Bayard et les compagnies d’ordonnance : un état des services
Aussi abondante que soit l’historiographie relative à Bayard, on ne saurait dire que ses états de
service militaires ont fait l’objet d’une étude détaillée, tant les historiens se sont comme résignés
de l’épais brouillard qui entoure sa vie. Dans sa biographie de référence, parue en 1992, Jean
Jacquart affirme ainsi que « les érudits du XIXe siècle ont collecté, publié et utilisé les trop rares
documents où Bayard intervient ou apparaît1 ». Sans doute s’est-il trop fié aux travaux
antérieurs, tels ceux de Camille Monnet, en Dauphiné, ou d’Henri Lepage, qui a trouvé de fort
beaux documents dans le chartrier des ducs de Lorraine, mais s’est avancé à affirmer que « les
procès-verbaux des « monstres et revues » [de la compagnie du duc de Lorraine, dont Bayard
était alors lieutenant] n’existent malheureusement plus2 ». L’histoire procédant par
accumulations successives, il convient de saluer les découvertes et les apports des pionniers de
la discipline ou de ses grands noms, et certes pas de leur reprocher d’avoir laissé de l’ouvrage
aux générations suivantes. C’est ici le cas, puisque Bayard apparaît à pas moins de vingt reprises
dans les montres d’armes des compagnies d’ordonnance auxquelles il a appartenu, et cela du
tout début de sa carrière jusqu’à ses derniers jours3. Ces documents, soustraits aux archives de
la Chambre des comptes de Paris, se trouvent dans les collections de montres conservées à la
Bibliothèque nationale de France, et plus particulièrement celles constituées par François-Roger
de Gaignières et Nicolas-Pascal Clairambault. Parmi ces vingt pièces, une seule d’entre elles a
été repérée et éditée par J. Roman, dans son édition de la Très joyeuse… histoire du gentil
seigneur de Bayart4.
Compte tenu que la carrière active de Bayard dans les compagnies d’ordonnance peut être
estimée à vingt-six ans, d’octobre 1494 à avril 1524, avec une interruption d’un peu plus de
trois ans entre 1504 et 1507, et que les revues de troupe avaient lieu une fois par trimestre, c’est
donc environ un cinquième des rôles des revues auxquelles il lui a été donné de participer qui
ont été conservés. Leur dépouillement permet de corriger certaines approximations, d’éclairer
les premiers pas de Bayard dans l’armée permanente du roi de France, et d’apporter de
nombreuses précisions sur l’itinéraire du chevalier, ainsi que sur son entourage. Cela est
d’autant plus heureux que notre héros est un pur produit des compagnies d’ordonnance, qui
connaissent elles-mêmes une évolution très sensible au tournant du XVIe siècle, sous l’effet d’un
puissant renouveau de l’idéal chevaleresque, et de la politique de réconciliation avec les
couches supérieures de la noblesse pratiquée par Charles VIII et Louis XII. Bayard en a exploré
toutes les potentialités, jusqu’à se confronter aux limites du modèle militaire français, en cette
époque d’accélération des progrès et des mutations de l’art de la guerre. Sa carrière militaire
est-elle classique, ou fait-elle figure de cas d’espèce ? Quels étaient le niveau social ou l’origine
géographique des hommes d’armes des compagnies dans lesquelles Bayard a servi ? Quelle
était la durée moyenne des carrières militaires ? Un noyau de fidèles a-t-il accompagné Bayard
tout au long de ses aventures ultramontaines ou lorraines ? Il s’agit ainsi, dans une modeste
mesure, de prolonger l’étude de Ph. Contamine sur les armées du roi de France5, dont la grille
1
JACQUART Jean, Bayard, Paris, Fayard, 1992, p. 10-11.
LEPAGE Henri, « Bayard, lieutenant de la compagnie de cent lances du duc de Lorraine », Journal de la société
d’archéologie lorraine, 30e année, 1881, p. 64.
3
Voir l’annexe au présent article, répertoriant les montres et revues dans lesquelles le nom de Bayard apparaît.
4
Voir annexe, montre n° 19.
5
CONTAMINE Philippe, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées du roi de France
(1337-1494), Paris, EHESS, 1972.
2
de questionnement a conservé toute sa fraîcheur et toute sa pertinence, en l’appliquant cette fois
à un individu et à son environnement guerrier, ce que permet la plus grande densité des archives
à partir de la seconde moitié du XVe siècle.
Les compagnies d’ordonnance et le contrôle des effectifs : les montres d’armes
En guise de préambule, commençons par un bref rappel sur ce qu’étaient les compagnies
d’ordonnance, cette institution fondamentale de la monarchie tardo-médiévale et renaissante.
En temps de paix, les forces armées du roi de France se limitaient à trois catégories principales
de corps permanents : les « mortes-payes », à savoir les garnisons des principales forteresses
du domaine royal, dont les effectifs dépassaient rarement quelques dizaines d’hommes, le
personnel de l’artillerie royale, en charge de l’entretien et du développement du parc d’artillerie,
et surtout les compagnies d’ordonnance. Elles étaient ainsi appelées car elles avaient été
« ordonnées » par Charles VII au milieu du XVe siècle. Après Charles V, et après une première
tentative en 1439 dont les effets avaient été tout relatifs, le roi réaffirma son monopole en
matière militaire dans une ordonnance publiée au printemps 1445, aujourd’hui disparue, mais
dont S. Péquignot a tout récemment retrouvé une copie en catalan dans les archives de la ville
de Barcelone6. L’objet premier de ce texte, qualifié « d’ordonnance et réduction des gens
d’armes » était de diminuer le nombre des gens de guerre prétendant combattre au nom du roi,
afin de solder régulièrement les capitaines retenus par le roi et leurs hommes, dans une
perspective de restauration de l’ordre public.
Charles VII en fixa les effectifs à 1 500 lances, comptant chacune un homme d’armes et deux
archers à cheval. Le premier était accompagné d’un coutillier – cavalier légèrement armé –, et
d’un page ou valet, tandis que les seconds étaient servis par un seul valet. L’homme d’armes,
armé de la lance qui donnait son nom à cette cellule élémentaire de six hommes, dont quatre
combattants, était l’héritier culturel, social et militaire du chevalier médiéval. Quoique tous
fussent pourvus d’un cheval, y compris les valets, les compagnies d’ordonnance n’étaient pas
à proprement parler des unités de cavalerie : c’était des unités intégrées, et presque autonomes,
puisqu’elles associaient la cavalerie lourde des hommes d’armes et l’infanterie montée des
archers, qui se déplaçaient à cheval, mais combattaient à pied. En réalité, assez vite, les archers
tendirent à combattre à cheval également, et abandonnèrent l’arc, au moins comme arme
principale. On les voit s’armer d’arbalètes, plus faciles à utiliser à cheval, et surtout de demilances de cavalerie, qui les transformèrent en hommes d’armes de deuxième ligne7. La grande
ordonnance de 1549 sur la levée, l’entretien et la police des gens de guerre donnait pour la
première fois des instructions précises sur l’armement exigé des hommes d’armes et des
archers. Elle révèle l’alignement des seconds sur les premiers. Les articles 23 et 24 stipulent en
effet que l’homme d’armes serait équipé d’une lance « grosse et forte », et, « si bon lui
semble », d’un pistolet à l’arçon ; l’archer devait se pourvoir… d’une lance et d’un pistolet
d’arçon, la seconde arme, alors toute nouvelle, n’étant pas optionnelle pour lui. Seuls différaient
les pièces d’armures, à peine plus légères pour l’archer, et le nombre de chevaux, à savoir quatre
pour l’homme d’armes, dont deux pour le service de guerre, et deux pour l’archer, dont un pour
le service de guerre8.
PÉQUIGNOT Stéphane « De la France à Barcelone. Une version catalane de « l’ordonnance perdue » de
Charles VII sur les gens d’armes (1445) », Revue historique, 676 (2015), p. 793-830.
7
SABLON DU CORAIL Amable, 1515 – Marignan, Paris, Tallandier, coll. « L’histoire en batailles », Paris, 2015,
p. 75-78.
8
Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, ISAMBERT et alii,
Paris, 1821-1833, t. XIII, p. 127.
6
Concomitamment, les nobles, déjà très majoritaires parmi les hommes d’armes, furent de plus
en plus nombreux à servir en tant qu’archer dans les compagnies d’ordonnance, alors qu’ils
n’étaient pas plus de 10 % parmi les archers à la fin du XVe siècle9. Blaise de Monluc, qui
commença ainsi sa carrière dans la compagnie du duc de Lorraine dans les années 1520, affirme
que pour chaque place d’archer devenue vacante, deux ou trois gentilshommes se présentaient
pour l’occuper. D’autres indices viennent confirmer l’accaparement par la noblesse des charges
d’archers10, avec la bénédiction de la monarchie, puisque l’ordonnance de 1549 faisait de la
condition de noble une obligation pour entrer dans les compagnies d’ordonnance, y compris
pour les archers11. Ce texte, visant explicitement les capitaines qui faisaient enrôler leurs valets
ou domestiques, indique sans doute un retournement de la tendance et une dégradation du
niveau du recrutement.
Ces deux phénomènes, à savoir l’élévation du niveau social, ou en tout cas l’aristocratisation
des archers au tournant du XVe et du XVIe siècles, ainsi que la mutation de leurs pratiques
guerrières, sont évidemment liés, le second dérivant sans doute du premier. Ainsi, dès les
premières décennies du XVIe siècle, les compagnies d’ordonnance étaient devenues des unités
d’élite, composées exclusivement de combattants à cheval, et n’offrant qu’une place de plus en
plus réduite aux éléments roturiers. Elles offraient un débouché important pour la noblesse, sans
doute équivalent à celui que représentaient les offices royaux, puisque malgré d’importantes
disparités d’une province à l’autre, une proportion comprise entre 5 et 15 % des nobles fieffés
du royaume pouvait trouver à s’employer dans les ordonnances du roi12.
Les compagnies étaient contrôlées une fois par trimestre, lors des « montres », opération qui
associait le passage en revue des gens de guerre, l’inspection des armes et de l’équipement, et
le paiement de la solde. La montre était d’autant plus importante qu’elle revalidait tous les
trimestres la composition des compagnies d’ordonnance. En effet, seul le nom des capitaines
figurait dans les lettres de retenue délivrées par le roi, qui les autorisaient à commander des
gens de guerre, dont le nombre, la qualité et la solde étaient précisés. Adressées aux officiers
de finance, ces lettres appartiennent à la catégorie diplomatique du mandement scellé sur simple
queue de parchemin13. La montre faisait intervenir le commissaire aux montres, toujours issu
CONTAMINE Philippe, Guerre, État et société…, op. cit., p. 464-465.
Ainsi, dans le bailliage de Troyes en 1558, la revue des possesseurs de fiefs astreints au service du ban et
arrière-ban, dont étaient exempts les nobles qui servaient déjà dans les compagnies d’ordonnance, indique que
parmi ces derniers, les archers étaient aussi nombreux que les hommes d’armes ; or à cette époque, le nombre
d’archers dans les compagnies d’ordonnance avait été ramené de 200 à 150 pour 100 hommes d’armes, ce qui,
en extrapolant ces chiffres à toutes les ordonnances, indiquerait donc que la grande majorité des archers étaient
d’extraction nobiliaire (NASSIET Michel, « la noblesse en France au XVIe siècle d’après l’arrière-ban », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, 46 (1999), p. 105).
11
ZELLER Gaston, Les institutions de la France au XVIe siècle, Paris, PuF, [1948] 1987, p. 299, et Recueil
général des anciennes lois françaises… op. cit., t. XIII, p. 129 (article 35).
12
Un douzième à un quinzième des chefs de famille nobles d’après Ph. Contamine (Guerre, État et société…,
op. cit., p. 479) ; 5% dans le bailliage de Caen en 1552, 15% en Champagne en 1558, jusqu’à 23% en Bourgogne
en 1568, mais pas plus de 3% en Bretagne en 1569 (Michel NASSIET, « la noblesse en France au XVIe siècle
d’après l’arrière-ban », art. cit., p. 105). À noter la différence de point de vue, entre le moderniste et le
médiéviste : le premier aura tendance à penser, tel Michel Nassiet, que « les nobles trouvant de l’emploi dans les
compagnies d’ordonnance étaient peu nombreux [au XVIe siècle] » - ce qui est juste par rapport au Léviathan que
fut l’armée louis-quatorizenne -, tandis que le second, prenant la mesure du chemin accompli depuis Hugues
Capet dans la reprise en main de la noblesse, suivra Philippe Contamine, pour qui « bien qu’elle ne soit pas
écrasante, la proportion est cependant loin d’être négligeable : l’armée permanente était pour le roi l’un des
moyens essentiels de discipliner sa noblesse, de l’unifier, de la récompenser ou de l’entretenir ».
13
Modèle de lettre de retenue dans le formulaire établi en 1427 par le notaire et secrétaire du roi Odart
Morchesne (http://elec.enc.sorbonne.fr/morchesne/8-9).
9
10
de la noblesse militaire, le secrétaire des guerres – qui appartenait au corps des notaires et
secrétaires du roi, et prendrait plus tard le nom de contrôleur général des guerres – ou son
commis, et un clerc des trésoriers des guerres. Ce dernier procédait au paiement, tandis que les
deux premiers établissaient la liste des gens de guerre prenant leurs gages du roi, à savoir les
hommes d’armes et les archers, à qui il revenait ensuite de pourvoir aux besoins de leurs valets
et coutilliers. Les noms des hommes d’armes et des archers étaient couchés sur une grande pièce
de parchemin, dont les dimensions variaient à la mesure des effectifs de la compagnie. Les rôles
de paiement des compagnies, eux-mêmes appelés « montres d’armes », indiquaient en outre le
lieu et la date de la revue, le trimestre soldé ainsi que le montant des gages versés. Ils étaient
scellés et signés par le commissaire aux montres, et signés par le commis du secrétaire des
guerres, qui attestait que le capitaine, les hommes d’armes et les archers se déclaraient satisfaits
du règlement de leur solde, et quittes vis-à-vis du trésorier des guerres. Ce dernier devait
produire cette pièce justificative en appui au compte qu’il présentait ensuite pour vérification à
la Chambre des comptes.
Ce système ne mobilisait qu’un personnel très restreint – moins d’une trentaine de personnes
pour toute l’armée royale. Au début des guerres d’Italie, Guichardin expliquait la supériorité de
l’armée française entre autres choses, par le contrôle des officiers du roi, grâce auquel « les
compagnies avaient leurs nombres pleins », au contraire des condottiere italiens « qui avaient
plein pouvoir de les [les gens de guerre] enrôler et de les payer14 ». Il ne faut pas accorder trop
de crédit au dénigrement des condottiere, passage obligé pour un Florentin pétri d’idéal
républicain, alors que les armées italiennes étaient depuis longtemps en voie de
professionnalisation et de « nationalisation », si l’on est autorisé à employer ce terme15. Il n’en
demeure pas moins que l’armée française était bel et bien parvenue à un point d’équilibre, au
cours de la période 1450-1525 : la qualité du contrôle, les effectifs encore limités de l’armée
permanente, et enfin le niveau très confortable des soldes suffisaient à éviter le phénomène des
« passe-volants » qui allait devenir le fléau des armées du premier âge moderne.
Les informations figurant dans les montres d’armes sont extrêmement limitées ; pour
l’essentiel, on n’y trouve que les noms de baptême, noms patronymiques et/ou surnoms des
gens de guerre. Parmi les hommes d’armes, seuls se détachent le capitaine et les lieutenant,
guidon et enseigne, qui figurent en tête de la liste, sans cependant que soit précisé le grade. Les
autres hommes d’armes sont recensés pêle-mêle, bien que l’on observe, d’une revue à l’autre,
une certaine stabilité dans l’ordre d’énumération. Elle demeure toute relative cependant. Bayard
est ainsi vingt-neuvième sur quatre-vingt-onze hommes d’armes passés en revue le 6 octobre
1495 à Verceil16. Il occupe la même position le 12 septembre 1497, à Aire-sur-la-Lys17, et figure
entre la vingt-cinquième et la vingt-neuvième place aux trois montres suivantes qui ont été
conservées18, avant d’être rétrogradé en quatre-vingt-deuxième position dans la montre d’armes
du 22 mars 150119, six mois plus tard seulement, sans qu’il ait changé de compagnie, qui est
alors toujours celle du comte de Ligny, ni de garnison, à savoir Pavie. Dans les trois premières
montres d’armes de cette série de six, il figure entre Antoine de Sempy et l’un de ses plus
célèbres compagnons, Thierry d’Eurre. Le premier disparaît ensuite des rôles de la compagnie,
GUICCIARDINI Francesco, Histoire d’Italie, Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini éd., t. I, Paris, R.
Laffont, coll. « Bouquins », 1996, p. 68-69.
15
MALLETT Michael, Mercenaries and Their Masters. Warfare in Renaissance Italy, Barnsley, Pen and Sword
Books, [1974] 2009, p. 107-130.
16
Annexe, montre n° 2.
17
Ibid., montre n° 3.
18
Ibid., montres n° 4 à 6.
19
Ibid., montre n° 7.
14
tandis que Thierry d’Eurre, qui suit encore Bayard dans la montre du 2 novembre 149920, en est
séparé à celle du 21 août 150021 par deux hommes d’armes venus s’intercaler entre eux. Sans
doute ces listes reflètent-elles les affinités personnelles et les habitudes de placement prises lors
des passages en revue, à moins que les commissaires aux montres ou les capitaines se soient
efforcés d’ordonner et mettre en rang les gens de guerre selon des critères qui nous échappent.
Lorsque des hommes d’armes ou des archers quittent la compagnie au cours du trimestre
correspondant à la montre d’armes, ils sont payés en principe jusqu’à leur dernier jour de
service. On indique donc, en mois et en jours, la durée exacte du service accompli. De même,
les remplaçants sont payés à partir du jour de leur entrée dans la compagnie. Lorsque le
remplaçant succède immédiatement au partant, leurs deux noms figurent à la suite et sont
identifiés par une accolade en marge, et leur temps de service cumulé correspond à un trimestre
de solde22. Ces renseignements sont particulièrement précieux pour mesurer les pertes au
combat, car on constate alors que tout un groupe d’hommes d’armes et d’archers disparaît le
même jour23, mais leur exploitation nécessite beaucoup de prudence. En effet, il n’est pas si
courant qu’il y ait correspondance parfaite entre le nombre de jours de service payés et la date
de la bataille, lorsqu’on la connaît24. Il est donc probable qu’au moment de solder les comptes
des disparus au profit de leurs ayant-droits, on ait procédé à des crues (rarement) ou à des
retranchements (le plus souvent) de gages pour les raisons les plus diverses, qu’on ne peut guère
que supputer (primes, congés sans soldes, retour tardif de certains permissionnaires, etc.). La
correction la plus courante pourrait être la soustraction d’avances accordées par les trésoriers,
soit collectives25, soit individuelles… Quant aux remplaçants, un délai plus ou moins long peut
s’écouler entre la disparition de leurs prédécesseurs et leur prise de service.
Par ailleurs, il est bon de rappeler que les noms présentent de fréquentes variantes graphiques,
sans parler des surnoms ou des sobriquets, employés seuls ou en complément des prénoms et
patronymes. Ainsi Le Marquis Phébus26 devient-il Phébus de Seve dit le marquis deux ans plus
tard27, et Phébus de Seve tout court en novembre 149928. Notre héros lui-même, dans trois des
premières montres d’armes dans lesquelles il apparaît, est désigné comme Pierre de Bayard,
20
Ibid., montre n° 5.
Ibid., montre n° 6.
22
Ainsi, dans la compagnie du comte de Ligny, le 1er octobre 1494, Guillaume Cobleton est payé pour deux
mois, et Jean Naudon du Solier est payé « pour le reste » (BnF, Fr 21504, n° 520). Les montres précédentes et
suivantes confirment que du Solier a bien succédé à Cobleton.
23
Ainsi peut-on observer par exemple, dans la revue de la compagnie de 100 lances de François de la
Sauvagière, passée le 15 décembre 1479 à Béthune pour le trimestre de juillet à septembre précédent, que sept
hommes d’armes et huit archers ont été soldés pour un mois et sept jours, soit très exactement jusqu’au jour de la
bataille de Guinegatte, livrée le 7 août 1479 contre Maximilien d’Autriche (AN, K 72, n° 33).
24
Ainsi, la revue de la compagnie du seigneur de La Palice effectuée après la bataille de Marignan accuse la
perte de trois hommes d’armes et douze archers. Quatre archers seulement sont soldés pour deux mois et treize
jours, soit le temps exact écoulé entre le début du trimestre et Marignan (13-14 septembre 1515), tandis que les
autres l’ont été pour un mois et vingt-huit jours seulement (BnF, Fr 21509, n° 899), soit quinze jours de moins.
On pourrait supposer que ces pertes sont à mettre au compte d’une escarmouche intervenue avant la bataille, si
on ne constatait dans les revues des autres compagnies ayant combattu à Marignan de semblables écarts, compris
entre trois semaines de moins et quinze jours de plus que les deux mois et treize jours théoriques.
25
Ainsi, dans le cas de la compagnie de La Palice passée en revue après Marignan, la différence de quinze jours
entre le nombre de jours de service présumés et le nombre de jours soldés pourrait correspondre à une avance
consentie par le trésorier des guerres pour permettre aux gens de guerre de faire face aux frais extraordinaires de
la campagne.
26
52e homme d’armes (BnF, Fr 21504, n° 530, 18 janvier 1495 Rome),
27
12e homme d’armes (21504, 588, Aire, 25 novembre 1497)
28
14e homme d’armes (21504, 651, 2 novembre 1499).
21