La Tragique Histoire Du Docteur Faust

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MARLOWE

LA TRAGIQUE HISTOIRE

DU

DOCTEUR FAUST

Edite par

HENRI GAUTIER
35.QUAI DES GRANDS AUGUSTINS-
A
PARIS
69373 1999

421

421
Il paraît un volume par semaine
Directeur littéraire de la Nouvelle Bibliothèque Populare i

ALFRED ERNST

PLOIE LBVCIONEC TV

021 & DOCLEOK

MITSUOLA GиXO
ИВИВ СКЛИВЫ LUCC

ZAS
400852

MARLOWE

LA TRAGIQUE HISTOIRE DU DOCTEUR FAUST

Notice littéraire.

CHRISTOPHE MARLOWE , de qui le nom a été quelquefois ortho-


graphié Marloe, est né en Angleterre dans la deuxième moitié du
XVIe siècle. On a souvent fixé sa naissance en l'année 1565 , mais
cette date est devenue conjecturale . Ce que l'on sait avec précision,
c'est qu'il étudia à Cambridge, fut bachelier, puis maître ès
arts ( 1587), se mit à écrire des pièces de théâtre que probablement
il jouait aussi , mena une vie très irrégulière , et mourut le 15 juin,
1593 d'un coup de poignard reçu dans une rixe.
Marlowe est le précurseur de Shakespeare . Tous les critiques
réfléchis croient à une influence de son œuvre sur celle du plus
illustre des poètes anglais ; et Villemain, pour ne citer que ce nom ,
écrit : « Du milieu des poètes lettres qui depuis trente ans multi-
pliaient les essais de leur talent sur les théâtres de Londres et de
la cour, s'était élevé un homme de génie... C'est un Christophe
Marlowe, dont le théâtre sauvage, désordonné comme sa vie ,
renferme d'éclatantes beautés et une hardiesse mélancolique qui
n'a pas été perdue pour Shakespeare . Son Faust, comparé à celui
de Goethe, est moins élégant, moins artistement bizarre , surtout
moins ironique ; mais la fièvre du doute dans une imagination
superstitieuse , l'audace de l'impiété dans un cœur au désespoir ,
donnent à cet ouvrage de grands traits d'éloquence. La scène où
Faust, touchant au terme de son bail avec le démon, attend son
heure fatale, produit une illusion de terreur dont il semble que
le poète ait été obsédé lui-même... Le reste n'est pas indigne de
cette scène ; çà et là brillent de sombres lueurs, qui semblent
s'être refléchies sur Hamlet... Marlowe donna aussi l'exemple de
l'horreur tragique poussée au dernier degré ; et à cet égard encore
il doit avoir agi sur le caractère du drame anglais de Shakespeare .
Sa tragédie de l'Empire du Vice est un ramas de tableaux hideux,
tels que pourrait à peine les rassembler l'imagination artificielle
d'une littérature blasée... Sa tragédie de la Mort d'Edouard II ouvre
cette source tragique de l'histoire d'Angleterre où a puisé le
peintre de Richard III... »
Si l'on peut reprocher à Villemain, en ce jugement , de ne pas
No 421
254

faire sentir avec assez de force l'énorme différence qui distingue,


au point de vue de l'art, le Faust de Goethe de l'ébauche puissante
due à Marlowe, l'ensemble de l'appréciation y demeure conforme à
la vérité. Pour nous , le Faust de Marlowe contient des scènes de
premier ordre , et il nous montre une légende populaire ( signifi-
cative au fond, des problèmes les plus graves, et de l'humaine
destinée) arrivant à une forme dramatique vivante, digne de sub-
sister dans la mémoire des hommes , malgré l'avènement du chef-
d'œuvre qui l'a suivie.
On attribue à Marlowe une œuvre bizarre , tragédie en deux
parties, intitulée Tamburlaine the Great; outre Lust's Dominion
(l'Empire du Vice) , cités plus haut, et son plus célèbre ouvrage,
the Tragical History of the life and death of doctor Faustus (la Tra-
gique Histoire de la vie et de la mort du docteur Faustus) , il a com-
posé the Massacre of Paris , with the death of the duke of Guise (le
Massacre de Paris , avec la mort du duc de Guise) , the rich lew of
Malta (le Riche Juif de Malte). Nous avons aussi mentionné ci-
dessus son beau drame historique , the Troublesome reign and la-
mentable death of Edward the second ( le Malheureux règne et la
Mort lamentable d'Edouard le deuxième) . Des doutes très motivés
ont été élevés par les commentateurs sur l'attribution générale-
ment admise de Lust's Dominion, qui pourrait bien ne pas être de
lui, et les mêmes doutes s'appliquent aussi à Tamburlaine . Enfin ,
il a écrit en collaboration avec Thomas Nash une pièce intitulée
Tragedy of Dido, queen of Carthage (Tragédie de Didon , reine de
Carthage) , des traductions de l'Enlèvement d'Hélène de Coluthus ,
des Elégies d'Ovide, du premier livre de Lucain , etc. Une idylle de
lui, ie Berger passionné ( the passionate Shopheard to his love) , est
restée célèbre et populaire .
On pourra consulter utilement sur Marlowe : l'ouvrage d'Antony
Wood , Athenae Ononieuses ; l'History of english poetry de Warton ;
ie Theatrum de Philip ; l'Etude de M. Mézières , les Contemporains
de Shakespeare , dans le Magasin de Librairie ( année 1889 ) ; Drake :
Shakespeare anä histime ; Villemain : Mélanges littéraires ; Taine ;
Histoire de la Littérature anglaise ; la préface très remarquable
des OEuvres complètes de Marlowe , publiées par George Robinson, à
Londres , en 1826,
Quelques mots encore sont utiles au sujet de la légende de Faust,
que Marlowe mit en œuvre . Cette légende peut se rattacher à des
mythes fort anciens , mais le christianisme et l'esprit du moyen
âge modifièrent très profondément ces mythes, et une forme toute
particulière fut ainsi créée , qui se fixa nettement aux dernières
années du xv siècle et aux premières années du xvie , en Germa-
nie. Cette forme eut nom « l'histoire du docteur Faust » , et l'on
en connaît de nombreuses rédactions imprimées , tant en Alleman-
gne qu'en France. La principale comme date et comme originalité
est le Faustbuch allemand « livre de Faust ». Jean Faust est un
savant, versé dans la théologie, la philosophie, le droit, les lettres
anciennes , la médecine. Mais la science permise ne suffit ni à son
orgueil, ni à son ambition, ni à son goût des plaisirs , aux passions
violentes qui agitent cet homme uniquement préoccupé en appa-
[ 2 ]
255

rence des plus austères études. Il s'adonne aux arts occultes, à la


nécromancie , à la magie noire ; il évoque les démons , et conclut
avec le Prince des Ténèbres par l'intermédiaire d'un puissant
esprit du mal , Méphistophilis ou Méphostophilis (le Mephistopheles
de Goethe) , un pacte maudit, par lequel il céde son âme à l'Enfer
en échange d'une supériorité absolue sur tous les hommes dans le
domaine de la science comme de la sorcellerie et de vingt- quatre
années de plaisirs , de voluptés , de satisfactions , d'orgueil . Méphis-
tophilis , pendant ce délai , sera son fidèle serviteur prompt à réa-
liser tous ses désirs, à transmettre et à faire obéir toutes ses vo-
lontés. Faust, investi en quelque façon du pouvoir infernal, étonne
tous ses contemporains par les prodiges qu'il opère, les plaisirs
qu'il se donne à toute heure et en tout lieu, les mystères qu'il pé-
nètre ou révèle et les richesses qu'il possède. Nulle puissance
humaine dont il ne se joue ! Ses vices ont libre carrière , son savoir
trouble , étonne, terrifie ; il éblouit l'Empereur par les merveilles
qu'il suscite ; il évoque , aux regards stupéfaits des étudiants de
Wittemberg, les héros et les héroïnes de l'antiquité ; Hélène entre
autres , qui fut cause de la guerre de Troie. Il pousse l'audace et
l'orgueil des droits épouvantables que lui vaut son pacte de dam-
nation jusqu'à exiger de Lucifer que celui- ci lui fasse visiter par
avance les abîmes de l'éternelle souffrance, ces même abimes
auxquels il a voué son âme. Enfin le délai touche au terme pres-
crit l'effroi saisit alors l'impie magicien ; Faust songe à se repen-
tir, mais le désespoir obscurcit en lui cette lueur de salut, et il
se dit que ses crimes sont trop grands, trop nombreux et trop in-
fâmes pour qu'il puisse espérer le pardon. Au dernier jour qu'il
doit passer sur terre il rassemble les étudiants ses amis en un
somptueux banquet, et leur raconte le pacte qu'il signa , I affreuse
destinée dont il doit être victime ; il les conjure de ne pas entrer
dans la chambre où il doit passer sa nuit supreme, et accepte ,
bien que sans espoir, l'offre qu'ils lui font de leurs prières . A minuit ,
les étudiants entendent un fracas horrible , et , à l'aube, se hasar-
dent dans la chambre de Faust , ils n'y trouvent que des débris
sanglants .
Marlowe a dramatisé cette donnée du Faustbuch avec une grande
puissance, mais sans se mettre en frais d'imagination, car il l'a
fort peu modifiée . Où un génie créateur s'affirme, c'est dans la
force d'expression des angoisses ou des audaces de Faust, par
exemple dans la scène du pacte , lorsque le sang du pécheur se
glace d'épouvante, et refuse de sortir de la veine entr'ouverte pour
sceller l'infernale promesse. Les affres de la damnation , en la der-
nière scène , sont également d'une sublime horreur, et une telle
page n'a été surpassée par aucun poète tragique. Les scènes co-
miques sont moins heureuses ; elles constituent cependant un ca-
ractère bien spécial du théâtre anglais, non - seulement au temps
le Marlowe, mais immédiatement après, avec Shakespeare, et ne
pouvaient être supprimées dans notre publication de la Tragique
Histoire du docteur Faust.
On le voit, dans la légende et dans Marlowe , Faust est l'homme
que l'orgueil et la convoitise entraînent, -- orgueil de l'esprit,
[3 ].
256
convoitise des sens, et qui, ayant perdu la foi, a perdu tout
guide pour sa vie, toute défense contre les tentations et contre
lui- même. Il est prêt ainsi aux plus criminelles négations , à la
révolte la plus impie. Et cette histoire, malgré la couleur pitto-
resque, historique, romantique , que lui donne l'intervention de la
magie, des sortilèges , de toutes les traditions occultes , prend ainsi
un sens chrétien très général : le pacte de Faust est proposé à
toute âme par l'Esprit du mal et par son propre désir ; toute
âme est appelée, en une heure critique , à choisir entre les satis-
factions présentes et le bonheur futur du ciel, récompense pro-
mise au renoncement . Elle fait alors le bon ou le mauvais choix ,
le choix des saints ou le choix de Faust, et, dans ce dernier cas,
le pacte écrit sur parchemin , signé de sang, n'est que le symbole
matériel de l'esclavage qu'elle s'impose , de la destinée de souf-
france à laquelle elle se condamne elle- mème .
A côté de cette signification essentielle de la légende, significa-
tion si profonde et si tragique, une autre existe, celle de la re-
cherche, de la curiosité intellectuelle, de la fièvre de connaissance,
exaspérée en Faust jusqu'au dote , jusqu'à l'erreur, jusqu'à la
plus infernale folie. C'est ce germe que Goethe a retrouvé deux
siècles après Marlowe, dans les pièces pour marionnettes qui met-
taient en scène la légende de Faust sur les théâtres forains d'Alle-
magne, et qu'il a développé en son œuvre gigantesque, sacrifiant
les anciens aspects de cette légende à son interprétation nouvelle .
Et c'est pourquoi, à la fin de la deuxième et dernière partie du
poème dramatique de Goethe, Faust est sauvé, tandis qu'il est
damné selon la tradition, selon le Faustbuch et selon Marlowe. Le
Faust de Goethe n'est plus le blasphémateur insolent d'autrefois,
il n'a plus pour unique idéal vingt- quatre années de jouissances et
de pouvoir : il est sceptique, mais un scepticisme n'est pas irréfor-
mable, et demeure capable d'adorer la vérité ; s'il demande et ob-
tient la jeunesse, c'est parce qu'en lui , le cœur et l'esprit sont sus-
ceptibles d'enthousiasme ; s'il évoque Hélène, c'est par admiration
de la poésie et de l'art, et de la beauté antique, inspiratrice de
chefs - d'œuvre. Il méprise Méphistophélès , et rien de ce que Méphis-
tophéles lui donne, science et gloire, passion, richesse, jouissances
de toute nature, ne peut le satisfaire, ne peut retenir son âme une
heure ! A Faust, que rien de terrestre, de limité, de fini, ne peut
contenter, et que les séduisants prestiges de l'enfer illusionnent à
peine un instant, et qui garde au sein de toutes les joies, avec le
sentiment sauveur de la souffrance humaine, l'aspiration vers une
immortelle destinée, l'espoir de la rédemption peut être conservé,
et bien que Goethe ne se soit nullement préoccupé de faire œuvre
chrétienne , il est aisé d'interpréter son Faust dans un sens chrétien
et de l'admettre comme la forme poétique définitive de la grave et
mystérieuse légende.
Dans la traduction du Faust de Marlowe que nous publions au-
jourd'hui, nous n'avons laissé de côté qu'un très petit nombre de
passages , prenant d'ailleurs pour texte modèle celui de l'édition
de 1604, assez différente de l'édition de 1616. François Victor
Hugo avait suivi cette édition de 1616, trop remaniée selon nous ,
[ 4]
257 G

et de plus , il avait donné du texte anglais une traduction extrême-


ment fautive, où se remarquent de nombreux contresens . La tra-
duction de M. F. Rabbe, plus récente , et faite sur l'édition de 1604,
est à notre avis bien meilleure . Nous avons cru devoir cependant
avoir notre version à nous, traduisant en toute liberté et dans la
forme qui nous a paru préférable l'œuvre étrange, parfois obscure,
de Marlowe. Dans la dernière scène , bien que le texte publié en
1604, ait été notre guide, nous avons emprunté à cette même scène,
selon l'édition de 1616 , l'intervention du Bon Ange et du Mauvais
Ange, qui nous semble d'une grande beauté.
Rappelons, pour finir, que les personnages de la pièce sont le
docteur Jean Faust, Méphistophilis, Lucifer, Belzebub , le Bon Ange,
de Faust, un Mauvais Ange, Wagner , serviteur de Faust, Valdès et
Cornélius, amis de Faust, le Pape, l'Empereur, le duc et la du-
chesse d'Anhalt, le clown Robin, le valet d'écurie Ralph, des étu-
diants, chevaliers, cardinaux , moines, un cabaretier, etc.

ALFRED ERNST,
T
O

[ 5 ]
FAUST

LE CHOEUR entre
Ce n'est plus en marchant dans les champs de Thrasimène , où
Mars embrassa la cause de Carthage la guerrière, ni par l'éclat
d'héroïques et audacieux exploits , que notre Muse se propose de
faire parade de ses vers divins . Ce que nous désirons aujourd'hui ,
messieurs , c'est seulement vous représenter les vicissitudes
bonnes ou mauvaises de la fortune de Faust ; nous en appelons ,
pour nous applaudir, à votre jugement plein de patience ; et nous
voulons vous parler au nom de Faust enfant. Il est né, de parents
de basse extraction , en Allemagne dans une ville appelée Roda .
Plus mûr d'années , il alla à Wittemberg, où ses parents lui firent
donner une bonne éducation Il y fit de si rapides progrès en
théologie, et y orna si richement le jardin fertile des écoles , qu'il
fut bientôt honoré du nom de Docteur, supérieur à tous ceux qui
trouvent leurs plaisirs à discuter sur les sciences sacrées , jus-
qu'au jour où, gonflé de savoir et de présomption, il s'éleva avec
ses ailes de cire au- dessus de sa région, et où , ses ailes venant
à se fondre, les cieux conspirèrent sa chute en effet , tombé dé-
sormais en des recherches diaboliques, il se gorge des dons dorés
de la science, il s'énivre de la maudite Nécromancie . Rien ne lui
est si cher que la Magie ; il la met plus haut que ses jouissances
les plus précieuses. Voici notre homme assis dans son cabi-
net de travail.
(Le Chœur sort. )
SCÈNE PREMIÈRE
Le cabinet de travail de Faust
FAUST.Dirige avec soin tes études , Faust , et commence à son-
der la profondeur de ce que tu comptes enseigner aux autres !
Tout en élant de nom un Docteur en théologie , cherche quelle
est la fin de toute science . Vis et meurs dans les ouvrages d'Aris-
tote. - Douces Analytiques, vous m'avez ravi : Bene disserere est
finis logices. Bien discuțer, est -ce vraiment, est-ce donc le but

[ 6 ]
259

dernier de la Logique ? Cet art n'a-t-il pas de prodige plus haut


à nous montrer? Alors , ne lis plus ces choses , tu as atteint ce
but : l'esprit de Faust convient pour un plus grand objet. Dis adieu
au principe de contradiction !
Que Galien vienne à présent ; n'y lisons-nous pas : « Ubi desinit
philosophus, ibi incipit medicus? Où finit le philosophe , là com-
mence le médecin . » Sois médecin, Faust amasse l'or, immortalise-
toi par quelque guérison merveilleuse . « Summum bonum medicinæ
sanitas. » Le but de la médecine , c'est la santé du corps . Quoi Faust,
n'as- tu pas atteint ce but ? N'as-tu pas constamment à la bouche
de judicieuses maximes ? Ne sont- elles pas exposées comme des
monuments, les ordonnances grâce auxquelles des villes en-
tières ont échappé à la peste , et mille maladies désespérées ont
trouvé leur guérison ? Et néanmoins, tu n'es toujours que Faust,
un homme ! Ah ! si tu pouvais faire vivre éternellement les
hommes, ou rappeler les morts à la vie, alors ce serait une pro-
fession digne d'estime ! Médecine adieu !
Où est Justinien ?... « Si una eademque res legatur duobus, alter
rem, alter valorem rei, etc.... » Misérable cas de chétives questions
testamentaires ! - « Exhæreditare filium non potest pater, nisi,
etc... >> Tel est donc le sujet des Institutes et tel est le corps de la
loi ! Cette étude est bonne pour un cuistre mercenaire, qui ne se
préoccupe que de la bagatelle extérieure ; c'est un but trop servile,
trop illibéral pour moi ! Après tout, la théologie est encore ce
qui vaut le mieux. La Bible de saint Jérôme, Faust regarde-la
bien... « Stipendium peccati mors est ! ... » Ah ! Stipendiumpeccati
mors est... Le salaire du péché c'est la mort . C'est dur ! ... « Si
peccasse negamus , fallimur , et nulla est in nobis veritas » . Si nous
nions avoir péché, nous nous mentons à nous -mêmes, et il n'y a
point de vérité en nous...» Mais alors, selon toute apparence , nous
sommes condamnés à pécher, donc à mourir ! oui, à mourir de la
mort éternelle ! Comment appelez-vous cette doctrine ? « Che sera,
sera? » ce qui sera , sera? ... Théologie, adieu !
Cette métaphysique des magiciens , ces livres des nécromanciens ,
sont vraiment célestes ! Ces lignes , ces cercles , ces figures , ces
lettres, ces caractères , voilà ce qui enflamme le désir de Faust !
Quel monde de richesses et de délices , de pouvoir, d'honneurs ,
d'omnipotence est promis ici au savant qui s'obstine à l'étude !
Toutes les choses qui se meuvent entre les pôles immobiles obéi-
ront à mon ordre . Empereurs et rois ne sont servis que dans leurs
domaines respectifs ; ils ne peuvent ni déchirer les vents , ni fendre
les nuages ! Mais la puissance de celui qui est supérieur en cet
art va aussi loin que l'esprit de l'homme . Un magicien consommé
a le pouvoir d'un dieu . Ici Faust, creuse-toi la cervelle à te con-
quérir la divinité ! ...
(Entre Wagner.)
[ 7]
260
Wagner, va, recommande -moi à mes très chers amis, Valdès et
Cornelius . Prie- les avec instance de venir me trouver.
WAGNER. J'y vais , monsieur.
FAUST. - Un entretien avec eux me sera d'un secours meilleur
que tous mes travaux ; seul, avec tous mes efforts, je n'arriverais
pas si vite qu'ainsi.
(Entrent le bon et le mauvais ange . )
LE BON ANGE . ― O Faust, écarte de toi ce livre damné, et n'y
jette pas les yeux, de peur qu'il ne tente ton âme et n'amoncelle
sur ton front la pesante colère de Dieu. - Lis, lis, lis les Saintes
Ecritures . Tout ceci n'est que blasphème .
LE MAUVAIS ANGE. - Marche, Faust, avance dans cet art fameux,
où est renfermé tout le trésor de la Nature . Sois sur la terre ce
que Jupiter est aux cieux, seigneur et maître des éléments .
(Les deux anges sortent. )
FAUST. - Comme cette pensée me dévore ! Pourrai -je forcer les
esprits à me procurer tout ce qu'il me plaît , à résoudre toutes
mes difficultés, à exécuter les entreprises les plus désespérées que
je voudrai ! Je leur commanderai de voler dans l'Inde pour me
chercher de l'or , fouiller les mers pour m'avoir la perle , de
rechercher pour moi , dans tous les coins du Nouveau-Monde les
fruits délicieux et les friandises princières . Je leur ordonnerai de
me lire la philosophie inconnue , et ils m'apprendront les secrets
de tous les rois étrangers. A mon ordre , ils ceindront l'Allemagne
d'une muraille de cuivre, et du rapide Rhin ils feront une cein-
ture à la belle ville de Wittemberg. Je leur ferai remplir les
écoles publiques de soie, dont les étudiants seront élégamment
vèlus . Je lèverai des soldats avec l'argent qu'ils m'apporteront, je
chasserai de notre patrie le prince de Parme , et je régnerai , roi
unique de toutes nos provinces.
(Entrent Valdès et Cornélius.)
Venez, Valdès et Cornélius , venez , et que vos leçons assurent
mon bonheur. Valdès , doux Valdès , et toi Cornélius, sachez que
vos discours m'ont enfin décidé à pratiquer la Magie et les arts
occultes ; et non seulement vos discours, mais encore mon propre
goût, qui ne veut plus d'autre objet à mon étude. La philosophie
est sèche et obscure ; la jurisprudence et la médecine sont faites
pour de petits esprits ; la théologie est la plus rebutantes des trois,
austère, rébarbative, misérable et vile. C'est la Magie , la Magie

1. Le nom de Jupiter est une expression païenne fréquemment em-


ployée par Marlowe pour désigner le maître souverain, Dieu .
2. Alexandre Farnese, qui, à la tête des Espagnols, gouvernait les
Pays-Bas.
[ 8 ]
261 -

qui m'a ravi ! Aidez-moi donc , chers amis, dans cette entreprise ;
et moi, qui ai confondu par la force et la concision de mes syllo-
gismes, les pasteurs de l'Église allemande, moi, qui ai forcé l'or-
gueil de Wittemberg à se presser en foule à mes leçons , ainsi que
l'on vit les ombres infernales se presser autour du doux Musée ,
quand il arriva aux enfers, je serai aussi savant que l'était Agrippa,
que ces évocations rendirent célèbre dans l'Europe entière .
VALDÈS . G Faust, ces livres , ton génie, notre expérience, nous
feront canoniser par tous les peuples. De même que les Maures
indiens obéissent à leurs seigneurs espagnols, ainsi les esprits des
éléments divers seront toujours aux ordres de nous trois à notre
gré, ils veilleront sur nous sous la forme de lions, ou de reîtres
allemands portant la lance de leurs chevaliers , ou de géants de
Laponie trottant à nos côtés ; quelquefois ils prendront la forme
de femmes et de vierges. De Venise ils nous amèneront d'énormes
galères, et d'Amérique la toison d'or qui chaque année remplit le
trésor du vieux roi Philippe ; si toutefois le savant Faust est
bien résolu dans un dessein .
FAUST . Valdés , je suis aussi résolu en ce dessein que tu l'es
toi-même à vivre ; ainsi, plus de ces objections .
CORNELIUS . Les miracles qu'accomplira la Magie te feront dé-
laisser toute autre étude. Celui qui est instruit dans l'Astrologie ,
riche de Langues , savant en Minéralogie , possède tous les princi-
pes que la Magie exige . Ne mets donc point en doute, Faust, le re-
nom qui t'attend ; tu te verras plus fréquenté pour ces mystères
que ne le fut jamais l'oracle de Delphes . Les esprits me disent
qu'ils peuvent mettre l'Océan à sec et y retrouver les trésors de
tous les naufrages ; oui, et aussi toutes les richesses que nos aïeux
ont ensevelies dans les entrailles massives de la terre. Dis-moi
Faust, que nous manquera-t-il alors à tous trois ?
FAUST. Rien, Cornélius ! - Oh , quelle ivresse pour mon âme !
Venez, apprenez- moi les figures magiques , que je puisse conjurer
les esprits dans quelque bois touffu , et goûter la pleine possession
de ces allégresses !
VALDES . - Va donc vite vers quelque taillis solitaire , et emporte
les ouvrages du sage Roger Bacon et d'Albanus , le Psautier hébreu ,
le Nouveau Testament ; pour les autres choses nécessaires ,
t'en informerons avant la fin de notre conversation .
CORNELIUS . - Valdès , enseigne- lui d'abord les termes de l'art
magique, puis, une fois qu'il aura appris toutes les autres céré-
monies, Faust pourra éprouver sa science par lui - même .
VALDES . - Je vais t'enseigner d'abord les rudiments, et tu seras
bientôt plus expert que moi-même !
FAUST. -- Venez donc dîner avec moi , et après , nous examine-
rons la chose jusqu'en ses subtilités. Car, avant de m'endormir, je
[ 91
262

veux essayer mes forces ; je veux faire une conjuration cette nuit
mème, quand je devrais en mourir !

SCÈNE II
Une rue.

DEUX ÉTUDIANTS entrent


PREMIER ÉTUDIANT . Je voudrais bien savoir ce que Faust est
devenu , lui qui était accoutumé de faire retentir nos écoles de son
sic probo?
DEUXIÈME ÉTUDIANT . Nous allons vite le savoir , car voici son
domestique .
(Entre Wagner. )
PREMIER ÉTUDIANT . - Eh bien, maraud! Où est ton maître ?
WAGNER . Dieu dans le ciel le sait .
DEUXIÈME ÉTUDIANT . G Quoi , tu ne le sais pas ?
WAGNER . Si , je le sais . Votre conclusion est illogique .
PREMIER ÉTUDIANT . Allons, maraud, trêve de facéties : dis -nous
où il se trouve .
WAGNER . Ce n'est pas une conclusion logique, et déduite par
force argumentative digne de vous ; licenciés , confessez donc.
votre erreur et soyez plus attentifs .
DEUXIÈME ÉTUDIANT. Ne nous as-tu pas dit que tu le savais ?
WAGNER . - Avez-vous quelque témoin de la chose ?
PREMIER ÉTUDIANT . Oui, maraud , je t'ai entendu .
WAGNER . Demandez à mes camarades si je suis un larron '.
DEUXIÈME ÉTUDIANT . - Eh bien ! tu ne veux rien nous dire ?
WAGNER . --- Si , et , je vais vous dire quelque chose . Cependant ,
si vous n'étiez pas des sots, vous ne me poseriez jamais une pa-
reille question . En effet, Faust n'est-il pas un corpus naturale ? et
par suite mobile ? Alors , pourquoi me faites- vous cette question?
Si je n'étais pas, par nature, et flegmatique lent à la colère, il ne
serait pas bon pour vous de venir à quarante pieds du lieu de
l'exécution , quoique je sois bien sûr de vous voir pendus tous deux
à la session prochaine . Vous ayant donc battus à plates coutures ,
je prendrai la mine d'un Puritain , et je vous dirai : Oui, mes
chers frères , mon maître est là-dedans à dîner avec Valdès et Cor-
nélius ; et ce vin que je leur porte, s'il pouvait parler, l'annonce-
rait à vos seigneuries ; sur ce , que le seigneur vous bénisse, vous
protège et vous garde , mes chers frères !
(11 sort.)

1. Wagner veut dire qu'un camarade n'est pas un témoin impartial.


2. Corps naturel.
3. Capable de se mouvoir.
[ 10 ]
- 263

PREMIER ÉTUDIANT . Oui , j'ai grand peur qu'il ne soit tombé.


dans cet art damné, qui a valu à ces deux hommes un renom uni-
versel d'infamie .
DEUXIÈME ÉTUDIANT . Serait-il un étranger, sans aucun lien avec
moi, j'en aurais chagrin pour lui . Mais venez , allons dire cela au
recteur, et voir si ses graves avis pourront le retenir.
PREMIER ÉTUDIANT . Oh ! j'ai bien peur que rien au monde ne
puisse maintenant le retenir ."
DEUXIÈME ÉTUDIANr. - Essayons cependant ce que nous pour-
rons faire .
(Ils sortent. )
SCÈNE III

Un bois.

FAUST entre pour conjurer


FAUST. A cette heure où l'ombre lugubre de la terre , désireuse
de voir dans la bruice le regard d'Orion , s'élance du monde antarc-
tique dans les cieux, et assombrit le firmament bleu de ses souffles .
de ténèbres , Faust, commence tes incantations . Vois si les démons
obéiront à tes commandements , lorsque tu leur auras adressé
tes prières et tes sacrifices. Dans l'intérieur de ce cercle sont
tracés le nom de Jéhovah , son anagramme dans les deux sens , les
noms abrégés des saints, les figures de tous les aspects célestes ,
les caractères des signes du zodiaque et des comètes qui contrai-
gnent les esprits à paraître. N'aie pas d'hésitation, Faust, mais sois
ferme, et essaie tout ce que la haute Magie peut exécuter.
Sint mihi Dei Acherontis propitii ! Valeat numen triplex Jehova!
Ignei aerii, aquatani spiritus , salvete ! Orientis princeps Belzebub,
inferni ardentis monarcha, et Demogorgon , propitiamus, vos ut ap-
pareat et surgat Mephistophilis , quid tu moraris ? per Jehovam ,
Gehennam, et consecratam aquam quam nunc spargo, signumque
crucis quod nunc facio , et per vota nostra , ipse·-nunc surgat nobis
dicatus Mephistophilis¹ !
(Entre Méphistophilis . )
Je te commande de t'en retourner et de changer ta forme ; tu
es trop laid pour m'accompagner. Va-t'en et reviens vieux frère

1. « Que les Dieux de l'Achéron me soient propices ! Que la triple


divinité de Jéhovah s'impose ! Esprit du feu, de l'air et de l'eau, salut !
prince de l'Orient. Belzebub, monarque de l'enfer ardent, et toi , Démo-
gorgon ! soyez-moi propices, afin que surgisse et m'apparaisse Méphis-
tophilis. Que tardes-tu? Par Jéhovah, par la Géhenne et l'eau consacrée
que je répands ici ; par le signe de la croix que je fais en ce moment ;
par la vertu de nos voeux, qu'à notre ordre surgisse Méphistophilis ! »>

[ 11 ]
264

franciscain ; cette sainte forme est celle qni convient le mieux à


te dissimuler.
(Méphistophilis sort.)
Je constate qu'il y a une certaine puissance dans mes paroles
célestes ; qui ne voudrait pas être versé dans un tel art ? Comme
il est souple, ce Méphistophilis , plein d'obéissance et d'humilité !
Telle est la force de la Magie et de mes enchantements , te voilà ,
Faust, un lauréat en matière de conjuration , car tu peux te faire
obéir du grand Méphistophilis .
(Rentre Mephistophilis en frère Franciscain. )
MEPHISTOPHILIS . Hé bien ! Faust , en quoi veux-tu que je te serve?
FAUST. Je te charge de me servir tant que je vivrai , de faire
tout ce que Faust te commandera , te commandât-il de faire tom-
ber la lune de son ciel, ou de submerger le monde sous l'océan.
MEPHISTOPHILIS. Je suis le serviteur du grand Lucifer, et je ne
puis te suivre sans sa permission ; nous ne devons rien exécuter
que ce qu'il nous commande.
FAUST . N'est-ce pas lui qui t'a commandé de m'apparaître?
MEPHISTOPHILIS . - Non , je suis venu de mon propre gré.
FAUST. Ne sont- ce pas mes incantations qui t'ont fait appa-
raître ? Parle.
MEPHISTOPHILIS . Oui, elles en furent cause , mais la cause per
accidens ; lorsque nous entendons quelqu'un torturer le nom de
Dieu, abjurer les Ecritures et le Christ, nous accourons dans
l'espoir de nous emparer de son âme glorieuse ; et nous ne venons
jamais que s'il use de pratiques, faites pour le mettre en danger
d'être damné . Donc, le moyen le plus court pour conjurer est d'ab-
jurer résolument la Trinité , et de prier dévotement le Prince de
l'Enfer.
FAUST. C'est ce que Faust a fait déjà ; et il affirme ce prin-
cipele seul chef suprême Belzebub, à qui Faust se voue lui-même .
Le mot de damnation ne me frappe d'aucune terreur, car il con-
fond l'Enfer avec l'Elysée ; que son ombre habite avec les anciens
philosophes ! Mais, laissons de côté ces vaines futilités des âmes
humaines ; dis -moi quel est ce Lucifer ton maître ?
MEPHISTOPHILIS . L'archi -régent et maître supérieur de tous
les esprits .
FAUST. - Ce Lucifer n'a-t-il pas été un ange autrefois ?
MEPHISTOPHILIS . - Oui , Faust, et très tendrement aimé de Dieu .
FAUST. - - Comment se fait- il alors qu'il soit le Prince des Démons?
MEPHISTOPHILIS . Oh ! par suite de son orgueil sans limites , et
de son insolence ; c'est pour cela que Dieu l'a rejeté de la face du
ciel.

1. Par accident (la cause « occasionnelle »).


[ 12 ]
265
FAUST. Et qui êtes -vous, vous qui vivez avec Lucifer?
MEPHISTOPHILIS. - Des esprits malheureux qui tombèrent avec
Lucifer, se liguèrent avec Lucifer contre notre Dieu , et sont damnés
pour toujours avec Lucifer.
FAUST. Où êtes-vous damnés ?
MEPHISTOPHILIS. - Dans l'enfer.
FAUST. Comment se fait-il alors que tu sois hors de l'Enfer ?
MEPHISTOPHILIS . - Mais l'Enfer est ici, et je ne suis pas hors de
l'Enfer. Crois -tu donc que moi , qui ai vu la face de Dieu , et goûté
les joies éternelles du Ciel, je ne sois pas torturé par dix mille
Enfers , étant privé des béatitudes immortelles ? O Faust ! laisse ces
questions frivoles, qui pénètrent d'effroi mon âme défaillante !
FAUST. Quoi , le grand Méphistophilis ressent à ce point l'an-
goisse d'être privé des joies du Ciel ? Apprends de Faust une fer-
meté virile , et dédaigne ces joies que tu ne dois jamais posséder.
Va porter ces nouvelles au grand Lucifer : dis-lui que Faust, ayant
encouru la mort éternelle par des pensées désespérées contre la
Divinité de Jupiter ' , lui livre son âme , à condition qu'il le laissera
vivre vingt- quatre ans, au milieu de toutes les voluptés ; t'ayant
toujours à mon côté, pour me donner tout ce que je demanderai,
pour me dire tout ce que je voudrai savoir, pour tuer mes ennemis
et aider mes amis , et obéir en tout à mon vouloir ! Va , retourne
vers le puissant Lucifer, et viens me rejoindre dans mon laboratoire
à minuit, et m'informer alors des intentions de ton roi .
MEPHISTOPHILIS . J'y vais, Faust.
(Il sort.)
FAUST. - · Si j'avais autant d'âmes qu'il y a d'étoiles , je les livrerais
toutes pour Méphistophilis. Par lui je serai le grand Empereur du
monde je jetterai un pont à travers l'air mouvant, pour passer
les mers avec une armée, je réunirai les monts qui bordent la côle
africaine et ferai de cette contrée un seul et même continent avec
l'Espagne, et toutes deux deviendront les tributaires de ma cou-
ronne. L'empereur ne vivra que grâce à ma permission , ainsi que
tous les autres potentats de l'Allemagne. Maintenant que j'ai
obtenu l'objet de mes désirs , je vais , en me livrant aux méditations
de cet art, attendre le retour de Méphistophilis.
(Il sort.)

1. Le nom de Jupiter, comme nous l'avons dit déjà, est un mot du


vocabulaire classique dont Marlowe se sert pour désigner Dieu .

[ 13 ]
-- 266

SCÈNE IV
WAGNER et UN CLOWN¹ entrent
Une rue.

WAGNER. - Maraud, gamin , viens par ici !


LE CLOWN . - Comment gamin gamin? Vous avez sans doute
vu beaucoup de gamins avec une barbe en pointe comme moi !
Gamin, dites- vous !
WAGNER. Dis-moi, maraud, as - tu ici tes entrées ?
LE CLOWN. Qui, et mes sorties aussi , comme vous voyez ,
monsieur.
WAGNER . Ah ! pauvre esclave ! voyez comme la pauvreté plai-
sante dans sa nudité ! Le rustre est nu, sans emploi , et il a si faim
que, j'en suis sûr, il donnerait son âme au diable pour une épaule
de mouton, même crue et saignante .
LE CLOWN. Quoi ! mon âme au diable pour une épaule de
mouton, même crue et saignante ! Pas du tout, mon bon ami ; par
Notre-Dame, il me la faut bien rôtie et une bonne sauce avec , si
je la paie si cher.
WAGNER. Maintenant, maraud , je te prends à mon service,
tu n'as qu'à attendre que le diable te prenne quand et où il lui
plaira, en t'avertissant une heure à l'avance .
LE CLOWN. - Non , non . Reprenez votre argent !
WAGNER. En vérité , je ne le reprendrai pas.
LE CLOWN. — En vérité, vous le reprendrez .
WAGNER. -- Soyez témoins que je le lui ai donné.
LE CLOWN . -- Soyez témoins que je le lui rends *.
WAGNER. Eh bien! je vais faire apparaître sur-le- champ deux
diables qui t'emporteront ! ― Baliol et Belcher !
LE CLOWN . Qu'ils viennent donc votre Baliol et votre Belcher,
et je les accommoderai d'une si belle façon , qu'on n'aura jamais
vu diables accommodés si bien ! Si j'en tuais un , que diraient les
gens? « Voyez-vous là-bas ce grand garçon en larges culottes
courtes ? Il a tué un diable. » Et dans toute la paroisse on me sur-
nommerait le « tue diable » .
(Entrent deux diables ; le clown court en criant de peur.)
WAGNER. ― Balio et Belcher ! Esprits , disparaissez .
(Les diables disparaissent. )
LE CLOWN. Sont-ils partis ? Vengeance contre eux , ils ont des
ongles longs et effroyables !

1. Clown, c'est-à- dire « bouffon ».


2. Wagner et le clown s'adressent aux spectateurs .
[1 ]
267
WAGNER. Eh bien! drôle , suis -moi.
LE CLOWN. Mais, dites , si j'entrais à votre service, m'appren-
driez-vous à faire venir Banios et Belcheos ¹?
WAGNER. Je t'apprendrai à te changer en toutes sortes de
choses en chien , en chat, en souris, en rat, en n'importe quoi .
LE CLOWN. Comment ! Un chrétien en chien ou en chat, en
souris ou en rat !
WAGNER . Allons, maraud, viens avec moi .
LE CLOWN. Mais , écoutez encore , Wagner.
WAGNER. Quoi ! Baliol et Belcher!
LE CLOWN. O mon seigneur ! Je vous en prie, monsieur, lais-
sez tranquilles Banio et Belcher.
WAGNER . Manant, appelle-moi maître Wagner, et que ton œil
gauche soit diamétralement fixé sur mon talon droit.
(Ils sortent. )
SCÈNE V
Le cabinet de travail de Faust.

FAUST . Maintenant, Faust, te voilà nécessairement voué à la


damnation, et tu ne peux plus être sauvé. A quoi bon , dès lors ,
songer à Dieu ou au Ciel ? Loin de moi ces vaines imaginations,
loin de moi le désespoir ! Désespère de Dieu , mets ta confiance en
Belzebub. Maintenant ne recule pas ; non , Faust, sois ferme ;
pourquoi trembles-tu ? Oh ! quelque chose retentit à mon orcille
et me dit : « Renonce à la magie, retourne à Dieu ! » Qui, Faust va
retourner à Dieu : à Dieu? Il ne t'aime plus . — Le Dieu que
tu sers est ton propre appétit, sur lequel règne l'amour de Belze-
bub ; c'est à lui que je veux bâtir un autel et une église , à lui que
J'offrirai le sang tiède des enfants nouveau-nés .
(Entrent le bon Ange et le mauvais Ange. )
LE BON ANGE. Doux faust, abjure cet art maudit .
FAUST. - Contrition , prière , repentir ! Qu'est-ce que tout
cela ?
LE BON ANGE. - Oh ! ce sont les chemins qui te ramèneront au
Ciel .
LE MAUVAIS ANGE . Ah ! plutôt , des illusions , fruits de la dé-
mence , qui rendent fous ceux qui veulent y placer leur confiance .
LE BON ANGE. Doux Faust , pense au Ciel, pense aux choses
du Ciel !
LE MAUVAIS ANGE . Non, Faust , pense à la gloire , pense à la
richesse.
( Les Anges sortent. )

1. Le clown écorche tous les noms qu'il entend.


[ 15 ]
- 268
FAUST. - La richesse ! Oui , la seigneurie d'Embden ¹ sera mienne.
Quand Méphistophilis sera à ton côté, quel Dieu pourra t'abattre?
Faust, tu n'as rien à redouter, renonce à tes vains doutes. Viens ,
Méphistophilis, et apporte-moi d'heureuses nouvelles du grand
Lucifer. N'est-il pas minuit? Viens, Méphistophilis ! Viens , viens ,
Méphistophilis ! (Entre Méphistophilis, )
A présent, dis- moi ce qu'a décidé Lucifer, ton seigneur.
MEPHISTOPHILIS. Que je veillerai sur Faust aussi longtemps
qu'il vivra, s'il consent à payer mon service du prix de son âme.
FAUST. - Faust l'a déjà risquée pour toi .
MEPHISTOPHILIS. Mais il faut maintenant , Faust, que tu en
fasses solennellement le legs , et que tu en écrives la donation avec
ton propre sang ! Le grand Lucifer exige cette sécurité . Si tu la
refuses , je retourne en enfer.
FAUST. Reste , Méphistophilis, et dis-moi de 'quel profit est
mon âme à ton maître.
MEPHISTOPHILIS. - Elle doit agrandir son royaume .
FAUST. C'est donc pour cela qu'il nous tente ainsi ?
MEPHISTOPHILIS. - « Solamen miseris, socios habuisse doloris 2 ».
FAUST. Quoi ! endurez -vous donc aussi les maux qui nous
torturent, nous autres ?
MEPHISTOPHILIS . - D'aussi grands
que peuvent en souffrir les
âmes des hommes ! Mais dis -moi , Faust, ton âme m'appartient-
elle ? Alors je suis ton esclave , et je veillerai sur toi , et je te don-
nerai plus de biens que ton imagination n'en saurait demander .
FAUST. - Oui, Méphistophilis, je te donne mon âme.
MEPHISTOPHILIS. — Alors , Faust, incise-toi courageusement le
bras, et engage par écrit ton âme, de manière qu'au jour dit, le
grand Lucifer puisse la réclamer comme sienne ; sois alors toi-
même aussi grand que Lucifer.
FAUST. ― Vois, Méphistophilis, pour l'amour de toi, je m'ouvre
le bras, et de mon propre sang je certifie que mon âme appartient
au grand Lucifer, le maître et seigneur suprême de la nuit éter-
nelle ! Vois le sang qui coule de mon bras , et qu'il soit propice à
mon désir !
MEPHISTOPHILIS. 1 Faust, il faut rédiger cela en forme d'acte de
donation.
FAUST. -Je le fais volontiers ... Mais , Méphistophilis, mon sang
se congèle et je ne puis plus écrire ! ...
MEPHISTOPHILIS. -Je vais chercher du feu pour le faire dégeler
tout de suite...
(Il sort. )

1. Emden, ville commerçante d'Angleterre, à l'embouchure de l'Ems.


2. « C'est une consolation pour les malheureux d'avoir des compa-
gnons de douleur. »

[ 16 ]
269

FAUST. - Que peut présager cet arrêt glacé de mon sang ? Est-
ce qu'il ne veut pas j'écrive ce billet ? Pourquoi ne coule-t-il pas,
pour que je puisse écrire encore ? www « Faust te donne son âme : »
Ah ! c'est là qu'il s'est arrêté ! ... Pourquoi ne la donnerais-je pas
mon âme? Cette âme n'est- elle pas à moi ?... Ecris donc encore :
« Faust te donne son ame. »
MEPHISTOPHILIS. P Faust, voici du feu ; approche ton bras du
brasier.
FAUST. - Oui, voilà que le sang recommence à ruisseler ; je vais
achever tout de suite .
MEPHISTOPHILIS . w (A part.) Que ne ferais-je pour obtenir son
âme !
(Il écrit.)
FAUST. Consummatum est ; l'écrit est terminé, et Faust a légué
son âme à Lucifer. Mais que vois -je inscrit sur mon bras ? Homo
fuge ! où fuir? Si c'est vers Dieu, il me rejettera en enfer. C'est
une erreur de mes sens . Non , il n'y a rien d'écrit... Cependant si,
je vois clairement écrit , là : homo fuge ! Non , non , Faust ne fuira
pas.
MEPHISTOPHILIS. Je vais chercher quelque chose qui puisse
distraire son esprit.
(Il sort.)
Méphistophilis rentre avec des Démons, qui donnent à Faust des couronnes et un
vêtement splendide, dansent et s'en vont. )
FAUST. Parle, Méphistophilis , que signifie cette pantomime ?
MEPHISTOPHILIS . Rien, Faust ; elle n'a d'autre but que de te
charmer, et de te montrer de quoi la magie est capable.
FAUST. Mais pourrai-je évoquer de tels esprits quand je vou-
drai?
MEPHISTOPHILIS . Oui , Faust, et réaliser plus grandes choses
encore .
FAUST. - Alors cela vaut bien le don d'un millier d'âmes ! Prends
donc, Méphistophilis , ce parchemin . c'est l'acte de donation de
mon corps et de mon âme ; mais à cette condition que tu exécu-
teras rigoureusement tous les articles convenus entre nous .
MEPHISTOPHILIS . Faust, je jure par l'enfer et par Lucifer d'exé-
culer toutes les conventions prises entre nous.
FAUST . Alors , écoute , je vais te le lire .
Aux conditions suivantes :
« Premièrement, que Faúst pourra être esprit en forme et en
substance ;
« Deuxièmement , que Méphistophilis le servira et sera à ses or-
dres ;

1. « Homme fuis ! >>


[ 17 ]
270

« Troisièmement , que Méphistophilis fera pour lui ce qu'il vou-


dra, et lui procurera tout ce qu'il désirera ;
« Quatrièmement, qu'il se tiendra dans sa chambre ou sa mai-
son invisible pour tout autre que lui .
« Enfin , qu'il apparaîtra devant lui Jean Faust, à quelque mo-
ment sous quelque forme ou apparence qu'il lui plaira ;
« Moi , Jean Faust, de Wittemberg, Docteur, par ces présentes ,
je donne à la fois mon corps et mon âme à Lucifer, prince de
l'Orient, et à son ministre Méphistophilis ; et en outre je leur ac-
corde, après vingt- quatre années expirées sans violation des susdits
articles, plein pouvoir de venir chercher et emmener ledit Jean
Faust, corps et âme, chair, sang et biens, dans leur habitation,
où qu'elle soit.
<< Fait par moi , <<< JEAN FAUST. >>
MEPHISTOPHILIS . Dis-moi, Faust, ce que tu me remets est bien
ton acte de donation ?
FAUST . -xded Oui, prends -le ; et que le diable t'avance dessus !
MEPHISTOPHILIS . A présent , Faust, demande ce que tu veux .
FAUST. D'abord je veux t'interroger sur l'enfer. Dis- moi où
se trouve le lieu que les hommes appelle l'enfer ?
MEPHISTOPHILIS . - Sous les cieux .
FAUST. - Oui, mais dans quel endroit ?
MEPHISTOPHILIS . - Dans le sein de ces éléments , où nous som-
mes torturés et devons rester éternellement. L'enfer n'a point de
bornes, il n'est pas limité à un lieu qui lui soit propre ; le lieu où
nous sommes est l'enfer , et là où est l'enfer nous devons toujours
être ; pour conclure, quand tout l'univers sera détruit, et que toute
créature aura été jugée , tout ce qui ne sera pas le ciel sera l'enfer.
FAUST. Eh bien ! à mon avis , l'enfer n'est qu'une fable.
MEPHISTOPHILIS. Oui, garde cette opinion , jusqu'à ce que l'ex-
périence t'en fasse changer.
FAUST. Tu crois donc , alors , que Faust sera damné ?
MEPHISTOPHILIS . Certes, et de toute nécessité ; j'ai là le parche-
min par lequel tu as cédé ton âme à Lucifer.
FAUST. - Oui, et mon corps avec. Mais qu'importe ? Crois-tu
que Faust soit assez stupide pour croire qu'après cette vie , il y a
quelque douleur ? Fi donc ! ce sont là des sottises et des contes
de vieilles femmes.
MEPHISTOPHILIS. Pourtant, Faust, je suis un excellent exem-
ple qui démontre le contraire car je suis bien vraiment damné
et à présent me voici en enfer !
FAUST . Comment ! à présent en enfer ?... Soit, si c'est là l'en-
fer, je consens volontiers à y être damné . Quoi ! se promener ,
discuter, etc... Mais laissons cela.
[ 18 ]
― 271 -
MEPHISTOPHILIS . Tiens, prends ce livre ; médite-le . Ces lignes
lues plusieurs fois, produisent de l'or ; le tracé de ce cercle sur
le sol fait éclater les trombes, les ouragans , le tonnerre et l'éclair;
prononce ceci trois fois dévotement, en toi-même , et des hommes
armés de toutes pièces t'apparaîtront, prêts à exécuter tous tes
ordres.
FAUST. - Merci, Méphistophilis ; mais je voudrais posséder un
livre, où je pourrais voir toutes les conjurations et incantations
qui me permettraient d'évoquer les Esprits quand j'en aurais le
désir.
MEPHISTOPHILIS . - Les voici dans ce livre.
(Il lui montre les pages .)
FAUST. - Maintenant je voudrais un livre où je pourrais voir
tous les signes et toutes les planètes célestes, afin de savoir leurs
mouvements et leurs aspects.
MEPHISTOPHILIS . Les voilà aussi .
(Il lui montre les pages. )
FAUST. - Il me faudrait encore un livre - et puis ce sera tout
-un livre où je verrais toutes les plantes, les herbes et les arbres
qui poussent sur la terre.
IMPRIMERIE

MEPHISTOPHILIS . Tout cela y est aussi.


ANGERS,
DURDIN

FAUST. Oh ! te voilà dans l'embarras .


MEPHISTOPHILIS . - Allons donc ! Je te garantis que cela y est .
ETc.

(Il lui montre les pages.)


FAUST . - Lorsque je contemple les cieux, alors je me repens ,
et je te maudis, misérable Méphistophilis, de m'avoir ôté ces joies
divines .
MEPHISTOPHILIS. - Quoi ? Faust, penses-tu donc que le ciel soit
une chose si belle ! Je te dis qu'il n'est pas la moitié si beau que
toi , où qu'aucun des hommes qui respirent sur la terre.
FAUST. - Comment prouves-tu ce dire ?
MEPHISTOPHILIS. Le ciel a été fait pour l'homme, donc l'homme
surpasse en excellence le ciel.
FAUST. - Si le ciel a été fait pour l'homme il a donc été fait
pour moi ; je veux renoncer à cette magie, et me repentir .
(Entrent le bon ange et le mauvais ange.)
LE BON ANGE. - Faust, repens toi ; Dieu te fera encore miséri-
corde.
LE MAUVAIS ANGE . G Tu es un esprit ; Dieu ne peut te faire mi-
séricorde .
FAUST. -- Qui chuchote à mon oreille que je suis un esprit ?
Fussé-je un démon, Dieu pourrait encore avoir pitié de moi. Oui ,
Dieu aura pitié de moi si je me repens.
LE MAUVAIS ange. - Oui , mais Faust ne se repentira jamais .
(Les anges sortent. )
[ 19 ]
272

FAUST. Mon cœur est endurci, au point que je ne puis me repen-


tir : à peine ai-je articulé les mots de salut, de foi ou de ciel , que le
bruit d'un tonnerre formidable gronde à mes oreilles : «< Faust, lu
es damné ! » Puis des épées, des poignards, du poison, des armes
à feu, des cordes , un acier empoisonné m'apparaissent , m'invitant
à me délivrer de moi- mème ; et depuis longtemps je me serais tué,
si le doux plaisir n'avait vaincu le profond désespoir. N'ai-je pas
demandé à l'aveugle Homère de chanter pour moi les amours
d'Alexandre et la mort d'OEnone ? Et celui qui bâtit les murs de
Thèbes aux sons ravissants de sa harpe mélodieuse, m'a fait onir
sa musique, avec Méphistophilis . Pourquoi mourir alors, ou lâ-
chement désespérer ? ... Je suis résolu ; Faust ne se repentira point
Viens, Méphistophilis, causons de nouveau, et disputons de
la divine astrologie. Dis-moi , y a- t-il beaucoup de sphères au-
dessus de la lune ? Tous les corps célestes ne constituent -ils qu'un
seul globe , semblable à celui que forme notre terre centrale ?
MEPHISTOPHILIS . - Il en est des sphères comme des éléments ;
elles sont réciproquement enveloppées dans l'orbit l'une de l'au-
tre, et, Faust, elles se meuvent ensemble sur un axe unique, dont
l'extrémité est dite le grand pôle de l'univers. Les noms de Sa-
turne , de Mars , de Jupiter ne sont pas des noms imaginaires, mais
ce sont de réelles étoiles circulantes.
FAUST. Mais, dis-moi , ont-elles toutes un seul et même mou-
vement, tout à la fois situ et tempore¹ ?
MEPHISTOPHILIS . --- Toutes se déploient ensemble de l'orient à
l'occident, en vingt-quatre heures, sur l'axe des pôles du monde ;
mais elles n'ont pas le même mouvement par rapport aux pôles du
zodiaque .
FAUST. - Simples enfantillages que Wagner lui-même peut résou-
dre. La science de Méphistophilis ne va-t-elle pas au- delà ? Qui ne
sait le double mouvement des planètes ? le premier qui s'accomplit
en un jour naturel, et le second comme il suit pour Saturne, en
trente ans; pour Jupiter en douze ; pour Mars , en quatre ; pour le
Soleil . Vénus et Mercure en une année ; pour la Lune, en vingt-
huit jours.
Allons ! ce sont là des questions bonnes pour les novices . Mais ,
dis-moi, chaque sphère a-t-elle un domaine propre, une intelligen-
tia ?
MEPHISTOPHILIS . Oui .
FAUST. - Combien y a-t-il de cieux ou sphères ?
MEPHISTOPHILIS. ― Neuf : les sept planètes, le firmament , et le
ciel empyrée .

1. En position et en temps.
[ 20 ]
273

FAUST . Eh bien ! résous -moi cette difficulté : pourquoi n'avons-


nous pas les conjonctions, les oppositions, les révolutions , les
éclipses régulièrement, tandis que nous en avons en certaines an-
nées plus et dans d'autres moins ?
MEPHISTOPHILIS. Per inæqualem motum respectu totius¹
FAUST. Bien ; tu m'as répondu . Dis- moi qui a créé le monde ?
MEPHISTOPHILIS . - Je ne te le dirai pas.
FAUST. - Mon doux Méphistophilis, dis-le moi.
MEPHISTOPHILIS . ― Ne m'irrite point, je ne te le dirai pas .
FAUST. Vilain , ne t'es-tu pas engagé avec moi à tout me dire ?
MEPHISTOPHILIS . - Oui, tout ce qui n'est pas contraire à notre
empire. Or ceci l'est. Pense à l'enfer, Faust, tu es damné.
(Entrent le bon ange et le mauvais ange .)
LE BON ANGE. - Faust, pense à Dieu , qui a créé le monde .
MEPHISTOPHILIS. - Souviens-toi de ce que je t'ai dit !
FAUST. Oui, va-t'en, esprit maudit, va au hideux enfer ! C'est
toi qui as damné l'âme de Faust en détresse. N'est-il pas trop tard
pour mon salut ?
LE MAUVAIS ANGE. - Trop tard !
LE BON ANGE . Jamais trop tard, si Faust se repent .
LE MAUVAIS ANGE . G Si tu te repens, les démons te déchireront.
LE BON ANGE . ind Repens-toi, et jamais ils n'oseront te toucher,
(Les anges sortent.)
FAUST. O Christ, mon Sauveur ! viens ! viens sauver l'âme de
Faust dans sa détresse !
LUCIFER. Le Christ ne peut sauver ton âme, car il est juste ;
(Entrent Lucifer, Belzebub et Méphistophilis.)
moi seul je m'intéresse maintenant à ton âme !
FAUST . Oh ! qui es-tu toi qui as un aspect si terrible ?
LUCIFER. Je suis Lucifer, et celui-ci est mon compagnon, un
prince de l'enfer .
FAUST. -Oh ! Faust, ils sont venus te prendre ton âme !
LUCIFER. - Nous venons pour te dire que tu nous fais outrage.
Tu invoques le Christ, contre ton serment : tu ne dois pas penser
à Dieu; pense au démon, et à sa mère.
FAUST. -Je ne le ferai plus : pardonne-moi pour cette fois, et
Faust s'engage à ne plus diriger ses regards vers le ciel , à ne plus
nommer Dieu , à ne plus le prier, à brûler les Écritures , à tuer ses
prêtres, et à faire renverser ses églises par mes Esprits .
LUCIFER. - Agis de la sorte , et nous t'en aurons grande reconnais-
sance . Faust nous sommes venus de l'enfer pour t'offrir un diver-
tissement. Assieds-toi et tu vas voir les Sept Péchés capitaux appa-
raître sous leur vraie forme.

1 A cause de l'inégalité du mouvement par rapport à l'ensemble.


[ 21 ]
- 274
FAUST. Ce spectacle sera aussi agréable pour moi que le Pa-
radis le fut pour Adam, le premier jour de sa création .
LUCIFER . Ne parle pas ni du Paradis ni de la création ; mais
remarque bien ce qu'on va te faire voir. Parle du diable, et de
rien autre chose. Disparaissez !
(Entrent les Sept Péchés capitaux.)

Faust, informe-toi maintenant de leurs noms et de leurs carac-


tères ,
FAUST.Qui es-tu , toi , la première ?
L'ORGUEIL . Je suis l'Orgueil . Je dédaigne d'avoir des parents .
FAUST. - Et toi, la seconde, qui es-tu ?
L'AVARICE. J'ai nom l'Avarice, née d'un vieux ladre, dans un
vieux sac de cuir. Si mes vœux s'accomplissaient , cette maison ,
tous les gens qui y sont seraient changés en or, que je pourrais
cacher dans mon bon coffre-fort. O mon or chéri !
FAUST. Et toi , la troisième , qui es-tu ?
LA COLÈRE . Je suis la Colère. Je n'ai eu ni père ni mère ; j'ai
sauté de la gueule d'un lion , quand j'étais à peine âgée d'une
demi - heure ; et depuis lors j'ai parcouru l'univers en tous sens
avec une couple d'epées , me blessant moi-même quand je n'avais
personne avec qui me battre . Je suis née en enfer ; et c'est à l'en-
fer que s'attachent mes regards , car quelqu'un de vous doit être
mon père .
FAUST.Qui es -tu , toi, la quatrième ?
L'ENVIE. - Je suis l'Envie, issue d'un ramoneur et d'une écail-
lère. Je ne sais pas lire, aussi je voudrais que tous les livres
fussent brûlés ! Je maigris de voir manger les autres. Oh ! si une
famine pouvait désoler toute la terre ! si tous pouvaient mourir,
et moi vivre seule ! Tu verrais alors comme je serais vite grasse.
Mais faut-il que tu sois assis et que moi je reste debout ? Descends
ou sinon ...
FAUST. Arrière, coquine envieuse ! Qui es-tu, toi la
cinquième ?
LA GOURMANDISE . ― Moi , monsieur ? Je suis la Gourmandise . Mes
parents sont tous morts, et ils ne m'ont pas laissé un penny ; mais
une simple pension, qui est de trente repas par jour, et dix ra-
fraîchissements dans l'intervalle simple bagatelle pour apaiser
la nature . Oh ! je suis de royal lignée ! mon grand- père était un
Jambon de lard et ma grand'mère, une Barrique de Claret ; mes
parrains étaient un Pierre Hareng - Saur , et un Martin Bœuf de la
saint Martin, Quant à ma marraine, oh ! c'était une joyeuse grande
dame, bien aimée dans toute bonne ville et cité ; on la nommait
Margot Biére de Mars . Maintenant, Faust, que tu connais ma gé-
néalogie, veux tu m'inviter à souper ?
[ 22 ]
- 275 -
FAUST. - Non, mais j'aimerais te voir pendue : tu engloutirais
toutes mes provisions.
LUCIFER. - Allez ! Partez ! à l'enfer ! à l'enfer!
(Les Sept Péchés capitaux s'enfuient. )
Eh bien, Faust que dis- tu de cela?
FAUST. Oh ! ce spectacle a comblé mon âme !
LUCIFER. - Tu le vois , Faust, il y a en enfer des plaisirs de
toute espèce .
FAUST. - Oh ! si je pouvais voir l'enfer, et puis en revenir ! que
je serais heureux alors !
LUCIFER . Tu le seras ; je t'enverrai chercher à minuit . En at-
tendant garde ce livre ; médite-le avec soin ; et tu pourras te
changer en tout ce que tu voudras.
FAUST. — Merci, ô puissant Lucifer ! Je conserverai ce livre
aussi précieusement que ma vie même .
LUCIFER. - - Adieu, Faust, pense au diable !
NUST. Adieu , puissant Lucifer. - Méphistophilis, viens !
(Tous sortent.)
(Entre le chœur .)
LE CHOEUR . Le savant Faust, afin de savoir les mystères de
l'astronomie gravés sur le livre céleste de Jupiter, s'est élevé ,
pour gravir le sommet de l'Olympe , assis sur un char de feu
étincelant, traîné par un attelage de robustes dragons . Le voilà
parti, il va étudier la cosmographie ; et, à ce que je suppose , il
ira d'abord à Rome, voir le pape et sa cour, et prendre part à la
fête de saint Pierre, qu'on célèbre avec grande solennité .

SCÈNE VI

FAUST et MEPHISTOPHILIS vont à Rome , ils y insultent le Pape


et le Sacré- Collège, et par leurs enchantements, délivrent l'anti-pape
BRUNO que l'on conduisait aux prisons du château Saint-Ange.
LE CHOEUR. Ayant pris son plaisir à voir les choses les plus
singulières , et la cour des rois , Faust arrêta ses pérégrinations ,
et retourna chez lui, où ceux qui s'affligeaient de son absence ,
c'est-à-dire ses amis et ses proches camarades , le félicitèrent affec-
tueusement de revenir sain et sauf; dans leurs conversations re-
latives aux aventures de son voyage par le monde et à travers l'air,
ils le questionnèrent sur l'astrologie ; Faust répondit avec tant
de savoir et de subtilité, qu'ils furent émerveillés de son génie .
Maintenant sa gloire est répandue en toutes les contrées ; l'em-
pereur Charles V le distingue entre tous , et Faust, mandé à son
palais , est fêté parmi ses gentilshommes . Je ne vous conterai pas
ce qu'il fit, pour prouver la puissance de son art ; car vos yeux
vont le voir agir.
[ 23 ]
276

SCÈNES VII ET VIII

Près d'un cabinet.


Le CLOWN entre avec un livre à la main
LE CLOWN. Oh ! la merveilleuse chose ! J'ai volé dans la maison
un des livres magiques du docteur Faust, et, ma foi, je veux y
chercher des cercles à mon usage.

(Entre Ralph. )
RALPH. ― Robin, je t'en prie, va- t'en ; un gentilhomme attend
là pour avoir son cheval, il voudrait que ses effets fussent brossés
et propres.
LE CLOWN Au large, au large, sans moi vous allez être enlevé,
vous allez être mis en pièces , Ralph; au large , car je suis en train
de préparer une terrible machine .
RALPH. - Robin, quel est ce livre
?
LE CLOWN. Quel livre ? Oui, le plus terrible des livres de magie
qui aient été composés par un diable enduit de soufre.
RALPH. - - Et par ce livre tu peux conjurer les esprits !
LE CLOWN. - - Avec lui voici ce que je peux faire le plus facilement
du monde te griser d'hippocras dans n'importe quel cabaret
d'Europe pour rien ; voilà un de mes enchantements magiques.
RALPH. Le curé notre maître prétend que ce n'est là rien.
LE CLOWN. - Viens , Ralph ; ne t'avais-je pas dit que pour tou-
jours notre fortune était certaine, grâce à ce livre du Docteur
Faust ? Ecce signum ! tiens, voici un bénéfice net pour des valets
d'écurie.
montre la coupe.).
RALPH . - Robin , voici le cabaretier qui (II
nous poursui t!
LE CLOWN . - Tais -toi ! je m'en vais l'emballer de façon surna-
turelle.
( Entre le cabaretier.)
Garçon, j'espère que toute la dépense est payée ! Dieu vous garde !
Viens , Ralph.
LE CABARETIER. - Hé ! tout doucement, monsieur encore un
;
mot, s'il vous plaît. Vous avez une coupe à me payer, avant de
partir.
LE CLOWN. - Moi une cou
, pe ; Ralph, j'ai une coupe ! Je me
moque de vous, vous n'êtes qu'un drôle. Moi, une coupe ! Fouillez-
moi donc !
LE CABARETIER.- C'est bien ce que je veux faire, monsieur, avec
votre permission.

LE CLOWN. Eh bien qu'en dites - vous ? (Il fouille le clown.)

[ 24 ]
277
LE CABARETIER. Il faut que je parle aussi à votre compagnon .
A votre tour, monsieur !
RALPH.Moi, monsieur ! moi, monsieur ! Fouillez tant qu'il
vous plaira.
(Le cabaretier fouille Ralph.)
Et maintenant, monsieur, vous devriez rougir de mettre en doute
d'honnêtes gens comme nous.
LE CABARETIER. -- Il n'en est pas moins sûr que l'un ou l'autre.
vous avez cette coupe sur vous.
LE CLOW.- Vous mentez , garçon . (A part. ) Elle est là devant
moi. Drôle, je vous apprendrai à inquiéter des honnêtes gens.
Arrière, où je vous accommode pour votre coupe ! Ce que vous
avez de mieux à faire est de rester au large, ou je vous saute dessus
au nom de Belzebub . (A part, à Ralph . ) Attention à la coupe ,
Ralph .
LE CABARETIER. Que voulez-vous dire , drôle ?
LE CLOWN. — Je vais vous l'apprendre .
(Il lit dans le livre. )
« Sanctobulorum Periphrasticon. » — Oui , j'ai grande envie de
vous chatouiller les côtes , cabaretier. ( A part, à Ralph . ) Surveille la
coupe, Ralph .
(Illit.)
Polypragmos Belseborams framanto pacostipho tostu, Mephisto-
philis, etc. »
(Entre Méphistophilis, qui leur tire des pétards dans le dos, et sort. Ils courent de tous
côtés.)
LE CABARETIER. - O nomine Domini ! Que dis-tu de cela, Robin ?
tu n'as pas la coupe ?
RALPH . Peccatum peccatorum ! Voilà ta coupe, bon cabaretier.
(Il donne la coupe au cabaretier, qui sort.)
LE CLOWN . Misericordia pro nobis ! Que faire ? Bon diable , oh !
fais-moi grâce, je ne volerai plus jamais ta bibliothèque.
(Méphistophilis rentre . )
MEPHISTOPHILIS . Souverain de l'enfer, toi qui sous ton sombre
pouvoir vois de grands potentats se prosterner dans la terreur, et
sur tes autels des milliers d'âmes couchées , considère comme les
conjurations de ces drôles m'ont dérangé ! Venir de Constantinople.
ici pour la seule fantaisie de ces maudits esclaves !
LE CLOWN. Comment ? De Constantinople ! Vous avez fait là un
fameux voyage ! Vous plairait-il d'accepter un sixpence pour mettre
dans votre bourse afin de payer votre souper , el de partir ?
MEPHISTOPHILIS. Eh bien drôles , pour vous châtier de votre
présomption , je vous change .'un en singe, l'autre en chien , et
sauvez-vous au plus vite !
· (11 sort. )
LE CLOWN. Quoi ? En singe ! Excellent ! Oh ! comme je vais
[ 25 ]
28-

m'amuser avec les enfants ! je n'aurai disette ni de noix ni de


pommes !
RALPH.Et moi, je dois être changé en chien!
LE CLOWN . - Sur ma foi, je crois que ton museau ne s'éloignera
guère des marmites .
Ils se sauvent.
SCÈNE IX
La cour de l'Empereur à Inspruck.

L'EMPEREUR, FAUST et UN CHEVALIER entrent avec gardes et


au milieu d'eux, MEPHISTOPHILIS

L'EMPEREUR. Maître
‫ةيت‬ Docteur Faust, j'ai ouï conter d'étranges
choses de ta science dans l'art obscur ; on dit qu'il n'y a personne
dans mon empire ni même dans tout l'univers qui puisse se com-
parer à toi pour les prodiges surprenants de la magie. On dit que
tu as un démon familier ; tu peux accomplir grâce à lui tout ce que
tu veux. Voici quelle est ma demande : montre- moi quelque preuve
de ton habileté, afin que mes yeux puissent confirmer par leur
témoignage ce que mes oreilles ont appris . Et j'en fais serment,
par l'honneur de ma couronne impériale, quoi que tu fasses, tu
soras protégé par moi contre tout dommage et tout préjudice.
LE CHEVALIER. (A part.) - Sur ma parole, il a bien l'air d'un
sorcier.
FAUST . ― Mon gracieux souverain , quoique je doive confesser
que je suis très inférieur aux récits qu'on a publiés de moi, et que
rien qui puisse être digne de votre Impériale Majesté , cependant
l'amour que je vous dois et mon devoir m'obligent ; je consens à
faire tout ce que Votre Majesté m'ordonnera.
L'EMPEREUR . Alors , Docteur Faust, observe ce que je vais te
dire. Il m'est arrivé quelquefois de demeurer seul dans mon ca-
binet, et diverses pensées m'assiégeaient touchant la gloire de mes
aïeux ; je songeais à la bravoure qui leur avait fait accomplir de
tels exploits, réunir de telles richesses , soumettre tant de royaumes ,
que nous leurs successeurs , ou ceux qui après nous monteront sur
notre trône, nous courons le risque , j'en ai peur, de n'atteindre
jamais ce degré de reputation , de puissance et d'autorité . Parmi
ces rois est Alexandre le Grand , le spectacle de prédilection des
hommes qui règnent sur le monde , celui qui du rayonnement
éblouissant de ses actes glorieux éclaire le monde comme d'une
lumière que ce monde réfléchie ; si bien que lorsque j'entends seu-
lement parler de lui , mon âme souffre de n'avoir jamais vu cet
homme. Si donc, par la vertu de ton art, tu peux évoquer ce prince
des voûtes souterraines et creuses, où gît , dort enseveli ce con
[ 20 ]
279

quérant fameux, et tu auras tout à la fois comblé mon juste désir,


et mérité l'estime où je te tiendrai tant que je vivrai.
FAUST. WORD Mon gracieux seigneur, je suis prêt à vous obéir, au-
tant que je le pourrai , en vertu de l'art et de la puissance de mon
Esprit familier.
LE CHEVALIER. - - ( A part.) G C'est, ma parole, ne s'engager à ,
rien du tout.
FAUST. - N'en déplaise à Votre Seigneurie, il n'est pas en ma
puissance de présenter à vos yeux les vrais corps substantiels de
ces princes défunts, qui depuis longtemps sont consumés et réduits
en poudre.
LE CHEVALIER . (A part . ) — Ah ! par la Vierge, Maître Docteur,
voilà un vrai signe de la grâce en vous, quand vous consentez à
dire ainsi la vérité.
FAUST . Mais ce seront des Esprits , des images aussi vivantes
que possible ; ils apparaîtront à Votre Grâce, et je suis certain
que votre Impériale Majesté en sera parfaitement contente ,
L'EMPEREUR . - Faites, Maitre Docteur , que je puisse les con-
templer à l'instant.
LE CHEVALIER . → Entendez -vous , Maître Docteur ? vous allez
faire venir Alexandre devant l'Empereur !
FAUST. Pourquoi ne le ferai-je pas, monsieur ?
LE CHEVALIER . Sur ma parole , c'est aussi vrai que Diana m'a
changé en cerf !
FAUST. ww Non , monsieur ; mais lorsque Actéon mourut, il vous
laissa ses cornes . - Méphistophilis, va !
(Méphistophilis sort.)
LE CHEVALIER. ---- Lorsque vous serez en l'incantation , je serai loin.
(Il sort.)
FAUST. Je vous retrouverai dans un moment pour vous ap-
prendre à m'interrompre comme cela . Les voici, mon gracieux
maître.
(Méphistophilis rentre avec des Esprits sous la forme d'Alexandre et de sa cour. )
L'EMPEREUR. Certes, ce ne sont pas là des Esprits , mais des
corps véritables et en substance de ces princes d'autrefois .
(Les Esprits disparaissent.)
FAUST. Est- ce qu'il plairait à Votre Majesté d'envoyer cher-
cher le chevalier, qui tout à l'heure faisait si bien le moqueur à
propos de moi.
L'EMPEREUR. Qu'un de vous aille le chercher.
(Sort un garde. Le chevalier parait avec une paire de corues sur la tête. )
Hé bien, chevalier ? Qu'avez-vous donc sur la tète?
LE CHEVALIER. Damné bélitre , chien exécrable , nourri dans
les profondeurs de quelque hideuse caverne, as - tu l'audace de
[ 27 ]
280 --

maltraiter un gentilhomme ainsi : Rustaud , te dis-je , tu vas défaire


ce que tu as fait!
FAUST. Oh ! pas si vite, monsieur ! rien ne me presse ! Mais , cher
seigneur, c'est pour qu'il vous souvienne de la manière dont vous
m'avez contrecarré pendant mon entretien avec l'Empereur. Il
me semble que je ne vous ai pas manqué de parole.
L'EMPEREUR . - - Bon maître, Docteur, sur ma demande , délivrez-le
il est suffisamment puni ..
FAUST. Mon gracieux seigneur, c'est moins pour l'insulte qu'il
m'a faite ici devant vous, que pour vous donner un divertissement
nouveau, que Faust a traité cet impudent chevalier comme il le
méritait ; c'est là tout ce que je désire , donc je veux bien le déli-
vrer de ses cornes , ― à l'avenir, chevalier, parlez en bons termes
des savants d'école. - Méphistophilis , rends-lui vite sa forme pre-
mière.
(Méphistophilis fait disparaître les cornes. )
Mon cher seigneur, à présent que j'ai fait mon devoir, je prends
humblement congé de Votre Majesté.
L'EMPEREUR . Adicu , Maître Docteur ; avant de partir, vous
recevrez de ma part une récompense qui vous.prouvera mon af-
fection.
(L Empereur, le Chevalier et les Gardes sortent.)

SCÈNE X
Une pelouse ; ensuite la maison de Faust.

FAUST. A présent, Méphistophilis , dans la course sans repos


que fournit le pied calme et silencieux du temps mes jours abrè-
gent et le fil de ma vie se raccourcit, et voici venir le paiement de
mes dernières années ; cher Méphistophilis , revenons donc en hâte
à Wittemberg .
MEPHISTOPHILIS . Désirez -vous aller à cheval ou à pied ?
FAUST . - Puisque nous sommes sur une si belle et agréable
pelouse, j'irai à pied .
(Entre un maquignon . )
LE MAQUIGNON . - J'ai perdu ma journée à chercher un certain
Maître Phoebus ' . Par la messe voyons où il est. - Dieu vous
garde, maître Docteur !
FAUST. - Qu'est-ce, maquignon ? vous tombez bien.
LE MAQUIGNON. -Vous m'entendez bien , monsieur ? je vous offre
quarante dollars de votre cheval.
FAUST. - Je ne puis pas le vendre à ce prix. Si tu veux en
donner cinquante , prends - le .

1. Le maquignon estropie le nom de Faust. :


[ 28 ]
281

LE MAQUIGNON. \- Hélas ! monsieur , je n'ai pas plus d'argent.


(A Méphistophilis . ) Je vous en prie, plaidez ma cause .
MEPHISTOPHILIS. A ma prière, laisse-le lui ; c'est un honnête
drôle , et il a de grandes charges , ni femme ni enfant !
FAUST. Eh bien ! allons , donnez- moi votre argent.
(Le maquignon donne à Faust l'argent. )
Mon garçon va vous livrer le cheval . Mais je dois vous faire
une recommandation avant de vous le donner ; ne le conduisez à
• l'eau en aucun cas .
LE MAQUIGNON. Comment, monsieur, ne boit-il pas de toutes
les eaux ?
FAUST. Oh ! si , il boit de toutes les eaux possibles ; mais ne le
mene pas à l'eau ; fais-le sauter par-dessus les haies ou les fossés ,
partout où tu voudras , mais ne le mêne pas à l'eau.
LE MAQUIGNON. - Bien , monsieur. (A part . ) Maintenant me
voilà à jamais un homme établi . Je ne cèderai pas mon cheval
pour deux fois quarante dollars ; Dieu vous assiste, monsieur ,
votre garçon va me le remettre : mais, encore un mot , monsieur ;
si mon cheval est malade ou infirme , faites-moi savoir ce qu'il en
est.
FAUST. Va-t'en, rustre ! penses-tu donc que je suis docteur ès
chevaux ?
(Le maquignon sort.)
Qu'es-tu, Faust, sinon un homme condamné à la mort ? Le délai
fatal qui t'est laissé va vers sa fin ; le désespoir fait entrer l'épou-
vante dans mes pensées . Que ces angoisses se dissipent dans un
sommeil paisible . Eh quoi ! le Christ n'a -t-il pas appelé au salut le
larron sur la croix ? Sommeille donc, Faust, l'esprit en paix.
(Il dort. -Le maquignon rentre tout mouillé, pleurant. )
LE MAQUIGNON . Hélas ! hélas ! Docteur Phoebus n'a jamais élé
ce qu'il prétend . Il m'a purgé de quarante dollars ; je ne reverrai
jamais cet argent . Et cependant , comme un âne que j'étais , je n'ai
pas voulu l'écouter ; car il m'avait recommandé de ne pas le mener
à l'eau ; alors croyant que mon cheval avait quelque vice rédhibitoire
qu'il avait voulu me dissimuler, je n'eus rien de plus pressé , en sot
écervelé , de le mener à l'étang profond qui est au bout de la
ville. Je n'étais pas plutôt au milieu de l'étang que la bète dispa-
rut, et je me trouvai à cheval sur une botte de paille , plus près
de me noyer que je ne l'ai été jusque -là . Mais je veux retrouver
mon docteur , et le forcer à me rendre mes quarante dollars , ou
je lui ferai payer cher son cheval ! - Ah ! je vois là-bas son chion
de valet. - Hé ! vous, l'escamoteur, où est votre maître ?
MÉP HISTOPHILIS . Que lui voulez-vous ? Vous ne pouvez lui par-
ler maintenant .
LE MAQUIGNON. - Moi, je veux lui parler.
[ 29 ]
282

MEPHISTOPHILIS. Il dort d'un profond sommeil, une autre fois


vous lui parlerez .
LE MAQUIGNON . Je vais lui parler tout de suite, ou je lui casse
les carreaux de ses fenêtres à ses oreilles.
MEPHISTOPHILIS . - Voilà huit nuits , te dis-je, qu'il n'a pas fermé
l'œil.
LE MAQUIGNON. Quand il y aurait huit semaines , je veux lui
parler.
MEPHISTOPHILIS. - - Regarde-le , le voilà profondément endormi .
LE MAQUIGNON . ―― Oui, c'est lui-même. ― Dieu vous sauve ,
Maître Docteur , Maître Docteur Phoebus . Quarante dollars , qua-
rante dollars pour une botte de paille !
MEPHISTOPHILIS . Tu vois bien qu'il ne t'entend pas.
LE MAQUIGNON. Hola ! ho ! Holà ! oh ! oh ! (Il lui crie à l'oreille . )
vous ne voulez pas vous réveiller, hein? Je ne m'en irai pas avant
de vous avoir réveillé !
Ciel ! je suis perdu ! Que faire maintenant?
FAUST. Oh ! ma jambe ! ma jambe! Au secours, Méphisto-
― Ma jambe ! oh ! ma jambe!
philis ! Appelle la police !
MEPHISTOPHILIS . Viens, ça, drôle , devant le constable.
LE MAQUIGNON. O seigneur , monsieur, laissez-moi partir, je
vous paierai quarante dollars de plus .
MEPHISTOPHILIS . - Où, sont-ils, tes dollars?
LE MAQUIGNON . - Je ne les ai pas sur moi ; si vous venez avec
moi à mon auberge, je vous les donnerai .
MEPHISTOPHILIS. File au plus vite !
(Le maquignon se sauve.)
FAUST. Il est loin ? Bon voyage ! Faust a toujours sa jambe !
quant au maquignon, sur mon honneur, il a une botte de paille
pour sa peine ; ce tour lui coûte quarante dollars par-dessus le
marché.
SCÈNES XI
Une chambre dans la maison deFaust.
WAGNER entre

WAGNER. J'ai dans l'idée que mon maître compte mourir


bientôt ; car il m'a légué tous ses biens. Il me semble que si sa fin
était si prochaine il ne passerait pas son temps dans les festins et
les orgies , à boire avec les étudiants, comme il fait à cette heure
même ; oui, ils sont là en train de souper, et de faire une chère
telle que Wagner n'en a jamais vu de pareille de sa vie. Les voici .
Le banquet est fini sans doute.
(Il sort.)
(Entrent Faust, Méphistophilis, avec deux ou trois étudiants.)
[ 30 ]
283
PREMIER ÉTUDIANT. Maître docteur Faust, depuis notre entretien
sur la question de savoir quelle a été la plus grande beauté de
l'univers, nous avons entre nous décidé qu'Hélène de Grèce était la
reine la plus belle qui ait jamais existé. Si donc, maître docteur,
vous voulez nous faire cette faveur de la faire paraître à nos yeux ,
nous vous en saurions beaucoup d'obligation.
FAUST. - Messieurs, je sais que votre amitié est sûre, et Faust
n'a pas coutume de rejeter les jus tes demandes de ceux qui lui veu-
lent du bien . Vous allez voir cette beauté sans seconde de la Grèce ,
telle qu'elle était dans toute sa pompe et sa majesté . Faites silence,
y aurai danger à parler.
illy
(Une musique joue, et Hélène passe sur la scène.)
DEUXIÈME ÉTUDIANT . - Mon esprit est trop faible pour dire sa
louange , elle dont tout l'univers admire la majesté.
PREMIER ÉTUDIANT. ― Puisque nous avons contemplé le chef-
d'œuvre des chefs- d'œuvre de la nature, le type unique de l'excel-
lence, laissez - nous nous retirer ; pour cette faveur insigne , que
Faust soit heureux et comblé de bénédictions à jamais !
FAUST. ― Adieu, messieurs : je fais pareil vœu pour vous .
(Sortent les étndiants et Wagner.)
(Entre un vieillard .)
LE VIEILLARD. - Docteur Faust, puissé -je réussir à diriger les
pas dans le chemin de la vie, ce doux sentier qui doit te conduire
au repos céleste ! Que la contrition de ton cœur, verse donc ton
sang goutte à goutte, et mêle-le à tes larmes , larmes issues de
l'accablant repentir de ton existence honteuse et très infâme, dont
la puanteur corrompt les profondeurs de l'âme de crimes si hor-
ribles , de péchés si exécrables , qu'aucune pitié ne saurait les chas-
ser, sinon , Faust , la miséricorde de ton doux Sauveur, dont le sang
seul peut laver et effacer tes iniquités.
FAUST. Où es-tu , Faust? Misérable Faust , qu'as-tu fait? Tu
es damné , tu es damné ! Désespère et meurs ! L'enfer exige de toi
son dû, et d'une rugissante cla meur , il hurle : « Faust, viens ! ton
heure est presque sonnée ! » et Faust va tout à l'heure te donner
satisfaction.
(Méphistophilis lui présente un poignard. )
LE VIEILLARD . Ah ! arrête, bon Faust, arrête ta course déses-
pérée ! Un ange plane à mes yeux sur ta tête ; il tient un vase plein
de grâces précieuses, et voudrait les répandre dans ton âme ; invo-
que donc la miséricorde, et fuis le désespoir.
FAST. ― Ah ! mon doux ami, je sens que tes discours sou-
ment mon âme enj sa détresse ! Laisse- moi un instant méditer
sur mes péches
LE VIEILLARD, Je pars doux Faust ; mais avec une cruelle et
r 31 2
284

poignante inquiétude , et je redoute la perte de ton âme désespé-


rée.
(Il sort.)
FAUST. Faust maudit, où est maintenant le pardon ? Je me re-
pens, et cependant je désespère . L'enfer et la grâce luttent dans
mon cœur à qui l'emportera que faire pour échapper aux em-
bûches de la mort?
MEPHISTOPHILIS . Tu es un traitre, Faust ! Je saisis à l'instant
ton âme pour désobéissance à mon souverain seigneur ; révolte-
toi contre ces pensées, ou je vais déchirer ta chair en lambeaux .
FAUST . " Doux Méphistophilis, supplie ton maître, pour qu'il
me pardonne mon infidèle présomption , et de mon sang je vais
renouveler mon premier vœu à Lucifer
MEPHISTOPHILIS . Fais- le vite, et d'un cœur loyal, de peur que
ta volonté ne soit entrainée en un pire danger .
FAUST. - Doux ami , va donc, et persécute ce vil et faux vieil-
¡ard, qui a osé me détourner de suivre Lucifer , inflige-lui les plus
grands tourments que notre enfer puisse inventer.
MEPHISTOPHILIS . Sa foi est grande , je ne puis atteindre son
âme ; mais ce que je puis faire pour la douleur de son corps , je
le tenterai , quoique cela ne vaille pas la peine d'en parler.
LE VIEILLARD . - Faust maudit , misérable , qui de ton âme a
chassé la grâce de Dieu , et qui fuis le trône de son tribunal !
(Entrent des démons.)
Satan déjà me crible de son orgueilleux pouvoir. Pendant que
dans cette fournaise Dieu éprouvera ma foi , cette foi, vil enfer ,
vaincra ta force ! Ambitieux démons, voyez les cieux sourient
d'avance de votre défaite, et se raillent de vous avec mépris ! Je
vais loin d'ici, je monte vers mon Dieu ,
(li sortent ae différents côtés. )

SCÈNE XII

FAUST et des ÉTUDIANTS entrent

FAUST . - Ah! Messieurs !


PREMIER ÉTUDIANT. Faust. qu'avez-vous ?
FAUST . - Ah ! mon doux compagnon de chambre, si j'avais
vécu avec toi, j'aurais vécu tranquille ! tandis qu'à présent que je
vais mourir à jamais . Regardez : ne vient-il pas ne vient-il pas ?
DEUXIÈME ÉTUDIANT. Que veut dire Faust par ces paroles.
TROISIÈME ÉTUDIANT . Sans doute l'abus de la solitude l'a
rendu malade.
PREMIER ÉTUDIANT ― Dans ce cas il y a ici des médecins qui ie
[ 32 ]
285

guériront. Ce n'est qu'une indigestion ; ce n'est point dangereux .


FAUST Une indigestion de péché mortel, du péché qui a damné
à la fois mon corps et mon âme:
DEUXIÈME ÉTUDIANT . Cependant, Faust, regardez le ciel ; sou-
venez-vous que la miséricorde de Dieu est infinie .
FAUST. - Mais le crime de Faust ne peut pas être pardonné.
Le serpent qui a tenté Eve peut être sauvé , mais Faust ne peut pas
l'être ! Ah ! messieurs , écoutez, ne frémissez pas à ce que je vais
vous dire ! Mon cœur palpite at frissonne, quand je me rappelle
être venu ici comme étudiant il y a trente ans ! Ah ! pourquoi ai-
je jamais vu Vittemberg, pourquoi ai-je jamais lu un livre ! Toutes
les merveilles que j'ai accomplies , l'Allemagne , le monde entier
peuvent en témoigner ; et c'est pour cela que l'Allemagne et le
monde sont perdus pour Faust ; oui , le ciel même, séjour de Dieu ,
trône des saints , royaume de félicité ! Et Faust doit rester à jamais
dans l'enfer ! l'enfer, ah l'enfer pour toujours ! Doux amis , que
deviendra Faust pour toujours dans l'enfer ?
TROISIÈME ÉTUDIANT . Cependant, Faust , implore Dieu.
FAUST. - Dieu, que Faust a abjuré ! Dieu, que Faust a blas-
phémé ! Ah ! mon Dieu , je voudrais pleurer ! mais le démon sèche
mes larmes . O mon sang, jaillis au lieu de larmes ! oui , ma vie,
mon àme ! ... Oh, il arrète ma langue . Je voudrais lever les mains
vers Dieu ; mais voyez, ils les retiennent, ils les retiennent !
Tous. Qui donc , Faust?
FAUST. Lucifer et Méphistophilis. Ab messieurs, je leur ai
donné mon âme, pour acquérir mon savoir.
Tous. - A Dieu ne plaise !
FAUST, Non , Dieu ne l'a pas permis ; mais Faust l'a fait . Pour
une vaine joie de vingt- quatre ans , Faust a perdu la béatitude
éternelle. Je leur ai rédigé un engagement avec mon sang ; le
délai est expiré ; l'heure va sonner, ils vont venir me prendre.
PREMIER ÉTUDIANT . Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé plus.
tôt ? Des théologiens auraient pu prier pour ton salut.
FAUST. J'ai souvent pensé à le faire ; mais le démon me me-
naçait de me déchirer en lambeaux , si je nommais Dieu , et d'em-
porter mon corps et mon âme , si j'écoutais une seule fois encore
la religion ; et maintenant il est trop tard . Messieur , allez- voLS-
en , de peur de périr avec moi .
DEUXIÈME ÉTUDIANT . -- Que ferons-nous pour sauver Faust?
FAUST.Ne parlez plus de moi , mais sauvez-vous vous-mêmes ,
et retirez-vous.
TROISIÈME ÉTUDIANT. Dieu me viendra en aide ; je veux rastei
près de Faust .
PREMIER ÉTUDIANT. Ne tente pas Dieu , doux ami ; mais retirons-
nous dans la chambre voisine , et prions pour I i .
[ 33 ]
286

FAUST. - Oui, priez pour moi ; et quelque fracas que vous en-
tendiez, ne venez pas à moi , car rien ne peut me sauver .
SECOND ÉTUDIANT . Prie aussi toi, nous supplierons Dieu pour
qu'il ait pitié de toi.
FAUST. - Adieu, messieurs ; si je reste en vie jusqu'au jour,
j'irai vous visiter, sinon, Faust sera parti pour l'enfer.
Tous. Faust, adieu.
MEPHISTOPHILIS. ― Oui , Faust, à présent tu ne peux plus espérer
le ciel ; désespère donc ; ne pense plus qu'à l'enfer qui doit être ta
demeure, ta résidence .
FAUST. - O démon ensorceleur ! c'est par ta tentation que j'ai
perdu les éternelles félicités.
MEPHISTOPHILIS. Je confesse qu'il en est ainsi, Faust, et j'en ai
joie. Oui , c'est moi, qui, lorsque tu étais dans le chemin du ciel,
t'en ai fermé le passage ; moi qui , lorsque tu prenais le livre des
écritures , en tournais les feuillets, et conduisais tes yeux ... Quoi,
tu pleures ? Il est trop tard, désespère ! Adieu , les fous qui veulent
rire sur la terre pleureront dans l'enfer .
(11 sort. )

LE BON ANGE et LE MAUVAIS ANGE entrent par des portes sé-


parées

LE BON ANGE . O Faust, si tu m'avais cru , d'innombrables joies


au raient été ton partage ! Mais tu as aimé le périssable monde .
LE MAUVAIS ANGE . - C'est moi qu'il a cru , et il doit maintenant
savourer éternellement les tortures de l'enfer .
LE BON ANGE. Oh ! à quoi toutes tes richesses , tes voluptés , tes
pompes te servent-elles à présent .
LE MAUVAIS ANGE . A rien, sinon à te tourmenter davantage,
par la privation , en enfer, de ce trésor dont tu as joui sur terre .
LE BON ANGE. Oh ! tu as perdu le bonheur céleste , des voluptés
indicibles, une félicité sans fin . Si tu t'étais attaché à la douce di-
vinité, l'enfer ni le démon n'auraient eu aucun pouvoir sur toi ; si
tu avais suivi cette voie , Faust, regarde. (Musique : un trône des-
cend. ) Dans quelle gloire resplendissante tu te serais assis au
pied de ce trône, comme ces saints éblouissants de lumière, et tu
aurais triomphé de l'enfer ! Voilà ce que tu as perdu et mainte-
nant, pauvre âme, ton bon ange doit te quitter ; les màchoires
de l'enfer s'ouvre pour te recevoir.
(Il sort, le trône remonte. )
LE MAUVAIS ANGE . - Et maintenant, Faust, que tes yeux s'écarquil-
lent d'horreur (l'enfer se découvre) devant ce vaste et éternel
séjour de torture . Voilà les furies remuant les âmes damnées au
bout de leurs fourches brûlantes ; ici les corps bouillent dans le
[ 34 ]
287 --

plomb fondu. Là des quartiers vivants grillent sur des charbons ,


sans pouvoir jamais mourir . Cette chair toujours brûlante est
destinée aux âmes toujours torturées pour qu'elles s'y reposent.
Ceux-ci qu'on engraisse de soupes de feux flamboyants étaient des
gourmands, qui n'ai maient que les délicatesses de la table, et riaient
de voir les pauvres mourir de faim à leur porte . Mais tout cela
n'est rien ; tu verràs dix mille autres tortures bien plus horribles ,
FAUST. - Oh ! j'en ai vu asez pour me torturer !
LE MAUVAIS ANGE . Non, il faut que tu les sentes , que tu goûtes
la douleur cuisa nte de toutes . Celui qui aime le plaisir doit se
perdre par le plaisir. Je te laisse donc, Faust, pour le moment ;
out à l'heure tu vas culbuter dans la confusion .
FAUST. - Ah ! Faust, tu n'as plus qu'une heure, une heure à
vivre, et puis tu dois être damné pour l'éternité ! Arrêtez-vous,
sphères toujours mouvantes du ciel , arrêtez -vous , que le temps
cesse, et que minuit jamais ne vienne ! Et toi, soleil , œil de la na-
ture, lève, lève - toi encore, et fais un jour éternel ! ou que du
moins cette heure soit une année, un mois , une semaine , un jour
ordinaire, et que Faust puisse se repentir , et sauver son âme ! 0
lente, lente currite, noctis equi¹ ! ... Les astres roulent toujours , le
temps marche, l'horloge va sonner, le démon approche, et Faust
doit être damné. Oh ! que ne puis-je m'élancer jusqu'à mon Dieu !
Qui me tire en bas ? - Voyez, voyez le sang du Christ ruis-
selle par tout le firmament ! Une seule goutte sauverait mon âme,
la moitié d'une goutte ! Ah ! mon Christ ! -- Ah ! ne me déchirez
pas le cœur parce que je crie le nom de mon Christ ! Qui, je
veux l'invoquer ; oh, épargne -moi , Lucifer ! Où est-il maintenant
mon Sauveur, il est parti , j'aperçois un front qui menace, un bras
levé dans la colère ! Montagnes et collines , venez , venez tomber
sur moi , et cachez-moi à l'écrasante fureur de Dieu ! .. Non , non ! ...
Alors je vais me précipiter tête baissée dans les entrailles de la
terre... Terre, ouvre-toi ! Oh non ! elle me refusera tout refuge.
Vous , étoiles qui avez présidé à ma naissance, vous dont l'influ-
ence a fait la part de la mort et de l'enfer, attirez Faust, comme
une vapeur, dans le sein de ces nuages en travail là - bas ; et que
mes membres puissent retomber dans les abîmes , pourvu que
mon âme puisse monter au cieux !
(L'horloge sonne la demie.)
Ah ! la demi-heure est écoulée ! L'heure tout entière va l'être
bientôt ! O Dieu, si tu ne veux pas avoir pitié de mon âme, cepen-
dant, pour l'amour du Christ , qui m'a racheté de son sang, mets
une fin à ma peine éternelle. Que Faust reste en enfer mille ans,

1. O courez lentement, lentement, chevaux de la nuit. >»


[ 35 ]
288

cent mille ans , mais que tout à la fin il soit sauvé ! Mais non, il
n'y a pas de fin au châtiment des damnés ! Pourquoi , Faust, n'as-
tu pas été une créature sans âme? Ou bien pourquoi l'âme que tu
as est-elle immortelle? Ah ! si la métempsycose de Pythagore était
une vérité, cette âme s'envolerait loin de moi, et je serais trans-
formé en une bête ! Les bêtes sont heureuses , car lorsqu'elles
meurent, leur âme se dissout aussitôt parmi les éléments ; mais
la mienne vivra à jamais pour subir les supplices de l'enfer.
Maudits soient les parents qui m'ont engendré ! Non , Faust, mau-
dis-toi toi-même, maudis Lucifer qui t'a privé des joies du ciel .
(L'horloge sonne minuit. )
Minuit! Minuit ! ô mon corps , change-toi en cet air impalpable,
ou Lucifer va t'emporter en enfer.
(Eclairs et tonnerre.)
O mon âme, change-toi en imperceptibles gouttes d'eau, et tombe
dans l'océan , pour qu'à jamais tu ne puisses y être trouvée.
(Entrent les démons .)
Mon Dieu, mon Dieu , ne me regarde pas d'un regard si terrible !
Vipères et serpents, laissez-moi respirer une seconde ! Hideux en-
fer, n'ouvre pas ta gueule ainsi ! Ne viens pas , Lucifer ! Je veux
brûler mes livres !... Ah ! Méphistophilis !
(Les démons emmènent Faust,)
(Entre le chœur.)
LE CHOEUR. La branche est coupée qui aurait pu croître et
prospérer ; brûlé, le rameau de laurier d'Apollon , qui poussa pen-
dant quelque temps en cet homme plein de savoir . Faust n'est
plus ! Regardez sa chûte dans l'enfer, et puisse sa destinée dé-
moniaque persuader le sage à n'avoir que de l'étonnement devant
les choses défendues , dont le mystère entraîne les esprits hardis
à aller au delà des limites marquées par la puissance céleste.

421

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256, Vicomte E.-M. de Vogue. Dostoievsky. partie).
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38. A. de Chamisso. L'homme qui a perdu 84. Thackeray. Le Livre des Snobs.
son ombre. 92. Hamilton. Le Chevalier de Grammont.
49. Auerbach. La Fille aux pieds nus. 94. Walter Scott . Contes d'un grand-père.
Contes. 96. Nath. Hawthorne. Contes racontés deux
75. Hoffmann, Mlle de Scudéri. fois.
112. Zschokké. Matinées suisses. 110. Addison. Sir Roger de Coverley.
116. Hoff ann. Maitre Martin le tonnelier. 119. Hamilton. Histoire de Fleur d'Epine.
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238. Wieland. L'Ombre de l'Ane. Jaune. Esquises parisiennes, etc.
288. Georges Ebers. La Fille de Pharaon. 164. Douglas Jarrold. Sermons du soir de
358. Grimm. Contes et Légendes. Mme Caudle.
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1 si 20
ઘાસ નામનું
Entre tous les moralistes français, Vauvenargues est particulièrement inté-
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qui inspirent ses maximes. L'histoire de sa vie, si courte et si douloureuse,
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