Michel Deguy

Dans le paysage brouillé de la poésie française contemporaine, Michel Collot s’attache à dégager quelques lignes de force, en retraçant les principales étapes de son évolution et en mettant l’accent sur certaines de ses orientations, souvent négligées par la critique et les anthologies récentes.

Après deux décennies marquées par le textualisme et le formalisme, les années 1980 ont vu le renouveau du lyrisme, qui ne se limite plus à l’expression du sentiment personnel mais s’accompagne d’une plus large ouverture au monde et de nouvelles formes d’oralité, qui renouent avec le chant, longtemps proscrit de la scène poétique française. « Il y a encore des chants à chanter  », écrivait Paul Celan, en réponse aux tragédies de son siècle ; ils font entendre aujourd’hui, par la voix du poète, la polyphonie, harmonieuse ou dissonante, d’un monde désenchanté ou réenchanté.

À ces diverses tendances correspondent autant de façons différentes d’aborder les relations entre la poésie et la nature, le sujet et l’objet, le langage et l’espace, la lettre et le sens, le vers et la prose. Michel Collot analyse les formes singulières et les enjeux multiples qu’elles revêtent dans quelques œuvres marquantes du dernier demi-siècle : celles de Bernard Noël, Michel Deguy, Jean-Paul Michel, Lionel Ray, Jean-Claude Pinson, Antoine Emaz, Philippe Jaccottet, Pierre Chappuis, François Cheng et André Velter.

Selon Michel Deguy, l’aphasie chez les personnages de la comédie marivaudienne correspond à un «moment de crise,  d’étourdissement ou les choses se défont “ (La machine matrimoniale, 245). Deguy insiste que ce moment capital est le fait exclusif du théâtre marivaudien, le seul lieu possible de l’épreuve, moment suprême d’authenticité. Prenant l’exemple de La vie  de Marianne, ce travail revient sur les modalités de l’épreuve  dans le texte narrative et montre comment ce texte est celui de la parole perdue et reconquise, texte où le jeu d’aphasie et de prolixité révèle enfin la parole authentique de l’être libre.

Avant de parler des poètes, je commencerai par un détour : par la dernière phrase de Sarrasine (1830), de Balzac, et par le célèbre commentaire de Roland Barthes dans S/Z, qui l'accompagne. C'est qu'il y est justement question du « pensif », adjectif à partir de quoi Barthes forge le terme de pensivité, qu'il constitue en opérateur critique. Voici cette dernière phrase : « Et la marquise resta pensive ». Marquise, qui, je vous le rappelle, venant d'apprendre une vérité insoutenable, décide de renoncer au monde et à ses passions.

Il est malaisé de rendre compte d'un tel ensemble d'études qui peuvent, pour certaines, constituer au moins des données utiles, voire précieuses, en vue d'une approche systématique et unitaire de « la poésie en prose [française] au XX e siècle », mais dont le principe d'organisation parfois nous échappe. Le livre, dont les auteurs sont pour la plupart universitaires, s'affranchit de plusieurs normes académiques, ce qui reflète l'une des idées reçues sur la poésie en prose ; dépourvu d'index et de bibliographie, il ne saurait servir d'ouvrage de référence. Moindre mal, il n'en manque pas [1], la poésie en prose étant censée, comme le réalisme, être un phénomène primordialement français. Il faut donc s'immerger et lire, au choix, dans l'ordre, ce que j'ai fait, comme jadis pour Marelle de Cortázar, ou dans le désordre, ce qui revient à peu près au même. Certes la poésie en prose est un serpent de mer, un monstre du Loch Ness, on eût peut-être souhaité qu'elle réapparût plus distinctement qu'elle ne le fait dans un album de famille étendue que viennent heureusement couronner deux longs entretiens avec Michel Deguy, dont les bâtons prétendument rompus sont, eux, tout émaillés des étoiles filantes du « penser à » et cohèrent sans colle.

RESUMO: Em que sentido um discurso sobre a ecologia pode configurar uma poética relacionada com a natureza? Qual o estatuto de uma poética para a qual a natureza parece abrir mão de sua função simbólica para apresentar-se tão imediatamente vizinha da ciência, da política, da filosofia? A obra recente do poeta e crítico francês Michel Deguy não apenas oferece algumas propostas interessantes em relação a esse tema como ajuda a entender sua importância para o debate contemporâneo, colocando em jogo uma ideia bastante ousada da tarefa do poeta como voz ativa nas discussões sobre o destino do homem.

Cet article analyse, à l'aune de la tradition poétique française moderne (de Lamartine à Mallarmé), les différentes connotations du mot "corona" dans le poème de Michel Deguy "Coronation", écrit  à l'occasion des premiers effets du virus du même nom dans le monde.

This article investigates how Deguy and Jaccottet treat the question of dwelling in their carnets , analysing how they both use the highly fluid and adaptable form of the notebook to trace the subject’s interactions with its environment. It explores how Deguy’s experimental notes celebrate the idea that writing constitutes a form of dwelling, presenting linguistic experimentation as an inherently productive form of spatial engagement. It examines how Jaccottet problematises this idea, refusing to present his texts as part of an on-going linguistic practice that shapes everyday life, trying to shift the emphasis away from the formative capabilities of language to its receptive capabilities. Investigating this tension between Deguy’s poetics of invention and Jaccottet’s poetics of receptivity, this article explores the different ways in which the question of human agency is being framed in France at the end of the twentieth and the beginning of the twenty-first century.

Resumen: El poeta que Deguy siempre ha querido ser, por el que ha empeñado su escritura y su vida, es el que afronta la tarea imposible de explicar la lengua a sí misma, de hacer que la lengua reflexione sobre sí misma por medio de la expresión poética. Ésta indica los límites, pero al mismo tiempo, apunta las po-sibilidades de trascender las formas comunes de expresión y pensamiento. Por su parte, Derrida ha mostrado la conexión interna que, en este punto, existe entre filosofía y poesía. En el presente trabajo intento comentar en detalle las conexiones que existen entre Derrida y Deguy, valiéndome en gran medida de materiales que se encuentran en sus respectivos archivos, conservados en el IMEC (Caen, Francia).

« La réception des Journaux intimes de Baudelaire et de Pauvre Belgique ! : des Pensées de Baudelaire à la poésie d'un monde finissant (1887-2001) » dans Baudelaire : 150 ans, dir. Ioan Pop-Curseu, Editura Muzeul Literaturi Române, Bucarest, p. 65-82, 2019. Alors que Les Fleurs du Mal et la critique d'art baudelairiennes ont rapidement été reconnues pour leur puissance inaugurale, l'oeuvre posthume du poète reste longtemps dans l'ombre, même après sa publication partielle en 1887. Dans cet ensemble, des essais de pièces, quelques carnets, mais aussi trois esquisses d'ouvrages dont certaines, déjà bien avancées, recèlent un pouvoir quelque peu explosif. Cet ensemble hétérogène de pensées brèves et de pages souvent amères connaît une réception tardive car les trois ouvrages résistent dans un premier temps à la lecture en raison de leur aspect fragmentaire, mais aussi du fait de l'apparente transparence de leur prose. L'objectif de cet article est de replacer la réception de ces écrits dans le mouvement plus général d'institutionnalisation de l'oeuvre de Baudelaire et d'éclairer le paradoxe de leur appréciation : comme les Fleurs du Mal, les Journaux intimes et Pauvre Belgique ! font d'abord scandale et la polémique, qui ne s'apaise guère au moment de l'entrée de Baudelaire dans le canon scolaire, possède une étonnante capacité à resurgir, de part et d'autre du champ littéraire. On s'intéressera ici aux paradigmes interprétatifs dominants dans la réception de ces ensembles : sont-ils considérés comme des ouvrages autobiographiques ou non ? Ces pensées sont-elles sollicitées par la critique ou par les écrivains pour leur portée philosophique et politique ou bien comme un recueil à vocation théorique, métalittéraire ? Que signifierait, au fond, prendre ces textes au sérieux ?

Resumen La relación entre Jacques Derrida y Michel Deguy ha sido intensa y fructífera en los planos intelectual y humano. De ello nos dan buena prueba las referencias de Deguy a Derrida y los textos que dedicó a pensar con él y a partir de él. También la nutrida correspondencia entre ambos, a lo largo de cuatro décadas, conservada en el IMEC, en los archivos respectivos de ambos creadores. En este trabajo abordamos el análisis de esos materiales, prestando una atención particular a los textos que utilizó Derrida en el curso que impartió, en 1995, sobre la obra de Michel Deguy. Todo ello con el objetivo de profundizar en el conocimiento de las posiciones filosóficas de ambos autores.
Abstract:  The relationship between Jacques Derrida and Michel Deguy has been intense and fruitful in intellectual and human planes. It gives us good test Deguy references to Derrida and texts devoted to think with him and from him. Also, of course, the extensive correspondence between the two, over four decades, preserved at IMEC in the respective files of both creators. In this paper we address the analysis of these materials, paying particular attention to the texts used in the course Derrida gave in 1995 on the work of Michel Deguy. All with the aim of deepening the knowledge of the philosophical positions of both authors.

Du XXe siècle au contemporain, de nombreux écrivain·e·s de langue française ont parallèlement traduit leurs pairs. Ce collectif croise de multiples disciplines pour appréhender la traduction dans une perspective plurielle et pas uniquement traductologique, dans la mesure où ces figures d’écrivains-traducteurs interrogent la relation d’auctorialité dans la traduction littéraire, et donc les modalités comme les fonctions de la signature. L'ouvrage comporte des entretiens inédits qui font entendre la voix d'auteur.e.s contemporain·e·s (Marie Darrieussecq, Michel Deguy, Gérard Macé, Julie Wolkenstein). En mettant à l’honneur l’œuvre de traduction de grandes plumes des XXe et XXIe siècles, ce livre invite à repenser les écritures contemporaines à l’aune des œuvres signées aujourd’hui – traductions comprises.

Entre los fondos del Archivo Derrida conservados en el IMEC, se encuentra el dossier que Deguy envía a Derrida, a propósito de su desencuentro con Claude Lanzmann, en relación a la política que frente a los palestinos mantiene desde hace años el Estado de Israel. Nos muestran estos documentos que Deguy defiende los derechos del pueblo palestino, sin negar jamás el derecho de Israel a existir, una posición análoga a la sostenida en este punto por Derrida, quien siempre apostó por el diálogo entre las dos comunidades. El asunto es relevante, no sólo por su penosa actualidad, sino por lo que puede suponer en la comprensión de las relaciones entre dos grandes referentes intelectuales de nuestra época, como siguen siendo Michel Deguy y Jacques Derrida. La presente intervención se divide en dos partes, en la primera se analiza la polémica de Deguy con Lanzmann, mientras que en la segunda me adentro en el trasfondo filosófico de esa discusión, evocando uno de los recorridos que Jacques Derrida hizo por el problema de fondo, en su seminario "Theologico-politique": "Nationalité et nationalismes philosophiques".

This paper investigates the work of poet and theorist Michel Deguy from the point of view of his understanding of the question of technique in the contemporary world. Retracing Deguy's steps, it notes that nature as a topic gradually recedes into the background, thus opening the way to the scrutiny of divers figures of technical "progress", which then lead to the emergence of geopolitical, cultural and poetical issues. Even though they appear virtually throughout his work, these figures are to be found most forcefully in Le spleen de Paris (2001), a title that significantly points to the roots of the subject in Baudelaire. There, urban traffic (cars, pedestrians, bikers) acquire a political-poetical dimension and its rhetoric helps one grasp the fashion in which the author conceives of the "humanist" sense of poetry.

Vrije vertaling uit het Frans van Michel Deguy's bagatelle "Voor Greta", op 9 jan. 2020 gepost op de blog van Les amis de la génération Thunberg, met volgend URL: https://blogs.mediapart.fr/les-amis-de-la-generation-thunberg/blog/080120/michel-deguy-pour-greta

This essay will examine, in turn, the three practices that appear to guide " polethics " —Michel Deguy's system for orienting the subject's relationship to other subjects in the world. By closely following Michel Deguy's lifelong attention to Baudelaire's insights into seeing and sight, which anchor modernist experience, our exploration will lead us to better understand that—far from a pastime or passive activity—gazing at the other is the very condition of possibility of an ethics founded on empathy. Po esie — Politique — Ethique. Ce sont l a les trois pratiques que Michel Deguy fait conspirer sous le mot valise de pol ethique. Autant dire trois asc eses pour lesquelles il faut des yeux pour voir : pour voir devant soi, voir derri ere soi, revoir, pr evoir, voir le monde, voir l'autre. Or, toute l'oeuvre po etique de Michel Deguy proc ede a l'instar de la po etique moderne, c'est-a-dire a l'instar de l'oeil baudelairien : « l'oeuvre […] de Baudelaire, [ ecrit-il], nous parle, nous arrivant de tr es-ailleurs-tr es-pr es dans la langue française. Comment et a quoi bon ? Pourquoi Baudelaire encore ? » (Piet a 22). 1 Justement, « pourquoi Baudelaire encore ? ». Cet observateur assidu de la vie parisienne au moment o u le Baron Haussmann d echiqu ete la ville, comment faisait-il, l'auteur des Fleurs du mal ? Quel emploi des yeux Charles Bau-delaire faisait-il pour voir ce que d'autres de son etat refusaient de voir ? On conna^ ıt bien le sc enario et le dispositif des « Yeux des pauvres », cette 26 e prose po etique du Spleen de Paris. Comme Marshall Berman l'a ecrit il y a un quart de si ecle, la modernit e de ce tableau spleen etique r eside tout entier dans l'emplacement de son action : un boulevard. L'innovation urbaine la plus r evolutionnaire, choquante, traumatisante au si ecle f etiche de Walter Benja-min fut cette balafre circulatoire sur la chair urbaine, qui vient a bout de la ville m edi evale avec ses d edales. Non seulement les boulevards furent-ils conçus pour faciliter la r epression de tout soul evement populaire mais l' Etat

4e de couv.:

“LE DÉTOURNEMENT : ce geste d’appropriation, entre citation, plagiat et pastiche, peut être irrévérencieux, outrancier, vorace ou subversif ; le résultat, lui, sera tour à tour comique ou inquiétant, mais – à condition d’être remarqué – toujours désorientant. Qu’il désigne un rapt, une reprise frauduleuse, une atteinte au bon goût ou un acte terroriste, le détournement s’inscrit dans l'histoire de plusieurs avant-gardes. Si c’est aux abords de 1960 que s’accroît l’intérêt pour ses formes et ses représentations, au moment où les situationnistes l’établissent en tant qu’opération stratégique et l’ouvrent résolument à sa dimension sociopolitique, l’histoire du détournement est plus ancienne et il reste aujourd’hui difficile de nier son importance dans de très nombreuses interventions littéraires modernes et contemporaines. L’étude du phénomène, investie par les historiens de l’art, a pourtant été quelque peu délaissée par la critique littéraire. Et si la pratique du détournement touche plusieurs littératures et convoque autant de disciplines, puisque par nature elle trouble et transgresse les frontières, son importance dans le domaine français aux XXe et XXIe siècles demeurait jusqu’ici trop peu explorée. Au fil des études rassemblées dans le présent ouvrage, le lecteur verra se dessiner l’histoire et l’évolution de cette pratique, de Dada à l’extrême contemporain, à travers une multiplicité de figures, certaines déjà fort connues (Tzara, Breton, Éluard, Péret, Cocteau, Michaux, Perec, Debord et Deguy), d’autres moins, qui restent encore à découvrir (Cadiot, Alferi, Novarina, Bouchard, Game, Moussempès et Boyer).”

Reframing the vocation of the poet in a reading of a singular poet, Michel Deguy, Derrida in ‘How to Name’ calls for a singular poetics ‘each time’ and an entirely other poetic accompaniment. Poetry, he shows, is devoted to an ‘incurable haunting,’ the haunting of two saluts: salvation (desiring safety and conferring health) and salutation (calling out and greeting).

Echos baudelairiens au XX e siècle : De la modernité à la conscience en poésie (1917-­‐‑ 1967) Mathilde Labbé Conférence prononcée dans le cadre du séminaire Généalogie du moderne Université de Nantes, laboratoire L'Antique, le moderne 13 février 2017 14h-­‐‑ 16h

This paper compares Michel Deguy's and Philippe Jaccottet’s respective uses of the poetic notebook. It analyses how Deguy uses the notebook's protean and provisional form to explore how human thought shapes material existence and how Jaccottet uses it to avoid reifying the human subject and to attend to the alterity of material existence. Comparing Jaccottet’s poetics of effacement with Deguy’s poetics of human exceptionalism, this article explores how the two writers use the marginal form of the notebook to rethink the limits of linguistic and literary experience in very different ways and to produce two very different ecopoetics. It asks whether such a schism can explain the Francophone ecological movement’s slowness to galvanise? Or whether it is testament to the inherent diversity of ecological thought, its tendency to thrive, as Lawrence Buell writes, ‘in the intercommunication between critical vocabularies’?

Que font les écrivains lorsqu’ils n’écrivent pas ? Ils parlent, et lorsqu’ils parlent c’est souvent de littérature. L’écrivain, aujourd’hui, n’est plus seulement quelqu’un qui écrit. Il est aussi quelqu’un dont on recueille les propos : au sujet de ses livres, de ceux des autres, ou encore de son métier, même si ce métier n’est généralement pas le seul. Parfois, les auteurs s’expriment en privé, en tête-à-tête ou dans leur correspondance. Mais, chaque jour davantage, comme leurs écrits, leurs paroles s’adressent au public : en librairie, en classe, à la radio ou à la télévision, sur internet.
Ceci n’est pas un simple livre d’entretiens (ces livres ne manquent pas), mais un livre d’entretiens sur les entretiens (le premier du genre à notre connaissance). Il ne s’agissait pas tant d’interroger les écrivains sur leurs livres etsur leur pratique de l’écriture, que sur l’instrument même dont ils se servent pour en parler. Afin de faire de cet ouvrage une véritable enquête, nous avons préparé deux questionnaires de base, divisés en plusieurs rubriques. Le premier de ces questionnaires était destiné aux écrivains, le second aux intervieweurs, à charge pour chaque intervieweur de s’adapter à son interlocuteur.

Entretien sur le livre à écouter sur Espaces Livres : http://www.espace-livres.be/Secrets-d-ecrivains-de-David?rtr=y