et des listes établies par des chercheurs. En compilant
ces données, il est possible de constituer une typologie du lexique de la colère dans les deux
langues.
Vers une typologie de la colère/anger
Le tableau suivant propose une compilation classée par ordre alphabétique du lexique
de la colère en français et en anglais présenté précédemment. Lorsque ce sera possible, on
ajoutera aux listes les adjectifs absents du tableau dont les noms correspondant figurent dans
171
la première colonne et vice-versa. Cette typologie n’est bien sûr pas exhaustive et pourra être
complétée.
Vers une typologie du lexique de la colère
(Classement par ordre alphabétique)
Noms Verbes Adjectifs Expressions Interjections
Affront Agacer Agacé Avoir la haine Ah !
Agacement Bisquer (faire) Agité Avoir la moutarde qui monte au Ah merde !
Agitation Bondir Agressif nez Merde !
Agressivité Bouillir de Aigri Avoir la rage Oh !
Aigreur Bougonner Amer Avoir la tête près du bonnet Oh là là !
Amertume Colérer Chiffonné Avoir rage au cœur/ au ventre Putain de merde !
Animosité Contrarier Colérique Avoir un accès / coup de colère Tiens !
Aversion Crisper Contrarié Avoir un mouvement de colère
Chiffonnement Déborder de Courroucé Avoir un mouvement d'humeur
Colère Éclater Crispé Avoir une bouffée de colère
Contrariété Emporter (s’) Déchainé Casser les pieds
Courroux Énerver Dégouté Crise de
Crispation Enrager Dépité Déchaîner sa colère
Déchaînement Être en boule Échauffé Donner un libre cours à sa colère
Dédain Être en colère Écœuré En avoir assez de
Dégoût Être en fureur Embêté En avoir marre de
Dépit Être en pétard Emporté En avoir plein le dos
Domination Être en rage Énervé En avoir ras le bol de
Ébullition Être en rogne Ennuyé Être bouillant / bouillir de colère
Effervescence Être fatigué de Enragé Être de mauvaise humeur
Emportement Être las de Exaspéré Explosion de colère
Énervement Être remonté Excédé Être écumant de colère
Envie Exaspérer Excité Être à bout
Exaspération Exploser Fâché Être emporté par sa colère
Excitation Fâcher (se) Fatigué Être / (se) mettre en boule
Explosion Fulminer Froissé Être en proie à sa colère
Fâcherie Fumer (de) Frustré Être fou de rage
Fatigue Grommeler Furibond Être frémissant/tremblant de
Férocité Irriter (s’) Furieux colère
Feu Maronner Haineux Être hors de ses gonds
Fiel Mettre en colère Hargneux Être hors de soi
Froissement (se) Impatient Être soupe au lait
Frustration Passer sa colère Indigné Être transporté de colère
Fureur Pester Insatisfait Exhaler sa colère
Furie Rager Irascible Faire sortir de ses gonds
Haine Râler Irritable Faire suer
Hargne Ronchonner Irrité Faire un foin de tous les diables
Hostilité Rouspéter Maussade Faire une scène de
Impatience Mécontent Les foudres de
Indignation Monté Mettre les nerfs à quelqu’un
Insatisfaction Morose Monter sur ses grands chevaux
Irascibilité Nerveux N’être plus maître de soi
Ire Offusqué Pâle de colère
Irritabilité Piqué Pourpre de colère
Irritation Râleur Rouge de colère
Jalousie Remonté S’abandonner à sa colère
Lassitude Révolté Se fâcher tout rouge
Mauvaise humeur Rouspéteur Se mettre en rage
Mécontentement Tempêteur Se ronger les poings
Mépris Tempétueux Sortir de ses gonds
Morosité Ulcéré
172
Rage Vexé Voir rouge
Rancœur Violent
Rancune
Répugnance
Ressentiment
Révolte
Révulsion
Rogne
Surexcitation
Susceptibilité
Tempête
Tourment
Vengeance
Vexation
Violence
Vers une typologie du lexique en lien avec « anger »
(Classement par ordre alphabétique)
Noms Verbes Adjectifs Expressions Interjections
Agitation Annoy Angered Be beside oneself Argh!
Anger Be agitated Angry Blow a fuse (slang) Grr!
Angriness Be angry Annoyed Blow one’s top Oh!
Annoyance Be furious Bitter Champ at bit Damn!
Disapprobation Be incensed Choked Fly off the handle Hell!
Displeasure Be infuriated Cross (informal) Heavens!
Distemper Be maddened Displeased Foam at the mouth Christ!
Exasperation Be tense Empassioned Get in someone’s hair Shame!
Furor Be uncontrollable Enraged (informal) Bother!
Fury Be uptight Exacerbated Get on someone’s nerves Drats!
Ill temper Blow up (informal) Exasperated (informal) Goddammit!
Impatience Boil (over) Ferocious Get one’s /someone’s Bloody hell!
Indignation (informal) Fierce dander up (informal) Dear me!
Infuriation Bristle Fuming Get/put someone’s back My goodness!
Irascibility Bubble Furious up Thank God!
Ire Burn (up) Hacked (off) (US Go ballistic (slang)
Irritability Chafe slang) Go off the deep end
Irritation Crack up (informal) Hateful (informal)
Madness Craze (informal) Heated Go up the wall (informal)
Outrage Displease Hot Have a tantrum
Passion Enrage Ill-tempered Let off steam
Pique Erupt Incensed Look daggers
Rage Exasperate Indignant Lose it (informal)
Rampage Excite Inflamed Lose one’s rag (slang)
Rankling Flare (up) Infuriated Lose one’s temper
Resentment Flip (out) Irascible Lose the plot (informal)
Temper Fulminate Irate Make a fuss over
Vexation Fret Irritable Make a scene
Violence Fume Irritated Make someone’s blood
Wrath Get mad Mad (informal) boil
Wrathfulness Go beserk Maddened Make sore
Hassle Offended Raise hell
Infuriate Outraged Rant and rave
Irritate Passionate Run amok
Lose it (informal) Piqued See red (informal)
Offend Pissed (off)( slang) Stand on end
Outrage Provoked Throw a fit (informal)
Pique Raging Work oneself into sweat
Rage Rankled
173
Rant Ranting
Rave Raving
Seethe Resentful
Storm Snappy
Vex Steaming
Storming
Tumultuous
Uptight
Vexed
Tableau 4.17. Typologie du lexique en lien avec colère/anger
Cette typologie pourra servir de référence lors de l’analyse des différentes données produites
par les expérimentations.
Ce script atteste que la colère ne se définit pas seule mais qu’elle a besoin d’un contexte, dans
lequel l’humiliation et le mépris interviennent, et d’un stimulus sous la forme d’une injustice.
Elle est « une réponse brute à la piqûre » de ce stimulus. Inversement, pour mettre B en colère
contre A, « il faut construire un discours montrant à B que A le méprise, le brime, l’outrage
injustement. La rationalité, le caractère moralement justifié de la colère dépend de la bonne
construction de cette injustice » (Plantin, 2016, p. 230). Une fois la colère déclenchée, le désir
de vengeance se met en place.
Plantin propose un schéma, basé sur l’étude des traits argumentatifs du discours, permettant
de reconstruire le script prototypique de la colère d’une situation émotionnante. Ce schéma
s’appuie sur les questions « Qui éprouve quoi ? » et « Pourquoi ? », qui permettent « le
repérage et l’étiquetage des occurrences des éléments de base de l’argumentation : questions,
arguments, réponses (propositions et contre-propositions), réfutations et contre-
argumentations » (Plantin, 2011, p. 233). Si l’émotion n’a pas été expressément citée, on
174
procédera par empathie. Pour Cosnier (1994, p. 161), « chacun est capable d’éprouver des
affects analogues à ceux d’autrui », ce qu’il nomme le « postulat empathique ». On analysera
ensuite l’expression de l’émotion et de sa ou ses manifestations, des traits argumentatifs dans
le discours, ce qui permettra d’entériner le diagnostic empathique. Selon Plantin (2011, p.
234), lorsque le discours émotionnel est cohérent, « les trois lignes – émotion dite, exprimée,
manifestée – sont convergentes ».
Qui éprouve quoi ? Personne affectée :
=> Qui est affecté ? Nature de l’émotion :
=> Quelle est l’émotion =>nommée explicitement
éprouvée ? =>manifestée /jouée linguistiquement ou paralinguistiquement
=> recours au diagnostic empathique (la nature de l’émotion sera justifiée ensuite
par la convergence avec son expression et sa manifestation)
Pourquoi ? Pour quelle Émotion justifiée par l’amont (description de la situation)
raison se mettre dans cet =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
état ? colère. L’émotion n’est compréhensible que si ses antécédents sont rapportés =
si elle est argumentée.
Tableau 4.18. Trame du schéma à suivre pour reconstituer le script prototypique d’une situation
émotionnante (d’après Plantin, 2011, p. 233)
Plantin (2011, p. 235) précise que « le déclenchement de la colère implique la mise en jeu
d’un intérêt (Cosnier 1994, p. 34) ‘le sentiment d’être victime d’injustice’ (id., p. 33), et ‘le
[non-] respect des normes sociales’ (id., p. 35). Réciproquement, une colère est ‘bien formée’
si l’on peut la rattacher à des prémisses de ce type ». On pourra alors parler de colère justifiée
ou non justifiée.
Le modèle de Plantin présenté dans le tableau 4.18 sera utilisé dans cette recherche pour
reconstruire et puis analyser les situations de colère chez les enseignants novices.
175
La colère chez les enseignants
• Les causes de la colère des enseignants
Plusieurs chercheurs proposent des revues de littérature des émotions les plus
communes chez les enseignants (Sutton &Wheatley, 2003 ; Sutton, Mudrey-Camino &
Knight, 2009 ; Hargreaves, 1998, 2000 ; 2002 ; Saric, 2015 ; Frenzel, 2014 ; Lohbeck,
Hagenauer & Frenzel (2018) ; Prosen, Smrnik Vitulic & Polsak Skraban, 2014 ; Hosotani &
Ami-Matsumura, 2011 ; Shapiro, 2009 ; Nias, 1996 ; Zembylas, 2015 ; Cuisinier & Pons,
2011 ; Petiot, Visioli & Debiens, 2015). Selon Sutton, Mudrey-Camino & Knight (2009, p.
131), les enseignants ressentent principalement des émotions négatives dans le cadre de leur
travail. Toutes les études non francophones citées ci-dessus sont unanimes : la colère, parfois
associée à la frustration, est l’émotion négative la plus fréquemment ressentie par le corps
enseignant, « every middle school teacher interviewed by Sutton (2000a) talked about
frustration and anger or both » (Sutton et Wheatley, 2000, p. 333). Pour rappel, si on s’appuie
sur la typologie présentée en 4.2.4.6, la frustration est une émotion parente de la colère.
Les enseignants peuvent éprouver de la colère contre eux eux-mêmes, ou à l’égard d’autres
acteurs de leur quotidien à l’instar des élèves, des parents d’élèves, des collègues, de la
direction ou de l’institution (Ellsworth & Tong, 2006 ; Kuppens et al., 2008, Nias, 1996). Ils
sont en colère contre eux-mêmes lorsqu’ils jugent ne pas avoir donné un bon cours. La colère
et la frustration surgissent dès lors que l’enseignant ne parvient plus à atteindre ses objectifs,
ce qui est souvent le cas lorsque les élèves sont agités ou ont des comportements inadaptés.
En effet, si l’enseignant doit gérer des conflits, régler des problèmes liés à l’indiscipline des
élèves, il ne peut plus avancer dans son cours ni atteindre les objectifs qu’il s’est fixés, ce qui
génère colère et frustration (Petiot, Visioli & Debiens, 2015). Les difficultés de gestion de
classe sont citées comme étant la première cause de la colère, tant dans les travaux plus anciens
(Sutton & Wheatley, 2003 ; que dans les plus récents (Petiot, Visioli & Debiens, 2015 ; Saric,
2015 ; Prosen, Smrnik Vitulic & Polsak Skraban, 2014, Frenzel, 2014). Frenzel (2014) précise
que la colère des enseignants est accrue lorsque le comportement perturbateur des élèves est
délibéré. Les relations avec les parents d’élèves, les collègues, la direction peuvent aussi
contribuer au développement de la colère (Sutton & Wheatley, 2003 ; Hargreaves, 2002 ;
Shapiro, 2009) tout comme les changements de politiques scolaires (Nias, 1996). Ayme,
Ferrand et Cogérino (2011, p. 227) établissent une « classification des comportements
déviants d’élèves » autour de neuf points dans le cadre du cours d’EPS. Six de ces points sont
176
communs à toutes les disciplines et concernent les comportement déviants dans le cadre des
relations entre élèves, de la relation avec l’enseignant et renvoient également à l’attitude
passive, au manque d’écoute, d’assiduité et de ponctualité des élèves. Ils englobent aussi ce
que les auteurs appellent le domaine « hors tâche » (activités différentes de la tâche, tricherie).
Ces domaines font écho aux éléments mis en avant dans les recherches déjà mentionnée.
Le tableau ci-dessous compile dans la colonne de gauche les différents déclencheurs de la
colère, et recense dans la colonne de droite les auteurs ainsi que les dates de leurs travaux
afférant à ces thèmes par ordre chronologique. Ceci permet de circonscrire en un coup d’œil
la richesse de la recherche sur certaines thématiques (mauvaise conduite des élèves), de
repérer les travaux plus généralistes abordant tous les thèmes (à l’instar de ceux de Sutton &
Wheatley, 2003) et les travaux plus spécialisés (comme ceux de Ellsworth & Tong, 2006).
Événements déclencheurs de la colère Cités par / dans
Objectifs non atteints en raison de : Sutton & Wheatley (2003);
-difficulté de gestion de classe, Sutton (2007);
-mauvaise conduite des élèves, Shapiro (2009)
-violation des règles (dont écoute, ponctualité, etc.) Sutton, Mudrey-Camino et Knight (2009)
Cuisinier & Pons (2011)
Ayme, Ferrand et Cogérino (2011)
Hagenauer & Volet (2014)
Prosen, Smrnik Vitulic et Polsak Skraban (2014)
Saric (2015)
Petiot, Visioli et Debiens (2015)
Évènements extérieurs à la classe (ex : exclusion définitive Nias (1996),
d’élèves, réforme, discours d’inspecteurs) menaçant les Hargreaves (1998, 2002)
habitudes installées et les valeurs Sutton & Wheatley (2003)
Saric (2015)
Mauvais résultats des élèves dus à de l’inattention ou au Sutton & Wheatley (2003)
manque de travail / d’effort Saric (2015)
Fatigue, stress Sutton & Wheatley (2003)
Cuisinier & Pons (2011)
Conscience de ne pas bien enseigner Nias (1996)
Ellsworth & Tong (2006)
Sentiment d’impuissance (face aux difficultés des élèves) Nias (1996)
Shapiro (2009)
Harcèlement scolaire / agressions dirigées vers un ou Nias (1996)
d’autres élèves Ayme, Ferrand et Cogérino (2011)
Petiot, Visioli et Debiens (2015)
Manque de ressources scolaires Nias (1996)
Mauvaises relations ou absence de relation avec les élèves Hargreaves (2000)
Shapiro (2009)
Ayme, Ferrand et Cogérino (2011)
Manque de soutien (chef d’établissement, collègues, Hargreaves (2002)
parents d’élèves) Sutton & Wheatley (2003)
Shapiro (2009)
Cuisinier & Pons (2011)
Ayme, Ferrand et Cogérino (2011)
Tableau 4.19. Relevé des événements déclencheurs de la colère (revue de littérature)
177
Selon l’état de l’art présenté, le comportement inadapté des élèves est la principale cause de
la colère des enseignants. Les divers travaux internationaux recensés prennent tous appui sur
la revue de littérature menée par Sutton et Weathley en 2003. On peut se demander dans quelle
mesure ces résultats sont toujours d’actualité et correspondent aux enseignants français.
178
aurait un effet positif et les enseignants qui y ont recours seraient appréciés des
élèves/étudiants.
McPherson et Young, (2004, p. 363) s’intéressent également à la façon dont les étudiants
interprètent la cause de la colère des enseignants. Ils discernent sept catégories, dont trois sont
uniquement liées à l’enseignant, sans lien avec le comportement des étudiants : problèmes
personnels de l’enseignant (Teacher Life Circumstance), personnalité de l’enseignant
(Teacher Personality) et manque de préparation ou de compétence de l’enseignant (Lack of
Teacher Skill or Preparedness). Les quatre catégories suivantes sont centrées sur les
étudiants : manque d’efforts de la part des étudiants (Lack of Student Effort), mauvaise
conduite des étudiants (Student Misbehaviours), rapport de force avec les étudiants (Student
Power Challenge) et mauvais résultats des étudiants (Student Poor Performance). Ces
catégories sont intéressantes dans la mesure où, additionnées aux déclencheurs cités
précédemment, elles permettent de construire une typologie des raisons de la colère. (cf. 4.2.7
ci-dessous). Frenzel (2014) souligne l’importance des « display rules » et de leur impact sur
l’expression de la colère des enseignants ou sur la franchise de leur réponse lors d’entretien
sur leurs émotions :
It is important to note that experiencing and displaying anger is socially undesirable,
particularly for teachers […]. Therefore, teachers’ report of frequently and intensity of
anger experienced during teaching might be downwardly biased.
93
STAPS : sciences et techniques des activités physiques et sportives
179
Nous avons vu précédemment que la colère des enseignants est souvent déclenchée par le
mauvais comportement des élèves. Les enseignants novices ne doivent donc pas être épargnés
par ces difficultés. Ulvik, Smith et Helleve (2009, p. 840) présentent les résultats de travaux
de recherches conduits auprès d’un échantillon d’enseignants en formation initiale en Norvège
et font état des deux facettes de la réalité : “enjoyment” et “challenges in teaching”. Ils ne
mentionnent pas expressément la colère, mais l’expression oriente vers des émotions
négatives. Le premier facteur évoqué concerne la discipline et les problèmes de gestion de
classe. Selon Sutton et Wheatley (2003, p. 344), il s’agirait de la plus importante
préoccupation des enseignants novices, d’autant plus qu’ils ne seraient pas assez bien préparés
pour faire face à ces difficultés (Jones, 1996, cité dans Sutton & Wheatley, 2003, p. 344). Ceci
conduirait les enseignants novices à adopter des pratiques répressives : “student teachers
typically become less humanistic and more custodial in their orientation toward students”
(Sutton & Wheatley, 2003, p. 344). Ces auteurs soulèvent des questions de recherche et
notamment l’effet du mauvais comportement des élèves sur l’intensité des émotions des
enseignants : la colère des novices est-elle plus forte que celle des enseignants confirmés ?
Cette question sera traitée dans cette thèse.
Les travaux de recherche étudiés lors de cette revue de littérature internationale indiquent que
les émotions à valence négative sont dominantes dans le quotidien des enseignants et que la
colère est l’émotion la plus ressentie. Les causes citées sont variées et trouvent leur source
chez les élèves (ex : comportement inadapté), dans l’institution (ex : réforme) et dans les
enseignants eux-mêmes (problèmes personnels, conscience de leurs difficultés).
181
Cette typologie pilote des déclencheurs de la colère servira de point d’appui à la construction
d’une typologie plus aboutie des déclencheurs des émotions à valence négative et positive des
enseignants, dont la joie fait partie.
4.3. La joie
Introduction
À la différence de la colère, la joie est vénérée car elle est positive et la ressentir rend
heureux. Si être heureux peut être considéré comme un trait de caractère, la joie est une
émotion qui surgit, déclenchée par un événement agréable, une réussite, lors d’interactions
sociales comme lors de « relations avec des amis », de « rencontres amicales » ou lors
d’« expériences de réussite » (Cosnier, 2015, p. 24). Selon Cosnier (2015, p. 25) la durée de
la joie est variable, elle : « s'étend d'une heure à un jour, cette relative durée étant liée à son
contexte social important ». On chante, on loue la joie. C’est le cas de l’Ode ou Hymne à la
Joie, quatrième mouvement de la neuvième symphonie de Beethoven reprenant un extrait du
poème « Ode an die Freude » de Friedrich von Schiller, aujourd’hui hymne européen. Y’a d’la
joie ! chantait Charles Trenet en 1938. Mais la joie n’est pas le bonheur – avec lequel elle est
parfois confondue – et si l’homme recherche le bonheur comme état de vie, il n’est pas
forcément en quête de la joie. Dans une bien moindre mesure que la colère, la joie suscite la
réflexion des philosophes, de l’antiquité à aujourd’hui. Platon la voit comme une perte de
contrôle de soi, Spinoza la considère essentielle à la vie, Bergson comme un élan créateur.
Elle fait partie des émotions de base des théoriciens de l’évolution. Si la colère nourrit depuis
toujours la réflexion, la joie suscite un moindre intérêt. Est-ce parce qu’elle est moins
spectaculaire que la colère ou la tristesse ? Parce qu’il s’agit d’une émotion à valence positive
donc pas le signe d’un trouble ou d’une pathologie à contrôler ? Lazarus (1991, p. 264)
s’interroge également sur le manque d’intérêt porté aux émotions positives :
The positive emotions have been singularly ignored or de-emphasized historically, and
it is not entirely clear why this should be so. My best guess is that goal incongruent
emotions have a much more obvious and powerful impact on adaptation and subjective
well-being than do positive ones. […] The positive emotions, love perhaps excepted,
are also usually weaker in intensity and impact than are the negative ones, and in
keeping with lower salience, there are fewer and vaguer terms to refer to them.
Après avoir étudié son étymologie et les définitions que les dictionnaires en donnent, nous
nous intéresserons aux écrits sur la joie.
182
Définir la joie
Définition des dictionnaires
Selon le Dictionnaire étymologique de la langue française (Bloch & von Wartburg,
2002, p.351), le mot joie viendrait du latin « gaudia », pluriel de gaudium. « Gaudia »,
fréquent en latin populaire et familier, aurait été pris pour un féminin singulier. De « gaudia »
vient « joie », « gioia » en italien et « joy » en anglais. Selon le dictionnaire Le Robert en ligne
joie viendrait du latin jocus ou de joa « qui en langage Celtique ou Bas-Breton signifie joye,
où on dit aussi joaus pour dire joyeux ».
Les différentes définitions fournies par les dictionnaires sont unanimes sur la valence positive
de la joie. Tous la disent « agréable », et lui associent les notions de plaisir, de bonheur. Le
Larousse en ligne et le CNRTL signalent son caractère intense, vif et sa durée limitée, ainsi
que son origine provenant d’une cause externe. La joie est phasique et donc de courte durée
alors que le bonheur, que l’on retrouve généralement cité comme synonyme, est thymique.
« Joie » est aussi utilisée au pluriel pour parler des « joies de quelque chose », des « plaisirs
qu’on en tire, les bons moments que cela procure ou, familièrement et ironiquement, les
ennuis, les désagréments de quelque chose » (Larousse94), avec une connotation ironique. On
parle alors des « joies du mariage », des « joies de l’existence ». Le CNRTL signale que le mot
« joie » peut prendre un sens négatif, être « altéré par les mauvais sentiments tels que l'envie,
la haine, la malveillance », lorsqu’il est associé à un adjectif à valeur négative : joie amère,
joie cruelle, joie féroce, joie sombre, etc.
Le tableau suivant reprend les principales définitions de dictionnaires français et
anglophones :
Dictionnaire Définitions
Joie
Larousse en Sentiment de plaisir, de bonheur intense, caractérisé par sa plénitude et sa durée limitée, et
ligne éprouvé par quelqu’un dont une aspiration, un désir est satisfait ou en voie de l’être.
Ce qui provoque chez quelqu’un un sentiment de vif bonheur ou de vif plaisir.
Etat de satisfaction qui se manifeste par de la gaieté, de la bonne humeur
Le Robert en Définition du 17è siècle :
ligne Émotion de l'âme qui cause une dilatation du coeur & un plaisir sensible à la veuë ou à la
possession de quelque bien qu'elle ressent. La douleur succède toujours à la joye, dit le Sage.
Le visage est le tesmoin de la joye ; elle est peinte sur le visage. Les larmes de joye viennent
94
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/joie/44939#locution
183
d'un excés de tendresse. On pasme de joye, ainsi que de tristesse. Ce mot vient du Latin jocus
; ou de joa, qui en langage Celtique ou Bas-Breton signifie joye, où on dit aussi joaus, pour
dire joyeux. Menage le fait venir du Latin gaudia.
La joye publique se tesmoigne par des cris, des festins, des descharges de canon, des feux
de joye, & d'artifice ; & generalement par tous les signes de joye qui sont éclatants.
Définition actuelle :
Émotion agréable et profonde, sentiment exaltant ressenti par toute la conscience.
Cordial. fr 1. Sentiment de bonheur, émotion agréable et profonde.
2. Ce sentiment, lié à une cause et manifesté ouvertement.
3. (par extension) La cause d'une joie.
4. Joies : ce qui procure du plaisir.
Trésor de la A. Émotion vive, agréable, limitée dans le temps ; sentiment de plénitude qui affecte l'être
langue entier au moment où ses aspirations, ses ambitions, ses désirs ou ses rêves viennent à être
française satisfaits d'une manière effective ou imaginaire.
informatisé et 1)Le sentiment de joie est d'ordre affectif, moral, intellectuel ou psychique
CNRTL ALCHIM (p. meton.). Joie des philosophes. Pierre arrivée au blanc parfait.
2) Le sentiment de joie affecte l'humeur
3. La joie considérée dans son origine = entrain, gaieté
a) La cause de la joie a sa source dans le corps, les sens = plaisir
b) La cause de la joie a sa source dans la nature, dans la vision de la beauté = joie des yeux
c) La cause de la joie réside dans la réalisation d'une ambition, d'un projet, d'un désir ou d'un
rêve = joie de réussir
B. Cet état de sensibilité considéré dans ses expressions les plus spectaculaires et le plus
souvent collectives
Mystique, religieux : joie céleste, joie divine.
Le Littré en 1) Plaisir de l'âme.
ligne 2) Au pluriel. Plaisirs, jouissances.
3) Gaieté, humeur gaie. La joie bruyante des convives.
4) Terme d'alchimie. Joie des philosophes, la pierre arrivée au blanc parfait.
Joy
Merriam- 1) a: the emotion evoked by well-being, success, or good fortune or by the prospect of
Webster possessing what one desires = delight
b: the expression or exhibition of such emotion = gaiety
2) a state of happiness or felicity = bliss
3) a source or cause of delight
Verb: to experience great pleasure or delight
Collins 1. a deep feeling or condition of happiness or contentment
2. something causing such a feeling; a source of happiness
3. an outward show of pleasure or delight; rejoicing
4. British informal. Success, satisfaction
Cambridge Great happiness or pleasure
A person or thing that causes happiness
Longman (Uncountable) Great happiness or pleasure
(Countable) Something or someone that gives you happiness and pleasure
Tableau 4.21. Définitions de joie/joy tirées des dictionnaires
On constate dans ces définitions que la joie a une valence positive et qu’elle est associée au
plaisir. Si le TILFi/CNRTL et le dictionnaire Larousse la décrivent comme une émotion en
spécifiant son caractère phasique, tel n’est pas le cas de Cordial ou des dictionnaires
anglophones qui l’assimilent à l’état de vie thymique « bonheur »/« happiness ». Nous
184
verrons que cette utilisation indifférenciée est très fréquente, et qu’on la retrouve même chez
certains chercheurs.
La joie fait partie de la liste dressée par Cicéron dans De l’or, II, LI, (206 ; p. 91) qui comprend
cinq émotions négatives (haine, colère, envie, crainte, mécontentement) et trois émotions
positives (affection, espérance et joie).
Spinoza et la joie
Spinoza est connu pour être le grand penseur de la joie. Dans le troisième volume de
l’Ethique, il définit la joie comme l’un des trois affects fondamentaux de l’homme, avec le
désir et la tristesse. Spinoza défend des valeurs morales, dont celle de l’effort ou conatus –
par lequel « chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son
être » (Éthique III, Prop. 6) – qui permet de s’élever vers ce qui paraît être bon et donc
d’accéder à la joie grâce à la volonté. Selon Manzini (2014, p. 237), dès le début du Traité de
la réforme de l’entendement et jusqu’à la fin de l’Ethique, « Spinoza ne se départit jamais
d’une constante volonté de rechercher un bonheur dans lequel s’inscrit d’autant plus
naturellement la joie que celle-ci est uniformément considérée comme bonne ».
Bergson et la joie
Bergson se situe dans la continuité de Spinoza. La joie est pour lui l’aboutissement d’un effort,
d'une réussite, d’un élan créateur. Cet accomplissement est le sens même de la vie. Il écrit
dans « La conscience et la vie » (1919) :
Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n'est qu'un artifice imaginé par la nature
pour obtenir de l'être vivant la conservation de la vie ; il n'indique pas la direction où
la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle a gagné du
185
terrain, qu'elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. Or si
nous tenons compte de cette indication et si nous suivons cette nouvelle ligne de faits,
nous trouvons que partout où il y a de la joie, il y a création : plus riche est la création,
plus profonde est la joie (2005, p. 24)
186
• Plutchik et la joie
Selon Plutchik (1991), à la différence de la colère, la joie serait – avec l’amour –
l’émotion sur laquelle il existerait le moins d’écrits scientifiques. Elle serait proche à la fois
de la colère et de l’amour, et opposé à la tristesse (grief) (1991, p. 85-92). La joie aurait, tout
d’abord, une expression faciale proche de celle de la colère, ce qui permettrait un passage
rapide de l’une à l’autre pour les acteurs (Spencer, 1980 cité par Plutchik, 1991, p. 86). Elle
aurait également des manifestations (mouvements, bruits) comparables :
There are the dancings of joys well as the stamping of anger […] Anger shouts as well
as joy ; and often the noises made by children at play leave parents in doubt whether
pleasure or pain is the cause. (Plutchik, 1991, p. 86).
Plutchik met en avant les écrits de Darwin pour exprimer la similitude entre ces deux
émotions : « Darwin described both anger and joy as « exciting » emotions » (Plutchik, 1991,
p. 86). Même si la joie est une émotion fugace, phasique, et l’amour un état qui dure, on fait
souvent un rapprochement entre ces deux émotions. Pour Plutchik (1991, p. 90), la joie fait
partie de l’amour, mais l’amour ne fait pas partie de la joie. La joie s’oppose par nature à la
tristesse :
The whole expression of a man in good spirits is exactly the opposite of that of one
suffering from sorrow. In all the exhilarating emotions the eyebrows, eyelids, the
nostrils, and the angles of the mouth are raised. In the depressing passions, it is the
reverse. […] In joy the face expands, in grief, it lengthens. (Darwin cite dans Plutchik,
1991, p. 92)
Nous retiendrons de Plutchik la proximité de la joie et de la colère, ainsi que les expressions
physiques et comportementales de la joie.
187
La joie pour Plantin
Plantin s’intéresse à la joie d’un point de vue linguistique. Pour exprimer la joie, il est
possible d’avoir recours à une construction ou à un verbe non psychologique reliant le nom
de l’émotion au « lieu psychologique », comme dans : « la nouvelle remplit Paul de joie »,
« une grande joie envahit Paul » (2011, p. 150). Il cite « Remplir + joie » dont le
fonctionnement est similaire à celui du verbe « réjouir » (verbe psychologique), ainsi que la
construction en « être », comme dans « il est joyeux », qui se focalise sur l’émotion elle-
même. Plantin précise que « ces verbes sont “émotion compatibles”, mais pas avec n’importe
quelle émotion. On peut ainsi comparer la sensibilité des noms d’émotion aux différents
verbes métaphoriques ».Il est également possible de « recommander la joie » (Plantin, 2011,
p. 189) comme dans « réjouissons-nous ! ».
Ces informations pourront être utilisées lors de l’étude des écrits des enseignants novices.
188
Figure 4.9. Arbre de décision de la joie d'après Lazarus (1991, p. 267-268)
Comme l’arbre de la colère, celui de la joie est un atout pour cette recherche car il permet de
comprendre et de suivre son déclenchement.
Le lexique de la joie
Pour cette partie, nous suivrons à l’identique le schéma proposé pour l’étude de
l’expression de la colère. Nous ferons un état des lieux du lexique et des expressions de la joie
dans les deux langues utilisées par les professeurs d’anglais novices de notre étude.
Avant de commencer cette revue lexicale, il est important de mentionner à nouveau le
problème lié à la traduction et aux équivalences entre les langues. Dans son article “defining
emotion concepts” de 1992, Wierzbecka explique que les émotions ne sont pas identiques
d’une langue à l’autre car, selon les cultures, le concept peut être différent. Elle cite Baranczak
(1990, pp. 12-13) pour qui l’exemple de la joie est particulièrement révélateur :
Take the word “happy,” perhaps one of the most frequently used words in Basic
American. It’s easy to open an English-Polish or English-Russian dictionary and find
an equivalent adjective. In fact, however, it will not be equivalent. The Polish word
for “happy” (and I believe this also holds for other Slavic languages) has a much more
restricted meaning; it is generally reserved for rare states of profound bliss, or total
satisfaction with serious things such as love, family, the meaning of life, and so on.
Accordingly, it is not used as often as “happy” is in American common parlance.
Nous ne tenterons donc pas d’établir un concordancier entre les émotions des deux langues,
la tâche étant complexe.
189
Nous présenterons, tout d’abord, les noms synonymes des mots joie et joy ainsi que les verbes,
les adjectifs, et expressions qui s’y rapportent, issus des mêmes dictionnaires en ligne de
langue française (Cordial95, Larousse96, Le Robert97, CNRTL98, le Littré99, Dictionnaire
Électronique des Synonymes élaboré par le laboratoire CRISCO de l’université de Caen
Normandie 100) et de langue anglaise (Thesaurus101, Merriam-Webster102, Collins103, Roget’s
Thesausus104) que ceux utilisés pour l’étude de la colère. Nous nous intéresserons aux « petits
mots » de la joie puis au lexique de la joie recensé dans les modèles hiérarchisés de Plutchik
et de Shaver et al. Ceci nous amènera à proposer une typologie de la joie.
95
www.cordial.fr/dictionnaire/definition/joie
96
www.larousse.fr/dictionnaires/francais/joie
97
www.dictionnaire.lerobert.com/definition/joie
98
www.cnrtl.fr/definition/joie
99
www.littre.org/definition/joie
100
Crisco2.unicaen.fr :
Le CRISCO (Centre de Recherches Inter-langues sur la Signification en Contexte) est une équipe de recherche
de l’université de Caen Normandie spécialisée dans l’analyse de l’articulation entre syntaxe et sémantique. Ils
sont à l’origine du Dictionnaire Électronique des Synonymes (DES)
101
https://www.thesaurus.com/browse/joy
102
www.merriam-webster.com/dictionary/joy
103
www.collinsdictionary.com/dictionary/english-thesaurus/joy
104
www.roget.org/scripts/qq.php
105
Traductions trouvées dans Belzung, 2017, p. 19 et 20 ; De Bonis, 1996, p. 16 ; Nélis, p.46, dans Mikolajczak
et al.2014), version anglais dans Plutchik (1991) p. 111 ;
106
Traductions trouvées dans Tcherkassof, 2009, p. 51 ; De Bonis, 1996, p. 26 ; Cosnier, 1994, p44-45 ; version
anglaise dans Lazarus, 1991, p. 66-67
190
• Les noms
Les noms recensés ici correspondent aux synonymes de « joie » proposés par les différents
dictionnaires.
Les termes ci-dessous sont les synonymes de “ joy” recensés par les dictionnaires Thesaurus,
Merriam-Webster, Collins Thesaurus et Roget’s Thesaurus.
191
Thesaurus Merriam-Webster Collins Thesaurus Roget’s Thesaurus
En consultant ces deux tableaux, on peut faire les mêmes constats qu’avec l’étude de la colère.
Le lexique proposé est souvent soutenu voire parfois littéraire. Il permet de proposer une large
typologie du lexique de la joie tout en sachant que peu des noms cités font partie du
vocabulaire communément utilisé au quotidien. En effet, il est très peu probable que des noms
comme « folichonnerie », « transport » ou “mirth” soient cités dans le cadre de cette
recherche. Se pose également la question de la traduction des modèles de Plutchik et Shaver
192
et al., les termes français choisis n’étant pas toujours les mêmes d’un auteur à l’autre. Ainsi
pour le modèle de Shaver et al., De Bonis (1996) traduit “amusement” par « gaieté » quand
Cosnier (1994) le traduit par «amusement ». Étonnement, De Bonis traduit “pride ” par
« orgueil » – dont la définition du CNRTL (« présomption, estime exagérée, amour excessif
de soi-même, qui fait que l'on est persuadé de sa propre excellence, que l'on se juge supérieur
aux autres ») dépeint une valence négative – et non par « fierté » alors que sa définition montre
une valence positive (CRNTL : « satisfaction d’amour-propre fondé. Souci de sa dignité,
respect de soi-même »). Par ailleurs, certains termes ne sont pas traduits, vraisemblablement
faute de vocable suffisant en français, la langue anglaise étant plus riche. C’est le cas des
termes de la première branche de ramification de l’arbre de Shaver et al. Nous y reviendrons
en 4.3.1.4.
Pour finir, on remarque que, tout comme pour la colère, les noms d’émotions figurant dans
les modèles de Plutchik ou Shaver et al. ne figurent pas toujours dans les listes de synonymes
donnés par les dictionnaires. Nous les ajouterons à la typologie que nous proposerons en
4.3.1.3.
• Les verbes
Il n’existe pas de verbe pour exprimer le fait de ressentir de la joie. Pour ce faire, on
utilise communément « être content » qu’on intensifie à l’aide d’adverbes de degré – à l’instar
de « très », « vraiment », « hyper », « super », ou « très très », « vraiment très », etc. – selon
le ressenti. Ici, on cherchera dans les dictionnaires les verbes assimilés à « être content » ou à
« ressentir de la joie » ou à « jubiler » (CNRTL : « Éprouver une grande joie, une satisfaction
profonde que l'on laisse ou non s'extérioriser »). Sous l’appellation « verbes » on incluera les
groupes verbaux, notamment avec la copule.
Cordial Larousse Le Robert CNRTL / Le Littré Dictionnaire Électronique
des Synonymes (DES)
Amuser Éprouver de la joie/de la Exulter (s’) amuser Amuser
Contenter satisfaction Jubiler (se) délecter Contenter
Déborder de joie Jubiler Réjouir Avoir /Faire plaisir (se) délecter
Dérider Ressentir une grande joie Exulter Dérider
Distraire (se) réjouir (se) féliciter Divertir
Égayer Jubiler Ébaudir
Émoustiller Plaire Égayer
Enchanter Ravir Enchanter
Être content (se)régaler Épanouir
Exulter (se)réjouir Faire plaisir
Jubiler Plaire
Mettre en joie Ravir
Ravir Régaler
Réjouir Réjouir
193
Rire
S’applaudir de
Satisfaire
Se gausser
Se pâmer
Tableau 4.24. Liste des verbes liés à joie dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le Robert,
CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes
La recherche lexicale en anglais s’est faite dans les dictionnaires à partir des entrées “be
happy” et “rejoice”.
Thesaurus Merriam-Webster Collins Roget’s Thesaurus
Be delighted Delight Be glad Be delighted
Be glad Jubilate Be happy Be glad
Enjoy Rejoice Be enchanted Be/feel happy
Exult Be overjoyed Be overjoyed
Jubilate Be satisfied Exult
Love Be thrilled Revel
Revel Exult
Take pleasure Jubilate
Rejoice
Revel
Show/feel joy
Tableau 4.25. Liste des verbes synonymes de “be angry”/ “rejoice” dans les dictionnaires en ligne
Thesaurus, Merriam-Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus
194
Satisfait Réjoui Rieur Enchanté Satisfait
Rieur Enthousiaste Surexcité
Satisfait Excité
Tableau 4.26. Liste des adjectifs liés à joie dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le Robert,
CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes
Intéressons-nous maintenant aux adjectifs en lien avec “joy” que l’on trouve dans les
dictionnaires de synonymes. Dans la mesure où les enseignants pourront utiliser “happy” ou
“glad” qui sont connus des élèves, nous en chercherons également les synonymes.
Thesaurus Merriam-Webster Collins Thesaurus Roget’s Thesaurus
Blissful Blissful Blissful Blessed
Cheerful Chuffed (British) Cheerful Blissful
Cheering Delighted Contented Cheerful
Content Glad Delighted Cheering
Contented Happy Ecstatic Content
Delighted Joyful Excited Contented
Ecstatic Joyous Glad Delighted
Elated Pleased Gleeful Ecstatic
Excited Rapt Happy Elated
Gay Satisfied Jolly Exhilarated
Glad Thrilled Joyful Exultant
Happy Jubilant Gay
Joyful Merry Glad
Joyous Pleased Gleeful
Jubilant Rapt Happy
Merry Thrilled Jolly
Overjoyed Joyful
Pleased Joyous
Thrilled Jubilant
Willing Lighthearted
Merry
Overjoyed
Pleased
Satisfied
Tableau 4.27. Liste des adjectif synonyme de “angry” dans les dictionnaires en ligne Thesaurus, Merriam-
Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus
195
Cordial Larousse Le Robert CNRTL/Le Littré Dictionnaire Reverso
Électronique
des Synonymes
Fou/ivre de joie Être aux anges Pleurer de joie Boire du petit lait Avoir la fierté Être au firmament
Gai comme un Être fou de joie Mettre en joie Être au comble de la Boire du petit Être au septième ciel
pinson Ressentir une Être aux anges joie lait Être aux anges
Boute-en-train grande joie Être auÊtre transporté de De bonne Être heureux comme
Nager dans la Faire la joie de septième ciel joie humeur un poisson dans l’eau.
joie quelqu’un Être fou de joieÊtre plongé dans un Déborder de Être heureux comme
Se frotter les Mettre quelqu’un océan de joie joie un roi
mains en joie Fondre/ frémir/ Éclater de joie Nager dans la joie/le
Être rayonnant de rougir/ trembler/ Être fou de joie bonheur
joie tressaillir de joie Se frotter les
Rayonner de joie mains
Éprouver la plus
grande joie
Tableau 4.28. Liste des expressions en lien avec la joie dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le
Robert, CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes
Tout comme pour la colère, les mots et expressions référencés ci-dessus pourront être utilisés
par les enseignants novices durant les entretiens et dans leurs écrits (questionnaires, journaux
de bord) pour faire part a posteriori des émotions parentes de la joie qu’ils ont ressenties en
classe. Ces émotions pourront également être exprimées par le biais des « petits mots », tels
que les interjections.
196
« brilliant! », qui pourront être combinées avec une interjection, « ah génial ! », « très bien »,
« well done! » « (very) good job! », etc.
Dans leur article de 2020, Aronsson et Morgenstern observent les interactions parents-enfants
dans le cadre d’une famille française, et s’intéressent à la façon dont les parents complimentent
(praise) leurs enfants. Elles citent des compliments verbaux (verbal praise sequences) comme
« ouais », « bravo », « oh là là » « yeah! » et mentionnent également des gestes exprimant la
joie (glee gestures) à l’instar des applaudissements ou des gestes de victoire. Ceci est
particulièrement intéressant dans le cadre de notre recherche. On peut imaginer que les
enseignants souhaiteront encourager et complimenter les victoires de leurs élèves de façon
multimodale et qu’ils pourront avoir recours à ces interjections associées à une gestuelle
marquant leur joie.
L’ensemble de ces « petits mots » sera ajouté à la typologie ci-dessous qui servira à analyser
le discours émotionné des enseignants novices.
Figure 4.10. Branche et ramification (dyades primaires, secondaires, tertiaires) de la joie chez Plutchik
(mon schéma)
L’addition de ces nouvelles émotions aux six niveaux d’intensité présents sur le cône permet
d’apporter davantage de nuances sémantiques à la palette lexicale de la joie. Nous ne
retiendrons cependant pas l’intégralité des émotions proposées pour plusieurs raisons. Parmi
les six niveaux d’intensité proposés par Plutchik, je ne retiendrai ni « calmness », ni
« serenity » – soit « calme » et « sérénité » en français – car ces deux termes renvoient à des
états d’émotions zéro et ne sont pas connotés positivement comme en attestent leurs
définitions. Selon le CNRTL la sérénité renvoie à :
A. État du temps qui n’est troublé par aucune perturbation atmosphérique.
B. État d’une personne qui, par sa sagesse et son expérience, reste insensible aux
troubles, aux préoccupations de l’existence
198
Lorsqu’il est associé à une personne, le CNRTL définit « calme » comme « absence de
nervosité, maîtrise de soi » et lui confère les synonymes « contrôle de soi » et « sang froid ».
Par ailleurs, parmi les émotions issues des mélanges de paires adjacentes proposées par
Plutchik, plusieurs sont déconcertantes car elles renvoient à des valences négatives. C’est le
cas de “guilt” (culpabilité) et “conceit” – que le dictionnaire Marriam-Webster définit comme
“excessive appreciation of one's own worth or virtue” et que j’ai traduit par « vanité ». C’est
également le cas de “morbidity” dont la définition correspond à “an attitude, quality, or state
of mind marked by excessive gloom”. Nous ne retiendrons donc pas ces termes dans notre
typologie de la joie/joy.
199
Figure 4.11. Analyse de l'émotion joie, extrait tiré de Shaver et al. (1987)
Ci-dessous la même branche de la joie traduite en français par Cosnier (1994, p. 44-45).
200
Figure 4.12. Branche et ramification de la joie d'après Shaver et al. (1987), traduction française de Cosnier
(1994, p. 44)
On remarque étonnamment que l’intégralité des termes proposés par Shaver et al. ne figure
pas dans la traduction de Cosnier (1994). En effet, la branche la plus à gauche dans le schéma
original comprend 17 termes et Cosnier n’en a traduit que 12. Ceci vient très probablement
du manque de lexique en français pour traduire des termes assez proches. Par ailleurs, la
branche “pride ” ne figure pas non plus dans la traduction de Cosnier. On peut également
rappeler les différences déjà signalées entre les traductions de De Bonis (1996) et celles de
Cosnier (1994), et notamment leurs choix de traductions différents pour “amusement” et
“enthusiasm .
Ces termes seront intégrés, en anglais et en français, à la typologie ci-dessous.
201
Vers une typologie de la joie/joy
Le tableau suivant propose une compilation classée par ordre alphabétique du lexique de la
joie en français et en anglais présenté précédemment. Lorsque ce sera possible, on ajoutera
aux listes les adjectifs absents du tableau et dont les noms qui s’y rapportent figurent dans la
première colonne et vice-versa. Cette typologie n’est pas exhaustive et pourra être complétée.
Vers une typologie du lexique de la joie
(Classement par ordre alphabétique)
Noms Verbes Adjectifs Expressions Interjections
Allégresse (S’) amuser Amusant Avoir la fierté Bien !
Amour (S’) applaudir de Amusé Boire du petit lait Super !
Amusement Avoir/faire plaisir Béat Boute-en-train Bravo !
Ardeur Contenter Bien disposé De bonne humeur Génial !
Avantage Déborder de joie Bienheureux Éprouver la plus grande joie Ah génial !
Béatitude (Se) délecter Comblé Déborder de joie Ouais !
Bien-être Dérider Content Éclater de joie Oh là là !
Bienfait Distraire De bonne Être au comble de la joie Très bien !
Bonheur Divertir humeur Être au firmament
Consolation Ébaudir Délivré Être au septième ciel
Contentement Égayer Détendu Être aux anges
Délice Émoustiller Ébloui Être fou de joie
Délivrance Enchanter Émerveillé Être heureux comme un poisson
Douceur Ensoleiller Émoustillé dans l’eau.
Émerveillement Épanouir En extase Être heureux comme un roi
Enchantement Éprouver de la En harmonie Être plongé dans un océan de
Enjouement joie/ satisfaction Enchanté joie
Enthousiasme Être content Enjoué Être rayonnant de joie
Entrain Exulter Enthousiaste Être transporté de joie
Épanouissement Faire plaisir Épanoui Faire la joie de quelqu’un
Euphorie (Se) féliciter Euphorique Fondre/ frémir/ rougir/ trembler/
Exaltation Illuminer Exalté tressaillir de joie
Excitation Jubiler Euphorique Fou/ivre de joie
Extase Mettre en joie Excité Gai comme un pinson
Exultation Plaire Fier Mettre en joie
Félicité Ravir Fou de Mettre quelqu’un en joie
Fierté Rayonner Gai Nager dans la joie
Folichonnerie (Se) régaler Guilleret Nager dans la joie/le bonheur
Fun (Se) réjouir Heureux Pleurer de joie
Gaieté Ressentir une Hilare Rayonner de joie
Gentillesse grande joie Joyeux Ressentir une grande joie
Harmonie Rire Passionné Se frotter les mains
Hilarité Satisfaire Radieux
Honneur Se gausser Ravi
Ivresse Se pâmer Rayonnant
Joie Regonflé
Jouissance Réjoui
Jubilation Revigoré
Liesse Rieur
Optimisme Satisfait
Passion Soulagé
Plaisir Surexcité
Ravissement
Rayonnement
Régal
202
Réjouissance
Rigolade
Rire
Satisfaction
Soulagement
Sourire
Transport
Volupté
Vers une typologie du lexique en lien avec « joy »
(Classement par ordre alphabétique)
Noms Verbes Adjectifs Expressions Interjections
Alleviation Be delighted Blessed Beside oneself with joy Wow!
Amusement Be enchanted Blissful Can’t complain Great!
Animation Be glad Cheerful Cock-a-hoop Good!
Beatitude Be happy Cheering Feeling pleasure Brilliant!
Blessedness Be overjoyed Chuffed Floating on air (Very) good job!
Bliss Be sastified (British) Flying high Well done!
Blissfulness Be thrilled Content In high spirits Yeah!
Charm Be/feel happy Contented In raptures
Cheer Enjoy Delighted Jumping for joy
Comfort Exult Ecstatic On cloud nine
Contentement Jubilate Elated On top of the world
Delectation Love Enthusiactic Over the moon
Delight Rejoice Excited Walking on air
Diversion Revel Exhilarated
Ebullience Show/feel joy Exultant
Ecstasy Take pleasure Gay
Elation Glad
Enjoyment Gleeful
Enthusiasm Happy
Enthrallment Jolly
Euphoria Joyful
Excitement Joyous
Exhilaration Jubilant
Exuberance Lighthearted
Exultation Merry
Exulting Overjoyed
Felicity Pleased
Frolic Rapt
Fruition Satisfied
Gaiety Thrilled
Gladness Willing
Glee
Good humor
Gratification
Happiness
Hilarity
Humor
Indulgence
Jolliness
Joy
Joyfulness
Jubilance
Jubilation
Liveliness
Merriment
Mirth
203
Passion
Pleasure
Pride
Radiance
Rapture
Ravishment
Refreshment
Rejoicing
Relief
Revelry
Satisfaction
Sport
Transport
Treasure
Treat
Thrill
Triumph
Wonder
Tableau 4.32. Typologie du lexique en lien avec joie/joy
206
recense dans la colonne de droite les auteurs ainsi que les dates de leurs travaux relatifs à ces
thèmes. Ceci fournit une représentation panoramique de l’état de la recherche et permet de
constater que les interactions enseignants-élèves suscitent particulièrement l’intérêt des
chercheurs. Comme c’était déjà le cas précédemment pour la colère, on retrouve dans ce
tableau les travaux à spectre plus large et abordant tous les thèmes, à l’instar de la revue de
littérature de Sutton et Wheatley, 2003.
Soutien de l’équipe de direction Sutton et Wheatley, 2003; Saric, 2015; Nias, 1996
107
Ulvik, Smith et Helleve précisent qu’en Norvège seuls les enseignants débutent dans leur fonction à plein
temps. La formation initiale est facultative et son volume horaire s’additionne à leur charge de travail en
établissement.
208
de ces enseignants (Ulvik, Smith & Helleve, 2009, p. 837-841). Tout d’abord, le fait d’avoir
choisi la profession qui leur convient (« the right profession ») leur procure de la satisfaction
personnelle. Ils trouvent du plaisir à enseigner leur discipline, ainsi que leur domaine
d’expertise, à des élèves avec lesquels ils interagissent et dont ils voient les progrès et le
développement. Ils rapportent les interactions qu’ils ont avec leurs élèves comme leur plus
importante source de satisfaction. L’atmosphère de l’établissement scolaire, les relations
qu’ils entretiennent avec les collègues, le travail collaboratif contribue à la satisfaction qu’ils
disent ressentir. On peut se demander si ces caractéristiques seront présentes chez les
enseignants novices partie prenante dans cette recherche dans la mesure où les travaux
précédemment cités ont été écrits il y a plus de dix ans, voir plus de vingt ans pour certains.
4.4. Conclusion
L’état de l’art international mené dans ce chapitre sur les émotions des enseignants a
révélé que ces derniers ressentaient essentiellement des émotions négatives dans le cadre de
leur profession. Ces travaux ont montré que la colère et la frustration étaient les émotions les
plus fréquemment citées. Celles-ci seraient déclenchées par divers éléments en lien avec
l’institution ou l’enseignant lui-même, et principalement causées par le comportement
inadapté des élèves et les difficultés de gestion de classe. Joie/plaisir/satisfaction (enjoyment)
feraient également partie des émotions les plus présentes dans le quotidien des enseignants.
Celles-ci seraient déclenchées par divers facteurs comme l’atteinte des objectifs, le bon
comportement des élèves ou les bonnes relations entre collègues. La revue de littérature
internationale de Sutton et Wheatley sur laquelle repose la plupart des travaux cités date de
2003. Elle cible les enseignants en général et donc pas spécifiquement les enseignants de
langue, et encore moins le public très particulier des enseignants novices. On peut alors se
demander dans quelle mesure ces résultats sont toujours d’actualité et s’ils correspondent aux
enseignants d’anglais novices enseignant en France. Le recensement du lexique de la colère
210
et de la joie – les noms, les verbes, les adjectifs, les expressions et les interjections – a permis
d’élaborer une typologie de ces émotions. Celle-ci pourra servir de référence pour identifier
si les émotions citées par les enseignants novices sont parentes de la colère et de la joie. Les
typologies des déclencheurs émanant de la revue de littérature sont une première étape pour
élaborer notre outil méthodologique qui sera présenté dans la prochaine partie de cette thèse.
211
Le chapitre 4 en bref
*La colère et la joie sont les émotions les plus citées par les enseignants selon les revues de
littératures internationales menées durant les vingt dernières années.
*La colère/anger intéresse les auteurs/chercheurs depuis l’antiquité. Elle est perçue comme
violente et négative.
*La joie/joy est vénérée et recherchée. Elle est positive.
*Les dictionnaires de synonymes en langues française et anglaise ainsi que les outils/travaux
issus de la recherche permettent d’élaborer une typologie non exhaustive des noms, verbes,
adjectifs, expressions et interjections utilisés pour exprimer la colère/anger et la joi/joy.
*Il est difficile de traduire les émotions et de trouver des équivalences car elles ne renvoient
pas exactement aux mêmes concepts d’une culture à l’autre.
*On peut reconstituer les scripts en lien avec la colère et la joie grâce au modèle de Plantin
(2011).
*La revue de littérature internationale présentée permet de faire un premier état des lieux
des déclencheurs de la colère et de la joie, mais celle-ci est datée et ne correspond pas tout à
fait au public ciblé par cette recherche.
212
Résumé de la première partie
Cette recherche est ancrée dans la didactique de l’anglais car elle prend appui sur le
polylogue institutionnel (Bouchard, 2005, p. 3) enseignants d’anglais novices–élèves. Elle
s’inscrit dans la didactique institutionnelle de l’anglais (méthodes et approches, textes et
instructions officielles, rapport de jury du CAPES) et dans la recherche en didactique des
langues, notamment avec les travaux sur l’alternance codique de Causa (1996, 1997) et
Castellotti (2001). Elle prend également appui sur la pragmatique linguistique et la notion
d’actes de langage dans le discours (Kerbrat-Orecchioni, 1990, 2005, 2008/2016) ainsi que
sur les théories interactionnistes définies par Kerbrat-Orecchioni (1990, 2005, 2008/2016),
Traverso (1999/2013) et Bigot (2018).
L’état de l’art qui a été présenté dans la première partie de cette thèse a permis de mieux cerner
le public des enseignants d’anglais novices, ainsi que leur discours (Maingueneau, 2009, p.
45). En écrivant “teaching is an emotional practice”, Hargreaves (1998 ; 2000, p. 824) asserte
la présence, longtemps passée sous silence, des émotions au cœur de la profession
enseignante. Depuis la fin des années 1990, des études internationales se sont penchées sur
les émotions des enseignants à tout stade de leur carrière. Cependant, ces travaux
internationaux, quelles qu’en soient les dates de parution – et même les plus récents –
s’appuient tous sur l’excellente revue de littérature menée par Sutton et Wheatley en 2003. Ils
mettent en avant la joie et la colère comme étant les émotions les plus fréquentes chez les
enseignants. On peut cependant se demander dans quelle mesure les résultats avancés dans
ces articles, dont la littérature d’appui date maintenant de vingt ans ou plus, sont encore
pertinents pour cette recherche, et sont toujours valides et au vu de l’évolution des pratiques
enseignantes et de la société. Dans quelle mesure ces résultats et observations prenant appui
sur une revue de littérature nord-américaine se vérifient-ils en France aujourd’hui ?
La plupart des travaux existants sur les émotions des enseignants présentent les causes de
celles-ci, leurs expressions, et éventuellement l’impact qu’elles peuvent avoir sur
l’apprentissage des élèves. Hormis les travaux de Ria et de ses collègues (Petiot, Visioli &
Debiens, 2015 ; Ria & Récopé, 2005 ; Ria & Chaliès, 2003) s’intéressant aux émotions des
enseignants novices en lien avec la construction de leurs gestes professionnels dans le cadre
très spécifique de l’EPS, peu de recherches ont été jusque-là consacrées au public des
enseignants novices (PS, T1 et T2).
213
À l’issue de cette partie théorique et de l’état de l’art, nous sommes en mesure de reformuler
nos questions de recherche comme suit :
Selon la revue de littérature internationale menée dans le cadre de cette recherche, les
émotions les plus saillantes chez les enseignants sont la joie et la colère. Les enseignants
d’anglais en France ressentent-ils principalement de la joie et de la colère dans le cadre de leur
profession ? Ces émotions sont-elles partagées, et si oui, avec qui ? Y-a-t-il une évolution des
émotions et de leur partage durant la carrière des enseignants ?
Quelles sont les causes/déclencheurs des émotions les plus saillantes ?
Ces émotions entraînent-elles des modifications du discours ? Si oui, de quelle nature sont ces
modifications ?
L’objectif de cette thèse est de contribuer à la recherche par le biais d’une étude plus
contemporaine des émotions chez les enseignants, et d’apporter un éclairage sur la situation
française.
108
Professeurs du secondaire qui enseignent depuis plus de cinq ans.
214
Partie II : CADRE MÉTHODOLOGIQUE
215
Cadre constitutif de la recherche
Ce chapitre présente les différentes phases de la recherche, décrit le cadre éthique dans
lequel ce travail s’est inscrit, puis définit le profil des différents types de participants aux
expérimentations, des cohortes entières d’enseignants aux quatre novices des études de cas.
Plan du chapitre
5.1. Introduction
5.2. Les différentes phases de la recherche
5.3. Le cadre éthique de la recherche
5.4. Les participants
5.5. Conclusion
Le chapitre 5 en bref
216
5.1. Introduction
Mon corpus de recherche s’est construit sur plusieurs années, en trois phases, chacune
se nourrissant des enseignements, fruits des explorations, de la phase précédente.
Ce chapitre sera l’occasion, dans un premier temps, de faire état des différentes phases de
cette thèse, dont le caractère relève à la fois de la recherche exploratoire et compréhensive
(Altet, 2003) et de la recherche-interventionniste (Narcy-Combes, 2005 ; Macaire, 2007), et
de détailler le protocole mis en place pour produire les données (Raby, 2008) et constituer
mon corpus.
Durant la première année, j’ai cherché à découvrir, sans a priori, les émotions que les PS
d’anglais de la cohorte 2016-2017 ressentaient au quotidien dans le cadre de leur profession
– en classe, dans les moments d’échanges avec leurs tuteurs (notamment lors des entretiens
post-visites), mais aussi lors des phases de préparation de cours ou de correction de travaux
d’élèves – ainsi que ce qui les déclenchait. J’ai voulu savoir s’ils gardaient ces émotions pour
eux ou si, au contraire, ils les partageaient. Durant cette phase exploratoire, je suis restée en
retrait du terrain et je me suis focalisée sur les écrits des PS. Pour dresser un panorama de
217
leurs émotions et de leurs causes, j’ai utilisé plusieurs outils tels que le questionnaire filé109,
avec réponses fermées et ouvertes, et le journal de bord en ligne (de Cock, 2007 ; Guichon,
2009). Afin de découvrir si les tendances que j’observais étaient propres à l’année de
formation initiale, durant laquelle le stagiaire est mi-étudiant, mi-enseignant (Lemarchand-
Chauvin, 2016), ou si au contraire ces résultats étaient récurrents en début de carrière, j’ai
mené parallèlement la même enquête avec des enseignants néotitulaires (T1). En incluant
également des enseignants titulaires depuis plus de cinq ans (T5+) et des enseignants plus
expérimentés exerçant des missions de tutorat (Experts), j’ai obtenu un large échantillon
d’enseignants d’anglais et un corpus me permettant de déceler, le cas échéant, une constante
ou au contraire une éventuelle évolution des émotions des enseignants tout au long de leur
carrière. J’ai ainsi pu observer une tendance répondant à ma première question de recherche110.
J’ai conçu un questionnaire pilote (cf. 6.1.1 et annexe 1) que j’ai transmis chaque soir pendant
trois semaines à ce panel d’enseignants, mon objectif étant de faire un état des lieux des
émotions des enseignants d’anglais cristoliens à différentes étapes de leur carrière, d’en
découvrir les événements déclencheurs, et d’avoir un premier aperçu de la propension des
enseignants participants à partager leurs émotions. Face à ces données quantitatives et
qualitatives, j’ai proposé aux PS volontaires de tenir un journal de bord (cf. 6.1.3 et annexe
2), écrit en ligne ou audio111, pour faire part de leurs émotions dans le cadre de leur travail
quotidien. 7 ont accepté. Ceci m’a fourni des données qualitatives complémentaires à ce dont
je disposais déjà et d’observer les traces d’émotions dans leurs discours écrits.
À l’issue de cette phase, et après avoir présenté mes premiers résultats en colloque112, il m’est
apparu que les écrits autobiographiques ne me permettaient pas de mettre en lien les émotions
et la didactique et qu’il était donc nécessaire d’aller sur le terrain assister à des cours et de les
109
Le questionnaire est dit « filé » car il a été envoyé chaque soir durant trois semaines (cf. annexe 1)
110
Pour rappel : Selon la revue de littérature internationale menée dans le cadre de cette recherche, les émotions
les plus saillantes chez les enseignants sont la joie et la colère. Les enseignants d’anglais en France ressentent-
ils principalement de la joie et de la colère dans le cadre de leur profession ? Ces émotions sont-elles partagées,
et si oui, avec qui ? Y-a-t-il une évolution des émotions et de leur partage durant la carrière des enseignants ?
111
Le format audio était destiné aux PS ne souhaitant pas écrire mais s’enregistrer pour gagner du temps. J’ai
transcrit ces enregistrements pour les traiter comme les journaux écrits.
112
Colloque « Emotissage, affects dans l’apprentissage des langues », 5 au 7 juillet 2017, Louvain-la-Neuve.
https://affectsetacquisitiondeslangues.wordpress.com
218
filmer. J’ai aussi perçu dans les journaux de bord audio un certain nombre de points saillants
– à l’instar de répétitions, des changements de rythme, de l’élévation du volume de la voix,
… – lorsque les PS évoquaient leur colère, points qui ne pouvaient pas apparaître à l’écrit.
J’ai alors décidé de faire évoluer mon questionnement et mon protocole.
Deuxième phase
La deuxième phase, compréhensive, de cette thèse a repris le protocole de la première
– questionnaire filé dès le mois de novembre 2017, recrutement de PS volontaires pour tenir
un journal de bord en ligne, – auquel s’est ajoutée une étude sur le terrain. De janvier 2018 à
fin mai 2019, j’ai réalisé 50 captations de cours pour une durée totale de 44h50, pour pouvoir
observer l’impact des émotions les plus saillantes sur leur discours d’enseignant d’anglais,
puis j’ai mis en place 38 entretiens d’aautoconfrontation (Clot, 1999 ; 2008) (cf. 6.2.3 et site
compagnon), d’une durée totale de 28h54, permettant aux enseignants novices de nommer
leurs émotions et de signifier ce qui les avaient déclenchées.
Dans le tableau ci-dessous, les cases orange correspondent aux enseignants retenus pour les
études de cas.
Cohorte Dates Classes filmées Durées Dates Durées
+ statut captations captations EAC
cours
2017-18
Sébastien C1 PSbis 11/04/2018 2nde 55 mn 17/04/2018 30 mn
Nathalie C1 T1 20/03/2018 2nde1 55 mn 09/04/2018 62 mn
2nde 2 55 mn
Hugo C1 T1 3/04/2018 5è 55 mn 9/05/2018 62 mn
3è 55 mn
Antoine C1 T1 3/04/2018 5è 55 mn 11/05/2018 35 mn
3è 55 mn
Total C1 7 cours 6h25 7 EAC 3h10
Anna C2 PS 30/03/2018 2nde 55 mn 11/04/2018 28 mn
Charlotte C2 PS 13/03/2018 55 mn 22/03/2018 33 :30 mn
13/04/2018 24 :13 mn 03/05/2018 53 mn
Élise C2 PS 16/03/2018 4è 55 mn 31/03/2018 20 :30 mn
François- C2 PS 13/03/2018 55 mn 21/03/2018 19 :36 mn
Xavier 10/04/2018 55 mn 11/04/2018 16 :53 mn
Marie C2 PS 2nde 55 mn 17/05/2018 37 mn
Enzo C2 PS 19/03/2018 3ème 55 mn 08/04/2018 22 :18 mn
Dorine C2 PS 26/03/2018 4ème 55 mn 28/03/20 21 :54 mn
Emma C2 PS 27/03/2018 6ème 55 mn 05/04/2018 19 :12 mn
Total C2 10 cours 8h40 10 EAC 4 h 20
Total C1+C2 17 cours 15h05 17 EAC 7h30
2018-19
Nathalie C1 T2 01/02/2019 2nde1 55 mn x x
2nde2 55 mn x x
Antoine C1 T2 01/02/2019 5ème1 55 mn 12/03/2019 54 : 42 mn
5ème 2 55 mn
219
12/03/2019 3ème 55 mn 17/04/2019 39 : 09 mn
5ème 55 mn
Hugo C1 T2 04/02/2019 55 mn 10/04/2019 1h40 :41
55 mn
Total C1 8 cours 7h20 6 EAC 3h15
François- C2 T1 18/02/19 55 mn 03/04/2019 1h 05 : 11
Xavier 55 mn mn
55 mn
Marie C2 T1 21/01/19 3ème 55 mn 13/03/2019 13 : 43 mn
6ème 55 mn 27/05/2019 2 h34 :11
13/03/2019 3ème 55 mn mn
6ème 55 mn
Total C2 7 cours 6h25 7 EAC 3h53
Natacha C3 PS 12/02/2019 6ème1 55 mn 14/03/2019 32 : 09 mn
19/03/2019 6ème 2 55 mn 21/03/2019 1h14 :59
6ème1 55 mn
Mélanie C3 PS 19/03/2019 6ème 55 mn 21/03/2019 45 :44
Amina C3 PS 05/02/2019 55 mn 21/02/2019 55 : 38 mn
prol 55 mn 27/032019 1h 55 :44
25/03/2019 4ème 55 mn
Dorine C3 PS 18/02/2019 55 mn 14/03/2019 47 :39 mn
19/03/2019 55 mn 26/03/2019 1h 05 : 35
26/03/2019 55 mn 01/04/2019 48 :14 mn
01/04/2019 55 mn 03/04/2019 1h 06 : 53
Sylvain C3 PS 15/02/2019 4ème 55 mn 19/02/2019 49 mn
19/02/2019 5ème 55 mn 13/03/2019 1h31 :13
4ème 25 mn
Cécilia C3 PS 12/02/2019 2nde 55 mn 21/02/2019 41 : 53 mn
23/03/2019 2nde 55 mn 13/04/2019 48 :38 mn
13/04/2019 2nde 55 mn 18/04/2019 32 :41 mn
2nde 55 mn
Total C3 18 cours 16h 18 EAC 14h16 :02
Total 33 cours 29h45 31 EAC 21h24
C1+C2+C3
Totalgénéral 50 cours 44h50 48 EAC 28h54
En 2017-2018, je suis allée dans le cadre naturel des répondants à mon enquête, c’est-à-dire
dans les collèges et lycées de l’académie de Créteil où ils exercent, afin d’observer leurs cours
et collecter des données filmées. Ces observations de cours ont été suivies, à une semaine
d’intervalle, par des entretiens d’autoconfrontation (désormais EAC) filmés.
Troisième phase
En 2018-2019, j’ai reconduit le même protocole qu’en 2017-2018 – questionnaire filé,
journal de bord en ligne, captations de cours, EAC – avec l’introduction de la cohorte C3 (en
vert dans la figure 5.3. ci-dessous). De crainte de perdre l’adhésion des participants de C1 et
C2, dont la tenue du journal de bord en ligne devenait une contrainte, je leur ai proposé d’y
mettre un terme s’ils le souhaitaient. Tous ont arrêté sauf une T2 de C1. Sur les 6 PS de C3, 5
ont accepté de tenir un journal de bord.
En observant les enseignants stagiaires, ainsi que les T1 et T2 – soit le continuum de formation
continuée (voie figure 1.1.) et donc le public que j’ai nommé « enseignants novices » – j’ai pu
113
Pour rappel, en juin 2017 4 PS de C1 ont accepté de continuer à tenir un journal de bord l’année suivante.
Parmi ces 4 PS, 3 ont été titularisés sont devenus T1, un a renouvelé son année de stage.
221
réaliser une étude longitudinale et comparative des émotions et de leur évolution en début de
carrière.
Je me suis donc retrouvée, sans que cela soit initialement prévu, partie prenante de la
progression des novices et donc au cœur d’une recherche-action initiée par ces enseignants,
qui comme l’écrit Catroux (2002, p. 9), souhaitent porter un regard critique sur leurs pratiques
de classe « et, après une réflexion approfondie et l’observation de dysfonctionnements, à
mettre en place des stratégies correctives ». La réflexion naît de l’observation de ce qui se
passe sur le terrain, et de là émerge un plan d’action, pouvant lui-même être revu dès qu’un
nouveau cycle d’observation-réflexion a vu le jour.
Souhaitant réitérer le même protocole en 2019-2020, j’ai envoyé en novembre 2019 les
questionnaires aux enseignants de C1, C2 et C3 ainsi qu’à une nouvelle cohorte (C4) de PS.
La conjoncture très particulière de cette année-là – grèves entraînant l’arrêt des transports en
commun et la fermeture d’établissements scolaires, suivies du confinement lié à la pandémie
de COVID 19 – m’a contrainte à mettre fin à mes expérimentations.
223
rigueur, intégrité et honnêteté intellectuelle. Dans le MOOC intitulé « Intégrité
scientifique dans les métiers de la recherche114 » développé par l’Université de Bordeaux en
2018, Yannick Lung115, Professeur de Sciences Économiques, explique qu’il n’existe pas de
définition précise de ce qu’est l’intégrité scientifique car ceci relève de l’implicite, d’un
« consensus » établi progressivement parmi les chercheurs sans qu’il soit verbalisé. Selon
Lung, cela implique « une rigueur et une honnêteté intellectuelle », « le respect des normes,
lois et règlements », ainsi que la « gestion méthodique des données, des expériences » et « le
respect des personnes engagées dans la recherche ».
La question de l’éthique se pose dans toutes les recherches, que celles-ci relèvent du domaine
des sciences dures ou des sciences dites molles. Ainsi, grâce à la mise en place d’instances et
à la rédaction de textes officiels, à l’international dès les années 1980, puis en France, un cadre
de régulation a été créé. La figure 5.5., ci-dessous, en rend compte :
Figure 5.5. Les enjeux l'intégrité scientifique, carte heuristique tirée du MOOC "Intégrité scientifique
dans les métiers de la recherche", 2018, Université de Bordeaux, FUN MOOC.
114
MOOC « Intégrité scientifique dans les métiers de la recherche », 2018, plateforme FUN MOOC,
https://www.fun-mooc.fr/courses/course-
v1:ubordeaux+28007+session01/courseware/1ae442c4a4d44b9bab878ab3552f0446/
115
Yannick Lung est Professeur de Sciences Économiques à l’université de Bordeaux et rattaché au laboratoire
GREThA, - UMR CNRS 5113.
224
En 1993, à la première page du rapport « avis sur l’éthique de la recherche dans les sciences
du comportement humain » rédigé par le Comité Consultatif National d’Éthique , on trouve
un paragraphe qui donne un cadrage très clair de la marche éthique à suivre lorsque des
recherches portent sur des êtres humains :
toute investigation expérimentale sur l’être humain, qu’elle soit en vue du
développement des connaissances biomédicales, ou en vue du développent des
connaissances comportementales, doit se faire selon une démarche scientifique
irréprochable, dans le respect de la liberté d’action des personnes, de leur sécurité, du
principe de justice ; et que le consentement libre, éclairé et exprès des personnes qui
se prêtent à la recherche ne décharge pas les chercheurs de leur responsabilité morale
et scientifique.
Dès les années 2000, des rapports, des guides sont rédigés et des chartes se mettent en place
dans les universités, en commençant par les facultés de médecine. En janvier 2015, la « Charte
nationale de déontologie » sur les métiers de la recherche est signée. Une réflexion est alors
engagée entre les différents acteurs des organismes de recherche et des universités, ce qui
débouche en mai 2016 sur un arrêté intégrant une formation à l’éthique et à l’intégrité
scientifique dans le parcours obligatoire des doctorants. Des référents intégrité scientifique et
des référents à la protection des données sont nommés dans les universités.
116
http://icar.cnrs.fr/projets/corinte/bandeau_gauche/questions_juridiques.htm
226
-elles touchent la diffusion des données primaires et secondaires
- elles touchent les objets d’analyse et la manière dont les matériaux recueillis sont
présentés, décrits et exploités ;
- elles touchent les usages du corpus dans des situations de conférence ou de cours,
dans la manière dont il est mis en lumière, dont les participants sont présentés ;
- etc.
Définitions
Le Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), émis en
2016 et modifié en 2018, inscrit comme fondamentale la protection des données à caractère
personnel des personnes physiques (Article 4, RGPD117, CNIL, 2016). L’article 4 du RGPD
modifié le 23 mai 2018 procure des définitions, précises et éclairantes pour cette recherche,
de ce qui est notamment entendu par « données à caractère personnel », personne physique
identifiable », « traitement », « pseudonymisation », et « consentement ».
Données à caractère Toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ;
personnel
Personne physique Une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement,
identifiable (puis notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification,
« personne des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments
concernée ») spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique,
économique, culturelle ou sociale ;
Traitement Toute opération ou tout ensemble d'opérations effectuées ou non à l'aide de procédés
automatisés et appliquées à des données ou des ensembles de données à caractère
personnel, telles que la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la structuration, la
conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation,
la communication par transmission, la diffusion ou toute autre forme de mise à
disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, la limitation, l'effacement ou la
destruction;
pseudonymisation Le traitement de données à caractère personnel de telle façon que celles-ci ne puissent
plus être attribuées à une personne concernée précise sans avoir recours à des
informations supplémentaires, pour autant que ces informations supplémentaires
soient conservées séparément et soumises à des mesures techniques et
organisationnelles afin de garantir que les données à caractère personnel ne sont pas
attribuées à une personne physique identifiée ou identifiable ;
Consentement (de Toute manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle la
la personne personne concernée accepte, par une déclaration ou par un acte positif clair, que des
concernée) données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement ;
Tableau 5.2. Définitions de l’article 4 du RGPD (2018)
117
RGPD, 23 mai 2018 : https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees
227
Les répondants aux questionnaires et les participants aux expérimentations sont tous des
personnes physiques identifiables. Pour préserver leur identité, j’ai demandé aux répondants
aux questionnaires filés de choisir un pseudonyme. Quant aux participants à mes
expérimentations, il aurait été possible de les nommer avec un codage combinant la cohorte à
laquelle ils appartenaient et leur statut. On aurait ainsi pu représenter un des trois enseignants
stagiaires hommes de la première cohorte par C1PSH1 et une néotitulaire de la cohorte 2 par
C2T1F4 par exemple. J’ai renoncé à utiliser un tel codage, préférant des prénoms fictifs, plus
humains. J’ai alors respecté les préconisations données par le site Corinte qui propose de
« remplacer tous les noms propres (personnes, lieux...) par des pseudonymes, en tentant de
respecter le nombre de syllabes et les éventuelles connotations (prénom américain...) ».
Pour produire118 les différentes données à traiter, il a d’abord fallu que j’informe et explique
aux participants mes intentions et l’utilisation que je ferai des réponses aux questionnaires,
des captations de leur image et de leur voix, ainsi que de la teneur de leur discours. Il a
également été nécessaire que j’en fasse de même à l’intention des responsables légaux des
élèves mineurs pouvant apparaître à l’image ou dont la voix serait captée.
118
Selon Françoise Raby (2008) on ne recueille pas des données mais on les produits :
Les données sont produites et non recueillies. Ce n’est pas une question anodine. De nombreux étudiants, parce
qu’ils ont la métaphore de la cueillette en tête, ne se préoccupent pas assez de la manière dont ils structurent leurs
données. Or, celles-ci vont se transformer en variables dépendantes, c'est-à-dire que c’est de leur évolution que
vont dépendre les résultats. Des données mal structurées donnent ensuite des données non traitables ou mal traitées.
Les données, statistiques ou pas, sont des indicateurs des phénomènes et doivent être construites avec le plus grand
soin.
Je souscris pleinement à son point de vue et choisis d’utiliser « produire/production des données.
119
Voir infra et annexe 1
228
Les informations recueillies dans ce questionnaire sont enregistrées dans un fichier
informatisé par Marie-Claire LEMARCHAND-CHAUVIN (Sorbonne-Nouvelle, ED
625, PRISMES, SeSyLIA) dont l’objectif est d’obtenir des données sur les émotions
ressenties par les enseignants dans le cadre de leur profession. Ce questionnaire n’est
pas obligatoire.
Conformément au règlement général de protection des données, entré en application
depuis le 25 mai 2018, vous pouvez accéder aux données vous concernant, les rectifier,
demander leur effacement ou exercer votre droit à la limitation du traitement de vos
données. Ces données seront conservées pendant une durée de 10 ans et serviront à
Marie-Claire LEMARCHAND-CHAUVIN dans le cadre de ses recherches (thèses,
communications, écriture d’articles).
Si vous remplissez ce formulaire, vous consentez à la collecte et au traitement de ces
données, mais vous pouvez retirer à tout moment votre consentement au traitement de
vos données. Vous pouvez également vous opposer au traitement de vos données et
exercer votre droit à la portabilité de vos données.
Pour tout complément d’information sur vos droits liés au règlement général de
protection des données, vous pouvez contacter le délégué à la protection des données
de l'académie.
Pour les enseignants stagiaires, rattachés à l’UPEC, les coordonnées sont : dpo@u-
pec.fr.
Les consentements
Qu’ils soient PS ou titularisés, les enseignants novices se trouvent sous l’autorité de
leur chef d’établissement et de l’institution représentée par les corps d’inspection. Ils ne sont
donc pas libres de toutes leurs décisions dès lors qu’ils sont au sein de leur établissement, ce
dont le chercheur doit tenir compte avant de les impliquer dans une recherche. Par ailleurs,
mener une recherche dans le contexte de la salle de classe soulève le problème de la protection
des mineurs en milieu institutionnel. Il est donc nécessaire de recueillir ce que j’appellerai un
« consentement vertical », c’est-à-dire des différents supérieurs hiérarchiques, et un
« consentement horizontal », afférents aux enseignants novices et aux élèves se trouvant dans
la classe filmée. Ces consentements doivent être libres, ils doivent être donnés volontairement
et sans contrainte, sans peur qu’un refus puisse nuire à celui qui l’émet. Ils doivent être éclairés
– la nature du projet et la façon dont les données seront traitées et diffusées doit être expliquée,
le respect de l’anonymat doit être assuré – et il doit être rappelé aux participants qu’ils peuvent
se rétracter à tout moment. Sur le consentement éclairé, Mondada (2005, p. 14) rappelle :
On parle souvent de formulaires d’autorisation à soumettre aux informateurs ; il est
cependant important de faire dépendre cette autorisation de l’information préalable
donnée aux personnes concernées : sans information, la demande d’autorisation n’a
pas d’objet ni de sens. C’est pourquoi on parle de consentement éclairé (informed
consent), dans le sens où l’acceptation de l’enregistrement est étroitement dépendant
de la compréhension des finalités pour lesquelles il est effectué́ .
229
Ces consentements doivent aussi être continus tout au long de la recherche. Ceci m’a amenée
à réitérer ma démarche à chaque nouvelle étape afin de permettre aux participants de mettre
fin à l’expérimentation s’ils le souhaitaient.
Cette démarche amène à se poser des questions, que Mondada (2005, p. 15) résume ainsi :
« qu’est-ce qu’« informer » ? et informer « à propos de quoi » ? à quelles conditions peut-on
dire que cette information produit le statut « éclairé » de son destinataire ? ».
• Le consentement vertical
Dans un premier temps, il a été nécessaire d’informer les inspecteurs d’anglais de
l’académie de Créteil et d’obtenir leur accord de principe. Nous avons décidé ensemble que
je ne filmerai pas les PS en très grande difficulté afin d’éviter tout recours éventuel de leur
part s’ils n’étaient pas titularisés. Le fait d’avoir participé à une recherche ne devait pas être
mis en avant comme événement perturbateur sur lequel un recours pourrait s’appuyer.
Dans un deuxième temps, j’ai contacté les chefs d’établissement par courriel120 afin de leur
exposer la nature de mon projet et leur demander l’autorisation121 de me rendre dans leur
établissement, à une date et une heure précise, pour aller filmer l’enseignant participant dans
sa classe, après avoir obtenu le consentement de ce dernier et celui des familles des élèves.
J’ai renouvelé cette démarche à chaque fois que j’ai souhaité revenir dans un établissement.
• Le consentement horizontal
Le consentement des novices a été demandé à plusieurs étapes de la recherche : dans
le questionnaire, avant les captations de cours et les EAC. Le consentement des novices et des
représentants légaux122 des élèves a été demandé en amont des captations vidéo de cours afin
de pouvoir faire usage de leur image et de leur voix.
120
Un exemplaire du courriel envoyé se trouve en annexe 3
121
Un exemplaire vierge de la demande d’autorisation se trouve en annexe 4
122
Un exemplaire vierge de la demande d’autorisation à destination des enseignants se trouve en annexe 5. Le
document à destination des parents d’élèves se trouve en annexe 6.
230
Le droit à l’image
Selon le site Service-public.fr rubrique, le droit à l’image 123 est lié au droit de la vie
privée. Il est donc indispensable d’obtenir un accord écrit pour utiliser (diffusion, publication,
reproduction ou commercialisation) l’image d’une personne, sauf lorsque la captation a été
faite lors d’un « événement d’actualité ». Le site précise qu’il est possible de « demander le
retrait d'une image au responsable de sa diffusion » et qu’en cas de refus le juge et/ou
la CNIL peut être saisi si l'image est diffusée en ligne. Une plainte peut être portée en cas
d'atteinte à la vie privée.
• Le cas des mineurs
En vertu de l’article 9 du Code Civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Avant
utilisation de l’image d’un mineur, il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite des parents
ou des responsables légaux. La diffusion de l’image des enfants est soumise à autorisation
parentale. J’ai donc fait parvenir aux familles sous couvert du chef d’établissement et par le
biais des enseignants novices, des demandes d’autorisation de filmer124 et d’utiliser l’image –
mais aussi la voix – des élèves, bien en amont de ma venue dans les classes. L’enseignant a
ainsi pu aménager son plan de classe en fonction des autorisations et interdictions le jour de
la captation vidéo.
123
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32103
124
Voir exemple de formulaire vierge en annexe 6.
231
de mon académie. Ce panel comprenait des enseignants stagiaires (PS), des néotitulaires (T1),
des titulaires pour la deuxième année (T2), depuis plus de 5 ans (T5+) et des enseignants
exerçant depuis plus de 15 ans et ayant des missions de tutorat (EXPERT). Le tableau suivant
fait état du profil et du nombre d’enseignants ayant répondu au questionnaire en novembre
2016 et présente le nombre de réponses obtenues.
Novembre 2016
Nombre total Nombre de Ratio Nombre de
Statut
sollicités répondants sollicités/répondants réponses
PS (C1) 75 43 57,3 % 301
T1 (C0) 50 6 12% 47
T5+ (C0) 40 11 27,5% 67
Experts (C0) 50 9 18% 75
Tableau 5.3. Répondants au questionnaire 2016
Le nombre total des PS, soit 75, correspond à l’intégralité de la cohorte (C1125) formée à
Créteil en 2016-2017. Pour travailler dès cette première année sur un continuum, j’ai dû faire
appel à des T1, T5+ et Experts qui n’avaient pas suivi le protocole expérimental durant leur
année de formation initiale. C’est la raison pour laquelle j’ai nommés ces cohortes C0.
Le nombre total des T1 (C0) renvoie aux PS de l’année précédente titularisés et affectés dans
l’académie de Créteil. Pour finir, les T5+ et les Experts sollicités sont des enseignants dont
j’avais eu les coordonnées via des listes de diffusion. On constate que le ratio enseignant
sollicités-répondants est faible. Interrogés, certains mentionnent le manque de temps et se
décrivent débordés de travail. Ceci est particulièrement prégnant chez les T1 qui ont pour la
première fois un service à plein temps après avoir été à mi-temps durant leur formation initiale.
Par ailleurs, durant le mois de novembre les enseignants remplissent traditionnellement les
bulletins trimestriels et participent aux conseils de classe, ce qui peut expliquer le manque de
participation. Je reviendrai en 6.1.1.3 sur le choix de commencer mon enquête en novembre.
125
Le premier public ciblé par cette recherche est celui des PS avec un démarrage en 2016, année du début de la
recherche. Il s’agit donc de la cohorte de référence C1. Les enseignants autres que PS sollicités cette année-là
sont référencés comme appartenant à la cohorte 0 (C0).
232
Novembre 2017
Nombre de Ratio Nombre de
Profils Nombre total sollicités
répondants sollicités/répondants réponses
PS (C2) 86 50 58 % 299
T1 (C1) 43 11 25% 75
T2 (C0) 6 6 100% 53
Tableau 5.4. Répondants au questionnaire 2017
J’ai envoyé le même questionnaire que l’année précédente à la nouvelle cohorte (C2) de PS,
soit 86 stagiaires. 50 y ont répondu. Ceci correspond au ratio obtenu avec C1 l’année
précédente.
Les 43 répondants de la cohorte C1, tous PS en 2016, ont été re-sollicités en novembre 2017,
cette fois-ci en tant que T1. Un quart a répondu, ce qui correspond au double de réponses
obtenues en 2016 avec le public de T1 (C0). Ceci peut s’expliquer par le fait que les 43 T1
sollicités en 2017 avaient tous déjà répondu au questionnaire l’année précédente, ce qui n’était
pas le cas des T1 C0. Les T1 C1 connaissaient déjà le questionnaire, et étaient conscients du
temps qu’il leur serait nécessaire pour y répondre.
Novembre 2018
En novembre 2018, j’ai choisi de me concentrer uniquement sur le continuum des
enseignants novices, soit PS, T1 et T2 des trois cohortes.
Novembre 2018
Nombre de Ratio Nombre de
Profils Nombre total sollicités
répondants sollicités/répondants réponses
PS (C3) 82 46 56,1% 220
T1 (C2) 50 6 12% 33
T2 (C1) 11 8 3/4 34
Tableau 5.5. Répondants au questionnaire 2018
Novembre 2019
Novembre 2019 a été caractérisé par les grèves générales de la fonction publique.
Nombreux étaient les établissements fermés, ce qui peut expliquer la baisse significative des
répondants.
Novembre 2019
Nombre de Ratio Nombre de
Profils Nombre total sollicités
répondants sollicités/répondants réponses
PS (C4) 66 22 33,3% 127
T1 (C3) 46 8 17,4 % 23
233
T2 (C2) 6 2 1/3 19
T3 (C1) 8 7 7/8 31
T4 + (C0) 15 11 73,3% 48
EXPERTS 15 9 60% 60
Tableau 5.6. Répondants au questionnaire 2019 issus de l’académie de Créteil
En raison du contexte social, et notamment des nombreux mouvements de grève qui ont
impacté la tenue des cours en établissements scolaires, la cohorte C4 n’a pas pu être sollicitée
pour prendre part aux expérimentations.
Juin 2019
Profils Nombre de répondants Nombre de réponses
T1 1 1
T5+ (entre 5 et 15
7 15
ans d’expérience)
EXPERTS 20 41
Tableau 5.7. Répondants issus d’académies autres que Paris-Créteil-Versailles (juin 2019)
Novembre 2019
Profils Nombre de répondants Nombre de réponses
T1 1 1
T2 1 1
T5+(entre 5 et 15
6 27
ans d’expérience)
EXPERTS 32 176
Tableau 5.8. Répondants issus d’académies autres que Paris-Créteil-Versailles (novembre 2019)
234
la nature de leur investissement. Tous les prénoms sont fictifs afin de respecter l’anonymat
des PS.
235
2018-2019, nouvelle cohorte (C3) de PS et suivi des T2 (C1) et T1
(C2)
En 2018-2019, j’ai pu travailler avec 3 cohortes différentes d’enseignants – 3 T2 (C1),
2 T1 (C2) et 6 PS (C3) en vert dans le tableau ci-dessous, soit le continuum des enseignants
novices. Les noms et la nature de l’engagement de chacun dans mes recherches figurent dans
le tableau 5.10.
Leur choix a été motivé par plusieurs critères. Initialement je voulais suivre un enseignant de
chacune des trois cohortes durant trois ans (PS, T1 et T2), ce à quoi j’ai dû renoncer pour
plusieurs raisons. Tout d’abord, cette recherche longitudinale impliquait la production de
données sur le terrain pendant cinq ans, ce qui est peu compatible avec les exigences du
doctorat. Par ailleurs, les diverses crises – sociale puis sanitaire – ne m’ont pas permis de
poursuivre mon travail sur le terrain et donc d’obtenir des données filmées durant trois années
successives pour un même enseignant. J’ai donc constitué un continuum en choisissant des
enseignants différents à trois stades de leur début de carrière : en formation initiale (PS),
l’année de leur titularisation (T1) et lors de leur deuxième année de titularisation. La formation
initiale étant le point d’ancrage de mon travail, j’ai choisi d’analyser les discours de deux PS,
236
Cécilia et Dorine, dont les profils et motivations sont totalement différents (cf. tableau 5.12.
ci-dessous, et 5.4.3.1). Afin d’avoir dans mon continuum un panel d’enseignants novices le
plus représentatif possible de la réalité du terrain, j’ai opté ensuite pour deux enseignants de
sexe différent, dont une enseignante plus âgée, en reconversion professionnelle.
Tableau 5.12. Présentation synthétique des quatre enseignants des études de cas
237
• Dorine
En 2018-2019, Dorine, âgée de 23 ans, est PS (C3) à l’ESPE de l’académie de Créteil.
Elle a obtenu le CAPES d’anglais en juin 2018 après avoir validé un master MEEF porté par
l’ESPE de l’académie de Paris et une université parisienne. Pour son année de stage elle a été
affectée à mi-temps dans un collège de Seine-et-Marne en Réseau d’Éducation Prioritaire
(REP) et enseigne à des classes de 5è, 4èLV1 et 4èLV2. Elle est née en France et sa langue
maternelle est le tamoul.
Elle a accepté en décembre 2018 de tenir un journal de bord en ligne et se dit intéressée par
les captations vidéo de ses cours et les EAC, car selon elle, ses classes de REP sont difficiles
et elle rencontre des difficultés de gestion de classe. Elle voit dans ces EAC la possibilité de
s’observer et de mieux comprendre la nature de ses difficultés.
Elle a passé six mois à Londres en 2016, en tant qu’assistante commerciale dans une agence
immobilière, dans le cadre de sa licence Anglais-Économie-Gestion.
5.5. Conclusion
239
Le chapitre 5 en bref
240
Méthode de production des données et d’analyse
Ce chapitre présente les différentes méthodes qui ont permis de produire des données
et de les exploiter. Il s’intéresse donc aux outils générateurs de données que sont les
questionnaires, les journaux de bord, les captations vidéo et des entretiens d’autoconfrontation
(Clot, 1999), et présente leur conception/préparation en amont des expérimentations. Un point
est également fourni sur les outils utilisés (logiciel Tropes et scénario EMOTAIX) ou créés
(typologies, modèles) pour analyser les données.
Plan du chapitre
241
6.1. Corpus phase 1: un corpus exploratoire
La première phase de ma thèse m’a permis de constituer un corpus exploratoire. Elle
s’est tout d’abord appuyée sur un questionnaire élaboré sur Google Forms et envoyé de façon
filée, lequel m’a permis de faire l’inventaire des émotions, de leurs éléments déclencheurs et
de leur partage (Rimé, 2005), de quatre cohortes d’enseignants à différentes phases de leur
carrière. Cette étape m’a fourni des résultats permettant une analyse quantitative. Puis des
journaux en ligne ont été tenus par quelques PS volontaires des trois premières cohortes. Ces
journaux m’ont fourni des données longitudinales, exploitables à la fois qualitativement, mais
aussi quantitativement (recensement du lexique des émotions, calcul du nombre
d’occurrences, …).
Les paragraphes suivants présentent la conception de ces deux modalités de production de
données ainsi que les outils mis en place pour les analyser.
126
Le questionnaire est consultable en annexe 1
242
Validité de la méthode
La méthode du questionnaire présente des avantages mais aussi des inconvénients et
des limites dont le chercheur doit être conscient (Aebischer & Wallbott, dans Scherer,
Wallbott & Summerfield, 1986, p. 28). Les connaître permet de mettre en place des stratégies
pour réduire les biais.
• Avantages
Selon Scherer (1986, dans Scherer, Wallbott & Summerfield, 1986, p. 18-21), la
méthode du questionnaire est adaptée aux recherches sur les émotions pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, de manière générale, le questionnaire s’avère être un outil pertinent pour
démarrer une recherche car, si les participants sont nombreux, leurs réponses offrent un
premier panorama sur la question posée. Ceci explique son utilisation fréquente en sciences
sociales et comportementales, et notamment dans l’étude des émotions. Par ailleurs, dans cette
dernière, le questionnaire serait plus efficace que l’entretien (Scherer, 1986, dans Scherer,
Wallbott & Summerfield, 1986, p. 18-19). Outre le gain de temps qu’il représente par rapport
à des entretiens chronophages, l’anonymat des répondants peut être respecté, ce qui leur
permettrait d’être plus en confiance et sincères dans les réponses qu’ils donnent.
• Inconvénients
Si les avantages sont nombreux, certains inconvénients sont également notables. Selon
Scherer (1986, p. 21), les réponses aux questionnaires sont parfois biaisées car les participants
aux enquêtes orientent leurs réponses pour garder la face (Goffman, 1974). Certains analysent
la question et répondent en se projetant dans ce qu’ils pensent être la « bonne réponse »,
autrement dit la réponse attendue par l’institution et qui correspond aux attentes de celle-ci du
« bon » enseignant. Des réponses stéréotypées ou formatées vont alors être faites:
We know that self-reports are subject to many artefacts such as response distortion
due to ego-defence tendencies or social desirability effects. Furthermore, apart from
such strategies designed to protect or enhance the self, it is known that self-reports are
often affected by stereotypes, that is subjects reporting that they behaved in a way
corresponding to their preconceptions about the response requirements in a specific
situation. This presumably reflects the fact that common notions about the most likely
response overpower the recall of the actual response. (Scherer, 1986, p.21)
Selon Scherer (dans Scherer, Wallbott & Summerfield, 1986, p. 21-22) et Aebischer et
Wallbott (dans Scherer, Wallbott & Summerfield, 1986, p. 28), de nombreuses recherches
demandent aux répondants de citer des épisodes émotionnels anciens, plutôt que de leur
243
demander de décrire ce qu’ils ont ressenti dans un passé très récent. Il leur est donc difficile
de se remémorer les événements et de les citer fidèlement :
Even if people are willing to answer as faithfully as possible, are they really able to
remember the required information? Indeed, the bigger the time lap between the event
and the report of it, the more likely it is that the outcome is a rationalization and an
interpretation: the event has been integrated in the meantime into the social reality of
the individual who is likely to describe those items of the event that are more
compatible with his own frames of reference. (Aebischer et Wallbott dans Scherer,
Wallbott & Summerfield, 1986, p. 28)
Pour finir, nous pouvons citer le problème lié à la verbalisation d’un épisode émotionnel.
Aebischer et Wallbott (dans Scherer, Wallbott & Summerfield, 1986, p. 28-29) expliquent
qu’une situation émotionnelle se caractérise par ses aspects subjectifs, cognitifs mais aussi
non-verbaux et physiologiques. La verbalisation d’une de ces expériences pourrait altérer
l'importance de certains points, par exemple dans les cas où aucun mot n'est disponible ou ne
convient pour décrire les éléments de l'expérience, ce qui représente une des limites de la
méthode du questionnaire : “with a questionnaire we collect subjective representations of
emotional experiences mediated by the process of verbalisation, not an objective
representation of emotional situations”.
244
Conception du questionnaire
Le tableau ci-dessous résume les raisons qui m’ont amenée à concevoir un
questionnaire et annonce les outils utilisés pour l’analyser, point qui sera abordé en 6.1.2.
Modalité Outils utilisés Objectifs Outils d’analyse
Questionnaire filé : Google Form sur Faire un état des lieux général Excel tableaux
PHASE 1
Le questionnaire adressé aux PS de la première cohorte (2016-17), a servi de pilote à tous les
questionnaires suivants. Sa consigne, placée après le cadre éthique (cf. 5.3.3.2) étant la
suivante :
246
cas de « un sentiment de vide » ou « un sentiment de mal-être ». Certains répondants y ont eu
recours, d’autres en ont fait l’ellipse.
La capture d’écran ci-dessous, extraite du questionnaire, présente les émotions proposées.
Par ailleurs, seul le format « journal de bord » pouvait expliquer ma requête d’entrées
journalières – et donc mes envois. J’ai alors opté pour un envoi systématique chaque soir
durant trois semaines pour les PS, ce qui correspond à neuf jours de présence en établissement
devant élèves pour ces enseignants en alternance. Il m’a semblé que ce suivi constituait un
bon compromis, suffisant long pour révéler une tendance sans créer de lassitude chez les
247
répondants. De plus, la répétition engendrant une routine, ceci m’a semblé être une stratégie
intéressante pour éviter les réponses stéréotypées (cf. 6.1.1.1). Seul un relevé quotidien de
leurs émotions pendant une durée suffisamment longue pouvait me donner un aperçu
représentatif de leurs ressentis. L’utilisation d’un pseudonyme m’a permis de suivre leurs
réponses, et d’en établir un continuum, d’un jour sur l’autre. En effet, demander aux
enseignants quelles émotions ils avaient ressenties dans le cadre de leur profession à un instant
T représentait peu d’intérêt pour moi.
248
Figure 6.4. Extrait du questionnaire : cases à cocher et questions ouvertes
J’ai opté pour des énoncés lacunaires à la première personne afin d’encourager la narration et
de renforcer la similitude avec un journal de bord, comme le montre l’extrait du questionnaire
suivant, accompagné d’une consigne entre parenthèses visant à guider les réponses :
Choix de la période
Le premier questionnaire a été envoyé la troisième semaine de novembre 2016. Je n’ai
pas délibérément choisi cette date, celle-ci coïncide avec le démarrage de la phase exploratoire
de ma thèse après avoir été acceptée en doctorat. Si on examine cette date, on constate qu’elle
correspond à la fin du premier trimestre du calendrier scolaire, moment où les enseignants
remplissent les bulletins trimestriels des élèves, participent aux conseils de classes et à
diverses réunions appelées communément « réunions parents-professeurs ». Il s’agit donc
d’une période assez chargée, ce qui a pu avoir une incidence sur certaines réponses mais aussi
sur le nombre de participants. Afin de ne pas créer de biais en changeant de période, j’ai
renvoyé chaque année le questionnaire la troisième semaine de novembre.
250
nécessité de coder ce corpus qualitatif afin de pouvoir l’exploiter quantitativement. Pour cela,
je me suis appuyée sur des typologies existantes et présentées au chapitre 4 (cf.4.2.7 et 4.3.4),
principalement axées sur les déclencheurs de la joie et de la colère. J’ai ainsi créé mes propres
typologies pilotes, une pour les situations générant des émotions à valence positive, et une
deuxième recensant les déclencheurs d’émotions à valence négative. Elles ont sensiblement
évolué au cours de mes premières analyses, lorsque certains éléments récurrents ne figuraient
pas dans le tableau initial (ex : le constat du travail accompli). Aux déclencheurs relevant des
établissements ou de l’institution, des élèves et des enseignants que l’on trouve dans la
littérature citée précédemment, j’ai ajouté la possibilité de recenser ceux liés à la formation –
initiale ou continue – car se former fait partie des missions des enseignants. Cette démarche
dynamique, en phase avec la théorie ancrée (grounded theory) formalisée par Glaser et Strauss
dans les années 1960, est fréquente dans le cadre des recherches action interventionnistes où
les données font évoluer le cadre initial en un processus toujours dynamique.
La typologie ci-dessous combine en un seul tableau l’aboutissement des deux typologies
pilotes. On trouve pour chaque déclencheur, une déclinaison négative (à gauche) et une
déclinaison positive (à droite). À titre d’exemple, nous avons fait figurer pour chaque
déclencheur, des émotions citées dans les questionnaires, ainsi que les épisodes émotionnels
qui s’y rapportent. Sur la première ligne, on constate que les conditions matérielles en
établissement peuvent déclencher des émotions. Celles-ci seront négatives (ex : frustration ici)
si les conditions sont mauvaises et que le matériel défaillant, ou positives (ici apaisement) si
les conditions sont bonnes et que le matériel est performant.
Exemples de réponses Émotions Déclencheurs Émotions Exemples de réponses
déclarées déclarées
Déclencheurs relevant de l’établissement (direction, collègues, parents d’élèves) ou de l’institution
Quand l'ordinateur ne voulait Frustration Conditions Apaisement Lors de l’heure de pause
pas s'allumer alors que la matérielles pendant laquelle je suis
classe attendait que la vidéo Mauvaises, matériel restée dans ma salle pour
commence défaillant / bonnes, travailler seule dans le
matériel performant silence
Prise de conscience des Peur Contexte politique Absence d’exemple
implications du plan & décisions
VIGIPIRATE au niveau de nos institutionnelles
établissements Perturbant les
habitudes /
améliorant les
habitudes
La fatigue, car les fins de Fatigue Charge de travail Absence d’exemple
semaines sont difficiles à cause Surcharge / charge
de la formation principalement. normale
On doit être aux champs et à la
ville, on a beaucoup de travail
251
personnel et en plus de s'investir
énormément pour nos élèves et
nos cours on doit s'investir pour
la formation, au final on finit les
semaines sur les rotules.
Quand je suis allé en parler Colère Dimension Joie Lorsque j'ai des problèmes
avec la direction, j'ai relationnelle avec les élèves mes collègues
l'impression de ne pas avoir été Absence d’aide et de sont derrière moi et
pris au sérieux. soutien / aide et m'épaulent beaucoup
soutien Joie Quand mon tuteur ESPE m'a
dit que ma séance est
Retours négatifs / globalement bonne
J'ai ressenti de la colère car j'ai Colère retour positifs Joie Bon moment en salle des
voulu aider une collègue à retirer profs + préparation du
des graffitis sur une salle de marché de noël, un moment
cours que je lui avais laissé afin Désaccord / partage différent avec les collègues
qu'elle ait accès au
vidéoprojecteur et celle-ci ne m'a
pas absolument pas remercié. Au
contraire elle m'a uniquement
accusé d'être responsable des
graffitis en ayant laissé la porte
arrière de la salle de classe
ouverte. J'ai tellement de ressenti
que je compte désormais la
laisser se débrouiller seule pour
trouver une salle de classe.
Déclencheurs relevant des élèves
Quand un élève ne voulait pas Colère Comportement Joie Excellent comportement
arrêter de bavarder Adapté /inadapté d'une classe
J'ai remarqué une altercation Colère et Absence d’exemple
verbale (mais discrète) entre tristesse
deux élèves, à propos d'une
troisième élève. Après avoir
demandé un des deux élèves de Violence /bonne
quoi il s'agissait (en fin de entente
cours) il s'avère que l'autre
élève (et d'autres dans la
classe) se moquent
régulièrement d'une (et de
plusieurs) autres élèves.
En commençant à corriger les Colère Atteinte des Joie Quand mes élèves ont été au-
copies de l'évaluation objectifs delà de mes espérances dans
d'aujourd'hui et de voir que Échec / réussite leurs productions orales.
dans chaque classe il y a encore
quelques élèves qui n'y arrivent
pas, a priori par manque de
travail et d’investissement ;
mais cela me questionne sur
ma façon d'enseigner quand
même.
Je m'investis pleinement dans Colère Adhésion au projet Joie En voyant les élèves
la réussite de mes élèves. Donc Absence participer activement et
j'étais très fâchée lorsque je me d’implication / comprendre le contenu du
suis rendu compte que mes implication cours.
élèves n'avaient pas pris la
peine de relire le cours qui était
très concis même si je leur
252
avais laissé du temps pour le
faire.
Absence d’exemple Dimension Joie Lorsqu’une élève m'a
relationnelle apporté un cadeau en début
Absence de d'heure
reconnaissance /
Absence d’exemple reconnaissance Joie Aujourd’hui j'ai ressenti de la
joie car à la fin du cours une
petite sixième m'a dit que
Absence de pour l'année prochaine quand
connivence / je serai dans un autre
connivence établissement elle
déménagerait pour que je
puisse lui faire cours. J’ai
trouvé ça mignon et j'ai vu
l'impact positif que je peux
avoir et ça fait plaisir.
Déclencheurs relevant des enseignants
Travail de groupe qui ne s'est Colère Conscience de l’agir Joie Une heure intéressante avec
pas passé correctement. Les professionnel un groupe classe dynamique
élèves en ont profité pour et volontaire. Avancée lente
bavarder et crier. « Mauvais cours / mais stable et sûre. J'ai
« bon cours » correctement orchestré mes
documents, et ai pu expliquer
différentes choses à l'aide de
déductions et d'inter-
corrections.
L'élève était insolente et m'a Colère Surprise J’étais un peu prise au
affirmé n'être pas responsable. Gestion difficile de dépourvu par ma collègue de
Je lui ai demandé de me suivre l’imprévu / Gestion SES avec qui je suis en
chez la proviseure, elle s'est performante de binôme face aux élèves de
montrée agressive et s'est l’imprévu DNL qui pensait que j'avais
enfuie de la classe. La scène préparé un article, alors que
s'est passée devant l'œil je pensais qu'elle s'en était
médusé de ma classe. Je me chargé le matin. J'ai dû
suis sentie bête de n'avoir pas rebondir et être inventive.
mieux réagi. Finalement le cours s'est bien
déroulé.
Quand je me suis aperçue du Fatigue Soulagement Les bulletins et les
nombre de copies que j'allais appréciations sont terminés.
devoir corriger ce week-end. Une bonne chose de faite et
Travail à faire ou c'est déjà ça de moins à faire.
J'ai ressenti de la colère avec Colère inachevé / travail Surprise Les élèves de ma classe
une de mes classes de 4eme qui accompli difficile se sont mis au
était complètement endormie travail. En adoptant une
aujourd'hui. Je n'ai pas pu posture plus directive et plus
avancer comme je le frontale, j'ai réussi à capter
souhaitais. C'était laborieux. Conscience de ses leur attention pendant une
La participation en classe et difficultés & erreurs / bonne partie du cours.
donc la progression du cours Conscience de sa
étaient assurées par 5 élèves. progression
Tout le reste ne suivait pas,
rêvait parfois.
Je n'avais aucune envie de Tristesse Joie Joie et pêche car en forme
venir au lycée car ma semaine pour une grande journée (7h)
dernière a été difficile et il y a
une classe que je n'avais pas Renoncement/
envie de voir. Donc tristesse Détermination
253
d'être affectée à ce point. Je
suis en grosse période de
démotivation. Je ne trouve plus
trop de sens à mon métier, je
trouve que notre hiérarchie ne
nous soutient pas.
Je m'interroge sur ma capacité Culpabilité Conscience de l’être Joie Aujourd'hui j'ai ressenti de la
à mettre les élèves au travail. professionnel joie car j'étais contente de me
Doutes ou retrouver devant mes élèves
questionnement / Joie La joie d'enseigner et de parler
Conscience de sa anglais à mes élèves
posture d’enseignant
Difficultés persistantes avec Tristesse et Événements d’ordre Joie J'ai juste ressenti de la joie
conjoint colère privé car j'ai passé un bon weekend
j'ai profité de mes proches.
Événements privés J'ai dormi un peu et du coup
entravant l’agir / cela a beaucoup d'impact sur
événements privés mon humeur et ma façon
contribuant à la d'être en classe. Il est
réussite de l’agir important de se ressourcer et
trouver du réconfort auprès
des siens quand c'est
possible.
Déclencheurs relevant de la formation
À 10h nous n’avions toujours Colère Conditions Absence d’exemple
par de salle. matérielles
Mauvaises, matériel
défaillant / bonnes,
matériel performant
Il y a trop d’évaluations. Colère et Charge de travail Absence d’exemple
fatigue Surcharge / charge
normale
Absence d’exemple Adhésion au projet Joie Formation: jeu de cirque, jeu
Absence d'enfants. Et c'était génial,
d’implication / joie d'apprendre plein de
implication nouvelles choses et joie
Absence d’exemple Atteinte des pendant les "jeux" proposés.
objectifs De repartir avec les pistes
Échec / réussite attendues.
Absence d’exemple Dimension Joie J'ai participé à un atelier avec
relationnelle le British Council pour
enseigner le théâtre
Absence d’apport et Shakespearien. Le formateur
de soutien / apports était très intéressant et les
et soutien méthodes étaient et
applicables à des classes
même difficiles.
Tableau 6.2. Typologie des éléments déclencheurs d'émotions à valences négative et positive, et liste
d’exemples de situations
254
Les données ont été soumises à deux autres codeurs afin de vérifier le degré de concordance
des résultats et d’en assurer ainsi la fiabilité. Ceci a été effectué avec la méthode Kappa127 de
Cohen (1960) qui évalue le degré de concordance des notations réalisées par deux évaluateurs.
127
Le Kappa de Cohen (1960) « permet de chiffrer l’accord entre deux ou plusieurs observateurs ou techniques
lorsque les jugements sont qualitatifs » (Bergeri, Michel & Boutin, 2002). Le calcul se fait selon la formule :
Pr(a) = proportion de l'accord entre les codeurs. Pr(e) = probabilité d'un accord aléatoire.
Si accord total entre codeurs, κ = 1. Si désaccord total ou l’accord dû au hasard, κ ≤ 0 (Landis & Koch, 1977).
255
apprentissages, est décrit par De Cock (2007, p. 24) comme un « document écrit dans lequel
les acquis de formation d’une personne sont définis, démontrés et articulés en fonction d’un
objectif ». Le troisième dispositif est le journal de bord, « méthode de travail consistant à tenir,
au fur et à mesure de leur déroulement, le relevé des activités accomplies, avec toutes les
remarques pertinentes » (définition du dictionnaire Legendre, dans De Cock, 2007, p. 23), qui
se caractérise par la régularité de son écriture, faisant « le lien entre le passé, le présent et
l’avenir » (Bender,1999, cité par De Cock, 2007, p. 23), et favorisant une posture réflexive.
Selon De Cock, il existe différents types de journaux de bord, à vocations variées : le journal
(de bord) intime, le journal autobiographique – « carnet centré sur la vie de la personne,
laquelle va tenter de la comprendre, de l’évaluer, d’en tirer les apprentissages » (De Cock,
2007, p. 38) –, le journal de bord pédagogique ou professionnel, véritable outil de travail
focalisé sur le vécu de la pratique, et le journal électronique qui se différencie des précédents
par la nature de son support, l’ordinateur).
Berchoud (2002, p. 145-146) décrit le journal d’apprentissage, outil réflexif adossé à un cours
dans lequel l’étudiant est placé en situation de grand débutant. Ceci permet à l’étudiant de
mieux comprendre la situation des élèves afin de pouvoir s’y adapter (posture empathique).
Le tableau ci-dessous présente une synthèse des différents écrits réflexifs mentionnés ci-
dessus :
Nom du dispositif écrit Caractéristiques Partagé avec un Fréquence et durée
tiers de l’écriture
Carnet de bord Simple compte-rendu des Ponctuelle, quand le
événements besoin se présente,
ou régulière
Rapport de stage Compte-rendu critique de Oui : enseignant Ponctuelle
l’expérience de stage des futurs évaluateur
enseignants (préparations de leçons
et analyses rétroactives), intégrant
apports théoriques vus en cours.
Portfolio Portefeuille de compétences. Oui : enseignant(s) Ponctuelle et
Assemblage de travaux montrant évaluateur(s) continue
efforts, progression et acquisition
de connaissances et compétences.
Encourage la réflexivité.
Peut-être compilé en ligne.
Récits de formation : Description + émotions ; analyse Oui. Généralement Écrit transitoire
clinique de sa propre activité. avec l’enseignant
(évaluateur ou non)
ð Journal de Écriture à la première personne. Oui. Généralement
conception Soumis à des consignes. Discours avec l’enseignant Ponctuelle, quand le
implicite ancré dans le contexte. (évaluateur ou non) besoin se présente.
Récit fragmentaire, disparate et
protéiforme. Outil proche du
256
brouillon (possibilité de revenir
dessus, de le modifier).
Écrit chronologique : indication
des jours, des heures. Participe à la
construction identitaire du
professionnel.
Dans le cadre de cette étude, le journal de bord tenu par les PS se rapproche de la description
faite du journal pédagogique et revêt la caractéristique principale du journal de bord
électronique, étant rédigé et partagé directement sur internet. Il s’agit donc d’un journal de
bord pédagogique en ligne, que j’ai fait le choix d’appeler « e-journal de bord pédagogique »
(e-JdBP) dans cette étude et simplement « journal de bord » avec les participants.
Pour Guichon (2009, p.236), écrire sur l’action via la tenue d’un journal de bord faciliterait la
mise en place d’une posture réflexive et pourrait ainsi contribuer au développement des
compétences professionnelles des PS. Il qualifie cet écrit de « brouillon du professionnel en
devenir » car le journal de bord lui fournirait « les moyens de procéder à un retour sur l’action
et transformer ainsi une simple pratique en une recherche sur la pratique » (Schön, 1994, p.
97) ».
257
De Cock (2007, p. 45-46) souligne également la valeur réflexive de cet outil. Elle y voit aussi
un moyen de structurer sa réflexion permettant de faire des allers-retours entre la théorie et la
pratique, ainsi qu’un facilitateur d’apprentissage une fois la dimension réflexive mise en place.
Tableau 6.4. Les objets d’écriture relatifs à l’acte d’enseigner, à l’acte d’apprendre, et aux acteurs (De
Cock, 2007, p. 43)
258
Conception et mise en place des e-journaux de bord de cette
recherche
Le tableau ci-dessous résume les raisons qui m’ont amenée à concevoir un e-JdBP et
annonce les outils utilisés pour l’analyser, point qui sera développé en 6.1.4.
Modalités Outils Objectifs Outils
utilisés d’analyse
E-journal de bord Google Doc sur Recenser et analyser Typologie des
PHASE 1
À la fin des trois semaines d’envoi des questionnaires filés – soit mi-décembre –, j’ai demandé
aux PS de C1, C2 et C3 de me contacter s’ils acceptaient de tenir et de partager avec moi un
e-JdBP dont l’objectif serait de faire part des épisodes émotionnels dans le cadre de leur
quotidien professionnel. J’ai créé à chaque PS volontaire un fichier partagé (Google Doc) sur
Google Drive pour leur permettre de rédiger tout en me rendant accessible le contenu de leur
e-JdBP. Afin de ne pas rendre ce moment contraignant et chronophage, j’ai proposé aux PS
de rédiger ou de s’enregistrer (fichier audio à déposer), ou de combiner les deux modalités.
259
Je relate (à l’écrit ou oralement) chaque soir dans mon journal les épisodes
émotionnels positifs et négatifs les plus importants de ma journée de travail. Je précise
si je les ai partagés avec quelqu’un et si oui, avec qui.
Cette consigne générale a été suivie de quelques précisions, inscrites dans une police à une
taille inférieure :
Je n’oublie pas de mentionner la date.
Je peux écrire ou m’enregistrer (audio ou vidéo). Je peux aussi faire les deux quand
cela m’arrange. Je peux m’exprimer autant que je le souhaite et de façon tout à fait
libre dans le style qui me convient (phrases complètes ou simples notes, style familier
ou non, etc).
Les épisodes émotionnels relatés concernent toute mon activité professionnelle
(préparation des cours, mise en œuvre, relations élèves /collègues / direction / tuteur,
travail avec le tuteur, co-observation, débriefing, etc.).
Ce journal ne sera partagé qu’avec Marie-Claire Lemarchand dans le cadre de ses
recherches. Elle s’engage à garder ces données confidentielles.
À cette consigne, j’ai ajouté la roue de Plutchik (1980) en couleurs traduite en français afin
de permettre au scripteur de disposer de repères le cas échéant.
Une fois la confiance établie, le participant scripteur ou oralisant peut s’impliquer dans son e-
JdBP, sans toutefois oublier qu’il partage cet outil avec le chercheur. Guichon (2009, p. 241-
243), rapporte avoir trouvé dans les journaux de conception des signes d’adresses directes au
destinataire, principalement via l’utilisation du pronom personnel « vous », qui « instaurent
un dialogue avec le futur lecteur ». Il ajoute que des allusions indirectes au destinataire
peuvent aussi être trouvées, notamment par « le biais d’un vous impersonnel », ou par une
adresse au support de lecture (i.e : « ces pages »).
Tropes et EMOTAIX
Les journaux de bord ont été soumis à l’analyse du logiciel d’analyse sémantique
automatisé Tropes128 et plus particulièrement au scénario EMOTAIX. Le logiciel Tropes a été
créé en 1994 par Pierre Molette, chercheur associé du LERASS129, travaillant sur l'analyse
sémantique et les moteurs de recherche, et Agnès Landré, enseignante chercheuse en
psychologie sociale à Paris 8, d’après les travaux de Rodolphe Gighlione, psychologue
128
https://www.tropes.fr
129
Laboratoire d’Études et de Recherches Associées en Sciences Sociales
261
français et directeur du Groupe de Recherche sur la Parole (GRP) de l’université Paris 8. Les
atouts de Tropes sont grands et « résident dans sa très grande capacité à opérer une série
d’analyses stylistiques, syntaxiques, sémantiques et à en donner des chiffrages, des
représentations graphiques » (Piolat & Bannour, 2009, p. 663). Lorsqu’on soumet un texte à
son analyse, on obtient des informations linguistiques, à l’instar de la « stylistique-
rhétorique » (style argumentatif, énonciatif, descriptif ou narratif), des « catégories de mots »
présentes – et recensées sous les appellations « verbes », « connecteurs », « pronoms
personnels », « modalisations » et « adjectifs qualificatifs » – et sur les « thématiques »
(univers de références). Au-delà des 300 000 classifications sémantiques présentes, on trouve
plus de 20 000 univers de références permettant différents niveaux d’analyse. Piolat et
Bannour (2009, p. 663-664) précisent :
Un univers de référence se présente comme un « concept », un « thème » qui
rassemble des synonymes ou des termes conceptuellement proches. L’analyse de
contenu est réalisable selon trois niveaux hiérarchiques : au niveau le plus fin de
l’analyse sont identifiées les références utilisées, elles-mêmes regroupées de façon
plus large dans les univers de référence 2, qui a leur tour, sont regroupés dans les
univers de référence 1 correspondant au niveau d’analyse le plus global.
130
Pour plus d’information sur EMOTAIX, voir la citation longue de Piolat & Bannour (2008, p. 20-21) en
annexe 7
262
esthétiques) tels qu’ils sont définis par Bernard Rimé (2005) ou Klaus Scherer (2005),
sans nous limiter aux seules émotions modales (Piolat & Bannour, 2008, p.20-21)
Riche de plus 2000 référents, EMOTAIX « permet d’identifier, de catégoriser et de
comptabiliser automatiquement le lexique de l’émotion contenu dans des textes produits par
oral ou par écrit, quels que soient leur longueur et leur nombre de mots » (Piolat & Bannour,
2009, p. 655) selon sa dimension hédonique – plaisir vs déplaisir. Il recense le lexique
émotionnel présent dans un corpus en tenant compte de trois aspects : sa valence (positive ou
négative), son usage, propre ou figuré, sa nature.
Le scénario EMOTAIX de Piolat et Bannour est particulièrement pertinent dans le cadre de
cette recherche pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le cadre théorique d’EMOTAIX
correspond à celui que j’ai choisi pour ancrer mon travail. En effet, on y retrouve les émotions
présentes dans les modèles multidimensionnels de Plutchik et de Scherer, ainsi que les listes
d’émotions émanant des dictionnaires et des typologies élaborés par des chercheurs que j’ai
citées dans le chapitre 4. On trouve également, comme on peut l’observer dans la roue des
émotions ci-dessous, une répartition des émotions par valence positive ou négative, ainsi que
trois catégories englobant les émotions difficilement classables automatiquement et
nécessitant une vérification par le chercheur : « surprise », « impassibilité » et « émotions non
spécifiées » (Piolat & Bannour, 2009, p. 691).
263
Figure 6.7. Représentation de l'organisation du lexique de l'émotion et de l'affect sous forme de roue
(publiée sur le site du Centre de Recherche en Psychologie de Connaissance, du Langage et de l'Émotion,
EA3273, d'Aix Marseille Université)
264
« malveillance » sera particulièrement analysée, tout comme le « mal-être » et sa sous-
catégorie « frustration » dans laquelle entrent « insatisfaction » et « déplaisir ».
La catégorie « impassibilité » est sans valence. Elle permet de regrouper des termes comme
« impavidité, imperturbabilité, de marbre, etc. ». Selon Piolat et Bannour (2009, p. 680-681) :
Les termes de cette catégorie ne doivent pas être confondus avec ceux qui permettent de
traduire des sensations peu intenses comme somnolence, torpeur et dont la valence est indiquée
par le CNRTL. Les termes de la catégorie « Impassibilité » ne sont pas associés à un plaisir ou
un déplaisir.
265
Vérification manuelle
La vérification manuelle s’est avérée essentielle pour pouvoir affiner, ajuster ou
corriger les analyses proposées par EMOTAIX et ainsi éviter les biais. J’ai tout d’abord dû –
comme cela a également été le cas pour l’exploitation des questionnaires – décider par moi-
même de la valence (positive, négative ou neutre) de la surprise en analysant le contexte, et
notamment les occurrences de collocations avec les adjectifs « agréables », « bonne » ou
« désagréables », « mauvaises ». J’ai également dû être attentive aux « opérations
de ‘négativation’ par lesquelles un item lexical nie ou inverse la signification d’un autre item
lexical ou d’une construction » (Piolat & Bannour, 2009, p. 689), et donc aux usages fréquents
des formes suivantes :
adverbes (ex. ne. . . pas, non) ; adjectifs (ex. aucun, nul) ; pronoms (ex. rien, personne)
; prépositions (ex. sans) ; conjonctions (ex. ni) ; préfixes (ex. in-, non-, a-) ; substantifs
possédant une valeur sémantique négative intrinsèque (ex. carence) ; des propositions
à valeur modale (ex. « ce n’est pas que », « il est faux de dire que » (Piolat & Bannour,
2009, p. 689)
Outre les cas de négativation, il a été nécessaire de mesurer l’influence des modalisateurs à
l’instar de « très », « beaucoup », « vraiment », « un peu » sur l’expression des émotions. En
effet, à leur contact celles-ci peuvent être atténuées ou amplifiées.
Un autre point de vigilance a concerné les occurrences d’ironie qu’EMOTAIX ne détecte pas
et interprète au premier degré, listant dans ses résultats l’émotion contraire à celle entendue
par le scripteur. À titre d’exemple, lors de l’analyse du e-journal de bord de Sébastien (PS de
C1), EMOTAIX a référencé dans « amour » l’expression ironique « ma tutrice bien-aimée »
que l’enseignant utilise fréquemment pour faire allusion à celle qu’il déteste. Effectuer une
seconde lecture fine est essentielle afin de ne pas biaiser les résultats, notamment dans le cas
d’un scripteur coutumier de ce type de figure de style, ou d’expressions complexes et de sous-
entendus.
Une fois cette deuxième étape passée, j’ai eu recours aux typologies de la colère (cf. tableau
4.17) et de la joie (cf. tableau 4.32) afin de vérifier qu’il y avait bien adéquation entre le
repérage de Tropes et les dictionnaires.
Afin de faciliter l’analyse manuelle, EMOTAIX génère un fichier Excel modifiable et Piolat
et Bannour fournissent le fichier pdf suivant :
266
Figure 6.9. Modèle de classement des émotions, EMOTAIX (Piolat & Bannour, 2008)
L’analyse d’une partie de ces données a été soumise à un autre codeur et la validité établie par
le calcul du Kappa de Cohen (1960)
267
Critères relevant de l’établissement (direction, collègues, parents) ou de l’institution
Conditions matérielles
Bonnes conditions de travail, matériel performant
Contexte politique & décisions institutionnelles
Amélioration des habitudes
Charge de travail
Charge normale
Dimension relationnelle
Aide et soutien
Retours positifs
Partage
Critères relevant des élèves
Comportement
Comportement adapté
Bonne entente entre les élèves
Adhésion au projet
Implication
Atteinte des objectifs
Réussite
Dimension relationnelle
Reconnaissance
Connivence avec l’enseignant
Critères relevant des enseignants
Conscience de l’agir professionnel
« Bon cours »
Gestion performante de l’imprévu
Travail accompli
Conscience de sa progression
Conscience de l’être professionnel
Conscience de sa posture d’enseignant
Évènements d’ordre privé
Contribution à la réussite de l’agir
Tableau 6.6. Critères pour la reconstitution des scripts prototypiques enseignant
Ainsi, on peut créer différents scripts. Celui du « bon cours » peut être décrit ainsi : Un cours
dans lequel les élèves se comportent bien (critères relevant des élèves > comportement >
comportement adapté), sont participatifs, motivés (critères relevant des élèves> adhésion au
projet > implication) et en réussite (critères relevant des élèves > atteinte des objectifs
>réussite). Un cours dans lequel il y a une bonne ambiance, tant entre les élèves (critères
relevant des élèves > comportement > bonne entente entre élèves) qu’avec l’enseignant
(critères relevant des élèves > dimension relationnelle > connivence avec l’enseignant) Les
conditions matérielles sont bonnes, avec un matériel performant (Critères relevant de
l’établissement > conditions matérielles > bonnes conditions de travail, matériel performant).
L’enseignant, bien ancré dans son rôle (Critères relevant des enseignants > conscience de
l’être professionnel > Conscience de sa posture d’enseignant), mène à bien les activités, fait
268
ce qu’il a prévu (Critères relevant des enseignants > conscience de l’agir professionnel >
« bon cours ») et sait gérer avec efficacité les événements imprévus (Critères relevant des
enseignants > conscience de l’agir professionnel > gestion performante de l’imprévu).
À partir de ce modèle on peut recréer le script du bon élève ou élève idéal, le script du bon
enseignant, de l’établissement idéal, etc. Dès lors que la réalisation de ce script est contrariée,
l’émotion surgit. On pourra alors l’analyser avec le modèle de Plantin (2011), ci-dessous.
Parallèlement, j’ai utilisé le modèle « Qui éprouve quoi et pourquoi ? » de Plantin (ci-dessous,
tableau 6.7.). « Pourquoi ? » interroge sur les raisons des émotions (Plantin, 2011, p. 233), et
notamment de la colère et de la joie dans le cadre de cette recherche. Ceci permet de
reconstituer via l’analyse du discours,
[…] l’émotion ‘par l’amont’ en rapportant la situation sous telle description qui en
fait un stimulus émotionnel. Il s’agit alors de déterminer la structure de ce discours,
les traits argumentatifs l’orientant vers telle émotion spécifique. […] L’émotion n’est
compréhensible (accountable) que dans la mesure où ses antécédents sont rapportés –
en d’autres termes, dans la mesure où elle est argumentée. (Plantin, 2011, p. 234)
Tableau 6.7. Schéma suivi pour reconstituer le script prototypique d’une situation émotionnante (d’après
Plantin, 2011, p. 233-234)
Ces deux tableaux seront également utilisés pour analyser les données du corpus issu de la
recherche interventionniste.
269
physiques certes, mais prioritairement verbales – des émotions des enseignants novices, alors
que jusque-là je ne disposais que des écrits a posteriori de leurs ressentis émotionnels. Ces
captations vidéo ont servi de base aux entretiens d’autoconfrontation (EAC) qui ont suivi.
Les paragraphes suivants présentent la mise en place de ces deux modalités de recueil de
données ainsi que les outils utilisés pour les analyser.
Organisation
• Emplacement
Pour réaliser ces enregistrements, je me suis présentée dans la salle de classe avant le
début du cours afin de convenir, en accord avec l’enseignant, de l’endroit où j’allais
m’installer. Il était important, tant pour l’enseignant que pour les élèves, que ma présence
perturbe le moins possible le bon déroulement du cours et il fallait également que je respecte
le droit à l’image, les parents d’élèves ayant accepté ou refusé que leurs enfants soient filmés.
Nous avons donc convenu d’un endroit où je pourrais m’installer seule au fond de la salle et
de l’angle utilisé pour filmer sans que certains élèves ne soient dans le champ de l’objectif et
que leurs visages n’apparaissent sur la vidéo lors de déplacements ou s’ils se retournaient. Les
270
captations de cours ont été réalisées avec une tablette posée en plan fixe sur un bureau ou une
chaise au fond de la salle de classe, dos aux élèves et face à l’enseignant. Le choix du plan
fixe présente quelques contraintes. Il arrive en effet que l’enseignant sorte du champ lorsqu’il
se déplace, ou que certains élèves ne soient pas visibles lors d’interactions. Lorsque ceci
permettait de respecter le droit à l’image, j’ai occasionnellement changé l’angle de la tablette
afin de pouvoir garder trace de certains échanges intéressants.
• Matériel
J’ai choisi de filmer avec une tablette Ipad (modèle Air Pro) pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, l’Ipad posé sur un bureau est plus discret qu’une caméra sur pied, ce qui est
moins anxiogène pour les élèves. Par ailleurs, possédant plusieurs appareils Apple, la
communication des données d’un appareil à l’autre est simplifiée et quasi-instantanée grâce à
la technologie Airdrop, ce qui représente un gain de temps considérable. Je n’ai pas fait porter
de micro-cravate131 à l’enseignant filmé afin qu’il ne soit pas contraint dans ses déplacements
habituels. La qualité du son est par conséquent parfois insuffisante, mais on peut pallier ce
problème a posteriori en recourant au logiciel de montage IMovie qui permet d’amplifier le
son. Les enregistrements vidéo des cours ont été fractionnés en plusieurs segments d’une
vingtaine de minutes afin de faciliter leur téléchargement sur le site de transfert de fichiers
WeTransfer132, et ainsi permettre leur communication aux enseignants le soir même.
Parallèlement aux captations vidéo, les échanges audios du cours ont été captés avec un
enregistreur numérique Olympus afin d’avoir trace de la totalité du discours de l’enseignant
durant son cours si un incident technique survenait lors de la captation vidéo. Ceci s’est avéré
utile lors d’une captation vidéo d’un cours de Marie.
131
Le micro-cravate dont je dispose est filaire. La longueur du fil est un frein aux déplacements.
132
WeTransfer est un service de transfert de fichiers. Son utilisation est gratuite pour des fichiers inférieurs à 2
GO. https://wetransfer.com
271
Modalités Outils Objectifs Outils
utilisés d’analyse
Séquence Enregistreur Disposer d’un Transcription
PHASES 2 & 3
133
http://icar.cnrs.fr/projets/corinte/documents/2013_Conv_ICOR_250313.pdf
134
Corpus de Langue Parlée en Interaction
272
Titre de la séquence
Place de la séance filmée dans la séquence
Thème général
Tâche finale
Entrée culturelle :
Notion
Problématique
Séance filmée
Documents et supports didactiques
Objectifs
ð Objectifs linguistiques :
Objectifs lexicaux :
Objectifs grammaticaux :
Objectifs phonologiques :
ð Objectifs pragmatiques
En effet, le script prototypique – notamment celui du « cours suffisamment bon » – peut être
contrarié s’il y a un décalage entre le scénario pédagogique (qui peut avoir été prescrit par le
tuteur, ou la formation ESPE) et sa mise en œuvre effective. Ce scénario peut être défaillant
dès sa construction, notamment parce qu’aucun état des lieux des pré-requis n’a été fait en
amont et/ou parce que l’enseignant n’a pas prévu l’étayage à mettre en place pour (faire)
atteindre les objectifs visés. Il peut être nécessaire de prendre appui sur l’EAC et, le cas
échéant, sur le contenu de l’e-JdBP pour pouvoir remplir cette grille. Elle ne sera remplie que
lorsque cela sera pertinent pour cette recherche.
Dans le cadre de la didactique des langues, Cicurel s’intéresse aux EAC (2011, p. 249),
modalité qui provoque « une mise en discours de la part du sujet placé face à son action afin
de mieux comprendre quelle est la régulation de cette activité ». Leur but est de « donner au
sujet un accès à des traces de son action notamment par la voix du filmage » pour « produire
un discours face aux séquences filmées. C’est donc […] une énonciation sur une énonciation
et il faut veiller à maintenir le lien avec le discours d’origine » (p.250). Pour Cicurel les
impacts de l’EAC seront différents selon le degré d’expérience de l’enseignant (2011, p. 252) :
Comme le professeur n’est plus absorbé par les tâches d’enseignement, il reconstruit
sa pratique et, à ce titre, il prend des distances vis-à-vis de l’action. S’il est novice dans
le métier, il se met volontiers en question, il est particulièrement attentif à ce qui ne va
274
pas. Son répertoire est en construction, il s’appuie sur sa planification et se trouve
facilement déstabilisé lorsque des événements viennent la déranger. L’enseignant plus
expérimenté a tendance à adopter une position d’expertise par laquelle il énonce
volontiers des normes de comportement en rapport avec une « idéologie éducative ».
Mollo et Falzon, (2004, p. 532) considèrent l’EAC comme un dispositif à visée réflexive, une
activité métafonctionnelle car la verbalisation permettrait aux participants d’enclencher leur
processus de réflexivité. Afin d’orienter cette verbalisation, j’ai choisi d’organiser des
entretiens semi-directifs. J’ai pour cela conçu un questionnaire en m’appuyant sur les travaux
de Korthagen (Korthagen, 1985, 1988 ; Korthagen & Kessels, 1999 ; Korthagen & al., 2001;
Korthagen & Vasalos, 2005).
135
Ma traduction de growth competence
275
Figure 6.10. Le modèle ALACT décrivant un processus de réflexion structuré (Korthagen & Vasalos,
2005, p. 49)
Une fois leur « compétence de développement » enclenchée, les enseignants peuvent passer
d’une phase à l’autre du cycle et réitérer ce dernier autant de fois que nécessaire. Cependant,
certains enseignants, et notamment les enseignants novices de cette recherche, peuvent avoir
besoin d’un accompagnement pour passer d’une phase à l’autre : “when teachers have
developed a growth competence, they will be able to go independently through the various
phases of the model. In practice, however, initial help of a supervisor or colleague is often
necessary” (Korthagen & Vasalos, 2005, p. 48). La figure 6.11 rend compte des types
d’interventions et des phases dans lesquelles ils ont lieu. On voit la place importante donnée
aux compétences relationnelles avec la présence de termes comme “empathy ”, “acceptance”
ou “genuineness”.
Figure 6.11. Interventions d'un accompagnant liées au modèle ALACT (Korthagen & Kessels, 1999, p. 13)
276
Afin d’amener les PS à développer leur réflexivité, Korthagen et Vasalos (2005) proposent
aux accompagnateurs de recourir à des questions concrètes utilisant les verbes vouloir, faire,
penser et ressentir (want, do, think, feel) et en adoptent une posture empathique : “another
important intervention in supervisory conferences is empathy, which has to do with an explicit
understanding of how another person feels, and being able to put a name to what triggered
those feelings” (Korthagen & Vasalos, 2005, p.50). Le tableau suivant liste les questions que
les PS pourront se poser ou que les accompagnateurs pourront poser à chaque phase :
Tableau 6.10. Liste des questions permettant d’accéder à la réflexivité (d’après Korthagen & Kessels,
1999, p. 14) et adaptation en français
Le modèle ALACT et les questions qui l’accompagnent m’ont servi d’ancrage pour créer mon
propre modèle et diriger mes entretiens d’autoconfrontation.
277
Questionnement retenu
Le tableau suivant présente les questions, inspirées du modèle ALACT, que j’ai posées
aux enseignants novices pour diriger l’EAC.
Correspondance avec Mon questionnement
le modèle ALACT
Phase 1 Quelle émotion avez-vous ressentie à ce moment-là ?
Phase 1
Diriez-vous que c’était une émotion à valence positive ou négative ?
Phase 2 Pouvez-vous décrire votre geste professionnel ?
Phase 3 Dans quelle mesure ce geste vous convient-il ?
Phase 4 Si c’était à refaire, comment vous y prendriez-vous ? Quel geste mettriez-vous en
place ?
Phase 5 Quelle émotion ressentez-vous en visionnant cette séquence ?
Diriez-vous que c’est une émotion à valence positive ou négative ?
Si différence de valence entre émotion 1 et émotion 2
Les émotions 1 et 2 n’ont pas la même valence, pourriez-vous expliquer cette
différence ?
Tableau 6.11. Questions retenues pour les EAC et correspondance avec les phases du modèle ALACT
278
Figure 6.12. Le modèle de réflexivité ÉmoDÉRÉ
136
La roue des émotions de Plutchik figurait en première page du journal de bord rempli par les PS.
279
Figure 6.13. Les deux phases de l'EAC : le visionnage et l'entretien
Les questions guidant l’entretien (cf. tableau 6.11.) ont été imprimées et disposées sur la table,
devant l’ordinateur. Elles ont été présentées aux enseignants novices avant de commencer le
visionnage pour qu’ils puissent être en confiance. Les EAC ont été filmés à l’aide de la tablette
Ipad pour plusieurs raisons. Tout d’abord, filmer m’a permis de ne pas prendre de notes et
d’être totalement disponible pour l’enseignant, ce qui a rendu l’entretien beaucoup plus
spontané. Par ailleurs, filmer l’entretien m’a permis d’avoir accès a posteriori au verbatim de
l’enseignant en transcrivant ses propos, de pouvoir observer ses réactions et de visionner
certains passages plusieurs fois. Les vidéos, propriétés des enseignants novices, leur ont été
systématiquement transmises. Le but non communiqué était qu’ils puissent, s’ils le
souhaitaient, visionner cet entretien, le revivre et ainsi poursuivre leur réflexion.
280
Modalités Outils Objectifs Outils
utilisés d’analyse
Entretien Enregistreur Inviter Transcription Word
d’autoconfrontation numérique, l’enseignant des entretiens
PHASES 2 & 3
6.3. Conclusion
Trois modalités différentes ont été utilisées pour produire les données nécessaires à
cette recherche. Un questionnaire filé, durant la phase 1 dite exploratoire, permettant d’obtenir
des données qui ont apporté un panorama sur les émotions des novices et les éléments
déclencheurs. Les phases 2 et 3, de la recherche compréhensive à la recherche
interventionniste, se sont appuyées sur des données de plus en plus fines : des e-JdBP, des
captations vidéo de cours et des EAC. Les e-JdBP ont permis d’affiner et de confirmer les
données des questionnaires filés. Grâce aux captations vidéo de cours et aux EAC, il a été
possible de repérer et d’analyser le décalage entre le script prototypique et sa réalisation en
entrant par le prisme des émotions. La figure ci-dessous présente ces données sous la forme
d’une pyramide inversée : des données les plus larges, obtenues avec des cohortes entières,
vers les données les plus précises et pointues, collectées auprès des novices volontaires.
281
Figure 6.14. Les modalités de recueil des données de la recherche
Le chapitre 6 en bref
* 3 modalités de recueil de données : un questionnaire filé, des e-journaux de bord
pédagogique, des captations vidéo suivies d’EAC filmés conduits avec le modèle ÉmoDÉRÉ.
* Entrée par le prisme des émotions, tant pour la collecte que pour l’analyse des données.
*Des grilles d’analyse utilisables quelles que soient les modalités utilisées :
- typologie des déclencheurs des émotions,
- grille de reconstitution du script prototypique,
- grille de reconstitution du scénario pédagogique,
- modèle « Qui éprouve quoi et pourquoi ? » de Plantin (2011).
282
Résumé de la deuxième partie
Cette recherche articulée en trois phases a allié successivement la recherche
exploratoire et compréhensive, la recherche-action et la recherche interventionniste. Elle s’est
inscrite dans un cadre éthique rigoureux, respectueux de tous les individus impliqués en
appliquant les divers règlements existants (RGPD). Clarifier mon positionnement de
chercheuse auprès des participants qui me connaissaient a été indispensable pour leur
permettre de se livrer sans crainte d’être jugés.
Trois modalités ont été utilisées pour produire les données nécessaires à cette recherche : des
questionnaires filés, des e-journaux de bord pédagogiques, et des captations de cours suivies
d’entretiens d’autoconfrontation. La première modalité a visé des cohortes entières
d’enseignants et a permis de dresser un état des lieux des émotions des enseignants à
différentes étapes de leur carrière et d’obtenir un aperçu des événements qui les déclenchent.
Les modalités suivantes ont visé un public plus ciblé composé initialement de 18 participants.
Les e-JdBP ont permis d’affiner et de confirmer les données recueillies dans les
questionnaires, et les vidéos de cours suivis des EAC ont rendu possible le repérage et
l’analyse du décalage entre le script prototypique élaboré et sa réalisation. Tout ceci a été
réalisé en entrant à chaque fois par le prisme des émotions.
Une partie de cette recherche se focalise sur le suivi en 2018-2019 de quatre enseignants dont
les statuts correspondent chacun à un stade de la carrière de l’enseignant novice : PS, T1 et
T2.
283
Partie III : RÉSULTATS – ANALYSE ET DISCUSSION
284
Résultats des questionnaires
Plan du chapitre
7.1. Introduction
7.2. Résultats des questionnaires des PS
7.3. Résultats des questionnaires des enseignants titulaires
7.4. Triangulation
7.5. Conclusion
Le chapitre 7 en bref
285
7.1. Introduction
Ce chapitre présente tout d’abord les résultats des questionnaires adressés à quatre
cohortes de PS de l’académie de Créteil de 2016 à 2019. Dans un deuxième temps, les résultats
des questionnaires envoyés à des enseignants titulaires cristoliens à différentes étapes de la
carrière enseignante (T1, T2, T3, T5+, Experts) durant ces quatre années seront comparés à
ceux des PS. Ceci permettra d’observer dans quelle mesure les émotions des enseignants
évoluent tout au long de leur carrière (Hypothèse 1).
2016-17 2017-18 2018-19 2019-20
Académie
de Créteil
Pour finir, une triangulation (Demaizière & Narcy-Combes, 2007 ; Raby, 2008) sera faite en
confrontant aux résultats susmentionnés ceux de questionnaires adressés à des enseignants
provenant d’académie hors Ile de France à deux périodes de l’année 2019, au mois de juin et
de novembre.
Juin 2019 Novembre 2019
Académie hors T1 (1 réponse) T1 (1 réponse)
Ile de France / / T2 (1 réponses)
T5+ (15 réponses) T5+ (27 réponses)
EXPERT (41 réponses) EXPERTS (176 réponses)
Tableau 7.2. Profils de répondants hors académies franciliennes et nombre de réponses aux questionnaires
en juin et novembre 2019
Tout au long de ce chapitre, nous observerons, à travers l’étude de plusieurs réponses aux
questionnaires, la façon dont les émotions les plus saillantes se construisent. L’objectif sera
d’analyser dans quelle mesure elles proviennent d’un décalage entre le script prototypique
élaboré par l’enseignant et sa réalisation effective (Hypothèse 2). Ce sera l’occasion de
reconstruire ces scripts (le « bon élève », le « cours suffisamment bon », le « bon prof », le
« bon prof d’anglais », …) non directement explicites, en s’appuyant sur la description de la
réalisation. Prenons un exemple : si un enseignant dit être en colère et se plaint de ses élèves
car ils n’écoutent pas le cours, sont insolents et/ou bavardent (cf. 4.2.7, tableau 4.20), il est
286
possible de reconstruire ses attentes, son script prototypique du « bon élève » : le bon élève
écoute le cours et fait preuve d’un comportement adapté. C’est ce qui sera fait dans les
paragraphes suivants.
C1 Amadeus La joie au cours du conseil de classe de ladite classe : Selon la mère représentante des parents
d'élève, son fils aime le cours d'anglais.
C1 Miss M La peur de mal faire : en tant que stagiaire et que professeur en général, on peut faire des
erreurs. En tant que débutante dans ce métier, j'essaie de toujours bien faire. Je souhaite que
mes élèves passent un bon moment en cours d'anglais, qu'ils se disent qu'ils ont appris
quelque chose aujourd'hui et que ce n'était pas si mal.
Anglais : une discipline scolaire (des savoirs et des savoir-faire)
L’anglais ici est vu comme une discipline enseignée à un moment précis du cursus (anglais LV1, LV2), un objet
d’étude scolaire avec un niveau à atteindre et donnant lieu à une évaluation (« très honorable », « parle
couramment », « moyenne […] pas bonne » 137), et dont l’enseignement est régi par des textes officiels (CECRL)
137
Termes soulignés dans les citations des PS ci-après.
287
encadrant une méthodologie (« tâche finale » => approche actionnelle). Dans les exemples ci-dessous (et dans le
tableau en annexe 8) on voit que l’apprentissage de l’anglais passe par l’étude de la grammaire (« présent simple et
présent be+ing »), l’entrainement aux différentes activités langagières (sont citées : « CO », « CE », « expression
orale en interaction »), l’objectif étant de communiquer, d’interagir (« a expliqué en anglais », "s'amuser", tout en
anglais », « me poser des questions en anglais »).
C1 Choupette77 J'ai également ressenti de la colère aujourd'hui car j'ai appris par message sur Pronote que je
devrai effectuer la remise des bulletins. Je le prends assez mal dans le sens où on ne m'en a
pas parlé de vive voix, et en plus de ça lorsque je regarde la liste des parents d'élèves qui me
sont confiés je me rends compte que je n'en connais que la moitié car j'enseigne l'anglais
lv1 et l'autre moitié de la classe est en anglais lv2 avec un autre enseignant.
C1 Broux Un de mes élèves de 2nde est en grande difficulté depuis le début de l'année, et sa moyenne
d'anglais ne sera pas bonne pour le 1er trimestre. Cependant, j'ai noté qu'il souhaitait essayer
de combler son retard, et lui ai donc demandé de bien regarder l'appréciation sur son bulletin
plus que la note. J'ai vraiment envie d'aider cet élève mais je ne suis pas sûr de savoir
comment.
C3 Romy La surprise quand des élèves qui semblaient avoir abandonné en anglais sont venus me
demander comment s'améliorer.
C4 Armounia Culpabilité. Un de mes élèves de 5e qui est un élément perturbateur s’est entretenu avec la
principale adjointe et lui a fait savoir qu’il avait des difficultés en anglais.
Anglais : discipline de cœur des PS (Lien anglais/enseignant)
On remarque dans les exemples suivants que l’objet d’études « anglais » est très cher aux PS qui vivent comme un
véritable échec de ne pas connaître un mot ou ne pas savoir l’écrire. Ne pas aimer l’anglais équivaut à ne pas les
aimer et inversement, aimer le cours d’anglais ou la discipline « anglais » revient à leur témoigner de l’affection.
C1 Miss M La joie d'enseigner et de parler anglais à mes élèves
C2 A La honte quand un élève m'a demandée un mot de vocabulaire en anglais et que je n'ai pas
pu lui répondre car moi-même je ne savais pas.
C3 Arlequin Déception du peu d'intérêt des élèves d'une classe, pour l'anglais
C1 Gina La joie : À la fin de cette heure difficile, une élève m'a dit, je cite : "je comprends l'anglais
grâce à vous Madame, merci." C'est tellement gratifiant, ça fait du bien et ça donne envie de
continuer à tout faire pour que les élèves progressent.
C1 Karma Police La joie : heureuse de retrouver mes élèves et l'univers du lycée le vendredi. J'ai pu faire tout
ce que j'avais prévu avec eux. Certains élèves se sont montrés réellement curieux et cela me
fait plaisir de les voir s'intéresser à l'anglais.
Tableau 7.3. Exemples d’occurrence du mot « anglais »
Cette préoccupation est présente tout au long de l’année de stage et explique que l’on trouve
les termes « didactique » et « pédagogie » dans les réponses aux questionnaires :
C1 Tybalt La colère (frustration) : Avec un deuxième groupe de 5èmes, ambiance dissipée
et non volontaire lors de travail de groupe, production en classe faible, tâche
seulement partiellement remplie pour la plupart. La frustration émane du fait
que je n'ai probablement pas bien orchestré ce travail de groupe d'un point de
vue didactique et pédagogique.
C1 Tybalt Les différents conseils de classes montrent que je ne suis pas le seul à avoir des
problèmes avec certains élèves. Ça rassure de savoir que le problème ne vient
pas forcément de moi, mes soucis didactiques ou un manque d’expérience en
pédagogie.
C1 Northsoutheastandwestern La joie. J'ai ressenti cette émotion pendant un cours et après le cours car tout
s’est très bien passé pendant l'heure, tant au niveau pédagogique qu'au niveau
humain.
C3 Mel2 La tristesse lorsqu'elle m'a annoncé que la partie didactique était encore
bancale
C3 James Ray Culpabilité : après la journée, le sentiment que le manque de mobilisation des
classes était dû à mes limites didactiques.
C4 NY Joie-Un cours qui s'était assez mal déroulé avec une classe, que j'ai retenté avec
une autre, en adaptant certains points. Ce cours a été l'un de mes meilleurs cours
depuis le début d’année (et de ma carrière, de ce fait), à la fois en termes de
pédagogie (un décalage très faible entre ce que j'avais prévu et ce que j'ai réussi
à faire), et en termes de ressentis (le mien comme celui des élèves).
Tableau 7.4. Exemples d’occurrences des mots « didactique » et « pédagogie/pédagogique »
On observe dans les réponses des PS des termes propres à la didactique des langues (parfois
même des abréviations ou des acronymes) mais aussi spécifiques à la didactique et la
pédagogie de l’anglais, ainsi que des références culturelles au monde anglophone. Dès lors
que l’anglistique est convoquée, les termes employés peuvent être en anglais, considérés alors
comme langue de spécialité, la langue du métier, ce qui semble légitimer son emploi. Le
tableau ci-dessous donne un rapide aperçu de ces termes. L’annexe 9 recense les différentes
occurrences rencontrées dans les questionnaires et apporte, tel un glossaire, un éclairage sur
les concepts utilisés.
289
Terminologies propres à l’enseignement des langues
Termes employés par les PS (extraits des réponses au Termes professionnels explicités en annexe 9
questionnaire)
Le CECRL Cadre Européen Commun de Référence pour les
Langues
Des cours plus actionnels Approche/perspective actionnelle
Mes secondes, acteurs de leur apprentissage Acteur social
Les tâches (Tâche : « Toute visée actionnelle que l’acteur se représente comme devant parvenir à un résultat donné
en fonction d’un problème à résoudre, d’une obligation à remplir, d’un but qu’on s’est fixé. » (CECRL, p15)
Ma classe de 6e devait accomplir leur micro-tâche. Micro-tâche
Lors d'une TF, les élèves qui ne font rien d'habitude ont tous Tâche finale
participé.
La structure des poèmes que j'attends en tâche intermédiaire. Tâche intermédiaire (TI)
L’organisation du cours
J’ai réussi à faire un cours relativement construit avec les Phases du cours
phases, de rituels, un document et une trace écrite. Rituels
J'ai ressenti de la honte à cause de la mise en œuvre de ma Mise en œuvre
séance.
[…] se désintéresser par manque de guidage. Guidage
J’ai trouvé une meilleure anticipation à une activité. Anticipation
Joie. Ma TE m'a semblé beaucoup plus active et logique que Trace écrite (TE)
lors de mes précédentes séances.
Le voc de classe. Anglais de classe/Classroom English
Fierté quand au moment du rebrassage les élèves étaient Rebrassage
capables de restituer la trace écrite de la séance précédente.
Ils veulent tout traduire. La traduction, le recours au français vs le « tout-
J'étais assez effrayée qu'ils parlent uniquement français. anglais » ; Le « No French ! »
Les activités langagières
C'était l'occasion de travailler avec eux l'expression écrite et la Production/expression écrite (PE/EE)
production orale. Production/expression orale (PO/EO)
Ma classe de 6e devait accomplir leur micro-tâche, qui Production orale en continu (POC)
consistait en une production orale en continu.
Joie. Bon moment passé avec les élèves lors d’une POI Production/expression orale en interaction (POI)
La tristesse : Activité de CE mal orchestrée Compréhension écrite (CE)
Les élèves se sont montrés attentifs face au document que je Compréhension orale (CO)
leur ai présenté (une CO sur un joueur de football américain)
Les termes anglais
L’organisation du cours
J’avais peur de me planter complètement en voulant mettre en Warm up
place un warm up.
Mes prompts étaient clairs. Prompts
« Une consigne très vague en guise de homework » Homework
Une élève n'a toujours pas reçu son workbook. Workbook
Je viens de mettre en place l'« Assistant Teacher ». Assistant teacher/co-teacher
Ils ont été réceptifs aux activités et le système de "no French No French sheriff
sheriff".
Les élèves avaient un vocabulaire assez important sur les Séquence « detective stories »
detective stories.
Les références culturelles
Joie : Mes élèves ont réalisé des belles tâches finales Yearbook
(yearbook)
J'ai décidé de leur faire un cours sur Thanksgiving Thanksgiving
290
Le 4 mai est la journée mondiale de Star Wars (May the 4th - Star Wars
> May the force)
Tableau 7.5. Recensement de termes spécifiques à la didactique des langues et de l’anglais présents dans
les réponses des PS
L’étude des citations des PS a permis d’établir une ébauche de glossaire des termes
professionnels ainsi qu’un mini-corpus d’expressions empruntées dans une pratique de code-
291
switching. L’ensemble pourra être étoffé avec l’étude des réponses aux questionnaires des
enseignants titulaires.
Si la dimension professionnelle est présente dans les réponses aux questionnaires, elle ne peut
être séparée de la dimension émotionnelle avec laquelle elle est étroitement liée.
Tableau 7.7. Les dix émotions les plus fréquemment citées par les PS de C1, C2, C3 et C4
292
On constate que la joie est l’émotion la plus fréquemment citée par les PS des quatre cohortes
et que son pourcentage d’occurrence est similaire dans les quatre cas avec une moyenne de
28%. La colère occupe à chaque fois la deuxième position et représente entre 14 et 19% selon
les cohortes, soit une moyenne de 16,75%. La répétition à l’identique des résultats quatre
années de suite, avec un questionnaire soumis dans les mêmes conditions, permet de conclure
que la joie et la colère sont donc les deux émotions les plus saillantes dans le quotidien des PS
de l’académie de Créteil, et ce indépendamment de l’évolution du contexte sociétal.
On remarque que les PS des cohortes 1 et 3 ont ressenti des émotions similaires dans les
mêmes proportions, à l’exception de la neuvième émotion (frustration en C1 et stress en C3).
Les résultats produits par la cohorte 2 sont également très proches, la seule différence étant
l’ordre dans lequel apparaissent les émotions « tristesse, culpabilité, surprise et peur ». Les PS
cohorte 4 n’ont pas autant cité la tristesse que ceux des précédentes cohortes et cette émotion
ne figure pas parmi les cinq plus fréquentes. En revanche, on trouve la déception, émotion
non présente à ce niveau du classement chez les PS de C1, C2 et C3.
Les émotions « surprise, tristesse, peur, culpabilité, déception, fatigue, frustration et
stress »138 présentent des pourcentages d’occurrences bien inférieurs à ceux de la joie et de la
colère. La surprise arrive en troisième position dans trois cas sur quatre (en C1, C3 et C4), et
est présente en cinquième position en C2. Ceci n’a rien de surprenant dans la mesure où, selon
Plantin (2016, p. 129), la surprise est la composante de toute émotion : « dans la mesure où
elle correspond à la courbe gauche rapidement ascendante de la ‘cloche émotionnelle’ » (cf.
c3.3.4). Les émotions qui suivent son émergence lui donnent sa valence positive ou négative
(Ekman et Friesen, 1975). En observant le contexte, le cotexte et les collocations dans chaque
description faite de l’épisode émotionnel que les PS ont vécu et décrit dans leurs réponses aux
questionnaires, j’ai ensuite pu répartir l’émotion surprise selon trois valences : positive,
négative et neutre.
138
La déception, la fatigue, le stress et la frustration ne font pas partie des 7 émotions proposées dans le
questionnaire. Elles font parties des émotions ajoutées par les PS via la case « autre ». La présence de
« fatigue » peut surprendre. En recourant à “un sentiment de –” (Plantin, 2011, p. 130, cité dans le chapitre
3, 2.2.1), il est possible de générer des noms d’émotions et ainsi de combler des manques lexicaux.
« Fatigue » correspond à une ellipse du syntagme « un sentiment de fatigue » et trouve donc légitimement
sa place au sein de cette liste, tout comme « urgence » ou « ras-le-bol ». Par ailleurs, « fatigue » et « ras-le-
bol » figurent dans la typologie de la colère présentée au chapitre 4 (cf. 4.2.4.5)
293
Après la joie et la colère, la peur et la culpabilité font partie des six émotions les plus citées
par les PS des quatre cohortes (cf. tableau 7.7). Ce classement n’est pas surprenant car les PS
ont conscience de leurs difficultés et de leurs erreurs tout en étant soucieux de la réussite de
leurs élèves, ce qui génère de la culpabilité. Par ailleurs, ils vivent leur année de stage dans la
peur de ne pas être titularisés, comme en atteste cette citation de LeBron PS de C1 : « J’ai
ressenti de la peur quand ma tutrice est venue m'observer et m'a dit que mes élèves trop
dissipés pourraient compromettre ma titularisation », et cette citation de A, PS de C2 : « la
peur que ces absences (c'est le deuxième mardi manqué depuis le début de l'année) ne portent
préjudice à la progression des élèves. Ainsi qu'à ma formation et donc à ma titularisation ».
La tristesse (« tristesse car problème de gestion de classe rédhibitoire pour être titularisée
d'après mon tuteur », Betty Boop, C2), présente en troisième position en C2 et en quatrième
position en C1 et C3, est en lien avec la peur et la culpabilité. Ces trois émotions forment un
trio incontournable de l’année de stage. La honte, qui vient en huitième position dans le
classement des quatre cohortes, est également en lien avec la culpabilité et la conscience de
ses difficultés et erreurs, comme en atteste cette citation de LeBron extraite des réponses au
questionnaire de C1 : « La honte parce que j'ai été observé par ma tutrice ce jour et j'ai
d'abord eu l'impression de lui avoir proposé une honteuse performance, j'avais pourtant
beaucoup travaillé ma séance ». Pour finir, on note également la présence de la fatigue en
septième position des quatre cohortes. Les PS sont donc unanimes quant à la difficulté de leur
année de stage et à ses effets sur leur état général.
À partir de la troisième position dans le classement, les pourcentages d’occurrences sont
relativement bas avec une moyenne avoisinant les 10%. Ceci est dû à la grande variété des
émotions citées. En effet, plus la granularité émotionnelle des répondants est importante, plus
le nombre d’émotions proposées est important et plus les pourcentages d’occurrence sont bas.
Il pourrait alors être intéressant de regrouper les émotions de la même famille ou issue de
mélange (cf. chapitre 4). C’est ce que nous ferons ci-après avec la colère et la joie.
294
Figure 7.1. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des cohortes 1 à 4
Comme on peut le constater dans la figure 7.1, le ratio émotions à valence négative/émotions
à valence positive est quasiment identique pour les quatre cohortes et est proche de deux-tiers,
avec une moyenne de 59% d’émotions à valence négative. Ces résultats illustrent le mal-être
dont les PS font part lors de leur année de formation.
Un grand nombre des émotions à valence négative citées par les PS sont des émotions dites
primaires présentes dans la plupart des listes établies (cf. 3.3.4.1, tableau 3.3) et proposées
dans le questionnaire. La colère arrive en tête, suivie du quatuor peur, tristesse, culpabilité et
honte. On trouve également un grand nombre d’émotions ajoutées par les PS via la case
« autre ». Certaines sont issues de mélange entre plusieurs émotions – à l’instar de la rancœur
qui selon Plutchik (1991) provient de l’association de la colère et du dégoût –, d’autres sont
du même registre que l’émotion primaire proposée mais sont d’intensité plus ou moins
importante, apportant ainsi des nuances au ressenti. On peut citer par exemple l’inquiétude,
l’appréhension, l’anxiété, l’angoisse, toutes parentes de la peur mais avec des nuances
subtiles.
Les listes des émotions à valence négative de chaque cohorte sont consultables en annexe 10.
Nous nous focaliserons ici sur l’émotion à valence négative la plus fréquemment citée, à savoir
la colère.
295
On note cependant que le pourcentage d’occurrences du déclencheur « comportement
inadapté des élèves » des PS de C1 est inférieur de près de dix points à celui des PS de C2,
C3 et C4. Ceci pourrait provenir de la capacité de certains répondants de C1 à prendre
davantage de recul sur leurs pratiques. En effet, en cumulant les pourcentages des occurrences
des « doutes et questionnement » ainsi que ceux de la « conscience de ses difficultés et
erreurs » on arrive à 30%, ce qui représente un fort taux consacré à la remise en question,
comparé au 21% renvoyant l’apparition des émotions à valence négative à la mauvaise
conduite des élèves. Ceci pourrait indiquer que certains PS sont parvenus à interpréter
l’agitation de leurs élèves comme le résultat de leurs propres difficultés didactiques et
pédagogiques et non uniquement comme un indicateur d’absence de savoir-être de la part de
leurs élèves. Les PS de C4 semblent de prime abord se rapprocher de cette tendance car ils
ont également cité prioritairement ces trois déclencheurs. Cependant, le ratio peu élevé entre
le « comportement inadapté des élèves » (soit 30% des réponses) et les pourcentages
cumulés des déclencheurs « doutes et questionnement » et « conscience de ses difficultés
et erreurs » (soit 34% des réponses) pourrait être le signe d’une émergence encore fragile de
la capacité à remettre en question ses pratiques. Il est cependant difficile de comparer les
résultats de C1 et C4 en raison de la différence significative du nombre de participants et de
réponses obtenues.
Afin d’alléger la lecture de ce chapitre, nous faisons le choix de présenter en annexe 11 la liste
des déclencheurs des émotions à valence négative à l’instar de la honte, de la surprise à valence
négative, de la peur, de la tristesse et de la culpabilité (ainsi que l’analyse des situations dans
lesquelles ces émotions surgissent) pour nous focaliser sur les déclencheurs de la colère qui,
selon les cohortes, sont très proches voire identiques.
Le cas de la colère
Pour recenser les émotions du registre de la colère, nous nous sommes appuyés sur la
typologie élaborée et présentée au chapitre 4, dans le tableau 4.17. On relève dans les listes
d’émotions à valence négative (cf. annexe 10) des émotions parentes de la colère, à l’instar de
l’agacement, la contrariété, l’énervement, ainsi que la frustration, l’exaspération, le ras-le-bol
et la lassitude. Elles ont été employées par les PS lorsqu’ils ont souhaité nuancer l’intensité
de leur ressenti. Dans la citation suivante extraite du questionnaire des PS de C2, une
enseignante a coché « colère » et s’aperçoit que son choix est trop fort et ne correspond pas à
son ressenti. Elle nuance donc colère en employant « agacement » : « colère : plutôt
296
agacement, face aux élèves qui continuent à bavarder et se fichent du travail, si on ne sévit
pas ».
C1 2016 : 43 PS C2 2017 : 50 PS C3 2018 : 46 PS C4 2019 : 22 PS
Sur 361 émotions à Sur 366 émotions à Sur 250 émotions à Sur 137 émotions à
valence négative citées, valence négative citées, les valence négative citées, valence négative citées,
les émotions parentes de émotions parentes de la les émotions parentes de les émotions parentes de
la colère : colère : la colère : la colère :
Colère 118 33% Colère 113 31% Colère 62 25% Colère 32 23%
Frustration 8 2% Frustration 10 3% Frustration 8 3% Frustration 3 2%
Agacement 5 1% Lassitude 8 2% Agacement 6 2% Agacement 1 1%
Lassitude 1 0 Énervement 5 1% Contrariété 5 2% Exaspération 1 1%
Agacement 5 1% Lassitude 4 2% Énervement 1 1%
Ras-le-bol 1 0 Exaspération 1 0 Lassitude 1 1%
Exaspération 1 0 Ras-le-bol 1 0
TOTAL 132 36% TOTAL 143 38% TOTAL 87 34% TOTAL 39 28%
représentent 36% des représentent 38% des représentent 34% des représentent 28% des
émotions à valence émotions à valence émotions à valence émotions à valence
négative citées négative citées négative citées négative citées
Tableau 7.8. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires et ratio
Cumulées, les émotions du registre de la colère représentent plus d’un tiers des émotions à
valence négative ressenties par les PS, ce qui rend leur analyse d’autant plus pertinente dans
le cadre de cette recherche. Nous reviendrons ci-après sur ce qui déclenche la colère des PS.
297
PS C1 2016 : 43 participants, 301 réponses PS C2 2017 : 50 participants, 299 réponses
Comportement inadapté des élèves 68 47% Comportement inadapté des élèves 76 52%
Doutes ou questionnement 16 11% Doutes et questionnement 13 9%
"Mauvais cours" 12 8% « Mauvais cours » 15 10%
Conscience de ses difficultés &
12 8% Absence d'implication des élèves 9 6%
erreurs
Absence d'implication des élèves 8 6% Surcharge de travail 5 3%
Violence entre élèves ou à l'égard
Désaccord (collègues & direction) 5 3% 4 3%
de l'enseignant
Matériel défaillant ou mauvaises
Événements privés entravant l'agir 4 3% 4 3%
conditions de travail
Conscience de ses difficultés &
Échec des élèves 4 3% 4 3%
erreurs
Gestion difficile de l'imprévu 3 2% Échec des élèves 3 2%
Matériel défaillant ou mauvaises
3 2% Travail à faire ou inaccompli 3 2%
conditions de travail
Absence d'aide et de soutien Absence d'aide et de soutien
2 1% 2 1%
(collègues & direction) (collègues & direction)
Contexte politique & décisions
Absence de connivence élèves/
2 1% institutionnelles perturbant les 2 1%
enseignant
habitudes
Violence entre élèves ou à l'égard
2 1% Désaccord (collègues & direction) 2 1%
de l'enseignant
298
Conscience de ses difficultés &
1 1% « Mauvais cours » 1 3%
erreurs
77 100% 37 100%
Tableaux 7.9. Déclencheurs de la colère des PS
On constate, en observant les pourcentages associés aux déclencheurs dans les tableaux ci-
dessus – 58% des déclencheurs de C1, 63% de C2, 70% de C3 et 76% en C4 –, que les élèves
sont principalement à l’origine de la colère ressentie par les PS. Le pourcentage de C1,
relativement bas comparé à celui des autres cohortes, corrobore l’hypothèse présentée
précédemment selon laquelle les PS de C1 parviendraient à davantage prendre du recul sur
leur pratique que leurs pairs de C2, 3 et 4, et ainsi à plus considérer l’agitation ou l’absence
d’implication des élèves comme la conséquence de séquences mal conçues ou d’un guidage
défaillant. L’hypothèse, selon laquelle les PS de C4 auraient encore du mal à analyser leurs
pratiques et à attribuer leurs difficultés aux élèves, semble aussi se vérifier.
Le comportement inadapté des élèves est de très loin le premier déclencheur de la colère
des PS, comme en attestent les pourcentages élevés (47%, 52%, 55% et 59% du total des
déclencheurs de la colère). La colère est ressentie contre les élèves (Ouroboros, C1 : J’ai
ressenti de la colère. Devant une classe I N T E N A B L E… Configuration exceptionnelle de
la salle en îlots. Discussion intempestives incessantes. » ; Audrey, C4 : J’ai ressenti de la
colère face à un élève qui m’a tutoyée »), mais elle peut également l’être contre l’enseignant
lui-même car il ne parvient pas à mettre en place les gestes professionnels requis pour gérer
sa classe comme il le voudrait. C’est le cas de Lapr0f, PS de C1 : « J'ai ressenti de la colère
aujourd'hui, en cours parce que mes élèves ne s'écoutaient pas du tout les uns les autres, et
j'étais autant en colère contre moi pour mon incapacité à gérer ce problème que contre eux
pour ne pas avoir ce respect d'écouter leurs camarades... » et de Waldeck, C3 : « J’ai ressenti
de la colère et la honte, lorsque ma classe était tellement bruyante qu'un principal du collège
qui passait dans le couloir est entré pour recadrer mes élèves, et en a amené un
particulièrement perturbateur dans son bureau. J'ai ressenti à la fois de la colère et de la
honte, envers les éléments perturbateurs et envers moi-même, pour ne pas parvenir à les
calmer seule ». Ceci peut engendrer de la frustration comme dans cet exemple issu des
réponses de Viggo, C1 : « J’ai ressenti colère & frustration suite à difficultés avec élève
immature et perturbateur. Questionnement et doutes quant à ma réaction surtout face à son
déni et à sa mauvaise foi lors de la discussion en tête à tête à la fin du cours ». Le bavardage
299
et l’agitation sont très souvent ciblés comme les problèmes principaux, viennent ensuite le
refus d’obtempérer et l’insolence.
La colère est également déclenchée par le doute ou le questionnement, en deuxième position
dans le classement établi pour les PS des cohortes 1 et 2. Dans l’exemple suivant :
J’ai ressenti de la colère : J'ai remarqué une altercation verbale (mais discrète) entre
deux élèves, à propos d'une troisième élève. Après avoir demandé à un des deux élèves
de quoi il s'agissait (en fin de cours) il s'avère que l'autre élève (et d'autres dans la
classe) se moquent régulièrement d'une (et de plusieurs) autres élèves. Le sentiment de
colère, ici, à trois niveaux : envers les élèves concernés, envers le fait que je n'ai pas
remarqué ce genre de chose plus tôt et envers le fait que quand je suis allé en parler
avec la direction, j'ai l'impression de ne pas avoir été pris au sérieux
Tybalt ne s’est pas senti considéré comme un enseignant par la direction, alors qu’il avait
imaginé qu’il allait être pris au sérieux et écouté. Dans chacune des situations évoquées, le
script prototypique envisagé par le PS et la réalisation effective sont en décalage, ce qui crée
l’émotion. Nous y reviendrons en 7.2.4.2.
D’autres déclencheurs sont cités, avec un rang variable dans le tableau. La conviction d’avoir
donné un « mauvais cours » arrive en troisième position en C1 et C2 et en deuxième en C3.
Le « mauvais cours » peut être cité comme la conséquence de l’incapacité à gérer une classe
difficile, (Amadeus, C1 « Colère : Les élèves d'une de mes classes étaient dissipés, comme à
leur habitude. Donc on a mis un peu de temps à démarrer et ma trace écrite fut famélique »)
et de difficultés pédagogiques pour mettre en œuvre des préparations de cours (Joyce, C3 :
« J’ai ressenti de la colère envers moi-même car ma séance fut un flop ce matin » ;
A.Forestier, C1 : « Colère : cours raté » ;Springsteen, C1 : « colère : lorsque l'activité que
j'avais mis du temps à prévoir n'a pas fonctionné comme voulu parce que les élèves étaient
inattentifs et bavards ». Le sentiment d’avoir fait un « mauvais cours » peut venir du cumul
de plusieurs facteurs comme l’indique Bodilo, PS de C3 :
J’ai ressenti de la tristesse, de la colère, de la culpabilité, de la honte tout à la fois à
cause d'un cours qui s'est très mal passé ce matin : classe déchaînée, 2 élèves
ingérables, problème de matériel technique, nécessité d'improviser, reproche des élèves
sur la longueur de ma séquence....
La colère des PS trouve souvent sa source dans le décalage entre le script prototypique et/ou
le scénario pédagogique et la mise en œuvre effective en classe. Le déclencheur de colère est
dans ce cas la prise de conscience de ses difficultés et erreurs.
La colère est également déclenchée par l’absence d’implication des élèves, souvent associée
à la prise de conscience de ses difficultés et erreurs ou aux doutes et questionnement sur ses
pratiques comme on peut le voir dans les exemples suivants de Boucle, C2 : « La colère quand
300
le cours de 2nde était très très mou et que les élèves ne participaient pas. J'ai remis en question
ma préparation de cours », et de LeBron, C1 :
J’ai ressenti de la colère car même si les élèves en question ne posent pas de problème
de discipline ils ne fournissent pas le travail et les efforts nécessaires et sont comme
"éteints" pendant cette heure-là. C'est peut-être aussi (surtout ?) à moi de comprendre
que le vendredi après-midi n'est pas le meilleur moment pour travailler et peut être
adapter mes séances en les rendant plus légères car j'ai vraiment eu l'impression de
faire cours pour 5 élèves et je suis avant tout en colère contre moi-même.
Les déclencheurs de colère liés à l’établissement ou à l’institution sont relativement peu cités
et représentent environ 7,75% de l’ensemble des déclencheurs (C1 : 8%, C2 : 9%, C3 : 4% et
C4 : 10%). Aucun déclencheur en lien avec la formation n’est cité.
301
Script prototypique Réalisation Commentaires
Wayne Longer La colère, lorsque la classe était trop
Script du C2 agitée pour pouvoir terminer le cours
« cours d’anglais qui était prévu.
suffisamment bon ». Mimi Aujourd'hui toutes mes classes étaient
Le PS a préparé un C2 surexcitées et il était difficile de Décalage entre le script et la
cours et le met en réaliser tout ce que j'avais prévu réalisation : le cours n’a pas pu
œuvre de A à Z dans sa Bonsai Frustration : de n'avoir pas réussie à être donné dans son intégralité,
classe, sans difficultés. C2 canaliser une de mes classes et donc l’objectif n’a pas été atteint car :
Le matériel utilisé est nous avons pris du retard, et j'ai fait *Le climat propice au travail n’a
performant, les un cours vraiment très éloigné de ce pas pu être assuré par le PS et les
conditions matérielles que j'avais prévu. élèves ont été agités.
sont bonnes. Le climat Opam Frustration ; c’était difficile de mettre *Le matériel a été défaillant
est propice aux C4 les élèves au travail, nous n’avons pas
apprentissages car avancé comme prévu. => colère
l’enseignant sait gérer
Bamboo J'avais prévu une séance basée sur
sa classe.
C1 un document vidéo, et aucun des
Si le cours est observé
ordinateurs n'émettait de son. Ma
par le tuteur ou un
séance a été très compromise et, en
« visiteur », il donne
plus de ça, les élèves étaient très
satisfaction à ce
agités dès le début du cours.
dernier.
Springsteen Colère : quand une activité en salle
C1 info n'a pas aussi bien marché que
prévu
Springsteen Colère : lorsque l'activité que j'avais
C1 mis du temps à prévoir n'a pas
fonctionné comme voulu parce que
les élèves étaient inattentifs et
bavards.
Ilil Avec les 4eme de 16h à 17h, de ne pas
C3 arriver à faire ce que j'avais prévu
avec eux.
Elisha Colère : trop de bavardages, une
C4 classe où les élèves ne faisaient pas ce
que je demandais d'eux.
LeBr0n J'ai ressenti de la colère avec une de
C1 mes classes de 4eme qui était
complètement endormie aujourd'hui.
Je n'ai pas pu avancer comme je le
souhaitais. C'était laborieux. La
participation en classe et donc la
progression du cours étaient assurées
par 5 élèves. Tout le reste ne suivait
pas, rêvait parfois.
Viggo Frustration à ne pouvoir terminer
C1 l'une de mes séances comme prévu
(Séance observée par tuteur terrain).
Bonsai Frustration de n'avoir pas réussi à
C2 canaliser une de mes classes et donc
nous avons pris du retard, et j'ai fait
un cours vraiment très éloigné de ce
que j'avais prévu.
Charlie À l’issue de deux cours avec deux
C3 classes avec qui j’ai dû faire de la
gestion de classe tout le long de
l’heure, je n’ai pas avancé comme je
l’espérais.
302
Script des bonnes Loveuz77 La colère, car j'ai des problèmes de Décalage entre le script envisagé
relations entre C1 gestion de classe avec une classe et je par la PS et la réalisation : la PS
collègues/avec le demande de l'aide à ma tutrice qui n'a attend aide et soutien de sa
tuteur pas le temps pour moi. Sa vie tutrice, mais ne l’obtient pas.
Les collègues personnelle passe toujours avant moi
s’entraident et et du coup malgré tous mes efforts
entretiennent de bonnes pour me rendre disponible pour qu'on
relations. Les puisse se voir plus régulièrement, elle
enseignants stagiaires ne m'accorde qu'une heure toutes les
sont traités avec égard deux ou trois semaines qui colle dans
et ne sont pas nos deux emplois du temps et le reste
infantilisés du fait de du temps elle me dit de lui envoyer ce
leur statut. que j'ai à dire par mail. J'aurais besoin
d'au moins deux ou trois heures
consécutives avec elle pour lui dire
Script de l’enseignant tout ce à quoi je suis confrontée
débutant (pour ses depuis le début de l'année mais c'est
collègues) parfaitement impossible car elle n'a
L’enseignant débutant aucun créneau.
fait encore Bamboo La colère : lorsque qu'une collègue Décalage entre le script envisagé
systématiquement des C1 s'est permise de faire un discours de par les PS et la réalisation : la
erreurs. Il rencontre des morale à ma classe alors que je collègue et le tuteur n’ont pas
difficultés pour se m'apprêtais à le faire moi-même. considéré les PS comme des
positionner en tant pairs et les ont discrédités devant
qu’enseignant et les ses élèves.
élèves en profitent pour ð Colère
mal se comporter dans Le script des deux enseignantes
ses cours. Il manque de n’est pas en adéquation avec la
confiance en lui. Gina La colère envers mon tuteur qui réalisation. Les PS voient dans
C1 m'interrompt sans cesse lorsqu'il vient leurs collègues le script des
m'observer, ce qui me fait perdre en « bonnes relations entre
crédibilité auprès de mes élèves. Je ne collègues », alors que la
sais pas comment lui dire, j'ai peur de collègue et le tuteur voient dans
le braquer ou que nos rapports se les PS le « script de l’enseignant
dégradent si je ne lui en parle pas. débutant » qui se fait déborder et
C'est une situation délicate. ne parvient pas à s’affirmer en
tant qu’enseignant.
Impressionniste J'ai ressenti de la colère car j'ai voulu Double décalage entre le script
C1 aider une collègue à retirer des et la réalisation pour la PS :
graffitis sur une salle de cours que je *la PS a aidé sa collègue et
lui avais laissé afin qu'elle ait accès au s’attendait à être remerciée
vidéoprojecteur et celle-ci ne m'a pas (script), ce qui n’a pas été le cas.
absolument pas remercié. Au *Non seulement elle n’a pas été
contraire elle m'a uniquement accusé remerciée, mais elle a été
d'être responsable des graffitis en humiliée.
ayant laissé la porte arrière de la salle
de classe ouverte. J'ai tellement de Comme au-dessus, le script des
ressenti que je compte désormais la deux collègues n’est pas en
laisser se débrouiller seule pour adéquation.
trouver une salle de classe. ð Colère, ressentiment
Qorice La solitude car je me sens jugée, Décalage script et réalisation.
C2 évaluée, critiquée mais pas soutenue
Script du Lapr0f J'ai ressenti de la colère envers moi- Décalage entre le script du
« prof suffisamment C1 même en excluant un élève. En effet, « prof suffisamment bon»
bon » en l'excluant, c'était pour moi un envisagé par le PS et la
Le « prof suffisamment échec. Je n'ai pas réussi à sauver cet réalisation. Le premier PS n’a
bon » est bienveillant, élève. pas réussi à mettre au travail un
303
patient, et juste. Il Naps La colère : je m'investis pleinement élève et l’a exclu de cours. Ce
donne beaucoup pour C1 dans la réussite de mes élèves. Donc décalage est pour lui un
ses élèves. Il sait se j'étais très fâchée lorsque je me suis « échec ». Le deuxième n’a pas
faire respecter et rendu compte que mes élèves réussi à faire respecter les
n’exclut pas les élèves. n'avaient pas pris la peine de relire le consignes « relire le cours ».
Il sait intéresser ses cours qui était très concis même si je Par ailleurs le script du « bon
élèves et les mettre tous leur avais laissé du temps pour le élève » est également rompu
en réussite. Ses élèves faire. dans les deux cas.
écoutent et suivent ses
consignes. Il fait des Lapr0f J'ai ressenti de la colère envers mes Décalage entre le script du « bon
« cours suffisamment C1 5èmes car le conseil de classe est élève » envisagé par le PS et la
bons ». passé et il en est ressorti que cette réalisation. Les élèves dérogent
classe était beaucoup trop bruyante et au scénario. Ceci entrave
n'était pas assez investie. […]. Cela également la réalisation du
Script du « bon élève » m'énerve car je n'avance pas autant scénario du « prof suffisamment
Le bon élève se que je souhaiterais dans mes cours, bon » qui se retrouve discrédité
comporte bien en cela m'énerve pour leur futur car ils devant la classe et ne peut pas
classe. Il écoute n'en voient pas les enjeux par rapport venir en aide aux élèves.
l’enseignant et à leur apprentissage. J'aimerais les
s’investit en classe. Il secouer mais rien n’y fait.
fait le travail demandé Malcolm La colère car les élèves à qui j'avais
en classe et à la maison. Merlyn laissé du temps supplémentaire pour
C1 préparer leur exposé ne l'avaient
toujours pas préparé.
NY Colère, surprise, et culpabilité.
C4 Cas typique, élèves qui n'avaient,
pour la grande majorité, pas fait le
travail demandé.
En conséquence, contrôle de
connaissances. Suite aux nombreuses
contestations et réactions (à la
frontière de l'insolence et de
l'agressivité, d'où la surprise, je ne
m'y attendais pas), passage à la
colère, donc le contrôle initialement
prévu a été rendu plus difficile, avec
une attitude beaucoup plus froide de
ma part.
Me rendant bien compte de l'injustice
qui découlait de mes choix, je me suis
senti coupable.
Ouroboros La colère : devant un élève
C1 décrocheur que j'ai aidé
personnellement sur une heure que
j'avais de libre, à écrire son exposé, et
qui a finalement refusé de faire son
exposé (devant la classe,
évidemment).
Ouroboros La colère : devant le comportement
C1 d’un gosse de 4ème qui me promet
depuis le début d'année d'améliorer
son comportement alors qu'il ne fait
qu'empirer.
Lapr0f J'ai ressenti de la colère aujourd'hui,
C1 en cours parce que mes élèves ne
s'écoutaient pas du tout les uns les
autres, et j'étais autant en colère
contre moi pour mon incapacité à
304
gérer ce problème que contre eux
pour ne pas avoir ce respect d'écouter
leurs camarades...
Tableaux 7.10. Liens scripts prototypiques et colère
L’exemple suivant, très détaillé, est particulièrement intéressant. On peut observer comment
la colère est justifiée et argumentée, ainsi que son influence sur le discours écrit du PS de C1,
Tybalt. Dans la colonne de gauche figure l’épisode émotionnel relaté, dans la colonne de
droite l’analyse d’après le modèle de Plantin (2011) :
La colère et donc tristesse avec. J'avais L’émotion est nommée explicitement : colère
tout préparé. Tout orchestré "by the
book" comme on nous l'a appris et Elle est jouée linguistiquement et paralinguistiquement :
comme j'ai pu voir en regardant ma - Phrases courtes et phrases nominales qui donnent du rythme (ex :
tutrice. Je me suis même procuré un « Du refus d'autorité complet »).
clavier sans fil et une souris sans fil pour - Anaphore : phrases commençant par « tout », par « du » ou
que les élèves puissent avoir plus « des »
d'interactions avec le fichier de la TE et - Points d’exclamation, point de suspension
écrivent la TE eux même pour tout le - Phrases exclamatives
monde au PC. Tout était fait pour bien se - Mot en lettres capitales : VOIS
passer. Mais comme d'habitude, trop de - Énumérations des manquements
bavardages, insolence, les "mais j'ai rien - Répétitions de « tout » et de « même »
fait" alors que je VOIS les élèves faire ! - Citations d’élèves : "mais j'ai rien fait", "ben j'arrête de travailler
Du refus d'autorité complet. Des "ben alors"
j'arrête de travailler alors" alors que de - Style oral.
base toute l'heure l'élève en question ne
faisait rien d'autre que bavarder ! J'en ai Diagnostic empathique : l’enseignant a tout préparé comme on le lui a
eu marre j'ai fini par, en fin d'heure, appris pour que son cours fonctionne. Il est même allé au-delà des attentes
hurler... Même l'AVS d'une classe en se procurant un clavier sans fil. Une fois en classe, les élèves se sont
d'avant m'a dit "ils sont pas simple eux, mal comportés, il a dû gérer les bavardages et les insolences ce qui ne lui
hein". J'ai l'impression de me faire juger a pas permis de mettre en œuvre son cours si bien préparé. De surcroît, une
par tout le monde. Toutes mes classes collègue AVS fait un commentaire sur l’attitude des élèves qui est perçu
étaient insupportables aujourd'hui. comme un jugement d’incompétence => la colère est bien justifiée.
----------------------------------------------------------------------------------------
La colère est argumentée, justifiée par l’amont :
« J’avais tout préparé. Tout orchestré "by the book" comme on nous l'a
appris et comme j'ai pu voir en regardant ma tutrice. Je me suis même
procuré un clavier sans fil et une souris sans fil pour que les élèves puissent
avoir plus d'interactions avec le fichier de la TE et écrivent la TE eux même
pour tout le monde au PC. Tout était fait pour bien se passer »
ð Tous les garants de la qualité du cours sont cités : « on » (= la
formation), la tutrice.
ð Recours à l’alternance codique intraphrastique « by the book »
pour créer une connivence avec le lecteur (nouveau garant)
ð Énumération des actions préparatrices
« Tout était fait pour bien se passer » est la phrase pivot qui annonce la
bascule.
ð Contraste avec le comportement des élèves qui rompt le script du
« cours suffisamment bon ».
Ici les scripts rompus (cf tableau 7.12) sont multiples : script du
« cours d’anglais suffisamment bon », script du « prof suffisamment
performant », script du « bon élève » et script des bonnes relations entre
collègues.
305
Tableau 7.11. Analyse d’un épisode de colère
Si les émotions à valence négative, dont la colère fait partie, proviennent du décalage entre le
script prototypique élaboré par le PS et sa réalisation, c’est également le cas pour les émotions
à valence positive et donc pour les émotions du registre de la joie.
Les émotions du registre de la joie représentent plus des quatre-cinquièmes des émotions à
valence positive citées, avec des pourcentages d’occurrences allant de 80 à 87%, et une
moyenne de 82,75%. La grande majorité de ces émotions sont issues de mélanges. À titre
d’exemples, selon Plutchik (1991), la fierté est issue d’un mélange entre la joie et la colère
(« anger + joy = pride » Plutchick, 1991, p. 117), le plaisir vient du mélange de la joie et de la
surprise. On trouve aussi la satisfaction, couramment utilisée par les enseignants souhaitant
moduler l’intensité de leur joie, comme cette PS (Loveuz77) de C1 : « La joie, ou je dirais la
306
satisfaction car les notes s'arrêtent aujourd'hui, les conseils commencent lundi et quand je
tire le bilan de mon trimestre je suis contente de ce que j'ai fait. ».
Si le comportement inadapté des élèves est de loin le premier déclencheur de la colère des
enseignants, aucun déclencheur de la joie ne se démarque aussi nettement. L’implication des
élèves dans les cours est le premier déclencheur de joie chez les PS de C1 (23%) et C2 (18%)
et arrive en deuxième position chez les PS de C3 (17%) et C4 (18%). Les PS sont heureux
lorsque les élèves adhèrent à leur cours (Heidi C2 : « Joie que des élèves soient impliqués et
enthousiastes pour le warm up mis en place » ; « Préparation d'une tâche finale où les élèves
avaient l'air de prendre du plaisir et se sont montrés enthousiastes »). Ceci donne leur
sentiment d’avoir fait un « bon cours », comme on peut le lire dans plusieurs réponses (ex :
Shelby, C2 : « J'ai ressenti de la joie, car j'ai pu faire une partie importante du cours : la
trace écrite, c'était l'occasion de travailler avec eux l'expression écrite et la production orale.
Ceux qui ont parlé ont bien contribué à la trace écrite »). Le « bon cours », déclencheur le
plus cité par les PS de C3 (29%), arrive en deuxième position en C1 (21%) et en 3è en C2
(15%) et C4 (18%). On retrouve souvent la référence « ça s’est bien passé » qui laisse deviner
un certain soulagement, comme on peut le lire dans ces exemples issus du questionnaire des
308
PS de C1 : « Malgré la fatigue, ma journée s'est bien passée » (EnglishTeacher63210) ; « Mes
cours avec les élèves se sont une fois de plus très bien passés et j'étais donc très content en
sortant de l'établissement. D'où la joie ressentie » (LeBron) ; « Deux cours qui se sont super
bien passés. Les élèves ont été dynamiques et intéressés par l'activité sur Thanksgiving. Plus
que je ne l'aurais pensé et ils étaient même demandeurs d'en savoir encore plus » (Meredith
Grey). La prise de conscience de sa posture professionnelle est un facteur important de joie.
En effet l’identité professionnelle est en construction durant l’année de formation initiale
comme en atteste ces citations, la première écrite par Lapr0f, C1 : « J'ai ressenti du
"contentement" car bien que les classes soient relativement agitées en ce moment, je pense
commencer à trouver un petit équilibre, entre la prof sympa et la prof en tant qu'autorité.
C'est un petit accomplissement qu'il va falloir étaler sur la durée maintenant », et celle-ci de
Waldeck, C3 : « J’ai ressenti de la fierté. Aujourd'hui, j'ai enfin compris l'attitude que je dois
adopter avec les élèves. J'ai du mal à trouver l'équilibre entre fermeté et encouragements, et
le cours de ce matin a été le premier où j'ai su garder cet équilibre fragile toute l'heure ». Se
sentir légitime en tant qu’enseignant, se savoir reconnu par ses pairs, par les élèves et leurs
parents, procure de la joie aux PS (ex : Karma Police, C1 : « Je ressens souvent de la joie
quand je me trouve devant les élèves car je me sens de plus en plus à l'aise avec eux » ;
« heureuse de retrouver mes élèves et l'univers du lycée le vendredi » ; « J'étais contente de
retourner au lycée. L'ambiance est agréable et les élèves sont sympathiques et productifs »).
Ceci conforte certains dans leur choix professionnel. C’est le cas de Naps, C1 : « la joie de
voir mes élèves et de faire cours, métier que j'adore faire » ; « j'ai ressenti de la joie en
retrouvant une classe très participative. Quand tout se passe bien, cela me conforte dans mon
choix professionnel » et de Shelby, C2 : « Plus je vais au lycée, plus je m'épanouis et suis
contente d'avoir choisi cette voie ». Les étapes importantes à l’instar de la rédaction des
bulletins, des conseils de classes, des rencontres avec les parents d’élèves, sont source de joie
quand elles se déroulent bien : « La joie au cours du conseil de classe : selon la mère
représentante des parents d'élève, son fils aime le cours d'anglais » (Amadeus, C1). Si se
sentir enseignant, membre d’une communauté éducative est souvent cité, on retrouve la joie
d’être enseignant d’anglais :« La joie d'enseigner et de parler anglais à mes élèves » ; « La
joie d'enseigner l'anglais à mes élèves » (Miss M, C1). La réussite des élèves est également
à l’origine de la joie (Victoria, C2 : « Mes élèves ont bien compris les comparatifs de
supériorité (galipette) »), tout comme les moments de connivence que les PS connaissent
309
avec leurs élèves (Effie, C3 : « Amusement lors de mes cours car j’ai organisé des séances
plus informelles de préparation de la tâche finale aujourd’hui. Cela permet d’avoir une
relation différente avec les élèves » ;« J’ai ressenti de la joie quand les élèves m'ont dit qu'ils
ne voulaient pas changer de cours mais rester avec moi » ; Lapr0f, C1 : « À la fin du cours,
une élève est venue me voir pour me parler d'une chanson en anglais. J'ai eu l'impression de
dépasser mon statut de professeur pour elle, et de partager plus que nos cours » ; Romy, C2 :
« La joie lorsque certains élèves sont restés dans ma classe pendant la récréation pour me
parler. Pour moi, cela montre qu'on a établi une relation de confiance » ; Nickluvsca, PS de
C2 : « bon moment passé avec les élèves lors d’une POI »).
Dans les différents exemples donnés, on remarque que la joie peut être déclenchée par une
adéquation entre les attentes du PS et ce qui se passe effectivement en cours, ou lorsque la
réalisation dépasse (se passe encore mieux) le script envisagé.
310
propice aux apprentissages
car l’enseignant sait gérer
sa classe. Les élèves sont
actifs. Si le cours est
observé par le tuteur ou un
« visiteur », il donne
satisfaction à ce dernier.
Script du « prof Aegis La joie, devant deux classes très Adéquation entre la
suffisamment C3 vives avec qui j'ai pu faire ce que préparation et la mise en
performant » j'avais programmé pour leur œuvre. Les scripts du
Le « prof suffisamment séance. « cours suffisamment bon»
performant » est Charlie Mes séances d’aujourd’hui se sont et du « prof suffisamment
bienveillant, patient, et C3 déroulées comme je l’espérais. performant » sont ici
juste. Il donne beaucoup Effie Plutôt la satisfaction que la joie. respectés selon les PS.
pour ses élèves. Il sait se C3 Séance que j’avais préparée
faire respecter et n’exclut entièrement pour mes 5èmes qui a
pas les élèves. Il sait plutôt très bien fonctionné !
intéresser ses élèves et les Growing teacher Joie : j'ai réussi à mettre en place une
mettre tous en réussite. C3 activité me permettant d'atteindre
Ses élèves écoutent et cette fois les objectifs fixés.
suivent ses consignes. Il Lapr0f J'ai ressenti de la joie aujourd'hui
fait des « cours C1 dans mon cours de 4eme car j'ai
suffisamment bons » réussi à faire un cours
relativement construit avec les
phases de rituel, un document et une
trace écrite et tout ça dans les
temps.... et avec pas trop de
bavardage.
Petitchoualacreme_93 La joie car ma CO s'est assez bien
C1 déroulée, il y a toujours des choses à
améliorer (tant qu'on enseigne il faut
toujours chercher à progresser et
s'améliorer) mais j'ai atteint mes
objectifs et les élèves ont été
productifs.
EnglishTeacher63210 La joie : tous mes cours se sont
C1 passés comme prévu.
Bamboo Quand j'ai également réussi à
C1 atteindre mes objectifs de timing.
Mandarine La joie d'avoir atteint des objectifs
C1 que je m'étais fixés. Et voir à peu
près le bout du tunnel.
Script des bonnes Loveuz77 La joie, car lorsque j'ai des Adéquation entre le script
relations entre collègues C1 problèmes avec les élèves mes des « bonnes relations entre
/avec le tuteur collègues sont derrière moi et collègues » et la réalisation.
Les collègues s’entraident m'épaulent beaucoup.
et entretiennent de bonnes LeBron Après l'incident que j'ai mentionné Ce script est lié ici au script
relations. Les PS sont C1 hier, beaucoup de mes collègues de l’enseignant débutant
traités avec égard et ne m'ont apporté leur soutien, même le présent en filigrane :
sont pas infantilisés du fait chef d'établissement. D'où la joie. l’enseignant débutant
de leur statut. Loveuz77 La joie, car j'ai beaucoup discuté rencontre des difficultés et a
C1 avec une collègue aujourd'hui à besoin d’être aidé, soutenu
Script de l’enseignant l'heure du repas qui m'a donné par ses pairs experts et par la
débutant (pour ses beaucoup de conseils. On a partagé direction.
collègues) sur beaucoup de sujets et ça m'a fait
Le PS fait encore du bien. Dans le dernier exemple la
systématiquement des PS veut amener sa tutrice à
311
erreurs. Il rencontre des Loveuz77 La joie, car ma tutrice est venue ne plus la voir par le prisme
difficultés pour se C1 m'observer avec une classe très du script de l’enseignant
positionner en tant difficile que l'on m'a donnée cette débutant : elle dit ne pas être
qu’enseignant et les élèves année et elle a bien vu que ce n'était responsable de ses
en profitent pour mal se pas ma gestion de classe qui était un difficultés.
comporter dans ses cours. problème mais bien les élèves qui
Il manque de confiance en étaient comme ça avec tout le
lui. monde... Je me suis sentie soutenue
aujourd'hui et j'ai déculpabilisé.
Script du « bon élève » Aegis Joie, en début de journée avec mes Adéquation entre le script
Le bon élève se comporte C3 classes bilangues qui faisaient du « bon élève » et la
bien en classe. Il écoute parfaitement l'exercice demandé. situation de classe. Ceci
l’enseignant et il s’investit Meredith Grey Joie : de voir mes élèves réussir leur permet au script du
en classe. Il fait le travail C1 évaluation finale. Qu'ils s'étaient « cours suffisamment bon»
demandé en classe et à la donnés les moyens de réussir. Et que d’être atteint.
maison. ce que j'ai pu leur apprendre a été
compris.
Bamboo Quand les élèves ont été très
C1 réceptifs à l'activité proposée ce qui
a permis de faire avancer le cours
considérablement.
Pandalova Les élèves ont été réceptifs en cours
C4 et ça a globalement bien
fonctionné, j'étais heureuse de ma
journée.
EnglishTeacher63210 La joie : dans une de mes classes,
C1 tous les élèves se sont montrés
attentifs face au document que je
leur ai présenté (une CO sur un
joueur de football américain) et ils
ont été nombreux à participer.
Tableau 7.14. Adéquation scripts prototypiques et réalisation entrainant la joie
313
Mayavidita Mes élèves ont été très sages et j’ai pu
C2 constater que quand ils le voulaient ils
effectuaient les rituels de classe à la
perfection et maîtrisaient le voc (sic) de
classe que j’ai voulu installer.
Script de l’élève NY Joie car des élèves d'ordinaire timides ont Décalage entre le script de
timide C4 fait des efforts de participation aujourd'hui. l’élève timide et la réalisation
L’élève timide ne Mo Joie : un élève très timide qui ne participe (l’élève participe).
participe ou très peu. C2 que trop rarement a participé de =>joie
Il ne prend pas nombreuses fois !
spontanément la Mel La joie lorsqu'un élève très timide a levé la
parole, ne répond pas C3 main pour participer.
toujours aux Loulie Joie : ma classe de 4è, avec qui j'ai
sollicitations du C2 souvent beaucoup de mal a été très active
professeur. Il reste en et très sympa aujourd'hui. Presque tous ont
retrait. participé à l'activité, même certains que je
n'entends jamais, et le cours s'est passé dans
la bonne humeur. C'était très agréable.
Script de l’élève en Loulie Joie à voir participer des élèves qui sont en Décalage entre le script et la
difficulté C2 difficultés et restent en retrait réalisation. L’élève est en
L’élève en difficulté habituellement réussite.
reste en retrait car il Mo Joie : un de mes élèves en grande difficulté =>joie
ne comprend pas bien C2 a réussi à construire une phrase complexe
le cours. Il participe par lui-même !
peu/pas. Il rend Zoé J'avais donné à une de mes classes un
parfois copie blanche. C1 travail d'expression écrite. Il y avait deux
Il est en échec. élèves qui éprouvaient de grandes
difficultés pour commencer le travail. Je les
ai un peu aidés au début. Ensuite ils m'ont
rendu un travail propre et complet alors
que je craignais qu'ils ne me rendent une
copie blanche.
Script de Cae J'étais contente d'être capable de dépasser Décalage entre le script et la
l’enseignant C2 mon anxiété et d'être détendue avec mes réalisation. La PS parvient à
débutant (pour ses classes. prendre confiance en elle, à
collègues) « dépasser » ses difficultés.
Le PS fait encore =>joie
systématiquement des
erreurs. Il rencontre
des difficultés pour se
positionner en tant
qu’enseignant et les
élèves en profitent
pour mal se comporter
dans ses cours. Il
manque de confiance
en lui.
Dépassement du script
Script du Puplesky Satisfaction d’avoir réussi à mettre au Script dépassé. L’enseignant
« prof suffisamment C1 travail deux 4e d’ordinaire très reluctants. met ses élèves au travail, même
bon » les plus récalcitrants.
Le =>joie
« prof suffisamment Patricia Arquette La joie : un super moment avec mes =Script dépassé. L’enseignant
bon » est bienveillant, C2 premières. Nous commençons une nouvelle met ses élèves au travail et les
patient, et juste. Il séquence. D'habitude ils sont plutôt rend plus actifs que
donne beaucoup pour "mous" à l'oral alors j'ai choisi de parler des « d’habitude »
ses élèves. Il sait se réseaux sociaux et de les solliciter un =>joie
314
faire respecter et maximum à l'oral et... ça marche !! Les
n’exclut par les langues se délient, les réflexions sont
élèves. Il sait pertinentes, je ne savais plus où écrire sur
intéresser ses élèves et le tableau ! :D
les mettre tous en
réussite. Ses élèves
écoutent et suivent ses
consignes.
Script du « bon Naps La joie quand mes élèves ont été au-delà Script dépassé.
élève » C1 de mes espérances dans leurs productions =>joie
Le bon élève se orales. C'est toujours plaisant de
comporte bien en commencer la semaine avec un cours qui
classe. Il écoute s'est bien déroulé.
l’enseignant et il Meredith Grey Deux cours qui se sont super bien passés.
s’investit en classe. Il
C1 Les élèves ont été dynamiques et intéressés
fait le travail demandé par l'activité sur Thanksgiving. Plus que je
en classe et à la ne l'aurai pensé et étaient même
maison. demandeurs d'en savoir encore plus.
Patricia Arquette La joie quand mes élèves ont réussi quelque
C2 chose/se sont dépassés
MissM La joie : quand j'essaie de nouvelles choses
C1 et que ça marche. Je viens de mettre en
place l’ « Assistant Teacher ». Les élèves
jouent le jeu et apprécient être à la place du
professeur.
Meredith Grey Joie: Mes élèves ont réalisé des belles
C1 tâches finales (yearbook) ils se sont investis
et ça se voit au niveau du résultat.
Tableaux 7.15. Décalage ou dépassement scripts prototypiques et réalisation entrainant la joie
315
quand pour mon dernier cours ð Énumération des points forts du cours et de sa mise en œuvre avec
de la journée j'ai retrouvé mes évaluation positive :
5emes excités à l'idée de *Des adjectifs positifs
présenter leurs projets finaux Mes prompts => clairs
sous forme de supports créés la participation générale => assez satisfaisante
par eux-mêmes (une carte Ma TE => beaucoup plus active et logique
d'identité) suivi d'une prise de *Des adverbes de degré : assez satisfaisante, au moins une fois
parole en continu. Ils étaient Superlatif : La meilleure de ma jeune carrière
très motivés et ceux qui ont eu Comparatif : « plus active et logique que lors de ma précédente séance »,
le temps de passer aujourd'hui « beaucoup plus à l’aise »
ont vraiment réussi ce projet ð Utilisation du lexique didactique approprié :
final. Prompts, TE active, prise de parole en continu, projet final
Ma joie passe par leur réussite ð Justification de arguments
et leur état d'esprit face à mes Expression de la cause avec des propositions introduites par la conjonction
cours. de coordination « car » :
« Le cours était mieux ficelé car travaillé en amont avec ma tutrice »
« la participation générale de la classe était assez satisfaisante car tous les
élèves ont participé au moins une fois »
ð Citation de la tutrice comme garante de la qualité de la préparation du cours
: « travaillé en amont avec ma tutrice ».
L’énoncé « J'ai pensé que cette séance était la meilleure de ma très jeune
carrière » est contrebalancé par « même si pas mal de choses sont encore à
améliorer et j'en ai conscience »
316
fait partie le tuteur. On constate qu’il n’y pas de différences significatives entre les cohortes,
comme en témoignent les pourcentages similaires.
C1 2016 43 PS C2 : 2017 50 PS
Partage des épisodes Nombre Partage des épisodes Nombre
% %
émotionnels d'occurrences émotionnels d'occurrences
OUI 322 53% OUI 280 52%
NON 280 47% NON 262 48%
Total 602 100% Total 602 100%
C3 : 2018 46 PS C4 : 2019 22 PS
Partage des épisodes Nombre Partage des épisodes Nombre
% %
émotionnels d'occurrences émotionnels d'occurrences
OUI 254 58% OUI 115 55%
NON 186 42% NON 93 45%
Total 602 100% Total 602 100%
Tableau 7.17. Le partage des émotions par les PS
Les épisodes émotionnels partagés sont forts et peuvent être considérés comme de « grandes
émotions », à la différence des « petites » émotions qui parsèment le quotidien sans le
marquer. À titre d’exemple, EnglishTeacher63210, PS de C1 écrit avoir ressenti de la colère
quand « un élève a jeté un claque-doigts dans [son] cours ». Cet épisode a perturbé son cours
et est inhabituel, ce qui peut expliquer qu’elle l’ait partagé « avec le professeur principal et les
autres professeurs de l'équipe ». En revanche, Bubble, PS de C2 n’a pas partagé la colère
ressentie quand ses élèves n’ont pas travaillé (« Colère : élèves qui n'ont pas travaillé »), alors
qu’elle a partagé sa peur avec son tuteur à l’occasion de l’événement « gros problème de
matériel ». Le deuxième épisode relayé par Bubble est vraisemblablement plus exceptionnel
que le premier, ce qui peut expliquer son partage.
En moyenne, plus de deux épisodes de colère sur trois (65,25%) sont partagés par les PS. Ils
sont généralement partagés à chaud, dans l’établissement avec les collègues.
C1 : 2016 43 PS C2 : 2017 50 PS
Partage des Nombre Partage des épisodes Nombre
% %
épisodes de colère d'occurrences de colère d'occurrences
OUI 97 63% OUI 75 60%
NON 56 37% NON 51 40%
Total 602 100% Total 602 100%
C3 : 2018 46 PS C4 : 2019 22 PS
Partage des Nombre Partage des épisodes Nombre
% %
épisodes de colère d'occurrences de colère d'occurrences
317
OUI 61 69% OUI 24 69%
NON 27 31% NON 11 31%
Total 88 100% Total 35 100%
Tableau 7.18. Le partage de la colère par les PS
On remarque dans le tableau suivant que le partage de la joie ne fait pas l’objet d’un consensus.
Moins d’un épisode de joie sur deux est partagé par les PS de C1 (44%) et les PS de C2 (48%).
En revanche les PS de C3 et C4 ont partagé un peu plus d’un épisode de joie sur deux, soit
respectivement 53 et 51% des épisodes vécus. Les PS partagent principalement leurs épisodes
émotionnels avec leurs collègues, tout comme ils le font pour les épisodes de colère. On note
que la joie est moins partagée que la colère, comme si les PS préféraient garder cette émotion
pour eux. Peut-être s’agit-il de modestie ou de pudeur et de la crainte d’être perçus comme
auto-satisfaits.
C1 : 2016 43 PS C2 : 2017 50 PS
Partage des Nombre Partage des épisodes Nombre
% %
épisodes de joie d'occurrences de joie d'occurrences
OUI 98 44% OUI 86 48%
NON 126 56% NON 93 52%
Total 224 100% Total 179 100%
C3 : 2018 46 PS C4 : 2019 22 PS
Partage des Nombre Partage des épisodes Nombre
% %
épisodes de joie d'occurrences de joie d'occurrences
OUI 79 53% OUI 37 51%
NON 69 47% NON 36 49%
Total 148 100% Total 73 100%
Tableau 7.19. Le partage de la joie par les PS
Synthèse et discussion 1
Les PS des quatre cohortes ressentent majoritairement des émotions à valence négative
au quotidien, et la colère arrive en tête de ces dernières. En revanche, elle n’est pas l’émotion
la plus fréquemment citée car elle est supplantée par la joie. Ces résultats corroborent ceux
mis en avant dans la revue de littérature de Sutton et Wheatley (2003), ainsi que ceux présentés
par Sutton, Mudrey-Camino et Knight (2009, p. 131), qui, pour les premiers, présentent la joie
et la colère comme les émotions les plus fréquentes chez les enseignants, et pour les
deuxièmes, soulignent la prévalence des émotions à valence négative au quotidien (cf. chapitre
4, paragraphe 4.2.6). Si la colère est le plus souvent déclenchée par le comportement inadapté
des élèves, elle provient également des doutes et questionnement que les PS nourrissent quant
à leur identité professionnelle, ce qui entérine les travaux des auteurs suivants :
318
Chercheurs Déclencheurs de la colère
Sutton & Wheatley (2003) Objectifs non atteints en raison de :
Sutton (2007); -difficulté de gestion de classe,
Shapiro (2009) -Comportement inadapté des élèves,
Sutton, Mudrey-Camino et Knight (2009) -violation des règles (dont écoute, ponctualité, etc.)
Cuisinier & Pons (2011)
Ayme, Ferrand et Cogérino (2011)
Hagenauer et Volet (2014)
Prosen, Smrnik Vitulic et Polsak Skraban (2014)
Saric (2015)
Petiot, Visioli et Debiens (2015)
Nias (1996) Conscience de ne pas bien enseigner
Ellsworth et Tong (2006)
Tableau 7.20. Les principaux déclencheurs de la colère : comportement inadapté des élèves et doute en sa
capacité à enseigner
Dans tous les cas, la colère est le fruit du décalage entre un script prototypique (représentation
mentale) élaboré par le PS et sa réalisation effective, c’est-à-dire lorsqu’un script avec une
visée positive (ex : script du « cours suffisamment bon », script du « prof stagiaire
suffisamment performant », « script des « bons élèves ») ne s’est pas réalisé « comme prévu »
et a donné lieu à une réalisation jugée négative (ex : « pas suffisamment bon », etc.). Les
situations déclenchant la joie sont moins tranchées, mais l’implication des élèves dans le cours
et le sentiment d’avoir fait un « cours suffisamment bon » arrivent en tête, ce qui corroborent
les résultats présentés par les chercheurs suivants :
Chercheurs Déclencheurs de la joie
Sutton et Wheatley, 2003 Bon comportement des élèves / bonne gestion de la
Petiot, Visioli et Debiens, 2015 classe
Plusieurs situations déclenchent la joie. Tout d’abord lorsqu’il y a adéquation entre le script
prototypique et la réalisation. Il n’y a alors pas de décalage – ou ce qu’on pourrait appeler
« décalage zéro ». En revanche, la joie peut survenir lorsqu’un décalage se produit, ce qui
correspond à deux types de situations. Le PS peut avoir une vision pessimiste de la situation
319
à venir (s’attendre à ce que cela se passe mal) et que celle-ci se passe finalement bien. C’est
souvent le cas chez les PS manquant de confiance en eux qui ne s’attendent pas à réussir ce
qu’ils entreprennent. Il y a alors un décalage entre le script – la méta-représentation – et la
réalisation. La joie peut également survenir lorsque le script élaboré est dépassé, ce qui signifie
que la réalisation va au-delà de ce qui été envisagé (cela se passe encore mieux que prévu).
Les analyses plus détaillées des épisodes de colère de Tybalt et de joie LeBron permettent
d’observer comment l’émotion se construit ainsi que l’impact que celle-ci a sur le discours –
ici écrit – des PS. Les PS ont partagé plus d’un épisode émotionnel sur deux, principalement
avec leurs collègues. Ils ont partagé plus des deux-tiers des épisodes de colère, en revanche
ils ont partagé moins d’un épisode de joie sur deux. S’ils ont partagé en moyenne 54,5% de
leurs émotions, on peut s’interroger sur la raison de l’absence de partage des 45,5%
d’émotions restantes. Peut-être s’agit-il d’émotions de moindre intensité ou de petites
émotions (Cosnier, 1994) pour lesquelles le besoin de partager ne s’est pas fait ressentir.
Pour finir, on peut s’interroger sur le déclencheur « comportement inadapté des élèves ».
Dans quelle mesure l’agitation, les bavardages, l’inattention des élèves, ne sont-ils pas en
partie liés aux difficultés didactiques et pédagogiques que les PS rencontrent à ce stade de leur
carrière ? Si le cours n’est pas bien structuré, les élèves perdent le fil conducteur et n’en
comprennent plus les objectifs. Ils finissent donc par s’agiter car ils s’ennuient. Cette
dimension doit donc être prise en compte lorsque ce déclencheur est convoqué.
320
On constate à nouveau que la joie et la colère sont les émotions les plus fréquemment citées
par les T1 des quatre cohortes, ce qui est cohérent avec les résultats des quatre cohortes de PS.
Le pourcentage d’occurrence de la joie varie entre 17% et 20%, avec une moyenne de 29%,
ce qui est similaire à la moyenne de 28% des PS. La colère, en deuxième position, représente
entre 14 et 19% selon les cohortes, soit une moyenne de 18%, ce qui est également proche du
pourcentage de 16,75% trouvé pour les PS.
Figure 7.2. Les six émotions les plus fréquemment citées par les T1 de C0, C1, C2 et C3
On pourrait s’attendre à ne plus trouver la peur dans le peloton de tête des émotions les plus
citées car ces enseignants sont maintenant titulaires. Or, ce n’est pas le cas. On retrouve la
peur en troisième position chez les T1 de C1 et de C2. Elle peut être liée à l’absence de suivi
des T1 qui se retrouvent maintenant seuls, sans tuteurs, pour assurer un service à plein temps
alors que leurs gestes professionnels ne sont pas encore assurés. C’est le cas de Nazha et de
Pierre-François, T1 de C2, qui ressentent pour le premier de l’« angoisse de reprendre les
cours le lundi en arrivant au collège », et le second de l’« appréhension avant d'entrer en
classe ». Camille, T1 de C1, écrit avoir « peur de ne pas être à la hauteur avec les Terminales
qui demandent beaucoup d'énergie ».
Figure 7.3. Ratios des émotions à valence négatives/positive/neutre des T1 des cohortes 0 à 3
321
Les émotions à valence négative sont majoritaires dans le quotidien des T1. Le ratio moyen
émotions à valence négative/émotions à valence positive est 57,25%, ce qui est proche des
59% observables chez les PS.
• Les T1 et la colère
T1 C0 2016 T1 C1 2017 T1 C2 2018 T1 C3 2019
6 participants, 47 réponses 11 participants, 75 réponses 6 participants, 33 réponses 8 participants, 23 réponses
Sur 58 émotions à valence Sur 80 émotions à valence Sur 43 émotions à valence Sur 28 émotions à valence
négative citées, les émotions négative citées, les émotions négative citées, les émotions négative citées, les émotions
parentes de la colère : parentes de la colère parentes de la colère parentes de la colère
Colère 18 Colère 28 Colère 12 Colère 9
Frustration 3 Frustration 5 Lassitude 2 Contrariété 1
Lassitude 3 Lassitude 1 Agacement 1
Impatience 1
TOTAL 25 TOTAL 34 TOTAL 15 TOTAL 10
représentent 43% des représentent 42,5% des émotions représentent 35% des émotions représentent 36% des émotions
émotions négatives citées négatives citées négatives citées négatives citées
Tableau 7.22. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des T1 et ratio.
Tout comme chez les PS, la colère et les émotions d’intensité moindre ou issues de mélanges,
représentent un pourcentage important des émotions à valence négative citées : 43% des
émotions des T1 de C0, et 42,5% pour les T1 de C1, et un peu plus d’un tiers pour les T1 de
C2 (35%) et C3 (36%), soit une moyenne de 39%. Ceci est assez proche des 34% des PS.
Les tableaux 7.23, recensent les déclencheurs de la colère, répartis selon un code couleur dont
voici la légende pour rappel :
322
Contexte politique & décisions
Échec des élèves 1 1
institutionnelles perturbant les habitudes
22 Retours négatifs 1
Matériel défaillant 1
32
Tout comme pour les PS, le comportement inadapté des élèves est la première cause de la
colère des T1. Dans les deux cas, son pourcentage d’occurrences est similaire (53,25% pour
les PS et 53% pour les T1). Malcolm Merlyn (C1), Nazha (C2), Charlie (C3) avaient répondu
au questionnaire lorsqu’ils étaient PS. Leurs réponses en tant que T1 ne montrent pas
d’évolution et attestent des mêmes difficultés : Malcolm Merlyn, C1 « Colère car les
Secondes sont très agitées en ce moment et j'ai perdu le contrôle d'un cours » ; Nazha, C2
« Deux cours de sixième où les élèves ont retourné la classe » ; Charlie, C3 : « La colère car
j'ai eu un cours très difficile avec des élèves qui ont passé l'heure à rigoler et se moquer de
moi quand je tournais le dos ».
Nous n’évoquerons pas les autres déclencheurs de colère des T1 car leur nombre
d’occurrences est faible, ce qui rend leur place dans le classement peu fiable.
• Les T1 et la joie
Nous n’entrerons pas dans le détail des émotions à valence positive ressenties dans le
quotidien des T1, nous nous intéresserons uniquement à la joie et aux quelques émotions qu’il
est possible de lui apparenter, présentes dans le tableau 7.24.
C0 2016 : 6 T1 C1 2017 : 11 T1 C2 2018 : 6 T1 C3 2019 : 8 T1
Sur 40 émotions à valence Sur 57 émotions à valence Sur 27 émotions à valence Sur 23 émotions à
positive citées, les émotions positive citées, les positive citées, les valence positive citées,
parentes de la joie : émotions parentes de la émotions parentes de la les émotions parentes de
joie : joie : la joie :
Joie 28 Joie 50 Joie 14 Joie 18
Satisfaction 5 Satisfaction 1 Fierté 2
Soulagement 1 Soulagement 1
323
TOTAL : 33 TOTAL : 52 TOTAL 17 TOTAL 18
représentent 82,5% des représentent 91,2% des représentent 63% des représentent 78,25% des
émotions à valence positive émotions à valence émotions à valence positive émotions à valence
citées positive citées citées positive citées
Tableau 7.24. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires et ratio
La joie est de loin l’émotion la plus citée. Les émotions de moindre intensité à l’instar de la
satisfaction, du soulagement et de la fierté sont plus marginales. Le pourcentage d’émotions
parentes de la joie est particulièrement élevé en C1 sans raison apparente. Ceci peut être dû à
la personnalité particulièrement enjouée des répondants (effet cohorte) ou à leur un manque
de granularité émotionnelle. Ces derniers ont alors pu massivement cocher « joie » (50
occurrences sur 57 émotions à valence positive), ne sachant comment définir leur ressenti
agréable.
Les tableaux 7.25, recense les déclencheurs de la joie, répartis selon un code couleur dont
voici la légende :
324
T1 C2 - 2016 : 6 participants 47 réponses T1 C3 - 2019 : 11 participants 75 réponses
Nombre Nombre
Ensemble des déclencheurs de la joie Ensemble des déclencheurs de la joie
d'occurrences d'occurrences
Implication des élèves 7 Implication des élèves 11
"Bon cours" 6 "Bon cours" 4
Connivence avec les élèves 3 Conscience de sa posture d'enseignant 2
Réussite des élèves 2 Reconnaissance des élèves 2
Partage en formation 1 Gestion performante de l'imprévu 1
19 Retours positifs 1
Réussite des élèves 1
Connivence avec les élèves 1
23
Tableaux 7.25. Les déclencheurs de la joie chez les T1
Tout comme pour les PS, on ne trouve pas de consensus autour d’un élément déclencheur de
la joie. Les réponses apportées par chaque cohorte ne montrent pas non plus de déclencheur
particulièrement saillant. On remarque cependant que le « bon cours » et l’« implication des
élèves » arrivent en premières places en C0, C2 et C3. En C1, le « bon cours » arrive en
première position. Ceci corrobore les résultats des PS.
Les T2
Les T2 font partie du continuum de formation de cette recherche. À ce stade les
enseignants sont titulaires pour la deuxième année, ils ont dépassé le stade de la découverte et
commencent à prendre leurs marques dans les établissements. On pourrait donc s’attendre à
constater une évolution dans les résultats.
Les répondants de T2 ont été peu nombreux. Tous répondent au questionnaire pour la
deuxième année, voire la troisième pour les enseignants de C1 et C2 (cf. tableau 7.28), ce qui
peut expliquer l’érosion du nombre de participants. Parmi les abandons, certains peuvent avoir
éprouvé une certaine lassitude et d’autres peuvent avoir quitté l’académie de Créteil.
Les tableaux 7.27 ci-dessous montre que les émotions les plus ressenties au quotidien par les
T2 sont identiques à celles citées par les PS et les T1. Il s’agit de la joie et de la colère,
présentes chez les T2 dans des proportions similaires à celles des T1 et des PS. La joie
325
représente 28,5% du total des émotions T2, 29% chez les T1 et 28% chez les PS. Quant à la
colère, elle représente 17% des total des émotions des T2, 18% chez les T1 et 16,75% chez
les PS.
T2 C0 2017, T2 C1 2018, T2 C2 2019,
6 participants, 53 réponses 8 participants, 34 réponses 3 participants, 19 réponses
Émotions Nb /108 % Émotions Nb /79 % Émotions Nb /39
Joie 31 29% Joie 20 25% Joie 13
Colère 18 17% Colère 14 18% Colère 6
Culpabilité 6 6% Surprise 8 10% Surprise 6
Satisfaction 6 6% Tristesse 6 8% Sérénité 2
Peur 5 5% Culpabilité 6 8% Fatigue 2
Surprise 5 5% Honte 6 8% Tristesse 2
Tableaux 7.27. Les six émotions les plus fréquemment citées par les T2 de C0, C1 et C2
Figure 7.4. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des T2 des cohortes 0 à 2
Les résultats de C2 montrent un ratio égal entre les émotions à valence négative et les émotions
à valence positive, mais il n’est pas possible d’exploiter cette donnée peu significative. En
effet, ces résultats s’appuient sur un nombre très limité de réponses, notamment pour les T2
de C1 (79 émotions citées) et surtout pour ceux de C2 (39 émotions citées). Ils permettent
uniquement de renforcer les tendances observées avec les T1 et les PS, c’est-à-dire la place
de la joie et de la colère dans le quotidien des enseignants du continuum PS-T1-T2, et ne sont
pas significatifs et donc pas exploitables au-delà de cette information.
326
• Les T2 et la colère
T2 C0 2017 T2 C1 2018 T1 C2 2019
6 participants, 53 réponses 8 participants, 34 réponses 3 participants, 19 réponses
Sur 63 émotions à valence négative Sur 49 émotions à valence négative Sur 19 émotions à valence négative
citées, les émotions parentes de la colère : citées, les émotions parentes de la colère citées, les émotions parentes de la colère
Colère 18 Colère 14 Colère 6
Agacement 4 Frustration 2 Agacement 1
Lassitude 3
Exaspération 2
Frustration 1
TOTAL 28 TOTAL 16 TOTAL 7
représentent 44,4% des émotions représentent 1/3 des émotions négatives représentent plus du 1/3 des émotions
négatives citées citées négatives citées
Tableau 7.28. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des T2 et ratio.
Dans les trois cohortes, la colère et les émotions qui s’y apparentent représentent plus du tiers
des émotions à valence négative citées. La colère est déclenchée par le comportement
inadapté des élèves, ce qui corrobore les résultats trouvés pour les PS et les T1. L’absence
d’implication des élèves arrive en deuxième position, comme chez les PS et les T1.
Rappel du code couleur :
327
• Les T2 et la joie
Comme pour les T1, nous ne ferons pas d’analyse détaillée des émotions à valence positive
ressenties au quotidien par les T2, nous nous intéresserons uniquement à la joie, et aux
émotions de son registre, que l’on retrouve dans le tableau 7.30.
Ces émotions émergent dans les situations suivantes présentées dans le tableau ci-après :
328
T2 C2 : 2019, 3 participants 19 réponses
Nombre
Ensemble des déclencheurs de la joie
d'occurrences
"Bon cours" 5
Implication des élèves 5
Contexte politique & décisions
institutionnelles améliorant les habitudes 2
Reconnaissance des élèves 2
Réussite des élèves 1
Connivence avec les élèves 1
Comportement adapté des élèves 1
17
Tableaux 7.31. Les déclencheurs de la joie chez les T2
On peut l’analyser selon la méthode initiée par Plantin. Le script rompu est celui de l’« élève
de 6ème ». Celui-ci correspond à celui du « bon élève » (le « bon élève » se comporte bien en
classe. Il écoute l’enseignant et il s’investit en classe. Il fait le travail demandé en classe et à
la maison ») auquel on peut ajouter la spontanéité du jeune âge (« petits 6èmes ») et la docilité
(« pourtant assez craintifs face à l'autorité »). La réalité vécue par le T1 ne correspond pas au
script prototypique ce qui explique la colère – voire l’indignation – de Rupert : « alors où va-
t-on ?! »). La colère est nommée explicitement. Elle est jouée linguistiquement par la question
rhétorique « Si l'on ne peut plus compter sur les petits 6èmes pourtant assez craintifs face à
l'autorité, alors où va-t-on ?! » et paralinguistiquement par la succession du point
d’interrogation et du point d’exclamation. La colère est argumentée. Rupert décrit ce qu’il
329
entend par « relativement pénible » en faisant une énumération des manquements (« bavarde,
passive, travail non fait ») qui contrarient le « script de l’élève de 6ème ».
Ici plusieurs scripts sont contrariés : le « bon élève », le « cours d’anglais suffisamment bon»
et le « prof suffisamment performant ». L’émotion « colère » est citée. Le diagnostic
empathique permet de la reconstituer, notamment grâce au crescendo « bredouille »,
« s’empêtre », et « a l’air bête » conduit à « raison de rigoler ! ». On comprend les élèves qui,
au début, ne prenaient pas le contenu du cours au sérieux, finissent par ne pas prendre
l’enseignant au sérieux, ce qui renforce la colère. L’émotion est jouée linguistiquement avec
le crescendo « bredouille », « s’empêtre », et « a l’air bête » « raison de rigoler ! » et
paralinguistiquement avec le point d’exclamation à la fin de la parenthèse. L’usage du pronom
« on », à la place de « je » utilisé en amont permet cependant à Wayne Longer de prendre de
la distance avec la situation racontée. La colère est argumentée : les élèves dont le
comportement avait visiblement évolué positivement, rechutent et « se remettent à bavarder,
à ne rien prendre au sérieux », à être « usants ». Les scripts sont donc rompus ce qui engendre
la colère. Celle-ci a un impact sur le discours de Wayne Longer : « à m'en faire perdre mon
anglais/français quand je parle ». On comprend qu’il doit alors avoir recours à l’alternance
codique et faire des erreurs. Ceci l’amène à « bredouiller » et à « s’empêtrer » dans ses
explications. Le script du « prof suffisamment bon » en contrôle de ses classes est donc rompu.
Seuls les T1 de C0 ont partagé plus d’un épisode émotionnel vécu sur deux, soit 57%, et l’ont
principalement fait avec leurs conjoints. Ils ont davantage partagé la colère (11 épisodes sur
18 épisodes de colère rapportés) que la joie (et 19 de joie sur 32 épisodes de joie rapportés).
• Le cas des T2
À l’instar des T1 ; les T2 ont peu partagé leurs émotions (44,3% en moyenne).
T2 C0- 2017 T2 C1- 2018 T2 C2- 2019
6 participants, 53 réponses 8 participants, 34 réponses 3 participants, 19 réponses
Partage des Partage des Partage des
Nombre Nombre Nombre
épisodes % épisodes % épisodes %
d'occurrences d'occurrences d'occurrences
émotionnels émotionnels émotionnels
OUI 55 53% OUI 38 56% OUI 9 24%
NON 49 47% NON 30 44% NON 29 76%
Total 104 100% Total 68 100% Total 38 100%
Tableau 7.33. Partage des épisodes émotionnels cités par les T2
On observe des résultats cohérents pour les répondants T2 de C1 qui partageaient plus d’une
fois sur deux les épisodes émotionnels vécus lorsqu’ils étaient T1 et le font toujours dans des
proportions similaires. En revanche, ce n’est pas le cas pour les participants T2 de C1 qui
332
partagent davantage les épisodes émotionnels vécus en tant que T2 que lorsqu’ils étaient T1.
Dans la mesure où les répondants sont peu nombreux, il n’est pas possible d’interpréter ces
résultats qui peuvent relever du hasard des circonstances.
Tableau 7.34. Ratios des émotions à valence négative / positive / neutre des T3 de C1
La joie et la colère sont toujours de loin les deux émotions les plus citées.
La colère et les émotions qui lui sont associées (énervement, lassitude) représentent 40% des
émotions à valence négative. On pourrait s’attendre à trouver le « comportement inadapté
des élèves » en première place des déclencheurs de la colère, comme cela a été le cas dans les
résultats présentés précédemment, mais ce n’est pas le cas. En 2019 la grogne contre la
réforme du lycée a été telle que l’« absence d’aide et de soutien entre collègues et par la
333
direction» et le « contexte politique & décisions institutionnelles perturbant les
habitudes » sont les principales causes de la colère des T3. On peut imaginer que les
enseignants ont été en désaccord entre eux et avec leurs équipes de direction. Les facteurs
conjoncturels peuvent donc avoir un fort impact sur les émotions des enseignants.
La joie est essentiellement déclenchée par l’implication et la réussite des élèves.
Ensemble des déclencheurs de la colère Nombre Ensemble des déclencheurs de la joie Nombre
Absence d'aide et de soutien direction/
4 Implication des élèves 8
collègues
Contexte politique & décisions
2 Réussite des élèves 5
institutionnelles perturbant les habitudes
Comportement inadapté 2 "Bon cours" 4
"Mauvais cours" 2 Conscience de sa posture d'enseignant 4
Conscience de ses difficultés & erreurs 2 Partage avec les collègues 3
Surcharge de travail 1 Connivence avec les élèves 2
Violence entre élèves 1 Reconnaissance des élèves 2
Événements privés contribuant à la réussite
Doutes ou questionnement 1 1
de l'agir
Renoncement 1 Retours positifs 1
16 Charge de travail normale 1
31
Tableaux 7.36. Les déclencheurs de la colère et de la joie
Les T3 ont partagé 55 épisodes émotionnels sur 64, ce qui représente le plus haut pourcentage
de l’ensemble des questionnaires analysés. Il est cependant impossible de tirer des conclusions
car nous disposons ici uniquement des résultats d’une seule cohorte, et les réponses ont été
peu nombreuses. On peut toutefois s’interroger sur le lien entre partage des émotions et
contexte social difficile.
Synthèse et discussion 2
L’analyse des questionnaires des T1, T2 et T3 montrent de très fortes similitudes entre
les résultats obtenus. Ces résultats corroborent les tendances mises en avant par l’étude des
questionnaires des PS. Durant le continuum PS–T1–T2, auquel on peut ajouter les T3, la joie
est l’émotion la plus citée, puis la colère vient en deuxième position. Les émotions à valence
négative sont majoritaires au quotidien mais l’analyse des résultats de l’ensemble des
334
questionnaires montrent que leur taux décroît sensiblement entre l’année de formation initiale
et l’année de T3.
Figure 7.5. Évolution du pourcentage des émotions à valence négative sur 4 ans
La colère est globalement toujours en lien avec le comportement inadapté des élèves en classe
et avec les difficultés que les enseignants novices rencontrent pour construire et asseoir leur
identité professionnelle. La différence majeure entre les PS et les T1, T2 et T3 est la survenue
de la titularisation, la fin du statut précaire de stagiaire, année durant laquelle ils étaient moitié
étudiants et moitié enseignants. Ce statut précaire pourrait expliquer pourquoi les PS partagent
davantage leurs émotions (54,5%) que leurs collègues titulaires (T1 43%, T2 44,3%). Si la
titularisation est synonyme de soulagement et d’autonomie, elle sous-entend aussi la fin de
l’accompagnement – certes parfois pesant pour eux mais aussi rassurant – dont ils
bénéficiaient durant la formation initiale. En effet, en tant que stagiaires, les enseignants ont
un tuteur tant à l’ESPE qu’en établissement, ils sont accompagnés par l’équipe de direction
de leur collège ou lycée, et par la plupart de leurs collègues qui, conscients de leur statut de
débutants, n’hésitent pas à les conseiller et à les aider (Loveuz77, C1 : « La joie, car j'ai
beaucoup discuté avec une collègue aujourd'hui à l'heure du repas qui m'a donné beaucoup
de conseils » ; « La joie, car lorsque j'ai des problèmes avec les élèves mes collègues sont
derrière moi et m'épaulent beaucoup »). En revanche, dès lors qu’ils sont titularisés, ils
deviennent des enseignants ordinaires et perdent ce cocon rassurant. S’ensuivent des relations
parfois compliquées avec des collègues peu coopératifs qui ne font pas d’efforts particuliers
pour leurs pairs en début de carrière, à l’instar de la collègue de Camille T3 de C1 :
335
Ma co-enseignante pour l'ETLV139 est encore absente et elle ne prend même pas la peine
de prévenir et je me tape tout le travail, nous n'avons fait qu'un cours ensemble et j'avais
déjà tout préparé pour l'occasion. ;
Une fois de plus, ma collègue de sciences éco était absente : absente à la réunion du
matin à Montreuil et elle est arrivée avec 20 minutes de retard au cours alors que j'avais
déjà tout commencé et que les élèves qui ont du mal à se concentrer en ont profité pour
se distraire. Je ne veux pas lui poser de problème mais je fais comment moi ?
La situation n’est donc pas confortable, ce qui peut expliquer la persistance d’un fort taux
d’émotions à valence négative au quotidien. Tout au long du continuum PS–T1–T2 (–T3), les
enseignants rencontrent donc des difficultés similaires et ressentent de la colère ou des
émotions qui lui sont apparentées. Ils ressentent également de la joie déclenchée
essentiellement par l’implication ou la réussite de leurs élèves, mais aussi par le constat de
leurs propres réussites (« bon cours », conscience de sa posture d’enseignant). On constate
également que le partage des épisodes émotionnels baisse une fois les enseignants titularisés
(PS : 54%, T1 43%, T2 44,3%), en dépit de la violence de certaines situations relatées dans
les questionnaires. Il est possible que ce manque de partage contribue à leur isolement et à
leur mal-être et on peut s’interroger sur sa raison. Ceci rejoint le questionnement de Barrère
(2002) qui s’interroge sur ce qui amène les enseignants à s’isoler et à ne pas travailler en
équipe. Une fois titularisés les enseignants ont-ils peur de partager leurs réussites et leurs
failles ?
Dans quelle mesure ces résultats sont-ils uniquement caractéristiques des enseignants
novices ? Qu’en est-il des enseignants plus expérimentés ?
139
Enseignement technologique en langue vivante. L’ETLV est une des nouveautés apportées lors de la
réforme du lycée pour les séries STL, STD2A et STI2D. https://eduscol.education.fr/sti/enseignements-langue-
technique/enseignement-technologique-en-langue-vivante-etlv
336
Les T5+
En 2016 et 2019 les questionnaires ont été remplis par des enseignants différents,
comme en attestent les pseudonymes utilisés140. 67 réponses ont été enregistrées en 2016 et
50 en 2019.
Les tableaux suivants présentent les six émotions les plus citées par les T5+. On constate que
la joie et la colère arrivent toujours en tête, dans les mêmes proportions que pour les PS, les
T1, les T2 et les T3. Ces émotions sont suivies par la surprise, puis par la culpabilité et la
tristesse.
T5+ 2016 : 11 participants, 67 réponses T5+ 2019 : 11participants, 50 réponses
Émotions Nb /145 % Émotions Nb /114 %
Joie 40 28% Joie 32 28%
Colère 19 13% Colère 22 19%
Surprise 14 10% Surprise 11 10%
Tristesse 13 9% Culpabilité 10 9%
Culpabilité 9 6% Tristesse 6 5%
Satisfaction 8 6% Déception 6 5%
Tableau 7.37. Les six émotions les plus citées par les T5+ de 2016 et 2019
Les émotions à valence négative sont majoritaires au quotidien des T5+ et représentent 55,5%
des émotions ressenties (figure 7.6), ce qui laisse entrevoir une légère baisse par rapport au
continuum PS-T1-T2-T3 (figure 7.7)
140
Il était demandé aux enseignants d’utiliser le même pseudonyme année après année pour faciliter la
comparaison des données recueillies.
337
Figure 7.7. Évolution du pourcentage des émotions à valence négative sur 4 ans
Ces émotions sont principalement déclenchées par le comportement inadapté des élèves
(bavardages, insolence, etc.), tout comme pour les enseignants novices.
• Les T5+ et la colère
Tableau 7.38. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des T5+ et
ratio.
Tout comme pour les enseignants du continuum PS-T1-T2-T3, la colère et les émotions de
plus ou moindre intensité ou issues de mélanges, représentent environ un tiers des émotions à
valence négative citées, soit 31% pour les T5+ de 2016, et 39% pour les T5+ de 2019.
Le tableau 7.39 recense les déclencheurs de la colère, répartis selon le code couleur suivant :
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
Une fois de plus, la colère des enseignants est déclenchée par le comportement inadapté des
élèves, comme en atteste la citation de K9291, T5+ (2019) : « J’ai ressenti la colère parce
que j’ai un élève en très grande difficulté qu’il faut reprendre tout le temps et c’est exaspérant.
Il ne sait pas se tenir en classe, ne connaît pas les règles de vie de base et ne comprend pas
grand-chose. Après lui avoir répété plusieurs fois ce qu’il devait faire et qu’il ne se balance
pas, il a continué à se balancer et ne pas travailler ».
Les autres déclencheurs de la colère représentent un nombre d’occurrences moins significatif,
nous ne les évoquerons donc pas.
• Les T5+ et la joie
T5+ (2016) T5+ (2019)
11 participants, 67 réponses 11 participants, 50 réponses
Sur 61 émotions à valence positive Sur 44 émotions à valence positive
citées, les émotions parentes de la joie : citées, les émotions parentes de la joie :
Joie 40 Joie 32
Satisfaction 8 Amusement 2
Fierté 2 Satisfaction 1
Contentement 1 Fierté 1
Gaieté 1
TOTAL 52 TOTAL 36
représentent 85,25% des émotions à représentent 82% des émotions à
valence positive citées valence positive citées
Tableau 7.40. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires des T5+ et ratio.
339
T5+ (2016) : 11 participants, 67 réponses T5+ (2019) : 11 participants, 50 réponses
Ensemble des déclencheurs Nombre Ensemble des déclencheurs Nombre
de la joie d'occurrences de la joie d'occurrences
Implication des élèves 15 Implication des élèves 12
"Bon cours" 11 Réussite des élèves 6
Connivence avec les élèves 8 "Bon cours" 5
Conscience de sa posture
Partage avec les collègues 4 4
d'enseignant
Réussite des élèves 2 Connivence avec les élèves 3
Conscience de sa posture
1 Comportement adapté 3
d'enseignant
Travail accompli 1 Partage 2
Retours positifs 1 Reconnaissance 2
Événements privés
43 contribuant à l'agir (ou sans 1
lien avec l'agir)
38
Tableau 7.41. Les déclencheurs de la joie des T5+
Une fois encore, les résultats des T5+ corroborent ceux du continuum PS-T1-T2-T3, et
l’implication des élèves est le premier déclencheur de joie. Bones, T5 (2016) ressent de la
joie en voyant ses élèves montrer leur désir de participer au cours : « Voir toutes ces mains
levées, quelle joie ! ». K9291 (2016) ressent de la joie car ses élèves se sont impliqués dans
sa séance : « J’ai amené les élèves en salle info pour un escape game. Ils ont adoré et tous été
impliqués et motivés ».
141
On ne mentionnera pas ici les scripts du « prof suffisamment performant » et du « cours suffisamment bon »
mais plutôt les scripts plus ambitieux du « bon prof » et du « bon cours » car les enseignants T5+ sont
expérimentés et ont pris de l’assurance.
340
la République » à partir de la citation de Cyncoed : c’est l’école de l’égalité des chances, avec
des classes présentant des conditions de travail optimales, des enseignants et une équipe de
direction disponibles pour tous les élèves. Les élèves ne sont pas exclus car l’équipe parvient
à les « raccrocher » lorsqu’ils sont en difficulté). Ce script, qui correspond à l’idéal de
Cyncoed est rompu, ce qui déclenche sa colère :
Colère vis-à-vis d'un élève qui va avoir un conseil de discipline ce jeudi. On a tout fait
pour cet élève pour qu'il "raccroche", pour qu'il suive, pour le garder au sein de
l'établissement. Il ne veut pas d'aide, ne veut pas se mettre au travail, se saborde. Il
avait été placé dans une classe où les conditions de travail étaient optimales. Longs
entretiens avec le PP, la direction, l'équipe des professeurs pour de l'aide ponctuelle,
etc... Rien n'y a fait. Les parents sont présents et se plient en 4. C'est rageant. Qu'il n'y
ait pas de "retour sur investissement" au temps passé est une chose. Bien souvent, on
sème des graines et on ne voit jamais les plants. C'est comme cela. Cela fait partie du
métier. Mais le plus rageant, c'est que parfois, on ne peut pas arrêter un gamin qui a
décidé "d'aller dans le mur". On voudrait le leur éviter, mais parfois, rien à faire, c'est
la trajectoire qu'ils ont choisie et ils doivent en passer par cette case. C'est limite
effrayant ! Il y a de fortes chances qu'il soit exclu. Je lui souhaite de repartir à zéro
ailleurs (peut-être est-ce ce qu'il voulait).
Dans cet extrait la colère est nommée explicitement. On note également deux mentions de
« rage », émotion d’intensité supérieure : « Les parents sont présents et se plient en 4. C'est
rageant » et « Mais le plus rageant, c'est que parfois, on ne peut pas arrêter un gamin qui a
décidé "d'aller dans le mur" » et la présence du registre de la peur :« C'est limite effrayant! ».
L’enseignante est en colère, elle rage, et elle est effrayée face au comportement de cet élève.
Il est cependant important de préciser que « rageant » et « effrayant » peuvent avoir une part
métaphorique, ce qui pourrait alors limiter ici la thèse d’un crescendo émotionnel.
Selon Plantin (2011, p. 235), « le déclenchement de la colère implique la mise en jeu d’un
intérêt », et « le [non-]respect des normes sociales » (Cosnier, 1994, p. 35 cité dans Plantin,
2011, p. 235). Ici, pour l’enseignante, l’élève empêche l’institution dont elle fait partie
d’accomplir sa mission. L’émotion est jouée linguistiquement et paralinguistiquement. On
part de la colère pour aller vers la rage. On trouve un long énoncé avec trois propositions
subordonnées introduites par « pour » : « On a tout fait pour cet élève pour qu'il "raccroche",
pour qu'il suive, pour le garder au sein de l'établissement », puis un énoncé contenant trois
propositions principales séparées par des virgules : « Il ne veut pas d'aide, ne veut pas se
mettre au travail, se saborde ». La répétition de « ne veut pas », l’ellipse du sujet dans les
propositions 2 et 3, les répétitions de « pour » dans la phrase précédente, ainsi que la phrase
nominale « Longs entretiens avec le PP, la direction, l'équipe des professeurs pour de l'aide
341
ponctuelle, etc... » donnent du rythme à l’ensemble, et une impression de martèlement. Ceci
contribue à accentuer l’effet d’accumulation d’efforts vains (« rien n’y a fait ») et donc à un
crescendo de la colère qui débouche ainsi sur de la rage (« c’est rageant »). Ici le discours
contribue à nourrir la colère. Puis on entrevoit le décours de l’émotion et la colère semble
laisser place à de la résignation : « C'est comme cela. Cela fait partie du métier », « rien à
faire », « (peut-être est-ce ce qu'il voulait) », en dépit de résurgences d’émotions fortes « Mais
le plus rageant » « C'est limite effrayant ! » accompagnées d’expressions témoignant de la
violence de la situation « un gamin qui a décidé "d'aller dans le mur" ».
La colère de Cyncoed est justifiée par l’amont. Elle énumère toutes les actions mises en place
par les différents acteurs institutionnels ainsi que par les parents de l’élève et qui ont échoué
« On a tout fait pour cet élève pour qu'il "raccroche", pour qu'il suive, pour le garder au sein
de l'établissement. Il ne veut pas d'aide, ne veut pas se mettre au travail, se saborde. Il avait
été placé dans une classe où les conditions de travail étaient optimales. Longs entretiens avec
le PP, la direction, l'équipe des professeurs pour de l'aide ponctuelle, etc...(sic) ». « Les
parents sont présents et se plient en 4. ». L’énoncé « Rien n’y a fait » indique le rejet de l’aide
et la transgression. Il déclenche la colère. « C'est comme cela. Cela fait partie du métier » est
un pivot dans cet énoncé et amorce le début de la résignation de l’enseignante qui débouche
sur l’expression de la fatalité : « On voudrait le leur éviter, mais parfois, rien à faire, c'est la
trajectoire qu'ils ont choisie et ils doivent en passer par cette case », « Je lui souhaite de
repartir à zéro ailleurs (peut-être est-ce ce qu'il voulait) ».
Dans l’extrait suivant, KB, T5+ de 2019, exprime sa joie. Celle-ci est déclenchée par le
dépassement du script du « bon élève » et du « bon cours d’anglais »142.
Un groupe de TL LVA143 qui avait été “beyond my expectations” en effectuant des
recherches sur la guerre du Vietnam... à partir d’un document ils ont fait le cours, je
n’ai été que le maître d’orchestre...
142
Ces deux scripts sont décrits en 6.1.4.3.
143
Dès la seconde, chaque élève doit choisir deux langues vivantes obligatoires (LVA et LVB), à raison de 5
h 30 hebdomadaires en seconde, 4 h 30 dans le cycle terminal de la voie générale et 4 h (dont 1 h d'enseignement
technologique en langue vivante - ETLV) dans la voie technologique. Il peut aussi choisir une langue vivante
optionnelle (LVC), à raison de 3 h par semaine. La LVA est obligatoirement une langue vivante étrangère. Au
titre de la LVB et de la LVC, il est possible de prendre une langue étrangère ou une langue régionale.
https://eduscol.education.fr/880/les-modalites-d-evaluation-de-langues-vivantes-aux-baccalaureats-general-et-
technologique
342
La joie n’est pas nommée explicitement dans le passage, mais elle a été cochée dans le
questionnaire. On peut la reconstituer grâce au diagnostic empathique : les élèves ont fait leur
travail au-delà des attentes, ils ont pris le cours en charge et KB a pu se mettre en retrait, en
position d’étayage (Bruner, 2015), ce qui n’était pas prévu. La joie n’est pas linguistiquement
et paralinguistiquement jouée. À la place d’un simple point ou d’un point d’exclamation
exprimant la joie, on trouve deux occurrences de points de suspension. Selon Séoane (2019,
p. 11), « Les points de suspension ne sont pas simplement des marqueurs syntaxiques, mais
pleinement discursifs, au sens où ils participent à la mise en scène discursive entreprise par le
locuteur. Ils démontrent que non énoncer un dire, n’équivaut pas à renoncer à dire... ». Les
premiers points suspensifs « en effectuant des recherches sur la guerre du Vietnam... à partir
d’un document ils ont fait le cours » interviennent en milieu d’énoncé, mais ne signalent pas
pour autant un « un clivage dans la discursivité » (Séoane, 2019). Ils signalent que l’énoncé
est inachevé et auraient pu être remplacé par « etc. ». En revanche « je n’ai été que le maître
d’orchestre... » renvoie davantage à une invitation à l’inférence. Seoane (2019) précise que
« grâce à un élan interdiscursif et interlocutif, [les points de suspension] ouvrent alors un
nouvel espace énonciatif (qu’il appartient au lecteur de reconstruire par inférence) ». Ici KB
invite le lecteur à accéder à son ressenti subtilement, sans le nommer, car il lui apparaît comme
une évidence. Seoane (2019) écrit « Les points de suspension constituent ainsi des dispositifs
qui montrent que le discours reste inachevé et requiert justement une intersubjectivité́ pour
co-élaborer ce discours » (p. 5). La joie est argumentée : « en effectuant des recherches sur la
guerre du Vietnam... à partir d’un document ils ont fait le cours, je n’ai été que le maître
d’orchestre... » : non seulement les élèves ont fait le travail prévu, mais ils sont allés au-delà,
« beyond my expectations », ce qui a permis à KB de simplement « orchestrer » le cours, au
lieu de le guider de façon dirigiste et frontale. Les élèves se sont comportés en « bons élèves »
et ont permis au cours d’anglais d’être meilleur que le « bon cours d’anglais » prévu. Les
scripts du bon élève et du bon cours d’anglais ont été dépassés, comme en atteste l’incise en
anglais « beyond my expectations », ce qui a engendré la joie.
343
• Les T5+ et le partage des émotions
Les T5+ partagent un peu plus d’un épisode émotionnel sur deux, soit 51% pour les T5+ de
2016 et 53% pour les T5+ du 2019, soit une moyenne de 52%. Ce pourcentage est inférieur
mais assez proche de celui des PS qui est de 54,5%. Il est en revanche supérieur à celui des
T1 (43%) et des T2 (44,5%). Cependant il est difficile de savoir si ces pourcentages sont
significatifs car le nombre de participants est faible à chaque fois.
Quand ils partagent leurs émotions, les T5+ le font principalement avec leurs collègues, tout
comme les enseignants du continuum PS-T1-T2.
Les Experts
Le questionnaire a été soumis à des enseignants reconnus pour leur expertise
professionnelle par l’institution (désormais EXPERTS) en 2016 et 2019. Ces enseignants ont
tous une expérience conséquente de l’enseignement avec plus de quinze ans de carrière et sont
ou ont été tuteurs de PS. Soixante-quinze réponses ont été collectées en 2016 et cinquante en
2019.
Une fois de plus, les résultats correspondent à ceux présentés précédemment.
EXPERTS 2016 : 9 participants, 75 réponses EXPERTS 2019 : 9 participants, 60 réponses
Émotions Nb /163 % Émotions Nb /113 %
Joie 47 29% Joie 39 35%
Colère 34 21% Colère 22 21%
Surprise 17 10% Surprise 12 11%
Culpabilité 14 9% Tristesse 6 5%
Peur 9 6% Satisfaction 4 4%
Tristesse 6 4% Fatigue 4 4%
Tableau 7.42. Les six émotions les plus citées par les EXPERTS 2016 et 2019
La joie et la colère arrivent en tête des émotions les plus ressenties au quotidien par les
EXPERTS qui vivent un large panel d’émotions, à l’instar de leurs pairs moins expérimentés.
Ceci peut paraître surprenant. En effet, on pourrait penser que les EXPERTS ont un savoir-
faire professionnel suffisant pour pouvoir davantage prendre du recul sur leurs émotions et
donc faire émerger un nombre plus important d’émotions à valence positive, mais ce n’est pas
le cas. La colère représente 21% de l’ensemble des émotions citées, quand elle représente
16,75% des émotions des PS, 18% des T1, 17 des T1 et 16% des T5.
Tout comme les enseignants novices et les T5+, les EXPERTS ressentent majoritairement des
émotions à valence négative au quotidien. Toutefois, les pourcentages des deux cohortes sont
contrastés.
344
Figure 7.8. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des EXPERTS 2016 et 2019
Tableau 7.43. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des EXPERTS
2016 et 2019 et ratio.
La colère représente 45,5%, donc près de la moitié des émotions à valence négative citées par
les EXPERTS, ce qui est supérieur aux résultats trouvés pour les enseignants novices PS et
les T5+, pour lesquels la colère représente un tiers des émotions à valence négative.
Tout comme pour les enseignants novices et les T5+, la colère est déclenchée par le
comportement inadapté des élèves. On constate également que l’absence d’implication des
345
élèves et le sentiment d’avoir fait un « mauvais cours » font partie des causes principales de
la colère, tout comme chez les enseignants du continuum PS-T1-T2 et les T5+.
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
Épisodes émotionnels en lien avec l’établissement (collègues, parents d’élèves, direction) ou l’institution
Les mouvements sociaux et la réforme du lycée ont un impact plutôt marginal sur les réponses
des EXPERTS. Seule Isa DG y fait référence : « Colère : quand on a parlé des futurs E3C144
144
E3C : Épreuves Communes de Contrôle Continu
346
en salle des profs, toujours pas de grille d'évals, comment, quand va t on corriger ? Surplus
de travail »
• Les experts et la joie
EXPERTS (2016) EXPERTS (2019)
9 participants, 75 réponses 9 participants, 60 réponses
« Sur 64 émotions à valence positive citées, les Sur 52 émotions à valence positive citées, les émotions
émotions parentes de la joie : parentes de la joie :
Joie 47 73% Joie 39 75%
Soulagement 2 3% Satisfaction 4 8%
Amusement 1 2% Amusement 1 2%
Satisfaction 1 2%
Fierté 1 2%
Total 52 82% TOTAL 44 85%
représentent 82% des émotions à valence positive représentent 85% des émotions à valence positive
citées citées
Tableau 7.45. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires des EXPERTS et
ratio
La joie des EXPERTS est essentiellement déclenchée par les élèves, et plus précisément par
leur implication dans les cours et leur réussite. Le sentiment d’avoir donné un « bon cours »
arrive ensuite.
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
347
53 49
Tableau 7.46. Les déclencheurs de la joie des EXPERTS 2016 et 2019
Les déclencheurs de la joie, tout comme ceux de la colère, correspondent à ceux des
enseignants novices et des T5+.
Les EXPERTS de 2016 en partagent un peu plus d’un tiers et la colère représente 61% des
épisodes partagés. Les EXPERTS 2019 ont partagé un peu plus d’un épisode émotionnel sur
deux. La différence de résultats entre les deux cohortes s’explique par le fait qu’en raison du
contexte social, les EXPERTS 2019 ont ressenti beaucoup plus de colère que leurs
homologues de 2016. Ils ont partagé 18 épisodes de colère sur les 26 cités.
Synthèse et discussion 3
Quelle que soit l’étape de leur carrière, la joie et la colère sont les deux émotions les
plus saillantes dans le quotidien des enseignants d’anglais de l’académie de Créteil. La joie
qu’ils écrivent tous avoir ressentie est principalement liée à l’implication des élèves dans les
cours. Les enseignants novices considèrent cette implication comme la première étape du
« bon cours », déclencheur de joie arrivant en deuxième position. La joie des enseignants
novices est davantage tournée vers la réussite de leur entrée dans le métier. Ainsi, la prise de
conscience de la mise en place de leur identité professionnelle fait partie des trois premiers
déclencheurs de leur joie. La joie des enseignants plus confirmés, à l’instar des T5+ et des
EXPERTS, est davantage orientée vers le parcours scolaire des élèves et par le lien qu’ils
entretiennent avec eux. Ainsi, la réussite des élèves et la connivence qu’ils entretiennent avec
ces derniers constitue d’importantes sources de joie. Le « bon cours » reste bien sûr un
déclencheur significatif, mais il n’est pas aussi présent que chez les enseignants novices.
Quel que soit le stade de leur carrière, la colère est toujours déclenchée par le comportement
conçue, sa mise en œuvre en classe est vouée à l’échec. En l’absence d’objectifs clairs et d’un
guidage cohérent, les élèves décrochent et finissent inévitablement par s’agiter. Il s’agirait
349
donc avant tout d’un défaut d’expertise didactique. Cependant, si cette carence était l’unique
cause du comportement inadapté des élèves, la colère devrait disparaître dès lors que les
enseignants gagnent en expérience. Or, comme on peut le constater en observant les résultats
des T5+ et des EXPERTS cristoliens, ce n’est pas le cas. Un phénomène de décalage persiste
entre les attentes des enseignants, quel que soit le stade de leur carrière, et le comportement
des élèves. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Sieber (2001) et Lacroix et Potvin (2009)
distinguent les problèmes de comportement et les troubles du comportement, tous donnant
lieu à de l’indiscipline. S’il est possible pour les enseignants, aidés des équipes éducatives et
des parents d’élèves, d’agir sur les problèmes de comportement, ils se trouvent souvent
démunis face aux troubles du comportement parmi lesquels figurent le déficit d’attention avec
ou sans hyperactivité (TDAH), le trouble oppositionnel avec provocation (TOP) et le trouble
des conduites (TC) (Sieber, p. 33-54, Lacroix & Potvin, 2009) (cf. annexe 12, liste des
comportements inadaptés liés à ces troubles).
Le doute et le questionnement en lien avec l’identité professionnelle et l’absence
d’implication des élèves sont des déclencheurs de colère importants chez les novices. Tout
comme pour le déclencheur « comportement inadapté des élèves », on peut se demander si
l’absence d’implication des élèves n’est pas à rapprocher, dans certains cas, des difficultés
didactiques et pédagogiques que rencontrent ces enseignants. Si les objectifs du cours ne sont
pas clairement énoncés, les supports pas adaptés et/ou pas motivants, les élèves ne
s’impliqueront pas dans le cours.
On constate également que le contexte politique et social est un facteur de colère important.
La crise sociétale et la réforme du lycée ont généré de la colère en 2019, notamment chez les
enseignants plus expérimentés. On peut alors se demander si ces caractéristiques sont propres
au public cristolien ou si elles correspondent à l’ensemble des enseignants du territoire
français. C’est la raison pour laquelle le questionnaire a été étendu aux enseignants de toutes
les académies en juin puis en novembre 2019.
350
7.4. Triangulation
Profils des répondants hors Ile de France
En juin et en novembre 2019, le questionnaire a été envoyé à un réseau en ligne
d’enseignants d’anglais145 et ne visait alors que les enseignants affectés en dehors de l’Ile de
France (désormais IDF). En juin, 57 réponses ont été recueillies, ce qui est peu. En effet, si
les enseignants de collège avaient encore cours à ce moment de l’année, certains enseignants
de lycée n’avaient plus d’élèves ou étaient en période d’examen. Ils ont donc été moins enclins
à remplir le questionnaire, comme le note Luciole dans la partie « commentaires » : « Je ne
l'ai pas écrit sur le bilan du 1er jour mais le questionnaire intervient un peu tard dans l'année
scolaire à une période où les enseignants de lycée n'ont plus d'élèves en classe même s'ils ont
plein d'autres choses à faire ». En novembre 2019, 206 réponses ont été récoltées.
Les répondants des deux périodes sont expérimentés comme on peut le constater dans le
tableau ci-dessous :
Juin 2019 (26 participants, 57 réponses) Novembre 2019 (41 participants, 206 réponses)
Profil des répondants Nombre de Nombre de Profil des répondants Nombre de Nombre de
% %
hors Ile de France participants réponses hors Ile de France participants réponses
Plus de 15 ans Plus de 15 ans
20 41 72% 32 176 85%
d’expérience d’expérience
Entre 5 et 15 ans Entre 5 et 15 ans
5 15 26% 6 27 14%
d’expérience d’expérience
Enseignants T1 1 1 2% Enseignants T1 1 1 0,33%
Enseignants T2 0 0 0% Enseignants T2 1 1 0,33%
Enseignants T3 ou T4 0 0 0% Enseignants T3 ou T4 1 1 0,33%
Total général 26 57 100% Total général 41 206 100%
Tableau 7.48. Profils des répondants aux questionnaires hors Ile de France en juin et novembre 2019
Sur les 57 réponses de juin 2019, 41 ont été faites par des enseignants ayant plus de 15 ans
d’expérience et 15 par des enseignants ayant entre 5 et 15 ans d’ancienneté. Un seul enseignant
néotitulaire a répondu au questionnaire. En novembre 99% des répondants ont plus de 5 ans
d’expérience. Parmi les 203 réponses apportées, 176 (soit 85% de la totalité) ont été produites
par des enseignants ayant plus de 15 ans d’expérience ayant déjà rempli des missions de
145
Le groupe LinknTeach est une « salle virtuelle de professeurs d’anglais pour échange de ressources
pédagogiques et de bonnes idées ». Il comprend 1015 membres. Source : https://groups.io/g/LinknTeach
351
tutorat. On pourra donc comparer les résultats obtenus à ceux des enseignants cristoliens, et
notamment à ceux des EXPERTS dont le profil est proche.
Juin 2019 (26 participants, 57 réponses) Novembre 2019 (41 participants, 206 réponses)
Académies Nombre de réponses Académies Nombre de réponses
Amiens 9 Lyon 32
Grenoble 8 Caen 24
Montpellier 6 Montpellier 20
Bordeaux 5 Grenoble 17
Nantes 5 Dijon 16
Bourgogne Franche Comté 4 Rennes 14
Dijon 4 Aix-Marseille 12
Nancy-Metz 4 Bordeaux 12
Orléans-Tours 3 Orléans-Tours 12
Rennes 3 Reims 12
Lyon 2 Toulouse 11
Martinique 2 Hors de France 10
Lille 1 Besançon 4
Rouen 1 Auvergne Rhône Alpes 2
Nantes 2
Rouen 2
Amiens 1
Bourgogne Franche-Comté 1
Limoges 1
Martinique 1
TOTAL 57 TOTAL 206
Tableau 7.49. Académie d’origine des répondants de 2019
Les répondants de juin 2019 et ceux de novembre ne sont pas les mêmes. On observe dans le
tableau 7.49 que 14 académies françaises sont représentées en juin et 20 en novembre. Les
répondants viennent de France métropolitaine, mais aussi d’un territoire ultramarin.
L’enseignement français à l’étranger est également représenté (en caractères gras dans le
tableau).
Les émotions les plus saillantes des répondants hors Ile de France
On pourrait s’attendre à ce que les émotions ressenties par les enseignants soient
différentes entre le mois de juin et le mois de novembre et que le taux d’émotions à valence
positive soit plus important en juin avec l’approche de la fin de l’année scolaire et des vacances
d’été. Mais il n’en est rien et on retrouve malgré tout la joie et la colère en tête des émotions
les plus citées, en juin comme en novembre.
La joie représente 25% des émotions citées en juin 2019 et 20% en novembre 2019. La colère
représente 18% du total des émotions citées dans chacune des deux cohortes.
352
Enseignants hors IDF juin 2019 Enseignants hors IDF Novembre 2019
20 participants, 57 réponses 41 participants, 206 réponses
Émotions Nb / 138 % Émotions Nb / 427 %
Joie 34 25% Joie 85 20%
Colère 25 18% Colère 77 18%
Tristesse 13 9% Culpabilité 33 8%
Surprise 9 7% Tristesse 27 6%
Peur 8 6% Surprise 25 6%
Culpabilité 8 6% Satisfaction 16 4%
Tableau 7.50. Les six émotions les plus citées par les enseignants hors Ile de France (IDF) en 2019
Les émotions à valence négative sont très majoritaires dans le quotidien des enseignants hors
IDF, et leurs pourcentages représentent respectivement 65% et 64% du total des émotions
citées, ce qui est particulièrement élevé pour un public expérimenté. En effet les T5+ et les
EXPERTS cristoliens présentaient des taux bien moindres (cf. supra). Ces pourcentages sont
également bien supérieurs au taux moyen trouvé chez les PS (59,25%).
Figure 7.9. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des enseignants expérimentés hors IDF
(juin et novembre 2019)
On peut alors s’interroger sur le lien entre ce pourcentage important et la crise que la société
française a traversé en 2019, et/ou avec la réforme du lycée. L’analyse des déclencheurs de
leur colère pourra fournir une piste de réponse.
353
Tableau 7.51. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des enseignants
hors IDF (juin et novembre) 2019 et ratio.
L’analyse des déclencheurs de la colère fournit des premières réponses quant à l’origine de
cette colère.
Enseignants hors IDF juin 2019 Enseignants hors IDF novembre 2019
26 participants, 57 réponses 41 participants, 206 réponses
Ensemble des déclencheurs de la Nombre Ensemble des déclencheurs de la Nombre
%
colère d'occurrences colère d'occurrences
Contexte politique & décisions
8 Comportement inadapté des élèves 35 28%
institutionnelles perturbant les habitudes
Contexte politique & décisions
Comportement inadapté des élèves 7 institutionnelles perturbant les 24 19%
habitudes
Absence d'aide et de soutien 6 Absence d'aide et de soutien 15 12%
Désaccord entre collègues /avec
Absence d'implication des élèves 3 13 10%
direction
Désaccord entre collègues /avec
2 Absence d'implication des élèves 13 10%
direction
Matériel défaillant & mauvaises
Surcharge de travail 2 5 4%
conditions de travail
Échec des élèves 2 Surcharge de travail 5 4%
Conscience de ses difficultés & erreurs 1 Échec des élèves 5 4%
Doutes ou questionnement 1 Doutes ou questionnement 4 3%
Gestion difficile de l'imprévu 1 Événements privés entravant l'agir 3 2%
Retours négatifs 2 2%
Renoncement 1 1%
354
Conscience de ses difficultés &
1 1%
erreurs
"Mauvais cours" 1 1%
TOTAL 33 TOTAL 127 100%
Tableau 7. 52. Déclencheurs de la colère des enseignants hors Ile de France (juin et novembre 2019)
La réforme du lycée met en colère les enseignants affectés au lycée, vent debout contre les
épreuves communes de contrôle continu (E3C). Les exemples sont très nombreux et je n’en
citerai que trois. Tout d’abord celui de Mary Poppins :
La colère de la tournure que prend notre métier avec la Réforme et les E3C, les grilles
d'évaluation et le fait qu’on nous oblige à naviguer à vue. Ras le bol général. Tendance
à baisser les bras, et je ne me reconnais pas.
Galadriel fait également part de sa colère, ainsi que de tout un panel d’émotions qui lui sont
apparentées :
355
Terminons par une autre citation de Fafaille :
La colère en apprenant que pour les banques de sujets d 'E3C146 qui doivent être ouvertes
aux enseignants dans 4 jours, le système ne fonctionne pas et les chefs d'établissements
s'arrachent les cheveux ensemble sur twitter. Et la colère encore en entendant la
proviseure adjointe expliquer aux parents d'élèves demandeurs d'informations sur les
E3C qu'il ne fallait pas dramatiser car les E3C certes comptaient pour le Bac mais
n'étaient pas des épreuves de Bac et que les élèves pourraient améliorer leurs résultats
d'une épreuve à l'autre... en négligeant complètement le fait que les critères d'évaluation
passent de B1 à B2, et qu'une épreuve qui compte pour le Bac est une épreuve de Bac,
ce jeu sur les mots affiche un mépris des parents et des enseignants incommensurable...
Si les enseignants de lycée sont en colère, les enseignants de collège le sont aussi. C’est le cas
de Domileiba, enseignante de collège, qui écrit en novembre : « j’ai ressenti de la colère à la
lecture des dernières nouvelles de la réforme (lycée) » et « de la colère à propos de la réforme
du lycée, je suis en collège, la dernière réforme m'a laissé un goût amer ».
L’absence d’aide et de soutien déclenche également la colère. Les enseignants ne se sentent
pas soutenus par leur hiérarchie (MissSunshine : « La colère, en réunion, hier soir avec une
hiérarchie qui gère une entreprise et se moque de ses enseignants, impunité des élèves... Bref,
on est nombreux au bord de l'implosion !!! »), ni remerciés pour leurs actions (Mary Poppins :
« Ras le bol de devoir en faire toujours plus dans des conditions de plus en plus déplaisantes.
Impression d'être chargeable et corvéable à merci, sans aucun soutien ni reconnaissance de
tout ce que je fais en plus pour mes élèves et pour l'image du lycée. »). On pourrait penser que
la colère à l’égard du ministère de tutelle et du gouvernement est plus forte hors IDF qu’en
région parisienne.
Si la colère est grondante et omniprésente, cela n’empêche pas la joie de dominer le quotidien.
146
Les E3C ou Épreuves communes de contrôle continu font partie des nouvelles épreuves du baccalauréat
instaurées par JM Blanquer dans le cadre de la réforme du lycée. Initialement, ces épreuves internes aux
établissements devaient se tenir entre avril et mi-juin. Leur annonce a déchainé les foudres des enseignants et
des lycéens qui ont tous appelé à leur boycott. Les enseignants et lycéens tiennent à la dimension nationale de
l’examen et refusent d’être soumis à un régime constant d’évaluation.
Des amendements ont depuis été apportés. Les E3C ont été « renommées « évaluations communes » et les
commissions d'harmonisation ont désormais lieu en fin d'année de première et de terminale, et non plus à la fin
de chaque session d'évaluations. Elles comptent toujours pour 30 % de la note finale du baccalauréat. Le ministre
de l'Éducation nationale a retenu des propositions du comité de suivi de la réforme du baccalauréat 2021 du
30 juin 2020. Un décret est paru au Journal officiel le 30 juillet 2020.
356
Les enseignants hors Ile de France et la joie
Les émotions du registre de la joie représentent 83% des émotions à valence positive
ressenties par les répondants de juin 2019, et 87,25% des répondants de novembre. Ces forts
pourcentages similaires à ceux des EXPERTS cristoliens (82% pour la cohorte de 2016 et
85% pour celle de 2019).
Tableau 7.53. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires des enseignants
hors IDF (juin et novembre) 2019 et ratio
Les déclencheurs de la joie des enseignants hors Ile de France sont principalement liés aux
élèves, ce qui corrobore les résultats des enseignants expérimentés de l’académie de Créteil.
Enseignants hors IDF juin 2019 Enseignants hors IDF novembre 2019
26 participants, 57 réponses 41 participants, 206 réponses
Ensemble des déclencheurs de Nombre Ensemble des déclencheurs Nombre
% %
la joie d'occurrences de la joie d'occurrences
Implication des élèves 9 24% Implication des élèves 27 22%
Connivence avec les élèves 8 21% "Bon cours" 17 14%
Réussite des élèves 6 16% Réussite des élèves 15 12%
Partage avec les collègues 4 11% Partage avec les collègues 14 11%
Événements privés contribuant
"Bon cours" 2 5% 10 8%
à l'agir (ou sans lien avec l'agir)
Événements privés contribuant à
2 5% Travail accompli 8 6%
l'agir (ou sans lien avec l'agir)
Retours positifs 2 5% Connivence avec les élèves 7 6%
Conscience de sa posture
Charge de travail normale 1 3% 6 5%
d'enseignant
357
Contexte politique & décisions
institutionnelles améliorant les 1 3% Reconnaissance des élèves 6 5%
habitudes
Matériel performant & bonnes Comportement adapté des
1 3% 6 5%
conditions de travail élèves
Reconnaissance des élèves 1 3% Aide et soutien 4 3%
Comportement adapté des élèves 1 3% Charge de travail normale 2 2%
Gestion performante de
38 100% 1 1%
l'imprévu
Retours positifs 1 1%
Matériel performant & bonnes
1 1%
conditions de travail
125 100%
Tableau 7.54. Déclencheurs de la joie des enseignants hors Ile de France (juin et novembre 2019)
L’implication des élèves dans le cours (Sonia, juin 2019 : « Joie devant l’enthousiasme de
certains élèves en classe ») et leur réussite (Lamija, juin 2019 : « Joie en écoutant les élèves
lire les horror stories qu'ils ont créées et en constatant qu'un certain nombre d'entre eux ont
bien suivi les consignes et réalisé des projets de qualité », leur connivence avec les
enseignants (Émilie, juin 2019 : « La joie car c'était sympa de jouer à pass the bomb avec mes
6ème » ) sont les premiers déclencheurs de la joie. Ceux-ci sont en lien avec le « bon cours »
qui suscite également la joie (JeblonY, novembre 2019 : « plutôt satisfaite de ma journée : les
cours se sont déroulés comme je l'avais prévu, les élèves ont bien travaillés »). Le partage
avec les collègues engendre aussi la joie et arrive en quatrième position (Syl, juin 2019 :
« JOIE : Échanges avec collègues »).
358
toutes façons, c'est terriblement insuffisant.
Frustration toujours car ils sont trop peu nombreux à faire le travail demandé à la
maison.
Frustration c'est pas fini, car avec mon "groupe" de 32 (TRENTE-DEUX !!!) élèves
de 1ère Spé, comment voulez-vous les faire tous participer à l'oral, faire du travail de
groupe sans devenir sourd.e, aller en salle info, leur faire faire ce que vous aviez prévu
cet été, pensant avoir un groupe de 20 environ...
Frustration enfin car parmi mes 32 élèves de 1ère Spé, seulement 3 ont entendu parler
de Margaret Atwood, de La Servante Écarlate... et 15 n'ont jamais (JAMAIS !!!???)
entendu parler de Tolkien, du Seigneur des Anneaux ou du Hobbit ...
L’émotion frustration est clairement nommée, à chaque retour à la ligne. Elle est jouée
linguistiquement et paralinguistiquement. Un rythme répétitif, martelé et pesant est créé par
le biais de divers procédés linguistiques :
359
« Frustration c'est pas fini, car avec mon "groupe" Ellipse. Ici on laisse le lecteur
de 32 (TRENTE-DEUX !!!) élèves de 1ère Spé, interpréter le non-dit.
comment voulez-vous les faire tous participer à
l'oral, faire du travail de groupe sans devenir
sourd.e, aller en salle info, leur faire faire ce que
vous aviez prévu cet été, pensant avoir un groupe
de 20 environ... »
Frustration enfin car parmi mes 32 élèves de 1ère
Spé, seulement 3 ont entendu parler de Margaret
Atwood, de La Servante Écarlate... et 15 n'ont
jamais (JAMAIS !!!???) entendu parler de Tolkien,
du Seigneur des Anneaux ou du Hobbit...
361
partagé leurs émotions, et notamment leur colère, en 2019. On peut alors se demander si la
colère des enseignants hors Ile de France s’est davantage exprimée par des actes que par des
paroles, soit plutôt dans la rue durant les mouvements de grève, que dans la salle des
professeurs.
Il n’est pas possible de comparer les résultats des deux cohortes d’enseignants hors Ile de
France de façon significative en raison du nombre différent de participants. Cependant, on
peut observer qu’il n’y a pas ici de corrélation entre l’expression de la colère et le partage des
émotions.
Synthèse et discussion 4
Les résultats de la triangulation confirment ceux portant sur l’ensemble des
enseignants de l’académie de Créteil, qu’ils soient PS, T1, T2, T5+ ou EXPERTS. La joie est
l’émotion la plus ressentie au quotidien, même si les émotions à valence négative sont
majoritaires. La colère arrive en deuxième position. Les déclencheurs de ces deux émotions
sont identiques : implication des élèves et « bon cours » pour la joie, comportement
inadapté des élèves pour la colère. Le facteur académique ne semble donc pas déterminant.
On voit très nettement que le contexte politique et social peut influer sur les émotions des
enseignants et déclencher la colère. C’est le cas en 2019 où la réforme du lycée enflamme les
salles des professeurs. Ceci corrobore les résultats mis en avant par Nias (1996) qui cite les
changements de politiques scolaires comme source de colère chez les enseignants (cf. 4.2.6.1)
et ceux de Shapiro (2009) pour qui la colère provient également du manque de soutien entre
collègues et de la part la direction. Ceci est plus flagrant dans les réponses citées par les
enseignants hors IDF que dans celles des enseignants cristoliens.
7.5. Conclusion
Contre toute attente, on constate qu’il n’y a pas d’évolution des émotions chez les
enseignants à différentes étapes de leur carrière. La joie et la colère sont les émotions les plus
citées et les émotions à valence négative prévalent dans le quotidien des enseignants affectés
dans les établissements français – cristoliens et hors Ile de France – qu’ils soient PS ou
EXPERTS. Ces résultats confirment et prolongent ceux mis en avant par Sutton et Wheatley
dans leur revue de littérature internationale de 2003. Les déclencheurs des émotions
demeurent les mêmes que ceux décrits dans l’état de l’art international mené au chapitre 4. Ils
sont liés aux élèves, à l’institution et aux enseignants eux-mêmes. Le comportement inadapté
362
des élèves, facteur de souffrance proéminent chez les enseignants dans les études
internationales des années 1990-2000 précédemment citées, demeure le déclencheur le plus
important de la colère, quelle que soit l’ancienneté des enseignants. Les émotions négatives
liées à l’identité professionnelle – et donnant lieu aux doutes et questionnement – sont très
présentes chez les novices et tendent à diminuer au fil de la carrière. En revanche, quelle que
soit l’ancienneté des enseignants, ces derniers ressentent de la colère lorsqu’ils ont le
sentiment d’avoir donné un « mauvais cours » et/ou conscience de leurs difficultés et erreurs.
Si le métier engendre de la colère, il suscite aussi beaucoup de joie, notamment lorsque les
élèves s’impliquent dans les cours, réussissent et développent une vraie connivence avec les
enseignants. Ceci reste un vecteur important de joie, quel que soit le stade de la carrière, tout
comme la perception d’avoir donné un « bon cours ». On constate que les décisions
institutionnelles, et notamment les réformes, ont eu un impact sur les émotions de l’ensemble
des répondants aux questionnaires. Les enseignants partagent globalement peu leurs émotions,
quel que soit le stade de leur carrière et on peut s’interroger sur la raison de ce choix. En effet,
selon Rimé (2005), quiconque traverse des épisodes émotionnels ressent le besoin de les
partager. Les PS s’autorisent-ils davantage à partager car ils entrent dans le script prototypique
de l’enseignant stagiaire (enseignant en formation qui a besoin d’aide et de conseils, qui
rencontre des difficultés didactiques et pédagogiques et dont l’identité professionnelle est en
construction) ? Une fois titularisés, les enseignants ne partagent-ils plus car ils sont censés
être performants ? Est-ce par peur du jugement ou par honte ? Lorsqu’il y a partage, les
enseignants sont plus enclins à partager leur colère que leur joie. Certaines cohortes partagent
plus que d’autres, ceci étant probablement lié à la personnalité des répondants.
Les réponses aux questionnaires ont permis d’observer que les émotions surgissent lorsqu’il
y a décalage entre le script prototypique construit par l’enseignant (script du « bon cours »,
du « bon élève », etc.) et sa réalisation effective. Le décalage peut être de trois types. Il peut
être négatif lorsque le script est interrompu et contrarié lorsque l’enseignant n’a pas pu faire
ce qu’il avait « prévu ». Ceci engendre généralement une émotion à valence négative. Le
décalage peut être neutre ou zéro s’il y a adéquation avec le script (cela s’est passé comme
prévu). Le script peut être dépassé et donc positif quand la réalisation va au-delà des attentes.
Dans ce dernier cas, si cela s’est passé mieux que prévu et a dépassé les attentes, des émotions
intenses vont émerger (ex : joie => grande joie, dans le cas de LeBron). Si le script de
l’enseignant était pessimiste (ex : « cela ne va pas bien se passer car j’éprouve des difficultés
363
avec cette classe »), la réalisation peut être meilleure que prévue (décalage positif et émotions
à valence positive) ou encore pire que prévu (décalage négatif).
Le schéma ci-dessous, sous la forme d’un réglet, permet de comparer le script prototypique à
la réalisation effective, puis d’évaluer le décalage en plaçant le curseur entre -2 (décalage
négatif important), -1 (décalage négatif modéré), 0 (absence de décalage), +1 (décalage positif
modéré), + 2 (décalage positif important). En déplaçant le curseur sur l’échelle, celui-ci bouge
simultanément sur le nuancier. Plus la couleur violette ou jaune est foncée, plus l’émotion est
forte. Ainsi -2 correspond aux émotions du registre de la colère les plus intenses (rage, grande
colère) et -1 à des émotions plus modérées (agacement, contrariété, etc.). Le curseur peut être
placé entre 1 et 2 en fonction du décalage exprimé. Le décalage zéro n’a délibérément pas de
couleur prédéterminée car celle-ci peut varier selon la situation. En effet, s’il y a adéquation
entre un script positif et la réalisation (ex : « script du cours suffisamment bon » et réalisation
« ça s’est bien passé ») l’émotion qui émergera sera parente de la joie et le curseur pointera
vers la couleur jaune. En revanche, si le script est pessimiste (« script du mauvais cours
d’anglais ») et que la réalisation correspond au script (« ça s’est passé comme prévu »), la
valence sera négative. L’émotion pourra alors être de la frustration plutôt que de la colère, ou
tout autre type d’émotions à valence négative (tristesse, déception, etc.) que nous
n’aborderons pas dans cette recherche. Si la réalisation va au-delà des attentes d’un script
positif le curseur pourra être placé sur +1 (satisfaction, joie, etc.) ou +2 (grande joie).
364
Les émotions sont argumentées et jouées linguistiquement et paralinguistiquement, elles ont
laissé des traces dans le discours écrit des enseignants. On verra au chapitre 8, au travers des
études de cas, quelles traces orales les émotions de la colère et de la joie laissent dans le
discours.
365
Le chapitre 7 en bref
366
Quatre études de cas
Plan du chapitre :
8.1. Introduction
8.2. Les PS de C3 : Cécilia et Dorine
8.3. Le cas de Marie, PS et T1 de C2
8.4. Le cas d’Antoine, PS, T1 et T2 de C1
8.5. Synthèse générale
Le chapitre 8 en bref
367
8.1. Introduction
Ce chapitre présente et analyse les résultats des expérimentations menées avec quatre
enseignants du continuum PS-T1-T2 ayant participé aux expérimentations : deux PS de C3,
Cécilia et Dorine, une PS puis T1 de C2, Marie et un PS devenu T1 puis T2 de C1, Antoine.
Leur profil a été présenté au chapitre 5. Le tableau ci-dessous rappelle brièvement les
informations essentielles les concernant (cf. 5.4.3) :
Diplôme obtenu Participation Modalités
Prénom Cohorte Statut Sexe Age L1 Affectation Classes Corpus obtenu
ou en cours (années) expérimentées
Pour chacun d’entre eux, nous examinerons tout d’abord les réponses qu’ils ont apportées aux
questionnaires, puis nous analyserons leur e-journaux de bord pédagogiques (e-JdBP). Un
dernier temps sera alloué à l’étude de segments sélectionnés dans les enregistrements vidéo
de leurs cours en lien avec les extraits des entretiens d’autoconfrontation correspondants. Ces
368
vidéos sont accessibles sur un site compagnon protégé. Les citations extraites de ce corpus
seront reproduites verbatim.
Pour plus de clarté, le tableau ci-dessous résume l’organisation mise en place :
Statut Prénoms 1. Analyses des 2. Analyse des 3. Analyse des
questionnaires E-journaux de bord Segments vidéo
pédagogique
PS Cécilia -Analyse réponses au - Analyse des émotions à valence -Analyse d’extraits de
questionnaire rempli en négative et de la colère (avec situations de cours
tant que PS EMOTAIX et la typologie des déclenchant la colère
déclencheurs)
=>focus sur la colère -Focus sur la colère (modèle de -Analyse d’extraits de
=>focus sur la joie Plantin, 2011) situations de cours
=>focus sur le partage déclenchant la joie
-Analyse des émotions à valence
positive et de la joie (avec -Conclusion
EMOTAIX et la typologie des
déclencheurs)
-Focus sur la joie (modèle de
Plantin, 2011)
- Le partage des émotions
Dorine Analyse réponses au - Analyse des émotions à valence -Analyse d’extraits de
questionnaire rempli en négative et de la colère (avec situations de cours
tant que PS EMOTAIX et la typologie des déclenchant la colère
déclencheurs)
=>focus sur la colère -Focus sur la colère (modèle de -Analyse d’extraits de
=>focus sur la joie Plantin, 2011) situations de cours
=>focus sur le partage déclenchant la joie
-Analyse des émotions à valence
positive et de la joie (avec -Conclusion
EMOTAIX et la typologie des
déclencheurs)
-Focus sur la joie (modèle de
Plantin, 2011)
- Le partage des émotions
Synthèse intermédiaire
T1 Marie - Analyse des émotions à valence Analyse d’extraits de
PS négative et de la colère (avec situations de cours
EMOTAIX et la typologie des déclenchant la colère
Analyse réponses déclencheurs) => Marie PS
aux questionnaires -Focus sur la colère (modèle de
remplis 2 années Plantin, 2011) => Marie T1
consécutives
-Analyse des émotions à valence
=>focus sur la positive et de la joie (avec -Analyse d’extraits de
T1 colère EMOTAIX et la typologie des situations de cours
=>focus sur la joie déclencheurs) déclenchant la joie
=>focus sur le -Focus sur la joie (modèle de => Marie PS
partage Plantin, 2011)
-Synthèse des indices linguistiques => Marie T1
et paralinguistiques des émotions
présents dans l’e-JdBP de Marie -Conclusion
Le cas de Cécilia, PS de C3
En 2018, Cécilia était PS et étudiante en master 2. Elle a répondu en novembre au
questionnaire envoyé à l’ensemble des PS de sa promotion et s’est ensuite portée volontaire
pour tenir une e-JdBP en ligne qu’elle a rempli du 17 décembre 2018 au 5 mai 2019 (1372
mots). Elle a été filmée trois fois entre février et avril 2019. Ceci a permis de recueillir les
vidéos de quatre séances de 55 minutes de cours avec des classes de seconde. Ces
enregistrements ont ensuite servi de déclencheurs à des entretiens d’autoconfrontation simples
(EAC) organisés plusieurs jours après les captations de cours, ce qui a permis à Cécilia de
visionner seule les vidéos et de sélectionner les segments de son choix.
Le tableau suivant rappelle la nature de la participation de Cécilia aux diverses
expérimentations auxquelles elle a accepté de participer en 2018-2019.
370
Analyse des réponses de Cécilia au questionnaire
Afin de pouvoir disposer de nouvelles données à comparer à celles du e-JdBP puis à
celles des captations vidéo, de mesurer la constance ou l’évolution des résultats, Cécilia a
accepté de communiquer le pseudonyme qu’elle avait utilisé lorsqu’elle a répondu au
questionnaire. Il a ainsi pu être noté qu’elle avait répondu à 8 sollicitations sur 9 – soit 16
épisodes émotionnels relatés.
Les réponses apportées par Cécilia correspondent aux tendances relevées chez l’ensemble des
enseignants. Elle ressent essentiellement des émotions à valence négative au quotidien comme
en atteste la figure suivante :
Le tableau ci-dessous présente les éléments /situations que Cécilia a cités comme déclencheurs
des émotions parentes de la colère. Le code couleur suivant en facilite la lecture :
On constate que la colère est essentiellement déclenchée par des épisodes émotionnels liés
aux élèves, et notamment par leur comportement inadapté, comme c’est le cas pour
l’ensemble des PS des quatre cohortes, ainsi que pour la totalité des enseignants cristoliens
quel que soit le stade de leur carrière. Cécilia met en avant l’insolence des élèves à deux
reprises : « La colère car un élève s’est montré particulièrement insolent », « Colère car un
élève a été insolent ». Elle mentionne également l’absence d’implication de ses élèves, tout
en faisant allusion à ses propres difficultés : « La colère, ou plutôt l’agacement, car une séance
de la journée n’a pas fonctionné et les élèves étaient par conséquent déconcentrés, bavards
et totalement indifférents à ce que je racontais ». La présence de « par conséquent » montre
qu’elle est consciente du lien entre ses difficultés (« une séance de la journée n’a pas
fonctionné » qui signifie qu’elle n’est pas parvenue à faire ce qu’elle voulait/avait prévu de
faire, et renvoie au déclencheur « mauvais cours ») et l’attitude de ses élèves. On retrouvera
ce signe, reflet de sa conscience de ses difficultés et précurseur de sa prise de recul dont elle
rendra compte plus tard dans son e-journal de bord pédagogique. On remarque également
372
l’ellipse de « comme prévu » qui est toutefois sous-entendu. Il existe donc un décalage entre
le script prototypique du « cours suffisamment bon » et la réalisation en classe, ce qui laisse
place « par conséquent » à l’agitation et au désintérêt des élèves et engendre l’agacement.
La joie est peu présente dans les réponses au questionnaire de Cécilia. Elle ne représente que
deux occurrences sur les trois émotions à valence positive citées :
Les deux occurrences de joie émergent dans les situations suivantes, relevant des élèves ou de
l’enseignant, présentées dans le tableau ci-après :
Les déclencheurs « comportement adapté des élèves » et « bon cours » sont présents sans
surprise dans cette liste car ils correspondent aux déclencheurs les plus fréquemment mis en
avant par les enseignants cristoliens.
Dans la citation « Joie car les cours se sont bien passés, sans conflits », on remarque que la
joie surgit car il y a adéquation, voire dépassement, entre les scripts prototypiques et la
réalisation. Tout d’abord, « les cours se sont bien passés » indiquent qu’ils se sont déroulés
conformément aux attentes de Cécilia. « Sans conflits » renvoie au comportement des élèves.
Il n’y a pas assez d’indication ici pour savoir si la réalisation est en adéquation avec le script
ou si elle va au-delà.
373
Cécilia a partagé sept épisodes émotionnels sur seize, ce qui est peu et en dessous du taux
moyen de partage de l’ensemble des PS (54,5%) et des PS de sa cohorte (58%). On remarque
par ailleurs que sur les six épisodes émotionnels partagés, trois correspondent à des épisodes
renvoyant à des émotions à valence positives (joie et surprise positive). Cécilia n’a partagé
que trois épisodes émotionnels à valence négative sur treize, ce qui est surprenant car les
résultats présentés en 7.1.7 indiquent que les PS de C3, ainsi que l’ensemble des PS des quatre
cohortes, partagent davantage les émotions à valence négative (C3 : 69% et moyenne des 4
cohortes : 65,25%) que celles à valence positive. Des éléments de réponses seront apportés
par Cécilia dans son e-journal de bord pédagogique, nous y reviendrons donc ci-après.
Le e-JdBP de Cécilia a été analysé à l’aide de trois outils différents : le logiciel Tropes et plus
particulièrement avec le scénario EMOTAIX (Bannour Piolat, 2008), la typologie des
émotions présentées au chapitre 4, la typologie des déclencheurs utilisée au chapitre 7 pour
l’étude des questionnaires, et également, lorsque cela a été possible, avec le modèle de Plantin
(2011).
147
L’intégralité de son e-JdBP se trouve en annexe 13.
374
À la lecture de son e-JdBP, dont voici un extrait, on remarque tout d’abord que Cécilia
explique peu, voire pas, ce qui a déclenché ses émotions.
Cécilia ne décrit pas ou rarement les épisodes émotionnels, bien que cela fasse partie de la
consigne initiale notée en première page du e-JdBP148. Ainsi, le 14 janvier, elle écrit
« aujourd’hui, j’ai ressenti du découragement, la journée était fatigante émotionnellement »,
ce qui ne permet pas de percevoir l’événement déclencheur de son découragement, mais
uniquement de comprendre qu’elle a vécu des épisodes émotionnels éprouvants et donc
négatifs. On retrouve cette tendance tout au long de son e-JdBP (ex : samedi 23 mars
« aujourd’hui je ressens de l’appréhension, de l’inquiétude. J’en parle à mon conjoint en
148
Voir annexes 2 (consigne générale) et 13 (e-JdBP de Cécilia)
375
rentrant chez moi », etc.). Ceci permet d’expliquer la raison pour laquelle son e-JdBP est bien
plus court (il ne comprend que 1372 mots) que ceux des autres enseignants des études de cas.
Figure 8.4. Ratio émotions à valence positive/négative/non spécifiée et impassibilité relevées par
EMOTAIX dans l’e-JdBP de Cécilia
Afin d’alléger la lecture de cette partie, le détail de la répartition des émotions à valence
négative proposé par EMOTAIX est proposé en annexe 14.
Si l’on comptabilise uniquement les noms des émotions citées, comme ceci a été fait pour les
questionnaires, on trouve un taux d’émotions à valence négative de 75% (57 émotions à
valence négative sur un total de 76 émotions citées). Ce pourcentage est supérieur à celui
proposé par EMOTAIX car il prend uniquement appui sur les noms d’émotions citées, alors
qu’EMOTAIX relève tous les mots – noms, adjectifs ou verbes – dont le sens englobe une
émotion. Ce résultat se rapproche, dans une mesure un peu moindre, des résultats de l’analyse
des réponses que Cécilia a faites au questionnaire (81 % de réponses à valence négative sur
une période plus courte avec seulement 8 entrées). Il est à noter que ce pourcentage est
largement supérieur à celui de la moyenne des PS de sa cohorte (58%) et des quatre cohortes
PS (54,5%).
376
On constate, tant par ce recensement (cf. résultats en annexe 15) que par le classement effectué
par EMOTAIX, que l’appréhension est l’émotion à valence négative la plus fréquemment
citée par Cécilia dans son e-JdBP, et non la colère comme on aurait pu s’y attendre. Cette
tendance n’était pas perceptible dans le questionnaire où l’appréhension n’apparaissait pas, ce
qui peut paraître surprenant. Affectée dans un lycée de Seine-et-Marne plutôt calme, Cécilia
est moins exposée aux comportements inadaptés des élèves que la majorité de ses pairs. Ceci
pourrait expliquer pourquoi la colère ne domine pas son quotidien. L’émergence de
l’appréhension à la mi-décembre est-elle liée à la fin du premier trimestre et à l’arrivée des
premières évaluations (visites de formateurs ESPE, évaluations semestrielles en master), et
donc avec la crainte de ne pas être titularisée ?
Lorsqu’on analyse l’e-JdBP, on remarque que l’appréhension survient généralement le lundi.
Cécilia écrit : « C’est une émotion qui se manifeste souvent après ne pas avoir vu les élèves
pendant quelques temps, et une des émotions que je ne comprends pas vraiment ». Elle
manque de confiance en elle en tant qu’enseignante et son identité professionnelle est encore
en construction. Son statut « entre deux », moitié étudiante de master 2 et moitié enseignante
contribue peut-être à renforcer ce ressenti. Cette tendance se confirme lorsqu’on analyse les
déclencheurs des 26 épisodes émotionnels à valence négative qu’elle relate (cf. annexe 16).
En effet, plus d’un épisode émotionnel sur deux (54%) faisant émerger des émotions à valence
négative est déclenché par les « doutes et questionnement ». Ceci peut également expliquer
pourquoi Cécilia tend à citer ses émotions sans expliquer ce qui les déclenche, car elle manque
vraisemblablement d’outils pour analyser ses pratiques.
Si l’appréhension arrive en tête, les émotions du registre de la colère – c’est-à-dire la colère
et les émotions apparentées, présentes dans la typologie du chapitre 4 – représentent la
majorité des émotions à valence négative ressenties par Cécilia, avec un taux de 30%.
CÉCILIA PS C3 e-JdBP 1372 mots, 76 émotions citées
26 épisodes émotionnels négatifs cités, 57 émotions à valence négative
Sur 57 émotions à valence négatives citées, les émotions parentes de la colère
Lassitude 5
Colère 4
Énervement 2
Agacement 2
Exaspération 2
Contrariété 1
Frustration 1
TOTAL 17
représentent 30% des émotions à valence négative citées
Tableau 8.8. Liste des émotions de registre de la colère présentes dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3
377
On constate que Cécilia a une granularité émotionnelle plutôt développée et qu’elle utilise
sept termes différents pour qualifier sa colère en modulant son intensité (agacement,
énervement), ou en y ajoutant des nuances.
Le tableau 8.11 recense les déclencheurs de la colère, répartis selon le code couleur suivant :
CÉCILIA PS C3 e-JdBP 1372 mots, 76 émotions citées, 57 à valence négative dont 17 de la famille de la colère
Sur 26 épisodes émotionnels négatifs cités, 11 épisodes de colère
Comportement inadapté des élèves 3
Surcharge de travail 3
Doutes et questionnement 3
« Mauvais cours » 1
Conscience de ses difficultés & erreurs 1
TOTAL 11
Tableau 8.9. Les déclencheurs de la colère cités dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3
À la différence de la majorité des PS des quatre cohortes, Cécilia ne considère pas les élèves
comme déclencheurs principaux de sa colère. En effet, le déclencheur « comportement
inadapté des élèves » a le même nombre d’occurrences que la « surcharge de travail » ou
les « doutes et questionnement ». Ceci correspond assez bien aux réponses faites au
questionnaire où aucun déclencheur ne se démarque des autres. On observe toutefois que sa
colère est davantage liée à ses propres pratiques (5 occurrences sur les 11).
378
Script des « bons Aujourd’hui, je ressens de la Les émotions colère, frustration,
élèves ». colère face à une classe très agitée. énervement, sont explicitement
Les bons élèves Étant fatiguée, j’ai le sentiment nommées.
s’investissent dans le frustrant de ne pas réussir à me Jouées linguistiquement avec
cours et travaillent dans faire entendre et d’être démunie l’intensifieur « très », et la succession
le calme. Ils respectent face aux élèves. Je suis énervée d’une négation « ne pas réussir à » et
les règles de de vie de contre mes élèves mais aussi d’un adjectif négatif : « démunie » qui
classe. contre moi-même. crée un effet d’accumulation.
Script du « prof
stagiaire suffisamment L’émotion est argumentée : Cécilia la lie
bon » à sa fatigue qui renforce son échec (« ne
Le PS suffisamment bon pas réussir à ») et son impuissance
sait se faire entendre de (« démunie ») face aux élèves. Ceci
ses élèves. Il sait engendre l’énervement à double visée
comment réagir et trouve (élèves, elle-même)
des solutions.
Scripts interrompus et décalage négatif
=> frustration & colère
Tableau 8.10. Scripts prototypiques et colère dans l’e-JdB de Cécilia
Si les émotions à valence négative, dont la colère fait partie, sont majoritaires dans l’e-JdBP
de Cécilia, la joie est aussi présente.
379
Parmi les 19 émotions à valence positive citées, 12 sont parentes de la joie, soit un peu plus
de la moitié.
Sur 19 émotions à valence positives citées, les émotions parentes de la joie :
Joie 8
Contentement 1
Entrain 1
Bonne humeur 1
Plaisir 1
TOTAL 12
représentent plus de la moitié (63%) des émotions à valence négative citées
Tableau 8.11. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3
Le tableau suivant présente les déclencheurs des situations émotionnelles engendrant la joie
ou une émotion parente. On constate que ceux-ci ont deux origines et sont soit liés à
l’enseignant, à l’instar de la conscience de sa posture professionnelle et du sentiment d’avoir
donné un « bon cours », ou liés aux élèves.
Rappel du code couleur :
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
Épisodes émotionnels en lien avec l’établissement (collègues, parents d’élèves,
direction) ou l’institution
Épisodes émotionnels en lien avec l’enseignant lui-même
Cependant, comme c’était déjà le cas pour les épisodes de joie cités par Cécilia dans le
questionnaire, les épisodes émotionnels de joie présents dans l’e-JdBP ne sont pas
suffisamment nombreux pour pouvoir relever des tendances significatives.
380
• Joie et scripts prototypiques
La joie émerge lorsqu’il y a adéquation – soit décalage zéro – entre le script
prototypique et la réalisation effective. Ceci se démarque de la thèse de Mandler (1984) selon
laquelle l’émotion surgit « quand quelque chose qu’on n’attendait pas se produit, ou quand
quelque chose qu’on attendait ne se produit pas » (Mandler, 1984, p. 188 cité dans Rimé,
2005, p. 83). Cela semble également se situer au-delà des réflexions de Rimé (2005) et Plantin
(2011) pour lesquels l’émotion survient lorsqu’un changement, une rupture, intervient.
381
écueil. Les élèves ne
posent pas de problème.
Tableau 8.13. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3. Cas d’adéquation
script/réalisation
Tableaux 8.15. Partage des épisodes émotionnels cités par Cécilia dans son e-JdBP
Ce pourcentage est très en deçà de la moyenne du partage des PS des quatre cohortes (pour
rappel 54,5%). Cécilia livre une réponse dans son journal : « Je remarque qu’il est beaucoup
plus simple pour moi de partager mes émotions positives que mes émotions négatives ». Une
fois de plus, ce constat est surprenant car nous avons vu en 7.1.7 que les PS partageaient
davantage les émotions à valence négative (65,25%) que celles à valence positive (49%).
Qu’en est-il réellement pour Cécilia ? Lorsqu’on analyse les épisodes émotionnels partagés,
on constate que seuls trois sur les sept sont à valence positive, ce qui est contradictoire avec
ce qu’elle écrit. En revanche, on remarque que les épisodes partagés correspondent à des
moments clés de son parcours de PS, à l’instar de la réunion parents-professeurs, de l’approche
de la visite-conseil et de sa réalisation, d’une sortie scolaire avec les élèves. Cécilia partage
donc davantage les « grandes émotions » (Cosnier, 1994), plus rares que les petites.
Nous avons jusque-là analysé les émotions de Cécilia et avons constaté qu’elle ressentait,
comme tous les enseignants cristoliens de cette étude, essentiellement des émotions à valence
négative au quotidien, parmi lesquelles les émotions de la famille de la colère sont les plus
383
nombreuses. Elle ressent également, et dans une moindre mesure, des émotions du registre de
la joie. Nous allons maintenant observer l’impact que ces émotions ont sur son discours en
classe.
Analyse d’extraits de situations de cours déclenchant la colère
Nous présenterons dans cette partie quatre segments de captation vidéo de cours qui
ont été choisis pour être analysés en EAC. Pour rappel, les EAC sont construits autour des
cinq étapes de notre modèle ÉmoDÉRÉ et comprennent les questions suivantes :
Les segments présentés font tous partie d’un cours filmé le mardi 12 février 2019 dans une
classe de seconde générale. La classe comprend une vingtaine d’élèves. Chaque extrait
présente une situation de classe durant laquelle Cécilia dit avoir ressenti des émotions du
registre de la colère. L’objet sera d’analyser l’impact de l’émergence de l’émotion sur le
discours de l’enseignante.
• Épisode 1 : contrariété
Le premier épisode émotionnel intervient en début de séance. Le cours suit un
« déroulement ritualisé » (Cicurel, 2011), et l’enseignante, qui occupe une position haute de
« maître de cérémonie du polylogue pédagogique » (Kerbrat-Orecchioni, 2010), ouvre la
séance et mène le jeu (Dabène, 1984b). Cécilia commence par une interaction enseignante-
élèves, communication didactique « ayant pour but de vouloir rendre quelqu’un ou plusieurs
interlocuteurs plus savants, plus habiles, plus compétents » (Cicurel, 2011, p. 21). Elle
demande aux élèves comment ils vont et ceux-ci doivent répondre par une phrases complète,
384
ce que l’on fait très rarement dans les interactions spontanées. Elle enchaîne avec le rappel du
cours précédent et le contrôle des absences. Elle annonce ensuite les objectifs du cours en
créant un déficit d’information et n’hésite pas à ponctuer son « discours constitutif »
d’injonctions régulatives (Kramsch, 1994) : “Okay, so we’re going to a new destination today
and as usual …chuuuut … you guys have to guess the destination. Raise your hand !”. Les
élèves se plient au jeu des « display questions » (Bigot, 2018, p. 31). Et le polylogue se
poursuit, ponctué de marqueurs de structuration conversationnelle (nombreuses occurrences
de “okay”, plusieurs de “so”), de reprises des énoncés des élèves, et d’appréciations
évaluatives (nombreuses occurrences de “good”, plusieurs “very good”, qui correspondent à
ce que Bouchard (2005) qualifie de « tradition orale » de la langue des enseignants. Puis
survient l’épisode émotionnel149 que Cécilia a choisi de commenter durant son EAC et dont
voici la transcription aux normes ICOR :
149
Les éléments soulignés renvoient vers les vidéos en ligne.
385
Figure 8.5. Capture de vidéo “Can you stand up?” et transcription du segment
150
Accentuation expressive délibérée à distinguer l’accentuation tonique portée habituellement sur ces mots.
151
les « gestes emblématiques » ou « emblèmes » sont définis par Johnson, Ekman & Friesen (1975, p. 336)
comme « des actes non verbaux (a) qui disposent d’une traduction verbale composée généralement d’un mot ou
bien de deux, ou d’une phrase, (b) à propos desquels le sens exact est connu de la majorité ou de tous les membres
d’un groupe, d’une classe sociale, d’une sous-culture ou d’une culture »
386
=> ”Yes, stop speaking, thank you! euh” => pour garder la face (Goffman,
1974) Cécilia qui ne trouve pas le mot qu’elle recherche, accepte en produisant
l’énoncé « yes, stop speaking », une proposition faite par l’élève.
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « contrariété ».
mettre dans cet L’émotion « contrariété » est argumentée dans l’EAC : « C’est le même qui
état ? dort » => ce n’est pas le premier rappel à l’ordre pour non-respect des règles
L’émotion n’est de vie de classe.
compréhensible que Existence d’un passif entre l’élève et l’enseignante signalé par la différence de
si elle est argumentée ton utilisé pour l’interroger en début de séance.
L’émotion « contrariété » surgit car plusieurs scripts prototypiques, liés les uns aux autres,
sont interrompus. C’est tout d’abord le cas du « script du bon élève » qu’on peut reconstruire
comme suit : « le bon élève s’investit dans le cours et travaille dans le calme. Il respecte les
règles de vie de classe. Son comportement est adapté aux attentes et est propice au travail. Il
est bien assis sur sa chaise et se tient droit, prêt à interagir ». Le script du « cours
suffisamment bon » (le PS a préparé un cours et le met en œuvre de A à Z dans sa classe,
sans difficultés. Le matériel utilisé est performant, les conditions matérielles sont bonnes. Le
climat est propice aux apprentissages car l’enseignant sait gérer sa classe) et le script de
l’« enseignant stagiaire suffisamment performant » (le PS suffisamment performant sait se
faire entendre et respecter de ses élèves. Il sait comment intéresser ses élèves, comment réagir
et trouver des solutions lorsque des difficultés se présentent) sont également tout deux
interrompus. Il y a un décalage négatif entre les différents scripts et la réalisation effective en
classe car l’élève ne respecte pas les règles fixées par l’enseignante et « dort » sur son bureau.
387
Figure 8.6. Schéma de l’émergence de la contrariété. Épisode émotionnel 1, Cécilia PS C3
388
[…] et au final je dis n’importe
quoi et je m’en rends compte et je
me dis « qu’est-ce que tu
racontes ? »
Un nouvel épisode émotionnel survient avec le même élève un peu plus tard dans la séance,
mais celui-ci est géré différemment.
• Épisode 2 : contrariété
Cécilia continue son cours en lançant une activité d’anticipation. Elle veut faire
deviner aux élèves le contenu de la vidéo qu’ils vont regarder en prenant appui sur une image
fixe projetée au tableau. Il s’agit du spot publicitaire de 2013 pour la deuxième campagne de
promotion de l’Australie « the best jobs in the world »152. Elle les amène à émettre des
hypothèses sur la nature des missions (jobs) offertes par les offices du tourisme des différents
territoires australiens, puis s’apprête à lancer la vidéo en leur donnant la très longue consigne
suivante : “So we’re going to watch the video … We’re going to watch the video twice, okay ?
So, you guys, your job is to take notes … about what you understand in the video. Okay? So,
you need to listen, and look at the video, and take notes about what [inaudible] about this best
job in the world, okay?”. L’épisode que Cécilia a choisi de retenir pour l’EAC survient
immédiatement après cette consigne. Il concerne à nouveau l’élève Medhi, vraisemblablement
encore affalé sur son bureau et qui n’a pas respecté les consignes données implicitement par
l’enseignante, à savoir prendre de quoi écrire (papier et crayon) et être en position d’attente.
152
Lien vers la vidéo “Apply for one of the best jobs in the world”:
https://www.youtube.com/watch?v=s7gBcgJdzl4
389
Figure 8.8. Capture de vidéo “Est-ce que tu peux s’il-te-plaît …” et transcription du segment
*Modification de la syntaxe :
=> Répétition du prénom de l’élève
=> Présence de deux questions rhétoriques :
En anglais : “Are you ready to take notes ?” n’attend pas de réponse, juste la
mise au travail de l’élève. C’est un rappel en douceur.
En français (alternance codique interphrastique) dans la deuxième question
rhétorique :
« Est-ce que tu peux s’il-te-plait te redresser, prendre un stylo, prendre un
papier, et être prêt à prendre des notes ? »
390
=> Énumération : reprend ce que l’élève doit faire et souligne tous ses
manquements.
=> Comparaison « comme tout le monde » signalent la contrariété.
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « contrariété ».
mettre dans cet L’émotion « contrariété » est justifiée.
état ? C’est le deuxième incident du cours déclenché par Medhi alors que la séance
L’émotion n’est n’a démarré que depuis 13 minutes : « il m’énerve parce qu’il est en train de
compréhensible que dormir ».
si elle est argumentée « Dormir » a une double signification : il est à la fois affalé sur son bureau et
il ne travaille pas : « est-ce que tu peux, s’il-te-plait, te redresser, prendre un
stylo, prendre un papier, et être prêt à prendre des notes ? ».
Tableau 8.18. Analyse du segment 2 de Cécilia avec le modèle de Plantin
Une émotion du registre de la colère surgit à nouveau car les mêmes scripts prototypiques –
le « script du bon élève », le « script du cours suffisamment bon » et le « script de
l’enseignant stagiaire suffisamment performant » – sont interrompus pour la deuxième fois
en l’espace de quelques minutes. Étonnement, la récidive ne crée pas d’effet crescendo et
durant la première phase de l’EAC Cécilia cite à nouveau la contrariété en précisant bien
qu’elle ne ressent pas de colère. Le curseur ne bouge donc pas et reste sur -1.
Si Cécilia dit ressentir à nouveau de la « contrariété », l’impact de cette émotion sur son
discours n’est pas identique à celui du premier épisode. Cette fois, l’émotion l’amène à utiliser
des questions rhétoriques. La première, perçue par l’élève comme une simple question à
laquelle une réponse est attendue, va générer une surenchère émotionnelle. En effet, la réponse
391
« ben oui » émise par Medhi est vraisemblablement ressentie par Cécilia comme une
provocation, un affront à sa face d’autant plus que le cours est filmé :
[…] ce qui m’a un peu agacé, bon c’est qu’il dorme, qu’il prenne pas de notes et tout,
mais je me suis dit « il sait qu’il y a la vidéo, il fait pas d’effort, il a pas envie de…
pas d’me faire plaisir mais il a pas envie de se comporter bien » sachant que moi y’a
quelqu'un qui est venu me voir et tout donc euh…. Sur le moment j’pense que j’me
suis dit ça… ça m’a agacée sur le moment.
Mais dans quelle mesure le message de ces questions rhétoriques est-il clair pour les élèves ?
Comprennent-ils que ces questions ne sont pas des requêtes polies attendant une réponse, mais
des injonctions détournées ? Un énoncé prononcé avec un ton ferme ne serait-il pas plus
efficace ?
On constate que Cécilia ne poursuit pas son discours en anglais, mais qu’elle passe au français,
sa langue maternelle. On peut alors s’interroger sur la raison de cette alternance codique
interphrastique (Gumperz, 1989). Cécilia en perd ses moyens linguistiques une fois encore,
ce qui déclenche un nouveau réflexe cognitif en langue maternelle. Durant la phase 2 de
l’EAC – soit la phase de description de l’action – , elle souligne cet aspect instinctif, spontané,
non contrôlé :
J’suis repassé au français. J’lui parle en anglais au début et puis je… j’attends même
pas de voir si l’anglais suffit, j’ai…je suis passée tout de suite au français. Donc euh
je sais pas, c’était un peu euh… vis… pas viscéral mais… comme ça.
Une fois encore, ce réflexe peut être l’indicateur d’un niveau de maîtrise de la langue anglaise
trop fragile pour faire face aux événements émotionnels imprévus, ce que Cécilia met elle-
même en avant au cours de l’EAC an disant qu’elle n’a « pas les mots assez en anglais »,
qu’elle est « bloquée ». À ce moment-là, il lui semble que le seul moyen de montrer son
mécontentement est le passage par le français :
C’est peut-être moi aussi qui à ce moment-là suis plus énervée, je n’ai pas… peut
être pas les mots assez en anglais et puis je repasse en français pour lui dire « est ce
que tu peux faire comme tout le monde… ». […] Voilà j’ai l’impression d’être
bloquée et de pas euh… pas pouvoir lui montrer assez que je suis pas contente à ce
moment-là en anglais donc j’ai le sentiment qu’il faut que je passe en français pour
lui montrer que vraiment euh… là euh… je suis pas contente.
392
je veux, pourquoi je suis pas contente, et en même temps j’ai l’impression que eux
ça va avoir plus d’impact si je leur parle en français à ce moment-là.
Dans cet extrait, on constate deux points saillants : tout d’abord son insécurité langagière, puis
la mise en avant de la fonction régulative (« leur exprimer vraiment ce que je veux ») qui,
selon Cécilia aura « plus d’impact » si elle parle en français. Ceci corrobore les travaux de
Kramsch (1991, pp. 72-73) pour qui le français tend à se substituer dans certaines situations :
La langue maternelle est perçue comme véhicule de tout ce qui est communication
véritable ou message important (Wing, 1980). Pour l’enseignant : remarques tactiques,
explications de grammaire ou informations culturelles, maintien de la discipline,
organisation du cours, digressions, apartés.
Cécilia qualifie son recours au français de « temps mort », comme une sorte d’aparté dans la
séance pour faire un commentaire avant de reprendre le cours :
C’est comme si on faisait une petite parenthèse dans le cours et qu’on dit « là ça va
pas, faut que… faut que tu reviennes dans le cours » et en repassant en anglais ça…
ça coupe un peu le cours aussi peut être. C’est peut-être pour ça que si le français ça
permet de dire « bon aller ‘temps mort’, là j’te dis ce qui va pas et on retourne dans
le cours. […] C’est un peu paradoxal, parce que j’aurais peut-être dû rester en anglais
mais en même temps c’est vrai, passer en français ça fait une pause, et que là je suis
pas en train de te parler dans le cadre du cours qu’on est en train de faire, je suis
en train de te parler de …voilà, faut que tu te mettes en position pour prendre des notes
comme tout le monde.
394
Figure 8.10. Capture de vidéo “So Inès, can you make a sentence ? » et transcription du segment
*Modification syntaxe :
=> le long segment (1 :20) avec pauses silence et la question « So Inès can you
make a sentence ? » sont également des signes de contrariété de Cécilia qui dit
dans son EAC réaliser qu’elle « s’acharne un peu sur cette pauvre gamine ».
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « contrariété ».
mettre dans cet L’émotion « un peu contrariété » est argumentée par l’amont puis dans l’EAC:
état ? « j’étais un peu contrariée parce que je me dis on a écouté deux fois la vidéo
et elle est incapable de me dire un mot ». La face de Cécilia est donc encore
395
L’émotion n’est menacée car pour elle, l’élève Inès ne fait pas d’effort, alors qu’elle a « écouté
compréhensible que deux fois la vidéo » et est donc en mesure de pouvoir réagir à la sollicitation.
si elle est argumentée On peut alors faire le rapprochement avec le précédent épisode où elle dit dans
l’EAC avoir pensé que Medhi était de mauvaise volonté, délibérément : « il
fait pas d’effort, il a pas envie de… pas d’me faire plaisir ».
Tableau 8.19. Analyse du segment 3 de Cécilia avec le modèle de Plantin
La contrariété fait tout d’abord perdre à Cécilia ses moyens linguistiques, comme nous l’avons
mentionné précédemment, mais elle lui fait également faire des erreurs dans ses choix
pédagogiques, ce qu’elle reconnait dans son EAC, durant les phases d’évaluation de l’action
et de recherche d’alternatives :
j’essaie de rester sur elle pour qu’elle arrive à faire la phrase mais elle n’y arrive pas
et la phrase à la fin c’est moi qui la fait donc ça n’a pas d’utilité. C’est inutile de faire
ça parce qu’au final on perd énormément de temps. Deux minutes sur un cours de
55minutes, si je fais ça 4 ou 5 fois avec 4 ou 5 élèves, ça prend un temps fou, et à la
fin ça sert à rien parce que c’est moi qui dis la phrase. Donc je lui aurais, je serais
restée à « island » et quelqu’un d’autre qui a plus de facilité aurait fait une phrase que
Ines aurait ensuite pu répéter. Mais là c’est c’est c’est de l’acharnement […] Je me
rends compte que j’ai pas du tout la bonne méthode parce qu’au final c’est pas en
attendant, je peux attendre 55minutes. Si elle … elle saura pas faire la faire dans
55minutes.
396
En effet, sa contrariété l’amène à se focaliser, à « s’acharner », sur l’élève pour qu’elle dise
ce qu’elle a compris, puis, alors que cela a déjà été laborieux, pour qu’elle « fasse une
phrase ». On peut d’ailleurs s’interroger sur l’intérêt de faire produire la phrase “the job is
located on an island ”, et plus généralement des phrases complètes dans le cadre d’une
interaction. Cécilia ne pense que très tard à recourir à la co-construction, qui échoue car le
guidage proposé “where is the job located ?” n’est pas efficace. Cécilia perd donc beaucoup
de temps inutilement puisqu’elle finit par produire la phrase attendue. Elle prend le risque de
perdre la motivation (sans parler de la concentration) des autres élèves, ce qu’elle réalise a
posteriori durant l’EAC :
Je ne m’en étais pas rendu compte, […] en re-regardant juste le segment je vois
vraiment que c’est 1 minute 55 sur cette élève et, lui, il lève la main pendant ces 1
minute 55, pareil je ne le calcule pas du tout, je suis complètement sur mon élève et
non ça ne me fait pas plaisir de me rendre compte que j’ai fait ça.
Elle est dans ce qu’elle appellera plus tard, au cours d’un autre EAC, dans une « bulle », en
face à face avec son élève et comme isolée du reste de la classe.
• Épisode 4 : colère
Le cours continue et 1 minute 50 plus tard survient un nouvel épisode émotionnel.
Alors que l’élève Florian, élève qui rencontre des difficultés en anglais et qui « fait beaucoup
d’efforts au deuxième trimestre », répond favorablement à une sollicitation et s’apprête à dire
ce qu’il a compris, Cécilia se laisse déconcentrer par quelques élèves à sa droite qui bavardent,
dont l’élève Jérémy. Elle délaisse un instant Florian, qu’elle n’écoute plus, pour rappeler à
l’ordre Jérémy.
397
Figure 8.12. Capture de vidéo “Jérémy, stop talking!” et transcription du segment
*Modification de la prosodie
=>L’interjection « chut » est répétée et accentuée expressivement.
=> Le mot « guys » et le prénom « Jérémy » sont également accentué et associé
à une montée du volume de la voix de Cécilia. Si le volume est plus haut
lorsqu’elle l’interpelle, celui-ci redescend et elle lui chuchote d’arrêter de
parler. On peut imaginer qu’elle parle à voix basse car Florian est lui-même en
train de parler.
=>le ton est ferme (intonation descendante).
=>jouée paralinguistiquement :
Cécilia se déplace vers la droite et se rapproche de l’élève Jérémy qu’elle
regarde. Son visage est fermé et son regard sévère est fixé sur Jérémy.
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « contrariété ».
mettre dans cet L’émotion est argumentée par le contexte et l’amont : ce n’est pas la première
état ? fois que Cécilia reprend les élèves à sa droite, et qu’elles les interpellent à l’aide
L’émotion n’est de « guys ! » et avec un volume de voix plus ou moins haut.
compréhensible que si
elle est argumentée
Tableau 8.20. Analyse du segment 4 de Cécilia avec le modèle de Plantin
398
L’émotion « colère » est déclenchée car le « script du bon élève », le « script du cours
suffisamment bon » et le « script de l’enseignant stagiaire suffisamment performant »
sont interrompus. Cette fois l’émotion est plus intense, vraisemblablement car il s’agit du
quatrième épisode engendrant des émotions parentes de la colère. Le décalage entre les scripts
et la réalisation est plus fort que dans les épisodes précédents et le curseur bouge donc vers -
2, signe de l’expression d’une émotion plus intense.
La colère a un impact sur le discours de Cécilia. Sa prosodie est modifiée et elle a recours à
des interjections, dites avec un volume sonore élevé, puis à une injonction chuchotée,
prononcée en même temps que son élève Florian parle. Durant la phase de description de
l’action,Cécilia explique que la colère l’amène à décentrer son attention de l’élève interrogé
à l’élève bavard et lui fait oublier le premier :
Je suis en train de m’énerver contre l’autre… et ça m’a marqué parce que c’est un
élève qui fait beaucoup d’efforts au deuxième trimestre et dont je suis très contente et
là il fait sa phrase et moi j’suis en train… avec l’autre en train de lui chuchoter des
trucs, et je reviens sur lui, mais il a dû se sentir extrêmement ignoré quoi. Parce que
j’suis complètement fixée sur l’autre élève et lui il me parle et… et j’me suis rendu
compte sur la vidéo, et sur le moment je… j’me suis pas du tout rendu compte.
Sous l’emprise de la colère, Cécilia n’a pas pensé à recourir à une gestuelle qui aurait permis
aux deux élèves de se sentir pris en compte en même temps. D’un signe de la main gauche,
elle aurait pu donner la parole à Florian et, tout en gardant le lien avec lui avec la main tendue
dans sa direction, se tourner vers Jérémy et lui faire signe de se taire. Elle aurait ainsi été
connectée aux deux élèves en même temps, et chacun se serait senti inclus. Tournée
399
complétement vers Jérémy, elle en oublie Florian (« j’écoute pas du tout celui qui est en train
de parler »), ce qui l’amène à lui faire répéter son énoncé “What is a wonderful place?”:
J’entends sa phrase mais… oui à moitié c’est ça… et c’est… et ça se voit quand je
reviens vers lui à mon regard que dans ma tête j’suis en train de me dire « mince en
fait je l’ai pas… j’l’ai entendu la phrase, mais j’l’ai pas écoutée ». Donc du coup c’est
ça et c’est moi qui lui demande de… « de quoi t’es en train de parler ?»
Pour conclure l’analyse de ces épisodes de contrariété et de colère, on peut citer la synthèse
que fait Cécilia dans son premier EAC et qui résume l’impact des émotions parentes de la
colère sur son discours :
J’ai du mal , beaucoup de mal à exprimer quand je quand je ne suis pas contente
et voilà là je reste en anglais, après plus tard dans l’autre segment je repasse en
français, etc. et je me perds un peu, je perds du temps, je parle à un élève, je perds du
temps sur un élève, je ne calcule pas l’autre, et toutes les émotions négatives elles sont
en fait exprimées bizarrement, je les contrôle pas, je les gère pas et soit je raconte
n’importe quoi soit j’ignore un élève, soit je repasse en français enfin à chaque fois
il y a un problème dans ma façon d’exprimer ce qui est négatif.
Voyons maintenant dans quelle mesure les émotions parentes de la joie impactent également
le discours de Cécilia.
400
Figure 8.14 - Capture de vidéo “Apply ! » et transcription du segment
Dans cette situation, il n’y pas de décalage entre les scripts prototypiques du bon élève (ici :
le bon élève s’investit dans le cours et travaille dans le calme. Il donne les réponses que
l’enseignant attend) et de l’« enseignant stagiaire suffisamment performant » (le PS
suffisamment performant atteint ses objectifs. Il amène ses élèves à produire ce qu’il avait
prévu) et la réalisation. Il y a parfaite adéquation entre ce que Cécilia avait prévu en préparant
ses cours et ce qu’il se passe effectivement en classe, ce qui déclenche la joie. Cécilia le dit
très clairement durant l’EAC: « j’suis contente parce que c’est le mot que j’attends », « je
pense que j’attendais le mot, c’était l’objectif que je m’était fixé ».
Sur l’échelle ci-dessous, le premier curseur est placé à zéro puisque la réalisation est conforme
au script. Le curseur revêt la couleur jaune de la joie, émotion citée. Le deuxième curseur, en
lien avec l’intensité de l’émotion, est placé à +1 car la joie de Cécilia est intense. En effet, elle
est d’autant plus intense qu’elle contraste avec les épisodes émotionnels de colère vécus
précédemment.
402
Cette émotion a un impact sur le discours de Cécilia qui le commente lors de son EAC. Si elle
valide les énoncés des autres élèves à l’aide de “okay”, le mot attendu “apply” (prononcé
/aepli/ n’est pas validé linguistiquement sur l’instant, mais l’est non-verbalement par le biais
de diverses manifestations corporelles : retour du corps dans la direction de l’élève, pointage
du doigt le bras tendu accompagné simultanément d’un clin d’œil et d’un sourire. On peut
alors se demander si la joie, à l’instar de la contrariété-colère, ne fait pas perdre ses moyens
linguistiques à Cécilia qui se trouve dépourvue de mots sur l’instant. L’émergence de cette
émotion fait occulter à Cécilia les productions des autres élèves. Elle attend une réponse bien
précise, “apply”, et ignore les productions imprévues même si celles-ci sont intéressantes, ce
dont elle se rend compte a posteriori :
Quand il me le sort, bah je suis très contente et c’est… toi, toi euh… toi c’est bien. Et
c’est ridicule aussi quoi c’est… ça m’a frappé aussi… parce que voilà, les autres me
disent des choses et je suis « oui oui » puis j’entends /aepli/ et j’suis « ah ouais ça
euh… ça c’est bien… super… » donc voilà. Donc sur le moment j’suis contente et en
re-regardant j’me suis… j’me dis « mais c’est… c’est… c’est pas une réaction… c’est
trop »…
Durant la phase de description de l’action de l’EAC, Cécilia associe son émotion à des
évaluations positives (« ça c’est bien », « super ») qu’elle n’a pas verbalisées durant le cours.
La joie l’amène à répéter et faire répéter à la classe le mot attendu, comme pour mieux
savourer sa réussite et valoriser l’élève.
Selon le CNRTL, le mot « exagération » désigne l’« action, fait de présenter une chose en lui
donnant plus d'importance ou des proportions plus grandes qu'elle n'en a réellement ». Sous
le joug de la joie, Cécilia réagit avec exagération (« on lui met une couronne sur la tête ») en
mettant la production très en avant, ce dont elle prend conscience et commente ainsi :
Faut accepter toutes les productions des élèves et pas se dire « oh cool super, lui il m’a
dit le mot que j’attendais euh … c’est trop bien », on lui met une couronne sur la tête
et voilà.
Elle précise également qu’elle en oublie les productions intéressantes des autres élèves pour
se concentrer uniquement sur celle-ci, ce qui est une absence de discernement et donc une
erreur pédagogique. L’impact de la joie se manifeste donc par la perte des moyens
linguistiques, le recours au non-verbal, l’exagération, le recours à la répétition et la perte de
discernement.
• Épisode 6 : contente et soulagée
L’épisode suivant a eu lieu durant un cours de seconde le samedi 13 avril 2019. Durant
la séance précédente, les élèves ont travaillé en groupe sur une situation de harcèlement afin
403
de la jouer devant leurs camarades. Le cours du 13 avril commence par un temps de
concertation de cinq minutes entre les élèves afin qu’ils procèdent aux derniers ajustements.
Puis le premier groupe est désigné et s’installe au centre de la salle. Cécilia donne les
consignes au reste de la classe: les élèves spectateurs vont devoir prendre des notes (“what
sort of bullying is present?”, “what happened to the victim/to the bully/to the witness?”). On
connaît la nature de la tâche que des élèves spectateurs auront ensuite à réaliser : écrire un
article ? Faire une synthèse orale à la manière d’un journaliste ? Le premier groupe fait sa
présentation à l’aide de notes, ce qui rend la présentation peu dynamique. Une fois le jeu de
rôle terminé, Cécilia interroge le reste de la classe “what happened?”. On réalise alors que la
prise de notes a pour unique but un jeu de questions réponses visant à vérifier la
compréhension. On peut s’interroger sur ce que les élèves spectateurs ont compris de cette
saynète durant laquelle les élèves présentateurs ont balbutié à voix basse sur un ton
monocorde. Sans surprise, la participation des spectateurs est très limitée, ce qui amène
Cécilia à dire :
Alors là c’est compliqué, je sors les rames encore. Et je me rends compte que je n’ai
peut-être pas le bon geste, ils ne voient pas du tout, les élèves ne voient pas du tout où
je veux en venir […]
Les élèves sont perdus, ne s’écoutent plus vraiment et Cécilia dit ressentir du stress, puis de
l’agacement. C’est dans ce contexte que débute à la quinzième minute du cours, l’épisode que
Cécilia a choisi de commenter. Un élève parvient à faire une phrase, ce qui soulage Cécilia.
404
Figure 8.16 - Capture de vidéo “Very good ! » et transcription du segment
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers les
quelle raison se émotions « contente et soulagée ».
mettre dans cet L’émotion est justifiée par le contexte : l’élève vient de lui permettre de
état ? redémarrer son cours et elle semble lui en être reconnaissante : « on voit que
L’émotion n’est c’est un ‘very good’ mais je ne lui souris pas là, moi ce n’est pas de
compréhensible que l’encouragement c’est (souffle) ‘merci !’ je lui dis merci de me sauver mon
si elle est argumentée cours ».
Tableau 8.22 – Analyse du segment 6 de Cécilia avec le modèle de Plantin
Ici le script est celui du « cours d’anglais pas assez bon ». Cécilia, qui a précisé dans l’EAC
qu’elle avait « baissé les bras » et qu’elle ressentait de « la lassitude » face à ses élèves,
s’attend à ce que le cours s’enlise et que les élèves soient de plus en plus silencieux et passifs.
405
Elle s’attend à ne pas atteindre ses objectifs. Le script pessimiste est interrompu et la
réalisation va au-delà de l’attendu grâce à l’élève qui, selon Cécilia, « sauve le cours ». Il y a
donc un décalage positif et le curseur est placé sur + 1 car l’émotion « soulagement » n’est
pas très intense.
Si le soulagement de Cécilia ne donne pas lieu à l’interjection « ouf !», il déclenche néanmoins
l’interjection “very good ”, répétée, et accompagnée à chaque fois d’un pouce levé. Cécilia
fait remarquer que l’émotion l’amène à avoir une réaction démesurée :
Je lui dis ‘oui, yes good, heureusement que tu es là’ presque . Du coup, c’est vrai je ne
sais pas comment lui doit se sentir mais c’est un peu exagéré comme réaction parce
que en fait il me fait juste une phrase toute simple il doit se dire bon si elle est très
contente pour ça, elle n’est pas…
En observant ce tableau, on constate que les émotions conduisent quatre fois sur six Cécilia à
perdre ses moyens linguistiques. Dans quelle mesure des ateliers de théâtre forum153 (Boal,
1995) ne pourraient-ils pas l’aider à apprendre à improviser et donc à apprendre à verbaliser
dans les situations émotionnantes ? Ses émotions la conduisent également à faire des erreurs,
tant linguistiques que pédagogiques, et à décentrer son attention. On constate que Cécilia
recourt à des gestes spontanés (déictiques, emblématiques) lorsque les mots lui manquent.
Cependant, elle n’a pas encore intégré certains gestes pédagogiques. On peut alors se
demander dans quelle mesure une formation pour optimiser sa présence corporelle154 en classe
et se constituer une banque de micro-gestes pour réguler la classe ou impliquer les élèves
(Duvillard, 2016) ne pourrait pas lui être profitable.
153
Nous reviendrons sur le théâtre forum dans la partie conclusion.
154
Nous reviendrons sur ces propositions dans la partie conclusion.
407
Il est intéressant de noter que les EAC amènent Cécilia à prendre conscience de l’impact de
ses émotions sur son discours et ses choix, ce qui la conduit à envisager des stratégies pour y
remédier. Nous en reparlerons plus tard.
Le cas de Dorine, PS de C3
Pour cette étude de cas, nous suivrons les mêmes étapes que pour celle de Cécilia, à
savoir :
1. Analyses des 2. Analyse des 3. Analyse des
questionnaires E-journaux de bord pédagogique Segments vidéo
-Analyse réponses au - Analyse des émotions à valence -Analyse d’extraits de situations
questionnaire rempli en tant négative et de la colère (avec EMOTAIX de cours déclenchant la colère
que PS et la typologie des déclencheurs)
-Focus sur la colère (modèle de Plantin, -Analyse d’extraits de situations
=>focus sur la colère 2011) de cours déclenchant la joie
=>focus sur la joie
=>focus sur le partage -Analyse des émotions à valence -Conclusion
positive et de la joie (avec EMOTAIX et
la typologie des déclencheurs)
-Focus sur la joie (modèle de Plantin,
2011)
En 2018, Dorine était PS, déjà détentrice d’un master MEEF. Au mois de novembre, elle a
répondu au questionnaire envoyé à l’ensemble des PS de sa promotion et, à l’instar de Cécilia,
s’est ensuite portée volontaire pour tenir un e-journal de bord pédagogique qu’elle a rempli
du 7 janvier 2018 au 3 juin 2019 (7233 mots). Elle a été filmée à quatre reprises entre février
et avril 2019. Un corpus vidéo de quatre séances de 55 minutes de cours avec un public de
collégiens (classes de cinquième) a pu être constitué. Ces enregistrements ont ensuite servi de
déclencheurs à des entretiens d’autoconfrontation (EAC) organisés à distance des captations
de cours, ce qui a donné suffisamment de temps à Dorine pour visionner seule les vidéos et
sélectionner les segments de son choix.
Le tableau suivant rappelle la nature de la participation de Dorine aux diverses
expérimentations en 2018-2019 :
408
(sous le (7233 26/03/2019 5ème 55 mn 01/04/2019 48 :14 mn
pseudonyme mots)
01/04/2019 5ème 55 mn 03/04/2019 1h 06 : 53
« Nutella »)
Tableau 8.25. Nature de la participation de Dorine aux expérimentations
409
Les émotions parentes de la colère sont absentes de la liste, ce qui ne signifie pas pour autant
que son quotidien en est dépourvu. L’étude de son e-JdBP montrera qu’au contraire elle
ressent beaucoup de colère.
La joie est citée deux fois. Elle est déclenchée par la bonne entente entre pairs stagiaires, et
par une situation de classe : « La joie lorsque les élèves interagissaient entre eux de façon
autonome en anglais et y prenaient plaisir ». Son émotion peut être reconstituée à l’aide du
diagnostic empathique : Dorine ressent de la joie car elle a réussi son cours en mettant ses
élèves en activité. Ceux-ci se sont impliqués avec enthousiasme. On comprend d’autant mieux
l’émergence de sa joie si on compare cet épisode à une autre réponse au questionnaire faite le
même jour et dans laquelle elle relate une situation de classe qui l’a amenée à ressentir de la
honte et de la culpabilité :
La honte, la culpabilité : La séquence que j'avais préparée avait pour but de motiver les élèves et
de les aider à progresser. Leur refus de travail m'a blessée, des larmes se sont mises à couler sur
mon visage aux 10 dernières minutes du cours et je n'ai pas réussi à les contrôler. J'ai continué
jusqu'à la fin comme si de rien n'était. Je me sens coupable d'avoir pleuré devant les élèves. L'image
que je leur renvoie ne sera plus jamais la même.
L’étude du e-JdB de Dorine offre davantage d’informations sur les émotions de la PS.
155
L’intégralité de son e-JdBP se trouve en annexe 19.
410
À la lecture du e-JdBP de Dorine, on est tout de suite frappé par l’intensité des émotions
qu’elle dit avoir ressenties, ainsi que par leur différence de valence au cours d’une même
journée. En effet, elle semble parcourir de véritables montagnes russes émotionnelles au
quotidien car elle peut ressentir une très grande colère suivie de très grandes joies au cours de
la même séance avec ses élèves. On pourra plus tard vérifier cette caractéristique lors de
l’analyse des segments de cours qu’elle a choisi de commenter.
Figure 8.20. Ratio émotions à valence positive/négative/non spécifiée et impassibilité relevées par
EMOTAIX dans l’e-JdBP de Dorine
EMOTAIX relève une très forte présence de frustration, de colère et de rage ainsi que de
nombreuses occurrences de souffrance (cf. annexe 20). Le quotidien de Dorine semble donc
difficile, parsemé de moments de colère et de douleur qui l’amènent à pleurer. Ceci peut
provenir du fait qu’elle exerce dans un collège situé en réseau d’éducation prioritaire (REP)156
avec un public difficile.
Lorsqu’on ne recourt plus à EMOTAIX et qu’on comptabilise uniquement les noms des
émotions que Dorine dit avoir ressenties – comme ceci a été fait pour les questionnaires –, on
note un total de 156 émotions. Parmi celles-ci, on repère 89 émotions à valence négative, ce
qui représente 57% du total des émotions citées. Ce pourcentage est très proche des 55%
relevés par EMOTAIX. Il correspond également à celui de la moyenne des PS de la cohorte 3
(58%) dont fait partie Dorine. Le quotidien de la PS est donc similaire à celui de ses pairs,
difficile et douloureux.
156
Pour plus d’explications sur ce que sont les établissements classés en REP : https://www.education.gouv.fr/l-
education-prioritaire-3140
412
Figure 8.21. Ratio des émotions à valence négative/positive à partir du recensement des noms d’émotions
cités dans l’e-JdBP de Dorine
Si les émotions à valence négative sont majoritaires, la joie demeure l’émotion la plus citée
dans l’e-JdBP (16 occurrences), comme nous le verrons dans le prochain paragraphe. Elle est
suivie de près par la colère (14 occurrences), ce qui est similaire aux résultats trouvés lors de
l’étude des questionnaires de l’ensemble des enseignants.
La diversité ainsi que l’intensité des émotions négatives citées par Dorine est frappante (cf.
annexe 21). Fureur, humiliation, sentiment de trahison, dévalorisation, n’en sont que quelques
exemples. Si la colère est l’émotion la plus citée, elle est suivie de près par la tristesse qui en
est la conséquence. On ne peut alors que s’interroger sur la prise en charge – ou plutôt sur
l’absence de prise en charge – de ces émotions par l’institution et, en l’occurrence, par la
formation initiale. Dans quelle mesure les PS sont-ils suffisamment prêts pour faire face aux
élèves difficiles des établissements classés REP ?
Les émotions parentes de la colère représentent un tiers des émotions à valence négative que
Dorine dit ressentir.
Tableau 8.27. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3
413
Tout comme Cécilia, Dorine a une granularité émotionnelle plutôt développée. Elle utilise
huit termes et expressions différents pour qualifier sa colère en modulant son intensité, de
l’énervement à la perte de contrôle qui fait basculer dans la fureur. Elle ajoute aussi des
nuances à sa colère pour faire part de son ressentiment.
Le tableau 8.32 recense les déclencheurs de la colère157, répartis selon le code couleur suivant :
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
Tableau 8.28. Les déclencheurs de la colère cités dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3 et ratio
La colère de Dorine est essentiellement déclenchée par les élèves, et notamment par leur
« comportement inadapté ». Plus d’un tiers des déclencheurs de la colère sont en lien avec
l’enseignante elle-même en raison des difficultés qu’elle rencontre notamment sur le plan
didactique et pédagogique (« mauvais cours », « conscience de ses difficultés et erreurs »,
« gestion difficile de l’imprévu ») et de son positionnement (« doutes et questionnement »),
qui ont inévitablement un impact sur les élèves, leur comportement et leur implication dans le
cours. Dorine rencontre des difficultés pour construire son identité professionnelle. En effet,
elle semble constamment tiraillée entre ce qu’elle perçoit être nécessaire pour être une
enseignante-adulte référente et sa propre personnalité :
157
Les déclencheurs des émotions à valence négative citées dans l’e-JdBP de Dorine sont consultables en annexe
22.
414
J’avais maintenu un regard très ferme durant cette heure de cours et je me suis rendu
compte que le cours était plus calme. Cela ne me plaisait pas, mais lorsque je voyais les
élèves redevenir sérieux à nouveaux, je me disais que la seule solution avec les élèves
était de maintenir cette fermeté même si je trouve qu’elle ne me correspond pas en tant
qu’individu.
Elle oscille donc entre une posture spontanée et personnelle (calme, sourire, gentillesse,
permissivité), la fermeté qu’elle sait devoir mettre en place, telle une injonction
institutionnelle, et la froideur (« je reste de marbre et je souris le moins possible avec cette
classe »). Les citations « j’étais moins ferme puisque les cours s’étaient bien déroulés en
matinée » et « j’avais du mal à reprendre le dessus puisque j’étais dans une posture calme et
amicale. Il fallait que je montre à nouveau de la fermeté » illustrent que la fermeté est associée
à un geste répressif. Par ailleurs, l’emploi de l’adjectif « amicale » est très significatif. Il
indique que Dorine ne parvient pas encore à se positionner par rapport à ses élèves. Tout cela
témoigne du grand-écart permanent entre les émotions que l’on constate dans le journal, et qui
est encore plus perceptible sur les vidéos dont l’étude fera l’objet de la prochaine partie.
Dorine est consciente d’avoir des difficultés (« conscience de ses difficultés et erreurs »)
mais ne parvient pas encore à les analyser et tend donc souvent en attribuer la cause aux élèves.
Les bavardages dont se plaint Dorine peuvent être en partie liés à sa posture ambivalente :
J’avais décidé de relâcher un peu mon visage strict pendant cette heure mais je me suis
rendu compte que les élèves en profitaient pour bavarder à voix haute. J’ai essayé de
donner une consigne et les élèves n'écoutent pas. J’ai alors poussé un très grand cri
furieux “Maintenant ça suffit, vous vous taisez !”
Sans cadrage cohérent et persistant, les élèves sont en manque de repères. Les difficultés
didactiques et pédagogiques dont elle est en partie consciente peuvent renforcer l’agitation
des élèves ou leur manque d’implication dans un contexte d’exercice difficile.
Si les émotions à valence négative, dont la colère fait partie, sont majoritaires dans l’e-JdBP
de Dorine, la joie est aussi présente.
416
En comptabilisant uniquement les noms d’émotions comme cela a été fait pour le
questionnaire, on constate que le taux d’émotions à valence positive présent dans l’e-JdBP de
Dorine est de 43%, pourcentage identique à celui obtenu avec EMOTAIX. En comparaison,
ce taux est nettement supérieur aux 25% trouvés en analysant l’e-JdBP de Cécilia.
La liste des émotions à valence positive recensées est consultable en annexe 21. La joie est de
loin l’émotion à valence positive la plus citée, ce qui corrobore l’ensemble des résultats
trouvés jusqu’ici. Elle est suivie par la satisfaction, émotion parente de la joie mais de moindre
intensité.
Les émotions parentes de la joie représentent 59% des émotions à valence positives citées :
Tableau 8.30. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3
L’étude du e-JdBP montre que Dorine ressent essentiellement des émotions de la famille de
la joie lorsqu’elle se sent en réussite. Tout d’abord, lorsqu’elle a le sentiment que son cours a
bien fonctionné (30% des occurrences de joie) :
Satisfaction : L'heure avec les 4emes se passe plutôt bien, ils sont calmes et volontaires. Après
le changement de plan de classe, il y a moins de bavardages. J'étais plutôt satisfaite.
L'heure avec les 5eme s'était plutôt bien passée également. La trace écrite me convenait, les
élevés semblaient avoir assimilés à court terme le point grammatical du ING après un verbe
de goût.
417
Tableau 8.31. Les déclencheurs de la joie cités dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3
Il est intéressant de constater, dans le tableau et la figure, que les épisodes en lien avec
l’enseignant lui-même sont majoritaires. Dorine est focalisée sur sa posture car son identité
professionnelle est en construction. Elle est dans la phase chrysalidaire (cf. 1.2.1).
Voir ses élèves travailler et réussir déclenche également de la joie :
Joie : Les 4e LV2 sont très enthousiastes et me demandent comment dire plusieurs
structures qui nous ont permis d'enrichir énormément les productions de départ. J'étais
très contente et je me réjouissais du fait qu'ils allaient progresser. J'ai passé une heure
de cours très agréable.
Dorine ressent également des émotions parentes de la joie lorsqu’elle reçoit des retours
positifs, de l’aide et des conseils de la part de ses collègues et de sa direction, ou lorsqu’elle
partage de bons moments avec ses collègues :
Réconfort : J'en ai parlé à mes collègues. Ils m'ont conseillé de ne prendre que les
conseils et de continuer à progresser autant que je le pouvais. Et ils m'ont proposé de
venir me voir en classe. Cela m'a réconfortée de savoir que je n'étais pas seule et que
d'autres personnes me soutenaient.
418
Décalage zéro, adéquation entre le script
prototypique et la réalisation = satisfaction
Scripts du « cours L'heure avec les 4emes se passe L’émotion « satisfaction » est explicitement
suffisamment bon » et des plutôt bien, ils sont calmes et nommée.
« bons élèves » volontaires. Après le L’émotion n’est jouée linguistiquement que
Le cours se passe dans le changement de plan de classe, il par sa citation : « J'étais plutôt satisfaite ».
calme. Les élèves y a moins de bavardages. J'étais L’émotion est argumentée : toutes les
s’investissent dans le cours et plutôt satisfaite. conditions sont réunies pour que le cours soit
sont respectueux des règles de suffisamment bon : les élèves sont calmes et
vie de classe. Leurs volontaires. Le cours « se passe bien », sans
productions sont riches. surprises ou déconvenues.
Script de « l’enseignant Le nouveau plan de classe est efficace.
stagiaire suffisamment
performant » Décalage zéro, adéquation entre les scripts
Le PS sait prendre les bonnes prototypiques et la réalisation = satisfaction
décisions. Il sait faire un plan
de classe efficace qui canalise
les élèves et réduit les
bavardages.
Tableau 8.32. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3. Cas d’adéquation
script/réalisation
419
Scripts pessimistes L’entretien entre la principal adjointe et Les émotions sont explicitement nommées :
« l’entretien pas ma tutrice terrain s’était plutôt bien « soulagée », « rassurée ». La
suffisamment bon » et passé. J’avais reçu des conseils de la joie/satisfaction n’est pas nommée mais elle
« la PS d’anglais pas part de ma tutrice concernant la séance. apparaît sous la forme d’un émoji158.
suffisamment J’étais soulagée. Elle m’a confirmé que Les émotions sont jouées linguistiquement :
performante » l’exclusion s’imposait face à l’insolence « s’était plutôt bien passé », présence d’un
La tutrice et la de l’élève. Elle m’a également dit que émoji qui évalue « je progresse ».
principale font des j’avais enfin appris à prendre du recul Les émotions sont argumentées : la tutrice a
reprochent à la PS sur sa sur mes préparations. Lorsque je validé les choix de la PS et a signalé les
conduite de classe constate une difficulté chez les élèves, il progrès : « enfin appris à prendre du recul sur
(exclusion d’une élève, m’arrive maintenant d'improviser une mes préparations ». Ce dernier point est
gestion de classe activité ou de passer un peu plus de argumenté : « Lorsque je constate une
difficile) et sur sa temps dessus quitte à réduire ce que difficulté chez les élèves, il m’arrive
didactique et sa j’avais prévu de faire par la suite. Cela maintenant d'improviser une activité ou de
pédagogie (manque de m’a rassurée de voir que je progresse passer un peu plus de temps dessus quitte à
prise de recul, gestion % malgré les difficultés que je
$
#
"
😊 réduire ce que j’avais prévu de faire par la
du tableau rencontre toujours dans la gestion du suite. ». Les difficultés persistantes (« les
problématique) tableau ou la gestion de classe. difficultés que je rencontre toujours dans la
gestion du tableau ou la gestion de classe »
sont tempérées par les progrès « je progresse
% ».
$
#
"
😊
158
Les émojis, qui sont des petites icônes digitales, de même taille que les caractères du clavier, et qui peuvent
représenter toutes sortes de choses, des visages aux objets en passant par les animaux ou de nombreux
pictogrammes (Schneebeli, 2018)
420
auxquelles je n’avais moi-même pas
pensées ». Ceci a permis à Dorine d’aller au-
delà de ses objectifs : « J’ai pu les aider à
faire des phrases plus intéressantes. Et j’ai
pensé à introduire plus de symboles
phonétiques dans la trace écrite » et de faire
« un cours complet » pour la première fois
(« enfin »).
J'en ai parlé à mes collègues. Ils m'ont conseillé de ne prendre que les conseils et de
continuer à progresser autant que je le pouvais. Et ils m'ont proposé de venir me voir
en classe. Cela m'a réconforté de savoir que je n'étais pas seule et que d'autres
personnes me soutenaient. (sic)
J’ai partagé ce qui s’est passé dans cette heure avec ma collègue d’anglais XX,
néotitulaire cette année. Elle m’a dit que j’avais bien fait de faire le point en français
sur les présentations mais qu’elle doutait du fait qu’il y ait un réel engagement de
travail pour demain s’il n’a pas été fait durant les vacances.
159
On peut reconstruire le script « travail des équipes des établissements REP » à partir de l’épisode émotionnel
qui suit la citation « l’image que je me faisais d’une équipe pédagogique en établissement REP n’était pas celle-
ci. » : collègues soudés, qui s’écoutent et s’entraident.
421
Si le partage des émotions a des vertus, il peut aussi être contreproductif dans certains cas,
comme lorsque Dorine partage ses préoccupations avec ses proches qui ne travaillent pas dans
l’enseignement :
Lors du petit déjeuner, je parlais avec mon père du mauvais comportement d’un élève.
Et j’ajoutais que la sanction ne règlerait pas le problème car il m’arrivait souvent de
voir cet élève assis par terre dans les couloirs parce qu’un professeur avait décidé de
le sortir. Je ne supporte pas de voir cet élève dehors, je veux qu’il réussisse. Je ne veux
pas l’exclure comme la plupart de mes collègues me disent de faire. Mon père semblait
prendre parti des autres professeurs et me faisait remarquer que le salaire d’un
professeur certifié ne couvrait pas l’investissement et l'intérêt que je portais à chacun
de mes élèves. Une part de moi était d’accord avec lui mais je me sentais très
dévalorisée à ce moment précis et impuissante face aux situations à problèmes que je
ne pouvais résoudre miraculeusement.
Nous n’irons pas plus loin dans l’analyse du partage des émotions, faute de données.
• Épisode 1 : énervement
Le premier épisode émotionnel survient au bout de la onzième minute de cours. La
séance suit un « déroulement ritualisé » (Cicurel, 2011). L’enseignante, dans un rôle de chef
d’orchestre, demande aux élèves d’interagir entre eux pour contrôler les absences, puis de se
demander comment ils vont. L’activité plaît et les élèves sont volontaires. Elle enchaine avec
422
une activité portant sur les qualités à l’aide d’une cocotte en papier en origami. L’objectif de
l’activité n’est pas clair : simple rebrassage du lexique travaillé en amont ou introduction en
jalon du lexique de la séance ? L’élève désigné donne un chiffre entre 1 et 10 à Dorine qui
actionne alors la cocotte le nombre de fois correspondant au chiffre. En tant que « meneur de
jeu » (Dabène, 1983), elle demande ensuite à l’élève de choisir sur la cocotte une couleur qui
donne accès à l’inscription d’une qualité. Dorine reste en position haute et ne délègue pas
l’activité aux élèves. Elle ne saisit pas non plus l’occasion pour faire réagir les élèves en
anglais aux qualités que la cocotte a attribué aux élèves. Ceux-ci le font donc tout
naturellement en français et dans la plus grande spontanéité, sans demander la parole. Ils
s’affranchissent donc de leur statut de « public captif » décrit par Bouchard (1999) et
procèdent librement à des commentaires en français sur l’activité. Ceci est le signe que la
thématique motive les élèves, mais que la mise en œuvre n’est pas suffisamment bien pensée
en amont. Ces commentaires anarchiques déplaisent à l’enseignante qui enchaîne les
injonctions régulatives à l’aide de l’interjection « chhhhhut ! » dont la prononciation est de
plus en plus longue. Cela signale la montée de l’agacement et témoigne de l’impuissance de
l’enseignante puisque la situation persiste, et se renforce au moment où Dorine met fin à
l’activité. Les élèves font part de leur frustration et de leur souhait de continuer. Survient alors
l’épisode émotionnel que Dorine a choisi de commenter durant son EAC et dont voici la
transcription aux normes ICOR :
423
Figure 8.22. Capture de vidéo “eh eh eh ! » et transcription du segment
=>manifestée paralinguistiquement :
L’énervement est joué par le langage non verbal.
=>Le visage de Dorine est fermé et son regard est dur.
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « énervement ».
mettre dans cet L’émotion est justifiée pendant le cours : Dorine a déjà demandé plusieurs fois
état ? aux élèves de se taire à l’aide de « chut ». Par ailleurs elle leur a signifié que
L’émotion n’est l’activité était terminée à l’aide de « next time » mais ils ne l’écoutent pas et
compréhensible que insistent pour continuer.
si elle est argumentée Son énervement est argumenté a posteriori durant l’EAC. Elle précise que « le
bruit est installé depuis longtemps », et elle a déjà rappelé plusieurs fois les
élèves à l’ordre en proférant plusieurs « chut » pour leur demander de se
calmer.
Tableau 8.34. Analyse du segment 1 de Dorine avec le modèle de Plantin
424
L’émotion « énervement » surgit car plusieurs scripts prototypiques liés les uns aux autres,
sont interrompus. C’est tout d’abord le cas du script de « l’activité suffisamment bonne »
que l’on peut reconstruire ainsi : la PS a préparé une activité ludique et originale pour faire
apprendre/réviser les qualités aux élèves. Elle la met en œuvre dans sa classe, sans difficulté.
Le climat est propice au travail. Les élèves, motivés, réagissent conformément aux attentes de
l’enseignante. À ce script s’ajoute celui de l’« enseignante stagiaire suffisamment
performante » : la PS suffisamment performante propose à ses élèves des activités
motivantes qu’elle a conçues elle-même car elle est créative. Elle maîtrise les principes de la
didactique de sa discipline, sait mettre en œuvre l’activité qu’elle a conçue, tout en assurant
un mode de fonctionnement du groupe favorisant l’apprentissage ». Vient pour finir le
« script de bon public captif » : le bon public captif réagit au cours avec enthousiasme mais
calmement. Les élèves respectent les règles et savent s’arrêter quand l’enseignante le leur
demande. Ils restent dans leur « métier d’élèves » (Perrenoud, 1994) : ils écoutent leur
professeur lire la qualité sur la cocotte en papier et ça leur suffit.
La réalisation en classe ne correspond pas à la représentation mentale que la PS avait élaborée.
Il y a un décalage négatif car les élèves ne se conforment pas aux attendus et ne se calment
pas. Le décalage entre les scripts prototypiques et la réalisation génère l’énervement.
425
l’énervement, Dorine ne verbalise pas, elle ne dit ni ce qui la dérange, ni ce qu’elle attend,
ce qui ne permet pas aux élèves de comprendre son intention et de se corriger. Elle en prend
conscience durant la phase de description de l’action de l’EAC : « je leur dis « Eh ! Eh ! »
c’est tout, donc je leur ai pas dit d’arrêter ». Il est intéressant de noter que Dorine est restée
très souriante jusqu’au moment où elle a proféré les interjections, et qu’elle reprend ensuite
immédiatement son sourire lorsqu’elle dit « we’ll see next time ». Ceci renvoie à la difficulté
de positionnement qu’elle mentionnait dans son e-JdBP et qui l’amène à osciller en
permanence entre son identité personnelle, ce qu’elle a qualifié de « posture amicale » et ce
qu’elle considère comme l’identité professionnelle enseignante, dont la fermeté, qu’elle
n’arrive pas à mettre en place, fait partie. Elle intervient donc quand elle est excédée, et par le
biais d’interjection :
Ils ne comprennent pas pourquoi je crie tout à coup alors que le bruit est installé depuis
un moment […].
Je préférerais leur dire, ou, tout simplement « taisez-vous ». Parce que je me retiens et
je sais que ça monte. Pour moi le niveau sonore il est haut mais eux ils ne le savent pas,
je leur dis pas quand pour moi c’est haut. Moi j’attends un moment, j’attends, j’attends,
et puis au moment où ça ne me plait pas, là, je crie.
• Épisode 2 : colère
Le deuxième épisode émotionnel survient trois minutes plus tard, à la minute 14 et
dure 15 secondes. Dorine a changé d’activité et procède au rappel du cours précédent et au
contrôle des connaissances. Elle interroge des élèves et leur fait produire des énoncés en
prenant appui sur des images projetées au tableau. Le niveau sonore n’est pas redescendu
depuis l’épisode précédent car Dorine n’a pas pris le temps de redéfinir les règles en procédant
426
à un « temps mort », comme défini plus haut, ni de fixer des limites aux élèves. Elle continue
le cours avec énergie et grand sourire, tout en faisant plusieurs rappels à l’ordre, plus ou moins
discrets, qui ne fonctionnent pas. Entre la minute 11 :40 et la minute 14, on peut relever six
manifestations de son énervement :
Minute Nature de l’intervention
11 :20 Interjection « chhhhhhut ! » + son long
12 :35 4 interjections « Eh ! » + interjection « chut ! » + pointage du doigt vers l’élève/les élèves
concerné(s) avec geste de retour vers le tableau
12 :42 Geste de pointage, claquement de doigts + injonction « stop! » + visage fermé vers les mêmes
élèves
12 :55 Geste « chut » + pointage vers l’oreille
13 :13 Interjection « chhhhhhut ! » avec son long
13 :23 Geste « chut » + visage fermé
Tableau 8.35. Manifestations d’énervement entre l’épisode émotionnel 1 et l’épisode émotionnel 2. Dorine
PSC3
De la minute 13:30 à la minute 14, une élève est en train de produire un énoncé avec l’aide de
Dorine. C’est à ce moment que surgit l’épisode émotionnel 2.
427
Qui éprouve quoi ? Personne affectée : Dorine, PS
=> Qui est affecté ? Nature de l’émotion : « colère »
=> Quelle est =>nommée explicitement durant l’EAC
l’émotion =>manifestée linguistiquement:
éprouvée ? *Usage de l’interjection « chut » prononcé avec un son consonantique long.
*Perte de contrôle de sa voix : ceci affecte la hauteur de voix et l’intensité, et
donc la prosodie.
*Perte de contrôle de la langue d’usage du cours, l’anglais : elle quitte l’anglais
pour crier en français l’injonction « alors on se tait ! »
=>manifestée paralinguistiquement:
Dorine accompagne son discours de gestes d’animation (Tellier, 2014, p. 110)
pour gérer la classe : le geste emblématique « chut », le geste iconique « se
retourner » qui imite le mouvement de rotation. Elle frappe sa main gauche du
stylo qu’elle tient de la main droite en signe de colère et d’impatience (« j’étais
très impatiente là, je touchais mon stylo là comme ça, je voulais aller vite »).
Son visage est très fermé, sans sourire – ce qui est rare de la part de la PS – et
son regard est dur (« je regarde méchamment »).
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « colère ».
mettre dans cet L’émotion est justifiée par l’amont : Il y a eu six rappels à l’ordre en l’espace
état ? de 3 minutes 20.
L’émotion n’est Dorine précise durant l’EAC : « c’est pour la même raison, on n’écoute pas, on
compréhensible que n’écoute pas la camarade qui est sur le point de prendre la parole », « ils ne
si elle est argumentée peuvent pas se mettre à parler quand un camarade est en train de prendre la
parole ».
Tableau 8.36. Analyse du segment 2 de Dorine avec le modèle de Plantin
Si l’énervement était l’émotion du premier épisode, le deuxième épisode donne cette fois lieu
à l’émergence de la colère, émotion d’intensité supérieure. En effet, l’émotion « énervement »
du premier épisode est retombée mais Dorine n’est pas encore revenue à son état thymique
normal lorsque l’émotion colère survient, ce qui explique l’escalade.
428
Figure 8.26. Courbes des épisodes émotionnels d’après Plantin
429
La colère a un impact sur le discours de Dorine. Elle l’amène tout d’abord à perdre le contrôle
de sa voix et donc de sa prosodie. Le volume de sa voix monte et elle se met à crier, la
hauteur de voix n’est plus contrôlée. Elle perd le contrôle de son discours régulatif ce qui
l’amène à recourir à des interjections (« chut ! ») et au langage non-verbal (gestes,
expressions du visage). Lorsqu’elle verbalise sa colère, Dorine a recours à l’alternance
codique interphrastique, elle intercale donc la phrase en français « alors on se tait ! », avant
de reprendre immédiatement en anglais avec “speak up !”, antithèse de l’injonction précédente
en français. La verbalisation en français ne lui permet pas de reprendre le contrôle de son
discours régulatif. En effet, l’injonction « alors on se tait ! » n’est pas claire pour les élèves
et est donc inefficace pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la forme déclarative (« on se
tait ! ») n’a pas le même impact que la forme impératif (« taisez-vous !»), la notion
d’injonction étant alors uniquement portée par l’intonation. Par ailleurs, le recours au pronom
« on », à la place de « vous » ou du prénom des élèves concernés, montre que la PS n’affirme
pas suffisamment son autorité. Ceci est renforcé par l’absence de « pause silence »161 entre
l’injonction criée (« alors on se tait ! ») et la reprise immédiate du cours (“speak up!”). L’EAC
amène Dorine à en prendre conscience : « ‘on se tait !’ et j’ai tout de suite repris. […] Je n’ai
pas encore eu le silence et j’ai repris. […] Oui, c’est bizarre, je leur dis « on se tait ! » mais
je n’attends pas le silence ». La quatrième phase du modèle ÉmoDÉRÉ, ou « recherche
d’alternatives », et lui permet d’échafauder des stratégies de remédiation :
[si c’était à refaire ] j’aurais croisé les bras, je les aurais regardés et j’aurais dit
‘écoutez, là vous avez des camarades en train de s’exprimer, c’est pas normal que vous
soyez en train de parler en même temps, c’est de l’irrespect. Donc je ne reprendrai
qu’à partir du moment où vous vous tairez, qu’on pourra faire entendre ce que dit votre
camarade’ », marquer le coup. Le « on se tait ! » plus lentement, et vraiment attendre,
regarder toute la classe, pas que d’un côté, et oui, attendre
161
Une pause silence correspond à l’arrêt d’émission sonore. Elle s’oppose à la pause remplie qui comprend des
marqueurs d’hésitation (Guimbretière, 2014)
430
cours ou de s’apostropher. Lorsqu’un élève interpelle un autre à voix plus haute, l’épisode 3
est déclenché.
431
=> « Eh ! » répété trois fois. Le dernier « Eh ! » a une intensité plus forte que
les trois autres.
*Recours à une question rhétorique : « j’te dérange ? »
=>manifestées paralinguistiquement :
*Recours au geste emblématique « chut »
*Visage fermé et regard très dur.
*Elle fait un mouvement de la tête vers l’avant lorsqu’elle dit « Eunice, j’te
dérange ? ». Ceci montre qu’elle ne parvient pas à faire usage de sa voix
professionnelle, ou voix portée. Elle force sa voix et utilise sa « voix de
détresse » ou « voix d’insistance » caractérisée par une avancée du menton et
de la tête et une élévation de la hauteur et de l’intensité de la voix (Garnier,
Dubois & Henrich, 2007).
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « très très très en colère », « très fâchée »
mettre dans cet L’émotion est justifiée par l’amont. Comme le dit Dorine dans l’EAC, il y a
état ? « une accumulation » :
L’émotion n’est Oui là j’étais vraiment énervée parce que je voyais des des … oui je
compréhensible que voyais euh Taha, je voyais un de mes élèves qui était en train de se
si elle est argumentée retourner pour parler et euh, pendant que je le reprenais, il y avait aussi
Eunice qui parlait en même temps, et ça m’a énervée car comme je
l’avais reprise plusieurs fois dans le cours. En plus elle se retourne
quand je reprends quelqu’un qui bavarde, oui ça m’avait énervée. Et là
j’arrive au stade où je suis vraiment très fâchée
L’émotion « très fâchée » et « très très très en colère » surgit car le décalage entre les scripts
prototypiques contrariés au premier et au deuxième épisode émotionnel – script de « l’activité
suffisamment bonne », script de « l’enseignante stagiaire suffisamment performante », et
script du « bon public captif » – et la réalisation en classe persiste et se trouve renforcé. Il y
a un effet d’accumulation. Le curseur vire donc davantage dans la zone négative pour atteindre
le niveau -3.
432
Figure 8.29. Schéma de l’émergence de la colère. Épisode émotionnel 3, Dorine PS C3
L’émotion « très très très en colère » a un impact sur le discours de Dorine. Outre les
interjections, l’allongement de « chhhhut », le recours à une injonction (« tu t’tais ! ») dont
il a déjà été question précédemment, on peut noter certains points saillants. La très grande
colère l’amène tout d’abord à une perte de contrôle générale dont elle prend conscience
durant l’étape d’évaluation de l’action de l’EAC (« je ne me contrôle plus, je perds contrôle »)
et qui lui fait peur (« sur ce cri là, ça m’a fait peur »). Elle perd le contrôle de sa voix et donc
de sa prosodie. Le forçage vocal l’amène à utiliser sa voix de détresse et à mettre alors sa
santé en danger. En effet, forcer régulièrement sur sa voix peut conduire à des pathologies, et
notamment à l’émergence de nodules sur les cordes vocales (Éluard, 2004, Bento, 2014).
Dorine perd aussi le contrôle de ses propos et se montre agressive envers l’élève. On note
également que, à l’instar de Cécilia, l’émotion la conduit à recourir à l’alternance codique
interphrastique, véritable « parenthèse temporelle » (Cicurel, 2011) de discours régulatif.
Dans un EAC au cours du 19 mars, Dorine précise que pour elle la gestion de classe ne fait
« pas partie du cours » (« quand je suis en train de faire mon cours, c’est mon cours, et la
gestion de classe, c’est la police. Pour moi, la gestion de classe, je n’arrive pas à l’associer
à l’enseignement »), ce qui explique l’alternance de code : « la gestion de classe, je l’associe
toujours au français ». Ceci corrobore les thèses de Kramsch (1984, 1991), Castellotti (2001)
et Anciaux (2003) qui précisent que les enseignants changent de code pour faire de la gestion
de classe et recadrer l’attention ou le comportement des élèves. La parenthèse est de courte
durée puisque Dorine reprend tout de suite son cours en anglais. Tout comme cela avait été le
433
cas pour Cécilia lors de l’épisode 2, l’émotion amène Dorine à produire une question
rhétorique. Si ce procédé est généralement compris par un public adulte qui sait qu’aucune
réponse n’est attendue, il ne l’est pas des adolescents. Habitués aux interactions exogènes
(François, 1990) et aux questions pédagogiques (Bouchard, 1998) que leurs enseignants leur
posent, les élèves se sentent obligés de répondre aux questions rhétoriques. C’est le cas ici et
la réponse de l’élève est alors vécue comme une insolence supplémentaire qui déclenche
l’étincelle de la surenchère et l’amplification du discours de colère (« Ben moi tu m’déranges
! alors tu t’tais ! »)
• Épisode 4 : colère
Ce segment a été filmé le 26 mars 2019. La disposition de la classe a changé et les
bureaux sont maintenant disposés en U. Le cours commence traditionnellement avec les
rituels habituels (contrôle des absences en interaction, activité de warm up ludique), suivi du
rappel du cours précédent et du contrôle des connaissances. Dorine enchaîne sur une activité
d’anticipation à la compréhension orale qui suit. Les élèves sont volontaires mais leur prise
de parole est anarchique. L’audio est ensuite joué deux fois et les élèves prennent en notes ce
qu’ils ont compris dans le but de pouvoir le restituer ensuite. Dorine a pour objectif de leur
faire utiliser le superlatif bien que les situations proposées ne suscitent pas le besoin d’utiliser
cette forme. La communication est donc purement didactique, et a « pour but de vouloir rendre
un ou plusieurs des interlocuteurs plus savants, plus habiles, plus compétents » (Cicurel, 2011,
p. 21), ce qui perd un peu les élèves qui ne comprennent pas où leur enseignante veut en venir.
La PS ponctue alors son discours de commentaires métalinguistiques en français pour
s’assurer que tous les élèves comprennent. C’est dans ce contexte qu’à la 27ème minute du
cours survient un nouvel épisode émotionnel. Taha, élève qui n’apparaît pas sur la vidéo, a
décroché et est avachi sur son bureau, la tête sur son cartable.
434
Figure 8.30. Capture de vidéo « Taha, tu te réveilles !» et transcription du segment
=>manifestées paralinguistiquement:
*Visage fermé
435
*Usage de gestes d’animation (Tellier, 2014, p. 110) pour accompagner son
discours. Ils illustrent les injonctions (geste « se lever », geste de pointage pour
indiquer l’action « mettre le sac par terre »).
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « énervement ».
mettre dans cet L’émotion est justifiée par l’amont. L’élève a déjà été rappelé à l’ordre
état ? plusieurs fois depuis le début de la séance car il n’est pas concentré.
L’émotion n’est Dorine précise durant l’EAC : « il est en train de dormir devant moi, il a la tête
compréhensible que dans les bras sur son sac. Oui, j’étais, j’étais fâchée là, à ce moment-là oui
si elle est argumentée j’étais en colère ».
Tableau 8.38. Analyse du segment 4 de Dorine avec le modèle de Plantin
Ici, le script du « bon élève captif » (le bon élève captif réagit au cours avec enthousiasme
mais calmement. Il respecte les règles de vie de classe) est interrompu. Il y a un décalage
négatif entre le script et la réalisation en classe.
La colère impacte le discours de Dorine. Cette fois encore la PS perd le contrôle de sa voix
et de son lexique. Elle ne maîtrise plus sa prosodie (voix poussée criée, volume fluctuant,
pauses silence). Elle est dans un état de confusion car elle ne parvient pas à verbaliser ce
qu’elle veut dire. Elle n’arrive pas à retrouver le mot « redresses », ce qui l’amène à marquer
une pause d’hésitation et à faire une reprise qui lui fait répéter « tu te ». La colère l’amène
à faire des injonctions à l’aide de formes impératives, et plus précisément à l’aide de overt
subject imperatives (Han, 2001; Zanuttini, 2007; Portner, 2007; Postdam, 2019) qui font
apparaître le sujet dans l’ordre : « tu te réveilles », « tu te tiens correctement », « tu mets ton
sac par terre »). La prosodie – et notamment le volume de la voix et l’intonation, associée à la
436
gestuelle (geste « se redresser », geste de pointage » vers le cartable) – ainsi que l’usage répété
du pronom « tu » renforcent la nature injonctive du message. À ce moment-là, Dorine renforce
son autorité (Potsdam, 1996) et reprend une position haute. La colère conduit une nouvelle
fois Dorine à recourir à l’alternance codique interphrastique, ce qu’elle regrette avoir fait
dans l’EAC, durant les phases d’évaluation de l’action et de recherche d’alternatives :
Là ça aurait été pas mal de le faire en anglais, « sit properly! », il aurait compris, « your
bag on the floor », comme je le dis tout le temps, j’aurais pu, on aurait pu rester sur
l’anglais là … Ca aurait été plus fluide, plus dans le cours, je pense.
Elle fait ensuite un commentaire très intéressant qui éclaire sur l’impact que l’alternance
codique exerce sur son discours :
Je pense que [rester en anglais] me permettrait de rester plus calme déjà parce que je
me dirais, je suis en train de faire cours, je continue mon cours, je ne suis pas en train
de m’arrêter, de me stopper, oui je pense que ça m’aiderait à rester plus calme, de
parler anglais.
Selon Dorine, rester en anglais lui permettrait de garder son calme et de ne pas avoir le
sentiment d’interrompre son cours. On comprend alors que le passage en français contribue à
la rupture du calme. On peut alors s’interroger sur la raison : est-ce uniquement parce que cela
crée une parenthèse dans le cours dont la progression s’en trouve alors ralentie ? Ou est-ce
parce que, comme le disait Cécilia, Dorine n’a « pas les mots en anglais » pour montrer son
énervement ? Le fait de ne pas savoir spontanément se mettre en colère en anglais pourrait-il
être un atout pour Dorine car cela lui permettrait de modérer son langage et de moins
s’emporter ? Le passage au français pourrait-il donc être un réflexe cognitif en langue
maternelle, et non un choix pédagogique délibéré, libérant une soupape émotionnelle
incontrôlée ?
Si la colère impacte le discours de Dorine, voyons ce qu’il en est des émotions parentes de la
joie.
Analyse d’extraits de situations de cours déclenchant la joie
Dans cette partie nous étudierons un extrait du cours du 18 février durant lequel Dorine
dit avoir ressenti de la joie. Celui-ci a donné lieu à un EAC.
438
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « contente».
mettre dans cet L’émotion est justifiée par le contexte. Durant l’EAC Dorine précise :
état ? En fait j’étais contente parce que j’avais ma production et comme
L’émotion n’est depuis tout à l’heure je suis énervée parce qu’il y a du bavardage,
compréhensible que quand on est en train de travailler, même si ça se passe dans le désordre,
je suis contente.
si elle est argumentée
Tableau 8.39. Analyse du segment 5 de Dorine avec le modèle de Plantin
Ici plusieurs points peuvent être soulignés. Tout d’abord, le contraste entre les épisodes
émotionnels précédents, tous négatifs (« depuis tout à l’heure je suis énervée parce qu’il y a
du bavardage », et celui-ci (« on est en train de travailler ») justifie d’autant plus le sentiment
de victoire qu’elle éprouve et renforce la joie de Dorine. Durant la phase de description de
l’action, Dorine précise qu’elle a atteint ses objectifs car l’énoncé produit est celui qu’elle
attendait (« j’avais ma production »). Il y a donc ici un décalage zéro entre les scripts
prototypiques de « l’activité suffisamment bonne » et « l’enseignante stagiaire
suffisamment performante » et du « bon public captif » et la réalisation et donc une parfaite
adéquation.
L’émotion joie a un impact sur le discours de Dorine. Tout d’abord, elle prononce une
évaluation positive avec l’interjection (« good! »). Sa voix reste stable et maitrisée. La joie
l’amène également à commettre une erreur d’appréciation et à déroger à ses propres règles
de gestion de classe : elle est si contente d’avoir la production qu’elle attendait qu’elle accepte
qu’une élève intervienne intempestivement, coupe la parole de sa camarade et fasse la phrase
à sa place. L’adéquation entre l’objectif inscrit dans sa fiche préparation et son atteinte lève
439
tous les interdits et donne lieu à une évaluation positive. Dorine s’en rend compte durant
l’étape d’évaluation de l’action de l’EAC. Elle considère que dans cette situation de joie, elle
se fait déborder, elle « ne contrôle plus les flux de parole »
En regardant là je me suis dit mince, j’ai l’impression que ça contribue encore au fait
que les élèves pensent qu’ils peuvent parler peuvent discuter, sans avoir la main levée
donc je contrôle plus les flux de parole.
Nous n’analyserons pas d’autre segment de joie. En effet, Dorine a sélectionné très peu de
segments où elle ressent des émotions parentes de la joie, certainement parce que ceux-ci sont
rares et moins spectaculaires que les épisodes de colère. Par ailleurs, les rares segments de
joie concernent des moments où elle interagit avec les élèves en français pour annoncer des
objectifs et notamment des projets. Durant les EAC, elle explique rester afin d’être comprise
de tous les élèves car il s’agit de consignes. L’origine de sa joie est double : elle est heureuse
d’annoncer un projet qui lui tient à cœur et ressent de la joie face à l’enthousiasme de ses
élèves.
Le cas de Dorine: conclusion
Pour conclure, voici un récapitulatif des épisodes émotionnels présentés et de l’impact
que les émotions parentes de la colère et de la joie ont eu sur le discours de Dorine :
Scripts prototypiques Réalisations Émotions Impacts sur le discours
convoquées
1 « L’activité Les élèves continuent de Énervement Interjection « Eh ! » répétée ;
suffisamment bonne », parler, de protester, de Perte de contrôle de sa prosodie : voix
« L’enseignante poser des questions sur criée
stagiaire suffisamment l’activité alors que la PS y
performante », et « le a mis fin
2 bon public captif » Les élèves n’ont pas cessé Colère Perte de contrôle :
de faire du bruit malgré les -de sa prosodie (volume et hauteur de
6 rappels à l’ordre et la voix)
parlent pendant la prise de -de son discours régulatif (recours aux
parole d’une camarade, ce interjections, langage non-verbal,
qui est de l’ « irrespect » injonction inefficace)
Alternance codique interphrastique
3 Accumulation. Des élèves Très très Interjections « chhhhhut » avec
se retournent pour très en allongement du son consonantique ;
bavarder, s’interpeller. colère Injonction ;
Tant que la PS les reprend, Perte de contrôle générale
une élève se retourne. ð Perte de la maîtrise de la
prosodie (volume, ton,
débit). Forçage de la voix :
voix de détresse)
ð Agressivité
Alternance codique interphrastique ;
Questions rhétoriques
4 « Bon élève captif », Un élève est « en train de Colère Perte de ses moyens linguistiques =>
dormir » devant la PS, « la prosodie (volume, débit, pauses) &
lexique. Confusion
440
tête dans les bras sur son Injonction à l’aide de overt subject
sac » imperatives.
Réflexe cognitif en langue
maternelle : alternance codique
interphrastique
4 « L’activité Une élève a produit la Joie Évaluation positive avec
suffisamment bonne », phrase que Dorine attendait l’interjection (« good! »)
« l’enseignante Perte de contrôle du flux de parole &
stagiaire suffisamment erreur d’appréciation
performante », et « le
bon public captif »
Tableau 8.40. Récapitulatif des épisodes émotionnels et de l’impact des émotions de la colère et de la joie
sur le discours de Dorine
Après avoir analysé ces épisodes de colère et constaté que le discours de Dorine se trouvait
impacté par des phénomènes récurrents, on peut alors se demander si participer à des
dispositifs de formation pourrait l’aider à pallier ces failles. Une formation pour apprendre à
placer sa voix et à la projeter serait-elle bénéfique à Dorine ? Prendre part à des ateliers de
théâtre forum (Boal, 1995), à des jeux de rôle ou à des dispositifs permettant d’analyser ses
pratiques pourrait-il offrir une plus-value ?
Synthèse comparative 1
Bien que n’ayant pas exactement le même profil (Cécilia est étudiante en M2 MEEF
alors que Dorine est déjà titulaire de son diplôme, la première effectue son stage en lycée et
la seconde au collège), on constate un nombre conséquent de similitudes entre les deux PS,
comme en atteste le tableau comparatif suivant :
Cécilia Dorine
Questionnaire Une majorité d’émotions à valence négative au Une majorité d’émotions à valence négative au
quotidien : 81% quotidien : 75%
E-JdBP Une majorité d’émotions à valence négative Une majorité d’émotions à valence négative
recensées avec les 2 outils : recensées avec les 2 outils :
-EMOTAIX : 65% -EMOTAIX : 55%
-Décompte émotions :75% -Décompte émotions :57%
*La colère Représente 30% des émotions négatives citées. Représente 33,7% des émotions négatives citées.
Est déclenchée par le « comportement inadapté Est déclenchée par le « comportement inadapté
des élèves » des élèves »
*La joie Une majorité de déclencheurs en lien avec Une majorité de déclencheurs en lien avec
l’enseignant (« bon cours », conscience de sa l’enseignant (« bon cours », conscience de sa
posture d’enseignant, de sa progression, etc.) posture d’enseignant, de sa progression, etc.)
On constate cependant que les émotions n’impactent pas toujours le discours de Cécilia et de
Dorine de la même façon. Sous le joug de la colère, Cécilia tend à faire des erreurs et Dorine
perd le contrôle de sa voix et de sa prosodie. La joie conduit Cécilia à l’hyperbole tandis que
Dorine fait des erreurs d’appréciation dans ses choix pédagogiques.
Type d’émotions Impact sur le discours
Cécilia Dorine
Parentes de la colère Erreur de lexique Perte de contrôle de sa voix et sa prosodie :
ð Volume de voix : voix criée, forçage
Erreur pédagogique de voix
ð Ton : agressivité
Parentes de la joie Exagération, hyperbole Erreur pédagogique
Tableau 8.42. Synthèse intermédiaire : différences entre Cécilia et Dorine
Pour finir, on constate que les EAC amènent Cécilia et Dorine à prendre conscience de
l’impact de leurs émotions sur leur discours, à relever les points à corriger/renforcer dans leurs
pratiques et à échafauder des stratégies à mettre en place pour pallier leurs difficultés. Nous
reviendrons plus tard sur la plus-value des EAC.
442
Analyse des réponses de Marie au questionnaire
Marie a répondu au questionnaire envoyé en novembre 2017 en tant que PS, puis en
novembre 2018 en tant que T1. À l’instar de Cécilia et de Dorine, elle a accepté de
communiquer son pseudonyme. Disposer de ces données deux années successives a permis
d’avoir un aperçu sur l’évolution des émotions de Marie ainsi que sur la mise en place de
certains gestes professionnels.
PS Cohorte Nombre E-JdBP Dates Classes Durée Dates Durée
réponses captations captations captations captations
questionnaire cours de cours EAC EAC
Marie C2 PS 11 entrées 08/01 au 30/03/2018 2nde 55 mn 17/05/2018 37 mn
(avec le 25/05/2018
pseudonyme (11612 mots)
« Patricia
Arquette »)
Tableau 8.44. Nature de la participation de Marie aux expérimentations
On constate également cette tendance dans son e-journal de bord. Nous la développerons dans
la partie suivante.
Les réponses que Marie a faites font émerger les mêmes tendances que celles observées chez
les PS et chez l’ensemble des enseignants. Elle ressent essentiellement des émotions à valence
négative au quotidien, comme en atteste la figure ci-dessous. Le pourcentage de 61% est
identique à celui de la moyenne de sa cohorte, ce qui est très légèrement supérieur à la
moyenne des quatre cohortes (59%).
443
Figure 8.34. Ratio émotions à valence négative /positive de Marie, PS de C2
Si la joie est l’émotion la plus fréquemment citée, les émotions à valence négative sont
dominantes en nombre total, ce qui est le signe d’un quotidien difficile et douloureux (La liste
des émotions réparties par valence est consultable en annexe 25).
On remarque que les émotions du registre de la colère représentent près du tiers des émotions
négatives citées par Marie, soit 6 sur 19.
Marie PS 2017 (C2) : 11 réponses, 22 épisodes émotionnels, 31 émotions citées
Sur 19 émotions à valence négatives citées, les émotions parentes de la colère
Colère 2
Frustration 2
Agacement 2
TOTAL 6
représentent 31,6% des émotions à valence négative citées
Tableau 8.45. Listes des émotions du registre de la colère présentes dans les réponses au questionnaire de
Marie (PS de C2) et ratio.
Les tableaux ci-dessous présentent les éléments/situations que Marie a cités comme
déclencheurs des émotions à valence négative et des émotions parentes de la colère.
Les codes couleur suivants en facilitent la lecture :
444
MARIE PS 2017 (C2) : 11 réponses, 22 épisodes MARIE PS 2017 (C2) : 11 réponses, 22 épisodes
émotionnels émotionnels
Surcharge de travail 8 Comportement inadapté 1
Doutes et questionnement 2 Absence d'implication 1
Absence d'implication 2 Surcharge de travail 1
Comportement inadapté 2 Doutes et questionnement 1
Événement privé entravant l'agir 1 Absence d'aide et de soutien 1
Échec 1 TOTAL 5
Matériel défaillant 1
Absence d'aide et de soutien 1
Surcharge de travail 1
TOTAL 19
Tableau 8.46. Les déclencheurs des émotions à valence négative et des émotions parentes de la colère de
Marie PS de C2
On constate que la « surcharge de travail », tant dans le cadre de la profession que de celui
de la formation, déclenche un grand nombre d’émotions à valence négative dont deux
occurrences de colère. À la différence de Cécilia et de Dorine, Marie est mère de famille. Elle
est très fatiguée et débordée, et cette fatigue génère de la souffrance. Les exemples suivants
illustrent cette surcharge et mettent en avant épuisement et culpabilité :
La fatigue : j'ai dormi 4 heures la nuit dernière... Je vous fais pas un dessin, je ne suis
pas allée en boîte... Je me suis tirée du lit avec beaucoup de difficulté et passée 1h30
dans ma voiture pour rejoindre Torcy pour le dernier cours de Tronc Commun. Ça a
intérêt à être intéressant parce que sinon, c'est 10 heures de correction qui me passent
sous le nez.
Lorsque la charge de travail est vraiment trop forte, les émotions parentes de la colère
émergent :
La frustration : d'avoir trop de travail (derniers DST/DM162 de la séquence à préparer,
corrections et notes avant les conseils de classe qui tombent la semaine prochaine + le
travail/les devoirs à l'ESPE + la visite du formateur ESPE incluant de nombreuses
informations à fournir en amont + 3 niveaux et 10,5 heures de cours par semaine alors
que nombre de mes collègues stagiaires ont 1 voire 2 niveaux maximum et plutôt 8 à
9 heures par semaine. C'est pas normal. J'ai aussi une vie privée et un enfant en bas
âge et ça commence à se ressentir sur mon humeur!
162
DM : devoir maison. DST : devoir sur table.
445
Comme chez l’ensemble des PS des quatre cohortes, le « comportement inadapté » et
« l’absence d’implication » des élèves déclenchent la colère :
L'agacement : avec certains élèves qui perturbent le cours à chaque séance et qui
ralentissent clairement le rythme de progression des autres.
Les émotions parentes de la joie sont déclenchées par divers événements dont l’origine
provient des élèves, de l’institution et de l’enseignante elle-même.
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
Épisodes émotionnels en lien avec l’établissement (collègues, parents d’élèves,
direction) ou l’institution
Épisodes émotionnels en lien avec l’enseignant lui-même
Épisodes émotionnels en lien avec la formation initiale
On voit clairement ici que le script prototypique de départ était pessimiste (script des « élèves
mous » : ils ne sont pas actifs et réagissent peu aux sollicitations. Ils participent peu). La
réalisation en classe « Les langues se délient, les réflexions sont pertinentes » l’interrompt,
446
créant un décalage positif. La cassure est signalée par « d’habitude » et « ça marche !! », qui
marque le contraste. La joie émerge donc : « un super moment avec mes premières », « je ne
savais plus où écrire sur le tableau ! :D ». L’émoticône et les points d’exclamations multiples
sont des indices paralinguistiques qui attestent de la joie.
La réussite des élèves, combinée au retour positif de la tutrice, déclenche la joie de Marie :
La joie : l'une de mes 2 secondes a fini les présentations de ses superhéros ; quel travail
! :) C'était agréable de travailler avec eux sur ce projet ! Ma tutrice était là, elle a passé
un très bon moment m'a-t-elle dit :) À refaire :)
La ponctuation et les émoticônes laissent penser ici que la joie est déclenchée par le
dépassement des scripts prototypiques, « le travail suffisamment bon des élèves » et « le retour
suffisamment bon de la tutrice », élaborés par Marie. Celle-ci avait dû anticiper que les élèves
allaient faire un « bon travail ». Or celui-ci a dû dépasser ses attentes, ce qui a satisfait la
tutrice. Le cumul des deux a déclenché la joie de Marie.
La joie est également ressentie lorsque la PS parvient à allier vie professionnelle et familiale :
La joie : j'ai passé un moment avec ma fille mercredi après-midi ; c'était important
pour moi car j'ai besoin de me sentir proche d'elle, de la voir grandir ; elle n'a que 2
ans...
L’« aide et le soutien » que l’institution (proviseure, tutrice, différents acteurs de la vie de
l’établissement) apporte à Marie contribue à déclencher de la joie chez cette dernière.
Le soulagement : je n'ai pas réussi à corriger toutes mes copies avant la deadline (c'était
hier à minuit et je me suis littéralement endormie sur mes copies, assise, le stylo à la
main !) ; mes élèves ne pourront pas avoir le 2ème DST dans leur moyenne. :( Alors
je vais voir le proviseur adjoint pour voir ce qu'il est possible de faire... La voilà qui
me débloque Pronote163 pour que je puisse "tranquillement le faire ce week-end... et
surtout ce soir il faut que (je prenne) l'apéro"me dit-elle ! :)
Sur les 22 épisodes émotionnels décrits par Marie, 11 ont été partagés, 7 ne l’ont pas été. Nous
n’avons pas d’information sur le partage éventuel de 3 épisodes. Marie a davantage partagé
les émotions à valence négative que les émotions à valence positive, et parmi les 7 épisodes
partagés, 3 avaient déclenché des émotions parentes de la colère.
Pour conclure, l’année de stage de Marie a été ponctuée par une majorité d’émotions à valence
négative, et notamment beaucoup de fatigue due à une surcharge de travail. En revanche, elle
163
Pronote : logiciel de gestion de vie scolaire
447
a également ressenti de la joie, première émotion sur le total exprimé. Ces résultats – hormis
les épisodes émotionnels liés à sa situation de mère de famille – sont parfaitement conformes
à ceux des PS des 4 cohortes.
Fierté : avec mes 4eA !! Quand je pense que c'est LA classe perturbatrice de tout le
collège... c'est aussi la meilleure 4e en termes de résultats ! Nous sommes à 3 jours des
conseils de classe et nous travaillons ! Oui, tu lis bien, nous travaillons encore et bien
de surcroît. Je suis fière d'eux... et un peu de moi aussi. :)
Elle a également précisé dans la partie « commentaires » : « J'espère que mes réponses ne sont
pas trop longues mais finalement tu es devenue ma confidente :). Les adresses directes ne sont
pas rares dans le cadre des journaux de bord, comme le précise Guichon (2009).
On constate que Marie ressent toujours une majorité d’émotions à valence négative au
quotidien et que leur taux est resté identique malgré la titularisation (61% en tant que PS et en
tant que T1). L’autonomie – et donc l’absence de tutorat tant sur le terrain qu’en formation –
est-elle vectrice de difficultés ?
448
Sur les 16 émotions à valence négative citées, les émotions parentes de la colère en
représentent la moitié, ce qui indique que Marie T1 ressent davantage de colère que lorsqu’elle
était PS.
Sans surprise, le comportement inadapté des élèves est le déclencheur principal des
émotions à valence négative (cf. annexe 26) et des émotions parentes de la colère de Marie,
comme en atteste l’exemple suivant :
L’agacement : dans tous les sens du terme. J'ai du mal à supporter les 4e et plus
généralement, le bruit. Je compte les jours jusqu'aux vacances, je suis impatiente face
aux élèves indisciplinés, qui ne travaillent pas ou qui bavardent. Je m'irrite rapidement.
J'ai du mal à garder mon sang froid.
Renoncement 1
TOTAL 11
Tableaux 8.50. Les déclencheurs des émotions parentes de la colère de Marie T1 de C2
449
Les décisions institutionnelles contribuent également à la colère et au mal-être :
Mais la colère que je ressens est moins tournée vers ces élèves finalement que les conditions
de travail que je vis depuis la rentrée avec tous les niveaux quatrième en LV1 et deux classes
à 33 et 34 par classe... qui est le fait de la direction.
On constate, comme c’était déjà évoqué dans l’e-JdBP de Dorine, que les groupes de langues
vivantes étrangères164 ont des effectifs pléthoriques difficiles à gérer pour les enseignants,
novices de surcroît. Le script de l’« institution bienveillante » est rompu ce qui génère de la
colère.
Le sentiment d’avoir donné un « mauvais cours » est présent dans la liste des déclencheurs
et arrive en troisième position.
Si la joie était l’émotion la plus fréquemment citée par Marie lorsqu’elle était PS, la colère a
maintenant la première place. On remarque dans le tableau ci-dessous que les émotions
parentes de la joie sont peu nombreuses, et ne représentent que 4 des 7 émotions à valence
positive citées, soit 4 émotions sur l’ensemble des 26 nommées par Marie.
MARIE T1 2018 (C2) : 12 réponses, 24 épisodes émotionnels, un total de 26 émotions
Sur 7 émotions à valence positives citées, les émotions parentes de la joie :
Joie 3
Fierté 1
TOTAL 4
représentent 4 des émotions à valence positive citées
Tableau 8.51. Listes des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses au questionnaire de
Marie (T1 de C2) et ratio.
La joie survient principalement lorsque les élèves s’impliquent dans les cours et se mettent au
travail.
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
Épisodes émotionnels en lien avec l’établissement (collègues, parents d’élèves, direction) ou
l’institution
Épisodes émotionnels en lien avec l’enseignant lui-même
Épisodes émotionnels en lien avec la formation initiale
164
Afin de garder des classes hétérogènes, les équipes de direction des établissements choisissent souvent de
répartir les élèves germanistes dans plusieurs classes plutôt que de les regrouper dans une seule. Ce choix a un
impact sur les cours de LVE durant lesquels des élèves de classes différentes, mais étudiant la même langue, se
retrouvent dans le même groupe. Ainsi deux classes de 25 élèves (effectif confortable) avec 8 élèves germanistes
chacune, donneront lieu à 2 groupes de langue : un groupe de germanistes à 16 et un groupe d’anglicistes à 34,
effectif pléthorique dénoncé par Dorine et Marie.
450
MARIE PS 2017 (C2) : 12 réponses, 24 épisodes émotionnels,
Implication des élèves 3
« Bon cours » 1
Partage en formation 1
TOTAL 5
Tableau 8.52. Les déclencheurs des émotions parentes de la joie de Marie PS de C2
La citation suivante :
Fierté : avec mes 4eA !! Quand je pense que c'est LA classe perturbatrice de tout le collège...
c'est aussi la meilleure 4e en termes de résultats ! Nous sommes à 3 jours des conseils de classe
et nous travaillons ! Oui, tu lis bien, nous travaillons encore et bien de surcroît. Je suis fière
d'eux... et un peu de moi aussi. :)
451
Analyse du e-journal de bord pédagogique de Marie
Marie a tenu un e-JdBP 165lorsqu’elle était PS en lycée, du 8 janvier au 25 mai 2018.
Son journal, qui comprend 11612 mots, relate son quotidien souvent douloureux de PS avec
un ton plutôt léger. Son e-JdBP a été analysé à l’aide d’outils différents : le logiciel Tropes et
plus particulièrement avec le scénario EMOTAIX (Bannour & Piolat, 2008), la typologie des
émotions et celles des déclencheurs, ainsi que le modèle de Plantin (2011) lorsque cela a été
possible.
L’e-JdBP de Marie ne ressemble pas à celui de Cécilia ni à celui de Dorine dans lequel il n’y
a pas de référence directe au lecteur. Le ton est donné dès les premières lignes par Marie qui
évoque le contrat que nous avons passé qui lui permet de se livrer totalement et en toute
confiance :
Voici la première page de mon journal. On pourrait dire qu’il s’agit là d’un journal
intime où je vais me livrer totalement et ainsi jouer le jeu à fond. En retour, je sais que
je peux compter sur cette discrétion dont vous nous avez assurée. Je vous fais
confiance.
Marie écrit pour partager. Est-ce parce qu’elle est plus âgée et plus mûre que ses pairs ?
Souhaite-elle établir une connivence avec moi car au moment où elle remplit son e-JdBP nous
ne nous sommes jamais rencontrées ? Son récit est très vivant, parfois haut en couleur, ce qui
correspond tout à fait à sa personnalité enjouée, comme nous le verrons lors de l’étude des
extraits vidéos. Marie prend visiblement plaisir à divertir le lecteur, tout comme elle apprécie
amuser ses élèves. Elle intègre à sa narration des outils linguistiques et paralinguistiques qui
mettent en relief les émotions qu’elle décrit, et sur lesquels nous reviendrons.
165
L’intégralité de son e-JdBP se trouve en annexe 27.
166
La liste de émotions à valence négative relevées par EMOTAIX est consultable en annexe 28.
452
des émotions à valence négative – soit 53% du total –, 188 références à des émotions à valence
positive, soit 47%.
Figure 8.36. Ratio émotions à valence positive/négative/non spécifiée et impassibilité relevées par
EMOTAIX dans l’e-JdBP de Marie (PS C2)
Avant de nous intéresser aux émotions parentes de la colère, quelques points méritent d’être
signalés. EMOTAIX signale 49 références au thème de la « fatigue ». En effet, dans son e-
JdBP Marie se plaint fréquemment de fatigue voire d’épuisement. L’année de stage, durant
laquelle elle doit concilier vie de famille, travail et formation, lui est particulièrement pénible.
Les longs trajets pour aller en formation contribuent à sa fatigue tant physique que morale.
Par ailleurs, 20 références correspondant à l’« inquiétude » sont également relevées. On
constate dans le journal que Marie est souvent inquiète de ne pas réussir à atteindre les
différents objectifs qui lui sont fixés par manque de temps comme on peut l’observer dans cet
extrait :
Je corrige à plein tube depuis 10h20 ce matin et j’en ai encore pour quelques heures
de correction et d’appréciation. Seulement à 13h00 j’ai un cours d’1h30 avec mes
1ères S3 et 2 heures de “trou” avant un autre cours de 16h30 à 17h30 avec mes 2ndes
9 cette fois. Pronote étant gelé à 18h00, je suis en grande panique, j’ai peur de ne pas
finir à temps !
Les émotions parentes de la colère sont présentes à travers les 46 entrées dans le thème de la
frustration, les 21 références au « déplaisir » et les 16 renvois à l’« insatisfaction ».
De nombreux points ne satisfont pas Marie dans son année de stage à l’instar du manque
d’investissement de certains de ses pairs dans la formation (« je suis dépitée par l’attitude de
certaines personnes dans l’amphi qui se sont permises de parler pendant les présentations.
Quel manque de respect ! Quand je pense que nous sommes censés porter des valeurs telles
que le respect, l’esprit d’équipe, etc. auprès de nos élèves… je m’inquiète ! »), des mauvaises
453
conditions de travail auxquelles elle est confrontée à l’ESPE (« Notre petit groupe a eu du
mal à avancer ce matin, mais pas du fait de ma fatigue, plutôt parce que, comme d’habitude,
nous trouvons difficile de se concentrer sur le TSNR dans une pièce bruyante et surpeuplée
»), ou de contenus de formation qui ne la satisfont pas (« Honnêtement, je reste perplexe sur
l’intérêt d’avoir participé à ce module »). Le thème intermédiaire « agressivité » mène au
thème spécifique « colère » dans lequel il n’y a qu’une occurrence. Marie est donc plus
insatisfaite qu’en colère.
Si on comptabilise uniquement les noms des émotions citées par Marie en entête des 102
entrées qu’elle a faites dans son journal, tels des titres synthétisant les épisodes émotionnels –
comme on peut le voir dans la capture d’écran ci-dessous –, on trouve 63 émotions à valence
négative, soit un total de 48%, résultat inférieur aux 53% qu’EMOTAIX avait relevés.
Cette différence peut s’expliquer car les deux modes de calcul ne prennent pas appui sur les
mêmes données. Comme Piolat et Bannour (2008, pp. 20-21) le soulignent, EMOTAIX ne
454
s’en tient pas qu’aux seules émotions modales, mais il permet de « collecter les termes
traduisant les différents états affectifs (humeurs, dispositions émotionnelles, postures
interpersonnelles, émotions esthétiques) tels qu’ils sont définis par Bernard Rimé (2005) ou
Klaus Scherer (2005) ». Comme pour l’analyse des questionnaires, seuls les noms d’émotions
explicitement cités ont été comptabilisés ici, alors qu’EMOTAIX prend en compte
l’intégralité du lexique exprimant une émotion. En revanche, on peut s’interroger sur la
différence entre les 61% d’émotions à valence négative relevées avec le questionnaire dont le
mode de calcul est identique, et les 48% recueillies dans l’analyse du e-JdBP. La période
novembre-décembre, durant laquelle le questionnaire a été rempli, a-t-elle été plus difficile
pour Marie que le reste de l’année ce qui expliquerait le plus grand nombre d’émotions à
valence négative ? En effet, cette période hivernale concentre conseils de classe, réunions et
évaluations à l’ESPE. La différence pourrait-elle venir du fait que le e-journal a été tenu sur
une plus longue durée et qu’il comprend près de cinq fois plus d’épisodes émotionnels (102
contre 22 dans le questionnaire) ?
La fatigue arrive en tête des émotions à valence négative (cf. annexe 29) suivie en troisième
position par l’épuisement, comme l’illustre cette citation :
Petite forme ce matin due à la fatigue accumulée ; cette année est très exigeante en
termes d’énergie, d’investissement, de travail et de temps. Ayant une fille de 2,5 ans,
je travaille principalement le soir quand elle est couchée (et le week-end pendant ses
siestes, dont la durée raccourcit à vue d’œil...).
Les deux premiers déclencheurs des émotions à valence négative (cf. annexe 30) de Marie,
soit « événements privés entravant l’agir » et « surcharge de travail », renvoient à
l’épuisement physique et mental de Marie.
Tout comme Cécilia et Dorine, Marie a une granularité émotionnelle relativement développée.
Elle utilise huit termes différents pour qualifier sa colère, de l’agacement à la rage, en
modulant son intensité à l’aide de l’adjectif « légère ». Les émotions parentes de la colère ne
représentent que 20,5% des émotions à valence négative citées par Marie.
Mise à part une occurrence de rage, les émotions citées ne sont pas très fortes en intensité.
Cela peut venir du fait que Marie, PS dans un lycée d’une ville cossue de Seine-et-Marne, a
des conditions de travail plus favorables que la majorité de ses pairs.
Le tableau suivant recense les déclencheurs de la colère, répartis selon le code couleur
suivant :
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
Tableau 8.54. Les déclencheurs de la colère cités dans l’e-JdBP de Marie de C2 et ratio
L’« absence d’implication » des élèves est le principal déclencheur de colère chez Marie qui
cherche à les mettre au travail par tous les moyens :
Une heure plus tard et ils ont réussi à m’agacer. Clairement certains n’ont pas encore
compris qu’ils étaient de retour à l’école et surtout, qu’on était maintenant au 2ème
trimestre. Je les ai prévenus que j’allais “resserrer la vis” et que j’allais les interroger
sur leurs leçons à chaque début de cours. Ça m’embête d’en passer par là mais si c’est
la seule solution pour qu’ils travaillent.
456
Colère et scripts prototypiques
Tout comme c’était le cas pour Cécilia et Dorine, la colère émerge lorsqu’une situation
ne se passe pas comme Marie l’avait imaginée préalablement. Il y a alors inadéquation et donc
décalage négatif entre le script prototypique envisagé et la réalisation effective dans
l’établissement. Les scripts prototypiques suivants ont été reconstitués à partir de l’étude des
épisodes émotionnels ou « réalisations ».
Scripts prototypiques Réalisations Commentaires
Script des « élèves En colère L’émotion « colère » est nommée
suffisamment Ce qui devait arriver est arrivé. J’ai explicitement.
respectueux des règles ». exclu 2 élèves qui sont arrivés Elle est manifestée linguistiquement et
Ces élèves se conforment délibérément 15 minutes en retard paralinguistiquement :
aux règles de vie de classe en prétendant avoir attendu devant *Usage de points de suspension, d'un point
fixées par leur enseignante. une salle au RDC que nous d'exclamation
Ils ne sont pas en retard, ne n’occupons plus depuis les vacances « […] devant une salle au RDC que nous
provoquent pas leur de la Toussaint ! L’un des élèves est n’occupons plus depuis les vacances de la
professeur en racontant des décrocheur et l’autre… influençable Toussaint ! »
mensonges. ;( Je les envoie à la vie scolaire avec *Expression familière exprimant le conflit :
un travail mais cela me contrarie "ils me cherchent". "cela me contrarie
Script du « prof stagiaire énormément. Je n’ai pas envie de les énormément. »
suffisamment bon ». expulser de mon cours car ce n’est *Introduction d’un émoticône rappelant
Le PS suffisamment bon pas comme ça qu’ils apprendront, l’émotion « colère »
sait gérer sa classe et se mais en même temps, la situation va « L’un des élèves est décrocheur et l’autre…
faire respecter. Il n’a pas se dégrader (ils me “cherchent” influençable ;( »
recours à l’exclusion de depuis un moment…) si je ne prends On peut recourir au diagnostic empathique :
classe. pas le taureau par les cornes. deux élèves en retard sont exclus du cours.
Marie est en colère d'avoir mis à exécution un
geste professionnel inévitable si elle veut
garder autorité dans sa classe mais qui ne
correspond pas à ses aspirations. Prise de
décision qui ne convient pas.
457
Script de « l’institution Agacement L’émotion « agacement » n’est pas
bienveillante » : Ce matin nous sommes à l’ESPE de explicitement nommée mais on peut la
L’institution bienveillante Torcy et nous “travaillons” sur le retrouver grâce au diagnostic empathique :
offre aux étudiants des TSNR168. Si j’ai mis “travaillons” Marie qui met déjà 1h40 pour venir en
bonnes conditions de entre guillemets, c’est parce qu’en formation ne trouve pas de salle pour
travail (salles disponibles, réalité, nous n’avons toujours pas travailler avec son groupe. Par ailleurs 2
prises électriques, places de commencé de travailler ! Pourtant personnes de son groupe sont absentes.
parking). Les étudiants ne nous sommes arrivées à l’heure (je
L’émotion est jouée linguistiquement :
sont pas convoqués par le fais du co-voiturage avec une
*Tout d’abord avec la ponctuation :
PAF167 les jours de collègue stagiaire) et nous avons pu
-points d’exclamation : « Si j’ai mis
formation ESPE. nous garer, ô bonheur ! dans le
“travaillons” entre guillemets, c’est parce
parking de l’ESPE. Le problème
qu’en réalité, nous n’avons toujours pas
c’est que nous sommes 4 dans notre
commencé de travailler ! », « ô bonheur ! »,
groupe de travail mais 2 manquent à
« et il ne reste plus une place disponible à la
l’appel : la 1ère a été convoquée à
bibliothèque ! »
une formation obligatoire dans le
-points de suspension : « et l’autre… semble
cadre du PAF et l’autre… semble
s’être perdue dans les locaux », « Il faut dire
s’être perdue dans les locaux. Il faut
que les conditions ne sont pas réunies pour
dire que les conditions ne sont pas
travailler… »
réunies pour travailler… Toutes les
-mise entre parenthèses pour faire des
salles de Torcy (je dis bien toutes !)
commentaires : (je dis bien toutes !), (nous
sont prises pour des entretiens (nous
nous sommes fait “remercier” d’une salle qui
nous sommes fait “remercier” d’une
semblait disponible par un formateur).
salle qui semblait disponible par un
-mise entre guillemets de « travailler », et de
formateur) et il ne reste plus une
« remercier » pour insister sur la dimension
place disponible à la bibliothèque !
ironique
Moralité, il est 10h00 et nous errons
*Usage de technique rhétorique :
toujours à la recherche d’un endroit
-l’ironie avec l’exclamation : « ô bonheur ! »
où travailler. Nous terminons à la
Choix de certains termes qui accentuent le
cafétéria, assises dans le plus grand
côté désagréable de la situation : « moralité »,
inconfort pour que nos ordinateurs
« errer », « le plus grand inconfort »
puissent profiter à tour de rôle de la
L’émotion est argumentée : « la première fois
seule prise disponible.
seulement aujourd'hui » et « en me donnant
Honnêtement, après 1h40 de route
une liste de choses à rectifier pour moins de 2
pour venir à l’ESPE, j’ai la
semaines avant l'inspection » montrent que la
désagréable sensation de perdre mon
tutrice a failli aux attentes de sa mission.
temps. ;(
Recours à un émoticône pour rappeler
l’émotion « agacement » « ;( »
Script interrompu et décalage négatif =>
agacement
Tableau 8.55. Scripts prototypiques et colère dans le e-JdB de Marie
Si les émotions à valence négative occupent une grande part du quotidien de Marie, les
émotions positives, et plus particulièrement la joie sont également présentes.
167
PAF : Plan Académique de Formation
168
TSNR : Travail Scientifique de Nature Réflexive que les enseignants stagiaires doivent réaliser en groupe.
458
Émotions à valence positive et joie
EMOTAIX recense 188 émotions à valence positive, soit 47% de l’ensemble des émotions
(cf. annexe 31). Le thème « bien-être » représente 49% du total des émotions à valence
positive. Sur l’ensemble, 44 références sont faites à la « satisfaction », et 16 au « bonheur ».
Marie est donc une enseignante heureuse, même si elle est très fatiguée. Dans le champ
« affection », on relève des occurrences en lien avec les thèmes « amour », « admiration » et
« désir ». Ceci souligne la motivation présente dans le quotidien de Marie. Celle-ci fait preuve
d’enthousiasme avec ses élèves, ainsi qu’en formation :
Ravie de retrouver ma classe “chouchou” de 1ère S3 (j’imagine que tous les profs en
ont une...?) et nous recommençons les cours en continuant tranquillement notre
séquence sur Gene Ethics, qu’ils ont relativement bien gardés en mémoire, compte
tenu que l’on ne s’est finalement pas vu depuis 3 semaines !
Oh là là qu’est-ce qu’on s’amuse, c’est GÉNIAL cette journée !! On est parti comme
des bombes avec plein d’idées en tête, on travaille hyper bien ensemble, l’ambiance
est bonne et on rigole ! J’adore travailler dans ces conditions et notre projet tient
vraiment la route. Ça fait vraiment plaisir. Je pense être vraiment au point sur les
escape games à l’issue de cette journée et j’ai vraiment l’envie et l’objectif d’en mettre
un en place l’année prochaine… Il faudra “juste” que je trouve la/le prof de maths
pour être mon binôme !! Surtout que le prof de français du lycée XX qui m’avait
proposé de faire un escape game semble débordé en ce moment et le projet stagne. Je
ne pense pas qu’on aura le temps de l’organiser avant la fin de l’année. Du coup, ça
me rebooste parce que c’est vrai que c’était une petite frustration pour moi de ce côté-
là… Allez hop ! Aux oubliettes la frustration, c’est l’excitation qui a pris la place !!
Quoi ??? Il faut déjà aller manger ??? Oh non… moi j’veux continuer !!! Je me sens
comme une vraie gamine, hihihi :D :D
Lorsqu’on comptabilise uniquement les noms d’émotions que Marie a placés en entête des
épisodes qu’elle relate, on trouve 66 émotions à valence positive, soit 50% :
459
Les émotions à valence positive recensées dans l’E-JdBP de Marie sont consultables en
annexe 32. À la différence de ses pairs, la joie n’est pas la première émotion à valence positive
recensée dans le journal de Marie. Elle se dit principalement « contente » au quotidien, comme
on peut l’observer dans cet exemple.
Contente
Nous avançons à bonne vitesse avec les 1ères L3 en LÉLÉ sur la séquence “The Writer
in His/Her Time” et les élèves font des progrès en lecture et en analyse. Je suis assez
contente car quand on m’a appris que je devais assurer un cours de LÉLÉ en début
d’année, j’étais un peu paniquée. Je ne savais absolument pas par quel bout le prendre
ni par quoi commencer mais aujourd’hui, je sens que je maîtrise mieux la LÉLÉ 169 et
je prends même du plaisir à l’enseigner.
On constate qu’elle n’hésite pas à graduer les émotions parentes de la joie en utilisant des
adverbes ou des expressions d’intensité, ce qui lui permet de disposer d’un large registre. Elle
se dit « assez contente », « un tantinet fière », « plutôt satisfaite », « je suis vraiment aux
anges », « très joyeuse ».
L’étude du e-JdBP de Marie montre qu’elle ressent des émotions de la famille de la joie pour
des raisons très variées.
169
LÉLÉ : Littérature étrangère en langue étrangère
(https://cache.media.eduscol.education.fr/file/LV/00/4/RESS_LV_cycle_terminal_LELE_anglais_316004.pdf )
460
Rappel du code couleur :
Épisodes émotionnels en lien avec les élèves
Tableau 8.57. Les déclencheurs de la joie cités dans l’e-JdBP de Marie de C2 et ratio
Elle ressent principalement de la joie lorsque ses élèves sont impliqués dans son cours et qu’ils
sont en réussite :
Contente / positivement surprise
Ouf ! La CO s’est bien passée ! Ils ont été force de proposition, ont formulé des
hypothèses pertinentes et ont compris énormément de choses dès la 1ère écoute. À tel
point que je n’ai pas eu le temps de faire de TE mais tant pis, au moins ils s’étaient
réveillés ! Je ferai la TE lundi après le récap’. Plusieurs collègues stagiaires m’ont dit
que ça leur arrivait encore régulièrement de manquer de temps… alors je reste
confiante.
Je termine mon cours avec les 1ères S qui s’est bien passé ; cette classe est décidément
au travail, elle a envie d’apprendre et de progresser. Je vois d’ailleurs des élèves qui
ont déjà fait des progrès notables à l’oral depuis le début de la séquence que j’ai
essentiellement consacrée à la POC et à la POI. Ils “tentent” des choses et osent
prendre des risques, je suis fière d’eux et des efforts fournis.
461
J’ai vraiment plaisir à faire ces AP170 ; les formateurs sont pertinents, sympas mais
pointus rigoureux. J’apprends et moi j’adore ça, apprendre. En plus c’est du concret,
donc quand je repars, j’ai 1h30 de route (ou plus si affinités…) mais je suis toujours
“nourrie”, avec de vraies pistes à expérimenter en classe.
Ceci vient sans doute du fait, qu’étant en reconversion professionnelle, elle a conscience de
l’atout que représente cette formation que ses pairs, plus jeunes et qui n’ont pas interrompu
leur cursus universitaire, ont parfois l’impression de subir :
Encore une journée riche et sympathique passée à l’ESPE. Seul bémol : j’ai entendu
quelques réflexions au sein du groupe pendant l’après-midi de TSNR, concernant plus
particulièrement le rythme des évaluations “constantes” et l’encadrement et le contenu
des cours “insuffisants”. Je pense que ces personnes ne réalisent pas la chance qu’elles
ont d’être payées pour être en formation. Que cette formation vous donne ce qu’elle
reçoit. Il ne s’agit pas d’attendre passivement qu’on nous gave comme des oies. Il faut
travailler. Il faut réfléchir. Il faut s’investir.
Prendre conscience de ses avancées et de sa progression lui apporte également de la joie. Elle
se sent progresser en formation, dans la conception de séquence didactique avec ses pairs :
Soulagée/un tantinet fière
We made it!!! Et en plus, je trouve que notre travail est plutôt pas mal :) J’ai hâte de
faire cette séquence avec mes 1ères S3 vendredi (sur Gene Ethics). Ça fait tellement
plaisir de travailler avec mon groupe, on est vraiment soudée. Et puis je sens que je
percute beaucoup plus vite qu’avant. Même si certains termes “techniques”
m’échappent encore (je n’ai pas fait de MEEF2), je me suis rendu compte que,
pendant la réflexion commune, j’avançais souvent les idées/concepts... Et du coup
mes collègues (qui sont en renouvellement) me fournissent les termes manquants. On
s’enrichit mutuellement quoi... :) :)
Elle est également consciente du lien entre ses progrès en didactique et leur impact sur la mise
en œuvre pédagogique en classe, ce qui a un effet sur la réussite de ses élèves :
Je termine la journée sur les rotules mais je suis satisfaite. J’ai comme eu un déclic
depuis début/mi-février (certainement suite aux conseils prodigués par lors de ma
visite conseil) ; je parle moins et les élèves parlent plus du coup. Et puis je “déroule”
ma séquence, séance après séance (même si j’ai encore parfois des problèmes de
gestion de temps…) de façon plus fluide. Le travail en classe s’en ressent
positivement. Je suis vraiment contente de ça, aussi pour moi que pour mes élèves.
170
Séance d’AP : séance d’analyse des pratiques professionnelles
462
Joie et scripts prototypiques
À l’instar de ce que nous avons déjà constaté chez Cécilia et Dorine, les émotions
parentes de la joie de Marie émergent lorsqu’il y a adéquation – soit décalage zéro – entre le
script prototypique et la réalisation effective.
Scripts prototypiques Réalisations Commentaires
Script du « cours Soulagement. L’émotion « soulagement » est explicitement
suffisamment bon » : le cours Mission accomplie, même si je nommée.
est perfectible mais il intéresse n’ai pas réussi à faire tout ce que je Elle est jouée linguistiquement avec
les élèves et satisfait la tutrice. voulais (je n’ai pas eu le temps de l’expression « mission accomplie » qui
Script de la « tutrice faire la TE…), j’ai senti que cette indique que l’objectif est globalement atteint.
satisfaite » : la tutrice trouve nouvelle séquence sur “Green Art” L’émotion est argumentée : la séance aurait
que le cours de la PS atteint les les avait intéressés. Ma tutrice m’a pu être meilleure ( « je n’ai pas réussi à faire
objectifs qu’elle a fixés. Les d’ailleurs dit qu’elle trouvait que tout ce que je voulais (je n’ai pas eu le temps
élèves sont productifs. les élèves avaient été très de faire la TE… »), mais la « mission » est
Script de la « PS productifs, qu’ils avaient plein de « accomplie » car les élèves ont été
suffisamment choses à dire. intéressés, ont été « très productifs »,
performante » : la PS fait un « avaient plein de choses à dire », ce qui
cours qui intéresse les élèves, satisfait la tutrice.
elle atteint ses objectifs. Sa
tutrice est satisfaite du cours Décalage zéro, adéquation entre les scripts
qu’elle observe. prototypiques et la réalisation = soulagement
463
Comme chez ses pairs, la joie émerge également lorsqu’il y a un décalage positif entre le script
prototypique et la réalisation. Il peut tout d’abord s’agir de l’interruption d’un script plutôt
pessimiste :
La joie peut émerger lorsque le script de départ est dépassé et que la réalisation va au-delà de
ce qui était espéré.
Scripts prototypiques Réalisations Commentaires
Script des « bons Fierté/grande joie Les émotions sont explicitement nommées
élèves » : les bons Deuxième cours avec mes 1ères S « fierté/grande joie »
élèves s’investissement cette fois. On bosse sur les réseaux Elles sont jouées linguistiquement et
et font le travail sociaux en ce moment. Je leur ai paralinguistiquement.
demandé. Ils atteignent demandé de se mettre en groupes de 5 *Interjections, exclamations, points
les objectifs fixés par le (donc 7 groupes puisqu’ils sont 35), de d'exclamation multiples :
professeur. faire des recherches sur un réseau Oh la la..! Le niveau des présentations !!! Ils se
social en particulier (ils ont choisi : sont donnés à fond !
Twitter, Facebook, Instagram, *Expression « fière comme une baraque à
Snapchat, LinkedIn, Youtube et frites »
Flickr) et de réaliser une présentation *Références aux manifestations corporelles de
Powerpoint qu’ils présenteront en la joie:
classe. Oh là là...! Le niveau des “I’ve got chills, they’re multiplying, and I’m
présentations !!! Ils se sont donnés à losing control, ‘cause the power you’re
fond ! Pour chaque groupe, j’ai un supplying, it’s electrifying!!!” (Source:
464
10/10 au niveau du respect des Grease) Je retiens ma p’tite larme le cadeau
consignes : concept du réseau social, qu’ils m’offrent… et qu’ils s’offrent à eux-
histoire de sa création (qui, quand, où, mêmes au passage, car c’est bien ça le plus
pourquoi), son développement, important ”.
l’image qu’on en a aujourd’hui et la
personnalité qui le représente Les émotions sont argumentées :
particulièrement. Il y a même un *Énumération des points de la consigne
groupe qui m’a fait le lien avec les respectés pour justifier la note de 10/10 et
notions du programme. En prix Bonux l'émotion. « Pour chaque groupe, j’ai un 10/10
! Je l’avais même pas demandé. Me au niveau du respect des consignes : concept
voilà, fière comme une “baraque à du réseau social, histoire de sa création (qui,
frites” à les écouter me parler de quand, où, pourquoi), son développement,
“spaces and exchanges”, “places and l’image qu’on en a aujourd’hui et la
forms of power” et “the idea of personnalité qui le représente
progress”... “I’ve got chills, they’re particulièrement.
multiplying, and I’m losing control,
‘cause the power you’re supplying, *présentation du dépassement : «Il y a même
it’s electrifying!!!” (Source: Grease) un groupe qui m’a fait le lien avec les notions
Je retiens ma p’tite larme mais je suis du programme. En prix Bonux ! Je l’avais
émue par le cadeau qu’ils m’offrent… même pas demandé »
et qu’ils s’offrent à eux-mêmes au
passage, car c’est bien ça le plus Décalage positif, le script est dépassé car les
important. élèves sont allés beaucoup plus loin que ce qui
était prévu => fierté, grande joie
465
Script du « cours de Joie L’émotion « joie » est explicitement nommée.
LELE suffisamment Je pense que je viens de faire le Elle est jouée linguistiquement :
bon » : les élèves meilleur cours de LELE depuis le *Évaluation positive du cours :
participent, leurs début de l’année. Nous travaillons sur -Superlatif :« le meilleur cours de LELE depuis
productions sont “The Writer in His/Her Time”. Nous le début de l’année »,
intéressantes. venons de terminer l’étude de Death -Adjectifs « riches », usage d’adjectifs
of a Salesman d’Arthur Miller et positifs : « riches », « pertinentes »
avons commencé celle de The Grapes -Comparatif de supériorité : « les échanges
of Wrath de John Steinbeck. Les sont plus riches qu’aux 2 premiers trimestres »
Script de la « PS élèves semblent avoir enfin le déclic expression « être aux anges »
suffisamment en LELE : les échanges sont plus *Impatience : « j’ai hâte d’être à vendredi
performante » : la PS riches qu’aux 2 premiers trimestres, prochain »
fait un cours de LELE les réflexions et l’analyse générale du *Connivence avec le lecteur : « Je vous avoue
qui intéresse les élèves, thème pertinentes. Je suis vraiment que c’est la 1ère fois que je ressens ça de
elle les amène à faire aux anges et j’ai hâte d’être à vendredi l’année en LELE »
des analyses prochain… Je vous avoue que c’est la
intéressantes et atteint 1ère fois que je ressens ça de l’année L’émotion est argumentée : Les élèves
ses objectifs. en LELE. fournissaient un bon travail, mais maintenant
leur réflexion va beaucoup plus loin qu’avant :
« Les élèves semblent avoir enfin le déclic en
LELE : les échanges sont plus riches qu’aux 2
premiers trimestres, les réflexions et l’analyse
générale du thème pertinentes. »
467
Aux oubliettes la frustration, c’est l’excitation qui a Excitation
pris la place !! Quoi ??? Il faut déjà aller manger ???
Oh non… moi j’veux continuer !!!
ð Émoticônes telle la Cour des Miracles, comme les surnomme Diagnostic empathique :
leur PP :( peur, appréhension
On va bosser !! :) Soulagement / confiance
Quel mauvais départ avec ce nouveau formateur :( Honte / culpabilité
Je suis ravie, j’espère le retrouver la prochaine Joie
fois !:)
Ma tutrice va m’aider :) Confiance
Le début de la fin de la Cour des Miracles en cours Surprise positive => plaisir
d’anglais ?? ;)
Ahaha la bonne blague.:/ Doute
A nous 5 on est les doigts d’la main :) Grande joie
L’un est décrocheur, l’autre …influençable ;( Colère
Tout s’est bien passé au final mais vous Diagnostic empathique :
reconnaitrez que c’est quand même incroyable ;) soulagement
Les élèves sont (enfin !) au travail et ils progressent Joie
(presque …) tous :)
[…] – je les ai une semaine sur deux :) joie
Je me sens comme une vraie gamine, hihihi :D :D Excitation
[…] bref, encore un cadeau que les gamins me font Affection
et que je reçois le cœur grand ouvert <3 <3 <3
(Auto)Citations Euh.. tu m’as prise pour un cinéma ??? Allez hop, Agacement
on se secoue les puces et on se remet au travail. Non
mais je rêve... Attendez de rentrer dans la vie active
on verra si vous êtes “crevés”.
‘’Evitez les endroits poussiéreux, essayez de parler Scepticisme /doute
le moins possible pour reposer votre système ORL
et reposez-vous.”
Commentaires directs et apartés Tout s’est bien passé au final mais vous Diagnostic empathique :
reconnaitrez que c’est quand même incroyable ;) soulagement
[…] ce fichu DST imposé par l’établissement a lieu Scepticisme /doute
(encore !) jeudi.
Les élèves sont (enfin !) au travail et ils progressent Joie
(presque …) tous :)
Toutes les salles de Torcy (je dis bien toutes !) Agacement
[…] étant de nature très (trop ?) dynamique. Agacement
Du coup nous avons « un peu » (beaucoup) pris les Excitation
rênes du projet […]
Ravie de retrouver ma classe « chouchou » de 1ère Joie
S3 (j’imagine que tous les profs en ont une …?) […]
Après un moment d’adaptation, le test fonctionne : Joie
nous sommes tous (j’insiste sur le “tous” !) assis en
cercle et tout le monde est au travail et concentré !
Quel bonheur ! Je suis vraiment contente et nous
reproduirons l’expérience dès que l’occasion
(supports de travail et temps) se présentera :)
Nous avons même fait une belle TE (je me suis Sérénité
même demandée si elle n’était pas trop longue pour
le coup ?).
Construction linguistique
Choix du lexique : expressions Ils se sont donnés à fond ! Fierté /grande joie
familières Je retiens ma p’tite larme Fierté /grande joie
Elle a compris O combien j’étais dans la Soulagement
« biiiiiiiiip »
468
Je serre les fesses dans l’attente de la fameuse alerte Anxiété
confinement
On se secoue les puces Agacement
Ca m’a fait passer la « pilule » de ce matin Soulagement
Humour et (auto)dérision (ou plus si affinités…) Diagnostic empathique :
contrariété
faire une pirouette cacahuète Vigilance
Cette fois je rentre en scène pour la 2nde9... ou Vigilance
devrai-je dire je rentre en piste car cette classe est,
comment dire… telle la Cour des Miracles, comme
les surnomme leur PP :(
(2 dys, 1 bipolaire, 2 décrocheurs, 4 redoublants qui Vigilance
pourraient retripler pour autant que je sache, 2
dépressives et 1 “serial killeuse” en herbe qui tue
les souris dans son sac en cours de maths… super!)
J’en ai parlé à : le PP de la 2nde9.
Je serre les fesses dans l’attente de la fameuse alerte Anxiété
confinement
Je suis un oeil de lynx qui détecte la moindre Vigilance
incartade, lol. Plus sérieusement, je les mets au
travail très vite
Allez hop ! Aux oubliettes la frustration, c’est Excitation
l’excitation qui a pris la place !! Quoi ??? Il faut déjà
aller manger ??? Oh non… moi j’veux continuer !!!
Je me sens comme une vraie gamine, hihihi :D :D
Pour résumé : où est mon lit ????? Epuisement
Choix du lexique : culture Les perdre d’ennui OU faire une pirouette
commune cacahouète
En prix Bonux ! Fierté / grande joie
Je n’ai pas dit mon dernier mot, Jean-Pierre ! Contrariété
Me voilà, fière comme une “baraque à frites” à les Fierté / grande joie
écouter me parler de “spaces and exchanges”,
“places and forms of power” et “the idea
Ce qui devait arriver est arrivé Colère
Incroyable mais vrai ! Surprise positive
Si je ne prends pas le taureau par les cornes Colère
Comme on dit en italien : “chi va piano va sano” :) Plutôt contente
Dimension pragmatique
Alternance codique
Fonction : souhait de partager. Objectif relationnel-émotionnel : instaurer proximité et connivence
Forme : Incises, changement de registre, utilisation d’expression figées
Intraphrastique : noms des Me voilà, fière comme une “baraque à frites” à les Fierté / grande joie
notions au programme écouter me parler de “spaces and exchanges”,
Extraphrastique : extrait d’une “places and forms of power” et “the idea of
chanson (culture commune) progress”... “I’ve got chills, they’re multiplying,
dont les paroles correspondent and I’m losing control, ‘cause the power you’re
aux émotions de Marie. supplying, it’s electrifying!!!” (Source: Grease)
Parler bilingue, exclamation Wow ! Mais il est GENIAL ce prof !!! Joie
Parler bilingue, exclamation Boohoo …Dolores O’Riordan des Cranberries est Tristesse
décédée à l’âge de 46 ans aujourd’hui. Toutes mes
idoles s’envolent les unes après les autres… R.I.P.
Dolores.
Extraphrastique Tout ceci me fait penser à la citation d’Alexander Joie
Partage Pope “A man should never be ashamed to own
that he has been in the wrong, which is but
saying in other words that he is wiser today than
he was yesterday.” :)
469
Extraphrastique. Expression Comme on dit en italien : “chi va piano va sano” Satisfaction
figée :)
Intraphrastique (terme Je surveille mon TTT *comme l’huile sur le feu Sérénité
didatique) depuis que mon formateur-visiteur m’a demandé de
travailler ce point et ça progresse
*teacher talking time
Extraphrastique Ouf ! J’ai réussi à tout faire, appelez-moi Shiva. Soulagement, épuisement
Connivence, partage Maintenant je vais ramper jusqu’à ma voiture pour
aller chercher ma fille chez la nounou… et
recommencer une autre “journée” de travail !!
Tiens, ça me fait penser à cette p’tite blague :
Friend: Are you getting enough sleep?
Me: Sometimes when I sneeze, my eyes close.
Extraphrastique Comme dirait Dean Martin : Frustration
“Oh, the weather outside is frightful
But the fire is so delightful
And since we've no place to go
Let it snow, let it snow, let it snow.” :)
Extraphrastique (cri de joie We made it!!! Et en plus je trouve que notre travail Soulagement /fierté
spontané) est plutôt pas mal :)
Intraphrastique (noms de Nous travaillons sur “The Writer in His/Her Joie
oeuvres étudiées) Time”. Nous venons de terminer l’étude de Death
of a Salesman d’Arthur Miller et avons commencé
celle de “The Grapes of Wrath” de John
Steinbeck.
Intraphrastique (références au J’avais donné des sous-thèmes et des petits Soulagement, satisfaction
programme) challenges grammaticaux à chaque groupe (par
exemple : Earth before global warming / “used
to”, act now before it’s too late / “should, have
to, must”, etc.)
Extraphrastique (citation de la Voici la TE que nous avons donc construite Fierté
trace écrite produite par les ensemble:
élèves) “On the mural, there is some BP oil, the same than
(sic) in the two cartoons. The three documents
show that BP oil endangers sea animals. The
marine ecosystem is threatened by pollution,
mostly by petrol oil. On the three documents, we
can see signs of death: a skull, dead fish, dead
corals, etc. The documents criticize the pollution
of our planet by humans: oil spilling, waste
dumped in the sea, deadly chemicals spread in the
air. It is showing the human impacts on marine
life. The three documents are made in order to
alert people on different ecosystems that are being
threatened with extinction.”
Je suis fière de leur travail, même si je sais que ce
n’est pas parfait ; n’oublions pas que le PP de cette
classe les surnomme “la Cour des Miracles” !
Extraphrastique. Culture Mission accomplie. Veni, vidi, vici. Paix
commune
Intraphrastique. Terme Nous établissons un recap’ ensemble Sérénité
didactique
Intraphrastique. Culture C’était une séance “light” … Fatigue
commune
Intraphrastique. Terme Surtout que j’ai réussi à faire baisser mon TTT* qui Sérénité
didactique « battait tous les records » selon M. X ;) !
*teacher talking time
470
Intraphrastique. Nom de la Nous avançons à bonne vitesse avec les 1ères L3 en Satisfaction
séquence LELE sur la séquence “The Writer in His/Her
Time”
Intraphrastique. Nom de la La séquence sur « Gene Ethics » continue de Sérénité
séquence fonctionner comme je l’espérais
Tableau 8.61. Indices linguistiques et paralinguistiques des émotions recensés dans l’e-JdBP de Marie, PS C2
Ce pourcentage est très en deçà de la moyenne de 52% des PS de sa cohorte ou de celui des
quatre cohortes (pour rappel 54,5%). Marie fournit à plusieurs reprises des explications à cette
tendance : « J’en ai parlé à : personne (pas le temps !) », J’en ai parlé à : personne (pas le
temps ! bis), J’en ai parlé à : personne (trop fatiguée !) ». L’année de formation initiale de
Marie semble être une course éreintante contre la montre qui ne lui permet pas de prendre du
temps pour partager ses épisodes émotionnels.
*Modification de la prosodie
=>Volume de voix plus élevé
=>Intonation plus ferme (descendante), notamment sur “thank you!” qui est
censé clore l’incident
=> son [e] de “again” est allongé, exagéré en signe d’exaspération. Marie
accentue de façon expressive les mots clés : “sit up”, “next time”, “last call”,
“thank you”.
=>manifestée paralinguistiquement:
*Langage corporel : orientation du corps et du regard vers l’élève.
*Recours aux gestes d’animation (Tellier, 2014, p.110) pour accompagner le
discours.
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « excédée ».
mettre dans cet L’émotion est argumentée et justifiée par l’amont : deux élèves assises à la
état ? droite de Marie bavardent et Dorian est affalé sur son bureau. Marie avait déjà
L’émotion n’est dû séparer les bavardes à un autre cours, et c’est la quatrième fois qu’elle
compréhensible que rappelle à l’ordre Dorian. « It’s the last call » montre qu’il y a déjà eu des
si elle est argumentée rappels. L’ordre “Sit up!” signifie qu’il n’était pas assis droit jusque-là. Durant
l’EAC (phase de description de l’action), Marie précise :
Alors j’ai cette émotion d’excès parce qu’il est affalé sur sa table et
mon objectif c’est qu’il se redresse et qu’il participe au minimum au
cours. Donc j`lui explique pourquoi ça va pas et quelque part je lui dis
que si ça continue ben on arrivera à prendre des décisions autres qui
sont euh … « bah va à l’infirmerie si tu t` sens si mal que ça,
maintenant ça suffit ! » et je lui dis aussi « c’est la DERNIERE fois
que j` te l` dis ! » voilà !
Tableau 8.63. Analyse du segment 1 de Marie avec le modèle de Plantin
L’émotion « excédée » surgit car le script prototypique du « bon élève captif » – « le bon
élève captif » est impliqué dans le cours, participe, fait des efforts pour progresser tout en
respectant les règles (comportement, participation) mises en place par l’enseignante » – que
l’enseignante avait anticipé est interrompu. Ici les élèves ne sont pas impliqués, ne participent
pas, ne font pas d’effort pour progresser, ne respectent pas les règles : deux élèves bavardent
et Dorian est affalé sur son bureau. Il y a un décalage négatif entre le script et la réalisation
effective car les élèves ne se conforment pas aux attendus. Le décalage entre le script
prototypique et la réalisation génère l’émotion « excédée ».
473
Figure 8.40. Schéma de l’émergence de l’émotion « excédée ». Épisode émotionnel 1, Marie PS C2
L’émotion « excédée » a un impact sur le discours de Marie. Elle l’amène à poser une
question rhétorique aux deux élèves bavardes, à donner des ordres à l’élève Dorian affalé
sur son bureau. Sa prosodie est modifiée : le volume de voix est plus élevé, son intonation
est descendante, signe de fermeté, elle accentue certains mots et les scande de sa gestuelle.
Cependant “thank you!” ne clôt pas l’incident, et lorsqu’elle reprend son discours constitutif,
l’émotion toujours présente lui fait perdre le contrôle de sa prosodie. Elle fait une erreur
d’accentuation. Elle accentue [ˈdiveləpt] sur la première syllabe au lieu de l’accentuer sur la
deuxième. Elle s’en aperçoit immédiatement et se corrige, puis répète le mot corrigé et le fait
répéter plusieurs fois aux élèves. Elle commente cette erreur dans l’EAC :
Et là je suis tellement excédée que j’en fait une erreur de prononciation (lève le doigt
pour signaler l’erreur), … là je me reprends.
On peut souligner plusieurs points intéressants dans cet épisode. Marie, qui se montre ferme
par le biais de sa prosodie, ne peut convaincre les élèves car son message manque de
cohérence. Dans cet extrait il s’agit d’un nouveau rappel et les élèves savent qu’ils ont encore
une chance, comme en atteste “next time” et la question rhétorique “Should I move you two
again?”. Elle ne parvient donc pas encore à se positionner totalement en adulte référent car
elle peine à donner des limites à ses élèves. On peut par ailleurs s’interroger sur la menace
d’être envoyé à l’infirmerie. Si l’élève est malade, il n’enfreint pas les règles et doit en effet
quitter le cours. En revanche, s’il est las du cours et le signifie par son attitude, Marie devrait
utiliser d’autres méthodes, plus douces (l’intégrer au cours via des sollicitations) ou plus
coercitives (rappel des règles de vie de classe et punition). On remarque également sur les
vidéos que Marie fait principalement cours avec les élèves situés à sa gauche. Il y a donc un
474
angle mort dans son champ de vision, ce que l’on observe chez la très grande majorité des
enseignants novices. Ceci peut expliquer le manque d’intérêt des élèves rappelés à l’ordre et
qui ne se sentent pas concernés par le cours puisque l’enseignante leur tourne le dos.
Figure 8.41. Capture de vidéo “I’m going to separate you” et transcription du segment
475
Qui éprouve quoi ? Personne affectée : Marie, PS
=> Qui est affecté ? Nature des émotions : « excédée et troublée », reconstruites par le biais du
=> Quelle est diagnostic empathique car ce segment n’a pas été choisi par Marie pour donner
l’émotion lieu à un EAC.
éprouvée ? Marie entend derrière elle que les deux élèves qu’elle a rappelées à l’ordre trois
minutes auparavant sont en train de parler à nouveau. L’émotion précédente
est donc à nouveau convoquée : elle est excédée. Cependant, elle est mise en
difficulté par la réponse d’une des deux élèves qui précise qu’elles étaient en
train d’échanger en anglais sur le cours. Marie est troublée mais sait rapidement
gérer l’imprévu. Elle garde la face en leur demandant de prendre la parole et
donc en les réintégrant au groupe classe.
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « excédée et troublée ».
mettre dans cet L’émotion « excédée » est justifiée dans la mesure où Marie est convaincue
état ? que les deux élèves bavardent et que cela perturbe la classe : “you’re disturbing
L’émotion n’est the class”.
compréhensible que Son trouble est justifié par la répartie d’une des deux élèves qui lui précise
si elle est argumentée parler du cours en anglais. Le trouble de Marie est de très courte durée et celle-
ci parvient à garder la face et à reprendre une position haute : “okay, you’re
next, and you too. I know you have an idea”
L’émotion « excédée » resurgit car le script prototypique du « bon élève captif » est à
nouveau interrompu. L’émotion « troublée » émerge à son tour parce que le script de « la
« PS suffisamment performante » (la PS suffisamment performante sait intéresser ses
élèves, sait leur faire respecter les règles de vie de classe et est capable de réagir face à
l’imprévu) est également contrarié. Il y a un décalage négatif entre les scripts et la réalisation
effective ce qui génère les deux émotions.
476
Figure 8.42. Schéma de l’émergence de les émotions « excédée » et « troublée ». Épisode émotionnel 2,
Marie PS C2
Ces émotions ont un impact sur le discours de Marie. L’émergence de l’émotion « excédée »
entraine comme précédemment une modification de la prosodie (volume de voix plus élevé,
intonation descendante signe de fermeté, accentuation expressive de certains mots
accompagnés de gestes de battement. Cette expression de colère, associée au trouble généré
par la situation imprévue, amène Marie à perdre le contrôle de son discours régulatif, ce
qui se traduit par la présence d’un marqueur d’hésitation ainsi que par un changement de
ton et de mode : on passe de deux phrases assertives à une requête insistante (impératif +
please).
On relève cette fois encore le même point saillant que dans le segment précédent : Marie ne
regarde pas les élèves assis à sa droite et va jusqu’à leur tourner le dos. On peut alors se
demander si cette erreur, très fréquente chez les enseignants novices, n’est pas la cause du
décrochage des trois élèves rappelés à l’ordre dans ces deux segments. Dans quelle mesure
ces élèves ne se sont-ils pas sentis délaissés et exclus du cours ? Travailler en formation sur
le placement et les déplacements, la proxémie, le regard périphérique et la posture gestuée
(Duvillard, 2016) ne pourrait-il pas être un atout pour les PS rencontrant les mêmes difficultés
que Marie ?
Analyse de segment filmés durant sa première année de titularisation
Le premier épisode est tiré d’un cours de 6ème qui a donné lieu à des enregistrements
vidéo et audio le 13 avril 2019. L’extrait n’a pas pu être filmé, seul le son a été enregistré. Le
deuxième segment est extrait d’un cours de 3ème filmé le 21 janvier 2019.
477
• Épisode 3 : agacement profond
L’épisode se passe durant une séance de fortune que Marie a dû improviser car son matériel
vidéo ne fonctionne pas. Elle ne peut donc pas projeter la vidéo sur laquelle elle avait prévu
de travailler et se lance dans une séance de “spelling bee171 ”. Vers la vingt-sixième minute
du cours, deux élèves que Marie avait déjà rappelées plusieurs fois à l’ordre, sont surprises à
nouveau en train de bavarder.
171
Concours d’orthographe : les participants doivent épeler des mots
478
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « agacement profond ».
mettre dans cet Marie précise dans l’EAC « à ce moment-là de l’agacement profond c’est sûr,
état ? étant donné que je sais qui c’est. C’est Sarah, elle est toujours en train de bla-
L’émotion n’est bla-bla d’ailleurs ».
compréhensible que J’étais en train de faire participer ce petit Paul. Il a un profil très particulier
si elle est argumentée […] et du coup je mets toute mon énergie pour essayer de le tirer comme ça
et je vois Sarah, qui elle doit s’embêter forcément puisqu’elle est loin devant,
et du coup et ça je me le dis en français « non mais c’est pas
possible/décidément ils veulent pas que ça avance les gamins »
Tableau 8.65. Analyse du segment 3 de Marie avec le modèle de Plantin
L’émotion émerge car le script du « cours suffisamment bon » (le cours se déroule
conformément à la préparation de l’enseignante. Rien ne l’entrave : il n’y a pas de problème
matériel, les élèves sont actifs et ont un comportement adapté) est interrompu pour la
deuxième fois. En effet, l’activité prévue ce jour-là n’a pas pu être mise en œuvre en raison
d’un problème matériel conduisant Marie à improviser, et des élèves bavardent malgré
plusieurs rappels à l’ordre. Il y a donc un décalage négatif entre le script et la réalisation, ce
qui engendre l’agacement profond.
Figure 8.44. Schéma de l’émergence de l’émotion « agacement profond ». Épisode émotionnel 3, Marie PS
C2
479
poursuit en français, puis en anglais. Elle en est consciente et l’analyse dans la phase de
description de l’action de l’EAC :
Un de tes étudiants [avait] un petit questionnaire sur internet où justement on devait
répondre « quand tes émotions prennent le pas, est-ce que tu repasses en français ou
est-ce que tu continues en anglais ? ». Alors au départ j’avais répondu très
impulsivement, non aucun problème. Et depuis qu’on se voit, je me suis rendu compte
que si, complétement en fait. Et quand j’ai dit « non mais c’est » j’allais continuer là,
après je me suis dit « mince je suis en français là » donc là j’ai dit « never you ».
J’utilise les mots en fr…, en anglais les mots « never you », « jamais toi » traduits
d’une façon, pff, à la petite sauvette et du coup je me sens obligée de retraduire derrière
c’est par « it’s ». Alors du coup je me retrouve avec une phrase que je n’incarne pas
du tout puisque dans ma tête je suis tellement emprise par ces émotions d’agacement
que je dis « it’s never you ». Je continue à lui parler en français in fine, avec des
mots anglais parce qu’il faut faire du « tout en anglais ». Comme quoi on peut
quand même se poser la question. Il y a un moment où le « tout anglais » ça a quand
même une limite, c’est-à-dire que quand on reprend un élève qui est français parfois
l’autorité doit repasser par sa langue maternelle pour euh … pour euh … […]
Non c’est les émotions qui vont faire repasser en français parce que dans ma tête
je suis : « non mais c’est pas vrai ! » et je lui dis « NON MAIS C’EST NEVER
YOU ! »
Ah mais c’est sûr c’est sûr parce qu’en plus Paul, j’étais en train de faire participer ce
petit Paul il a un profil très particulier […] et du coup je mets toute mon énergie pour
essayer de le tirer comme ça, et je vois Sarah, qui elle doit s’embêter forcément
puisqu’elle est loin devant, et du coup et ça je me le dis en français « non mais c’est
pas possible ! Décidément ils veulent pas que ça avance les gamins ! » et ça je me le
dis en français dans ma tête, c’est sûr, et du coup mon émotion elle passe par-dessus
en fait. J’arrive plus à en fait, c’est moi qui suis revenue, j’ai posé mon rôle d’actrice
puisque on incarne tous une profession un rôle. Là c’est Marie : « attends c’est bon là
on ne va pas attendre trois semaines », c’est moi, alors vite vite repassons, derrière
« it’s never you it’s never you » mais c’est pas crédible, le masque du prof le temps
que je le recompose.
Plusieurs éléments sont particulièrement intéressants dans son analyse. Tout d’abord, elle
mentionne qu’un réflexe cognitif en langue maternelle se met en place sous le coup de
l’émotion. L’agacement profond fait émerger les mots en français « dans sa tête ». On retrouve
ensuite la dichotomie identité personnelle vs identité professionnelle déjà mise en avant
par Dorine. Marie, la personne, répond spontanément en français, et le professeur poursuit en
anglais. Marie s’indigne dans sa langue maternelle, puis reprend son « masque du prof » et
poursuit en anglais, langue qu’elle enseigne et qu’elle ne s’autorise pas à quitter « parce qu’il
faut faire du « tout en anglais ». Sous l’émotion elle « traduit à la petite sauvette », tout en
étant conscience que son anglais n’est autre que le calque du français : « je continue à lui
parler en français in fine, avec des mots anglais parce qu’il faut faire du « tout en anglais ».
On note qu’elle amorce une remise en question du tout anglais « il y a un moment où le ‘tout
anglais’ ça a quand même une limite », résurgence de la méthode audio-visuelle (Tardieu,
480
2014) qui hante toujours les enseignants d’anglais. Durant la phase d’évaluation de l’action,
elle estime que ce tout anglais artificiel n’est « pas crédible ».
• Épisode 4 : énervement
L’épisode émotionnel est tiré d’un cours de 3ème. La séquence s’intitule “ your dream job” et
le thème de la séance porte sur “parental expectations”. C’est la 5ème minute du cours. Marie
a distribué des fiches et donné des consignes de lecture aux élèves. La classe est configurée
en U et Marie a une vision panoramique sur l’ensemble de élèves. Elle demande à un élève
sur sa gauche de lire le titre et s’aperçoit au même moment que deux élèves à sa droite sont
en train de « bidouiller des trucs, de toute évidence elles ne suivent pas ». Une des deux est
une élève sérieuse mais ce n’est pas le cas de sa camarade.
Figure 8.45. Capture de vidéo “This is not plastical art here” et transcription du segment
Le script du « bon cours filmé » (le bon cours filmé est parfait. Le contenu est bon et les
élèves sont actifs et se comportent bien) est interrompu. Le décalage négatif entre le script et
la réalisation en classe génère l’énervement.
Elle traduit littéralement ce qu’elle était en train de penser silencieusement en français. Durant
la phase de recherche d’alternative, Marie conclut :
482
En fait j’aurais dû le dire en français parce que je me le disais en français à l’intérieur
de moi « c’est pas de l’art plastique ici »
Il s’agit encore d’un réflexe cognitif en langue maternelle contrarié par le joug du « tout en
anglais » que s’impose Marie.
Comme je switch my mind to English for the pupils, if I address the pupils so it has to be in English
Parce qu’on nous a formaté du tout anglais du tout anglais alors, comme il faut que ça soit tout
anglais, allez allez (tape dans les mains) plastical art !
On peut ici s’interroger sur la pression du « tout en anglais » que les enseignants s’imposent
sur le terrain. Dans quelle mesure la recherche en didactique de l’anglais pourrait-elle faire
évoluer cette croyance en mettant en place des projets de recherche-action participative ?
• Épisode 5 : (auto)-énervement
Le cinquième épisode a lieu durant un cours de 6ème du 13 mars 2019. Marie met en
œuvre une compréhension orale sur Charlie and the Chocolate Factory. Un élève, Mathis, a
du mal à rester attentif et bavarde. Marie le rappelle à l’ordre pour la « cent millième fois ».
Figure 8.47. Capture de vidéo “talking ! Chat, chat, chat !” et transcription du segment, Marie T1 C2
483
Analysons ce segment avec le modèle de Plantin (2011, p. 233) :
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « (auto-)énervement ».
mettre dans cet L’émotion est justifiée par le contexte. Durant l’EAC Marie précise qu’elle a
état ? rappelé à l’ordre Mathis de nombreuses fois :
L’émotion n’est Mais pour la cent millième fois en fait depuis que je le connais ce Mathis.
compréhensible que Mathis, Mathis, Mathis ! Toujours la même chose Mathis !
si elle est argumentée
Par ailleurs elle précise que son émotion s’auto-nourrit (« je m’auto-énerve »,
« je m’auto-excite ») et va « crescendo », en raison de la répartie de Mathis. En
effet, Marie est déjà énervée, mais lorsqu’elle entend Mathis dire « talking ? »,
son énervement grandit, ce qui déclenche « chat chat chat » et « bla bla bla »,
qu’elle juge jubilatoires (« ben là je me fais plaisir je me fais plaisir »).
Tableau 8.67. Analyse du segment 5 de Marie avec le modèle de Plantin
Ici le script du « Mathis, le bon élève captif » (Mathis a déjà été rappelé à l’ordre « cent mille
fois. Il s’investit maintenant dans le cours et se comporte de façon irréprochable ») a été
interrompu. Le décalage négatif entre le script et la réalisation engendre l’énervement.
484
Figure 8.48. Schéma de l’émergence de l’émotion « (auto-) énervement ». Épisode émotionnel 5, Marie
T1C2
L’émotion s’amplifie lorsque Mathis pose la question « talking ? », vécue comme une
provocation. Ceci amène Marie à perdre ses moyens linguistiques, ce dont elle est
consciente :
Ça monte vraiment crescendo. Aussi bien le ton, le débit, euh ben les mots. CHATTING. ALL
THE TIME. BLA BLA BLA. Là y a plus d’intonation, y’a plus d’accent, on s’en fout en fait.
C’est, il faut que
[la colère sorte]
Marie estime qu’en utilisant une formulation avec laquelle l’élève n’était pas familier, elle lui
a « tendu la perche » et est donc à l’origine de la surenchère d’énervement. On peut penser
que le recours aux questions rhétoriques a le même effet. En posant une question à laquelle il
ne faut pas répondre à des élèves dont le quotidien prend appui sur le modèle questions-
réponses, l’enseignant tend une perche à l’élève pour nourrir sa colère.
485
Voyons maintenant si les épisodes d’émotions à valence positive révèlent des tendances
similaires et soulèvent le même type d’interrogations.
486
Figure 8.49. Capture de vidéo « bravo» et transcription du segment, Marie PS C2
*Modification de la prosodie.
=> Accentuation expressive de « Bravo ! » et “Well done!”
=> Calque de l’intonation française: “you see you’re making a a lot of progress,
hein ?”
Durant l’EAC Marie argumente et revit ses émotions comme on peut le voir sur la capture
d’écran suivante :
487
Là je me remets dedans j’ai
des frissons dans les bras
Figure 8.50. Capture d’écran EAC Marie, PS C2, expression corporelle des émotions
Ses émotions sont argumentées, comme on peut le constater dans l’extrait de son EAC ci-
dessous (figure 8.50). Tout d’abord l’élève Margaux a réussi à produire un énoncé, à se
surpasser. Elle « monte en puissance » alors qu’elle est en difficulté et qu’elle « déteste
l’anglais ». C’est aussi une victoire pour Marie (« de la fierté pour elle et un peu pour moi
aussi ») pour qui « ce job c’est d’aller raccrocher les wagons ». L’émotion est d’autant plus
forte que Marie avait été avant excédée par Dorian. Elle mentionne le contraste entre les deux
épisodes dans l’extrait de l’EAC ci-dessous :
Figure 8.52. Schéma de l’émergence des émotions « amour, fierté, joie ». Épisode émotionnel 5, Marie PS
C2
Ces émotions ont un impact sur le discours de Marie. Leur émergence en classe entraîne chez
Marie une perte de ses moyens linguistiques. Elle recourt à l’alternance codique
interphrastique (« bravo ! » et intraphrastique (“you see you’re making a lot of progress,
hein ? ”, et utilise des interjections. Elle calque la construction de son discours sur le français.
Sa prosodie est également modifiée (volume plus élevée, intonation française, accentuation
expressive).
• Épisode 7 : contente
Toujours sur la thématique de “global warming”, les élèves sont amenés à dire que l’eau
manque toujours à partir du même document projeté. Marie donne le mot “drought” et essaie
de faire deviner sa signification à la classe en faisant un bruit guttural pour indiquer qu’elle a
très soif. L’épisode émotionnel survient quand un élève lui dit « la sécheresse ».
489
Figure 8.53. Capture de vidéo « louder for everyone !» et transcription du segment, Marie PS C2
490
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « contente ».
mettre dans cet L’émotion est justifiée par le contexte : l’élève a trouvé le sens de « drought », il a
état ? L’émotion n’est donné la traduction que l’enseignante attendait.
compréhensible que si
elle est argumentée
Tableau 8.69. Analyse du segment 7 de Marie avec le modèle de Plantin
Il y a donc adéquation entre le script du « cours suffisamment bon » (le cours a été bien
préparé en amont, l’enseignant arrive à le mener à bien et à atteindre ses objectifs) et la
réalisation. Le décalage zéro déclenche l’émotion.
L’émotion a un impact sur le discours de Marie. Elle l’amène à énoncer des interjections, des
évaluations positives, à faire de multiples répétitions, à augmenter le volume de sa voix, à
accentuer certains mots, mais aussi à recourir à l’alternance codique intraphrastique, avec
l’intrusion d’un « et oui » au milieu de son discours. Ces alternances codiques récurrentes
dans les épisodes émotionnels sont très intéressantes car elles sont la caractéristique d’une
perte de contrôle du discours. En effet Marie ne recourt pas au français dans ses cours, à la
différence de ses pairs. Les seules occurrences de français apparaissent comme des traces de
réflexes cognitifs en langue maternelle.
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se « joie ».
mettre dans cet L’émotion est justifiée par le contexte : le cours commençait mal avec la classe
état ? la plus terrible du collège, et finalement il se poursuit bien. Les élèves
L’émotion n’est progressent et elle-même est consciente de sa propre progression, comme en
compréhensible que atteste son aparté.
si elle est argumentée
Tableau 8.70. Analyse du segment 8 de Marie avec le modèle de Plantin
Les scripts pessimistes du « cours pas suffisamment bon avec les élèves de 4è, terreurs du
collège » (Le cours va mal se passer car les élèves sont terribles et en font voir à tous les
professeurs du collège) et de « la T1 pas suffisamment performante » (la T1 arrive en cours
« la boule au ventre » car elle sait que le cours va mal se passer. Elle ne parviendra pas à faire
travailler et progresser les élèves) sont interrompus. Cela se passe mieux que Marie l’avait
envisagé, il y a un décalage positif entre les scripts pessimistes et la réalisation effective, d’où
l’émergence de la joie.
493
Figure 8.56. Schéma de l’émergence de l’émotion « joie ». Épisode émotionnel 7, Marie T1 C2
L’émotion joie a un impact sur le discours de Marie. Elle engendre des interjections et
l’émergence d’adjectifs appréciatifs accentués. On remarque dans ce segment que la joie
provoque une décentration de l’attention de Marie ce qui engendre un aparté en français :
face au succès de la nouvelle méthode qu’elle vient d’expérimenter, elle fait à sa propre
attention un commentaire sur la situation et son ressenti. Elle extériorise ici ce qui relève
habituellement du monologue intérieur, d’où son recours à sa L1. C’est un temps hors du
temps, une bulle en marge du cours.
• Épisode 9 : fierté
L’épisode 9 a lieu durant le cours de 6ème du 13 mars 2019. Marie met en œuvre une
activité de compréhension orale avec des 6ème. Alexandre, le plus jeune élève de la classe qui
a rencontré des difficultés pour s’adapter aux exigences du collège, a bien progressé. Il
parvient à repérer et répéter le mot que Marie cherche à leur faire trouver dans l’audio.
494
Figure 8.57. Capture de vidéo « YES! VERY GOOD! » et transcription du segment, Marie T1 C2
Le script prototypique « Alexandre, l’élève qui n’est pas prêt à être en 6ème » est
interrompu. Le décalage positif entre le script et la réalisation déclenche la fierté.
495
L’émotion « fierté » à un impact sur le discours de Marie. Cela l’amène à modifier sa
prosodie (volume de voix plus élevé, accentuation expressive), à employer des interjections
(“yes”, “very good”) et à faire des répétitions.
496
pour fermeté, accentuation
expressive), marqueur
d’hésitation, changement de ton
et de mode
3 « Cours suffisamment Marie interroge un élève en Agacement Perte de ses moyens
bon » difficulté et est interrompue profond linguistiques (syntaxe). Reflexe
par les bavardages de deux cognitif en langue maternelle.
élèves qui ont déjà été Alternance codique
rappelées à l’ordre. intraphrastique, prononciation et
intonation calquée sur le
français.
4 « le bon cours filmé » Une élève peu sérieuse s’est Énervement Perte de ses moyens
assise dans le champ de la linguistiques : erreurs de
caméra. Elle dévoie sa lexique. Calque.
voisine habituellement
sérieuse.
5 « Mathis, le bon élève Mathis est rappelé à l’ordre (Auto- Répétitions.
captif » pour la cent millième fois. Il )énervement Perte de ses
se permet en plus moyens linguistiques (prosodie,
d’interroger Marie sur le sens lexique).
de « talking ». Modification de la prosodie (ton
violent et agressif.
Effet crescendo : la colère
nourrit la colère.
6 « Margaux, l’élève en Margaux, élève en difficulté Amour, fierté, Perte de ses moyens
difficulté », « la PS réussit à faire une phrase. joie linguistiques (syntaxe,
pas assez prosodie). Alternance codique
performante » interphrastique et
intraphrastique. Interjections.
Calque syntaxique et
phonologique sur le français.
Modification de la prosodie
(volume plus élevé, intonation
française, accentuation
expressive).
*La colère Représente 1/3 des émotions négatives citées Représente 20,5% des émotions négatives citées
Principalement déclenchée par les élèves Principalement déclenchée par les élèves
Déclencheur principal : le « comportement Déclencheur principal : le « l’absence
inadapté des élèves » d’implication des élèves »
*La joie Majorité de déclencheurs en lien avec l’enseignant Majorité de déclencheurs en lien avec
(« bon cours », conscience de sa posture l’enseignant (« bon cours », conscience de sa
d’enseignant, de sa progression, etc.) posture d’enseignant, de sa progression, etc.),
mais le déclencheur principal est la réussite
des élèves.
*Partage Peu de partage des épisodes émotionnels vécus Peu de partage des épisodes émotionnels vécus
Tableau 8.73. Bilan : similitudes et différences dans les réponses au questionnaire et les e-JbBP entre
Cécilia et Dorine (PS de C3) et Marie
Cécilia, Dorine et Marie ressentent une majorité d’émotions à valence négative au quotidien,
avec des taux relativement similaires obtenus en analysant les e-JbBP tant avec EMOTAIX
qu’avec le seul décompte des émotions. Cependant, ces émotions ne sont pas les mêmes et ne
renvoient pas aux mêmes problématiques. Cécilia ressent essentiellement de l’appréhension
car tous les lundis elle a peur de faire face à ses élèves. Ainsi chaque début de semaine, elle
doit reconstruire l’identité professionnelle dont elle ne se sent plus légitime, ce qui est
douloureux. Dorine ressent principalement de la colère car elle ne parvient pas à se positionner
en tant qu’adulte référent bien que consciente de ce qu’elle devrait mettre en place pour y
parvenir. Elles sont toutes les deux à un stade de développement intermédiaire entre l’étudiant
498
et l’enseignant que l’on peut qualifier de période chrysalidaire, ce qui n’est pas le cas de Marie,
en reconversion professionnelle, plus âgée et mère de famille. Cette dernière ressent
principalement de la fatigue car elle a du mal à conjuguer son année de stage à sa vie
personnelle. Elle fait donc de nombreuses mentions à la surcharge de travail qu’elle subit.
Dans des conditions de travail plutôt similaires – on ne la comparera pas à Dorine PS en
collège en REP+ – elle ressent moins de colère que Cécilia (20,5% contre 30% pour Cécilia).
Si la colère de Cécilia (et de Dorine) est déclenchée par « le comportement inadapté des
élèves », celle de Marie est liée à leur « absence d’implication ». Ceci peut déjà être l’indice
d’une amorce de prise de recul : elle parvient à percevoir qu’ils ne sont pas en activité au lieu
de se focaliser sur les conséquences de ce manque d’implication : l’agitation. Cependant,
Marie ne parvient pas encore à remettre en question sa démarche didactique, ni sa mise en
œuvre pédagogique.
Les émotions parentes de la colère et de la joie ont un impact sur le discours des trois
enseignantes. On constate de nombreuses similitudes (en italiques) et quelques différences
(caractères gras).
Cécilia (PS) Dorine (PS) Marie (bilan PS et T1)
Impact de la Perte de ses moyens Perte de ses moyens Perte de ses moyens
colère sur le linguistiques linguistiques linguistiques
discours Modification de la prosodie Perte de contrôle de la Modification de la prosodie
ð Volume de voix prosodie ð Volume de voix
plus élevé ð Volume de voix plus plus élevé
élevé, cris
ð Forçage vocal
499
Recours à la gestuelle pour
remplacer les mots
manquants
Sous le joug de la colère, les trois novices tendent à perdre leurs moyens linguistiques, ce qui
les amène toutes à modifier leur prosodie et à augmenter le volume de leur voix. Seule Dorine
perd totalement contrôle et crie. Plus la colère est forte et plus elle met sa voix en danger en
recourant au forçage vocal. Toutes ont des réflexes cognitifs en langue maternelle qui les
amènent à s’exprimer en français. Marie est alors tiraillée entre le « tout anglais » qu’elle
s’impose (et qu’elle se croit imposé) et le réflexe cognitif en français, ce qui qui engendre des
erreurs : erreur d’accentuation, calque intonatif, calque lexical. Il en est de même pour Cécilia
qui enseigne également tout en anglais. Celle-ci dit « perdre ses mots en anglais » lorsque la
colère surgit, et commet des erreurs de calque lexical quand elle ne s’autorise pas à parler
français. La colère amène les trois novices à recourir à des questions rhétoriques. En y
répondant, les élèves alimentent la colère des enseignantes et la font s’amplifier.
La joie a également un impact sur le discours des trois novices, mais celui-ci est généralement
plus modéré car cette émotion est souvent exprimée de façon moins spectaculaire – sauf dans
le cas de Marie dont l’expression des émotions est toujours forte, quelle que soit la valence.
Les épisodes de joie sont moins nombreux et se manifestent généralement par des
interjections, des évaluations positive et des répétitions. Cependant, la joie peut conduire à la
perte des moyens linguistiques tout comme la colère. On le constate chez Cécilia qui perd à
nouveau ses mots en anglais et doit alors recourir à la gestuelle. La joie conduit également ces
enseignantes à la confusion et à faire des erreurs dans leurs choix pédagogiques. Marie en
500
oublie d’accueillir positivement les productions de ses élèves, Dorine ne gère plus les flux de
parole et laisse une élève couper la parole à une autre sous prétexte qu’elle a la bonne réponse.
Marie se laisse aller à un aparté et s’auto-congratule.
Une différence majeure entre les PS, Cécilia et Dorine, et Marie réside dans la façon dont les
émotions sont exprimées. Lorsqu’on analyse les épisodes émotionnels de Marie, on pourrait
être tenté de penser que la démonstration de certaines émotions est parfois excessive, surtout
si on la compare aux manifestations de joie de ses deux pairs. Cependant, l’émergence de
l’émotion et son expression doivent être envisagées par rapport à la norme émotionnelle de
Marie qui est au-dessus de celle de ces pairs. Son niveau thymique de base – ou niveau zéro
des émotions– est élevé, on peut donc parler de tempérament très gai. C’est cet état psychique
de base que les émotions, phasiques, vont venir perturber.
172
La politique d'éducation prioritaire se fonde sur une carte des réseaux composés d'un collège et des écoles
du secteur accueillant le même public. Deux types de réseaux ont été identifiés : les REP+ qui concernent les
quartiers ou les secteurs isolés connaissant les plus grandes concentrations de difficultés sociales ayant des
incidences fortes sur la réussite scolaire et les REP plus mixtes socialement mais rencontrant des difficultés
sociales plus significatives que celles des collèges et écoles situés hors de l'éducation prioritaire.
https://eduscol.education.fr/1028/la-politique-de-l-education-prioritaire-les-reseaux-d-education-prioritaire-rep-
et-rep
501
1. Analyses des 2. Analyse des 3. Analyse des
questionnaires journaux de bord pédagogique Segments vidéo
-Analyse réponses au -Analyse des émotions à valence -Analyse d’extraits de situations
questionnaire rempli en tant négative et de la colère (avec EMOTAIX de cours déclenchant la colère
que PS et la typologie des déclencheurs) lorsqu’il était T1 et lorsqu’il
-Focus sur la colère (modèle de Plantin, était T2
Analyse réponses au 2011)
questionnaire rempli en tant -Analyse d’extraits de situations
que T1 -Analyse des émotions à valence de cours déclenchant la joie
positive et de la joie (avec EMOTAIX et lorsqu’il était T1 et lorsqu’il
Analyse réponses au la typologie des déclencheurs) était T2
questionnaire rempli en tant -Focus sur la joie (modèle de Plantin,
que T2 2011) -Conclusion
502
Sur les 19 émotions citées, 9 sont à valence négative, soit 47%, ce qui est inférieur de 12 points
à celui de la moyenne de sa cohorte et des quatre cohortes (59%). Cependant, il est difficile
de savoir s’il s’agit d’une tendance établie car ces résultats ne reposent que sur 7 jours de
réponses et uniquement sur le récit de 14 épisodes émotionnels, ce qui est peu. Par ailleurs, la
frontière est très mince ici entre négatif et positif. Ce résultat peut néanmoins s’expliquer pour
deux raisons : tout d’abord Antoine exerce dans un collège calme situé hors de l’éducation
prioritaire, et une de ses trois classes ne comprend que 14 élèves. Son année de stage est donc
moins difficile et douloureuse que celle de la majorité de ces pairs.
Antoine PS 2016 (C1) 7 réponses, 14 épisodes émotionnels, 19 émotions citées
Émotions à valence négative Émotions à valence positive
Colère 4 Joie 7
Peur 2 Surprise positive 2
Doute 2 Fierté 1
Culpabilité 1
TOTAL 9 TOTAL 10
Tableau 8.76. Liste des émotions citées par Antoine (PS) réparties par valence + nombre d’occurrences
On remarque que la colère est l’émotion à valence négative la plus citée, soit 4 fois sur 9. Elle
représente 21% (4 occurrences) de l’ensemble des émotions citées (19 au total). Trois des
quatre épisodes de colère sont déclenchés par le comportement inadapté des élèves. Il peut
s’agir de mauvais comportement entre élèves (« j'ai ressenti de la colère lorsqu'un de mes
élèves s'est moqué de son camarade handicapé ») ou de situations de classe qu’Antoine ne
parvient pas encore à gérer (« J'ai ressenti de la colère ainsi que du doute durant un cours
avec mes 5èmes avec lesquels j'ai des problèmes de bavardage qui ne se résolvent pas » ;
« j'ai ressenti de la colère lorsque j'ai dû faire preuve d'autorité envers une classe et
lorsqu’une élève d'une autre classe a fait preuve d'insolence envers moi »). On remarque
qu’Antoine rencontre des difficultés pour s’affirmer en tant qu’adulte référent auprès de ses
élèves, point sur lequel nous reviendrons dans son e-JdBP.
Les émotions parentes de la joie représentent la quasi-totalité des émotions à valence positive
ressenties par Antoine.
Antoine PS 2016 (C1) 7 réponses, 14 épisodes émotionnels, 19 émotions citées
Sur 10 émotions à valence positives citées, les émotions parentes de la joie
Joie 7
Fierté 1
TOTAL 8
en représentent 8 (soit 80%)
Tableau 8.77. Listes des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses au questionnaire
d’Antoine PS C1 et ratio
503
Celles-ci sont principalement liées aux élèves. On constate que les moments de connivence
entre Antoine et ses élèves sont les premiers vecteurs de joie. Les déclencheurs suivants
présents ici sont les mêmes que ceux cités par la majorité des PS et enseignants :
« implication » et « réussite des élèves », « bon cours », « conscience de sa posture
d’enseignant » et « conscience de sa progression ».
Sur les 14 épisodes émotionnels qu’il a cités, Antoine n’en a partagé que la moitié, ce qui est
inférieur au taux moyen de partage de sa cohorte (53%) et de l’ensemble des quatre cohortes
(54,5). Antoine échange en priorité avec sa conjointe, elle-même enseignante. Sur les 7
épisodes partagés, 4 sont des situations de colère.
504
Figure 8.60. Ratio émotions à valence négative /positive d’Antoine, T1 de C1
On constate dans le tableau 8.89 que les émotions citées par Antoine ne sont plus les mêmes.
La colère est maintenant l’émotion la plus citée.
Deux épisodes de colère sur trois sont déclenchés par le comportement inadapté des élèves
qui ne lui permet pas de faire cours (« Colère : Les deux heures de l’après-midi se sont très
mal passées et je n’ai presque pas pu faire cours », « Colère : Je n’ai seulement que deux
heures de cours le jeudi après-midi et ces dernières (avec des 5emes) se sont relativement mal
passées (élèves très pénibles et agités) »). Le troisième est déclenché par la violence à laquelle
son établissement et lui-même en tant qu’enseignant sont confrontés (« Colère : La vie
scolaire173 a été incendiée pendant la nuit et j’ai été menacé par un parent d’élève »)
173
Il s’agit des bureaux alloués aux personnels de la « vie scolaire », c’est-à-dire le(s) CPE et les surveillants, et
de la salle de permanence. Lorsqu’un élève a été absent, en retard ou a eu un comportement inadapté, il est
convoqué à la « vie scolaire ». S’il est puni ou exclu de cours, il se rend en salle de permanence. La « vie
scolaire » est donc pour certains élèves un lieu associé à des émotions à valence négative.
505
Sur les huit émotions citées, trois sont parentes de la joie. Elles émergent à chaque fois
lorsqu’un script pessimiste est interrompu. Le décalage positif engendre la joie ou la
satisfaction.
Scripts prototypiques pessimistes Réalisations Commentaires
« Les mauvais cours » (les cours Joie : la matinée s’étant bien Contraste entre les scripts pessimistes et
se passent mal car les élèves sont déroulée, même avec une la réalisation.
agités ce qui ne permet pas de classe posant d’habitude Script pessimiste interrompu (s’étant
mettre en œuvre le travail prévu) problème. bien déroulée), décalage positif => joie
« Le mauvais cours avec la
classe qui pose problème » (avec
« la classe qui pose problème » les
cours se passent toujours mal)
« La journée qui se passe mal Satisfaction : La journée Contraste entre les scripts pessimistes et
suite aux incidents de la veille » s’est relativement bien la réalisation
(« suite aux incidents de la déroulée malgré les
Script pessimiste interrompu (s’est
veille », la journée se passe mal.) incidents de la veille. relativement bien déroulée) décalage
positif => satisfaction
« L’élève problématique » Joie : un élève d’ordinaire Contraste entre les scripts pessimistes et
(l’élève problématique se tient problématique s’est très bien la réalisation
mal et perturbe le cours) tenu durant l’heure. Script pessimiste interrompu (s’est très
bien tenu) décalage positif => joie
Tableau 8.80. Scripts prototypiques et émotions parentes de la joie dans les réponses d’Antoine (T1 C1)
au questionnaire de 2017
Antoine a partagé sept épisodes émotionnels sur huit, principalement avec sa compagne (6
occurrences de partage) et avec ses collègues (5 occurrences de partage). Tous les épisodes
engendrant des émotions à valence négative ont été partagés. Le besoin de partager vient sans
aucun doute de la violence des situations qu’Antoine vit en tant que T1.
506
Figure 8.61. Ratio émotions à valence négative/positive d’Antoine, T2 de C1
En tant que T2, Antoine ressent essentiellement des émotions à valence négative au quotidien,
colère en tête, même si la joie reste l’émotion la plus fréquemment citée. Ces résultats
correspondent maintenant à la tendance constatée chez l’ensemble des cohortes d’enseignants
ayant rempli ce questionnaire sur les trois ans.
Les émotions parentes de la colère sont principalement engendrées par des situations
déclenchées par les élèves. Sans surprise, on trouve en tête le déclencheur « comportement
inadapté des élèves », qui arrive en première position dans la quasi-totalité des questionnaires.
507
Antoine T2 2017 (C1) 9 réponses, 18 épisodes émotionnels citées
Comportement inadapté des élèves 3
Échec 2
Absence d’implication 1
Surcharge de travail 1
Conscience de ses difficultés 1
Gestion difficile de l’imprévu 1
« Mauvais cours » 1
TOTAL 10
Tableau 8.82. Les déclencheurs de la colère d’Antoine T2 C1
Dans l’épisode émotionnel ci-dessous, la colère émerge car le script prototypique du « cours
fun suffisamment bon » (ce cours ludique se passe bien et les élèves savent se prendre au jeu
tout en restant calmes) a été contrarié :
J'ai ressenti de la colère car une heure de 5ème s'est particulièrement mal déroulée.
L'activité du jour était plutôt "fun" et les élèves n'ont pas été capables de revenir au
calme et l'heure a été très agitée.
Un décalage négatif s’est opéré entre le script et la réalisation et a généré de la colère.
Les émotions parentes de la joie émergent dans 7 épisodes (un épisode fait émerger à la fois
joie et fierté) sur les 18. Elles sont essentiellement déclenchées lorsqu’Antoine a le sentiment
d’avoir donné un « bon cours » (4 occurrences sur 7) et lorsque les élèves ont un
« comportement adapté » (3 occurrences sur 7). À la lecture de certains épisodes, on
remarque que les scripts prototypiques pessimistes ont été contrariés car les réalisations en
classe se sont bien mieux passées que prévu, ce qui a déclenché la joie.
Scripts prototypiques Réalisations Commentaires
pessimistes
« Les mauvais cours » (les J'ai aujourd'hui ressenti de la L’émotion est argumentée :
cours se passent mal car les joie à plusieurs reprises lorsque « (participation accrue, absence
élèves sont agités ce qui ne des heures de cours avec d'agitation...) »
permet pas de mettre en œuvre certaines classes se sont Contraste entre les scripts pessimistes et
le travail prévu) largement mieux passées que la réalisation.
d'habitude (participation accrue, Script pessimiste interrompu (« se sont
absence d'agitation...). J'ai largement mieux passées que
également ressenti de la fierté d'habitude »), décalage positif => joie
envers mes élèves pour les
mêmes raisons.
J’ai aujourd’hui ressenti de la Contraste entre les scripts pessimistes et
joie lors d’heures de cours qui se la réalisation.
sont bien déroulées. Script pessimiste interrompu (« se sont
bien déroulées »), décalage positif =>
joie
508
J’ai ressenti aujourd’hui de la Contraste entre les scripts pessimistes et
joie car plusieurs cours se sont la réalisation.
bien passés alors que cela faisait Script pessimiste interrompu (« se sont
quelque temps que ce n’était pas bien passés alors que cela faisait quelque
arrivé. temps que ce n’était pas arrivé »),
décalage positif => joie
« Le mauvais cours avec la J’ai ressenti de la joie Contraste entre les scripts pessimistes et
classe qui pose aujourd’hui car une classe avec la réalisation.
problème » (avec « la classe qui j’avais des rapports Script pessimiste interrompu (« s’est très
qui pose problème » les cours conflictuels s’est très bien tenue bien tenue aujourd’hui’), décalage
se passent toujours mal) aujourd’hui. positif => joie
Tableau 8.83. Scripts prototypiques et émotions parentes de la joie dans les réponses d’Antoine (T2 C1)
au questionnaire de 2018
Antoine a partagé la quasi-totalité (17 épisodes sur 18) des épisodes émotionnels qu’il a cités
dans le questionnaire.
Après une année de formation initiale dans des conditions particulièrement bonnes et une
année de néo-titulaire dans un établissement particulièrement difficile, Antoine exerce
désormais dans les mêmes conditions que la majorité de ses pairs enseignants. Ses émotions
sont maintenant les mêmes que celles constatées dans l’ensemble des cohortes quelle que soit
l’étape de la carrière : une majorité d’émotions à valence négative au quotidien, avec la colère
à leur tête, mais une prédominance de la joie.
Voyons maintenant si ces diverses tendances se retrouvent dans son JdBP.
174
L’intégralité de la transcription du JdBP d’Antoine (PS) est consultable en annexe 33. Les enregistrements
audio sont disponibles sur l’espace compagnon sécurisé.
175
L’intégralité de la transcription du JdBP d’Antoine (T1) est consultable en annexe 38. Les enregistrements
audio sont disponibles sur l’espace compagnon sécurisé.
509
Word. Pour finir, les outils utilisés pour analyser des journaux de bord pédagogiques sont
rappelés.
Figure 8.62. Ratio émotions à valence positive/négative/impassibilité relevées par EMOTAIX dans le JdBP
d’Antoine (PS C1)
510
La majorité des émotions à valence négative répertoriées par EMOTAIX renvoient à la
« frustration ». L’exemple suivant en atteste :
Ma tutrice est venue me voir, alors y a un ou deux éléments que j’ai pas tout à fait réussi à
faire, ce qui m’a un peu frustré après je m’y suis un peu mal pris aussi. J’ai voulu adapter un
cours qu’à la base j’avais fait en deux séances, sur une pour qu’elle puisse tout voir, et en fait
c’était beaucoup trop ambitieux. Et en fin de compte bah voilà, j’ai sacrifié beaucoup trop de
choses dans le processus donc ça, c’est dommage.
511
Antoine PS C1, JdBP 9105 mots, 35 émotions citées
9 épisodes émotionnels négatifs cités, 18 émotions négatives nommées
Sur 18 émotions à valence négatives citées, les émotions parentes de la colère
Frustration 2
Colère 2
Agacement 1
Énervement 1
Insatisfaction 1
TOTAL 7
représentent 7 (38,9%) des émotions à valence négatives citées
Tableau 8.85. Liste des émotions du registre de la colère présentes dans le JdBP d’Antoine (PS de C1) et
ratio
En observant les tableaux 8.96, on s’aperçoit que les émotions négatives, et parmi celles-ci les
7 émotions parentes de la colère, ne sont pas déclenchées par les élèves, comme c’était le cas
pour ses pairs des trois autres études de cas, mais par des situations dont l’enseignant lui-
même est à l’origine. Ceci vient certainement du fait qu’Antoine commence à s’analyser et
donc à prendre conscience de certaines de ses difficultés, comme en atteste l’extrait suivant :
Après pas mal d’angoisse et pas mal de doute, je suis arrivé au constat que je ne
préparais pas suffisamment bien mes cours, pas suffisamment en profondeur en tout
cas, je le fais en tout cas mais pas assez en profondeur ce qui fait que mes derniers
cours ne se sont pas super bien passé et je sais maintenant pourquoi. Donc je pense
512
que je vais maintenant vraiment me reprendre en main et vraiment pas m’asseoir sur
mes acquis comme j’ai tendance à le faire je pense.
La posture réflexive qu’Antoine commence à mettre en place lui permet de pointer la cause
de son mal-être. Il vit mal sa double identité, moitié étudiant moitié enseignant et se sent
« infantilisé » lorsqu’il est en formation :
Le stress et le dépit d’aller à la formation demain entachent un peu la journée
d’aujourd’hui. C’est vrai que j’apprécie même quand c’est des journées longues et
compliquées. J’apprécie toujours le temps passé au collège, et c’est vrai que demain il
y a la formation. Il y a trois heures de linguistique le matin, ce qui est quand même un
peu frustrant quand on a déjà eu le CAPES de reprendre, de faire des choses de
CAPES. C’est un peu frustrant en fin de compte de se dire qu’avec tout ce qu’on à
faire, on doit faire de la linguistique, alors qu’on a déjà validé notre compétence en
linguistique avec le CAPES. Bon, et puis c’est vrai que demain on doit rendre le
premier jet de mémoire, et c’est assez stressant enfin de compte. Voilà il n’y a pas de
surprise, l’année de stage est vraiment très très chargée en boulot ne serait-ce que, en
tant que stagiaire dans les établissements. Et c’est vrai qu’en plus de ça, avec le
mémoire et la formation, c’est beaucoup de travail beaucoup de stress, on se demande
toujours si on a bien fait etc. etc., et c’est pas la même façon de penser. Une partie de
la semaine on doit penser en tant que professeur, en tant qu’adulte responsable,
et c’est vrai qu’à côté de ça l’autre partie de la semaine on est encore élève. On
est quand même pas mal infantilisés donc c’est vrai que c’est compliqué d’enfiler
une casquette et l’autre, c’est un peu frustrant un peu perturbant, et j’ai très très hâte
d’être à l’année prochaine et surtout j’espère me faire titulariser grandement. Et
pouvoir terminer ce Master 2, et pouvoir terminer enfin avec les études.
Il ne parvient pas encore à établir les ponts nécessaires entre sa formation universitaire et sa
formation sur le terrain, ce qui l’amène à subir la formation. Ceci marque une différence
fondamentale entre Antoine et Marie qui comprend et savoure ce qu’elle découvre en
formation car elle a compris qu’il s’agissait d’un complément indispensable pour lui permettre
de prendre du recul et progresser sur le terrain.
513
maximum pour eux. En j’ai arrêté, j’ai arrêté de faire cours et « beaucoup trop de », « extrêmement »,
contrepartie ils doivent j’ai commencé à leur faire recopier « vraiment »
respecter les règles : des leçons, des leçons toutes faites. -Adjectifs élogieux pour qualifier ses
participer, et ne pas Histoire qu’ils comprennent que c’est propres pratiques : « des cours
bavarder. du donnant donnant et que moi je fais extrêmement interactifs avec des
le maximum de mon côté pour leur supports originaux authentiques »
Script du « cours faire des cours extrêmement -Recours aux répétitions (« Donc j’ai
extrêmement interactif interactifs avec des supports originaux arrêté, j’ai arrêté de faire cours » ;
qui intéresse les élèves ». authentiques qui soient susceptibles « participer quand il faut participer, de ne
Ce cours conçu par un de les intéresser. Et voilà. Je voulais pas bavarder quand il ne faut pas
enseignant qui fait le simplement leur faire comprendre que bavarder »)
maximum pour ses élèves, c’est donnant donnant et que si eux ne
est interactif et prend appui sont pas capables de mettre du leur en L'émotion "énervement » est argumentée
sur des supports originaux fin de compte, participer quand il faut par l’amont et par l’aval.
authentiques. Il intéresse participer, de ne pas bavarder quand il Amont : « moi je fais le maximum de mon
les élèves. ne faut pas bavarder etc etc, et bien je côté pour leur faire des cours
leur fais comprendre que rien… rien extrêmement interactifs avec des supports
n’est dû en fin de compte. originaux authentiques qui soient
susceptibles de les intéresser »
Aval : « C’était la goutte de trop. Très peu
voire trop peu de participation, mais
parallèlement beaucoup trop de
bavardages »
L’émotion entraine la vengeance :
« Donc j’ai arrêté, j’ai arrêté de faire
cours et j’ai commencé à leur faire
recopier des leçons, des leçons toutes
faites. Histoire qu’ils comprennent que
c’est du donnant donnant et que moi je
fais le maximum de mon côté »
Les deux scripts sont interrompus. Le
décalage est négatif car cela ne se passe
pas comme prévu dans le script, mais
moins bien.
L’ « énervement » est donc déclenché.
Script du « cours Ma tutrice est venue me voir. Il y a un L’émotion « un peu frustré » est
suffisamment bon qui ou deux éléments que j’ai pas tout à nommée explicitement.
satisfait la tutrice ». Ce fait réussi à faire, ce qui m’a un peu Elle est manifestée linguistiquement
cours permet à la tutrice frustré. Après je m’y suis un peu mal avec :
d’avoir un panorama large pris aussi, j’ai voulu adapter un cours « c’est dommage » et des termes
sur ce que le PS sait faire. qu’à la base j’avais fait deux séances exprimant l’échec : « j’ai pas tout à fait
C’est un très bon cours. sur une, pour qu’elle puisse tout voir, réussi à »,
et en fait c’était beaucoup trop
ambitieux, et en fin de compte, j’ai
L'émotion "un peu frustré » est
sacrifié beaucoup trop de choses dans
argumentée par l’amont : « je m’y suis un
le processus donc ça c’est dommage.
peu mal pris aussi, j’ai voulu adapter un
cours qu’à la base j’avais fait deux
séances sur une, pour qu’elle puisse tout
voir »
et par l’aval : « c’était beaucoup trop
ambitieux », « j’ai sacrifié beaucoup trop
de choses dans le processus »
Le script est interrompu. Le décalage est
négatif car cela ne se passe pas comme
prévu dans le script.
La frustration est donc déclenchée.
Tableau 8.87. Scripts prototypiques et colère dans le JdBP d’Antoine
514
Intéressons-nous maintenant aux émotions à valence positive et à la joie.
515
Tableau 8.88. Listes des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses à le JdBP d’Antoine
(PS de C1) et ratio.
Les émotions parentes de la joie représentent les trois-quarts des émotions à valence positive
citées. L’étude du e-JdBP d’Antoine montre qu’il ressent des émotions de la famille de la joie
pour des raisons très variées.
Tableau 8.89. Les déclencheurs de la joie cités dans le JdBP d’Antoine PS de C1 et ratio
Si la joie de Marie est principalement déclenchée par la réussite de ses élèves, celle d’Antoine
est en lien avec ses propres réussites en tant qu’enseignant. Le sentiment d’avoir donné un
« bon cours » est le premier vecteur d’émotions parentes de la joie : « après au niveau des
cours aujourd’hui j’ai été assez satisfait ».
Le « comportement adapté des élèves » déclenche également chez Antoine des émotions de
la famille de la joie. Pour celui-ci, avoir le « silence » dans ses cours est un gage de qualité :
« Ça s’est bien passé j’ai eu aucun souci à avoir un silence absolu donc j’étais assez
satisfait ». À la différence de ses pairs, l’implication des élèves et leur réussite sont peu citées.
Ceci peut s’expliquer car Antoine est dans un excellent établissement dans lequel les élèves
s’investissent spontanément et réussissent. Il sera intéressant d’analyser l’évolution de ce
déclencheur dans le JdBP qu’il a tenu en tant que T1 dans un établissent situé en REP+.
516
• Joie et scripts prototypiques
La joie survient lorsqu’il y a adéquation – soit décalage zéro – entre le script prototypique et
la réalisation effective.
Scripts prototypiques Réalisations Commentaires
Script du « PS suffisamment Aujourd’hui a été vraiment une Les émotions « fierté et joie » sont
performant » : le PS très bonne journée explicitement nommées.
suffisamment performant professionnellement parlant. Tout Elles sont jouées linguistiquement avec :
réussit à mettre en place la d’abord par ce que ce que j’ai -l’expression : « [çà] s’est bien passé »,
pédagogie différenciée dans voulu mener avec mes classes s’est - des répétitions : tout d’abord celle de « j’ai
ses cours. bien passé. Après il y a une classe réussi à mettre en place », et celle de
de quatrième où le niveau est l’adverbe vraiment qui renforce l’émotion :
vraiment très très hétéroclite (sic), « c’était vraiment vraiment plaisant ».
j’ai des excellents éléments - l’occurrence « quelque chose qui me tenait
comme des élèves vraiment très vraiment à cœur »
faibles, et j’ai réussi à mettre en
place quelque chose qui me tenait Les émotions sont argumentées : une classe
vraiment à cœur, c’est-à-dire avec un niveau hétérogène (« j’ai des
qu’en une même heure de cours, excellents éléments comme des élèves
j’ai fait deux choses différentes. vraiment très faibles ») et le projet
Voilà c’est de la pédagogie d’expérimenter et cela fonctionne « Je pense
différenciée, ce qui est un bien joli que ça a plutôt bien fonctionné en plus ».
terme mais j’ai réussi à le mettre Insistance sur la réalisation et la durée : « ce
en place, au moins pendant une qui est en bien joli terme mais j’ai réussi à le
heure de cours et c’était vraiment mettre en place, au moins pendant une heure
vraiment plaisant. Je pense que ça de cours » + l’expression « un bien joli
a plutôt bien fonctionné en plus, terme » qui renforce l’idée de difficulté de
j’ai ressenti de la fierté de la joie. mise en œuvre.
517
Le décalage est positif, ce qui déclenche le
contentement.
Script du « dernier La dernière journée avant les vacances a L’émotion est explicitement
cours avant les été plutôt agréable. C’est vrai que je nommée : « content »
vacances » : durant ce m’attendais à ce que les élèves soient Elle est jouée linguistiquement avec « plutôt
cours les élèves sont terribles étant donné qu’ils l’ont été ces agréable » et « les cours se sont relativement
terribles, dissipés car ils derniers temps. Très dissipés ils en ont bien passés ».
en ont marre. marre. Ça se peut se comprendre
évidemment, donc je m’attendais à ce L’émotion est argumentée : Les élèves étaient
qu’ils soient vraiment terribles, mais en très dissipés au cours précédent, Antoine
fait pas du tout. Les cours se sont s’attend à ce que ce soit encore pire, « mais en
relativement bien passés, je suis content. fait pas du tout ».
Le script prototypique était pessimiste. Le
curseur de départ est en position négative.
La réalisation « les cours se sont relativement
bien passés » a interrompu le script.
Le décalage est positif, ce qui déclenche le
contentement.
Tableau 8.91. Scripts prototypiques et joie dans le JdBP d’Antoine PS de C1. Cas de décalage script
pessimiste /réalisation
La joie peut émerger lorsque le script de départ est dépassé et que la réalisation va au-delà de
ce qui était espéré.
Scripts prototypiques Réalisations Commentaires
Script du « cours Je suis content, j’ai commencé un L’émotion « très très content » est
suffisamment bon » : nouveau type de séquence avec mes explicitement nommée.
ce cours intéresse les 5èmes, et il s’avère que ça marche très Elles sont jouées linguistiquement par
élèves qui bien. […] C’est une séquence sur les l’expression d’appréciations positives : « il
s’investissent. super héros d’ailleurs et il y a toute une s’avère que ça marche très bien », « ça marche
trame avec un super vilain qui attaque la super bien », « vraiment c’est très positif ».
ville […] donc ils doivent apprendre du
vocabulaire, ils doivent apprendre à L’émotion est argumentée :
identifier, à décrire etc. etc., et tout ça -définition de la trame de la séquence qui
dans le but d’arrêter le super vilain. Donc montre son côté ludique.
j’étais pas tout à fait sûr mais je me suis -présentation du dépassement : « donc j’étais
dit qu’il fallait expérimenter, et en fin de pas tout à fait sûr mais je me suis dit qu’il fallait
compte je suis très très content parce que expérimenter, et en fin de compte je suis très
ça marche super bien. Les élèves ont très content parce que ça marche super bien » ;
montré beaucoup d’engouement, et même « Les élèves ont montré beaucoup
chez certains élèves chez qui je n’en d’engouement, et même chez certains élèves
attendais plus. Vraiment c’est très positif. chez qui je n’en attendais plus. »
519
ou pour procéder à du méta-discours, en faisant une parenthèse (« petite note »), un
commentaire sur son discours dans son discours :
Petite note à vous et à moi-même en même temps, petite remarque que je me suis
faite. Je me rends compte du pourquoi du comment de la réputation de ce genre
d’établissement. Je me vise évidemment moi-même, on a tendance à ne relayer que
les choses désagréables, assez incroyables qui sortent de l’entendement … qui
arrivent, et c’est vrai que c’est assez dommage parce qu’en fin de compte euh….
Bah… il se passe tellement d’autres choses, de choses belles etc., et je pense que c’est
en partie aussi pour ça que la réputation s’est faite avec une telle euh… presque comme
une telle légende, euh… et c’est vrai que c’est…. Ça reste dommage en fin de compte
parce qu’il y a beaucoup plus que ça dans un établissement comme le mien, voilà. Et
c’est vrai que bon... j’essaierai moi-même à l’avenir de plus véhiculer aussi le positif,
et pas uniquement le négatif.
Figure 8.63. Ratio émotions à valence positive/négative/ impassibilité relevées par EMOTAIX dans le
JdBP d’Antoine (T1 C1)
Quelques points saillants sont à noter. Sans surprise, on constate que le pourcentage
d’émotions recensées dans le thème majeur « Mal-être » a augmenté par rapport à l’année
antérieure et est passé de 67% à 76% (cf. annexe 39). On y relève 99 références à la
« souffrance », ce qui atteste de la difficulté de son année, ainsi que 53 références à la fatigue,
520
dont la majorité au sens figuré. Selon le CNRTL, fatigant signifie au sens propre : « qui
provoque une diminution des forces de l'organisme ». Au sens figuré, lorsqu’il fait référence
à une personne, fatigant signifie « qui importune (légèrement) à longueur de temps, au point
d'être difficile à supporter », et lorsqu’il renvoie à une chose, dans le domaine abstrait : « qui
décourage, qui enlève toute envie de poursuivre », « qui fatigue l’esprit ». Dans le cas
d’Antoine, toutes les définitions de « fatigant » sont mobilisées, tant au sens propre que figuré.
Si on comptabilise uniquement les noms des émotions citées par Antoine dans les épisodes
qu’il a relatés dans son journal, on trouve 65 émotions à valence négative, 36 émotions à
valence positive et deux émotions à valence neutre, soit 103 émotions au total. Les émotions
à valence négative (cf. annexe 40) représentent un total de 63%, résultat légèrement supérieur
au 61% qu’EMOTAIX avait relevé, et reflète la même tendance de mal-être.
Sans surprise, la fatigue, au sens figuré et au sens propre, arrive en première position ce qui
corrobore les résultats de l’analyse d’EMOTAIX.
Et c’est fatigant. On a l’impression de les traîner comme des boulets, donc c’est vrai
que c’est frustrant, dans un sens parce que du coup je me sens pas très épanoui en fin
de compte, parce que bon… je fais plus le gendarme que le professeur et c’est pas
vraiment ce pourquoi j’avais signé entre guillemets. Donc y a d’abord cette frustration,
de pas savoir les gérer et ils me fatiguent extrêmement.
Là c’est la fatigue qui commence à se faire bien ressentir par contre. Je sais que j’suis
vraiment éreinté.
C’est le sentiment dominant. Donc clairement, la fatigue, même si je sais que ce n’est
pas clairement un sentiment. Mais voilà, là il va vraiment vraiment être temps que les
vacances arrivent parce que la fatigue se fait bien bien bien ressentir, aussi
moralement, enfin mentalement, que physiquement.
Un tiers des 65 émotions à valence négative sont parentes de la colère. L’énervement est
l’émotion la plus fréquemment citée. On remarque qu’Antoine n’a jamais prononcé le mot
« colère », ce qui peut paraître surprenant.
521
Tableau 8.93. Listes des émotions du registre de la colère présentes dans le JdBP d’Antoine (T1 de C1) et
ratio.
Lorsqu’Antoine était PS, ses émotions étaient en lien avec ses pratiques de classe. Elles étaient
déclenchées par la prise de « conscience de ses difficultés et erreurs » et par le « doute et le
questionnement », c’est-à-dire la construction de son identité professionnelle. Titularisé dans
un établissent difficile, ses émotions et leurs déclencheurs évoluent. Le « comportement
inadapté » de ses élèves est désormais le premier déclencheur de ses émotions à valence
négative et de sa colère, tout comme chez ses pairs Cécilia et Dorine. Les problèmes de gestion
de classe sont présents dans son JdBP du premier jour en septembre jusqu’à l’arrêt des
enregistrements au troisième trimestre.
12 septembre : Beaucoup d’élèves sont arrivés en retard, évidemment les plus
pénibles. Donc ils m’ont interrompu à plusieurs reprises, je les ai pas acceptés donc ça
a râlé, ça a parlé fort, ceux évidemment que je n’ai pas acceptés en cours. Donc début
de cours très très très éprouvant.
19 mars : Ces deux dernières semaines ont été très compliquées au niveau de la gestion
de classe. Les élèves sont extrêmement pénibles et même avec les élèves avec qui ça
se passait bien depuis un moment, depuis que j’avais mis un certain nombre de choses
en place, ils redeviennent insolents, y a des retards donc bref… Très compliqué.
522
9 avril : vraiment peu satisfait. Toujours à faire de l'autorité etc. donc une ambiance
plutôt désagréable dans l'établissement, donc voilà une journée plutôt déplaisante
En lisant ces épisodes, on comprend qu’il est difficile pour Antoine de faire cours et de mener
à bien ses séquences et séances. S’il avait pris l’habitude d’évoquer ses difficultés de mise en
œuvre dans son JdBP lorsqu’il était PS, il ne le fait plus en tant que T1, vraisemblablement
car toute son énergie est concentrée sur la gestion de classe. On constate que son identité
professionnelle est toujours en construction, et qu’Antoine est sans cesse en proie aux doutes
et au questionnement. Comme Dorine, il ne considère pas la gestion de classe comme une
partie du cours, mais comme un à-côté qui le parasite. À l’instar de Dorine qui distingue son
agir personnel (amical et souriant) de son agir professionnel (qui donne des limites aux
élèves), Antoine recourt à une dichotomie de son identité. Il distingue le professeur, qu’il
revendique être, et le gendarme/policier, identité pour laquelle il précise qu’il n’a « pas
signé ».
Du coup je me sens pas très épanoui en fin de compte parce que bon… je fais plus le
gendarme que le professeur et c’est pas vraiment ce pourquoi j’avais signé entre
guillemets.
Assez fatigant tout de même… Toute l’heure faire de l’autorité j’avais l’impression
d’être plus un officier de police qu’un professeur, ce qui est forcément pas très
plaisant. Donc j’ai dû distribuer un grand nombre de punitions, des mots dans les
carnets, j’ai aussi mis mes premières heures de colles, donc c’est vrai que… c’est…
c’est pas nécessairement plaisant après voilà c’est pas des élèves nécessairement
méchants, ils sont mêmes assez euh… assez gentils et… comment dire ? et
attendrissants pour la plupart. Mais ce sont quand même des élèves fatigants.
Et la plupart de mes collègues ont d’ailleurs lâché les heures de colles euh lâché toutes
ces choses-là parce que tout simplement ils en avaient marre de s’occuper et de devoir
faire la police derrière.
À ce stade Antoine ne perçoit pas le discours régulatif comme une étape essentielle dans son
discours constitutif. Sans un cadre de cours clair, avec des parenthèses régulatives
structurantes, les élèves ne pourront pas progresser. Antoine est toujours dans l’approche du
« donnant-donnant » qu’il évoquait en tant que PS (« Je leur dis constamment que c’est
donnant donnant quoi. Et que s'ils remplissent pas leur part du contrat je remplirai pas la
mienne non plus ») qui le positionne au même niveau que les élèves et qui tend vers un
chantage d’ordre affectif. Plutôt que de reprendre une position haute d’enseignant et d’assurer
sa mission d’éducation, il tente alors de reprendre le contrôle en utilisant la répression. On
trouve 5 occurrences de cette tendance dans le journal :
523
Ça m’a foncièrement énervé donc je leur ai dit que je ne travaillerai pas pour rien, et
donc je leur ai fait copier des textes pendant une heure.
Je leur ai fait copier des textes pendant une heure, chose qui je l’accorde n’est
absolument pas pédagogique, mais ça m’a juste tellement fatigué fatigué de voir que
je me cassais la tête à faire des bons cours et que eux derrière ne remplissaient pas leur
partie du contrat. Je pense qu’ils ont trouvé ça relativement pénible de copier des textes
pendant une heure donc j’ai quand même bon espoir qu’ils se réveillent pour la
prochaine fois que je les vois quoi. Donc bon je leur ai dit que s'ils voulaient continuer
comme ça, on pouvait continuer comme ça jusqu’à la fin de l’année, et que donc s’il
n’y avait pas un peu plus de gens qui avaient fait les devoirs pour la prochaine séance
ben…. on travaillerait pas. Et on continuerait euh… à faire copier des textes bêtement
et méchamment.
Je leur ai dit que j'allais leur faire copier des pages bêtement et méchamment et je leur
ai dit que s'ils ne comprennent pas, c’est tout ce à quoi ils auront droit.
Vendredi dernier par exemple ils m’ont vraiment pris la tête, donc je les ai fait copier
pendant 25 minutes… Recopier des choses
Des 5èmes qui ont d’ailleurs été pénibles que j’ai fini par faire copier des leçons
bêtement et méchamment dans toute la classe, ce qui m’a déçu mais bon ... Je leur ai
dit “si vous ne pouvez pas… si on ne peut pas travailler, et ben on travaillera pas mais
je vais pas vous laisser faire le bazar quoi” donc ils ont copié pendant une heure. Ce
qui est quand même fort dommage.
On retrouvera cette tendance dans les segments vidéo filmés durant son année de T2.
Lorsqu’on comptabilise uniquement les noms d’émotions qu’Antoine a cité dans les épisodes
qu’il a relatés, on trouve 36 émotions à valence positive (cf. annexe 42), soit 35% de
l’ensemble des émotions citées.
Sans surprise, la satisfaction arrive en première position, ce qui corrobore l’ensemble des
résultats analysés jusque-là. La surprise positive est la deuxième émotion la plus citée par
Antoine. Celle-ci annonce généralement l’interruption d’un script pessimiste et l’émergence
d’une émotion parente de la joie, comme dans les exemples suivants : « l’heure s’est bien
passée à ma grande surprise donc j’étais très très content », « Je dis “d’accord, est ce que tu
525
veux lire un livre ? Parce que bon t’as l’air de t’ennuyer…” Donc à ma grande surprise il me
dit “oui je veux bien". […] Donc c’était évidemment une grande joie, même si c’est pas
vraiment de mon fait, une fierté ».
Si on additionne les émotions parentes de la joie, on arrive à un total de 24 sur les 36 émotions
à valence positive citées, ce qui place la joie en première position des émotions. Intéressons-
nous maintenant à ce qui la déclenche.
526
Tableau 8.97. Les déclencheurs de la joie citées dans le JdBP d’Antoine T1 de C1 et ratio
Les épisodes émotionnels de joie dont Antoine fait part sont principalement en lien avec ses
propres réussites. C’était déjà le cas lorsqu’il était PS, mais pas pour les mêmes raisons. En
tant que PS il était focalisé sur la mise en œuvre de ses cours et donc sur sa didactique et sa
pédagogie. En tant que T1, Antoine n’a pas la même perception du cours donnant satisfaction.
Lorsqu’il écrit « le cours s’est bien passé », il fait principalement allusion à la gestion de
classe. Cela signifie qu’il a pu mettre en œuvre sa préparation et qu’il est parvenu à impliquer
les élèves dans son cours, deuxième déclencheur d’émotions parentes de la joie.
Mes deux classes de 3èmes le matin, avec qui ça s’est pas mal passé je commence à
même m’adapter à chaque classe, voir comment ils fonctionnent, qu’est-ce qui leur
plaît. Je sais que les 3èmes sont très compliqués là. Les 3èmes F, j’ai peut-être un peu
baissé mes attentes en matière de fond sonore, alors évidemment, je reste quand même
à sanctionner, à les gronder quand il le faut etc. mais j’ai quand même un peu baissé
mes attentes. J’essaie de leur faire faire des choses originales un peu, au moins pour
leur faire passer un moment calme, au moins pour les faire parler. Les faire entrer dans
le cours, les faire parler en anglais quoi.
Après la récréation j’ai eu les 3èmes F, donc la plus musclée de mes 3èmes, et voilà
évidemment ça ne se passe pas dans un grand calme etc. etc., mais j’étais vraiment
très très agréablement surpris. J’ai réussi à les mettre au travail en fait. Alors voilà,
ça se fait dans le brouhaha constant, ça se retourne ça bavarde, mais c’est une classe
où beaucoup beaucoup d’élèves sont ou étaient en décrochage scolaire, et j’avoue que
je me sens presque un peu fier, euh parce que j’ai réussi à les mettre au travail.
528
• Antoine et le partage des émotions
Antoine a mentionné partager les épisodes émotionnels de son quotidien avec sa
compagne enseignante et avec ses collègues. Il fait dans son journal une analyse intéressante
de ce partage :
Donc évidemment j’en ai discuté avec ma compagne qui est également professeur,
elle d’histoire géo, et tous les soirs quand elle rentre, on parle pendant une ou deux
heures de nos journées respectives. Donc c’est vrai qu’on va pas se le cacher ça aide
beaucoup d’avoir une conjointe, une partenaire avec qui partager tout ça et qui le
comprend, parce qu’elle vit euh…, évidemment elle est pas dans une REP + elle est
dans le centre-ville de là où nous habitons, mais elle fait quand même le même métier
au fond. Donc c’est vrai que ça, ça aide quand même beaucoup après une journée
de soit vider son sac soit de faire partager sa joie, sa fierté, soit ... Être un peu
rassuré, voilà, parler avec quelqu’un qui comprend en fait tout simplement. Parce
que je pense que comme la plupart des métiers, on peut pas comprendre si on a pas
vécu en fait. Beaucoup pensent pouvoir porter un jugement sur ce métier, étant
donné que tout le monde a eu des professeurs, des enseignants, mais tant qu’on l’a
pas fait, on peut vraiment pas savoir de quoi on parle. Donc, j’en ai discuté avec elle,
et j’en ai discuté rapidement avec mes collègues également.
Il conçoit le partage des émotions comme le décrit Rimé (2005) : un temps d’échange,
d’écoute empathique qui permet d’être rassuré, réconforté, sans être jugé. Ce temps permet de
renforcer le lien social et le sentiment d’appartenance à un groupe. Il fournit également un
éclairage sur le manque de partage entre enseignants :
La peur, bon c’est un peu exagéré, mais l’appréhension d’être jugé par les
collègues. […] Les collègues entre eux ne sont pas toujours francs. Ne serait-ce que
l’année dernière pour mon année de stage j’ai vu des collègues qui disaient “Oh oui
moi ça se passe très bien avec telle classe” et en fin de compte je m’étais assez
rapidement rendu compte que pas du tout. Que c’était un bazar pas possible avec eux.
Les enseignants ont peur d’être jugés par leurs pairs et finissent ainsi par taire leurs difficultés
dont ils ont honte. Certains finissent par s’inventer des réussites qui ne leurrent pas grand
monde, comme l’indique Antoine. On peut alors se demander si instaurer des groupes de
parole, à l’instar des groupes Balint176(Reznik, 2009) dont bénéficient certains personnels
soignants, ne pourrait pas être un atout pour les enseignants novices et expérimentés.
176
« Michael Balint, grande figure de la psychanalyse, a fondé, il y a quelques décennies, les groupes
éponymes qui constituent une méthode vivante pour aborder et résoudre les difficultés inhérentes à la relation
soignant-soigné. La formation et la pratique de ces groupes continuent, aujourd’hui encore, d’apporter un
dynamisme renouvelé et de vivifier la clinique des professionnels du soin. » (Reznik, 2009, p. 29)
529
Voyons maintenant, à travers l’analyse de segments vidéo de cours, comment s’illustrent les
différents points saillants qui ont été évoqués grâce à l’étude des journaux de bord.
530
Figure 8.64. Capture de vidéo « Oh, oh ! Allo !» et transcription du segment, Antoine T1 C1
Ici le script prototypique des « élèves de 3èmes gentils et responsables » (les élèves de 3ème
gentils et responsables se lèvent et vont s’asseoir à côté du binôme qui leur est désigné, dans
le calme. Ils ne se comportent pas comme des élèves de 5ème agités) est interrompu car les
élèves n’obtempèrent pas et sont bruyants. Ils ne sont pas « gentils » car ils ne répondent pas
aux attentes. Il y a un décalage négatif entre le script et la réalisation, ce qui déclenche
« agacement, énervement et perte de patience ».
531
Figure 8.65. Schéma de l’émergence des émotions « agacement, énervement et perte de patience ». Épisode
émotionnel 1, Antoine T1 C1
Les émotions « agacement, énervement et perte de patience » ont un impact sur le discours
d’Antoine. Celui-ci perd le contrôle de sa voix et de sa prosodie. Constatant qu’il ne parvient
pas à se faire entendre (amorce de « vous êtes des 3 … »), à l’instar de Dorine, il force sur sa
voix et utilise la « voix de détresse » pour émettre des interjections. Durant la phase de
description de l’action de l’EAC, Antoine commente ainsi son geste « on est très simplement
dans l’autoritarisme, juste l’outil le plus basique, à savoir la voix, je crie pour me faire
entendre ; s’ensuit une petite pique, petite morale ».
532
Il utilise une question rhétorique comme tous les enseignants novices des études de cas. En
revanche, ses élèves ne tentent pas d’y répondre.
On voit dans cet extrait qu’Antoine joue avec la corde sensible des élèves, qu’il entre en
communication avec eux via le versant affectif. Il essaie de « piquer » leur orgueil, (« vous
êtes des 3èmes ou des 5èmes ? »), de leur faire « une petite morale » (« vous êtes des 3èmes,
alors soyez gentils, agissez comme des 3èmes »), ce qu’il explique durant l’entretien. Il est
intéressant de noter l’occurrence de l’adjectif « gentils », jugement de valeur auquel on ne
s’attend pas dans le cadre professionnel. Ceci corrobore la tendance relevée par EMOTAIX
avec notamment les 107 occurrences dans le thème « affection », et également 18 occurrences
de l’adjectif « gentil ».
La dernière tâche intermédiaire qu’ils avaient faite était un peu du même acabit et ça
avait été bâclé. Ca m’avait énormément frustré et déçu. Le fait de voir que je leur
proposais une activité un peu interactive, qui change du truc lambda, et qu’en fin de
compte leur réaction à eux, ben c’était de bâcler ça et de le faire n’importe comment.
Donc ça ça m’avait beaucoup énervé et et je pense que là il y a encore un peu cette
frustration, déception.
Le rappel de cet épisode aux élèves, durant la passation des consignes, lui fait revivre les
émotions parentes de la colère qu’il avait vécues.
533
Figure 8.66. Capture de vidéo « ça avait été fait n’importe comment » et transcription du segment, Antoine
T1 C1
Figure 8.67. Schéma de l’émergence des émotions « Frustration et déception ». Épisode émotionnel 2,
Antoine T1 C1
Les émotions « frustration, déception, énervement » ont un impact sur le discours d’Antoine.
Vraisemblablement piqué dans son amour propre par le commentaire de l’élève, il répond
vivement en français (alternance codique interphrastique). Sa prosodie est tout d’abord
impactée (volume de voix plus haut, accélération du débit). Il renvoie la responsabilité de
son échec précédent aux élèves afin de sauver sa face (« ça avait été fait n’importe comment
par la plupart »). Son discours prend à nouveau une coloration affective (« je vous donne
une autre chance », « je vous redonne une chance », « j’attends du sérieux de votre part s’il-
vous-plaît »). On comprend que le contrat liant enseignant et élèves est – comme on l’a vu
précédemment dans le JdBP – celui d’un donnant-donnant dans lequel l’enseignant propose
« des activités cool » uniquement si les élèves sont « sérieux ».
535
Voyons si ces points saillants s’observent toujours lors de la deuxième année de titularisation
d’Antoine.
536
Figure 8.68. Capture de vidéo « ça commence mal » et transcription du segment, Antoine T2 C1
537
Plusieurs scripts prototypiques ont été interrompus : le script de la « bonne installation des
élèves en classe » (en arrivant en classe les élèves retirent leur veste, sortent leurs affaires,
sortent leur carnet de correspondance et le place en évidence sur leur bureau, posent leur sac
par terre et pas sur les chaises), le script du « bon réflexe des élèves de 5ème quand un adulte
entre dans la classe » (quand un adulte entre dans la classe, les élèves se lèvent
immédiatement. Si l’adulte dit de rester assis, ils peuvent rester assis ou s’asseoir. Si l’adulte
ne dit rien, ils se lèvent et attendent. Les élèves de 5ème doivent le savoir) et le script du « T2
suffisamment performant » (le T2 sait faire respecter à ses élèves le règlement intérieur ainsi
que les règles de vie de classe qu’il a instaurées. Il ne perd pas la face devant ses collègue).
Dans cet extrait de l’EAC, le décalage entre ses attentes (le script) et la réalisation effective
est clairement perceptible.
Agacement et déception parce que c’est des trucs que je vois avec eux depuis le début
de l’année. Après je sais que le métier d’enseignant c’est la répétition encore et encore,
rabâcher les mêmes choses, j’en suis tout à fait conscient et je sais que je ne suis pas
au bout de mes peines, mais voilà, c’est vrai que c’est quand même relou et pénible.
Je ne sais plus quand tu es venue, en février je crois, et les mômes ils ne sont toujours
pas fichus de faire les choses que je leur demande depyuis le début de l’année quoi.
Figure 8.69. Schéma de l’émergence des émotions « agacement et déception ». Épisode émotionnel 3,
Antoine T2 C1
538
L’« agacement » et la « déception » ont un impact sur le discours d’Antoine. Outre la
modification de la prosodie, ces émotions entrainent l’alternance codique interphrastique.
Antoine passe du rituel d’introduction du cours en anglais « you may sit » au discours régulatif
en français. Celui-ci, introduit par « et », (« et ça je ne devrais pas avoir à … ») est une incise,
une parenthèse orale. Interrogé à plusieurs reprises sur son recours fréquent à l’alternance
codique, Antoine donne plusieurs explications au cours de l’EAC. Tout d’abord, il souligne
le lien entre l’intensité des émotions et l’émergence du français :
C’est une conclusion que je commence à tirer de nos entretiens, j’ai l’impression qu’à
chaque fois finalement qu’il y a une émotion aussi forte on va dire, bon pas à chaque
fois mais extrêmement souvent, il y a ce passage au français qui se fait.
Il indique le caractère instantané du passage au français qui laisse entrevoir qu’il s’agit d’un
réflexe en langue maternelle :
[L’anglais n’] est pas ma langue maternelle donc ça me vient plus spontanément [en
français] alors que je sais que ce n’est pas bien. Très honnêtement, je ne crois pas que
ce soit délibéré.
Le français tend donc à rester pour Antoine la langue du discours régulatif, pour être sûr
d’être compris et avoir du « poids », d’avoir un impact reconnu des élèves, ce qui corrobore
les thèses de Kramsch (1984) et Castellotti (2001). À l’instar de Dorine et Marie, ce recours
au français, pourtant jugé incontournable, est mal assumé (« je sais que ce n’est pas
bien », « je devrais moins parler français en cours »).
539
Figure 8.70. Capture de vidéo « vous décalez » et transcription du segment, Antoine T2 C1
540
- Long tour de parole
- Questions à valeur rhétorique à la fin de chaque argumentaire : « c’est clair
ou pas ? » dit deux fois suivi d’une question synonyme : « est-ce que je me
fais bien comprendre ? »
- Usage d’intensifieurs : très très ; extrêmement
Perte de contrôle du lexique, de la prosodie et de la déontologie
pédagogique : registre familier « décaler », « gratter », « j’ai les boules » ;
bégaiement (« vous, vous » ; « là là ») ; menace « je vous mets le pire des
contrôles ».
=> Émotions manifestées paralinguistiquement :
-Visage fermé
-Gestes d’animation pour faire de la gestion de classe (Tellier, 2014, p.110)
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers les émotions
quelle raison se mettre « énervé, déçu, j’ai les boules ».
dans cet état ? C’est la deuxième fois que l’élève Patrick est interpellé. L’élève ne comprend pas
L’émotion n’est l’émotion et demande à ce qu’elle soit argumentée : « j’ai fait quoi [pour que ça vous
compréhensible que si énerve] et/ou [pour que vous pensiez que je n’ai pas envie de travailler] » ?
Antoine fournit une argumentation suite à la question de l’élève :
elle est argumentée
Argument : Rien du tout,
et justifie son émotion :
c'est bien ça que je te reproche
Il revient ensuite à son énoncé d’origine qui maintenant est argumenté et légitimé :
« Si t’es là pour rien faire, tu vas chez M. Pierron et tu vas rien faire chez lui ».
La réaction « j’ai fait quoi ? » déclenche une montée de la colère d’Antoine qui se
traduit par une généralisation du « tu » au « vous » (ligne 10). La colère est alors
orientée vers l’ensemble de la classe.
Les 3 questions « c’est clair ou pas ? », « est-ce que je me fais bien comprendre ? »
nourrissent la surenchère. Antoine se met en colère en justifiant sa colère (Plantin,
2000).
Tableau 8.102. Analyse du segment 4 d’Antoine T2 avec le modèle de Plantin
Du fait de l’accumulation énoncée « ça fait déjà deux fois que je vous reprends » plusieurs
scripts gigognes sont interrompus dans cet épisode. Tout d’abord le script général « moi,
professeur figure d’autorité dans ma classe » : Mes élèves entrent en classe et s’installent
tout de suite de façon autonome : ils enlèvent leur veste, sortent leurs affaires, posent leur sac
par terre, ils ne mettent jamais leur sac sur une chaise dans mon cours. Ils se lèvent d’eux-
mêmes si un adulte rentre dans la classe et ils attendent les consignes. Ils sortent leur carnet
de correspondance. Dans MON cours on travaille, on « fait quelque chose ». Dans mon cours
on « ne fait pas la gueule », on ne me déçoit pas ou on se rattrape pour que je ne sois pas déçu,
que je n’aie pas les boules. Ce script général comprend un sous-script : « le bon
comportement de mes élèves dans MON cours » qui lui-même comprenant deux niveaux
de sous-scripts : « le bon comportement de mes élèves en début de séance » – qui comprend
2 sous-sous scripts : « l’entrée d’un adulte dans ma classe » et « l’installation de mes élèves
en classe » – et « mes élèves au travail durant mon cours ». Le schéma ci-dessous illustre
les différents scripts :
541
Moi professeur figure
d'autorité dans ma
classe
Le bon
comportement de
mes élèves dans mon
cours
Figure 8.72. Schéma de l’émergence des émotions « énervement, déception et « boules » ». Épisode
émotionnel 4, Antoine T2 C1
Ces émotions ont un impact sur le discours d’Antoine, ce dont ce dernier prend conscience
durant l’EAC. Durant la phase d’évaluation de l’action, il explique avoir perdu le contrôle
542
de son discours et de son agir professionnel : « je perds un peu mon sang-froid. C’est vrai
qu’en le revoyant je ne trouve pas que ce soit la bonne manière. Je trouve que je manque de
professionnalisme ». Outre, l’alternance codique interphrastique déjà commentée dans
l’épisode 3, on note que son registre de langue devient plus familier : « tire la gueule »,
« gratter », « décaler », « j’ai les boules ». Il précise : « j’utilise le mot gueule qui n’est
absolument pas professionnel parce que pour moi ça c’est l’aspect assez humain du métier
qui prend le pas des fois. […] c’est plutôt la personne qui prend le pas sur le professionnel ».
On comprend que sous l’emprise des émotions, son « moi-personnel » prend le dessus sur
son « moi-professionnel ». Il n’est plus l’enseignant représentant de l’institution, mais
l’individu :
On gère de l’humain. Dans ma conception du métier, on ne peut pas être froid et
détaché. Je pense qu’on doit rester humain aussi soi-même, parce que c’est pas
possible d’être un robot quand on est avec des petits humains en devenir. Mais bon il
y a des fois c’est sûr où il vaudrait mieux garder son self-control. Là j’étais pas bien
du tout.
543
l’élève qui, a ce stade du cours, n’imagine pas encore que le pire est à venir : « If only he knew
… ».
• Épisode 5 : colère « montée d’un cran » et déception « au même niveau »
Le troisième épisode survient à la dixième minute du cours. Les élèves répètent avec
peu de d’entrain les noms d’animaux qu’Antoine projette au tableau (manque d’intérêt ?).
C’est l’escalade. Antoine monte d’un cran sur l’échelle de la colère car il s’agit du troisième
événement perturbateur en dix minutes. Par ailleurs, comme il le précise durant l’EAC, si
l’incident précédent ne visait qu’un seul élève, cette fois la classe entière est concernée (« À
trois élèves près, c’est vraiment toute la classe »). Le nouvel épisode commence par deux
claquements de langue, une grimace « niiiii !!! », signe de moquerie, puis une répartie en
anglais, inaudible, est le déclencheur.
544
Figure 8.73. Capture de vidéo « vous n’jouez pas le jeu » et transcription du segment, Antoine T2 C1
Analysons ce segment :
Qui éprouve quoi ? Personne affectée : Antoine, T2
=> Qui est affecté ? Nature des émotions : colère « montée d’un cran » et déception « au même
=> Quelle est niveau »
l’émotion éprouvée ? =>Émotions nommées explicitement durant l’EAC
=> Émotions manifestées linguistiquement :
En français, perte de contrôle totale (prosodie, lexique, agir professionnel)
- Modification de la prosodie => même caractéristique qu’à l’épisode
précédent mais niveau d’intensité supérieur : accentuation expressive,
rythme plus rapide, volume plus haut. Le volume monte à chaque
intervention/réaction des élèves.
- Nombreuses questions rhétoriques : « vous savez quoi ? », « d’accord ? »,
« vous ne vous souvenez pas comment c’était avant les vacances de la
Toussaint ? », « vous voulez pas parler à l’oral ? »
- Nombreuses répétitions : « ça me gonfle, ça me gonfle », « vous n’jouez pas
le jeu, vous n’jouez pas le jeu », « non, non, non, non, non ».
- Lexique familier : « ça me gonfle », « casser la tête », « bouffer »,
« s’exciter tout seul », « rien à péter »
- Durant l’EAC la colère est manifestée par l’utilisation d’un lexique de
guerre « j’envoie l’artillerie lourde », « opération ».
=> Émotions manifestées paralinguistiquement :
-visage fermé
545
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers les émotions
quelle raison se mettre « colère et déception »
dans cet état ? On note 5 arguments annoncés une première fois, puis repris :
L’émotion n’est 1. « vous voulez pas faire ça à l'oral », « donc vous voulez pas parler à l'oral »
compréhensible que si « Vous avez RIEN fait »
elle est argumentée 2. « vous n’jouez pas le jeu, vous n’jouez pas l’jeu aujourd’hui », « mais vous
avez voulu jouer ? mais on va jouer »
3. « vous avez décidé de me casser la tête », « Moi je me casse pas la tête à
m’exciter tout seul à perdre mon énergie pour vous », « Je m'excite pas tout
seul dans le vent alors que personne qui fait rien »
4. « vous en avez rien à péter »
5. « j’en ai trois qui participent » « Vous êtes 4 à participer, sur une classe de
19 »
Ici les mêmes scripts qu’à l’épisode 4 sont interrompus. Ce qui déclenche un nouvel épisode
de colère encore plus fort que le premier. Le curseur est maintenant sur -3.
Figure 8.74. Schéma de l’émergence des émotions « colère et déception ». Épisode émotionnel 5, Antoine
T2 C1
L’escalade de la colère a un effet sur le discours d’Antoine. Outre tous les points décrits
précédemment (alternance codique, perte de contrôle du discours et de l’agir
professionnel) sur lesquels on ne reviendra pas, on peut souligner l’augmentation du
recours à un niveau de langue familier. Plus Antoine se sent « attaqué » personnellement
(ex : me casser la tête », « j’en ai 3 qui participent », plus il devient familier. On remarque
que sa colère est « stimulée par l’attitude prêtée à l’autre » (Plantin, 2011, p.245) : « vous
n’jouez pas le jeu, vous n’jouez pas l’jeu aujourd’hui », « vous avez décidé de me casser la
tête » ; « vous en avez rien à péter »
546
Ceci est conforme au script « mettre en colère » décrit dans le livre II de La rhétorique et
repris par (Plantin, 2011, p. 23), où la colère de (A) – ici Antoine– contre (B) – ici ses élèves
– peut se décrire comme suit :
– B méprise A injustement ; il le brime, il l’outrage, il se moque de lui, il fait obstacle à ses
désirs, et il y prend plaisir.
– A souffre.
– A cherche à se venger en faisant du tort à B.
– A fantasme cette vengeance et en jouit
Antoine suit parfaitement le schéma décrit par Aristote et annonce sa vengeance (« je vous le
ferai bouffer bien comme il faut croyez-moi ») et la savoure (« c’est bien, vous avez tout
perdu »).
Cependant la colère d’Antoine « enseignant » vis-à-vis de ses élèves n’est pas
compréhensible. Ses attentes ne sont pas justifiées par son discours : le rôle des élèves n’est
pas rappelé, ni celui de l’enseignant. On est ici dans une relation affective hors du cadre
enseignant/élèves dans laquelle les élèves ne sont pas rentrés. Antoine considère leur passivité
comme une attaque personnelle, une hostilité, ce qui ne lui permet pas d’entamer une analyse
réflexive sur sa didactique et sa pédagogie. Bien qu’organisé le 12 mars, soit à une distance
d’un mois et onze jours de la captation, l’EAC ne permet pas encore à Antoine de prendre du
recul et d’envisager des pistes de remédiation. À la question « si c’était à refaire, comment t’y
prendrais-tu ? », il répond :
Très honnêtement je ne sais pas, ça fait un moment que je le retourne dans ma tête
parce que ça m’a vraiment travaillé, si tu veux, et je me suis pas mal remis en question.
J’ai retourné tout ça dans ma tête et j’ai toujours pas la réponse.
Un sixième épisode émotionnel a lieu pendant cette heure. Antoine définit son émotion
comme de la « rage niveau Hulk ». Nous ne le décrirons pas car il reprend les mêmes
caractéristiques que l’épisode 5.
Le schéma ci-dessous illustre les différentes phases de colère présentes dans le cours
d’Antoine. Le niveau thymique de base d’Antoine, en vert, est précisé ici pour montrer que le
premier épisode émotionnel ne démarre pas de ce niveau zéro mais de plus haut. Dès le départ
les conditions sont réunies pour que le cours se passe mal : Antoine est resté sur une mauvaise
expérience, son visage est fermé et sa posture est crispée. À la fin du premier épisode
émotionnel « agacement », l’état de fond ne redescend pas au niveau initial mais reste plus
haut. C’est de ce niveau que démarre le deuxième épisode émotionnel qui est par conséquent
547
plus fort. On est donc en présence d’un processus récursif qui mène de l’agacement à la rage,
contrairement à Marie.
548
Figure 8.76. Capture de vidéo « okay good ! Past ! » et transcription du segment, Antoine T1 C1
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se mettre parente de la « joie ».
dans cet état ? Un élève répond à la question d’Antoine et est capable de s’auto-corriger grâce au
L’émotion n’est guidage gestuel fourni.
compréhensible que si
elle est argumentée
Tableau 8.104. Analyse du segment 6 d’Antoine T1 avec le modèle de Plantin
Le script du « bon élève captif » (le bon élève captif répond aux sollicitations de l’enseignant.
S’il fait des erreurs, il est capable de s’auto-corriger avec l’aide de son professeur) correspond
549
à la réalisation en classe. Il y a décalage zéro, donc adéquation, entre le script et la réalisation,
ce qui engendre les émotions joie, fierté, satisfaction.
Figure 8.77. Schéma de l’émergence des émotions « joie, fierté, satisfaction ». Épisode émotionnel 6,
Antoine T1 C1
Les émotions « joie, fierté, satisfaction » n’ont qu’un impact limité sur le discours d’Antoine.
Elles déclenchent deux interjections « okay » et « good » qui valident la réponse de l’élève.
Ces réponses semblent en décalage avec les émotions citées par Antoine. Celui-ci s’en rend
d’ailleurs compte et exprime alors une « légère déception » durant la phase d’évaluation de
l’action : « j’aurais pu plus l’encourager », « j’aime bien beaucoup les encourager, c’est
quand même des élèves qui globalement manquent d’encouragement, et sans doute d’attention
de la part d’un adulte et voilà je trouve qu’il aurait été bien de le faire encore plus ».
• Épisode 7 : satisfaction
Le dernier épisode n’a pas été traité durant l’EAC. Il se passe pendant l’activité « phonetic
zoo » qui suit le warm up. Plusieurs élèves répondent aux questions qu’Antoine pose à la
classe.
550
Figure 8.78. Capture de vidéo « excellent! » et transcription du segment, Antoine T1 C1
Pourquoi ? Pour =>recherche dans le discours des traits argumentatifs orientant vers l’émotion
quelle raison se mettre parente de la « joie ».
dans cet état ? Les élèves sont très actifs et répondent aux questions d’Antoine.
L’émotion n’est
compréhensible que si
elle est argumentée
Tableau 8.105. Analyse du segment 7 d’Antoine T1 avec le modèle de Plantin
Il n’y pas de décalage entre le script prototypique « du cours suffisamment bon » (durant ce
cours les élèves sont actifs, s’impliquent avec plaisir et répondent aux sollicitions de
l’enseignant. Il n’y a pas de problème de discipline) et la réalisation. Ce décalage zéro
engendre la satisfaction.
551
Figure 8.79 - Schéma de l’émergence des émotions « joie, fierté, satisfaction ». Épisode émotionnel 7,
Antoine T1 C1
8.5. Conclusion
Bilan des quatre études de cas
Les études de cas de Cécilia, Dorine, Marie et Antoine, enseignants à trois stades du
continuum PS, T1, T2, ont pu mettre en lumière ce qui déclenchait leurs émotions et ont
facilité l’analyse de l’impact de leur colère et de leur joie sur leur discours. Elles ont également
fourni un éclairage sur la construction de leurs gestes professionnels. L’ampleur des données
collectées – réponses aux questionnaires, eJdBP, captations de cours et EAC – a été un atout
pour cette recherche. Elle a permis de procéder à une triangulation en effectuant des
croisements. Les différents outils utilisés ont conduit à des résultats identiques, et ont mis en
avant des récurrences et des points saillants, ce qui est un gage de fiabilité. Ces outils se sont
aussi complétés, certains permettant de découvrir des données qui n’avaient pas été révélées
554
par d’autres. Ainsi, l’e-JdBP de Dorine relate des épisodes de colère fréquents qui
n'apparaissaient pas dans ses réponses au questionnaire.
Par ailleurs, procéder à quatre études de cas a offert la possibilité d’observer des points
communs. Cécilia et Dorine présentent des situations a priori similaires (même cohorte, même
âge), Antoine et Marie également car ils ont tous deux effectué leur stage dans des conditions
privilégiées. Outre les similitudes, on observe aussi des différences intéressantes entre les
participants. Il peut s’agir de leur contexte d’exercice (secteurs géographiques contrastés,
établissements en centre-ville ou en REP+), mais aussi de leurs personnalités non prises en
compte dans le cadre de cette recherche. Marie, en reconversion professionnelle, offre un cas
de plus grande maturité et Antoine une différence de contextes (centre-ville/REP+) tout à fait
intéressante. Voici une synthèse des différences (caractères gras) et des similitudes (italiques)
recensées avec les questionnaires et les e-JdBP :
PS Cécilia & Dorine PS et T1 Marie PS, T1 et T2 Antoine
Question- Une majorité d’émotions à Une majorité d’émotions valence Une majorité d’émotions valence
naire valence négative au quotidien : à négative au quotidien : 61% les à positive au quotidien (53%)
Cécilia : 81% et Dorine : 75% 2 années durant la première année.
Une majorité d’émotions à valence
négative au quotidien (62%) en tant
que T1 et T2.
E-JdBP Une majorité d’émotions Une majorité d’émotions Année PS : Un pourcentage
valence négative recensées avec valence négative recensées avec d’émotions à valence négative
les 2 outils : les 2 outils : inférieur à celui de ses pairs,
-EMOTAIX => Cécilia 65% & -EMOTAIX : 53% recensé avec les 2 outils :
Dorine 55% -Décompte émotions :75% EMOTAIX : 49%
-Décompte émotions => Cécilia -Décompte émotions :51%
75% /Dorine 57% Année T1 :
EMOTAIX : 61% (+11 points)
Décompte émotions : 63% (+12 )
*La Représente 1/3 des émotions Représente 20,5% des émotions Représente :
colère négatives citées négatives citées Année PS : 38,9% des émotions
Principalement déclenchée par Principalement déclenchée par négatives citées
les élèves les élèves Principalement déclenchée par
Déclencheur principal : le Déclencheur principal : le sa pratique (démarche
« comportement inadapté des « l’absence d’implication des didactique et mise en œuvre
élèves » élèves » pédagogique) :
Déclencheur principal :
« conscience de ses difficultés et
erreurs »
Année T1 : 32,3% des émotions
négatives citées
Principalement déclenchée par les
élèves
Déclencheur principal : le
« comportement inadapté des
élèves »
555
*La joie Majorité de déclencheurs en lien Majorité de déclencheurs en lien Année PS : Majorité de
avec l’enseignant (« bon avec l’enseignant (« bon déclencheurs en lien avec
cours », conscience de sa cours », conscience de sa l’enseignant (principalement
posture d’enseignant, de sa posture d’enseignant, de sa « bon cours »),
progression, etc.) progression, etc.), mais le Année T1 : Majorité de
déclencheur principal est la déclencheurs en lien avec
réussite des élèves. l’enseignant (« bon cours »,
conscience de sa posture
d’enseignant, de sa progression,
etc.)
Tableau 8.107. Bilan : similitudes et différences dans les réponses au questionnaire et les e-JbBP entre
Cécilia et Dorine (PS de C3), Marie et Antoine
Les similitudes mises en avant via les réponses aux questionnaires et les e-JdBP de Cécilia,
Dorine, Marie et Antoine sont très nombreuses, et corroborent les résultats trouvés en
analysant les différents questionnaires présentés au chapitre 7. On peut donc dégager des
constantes : les PS ressentent une majorité d’émotions à valence négative au quotidien. Leurs
émotions négatives et notamment leur colère sont déclenchées par le comportement inadapté
des élèves, et leur joie est liée à leur propre réussite. Les PS tendent à souffrir de la période
chrysalidaire que représente l’année de stage et certains, à l’instar de Dorine et d’Antoine, se
plaignent d’avoir une double identité (moi personnel vs moi-professionnel, étudiant vs
enseignant, professeur vs gendarme). Cependant, on constate aussi des différences. Placé dans
un contexte très favorable en tant que PS, Antoine a majoritairement ressenti des émotions à
valence positive. Ses émotions négatives, et notamment la colère et la déception, ont été
déclenchées par la prise de conscience de ses propres difficultés, et non par le comportement
inadapté de ses élèves. Marie, plus âgée et en reconversion professionnelle est entrée dans une
démarche réflexive. Bien que non lauréate d’un master MEEF – à la différence de ses trois
pairs –, elle est rapidement parvenue à prendre du recul sur ses pratiques, à endosser son
identité d’enseignante et a su tirer profit de sa formation. Mais dans tous les cas, on est frappé
556
par les montagnes russes émotionnelles que ces quatre enseignants connaissent au quotidien,
les épisodes de joie et de colère se succédant parfois de manière très rapprochée, ce que l’on
observe notamment chez Dorine. Ces émotions ont un impact sur leur discours. Le tableau
suivant en présente une synthèse générale. Les très nombreuses similitudes constatées entre
les enseignants sont en italiques et les différences en caractères gras :
Cécilia (PS) Dorine (PS) Marie (bilan PS et T1) Antoine (bilan T1 et T2)
Impact de Perte de ses moyens Perte de ses moyens Perte de ses moyens Perte de ses moyens
la colère linguistiques linguistiques linguistiques linguistiques
sur le Modification de la Perte de contrôle de la Modification de la Modification de la prosodie
discours prosodie prosodie prosodie =>Volume de voix plus
=>Volume de voix =>Volume de voix plus =>Volume de voix plus élevé
plus élevé élevé, cris élevé => voix de détresse
=>Forçage vocal (voix => accélération du débit
de détresse) => bégaiement
Reflexe cognitif en Reflexe cognitif en Reflexe cognitif en langue Reflexe cognitif en langue
langue maternelle langue maternelle maternelle maternelle
=>« Perte des mots =>Alternance codique =>Alternance codique =>Alternance codique
en anglais » (sic) interphrastique interphrastique interphrastique
=>Alternance =>Calque intonatif
codique =>Calque lexical
interphrastique Erreur d’accentuation
=>Calque lexical
Erreur lexicale
Interjections (évaluation
Perte de Confusion positive)
discernement, erreur Erreur dans les choix Répétitions
dans les choix pédagogiques
pédagogiques Décentration de
l’attention (effet bulle
Recours à la => aparté en L1)
gestuelle pour
remplacer les mots
manquants
Tableau 8.108. Bilan : impact des émotions parentes de la colère et de la joie sur le discours des 4
participants aux études de cas
Grâce aux captations de cours et aux EAC, on peut observer des constantes concernant
l’impact de la colère et de la joie sur le discours des quatre enseignants. Tous perdent leurs
moyens linguistiques sous le joug de la colère. Leur prosodie est modifiée et ils s’expriment
avec un volume de voix plus élevé. Dorine et Antoine, tous deux en REP+, forcent sur leur
voix et utilisent la voix de détresse qui à terme peut avoir un effet néfaste sur leurs cordes
vocales. Cécilia, Dorine et Antoine recourent à des interjections, « chut ! » étant la plus
fréquente. Les quatre enseignants utilisent des questions rhétoriques qui ne sont pas comprises
par les élèves. Les réponses que ces derniers font sont perçues par les enseignants comme des
provocations, ce qui contribue à amplifier la colère. Qu’il s’agisse de colère ou de joie, lorsque
les émotions surgissent les enseignants sont souvent troublés, ce qui déclenche un réflexe en
langue maternelle et donc de l’alternance codique. Il s’agit généralement d’alternance codique
interphrastique, mais on trouve également notamment chez Marie, de l’alternance codique
intraphrastique avec un panachage de la L1 et la L2, ce qui affecte la prosodie. Cette alternance
codique est toujours mal vécue. Tous considèrent que parler français dans le cadre du cours
d’anglais est proscrit et donc que « c’est mal » car ils sont empreints de cette même croyance,
résurgence de la méthode audio-visuelle (Tardieu, 2014). Le trouble lié aux émotions colère
ou joie amène les quatre enseignants à commettre en L2 des erreurs qui peuvent être d’ordre
lexical, phonologique mais aussi d’ordre pédagogique ou déontologique (niveau de langue
trop familier, violence verbale, punition inadaptée). La réaction aux émotions varie également
en fonction de la personnalité de l’enseignant. D’un tempérament très enjoué, Marie réagit de
façon plus spectaculaire que ses pairs aux émotions, notamment lorsqu’elle ressent de la joie.
Ce trait a été évoqué, mais pas développé dans cette étude car il relève du domaine de la
psychologie.
558
Pris dans un véritable tourbillon émotionnel, ces enseignants ressentent beaucoup de
souffrance. Les EAC ont rendu possible l’analyse de ces émotions.
Cette démarche a ainsi pu les aider à changer la perception qu’ils avaient de certains épisodes
émotionnels. Dorine, par exemple, a compris lors des EAC qu’elle devait prendre le temps
d’expliquer aux élèves ce qui la mettait en colère et que ses interjections étaient donc
inefficaces car incomprises des élèves. Suivre ce modèle a conduit certains enseignants à
559
reconnaître qu’il y avait un décalage entre l’émotion qu’ils pensaient avoir montrée en classe
et ce dont les élèves avaient effectivement été témoins. C’est le constat d’Antoine qui pensait
avoir manifesté sa satisfaction à un élève en lui souriant et en l’encourageant suite à une
production intéressante, et qui se trouve déçu en constatant qu’il n’a formulé qu’un « good »
sans enthousiasme.
Les entretiens d’autoconfrontation ont amené les quatre enseignants à conclure que l’analyse
d’une situation ayant déclenché une émotion parente de la colère, peut finalement faire
émerger une émotion à valence positive a posteriori. En effet, en les guidant pour qu’ils
entrent dans une démarche réflexive – en leur demandant de décrire la situation choisie et leur
geste professionnel – il est possible de les amener à comprendre la nature de leurs erreurs
(Korthagen & Vasalos, 2005) et de se projeter dans des pistes de remédiation. Ceci les amène
alors à ressentir de la joie, de la détermination ou de l’espoir. Une fois ces pistes repérées, ils
se sentent satisfaits et sont plus optimistes quant à l’avenir. Ils peuvent se projeter dans un
cercle vertueux de progrès.
When the teacher is also really feeling the frustration of his or her limiting patterns, and
really feels the empowering effects that naturally evolve from an awareness of new
possibilities (feelings of pleasure, excitement, fulfilment and expansion), this deepens the
process even further, making reflection much more effective (Korthagen & Vasalos,
2005, p.58)
Cécilia, Dorine et Marie éprouvent de l’espoir parce que l’entretien d’aautoconfrontation leur
a permis de comprendre la nature de leurs difficultés. Cécilia et Antoine s’interrogent sur les
phénomènes d’alternance codique, leur réflexion est engagée. Dorine est optimiste quant à
l’avenir parce qu’elle a compris que crier en classe était inutile et a ensuite échafaudé des
projets pour gérer sa classe plus efficacement. Marie ressent de l’inspiration et de la
satisfaction car regarder les vidéos l’a aidée à analyser ses faiblesses et à améliorer ses
pratiques. Inversement, l’analyse d’épisodes émotionnels de joie peut faire émerger des
émotions du registre de la colère. C’est le cas de Cécilia qui rétrospectivement est surprise
puis contrariée par ses manifestations de joie qu’elle juge inappropriées (cf. 8.1.1.2. épisodes
5 et 6). On constate cependant que lorsque l’épisode émotionnel a été très violent, la réflexivité
est plus longue à se mettre en place. Dorine y parvient avec un guidage renforcé. Suite à
l’épisode de rage, Antoine n’a pas réussi à en faire une analyse poussée car il était encore
choqué.
Le modèle ÉmoDERÉ est un cercle, ce qui le rend par définition sans fin. Sa dernière étape
correspond également à la première. Ainsi, l’apparition d’une émotion négative à la cinquième
560
étape offre la possibilité de relancer la démarche et de « poursuivre le processus
d’apprentissage » (Korthagen & Vasalos, 2005, p. 49). Dans cet extrait de la phase 5 de son
EAC, Marie montre qu’elle est entrée dans ce processus :
On apprend de ses échecs, un échec c’est négatif, le moment où on vit l’échec on n’en
peut plus, on a tous les boyaux qui se serrent, les bras qui frissonnent on est au bout
de notre vie comme disent les jeunes, et puis une fois que justement on a un peu digéré
tout ça, on l’analyse, et puis l’humain, la nature elle veut survivre, donc on va essayer
de trouver une solution et quand on l’a trouvée ben voilà ça se transforme en positif
parce que on se dit « ben voilà !». La vie s’arrête pas à un échec, on prend, on rebondit
et on se dit, c’est comme ça qu’on se développe et qu’on grandit, donc ça c’est bien.
561
Le chapitre 8 en bref
562
CONCLUSION GÉNÉRALE
“The world of the beginning teacher is never still”, écrit Erb en 2002. C’est le constat
que j’ai fait en tant que formatrice sur le terrain et qui m’a conduite, cette fois en tant que
chercheuse, à vouloir faire un état des lieux des émotions que les enseignants disent ressentir
tout au long de leur carrière. Dans le cadre de ma thèse, mon objectif a été de repérer quelles
étaient les émotions les plus saillantes des enseignants, d’en identifier les éléments
déclencheurs, et de découvrir si ces émotions évoluaient avec le temps. Une fois cette étude
compréhensive achevée, mon ancrage professionnel dans la formation des enseignants
d’anglais m’a amenée à me focaliser sur le public que je connaissais, les enseignants novices
– c’est-à-dire les professeurs stagiaires et les enseignants fraîchement titularisés, T1 et T2. J’ai
voulu étudier et comprendre ce qui suscite la colère et la joie dans leur cours et observer
l’impact que ces émotions ont sur leur discours, dans le cadre du polylogue institutionnel
(Bouchard, 2006). Pour cela, j’ai suivi plus particulièrement quatre enseignants d’anglais
novices – deux professeurs stagiaires (PS), une PS puis néotitulaire (T1), et enfin un PS, qui
devient T1 puis T2.
564
Les vidéos de cours et les EAC m’ont permis de valider ma dernière hypothèse en observant
que la colère et la joie ont un impact sur le discours des novices et que cet impact se manifeste
sur les plans linguistique, pragmatique et didactique. J’ai pu ainsi relever des constantes. La
colère a amené ces quatre enseignants à modifier leur prosodie (volume de voix plus élevé,
recours au forçage vocal et donc à la voix de détresse pour les enseignants affectés en REP+),
modifier leur syntaxe (recours aux questions rhétoriques, aux formes exclamatives, aux
interjections). Chez ces locuteurs dont la langue initiale n’est pas l’anglais, la colère a
déclenché un réflexe en langue maternelle et les a conduits à recourir à l’alternance codique
(notamment interphrastique). Sous l’emprise de la colère tous ont commis des erreurs d’ordres
différents (erreurs de lexique, d’accentuation, de calque, erreurs pédagogiques, confusions,
…). Lorsque les enseignants vivent plusieurs épisodes de colère durant la même séance de
cours, l’émotion gagne en intensité et s’amplifie car l’état émotionnel de fond n’est pas revenu
au niveau initial entre deux incidents. Les épisodes de joie sont généralement moins
spectaculaires et donnent plutôt lieu à des interjections et à des évaluations positives sous
forme exclamative. On remarque également que les jeunes enseignants novices expérimentent
une phase chrysalidaire de leur identité professionnelle. Ce sentiment d’entre-deux est à
l’origine d’un mal-être que l’on ne retrouve pas chez Marie, plus âgée et en reconversion
professionnelle. Cette recherche a en outre montré que la personnalité de l’enseignant pouvait
avoir un impact sur les émotions et leur gestion. Ainsi Marie laisse exploser toutes ses
émotions de façon spectaculaire et sa joie a autant d’impact sur son discours que sa colère.
Antoine a besoin d’être dans une relation affective forte avec ses élèves. Les manquements de
ces derniers sont donc vécus comme des attaques personnelles, ce qui déclenche chez lui de
fortes et violentes colères. Si l’on écarte les raisons liées au contexte d’enseignement et au
profil particulier de certains élèves, on remarque également une constante : une des causes du
« comportement inadapté des élèves », provient souvent de choix didactiques erronés et des
difficultés que ces enseignants novices rencontrent pour mettre en œuvre leurs préparations
de cours. Les élèves décrochent lorsqu’une activité n'est pas assez stimulante, ou bien conçue,
ni suffisamment guidée /ou précise dans ces objectifs. Ils se laissent aller à des bavardages et
autres activités clandestines, pourvu qu’ils soient dans l’angle mort du regard de l’enseignant,
ou lorsque leurs bonnes productions ne sont pas prises en considération car elles ne
correspondent pas à l’attente expresse de ce dernier. Les EAC ont permis d’amener les quatre
enseignants à enclencher leur processus de réflexivité, déjà amorcé dans une moindre mesure
565
avec les e-JdBP. Enfin, il convient de noter que si la colère est toujours l’une des deux
émotions les plus saillantes chez les « experts », et que le déclencheur premier est toujours lié
au comportement inadéquat des élèves, on ne peut l’attribuer entièrement à la maladresse
professionnelle des débuts de pratique. Ceci ouvre une nouvelle réflexion.
• Validité interne
La variété des outils méthodologiques utilisés (questionnaires, e-JdBP, captation
vidéo et EAC) a été un atout. Chacun de ses outils a eu des fonctions différentes, rappelées
dans le tableau ci-dessous :
Ces outils, différents en soi, sont interdépendants (le questionnaire apporte un éclairage
ponctuel au journal de bord, ce dernier sert de témoin aux EAC. Les captations de cours
servent de déclencheurs aux EAC et sont également complémentaires. Ainsi l’e-JdBP de
Dorine a permis d’observer des épisodes de colère fréquents qui n’apparaissaient pas dans le
questionnaire. Les données produites pendant quatre années successives avec ces différents
outils ont permis de disposer d’un vaste corpus. Celui-ci a subi un traitement quantitatif et
566
qualitatif. Selon Raby (2008, p.4), ces deux démarches sont indissociables dans les
recherches en didactique de l’anglais car « toute démarche quantitative à une visée qualitative
dès lors qu’elle concerne une recherche de terrain » et « aucune démarche qualitative ne peut
se passer d’éléments quantitatifs ».
Disposer d’un corpus conséquent – constitué de données produites durant quatre années
auprès de différentes cohortes d’enseignants à différents stades de leur carrière et auprès de
quatre enseignants novices – m’a permis ainsi de procéder à plusieurs formes de
triangulations (Maxwell, 1996 ; O’Malley & Valdez-Pierce, 1996 ; Gable, 1994 cités dans
Raby, 2007, 2008): triangulation des enseignants, des données et des outils d’analyse (Denzin,
1970). J’ai également eu la possibilité d’opposer et de comparer les résultats des
questionnaires de manière à la fois transversale et longitudinale (ex : résultats obtenus aux
questionnaires par les PS de quatre cohortes différentes pour dégager des tendances et déceler
les « effets cohorte » dû à des événements exceptionnels, comme les mouvements sociaux de
2019). J’ai pu confronter les résultats par profils (PS, T1, T2, T5, EXPERTS), et les données
produites en fonction des contextes académiques (académie de Créteil vs académies hors Ile
de France). Ceci m’a permis d’opérer des recoupements intéressants (par exemple : les
émotions les plus citées et leurs pourcentages, les déclencheurs les plus fréquents, etc. pour
un même profil d’enseignant dans le déroulé de la carrière, ou pour des enseignants à profils
différents), et de mettre en avant des constantes.
• Validité externe
Pour tester la validité des résultats, les questionnaires ont été analysés par deux
chercheurs extérieurs. Les résultats obtenus ont été confrontés aux miens en recourant au test
non paramétrique du Kappa de Cohen (1960). Celui-ci « permet de chiffrer l’accord entre
deux ou plusieurs observateurs ou techniques lorsque les jugements sont qualitatifs » (Bergeri,
Michel & Boutin, 2002). Le calcul se fait selon la formule suivante :
Pr(a) correspond à la proportion de l'accord entre les codeurs et Pr(e) renvoie à la probabilité
d'un accord aléatoire. Si les codeurs sont totalement en accord, alors κ = 1. S'ils sont totalement
en désaccord, ou l’accord est dû uniquement au hasard, κ ≤ 0 (Landis & Koch, 1977).
Landis et Koch (1977), propose le tableau suivant pour interpréter le taux obtenu :
567
κ Interprétation du taux
<0 Désaccord
0.00 – 0.20 Accord très faible
0.21 – 0.40 Accord faible
0.41 – 0.60 Accord modéré
0.61 – 0.80 Accord fort
0.81 – 1.00 Accord presque parfait
Tableau CG.2 : Tableau d’interprétation du Kappa de Cohen, d’après Landis et Koch (1977, p. 159-174)
Les taux obtenus se situent entre 0.81 et 1, et indiquent donc un « accord presque parfait ».
Un seul est inférieur et montre un « accord fort ».
Pour finir, l’analyse des segments vidéo a été faite durant les EAC par l’enseignant filmé. Les
hypothèses que j’avais pu émettre en assistant puis en re-visionnant les cours ont alors été
validées ou invalidées par les propos mêmes de l’enseignant, ce qui a écarté toute possibilité
de biais d’interprétation de ma part quant à la nature de l’émotion observée. On pourrait
évidemment contester la validité des déclarations des interviewés. Cependant l’image qui
retrace l’épisode émotionnel constitue un garde-fou aux propos que peut tenir la personne
interviewée. En ce sens, ce que l’on pourrait appeler « la preuve par l’image » est validée
comme telle par Vermersch (1994) dans la technique qu’il a élaborée pour un autre type
d’entretien, l’entretien d’explicitation.
• Limites et obstacles
Cette recherche présente des limites d’ordres différents. Je me suis focalisée sur les
enseignants de l’académie de Créteil dans laquelle j’enseigne et que je connais bien. C’est de
l’observation des cours de ces enseignants cristoliens qu’a émergé mon questionnement. Ceci
donne aujourd’hui à cette recherche une coloration locale, en dépit de la triangulation menée
avec des enseignants hors Ile de France en 2019, et signale que le travail entamé reste à
effectuer pour lui donner une véritable dimension nationale.
Par ailleurs, si le nombre de PS répondant au questionnaire a été conséquent, cela n’a pas été
le cas des enseignants titulaires (T1, T2, T5 et Experts). Seule la confrontation des résultats
entre les cohortes a permis d’exploiter ces données.
Plusieurs pans de ma recherche n’ont pu être menés à bien en raison, tout d’abord, des blocus
et mouvements de grève qui ont paralysé les établissements scolaires courant novembre et
décembre 2019, puis, depuis février 2020, de la crise sanitaire liée à la pandémie de COVID-
19. Ceci ne m’a pas permis d’opérer une autre triangulation dans le cadre des études de cas en
y intégrant une enseignante T1 de l’académie de Dijon, voire une enseignante experte, comme
568
j’avais prévu de le faire. Je n’ai pas non plus pu suivre et aller filmer un PS anglophone.
Observer l’impact des émotions sur le discours d’un enseignant novice de langue anglaise
aurait été particulièrement pertinent pour cette recherche et fait désormais partie de mes
perspectives prochaines.
569
représentation de l’enseignement de l’anglais. Tous ont besoin de consolider leurs démarches
didactiques et leur mise en œuvre. À l’issue de cette recherche, plusieurs dispositifs
privilégiant une entrée par les émotions pourraient donc être proposés pour renforcer la
formation initiale et contribuer au développement de la formation continuée, champ
aujourd’hui encore trop restreint.
Voici quelques propositions.
177
En didactique des langues, le drama (du verbe grec "drao" agir, faire, accomplir) renvoie à l’expression du
corps et à la mise en acte de situations fictives que les comédiens utilisent pour s’entraîner et développer leur jeu
d’acteur. Il permet d’explorer corporellement des fictions en lien avec des connaissances et des compétences
langagières des programmes (Aden, 2015, p. 4)
178
Dans leur article de 2015, Aden et Anderson décrivent ainsi le du théâtre-image : « Les participants font une
statue réelle qui exprime nécessairement des stéréotypes et des représentations culturelles et reflète une
oppression ou un regard figé sur le sujet. Puis on demande ensuite au même groupe de construire une image
collective idéale dans laquelle les problèmes ont été résolus. Quand tout le monde a constaté visuellement la
différence entre les deux tableaux, les participants se remettent dans l’image d’oppression et montrent
visuellement comment passer d’une situation réelle à une situation meilleure. »
179
“Boal’s Forum Theatre (1995 p.7) does not provide participants with ready-made solutions to their issues, but
it turns them into active observers who can then take part in a collective reflection to find a better outcome. The
aim is to enable novices “to extrapolate into real life the actions [they have] rehearsed in the practice of theatre”
(Boal, 1995, p.40).” (Lemarchand-Chauvin, 2020)
572
colère ou la syntaxe de irriter, il faudrait aussi enseigner ce qu’est « la colère en
français». « Faire une colère en bon français » (en acceptant l’ambiguïté de
l’expression), est une activité interactionnelle qui demande l’articulation de beaucoup
de compétences. Premièrement, faire une colère répond à une vision du monde ; la
colère se justifie par une description de son motif, une personne qui a eu un
comportement inadmissible envers vous ; inadmissible, cela veut dire contraire à des
valeurs partagées, un mode de relation estimé normal, etc. Deuxièmement, la colère
se signifie aux partenaires, au sens que nous avons donné plus haut à signifier, par une
façon de poser sa voix, son corps, ses gestes, etc. Troisièmement, la colère suppose un
projet interactionnel qui doit être rendu perceptibles aux participants, qu’il s’agisse
d’impressionner l’adversaire et d’obtenir sa rétractation ou d’empathiser avec son
interlocuteur — étant bien entendu que toutes ces activités multi-modales doivent être
pilotées en coordination avec le feed back des partenaires. Bref, l’émotion est une belle
occasion d’activité collective.
Parvenir à mettre en scène certaines émotions à l’instar de la colère peut être un atout,
notamment pour réguler la classe. On pourra alors entraîner les enseignants novices à faire
des « colères pédagogiques » (Plantin, 2020, conversation privée).
Passer par le dessin et notamment par le portrait, à l’instar de ce que propose Coffey (2015)
permettrait de mener avec les novices un travail intéressant sur les métaphores (Grancolas &
Vasseur, 1999 ; Coffey, 2015). Il serait alors possible par la suite de travailler, en entretien
individuel ou en groupe, à la déconstruction des stéréotypes en prenant appui sur les
différentes productions des novices, ainsi que sur leurs expériences de terrain.
Les deux propositions suivantes s’adressent tant aux PS qu’aux enseignants en formation
continuée.
573
• La vidéo-formation
Les participants à mon travail de recherche ont tous plébiscité les EAC qu’ils ont jugés
être un moyen efficace pour prendre conscience de leurs atouts et points à renforcer (erreurs
et/ou carences). Ceci leur a permis d’échafauder des plans de progression. Dorine et Marie
ont ainsi progressé de façon spectaculaire et ont toutes deux dit ressentir alors de la sérénité180,
émotion culturellement associée à une valence positive mais dont la définition est très proche
de ce que Piolat et Bannour qualifie d’« impassibilité ». Pourrait-on conclure que les EAC
leur ont permis d’apaiser leurs émotions exacerbées ?
Dans le cadre de la formation initiale et continuée, les PS, T1 et T2 volontaires pourraient être
filmés en classe pour pouvoir ensuite participer à des EAC en suivant le modèle ÉmoDÉRÉ.
Avec l’autorisation des participants, une base de données sécurisée pourrait être élaborée afin
de permettre aux enseignants partie prenante d’observer d’autres situations de classe et d’y
réagir, seuls ou en groupe, toujours en entrant par les émotions. Des groupes de réflexions
pourraient être organisés afin de faire émerger la co-construction de pistes de remédiation.
• Communautés de pratique
Lave et Wenger (1991) définissent les communautés de pratique comme :
un réseau social persistant et actif d’individus qui partagent et développent un fonds de
connaissances, un ensemble de croyances, de valeurs, une histoire et des expériences
concentrées sur une pratique commune et/ou une entreprise commune.
Ces espaces de réflexion des enseignants à tous les stades de leur carrière sont des atouts pour
les enseignants novices. J’ai lancé la communauté English Think Tank en 2020 dans
l’académie de Créteil à titre expérimental. Elle a pour ancrage le partage des émotions et
l’écoute empathique (Rimé, 2005) qui a permis l’instauration d’une cohésion de groupe, un
sentiment d’appartenance et contribué au bien-être de chacun. Les enseignants –
principalement novices accompagnés de quelques enseignants plus expérimentés – y
conçoivent ensemble la démarche didactique des projets qu’ils mettent ensuite en œuvre dans
leurs établissements. La co-observation entre pairs est favorisée afin de bénéficier d’un feed-
180
Pour rappel, voici la définition que le CNRTL en donne : « état d’une personne qui, par sa sagesse et son
expérience, reste insensible aux troubles, aux préoccupations de l’existence »
574
back bienveillant. Cette communauté permet aux novices d’entrer dans la profession en se
sentant soutenus, et donc soulagés du stress et de l’angoisse que représentent la prise en charge
de classes en autonomie.
S’engager et travailler dans le cadre de communautés de pratique permettrait-il donc d’alléger
l’intensité des émotions ressenties par les enseignants d’anglais et notamment par les
novices ? Quel impact ces communautés de pairs ont-elles sur la construction des gestes
professionnels et l’identité professionnelle ? Ce pan de la recherche sur la question des
émotions demeure inexploré et constitue une perspective de recherche pour l’avenir.
575
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Liste des figures
Figure 1.1. Continuum de formation ....................................................................................................23
Figure 1.2. Frise récapitulative de la formation des PS depuis 1808 ...................................................31
Figure 2.1. Organisation d’une salle en autobus ..................................................................................70
Figure 2.2. Organisation d’une salle en U ou double U .......................................................................71
Figure 2.3 - Organisation d’une salle en îlots ......................................................................................71
Figure 2.4. Méthodes et approches de l'enseignement de l'anglais (d’après Tardieu, 2008, 2014) ....77
Figure 2.5. Typologie des profils d'enseignant (Ehrhart, 2002, p. 1417) ............................................87
Figure 2.6. Les stratégies d'appui (d’après Causa, 1996, p. 6) ............................................................90
Figure 3.1. La théorie périphéraliste de James d'après Belzung (2007, p. 73) ..................................115
Figure 3.2. Théorie des émotions de Lazarus. D'après le schéma de Belzung (2007, p. 83) .............117
Figure 3.3. Courbe avec modification de l'état de fond (Plantin, 2001, p. 124) ................................124
Figure 3.4. Place de la surprise dans l'épisode émotionnel (Plantin, 2015, p. 9) ...............................125
Figure 3.5. Modèle multi-dimensionnel des émotions (Plutchik, 1982, p. 539)................................129
Figure 3.6. Dyades primaires formées à partir de la combinaison de paires adjacentes d'émotions
primaires (Plutchik, 1982, p. 540)......................................................................................................131
Figure 3.7. Le modèle de circomplexe en 2 dimensions (roue des émotions) de Plutchik (1980) ....131
Figure 3.8. Le domaine conceptuel des émotions de Shaver et al. (1987 : 1067) repris et traduit par De
Bonis (1996, p. 26).............................................................................................................................133
Figure 3.9. Décalage de script initial/réalisation et impact de l'émotion sur le discours ...................135
Figure 4.1. Continuum de l'épisode de colère selon Aristote ............................................................142
Figure 4.2. Continuum de l'épisode de colère selon Descartes ..........................................................144
Figure 4.3. Continuum des 5 étapes de la colère d'après Kövecses (2000, p. 161) ...........................152
Figure 4.4. Arbre de décision de la colère d'après Lazarus (1991, p. 222-226).................................154
Figure 4.5. Le parcours émotionnel (Plantin, 2015, p. 10) ................................................................164
Figure 4.6. Branche et ramifications (dyades primaires, secondaires, tertiaires) de la colère chez
Plutchik (mon schéma).......................................................................................................................169
Figure 4.7. Analyse de l'émotion colère, extrait tiré de Shaver et al. (1987) .....................................170
Figure 4.8. Branche et ramification de la colère d'après Shaver et al. (1987) traduction française de
Cosnier (1994, p. 45)..........................................................................................................................171
Figure 4.9. Arbre de décision de la joie d'après Lazarus (1991, p. 267-268) ....................................189
Figure 4.10. Branche et ramification (dyades primaires, secondaires, tertiaires) de la joie chez Plutchik
(mon schéma) .....................................................................................................................................198
Figure 4.11. Analyse de l'émotion joie, extrait tiré de Shaver et al. (1987).......................................200
597
Figure 4.12. Branche et ramification de la joie d'après Shaver et al. (1987), traduction française de
Cosnier (1994, p. 44)..........................................................................................................................201
Figure 5.1. Phase 1 de la recherche ....................................................................................................217
Figure 5.2. 2017-2018, phase 2, recherche compréhensive sur le terrain ..........................................220
Figure 5.3. 2018-2019, phase 3, vers une recherche interventionniste ..............................................222
Figure 5.4. 2019-2020, fin de la phase 3 de la recherche ..................................................................223
Figure 5.5. Les enjeux l'intégrité scientifique, carte heuristique tirée du MOOC "Intégrité scientifique
dans les métiers de la recherche", 2018, Université de Bordeaux, FUN MOOC. .............................224
Figure 5.6. Enseignants novices des études de cas ............................................................................236
Figure 6.1. Questionnaire destiné aux PS de C1 (2016-17), consignes .............................................245
Figure 6.2. Extrait du questionnaire : les émotions............................................................................247
Figure 6.3. Extrait du questionnaire : un journal à la première personne ..........................................247
Figure 6.4. Extrait du questionnaire : cases à cocher et questions ouvertes ......................................249
Figure 6.5. Extrait du questionnaire : exemple d'énoncé lacunaire ...................................................249
Figure 6.6. Extrait du questionnaire : type de questions (suite) .........................................................249
Figure 6.7. Représentation de l'organisation du lexique de l'émotion et de l'affect sous forme de roue
(publiée sur le site du Centre de Recherche en Psychologie de Connaissance, du Langage et de
l'Emotion, EA3273, d'Aix Marseille Université) ...............................................................................264
Figure 6.8. Exemple d'"émotions non spécifiées" répertoriées par EMOTAIX ................................265
Figure 6.9. Modèle de classement des émotions, EMOTAIX (Piolat & Bannour, 2008) .................267
Figure 6.10. Le modèle ALACT décrivant un processus de réflexion structuré (Korthagen & Vasalos,
2005, p. 49) ........................................................................................................................................276
Figure 6.11. Interventions d'un accompagnant liées au modèle ALACT (Korthagen & Kessels, 1999,
p. 13) ..................................................................................................................................................276
Figure 6.12. Le modèle de réflexivité ÉmoDÉRÉ .............................................................................279
Figure 6.13. Les deux phases de l'EAC : le visionnage et l'entretien ................................................280
Figure 6.14. Les modalités de recueil des données de la recherche...................................................282
Figure 7.1. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des cohortes 1 à 4 ....................295
Figure 7.2. Les six émotions les plus fréquemment citées par les T1 de C0, C1, C2 et C3 ..............321
Figure 7.3. Ratios des émotions à valence négatives/positive/neutre des T1 des cohortes 0 à 3.......321
Figure 7.4. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des T2 des cohortes 0 à 2 ........326
Figure 7.5. Évolution du pourcentage des émotions à valence négative sur 4 ans ............................335
Figure 7.6. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des T5 ......................................337
Figure 7.7. Évolution du pourcentage des émotions à valence négative sur 4 ans ............................338
Figure 7.8. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des EXPERTS 2016 et 2019 ...345
598
Figure 7.9. Ratios des émotions à valence négative/positive/neutre des enseignants expérimentés hors
IDF (juin et novembre 2019) .............................................................................................................353
Figure 7.10. Réglet de mesure du décalage script/réalisation ............................................................364
Figure 8.1. Ratio émotions à valence négative/positive de Cécilia, PS de C3...................................371
Figure 8.2. Consignes données au début des e-journal de bord pédagogiques ..................................374
Figure 8.3. Extrait du e-journal de bord de Cécilia PS C3.................................................................375
Figure 8.4. Ratio émotions à valence positive/négative/non spécifiée et impassibilité relevées par
EMOTAIX dans l’e-JdBP de Cécilia .................................................................................................376
Figure 8.5. Capture de vidéo “Can you stand up?” et transcription du segment ...............................386
Figure 8.6. Schéma de l’émergence de la contrariété. Épisode émotionnel 1, Cécilia PS C3 ...........388
Figure 8.7. Extrait de l’EAC de l’épisode 1, Cécilia PS C3. .............................................................389
Figure 8.8. Capture de vidéo “Est-ce que tu peux s’il-te-plaît …” et transcription du segment .......390
Figure 8.9. Schéma de l’émergence de la contrarié. Épisode émotionnel 2, Cécilia PS C3 ..............391
Figure 8.10. Capture de vidéo “So Inès, can you make a sentence ? » et transcription du segment .395
Figure 8.11. Schéma de l’émergence de la contrarié. Épisode émotionnel 3, Cécilia PS C3 ............396
Figure 8.12. Capture de vidéo “Jérémy, stop talking!” et transcription du segment .........................398
Figure 8.13 - Schéma de l’émergence de la colère. Épisode émotionnel 4, Cécilia PS C3 ...............399
Figure 8.14 - Capture de vidéo “Apply ! » et transcription du segment ............................................401
Figure 8.15 - Schéma de l’émergence de la joie. Épisode émotionnel 5, Cécilia PS C3 ...................402
Figure 8.16 - Capture de vidéo “Very good ! » et transcription du segment .....................................405
Figure 8.17 - Schéma de l’émergence de la joie et du soulagement. Épisode émotionnel 6, Cécilia PS
C3 .......................................................................................................................................................406
Figure 8.18. Ratio émotions à valence négative/positive de Dorine, PS de C3 .................................409
Figure 8.19. Extrait de l’e-journal de bord de Dorine PS C3 (verbatim non corrigé) .......................411
Figure 8.20. Ratio émotions à valence positive/négative/non spécifiée et impassibilité relevées par
EMOTAIX dans l’e-JdBP de Dorine .................................................................................................412
Figure 8.21. Ratio des émotions à valence négative/positive à partir du recensement des noms
d’émotions cités dans l’e-JdBP de Dorine .........................................................................................413
Figure 8.22. Capture de vidéo “eh eh eh ! » et transcription du segment ..........................................424
Figure 8.23. Schéma de l’émergence de l’énervement. Épisode émotionnel 1, Dorine PS C3 .........425
Figure 8.24. Extrait de l’EAC de l’épisode 1, Dorine PS C3. ...........................................................426
Figure 8.25. Capture de vidéo “Alors on se tait ! » et transcription du segment ...............................427
Figure 8.26. Courbes des épisodes émotionnels d’après Plantin .......................................................429
Figure 8.27. Schéma de l’émergence de la colère. Épisode émotionnel 2, Dorine PS C3 ................429
Figure 8.28. Capture de vidéo “Eunice, j’te dérange ?» et transcription du segment .......................431
599
Figure 8.29. Schéma de l’émergence de la colère. Épisode émotionnel 3, Dorine PS C3 ................433
Figure 8.30. Capture de vidéo « Taha, tu te réveilles !» et transcription du segment........................435
Figure 8.31. Schéma de l’émergence de la colère. Épisode émotionnel 4, Dorine PS C3 ................436
Figure 8.32. Capture de vidéo “good!» et transcription du segment .................................................438
Figure 8.33. Schéma de l’émergence de la joie. Épisode émotionnel 5, Dorine PS C3 ....................439
Figure 8.34. Ratio émotions à valence négative /positive de Marie, PS de C2 .................................444
Figure 8.35. Ratio émotions à valence négative /positive de Marie, T1 de C2 .................................448
Figure 8.36. Ratio émotions à valence positive/négative/non spécifiée et impassibilité relevées par
EMOTAIX dans l’e-JdBP de Marie (PS C2) .....................................................................................453
Figure 8.37. Capture d’écran de l’e-JdBP de Marie, PS C2 ..............................................................454
Figure 8.38. Ratio émotions à valence négative/positive/neutre dans l’e-JdBP de Marie PS C2 ......459
Figure 8.39. Capture de vidéo “developed » et transcription du segment .........................................472
Figure 8.40. Schéma de l’émergence de l’émotion « excédée ». Épisode émotionnel 1, Marie PS C2
............................................................................................................................................................474
Figure 8.41. Capture de vidéo “I’m going to separate you” et transcription du segment ..................475
Figure 8.42. Schéma de l’émergence de les émotions « excédée » et « troublée ». Épisode émotionnel
2, Marie PS C2 ...................................................................................................................................477
Figure 8.43. Transcription du segment audio « mais c’est never you » ............................................478
Figure 8.44. Schéma de l’émergence de l’émotion « agacement profond ». Épisode émotionnel 3,
Marie PS C2 .......................................................................................................................................479
Figure 8.45. Capture de vidéo “This is not plastical art here” et transcription du segment...............481
Figure 8.46. Schéma de l’émergence de l’émotion « énervement ». Épisode émotionnel 4, Marie PS
............................................................................................................................................................482
Figure 8.47. Capture de vidéo “talking ! Chat, chat, chat !” et transcription du segment, Marie T1 C2
............................................................................................................................................................483
Figure 8.48. Schéma de l’émergence de l’émotion « (auto-) énervement ». Épisode émotionnel 5,
Marie T1C2 ........................................................................................................................................485
Figure 8.49. Capture de vidéo « bravo» et transcription du segment, Marie PS C2 ..........................487
Figure 8.50. Capture d’écran EAC Marie, PS C2, expression corporelle des émotions....................488
Figure 8.51. Extrait de l’EAC Marie, PS C2 .....................................................................................488
Figure 8.52. Schéma de l’émergence des émotions « amour, fierté, joie ». Épisode émotionnel 5, Marie
PS C2..................................................................................................................................................489
Figure 8.53. Capture de vidéo « louder for everyone !» et transcription du segment, Marie PS C2 .490
Figure 8.54. Schéma de l’émergence de l’émotion « contente ». Épisode émotionnel 6, Marie PS C2
............................................................................................................................................................491
600
Figure 8.55. Capture de vidéo « Brilliant ! Ah ouais ! Ah !» et transcription du segment, Marie T1 C2
............................................................................................................................................................492
Figure 8.56. Schéma de l’émergence de l’émotion « joie ». Épisode émotionnel 7, Marie T1 C2 ...494
Figure 8.57. Capture de vidéo « YES! VERY GOOD! » et transcription du segment, Marie T1 C2
............................................................................................................................................................495
Figure 8.58. Schéma de l’émergence de l’émotion « fierté ». Épisode émotionnel 8, Marie T1 C2 .495
Figure 8.59. Ratio émotions à valence négative/positive d’Antoine, PS de C1 ................................502
Figure 8.60. Ratio émotions à valence négative /positive d’Antoine, T1 de C1 ...............................505
Figure 8.61. Ratio émotions à valence négative/positive d’Antoine, T2 de C1 ................................507
Figure 8.62. Ratio émotions à valence positive/négative/impassibilité relevées par EMOTAIX dans le
JdBP d’Antoine (PS C1) ....................................................................................................................510
Figure 8.63. Ratio émotions à valence positive/négative/ impassibilité relevées par EMOTAIX dans le
JdBP d’Antoine (T1 C1) ....................................................................................................................520
Figure 8.64. Capture de vidéo « Oh, oh ! Allo !» et transcription du segment, Antoine T1 C1 ........531
Figure 8.65. Schéma de l’émergence des émotions « agacement, énervement et perte de patience ».
Épisode émotionnel 1, Antoine T1 C1 ...............................................................................................532
Figure 8.66. Capture de vidéo « ça avait été fait n’importe comment » et transcription du segment,
Antoine T1 C1....................................................................................................................................534
Figure 8.67. Schéma de l’émergence des émotions « Frustration et déception ». Épisode émotionnel 2,
Antoine T1 C1....................................................................................................................................535
Figure 8.68. Capture de vidéo « ça commence mal » et transcription du segment, Antoine T2 C1..537
Figure 8.69. Schéma de l’émergence des émotions « agacement et déception ». Épisode émotionnel 3,
Antoine T2 C1 ....................................................................................................................................538
Figure 8.70. Capture de vidéo « vous décalez » et transcription du segment, Antoine T2 C1 ..........540
Figure 8.71. Les différents scripts et sous-scripts interrompus lors de l’épisode 4 ...........................542
Figure 8.72. Schéma de l’émergence des émotions « énervement, déception et « boules » ». Épisode
émotionnel 4, Antoine T2 C1 .............................................................................................................542
Figure 8.73. Capture de vidéo « vous n’jouez pas le jeu » et transcription du segment, Antoine T2 C1
............................................................................................................................................................545
Figure 8.74. Schéma de l’émergence des émotions « colère et déception ». Épisode émotionnel 5,
Antoine T2 C1....................................................................................................................................546
Figure 8.75. Courbes des épisodes émotionnels d’Antoine, d’après Plantin .....................................548
Figure 8.76. Capture de vidéo « okay good ! Past ! » et transcription du segment, Antoine T1 C1 .549
Figure 8.77. Schéma de l’émergence des émotions « joie, fierté, satisfaction ». Épisode émotionnel 6,
Antoine T1 C1....................................................................................................................................550
601
Figure 8.78. Capture de vidéo « excellent! » et transcription du segment, Antoine T1 C1 ...............551
Figure 8.79 - Schéma de l’émergence des émotions « joie, fierté, satisfaction ». Épisode émotionnel 7,
Antoine T1 C1....................................................................................................................................552
Figure 8.80. Rappel du modèle ÉmoDÉRÉ .......................................................................................559
602
Liste des tableaux
Tableau 2.1. D’après Honikman dans Abercrombie, Fry, MacCarthy, Scott & Trim, 1964, p. 81 .....69
Tableau 2.2. Typologies d’erreurs selon Coudurier (1987), Schanen & Confais (1986), Larson
Freeman & Long (1991) et Huart (2002) .............................................................................................75
Tableau 2.3. Erreurs en anglais recensées dans les rapports de jury du CAPES externe d’anglais de
2018 ......................................................................................................................................................76
Tableau 2.4. Typologie des erreurs présentes dans le discours des enseignants d’anglais novices.....77
Tableau 2.5. Caractéristiques des cinq dernières méthodes et approches de l’enseignement de l’anglais
et impact sur le positionnement et le discours de l’enseignant (d’après Tardieu (2014, 2008), Quivy &
Tardieu (2002) ; Puren & Galisson (1988) ; Germain (1993)..............................................................80
Tableau 2.6. Place du français dans les I.O. de 1996, 2015, 2019 et dans le volume complémentaire du
CECRL (2018) .....................................................................................................................................84
Tableau 2.7. Récapitulatif des types d’alternances codiques et des nomenclatures retenues. .............86
Tableau 2.8. Types, descriptions et objectifs des stratégies d’appui (d’après Causa, 1996, p. 8-9) ....92
Tableau 2.9. Récapitulatif des fonctions de l’alternance codique en cours et des nomenclatures retenues
..............................................................................................................................................................94
Tableau 3.1. Définitions et caractéristiques des émotions tirées des dictionnaires et encyclopédies 112
Tableau 3.2. Théories et émotions et leurs descriptions associées (d’après Belzung, 2007, p. 112).118
Tableau 3.3. Listes des émotions de bases .........................................................................................122
Tableau 4.1. Définitions de colère/anger tirées des dictionnaires .....................................................141
Tableau 4.2. Extrait du tableau “Three languages that may be used to describe emotional states”
(Plutchik, 1982, p. 535) ......................................................................................................................148
Tableau 4.3. Extrait du tableau « Different languages for the description of emotion » (Plutchik, 1982,
p. 547) ................................................................................................................................................148
Tableau 4.4. Construction et interprétation de la colère dans la parole d’après Plantin (dans André et
al., à paraître). ....................................................................................................................................150
Tableau 4.5. Synonymes du substantif colère dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le
Robert, CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes ........................................158
Tableau 4.6. Synonymes du substantif anger dans les dictionnaires en ligne Thesaurus, Merriam-
Webster, Collins et Roget’s Thesaurus ..............................................................................................158
Tableau 4.7. Liste des verbes liés à colère dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le Robert,
CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes .....................................................159
Tableau 4.8. Synonymes des verbes liés à anger dans les dictionnaires en ligne Thesaurus, Merriam-
Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus .............................................................................................160
603
Tableau 4.9. Liste des adjectifs liés à colère dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le
Robert, CNRTL, le Littré, Dictionnaire Électronique des Synonymes et lexique associé aux émotions
de base ................................................................................................................................................161
Tableau 4.10. Liste des adjectif synonyme de « angry » dans les dictionnaires en ligne Thesaurus,
Merriam-Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus ..............................................................................161
Tableau 4.11. Liste des expressions en lien avec la colère dans les dictionnaires en ligne Cordial,
Larousse, Le Robert, CNRTL, le Littré , le Dictionnaire Électronique des Synonymes et Reverso ..163
Tableau 4.12. Liste des expressions en lien avec anger dans les dictionnaires papier et en ligne
Thesaurus, Merriam-Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus ...........................................................163
Tableau 4.13. Classification des interjections d’après Ameka, 1992, p. 113-114 .............................167
Tableau 4.14. « Petits mots de la colère » d’après Bouchard (2000), Plantin (2015) et Ameka (1992)
............................................................................................................................................................167
Tableau 4.15. Émotions obtenues à partir du mélange de la colère et d’une autre émotion, d’après
Plutchik, 1991, p. 118. .......................................................................................................................168
Tableau 4.16. Émotions obtenues à partir du mélange de la colère et d’une autre émotion, d’après
Plutchik, 1991, p. 118 (ma traduction)...............................................................................................169
Tableau 4.17. Typologie du lexique en lien avec colère/anger .........................................................174
Tableau 4.18. Trame du schéma à suivre pour reconstituer le script prototypique d’une situation
émotionnante (d’après Plantin, 2011, p. 233) ....................................................................................175
Tableau 4.19. Relevé des événements déclencheurs de la colère (revue de littérature) ....................177
Tableau 4.20. Typologie des événements déclencheurs de la colère .................................................181
Tableau 4.21. Définitions de joie/joy tirées des dictionnaires ...........................................................184
Tableau 4.22. Synonymes du substantif joie dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le
Robert, CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes ........................................191
Tableau 4.23. Synonymes du substantif joy dans les dictionnaires en ligne Thesaurus, Merriam-
Webster, Collins et Roget’s Thesaurus ..............................................................................................192
Tableau 4.24. Liste des verbes liés à joie dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le Robert,
CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes....................................................194
Tableau 4.25. Liste des verbes synonymes de “be angry”/ “rejoice” dans les dictionnaires en ligne
Thesaurus, Merriam-Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus ...........................................................194
Tableau 4.26. Liste des adjectifs liés à joie dans les dictionnaires en ligne Cordial, Larousse, Le Robert,
CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes....................................................195
Tableau 4.27. Liste des adjectif synonyme de “angry” dans les dictionnaires en ligne Thesaurus,
Merriam-Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus ..............................................................................195
604
Tableau 4.28. Liste des expressions en lien avec la joie dans les dictionnaires en ligne Cordial,
Larousse, Le Robert, CNRTL, le Littré et le Dictionnaire Électronique des Synonymes ..................196
Tableau 4.29. Liste des expressions en lien avec joy dans les dictionnaires papier et en ligne Thesaurus,
Merriam-Webster, Collins, et Roget’s Thesaurus ..............................................................................196
Tableau 4.30. Émotions obtenues à partir du mélange de « joy » et d’une autre émotion, d’après
Plutchik, 1991, p. 118 ........................................................................................................................197
Tableau 4.31. Émotions obtenues à partir du mélange de « joie » et d’une autre émotion, d’après
Plutchik, 1991, p. 118 (ma traduction)...............................................................................................197
Tableau 4.32. Typologie du lexique en lien avec joie/joy .................................................................204
Tableau 4.33. Trame du schéma à suivre pour reconstituer le scénario prototypique d’une situation
émotionnante (d’après Plantin, 2011, p. 233) ....................................................................................204
Tableau 4.34. Relevé des événements déclencheurs de la joie (revue de littérature) ........................207
Tableau 4.35. Typologie des événements déclencheurs de la joie.....................................................210
Tableau 5.1. Détail de la participation d’enseignants novices à la deuxième phase de la recherche 220
Tableau 5.2. Définitions de l’article 4 du RGPD (2018) ...................................................................227
Tableau 5.3. Répondants au questionnaire 2016................................................................................232
Tableau 5.4. Répondants au questionnaire 2017................................................................................233
Tableau 5.5. Répondants au questionnaire 2018................................................................................233
Tableau 5.6. Répondants au questionnaire 2019 issus de l’académie de Créteil ...............................234
Tableau 5.7. Répondants issus d’académies autres que Paris-Créteil-Versailles (juin 2019) ...........234
Tableau 5.8. Répondants issus d’académies autres que Paris-Créteil-Versailles (novembre 2019)..234
Tableau 5.9. Prénoms des PS de C1 et état de leur participation aux expérimentations en cours .....235
Tableau 5.10. Prénoms des T1 de C1 et des PS de C2 et état de leur participation aux expérimentations
en cours ..............................................................................................................................................235
Tableau 5.11. Les enseignants novices de C1, C2 et C3 volontaires pour suivre le protocole..........236
Tableau 5.12. Présentation synthétique des quatre enseignants des études de cas ............................237
Tableau 6.1. Phase 1 : objectifs du questionnaire et outils d’analyse ................................................245
Tableau 6.2. Typologie des éléments déclencheurs d'émotions à valences négative et positive, et liste
d’exemples de situations ....................................................................................................................254
Tableau 6.3. Synthèse des différents écrits réflexifs d’après Guichon (2009), De Cock (2007) et
Berchoud (2002) ................................................................................................................................257
Tableau 6.4. Les objets d’écriture relatifs à l’acte d’enseigner, à l’acte d’apprendre, et aux acteurs (De
Cock, 2007, p. 43) ..............................................................................................................................258
Tableau 6.5. Modalités, objectifs et outils, phase 1 ...........................................................................259
Tableau 6.6. Critères pour la reconstitution des scripts prototypiques enseignant ............................268
605
Tableau 6.7. Schéma suivi pour reconstituer le script prototypique d’une situation émotionnante
(d’après Plantin, 2011, p. 233-234)....................................................................................................269
Tableau 6.8. Phases 2 & 3 : objectifs des captations de cours et outils d’analyse .............................272
Tableau 6.9. Grille de reconstitution d’un scénario pédagogique......................................................273
Tableau 6.10. Liste des questions permettant d’accéder à la réflexivité (d’après Korthagen & Kessels,
1999, p. 14) et adaptation en français ................................................................................................277
Tableau 6.11. Questions retenues pour les EAC et correspondance avec les phases du modèle ALACT
............................................................................................................................................................278
Tableau 6.12. Phases 2 & 3 : objectifs des EAC et outils d’analyse .................................................281
Tableau 7.1. Profils des répondants de l’académie de Créteil et nombre des réponses aux questionnaires
de 2016 à 2019 ...................................................................................................................................286
Tableau 7.2. Profils de répondants hors académies franciliennes et nombre de réponses aux
questionnaires en juin et novembre 2019 ...........................................................................................286
Tableau 7.3. Exemples d’occurrence du mot « anglais »...................................................................288
Tableau 7.4. Exemples d’occurrences des mots « didactique » et « pédagogie/pédagogique » ........289
Tableau 7.5. Recensement de termes spécifiques à la didactique des langues et de l’anglais présents
dans les réponses des PS ....................................................................................................................291
Tableau 7.6. Exemples d’alternance codique intraphrastique............................................................291
Tableau 7.7. Les dix émotions les plus fréquemment citées par les PS de C1, C2, C3 et C4 ...........292
Tableau 7.8. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires et ratio 297
Tableaux 7.9. Déclencheurs de la colère des PS ................................................................................299
Tableaux 7.10. Liens scripts prototypiques et colère .........................................................................305
Tableau 7.11. Analyse d’un épisode de colère...................................................................................306
Tableau 7.12. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires et ratio ..306
Tableaux 7.13. Déclencheurs de la joie .............................................................................................308
Tableau 7.14. Adéquation scripts prototypiques et réalisation entrainant la joie ..............................312
Tableaux 7.15. Décalage ou dépassement scripts prototypiques et réalisation entrainant la joie......315
Tableau 7.16. Analyse d’un épisode de joie ......................................................................................316
Tableau 7.17. Le partage des émotions par les PS .............................................................................317
Tableau 7.18. Le partage de la colère par les PS ...............................................................................318
Tableau 7.19. Le partage de la joie par les PS ...................................................................................318
Tableau 7.20. Les principaux déclencheurs de la colère : comportement inadapté des élèves et doute
en sa capacité à enseigner ..................................................................................................................319
Tableau 7.21. Les principaux déclencheurs de la joie .......................................................................319
606
Tableau 7.22. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des T1 et
ratio. ...................................................................................................................................................322
Tableaux 7.23. Les déclencheurs de la colère chez les T1 ................................................................323
Tableau 7.24. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires et ratio ..324
Tableaux 7.25. Les déclencheurs de la joie chez les T1 ....................................................................325
Tableau 7.26. Les T2 répondants au questionnaire............................................................................325
Tableaux 7.27. Les six émotions les plus fréquemment citées par les T2 de C0, C1 et C2 ..............326
Tableau 7.28. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des T2 et
ratio. ...................................................................................................................................................327
Tableaux 7.29. Les déclencheurs de la colère chez les T2 ................................................................327
Tableau 7.30. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires des T2 et
ratio. ...................................................................................................................................................328
Tableaux 7.31. Les déclencheurs de la joie chez les T2 ....................................................................329
Tableau 7.32. Partage des épisodes émotionnels cités par les T1 ......................................................332
Tableau 7.33. Partage des épisodes émotionnels cités par les T2 ......................................................332
Tableau 7.34. Ratios des émotions à valence négative / positive / neutre des T3 de C1 ...................333
Tableau 7.35. Les 5 émotions les plus citées par les T3 de C1..........................................................333
Tableaux 7.36. Les déclencheurs de la colère et de la joie ................................................................334
Tableau 7.37. Les six émotions les plus citées par les T5+ de 2016 et 2019.....................................337
Tableau 7.38. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des T5+ et
ratio. ...................................................................................................................................................338
Tableau 7.39. Les déclencheurs de la colère des T5+........................................................................339
Tableau 7.40. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires des T5+ et
ratio. ...................................................................................................................................................339
Tableau 7.41. Les déclencheurs de la joie des T5+ ...........................................................................340
Tableau 7.42. Les six émotions les plus citées par les EXPERTS 2016 et 2019...............................344
Tableau 7.43. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des
EXPERTS 2016 et 2019 et ratio. .......................................................................................................345
Tableaux 7.44. Les déclencheurs de la colère des EXPERTS 2016 et 2019 .....................................346
Tableau 7.45. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires des
EXPERTS et ratio ..............................................................................................................................347
Tableau 7.46. Les déclencheurs de la joie des EXPERTS 2016 et 2019 ...........................................348
Tableau 7.47. Les partages des épisodes émotionnels des EXPERTS ..............................................349
Tableau 7.48. Profils des répondants aux questionnaires hors Ile de France en juin et novembre 2019
............................................................................................................................................................351
607
Tableau 7.49. Académie d’origine des répondants de 2019 ..............................................................352
Tableau 7.50. Les six émotions les plus citées par les enseignants hors Ile de France (IDF) en 2019
............................................................................................................................................................353
Tableau 7.51. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les questionnaires des
enseignants hors IDF (juin et novembre) 2019 et ratio. .....................................................................354
Tableau 7. 52. Déclencheurs de la colère des enseignants hors Ile de France (juin et novembre 2019)
............................................................................................................................................................355
Tableau 7.53. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les questionnaires des
enseignants hors IDF (juin et novembre) 2019 et ratio......................................................................357
Tableau 7.54. Déclencheurs de la joie des enseignants hors Ile de France (juin et novembre 2019) 358
Tableau 7.55. Procédés linguistiques et paralinguistiques contribuant à jouer l’émotion « frustration »
............................................................................................................................................................360
Tableau 7.56. Argumentation de la colère de Galadriel ....................................................................361
Tableau 8.1. Rappel des profils des participants aux études de cas ...................................................368
Tableau 8.2. Organisation des analyses des quatre études de cas ......................................................370
Tableau 8.3. Liste des émotions citées par Cécilia réparties par valence + nombre d’occurrences ..371
Tableau 8.4. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans les réponses au questionnaire
de Cécilia (PS de C3) et ratio. ............................................................................................................372
Tableau 8.5. Les déclencheurs de la colère de Cécilia PS de C3 .......................................................372
Tableau 8.6. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans les réponses au questionnaire de
Cécilia (PS de C3) et ratio..................................................................................................................373
Tableau 8.7. Les déclencheurs de la joie de Cécilia PS de C3 ..........................................................373
Tableau 8.8. Liste des émotions de registre de la colère présentes dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3
............................................................................................................................................................377
Tableau 8.9. Les déclencheurs de la colère cités dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3 .......................378
Tableau 8.10. Scripts prototypiques et colère dans l’e-JdB de Cécilia ..............................................379
Tableau 8.11. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3
............................................................................................................................................................380
Tableau 8.12. Les déclencheurs de la joie citées dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3 .......................380
Tableau 8.13. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3. Cas d’adéquation
script/réalisation .................................................................................................................................382
Tableau 8.14. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Cécilia PS de C3. Cas de décalage
script/réalisation .................................................................................................................................383
Tableaux 8.15. Partage des épisodes émotionnels cités par Cécilia dans son e-JdBP .......................383
Tableau 8.16. Rappel du modèle ÉmoDÉRÉ et du questionnement mené durant les EAC ..............384
608
Tableau 8.17. Analyse du segment 1 de Cécilia avec le modèle de Plantin ......................................387
Tableau 8.18. Analyse du segment 2 de Cécilia avec le modèle de Plantin ......................................391
Tableau 8.19. Analyse du segment 3 de Cécilia avec le modèle de Plantin ......................................396
Tableau 8.20. Analyse du segment 4 de Cécilia avec le modèle de Plantin ......................................398
Tableau 8.21. Analyse du segment 5 de Cécilia avec le modèle de Plantin ......................................402
Tableau 8.22 – Analyse du segment 6 de Cécilia avec le modèle de Plantin ....................................405
Tableau 8.23 - Récapitulatif des épisodes émotionnels et de l’impact des émotions de la colère et de la
joie sur le discours de Cécilia ............................................................................................................407
Tableau 8.24. Organisation de l’analyse des données de Dorine, PS C3 ..........................................408
Tableau 8.25. Nature de la participation de Dorine aux expérimentations ........................................409
Tableau 8.26. Liste des émotions citées par Dorine réparties par valence + nombre d’occurrences 409
Tableau 8.27. Listes des émotions de registre de la colère présentes dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3
............................................................................................................................................................413
Tableau 8.28. Les déclencheurs de la colère cités dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3 et ratio .........414
Tableau 8.29. Scripts prototypiques et colère dans le e-JdB de Dorine.............................................416
Tableau 8.30. Listes des émotions de registre de la joie présentes dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3
............................................................................................................................................................417
Tableau 8.31. Les déclencheurs de la joie cités dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3 .........................418
Tableau 8.32. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3. Cas d’adéquation
script/réalisation .................................................................................................................................419
Tableau 8.33. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Dorine PS de C3. Cas de décalage
script/réalisation .................................................................................................................................421
Tableau 8.34. Analyse du segment 1 de Dorine avec le modèle de Plantin ......................................424
Tableau 8.35. Manifestations d’énervement entre l’épisode émotionnel 1 et l’épisode émotionnel 2.
Dorine PSC3 ......................................................................................................................................427
Tableau 8.36. Analyse du segment 2 de Dorine avec le modèle de Plantin ......................................428
Tableau 8.37. Analyse du segment 3 de Dorine avec le modèle de Plantin ......................................432
Tableau 8.38. Analyse du segment 4 de Dorine avec le modèle de Plantin ......................................436
Tableau 8.39. Analyse du segment 5 de Dorine avec le modèle de Plantin ......................................439
Tableau 8.40. Récapitulatif des épisodes émotionnels et de l’impact des émotions de la colère et de la
joie sur le discours de Dorine .............................................................................................................441
Tableau 8.41. Synthèse intermédiaire : similitudes entre Cécilia et Dorine ......................................442
Tableau 8.42. Synthèse intermédiaire : différences entre Cécilia et Dorine ......................................442
Tableau 8.43. Organisation de l’analyse des données de Marie, T1 C2 ............................................442
Tableau 8.44. Nature de la participation de Marie aux expérimentations .........................................443
609
Tableau 8.45. Listes des émotions du registre de la colère présentes dans les réponses au questionnaire
de Marie (PS de C2) et ratio...............................................................................................................444
Tableau 8.46. Les déclencheurs des émotions à valence négative et des émotions parentes de la colère
de Marie PS de C2 .............................................................................................................................445
Tableau 8.47. Liste des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses au questionnaire de
Marie (PS de C2) et ratio. ..................................................................................................................446
Tableau 8.48. Les déclencheurs des émotions parentes de la joie de Marie PS de C2 ......................446
Tableau 8.49. Listes des émotions du registre de la colère présentes dans les réponses au questionnaire
de Marie (T1 de C2) et ratio...............................................................................................................449
Tableaux 8.50. Les déclencheurs des émotions parentes de la colère de Marie T1 de C2 ................449
Tableau 8.51. Listes des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses au questionnaire
de Marie (T1 de C2) et ratio...............................................................................................................450
Tableau 8.52. Les déclencheurs des émotions parentes de la joie de Marie PS de C2 ......................451
Tableau 8.53. Listes des émotions du registre de la colère présentes dans l’e-JdBP de Marie (T1 de
C2) et ratio. ........................................................................................................................................456
Tableau 8.54. Les déclencheurs de la colère cités dans l’e-JdBP de Marie de C2 et ratio ................456
Tableau 8.55. Scripts prototypiques et colère dans le e-JdB de Marie ..............................................458
Tableau 8.56. Listes des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses à l’e-JdBP de Marie
(T1 de C2) et ratio. .............................................................................................................................460
Tableau 8.57. Les déclencheurs de la joie cités dans l’e-JdBP de Marie de C2 et ratio ....................461
Tableau 8.58. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Marie PS de C2. Cas d’adéquation
script/réalisation .................................................................................................................................463
Tableau 8.59. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Marie PS de C2. Cas de décalage script
pessimiste /réalisation ........................................................................................................................464
Tableau 8.60. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Marie PS de C2. Cas de dépassement du
script par la réalisation .......................................................................................................................466
Tableau 8.61. Indices linguistiques et paralinguistiques des émotions recensés dans l’e-JdBP de Marie,
PS C2..................................................................................................................................................471
Tableau 8.62. Partage des épisodes émotionnels cités par Marie dans son e-JdBP ...........................471
Tableau 8.63. Analyse du segment 1 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................473
Tableau 8.64. Analyse du segment 2 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................476
Tableau 8.65. Analyse du segment 3 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................479
Tableau 8.45. Analyse du segment 4 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................482
Tableau 8.67. Analyse du segment 5 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................484
Tableau 8.68. Analyse du segment 6 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................487
610
Tableau 8.69. Analyse du segment 7 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................491
Tableau 8.70. Analyse du segment 8 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................493
Tableau 8.71. Analyse du segment 9 de Marie avec le modèle de Plantin ........................................495
Tableau 8.72. Récapitulatif des épisodes émotionnels et de l’impact des émotions de la colère et de la
joie sur le discours de Marie ..............................................................................................................497
Tableau 8.73. Bilan : similitudes et différences dans les réponses au questionnaire et les e-JbBP entre
Cécilia et Dorine (PS de C3) et Marie ...............................................................................................498
Tableau 8.74. Bilan : impact des émotions parentes de la colère et de la joie sur le discours de Cécilia
et Dorine (PS de C3) et Marie (PS et T1 de C2) ................................................................................500
Tableau 8.75. Organisation de l’analyse des données de Marie, T1 C2 ............................................502
Tableau 8.76. Liste des émotions citées par Antoine (PS) réparties par valence + nombre d’occurrences
............................................................................................................................................................503
Tableau 8.77. Listes des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses au questionnaire
d’Antoine PS C1 et ratio ....................................................................................................................503
Tableau 8.78. Les déclencheurs des émotions parentes de la joie d’Antoine PS de C1 ....................504
Tableau 8.79. Liste des émotions citées par Antoine (T1) réparties par valence + nombre d’occurrences
............................................................................................................................................................505
Tableau 8.80. Scripts prototypiques et émotions parentes de la joie dans les réponses d’Antoine (T1
C1) au questionnaire de 2017.............................................................................................................506
Tableau 8.81. Liste des émotions citées par Antoine (T2) réparties par valence + nombre d’occurrences
............................................................................................................................................................507
Tableau 8.82. Les déclencheurs de la colère d’Antoine T2 C1 .........................................................508
Tableau 8.83. Scripts prototypiques et émotions parentes de la joie dans les réponses d’Antoine (T2
C1) au questionnaire de 2018.............................................................................................................509
Tableau 8.84. Détails journaux de bord Antoine PS et T1 C1 ...........................................................510
Tableau 8.85. Liste des émotions du registre de la colère présentes dans le JdBP d’Antoine (PS de C1)
et ratio ................................................................................................................................................512
Tableaux 8.86. Les déclencheurs des émotions à valence négative et de la colère cités dans l’e-JdBP
d’Antoine PS C1 ................................................................................................................................512
Tableau 8.87. Scripts prototypiques et colère dans le JdBP d’Antoine .............................................514
Tableau 8.88. Listes des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses à le JdBP d’Antoine
(PS de C1) et ratio. .............................................................................................................................516
Tableau 8.89. Les déclencheurs de la joie cités dans le JdBP d’Antoine PS de C1 et ratio ..............516
Tableau 8.90. Scripts prototypiques et joie dans le JdBP d’Antoine PS de C1. Cas d’adéquation
script/réalisation .................................................................................................................................517
611
Tableau 8.91. Scripts prototypiques et joie dans le JdBP d’Antoine PS de C1. Cas de décalage script
pessimiste /réalisation ........................................................................................................................518
Tableau 8.92. Scripts prototypiques et joie dans le JdBP d’Antoine PS de C1. Cas de dépassement du
script par la réalisation .......................................................................................................................518
Tableau 8.93. Listes des émotions du registre de la colère présentes dans le JdBP d’Antoine (T1 de
C1) et ratio. ........................................................................................................................................522
Tableaux 8.94. Les déclencheurs des émotions à valence négative et de la colère citées dans l’e-JdBP
d’Antoine T1 C1 ................................................................................................................................522
Tableau 8.95. Script prototypiques et agacement dans le JdBP d’Antoine T1 C2 ............................525
Tableau 8.96. Listes des émotions du registre de la joie présentes dans les réponses à le JdBP d’Antoine
(T1 de C1) et ratio. .............................................................................................................................526
Tableau 8.97. Les déclencheurs de la joie citées dans le JdBP d’Antoine T1 de C1 et ratio ............527
Tableau 8.98. Scripts prototypiques et joie dans l’e-JdBP de Marie PS de C2. Cas de décalage script
pessimiste /réalisation ........................................................................................................................528
Tableau 8.99. Analyse du segment 1 d’Antoine T1 avec le modèle de Plantin.................................531
Tableau 8.100. Analyse du segment 2 d’Antoine T1 avec le modèle de Plantin...............................535
Tableau 8.101. Analyse du segment 3 d’Antoine T2 avec le modèle de Plantin...............................537
Tableau 8.102. Analyse du segment 4 d’Antoine T2 avec le modèle de Plantin...............................541
Tableau 8.103. Analyse du segment 5 d’Antoine T2 avec le modèle de Plantin...............................546
Tableau 8.104. Analyse du segment 6 d’Antoine T1 avec le modèle de Plantin...............................549
Tableau 8.105. Analyse du segment 7 d’Antoine T1 avec le modèle de Plantin ...............................551
Tableau 8.106. Récapitulatif des épisodes émotionnels et de l’impact des émotions de la colère et de
la joie sur le discours d’Antoine ........................................................................................................554
Tableau 8.107. Bilan : similitudes et différences dans les réponses au questionnaire et les e-JbBP entre
Cécilia et Dorine (PS de C3), Marie et Antoine ................................................................................556
Tableau 8.108. Bilan : impact des émotions parentes de la colère et de la joie sur le discours des 4
participants aux études de cas ............................................................................................................558
Tableau CG-1 : Rappel des fonctions des outils méthodologiques ...................................................566
Tableau CG.2 : Tableau d’interprétation du Kappa de Cohen, d’après Landis et Koch (1977, p. 159-
174) ....................................................................................................................................................568
612
ANNEXES
613
L’impact de la colère et de la joie sur le discours des enseignants d’anglais
novices : une étude longitudinale dans l’académie de Créteil à partir de questionnaires, journaux
de bord, captations vidéo et entretiens d’autoconfrontation
Résumé
L’année de formation initiale est souvent rapportée comme douloureuse et riche en émotions par les professeurs
stagiaires (PS) d’anglais car leurs gestes professionnels sont encore en construction. On pourrait s’attendre à ce
que les émotions des enseignants évoluent avec l’expérience. À travers l’analyse d’un vaste corpus constitué de
questionnaires complétés par des enseignants d’anglais cristoliens à différentes étapes de leur carrière, et d’une
triangulation menée hors Ile de France, nous avons pu constater que la colère et la joie ponctuaient le quotidien
de tous les enseignants. Ces deux émotions peuvent être déclenchées par les élèves (comportement inadapté ou
investissement), l’institution (surcharge de travail ou aide et soutien) ou l’enseignant lui-même (doutes et
questionnement ou « bon cours »). Quatre études de cas ont été menées avec des enseignants d’anglais novices
(2 PS, 1 PS puis T1 et 1 PS devenu T1 puis T2), le but étant d’observer les émotions en lien avec la construction
des gestes professionnels à travers l’analyse de journaux de bord, de captations vidéo de cours et d’entretiens
d’autoconfrontation. Ce corpus a permis de comprendre comment ces émotions se construisent et de découvrir
qu’elles émergent lorsqu’il y a décalage ou adéquation entre la représentation mentale de l’enseignant ou « script
prototypique » d’une situation et sa réalisation effective. Il a aussi permis de mettre en évidence que la colère et
la joie impactent le discours des enseignants sur différents plans : linguistique, pragmatique et didactique. Les
résultats de cette recherche offrent des axes de travail tant pour la formation initiale que continu(é)e.
Mots clés : enseignants novices, anglais, émotions, colère, joie, discours, script prototypique,
formation des professeurs, didactique des langues
The impact of anger and joy on the discourse of novice teachers of English: a
longitudinal study in the Créteil academy based on questionnaires, logbooks, video recordings and
self-confrontation interviews
Abstract
The year of initial training is often reported as painful and emotional by pre-service teachers (PS) of English
because their professional gestures are still under construction. One might expect teachers' emotions to evolve
with experience. Through the analysis of a large corpus of questionnaires completed by English teachers from
the Académie de Créteil at different stages of their career, as well as through a triangulation conducted outside
of Ile de France, we were able to observe that anger and joy punctuated the daily lives of all teachers. These two
emotions can be triggered by the students (inappropriate behavior or investment), the institution (work overload
or help and support) or the teacher himself (doubts and questioning or "good lesson"). Four case studies were
conducted with novice English teachers (2 PS, 1 PS then Year 1 teacher and 1 PS then Year 1 and year 2 teacher),
the aim being to observe the emotions linked to the construction of professional gestures through the analysis of
logbooks, video recordings of lessons and self-confrontation interviews. This corpus allowed us to understand
how these emotions are constructed and to discover that they emerge when there is a discrepancy or an adequacy
between the teacher's mental representation or "prototypical script" of a situation and its actual realization. It also
revealed that anger and joy have an impact on teachers' discourse on different levels: linguistic, pragmatic and
didactic. The results of this research offer areas of work for both initial and continuing education.
Keywords: novice teachers, English, emotions, anger, joy, discourse, prototypical script,
teacher training, language didactics
614