SAN 3|16
SWI SS A I D S N E WS
MÉDECINE | SOCIÉ TÉ | DROIT
Etre gay en 2016.
Facile?
ÉDITORIAL
SAN 3|16
SW I S S A I D S N E WS
MÉDECINE | SOCIÉ TÉ | DROIT
Etre gay en 2016.
Facile?
Le photographe et artiste Patrick Mettraux a
bien voulu mettre ses talents à notre disposition pour les collages. patrickmettraux.com
IMPRESSUM
Edité par
Aide Suisse contre le Sida (ASS)
Office fédéral de la santé publique (OFSP)
Rédaction
Brigitta Javurek (jak), journaliste RP,
rédactrice en chef
Dr jur. LL. M. Caroline Suter (cs)
BLaw Cliff Egli (ce), MLaw Julia Hug (jh)
lic. phil. Stéphane Praz (sp)
Fabien Bertrand (fbe)
Nathan Schocher, chef programme personnes
vivant avec le VIH (nsch)
Andreas R. Ziegler
Alexander Bücheli
Chère lectrice,
Cher lecteur,
La Suisse n’est pas une île, mais un navire privilégié qui vogue habilement
sur les mers du monde avec des cales encore bien remplies. Son taux de
chômage est bas, le produit national brut élevé, l’interconnexion est bonne
et la protection des minorités est garantie. Est-ce à dire que tout va pour le
mieux dans le meilleur des mondes? La revue Swiss Aids News a cherché
à savoir s’il était facile d’être homosexuel en 2016 et donne ici la parole à
des auteurs engagés. Andreas Lehner parle de la campagne #undetectable
destinée aux gays, lancée voilà plus d’une année maintenant. Le chef du programme HSH à l’Aide Suisse contre le Sida explique ce que signifie «indétectable» pour les personnes séropositives, et pour les homosexuels en particulier. De son côté, Alexander Bücheli a écrit un texte engagé sur le chemsex,
expliquant pourquoi il vaut mieux aborder le phénomène de front. Quant à
Andreas Ziegler, il brosse un tableau des droits des homosexuels en Europe
et en Suisse, avec le constat que tout n’est pas toujours facile. Nous avons
également interviewé Emmanuelle Boffi au sujet de la PrEP ou prophylaxie
pré-exposition qui consiste, pour une personne séronégative, à prendre des
médicaments antirétroviraux à titre préventif pour se protéger d’une éventuelle infection par le VIH. Ci-contre, Tobias Urech décrit en toute franchise
ce que signifie être jeune et gay en 2016. Enfin la revue se termine, comme
à l’accoutumée, par les articles toujours très riches d’enseignements signés
Caroline Suter, juriste à l’ASS, consacrés en l’occurrence à la protection des
données sur internet.
A propos, la revue Swiss Aids News a eu droit à un léger lifting. Elle a gagné
en clarté et est désormais plus agréable à lire. C’est du moins notre avis.
Qu’en pensez-vous? Nous serons heureux de recueillir vos réactions.
Rédaction photo
Mary Manser
Version française
Line Rollier, Bussigny-près-Lausanne
Daniel Seiler, Directeur de l’Aide Suisse contre le Sida
Conception graphique et mise en pages
Ritz & Häfliger, Visuelle Kommunikation, Bâle
SAN no 3, octobre 2016
Tirage: 2700, parution trois fois par an
© Aide Suisse contre le Sida, Zurich
Les SAN bénéficient du soutien
de l’Office fédéral de la santé publique
Pour vos communications
Rédaction Swiss Aids News
Aide Suisse contre le Sida
Stauffacherstrasse 101
CH-8004 Zürich
Tél. 044 447 11 11
san@aids.ch, www.aids.ch
SOM M AI RE
0
S O C IÉ T É
Homo, c’est O.K.?
3 Visite guidée au zoo, série en dvd, 19
Nous prenons les choses en main
6 livres
Planer – sexe sous drogues
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
12 L A F L EU R DE L’ÂGE
Au-delà du jeunisme
M É D ECI NE
PrEP: la panacée?
20
10 DROI T / FORU M
D RO IT I NT ERNAT I ONAL
Les droits des
homosexuels en Europe
2
P ÊL E- MÊL E
16
Protection des données
personnelles sur internet
21
SOCIÉTÉ
Tobias Urech
© Dominik Huber
(22 ans) fait des études d’histoire et
de genre à Zurich et à Bâle. Il travaille
depuis trois ans comme rédacteur
en chef de la revue Milchbüechli qui
s’adresse aux jeunes et est actif au
sein de l’association «Milchjugend».
Homo, c’est O.K.?
Corine Mauch l’est, tout comme Sven Epiney. Ou encore Walter Andreas Müller, et même
Hans-Ueli Vogt. Personnalités politiques ou médiatiques, toutes vivent ouvertement leur
homosexualité, et il semble que ce soit bien ainsi. Pas d’hostilité, tout va pour le mieux
dans le meilleur des mondes. Mais est-ce vraiment O.K. d’être homosexuel dans la Suisse
d’aujourd’hui? Comment vit-on en Suisse en tant que jeune gay? Témoignage.
Je sirote une bière dans un bar gay zurichois
branché, entouré d’amis. Nous bavardons et
plaisantons. Juste avant, j’ai passé dans une
boutique où la vendeuse m’a conseillé pour le
choix d’un nouveau maquillage en vue de ma
prochaine sortie en drag queen. Et avant cela,
j’étais à l’Uni où j’ai raconté mon week-end à
mes copains et copines d’études, en leur disant
avec quel homme je l’avais passé.
Je me sens accepté, même conforté dans mon
rôle d’homosexuel dans cette métropole suisse
qu’est Zurich. Mon homosexualité ne semble
faire ni chaud ni froid à qui que ce soit. Mon
dernier «vrai» coming out, du style «Dites, il faut
que je vous dise quelque chose», doit dater d’il
y a plusieurs années chez mes parents. Puis
plus rien. Acceptation pure et simple. Mais
est-ce bien vrai? Ou les apparences sont-elles
trompeuses?
Clivage ville-campagne
Pour moi qui ai grandi dans une petite ville
de province, Zurich a été le paradis au début.
Personne ne me regarde parce que je m’habille
différemment des autres hommes ou que je gesticule davantage quand je rigole avec une amie.
C’est vrai, il y avait aussi des exceptions dans
ma ville de province, des camarades d’école
très ouverts par exemple. Mais l’ambiance
générale était et reste différente loin de la métropole. La vie semble s’y écouler de manière
plus linéaire et plus conformiste puisqu’on
part du principe qu’un homme épousera un
jour une femme, qu’il lui fera des enfants et
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
3
SOCIÉTÉ
Bien sûr, la reconnaissance juridique génère l’acceptation. Mais les
changements sociétaux sont lents à se concrétiser face à l’urgence
des problèmes auxquels la jeunesse est confrontée.
qu’il pourvoira à l’entretien de la famille. En
échange, la femme aura le droit de s’occuper
du ménage, à la rigueur de travailler à temps
partiel – exceptionnellement. L’homosexualité,
c’est seulement sur RTL.
Je pense à la différence avec ma patrie
d’adoption où les hommes aussi passent l’aspirateur et où les femmes s’activent non pas aux
fourneaux, mais à la tête de leurs entreprises.
Ce qui manquait, dans la ville où j’ai grandi,
c’était la visibilité. Bien sûr, je n’étais pas le
seul «gay du village». Mais l’atmosphère ne se
prêtait pas au coming out. Vouloir s’écarter du
chemin tout tracé aurait probablement débouché sur un rejet violent, rejet qu’un ado ne peut
pas se permettre.
D’où l’importance aujourd’hui, pour les
jeunes LGBT, des modèles qui vivent ouvertement leur sexualité «différente», comme les
personnes citées en tête, et des groupes de
jeunes qui offrent un espace de sécurité où
chacune et chacun peut découvrir son identité
sans avoir peur d’être démasqué.
Un Etat qui se soucie de nous
Un enseignement de la biologie un tant soit
moins hétéronormatif m’aurait déjà aidé à briser les stéréotypes des sexes et les clichés dans
les têtes des gens. Car d’innombrables LGBT
sont démolis chaque année par ces stéréotypes
– un jeune homosexuel sur cinq a déjà essayé
de se suicider (on ne dispose malheureusement
d’aucune statistique pour les trans). Je vis dans
un pays qui a inscrit dans sa Constitution le
droit des jeunes à une protection particulière,
mais qui oublie apparemment les jeunes LGBT.
Car où sont les brochures de l’Etat sur le coming out destinées aux écoles, où les centres
de consultation adéquats?
Cela se veut aussi une petite pointe contre
de grandes associations LGBT de Suisse dont
l’unique revendication, telle un mantra, est
l’accès au mariage. Mais à quoi sert à une jeune
lesbienne trans de seize ans, qui souffre dans
un environnement hostile, de savoir qu’un jour
elle pourrait peut-être se marier?
4
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
Bien sûr, la reconnaissance juridique génère
l’acceptation. Mais les changements sociétaux
sont lents à se concrétiser face à l’urgence des
problèmes auxquels la jeunesse est confrontée.
Nous devons continuer
à nous battre
Mais j’ai au moins réussi à un endroit où je suis
accepté. Ou bien où les «îlots d’acceptation»
sont, disons, plus grands que dans ma ville
d’origine. Car pour en revenir à la question initiale: non, bien sûr que tout ne baigne pas non
plus à Zurich. On s’en rend compte, en tant que
gay, au plus tard au moment où on se dévoile
en tant que tel. Alors oui, je me suis habitué à
être dévisagé quand je me promenais dans les
rues avec mon ami d’alors. Même les injures
hautement spirituelles du style «pédé» ont fini
par me laisser indifférent. Ce qui a été dur, ça
a été d’être pris un soir sous une déferlante
de boisson énergisante projetée sur nous par
une bande de loubards alors que nous nous
embrassions à la gare.
Mais bon, de manière générale, on vit plutôt
bien en tant qu’homme cis gay dans cette bulle
zurichoise qui est la mienne. Toutefois, j’avoue
que je ne sors pas tellement de la norme. Si
j’étais lesbienne ou transgenre, ma vie serait
sûrement plus difficile. Voilà pourquoi nous
devons poursuivre le combat, nous autres les
jeunes, et ne pas nous contenter des objectifs
atteints par la génération précédente.
Mais je me dis que nous pouvons au moins
les apprécier. Alors je me lève et je me commande une nouvelle bière au bar tout en songeant avec satisfaction à mon maquillage de
cet après-midi.
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SOCIÉTÉ
«Nous prenons
les choses en main»
Une campagne se focalise pour la première fois sur une chose connue depuis un
certain temps déjà dans les milieux professionnels: les patients séropositifs sous
traitement efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle. La campagne #undetectable lancée en décembre 2015 s’adresse aux homosexuels. Andreas Lehner,
responsable de la campagne, évoque ici le contexte et les premières réactions.
INT ERVIEW
Andreas Lehner, l’élément clé de votre
campagne est le terme undetectable,
précédé du hashtag#. Quel est le message que vous voulez transmettre?
Andreas Lehner: Undetectable signifie
«indétectable». Nous voulons dire par là
que les séropositifs dont la charge virale
n’est plus détectable grâce au traitement
antirétroviral efficace ne transmettent
pas le VIH par voie sexuelle.
Ne devrait-on pas dire plutôt «non
transmittable» ou «non transmissible»? Undetectable pourrait être mal
interprété et laisser entendre qu’on ne
peut tout bonnement plus déceler une
infection par le VIH.
Tout le monde n’est peut-être pas encore
familiarisé avec ce terme, mais il s’est
imposé aux Etats-Unis et dans d’autres
pays, et en particulier sur les sites de rencontre en ligne destinés aux gays. Nous
ne faisons que le reprendre et le renforçons, en lui donnant pour ainsi dire un
poids officiel. Ce qui est bien, c’est qu’il
existe des traductions dans presque
toutes les langues. En un seul mot, nous
en venons au fait: les personnes séropositives sous traitement efficace ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle.
A qui s’adresse ce message, et dans
quel but?
Notre campagne s’adresse à tous les
homosexuels. Tous doivent connaître
et assimiler ce message afin que les
séropositifs ne soient plus considérés
comme un danger potentiel et un foyer
d’épidémie et qu’eux aussi cessent de se
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Swiss Aids News 3 | octobre 2016
voir comme tels. En effet, c’est une façon
de voir très éprouvante qui est à l’origine
de problèmes psychiques et d’isolement
social pour de nombreux séropositifs.
#undetectable est donc ce que l’on
appelle une campagne d’image qui
améliore l’image générale des séropositifs, mais aussi celle qu’ils ont
d’eux-mêmes, ce qui les encourage et
les soutient?
Avant tout, oui. Simultanément, le
message central est important aussi pour
la prévention. Si le VIH est moins stigmatisé, les gens ont moins peur de faire le
test. S’il y a davantage de tests, davantage
de séropositifs reçoivent le traitement
et ne transmettent plus le virus. Cette
perspective motive aujourd’hui déjà un
bon nombre de séropositifs à commencer
le traitement rapidement. Cela leur permet de vivre une vie sexuelle normale et
d’avoir des rapports sans préservatifs et
sans craintes.
Certains professionnels restent sceptiques vis-à-vis de l’abandon du préservatif, depuis que cette possibilité a
été évoquée publiquement pour la première fois dans la Déclaration suisse
de 2008. Ils redoutent un encouragement des rapports sans préservatif.
Nous sommes en effet au courant au
moins depuis 2008 d’une découverte
capitale pour les séropositifs comme
pour la prévention. La taire ou n’en parler qu’à mots couverts serait une erreur.
Chez les gays qui sont très intéressés par
la question, cela ne ferait qu’encourager
les demi-vérités et les idées fausses, ce
qui ne rend pas service.
Ne craignez-vous pas que la campagne
soit interprétée comme un appel aux
rapports sexuels sans préservatifs?
Parce que la tendance à se protéger
diminue?
Non, les homosexuels se protègent toujours très bien. Mais à l’heure actuelle,
la pratique du sexe anal est bien plus
fréquente qu’il y a quelques années
encore. L’enquête Gaysurvey, réalisée à
intervalles réguliers, révèle que seuls
environ 30 pour cent des homosexuels
avaient encore des relations anales dans
les premières années de l’épidémie de
VIH. Avec ou sans préservatif, la peur du
VIH était énorme. Mais elle a beaucoup
diminué ces dernières années étant
donné que la maladie n’est plus mortelle.
Aujourd’hui, environ 80 pour cent
déclarent pratiquer le sexe anal. Même si
la très grande majorité utilise des préser-
© Marilyn Manser
Au contraire. Nous prenons les choses
en main, informons en toute honnêteté
et sans rien omettre. Dans le cadre de
la campagne, nous donnons toutes les
informations requises, y compris au
sujet du préservatif. Nous disposons
aujourd’hui de trois outils de prévention
majeurs pour le groupe cible des gays: le
préservatif, la PrEP (prise d’antirétroviraux à titre préventif pour une personne
séronégative) et la protection au moyen
du traitement au stade indétectable. Il est
crucial d’utiliser tout ce qui est à notre
disposition.
Andreas Lehner
Andreas Lehner est vice-directeur et chef
du programme HSH (hommes ayant des
relations sexuelles avec des hommes)
à l’Aide Suisse contre le Sida. Après une
carrière dans le marketing, il a choisi de
travailler dans différents domaines liés
au VIH depuis plus de dix ans. Il a terminé voilà deux ans des études de master
en cours d’emploi dans la prévention et
la promotion de la santé à la Haute école
lucernoise.
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
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SOCIÉTÉ
vatifs, les rapports non protégés ont bien
sûr augmenté en nombre absolu.
Mais en même temps, un nombre
bien plus grand de séropositifs sont
aujourd’hui sous traitement efficace,
donc ils ne transmettent plus le virus.
C’est exact. Il faut dire haut et fort
que des rapports non protégés avec un
séropositif sous traitement sont sûrs en
ce qui concerne le VIH, mais qu’ils sont
en revanche très risqués avec un homme
qui ne connaît pas son statut VIH. Mais
nous disons aussi clairement que si,
sous traitement efficace, on ne peut plus
contracter le VIH lorsque l’on renonce au
préservatif, on peut toujours contracter
d’autres infections sexuellement transmissibles. Et cela vaut pour les deux
partenaires.
#undetectable est la première campagne à faire ces affirmations publiquement. Y a-t-il eu des réticences au sein
de l’association Aide Suisse contre le
Sida ou chez des partenaires?
De nombreux débats ont eu lieu. Il y
avait clairement des partisans et des
opposants. Mais les questions critiques
nous ont aidés à planifier la campagne
avec toute la prudence requise étant
donné que nous avons toujours dû nous
expliquer et nous remettre en question.
L’association tout comme nos partenaires
soutiennent désormais pleinement la
campagne dans sa forme actuelle.
Pouvez-vous déjà nous parler des
réactions du groupe cible?
Nous en avons eu en direct en juin à l’occasion de la Zurich Pride où nous tenions
un grand stand. La campagne retient l’attention. Nous avons entendu «Cool, il était
temps que vous y veniez» tout comme «Ça
rime à quoi?». Mais les réactions positives
ont largement dominé. Pour moi, le
plus grand succès a été la réaction d’un
séropositif sur Facebook qui a dévoilé son
statut en lien direct avec #undetectable.
Il a écrit en substance: «Vous voyez, les
séropos ne sont pas du tout dangereux. A
propos, j’en fais partie.»
8
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
La campagne se déroule-t-elle essentiellement en ligne, comme le suggère le
hashtag?
Internet est effectivement un canal
important. Nous sommes présents dans
les médias sociaux, sur les sites gays et
en bien d’autres endroits du Net. Mais le
hashtag a aussi fait son entrée dans les
médias imprimés depuis longtemps, surtout chez les jeunes. Il signifie: «Attention,
c’est important».
«Nous voulons dire par là que les
séropositifs dont la charge virale
n’est plus détectable grâce au
traitement antirétroviral efficace
ne transmettent pas le VIH par voie
sexuelle.»
efficace ne transmettent pas le virus,
et pas seulement les gays.
Si nous avons lancé la campagne dans un
premier temps chez les gays, c’est pour
deux raisons: d’abord, c’est un groupe
très fortement touché par le VIH. Ensuite,
et précisément à cause de cela, nous
disposons dans ce groupe d’une bonne
infrastructure pour mener une campagne.
Voilà pourquoi c’est souvent là que nous
testons de nouvelles interventions. Par
la suite, lorsqu’une campagne a fait
ses preuves, nous l’adaptons à d’autres
groupes cibles. Nous agirons de la même
manière avec #undetectable.
sp
Quels sont les autres canaux que
vous utilisez?
Nous passons des annonces dans des
médias gays, nous réalisons des actions
sur le terrain dans des clubs et des
soirées, nous distribuons des prospectus,
placardons des affiches et nous misons
sur des cadeaux publicitaires qui vont
de l’ourson en gomme aux cartes de jass
portant le logo #undetectable.
Des cartes de jass? Le jass est-il populaire chez les gays?
Pas mal. Et puis, on joue au jass aussi
avec des hétéros, ce qui peut générer des
discussions intéressantes… Mais nous
avons encore d’autres cadeaux pour
cibler aussi ceux qui ne jouent pas au
jass (rire). Et d’autres suivront.
Combien de temps durera la
campagne?
#undetectable durera plusieurs années.
Nous espérons être aisément reconnaissables avec ce mot marquant qui
se détache sur fond noir. Nous jouerons
là-dessus de différentes manières.
Est-il prévu d’étendre la campagne à
d’autres groupes cibles? Toutes les personnes séropositives sous traitement
Undetectable – la norme chez les
séropositifs en Suisse
Indétectable – charge virale au-dessous du seuil
de détection – undetectable. Toutes ces expressions disent la même chose: la charge virale d’un
patient séropositif est abaissée par le traitement
antirétroviral au point que les tests usuels ne
détectent plus le virus. C’est le cas lorsque les
valeurs passent au-dessous de cinquante virus
par millilitre de sang. En Suisse, plus de 95% de
tous les patients séropositifs traités remplissent
ce critère. Leur infection par le VIH n’est pas pour
autant guérie, mais elle n’évolue plus. Et surtout:
les patients dont la charge virale est indétectable ne peuvent plus transmettre le VIH par voie
sexuelle.
MÉDECINE
PrEP: la panacée?
Il y a plusieurs manières de se protéger d’une infection par le VIH. La plus avantageuse consiste à utiliser des préservatifs, la dernière en date se nomme PrEP
(prophylaxie pré-exposition). La PrEP est un traitement pour des personnes qui, à un
moment donné de leur vie, sont exposées à un risque de VIH élevé. Toute PrEP est
précédée d’un entretien avec un médecin dans le but de mettre les choses au clair.
C’est au consommateur de payer le médicament de sa poche.
IN TERVIEW
«Tout débute par une discussion
avec un médecin prescripteur,
qui va évaluer la pertinence de
l’indication à la PrEP. Une fois
celle-ci retenue, un bilan sanguin
de départ est nécessaire.»
Quels sont les moyens de prévention
contre le VIH, à l’heure actuelle?
E. Boffi El Amari: En l’absence de vaccin
efficace pour éviter l’infection par le
virus VIH, les moyens de prévention
comprennent les éléments suivants: l’utilisation du préservatif, le traitement à un
stade précoce de l’infection, afin d’obtenir une charge virale (quantité de virus
circulant dans le sang) indétectable. Effectivement les personnes séropositives,
dont le traitement est efficace (c’est-à-dire
que leur charge virale est en-dessous du
seuil de détection, dans le sang, depuis
plus de six mois) ne transmettent pas le
VIH e. Pour les hommes, la circoncision
a également été proposée, mais reste
nettement moins efficace. Enfin, il y a la
prophylaxie post-exposition, en d’autres
termes la PEP. Depuis peu vient s’ajouter
à cet arsenal la PrEP, c’est-à-dire la prophylaxie pré-exposition. Il est important
de souligner toutefois que le préservatif
permet, à moindre coût, de se protéger
du virus VIH et participe également à la
prévention des autres infections sexuellement transmissibles (IST), ce qui n’est ni
le cas de la PEP, ni de la PrEP.
Quelle est la différence entre la PEP
et la PrEP?
La PEP (prophylaxie post-exposition)
consiste à prendre une trithérapie (trois
médicaments contre le VIH), comme
une personne réellement infectée par le
virus, durant un mois, après l’éventuelle
exposition au VIH. La clef de voûte de ce
traitement réside dans la rapidité d’introduction de celui-ci, qui doit se faire
le plus vite possible, au plus tard 48h
post exposition. Ceci justifie de ne pas
10
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
attendre pour consulter un médecin. La
PrEP consiste, par contre, à prendre une
bithérapie (deux médicaments contre
le VIH) avant l’éventuelle exposition au
virus et durant toute la durée de celle-ci.
En quoi consiste donc cette PrEP?
Il s’agit de proposer aux hommes et
aux femmes, qui seraient à certains
moments de leur vie fortement exposés
à un risque d’infection par le VIH, de
prendre quotidiennement un comprimé
de Truvada® (une pilule qui contient le
tenofovir et l’emtricitabine). Tout comme
la PEP, cette intervention se fait sous guidance médicale et ne garantit pas 100%
de succès. Elle vient s’ajouter aux autres
méthodes de «safer sex» (utilisation de
préservatifs et dépistages réguliers), mais
ne les remplace pas.
Comment cela se passe-t-il
concrètement?
Tout débute par une discussion avec un
médecin prescripteur, qui va évaluer la
pertinence de l’indication à la PrEP. Une
fois celle-ci retenue, un bilan sanguin
de départ est nécessaire. Il comprend
un dépistage VIH et IST, l’exclusion de
l’infection par l’hépatite B ainsi qu’une
évaluation de la fonction rénale, entre
autres. L’ordonnance sera remise à la
personne concernée, qui devra se fournir
en Truvada® à sa charge, car en Suisse,
cette prescription n’est pas remboursée
par la LAMal. Un suivi médical sera mis
en place, qui correspond habituellement
à un contrôle clinique et de laboratoire
tous les trois mois.
Dr Emmanuelle Boffi
El Amari
Docteur Emmanuelle Boffi El Amari,
FMH Médecine Interne et Maladies
Infectieuses. Actuellement installée
en cabinet, en ville de Genève, elle est
également médecin responsable du
Centre Checkpoint de Genève. Elle a
été médecin cheffe de clinique et consultante à l’Unité VIH du service des
maladies infectieuses des Hôpitaux
Universitaires de Genève.
Et l’efficacité?
On base cette pratique principalement
sur les résultats de trois grandes études:
l’étude américaine précurseur iPrEx r,
l’étude anglaise PROUD t et la française
IperGay u. La première a montré plus
de 90% d’efficacité chez les participants,
qui suivaient scrupuleusement la prescription quotidienne du médicament; les
deux autres 86%. Il est très important de
comprendre qu’une excellente adhérence
thérapeutique est nécessaire. Les cas
d’infections recensés dans ces études
l’étaient chez des personnes dont le taux
de médicament était sous-optimal ou
inexistant dans le sang, au moment du
contact à risque.
La PrEP s’adresse aux personnes fortement exposées au VIH, de qui s’agit-il?
La définition retenue par l’Organisation
Mondiale de la Santé (OMS) i est
celle d’une population pour laquelle
l’incidence d’infection est supérieure
à 3 pour cent personnes-années. Ceci
peut être traduit, dans la pratique, par
l’association de pratiques à risques tels
la multiplicité des partenaires sexuels, la
difficulté à utiliser des préservatifs lors
de rapports sexuels anaux ou vaginaux,
l’emploi de substances psychoactives, en
particulier le «chemsex». A cela s’ajoute,
des antécédents d’infections sexuellement transmissibles, comme la syphilis,
l’infection par chlamydia, la gonorrhée
ou la prescription antérieure de PEP et
le fait d’appartenir à une communauté
dans laquelle la prévalence de l’infection
VIH est plus élevée, en particulier les
hommes ayant des rapports sexuels avec
des hommes. En Suisse, c’est surtout cette
dernière population qui est concernée
par la PrEP.
Existe-t-il plusieurs façons de
prendre la PrEP?
Effectivement, si l’étude iPrEx a démontré l’efficacité de la prise quotidienne
ininterrompue de Truvada®, l’étude française IperGay a démontré celle de son
utilisation intermittente, chez les hommes
ayant des rapports sexuels avec d’autres
hommes, c’est-à-dire avant, pendant et
les deux jours suivant le dernier rapport
sexuel à risque. Le choix entre les deux
méthodes devrait être discuté avec le
prescripteur et prendre en compte la
situation de vie de la personne.
Existe-t-il une éventuelle toxicité
associée à la prise à long terme?
La composante de tenofovir dans le
Truvada® a été associée à une potentielle
toxicité rénale et une modification de
la densité minérale osseuse, c’est une
des raisons pour lesquelles la personne
utilisant une PrEP doit avoir un suivi
médical. Il existe une nouvelle formulation de cette molécule, exempte de ces
problèmes, mais des étude cliniques
doivent encore déterminer si elle pourra
être utilisée pour la PrEP. ahs
«Ceci peut être traduit, dans la
pratique, par l’association de pratiques à risques tels la multiplicité
des partenaires sexuels, la difficulté
à utiliser des préservatifs lors de
rapports sexuels anaux ou vaginaux,
l’emploi de substances psychoactives, en particulier le ‹chemsex›.»
Références
e Vernazza P, Hirschel B, Bernasconi
E, Flepp M. Les personnes séropositives
ne souffrant d’aucune autre MST et suivant
un traitement antirétroviral efficace ne
transmettent pas le VIH par voie sexuelle.
Bulletin des médecins suisses. 2008;89(5):
165-9.
r Grant RM, Lama JR, Anderson PL,
McMahan V, Liu AY, Vargas L, et
al. Preexposure chemoprophylaxis
for HIV prevention in men who
have sex with men. N Engl J Med.
2010; 363(27): 2587-99.
t McCormack S, Dunn DT, Desai M,
Dolling DI, Gafos M, Gilson R, et al.
Pre-exposure prophylaxis to prevent
the acquisition of HIV-1 infection
(PROUD): effectiveness results from
the pilot phase of a pragmatic openlabel
randomised trial. Lancet. 2016;387
(10013):53-60.
u Molina JM, Capitant C, Spire B, Pialoux
G, Cotte L, Charreau I, et al. ondemand preexposure prophylaxis in
men athigh risk for HIV-1 infection.
N Engl J Med. 2015; 373(23): 2237-46.
i WHO. Policy brief on oral preexposure
prophylaxis of HIV infection
(PrEP) 2015. Téléchargeable à
l’adresse suivante: www.who.int/hiv/
pub/prep/policy-brief-prep-2015/en.
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
11
SOCIÉTÉ
Planer – sexe sous drogues
© Andreas Lehner
Le sexe sous l’influence de drogues n’est pas un phénomène nouveau et pas non plus
l’apanage d’un mode de vie gay. Les états d’ivresse et d’euphorie ont toujours fait partie des
besoins humains. Londres et Berlin sont des hauts lieux du chemsex en Europe. En Suisse,
des sex-parties de ce type ont lieu de temps à autre, mais on ne dispose pas de données
précises. Le chemsex associé à des médicaments contre le VIH présente des risques à ne pas
sous-estimer. Le point sur les faits et les interactions.
Alexander Bücheli
Alexander Bücheli (M.A.), 40 ans,
travaille depuis 2001 dans la prévention et la réduction des risques
dans le domaine des drogues à
usage récréatif. De 2001 au printemps 2015, il a été responsable
de la prévention pour la vie nocturne de saferparty.ch, une offre
émanant de la ville de Zurich.
Il travaille en ce moment sur
mandat pour les réseaux Bar und
Club Kommission Zürich, Safer
Dance Swiss, Safer Nightlife et
Safer Clubbing Schweiz ainsi que
comme consultant indépendant
pour les questions de prévention
et de réduction des risques. Plus
d’infos sur www.a-buecheli.ch
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Swiss Aids News 3 | octobre 2016
Une tendance au goût du jour
Plaisir et risque
Si le phénomène croît en notoriété, c’est surtout en rapport avec l’apparition d’un sousgroupe du chemsex, le slamming. Le slamming implique la consommation de substances
chimiques par voie intraveineuse. Parmi les
substances injectées, on trouve essentiellement la méthamphétamine et la méphédrone.
Les soirées de slamming n’ont pas lieu dans
les clubs, bars ou saunas publics, mais dans
le cadre privé, chez des particuliers. On peut
présumer que le chemsex et le slamming sont
aussi pratiqués en Suisse. Il est toutefois difficile d’évaluer l’ampleur du slamming étant
donné qu’il se déroule dans un cadre protégé
et qu’il associe deux sujets tabous, le sexe et
les drogues. Des connaisseurs font remarquer
que l’on rencontre de plus en plus souvent, et
pas seulement sur des plateformes en ligne,
des termes tels que ChemsFriendly ou Tina,
qui font allusion à une affinité pour le chemsex. Il est difficile de dire s’il s’agit là d’un
désir concret qui est assouvi dans la réalité ou
d’un phénomène de «pornographie cérébrale».
Il est tout aussi impossible d’établir le profil
d’une personne qui pratique le slamming. Il
faut a priori une attirance pour la nouveauté,
peut-être aussi une insatisfaction sexuelle pour
s’embarquer dans une sex-party privée, et dans
le slamming en particulier, étant donné que cela requiert des recherches actives pour savoir
où ces soirées ont lieu. Il convient de souligner
à cet égard le rôle important que jouent les plateformes de rencontre en ligne telles que Planetromeo ou Grindr qui permettent de trouver
des partenaires sexuels ou des soirées festives.
Ce qui est sûr, c’est que le slamming n’intéresse
qu’un petit groupe de personnes. Comme elles
ont un comportement à risque marqué, il est
essentiel de les prendre en charge activement.
Si cela ne procurait pas du plaisir, personne
ne pratiquerait le chemsex. Les substances
aident à se connaître soi-même, à donner plus
d’intensité au vécu, à faciliter les pratiques
et à vivre ses fantasmes. Elles peuvent donc
au mieux magnifier une expérience sexuelle
et contribuer à une sexualité épanouie. L’attirance vers le slamming s’explique probablement avant tout par la soif de découverte, de
nouveauté, qu’il s’agisse du contexte, des pratiques sexuelles ou de la substance absorbée.
Si la méthamphétamine est consommée dans
ce genre d’occasions, c’est qu’elle a un fort effet
euphorique, désinhibant et aphrodisiaque déjà
à partir de quelques milligrammes. Des usagers
racontent que cette focalisation extrême sur
le sexe peut être décrite comme un «tunnel
de luxure» dans lequel plus rien n’existe si ce
n’est le sexe, où l’on ne ressent pas la douleur et
d’où l’on n’émerge que longtemps après. Le sexe
sous drogues cumule risque sexuel et risque
lié à la substance. Ce dernier est dépendant du
type de prise : les substances prises oralement
sont difficiles à doser ; quant à l’injection, elle
s’accompagne d’un risque de transmission de
maladies. Il n’est pas rare que le chemsex se
transforme en dépendance, le sexe normal ne
suffisant plus pour atteindre la jouissance.
Un comportement à
moindre risque
Le slamming s’accompagnant, comme dans les
années 80, d’une consommation par voie intraveineuse, cette pratique suscite bien souvent
l’incompréhension, voire une attitude d’intolérance et de rejet. Or, la tolérance est essentielle pour que ces personnes aient des lieux
où s’adresser et pour que l’on puisse aborder
le phénomène, en toute objectivité et neutra-
lité, en visant la réduction des risques. Car si
toute consommation de drogues présuppose
des risques, celle qui accompagne le chemsex, et plus particulièrement le slamming, est
particulièrement risquée. Un comportement à
moindre risque peut faire qu’on ne prenne pas
de risques inutiles. Il faut pour cela donner
des informations qui soient fondées sur des
faits, et non sur la morale, et s’appuyer sur le
concept «Drug, Set and Setting», complété par
les approches liées à la consommation (avant,
pendant et après) et au sexe. L’élément «drug»
concerne tout ce qui a affaire avec la substance.
L’élément «set» se concentre sur la personne
et son état de santé, y compris son statut VIH.
L’élément «setting» prend en compte les lieux
de la consommation. Dans le cas du chemsex,
il convient de savoir si l’hygiène y est correcte
et si le matériel pour le safer sex est dispo-
Si cela ne procurait pas du plaisir, personne ne pratiquerait le chemsex. Les substances aident à se connaître soi-même, à donner plus d’intensité au vécu, à
faciliter les pratiques et à vivre ses fantasmes.
nible. S’agissant du sexe, il est essentiel, avant
la consommation, de réfléchir aux fantasmes
que l’on cherche à assouvir et à d’éventuels
tabous. Les connaître permet d’éviter, en état
d’euphorie, de se laisser aller à des choses que
l’on regrette ensuite. Après la consommation,
il faut comparer ce qui a été vécu avec ce qui
était recherché et en tirer un bilan pour un
prochain trip combinant sexe et drogues. En
outre, suivant les risques encourus, il faut faire
vérifier son statut VIH.
L’importance des substances
La réflexion sur les drogues joue un rôle
essentiel dans un comportement à moindre
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
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SOCIÉTÉ
Il faudrait, avant de la consommer, connaître les effets et la
composition véritable de la substance. Comme les substances
psychoactives prises avant tout pour l’ivresse qu’elles engendrent sont souvent illégales (à l’exception de l’alcool), elles sont
achetées la plupart du temps via des canaux privés.
risque. Il faudrait, avant de la consommer,
connaître les effets et la composition véritable de la substance. Comme les substances
psychoactives prises avant tout pour l’ivresse
qu’elles engendrent sont souvent illégales (à
l’exception de l’alcool), elles sont achetées la
plupart du temps via des canaux privés. Etant
donné qu’il n’y a pas de contrôle de la qualité,
la composition exacte et la teneur en substance
active sont généralement inconnues – ce qui
représente un autre risque potentiel si l’on ne
recourt pas à une offre de Drug Checking. En
ce qui concerne le sexe sous drogues, le plus
gros potentiel d’interaction du chemsex réside
dans les effets physiques (tels que la relaxation musculaire, l’insensibilité à la douleur et
la capacité érectile) ainsi que dans la désinhibition psychique et l’envie de sexe. L’alcool à
haute dose est par exemple fortement désinhibant; les fantasmes sont plus faciles à assouvir
dans cet état. Le GHB/GBL est myorelaxant,
désinhibant et renforce l’envie de sexe. Pour
augmenter le potentiel d’interaction sexuel,
il n’est pas rare que des substances soient
combinées.
Chemsex et médicaments
contre le VIH
Un mélange s’accompagne toujours d’un
risque plus élevé. Certaines combinaisons
telles qu’alcool et GHB/GBL peuvent même
mettre la vie en danger. Les patients séropositifs sous traitement s’exposent également à
un risque important. En effet, il s’agit là aussi
d’une forme de polyconsommation puisque
les substances actives sont décomposées ou
métabolisées par les mêmes enzymes. Ainsi, les
inhibiteurs de protéase représentent un risque
particulièrement élevé, y compris s’ils entrent
dans une préparation combinée. Etant donné
qu’ils bloquent une enzyme essentielle pour la
décomposition de la plupart des stupéfiants,
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Swiss Aids News 3 | octobre 2016
l’effet de la drogue est bien plus puissant et
difficile à évaluer.
Le chemsex est une réalité. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un enrichissement de
la sexualité. Toutefois, comme l’euphorie liée
aux drogues et au sexe est très intense, le risque
existe que l’on soit tenté de répéter l’expérience
trop souvent, créant une forme de dépendance
fonctionnelle et émotionnelle. Voilà pourquoi
l’un des fondements de la satisfaction sexuelle
n’est pas l’expérience des extrêmes, mais les
rapports sexuels tout à fait normaux.
Chimie et sexualité
La chimie et la sexualité sont plus proches
et le lien entre elles plus banal qu’on ne le
pense. Toutes deux stimulent la libération
de neurotransmetteurs dans notre cerveau
ou bloquent le processus de réabsorption.
L’effet se manifeste psychiquement et/ou
physiquement. L’alcool, par exemple, calme
l’organisme et entraîne la fatigue, tout en
étant désinhibant. Il affiche donc un potentiel
d’interaction sexe-drogues à la fois au plan
physique et psychique. Vu sous cet angle,
on peut partir du principe que la plupart des
personnes, qu’elles soient bi, homo ou hétéro,
ont déjà eu une fois dans leur vie des rapports
sexuels en étant sciemment sous l’influence
d’une drogue.
ANNONCES
«Selbstverständlich out» –
so lautet das Jahresmotto
von Network. Als schwule
Führungskräfte gehen
die Networker ganz
selbstverständlich mit ihrer
Homosexualität um.
COMME JE FAISAIS PAS MAL D’ACTIVITÉS
AVEC MES COLLÈGUES, JE VOULAIS
LEUR PARLER DE MON AMI ET MÊME
LE FAIRE VENIR À NOS SORTIES
Gerade in der Arbeitswelt
übernehmen sie hiermit eine
wichtige Vorbildfunktion für
andere schwule Männer. In
diesem Sinne hat Fotograf
Raffi P. N. Falchi mehrere
Networker abgelichtet, die ihr
Schwulsein im beruflichen und
persönlichen Umfeld offen
leben. Vom Schwimm- oder
Schachclub über KMU bis
zur WTO: Es ist schön, wenn
Schwulsein nichts anderes
mehr als Normalsein bedeutet.
Jaime Coghi Arias
Mission Permanente du Costa Rica auprès
de l’Organisation Mondiale du Commerce
PF - 8027 Zürich - T 044 918 30 31
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
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D R O I T I N T E R N AT I O N A L
Les droits des
homosexuels en Europe
Rien n’a bougé pendant longtemps. Mais ces dernières années, un grand nombre de
discriminations des homosexuels ont été abolies au plan juridique, en particulier en
Europe du Nord et de l’Ouest. Cependant, de nombreux problèmes subsistent, notamment
concernant le droit d’adoption et les crimes de haine.
zVg
Poursuites pénales en Europe
Andreas R. Ziegler
est professeur de droit international à l’Université de Lausanne.
Menant des recherches approfondies sur les droits LGBTI
(https://www.unil.ch/dip/home/
menuguid/droit-lgbti.html),
il est membre de l’European
Commission on Sexual Orientation
Law et figure sur la liste d’experts du Conseil de l’Europe
(Sexual Orientation and Gender
Identity).
L’époque des poursuites pénales à l’encontre
des homosexuels en Europe est révolue, et
la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme à Strasbourg garantit depuis
1981, à l’échelle de l’Europe entière, que des
dispositions pénales à cet égard sont contraires
à l’autodétermination sexuelle qui fait partie
des droits de l’homme. De ce fait, l’absence
de telles dispositions pénales discriminatoires
est aujourd’hui une condition d’admission pour
le Conseil de l’Europe. Cependant, la Russie a
introduit récemment une loi dite anti-propagande qui interdit de donner aux mineurs des
informations sur des questions d’orientation
sexuelle. Cela a incité d’autres Etats en particulier de l’ex-URSS à lancer des initiatives
similaires. Une plainte à ce sujet est actuellement pendante devant la Cour européenne des
droits de l’homme.
Les violences à l’égard des minorités
sexuelles sont par ailleurs extrêmement fréquentes : on parle dans ce contexte de crimes de
haine. Ceux-ci sont punis sévèrement dans de
nombreux pays d’Europe, mais de loin pas partout. Des dispositions dans ce sens manquent
notamment en Suisse, alors qu’elles sont en
cours d’élaboration en Allemagne.
De grosses différences:
mariage et partenariat
On observe en Europe un clivage très net estouest et nord-sud concernant l’accès au mariage. Si la péninsule ibérique (Espagne 2005,
Portugal 2010), les Pays-Bas (2001), la Belgique
(2003), la France (2013), le Luxembourg (2015),
les îles britanniques (Irlande 2015, RoyaumeUni à l’exception de l’Irlande du Nord 2014) et
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Swiss Aids News 3 | octobre 2016
les pays nordiques (Suède et Norvège 2009,
Islande 2010, Danemark 2012, Finlande 2017)
ont tous ouvert le mariage aux couples homosexuels, la plupart des Etats d’Europe de l’Ouest
en restent momentanément au «partenariat
enregistré» (Allemagne depuis 2001, la Suisse
depuis 2004 et l’Autriche depuis 2009, le Liechtenstein depuis 2011). En Europe du Sud, la
Grèce (2015) et l’Italie (2016) n’ont accepté que
très récemment des projets de loi du gouvernement afin de créer les bases du partenariat
enregistré, et ce en dépit d’une forte opposition.
Alors que certains pays d’Europe de l’Est (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Roumanie, Hongrie,
Serbie, Bulgarie, Pologne) n’ont toujours pas
de réglementation à ce sujet, d’autres Etats
d’Europe centrale et orientale sont allés jusqu’à
introduire dans leur Constitution des dispositions visant à rendre l’accès au mariage impossible pour les gays et les lesbiennes. C’est arrivé
notamment suite à une votation populaire en
2013 en Croatie, en 2014 en Slovaquie et en
2015 en Arménie. D’autres Etats partent du
principe que la définition du mariage inscrite
dans la Constitution n’autorise pas le mariage
entre personnes du même sexe. Même au sein
de l’Union européenne, il s’avère difficile d’élaborer des solutions communes compte tenu des
grandes divergences dans la perception et l’approbation de l’amour homosexuel. Quoi qu’il
en soit, la discrimination des personnes fondée
sur l’orientation sexuelle est clairement interdite par la Charte des droits fondamentaux de
l’UE (art. 21). En dépit de cette interdiction,
les Etats membres ne sont pas tenus, vu l’état
actuel de l’harmonisation juridique au sein de
l’UE, d’introduire le mariage homosexuel ou le
partenariat enregistré.
Un pas en avant, un pas en arrière:
enfants et adoption
Les Etats qui connaissent l’adoption par une
personne seule ne peuvent pas la refuser à
des homosexuels à cause de leur orientation
sexuelle. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il
existe un droit absolu à l’adoption. L’adoption
homoparentale reste interdite dans de nombreux pays. On observe ici aussi que les pays
de l’Europe de l’Ouest et du Nord sont les plus
avancés à cet égard. La plupart des pays européens qui acceptent le mariage homosexuel autorisent aussi l’adoption de nos jours. Premiers
en Europe, les Pays-Bas ont introduit en 2001
le mariage homosexuel et le droit à l’adoption
conjointe. Mais d’autres pays comme Andorre,
Malte, l’Autriche (depuis 2016) et l’Islande l’ont
aussi introduit, alors que le mariage gay n’y a
pas encore été accepté. En Suisse, l’adoption
par un couple vivant en partenariat enregistré est expressément exclue, alors qu’elle est
autorisée pour une personne seule, ce qui est
particulièrement choquant. L’Allemagne ne
permet pas non plus l’adoption conjointe par
des partenaires enregistrés.
En Suisse, l’adoption par un couple vivant en partenariat enregistré est expressément exclue, alors
qu’elle est autorisée pour une personne seule, ce qui
est particulièrement choquant.
Hormis l’adoption conjointe ou par une personne seule, il convient d’évoquer aussi l’adoption de l’enfant (généralement né d’une relation
antérieure) du ou de la partenaire. Les conséquences d’une telle adoption, notamment en
ce qui concerne le statut du deuxième parent
d’origine, peuvent être réglées de différentes
manières. En Allemagne, la loi sur le partenariat a ouvert en 2001 l’adoption de l’enfant du
partenaire également aux couples de même
sexe vivant en partenariat enregistré. Par
contre, cette possibilité n’a pas été incluse en
Suisse en 2004 au moment de l’introduction du
partenariat enregistré et elle pourrait l’être a
posteriori par le biais d’une modification de la
loi, mais le référendum menace pour un débat
qui s’annonce très émotionnel.
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
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D R O I T I N T E R N AT I O N A L
Les discriminations des minorités sexuelles ne
se limitent pas aux poursuites pénales et au droit
de la famille, mais touchent de nombreux autres
domaines, telle l’admission au service militaire,
dans l’enseignement ou au don de sang.
LECTURE
REC OMMANDÉE
Droit LGBT – Droits des gays, lesbiennes, bisexuels et transgenres
en Suisse: partenariat enregistré,
communauté de vie de fait et questions juridiques autour de l’orientation
sexuelle et l’identité de genre
Ziegler, Andreas R. / Montini, Michel /
Copur, Eylem Ayse (éd.), Helbing &
Lichtenhahn, Bâle, 2e édition 2015.
Toujours d’importantes
discriminations
Les discriminations des minorités sexuelles
ne se limitent pas aux poursuites pénales
et au droit de la famille, mais touchent de
nombreux autres domaines, telle l’admission
au service militaire, dans l’enseignement ou
au don de sang. Ces sujets font débat et l’on
constate certes une amélioration dans tous
ces domaines au cours des dernières années,
mais les discriminations subsistent dans bon
nombre d’Etats (y compris en Europe). Ainsi, les
hommes ayant des rapports sexuels avec des
hommes sont en règle générale exclus du don
de sang dans de nombreux pays. La Cour de justice de l’Union européenne s’y est opposée en
2015, établissant qu’une telle exclusion ne peut
avoir lieu qu’après un questionnaire individuel
concernant un comportement à risque concret,
et non en raison de la simple appartenance à
une minorité sexuelle, même s’il est avéré que
le VIH y est plus répandu.
Une résistance opiniâtre
S’il est du moins officiellement interdit en
Europe de poursuivre les homosexuels, de
nombreux problèmes subsistent dans certains pays européens: répression indirecte par
l’interdiction des parades (p. ex. en Turquie,
Russie, Serbie) ou des informations destinées
aux jeunes (lois anti-propagande), mais aussi
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Swiss Aids News 3 | octobre 2016
poursuites insuffisantes contre les crimes de
haine. Le traitement juridique du partenariat
et du désir d’enfant varie énormément et reste
tabou dans de nombreux Etats. Le taux de
suicide dans tous les groupes concernés reste
effrayant. Les efforts du Conseil de l’Europe et
de l’Union européenne visent une meilleure
protection et l’égalité de traitement juridique,
mais se heurtent encore souvent à de fortes
résistances. Comme les pays d’Europe de l’Est
s’ouvrent aussi peu à peu et sont amenés à
côtoyer les modèles de vie d’autres Etats, on
peut en espérer une baisse des discriminations
et de la violence – peut-être trop lente.
L’article intégral en allemand est paru pour la première
fois dans le numéro d’août 2016 de la revue «Religion
& Gesellschaft – In Ost und West», Kirchen und Homosexualität. Cette revue qui présente un grand intérêt
peut être commandée sur www.g2w.eu.
PÊLE-MÊLE
VISITE GUIDÉE AU ZOO
On prétend souvent que l’homosexualité est contre nature, et que la sexualité sert avant tout
à la reproduction et non au plaisir. Ce sont là des propos de rabat-joie et d’homophobes. En
effet, voilà longtemps que des biologistes du monde entier ont prouvé qu’un grand nombre
d’espèces animales s’adonnent aux rapports entre individus du même sexe.
Nous aimerions recommander à tous les incrédules et à tous les passionnés des animaux
de suivre la visite guidée sur le thème «L’homosexualité dans le règne animal». Il s’agit là de
visites très instructives que le zoo de Zurich propose à tous depuis quelques années, l’idée
étant de découvrir quels sont pour les animaux les avantages des rapports entre individus
du même sexe. En effet, l’homosexualité est à l’ordre du jour dans le règne animal et on
l’observe chez les pingouins, les girafes, les cygnes, les flamants, les singes, les éléphants et
bien d’autres espèces encore.
Les visites guidées se font en allemand et en anglais (sur demande également en français et en
italien). Pour plus de renseignements: www.zoo.ch/fr/node/801 ou 044 254 25 33
© SHAWSHANK61 / iStock
Flamant rose – L’homosexualité dans le règne animal
LIVRES
© DragonImages/iStock
SÉRIE EN DVD
© HOB
Au bonheur des queer
«Looking»
Dans la série «Looking» de la chaîne HBO, tout tourne autour des joies et déboires de trois
amis gay dans le San Francisco d’aujourd’hui. Le trio se compose de Patrick, designer de
jeux vidéo, Dom le sommelier et Agustín qui rêve de devenir artiste. Maladroit en amour,
Patrick ne cesse de mettre les pieds dans le plat. Dom rêve d’ouvrir son propre restaurant,
mais il a besoin pour cela d’une aide financière. Quant à Agustín, il est tiraillé entre son envie
d’emménager avec son compagnon et son penchant pour les drogues.
Le réalisateur et scénariste Andrew Haigh s’est fait un nom avec les longs métrages
«Week-end» et «45 Years». La série reflète la vie gay de la métropole de manière crédible et
les thèmes universels qu’elle aborde, tels qu’amitié, amour, sexe et carrière, font que l’on
peut s’identifier rapidement aux personnages. La saison 1 est disponible en DVD en français,
le DVD de la saison 2 paraîtra prochainement. La série a été clôturée par un film.
«Chez queerbooks.ch, une librairie unique en
son genre à Berne qui est la section lesbogay, trans*– et inter* de la librairie Weyermann/Candinas, tu trouves tout ce que peut
désirer le cœur queer: des livres, des films,
des revues, des livres audio et bien plus
encore.» Voilà ce que dit le site internet.
La librairie propose en effet tout un éventail d’œuvres à lire, à regarder ou à écouter
écouter, dont une sélection en français et
en anglais. Les rubriques Sélection lesbienne, Sélection gay, Trans* & inter* ou encore
Queer/genre/féminisme regroupent des
ouvrages spécialisés, romans, polars, livres
illustrés, recueils de photos, DVD et jeux.
Toutes les commandes peuvent aussi être
passées en ligne.
Librairie queerbooks.ch, Herrengasse 30,
3011 Berne
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Au-delà du jeunisme
Les jeunes gays s’imaginent qu’il n’y a plus de vie au-delà de cinquante
ans. Et pourtant leurs aînés ont quelques avantages sur eux.
Une génération pionnière
Les gays en sont donc réduits
à «s’inventer» leur vieillesse,
ce qui leur donne aussi
l’occasion de la concevoir
autrement.
Les gays âgés de plus de cinquante ans font
partie d’une génération pionnière. Il existe en
effet peu de modèles, historiquement parlant,
montrant à quoi ressemble une vieillesse homosexuelle assumée. Les gays en sont donc
réduits à «s’inventer» leur vieillesse, ce qui leur
donne aussi l’occasion de la concevoir autrement.
En vieillissant, on gagne la liberté de s’affranchir des contraintes auxquelles on est encore
soumis en tant que jeune gay. Ce sont par
exemple la pression de devoir faire carrière ou
de répondre aux attentes des proches et des
amis. Avec le temps, on a déjà beaucoup vécu et
on ne se laisse plus démonter aussi facilement.
Comparés aux hétérosexuels du même âge,
les gays sont plus rarement impliqués dans
des obligations familiales. Eux aussi passent
bien sûr du temps en famille, avec leurs frères
et sœurs et les enfants de ceux-ci. Mais ils
décident plus librement de leur temps que
les hommes hétérosexuels ayant leur propre
progéniture. Tandis que les hétérosexuels du
même âge sont souvent installés à la campagne
dans des maisons individuelles, les gays vivent
encore en milieu urbain. Des formes d’habitat
innovantes pourraient ici contribuer à ce que les
homosexuels d’un certain âge puissent mener
une vie autonome et malgré tout en communauté.
Soigner ses relations
Il est important d’entretenir les amitiés, relations ou réseaux sexuels. Ces choses-là se définissent chez un homosexuel autrement que chez
un hétéro, et il n’y a pas de raison de changer
20
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
en vieillissant. Un grand nombre de gays d’un
certain âge disent vivre une sexualité bien plus
épanouie qu’avant. Ils se sont familiarisés avec
leur corps et ils savent ce qu’ils aiment dans
les rapports sexuels. Au-delà des Ours et des
hommes en cuir organisés en communautés,
un grand nombre d’homosexuels d’un certain
âge se retrouvent aujourd’hui pour des activités communes, font du sport et des excursions
ou se rendent ensemble à des manifestations
culturelles.
Mais que se passe-t-il si les souvenirs d’événements pénibles ou une santé se fragilisant
viennent rendre la vie plus difficile? Il est plus
aisé de le gérer si l’on se distancie de l’image
médiatisée de l’homosexuel toujours souriant
au corps bodybuildé et que l’on se demande
aussi de temps à autre: de quoi puis-je être fier?
Qu’ai-je réalisé? Quelles sont les expériences et
les connaissances que j’ai accumulées et que
personne ne peut me prendre?
P.-S. Le prochain numéro de SAN sera entièrement dédié au thème «Vieillir avec le VIH». Avec
des articles sur divers sujets: médecine, logement, prévoyance et social. A ne pas manquer!
nsch
DROIT
Protection des données
personnelles sur internet
Les violations de la protection des données via des réseaux sociaux comme Facebook, Twitter,
GayRomeo, etc. ne cessent d’augmenter. La consultation juridique de l’Aide Suisse contre le
Sida enregistre également une hausse des déclarations des cas dans lesquels des personnes
voient leur séropositivité divulguée sans leur consentement ou sont injuriées, voire menacées. Quelle est la situation juridique en Suisse et quelles sont les possibilités d’agir contre
de telles violations de la protection des données?
Protection juridique de la personnalité
Chacun a le droit de garder secret des faits
concernant sa vie privée. Les données très
personnelles font partie des données dites
sensibles au sens de la loi sur la protection
des données. Ce sont par exemple les informations concernant l’orientation sexuelle, la santé
ou l’appartenance ethnique. Ces données sont
mieux protégées que d’autres. La protection de
la sphère privée est inscrite à l’article 13 de
la Constitution fédérale. Cette norme constitutionnelle s’accompagne de diverses dispositions légales d’exécution ayant des domaines
d’application variables, mais visant toutes le
même objectif: la protection de la personnalité. La protection des données est régie essentiellement par le Code civil (CC), la loi sur la
protection des données (LPD) et le Code pénal
(CP). Ces dispositions légales remontent à une
époque où internet n’existait pas encore ou,
comme dans le cas de la LPD datant de 1993,
n’en était encore qu’à ses balbutiements. Suite
au progrès technologique, le nombre de traitements de données a connu une croissance
fulgurante au cours des 25 dernières années.
Avec internet, il est de plus en plus facile de
collecter des données, de les transmettre et de
les associer. Simultanément, il devient de plus
en plus difficile pour une personne de garder
le contrôle sur ses propres données. Dans un
rapport datant de 2014, le Conseil fédéral est
parvenu à la conclusion qu’il n’était malgré
tout pas nécessaire pour l’instant de créer de
loi spécifique pour les médias sociaux. Appliquées à bon escient, les dispositions générales
contenues dans les lois en vigueur apportent
selon lui une réponse adéquate à la plupart
des problèmes. L’application du droit en cas de
conflit a été jugée difficile, surtout compte tenu
de l’orientation internationale de la plupart des
plateformes, de la communication souvent anonyme et du problème posé par l’identification
de la responsabilité des divers participants
(utilisateurs, exploitants de plateformes, fournisseurs de services, etc.). Ainsi, un groupe de
travail institué par l’Office fédéral de la justice
étudie en ce moment la manière dont la loi sur
la protection des données pourrait être adaptée
concernant les médias sociaux.
Il n’y a pas de données personnelles
que l’on puisse transmettre sans
condition.
Violations de la protection des données
Il n’y a pas de données personnelles que l’on
puisse transmettre sans condition. Une transmission est autorisée à titre exceptionnel dans
certains cas clairement limités: lorsque la
personne concernée donne son consentement
explicite, qu’une loi le prévoit expressément
(ainsi la loi sur les épidémies établit que les
médecins et les hôpitaux sont tenus de déclarer
les diagnostics de VIH sous forme anonyme à
l’autorité cantonale compétente) ou que l’intérêt prépondérant de la personne qui traite les
données le justifie. C’est le cas notamment
lorsque des données sont transmises concernant une personnalité publique, dans la mesure où ces données se réfèrent à son activité
publique et qu’elles sont vraies. En l’absence
d’un de ces motifs justificatifs, la transmission
de données personnelles constitue une violation de la protection des données. Les violations
sur internet ne sont pas différentes des autres.
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
21
DROIT
§
SE RV ICE
Service de consultation juridique de l’Aide Suisse contre le
Sida
Nous répondons à des questions
juridiques en relation directe
avec une infection à VIH dans les
domaines suivants:
Droit des assurances sociales
Droit de l’aide sociale
Assurances privées
Droit du travail
Droit en matière de protection
des données
Droit des patients
Droit sur l’entrée et le séjour
des étrangers
Notre équipe est à votre service:
mardi et jeudi: de 9 h à 12 h et
de 14 h à 16 h.
Tél. 044 447 11 11
recht@aids.ch
Brochure Protection des
données et VIH
La nouvelle brochure «Protection
des données et VIH» va paraître
prochainement. Elle expose les principales réglementations relatives à
la protection des données dans le
monde du travail, le domaine médical
et la sphère privée tout en expliquant
comment on peut se défendre contre une violation de la protection
des données. La brochure peut être
téléchargée sur www.aids.ch.
22
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
Toutefois, une violation via les médias sociaux
peut avoir des conséquences bien plus vastes
étant donné que les informations sur internet
atteignent un très grand nombre de personnes
en peu de temps.
Mesures à l’encontre d’une divulgation
contre son gré
Si une personne est dévoilée séropositive sans
son consentement dans des médias sociaux ou
si d’autres données dites sensibles sont divulguées, par exemple l’information concernant
son orientation sexuelle, elle peut exiger que
la publication soit supprimée immédiatement
en déclarant qu’il s’agit là d’une atteinte illicite
à la personnalité. Si l’on ne veut pas contacter
l’auteur directement ou si celui-ci n’a pas réagi
à l’injonction, il faut se mettre en rapport avec
l’exploitant de la plateforme. Les possibilités
d’établir un contact varient de l’une à l’autre.
Souvent, un formulaire est prévu à cet effet.
Sur le site www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/
pratique/ se trouve un article intitulé «Comment signaler les contenus violents sur Internet» qui indique la manière de procéder pour
les différentes plateformes.
Si ces mesures n’aboutissent pas, on peut
déposer plainte auprès de la police locale
ou du ministère public dans les trois mois à
compter de la divulgation. Les délits pouvant
entrer en ligne de compte sont la diffamation
(propagation d’allégations vraies ou fausses
susceptibles de porter atteinte à la considération, art. 173 CP), le cas échéant la contrainte
(obliger une personne à faire, à ne pas faire
ou à laisser faire un acte en la menaçant d’un
dommage sérieux, art. 181 CP) ou les menaces
(alarmer ou effrayer une personne par une
menace grave, art. 180 CP). Comme il s’agit
dans les trois cas d’éléments constitutifs d’une
infraction, on peut demander conseil dans un
centre cantonal de consultation pour l’aide aux
victimes avant d’aller à la police. Les adresses
se trouvent sur www.aide-aux-victimes.ch.
L’application de la loi dépend en bonne
partie de la volonté de coopérer qu’affiche
l’exploitant de la plateforme. Si une autorité de
poursuite pénale intervient, la coopération est
généralement meilleure. La procédure est plus
compliquée lorsque l’auteur de la violation
n’est pas identifiable ou si l’atteinte provient
de l’étranger, que l’exploitant de la plateforme
ne coopère pas et que les autorités doivent
par conséquent faire une demande d’entraide
internationale.
On peut par ailleurs intenter une action
civile (art. 28 CC) pour faire cesser le traitement de données et réclamer, le cas échéant,
une indemnité à titre de réparation morale
ou des dommages-intérêts. Il est important
de sauvegarder immédiatement les contenus
incriminés puisqu’il appartient au demandeur
Avec internet, il est de plus en plus facile
de collecter des données, de les transmettre et de les associer. Simultanément,
il devient de plus en plus difficile pour une
personne de garder le contrôle sur ses
propres données.
d’apporter la preuve de la violation de la protection des données. En outre, il est recommandé
de faire appel à un avocat étant donné qu’il
s’agit de procédures complexes dans lesquelles
on doit supporter les risques financiers en tant
que demandeur.
Le droit à l’oubli
Si des informations sont propagées via des médias sociaux, il arrive fréquemment qu’elles apparaissent aussi dans les résultats de moteurs
de recherche sur internet (p. ex. Google). Dans
un arrêt rendu en 2014, la Cour de justice de
l’Union européenne a établi que les exploitants
de moteurs de recherche sont responsables
du traitement des données personnelles qui
apparaissent sur leurs pages internet et qu’ils
doivent, sous certaines conditions, supprimer
les liens vers ces pages. Par la suite, Google a
élaboré un formulaire à l’aide duquel une personne peut demander la suppression des URL
auxquelles elle s’oppose (disponible à l’adresse
https://support.google.com/legal/contact/lr_
eudpa?product=websearch). Jusqu’à présent,
ce n’était possible que pour les versions UE
de Google (y compris www.google.ch); depuis
peu, c’est valable également pour la version
google.com. Si l’on accède à www.google.com
avec une adresse IP de l’UE ou de Suisse, on
n’a désormais accès qu’aux résultats filtrés.
Mais si l’on se connecte depuis un pays non
européen, on continue à avoir accès à tous les
résultats de la recherche, autrement dit aussi
à ceux qui sont bloqués en Europe.
cs
FORUM
X NOUS RÉPONDONS À VOS QUESTIONS
Effets du partenariat enregistré découlant du
droit social et patrimonial
QU E STION ?
Monsieur J.S.
R É PON SE …
Réponse de Caroline Suter, Dr en droit
S’agissant des rapports patrimoniaux, le partenariat enregistré
est soumis au régime de la séparation de biens. Toutefois, les
partenaires peuvent convenir d’une réglementation spéciale
dans le cadre d’une convention établie en la forme authentique.
Ils peuvent prévoir par exemple que les biens seront partagés
selon les règles du régime de la participation aux acquêts [Note:
ces dispositions se trouvent aux articles 196 ss CC, www.admin.
ch/ch/f/rs/2/210.fr.pdf]. La grande différence entre séparation
de biens et participation aux acquêts se manifeste seulement
au moment de la dissolution du partenariat enregistré ou au
décès d’un des partenaires: dans le cadre de la participation
aux acquêts, les biens acquis par chacun des partenaires grâce
à son travail ou au titre de revenu de ses biens propres pendant
la durée du partenariat enregistré sont divisés par deux. Dans
le régime de la séparation de biens, il n’y a en revanche rien à
partager au moment du décès ou de la dissolution, sauf convention contraire des partenaires.
En ce qui concerne les assurances sociales, le partenariat
enregistré est assimilé au mariage pendant toute sa durée,
conformément à l’article 13a de la loi fédérale sur la partie
générale du droit des assurances sociales (LPGA). En cas de
dissolution judiciaire du partenariat enregistré, c’est la réglementation relative au divorce qui s’applique, et en cas de décès
d’un des partenaires, le survivant est assimilé à un veuf.
L’enregistrement du partenariat ne change rien à votre rente
d’invalidité: vous conservez le même droit à la rente. Il n’en
va pas de même pour les prestations complémentaires (PC).
Pour établir votre droit, on additionne, pour les partenaires
enregistrés comme pour les époux, les revenus déterminants
© Marilyn Manser
Mon compagnon et moi aimerions faire enregistrer notre
partenariat. Comme je reçois une rente d’invalidité et des
prestations complémentaires à cause de mon infection à
VIH, nous aimerions savoir au préalable quelles seraient les
conséquences d’une telle démarche sur nos biens et sur les
prestations de l’assurance sociale.
Caroline Suter, Dr en droit
Consultation juridique de
l’Aide Suisse contre le Sida.
(votre rente du 1er et, le cas échéant, du 2e pilier, le revenu de
l’activité lucrative de votre partenaire, le revenu de la fortune)
et les dépenses reconnues (besoins vitaux, loyer, caissemaladie, cotisations AVS/AI/APG). Les forfaits alloués pour les
dépenses sont supérieurs (pour le loyer et les besoins vitaux)
et l’on applique des franchises plus élevées (sur la fortune et
les revenus provenant de l’activité lucrative). Le droit aux prestations complémentaires correspond à la différence entre les
dépenses reconnues et les revenus déterminants. Le mieux est
de demander à votre caisse ou au service compétent en matière
de prestations complémentaires de faire le calcul préalable afin
de mesurer les effets concrets de l’enregistrement de votre
partenariat.
Pour éviter une éventuelle demande de restitution, il est
important de remplir votre obligation de renseigner et d’informer
à temps les assureurs (assurance-invalidité, PC) de votre changement d’état civil.•
Swiss Aids News 3 | octobre 2016
23
ÉDECINE
NOUS NE NOUS EN MOCCUPONS
PAS, CE QUE
LES AUTRES DISENT SUR NOUS.
NOUS NE NOUS JUSTIFIERONS JAMAIS.
NOUS VOULONS NOUS DÉFENDRE.
ILS NOUS TRAITENT DE TAPETTE DE MAUVAIS
OU DE PERVERS?
NOUS EN SOMMES FIERS, D’ÊTRE
AUSSI MAUVAIS.
Photographie Dominique
TOI AUSSI TU
PEUX ÊTRE FIER DE TOI,
TEL QUE TU ES.
MILCHBÜECHLI
MILCHBAR
LE JOURNAL DE LA MAUVAISE SEXUALITE
Le Milchbüechli apparaît quatre fois par année et tu peux
t’y abonner pour 20.--/année.
LE BAR DE LA MAUVAISE SEXUALITE
Tous les mardis à partir de 19 heures, au WERKK Baden
MILCHKULTUR
MOLKE 7
LA SOIREE DE LA MAUVAISE SEXUALITE
Tous les deux mois, nous dansons au Heaven à Zürich jusqu’au petit matin. À partir de 16 ans, entrée à 10.–.
LES SOIREES CULTURELLES DE LA MAUVAISE SEXUALITE
Quatre fois par année, nous organisons une soirée à
Plus sur le monde de la mauvaise sexualité sur
thème et discutons d’art queer, de musique, des normes
MILCHJUGEND.CH
et du monde de la mauvaise sexualité.
Swiss Aids News 3 | octobre 2016 24