Géomorphologie Dynamique: Analyse Systémique de La Morphodynamique Hydrique Continentale Par Ravinement

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European Scientific Journal May 2020 edition Vol.16, No.15 ISSN: 1857-7881 (Print) e - ISSN 1857-7431

Géomorphologie Dynamique: Analyse Systémique


De La Morphodynamique Hydrique Continentale
Par Ravinement

Dr. Seydou Alassane Sow,


Laboratoire Leïdi « Dynamiques des territoires et développement », Section
de Géographie, Ecosystémes et Environnement, Université Gaston Berger de
Saint-Louis, Sénégal

Doi:10.19044/esj.2020.v16n15p78 URL:http://dx.doi.org/10.19044/esj.2020.v16n15p78

Résumé
L’histoire de la géomorphologie a connu une grande révolution
paradigmatique avec les travaux de Wiliam Moris Davis. Il a défini le système
géomorphologique comme l’ensemble de toutes les formes de la surface de la
terre subissant des transformations et étant la fonction des trois variantes :
structure, processus et temps. Cependant, le positionnement d’emblée des
réflexions géomorphologiques dans l’analyse systémique conduit à élargir les
problématiques du champ disciplinaire de cette science. Dans le cas de la
géomorphologie dynamique, ce type d’analyse conduit à concevoir des
recherches intégrées au sein des bassins versants afin de mieux mettre en
lumière certains processus morphodynamiques. En l’absence de zone d’étude
précise, l’étude est basée sur un balayage des connaissances bibliographiques
à travers le domaine continental dans sa globalité. Ainsi, l’article montre que
l’analyse systémique demeure une approche efficace pour lire en intégralité le
fonctionnement des processus morpodynamiques hydriques continentales en
géomorphologie, en particulier le ravinement. La caractérisation du
ravinement sur un bassin versant grâce à l’analyse systémique doit se fonder
sur trois caractéristiques essentielles : hydrologique, morphogénique et
anthropique. Chaque critère correspondant à l’une des notions géographiques
fondamentales : Temps, Espace et Société.

Mots clés : Géomorphologie, Analyse Systémique, Morphodynamique


Hydrique, Ravinement, Bassin Versant

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Dynamic Geomorphology: Systemic Analysis of


Continental Water Morphodynamics by Gullying

Dr. Seydou Alassane Sow,


Laboratoire Leïdi « Dynamiques des territoires et développement », Section
de Géographie, Ecosystémes et Environnement, Université Gaston Berger de
Saint-Louis, Sénégal

Abstract
The history of geomorphology has undergone a great paradigmatic
revolution with the work of Wiliam Moris Davis. He defined the
geomorphological system as the set of all forms of the earth’s surface
undergoing transformation and being the function of three variants: structure,
process and time. However, the immediate positioning of geomorphological
reflections in systemic analysis leads to widening the problems of the
disciplinary field of this science. In the case of dynamic geomorphology, this
type of analysis leads to the design of integrated research within watersheds
in order to better highlight certain morphodynamic processes. In the absence
of a precise study area, the study is based on a sweeping of bibliographic
knowledge across the continental domain as a whole. Thus, the article shows
that systemic analysis remains an effective approach to fully read the
functioning of continental water morphological processes in geomorphology,
in particular gullying. The characterization of gullying on a watershed using
systemic analysis must be based on three essential characteristics:
hydrological, morphogenic and anthropogenic. Each criterion corresponding
to one of the fundamental geographic concepts: Time, Space and Society.

Keywords: Geomorphology, Systemic Analysis, Water Morphodynamics,


Gullying, Watershed

Introduction
L’historique de la géomorphologie dynamique expliquant l’évolution
des formes de relief est structurée, selon Fort (2015), en trois grandes périodes
: avant, pendant et après William Moris Davis (1850-1934) dont le concept du
cycle d’érosion fut à son époque une grande révolution. En effet, selon les
auteurs susmentionnés, les précurseurs (Hérodote, Aristote, et Sénèque,)
estimaient que les reliefs terrestres s’inscrivaient dans le temps long, presque
permanent et que les déformations de l’écorce terrestre n’étaient liées qu’aux

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séismes. Pour eux, contrairement aux variations saisonnières du climat, du


couvert végétal ou du débit des rivières, les formes de relief semblaient
immuables car leur évolution n’était guère perceptible à l’échelle d’une
génération humaine.
Cette conception catastrophique de l’évolution des formes de relief fut
réfutée aux XVIIIe et XIXe siècles par Hutton (1726-1797), Playfair (1748-
1819) et Lyell (1797-1875)1 qui estiment que c’est l’action répétée de petits
événements (reptation des sols, action des rivières, etc.) sur de très longues
durées qui agit le plus sur l’élaboration des modelés, montrant ainsi le lien
entre formes de relief et érosion : c’est le principe de l’actualisme qui stipule
que le relief évolue depuis toujours sous l’action de forces érosives du même
type que celles qui agissent actuellement. Selon ce principe, il y a uniformité
des lois au cours du temps (exemple de la loi de gravité) et uniformité des
processus d’évolution de relief. Ce principe sera complété par les idées de
Surell (1841), Powell (1834-1902) et Gilbert (1843- 1918), qui précisent le
rôle de la végétation et du substrat géologique dans l’évolution des formes de
relief. Toutes ces théories serviront de base pour Davis (1850-1934) qui, à
travers sa théorie sur le « cycle d’érosion » (1899), distingue trois stades : la
jeunesse, la maturité et la vieillesse.
- Au stade de la jeunesse, les reliefs se caractérisent par des pentes
fortes, sur lesquelles ruissellent torrents et rivières qui le creusent et
l’accentuent au sens strict.
- Au stade de la maturité, les rivières continuent à inciser les reliefs tout
en élargissant leurs vallées.
- Et le stade de la vieillesse est caractérisé par de faibles pentes créant
une topographie très aplanie : la « pénéplaine », dominée par quelques
reliefs résiduels ou glacis, à l’instar du plateau polygénique du Ferlo
(ancienne vallée devenue fossile et située au milieu du Sahel
sénégalais).

Cette théorie du cycle d’érosion stipule que ce sont les eaux, courantes
et concentrées, qui contrôlent l’ensemble des processus d’érosion dans un
contexte de région bioclimatique tempérée humide et exoréique, et stable
tectoniquement.
Cependant, les détracteurs de Davis, mettent en évidence l’interaction
constante entre tecto-orogenèse et morphogenèse, en montrant que certaines
régions du globe connaissent un régime permanent de surrection, et que leur
évolution est plutôt régie par un équilibre dynamique. Dans les décennies 1940
et 1950, on assiste à l’émergence de nouvelles théories en géomorphologie
basées sur la quantification et la modélisation qui font recours à des lois

1 Cité par BAZA Aliti, 2020

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physiques et à des modèles explicatifs (Peguy, 1942 ; Horton, 1945 ; Strahler,


1952, etc.). Aussi, la géomorphologie climatique parue avec Cholley (1950),
Tricart et Cailleux (1965) qui définissent la notion de « système
morphogénétique » en évoquant un complexe d’agents formant un « système
» d’érosion propre à chaque climat.
Depuis la fin du XXe siècle, la géomorphologie prend en considération
les activités humaines dans les processus d’évolution du milieu physique, pour
devenir une science applicable et utile à la société : il s’agit des approches
intégrales tenant à considérer les bassins versants comme des systèmes. La
géomorphologie appliquée permet aujourd’hui de prendre en compte les
changements sociétaux et d’avoir une approche intégrée entre les différents
éléments du système morphogénétique et entre les divers compartiments des
bassins versant et leurs relations longitudinales, horizontales, verticales et
temporelles (Tricart, 1978).
Le bassin versant est l’unité de base sur laquelle travaille un
géomorphologue continentalise. C’est à l’échelle de cet espace que se
déroulent les processus de transferts de flux hydriques. A cet effet, des
compilations de données de grande taille peuvent être produites afin de mettre
en lumière les liens bassin versant – réseau hydrographique (ravins, torrents,
chenaux, etc.) pour l’estimation des processus morphodynamiques comme le
ravinement.
Selon Riou (1990), le ravinement est un processus de concentration
des eaux sur un tracé linéaire et verticale. D’après un schéma classique, il
apparait lors que s’approfondissent les entailles. Cette évolution est souvent
due à une surexploitation du milieu. Les dimensions des ravins peuvent être
impressionnantes : profondeur supérieur à 2 m ou à 10 m, voire davantage ;
largeur oscillant entre 10 m et 20 m et longueur entre 200 m et 1000 m. Le
ravin est ainsi un prolongement d’une entaille dans un matériel peu résistant
et fournissant une alimentation par nappe de profondeur. Ceci est fréquent
dans les grands manteaux d’altérites, à relief collinaire et accentué par la
dégradation du couvert végétal.
Les ravins peuvent avoir des origines assez variées. Les seuls points
communs étant la nécessaire concentration de l’eau, et une forte accumulation
des pluies pendant une durée assez longue. Dans un bassin versant, à l’échelle
de chaque ravin, le rythme d’évolution de la largeur varie suivant la section et
la période où l’on se situe au niveau des axes hydrauliques. Il y a par
conséquent une anisotropie de cette forme de morphodynamique hydrique :
les propriétés du ravinement et des ravins varient donc suivant la direction des
flux hydriques en action.
L’objectif de cet article est de montrer la place de l’analyse systémique
dans la géomorphologie dynamique à partir d’une approche basée sur la
morphodynamique hydrique par ravinement. En l’absence de zone d’étude

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précise, l’étude était basée sur un balayage des connaissances bibliographiques


à travers le domaine continental dans sa globalité. Il procède à priori par une
présentation théorique de l’analyse systémique, ensuite montre sa place dans
la géomorphologie dynamique, et enfin établie une caractérisation de la
morphodynamique par ravinement par l’analyse systémique.

1. Théories sur l’analyse systémique : essai de définition


Née aux Etats Unis au début des années 1950, connue et pratiquée en
France depuis les années 70, l’analyse systémique ouvre une voie originale et
prometteuse à la recherche et à l’action. La démarche a déjà donné lieu à de
nombreuses applications, aussi bien en sciences physiques que sociales. Elle
repose sur l’appréhension concrète d’un certain nombre de concepts tels que :
système, interaction, rétroaction, régulation, organisation, finalité, vision
globale, évolution, etc. Elle prend forme dans le processus de modélisation,
lequel utilise largement le langage graphique et l’élaboration de modèles
quantitatifs et qualitatifs (cartes, graphiques, modèles dynamiques, opérables
sur ordinateur et débouchant sur la simulation).
C’est pourquoi la mise en œuvre de cette démarche passe par un effort
d’apprentissage conceptuel et pratique auquel doivent consentir tous ceux
(chercheurs, décideurs professionnels et politiques, hommes d’action mais
aussi simples citoyens désireux de comprendre divers processus), qui
ambitionnent de réaliser une plongée scientifique dans la complexité des
processus, afin d’être capable dans un premier temps de s’y orienter, puis dans
un second temps d’agir sur elle.
Combinant en permanence connaissance et action, l’analyse
systémique se présente comme une conjugaison d’un savoir et d’une pratique.
Selon l’Association Française des Sciences des Systèmes Cybernétiques,
Cognitifs et Techniques (rappelée en 1994 par la Revue Internationale de
Systémique), : l’analyse systémique regroupe les démarches théoriques,
pratiques et méthodologiques, relatives à l’étude de ce qui est reconnu comme
trop complexe pour pouvoir être abordé de façon réductionniste, et qui pose
des problèmes de frontières, de relations internes et externes, de structure, de
lois ou de propriétés émergentes caractérisant le système comme tel, ou des
problèmes de mode d’observation, de représentation, de modélisation ou de
simulation d’un phénomène ou processus complexe.
Pour appréhender la complexité des processus ou des phénomènes,
l’analyse systémique fait appel à un certain nombre de concepts que l’on a
appelé concepts fondamentaux de l’analyse systémique.

1.1. Concepts fondamentaux de l’analyse systémique


Quatre concepts fondamentaux structurent l’analyse systémique.

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Figure 1 : Les dimensions de l’analyse systémique (Donnadieu et al., 2003)

1.1.1. La complexité
Comme il a été montré précédemment, la non prise de conscience de
la complexité est la cause de la lente émergence de l’analyse systémique. Sans
complexité, le rationalisme analytique pouvait sembler suffisant pour
appréhender le monde et la science. Ce concept renvoie à toutes les difficultés
de compréhension (flou, incertain, imprévisible, ambiguë, aléatoire) posées
par l’appréhension d’une réalité complexe et qui se traduisent en fait pour
l’observateur par un manque d’information (accessible ou non).

1.1.2. Le système
Ce concept constitue le socle sur lequel repose l’analyse systémique.
Etymologiquement, le mot provient du grec sustêma qui signifie « ensemble
cohérent ». Plusieurs définitions peuvent en être données et nous retiendrons
deux définitions.
La définition « large » donnée par Jacques Lesourne : Un système est un
ensemble d’éléments en interaction dynamique.
- La définition « étroite » donnée par Joël de Rosnay : Un système est un
ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisé en fonction
d’un but. Cette définition met l’accent sur la finalité ou le but poursuivi
par le système.
De nombreuses typologies des systèmes ont également été proposées par
les chercheurs :
- systèmes ouverts / systèmes fermés sur leur environnement,
- systèmes naturels / artificiels/ sociaux,
- systèmes organisés hiérarchiquement / systèmes en réseau.

1.1.3. La globalité
Il s’agit d’une propriété des systèmes complexes, souvent traduite par
l’adage « le tout est plus que la somme des parties » et selon laquelle on ne
peut les connaître vraiment sans les considérer dans leur ensemble. Cette
globalité exprime à la fois l’interdépendance des éléments du système et la
cohérence de l’ensemble. Mais ce concept pourtant riche est malheureusement

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souvent traduit superficiellement par la formule vague « tout est dans tout ».
Sous le nom d’approche globale, le concept désigne également la voie d’entrée
dans l’analyse systémique. On entend par là qu’il convient d’aborder tous les
aspects d’un problème progressivement, mais non séquentiellement : partir
d’une vue générale (globale) pour approfondir les détails, avec de nombreuses
itérations et retours en arrière pour compléter ou corriger la vision antérieure.

1.1.4. L’interaction
Ce concept complète celui de globalité. Il s’intéresse à la complexité
au niveau élémentaire de chaque relation entre les constituants du système pris
deux à deux. Initialement emprunté à la mécanique où l’interaction se réduit
alors à un jeu de forces, la relation entre constituants se traduit le plus souvent
dans les systèmes complexes, par un rapport d’influence ou d’échange portant
aussi bien sur des flux de matière et d’énergie.
La notion d’interaction déborde largement la simple relation de cause à
effet qui domine la science classique. Et connaître la nature et la forme de
l’interaction est plus importante pour le systémicien que de connaître la nature
de chaque composant du système.

2. L’analyse systémique : une méthode


L’analyse systémique est non seulement un savoir, mais aussi une
pratique, une manière d’entrer dans la complexité. La pédagogie à mettre en
œuvre doit être novatrice tant dans sa démarche générale que dans les outils
employés.

2.1. La démarche générale de l’analyse systémique


La démarche se déroule par étapes : observation du système par divers
observateurs et sous divers aspects ; analyse des interactions et des chaînes de
régulation ; modélisation en tenant compte des enseignements issus de
l’évolution du système ; simulation et confrontation à la réalité
(expérimentation) pour obtenir un consensus. Une telle démarche doit être à
la fois prudente et ambitieuse :
- prudente en ce qu’elle ne part pas d’idées préétablies mais de faits
qu’elle constate et que l’on doit prendre en compte ;
- ambitieuse en ce qu’elle recherche la meilleure appréhension possible
des situations, ne se contente ni d’approximations, ni d’une synthèse
rapide, mais vise à comprendre et à enrichir la connaissance.

2.2. Les outils de l’analyse systémique


Nous présenterons dans cette section trois outils de base, avant de faire
une ébauche sur le langage graphique, qui est la langue naturelle de l’analyse
systémique, puis d’exposer la modélisation qui, mieux qu’un outil, est au cœur

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même de l’approche systémique.

2.2.1. La triangulation systémique


Remarquablement adaptée à la phase d’investigation d’un système
complexe, la triangulation va observer celui-ci sous trois aspects différents
mais complémentaires, chacun lié à un point de vue particulier de
l’observateur.

L’aspect fonctionnel est surtout sensible à la finalité ou aux finalités du


système. On cherche spontanément à répondre aux questions : que fait le
système dans son environnement ? A quoi sert-il ?

L’aspect structural vise à décrire la structure du système, l’agencement de ses


divers composants. On retrouve là la démarche analytique avec cependant une
nuance de poids : l’accent est mis bien davantage sur les relations entre
composants que sur les composants eux-mêmes, sur la structure que sur
l’élément.

L’aspect historique (ou génétique ou dynamique) est lié à la nature évolutive


du système, doté d’une mémoire et d’un projet, capable d’auto-organisation.
Seule, l’histoire du système permettra bien souvent de rendre compte de
certains des aspects de son fonctionnement. Pour les systèmes sociaux, c’est
même par elle qu’il convient de démarrer l’observation.
Naturellement, la triangulation systémique se développe en combinant ces
trois voies d’accès. Plus exactement, on se déplace d’un aspect à un autre au
cours d’un processus en hélice qui permet, à chaque passage, de gagner en
approfondissement et en compréhension, mais sans que jamais on puisse
croire que l’on a épuisé cette compréhension.

Figure 1 : Les différents aspects de la triangulation systémique

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2.2.2. Le découpage systémique


A la différence de la décomposition analytique, on ne cherche pas à
descendre au niveau des composants élémentaires mais à identifier les sous-
systèmes (modules, organes, sous-ensembles, etc.) qui jouent un rôle dans le
fonctionnement du système. Cela suppose de définir clairement les frontières
de ces sous-systèmes (ou modules) pour faire ensuite apparaître les relations
qu’ils entretiennent entre eux ainsi que leur finalité par rapport à l’ensemble.
On remarquera que ce problème de la frontière se pose aussi pour le système
lui- même : comment le définir par rapport à son environnement, quel
découpage?
La question du découpage s’accompagne toujours d’un certain
arbitraire et ne peut recevoir de réponse univoque. Cependant, pour réaliser le
découpage de la manière la plus pertinente possible, on peut s’appuyer sur
quelques critères, suggérés d’ailleurs par la systémique elle-même, les deux
premiers repris de la triangulation :
 le critère de finalité : quelle est la fonction du module par rapport à
l’ensemble ?
 le critère historique : les composants du module partagent-ils une
histoire propre ?
 le critère du niveau organisation : par rapport à la hiérarchie des
niveaux d’organisation, où se situe le module étudié ?
 le critère de la structure : certaines structures ont un caractère répétitif
et se retrouvent à plusieurs niveaux d’organisation. On parle dans ce
cas de structures fractales ou en hologrammes. Pour analyser ces
structures, il suffit alors de s’intéresser à un seul de ces hologrammes
que l’on va soumettre à un grossissement connu sous le nom de zoom
ou effet de loupe.

Cet effet de loupe est d’une large utilisation. Il importe néanmoins de


rester conscient de ses limites. La démarche postule en effet l’existence, dans
le système de redondances ou régularités reliées au tout par une relation de
circularité. Et il n’est pas sûr que ces conditions soient toujours et partout
réalisées.

2.2.3. Le langage graphique


Le langage graphique est largement utilisé dans le domaine technique
(la carte universellement employée, et qui est la représentation commode d’un
territoire, fait partie de ce langage graphique). Notons qu’il s’agit bien d’un
véritable langage, à côté des langages naturels discursifs, écrits ou parlés, et
du langage mathématique formel. Tous ces langages recourent d’ailleurs
volontiers au langage graphique par des schémas et idéogrammes ainsi que par
la géométrie et la théorie des graphes. On attribue quatre avantages au

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langage graphique :
- il permet une appréhension globale et rapide du système représenté
(après apprentissage),
- il contient une forte densité d’informations dans un espace limité
(économie de moyens),
- il est monosémique et semi-formel (faible variabilité d’interprétation),
- - il possède une bonne capacité heuristique (notamment dans un
travail de groupe).

2.2.4. La modélisation
Modéliser est d’abord un processus technique qui permet de
représenter, dans un but de connaissance et d’action, un objet ou une situation
voire un événement réputé complexe. On l’utilise dans tous les domaines
scientifiques concernés par la complexité des processus ou des phénomènes
étudiés. Mais la modélisation est aussi un art par lequel le modélisateur
exprime sa vision de la réalité. En ce sens, on peut parler de démarche
constructiviste. La même réalité, perçue par deux modélisateurs différents, ne
débouchera pas nécessairement sur le même modèle. Toutefois, si le
modélisateur souhaite que son modèle soit opératoire, c’est-à-dire permettre à
l’utilisateur de s’orienter dans la complexité et d’agir efficacement sur elle, il
doit prendre en compte certains critères et respecter certaines lois de
construction.
Cet outil peut ainsi être utile pour l’application de l’analyse systémique dans
les sciences de la géographie physique, en particulier la géomorphologie
dynamique.

3. L’analyse systémique dans la géomorphologie dynamique


L’analyse systémique dans la géomorphologie est apparue à travers les
travaux de Wiliam Moris Davis (1850-1934) qui a défini le système
géomorphologique comme : l’ensemble de toutes les formes de la surface de
la terre subissant des transformations, et étant la fonction des trois variantes :
structure, processus et temps. Par la suite, ce système a été précisé et modifié.
La notion de structure comprend un ensemble de relations entre des éléments
particuliers, celle du temps, les changements irréversibles et de longue durée,
la fonction, enfin, n’est rien d’autre que la réaction des formes du relief face
aux changements intérieurs et extérieurs.
L’étude des processus géomorphologiques à l’aide de l’analyse
systémique permet de faire ressortir un nombre important de facteurs, de
rapports complexes existant entre eux, une influence réciproque, ainsi que la
rétroaction. Cette approche pourrait servir à l’établissement d’un schéma du
développement des processus ou, à plus large échelle, à la détermination des

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rapports entre les facteurs qui en conjugaison participent au façonnement des


formes.
Pour ce qui est du cas spécifique de la géomorphologie dynamique en
domaine continentale, le but à atteindre est la prévision ou l’estimation en
terme de bilan d’un phénomène donné. Cette prévision peut être soit générale,
apportant des informations sur les réactions d’un système donné à des
changements du milieu (environnement), soit détaillée, déterminant les étapes
de la morphogenèse, apportant une caractéristique quantitative, et faisant
ressortir les relations fonctionnelles et, à partir de là, indiquant la direction de
changements basée sur une interaction de facteurs particuliers. L’effet final
d’une interaction n’est pas la somme d’actions partielles, et le processus
unique, entièrement responsable du développement du relief n’existe pas dans
la nature. L’ensemble (façonnement des formes) représente beaucoup plus
qu’une somme de facteurs (processus).
L’érosion hydrique (un de ces processus) consiste en une destruction
du matériel lithologique par un mouvement progressif de courants de flux
hydrique. Au moment où commence ce processus, plusieurs facteurs agissent.
Tout essai d’explication de la façon dont se fait ou se fera le processus
d’érosion, et de l’intensité avec laquelle ce processus transformera une zone
continentale nécessiterait une présentation systémique de facteurs dont dépend
ledit processus (érosion hydrique).
Le degré de simplification de ces facteurs peut être présenté sur
l’exemple suivant : si l’on voulait faire figurer les microcycles d’érosion
accompagnant la morphodynamique hydrique de fond de vallées dans un
modèle mathématique, il faudrait remplacer le processus par les
caractéristiques suivantes : géométrie du courant hydrique attaquant une berge
(amplitude et hauteur), énergie avec laquelle le courant attaque (détruit) la
berge exposée. Pareillement, tous les autres facteurs devraient être déterminés
de façon plus formalisée. Il en résulterait, alors, que le degré d’influence sur
le développement de la morphodynamique hydrique est différent pour chacun
d’eux.
A l’échelle de la région sahélienne du Sénégal (Nord), les observations
de terrain concernant le développement du processus d’érosion hydrique sur
les piedmonts des glacis confirment pleinement cette observation. La même
physiographie du milieu (géométrie et pente), les même conditions
climatiques et hydrologiques (cinématique du courant hydrique) n’empêchent
pas l’apparition de différences quant à la vitesse du développement de la
morphodynamique hydrique façonnant le relief. Ces différences sont dues, à
leur tour, aux différences de structures géologiques, de couvertures végétales,
et de la façon d’aménager le terrain.
Ainsi, la question qu’un géomorphologue pourrait se demander est la
suivante : comment serait-il possible de pronostiquer à l’aide de l’analyse

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systémique sur le développement du processus d’érosion hydrique dont le


ravinement en particulier ?

4. Morphodynamique hydrique par ravinement et analyse systémique


Cette section essaye de faire une caractérisation du ravinement par
l’analyse systémique. Elle sera cependant précédée d’une esquisse en guise de
bilan scientifique sur le processus géomorphologique (ravinement).

4.2. Esquisse d’un bilan scientifique sur le processus


géomorphologique (ravinement)
Le ravinement prend son origine quand le ruissellement s’organise et
provoque une érosion concentrée. L’évolution surfacique de l’érosion
hydrique concentrée peut suivre un schéma classique, classifiés d’après leur
hiérarchie en amont (séquence griffes ou griffures, rigoles, ravineau et ravines
torrentielles (Lilin et Koohafkan, 1987)) ou en aval (rivière et fleuve).
Les éléments qui contrôlent l’érosion par ravinement sont : le volume et la
vitesse du ruissellement, la résistance du sol au cisaillement et la friabilité du
régolithe (Roose, 1991). Le volume ruisselé est fonction de la surface du
bassin, du degré de saturation des sols et de leur capacité d’infiltration, de
l’intensité et volume des pluies, de la dynamique hydrogéologique du bassin.
Tandis que la vitesse du ruissellement est fonction de la pente, de la rugosité
des surfaces et des aménagements (infrastructures ou végétation).
L’érosion par ravinement est l’un des mécanismes de dégradation des
paysages le plus intense et difficile à contrôler. L’incision des roches par
ruissellement concentré représente une source de sédiments importante, et elle
peut attendre jusqu’à 90 % de l’érosion totale d’un bassin versant (Mathys et
Poesen, 2005).
La quantité de sédiments produits dans les bassins versants soumis à
une forte érosion par ravinement en amont peut causer de graves et coûteux
problèmes en aval, dans les différentes œuvres d’ingénierie comme les canaux
et les barrages. Ce type de dégradation du paysage peut causer aussi des
événements violents comme les glissements ou les mouvements de terrain, ce
qui met en risque de catastrophes naturelles la population des zones
montagneuses (Pereira, 2009).
Hauge (1977) et Poesen (1993) séparent les rigoles et les ravines
saisonnières par une approche purement bidimensionnelle : une section
transversale critique de 929 cm2 (le critère du pied carré, square foot). D’autres
critères de séparation incluent une largeur et une profondeur minimum
d’environ 0,3 m et de 0,6 m (Brice, 1966) ; ou bien celle de Imeson et Kwaad
(1980) : une profondeur minimum de 0,5 m. Par rapport à la limite supérieure
des ravines, aucune définition précise n’existe, la frontière entre une grosse
ravine et une rivière reste très vague (Poesen et al., 2003).

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Riou (1990) propose la différenciation sémantique et morphologique


suivante :
- Rigole : Profondeur = de quelques centimètres à 40 ou à 50 cm /
Largeur = de quelques décimètres à 2 m / Longueur = échelles
métriques et décamétriques.
- Ravine : Profondeur = 0,5 à 1,5 m voire 2 m / Largeur = 5 à 10 m,
avec un mini-talweg de 1 à 2 m environ / Longueur = 20 à 100 m ou
plus.
- Ravin : Profondeur = supérieure à 2 m et jusqu’à 10 m ou plus /
Largeur = 10 – 20 m /Longueur = 200 - 1000 m

Brochot et Meurnier (1995), mentionnent que les ravines sont des


thalwegs permanents en forme de V symétrique, où les processus d’érosion
sont dus au ruissellement concentré et aussi aux éboulements, à la solifluxion
pelliculaire, au ruissellement diffus et aux mouvements de masse.
La transition entre les différentes échelles de manifestation
superficielle d’érosion hydrique concentrée représente un continuum : des
griffes ou griffures, des rigoles, des ravineaux, des ravines saisonnières, des
ravines torrentielles, des rivières. N’importe quel système de classification des
formes d’érosion hydrauliques concentrée est d’une certaine façon subjective
(Grissinger, 1996).
La plupart des processus géomorphologiques ont une origine
gravitationnelle, par conséquent le taux et la vitesse de l’eau ou tout autre
mouvement de masse est une fonction de la pente plus la texture de la matière
qui se déplace. Les détections de changements spatiaux-temporels de la pente
permettent de décrire de futurs déplacements de matière. Ces changements
fournissent une information valable sur le rapport entre le flux d’entrée et de
sortie de matière (Etzelmüller, 2000).
Au regard de ces informations, une représentation 3D général d’un
bassin versant permettra une meilleure connaissance de la dynamique spatiale
et temporelle des différents facteurs qui contrôlent la dégradation des paysages
par ravinement. Aussi bien comme outil d’aide à la compréhension du
processus érosif (à une échelle grossière), que comme outil d’aide à la prise
de décision dans un programme de gestion des risques associés.
L’analyse numérique des dérivés du relief dans un Système
d’Information Géographique (SIG) permettra, à partir d’un certain nombre de
seuils critiques de chaque facteur de contrôle, de diviser le paysage d’un bassin
versant en fonction de différents types d’érosion (Bishop et al., 2003), de
cartographier la géomorphologie pour l’interprétation structurale, de
quantifier des changements superficiels, ou de faire une analyse régionale de
paysages (Bolongaro-Crevenna et al., 2004).

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Les indicateurs d’érosion superficielle les plus utilisés pour


cartographier l’étendue de l’érosion du sol sont les rigoles et les ravines. Bien
que ces manifestations ne puissent pas être individuellement identifiées par les
capteurs satellitaire ou aérien (à échelle grossière) jusqu’à ce qu’elles
atteignent de grandes dimensions, il est possible d’obtenir l’information de
façon indirecte à travers les facteurs environnementaux qui contrôlent leur
développement sur le terrain (King et al., 1989).
Les formes linéaires de manifestation de l’érosion concentrée
possèdent un lien entre les échelles spatiale et temporelle d’autant quelles
correspondent à une évolution naturelle du processus d’érosion par ravinement
sur le terrain. Par exemple, si on veut observer des érosions fines comme les
griffures, la fréquence d’acquisition des données doit être forte.
Le volume des travaux par les hydrologues et les forestiers aux
échelles spatio-temporelles plus grossière est significativement plus important
dans la littérature que pour les échelles plus détaillées (Daba et al., 2003). Ces
travaux sont souvent dirigés vers l’étude des systèmes de ravines torrentielles
et leurs dynamiques de transport des sédiments. Néanmoins, il y a aussi un fort
intérêt dans l’étude de ravinement associé aux catastrophes naturelles, par des
géologues et géomorphologues (Casson et al., 2005 ; Demoulin, 2006 ; Nichol
et al., 2006).
Bien que les processus de base soient fondamentalement différents, le
mouvement de masse et le ravinement du paysage partagent certaines
caractéristiques communes (Zinck et al., 2001). Le sol conditionne
fréquemment le déclenchement et le développement de l’érosion et, en même
temps, est affecté par eux. Les deux processus ont de multiples origines, les
mécanismes de déclenchement pourraient avoir lieu à la surface de terrain ou
en dessous. Ces phénomènes chaotiques, déclenchés par le changement
soudain de l’équilibre environnemental et ils peuvent produire des dommages
catastrophiques.
La matrice de contrôle de la morphodynamique hydrique par
ravinement est le résultat de l’interaction d’une série de facteurs de site et de
facteurs « externes ». Les facteurs externes sont les conditions
météorologiques générales et locales, ou micro-climat (Descroix et Mathys,
2003). Les facteurs de site sont la topographie, le type de sol ou de matériel
géologique dégradé (régolithe), et la couverture de la terre, ajoutons aussi les
œuvres anthropiques. En effet, diverses sortes d’activités humaines, pratiques
agricoles, exploitations forestières, pâturages, construction des routes et
bâtiments tendent à modifier les phénomènes d’érosion, en l’accélérant
souvent de façon considérable: d’où l’importance de l’analyse systémique
dans l’étude des processus géomorphologiques.

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4.3. Caractérisation du ravinement par l’analyse systémique


Le positionnement des réflexions géomorphologiques dans l’analyse
systémique conduit de plus en plus à élargir les problématiques du champ
disciplinaire de la géomorphologie. Dans le cas des processus
morphodynamiques dont le ravinement, ce type d’analyse conduit à concevoir
des recherches intégrées au sein de bassins versants (Schumm, 1977) :
territoire intégrateur de différents processus physico-humains évoluant dans le
Temps et l’Espace, sous l’effet des influences des Sociétés (Sow, 2018).
Hydrologique Morphogénique Anthropique

Agents de morphogenèse

Variabilité temporelle Hétérogénéité spatiale Sociétés humaines

Producteurs d'enjeux

Lire : en bleu = critéres de définition; en rose = caractéristiques des critéres et en vert = propriétés des sociétés humaines

Figure 2 : Modèle de caractérisation de l’espace géographique :


application sur un bassin versant

Cette figure 2 propose un modèle de caractérisation de l’espace géographique


(bassin versant), en se basant sur trois caractéristiques essentielles :
hydrologique, morphogénique et anthropique. Chaque critère correspond à
l’une des notions géographiques fondamentales : Temps, Espace et Société.
- L’hétérogénéité spatiale fait appel à la notion d’espace. L’espace est le
lieu dans lequel se déroulent les différents processus. Il est défini par
des coordonnées géographiques. Il a des caractéristiques propres qui
évoluent sous l’action des agents en jeux.
- La variabilité temporelle évoque l’idée de temps. Ce dernier est
considéré dans cette approche comme l’unité de base, pour l’analyse
des processus physiques et anthropiques à l’origine du ravinement
dans l’espace géographique. Le temps est défini selon les lois
géomorphologiques et hydrologiques en ère, épisode, séquence, ou
événement.
- Les sociétés humaines constituent les Hommes et leurs œuvres. Ces
derniers agissent de façon double. Ils influencent le processus
(ravinement) : ils sont des agents morphogéniques. Ils créent des
enjeux sur l’espace géographique : ils subissent les conséquences du

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processus, qui se manifestent ici en termes d’inondations et de perte en


terre.

La caractérisation du ravinement par l’analyse systémique fait appel à


quelques notions géographiques fondamentales que sont : Espace, Temps et
Société, qu’il faudra mettre en relation avec la dynamique du processus
(ravinement).

4.3.1. Ravinement et Espace


L’évolution de la morphodynamique hydrique par ravinement se
réalise toujours selon des emboitements spatiaux, qu’il convient de ne pas
perdre de vue pour comprendre les conséquences qui en découlent (Sow,
2019).
A cet effet, un classement des échelles géographiques allant des
éléments englobant de grande taille vers les éléments de taille plus réduite,
inscrits dans les précédents devient une nécessité. Un plateau peut se
décomposer en éléments tabulaires et en vallées ; les éléments tabulaires en
collines et en dépressions ; les collines en versants variés ; les versants en
espaces plans, bourrelets et ruptures de pentes et sur ces espaces plans peuvent
exister des ravines. Un versant est lui-même un emboitement de formes : une
ravine s’inscrit dans un espace plan ou concave n’évolue pas à la même vitesse
(Ciattoni et Veyret, 2003).
D’ores et déjà, le bassin versant, forme élémentaire et se traduisant par
une topographie plus ou moins plane, qui joint un interfluve à une plaine
alluviale ou à un talweg, apparaît comme espace géographique privilégié pour
mettre en évidence le ravinement. Se positionnant entre le sixième et le
septième ordre de grandeur il peut être l’unité de base sur laquelle travaille un
géomorphologue ou un hydrologue. C’est à l’échelle de cette espace que se
déroulent les processus de transferts (Valadas, 2004) des flux sous l’effet de
la morphodynamique hydrique dont le ravinement.
La démarche systémique propose alors de caractériser les éléments
physiographiques et les processus hydrologiques, de les mesurer et les
expliquer pour comprendre leurs dynamiques d’évolution, en s’intéressant aux
mécanismes qui les créent et aux vitesses auxquelles elles évoluent. Au-delà
de l’indispensable connaissance de chacun des mécanismes responsables pris
isolément, il faut appréhender la façon dont ces derniers se combinent entre
eux, et dont ils interagissent avec les processus anthropiques au niveau de
l’espace géographique : d’ou l’originalité de l’approche.
L’analyse systémique demeure particulièrement importante pour
l’étude du ravinement dans un espace comme le bassin versant. En effet, pour
Annie REFFAY (1996), la géomorphologie dynamique se veut être une
géomorphologie quantitative, au sens plein du terme, attachée, non seulement

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à la mensuration des formes, mais aussi à l’estimation de la vitesse


d’élaboration des processus à l’échelle de l’espace géographique. Le bassin
versant demeure en ce sens le résultat d’un bilan et de relations complexes
entre des phénomènes de morphogénèse et d’anthropogenèse (physiques et
anthropiques).
La morphodynamique hydrique par ravinement s’inscrit toujours dans
un contexte temporel.

4.3.2. Ravinement et Temps


Tenir compte des échelles temporelles en géomorphologie est une
nécessité dans l’analyse systémique. Les héritages géomorphologiques sont à
prendre en compte pour comprendre les dynamiques actuelles (Valadas,
2004). C’est souvent le caractère éphémère de leur déroulement qui caractérise
le plus les morphodynamiques hydriques actives dont la torrentialité ou le
ravinement. Une lave de ravinement s’observe en quelques minutes, une
montée de crue en quelques heures, etc. Le temps long en géomorphologie,
c’est surtout celui de la géomorphologie structurale qui crée, à l’échelle des
millions d’années, les grandes formes en creux et en saillie qui forment les
unités majeures du relief. En géomorphologie dynamique, la temporalité est
relativement réduite, surtout quand les dynamiques sont vives. A cet effet, se
digitalisent parfois dans l’espace géographique des moments d’excessivité ou
de crise, qui traduisent un danger pour les populations : c’est l’aléa représenté
par une inondation par exemple. Les aléas constituent des épisodes
« normaux » de la dynamique terrestre y compris lorsque leurs caractères
violents peuvent sembler anormaux ou extraordinaires pour les populations
(Ciattoni et Veyret, 2003).
A certains moments, l’homme a perçu la nature en termes de régularité,
de permanence, ce qui lui a permis d’effectuer certains choix
d’aménagements. Dardel rappelle en 1952 que « l’homme, n’a pu s’affranchir
des contraintes de la faim, de la soif et du froid, de la distance et de
l’exubérance végétale, que parce qu’il pouvait compter sur la constance des
phénomènes et sur l’invariance des phénomènes périodiques ». Or, la
biophysique terrestre n’offre pas la régularité à laquelle l’établissement des
moyennes climatiques, hydrologiques,… pourrait laisser d’ampleur et de
fréquence très variables. Plus que la répétition du phénomène, ce sont les
temps de retour qui sont importants : plus ceux-ci sont longs et plus la
mémoire humaine a effacé le souvenir de l’épisode précédent et la surprise et
l’imprévoyance aggravent les effets.
L’appropriation de l’analyse systémique permettra de recadrer le
phénomène ravinement dans le contexte actuel de la dégradation des
conditions bioclimatiques. Cette dégradation est marquée par une disparition
progressive de la couverture végétale sous l’effet de la sévérité du contexte

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bioclimatique et d’une urbanisation progressive des bassins versants jadis


ruraux en particulier. Ce processus est à l’origine des changements d’usages
des sols observés et de la hausse des vitesses d’écoulement des eaux à l’échelle
des bassins versants (Mahé et Paturel, 2013 et Decroix et al., 2013).

4.3.3. Ravinement et Société


Pour exister, toute société humaine a besoin d’un espace qui lui
préexiste et qu’elle transforme. Sa survie dépend de ses capacités à
s’approprier celui-ci, à y survivre, à agir sur lui isolément ou avec d’autres.
Toutes les sociétés produisent un ou des espaces organisés que l’on désigne
sous le nom d’espace géographique.
L’espace géographique est à la fois produit des pratiques sociales et
composante de ces pratiques. En mobilisant des démarches aussi
fondamentales que : l’appropriation, l’exploitation, la communication et
l’habitation, l’œuvre humaine de spatialisation ou de mise en espace de
l’étendue terrestre est par conséquent partie intégrante de tout projet social.
Elle présente pour chacune des sociétés une composante incontournable de
son fonctionnement (Ciattoni et Veyret, 2003).
L’intégration du facteur social pour une caractérisation du ravinement
par l’analyse systémique demeure particulièrement importante, car l’espace
géographique est aussi social. Selon Veyret (1998), l’Homme, par ses diverses
actions et notamment en modifiant les couverts végétaux peut contribuer à
aggraver ou à déclencher certains processus d’érosion. Il agit indirectement
sur le ruissellement le long des pentes, le ravinement à travers les axes
hydrauliques, l’écoulement dans les talwegs, et sur les mouvements de masse
(particules solides en charriage). Il contribue à accroitre des risques, qui dans
certains milieux font l’objet d’études et de zonage, rendant nécessaire une
connaissance précise des dynamiques, de la fréquence des aléas et de leur
intensité.
Si aujourd’hui, l’Homme se donne l’illusion d’échapper aux
contraintes naturelles, il demeure tout de même obligé de prendre en compte
un nombre important de paramètres, en particulier ceux qui régissent
l’évolution des modelés dans lesquels il vit. L’urbanisation rapide se soucie
peu des conditions dans lesquelles elle se développe. Toutefois, même s’il est
de moins en moins soumis et s’il sait se protéger des dynamiques naturelles, il
doit encore souvent composer avec la nature, ne serait-ce qu’en termes d’aléas
et de risques (Valadas, 2004).
La démarche du géomorphologue repose sur l’explication de
l’évolution des unités, articulée avec les principaux changements au cours des
temps, l’état actuel et enfin les processus de façonnement futurs en rapport
avec le domaine morphoclimatique et les différentes formes d’anthropisation
Sy (2013).

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L’analyse systémique met ainsi en exergue les différents usages que


les sociétés font sur les formes et les formations superficielles. Elle traduit les
types de pressions que les populations exercent sur la nature, et identifie ces
dernières en tant que facteurs qui influencent et qui subissent les conséquences
du phénomène ravinement.

Conclusion
L’appréhension de la morphodynamique hydrique par ravinement à
travers les champs disciplinaires de la géomorphologie n’est pas une question
facile à aborder. La variabilité spatiale du phénomène, le grand nombre de
facteurs intervenant directement ou indirectement dans son explication, la
difficulté, enfin, de passer d’une échelle d’analyse à une autre constituent
autant de paramètres, qui complexifient le processus à l’échelle des bassins
versants. L’analyse systémique demeure à cet effet une approche efficace pour
lire en intégralité le fonctionnement des processus morphodynamiques
continentaux en particulier le ravinement. Cette approche (de part
l’introduction de nouveaux outils, de nouveaux concepts, de nouveaux
moyens informatiques permettant d’opérer des sauts en avant, de tester les
idées existantes, et donc d’ouvrir la voie vers la formulation de nouvelles
hypothèses explicatives) a abouti à une sorte de rupture épistémologique en
géomorphologie dynamique, notamment à travers l’introduction de nouveaux
paradigmes qu’il convient davantage d’explorer.

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