CTF 056 0115
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© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 23/05/2024 sur www.cairn.info par via Institut Méditerranéen de Formation (IP: 84.97.93.13)
DOI 10.3917/ctf.056.0115
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Résumé
Les familles d’enfant avec autisme se vivent souvent comme coupées du
monde, repliées sur elles. Tout se passe comme si le temps s’était arrêté. La vie
entière de la famille semble s’organiser en fonction et autour des troubles d’un
de ses enfants, et souvent, la place des frères et sœurs s’en trouve bouleversée.
L’enfant avec autisme se développe lui-même en dehors des repères fixés par le
temps social, ce qui a fréquemment des répercussions sur la mise en œuvre de sa
scolarité. L’auteur, au travers de vignettes cliniques, propose d’exposer les outils
qu’elle utilise pour soutenir enfant, parents et fratrie, et permettre leur réinscrip-
tion dans une temporalité sociale et temporelle.
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116 Anne Dall’Asta
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mique nous a amenée à nous intéresser aux contextes dans lesquels évoluent
les enfants avec autisme, et plus particulièrement les contextes familial et
scolaire.
Durant notre travail de près de 30 ans auprès d’enfants avec autisme
et leur famille, nous avons été frappée par la récurrence de trois éléments
essentiels et intimement liés :
–– aucun progrès n’est obtenu chez l’enfant, quelles que soient les mé-
thodes thérapeutiques et rééducatives mises en œuvre, même sur de
longues périodes, si nous ne parvenons pas à instaurer une relation de
confiance avec les parents. Et celle-ci est particulièrement difficile à
instaurer du fait même de la particularité de l’autisme.
–– l’évolution des enfants avec autisme semble se faire en dehors de
toute temporalité, temporalité temporelle et temporalité sociale. Le
temps semble s’être arrêté pour la famille et son enfant avec autisme,
ce qui se traduit souvent par une incapacité pour les parents de se pro-
jeter dans l’avenir, et même simplement, de pouvoir l’évoquer. L’évo-
lution des autres membres de la famille peut s’en trouver affectée.
–– un incroyable isolement frappe la plupart des familles, que ce soit au
sein de leur propre famille élargie, ou au sein de la société : plus de
vie sociale, plus de sortie, ne serait-ce que pour faire des courses ou
se promener dans un jardin d’enfant, peu ou plus d’amis à la maison.
Affronter le regard d’autrui sur le comportement insolite ou inadapté
de leur enfant, est pour elles tout à fait impossible.
Nous avons choisi d’aborder ce sujet sous l’angle de la temporalité,
car elle touche l’enfant avec autisme dans son développement « hors du
temps », elle touche la famille dans son isolement et son incapacité à se
projeter dans le temps et elle nous touche dans notre pratique thérapeutique
en nous amenant à créer des espaces/temps spécifiques pour construire
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récurrentes d’instaurer une relation de « partage de sens » avec les parents.
Certains parents ont un comportement singulier en présence de leur
enfant avec autisme : tout se passe comme si la famille est repliée sur elle et
centrée sur les troubles relationnels incompréhensibles de son enfant. Soit
les parents expriment un sentiment d’angoisse et de culpabilité de ne pas
réussir à communiquer avec lui, soit, dans une sorte d’hyper adaptation à
l’autisme de leur enfant, ils effacent ses bizarreries comportementales en
leur donnant un sens acceptable socialement.
Vignette 1
Lors de l’entretien en vue de son admission, Adem, petit garçon de
5 ans, sautille sur place, agite ses mains en battement d’aile d’oiseau et
pousse de petits cris stridents « hiii, hiii, hiii ». Son papa se tourne vers lui,
éclate d’un rire un peu forcé et lui dit « tu aimes rire mon fils, moi aussi je
trouve ça drôle ».
Vignette 2
Chaque matin, une maman amène son fils Hugo, 10 ans, à l’hôpital
de jour et sortant de sa voiture, à côté de son fils, elle se met à trépigner
sur place en comptant à toute vitesse de 1 à 20, puis elle court vers la porte
d’entrée. Elle fait ainsi du rituel stéréotypé de son fils – compter de 1 à 20
d’une voix mécanique, pour lui permettre de franchir sans trop d’angoisse
la distance qui le sépare de l’entrée – une sorte de jeu où le premier des 2
qui a dénombré les chiffres et atteint la porte, a gagné. Et arrivée peu après
son fils devant la porte, elle saute de joie en disant « bravo, tu as gagné »,
alors qu’il est déjà en train d’entrer, sans un regard vers elle.
Il est très fréquent de voir des parents agir ainsi, mais de fait, renon-
cer rapidement eux-mêmes à toute interaction sociale face à une société qui
ne manque pas de les regarder avec perplexité, consternation voire hostilité.
118 Anne Dall’Asta
Tous se passe comme s’ils n’avaient pas d’autres alternatives : être en phase
avec la société régie par ses codes interactionnels, avec l’impression de ne
plus être en contact avec leur enfant, ou rester en lien avec lui en se compor-
tant un peu comme lui, en en faisant quelqu’un de pas si différent, mais en
s’exposant alors aux regards consternés des autres.
Certains parents se montrent incapables d’imaginer l’avenir, même
proche, de leur enfant. Le développement hors des repères temporels de leur
enfant leur fait perdre leurs propres repères et ils ont tendance à rester figés
dans une perception de lui très en deça de ses capacités, n’attendant rien
de lui et ne sachant comment le stimuler. Les attentions qu’ils lui portent
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sont dans l’ici et maintenant. Lorsqu’il est évoqué, à l’occasion d’un pas-
sage d’école maternelle à école primaire par exemple, l’avenir provoque
effroi, déni ou effondrement. Certains parents exigent que leur enfant entre
en classe normale comme les autres enfants de son âge, alors qu’il ne com-
prend pas le contexte scolaire, l’obligation de rester assis à table et de réa-
liser les consignes données par la maîtresse. D’autres souhaitent que leur
enfant reste indéfiniment en école maternelle.
La confrontation aux règles et tempo des contextes scolaires tradi-
tionnels provoque parfois des réactions paradoxales :
Vignette 3
Maximilien est un jeune garçon de 7 ans, avec autisme sévère. Bien
que n’ayant aucune appétence pour les apprentissages, ses parents et sa
maîtresse ont insisté pour qu’il soit maintenu une année supplémentaire
dans l’école maternelle de son village. Au moment du passage en école
primaire, nous recevons la famille pour envisager toutes les éventualités.
Enzo, son grand frère, âgé de 10 ans, nous dit être jaloux car Maximilien a
reçu un ordinateur portable alors que lui non. La maman, joyeuse, explique
à Enzo : « ton frère va quitter l’école pour aller dans un IME, c’est donc son
cadeau de fin d’étude. Toi aussi tu en auras un quand tu auras fini tes études
à la fac ». Puis elle s’effondre en larme devant Enzo désemparé et son mari
agacé et ému. Maximilien déambule dans la pièce, dans son monde.
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Les tableaux cliniques sont nombreux et varient en gravité, de la
forme la plus sévère avec absence totale de communication verbale et non
verbale, retrait, agitation, intérêts restreints, automutilation, aux formes
légères où l’enfant acquiert un langage verbal à but de communication, est
scolarisé et fait des apprentissages tout en ayant des interactions sociales
perturbées.
Nous disposons de plusieurs classifications diagnostiques, elles-
mêmes évolutives, et nous pouvons aisément comprendre le profond désar-
roi des parents qui s’y perdent : certaines plus descriptives telles le DSM
(Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders) IV puis V, issue
des pays anglo-saxons et la CIM (classification internationale des mala-
dies) 10 bientôt 11, qui en est proche. D’autres sont plus explicatives dans
les modes de fonctionnement telles la CFTMEA (classification française
des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent) qui devient CFTMEADA
en ajoutant « disciplines associées ». Dans son excellent ouvrage « Histoire
de l’autisme », Jacques Hochmann (2009) en décrit les évolutions et les
mécanismes qui les sous-tendent.
Nous passons ainsi de psychose infantile à trouble envahissant du
développement (TED), puis troubles du spectre autistique (TSA).
Nous ignorons toujours les causes de l’autisme, même s’il y a un
consensus en faveur d’un trouble neuro développemental et de la nature
multiple des facteurs en cause avec implication forte des facteurs géné-
tiques. La HAS (Haute Autorité de Santé) a spécifié récemment que les
facteurs psychologiques parentaux en particulier maternel et les modalités
d’interactions relationnelles précoces n’expliquent pas la survenue de TED.
Cela semble évident aujourd’hui, mais nous autres pédopsychiatres, payons
encore cher aujourd’hui en France, les conséquences de certains position-
nements psychanalytiques mettant en cause les attitudes maternelles dans la
120 Anne Dall’Asta
genèse de l’autisme de leur enfant. Est-ce à dire que la qualité des interac-
tions parents-enfant ou la dynamique relationnelle intra familiale ne jouent
aucun rôle ?
Vignette 4
Paul est un petit garçon de 5 ans lorsqu’il est admis à l’HJ. Il pré-
sente un autisme sévère et semble ne pas avoir conscience de lui en tant que
personne, ni des autres. Il se déplace dans la pièce sans chercher l’autre du
regard, ou alors de manière furtive. Il semble percevoir de façon extrême
toute une série de sensations sensorielles, sans pouvoir leur donner de sens.
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Il a des mouvements répétitifs du corps, déambule sans cesse en faisant
tourner sur lui-même un ruban. Il ne parle pas, mais pousse des cris et
ne s’intéresse à rien d’autre que son ruban, appelé « tournicoti » par sa
maman. Il a des moments d’agitation importante avec des gestes auto ou
hétéro agressifs sans raison apparente.
Ces quelques éléments succincts sur la notion d’autisme nous per-
mettent de préciser notre position de pédopsychiatre sur les TED ou TSA,
telle que nous l’expliquons aux parents : il n’y a pas une seule cause, mais
probablement de multiples, et nous n’avons la preuve d’aucune. Il n’y a pas
un seul modèle de compréhension, mais plusieurs qui se complètent. Il n’y
a pas de modalité de prise en charge unique et exclusive, mais de multiples
approches qui s’enrichissent mutuellement. Les recherches se poursuivent
et nous suivons de près leurs avancées.
2) Les singularités du développement de l’enfant avec autisme
Nous notons toujours un décalage entre le développement physique,
psychomoteur et de langage chez l’enfant avec autisme. L’âge des acquisi-
tions ne correspond pas aux repères habituels. Décalage entre, par exemple,
un développement physique harmonieux, une absence de langage parlé à
but de communication et des compétences mnésiques exceptionnelles.
Chaque domaine de développement semble évoluer, ou ne pas évo-
luer, pour son propre compte, ce qui jette souvent le trouble tant chez les
parents que chez les professionnels au moment de mettre en œuvre une
scolarisation même partielle, dans un système scolaire structuré en années
scolaires, en tranches d’âge spécifiques, où l’acquisition de connaissance
se fait selon des modalités pédagogiques globalement identiques pour tous.
En quelque sorte, on se trouve face à différentes questions : quelle place
pour l’enfant à l’école, et en fonction de quels critères, d’âge, de taille, de
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Barthélémy & Pedinielli (2008) : elle « organiserait le temps linéaire et
mesuré qui régit la vie en société ». Nous sentons la souffrance des parents,
à qui l’on impose des horaires coupés en demi-matinées, qui vont cher-
cher leur enfant au moment de la récréation, sous le regard lourd d’une
enseignante qui se sent impuissante devant l’agitation d’un enfant semblant
ignorer sa présence. Et nous mesurons combien il est essentiel pour tous les
parents, que leur enfant soit comme les autres, qu’il puisse aller à l’école
comme les autres.
lien avec eux pour obtenir une meilleure efficacité thérapeutique, au risque
de coller à leur propre définition du problème et celui d’identifier, nommer et
prendre en charge les besoins spécifiques de l’enfant avec autisme, au risque
de compromettre d’emblée cette alliance.
En nous inspirant de l’approche systémique, à la fois du modèle stra-
tégique (Haley, 1973 et 1976), et du modèle structural (Minuchin, 1974),
nous proposons de construire cette alliance, forme d’affiliation avec ces
parents, en acceptant de faire coexister ces deux niveaux de lecture dans un
même espace-temps, les deux étant légitimes de la place d’où ils sont for-
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mulés. Dans cet espace-temps, il n’y a pas d’enjeu pour savoir qui a raison,
mais juste la possibilité que nos regards et leurs regards sur l’autisme de leur
enfant se rencontrent. Chacun a raison de sa place (Goldbeter-Merinfeld &
Elkaïm 2007).
2) L’organisation des rencontres avec les parents et l’enfant :
créer des espaces-temps spécifiques et différenciés
Les prises en charge thérapeutiques de l’enfant à l’hôpital de jour
vont s’organiser autour de deux axes concomitants : celui des soins dans
« l’ici et maintenant » et celui des perspectives évolutives, en fonction des
progrès de l’enfant et ancrées dès le départ dans la temporalité sociale. Le
rythme des rencontres avec les parents, toujours en présence de leur enfant,
va être fixé dès leur premier rendez-vous avec le médecin à l’hôpital de jour,
et leurs objectifs seront définis.
Ces rendez-vous sont de deux ordres :
1) Les consultations avec le médecin et une des infirmières référentes
de l’enfant :
Leurs objectifs sont de fixer le cadre général des prises en charge de
l’enfant à l’hôpital de jour, le nombre de jours, la durée de la période d’ob-
servation, de préciser le diagnostic et répondre à toute question de la part
des parents, d’expliquer les objectifs thérapeutiques, mais aussi de préciser
la nature des interfaces instaurées dès l’admission de l’enfant, avec les pro-
fessionnels de l’éducation nationale ou spéciale, et avec tout professionnel
qui s’occupe de l’enfant telles les orthophonistes libérales.
Nous avons choisi de fixer au minimum un rythme trimestriel à ces
consultations, en référence à la rythmicité des trimestres scolaires, mais
elles peuvent être plus fréquentes à la demande des parents.
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semaines et nous nous reverrons après une synthèse en équipe pour vous
dire ce que nous comprenons de ses difficultés, ce que nous mettrons en
œuvre comme thérapeutique et dans quel objectif ». En quelque sorte leur
dire : « Vous êtes les bienvenus avec votre définition du problème et nous
prendrons le temps de répondre à toutes vos questions ».
Nous nous assurons des aides dont les parents peuvent bénéficier au
titre du handicap de leur enfant et le cas échéant, nous les mettons en rap-
port avec notre assistante sociale. Nous explorons également les éventuelles
répercussions de l’état de leur enfant sur la fratrie, la vie de famille, les
relations avec la famille élargie. De même que l’existence de réseaux soute-
nants, amis et/ou associations.
2) Les rendez-vous avec les deux infirmières référentes de l’enfant,
les parents et l’enfant :
Leurs objectifs sont de parler, d’une part du contenu des différentes
médiations thérapeutiques mises en œuvre dans le cadre des objectifs fixés,
d’autre part de faire le lien avec les parents sur le comportement de leur
enfant dans sa vie quotidienne : la prise de repas, la sélectivité des aliments,
l’acquisition de la propreté, l’autonomie, la prise en compte du danger, les
comportements dans la cité, la rue, les parcs pour enfants, les magasins, la
voiture, les transports en commun.
Leur rythme est au minimum mensuel, mais peut varier en fonction
des demandes parentales.
Ils ont lieu le plus souvent à l’hôpital de jour mais les référentes
peuvent se rendre à domicile pour aider les parents démunis et qui le sou-
haitent, à mieux prendre en compte les besoins de l’enfant et leur montrer
ses compétences relationnelles, ses intérêts, et le type de jouet ou d’activités
d’éveil qu’il est en capacité d’investir.
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Elles représentent la permanence du lien pour l’enfant, ses parents,
les partenaires et pour toute l’équipe de l’hôpital de jour.
Ainsi, « l’ici et maintenant hors du temps » de l’enfant à l’hôpital de
jour est ancré, dès le début, dans la temporalité sociale, que représentent
l’école et son rythme, la cité et ses règles, la famille et son organisation.
L’hôpital de jour représente un lieu de soin et non un lieu de vie pour
leur enfant, mais ce lieu de soin n’est pas coupé de la vie sociale. Notre
objectif clairement affirmé aux parents est qu’un jour, l’enfant n’en aura
plus besoin, parce qu’il ira mieux, parce que sa scolarité sera mieux investie
par lui, au plus près de ses capacités. Nos échanges trimestriels avec l’école
nous permettent de décider, avec eux et les parents, et même en cours d’an-
née, d’augmenter le temps scolaire si le constat commun va dans ce sens.
Nous réorganisons alors les soins sur un nombre plus restreint de jours.
Ainsi, cette organisation nous permet d’envisager l’avenir aux cô-
tés des parents, parfois même, pour un temps, de prendre leur relai afin
de porter l’enfant dans un devenir, au travers de nos réflexions cliniques,
des échanges avec les enseignants et leur expliquer les particularités de
leur enfant, les aider à décrypter certains de ses comportements, préparant
ainsi avec eux sa progression scolaire. Les parents sont toujours associés
à ces échanges et peuvent ainsi constater que leur enfant a une place dans
la société que représente l’école et se familiariser avec les contraintes qui
existent tant pour leur enfant que pour l’enseignant et toute sa classe.
3) Le temps du partenariat avec l’école ou les institutions médico-
éducatives
Même si le jeune enfant n’est scolarisé que de manière très par-
tielle au début, nous évoquons précocement avec les parents, les étapes de
la « temporalité scolaire », les moments de décision pour les orientations
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futures, les critères qui seront pris en compte pour la poursuite de la scola-
rité d’année en année, les différentes possibilités de scolarité adaptée. Dire
aux parents : « Nous avons le temps mais l’année prochaine, à cette période
nous devrons y réfléchir ».
De même, nous avons à l’esprit « la temporalité administrative », qui
souvent semble elle aussi évoluer pour son propre compte : par exemple,
pouvoir bénéficier de la présence d’une AVS auprès de l’enfant pour la ren-
trée scolaire de l’année suivante, suppose que le dossier à remplir pour que
la MDPH (Maison Départementale des Personnes handicapées) puisse sta-
tuer et autoriser ce financement dans les délais, soit envoyé au plus tard au
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mois de mars. Si nous ne l’anticipons pas des mois à l’avance, nous nous
heurtons fréquemment à des refus de la part de parents qui ne sont pas prêts
à penser à leur enfant en termes de futur écolier. Et cela crée autant de retard
à la bonne scolarisation de l’enfant.
Par ailleurs, nous participons avec eux, dès le début, aux réunions d’in-
tégration scolaire organisées par l’enseignant référent avec deux objectifs :
–– être le porte-parole des besoins spécifiques de l’enfant au sein de
l’école, c’est-à-dire expliquer aux enseignants, avec l’accord des pa-
rents, les troubles de l’enfant et les manifestations comportementales
particulières que nous avons pu observer.
–– requalifier les besoins spécifiques et les contraintes de l’enseignant, à
savoir faire son enseignement à sa classe dans de bonnes conditions,
et l’expliquer aux parents.
Ce faisant, nous cherchons à sortir des fréquentes positions en miroir
des parents et de l’école, chacun reprochant à l’autre de ne pas prendre en
compte ses attentes. Dire là aussi que le point de vue de chacun est rece-
vable, car chacun parle de sa place.
Et nous n’hésitons pas à expliquer qu’une scolarité mal pensée et mal
préparée peut être une véritable catastrophe. Et cela tant pour l’enfant, qui
peut vivre l’énervement ou la détresse de l’enseignant comme une situation
anxiogène de plus, que pour l’enseignant qui peut s’angoisser de la présence
d’un enfant dont il ne comprend pas les troubles dans sa classe, que pour les
autres enfants de la classe qui peuvent prendre en grippe cet enfant différent
qui arrache leur dessin du mur ou pousse des cris, que pour les parents enfin,
qui vivent la situation comme un rejet de leur enfant par l’école.
Il va sans dire que le succès de telles rencontres ne peut s’envisager
que si nous veillons à ne jamais être donneur de leçon, mais au contraire être
« en position basse » (Albernhe & Albernhe, 2008, p.185).
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sache comment réagir lorsque l’enfant agit de manière paradoxale ou per-
turbée dans sa classe. Les enseignants nous en sont extrêmement reconnais-
sants et sont souvent mieux disposés à accueillir l’enfant dans leur classe,
à adapter leur pédagogie, et d’autant plus s’ils nous perçoivent comme des
personnes ressources en cas de difficultés. Et les parents, présents à ces
réunions, peuvent vérifier que nous faisons bien ce que nous leur avions
expliqué.
Vignette 4 (suite) : entretiens avec Paul et ses parents
Paul est âgé de 5 ans lorsque nous prenons nos fonctions à l’hôpital
de jour. Il y est hospitalisé depuis l’âge de 3 ans et demi, à raison de 4 jour-
nées par semaine, de 8h30 à 13h30. Il est le 2e d’une fratrie de trois : sa
grande sœur Monique est âgée de 7 ans, et sa petite sœur Sophie est âgée
de 2 ans ½.
La mère est sans emploi, le père est employé dans un supermarché.
La mère vient alors seule aux RV et nous apprenons que les choses se
passaient ainsi avec le médecin précédent. Nous devons beaucoup insister
pour faire venir le père, la mère disant : « mon mari est occupé. De toute
façon, il pense comme moi ».
Lors des premiers entretiens trimestriels, madame parle beaucoup,
de façon très enjouée et sympathique ; le père est en retrait, au propre
comme au figuré : sa chaise est en retrait, il est silencieux et n’intervient
que si nous le sollicitons, de façon timide, monosyllabique. Sa femme a
tendance à prendre la parole à sa place et nous sommes souvent amenée à
lui dire « Madame, nous aimerions avoir l’avis de votre mari également ».
Progressivement, le père se met à s’exprimer plus clairement et
plus spontanément, sa chaise est à présent au même niveau que celle de
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en résultent dans le couple, ont des impacts positifs : Paul est plus calme à
la maison, interagit plus avec ses sœurs. Le climat familial est apaisé. Le
père qui ne supportait pas l’agitation psychomotrice de Paul, fait l’effort
de jouer avec lui, de le contenir lorsque l’agitation déborde et cela fonc-
tionne. La mère reconnaît qu’elle laisse plus de place à son mari et qu’ils
commencent à faire des projets avec Paul, alors qu’ils ne l’avaient jamais
envisagé auparavant.
Dans la majorité des cas, ces différents temps d’échanges associés
aux prises en charge spécialisées permettent une évolution favorable des
enfants, une meilleure prise en compte par les familles des troubles de leur
enfant et une scolarisation en milieu ordinaire ou spécialisé de qualité,
même si çà et là, des difficultés surviennent.
5) L’indication des thérapies familiales
Dans certains cas nous avons l’impression que l’évolution se fige :
l’enfant ne progresse plus, voire régresse quelles que soient les modalités
thérapeutiques mises en œuvre. L’équipe soignante est découragée, irritée et
nous nous sentons impuissants, voire incompétents. À l’école, l’enseignant
est dérouté, parfois exaspéré, jusqu’à remettre en cause la place même de
l’enfant à l’école : alors qu’il progressait bien dans ses acquisitions, brus-
quement, il a l’air de ne plus rien comprendre et devient agressif avec les
autres enfants de sa classe.
Avec les parents, qui continuent à nous rencontrer régulièrement,
l’alliance thérapeutique lentement construite nous semble à nouveau inau-
thentique, émaillée de messages paradoxaux ; les parents se mettent à don-
ner aux comportements de leur enfant un sens en total décalage avec nos
propres perceptions de la séméiologie autistique, voire à la qualifier d’amé-
lioration.
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Vignette 4 (suite)
A l’hôpital de jour, du jour au lendemain, Paul devient extrêmement
agité, court, saute, fuit le contact, ne tient plus le regard, refuse toute acti-
vité, mord ou pince toute personne à proximité, refuse toute alimentation so-
lide. Les parents de Paul constatent le même changement à la maison, mais
curieusement, sont contents et le qualifient d’amélioration : Paul ne s’ali-
mente plus autrement que par biberon ? « C’est l’expression d’un choix. »
Il manipule inlassablement un objet ? « Il manifeste une curiosité nouvelle
pour lui. » Il pince violemment ou mord ses sœurs ? « Il veut jouer ».
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C’est ainsi, à court de solutions, que nous nous sommes dit un jour :
« Réfléchissons autrement. Faisons venir toute la famille, voyons ce que
chacun peut nous apprendre. » Nous nous somme intéressés au système
créé autour de l’enfant autiste avec les caractéristiques évoquées plus haut,
liées à l’autisme : rupture avec le temps, dans ses dimensions sociale et
temporelle, communication pathologique et hyper adaptation de la famille
à l’autisme.
6) L’organisation des séances de thérapies familiales
Elles ne remplacent pas les rencontres trimestrielles mais s’y ajoutent.
Nous proposons ce nouvel espace aux parents ainsi :
« Nous avons l’impression que les choses n’avancent pas et que,
quoique nous proposions comme prise en charge thérapeutiques à votre
enfant, les progrès sont insuffisants. Nous avons besoin de votre aide pour
mieux comprendre votre enfant et nous aimerions vous proposer de travail-
ler autrement. Le point de vue de chacun dans votre famille pourrait nous
aider à voir les choses différemment. Nous ne cherchons pas un responsable
à l’état de votre enfant mais de mieux comprendre, grâce à vous, comment
l’aider. »
Nous veillons à changer de bureau pour bien marquer la différence
de cadre et l’organisation spatiale de la pièce est différente : la disposition
des sièges est circulaire, le nombre de siège en comprend un de plus que le
nombre des membres de la famille nucléaire, du thérapeute et du co-théra-
peute. Ce siège supplémentaire nous permet de voir s’il existe un espace
vacant entre certains membres de la famille, s’il reste vacant tout au long
de la séance, et d’une séance à l’autre. Nous prévoyons une table basse au
centre du cercle avec du matériel de dessin et des petits jeux, non bruyants
de préférence.
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aussi sortir du cercle si l’état de l’enfant le nécessite, pour se consacrer à lui
(en cas d’agitation importante ou de cris rendant impossible la poursuite de
la séance). Cette ressource est indispensable pour pouvoir mener à bien les
séances familiales avec des familles d’enfant avec autisme.
Lors de la première séance, nous nous inspirons du modèle de pre-
mier entretien de Jay Haley (1976), et nous précisons les règles : « Chacun
peut s’exprimer avec ses mots, chacun laisse l’autre s’exprimer sans l’inter-
rompre même s’il n’est pas d’accord, nous ne cherchons pas à savoir qui
a raison mais à connaître le point de vue que chacun exprime, de sa place.
Nous allons poser des questions en fonction de ce que les personnes disent
ou pour faire préciser certains points. À cette occasion, il se peut que nous
abordions des sujets que l’un ou l’autre ne souhaite pas évoquer. Nous vous
demandons instamment de nous le dire et nous respecterons toujours votre
volonté. » ( Elkaïm, 2003).
Procéder ainsi nous semble essentiel et contribue à créer un espace
bienveillant et sécure pour les différents membres de la famille qui craignent
de devoir « se mettre à nu » devant les autres, d’être mis en accusation ou
d’être obligés d’aborder certains sujets qu’ils ne souhaitent pas.
Vignette 4 (suite en thérapie familiale)
Ce sont les problèmes de santé de sa grande sœur Monique, alors
âgée de 9 ans, évoqués brièvement par la mère lors de l’un de nos rendez-
vous, à savoir un dérèglement hormonal important avec puberté précoce
de cause indéterminée, un retard de croissance et des maux de ventre fré-
quents, qui nous feront proposer aux parents de venir en famille. La maman
nous dit alors que ça fera aussi du bien à la petite sœur dont elle nous parle
pour la première fois. En effet, Sophie, âgée de 4 ans ½, ne parle pas du
tout en dehors du cercle familial, fait le bébé et se montre très capricieuse.
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Monique se propose, Sophie acquiesce en silence, tout en regardant le thé-
rapeute d’un regard lourd.
Le père, 37 ans, se présente brièvement, puis dit plusieurs fois :
« c’est pas facile ». Il se dit « inquiet pour ses problèmes de santé » (il
n’avait jamais parlé de ses problèmes cardiaques auparavant), et met en
avant le peu de considération qui en est fait à la maison : les filles se dis-
putent sans arrêt, sa femme ne le soutient pas lorsqu’il réclame du calme, et
au contraire se montre trop laxiste avec elles.
Monique, la grande sœur, est visiblement celle qui essaye d’aider tout
le monde, une enfant parentifiée (Boszormenyi-Nagy & Spark, 1973) ou pa-
rentale (Minuchin, 1974) et qui ne se sent pas reconnue. Elle cherche à être
proche de sa mère – « je suis une bricoleuse comme elle » –, et à la soutenir
dans ses conflits avec son mari. La mère confirme qu’elle « lui en demande
beaucoup », se confie beaucoup à elle et qu’elle « n’a sans doute pas assez
préservé son côté enfant ». Elle ajoute : « je la vois plus grande qu’elle n’est ».
Monique se plaint de sa petite sœur « qui devrait l’écouter », de son
père qui la dispute beaucoup et la punit à sa place. Elle se sent rejetée au
sein de sa famille et par ses copines.
Elle se propose de présenter son frère Paul, disant : « il a 7 ans. Il a
une petite et une grande sœur. Il va à l’IME et à l’hôpital de jour. » Le père
dit spontanément : « il est autiste ». Monique reprend ce terme et ajoute :
« il ne parle pas, ça me rend triste ».
Paul déambule dans la pièce calmement, revenant parfois s’asseoir
tantôt sur les genoux de son père, tantôt sur ceux de sa mère.
Deux premières impressions pour nous :
–– derrière une apparence de famille unie, nous voyons des solitudes assises
côte à côte, liées par la souffrance, et un enfant avec autisme, qui tourne
sur lui-même en faisant tourner inlassablement son « tournicoti » ;
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Les 4 séances suivantes :
Elles mettront en évidence l’isolement familial au sein du système
familial élargi. Les préparatifs de la communion de Monique, notamment
déterminer qui, dans la famille, sera invité ou non, nous donnent l’occasion
de faire avec eux le génogramme de la famille.
De la famille d’origine de la mère, il ressort la rupture avec son
seul frère, d’un an son aîné, depuis le décès de leur mère dix ans aupara-
vant. Elle le qualifie de profiteur car il a gardé la maison après son décès,
alors qu’une part lui revient à elle aussi. Mais elle n’a pas cherché à régler
ce problème. Le père de Madame est décédé d’une rupture d’anévrisme à
l’âge de 51 ans. Elle s’est occupée de ses deux oncles maternels, tous deux
célibataires, de sa tante maternelle, Joséphine, et même de la petite fille de
Joséphine, lorsque celle-ci perdit son mari.
Madame est visiblement elle-même une enfant parentifiée, s’occu-
pant de chacun avec le sentiment de ne pas être reconnue.
De la famille d’origine du père, deuxième d’une fratrie de cinq, il
ressort qu’il ne fréquente plus ses 3 frères et sa sœur depuis une dispute gé-
nérale au sujet de l’éducation du fils de sa sœur lors d’un réveillon catastro-
phique, deux ans auparavant. Il voit régulièrement ses parents. Pour Mon-
sieur, la famille n’est pas une ressource mais un poids. C’est Madame qui
tient à les réunir pour les fêtes familiales. Lui laisse faire et semble, dans sa
famille d’origine comme dans son couple, passif, en retrait, manquant de
reconnaissance, mais ne la recherchant pas de peur d’avoir des conflits.
D’ailleurs, dès qu’il veut intervenir au sein de son propre couple vis-à-vis
des enfants ou dans sa famille élargie, il est qualifié de « trop brutal ».
Parallèlement, l’agitation de Paul s’intensifie, mais à présent, elle est
le sujet des échanges, contrairement aux premières séances. Les émotions
132 Anne Dall’Asta
suscitées par son état sont en phase avec la réalité, exprimées et partagées
avec nous.
8e séance : situation de crise
Plusieurs RV ont été reportés et nous ne revoyons la famille que trois
mois plus tard. La tension familiale est à son comble : Monique a grandi
d’une douzaine de centimètres, s’est transformée en une adolescente bou-
deuse, affalée sur sa chaise, soupirant ostensiblement à chaque propos de
ses parents. Ses parents se plaignent de son refus d’aller se coucher le soir,
alors qu’avant, elle montait en même temps que Sophie, à 20h30. Monsieur
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qualifie cela de « commencer à avoir du caractère », Madame constate que
sa fille vient la retrouver chaque soir dans sa chambre en se plaignant de ne
pas trouver le sommeil.
L’exploration de ces difficultés d’endormissement permet de mettre
en évidence que les besoins spécifiques de sommeil des deux sœurs, en
fonction de leur âge, ne sont pas pris en compte par les parents, que l’agi-
tation de Paul n’est pas en cause car il dort beaucoup mieux, que le couple
parental semble en crise et que Monique pourrait bien faire le guet auprès
de sa mère pour tenter d’en savoir plus.
Mme : « je ne sais pas si on a envie d’aller plus loin ensemble, dans
tous les sens du terme ». Mr reste silencieux.
Nous requalifions cette situation comme étant une question qui les
concerne tous les deux, en tant que couple, mais qu’il nous paraît important
qu’ils en disent quelque chose à leurs enfants pour éviter peut-être qu’ils
n’imaginent le pire et fassent encore plus le guet.
Mme : « En fait, je ne sais pas ce que je veux ».
Mr : « c’est difficile ».
Thérapeute : « Vous envisagez de vous séparer ? C’est ce à quoi vous
avez pensé » ?
Mme : « Oui, ce serait peut-être la meilleure solution ».
Mr : « Je pense, oui ».
Th. : « Cela prendrait quelle forme » ?
Mme : « On en a un peu parlé mardi dernier. C’est vrai qu’on s’est
dit les choses franchement. Moi, je garderai la maison. Après tout, c’est
pour les enfants qu’on l’a fait ».
Th. : « Vous avez beaucoup travaillé dans cette maison… ».
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comprend pas ce qui se dit ».
Th. : « Tu veux savoir ce que tout cela veut dire » ?
Sophie : « Non ».
Th. : « Monsieur que pensez-vous de ce qui se dit entre vos enfants » ?
Mr : « C’est une mauvaise passe. C’est difficile, on a trois enfants ».
L’émotion est grande chez tout le monde, thérapeute et référent com-
pris. Nous évoquons l’image que nous renvoie leur famille : un cercle formé
par différentes personnes liées par leurs émotions, mais qui ne se parlent
pas. Et quand on ne se parle pas, chacun peut s’imaginer le pire. Paul aussi
fait partie de ce cercle et est sensible à ce contexte émotionnel. Mais il n’a
aucune capacité d’en faire quelque chose. Alors, il se met en mouvement,
tourne sur lui-même, pris dans l’agitation.
Cette image parle à la maman qui dit : « Cette situation existe depuis
des années. Avant de se marier, on savait se parler. Du jour où on s’est
marié, on ne s’est plus parlé. On a vécu 18 ans à la même adresse, sans
habiter ensemble. Je me suis toujours occupée de plein de monde depuis
que je suis enfant. J’ai l’impression qu’il le découvre. Il était comme un
satellite dans ma vie. »
Th. : « Il n’était pas le centre ? »
Mme : « Non, pas le centre. »
Th. : « Peut-être voulait-il être le centre en se mariant ? »
Mme : « Oui. Cette histoire, cette image, me fait penser au jour du
mariage : tout le monde autour de moi et lui, dans son coin. »
Th. : « Cela vous parle-t-il Monsieur » ?
Mr : « Oui ».
Nous gardons la métaphore (Duriez, 2009, p. 169) du satellite et
concluons : « Une famille, c’est un peu comme notre système solaire où
134 Anne Dall’Asta
chaque planète tourne autour du soleil, chacune sur son orbite. Une famille
est composée de différents membres qui gravitent autour d’un centre qui
les tient réunis. Ce centre, cela peut être Paul et son autisme, ou cela peut
être la tendresse et l’amour qui vous lient. Vous avez expérimenté chacun la
solitude de tourner, seul, sur son orbite, sans vous parler et sans parvenir à
voir et percevoir la chaleur du soleil autour duquel votre famille s’organise.
Peut-être est-ce le temps de réfléchir à ce que pourrait être ce soleil. »
La séance se termine dans une émotion intense, nous renvoyant à
l’image angoissante d’un « Big Bang » imminent pour cette famille.
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9e séance : le Big Bang n’a pas eu lieu, le changement, si.
Nous retrouvons une famille transformée. Aucune allusion à la séance
précédente. Au contraire, la séance se déroule dans la gaieté. Paul, qui habi-
tuellement se levait rapidement de sa chaise pour tourner dans la pièce, reste
assis à côté de ses sœurs, fixe davantage son regard sur nous, attentif, souriant.
Beaucoup de temps est consacré à explorer dans le détail, les réponses
parentales aux différents dérapages comportementaux de l’un ou l’autre des
enfants. Paul se retrouve, dans ce registre, à la même place que ses sœurs,
c’est-à-dire que lui aussi doit tenir compte des attentes parentales, même s’il
nécessite une formulation plus spécifique et compréhensible.
Tous conviennent que papa et maman manquent de temps pour se
parler au sujet de l’éducation des enfants. Nous prescrivons donc une tâche
aux enfants : ils doivent, une fois par semaine, prendre leur repas ensemble,
c’est-à-dire que Monique et Sophie doivent s’occuper de Paul pour per-
mettre à papa et maman de manger ensemble et de parler de ce qui leur
semblerait important. Les filles sont ravies, Paul rit avec elles.
10e séance :
Madame annonce qu’il y a eu beaucoup de changement depuis la
dernière séance : elle et son mari « se sont réconciliés ». Ils ont pu manger
seul, comme prescrit et ont beaucoup parlé. Monsieur dit également qu’il
parle plus aux enfants.
Madame dit avec émotion, qu’ils ont été en famille à une manifesta-
tion sportive organisée par la commune, durant laquelle les enfants de la
commune devaient courir plusieurs fois autour d’un stade, pour récolter
des fonds. Paul, qui se tenait avec ses parents derrière la barrière délimitant
la piste, a reconnu ses sœurs qui couraient dans le groupe et a lâché la main
de sa mère pour aller courir à leur côté.